Vrije Universiteit Brussel

Les concurrents de la compagnie Hennebique. Etude des cahiers des charges de la Ville de Bruxelles Wouters, Ine; Hellebois, Armande; Espion, Bernard

Published in: Les temps de la construction. Processus, acteurs, matériaux

Publication date: 2016

License: Unspecified

Document Version: Accepted author manuscript

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Citation for published version (APA): Wouters, I., Hellebois, A., & Espion, B. (2016). Les concurrents de la compagnie Hennebique. Etude des cahiers des charges de la Ville de Bruxelles. In F. Fleury, L. Baridon, A. Mastrorilli, R. Mouterde, & N. Reveyron (Eds.), Les temps de la construction. Processus, acteurs, matériaux: Recueil de textes issus du deuxième congrès francophone d'histoire de la construction (pp. 411-420). [10] Paris: Picard.

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Reference:

Wouters, I., Hellebois, A. & Espion, B. (2016) Les concurrents de la compagnie Hennebique. Etude des cahiers des charges de la Ville de Bruxelles in Fleury, F., Baridon, L., Mastrorilli, A., Mouterde, R. & Reveyron, N. (eds.) Les temps de la construction. Processus, acteurs, matériaux: Recueil de textes issus du deuxième congrès francophone d'histoire de la construction, Paris: Picard, p. 411-420

Les concurrents de la compagnie Hennebique. Etude des cahiers des charges de la ville de Bruxelles.

Ine Wouters, Armande Hellebois, Bernard Espion

Cette communication aborde le rôle actif d’entrepreneurs d’ouvrages en béton armé concurrents de la compagnie de François Hennebique. L’analyse se focalise sur les constructions de première génération érigées à Bruxelles entre 1899 et 1912 en valorisant le contenu des cahiers des charges de bâtiments publics. En complément à la littérature existante, le contenu des cahiers des charges révèle également la composition originelle de ces bétons armés.

Le béton armé à Bruxelles Après avoir travaillé en France et en Belgique, François Hennebique (1842-1921) s’installe à Bruxelles en 1876. En 1892, il dépose un brevet sur le béton armé et commence un bureau d’études à Bruxelles. L’année 1892 est considérée comme une étape charnière dans l’histoire du béton armé étant donné qu’on évolue d’une période d’intuition vers une période d’expérimentation et de procédés empiriques (Simonnet, 2005). Le bureau de Bruxelles restera le bureau principal jusqu’en 1897, année où le bureau à Paris, fondé en 1894, reprend ce rôle. Néanmoins, les contacts et les liens avec Bruxelles et la Belgique resteront intenses par la suite. Ceci est reflété par le grand nombre de bâtiments construits selon le système de béton armé de Hennebique en Belgique et à Bruxelles. Concernant la situation spécifique de la région Bruxelles-Capitale, un inventaire a été établi en 2013 regroupant les réalisations en béton armé pour la période s’étendant jusqu’en 1914 (Hellebois, 2013). Dans cet inventaire contenant plus de 500 interventions, plus de 80% des réalisations en béton armé le sont suivant le brevet de François Hennebique. Cet inventaire a été réalisé sur base de recherches dans les archives du Fonds Bétons armés Hennebique de la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris (IFA-FH), les Archives d’Architecture Moderne (AAM) à Bruxelles, dans des livres et magazines de l’époque ainsi qu’en inspectant des bâtiments existants. Grâce à la qualité des archives du Fonds Bétons armés Hennebique et à la quantité de recherches réalisées sur le système de béton armé de Hennebique, la majorité des bâtiments construits par Hennebique à Bruxelles se retrouve dans l’inventaire. Ce sont davantage des bâtiments des concurrents de Hennebique qui pourraient être découverts par des recherches supplémentaires vu le caractère limité de la documentation concernant les entrepreneurs et constructeurs belges et bruxellois.

Tableau 1 : Durant la période 1890-1914, treize cahiers des charges ont été retrouvés dans les Actes Administratifs de la ville de Bruxelles où le béton armé y est décrit de manière explicite. Dossier Année Titre du cahier des charges, dates précisées et soussignés AVB Revêtement ciment avec âme en treillis métallique à effectuer dans le réservoir des eaux de 1899 4386 la ville à Etterbeek. 2 juin 1899. (Ingénieur E. Putzeys) Ville de Bruxelles. Revêtement en ciment et en béton armé avec âme en treillis métallique 1900 4524 à effectuer dans le réservoir des eaux de la ville, à Etterbeek. 9 février 1900. (Ingénieur E.

