Enfin Léopold Trepper parle... Peu de témoignages auront été attendus, depuis des années, avec un intérêt aussi passionné. Léopold Trepper est d'abord pour l'Histoire le chef de l'Orchestre Rouge, l'un des réseaux de renseignement les plus importants de la Seconde Guerre mondiale, qui apporta à la victoire des alliés une contribution dont l'adver- saire lui-même a reconnu la portée et la valeur. C'est dans la Pologne de sa jeunesse que Léopold Trepper découvre, au contact du prolétariat de la ville indus- trielle de Dombrova, dont il partage les luttes, l'ampleur de l'exploitation contre laquelle lutte la Révolution d'Octobre. Proche d'un mouvement communiste dans lequel il voit le seul moyen de régler le problème des mi- norités nationales juives, il part en militant pour la Palestine; là, il est confronté à une nouvelle forme d'ex- ploitation : le colonialisme. Arrêté, expulsé par les autorités anglaises, il arrive en France. Au milieu des Juifs immigrés, chassés par les pogroms tsaristes et le nazisme, le voilà de nouveau dans la lutte. Trepper est désigné par le parti communiste fran- çais pour aller parfaire à Moscou sa formation doctrinale. En passant par l'Allemagne, il découvre brutalement le fait hitlérien. Comprenant le danger qui menace, il entre dans les services de renseignement de l'Armée Rouge et rejoint les rangs des combattants de l'ombre, avant d'organiser en Bel- gique et en France un réseau redou- table qui est à l'écoute de la machine de guerre allemande. A Berlin, ses agents travaillent en plein cœur du Reich. C'est la grande aventure de l'Orchestre Rouge... L', puis le kommando spécial formé des meil- leurs limiers allemands lui portent les premiers coups. Arrêté, le chef de LE GRAND JEU

Leopold Trepper

LE GRAND JEU

Albin Michel Ce texte a été directement écrit en français par l'auteur, avec la collaboration de Patrick ROTMAN

(Ç) Éditions Albin Michel, 1975 22, rue Huyghens, 75014 Paris ISBN 2-226 - 00176 - X à Luba compagne courageuse de ma vie

Sommaire

Remerciements 13 Avant-propos 15

I. APPRENTISSAGE

1. Deux images 19 2. Novy-Targ 21 3. Palestine 28 4. La France 38 5. Enfin à Moscou! 46 6. Face à face avec la réalité 51 7. La peur 56 8. Les Juifs pourchassés 65 9. L'Armée Rouge assassinée 71 10. La maison chocolat 74 1 I. A la recherche de Fantomas 80 12. Origine d'une légende 85 II. L'ORCHESTRE ROUGE I. Naissance de l'Orchestre 89 2. The Foreign Excellent Trench-Coat 96 3. La grande illusion 101 4. Dans la bataille 106 5. Premières mesures 114 6. Au cœur du Reich 121 7. L'intime conviction du grand patron ...... 124 8. L'Orchestre joue 128 9. Fernand Pauriol 132 10. Ma double vie ...... 136 II. 101, rue des Atrébates 141 12. Les erreurs du Centre 150 13. Le Sonderkommando sur nos traces 155 14. « Alors monsieur Otto... » 159 15. Le Grand Jeu 167 16. Six défaites pour Karl Giering 172 17. La série noire 176 18. Prisonnier spécial 184 19. « La vengeance est pour bientôt » 190 20. Quatre rencontres avec Juliette 193 21. L'enfer de Breendonk 200 22. Le Centre prend l'initiative 210 23. Le Sonderkommando tombe dans le piège 215 24. Le bourreau de Prague 226 25. « Le Grand Chef s'est évadé! » 233 26. Un duel serré avec la Gestapo 246 27. Recherché par toutes les polices 256 28. Le Sonderkommando sous surveillance 263 29. Les bourreaux ont laissé leurs empreintes 269

III. LE RETOUR

1. Un singulier voyage 279 2. Loubianka 287 3. Lefortovo 294 4. La maison des morts-vivants '. 305 5. Leçons d'histoire 309 6. Étonnantes rencontres dans les prisons de Staline 312 7. Libéré! 322 8. Retour à Varsovie 329 9. Le dernier combat 336

Documents annexes 345 Index ...... 409 Je tiens à manifester ma gratitude à tous ceux qui, dans le monde, se sont mobilisés pour que je . puisse sortir de Pologne. Aux militants des comités « pour la libération de Trepper », aux partis, syndicats, associations qui ont participé à ce combat, aux simples particuliers, je dois d'avoir pu écrire ce livre.

Je veux également exprimer ma reconnaissance aux organismes officiels ou privés qui m'ont facilité les recherches : L'équipe de Mme Braem, du département " recherches, documentation et décès " dépendant du ministère belge de la Santé Publique et de la Famille. La direction du Mémorial de Breendonk et en particulier le profes- seur Paul M. C. Lévy, du département des sciences économiques, sociales et politiques de l'université catholique de Louvain. M. J. Vanwelkenhyzen, directeur, et MM. Jean Dujardin et José Gotovitch, du Centre de recherches et d'études historiques de la Seconde Guerre mondiale de Belgique. Le professeur Jean-Léon Charles, de l'Académie royale militaire de Belgique. Grâce à eux, ce livre est plus complet et plus exact.

Enfin, que tous les survivants de l'Orchestre Rouge et leurs familles soient ici fraternellement remerciés pour l'aide qu'ils m'ont apportée par leurs témoignages. L. T.

Avant-propos

L'idée d'écrire mes souvenirs m'est venue lorsque f attendais l'autorisation de quitter la Pologne, pendant les trois années que j'ai passées à Varsovie dans une solitude totale. Dans cet état de « prisonnier libre », très diffi- cile à supporter sur le plan moral, la seule préoccupation de mes pensées était l'évocation du temps révolu. Tout homme, au terme de son chemin, retient une période privilégiée qui l'a marqué plus que les autres : quand je regarde les soixante-dix ans de ma vie écoulée, je considère que ce qui m'est arrivé entre mes trente et quarante ans - l'époque de l' Orchestre Rouge - est le plus important. Certes, le drame me guettait à tous les détours, le danger était le plus fidèle de mes compagnons, mais si je devais recommencer, je recommencerais avec joie .1 Aujourd'hui - enfin - je n'ai plus rien à cacher ; je n'ai d'autre ambition que de dire la vérité sur les cinquante années de ma vie mili- tante. La vérité, la voici...

I

APPRENTISSAGE

1.

Deux images

A l'heure qu'il est, deux images me reviennent à l'esprit, qui marquent assez bien les étapes de mon existence. La première me ramène à ma prime enfance, en juillet 1914, à Novy-Targ, petit bourg de Pologne où je suis né. Un cri retentit encore à mes oreilles : « On a arrêté un espion russe ! » La rumeur, en quelques instants, avait fait le tour de notre petite ville... Des rumeurs, il n'en manquait pas en ces derniers jours de juil- let 1914. D'une fenêtre à l'autre, dans la rue, on propageait la nouvelle : « On a arrêté un espion russe dans le village de Poronine, on l'amène ici ! » Comme tous les enfants de mon âge, je courus à la station de chemin de fer pour assister à l'arrivée du prisonnier. Le train entra en gare... Encadré de deux gendarmes, un homme petit, trapu, en descendit. Une barbiche rousse. Une large casquette inclinée sur le front. Je suivis, mêlé aux gamins, l'étrange trio qui traversa la place centrale avant de gagner l'hôtel de ville où était aménagée une unique cellule pour les ivrognes braillards. L' « espion » y fut enfermé. Le lendemain, les gen- darmes le conduisirent à la prison qui se trouvait juste en face de la synagogue. C'était un samedi. En un instant, les Juifs désertèrent l'office religieux. Ils stationnaient par petits groupes devant la prison, discourant sans fin sur la guerre et l' « espion russe ». Quelques jours plus tard, celui-ci fut transféré à Cracovie et les habitants de Novy-Targ, les Juifs surtout, se gaussèrent d'un boutiquier de Poronine qui avait fait crédit à l'espion et à sa femme pendant plusieurs mois. La crédulité du boutiquier juif demeura sujet de plaisanterie jusqu'à ce jour de 1918 qui lui apporta une lettre de Suisse. Bientôt, la ville entière en connut le contenu :

Veuillez m'excuser d'être parti sans vous payer en 1914, en raison des circonstan- ces difficiles. Je vous prie d'accepter la somme jointe. Vladimir Ilitch LÉNINE. Lénine n'avait pas oublié 1... Telle fut ma première rencontre avec l' « espionnage » et le communisme. On pourrait y discerner un appel du destin, mais j'avais dix ans et j'ignorais jusqu'au sens de ces deux mots qui m'accompagneraient ma vie entière. Et pourtant... Les années ont passé dans d'étranges combats, l'âge est venu, et la solitude aussi bien... Et voici la seconde image. Une date : le 23 février 1972. C'est mon anniversaire. J'ai soixante-huit ans et je suis dans mon appartement. Les images des fêtes qui, les années précédentes, réunis- saient ma famille en cette occasion me reviennent en mémoire et avivent ma tristesse. Nous étions alors une dizaine autour de la table : ma femme, mes fils, leurs compagnes et les petits-enfants. Aujourd'hui, je suis seul : depuis trois ans le gouvernement polonais me retient « pri- sonnier » à domicile en m'empêchant de rejoindre les miens que la campagne antisémite a chassés. Depuis des jours et des jours, le téléphone reste muet. C'est l'isolement. Et tout à coup la sonnerie me fait sursauter : ma femme m'appelle pour me souhaiter mon anniversaire! Toute la journée, de France, du Danemark, de Suisse, du Canada, de Belgique, des États-Unis, ce sont mes fils, des amis et des relations, des inconnus aussi, alertés par la campagne qui se développe en ma faveur en Europe, qui me disent quelques paroles de solidarité. Je ne suis plus seul. Le 23 et les jours suivants, le facteur m'apporte chaque matin des dizaines de lettres et de télégrammes venus des quatre coins du monde. Deux paquets expédiés des Pays-Bas contiennent des centaines de lettres d'écoliers : ces dessins et ces mots enfantins d'amitié et de réconfort m'émeuvent jusqu'aux larmes. Non, je ne suis plus seul. Devant mon regard revivent des scènes de ma propre enfance : Novy-Targ...

