Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande

45-2 | 2013 Images et discours de la nation Arts et identité collective dans les pays de langue allemande depuis 1945

Emmanuel Béhague (dir.)

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/allemagne/1039 DOI : 10.4000/allemagne.1039 ISSN : 2605-7913

Éditeur Société d'études allemandes

Édition imprimée Date de publication : 30 décembre 2013 ISSN : 0035-0974

Référence électronique Emmanuel Béhague (dir.), Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 45-2 | 2013, « Images et discours de la nation » [En ligne], mis en ligne le 15 mars 2019, consulté le 18 mai 2021. URL : https:// journals.openedition.org/allemagne/1039 ; DOI : https://doi.org/10.4000/allemagne.1039

Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande tome45 numéro 2 juillet-décembre 2013

Dossier ÉLIANE BEAUFILS Le jeu avec les imaginaires collectifs Images et discours dans les théâtres hors établissements de la nation en Allemagne ...... 389 BARBARA LAFOND Arts et identité collective Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse dans les pays de langue in der Schweizer bildenden Kunst des allemande depuis 1945 20. Jahrhunderts. Integrativer Tell- und Alpen-Mythos, identitätsstiftende Tell- und Introduction ...... 259 Alpen-Emblematik und ihre korrosiven Gegendiskurse ...... 403 LUCILE DREIDEMY Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik ...... 265 Varia

KERSTIN HAUSBEI THOMAS SCHULER Emblème interactif du commerce Le regard d’un Alsacien sur l’élaboration de la identitaire :« Bitte liebt Österreich » de paix. L’abbé Émile Wetterlé et la question du Christoph Schlingensief ...... 283 « Rhin français » (janvier-juin 1919) ...... 419

FRANZISKA SCHÖßLER VALENTINE HOFFBECK Nationale Mythen und avantgardistischer Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme Widerstand bei Christoph Schlingensief ...... 297 en France et en Allemagne (1919-1934) ...... 433

VALÉRIE CARRÉ MATTHIEU ARNOLD Le Braqueur de Benjamin Heisenberg La foi des « Malgré Nous » (1942-1945) ...... 449 ou l’Autriche « surmoderne » ...... 309 SYLVIE LE GRAND JACQUES POUMET Religion als Gegenkultur in der DDR? Eine Nation et arts plastiques en RDA ...... 321 Untersuchung des Umgangs mit Kirchenbau in der DDR am Beispiel Eisenhüttenstadt..... 457 ANAÏS FEYEUX Pour ne plus être le miroir de l’Allemagne. SYLVIE TOSCER-ANGOT L’émancipation de la photographie dans la La loi de neutralité berlinoise du 27 janvier seconde moitié des années cinquante ...... 339 2005 : une mise à l’épreuve du modèle national de régulation du religieux ?...... 471 MICHAEL LÜCK Memory-Effekt. Überlegungen zur SANDIE CALME künstlichen Erinnerung ...... 357 Chronique juridique – Le détachement international de travailleurs en droit URS URBAN allemand, autrichien et suisse ...... 483 Deutschland – ein Sommermärchen? Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke ...... 369 Italiques ...... 489 Le dossier « Images et discours de la nation. Arts et identité collec- tive dans les pays de langue allemande depuis 1945 » a été publié grâce au soutien du Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recher- ches sur l’Allemagne (CIERA). Le CIERA est un groupement d’intérêt public soutenu par le DAAD et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Il associe le Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contempo- raine, le Centre national de la recherche scientifique, l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, l’École normale supérieure de Lyon, l’École des hautes études en sciences sociales, la Fondation Maison des sciences de l’homme, l’Institut d’études politiques de Grenoble, l’université Cergy-Pontoise, l’université Lumière-Lyon 2, l’université Paris-Sorbonne, l’université Panthéon-Sorbonne Paris I et l’université de Strasbourg. Soucieux de faire converger des compétences issues d’une pluralité de disciplines en sciences humaines et sociales, le CIERA a pour mis- sion de structurer et de fédérer la recherche franco-allemande dans un cadre européen. En tissant des liens multiples et concrets entre formation et recherche et en concentrant son action notamment sur la « jeune recherche », il se propose de contribuer à l’émergence d’une communauté scientifique affranchie des clivages nationaux et des cloisonnements disciplinaires.

Revue publiée avec le concours du Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherche sur l’Allemagne (CIERA), de l’Université de Strasbourg (EA ARCHE et FARE, EA 1341 « Études germaniques », UMR BETA et SAGE) et de la Société des Amis des Universités de l’Académie de Strasbourg Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 259 T. 45, 2-2013

Images et discours de la nation. Arts et identité collective dans les pays de langue allemande depuis 1945 Introduction

Emmanuel Béhague*

Mise en scène du monde, concrétisation plastique, visuelle et/ou sonore de la lecture qu’opère son producteur du devenir collectif, l’œuvre d’art a fait fonction de véhicule d’un discours national ou nationaliste explicite à divers moments de l’histoire des pays de langue allemande. De manière plus fondamentale cependant, et selon des modalités qui ne sauraient être limitées à la visée des auteurs, mais sont également à chercher du côté de la réception, elle participe à la construction, à la consolidation ou au contraire à la remise en cause d’une conscience collective. Elle devient ainsi l’espace de ce que l’on appellera ici un « discours », articulé au moyen des codes propres au genre auquel elle est rattachée. La dimension normative n’est qu’une des formes que peut prendre ce discours, qui plus est dans le contexte contemporain : l’œuvre d’art n’est pas seu- lement le lieu d’une simple « définition » de la nation ; à l’inverse d’une aspiration à illustrer ou à raconter l’unité du groupe qui sous-tendait par exemple les relectures picturales et théâtrales des mythes nationaux au xixe siècle, la mimesis peut tout aussi bien être un vecteur de déconstruction d’une identité nationale dont on sait qu’elle est toujours « imaginée ». En fonction des contextes politiques et culturels dans lesquels elle s’inscrit, divers modèles de ce discours de l’œuvre d’art non plus seulement sur la « nation », mais plus largement sur l’identité, la mémoire et l’histoire collectives peu- vent être mis en évidence. L’exacerbation du discours national à travers l’art durant la période national-socialiste interdisant désormais toute expression d’une communauté à visée hégémonique, les articulations possibles entre l’œuvre d’art et les probléma- tiques identitaires se diversifient et se complexifient jusqu’à la période actuelle, dans laquelle la circulation accrue des hommes et des savoirs, l’élaboration toujours diffi-

* Maître de conférences HDR, Université de Strasbourg. 260 Revue d’Allemagne cile des ensembles supranationaux et l’accélération de la production et de la diffusion technologiques des images constituent un cadre nouveau. Cette diversité a été clairement mise en évidence lors du colloque international « Images de la nation. Contribution de l’œuvre d’art à la réflexion sur l’identité dans les pays de langue allemande », qui s’est tenu du 1er au 3 décembre 2011 à l’Université de Strasbourg (Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace). Orga- nisée dans le cadre du Programme de Formation Recherche « Mise(s) en scène de la nation dans l’espace franco-allemand. Relectures contemporaines des grandes œuvres du xixe siècle » (Université de Bayreuth, Tours, Lyon 2 et Strasbourg) du Centre Inter- disciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Allemagne (CIERA), cette manifestation a rassemblé des spécialistes de diverses disciplines (études théâtrales, cinématographi- ques, histoire de l’art, photographie, germanistique) (1). Le présent dossier, publié avec le soutien du CIERA, rassemble aujourd’hui quelques- unes de ces communications, auxquelles est venue s’ajouter une contribution (2). Il a pour ambition, à travers des « études de cas » ou des approches plus larges, d’illustrer différentes formes du « discours artistique » que constitue l’œuvre d’art lorsque celle-ci est pensée dans son rapport au devenir collectif. L’interaction entre les moments de (re)construction d’une cohésion nationale et la production artistique est en particulier au cœur des contributions d’Anaïs Feyeux et Jacques Poumet. Anaïs Feyeux (« Pour ne plus être le miroir de l’Allemagne. L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années 50 ») met en évidence la constitution du champ photographique en République fédérale. Elle en analyse les soubassements économiques et insti- tutionnels et, en renvoyant tant aux artistes (Otto Steinert, Heinrich Heidesberger, Chargesheimer ), aux événements (Photokina) qu’aux organisations, elle montre de manière éclairante comment cette structuration progressive accompagne la naissance politique de l’Allemagne de l’Ouest. Rappelant les grands enjeux des rapports entre culture et politique en RDA, Jacques Poumet (« Nation et arts plastiques en RDA ») fait apparaître qu’on ne saurait aborder les œuvres picturales en Allemagne de l’Est sans prendre en compte la tentative de créer une « nation socialiste ». À travers l’ana- lyse d’œuvres représentatives de Werner Tübke, Bernhard Heisig ou encore Wolfgang Mattheuer, il met en particulier en évidence les grands axes du discours pictural des années 70 et 80 que sont le regard critique jeté rétrospectivement sur le « mythe anti- fasciste » ou la division de l’Allemagne, et conclut son étude sur les polémiques quant à la place à accorder à l’art pictural est-allemand dans le contexte d’une unité nationale retrouvée. L’approche diachronique caractérise également la contribution de Barbara Lafond (« Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse in der Schweizer bildenden Kunst des 20. Jahrhunderts. Integrativer Tell- und Alpen-Mythos, identitätsstiftende Tell- und Alpen-Emblematik und ihre korrosiven Gegendiskurse »), consacrée à la représentation des mythes fondateurs de la Suisse que sont d’une part le personnage de Guillaume Tell, d’autre part le cadre naturel des Alpes. Elle rappelle entre autres que

1 La manifestation a été par ailleurs soutenue par le Conseil scientifique de l’Université de Strasbourg, l’EA 1341 « Études germaniques », le Conseil Général du Bas-Rhin et le Consulat Général d’Autriche. 2 Urs Urban, « Deutschland – Ein Sommermärchen ? Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wort- mann und Klaus Lemke ». Introduction 261 le discours pictural contemporain (représenté ici par Monica Studler, Christoph von Berg ou encore Bill Viola) doit être replacé dans le contexte d’une évolution depuis la fin du xixe siècle et les grandes heures de l’affirmation d’une identité collective suisse, en passant par les premiers avatars d’une déconstruction du mythe dans la première moitié du xxe siècle. À côté des études abordant un genre artistique donné dans son évolution, l’analyse de cas constitue une nécessité dans un contexte contemporain caractérisé par l’atomisation des démarches. Elle n’en permet pas moins de dégager des convergences, dont fait en particulier partie la problématisation du discours critique sur l’histoire nationale. De ce point de vue, il est intéressant de mettre en regard les contributions de Lucile Dreidemy et de Michael Lück, pourtant consacrées à des mémoires nationales spécifiques, celle de l’Autriche d’une part, de l’Allemagne d’autre part, et à des œuvres inscrites dans des périodes historiques différentes. Dans son analyse, qui passe tout d’abord par une des- cription minutieuse des conditions politiques et économiques dans lesquelles émerge son objet d’étude, Lucile Dreidemy (« Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik ») met en évidence les biais esthétiques qui caractérisent la représentation de l’histoire – à travers le chancelier Dollfuß en l’occurrence – dans la satire télévisuelle Die Staats- operette, diffusée en 1977, avant de revenir sur le scandale que celle-ci avait provoqué à l’époque. Sans nier le potentiel critique de l’œuvre, elle n’en évoque pas moins le hiatus entre l’aspiration à déconstruire l’interprétation alors dominante de l’histoire natio- nale et une réception limitée. On retrouve dans la communication de Michael Lück (« Memory-Effekt. Überlegungen zur künstlichen Erinnerung ») un autre questionne- ment quant à la possibilité même d’une représentation de l’histoire collective dans le cinéma contemporain, ce que montre Der Untergang d’Oliver Hirschbiegel (2004). Par une analyse précise de quelques scènes du film, l’auteur dégage les limites d’une préten- due fonction mémorielle de l’œuvre cinématographique. Alors même qu’elle revendique une forme d’authenticité dans son rapport au matériau historique mis en scène, elle provoque au contraire un « effet de mémoire » dans lequel la dynamique du souvenir, renvoyant en réalité à d’autres images, est découplée de son objet historique. Si ces deux contributions portent sur des films entretenant avec la réalité représentée un rapport de distance temporelle, Valérie Carré (« Le Braqueur de Benjamin Heisen- berg ou l’Autriche “surmoderne” ») étudie pour sa part une production cinématographi- que reposant sur une simultanéité de l’objet de la mimesis et de la mimesis elle-même. Inspiré d’un fait divers des années 80, le filmDer Räuber (2009) constitue le tableau d’une société autrichienne contemporaine qui paraît définitivement affranchie de toute définition d’une identité collective en termes « nationaux », par-delà même sa probléma- tisation. En partant des stratégies narratives, du traitement de l’espace et des éléments intertextuels (la Divine Comédie de Dante), elle montre de quelle manière le film suggère indirectement la permanence de réflexes tels que celui du refoulement et problématise l’idée d’une « connaissance de soi » collective dans le présent. Tout comme, à travers le personnage central, la performance sportive est au cœur du film de Heisenberg, c’est au lien entre football et conscience nationale que s’intéresse Urs Urban (« Deutschland – ein Sommermärchen ? Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke ») en mettant en perspective deux productions qui ont pour point de départ la coupe du monde de football organisée en Allemagne en 2006. En exploitant le lien étroit 262 Revue d’Allemagne qui lie, depuis le xixe siècle, la culture du corps et le culte de la nation, l’auteur fait de ce corps une entrée transversale pour l’analyse. Dans le climat d’un « retour en grâce » du sentiment national perceptible sous diverses formes dans l’Allemagne des années 2000, le filmDeutschland. Ein Sommermärchen de Wortmann constitue la mise en image d’un « récit » dans lequel fascination footballistique et nationale se rejoignent. Avec Finale, qui oppose à l’euphorie collective une « simple » histoire d’amour, Klaus Lemke décons- truit cette association en introduisant le motif de la relation sexuelle, dans laquelle le corps de l’individu est, selon une stratégie discursive éminemment critique, opposé à son investissement sportif et politique. S’il est sans doute périlleux de définir des « degrés » dans l’interrogation des codes propres à un genre, il n’en reste pas moins que certaines productions artistiques pous- sent plus loin que d’autres leur remise en cause. L’exemple des films de Benjamin Hei- senberg ou Sönke Wortmann, qui conservent une forme de linéarité narrative, illustre le fait que la contemporanéité du propos n’implique pas forcement l’éclatement for- mel. Comme le montrent les contributions d’Éliane Beaufils, Franziska Schößler et Kerstin Hausbei, il est toutefois possible, sinon nécessaire de penser ensemble l’inter- rogation radicale par un genre artistique de ses propres formes et les questionnements sur l’identité collective. En s’intéressant à trois collectifs pratiquant un théâtre « hors les murs » – Theater Antagon, Theater Anu, Rimini Protokoll –, Éliane Beaufils (« Le jeu avec les imagi- naires collectifs dans les théâtres hors établissements en Allemagne ») aborde des productions délibérément situées en dehors d’une institution théâtrale dont l’identité s’est construite au fil de l’histoire politique de l’Allemagne. Le geste artistique aspire ici à faire naître de nouvelles identités collectives « alternatives », qui seraient affran- chies de toute définition politique ou idéologique… tout en s’inspirant pourtant des modes de jeu et de l’esthétique des théâtres « traditionnels ». On pourrait, pour finir, s’étonner de trouver dans ce volume deux contributions consacrées au même artiste, Christoph Schlingensief, metteur en scène autrichien décédé en 2010 ; cette double présence témoigne au contraire et de manière tout à fait justifiée de l’importance de cet artiste aux « talents multiples », et dont les œuvres viennent nier toute forme de cloisonnement disciplinaire qui viendrait structurer le champ artistique. Or – et c’est ce que montrent les deux contributions – la poursuite d’un questionnement formel chez Schlingensief est intimement liée à la mise en question d’une possible identité collective. Kerstin Hausbei (« Emblème interactif du commerce identitaire : “Bitte liebt Österreich” de Christoph Schlingensief ») propose ainsi une lecture d’une performance présentée en 2000 dans le cadre des Wiener Festwochen. Reprenant le principe de l’émission « Big Brother » en installant dans un container au centre de Vienne douze demandeurs d’asile filmés en continu, Schlingensief y thématisait la situation autrichienne au moment de la participation du FPÖ à la nouvelle coalition gouvernementale. Franziska Schößler (« Nationale Mythen und avantgardistischer Widerstand bei Christoph Schlingensief ») met en évidence la présence continue de l’Histoire allemande, à travers ses icônes et ses symboles, dans l’œuvre pour le moins protéiforme de l’artiste. Les références historiques et artistiques (Joseph Beuys, actionnisme viennois), agencées selon un principe de collage garant de l’hété- rogénéité de l’œuvre, viennent servir une stratégie de « résistance esthétique » dans Introduction 263 laquelle sont remises en cause l’idée d’une culture « nationale » et une linéarité de l’Histoire dont seule l’interruption permet de faire resurgir les fantômes. Qu’elle soit théâtrale, cinématographique, photographique ou picturale, lire le com- mentaire d’une œuvre d’art sans pouvoir s’y confronter de manière immédiate est tou- jours frustrant. Les quelques éléments iconographiques qui accompagnent certaines des communications n’apportent à ce manque qu’une réponse très partielle, dans le format que permet une revue scientifique telle que laRevue d’Allemagne et des pays de langue allemande. Espérons néanmoins qu’ils susciteront la curiosité du lecteur pour les artistes ici présentés et qu’il y trouvera un support utile, quoiqu’incomplet. Par leurs contributions, les auteurs ont apporté divers éclairages sur les possibles déclinai- sons du rapport entre production culturelle et réflexion sur l’identité collective, dans une publication qui ne saurait avoir l’ambition de constituer une étude exhaustive. Qu’ils en soient ici remerciés.

Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 265 T. 45, 2-2013

Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik

„Kaum eine Geschichtsepoche der jüngsten österreichischen Geschichte ist für das Leservolk so vollendet unter einen passenden Hut gedrängt worden, wie die Ges- chichte der Ersten Republik“ (1).

Lucile Dreidemy*

Die Staatsoperette wurde am 30. November 1977 auf dem österreichischen öffentlichen Fernsehsender FS2 ausgestrahlt. Die Idee einer filmischen Aufarbeitung der tabuisier- ten Phase der österreichischen Zwischenkriegszeit war bereits vier Jahre zuvor zwischen dem Regisseur Franz Novotny und Verantwortlichen des ORF entstanden. Doch als Novotny, gemeinsam mit dem Komponisten Otto M. Zykan, dieses geschichtspolitisch hoch aufgeladene Thema auf dem Weg der Satire zu thematisieren beschloss, stießen sie auf heftigen Widerstand im ORF. Das Drehbuch musste neun Mal umgeschrieben, der Drehtermin viermal verschoben und die Länge des Filmes um die Hälfte gekürzt werden. Auch nach all den Kürzungen löste das endgültige Werk, bzw., mit Novotny gesprochen, das „einzige zugelassene Fragment davon“ (2), einen der größten kulturpo- litischen Skandale der Zweiten österreichischen Republik aus, in erster Linie durch die Hetzkampagne, die schon vor Ausstrahlung des Filmes vom katholisch-konservativen Lager initiiert wurde. In Folge des Skandals wurde der Film nie wieder ausgestrahlt und ist dadurch bis heute auch weitgehend in Vergessenheit geraten. Seine Aufnahme in die von der Filmagentur Hoanzl in Zusammenarbeit mit der Tageszeitung Der Standard und dem Filmarchiv Austria herausgegebenen DVD-Kollektion „Der österreichische Film“ 2006 konnte dieser Entwicklung nur begrenzt entgegensteuern: Mehr als dreißig Jahre nach dessen Konzipierung wirkt das damals bahnbrechende musiktheatralische Experiment zugleich verstaubt und hermetisch; für sein satirisches Wirkungspotential

* Docteur en études germaniques, ATER à l’université de Strasbourg. 1 Franz Novotny, „Aus dem Staatsoperetten Nachrichtenstudio“, in: Literaturhaus Wien, Dokumenta- tionsstelle für neuere österreichische Literatur, Dst-Handschriftensammlung, Vorlass Franz Novotny, N1.29-3 (in der Folge: LhW/Dst/N1.29-3), Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“. 2 Interview Franz Novotnys, Wien, 15.12.2011 (Aufzeichnung im Bezitz der Autorin). 266 Revue d’Allemagne fehlt den meisten ZuschauerInnen zudem das notwendige historische Vorwissen. Nichtsdestotrotz bleibt der Film, bzw., in Novotnys Worten, das „Gesamtkunstwerk“ (3), das er gemeinsam mit dem ausgelösten Skandal bildete, ein aufschlussreiches Fallbei- spiel für den schwierigen Umgang der österreichischen Gesellschaft mit dem Ende der Ersten Republik und der anschließenden Diktaturerfahrung, sowie, darüber hinaus, für die Herausforderungen der Kunst im Hinblick auf einen solchen geschichtspolitischen Aufarbeitungsprozess. Gestützt auf die wenigen bisher veröffentlichten Studien zu dem Film und auf den Vorlass des Regisseurs Franz Novotny geht diese Studie daher der Frage nach, inwie- fern die Staatsoperette durch die Anlehnung an das subversive Genre der politischen Satire einen besonderen Beitrag zur Hinterfragung von gesellschaftlichen Mythen und Tabus und somit auch zur langwierigen, komplexen Reflexion über eine österreichische „Identität“ leistete. Nach einer Rekontextualisierung der Entstehungsgeschichte des Films widmet sich der Beitrag der doppelbödigen, geschichts- und kulturpolitischen Satire im Film und deren operettenhafter Umsetzung. Ein Einblick in die Entstehung des Skandals vor und nach der Ausstrahlung des Filmes rundet die Analyse ab und wirft abschließend nochmals die Frage nach den gesellschaftlichen Implikationen eines solchen künstlerischen Experiments auf.

1. Kontext: Die sozialistische Alleinregierung und der Geist der Großkoalition Die Staatsoperette war eine Reaktion auf die kultur- und geschichtspolitische Lage im Österreich der 1970er Jahre. Sie wurde 1977 ausgestrahlt, also im siebten Jahr der sozialistischen Alleinregierung Bruno Kreiskys (1970-1983) (4). Diese Phase folgte auf vier Jahre Alleinregierung der bürgerlichen Volkspartei ÖVP (1966-1970) und vor allem auf einundzwanzig Jahre Großkoalition zwischen SPÖ und ÖVP (1945-1966). Diese langjährige politische Zusammenarbeit übertrug sich auch auf den Bereich der Geschichtspolitik, indem etwa die konsenstaugliche These der geteilten Schuld der ehemaligen Bürgerkriegskontrahenten am Zusammenbruch der Demokratie in den 1920er und 1930er Jahren zum zentralen Paradigma des offiziellen Geschichtsdiskur- ses der Zweiten Republik wurde. Auch die Etablierung des Fachs „Zeitgeschichte“ in der zweiten Hälfte der 1960er Jahre und die damit einhergehenden Ansätze einer dif- ferenzierteren Auseinandersetzung mit der Frage nach den Verantwortlichen für das Ende der Ersten österreichischen Republik vermochten es nicht, dieser „Koalitions- geschichtsschreibung“ (5) ein Ende zu setzen. Symbolisch für diese geschichtspolitische Kontinuität steht die Gründung 1972 der sogenannten „Wissenschaftlichen Kom- mission des Theodor-Körner-Stiftungsfonds und des Leopold-Kunschak-Preises zur

3 Ebd. 4 Zur Klärung der Bezeichnung „sozialistisch“: Offiziell bezeichnete sich die sozialdemokratische Partei Österreichs von seiner Gründung 1889 bis 1945 als sozialdemokratisch, von 1945 bis 1991 als sozialis- tisch und seitdem wieder als sozialdemokratisch. Im üblichen Sprachgebrauch überwog allerdings auch zwischen 1945 und 1991 die Bezeichnung „Sozialdemokraten“. 5 Gerhard Botz, „Die Ausschaltung des Nationalrates und die Anfänge der Diktatur Dollfuß‘ im Urteil der Geschichtsschreibung von 1933 bis 1973“, in: Anton Benya (Hg.), Vierzig Jahre danach. Der 4. März 1933 im Urteil von Zeitgenossen und Historikern, Wien, Doktor-Karl-Renner-Institut, 1973, S. 31-59, hier S. 40. Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik 267

Erforschung der österreichischen Geschichte der Jahre 1927 bis 1938“ (6) durch Bruno Kreisky und Nationalratspräsidenten Alfred Maleta (ÖVP), in der PolitikerInnen, JournalistInnen und HistorikerInnen aus allen politischen Lagern vertreten waren und die, so Maleta, das Ziel verfolgte, „Verständnis für die Gegner von gestern und Partner von heute zu gewinnen“ (7). Die Kontinuität des großkoalitionären Kompromisses prägte auch den Bereich der Kulturpolitik, wo, anders als von der jungen Künstlergeneration erhofft, die alten kul- turellen Strukturen und konservativen Netzwerke nicht ersetzt wurden (8). Diese Dis- krepanz hatte schon vor der Staatsoperette mehrere Skandale zur Folge; man denke etwa an die Empörungswelle, die 1975-1976 die Fernsehübertragung von Wolfgang Bauers Ibsen-Nachdichtung Gespenster, der erste Spielfilm der Medienkünstlerin Valie Export, Unsichtbare Gegner, sowie Peter Turinis und Wilhelm Pevnys Fernsehserie Alpensaga bereits ausgelöst hatten. So gesehen war der Skandal um die Staatsoperette, mit der Literaturwissenschaftlerin Evelyne Polt-Heinzl gesprochen, „nur die Spitze des kulturpolitischen Eis(zeit)berges“ der 1970er Jahre (9). Um diese hartnäckigen geschichts- und kulturpolitischen Deutungsmuster zu durch- brechen und einen Prozess des Nach- und Umdenkens in der Gesellschaft zu fördern, beschloss Novotny, sich von dem herkömmlichen Dokumentarfilm zu distanzieren, zugunsten eines experimentelleren Formats, das „die Urteilsbildung des Seherpubli- kums anzuregen“ vermöge (10). Das Ziel von Novotny und Zykan lag jedoch von Anfang an nicht darin, den Protagonisten der Zwischenkriegszeit einen posthumen Prozess zu machen. Dementsprechend hieß es auch an einer Stelle des vorläufigen Drehbuchs des Films: „Übrigens: Der Faschismus lässt sich nicht mit Witz und Ironie bekämpfen… “ (11). Dabei knüpften die Künstler an die Reflexion ihres Vorbilds, Charlie Chaplin, an, der rückblickend das Konzept seines Films The Great Dictator grundsätzlich in Frage stellte, weil solche Verbrechen nicht mit Humor behandeln werden könnten (12). Im Unterschied zu Chaplin war daher ihr Anspruch von Anfang an geschichtspolitisch und zielte darauf ab, die Unzulänglichkeiten des gegenwärtigen offiziellen Geschichtsdiskurses

6 Ernst Hanisch, „Die Dominanz des Staates. Österreichische Zeitgeschichte im Drehkreuz von Politik und Wissenschaft“, in: Alexander Nuetzenadel, Wolfgang Schieder (Hg.), Zeitgeschichte als Problem. Nationale Traditionen und Perspektiven der Forschung in Europa, Goettingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2004, S. 54-77, hier S. 58. 7 Maleta, zit. nach Ludwig Jedlicka, Rudolf Neck (Hg.), Vom Justizpalast zum Heldenplatz, Studien und Dokumentationen 1927 bis 1938, Wien, Verlag der Österreichischen Staatsdruckerei, 1975, S. 8. 8 Evelyne Polt-Heinzl, „Kulturskandale der 1970er Jahre. Lauter kleine Staatsoperetten“, in: Ders. (Hg.), Staatsoperetten. Kunstverstörungen. Das kulturelle Klima der 1970er Jahre, Wien, Dokumentations- stelle für Neuere Österreichische Literatur, 2009, S. 9-42, hier S. 12. 9 Ebd., S. 18. 10 Interview Novotnys über das Konzept des Films, nachzulesen im Artikel „Österreichische Vergan- genheit“, Profil, 29.6.1976, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staatsoperette und Erklärung der Autoren, Rez. 1977“. 11 Zit. nach: LhW/Dst/N1.29-3, großformatiges Manuskript der Staatsoperette. 12 „Had I known of the actual horrors of the German concentration camps, I could not have made The Great Dictator, I could not have made fun of the homicidal insanity of the Nazis.“ Charles Chaplin, My autobiography, New York, Simon and Schuster, 1964, S. 392. In dem Interview am 15. Dezember 2011 bezog sich Novotny ausdrücklich auf diese Reflexion Chaplins. 268 Revue d’Allemagne bloßzustellen. Das angebrachteste Format dafür fanden sie im Genre der Operette wie- der. In diesem Sinne hielt Novotny in seinen konzeptuellen Reflexionen fest: „Man soll auch nicht übersehen, daß die aggressive Aufbereitungsform als ‚Staatsoperette‘ dann elementar notwendig wird, wenn man den beschwichtigenden Werken, die sich mit der Zeit befassen, begegnen will“ (13). Über die großkoalitionäre Geschichtsschreibung hinaus wandten sich die Künstler in erster Linie gegen die Dominanz des konservativen Geschichtsbildes in der öster- reichischen Geschichtspolitik. Aus diesem Grund vermerkte Novotny in seinen Noti- zen, Bezug nehmend auf eine jüngste Parlamentsdebatte über den Bundeskanzler und Diktator Engelbert Dollfuß: „Daß sich damals die großbürgerliche Partei nicht endlich von Dollfuß distanziert hat, sondern ganz gegenteilig für ihn parlierte, hat mir die Not- wendigkeit der provokativen Geschichtsdarstellung in der Staatsoperette bewiesen“ (14). Dieser Provokationsdrang spiegelt zugleich das Aufklärungsbedürfnis jener jungen Nachkriegsgeneration (Novotny war 1949 geboren) wider, die den Austrofaschismus nicht mehr erlebt hatte und auch in der Schule davon nichts erfuhr, da die Geschichte- Schulbücher bis zum Zeitpunkt der Ausstrahlung des Films 1977 die Dollfuß-/Schusch- nigg-Diktatur kaum thematisierten. Dementsprechend begründeten Novotny und ORF-Redakteur Preiner die beabsichtigte Ironisierung der historischen Begebenheiten als Antwort auf die bisherige Tabuisierung dieser zeithistorischen Periode (15). Die Staatsoperette arbeitete ironisch dekonstruktiv, schrieb sich aber gleichzeitig in eine Tradition ein, die Operettentradition. Novotny und Zykan griffen das „National- heiligtum Operette“ (16) bewusst wieder auf, um das Genre des rührseligen, gutbürger- lichen Musiktheaters zu verfremden, und in den Dienst der satirischen Bloßstellung von gesellschaftlichen Tabus zu stellen. Diese Verfremdung war insofern nur teilweise eine solche, als sich die Künstler, indem sie sich von der harmlosen Nostalgie und Walzerseligkeit der Wiener Operette distanzierten, gleichzeitig an die ursprünglichen Ansprüche der Operette Offenbacher Tradition wieder anknüpften, die in der ersten Hälfte des 19. Jahrhunderts als entscheidendes Medium politischer Persiflage fun- gierte. Mit dieser Form der provokativen Hinterfragung von Tabus und Mythen trafen Novotny und Zykan auf das Interesse einer anderen charismatischen Vertreterin die- ser neuen, kritischen Generation österreichischer KünstlerInnen und Intellektueller, nämlich Elfriede Jelinek, die über die Staatsoperette festhielt: „Es gibt in Österreich nicht so viele Filmemacher, die etwas mit Satire anfangen können. Ich hab’ jeman- den gesucht, der nicht mit differenzierenden, psychologisierenden, filmästhetischen

13 Typoskript Novotnys, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staats- begräbnis – Staatsoperette“. 14 Ebd. Novotny spielt hier höchstwahrscheinlich auf die Parlamentsdebatte im März 1973 an, als ÖVP-Parlamentarier, die vom jungen SPÖ-Politiker Heinz Fischer aufgrund der Beibehaltung eines Dollfuß-Porträts in deren Parlamentsklub angegriffen worden waren, sich ausdrücklich für Dollfuß einsetzten. Vgl. Stenographisches Protokoll der 69. Sitzung des Nationalrates der Republik Österreich, XIII. Gesetz gebungsperiode, 4.4.1973, S. 6553-6555. 15 „Österreichische Vergangenheit“, Profil, 29.6.1976, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezen- sion, Prozess“, Mappe „Staatsoperette und Erklärung der Autoren, Rez. 1977“. 16 Carsten Fastner, „Satire oder Sentiment?“, Falter, 13.4.2005, URL: http://www.falter.at/falter/2005/ 04/12/satire-oder-sentiment/ (letzter Zugriff: 4.10.2013). Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik 269

Mitteln arbeitet, sondern, eher wie ich, mit einer holzschnittartigen Schwarzweiß- technik in Richtung starker Kontraste“ (17).

2. Vom Künigelberg zum Zauberberg: Die hindernissreiche Entstehungs- geschichte des Films und deren satirische Aufarbeitung im Film Das Projekt begann 1972 auf Anregung von Hans Preiner, dem damaligen Leiter der ORF-Dokumentarsendereihe Impulse, für welche Novotny bereits diverse (Kurz-)Filme produziert hatte. Aus Preiners Vorschlag eines Beitrags zum sogenannten Pfrimer- Putsch 1931 entstand 1973 das Projekt Staatsbegräbnis, das aber schon weit mehr als den von Walter Pfrimer, dem Landesleiter des Steirischen Heimatschutzes, 1931 initiierten Staatsstreich behandelte, und sich bereits deutlich vom klassischen Format des Doku- mentarfilms unterschied (18). Der ORF wurde Träger und Produzent des Fernsehprojekts und finanzierte es mit vier Millionen Schilling, das BMUK (Bundesministerium für Unterricht und Kunst) subventionierte es mit etwa einer Million. Die Verantwortlichen im ORF versuchten jedoch von Anfang an, die künstlerische Tätigkeit in gewisse Bah- nen zu lenken. Der erste Drehtermin war für September 1975 geplant. Bevor dies zustande kam, wurde Novotny jedoch seitens des ORF nahegelegt, den Produktionstermin bis zur Fer- tigstellung des neuen ORF-Fernsehtheaters auf dem Wiener Künigelberg zu verschie- ben. Parallel dazu hatte der Komponist Otto M. Zykan die Partitur für das Stück in ein Großprojekt umgeschrieben, das nun das achtzig Musiker starke ORF-Symphonie- orchester beanspruchte. Durch diese logistischen und konzeptuellen Änderungen stiegen die Produktionskosten von geplanten sechs auf fast neun Millionen Schilling an und das Projekt wurde in die Länge gezogen. Daraufhin sprach der Intendant des Fernsehkanals FS 1 und spätere ORF-Generalintendant Gerhard Weis in einer öffent- lichen Presseaussendung im Januar 1976 von einer „Kostenexplosion“ und nahm diese Situation zum Anlass, um die weitere Vorgangsweise des ORF von der Kompromiss- bereitschaft der Künstler abhängig zu machen und eine Absetzung der Produktion in den Raum zu stellen. Diese Drohungen wurden allerdings kurze Zeit später von Weis als „Missverständnis“ relativiert (19). Nach einer Neuaufteilung der Unterhaltungsbranche des ORF im April 1976 über- nahm der Intendant von FS2, Franz Kreuzer, die Verantwortung für das nun Staats- operette genannte Filmprojekt und setzte sich von nun an für dessen Verwirklichung ein. Nichtsdestotrotz hielt der Druck seitens des ORF an: Nach mehrmaliger Erhöhung der Produktionskosten und neunmaliger Verschiebung begannen die Dreharbeiten erst am 22. März 1977; die ursprünglich geplante Drehzeit von anderthalb Monaten wurde auf vier Tage und die Spieldauer von 90 auf 35 Minuten gekürzt.

17 Elfried Jelinek, in: Volksstimme, 15.10.1982, zit. nach Irene Suchy, „Das Werden der Staatsoperette in Originaldokumenten. Rekonstruktion eines Prozesses“, in: E. Polt-Heinzl (Hg.), Staatsoperetten (Anm. 8), S. 86-122, hier S. 90. 18 Vgl. die ersten Versionen des Drehbuchs, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Gesamtprojekt“, Mappe „Staatsbegräbnis-Entwürfe 1973/74“. 19 Vgl. anonyme Zeitungsnotiz „Staatsoperette“, Arbeiter Zeitung, 10.3.1976, S. 7. 270 Revue d’Allemagne

Auch wenn dadurch etliche Passagen gestrichen werden mussten, beschlossen die Künstler kurz vor der Ausstrahlung, den politischen Druck, der sie bei der Konzeptu- alisierung des Films begleitet hatte, in das Szenario einzubeziehen und satirisch bloß- zustellen. Zu diesem Zweck wurde die eigentliche Operette – die in der endgültigen Version des Filmes immerhin 55 statt den vorgesehenen 35 Minuten dauerte – um eine zehnminütige Rahmengeschichte erweitert (20). Diese Anfangs- und Schlusss zenen spielen in den 1970er Jahren und handeln von den vergeblichen Verhandlungen des Autors „Bamberger“ mit eifrigen Vertretern der offiziellen Kulturpolitik. Die Diskussionen beginnen in einem Stiegenhaus und führen dann in einen Konzert- saal; die Assoziierung mit dem Wiener „Musikverein“ (21) ist eindeutig. Vor dem ersten Dialog im Stiegenhaus setzt jedoch die Anfangsszene, und somit auch der Film, mit einer vollkommen anderen Szenerie an, nämlich der längeren Aufnahme eines Berg- schlosses bei Abenddämmerung. Über diese subtile Anspielung auf Thomas Manns Zauberberg wird der ORF und somit auch die Kulturpolitik der 1970er Jahre als abge- kapselte, realitätsferne Welt dargestellt. Über die Anspielung auf das Sanatorium Berg- hof werden die Bürokraten darüber hinaus mit dubiosen Therapeuten gleichgesetzt, die mit engstirnigen Anweisungen versuchen, einen irregeleiteten Künstler auf den richtigen Weg zu bringen. Dementsprechend setzt dann auch die erste Dialogssequenz mit der oberlehrerhaften Empfehlung eines der Bürokraten an: „San’s doch g’scheit. Ein paar Striche im Text, wir wollen Ihnen nicht vorschlagen wo, und alles in scho’ vü leichter“ (22). Dadurch weist die Szene sofort unmissverständlich auf den politischen Druck und die zensurähnlichen Hindernisse hin, denen Zykan und Novotny in den vier Jahren der Entstehung des Films ausgesetzt waren. Streichungen, Erhöhungen der Produktionskosten und mehrmalige Verschiebungen der Produktionstermine bleiben auch in der Folge die Hauptthemen der Verhandlungen, die im Stil Loriots (23) vor allem die Engstirnigkeit und Kommunikationsunfähigkeit des kulturpolitischen Establish- ments zum Ausdruck bringen. Im Konzertsaal schaltet sich, nicht von ungefähr vor dem Hintergrund von Frederic Chopins Marche Funèbre, ein leitender Manager in die Diskussion ein: „In ihrem Projekt hat es das letzte Mal Zusammenhänge gegeben, die wir nicht verantworten konnten“ (24), wirft er Bamberger vor, und der erste Bürokrat fügt mit einem herablassenden Lachen hinzu: „Ja, hoffentlich hängt nicht wieder das eine mit was anderem zusammen. Hier herein gehören nur Sachen, die unter einen einzigen Hut passen!“ (25). Der hier bereits angedeutete Zynismus gipfelt am Ende der Anfangs- szene in der Reflexion des zweiten Bürokraten: „Auch unsere Bürokratie kann, wie die

20 Gerhard Pistor, „Mühsame Geburt der TV-Operette“, Kurier Fernsehen, 4.2.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staatsoperette und Erklärung der Autoren, Rez. 1977“. 21 Drehbuch Staatsoperette (Zwischenspiele zur Fernsehfassung), LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staats- operette: Gesamtprojekt“. 22 Zit. nach F. Novotny, Die Staatsoperette, ORF 1977, Hoanzl 2006, DVD, 67 min, hier 00:44-00:52. 23 Vgl. Wolfgang Gratzer, „Die Staatsoperette, ein signifikanter Skandal“, in: Peter Csobádi, Gernot Gruber (u. a.) (Hg.), Politische Mythen und nationale Identitäten im (Musik-)Theater, Anif/Salzburg, Verlag Mueller-Speiser, 2003, Bd. II, S. 890-903, hier S. 892. 24 Zit. nach F. Novotny, Die Staatsoperette (Anm. 22), 03:46-03:50. 25 Zit. nach ebd., 03:55-04:01. Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik 271

Kunst, plötzlich und direkt wirken. Oder soll es eine Kunst geben, die ohne Bürokratie leben kann? Eine Bürokratie ohne Kunst gibt es schon, aber…“ (26). Dieses Fazit verstärkt nochmals den Eindruck, dass die Bürokraten über ihr starrsinniges und zynisches Ver- halten gegenüber dem vorgestellten Projekt vor allem sich selber bzw. die Kulturpolitik, die sie vertreten, in Frage stellen (27). Somit liefern diese kurzen Rahmensequenzen eine ungeschliffene Parodie des Subventionsstaats, der die Regeln des künstlerischen Schaf- fens diktiert (28). Die Schauspieler dieser Rahmengeschichte sind bis auf wenigen Ausnahmen auch die Akteure der eigentlichen Operette. Ernst Meister beispielsweise, der in der Operette den Prälaten Ignaz Seipel, bzw. „Schwarz“ spielt, gibt in den Rahmensequenzen den ton- angebenden Manager. Die Parallelität, bzw. Kontinuität zwischen beiden Figuren wird durch die Beibehaltung des predigthaften Tons des Geistlichen signalisiert (29). Auch wenn die Parallelität – wahrscheinlich aufgrund der knappen verfügbaren Zeit für die Konzeption der Zwischenspiele – meist nur beim genauerem Hinsehen erkennbar wird, bleibt dieses dramaturgische Kunststück von besonderem Interesse als parabel- hafte Anspielung auf die nach 1945 etablierten Politik des Kompromisses zwischen den ehemaligen Bürgerkriegskontrahenten. Über diesen Kunstgriff wird bereits die zweite Ebene der Kritik im Film angedeutet, nämlich die geschichtspolitische Satire.

3. Die Satire als Instrument der Hinterfragung geschichtspolitischer Tabus Der Hauptteil des Filmes besteht aus einer satirischen Darstellung der österreichi- schen Zwischenkriegszeit. Auch wenn die Parallele mit historischen Ereignissen und Akteuren nie ausgesprochen wird, lassen bekannte Charakterzüge und historische Elemente die politische Entwicklung zwischen 1927 und 1934 unmissverständlich als die historische Folie des Szenarios erkennen (30).

26 Zit. nach ebd., 06:12-06:28. 27 Drehbuch Staatsoperette (Zwischenspiele zur Fernsehfassung), LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staats- operette: Gesamtprojekt“. 28 Vgl. dazu auch Sabine Zelger, „Die Störung des nationalen Blicks oder Warum der österreichische Bildungskanon nicht auf die Staatsoperette verzichten darf“, in: E. Polt-Heinzl (Hg.), Staatsoperet- ten (Anm. 8), S. 123-134, hier S. 127. 29 Dabei wurde zudem mit dem Erkennungszeichen von Meisters prägendem Timbre gespielt, das dem zeitgenössischen Publikum über die wöchentliche, populäre und von Meister gesprochene Fern- sehsendung „Der Fenstergucker“ bekannt war. Vor diesem Hintergrund sahen die Künstler einen besonderen Witz darin, ausgerechnet einen der berühmtesten Fernsehsprecher Österreichs, oft als „die Stimme Österreichs“ bezeichnet, für das satirische Projekt zu gewinnen. Vgl. Interview Franz Novotnys, Wien, 15.12.2011. 30 In den früheren Versionen des Drehbuchs wurde auch die Entwicklung des austrofaschistischen Regimes nach Dollfuß’ Tod thematisiert und insbesondere Schuschniggs Persönlichkeit und Politik, unter ande- rem seine Unterwürfigkeit gegenüber Hitler – bzw. „Stiefel“ oder „Wolf“, so Hitlers Name im Drehbuch – parodiert. Schuschnigg, bzw. „Strumpf“, „Schussl“ oder „Grau“ im Drehbuch, trat meist als ahnungs- loser Mitläufer von Schwarz in der Uniform eines Internatszöglings mit Schulranzen, Matrosenmütze und Ärmelschonern auf. Eine detaillierte Szene wurde unter anderem dem Besuch von Grau – mit Pudel – beim „Herrn Oberwolf“ und seinen zehn Schäferhunden gewidmet – eine unmissverständli- che Parodierung des Berchtesgadener Treffens. Vgl. LhW/Dst/N1.29-3, großformatiges Manuskript der Staatsoperette. 272 Revue d’Allemagne

Die Handlung setzt unter der Kanzlerschaft des christlichsozialen Bundeskanzlers Ignaz Seipel (1926-1929) an. Prägend für die zweite Amtszeit des Prälaten und christlich- sozialen Politikers war die Gründung eines Bürgerblocks bestehend aus Christlichsozia- len, Großdeutschen und Landbund zur Bekämpfung der Sozialdemokratie. Die spontane Revolte der sozialdemokratischen Basis und der Brand des Justizpalastes am 15. Juli 1927 (31) brachten sowohl die Brutalität dieser Politik als auch die Zersplitterung der Sozialdemokratie zwischen dem Widerstandsdrang der Basis und den Besänftigungs- versuchen der Spitze zum Ausdruck. In der Folge radikalisierte Seipel nochmals seine antimarxistische Politik, indem er sich zunehmend der faschistischen Miliz der Heim- wehr annäherte (32). Dieser politische Kurs wurde nach Seipels Amtszeit weitergeführt und vor allem ab der Machtübernahme des christlichsozialen Bundeskanzlers Engel- bert Dollfuß 1932 verstärkt. An der Spitze einer Koalition zwischen Christlichsozialen, Landbund und dem politischen Arm der Heimwehr, dem „Heimatblock“, verfolgte Doll- fuß einen antimarxistischen, antipluralistischen und antiparlamentarischen Kurs und ließ Schritt für Schritt alle Grundlagen des demokratischen Rechtsstaates abschaffen. Außenpolitisch holte sich das Regime Unterstützung beim faschistischen Italien. Diese Entwicklung ging mit einer stärkeren Repression der Opposition einher, führte zur Wiedereinführung der Todesstrafe und gipfelte im Februar 1934 in einem Bürgerkrieg. Das Satirische der Operette ergibt sich großteils aus der überspitzten Parodierung der Hauptakteure dieser Phase. Seipel wird als der machtbesessene Prälat und Sozialis- tenhasser „Schwarz“ porträtiert. Hauptprotagonist der Sozialdemokraten ist der voll- kommen überforderte Arbeiterführer „Griffel“, eine ebenso gnadenlose Verulkung des sozialdemokratischen Parteivorsitzenden und Theoretikers Otto Bauer in der Figur eines ängstlichen Intellektuellen auf der verzweifelten Suche nach einem Konsens mit den Machthabern und in panischer Angst vor dem Wort „Revolution“. In Italien besucht Schwarz „Muffolini“, einen selbstverliebten „Macho“ umgeben von nackten Gespielinnen, der sich trotz seiner antikatholischen Einstellung darauf einlässt, den Prälaten mit Waffen für den Kampf gegen die Sozialdemokratie auszustatten. Dem Operettenformat entsprechend interagieren die Figuren nicht nur sprechend, sondern versuchen sich auch singend und tanzend verständlich zu machen. Die dadurch ins Absurde abgleitenden Dialoge bilden eines der Hauptvehikel der Satire. Besonders ersichtlich werden die satirischen Ansprüche der Künstler und deren Umsetzungstechnik auch in der Parodierung von Dollfuß’ Machtübernahme: Als Schwarz den wachsenden Widerstand der linken Opposition verzweifelt betrachtet und Gott um Hilfe bittet („Ich brauche einen Mandatar, einen Mann der Tat“, schreit er mit gehobener Faust, „der’s in den Armen hat, mit festem Schritt und Tritt“ (33)),

31 Diese spontane Revolte folgte dem Freispruch von zwei Mitgliedern der antimarxistischen paramilitäri- schen „Frontkämpfervereinigung“, die sechs Monate zuvor anlässlich einer friedlichen sozialdemokra- tischen Demonstration im burgenländischen Schattendorf einen älteren Mann und ein Kind erschossen hatten. Die Massendemonstration in Wien wurde von der Polizei niedergeschlagen und endete mit 89 Toten und dem Brand des Justizpalastes. Vgl. Gerhard Botz, Gewalt in der Politik. Attentate, Zusammen- stöße, Putschversuche, Unruhen in Österreich 1918 bis 1938, München, Wilhelm Fink Verlag, 1983, S. 308. 32 Besonders augenscheinlich wird diese Annäherung in Ignaz Seipels Tübinger Rede zur Kritik der Demokratie, am 15. Juli 1929, nachzulesen in der Reichspost vom 18. Juli 1929, S. 8f. 33 Zit. nach F. Novotny, Die Staatsoperette (Anm. 22), 49:37-49:43. Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik 273 kündigt ein tiefer Blechton das Unerwartete an: Vom Himmel schwebt langsam, als wäre er schwerelos, ein großer Geschenkkarton mit rosa Schleife zu Boden, aus dem eine zwergengroße Figur auf einem Einrad herausfährt. Am Rücken des „possierlichen Spielzeuges“ (34) dreht sich ein überdimensionaler Schlüssel zum Aufziehen eines Feder- werks – ein bekanntes Motiv aus der Karikaturwelt (35). Der Zwerg trägt einen schwar- zen Frack mit Fliege und offizieller Kanzlerschärpe, und am Kopf einen Zylinder. Diese Attribute und die kleine Statur verweisen unzweifelhaft auf den 1,53 m großen Dollfuß. Die Parodie der göttlichen Postsendung, überspitzt im unerwarteten Auftritt des Zwer- ges in Form eines ironisch neuaufgelegten Deus ex machina-Effekts, dekonstruieren das in den 1930er Jahren propagierte Bild Dollfuß’ als Messias, den Gott gesandt habe, um Österreich aus dem Chaos zu retten. Die aus der Zirkuswelt bekannten Attribute des Zylinders und des Einrads tragen nochmals dazu bei, das Motiv des göttlichen Messias ins Lächerliche zu ziehen. Die unbeholfene Bewegung des Hampelmanns und seine Fernsteuerung spielen wiederum auf ein bekanntes Deutungsmuster der konservativen Geschichtsschreibung an, nämlich die Idee, dass die brenzliche innen- und geopolitische Lage Österreichs den kleinen Bundeskanzler des kleinen Österreichs dazu gezwungen hätten, den Anweisungen von mächtigeren Dritten zu folgen, in erster Linie des faschistischen „Duce“, Mussolini.

Schwarz trifft Hackl (Quelle: Die Staatsoperette, ORF 1977, Hoanzl 2006, DVD) (36)

34 Zit. nach: LhW/Dst/N1.29-3, großformatiges Manuskript der Staatsoperette. 35 Dollfuß wird vom 1,14 m großen Schauspieler Fritz Hackl gespielt, der im Burgtheater üblicherweise Zwerge und Kinder darstellte. Die Verwendung des Einrads ergab sich womöglich erst aus der Zusam- menarbeit mit Hackl, der seinen Lebensunterhalt vor dem Burgtheater mit Kunststücken auf einem Einrad im Wiener Prater verdiente. Vgl. Interview Franz Novotnys, Wien, 15.12.2011. 36 Herzlichen Dank an Franz Novotny für die Erlaubnis, Screenshots aus seinem Film abzudrucken. 274 Revue d’Allemagne

Auf die Frage des verdatterten Prälaten: „Kleiner, willst du Kanzler werden?“ (37), antwortet „Hackl“ – so der Name des Zwergs im Drehbuch (38) – mit schnarrender, selbstbewusster Stimme: „Ich werde nicht nur Kanzler werden, sondern auch das liberal- kapitalistische Wirtschaftssystem und den Einfluss der roten Banden, bzw., wenn es sein muss, vielleicht sogar, das Parlament, ausschalten!“, und stellt daraufhin sein politisches Programm in Form eines Wiener Liedes vor. Bereits die ersten Parolen: „I’ bin so g’sund / Mi’ beißt ka Hund / I’ bin auf alles g’fasst /“ und daraufhin „Meine Hochverehrte Damen und Herren! / Ich hoffe doch sehr, sie haben mich noch gern!“ (39), gesungen mit unbekümmerter, froher Stimme, kontrastieren das Bild der lächerlichen Zirkusfigur und des ferngesteuerten Hampelmanns, indem sie eine sehr selbstbestimmte Persön- lichkeit erkennen lassen. In der zweiten Strophe wird die Tonalität des Liedes etwas düsterer und Hackl ernster: „Ach wos! Es wird sicher nix g’scheh’n / I’ bin auf alles g’fasst / Ihr werdet seh’n, der Tod ist schön / Auch wenn’s euch gar net passt! / Und stirbt das Volk für seinen Kanzler hin / Ja dann hat mein Leben erst einen richtigen Sinn!“ (40). In diesen Sätzen werden viele Charakteristika von Dollfuß’ Persönlichkeit wiederaufgegriffen, wie etwa sein starkes Selbst- und Sendungsbewusstsein, aber auch die Verbrechen seines Regimes in Erinnerung gerufen, in erster Linie im Hinblick auf den Bürgerkrieg im Februar 1934, als die Regierung Dollfuß die Widerstandsaktion von SozialdemokratInnen und KommunistInnen mit Einsatz der Artillerie niederschlagen, und führende Persönlichkeiten der Opposition standrechtlich hinrichten ließ. Diese Szene bietet zugleich einen guten Einblick in die Rolle der Musik im Film. Zykans Komposition, ein aufwendiges Werk für Orchester, wurde bewusst zur Verstär- kung der satirischen Bildwirkung eingesetzt. Durch die operettenhafte Kombination des oberflächlichen Tons des Volkslieds und dessen kaltblütiger Botschaft trägt das Wiener Lied dazu bei, Dollfuß’ Selbstinszenierung als volksnaher Führer zu verfrem- den (41). Der zynische Ton des „kleinformatigen Führers österreichischer Prägung“ (42), so das Drehbuch, verstärkt das durch seine Inszenierung als Geschenk Gottes bereits erweckte Gefühl der Abgehobenheit des Politikers. Somit wird die in den 1960er und 1970er Jahren noch verbreitete Einschätzung Dollfuß’ als demokratisch gesinnten Poli- tiker (43), der nur aufgrund des innen- und geopolitischen Drucks zu autoritären Maß- nahmen gezwungen worden sei, grundsätzlich delegitimiert.

37 Zit. nach F. Novotny, Die Staatsoperette (Anm. 22), 50:49-51:09. 38 Nachdem er zunächst zum Spitznamen „Dollbein“ tendiert hatte, kam Novotny letztlich zum Namen „Hackl“ zurück. Zu „Dollbein“, vgl. LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Gesamtprojekt“, Mappe „Unikate. Arbeitsunterlagen: ‚Staatsbegräbnis‘“. 39 Zit. nach F. Novotny, Die Staatsoperette (Anm. 22), 51:20-51:45. 40 Zit. nach ebd., 52:09-52:36. 41 Neben dem Wiener Lied werden in Zykans tonaler Musik sämtliche musikalische Klischees, vom Gre- gorianischen Choral, über Walzer und Schlager, und bis zu sozialistischen Hymnen, eingesetzt und verfremdet. Vgl. dazu: I. Suchy, „Das Werden der Staatsoperette in Originaldokumenten“ (Anm. 17), S. 91. Aus diesem Werk machte Zykan 2000 eine Konzertversion, die sich allerdings in mehrfacher Hinsicht von der Filmmusik abhebt. Vgl. W. Gratzer, „Die Staatsoperette“ (Anm. 23), S. 902. 42 Zit. nach: LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Gesamtprojekt“, Mappe „Vom Pfreimer Sterz zur ‚Staatsoperette‘, 8 Stadien des Stoffes bis zu seinem Verbot“. 43 Vgl. dazu Hugo Hantsch, „Engelbert Dollfuß (1892-1934)“, in: Ders. (Hg.), Gestalter der Geschicke Österreichs, Innsbruck/Wien/München, Tyrolia-Verlag, 1962, S. 611-623, hier S. 611. Anlässlich eines Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik 275

Über die musikalische Komponente hinaus dient das Genre der Operette zur Abs- traktion und zur Verdichtung der Handlung und macht aus dem musiktheatralischen Werk eine komplexe, vielschichtige Parabel in der Tradition von Bertolt Brechts epi- schem Theater (44). Das Abstraktionsverfahren ermöglicht insbesondere den Künst- lern, mit Anachronismen zu spielen und mehrere historische Figuren in einer zu porträtieren. Besonders ersichtlich wird dieses typische Verdichtungsverfahren an der Folgeszene, nämlich der Szene von Schwarz’ Besuch bei Muffolini, die zugleich die Abschlussszene der Operette darstellt.

Schwarz trifft Muffolini (Quelle:Die Staatsoperette, ORF 1977, Hoanzl 2006, DVD)

Tatsächlich fand nie ein Treffen zwischen Seipel und Mussolini statt. Wohl aber reisten Heimwehrführer Starhemberg 1932 und Dollfuß 1933 zum „Duce“. Warum wird also im Film ausgerechnet ein Rom-Besuch von Schwarz inszeniert? Eine mögliche Erklärung liegt darin, dass dem Provokationsanspruch des Films kaum effizienter entsprochener- w den konnte als durch die kontrastreiche Inszenierung des Geistlichen in Kutte in der ero- tischen Welt von Muffolini. Zugleich wird aus dem Operettenprotagonisten Schwarz eine komplexe Figur, in der sich mehrere historische Persönlichkeiten verschränken, nämlich

Festkommers des Cartellverbandes in Wiener Neustadt am 25. Mai 1968 bezeichnete auch der ÖVP- Bundeskanzler Joseph Klaus Engelbert Dollfuß als „makellose[n] Demokrat[en]“. Vgl.: „Klaus bricht Lanze für Dr. Dollfuß“, Kurier, 27.5.1968, S. 2. 44 In manchen früheren Versionen ist die Anlehnung an das epische Theater noch ausgeprägter, wie etwa durch die reflexive Distanzierung der Figuren von ihrer Rolle. Als etwa in einem Drehbuch ein Streit zwischen Schwarz, Hackl und „Bräunel“, Karikatur des zwielichtigen, christlichsozialen und NS-nahen Anton Rintelens, beginnt, unterbricht Bräunel mit folgendem Hinweis: „Aber ich bitte Sie, meine Herren. Nehmen Sie ihre Rollen nicht allzu ernst. Ich bin der Schauspieler X, Sie sind Herr X und Sie Herr X; wenn die Szene abgedreht ist, sind wir wieder gute Freunde und prosten uns zu.“ Zit. nach: LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Gesamtprojekt“, Mappe „Vom Pfreimer Sterz zur ‚Staatsoperette‘, 8 Stadien des Stoffes bis zu seinem Verbot“. 276 Revue d’Allemagne

Dollfuß, Starhemberg und Seipel. Durch dieses dramaturgische Kunststück wird es nun möglich, mit einer Szene auf zwei historische Ereignisse gleichzeitig anzuspielen: Doll- fuß’ Besuche in Rom ab April 1933 und auch Starhembergs Besuch bei Mussolini 1932, der 1933 zur sogenannten „Hirtenberger Waffenaffäre“, einer Waffenlieferung Italiens an die Heimwehr, führte. Dieses Abstraktions- und Verdichtungsverfahren manifestiert sich auch an einer anderen Stelle der Operette, nämlich in der Sequenz über die Hinrich- tung des „Fürsten“ auf Anweisung von Schwarz. Auch hier dient eine fiktive Szene dazu, über die Verschränkung von zwei historischen Figuren, diesmal Seipel und Schuschnigg, eine Parabel der Entmachtung der Heimwehr durch Kurt Schuschnigg im Jahre 1936 zu erzeugen. Diese Technik der Parabel setzt auf das historische Vorwissen der Zuschauer- Innen und animiert sie dazu, fiktive Darstellungen im Film von historischen Begeben- heiten zu unterscheiden. Somit wird die bewusste Geschichtsklitterung (45) zum Vehikel der Bloßstellung von tabuisierten historischen Begebenheiten, wie etwa hier von Dollfuß’ politischen und persönlichen Verbindungen zum faschistischen Führer Mussolini. Über diese Konfrontation der ZuschauerInnen mit Vieldeutigkeiten und Illogismen zielten die Künstler darauf ab, das zeitgenössische Publikum zum Nachdenken und zum Misstrauen aufzufordern – auch hier wieder ganz in Brechtscher Tradition. In diesem Sinne schrieb Novotny über die Staatsoperette: „Ein Stück wie die Staatsoperette will (sofern ein Stück wollen kann) der Entpolitisierung und Leitbarkeit des Publikums entgegenwirken. Indem es zu den herkömmlichen Geschichtsdarstellungen einen wirk- lichen Kontrapunkt setzt und die meinungslose Ausgewogenheit hintanstellt, reißt es natürlich auch den Liberalen vom Sessel und zwingt ihn in die Diskussion, der er sich sonst entziehen kann“ (46). Trotz dieser Ansprüche überstieg der Skandal, der den Film hervorrief, die Erwar- tungen der Künstler bei weitem (47).

4. Der Skandal Ein Charakteristikum des Skandals um die Staatsoperette besteht darin, dass er schon vor der Ausstrahlung des Filmes initiiert und zum Teil durchgeführt wurde. So bezieht sich etwa mehr als ein Drittel der 140 Seiten schweren Pressesammeldokumentation zu der Hetzkampagne auf die Zeit vor der Ausstrahlung (48). Bereits im März 1977 widmete der Kurier, Österreichs zweitgrößte Tageszeitung, der Staatsoperette einen ganzseitigen Artikel und prognostizierte einen Skandal (49). So auch die Arbeiter Zeitung, die einen Monat später über die Entstehung einer „Operettentragiko- mödie“ über die politischen Wirren der Ersten Republik berichtete, „die sicher viel Staub aufwirbeln [würde]“ (50). Die eigentliche Empörungswelle setzte an, als erste Bilder der

45 Zit. nach: Typoskript Novotnys, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staatsbegräbnis – Staatsoperette“. 46 Zit. nach ebd. 47 Interview Novotnys, Wien, 15.12.2011. 48 F. Novotny, „Aus dem Staatsoperetten Nachrichtenstudio“, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsope- rette: Rezension, Prozess“. 49 G. Pistor, „Mühsame Geburt der TV-Operette“ (Anm. 20). 50 „Die Erste Republik als Operette“, Arbeiter Zeitung, 4.3.1977, S. 14. Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik 277

Produktion veröffentlicht wurden, und zwar nicht von ungefähr ausgerechnet die pikante Darstellung des Prälaten „Schwarz“ umgeben von barbusigen Damen anlässlich seines Besuches bei „Muffolini“ oder die karikaturhafte Inszenierung Dollfuß’ als Zirkusfigur. Exemplarisch dafür sind die drei großformatigen Bilder, die im Wiener Wochenblatt vom 6. März 1977 unter dem reißerischen Titel „Dollfuß, Duce, Popscherl, Busen“ veröffent- licht wurden. Indem sie die Aufmerksamkeit des Publikums auf einzelne, gewagte Szenen lenkte und den Film auf ein paar nicht-repräsentative Bilder reduzierte, trug die visuelle Berichterstattung wesentlich zur öffentlichen Schmähung des Films bei. Ursprünglich hätte die Staatsoperette am 26. Oktober, dem österreichischen Natio- nalfeiertag, ausgestrahlt werden sollen. Unter dem Druck der Medien, der politischen Opposition und insbesondere des ORF-Kurators Heribert Steinbauer (ÖVP) wurde die Ausstrahlung jedoch um einen Monat verschoben, und dafür eine ORF-interne Vorfüh- rung organisiert. Unmittelbar nach dieser Vorführung brachten die ÖVP-Abgeordneten Josef Gruber, Heribert Steinbauer, Eduard Moser und Alois Leitner eine parlamentari- sche Anfrage ein, in der sie nach Möglichkeiten fragten, wie „die Förderung derarti- ger Filme“ – Leitner sprach später von „Anti-Kultur“ (51) – künftig vermieden werden könne (52). Die über die interne Premiere gewonnenen Einblicke trugen zudem wesent- lich zur Verschärfung des medialen Sturms gegen den Film bei. In der Kleinen Zeitung vom 22. Oktober 1977 bezeichnete etwa der für seine Kontroversen und Provokationen bekannte katholische Autor und Kronen-Zeitung-Kolumnist Kurt Dieman die Staats- operette – obwohl er den Film zu diesem Zeitpunkt nur bestenfalls aus zweiter Hand kennen konnte – als einen „Anschlag auf das Staats- und Geschichtsbewußtsein jedes anständigen Österreichers“ (53). Solche Vorwürfe wurden dann rasch in etlichen Tages- medien bis hin zu lokalen Kleinblättern übernommen und somit buchstäblich flächen- deckend verbreitet. Die Hetzkampagne ging so weit, dass die LeserInnen unmittelbar vor der Ausstrahlung am 30. November 1977 ausdrücklich zum aktiven Widerstand gegen den Film aufgefordert wurden. „Was halten Sie davon?“, fragte die Kleine Zeitung ihre Leser am Tag der Ausstrahlung, und forderte sie auf, ihre Meinung telephonisch an den ORF zu übermitteln (54). „Umstrittene ‚Staatsoperette‘ heute in FS2: Schreiben Sie uns Ihre Meinung!“, bot ebenfalls die Kronen Zeitung an (55). Allein während der Ausstrahlung des Films registrierte die Kundendienststelle des ORF 647 Anrufe – davon 43 positive und 598 negative Stellungnahmen (56). Die vom

51 Stenographisches Protokoll der 75. Sitzung des Nationalrates der Republik Österreich, XIV. Gesetz- gebungsperiode, 6.12.1977, S. 7220. 52 Stenographisches Protokoll der 70. Sitzung des Nationalrates der Republik Österreich, XIV. Gesetz- gebungsperiode, 17.11.1977, S. 6660. 53 Kurt Dieman, „‚Staatsoperette‘: Staatsskandal“, Kleine Zeitung, 22.10.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staatsbegräbnis – Staatsoperette“. 54 „Was halten Sie davon?“, Kleine Zeitung Graz, 30.11.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Rezensionen“. 55 Kronen-Zeitung, 30.11.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staatsoperette ORF-Dokumentation“. 56 Laut dem Kurier meldete die Kundendienststelle auch am nächsten Tag mehr als 1200 Anrufe. Vgl.: „Staatsoperette: Negativ-Rekord“, Kurier, 7.12.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staatsoperette ORF-Dokumentation“. 278 Revue d’Allemagne

Kundendienst protokollierten, kritischen Urteile reichten von: „Den Verantwortli- chen dafür sollte man aufhängen“, über: „So geschmacklos war der ORF noch nie“; „so etwas wäre nicht einmal im kommunistischen Osten möglich“; „den dafür Ver- antwortlichen hat man offensichtlich ins Hirn geschissen“ bis hin zu: „Mit so einer Hetzsendung züchtet man nur einen zweiten Hitler“ oder eben: „Unter Hitler hätte es so etwas nicht gegeben“ (57). Parallel dazu denunzierten die konservativen Kritiker den Umstand, dass es sich bei diesem provokativen Film um eine Fernsehproduktion des öffentlichen Rundfunks handelte, und interpretierten die scharfe Parodierung des katholisch-konservativen Lagers als regierungstreue Propaganda. So bemerkte Dieman: „Es ist sehr fraglich, ob man auch bereit gewesen wäre, eine derart respektlose und geschmacklose Parodie über führende sozialistische Persönlichkeiten durchgehen zu lassen“ (58). Wie an diesem Zitat bereits ersichtlich wird, wurde der Vorwurf der Parteilichkeit, und darüber hinaus die Kritik an dem Film zum willkommenen Anlass für die Delegitimierung der Regie- rung Kreisky und insbesondere deren jüngster Rundfunkreform, die aus dem ORF eine öffentlich-rechtliche Institution machte (59). In diesem Sinne kolportierte die ÖVP- nahe Salzburger Volkszeitung am Tag der Ausstrahlung: „Die Sendung ‚Staatsoperette‘ spiegelt nach Ansicht [des konservativen Abgeordneten, Anm. LD] Steinbauers in ein- drucksvoller Weise den Zustand des gegenwärtigen Regierungsrundfunks wider und macht den gebührenzahlenden Fernsehteilnehmern klar, wie ihr Geld verschwendet wird“ (60). Der Kontext der 1970er Jahre veranlasste darüber hinaus viele KritikerInnen, den Film als neue Form des Terrorismus und die fördernde Regierung als dessen Unter- stützerin zu brandmarken. So wurde etwa der Film am 30. November und 1. Dezember Teil einer Parlamentsdebatte rund um die „dringliche Anfrage“ der ÖVP betreffend eine mangelnde Vorsorge für die Terrorbekämpfung in Österreich (61). In den nächsten Tagen fanden sich diese Argumente auch in den Medien wieder. So schrieb die Kleine Zeitung vom 2. Dezember, dass das Land durch die Subventionierung der Staatsoperette der „Terrorszene, die sich auch in Österreich schon aufbaut, ein beträchtliches Stück näher- gerückt“ sei, und warf den Förderstellen vor, „sich mitschuldig an der Rechtfertigung des Terrors von gestern und der Vorbereitung des Terrors von morgen“ zu machen (62). Bei der Verurteilung des Films als Propagandainstrument der sozialistischen Regie- rung ließen die konservativen Kritiker außer Acht, dass die Staatsoperette, so scharf sie in der Tat gegen die Geschichtsverklärung des katholisch-konservativen Lagers

57 Zit. nach: LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „GÖA-Kunden- dienst - Genaue telefonische Reaktionen: Donnerstag, 30. November 1977“. 58 Interview Diemans in: „‚Staatsoperette‘ – ein geschmackloses Pamphlet“, Süd-Ost Tagespost, 30.11.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“. 59 Dementsprechend bezeichnete Dieman den Film als „die erschreckendste Folge der Rundfunkreform Kreiskys & Benyas, Brodas &Blechas“. Vgl. K. Dieman, „Staatsoperette“ (Anm. 53). 60 Zeitungsnotiz, in: Salzburger Volkszeitung, 30.11.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Rezensionen“. 61 Vgl. Stenographisches Protokoll der 72. Sitzung des Nationalrates der Republik Österreich, XIV. Gesetz- gebungsperiode, 1.12.1977, S. 6831ff. 62 Fritz Csoklich, „Die Lust, alte Gräber neu auszuheben“, Kleine Zeitung, 2.12.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Rezensionen“. Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik 279 vorging, alles andere als zimperlich mit der Sozialdemokratie umging: sei es über die gnadenlose Karikatur ihres „Säulenheiligen“ Otto Bauer und die Parodierung der fol- genschweren Diskrepanz zwischen Verbalradikalismus und Attentismus in der Sozial- demokratie der 1920er und 1930er Jahre, oder über die regelrechte Denunzierung der rückständigen Kulturpolitik der roten Regierung der 1970er Jahre in den Rahmense- quenzen. Die geringe Reaktion der sozialdemokratischen Partei auf diese Komponente der Satire mag darauf zurückzuführen sein, dass die im Film vorkommende Kritik an den geschichtspolitischen Tabus der Sozialdemokratie und den Unzulänglichkeiten ihrer Kulturpolitik in der Rezeption sofort von den konservativen Vorwürfen gegen die Parodierung Seipels und Dollfuß’ überdeckt wurde und daher ohnehin nicht mehr „skandalisiert“ werden musste. Neben der Terrorismus-Keule gehörten auch Geschmacklosigkeit, Pietätlosigkeit und Faktenwidrigkeit zu den häufigsten konservativen Vorwürfen gegen den Film. So sprach der damalige Pressereferent der Erzdiözese Wien, Erich Leitenberger, in Anlehnung an den konservativen ORF-Kuratoren Eduard Ploier von einer „äußerst geschmacklosen, nicht verantwortbaren Verfälschung der geschichtlichen Situation“ und kritisierte wei- ter: „Offensichtlich ist man in manchen Kreisen der ‚linken Reichshälfte‘ auch nach vier Jahrzehnten noch nicht bereit, einem Seipel oder einem Dollfuß ein Mindestmaß an Gerechtigkeit widerfahren zu lassen“ (63). Ebenfalls mit Hinweis auf dieses Mindestmaß an Gerechtigkeit rang sich die damals noch fundamentalkatholische Zeitung Die Furche sogar dazu durch, besondere Qualitäten des faschistischen und kirchenfeind lichen Führers Mussolini zu unterstreichen: „Nur war Mussolini zweifellos ein Gangster, hatte aber doch wohl etwas mehr Format als seine roten diktatorischen Nachahmer und Epi- gonen. Die elegantesten und interessantesten Frauen Italiens liefen ihm nach und eine von ihnen war bereit, mit dem Duce in den Tod zu gehen“ (64). Einer der Kritikpunkte, die Novotny und Zykan besonders getroffen zu haben scheinen, ist die Gleichsetzung dieser Satire und insbesondere der Parodierung Doll- fuß’ mit propagandistischen Maßnahmen der Nationalsozialisten, wie etwa in ihren derben Dollfußkarikaturen. So klagte eine empörte Zuschauerin in einem Brief an Zykan an: „Und Sie […] finden es für richtig, Dr. Dollfuß wegen seines kleinen Körperwuchses als bösartigen Zwerg vor Millionen Zuschauern in diesem Land zur Verhöhnung und Ver- spottung herumradeln zu lassen. Diese Bösartigkeit, Perfidie und sadistische Dummheit ist nicht mehr zu überbieten. Sind wir schon wieder soweit, daß Menschen wegen ihrer körperlichen Besonderheiten oder Behinderungen öffentlich verspottet werden können, so wie zur Zeit des ‚Stürmers‘ oder des ‚Unwerten Lebens‘“ (65). Entgegen solcher Vorwürfe hielt Novotny fest, dass der Witz immer schon eine legi- time Waffe gewesen sei, und dass Satire daher nicht an sich pauschal verurteilbar sei,

63 Erich Leitenberger, „Geschmacklose ‚Staatsoperette‘“, Präsent, Österreichische Wochenzeitung, 3.11.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staatsbegräbnis – Staatsoperette“. 64 Erich Thanner, „Österreich als Staatsoperette“, Die Furche, 16.09.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staatsoperette ORF-Dokumentation“. 65 Berta Pirker, Brief an Otto M. Zykan, 1.12.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezen- sion, Prozess“, Mappe „Staatsbegräbnis – Staatsoperette“. 280 Revue d’Allemagne sondern an ihrer politischen Zielsetzung bemessen werden sollte – und vor diesem Hin- tergrund sei eine Gleichsetzung der Staatsoperette mit NS-Propaganda unzulässig (66). Die Hetzkampagne rief aber auch FürsprecherInnen auf den Plan. In diesem Sinne sprach etwa die kommunistische Zeitung Wahrheit am Tag der Ausstrahlung von einem „programmierten ‚Skandal‘“ (67). In derselben Zeitung rief der kommunistische Lyriker und Journalist Arthur West ein paar Tage später dazu auf, die „Kläger […] anzuklagen“, und kritisierte dabei in erster Linie die konservative Vorherrschaft im Kulturbereich: „Nach dem kläglichen Scheitern der reaktionären Kampagne gegen die ‚Alpensaga‘ brauchte ‚man‘ ein neues Opfer. Und fand es prompt. Und organisierte eine Aktion bösester, gefähr- lichster Diffamierung – nein, nicht nur, ja nicht eigentlich gegen die Autoren der ‚Staats- operette‘ und gegen den angeblich so ‚roten‘ ORF, sondern schlechtweg gegen alles, was da gegen die herrschenden Machtstrukturen und ihre Verdummungsindustrie aufzumucken wagt“ (68). Auch Elfriede Jelinek beklagte nach der Ausstrahlung die rückschrittliche Kultur- politik Österreichs, betonte aber vor allem die Schuld der Sozialdemokratie an dieser Situation, indem sie festhielt: „Die ‚Staatsoperette‘ hat mir sehr gefallen, nicht zuletzt wegen der bösartigen Kritik an der Sozialdemokratie, die ja zum Beispiel kulturell mehr vernichtet hat als selbst konservative Richtungen. Das ist für mich ganz übel“ (69). Die kulturpolitischen Hauptfolgen des Filmes bekam allerdings Novotny zu spüren, dessen Karriere als Regisseur des ORF nach dem Skandal um den Film de facto beendet war. Nichtsdestotrotz hatte der Film insofern unmittelbare gesellschafts- und geschichts- politische Konsequenzen, als er eine öffentliche Auseinandersetzung mit dem Stand des Geschichtsunterrichts und darüber hinaus des Geschichtsbewusstseins in Österreich in die Wege leitete. So rechtfertigte etwa der sozialistische Unterrichtsminister Fred Sinowatz die öffentliche Subventionierung des Films gegen die Kritiker der ÖVP mit dem Argument: „Von den Herstellern des Filmes wollte man offensichtlich einen Denk- und Diskussionsanstoß im Hinblick auf die neuere Geschichte Österreichs geben und es ermöglichen, sich kritisch mit geschichtlichen Vorgängen auseinanderzusetzen“ (70). Vor diesem Hintergrund mag die durch die Staatsoperette ermöglichte Debatte über die Lücken des Geschichts- und Demokratiebewusstseins in Österreich auch zur endgül- tigen Implementierung von Sinowatz’ sogenanntem „Grundsatzerlass“ zur Politischen Bildung im April 1978 beigetragen haben, wodurch die Politische Bildung, verstanden als „Erziehung zu einem demokratischen Österreichbewusstsein“, als Unterrichtsprin- zip in den österreichischen Schulen etabliert wurde (71).