Putzeys)

Revêtement en béton avec âme métallique à effectuer dans les bassins de l’avenue 4582 Palmerston et du Square Ambiorix. 1 mai 1900 (Ingénieur E. Putzeys)

Construction de bâtiments pour le service de la ferme des Boues au quai de Willebroeck. 1901 4815 15 février 1901. (Architecte H. Van Dievoet, Ingénieur E. Putzeys)

Construction de bâtiments destinés à abriter l’installation de l’usine d’incinération des 4870 Immondices au quai de Willebroeck. 13 aout 1901 (Ingénieur E. Putzeys)

Construction d'une école de fille rues Véronèse et le Corrège. 26 février 1904. (Architecte 1904 5368 Th. Serrure et ingénieur E. Putzeys)

Construction d'un monument "aux Victimes du Devoir" au cimetière de la ville, à . 14 1905 5925 juillet 1905. (Architecte E. Lambot et ingénieur E. Putzeys)

Construction d’une double école moyenne (filles et garçons) rue de Gravelines (angle du 6073 Boulavard Clovis). 8 décembre 1905. (Architecte E. De Vigne et ingénieur E. Putzeys)

Travaux de restauration du chevet de l’église collégiale de SS-Michel-et-Gudule et de 1906 6433 dépendances nouvelles. 30 novembre 1906 (Architecte Caluwaers et ingénieur E. Putzeys)

Construction d’une école normale, rue des Capucins. 26 juillet 1907. (Architecte H. Jacobs 1907 6777 et ingénieur E. Putzeys)

1909 7461 Service de l'électricité, Construction d’une sous-station au Solbosh. 2 juillet 1909.

Ville de Bruxelles. Construction d'une école moyenne de garçons rue des riches-claires. 23 1911 7951 décembre 1910. (Architecte C. Bosmans et H. Vandeveld et ingénieur E. Putzeys)

Ville de Bruxelles. Travaux de transformation à l’école normale d'instituteurs, Boulevard 1912 8511 du Hainaut1. 26 avril 1912. (Architecte J. Hubrecht et ingénieur E. Putzeys)

Cahiers des charges de la ville de Bruxelles Etudier les Actes Administratifs (AA) de la ville de Bruxelles2 permet de collecter des informations supplémentaires sur l’introduction et l’évolution de la connaissance du béton armé à Bruxelles ainsi que sur les constructeurs de ces bâtiments et de leur structure. Les dossiers de ces bâtiments qui furent construits par la ville de Bruxelles entre 1890 et 1914 contiennent le cahier des charges, le métré descriptif, la lettre de l’entrepreneur auquel la ville

1 Adresse actuelle : Place Rouppe 28, 1000 Bruxelles 2 Ces documents sont conservés dans les Archives de la ville de Bruxelles (AVB).

de Bruxelles a attribué le travail et le métré récapitulatif rempli par l’entrepreneur, donnant les prix des différents postes. Les cahiers des charges décrivent l’objet du marché, les dispositions générales, l’origine et la qualité des matériaux à appliquer, les méthodes d’exécution des travaux et le planning des travaux. Dans les cahiers des charges sont décrites les caractéristiques et la qualité des matériaux, du ciment, du béton, du béton armé et de l’acier des armatures et la mise en œuvre. Le métré descriptif mentionne les quantités des matériaux à appliquer, et même les sections et dimensions des armatures dans certains cas. Au cours de la période 1890-1914, cinquante cahiers des charges décrivent l’application du « béton » ou du « béton aggloméré » (Langhendries, 2012). L’utilisation du « béton armé » ou des « treillis métalliques cimentés » se limite à treize dossiers entre 1899 et 1912. La présente contribution se focalise sur ces treize cahiers des charges qui sont résumés dans le tableau 1. En fonction de l’ouvrage à construire, les cahiers des charges sont soussignés par l’ingénieur de la ville de Bruxelles et l’architecte de la ville. La période étudiée (1899-1912) correspond à la période où l’ingénieur E. Putzeys était mandaté. Nous trouvons de nombreux architectes différents parmi les signatures : H. Van Dievoet, Th. Serrure, E. Lambot, E. De Vigne, Caluwaers, H. Jacobs, C. Bosmans, H. Vandeveld et J. Hubrecht.