1. En 1918, la Russie soviétique n'avait pas encore de relations diplomatiques avec la plupart des pays d'Europe, et Lénine avait dû faire passer sa lettre par le territoire helvétique. Il avait été libéré rapidement sur l'intervention des dirigeants sociaux- démocrates polonais : l' « espion » de 1914 était devenu le chef de la Révolution d'Octobre. 2. ,

Novy-Targ

Je suis né, le 23 février 1904, dans une petite ville de Galicie qu'il était difficile à l'époque de trouver sur une carte. La famille Trepper habitait au numéro 5 de la rue Sobieski une modeste demeure que mon père avait bâtie lui-même, en accumulant briques et dettes. La boutique, une sorte de petit bazar qui offrait aux paysans les marchandises, le matériel sommaire dont ils avaient besoin, occupait le rez-de-chaussée. De gros sacs de toile emplis de semences étaient posés à même le sol. Les clients réglaient rarement leurs achats en argent, mais les tro- quaient le plus souvent contre quelque produit de leur terre. Au-dessus du magasin, l'étage unique de la maison se divisait en trois pièces modestement arrangées où nous vivions. Dans les bribes de souvenirs qui émergent de ma mémoire, mes années d'enfance m'apparaissent empreintes d'un certain bonheur tranquille, malgré l'extrême dénuement de mes parents. Sans doute les images sombres, celles de la misère quotidienne, s'estompent-elles plus aisément que la vision, aujourd'hui encore nette à mon esprit, du bonbon que mon père glissait à l'aube sous mon oreiller en partant travailler... Ma famille était « typiquement » juive, mais ce « typiquement » était la caractéristique de toutes les familles juives. Mon nom de Trepper ne garde aucune trace de mes origines. Mes amis, les Trauenstein, Hamerchlag, Singer, Zolman, portaient aussi des noms germanisés. Un jour, préoccupé par cette question, je demandai des éclaircissements à l'instituteur qui, une fois par semaine, nous rassemblait pour nous enseigner pendant une heure l'histoire du peuple juif. Il m'expliqua que, à la fin du xixe siècle, les Juifs de l'empire austro-hongrois avaient reçu l'autorisation de changer leurs noms. A Vienne, on pensait, sans doute, que des patronymes allemands permettraient aux Juifs de mieux s'intégrer à la population autrichienne. Les prénoms eux-mêmes furent modifiés. Voilà pourquoi, sur mon acte de naissance, figure le nom de Leopold Trepper. La communauté juive de Novy-Targ, forte de trois mille personnes environ, y était implantée depuis la fondation de la ville au Moyen Age. Le district était habité par de très pauvres paysans qui essayaient de tirer d'une terre ingrate une maigre subsistance. Dans les villages, on ne mangeait du pain qu'une fois par semaine. Les galettes de pommes de terre et le chou assuraient l'ordinaire. Le dimanche, les paysans venaient par centaines à Novy-Targ pour assister à la messe; ils portaient leurs souliers sur l'épaule, et ne les enfilaient qu'avant d'entrer dans l'église. Les Juifs qui labouraient la terre n'étaient pas mieux lotis. Pour eux aussi, une paire de chaussures devait durer toute la vie. Il n'y avait pas dans ces villages de paysans riches : les spécialistes de la collectivisation auraient sûrement eu du mal à y dénicher des kou- laks! Dans la ville même de Novy-Targ, les grands bourgeois étaient rares. Au centre de la cité — le seul endroit qui n'ait pas changé jusqu'à ce jour —, habitaient un petit nombre de Juifs et de Polonais aisés : commer- çants, médecins, avocats. Mais aussitôt qu'on le quittait pour s'engager dans des rues secondaires, on était frappé par la pauvreté des échoppes d'artisans. Cela explique que le nombre de ceux qui émigraient vers les États-Unis et le Canada ne cessait d'augmenter d'une année à l'autre. Ceux-ci, espérant trouver l'Eden, se préparaient avec joie à ce long voyage. Je les revois encore, le col de chemise largement ouvert sur ce qui leur tenait lieu de costume. Chargés de petites valises en bois, ils arboraient, non sans fierté, un splendide chapeau melon. Je m'empresse d'ajouter que l'antisémitisme était inconnu à Novy- Targ. Les deux communautés, juive et catholique, entretenaient des relations très amicales. Peut-être peut-on l'expliquer par le fait que Novy-Targ appartenait à cette époque à l'empire austro-hongrois et que celui-ci pratiquait une politique assez libérale à l'endroit de ses minorités nationales. A cet égard, je voudrais raconter une anecdote. Un jour, l'archevêque de Cracovie, Mgr Sapieha, était attendu à Novy-Targ. Les fidèles catholiques s'apprêtaient à le recevoir. Ce qui était normal. Mais le plus étonnant, c'est que la communauté juive préparait, elle aussi, cette réception. Si bien que, le jour de la visite venu, l'archevêque avait béni devant des milliers de catholiques le rabbin, sorti en grande pompe de la synagogue ! Mes parents étaient croyants, mais ils pratiquaient sans excès. Le vendredi soir, ma mère allumait les bougies et, au dîner, servait toujours du poisson, même s'il avait fallu jeûner à midi pour compenser cette dépense exorbitante. Le samedi, nous fréquentions la synagogue. Mais pour nous, les enfants, la pratique religieuse se traduisait surtout par le respect des fêtes traditionnelles où nous nous retrouvions nombreux autour de la table pour déguster des plats tellement différents de notre nourriture quotidienne. Si nous mangions d'ordinaire kascher, cette coutume avait ses limites. Parfois, ma mère m'envoyait acheter du jambon en me recommandant : « Fais attention qu'on ne te voie pas entrer chez le charcutier! » Cette vie tranquille, toute de douceur familiale, devait être rapidement perturbée. C'est ainsi que, dès les premiers jours de la guerre, les soldats qui composaient la petite garnison de Novy-Targ prirent le chemin du front. Ce fut une sorte de fête. Ils s'en allèrent, fanfare en tête, fleur au fusil, dans l'allégresse populaire. Je regardai partir ceux qu'on envoyait se battre pour le Kaiser. Les mois passèrent, mornes et silencieux. Puis je vis revenir les mutilés et s'emplir les hôpitaux : l'enfant que j'étais comprenait que la guerre ne ressemblait pas à une partie de plaisir ! Un jour, une rumeur, gagnant de proche en proche, déferla sur Novy-Targ : « Les cosaques arrivent! » Il faut savoir que, pour les Juifs, le mot cosaque évoque les pogroms. En toute hâte fut organisée l'éva- cuation des Juifs vers Vienne. La famille Trepper partit, comme les autres. En général, on pense que les enfants ne s'occupent pas de politique. C'est vrai le plus souvent. Mais c'est oublier que la politique, en revanche, s'occupe d'eux. Pour ma part, c'est à Vienne que j'ai commencé à lire les journaux. J'y suivais attentivement tout ce qui se passait sur le front. De plus, j'étais entré au lycée juif, et la question religieuse commençait à me tourmenter. Être Juif restait pour moi une notion confuse. Celle-ci devait se compliquer singulièrement un certain samedi. Ce jour-là, j'étais entré en compagnie de mon père dans un temple. Des jeunes filles y chantaient à merveille. A la sortie, deux d'entre elles passèrent près de moi. Quel ne fut pas mon étonnement d'entendre l'une s'écrier : « Jésus Maria, nous n'avons pas bien chanté aujourd'hui " Ecoute Israël " ! » Cela me plongea aussitôt dans un abîme de perplexité. Comment des non-Juifs, me disais-je, pouvaient-ils si bien chanter dans un temple la prière solennelle des Juifs? Décidément, la religion m'apparaissait comme une affaire peu simple. Je n'étais pas au bout de mes surprises d'enfant. Je me souviens que j'avais pris l'habitude, en revenant du lycée, d'acheter un cornet de glace à un marchand italien. A Vienne, les Italiens avaient la réputation de fabriquer les meilleures glaces. Et voilà qu'un après-midi mon marchand habituel est absent. Je vais de boutique en boutique, et je les trouve toutes fermées. La raison en était que l'Italie était entrée en guerre contre les deux empereurs! De ce jour, les Viennois ajoutèrent : « Et qu'il détruise l'Italie! » au traditionnel : « Que Dieu punisse l'Angle- terre! » qui leur servait de salut. Qu'allait faire le bon Dieu ? Écouterait-il les Autrichiens? Ferait-il perdre la guerre aux Alliés franco-britanniques ? Ou bien agirait-il en sens contraire ? Comment allait-il choisir son camp ? Toutes ces questions me laissaient perplexe, elles aussi. Mon embarras fut porté à son comble un jour de liesse. Les troupes autrichiennes ayant occupé la forteresse de Przemysl, Vienne fêta cette victoire par de grandes manifestations patriotiques. Le long des rues pavoisées, la foule convergeait vers le palais de l'empereur. La joie écla- tait de tous les côtés. On s'embrassait, on riait, on criait. Tout le monde courait. A côté de moi, une vieille femme juive s'efforçait de suivre le mouvement. Elle traînait par la main une fillette et, de toutes ses forces, elle lançait : « Vive le Kaiser ! Vive le Kaiser ! » Bientôt à bout de souffle, elle lâcha en yiddish : « Qu'il crève, je n'en peux plus! » Un tel blasphème avait de quoi troubler un jeune garçon, un jour pareil! Une nouvelle fois, je butais sur les mêmes interrogations : où est le bien ? où est le mal ? A l'évidence, le monde comptait plus d'incertitudes que de certitudes. A côté de la religion, la guerre appartenait elle aussi à cet univers incer- tain. Bien sûr, il y avait les drapeaux, les fanfares, les bulletins de vic- toire, la joie populaire. Mais comment l'enfant que j'étais pouvait-il ne pas voir l'envers de ces spectacles ? La guerre avait frappé dans notre maison. Non seulement mes deux frères avaient été mobilisés, mais l'un avait été porté disparu sur le front d'Italie, tandis que l'autre y était blessé. Aussitôt, mon pauvre père partit dans des conditions épouvan- tables à la recherche de son fils. Cela l'amena jusqu'aux premières lignes. Il le découvrit dans un petit hôpital de campagne. Et il apprit alors que, son fils ayant été précipité dans un cratère d'obus au cours d'une canon- nade, la déflagration l'avait rendu sourd et muet. Mon père le transporta dans un hôpital de l'arrière où, à la suite de soins patients, mon frère recouvrit partiellement l'usage de l'ouïe. On imagine en tout cas quelle tristesse régnait à la maison pendant cette époque. Pour tout dire, il me fut donné de voir à Vienne exactement le contraire de ce qu'on ensei- gnait au lycée. Amère leçon, en vérité! Deux années après notre arrivée à Vienne, nous retournâmes à Novy-Targ. Ce que fut ce retour, je ne m'en souviens plus. En revanche, je sais que c'est vers cette époque que mes incertitudes religieuses se muèrent en un sentiment de révolte. Lorsque, dans le discours du Pardon, le rabbin énumérait avec précision toutes les sortes de mort qui nous guet- taient, je suivais sur les visages des fidèles l'effet qu'y faisaient ses paroles. A la fin, les traits de tous étaient déformés par la peur. Cela me paraissait monstrueux, et je n'acceptais plus cette soumission entretenue par le rituel et qui n'avait d'autre raison que de faire oublier à ces pauvres gens leur misère. A défaut de nourrir le peuple, on le bourrait d'opium. Cette vérité, je ne l'avais pas lue dans Marx dont j'ignorais jusqu'au nom, mais la campagne polonaise était un bon livre pour qui voulait apprendre. En 1917, à l'âge de quarante-sept ans, mon père, prématurément usé, mourut, terrassé par une crise cardiaque. Selon la tradition juive, pen- dant sept jours, le monde s'arrêta. Dans la maison, les volets furent tirés, les miroirs voilés, et nous restâmes une semaine dans la pénombre, assis sur des chaises basses. Une foule nombreuse vint à l'enterrement; au cimetière, le rabbin, dans son homélie funèbre, accepta cette volonté de Dieu « plein de bonté ». Une nouvelle fois, cette soumission à la fata- lité m'apparut comme une intolérable injustice. C'en était fini avec la religion. Je me détachai de ce Dieu aveugle pour m'attacher aux êtres que je découvrais dans le malheur, bons et fraternels. Perdant la foi, je commençais à croire en l'Humanité. Conscient de sa condition, résolu à la changer pour peu qu'il le voulût, l'homme, estimais-je, ne devait attendre son salut que de lui-même et ne pas s'en remettre à un hypo- thétique au-delà. Aide-toi, le ciel ne t'aidera pas : cette idée prit pour moi la force de l'évidence, et se matérialisait dans la prouesse de ce funam- bule du cirque Krone où, à Vienne, mon père nous avait conduits quel- quefois, et qui évoluait sans filet dans le vide. Ainsi m'apparut la vie au moment où je quittais l'enfance : un péril- leux exercice d'équilibre, un risque permanent.

