Lucy, Mother . Exposer la paléontologie à Addis-Abeba des années 1960 à nos jours Thomas Guindeuil, Jean-Renaud Boisserie

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Thomas Guindeuil, Jean-Renaud Boisserie. Lucy, Mother Ethiopia. Exposer la paléontologie à Addis- Abeba des années 1960 à nos jours. Cahiers d’histoire du Cnam, Cnam, 2016, Les musées scientifiques et techniques innovent : nouvelles expériences, nouvelles médiations, 5 (5), pp122-151. ￿hal-03019274￿

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Lucy, Mother Ethiopia. Exposer la paléontologie à Addis-Abeba des années 1960 à nos jours

Thomas Guindeuil CFEE, IFRE 23, USR 3137. Jean-Renaud Boisserie CFEE, IFRE 23, USR 3137, CNRS.

Inaugurée en décembre 2014, la nouvelle En 2000, lors de l’inauguration de galerie de paléontologie et de préhistoire du la première galerie intégralement dédiée Musée national d’Éthiopie constitue le à la paléontologie au Musée national dernier épisode de l’histoire de la restitution d’Éthiopie, le squelette original de Lucy

Résumé en Éthiopie des sciences de l’évolution. La est exposé. Il est ensuite ramené dans les paléontologie, et plus particulièrement la réserves sous escorte policière. Alors que paléoanthropologie, forment un secteur à la le fossile est déposé sur une table avant de fois très dynamique et fortement reprendre sa place dans le coffre-fort qui internationalisé de la recherche sur le lui est dédié, les policiers se prosternent territoire national éthiopien. À Addis-Abeba, devant lui en invoquant Mother Ethiopia, les expositions successives de paléontologie la « mère de l’Éthiopie ». Si cette anecdote reflètent l’intégration progressive des fossiles révèle bien le poids que revêt aujourd’hui au patrimoine culturel national. Mais elles Lucy dans l’imaginaire national, la place témoignent aussi d’autres enjeux, liés aux accordée à la paléontologie dans les expo- conditions matérielles et humaines du sitions d’Addis-Abeba révèle un rapport fonctionnement des musées éthiopiens, ainsi complexe des institutions patrimoniales qu’à l’effet de concurrence entre les projets éthiopiennes à une science dont les enjeux de recherche internationaux. dépassent ceux de la seule Éthiopie.

Le Musée national d’Éthiopie (fig. 1) est la vitrine de l’Authority for Research and Conservation of the Cultural Heritage (ARCCH). Cette administration dépen- © Jean-Renaud Boisserie © Jean-Renaud

Figure 1 : Le Musée national d’Éthiopie, décembre 2014

dante du Ministère de la Culture et du et en particulier sa section dédiée aux fos- Tourisme est l’héritière du Département siles humains. Cette partie du musée a fait des Antiquités du gouvernement impérial l’objet d’une rénovation récente (inaugu- éthiopien. Le Musée national d’Éthiopie ration en décembre 2014), soutenue par abrite aujourd’hui cinq expositions thé- la coopération française en Éthiopie, et à matiques permanentes : une galerie de laquelle les auteurs de cet article ont été paléontologie et de préhistoire, incluant impliqués à différents titres1. le fossile de Lucy, une exposition d’ar- chéologie antique, plusieurs vitrines ex- posant des vêtements et du mobilier de la 1 Jean-Renaud Boisserie est le conseiller scientifique cour impériale (histoire contemporaine), et principal concepteur de l’exposition permanente une exposition de beaux-arts et une ex- inaugurée en 2014, mais également de l’exposition de paléontologie inaugurée en 2000. En tant que secrétaire position ethnographique. S’il n’en a pas scientifique du Centre français des études éthiopiennes toujours été ainsi, la principale attraction depuis septembre 2014, Thomas Guindeuil a été à partir du musée est aujourd’hui sans conteste la de cette date le coordinateur du projet d’exposition inauguré en 2014, et dont il a mis en œuvre la réalisation galerie de paléontologie et de préhistoire, matérielle avec Jean-Renaud Boisserie.

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Il n’existe pas, à la connaissance à travers les expositions de fossiles valo- des auteurs, de données sur la fréquen- risant les découvertes réalisées sur les ter- tation du musée et sur la structuration ritoires nationaux, s’est imposée dans la de ses publics. La direction du musée muséographie des musées d’histoire natu- insiste largement, dans son discours relle à la même période (Rieppel, 2012). institutionnel, sur l’importance du tou- En Éthiopie, la question de la valorisation risme international – une priorité affichée de ce passé lointain, antérieur à la nais- du gou­ver­nement éthiopien depuis les sance de l’État et donc au roman natio- années 1990. Mais si les groupes de tou- nal, ne s’est posée qu’à partir des années ristes sont effectivement nombreux tout 1960. Dans ce contexte particulier, les ex- au long de l’année, incluant notamment positions éthiopiennes de paléontologie un certain nombre d’individus issus de la portent la trace de l’internationalisation diaspora éthiopienne, le Musée national des projets de recherche internationaux, reste un musée populaire. Son principal qui associent scientifiques étrangers, public est scolaire (c’est l’un des princi- chercheurs et autres travailleurs locaux paux lieux de sortie de la capitale éthio- (dont les experts de l’ARCCH), sous la pienne pour les classes accompagnées de houlette d’institutions et de financements leurs enseignants) et, dans une moindre presque exclusivement non-éthiopiens. mesure, constitué de touristes nationaux Il est en cela particulièrement révélateur (c’est un lieu récréatif dans une ville qui que les expositions de paléontologie du en compte relativement peu). Avant la Musée national éthiopien aient toujours seconde moitié des années 2000 et l’ou- impliqué, dans la conception, le finan- verture progressive du pays au tourisme cement comme dans la réalisation tech- international, les publics éthiopiens ont, nique, des universitaires, des bailleurs de fait, été quasiment les seuls concernés et d’autres coopérants étrangers. Dans par les expositions. ce contexte, des chercheurs ont di­rec­ tement endossé la charge d’« experts » en L’Éthiopie est mondialement muséographie, constituant une catégorie connue pour sa contribution fondamen- particulière d’experts en patrimoine – un tale aux sciences de l’évolution, des ver- groupe par ailleurs très actif en Éthiopie tébrés (humains inclus) comme de leur et qui participe à la définition des poli- environnement, mais les conditions de tiques patrimoniales nationales (Blanc & la restitution locale de cette recherche Bridonneau, 2015). for­tement internationalisée sont mal connues. En Europe, la préhistoire et son Les projets d’exposition successifs, exposition publique à travers les musées traduisant l’avancée de la recherche pa- « nationaux » et la valorisation des sites a léontologique, ont largement participé à participé, dès la fin du xixe siècle, aux pro- reconfigurer le musée depuis les années cessus de construction nationale (Hocha- 1960, en faisant de l’institution le lieu del, 2015). La paléontologie, notamment­ privilégié d’un exposé sur l’évolution, et en capitalisant sur la renommée inter- Les origines nationale du fossile de Lucy, devenue la internationalisées d’un « star » incontournable de toute visite à projet muséographique Addis-Abeba. Comment ce musée, vitrine national du patrimoine culturel national, fait-il dialoguer cette attraction avec ses propres L’histoire du Musée national logiques d’édification de la nation ? d’Éthiopie est longue et complexe, depuis Quelle est la relation entre le Musée le premier projet d’un musée archéolo- national d’Éthiopie et la paléontologie, gique éthiopien, initié avant l’occupation et notamment la paléontologie humaine, italienne de 1936-1941, jusqu’à l’instau- cette « science universelle » qui propose ration progressive dans la période d’après- à l’heure actuelle un récit des « origines » guerre de deux institutions, un Musée commun à toute l’humanité, et non à la national proprement dit (rassemblant en seule nation éthiopienne ? Quels liens se particulier des donations de la cour) et un tissent dans ce contexte entre recherche, Musée d’archéologie, fi­na­lement fusion- expertise internationale, institutions nés à la fin des années 1960. Le musée locales et fabrication des expositions ? prend alors ses quartiers dans un palais co- lonial italien, établi à proximité de l’église Cet article retrace l’histoire des Sainte-Marie, dans le quartier d’Amist expositions éthiopiennes de paléontolo- Kilo, au cœur des différentes implanta- gie de façon chronologique. Les projets tions du campus de l’Université Hailé successifs ont le plus souvent été liés à Sélassié Ier (devenue Université d’Addis- des découvertes et des avancées significa- Abeba après la Révolution de 1974 qui a tives de la recherche paléontologique, qui renversé la monarchie). Musée et lieux de sont restituées pour mieux contextualiser dépôt et d’étude des collections nationales chaque changement. À travers l’exposé (d’archéologie, de paléontologie, mais de chaque étape, l’article s’intéresse en également d’ethnologie et des beaux- particulier aux conditions de la mise en arts) sont institutionnellement et géo­ œuvre des dispositifs muséographiques, gra­phi­quement associés, et le sont restés de ce qu’ils reflètent en termes d’enjeux jusqu’à nos jours. Lorsqu’éclate la Révo- nationaux, internationaux et de rela- lution, un nouveau bâtiment est d’ores et tions entre les chercheurs et l’institution déjà en construction dans l’enceinte du muséale éthiopienne. palais italien. Le chantier reprend sous la junte militaire du Derg (le gouvernement d’inspiration marxiste qui succède à la monarchie) grâce au soutien financier de la coopération américaine (USAID2). Le