1899-1900 : des imprécisions Le premier cahier des charges mentionnant un type de « béton armé » est le dossier sur le «Revêtement ciment avec âme en treillis métallique à effectuer dans le réservoir des eaux de la ville à Etterbeek» inclus dans le volume de l’année 18993. La description des armatures y est très imprécise: «Le soumissionnaire fixera la nature et les dimensions du treillis métallique qu’il compte mettre en œuvre». (AVB 4386 (1899), art.7) Le travail est attribué à l’entrepreneur bruxellois Armand Blaton (tableau 2). La firme Blaton- Aubert, créée en 1865 par Adolphe Blaton, s’était fait une spécialité dans la production d’éléments décoratifs en béton et la réalisation de constructions en béton aggloméré. Ayant repris l’entreprise de son père vers 1895, Armand Blaton donne son nom à la société (appelée aussi SA Ciments et Bétons) et se spécialise dans les travaux publics et bâtiments industriels. La société Armand Blaton est une des rares firmes actives en Belgique au début du béton armé qui n’avait pas de brevet enregistré en son nom. Etant donné que cette firme utilisait également des étriers plats, elle était en conflit avec François Hennebique (Van de Voorde, 2011).

Les deux cahiers des charges repris dans le volume de l’année 1900 concernent aussi des travaux hydrauliques. Bien que le mot « béton armé » soit utilisé dans le titre des dossiers 4582 « Revêtement en ciment et en béton armé avec âme en treillis métallique à effectuer dans le réservoir des eaux de la ville, Etterbeek » et 4589 « Revêtement en béton avec âme métallique à effectuer dans les bassins de l’avenue Palmerston et du Square Ambiorix », ces ouvrages ne sont que des renforcements de réservoirs avec un treillis en acier protégé par du béton :

3 AVB, AA 4386

« Organisation et mode de travail. L’âme métallique sera composée de barres en fer ronds de 5 millimètres de diamètre et de 3m25 de longueur avec chevauchement minimum de 0m25, espacées dans les deux directions de 0m125 et reliées entre elles à chaque croisement par un fil de fer d’une épaisseur de 2 millimètres qui contournera chaque barre trois fois. Ce treillis sera fixé et placé de manière à être distant des radiers et des murs de pourtour de 3 centimètres. […] L’épaisseur du béton en total est de 6 centimètres.» (AVB 4582 (1900), art. 12) Tandis que les deux cahiers des charges décrivent des travaux similaires, le travail est respectivement attribué aux entrepreneurs Alphonse Vasanne et Armand Blaton (tableau 2). L’information disponible sur l’entrepreneur bruxellois Alphonse Vasanne ( ?-1950) est très limitée. Vasanne a déposé un brevet en 1902 pour un « Nouveau système d’armature pour les pièces en béton » et faisait partie de l’équipe qui construisit la coupole de la gare d’Anvers en 1905. A Bruxelles, on sait qu’il se construisit une villa ainsi qu’un château d’eau en béton armé en 1905 (Hellebois, 2013). La construction du réservoir d’eau de 1900 pourrait donc avoir été réalisée au début de sa carrière. Ainsi, la façon de décrire dans les cahiers des charges le système de béton armé devant être appliqué était imprécise. Par conséquent, ceci donnait la liberté aux constructeurs de proposer leur propre système de béton armé, breveté ou non.

1901 : une préférence de système en béton armé Dans les cahiers des charges de 1901, la description des armatures devient plus précise. La composition du béton, la géométrie et la qualité des armatures est décrite dans le cahier des charges de la «Construction des bâtiments pour le service de la ferme des Boues au quai de Willebroeck» : « Béton armé. Le béton sera de la composition suivante : pierrailles de porphyre : un mètre cube, sable rude : 0.250 mètre cube, ciment portland a prise lente : 300 kilog. La pierraille de porphyre proviendra des carrières de Quenast. Elle sera de l’espèce dite « plaquettes ». Le sable proviendra de Mont-Saint-Guibert. Il ne pourra contenir plus de 2 p.c. en poids de matières étrangères et de 85 p.c. en poids au minimum devront rester sur le tamis de 900 mailles par centimètre carré. Les barres rondes pour armatures seront en fer n°3 (bonne qualité). Le fil pour ligatures sera en fer recuit de 1re qualité. » (AVB 4815, art. 14)