66 Vgl. Typoskript Novotnys, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezension, Prozess“, Mappe „Staatsbegräbnis – Staatsoperette“. 67 „Programmierter ‚Skandal‘“, Wahrheit, 30.11.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staatsoperette: Rezen- sion, Prozess“, Mappe „Rezensionen“. 68 Arthur West, „Die Kläger sind anzuklagen“, Wahrheit, 2.12.1977, LhW/Dst/N1.29-3, Karton „Staats- operette: Rezension, Prozess“, Mappe „Rezensionen“. 69 Elfriede Jelinek, in: Volksstimme, 15.10.1982, zit. nach I. Suchy, „Das Werden der Staatsoperette in Originaldokumenten“ (Anm. 17), S. 90. 70 Zit. nach ebd., S. 99. 71 Grundsatzerlass „Politische Bildung“, zit. nach Rupert Rappersberger, Alexander Nirgowics, Politi- sche Bildung in Österreich. Historische Betrachtung und empirische Studie, Dipl.-Arb., Wien, 2010, S. 183. Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik 281

Schluss Abschließend scheint es angebracht zu betonen, dass die Staatsoperette, abgesehen von dem Skandal, den sie auslöste und der seitdem mit ihrem Namen assoziiert ist, in erster Linie ein avantgardistisches, vielschichtiges und aufwendiges Kunstwerk darstellte. Dieser Experimentcharakter zeigt sich bereits in den von der bisheri- gen Forschung unterbelichteten Rahmensequenzen, über welche die Künstler die geschichtspolitische Satire um eine kulturpolitische Dimension ergänzten. Noch innovativer als diese unübliche zeitliche Auffächerung des Erzählformats war wohl die Gestaltung des Hauptteils des Films, in der Novotny und Zykan die Tradition der rührseligen Wiener Operette absichtlich verfremdeten, um sie zu den ursprünglichen gesellschaftskritischen Ansprüchen dieses musiktheatralischen enresG zurückzu- führen. Die über diese experimentelle Operette dargebotene Satire bestand nicht nur in einer Parodierung der historischen Hauptprotagonisten der Zwischenkriegszeit, sondern bediente sich auch eines komplexen Abstrahierungs- und Verdichtungs- verfahrens, das dazu diente, historische Begebenheiten und Figuren in parabelhafte Anspielungen zu verwandeln, um damit das vorherrschende Geschichtsbild zur Debatte zu stellen. An dieser Stelle stolperten die Künstler jedoch über ihre eigene Kre- ativität: Die hohen künstlerischen Ansprüche überstiegen das Rezeptionspotential des breiten Publikums und erwirkten sich damit negativ auf das aufklärerische Potential des Filmes aus. So scheiterte der angestrebte subversive Beitrag zur gesellschaftlichen Aufarbeitung der tabuisierten Zeitgeschichte bis zum einem gewissen Grad daran, dass es nur von einem eingeweihten Elitenpublikum verstanden werden konnte. In dieser Diskrepanz zwischen künstlerischem und gesellschaftspolitischem Anspruch liegt, aus geschichtspolitischer Perspektive, der heikelste Punkt des gesamten Werks.

Quellen- und Literaturverzeichnis Botz Gerhard, „Die Ausschaltung des Nationalrates und die Anfänge der Diktatur Dollfuß’ im Urteil der Geschichtsschreibung von 1933 bis 1973“, in: Anton Benya (Hg.), Vierzig Jahre danach. Der 4. März 1933 im Urteil von Zeitgenossen und Historikern, Wien, Doktor-Karl- Renner-Institut, 1973, S. 31-59. Botz Gerhard, Gewalt in der Politik. Attentate, Zusammenstöße, Putschversuche, Unruhen in Österreich 1918 bis 1938, München, Wilhelm Fink Verlag, 1983. Chaplin Charles, My autobiography, New York, Simon and Schuster, 1964. Gratzer Wolfgang, „Die Staatsoperette, ein signifikanter Skandal“, in: Peter Csobádi, Gernot Gruber (u. a.) (Hg.), Politische Mythen und nationale Identitäten im (Musik-)Theater, Anif/ Salzburg, Mueller-Speiser Verlag, 2003, Bd. II, S. 890-903. Hanisch Ernst, „Die Dominanz des Staates. Österreichische Zeitgeschichte im Drehkreuz von Politik und Wissenschaft“, in: Alexander Nützenadel, Wolfgang Schieder (Hg.), Zeit- geschichte als Problem. Nationale Traditionen und Perspektiven der Forschung in Europa, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2004, S. 54-77. Hantsch Hugo, „Engelbert Dollfuß (1892-1934)“, in: Ders. (Hg.), Gestalter der Geschicke Österreichs, Innsbruck/Wien/München, Tyrolia-Verlag, 1962, S. 611-623. Interview mit Franz Novotny, Wien, 15.12.2011 (Aufzeichnungen im Besitz der Autorin). Jedlicka Ludwig, Rudolf Neck (Hg.), Vom Justizpalast zum Heldenplatz, Studien und Doku- mentationen 1927 bis 1938, Wien, Verlag der Österreichischen Staatsdruckerei, 1975. Literaturhaus Wien, Dokumentationsstelle für neuere österreichische Literatur, Dst-Hand- schriftensammlung, Vorlass Franz Novotny, N1.29-3. 282 Revue d’Allemagne

Polt-Heinzl Evelyne, „Kulturskandale der 1970er Jahre. Lauter kleine Staatsoperetten“, in: Ders. (Hg.), Staatsoperetten. Kunstverstörungen. Das kulturelle Klima der 1970er Jahre, Wien, Dokumentationsstelle für Neuere Österreichische Literatur, 2009, S. 9-42. Rappersberger Rupert, Alexander Nirgowics, Politische Bildung in Österreich. Historische Betrachtung und empirische Studie, Dipl.-Arb., Wien, 2010. Stenographische Protokolle des Nationalrates der Republik Österreich, XIII. und XIV. Gesetz- gebungsperiode. Suchy Irene, „Das Werden der Staatsoperette in Originaldokumenten. Rekonstruktion eines Prozesses“, in: Evelyne Polt-Heinzl (Hg.), Staatsoperetten. Kunstverstörungen. Das kultu- relle Klima der 1970er Jahre, Wien, Dokumentationsstelle für Neuere Österreichische Lite- ratur, 2009, S. 86-122. Zelger Sabine, „Die Störung des nationalen Blicks oder Warum der österreichische Bildungs- kanon nicht auf die Staatsoperette verzichten darf“, in: Evelyne Polt-Heinzl (Hg.), Staats- operetten. Kunstverstörungen. Das kulturelle Klima der 1970er Jahre, Wien, Dokumentati- onsstelle für Neuere Österreichische Literatur, 2009, S. 123-134.

Zusammenfassung „Gottlose Propaganda“, „unverschämte Verfälschung der Geschichte“, „Pornographie“, „intellektualistischer Terrorismus“ – von solchen Anklagen und vielen mehr wurde die Ausstrahlung des Films Staatsoperette auf Österreichs öffentlichem Fernsehsender FS 2 am 30. November 1977 begleitet. Die Rahmengeschichte des Films handelt von den Schwierigkeiten eines jungen Regisseurs bei der Gestaltung eines Films im verkrusteten kulturpolitischen Kontext der 1970er Jahre in Österreich. Auf einer zweiten Ebene spielt die Kernhandlung des Films, die den eigentlichen Skandal auslöste: eine musikalische Tragikomödie, die mittels Satire und schwarzen Humors die großkoalitionär geprägten Mythen und Tabus rund um die diktatorische Wende der 1930er Jahre in einer präze- denzlosen Schärfe angreift. Nach einer Einbettung des avantgardistischen Filmprojekts in den politischen Kontext seiner Entstehung analysiert der Beitrag die politischen Moti- vationen der Künstler sowie ihre Umsetzungstechniken, liefert einen Einblick in den Skandal und seine Hintergründe, und geht abschließend der Frage der längerfristigen Wirkung und Bedeutung des Films nach.

Résumé « Propagande impie », « honteuse falsification de l’histoire », « pornographie », « terro- risme intellectualiste !» – autant de qualificatifs critiques que le film scandale Staatsope- rette recueillit dans l’opinion publique autrichienne à sa diffusion le 30 novembre 1977 sur la chaîne nationale. Le cadre de l’histoire se situe dans l’Autriche des années 1970 et met en scène un dramaturge confronté à de nombreux obstacles lors de la création d’un film jugé trop politisé par le monde de la culture sclérosé de son époque. Au second plan, qui devient le centre du film, on découvre l’objet de la critique : une tragicomédie musicale dénonçant par la satire et l’humour noir l’écriture de l’histoire « coalition- naire » autrichienne et notamment les mythes et tabous entourant le tournant dictato- rial des années 1930 en Autriche. Après avoir resitué l’œuvre dans le contexte politique des années 1970, cette contribution analyse les techniques filmiques et les motivations politiques des artistes, avant de revenir sur le scandale provoqué par le film et sur sa portée artistique et politique à plus long terme. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 283 T. 45, 2-2013

Emblème interactif du commerce identitaire : « Bitte liebt Österreich » de Christoph Schlingensief

Kerstin Hausbei*

Dans le théâtre européen, les œuvres de commande ayant trait à l’« identité natio- nale » appartiennent à un passé révolu. Pourtant, une des œuvres les plus connues de Christoph Schlingensief, l’installation-performance (Aktion) « Bitte liebt Österreich. Erste österreichische Koalitionswoche » réalisée en juin 2000 dans le centre historique de Vienne, y ressemble de près. En réplique à l’émission télévisée Big Brother (1) dont le lancement en mars 2000 avait inauguré l’ère de la « télé-réalité » sur les chaînes de langue allemande et déclenché si ce n’est une « panique morale » du moins une « panique médiatique » (2), Schlingensief avait installé douze demandeurs d’asile dans un « village de containers » (3), des baraques de chantier où ils furent filmés en continu. L’installation était surmontée d’un écriteau portant le slogan « Ausländer raus » (« Étrangers dehors »), du logo du tabloïd autrichien Kronen Zeitung et du drapeau du FPÖ. Des affiches électorales du FPÖ et la retransmis- sion de discours électoraux de Jörg Haider complétèrent le décor visuel et sonore. Comme dans l’émission télévisée, les candidats devaient se soumettre à certains rituels et jeux collectifs imposés. Via un vote par téléphone, ils furent éliminés à un rythme régulier

* Maître de conférences, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, membre du CEREG. 1 Le format fut lancé par Endemol en octobre 1999 aux Pays-Bas sur la chaîne privée Veronica, puis repris dans d’autres pays, également sur des chaînes privées à faible audience, ainsi sur RTL2 pour les pays germanophones en mars 2000 et sur M6 (sous le titre Loft story) en France en avril 2001. 2 Cf. Daniel Biltereyst, « Reality TV, troublesome pictures and panics : reappraising the public contro- versy around Reality TV in Europe », in : Su Holmes et Deborah Jermyn (éd.), Understanding Reality Television, Londres/New York, Routledge, 2004, p. 91-110. 3 L’expression « Container » utilisée par Schlingensief fait directement référence à l’émission Big Brother où elle désigne le logement des candidats. Dans les médias, le terme « Container-Show », utilisé pour désigner l’émission, est repris pour l’action de Schlingensief. À la différence du terme « loft » utilisé en France, le terme « container » assimile ses occupants à des objets, voire des marchandises. Dans le changement du titre de l’émission, on constate une certaine prudence de la part du diffuseur français. 284 Revue d’Allemagne par les spectateurs selon le seul critère de leur sympathie, jusqu’à obtention du gagnant. L’élimination des candidats fut mise en scène comme une reconduction à la frontière. Fidèle à son modèle, ce dispositif donna lieu à trois types de médiations : (1) une retrans- mission « en direct » (en réalité avec un léger décalage permettant une sélection et un montage des images) sur une webtélé dont le site Internet proposa par ailleurs des infor- mations annexes sur les candidats et le jeu ; (2) un rapport quotidien résumant la journée sous la forme d’une narration en épisodes (Schlingensief remplaça l’émission télévi- suelle quotidienne par une tribune dans le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung) ; (3) une animation de type talk-show sur le lieu du spectacle qui constituait le cadre pour l’annonce des résultats du vote et les éliminations régulières, faisait intervenir un modérateur (Schlingensief ou son double André Wagner) et des experts (dans le cas de Schlingensief des invités du monde politique et culturel) et donnait au public la pos- sibilité de s’exprimer. La commande avait été passée par Luc Bondy pour le compte du festival international Wiener Festwochen, une vitrine culturelle importante qui bénéficiait à l’époque d’une subvention de l’État autrichien. Or, l’installation-performance fut non seulement conçue, mais aussi annoncée publiquement par Bondy lors de la conférence de presse inaugurale comme une « prise de position politique » (politisches Statement) en réaction directe à la formation du gouvernement d’alliance entre ÖVP et FPÖ début février, qui faisait suite aux élections d’octobre 1999 dans lesquelles le FPÖ était affirmé comme deuxième force politique du pays (derrière le SPÖ et devançant de justesse l’ÖVP) (4). Le spectacle s’ins- crit de ce fait directement dans le contexte politique de l’époque qui en fournit la toile de fond, la situation de réception et, comme nous le verrons, le matériau. Dominé sur le plan national par de multiples manifestations d’opposition spontanées dont la créativité fut parfois proche de celle des pratiques situationnistes des années 1960 ou de la révolte étudiante de 1968 (5), celui-ci fut marqué, sur le plan international, par des réactions diplomatiques virulentes que la réaffirmation solennelle des valeurs fondamentales (notamment le respect des droits de l’Homme et l’intégration européenne), imposée comme préambule au programme du gouvernement par le président autrichien, Klestil, n’avait pas suffi à éviter. Rappelons notamment que les autres États membres de l’Union européenne, sur l’initiative de la France et face à l’impossibilité d’une action de l’Union contre l’un de ses membres, avaient mis en place des sanctions bilatérales, ressenties comme une mise sous tutelle par de nombreux Autrichiens et fortement controversées dans le milieu des spécialistes du droit international. Levées en septembre 2000, elles étaient encore pleinement en vigueur au moment du festival (6). Toutes ces réactions et mesures inhabituelles peuvent être comprises comme des (ré)affirmations identitaires publiques motivées par une « perte d’identité » (Ingeborg Zelinka) collective. Dans le

4 Cette conférence de presse, tout comme la performance dans son ensemble, est documentée dans le film Ausländer raus! Schlingensiefs Container de Paul Poet, monitorprop entertainment, 2005. Sauf indication contraire, toutes les traductions ont été faites par mes soins. 5 Cf. le chapitre « L’année 2000. La marche vers la crise » et plus particulièrement le sous-chapitre « Protes- tations et manifestations : un antifascisme modernisé ? » dans Patrick Moreau, De Jörg Haider à Heinz- Christian Strache. L’extrême droite autrichienne à l’assaut du pouvoir, Paris, Cerf, 2012, p. 284-288. 6 Même la décision de mandater un observatoire des sages pour préparer la sortie de crise ne fut prise que le 30 juin, soit près de quinze jours après la fin de l’installation-performance. « Bitte liebt Österreich » de Christoph Schlingensief 285 cadre de l’identité nationale ou européenne reposant autant sur l’affirmation d’un « sys- tème social de référence » que sur la « démarcation par rapport à autrui », entendons par là « la crainte que la présence de certains traits communs, de certaines normes et valeurs puisse être perturbée, voire détruite par trop d’altérité » (7). En 1999/2000, ce phénomène est observable à deux niveaux, formant un effet de cas- cade. Car le succès électoral du FPÖ, comme celui d’autres partis de la droite populiste en Europe au même moment, reposait bien sûr déjà sur une crise identitaire de ce type par laquelle une partie de la population réagissait aux mutations sociales causées par la mondialisation, l’hétérogénéité culturelle croissante et la nouvelle situation géopo- litique issue de l’effondrement du bloc soviétique. Le paysage politique autrichien avait répondu à ces évolutions par un important repositionnement des principaux partis en matière de politique identitaire, ce qui avait probablement favorisé le succès du FPÖ (8). Dans cette « nation tardive au carré » marquée par le « traumatisme de l’exclusion » (« Ausschlusstrauma »), puis celui causé par l’Anschluss (« Anschlusstrauma ») (9), la créa- tion d’un « Österreichbewusstsein » dans la fonction d’une identité nationale était encore récente. Comme le souligne Gerald Stieg, cette « ‘conscience autrichienne’, aujourd’hui partagée par une large majorité, n’est pas une donnée naturelle ou historique, mais le résultat d’une ‘prise de conscience et d’un processus d’apprentissage’ » (10). Porté (après des hésitations du SPÖ) par tous les partis politiques de la Deuxième République à l’ex- ception du FPÖ qui défendait l’idée d’une appartenance des Autrichiens à la nation allemande, celui-ci avait porté ses premiers fruits dans les années soixante et culminé dans les années quatre-vingt-dix. Les Autrichiens estimaient alors à 92-94 % (avec de légères variations selon les années) qu’ils formaient une nation (contre 49 % en 1956 et 70 % en 1964) et se montrèrent plus fiers de leur nation que leurs voisins européens. Inversement, le sentiment d’appartenance à l’Union européenne, à laquelle l’Autriche venait seulement d’adhérer, était encore peu développé et complexifié par el caractère anxiogène de problématiques alors actuelles comme l’élargissement de l’Union à l’Est de l’Europe ou la création de la zone euro. Or si l’ÖVP et le SPÖ, dominants dans la création du « Österreichbewusstsein », avaient adopté après la consolidation de celui-ci

7 Ingeborg Zelinka, « Zur Schaffung von Identität – Österreich und Polen in Europa », in : Karl Acham, Katharina Scherke (éd.), Kontinuitäten und Brüche in der Mitte Europas. Lebenslagen und Situationsdeutungen in Zentraleuropa um 1900 und um 2000, Vienne, Passagen-Verlag (= Studien zur Moderne 18), 2003, p. 90. 8 Voir Susanne Frölich-Steffen, « Die Identitätspolitik der FPÖ : Vom Deutschnationalismus zum Österreich-Patriotismus », Österreichische Zeitschrift für Politikwissenschaft, n° 3 (2004), p. 281-295. 9 Cf. Rudolf Burger, « Die nachträgliche Nation. Gedanken zu einer unvollständigen Gegenwart », Welt- stadt Wien. Plattform für urbane An- und Aufregung, conférence du 23.02.2005, http://www.weltstadtwien. org/site/fileadmin/user_upload/Vortrag_Rudolf_Burger.pdf (dernière consultation le 10.09.2013). 10 Gerald Stieg, L’Autriche : une nation chimérique ?, Cabris, éditions Sulliver, 2013, p. 131. Sur ce processus, cf. également (y compris pour les résultats d’enquête qui suivent) Ernst Bruckmüller, « Die Entwicklung des Österreichbewusstseins », in : Robert Kriechbaumer (dir.), Österreichische Nationalgeschichte nach 1945. Die Spiegel der Erinnerung: Die Sicht von innen, Vienne, Böhlau, 1998, p. 369-396. Cf. également Wilhelm Kempf, « Die Konstruktion nationaler Identität in der Presse seit 45 », conflict & communication online, vol. 1, n° 1 (2002). Pour une présentation plus complète de l’évolution jusqu’à la fin des années soixante-dix, cf. Félix Kreissler, La prise de conscience de la nation autrichienne : 1938, 1945, 1978, Paris, PUF, 1980. 286 Revue d’Allemagne une orientation européenne, le FPÖ avait de son côté investi le patriotisme autrichien devenu vacant, revenant par la même occasion également sur sa position initialement pro-européenne pour se positionner comme le défenseur d’une identité nationale mena- cée. Mais ses principales positions en matière de politique identitaire se trouvaient tou- jours en contradiction avec l’« Österreichbewusstsein » tel qu’il s’était développé sous la Deuxième République. Celui-ci reposait sur l’idée de l’État-nation (11) et, dans la classifi- cation établie par Bernhard Giesen, sur une codification universaliste de la nation (basée sur des valeurs) (12). Depuis la fin des années quatre-vingt, il incluait la conscience d’une co-responsabilité du peuple autrichien pour les crimes du national-socialisme (Mitver- antwortungsthese) qui avait fini, après l’affaire Waldheim, par remplacer dans la politique mémorielle autrichienne la thèse jusque-là officielle d’un statut de victime de l’Autriche (Opferthese) (13). Le FPÖ, comme le montraient explicitement le programme du parti en 1997 et la campagne électorale ouvertement xénophobe de 1999, continuait à s’appuyer sur une codification primordiale du collectif national (présentant celui-ci comme une entité préexistante à la politique) pour prôner une politique d’immigration qui corres- pondait, certes, dans les grandes lignes à celle défendue par l’ÖVP, mais qui s’appuyait sur des arguments foncièrement différents (14). S’ajoutait à cela son statut de parti traditionnel qui le distinguait des autres partis nationaux-populistes en Europe et qui avait impliqué depuis ses débuts une continuité personnelle et discursive avec le passé national-socia- liste. Aussi, les systèmes sociaux de référence, que ce soit le paysage politique autrichien (depuis 1986), l’internationale libérale ou le groupe libéral au Parlement européen (dans les années quatre-vingt-dix), avaient réagi à ce caractère propre du FPÖ en l’isolant poli- tiquement, établissant ainsi son statut d’altérité au sein du système (15). En février 2000, si le risque d’un dérapage politique fut mince dans le cadre d’un gouvernement d’alliance fortement dominé par l’ÖVP, l’intégration du FPÖ dans l’exécutif conférait à celui-ci le pouvoir symbolique de représenter l’Autriche (et l’Europe), modifiait de ce fait, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, l’image de la nation sur des points sensibles et finit ainsi par mettre en cause les marqueurs identitaires établis. C’est sur cette perte d’identité que Luc Bondy mit l’accent lors de la conférence de presse inaugurale de « Bitte liebt Österreich » lorsqu’il motiva l’invitation de Schlingensief par

11 Cf. E. Bruckmüller, « Die Entwicklung des Österreichbewusstseins » (note 10). 12 Pour le rappel de cette classification et son application au spectre politique autrichien, cf. Werner Suppanz, « Antisemitismus und Xenophobie – Konstruktionen des Eigenen und des Fremden in Österreich um 1900 und um 2000 », in : Acham/Scherke (éd.), Kontinuitäten und Brüche in der Mitte Europas (note 7), p. 219-231. 13 Cf. à ce sujet Heidemarie Uhl, « Vom Opfermythos zur Mitverantwortungsthese : NS-Herrschaft, Krieg und Holocaust im ‘österreichischen Gedächtnis’ », in : Christian Gerbel, Manfred Lechner e.a. (éd.), Transformationen gesellschaftlicher Erinnerung. Studien zur Gedächtnisgeschichte der Zweiten Republik, Vienne, Turia & Kant, 2005, p. 50-82. 14 Cf. pour l’analyse du programme du parti Werner Suppanz, « Antisemitismus und Xenophobie – Konstruktionen des Eigenen und des Fremden in Österreich um 1900 und um 2000 » et au sujet de la campagne électorale la page du Demokratiezentrum Wien où les affiches les plus virulentes sont exposées et commentées, http://www.demokratiezentrum.org/bildstrategien-zusatz/bildstrategien- liste.html?index=841 (page consultée le 24.08.2013). 15 Cf. Anton Pelinka, « Die FPÖ in der vergleichenden Parteienforschung. Zur typologischen Einordnung der Freiheitlichen Partei Österreichs », Österreichische Zeitschrift für Politikwissenschaft, 3 (2002), p. 281-290. « Bitte liebt Österreich » de Christoph Schlingensief 287 le « malaise » qu’il ressentait de « vivre dans un pays où le parti conservateur a brisé le tabou en intégrant un parti d’extrême-droite au gouvernement ». Cette justification étonnamment personnelle d’un choix de programmation qui engageait de facto, au-delà de sa personne, le festival dans son ensemble a, me semble-t-il, valeur de programme. La formulation choisie pour désigner l’événement politique incriminé renvoyait néces- sairement tant au mythe fondateur antifasciste de l’Union européenne comme système de valeurs qu’au contexte actuel d’une montée des populismes de droite dans plusieurs pays européens. Elle impliquait ainsi une généralisation du propos au-delà de l’actualité autrichienne, une tendance que confirme également la thématique retenue pour le spec- tacle, la xénophobie, qui faisait explicitement partie de la commande (16) et qui n’était le propre ni du FPÖ ni de l’Autriche. Mais surtout, en concrétisant et en individualisant l’effet produit par cet événement politique, Bondy faisait exister le « malaise ». Aussi, l’installation-performance de Schlingensief n’était pas censée évacuer ce malaise par une affirmation identitaire mais, selon l’expression de Bondy, faire du festival un « podium pour la discussion politique » et offrir au public un « espace ermettantp de réfléchir à bien des choses » (« Raum geben, über vieles nachzudenken ») (17). Bondy affecta ainsi à l’œuvre d’art non la fonction de joindre sa voix au concert (ou à la cacophonie) des discours identitaires, mais celle de l’interrompre, une fonction qui souligne la singu- larité de la démarche artistique au sein du contexte décrit plus haut. Selon Hans-Thies Lehmann, elle constitue également l’aspect politique d’une forme de théâtre axée sur la situation théâtrale pour laquelle il venait à l’époque de forger le concept du « pos- tdramatique » (18). Aussi, c’est non par un narratif mais par la structure de son dispositif scénique que Schlingensief répondit à cette commande complexe. Je plaiderai dans la suite de cet article pour une lecture de celui-ci comme emblème interactif. Cette grille de lecture repose sur la version tripartite de l’emblème telle qu’elle découle de l’Emblematum liber d’André Alciat et devint dominante dans la littérature baroque allemande. Conjuguant image et discours, ce type d’emblème est composé d’un titre (inscriptio), d’une image (pictura) et d’un épigramme (subscriptio) qui explique l’image et lui attribue ainsi une signification. « La double fonction remplie par l’architecture tripartite de l’emblème, la représentation et l’attribution d’une signification, repose sur le fait que l’objet représenté signifie plus qu’il ne représente. La res picta de l’emblème a une capacité indicielle, elle est res significans » (19). Or, à la différence du symbole où ce rapport n’a pas besoin d’être expliqué puisque, selon l’expression de Goethe, l’universel est contenu dans le particulier et peut y être « cueilli », l’emblème repose sur un rap- port conventionnel entre image et signification. C’est pour cette raison que lusieursp

16 Bondy rappela ce contrat initial à Schlingensief dans un fax daté du 04.06.2000 reproduit dans Mat- thias Lilienthal et Claus Philipp (éd.), Schlingensiefs AUSLÄNDER RAUS. BITTE LIEBT ÖSTER- REICH, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2000, p. 131. 17 Conférence de presse à l’occasion du lancement de la performance. 18 Voir surtout Hans-Thies Lehmann, « Wie politisch ist postdramatisches Theater ? Warum das Poli- tische im Theater nur die Unterbrechung des Politischen sein kann » (2001), in : id., Das politische Schreiben. Essays zu Theatertexten, Berlin, Theater der Zeit, 2002, p. 11-21. 19 Arthur Henkel et Albrecht Schöne, « Vorbemerkungen der Herausgeber » (1967), in : id. (éd.), Emblemata. Handbuch zur Sinnbildkunst des XVI. Und XVII. Jahrhunderts, Stuttgart/Weimar, Metz- ler, 1967/1996, p. XIII. 288 Revue d’Allemagne significations peuvent être attribuées à une mêmeres picta, comme on le constate notamment au moment de la prolifération des emblèmes à l’époque baroque qui eut pour conséquence la création, autour de nombreuses images, d’un champ entier de significations emblématiques (20). Si les significations potentielles d’une même image sont donc multiples, « dans chaque cas précis, le texte interprétatif de l’emblème éta- blit une relation fixe et univoque entre lares significans et la signification retenue » (21). L’interprétation de « Bitte liebt Österreich » comme emblème repose donc sur la triple hypothèse d’une architecture tripartite de l’action-performance, de son fonctionne- ment pictural (et non dramatique) et d’une nature conventionnelle du lien existant entre cette image et la signification qui lui est attribuée. L’inscriptio, visible de loin, est fournie par le slogan « Ausländer raus ». Elle para- phrase le thème imposé, la xénophobie, et devient ainsi le titre de l’emblème, une fonction que lui reconnurent d’ailleurs les deux documentations de l’installation- performance en choisissant ce slogan comme titre (22). Comme dans tout emblème, la pictura provient d’un fond d’images déjà constitué. Elle est reprise sur le mode de la citation. L’image choisie par Schlingensief est de nature composite. Une partie, dis- cursive, est constituée par le décor visuel et sonore issu de la campagne électorale du FPÖ, l’autre partie, narrative, par le dispositif de l’émission télévisée Big Brother. Ces deux parties de l’image fonctionnent comme des icônes de leurs contextes d’origine qu’elles représentent de façon métonymique. Leur utilisation conjointe suggère que ces contextes entretiennent entre eux un rapport d’analogie. La transformation du narratif de Big Brother en une image supposait de neutra- liser le temps transitoire du changement de situation (action) au profit d’une durée (permanence d’un état). Dans « Bitte liebt Österreich », cet effet repose d’une part sur le statut de citation de l’action, d’autre part sur la nature même de cette action, et enfin sur la transplantation du dispositif télévisuel dans l’espace théâtral. Le statut de citation crée une temporalité rétrospective propice à une vue d’ensemble et attri- bue de surcroît à l’action dans son ensemble le statut d’un signe. Comme cette action (l’élimination progressive des candidats) est directement générée par une règle du jeu qui en fixe à l’avance la durée, le rythme, le déroulement et l’issue (un seul gagnant), son référent reste par ailleurs en dernière instance le jeu lui-même. Le narratif produit par ce jeu, s’il dénote a priori une série de micro-actions aboutissant à un changement de situation, pouvait ainsi être utilisé par Schlingensief comme une brique narrative dont l’ensemble du contenu fut activé dès avant le premier vote du public, au moment de l’annonce publique de la règle du jeu au début du spectacle, et resta intact jusqu’à sa fin. Ce statut particulier de l’action devint évident au moment où des membres du mouvement d’opposition au gouvernement envahirent le site, vandalisèrent l’écriteau et tentèrent de « libérer » les demandeurs d’asile. Au lieu d’accepter cette évolution de la situation et de rebondir sur cet infléchissement imprévu de l’action, Schlingensief se comporta en gardien de l’image et de la règle du jeu et assura par la même occasion la

20 Ibid. 21 Ibid. 22 Lilienthal/Philipp (éd.), Schlingensiefs AUSLÄNDER RAUS. BITTE LIEBT ÖSTERREICH (note 16) ; P. Poet, Ausländer raus ! (note 4). « Bitte liebt Österreich » de Christoph Schlingensief 289 conformité de la citation à l’original télévisé : il fit installer un nouvel écriteau et reprit le scénario initialement prévu là où il avait été interrompu. L’effet statique de l’emblème fut encore renforcé par la dramaturgie du regard qui inverse, dans « Bitte liebt Österreich », les éléments visibles et invisibles de l’émission télévisée Big Brother. Dans Big Brother, le jeu d’élimination et le divertissement télévi- suel reposent pareillement sur la (prétendue) visibilité permanente des candidats. La médiation des caméras de surveillance assure la nécessaire transparence du quatrième mur, alors que le montage de ces images aboutissant à une dramatisation sous la forme d’un « real life soap » permet au téléspectateur d’entretenir une relation para-sociale avec les candidats. Par la transplantation du dispositif dans l’espace théâtral, Schlin- gensief créa la « matérialité » du spectacle (Aufführung (23)), un espace-temps performa- tif qui assure pour une durée déterminée la co-présence entre acteurs et spectateurs. Or, comme les images filmées à l’intérieur des « containers » furent pour l’essentiel montrées sur Internet ce qui supposait à l’époque que le spectateur s’absente du lieu théâtral pour les voir (24), l’effet paradoxal de cette co-présence fut que les candidats de « Bitte liebt Österreich » furent dérobés au regard des spectateurs et dissimulés derrière un quatrième mur devenu opaque.

Paul Poet, maquette à monter soi-même, photo Daniel Bascou : village de containers.

Ce qui devint visible dans l’espace théâtral fut en revanche l’envers du décor de l’émission télévisée (25) : un lieu clos placé sous haute protection duquel sortaient une fois par jour deux candidats éliminés. Escortés par le personnel de sécurité et protégés par des barricades anti-émeute, coiffés d’un couvre-chef et dissimulant leur visage

23 Cf. sur ce concept Erika Fischer-Lichte, « Aufführung », in : id., Doris Kollesch, Matthias Wars- tat (éd.), Metzler Lexikon Theatertheorie, Stuttgart/Weimar, Metzler, 2005, p. 16-26. 24 Dans l’espace théâtral, seul un petit moniteur à l’extérieur d’un « container » et la « peep-show », un couloir de palissades, fermé par une grille, qui menait à un endroit d’où on pouvait lorgner dans la cour entre les « containers », à travers les interstices entre les lattes de la palissade, permirent de voir l’intérieur du dispositif scénique. 25 Une vue extérieure du village de containers ayant accueilli en 2000 les candidats de Big Brother à Hürth près de Cologne est désormais accessible sur Internet : http://www.bb-unzensiert.de/#!m=10090 (consulté le 15.09.2013). 290 Revue d’Allemagne derrière un journal, ils n’avaient aucun profil individuel pour les spectateurs. Dans la mesure où ceux-ci n’avaient pas eu l’occasion de construire une relation avec ces can- didats dont Schlingensief affirma tantôt qu’ils étaient des acteurs, tantôt qu’ils étaient de vrais demandeurs d’asile, tout en annonçant que leurs CV avaient été modifiés, cette image était purement itérative. Le choix du site au centre historique et touristique de Vienne, le contraste (visuel et conceptuel) avec l’opéra national voisin, l’animation ininterrompue sur et autour des containers et le choix du toit d’un des containers pour les « jeux collectifs » (comme la gymnastique ou les cours d’allemand) eurent pour effet majeur d’exposer, et même d’imposer, le village de containers (invisible pour le téléspectateur) comme objet au regard et de le placer dans un certain nombre de sys- tèmes binaires qui en soulignèrent l’altérité. Au parcours des candidats s’était ainsi substituée dans le regard du spectateur la durée d’une image altérée dont Schlingensief fit le décompte. Grâce à cette opération d’inversion, les deux parties de la pictura pouvaient entre- tenir entre elles une relation d’analogie qui reposait simultanément sur l’aspect de l’exclusion et sur celui du jeu. Les deux contextes d’origine se commentent dès lors l’un l’autre. Alors que le discours identitaire du FPÖ peut être lu comme le sous-texte politique de l’émission (que les critiques les plus virulentes de l’émission n’avaient pas manqué d’y déchiffrer (26)), la brique narrative de Big Brother fonctionne comme la réalisation performative, à travers un jeu purement fictif, des idées populistes et xénophobes du FPÖ dont elle dévoile ainsi la fictionnalité : « Comme dans Big Brother, il s’agissait de vrais gens dans une vraie situation, mais le cadre dans son ensemble était inventé, voire absurde. On pourrait en tirer une première conclusion : si seul un cadre fictif peut donner réalité à un discours, le caractère fictif de ce discours devient évident » (27). La pictura de l’emblème participe donc à la constitution de significations potentielles liées pour l’essentiel à la construction identitaire par l’exclusion et au populisme, sans fixer une seule signification de façon univoque. De plus, les significations possibles découlent des contextes dont sont issues les images et se réfèrent strictement à ceux-ci. Ils ne contiennent aucune assignation identitaire au sujet de l’Autriche et même le caractère propre du FPÖ, à savoir sa relation particulière au passé national-socialiste, ne fut pas introduit expressé- ment. C’est surtout le discours médiatique et politique déclenché par l’émission Big Bro- ther qui permettait d’inclure cette strate de signification. Celui-ci avait ne effet comparé le container de l’émission à un camp de concentration et avait comparé le statut des candidats non seulement à celui de rats de laboratoires, mais également de cobayes humains (28).

26 Cf. Lothar Mikos, Patricia Feise, Katja Herzog e.a., Im Auge der Kamera. Das Fernsehereignis Big Brother, Berlin, Vistas (Beiträge zur Film- und Fernsehwissenschaft, 55), 2000, et D. Biltereyst, « Reality TV, troublesome pictures and panics » (note 2). 27 Mark Siemons, « Der Augenblick, in dem sich das Reale zeigt. Über Selbstprovokation und die Leere », in : Schlingensiefs Ausländer raus (note 16), p. 125-126 : « Wie bei Big Brother ging es also um wirkliche Menschen in einer wirklichen Situation, doch der Rahmen als ganzer war völlig erfunden bis zur Absurdität. Daraus ließe sich zunächst die Konsequenz ableiten: Wenn erst ein fiktiver Rahmen einem Diskurs Realität geben kann, erweist sich der Diskurs selbst als fiktiv. » 28 Cf. le chapitre « Der Diskurs um Big Brother » dans Mikos/Feise/Herzog e.a., Im Auge der Kamera (note 26), p. 183-213. « Bitte liebt Österreich » de Christoph Schlingensief 291

La fonction proprement interprétative revient ainsi à la subscriptio qui prend dans « Bitte liebt Österreich » une forme orale dans le cadre du « talk-show » autour des containers. Elle est prise en charge dès le début de l’installation-performance par Schlingensief (et son double André Wagner) dans son rôle d’animateur du site. Or, si chacun des énoncés définitoires qui en tiennent lieu établit une signification précise, il est frappant de constater que Schlingensief les multiplia sous la forme de séries de propositions contradictoires dès le début du spectacle : « Das ist Österreich » (« C’est ça, l’Autriche »), « Das ist die FPÖ » (« C’est ça, le FPÖ »), « Das ist die Kronen Zeitung » (« C’est ça, la Kronen Zeitung »), « Das ist Wien » (« C’est ça, Vienne »), « Das ist Nazis » (« C’est ça, les nazis »), « das bist du, das bin ich. Das sind Sie » (« C’est toi, c’est moi. C’est vous »), etc. La sérialisation des énoncés fit clairement apparaître le caractère conventionnel des attributions de signification dans le cadre de l’emblème et constitua de cette manière une sorte de mode d’emploi de celui-ci. Schlingensief n’en privilégia aucune et évita de se positionner. Interpellant les spectateurs, se contentant souvent de répéter au mégaphone ce que l’un ou l’autre spectateur avait dit, prenant de surcroît différents rôles (dont celui d’un membre du FPÖ), il délégua la constitution du sens très explicitement aux spectateurs. C’est ainsi que l’emblème devint interactif. Comme dans certaines autres performances contemporaines, le dispositif de Schlingensief se concentrait donc avant tout sur la situation théâtrale elle-même et produisait, dans une situation où nul ne peut se tenir en dehors du spectacle, « trois types de spectateurs que l’on peut subdiviser en d’innombrables sous-catégories : celui qui participe au jeu, le voyeur et celui qui refuse de participer. Et aucun de ces rôles ne leur permet de consommer le spectacle à distance, en sécurité et passifs » (29). Le spectateur fut directe- ment impliqué dans le spectacle, il fut rendu conscient de sa co-responsabilité de l’évé- nement et fut amené à faire une expérience du type de celles que Fischer-Lichte décrit, dans le cadre de l’esthéticité du spectacle, comme événement (et non comme mise en scène) ce qui implique un « excès d’attention » de la part du spectateur ainsi que la collision d’oppositions : « Les spectateurs se perçoivent eux-mêmes comme sujets qui influent sur le cours des choses et sont influencés par lui ; ils vivent le spectacle comme un processus esthétique et social, voire politique, lors duquel on négocie ses rapports avec les autres, se livre à des luttes de pouvoir, fait et défait des communautés » (30). Si le quatrième mur opaque ouvrit donc une deuxième scène sur laquelle se déroula le « véritable » spectacle, le contexte politique fournit les conditions pour que l’identité nationale pût en devenir l’objet principal. Là encore, c’est le rapport à l’émission Big Brother qui est déterminant. En se référant au panoptique de Bentham et l’analyse qu’en

29 Jan Deck, « Zur Einleitung : Rollen des Zuschauers im postdramatischen Theater », in : Jan Deck, Ange- lika Sieburg (éd.), Paradoxien des Zuschauens. Die Rolle des Publikums im zeitgenössischen Theater, Bie- lefeld, transcript, 2008, p. 15 : « drei verschiedene Grundtypen der Zuschauerschaft, die sich in unzählige Untertypen aufteilen können: den Mitspieler, den Voyeur und den Verweigerer. Und keine dieser Rollen ermöglicht ihnen ein geschütztes, passives Konsumieren eines Theaterabends aus sicherer Distanz. » 30 Eriak Fischer-Lichte, « Aufführung », in : Fischer-Lichte/Kollesch/Warstat (éd.), Metzler Lexikon Theatertheorie (note 23), p. 21-22 : « In ihnen [den Aufführungen, KH] erfahren sich die Betei- ligten als Subjekte, die ihren Gang mitbestimmen und sich zugleich von ihm bestimmen lassen. Sie erleben die Aufführung als einen ästhetischen und zugleich sozialen Prozess, in dem die Beziehungen ausgehandelt, Machtkämpfe ausgefochten, Gemeinschaften gebildet und wieder aufgelöst werden. » 292 Revue d’Allemagne fait Michel Foucault (31), François Jost reconnaît dans le format télévisé (et ses modèles sur Internet (32)) un « panopticon inversé » (33). Car si le dispositif de Bentham servait à rationaliser les moyens employés pour la surveillance d’une multitude de détenus grâce à une structure circulaire avec une tour de surveillance centrale et des cellules de déte- nus disposés sur un anneau périphérique, le dispositif de Big Brother inverse en effet le dispositif initial : alors que chez Bentham la périphérie est exposée à la potentialité du regard d’un surveillant dissimulé par la tour qui assure ainsi « le fonctionnement auto- matique du pouvoir » (34), le format télévisé permet à une multitude de téléspectateurs, invisibles pour les candidats, de les observer à tout moment, mais aussi de s’absenter à leur guise. Jost appelle cela un « ‘contrat’ exhibitionniste » (35). On peut y voir également un phénomène de théâtralité, comme le souligne Jens Roselt : « Quiconque parle de Big Brother se sert automatiquement des termes clef qui caractérisent la théâtralité : mise en scène, illusion et réalité, authenticité, émotion, voyeurisme, exhibition- nisme et honte. On parle de théâtralité quand il est question de la dialectique du voir et de l’être vu, quand des humains regardent d’autres humains, quand la volonté de voir et la volonté de montrer coïncident – dans une relation réfléchie. Réfléchi veut dire que l’observation n’est pas un effet annexe mais présentée comme condition préalable à la situation observée » (36). Or, face au « téléspectateur omniscient et omnipotent capable d’éliminer par son vote ceux qui ne lui reviennent pas » (37), les candidats de Big Brother sont dans la situa- tion de devoir construire une image d’eux-mêmes dont ils pensent qu’elle peut leur assurer leur « survie » dans le loft. Ils mettent en place une stratégie de « présentation scénique d’eux-mêmes » (38), ils inventent des personnages et les présentent dans une auto-mise en scène. Mikos/Feise e.a. relient ce fonctionnement aux mutations de la société décrites plus haut : « Dans la société différenciée et plurielle, les individus sont soumis à une ‘concurrence inte- rindividuelle’ où ‘chacun doit se présenter comme une personnalité particulière, voire unique’ (Winter/Eckert). […] Les individus n’agissent plus dans le cadre d’identités prédéfinies, mais ils ont la possibilité de choisir parmi plusieurs aspects identitaires qu’ils peuvent avancer comme des pions dans un jeu. Ils doivent faire leurs preuves sur le ‘marché identitaire’, ils vendent leur

31 Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 228-264. 32 Voir François Jost, L’Empire du loft (suite), Paris, La Dispute, 2007, p. 39 sq. 33 Jost insiste à juste titre sur le fait que le format télévisuel, à la différence de ses modèles sur Internet, ne pro- duit que l’illusion d’un panoptique inversé dans la mesure où l’instance de médiation manipule l’image. 34 M. Foucault, Surveiller et punir (note 31), p. 234. 35 F. Jost, L’Empire du loft (suite) (note 32), p. 39. 36 Jens Roselt, « Big Brother: Zur Theatralität eines Fernsehereignisses », in : Schlingensiefs Ausländer raus (note 16), p. 71 : « Wer von Big Brother spricht, bedient sich automatisch der Schlüsselbegriffe, die für Theatralität kennzeichnend sind : Inszenierung, Schein und Sein, Authentizität, Emotion, Voyeurismus, Exhibitionismus und Scham. Von Theatralität spricht man, wenn es um die Dialektik von Sehen und Gesehen-Werden geht, wenn Menschen Menschen betrachten, wenn Schaulust und Zeigelust sich überschneiden – in einem reflektierten Zusammenhang. Reflektiert meint dabei, dass das Moment des Beobachtens nicht bloßer Nebeneffekt ist, sondern als Voraussetzung und Bedingung der betrachteten Situation ausgestellt wird. » 37 F. Jost, L’Empire du loft (la suite) (note 32), p. 19. 38 Mikos/Feise/Herzog e.a., Im Auge der Kamera (note 26), p. 18. « Bitte liebt Österreich » de Christoph Schlingensief 293

première et leur deuxième peau (mode et articles de marque) et peuvent se présenter dans une auto-mise en scène singulière. […] Toutes ces émissions donnent aux individus la possibilité de s’exposer sur le ‘marché identitaire’ et d’augmenter leur valeur marchande » (39). La transposition de ce « panoptique inversé » dans l’espace théâtral crée, comme nous l’avons vu, un quatrième mur opaque. Celui-ci a pour conséquence d’inverser une nouvelle fois la répartition entre ombre et lumière. La « tour centrale » dissimule les demandeurs d’asile au point que leur présence – comme celle du surveillant chez Ben- tham et Foucault - semble pouvoir être suspendue (40). Inversement, les spectateurs se trouvent dans la périphérie visible. Néanmoins, on ne peut pas stipuler que le pouvoir de surveillance soit repassé du côté de la « tour ». La transposition dans l’espace théâ- tral bloque donc dans un premier temps le fonctionnement du « panoptique inversé ». Parallèlement, le contexte politique de l’époque, l’attention médiatique nationale et internationale dont bénéficie le festival, ainsi que la présence de nombreux touristes sur le lieu choisi pour l’installation-performance créent un second « panoptique inversé » dans lequel le public tient cette fois-ci le rôle des candidats. Schlingensief renforce d’ailleurs cet effet en braquant sur eux une caméra depuis le container et en invitant les touristes à prendre des photos. Les conditions étaient ainsi réunies pour que le public autrichien, par ses réactions à l’emblème interactif, s’expose sur le « marché identitaire » international et joue sa valeur marchande. Autour du container, on pouvait entendre des discussions politiques au sujet de la politique d’immigration, du passé multiculturel du pays, du rapport à l’Allemagne et à l’Europe. Certains spectateurs qui se sentaient visés, de même que la Kronen Zeitung pensèrent pouvoir tirer profit de la situation d’énoncia- tion du spectacle. L’instance d’énonciation étant dans le cas du « Piefke » Schlingensief (et du Suisse Bondy) située à l’extérieur du système social de référence, le spectacle ne pouvait à leurs yeux n’être qu’une assignation identitaire qui, prétendant réaffirmer les repères identitaires du « Österreichbewusstsein », faisait de l’Autriche le pôle d’altérité dans une construction identitaire allemande ou européenne. « Ce n’est pas tous les jours

39 Ibid., p. 53 : « In der ausdifferenzierten, pluralisierten Gesellschaft sind die Individuen einer ‘interin- dividuellen Konkurrenz’ ausgesetzt, ‘in der sie sich als eine besondere, ja einzigartige Persönlichkeit darstellen müssen’ (Winter/Eckert). […] Die Individuen handeln nicht mehr zwanghaft im Rahmen festgefügter Identitäten, sondern haben die Wahl zwischen verschiedenen Identitätsaspekten, die sie spielerisch einsetzen können. Sie müssen sich auf dem ‘Identitätsmarkt’ bewähren, sie tragen ihre erste und zweite Haut (Mode und Markenartikel) zu Markte und können sich in einzigartiger Selbstinszenierung darstellen. […] All diese Sendungen bieten den Individuen die Möglichkeit, sich auf dem ‘Identitätsmarkt’ darzustellen und ihren Marktwert zu erhöhen. » 40 C’est là l’avis du journaliste Thomas Rottenberg dans son commentaire télévisé sur place : « J’ai appris que les vrais événements ici ont lieu dans la tête. Il y a des gens dans le container, à la manière de l’émission Big Brother, et en réalité, ils ne font rien. Et puis, il y a des gens devant qui réfléchissent à ce que ces gens qui ne font rien pourraient bien faire. Et tout ce qui se passe se passe dans la tête des gens. Des préjugés sont projetés contre ce container. Et ce qui se passe à l’intérieur ? Le container pourrait tout aussi bien être vide. Cela ne fait aucune différence » / « Ich habe gelernt, dass die eigentlichen Ereignisse hier im Kopf passieren. Da sitzen Menschen drinnen im Container herum, so ähnlich wie bei Big Brother auch, und tun eigentlich nichts. Und dann stehen Leute davor und denken darüber nach, was die nichts Tuenden eigentlich tun könnten. Und alles, was hier passiert, passiert in den Köpfen der Leute. Es werden einfach Voruteile an diese Container-Wand geknallt. Und was da drinnen passiert ? Der Container könnte genauso gut leer sein. Es ist völlig egal » (« Zeit im Bild 3, ORF, 13.06.2000 », in : Schlingensiefs Ausländer raus [note 16], p. 98). 294 Revue d’Allemagne qu’on obtient à si peu de frais un profilage éthique en même temps qu’une clarification des relations hégémoniques en Europe » (41), avait déjà ironisé Rudolf Burger au sujet des sanctions bilatérales européennes. Mais Schlingensief, loin d’être victime de ce type de contradictions, les pointait lui-même. Les réactions politiques et diplomatiques furent à leur tour constamment mises à distance, par exemple lorsque Schlingensief nomma parmi les spectateurs un « représentant de la résistance [sic !] » (« Widerstandsbeauftrag- ter »), avant d’ajouter : « Ce sont là les images que l’Europe adore ». L’emblème interactif faisait ainsi apparaître dans le double panoptique le caractère performatif de l’identité nationale ou européenne, il exhiba les mécanismes de construction de cette identité et accorda une place bien plus importante au malaise identitaire que ne veut l’admettre sa lecture dramatique. Parmi les moments les plus intéressants de la semaine figurent d’ailleurs ceux où le piège de l’ambivalence se refermait sur ceux des spectateurs qui croyaient pouvoir applaudir le « message » du spectacle : ainsi lors des applaudissements au moment du dévoilement de l’écriteau « Ausländer raus » ou encore au moment des expulsions. Ces moments mettaient à nu le mécanisme d’une construction identitaire basée sur l’exclusion chez ceux-là même qui croyaient le combattre. Certains spectateurs venaient très régulièrement sur le site et tenaient de véritables rôles, parfois même en « costume » et avec des accessoires (drapeau, décorations, écriteau « Je suis Autrichien et ai honte de cette action ») au point que Paul Poet, le réalisateur du site Internet de « Bitte liebt Österreich » et du film documentaire Ausländer raus. Schlin- gensiefs Container, décida de les inclure dans la pictura, en leur consacrant des figurines nommés « Autrichien » dans la maquette du lieu scénique vendue avec le DVD.

Paul Poet, maquette à monter soi-même, photo Daniel Bascou : personnages dénommés « Autrichiens ».

Il est en effet tentant de supposer que, tout comme le panoptique inversé, l’emblème inte- ractif dispose d’une structure à deux échelles. Basant son analyse essentiellement sur le

41 Rudolf Burger, « Austromanie oder der antifaschistische Karneval », Merkur. Deutsche Zeitschrift für europäisches Denken, vol. 54, n° 5 (2000), p. 392 : « Derart billig kommt man so bald nicht wieder zu einer ethischen Kontur und zu einer Klarstellung der hegemonialen Verhältnisse in Europa. » « Bitte liebt Österreich » de Christoph Schlingensief 295 film de Poet, Denise Varney cherche à faire de cette seconde scène le lieu d’une représen- tation narrative de l’Autriche sous la forme d’un Lehrstück à la dialectique négative : « Si on prend les incidents et événements intervenus pendant la semaine comme un ensem- ble, il est possible de percevoir, tout comme dans un scenario inventé ou une fable, un narratif qui concerne un peuple suspicieux et angoissé qui, sous l’influence du malveillant Haider, éjectait des marginaux et des étrangers de sa communauté. Représenté avec le public comme participants, ce scénario négatif présentait une situation déplorable qui, de peur que le pays succombe (une nouvelle fois) à des forces malveillantes, poussait à agir » (42). Mais comme le suggère déjà le découpage du film en « jours », autrement dit en épisodes narratifs, celui-ci propose une dramatisation à partir d’un montage. Tout comme les rapports que Schlingensief publia quotidiennement dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le film reproduit ainsi fidèlement le type de médiatisation que propose dans Big Brother l’émission quotidienne présentant le résumé de la journée sous la forme d’un « real life soap » et dont François Jost souligne l’importance : « Loft Story est à la rencontre de l’aspiration toujours plus grande de l’individu à se pen- ser comme l’acteur de son quotidien et du téléspectateur, qui veut non seulement jouir de sa position d’observateur, mais retrouver dans la vie des autres les schémas narratifs qui l’émeuvent ordinairement dans la fiction. Loin d’être une fenêtre sur la réalité, ce programme a eu l’habileté d’emprunter à l’image que la télévision en donne à travers ses fictions et ses reportages » (43).

En forçant le trait par un géné- rique répété qui souligne cette structure en épisodes, ainsi qu’une dramatisation outran- cière du danger du « retour du passé » au début du film, Poet pousse à mon sens le spectateur à mettre ce format à distance. Le « real life soap » de l’Autri- che fait partie de l’emblème, il expose les différents « rôles » disponibles dans le commerce identitaire. Dans sa maquette, Paul Poet propose comme per- Paul Poet, maquette à monter soi-même, photo Daniel Bascou : sonnages, à côté des « Autri- personnages dénommés « étrangers ». chiens » et des « étrangers »,

42 Denise Varney, « ‘Right now Austria looks ridiculous’ : Please Love Austria! – Reforging the Interac- tion between Art and Politics », in : Tara Forrest, Anna Teresa Scheer (éd.), Christoph Schlingensief. Art without borders, Bristol, UK / Chicago, USA, 2010, p. 107-108 : « Taking the incidents and events that transpired during the week as a whole, it is possible to perceive a narrative, as in an imagined scenario or fable, that concerned a suspicious and fearful people who, under the influence of the male- volent Haider, evicted outsiders and foreigners from their community. Played out with the public as participants, this negative scenario presented a deplorable situation that demands action, lest the country succumb (once again) to malevolent forces. » 43 F. Jost, L’Empire du loft (la suite) (note 32), p. 118. 296 Revue d’Allemagne l’« activiste », le « manifestant » et Schlingensief lui-même. L’emblème, image signifiante (Sinnbild), est une image qui pousse à réfléchir Denkbild( ), une réalité dont tiennent compte Matthias Lilienthal et Claus Philipp dans leur docu- mentation du projet : leur livre se présente sous la forme d’un recueil de documents et de tex- tes critiques. Il renonce entière- ment à une forme narrative. Paul Poet, maquette à monter soi-même, photo Daniel Bascou : personnages dénommés « activiste » et « manifestant ». Zusammenfassung Im Jahr 2000 hatte die Integration der FPÖ in die österreichische Regierung zu einem nationalen und europäischen „Identitätsverlust“ geführt, auf den der damalige künstle- rische Leiter der Wiener Festwochen, Luc Bondy, mit der Einladung Schlingensiefs als politisches Statement reagierte. Dennoch steht die Aktion „Bitte liebt Österreich“ nicht auf derselben Ebene wie diejenigen der Oppositionsbewegung in der österreichischen Zivilgesellschaft. Die Übernahme des TV-Formats Big Brother, das hier als umgekehrtes Panoptikum analysiert wird, sowie die profunde Veränderung, die es beim Transfer in den theatralischen Raum erfährt, erlaubten es Schlingensief, ein potenziertes Emblem zu schaffen. Statt selbst eine Identitätszuweisung zu unternehmen, wurde die sinnge- bende subscriptio des Emblems den Zuschauern überantwortet, die sich dadurch auf dem internationalen „Identitätsmarkt“ profilieren mussten. Sieht man das Publikum als Teil der Aktion und damit des Emblems, erscheint der Identitätsmarkt selbst als das eigentliche Thema von Schlingensiefs Aktion.

Abstract In 2000, the integration of the FPÖ in the Austrian government led to a “loss of identity” in Austria and Europe. Luc Bondy, the artistic director of the festival Wiener Festwochen, reacted by inviting Schlingensief; this was meant to be a political statement. However, the performance “Bitte liebt Österreich” did not unfold on the same level as the actions of the opposition movement within civil society. By taking up the setting of the reality-show Big Brother, which shall be interpreted in this article as an “inversed panopticon”, and by modifying it in some crucial points like putting it into the theatrical space, Schlingensief created a powerful emblem. Instead of defining Austrian identity, he left the emblem’s subscriptio to the spectators, who were thus forced to create their role on the “identity-market”. If the public is seen as a being part of the play – and of the emblem – this “identity-market” then turns out to be the real subject of Schlingensief’s performance. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 297 T. 45, 2-2013

Nationale Mythen und avantgardistischer Widerstand bei Christoph Schlingensief

Franziska Schößler*

Schlingensief hat sich wiederholt mit Ikonen und Mythen der deutschen Geschichte auseinandergesetzt, allem voran mit dem Nationalsozialismus. „Immer wieder kehrt Schlingensief an die Wurzeln des deutschen Faschismus zurück. Es geht dabei darum, die großen Inszenierungen des Faschismus (und seiner Bearbeitung) zu unterlaufen, die Vertreter auf ein normales, eben barbarisches Maß zurückzuschrauben“ (1). Er behandelt den Nationalsozialismus dabei nicht als historisches und damit vergangenes Phänomen einer linearen (Fortschritts-)Geschichte, sondern „[he] frames fascism as retaining a transhistorical and transnational potential well after Hitler’s demise“ (2). Insbesondere Schlingensiefs intermediales Verfahren fragmentiert und hybridisiert Geschichte, die individuelle wie die kollektive, und setzt so Verdrängtes frei. In diese heterogene Trümmerlandschaft fügt der Künstler avantgardistische Widerstandsformen gegen die gewaltvolle Geschichte ein: den Wiener Aktionismus, der gegen die österreichische Variante der Verdrängung gerichtet ist (3), Joseph Beuys’ Aktionen, Fassbinders Antithe- ater und anderes mehr. Fokus dieser Widerstandsformen ist der Körper als Medium des Widerstands (gegen nationale Mythen und geschlossene ästhetische Oberflächen), wie die Materialaktionen der Wiener Aktionisten auf besondere Weise verdeutlichen. „Der

* Prof. Dr., Universität Trier. 1 Georg Seesslen, „Vom barbarischen Film zur nomadischen Politik“, in: Julia Lochte, Wilfried Schulz (Hg.), Schlingensief! Notruf für Deutschland!, Hamburg, Rotbuch Verlag, 1998, S. 40-78, hier S. 52. 2 Richard Langston, „Schlingensief’s Peep-Show. Post-Cinematic Spectacles and the Public Space of History“, in: Randall Halle, Reinhild Steingrover (Hg.), After the Avant-garde: Contemporary Ger- man and Austrian experimental film, Rochester, Camden House Inc., 2008, S. 204-223, hier S. 206. Die Wiederkehr der untoten Vergangenheit inskribiert Schlingensief zudem seiner magischen Autobio- graphie, wie es Georg Seeßlen genannt hat; G. Seesslen, „Vom barbarischen Film zur nomadischen Politik“ (Anm. 1), S. 69f. 3 Vgl. dazu auch Peter Turrini, Danièle Roussel, Der Wiener Aktionismus und die Österreicher, Kla- genfurt, Ritter, 1996, S. 94. 298 Revue d’Allemagne

(eigene) Körper wurde politisiert und als Waffe gegen den Staat verwendet“ (4), unter anderem durch eine Körpermalerei aus Fleisch und Blut (5). Schlingensiefs hybrides, grenzauflösendes Bildprogramm, das sich jeder ordnungs- stiftenden Rahmung entzieht, lässt sich deshalb als Angriff auf das identitäre Subjekt (samt seiner Meisternarrative wie das der Nation) beschreiben (6). Es durchbricht die stabilisierenden Kopplungen von Identität, autonomem Subjekt und Nation (7) und ver- sucht immunisierende „Schutzdichtungen“ zu zerschlagen. Diesen Begriff Sigmund Freuds greift Elisabeth Bronfen in ihrer Analyse der Nation auf: Die imaginäre Erzäh- lung des Nationalen (8) ermögliche es, den verunsichernden Bedingungen der Moderne – dem Zufall, der Bedeutungslosigkeit und der Anonymität – zu entkommen. Die Nation als Vision einer Gemeinschaft stelle Sinn und Kohärenz her, der Bronfen „das verknotete Subjekt“ entgegensetzt (9), Schlingensief den ästhetischen Bruch, das frag- mentarisierte Bild, die Wunde und die Reise in den persönlichen Terror. Der Wiener Aktionismus entwarf entsprechend Versuchsanordnungen wie die Blutorgel (1962), bei der es darum ging, in die eigene Psyche hinabzusteigen, die durch einen Keller als „Brutanstalt“ konkretisiert wurde (10). Schlingensiefs Œuvre lässt sich als serielles Bildprogramm diaphanischer Überlage- rungen beschreiben, das im Anschluss an Avantgarde-Regisseure wie Kurt Kren und Alexander Kluge auf die Verstörung der Zuschauer/innen zielt. Seine Überblendungen fungieren als fragmentierte Spiegel, die keine geschlossenen Oberflächen präsentieren, sondern blinde Flecke in das Spiegelbild (der Zuschauer/innen) eintragen. Schlingensiefs Bilder perforieren im Sinne der Breton’schen Definition des surrealistischen Kunstwerks – dieses bestehe darin, in die Masse zu schießen – die Identitätskonstruktionen der Zuschauer/innen, lassen die Grenze zwischen Subjekt und Abjekt (dem Müll, dem Ausge- grenzten, der Ausscheidung) kollabieren und enthüllen die menschliche Verwundbarkeit (als Sterblichkeit). Sie setzen die Reise ins Innere („ins Schwein“) und das eigene Unheim- liche, „das Fremde in mir“, gegen die schönen Oberflächen und Identitätsfiktionen, die

4 Brigitte Marschall, Politisches Theater nach 1950, Wien/Köln/Weimar, UTB/Böhlau, 2010, S. 401. 5 Ebd., S. 402. 6 Langston zieht Parallelen zu Alexander Kluges filmischem Werk, das ebenfalls durch Überlagerungen und andere Avantgarde-Techniken versucht, „unsichtbare Bilder“ zur Aktivierung der Zuschauer/ innen freizusetzen; R. Langston, „Schlingensief’s Peep-Show“ (Anm. 2), S. 208. 7 Diese bedarf stellvertretender, imaginärer, heroischer Subjekte (wie Siegfried, Barbarossa, Wilhelm Tell oder Adolf Hitler); so betont Hinrich C. Seeba, „Fabelhafte Einheit. Von deutschen Mythen und natio- naler Identität“, in: Claudia Mayer-Iswandy (Hg.), Zwischen Traum und Trauma – Die Nation. Transat- lantische Perspektiven zur Geschichte eines Problems, Tübingen, Stauffenburg, 1994, S. 59-74, hier S. 59. 1989 wird verblüffenderweise in den Zeitungen noch einmal der Barbarossa-Mythos aufgerufen. 8 Vgl. Benedict Anderson, „Kulturelle Wurzeln“, in: Elisabeth Bronfen, Benjamin Marius, Therese Steffen (Hg.), Hybride Kulturen. Beiträge zur anglo-amerikanischen Multikulturalismusdebatte, Tübingen, Stauffenburg, 1997, S. 31-58. 9 Vgl. Elisabeth Bronfen, „Einführung“, in: Ebd., S. 1-19, hier S. 2f. 10 Otto Mühl formulierte: „Unter einem Künstler verstehe ich einen Menschen, der sich unter die Erde begibt, dort Stollen treibt, und solange alles kreuz und quer unterminiert bis plötzlich irgendwo sich ein Erdrutsch ergibt“; zitiert nach Dieter Schwarz, Aktionsmalerei, Aktionismus – Wien, 1960-1965, Zürich, Seedorn, 1988, S. 41. In dieser Äußerung zeigt sich die Koinzidenz von Widerstand und Freud’schem Ich-Modell, dessen Es bekanntlich im Keller wohnt. Nationale Mythen und avantgardistischer Widerstand bei Christoph Schlingensief 299 den Menschen regierbar machen – deshalb ist sein hybrides Bildprogramm Bestandteil eines politischen Projekts, das die Angst im Inneren (als Bedingung von Autonomie) sucht, nicht aber im Außen (als Voraussetzung von Regierbarkeit). Die „Bildstörungsmaschinen“ seiner Filme und Theaterarbeiten deformieren allem voran die ‚heroischen‘ Bilder des Faschismus, dessen untote Gespenster über die Wieder- vereinigung hinaus (nicht nur in seinen Produktionen) ihr Unwesen treiben. Schlin- gensief führt aus, dass man Hitler „[e]ssen und benutzen“ müsse (11), bzw. dass Hitler aufgrund seiner ungebrochenen Ikonisierung nach 1945 nicht ausreichend abgenutzt worden sei. Die Obsessionen des Künstlers für Splatter, den Körper im Schmerz, für Folter und Lust (12) versuchen diese Mythenbildungen zu unterbrechen – Schlingen- siefs Film 100 Jahre Adolf Hitler. Die letzte Stunde im Führerbunker beispielsweise lässt sich als (vorgezogener) Kommentar auf Eichingers Der Untergang lesen (13), der in der europäischen Tradition des SS-Sexploitation (14) Macht, Gewalt und sexuellen Exzess zusammenführt und dessen Trash-Ästhetik ebenso gegen Hollywood wie gegen nationale Ikonen gerichtet ist.

1. Nation als Exklusion und Fiktion in Ausländer raus. Bitte liebt Österreich Dass für Schlingensiefs Versuchsanordnungen die Nation (in ihrem konstitutiven Zusammenhang mit Identität) eine entscheidende Rolle spielt, zeigt sich nicht zuletzt daran, dass er seine spektakulären Aktionen bevorzugt in anderen Ländern durch- führt, Ausländer raus in Österreich, sein „Resozialisierungsprojekt“ Nazis rein in der Schweiz (15). Er nutzt mithin die Sprengkraft nationaler Grenzziehungen und ihre ver- knappenden Diskurse: Die konservative Schweizer Partei SVP um Christoph Blocher reagiert auf Schlingensiefs Hamlet-Projekt, das eine Aussteigerkampagne der deut- schen Bundesregierung kopiert und ironisiert, mit der Anfrage, ob sich dieses Experi- ment am Zürcher Schauspielhaus nicht verbieten lasse. Prompt fordert Schlingensief, diese Geste parierend und vergrößernd, die SVP zu verbieten, was helle Empörung auslöst und den notorischen Nationaldiskurs regelrecht hysterisiert: Wie könne sich ein Deutscher erlauben, eine Schweizer Partei verbieten zu wollen; wie aber, so kontert

11 Zitiert nach Roman Berka, Christoph Schlingensiefs Animatograph. Zum Raum wird hier die Zeit, Wien/New York, Springer, 2011, S. 144. 12 Kris Thomas-Vander Lugt, „Better Living through Splatter. Christoph Schlingensief’s Unsightly Bod- ies and the Politics of Gore“, in: Steffen Hantke (Hg.),Caligari’s Heirs: The German Cinema of Fear after 1945, Lanham, Md. [u.a.], Scarecrow Press, 2007, S. 163-184, hier S. 164. 13 So Burkhardt Lindner, „Schlingensiefs Untergang“, in: Margit Frölich, Christian Schneider, Karsten Visarius (Hg.), Das Böse im Blick. Die Gegenwart des Nationalsozialismus im Film, München, text und kritik, 2007, S. 98-110. Obszönität dient der Entzauberung der „Großen“; ebd., S. 103. 14 Vgl. K. Lugt, „Better Living through Splatter“ (Anm. 12), S. 168. 15 In Nazis rein, dem Züricher Projekt, das von Peter Kern dokumentiert wird, iteriert und konfundiert Schlingensief die binäre Ordnung von Aus- und Einschluss durch ihre Theatralisierung. Er schließt seine Aufführung an ein Projekt für ausstiegswillige Neonazis an, die vielfach aus dem kommunikativen Raum der Mehrheitsgesellschaft total exkludiert sind. Durch seinen Transfer der Aktion in die Schweiz – Nazis rein – verweist er zugleich auf die Präsenz des Antisemitismus in diesem Land. Die Inklusionsgeste ver- weist mithin auf die Exklusionsstrategien der Schweizer Nation, die bis zur Leugnung dieses Phänomens gehen. Zugleich bedeutet der Ausstieg der Neonazis einen Einsteig in die kapitalistische Gesellschaft – der Dramaturg Carl Hegemann weist darauf hin, dass aus dem Neonazi dann eben ein Banker werde. 300 Revue d’Allemagne

Christoph Marthaler, der Schlingensief nach Zürich eingeladen hatte, könne einem Deutschen verboten werden, eine Schweizer Partei verbieten zu wollen. Zum Kalkül Schlingensiefs gehört also die künstlerische Arbeit in diversen Ländern, um den trotz Globalisierung weiterhin virulenten Nationaldiskurs zu mobilisieren (16). Schlingensief führt in seinen partizipativen Projekten die (imaginären) Identitätskon- struktionen der Nation zudem als Verfahren der In- und Exklusion vor und themati- siert die nationalen Grenzen samt der dominanten Herrschaftsform, also der scheinbar allinkludierenden Demokratie. In seinem Beitrag für die Wiener Festwochen, Auslän- der raus, fusioniert Schlingensief Theater, Fernsehen, Internet und Politik deshalb hin- sichtlich ihrer Selektionspraktiken. Basiert die Demokratie auf einem Wahlverfahren, das die repräsentative Stellvertretung legitimiert, so kann Selektion auch die Grenze zwischen nationalem Innen- und Außenraum herstellen und Menschen eliminieren. Das demokratische Procedere erscheint auf diese Weise als Verfahren, das Existenz- berechtigungen verteilt, bestimmte Interessen repräsentiert, andere hingegen ignoriert und Personen auch ganz buchstäblich zum Verschwinden bringen kann. Schlingensief entwickelt, um diese Selektionen bzw. Exklusionen erfahrbar zu machen und in die Körper einzuschreiben, eine „Bildstörungsmaschine“, die die iko- nischen Repräsentationen der „imagined community“ Österreich – ein Zentralbegriff von Benedict Anderson – unterbricht. Diese ‚Maschine‘ nimmt Verkörperungen und Visualisierungen vor, um die abstrakte politische Rede (beispielsweise den Slogan „Ausländer raus“) in liminalen Bildern zu konkretisieren (17), ungenießbar zu machen und die Evidenzeffekte des Visuellen (18) zu stören: „Bilder zu allem, was schon lange ansteht und sich breitmacht“, so lautet das Programm. Die Visualisierung nimmt die politische Sprache beim Wort, zertrümmert ihre Metaphern und verweist auf die Auslassungen der politischen Bildpraxis. Schlingensiefs Installation Ausländer raus generiert Bilder, die im Sinne von Roland Barthes ein „punctum“ besitzen, das heißt Störung, Unreinheit sowie Heterogenität produzieren (19) und verletzen können – das „punctum“ schießt „wie ein Pfeil aus seinem Zusammenhang hervor, um mich zu durchbohren“ (20) und produziert ein „Mehr an Sichtbarem“ (21). Die Versuchsanord- nung, der Einschluss Fremder in Lagern, die an den (Austro-)Faschismus erinnern, lässt die Teilnehmer/innen auf dem Opernplatz tatsächlich zuweilen unter Schmerzen zusammenbrechen, wie der Film von Paul Poet dokumentiert – Schlingensief erinnert in diesem Zusammenhang ausdrücklich an den Surrealisten André Breton.

16 Vgl. dazu Thekla Heineke, Sandra Umathum (Hg.), Christoph Schlingensiefs Nazis rein. Torsten Lem- mer in Nazis raus, am Main, Suhrkamp, 2002. 17 Vgl. dazu Franziska Schößler, „Wahlverwandtschaften: Der Surrealismus und die politischen Akti- onen von Christoph Schlingensief“, in: Ingrid Gilcher-Holtey, Dorothea Kraus, Franziska Schöß- ler (Hg.), Politisches Theater nach 1968. Regie, Dramatik und Organisation, Frankfurt am Main/New York, Campus Verlag (Historische Politikforschung, Bd. 8), 2006, S. 269-293. 18 Vgl. dazu Andreas Beyer, Markus Lohoff, „Bildhandeln. Eine Einführung“, in: Dies. (Hg.), Bild und Erkenntnis. Formen und Funktionen des Bildes in Wissenschaft und Technik, Aachen/München/ Berlin, Deutscher Kunstverlag, 2006, S. 12. 19 Roland Barthes, Die helle Kammer. Bemerkungen zur Photographie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1985, S. 31. 20 Ebd., S. 35. 21 Ebd., S. 53. Nationale Mythen und avantgardistischer Widerstand bei Christoph Schlingensief 301

Als Schlingensief das provokante Schild Ausländer raus auf dem Container ent- hüllt, fordert er die Touristen (als gewünschte Fremde) auf, zu fotografieren und die sichtbare Geste des Ausschlusses zu multiplizieren. Diese Fotografien sind subversiv und affirmativ zugleich, denn sie durchbrechen die Selbstdarstellung Österreichs und machen doch lediglich den politischen Konsens sichtbar. Die Installation lässt mithin aktivierende Bilder (der Verletzung) entstehen; nach Barthes garantiert das „punctum“ die Beteiligung des Betrachters: „die Lektüre des punctum (des ‚getroffenen‘ Photos, wenn man so sagen kann) ist […] kurz und aktiv zugleich, geduckt wie ein Raubtier vor dem Sprung“ (22). Schlingensiefs liminale Bilder sind Orte, an denen die Systeme zu tanzen beginnen, weil sich die Kraftfelder gegenseitig stören und sich eindeutige Rahmungen auflösen (23). In einem Interview bezeichnet Schlingensief den Container zudem als Medium, das aus der Distanz heraustritt und die Zuschauer/innen in ihren eigenen Film integriert. Der Container auf dem Wiener Opernplatz sei eigentlich leer und fungiere als Screen, der kollektive Befindlichkeiten sichtbar mache, wie Schlingensief in einem turbulen- ten Interview im ORF am 13.6.2000 erklärt: „Das, was wir machen, ist eine Selbstpro- vokation – eine leere Fläche, auf die projizieren Sie Ihr Bild drauf – Ihren Film –, und Sie haben pausenlos das Problem, dass sich die Bilder gegen Sie selbst kehren“ (24). Die Akteure auf dem Wiener Opernplatz produzieren mithin ihren eigenen (verletzenden) Film über Traumata. Die Verstörung der Teilnehmenden ist Resultat ihres eigenen Fremden, ihrer Reise in die Abgründe des Selbst und die verdrängte Vergangenheit, zu den untoten Gespenstern des Nationalsozialismus, die Schlingensief (auch als Teil seiner magischen Autobiographie) exorzistisch beschwört (25).

2. Der Wiener Aktionismus in Attabambi-Pornoland Schlingensief hat sich für diese ‚Reisen ins Innere‘ wiederholt auf die Materialakti- onen der Wiener Aktionisten bezogen, beispielsweise in Kühnen 94 und in der Bam- biland-Serie (26). Er rearrangiert die gewaltvollen avantgardistischen Happenings einer

22 Ebd., S. 59. 23 Vgl. zum Konzept der Rahmung, das unsere Wahrnehmung reguliert und unter anderem die Unter- scheidung zwischen schützenswertem und nicht-schützenswertem Leben entstehen lässt, Judith But- ler, Raster des Krieges. Warum wir nicht jedes Leid beklagen, Frankfurt am Main, Campus Verlag, 2010. Die fluiden Bilder Schlingensiefs versuchen diesen Rahmungen zu entgehen. 24 Schlingensiefs Ausländer raus. Bitte liebt Österreich, Dokumentation von Matthias Lilienthal und Claus Philipp, Franfurt am Main, Suhrkamp, 2000, S. 100. Sein Beitrag für die Wiener Festwochen führt die Reality-Show Big Brother, die den Voyeurismus des Fernsehens zum Selektionsspiel potenziert, mit dem öffentlichkeitswirksamen Thema der Ausländerpolitik zusammen. Per Internet können Asyl- bewerber (scheinbar) abgeschoben werden; sie befinden sich in einem Container, einem Lager – nach Giorgio Agamben eine unhintergehbare Begleiterscheinung westlicher Demokratien und ihrer Biopo- litik, die Menschen als reines Leben behandelt und ‚unwertes‘ aussondert. Schlingensief treibt also die Allianz von Demokratie und nationalem Ausschluss performativ hervor und macht die Beobachter zu Mittätern, so dass sie die Implikationen ihrer politischen Forderungen am eigenen Leibe spüren. 25 G. Seesslen, „Vom barbarischen Film zur nomadischen Politik“ (Anm. 1), S. 69f. 26 2007 entwickelt Schlingensief eine szenisch-filmische Installation Fremdverstümmelung, die Günter Brus und Kurt Kren gewidmet ist und sich auf die berühmte Aktion Selbstverstümmelung bezieht; vgl. R. Berka, Christoph Schlingensiefs Animatograph (Anm. 11), S. 336. 302 Revue d’Allemagne

Gruppe, die sich dezidiert gegen die Verdrängung des Austrofaschismus richtet und das Ausgegrenzte, den Müll, die „Versumpfung“ des Körpers und die Kastration (als Angriff auf die Ikone der Macht) in Szene setzt. Im Anschluss an ein psychoanalytisches Modell sollen die individuelle Sublimation sowie die staatliche Repression durch den Exzess überwunden werden. Insbesondere mit Günter Brus und Rudolf Schwarzkogler, deren Aktionen noch in Mea Culpa als Readymades eingespielt werden, sind Künstler benannt, die Medien kombinieren und transformieren – stilllebenartige Kompositio- nen und pantomimische Filmsequenzen verfremden den Körper und zeigen ihn als verletzten, gefolterten – und auf diese Weise die Verdrängung des Faschismus in der österreichischen Gesellschaft der 1960er Jahre bearbeiten (27). Politische Kunst ist mithin Körperarbeit, abstrakte Gewalt wird in die fluiden, ungerahmten Bilder schmerzender und verstümmelter Leiber übersetzt. Der Wiener Aktionismus spielt auch in dem Zyklus Bambiland eine zentrale Rolle – Elfriede Jelineks Neologismus für die „Verplüschung“ der medialen Gesellschaft in der Zeit des Irakkrieges. Schlingensief inszeniert 2003 Atta Atta – Die Kunst ist ausge- brochen und Bambiland, Theaterabende, die sich in seriellen Selbstzitaten auf Jelineks Vorlage beziehen, allerdings eher als kongeniale Übersetzung zu bezeichnen sind. 2004 folgt die Produktion Attabambi-Pornoland, die Jelineks Monologe Irm sagt und Mar- git sagt aus Babel intermedial umspielt. Alle drei Abende, die auf die apokalyptischen Medienszenarien nach dem 11. September 2001 und die sich daran anschließenden Kunstdebatten (rund um Stockhausens Äußerung über die einstürzenden Twin Towers als Kunstwerk) reagieren, gehören zu dem am 20.3.2003 gegründeten Projekt „Church of Fear“, das den Terror im Ich sucht, nicht in der medialen Inszenierung von Bildern des Bösen. Gemeinsamer Gegner von Jelinek und Schlingensief scheint also das hyp- notische (Medien-)Bild zu sein, das der künstlerische Akt zu zitieren und zerstören ver- sucht. Inszeniert Schlingensief Bilder als Überschuss und Überwältigung des Logos, so unterbricht auch Jelinek deren Identitätslogik (28): Im Monolog Peter sagt reagiert der Sprecher mit einem Schrei, als er von seinem Bild abgetrennt wird und das Objekt seinem Wort nicht mehr entspricht – ein Vorgang, den hier der gewaltvolle Marsyas- Mythos illustriert (29). Attambambi-Pornoland, das mit geradezu wuchernden filmischen Übermalungen der gesamten Bühne arbeitet (sehr viel stärker als die vorangegangenen zwei Produk- tionen), besteht aus einem Set an Referenzen, die Schlingensief auf unterschiedlichen medialen Ebenen – Musik, Bild und Sprache – kombiniert. Eingespielt werden mit gro- ßer Regelmäßigkeit und im Vorgriff auf Schlingensiefs Bayreuth-Inszenierung Musik und Szenen aus dem Bühnenweihfestspiel Parsifal und der Götterdämmerung (30).