2 Agence des États-Unis pour le développement international.

124 125 bâtiment est achevé en 19813. Il sert à ac- pie (Chekroun, 2011). Il s’agissait alors cueillir quelques expositions temporaires de témoigner en priorité de la présence jusqu’à la fin des années 1990, moment ancienne du christianisme et de l’État, où s’y installent défi­ ­ni­ti­vement les expo- notamment dans des régions annexées à sitions permanentes. l’empire dans une histoire récente (fin du xixe siècle). L’antique royaume d’Aksum Par leur volet archéologique constitue l’âge « classique » de l’histo- d’abord, et paléontologique ensuite, les riographie éthiopienne, et s’impose natu- expositions du Musée national d’Éthiopie ­ rellement comme le point de départ de la sont étroitement liées aux activités de muséographie nationale qui s’élabore à la coopération scientifique étrangère, partir des années 1950. Le symbole est et notamment­ des missions françaises. d’autant plus important que celui-ci est Instituée ­en 1952, la Section d’archéolo- devenu, à partir du ive siècle, un royaume gie du gouvernement impérial éthiopien chrétien, et que la tradition populaire l’as- (aussi appelé Institut éthiopien d’archéo- simile au mythe fondateur de Salomon et logie) est une mission d’experts fran- de Saba – l’empereur Hailé Sélassié tout çais, qui maintient jusqu’à la Révolution comme ses prédécesseurs s’estimaient un monopole de fait sur les recherches les descendants du roi Salomon. La pré- archéologiques réalisées sur le territoire histoire et la paléontologie ont bousculé éthiopien (qui inclut encore l’Érythrée) ce récit historiographique et muséogra- (Kebbédé & Leclant, 1955). S’y suc- phique qui, s’il n’a pas perdu de son poids, cèdent Henri de Contenson, Jean Leclant s’est retrouvé progressivement dépassé et Francis Anfray, qui s’intéressent tous par l’attention croissante pour des décou- en particulier à l’Antiquité éthiopienne, vertes d’une portée plus vaste que celle de le royaume d’Aksum (ier-viiie siècle après l’État-nation éthiopien. J.-C.), et de façon générale à l’archéolo- gie historique. La mission se dote d’un À l’instar de l’archéologie his- musée archéologique dont la pièce maî- torique, la paléontologie et la préhis- tresse est une section dédiée à l’Antiquité toire font partie des premiers chantiers éthiopienne. Dans son étude sur les activi- de recherche des spécialistes français tés du capucin François Bernardin Azaïs, dans la région comme Pierre Teilhard français et pionnier de l’archéologie de Chardin ou Henri Breuil (Teilhard éthiopienne, entre 1922 et 1936, Amélie de Chardin, 1930 ; Breuil, Teilhard de Chekroun a montré quel programme les Chardin & Wernert, 1951). En 1933, autorités impériales avaient souhaité Camille Arambourg a initié les premières pouvoir faire porter sur le développe- fouilles paléontologiques dans la vallée ment de l’archéologie moderne en Éthio- de l’Omo – sur la formation de Shungura (Arambourg & Jeannel, 1933). En 1967,

3 Entretien avec Dr. Berhane Asfaw et Dr. Yonas Beyene, Camille Arambourg a repris ce chan- 14 octobre 2015. Voir également Téqui, 2009, p. 24. tier avec Yves Coppens, en partenariat avec une équipe américaine dirigée par rités éthiopiennes de valoriser le passé le F. Clark Howell et une équipe kenyane plus lointain du territoire national. L’inté- dirigée par Louis Leakey (Arambourg, rêt des scientifiques, néanmoins, change Chavaillon & Coppens, 1967 ; Howell, la donne la décennie suivante. 1968 ; Leakey, 1969). Le géologue Jean Chavaillon est alors de la partie, et fait le Dans les années 1970, la Section lien avec la mission archéologique fran- d’archéologie est dépassée par l’enjeu çaise, avec le soutien de laquelle il a initié des recherches sur les origines de l’huma- les fouilles du site préhistorique de Melka nité, qui pousse à la création de missions Kunturé en 1965, un site archéologique de internationales de grande envergure en la haute vallée de l’Awash présentant une Afrique orientale. Précurseur et mission séquence culturelle de presque deux mil- de plus grande ampleur par le nombre lions d’années (Chavaillon, 1967). Dès de ses participants, l’International Omo 1963, le préhistorien Gérard Bailloud, Research Expedition (IORE) rassemble venu en Éthiopie effectuer des prospec- des chercheurs et des techniciens fran- tions dans la région de Dire Dawa, affirme çais, américains et kenyans (Coppens, dans les pages de la revue Tarik, publiée 1977). L’IORE exploite les sites de la par l’Institut éthiopien d’archéologie : basse vallée de l’Omo, mettant au jour : des restes de préhumains anciens (datés Un des intérêts, et non des moindres, vers 3 Ma pour certains), incluant une de la recherche préhistorique est donc nouvelle espèce baptisée Australopithe- de nous faire sentir une continuité fon- damentale dans le peuplement ancien cus aethiopicus, ainsi que les plus anciens de l’Éthiopie. […] Vu sous cet aspect, représentants d’Homo sapiens alors tout le lointain passé dont nous venons connus, datés de plus de 100 000 ans ; d’évoquer rapidement quelques aspects près de 50 000 restes d’autres vertébrés ne présente pas l’apparence d’une chose absolument morte, dont l’étude serait fossiles (une quantité de données fossiles futilité gratuite. Il entre dans la sève plio-pléistocènes jusqu’à présent inégalée nourricière dont s’est formé le présent en Afrique orientale) ; les plus anciens et dont sortira l’avenir. Il donne à outils connus à l’époque (2,3 Ma). À l’image de l’Éthiopie actuelle la grande partir de 1973, une mission paléontolo- profondeur de champ que recherchent aujourd’hui toutes les nations civilisées gique franco-américaine, l’Internatio- (Bailloud, 1963, p. 35). nal Afar Research Expedition (IARE), dirigée par un géologue français, Maurice L’archéologue imagine un scéna- Taieb, s’attelle à des fouilles sur le site de rio « à l’Européenne » pour la préhis- Hadar, dans l’Afar. C’est cette mission toire éthiopienne, où les programmes de qui met au jour le fossile baptisé Lucy. Ce recherche dans ce domaine joueraient squelette partiel daté à 3,2 Ma est attribué un rôle majeur dans l’édification de la à Australopithecus afarensis, alors la plus nation. Pourtant, rien ne démontre à cette ancienne espèce connue de préhumain époque une volonté particulière des auto- (Johanson et al., 1982). Cette espèce offre

126 127 l’image d’une forme particulièrement Faculté des sciences de l’Université Hailé bien adaptée à la locomotion bipède tout Sellassié Ier, une galerie zoologique ins- en conservant une capacité crânienne et tituée en 19645. Une vitrine consacrée à une face supposément primitives, jurant l’évolution humaine, toujours visible (la avec l’idée d’une acquisition précoce muséographie de ce musée n’a pas été mo- d’un cerveau volumineux. difiée depuis la Révolution de 1974), y a été installée au sein de la salle des mammi- Ce squelette est très fortement fères. Elle donne à voir un état des connais- médiatisé par ses découvreurs franco- sances dans la première moitié des années américains, qui construisent une véri- 1960 (fig. 2). Lorsque cette vitrine est table légende autour du surnom attribué mise en place, les préhumains sont docu- à ce spécimen, Lucy, présentée comme la mentés en Afrique du Sud et en Tanzanie. plus ancienne représentante de l’huma- Des travaux de paléontologie ont déjà eu nité. Le contexte révolutionnaire éthio- lieu en Éthiopie, mais d’une part ils n’ont pien, qui réunit à Addis-Abeba un grand pas permis de découvrir des fossiles de nombre d’envoyés spéciaux, offre une préhumains, et d’autre part tous les restes exposition sans précédent à cette décou- découverts ont été exportés à l’étranger verte4. En Éthiopie, elle reçoit également (en France et au Kenya). La vitrine pré- un écho particulièrement favorable et est sente deux crânes actuels aux côtés de utilisée par les autorités issues de la Ré- moulages de bonne facture de fossiles sud- volution pour redorer l’image du pays. africains et de la face d’Australopithecus Lucy se voit attribuer à cette occasion boisei mise au jour en 1959 en Tanzanie. son surnom éthiopien, Denq näsh, « tu Ce dernier spécimen n’est pas nommé, es belle » en amharique. contrairement aux autres. Un diagramme très simple accompagne ces spécimens et présente des relations de parentés simples entre eux (A. boisei exclus). Cette expo- La timide installation des sition réduite à sa plus simple expression fossiles dans les musées fait état de l’hypothèse alors généralement éthiopiens (1964-1999) admise sur l’évolution d’Homo sapiens à partir d’A. africanus (en Afrique du Sud), La première exposition de paléonto- via . Il n’y a pas de contexte logie réalisée en Éthiopie n’est pas à mettre plus large, notamment­ mentionnant le lien au crédit du Musée national d’Éthiopie, de parenté avec les chimpanzés. Cette pré- mais du Musée d’histoire naturelle de la sentation est fortement remise en question sur le plan scientifique par les découvertes est-africaines (et notamment éthiopiennes) 4 Ce point a été soulevé par Maurice Taieb lors d’une de la décennie 1970. conférence à l’ARCCH pour les 40 ans de la découverte de Lucy, à Addis-Abeba, le 4 décembre 2014 (Guindeuil, 2014). 5 Guindeuil, à paraître. © Thomas Guindeuil