Dans le paragraphe 4 décrivant l’exécution des ouvrages, on spécifie la préparation, le damage, la géométrie des extrémités en pied de biches, et enfin la manière de créer les joints de reprise. Dans le métré, une annotation « système Christophe » est ajoutée dans les paragraphes décrivant le béton armé spécial. Paul Christophe, ingénieur des ponts et chaussées, était en effet impliqué dans le projet. Deux ans auparavant, en 1899, Paul Christophe a été invité par François Hennebique pour assister au troisième congrès international sur le Béton Armé qu’il organisait. Dans ce contexte, Paul Christophe a rédigé le rapport « Le béton armé et ses applications » qui a été publié en 1899 en trois livraisons dans la revue les « Annales des Travaux Publics de Belgique ». C’est probablement cette publication qui a motivé l’architecte Henri van Dievoet pour écrire le 30

juin 1900 une lettre à l’échevin de la ville de Bruxelles demandant de charger l’ingénieur Paul Christophe d’un projet de fondations : « Le sol sur lequel les bâtiments doivent s’élever est très peu résistant et le procédé de fondations dont Monsieur Christophe est l’auteur pourrait, il me semble, être employé avec avantage et économie dans ce cas spécial » (AVB TP 5143) Paul Christophe mentionne dans ses chroniques que la Ferme des Boues est la deuxième construction qu’il a suivie en tant qu’expert. Après avoir effectué le calcul des fondations d’un château d’eau en 1899, il a fait les calculs et le suivi du chantier de la construction des bâtiments de la Ferme des Boues (Hellebois, 2013). Paul Christophe n’a jamais déposé un brevet pour un système en béton armé (Hellebois, 2013). La mention « système Christophe » est probablement ajoutée dans le métré pour distinguer le système à exécuter de celui de l’avant-projet qui a été dressé par François Hennebique le 1 août 1899. La communication entre l’ingénieur en chef de la ville de Bruxelles et Hennebique révèle comment ce dernier essaye d’influencer la procédure de l’adjudication : « Je pense, Monsieur l’ingénieur en chef, que l’Adjudication ouverte à tous, pourrait vous amener de graves inconvénients. Je ne puis, en effet, accepter de responsabilité absolument et pleinement solidaire, qu’avec des entrepreneurs spécialistes au courant de mon système, s’engageant à exécuter scrupuleusement les plans et détails d’exécution dressés par mes bureaux et approuvés par la direction administration des travaux » (AVB TP 5146) Après avoir dressé la procédure d’adjudication, la ville n’a pas donné suite au projet et a payé une somme de 12.500 francs d’indemnisation à Hennebique en 1899, montant correspondant au coût de l’avant-projet (AVB TP 4156).

Le cahier des charges a été finalisé le 15 février 1901 après avoir consulté Paul Christophe. Ce cahier fournit la liste de « désignation des plans d’adjudication » dont le nombre s’élève à 131. Pour la première fois, des plans de béton armé sont ajoutés au cahier des charges: quatre plans des fondations en béton armé de l’habitation du directeur, des bureaux, des écuries et des ateliers y sont inclus.4

Le travail est attribué à l’entrepreneur bruxellois Louis De Waele5 qui est connu comme étant l’un des premiers concessionnaires de Hennebique à Bruxelles6. Néanmoins, Hennebique n’est finalement pas intervenu dans la réalisation finale de La ferme de Boues.

Dans le cahier des charges «Construction de bâtiments destinés à abriter l’installation de l’usine d’incinération des immondices au quai de Willebroeck », le système Hennebique est explicitement suggéré : «les assises de fondation seront en ‘béton armé du système Hennebique’». Le fait qu’un système particulier soit prescrit est étonnant car on compte habituellement sur la neutralité d’un cahier des charges émanant des services d’une

4 Les plans de béton armé ne sont pas inclus dans les dossiers AA (1901) 4815, TP 5130-5159 des Archives de la Ville de Bruxelles. 5 Cinq entrepreneurs ont soumis un projet : Louis De Waele (355.133 francs), Van Wechelen (369.473 francs), Saublain (369.766 francs), Hottat (399.000 francs) et Sacton (418.700 francs) 6 Le Fonds Bétons Armés Hennebique (Belgique avant 1910) mentionne 95 projets de la Société Louis De Waele. Le premier bâtiment, une meunerie située à Bruxelles, date de 1895.

administration publique. Cependant, il fut possible de trouver d’autres systèmes spécifiés dans les cahiers des charges. Par exemple, le système Kleine est prescrit dans le cahier des charges de six maisons, écoles, bureaux et bibliothèques.7

Pour ce qui est des bâtiments pour l’usine d’incinération, les entrepreneurs n’ont donc pas le choix. La ville de Bruxelles impose que ces bâtiments doivent être construits selon le brevet de Hennebique. Les travaux sont soumis au constructeur bruxellois Victor Bertavy. Néanmoins, son nom n’a pas pu être retrouvé dans la liste des concessionnaires de Hennebique. En fait, on ne retrouve aucune information concernant ce constructeur.