27 Rosemarie Brucher, Durch seine Wunden sind wir geheilt. Selbstverletzung als stellvertretende Hand- lung in der Aktionskunst von Günter Brus, Wien, Löcker, 2008, S. 15. 28 An einer Stelle heißt es: „Nie spurlos fort unserer Gottheit Bilder, die wir dort sehn, die nur wir dort sehn auf dem leuchtenden Schirm. So, wir entfernen dieses Volk vom Glauben, geben ihm dafür end- lich unser Bild und aus.“ Elfriede Jelinek, Bambiland/Babel. Zwei Theatertexte, Reinbek bei Ham- burg, Rowohlt, 2004, S. 19. 29 Vgl. dazu Bärbel Lücke, „Zu Bambiland und Babel. Ein Essay“, in: Ebd., S. 239f. 30 In dem Monolog Irm sagt aus Babel, in dem Pornographie, Krieg und Religion als Arbeit am Körper verknüpft werden, wird die Seitenwunde Christi mit der von Amfortas in eins gesetzt und beide als Nationale Mythen und avantgardistischer Widerstand bei Christoph Schlingensief 303

Gleichzeitig wiederholen die projizierten Filme sowie die theatralen Vorgänge die Aktionen von Joseph Beuys und der Wiener Künstler/innen – Günter Brus, Hermann Nitsch und andere werden, wie schon in der Produktion Bambiland, explizit benannt; eingespielt werden zudem dadaistische Lautgedichte (31). Die Schauspieler/innen spre- chen kurze Textpartien aus Jelineks Babel, ebenfalls in Wiederholung. Der Abend folgt einer seriellen Kombinatorik, die Zeit- und Raumeinheiten auflöst und eine ‚andere Zeit‘ spürbar werden lässt. Die Serie (als avantgardistisches Verfahren) stellt die bür- gerlichen Mythen des Originals und einer kontinuierlichen Geschichte in Frage. Jelineks Monologe umkreisen die Phallusidolatrie des Kriegs (32), der Pornographie (33) und der Religion und beschwören als ihre Kehrseite die Kastration(-sangst) (34); Atta- bambi-Pornoland stellt entsprechend Körperaktionen der Wiener Künstler/innen nach, allem voran die auf das Genital konzentrierten Aktionen von Hermann Nitsch (wie die 8. Aktion vom 22. Januar 1965) (35) und die Verstümmelungen von Rudolf Schwarzkog- ler – während der 6. Aktion beispielsweise ist Schwarzkogler mit Mullbinden banda- giert und Elektrodrähten verschnürt; sein Penis ist mit Farb- und Blutspuren bedeckt als Vorstufe der Kastration (36). Durch die Filme in Attabambi-Pornoland geistert zudem eine am ganzen Körper bandagierte Figur, die aus Schwarzkoglers 3. Aktion (Som- mer 1965) stammt (37). Die so zitierte Aktionskunst stellt mit ihren Angriffen auf den integralen Körper und die Suche nach „Enthemmungsekstasen“ und „Abreaktions- ereignissen“, nach Rausch und dem „Erleben dionysischer Triebdurchbrüche“ (38), die sich vielfach gegen den Phallus (als Ausdruck der symbolischen Ordnung) richten, die Deckgeschichten und Verdrängungen der österreichischen Nachkriegsgesellschaft in Frage. Diese Kunst lässt – auch das demonstriert Schlingensiefs Reenactment – durch

„Geschlechtslappen“ bezeichnet; E. Jelinek, Bambiland/Babel (Anm. 28), S. 93. Anders als bei Schlin- gensief verstehen die Texte Jelineks die Wunde, wie sie die Religion glorifiziert, jedoch als Bestand- teil eines domestizierenden (Opfer-)Apparates, der die Mutter zur Mittäterin werden lässt. Scheint Schlingensief den religiös-ästhetischen Diskurs, der den Künstler zum Opfer und zur Christusfigur stilisiert, für sich durchaus in Anspruch zu nehmen und nicht nur zu demontieren, so ist das Motiv der Wunde (samt der Erlösungshoffnung, für die protoptypisch Wagner steht) für Jelinek Bestandteil eines patriarchalen Opferdiskurses. 31 Der Dadaismus kann als Antwort auf den Nationalismus im Ersten Weltkrieg verstanden werden, auf die Hochwertparolen, die junge Männer in den Krieg schickten. 32 In Bambiland feiert Jesus-Bush zum Schluss „eine Orgie des Macht-Fetisch Phallus, die in der Ver- schränkungsfigur von Technik, Religion und Sexualität kulminiert“; B. Lücke, „Zu Bambiland und Babel“ (Anm. 29), S. 247. 33 Sie legt den Zusammenhang von pornographischen Bildwelten („Titten und Mösen machen jetzt Geschichte“; E. Jelinek, Bambiland/Babel [Anm. 28], S. 90) und Gewalt bzw. Folter frei. 34 Jelinek überblendet in Margit sagt das Märchen von Hänsel und Gretel mit der religiösen Familien- geschichte, die zugleich eine kleinbürgerliche ist: Die Mutter als Märtyrermutter, die ihren Sohn durch die emotionalen Bindungskräfte und das inzestuöse Begehren in der Kleinfamilie zum Opfer vorbereitet, brät ihn im Ofen, um ihn sich wieder einzuverleiben. Die Kastration bzw. das ödipale Narrativ (hier konzentriert auf Mutter und Sohn) spielt dabei eine zentrale Rolle. 35 Vgl. Julius Hummel (Hg.), Wiener Aktionismus. Sammlung Hummel, Wien, Edizioni Mazzotta, 2004, S. 128f. 36 Vgl. B. Marschall, Politisches Theater nach 1950 (Anm. 4), S. 430. 37 Ebd., S. 145. 38 Ebd., S. 403. 304 Revue d’Allemagne die Gewalt gegen den Körper das Trauma der Folter und des Kriegs spürbar werden (39). Avantgarde und Krieg treffen sich in der Aggression (40). Die Sound- und Bildprogramme überlagern die (Wiener) Aktionen mit Wagner- Kompositionen und umkreisen den Mythos von Telephos, vom Speer, der die Wunde wieder schließt, die er schlug (Parsifal). Auf der Leinwand sind wiederholt der ban- dagierte Schmerzensmann sowie ein blutender (bemalter) Körper zu sehen, der durch Schnitte, Nahaufnahmen, körnige Bildoberflächen und Einfärbungen in seine Bestand- teile aufgelöst wird. Auch Schlingensiefs Kamera imitiert (wie die von Kurt Kren) das Action-Painting und zersetzt die Körper in abstrakte Bilder (41). An anderer Stelle zeigen die Filmbilder eine auf den Penis zentrierte Aktion: Die zum Teil opulenten Körper werden durch Farben verändert – Brus verwendete umgekehrt Blut als Farbe – und eine Kastration inszeniert; zwei Beobachter (Carstensen und Schlingensief) lachen rausch- haft im Angesicht des geschundenen Körpers, worauf eine Kopulations- und Defäkati- onsszene folgt – eine der Vorlieben der Aktionisten, wie der berühmte Kurzfilm 16/1967 20. September auf drastische Weise verdeutlicht. Diese Bilder sind mit Zitaten aus Bambiland unterlegt, die davon sprechen, dass wir Gefühle nurmehr durch das Bambi als Ausdruck einer infantilisierten Bildwelt erreichen. Die fluiden, collagierten und überblendeten Filmbilder, die Pornographie und Schmerz, Lust und Folter engführen, konterkarieren diese Feststellung und lassen den Schock, das Unheimliche der aktio- nistischen Körperbearbeitung erfahrbar werden. Sie münden in eine Kamerafahrt in das Innere des Körpers, in den Schlund – der Weg geht nach Innen, in das „Schwein im Selbst“, das im Anschluss an die filmisch präsentierte Geburt eines Schweins die Bühne leibhaft betritt. Diese Bilder werden mit WagnersGötterdämmerung unterlegt, so dass Schlingensief auch hier die Sehnsucht nach Erlösung aufruft – die der Avantgarde wie die Richard Wagners (42). Die Forschung hat den Bezug der Wiener Aktionisten zum Katholizismus hervorgehoben, wie er in Wagners theoretischen Schriften und Opern ebenfalls eine zentrale Rolle spielt. Schlingensief selbst bietet in Attabambi-Pornoland ironischerweise einen „Erste-Hilfe-Koffer der Erlösung“ an und erhebt die Pornogra- phie zum Erlösungsprinzip.

39 Schlingensief verdeutlicht damit auch, was sich bereits in den Wiener Aktionen zeigt: dass die künst- lerischen Ausdrucksformen diejenige Gewalt imitieren und vergegenwärtigen, gegen die sie gerichtet sind. Deshalb gleichen die künstlerischen Aktionen selbst gewaltvollen Übergriffen. Die filmisch und auch theatral präsentierten Remakes von avantgardistischen Happenings, die den Körper in seinem Schmerz und seiner dionysischen Auflösung (wie in den Versumpfungsaktionen) zeigen, erscheinen als Folter, wie sie Jelinek im dritten Teil von Babel zum Gegenstand macht: In dem Monolog Peter sagt geht es um die Vorfälle im Gefängnis von Abu Ghraib, um die Konnotation von Eros und Gewalt und die mediale Verwertung der Fotografien, die die Folterer gemacht haben. 40 Diese Koinzidenz diskutierte das Attaismus-Seminar; vgl. dazu Brechtje Beuker, „The Fusion and Confusion of Art and Terror(ism): Atta Atta“, in: Tara Forrest, Anna Teresa Scheer (Hg.), Christoph Schlingensief: Art without Borders, Bristol/Chicago, Intellekt, 2010, S. 137-151, hier S. 141. 41 Bei Kurt Kren sieht man zuweilen lediglich „farbige Materialien stauben, fallen, platzen, rinnen, kle- ben und die Körper, ihre Oberflächen und Teile, in ihrem Winden und ihren Verrenkungen, ihren Positionen und Gesten darin eingemengt“; Kren entwickelt ein Kino der Intensitäten und der Präsenz; Michael Palm, „Which Way? Drei Pfade durchs Bildgebüsch von Kurt Kren“, in: Hans Scheugl (Hg.), Ex-Underground Kurt Kren. Seine Filme, Wien, PVS Verleger, 1996, S. 114-129, hier S. 116. 42 Erlösung sei unter anderem „das Stichwort für die therapeutische Funktion der ‚alten Fabeln‘, der nati- onalen Mythen“, wie sie auch Wagner beschwört; H. C. Seeba, „Fabelhafte Einheit“ (Anm. 7), S. 62. Nationale Mythen und avantgardistischer Widerstand bei Christoph Schlingensief 305

Die eingeblendeten Filme und die Aktionen auf der Bühne nehmen insgesamt eine Materialisierung des Körpers vor, wie sie auch die Wiener Aktionisten anstrebten, eine Entfunktionalisierung und Anverwandlung an die Dinge, die als Verweigerung an die normierte Waren- und Medienwelt sowie den Staat und seinen Funktionalismus (43) ver- standen werden kann. „Der materialisierte Mensch als das entzweckte, entmoralisierte, entzivilisierte, entpsychologisierte, entkodierte Wesen scheint der Repression über tradierte Bedeutungen und Ideen entgehen zu können“ (44). Schlingensiefs intermediale Bühnenanordnungen generieren durch diese Materialisation (als Entmenschlichung) verletzende Bilder und perforieren die Grenzen zwischen Innen und Außen. Diese Bil- der ziehen die Betrachter trotz ihrer visuellen Distanz in Mitleidenschaft, weil sie den ‚ganzen Spiegel‘ verweigern – durch die Überblendungen, die ständige Bewegung, die Assoziationsfülle und Undeutlichkeiten. Ganz in diesem Sinne macht auch Splatter die Distanzierung unmöglich, „bringing the viewer into direct – and violent – confrontation with trauma, loss, and the returned repressed“ (45). Die Bilder eröffnen Spielräume für ein projektives Sehen, das die verdrängten Triebe freisetzt. Schlingensief selbst beschreibt sein Bildprogramm bezeichnenderweise als „Schütteln“ der Zuschauer/innen: „Da muss man die Leute schütteln. Das Schütteln soll dazu führen, dass die Bilder im Kopf lang- sam frei werden, dass aber auch der Körper wieder freier wird“ (46). Die Aktionen der Wiener Avantgardisten werden in den Reenactments Schlingen- siefs allem voran als Auseinandersetzung mit dem Nationaldiskurs deutlich, wie die regelmäßig eingeschalteten Parteitage profilieren. Schlingensief spricht auf der Bühne beispielsweise davon, dass er sich zur „Urwurzel des Deutschseins“ bekenne und pran- gert die Dialektalisierung in der Schweiz an – der Abend findet in Zürich statt. In einem Atemzug erwähnt er die Wiener Aktionisten Brus und Nitsch (47), die auf die nationalen Flaggen defäkiert hätten – in dem Kurzfilm 16/1967 20. September werden die Ausscheidungsakte von Brus und Kren verlangsamt und in serieller Wiederholung gezeigt. Sie „scheißen buchstäblich auf Österreich und ein bürgerlich-snobistisches Kunstpublikum“ (48), wobei die Demonstration des Abjekten auf die (staatlichen) Zurichtungen des Körpers und des Geistes verweist (49).

43 Brus verklammert in seinen Äußerungen konsequent Staat und Körper: „Der Staat hält seine körper- liche Hinfälligkeit dadurch aufrecht, daß er mich zur Krücke befiehlt. chI soll für ihn denken, ihm seine Pflichten abnehmen, seinen Rotz wischen und Ausgleichssport für seine Gedärme üben.“ Zitiert nach B. Marschall, Politisches Theater nach 1950 (Anm. 4), S. 116. Er anthropomorphisiert den Staat und führt ihn als Medium der Körperarbeit, -disziplinierung und Ausbeutung vor. 44 Kerstin Braun, Der Wiener Aktionismus: Positionen und Prinzipien, Wien/Köln/Weimar, Böhlau, 1999, S. 202. 45 K. Lugt, „Better Living through Splatter “ (Anm. 12), S. 166. 46 Zitiert nach Teresa Kovacs: „,60 Sekunden im Krieg‘. Christoph Schlingensiefs Umgang mit den Bil- dern des Irakkriegs in Elfriede Jelineks Bambiland“, in: Jelinek-Jahrbuch 2011, S. 207-219, hier S. 209. 47 Bei einem der weiteren Parteitage mutiert Schlingensief zu Hitler, imitiert den Hitler-Gruß und the- matisiert das Verhältnis von Nazi-Deutschland und der Schweiz („Zürich soll knien“). An anderer Stelle lässt er eine Partie aus einer Oper von Carlos Gommes, dem bekanntesten brasilianischen Kom- ponisten, nachspielen, und zwar eine Szene, in der es um das Vaterland und das Sterben dafür geht – doch einer der Sprecher erklärt das Vaterland für eine Anhäufung von Bergen und Flüssen. 48 M. Palm, „Which Way?“ (Anm. 41), S. 114f. 49 In der Aktion Kunst und Revolution „schiß Brus auf den boden des hörsaals, verschmierte sich den scheißdreck am leib, stach mit seinen fingern den ösophagus hinab, würgte, erbrach, sang zum 306 Revue d’Allemagne

Was Schlingensief also gegen die Medienbilder der Angst, gegen die staatliche Repression und die Gespenster einer nationalen Vergangenheit setzt, ist eine Reise ins Innere („ins Schwein“), die sich durch die „hybriden Terrorikonen“ auf der Bühne gegen die apokalyptischen Inszenierungen von simplen Ordnungssystemen wendet. Das Theater selbst wird durch seine Bildfluten zum Krieg, die Zuschauer/innen mit Bildern, Musik und Texten bombardiert, die sich jedoch geschlossenen Oberflächen und rahmenden Sinnsystemen verweigern; die Instabilität und Unsicherheit des Ter- rorismus wird zur (ästhetischen) Erfahrung (50). Doch der Künstler stellt den Wiener Aktionismus nicht nur nach, sondern unter- zieht ihn (wie die avantgardistische Tradition insgesamt) einer kritisch-ironischen Revision, die der politisch-künstlerischen Analyse nach dem 11. September 2001 dient. Denn der Abend verdeutlicht (auch durch seine Jelinek-Bezüge), dass die fun- damentale Geste, die den islamistischen Terrorismus so bedrohlich erscheinen lässt, die Opferung der Selbstmordattentäter und die Sehnsucht nach dem Paradies, einem westlichen Kunstmythos entspricht und in der Erlösungssehnsucht Wagners ebenso präsent ist wie in den auratisierenden Geniegesten der Avantgardisten. Stilisieren sich diese im Anschluss an die Romantik (die den Künstler zur Christusfigur und zum stellvertretend Leidenden stilisiert) zu Märtyrern, wird insbesondere Beuys die Selbstwahrnehmung als gottgleicher Künstler attestiert und unterstreicht Jelinek in dem Monolog Margit sagt den Opfergestus der christlichen Marienikone, so zeichnen sich westliche Kunst und Religion durch die gleiche Haltung der Opferung, des Mär- tyrertums und der Demonstration der Wunde aus, wie sie die Attentäter an den Tag legen. Günter Brus beispielsweise imitiert in seinen autoaggressiven Selbstverletzun- gen das christliche Opfer (um es zu überschreiten); er „verkörpert nackt, kahl rasiert und verletzt die christliche Metapher vom geschundenen Menschen“ (51). Schlingensief hebt mithin den Clash of Cultures auf, indem das Fremde (die Opfe- rung) als Vertrautes erscheint, und zwar in der avantgardistischen Kunst wie der christlichen Religion. Die Selbstauratisierung zum Opfer, die Materalisierung zum verwundeten Körper – als (verschobene) Imitation katholischer Bildwelten – ent- spricht dem Gestus der Selbstmordattentäter. Das Bildprogramm Schlingensiefs stellt die Grenzziehungen zwischen den Kulturen ebenso in Frage wie die zwischen Sub- jekt und Abjekt, Innen und Außen. Und sein Reenactment (der Wiener Aktionisten) dementiert eine lineare Geschichte, um so den eigenen (historischen) Ort zu markieren – erst das Zerbrechen historischer Kontinuität bringt die Gespenster zum Vorschein. Diese Entgrenzung versucht den ikonischen Kosmos wieder zu öffnen, der sich nach dem 11. September 2001 geschlossen hatte. Schlingensief hält über den Terrorangriff

scheißen die bundeshymne, onanierte“; Peter Weibel (Hg.) unter Mitarbeit von Valie Export, Bild- kompendium wiener aktionismus und film, Frankfurt am Main, Kohlkunstverlag, 1970, S. 263. Er wurde daraufhin zu sechs Monaten Haft wegen Herabwürdigung von Staatssymbolen, der Ehe und des Eigentums verurteilt; B. Marschall, Politisches Theater nach 1950 (Anm. 4), S. 117. Schlingensief stellt zudem eine Frau seiner Gruppe vor, die mit Menstruationsblut arbeite – ganz ähnlich wie Nitsch damit düpiert hatte, dass er während der Aktion Erste heilige Kommunion Menstruationsblut mit Lammblut gemischt hatte. 50 B. Beuker, „The Fusion and Confusion of Art and Terror(ism)“ (Anm. 40), S. 147. 51 R. Brucher, Durch seine Wunden sind wir geheilt (Anm. 27), S. 83. Nationale Mythen und avantgardistischer Widerstand bei Christoph Schlingensief 307 fest, „dass die 3.000 bedauernswerten Toten in New York zu einer Paralysierung und zu einem Super-Flash geworden sind, der sämtliche andere Bilder verschüttet“ (52). Der Avantgardist Schlingensief zersetzt mithin die lineare Geschichte durch ein serielles intermediales Verfahren bzw. verletzende Bilder und zerstört auf diese Weise den Mythos historischer Linearität, der die Verdrängungen (des Faschismus) erst möglich macht. Er schichtet, einer Archäologie gleich, diverse Formate und Ereignisse übereinander, Machtgeschichte und Widerstandsformen, Nationalkriege und Terro- rismus, Wagner (als nationale Ikone) und die Avantgarde und befreit durch sein dia- phanisches Bildverfahren, durch das „Schütteln“ der Zuschauer/innen, die Gespenster der (nationalen) Geschichte aus den Kellern, um sie abzunutzen.

Zusammenfassung Der Theater- und Medienkünstler Christoph Schlingensief setzt sich auf obsessive Weise mit der deutschen Geschichte und ihren neuralgischen Ikonen (wie Hitler) aus- einander, die er ‚abzunutzen‘ versucht. Er entwickelt ein hybrides, grenzauflösendes Bildprogramm, das sich ordnungsstiftenden Rahmungen entzieht und Angriffe auf das identitäre Subjekt (samt seiner Meisternarrative wie das der Nation) lanciert. Schlin- gensiefs intermediales Verfahren fragmentiert Geschichte, setzt Verdrängtes frei und durchschlägt immunisierende „Schutzdichtungen“. In diese heterogene Trümmerland- schaft fügt der Künstler avantgardistische Widerstandsformen gegen die gewaltvolle Geschichte ein – beispielsweise den Wiener Aktionismus, der gegen die österreichische Variante der Verdrängung (nationalsozialistischer Geschichte) gerichtet ist, und Joseph Beuys’ Aktionen. Schlingensiefs Projekte durchbrechen die stabilisierenden Kopplungen von Identität, autonomem Subjekt und Nation, wie an seiner kongenialen Adaption von Jelineks Bambiland, Attabambi- Pornoland, gezeigt werden soll.

Résumé Christophe Schlingensief, metteur en scène et artiste multimédia, se confronte de manière obsessionnelle à l’histoire allemande et ses icônes névralgiques (telles qu’Hitler) qu’il cherche à « user » en les utilisant. Il élabore un programme visuel hybride qui transgresse les frontières entre les disciplines artistiques, se dérobe à tous les cadres structurants et lance ses attaques contre un sujet fondé sur une identité définie et ses « grands récits » tels que celui de la nation. Le procédé intermédial de Schlingensief fragmente l’histoire, libère le refoulé et transperce les « jointures » immunisantes. Dans ce paysage hétérogène de ruines, l’artiste insère des formes de résistance avant-gardistes à la violence de l’histoire tel que l’actionnisme viennois, qui est dirigé contre la variante autrichienne du refoulement de l’histoire nationale-socialiste, et les actions de Joseph Beuys. Les projets de l’artiste viennent rompre les corrélations stabilisantes entre iden- tité, sujet autonome et nation, ce que fait apparaître l’analyse d’Attabambi-Pornoland, sa formidable adaptation de Bambiland d’Elfriede Jelinek.

52 Michael Kerbler, Claus Philipp, „‚Ich bin für die Vielfalt zuständig.‘ Christoph Schlingensief im Gespräch mit Michael Kerbler und Claus Philipp“, in: Christian Reder (Hg.), Lesebuch Projekte. Vor- griffe, Ausbrüche in die Ferne, Wien, Springer, 2006, S. 125-140, hier S. 134.

Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 309 T. 45, 2-2013

Le Braqueur (1) de Benjamin Heisenberg ou l’Autriche « surmoderne »

Valérie Carré*

Introduction Dans un article consacré à la question de savoir ce qui, chez Michael Haneke, serait typiquement autrichien, Stefan Grissemann écrit : « Comment l’Autriche […] est-elle perçue en dehors de ses frontières, si l’on fait abstrac- tion du folklore autour de Mozart, de Sissi et des lipizzans ? Durant la décennie qui vient de s’écouler, ce sont avant tout Natascha Kampusch, victime d’enlèvement, Josef Fritzl, bourreau, Arnold Schwarzenegger, à la fois bodybuilder, star de cinéma et politicien, Jörg Haider, homme politique d’extrême droite et Hermann Maier, skieur, qui ont, pour quel- ques instants, fait parler de l’Autriche dans le monde entier. À quoi peut-on les associer ? À la psychopathologie et au culte de la victime, au populisme politique et culturel, au sport extrême. Dans la langue de Haneke, cela donne : crime, suicide, monotonie, dépression, refoulement et isolement grandissant. En ce sens, Michael Haneke, le pessimiste de la culture, est tout de même bien un réalisateur très autrichien » (2). Dans le prolongement de ce qui précède, Katharina Pewny met en évidence le fait que dans sa pièce Ein Sportstück, Elfriede Jelinek présente le sport, la guerre, la compétition et la violence collective comme différentes facettes d’une seule et même chose : la base qui sous-tend l’identité autrichienne (3). Ce faisant, elle définit ce qu’on pourrait nom- mer, pour utiliser un néologisme particulièrement laid, « l’autrichitude » comme suit :

* Maître de conférences, Université de Strasbourg. 1 Benjamin Heisenberg, Der Räuber, Allemagne / Autriche, 2009. 2 Stefan Grissemann, « Comme les lemmings : le gouffre de l’Autriche et la politique de l’autodestruc- tion dans les films de Michael Haneke », in : Valérie Carré (dir.), Fragments du monde. Retour sur l’œuvre de Michael Haneke, Lormont, Le Bord de l’eau, 2012, p. 201. 3 Voir à ce sujet Katharina Pewny, « Das Prekäre lesen. Ein kontextanalytischer Zugang zu Elfriede Jelineks Ein Sportstück », in : Hans-Peter Bayerdörfer, Vom Drama zum Theatertext. Zur Situation der Dramatik in Ländern Mitteleuropas, Tübingen, Niemeyer, 2007, p. 144. 310 Revue d’Allemagne

« Das ‘Österreichische’ ist demnach als prekäres Schwanken zwischen instabilen, jederzeit widerruflichen Extremen charakterisiert. » L’objectif de cet article est d’étudier la façon dont certaines œuvres parlent aujourd’hui de l’Autriche, par quels truchements de la représentation, par quels recours narratifs, elles abordent ce que d’aucuns considèrent comme typique de l’Autriche. Un exemple récent du cinéma autrichien, le filmMichael – qui reprend le fait divers de la séquestration de Natascha Kampusch – semble s’inscrire dans la lignée directe du cinéma de Haneke (4). Mais nous nous concentrerons ici sur le filmLe Braqueur (Der Räuber) de Benjamin Heisenberg. Cela pourra paraître surprenant à plusieurs titres : tout d’abord parce que Heisenberg n’est pas autrichien, ensuite parce que son film ne parle pas au premier abord de l’Autriche. Son action est simplement ancrée dans la réalité autrichienne d’aujourd’hui. La thèse que nous aimerions défendre consiste à dire que Le Braqueur, au-delà du fait divers qu’il relate, reprend les éléments évoqués plus haut, c’est-à-dire ce mélange de sport, de crime, de dépression et d’isolement, pour proposer en filigrane une image de l’Autriche qui puise dans une mythologie col- lective autrichienne tout en thématisant l’impossible prise de distance par rapport à sa propre identité. Toutefois, contrairement à ce qui se passe (ou ce qui se passait) chez les auteurs autrichiens, on ne trouve pas chez Heisenberg de confrontation directe avec le pays mais plutôt un regard fin sur l’Autriche d’aujourd’hui. Il convient d’ajouter, afin d’éviter tout malentendu, qu’il n’était certainement pas dans l’intention de Benjamin Heisenberg de faire un film sur l’Autriche. En revanche, le fait divers qu’il relate et la façon dont il le travaille cinématographiquement, sont inévitablement producteurs d’une réflexion sur le pays, sorte « d’ectoplasme » du film. L’action raconte l’histoire de Johann Rettenberger qui, tout juste sorti de prison, recommence les braquages de banque pour lesquels il avait été incarcéré cinq ans plus tôt. Rettenberger est un personnage peu sympathique, solitaire, qui se distingue par le fait d’être un coureur hors norme. La course semble d’ailleurs être sa seule raison d’être. Le récit de Heisenberg repose sur une histoire vraie, celle de Johann Kastenber- ger, personnage qui maintint à la fin des années 80 l’Autriche en haleine. Kastenberger était un criminel qui avait à son actif plusieurs crimes et braquages. Pour ces derniers, il avait la particularité de porter un masque de carnaval qui représentait Ronald Reagan et de menacer ses victimes à l’aide d’un fusil à pompe, d’où son surnom « Pumpgun Ronnie ». Parallèlement à cette « carrière » de criminel, Kastenberger était un grand sportif, un grand coureur de marathon. Cette combinaison fascina les Autrichiens, particulièrement friands de performances sportives, et le « cas » Kastenberger donna lieu à la plus grande course poursuite de l’après-guerre. Comme dans le film, il fut arrêté, parvint à s’échapper et à passer plusieurs fois à travers les mailles du filet de la police. Finalement, cerné de toutes parts sur l’autoroute, il finit sa course en forçant un barrage. Touché par une balle, il immobilisa sa voiture et se donna la mort avant l’ar- rivée de la police. Nous verrons que Heisenberg a opté pour une autre fin et tenterons également d’expliquer pourquoi.

4 Le film est signé Markus Schleinzler qui est un collaborateur de Michael Haneke et qui, par ailleurs, interprète le rôle de l’agent de probation dans Le Braqueur de Benjamin Heisenberg. Le Braqueur de Benjamin Heisenberg ou l’Autriche « surmoderne » 311

En 2002, un jeune auteur autrichien, Martin Prinz, consacra un court roman à ce fait divers (5). C’est ce texte qui a servi de base à l’écriture du scénario du film. Heisen- berg reprend en effet la plupart des modifications opérées par Prinz, notamment le changement des noms. Mais on note également de nombreuses différences entre le roman et le film. Nous nous contenterons d’évoquer celles qui ont une importance pour notre propos : t$POUSBJSFNFOUË.BSUJO1SJO[ EPOUMFSÏDJUTFTJUVFEBOTM"VUSJDIFEFTBOOÏFT  Heisenberg renonce au contexte historique du fait divers. Il transpose ainsi l’action dans l’Autriche contemporaine, ce qui l’amène à éliminer l’une des caractéristiques principales du personnage historique : le masque reconnaissable de Ronald Reagan qui, dans le film, cède la place à un masque neutre, ne représentant aucune personnalité. t-FSÙMFEFMBDPVSTFQSFOEVOFUPVUBVUSFEJNFOTJPOEBOTMFĕMN t)FJTFOCFSHSFOPODFËUPVUBODSBHFTPDJBMEVQFSTPOOBHFUBOEJTRVF1SJO[FOÏWP- quait les origines familiales. Ces changements fondamentaux par rapport au texte de Martin Prinz nous amènent à nous concentrer sur deux caractéristiques en ce qu’elles sont constitutives de ce qui fait l’Autriche dans le film : le couple « sport » et « crime » d’une part et l’antagonisme entre les différents types de lieux d’autre part.

I. Éléments constitutifs du récit 1. Du lien intrinsèque entre sport et crime Tandis que dans le roman, les performances purement sportives de Rettenberger – c’est-à-dire celles de ses participations à des marathons – ne sont mentionnées qu’in- directement par le biais des journaux, elles sont constitutives, dans le film, de la dyna- mique du récit, à tel point qu’on assiste à une fusion entre les manifestations sportives auxquelles Rettenberger prend part et ses braquages de banque. En effet, le montage, tant dans sa dimension visuelle que sonore, souligne à la fois le lien intrinsèque qui existe entre ces deux domaines et l’incapacité des Autrichiens à reconnaître ce lien. Pour cela, Heisenberg a recours à deux figures de style : l’ellipse et l’enchaînement. À cet égard, la quatrième séquence est éloquente. Celle-ci est constituée de scènes qui se succèdent de manière abrupte et elliptique : on passe ainsi du magasin de chaussures au deuxième braquage, puis au marathon de Vienne. Parallèlement et par opposition, la bande son suggère la continuité, l’enchaînement logique, puisque le bruit des pas sur le tapis roulant du magasin de chaussures est progressivement remplacé par la musique off qui accom- pagne les images de vidéosurveillance de la banque ; elle-même fait ensuite place aux bruits d’ambiance de la retransmission télévisée du marathon. De même, nous avons à chaque fois une mise en abyme par le recours à des images médiales : l’écran de contrôle dans le magasin, la vidéosurveillance et les images de l’ORF – nous y reviendrons. Mais pour le moment, il convient de souligner un autre élément, à savoir le fait que le film insiste sur l’évidence même : le marathonien est le même homme que le bra- queur de banque. Ce dernier porte des baskets qui sont l’attribut du marathonien.

5 Martin Prinz, Der Räuber, Salzburg, Jung und Jung, 2002. On notera que Prinz est co-auteur avec Benjamin Heisenberg du scénario du film. 312 Revue d’Allemagne

Inversement, le coureur porte un maillot à l’effigie de la banque qui semble dire « Le braqueur, c’est moi » (fig. 1-4) (6). Fig. 1-4

Plus tard, cette collusion entre les deux domaines atteindra son paroxysme : Retten- berger le sportif deviendra Rettenberger le meurtrier. Après avoir remporté le mara- thon de montagne, il finira par tuer son agent de probation avec la coupe qu’il vient de gagner : où l’objet symbole de victoire sportive devient intrument de meurtre, et Rettenberger de dissimuler sa coupe dans son sac de sport comme il y dissimule son fusil à pompe après chaque braquage (fig. 5 et 6). Fig. 5-6

2. Des espaces Contrairement au roman, dans lequel des témoignages extérieurs apportent des informations sur l’entourage familial de Rettenberger tout en insistant sur le fait que, précisément, son environnement social ne saurait en aucun cas expliquer le fait qu’il soit devenu un criminel, le film présente un Rettenberger qui n’entretient aucune rela- tion avec sa famille, ce que son agent de probation voit d’ailleurs d’un mauvail œil. C’est notamment par le traitement de l’espace que Heisenberg travaille cet isolement. Dans un célèbre ouvrage déjà ancien, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de

6 Les clichés sont directement issus du film. Nous remercions vivement Benjamin Heisenberg, les mai- sons de production Peter Heilrath Film et Nikolaus Geyrhalter Filmproduktion pour l’autorisation de reproduire ces clichés. Copyright NGF. Le Braqueur de Benjamin Heisenberg ou l’Autriche « surmoderne » 313 la surmodernité, Marc Augé oppose deux types de lieux, le lieu anthropologique et le non-lieu (7) ; on peut dans un premier temps avancer l’idée que le film s’articule autour de trois types d’espaces qu’il convient de décrire plus avant. Le lieu anthropologique Il a trois caractéristiques principales : il est identitaire, relationnel, historique (8). Dans le film, l’archétype du lieu anthropologique, c’est l’appartement d’Erika que Johann se met à fréquenter, enfreignant ainsi une de ses propres lois : ne pas s’attacher à qui que ce soit. L’appartement d’Erika, c’est l’appartement familial auquel sont donc liées une identité, une histoire et des relations. Lorsqu’il y entre pour la première fois dans le film, Johann note que rien n’y a changé. Il s’agit là de al seule séquence dans laquelle le spectateur apprend quelque chose du passé de Johann : probablement qu’il était ami avec le frère d’Erika. C’est dans l’appartement que Johann demande à Erika si sa mère y habite toujours et que la jeune femme donne des nouvelles de son frère, dont on apprend simplement qu’il a fondé une famille. Dans le même ordre d’idée, c’est dans la cuisine que Johann observe une vieille photo de famille…, famille dont Erika déclare vouloir écrire l’histoire. Ainsi, Johann pénètre dans un lieu qui l’intègre dans un réseau social, ce qui est aux antipodes des lieux qui le caractérisent habituellement et qui relèvent de la deuxième catégorie mise en évidence par Marc Augé, celle des non-lieux. De manière peut-être plus générale, on peut dire que le lieu anthropologi- que est aussi le type de lieu avec lequel l’Autriche en tant que pays aime se voir associée, suggérant par là une identité culturelle basée sur la transmission d’une histoire, d’une culture, de valeurs et de traditions. L’appartement d’Erika est tout cela à la fois. Les non-lieux Le non-lieu est généralement lié au passage (par opposition au lieu anthropologique où l’on est et où l’on reste) (9). Marc Augé en donne la définition suivante : « [Par ‘non-lieu’,] nous désignons deux réalités complémentaires mais distinctes : des espaces constitués en rapport à certaines fins (transport, transit, commerce, loisir), et le rapport que des individus entretiennent avec ces espaces. Si les deux rapports se recouvrent assez large- ment, et, en tout cas, officiellement (les individus voyagent, achètent, se reposent), ils ne se confondent pas pour autant car les non-lieux médiatisent tout un ensemble de rapports à soi et aux autres qui ne tiennent qu’indirectement à leurs fins : comme les lieux anthropologi- ques créent du social organique, les non-lieux créent de la contractualité solitaire » (10). Cela signifie que l’individu qui utilise ces espaces aura souvent pour seuls contacts ceux qu’il entretient avec les machines : distributeurs automatiques de billets par exem- ple, ou comme dans le film, la carte magnétique utilisée par Johann à l’hôtel en guise de clé. Ainsi s’instaure un rapport médiatisé au monde, dont l’apanage est la solitude. Une corrélation s’établit entre ce phénomène de rapport médiatisé au monde et le fait que Rettenberger semble avoir pour idéal la disparition de tout contact avec l’hu- main. Il conçoit sa vie comme un système mécanique où tout se déroulerait selon un plan préalablement défini. C’est pourquoi Johann considère la relation qu’il entame

7 Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Éditions du Seuil, 1992. 8 Ibid., p. 69. 9 Ibid., p. 100 sq. 10 Ibid., p. 118 sq. 314 Revue d’Allemagne avec Erika comme un accident de parcours. Lorsque celle-ci lui demande, après avoir découvert les liasses de billets qu’il cache sous son lit, quelle place elle a dans sa vie, il répond : « Ich habe einfach nicht mit dir gerechnet », où l’emploi du verbe « rechnen » fait écho à l’ordinateur (« Rechner »). Coupé de toute relation sociale, Rettenberger refuse l’aide de qui que ce soit. Seules les machines sont propres à lui apporter un soutien : le tapis roulant pour l’entraînement dans sa cellule de prison ou encore les appareils des médecins destinés à lui permettre de définir la meilleure stratégie pour optimiser ses performances. Rettenberger va jusqu’à essayer de maîtriser ses émotions et son propre corps afin qu’il ne s’en fasse plus le relais. C’est le sens que l’on peut don- ner à la courte scène où on le voit brancher le pulsomètre sur son ordinateur. La courbe de son rythme cardiaque apparaît alors et le spectateur comprend que l’augmentation de son pouls correspond non pas à un effort physique qu’il aurait fourni mais à un braquage qui a provoqué une forte émotion. Pourtant Rettenberger échoue dans sa tentative de maîtrise absolue, tout comme il échoue dans son utilisation du non-lieu. Car l’une des contradictions les plus flagran- tes du non-lieu réside dans le fait qu’il semblerait être le lieu de l’anonymat, mais qu’il exige de l’individu qu’il décline son identité avant de gagner cet anonymat (check in à l’aéroport, achat de billet par carte bancaire… ) (11). Cela amène Marc Augé à écrire : « D’une certaine manière, l’utilisateur du non-lieu est toujours tenu de prouver son inno- cence. Le contrôle a priori ou a posteriori de l’identité et du contrat place l’espace de la consommation contemporaine sous le signe du non-lieu : on n’y accède qu’innocent » (12). C’est ici, dans cette contradiction intrinsèque au non-lieu, que sera scellé le sort de Johann Rettenberger. En effet, l’anonymat et le détachement auxquels il aspire en fréquentant ces lieux s’avèreront impossibles : tLes hôtels et les chambres qu’il loue ressemblent désespérément à la prison (fig. 7-9) et font de lui un éternel détenu (ce qui est corroboré par un traveling récurrent le montrant de dos). t-BCTFODFEFUPVUFWJTBHÏJUÏEVNBT- que qu’il porte dans ses braquages de banque deviendra bientôt un signe de reconnaissance. t-FT DBNÏSBT EF WJEÏPTVSWFJMMBODF  qui vont de pair avec le non-lieu, per- mettront à Erika d’identifier Johann. Ainsi, Rettenberger ne peut plus prétendre au non-lieu puisqu’il ne peut prouver son innocence.

11 Ibid., p. 127 sq. 12 Ibid., p. 128 sq. Fig. 7-9 Le Braqueur de Benjamin Heisenberg ou l’Autriche « surmoderne » 315

Par-delà les lieux anthropologiques et les non-lieux : le lieu mythologique Mais il existe dans le film un autre type de lieu – la forêt – qui ne relève pas des catégories définies par Marc Augé. Par rapport à ces dernières, on pourrait dire qu’il serait l’envers du lieu anthropologique puisque la forêt, telle qu’elle apparaît à la fois dans les contes traditionnels et dans le film, est un lieu non investi par la société; elle représente l’autre des constructions sociales. Nous avons choisi de qualifier ce type de lieu de « mythologique ». Très souvent, les braquages de Rettenberger se terminent dans la forêt. Dans l’imagi- naire des contes, on le sait, la forêt est le lieu des forces maléfiques et des dangers. Il suffit de penser à Hansel et Gretel (ou au Petit Poucet) et au Petit Chaperon Rouge pour s’en persuader. Ainsi, le brigand Rettenberger a sa place dans cet endroit qui peut être consi- déré comme son élément. Elle devient pour lui un refuge, ce qui, par la même occasion, transforme l’homme-machine des non-lieux en homme-animal. Ainsi, c’est dans la forêt que Rettenberger, un instant tenté par le suicide, trouvera son salut : épuisé et traqué de toutes parts, il s’assied un instant à même le sol, et observe le cordon de policiers qui se rapproche irrémédiablement de lui. Ayant perdu tout espoir de se soustraire à eux, il sort son revolver. Son regard se vide et il semble littéralement prendre congé du monde lorsqu’un oiseau qui s’envole lui indique in extremis le refuge qui lui permettra une fois encore d’échapper à sa capture : un terrier qui se trouve à ses pieds et dans lequel il s’en- gouffre immédiatement. Cependant, la référence à la forêt ne provient pas seulement des contes. L’indice nous en est donné par la musique, que nous avons peu évoquée jusqu’ici. Dans la séquence du grand marathon de montagne auquel participe Rettenberger, on entend une musique peu usuelle pour un film de l’École de Berlin (13), tant elle semble solliciter les sentiments du spectateur. Cette musique a été composée par Lorenz Dangel et le texte en est constitué d’extraits de la première partie de la Divine Comédie de Dante, consacrée à l’Enfer. Ce faisant, la musique ouvre un nouveau champ de références. L’air qu’on entend est celui de Francesca. Or, dans la Divine Comédie, Dante rencontre, dans le deuxième cercle de l’Enfer, Francesca et Paolo, tous deux assassinés par le mari de Francesca parce qu’ils étaient tombés amoureux l’un de l’autre « par inadvertance », en lisant un livre. Dans le film, on entend cet air deux fois, pendant le marathon donc, puis dans la séquence finale. Il est sans doute possible d’établir un parallèle entre la relation Francesca/ Paolo et Erika/ Johann. Une piste pourrait être le fait que Johann, par inad- vertance, s’attache à Erika pour laquelle il éprouve de l’affection, même s’il ne l’avait pas « prévue » dans sa vie. Mais plus intéressant, nous semble-t-il, est la dernière partie du film, lorsque Johann tente d’échapper à la police dans la forêt. Dans cette partie s’ac- cumulent les motifs chrétiens et christiques. Rettenberger revient par exemple à deux reprises vers la croix qui marque le sommet de la montagne sur laquelle il s’est réfugié, associant ainsi sa course à un chemin de croix. Évidemment, cet éternel retour à la croix insiste aussi sur l’importance de la religion catholique en Autriche d’une part et sur l’im- possibilité pour Rettenberger d’échapper à la société autrichienne. Peu après toutefois, on assistera à la transformation de Rettenberger en figure christique, nous y reviendrons.

13 Les films dits de « L’école de Berlin » à laquelle appartient Benjamin Heisenberg ont la réputation de n’utiliser que très peu de musique off afin d’éviter toute influence émotionnelle du spectateur. Le premier film de Benjamin Heisenberg, Schläfer, en était presque totalement dénué. 316 Revue d’Allemagne

Mais avant cela, il convient également de dire que le recours à la Divine Comédie permet aussi d’élargir le champ des associations. Dans le texte de Dante, le premier giron du septième cercle, situé déjà assez bas en enfer, est le giron des brigands et des meurtriers. Ce sont ceux qui ont sciemment et volontairement péché, qui ont fait vio- lence à Dieu et à la nature. Or, on entend l’air de Francesca pour la première fois juste avant le meurtre perpétré par Johann sur son agent de probation, puis une seconde fois après la mort de Johann. Dès lors, sa course dans la forêt prend des airs de paysage dantesque. Dans le chant XII, consacré aux brigands et meurtriers, Dante décrit un paysage escarpé, qui descend abruptement. Ce cercle est dominé par les Centaures, ces créatures à corps d’animaux et têtes d’hommes qui surveillent les habitants du giron. Ces derniers sont condamnés à séjourner dans un ruisseau de sang et reçoivent des flèches lorsqu’ils tentent d’en sortir : « Mais fiche tes yeux plus bas, car voici que s’approche / la rivière de sang où sont bouillis / ceux qui ont nui aux autres par violence. / O cupidité aveugle et colère folle, / qui nous éperonnes dans la courte vie, / pour nous baigner si mal dans l’éternelle ! / Je vis une ample fosse tordue en arc, / car elle embrassait toute la plaine, / comme l’avait expliqué mon escorte ; / entre le fleuve et la falaise, en file indienne, / couraient des centaures, armés de flèches, / tout comme, sur terre, ils allaient à la chasse » (14). Dans le film, ce sont les policiers armés qui arpentent la forêt en rangées à la recher- che du braqueur. Plus tard, lorsque Johann sera sorti de la forêt, il sera blessé par un vieil homme tandis qu’il était en train de le ligoter. Ce coup de poignard peut faire à la fois écho aux flèches des centaures qui touchent ceux qui quittent davantage le fleuve de sang que ne le permet leur faute, et au Christ, puisque la blessure fait du braqueur une véritable figure christique, dont la mort s’apparente toutefois à celle de l’animal. Par ce biais donc, le film construit encore une fois une double identité du personnage principal, à la fois criminel et victime. À un autre niveau, la fin de Rettenberger réunit deux aspects essentiels de sa vie : la condition d’homme-animal d’une part, le non-lieu d’autre part. Après être parvenu une dernière fois à déjouer la vigilance de la police grâce à une voiture volée sur une aire d’autoroute, il se voit contraint, à bout de forces, d’immobiliser le véhicule sur la bande d’arrêt d’urgence. Il meurt peu après, littérale- ment « à bout de sang », comme un animal qui agonise tandis que les essuie-glaces de la « machine » automobile continuent imperturbablement le balayage du pare-brise. Ainsi est soulignée la défaite de Rettenberger qui rêvait de devenir homme-machine et qui meurt en homme-animal, en proie de surcroît aux sentiments. Cette séquence finale est en effet également le moment où Johann tente mentalement de parvenir à un ancrage « social ». Sur le non-lieu par excellence que constitue l’autoroute, il revoit par flashs des images de son passé récent dont la plupart sont associées au lieu anthro- pologique de l’appartement d’Erika, puis appelle cette dernière à partir d’un portable trouvé dans la voiture afin de ne pas mourir totalement seul. Cela laisse donc apparaî- tre une tentative de réintégration dans le giron de la société humaine. Ainsi, la dernière séquence réunit les trois types de lieux, l’autoroute pour le non-lieu, la forêt pour le lieu mythologique (l’homme animal) et enfin ’appartementl d’Erika

14 Dante, La Divine Comédie, Traduction, préface et notes par Jacqueline Risset, Paris, Flammarion, 2010, p. 63. Le Braqueur de Benjamin Heisenberg ou l’Autriche « surmoderne » 317 pour le lieu anthropologique. Rettenberger entretient un rapport tantôt symbiotique, tantôt conflictuel avec ces trois espaces. Son échec vient de son incapacité à résoudre ce conflit.

II. L’impossible connaissance de soi ? Après cette étude typologique des lieux, il convient de revenir à l’interrogation ini- tiale et de se demander quelle image apparaît en filigrane de l’Autriche. On a d’abord affaire à un pays tiraillé entre tradition et immobilisme d’une part, surmodernité et vitesse d’autre part. Et on pourra peut-être dire de Rettenberger qu’il rassemble en lui toutes les contradictions intrinsèques à la société autrichienne, à la fois en ce qui concerne ses propres aspirations et le regard que l’on porte sur lui. Afin de développer plus avant cette idée, il paraît nécessaire de s’arrêter sur un plan récurrent montrant Rettenberger de dos (cf. fig. 7-9). Ce type de plan atteint son paroxysme lorsque l’agent de pro- bation demande à Rettenberger, après son succès au marathon de Vienne, un autographe sur la photo d’un magazine le représentant de dos et titrant : « Der große Unbe- kannte. Versuch eines Portraits » (fig. 10). Dès lors, le film devient une Fig.10 sorte de miroir truqué qui place le spectateur en position de voyant, voyant les autres qui ne voient pas et ne peuvent pas voir. Paradoxa- lement, plus la multiplication des images médiales contribue à faire de Rettenberger un héros national, qu’il soit positif ou négatif (fig. 10 et 11), plus la cécité collective est Fig.11 grande : comment en effet expliquer que personne ne fasse le lien entre les braquages et le marathonien Rettenberger alors que tous ont les éléments en mains, que ce soit la journaliste de la radio qui souligne le fait que Rettenberger s’est entraîné dans sa cel- lule de prison où il purgeait une peine pour tentative de braquage de banque ou pire, son agent de probation, qui dit pourtant avoir réétudié le dossier, ce qu’il fait toujours « après un tel succès », ainsi qu’il le souligne. Rettenberger, précisément, caresse l’ego collectif de ses compatriotes, il répond trop à leurs attentes : on sait bien que c’est un criminel mais on ne veut pas le savoir car c’est avant tout un grand sportif. Un détour par un tableau célèbre de Magritte – La reproduction interdite – permet peut-être d’illustrer ce mécanisme. L’œuvre de Magritte, dont le sous-titre est Portrait d’Edward James, montre un homme dont le reflet est une reproduction ou duplication de ce que voit l’observateur du tableau et, par la même occasion, de ce que ne peut voir le personnage représenté, à savoir son propre dos. Cela pose plusieurs questions : t4BHJUJMWSBJNFOUEVOSFĘFUPVEVOEPVCMF  318 Revue d’Allemagne

t1PVSRVPJOZBUJMQBTEFSFĘFUNBJTTFVMFNFOUEVQMJDBUJPO  t-BQFSTPOOFOFEJTQPTFUFMMFEBVDVOFJEFOUJUÏ  t-FNJSPJSTFGBJUJMMFSFĘFUEVSFGVTEFMBQFSTPOOFEFTFSFHBSEFSFOGBDF  Il nous semble qu’il soit possible de transposer les questionnements que soulève ce tableau de Magritte au personnage de l’agent de probation. Le film, en ayant recours aux plans le montrant de dos der- rière Rettenberger (fig. 12), met en image le fait que le fonctionnaire (15) non seulement ne voit pas qui est réellement Rettenberger alors qu’il dispose de tous les éléments pour le faire, mais aussi que cette incapacité est due à sa propre façon de fonc- Fig.12 tionner : l’agent aura beau se plain- dre du manque de coopération de la part de Rettenberger pour écrire son rapport, il est co-responsable, co-porteur de la cécité collective en ce qu’il est lui-même admirateur de Rettenberger. Ce faisant, il devient au fil de l’action une sorte ed double du sportif/ cri- minel qui colle de près au personnage, symbolisant ainsi l’impossible prise de distance par rapport aux identités, celle de Rettenberger, mais aussi la sienne. On remarque en effet une évolution du positionnement des deux hommes au cours du film (fig. 13-17) : ils se font tout d’abord face comme s’il existait entre eux un antagonisme. Dans l’entrevue suivante toutefois, ils sont assis de manière perpendiculaire l’un par rapport à l’autre et enfin l’un derrière l’autre, comme dans le tableau de Magritte. Ce faisant, il s’avère que l’agent de probation, plutôt que d’être un personnage qui ferait réellement face à Retten- berger et le confronterait à la réalité, refuse de regarder la réalité en face et par la même occasion de se regarder en face. C’est pourquoi lorsque, dans la séquence du meurtre, le véritable regard miroir survient, c’est-à-dire lorsque Rettenberger se retourne subite- ment vers l’agent de probation, cela équivaut littéralement à regarder la mort en face : le regard miroir qui surgit ne peut être que violent (fig. 16-17). À cet égard, le rêve que Rettenberger raconte à Erika après avoir entendu du bruit dans la cage d’escalier est symptomatique : « Es ist wie in meinem Traum, nur dass das Geräusch dort noch viel lauter ist. Wie wenn einer die Tür eintritt. Ich hab das Gefühl, es kommt von innen. Bin tot, liege im Grab und hab so viel Energie in mir, dass ich zurückkomme. Einfach aus Widerstand. » Cette image de quelqu’un qui enfonce la porte de l’extérieur, et en même temps le sentiment que cela vient de l’intérieur, n’est en réalité qu’une variante de la constella- tion des deux personnages : étant le double l’un de l’autre, l’intérieur de l’un est aussi l’extérieur de l’autre et inversement. Mais cela est également paradigmatique de la société autrichienne et des tensions que travaille le film entre tradition et modernité, entre sport et crime. Pour le spectateur, le personnage de Rettenberger n’est pas particulièrement sym- pathique, mais il ne fait guère de doute que toute la société autrichienne est pour

15 On notera que le personnage, non seulement n’a pas de nom mais une fonction, mais en plus est fonc- tionnaire. En cela, il est un représentant parfait de l’Autriche. Le Braqueur de Benjamin Heisenberg ou l’Autriche « surmoderne » 319

Fig. 13-17

lui une sorte de cercueil forcé. C’est pourquoi il cherche à rester en dehors de cet environnement oppressant, ne renvoyant aux autres que le miroir de leur médiocrité : le commentateur sportif qui voit dans la prime de 5 000 euros une grande motivation à gagner le marathon, le policier convaincu que la fuite de Rettenberger ne durera pas car nul être humain ne peut supporter longtemps d’être traqué, ou les discours mora- lisateurs de l’agent de probation. La petitesse de cette société ne fait que provoquer la révolte violente, contre l’autre et contre soi-même. Cela transforme paradoxalement le criminel en figure christique, tant la blessure sournoisement administrée par le vieil homme à la fin inverse les rôles : où le criminel devient victime et la victime crimi- nelle. Même si le film de Benjamin Heisenberg est dépourvu de toute attaque frontale par rapport à la société autrichienne, on y trouve donc nombre d’éléments qui font écho à ceux mis en exergue par une multitude d’artistes autrichiens, tout en les ré- agençant afin de proposer en creux une réflexion sur ce qui est constitutif de la société autrichienne aujourd’hui, une fois révolue l’époque des grandes confrontations. 320 Revue d’Allemagne

Résumé Dans son film Der Räuber (2010), Benjamin Heisenberg, réalisateur allemand, revient sur un fait divers qui, dans les années 80, tint l’Autriche en haleine, celui d’un bra- queur de banque qui surgissait toujours avec un masque de Ronald Reagan et un fusil à pompe et qui parvint bien des fois à échapper à la police parce qu’il était un sportif hors norme. Mais Heisenberg a fait le choix de détacher son récit du contexte historique des années 80 pour le transposer dans l’Autriche d’aujourd’hui. Ce faisant, il retravaille les « mythologies » nationales pour représenter en creux un pays tiraillé entre tradition et modernité. L’article montre, en partant des stratégies de récit, des éléments récurrents et du traitement de l’espace (lu à travers les catégories de Marc Augé), en quoi le film de Benjamin Heisenberg élabore une réflexion sur l’identité autrichienne ainsi que sur l’appréhension même de cette identité tout en gardant à l’esprit le fait que cette dimen- sion du film est sans doute plus fortuite que voulue.

Zusammenfassung Benjamin Heisenberg greift in seinem FilmDer Räuber (2010) die Geschichte von Johann Kastenberger auf, der in den 80er Jahren mehrere Banküberfälle in Österreich verübte. Man nannte ihn „Pumpgun-Ronnie“, weil er immer mit einer Pumpgun und einer Ronald-Reagan-Maske auftauchte. Anstatt seinen Film in den 80er Jahren zu verankern, entschied sich B. Heisenberg dazu, die Geschichte im heutigen Österreich abspielen zu lassen. In diesem Aufsatz wird nachgezeichnet, inwiefern Heisenberg durch Erzählstrategien, wiederkehrende Motive und durch seine Arbeit mit dem Raum, eine Reflexion über das Österreichische und den Umgang damit einleitet. Es soll hierbei gezeigt werden, dass er bekannte Elemente, Urmuster des Österreichischen aufgreift, und diese verarbeitet, ohne jedoch unbedingt dieselbe kritische Absicht wie viele der österreichischen Autoren zu verfolgen. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 321 T. 45, 2-2013

Nation et arts plastiques en RDA

Jacques Poumet*

Dans les années 1950 et 1960, la RDA a conservé officiellement la référence à l’unité de la nation allemande. Dans la constitution de 1968, l’intérêt supérieur de la nation allemande est invoqué comme élément de légitimation d’une RDA définie comme un « État socialiste de nation allemande ». Au début des années 70, la RDA abandonne progressivement la référence à la nation allemande et se réclame d’une autre nation, la nation socialiste. Dès le VIIIe congrès du SED en 1971, il est question de la « nation socialiste » qui se développe dans l’« État socialiste allemand » de RDA, par opposition à la nation bourgeoise qui se perpétue en Allemagne de l’Ouest (1). L’année suivante, les choses se précisent : l’Allemagne divisée, ce ne sont pas deux États d’une même nation, mais deux nations incarnées dans des États aux régimes sociaux différents (2). En 1973, les commentaires officiels martèlent l’idée que le processus de démarcationAbgren- ( zung) entre les deux États traverse également la nation et qu’aucune communauté linguistique, culturelle, ou historique entre les populations des deux Allemagnes ne saurait fonder l’existence présente d’une nation commune (3). Une fois acquis le traité fondamental entre les deux Allemagnes et la reconnaissance internationale de la RDA,

* Professeur émérite, Université Lumière Lyon 2. 1 « Im Gegensatz zur BRD, wo die bürgerliche Nation fortbesteht […], entwickelt sich bei uns in der Deutschen Demokratischen Republik, im sozialistischen deutschen Staat, die sozialistische Nation. » Bericht des Zentralkomitees an den VIII. Parteitag der Sozialistischen Einheitspartei Deutschlands, Berlin, Dietz Verlag, 1971, p. 56. 2 Albert Norden, Fragen des Kampfes gegen den Imperialismus, Vortrag an der Parteihochschule Karl- Marx, 03.07.1972, Berlin, 1972, p. 22. Cité dans : Bundesministerium für innerdeutsche Beziehungen (éd.), DDR-Handbuch, Cologne, Verlag Wissenschaft und Politik, 1985, p. 924. Cf. aussi : Carl Chris- toph Schweitzer (dir.), Die deutsche Nation. Aussagen von Bismarck bis Honecker, Cologne, Verlag Wissenschaft u. Politik, 1976. 3 « Zwischen der sozialistischen Nation in der DDR und der kapitalistischen Nation in der BRD hat sich […] die historische Tendenz der Abgrenzung durchgesetzt. » Albert Norden, Neues Deutschland, 20.03.1973. 322 Revue d’Allemagne ce processus est ancré dans la constitution en 1974. Toute référence à l’Allemagne et à la nation allemande disparaît de la constitution, et la RDA se définit désormais comme « un État socialiste des ouvriers et des paysans » : la nation allemande est répu- tée appartenir au passé, la perspective de la réunification n’est plus mentionnée. La formule « deux États, une Nation » qui sous-tend en République fédérale la nouvelle politique à l’Est relève dans cette perspective d’un aveuglement historique, ou d’une volonté de renverser le cours de l’Histoire. Ce remplacement de la nation allemande par la nation socialiste se heurtera à l’in- compréhension d’une grande partie de la population, qui s’identifie jusqu’à un certain point avec la RDA sans s’identifier pour autant à une nation socialiste internationale, et qui ne perd pas la conscience d’appartenir à un ensemble allemand. Pour répondre à cette incompréhension, la notion de nation socialiste sera complétée par celle de « nationalité allemande » qui désigne l’appartenance non pas à une nation, mais à un groupe linguistique, culturel et ethnique (4). La position officielle sera assouplie dans la pratique au cours des dix années suivantes, et on verra resurgir au moment de la crise des fusées Pershing et SS20 l’évocation du « peuple allemand » au nom duquel la RDA s’associe à la revendication d’une zone dénucléarisée au centre de l’Europe (1983). Les commentaires autorisés n’excluent plus l’avènement lointain d’une « nation socialiste allemande » qui verrait le jour quand le capitalisme aurait disparu dans toute l’Alle- magne (5). La théorie des deux nations – nation des Krupp à l’Ouest, nation des Bebel et des Liebknecht à l’Est – n’est pas officiellement abandonnée, mais dans la pratique elle n’est plus utilisée. D’autant moins qu’avec la montée en puissance de Solidarnosc en Pologne et le désaccord fondamental avec la politique de Perestroika menée en Union soviétique, la conscience d’une nation socialiste internationale n’était plus à l’ordre du jour en RDA. La conception changeante de la nation se répercute sur la définition des rapports entre culture et nation. Au plus fort de la guerre froide, dans les années 1950, la RDA revendique l’ensemble de l’héritage culturel progressiste allemand, tout l’héritage positif de la nation allemande. La culture est du côté de la RDA, en République fédé- rale règne l’inculture, la décadence, la barbarie culturelle (Kulturbarbarei) : la culture allemande étant indivisible, la RDA se présentait comme seule héritière possible de la culture nationale. La République fédérale, enfant illégitime, n’héritait de rien. À la première conférence de Bitterfeld qui lance en 1959 le mouvement des écrivains- ouvriers, Walter Ulbricht définit l’objectif de la manière suivante : « Wir wollen […] die Kultur des neuen Deutschlands gestalten, jene Kultur, die ihrer Form nach natio- nal und ihrem Inhalt nach eine sozialistische Kultur ist » (6). Cette question de la forme

4 Bericht des Politbüros an die 13. Tagung des ZK der SED, Neues Deutschland, 13.12.1974. La formule employée par Erich Honecker était : « Staatsbürgerschaft : DDR, Nationalität : Deutsch ». 5 « Die Frage, ob in späterer Zeit, wenn die Arbeiterklasse der BRD im Bündnis mit allen Werktätigen die sozialistische Umgestaltung der Gesellschaft und der kapitalistischen Nation erkämpft haben wird, eine einheitliche sozialistische deutsche Nation entstehen kann, muß gegenwärtig offen blei- ben ». Kleines politisches Wörterbuch, Berlin, Dietz Verlag, 1983. 6 Walter Ulbricht, Schlußwort auf der 1. Bitterfelder Konferenz. Cité dans : Klaus Jarmatz (dir.), Kri- tik in der Zeit, Halle/Saale, Mitteldeutscher Verlag, 1970, p. 461. Nation et arts plastiques en RDA 323 nationale renvoie d’une part à la culture d’une Allemagne conçue comme unité : à une époque où le mur de Berlin n’est pas encore construit et où la réunification reste l’objectif officiel, les formes de culture développées en RDA sont conçues comme ayant vocation à devenir celles de toute l’Allemagne. La forme nationale signifie d’autre part que cette nouvelle culture est développée dans un cadre national, mais qu’elle a une vocation universelle en tant qu’expression de la société socialiste. Est « nationale » la référence aux classiques qu’on doit rendre accessible à tous, est « internationale » ou universelle la représentation de la nouvelle qualité des rapports sociaux. Une fois la division allemande durablement établie par la construction du mur de Berlin, la RDA adapte son discours sur la culture nationale. La tradition culturelle est coupée en deux : la RDA est désormais héritière de la tradition progressiste, la Répu- blique fédérale est héritière de la tradition réactionnaire. Thomas Müntzer fait partie d’emblée de cette tradition progressiste, mais Luther en est largement exclu : en tant que réformateur en lutte contre la papauté il trouve place dans la tradition nationale, mais en tant que défenseur des princes contre les paysans il en est rejeté : c’est une posi- tion équilibriste difficile à tenir. Il n’y a plus de culture allemande indivisible, mais une culture nationale spécifique de la RDA, la « culture nationale socialiste » sozialistische( Nationalkultur) (7). Dans les années 1980, confrontée à un déficit de légitimation, la RDA réintègre dans son Panthéon des pans entiers de l’histoire nationale allemande auxquels elle se décla- rait jusqu’alors étrangère : la Prusse et Frédéric II à l’occasion de l’année de la Prusse en 1980, Luther à l’occasion du 500e anniversaire de sa naissance en 1983, Bismarck lui-même malgré sa lutte acharnée contre les socialistes. Il est apparu qu’il y a des lieux de mémoire interallemands, et que l’on ne pouvait pas fonder une conscience nationale en RDA en excluant de grandes figures qui sont des références identitaires à l’Est comme à l’Ouest. On ne peut pas fonder un sentiment d’identité nationale sans Frédéric II, Luther, Bismarck. Si on prend au mot la théorie officielle sur la nation socialiste, toutes les représentations picturales du mouvement ouvrier avant 1949 sont des représentations de la nation en devenir, et toutes les représentations de la place de l’ouvrier dans la société et dans l’État illustrent de facto la réalisation de cette nation. Ces deux types de représentations sont légion dans les arts plastiques de RDA. Révolutions, manifestations, répressions du passé peuplent une peinture historique abondante, et le monde de l’entreprise, avec ses rap- ports sociaux nouveaux, est omniprésent dans la peinture du quotidien : les discussions sur le lieu de travail, l’importance du collectif et de la brigade, la fierté ouvrière, le tra- vail sous toutes ses formes, la maîtrise du progrès technique. Les sujets historiques sont autant d’occasions d’évoquer la tradition dont se réclame la RDA et les traumatismes de l’histoire allemande. Les commandes institutionnelles qui sont un volet important de l’économie de l’art en RDA et contribuent pour une bonne part au financement de la création artistique font une large place aux représentations des faits marquants de

7 « Es ist eine eigenständige sozialistische Nationalkultur der DDR entstanden. Diese Kultur ist Teil der sich entwickelnden sozialistischen Weltkultur. » Kurt Hager, Schlußwort auf der zentralen Parteiaktiv- tagung im Kulturbund der DDR in Berlin, 19 Juni 1980, Sonntag, 29. Juni 1980. Cité par : Matthias Judt (dir.), DDR-Geschichte in Dokumenten, Bonn, Bundeszentrale für politische Bildung, 1998, p. 335. 324 Revue d’Allemagne l’évolution du mouvement ouvrier en Allemagne et dans le monde, aux bouleversements de l’histoire moderne (guerre des paysans, guerre de trente ans), aux épisodes de l’his- toire contemporaine devenus lieux de mémoire (guerres de libération, révolution de 1848) (8). Les expositions quinquennales de peinture et d’arts graphiques organisées au niveau des districts et au niveau national affichent volontiers des œuvres en rapport avec les commémorations les plus actuelles (p. ex. centenaire de la Commune de Paris).

Werner Tübke, Frühbürgerliche Revolution in Deutschland 1525 (1983-1987) (détail : Champ de bataille), 14x123m, Panoramamuseum Bad Frankenhausen. ©Adagp, Paris, 2013.

Werner Tübke a peint la fresque circulaire monumentale du mémorial de Bad Fran- kenhausen, édifié sur le lieu de la bataille qui conduisit à la défaite de Thomas Müntzer dans la guerre des paysans, le « Schlachtberg ». Tübke avait été chargé de réaliser cette fresque à l’occasion du 450e anniversaire de la guerre des paysans, en 1975, et il y a tra- vaillé plus de dix ans jusqu’à son inauguration en septembre 1989, pour le 500e anniver- saire de la mort de Thomas Müntzer, les quarante ans de la RDA, et… deux mois avant la chute du mur. Ce panorama a été voulu comme une œuvre d’importance nationale, c’est une œuvre de commande qui doit manifester la place éminente qu’occupe Thomas Müntzer dans l’histoire nationale telle que la lit la RDA. Il s’agit en principe d’illustrer le thème de la « première révolution bourgeoise » (frühbürgerliche Revolution) qui, dans l’interprétation marxiste, préfigure la révolution prolétarienne future : le mouvement radical de la Réforme, qui s’élève contre le pouvoir féodal, est lu comme le premier acte d’une tradition révolutionnaire nationale en Allemagne qui, à travers la révolution de 1848 et celle de novembre 1918, aboutit à la fondation de la RDA. De nombreuses

8 Sur la fonction des commandes institutionnelles, cf. Jérome Bazin, « Réalisme et égalité. Contribution à une histoire sociale de la peinture et des arts graphiques en République Démocratique Allemande (1949-1990) », thèse de doctorat, Université d’Amiens / Université de Genève, 2011, p. 87-133. Nation et arts plastiques en RDA 325

œuvres ont été consacrées à ce thème dans les années 1950 et 1970 (9). Mais c’est une tout autre interprétation que livre Tübke : l’extrait ci-contre représente la bataille au milieu de laquelle se trouve Thomas Müntzer, l’air découragé, son drapeau posé à terre en signe de défaite. L’ensemble de cette œuvre circulaire est organisé en quatre parties : printemps, été, automne, hiver. La circularité des saisons ne débouche sur aucune pers- pective d’avenir, la rotondité même de la fresque induit l’impression d’un perpétuel recommencement du même. L’idée d’un progrès en histoire est abandonnée au profit d’une représentation foisonnante et chaotique – et cela à quelques semaines de la fin de la RDA (10). Le peintre en est lui-même conscient, et il plaide non sans un brin de provocation pour une interprétation de son œuvre en fonction de critères purement esthétiques faisant abstraction des considérations historiques (11). La confrontation avec le passé national-socialiste occupe une place éminente dans le paradigme des représentations du passé national dans la peinture de RDA. En Répu- blique fédérale, l’héritage du national-socialisme a été très présent dans le débat public des années 1970, et la Shoah a fait l’objet d’un travail de mémoire intense dans les années 1980. Les arts plastiques sont le théâtre et l’instrument d’une recherche obsé- dante, celle des traces de la génération des pères compromis avec le nazisme. Les sym- boles nazis, les uniformes de la Wehrmacht, les photos de famille datant du troisième Reich sont intégrés dans l’image et renvoient au refoulement de l’histoire allemande (Gerhard Richter, Markus Lüperz, Anselm Kiefer). Dans la série « Café Deutschland » de Jörg Immendorf, les fantômes du passé nazi sont également à l’affût derrière le décor d’un bar contemporain. Cette recherche se poursuit au cours des années 1980 dans toutes les formes des arts plastiques et engendre des œuvres parfois spectaculaires dans lesquelles de gigantesques croix gammées surgissent des bâtiments anciens et de l’environnement quotidien (Albert Oehlen, Martin Kippenberger, Olaf Metzel). Souvent désigné comme le mythe fondateur de la RDA, l’antifascisme a été un élé- ment central de légitimation pour le SED et a rencontré un écho favorable dans la population. Reposant sur une analyse qui assimilait le nazisme et le fascisme à une dictature du grand capital, il affirmait que la RDA, rompant avec le capitalisme, avait extirpé chez elle les racines du fascisme. Le rappel constant de la résistance contre le nazisme faisait du SED l’héritier d’une lutte héroïque, et de la RDA tout entière l’État antifasciste par excellence, exempt de tout lien de filiation avec le nazisme et

9 Dans les années 1950, on peut citer en particulier Max Lingner « Großer deutscher Bauernkrieg » (1955), Lea Grundig « Zum deutschen Bauernkrieg » (1956), Bert Heller « Scheideweg XX. Jahrhun- dert ». Pour les années 1970, le triptyque de Heinz Zander (1971), ainsi que les tableaux de Horst Sakulowski « Deutschland 1525 – Die Auferstehung », et ceux de Willi Neubert, Volker Stelzmann, Ronald Paris. Cf. à ce sujet Rudolf Kober, « Revolution im Bild », UZ /03, 19. + 26. Januar 1990 (Uni- versitätszeitung, ). 10 Eckhart Gillen, Feindliche Brüder ? Der kalte Krieg und die deutsche Kunst 1945-1990, Berlin, Nicolai, 2009, p. 426-428 ; Stéphanie Barron, Sabine Eckmann (dir.), Kunst und kalter Krieg. Deutsche Posi- tionen 1945-89, Cologne, DuMont, 2009, p. 350. 11 Bärbel Mann, Jörn Schütrumpf, « Werner Tübke : Frühbürgerliche Revolution in Deutschland, Panorama auf dem Schlachtberg bei Bad Frankenhausen », in : Monika Flacke (dir.), Auftrag Kunst 1949-1989. Bildende Künstler der DDR zwischen Ästhetik und Politik, Berlin, Deutsches Historisches Museum, 1995, p. 377. 326 Revue d’Allemagne

étranger au fascisme allemand dont il ne partageait aucunement la responsabilité. Au côté de l’Union soviétique qui avait contribué de façon décisive au renversement de la dictature nazie, on était dans le camp des « vainqueurs de l’histoire ». Cette formule permettait de renvoyer l’héritage de la culpabilité dans le camp adverse et de disculper la population de RDA, dispensée de s’interroger sur le soutien qu’une large partie de la population allemande avait apporté au régime nazi. Dans son rapport pour la com- mission d’enquête parlementaire sur « l’histoire et les conséquences de la dictature du SED en Allemagne », l’historien Bernd Faulenbach a résumé ce phénomène en écri- vant : « L’héritage national-socialiste est devenu le problème des Allemands de l’Ouest. Hitler était devenu pour ainsi dire un Allemand de l’Ouest » (12). En RDA, les peintres de « L’école de Leipzig » ont accordé une place importante au passé national-socialiste et à son refoulement. Dès les années 1960, Heisig évoque directement son expérience personnelle, la bataille de Breslau qu’il a vécue comme adolescent engagé dans la Waffen-SS pour défendre la ville. Son expérience de la guerre et du nazisme hante son œuvre. C’est un des représentants les plus importants de la peinture historique en RDA. Son œuvre est obsédée par le « cauchemar nazi ». Ses tableaux les plus connus se présentent comme un enchevêtrement de fragments extraits de l’univers contemporain et de fragments empruntés à l’horreur nazie. Le « cauchemar fasciste » est représenté comme une folie chaotique, une orgie de vio- lence meurtrière. L’évocation de la défense forcenée de Breslau dans « Festung Breslau – Die Stadt und ihre Mörder » (1968) est une vision apocalyptique dans laquelle on reconnaît pêle-mêle le pont qui symbolise la ville (Dombrücke), un soldat qui se voile la face avec son casque, une femme dénudée qui symbolise la profanation de la ville, un dignitaire nazi qui hurle, des haut-parleurs de la propagande, un adolescent qui tire au fusil mitrailleur (et qui représente évidemment le peintre), un char en feu d’où un soldat s’échappe, etc. Il existe une variante de ce tableau peinte en 1973 et intitulée « Unterm Hakenkreuz ». Heisig poursuit sans interruption ce travail sur son expé- rience personnelle jusqu’à la fin des années 1980. Dans la décennie suivante, il représente une « obstination de l’oubli » (« Beharrlich- keit des Vergessens », 1977) dans laquelle les « mécanismes de l’oubli » (pour reprendre le titre d’un autre tableau) transcendent la frontière entre les systèmes : ce sont des mécanismes interallemands. Les symboles modernes de la manipulation des masses, une batterie de haut-parleurs et des images de film se mêlent aux symboles anciens dans des compositions qui évoquent le passé national-socialiste comme un héritage commun aux deux Allemagnes (13). Au centre, un mutilé de guerre allongé sur un dra- peau nazi brandit son moignon et agite sa jambe de bois au rythme d’une marche militaire jouée par un bouffon. Dans sa main droite encore valide, il tient sa croix de

12 « Das NS-Erbe wurde zum Problem der Westdeutschen, Hitler war gleichsam ein Westdeutscher gewor- den. » Bernd Faulenbach, « Zur Funktion des Antifaschismus in der SBZ/DDR », in : I. Drechsler, B. Faulenbach, M. Gutzeit, M. Meckel, H. Weber, Getrennte Vergangenheit, gemeinsame Zukunft. Ausgewählte Dokumente, Zeitzeugenberichte und Diskussionen der Enquete-Kommission « Aufarbei- tung von Geschichte und Folgen der SED-Diktatur in Deutschland » des Deutschen Bundestags 1992- 1994, Munich, DTV, 1997, vol. 1, p. 149. 13 Jacques Poumet, « L’antifascisme de RDA et sa mise en question », in : Catherine Fabre-Renault, Elisa Goudin, Carola Hähnel-Mesnard, La RDA au passé présent, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 223-224. Nation et arts plastiques en RDA 327 guerre qu’il contemple avec une expression qui tient à la fois du rire dément et du cri de douleur. Ce tableau est une des nombreuses variations peintes par Heisig sur le thème du permissionnaire poursuivi par ses cauchemars de guerre, et de la folie ordi- naire de l’ancien combattant resté militariste. Les images qui assaillent le personnage central mêlent des accessoires renvoyant aux deux guerres mondiales, des fragments éclatés de la tuerie (des soldats morts, d’autres qui s’entretuent, une tête ensanglantée sans corps, un tableau d’, des prisonniers en cage) et, dominant le tout, un spectateur terrorisé qui dans d’autres tableaux de la même série porte les traits du peintre. Cette danse macabre est surmontée d’une banderole qui traverse le tableau comme un trait d’union entre passé et présent, entre guerres passées et menaces de guerres présentes, et sur laquelle on lit « Nous sommes pourtant tous frères et sœurs » (« Wir sind doch alle Brüder und Schwestern »). Le texte de la banderole actualise la scène et renvoie plus particulièrement à l’Allemagne de l’Ouest – la formule « frères et sœurs » (« Brüder und Schwestern ») désignait les habitants de RDA dans les discours tenus en République fédérale avant la réunification, et il dissimule en partie le cadran d’une horloge qui affiche cinq minutes après minuit – fünf nach zwölf –, l’heure des cauchemars mais aussi un avertissement aux attardés du militarisme dont le temps est révolu. Mais le contexte interallemand ne se réduit pas ici à une simple dénonciation de la République fédérale. Ce qui est désigné, c’est la fausse innocence de l’oubli, l’im- possibilité d’une innocence après le nazisme (l’étreinte amoureuse côtoie le combat au corps à corps de deux soldats), particulièrement pour la génération qui l’a vécu et qui, comme Heisig, s’y est engagé activement. Il y a là une forme de mise en cause de l’externalisation du nazisme à laquelle conduit l’antifascisme tel que le conçoit et le pratique la RDA.