Figure 2 : La vitrine de l’évolution des hominidés au Musée d’histoire naturelle d’Addis-Abeba

La place des fossiles au Musée na- recommandation correspond à l’équipe tional d’Éthiopie, et non au Musée d’his- de transition post-révolutionnaire de toire naturelle, semble avoir fait l’objet l’IES, où siègent notamment l’ancien d’un rapide consensus. En juillet 1976, un directeur de l’institution, l’historien bri- rapport du comité de « réorganisation » tannique Richard Pankhurst (1963-1974), du Musée de l’Institute of Ethiopian son directeur intérimaire Fecadu Gedamu Studies (IES), le musée d’ethnographie et (1975-1977) et le nouveau conservateur d’histoire de l’art de l’Université d’Addis- du musée, Girma Kidane. Les musées Abeba (l’autre grand musée de la capitale d’Addis-Abeba viennent tout juste de éthiopienne) (Guindeuil, 2016), propose réaliser l’« éthiopianisation » de leur une refonte des dispositifs muséaux de personnel, jusqu’ici largement constitué la capitale éthiopienne sous le contrôle d’une nouvelle institution rattachée à l’université6. Le comité qui émet cette « Final Report on the Reorganization of the Institute of Ethiopian Studies, July 1976 », pp. 17-20 [Archives de l’Institute of Ethiopian Studies, document 6 Musée de l’Institute of Ethiopian Studies (1976). n° 76-17086].

128 129 d’expatriés d’origine européenne ou amé- versitaires qui sont exposées au Musée ricaine. Le projet de Museum of Culture, d’histoire naturelle. Science and Technology­ regrouperait toutes les collections nationales et uni- En 1980, un expert français mis- versitaires existantes, et serait organisé en sionné par l’Unesco, J.-M. Bosserdet, trois départements (« histoire et culture », définit un premier plan général pour le « histoire naturelle » et « science et tech- nouveau bâtiment, où la paléontologie, nologie », le département « histoire et et en particulier le moulage du fossile culture ») comprenant quatre sous-dépar- de Lucy, est particulièrement à l’hon- tements (ethnologie, beaux-arts et archéo- neur (Téqui, 2009, p. 25). Mais celle-ci logie, mais également paléontologie). Ce reste de fait installée, comme le reste projet ne verra jamais le jour, mais les des expositions permanentes, au sein du attributions du département « histoire palais italien. Les expositions font l’objet et culture » sont celles qui définissent, d’une réorganisation, proposée par Anne pendant toute la période post-révolution- Saurat, la compagne de Francis Anfray naire et jusqu’à aujourd’hui, celles du – directeur de la mission archéologique Musée national d’Éthiopie. française – qui s’illustre, entre 1985 et 1989, dans la réorganisation du Musée de Ce rapport atteste d’une prise en l’Institute of Ethiopian Studies (Saurat, compte spécifique de la paléontologie, 1990). Par ailleurs, à la suite du projet consécutive à l’attention internationale IORE, un assistant technique français provoquée par la découverte de Lucy. Le (Claude Guillemot), en poste à Addis- lien entre fossiles et patrimoine culturel Abeba entre 1992 et 1997, propose une est affirmé, et ne sera jamais démenti. première révision de l’exposition paléon- Sur ce point, le raccord de la paléonto- tologique du Musée national, sans succès logie au Musée national témoigne de la auprès de la direction du musée. Ces dif- capitalisation du régime du Derg sur les férentes interventions, ou non-interven- pratiques initiées précédemment par le tions, témoignent à la fois d’une volonté régime impérial, et notamment le dépôt française de conserver un rôle d’inter- du produit des fouilles au sein de col- locuteurs privilégiés pour les questions lections nationales administrées par le liées au Musée national éthiopien. On service des Antiquités (auquel est confié note toutefois que les experts français le Musée national)7. C’est pour cela que n’ont pas toujours gain de cause, dans Lucy est partie intégrante des collections un contexte où les Français­ ne sont plus nationales, et non des collections uni- « seuls » dans leur dialogue avec les au- torités éthiopiennes du patrimoine. 7 En 1965, une proclamation impériale crée un « bureau des Antiquités » chargé d’administrer la recherche et Ce n’est qu’en 1998 que le Musée les collections sur les objets antérieurs à 1850 (Negarit Gazetta, vol. 4, 1965-70, p. 23). Sur ce thème, voir national installe sa muséographie dans le Temesgen Burka, 2004. bâtiment qui jouxte directement le palais italien8, apparemment sans donner lieu représente la période du Derg – la junte à une modification profonde de la mu- avait fait décréter un moratoire, en partie séographie initiale, ce qui nous permet lié à l’établissement d’un inventaire des d’imaginer la forme de l’exposition sites. L’apposition du nom de Donald initiale (fig. 3)9. L’exposition est alors Johanson est aussi le symbole du recul située dans le sous-sol du bâtiment, soit relatif de l’influence française qui suit la à la « base » de la muséographie, là où Révolution de 1974 – rappelons ici que la paléontologie et la préhistoire vont, le bâtiment du Musée a été financé par pour l’essentiel de l’histoire du musée, l’USAID. Le site de Hadar, où a été dé- rester localisées. On note la mise en place couvert Lucy, est aujourd’hui exploité par de vitrines murales, dont la réalisation une mission pilotée par Donald Johanson. serait alors financée par l’Organisation éthiopienne du tourisme10. L’exposition Cette personnalisation est d’autant de paléontologie et de préhistoire du plus saisissante que les implications « nouveau » Musée national est centrée scientifiques de la découverte ne sont pra- sur Lucy. Le moulage du spécimen, pré- tiquement pas détaillées, à part à travers senté dans une vitrine sur un lit de gravier, un diagramme discutant les différents est accompagné d’un texte succinct qui scénarios évolutifs de l’humanité (la fait la part belle à la légende bâtie par le version appuyée par Lucy étant un scé- déjà très médiatique Donald Johanson, un nario d’origine des espèces plus récentes des chercheurs membre de l’équipe qui à partir de l’espèce souche de l’huma- a découvert ce fossile (l’IARE). Le nom nité A. afarensis). Autour de Lucy sont de ce chercheur est ainsi explicitement présentés : quelques éléments présentant cité comme celui du découvreur, ignorant les recherches à Hadar, lieu de la décou- l’ensemble des membres de l’équipe de verte ; la carapace fossile d’une tortue recherche11. Le champ paléoanthropolo- terrestre géante également découverte à gique est déjà personnalisé à l’extrême, et Hadar ; quelques crânes et reconstitutions le Musée national en est un théâtre d’in- non légendés de préhumains découverts fluences où, de fait, les équipes étrangères en Tanzanie et au Kenya ; une vitrine se croisent à nouveau après la période de dédiée aux outils préhistoriques de Melka blocage presque total des recherches que Kunturé ; et enfin quelques photos des vaches gravées de Chappé, exécutées par er 8 Entretiens avec W/t Mamitu Yilma, 21 octobre 2015 des éleveurs du I millénaire de notre ère. et avec Dr. Hassan Sayid, 22 octobre 2015. L’ensemble est donc disparate, et semble 9 Entretien avec Dr. Berhane Asfaw et Dr. Yonas Beyene, surtout guidé par l’enjeu patrimonial, et 14 octobre 2015 ; entretien avec W/t Mamitu Yilma, non par un discours sur l’évolution. 21 octobre 2015. 10 Entretien avec Dr. Hassan Sayid, 22 octobre 2015. Au tournant des années 2000, 11 Il est d’ailleurs possible que Donald Johanson soit lui-même à l’origine de ce texte et de son apposition la situation faite à la paléontologie au sur la vitrine de Lucy. Musée national apparaît en décalage avec