En 1901, les descriptions dans les cahiers des charges évoluent d’une description vague vers une description très détaillée déterminant le système de béton armé à l’aide de détails précis sur les plans ou d’une prescription spécifique d’un système breveté.

1904 : la professionnalisation Le cahier des charges de la «Construction d’une école de filles rues Véronèse et le Corrège» rédigé en 1904 présente une rupture de style. Au lieu de quelques règles sommaires, le document consacre trois pages aux matériaux du béton armé et de leur mise en œuvre. Les cahiers de charges font état de onze dessins avec les détails de poutres et de piliers en béton armé (Fig. 1, 2 et 3). De plus, le métré consacre plus de 50 pages aux diamètres et longueurs des barres d’armatures de toutes les poutres, piliers et planchers.

Figure 1 : Plan des fondations de l’école de filles rues Véronèse et le Corrège, signé par l’ingénieur Paul Christophe. s.d. (AVB NPP Q19 Feuille L)

7 Les système Kleine est prescrit dans les cahiers des charges suivants: AVB AA 4603 (1900) maison des Boulangers, AVB AA 4815 (1901) Ferme des Boues, AVB AA 4986 (1902) Ecole Rollebeek, AVB AA 6777 (1907) Ecole Normale, AVB AA 7089 (1908) Bibliothèque place Rouppe, AVB AA 8511 (1912) Ecole Normale

Figure 2 : Détail de la poutre de fondation n°65 de l’école de filles rues Véronèse et le Corrège. Plan signé par l’ingénieur Paul Christophe. s.d. (AVB NPP Q19 Feuille K)

Figure 3 : Détail des piliers C, D et E de fondation de l’école de filles rues Véronèse et le Corrège. Plan signé par l’ingénieur Paul Christophe. s.d. (AVB NPP Q19 Feuille E)

On peut déduire des mémoires de Paul Christophe que cette école est le deuxième bâtiment à Bruxelles qu’il a suivi. Il a été chargé par la ville de Bruxelles d’établir le projet des fondations de cette école (Hellebois, 2013). En 1902, Paul Christophe publia son livre intitulé « Le béton armé et ses applications » qui s’imposera rapidement et internationalement comme l’un des plus importants manuels.

Bien que les cahiers des charges datent de 1904, Théodore Serrure, architecte de la ville de Bruxelles, avait déjà dessiné les plans et les coupes de l’école le 5 mars 1902. L’école est construite selon les directives de l’école modèle, c‘est-à-dire que les classes sont groupées autour d’un grand préau illuminé et aéré. Même si la structure en béton armé est imposante, celle-ci n’est pas visible. Au tournant du vingtième siècle, si le fer et l’acier sont considérés et acceptés en architecture comme matériau de construction, les applications en béton armé sont toujours limitées et spécifiques (ex. : construction de fondations, de caves).

Paul Christophe déclare avoir commencé les calculs de charges et de résistance le 5 novembre 1902 et travaille jusqu’à la fin du mois de décembre (Hellebois, 2013). Douze feuilles à l’échelle 0.2 ont été consacrées par Paul Christophe au dessin de la structure des fondations.

Le cahier des charges de l’école est très détaillé et a été rédigé d’une façon scientifique. La qualité de l’acier doux à utiliser est définie en mentionnant la limite élastique et la résistance à la rupture. On y mentionne les essais de matériaux à faire et la façon de mélanger le béton. On parle déjà de la quantité d’eau, du transport et de la protection des surfaces exposées. Les conditions atmosphériques sont également prises en compte. De plus, un paragraphe est consacré aux « armatures » et à « la mise en service des ouvrages ».