Bernhard Heisig, Beharrlichkeit des Vergessens (1977), bpk/ Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie. © Adagp, Paris, 2013. 328 Revue d’Allemagne

Wolfgang Mattheuer fait partie lui aussi de la « bande des quatre » qui a fait la renommée internationale de « L’école de Leipzig ». Il pré- sente en 1982 un tableau intitulé « Cauchemar » (« Alb- traum ») dont deux ver- sions sont montrées la même année en RDA et en République fédérale. Une silhouette schématique aux membres disproportionnés traverse au pas de course un espace sombre et désert en suivant une ligne diago- Wolfgang Mattheuer, Albtraum (1982), Kunstsammlung nale noire. Un bras dressé et der Berliner Volksbank. © Adagp, Paris, 2013. une jambe bottée dessinent des symboles du nazisme (salut hitlérien et croix gammée), alors que l’autre bras tend un poing levé – symbole du mouvement ouvrier – et l’autre jambe tendue se termine par un pied nu. La tête atrophiée, un ovale noir sans visage, indique qu’il s’agit d’un personnage générique : un personnage hybride issu pour moi- tié du mouvement socialiste et pour moitié du passé nazi, et qui réunit en lui ces deux composants de manière indissociable. Les deux traditions antagonistes dont l’opposition est soulignée par la couleur (noir pour l’une, blanc pour l’autre) sont réunies dans une même figure humaine sans individualité. On est loin de la « personnalité socialiste déve- loppée » dont l’idée est propagée par le régime, cet homme nouveau longtemps invoqué par le discours officiel ne peut être dans le meilleur des cas qu’un produit hybride marqué par le passé qui ne passe pas, au sens où Christa Wolf l’entend dans son roman Trame d’enfance (14). De même que, pour Mattheuer, le socialisme tel qu’il est appliqué en RDA n’est pas encore dégagé de son passé stalinien et en restera imprégné tant que ce passé sera refoulé, l’homme socialiste et sa personnalité développée de toute part restent pour lui une utopie (15). Il récuse cependant l’accusation de pessimisme et de noirceur que lui a attiré la tonalité sombre de son tableau : « […] Et mon ‘Pas du siècle’, une vision noire ? […] Non, mes tableaux ne sont pas des rêves noirs, ce sont des images qui interrogent, des images réalistes de leur époque » (16). Très remarquée à l’Est comme à l’Ouest, la sculpture reproduisant le personnage de ce tableau sous le titre « Le pas du siècle » (« Der Jahrhun- dertschritt ») n’est pas reproduite dans le catalogue de l’exposition nationale de Dresde où elle est montrée en 1987, alors que le tableau original était reproduit en couverture du catalogue de l’exposition Zeitvergleich à Hambourg en 1983 (17). Cette œuvre trop

14 Christa Wolf, Kindheitsmuster, Berlin/Weimar, Aufbau-Verlag, 1978, p. 9. 15 Wolfgang Mattheuer, Äußerungen, Leipzig, Reclam-Verlag, 1990, p. 193 + 239. 16 Ibid., p. 194. 17 « Im Übrigen ist seine Plastik ‘Jahrhundertschritt’ eines der signifikantesten Werke der ganzen Austel- lung. » Karl Max Kober, « Zunahme an Expressivität und Farbkraft », Leipziger Volkszeitung, 03.12.1987. Nation et arts plastiques en RDA 329

interallemande gêne manifestement les autorités culturelles, et peu de temps après cette dernière exposition quin- quennale, Mattheuer quittera le SED dont il ne supporte plus la sclérose (18). L’un des tableaux majeurs de l’œu- vre de Tübke s’intitule : « Souvenirs du juriste Schulze III » (« Lebenserin- nerungen des Dr. jur. Schulze III ») et s’inscrit dans un cycle de sept œuvres sur le même thème peintes après le pro- cès d’Auschwitz entre 1964 et 1967. Au centre de ce tableau monumental, le plus connu de la série, trône un juge en robe rouge, son corps est une marionnette en bois dont la tête désarticulée est tournée vers les images du passé refoulé qu’elle contemple avec complaisance. Devant le juge s’étend un paysage idyllique et harmonieux, la belle apparence d’où est évacuée toute trace des horreurs pas- sées. Derrière lui, des scènes chaotiques de violence et de meurtre se déroulent Werner Tübke, Lebenserinnerungen des Dr. jur. sous le regard d’un ange du jugement Schulze III (1965), bpk/ Staatliche Museen zu Berlin, dernier et d’un officier de la Wehr- Nationalgalerie. ©Adagp, Paris, 2013. macht. Les prisonniers d’un camp de concentration sont entassés comme des cadavres, un officier allemand passe la corde au coup à un condamné qui va être pendu à un arbre, des corps martyrisés aux torses nus et des soldats aux têtes de morts surplombent une pietà, et une chemise brune au brassard à croix gammée indique clairement qu’il s’agit des crimes du nazisme. La marionnette est maintenue par de multiples cordages qui plongent à la fois dans cet univers criminel et dans le socle qui porte les images d’un univers petit-bourgeois dont le juge est issu. C’est une peinture allégorique, comme souvent chez Tübke. Le point de départ est une incitation officielle invitant les artistes à dénoncer la continuité du personnel judi- ciaire en République fédérale, le scandale des juges qui ont servi le nazisme et qui continuent à exercer après la guerre. Le nom passe-partout du juge « Schulze » évoque la banalité de ces reconversions qui incluent certains « juristes effrayants » (furcht- bare Juristen), ceux qui ont exercé une justice sanglante au nom du régime nazi (19). En

« Wie zu beobachten ist, löst diese Figurenkonstruktion in der Ausstellung öffentliches Nachdenken über den Charakter unserer Epoche aus. Sie bewirkt viele kontrovers geführte Debatten… » Helmut Netzker, « Homogenität und gestalterische Kontinuität ? », Bildende Kunst, 2 (1988), p. 59. 18 W. Mattheuer, Äußerungen (note 15), p. 227-228. 19 Michael Stolleis, « Furchtbare Juristen », in : Étienne François, Hagen Schulze (dir.), Deutsche Erinnerungsorte, Munich, Verlag C.H. Beck, 2001, p. 535-548. 330 Revue d’Allemagne s’emparant de ce thème, Tübke suscite une profusion d’images de la barbarie nazie qui évoquent à la fois Breughel et Otto Dix : c’est tout le passé nazi, héritage commun des deux parties de l’Allemagne, qui resurgit dans un pêle-mêle onirique. Tübke sera bien sûr attaqué en RDA pour ce tableau dont le message est jugé ambigu, manquant de clarté, et surtout manquant d’esprit partisan, de « Parteilichkeit », et il sera à deux doigts de perdre son poste d’enseignant à l’école des Beaux-Arts de Leipzig (20). Hubertus Giebe, qui a été l’élève de Bernhard Heisig à l’école des Beaux-Arts de Leip- zig, poursuit à travers une série de tableaux peints dans les années 1980 une recherche personnelle sur les silences et les zones d’ombre de l’antifascisme de RDA. La question qui le hante est celle de la responsabilité du stalinisme dans les déchirements fratrici- des du mouvement ouvrier allemand jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Son père, social-démocrate et antinazi, avait déserté la Wehrmacht en 1944 et était passé du côté soviétique. Mais étant social-démocrate, il était foncièrement suspect aux yeux de l’Union soviétique de Staline, et il dut faire cinq ans de camp de travail avant de pouvoir rentrer en Allemagne, en l’occurrence la RDA, à la fin de l’année 1949 (21). Après son retour, il s’était enfermé dans le silence et avait refusé jusqu’à la fin de sa vie de parler de ces années de captivité. Dans le tableau intitulé « La Résistance (pour Peter Weiss) », Hubertus Giebe s’appuie sur une œuvre littéraire parue en République fédérale pour exhumer un pan occulté de l’histoire de la résistance communiste contre le nazisme, et pour mettre en cause

Hubertus Giebe, Der Widerstand – für Peter Weiss (1986/87), bpk/ Staatliche Museen zu Berlin, Nationalgalerie. © Adagp, Paris, 2013.

20 E. Gillen, Feindliche Brüder ? (note 10), p. 349-350. 21 Eugen Blume, Hubertus Gassner et alii, Klopfzeichen/ Wahnzimmer, Leipzig, Faber & Faber, 2002, p. 120. Nation et arts plastiques en RDA 331 l’antifascisme d’État en vertu duquel la RDA, rangée dans le camp des « vainqueurs de l’Histoire », se dispense d’un retour critique sur la responsabilité de la politique stalinienne dans l’écrasement du mouvement ouvrier. En marge du tableau dominé par la répression sanglante de la résistance se tient le personnage de Willi Münzen- berg, reconnaissable à son long manteau de feutre. Dans son livre L’esthétique de la Résistance (Die Ästhetik des Widerstands), Peter Weiss revenait longuement sur la bio- graphie de ce personnage hors du commun pour en réhabiliter la mémoire. Membre du comité central du KPD depuis les années 1920, il en avait été exclu pour avoir critiqué les procès de Moscou, puis avait quitté le parti communiste et critiqué le pacte germano-soviétique. Sa mort en France en 1940 après son évasion d’un camp d’inter- nement a été présentée comme un suicide, mais l’hypothèse d’un règlement de compte des services secrets soviétiques a souvent été avancée. La RDA lève un voile en publiant ce livre (huit ans après la parution du premier tome en République fédérale), et Huber- tus Giebe trouve dans cette biographie de Münzenberg un élément de réponse à son interrogation sur la culpabilité de la génération des pères. Le questionnement autour de l’idée de nation, présent dans la peinture qui prend pour objet l’Histoire, s’exprime également à travers les représentations métaphoriques de la dualité allemande. Les relations entre Jörg Immendorff, à l’Ouest, et A. R. Penck à l’Est sont un cas exceptionnel et concret de dialogue interallemand dans le domaine des arts plastiques. Immendorff rencontre son collègue de RDA tout d’abord dans un café de Berlin-Est, puis dans l’atelier d’A. R. Penck à Dresde. Cette coopération autour d’une interrogation commune sur le passé et le présent de la nation divisée se poursuit de la fin de l’année 1976 – qui coïncide avec l’expulsion du chanteur Wolf Biermann, déchu de la nationalité de RDA – jusqu’à l’émigration à l’Ouest d’A. R. Penck en 1980. Tous deux peignent sous des formes diverses la division de l’Allemagne et le rapport difficile avec l’idée de nation sur laquelle pèse le poids du passé nazi. Leurs rencontres sont le point de départ du cycle « Café Deutschland », une série de 19 tableaux peints par Immendorff. Dans un cadre qui est toujours celui d’un café et d’une boîte de nuit, les deux peintres sont figurés face à face ou côte à côte, se tendant la main uo peignant ensemble, parfois représentés par de simples citations picturales. Le décor est parsemé de symboles de la division (barbelés, miradors), du passé qui ne passe pas (aigle impérial), du contexte répressif qui entoure à l’Est la poursuite de cette confrontation vivante (surveillance policière, espionnage, « démarcation » dans les mots et dans les faits). Comme Immendorff, A. R. Penck (pseudonyme de Ralf Winkler) revendique un art politique qui invente une nouvelle façon de s’adresser au public. Le langage pictural qu’il met en œuvre depuis le début des années 1960 repose sur l’utilisation de picto- grammes anthropomorphes conçus comme un moyen d’échapper aux injonctions des idéologies de la guerre froide. Ce mode de figuration qui n’est pas sans rappeler les peintures rupestres manifeste le refus de la division Est-Ouest en peinture. Les silhouettes filiformes simplifiées à l’extrême sont dépouillées de tout trait indivi- duel et cherchent à exprimer les attitudes fondamentales liées à la confrontation des systèmes. Elles se combinent comme des éléments d’idéogrammes pour former des caractères complexes représentant les sociétés, les activités humaines et les systèmes qui les gouvernent. 332 Revue d’Allemagne

Le tableau intitulé « le passage » (« Der Übergang », 1963) est représentatif de toute sa création et de sa position en tant qu’artiste. Un personnage schématisé franchit un abîme sur une étroite passerelle en feu. Dans une posture de funam- bule, les bras formant balan- cier et les mains largement écartées, il se tient au milieu de l’obstacle mais son mou- vement le porte vers la rive d’en face. Deux ans après la construction du mur de A. R. Penck, Der Übergang (1963), Aachen, Berlin, ce passage dangereux Ludwig Forum für Internationale Kunst. ©Adagp, Paris, 2013. dans les flammes évoque la question « brûlante » de la division de l’Allemagne, l’an- goisse qu’elle suscite, le libre passage désormais impossible entre les deux parties, la fragilité du lien ténu qui existe encore entre elles. Cette façon d’utiliser des archétypes formels pour évoquer l’absurdité de la division Est-Ouest qui traverse l’Allemagne n’a pas manqué de valoir à A. R. Penck l’hostilité des autorités. Sa candidature à l’Union des Arts plastiques (VBK) est rejetée en 1969, ce qui lui ôtait la possibilité d’exposer en RDA car seuls les membres du VBK avaient accès aux expositions officielles. Pendant dix ans, il sera rejeté de fait dans l’« under- ground », exposant et vendant ses tableaux en République fédérale où il s’était déjà fait un nom, mais en butte aux tracasseries administratives, à la surveillance active de la Stasi et à ses interventions directes. Il finit par émigrer à l’Ouest en 1980. Pour un peintre de Dresde originaire de cette ville, cette image du pont est en même temps un hommage chiffré au groupe « Die Brücke » fondé à Dresde dans les premières années du xxe siècle, et au programme artistique et social de l’expressionnisme, c’est-à-dire à une tradition artistique commune aux deux Allemagnes. D’autres tableaux de Penck mettent l’accent sur la confrontation Est-Ouest et l’anta- gonisme des deux systèmes. C’est le cas de « Weltbild 1 » (1965), dont plusieurs varian- tes mettent en avant tour à tour la confrontation et la réconciliation, la division et la coexistence (« A.B.-Bild », 1965 / « Ohne Titel (Systembild) », 1966). Dans ces diverses versions, les figures stylisées de l’Est et de l’Ouest ne peuvent pas être distinguées les unes des autres : leur agencement évoque des sociétés différemment structurées, mais les personnages n’ont pas de caractère propre. Leurs gesticulations hostiles et leurs armes les opposent de part et d’autre d’une ligne de démarcation clairement tracée, mais la similitude des traits donne un caractère absurde à la confrontation, donne du corps à la communauté de destin nationale par-delà les images du déchirement national (22).

22 Karen Lang, « Der Expressionismus und die beiden deutschen Staaten », in : Barron/Eckmann, Kunst und kalter Krieg (note 10), p. 91-92. Nation et arts plastiques en RDA 333

Dans « Caïn » de Wolf- gang Mattheuer (1965), le mythe du fratricide originel est actualisé par l’arrière- plan où l’on voit une ville moderne, mais il n’est pas rapporté à une actualisation précise. Le tableau peut être lu comme la représentation d’une constante de l’histoire de l’humanité – le meurtre, la guerre –, mais également comme une parabole de la guerre la plus actuelle en 1965, la guerre du Vietnam, Wolfgang Mattheuer, Kain (1965), Halle (Saale), et ce rapprochement a été Stiftung Moritzburg. ©Adagp, Paris, 2013. fait dans la presse de RDA : Vietnam du Nord contre Vietnam du Sud, une guerre fratricide. Cette interpréta- tion n’est pas en contradiction avec une lecture qui fait du tableau un symbole du conflit germano-allemand. Non plus Vietnam du Nord contre Vietnam du Sud, mais Allemagne de l’Ouest contre Allemagne de l’Est. Un commentateur de RDA s’est d’ailleurs engagé dans cette voie (23) en disant qu’on peut voir dans ce tableau une allégorie du discours de la République fédérale sur les « frères et les sœurs » en RDA (die Brüder und Schwestern), qui est selon lui marqué au coin de la trahison et du revanchisme, et qui masque les préparatifs de guerre contre la RDA et le bloc socialiste. Malgré son ambivalence – chose encore très mal vue à l’époque – cette représentation peut être tirée dans le sens d’une critique du discours sur la pérennité de la nation allemande (24). Les départs à l’Ouest se multiplient dans les années 80 chez les peintres qui ne font pas partie de l’establishment de la peinture de RDA. Mais le départ d’un artiste ne signifie pas qu’il disparaît complètement du paysage des arts plastiques en RDA. Le parcours du peintre de Dresde Ralf Kerbach en est un exemple : après son émigration en République fédérale en 1982, le contact avec ses collègues restés en RDA n’est pas rompu et les influences réciproques perdurent. En 1984, Kerbach peint le tableau qu’il appelle « Jumeau » (« Zwilling »). On y voit deux frères ligotés ensemble dos à dos, leurs crânes semblent soudés et les empêchent de se tourner l’un vers l’autre. L’une des têtes porte un bâillon qui l’empêche de parler, l’autre est entourée d’un barbelé qui

23 Dieter Gleisberg, « Wolfgang Mattheuer », in : Weggefährten. 25 Künstler der Deutschen Demokrati- schen Republik, Dresde, 1972, p. 230. 24 E. Gillen, Feindliche Brüder ? (note 10), p. 341. De la même manière, dans le tableau de Bernhard Heisig « Beharrlichkeit des Vergessens », la banderole sur laquelle on lit : « Nous sommes pourtant tous frères et sœurs » (« Wir sind doch alle Brüder und Schwestern […] »), et qui est déployée de gauche à droite, c’est-à-dire d’ouest en est, marque une distance par rapport au discours sur la persistance de la nation allemande tel qu’il est tenu à l’Ouest, dans la mesure où ce discours peut être instrumentalisé et peut servir de paravent bien-pensant à une politique agressive vis-à-vis de la RDA. 334 Revue d’Allemagne lui interdit de penser. Il s’agit claire- ment d’une métaphore de la dualité allemande telle que la vit un peintre passé récemment d’une Allemagne à l’autre. Cette représentation née à l’Ouest est reprise deux ans plus tard par un peintre resté à Dresde, Hubertus Giebe. Le centre de son tableau « La Résistance – pour Peter Weiss » (« Der Widerstand – für Peter Weiss ») est occupé par une réutilisation de cette figure jumelle : deux personnages entrecroisés et placés dos à dos se dirigent en sens inverse l’un de l’autre, ce sont les frères ennemis marchant sur des cadavres – une autre métaphore de la dualité allemande. On peut voir à la 10e exposition nationale de Dresde le portrait d’une femme représentée debout devant la porte de Brandebourg vue du côté Est (Wolfgang Peuker : Ralf Kerbach, Zwilling (1984), Berlinische Galerie. © Adagp, Paris, 2013. « A.P., geboren 1949 », 1986). Née en 1949 avec la RDA, cette femme (l’épouse du peintre) tourne le dos à Berlin-Ouest dont on aperçoit un monument à travers les colonnades de la porte de Brandebourg. Son regard mélancolique exprime une tristesse que l’on imagine en rapport avec la division de l’Allemagne, mais le mur lui-même reste hors champ, invisible, alors qu’il est pourtant présent à cet endroit avec une grande force symbolique. Les médias se cantonnent prudemment dans des appréciations formulées en termes généraux : « Le petit portrait ‘A.P., née en 1949’ met l’accent sur la psychologie du personnage et attire l’attention sur les liens entre évolution sociale et biographie individuelle » (25). Un an plus tôt, W. Peuker avait peint un autoportrait qui le représentait en smoking devant une vue panoramique de Berlin traversée par le sillon du mur, mais ce tableau n’a pas eu les honneurs de l’exposition nationale de Dresde (26). Le mur de Berlin, couvert du côté Ouest d’une ceinture de fresques de style pop’art, est présent dans les œuvres de nombreux peintres et photographes de Berlin-Ouest pour lesquels il est un élément incontournable du cadre urbain. Dans la peinture de RDA, par contre, la représentation du mur est rare après l’année 1962 où certaines œuvres de commande ont mis en avant le caractère défensif du « rempart antifasciste ».

25 « Das kleine, psychologisch eindringliche Bildnis ‘A.P., geboren 1949’ macht auf die Verflechtungen zwischen gesellschaftlicher Entwicklung und individuellem Lebensgang aufmerksam. » K. M. Kober, « Zunahme an Expressivität und Farbkraft » (note 17). 26 Wolfgang Peuker, « Selbstbildnis im Smoking », 1985. Nation et arts plastiques en RDA 335

Dans les années 1970, le tableau de Nuria Quevedo « Schwangere im Atelier am Pariser Platz » (1972) fait figure d’exception. La situation d’exil dans laquelle vit le peintre n’est pas étrangère à sa vision d’une femme dont le cadre de vie est dominé par la coupure matérielle du mur et de son glacis, visibles par la fenêtre, mais qui est porteuse de l’es- poir d’une vie nouvelle (27). Konrad Knebel, connu pour ses paysages urbains, peint en 1977 « Straße mit Mauer » qui représente une rue barrée par le mur de Berlin surmonté d’un mirador. Mais ses tableaux retenus pour la 9e et la 10e exposition nationale de Dresde ne montrent que des rues dominées par d’immenses murs pare-feu. Dans les années 1980, on trouve encore peu d’œuvres dans lesquelles le mur de Berlin est montré de façon explicite et autrement que sous forme allusive. Dans « Berlin, Berlin III » de Trakia Wendisch, un couple de funambules évolue de nuit sur un fil tendu entre deux parties de la ville partagées par une rivière et un mur dont l’aspect évoque clairement la frontière fortifiée qui traverse Berlin, mais ce tableau ne sera peint qu’en 1990 (28). Il existe en revanche de nombreuses représenta- tions métaphoriques du mur de Berlin, de nombreux tableaux barrés par un mur aveugle, ou au centre desquels se dresse un mur d’aspect banal : sans avoir la forme du mur de Berlin dans son état le plus éla- boré, ces murs évoquent irrésistiblement celui-ci pour un public de RDA habitué à lire entre les lignes d’un texte ou à déchiffrer les allusions contenues dans une image. En 1988, Klaus Killisch avait peint et exposé à la galerie Eigen + Art de Leipzig « Mann vor Mauer » : un personnage en complet veston se heurte à un mur derrière lequel se profilent confu- sément un espace vide hérissé de quelques pieux et une silhouette humaine sans visage. En 1989, avant le déclenchement de la fuite en masse des citoyens de RDA par les ambassades de République fédérale et par la frontière austro-hongroise, Killisch avait peint « Mauerspringer », qui montre un homme enjambant au pas de course un muretin de briques. Plus que le muretin d’apparence anodine, c’est l’acte même de le franchir et le titre du tableau qui évoquent imman- quablement « Le » mur. Bien d’autres tableaux qui ont trouvé place aux 9e et 10e expositions nationales de Dresde (1982-83, 1987-88) représentent des murs Klaus Killisch, Mann vor Mauer (1988), Stiftung Stadmuseum Berlin. oppressants, angoissants qui expriment le syndrome © Adagp, Paris, 2013. d’enfermement dont souffre la population et l’obses- sion d’une improbable sortie.

27 Nuria Quevedo, originaire de Catalogne, vivait en exil en RDA depuis l’âge de 15 ans. Cf. aussi Sighard Gille, « Berliner Landschaft » (1976-1979). 28 Walter Libuda peint dans « Die Schleuse » (1987-88) une double rangée de murs contre lesquels sont appuyées des échelles destinées à les faire franchir, et un tunnel obscur qui débouche au pied du mur. 336 Revue d’Allemagne

Dans les années soixante, la seule évocation de l’existence du mur à travers l’ex- pression picturale de la souffrance des individus séparés déclenchait les foudres des autorités. En 1965, un jeune peintre élève de Heisig, Hartwig Ebersbach, avait présenté à l’exposition régionale de Leipzig (7. Leipziger Bezirkskunstausstellung) un tableau intitulé « Selbstbildnis mit Freunden ». On y voyait le peintre nu entouré de deux personnages. Le peintre se mettait la main sur la bouche, signalant par ce geste l’obligation de se taire, la peur d’être entendu. La critique s’était dressée à l’époque contre l’expressivité crue – la nudité d’un corps déformé, scandaleuse pour l’épo- que – le centrage sur la souffrance et l’angoisse personnelles, l’absence de référence au « collectif ». Cette souffrance s’éclaire d’un jour particulier quand on sait que les personnages représentés autour du peintre étaient des amis tous deux partis à l’Ouest (un ami peintre, et la propre sœur d’Ebersbach). La souffrance est celle du mur qui sépare les corps, la proximité illicite des corps séparés par le mur génère l’angoisse. Ebersbach a détruit le tableau après l’exposition, en réaction aux attaques massives de la critique qui en dénonçaient la subjectivité. Il n’en reste qu’une photo en noir et blanc qui rend mal compte de l’expressivité de l’œuvre. On peut toutefois s’en faire une idée à partir du tableau peint l’année suivante : « Brennender Mann », qui représente le peintre consumé de l’intérieur par un feu qui le dévore (29). La question de l’image de la nation dans les arts plastiques de RDA se double aujourd’hui d’une interrogation sur l’image des arts plastiques de RDA dans la nation réunifiée. Après l’unification, un débat virulent a mis en question l’appartenance des arts plastiques de RDA à la culture nationale allemande. Ce débat connu sous le nom de « querelle des images » (« Bilderstreit ») s’est aujourd’hui apaisé, mais il reste symp- tomatique de la difficulté à penser une culture nationale de l’après-guerre dans laquelle les déterminants politiques ne se substituent pas aux critères d’appréciation esthétiques. En 1990, il est encore possible de présenter la scène artistique est-allemande dans sa diversité sans jeter d’exclusives et sans provoquer de polémique. C’est ce que fait l’expo- sition de la collection Ludwig inaugurée à Cologne le 30 septembre 1990, quatre jours avant l’unification :Bilder aus Deutschland. Kunst der DDR aus der Sammlung Ludwig. Le titre de l’exposition indique clairement que l’art produit dans cette partie de l’Alle- magne fait partie intégrante de la culture allemande. Eduard Beaucamp, critique d’art à la FAZ, écrit dans le catalogue : « Cet art est assez critique et assez fort pour interroger et pour enrichir de façon productive la scène artistique ouest-allemande » (30). Le climat change très vite. Deux ans plus tard, en 1992, a lieu la fusion des Aca- démies des beaux-arts de Berlin-Ouest et de Berlin-Est (Akademie der Künste). Les membres de l’Académie issue de la RDA sont intégrés en bloc dans la nouvelle Aca- démie unifiée. Cette fusion suscite un tollé, et 18 membres de l’Académie de l’Ouest démissionnent en signe de protestation, parmi lesquels , Gerhard Rich- ter, Markus Lüpertz. Ils avancent l’argument selon lequel il ne peut pas y avoir d’art dans une dictature, pas même un art de mauvaise qualité. Dans le domaine artistique

29 Eckhart Gillen, Deutschlandbilder. Kunst aus einem geteilten Land, Cologne, Dumont, 1997, p. 548. 30 « Diese Kunst ist stark und kritisch genug, auch die westliche Szene produktiv herauszufordern und zu bereichern. » Eduard Beaucamp, « Dissidenten, Hofkünstler, Malerfürsten – Über die schwierige Wiedervereinigung deutscher Kunst », in : Evelyn Weiss (dir.), Bilder aus Deutschland. Eine Ausstel- lung des Museums Ludwig, Heidelberg, Braus, 1990, p. 34. Nation et arts plastiques en RDA 337 il n’y a donc rien à unifier, et rien de ce qui a été produit en RDA ne mérite d’être intégré dans un patrimoine artistique national. Les deux galeries nationales de Berlin (Nationalgalerie et Neue Nationalgalerie) fusionnent elles aussi en 1993, et la réunion de leurs fonds donne lieu (en 1993-1994) à un nouvel accrochage de leurs collections d’œuvres allemandes contemporaines qui présente côte à côte des œuvres de l’Est et de l’Ouest : nouvelle levée de boucliers, où se font particulièrement entendre les peintres émigrés à l’Ouest avant 1989, les peintres marginaux de RDA, et une bonne partie des critiques artistiques. L’idée que l’on puisse réunifier les paysages artistiques de l’Est et de l’Ouest continue à choquer, la Nationalgalerie se voit accusée de cautionner l’art de la dictature, et les détracteurs demandent que l’on retire les œuvres des peintres les plus consacrés par la RDA, comme Heisig et Sitte. Le débat ne se situe plus sur le plan esthétique mais sur le plan politique, et là aussi on voit se profiler l’idée que cet art de l’Est est un non-art parce qu’il a volontairement ou non servi la dictature. L’addition d’un art et d’un non-art ne saurait donner un art national allemand. Les années suivantes voient alterner les tentatives pour dépassionner le débat et les flambées de rejet passionné déclenchées par des expositions à Weimar, à Berlin, à Nuremberg. La démarche qui consiste à penser comme un tout l’évolution artistique dans les deux États allemands a mis du temps à se concrétiser. Elle a longtemps été entravée par la polémique offensive de la « querelle des images ». À partir du début du xxie siècle, il est devenu possible de développer des comparaisons et de faire des mises en parallèle. Une tentative remarquable a été faite en ce sens par l’exposition L’art et la guerre froide. Positions allemandes 1949-1989 (Kunst und kalter Krieg. Deutsche Posi- tionen 1945-89) qui a eu lieu en 2009-2010. Il est significatif que cette exposition ait été montée aux États-Unis, à Los Angeles, en collaboration avec un commissaire d’expo- sition allemand, et montrée à un public américain avant de l’être au public allemand. Il s’agit en effet d’une approche dépassionnée de l’histoire de l’art dans l’Allemagne divisée, qui cherchait à montrer qu’en dépit des contextes politiques très différents les artistes allemands de l’Est et de l’Ouest avaient plus de points communs qu’ils ne le pensaient ou qu’on ne le percevait généralement. Le choix des œuvres faisait apparaî- tre qu’au moment de la chute du mur l’époque de la confrontation entre les artistes des deux parties de l’Allemagne était révolue, et que les arts plastiques de RDA dans les années 1980 étaient loin de présenter un visage homogène, surtout dans les milieux artistiques indépendants. Cette perspective étend au domaine artistique l’élaboration d’une histoire des deux Allemagnes après 1949 intégrant les « interdépendances asy- métriques » qui, selon la formule de l’historien Christoph Kleßmann, ont caractérisé la situation particulière de l’Allemagne divisée. Aujourd’hui, la Neue Nationalgalerie peut présenter sans soulever de polémique un nouvel accrochage « réunifié » de ses collections de l’Est et de l’Ouest. En 2011-2012, on peut y voir une exposition de ses œuvres de République fédérale et de RDA réunies sous le titre Der geteilte Himmel. Il n’est plus question d’exclure ou de rejeter en bloc les œuvres de RDA. On ne provoque plus de scandale quand on les intègre dans une vision contras- tive de l’art des deux Allemagnes après 1945 qui insiste sur la perméabilité de la frontière entre le figuratif et l’abstrait malgré le « partage du ciel » (31). Un tableau géant de Willi

31 L’exposition présente sous cet angle l’œuvre de Heinrich Ehmsen et la réception de Picasso chez Metz- kes, Strawalde et Tübke. 338 Revue d’Allemagne

Sitte qui évoque l’échec du soulèvement communiste à Leuna en 1921, présenté au même endroit en 1994, était dénoncé comme indésirable dans le temple de la vraie peinture et de l’art libre. Aujourd’hui, il est lu comme le « Guernica » de la peinture de RDA (32)… Mais la peinture de RDA qui ne se prête pas à ces rapprochements, celle qui prend pour thèmes le monde ouvrier et la vie quotidienne, est pour l’instant encore absente de la confrontation (33). La « nationalisation » des arts plastiques de RDA se fait pas à pas.

Résumé Le régime de RDA récuse à partir des années 1970 la référence à la nation allemande et se réclame d’une autre nation. Cette évolution suscite dans les arts plastiques un ques- tionnement autour des représentations de la nation. L’interrogation présente dans la peinture qui prend pour objet le mouvement ouvrier et le national-socialisme s’exprime également à travers les représentations métaphoriques de la division allemande, qui inclut l’image souvent indirecte de la frontière. La question de l’image de la nation se double après l’unification d’un débat sur la place des arts plastiques de RDA dans l’art national.

Zusammenfassung Im Zuge der Abgrenzungspolitik verwarf die DDR die Vorstellung einer einheitlichen deutschen Nation und berief sich auf einen neuen Begriff der Nation. Aufgrund dieser Entwicklung hinterfragten bildende Künstler der DDR die Darstellungen der Nation in der Historienmalerei, namentlich zu den Schwerpunkten Arbeiterbewegung und Nati- onalsozialismus , und setzten sich in metaphorischen Bildern mit dem Problemfeld von Spaltung und Gemeinsamkeiten, in oft verhüllter Form auch mit der innerdeutschen Grenze auseinander. Im wiedervereinigten Deutschland entwickelte sich ein heftiger Streit um die Integration der bildenden Künste der DDR in eine gemeinsame nationale Tradition.

Abstract The GDR refused, since the 70s, to be referred to a German nation and claimed to be a separate nation. In the art world, this evolution has given rise to a questioning centered around representation of the nation. The questioning present in paintings whose themes are the labour movement and the National Socialism, finds its expression equally by means of metaphorical representations of the german divide which include the image, often indirect, of the frontier. After unification, a debate takes place about the role that art from the GDR should play in the national art tradition.

32 Peter Richter, « Die geteilte Hölle », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 13.11.2011. 33 La peinture du monde ouvrier et de la vie quotidienne est largement représentée dans l’exposition Abschied von Ikarus (Weimar, 2012-2013) qui présente les figures de l’utopie et de son abandon dans la peinture de RDA, mais la perspective n’est pas contrastive. Néanmoins, cette exposition est conçue comme une incitation à faire sortir la peinture de RDA des réserves des musées et à lui donner une place dans les présentations permanentes. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 339 T. 45, 2-2013

Pour ne plus être le miroir de l’Allemagne L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante

Anaïs Feyeux*

Sortir d’un totalitarisme ne fut pas chose aisée dans les zones occidentales. Si la zone d’occupation russe a un ennemi tout trouvé en la figure du capitalisme américain et peut fédérer son caractère unitaire autour de ce rejet, cela est plus difficile à l’Ouest. Au-delà de l’idée usuelle d’une continuité des élites nazies – que l’analyse poussée pon- dère, mais qui démontre cependant combien il n’y eut pas de bannissement en bloc de la période totalitaire –, le discours historique a fait de l’Allemagne de l’Ouest un pays construit à la suite de regroupements économiques (1). Comme l’explique Heinrich Böll dans un entretien de 1976, la RFA d’alors s’apparente plus à un État qu’à une patrie (2). À la Kulturnation du xixe siècle (3) répond un pays par défaut dans lequel l’art et la culture ne semblent plus revêtir le rôle officiel qui avait été le leur jusque-là (4). Ce changement

* Docteur en histoire de l’art, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 1 La naissance de la Bizone le 1er janvier 1947 est consécutive au regroupement économique des zones britannique et américaine, à laquelle la France s’allie en août 1948 pour former la Trizone. Voir « Joint Statement by Secretary of State Byrnes and Foreign Secretary Bevin (3 December 1946) », in : The Department of State, Occupation of , Policy and Progress 1945-46, Washington, U.S. Govern- ment Printing Office, 1947, p. 169-174. 2 Dans cet entretien, Böll parle de « destruction de la patrie par les nazis », Heinrich Böll, Une mémoire allemande, Entretiens avec René Wintzen, Paris, Éd. du Seuil (coll. Traversée du siècle), 1978, p. 34. 3 C’est l’historien Friedrich Meinecke qui, en 1908, a popularisé cette expression. Voir Friedrich Meinecke, Weltbürgertum und Nationalstaat. Studien zur Genesis des deutschen Nationalstaats (Cosmopolitisme et État national. Études sur la génèse de l’État national allemand), Munich/Berlin, R. Oldenbourg, 1908. 4 Les intellectuels et les artistes – dont les écrivains du Groupe 47 – n’ont plus de véritable engagement politique. Hansgerd Schulte écrit à propos des écrivains d’alors : « Il y avait bien une tendance politi- que commune, mais sans aucune action concrète. On se situait à gauche, mais dans “une gauche sans patrie”, c’est-à-dire sans engagement dans aucun parti politique », Hansgerd Schulte, « Les écrivains 340 Revue d’Allemagne est perçu comme la conséquence de la perversion de la culture par le régime natio- nal-socialiste (5). Il découle aussi d’une République fédérale d’Allemagne qui rechigne à placer la culture au cœur de sa naissance. L’anecdote que relate Hansgerd Schulte est un exemple révélateur : Ludwig Erhard, le père du miracle économique, use à propos des écrivains Heinrich Böll, Günter Grass ou Martin Walser, du mot de Pinscher, « roquets braillards mais inoffensifs » afin de mettre en valeur leur peu d’importance dans la vie publique (6). Écarté du discours public, le monde culturel devient une simple catégorie du champ social (7). Ce n’est pas le cas de la photographie. Non intégrée aux beaux-arts sous le national- socialisme, elle profite après-guerre de ce statut particulier et ne connaît pas le discrédit des disciplines artistiques auprès des instances dirigeantes. Il faut dire que durant cette décennie, la photographie est avant tout un bien de consommation de masse. Grâce à sa multitude d’utilisations, elle est incontournable et revendique sa présence dans toutes les sphères de la société allemande. L’acquisition d’un appareil photo est facile, et ce dans les couches sociales les plus diverses. Le médium trouve un engouement sans pareil dans le pays. Il est, par sa place singulière en marge du champ de l’art et de ses enjeux, l’objet d’une grande attention de la part des mondes politique et industriel – qui ensemble président aux destinées de la République fédérale – et se voit associé à un pro- jet d’envergure : celui de la reconstitution d’une société dans ce pays par défaut qu’est la République fédérale d’Allemagne. Et ce n’est pas la moindre des choses.

De 1945 à 1955, la photographie à l’aune de la naissance de la République fédérale d’Allemagne Dans les premières années de l’après-guerre, le champ de la photographie (8) se construit en osmose avec la naissance de la République fédérale d’Allemagne. De

et le nouvel État (1945-1955) », in : Gilbert Krebs et Gérard Schneilin (dir.), L’Allemagne 1945-1955, De la capitulation à la division, Paris, Publications de l’Institut d’Allemand/Université de la Sorbonne Nouvelle, 1995, p. 289-298, ici p. 292. 5 Lionel Richard, Le nazisme et la culture, Bruxelles, Éditions Complexe, 2006. 6 H. Schulte, « Les écrivains et le nouvel État (1945-1955) » (note 4), p. 289. 7 Auparavant élément constitutif de la nation (voir la dénomination de Kulturnation), le monde culturel prend après 1945 une position tout autre dans laquelle il n’est plus qu’une sous-catégorie de l’économie tertiaire. Il n’adopte plus une posture d’aplomb qui prédispose à l’identité de la nation, mais devient un élément du champ social au même titre que l’industrie chimique ou l’automobile. Cette séparation entre art et politique modifie complètement la relation des artistes à l’État et à la société. 8 Comme s’est appliquée à le montrer une partie importante de la sociologie de l’art, les pans esthé- tique, politique et sociologique sont liés et déterminent plusieurs cercles d’études de la pratique artistique : le cercle du « champ » (Pierre Bourdieu), celui du « monde » (Howard Becker), celui de la « configuration » (Nathalie Heinich). Selon le cercle choisi par le sociologue, l’artiste est dépendant soit de son domaine d’activité, soit des interactions nécessaires à la création et la diffusion de son œuvre, soit du réseau dans lequel il s’inscrit de façon élargie. Ces trois approches abordent des pro- blématiques distinctes : celle de l’affirmation d’une spécificité fonctionnelle, voire d’une autonomie du champ étudié (Bourdieu), celle d’une interdépendance entre production et diffusion amenant à la création de conventions de fonctionnement (Becker) ou celle de la mise en place d’un socle de référents communs tenant plus aux évolutions des idées qu’à des changements matériels (Heinich). Ces trois pans de la sociologie de l’art créent une vision d’ensemble de la pratique artistique : de la création concrète à la répercussion symbolique, du cadre restreint au domaine culturel au sens large, L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante 341 l’occupation par les puissances alliées, où son utilisation est avant tout politique, au miracle économique des années cinquante, tout dans le domaine photographique fait du médium le miroir à petite échelle de la construction du nouvel État. Se font jour trois grands axes de similitude avec l’histoire plus générale de l’Allemagne de l’Ouest : la reconstruction qui s’opère à l’échelle nationale comme à un niveau plus régional, l’union ou plutôt la fédération en pôle de compétence, et la volonté de retrouver liberté d’entreprendre et expérimentation aussi bien dans le domaine des industries que dans ceux de la culture et de la pensée.

Le chemin de croix de la reconstruction Plus qu’une réaction à l’utilisation de la photographie par la propagande nationale- socialiste, la place du médium dans l’après-Seconde Guerre mondiale est une réponse à la politique de sape opérée par les Alliés entre 1945 et 1947. Durant plus de deux ans, les forces d’occupation lèvent les brevets des industries allemandes, démantèlent consciencieusement tous les regroupements économiques, supervisent les organes d’information et cantonnent les professionnels autochtones aux photographies de passeport. Dans le même temps, ils dressent un tableau apocalyptique de la mentalité allemande contemporaine et de l’histoire du pays à l’aide d’essais photographiques dans les grands magazines de l’époque, de livres et d’affiches placardées sur lesurs m des villes (9). Cette politique qui accuse la nation dans son ensemble des exactions du régime nazi, et ce en partie grâce au médium photographique, est telle que les photographes alle- mands restés au pays se sentent dépossédés de leur destin. En 1947, le magazine pho- tographique Foto-Spiegel regrette, par exemple, le manque d’images produites par les Allemands eux-mêmes et les incite à reprendre leur place : « Ainsi les générations futu- res auront-elles à créer leur connaissance visuelle d’époques cruciales de l’Allemagne principalement à partir des photos des correspondants de guerre alliés. […] Lentement seulement, les premiers photographes allemands ont recommencé à consigner notre temps en image » (10). Il convient d’offrir de l’histoire contemporaine allemande une vision moins univoque et qui inculpe non la nation allemande, mais l’Occident. Pour réinvestir la photographie, tenter de sauver l’économie en berne et redonner à l’Allema- gne la place centrale qu’elle avait dans le développement du médium jusque-là, il faut montrer que le destin allemand est moins celui d’un particularisme que de toute nation

et c’est sous la forme d’une conjugaison des trois termes que doit s’entendre l’utilisation du terme « champ » faite dans l’article. 9 Voir entre autres à ce sujet : Jörn Glasenapp, Die deutsche Nachkriegsfotografie, Eine mentalitäts- geschichte in Bildern, Paderborn, Wilhelm Fink, 2008, p. 75 ; Ute Eskildsen, « Zur Entwicklung deutscher Illustrierten seit 1945 », in : id., Fotografie in deutschen Zeitchriften 1946-1984, Stuttgart, Institut für Auslandsbeziehungen, Ausstellungsserie Fotografie in Deutschland von 1850 bis heute, 1985, p. 4-15, ici p. 5 ; Christian Delage, « L’image photographique dans le procès de Nuremberg », in : Clément Chéroux (dir.), Mémoire des camps, Photographies des camps de concentration et d’extermi- nation nazis (1933-1999) (Cat.), Paris, Marval, 2001, p. 172-173. 10 « So werden also künftige Generationen ihre visuelle Kenntnis entscheidender Zeitabschnitte Deuts- chlands hauptsächlich aus den Fotos alliierter Kriegskorrespondenten zu schöpfen haben. […] Nur langsam haben die ersten deutschen Fotografen wieder begonnen, unsere Zeit im Bild festzuhalten. » Anonyme, « Das Foto – Abbild der Zeit », Foto-Spiegel, novembre 1947, 1re année, n° 2, p. 2. 342 Revue d’Allemagne civilisée et que les zones occidentales ne peuvent être exclues du mouvement global de reconstruction à l’échelle européenne. La photographie joue un rôle majeur dans ce processus. Depuis la naissance du Reich bismarckien, le médium a été un des ferments de la représentation nationale et a permis à l’Allemagne d’être reconnue à l’étranger à l’égal des grandes nations occidentales qui avaient connu des révolutions industrielles plus précoces. Le processus connaît un coup d’arrêt avec la politique des Alliés dans les zones occidentales qui laisse peu de marge de manœuvre aux autochtones. Après avoir voulu réduire l’ancien Reich à des terres arables, les Alliés font marche arrière, mais décident de conserver la mainmise sur les industries lourdes dont celles de la Ruhr. Il ne reste plus aux Allemands que les industries de pointe, réduites pour- tant qu’elles sont à des entreprises de taille mineure. Les bombardements et la partition des usines entre différentes zones qui ne peuvent dialoguer entre elles portent un coup aussi dur que la levée des brevets. Même Agfa, fleuron de l’industrie photographique jusque-là, connaît des premières années difficiles après le démantèlement du cartel industriel IG Farben auquel elle appartenait (11). Le dérèglement, par les Alliés, du fonc- tionnement de chaque pan de la photographie est important : modification de l’indus- trie, en redonnant une autonomie à chacune des entreprises ; mis à bas des structures, en mettant fin à la publication des magazines nationaux-socialistes et en détruisant nombre de lieux d’expositions, et mainmise sur l’esthétique en interdisant aux pho- tographes professionnels, dans les premières années, toute production qui ne soit pas un portrait de passeport ou une commande passée par les troupes d’occupation pour leurs journaux. À cette confiscation par les Alliés des pans professionnels de la pho- tographie, il faut ajouter la perte des appareils durant la guerre ou leur réquisition, anéantissant autant la production amateur que professionnelle. Si quelques livres sont édités et sont des succès de librairie – dont celui, fameux, de Hermann Claasen (12) – et si des expositions font date dans l’histoire de la photographie allemande de l’après- guerre (13), ces projets restent ponctuels et indépendants les uns des autres, démontrant que chacun, qui du photographe artistique, qui du photoreportage, tente de reconsti- tuer les moyens de légitimation dont il use habituellement, sans penser cependant une vue d’ensemble.

11 Jean-Philippe Massoubre, L’histoire de l’IG-Farben 1905-1952, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 97. Un procès concernant vingt-trois dirigeants de l’IG Farben se tient du 13 mai 1947 au 30 juillet 1948. Les dirigeants sont symboliquement jugés à Nuremberg, dans la même salle que les responsables politi- ques et militaires. 12 Hermann Claasen, Gesang im Feuerofen, Köln – Überreste einer alten deutschen Stadt, Introduction de Franz A. Hoyer, Mise en forme de Werner Labbé, Düsseldorf, Verlag L. Schwann, 1947, 1949 (2e éd.), 1979 (3e éd.), 1980 (4e éd.). 13 Peuvent être ici citées les expositions 1. Große Ausstellung der Stuttgarter Photographischen Gesell- schaft 1947. Die Photographie 1948. Photographik, Bildbericht, Photogramm qui se tient au Landes- gewerbemuseum de Stuttgart en 1948 et 2e Foire, Exposition de la Photo et du Cinéma d’Amateur 1949/ II. Messe, Ausstellung der Photo-Kino-Industrie 1949 à la Staatliche Schule für Kunst und Handwerk de Neustadt a. d. Haardt (Saalbau) en 1949. L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante 343

Le rôle central de l’industrie photographique L’industrie, à la suite de regroupements progressifs, tout d’abord clandestins puis rapidement institutionnalisés, offre à la photographie une seconde vie. Elle cherche à constituer une unité, chacune des entreprises encore en service étant de taille trop res- treinte pour penser faire ombrage aux firmes étrangères. La réunion est une nécessité historique et économique autant qu’une sorte de « contre-pouvoir » face aux Alliés, à même de permettre de retrouver une indépendance et de redevenir une force vive. La coopération se fait en deux temps : horizontale tout d’abord grâce à l’Association des fabricants d’articles photographiques fondée en 1946, puis horizontale et verticale lorsque naît l’Apho (Arbeitsausschuß der deutschen Photowirtschaft) le 15 septembre 1948, dépassant l’idée de cartel au profit du concept de Konzern (14). L’Apho regroupe tous les acteurs du champ puisque ce comité de travail sur l’éco- nomie photographique allemande fondé par Bruno Uhl, alors à la tête de l’entreprise Agfa de Leverkusen, est composé des membres importants de toutes les associations économiques touchant au domaine photographique : fabricants, grossistes et négo- ciants en matériel photographique, laboratoires ou entreprises de photocopies et même photographes (15). D’autres associations aux intérêts proches comme les asso- ciations d’amateurs ou l’industrie du cinéma intègrent le comité de travail. Présidé naturellement par Uhl – qui supervisait déjà l’Association des fabricants d’articles photographiques, rebaptisée « Association de l’industrie photographique allemande » (Verband der Deutschen Photographischen Industrie) en 1950 (16) –, l’Apho est pensé comme une chambre au sein de laquelle toutes les questions relevant de l’économie photographique doivent être soulevées et discutées. En plus d’un regroupement économique, l’Apho devient dès sa création un organe de promotion des produits photographiques par la mise sur pied d’une politique cultu- relle photographique. Dès son discours du 9 janvier 1948, Uhl défend l’idée de pro- mouvoir la photographie comme un objet culturel à même de soutenir indirectement la croissance d’une industrie photographique renaissante. Il conçoit la promotion du médium selon quatre voies : foire photographique, presse spécialisée, école de photo- graphie et valorisation d’une photographie professionnelle à caractère esthétique. Car Uhl l’a bien compris – accentuant là un procédé déjà en germe depuis les années vingt en Allemagne : pour devenir une grande industrie aux niveaux national et internatio- nal, la photographie doit représenter autre chose qu’elle-même. Le désir des membres de l’Apho est rapidement clair, il faut faire du médium le miroir de la reconstruction allemande. L’association met alors en place des campagnes publicitaires à l’échelle nationale vantant la photographie comme le hobby de la société de loisirs naissante. Elle va surtout être à la naissance de la photokina.

14 À la différence du cartel, le Konzern associe concentration verticale et concentration horizontale. 15 Bruno Uhl, Erinnerungen, édition privée, 1970, p. 289 (Bibliothèque de la Deutsche Gesellschaft für Photographie – Museum Ludwig, Cologne). 16 J. Glasenapp, Die deutsche Nachkriegsfotografie(note 9), p. 148. 344 Revue d’Allemagne

La photokina, centre névralgique de la renaissance photographique Foire photographique née à Cologne en 1950, la photokina accueille plus de 75 000 visiteurs la première année et 176 000 pour sa 4e édition en 1954 (17). Faite pour promou- voir les productions industrielles ouest-allemandes (18) et faire connaître la photographie naissante du pays, la photokina devient, par son envergure, leur plus sûre promotion tant sur le territoire national qu’à l’international. Les entreprises étrangères cherchent rapidement à avoir un stand à Cologne pour contrer la réussite ouest-allemande. Absentes la première année, elles représentent 20 % des exposants l’année suivante, un tiers en 1958, pourcentage qui augmente et atteint plus de 50 % au début des années soixante-dix (19). Parallèlement, cette foire de produits industriels et le comité Apho cherchent à relan- cer la photographie dans la sphère sociale. Ils organisent, au sein de la photokina, des expositions amateurs et montrent les utilisations possibles du médium dans divers corps de métier (médecine, science, justice, etc.) (20). Cette double présence amateur/profes- sionnel est primordiale. Elle dénote la volonté qu’ont les acteurs économiques de faire du médium un objet usuel et incontournable au sein de chaque famille. L’exposition inau- gurale de la photokina de 1950 s’intitule « Celui qui photographie profite plus de la vie » et montre un couple photographiant les moments les plus anodins de son quotidien (21).

17 « Statistiken », in : Ulrich Pohlmann (dir.), Kultur, Technik und Kommerz : die photokina-Bilder- schauen 1950-1980, Cologne, Historisches Archiv der Stadt Köln, 1990, p. 127. 18 Si une foire au cœur de ces immenses halles en bordure du Rhin est rendue possible, c’est avant tout grâce à la volonté des entreprises du secteur photographique qui désirent faire des appareils photo- graphiques l’un des premiers biens d’exportation de l’Allemagne de l’Ouest qui commence à exporter de façon significative depuis 1948. La foire sert de lien entre les différentes entreprises du champ. De nombreuses entreprises font d’ailleurs partie du comité de travail. Voir la liste dressée en exergue du catalogue de 1950 : « Ehrenausschuss », in : L. Fritz Gruber (éd.), Photo-Kino-Ausstellung, Köln 1950, vom 6. bis 14. Mai (Cat.), Cologne, Greven & Bechtold, 1950, p. 5-6. La Frankfurter Allgemeine Zeitung, grand quotidien national, voit dans cette foire la démonstration d’« une place de premier plan dans le monde pour la technique allemande de photographie et de film ». Anonyme, « Hat der Photofreund mehr vom Leben ? », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 12.05.1950, p. 8. 19 « Statistiken » (note 17), p. 127. 20 Bruno Uhl n’écrit pas autre chose dans un article publié dans le journal Rheinischer Merkur le jour de l’ouverture de la première édition de la photokina, citant les diverses utilisations du médium : « l’ar- tisanat photo et la presse, les moyens de reproduction et la photocopie, le système de santé publique (le diagnostic par radiographie), la culture, les sciences et l’enseignement (la répartition des fruits des recherches, l’archivage, le matériel de documentation et de conférence, la technique cinémato- graphique et le ciné-théâtre), l’industrie et la technique (l’enregistrement des documents techniques et commerciaux, le contrôle de matériels, l’analyse spectrale, les archives de sécurité et les cartes, la publicité et l’imagerie spécialisée), les services publics (photographies de passeport, police, criminalité, justice, mesures des territoires, plan de ville, publicité de circulation) ». (« Photohandwerk und Presse, Reproduktionswesen und Photokopie, Gesundheitswesen, (röntgendiagnostik), Kultur, Wissenschaft und Unterricht (Festlegung von Versuchsergebnissen, Archivierung, Anschauungs- und Vortragsma- terial, Kinotechnik und Kinotheater), Industrie und Technik (Registrierung technischer und kauf- männischer Unterlagen, Materialprüfung, Spektralanalyse, Sicherheitsarchive und Karteien, Werbung und Fachausbildung durch Bild und Film), Öffentlicher Dienst (Passbilder, Polizei und Kriminalistik, Rechtsprechung, Landesvermessung, Städteplanung, Verkehrswerbung) »). Bruno Uhl, « Auf breitem Fundament », Rheinischer Merkur, 06.05.1950, p. 11. 21 « Wer photographiert hat mehr vom Leben ». L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante 345

(Anonyme), « Vue de l’exposition inaugurale Wer photographiert hat mehr vom Leben », Photo-Kino-Ausstellung, Cologne, 1950. Copyright : Historisches Archiv der Stadt Köln.

Il convient de prouver au spectateur combien il peut prendre par la photographie une part active dans la société allemande en constitution. Cette omniprésence de la photographie, professionnelle et amateur, à tous les échelons de la société ouest-alle- mande en pleine construction donne l’image d’un médium fort. Les photographes professionnels deviennent les forces motrices de ce renouveau et assoient le succès du médium dans la jeune Allemagne de l’Ouest. En 1951, ils se constituent en groupe uni autour d’une association, la Deutsche Gesellschaft für Pho- tographie. Les acteurs du champ économique déjà présents dans l’Apho sont rejoints par des photographes professionnels mais aussi des acteurs du champ photographique élargi (directeur de société, de foire) et même une personnalité politique, le maire de Cologne (22). Cette association qui regroupe toutes les personnes éminentes ayant trait à la photographie ouest-allemande est un tournant pour le champ photographique.

22 La DGPh se réunit pour la première fois le 15 mai 1951 à l’hôtel de ville de Cologne, sous la présidence du maire Görlinger. Cette réunion comprend vingt membres à part entière (les photographes Otto Croy, Adolf Lazi, Herbert List, Bernd Lohse, August Sander, Otto Steinert, Liselotte Strelow, Carl Strüwe, le fils du fondateur de l’entrepriseLeitz Camera – Leica Ernst Leitz, le directeur de l’entreprise Leitz Camera – Leica Henri Dumur, le fondateur de l’entreprise Rollei Reinhold Heidecke, le directeur de l’usine Agfa Bruno Uhl, le directeur de la GDL (Gesellschaft deutscher Lichtbildner) Richard Ger- ling, l’organisateur de la photokina L. Fritz Gruber, le réalisateur et producteur Curt Oertel, l’homme politique Karl Weiss, Hans Kammerer, Walter Meidinger, Alfred Miller, Albert Narath, ainsi que six correspondants étrangers (le Hollandais General Lieuwe Evert Willem van Albada, le Français Louis Philippe Clerc, le professeur zurichois John Eggert, le Japonais Kitano, le membre de la Royal Photogra- phic Society Kenneth G. Moreman et le conservateur de photographie au MoMA de New York Edward Steichen). Voir : « Vorgeschichte und Gründung », in : Zehn Jahre Deutsche Gesellschaft für Photogra- phie e. V. 1951-1961, Cologne, Deutsche Gesellschaft für Photographie, 1961, p. 9-31, ici p. 9-10. 346 Revue d’Allemagne

La DGPh a deux objectifs qui font écho à la photokina : rapprocher les industries des photographes pour offrir aux premières un crédit culturel et faire connaître les pho- tographes qui représentent une certaine modernité visuelle (Lazi, Steinert, List, Stre- low, etc.) mais pâtissent du poids trop fort de l’ancienne génération (23). Étrangement, l’industrie commence à défendre une photographie artistique qui semble au premier abord loin de ses propres préoccupations.

Des propositions esthétiques en accord avec le nouveau pays En juillet 1949, des jeunes photographes réalisent un coup de maître en présentant des photographies expérimentales et abstraites en marge de l’exposition phare de Neu stadt dont le jury avait refusé leurs travaux (24). Déçus par ce refus d’exposer, six photographes fondent le groupe fotoform afin de se donner plus de visibilité (25). L’exposition de leurs travaux artistiques au sein de la première édition de la photokina les fait connaître sur la scène nationale, au-delà du cercle restreint des photographes professionnels. En effet, l’exposition est une « bombe atomique dans le tas de fumier de cette expo- sition » comme le souligne un critique d’art (26). Pour la première fois, des jeunes pho- tographes sont défendus par des dirigeants économiques qui voient dans l’esthétique qu’ils défendent la naissance d’une photographie artistique ouest-allemande spécifi- que au territoire et un attrait pour les cercles étrangers avec lesquels le groupe est en contact (27). Si l’industrie soutient cette esthétique, très éloignée et de la pratique

23 Comme l’écrit L. Fritz Gruber dans un projet publicitaire rédigé en mai 1951, la DGPh veut « encou- rager, mettre à l’épreuve et confronter à la discussion le nouveau audacieux, l’avant-gardiste, qui ne trouve, principalement pour des raisons mercantiles, aucune possibilité de représentation et de réa- lisation » (« das kühne Neue, das Avantgardistische, ermutigen, ausprobieren und zur Diskussion stellen, das wohl hauptsächlich aus merkantilen Crüden (sic) keine Möglichkeit der Darbietung und Verwirklichung findet »), cité in Ludger Derenthal, Bilder der Trümmer- und Aufbaujahre, Fotogra- fie im sich teilenden Deutschland, Marburg, Jonas Verlag, 1999, p. 127. 24 Une section sans jury est créée par Wolfgang Reisewitz, qui avait été chargé, par la France, de la mise en place d’une exposition photographique accompagnant la grand-messe de l’industrie photographi- que de Neustadt. Elle présente les « domaines limites de la photographie », c’est-à-dire les photo- graphies expérimentales rejetées dont celles de Chargesheimer, Annelise Hager et Marta Hoepffner. Voir : Petra Reisewitz, ‘ fotoform’, Fachbereich Visuelle Kommunikation, Offenbach, Hochschule für Gestaltung, juillet 1980, 11 p. (Archives photographiques du Museum Folkwang, Essen), p. 2 et Ulrich Pohlmann, « Zwischen Kultur, Technik und Kommerz : die photokina-Bilderschauen 1950-1980 », in : id. (dir.), Kultur, Technik und Kommerz (note 17), p. 10. 25 Wolfgang Reisewitz suggère aux photographes dont les productions ont été rejetées de se regrouper afin de soumettre solidairement leurs travaux dans les prochaines expositions et de pouvoir exercer une influence dans le milieu de la photographie. Otto Steinert, Ludwig Windstosser et Toni Schnei- ders font partie des fondateurs de fotoform. Le groupe est formé le 7 juillet 1949 à Neustadt. Peter Keetman et Siegfried Lauterwasser les rejoignent rapidement. Voir : P. Reisewitz, ‘ fotoform’ (note 24), p. 4 et J. A. Schmoll gen. Eisenwerth, « Die avantgardistische Gruppe ‘fotoform’ 1949-1958 », in : id., ‘subjektive fotografie’ der deutsche Beitrag 1948-1963, Stuttgart, Institut für Auslandsbeziehungen, 1989, p. 12-23, ici p. 15. 26 « Atombombe im Komposthaufen dieser Ausstellung ». Robert D’Hooghe, « Deutsche Photographie 1950 », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 23.05.1950, p. 5. 27 Symptôme de cela, la première action culturelle de la DGPh est le financement de la reprise partielle de l’exposition Subjektive Fotografie pour la Belgisches Haus (Maison belge) de Cologne du 21 au 28 octo- bre 1951. « Deutsche Gesellschaft für Photographie, Eine Chronologie – The German Photographic L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante 347

amateur et des travaux de com- mande, c’est que le groupe et les expositions Subjektive Fotografie de 1951 et 1954 où ils montrent leurs travaux (28) défendent une conception de la photographie qui répond en creux à ce qui peut séduire les amateurs : liberté, indépendance, importance don- née au photographe, abandon de l’utilisation politique des images. La rhétorique qui accompagne cette production visuelle répond aux préoccupations de la jeune République fédérale d’Allemagne qui souhaite entrer dans le bloc occidental. Assise à partir de 1951 par cette série d’expositions nommées Sub- jektive Fotografie, la photographie artistique allemande devient l’instigatrice d’un nouveau cou- Otto Steinert, « Strenges Ballet », 1949 (n° 65/32). rant photographique à l’échelle Copyright : Estate Otto Steinert, Museum Folkwang, européenne. Le retour de l’Alle- Essener Systemhaus. magne sur la scène occidentale grâce à sa photographie permet dès le début des années cinquante la naissance d’une fierté nationale, encore inenvisageable en 1948, qui ne repose plus sur une concep- tion politique de la sphère sociale. Le domaine économique a retrouvé son autonomie par rapport à l’État, grâce à la reconnaissance à l’international de son industrie de pointe et de qualité et grâce au moteur que sont devenus les photographes allemands à l’échelle européenne. Miroir de l’Allemagne de l’Ouest, la photographie professionnelle l’est aussi par les thèmes qu’elle traite alors. Dans la photographie de commande, ce sont trois sujets représentatifs de ces années-là qui sont abordés : l’industrie lourde – les mines encore

Society, a Chronology 1951-2001 », in : Susanne Lange et Gerd Sander (dir.), Zwischen Dokument und Abstraktion. Eine Auswahl aus der Sammlung der Deutschen Gesellschaft für Photographie – Entre document et abstraction, Un choix de la Collection de la Société allemande de Photographie – Between Document and Abstraction, A Selection from the German Photographic Society Collection, Cologne, August Sander Archiv/SK Stiftung Kultur, 1996, p. 280-291, ici p. 281. 28 La première exposition Subjektive Fotografie, organisée par Otto Steinert, un des membres de foto- form, se tient du 12 au 29 juillet 1951 à la Schule für Kunst und Handwerk de Sarrebruck. Exposition monumentale par sa taille – 725 travaux –, elle expose fotoform mais aussi d’autres photographes qui rendent compte des différents pans de la photographie d’après-guerre. Voir le catalogue : Subjektive fotografie, Saarbrücken 12-29.VII.1951, Exposition internationale de la photographie moderne orga- nisée par la section photographique du centre de métiers d’Art sarrois à Sarrebruck (Neubau an der Ludwigskirche). 348 Revue d’Allemagne objets de convoitises dans ces années-là – et l’industrie de pointe, l’Heimat si particu- lière à l’Allemagne avec des photographies de paysage et de villes posant ouvertement la question d’un territoire régional en lieu et place du national, et le portrait qui se penche sur la société, les ouvriers, les personnalités publiques, etc. Dans ces premières années, le photographe est donc totalement ancré dans son époque tant par sa production visuelle qui lui permet de nouer des liens avec la scène occidentale que grâce à l’industrie nationale qui s’avère centrale dans la constitution d’un champ photographique ouest-allemand autonome et viable. La photographie des pre- mières années de la RFA est une représentante de la jeune RFA : reprise, à un niveau plus restreint, de l’organisation éco- nomique qui a formé la base de la nouvelle nation et de thémati- ques en accord avec les intérêts de l’époque. Par là même, le champ photographique perd sa force de projection utopique Heinrich Heidersberger, « Tankstelle Blauer See (Gas qu’avaient défendue les avant- Station Blue Lake), Hannover 1953 (Architect : Dieter gardes de l’entre-deux-guerres et Oesterlen) », 1953. Copyright : Heinrich Heidersberger, que souhaitait le national-socia- www.heidersberger.de lisme dans un tout autre sens.

Après 1955, une autonomisation progressive de la sphère photographique face au destin national De cette ascension, l’année 1955, qui marque au niveau national la fin de l’occu- pation occidentale, représente l’acmé et la césure, une césure en germe dès le début des années cinquante. Trois changements majeurs interdépendants se dessinent : l’internationalisation au détriment du champ photographique national, l’émergence du photoreportage qui éclipse la photographie artistique abstraite et expérimentale et les débuts d’une critique de la reconstruction allemande par les photographes, qui remettent en cause la neutralité qu’ils avaient jusque-là adoptée.

L’internationalisation des enjeux Alors que le champ s’était jusqu’ici construit à l’échelle nationale pour reprendre place sur la scène locale et contrer la mainmise des pays étrangers dans les premiè- res années de l’après-guerre, la seconde moitié des années cinquante marque le début L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante 349 d’une internationalisation qui va aller grandissante jusqu’au début des années soixante. Plusieurs faits marquent le point de départ de cette internationalisation : l’exposition The Family of Man née aux États-Unis, qui se déplace à Berlin et Munich en 1955, le financement de la foire photographique de Cologne par l’Unesco, et la remise en cause de l’hégémonie des firmes industrielles allemandes. L’exposition The Family of Man, organisée par Edward Steichen, directeur du département photographique du Museum of Modern Art de New York, est monu- mentale, autant par le nombre d’œuvres exposées que par sa tournée internationale entre 1955 et 1964, qui touche des millions de visiteurs (29). Berlin est la première des- tination hors des États-Unis (30). Bien accueillie par le public allemand (31) et la critique spécialisée, l’exposition marque une césure dans les propositions photographiques montrées jusque-là en Allemagne de l’Ouest. En effet, la Subjektive Fotografie, quasi hégémonique sur le terrain théorique artistique, défendait une suprématie et du pho- tographe et de la forme visuelle. Avec The Family of Man, c’est le caractère universel du sujet photographié qui prime. Sans légende, l’exposition fait peu de cas du photo- graphe, du lieu et du moment de la prise de vue. Les images sont regroupées en séries autour d’un sujet : la naissance, la rencontre amoureuse, la famille, ou encore la mort, ce qui semble commun aux hommes, au-delà des particularismes régionaux et tem- porels. Comme la Subjektive Fotografie, The Family of Man propose donc une vision universelle de la photographie. Cependant, à l’inverse de la Subjektive Fotografie, l’universalité est celle du sujet avant d’être celle d’une théorie photographique, le commissaire d’exposition devenant plus important que le photographe, dépossédé de son image. Cette nouvelle vision de la photographie remet en cause le statut hégé- monique de la photographie artistique ouest-allemande en RFA. De plus, à défaut d’en être l’instigatrice comme avec la Subjektive Fotografie, l’Allemagne de l’Ouest est dans cette exposition un pays comme un autre, sans particularité (32). Elle n’est pas

29 Considérée comme la plus grande entreprise photographique jamais réalisée, elle réunit 503 photo- graphies de 273 photographes professionnels ou amateurs. Plus de neuf millions de visiteurs verront l’exposition. L’exposition-mère ouvre le 26 janvier 1955 au Musée d’Art moderne de New York, mais des copies sont montrées à quatre-vingt-huit reprises dans trente-huit pays différents entre 1955 et 1962, grâce à l’appui de l’United States Information Agency (USIA – Agence d’Information des États-Unis). Voir : Eric J. Sandeen, Picturing an Exhibition, The Family of Man and the 1950s America, Albuquer- que, The University of New Mexico Press, 1995, p. 95 et John Szarkowski, « The Family of Man », in : John Elderfield (dir.), The Museum of Modern Art at Mid-Century, At Home and Abroad, New York, The Museum of Modern Art/Harry N. Abrams, « Studies in Modern Art », 4, 1994, p. 12-37, ici p. 13. 30 En Allemagne de l’Ouest, c’est une version identique à celle de New York qui est exposée. J. Szarkowski, « The Family of Man » (note 29), p. 13. 31 Près de 44 000 visiteurs voient l’exposition en seulement 25 jours. À Hambourg, trois ans plus tard, le succès ne se dément pas. 43 308 visiteurs en un mois, dont 3520 le dernier jour. Cf. : Lettre de l’USIS à Bonn au USAI, Washington, 20 novembre 1958, archives USIA, Washington D.C., cité in Eric San- deen, « ‘The Show You See With Your Heart’.The Family of Man on Tour in the Cold War World », in : Jean Back et Viktoria Schmidt-Lisenhoff (dir.), The Family of Man 1955-2001. Humanismus and postmoderne : Eine Revision von Edward Steichens Fotoausstellung, Humanism and Postmodernism : A Reappraisal of the Photo Exhibition by Edward Steichen, Marburg, Jonas Verlag, 2004, p. 100-121, ici p. 120. 32 Dans le choix photographique de Steichen, l’Allemagne n’est qu’un pays parmi les soixante-huit participants et est moins représentée que la France et les États-Unis. Les photographies prises sur le 350 Revue d’Allemagne exclue, mais elle perd dans le même temps un statut d’exception qui lui avait permis après 1945 de se poser comme avant-garde. Cela est encore plus manifeste dans l’édition 1956 de la photokina. Foire dont l’am- bition première était de soutenir l’industrie ouest-allemande et de défendre la pho- tographie nationale, elle devient une foire à vocation internationale : le Japon, grand concurrent industriel de l’Allemagne, y expose sa technologie (33), l’Unesco finance une grande partie des expositions et le président des États-Unis Eisenhower devient, à côté du ministre ouest-allemand de l’Économie, l’autre soutien de poids de la photokina. L’Unesco comme les États-Unis usent d’un nouveau langage : « coopération interna- tionale », « paix dans le monde », « compréhension entre les peuples », « fraternité » (34). Ces mots reviennent tout au long du catalogue, même lorsque les auteurs font référence à des expositions qui différent peu des éditions précédentes, comme par exemple les photographies faites par la jeunesse du monde entier qui sont montrées à chaque foire. À cela, il faut ajouter la première exposition au sein de la photokina de la Fédération internationale de l’Art Photographique, association internationale « constituée par les fédérations nationales des divers pays » qui souhaite rassembler les peuples (35). Autre- ment dit, l’heure n’est plus à la reconstruction d’une nation, mais à une internationali- sation grandissante qui fait suite à la reconnaissance de l’Allemagne de l’Ouest comme nation à part entière ayant un destin similaire aux autres pays occidentaux. C’est aussi la conséquence directe de la guerre froide, qui connaît un regain avec la seconde crise de Berlin à partir de la fin des années cinquante, et de la naissance d’organismes inter- nationaux comme l’ONU, l’Unesco ou la Communauté européenne en 1957.

Le photoreportage, une esthétique étrangère sur le sol allemand La renaissance du photoreportage en Allemagne va accompagner ce changement. Cette redécouverte est la conséquence d’expositions de photoreporters étrangers, The Family of Man ou encore la grande exposition de l’agence Magnum au sein de la photokina de 1956 (36). The Family of Man n’est pas une exposition critique du monde mais une exposition qui tente d’en donner une approche positive comme le souhaitent alors la diplomatie américaine et l’United States Information Agency (USIA – Agence d’Information des États-Unis) qui financent son déplacement dans le monde entier (37). Elle permet de penser le reportage hors du cadre de la presse. L’exposition Magnum a un but similaire. En montrant un reportage de chacun des membres de l’Agence, elle choisit d’exposer non pas des sujets de guerre qui avaient pourtant été à la nais- sance de la figure moderne du photoreporter, mais des sujets du quotidien, souvent

territoire allemand – par des photographes autochtones ou étrangers – ne rendent compte ni du destin particulier de l’Allemagne ni de la période nationale-socialiste. 33 L. Fritz Gruber, « 1956, Im Auftrag der photokina : Chargesheimer », in : U. Pohlmann, Kultur, Tech- nik und Kommerz (note 17), p. 16-19, ici p. 17. 34 « Message du Président des États-Unis », in : L. Fritz Gruber (dir.), photokina 1956, Cologne, Messe- und Ausstellungs-GmbH Köln, 1956, p. 24. 35 Section historique du site officiel de laFédération Internationale de l’Art Photographique, http://www. fiap.net/historique.php?page=2&lang=. 36 « Magnum », in : L. F. Gruber (dir.), photokina 1956 (note 34), p. 147. 37 J. Szarkowski, « The Family of Man » (note 29), p. 13. L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante 351 anecdotiques (38). Cette mise à l’écart de la « grande histoire » au profit de l’homme va marquer les photographes allemands, déjà préparés à ce changement. Dès la deuxième exposition qui parcourt le monde entier en 1954, la Subjektive Fotografie pâtit de son succès. De nombreux courants étrangers s’inspirent de cette photographie formelle et l’Allemagne de l’Ouest perd son statut moteur et par là sa singularité (39). Le photoreportage va pallier les problèmes que rencontre la Subjektive Fotografie en remplaçant la prépondérance de la forme par l’importance du sujet. La Subjektive Fotografie comme le photoreportage revendiquent tous deux un rapport à l’homme. Dans la Subjektive Fotografie, ce rapport à l’homme est directement lié au photographe créateur. Dans le photoreportage ce sont les sujets traités qui parlent de l’homme et de sa destinée universelle : portraits de célébrités, corrida par Inge Morath, « enfants sourds » de René Burri, hommes du Rhin par Cartier-Bresson donnent une image plurielle de la société des années cinquante (40). Ces changements se répercutent dans le champ photographique ouest-allemand. Karl Pawek va se poser en grande figure de cette nouvelle théorie photographique. Rédacteur en chef, entre 1954 et 1962, d’une revue intitulée magnum, en référence à l’Agence, il choisit de traiter des sujets universels qui donnent un aperçu de la culture contemporaine : l’homme « en soi », le monde dans son ensemble, la société ; il publie surtout, après 1958, des numéros consacrés à la République fédérale elle-même (41). Ce

38 Steichen accorde peu de place au reportage de guerre. Seules cinq parties sur trente-sept en compor- tent. Il préfère les images prises en temps de paix et les images du quotidien. Des grands photographes de la Seconde Guerre mondiale – George Rodger, Margaret Bourke-White, Robert Capa, etc. –, Stei- chen ne choisit pas les reportages emblématiques pris au cours de leur périple avec l’armée américaine, mais montre, a contrario, les images optimistes, celles d’une société en paix : images ethnographiques de spiritualité en Corée par Bourke-White, photographies de jeunes enfants par Lee Miller ou encore de Nubas, « dans une nudité primitive et une innocence paradisiaque » par Rodger (« in archaischer Nackheit und paradiesischer Unschuld », Viktoria Schmidt-Lisenhoff, « Verleugnete Bilder. The Family of Man und die Shoa », in : Back/Schmidt-Lisenhoff (dir.), The Family of Man 1955-2001 [note 31], p. 80-99, ici p. 83). Ainsi Steichen cherche-t-il à s’éloigner de la figure du photoreporter qu’avaient construite la guerre d’Espagne et la Seconde Guerre mondiale. 39 Otto Steinert critique la « démocratisation » de la photographie expérimentale qui, pour lui, tue la Subjektive Fotografie et clôt définitivement cette période en Allemagne. Ses questionnements quant à la production expérimentale signent un enterrement en règle de la période fotoform. Les propositions du groupe, dissout en 1957, se retrouvent mis au ban de la troisième photokina qui date de 1958. Seuls Steinert et deux anciens membres – Keetman et Hajek-Halke – sont encore là sur 65 exposants. Comme il s’en explique dans un entretien avec Otto Toussaint en 1959, les travaux de fotoform sont devenus selon lui l’apanage de tous et cette vulgarisation a été fatale à la Subjektive Fotografie : « Photographier “subjectivement” est devenu une recette. » Puis il enchaîne : « S’il est vrai que l’exposition “photogra- phie subjective” de 1951 était née de la spontanéité, il faut reconnaître que le développement ultérieur de la “subjectivité” est devenu conscient et a épuisé entièrement les moyens formels disponibles. Les expositions “photographie subjective” 2 et 3 n’ont plus rien apporté de réellement nouveau. » Sur ce constat amer, Steinert conclut par une phrase qui ressemble fortement à une question rhétorique : « La période créatrice a-t-elle touché à sa fin depuis que la masse des “utilisateurs de films” s’est adonnée à la nouvelle “recette” et en a fait une mode ? ». Otto Toussaint, « Sans retour. D’après un entretien avec Otto Steinert », Camera, mars 1959, 38e année, n° 3, numéro spécial sur la Subjektive Fotografie 3, p. 5-6. 40 « Magnum », in : L. F. Gruber (dir.), photokina 1956 (note 34), p. 147. 41 « magnum pose des questions qui nous troublent et les ordonne en des cercles concentriques, […] que l’on peut communément nommer par le mot-clé ‘la nouvelle conception de l’homme’ », (« mag- num spricht Fragen aus, die uns bewegen und ordnet sie in konzentrischen […] Kreisen […], die man 352 Revue d’Allemagne parcours macroscopique de la société est porté par deux autres facteurs : la prospérité d’après-guerre et la naissance d’une nouvelle culture visuelle. Critique acerbe de la Subjektive Fotografie, Pawek explique dans un ouvrage de 1960 que : « La photographie est (devenue) le monde lui-même, la photographie est la réalité elle-même, la photogra- phie est ce qui se passe dans cette réalité, ce qui se produit là, ce qui saigne, vit, souffre, se développe, passe là » (42). Cette adéquation entre la réalité et sa représentation est devenue primordiale. Elle permet de redéfinir les liens entre objectivité et subjectivité sur lesquels butait la photographie ouest-allemande. Pour Pawek, la prise de vue est en soi objective puisque brute et ce sont les alentours de l’acte photographique – exposi- tion ou livre – qui permettent de donner un ordonnancement à cette réalité et qui donc font œuvre (43). Ce point de vue, qui était déjà celui de Steichen aux États-Unis, répond aux préoccupations de la République fédérale dans cette fin des années cinquante. Cette nouvelle théorie offre des réponses aux impasses de laSubjektive Fotografie tout en profitant de ses avancées théoriques, des structures de reconnaissance mises en place dans les années d’après-guerre telles que l’édition ou les expositions dont la Sub- jektive Fotografie avait déjà fait usage. Le photoreporter trouve place dans un champ photographique ouest-allemand déjà constitué et prêt à l’accueillir. Tout cela est finalement le continuum logique de ce qui eut lieu dans la première moitié des années cinquante : à la reconstitution nationale du champ fait suite une ouverture à l’international qui est le premier pas vers cet intérêt porté à la société nouvellement bâtie. Cependant, cette explosion du reportage va donner la possibilité aux photographes allemands de poser un regard critique sur leur propre société et créer un hiatus entre ce qui, jusque-là, était en adéquation : le développement de la photographie et l’évolution de la société allemande.