130 131 © Jean-Renaud Boisserie © Jean-Renaud

Figure 3 : L’exposition de paléontologie et de préhistoire du Musée national en 1999

l’importance prise par ce champ dans la ces différentes initiatives qui sont vues recherche internationale sur l’Éthiopie (à comme des aubaines par l’administration titre indicatif, on compte douze missions d’un musée en mal certain de moyens internationales de recherche en paléonto- financiers et techniques, mais également logie actives sur le sol éthiopien en 2014). de projets. Dès le début des années 2000, L’implication directe des chercheurs sur suggestion du paléontologue français étrangers et éthiopiens au musée et au Henri de Lumley, un projet de plus grande sein de son administration, alors baptisée ampleur est même évoqué : la création Center for Research and Conservation of d’un grand « Musée des origines » à Ad- the Cultural Heritage (CRCCH), suscite dis-Abeba, entièrement dédié à l’évolu- de nouveaux projets : de 2000 à 2014, tion humaine. Le projet apparaît jusqu’ici trois expositions permanentes de paléon- bloqué faute de moyens et probablement tologie (et dans une moindre mesure de de volonté politique et administrative12. préhistoire) se succèdent ; toutes sont lar- Jusqu’à décembre 2014 (date de l’inau- gement financées par les bailleurs interna- guration de la dernière exposition perma- tionaux, et en premier lieu les ambassades

– en particulier la France et le Japon – ce 12 Entretien avec Dr. Berhane Asfaw et Dr. Yonas qui témoigne de l’intérêt diplomatique de Beyene, 14 octobre 2015. nente de paléontologie et de préhistoire du quand on compare les expositions succes- Musée national) les projets réalisés restent sives de paléontologie du Musée national plus restreints et s’appuient sur l’existant. à la muséographie générale du bâtiment, intouchée depuis le déménagement, et en Trois logiques, souvent croisées, sont réalité très peu depuis les années 1980. à l’origine de ces projets à la fois savants dans leur élaboration (les chercheurs éla- borent directement les expositions) et artisanaux dans leur conception (du fait La mise en place d’une de moyens locaux limités). D’une part, la première galerie de paléontologie est devenue une vitrine pri- paléontologie au Musée vilégiée de coopération culturelle pour les national (2000-2013) bailleurs étrangers, qui y voient peut-être un débouché plus simple que d’autres, Après les années de moratoire sur hors du champ politique éthiopien, d’in- les recherches, moratoire qui s’achève par térêt universel et d’un caractère presque la chute de la junte en 1991, les années consensuel – et ce malgré l’importance 1990 ont été marquées par des avancées du fait religieux. Pour un pays comme la importantes. Les travaux reprennent en France, c’est par exemple un moyen effi- Éthiopie et dès 1992 permettent de mettre cace de rappeler la longue histoire scien- au jour dans l’Afar des restes plus anciens tifique partagée, et de rappeler que Lucy que ceux d’Australopithecus afarensis. a été découverte par une mission dirigée Il s’agit d’Ardipithecus ramidus, décrit par un Français. D’autre part, les autorités succinctement en 1994 et daté à 4,4 Ma éthiopiennes accueillent plutôt facilement (White et al., 1995). En 1995, deux autres ces projets systématiquement conçus, australopithèques sont mis au jour au au moins pour partie, de l’extérieur, car Kenya et au Tchad, respectivement plus ceux-ci permettent non seulement de faire âgé (4 Ma) et contemporain (3,5 Ma) vivre le Musée national, mais également d’A. afarensis. Le statut de précurseur de lui donner un rayonnement interna- unique d’A. afarensis est donc largement tional et de l’adapter aux exigences d’un remis en cause dans la sphère scienti- public croissant de touristes étrangers. fique, mais pour le public ces découvertes Enfin, on voit bien, à travers la succes- passent largement inaperçu. sion rapide des projets, la nécessité pour les chercheurs étrangers et éthiopiens, et En 2000, une nouvelle galerie de pa- à travers eux les missions internationales léontologie est inaugurée au Musée natio- de recherche qui se concurrencent en nal. Jean-Renaud Boisserie, doctorant en Éthiopie, qu’il s’agit d’occuper le terrain paléontologie, alors coopérant du service de la visibilité locale. Le dynamisme – national français affecté au Centre fran- voire le surin­ ­ves­tissement­ relatif – qui en çais des études éthiopiennes (CFEE) et au résulte apparaît particulièrement frappant Musée national, en est le maître d’œuvre. 133

Le projet est dessiné pour attirer l’attention Lucy et invitant les visiteurs à découvrir du Ministère français des Affaires étran- les fossiles éthiopiens, cette salle explique gères sur l’état des collections de l’Omo la nature des fossiles, la localisation des constituées par l’IORE. Financé intégrale- sites paléontologiques en Éthiopie, les ment par l’Ambassade de France, le projet méthodes de travail en paléontologie, est validé scientifiquement du côté éthio- les principes de l’évolution biologique pien par le paléoanthropologue Berhane et la datation des couches fossilifères. Asfaw et le préhistorien Yonas Beyene Les quatre salles suivantes présentent (ce dernier est alors membre du CRCCH différents groupes de vertébrés illustrés en tant que directeur de l’anthropologie et par des fossiles originaux de Hadar et de la paléontologie), les deux principales de l’Omo. Chaque groupe sert d’illustra- autorités intellectuelles éthiopiennes de ce tion à un thème scientifique (évolution, champ d’études, tous deux docteurs formés reconstitution des régimes alimentaires à l’étranger (respectivement à l’Université et des comportements, reconstitution de Berkeley et au Museum national d’his- des environnements). Des peintures de toire naturelle, à Paris) et parties prenantes grande taille réalisées par des artistes de projets internationaux. Ce soutien éthiopiens reconstituent les espèces fos- permet de passer outre les frictions nées de siles présentées. Les trois premières l’intervention directe d’un expert français salles sont dédiées aux grands herbivores dans le musée13. Le projet s’appuie sur la (fig. 4) et aux carnivores, tandis que la collaboration muséographique de l’épouse quatrième salle inclut des singes fossiles du directeur du CFEE, Nathalia Hirsch – (Géladas) et le squelette de Lucy. Lucy dans une tradition qui évoque le rôle passé est accompagnée d’un panneau retraçant d’Anne Saurat. Le projet n’est toutefois les liens de parenté et les caractères mor- validé par le directeur du CRCCH, Jara phologiques des préhumains et d’Homo Haile Mariam, et le directeur du Musée sapiens avec les autres primates et les national, Muluneh Gebre Mariam, que autres mammifères. La distribution spa- très tardivement (alors que les travaux sont tiotemporelle des espèces d’hominidés déjà entamés). Une offre concurrente pro- connues est également présentée, incluant posée par l’équipe de Donald Johanson, les espèces éthiopiennes, kenyanes et avec l’appui du National Geographic, est tchadiennes décrites en 1994-1995. Cette alors repoussée14. salle s’achève sur une reconstitution de l’évolution des paysages du rift éthiopien Une première salle fait office d’in- depuis 4,4 Ma (âge du plus ancien homi- troduction. Après un court texte rappelant nidé alors connu), accompagné d’un texte concluant sur l’interaction passée entre le climat et nos ancêtres et l’importance 13 Entretiens avec W/t Mamitu Yilma, 21 octobre 2015 et avec Dr. Hassan Sayid, 22 octobre 2015. de la paléontologie et des fossiles pour 14 Exhibition Project in the National élaborer des modèles d’évolution clima- Museum - Project Realization Agreement, s. d. tique applicables au présent et au futur. © Jean-Renaud Boisserie © Jean-Renaud

Figure 4 : La salle des herbivores dans l’exposition de paléontologie de 2000

Une proposition est faite pour introduire baptisé Selam, offert par l’Institut Max un texte mentionnant les trois directeurs Planck de Leipzig), Lucy est déplacée de l’équipe ayant découvert Lucy (Taieb, dans la dernière salle, les quelques élé- Coppens & Johanson), mais ce texte est ments de préhistoire étant installés entre refusé par les experts du Musée natio- les Géladas et les peintures retraçant nal15. Une salle finale est dédiée aux pre- l’évolution des paysages. Le texte décri- miers outils lithiques, postérieurs à Lucy, vant Lucy est toujours le même que lors mais reste alors inachevée par manque de de la précédente exposition et mention- financement. Rapidement, suite à l’ajout nant le seul Johanson, alors que le projet de quelques éléments (squelette monté de initial visait à le remplacer. Lucy offert par le Musée d’histoire natu- relle de Cleveland ; moulage et recons- Cette nouvelle exposition a été titution du spécimen d’un A. afarensis conçue suivant une idée radicalement juvénile découvert à Dikika en 2000 et différente de la précédente. Si Lucy reste centrale à ce dispositif en tant qu’icône 15 Entretien avec Dr. Hassan Sayid, 22 octobre 2015. fossile et « star » paléoanthropologique,