Le système en béton armé à utiliser ne reçoit pas de nom spécifique mais est déterminé de façon incontestable dans les 11 feuilles : « Les fondations des bâtiments […] ainsi que les murs de soutènement des cours basses seront exécutés conformément aux plan spéciaux y relatifs (Feuilles A, B, C, D, E, F, G, H, K, L, M). Ces travaux font partie du forfait de l’entreprise. » (AVB AA 5368 (1904), art. 17)

De plus, le métré très détaillé mentionne tous les diamètres et longueurs des barres des 104 poutres et 11 catégories des piliers (A-K). Par exemple, la poutre numéro 65 (fig. 2) doit comprendre : « 6 barres droites de 20 mm de diamètre et 8,44 m de long ; 6 barres pliées de 20 mm de diamètre et 9,16 m de longueur ; 72 liaisons verticales de 6 mm de diamètre et 5,89 m de long ; et 8 liaisons transversales de 12 mm de diamètres et 1,10 m de longueur. »

Pour les piliers, des barres de 30 mm sont utilisées pour les armatures verticales, de 15 mm pour les réseaux horizontaux et de 8 mm pour les liaisons. Pour la construction des poutres, un large éventail de diamètres de barres sont utilisés (6, 8, 10, 12, 15, 18, 20, 22, 25, 28, 29, 30, 36, 40 et 42 mm), ce qui ne simplifiait pas le travail sur chantier.

Les entrepreneurs Jules Vandiepenbeek et Jules & Louis De Decker ont soumis le prix le plus bas (859.984 francs) et ont été désignés pour la construction de l’école, et ce sans intervention de Hennebique (AVB AA 5369 (1904)).

Comme indiqué par Paul Christophe, le calcul des armatures était une lourde tâche. On peut dès lors se demander si la responsabilité de calculer les armatures appartenait à La ville de Bruxelles ou à l’entrepreneur. La ville de Bruxelles modifia son rôle lors de la rédaction des cahier des charges de la prochaine école à construire en 1905 « Construction d’une double école moyenne (filles et garçons) rue de Gravelines (angle du Boulevard Clovis) ». Dans les cahiers des charges, la responsabilité pour les travaux en béton armé est à nouveau entièrement dirigée vers l’entrepreneur. Ces cahiers précisent les aspects suivants : « Les travaux prévus en béton armé de fer pour poutres sous murs, poutres des plafonds, linteaux et hourdis, ainsi que pour le plafond des préaux et ses chéneaux, devront être exécutés par une des maisons connues qui s’occupent de ce genre de travaux, sous l’entière responsabilité de l’entrepreneur » (AVB AA 6073 art. 31)

Les cahiers des charges offrent donc la liberté de choisir un système de béton armé. Pour diriger et contrôler le calcul des éléments en béton armé, on détermine les surcharges des locaux et on demande d’envoyer tous les plans à l’administration de la ville de Bruxelles. « Tous les plans de travaux en béton armé devront parvenir par les soins de l‘entrepreneur au service dirigeant de la ville, qui les soumettra à l’approbation de l’architecte, avant de pouvoir servir à l’exécution. Ces plans renseigneront les charges pour lesquelles les poutres, etc. , sont calculées d’après le poids de maçonnerie, planchers ou toitures à porter par chacune de ces pièces : la surcharge des planchers des classes sera comptée à raison de 300 kilos le mètre carré : celle des paliers- balcons, à raison de 500 kilos le mètre carré : le poids propre des toitures plateformes en ciment volcanique, 200 kilos le mètre carré (non compris plafond en béton armé) ; le poids propre des toitures en zinc ; 70 kilos de mètre carré. » (AVB AA 6073 (1905) art.31, 32)

Le paragraphe suivant était ajouté en vue de ne pas perdre le contrôle sur la mise en œuvre : « L’entrepreneur fournira à ses frais tous les instruments de précision, les matériaux et le personnel nécessaires pour faire les expériences voulues que l’Administration lui prescrira, afin de s’assurer de la valeur des travaux exécutés en béton armé, tant au point de vue des matériaux y employés, que de leur mise en œuvre et de la résistance des travaux finis » (AVB AA 6073 (1905) art.34)

La description des travaux en béton armé dans les cahiers de charges de l’école à construire en 1907 est très similaire. On demande de spécifier dans la lettre de soumission le système du béton armé qui sera exécuté. En 1907, l’entrepreneur bruxellois Auguste Leblicq mentionne dans sa lettre de soumission que « Le béton armé sera du système O. Delire ».