Les photographes au cœur de la critique de la reconstruction allemande Forte du statut international qui lui est désormais accordé et que le Traité de Rome de 1957 entérine, l’Allemagne veut oublier les traumatismes passés. Les brochures publi- citaires éditées par les Länder présentent l’Allemagne comme un pays touristique, un pays de loisirs et de bien-être grâce à une reconstruction réussie et à la renaissance de

gemeinhin mit dem Schlagwort ‘das neue Menschenbild’ bezeichnet »). Werner Hofmann, « Eine Zeitschrift illustriert sich selbst. Zu den ersten 4 Heften des ‘Magnum’ », Forum, 1955, n° 17, p. 192. Ainsi peuvent être cités les numéros Die junge Generation (1954, numéro 2), Eine Menschheit, die pho- tographiert (1954, numéro 4), Der Mensch – Modell 1955 (1955, numéro 5), Die kleinen Menschen (1956, numéro 8), Die Situation der Frau (1958, numéro 16), Eine Lanze für den Mann (1958, numéro 20), Mensch bleibt Mensch (1959, numéro 27) ; Die Welt wird heiter (1955, numéro 6), Die Welt an einem Punkt (1956, numéro 9), Die Gesellschaft, in der wir leben (1957, numéro 12), Wie könnten wir leben… (1957, numéro 15) ; Jedem Deutschen fehlt Berlin im Kopf (1959, numéro 26), Haben die Deutschen sich verändert ? (1960, numéro 29) et Bilanz der Bundesrepublik (1961, numéro 37). 42 Karl Pawek, Totale Photographie. Die Optik des neuen Realismus, Olten/Freiburg, Walter, 1960, p. 206. 43 Pour Karl Pawek, les photographies sont des mots, à partir desquels on écrit des phrases photographi- ques qui doivent être regardées comme des « essais optiques ». Cette « ‘méta-photographie’ devient plus intéressante que la photographie elle-même » et est la « méthode de la photographie moderne ». Voir à ce sujet : Karl Pawek, « Le langage de la Photographie, Méthode d’agencement de cette exposition », in : id. (dir.), Exposition mondiale de la photographie, 555 photographies, œuvres de 264 photographes de 30 pays, sur le thème : Qu’est-ce que l’homme ?, Hambourg, Henri Nannen, 1964, n. p. et Karl Pawek, « Der neue Blick in der Photographie », magnum, 4/17 (1958), p. 6-30, ici p. 23. L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante 353 la culture allemande (44). Certains photographes commencent cependant à émettre des critiques face à l’oubli, opéré dans les consciences, de l’histoire de leur pays. À la toute fin des années cinquante et au début des années soixante, plusieurs photographes alle- mands, qui avaient photographié l’immédiat après-guerre, reviennent sur le devant de la scène. Chargesheimer, Hermann Claasen et Walter Dick deviennent les nouveaux hérauts critiques du reportage politique. Après avoir photographié les destructions de la ville de Cologne par la guerre et les bombardements alliés, Chargesheimer et Claasen photographient à nouveau la ville, dix ans après, en faisant des clichés des dernières rues de l’ancien centre-ville restées intactes, avec ses rituels ouvriers conservés, ses immeubles criblés d’impacts de balles, ses terrains vagues, toutes sortes d’images renvoyant au passé récent (45). Pas de photos des nouveaux quartiers commerçants et bourgeois qui ont remplacé ce passé. Cette approche « nostal- gique » et historique est une réponse à un livre de Chargesheimer, Cologne intime, publié l’année précédente en 1957 et dont la municipalité avait fait un livre publicitaire (46). Char- gesheimer voit dans cette récupération une trahison de taille. En 1958, il fait paraître un ouvrage sur la Ruhr, Im Ruhrgebiet, qui montre les laissés-pour-compte de la prospérité économique dans la grande région industrielle qui fut au début des années cinquante au cœur des rapprochements européens grâce au charbon et à l’acier (47).

Chargesheimer, « Langeweil »/« Wartesaal », in : Heinrich Böll and Chargesheimer, Im Ruhrgebiet, 1958, Images 41-42. Copyright : Rheinisches Bildarchiv Köln.

44 Au titre desquels Heinrich Heidersberger, Wolfsburg, Bilder einer jungen Stadt, Munich, Bruck- mann, 1963 (Réed. Berlin, Nicolaische Verlagsbuchhandlung, 2008) ou Hans Schmitt-Rost et Wal- ter Dick, Das Bilderbuch von Köln, Cologne, Greven Verlag, 1960. 45 Voir Heinrich Böll et Chargesheimer, Unter Krahnenbäumen, Cologne, Greven Verlag, 1958 et Rolf Sachsse, « Vom Werden und Sein eines Photographen », in : Klaus Honnef et Rolf Sachsse, Hermann Claasen, Landschaft, Cologne, Rheinland-Verlag GmbH, 1999, p. 17-59, ici p. 50. 46 Hans Schmitt-Rost et Chargesheimer, Cologne intime, Cologne, Greven Verlag, 1957, n. p. 47 Heinrich Böll et Chargesheimer, Im Ruhrgebiet, Cologne/Berlin, Verlag Kiepenheuer & Witsch, 1958. 354 Revue d’Allemagne

Le livre fait scandale dès sa parution (48). Ses vues aux tonalités noires des cités ouvriè- res sont en contradiction avec l’image d’un développement économique pour tous et d’une société de loisirs. Des représentants politiques dénoncent publiquement ce qu’ils considèrent comme une campagne mensongère qui dessert les intérêts de la région et de l’Allemagne (49). Jusqu’à son dernier ouvrage en 1970, Chargesheimer gardera le regard critique sur la reconstruction née dans cette fin des années cinquante (50). D’autres photographes le suivent. En 1965 paraît Zeit der Ruinen (Le temps des ruines) de Walter Dick (51). Ce livre montre la vie dans les ruines à Cologne et quelques images récentes de la ville. Publié vingt ans après les faits, à un moment où l’Allemagne est sortie de la reconstruction, il rappelle que la destruction toucha la population et modifia sa façon de vivre. Dick montre ce qui ne fut presque jamais publié : vie précaire au milieu des ruines, rapatriés avec leurs baluchons dans les rues détruites, enfants volant quelques briquettes du chargement d’un camion, misère, marché noir, baraquement de fortune… Sans présenter d’images de guerre ou d’occupation, l’ouvrage rappelle aux Allemands que la période faste des années cinquante s’est construite sur les ruines de l’Histoire. Face à ce monde définitivement perdu à cause du nazisme puis d’une reconstruction rapide qui a cherché à tout gommer, photographes et écrivains ont un regard pro- che et viennent à collaborer tel Heinrich Böll à l’édition de nombreux ouvrages de photographie dont ceux de Chargesheimer (52). Comme les écrivains du Groupe 47, les photographes se forgent un regard critique à l’égard de leurs dirigeants politiques et du tournant pris par l’Allemagne de l’Ouest dans la quinzaine d’années qui suit la capitu- lation. Cette société bourgeoise et conservatrice qui s’est mise en place, Chargesheimer la caricature librement lorsqu’il fait en 1957 le portrait de Konrad Adenauer, alors âgé de 81 ans, en vieillard ridicule, alors même que celui-ci brigue un nouveau mandat (53). L’image diffusée le 11 septembre 1957 en une du Spiegel fait scandale. On parle de diffamation du plus haut représentant du gouvernement (54). Le photographe refuse ici toute participation à une « histoire sublimée ».

48 Voir : Sigrid Schneider, « ‘Solche Darstellungen akzeptieren wir nicht’. Zur Rezeption des Bildbands Im Ruhrgebiet von Heinrich Böll und Chargesheimer », in : Bodo von Dewitz (dir.), Chargesheimer. Bohemien aus Köln 1924-1971, Cologne, Museum Ludwig/Greven Verlag, 2007, p. 241-247. 49 Le maire de Bochum, comme le rapporte Der Spiegel, se sent « totalement trompé » (« restlos getäuscht ») dans ses attentes, il ne peut « utiliser le livre […] à des fins de publicité municipale » (« das Buch […] für Zwecke der Stadtwerbung verwenden zu können »). Der Spiegel, 21.1.1959 (Succession Chargesheimer, Museum Ludwig, Cologne). 50 Voir son dernier ouvrage : Chargesheimer, Köln 5 Uhr 30, C o l o g n e , Ve r l a g M . D u M o n t S c h a u b e r g , 1 9 7 0 . 51 Hans Schmitt-Rost et Walter Dick, Zeit der Ruinen, Köln am Ende der Diktatur, Cologne, Kiepen- heuer & Witsch, 1965. 52 Heinrich Böll se charge aussi de la préface du livre de Walter Dick dans laquelle il décrit : « la poussière et le silence » (« der Staub und die Stille ») matérialisés par les images d’architectures brisées, et « la vie nue » (« das nackte Leben »). Heinrich Böll, « Heimat und keine », in : Schmitt-Rost/ Dick, Zeit der Ruinen (note 51), p. VII-XI, ici p. X. 53 Il faut dire que Der Spiegel la publie l’année des élections, que le journal affiche un parti pris pro-oppo- sition et que les instituts de sondages donnent encore le SPD en tête. Par ses attaques ciblées envers le chancelier, Der Spiegel contribue à personnaliser le débat et à le dépolitiser « pour transformer les élections en plébiscite ». Alfred Grosser, « Le plébiscite du 15 septembre 1957 », Revue française de science politique, 7/4 (1957), p. 839-864, ici p. 843 et 854. 54 Voir Bodo von Dewitz (dir.), « Chargesheimer. Bohemien aus Köln », in : id. (dir.), Chargesheimer (note 48), p. 9-17, ici p. 11. L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante 355

L’indépendance que retrouvent ces photographes dans leur critique de la société va peser sur le champ photographique. Ils refusent les grandes théories et préfèrent construire eux-mêmes un discours autour de leur production artistique par la publica- tion de livres qui ne sont pas l’objet de commandes. Ainsi reprennent-ils les rôles que s’était octroyé Otto Steinert avec la Subjektive Fotografie : ceux de praticien, théoricien, commissaire d’exposition et éditeur. Mais contrairement à celui-ci, ces photographes ne cherchent plus à construire ou reconstruire un champ, à baliser les utilisations du médium ou à lui offrir une épistémologie. Ils travaillent à leur échelle et pour leur pro- pre production. Ne cherchant plus à développer de théories d’ensemble comme dans les années d’après-guerre et revendiquant une autonomie qui tendait à disparaître, ces photographes sont à l’origine de l’éclatement du champ photographique uni de ces années-là. Une nouvelle figure du photographe voit le jour : un photographe qui emprunte ses sujets au photoreportage et ses moyens de diffusion à la photographie artistique, un photographe qui revendique l’indépendance de son médium, autant qu’un rôle critique et une place dans l’espace social. L’émergence, dans les années qui suivent, de figures comme les époux Becher ne peut se comprendre que dans ce contexte. Mais, s’il a accouché de figures-phares, ce regard critique porté sur l’Allemagne a démantelé dans le même temps le champ photographique uni de la reconstruction. Ce regard critique de l’après-1955 est un retour indirect aux propos des photographes allemands formulés dans les toutes premières années de l’après-guerre, et qui dénon- çaient la destruction des villes allemandes comme issue de la sécularisation dans un Occident chrétien (55) et de la montée du national-socialisme (56). En 1949, le discours critique concernait le passé. À la fin des années cinquante, li se pose sur un présent qui tente de faire oublier une histoire que l’on veut effacer et qui cherche à dissimuler les difficultés que rencontre la nouvelle République fédérale d’Allemagne. Ce retour à la figure du photographe engagé n’a été possible que grâce aux dix ans qui ont précédé et à la reconstruction qui s’est opérée. Dans cet intervalle, la photographie allemande a conquis une indépendance et une reconnaissance grâce à une unité du champ qui a conduit à monter des expositions, élaborer des théories et publier des magazines spécialisés, autant de vecteurs que les photographes de la deuxième moitié des années cinquante vont pouvoir utiliser. La construction de ce champ unifié et autonome qui épousa le destin allemand peut alors être qualifiée de détour salvateur et nécessaire, qui a permis à la photographie allemande d’asseoir sa légitimité, de s’imposer comme un champ culturel, mais surtout de développer des enjeux qui lui étaient propres et restaient indépendants des autres champs artistiques. Ainsi, l’adéquation du champ

55 Pour Hermann Claasen, par exemple, c’est la disparition progressive de la foi en Occident et particu- lièrement dans le Reich allemand qui est à l’origine de ce qui a pu se produire en Allemagne. Le natio- nal-socialisme et la Seconde Guerre mondiale doivent, pour le photographe, être analysés comme les conséquences d’une perte générale de la croyance en Dieu. 56 Au nombre desquels Hermann Claasen, Gesang im Feuerofen, Köln – Überreste einer alten deutschen Stadt (note 12) ; Kurt Schaarschuch, Bilddokument . 1933-1945, Dresde, Dresdner Stadt- Verlag, 1945, et deux ouvrages posthumes : Winfried Ranke, August Sander, Die Zerstörung Kölns, Photographien 1945-46. Mit einem Text von Heinrich Böll, Munich, Schirmer/Mosel, 1985 ; Ludger Derenthal et Ulrich Pohlmann (dir.), Herbert List – Memento 1945, Münchner Ruinen, Munich, Schirmer/Mosel, 1995. 356 Revue d’Allemagne photographique à l’histoire de la jeune république durant les dix premières années n’a pas été synonyme de dépendance, contrairement à ce qui s’était passé pendant la guerre avec les accointances propagandistes, mais lui a permis de conquérir sa liberté (57).

Résumé Dans les premières années de l’après-guerre, le champ de la photographie se construit dans une accointance directe au destin de l’Allemagne. De l’occupation où l’utilisation du médium est avant tout politique au développement économique des années cin- quante, tout dans le domaine photographique semble en faire le miroir à petite échelle de la construction de la République fédérale. Pourtant, à partir de 1955, la photographie vient à critiquer, voire dénigrer, une bonne part des projets qu’elle avait jusque-là défen- dus, démontrant l’autonomie progressive que n’aura de cesse de s’octroyer le médium. La réflexion menée dans cet article s’appuie sur les composantes économiques et théoriques du champ photographique en regard des productions artistiques, sans faire l’impasse sur les livres illustrés (Chargesheimer, Hermann Claasen, Walter Dick) et les expositions importantes de l’époque dont celles de la photokina de Cologne.

Zusammenfassung In den ersten Nachkriegsjahren bildet sich die Fotografie in einem direkten Bezug zum Werdegang Deutschlands heraus. Der gesamte Bereich der Fotografie macht aus dem Medium von der Besatzungszeit an, wo die Fotografie vor allem politisch genutzt wird, über die ökonomische Entwicklung bis hin zur Blüte Anfang der 50er Jahre, eine Spiegelung kleineren Maßstabs des deutschen Wiederaufbaus.Unsere Überlegungen beziehen sich auf den Bereich im Zusammenhang mit den ökonomischen und theore- tischen Komponenten im Blick auf die künstlerischen Produktionen. Wir untersuchen anhand von Bildbänden (Chargesheimer, Hermann Claasen, Walter Dick), bedeutender Ausstellungen jener Zeit – darunter die photokina in Köln

Abstract In the first years after World War II, the photographic field follows the West German destiny. During the occupation, the utilization of this medium is first a political one. Until the economic development, the photographic field seems to be the perfect reflec- tion of the building of the GDR. Though, from 1955, photography begins to critic an important part of what it was fighting for. The medium becomes more independant. This articles try to understand this changement by examinate the economical and theorical components of the photographic field and the illustrate books (Chargesheimer, Hermann Claasen, Walter Dick) and the essential exhibitions like the photokina in Cologne.

57 L’auteur tient à remercier les musées et institutions qui ont bien voulu mettre à sa disposition les reproductions illustrant l’article. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 357 T. 45, 2-2013

Memory-Effekt. Überlegungen zur künstlichen Erinnerung

Michael Lück*

„Ich, Jonathan Meese, die Ameise der Kunst, habe mit Adolf Hitler kein Problem, tut mir leid – vor allen Dingen nicht mit den Abbildungen. In einer Fotografie von Adolf Hitler ist Adolf Hitler gar nicht mehr drin, und in einem Picasso-Bild ist auch Picasso nicht drin. Den kann ich nicht rausdestillieren. Ich kann das Bild nicht zerquetschen und dann kommt Picasso raus oder Adolf Hitler. Is’ ein Bild, ein Abbild, ein Foto.“ Jonathan Meese, Kommentar in der Dokumentation „Jonathan Meese – Eine Ameise der Kunst“, ARD 2008.

1. Geister Im August 2004 erscheint auf dem Cover des deutschen Nachrichtenmagazins Der Spiegel das Konterfei Adolf Hitlers (Abb. 1). Das war längst nicht ungewöhnlich. Zum ersten Mal blickte Hitler im Frühjahr 1964 aus dem roten Wechselrahmen des Spiegels, und bis zum heutigen Tag sind 47 weitere Hitler-Titelbilder hinzugekom- men – wobei 31 davon aus den letzten beiden Jahrzehnten stammen (1). Das ist nicht bloß Erbsenzählerei. Es scheint fast, als leuchte die Physiognomie Hitlers ständig und immer deutlicher im Display des Magazins nach – eine Art Image Persistance wie etwa beim sogenannten LCD-Memory-Effekt, bei dem nach der permanenten Anzeige eines Bilds die durch Spannung erzeugte Lichtdurchlässigkeit der Flüssigkristalle vor allem in hellen Bildpunkten bestehen bleibt, auch wenn die Anregungsspannung, also das aktuelle Bild sich verändert (2). Es kommt zu einer Geisterbild-Störung.

* M. A., Freie Universität Berlin. 1 Vgl. http://www.umblaetterer.de/2010/11/07/hitler-titel-des-spiegel/; http://spiegelstudien.de; Simone Erpel, „Hitler entdämonisiert. Die mediale Präsenz des Diktators nach 1945 in Presse und Internet“, in: Deutsches Historisches Museum (Hg.), Hitler und die Deutschen. Volksgemeinschaft und Verbrechen (Kata- log zur gleichnamigen Ausstellung, DHM Berlin, 15.10.2010 bis 27.2.2011), Dresden, 2010, S. 154-160. 2 Eine andere Image Persistance stellt sich beim Plasmabildschirm ein, wenn die Phosphor-Leuchtstoffe, die im Kontakt mit ionisiertem Gas (Plasma) Licht emittieren, ihre Luminanz durch helle „Dauer- leuchtung“ einbüßen. 358 Revue d’Allemagne

Auch im Durchgang der Hitler-Titelbilder scheint sich eine Art Persistenz einzustel- len, die über das aktuelle Cover hinausgeht und sich dabei ablöst von den jeweiligen Titelstories. Freilich erstreckt sich die Abfolge der Hitler-Bilder des Spiegels, wenngleich beschleunigt seit den 80ern, über Jahrzehnte. Und das Image „zwischen“ oder „unter“ den Bildern bleibt eine Art Metapher für einen diskursiven Effekt, sofern und solange das Intervall der Bilder angefüllt ist mit dem Reden und Schreiben über Vergangenheit.

Der Spiegel 35/2004

2. Treiben im Bildfeld Noch einmal das Spiegel-Cover vom August 2004. Das Entscheidende an diesem Bild blieb bislang unerwähnt. Wir sehen den schweizerischen Schauspieler Bruno Ganz in der Rolle Adolf Hitlers. Es handelt sich um ein Bild aus dem Film Der Untergang von Oliver Hirschbiegel, der am 9. September 2004 in München uraufgeführt wurde. Hitler Memory-Effekt. Überlegungen zur künstlichen Erinnerung 359 als Rolle, als Hauptrolle: für sich genommen ist dieser Umstand 2004 ebenso wenig ungewöhnlich wie ein Hitler-Titelbild des Spiegels. Hirschbiegels Projekt hatte zumin- dest in dieser Hinsicht mit Filmen wie Der letzte Akt von Georg Wilhelm Pabst aus dem Jahr 1955 (mit Albin Skoda als Adolf Hitler) oder The Bunker von George Schaefer aus dem Jahr 1981 (mit Anthony Hopkins in der Hitler-Rolle) unmittelbare Vorläufer. Was nun auf dem Cover von 2004 geschieht, ist, verkürzt gesprochen, dass der Filmframe mit der Bilderkolonne des Nachrichtenmagazins, die Leinwand mit der Titelseite ver- schaltet wird, ohne dass eines von beidem ganz aufgehoben würde. Diese Verschaltung findet zunächst dadurch statt, dass das Filmbild, ausgerichtet am unverwechselbaren roten Rahmen des Magazins, genau den Platz besetzt, den bis dahin die Hitler-Colla- gen, -Zeichnungen oder Archivbilder eingenommen hatten. Darüber hinaus wird diese Umsetzung selbst noch einmal ins Bild hineingeholt. Das ausgewechselte Format des reproduzierten Archivmaterials bleibt im aktuellen Titelbild erhalten, es ist ins linke untere Bildfeld abgerückt worden und steht im Spannungsverhältnis zur Aufnahme im Zentrum. Das fotografische Dokument, schwarz-weiß, zeigt einen direkten Blick Hitlers in die Kamera. Dieser Blick jedoch lässt sich nicht annähern. Die offensicht- lich nachträglich vorgenommene Ausschnittvergrößerung lässt die Fotografie nur noch mehr verrauschen, sodass sich der ein für allemal zeitlich und räumlich fixierte, also historische Platz der Kamera als eine Art Bannkreis bemerkbar zu machen scheint. Der Betrachter bleibt an den historischen Platz und das eingeschriebene Distanzverhältnis gebunden. Demgegenüber weist das farbige, desaturierte Filmbild kein sichtbares Rau- schen auf. Der Blick der Hitler-Figur ist nach innen gerichtet. Das Gesicht im Halbprofil wirkt nah. Die geringe Schärfentiefe der langen Brennweite, der verflachte Raum, lässt das Bild einen Blick realisieren, der, wie von ihm „unbemerkt“, die Distanz zum Ange- blickten, zu Hitler, überspringen konnte. Die Umrissklarheit und Nähewirkung lässt sich jedoch nicht allein auf die Tatsache einer Brennweite zurückrechnen, sie setzt in gewisser Weise auch das andere Bild, das fotografische Dokument voraus. Sie besteht in der Relation, wie sie die Titelseite insgesamt bildet. Die Nähe ist auch die Aufhebung der Distanz in der veränderten Bildräumlichkeit sowie die Aufspaltung der Blickachse in einen versunkenen Blick einerseits und dessen Beobachtung andererseits. Das eine Bild bleibt so im andern enthalten. Diese Anwesenheit in der Unterschiedenheit zeigt sich ganz deutlich. Wir sehen dieselbe Physiognomie: hier wie dort der fallende Mund- winkel, die tiefe Nasolabialfalte, die knollige Nase, die Verschattung der Augenpartie. Und dennoch handelt es sich nicht um eine Reproduktion, um eine Nachstellung dieses einen, ganz bestimmten dokumentarischen Bilds mit seinen spezifischen historischen Informationen, von denen der Zuschnitt auch gar nicht mehr viel übriggelassen hat. Die Menge der Bilder, die an der physiognomischen Gestalt „Hitler“ teilhaben, ist, anders als die der zumindest theoretisch abzählbaren historischen Zeugnisse, unbestimmt. An die Stelle des einen fotografischen Dokuments am Rand desSpiegel -Covers ließen sich grundsätzlich nicht nur weitere zeitgenössische Fotografien, Gemälde, Skulpturen setzen, sondern auch spätere Zeichnungen, Karikaturen, Beschreibungen – oder Coverbilder. Zwar ist das Filmbild, das der Spiegel vom August 2004 zeigt, innerhalb des Filmverlaufs vermutlich narrativ auf ein historisches Ereignis bezogen, doch es referiert visuell nicht auf ein isolierbares historisches Einzelbild. Vielmehr ist es auf ein stets erweiterbares, ein virtuelles Bildfeld bezogen. Indem es seinerseits an der physiognomischen Gestalt 360 Revue d’Allemagne teilhat, ohne ein historisches Bild nachzustellen, ohne also in einer Referenz verankert zu sein, aktiviert es dieses Bildfeld gerade in seiner Erweiterbarkeit. Es ist, wenn man so will: selbst ein Tropfen im Meer auf dem es treibt. Die Frage der „Quelle“ läuft damit ins Leere. Die Aktualität des Bilds besteht in der eigentümlichen Anwesenheit eines immer nur virtuellen Bildfelds, sie besteht nicht im Wiederbringen, im aktualisierenden Zugriff auf ein bestimmtes Bild. Das Spiegel-Cover liefert damit eine recht präzise Analyse des inszenatorischen Grundmusters des Untergangs. Auch er erzeugt, ähnlich der Ausstellungswand im Deutschen Historischen Museum, ein Bildintervall, mit dem sich eine Gleichzeitigkeit gegen das Nacheinander der Bilder, gegen die Zeit des historischen Bezugs und der Auslegung verschiebt. Der Film fängt an mit einem kurzen Ausschnitt aus der Dokumentation Im toten Winkel – Hitlers Sekretärin von André Heller aus dem Jahr 2002. Die Kamera ist unbe- wegt, das Licht wirkt hart, der Kontrastumfang ist gering und die Körnung des Filmma- terials scheint irgendwie grob. Man sieht ein Interview-Setting: Eine ältere Frau sitzt vor einer Bücherwand und redet, sie fokussiert dabei ein Gesprächsgegenüber, das nicht im Bild ist. Die Einstellung scheint bearbeitet, der Ausschnitt ist vergrößert, aufgezogen zu einer fürs dokumentarische Format ungewöhnlichen Nahaufnahme. Tatsächlich gibt es keinerlei Hinweis auf den Ursprung des Bilds, auf die Dokumentation, doch die Spuren der Bearbeitung lassen ganz deutlich den Eindruck entstehen, dass es, von irgendwo, hierher gestellt wurde. Der Film Der Untergang beginnt also, was die Bilder angeht, von vornherein mit einer Umstellung genau dort, wo es eine Referenz hätte geben können. So weiß man zunächst auch nicht, wer die Frau ist. Erst später wird man darauf kommen, dass es sich um Gertrude Junge handelt, geborene Humps, Jahrgang 1920, Hitlers Sekretärin im sogenannten „Führerbunker“ unter der Reichskanzlei in Berlin. Man hört jetzt ihre Stimme im akustischen Vordergrund. Sie spricht von einem jungen Ding, von einem Mädchen, dem sie nicht verzeihen kann. Dann spricht sie nur noch von sich und man merkt: das junge Ding ist sie selbst in der dritten Person. Sie redet von einem Schicksal, das sie vorangetrieben habe, davon, dass sie keine begeisterte Nationalsozialistin gewesen sei. Dann versucht sie, diese scheinbar reflexhafte Apo- logetik wieder zurückzunehmen, indem sie noch einmal beteuert, es falle ihr schwer, sich selbst zu verzeihen. Und dann friert das Bild ein. Die Bewegung endet, bevor es zu einer Montageoperation, einem Schnitt oder einer Blende kommt. Die Bewegung im Bild und die Dauer des Bilds selbst treten auseinander. Die Verzögerung oder Deh- nung des freeze frame hebt ihre Synchronisierung auf. Die ist jedoch entscheidend für den Eindruck eines Nacheinanders, einer Kontinuität. Das bewegte Bild erscheint hier also nicht mehr wie eine Folge der Bewegung im Bild, es behauptet eine eigene Zeit: die Dauer des Frames. Und noch einmal wiederholt sich in dieser Behauptung, in der Differenz von Bewegung und Zeit, der Eindruck, dass das Bild hierher gestellt wurde, dass es nicht identisch ist mit dem Film. Erst jetzt, da die visuelle Bewegung so abrupt aufgehoben wird, stößt man mit den Ohren auf die Musik, deren Bewegung, also der Klang, sich ungehindert fortsetzt. Das Adagio aus stehenden Streichern und hineintropfenden Klavierklängen dominierte von Beginn an den audiovisuellen Zusammenhang, es hatte mit der Einblendung des Titels eingesetzt und war also der Stimme der Frau vorausgegangen. Der Raum, die Frequenz Memory-Effekt. Überlegungen zur künstlichen Erinnerung 361 und die Dauer des Klangs realisierten sich in der Zuschauerwahrnehmung wie das akustische Medium des darauffolgenden Bilds, der Nahaufnahme Traudel Junges. Jetzt löst sich der Klang wieder von diesem Bild ab, und das nächste Bild stellt sich in ihm ein. Der freeze frame geht über in eine Schwarzblende. Die musikalische Dynamik nimmt zu. Dann hebt sich ein knisterndes Geräusch von der Musik ab. Dieses Geräusch wird gewissermaßen zum akustischen Ausgangspunkt des nächsten Bilds. Man sieht zunächst nur einen kleinen Lichtpunkt, so vereinzelt und flackernd wie das Geräusch – eine Art synästhetische Homologie. In der Aufblende erweist sich der Lichtpunkt dann als Schein einer Taschenlampe in der Hand eines Soldaten. Schwaches Licht fällt auf ihn und auf eine Gruppe von Frauen, die sich aus einem tiefschwarzen Hintergrund auf die Kamera zu bewegen. Das knisternde Geräusch dehnt sich in der Bewegung der Auf- blende aus, es wird in dieser Erweiterung gleichsam diegetisch, es wird auf das gegen- ständliche Bild gespannt und verändert sich dabei zur Kenntlichkeit: zum Rascheln von Laub. Als eine der Frauen (gespielt von Alexandra Maria Lara) sich ins Format einer Nahaufnahme hinein der Kamera genähert hat, wird ihr Gesicht durch eine neue helle Lichtquelle angestrahlt. Sie erschrickt wie von einem Blitzlicht überrascht. Die gesamte Sequenz, von der Titeleinblendung bis zum Schlaglicht auf die Schau- spielerin Alexandra Maria Lara, lässt sich nicht als eine Rückblende beschreiben. Zwar wird sie von zwei Einstellungen geklammert, die das Gesicht Traudel Junges mit dem der Schauspielerin verknüpfen, doch wirkt die erste dieser Einstellungen von vorn- herein wie versetzt. Sie verweist ihrerseits auf ein unausgemachtes Irgendwoher und schiebt sich zwangsläufig als Anfang oder Bezugspunkt der späteren Einstellung auf. Die Sequenz stellt kaum eine narrative Aktualisierung dar. Vielmehr entspricht sie einer musikdramaturgischen Operation. Tatsächlich bildet die Musik hier jene Zeit- schicht, auf der die Bilder in ein Nebeneinander geraten. Es ist die Musik, mit der sich, abgelöst von der Bewegung im Bild, die Dauer des freeze frames verbindet. Als Klang realisiert sich diese Dauer sinnlich in der Zuschauerwahrnehmung, und im Klang geht sie schließlich auf. Und es ist die Musik, aus der heraus sich dann, wie beschrieben, die nächste Einstellung zunächst als Vergegenständlichung eines Knisterns entwickelt. Es gibt keinen Nullpunkt der Erzählung in der Zeit der Musik, und sie trägt keine historische Signatur. Alles beginnt, wagnerianisch, aus dem unsichtbaren Orchester- graben (3). So sind die Worte Traudel Junges, die sich zudem selbst in eine Erste und eine Dritte Person aufzulösen scheint, gleichermaßen als Erzählinstanz wie als his- torisches Zeugnis aufgehoben. Die Sequenz setzt demnach keinen autobiografischen Erzählmodus in eine audiovisuelle Struktur von Erinnertem um. Vielmehr bildet sie jene Art von Tableau vor, das die Inszenierung des Untergangs kennzeichnet. In ihm realisiert sich keine Perspektive, die an ein erinnerndes, sich selbst histo- risch auslegendes Subjekt gebunden wäre. Wie das fotografische Dokument auf dem Spiegel-Cover vom August 2004 stellt der ebenfalls nachbearbeitete dokumentarische Ausschnitt zu Beginn des Films keinen Referenzpunkt dar. Er bringt das immer erwei- terbare, virtuelle Feld der Bilder, Töne, Texte in Spiel, dessen Anwesenheit der Film

3 Vgl. hierzu Friedrich Kittler, „Weltatem. Über Wagners Medientechnologie“, in: Ders., Manfred Schneider, Samuel Weber (Hg.), Medien (Diskursanalysen 1), Opladen, Westdeutscher Verlag, 1987, S. 94-107. 362 Revue d’Allemagne gebildet haben wird – eben jene Art Anwesenheit, wie sie für die Anfangssequenz allein in der Zeit der Musik zwischen der eingefrorenen Nahaufnahme Traudel Junges und der Schockstarre im Gesicht Alexandra Maria Laras besteht. Zu den Bildern, Tönen, Texten im virtuellen Feld gehört Traudel Junges Zeugnis, das sie kurz nach Kriegsende verfasste, ebenso wie die Aussagen, die der amerikanische Richter Michael Angelo Musmanno im Rahmen der Nürnberger Nachfolgeprozesse sammelte und 1950 unter dem Titel Ten Days to Die herausgab (4). Das Buch Der Unter- gang des Hitler- und Albers Speer-Biografen Joachim Fest gehört dazu und die Artikel des Spiegels aus den 1990er Jahren, die vom Berliner „Führerbunker“, von den „letzen Tagen“ des „Tausendjährigen Reichs“ und vom Verbleib der Hitlerleiche berichten. Ihr Bildmaterial, die Skizzen und Grafiken wirken fast wie das storyboard des Films (5). Und es gehören auch die Archivbilder dazu, wie sie problemlos über youtube abgerufen werden können – etwa die Aufnahmen der 755. Deutschen Wochenschau vom März 1945 (6). In der Gegenüberstellung von Abb. 2 wirken diese Aufnahmen zunächst wie das Ausgangsmaterial der Filmbilder. Man sieht eine Szene aus dem ersten Drittel des Films: Hitler steigt aus dem Bunker nahe der Reichskanzlei und verleiht Orden an die Berliner „Hitler Jugend“. Und dennoch geht das, was man in dieser Szene hört und sieht, nicht auf in einer Aktualisierung der Bilder der letzten Deutschen Wochenschau, die von diesem Ereignis berichten. Die Instabilität und das Schwanken des Bildrah- mens, Kennzeichen einer Handkamera, setzt sich von der Reinszenierung der Eigen- schaften des historischen Bilds ab (7). Die Handkamera erscheint selbst im verwackelten Bild. Unabhängig von jeder handlungslogischen Plausibilisierung ihres Erscheinens hört sie damit für die Zeit des Bilds auf, die Voraussetzung oder der Ausgangspunkt eben dieses Bilds und seiner Eigenschaften zu sein. Das Bild selbst verschiebt diese Eigenschaften gegen einen historischen Ursprung und setzt sie gewissermaßen frei. So können sie sich einerseits sehr deutlich mit dem Schauspiel Bruno Granz verbinden, mit dem Schwanken und Zittern, dem Leiden der Hitlerfigur. Andererseits erzeugen sie zugleich eben jene Virtualität, in der sich der Platz des einen Wochenschau-Bilds zu einem unabschließbaren Feld erweitert. In diesem Feld liegen auch die Beschreibungen des „Untergang[s] der Reichshaupt- stadt in drei Akten“, wie sie etwa Theodor Plivier in seinem Roman Berlin aus dem Jahr 1954 vorgelegt hat (8). Anwesend sind solche literarischen Stadtbilder nicht als Nachstel- lung eines bestimmten Texts, sondern, wie hier, als Hall, im Geräusch des entfernten

4 Traudel Junge, Melissa Müller, Bis zur letzten Stunde. Hitlers Sekretärin erzählt ihr Leben, Berlin, Claas- sen verlag, 2004; Michael A. Musmanno, In zehn Tagen kommt der Tod, München, Droemer, 1950. 5 Joachim C. Fest, Der Untergang. Hitler und das Ende des Dritten Reiches, Berlin, Alexander Fest, 2002; Anonymus, „Hitlers letzte Reise. Neue Thesen des Moskauer Historiker Lew Besymenski über den Tod des Führers und den Verbleib der Leiche“, Der Spiegel, 32 (1992); Anonymus, „Hitlers Höl- lenfahrt“, Der Spiegel, 14 (1995); Anonymus, „Hitlers Höllenfahrt II“, Der Spiegel, 15 (1995). 6 http://www.youtube.com/watch?v=pEEHopx7Qpg. 7 Vgl. zum Re-enactment Robert Burgoyne, „Introduction: re-enactment and imagination in the his- torical film“, Leidschrift, 24 (2009), H. 3, S. 7-18. 8 Manuel Köppen, „Die letzten Tage des Reiches: Von Theodor Plieviers Roman Berlin zu Oliver Hirsch- biegels Film Der Untergang“, in: Lars Koch, Marianne Vogel (Hg.), Imaginäre Welten im Widerstreit. Krieg und Geschichte in der deutschsprachigen Literatur seit 1900, Würzburg, Königshausen und Neu- mann, 2007, S. 304-319, 306. Memory-Effekt. Überlegungen zur künstlichen Erinnerung 363

2.1: Der Untergang, D 2004, Oliver Hirschbiegel 2.2: 755. Deutsche Wochenschau, 22. März 1945

2.3: Der Untergang, D 2004, Oliver Hirschbiegel 2.4: 755. Deutsche Wochenschau, 22. März 1945

2.5: Der Untergang, D 2004, Oliver Hirschbiegel 2.6: 755. Deutsche Wochenschau, 22. März 1945

Geschützlärms, der die Szene in ihrer gesamten Dauer überwölbt. Der akustische Raum macht die Stadtbeschreibung sinnlich anwesend, ohne ein bestimmtes Bild zu aktuali- sieren. Er ist in ähnlicher Weise gegen einen literarischen Ursprung verschoben, wie die instabile Kadrierung gegen eine historische Bildquelle. Wie sie erzeugt er ein virtuelles Feld und verbindet sich, als dessen Resonanzraum, zugleich mit dem Schauspiel. In dieser Verbindung bildet die Szene ein Ausdrucksgefüge, das nicht als Auslegung eines bestimmten Bilds und seiner historischen, etwa propagandistischen Funktion oder eines bestimmten Texts verankert ist. Und es ist die Verlaufsform dieses treibenden Ausdrucksgefüges, nicht die dokumentierende oder fiktionalisierende Nacherzählung längstens bekannter historischer Ereignisse, die die Dramaturgie des Films Der Unter- gang prägt. Am Schauspiel Bruno Ganz entfaltet sich dieses Gefüge am deutlichsten. 364 Revue d’Allemagne

Das heißt aber auch, dass dieses Schauspiel, selbst gewissermaßen ursprungslos, ans virtuelle Feld verweist. Es lässt sich auf keinerlei symbolische Beziehung festlegen, etwa in dem Sinne, dass die Darstellung von Hitlers Gebrechlichkeit in einem Verhältnis stehe zu einem bestimmten Stadtbild, d.h. Kriegszustand Berlins und des Deutschen Reichs oder dass sie der Wirklichkeit, der Person hinter den Propagandabildern ent- spreche (9). Vielmehr kann sich das viel beachtete Schauspiel nur genau in dem Maße so sehr entfalten, wie es eben keine historische Auslegung mehr ist. Wenn Klaus Theweleit schreibt: „Je besser Bruno Ganz spielt, desto schlimmer“, registriert er kritisch genau diese Spannung zwischen ursprungslosem Ausdrucks- gefüge und historischem Urteil, mit anderen Worten: die geisterhafte Gestalt des Films (10). Mit Blick auf das, was derzeit in den Begriffen Erinnerungskultur und Mediengedächtnis beschrieben wird, zeigt sich, dass die Möglichkeit dieser Spannung nicht erst durch den Film selbst hergestellt wird und in welchem Verhältnis sie zum Umstand historischer Identität steht.

3. Künstliche Erinnerung Filme wie Der Untergang, Ausstellungen wie Hitler und die Deutschen lassen sich, zumindest probeweise, auf etwas beziehen, wofür seit den 1990er Jahren der Begriff „Erinnerungskultur“ geprägt worden ist (11). Die Erinnerungskultur umfasst, nach einem Vorschlag von Christoph Cornelißen, „alle denkbaren Formen der bewussten Erinne- rung an historische Ereignisse, Persönlichkeiten und Prozesse […], seien sie ästheti- scher, politischer oder kognitiver Natur“ (12). Darüber hinaus bezeichnet das Stichwort jedoch auch einen spezifischen historischen Umstand. Demnach sind es Formen des Erinnerns, als die sich das politische, historische und auch das ästhetische Wahrneh- men und Urteilen nach dem Zweiten Weltkrieg zu realisieren beginnt. Die Museali- sierung, also genau das, was seit 1987 im Deutschen Historischen Museum geschieht, wird beispielsweise in diesem Zusammenhang diskutiert (13). Zugleich verzeichnet das

9 „Hitler als Mensch“ wurde zum Topos der Diskussion des Films in der deutschen Presse. Vgl. bspw. Andreas Kilb, „Die Ungeheuer mit dem menschlichen Zug. Der „Untergang“ und andere deutsche Filme in Australien“, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 12.05.2005; Peter Becker, „Erfolg des ‚Unter- gangs‘. Mensch Hitler“, Der Tagesspiegel, 17.10.2004; Josef Früchtl, „Hitler als einer von uns. Mensch- sein im ‚Untergang‘“, Frankfurter Rundschau, 24.09.2004; Harald Wenzel, „Der erratische Führer. In ‚Der Untergang‘ wird Hitler zum tragischen Helden“, Frankfurter Rundschau, 18.09.2004. 10 „Chronik der laufenden Untergänge. Klaus Theweleit über das ‚Hitler-Phänomen‘, politischen Revi- sionismus, die Guido-Knopp-Ästhetik und über einen Film, den er nicht gesehen hat. Gespräch zwi- schen Klaus Theweleit und Michael Girke“, Freitag, Nr. 46, 5.11.2004. Vgl. auch Klaus Theweleit, „‚Der Untergang‘ und andere Katastrophen. Gespräch mit Michael Girke“, in: Ders., Friendly Fire. Deadline-Texte, Frankfurt am Main/Basel, Stroemfeld, 2005, S. 389-409. 11 Aleida Assmann, Der lange Schatten der Vergangenheit. Erinnerungskultur und Geschichtspolitik, Mün- chen, C. H. Beck, 2006; Christoph Cornelissen, „Was heißt Erinnerungskultur? Begriff – Methoden – Perspektiven“, Geschichte in Wissenschaft und Unterricht, 54 (2003), S. 548-563. 12 Christoph Cornelissen, „Erinnerungskulturen, Version: 2.0“, Docupedia-Zeitgeschichte, 22.10.2012, URL: https://docupedia.de/zg/Erinnerungskulturen_Version_2.0_Christoph_Corneli.C3.9Fen?oldid=84892. 13 Vgl. Wolfgang Zacharias, „Zeitphänomen Musealisierung“, in: Ders. (Hg.), Zeitphänomen Muse- alisierung. Das Verschwinden der Gegenwart und die Konstitution der Erinnerung, Essen, Klartext, 1990, S. 9-30. Vgl. zur Kontroverse um das DHM, die Teil des sog. „Historikerstreits“ wurde, Christop Stölzl (Hg.), Deutsches Historisches Museum. Ideen – Kontroversen – Perspektiven, Berlin (West), Memory-Effekt. Überlegungen zur künstlichen Erinnerung 365

Stichwort den Eingang des Begriffs „Erinnerung“ in die historische Forschung, wo er einen erfahrungsgeschichtlichen Zugriff auf das Verhältnis zwischen Identitäten und der politischen Gemeinschaft der Nation ermöglichen soll (14) – auch und gerade übers Zeitalter der europäischen Nationalstaatsbildung hinaus. Denn eben auch das registriert das Stichwort der Erinnerungskultur: eine Globalisierung der Erinnerung nach 1945 (15). Am Ungeheuren des Holocaust, des millionenfachen Mords an den europäischen Juden, bietet die Vergegenwärtigung der eigenen Nationalgeschichten, der politischen, sozia- len, wirtschaftlichen, kulturellen Strukturen, keine ausreichende Orientierung mehr. Obgleich ein Ereignis in der Geschichte, erweist sich der Holocaust in diesem Sinne als historisch uneinholbar, als singulär. Aus eben diesem Grund lässt er sich auch über zeitliche und räumliche Grenzen, über Generationen und Staaten hinweg übertragen, sodass grundsätzlich überall auf der Welt Holocaustgedenkstätten entstehen können und die Erklärung, dass sich Auschwitz niemals wiederholen dürfe, nicht notwendig mit der Verantwortung vor der spezifischen Geschichte des eigenen Landes begründet wird, sondern mit der Verpflichtung gegenüber der universellen Menschenwürde. Der Holocaust verweist durch seine historische Unbestimmbarkeit hindurch als Grenz- fall von Nationalgeschichte offensichtlich auf eine andere Geschichte, eine Menschlich- keitsgeschichte, wenn man so will. Vor ihrem Hintergrund erst wird er als das historische Ereignis kenntlich, das er zweifellos ist. Der Begriff der Erinnerung bezeichnet ganz ein- fach den anderen Zugriff, den diese spezifische historische Ereignishaftigkeit verlangt. In dieser Ereignishaftigkeit ist das Universelle unmittelbar mit dem Individuellen verknüpft, das Globale der Menschlichkeitsgeschichte mit einzelnen Handlungen, die in einer politischen System-, einer Sozial- oder Gesellschaftsgeschichte kaum abzubilden wären. Das Überschreiten der Nationalgeschichten durch das gleichwohl historische Ereignis des Holocaust lässt, nach einer Überlegung Wolfgang Hardtwigs, eine andere Dimension historischer Wirklichkeit kenntlich werden: die persönliche Entscheidung in ihrem Verhältnis zu Klugheit und Gewissen, zum gesunden Menschenverstand (16). Auch diese Art des Persönlichen verzeichnet das Stichwort der Erinnerungskultur, denn die persönliche Entscheidung schreibt nicht Menschlichkeitsgeschichte, so wie die his- torische Persönlichkeit in Politik, Kultur und Technik Geschichte schreibt, sondern sie wird als Erinnerung festgehalten und weitergegeben, eben erinnert. So verstanden mar- kiert der Begriff der Erinnerung möglicherweise auch eine Differenz zum Schreiben als Darstellungs- oder gar Bewegungsform, als Möglichkeitsbedingung von Geschichte (17).

Propyläen, 1988; Jürgen Kocka, „Ein chronologischer Bandwurm. Die Dauerausstellung des Deut- schen Historischen Museums“, Geschichte und Gesellschaft, 32 (2006), S. 398-411. 14 Hierzu grundlegend: Thomas Nipperdey, „Nationalidee und Nationaldenkmal in Deutschland im 19. Jahrhundert“, Historische Zeitschrift, 206 (1968), S. 529-585. 15 Vgl. Daniel Levy, Natan Sznaider, Erinnerung im globalen Zeitalter. Der Holocaust, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2001. 16 Vgl. Wolfgang Hardtwig, „Von der ‚Vergangenheitsbewältigung‘ zur Erinnerungskultur. Vom Umgang mit der NS-Vergangenheit in Deutschland“, in: Thomas Hertfelder, Andreas Rödder (Hg.), Modell Deutschland. Erfolgsgeschichte oder Illusion?, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2007, S. 171-189, hier S. 187. 17 In diesem Sinne Vilém Flusser, Die Schrift, Frankfurt am Main, Fischer, 1992, S. 11f.: „Die Schrift, dieses zeilenförmige Aneinanderreihen von Zeichen, macht überhaupt erst das Geschichtsbewußt- sein möglich. […] [V]or der Erfindung der Schrift ist nichts geschehen, alles hat sich nur ereignet. 366 Revue d’Allemagne

Wo nun Erinnerung Teil der nationalen Identität wird (18), beginnt sich die Frage der Identität von Nationalgeschichten zu lösen, ohne dabei außerhalb historischer Wirk- lichkeit zu geraten. Das Stichwort der Erinnerungskultur verzeichnet schließlich auch die Integrationsschwierigkeiten für die politische Gemeinschaft, die sich daraus erge- ben. Der Historiker Tony Judt etwa spricht mit Blick auf die ehemaligen kommunis- tischen Länder Osteuropas in diesem Zusammenhang von einer „Politik der bitteren Erinnerungen“ und einer „kompensatorischen Überfunktion des Gedächtnisses“, mit der nach 1989 eine Zeit „vorsätzlicher Amnesie“ zu Ende gehe (19). So komplex die Signatur der Erinnerung dem Begriffsgebrauch nach ist, schiebt sich mit ihr doch sehr deutlich die Frage nach dem Was der Geschichte in die Frage nach dem Wie von Geschichte. Wie ist ein Gedächtnis organisiert, mit dem das Persönliche und Individuelle und das Globale und Universelle Aspekte ein und desselben Zugriffs sind? Wie ist ein Gedächtnis organisiert, mit dem sich, möglicherweise nicht mehr in Form geschriebener Geschichte, eine andere historische Ereignishaftigkeit abbil- den lässt, ein Gedächtnis, das quer steht zur Aufteilung in Alben privater Erinnerung einerseits und das nationale Schulbuch-Gedächtnis andererseits? Nimmt man es wörtlich mit der Erinnerungskultur, dann ist hier vom Erin- nern als einer Kulturtechnik die Rede. Die bloße Psychologie oder Anthropologie des Gedächtnisses steht damit grundsätzlich zur Diskussion. Während Modelle kultureller Repräsentation ein gewissermaßen „natürliches“ Erinnern vorausset- zen, indem nach der immer nur „symbolischen Ausdehnung“ des „individuellen Erfahrungsgedächtnisses“ (20) gefragt wird, und Literatur, Film, Denkmalskunst etc. als Medien eines voraus liegenden Gedächtnisses angesprochen werden, als Gedächt- nismedien (21), wird das Erinnern in der Perspektive der Kulturtechnik „aus dem anth- ropozentrischen Ursprung herausgerückt“ und in seiner historischen und materiellen Bedingtheit beschreibbar – als Realität eines Mediengedächtnisses (22).

[…] Geschichte ist eine Funktion des Schreibens.“ Erinnern verweist in diesem Sinne auch auf den Untertitel des Buchs: Hat Schreiben Zukunft? 18 Vgl. etwa die Rede des ehemaligen deutschen Bundeskanzlers Gerhard Schröder zur Gedenkveran- staltung des Internationalen Auschwitz Komitees aus Anlass des 60. Jahrestages der Befreiung des Konzentrationslagers Auschwitz am 25. Januar 2005 in Berlin. URL: http://archiv.bundesregierung. de/Content/DE/Archiv16/Artikel/2005/01/2005-01-25--die-nazi-ideologie-war-menschengewollt- und-menschengemacht-.html 19 Tony Judt, Geschichte Europas von 1945 bis zur Gegenwart, Franfurt am Main, Fischer, 2009, S. 959, hier S. 965. 20 A. Assman, Der lange Schatten der Vergangenheit (Anm. 11), S. 210. 21 Literatur als Gedächtnismedium bei Astrid Erll, Gedächtnisromane: Literatur über den Ersten Welt- krieg als Medium englischer und deutscher Erinnerungskulturen in den 1920er Jahren, Trier, Wissen- schaftlicher Verlag, 2003. 22 Bernhard Siegert, hier im Bezug auf die Kulturtechnik des Entwerfens: „Weiße Flecken und finstre Herzen. Von der symbolischen Weltordnung zur Weltentwurfsordnung“, in: Daniel Gethmann, Susanne Hauser (Hg.), Kulturtechnik Entwerfen. Praktiken, Konzepte und Medien in Architektur und Design Science, Bielefeld, Transcript, 2009, S. 19-47, hier S. 21. Vgl. im Bezug aufs Erinnern bereits Friedrich Kittler, „Vergessen“, in: Ulrich Nassen (Hg.), Texthermeneutik. Aktualität, Geschichte, Kritik, Paderborn, München, Schöningh, 1979, S. 195-221, hier S. 197: „Die Frage ist, wo und wie die Gedächtnisse funktionieren, die die Philosophie ‚dem Menschen‘ zuschrieb.“ Memory-Effekt. Überlegungen zur künstlichen Erinnerung 367

Es sind, wenn man so will, für die Gegenwart vor allem elektronische Bedingthei- ten, die auf den Wandel der historischen Ereignishaftigkeit nach 1945 treffen. Im elek- tronischen Mediengedächtnis realisiert sich ein globaler Zugriff etwa auf Zeugnisse individuellen Handelns, aufs Persönliche also, ohne dass dieses bereits eingeschrieben wäre in eine Geschichte. Und der persönliche Zugriff auf dieses Gedächtnis ist nicht an die historisch-politischen Grenzen eines nationalen Interessenraums gebunden. Das Gedächtnis entspricht also weder der Verkörperung einer individuellen Erfahrung als historische Erfahrung (23) noch der Aktualisierung eines offiziellen Geschichtsbilds. Es handelt sich gewissermaßen um ein ganz und gar flaches Gedächtnis, aus dem sich Geschichte allererst als eine Verknüpfung abhebt. Genau auf diesen Umstand scheint eine Installation wie die des Jahres 2011 im Deutschen Historischen Museum bezo- gen. Spiegel-Covers aus fünf Jahrzehnten, die in ihrer jeweiligen Aktualität einmal Politik und Zeitgeschichte kommentierten, geraten in eine neue, tatsächlich flache Anordnung. Während die Installation eine Geschichte zeigt, in der Hitler als ständiger Bezugspunkt des Redens und Schreiben über deutsche Vergangenheit und Gegenwart deutlich wird, stellt sich in ihr zugleich ein Effekt ein, der ebenauch spezifisch scheint für das skizzierte Mediengedächtnis. In dem Maße, wie der Ausgangspunkt der Ver- knüpfungen, in diesem Falle ganz einfach die „Hitler-Hitler-Hitler…“-Reihe, sich selbst in die Fläche auflöst und, ganz wie beim Memory-Effekt, ihre Dauer annimmt, wandelt sich die Geschichte in ein Geisterbild. Ein Film wie Der Untergang begibt sich im historischen Sujet direkt zurück auf seine eigene Bedingung – diejenige nämlich, unter der sich die historische Ereignis- haftigkeit zu verändern beginnt. Scheint es doch, besonders am tragenden Schauspiel, offensichtlich, dass das ästhetische Konzept hier auf die Modellierung des Persönli- chen zielt. Doch realisiert sich darin gerade keine auslegende Verknüpfung, durch die auch die Dimension einer Menschlichkeitsgeschichte in die Bildfläche treten würde – jene Dimension, in der der Holocaust als historisches Ereignis aufscheinen kann, und die damit aber ein historischen Urteilenkönnen nach 1945 überhaupt ermöglicht. An die Stelle des auslegenden Bezugs auf diesen Urteilshorizont tritt ganz einfach die Maßgabe der Authentizität. Unter den Bedingungen des Mediengedächtnisses aber, das nichts verkörpert, weder Korpus individueller Erfahrung noch eines nationalen Geschichtsbilds ist, kann Authentizität sich nicht mehr als Nachbildung verwirkli- chen. Vielmehr bedeutet es genau das, was sich am Film beobachten ließ: dass die Modellierung des Persönlichen immer nur an die schiere Ausdehnung des Gedächt- nisses, an ein virtuelles Feld verweist. Das Ausdruckgefüge, das der Der Untergang in seinem filmischen Verlauf zusam- mensetzt, realisiert sich im Zuschauerwahrnehmen als Gestalt eines persönlichen Empfindens, das, streng genommen, keinerlei historischen Sinn hat. Es realisiert sich als Geistererscheinung einer im Nirgendwo des Gedächtnisses gebunkerten Liebe

23 Einen Unterschied zur Aufhebung der Erfahrung in Geschichte markiert der Begriff der Zeugen- schaft. Vgl. Annette Wieviorka,L’ère du témoin, Paris, Hachette, 2002. Die „Ära des Zeugen“, die Zeitzeugengeschichte steht in engem Zusammenhang mit der Entwicklung des Mediengedächtnisses. Zeugnisablegen hat auch einen technischen Sinn. Großprojekte der Oral History, wie beispielsweise Steven Spielbergs Visual History Archive, stellen eine Herausforderung an Speicher- und Verarbei- tungskapazitäten dar, sie erzeugen gleichsam erhöhte Gedächtnisleistungen technischer Medien. 368 Revue d’Allemagne und Verzweiflung. Damit bildet es eine weder fiktive noch bezeugende, sondern eine künstliche Erinnerung, in der, allem Anschein zum Trotz, keine Antworten auf die Fragen der historischen Identität verborgen liegen.

Zusammenfassung Untersucht wird, wie die Wiederholung des Bildes Adolf Hitlers seit 1945 eine Dauer erzeugt, die sich vom historischen Bild oder Dokument ebenso ablöst wie von bestimm- ten aktualisierenden Ikonografien. Am Beispiel des Films Der Untergang (D 2004, Oli- ver Hirschbiegel) wird gezeigt, wie beispielsweise der „Untergang des Tausendjährigen Reichs“ in der Dauer des Hitler-Bilds als etwas scheinbar Zeitloses gegen die Verlaufs- form von Geschichte insistiert. Der Untergang gleicht darin einem Phantasma, das seine Zeit in einer Art Geisterbild „Hitler“ hat. Im Film lässt sich dies als audiovisuelle Gestalt einer geisterhaften Erinnerung analytisch greifbar machen. Der Aufsatz schlägt vor, diesen Zusammenhang mit dem Begriff des Memory-Effekts zu beschreiben.

Abstract The paper examines how the repetition of the image of Adolf Hitler since 1945 pro- duces a duration that differs from the historic image or document as well as from cer- tain politically updated iconographies. Using the example of the movie Downfall (D 2004, Oliver Hirschbiegel) it will be shown that, for example, the «downfall of the Third Reich» through the duration of the Hitler-image insists as something apparently timeless against historical mutability. The Downfallseems like a phantasm that has its time in the ghost image «Hitler.» In the film, this will be made analytically tangible as the audiovisual shape of a ghostly memory. The paper proposes to describe this relationship by the concept of memory effect. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 369 T. 45, 2-2013

Deutschland – ein Sommermärchen? Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke

Urs Urban*

„Anders als sein bleischweres, vom Regen vollgesogenes Vorgängermodell beim ‚Wunder von Bern‘ 1954 hat der EM-Ball 2004 eine nahtlose Oberfläche; das ist eine Spitzenleistung deutscher Materialforschung.“ (Antrittsrede von Bundespräsident Horst Köhler im Deutschen Bundestag am 1. Juli 2004)

Ende Oktober 1843 verlässt Heinrich Heine Paris und macht sich auf den Weg nach Deutschland. Bereits im Jahr darauf erscheint die literarische Transposition dieser win- terlichen Reise, die Heine zunächst nach Hamburg und von dort über Westfalen, Köln und Aachen noch vor Jahresende wieder zurück ins französische Exil geführt hatte. In seinem Wintermärchen vollzieht er die Reise in umgekehrter Richtung, um so zugleich einen historischen Weg abzuschreiten, der ihn an den in besonderer Weise charisma- tisch aufgeladenen Erinnerungsorten des nationalen Gedächtnisses vorbei führt – an der Kaiserpfalz, an der frühgotischen Bauruine am Rhein, am (freilich nur träumerisch imaginierten, weil fernab seiner Route liegenden) Kyffhäuser und an dem noch unvollen- deten Hermannsdenkmal. Entlang dieser Stationen entwirft Heine ein äußerst kritisch perspektiviertes Bild von der deutschen Nation. Der epistemologische Status dieses, wie jeden, Bildes ist prekär – nicht weil das Bild in Bezug auf die ihm vorgängige Faktizität ‚falsch‘ wäre, sondern weil es sich als Bedeutungszusammenhang von dem diesseits des Bildes ohne Zweifel zwar vorhandenen, aber eben bedeutungslosen Seinszusammenhang konstitutiv unterscheidet. Der Gegenstand des von Heine entworfenen Bildes ist indes nicht weniger unsicher als sein epistemologischer Status – ist doch die Nation ihrerseits lediglich eine ‚vorgestellte Gemeinschaft‘, die über die mittels mündlicher Kommuni- kation sich konstituierenden lokalen Bezugsgruppen immer schon hinausweist und in

* Dr. Phil., zur Zeit tätig an der Freien Universität Berlin. 370 Revue d’Allemagne diesem Darüberhinausweisen von den sich ihr zuordnenden Subjekten nur vermittelt über eine medial hergestellte Öffentlichkeit überhaupt als Gemeinschaft vorgestellt wer- den kann (1). Die zu Heines Zeit geläufige Vorstellung von der Nation nun transzendiert zudem die geopolitische Realität eben dieser Zeit – in der es schlicht keinen nach innen irgendwie homogenen und nach außen eindeutig begrenzten Territorialstaat gibt, der die deutschen Lande übergreifen und von zentraler Stelle verwaltet würde. Noch gegen Ende des 18. Jahrhunderts manifestierte sich das Interesse an der Nation allein in kli- matheoretisch inspirierten Spekulationen über den ‚Charakter‘ (oder dann auch, etwa bei Moritz Lazarus oder Wilhelm Wundt: die ‚Psychologie‘) unterschiedlicher, aber in ihrer Pluralität mehr oder weniger gleichwertiger Völker (wobei der Vergleich die Hie- rarchisierung von vornherein nahelegt). Die aufgeklärten und humanistisch gebildeten ‚Literaturmenschen‘ (hommes de lettres) begriffen sich als Bürger einer transnational ver- fassten Gelehrtenrepublik und die stets aufeinander bezogenen Nationalliteraturen als Spielarten einer Weltliteratur, deren deutsche Vertreter in keiner Weise damit haderten, in der Provinz – in Weimar, Jena oder Berlin – zu Hause zu sein (2). Erst Napoleon weckte in Deutschland ein politisches Begehren, das auf die (phantasmatische) Produktion kol- lektiver Identität zielte und so manchen Geistesmenschen dazu veranlasste, sich fortan mit politischen Invektiven gegen die Franzosen um das Vaterland verdient zu machen. Die sich hierbei hervortaten, wandten sich indes an eine Nation, die es allererst zu stiften galt – und zu deren Konstitution sie mit ihren literarisch und philosophisch oft durchaus anspruchsvollen Kampfschriften selbst beitrugen. Denn vor allem Sprache und Litera- tur traten nun in den Dienst dieser Aufgabe und wurden zu den Sinngeneratoren einer Kulturnation, die durch die Monumentalisierung einer mythisch überhöhten (und oft schlicht erfundenen) Geschichte auch im öffentlichen Raum sichtbaren Ausdruck fand. Als Heine seine Reise antritt, ist die ‚thymotische Energie‘ (Sloterdijk), der Fichte, Kleist und Arndt in ihren philosophisch, dramatisch oder lyrisch verfassten Reden an die Nation so hemmungslos freien Lauf ließen (3), nach wie vor nicht verraucht, weil sie

1 Vgl. Benedict Anderson, Die Erfindung der Nation (1983), München, Ullstein, 1998, und, neben vielen anderen, Bernhard Giesen, „Einleitung“, in: Ders. (Hg.), Nationale und kulturelle Identität. Studien zur Entwicklung des kollektiven Bewußtseins in der Neuzeit, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1996. Dass das Vorgestelltsein der Nation das Konzept seiner Effizienz nicht beraubt, ist eine nahe- liegende doch häufig unterschlagene Einsicht, der Philipp Sarasin in seinem Aufsatz nachgeht. Philipp Sarasin, „Die Wirklichkeit der Fiktion. Zum Konzept der ‚imagined communities‘“ (2001), in: Ders., Geschichtswissenschaft und Diskursanalyse, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2003, S. 150-176. 2 Eisenstadt spricht in diesem Zusammenhang von „gesellschaftliche[n] Zentren […], in denen sich die Erlösung von jenen Spannungsverhältnissen [zwischen dem politischen und dem kulturellen Pol kol- lektiver Identitätsbildung] symbolisch und prägnant verkörpern und auf Dauer stellen ließ“. Shmuel Noah Eisenstadt, „Die Konstruktion nationaler Identitäten in vergleichender Perspektive“, in: B. Giesen (Hg.), Nationale und kulturelle Identität (Anm. 1), S. 21-38, hier S. 23. Pascale Casanova, die die These vertritt, die république mondiale des lettres sei lange allein über Paris vermittelt denkbar gewesen, übersieht die Bedeutung dieser Zentren nicht nur für die deutsche Kulturnation, sondern eben auch für die von ihr beschworene Weltgesellschaft der Literatur. Pascale Casanova, La Républi- que mondiale des lettres (1999), Paris, Seuil (essais), 2008. 3 Fichte hält seine Reden an die deutsche Nation zum größten Teil im selben Jahr (1808), in dem Kleist mit der Hermannsschlacht (und einer Reihe von Gedichten) literarisch gegen die Franzosen mobil macht (bei aller notwendigen Differenzierung in der Debatte um diesen Text vermag Barbara Vinken [Bestien. Kleist und die Deutschen, Berlin, Merve, 2011] nicht zu überzeugen, wenn sie seine Lektüre Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke 371 sich weder politisch binden noch in destruktiver Weise freisetzen ließ. Im Rahmen eines prospektiv gewendeten Niederlagenmanagements (4) wird diese Energie daher in anderer Weise produktiv gemacht und in die Reform des Verwaltungs- und Militärwesens sowie den Ausbau von Industrie und Wirtschaft – aber eben auch in die Kultur – investiert. Damit ist der Grund für eine neue Zeit gelegt, die sich als fortschrittsorientierte bür- gerliche Erfolgsgeschichte in einem für den Verkehr von Waren und Geld zunehmend durchlässigen, die Zirkulation von Ideen und die politische Bewegung jedoch streng regulierenden Raum artikuliert (5) – allein die politische Einigung steht noch aus. Auf genau dieses in wirtschaftlich-industrieller, administrativer und militärischer Hinsicht beschleunigte und zugleich politisch, intellektuell, ästhetisch entschleunigte Deutsch- land des Vormärz nimmt Heine in seinem Wintermärchen Bezug (6). Dabei lässt sich sein eigenes Bild der Nation nur ex negativo aus der kritisch-ironischen Darstellung deutscher Befindlichkeiten ableiten – selbst nach nationalen Besonderheiten befragt, kommt ihm lediglich Kulinarisches in den Sinn. Das Selbstbild der Deutschen aber, das er auf seiner Reise erkennen zu können glaubt, speist sich aus einer utopischen Vision, die in eine mythisch verklärte Vergangenheit zurückweist und polemisch gegen andere Stellung bezieht – und die Heine unmissverständlich ablehnt: Er bezeichnet sein Gedicht in einem Brief an Julius Campe, seinen Verleger in Hamburg, daher auch aus- drücklich als „antinazional“ (7). Nur ganz leise klingt dabei ein Subtext an, dem diesseits aller Ironie die melancholische Klage über den persönlichen Verlust einer nie dagewe- senen und ohnehin immer schon unangenehm biedermeierlich eingetrübten Präsenz abzulesen ist – eine stille Sehnsucht nach „Torfgeruch, Tabaksdampf, Lottchen, blauem Rauch, Nachtigalln und Buchenhainen“ (8). In erster Linie aber erlebt der Reisende sein Vaterland als gänzlich affiziert von einem klerikal und militaristisch gefärbten chau- vinistischen Dünkel: Es ist für ihn vom ersten Schritt über die Grenze an mit ‚Kot‘ besetzt – mit dem dreckigen Schlamm seiner Straßen und letztlich gar mit den Fäkalien

als politische Allegorie kurzerhand verwirft); Arndt legt ab 1813 zahlreiche Schriften ‚für das deutsche Volk‘ (pro populo germanico) – und gegen die Franzosen – vor. 4 Vgl. Urs Urban, „Die Funktion des Epischen für die Bewältigung kollektiver Niederlagen in der deut- schen und französischen Literatur des 19. Jahrhunderts“, in: Charlotte Krauss, Thomas Mohnike (Hg.), Auf der Suche nach dem verlorenen Epos. Ein populäres Genre des 19. Jahrhunderts, Berlin, LIT, 2011, S. 15-37. 5 Die Koordinaten dieses mehrfach kodierten Raumes werden polizeilich und ökonomisch abgesteckt vom Deutschen Bund (1815) und vom Zollverein (1834). 6 Deutlich etwa Heine (Heinrich Heine, Deutschland. Ein Wintermärchen [1844]), Frankfurt am Main, Insel, 2005, S. 17). 7 Brief vom 14. September 1844 (zitiert nach Thomas Rosenlöcher, „Barbarossas Wiederkehr. Nach- wort zu Heines ‚Wintermärchen‘“, in: H. Heine, Deutschland. Ein Wintermärchen (Anm. 6), S. 106. Diese ‚antinazionale‘ Tendenz ist von der ersten Zeile an nicht zu übersehen – und wird wiederholt ausdrücklich benannt: „Fatal ist mir das Lumpenpack, / Das, um die Herzen zu rühren, / Den Patrio- tismus trägt zur Schau / Mit allen seinen Geschwüren“ (H. Heine, Deutschland. Ein Wintermärchen [Anm. 6], S. 78). Man muss Heines Text schon perfide umdeuten, will man, wie Matthias Matussek, dem Spott ein positives Nationalgefühl abringen. Vgl. Matthias Matussek, Wir Deutschen. Warum die anderen uns gern haben können, Frankfurt am Main, Fischer, 2006, S. 50ff. Matusseks Buch, das im Untertitel verspricht zu erklären, „warum uns die anderen gern haben können“, erschien im für den neuen deutschen Nationalismus so entscheidenden Jahr 2006 – dem Jahr des ‚Sommermärchens‘. 8 Vgl. H. Heine, Deutschland. Ein Wintermärchen (Anm. 6), S. 77. 372 Revue d’Allemagne einer Göttin, die den locus in allen seinen Bedeutungen repräsentiert. Die Zukunft, die er aus diesen Rückständen herausliest, ist eine katastrophische – weil abzusehen ist, wohin die revanchistisch aufgeladene Sehnsucht nach politischer Kompensation eines vom ökonomischen Erfolg letztlich nur notdürftig verdrängten Entfremdungs- und Verlusterlebnisses führt. Als 30 Jahre nach Heines Reise die politische Einigung des Reiches schließlich hergestellt wird, zeigt sich, wie recht er mit seiner Prognose hatte: Die Geburt der deutschen Nation vollzieht sich im Geiste der Gewalt, einer Gewalt, die sich nach außen gegen die Franzosen und nach innen zunehmend gegen die Juden rich- tet – denen „die Bürgerrechte zu geben“ schon Fichte kein anderes Mittel sah „als das, in einer Nacht ihnen allen die Köpfe abzuschneiden, und andere aufzusetzen, in denen auch nicht eine jüdische Idee sei“ (9). Die deutsche Nation verdankt sich mithin dem Krieg gegen den äußeren und inneren Feind und internalisiert alsdann diese Logik, die zwei weitere Kriege hervorbringt – deren letzter die Idee der Nation als Grundlage der politischen Gemeinschaft endgültig diskreditiert. Sollte man meinen… Eine vom Krieg determinierte Gesellschaft ist darauf angewiesen, eindeutig und in der Regel eben gewaltsam zu unterscheiden zwischen dem Eigenen und dem Anderen und mithin „zwischen dem, was leben, und dem, was sterben muß“ (10) – ihre Logik ist eine biopolitische. Die biopolitisch verfasste Macht schreibt sich unmittelbar in den Leib des Subjekts ein, das auf diese Weise allererst zu sich kommt und als Subjekt hand- lungsfähig wird. In einer kriegerisch determinierten Gesellschaft gehört die wehrhafte Ertüchtigung des Körpers (Leibeserziehung) zu den zentralen Dispositiven der Macht. Biopolitik ist mithin auf den Sport angewiesen (11) – der in letzter Konsequenz immer schon Wehrertüchtigung ist. Niemand wusste das besser als Friedrich Ludwig Jahn, der in seiner Deutschen Turnkunst feststellt, die „heiligste Pflicht des Turners sei es, ‚ein deutscher Mann zu werden […], um für Volk und Vaterland kräftig zu würken, unsern Urahnen den Weltrettern ähnlich‘“ (12). Das Turnen lässt sich daher als ein „nationa- les Kommunikationssystem“ begreifen, „das am Körper ansetzt, sich in Haltung und Bewegung verkörpert und zahlreiche Symbole, Rituale und Inszenierungen sowohl zur Verstärkung des Wir-Gefühls als auch zur Außendarstellung und zur Propaganda der Turner entwickelt hat“ (13). Nun ist Fußball nicht das Selbe wie Turnen. Er taucht, erstens, viel später auf – zu einem Zeitpunkt, als die politische Einigung der deutschen Nation bereits abgeschlos- sen und die wehrhafte Ertüchtigung im Namen der Nation nicht mehr im gleichen

9 Was Fichte schreibt, ist durchaus ambivalent, darum jedoch nicht weniger problematisch – vor allem weil er verkennt, dass mit der Aberkennung der Bürgerrechte eben gerade das Menschenrecht in Frage steht. Vgl. vor allem Johann Gottlieb Fichte, „Beiträge zur Berichtigung der Urtheile des Publicums über die französische Revolution“ [1793], in: Immanuel Hermann Fichte (Hg.), Johann G. Fichte. Werke, Bd. 6: Zu Politik und Moral, Berlin, de Gruyter, 1971, S. 37-288, hier S. 191-193. 10 Vgl. Michel Foucault, In Verteidigung der Gesellschaft (1996), Frankfurt am Main, 1999, Suhrkamp, S. 301. 11 Vgl. Urs Urban, „Homo athleticus et homo sacer. Le corps sportif et la production biopolitique du sujet chez Georges Perec, Philippe Grimbert et dans un roman de Michel Tournier qui n’a jamais été écrit“, in: Maciej Forycki (Hg.), Jeux et sports de la Renaissance à nos jours, Poznàn, 2013 (à paraître). 12 Vgl. Gertrud Pfister, „‚Frisch, fromm, fröhlich, frei‘“, in: Étienne François, Hagen Schulze (Hg.), Deutsche Erinnerungsorte, Bd. 2, München, Beck, 2003, S. 201-219, hier S. 203. 13 Ebd., S. 202. Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke 373