134 135 son rôle dans l’exposition est principale- maintenir le propos à un niveau compré- ment d’attirer l’attention des visiteurs sur hensible par des enfants d’environ 10-12 une vision plus générale et plus contex- ans – qui constituent une large part du tualisée de la paléontologie en Éthiopie. public du musée. Ainsi, il est clairement expliqué qu’à l’aune des nouvelles données scienti- fiques, A. afarensis n’occupe plus néces- sairement la position envisagée par ses Une tentative avortée auteurs : il ne s’agit plus de la plus an- d’expérience pédagogique : cienne espèce d’hominidés, car désormais la création d’un fac-similé d’autres espèces sont po­ten­tiel­lement de fouilles destiné aux de meilleures candidates à l’origine du enfants (2007-2008) genre Homo, et la théorie d’acquisition de la bipédie formulée dans les années Entre 2000 et 2007, le paysage pa- 1980 suite à la découverte de cette espèce léontologique est de nouveau bouleversé (East Side Story) est présentée comme par une série de découvertes. De très invalidée. Dans une démarche parallèle, anciens préhumains sont successivement l’humanité et ses ancêtres sont replacés mis au jour en 2000 et 2001 au Kenya dans un contexte évolutif plus large et (6 Ma), en Éthiopie (5,8 Ma) et au Tchad l’accent est mis sur notre intégration au (7 Ma). A. afarensis se retrouve donc à monde animal et aux environnements mi-chemin de l’histoire évolutive de passés. Ainsi, le fait que les préhumains l’humanité. Par ailleurs, le débat s’am- soient très rares dans le registre fossile plifie sur les scénarios évolutifs. Ainsi, est concrétisé par la présentation d’une les principales équipes de terrain travail- majorité de fossiles non-humains. Le lant en Éthiopie (Hadar, Middle Awash) rôle de ces fossiles dans la compréhen- favorisent l’idée de l’évolution rectili- sion des processus évolutifs et dans la néaire d’une seule espèce en Afrique reconstruction des paléoenvironnements orientale passant par le stade A. afa- est d’ailleurs largement mis en avant. La rensis16. À l’opposé, d’autres équipes et conclusion de l’exposition s’interroge sur chercheurs travaillant dans des contextes notre relation avec les environnements, différents (notamment au Kenya et en plutôt que sur nos « origines ». Enfin, la Afrique du Sud) sont plutôt en faveur volonté affichée est de communiquer sur d’une évolution buissonnante présen- le travail de fond en paléontologie et de tant de nombreux rameaux préhumains diffuser des connaissances sur des thèmes dont A. afarensis, cette dernière espèce généraux de cette science (évolution bio- n’étant pas nécessairement à l’origine du logique, reconstruction des environne- genre Homo17. Les équipes françaises ments) et sur le contexte de découverte des fossiles en Éthiopie (et pas seulement 16 Par exemple Haile-Selassie et al., 2004. de Lucy). L’objectif est par ailleurs de 17 Notamment Leakey et al., 2001. contribuent de façon très significative livret/catalogue/guide centré sur l’expo- au débat mais se heurtent frontalement sition de paléontologie de 2000 mais in- sur les interprétations. Pour l’une, tra- cluant également des textes sur les autres vaillant au Kenya, l’évolution est rec- parties du musée. Le contenu de l’ins- tilinéaire mais écarte A. afarensis au tallation est élaboré conjointement par profit d’une lignée trouvant sa source au Jean-Renaud Boisserie, devenu en 2006 Kenya vers 6 Ma (Senut et al., 2001). chercheur CNRS au Muséum national Pour l’autre, tra­vaillant au Tchad, le d’histoire naturelle à Paris (MNHN) et plus ancien préhumain est tchadien, ce instigateur d’une nouvelle mission inter- qui favorise une origine de l’humanité nationale dans la vallée de l’Omo (Omo plus largement africaine que simplement Group Research Expedition), et l’ar- localisée en Afrique de l’Est qu’est-afri- chéozoologue Joséphine Lesur, maître caine, et trois stades évolutifs succes- de conférences au MNHN18. L’ambas- sifs peuvent être reconnus (préhumains sade finance le projet, et un volontaire anciens, australopithèques et Homo) international recruté entre 2006 et 2008, sans que le détail des passages entre ces le paléontologue Antoine Souron, en est stades puisse être décrit précisément à le principal animateur après son inaugu- l’aune des données disponibles (Brunet ration, en septembre 200719. Les travaux et al., 2002 ; Brunet et al., 2004). Dans font l’objet d’une coordination collec- tous les cas, les fossiles découverts au tive qui implique aussi bien Jean-Renaud­ Tchad à 7 Ma constituent le coup de Boisserie, Joséphine Lesur, Antoine grâce à l’hypothèse initialement basée Souron mais aussi la directrice du musée, sur A. afarensis d’origine de la bipédie Mamitu Yilma, et Yonas Beyene, préhis- dans le contexte exclusif du rift africain. torien éthiopien formé en France, qui ac- cueillent très favorablement l’initiative20. Dès 2000, le projet de création d’un fac-similé de fouilles destiné aux enfants, Ce fac-similé est constitué par installé dans le jardin du Musée national, trois bassins sur trois niveaux différents, est proposé par Jean-Renaud Boisserie. remplis de sable recouvrant des répliques Le projet n’est réactivé qu’entre 2004 et de vestiges appartenant à trois périodes : 2006. Il prend alors place dans un plan en position basse la période de Lucy plus large, soutenu par l’Ambassade de (incluant des restes fossiles animaux), France, incluant la recréation du poste de en position intermédiaire la période volontaire international affecté au musée et entre-temps supprimé, le financement du déménagement à venir de l’ensemble 18 Joséphine Lesur, questionnaire par e-mail du 7 octobre 2015, et Antoine Souron, questionnaire par des collections paléontologiques et pré- e-mail du 12 octobre 2015. historiques du Musée national vers un 19 Idem. nouveau bâtiment en cours de construc- 20 Ibidem, et entretien avec Dr. Berhane Asfaw et tion. Il implique aussi la réalisation d’un Dr. Yonas Beyene, 14 octobre 2015.