Je parvenais à l'âge d'homme au moment où le monde émergeait de plusieurs années de barbarie. Dans la nouvelle Pologne reconstruite après la guerre, les minorités nationales, autrefois sous domination alle- mande, autrichienne ou russe, représentaient un tiers de la population. Rien n'était prêt pour l'assimilation des trois millions de Juifs polonais : les conditions étaient requises pour que réapparaisse l'antisémitisme. Plusieurs partis politiques s'étaient ouvertement déclarés antisémites, et leur influence se faisait sentir au gouvernement. Aux cris de : « Les Juifs en Palestine! », on institua le numerus clausus à l'université. Le gouvernement promulgua des décrets qui interdisaient aux Juifs l'accès à l'administration. Des commerces et des coopératives furent créés pour concurrencer les boutiques juives, et une campagne fut lancée pour encourager à « acheter polonais ». Convaincu que le judaïsme ne se définissait pas seulement par la réfé- rence à une religion, et qu'il vivait et se perpétuait dans une minorité nationale qùi, non contente d'avoir été forgée par des siècles de persé- cutions et de souffrances, possédait sa langue, sa culture et ses traditions, j'adhérai à un mouvement de jeunesse juif, l'Hachomer Hatzaïr. D'inspi- ration sioniste, l'Hachomer Hatzaïr, créé pendant la guerre à Vienne par un petit groupe de jeunes intellectuels juifs, avait rapidement essaimé dans toute l'Europe orientale. L'organisation se proposait de trouver en Palestine la solution définitive au devenir du peuple juif : le 2 novembre 1917, la déclaration Balfour n'avait-elle pas annoncé que les Anglais étaient résolus à créer un foyer national juif en Palestine? L'Hachomer Hatzaïr avait l'ambition de former des hommes nou- veaux qui, rompant avec le mode de vie petit-bourgeois, établiraient entre eux des rapports fraternels. L'influence marxiste était grande dans notre organisation où la Révolution d'Octobre exerçait une forte attraction. Le 22 juillet igi8 se tint à Tarnova, en Galicie, le premier congrès. A l'ordre du jour, l'interrogation fondamentale : comment résoudre la question nationale juive? Trois tendances s'affrontèrent. Pour les représentants de la première, il fallait entrer dans le parti communiste polonais, parce que seule la Révolution sociale, s'inspirant de l'exemple bolchevique, apporterait une solution aux problèmes des minorités nationales. La deuxième préconisait le départ pour la Pales- tine et la création d'un État libéré du capitalisme; les militants seraient tenus de quitter les universités et les usines pour retourner à la terre et instaurer un nouveau mode de vie égalitaire. Le troisième groupe, enfin, auquel j'appartenais, considérait que, tout en maintenant notre appar- tenance à l'Hachomer Hatzaïr, nous devions coopérer avec le mouve- ment communiste. Aucune décision ne sortit de ce congrès, si ce n'est que je devins dirigeant de l'organisation pour la ville de Novy-Targ. Lors de la deuxième assemblée, qui eut lieu à Lvov en 1920, je fus élu à la direction nationale. Cette même année, à seize ans, je quittai le lycée pour travailler chez un horloger comme apprenti. Le plus gros de mon travail consistait à remonter chaque jour l'horloge de l'église, et je ne montrais aucune disposition particulière pour ce métier. En 1921, il se passa un événement important : ma famille quitta Novy- Targ pour aller s'installer à Dombrova, en Silésie. Il faut savoir que cette région était fortement industrialisée; elle était toute noire de la poussière du charbon. Les conditions de vie des ouvriers étaient atroces. C'est là, vraiment, que s'affirma peu à peu en moi la conscience d'appartenir à la classe ouvrière. Après la question nationale, je découvris la lutte des classes. Je dirigeais l'organisation de l'Hachomer Hatzaïr mais en même temps je militais clandestinement avec les jeunesses communistes. C'est à cette époque que je choisis pour mon travail poli- tique le pseudonyme de « Domb », tiré des quatre premières lettres de Dombrova, que je conserverai pendant toute ma vie de militant. Ma famille crevait littéralement de faim et je ne parvenais pas à trouver un emploi stable. Je fus embauché successivement dans une usine métallurgique, puis dans une fabrique de savon. C'est pour gagner quelque argent que je fis mon premier travail illégal. Par le jeu des impôts locaux, l'alcool coûtait moins cher à Dombrova qu'à Cracovie. Le trafic d'une ville à l'autre se révélait donc fructueux. Comme la police effectuait des contrôles fréquents, j'avais, pour y échapper, confectionné une ceinture spéciale où je glissais des bouteilles de forme plate. Sous ma chemise, leur présence était insoupçonnable. Profitant de mes voyages à Cracovie, j'allais, chaque fois que je le pouvais, suivre des cours à l'université. Ma curiosité intellectuelle diverse et insatiable s'attachait alors aux sciences de l'homme : psychologie et sociologie. Avec avidité, je lisais Freud pour tenter de comprendre les impulsions secrètes qui nous animent. Dans nos discussions avec mes amis de l'Hachomer Hatzaïr nous ambitionnions de créer un homme nouveau, débarrassé des préjugés et des aliénations. Dans cette recherche, la psychanalyse me semblait être d'un grand secours. Je ne négligeais pas pour autant la vie politique à laquelle je partici- pais chaque jour davantage. Réunions, manifestations, rédaction et diffu- sion des tracts occupaient la plus grande partie de mon temps. C'est que le mouvement ouvrier, en plein essor, menait de grandes luttes. En 1923, les travailleurs de Cracovie s'insurgèrent contre la misère, décrétèrent la grève générale et occupèrent la ville. Le gouvernement leur envoya les lanciers. Des affrontements sanglants se prolongèrent pendant plu- sieurs jours. Participant activement au mouvement, je fis pour la pre- mière fois connaissance avec la violence policière. Désormais sur la « liste noire », je n'avais plus aucune chance de trouver du travail. Il me fallait choisir : ou « plonger » dans la clandestinité, ou partir pour la Palestine dans l'espoir de bâtir, là-bas, une société socialiste où le « problème juif » ne se poserait plus. 3.