Maße notwendig scheint wie in der Zeit von den Freiheitskriegen bis zum deutsch- französischen Krieg (14). Zweitens und vor allem aber funktioniert er anders, weil es beim Fußballspiel nicht, oder nur am Rande, um die Disziplinierung individueller Körper geht, sondern um den sportlichen Wettstreit zweier Mannschaften, die im Innern auf erfolgreiche Kooperation angewiesen sind, und die sich nach außen in der Regel lediglich aufgrund ihrer regionalen Herkunft voneinander unterscheiden. Nur in Ausnahmefällen treten sie als Repräsentanten unterschiedlicher Nationen gegeneinan- der an – in diesem Moment allerdings kommt das Nationale unweigerlich und massiv mit ins Spiel. Seine zeitlichen und räumlichen Koordinaten werden abgesteckt vom regelmäßig wiederholten Ereignis der Fußballweltmeisterschaft. Die Rede vom „Fest der Völker“ (15) vermag nicht darüber hinwegzutäuschen, dass hier Differenzen entlang nationaler Identitäten konstruiert, mit Bedeutung ausgestattet und bewertet werden: Anders als etwa in der Champions-League sind die Spieler unterschiedlicher Nationa- lität hier nicht gemeinsam in den Mannschaften vertreten, sondern treten eben in aus den Staatsbürgern jeweils nur einer Nation gebildeten Formationen gegeneinander an. Die Notwendigkeit möglichst eindeutiger Zuordnung führt dabei regelmäßig zu Dis- kussionen über die nationale Zugehörigkeit bestimmter Spieler (die in schönster Weise dekonstruiert wird, wenn, wie im Fall der Brüder Boateng, Mitglieder der selben Fami- lie für unterschiedliche Nationen antreten). Der Fußball wird auf diese Weise zu einem „Zugehörigkeitsgenerator“ (16) oder zu einer „Kulturmaschine“, die an der (medialen (17)) Produktion nationaler Identität beteiligt ist – und das scheint vor allem dann besonders wichtig für die politische Gemeinschaft zu sein, wenn Identitäten in unterschiedlicher Hinsicht radikal in Frage stehen; in einem Zeitungsartikel schreibt die argentinische Kulturtheoretikerin Beatriz Sarlo im Jahr 1998 unter dem Titel Eine Gemeinschaft namens Nation: „In Zeiten vervielfältigter Identitäten, die mancher als Postmoderne bezeichnet, fungiert der Fußball als Klebstoff; er ist einfach, universal und fernsehtaug- lich. Er ist nicht die Nation, sondern nur ihr pulsierender Überrest. Oder vielleicht die Form, in der die Nation heute diejenigen einbezieht, die sie in anderer Hinsicht aufge- geben hat“ (18). Fußball und Nation gehen dabei nicht einfach ineinander auf, sondern sind gewissermaßen allegorisch vermittelt aufeinander bezogen: Die Fußballnarrative

14 Zu Geschichte und Kulturtheorie des (deutschen) Fußballs vgl. Thea Dorn, Richard Wagner („Fuß- ball“, in: Dies., Die deutsche Seele, München, Knaus, 2011, S. 164-183) sowie Norbert Elias („Der Fußballsport im Prozess der Zivilisation“, in: Rolf Lindner [Hg.], Der Satz ‚Der Ball ist rund‘ hat eine gewisse philosophische Tiefe, Berlin, Transit, 1983, S. 12-21) und Dirk Schümer (Gott ist rund. Die Kultur des Fußballs, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1998). 15 So der Titel von Leni Riefenstahls Olympiafilm aus dem Jahr 1936, den Horst Köhler in seinem Gruß- wort an die zur Fußballweltmeisterschaft angereisten ausländischen Staatsgäste am 9. Juli 2006 offen- bar völlig ahnungslos und jedenfalls gänzlich geschichtsblind aufnimmt. 16 Ulrich Bielefeld, „Die Gemeinschaft auf dem Platz und die Gemeinschaften“, in: Gabriele Klein, Michael Meuser (Hg.), Ernste Spiele. Zur politischen Soziologie des Fußballs, Bielefeld, Transcript, 2008, S. 17-30, hier S. 29. 17 Denn auch „im Fußball stellt sich das Nationale als imaginäre Figur vor allem über Medien her“. Gabriele Klein, „Globalisierung, Lokalisierung, (Re-)Nationalisierung. Fußball als lokales Ereignis, globalisierte Ware und Bilderwelt“, in: Klein/Meuser (Hg.), Ernste Spiele (Anm. 16), S. 31-42, hier S. 36. 18 Zitiert nach Pablo Alabarces, Für Messi sterben? Der Fußball und die Erfindung der argentinischen Nation (2008), Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2010, S. 20. 374 Revue d’Allemagne erzählen immer auch etwas Anderes (19) – und eben nicht zuletzt etwas über die Nation. Sport und Politik, scheinbar gänzlich unterschiedliche Diskurszusammenhänge, erweisen sich so als zwei miteinander kommunizierende Reihen: „Die sportliche und die politische Reihe befinden sich in einem Verhältnis wechselseitiger Abhängigkeit“ (20). Es gilt nun gerade danach zu fragen, wie die sportliche Reihe – also hier: der Fußball – erzählt oder ins Bild gesetzt wird und wie sie sich zur politischen Reihe in Beziehung setzen lässt; denn die Antwort auf diese Frage verspricht Aufschluss über die Verfasst- heit des nationalen Imaginären zu geben (21). Der Philosoph und Sportsoziologe Gunter Gebauer hat mit allem Nachdruck gezeigt, wie die Übertragung sportlicher Großer- eignisse im deutschen Fernsehen der Nachwendezeit in den Dienst der politischen und ökonomischen Interessen der Nation gestellt wurde. Was er diesbezüglich am Beispiel der Olympischen Spiele 1992 in Barcelona sichtbar macht, lässt deutlich Parallelen zu den im Rahmen internationaler Fußballbegegnungen produzierten Narrativen der Fernsehübertragung erkennen – insbesondere zur deutschen Sportberichterstattung anlässlich der Weltmeisterschaft „im eigenen Land“ (wie es so schön hieß). Gebauer stellt fest, dass die Dramaturgie der Übertragung, die lange von den normativen Kri- terien der aristotelischen Poetik bestimmt war, diese nicht länger berücksichtigt und stattdessen nurmehr politisch-ökonomisch determinierten Vektoren folgt, die in der Einheit der Nation konvergieren: „La dramaturgie des retransmissions télévisées était d’essence aristotélienne. Les nouveaux principes de retransmission ne respectent même pas l’exigence minimale de cette dramatur- gie: montrer l’événement dans son intégralité, jusqu’à la fin. […] La dramaturgie classique a été vidée de son contenu par une nouvelle manière de filmer […]: série d’images hachées, va-et-vient de perspectives, ralentis extrêmes et positions de caméra extravagantes, qui ont pour but […] de dramatiser l’événement. […] En apparence, tout se mélange; mais, en réalité, toutes ces images suivent un fil directeur: l’apologie de l’Allemagne. […] Ce nouveau principe de présentation, cette nouvelle unité, c’est le nationalisme allemand“ (22). Die Konstruktion dieser, der nationalen, Einheit aber ist angewiesen auf Differenzen, die über Zugehörigkeit und Nichtzugehörigkeit entscheiden und die abgeleitet werden aus biologischen Merkmalen des sportlichen Subjekts – die sich also, mit anderen Worten, aus einem rassistischen Weltbild speisen (23). Die sportliche und die politische Reihe sind hier mithin über den Körper aufeinander bezogen und lassen sich so einem

19 Klaus Theweleit spricht allgemein vom Fußball als einem „Realitätsmodell“ (K. Theweleit, Tor zur Welt. Fußball als Realitätsmodell, Köln, Kiepenheuer & Witsch, 2004), Bielefeld von einem „zweite[n] Spiel ober- und unterhalb des Spiels“ (U. Bielefeld, „Die Gemeinschaft auf dem Platz“ [Anm. 16], S. 26), Pablo Alabarces von einem „Diskurs zweiter Ordnung“ (P. Alabarces, Für Messi sterben? [Anm. 18], S. 31). 20 Ebd., S. 27. 21 Das kollektive Imaginäre aber wird ganz wesentlich bestimmt von den Bildmedien – insbesondere dem Film, auf die es ihrerseits zurückwirkt: „Das Kino [ist] ein privilegierter Raum für die Konstruktion von Vorstellungswelten. […] Die Kulturanalyse muß natürlich die Besonderheit der kinematographischen Sprache in Rechnung stellen [und zeigen], wie es inszeniert und was dabei imaginiert wird. […] Das Kino […] imaginiert, träumt, postuliert. Es spiegelt nicht wieder“ (P. Alabarces, Für Messi sterben? [Anm. 18], S. 32). 22 Gunter Gebauer, „Le nouveau nationalisme sportif“, in: Pierre Bourdieu (Hg.), Les enjeux du football, Actes de la recherche en sciences sociales, 103 (1994), S. 104-107, hier S. 104-105. 23 Ebd., S. 107. Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke 375

Diskurs über die Nation zuordnen, an dem auch andere Medien teilhaben – der aber in besonders anschaulicher Weise in den Bildmedien und vor allem im Film zum Aus- druck kommt (24). Ich will daher im Folgenden zwei Filme aus dem Jahr 2006 analysieren, und zwar zum einen Sönke Wortmanns Dokumentarfilm Deutschland. Ein Sommermärchen, und zum andern Klaus Lemkes erotischen Fußball- und Liebesfilm Finale. Dabei will ich untersuchen (1) welches Bild der Nation hier entworfen wird, (2) welche Funktion ‚der Fußball‘ für die Produktion dieses Bildes hat und (3) wie das so produzierte Bild der Nation sich in Beziehung setzen lässt zu den anderen Narrativen des zu Beginn des 21. Jahrhunderts so virulenten ‚Neuen Nationalismus‘. Dabei soll es nicht darum gehen, den Autoren (also hier den Regisseuren der Filme) manipulative Absichten zu unterstel- len und diese zu denunzieren – weil die antideutsche Kritik, obschon sie richtig argu- mentiert, letztlich in genauso hysterischer Weise auf die Nation fixiert bleibt wie ihre scheinbar so entspannten Kontrahenten. Viel interessanter scheint die Frage zu sein, warum eigentlich das Nationale heute wieder oder nach wie vor so attraktiv ist – wie also sein Faszinationspotential sich erklären lässt; die Antwort auf diese Frage wird nur dann überzeugen können, wenn es gelingt, das diskursive Unbewusste des kollektiven Imaginären sichtbar zu machen, das sich in die Bildmedien einschreibt. Im Sommer 2006 reist auch der deutsche Filmemacher Sönke Wortmann durch Deutschland. Er begleitet die deutsche Fußballnationalmannschaft vom ersten Trai- ningsaufenthalt bis zur Abschlussfeier vor dem Brandenburger Tor in Berlin und hält filmisch fest, was er schließlich selbst das ‚Sommermärchen‘ nennt und was dann als solches ins kollektive Imaginäre der Deutschen eingegangen ist: den Aufstieg der deut- schen Fußballnationalmannschaft und mit dieser letztlich der gesamten deutschen Nation zum ‚Weltmeister der Herzen‘. Mit dem Titel seines Films nimmt Wortmann in kritischer Weise Bezug auf Heines Gedicht, das zwar vermutlich den wenigsten Deut- schen in ganzer Länge bekannt, dessen Titel aber doch wohl den meisten ein Begriff ist. Und weil das so ist, ist der Titel politisch suggestiv: Er fordert dazu auf, die Zustände im Vaterland nicht länger zu beklagen, sondern sich endlich vorbehaltlos und ‚sommerlich‘ gelassen zur eigenen Nation zu bekennen – schließlich sei diese durchaus positiv zu besetzen, nachdem man lange genug für ein zwar bedauerliches, nun aber ‚bewältigtes‘ Verbrechen Abbitte geleistet habe (25). Einmal mehr figuriert Heine – und mit ihm alle anderen Kritiker der Nation – als Nestbeschmutzer und Spielverderber. Der Film selbst ist eigentlich inhaltlich wie formal völlig uninteressant – obschon eben in politischer Hinsicht aufschlussreich, weil er sich einschreibt in einen größeren Diskurszusammenhang, in dem es um die Aufwertung der deutschen Nation geht (und genau das erklärt auch seinen Erfolg). Nähern wir uns dem Film von seiner paratex- tuellen Umgebung her – denn bereits diese gibt Auskunft über die diskursiven Bedin- gungen, in die die filmische Erzählung eingelassen ist. Die Hülle der DVD ist innen ausgekleidet mit einem Foto von den Zuschauerrängen des Berliner Olympiastadions,

24 Ebd. 25 Matthias Matussek entblödet sich nicht, dieses Verbrechen einen „Freak-Unfall der Geschichte“ zu nen- nen (M. Matussek, Wir Deutschen [Anm. 7], S. 14) – den Holocaust also allein Hitler (dem „Freak“) anzulasten und so auf (historisch) völlig unzulässige Weise zu banalisieren. 376 Revue d’Allemagne die überspannt sind von einem Banner mit der Aufschrift: „Getragen von des Adlers Schwingen, werden wir den Sieg erringen.“ Während Florian Werner, Mitglied der deutschen Autorennationalmannschaft, diesen Slogan zum Anlass nimmt, ihn durch elf weitere, deutlich ironische Zweizeiler zu ergänzen (26), bleibt das Bild mitsamt seiner problematischen Ikonographie (‚Adler, Sieg, Olympiastadion‘) hier unkommentiert stehen. Wir erfahren zudem, dass FIFA und DFB den Film koproduziert haben – und mithin vermutlich ihre Interessen in ihm berücksichtigt sehen wollten. Zu Beginn der DVD wird zunächst für SOS-Kinderdörfer, Mercedes und Adidas (deutsche Qua- litätsprodukte, die eben jenen Wohlstand begründen, ohne den die karitative Arbeit – SOS-Kinderdörfer – nicht zu leisten wäre) geworben, bevor dann ein kurzer Trailer auf einen Film über Pinguine hinweist, von denen es heißt, sie seien „ein Volk bereit zu allen Opfern“ (wobei offen bleibt, ob das in Frage stehende Volk zu Opfern für andere bereit ist, oder vor allem dazu, alles, letztlich auch sich selbst, den eigenen Interessen zu opfern – das wäre dann der ‚Untergang‘). Der Film selbst beginnt mit Aufnahmen von den enttäuschten Gesichtern der deutschen Nationalspieler, die nach der Niederlage gegen die italienischen azzurri regungslos in der Kabine sitzen. Von diesem Ende her wird auf ein anderes Ende hin erzählt – denn im Laufe des Films verwandelt die sportliche Niederlage sich in einen moralischen Triumph (den nach dem Endspiel weder die siegreichen Italiener, noch die unglücklich geschlagenen Franzosen für sich beanspruchen konnten). Eben diesen Weg setzt der Film erzählerisch ins Bild – und Xavier Naidoo, der einen Song zum Soundtrack beigesteuert hat, weiß: „Dieser Weg wird kein leichter sein, dieser Weg wird steinig und schwer.“ Die Aufnahmen aus dem Trainingslager auf Sardinien fungieren dabei als Exposition: Hier werden die zentralen Figuren – Spieler, Trainerstab, Manage- ment – vorgestellt. Diese gehen jedoch letztlich auf im Kollektiv der Mannschaft, dem eigentlichen Subjekt der Handlung: Einzelne Spieler kommen zwar immer wieder zu Wort, treten aber letztlich hinter ihrer Funktion zurück – „was zählt is auf’m Platz“. An dieser Stelle wird auch das komplexe kulturelle Dispositiv vorgeführt, in das der Leib jedes einzelnen Spielers (um dessen Wohlergehen sich Fitnesstrainer, Ernährungsspe- zialisten, Psychologen, Modefachleute und Frisöre bemühen) eingelassen ist. Zurück in Deutschland bezieht die Mannschaft ihr Berliner Basislager im Schlosshotel Grune- wald. Hier bereiten die Spieler sich nicht nur physisch und psychisch auf den sportli- chen Wettkampf vor, sondern auch auf die ‚Mentalität‘ des jeweiligen Gegners: Eine Art Spezialist für Völkerpsychologie, über dessen berufliche Expertise nichts Genaueres in Erfahrung zu bringen ist, macht die deutschen Spieler mit den Eigenheiten des geg- nerischen Teams vertraut. Dabei mobilisiert er ohne jede Hemmung mentale Bilder, die auf haarsträubende Weise an die Klimatheorie des 18. Jahrhunderts erinnern; vor dem Spiel gegen Costa Rica etwa weiß er zu berichten, die besondere Naturverbunden- heit der Costaricaner manifestiere sich in einem Spielverhalten („so sind sie auch im

26 Hier erfährt man auch Näheres über den räumlichen und zeitlichen Kontext, in den das Bild einzuord- nen ist: „Offenbar bezieht sich der Autor mit diesem einleitenden Couplet auf ein Transparent, welches während des WM-Spiels Deutschland gegen Ecuador am 20. Juni 2006 in der Ostkurve des Berliner Olympiastadions hing.“ Florian Werner, „Das WM-Halbfinale am 4. Juli 2006. Ein Endzeitdrama mit Endnoten“, in: Ralf Bönt, Albert Ostermaier, Moritz Rinke (Hg.), Titelkampf. Fußballgeschichten der deutschen Autorennationalmannschaft, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2008, S. 248-253, hier S. 249. Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke 377

Spiel“), das sich durch eine besondere Freude („sie genießen das Spiel“), zugleich jedoch einen Mangel an Willenskraft und Durchsetzungsfähigkeit (sie sind „bescheiden“) aus- zeichne – eine letztlich primitive (kindliche, nicht zu Ende entwickelte) Mentalität, der sich mit den „deutschen Tugenden“ (Jogi Löw) problemlos begegnen lasse. Nachdem Oliver Bierhoff, der Teammanager, an „Kopf und Herz“ der Spieler (und nicht an die Füße: es geht um den Einsatz des gesamten sportlichen Subjekts) appelliert hat, trifft Angela Merkel ein, um der Mannschaft die Unterstützung durch die Bundesregierung zu signalisieren – und erinnert in ihrer Ansprache daran, dass „Politik und Sport unter- schiedliche Sachen“ seien. Auf dem Weg ins Stadion ist dann erstmals Xavier Naidoos dünne Beschwörung des Passionswegs zu hören, dessen erste Station die Mannschaft mühelos hinter sich lässt. Nach dem erfolgreichen Spiel gegen Costa Rica folgen die Vor- rundenbegegnungen mit Polen und Ecuador sowie das Achtelfinalspiel gegen Schweden, das die deutsche Mannschaft ebenfalls gewinnt. Ins Bild gesetzt werden dabei jeweils musikalisch unterlegte Zusammenschnitte, die ausschließlich erfolgreich ausgeführte Spielzüge der Deutschen zeigen. Vor dem Viertelfinalspiel gegen Argentinien warnt Jürgen Klinsmann selbst vor der ‚bestialischen‘ Mentalität der gegnerischen Spieler (die den „Tiger im Auge“ haben); er appelliert an den „Hunger“, den Willen und die Leidensfähigkeit der eigenen Spieler und fordert sie dazu auf, „extrem“ zu spielen und „zuzubeißen“ – kurz, so der Bundestrainer: „Die sind fällig.“ Auf dem Weg ins Stadion singt Xavier Naidoo (aus dem off) eine veränderte Version seines Liedes: „Was wir allein nicht schaffen, das schaffen wir zusammen.“ Im Spiel versucht Torsten Frings es dann trotzdem auf eigene Faust: Er schlägt einen argentinischen Spieler und wird daraufhin für das nächste Spiel gesperrt. Dabei soll der Gegner nun, so Klinsmann, tatsächlich „weggehauen“ werden, um „70 000 Fans, 80 Millionen Zuschauer zu faszinieren“. Das gelingt indes keineswegs, denn obwohl – so die Bildzeitung – die deutschen Spieler die Zweikämpfe gewinnen, scheidet die Mannschaft gegen Italien schließlich aus. Köhler und Merkel begeben sich daraufhin in die Kabine der Deutschen, um die Spieler zu trösten, denen die Niederlage sichtlich peinlich ist. Damit schließt sich der Kreis, die Geschichte ist eigentlich zu Ende – und sie ist keine sportliche Erfolgsgeschichte. Auf einer anderen Ebene indes geht die Geschichte weiter, und auf dieser Ebene – die, so suggeriert der Film, der ja andernfalls nichts Erbauliches zu erzählen hätte, die wesentliche ist – erweist sie sich als eine große nationale Erfolgsgeschichte. Es geht nun also nicht länger um Sport, sondern um die Nation – genauer: das Bild der Nation. Die ‚Nation selbst‘ kann natürlich nicht ins Bild rücken – schließlich ist sie lediglich eine vorgestellte Gemeinschaft imagined( community), die mithin diesseits der Vorstellung, der Imagination, des mentalen und dann vor allem medialen Bildes, über das im öffent- lichen Raum (Politik und Medien) immer wieder neu verhandelt wird, nicht existiert. Je mehr sich die Komplexität dieses Bildes reduzieren lässt, je weniger es also bezeichnet, desto eher können die an seiner Konstruktion Beteiligten sich auf seine Gültigkeit eini- gen. Nichts liegt daher näher, als einen Teil des Ganzen als repräsentativ für eben dieses Ganze, als pars pro toto, zu begreifen – und also die Fußballnationalmannschaft zum (metonymischen) Stellvertreter der gesamten Nation zu machen. Aus dem solcherart ins Werk gesetzten Prozess der Verdichtung und Verschiebung resultiert das bestechend schlichte Bild einer rein männlichen und rein leiblichen Solidargemeinschaft, die sich nach innen durch Homogenität auszeichnet und nach außen deutlich und eindeutig 378 Revue d’Allemagne von den ‚anderen‘ unterscheidet – und die sich zurück auf die Kommunikationsgemein- schaft abbilden lässt (27). Die Nation versammelt sich also um das Spiel, weil sie von der Mannschaft und ihrem Spielverhalten etwas über sich selbst zu erfahren hofft – und zwar etwas Positives und Einfaches. Der Staatsbürger wird zum Fan (28) – und schließt sich seinerseits mit anderen Fans zu einer Gemeinschaft zusammen. Um das Spiel zu verfolgen, begibt der ‚fanatische‘ Zuschauer sich mit seinesgleichen in den öffentlichen Raum. Für ihn gilt nicht das politische Prinzip der Repräsentation – er lässt sich nicht vertreten; ihm geht es darum, selbst im öffentlichen Raum präsent zu sein und dabei den eigenen Leib in einen größeren rein leiblichen Zusammenhang (corps) einzuordnen, sich einverleiben zu lassen vom Kollektiv, sich der Menge hinzugeben. Dieses Prinzip aber ist letztlich ein sexuelles und bringt, indem es den öffentlichen Raum mit ausschließlich privaten, ja letztlich eben intimen Interessen besetzt, eine besondere Form von „Tyrannei der Intimität“ (Sennett) hervor (29). Denn was hier passiert, ist öffentlich, ohne politisch zu sein; beim public viewing geht es nicht darum, im Namen einer öffentlichen Ange- legenheit oder ‚Sache‘ (Bruno Latour spricht in diesem Zusammenhang von „Ding- politik“) die Stimme zu erheben, sondern es geht um den unartikulierten Schrei der Menge. Wenn nun aber dieser nicht-politische kollektive Leib sich in die Nationalfar- ben hüllt, dann weil sich der Fan – ob nun affirmativ oder ironisch – dennoch auf die politische Gemeinschaft (eben auf die Nation) beruft. Und obschon die Identität dieser Nation aus der agonalen Logik des sportlichen Wettkampfs abgeleitet ist, war man im Sommer 2006 paradoxerweise davon überzeugt, dass diese Nation keinen Anderen

27 Vgl. U. Bielefeld, „Die Gemeinschaft auf dem Platz“ (Anm. 16), S. 22. Auch Gabriele Klein und Michael Meuser gehen von der „These [aus], dass Sportgemeinschaften immer auch als politische Gemeinschaf- ten verstanden werden können“ (Klein/Meuser, Ernste Spiele [Anm. 16], S. 8/9) und begreifen insbe- sondere den Fußball als „Medium von Gemeinschaftsbildung“ ebd( ., S. 8). „So wird […] die Mannschaft als Solidargemeinschaft beschworen und mit der Behauptung, auf den Stadionrängen würden tempo- rär die Grenzen von Stand und Klasse durchlässig, dem Fußball eine Vergemeinschaftungsfunktion zugeschrieben, die ihn zu einer politisch relevanten Größe werden lässt“ (ebd., S. 13). Das möchte auch Hans Ulrich Gumbrecht glauben – ohne zu bemerken, dass die Nivellierung von Binnenunterschieden eine Gesellschaft in politisch problematischer Weise entpolitisiert: In den „klassischen monokulturellen Fußballnationen (wie Brasilien, Holland, Italien, Portugal, Spanien oder Deutschland) [ist] Fußball […] eine Kompaktversion der Gesamtgesellschaften […], neutral gegenüber spezifischen sozialen Klassen und Situationen“ (Hans Ulrich Gumbrecht, „Monokultur in Moll“, in: Bönt/Ostermaier/Rinke (Hg.), Titelkampf [Anm. 26], S. 267-275, hier S. 270). 28 Vgl. P. Alabarces, Für Messi sterben? (Anm. 18), S. 25. 29 „Derartige Gemeinschaften […] kennen keine stabilen Ein- und Ausschlusspraktiken, sondern sind zugleich integrativ und distinktiv. Die Einzelnen leben nicht für den Erhalt der Gemeinschaft, sondern sind an der Befriedigung ihrer unmittelbaren Bedürfnisse und an dem Erleben von Intimität in und mit der Gemeinschaft interessiert“ (U. Bielefeld, „Die Gemeinschaft auf dem Platz“ [Anm. 16], S. 13). Thomas Alkemeyer führt diese integrative Funktion des Fußballs zurück auf „eine Fähigkeit zum Ant- wortenkönnen, die unterhalb der Schwelle von Bewusstsein und Sprache in den motorischen und affek- tiven Tiefenschichten der Person verankert ist“: „Inneres Mitgehen und Identifikation entstehen, wenn das physische Geschehen auf dem Rasen von den Zuschauern im Modus ‚kinästhetischer Sympathie‘ [Clifford Geertz] mit vollzogen werden kann“ (Thomas Alkemeyer, „Fußball als Figurationsgesche- hen. Über performative Gemeinschaften in modernen Gesellschaften“, in: Klein/Meuser [Hg.], Ernste Spiele [Anm. 16], S. 87-112, hier S. 98). Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke 379 ausschließe (30): Schließlich, so wollte es ja auch die Imagekampagne des DFB, war „die Welt zu Gast bei Freunden“, und nur deshalb galten die Deutschen, wenigstens sich selbst, als „Weltmeister der Herzen“. Dabei wurde großzügig übersehen, dass frem- denfeindliche Gewalt in Deutschland an der Tagesordnung ist – wer, wie der ehema- lige Regierungssprecher Uwe-Karsten Heye (SPD), dunkelhäutige Fans davor warnte, sich in die von der NPD so genannten „national befreiten Zonen“ zu begeben, wurde als Spielverderber diffamiert. Zu Beginn der Fußballweltmeisterschaft 2006 zeigten die deutschen Fans sich indes noch zurückhaltend – in der Analyse des ersten Spiels äußert Jürgen Klinsmann sich denn auch besorgt über die „Mentalität in Deutschland“ (nicht über den fehlenden Enthusiasmus der Fans, sondern über einen Mangel an nationaler Solidarität also). Erst das Tor von Oliver Neuville im Spiel gegen Polen durchbricht diese Zurückhaltung und führt zum „Schulterschluss zwischen Fans und Mannschaft“ – ein regelrecht kairoti- scher Moment. Solange es um die fußballerische Leistung der Mannschaft und also die ‚sportliche Reihe‘ geht, kommen die Fans jedoch nicht ins Bild. Sie sind erst zu sehen, als die Fußballgeschichte beendet ist und die eigentliche nationale Erfolgsgeschichte beginnt – und zwar deshalb, weil sie sich von der sportlichen Niederlage überhaupt nicht beeindrucken lassen und mit ihrer oft bis zur Hysterie gesteigerten enthusiasti- schen Verehrung der Spieler deutlich machen, dass es ihnen offenbar um etwas anderes geht als allein den sportlichen Erfolg der Mannschaft. Und die Spieler, so zeigt es der Film, nehmen diese Ehrerbietung ernst: Sie sind sich der besonderen Verantwortung gegenüber den Fans bewusst und zeigen im Spiel gegen Portugal noch einmal beson- deres Engagement – das schließlich mit dem dritten Platz belohnt wird. Außerdem überlegen sie, wie sie sich angemessen von ihren Fans verabschieden können. Schließ- lich findet am 9. Juli auf der so genannten Fanmeile am Brandenburger Tor (das eine zentrale Rolle in der Geschichte der deutschen Nation spielt) eine seltsame mediale Inszenierung statt, bei der es keinen Gewinn zu feiern, keinen Pokal zu zeigen und keine Botschaft zu verkünden gibt: Die Sportfreunde Stiller zählen die drei deutschen Weltmeistertitel auf, ohne ihnen einen weiteren hinzufügen zu können, Xavier Naidoo singt das Lied vom steinigen Weg, der letztlich nirgendwohin führte, die Mannschaft zeigt ihre wahre Größe in der Niederlage – die bereits zu diesem Zeitpunkt vergessen und kompensiert zu sein scheint durch die überlegene Kompetenz im Verlierenkön- nen. Seither hält sich, ungeachtet der Tatsache, dass die deutsche Nationalmannschaft weder bei dieser Gelegenheit noch danach irgendeinen internationalen Titel gewonnen

30 Der Begriff des Patriotismus scheint vielen dieser nicht-exklusiven Vaterlandsliebe besser Ausdruck zu verleihen – und diese vielen können sich auf den damaligen Bundespräsidenten berufen. Horst Köhler, der bereits in der Ansprache nach seiner Wahl durch die Bundesversammlung bekannt hatte, er „liebe unser Land“, kommt in seiner Antrittsrede erneut auf seinen Patriotismus zu sprechen, den er mit kulturellen und wirtschaftlichen Leistungen der ‚Deutschen‘ begründet, und den er für notwendig hält, um seine Landsleute selbstbewusst und auf diese Weise wieder unternehmenslustig zu machen. Nur so, mit neuem Selbstbewusstsein, könne Deutschland, ein „Land der Ideen“, zu „neue[n] Gründerjahre[n]“ aufbrechen. Köhler ist der Überzeugung, „Patriotismus und Weltoffenheit [seien] keine Gegensätze“ und ‚wir‘ sollten „uns wieder auf unsere Stärken besinnen“ und „uns unserer nationalen Identität […] vergewissern“. Die Fußballweltmeisterschaft in Deutschland – für Köhler ein „Fest der Völkerverständigung“ (s.o.) – scheint ihm hierzu einen entscheidenden Beitrag leisten zu können: „Ich glaube, dass wir Deutsche durch dieses Fußballfest einen neuen Blickwinkel auf uns und unser Land bekommen haben.“ 380 Revue d’Allemagne hat, in der öffentlichen Wahrnehmung hartnäckig die Meinung, die Deutschen seien „eigentlich Weltmeister“ (31). Anlässlich der Fußball-Weltmeisterschaft versank im Sommer 2006 ganz Deutsch- land in einem schwarz-rot-goldenen Fahnenmeer (32). Das Ausstellen der Nationalfarben war bei vielen mit der Erleichterung verbunden, nun (‚endlich‘) vorbehaltlos die posi- tive Identifikation mit der eigenen Nation demonstrieren zu können – und wurde in der Öffentlichkeit als neue ‚Gelassenheit‘ im Umgang mit der Nation thematisiert und weitgehend begrüßt (wenngleich nicht immer auf so plumpe Art und Weise wie in der Bildzeitung, die schlicht titelte: „schwarz-rot-geil“). Wortmann selbst ordnet sein Som- mermärchen ausdrücklich in den Kontext dieser positiven Neubewertung der Nation ein: Im Interview erklärt er, sich an dem Film von Stéphane Meunier (Les Yeux dans les Bleus) orientiert zu haben, der 1998 die französische Nationalmannschaft auf ihrem Weg zum dann erfolgreich bestrittenen Endspiel begleitete und dies filmisch dokumentierte – denn, so Wortmann, wenn die Franzosen das können, „dann können wir das auch“ (und er meint damit den Film und nicht den sportlichen Erfolg, der den Deutschen ja versagt blieb). Er begreift es als ein positives Resultat der Fußballweltmeisterschaft 2006, „dass die Deutschen ein bisschen ein normaleres Verhältnis zu sich selbst bekommen haben“, und wählte denn auch ganz bewusst für den Kinostart seines Films den Tag der deutschen Einheit. Nun ist durchaus fragwürdig, was das so massive Auftauchen der Nationalfarben bedeutet: Während einige das Nationale völlig ungebrochen als positiven Wert (wieder) anerkannt wissen wollen, wollen andere, gerade aufgrund ihres Überstei- gertseins, in der Sichtbarmachung nationaler Symbole einen ironischen Akt der resigni- fication erkennen. Wenn Letzteres auf den ersten Blick zwar überflüssig, aber doch eher sympathisch oder zumindest unbedenklich scheint, so erweist es sich bei näherem Hin- sehen als eine besonders perfide Form der Aneignung jener ursprünglich emanzipativen Praxis, die darin besteht, die herabwürdigende Adressierung von Minderheiten positiv zu besetzen (‚slut‘, ‚queer‘, ‚nigger‘, ‚Kanacke‘) und auf diese Weise dem hegemonialen Diskurs die alleinige Definitionsmacht streitig zu machen – perfide, weil so suggeriert

31 Wortmanns Dokumentarfilm wäre nicht denkbar gewesen ohne seinen Spielfilm über das Wunder von Bern (2003) – und zwar schon in ganz praktischer Hinsicht, denn offenbar wurde er nur deshalb als Chronist in die unmittelbare Nähe zum Kader vorgelassen, weil Trainer und Spieler seinen Film von der Wiedergeburt der Nation aus dem Geist des Fußballs besonders schätzten. Bereits in diesem Film, einem (besonders sentimentalen) Melodram, werden die sportliche und die politische Reihe aufeinander bezogen, indem, allegorisch vermittelt über die Fußballgeschichte, eine (als dringend notwendig erachtete, denn, so der Werbeslogan für den Film, „jedes Land braucht eine Legende“) große Erzählung über die deutsche Nation entworfen wird. Die letzte Einstellung des Films zeigt ein Pferdefuhrwerk und ein Kornfeld mit wogenden Ähren – ein deutlich an Veit Harlan erinnerndes Bild, das natürlich nicht in die Zukunft weist, sondern zurück in eine Vergangenheit, die Wortmann sich offenbar nur zu gerne ungetrübt von allen politischen Verwerfungen vorstellt. Diesen gesamten, von einer Blut- und Boden-Romantik unterfütterten Mythos von der Stunde Null hatte Rainer Wer- ner Fassbinder bereits 1979 in der Ehe der Maria Braun dekonstruiert – und zwar vor dem Hinter- grund der berühmten Radioübertragung vom Endspiel in Bern. Auf Wortmanns Spielfilm kann an dieser Stelle nicht näher eingegangen werden (hierzu aber etwa Philipp Scherzer, Is German Film moving towards a ‚New Patriotism‘? An Analysis of Sönke Wortmann’s The Miracle of Bern based on the Prototype of the American Sports Film of the 1980s, Hamburg, Diplomica Verlag, 2008). 32 Zur Ethnographie der Fußball-WM 2006 vgl. die nicht immer überzeugende Studie von Christian Tagsold, Spiel-Feld: Ethnografie der Fußball-WM 2006, Konstanz, UVK, 2008. Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke 381 wird, die Befürworter der Nation seien ebenfalls eine Minderheit und seien als solche lange zu Unrecht verunglimpft worden. Beide Argumentationsfiguren setzen die Kons- truktion eines Tabus voraus – die implizit oder explizit vorgetragene Behauptung, man habe die Nation (aufgrund der missbräuchlichen Aneignung durch die Nationalsozialis- ten) bislang nicht, und schon gar nicht in positiver Weise thematisieren dürfen. Tatsäch- lich sind weder der Nationalismus noch die diskursiven Strategien seiner Legitimation im Jahr 2006 irgendwie ‚neu‘. Bereits 2003 etwa hatte die deutsche Popband Mia in einem vage von einem Gedicht von Erich Fried inspirierten Lied ein entspanntes Verhältnis zur Nation eingefordert (33). Drei Jahre zuvor hatte die Modemacherin Eva Gronbach eine Kol- lektion in den deutschen Nationalfarben entworfen (Déclaration d’amour à l’Allemagne) und sich damit nicht nur für die von der Initiative Deutschland – Land der Ideen in Auf- trag gegebene Produktion des offiziellen deutschen Fan-Shirts für die WM 2006, sondern auch für einen Auftrag der Bundeszentrale für politische Bildung qualifiziert (34). Zwar reichen die Rede von der Nation und ihre Problematisierung viel weiter (bis in die frühen 1950er Jahre) zurück – von dem Moment an, in dem das kommunikative Gedächtnis zu erlöschen beginnt und von einer politisch verhandelten Erinnerungskultur ersetzt wird (35), also etwa seit Ende der 1980er Jahre, erhalten sie jedoch eine neue Qualität. Erst jetzt lässt sich behaupten, man habe lange genug über die deutsche Schuld gesprochen und müsse nun endlich zu einem positiven Selbstbild zurück finden. Besonders öffent- lichkeitswirksam wirkten in diesem Zusammenhang der Historikerstreit, in dem Jürgen Habermas der (mit dem Ziel der Relativierung ‚deutscher Schuld‘) vor allem von Ernst Nolte vorgetragenen ‚Totalitarismusthese‘ entgegentrat, Botho Strauß’ Forderung nach einer Rückkehr zum tragischen Weltbild in seinem Aufsatz ‚Anschwellender Bocksge- sang‘ (36) und Martin Walsers inzwischen berüchtigte Paulskirchenrede, in der er beklagt,

33 Und zwar interessanterweise wieder mit dem negativen Bezug auf Heine: „Ich dreh den Kopf und bin noch müde / Ich hatte eine kurze Nacht. / Lass meine Augen zu und frag nich’: / Was hat mich um den Schlaf gebracht? […] Ein Schluck vom schwarzen Kaffee macht mich wach. / Dein roter Mund berührt mich sacht. / In diesem Augenblick, es klickt, geht die gelbe Sonne auf. […] Was ich jetzt weiß und noch nicht wusste / Bin nicht mehr fremd in meinem Land, […] fragt man mich jetzt, woher ich komme / tu ich mir nicht mehr selber leid. […] Und die schwarze Nacht hüllt uns ein. / Mein roter Mund will bei dir sein. / In diesem Augenblick, es klickt, leuchtet uns ein heller Tag. […] Wohin es geht, das woll’n wir wissen / und betreten neues, deutsches Land“ (Mia, Was es ist, 2003). 34 Natürlich muss man zugeben, dass Begriffe, Symbole und Gesten in einem künstlerischen Kontext anders verwendet werden (und verwendet werden dürfen) als in einem nicht-künstlerischen Kontext. Im Falle Gronbachs wird diese Umkodierung oder resignification jedoch dadurch fragwürdig, dass sie die Nationalsymbolik (wieder) in den politischen Kontext einspeist. 35 Dabei ist die Assmannsche Unterscheidung ohnehin nur von heuristischem Wert, nicht nur weil sie die Medialität (auch) des kommunikativen Gedächtnisses nicht berücksichtigt, sondern auch, weil sie empirisch nicht gedeckt ist: Im privaten Raum konnte man zwar auf das kommunikative Gedächtnis zurückgreifen und sich vom ‚Dritten Reich‘ erzählen lassen, allerdings machte man von dieser Mög- lichkeit offenbar nur wenig Gebrauch – und wenn man von ihr Gebrauch machte, dann schien in den meisten Fällen ausgemacht, dass ‚Opa kein Nazi‘ war (Welzer). 36 Und die von ihm inspirierte Publikation einiger reaktionärer intellektueller Trittbrettfahrer: So legten einige der so genannten 89er-Generation (politisch gewendete ‚68er‘) zuzurechnenden Schriftsteller und Publizisten im Jahr 1994 ein Buch mit dem Titel Die selbstbewußte Nation vor, das sie als „Standortbe- stimmung der demokratischen Rechten“ (Einband) verstanden wissen wollten. Es ist „den Patrioten des 20. Juli 1944 und des 17. Juni 1953“ gewidmet (‚nicht alle Nazis waren böse – auch andere Totalitarismen 382 Revue d’Allemagne der Holocaust diene nur mehr als eine jede unbefangene Diskussion politisch-korrekt verhindernde ‚Moralkeule‘, und fordert, es müsse endlich ein ‚Schlussstrich‘ unter die deutsche Vergangenheitsdiskussion gezogen werden (37). Das alles, obschon weitgehend bekannt, gilt es sich in Erinnerung zu rufen, will man Wortmanns Beitrag zum Neuen Nationalismus politisch richtig einordnen: Hier wird ein Schlussstrich gezogen und hier wird der Weg frei gemacht für die Normalisierung des Diskurses über die Nation – und zwar in besonders effizienter Weise, denn die beiden Fußballfilme wurden von einer breiten Öffentlichkeit positiv aufgenommen. Ein Sommermärchen der etwas anderen Art – eigentlich einen Sommernachtstraum oder eine Mittsommernachts-Sexkomödie (38) – erzählt auch Klaus Lemke mit seinem Film Finale. Die erste Einstellung zeigt in der Totale eine zum public viewing versammelte Menschenmenge, die vor der Großleinwand auf die Übertragung eines Spiels wartet. Die Flaktürme im Hintergrund markieren den Ort: Hamburg, das schwarz-rot-goldene Fahnenmeer den Zeitpunkt: Fußballweltmeisterschaft in Deutschland, Sommer 2006. Auf der Leinwand wiederholt sich das Bild der fahnenschwenkenden Fans: eine mise en abyme, die die Nation als Gegenstand einer Beobachtung zweiter Ordnung ins Bild rückt, ein Bild vom Bild, so dass die Nation, darauf weist der Film von Anfang an hin, hier nur in ihrem medialen Vermitteltsein in den Blick genommen wird. In der zweiten Einstellung kommt eine junge Frau ins Bild, die sich mit aufmerksam suchendem Blick durch die Menge bewegt, bis sie auf einen jungen Mann (Timo) trifft und mit diesem in einem gut einsehbaren Hinterhof Sex hat – unter den Blicken jugendlicher Fußballfans, die das Ganze johlend beklatschen, während im Hintergrund die Deutschland-Rufe der die Spielübertragung verfolgenden Zuschauer zu hören sind. Sodann tritt eine weitere junge Frau (Saralisa) auf, die ihrerseits einen jungen Mann nach Hause begleitet und dort mit ihm schlafen will, sich jedoch letztlich enttäuscht von ihm abwendet, weil er sich von der Situation überfordert zeigt (die Szene ist musikalisch ironischerweise mit dem Lied Sexmachine von James Brown unterlegt). Damit ist der inhaltliche Rahmen des Films abgesteckt: Es geht um Fußball, Nation und Sex – und das Ungenügen der Männer, das (in der jungen Frau) ein Begehren nach etwas anderem weckt.

waren mörderisch‘) und setzt sich „ein wertorientiertes Gestalten aus dem, was immer gilt: Menschen- würde, Gemeinschaftsgeist, Opferbereitschaft“ (II) zum Ziel. Zum Diskurs der Neuen intellektuellen Rechten vgl. Gabriele Kämper, „Von der Selbstbewussten Nation zum nationalen Selbstbewusstsein. Die Neue intellektuelle Rechte bewegt sich auf rhetorischen Pfaden in die Mitte der Gesellschaft“, Werk- stattGeschichte, 37 (2004), S. 64-79 und Jens Schneider, Deutsch sein. Das Eigene, das Fremde und die Vergangenheit im Selbstbild des vereinten Deutschland, Frankfurt am Main/New York, Campus, 2001. 37 Die Anti-Deutschen, die mit allen publizistischen Mitteln gegen alte und neue Nationalismen in Deutschland kämpfen, finden in einer größeren Öffentlichkeit wenig Gehör, und auch die Initiative einiger Popmusiker, die in einer Musik und politische Theorie miteinander verbindenden Publika- tion erklärten, warum man in Deutschland nicht ‚gelassen‘ sein kann (Can’t relax in Deutschland), verhallte weitgehend ungehört (Roger Behrend, Martin Büsser [Hg.], I can’t relax in Deutschland, Köln, unterm Durchschnitt, 2005). Zu Geschichte, Kritik und Zukunft antideutscher Politik vgl. Ger- hard Hanloser (Hg.), „Sie warn die Antideutschesten der deutschen Linken.“ Zu Geschichte, Kritik und Zukunft antideutscher Politik, Münster, Unrast, 2004. Außerdem Initiative Sozialistisches Forum (Hg.), Flugschriften. Gegen Deutschland und andere Scheußlichkeiten, Freiburg, ça ira, 2001. 38 Vgl. auch Peter Luley, „Das nackte Sommermärchen“, Spiegel-Online vom 16. Juli 2007 (zuletzt ein- gesehen am 1. September 2013). Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke 383

Erzählt wird zunächst die Geschichte von Saralisa, die für einen Begleitservice arbei- tet, und Timo, der in der ‚Kreativ-Branche‘ tätig ist. Die beiden sind miteinander ver- heiratet, verfehlen sich in ihrer Beziehung jedoch permanent und versuchen daher ihre Begierde mit anderen zu stillen, bevor sie schließlich die Scheidung einreichen. Beider zahlreiche Sexualkontakte werden vor dem Hintergrund der internationalen Fußball- begegnungen in Szene gesetzt: Beim Spiel Portugal gegen Mexiko schwenkt Saralisa die portugiesische Fahne und begleitet anschließend einen jungen Mann nach Hause. Das Spiel Deutschland gegen Schweden will Saralisa, die Deutschlandfahne in der Hand, wieder beim public viewing verfolgen, sie erhält jedoch keinen Zutritt zum Übertra- gungsort und kann das Spiel letztlich nicht sehen – genauso wenig wie der Zuschauer (des Films). Zum Spiel Deutschland gegen Argentinien macht sie sich mit Timo auf den Weg; auch hier rückt die Begegnung selbst nicht ins filmische Bild: Man hört allein die Tonspur der Fernsehübertragung und sieht dabei die Zuschauer, ihre Gesichter, ihre Reaktionen. Als das deutsche Team gegen Italien ausscheidet, sucht Saralisa, bit- ter enttäuscht, Trost im Sex und flüstert währenddessen eindringlich „Deutschland! Deutschland!“ Der Sex ist indes genauso unbefriedigend wie das Ergebnis der sport- lichen Begegnung; erneut ist ihr Partner nicht auf der Höhe ihrer Erwartungen. Die Niederlage im Halbfinale ist also für Saralisa gewissermaßen eine doppelte – sie erfährt sie in zweifacher Hinsicht als totale Frustration: „Ich finde Fußball jetzt scheiße“, sagt sie, und dem Zuschauer ist klar, dass das auch für ihre männlichen Partner gilt. Mit der Scheidung nimmt sie daher endgültig Abschied von allen (ihren) Männern. Die Geschichte vom Fußball, der Nation und dem Sex (mit Männern) läuft mit- hin ins Leere – ein erfolgreiches Endspiel ist hier nicht mehr zu erwarten. Das Finale des Films verlangt also nach etwas anderem – und an dieser Stelle kommt Anneke ins Spiel. Die beiden jungen Frauen lernen sich zufällig bei der Anprobe in einem Bekleidungsgeschäft kennen und beschließen spontan, den Nachmittag an der Elbe zu verbringen. An diesem Punkt beginnt eine andere Geschichte, die Fußball, Nation und Männer hinter sich lässt (ein inhaltlicher Paradigmenwechsel, den der Film ins Bild setzt, indem er zeigt, wie Saralisa-Aschenputtel die drückenden Schuhe gegen besser passende eintauscht). Von diesem Moment an wird auch in formaler Hinsicht anders erzählt – der Rhythmus des Films verändert sich radikal: Der Nachmittag an der Elbe ist in langen Einstellungen gedreht, die in ein weiches Licht getauchten Bilder erinnern deutlich an Robert Siodmaks (und Billy Wilders) Menschen am Sonntag von 1930. Anneke ist Schauspielerin und tritt im St. Pauli-Theater in einem Stück mit dem Titel ‚Lust‘ auf. Dabei gefällt ihr besonders, dass sie „mit den Zuschauern machen kann, was ich will – die jubeln, die sind willenlos“. Auch für Saralisa setzt sie sich selbst aufreizend in Szene, bevor beide dann leidenschaftlich miteinander schlafen: Hier stimmt die Performance nun in jeder Hinsicht, hier begegnen sich zwei Frauen offensiv vital auf Augenhöhe. Als Anneke schließlich nach München aufbricht, ist der Ausgang der Begegnung unentschieden – das Ende, das eigentliche Finale, bleibt offen, und wenn die abschließende Einstellung den sonnengebräunt muskulösen Rücken der im Foyer des Flughafens verschwindenden Anneke in den Blick nimmt, dann sugge- riert dieser Blick der oder dem Blickenden – Saralisa, dem Zuschauer – ein Fortdauern dieses Begehrens, das nicht zuletzt aus einer völligen Unverbindlichkeit resultiert. Aus dem off erklingt denn auch die Stimme von Amanda Lear und fordert: „Follow me!“ 384 Revue d’Allemagne

Wie bei allen Filmen von Klaus Lemke stellt sich dem Zuschauer auch hier die Frage nach dem handwerklichen, künstlerischen und diskursiven Stellenwert des Films: Was hat man da eigentlich gesehen (39)? Einen billig produzierten, schlecht gefilmten und hastig zusammengeschnittenen Film mit schwachen Schauspielern und ohne jedes erzählerische Konzept, der lediglich die pornographischen Fantasien eines intellektuell minderbegabten Regisseurs ins Bild setzt? Oder die ‚authentische‘ Milieustudie eines besonders sensiblen, teilnehmend beobachtenden Ethnographen städtischer Subkultu- ren? Letztlich wohl weder das eine, noch das andere. Lemke stellt vielmehr eine Ver- suchsanordnung her, in der allein die leibliche Präsenz seiner Schauspieler eine Energie freisetzt, die die Erzählung von Anfang bis Ende trägt – eine Erzählung, die so unwahr- scheinlich und so fehlerhaft vorgetragen ist, wie wir das tägliche Leben erfahren, und dabei ihre Protagonisten mit größtem Respekt und größter Zärtlichkeit ins Bild setzt. Zu den Eckdaten dieser Versuchsanordnung gehören im ersten Teil des Films der Fuß- ball und die Nation – also die zentralen Parameter von Wortmanns Filmen. Bei Lemke allerdings werden Fußball und Nation, also sportliche und politische Reihe, über den Sex aufeinander bezogen und auf diese Weise letztlich als sportliches und politisches Ereignis entwertet. Denn es wird deutlich, dass es überhaupt nicht um Fußball oder die Nation geht, sondern um Enthusiasmus und Faszination, um das Fest, den Exzess und die Ekstase und also die charismatische Aufladung oder ‚Erotisierung‘ des öffentlichen Raumes – letztlich also eben… um Sex. Zugleich wird aber auch der Sex entwertet, der hier als am Vorbild des sportlichen Wettkampfs der Nationen ausgerichtete agonale Begegnung in Szene gesetzt wird. Man muss nicht die obligatorischen Passagepunkte (Latour) der gendertheoretisch informierten Kulturtheorie abschreiten und dieses Ver- fahren als eine Dekonstruktion der (monolithisch, dichotomisch, phallogozentrisch verfassten) Narrative oder Dispositive der Macht beschreiben, um zu begreifen, dass der Film dem Fußball, der Nation und den Männern eine deutliche Absage erteilt, indem er den Leib aus dem sportlichen und aus dem politischen Kontext befreit und das Finale in ein von zwei Frauen geteiltes Bett verlegt (40). Während Wortmann den Fußball als Vorwand – als prétexte – nutzt, um eine Erzäh- lung von der Nation ins Bild zu setzen und also das sportliche in ein politisches Fas- zinationspotential übersetzt (41), zeigt Lemke sich letztlich von Fußball und Nation gleichermaßen wenig fasziniert. Statt seinerseits mit Hilfe des Fußballs ein Bild von der Nation zu entwerfen, zeigt er, wie eben dieses bildgebende Verfahren selbst funktioniert, indem er immer wieder das Blickregime, also die Konstruktion des Bildes durch den Blick (der das Sportereignis übertragenden Kamera, der Fans, der Protagonisten – und letztlich des Films und seiner Zuschauer selbst), problematisiert. Auf diese Weise kann

39 Vgl. Oliver Fuchs, „Was seht ihr da eigentlich? Finale: Klaus Lemke dreht einen Liebesfilm“, in: Bri- gitte Werneburg (Hg.), Inside Lemke. Ein Klaus Lemke Lesebuch, Köln, Schnitt – der Filmverlag, 2006, S. 30-36. 40 Der Film artikuliert mithin letztlich deutlich ein politisches Anliegen – deutlicher als es der natürlich mit dem Image des Anti-Intellektuellen spielende Regisseur zu äußern vermag oder bereit ist, wenn er über Deutschland spricht (in: „Ein Abend mit Klaus Lemke. Gespräch mit Patrick Banush“, Klaus Lemke, Berlin für Helden, KLF-Film und ZDF, DVD, 2012: 20:50 – 22:22). 41 Hierzu auch Niklas Luhmann, „Der Fußball“ (1990), in: Ders., Short Cuts, hg. von Peter Gente, Heidi Paris, Martin Weinmann, Frankfurt am Main, Zweitausendeins, 2001, S. 88-90, hier S. 88ff. Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke 385 er sichtbar machen, wie die Gemeinschaft der Fans das sportliche Ereignis als ein ‚Rea- litätsmodell‘ begreift, aus dem sich ein nicht politisch, sondern letztlich sexuell moti- viertes Bild der Nation ableiten lässt. Das interessiert ihn jedoch genauso wenig wie eine aus dem Sport abgeleitete Sexualität. Stattdessen erzählt er eine kompromisslose Lie- besgeschichte, die von schlichter und unbedingter gegenseitiger Bejahung getragen ist. Die Liebe aber besteht nicht in der Hingabe an einen übergeordneten kollektiven Leib oder corps – das entspräche wohl eher der „psychologischen Struktur des Faschismus“ (Bataille), oder wäre doch zumindest eine im Freud’schen Sinne perverse Verfehlung der Objektwahl – sondern in der (auch leiblichen) Kommunikation mit dem Andern. Das wusste nicht nur Gustav Heinemann (der sagte: „Ich liebe keine Staaten, ich liebe meine Frau.“), sondern auch Heinrich Heine, der keine Gelegenheit ausließ, sich den schönen jungen Frauen zu widmen, denen er auf seinen Reisen durch Deutschland begegnete.

Literatur Alabarces Pablo, Für Messi sterben? Der Fußball und die Erfindung der argentinischen Nation (2008), Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2010. Alkemeyer Thomas, „Fußball als Figurationsgeschehen. Über performative Gemeinschaften in modernen Gesellschaften“, in: Gabriele Klein, Michael Meuser (Hg.), Ernste Spiele. Zur politischen Soziologie des Fußballs, Bielefeld, Transcript, 2008, S. 87-112. Anderson Benedict, Die Erfindung der Nation (1983), München, Ullstein, 1998. Behrend Roger, Martin Büsser (Hg.), I can’t relax in Deutschland, Köln, unterm Durchschnitt, 2005. Bielefeld Ulrich, „Die Gemeinschaft auf dem Platz und die Gemeinschaften“, in: Gabriele Klein, Michael Meuser (Hg.), Ernste Spiele. Zur politischen Soziologie des Fußballs, Biele- feld, Transcript, 2008, S. 17-30. Casanova Pascale, La République mondiale des lettres (1999), Paris, Seuil (essais), 2008. Dorn Thea, Richard Wagner, „Fußball“, in: Dies., Die deutsche Seele, München, Knaus, 2011, S. 164-183. Eisenstadt Shmuel Noah, „Die Konstruktion nationaler Identitäten in vergleichender Perspek- tive“, in: Bernhard Giesen (Hg.), Nationale und kulturelle Identität. Studien zur Entwicklung des kollektiven Bewußtseins in der Neuzeit, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1996, S. 21-38. Elias Norbert, „Der Fußballsport im Prozess der Zivilisation“, in: Rolf Lindner (Hg.), Der Satz ‚Der Ball ist rund‘ hat eine gewisse philosophische Tiefe, Berlin, Transit, 1983, S. 12-21. Fichte Johann Gottlieb, „Beiträge zur Berichtigung der Urtheile des Publicums über die fran- zösische Revolution“ (1793), in: Immanuel Hermann Fichte (Hg.), Johann G. Fichte. Werke. Bd. 6: Zu Politik und Moral, Berlin, de Gruyter, 1971, S. 37-288. Foucault Michel, In Verteidigung der Gesellschaft (1996), Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1999. Fuchs Oliver, „Was seht ihr da eigentlich? Finale: Klaus Lemke dreht einen Liebesfilm“, in: Brigitte Werneburg (Hg.), Inside Lemke. Ein Klaus Lemke Lesebuch, Köln, Schnitt – der Filmverlag, 2006, S. 30-36. Gebauer Gunter, „Le nouveau nationalisme sportif“, in: Pierre Bourdieu (Hg.), Les enjeux du football, Actes de la recherche en sciences sociales, 103 (1994), S. 104-107. Giesen Bernhard, „Einleitung“, in: Ders. (Hg.), Nationale und kulturelle Identität. Studien zur Entwicklung des kollektiven Bewußtseins in der Neuzeit, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1996, S. 9-18. Gumbrecht Hans Ulrich, „Monokultur in Moll“, in: Ralf Bönt, Albert Ostermaier, Moritz Rinke (Hg.), Titelkampf. Fußballgeschichten der deutschen Autorennationalmannschaft, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2008, S. 267-275. 386 Revue d’Allemagne

Hanloser Gerhard (Hg.), „Sie warn die Antideutschesten der deutschen Linken.“ Zu Geschich- te, Kritik und Zukunft antideutscher Politik, Münster, Unrast, 2004. Heine Heinrich, Deutschland. Ein Wintermärchen (1844), Frankfurt am Main, Insel, 2005. Initiative Sozialistisches Forum (Hg.), Flugschriften. Gegen Deutschland und andere Scheuß- lichkeiten, Freiburg, ça ira, 2001. Kämper Gabriele, „Von der Selbstbewussten Nation zum nationalen Selbstbewusstsein. Die Neue intellektuelle Rechte bewegt sich auf rhetorischen Pfaden in die Mitte der Gesellschaft“, WerkstattGeschichte, 37 (2004), S. 64-79. Klein Gabriele, Michael Meuser, „Fußball, Politik, Vergemeinschaftung. Zur Einführung“, in: Dies. (Hg.), Ernste Spiele. Zur politischen Soziologie des Fußballs, Bielefeld, Transcript, 2008, S. 7-16. Klein Gabriele, „Globalisierung, Lokalisierung, (Re-)Nationalisierung. Fußball als lokales Er- eignis, globalisierte Ware und Bilderwelt“, in: Gabriele Klein, Michael Meuser (Hg.), Ernste Spiele. Zur politischen Soziologie des Fußballs, Bielefeld, Transcript, 2008, S. 31-42. Köhler Horst, „Grußwort anlässlich des Empfangs für die zur Fußballweltmeisterschaft an- gereisten ausländischen Staatsgäste“ (2006), http://www.bundespraesident.de/Shared Docs/ Reden/DE/Horst-Koehler/Reden/2006/07/20060709_Rede.html (zuletzt eingesehen am 1. September 2013). Luhmann Niklas, „Der Fußball“ (1990), in: Ders., Short Cuts, hg. von Peter Gente, Heidi Paris, Martin Weinmann, Frankfurt am Main, Zweitausendeins, 2001, S. 88-90. Luley Peter, „Das nackte Sommermärchen“, Spiegel-Online vom 16. Juli 2007 (zuletzt eingese- hen am 1. September 2013). Matussek Matthias, Wir Deutschen. Warum die anderen uns gern haben können, Frankfurt am Main, Fischer, 2006. Pfister Gertrud, „‚Frisch, fromm, fröhlich, frei‘“, in: Étienne François, Hagen Schulze (Hg.), Deutsche Erinnerungsorte, Bd. 2, München, Beck, 2003, S. 201-219. Rosenlöcher Thomas, „Barbarossas Wiederkehr. Nachwort zu Heines ‚Wintermärchen‘“, in: Heinrich Heine, Deutschland. Ein Wintermärchen, Frankfurt am Main, Insel, 2005, S. 103-130. Sarasin Philipp, „Die Wirklichkeit der Fiktion. Zum Konzept der ‚imagined communities‘“ (2001), in: Ders., Geschichtswissenschaft und Diskursanalyse, Frankfurt am Main, Suhr- kamp, 2003, S. 150-176. Scherzer Philipp, Is German Film moving towards a ‚New Patriotism‘? An Analysis of Sönke Wortmann’s The Miracle of Bern based on the Prototype of the American Sports Film of the 1980s, Hamburg, Diplomica Verlag, 2008. Schneider Jens, Deutsch sein. Das Eigene, das Fremde und die Vergangenheit im Selbstbild des vereinten Deutschland, Frankfurt am Main/New York, Campus, 2001. Schümer Dirk, Gott ist rund. Die Kultur des Fußballs, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1998. Schwilk Heimo, Ulrich Schacht (Hg.), Die selbstbewußte Nation. ‚Anschwellender Bocks- gesang‘ und weitere Beiträge zu einer deutschen Debatte (1994), Frankfurt am Main/Berlin, Ullstein, 1996. Tagsold Christian, Spiel-Feld: Ethnografie der Fußball-WM 2006, Konstanz, UVK, 2008. Theweleit Klaus, Tor zur Welt. Fußball als Realitätsmodell, Köln, Kiepenheuer & Witsch, 2004. Urban Urs, „Die Funktion des Epischen für die Bewältigung kollektiver Niederlagen in der deutschen und französischen Literatur des 19. Jahrhunderts“, in: Charlotte Krauss, Thomas Mohnike (Hg.), Auf der Suche nach dem verlorenen Epos. Ein populäres Genre des 19. Jah- rhunderts, Berlin, LIT, 2011, S. 15-37. —, „Homo athleticus et homo sacer. Le corps sportif et la production biopolitique du sujet chez Georges Perec, Philippe Grimbert et dans un roman de Michel Tournier qui n’a jamais été écrit“, in: Maciej Forycki (Hg.), Jeux et sports de la Renaissance à nos jours, Poznàn, 2013 (à paraître). Vinken Barbara, Bestien. Kleist und die Deutschen, Berlin, Merve, 2011. Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke 387

Werner Florian, „Das WM-Halbfinale am 4. Juli 2006. Ein Endzeitdrama mit Endnoten“, in: Ralf Bönt, Albert Ostermaier, Moritz Rinke (Hg.), Titelkampf. Fußballgeschichten der deutschen Autorennationalmannschaft, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2008, S. 248-253. Wortmann Sönke, Deutschland. Ein Sommermärchen (2006), Kinowelt Home Entertainment, 2007.

Zusammenfassung Der Artikel widmet sich der Analyse zweier deutscher Filme aus dem Jahr 2006, die beide auf die Fußballweltmeisterschaft, die in eben diesem Jahr und Deutschland statt- fand, Bezug nehmen: Sönke Wortmanns Deutschland. Ein Sommermärchen und Klaus Lemkes FernsehfilmFinale . Da sich in diesem Zusammenhang in sportlicher Hinsicht keine Erfolgsgeschichte erzählen lässt, stellt sich die Frage, welche andere Erzählung hier jeweils miterzählt wird, genauer: ob diese Filme nicht als politische Allegorie gelesen wer- den können oder gar müssen. Unter diesem Gesichtspunkt lässt sich zeigen, dass Wort- mann offenbar allein deshalb vom Fußball ausgeht, um die Entwicklung des Corpsgeistes innerhalb der deutschen Mannschaft ins Bild zu setzen, und um darüber hinaus zu zeigen, wie dieser Corpsgeist unter den vor den Bildschirmen versammelten Fans ein Gefühl nati- onaler Solidarität wachruft und auf diese Weise einen übergeordneten Gemeinschafts- körper herstellt, der indes bei näheren Hinsehen von einem rein sinnlichen Wunsch nach Vergemeinschaftung zusammengehalten wird. Da dieser scheinbar völlig unbedeutende Film sich in einen Diskurs einschreibt, dem es darum zu tun ist, die Kritik am deutschen Nationalismus (wie etwa Heine sie in seinem Wintermärchen formulierte) zu überwinden und das Konzept der Nation aufzuwerten, erweist er sich letztlich als äußerst politisch, und, in dieser Hinsicht, aufgrund seiner Geschichtsblindheit als politisch problematisch. Lemke dekonstruiert genau dieses Bild der Nation, indem er den sinnlichen Grund des scheinbar politischen Begehrens zeigt und so sowohl das Politische als auch das Sexuelle entwertet; an diesem Punkt geht sein Film über Sport, Nation und heteronormative Sexu- alität hinaus, um eine ganz andere Geschichte zu erzählen: nämlich die Liebesgeschichte zweier junger Frauen, die einander voller Hingebung begegnen. Die Nation, das erahnte bereits Heine in aller Deutlichkeit, und wir wissen, wie recht er hatte, hatte zumindest in Deutschland nie eine (nur) integrative Funktion – ganz im Gegenteil; und über den deutschen Fußball lässt sich nach wie vor nur die wenig fesselnde Geschichte einer Nati- onalmannschaft erzählen, die schon lange keinen internationalen Titel mehr gewonnen hat: alles andere ist politische Mythenbildung.

Résumé Dans cet article, l’auteur se propose d’analyser deux films llemandsa sortis sur les écrans en 2006 qui se réfèrent à la coupe du monde de football ayant lieu cette même année en Allemagne : Allemagne. Un conte d’été (Deutschland. Ein Sommermär- chen) de Sönke Wortmann et Finale de Klaus Lemke. L’histoire de l’équipe allemande n’ayant pas été celle d’un succès sportif, la question se pose de savoir ce qu’un film por- tant sur cet événement peut bien raconter d’autre, ou mieux : s’il ne peut, ou doit, être lu comme une allégorie politique. Wortmann, en effet, se sert du football pour mettre en image la formation de l’esprit de corps au sein de l’équipe allemande, tout comme 388 Revue d’Allemagne la solidarité nationale qu’inspire celui-ci à la foule des supporteurs qui se regroupent devant les écrans, formant à leur tour un corps social, animé d’un désir tout d’abord physique de communauté. Dans la mesure où ce petit film apparemment tout à fait insignifiant s’inscrit dans un discours plus large tendant à se démarquer de la critique du nationalisme allemand (telle qu’on la trouve, précisément, dans le Conte d’hiver de Heine) et visant à revaloriser le concept de nation, il s’avère éminemment politique – et, de ce point de vue, politiquement problématique. C’est cette image de la nation que Lemke déconstruit en montrant le fondement sensuel de ce qui est apparemment désir politique, et dévalorise à la fois et le politique et le sexe ; c’est là que son film dépasse le sport, la nation et la sexualité hétéronormative au profit d’une histoire d’amour entre deux jeunes femmes prêtes à se donner l’une à l’autre. La nation, Heine s’en doutait et on sait à quel point il avait raison, n’a jamais eu, du moins en Allemagne, d’effet purement intégratif – bien au contraire ; tout ce qu’on peut raconter alors du football allemand, c’est l’histoire d’une équipe nationale qui n’a plus gagné la coupe du monde depuis fort longtemps : ce qui va au-delà de cette histoire relève de la mythologie politique. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 389 T. 45, 2-2013

Le jeu avec les imaginaires collectifs dans les théâtres hors établissements en Allemagne

Éliane Beaufils*

Les trois expériences analysées dans cet article reflètent une tendance stable voire grandissante : il s’agit de trois collectifs théâtraux qui ne se produisent pas, ou pas uniquement, dans des établissements officiels. Ils s’adressent à un public qui, moins qu’au théâtre, forme déjà une communauté. Mais ces théâtres « mineurs », et pour cette raison moins étudiés, touchent beaucoup de monde. Qui plus est, ils s’adressent différemment au public et entendent faire venir au théâtre des gens qui n’y viendraient pas autrement. En ce sens, ce sont des théâtres qui se veulent pour tous, et qui au-delà de l’événement théâtral entendent activer un mode d’être différent en collectivité. La question est de savoir s’ils peuvent faire l’impasse sur un imaginaire national tout en contribuant à l’éveil d’une autre communauté. Si oui, quelles formes prennent cet éveil et cette communauté ? Antagon est une troupe établie depuis longtemps à Francfort. Son nom program- matique peut immédiatement être rapporté au théâtre d’action des années 1970 : il importe d’activer les différends en s’émancipant de la pensée dominante et des cadres sociaux. C’est précisément l’objet du spectacle Frame Games, qui joue de manière ludique sur nos cadres de représentation. Le public est rassemblé dans la nuit estivale au bord du Main devant un espace scénique sans estrade. Derrière les tentures et les premières projections de vie urbaine dans les années 1950, il découvre des cadres, emboîtés les uns dans les autres, tous de travers mais agencés selon un ordre de gran- deur décroissant. Les acteurs jouent entre les cadres écartés les uns des autres d’en- viron un mètre. Leur jeu sera mimétique, ludique, souvent dénué de paroles, si bien qu’ils font surgir une image après l’autre, un peu à l’instar des anciens panoptiques ou kinétoscopes. Ces images animées ont à peine le temps de se déployer avant de céder la place au prochain tableau. Comme le spectacle a lieu de nuit, les cadres constituent

* Maître de conférences, Université Paris 8. 390 Revue d’Allemagne une forme de camera obscura, surface de projection d’images folles et évanescentes à forte dimension onirique. Theater Anu est un autre collectif spécialisé dans les installations et les perfor- mances en plein air. Ce « théâtre poétique dans l’espace public » (1) met souvent en place des parcours qu’il vaut mieux découvrir la nuit, en raison des nombreux jeux de lumière. Ainsi, dans le projet de 2011 Come to MoraLand, que nous avons pour notre part vu à Paderborn, les spectateurs-participants sont apostrophés par des êtres bizarres coiffés d’abat-jours et parlant le Mora, idiome que les spectateurs sont invités à apprendre afin de pouvoir mieux saluer les étrangers et communiquer avec eux. La découverte des Moraniens s’effectue au cours de rencontres avec des indivi- dus particuliers – le peintre, le musicien, le jardinier des pierres, les architectes de lumière –, le plus souvent dans des tentes qui abritent leurs travaux. Le collectif Rimini Protokoll s’est rendu célèbre en tant que théâtre « d’experts du quo- tidien » (« Alltagsexperten », selon l’expression employée par les artistes eux-mêmes), parce que ses membres se fondent sur les récits et rencontres avec des « spécialistes » : ces gens sont les mieux placés pour parler du sujet puisqu’ils parlent d’eux, qu’ils transmettent leur expérience, de camionneurs (dans le spectacle Cargo Sofia, 2006), d’imams (Radio Muezzin, 2008), d’enfants (Airport Kids, 2008). De nombreux projets portent sur des étrangers et l’étrangeté, thème de leur premier succès international, où les spectateurs étaient emmenés dans une sorte de camion à paroi transparente pour « voir » en quelque sorte comme voyaient les camionneurs sillonnant l’Europe (2). Les acteurs sont issus de milieux très différents à chaque projet, si bien que le collectif adopte presqu’au sens propre un angle différent à chaque représentation. Nous étu- dierons ici la pièce Black Tie, qui se réfère à une jeune Allemande d’origine coréenne, Miriam Yung Min Stein, adoptée dans les années 1970 par une famille allemande. Sa réflexion tourne autour du thème de l’identité, toujours fondée sur l’identité nationale. Il faut noter que Rimini Protokoll a eu du mal à trouver une enfant adoptée qui accepte de témoigner (3) et que cette jeune femme a d’abord relaté son expérience dans un livre. Il s’agit donc d’un projet particulièrement travaillé et difficile. On le voit, tant les thèmes que les cadres et modes d’action de ces théâtres sont liés à une réflexion sur le collectif, même si le collectif national n’est pas présent en tant que tel : il s’agit davantage de la « société », du pays de Mora contrastant avec l’Allemagne, et du questionnement de l’identité nationale et individuelle. Les trois groupes artis- tiques opposent ce faisant une forme de critique à la culture dominante (nationale). Ils reprennent dans le même temps cependant des motifs traditionnels de la culture allemande, ce qui contribue à faciliter et à enrichir la réception de leurs représenta- tions. Last but not least, ils s’appuient sur une très forte dimension performative, qui contribue à éveiller une conscience différente de la communauté hic et nunc et permet d’intégrer tous les éléments de représentation du collectif.

1 Il se nomme lui-même ainsi : « poetisches Theater im öffentlichen Raum. » 2 Projet de Stefan Kaegi, nommé Cargo Sofia-Basel, 2006, ensuite étendu à de nombreux pays. Tous les travaux du collectif sont présentés sur internet : www.rimini-protokoll.de. 3 Propos révélé dans une discussion avec le public après la représentation à Mayence le 23 septembre 2011. Les imaginaires collectifs dans les théâtres hors établissements en Allemagne 391

La critique des systèmes culturels nationaux et la reprise de motifs culturels fondamentaux Les trois théâtres veulent pratiquer un théâtre différent de celui qui est joué dans les grands établissements, jugé sclérosé et intellectuel, sclérosé parce qu’intellectuel, élitiste et exclusif. Dire que ces théâtres sont uniquement nés d’une critique du théâtre qui existe dans les « grands établissements » serait cependant réducteur. D’une certaine manière, ils conçoivent le théâtre en place comme « national », non pas comme l’avaient conçu ses fondateurs au xviiie siècle, comme théâtre de langue et de culture allemande, mais comme système théâtral le plus cohérent et le plus riche au monde. Ils se dressent contre ce théâtre précisément parce qu’il n’est pas capable de s’adresser à toute la population, en l’occurrence de la rassembler. Amener au théâ- tre des gens qui n’y viendraient pas spontané- ment signifie aussi pour les collectifs revenir à la vocation même du théâtre, à sa dimension vivante qui, pour exister, a besoin d’espaces, de contenus, d’échanges vivants avec le spectateur afin de casser le système de communication en place pour parler en termes plus luhman- niens (4). Leur reproche est sans doute habité par une part incontestable Copyright de populisme : il s’agit, Theater Anu. comme le souhaitaient Photographe : maintes avant-gardes Urs Siegenthaler. de la première moitié du xxe siècle, de « tou- cher tout le monde » et de renouer au théâtre avec la vie, aspirations qui semblent désormais naïves. Mais ils sont de ce fait mus par une volonté politique, et qui dit politique ne peut la dissocier du cadre dans lequel elle doit s’exercer – en premier lieu géo- graphique et national.