136 137 paléolithique ancienne (incluant des du Lycée français (composé d’enfants outils acheuléens et des restes fossiles d’élites éthiopiennes et internationales animaux), en position haute la période francophones et d’expatriés), pour antique (incluant des murs et des objets lesquels il anime des ateliers21. Mais mobiliers aksumites). Chaque période l’expérience ne passe pas le stade de est présentée par un panneau trilingue la généralisation. Les guides du musée (amharique, anglais, français) dé­taillant refusent d’animer des ateliers, estimant quelques faits importants et le type n’être pas suffisamment bien équipés22. d’objets à découvrir (moulages réalisés Après le départ d’Antoine Souron, l’ins- par les ateliers du musée), tandis qu’un tallation est donc abandonnée avec une panneau général présente la paléonto- rapidité déconcertante. Le Musée natio- logie et l’archéologie, les méthodes de nal n’a pas digéré le concept importé fouilles et le principe de stratigraphie. de médiation scientifique, qui lui reste Le fac-similé est muni de matériel de largement étranger jusqu’à aujourd’hui. fouille (pinceaux, pelles en plastiques, L’échec du projet met à jour une frac- seaux). Sur une moitié de la grande ban- ture plus profonde et qui restera patente derole placée au fronton du fac-similé, le lors du développement des projets sui- plus ancien préhumain connu (tchadien) vants : un relatif désintéressement du est replacé dans le contexte d’une frise personnel du musée, peu qualifié, mais chronologique présentant quelques évé- également très peu rémunéré, vis-à-vis nements majeurs depuis la formation de de projets largement considérés et usuel- la planète à 4,500 Ma (fig. 5). Sur l’autre lement désignés comme « étrangers ». moitié, une seconde frise chronologique Ceux-ci sont certes validés en amont par présente tous les hominidés alors connus la direction du musée, mais ils ne font en Éthiopie­ (à partir de 5,8 Ma). l’objet que d’une très faible concertation et surtout d’aucune contrepartie éthio- Le procédé, innovant en Éthiopie, pienne en termes de politique d’emploi, vise ainsi à initier les plus petits aux de rémunération ou encore de formation concepts d’espèce, de civilisation dis­ – le projet impliquant en l’occurrence parue et d’évolution. Les panneaux et une évolution inédite en Éthiopie du la banderole du fronton sont également métier de guide de musée. destinés aux plus grands. La banderole permet en particulier de faire passer le message sur l’ancienneté de la vie sur notre planète et de l’émergence tardive de l’humanité, ainsi qu’une mise à jour 21 Antoine Souron, questionnaire par e-mail du des découvertes de préhumains en Éthio- 12 octobre 2015. pie par rapport à l’exposition de 2000. 22 Joséphine Lesur, questionnaire par e-mail du 7 octobre 2015, et Antoine Souron, questionnaire par Antoine Souron note le succès de l’ex- e-mail du 12 octobre 2015 ; entretien avec Dr. Berhane périence auprès des publics spécifiques Asfaw et Dr. Yonas Beyene, 14 octobre 2015. We’re here to promote the Asfaw. L’installation, comprenant vitrine country ! Les « stars » de et dispositif vidéo, n’a pas été réalisée Nature sur un piédestal pour le Musée national, mais pour l’Ex- (2005-2014) position Universelle d’Aichi, au Japon, en 2005, d’où elle a ensuite été impor- De 2007 à 2014, les projets d’ex- tée. Faute d’un espace suffisamment haut positions de paléontologie du Musée dans le reste du bâtiment, Idaltu s’ins- national et leurs extensions internatio- talle au beau milieu de la scénographie nales – une exposition itinérante aux du Musée national, c’est-à-dire dans le États-Unis baptisée Lucy’s Legacy – ca- carré central, visible des deux étages pitalisent sur la renommée internatio- supérieurs23. L’effet produit par la place nale des fossiles d’hominidés trouvés centrale accordée à Idaltu est d’autant en Éthiopie, et surtout de Lucy, dont le plus significatif que cet espace est dédié statut d’icône est d’une certaine manière à la fois aux costumes et mobiliers (trône « réactivé » malgré les découvertes plus y compris) de la cour impériale et à une récentes. Ces années sont marquées par galerie de portrait des chefs d’État éthio- quatre tendances : une augmentation piens, installations initiales qui n’ont pas certaine des moyens alloués, tant finan- été démontées pour autant. ciers que professionnels, pour mettre en avant cet aspect du patrimoine éthiopien ; L’année 2007 est marquée par l’effacement temporaire de la France le départ du fossile de Lucy pour une et de ses experts comme interlocutrice « tournée américaine ». Lucy est en effet « traditionnelle » du Musée national au la pièce maîtresse d’une exposition tem- profit d’autres puissances scientifiques et poraire itinérante, Lucy’s Legacy, et ne diplomatiques (Japon et États-Unis) ; un reviendra en Éthiopie qu’en mai 2013. investissement humain plus direct de la C’est la première fois, depuis l’inaugu- part des scientifiques éthiopiens liés aux ration de la galerie de paléontologie du grands projets de recherche paléontolo- Musée national en 2000, que ce fossile gique – on retrouve ici Berhane Asfaw et original est exposé – et ce n’est pas en Yonas Beyene parmi d’autres ; une foca- Éthiopie. Le déplacement est orchestré lisation sur le caractère exceptionnel de au grand dam de la communauté scienti- certains fossiles et découvertes. fique, majoritairement contre cette initia- tive risquée, et qui le fait savoir à travers Ce mouvement est initié d’une cer- les grands médias24. Pour passer outre taine façon par la mise en place d’une installation dédiée à Idaltu, fossile d’une sous-espèce d’Homo sapiens mis au jour 23 Entretiens avec Dr. Berhane Asfaw et Dr. Yonas Beyene, 14 octobre 2015, et avec W/t Mamitu Yilma, par la mission Middle Awash co-dirigée 21 octobre 2015. par les paléoanthropologues américain 24 Pour un aperçu de la controverse, voir Dorfman, et éthiopien Tim D. White et Berhane 2007.

138 139 les expertises sollicitées par les autori- xième présentation à Seattle (moins de tés éthiopiennes, le Houston Museum of la moitié des visiteurs attendus et une Natural Science est passé par la diploma- exposition déficitaire). Les deux pré- tie américaine pour convaincre le cabinet sentations suivantes reçoivent beaucoup du Premier Ministre éthiopien. La levée moins d’attention. Lucy est rapatriée en de bouclier est telle que plusieurs institu- mai 2013 avec sa vitrine blindée, après tions américaines qui devaient accueillir avoir passé quatre années sur les six de l’exposition la refusent. son séjour aux États-Unis sans être pré- sentée au public. Les représentants de Le contenu de cette exposition en dit l’Éthiopie aux États-Unis mettent l’échec long sur la place de Lucy dans la représen- relatif du projet sur le compte de l’image tation internationale du patrimoine éthio- difficile de leur pays héritée des années pien. Lucy n’est pas partie prenante d’une 1970-1980. En mai 2013, Lucy est fina- exposition de paléontologie, mais d’une lement exposée en Éthiopie, au Musée exposition sur l’Éthiopie, dont les chefs- national, mais avec un bref passage par d’œuvre de la culture matérielle sont le siège de l’Union africaine, également présentés : manuscrits anciens des col- à Addis-Abeba. L’exposition est baptisée lections du Musée national, artefacts eth- « Lucy comes home ». nographiques, icônes religieuses, etc.25. Ces objets supportent une exposition Alors que la tournée américaine du sur la « culture éthiopienne26 », à la fois fossile de Lucy est à peine entamée, un présentée comme ancrée dans la longue nouveau projet d’exposition paléontolo- durée et dans la permanence – une forme gique – ou plus spécifiquement paléoan- de présentation muséographique déve- thropologique – voit le jour au Musée loppée dès les années 1960 en Éthiopie national d’Éthiopie en 2008 : la « Human au sein du Musée ethnographique univer- evolution timeline ». L’exposition est sitaire de l’IES (Guindeuil, 2016). Lucy inaugurée alors que les célébrations du a toutefois droit à un espace dédié : elle « millénium » éthiopien battent leur est le clou du spectacle et ancre la pré- plein (l’année 2007-2008 correspond à sentation d’une Éthiopie somme toute l’année 2000 du calendrier éthiopien), récente dans le temps long. L’exposi- ce qui lui vaut d’être intégrée au pro- tion est un succès lors de sa première gramme des événements organisés par le ouverture à Houston (près d’un million comité27. Ce projet est réalisé suite à une de visiteurs), mais un échec dès sa deu- visite de la directrice du Musée national, Mamitu Yilma, au Japon. Il est dévelop- 25 Entretien avec W/t Mamitu Yilma, 21 octobre 2015. pé et financé par l’University Museum 26 Entretien avec W/t Mamitu Yilma, 21 octobre 2015. Voir également la présentation succincte de l’exposition sur le site du Houston Museum of Natural Science 27 Entretiens avec Dr. Berhane Asfaw et Dr. Yonas [URL : http://www.hmns.org/exhibits/past-exhibitions/ Beyene, 14 octobre 2015, et avec Dr. Hassan Sayid, lucys-legacy]. 22 octobre 2015. de l’Université de Tokyo et l’équipe du montée pour laisser place à une nouvelle, Professeur Gen Suwa, travaillant sur en 201428. Chaque vitrine propose une plusieurs sites paléontologiques éthio- description de l’espèce ou des espèces piens depuis le début des années 1990 en représentées par des moulages, replace collaboration étroite avec les chercheurs graphiquement ce matériel dans la série éthiopiens Berhane Asfaw (alors sans po- linéaire temporelle des 12 vitrines, et la sition institutionnelle) et Yonas Beyene couverture ou première page d’une pu- (membre de l’ARCCH). Le projet reçoit blication scientifique liée aux spécimens également le soutien de l’Université de exposés. La première vitrine est dédiée Californie à Berkeley (UCB). Les pre- à une forme possi­ ­blement ancestrale des miers éléments (vitrine, panneaux) sont gorilles (Chororapithecus) datée vers conçus au Japon et importés en Éthiopie. 10 Ma. Les formes suivantes sont des Les vitrines modèles sont copiées par un préhumains, débutant avec le matériel artisan local afin de compléter le projet. de l’Afar daté de 5,8 Ma, et se terminant L’exposition est initialement installée en par les premiers représentants d’Homo vis-à-vis de la première salle de la galerie sapiens découverts dans l’Afar et dans de paléontologie réalisée en 2000, et l’Omo. Les outils font leur apparition ce jusqu’en 2013, dans un corridor qui à partir de la vitrine dédiée à Australo- s’élargit vers le fond. Les dispositifs pithecus garhi (2,5 Ma). L’exposition est multimédias insérés dans l’exposition ar- introduite : par un panneau représentant rêtent de fonctionner dans les mois (voire Lucy, dont le moulage n’est pas présent les semaines) qui suivent l’inauguration. dans la timeline ; par un diagramme très technique replaçant les préhumains pré- Cette exposition est conçue par sentés dans le temps et retraçant leurs ses auteurs comme un « complément » relations de parentés connues et hypo- paléoanthropologique à l’exposition de thétiques ; par une carte figurant la distri- paléontologie existante. Elle présente bution de ces formes en Éthiopie ; et par une série de 12 vitrines dédiées aux ho- trois écrans passant des vidéos en boucle. minoïdes découverts en Éthiopie et, pour Ces vidéos portent sur la fossilisation et six d’entre elles, aux outils contempo- le travail de découverte des fossiles, sur rains de ces espèces – ce qui constitue les caractères dentaires des préhumains une innovation notable. Les vitrines sont et sur une démonstration de l’utilisation organisées en une série linéaire rangée le de la tomographie scanner pour étudier long des murs (le critère d’organisation les restes fossiles. étant basé sur la datation des fossiles). Cette forme linéaire, qui donne son nom La forme de l’exposition témoigne au concept de l’exposition, Berhane d’une volonté d’insister sur l’importance Asfaw et Yonas Beyene y restent très

attachés, au point que celle-ci a dû être 28 Entretien avec Dr. Berhane Asfaw et Dr. Yonas maintenue lorsque l’exposition a été dé- Beyene, 14 octobre 2015.