Palestine

En avril 1924, avec un groupe d'une quinzaine de compagnons, âgés comme moi d'une vingtaine d'années, je partis pour la Palestine, muni d'un passeport régulier. Nous n'avions pas le sou et nous portions notre maigre bagage dans des baluchons jetés sur nos épaules. La première étape fut Vienne. Je me souvins alors avec émotion du séjour que j'y avais fait avec mon père. C'était loin déjà! Logés gratuitement dans une ancienne caserne, nous courûmes d'un bout de la ville à l'autre, visitant monuments et musées, avec la frénésie de provinciaux découvrant la ville. Une organisation d'aide aux émigrés nous remit la somme nécessaire à la poursuite du voyage et, après huit jours passés dans la capitale autrichienne, nous reprîmes le train pour Trieste, puis Brindisi, où nous embarquâmes sur un vieux cargo turc qui mit dix jours à rallier Beyrouth. Notre bateau accosta à côté d'un navire qui recevait son chargement de charbon. Par centaines, des Arabes, torse nu, noirs de poussière, avan- çaient lentement à la file, grimpaient sur le pont, ployés sous le poids des sacs. Ce mouvement, lent, méthodique, fourmillant, semblait surgir de l'Histoire. C'est ainsi que dans mon imagination, je me représentais la construction des pyramides en Égypte... « Combien les paye-t-on pour ce travail d'esclaves? demandai-je à un marin. — Vous savez, monsieur, me répondit-il, vous entrez dans un monde différent de celui que vous avez connu. Ici les gens remplacent les bêtes. Ce qu'ils gagnent ? Vous verrez, ils le mangeront tout à l'heure à midi! » Quelques instants plus tard, un coup de sifflet retentit. La file s'arrêta et se disloqua. Par petits groupes, les hommes se rassemblèrent et, assis sur leurs talons, avalèrent rapidement un morceau de pain et des toma- tes. En Pologne, j'avais connu la pauvreté. Au premier contact avec le Proche-Orient, je découvrais la misère. Notre bateau repartit, et nous débarquâmes enfin à Jaffa. Descendu de la passerelle, je restais immobile sur le quai, contem- plant le spectacle de ce port écrasé de soleil, saisissant pour un jeune Européen habitué au ciel bas et gris. La lumière crue, éblouissante, me contraignait à plisser les yeux. J'observais entre mes paupières à demi fermées l'extrême agitation de la foule qui semblait mue par quelque mouvement tourbillonnant, irrationnel et délirant. Les hommes, drapés dans leurs vastes djellabas multicolores, la tête coiffée d'une kheffia, se bousculaient, affairés, rapides, nerveux, s'inter- pellaient avec une telle violence qu'ils donnaient l'impression de se quereller. Le quartier semblait n'être qu'une gigantesque empoi- gnade. « Ils sont de la même famille que nous, glissai-je à l'ami qui se trouvait près de moi. — Pourquoi? — Ils parlent eux aussi avec les mains! » Nous nous enfonçâmes dans la ville et là notre dépaysement fut total : ruelles tortueuses, échoppes bruissantes d'une population bigarrée, mais en majorité arabe, femmes voilées marchant le regard baissé, bruit inces- sant, cris stridents, odeurs fortes des fruits que le soleil accablant ache- vait de mûrir, chaleur étouffante, insupportable pour les jeunes « nor- diques » au visage pâle que nous étions... Je fus séduit immédiatement par cette vie aux multiples facettes. Tel-Aviv fut notre seconde étape. Ce n'était encore qu'une modeste bourgade. La Maison des Immigrés — où il était prévu que nous reste- rions pendant quelques jours — s'élevait à l'écart; la nuit, les hurlements des chacals qui rôdaient me réveillaient en sursaut. Il me restait encore beaucoup à découvrir : la « gastronomie » ne fut pas la moindre des surprises qui m'attendaient. Une surprise doublée d'un régal : les fruits étranges que je goûtais pour la première fois (olives, figues, fruit du cactus qu'un Arabe m'apprit à ouvrir sans me piquer), me changèrent de la pomme de terre et du chou qui consti- tuaient l'essentiel des menus en Pologne. Nous devions trouver du travail sans tarder, l'organisation qui en était chargée pour les immigrés nous proposa d'aller dans le petit village d'Hedera où quelques Juifs riches possédaient des plantations d'orangers. A cette époque, les immigrants de fraîche date étaient affectés en priorité aux gros travaux de voirie et de terrassement, et c'est avec joie que nous accueillîmes la perspective de commencer aussitôt la culture des arbres fruitiers. A notre arrivée à Hedera, la vue de la magnifique demeure qui s'élevait au milieu du domaine accentua notre enthousiasme juvénile. Et prématuré. Le patron nous conduisit au bord d'une vaste zone marécageuse : « Choisissez un emplacement pour dresser vos tentes », nous dit-il et, balayant d'un mouvement du bras les marais insalubres qui s'étendaient devant nous, il ajouta : « Il va falloir assécher tout cela! » Nous disposions de quatre tentes; l'une servait de cuisine-salle à manger, nous vivions dans les autres. On nous fit cadeau d'un âne pour aller chercher l'eau potable à un puits distant de plusieurs kilomètres. L'animal ne voulut rien entendre. Nous avions beau nous acharner, supplier, pousser, il refusait obstinément d'avancer d'un seul sabot... jusqu'au moment où un Arabe, amusé du spectacle, tira d'un coup sec la queue de la bête qui détala. Dire que le travail, les pieds dans la vase, de l'aurore au crépuscule, était une partie de plaisir, serait exagéré. La nuit, dévorés par des milliers de moustiques, nous n'arrivions pas à trouver le repos. Chaque jour, la malaria terrassait trois ou quatre d'entre nous. Mais ni les étendues déser- tiques, ni l'aridité du climat, ni l'insalubrité ne nous décourageaient. Notre jeunesse et notre enthousiasme effaçaient tout; nous étions venus dans un pays à bâtir. Nous étions prêts à retrousser nos manches. Le soir, le travail fini, fourbus mais heureux, nous nous réunissions pour discuter de cette forme de vie que nous avions choisie et que nous aimions. Dans cette communauté collectiviste où régnait un égalita- risme absolu, nous étions persuadés que se dégageait, loin des contraintes du mode de vie bourgeois, une nouvelle éthique, fraternelle, ferment d'une société plus juste. Nos préoccupations étaient surtout morales, idéalistes et curieusement détachées des questions sociales. Celles-ci, pourtant, apparurent très vite. J'avais remarqué que les riches propriétaires juifs, qui vivaient très confortablement, n'em- ployaient sur leurs plantations que des ouvriers agricoles arabes, atroce- ment exploités. Un soir, à la veillée, j'en parlai à mes amis : « Pourquoi nos " patrons " qui se disent bons sionistes n'utilisent-ils que la main-d'œuvre arabe? — Parce qu'ils la payent moins : — Et pourquoi ? — C'est simple. La Histadrout 1 n'accepte dans. ses rangs que les Juifs et elle oblige les patrons à verser un salaire minimal. Ceux-ci pré- fèrent recourir aux Arabes qui ne sont défendus par aucun syndicat. » Cette découverte troubla, profondément mon tranquille idéalisme. Jeune émigrant, j'étais venu en Palestine construire un monde nouveau et je m'apercevais que la bourgeoisie sioniste, imbue de ses privilèges, voulait perpétuer des rapports sociaux que nous désirions abolir. Sous le couvert de l'unité nationale juive, je retrouvais la lutte des classes. Quelques mois après mon arrivée, à la fin de 1924, j'entrepris de faire le tour du pays à pied. A cette date vivaient en Palestine un demi-million d'Arabes et environ cent cinquante mille Juifs. Je visitai Jérusalem, Haïfa, déjà industrialisée, et parcourus l'Emek-Israël, la Galilée, où dans plusieurs kibboutzim travaillaient mes amis de l'Hachomer Hatzaïr.

1. Confédération générale des travailleurs juifs, fondée à Haïfa en 1920. Comme moi, ils avaient émigré en Palestine pour créer une société nouvelle d'où serait bannie l'injustice. Ils croyaient acquérir, par le retour à la nature et le travail de la terre, les valeurs de courage, d'abnégation et de dévouement à la communauté. Un certain nombre commençaient à perdre leurs illusions sur la possibilité de jeter les bases du socialisme dans un pays sous mandat britannique. Il suffisait, pour s'en convaincre, de regarder les solides gaillards de la gendarmerie anglaise qui déambu- laient en nombre respectable dans les rues. Il était vain, illusoire et même dangereux de vouloir construire des îlots de socialisme dans cette région du monde où veillait, toutes griffes sorties, le lion britannique. « Notre action n'a de sens qu'intégrée à la lutte anti-impérialiste », me dit un camarade au cours d'une de nos longues conversations. « Tant que les Anglais seront ici, nous ne pourrons rien faire. — Mais dans cette lutte, lui rétorquai-je, nous avons besoin du soutien des Arabes! — Justement, nous ne réglerons la question nationale que par la révolution sociale. — Mais l'aboutissement logique de ton raisonnement est l'adhésion au parti communiste. — En effet, je viens d'y entrer! » Presque tous nos amis firent comme lui, et moi-même, au début de 1925, j'adhérai au parti. Depuis 1917, je vivais le regard tourné vers cette immense lueur à l'Est qui m'éblouissait. La Révolution d'Octobre, bouleversant le cours de l'Histoire, avait inauguré une ère nouvelle : celle de la Révolution mon- diale. Bolchevique de cœur depuis longtemps, j'avais été retenu d'adhérer au parti à cause de la question juive. Convaincu désormais que seul le socialisme libérerait les Juifs de leur oppression millénaire, je me jetai dans la bataille. De ces grands bouleversements que je jugeais imminents naîtrait cette société nouvelle, égalitaire et fraternelle que je souhaitais. Je devais aider à cet accouchement, difficile, mais exaltant. J'abandonnai la morale idéaliste et naïve pour entrer de plain-pied dans l'Histoire. Qu'était la liberté individuelle si nous ne changions pas le monde? Le parti communiste palestinien, créé en 1920 par Joseph Berger, avait été officiellement reconnu par le Comité exécutif de l'Internationale communiste en 1924. La plupart des membres du nouveau parti avaient évolué du sionisme au communisme. Un de ses dirigeants les plus réputés, • David Averbuch, fut pendant longtemps leader du parti Paulen-Zion de gauche 1. Dès 1922, au deuxième congrès de la Histadrout, il défen- dait les thèses communistes devant Ben Gourion. Très bon orateur, il démontra l'absurdité de vouloir créer une société sans classes eri préservant les lois du marché capitaliste. Son discours, d'une logique implacable, impressionna le congrès, mais ne convainquit qu'une partie