4 On rappelle que Luhmann caractérise les différents systèmes sociaux avant tout comme des systèmes de communication autopoïétiques. Voir Niklas Luhmann, Soziale Systeme. Grundriss einer allgemei- nen Theorie, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1984. 392 Revue d’Allemagne

Cette critique n’est toutefois pas frontale durant les spectacles mêmes, du moins elle ne développe pas des thèmes récurrents de l’agenda médiatique et politique. Il ne s’agit pas de dénoncer, mais de montrer autre chose et de promouvoir d’autres attitudes. La seule opposition manifeste est l’opposition des lieux : ces théâtres jouent à l’extérieur, ou dans de petites salles, bref dans des lieux marginaux (5). L’accès en est facile, les prix sont plus faibles, quand il y en a. Lors des représentations que nous avons vues, des gens venaient par hasard, en famille, entre amis. Même à Francfort, où Antagon orga- nise depuis des années ses journées estivales, de nombreuses personnes ne connaissent pas ce festival, si bien qu’on ne peut guère parler d’un public d’habitués, où les acteurs prêcheraient à des convertis. Cependant, « les Allemands » ne sont guère évoqués en tant que tels dans les spec- tacles. Si critique il y a, il s’agit davantage d’une critique de la civilisation, ou de systè- mes de pensée. Frame Games reprend notamment le motif des grandes villes, souvent associé au motif du fugitif, des rencontres fugitives notamment, ainsi qu’aux transfor- mations multiples (6). On y voit se profiler les vocations meur- trières, sexuelles, artistiques les plus excessives, les syn- dromes de masse, la peur ou l’hystérie. Cette critique émi- nemment « moderne » se situe dans le prolongement de toute une littérature allemande, du Berlin Alexanderplatz de Dö- blin à l’Opéra de quat’sous brechtien, mais aussi de quan- tité d’auteurs étrangers du xixe siècle, tels Eugène Sue avec les Mystères de Paris, Oscar Wilde Szene aus dem Stück “Frame Games” von antagon theaterAKTion. ou Émile Zola. La critique de systèmes de pensée est plus directe, actuelle et donc acerbe chez Rimini Protokoll. En effet, Miriam dit sa souffrance à ne pouvoir percer le « trou noir de ses origines » (auquel le titre Black Tie fait allusion). Elle va jusqu’à reprocher à ses parents adoptifs une bonne conscience beaucoup trop naïve, ignorant le dilemme existentiel dans lequel ils plongent des enfants qui ne savent plus, en définitive, en quelle culture se reconnaître. Sa présentation évite néanmoins tout manichéisme. Elle revient sur l’his- toire coréenne et allemande du xxe siècle, montre les paquets « Care » envoyés après la Seconde Guerre mondiale par les Américains aux Allemands meurtris et reconnais- sants. Les Allemands ont constitué après-guerre une nation en développement, tribu- taire de l’aide étrangère, si bien qu’ils s’en sont sentis redevables et ont voulu secourir à

5 La représentation de Black Tie que nous avons vue se jouait aussi dans une institution culturelle « mineure », le KUZ à Mayence. Depuis quelques années néanmoins, le collectif est tellement renommé qu’il joue la plupart du temps dans « les grandes salles ». 6 Voir à ce sujet Eva Holling, Ist alles gespielt? Blicke auf den Stadtraum im neuen Theater, Marbourg, Tectum, 2007, p. 4 sq. Les imaginaires collectifs dans les théâtres hors établissements en Allemagne 393 leur tour les plus démunis. Ainsi de nombreux couples allemands se sont mis, comme les Américains, à adopter les orphelins de cette autre nation détruite et divisée par la guerre qu’était la Corée. Simplement, cette présentation historique est faite par une orpheline concernée en première instance, ce qui l’investit d’une légitimité indéfectible. De plus, l’insertion dans la grande histoire généralise l’histoire singulière. Enfin, Miriam pré- sente l’arrière-fond historique précisément comme un arrière-fond : un large panneau accueille les projections de photos retraçant l’histoire de la Corée, l’intriquant avec celle de l’Allemagne. Il reste extérieur à la jeune femme qui ne peut reprendre à son compte les bonnes raisons entendues (historiques et morales). Les petites fleurs qui tapissent le panneau sont investies d’une subtile ironie bucolique : motif joli et cher à l’enfant qu’elle était, elles représentent désormais un espace qui ne remplit pas ses promesses d’idylle. L’histoire singulière de la jeune femme confère en outre, de manière en apparence para- doxale, une teneur plus générale à la critique. Un peu comme « un Français parle aux Français », une personne bizarre, un avatar d’Allemande parle aux Allemands, qui sont souvent aussi, surtout dans le cadre de festivals non élitistes, des Allemands aux origines diverses, des étrangers ou en septembre à Mayence, des handicapés. La parole de Miriam est comme investie intrinsèquement d’une réflexion sur nos identités composites et sur la faute qu’il y aurait à ne pas d’emblée les concevoir comme composites et relatives. Car c’est bien d’une faute dont la jeune femme accuse ses parents adoptifs, celle de ne pas avoir voulu comprendre la difficulté à être allemande dans un corps de Coréenne et plus loin, à ne pas se sentir obligée d’être reconnaissante. Miriam souligne le caractère problématique de cette reconnaissance (Dankbarkeit) qui éluderait toute vraie recon- naissance (Anerkennung), problème qui a engendré chez elle une forme d’opposition farouche à toute action caritative. On voit que les bons sentiments parentaux ont consti- tué une contrainte sociale abusive, manifeste également dans les sentiments excessifs qui ont habité la jeune femme : jusqu’à l’âge de onze ans, elle était de fait incapable de se séparer de sa mère, et elle a ensuite rompu tout contact avec ses parents durant ses études. Elle signifie en tout état de cause au spectateur qu’il convient de renoncer à une identité personnelle fixe, et à des valeurs inaliénables. Le thème du regard est central dans les travaux de Rimini Protokoll qui prennent Sartre presque à revers. Ce n’est pas

Rimini Protokoll : Black Tie. Miriam se confronte à la culture coréenne grâce à une jeune femme de son âge. Copyright Barbara Braun. 394 Revue d’Allemagne tant le regard de l’autre qui nous constitue, il ne devrait à vrai dire avoir aucun impact sur nous. Mais il est bon de recevoir un regard comme reconnaissance de soi. Il est donc nécessaire d’ouvrir notre regard pour ne pas enfermer les autres ni nous réduire nous- mêmes. Pareille pensée peut d’ailleurs être située dans le prolongement de la culture allemande luthérienne qu’elle critique, fondée sur la vigilance à soi, dans le prolonge- ment aussi des impératifs d’épanouissement personnel et de conscience de soi qui vont de pair avec l’ouverture à l’autre (7). La leçon personnelle du regard et la critique exercée vis-à-vis d’une culture allemande empreinte de sentiments chrétiens, de la volonté de rendre les enfants autonomes et aimants, sont les deux faces d’une même médaille. Ainsi, les leçons socio-psychologiques de Black Tie ont une dimension « nationale ». Il est d’ailleurs révélateur que les projets de Rimini Protokoll soient tous portés par un nouveau regard sur des groupes d’individus. Qui part de groupes ou de catégories conçoit leur fort caractère structurant et, corrélativement, le blocage de notre regard par des frontières invisibles qu’il faut ouvrir. Évidemment, il convient de ne pas réduire ces projets à un contenu didactique, ils se veulent tout sauf linéaires, et ne réduisent aucunement la vision de l’Allemagne à celle des parents adoptifs ni à la culture domi- nante, « conductrice » (Leitkultur) (8), qu’ils incarneraient. Le recours à des acteurs non professionnels montre précisément le caractère un peu épisodique, relatif de toute pensée dominante… dans des cadres préalables qui existent malgré tout. La critique nationale est enfin relativisée car elle passe par le filtre d’une subjectivité ostensible et que Miriam reconnaît la bonne éducation dont elle a joui. Or les projets du théâtre Anu, bien que moins articulés et moins critiques, recou- vrent également une « pédagogie nationale en creux » ; mais en refusant de s’identifier au théâtre des grands metteurs en scène, il rejette aussi les principes presqu’unanime- ment partagés par ceux-ci : refus d’apporter des réponses, méfiance vis-à-vis de toute esthétique didactique ou de toute beauté ludique qui relèguerait l’impératif critique au second plan. Il ose ainsi plus que d’autres afficher de bonnes intentions politiques et esthétiques. Lorsque les acteurs déguisés en Moraniens accueillent les visiteurs avec un idiome incongru en arborant le large sourire des simples, ils font appel à notre tolérance sponta- née, nous invitent à adopter directement, sur leur dires, leurs gestes, leurs productions, un autre regard, nous invitent à ce même sourire des simples, à une gaieté dénuée de toute ironie mais non de cette sage allégresse qui emplit certains personnages de Her- mann Hesse par exemple. Avec leur « parler étranger », ils ne s’adressent pas simple- ment aux individus, mais aux individus issus d’une communauté. Il s’agit de se changer ensemble, hic et nunc, collectivité au sein de la globalité et tout d’abord au sein de la nation. La leçon est souvent assez directe : il est dit qu’il suffit de peu pour voir les choses autrement, pour se changer – adopter une attitude accueillante, se reconnaître dans les éléments, réfléchir le monde par une multitude de miroirs qui en montrent la beauté

7 On peut interpréter cela comme un héritage du système éducatif allemand mis en place par Humboldt, mais on retombe vite dans la caricature… 8 On rappelle que le concept « Leitkultur » a été créé en 1998 par Bassam Tibi puis développé dans son livre Europa ohne Identität ? Die Krise der multikulturellen Gesellschaft, Munich, Siedler, 2000. Il a donné lieu par la suite à de nombreux débats. Les imaginaires collectifs dans les théâtres hors établissements en Allemagne 395 mais aussi le fractionnement ; il importe notamment de tout faire pour éviter ce qui est arrivé aux Moraniens. Ceux-ci ont perdu contact avec la « grande plante » qui relie tous les éléments de la nature, et cette perte, imputable à la négligence, à l’oubli de langues et de connaissances fondamentales, a amené le peuple à placer les graines restantes dans un musée, en attendant que la nature puisse à nouveau briller de mille plantes et couleurs. Le garde de cette arche de Noé botaniste nous prie donc instamment de veiller à ne pas subir la même perte et de prendre soin de nos graines ici à « Paderbé ». La déformation du nom de la ville de Paderborn montre qu’il peut s’agir de n’importe quelle ville en Allemagne. Ce qui est présenté sous forme de conte, où les personnages ont des attitudes naïves soulignant leur extravagance, aurait sans doute gagné à être présenté comme l’histoire réelle dont s’inspire le Theater Anu : le récit de l’ethnologue Heinrich Barke (9). Le rapport à des étrangers réels aurait plus subtilement ancré ce théâtre « immersif » entre le réel et l’imaginaire, dans les possibles plus que dans le conte. Or il suffit d’entendre cette description du voyage au pays des Moraniens, à com- mencer par la vertu cardinale du voyage, pour se rendre compte de son profond ancrage dans la culture romantique et idéaliste allemande. Le fait que la population soit invitée à faire des efforts dans son pays avant de voir plus loin pourrait même faire penser à Fichte, lorsqu’il voit dans les Allemands le peuple le plus apte à intégrer la raison et les valeurs universelles, un peuple élu en puissance, capable de guider les autres (10). Le motif romantique essentiel est bien celui du pays inaccessible, le pays de la « grande fleur » (semblable à la fleur bleue de Novalis), pays de la poésie, de l’union et de l’harmonie ; il se fonde sur le lien avec mère nature, rappelle également les pré- ceptes de Paracelse (11) ; c’est le pays ou le voyage de vérité, contrée rencontrée derrière les paravents de la nôtre, grâce à l’étranger ; les légendes racontées ont un rôle moteur autant que les miroirs, motif du monde caché ou renversé, les pierres, la lumière. Antagon aussi se nourrit de représentations romantiques : il reprend le motif du rêve révélateur de vérité, de vérité supérieure, inexprimée ; le jeu, dans lequel l’homme se dit, se reconnaît, non seulement révélateur, mais expression paradoxale de l’être dans l’apparence ; la mise en avant de la créativité, des impressions sensuelles ; le goût de la culture populaire, notamment du théâtre de foire, mêlé à des exercices circassiens (lorsque les acteurs se meuvent sur échasses). Ces deux théâtres de l’espace public renouent en outre avec le conte. Celui-ci est vraiment conçu comme fondement culturel, on se moque du kitsch et des distinc- tions opérées entre culture des élites et culture populaire (sans cesse débattues (12)). Renouer avec la poésie populaire représente pour ces groupes une liberté d’être et de pensée, une manière d’être entière. Ils revendiquent un retour à l’essentiel, i.e. à des

9 Heinrich Barke, Meine Reisen nach MoraLand, Berlin, Eigenverlag, 1921, p. 34. 10 Voir Fichte, 14e discours à la nation allemande, in : Werke, Berlin, De Gruyter, 1971, p. 486-499. 11 On rappelle que pour Paracelse, le corps matériel est simplement une partie du corps cosmique. Il existe des correspondances entre le microcosme que constitue l’homme et le monde macrocosmique. 12 À commencer par les dénominations. On entend ici par « culture populaire » tout ce qui n’est pas considéré comme culture des élites, à l’instar de Jean-Paul Gabilliet, professeur à l’université Michel de Montaigne. Voir « La notion de ‘culture populaire’ en débat », Revue de recherche en civilisation américaine, n° 1 (2009), mis en ligne le 17 juin 2009. Consulté le 14 novembre 2011, URL : http://rrca. revues.org/index173.html. 396 Revue d’Allemagne aspirations premières de libération et d’harmonie par-delà les dysfonctionnements sociaux et à un partage de l’événement théâtral. Voilà qui rappelle les propos de Bet- telheim sur les qualités des contes à « transmettre le lien social et à cultiver les vertus traditionnelles » (13). On pourrait rétorquer qu’Antagon et le théâtre Anu omettent de revendiquer la volonté de faire revivre une culture populaire et romantique ainsi, chez Antagon, qu’une culture moderne allemande (on pense aux motifs de la grande ville dans les années 1920). Simplement, l’opposition au théâtre des établissements publics inclut l’opposition au caractère très intellectuel de ce théâtre. Le refus de positionnement intellectuel affiché permet d’une certaine manière de se ressaisir de valeurs simples, en partie transmises par l’éducation et la formation, mais tellement présentes (par l’inter- médiaire des principes éducatifs, des jeux, ou de la publicité…) qu’elles ne sont parfois plus reconnues comme romantiques ou idéalistes. Il s’agit bien néanmoins, comme le montre le nom programmatique de ces deux théâtres (antagoniste ou poétique), de défendre des valeurs et un imaginaire abandonnés par des théâtres officiels empreints de désillusion postmoderne ou à tout le moins post-adornienne. L’idéal du théâtre populaire et le jeu avec le kitsch peuvent cependant sembler pro- blématiques. Au « kitsch », c’est-à-dire au scénario standardisé, aux clichés, au senti- mentalisme, on rapporte en général les comédies, les pièces de théâtre folkloriques, paysannes, le théâtre de foire ou les pièces politiques édificatrices (14). On peut y ratta- cher en partie le théâtre Anu et Antagon. Leur intention de rassembler autour d’une culture qui renoue avec un imaginaire « allemand » et la reprise de motifs plus ou moins romantiques ne signifie rien moins qu’une construction de mythologies quo- tidiennes, un amalgame sans fondement réel. Comme toute culture kitsch, le théâtre Anu et Antagon entendent être divertissants, susciter une projection ou une adhésion émotionnelle, en refusant toute complexité du message : aspect ostensible quand les Moraniens parlent leur idiome et surtout quand Antagon se contente d’images scéni- ques sans paroles… Dans les deux cas, les spectacles ou épisodes théâtraux s’inscrivent dans un moment festif et une communauté plus larges. Ils ne sont pas sans rappeler alors le village de vacances autrichien Montafon, qui accueille chacun de façon festive et attrayante, sans qu’il ait à se poser des questions sur ses activités. Knodt caractérise celui-ci par une atmosphère débordante qui s’éprend de tout et de chacun (überflu- tend), si bien que les sens sont presque noyés par les sollicitations, et qu’on éprouve une facilité à être que l’auteur qualifie de « dissolution dans l’être ensemble », « conscience

13 B. Bettelheim, Psychanalyse des contes de fée, Paris, Laffont, 1977, p. 54. 14 On pourra se conférer à notre article « Kitsch oder Subversionen des Kitsches in zeitgenössischen Theaterperformances ? Zum Nutzen des Weder-Noch », à paraître prochainement dans les actes du colloque « Kitsch. Vom Nutzen der Nicht-Kunst », Kunsthochschule Halle, juin 2013. Comme on tend à recourir de plus en plus dans le théâtre contemporain à des éléments autrefois conspués comme mineurs et faciles, plusieurs livres sont parus sur le sujet ces dernières années, notamment le numéro 202 de la revue Théâtre/Public paru en 2011 sous la direction de Bernard Rothstein, « Kitsch ou néobaroque dans les scènes contemporaines » ainsi que l’ouvrage collectif paru sous la direction d’Isabelle Barbéris, Kitsch et théâtralité. Effets et affects, Dijon, Édition universitaire de Dijon, 2012. Les imaginaires collectifs dans les théâtres hors établissements en Allemagne 397 amalgamée avec ce qui advient » (15). Les visiteurs n’ont plus à produire eux-mêmes les correspondances esthétiques, et fusionnent avec les autres dans les vastes machines de rythme et de lumière. On assiste en tous les cas à un « mélange de vécu personnel et collectif » (16). Si les expériences faites avec les théâtres Anu et Antagon pouvaient être assimilées à ce genre de symbiose collective, voilà qui rendrait suspect non seulement les messages mais la communauté produite et ressentie lors du spectacle. Il n’est de fait pas possible d’éluder l’hypothèse de la régression, autrement dit : d’une recherche d’idylle illusoire, alimentée à notre bonne conscience et à des idéaux écologiques chez Theater Anu, ou nourrie d’idéologie révolutionnaire et anarchisante chez Antagon. Antagon est d’ailleurs contradictoire puisque les représentations mises en scène sont empreintes de nostalgie, de poésie, bref, sont extrêmement esthétisées plus qu’elles n’appellent à une libération. Ce réconfort par les représentations collectives pourrait répondre à un sentiment d’impuissance et de déracinement de spectateurs, comme cela fut le cas dès le xviiie siècle lorsque le kitsch apparut et réconforta des bourgeois poli- tiquement démunis. Le fait est qu’une « littérature, [un théâtre] qui entend en priorité divertir de larges pans de la population mais se revendique dans le même temps d’une certaine exclusivité risque de ne plus être crédible » (17). Cependant, il convient de rap- peler que ces théâtres se déprennent de tout sentimentalisme, et que la réflexion, voire le questionnement sont sollicités chez Theater Anu lorsqu’il demande aux spectateurs de participer aux actions. Même lorsqu’Antagon joue avec les images et que les acteurs incarnent des stéréotypes souvent intemporels ou liés à la foire, il joue ostensiblement avec des représentations, introduisant par conséquent une distance. Il s’agit à la fois de faire revivre une ambiance festive et d’interroger l’imagerie populaire. Il faut en outre noter qu’aucune œuvre n’est jamais assurée de ne pas connaître une réception kitsch, qui la réduise à des schèmes connus ou qui nourrisse le sentimentalisme du récepteur. Mais pour être sûr que ces spectacles ne suscitent pas avant tout une effervescence régressive et illusoire, il conviendra de confronter les représentations véhiculées à la dimension performative de l’ensemble. Rimini Protokoll ne reprend évidemment pas autant de clichés, quoiqu’on puisse retrouver dans Black Tie la notion idéaliste du voyage émancipateur lorsque Miriam par- court le globe et retourne en Corée… pour ne pas s’y re-découvrir. Black Tie est en tous les cas une forme de théâtre documentaire. Cependant, il n’importe pas en premier lieu à Rimini Protokoll de défendre des opprimés, des laissés-pour-compte, ni de réparer les injustices et d’appeler ainsi à une action politique. Miriam a beau être issue de milieux pauvres, elle appartient désormais aux couches les plus cultivées. Journaliste, metteuse

15 « Auflösung des Subjekts im Dabeisein », « Bewusstsein amalgamiert mit Geschehen », dans Reinhard Knodt, « Liebes Montafon », in : Ästhetische Korrespondenzen. Denken im technischen Raum, Ditzin- gen, Reclam, 1994, p. 125 sq. 16 « durch Rhythmus und Lichtmaschinen miteinander verschmiedet », « Vermischung von persönli- chem Erleben mit Kollektiverleben », dans R. Knodt (note 15), p. 125. Il faut noter que ce brouillage de l’individuel et du collectif constitue aussi un critère déterminant de la banalité ou trivialité pour Westerbarkey. 17 « eine Literatur, die primär breite Leserschichten unterhalten will, sich gleichzeitig jedoch exklusiv gibt, riskiert unglaubwürdig zu werden », J. Genz, Diskurse der Wertung. Banalität, Trivialität und Kitsch, Munich, W. Fink, 2011, p. 22. 398 Revue d’Allemagne en scène, écrivain, elle sillonne la planète. Il ne s’agit donc pas de défendre une catégorie mais de réfléchir l’existant jusque dans les bastions les plus forts de notre conscience démocratique et/ou chrétienne, telles les actions caritatives honnies par Miriam, ce qui inclut bien entendu la volonté de changer les individus et de faire prendre conscience que le monde est malléable : ce qui nous ramène par exemple à Brecht. Ce théâtre se veut par ailleurs, comme nombre de théâtres en Allemagne, un théâtre de réflexion presque philosophique. Bien qu’il ne se fonde pas à proprement parler sur une éthique, ses sujets promeuvent une réflexion esthético-politique, prélude (comme le désirait Schiller) à un changement des mentalités, qui lui-même peut avoir des consé- quences sociopolitiques. Ainsi, même s’il n’est pas autant tendu vers un but, ni animé par une intention didactique affirmée, il use quand même de moyens esthétiques pour favoriser la réflexion, qu’il s’agisse des moyens « sensuels » tels la diversité des voix et des médias, ou d’ironie, de la distance agréable et dénuée de pathos avec laquelle Miriam parle sur scène. Or user de moyens esthétiques pour favoriser la réflexion fait pour une grande partie des anciens écoliers allemands le principal intérêt du théâtre. Cet héritage est reconnu et mis en scène, notamment lorsque le collectif se produit dans de hauts lieux du théâtre comme en 2005 à Weimar dans une recréation du Wallenstein de Schiller. Rimini Protokoll ne se contente évidemment pas d’activer chez ses spectateurs d’anciennes représentations du théâtre pour être plus percutant. Au contraire même pourrait-on dire, puisqu’il ne cesse de les surprendre au moyen d’une performativité sans cesse renouvelée, tellement effective en vérité qu’il peut se permettre en quelque sorte de renouveler le théâtre jusqu’en ses bastions et ses principaux festivals.

La dimension performative des trois spectacles Cette dimension s’appuie au premier chef sur les lieux : anonymes et ouverts, ils peuvent rassembler les individus du monde globalisé, comme voués à penser en termes supranationaux bien plus que nationaux. Ils les rassemblent surtout en leur faisant éprouver une très grande liberté. Il se produit de la sorte un double mouvement : d’une part, les spectateurs viennent dans une sorte de no man’s land, de l’autre on crée un sentiment de vivre ensemble, une expérience unique, fondant une communauté cer- tes fragile mais réelle, puisant dans des représentations ou des « valeurs » banales ou kitsch. On plonge les spectateurs dans des cadres qui ne produisent guère de contrain- tes symboliques, mais en faisant appel à des représentations anciennes. Peut-on alors considérer cette manière de rassembler dans une très grande liberté comme une façon de rejouer le fondement de la communauté ? Là encore, on ne peut a priori dire s’il s’agit d’un réconfort régressif ou d’une refondation. Chez Antagon, le recours à un imaginaire un peu ancien va de pair avec une liberté de mouvements particulièrement grande. Les acteurs en effet ont beau adopter un jeu de mime soutenu par un maquillage outré, ils ne cessent d’esquisser des situations ni surtout des gestes inventifs : tomber à la diagonale l’un après l’autre relève d’une cho- régraphie savamment orchestrée, de même que l’emmêlement dans de larges bandes blanches ou le jeu des mains sur les bords des cadres. L’imaginaire est hétéroclite, on voit apparaître des dauphins aussi bien que des sortes de petites filles aux allumettes, on assiste à des scènes de boucherie autant qu’à des instants de suspension poétique. Les spectateurs sont quant à eux libres d’aller et de venir comme ils l’entendent, en Les imaginaires collectifs dans les théâtres hors établissements en Allemagne 399 l’occurrence de manger, de boire et d’émettre des interjections… ce que la plupart oublieront de faire, mais le fait est qu’il n’existe guère de contrainte comportementale et qu’est cultivé un esprit festif qui en appelle à la curiosité de tout un chacun et qui facilite aussi les échanges après le spectacle. Parmi les effets impressionnants, il faut compter notamment le jeu sur échasses, ainsi que les épisodes de violence ou de liba- tions. De ce fait, le groupe des spectateurs se sent spontanément lié par cet esprit de fête et les représentations sur lesquelles se fonde le spectacle muet. Les brèches sont tellement multiples qu’il est difficile de concevoir par ailleurs qu’on se projette immo- dérément dans ces images, qui apparaissent comme de joyeux clins d’œil, au parfum suranné, presque « vintage ». Un tel spectacle crée une « atmosphère » (18), nourrie d’éléments passéistes autant que de jeux « pré-expressifs », où l’on est concentré sur les métamorphoses des acteurs. Voilà qui est en particulier le cas lorsqu’ils sortent des cadres, ou en général lorsqu’ils modifient leur équilibre pour en trouver un nouveau. Comme le souligne Eugenio Barba, ce nouvel équilibre est exigeant et produit des tensions inédites. Il introduit par ailleurs une rupture de notre perception elle-même. De tels changements énergétiques aiguisent notre conscience du devenir et du présent, d’autant que les acteurs ne cessent de se costumer différemment, de se transformer. Le spectateur « se vit lui-même sur un mode particulier, comme un organisme vivant en perpétuel changement et en échange avec son environnement » (19). Comme les acteurs restent le plus souvent insérés dans leurs cadres comme des « images », une distance est néanmoins maintenue ; elle est également activée par les réminiscences du passé ou les scènes en « slow motion ». On a ainsi droit à des actions protéiformes, et à un présent instable. C’est une atmosphère auratisée plus que performative, qui soude les spectateurs en un moment de rêve à la fois commun et kaléidoscopique. Une certaine culture politique veut s’en trouver confortée et revivifiée, mais en évitant rituels, messages te structures, on lui enlève tout soubassement substantiel autre que des stéréotypes. On ne saurait donc rien déce- ler qui puisse structurer un imaginaire commun et encore moins une action… autre que la culture de la liberté et de la fête pour elle-même. L’impression produite par le Theater Anu est foncièrement différente. Cela tient d’abord à ce que nous sommes participants autant que spectateurs. On entre dans le camp des Moraniens sans suivre un parcours tracé. On chemine au gré des rencontres et des discussions avec d’autres spectateurs. Le sentiment de faire face à une communauté à tous points de vue « étrangère » oblige le visiteur à se sentir étranger, en l’occurrence allemand, mais dans le même temps, il éprouve une très grande liberté. On l’invite par ailleurs à participer à des actions : danser, faire résonner l’étonnant instrument de musique qu’on entend en se bouchant les oreilles, disposer des graines et des pierres pour contribuer au développement des jardins, etc. De la sorte, le spectateur effectue un parcours initiatique malgré les réticences de sa conscience d’adulte qui y voit des enfantillages, des essais sans but ni effet rationnel. Le fait est que nous n’avons vu

18 Notion désormais courante au théâtre, d’abord définie par Gernot Böhme, Atmosphäre : Essays zu einer neuen Ästhetik, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1995. 19 « Der Zuschauer erlebt sich in ganz besonderer Weise », « er erlebt sich als lebender Organismus, der im Austausch mit seiner Umwelt steht », Erika Fischer-Lichte, Ästhetik des Performativen, Franc- fort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2004, p. 209. 400 Revue d’Allemagne personne quitter les Moraniens avant d’avoir goûté à tous les « ateliers ». Il se produit donc une adhésion à la découverte de l’Autre. Le spectacle fait en quelque sorte appel à la personne entière, du moins à nos trois modes de mémoire : notre mémoire sémantique, puisque les Moraniens font appel à maintes représentations, notamment romantiques et écologiques ; notre mémoire épisodique, car les dessins sur sable ou les danses nous renvoient à nos propres souvenirs ; et enfin notre mémoire procédurale (20). De manière générale, plus que faire appel à notre expérience et à nos connaissances, les Moraniens entendent nous faire redé- couvrir le monde. Certes, cela prend une dimension parfois très naïve, avec des images magiques ou des his- toires mythologiques, et on pourrait y voir alors une louange « à ce qui est dépourvu d’esprit, accessible à (21) tous » . Mais on découvre des qua- Rimini Protokoll : Black Tie. Miriam présente lités musicales, visuelles et charnelles le contexte historique de son adoption. d’éléments quotidiens. Redécouvrir Copyright Barbara Braun. des beautés simples, cultiver une certaine naïveté, peut être très dérangeant, mais aussi très poétique, sans doute les deux si l’on en croit les réactions des spectateurs, tantôt gênées, tantôt concentrées ou souriantes. La rupture avec nos perceptions habituelles permet de se sentir intégré en fin de parcours à une communauté culturelle bizarre et indéterminée. Non pas celle, virtuelle, des Moraniens, mais celle des acteurs et spec- tateurs, ancrée dans l’espace ambigu qui relie la fiction, le jeu, le lieu et les réflexions sur notre civilisation. Si l’on en vient aux conditions performatives de Black Tie, elles sont à nouveau très différentes. Nul risque ici d’auratisation ou de magie : le spectacle mise sur la relation entre le spectateur et Miriam, qui se présente comme elle est et future actrice d’elle- même. La tension issue de cette situation est à l’origine d’une présence aussi forte

20 Voir Daniel Schacter, Wir sind Erinnerung. Gedächtnis und Persönlichkeit, Reinbek, Rowohlt, 1999. Schacter définit très simplement les trois mémoires : la mémoire sémantique se rapporte au symboli- que, la mémoire épisodique à des épisodes de notre vie, en l’occurrence à nos expériences personnel- les, et la mémoire procédurale à l’accomplissement de gestes ou d’activités physiques connus. 21 Norbert Bolz commente l’opinion de l’artiste, pour lequel le « salut esthétique » réside dans le « quo- tidien, sans esprit, accessible à tous » / « ästhetisches Heil », « Alltäglichem, Geistlosen, allen Zugän- glichen », dans « Marketing als Kunst oder : was man von Jeff Koons lernen kann », in : Norbert Bolz (éd.), Riskante Bilder, Munich, W. Fink, 1996. Les imaginaires collectifs dans les théâtres hors établissements en Allemagne 401 qu’évidente de Miriam. Cette présence n’est pas simplement à mettre au compte de la présence de la grande histoire au sein de la petite histoire. C’est presque le contraire : comme Miriam s’attache à éviter tout pathos et même à cultiver une ironie aimable à l’égard de ses propres recherches identitaires, ironie de plus en plus difficile à mesure que cette recherche s’avère vaine, elle ne sollicite pas le spectateur, libre de se reconnaî- tre en elle ou de s’étonner. Relation ambiguë comme ces signes que fait Miriam sans faire signe. Certes, l’arrière-fond en patchwork fonde une identité pleine de cassures et de brèches qui justifie une recherche personnelle tous azimuts. Mais le spectateur est surtout sensible à la motivation subjective et émotionnelle qui meut Miriam comme malgré elle, malgré sa distance ironique et clairvoyante. Même l’appel à la compréhen- sion historique, par le truchement de dates et d’événements supra-individuels, par une femme qui, d’une certaine façon, en a été le jouet, nous appelle à faire le lien avec notre histoire personnelle et éveille des souvenirs de notre enfance/de notre vie au cours de ces années. Tout se passe comme si le spectateur vivait à son tour à son corps défendant le fait que les « sentiments sont les principaux moteurs de nos actions » (22). Toujours, l’expérience de soi se mêle au message sémantique au-delà de toute représentation. Il y a co-présence de l’acteur et du spectateur, partageant moins une communauté qu’ils ne sont renvoyés à des communautés qui les dépassent et en même temps les renvoient à eux-mêmes. C’est ce sentiment de perdition et de renvoi à soi que partagent en fin de compte la somme des personnes réunies dans et par le spectacle : à travers cette inter- rogation de l’identité, on fait finalement l’expérience de son caractère pluriel et post- souverain (23), qui conduit à admettre l’ambiguïté de toute valeur un peu trop affirmée. Le lieu rend en outre palpable le fondement commun si diffus qui les réunit aussi, à savoir l’appartenance à un lieu et à une langue allemands. Le sentiment de commu- nauté se crée donc plus qu’il n’active un lien préalable. Le fondement commun, qu’on pouvait d’abord éprouver comme aléatoire ou diffus, n’a plus besoin de nous fonder en nous offrant un cadre mental fixe et réconfortant mais simplement en « étant là ». Le cadre national fait partie de l’être-là des spectateurs et de Miriam, tout pathos et toute fatalité normative lui sont enlevés. Ces trois théâtres, hors les murs, hors lieux, dans un cadre qui active a priori le sen- timent de communauté des spectateurs, renouent donc avec une motivation utopique du théâtre, alimenté à un imaginaire ancien, surtout romantique, et/ou, pour ce qui est de Rimini Protokoll, historique. Par le biais de la mémoire, de l’imaginaire, et des effets miroir avec le spectateur, voire d’une action commune avec lui, ces théâtres sont portés par la volonté de mouvoir le spectateur : volonté transformatrice qui puise dans l’émotion autant ou plus que dans l’intellect pour recréer des élans communs. Mais

22 « Vielmehr sind es Gefühle, welche die entscheidendste Motivation für unsere Handlungen liefern », E. Fischer-Lichte, Ästhetik des Performativen (note 19), p. 267. 23 Pour la notion d’identité post-souveraine, on pourra se reporter aux ouvrages de Judith Butler, ou à Philipp Schulte, Identität als Experiment: Ich-Performanzen auf der Gegenwartsbühne, Francfort- sur-le-Main, Peter Lang, 2011, qui consacre d’ailleurs un chapitre à Black Tie. On rappelle très briève- ment que le terme d’identité post-souveraine est à mettre au crédit de Judith Butler : non seulement le sujet n’est plus conçu de façon essentialiste, il est donc « non-identique » à lui-même, mais la notion même de sujet relève davantage d’une fiction nécessaire, tant l’individu se construit à partir des dis- cours ambiants. Ce terme met ainsi l’accent sur la procéduralité de l’identité. 402 Revue d’Allemagne en se mettant en jeu, les acteurs de Theater Anu et Miriam Stein se portent également témoins d’une histoire en train de se faire, dont il faut concevoir le cadre national tout en le dépassant. Le sentiment d’une nouvelle communauté va de facto de pair avec une appréhension renouvelée de la « nation ». L’engagement critique de Miriam surtout, qui s’offre en pâture à sa réflexion et à la nôtre, permet même d’en faire un témoignage de soi apte à nous renvoyer au caractère processuel de nos identités. L’expérience d’An- tagon est sans conteste la plus décevante. Vouloir faire revivre le théâtre de foire en lui donnant un cachet politique – nourrir la culture populaire comme ciment du peuple – devient kitsch, et se réduit à un artisanat esthétisant et démagogique. Mais le fait est que l’ambiance festive, les images de ville et des errements humains, ont des vertus sécurisantes et confortent peut-être les sentiments d’appartenance, au moins locale.

Zusammenfassung Dieser Artikel stellt den Versuch dar, das Trachten dreier Theaterformen im öffentlichen Raum ernst zu nehmen. Alle drei verbindet nämlich der Wille, eine andere Art von Theater verbunden mit einem neuen Appell an das Kollektive zu entwickeln. Während Antagon das politisch-urbane Bewusstsein auf festliche Weise anspricht, bietet das Theater Anu einen partizipativen und aufklärerischen Parcours an. Rimini Protokolls Black Tie beschäftigt sich mit der Konstruktivität nationaler Identitäten in der Heranbildung der eigenen Iden- tität. Die drei Theaterarbeiten rekurrieren auf wohlbekannte kulturelle Motive, um ein Stück (nationaler) kultureller Identität in Frage zu stellen. Antagon und das Theater Anu laufen jedoch Gefahr, den Zuschauer über wohlmeinende Klischees auf sich zurück zu wer- fen. Rimini Protokoll mag es eher gelingen, die kulturelle Bewusstseinsnahme zusammen mit der Befreiung bezwingender nationaler Selbstvorstellungen anzuregen.

Abstract This article tries to take seriously the attempt of three theater forms in the public space. All three share the will to develop another kind of theater connected with a new appeal to think the collectivity. While Antagon addresses to the political-urban consciousness in festive way, the theater Anu offers the spectators a participative and educational course. Rimini Protokoll’s Black Tie is busy with the constructiveness of national identities in the development of own identity. The three theater works refer to well-known cultural motives to call into question a part of (national) cultural identity. However, Antagon and the theater Anu run danger, through well-meaning clichés, to throw back the spectator on himself. Rimini Protokoll may rather succeed in stimulating the becoming conscious of cultural identity together with the liberation of defeating national selfimages. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 403 T. 45, 2-2013

Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse in der Schweizer bildenden Kunst des 20. Jahrhunderts Integrativer Tell- und Alpen-Mythos, identitätsstiftende Tell- und Alpen-Emblematik und ihre korrosiven Gegendiskurse

Barbara Lafond*

Die Fragestellung der Imagologie ist die nach den Bildern der Alterität auf der Ebene der Gesellschaft oder einer kulturellen Gemeinschaft. Die Imagologie lässt sich ebenso fruchtbar auf die Selbstporträtierung einer Gesellschaft anwenden; insofern ist sie ucha für die Analyse des Selbstverständnisses einer Gesellschaft relevant. Das imagologi- sche Zeichensystem folgt einer zeit- und kulturbedingten semantischen Grammatik; es ist kodiert und durch die Rezipienten mehr oder weniger dekodierbar. Zu den prägnantesten nationalen Vorstellungsbildern der Schweiz zählen Wilhelm Tell und die Alpen. Schweizerische Identitätsbilder wie die Alpen sind vor allem von den Auf- klärern erstellt worden, um einen gesamtschweizerischen Patriotismus zu fördern. Die Vorstellung des „Schweizeralpenlandes“ (1), dessen Geschichte und Kultur hauptsächlich durch die Alpen bestimmt sind, wurde von Lavater geprägt. Der Landschaftsraum des Schweizeralpenlandes ist seither ein konstitutives Merkmal seiner Identität, und dies in weitaus größerem Maße als in der Alpenrepublik Österreich (2). Diese Berufung auf eine

* Maître de conférences habilitée à diriger des recherches, Université de Strasbourg. 1 Den Begriff „Schweizeralpenland“ prägte der Zürcher Pfarrer, Schriftsteller und Philosoph Johann Caspar Lavater. Die Identifikation von Schweiz und Alpen wurde ab dem 18. Jahrhundert zu einem wichtigen Element nationaler Identitätsbildung. Vergleiche dazu die Untersuchung von Guy P. Mar- chal, „Das ‚Schweizeralpenland‘: eine imagologische Bastelei“, in: Guy P. Marchal und Aram Mat- tioli (Hg.), Erfundene Schweiz. Konstruktionen nationaler Identität. La Suisse imaginée. Bricolage d’une identité nationale, Zürich, Chronos Verlag, 1992. 2 Günter Schweiger, Österreichs Image in der Welt. Ein Vergleich mit Deutschland und der Schweiz, Wien, Service-Fachverlag, 1992, S. 177: „Bilder von sommerlichen Landschaften werden, auch wenn sie aus Österreich stammen, vorrangig mit der Schweiz in Verbindung gebracht. Selbst den Großglockner, diese nationale Ikone Österreichs, ordnen sogar Schweizer öfter ihrem eigenen Land als Österreich zu.“ 404 Revue d’Allemagne unverwechselbare Landestopographie ist auch in anderen multikulturellen Gesellschaf- ten, in denen eine einheitliche „Sprache“ als verbindendes Element fehlt, eine bevorzugte Diskurspraktik. Die Alpen-Bilder dienten in den Krisenzeiten nach 1848 immer wieder zur Definition und Festigung nationaler Identität, fungierten in der Malerei in den hero- ischen pathos-geladenen Gebirgsszenen des 19. Jahrhunderts als nationales Motiv (3).

„homo alpinus helveticus“ Die Wesensbestimmung des Schweizers aus der alpinen Situation heraus lag in der überkommenen Tradition der Identitätsrepräsentation vor. Bereits der Waadtländer Sirice Bridel (1757-1845) hatte den „wahren Schweizer“ charakterisiert: „Der Hirte des Oberwallis ist etwas, er ist Schweizer. Immer derselbe auf dem Gipfel des Gotthards, wo er seine Herde weidet. Seine viel zitierte Formel lautet: ‚Ex alpibus salus patriae!‘ (‚Aus den Alpen das Heil des Vaterlandes!‘)“ (4). Bereits Johann Jakob Scheuchzer (1672-1733) hatte das Geschichtsbild von dem „Alten Eidgenossen“ mit dem „homo alpinus“ gleichgestellt. Die Wesensmerkmale der vorbildhaften Vorfahren waren geformt durch Klima und alpine Umwelt; auch der Bauernstand erhielt eine alpine Konnotation. Urs Balthasar, der verehrte Gründervater der helvetischen Gesellschaft, schrieb 1762 in seinen letzten Wünschen: „Der Charakter dieser Nation stehe mit ihrer rauhen, bergichten und ungehobelten Landschaft in vollkommenem Verhältnis.“ Von da an bilden die Alpen einen konstitutiven Bestandteil der schweizerischen Wesens- art (5). Doch diese Vorstellungen von einer alpinen Wesensart führen in die gefährliche Nähe von Rassentheorien Ende des 19. und zu Beginn des 20. Jahrhunderts (6).

Wilhelm Tell – Konstruktion und Dekonstruktion Bei der nationalen Ikone des Wilhelm Tell handelt sich um ein Zeichensystem, in welchem mittelalterliche Geschichte und Alpen bestimmende Hauptbedeutungsfelder sind, eine in der bildenden Kunst ergiebige Semantik. Tell ist ein Beispiel für die Bezie- hung von Kunst und Politik, wobei die irrationalen Traditionsbezüge der Bilder den intuitiven Zugang zum modernen Staat erleichtern. Für Jean Starobinski braucht die Nation „symbolische und mythische Selbst- darstellung“ (7). Die Geschichte als besonders wichtiges Integrationsmittel lässt sich in der Abbreviatur des Bildes für Tausende in einem Blick in Erinnerung rufen. Das zeigt die Geschichte der Wilhelm Tell-Denkmäler. Gerade auf dem Feld der bildenden Kunst lassen sich erste Ansätze zu einer staatlichen Kulturpolitik bilden. So begann der bürgerliche Staat, sich gegen Ende des 19. Jahrhunderts selbst darzustellen.

3 Barbara Lafond-Kettlitz, „Die Alpen in Literatur und Malerei. Albrecht von Haller, Caspar Wolf, Ludwig Hohl, Ferdinand Hodler“, Études Germaniques-Esthétique-Histoire des arts, Études germa- niques, 4 (2009), Paris, Klincksieck, S. 911-933. 4 Guy. P. Marchal, „Die ‚Alten Eidgenossen‘ im Wandel der Zeiten“, in: Innerschweiz und frühe Eidge- nossenschaft. Jubiläumsschrift 700 Jahre Eidgenossenschaft, Bd. 2, Olten, 1990, S. 307-403, hier S. 345. 5 S. dazu auch den Romanisten Ernest Bovet, „Réflexions d’un Homo Alpinus“, Wissen und Leben, 3 (1908), S. 296-299. 6 Georg Kreis, „Der ‚homo alinus helveticus‘. Zum schweizerischen Rassendiskurs der 30er Jahre“, in: Marchal/Mattioli (Hg.), Erfundene Schweiz (Anm. 1), S. 175-190. 7 Jean Starobinski, 1789. Les emblèmes de la raison, Paris, Flammarion, 1979. Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse in der Schweizer bildenden Kunst 405

Der Anstoß zum ersten großen Tellbild der Zeit, zur Neuausmalung der Tellskapelle am Vierwaldstättersee kam 1865 zwar von König Ludwig II. von Bayern, doch die Urner wandten sich lieber an den schweizerischen Kunstverein; der Historienma- ler Ernst Stückelberg gewann den Wettbewerb, denn er schuf 1880-82 eine getreue Umsetzung von Schillers Schauspiel in vier Szenen (Tells Sprung – der Rütlischwur – der Apfelschuss – Gesslers Tod). 1891 sollte ein Denkmal in Altdorf errichtet werden: „Wilhelm Tell ist als frei- heitstolzer, kühner, entschlossener Mann, in der landesüblichen Bauerntracht seiner Zeit darzustellen.“ Preisträger wurde der Bildhauer Richard Kissling mit seinem klassizistisch-heroischen Stil, denn er stellte Tell mit dem Knaben dar: „Kisslings Tell setzt den Gestus des Schiller-Wortes am besten plastisch um, indem sich der Junge eng an den Vater anschließt und dieser ihn mit dem linken Arm festhält, während der rechte die Armbrust schultert: Schutz und Trutz“ (8). Tells Heroisierung erfolgt über das kleine Kind an seiner Seite, das, die Blickrichtung nach oben, Tells Größe noch besser hervorhebt; es hat sozusagen eine konterkarierende Funktion; die Vater-Sohn- Statue als ein gestisches Kürzel für das Vaterland. 1897 löste Ferdinand Hodler die Tell-Figur aus dem Kontext der Darstellung von Gesslers Tod und setzte sie mitten ins Bild. „Die Natur steht ganz im Dienst der Insze- nierung von Tells Auftritt, er scheint aus einem Riss in den Wolken zu treten, wel- cher mit einer blauen Parallelkomposition Tiefe ins Bild bringt. Die Armbrust wird genau parallel zur Hochachse des Bildes gerichtet zu einem dem Betrachter entgegen gestreckten Symbol. Die Geste der erhobe- nen Hand wird durch den zum Schalltrich- ter erweiterten Mund verschieden deutbar. Indem sich die imaginäre leere Sprechblase von Hodlers Tell fast beliebig auffüllen lässt, wird Tell so zum Träger jener allgemeinen Werte, über welche sich die Gesellschaft integriert. Nicht einfach im dargestellten plakativen Freiheitspathos, sondern in sei- ner verallgemeinernden Interpretierbarkeit liegt dementsprechend der Grund, dass der Tell zum bekanntesten Gemälde Hodlers wurde und mithalf, seinen flächigen symbo- listischen Jugendstil gegen den herrschen- den Historismus durchzusetzen. Hodlers Tell wird zum patriotischen Versatzstück, das eine eigene Wirkungsgeschichte entwi- Wilhelm Tell, Gemälde Ferdinand Hodler (1897), ckelt, zur nationalen Kunst“ (9). in: Lilly Stunzi, Jean Rodolphe de Salis, Tell. Werden und Wandern eines Mythos, Bern/Stuttgart, Hallwag Verlag, 1973, S. 307.

8 Peter Utz, Die ausgehöhlte Gasse. Stationen der Wirkungsgeschichte von Schillers „Wilhelm Tell“, Königstein, Forum Academicum in der Verlagsgruppe Athenäum, Hain, Hanstein, 1994, S. 180. 9 Ebd., S. 184-185. 406 Revue d’Allemagne

Hodlers Tell erinnert an die Figur des Moses, der mit den Gesetzestafeln vom Berg Sinai herabsteigt. Doch seine Armbrust wurde zum Gütezeichen, als Qualitätssiegel von der Schweizer Industrie übernommen, was von der ökonomischen Instrumenta- lisierung des Tell-Mythos zeugt. Für Irritation sorgten auch René Magrittes parodisti- sche Tell-Darstellung und Salvador Dalis La vieillesse de Guillaume Tell (1931). Der mit patriotischen Erwartungen aufgeladene Blick des Betrachters prallt nämlich an einer Leinwand ab. Tell hält sich versteckt, wenn überhaupt, ein merkwürdiger Schatten, seine Abwesenheit scheint das Ende des Tellkultes anzukündigen. In den achtziger Jahren ist die Dekonstruktion bereits ein Fakt: Tell sei „eine Art heroischer Kleiderbügel, an dem sich die verschiedensten parteipolitischen und wirt- schaftlichen Interessemäntelchen je nach Bedarf aufhängen lassen“ (10). Dies äußert sich auch in Friedrich Dürrenmatts Buch für Schweizer Kinder: Die Heimat im Plakat. Dür- renmatt zeichnet eine Serie von Karikaturen, die das Idol parodieren. Der Schütze kann sein Ziel verfehlen, ein Pfeil trifft die Stirn des Jungen. Die Inschrift:Tell „ trank Kläfner“ dient als Erklärung dazu: „Kläfner ist ein Wein, den Dürrenmatt verabscheute“ (11). So zeigen auch kitschige lebensgroße Wilhelm Tell-Bären aus Plastik die Trivialisierung und Vermarktung des Mythos. Nicht nur Dekonstruktion, sondern Transgression nimmt Adam Tellmeister in seiner künstlerischen Auseinandersetzung mit dem Tell- Mythos vor. Er will den Tell neu besetzen und versucht, in Tells Spannungsverhältnis von Tyrannenmörder und heutigem Terroristen eine Gegenwartsfigur herauszubilden und in Umlauf zu bringen, als neuen Schweizer (12). So fertigte er eine Installation mit großformatigen Zeichnungen und verschiedenen Totenmasken von Tell, die neben denen von Gudrun Ensslin und Ulrike Meinhof stehen. Er pervertiert die mythische Figur, wenn seine Zeichnungen unter dem Motto „böser Tell“ in der Ausstellung eines Berliner Kindergartens auf die Heldensaga von Tell als Akt des Kindesmissbrauchs verweisen – als Signum postmoderner Dekonstruktion des Nationalmythos.

Die Alpen als eidgenössisches Integrationssymbol In Philosophie und Ästhetik geht die Wahrnehmung der Bergwelt als Harmonie zurück auf die Umwertung der Alpen um ungefähr 1700 von den schrecklichen Alpen, dem locus horribilis, zu den erhabenen Alpen; sie wurden zum Inbegriff des Schönen, eine Änderung, die mit der „Theodizee“ von Gottfried Wilhelm Leibniz zusammen- fiel (13). Sie waren fortan Ausdruck einer Schöpfungsordnung, wurden zum Ort des Erhabenen, ganz im Sinne von Immanuel Kant (14) und Friedrich Schiller, welche die

10 Uli Windisch, Florence Cornu, Tell im Alltag, Zürich, Edition M., 1988, S. 343-350. 11 Friedrich Dürrenmatt, Die Heimat im Plakat. Ein Buch für Schweizer Kinder, Zürich, Diogenes, 1963, S. 23. 12 Adam Tellmeister, geboren 1961 in Sumiswald Bern, eigentlich Adam Meister, ist ein Schweizer Künstler. Er lebte und arbeitete über 20 Jahre lang als „sans-papiers“ in Deutschland, seit 1989 in Berlin, er versteht sich als Kunstfigur Tellmeister. 13 Petra Raymond, Von der Landschaft im Kopf zur Landschaft als Sprache. Die Romantisierung der Alpen in den Reiseschilderungen und die Literarisierung des Gebirges in der Erzählprosa der Goethezeit, Tübingen, Niemeyer (Studien zur deutschen Literatur, 123), 1993, S. 11-165, S. 185-230. 14 Immanuel Kant, „Beobachtungen über das Gefühl des Schönen und Erhabenen“, in: Kants populäre Schriften, Berlin, Reimer, 1911, S. 60-80 und 111-125. Romantische Kritik der Ansichten von Kant Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse in der Schweizer bildenden Kunst 407

„Erhabenheit der natürlichen Landschaft“ als Zustand der Freiheit definieren. Die Alpen wurden so Verkörperung subjektiver Freiheit. Göttliche Prädikate wurden mit denen des Raumes identifiziert, wodurch eine ästhetische Kategorie entstand, die Ästhetik des Naturerhabenen, die die Vermittlung des Begriffs der Unendlichkeit erbrachte. Der Alpen-Mythos war ein beliebtes Motiv in der Literatur. Am 22. Juli 1803 hatte Goethe durch seine Erzählungen die Vierwaldstätter-Szenerie für den Tell vor dem inneren Auge Schillers entstehen lassen. Und er skizzierte auf seiner ersten Schweizer Reise im Sommer 1775 die Alpen als Mythen, wie Roland Barthes sie definieren sollte: „Le mythe, c’est-à-dire une ‚parole dépolitisée‘ qui évacue la qualité historique des choses, les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité“ (15). Georg Simmel sprach in seinem Aufsatz Die Alpen von der transzendentalen Qualität der Alpen, die sie „durch die ungefüge Masse des Gestaltlosen erst entfalten“ (16). Doch die Alpen waren auch Kultgegenstand der helvetischen Politik, denn sie waren für das sprachlich, konfessionell und kulturell vielfältig segmentierte Land ein geeignetes Integrationsmittel. Sie galten als „schützendes, unerschütterliches Zentrum in einer sich immer schneller ändernden Welt“ (17), „als Schutzwälle und damit als Sinnbild der im Inneren des Landes gewahrten Freiheit“ (18). Im politischen Diskurs wurden die Alpen idealisiert und sakralisiert. Die helvetischen Politiker bemühten sich in ihren Reden und in ihrer Kulturpolitik um einen demonstrativen Alpen-Bezug, weil sie glaubten, dass die Landschaft günstige Wirkungen auf den Zusammenhalt und ihre Institutionen ausübe. Dies hinterließ auch deutliche Spuren in der Alpenmalerei. Die Entstehung der Schweiz wäre ohne Brücken und Alpenübergänge undenkbar: Sie sind ein typisches Motiv in der Alpenmalerei. So die Teufelsbrücke von Caspar Wolf (1735-1783), die er vor allem mit Lichtkontrasten gestaltete (19). Er gilt neben Pierre-Louis de la Rive (1753-1817) als Entdecker des Hochgebirges für die Schwei- zer Landschaftsmalerei, denn er befreite die Gebirgslandschaft von ihrer vormaligen Funktion, imposanten Hintergrund für Staffageszenen zu bilden. Sie wird eigenstän- diger Bildgegenstand und somit autonomes Subjekt in der Kunst der Zeit der Vor- romantik. Caspar Wolf erkundete mit aufklärerischen Naturwissenschaftlern die Bergwelt, wurde zum gelehrten Maler, der genau kennt, was er abbildet. Seine Malerei war weitgehend verschollen und ist erst seit 1948 in Schweizer Museen vertreten. Er

und Burke über das Erhabene: A. W. Schlegel, Vorlesungen über schöne Literatur und Kunst, hg. von Jakob Minor, Heilbronn, Gebr. Henninger, 1884, I, S. 58-112. 15 Roland Barthes, Mythologies, Paris, 1957, S. 216. „Der Mythos, entpolitisierte Worte, die die histo- rische Dimension der Dinge ausblendet, sie reinigt, sie in den Zustand der Unschuld versetzt und sie mit Natur und Ewigkeit verschmelzt.“ 16 Georg Simmel, Zur Ästhetik der Alpen (1911), in: Ders., Aufsätze und Abhandlungen 1909-1918, Bd. 1 (= Gesamtausgabe, Bd. 12), hg. von Rüdiger Kramme, Angela Rammstedt, Frankfurt am Main, 2001, S. 162-169, hier S. 165. 17 Hans Peter Treichler, Abenteuer Schweiz. Geschichte in Jahrhundertschritten, Zürich, Migros- Genossenschafts-Bund, 1991, S. 203. 18 François de Capitani, „Die Alpen: Wiege der Freiheit“, in: Dario Camboni, Georg Germann (Hg.), Zeichen der Freiheit. Das Bild der Republik in der Kunst des 16.-20. Jahrhunderts. Ausstellungskatalog Nr. 3. Bern, 1991, S. 393-454, hier S. 395. 19 Caspar Wolf, Die Teufelsbrücke bei Schöllenen, 1777, Öl auf Leinwand, 82 x 54 cm, Aarau, Aargauer Kunsthaus, Depositum der Gottfried Keller-Stiftung. 408 Revue d’Allemagne

übte einen starken Einfluss auf die folgenden Generationen aus, und selbst zeitgenös- sische Künstler haben sich mit seiner Kunst im speziellen auseinandergesetzt, dies gilt für Hugo Suter, Michael Biberstein, Gloria Friedmann, Per Kirkeby, Richard Long und Anna Winteler (20). Da die Alpendarstellungen als kulturgeschichtliches Phänomen es auch ermög- lichen, Bezüge zu nationalen Identitätsstrukturen und zum kulturellen Gedächtnis herzustellen, so fungieren sie in den heroischen Gebirgsszenen des 19. Jahrhunderts als nationales Motiv. Die Hinwendung der Kunst des 19. Jahrhunderts zu realistischen Darstellungen historisch-nationaler Themen ist ein gesamteuropäisches Phänomen, das auch für die Schweiz zutrifft. Die Alpenthematik wurde zur Verkörperung der Schweizer Kunst, zur nationalen Ikone, zum Mythos der Schweiz (21). Die politische Konsolidierung nach der Bundesverfassung von 1848 begünstigte die bewusste Schaf- fung einer bis dahin nicht bestehenden schweizerisch-nationalen Malschule. Die Verwirklichung der patriotischen Aspiration geschah zuerst durch die Genfer Maler Alexander Calame (22) und François Diday (23). Letzterer war mit seiner heroischen Vision der einflussreichste und populärste. In dramatischen, pathosgeladenen Landschaften, die auch nationalgeschichtliche Begebenheiten darstellen, wurde die Erhabenheit der Berge zum ersten Mal mit den zerstörerischen Naturelementen ver- bunden. Die Ausdrucksmöglichkeiten weiteten sich auf Wolken und Sturmszenen aus. Gustave Doré illustrierte dramatische Szenen wie den Absturz der Whympergruppe am Matter horn. Die Natur ist als künstlerischer Ausdruck der Nation interpretiert worden. Gottfried Kellers Grüner Heinrich gesteht freimütig ein: „Mit der Gedan- kenlosigkeit der Jugend und des kindischen Alters hielt ich die Schönheit des Landes für ein historisch-politisches Verdienst, gewissermaßen für eine patriotische Tat des Volkes und gleichbedeutend mit der Freiheit selbst“ (24). Der Blick auf die Landschaft erfuhr eine politisch gefärbte Perspektive. Zu den Bildern des kollektiven Imaginären gehört auch der Gotthard, er wird zum Inbegriff des schweizerischen Staates: Gotthard-Staat (25). Die Gotthardpost, ein 1873 von Rudolf Koller geschaffenes Gemälde ist ein wichtiges Beispiel dafür. Im Auftrag der Direktion der Schweizerischen Nordostbahn malte er den Gotthard: „Zum einen ist es der Titel, der bei historisch vorgebildeten Betrachtern ein Wissens- und Asso- ziationsspektrum anklingen lässt. Der Gotthard als Beweis für die geglückte und sichere Alpenüberquerung, für die bewundernswerte Ingenieurleistung eines Eidge- nossen, und vor allem der Gotthard als Symbol für die Erhabenheit der Umwelt – dies

20 Stephan Kunz, Beat Wismer, Wolfgang Denk (Hg.), Die Schwerkraft der Berge 1774-1997. Katalog anlässlich der Ausstellung im Aargauer Kunsthaus Aarau und der Kunsthalle Krems 15. Juni bis 24. August 1997; 7. September bis 23. November 1997, Trans alpin: 1, Basel, Stroemfeld/Roter Stern, 1997, S. 12. 21 Siehe dazu: Peter Utz, „Alpen auf dem Papier. Literarische Erosionsformen des Alpenmassivs bei Robert Walser“, in: Marchal/Mattioli (Hg.), Erfundene Schweiz (Anm. 1), S. 313-326. 22 Alexandre Calame (1810 Arabie, Gemeinde Corsier-sur-Vevey – 1864 Menton). 23 François Diday (1802 Genf – 1877 Genf). 24 Gottfried Keller, Minister Stapfer und die Künstlergesellschaft in Bern, Thun, 1954, S. 9-12, hier S. 11. Bei P. Utz, Die ausgehöhlte Gasse (Anm. 8), S. 122. 25 Marchal/Mattioli (Hg.), Erfundene Schweiz (Anm. 1), S. 17. Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse in der Schweizer bildenden Kunst 409 verbindet sich zu einer Allegorie auf die Eigenschaften der Nation und ermöglicht einen Begriff von Heimat, der über das Landschaftliche hinaus in das soziale und poli- tische Selbstverständnis reicht“ (26). Das Panorama war die Sehweise, die die Gesellschaft des 19. Jahrhunderts prägte, die ideale Sichtweise der politischen Kultur der Eidgenossenschaft als föderalistische Rundschau, die Berge bildeten den dramatisch gestalteten Schwerpunkt. So zeigt das Bourbaki-Panorama (1881) von Edouard Castres den Übertritt der im Januar 1871 vor den Deutschen fliehenden geschlagenen Truppen. Dieses Panorama hat viel zum Mythos der Schweiz als Asylland beigetragen (27). Zu dem Team der Maler gehörte auch Ferdinand Hodler, der ebenso wie Edouard Castres im Panorama porträtiert ist: Castres als Rotkreuzhelfer, Hodler als Berner Soldat. „Die Schweizer Historien- malerei verfolgte nationale und soziale Integration, wirkte nach innen, indem sie auf Vergangenheit verpflichtete“ (28). Eine der am weitesten verbreiteten Reproduktionen und Höhepunkt der eidgenössischen Selbstfindung waren Ferdinand Hodlers Berge: „Das Hodlergebirge verleiht der schweizerischen Landschaft eine Dominante von überragender Wucht und Stärke. Es hebt die Schweiz als relative Einheit mehr oder weniger ab von den umgebenden Nachbarländern“ (29). Eine patriotische Ästhetik charakterisiert auch die Kunstpolitik der Zwischenkriegszeit, in dieser Ambiance hatten die Modernen, die abstrakte, surrealistische ungegenständliche Kunst einen schweren Stand (30).

Gegenläufige Alpendiskurse in der Malerei Die ideologische Überhöhung der Alpen in der Schweiz wird um die Jahrhundert- wende im politischen, literarischen und kulturellen Diskurs unmerklich von gegen- läufigen Alpen-Bildern unterhöhlt. „Während eine ganze Dichtergeneration daran arbeitet, das alpine Urgestein mit der Knetmasse des Alpenromans zu überhöhen, wirken andere Autoren an der literarischen Erosion dieses Massivs“ (31). Dies gilt auch für den Bereich der bildenden Kunst und lässt sich am Beispiel des Malers Karl Walser, des Bruders von Robert Walser, nachvollziehen. Er erodiert die heroische Alpenmale- rei durch Verkleinerung. So sein Bild Aussicht auf die Alpen (1899), das sein Bruder im Prosastück Leben eines Malers kommentiert. „Mitten im prächtigen Bilde liegt unter Tannen wieder einmal leider Gottes, wie es scheint, so ein Strick und Tagedieb von träumendem, faulenzendem Monsieur Faulpelz. Reizend ist angedeutet, wie die Natur in ihrer Ruhe ihr schönstes Schöne darbietet, was alles vom jungen Menschen auf dem

26 www.gymmuenchenstein.ch/stalder/klassen/sa/kunsthtm/koller.htm 27 Das Bourbaki-Panorama Luzern zeugt als eines der ganz wenigen noch erhaltenen Riesenrundge- mälde weltweit in einzigartiger Weise von der Mediengeschichte des 19. Jahrhunderts. Es ist 112 Meter lang und 10 Meter hoch und zeigt die französische Armée de l’Est des Generals Charles Denis Sauter Bourbaki bei ihrem Übertritt in die Schweiz am Ende des Deutsch-Französischen Krieges von 1870/71. 28 Georg Kreis, Mythos Rütli. Geschichte eines Erinnerungsortes, Zürich, Orell Füssli, 2004. 29 Hermann Ganz, „Zur Entstehung der nationalen Schule in der schweizerischen Kunst“, Die Schweiz, 25 (1921), S. 38. 30 Hodlers Stil entsprach dieser patriotischen Ästhetik. 31 P. Utz, „Alpen auf dem Papier“ (Anm. 21), S. 313-327. 410 Revue d’Allemagne

Grasboden weiter durchaus nicht beachtet wird. Muss das ein träger Kerl sein! Ist es etwa ein Dichter? Hoffentlich doch wohl nicht“ (32). Die Alpenkette ist weit entrückt mit heroischen Anklängen; statt der in der Alpen- literatur und -malerei der Zeit obligatorischen Vertikalität ist hier die Horizontalität betont. Im Blickfang befindet sich eine träumende Taugenichtsfigur, das Gegenteil zum homo alpinus aus dem Bergroman. Das Bild kann auch als eine Reflexion über Alpenmalerei und Alpendiskurs gedeutet werden: Der Dichter hat sein eige- nes Gebiet, ist von den kollektiven Alpenträumen getrennt. Im Gewand der Ironie äußert Robert Walser seine Aversion gegen die patriotisch motivierte Alpenmalerei: „Mir fiel heut früh ein, mir zu sagen, niemand, wer er sei, dürfe sich herausnehmen, den Staat an die Wand zu malen, ein Gebilde seines Vaterlandes zu zeichnen, seine Heimat zu lobpreisen, weil hinter solchem unpassenden, unangemessenen Lob der Teufel lauere“ (33). Obwohl heldischer Alpinismus und Alpenmythos in den Dreißiger Jahren im Namen der Landesverteidigung stark heroisiert und in Kunst und Film mit dem Bezug Natur-Geschichte operiert wurde, gab es Gegenentwürfe. Der Schweizer Schriftsteller Ludwig Hohl zerstörte den Mythos der Alpen als Ort der subjektiven und der helvetischen Freiheit. Er gestaltete die Alpenlandschaft in einem Aqua- rell (34), das mit seinen geometrischen Formen und symmetrischen Farbkontrasten an Hodlers „Parallelismus“ erinnert. Doch seine Berglandschaft ist belebt; in der Mitte im Vordergrund des Bildes steht ein Murmeltier einsam in aufrechter Haltung auf einem großen schwarzen Felsblock: es gibt nur Absturzgefahr. In Untersicht sind in weiß-blauen Tönen pyramidenartige Gletschergipfel zu sehen, die sich in die Ferne verlieren. Unter dem Bild steht ein Vers aus Goethes Faust: „Hast du Begriff von Oed’ und Einsamkeit?“ (35). Dieser explizite Bezug zu einem literarischen Werk dient der Erschließung des Bildes und zeigt die enge Beziehung zwischen der Semantik der Landschaftmalerei und dem literarischen Werk. Hohls Alpen sind Chiffre für das Gefühl des „Aus-der-Welt-Gestoßenseins“, der Heimat- und metaphysischen Obdachlosigkeit. In seiner Novelle Bergfahrt nimmt er explizit Bezug auf Piranesis carceri (36). Der politische Symbolgehalt der Alpen für die Schweiz erfuhr in den siebziger Jahren schließlich eine fortschreitende Umwertung, sie sind nicht mehr Signum der Freiheit,

32 Robert Walser, Das Gesamtwerk, hg. von Jochen Greven, Genf/Hamburg, Kossodo, 1966-1975, III, S. 149. 33 Robert Walser, Europas schneeige Pelz-Boa. Texte zur Schweiz, hg. von Bernhard Echte, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 2003, S. 100. 34 Ludwig Hohl, Hast Du Begriff von Oed’ und Einsamkeit?, Aquarell, in Privatbesitz Werner Morlang, Zürich. 35 Goethe, Faust II, Vers 6227. 36 Ulrike Gauss, „Giovanni Battista Piranesi – Die poetische Wahrheit. Die Radierungen“, in: Ausstel- lungskatalog Graphische Sammlung der Staatsgalerie Stuttgart, Stuttgart, 1999. „Piranesi Giovanni Battista, ital. Kupferstecher, Archäologe, Baumeister. 1720 bei Modena geboren, 1778 in Rom gest. Reihe düsterer Traumphantasien, (Carceri). […] Die Carceri Piranesis von 1745 mit gespenstisch sich auftürmenden, verschachtelten, unheimlich leeren und bedrohlichen Bauten, Kerkervisionen gleich, sind Ausdruck seiner ausgesprochen malerisch-poetischen Phantasie.“ Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse in der Schweizer bildenden Kunst 411 nicht mehr Schutzwall, sondern Gefängnis (37). Das Gefängnis-Motiv ist übrigens in der schweizerischen Literatur rekurrent, um nur Paul Nizons Essay Diskurs in der Enge (38), und Dürrenmatts Rede Die Schweiz als Gefängnis (1989) zu nennen.

„Weg mit den Alpen! Freie Sicht aufs Mittelmeer!“ Der Tod von Dürrenmatt (1990) und Frisch (1991) „markiert einen Einschnitt in der Deutschschweizer Literatur“ (39). Eine analoge Entwicklung ist in der bildenden Kunst festzustellen. „Eine neue Generation meldet sich zu Wort, eine Generation, der es nicht mehr um die Auseinandersetzung mit der Schweiz, um die Heimat als poli- tische Kategorie, sondern höchstens noch als epische oder dramatische Kulisse für die Entwicklung der Figuren oder ökologische Probleme geht. Landesgrenzen spielen keine Rolle mehr“ (40). Bereits in den Jahren 1968-1970 waren die Alpen mögliches Untersuchungsfeld für die Kunst geworden, was eine Multiplizierung der Diskurse bedingte. Künstler näherten sich dem Motiv mit der Vielfalt der zeitgenössischen bildnerischen Medien und unter verschiedensten Aspekten: farbkräftiger Plakatstil, provozierende kräftige Farbgebung im Popstil, Hyperrealismus, Konzeptkunst. Der Versuch wurde gemacht, das nationale und kommerzielle Bild, das den Alpen anhaftet, zu durchbrechen; der gemeinsame Nenner vieler Künstler ist die Auflehnung gegen die politische und kom- merzielle Überforderung der Berge in den Medien. „Eine neue Offenheit ist gefragt, helvetisch in ihrer Grundprägung und doch die Landesgrenzen sprengend, fernab von jedem chauvinistischen Insel-Kult“ (41). Am 31. Mai 1980 begannen in Zürich die Barrikadenkämpfe, die ‚Opernhauskra- walle‘, die rasch auf andere Städte übergriffen. Tausende, vorwiegend Jugendliche, demonstrierten unter dem drastischdadaistisch anmutenden Slogan „Nieder mit den Alpen! Freie Sicht aufs Mittelmeer!“ gegen einen städtischen Kredit von sechzig Millionen Franken für das Opernhaus in Zürich. Hingegen hatte die Jugendkultur zu dieser Zeit weder Begegnungsorte noch finanzielle Unterstützung. Die Autonome Jugendbewegung rüttelte damit am vermeintlich wichtigsten Identifikationssymbol der Schweiz: den Alpen. Dieser Satz kann auch als damaliger Versuch gewertet wer- den, „sich aus einer als zu stark empfundenen politischen Enge, sprich dem Sonder- fallbewusstsein, zu befreien“ (42).

37 Ruth Huber, „Dimension und Bild der Alpen in der Schweiz“, Die Alpen, Monatsbulletin des Schwei- zer Alpen-Clubs, 69 (1993), Nr. 9, S. 394-397. 38 Paul Nizon, Diskurs in der Enge, Verweigerter Steckbrief, hg. von Peter Henning, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1990, S. 175. 39 Hans Wysling, Streifzüge, Literatur aus der deutschen Schweiz, 1945-1991, Zürich, Schultheiss Poly- graphischer Verlag, 1996, S. 251. 40 Mario Andreotti, „Aspekte und Tendenzen der neueren und neuesten Schweizer Literatur“, Litera- tur-Essay, Glarean Magazin, Dezember 2009. 41 Hermann Burger, „Schweizer Literatur nach 1968“, in: Ders., Als Autor auf der Stör, Frankfurt am Main, Fischer, 1987, S. 242. 42 Regula Zwahlen, Die Alpenfaszination in der Helvetik, Proseminararbeit, Univ. Luzern, 2003, S. 14. 412 Revue d’Allemagne

Im August 1998 fand im Kunsthaus Zürich die Ausstellung In den Alpen unter dem Titel Freie Sicht aufs Mittelmeer: junge Schweizer Kunst mit Gästen statt (43). Die Kura- torin Bice Curiger hatte den ersten Teil des Slogans der Autonomen Jugendbewegung verboten mit der Begründung, der Horizont der lokalen Kunstszene habe sich seit den achtziger Jahren erheblich erweitert (44). Das ist richtig, insofern die Alpenmalerei nicht mehr im Dienst von parteipolitischen oder nationalen Interessen steht, sondern ihre eigenen Wege geht. Es ist relevant, dass dabei der deutsche Maler Gerhard Richter (45) eine Schlüsselfigur darstellt mit seinem großen FünfteilerSchweizer Alpen von 1969, mit den Abmalun- gen von Fotografien, die er vom Flugzeug aus in Vogelperspektive machte. „So wie ein einziges Schulterzucken ein großes Palaver beenden kann, reiht Richter die Alpen ein ins Repertoire verfügbarer Vorlagen. Er planiert den Mythos und stellt die Form aus, eine strukturalistische Tätigkeit“ (46). Er benutzte erstmals Fotografien als Vorlagen für Gemälde, ein Verfahren, das er danach regelmäßig aufgriff. Es handelt sich um eigene Aufnahmen, die er abmalend vergrößert und in Grau-Weiß auf die Leinwand überträgt und damit überhöht. Es geht ihm dabei um die Auseinandersetzung mit der Tradition. 1986 formulierte er sein Verhältnis zur Kunstgeschichte: „Und ich sehe mich als Erben einer ungeheuren, großen, reichen Kultur der Malerei, der Kunst überhaupt, die wir ver- loren haben, die uns aber verpflichtet“ (47). Seine Alpen-Bilder stehen im intertextuellen Feld anderer Bilder der Kunstgeschichte. Er praktiziert den Rückgriff auf die Fotografie, die medial vermittelte Wirklichkeit, und destruiert somit den Mythos von der schöpfe- rischen Unmittelbarkeit. Die Schweizer Künstler Monica Studer (1960) und Christoph van den Berg (1962) führen einen neuen künstlerischen Umgang mit den Alpen. In ihrem Projekt Hôtel vues des Alpes, Bergtour 2008 kreieren sie rein virtuelle Landschaften und ein imagi- näres Alpenhotel, in dem man sich virtuell ein Zimmer buchen kann. Mit der Compu- terkunst schreiben sie den Mythos der Alpen als Erholungsraum weiter, wobei jedoch jede nationale Konnotation fehlt. Interessant ist ihre Reflexion über den Umgang mit klassischem Bilderbe aus einer transnationalen Perspektive, so ihr Bild Loch (2009) (48), das in einem evidenten Bezug zu Caspar David Friedrichs Der Wanderer über dem Nebelmeer (1818) steht. Friedrichs Wanderer blickt als kleines Figürchen ganz versunken auf die erhabene Natur zu sei- nen Füßen. Sein Bild evoziert den Eindruck, dass die Natur zum Gegenstand religiöser

43 Freie Sicht aufs Mittelmeer: junge Schweizer Kunst mit Gästen, 5. Juni-30. August 1998, Kunsthaus Zürich, 6. Oktober-22. November 1998, Schirn Kunsthalle Frankfurt, Ausstellung und Katalog: Bice Curiger. – Zürich, Scalo, cop. 1998. 44 S. Anm. 43, Vorwort: „L’horizon considérablement élargi depuis les années quatre-vingt de la scène artistique locale.“ 45 Gerhard Richter (1932 Dresden), Maler, Bildhauer und Fotograf; von 1971 bis 1993 Professor für Malerei an der Kunstakademie Düsseldorf. 46 „Mythos pur und planiert“, Die Zeit, Feuilleton, 9.1.1998. 47 Hans-Ulrich Obrist (Hg.), Gerhard Richter: Text. Schriften und Interviews, Frankfurt am Main, Insel, 1993, S. 137. 48 Christoph Vögele (Hg.), Monica Studer, Christophe van Berg, Kunstmuseum Solothun, Zürich edi- tion fink, 2005. Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse in der Schweizer bildenden Kunst 413

Monica Studer & Christoph van den Berg, Loch (2009). Beyond the picturesque exhibition at S.M.A.K. (Stedelijk Museum voor Actuele Kunst), Gent, Belgium. Curators: Steven Jacobs & Frank Maes.

Andacht geworden ist. Auf die durch die Rückenfigur angedeutete Wechselbeziehung von Ich und gotterfüllter Natur hat Walter Benjamin im romantischen Denken hingewiesen: „Im Medium der Reflexion gehen das Ding und das erkennende Wesen ineinander über, wobei zwischen Wahrnehmung und Erkenntnis nicht mehr unterschieden wird“ (49). Bei Monica Studer und Christophe van den Berg findet ein Transfer der Szenerie von Rügen an der Ostsee in die Alpen statt. „Die Großbilder sind keine herkömmlichen Ölbilder, sondern bestehen aus jeweils vier aneinander gefügten Inkjet-Prints – Tin- tenstrahl-Ausdrucken. Sie vollziehen einen weitgespannten kunst- und medienhisto- rischen Brückenschlag“ (50). Sie versuchen, das Alpenmotiv über die Computerkunst zu erschließen, und gehen der Frage nach, wie persönliche Erinnerung und mediale Bilder bei der Wahrnehmung einer Landschaft zusammenwirken. „Die Bandbreite, die dem Pluralismus des heutigen Kunstschaffens entspricht, reicht vom ironisch-distanzierten Umgang mit einem zum Klischee verkommenen Bild von den Alpen über rein formale Auseinandersetzungen bis hin zu den seriösen Versuchen, ihr Bild des Berges für eine neue, unverschlissene Erhabenheit aufrecht zu erhalten“ (51). So ist das Alpenglühen wieder, wenn auch meist in ironischer und verfremdender Darstellungsweise, ein Motiv in zeitgenössischen Arbeiten. Beuys spricht von der mineralischen Kraft der Berge. Er meint, unter tiefenpsychologischem

49 Walter Benjamin, Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik (1920), Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1973, S. 52. 50 NZZ, 14.1.2006. 51 Stephan Kunz, Beat Wismer, Wolfgang Denk (Hg.), Die Schwerkraft der Berge 1774-1997, Katalog, Stroem feld, Roter Stern, 1997, S. 11. 414 Revue d’Allemagne

Aspekt bedeute der Berg einen hohen Bewusstseinsgrad. Der Berg wird in Literatur und Malerei auch wieder als Ort der Sinn- und Wahrheitssuche gestaltet. Alpen und innere Welten, Inner Light, den Erkenntisweg Berg, diese Vorstellungen zeigen Bill Violas (52) Videokunst. Der führende Vertreter der Videokunst hat in der Ausstellung Sur les traces du sacré (Auf den Spuren des Heiligen) (53) unter dem Titel Room for St. John of the Cross (54) eine Inszenierung der Alpen kreiert, die an die mys- tische Tradition anknüpft. Der Zuschauer tritt in einen großen dunklen Raum und wird vom Tosen des Eissturms überrascht, der die monumentalen schwarz-weißen Berggipfel auf einer Riesenleinwand in heftige Bewegung versetzt. Dieser Aggression unvermutet ausgesetzt, entdeckt er mitten in dem dunklen Raum ein mildes Licht, eine kleine Hütte, in deren Innern er durch ein Fensterchen einen Tisch mit einem Krug Wasser und einem kleinen Bildschirm sieht, auf dem eine idyllische, friedliche Alpen- landschaft abgebildet ist. Eine sanfte Stimme rezitiert spanische Verse. Der ntrastKo der sinnlichen Erfahrungsräume bewirkt ein Wechselbad der Gefühle; da die Emotion Bestandteil der ästhetischen Erfahrung ist, sollen so auf interaktive Weise die Aisthesis und Poiesis den Erkenntnisprozess und die Katharsis einleiten. Auf der Suche nach einer neuen Ästhetik schreibt die junge Künstlergeneration den Alpenmythos weiter. Doch ihre Kreationen vermögen es nicht, die Ausdruckskraft des alpinen Zeichensystemes zu schmälern, das noch immer funktioniert. Zur Imagologie des schweizerischen Selbstverständnisses gehören unabdingbar die Alpen. Die Untersuchung hat gezeigt, wie nationale Identitätsbilder von Geschichte, Poli- tik und Wirtschaft bedingt sind. An Beispielen aus der bildenden Kunst konnte man sehen, wie Wilhelm Tell, einer der Helden der Geschichte, diese „Unsicherheiten, Banalitäten, Missverständnisse und Zufälle“ – um mit Aleida Assmann zu sprechen – dekonstruiert wurde (55). War er anfänglich eine nationale Integrationsfigur, so wurde seine Armbrust als Gütesiegel der Schweizer Industrie vermarktet und letztendlich mit Bezug auf Terrorismus und Kindesmissbrauch pervertiert. Was das nationale Vorstellungsbild der Alpen angeht, so muss man differenzieren, denn es ist komplexer. Es bildet sozusagen das Urgestein schweizerischen Selbstver- ständnisses, war in der Malerei im 19. und bis in die Mitte des 20. Jahrhunderts stark national gewichtet, behält aber heute diese Rolle nur noch in geringerem Maße. Es konnte sinnfällig gemacht werden, wie die Alpen sich zum nationalen Symbol wan- delten, vor allem seit der Entstehung des helvetischen Einheitsstaates als integrativer nationaler Mythos eine bedeutende Rolle spielten; ihre Idealisierung und Sakralisierung dienten dem nationalen Zusammenhalt. Das äußerte sich in der heroischen Alpenmale- rei des 19. Jahrhunderts. Die vor dem Zweiten Weltkrieg einsetzende „Geistige Landes- verteidigung“ (GLV) benutzte die Kunst zur Schaffung einer nationalen Identität.

52 Bill Viola (1951 New York), amerikanischer Videokünstler. 53 Ausstellung Sur les traces du sacré (Auf den Spuren des Heiligen) im Centre Pompidou in Paris, 7. Mai-11. August 2008. Dort war auch Ferdinand Hodlers Blick ins Unendliche (1905) zu sehen. 54 Bill Viola 1983, Video-Installation, 426,7 cm x 731,5cm x 914,4 cm, Coll. MoCA, Los Angeles. 55 Aleida Assmann, „Die (De-)Konstruktion nationaler Mythen und die Rolle der Literatur“, in: Corina Caduff, Reto Sorg (Hg.), Nationale Literaturen heute – ein Fantom? Die Imagination und Tradition des Schweizerischen als Problem, München, Fink, 2004, S. 75-83, hier S. 80. Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse in der Schweizer bildenden Kunst 415

„Diese Symbiose zwischen Kunst und Nation löste sich in den 50er Jahren auf, weil sich die Künstler immer mehr an internationalen Strömungen ausrichteten und den Landesgrenzen keine Bedeutung mehr beimaßen“ (56). Hatten sich noch die von Peter von Matt als Mythenbekämpfer, Mythenbeseitiger und Bilderzertrümmerer bezeichneten Autoren Max Frisch und Friedrich Dürrenmatt (57) mit den Vorstellungs- bildern der Schweiz auseinander gesetzt, so forderte die Generation der 80er ein neue Offenheit. Zwar wurden die Alpen stets durch Ideologien und Wirtschaftsinteressen vereinnahmt und dienen den Zwecken nationaler Selbstinszenierung. Doch Malerei und bildende Kunst schrieben den Mythos neu, auf der Suche nach einer innovativen alpinen Ästhetik, sei es über die Photographie, die Video- oder die Computerkunst. Es gibt eine reflexive Arbeit am Mythos, ein „Um- und Fortschreiben des Mythos Schweiz“ (58), was sich auch in der bildenden Kunst zeigt. Die Alpen lassen sich nicht von politischen, ökonomischen Diskursen vereinnahmen, doch allein die Permanenz des Dialogs Alpen und Malerei dokumentiert das Alpine als ein atemporales Faszinosum.