Oscar Delire était concessionnaire de Hennebique entre 1900 et 1904 (Van de Voorde, 2011). Ni l’entrepreneur Auguste Leblicq ni Oscar Delire sont inclus dans la liste des

concessionnaires de Hennebique pour la période de construction de l’école. Aucune information concernant le bâtiment ne figure dans les Fonds Béton Armé Hennebique. Jusqu’à présent, aucun brevet au nom d’Oscar Delire n’a pu être retrouvé. Le brevet de Hennebique expira en 1906. Oscar Delire avait-il acquis assez d’expérience pour continuer seul après ces quelques projets8 construits en tant que concessionnaire de Hennebique? Avait- il plutôt développé son propre système ? Ces questions restent ouvertes à ce jour.

1910 : imposer le calcul statique Un dernier progrès est visible dans le cahier des charges de l’école moyenne dressé par les architectes C. Bosmans et H. Vandeveld en décembre 1910.. Le cahier des charges, inclus dans les Actes Administratifs de l’année 1911, exige d’accompagner les plans de la note des calculs statiques. Ce cahier fournissait les formules permettant de calculer les armatures dans le béton armé. « Chaque plan sera accompagné des calculs statiques justificatifs ; ces calculs comprendront la recherche des charges de chaque élément calculé. En cas de pièces fléchies la recherche des moments fléchissant et des efforts tranchants maxima ; il sera prouvé que les taux de travail ne dépassent pas pour les fibres les plus fatiguées, 1,000 kilos par centimètre carré à l’extension pour l’acier doux et 40 kilos par centimètre carré a la compression pour le béton. » (AVB AA 8511 (1911), art. 3)

Figure 4 : Dessin du système Tuileries Nationales Belges des hourdis creux béton armé dans deux sens inclus dans la soumission de l’entrepreneur Cnaepelinckx en 1910 (AVB TP 10114)

8 Terrasses et plancher, piscine à , marché de chevaux à Bruxelles et usine électrique à Assche.

La description détaillée du calcul couvrant trois pages doit être mis en relation avec le cadre normatif de la Belgique. Contrairement aux autres pays, il n’existait pas encore de normes en Belgique pour calculer le béton en 1910. En France, une circulaire ministérielle française est apparue en 1906. Paul Christophe, qui promouvait des calculs indépendants des formules des brevets, insistait auprès du service des Ponts et Chaussées pour utiliser cette circulaire ministérielle française.

Le cahier des charges prescrit que la confection des gîtages de dimensions moyennes (typiquement 7,20 m sur 8,00 m) doit être construite en hourdis creux en béton armé portant dans les deux sens. Neuf9 entrepreneurs soumettent un dossier accompagné de calculs ainsi qu’un dessin des hourdis creux. Ils proposent les systèmes suivants : système Siegwart, systemè Herbst, système de la Société Anonyme Tuileries Nationales Belges (fig.4), Société Belges des bétons et planchers tubulaires (système Herbst) et système Mihrtadiantz. Les architectes C. Bosman et H. Vandeveld devant comparer les systèmes proposés calculent le poids mort des systèmes Herbst, Siegwart et Tuileries Nationales Belges répondant au besoin de pouvoir distribuer les charges dans les deux directions. Le système Siegwart pesant 544 kg/m² est considéré comme trop lourd. Les poids mort des systèmes Herbst (413 kg/m²) et Tuileries Nationales Belges (410 kg/m²) sont comparables. Etant donné que les prix demandés par les entrepreneurs Clement & Desneux et E. Leblicq s’élevaient en avril 1910 respectivement à 737.311 francs et 749.111 francs, le marché fut finalement attribuée à l’entrepreneur Clément & Desneux. Ainsi, en décembre 1910, une nouvelle lettre de soumission mentionnant un nouveau montant inférieur fixé à 656.145 francs indiquait que le système béton armé serait « notre système ou celui de Oscar Delire ». Vu que les dossiers des archives de la ville de Bruxelles liés à ce bâtiment sont incomplets10, cette révision du prix à la baisse ne peut pas être expliquée. L’entrepreneur Clément & Desneux devient concessionnaire de Hennebique en octobre 1912. Quoique cette date tardive puisse être difficilement liée à la construction de cette école inauguré en 1912, cette période correspond cependant à la construction d’autres projets. Parmi ceux-ci, on peut citer notamment : une seconde école « Ville de Bruxelles. Travaux de transformation à l’école normale des instituteurs, boulevard du Hainaut », et l’Hôtel de Ville de mentionnés dans la liste des ‘travaux du mois’ du magazine Le Béton Armé.