I. Parti sioniste de gauche, dont l'adhésion avait été refusée par la Troisième Inter- nationale, car il préconisait la création à long terme d'un État juif. des délégués que le sionisme menait nécessairement à l'impasse. Pour ma part, je ne croyais pas, à cette époque, qu'il fût soit possible, soit souhai- table de créer un État juif. Je ne voyais pas pourquoi les cinq millions de Juifs américains, les trois millions de Juifs d'Union soviétique et les millions de Juifs répartis à travers le monde, quitteraient leurs pays pour émigrer en Palestine à la recherche d'une patrie hypothétique. En ce temps-là, je pensais qu'il importait à chaque Juif de se déterminer lui-même. Ceux qui ont cons- cience d'appartenir au peuple juif, estimais-je, doivent jouir dans chaque pays des droits d'une minorité nationale. Il est injustifiable de dresser des barrières devant ceux qui désirent aller en Palestine. Enfin, pour- quoi les Juifs qui souhaitent s'assimiler totalement (cette solution me semblait accessible uniquement à une partie de l'intelligentsia et à la bourgeoisie aisée), pourquoi ces Juifs ne le feraient-ils pas? J'étais par contre convaincu que les traditions culturelles se perpétueraient encore pendant longtemps, et que si on les laissait s'épanouir, elles enrichiraient le patrimoine collectif de l'humanité. Dès sa naissance, le parti communiste fut confronté à cette question : comment arracher la masse des travailleurs à l'idéologie sioniste ? J'étais, quant à moi, favorable à l'adoption d'un programme minimum de reven- dications immédiates qui seraient susceptibles, par leur réalisme, de toucher les ouvriers juifs. Le parti rencontra bientôt une autre difficulté de taille : les Anglais n'étaient pas disposés à laisser se développer un parti communiste. Les organisations sionistes et les réactionnaires arabes de leur côté aidaient la police à nous pourchasser. Nous étions quelques centaines de militants, quelques milliers avec les sympathisants, dévoués, généreux, ne redoutant ni la clandestinité ni les privations. De toutes parts, nous nous heurtions tous à l'opposition, à l'hostilité. C'est à ce moment-là que la minorité communiste de la Histadrout, la « fraction ouvrière », fut exclue du syndicat et se rattacha au Profintern 1. Le parti essayait de gagner la population arabe mais ses efforts n'entamaient pas l'influence du Grand Mufti de Jérusalem qui était soutenu par les Anglais. Je proposai aux dirigeants du parti, Averbuch, Berger, Birman, la création d'un mouvement, l'Ichud (l'Unité), Itachat en arabe, qui ras- semblerait Juifs et Arabes. Son programme était élémentaire : 1. Lutter pour l'ouverture de la Histadrout aux travailleurs arabes, et créer une Internationale syndicale unie. 2. Promouvoir des terrains de rencontre entre les Juifs et les Arabes, notamment par des manifestations culturelles. Tout de suite, l'Ichud connut un grand succès. A la fin de 1925, des clubs existaient à Jérusalem, Haïfa, Tel-Aviv et jusque dans les villages agricoles où travaillaient côte à côte des ouvriers arabes et juifs. Les réunions, dont l'entrée était libre, se multiplièrent. L'influence que

1. Profintern : Internationale syndicale rouge. commençait à prendre le mouvement dans les kibboutzim inquiétait les dirigeants de la Histadrout qui n'arrivaient pas à comprendre comment Juifs et Arabes pouvaient lutter ensemble. A la fin de 1926 se tint la première conférence générale du mouvement à laquelle assistaient plus de cent délégués, dont quarante Arabes. Au soir de la première journée, les congressistes furent étonnés de voir arriver Ben Gourion, le dirigeant national de la Histadrout, et Chartok qui était le spécialiste des questions arabes : ils contemplèrent le spectacle de Juifs et d'Arabes assis dans la même salle. Notre situation matérielle était précaire. Trouver du travail lorsqu'on était suspect de communisme n'était pas chose aisée... Durant toute l'année 1925, nous habitâmes à dix dans une baraque de Tel-Aviv, neuf garçons et une fille, à qui nous avions aménagé un coin spécial. Ceux d'entre nous qui travaillaient versaient leur salaire dans la caisse commune, mais le montant ne suffisait pas pour assurer la subsistance de tous. Nous vivions pour la révolution et de quelques tomates. Parfois, nous nous attablions dans de petits restaurants yéménites et, pour obtenir du crédit, nous revêtions nos habits de travail, preuve « irréfutable » que nous n'étions pas au chômage. Nous avions eu du mal à nous accoutumer aux conditions climatiques nouvelles, aux changements brusques de température, à la chaleur étouffante de l'été à laquelle succédait le froid vif de l'hiver. Je me sou- viens de la manière dont un de mes amis, originaire de Cracovie 1 avait résolu la question de son chauffage pendant la saison froide... Il m'apprit qu'il avait trouvé un emploi, ce qui pour un maçon de profession, mais chômeur forcé, était en soi un exploit, puis me convia à venir le voir « chez lui »... une modeste baraque... « Regarde comme je me suis arrangé pour ne pas souffrir du froid, me dit-il, je couche sur une table et j'en mets une autre sur moi : c'est la meilleure des couvertures ! » Au petit groupe que nous formions, Sophie Poznanska, Hillel Katz et moi, étaient venus se joindre Léo Grossvogel et Schreiber (nous les retrou- verons tous dans les années de la guerre et de l'occupation). Le plus souvent, nous nous réunissions chez les Katz qui logeaient dans un galetas de planches mal assemblées. Sous la direction d'Hillel, qui était un maçon confirmé, nous décidâmes de construire à sa place une maison en dur. Nous fûmes très fiers d'avoir édifié de nos propres mains une petite habitation décente et neuve qui devint notre foyer commun. En 1926, je louai enfin à Tel-Aviv une chambre, au-dessus du local de l'Ichud, pour mieux me consacrer à la direction du mouvement. C'est là que, d'une façon tout à fait imprévisible, j'allais connaître celle qui allait devenir ma compagne : Luba Brojdé. Une nuit, j'entendis du bruit dans le local. Je descendis voir ce qui se

1. Stokstil. Il participa à la guerre d'Espagne où il fut blessé. Pendant l'occupation, vivant en France, il entra dans la Résistance et fut fusillé à Toulouse en 1943. passait, pensant me trouver nez à nez avec un voleur ou quelque policier en mal de curiosité... Une belle jeune fille était installée et lisait 1 journaux. Je lui demandai : « Mais comment êtes-vous entrée? — Par la fenêtre, et ce n'est pas la première fois. Le soir, voyez-vous, lorsque je viens aux réunions, vos discussions font un tel vacarme que je ne peux pas lire tranquillement... » Luba venait de Lvov, en Pologne, où elle travaillait en usine et mili- tait dans les jeunesses communistes. Un provocateur, qui avait dénoncé un grand nombre de militants à la police fut démasqué, et la direction du parti décida de le faire abattre. Un jeune communiste juif, Naftali Botwin, organisa le groupe dont Luba faisait partie, qui serait chargé de l'opération. Luba en faisait partie. Le revolver fut caché chez elle. Le délateur fut abattu, mais Botwin fut arrêté et fusillé et ceux qui avaient participé à l'affaire, traqués par les policiers. Luba dut quitter la Pologne. Elle gagna la Palestine, où elle travailla d'abord dans un kibboutz, avant d'être employée comme peintre en bâtiment à Jérusalem. Elle avait rejoint le mouvement Ichud et la Fraction ouvrière, se dévouant également pour le Mopr (organisation d'assistance aux prisonniers poli- tiques), mais se refusa d'entrer au parti communiste palestinien auquel elle reprochait de ne pas comprendre la nécessité historique de créer un État juif. Les autorités anglaises s'inquiétèrent des activités de l'Ichud; les réunions du mouvement furent interdites par décret. Le secrétaire de la Fraction ouvrière fut arrêté. Je le remplaçai. En 1927, la police juive contrôlée par les Anglais fit une descente au cours d'une de ses réunions à Tel-Aviv. Je fus arrêté et emprisonné pendant plusieurs mois à Jaffa. Pour la première fois, dans cette geôle, je me rendis compte que les barreaux de prison ne sont pas toujours infranchissables. Ainsi je m'arrangeai pour qu'une camarade très dévouée à notre cause, Anna Kleiman 1 fût engagée comme femme de ménage au service du commis- saire de la police juive qui avait procédé aux arrestations. Elle visita régulièrement les poches de son nouveau patron, découvrit la liste de nos camarades suspects, et les avertit avant leur arrestation. Le commis- saire ne fut pas oublié... Plus tard, il eut une jambe brisée au cours d'une manifestation. Luba paya également son dévouement à notre organisation : en 1926- 1927, elle fut arrêtée deux fois, à Haïfa et à Jérusalem. Le parti communiste me désigna comme secrétaire de la section de Haïfa, l' une des plus puissantes de Palestine; nous étions bien implantés dans les usines et chez les cheminots. J'étais de ce fait devenu un per- manent du parti. Je luttais avec l'énergie des néophytes, j'étais poussé en avant par la force de mon idéal. Vivant déjà dans l'ombre de la