140 141 de l’identification des espèces présen- sur la contribution de l’équipe qu’il codi- tées et de leur « succession » – linéaire, rige, le projet Middle Awash, qui est lié à donc, comme le temps (fig. 5 et 5 bis). Un l’UCB, ainsi que sur le caractère national mode de présentation qui tend à renfor- exclusif de ces découvertes, alors qu’au cer le caractère exceptionnel de chacun moins huit des espèces présentées sont des fossiles, et qui consacre l’évolution connues ailleurs (Kenya, Tanzanie, et/ou de la discipline paléoanthropologique. Afrique du Sud). Ce lien au fonctionnement de la commu- nauté scientifique – fouille, identifica- Pour Berhane Asfaw, qui l’affirme tion d’un fossile inédit, publication – est aujourd’hui sans ambages, le rôle de cette appuyé par la présentation de publica- exposition et de ses auteurs éthiopiens tions scientifiques (couvertures, extraits est de « promouvoir le pays29 ». C’est un d’articles de revues prestigieuses) où geste patriotique, celui qu’on doit attendre l’accent est mis sur la contribution de du Musée national et de ses collaborateurs l’UCB. Il s’agit bel et bien d’effacer « la éthiopiens. Avec l’installation au Musée concurrence », puisque les travaux anté- national de la « Human evolution rieurs sont ignorés, les autres équipes timeline », la paléontologie s’inscrit plus n’étant que peu mentionnées. Le disposi- profondément dans un récit national où le tif a aussi l’avantage de couper court aux particulier ne se noie pas dans un savoir débats qui surviennent inévitablement à universel. Le projet national éthiopien la suite de chaque publication, en fixant la est directement servi par ses fossiles, qui découverte dans le temps – relativement témoignent du caractère exceptionnel plus lent – du musée. Les découvertes pa- de l’Éthiopie. La « Human evolution léoanthropologiques réalisées en dehors timeline » se lit néanmoins à plusieurs de l’Éthiopie sont mentionnées de façon degrés, car la logique patriotique très marginale. Le message utilisant tradi- revendiquée du côté des acteurs éthiopiens tionnellement Lucy pour placer l’origine est mise au service d’une démarche de l’humanité en Éthiopie est cette fois-ci ostentatoire et revendicative à l’attention étendu à toute la séquence des préhumains de la communauté scientifique (appuyée trouvés en Éthiopie. Pour les auteurs, autant par les couvertures de Nature que c’est en Éthiopie que l’on trouve la plus par les dispositifs vidéo). longue et la plus complète séquence de l’évolution humaine. Cette séquence est L’articulation publication-exposition agrandie artificiellement par l’ajout de est encore plus évidente en 2009, année Chororapithecus, qui en tant que précur- marquée par la publication d’un sque- seur probable des gorilles ne devrait théo- lette partiel surnommé Ardi et attribué à riquement pas figurer dans une séquence Ardipithecus ramidus, daté à 4,4 Ma, qui de l’évolution humaine. La présentation de l’exposition par Berhane Asfaw dans 29 Entretien avec Dr. Berhane Asfaw et Dr. Yonas les médias éthiopiens insiste fortement Beyene, 14 octobre 2015. © Jean-Renaud Boisserie © Jean-Renaud

Figure 5 et 5 bis : Éléments de l’exposition « Human evolution timeline », 2007 © Jean-Renaud Boisserie © Jean-Renaud

142 143 devient le squelette de préhumain le plus plutôt Ardi à un rameau latéral éteint de ancien connu. Cette publication sans pré- préhumain ; d’autres sont des tenants de cédents (11 articles dans un seul et même la grande utilité du modèle chimpanzé numéro de la revue scientifiqueScience ) en paléoanthropologie ; enfin d’autres présente Ar. ramidus comme le précur- encore contestent la reconstruction pa- seur d’A. afarensis et un bon modèle léoenvironnementale et indiquent que le pour reconstruire la morphologie de l’an- milieu d’Ardi était beaucoup plus ouvert. cêtre commun partagé par les humains Mais au Musée national d’Éthiopie,­ et les chimpanzés (White et al., 2009). l’exposition progresse bien plus vite que Ce modèle suggère pour cet ancêtre une le débat scientifique. La même année, morphologie très différente de celle des les opérateurs de l’exposition « Human chimpanzés. Le milieu de vie reconsti- evolution timeline », impliqués dans la tué pour Ardi est présenté comme forte- découverte, financent et réalisent l’ins- ment boisé, en opposition avec l’ancienne tallation du squelette d’Ar. ramidus dans idée d’une savane ouverte comme lieu la même scénographie que celle utilisée d’acquisition de la bipédie. Ces conclu- auparavant (fig. 6). Toutefois, faute de sions sont rapidement attaquées par pouvoir étendre la timeline, la vitrine et divers collègues : certains attribueraient les panneaux sont installés dans la salle © Jean-Renaud Boisserie © Jean-Renaud

Figure 6 : Ardipithecus ramidus au Musée national, 2009 d’introduction de la galerie de paléonto- éthiopienne et les muséographes français logie, dont les éléments sont démontés et sont tendues. Arrivé en septembre 2014, déplacés – sans que des indications sur le Thomas Guindeuil­, assure le suivi des sens de la visite ne soient proposées. dernières étapes du projet jusqu’à l’instal- lation de l’exposition. Baptisée « Millions years of life and culture in Ethiopia », l’exposition est finalement inaugurée en Vers la synthèse : décembre 2014 en présence de Maurice les nouvelles galeries Taieb, invité par l’Ambassade de France de paléontologie pour l’occasion du 40e anniversaire de la et de préhistoire (2014) découverte de Lucy.

Prenant acte du caractère extrê­ ­ Le « retour des Français » semble mement éclaté des expositions dédiées à signifier le retrait provisoire des équipes l’évolution, un nouveau projet de réorga- impliquées dans les projets précédents. nisation générale est proposé en 2010 par Si un comité scientifique est bien mis en Jean-Renaud Boisserie, alors en poste au place, rassemblant tous les responsables CFEE. L’Ambassade de France accorde de projets de recherche paléontologique son soutien financier à travers le Fonds et la plupart des responsables de projets social de développement, le CFEE met de recherche préhistorique en Éthiopie, à la disposition son personnel – succes- celui-ci n’est jamais réuni physiquement, sivement Tiphaine Maurin, volontaire et le suivi du projet est assuré par des cor- internationale, puis Jean-Gabriel Leturcq, respondances qui ne suscitent pas toujours secrétaire scientifique à partir de 2011, qui des réponses. Le comité est présidé par prend en charge l’aspect muséographique Jean-Renaud Boisserie (revenu en poste de l’exposition avec son frère, Benoît en France fin 2011) qui, dans les faits, Leturcq, designer-maquettiste. L’ARCCH définit les contenus en s’appuyant notam- et la directrice du Musée national, Mamitu ment sur les savoirs spécifiques de deux Yilma, adhèrent à ce nouveau projet qui « habitués » du Musée national, l’archéo- propose une synthèse longtemps attendue. zoologue Joséphine Lesur et le préhisto- Il s’agit en premier lieu de réorganiser rien Clément Ménard (ancien volontaire le contenu des expositions existantes de international affecté aux collections, façon à leur donner une cohérence et per- alors doctorant à l’Université de Toulouse mettre un flot unidirectionnel de visiteurs 2-Le Mirail). En pratique, la contribution (permettant d’ac­cueillir plus de visiteurs des autorités éthiopiennes du domaine, dans des conditions de sécurité plus favo- Berhane Asfaw, Yonas Beyene ou encore rables). La conception de l’exposition, Zeresenay Alemseged – qui dirige la démarrée fin 2011, accuse rapidement mission qui a découvert Selam, exposé un important retard par rapport au plan- pour la première fois aux côtés de Lucy et ning établi, et les relations entre l’équipe Ardi dans une vitrine financée par la même