Les concurrents de Hennebique Les précédentes analyses soulignent que la manière de spécifier le béton armé dans les cahiers des charges de la ville de Bruxelles influençait fortement le système appliqué. Dans un premier temps, pour des travaux hydrauliques, la description était imprécise et donnait la possibilité à un grand nombre d’entrepreneurs d’être sélectionnés en vue de développer leur propre système de béton armé, comme par exemple Alphonse Vasanne ou Armand Blaton.

9 Les entrepeneurs Clement et Desneux, Leblicq, A., Montoisy, J, Duhoux, H., Verdonck, L., Verkaeren, C. Dernies, V., Cnapelinckx, Legrève, A. soumettent un dossier (AVB TP 10114) 10 Dans le AVB, dossier TP 10111 est disparu

En 1901, les cahiers des charges deviennent davantage précis en demandant explicitement d’appliquer le système de béton armé Hennebique ou d’utiliser, au contraire, un système concurrent donnant la possibilité aux entrepreneurs d’exécuter le travail sans intervention de Hennebique. Même si Paul Christophe ne fut associé qu’au calcul et suivi de deux bâtiments, son impact sur la rédaction des cahiers des charges fut certainement majeur puisqu’il était au courant de l’état d’avancement de la question du béton armé, dans son ensemble et sans parti pris.

Tableau 2 : Le système de béton armé appliqué par les entrepreneurs attribués par le collège de la ville de Bruxelles ne peut pas toujours être déduit. Année Travaux Description Entrepreneur Brevet ou concessionnaire (dossier AVB) béton armé

1899 Réservoir imprécis Armand Blaton Sans brevet (4386)

1900 Réservoir imprécis Alphonse Vasanne (Brevet Vasanne en 1902) (4524)

(4582) Bassin imprécis Armand Blaton Sans brevet

1901 Sans brevet. (Concessionnaire Bâtiment système Christophe Louis De Waele (4815) Hennebique entre 12/1902-03/1912)

(4870) Bâtiment système Hennebique Victor Bertavy ?

1904 Vandiepenbeek & Ecole très précis + plans Sans brevet (5368) De Decker

1905 Béton armé par Alexandre Delvaux, Monument système Hennebique Emile Laloux (5925) concessionaire de 1905-…

L. Rorire & Ed. (6073) Ecole neutre ? Prévot

1906 Concessionnaire Hennebique à partir Bâtiment neutre Jules de Waele (6433) de 06/1910

1907 Auguste Leblicq (O. Delire était concessionnaire Ecole maisons connues (6777) (système O. Delire) Hennebique entre 12/1900-04/1904)

1909 Sous- neutre Reinartz-Riguel ? (7461) station Clément&Desneux (Concessionnaire Hennebique à partir 1911 Ecole neutre + calculs (notre système ou de 10/1912-…) (7951) O. Delire) Concessionnaire Hennebique à partir 1912 Clément&Desneux Ecole neutre de 10/1912-… (8511)

Treize cahiers des charges et lettres de soumissions concernant des bâtiments en béton armé de la ville de Bruxelles ont été étudiés en détail pour la période 1899-1912. Il ressort de cette étude, consacrée à un seul maître d’ouvrage et de surcroît public, que la tendance selon laquelle 80% des bâtiments en béton armé construits en région de Bruxelles-capitale pour la période avant 1914 aient été construits selon le brevet de François Hennebique n’a pas pu être confirmée. Cependant, on constate que beaucoup d’entrepreneurs ont eu des liens avec Hennebique. Les entrepreneurs Louis De Waele et Clément & Desneux n’étaient pas des concessionnaires de Hennebique pendant la construction des bâtiments décrits mais ils l’ont cependant été par la suite. Louis De Waele deviendra même l’un des plus importants concessionnaires de Hennebique en Bruxelles avec plus de 80 projets avant 1914. Inversement, des anciens concessionnaires de Hennebique, comme Oscar Delire, se développeront de manière indépendante.

En conclusion, il est intéressant de constater que ces entrepreneurs étaient tous domiciliés en région de Bruxelles-capitale. De plus, ces entrepreneurs bruxellois réalisaient également des structures érigées en dehors de cette même région. Au tournant du XIXe siècle un réseau d’entrepreneurs actifs dans le domaine du béton armé en région Bruxelles-Capitale s’était donc créé, à côté de François Hennebique. Ce réseau mériterait d’être l’objet de recherches complémentaires.

Bibliographie

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