1. Combattante de la Résistance en France, arrêtée, elle fut déportée et assassinée à Auschwitz. vie clandestine, je ne pouvais sortir que le soir et me déplaçais en usant de mille précautions pour échapper à la police qui nous donnait la chasse. Bon orateur, j'apparaissais ici et là, haranguant les travail- leurs. J'organisais le travail politique, rédigeais tracts et proclama- tions, présidais les réunions que nous tenions malgré les interdictions. C'est pendant l'une de ces réunions que, dans les derniers jours de 1928, je fus arrêté — une nouvelle fois — avec vingt-trois camarades et incarcéré à la prison d'Haïfa. Nous avions eu le temps de détruire tous les papiers compromettants : la police fut ainsi dans l'impossi- bilité de recueillir la preuve formelle de nos activités. Ce furent ensuite la forteresse moyenâgeuse de Saint-Jean-d'Acre, des conditions de détention très dures et jusqu'à la tenue des bagnards. Les autorités anglaises, qui ne possédaient aucune preuve de notre appartenance, refusaient de nous considérer comme des prisonniers politiques et nous imposaient le régime des droits communs. Toute la Palestine connut à l'époque l'histoire de cet ouvrier boulanger commu- niste qui décida de rester nu dans son cachot pendant plusieurs semaines pour ne pas avoir à revêtir l'uniforme des bagnards... Notre détention se prolongeait; aucun procès à l'horizon : nous étions des inclassables,, on ne savait à quelle juridiction nous vouer. Par notre liaison avec le comité central du parti, nous apprîmes que le gouverneur, Sir Herbert Samuel, était sur le point de signer un décret autorisant la dépor- tation à Chypre de toute personne suspecte d'activités pro-communistes. Nous décidâmes de faire la grève de la faim pour obtenir notre libéra- tion ou passer en jugement. A partir du cinquième jour, nous refusâmes toute boisson. Notre opiniâtreté eut raison de l'iniquité : la nouvelle de notre grève se répandit dans toute la Palestine; plusieurs députés travaillistes du Parlement anglais interpellèrent le gouvernement sur sa politique palestinienne et en dénoncèrent les excès. Au treizième jour, nous fûmes avertis que notre procès allait s'ouvrir. Je fus désigné pour parler au nom de mes vingt-trois camarades. Le premier jour du procès, plusieurs d'entre nous étaient tellement épuisés qu'ils furent transportés sur des civières; mais il ne devait pas y avoir d'autres jours... A peine l'audience avait-elle été ouverte que le juge, flanqué de ses deux assesseurs, se leva et déclara sur un ton qu'il voulait ironique : « Vous croyez vraiment inquiéter le lion britannique, eh bien, vous vous trompez! Le procès n'aura pas lieu! Vous êtes libres! » D'un geste, il donna ordre aux policiers de nous expulser de la salle : nous avions gagné! De graves difficultés s'annoncèrent en 1928 : la Palestine ressentait les effets de la crise économique génératrice de chômage. De nombreux ouvriers juifs furent touchés — un tiers environ — et quittèrent massive- ment le pays. On dénombra cette année-là cinq mille départs pour deux mille sept cents arrivées. Et puis, en 1929, des émeutes antijuives éclatèrent, accompagnées de lynchages. Ces émeutes furent l'occasion d'un malentendu dramatique entre le parti communiste palestinien et le Komintern. Pour le Komintern, en effet, ces pogroms marquaient le début du soulèvement du prolétariat arabe, soulèvement qu'il fallait absolument exploiter. Le parti communiste palestinien recevait des ins- tructions pour prôner la révolte anti-impérialiste dans les villages arabes. En invoquant l'argument que le parti communiste palestinien n'avait pas su s'implanter dans les masses autochtones, le Komintern lançait le mot d'ordre d' « arabisation et de bolchevisation », comme si la substitu- tion automatique d'Arabes aux Juifs dans les organismes responsables assurerait une plus grande implantation dans la population musulmane ! Cette analyse rencontra dans le parti palestinien une vive opposition; un groupe de militants jugeait la décision du Komintern aventuriste. Je me rangeais à cette opinion... Un de nos militants fut lynché près d'Haïfa en essayant d'appliquer les consignes à la lettre, et il fallut prendre des dispositions extraordinaires... pour protéger le Tchèque Smeral, délégué du Komintern, qui vivait clandestinement près de Jérusalem ! Cette politique absurde eut pour conséquence d'entamer l'influence du parti chez les ouvriers juifs. De son côté, le parti communiste pales- tinien lui-même apporta une caution désastreuse aux mesures sovié- tiques pour résoudre la « question juive » en U.R.S.S. Comment la situation avait-elle évolué? Après la Révolution d'Octobre, il avait été envisagé que la vie natio- nale des Juifs d'Union soviétique s'épanouirait dans les régions où ils avaient une forte implantation : Crimée, et Biélorussie, mais en 1927 la direction stalinienne créa de toutes pièces une région autonome juive dans le Birobidjan, aux frontières de la Mandchourie. Cette déci- sion bureaucratique instaurait artificiellement un État dans une contrée sibérienne au climat très rude où n'existait pas la moindre trace de com- munauté juive. C'est ainsi que plusieurs milliers d'hommes et de femmes durent quitter leurs régions d'Ukraine ou de Crimée, où ils jouissaient des droits d'une minorité nationale. Le parti palestinien fut invité, au même titre que ceux des autres pays, à s'emparer de cet exemple pour montrer la justesse de la politique communiste à l'égard des minorités, et à encourager les départs pour le Birobidjan. Cinq cents membres de la Gdoud Avoda (brigade du travail) s'y rendirent pour fonder une commu- nauté, Voix nouvelle. Très peu survécurent aux purges staliniennes. Quant aux dirigeants palestiniens, ils furent très mal récompensés de leur fidélité. On estima à Moscou qu'ils avaient besoin d'être « réé- duqués ». Les membres du comité central prirent le chemin de l'Union soviétique pour étudier à l'université Kutv (université communiste de l'Orient). Il faut supposer que leur « rééducation » ne donna pas les résultats escomptés puisque, à partir de 1935, ils furent tous arrêtés. Pour moi, en Palestine, le combat continuait. J'étais constamment pourchassé par la police. Ni Tel-Aviv ni Jérusalem n'étaient des endroits sûrs, la vie clandestine dans un si petit pays n'était plus possible pour les militants les plus connus. Expulsé par décision du gouverneur anglais, 1 je m'embarquai pour la France avec un maigre bagage mais deux docu- ments qui avaient pour moi la valeur de l'or : une recommandation du comité central du parti communiste palestinien, qui avait approuvé mon départ, et un visa de transit. 4.