144 145 mission – restent limitées sur le plan scien- Au sein de l’équipe française, le tifique. Les deux premiers réalisent la tra- projet n’est pas non plus allé sans difficul- duction en amharique du texte en anglais tés. Les choix muséographiques, tournés élaboré par les chercheurs (il n’y a pas de vers un espace entièrement ouvert – français dans le projet muséographique plutôt que des salles thématiques, comme défini par Jean-Gabriel Leturcq, et un c’était le cas dans l’exposition de 2000 livret francophone est finalement réalisé – et une démarche esthétisante assumée, dans la foulée de l’inauguration en 2015). ont largement contribué à couper le La traduction en amharique modifie cer- dialogue entre scientifiques et muséo- taines informations. Par exemple, le plus graphes. Sur ce plan néanmoins, le résul- ancien préhumain connu, découvert au tat final conserve l’essentiel du contenu Tchad, est tantôt indiqué à 6 Ma au lieu scientifique inclus dans le projet initial. de 7 Ma (c’est-à-dire environ le même Enfin, une autre question a été celle de âge que les plus anciens fossiles éthio- la place des scientifiques en tant qu’in- piens), et tantôt « relocalisé » en Éthio- dividus dans cette exposition. Il a été pie. Berhane Asfaw reste critique sur une finalement décidé qu’aucun nom de cher- exposition qui minore d’après lui la place cheur ne serait cité ; les projets interna- de l’Éthiopie30­ . Il est vrai que l’exposition, tionaux actifs en Éthiopie sont listés sur si elle reprend partiellement la mise en le panneau de remerciement, et l’Omo scène de la timeline, s’attache beaucoup à Group Research Expedition est présenté la contextualisation de la présentation des comme l’équipe ayant présidé le comité préhumains dans leur cadre biologique, scientifique. Le procédé de la juxtaposi- environnemental et culturel – ce qui tion des fossiles et de leurs publications suppose, afin d’enrichir la compréhension est abandonné. des découvertes éthiopiennes, d’évoquer également des savoirs scientifiques acquis Une nouvelle salle d’introduction sur d’autres terrains que l’Éthiopie. Il est installée : elle se rapproche par son était initialement prévu de répartir les élé- contenu de celle de l’exposition de 2000. ments de la « Human evolution timeline » Elle diffère notamment par l’introduc- suivant une organisation non-linéaire, tion d’un panneau qui replace les décou- plutôt fondée sur l’illustration de thèmes vertes paléontologiques éthiopiennes importants de notre évolution que sur un dans le contexte beaucoup plus large des respect strict de la chronologie. Cette idée témoins fossiles découverts en Afrique, a été fortement combattue par les auteurs qu’il s’agisse de préhumains ou de fos- de la timeline, et n’est dans les faits que siles attribués à des organismes et des très partiellement appliquée à travers le périodes complètement différents (par rapprochement d’Ardi et Lucy. exemple, dinosaures ou reptiles mam- maliens). La salle suivante regroupe une

30 Entretien avec Dr. Berhane Asfaw et Dr. Yonas série renouvelée de fossiles originaux Beyene, 14 octobre 2015. d’organismes non-humains, dans un dispositif rappelant là aussi l’exposition non-humains sont présentés (Géladas et de 2000 (fig. 7). Les groupes représen- Chororapithecus), puis les restes de pré- tés sont également figurés par des sil- humains font suite à un panneau présen- houettes d’échelle 1:1 formant une frise tant les principaux préhumains anciens sur un des deux murs de l’exposition. en Afrique, expliquant que le berceau Les notions suivantes sont détaillées par de l’humanité est l’Afrique tout entière. des panneaux sur le mur opposé : évo- Les premiers éléments préhumains de la lution, espèces disparues, adaptations « Human evolution timeline » sont pré- morphologiques, liens de parentés entre sentés linéairement contre un mur. Au êtres vivants, reconstruction des environ- centre, on retrouve les vitrines d’Ardi et nements passés. Lucy. Sur le mur opposé, on retrouve un dispositif rappelant l’exposition d’Ardi et La salle suivante est dédiée aux détaillant les caractères du bassin et de la primates. Elle présente une introduction denture qui fondent la diagnose de notre sur la place de l’humanité dans la nature, branche évolutive. Cette salle s’achève expliquant les liens de parentés étroits par la vitrine dédiée à A. afarensis et au entre les humains, leurs ancêtres et les squelette partiel juvénile de cette espèce, autres primates. Des primates fossiles découvert en 2000 et baptisé Selam. © Thomas Guindeuil

Figure 7 : La salle des fossiles non-humains dans l’exposition de 2014

146 147 © Thomas Guindeuil

Figure 8 : La salle de la préhistoire dans l’exposition de 2014

La salle suivante présente de nouveau rappelant les plantes endémiques sur un mur les éléments suivants de la ti- d’Éthiopie et présentant la paroi gravée meline jusqu’à Homo sapiens. Les vitrines de Chappé. Un panneau final effectue la centrales présentent différents stades évo- transition avec les salles du rez-de-chaus- lutifs des outils de pierre taillée caractéri- sée, dédiées à l’antiquité éthiopienne. sant la préhistoire éthiopienne (fig. 8).

Les cultures matérielles de la préhis- toire éthiopienne (incluant alors les plus Conclusion anciens outils connus au monde) gagnent ainsi un espace inédit. Des panneaux thé- L’intégration de la paléontologie aux matiques expliquent ces cultures préhis- expositions du Musée national d’Éthiopie toriques, mais également l’expansion des tient à la rencontre d’intérêts proprement préhumains puis d’Homo sapiens hors éthiopiens et d’enjeux internationaux. Du du continent africain, ainsi que l’appari- côté éthiopien, les autorités en charge de tion de pratiques mortuaires. Cette salle la politique patrimoniale ont rebondi sur s’achève par une section dédiée à l’acqui- l’aura internationale des découvertes et sition des pratiques agricoles et d’élevage des recherches réalisées dans le pays par à la toute fin des temps préhistoriques, une communauté scientifique internatio- nale ; elles se sont néanmoins largement au divorce de la paléontologie du reste de contentées d’accueillir les projets muséo- la muséographie. Poussé par les finance- graphiques, abandonnant la force de pro- ments internationaux, le concept d’évolu- position aux acteurs de la recherche. Du tion est à l’étroit au Musée national. On côté des chercheurs, étrangers comme lui verrait bien dédié un véritable musée éthiopiens, le Musée national d’Éthiopie scientifique – le musée des « origines », et sa bienveillance vis-à-vis de projets évoqué plus haut. Encore faut-il, pour cela, muséographiques élaborés à l’extérieur redéfinir le périmètre des institutions, et de l’institution ont offert un terreau fertile décréter la « sortie » des fossiles du Musée à la mise en place d’expositions nettement­ national, au risque de fragiliser le musée mieux dotées que les autres – finan­ ­ciè­ par le départ de son principal pôle d’attrac- rement et matériellement. Ces expositions tion. La page des expositions de paléonto- présentent également la caractéristique logie au Musée national d’Éthiopie n’est d’avoir directement impliqué les cher- pas encore tournée. cheurs, en laissant peu de place à d’éven- tuels professionnels de la muséographie – qui n’existent pas à ce jour dans le pays – et transformant les scientifiques en Bibliographie « experts » du patrimoine et des musées. Ce « circuit court », de la recherche à la Arambourg C., Chavaillon J. & Coppens Y. (1967). « Premiers résultats de la nouvelle diffusion grand public, explique que les mission de l’Omo (1967) ». Comptes Rendus de expositions de paléontologie et de pré- l’Académie des Sciences, 265, pp. 1891-1896. histoire du Musée national d’Éthiopie se soient fait caisses de résonance de la mise Arambourg C. & Jeannel R. (1933). « La mission scientifique de l’Omo ». Comptes en concurrence des projets de recherche Rendus des Séances de l’Académie des Sciences, internationaux. Il explique également 196, pp. 1902-1904. le renouvellement rapide des exposi- tions permanentes dans ce domaine, qui Bailloud G. (1963). « La préhistoire de contraste avec le reste d’un musée dont l’Éthiopie ». Tarik, 2, pp. 33-35. les expositions sont vieillissantes. Blanc G. & Bridonneau M. (2015). « Conseiller, expert et consultant en patrimoine : Depuis l’émulation des années 1970, la construction d’une figure de l’Éthiopie ­ le Musée national d’Éthiopie apparaît in- contemporaine ». EchoGéo, 31, article mis en ligne le 10 avril 2015 [URL : http://echogeo. contestablement dépassé par le dynamisme revues.org/14128]. d’un champ dont l’intégration au champ du patrimoine culturel – le domaine initial Breuil H., Teilhard de Chardin P. & du musée – est provoquée par la puissance Wernert P. (1951). « Le paléolithique du d’évocation des fossiles et par l’enjeu uni- Harrar ». L’Anthropologie, 55, pp. 219-228. versel de la quête des origines de l’huma- Brunet M., Guy F., Pilbeam D., Mackaye nité. Ce dynamisme pousse de plus en plus H. T., Likius A., Ahounta D., Beauvilain A.,

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