La France

A la fin de 1929, je débarquai à . La traversée avait duré près d'une semaine. Allongé sur le pont d'un cargo poussif, la tête sur un cordage, j'avais eu le temps de méditer. Agé d'à peine un quart de siècle, je connaissais l'exil pour la deuxième fois. Ce n'était pas pour me déplaire. Aux révolutionnaires bien nés, la répression n'attend pas le nombre des années! Le déracinement ne coûte que si l'on est enraciné, et les cailloux de Palestine ne constituaient pas le terrain le plus fertile pour cultiver son jardin. Lorsque je vis apparaître à l'horizon la côte française, la joie de réali- ser enfin un vieux rêve emporta les derniers regrets. La France! On imagine difficilement quelle charge émotionnelle représentait ce mot pour le jeune apatride que j'étais. Dans les années 20, un émigré de l'Est de l'Europe s'expatriait habituellement pour tenter de devenir l'oncle d'Amérique de ceux qui étaient restés là-bas, du côté de Varso- vie ou de Bucarest. Le petit cireur de Broadway devenu businessman a encouragé bien des vocations... Mais pour un jeune communiste qui a vingt-cinq ans en 1930, chassé de son pays natal par la vindicte poli- cière, propulsé par la force des choses et les aléas de la lutte des classes, commis-voyageur de la révolution, le doute n'est pas permis. Son regard se tourne vers la place Rouge ou vers la place de la Bastille. Entrer en Union soviétique, où l'espoir millénaire se mue en réalité par le travail des hommes, se mérite. Il faut avoir fait ses preuves. Or le jeune Domb n'en est qu'à ses premiers pas sur ces chemins difficiles où on progresse à force de ténacité, de patience et d'abnégation. La France, pour les émigrés politiques, rime presque avec révolution. Dans le pays où les communards sont montés à l'assaut du ciel et les « soldats du XVIIe » ont fraternisé avec les vignerons en colère, le drapeau de la révolte a toujours claqué haut. Il se voit de loin et a de tout temps rallié ceux que la persécution avait proscrits. Certes, la France de la Ille République, terre d'élection pour les révolutionnaires en quête de patrie de rechange, n'était pas vraiment une terre d'asile; la police, comme il est naturel dans un état démocratique, se montrait tatillonne et, en matière de travail, la République des notables offrait généreuse- ment les tâches les plus pénibles aux étrangers. Mais la légalité, pour qui sait s'en jouer, a toujours eu dans ce pays des limites indécises que l'on pouvait aisément transgresser. Plus concrètement, un communiste sait qu'en France il pourra compter sur ses camarades du parti. Un Juif n'ignore pas que dans les organisations populaires de la communauté juive, il retrouvera des amis. J'essaierai donc d'être militant communiste dans le milieu des ouvriers juifs où je savais que le parti se développait et avait besoin de cadres. Suprême argument : j'avais un visa de transit qui m'ouvrait les portes de la France. Maintenant, il s'agissait d'y rester. N'ayant pas suffisamment d'argent pour continuer mon voyage, je passai deux semaines à Marseille. L'air de la Canebière n'était pas désagréable mais j'étais enfermé toute la journée dans les cuisines d'un petit restaurant où j'avais trouvé à m'employer. J'étais nourri et je pus garder mon salaire pour m'acheter un costume. Ce détail, aujourd'hui, peut paraître ridicule! A vingt-cinq ans, je n'avais encore jamais endossé un complet-veston. En Palestine, le short et la chemisette constituaient toute notre garde- robe. Pas un instant, je n'envisageai d'entrer à Paris mal fagoté. Habillé de neuf, je ne cessais de contempler l'homme nouveau que j'apercevais dans la glace et me rappelais les préparatifs vestimentaires des Juifs de Novy-Targ avant leur départ pour les États-Unis. C'est avec quelque fierté qu'en descendant du train je foulai le pavé de Paris. Je tenais même à la main une petite valise ; elle était à moitié vide, mais qu'importait! Je savais où aller. Mon ami d'enfance, Alter Strom, avait quitté la Palestine, un an avant moi, pour s'installer dans la capitale. Spécialiste de la pose des parquets, il avait trouvé du travail facilement. L'adresse qu'il m'avait donnée : Hôtel de France, 9 rue d'Arras, Paris-Ve, m'impressionnait. Le cinquième arrondissement, c'était le quartier Latin, le quartier des étudiants. Hôtel de France! Avec un tel nom, ce ne pouvait être qu'un palace. Alter Strom serait-il devenu un « capitaliste »? Dans une lettre ne m'avait-il pas écrit que je pourrais habiter chez lui les premiers jours? J'arrivai dans une rue, étroite et sombre. Au numéro 9, sur la façade grise d'un petit immeuble, les intempéries avaient à moitié effacé l'inscription : Hôtel de France. Je demandai la chambre de M. Strom : elle était située tout en haut, sous les toits. Je poussai la porte et découvris toute sa richesse. Un immense lit occupait presque toute la place. Dans un coin, un petit lavabo ; près de la fenêtre, une table bancale ; en guise de penderie, quel- ques clous dans la porte. Voilà pour les mobilier. Très vite, je compris le choix d'Alter Strom. L'hôtel de France était un des moins chers, et des moins surveillés par la police. La chambre d'Alter Strom était toujours ouverte pour ses amis. Le lit était si grand que nous nous couchions dans le sens de la largeur. Il n'était pas rare que nous nous y retrouvions le matin à quatre ou cinq. Ceux qui ne savaient où dormir soudoyaient le gardien de nuit en lui donnant quelques pièces, et venaient occuper les places encore vides! Un seul ennui : les punaises qui sévissaient partout. Un jour, nous achetâmes deux bouteilles de vin et rebaptisâmes l'hôtel de France qui devint hôtel de Vance (en yiddish vance signifie punaise). Je décidai de m'inscrire comme auditeur libre à l'université de Paris. Si je pouvais prouver à la préfecture que j'avais les moyens de vivre, j'obtiendrais sans peine une carte de séjour. Mes amis avaient depuis longtemps résolu ce problème : ils envoyaient dans leur ville natale la somme que la police française estimait nécessaire pour vivre un mois. Les parents ou les amis renvoyaient immédiatement ce même argent à Paris, qui resservait ensuite pour quelqu'un d'autre. Ainsi, à la préfec- ture, nous pouvions en montrant les reçus de la poste, prouver que nous recevions régulièrement des subsides de Pologne ! Quelques semaines après mon arrivée, j'obtins ma première carte de séjour de six mois. Dès le premier jour, j'avais pris contact avec le parti communiste. Depuis' la Palestine, je portais sur un morceau de tissu, caché dans une doublure, le message de recommandation du Comité central du parti palestinien. Je le remi sau camarade responsable de la main-d'œuvre étrangère 1 qui me reçut. Nous convînmes que je com- mencerais à militer dès que j'aurais un emploi. Trouver un travail stable relevait du domaine du rêve; les travailleurs immigrés ne pouvaient espérer que des tâches subalternes et intermittentes. Dans le bâtiment, on embauchait temporairement des manœuvres. Les contremaîtres qui touchaient un pourcentage à l'embauche regardaient d'un œil plus dis- trait qu'ailleurs les cartes de travail. Pendant quelques semaines, je travaillai sur le chantier de construction de l'immeuble Hachette, puis à Pantin où je transportais des rails toute la journée, jusqu'au jour où une énorme barre de fer m'écrasa l'orteil. J'en garde encore la trace aujourd'hui. A cette époque, les grands magasins recrutaient chaque soir de la main-d'œuvre pour nettoyer le sol. Avec quelques dizaines d'étudiants, je « dansais » du soir au matin une brosse à un pied, un chiffon à l'autre, sur les parquets de la Samaritaine ou du Bon Marché. Le travail était rude mais bien payé. Avec le salaire d'une nuit, je vivais deux ou trois jours. Plus épuisante encore était la manutention dans les gares de mar- chandises. Des nuits entières, je chargeais des wagons à la gare de la Chapelle. Le matin, je me traînais jusqu'à mon lit, en me tenant les reins. Ces besognes ne constituaient pas un emploi stable. Je n'en militais pas moins sinon plus. Toutes mes activités politiques allaient être dirigées vers les milieux des Juifs immigrés où le parti communiste cherchait à étendre son influence.

i. La main-d'œuvre étrangère (M.O.E.) regroupait dans différentes sections natio- nales les communistes étrangers qui vivaient en France. Elle était dirigée par une section spéciale du comité central. S'agissant des Juifs de France — ils étaient environ deux cent mille à Paris à cette époque — il serait beaucoup plus exact de parler de « com- munautés » que d'une communauté. Sur les couches les plus anciennes (Alsaciens, Lorrains, Comtadins, Bordelais qui avaient gagné au prix de combats difficiles leur émancipation, mais qui progressivement avaient gravi les échelons de la réussite sociale), s'étaient superposées les vagues successives des immigrants récents. Ces Juifs d'Europe centrale qui avaient commencé à refluer vers l'ouest au début du xxe siècle, et parti- culièrement après les grands pogroms tsaristes, étaient essentiellement d'origine prolétarienne. Un certain nombre d'entre eux avaient déjà milité dans des partis de gauche de leurs pays d'origine. Ils avaient gardé leurs convictions. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant qu'arri- vant en France, ils continuent à militer. Les partis politiques recrutaient aisément dans ces milieux : le parti communiste, le Bund, le parti de coalition, les groupements sionistes, l'Hachomer Hatzaïr, dont j'ai déjà beaucoup parlé. En ce qui me concerne, je militais dans la section juive de la M.O.E., aux côtés de camarades que la répression avait chassés de leur pays. Nous avions chaque soir des réunions qui se terminaient fort tard. L'influence trotskyste était alors très grande chez les Juifs communistes, et nous avions reçu l'ordre de « nettoyer le milieu juif » des militants rivaux. Nos débats étaient souvent très animés. Le rôle des trotskystes chez les Juifs immigrés fut progressivement considérablement amoindri mais des petits noyaux très actifs continuèrent à se manifester. Juifs et communistes, nous participions non seulement à la vie du parti mais à la bataille politique en général. Nous étions étroitement associés aux luttes de la classe ouvrière. Il y avait toujours un risque à participer aux manifestations « dures » car, en cas d'arrestation, les immigrés qui n'étaient pas naturalisés étaient souvent expulsés de France. En tout cas, et en dépit des risques, nous assistions aux grandes démonstrations populaires telles que la célébration de l'anniversaire de la Commune et du Ier mai. En dehors des activités purement politiques, de nombreux Juifs immi- grés étaient membres d'associations culturelles. La Culture Ligua, par exemple, s'était développée sous l'égide du parti communiste. Les réunions rassemblaient chaque dimanche, salle Lancry, plusieurs cen- taines de personnes. Des dirigeants du P.C.F., Pierre Sémard, , toujours souriant, venaient régulièrement y donner des conféren- rences. Personnellement, je me rendais de temps à autre à Strasbourg et à Anvers pour y tenir des réunions publiques devant les communautés juives locales. Dans les syndicats, enfin, notre présence était très active et les mili- tants juifs étaient nombreux dans la fourrure et la confection. Lozovski, qui avait été en 1912 secrétaire du syndicat des chapeliers, était devenu l'un des dirigeants de l'Internationale syndicale rouge. Je voudrais également apporter mon témoignage sur le comportement politique des militants juifs en général et insister sur le fait qu'il se carac- térisait par une absence à peu près totale de sectarisme. Nous ressentions tous un grand besoin d'information et, contrairement au militant com- muniste traditionnel qui lisait exclusivement VHuma, nos sources étaient très éclectiques, du Populaire socialiste au très conservateur Temps, en passant par le Canard Enchaîné. J'ai gardé aujourd'hui pour le Canard mon attachement de jeunesse. Ma vie personnelle parallèlement, s'était organisée. J'avais eu la joie de retrouver Luba qui était venue me rejoindre en 1930. Recher- chée par la police anglaise, elle avait dû, pour quitter la Palestine, emprunter l'identité de sa sœur Sarah 1 et contracter un mariage blanc avec un ami qui avait la citoyenneté du pays. Ce statut donnait les mêmes droits qu'aux sujets britanniques et permettait d'obtenir un visa pour la France. Immigrés, nous allions faire connaissance une fois de plus avec la police... Quelques semaines après l'arrivée de Luba, un matin de très bonne heure, on frappa à la porte de la chambre que nous occupions à l'hôtel de « Vance ». J'ouvre à un homme dont l'aspect ne trompait pas... «Je suis envoyé par la police du quartier. Voilà un mois que votre femme est arrivée et elle n'a toujours pas fait régulariser sa situation... — Je m'excuse, répondis-je et, me penchant en avant, je lui chuchotai dans l'oreille comme si je ne voulais pas que l'on m'entende : Ce n'est pas ma femme, mais ma maîtresse! Dans quarante-huit heures, elle ne sera plus là. — Oh, dans ce cas, fit le fonctionnaire en ponctuant son propos d'un coup d'œil égrillard... » Au pays de Courteline, les histoires galantes font toujours recette, surtout dans la police. Notre situation matérielle était difficile. A l'approche de la naissance de notre premier enfant, elle devint préoccupante. Par chance, un petit entrepreneur de peinture juif, qui voulait me faire plaisir, m'embaucha. Le pinceau ne fait pas le peintre, je n'avais pas le coup de patte et restai un médiocre barbouilleur. Mon employeur, par contre, a fait depuis son chemin et est devenu un très grand patron. Ma femme faisait de la confection à domicile pour un fourreur. Deux fois par semaine, elle allait chercher d'énormes ballots de fourrures et travaillait dix à douze heures par jour. Elle militait dans les rangs du parti communiste et fut même déléguée pour la section juive à la pre- mière conférence antifasciste qui se tint en 1931 à Paris. De mon côté, j'avais été nommé représentant de la section juive de la M.O.E. auprès du comité central. Je fus invité, avec un autre camarade de la M.O.E., à me rendre au

1. Il arrive aujourd'hui encore qu'on attribue à ma femme ce nom d'emprunt de . Sarah Orsdtizer. siège du comité central pour y rencontrer Marcel Cachin. Le directeur de l' Humanité m'accueillit cordialement : « Bonjour, me dit-il, comment marche le travail chez les Juifs? » Et de poursuivre sans me laisser le temps de répondre : « Le danger nazi s'aggrave; il faut accroître la propagande dans les milieux juifs. Nous avons besoin d'un journal en langue yiddish pour la France et la Belgique. C'est pour cela que je voulais vous voir. — Très bien, mais qui financera? — Comment, m'interrompit Cachin, tu n'as pas lu Lénine? Tu ne sais pas comment on finance un journal communiste? Organisez des souscriptions parmi les ouvriers... — Nous sommes prêts à lancer une grande campagne de souscription, mais participerez-vous aux meetings que nous organiserons pour soutenir cette campagne ? — Naturellement, avec plaisir, chaque fois que je serai disponible. » Peu de temps après cet entretien, une réunion publique eut lieu à Montreuil, où vivait une forte colonie juive. La seule salle libre était celle de la synagogue. Le rabbin avait accepté de nous la prêter. Le jour venu, une foule de petits artisans et commerçants juifs emplissait la synagogue. J'avais pris place à la tribune, à côté de Cachin. Le vieux dirigeant se leva et commença son discours d'une voix forte et vigoureuse : « C'est un grand honneur pour moi, chers amis, de me trouver là, au coude à coude avec les représentants d'un peuple qui a donné au monde de grands révolutionnaires, je veux parler de Jésus-Christ, Spi- noza, Marx! » Un tonnerre d'applaudissements interrompit l'orateur. Surpris et gêné par ces paroles qui relevaient du nationalisme petit-bourgeois, je baissais la tête, n'osant trop regarder la salle. Mais Marcel Cachin continuait sur le même ton : « Vous n'ignorez pas, mes amis, que le grand-père de Karl Marx était rabbin. » Je m'en moque éperdument, pensais-je, mais l'auditoire galvanisé semblait trouver ce détail beaucoup plus décisif que la rédaction du Capital par le petit-fils dudit rabbin! Cachin termina son allocution par une nouvelle envolée lyrique que la salle acclama avec enthousiasme. La collecte pour le journal, organisée à la sortie, marcha très bien. Cachin, très heureux, me lança en partant : « Tu vois, Domb, on y arrive. Le journal sortira! » Quelques semaines plus tard paraissait le premier numéro de Der Morgen (Le Matin). Publié sur quatre pages, toutes les semaines, le journal développa rapidement sa diffusion. J'écrivais souvent des articles, parfois l'éditorial, mais l'équilibre financier resta précaire. Un membre de la rédaction proposa d'ouvrir une page à la publicité, qui jusqu'alors était bannie de la presse communiste pour des raisons morales. Fallait-il ou non ouvrir nos colonnes aux annonceurs capitalistes ? La question fut soumise au Comité central qui accepta de tenter un essai dans notre journal à condition de ne recevoir que la publicité de petits commerçants, restaurateurs et artisans. Le camarade chargé de cette page se démena tant et si bien que, par la suite, on lui proposa le même travail à VHuma- nité... Notre fils était né le 3 avril 1931. Ce jour-là, André Marty était sorti de prison et dans la soirée avait lieu, à la Grange-aux-Belles, un meeting des ouvriers juifs auquel il devait participer. Pour marquer d'une pierre blanche ce triple événement, nous décidâmes, Luba et moi, d'appeler notre fils « Anmarty »... Je sais bien qu'on pourra aujourd'hui s'en étonner, mais cette initiative, replacée dans le contexte de l'époque, montre la vénération dont étaient entourés les dirigeants communistes, des années avant que le fameux culte de la personnalité ne soit dénoncé ! Je me revois encore à la mairie du XIXe arrondissement, près du petit logement où nous nous étions installés... Je me présentai à l'employé de l'état civil pour déclarer la naissance. Lorsque j'indiquai le prénom, le bonhomme sursauta (bien qu'il fût employé dans un secteur communiste)... « Anmarty, Anmarty, cela n'existe pas! — Mais c'est pour célébrer la libération d'André Marty! — J'ai bien compris, mais si vous voulez éviter d'avoir des ennuis, à votre place je lui donnerais un autre prénom ! » Je retournai consulter Luba... En souvenir du premier quartier de Paris qui nous avait accueillis, nous décidâmes d'adopter le prénom de Michel... Luba militant tout autant que moi, le problème se posa pour nous de la garde de Michel, le soir. Nous mîmes à contribution des amis qui se relayèrent auprès de lui... « Ne nous remerciez pas, nous répondirent-ils, c'est bien naturel, et puis c'est une manière comme une autre de nous rendre utiles au parti ! » Il n'y avait qu'un inconvénient : bientôt certains camarades donnèrent la préférence à la garde de Michel... et se dispensèrent d'assister aux réunions. Cahin-caha, nous nous installions dans notre nouvelle vie, nous gagnions suffisamment pour subsister et nous militions assez pour nous occuper l'esprit... Sans doute est-ce le propre des révolutionnaires de ne pouvoir compter que sur l'instant. Le chemin des révolutions est semé d'embûches, et quiconque souhaite l'emprunter doit s'attendre à tout, même et surtout à l'inattendu! Un matin de juin 1932, je vis arriver, l'air soucieux, Alter Strom dont l'aventure allait singulièrement mettre en évidence cette vérité. Il me demanda si je n'avais pas reçu une lettre pour lui. « C'est une lettre privée? lui demandai-je. — Non, non, c'est important. » Je m'étonnai de son explication : 8. L'Orchestre joue 128 9. Fernand Pauriol 132 10. Ma double vie 136 1 I. 101, rue des Atrébates 141 12. Les erreurs du Centre 150 13. Le Sonderkommando sur nos traces 155 14. « Alors monsieur Otto... » 159 15. Le Grand Jeu 167 16. Six défaites pour Karl Giering 172 17 La série noire 176 18. Prisonnier spécial 184 19. « La vengeance est pour bientôt » 190 20. Quatre rencontres avec Juliette 193 12. L'enfer de Breendonk 200 22. Le Centre prend l'initiative 210 23. Le Sonderkommando tombe dans le piège 215 24. Le bourreau de Prague 226 25. « Le Grand Chef s'est évadé ! » 233 26. Un duel serré avec la Gestapo 246 27. Recherché par toutes les polices 256 28. Le Sonderkommando sous surveillance 263 29. Les bourreaux ont laissé leurs empreintes 269

III. LE RETOUR

1. Un singulier voyage 279 2. Loubianka 287 3. Lef ortovo 294 4. La maison des morts-vivants 305 5. Leçons d'histoire ...... 309 6. Étonnantes rencontres dans les prisons de Staline ...... 312 7. Libéré! 322 8. Retour à Varsovie 329 9. Le dernier combat ...... 336 DOCUMENTS ANNEXES

I. Listes : Condamnés à mort, décapités et fusilles 347 Date et lieu d'exécution inconnus 348 Suicidés 348 Morts en déportation 349 Survivants 349 Sort inconnu 350 Groupe allemand 351 2 a. Certificat de changement de nom de Trepper en Domb.... 352 2 b. Livret universitaire de Leopold Trepper 354 2 c. Avis de disparition 357 2 d. Certificat de réhabilitation 358 2 e. Carte de travail 360 3 a. Le dernier adieu : Fernand Pauriol 362 3 b. Le dernier adieu : Alfred Corbin 364 3 c. Le dernier adieu : Suzanne Spaak 366 3 d. Le dernier adieu : Hillel Katz 367 3 e. Le dernier adieu : Harro Schulze-Boysen et le groupe de Berlin 371 4. Henri Pippe 374 5. Interrogatoire de Reiser 378 6. Rapport de Gestapo-l\lüller à Himmler sur l'Orchestre Rouge, 24 décembre 1942 386 7. Rapport de synthèse de Gestapo-Mùller, 22 décembre 1942. 390 8 a. Témoignage d'une employée d'Anna Maximovitch 392 8 b. Témoignage du Dr Maleplate 393 9. Le Grand Jeu 394 10. Le cas Winterinck 399 11. Juliette Moussier A. Rapport de l'Abwehr 400 B. Interrogatoire de la D.S.T 405 12. Les deux premiers télégrammes reçus par Trepper après sa sortie de Pologne 407

Index ...... 409