Résumé Le discours à motivation patriotique sur les Alpes était une caractéristique constitu- tive de la peinture suisse ; les représentations des Alpes comme phénomène de l’histoire culturelle permettent d’établir des liens avec les structures identitaires nationales et avec la mémoire collective. Ainsi, les scènes de montagnes héroïques du xixe siècle (Alexandre Calame) ainsi que l’iconographie de l’homo alpinus helveticus (Le Tell de Richard Kissling ou de Ferdinand Hodler) remplissent la fonction d’icône nationale. Dès le tournant du xxe siècle, des discours subversifs sur les Alpes (Karl Walser) pro- voquent l’érosion de l’image surdimensionnée que la Suisse se fait d’elle-même ; depuis 1945, des discours picturaux opposés aplanissent le mythe des Alpes, déconstruisent – au sens de Roland Barthes – l’idéologie alpine (Gerhard Richter, Adam Tellmeister e.a.). Le slogan utopique des années 80 « Enlevez les Alpes, horizon dégagé sur la Méditerranée » fait place à l’ancrage du Discours à l’étroit de Paul Nizon dans l’emblématique alpine. La fuite hors de l’étroitesse et de l’enfermement que produit la conscience du statut par- ticulier du pays alpin suisse trouve son expression dans le domaine des arts plastiques à travers le pluralisme du discours sur les Alpes. À celui-ci correspond la variété des tech- niques artistiques que mettent en œuvre des artistes de nationalités diverses (Monica Studer et Christoph van den Berg, Bill Viola e.a.).

Zusammenfassung Der patriotisch motivierte Alpendiskurs war ein konstitutives Merkmal der Schweizer Malerei; die Alpendarstellungen als kulturgeschichtliches Phänomen ermöglichen es, Bezüge zu nationalen Identitätsstrukturen und zum kulturellen Gedächtnis herzustellen.

56 www.schweizimspiegelderwelt.ch/die-nation-im-spiegel-der-kunst.html 57 Peter von Matt, Die tintenblauen Eidgenossen. Über die literarische und politische Schweiz, München, Carl Hanser Verlag, 2001, S. 225-240, hier S. 226. 58 Jürgen Barkhoff, Valerie Heffernan (Hg.), Schweiz schreiben: Zu Konstruktion und Dekonstruktion des Mythos Schweiz in der Gegenwartsliteratur, Tübingen, Niemeyer, 2010, S. 7. 416 Revue d’Allemagne

So fungieren sie in den heroischen Gebirgsszenen des 19. Jahrhunderts (Alexandre Calame), wie die damalige Ikonographie des homo alpinus helveticus (Tell-Figur Richard Kisslings oder Ferdinand Hodlers) als nationales Motiv. Bereits um die Jahrhundertwende erodieren implizit subversive Alpendiskurse das überdimensionale Selbstbild der Schweiz (Karl Walser) und seit 1945 planieren Gegen- diskurse in der Malerei den Alpen-Mythos, dekonstruieren – im Sinne Roland Barthes – die Alpenideologie (Gerhard Richter, Adam Tellmeister u.a.). Der utopische Slogan der 80er Jahre „Weg mit den Alpen – freie Sicht aufs Mittelmeer!“ verortet Paul Nizons Diskurs in der Enge in der Alpenemblematik. Die Flucht aus der Enge des Sondersta- tusbewusstseins des Schweizeralpenlandes drückt sich im Bereich der Bildenden Künste durch den Pluralismus der Alpendiskurse aus. Diesem entspricht die Vielfalt neuer künstlerischer Techniken die Kunstschaffende verschiedenster Nationalitäten (Monica Studer und Christoph van den Berg, Bill Viola u.a.) ins Werk setzen.

Abstract Patriotically-motivated discourse on the Alps was a fundamental characteristic of Swiss painting; the representations of the Alps as a phenomenon of cultural history per- mitted the establishment of links with national identity structures and with collective memory. Thus 19th Century scenes of grandiose mountains (Alexandre Calam) and the iconography of homo alpinus helveticus (the Tell of Richard Kissling or of Ferdinand Hodler) took on a national iconic function. At the turn of the 20th Century, subversive discourses on the Alps were already begin- ning to erode the oversized Swiss self-image; since 1945, opposing pictorial discourses have flattened out the Alpine myth and deconstructed – in the sense given to this term by Roland Barthes – Alpine ideology (Gerhard Richter, Adam Tellmeister, amongst others). The utopian slogan of the 80s, “Remove the Alps and open the horizon to the Mediterranean”, has taken the place of Paul Nizon’s Discourse of the Narrow in the Alpine emblematic. The escape beyond narrowness and enclosure in the perception of the Swiss Alpine landscape’s special status finds its expression in the field of the visual arts through a pluralistic discourse on the Alps and a corresponding variety of artistic techniques exploited by artists of different nationalities (Monica Studer and Christoph van den Berg, Bill Viola, amongst others). VARIA

Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 419 T. 45, 2-2013

Le regard d’un Alsacien sur l’élaboration de la paix L’abbé Émile Wetterlé et la question du « Rhin français » (janvier-juin 1919)

Thomas Schuler*

Le 11 novembre 1918, l’annonce de l’armistice et de la victoire de l’Entente provoque une vive émotion à travers la France qui sort de quatre années de guerre. Les jours suivants, les troupes françaises continuent leur progression en Alsace-Lorraine qui est peu à peu évacuée par l’armée allemande. Lorsqu’ils atteignent Mulhouse, Colmar, Metz puis enfin Strasbourg, les poilus y reçoivent un accueil triomphal. Leur arrivée marque également la fin des troubles révolutionnaires qui agitent la région. Suite à ces célébrations, se pose la question d’établir une paix durable et de garantir, entre autres décisions, la sécurité de la France face à une nouvelle attaque allemande. La Conférence de la paix qui s’ouvre à Paris le 18 janvier 1919 doit répondre à ces atten- tes : les Alliés s’y retrouvent afin d’élaborer des conditions de paix satisfaisantes à imposer à l’Allemagne et aux autres vaincus. Outre la réintégration officielle de l’Alsace-Lorraine, les revendications françaises portent principalement sur le sort de la Rhénanie. Dans les milieux politiques et intellectuels parisiens, et même au sein de la délégation diplomati- que française conduite par Georges Clemenceau, une idée trouve un large écho : la rive gauche du Rhin doit être détachée de l’Allemagne et constituer un État indépendant sur le plan politique mais lié économiquement à la France et occupé de manière indéfinie par les forces de l’Entente (1). Ainsi, cette « frontière du Rhin » est perçue dans les esprits comme une limite naturelle qui, si elle est tenue par les troupes alliées, doit assurer cette protection recherchée et éviter une nouvelle dévastation du Nord-Est de la France.

* Titulaire d’un master en histoire contemporaine de l’université de Strasbourg. 1 Se rapporter, en particulier, à Jacques Bariéty, « Le Comité d’études du Quai d’Orsay et la fron- tière rhénane (1917-1919) », et à Fernand L’Huillier, « Le mythe français du Rhin, 1918-1923 », in : Christian Baechler et Carole Fink, L’établissement des frontières en Europe après les deux guerres mondiales, Actes des colloques de Strasbourg et de Montréal, juin et septembre 1995, Berne/ Berlin/ New York, Peter Lang, 1996, p. 251-262 et 263-279. 420 Revue d’Allemagne

Les prétentions françaises dans les territoires rhénans intéressent l’abbé Émile Wetterlé, prêtre alsacien et ancien député au Reichstag, dont la francophilie mani- feste l’avait conduit à figurer sur les listes noires de l’administration allemande. En juillet 1914, à l’approche de la guerre, la menace d’être incarcéré l’a contraint à quitter l’Alsace-Lorraine afin de rejoindre la France (2). De retour à Colmar à la fin de l’année 1918, il y fonde Le Rhin français, quotidien catholique en langue française au titre évocateur : cette appellation signifie que la France, en retrouvant l’Alsace-Lorraine, a également regagné sa frontière sur le Rhin qu’elle avait obtenue au xviie siècle puis tenue jusqu’en 1871. Le choix de ce titre implique également un soutien aux revendi- cations en Rhénanie, occupée et administrée depuis le mois de décembre 1918 par les troupes de l’Entente comme le prévoyaient les conventions d’armistice. Dans Le Rhin français, Wetterlé, qui en est le directeur politique, et ses collaborateurs suivent de près l’élaboration de la paix. Ils n’hésitent pas à utiliser des procédés de justification, par- fois surprenants, afin de convaincre leurs lecteurs de la nécessité de la cause rhénane. Toutefois, au cours des mois de négociations, les solutions envisagées pour la rive gauche du Rhin sont peu à peu écartées par les plénipotentiaires de la Conférence de la paix : les alliés de la France craignent qu’en perdant la Rhénanie, l’Allemagne ne soit trop affaiblie. Le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, ne prévoit qu’une prolongation temporaire de l’occupation de la rive gauche du Rhin et l’administration du Territoire du Bassin de la Sarre par la France. Ces décisions suscitent l’incompré- hension et la déception des défenseurs des revendications initiales. À travers des éditoriaux et des articles parus dans Le Rhin français, il est possible de suivre l’opinion d’Émile Wetterlé concernant l’élaboration, entre janvier et juin 1919, des conditions de paix prévues pour l’Allemagne. Il s’agit également de découvrir son implication dans la défense de la « frontière du Rhin », les arguments qu’il a pu avancer afin de la justifier auprès de ses lecteurs, puis les raisons qui selon lui ont conduit à l’abandon de cette revendication. Afin de compléter l’analyse des points de vue de Wetterlé, cette étude est suivie de la retranscription d’un éditorial, daté du 20 juin 1919 et dans lequel le directeur du Rhin français commente le futur traité de paix.

1. La question rhénane : cause politique et sujet journalistique De son exil en France entre 1914 et 1918 jusqu’à la parution du Rhin français, Émile Wetterlé s’engage progressivement en faveur de la question rhénane. Les engagements d’un prêtre patriote Né à Colmar le 2 avril 1861, Émile Wetterlé a reçu une éducation française puis, après l’annexion de l’Alsace-Lorraine, a continué son cursus scolaire dans le Territoire de Bel- fort puis en Provence. Il choisit de s’engager vers une vie religieuse et poursuit ses études au noviciat dominicain de Saint-Maximin du Var, à l’Université de Salamanque, en Espa- gne, puis au Grand Séminaire de Strasbourg. Il achève sa formation en 1885 à l’Université

2 Pour les autorités allemandes, les personnalités de premier plan ou les simples citoyens ayant affi- ché une sympathie trop prononcée envers la France représentaient, surtout en Alsace-Lorraine, une menace dans le conflit à venir. Ceux qui n’ont pas eu la possibilité de fuir comme etterléW avant la déclaration de guerre ont été arrêtés puis envoyés dans des pénitenciers, des résidences et des forteres- ses à travers l’Empire allemand. L’abbé Émile Wetterlé et la question du « Rhin français » 421 d’Innsbruck. Il est ordonné prêtre la même année. Nommé vicaire en septembre 1890 dans la paroisse de Saint-Joseph à Mulhouse, Wetterlé fait également ses premiers pas dans le journalisme en collaborant d’abord à la rédaction de la Revue catholique d’Alsace, en lançant ensuite deux petites brochures catholiques puis en participant à la fondation du Mülhauser Volksblatt dirigé par l’abbé Henri Cetty, curé de Saint-Joseph. Wetterlé prend par ailleurs la direction du Journal de Colmar à partir de 1893. Il s’engage en politique lors des élections cantonales de 1897 en devenant conseiller général du canton de Colmar. Il est élu député de Haute-Alsace au Reichstag l’année suivante pour la circonscription de Ribeauvillé. Il siège au Parlement à Berlin sous l’étiquette de l’Elsaß-Lothringische Landespartei qui devient en 1906 le Centre alsacien- lorrain, parti catholique (3). Dans un premier temps, le député défend une politique modé- rée à l’égard des autorités afin de les engager à réformer le statut de l’Alsace-Lorraine pour qu’elle puisse jouir de la même autonomie que celle des États fédérés de l’Empire allemand. Cependant, les positions d’Émile Wetterlé se radicalisent à partir de 1908 face à l’influence croissante du mouvement pangermaniste dans les décisions gouvernemen- tales. Il s’oppose de plus en plus à la politique de germanisation et transforme le Journal de Colmar en un titre de presse, sous le nom de Nouvelliste d’Alsace-Lorraine, qui est plus pugnace à l’égard des pangermanistes. Wetterlé dénonce leurs discours arrogants à l’encontre des minorités du Reich, notamment les Alsaciens et les Lorrains. Au cours du mois de juillet 1914, les relations entre les puissances européennes se dégradent. Menacé d’être arrêté par l’administration allemande à l’approche de la guerre, Wetterlé prend ses précautions et décide de quitter Colmar le 25 juillet. Il se réfugie en Suisse puis rejoint la France quelques semaines plus tard. Installé à Paris durant le conflit, il sert la propagande française à travers des publi- cations, des interventions dans la presse et des réunions publiques. Pour ses lecteurs et son auditoire, il correspond bien à l’image idéalisée et enjolivée de l’Alsacien resté fidèle à la France même quarante ans après l’annexion. Wetterlé contribue par ailleurs aux travaux de la Conférence d’Alsace-Lorraine, organisation qui a pour objectif de prévoir la réintégration politique et administrative des « provinces perdues » en cas de victoire de l’Entente (4). L’abbé est également membre d’une association nationaliste, le Comité de la rive gau- che du Rhin, fondée en 1915. À travers des conférences et des brochures, l’organisation défend les projets de la « frontière rhénane » et souhaite les promouvoir au sein de la société. Présidé par Joseph-Louis Bonnet, le chef de file des radicaux et radicaux-socialis- tes parisiens, ce « comité d’initiative » agit indépendamment du gouvernement français et réunit en 1917 trente-cinq membres dont divers élus, des militaires, des journalis- tes et des universitaires, notamment des historiens (5). Dans cette association se trouve également Daniel Blumenthal, ancien maire de Colmar. Si le nom d’Émile Wetterlé est

3 Christian Baechler, Le parti catholique alsacien, 1890-1939 : Du Reichsland à la République jacobine, Paris, 1982, p. 95. 4 Émile Wetterlé fut l’un des initiateurs du classement des populations établies en Alsace-Lorraine en quatre catégories afin de distinguer les « vrais » Alsaciens-Lorrains des fonctionnaires et migrants allemands venus s’installer dans la région après 1871. 5 Joseph-Louis Bonnet et le Comité de la Rive gauche du Rhin, Les restitutions, réparations, sanctions et garanties à imposer à l’Allemagne, Paris, s.d., 11 p. 422 Revue d’Allemagne mentionné dans les brochures éditées par le comité (6), l’implication réelle de l’abbé dans ses activités n’est encore pas bien établie. Toutefois, la question du sort de l’Allemagne, et par conséquent celle de la rive gauche du Rhin, est un des sujets qui animent les conférences qu’il tient dans d’autres sphères. Sa présence dans le comité de Joseph-Louis Bonnet souligne l’intérêt qu’il porte aux revendications françaises en Rhénanie. Le Rhin français, une nouvelle tribune La signature de l’armistice de Rethondes met également fin à la censure allemande de la presse alsacienne et lorraine germanophone ; les journaux en langue française, interdits depuis l’été 1914, peuvent quant à eux reparaître à la fin novembre 1918. Le retour de l’administration française, qui se fait le 15 novembre avec la création du Haut-commissariat de la République, suscite un engouement patriotique. Dans ce contexte, l’abbé Wetterlé rentre à Colmar et y fonde Le Rhin français afin d’exalter ce patriotisme et de défendre une assimilation progressive aux lois françaises. Le nouveau quotidien constitue alors une nouvelle tribune politique pour son direc- teur et propriétaire, ce qui provoque l’agacement de ses détracteurs. Dans un article, un des collaborateurs anonymes de Wetterlé relève cet agacement et ironise : « ‘L’Alsace royaume de M. Wetterlé !’ La formule qui fera pouffer de rire le roi présumé, est de M. Peirotes. Elle est originale et fait honneur à l’imagination de M. le maire de Stras- bourg, mais seulement à son imagination. […] M. Peirotes est hanté de la crainte que l’abbé Wetterlé n’abuse de l’influence, très réelle certainement, mais aussi très légitime, que ses lumières et ses services lui ont value dans les régions gouvernementales, pour faire régner en Alsace ses idées et opprimer celles des autres » (7). Le Rhin français est publié par la Société d’édition de Haute-Alsace qui est étroi- tement liée au puissant parti catholique alsacien, l’Union Populaire Républicaine, constituée en février 1919 (8). Le journal compte 10 000 abonnés à ses débuts. Son titre est modifié et devient Le Nouveau Rhin français à partir du 1er avril 1919. Les raisons de ce changement sont liées à la détention légale du titre originel par un éditeur de Saint-Quentin, dans la Somme, qui publiait un journal éponyme jusqu’à la destruc- tion de son imprimerie au cours de la guerre. Wetterlé compatit, et cette situation lui permet de rappeler les ravages que le nord de la France a subi, avant d’ajouter : « Nous n’avons cependant pas voulu dérouter nos lecteurs en changeant complètement de titre. Le Rhin est de nouveau français, après l’avoir été si longtemps. Le programme de nos revendications devient une question de fait » (9). Le traitement de la question et de l’information La cause rhénane fait sa première apparition dans Le Rhin français par une série de cinq articles intitulés « La rive gauche du Rhin », numérotés de I à V et publiés entre le 15 et le 25 janvier 1919. Ces articles sont de simples retranscriptions d’écrits

6 Le Comité de la rive gauche du Rhin est une association mal connue et dont une dizaine de brochures ont été répertoriées. Une étude plus approfondie de cette association est à souhaiter. 7 Le Nouveau Rhin français du 8 mai 1919, n° 106, p. 1, « Au hasard de la plume ». 8 Ch. Baechler, Le parti catholique alsacien (note 3), p. 239. 9 Le Rhin français du 26 mars 1919, n° 72, p. 1, « Notre nouveau titre : Le Nouveau Rhin français » (éditorial). L’abbé Émile Wetterlé et la question du « Rhin français » 423 et de déclarations de diverses personnalités françaises dans d’autres journaux tels que L’Écho de Paris, Le Petit Parisien ou Le Temps. La réputation qu’il s’est forgée en France durant la guerre permet à l’abbé Wetterlé d’être lui-même interrogé sur cette question par un quotidien parisien. Le Rhin fran- çais relate son intervention : « La Libre Parole continue son enquête sur la question de la rive gauche du Rhin. Appelé à donner son avis, M. Wetterlé, notre directeur, a répondu : “Toutes les guerres des siècles passés proviennent de la même cause. La France avait perdu sa frontière naturelle du nord- est : le Rhin. Il faut qu’elle la retrouve. Pour l’heure, elle doit, avant tout, exiger sa frontière de 1814. Quant au reste, je suis convaincu que les Rhénans demanderont eux-mêmes dans quelques mois leur retour à la France et alors personne ne pourra plus s’opposer, au nom du droit qu’ont les peuples de disposer d’eux-mêmes, à cette juste revendication. Un peu de patience et la vieille Gaule sera, de nouveau, ce qu’elle était au temps de César” » (10). Suite à la publication de cette série de retranscriptions, la rédaction du Rhin fran- çais s’investit de manière plus directe dans le traitement de la question rhénane. Dès la fin du mois de janvier, apparaissent des éditoriaux que Wetterlé rédige lui-même, ainsi que des articles de ses collaborateurs anonymes. Leur objectif est de défendre au mieux les revendications françaises en Rhénanie, d’apporter un soutien à la délégation française et de commenter l’actualité des discussions de la Conférence de la paix.

2. La défense et la justification des revendications Afin de justifier la nécessité de la cause rhénane et de convaincre ses lecteurs, la rédaction du Rhin français avance plusieurs arguments qui peuvent faire sourire le lecteur d’aujourd’hui. Certaines démonstrations relèvent de la stratégie, d’autres sont d’ordre économique. L’histoire de la France et celle de la Rhénanie sont également mises à contribution. Une nécessité stratégique Dans son éditorial du 29 janvier 1919, Émile Wetterlé s’intéresse à la question du bassin de la Sarre, riche région houillère qui peut garantir à la France voisine un approvisionnement non négligeable de matières énergétiques. Le directeur du Rhin français se préoccupe également des garanties militaires que présente le contrôle de ce territoire ainsi que de toute la Rhénanie. « La sécurité et la prospérité de la Patrie doivent dominer tout le débat », affirme-t-il (11). Il continue plus loin : « Il faut que, pour l’avenir, la zone dangereuse, celle où les premières rencontres entre les armées ennemies se produiront, soit reculée. Sans cela, nos provinces redeviendront le théâtre de luttes sanglantes et de dévastations, qui nous ruineront de nouveau » (12). Souhaiter un recul de cette « zone dangereuse » revient à dire que le Rhin et sa rive gauche doivent constituer un glacis, une zone tampon qui permettrait d’éviter que le territoire français soit à nouveau ravagé en cas d’une nouvelle guerre contre l’Allemagne, comme l’ont été la ville de Strasbourg en 1870 et le nord de la France à partir de 1914.

10 Le Rhin français du 16 janvier 1919, n° 13, p. 1-2, « La rive gauche du Rhin – II ». 11 Le Rhin français du 29 janvier 1919, n° 24, p. 1, « Le bassin de la Sarre » (éditorial). 12 Ibid. 424 Revue d’Allemagne

Wetterlé tente de justifier davantage la nécessité de cette ligne protectrice du Rhin dans son éditorial du 10 avril : « La France a porté le poids principal de la guerre et ses départements du Nord ont été abominablement dévastés. Si on ne prend pas les mesures de précaution qui s’imposent, la sécurité de la France sera de nouveau compromise et avec la sienne celle de tous les pays alliés. La rive gauche du Rhin fut toujours la citadelle du militarisme prussien. C’est de là que sont parties toutes les invasions. C’est là qu’il faut pousser le verrou devant la porte par laquelle les barbares se sont précipités sur leur victime de prédilection » (13). Après la défaite de 1870 puis les mouvements d’août 1914, la rive gauche du Rhin est considérée comme une région qui permet aux troupes allemandes de s’y concentrer massivement avant de lancer leurs offensives en direction des territoires français ou belges. Les raisons économiques Les destructions matérielles, qui ont résulté des combats et des bombardements sur le Front de l’Ouest, posent la question des réparations. Wetterlé écrit toujours le 10 avril : « […] il faut que la France, ruinée par l’invasion, soit dédommagée et que ses frontières du nord-est soient mises à l’abri d’un nouveau coup de main » (14). Selon lui, les reven- dications sur la rive gauche du Rhin présentent également un aspect de compensation financière et peuvent pallier le manque de ressources. Il affirme dès le 29 janvier : « Les revendications de la France se basent encore sur l’intérêt économique du pays. À l’in- dustrie française manquent 20 millions de tonnes de charbon par an. Ce déficit ugmenteraa de 17 millions de tonnes, par suite des besoins des établissements industriels d’Alsace et de Lorraine. Or, dans le bassin de la Sarre nous trouverons une vingtaine de millions de tonnes, qui nous affranchiront pour autant des dangers et des charges de l’importation du combustible. […] Il serait dès lors coupable de faire campagne contre une rectification de frontière qui s’impose » (15). Au début de l’année 1919, la question de la Sarre n’est pas encore perçue comme pouvant déboucher sur la création d’un territoire placé sous mandat français, tel que le traité de Versailles le prévoit six mois plus tard. Lorsque Wetterlé écrit ses lignes, il est persuadé qu’il est possible pour la France de revendiquer, en plus de l’Alsace-Lorraine, de nouvelles frontières et d’annexer les territoires qu’elle convoite. Pour justifier cette éventuelle annexion, le directeur du Rhin français s’appuie sur des faits historiques. L’affirmation de droits historiques Le bassin de la Sarre correspond de manière approximative à un ancien territoire français. Il s’agit de la région de Sarrelouis, ville-forteresse construite par Louis XIV en 1680 et dont l’arrière pays a été acquis sous le règne de Louis XV lors du rattachement des duchés de Lorraine et de Bar au Royaume de France en 1766. Sous la Révolution et l’Empire, le territoire faisait partie du département de la Moselle, et jouxtait les départements de la rive gauche du Rhin que la France avait acquise à partir de 1795.

13 Le Nouveau Rhin français du 10 avril 1919, p. 1, « Les questions essentielles » (éditorial). 14 Ibid. 15 Le Rhin français du 29 janvier 1919, n° 24, p. 1, « Le bassin de la Sarre » (éditorial). L’abbé Émile Wetterlé et la question du « Rhin français » 425

En 1919, afin de justifier les revendications sur le charbon sarrois, Émile Wetterlé met en avant le passé français de cette région : « Cette ‘annexion’, ou plutôt cette réintégration est d’une nécessité absolue. L’ancienne frontière française englobait Sarrelouis, ville fondée par Louis XIV, Sarrebruck et Landau. En 1814, les ennemis de la France l’avaient respectée. Ce n’est qu’en 1815 que la Prusse annexa cette bande de terrain. Quand les dirigeants actuels de la République revendiquent la restitution du bassin minier de la Sarre, ils n’exercent donc qu’un droit de reprise » (16). L’abbé Wetterlé fait allusion ici aux deux traités de Paris qui ont suivi la chute de l’Empire. Le 30 mai 1814, suite à la première abdication de Napoléon, un premier traité fut signé et ramena le territoire français à ses limites de 1792, soit avant les conquêtes territoriales révolutionnaires et napoléoniennes, notamment en Rhénanie. Ainsi, la Sarre mosellane demeurait française à l’instar de Landau qui faisait partie du dépar- tement du Bas-Rhin. Au lendemain de l’épisode des Cent-Jours et de la bataille de Waterloo, un second traité fut signé le 20 novembre 1815 et enleva ces deux régions à la France : Landau fut rattachée au Palatinat du Rhin au sein du Royaume de Bavière, Sarrelouis et Sarrebruck, à la province rhénane du Royaume de Prusse. Wetterlé réclame, comme le Comité de la rive gauche du Rhin avant lui, que le second traité de Paris soit annulé et que la France retrouve sa frontière de 1814 qui comprenait la Sarre. Par ailleurs, l’affirmation de ces droits historiques, qui présente alors un intérêt économique, peut également être employée pour justifier la ligne pro- tectrice du Rhin : « Lorsqu’en 1815, les Alliés eurent définitivement abattu la France à Waterloo, ils exigèrent d’elle […] des remaniements de frontières qui leur ouvraient perfidement de nouvelles voies d’invasion […] » (17). Ainsi, en perdant d’abord la rive gauche du Rhin puis sa frontière de 1814, la France aurait été, selon le quotidien, à la merci des offensives allemandes de 1870 puis de 1914. Si dans l’entrevue qu’il a accordée à La Libre Parole, Wetterlé a affirmé que « […] la vieille Gaule sera, de nouveau, ce qu’elle était au temps de César », il semble, au courant de l’année 1919, avoir abandonné l’idée de voir l’ensemble de la rive gauche du Rhin être rattaché à la France comme elle l’a été sous la Révolution et le Premier Empire. Si elle a été avancée entre 1915 et 1917 par des historiens tels qu’Ernest Babelon (18) ou Paul Mar- mottan (19) qui insistaient sur le passé gallo-romain, franc puis français de la Rhénanie, cette revendication ne trouve plus en 1919 autant de soutiens qu’auparavant (20).

16 Ibid. 17 Le Nouveau Rhin français du 8 mai 1919, n° 106, p. 1, « Un peu d’Histoire : Le Rhin protecteur ». 18 Ernest Babelon (1854-1924), professeur au Collège de France, archiviste-paléographe, auteur d’une publication nationaliste conséquente, La grande question de l’Occident, en trois tomes qui retracent les liens, parfois prétendus, que la France et la Rhénanie ont entretenus depuis l’Antiquité. 19 Paul Marmottan (1856-1932), spécialiste de l’art et de l’histoire du Premier Empire. Il fut très attaché à défendre les « droits séculaires » de la France afin de justifier les revendications sur l’ensemble de la Rhénanie. 20 Se rapporter, en particulier, à Peter Schöttler, « Le Rhin comme enjeu historiographique dans l’en- tre-deux-guerres. Vers une histoire des mentalités frontalières », Genèses, n° 14, 1994, p. 63-82. 426 Revue d’Allemagne

3. Échecs et désillusions Les revendications françaises en Rhénanie ne se sont pas concrétisées à l’issue de la Conférence de la paix : la rive gauche du Rhin demeure politiquement et économi- quement liée au territoire allemand ; Landau et Sarrelouis ne sont pas attribuées à la France. Le traité est remis le 9 mai 1919 à la délégation allemande puis il est signé le 28 juin au château de Versailles. La rédaction du Rhin français avance les raisons de ce qu’elle juge comme un échec. La responsabilité des Alliés Durant les négociations du traité de paix, Émile Wetterlé considère que la Confé- rence de Paris ne va pas dans le sens espéré. Il écrit le 10 avril : « On est en train, dans les milieux diplomatiques, de saboter la victoire. Que certaines vieilles rivalités aient pu surgir entre les gouvernements alliés, au moment du règlement définitif des conditions de paix, il n’y a pas lieu d’en manifester une grande surprise. Toutes les nations sont naturellement égoïstes […] » (21). Selon lui, les délégations britannique et américaine sont les responsables de l’aban- don progressif de la cause rhénane dans les discussions. Wetterlé s’agace et estime que la Grande-Bretagne, « fidèle à sa politique séculaire, redoute surtout que, sur le continent, un impérialisme en remplace un autre » : pour les Britanniques, l’affaiblis- sement de l’Allemagne et les projets rhénans risquent de « trop fortifier la situation de la France » (22). L’abbé Wetterlé met par ailleurs en cause le Président des États-Unis, Woodrow Wilson : « Quant à M. Wilson, cantonné dans le bastion de ses 14 propositions, il n’admet pas que, même pour nous assurer contre le retour de nouvelles guerres mondiales, on puisse écorner les dogmes qu’il a proclamés » (23). Il est sans doute important de signaler que la Conférence de Paris s’est faite en anglais, alors que le français est habituellement la langue utilisée pour la diplomatie. Ce détail linguistique et symbolique indique que cette paix est celle des Anglo-Saxons au détriment de la France qui accueille pourtant la conférence. Un choix pragmatique face à de nouvelles craintes La rédaction du Rhin français met en avant un autre point qui peut expliquer l’échec de la cause rhénane. Un article non signé et daté du 8 mars dénonce une attitude incer- taine de la part des plénipotentiaires alliés : « Il serait excessif de dire que la continuité des vues et la persistance dans les desseins soit ce qui caractérise précisément la politique des Alliés vis-à-vis de l’Allemagne depuis la cessation des hostilités. Cette politique a visiblement oscillé entre deux craintes opposées, celle d’une Allemagne redevenant impérialiste et celle d’une Allemagne bolcheviste » (24).

21 Le Nouveau Rhin français du 10 avril 1919, n° 85, p. 1, « Les questions essentielles » (éditorial). 22 Le Nouveau Rhin français du 20 juin 1919, n° 141, p. 1, « Le traité de paix » (éditorial). 23 Ibid. 24 Le Nouveau Rhin français du 8 mars 1919, n° 57, p. 2, « Il serait temps d’en finir ». L’abbé Émile Wetterlé et la question du « Rhin français » 427

L’avenir politique de l’Allemagne inquiète. Ce n’est que peu avant l’ouverture de la Conférence de Paris qu’ont eu lieu la Révolution allemande de novembre 1918 et le soulèvement spartakiste à Berlin de janvier. Par ailleurs, la Bavière connaît entre avril et mai 1919 la formation de conseils d’ouvriers et de soldats. Sans que cet article ne l’affirme, la crainte d’une contagion révolutionnaire joue sans doute un rôle important dans l’abandon des projets rhénans. En effet, face aux incertitudes de l’avenir, il est préférable pour l’Entente que l’Allemagne puisse résister aux mouvements communistes qui agitent à cette époque la Russie et une partie de l’Europe centrale, notamment la Hongrie. Les revendications françaises sur la rive gauche du Rhin sont alors écartées pour éviter que l’ancien Reich, déjà animé par un esprit de revanche depuis la défaite, ne bascule davantage dans la révolution.

Conclusion Dans son éditorial du 20 juin 1919, retranscrit ci-après, Émile Wetterlé estime que le futur traité de paix, « tel qu’il se présente » lui donne « une satisfaction relative ». Après avoir défendu les prétentions françaises en Rhénanie au cours des mois de négo- ciations du traité, le directeur du Rhin français semble accepter le non aboutissement de ces revendications. En effet, l’occupation de la rive gauche du Rhin et la création du Territoire du Bassin de la Sarre, même si elles ne sont que temporaires, répondent en partie à la question de la sécurité du territoire et à celle des réparations. De plus, le retour de l’Alsace-Lorraine à la France, officialisé par le traité de Ver- sailles, est certainement la décision qui paraît la plus importante aux yeux de Wet- terlé. Malgré l’échec de la cause rhénane, telle qu’elle était défendue initialement, il ne conteste pas l’impuissance des autorités françaises face à leurs alliés britanniques et américains lors de la Conférence de la Paix. Son intérêt est de servir au mieux la France. L’abbé Wetterlé s’investit à nouveau dans la politique alsacienne et française en se présentant aux élections législatives de novembre 1919. Il devient alors député du Haut-Rhin, fonction qu’il occupe jusqu’en 1924. Il continue également de superviser la rédaction du Nouveau Rhin français qui rencontre des difficultés les années suivantes et dont le dernier numéro paraît le 14 août 1923. Ne se représentant pas à sa succession, Émile Wetterlé se retire de la vie politique à la fin de son mandat parlementaire. Il décède le 24 juillet 1931 lors de vacances passées à Ouchy, à proximité de Lausanne. 428 Revue d’Allemagne

Retranscription d’un article de presse (Le Nouveau Rhin français du 20 juin 1919, n° 141, p. 1, « Le traité de paix », éditorial).

LE TRAITÉ DE PAIX « La critique est aisée et l’art est difficile », disait, il y a déjà deux siècles, le poète. Nom- breux sont, encore aujourd’hui, ceux qui, sans se rendre un compte exact des difficultés énormes qu’il a fallu surmonter, sont prêts à critiquer le traité de paix qu’ils trouvent trop miséricordieux à l’endroit des vaincus. Hélas ! si les gouvernements alliés avaient pendant la guerre fait preuve d’une égale décision et d’une égale endurance, il devait fatalement au moment où ils abordèrent la discussion des préliminaires de paix, se produire entre eux de graves divergences de vues. Ils avaient tous un égal intérêt à battre l’Allemagne, ils n’avaient plus les mêmes raisons de se garder contre une agression nouvelle et de punir le coupable. L’Amérique est si loin de l’Allemagne impérialiste ! L’Angleterre, elle, fidèle à sa politique séculaire, redoute surtout que, sur le continent, un impérialisme en remplace un autre. M. Wilson pouvait donc se livrer à ses spéculations d’ordre doctrinaire, tandis que M. Lloyd George s’appliquait sur- tout à ne pas trop fortifier la situation de la France. M. Clemenceau s’est vigoureusement défendu contre le dogmatisme du président des États-Unis et contre les scrupules d’ordre moins idéal du Premier [ministre] anglais. S’il n’a pas réussi à en triompher, du moins faut-il lui reconnaître l’incontestable mérite d’avoir obtenu, malgré toutes les oppositions, des résultats très appréciables. La paix qu’il nous donne ne répond certes pas à ce que nous espérions, elle nous offre cependant des garan- ties suffisantes et des réparations appréciables. Faisons le compte de ce que perd l’Allemagne : Toute sa flotte de guerre ; Presque toute sa flotte marchande ; Toutes ses colonies ; Toutes ses propriétés et toutes ses concessions en pays étranger, abstraction faite de celles du Chili et de l’Argentine ; Toute l’Alsace-Lorraine, toutes les provinces polonaises, une partie du Schleswig- Holstein, sans compter l’occupation temporaire de la rive gauche du Rhin par les troupes alliées. De plus, gardant le poids de ses emprunts de guerre, elle s’engage à verser des indem- nités, dont le montant global atteindra certainement 200 à 250 milliards. De son armée il ne restera, dans un an, que 100 000 hommes, tous recrutés par engage- ments et militaires de profession (12 ans de présence sous les drapeaux). On ne lui laissera qu’un nombre limité de fusils, de mitrailleuses, de canons et d’avions (le traité en énumère le chiffre). Elle devra livrer tous ses autres approvisionnements de guerre aux Alliés. Que reste-t-il, dès lors, de l’ancienne splendeur et de la prodigieuse prospérité de l’em- pire des Hohenzollern ? Comment ce pays, atteint si durement et dans son prestige et dans sa richesse, pourra-t-il se relever ? Sans doute l’exclusion des Allemands de la Société des Nations n’aura qu’un temps. Encore, avant d’y être admise, la République germanique devra-t-elle donner des preuves de sagesse. Voilà où la mégalomanie allemande a conduit le peuple de proie. La banqueroute de l’impérialisme prussien est donc complète. Plût au ciel que les vainqueurs n’eussent pas, eux aussi, à payer, en grande partie, les frais de cette sinistre aventure ! Heureusement que plaie d’argent est toujours guérissable. Tel qu’il se présente à nous, le traité nous donne donc une satisfaction relative. Étant donné les circonstances dans lesquelles il a été conclu, il ne pouvait pas être meilleur. On aurait tort cependant de nous le représenter comme une capitulation de la justice devant l’intrigue. Il affirme au contraire la victoire du droit et nous assure contre les retours agres- sifs de la barbarie. N’oublions pas cependant que les traités ne valent que par l’esprit qui préside à leur application et que la théorie de M. de Bethmann-Hollweg sur « le chiffon de papier » a toujours trouvé et trouvera toujours de l’autre côté du Rhin, de fervents admirateurs. L’abbé Émile Wetterlé et la question du « Rhin français » 429

Bibliographie Baechler Christian, « L’abbé Wetterlé, un prêtre patriote et libéral, 1861-1931 », in : Société d’histoire de l’Église d’Alsace, Archives de l’Église d’Alsace 1986, Haguenau/Rixheim, 1986, p. 243-286. Baechler Christian, Le parti catholique alsacien, 1890-1939 : Du Reichsland à la République jacobine, Paris, 1982. Bariéty Jacques, « L’administration des territoires rhénans occupés pendant la période de l’armistice : 11 novembre 1918-18 juin 1919 », Travaux et Recherches 1973/2 (Publications du Centre de recherches Relations internationales de l’université de Metz), Metz, 1974, p. 59-78. Bariéty Jacques, « Le Comité d’études du Quai d’Orsay et la frontière rhénane (1917-1919) », in : Christian Baechler et Carole Fink, L’établissement des frontières en Europe après les deux guerres mondiales, Actes des colloques de Strasbourg et de Montréal, juin et septem- bre 1995, Berne/Berlin/New York, Peter Lang, 1996, p. 251-262. Châtellier Jacques et Monique Mombert, La presse en Alsace au xxe siècle : témoin, acteur, enjeu, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2002. Grandhomme Jean-Noël, « Le retour de l’Alsace-Lorraine », L’Histoire, n° 336, novembre 2008, p. 60-63. Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace et Jean-Pierre Kintz, Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, n° 39 à 42, Wa–Zys, Gresswiller, 2002. L’Huillier Fernand, « Le mythe français du Rhin, 1918-1923 », in : Christian Baechler et Carole Fink, L’établissement des frontières en Europe après les deux guerres mondiales, op. cit., p. 263-279. Lowczyk Olivier, « L’historien et le diplomate en 1919 : l’usage des sciences historiques dans la négociation pour les frontières de la France », Guerres mondiales et conflits contemporains : revue d’histoire, 236/4 (2009), p. 27-44. Miquel Pierre, La paix de Versailles et l’opinion publique française, Paris, Flammarion (Nou- velle bibliothèque scientifique), 1972. Schmauch Joseph, « Préparer la réintégration des provinces perdues : la conférence d’Alsace- Lorraine et les services d’Alsace-Lorraine à Paris », in : Jean-Noël Grandhomme, Boches ou tricolores ? Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande guerre, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2008. Schöttler Peter, « Le Rhin comme enjeu historiographique dans l’entre-deux-guerres. Vers une histoire des mentalités frontalières », Genèses, n° 14, 1994, p. 63-82.

L’abbé Wetterlé : sortie de l’église Notre-Dame, Paris, Agence photographique Meurisse, 1919, photographie en noir & blanc, 13 x 18 cm (BnF, département Estampes et photographies, Paris). 430 Revue d’Allemagne

Les prétentions françaises à l’issue de la Grande Guerre

L’abbé Émile Wetterlé et la question du « Rhin français » 431

Le Nouveau Rhin français du 8 mai 1919, 1re année – n° 106, Colmar, Société d’édition de Haute-Alsace, p. 1 (BNUS, Strasbourg).

432 Revue d’Allemagne

Résumé Devant la Conférence de la Paix qui s’ouvre à Paris en janvier 1919, la délégation française dévoile ses revendications : elle souhaite principalement le retour de l’Alsace- Lorraine. Ses demandes portent également sur le sort de la Rhénanie. Les représentants français espèrent voir la rive gauche du Rhin former un État indépendant de l’Allemagne, mais placé sous l’influence politique et militaire de la France afin que ce territoire consti- tue une zone tampon entre le Reich et l’Europe occidentale. Quelques semaines avant le début des négociations de paix, le prêtre alsacien Émile Wetterlé fonde à Colmar un journal catholique et patriotique intitulé Le Rhin français. Son objectif est d’apporter un soutien visible aux diplomates français et de convaincre ses lecteurs de la nécessité que représente selon lui cette « question rhénane » pour la paix en Europe. Toutefois, les alliés de la France rejettent cette revendication et le traité de Versailles signé le 28 juin 1919 ne prévoit qu’une occupation militaire temporaire de la Rhénanie. Il s’agit à travers cet article d’étudier le point de vue d’une personnalité alsacienne sur cette éphémère question du « Rhin français ».

Zusammenfassung Während der Pariser Friedenskonferenz, die im Januar 1919 eröffnet wurde, verlangte die französische Regierung die Rückgabe von Elsass-Lothringen und die Gründung eines Pufferstaat auf dem linken Rheinufer unter dem Einfluss Frankreichs, um Deutschland zu dämpfen. Bei diesen diplomatischen Verhandlungen in Paris, gründete der elsässische Pfarrer Emil Wetterlé in Colmar die katholische und patriotische Tageszeitung Le Rhin français (Der französische Rhein), dessen Ziel die Forderungen im Rheinland zu recht- fertigen war. Allerdings waren diese Projekte allmählich aufgegeben worden und der Versailler Vertrag vom 28. Juni 1919 sah jedoch erst die vorläufige Rheinlandbesetzung vor. Es handelt sich in diesem Fachartikel um eine Analyse der Meinung eines Elsässer über die nationalistische Rheinfrage, die keine Zukunft hatte.

Abstract At the Paris Peace Conference which opened in January 1919, the French delegation claimed the restitution of Alsace-Lorraine and hoped for the creation of a Rhenish buffer state under France’s influence in order to weaken Germany. During the diplomatic talks, the Alsatian priest Émile Wetterlé founded in Colmar a patriotic and Roman Catholic newspaper which was called Le Rhin français (The French Rhine). The aim of this daily paper was to convince their readership about the necessity of the French nationalist claims on the left bank of the Rhine. However, these plans were dismissed and the Treaty of Versailles of 28 June 1919 provided only temporary occupation of the Rhineland by Allied Powers. The purpose of this study is to explore the standpoint of an Alsatian personality on the short-lived Rhine question. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 433 T. 45, 2-2013

Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme en France et en Allemagne (1919-1934)

Valentine Hoffbeck*

Lorsque Francis Galton théorise l’eugénisme à la fin du xixe siècle, il entend entre- prendre « l’étude des facteurs socialement contrôlables qui peuvent élever ou abaisser les qualités raciales des générations futures, aussi bien physiquement que mentale- ment » (1). Ce contrôle peut s’effectuer selon deux modalités, qui sont les deux catégories d’usage quand on parle de l’eugénisme : d’une part, l’eugénisme positif doit favoriser la reproduction des individus héréditairement favorisés – à l’origine du concept, le terme grec eugénès signifiant « bien-né ». À l’inverse, l’eugénisme dit négatif vise à inhiber la multiplication des hommes jugés inférieurs. Si ce dernier a été très étudié en Allema- gne, en lien avec l’hygiène de la race nazie, le thème de l’eugénisme a longtemps été frappé d’anathème dans l’historiographie française. Tantôt exagéré par la répétition systématique de morceaux choisis tirés des travaux de médecins isolés, ou au contraire éludé au profit d’un éloge excessif de l’innocence française, ce sujet s’offre selon Anne Carol comme un « objet de phobie idéologique » (2). L’étudier en France et en Allemagne dans la période troublée de l’entre-deux-guerres n’a donc rien d’aisé. La politique d’hygiène raciale du IIIe Reich reste associée à une science homicide gui- dée par un programme raciste et eugéniste (3). Mais si les spécificités de l’Allemagne nazie constituent le noyau explicatif central de ce processus, le facteur religieux paraît digne d’être étudié en tant que support pour croiser les courants idéologiques de deux États

* Doctorante avec charge d’enseignement à l’université de Strasbourg, membre de l’UMR Sage et de l’EA Arche. 1 Cité par Anne Carol, Histoire de l’eugénisme en France : les médecins et la procréation, Paris, Seuil, 1995, p. 9. 2 Ibid., p. 12. 3 Le soutien hitlérien au mouvement d’hygiène raciale est exprimé dès 1924 dans Mein Kampf : « Die Medizin wird Millionen von Unglücklichen unverdiente Leiden ersparen, in der Folge aber zu einer steigenden Gesundung überhaupt führen. » 434 Revue d’Allemagne dont le contexte semble a priori irréductible à toute comparaison entre 1933 et 1945. Les chemins différents empruntés par les deux voisins au sujet de l’eugénisme sont connus (4). Toutefois, plusieurs constats poussent à renouveler la réflexion sur le sujet en adoptant une perspective transnationale. Un premier constat est que les diverses législations enté- rinant au début du xxe siècle la pratique de la stérilisation forcée concernent d’abord des pays de la sphère protestante (5). Or les travaux de langue française sur l’eugénisme se contentent d’opposer – comme s’il s’agissait d’une évidence – l’Europe « catholique » des pays latins à une Europe à majorité protestante (6), en constatant sans pour autant l’expli- quer un accueil plus favorable fait à l’eugénisme par la religion réformée (7). Le cas suisse, par un changement d’échelle, illustre lui aussi l’importance de ne pas négliger le facteur religieux dans l’étude de l’eugénisme (8). Le canton de Vaud légalise la stérilisation forcée le 22 mai 1928, tandis que d’autres opérations de castration sont mentionnées au Bor- ghözli, à l’asile de Wil ou encore à la clinique psychiatrique de Zurich (9), établissements situés sans exception dans des cantons à très forte majorité protestante (10). Outre-Rhin, l’historiographie s’est davantage penchée sur les liens entre religion et eugénisme (11). Le rôle majeur joué par l’Église catholique entre décembre 1940 et l’été 1941 dans l’arrêt apparent de l’Aktion T4 en Allemagne n’y est sans doute pas étranger (12). Les liens entre eugénisme et catholicisme gagneraient ainsi à être interrogés, d’autant que, si l’on en croit André Pichot,

4 Pour la France, voir A. Carol, Histoire de l’eugénisme en France (note 1). Sur l’Allemagne, la biblio- graphie est pléthorique. Voir Peter Weingart, Jürgen Kroll et Kurt Bayertz, Rasse, Blut und Gene : Geschichte der Eugenik und Rassenhygiene in Deutschland, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1988. Et en français, Paul Weindling et Benoît Massin, L’hygiène de la race, 1 : Hygiène raciale et eugénisme médical en Allemagne, 1870-1932, Paris, La Découverte, 1998. 5 Des mesures eugéniques de stérilisation des malades « congénitaux » sont prises dès 1907 dans certains États des États-Unis, en 1928 en Suisse et au Canada, en 1929 au Danemark, en 1933 en Allemagne, en 1934 en Norvège, en 1935 en Suède et en 1937 en Finlande et en Estonie. 6 Il serait plus exact de parler des pays qui ne sont pas à majorité catholique si on considère l’Angleterre anglicane, qui se distingue non par la tradition apostolique, mais par l’absence à sa tête d’un garant des dogmes tel que le pape. L’Église anglicane est souvent considérée comme une via media entre catholi- cisme et protestantisme. 7 Alain Drouard, L’eugénisme en questions : l’exemple de l’eugénisme français, Paris, Ellipses, 1999, p. 65. On peut citer aussi la remarque de Pichot : « l’eugénisme donna lieu à diverses législations, bien avant le nazisme, et dans des pays tout à fait démocratiques […] les seules oppositions institutionnelles que [l’eugénisme] rencontra furent celles de l’Église catholique et de l’URSS lyssenkiste ». Voir André Pichot, La société pure : de Darwin à Hitler, Paris, Flammarion, 2000, p. 158. 8 Gilles Jeanmonod et Jacques Gasser, « Aspects de l’histoire de l’eugénisme et de la stérilisation non volontaire en Suisse romande au xxe siècle », in : Christian Bonah (dir.), Nazisme, science et médecine, Paris, Glyphe, 2006, p. 235-256. 9 La question est discutée en 1905 à Wil au 36e Congrès des médecins aliénistes suisses, en 1910 à l’Asso- ciation juridique et psychiatrique de Zurich, en 1924 à Berne par le Dr Hanswirth, en 1925 à la Société médicale de Genève. Voir Édouard Jordan, L’Église et l’eugénisme : la famille à la croisée des chemins, Paris, Ed. Association du Mariage Chrétien, 1930, p. 74. 10 En 1900, le canton de Vaud compte 86,3 % de protestants et 13 % de catholiques. 11 Voir Hans-Josef Wollasch, « Sociale Gerechtigkeit und christliche Charitas », Fribourg-en-Brisgau, Lambertus, 1996. 12 Voir Christoph Kösters et Mark Edward Ruff, Die katholische Kirche im Dritten Reich : eine Einfüh- rung, Fribourg, Herder, 2011. Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme en France et en Allemagne 435

« la France n’a jamais connu de législation eugéniste à proprement parler (ni même de mou- vement eugéniste très puissant). Ce qu’on appelle parfois “eugénisme” en France mérite surtout le nom d’hygiénisme social […]. Il s’agissait bien d’assurer de bonnes naissances, mais pas par les mesures sélectionnistes de stérilisation des personnes supposées “généti- quement incorrectes”. Cet aspect particulier de l’eugénisme français est dû principalement à l’influence du pastorisme et du lamarckisme et( sans doute du catholicisme) » (13). La faible ouverture de la « fille aînée de l’Église » à un eugénisme négatif peut-elle être mieux comprise en étudiant le facteur confessionnel ? Comme le notait déjà Anne Carol (14), la littérature nous apporte bien peu de réponses sur ce point à l’échelle des pays européens et nord-américains (15). D’où la tentative d’évaluer la pertinence du facteur religieux pour deux pays voisins ayant connu des destins divergents, mais dans lesquels le catholicisme, minoritaire ou majoritaire, a joué un rôle non négligeable. La morale catholique a-t-elle été imperméable aux idées eugénistes dans l’entre-deux-guerres en France et en Allemagne ? Dans quelle mesure la religion permet-elle une compréhension originale de la réception de l’eugénisme dans chacun des deux pays ? Dans cette perspective, ce n’est pas seulement le dogme qu’il faut considérer, mais aussi les réponses institutionnelles apportées par les évêques, les partis politiques revendi- quant une appartenance religieuse, la presse confessionnelle, les acteurs en rapport avec le milieu catholique français et allemand. Les sources utilisées dans la démonstra tion sont représentatives de la multiplicité des acteurs en jeu. Cela implique de croiser des écrits religieux, médicaux et politiques – ces catégories n’étant évidemment pas étan- ches – formant un corpus hétérogène, mais se voulant représentatif des deux systèmes de pensée confrontés ici. Il n’est cependant pas exhaustif. Le questionnement de départ renvoie à la situation morale et politique problématique rencontrée par les catholiques allemands à la fin de la République de Weimar et dans les premières années du IIIe Reich. Mais le cas français – pays où le catholicisme est majoritaire et où l’eugénisme négatif a eu un impact limité sur le plan théorique et inexistant en pratique – s’est révélé être non seulement un contrepoint stimulant, mais aussi un observatoire pertinent en raison des réactions nombreuses suscitées en France par les évolutions drastiques en terme d’hy- giène raciale dès l’arrivée des nazis au pouvoir. Un dernier objectif est d’offrir une pers- pective originale en confrontant eugénisme et catholicisme, deux notions trop souvent appréhendées de manière isolée dans leur seul cadre national ou disciplinaire. Pour tenter de répondre à ces questions, il sera utile dans un premier temps de mon- trer de quelle manière le discours eugéniste qui se développe à partir de la seconde moitié du xixe siècle a représenté une menace sur le plan idéologique pour le monde catholique. À la morale chrétienne vient s’opposer une « morale » scientiste alternative aux arguments et moyens antagonistes. Après s’être attaché à mettre en évidence, pour la France et l’Allemagne, les thèmes de cet affrontement doctrinal commun à la plupart

13 La fin de la citation est soulignée par nous. Voir A. Pichot, La société pure (note 7), p. 220. 14 Anne Carol, Médecine et eugénisme en France ou le rêve d’une prophylaxie parfaite (xixe-première moitié du xxe siècle), Paris, Société d’histoire moderne, 1996. 15 « Il faudrait étudier le discours eugéniste chez d’autres groupes sociaux ou professionnels et établir des comparaisons internationales. Il faudrait aussi pouvoir faire une histoire de l’eugénisme qui ne soit pas prisonnière du génocide, avec lequel elle a fini par se confondre dans une simplification compréhensi- ble, mais abusive. » A. Carol, Médecine et eugénisme en France (note 14), p. 630. 436 Revue d’Allemagne des pays européens, on s’intéressera aux discussions autour de la stérilisation forcée du début des années 1930. Cet épisode est particulièrement éclairant pour comprendre les rapports entre catholicisme et eugénisme car il contribue alternativement à des refus, des recherches de consensus ou bien des prises de position radicales. À partir de cet exemple, il s’agira d’examiner les mécanismes de confrontation de doctrines compara- bles dans deux pays voisins, mais dans des contextes et des temporalités différentes.

1. Les idées eugénistes, un discours scientifique qui ambitionne de concurrencer la morale chrétienne (1919-1930) ? La fermeté de la théologie catholique face à l’eugénisme : l’affirmation d’une incom- patibilité avec l’essence du dogme chrétien L’incompatibilité première qu’on peut supposer entre catholicisme et eugénisme trouve sa source dans les rapports historiquement conflictuels existant ntree science et foi, symbolisés depuis le xviie siècle par la condamnation des thèses héliocentristes de Galilée. Face au Saint-Office, la science s’est ainsi servie de certaines de ses dimen- sions, et notamment de l’eugénisme, comme d’un « bélier contre l’édifice scripturaire ou dogmatique du christianisme » (16). Même si l’heure des excommunications mutuel- les paraît close après 1914, les escarmouches ne sont pas rares. Plus qu’une attitude réactionnaire de la part de l’Église, le cœur de ses inquiétudes réside dans le fait que la science se veut aussi productrice d’une morale concurrençant la morale chrétienne. À ce propos, le médecin catholique Albert Bayet, soulignant le « progrès de l’esprit positif », déplore « l’inflation croissante de la morale non religieuse par la science, et spécialement par la science biologique » (17). Le danger est identifié : celui qu’à l’avenir la morale se fonde sur des principes uniquement scientifiques. Pour autant, les travaux de Hervé Guillemain ont montré combien science et foi, loin d’être systématiquement antithétiques, pouvaient très bien être vues comme com- plémentaires à la fin du xixe siècle. À ce titre, la Société médicale Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien, créée en 1884 à des fins à la fois apologétiques et scientifiques, montre que l’expression de « médecine catholique » n’a rien d’un oxymore (18). Reste qu’il s’agit pour les médecins catholiques de montrer l’illégitimité d’une morale scientifique qui outrepasserait son domaine de compétences, car n’ayant « pas la prétention de donner les idées d’obligation et de devoir qui sont à la base de la morale de l’Évangile » (19). Le scientisme, voilà l’ennemi : « La morale scientifique ne peut donner comme but à nos actes que l’intérêt de l’individu ou de l’espèce ; elle conclut à la lutte pour la vie. […] La morale de l’Évangile, au contraire, donne comme but à nos actes l’abnégation, l’humilité, le sacrifice, la paix sociale et l’assistance au

16 Jean-Marie Mayeur, « L’Allemagne. L’Autriche », in : Jean-Marie Mayeur et al. (dir.), Histoire du christianisme des origines à nos jours, Paris, Desclée, 1997, p. 128. 17 Albert Bayet, « La morale scientifique et la morale de l’Évangile devant la sociologie », Bulletin médi- cal de la Société Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien, n° 1, février 1909, p. 3-30 (pour les pages suivantes : Bull. Méd. Soc. S. L.). 18 Hervé Guillemain, « Les débuts de la médecine catholique en France », Revue d’histoire du xixe siècle, n° 26/27 (2003), p. 227-258. 19 A. Bayet, « La morale scientifique et la morale de l’Évangile » (note 17). Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme en France et en Allemagne 437

prochain, avec cette formule comme conclusion : Aimez-vous et aidez-vous les uns les autres […]. Demander à la science de faire la morale, vouloir déduire la morale de la science, c’est supprimer, par définition, les idées d’obligation, de devoir, de sacrifice, de dévouement, d’al- truisme et de solidarité sans lesquelles il n’y a pas de vie sociale possible » (20). Le catholicisme, rejetant l’utilitarisme et le darwinisme social, pointe ainsi du doigt une science qui serait amorale, voire guidée par une « morale de l’égoïsme ». Un autre corollaire de l’eugénisme, le contrôle des naissances, est aussi rejeté en bloc. L’Église catholique est le fer de lance du natalisme, vilipendant birth control, « néo-mal- thusianisme » et prophylaxie anti-conceptionnelle. En France comme en Allemagne, les arguments sont globalement les mêmes : dénonciation de procédés aléatoires dange- reux pour la santé physique et mentale des femmes, encouragement d’une « débauche sans risque », et surtout immoralité du médecin qui trahit sa mission en allant contre les lois biologiques pour stériliser l’acte conjugal (21). Relayée sur le plan politique par le Zentrum, cette question est au centre des discussions vers 1920 en Allemagne (22). Alors que les catholiques défendent l’argument quantitatif, les thèmes en lien avec le néo- malthusianisme – servant même de propédeutique à l’eugénisme français selon Alain Drouart – sont diamétralement opposés. Les mesures vantées dans l’entre-deux-guer- res sont la valorisation des well-born comme contre-pied à la sélection négative opérée pendant la guerre, l’éradication de la dégénérescence de la race et une nécessaire médi- calisation de la contraception. Or ces leitmotiv, en tout contraires au dogme catholique, provoquent le courroux de l’institution comme des fidèles. Dans le cadre d’un acte sexuel ayant pour finalité de procréer, « supprimer la fin en laissant seulement l’agré- ment n’est pas conforme à la morale chrétienne et à la morale tout court » (23). Les eugénistes face à la morale catholique De son côté, le discours eugéniste porte un jugement très sévère sur la morale tradi- tionnelle. Celle-ci, assimilée aux valeurs séculaires chrétiennes de charité et d’amour du prochain, est souvent tournée en dérision comme étant pure sensiblerie. En effet, un des topoï de l’eugénisme est de se targuer de produire un discours rationnel et scientifique, opposé aux « bons sentiments » miséricordieux véhiculés par la morale chrétienne. C’est ce que souligne le Dr Richet qui déplore que les sociétés humaines aient « pour tous les malheureux l’attendrissement ». Non contentes de porter assis- tance aux malades, « elles entourent de soins multipliés les rachitiques, les scrofuleux, les aveugles, les idiots, les sourds-muets » (24). Cette « engeance misérable » est, d’après l’aliéniste, protégée d’une sélection naturelle qui autrement l’éliminerait, prospérant de plus belle dans sa « lamentable existence ». Le fondement d’un tel raisonnement est l’idée que la sélection naturelle demeure entravée de manière artificielle par les actions charitables, systématisant une situation

20 Ibid., p. 16. 21 Dr Forget-Urion, « L’offensive du Birth Control », Bull. Méd. Soc. S. L., juillet-août 1934, p. 227-237. 22 Dans le contexte d’un taux de natalité en baisse nette et rapide après 1910. En France, le phénomène est antérieur. Voir Alain Drouard, Aux origines de l’eugénisme en France : le néo-malthusianisme (1896- 1914), Paris, INED, 1992. 23 É. Jordan, L’Église et l’eugénisme (note 9), p. 79. 24 Charles Richet, La sélection humaine, Paris, Alcan, 1919, p. 164. 438 Revue d’Allemagne littéralement « contre-nature ». On trouve la même idée d’une charité chrétienne qui reposerait sur un malentendu dépassé et coupable dans le discours du Dr. Frick : « Nous ne pouvons pas nous dérober à ce devoir [l’eugénisme] par un esprit de charité mal compris, ni par des considérations religieuses qui reposent sur des dogmes appartenant aux siècles révolus ; au contraire, nous devons considérer comme une atteinte à la charité chrétienne et sociale le fait de tolérer encore, malgré les résultats acquis par la science, que des malades héréditaires puissent avoir des descendants qui seront eux-mêmes très mal- heureux et rendront leur famille malheureuse pour plusieurs générations » (25). Beaucoup de médecins militaires, de gynécologues ou d’aliénistes des deux pays diagnostiquent un amollissement global de la société et utilisent le prédicat de base du darwinisme social pour fustiger l’assistance et la charité, qu’elle soit d’ailleurs chré- tienne ou laïque. Par contre, un reproche spécifiquement adresséà l’Église catholique est celui d’être une institution gardienne d’un dogme rétrograde. Rome est moquée en tant que bastion du refus de tout progrès scientifique. Dans ce cadre, les champions de l’eugénisme utilisent des épisodes anciens où l’institution s’est effectivement opposée à certaines théories scientifi- ques nouvelles. Condamnant l’opposition des catholiques allemands à la loi de stérilisation forcée dans un discours à Essen lors d’un congrès du NSDAP, le Dr. Frick mobilise des comparaisons décontextualisées, afin de décrédibiliser la résistance catholique : « Et puis enfin, cette loi, compatriotes allemands, qui a pour objet d’empêcher les maladies héréditaires de se transmettre […] s’appuie sur des connaissances et des preuves scientifi- ques, sur des données de l’étude de l’hérédité. Ce n’est pas la première fois que des papes ont essayé de réfuter ou d’anéantir les données de la science à l’aide du dogmatisme. Dans cet ordre d’idées, qu’il suffise de rappeler le système de Copernic, de rappeler le cas de Galilée […]. À l’époque, les papes dirent que c’était offenser la Bible, ils mirent à l’index l’œuvre de Copernic. Ils firent condamner Galilée par l’Inquisition à l’emprisonnement perpétuel. Or, je pense qu’aujourd’hui, le Vatican ne va plus contester que c’est finalement la terre qui tourne autour du soleil (Hilarité). Il en est exactement de même de ce problème scientifique, de cette vérité scientifique de la stérilisation. Sous prétexte que la stérilisation va à l’encontre des lois chrétiennes, l’église catholique se cabre aujourd’hui contre les don- nées qui sont à la base de la loi sur la stérilisation. […] J’espère que, dans quelque temps, le Vatican reconnaîtra la valeur de cette loi, tout comme Copernic et Galilée » (26). Il s’agit bien ici de réduire le discours à l’opposition traditionnelle science/foi. De plus, il s’avère que, contrairement à la volonté affichée de rester sur le terrain de la logi- que plutôt que sur celui des sentiments, le discours eugéniste finit par évoluer vers une sorte de « contre-morale » douteuse, mobilisant des arguments de l’ordre de l’affectif, et non de l’ordre de la science, pour convaincre. Comme le constate Anne Carol, « l’eugé- niste se pose alors en héros, en révolutionnaire, en martyr au besoin, en prophète d’une cause incomprise » (27). Enfin, cette stratégie argumentative est souvent indissociable de

25 Discours du Dr. Frick (ministre de l’Intérieur du Reich) dans la Frankfurter Zeitung du 26 juillet 1933, traduit et cité in : Bulletin périodique de la presse allemande (Ministère des Affaires étrangères), n° 427, août 1933 (pour les pages suivantes : Bull. pér. presse all.). 26 Bull. pér. presse all., n° 451, 8 août 1935, p. 18. 27 Anne Carol, Conflits de morale autour de l’eugénisme, Besançon, Presses universitaires franc-comtoi- ses, 1998, p. 154. Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme en France et en Allemagne 439 l’existence d’un contexte économique et social difficile, dont l’eugénisme tire parti pour s’afficher comme remède pour éradiquer les membres corrompus du corps social, dans le cadre d’une théorie de la dégénérescence qui réserve aux « tarés » et autres anormaux le rôle de bouc émissaire.

2. La question de la stérilisation, facteur de durcissement des positions catholiques en Allemagne et ses échos en France L’encyclique Casti Connubii et l’eugénisme comme hybris : « Roma locuta, causa finita ? » (1930-1931) En 1930, les débats déclenchés par le succès des idées eugénistes enflent dans tous les pays industrialisés. Alors qu’une trentaine d’États américains ou la Suisse romande ont déjà légalisé la pratique de la stérilisation forcée, les évêques anglicans franchissent un pas supplémentaire lors de la conférence de Lambeth en juillet en s’accordant sur le légitime usage de la contraception (28). Face à ces glissements notables, il devient urgent pour le pape de prendre position. Pie XI se saisit du sujet avec fermeté le 31 décembre 1930 dans Casti connubii. L’en- cyclique clarifie la position officielle de l’Église sur le mariage chrétien en établissant une pratique très stricte des rapports conjugaux (29). Elle rappelle entre autres le dogme à propos de la pratique de la stérilisation, volontaire ou forcée : « Tous ceux qui agissent de la sorte [ceux prônant la stérilisation des êtres dits dégénérés] oublient complètement que la famille est plus sacrée que l’État […] Les magistrats n’ont d’ailleurs aucun droit direct sur les membres de leurs sujets (30) : ils ne peuvent jamais ni pour raison d’eugénisme, ni pour aucun genre de raison, blesser ou atteindre directement l’intégrité du corps, dès lors qu’aucune faute n’a été commise et qu’il n’y a aucune raison d’infliger une peine sanglante » (31). Ainsi, il est exclu que l’État prenne des mesures susceptibles de porter atteinte de manière corporelle aux citoyens. Outre cet interdit, le pape vilipende l’aspect anticon- ceptionnel de la stérilisation et se fait aussi le défenseur de la dignité de la personne humaine. À la même époque, les thèmes abordés dans les articles des Bulletins de la Société médicale de Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien expriment eux aussi une condamnation ferme du néomalthusianisme et de l’eugénisme en tant que déshumani- sation et réification d’êtres humains auxquels on nierait la liberté de procréer. Certes, les praticiens catholiques admettent leur droit de déconseiller les unions susceptibles de diffuser certaines pathologies héréditaires. Pour autant, ils ne peuvent pas les inter- dire ou prescrire des méthodes contraceptives.

28 Voir Theresa Notare, «A Revolution in Christian Morals ». Lambeth 1930-Resolution n° 15. History & Reception, Washington, sans éditeur, 2008. 29 Marc Agostino, « Pie XI », in : Philippe Levillain (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 1994, p. 1343-1364. 30 Pie XI se réfère ici à saint Thomas d’Aquin qui, se demandant si les juges pouvaient attenter à l’intégrité corporelle d’un citoyen, répondait par la négative : « jamais suivant le jugement humain, personne ne doit, sans avoir commis une faute, être puni d’une peine meurtrissante ; on ne peut ni les mutiler, ni les frapper ». 31 Cité par Jean Girard, Considérations sur la loi eugénique allemande du 14 juillet 1933, Strasbourg, sans éditeur, 1934. 440 Revue d’Allemagne

Avant l’adoption d’une législation par l’Allemagne, l’Église s’était donc exprimée avec une grande fermeté doctrinale. Pourtant, même dans la sphère catholique, ces direc- tives furent-elles réellement inviolables ? Le principe Roma locuta, causa finita s’est-il vérifié au sujet de la stérilisation forcée chez les catholiques allemands et français ? Ou bien, dans la pratique, l’application du dogme a-t-elle connu quelques entorses ? La tentative d’un impossible modus vivendi entre catholicisme et eugénisme dans l’Allemagne de la fin de la République de Weimar (1932-33) Après l’échec politique de la mesure du « bulletin de santé » (Gesundheitzeugnis) en 1926 en Prusse (32), les élites catholiques cherchent plutôt à installer un « service de consultation conjugale catholique » (katholische Eheberatungstelle). Mais ce qui repré- sentait au départ un compromis entre le refus de toute mesure d’hygiène sociale et l’eugénisme négatif constitue aussi un premier pas vers un brouillage des positions, avant même le début du débat sur la stérilisation forcée. Alors que le Zentrum s’y oppo- sait encore au début des années 1920 (33), à la fin de la décennie l’idée de la stérilisation forcée semble se banaliser, y compris chez certains catholiques. La thèse du théologien catholique Joseph Mayer, consacrée en 1927 à la « stérilisation légale des malades men- taux » (Gesetzliche Unfruchtbachmachung Geisteskranker) (34), témoigne de cette péné- tration de l’eugénisme négatif chez une partie des catholiques allemands. Selon Mayer, plusieurs arguments peuvent le justifier : la reconnaissance des règles de l’hérédité ou bien la situation financière difficile de l’État (le fameux Notstandsargument). Or, si la dimension économique fait ici déjà partie de la triade des motifs poussant à considérer la pertinence d’une stérilisation des « indésirables », la crise économique qui touche durement l’Allemagne après le Krach de 1929 contribue à faire évoluer encore davan- tage et même se fracturer le consensus traditionnel. La situation économique est un facteur certain de la polarisation qu’on constate au sujet de l’hygiène raciale au sein des catholiques allemands, les uns restant fermement en adéquation avec les dogmes et la position du Saint-Siège, tandis qu’une fraction manifeste une ouverture croissante à l’eugénisme. La décision par le Landesgesundheitsrat de Prusse en 1932 d’autoriser la stérilisation volontaire est un moment décisif qui montre l’existence d’une faille intra- confessionnelle. Pour la première fois, le parti catholique traditionnellement opposé à l’eugénisme se prononce en effet en faveur de mesures relevant ed l’eugénisme négatif, ce qu’Ingrid Richter qualifie de « tournant de la politique à l’égard de la stérilisation » (« sterilisationspolitische Wende ») (35). Et de fait, après les élections de juillet 1932, le

32 Dès 1922, le SPD prussien est favorable au bulletin de santé obligatoire pour les époux (afin de vérifier si les époux sont « héréditairement sains »), contrairement au Zentrum au sein duquel le sujet provoque des frictions entre les « Praktiker » (favorables à l’eugénisme) et les « Theoretiker » (qui plaident pour un eugenische Selbstkontrolle, c’est-à-dire une éducation morale individuelle). Très vite, les catholiques se montrent favorables au Gesundheitzeugnis, mais le concept de « strikt medizinische-eugenische Ehebe- ratung » échoue en Prusse. 33 Dans le cadre des discussions qui émergent autour de la polémique du Dr. Gustav Boeters en 1923, puis au sein du SPD en 1928. 34 Voir Ingrid Richter, Katholizismus und Eugenik in der Weimarer Republik und im Dritten Reich : Zwischen Sittlichkeitsreform und Rassenhygiene, Paderborn, F. Schöningh, 2001, p. 253. 35 Ibid., p. 311. Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme en France et en Allemagne 441 parti négocie avec Hitler pour « associer le NSDAP au gouvernement, arrêter sa pro- gression par l’épreuve du pouvoir, le contrôler et le domestiquer en le liant au régime parlementaire » (36), fait qui conforte le constat d’une intransigeance moindre du Zen- trum face à des idées jusque-là rejetées en bloc. Du côté de l’épiscopat allemand, on constate les mêmes hésitations. Le nazisme et son « enseignement erroné » sont encore rejetés dans une lettre du 17 août 1932. Mais alors que le parti nazi est devenu quelques jours plus tôt la première force politique du pays, un infléchissement politique commence à se dessiner. Pie XI, Mgr Gröber ou le cardinal Faulhaber croient pouvoir « apprivoiser » le parti, comme ils pensent que le concordat signé avec Hitler pendant l’été 1933 va apporter des garanties fermes à l’Église catholique en Allemagne. En ce qui concerne l’hygiène raciale, quelques théo- logiens catholiques commencent à appeler à un modus vivendi à mesure que le succès des idées eugénistes grandit. Joseph Mayer et Hermann Muckermann adoptent une sorte de position médiane, par laquelle ils tentent de réconcilier le darwinisme social avec la morale religieuse (37). Dans son ouvrage Eugenik und Katholizismus, Mucker- mann explique d’emblée ne pas vouloir faire de l’eugénisme une « religion de l’ave- nir », mais plutôt l’intégrer comme un « facteur au sein de la religion » (38). La seconde partie de son ouvrage défend la thèse d’une assimilation possible de l’eugénisme par le catholicisme, notamment en réinterprétant Casti connubii à l’aune des idées de Galton et de ses successeurs (39). Il déclare vouloir « montrer exactement dans quelle mesure, d’après l’encyclique Casti connubii, l’assimilation de l’eugénisme par le catholicisme a eu lieu. Car étant donné que le catholicisme s’est saisi totalement de l’éthique naturelle […], il serait surprenant qu’il ne soit pas prêt à assimiler au moins les résultats de la recherche eugénique qui apparaissent comme certains » (40). Ce qui ressemble fort à une tentative de « mariage de raison » démontre le véritable grand écart que sont prêts à réaliser certains théoriciens semblant chercher de manière pragmatique à se réclamer de la tradition catholique tout en collant à l’air du temps, dans une période où la réceptivité aux idées radicales se trouve amplifiée par la pression de la crise financière de l’État allemand. Malgré les distances prises par rapport au darwinisme social, la pénétration dans la pensée catholique des idées de « famille héréditairement

36 Christian Baechler, L’Allemagne de Weimar : 1919-1933, Paris, Fayard, 2007, p. 337. 37 Muckermann plaide pour « la conservation de la famille nombreuse saine héréditairement » (Erhaltung der erbgesunden kinderreichen Familie) dans son mémorandum éponyme, qui trouve un écho au sein du gouvernement Brüning, au moment même où celui-ci choisit, à l’instar des dirigeants de la Prusse, d’offrir une oreille attentive aux idées de stérilisation et d’eugénisme négatif. Pour Mayer, citons son ouvrage de 1940 : Euthanasie im Licht der katholischen Moral und Praxis. Voir Donald J. Dietrich, « Catholic eugenics in Germany, 1920-1945 : Hermann Muckermann, S.J. and Joseph Mayer », Journal of Church and State, n° 34, 1992, p. 575-600. 38 Hermann Muckermann, Eugenik und Katholizismus, Berlin, Dümmler, 1934, p. 3. 39 On trouve dans cette partie bon nombre de phrases commençant par ces mots : « Eugenisch bedeutet dieser Satz, daß… », visant à réinterpréter le dogme catholique à la lumière de la science de Galton. Le but est ici de marteler la compatibilité possible entre catholicisme et eugénisme. 40 « Ich werde genau zeigen, inwieweit nach der Enzyklika Casticonnubii die Assimilierung der Eugenik durch den Katholizismus erfolgt ist. Da der Katholizismus die natürliche Ethik restlos umgreift […], wäre es in der Tat verwunderlich, wenn er nicht bereit wäre, wenigstens die gesicherten Ergebnisse eugenischer For- schung fortschreitend zu assimilieren. » H. Muckermann, Eugenik und Katholizismus (note 38), p. 4. 442 Revue d’Allemagne saine » ouvre la porte à un eugénisme « fréquentable » (hoffähig). Pour autant, les thè- ses défendues par Muckermann et Mayer sont des exceptions dans le milieu catholique allemand. Tout comme le catholique français Alexis Carrel (41), ils restèrent des « margi- naux » (Aussenseiter) pour lesquels la tension entre scientisme et catholicisme fut rapide- ment fort inconfortable, voire intenable (42). Trop modérée pour les uns et trop extrémiste pour les autres, une telle posture médiane témoigne toutefois de la crispation de l’opinion même modérée et de la radicalisation des discours en période de crise. Du côté français, la question se pose différemment. Certes, au début des années 1930, certains médecins ou prélats catholiques s’expriment en singeant le vocabulaire eugé- niste, par exemple à travers le concept d’« eugénisme chrétien ». Mais si cette expression hybride est un signe du climat concurrentiel qui règne entre les deux pôles, elle sem- ble n’être en France rien de plus qu’un syncrétisme langagier. Le discours catholique revendique un « eugénisme protecteur de l’humanité, secourant les faibles » (43), mais il s’agit davantage d’un mimétisme dans les codes et le vocabulaire eugéniste que d’une volonté d’en assimiler les fondements. Le refus reste ferme d’attenter de manière corpo- relle aux individus : il faut « poursuivre la tare, et non les tarés » (44). L’eugénisme négatif représente bien une abomination pour l’ensemble des catholiques français, attitude qui n’est pas sans lien avec le refus du compromis manifesté par les catholiques allemands au moment de la mise en place de la loi sur la stérilisation forcée de 1934. Les réactions à la « loi de stérilisation forcée » : la cristallisation d’un front catholique unitaire en Allemagne et en France (1933-1935) « Ce qui n’était pas applicable sous la République de Weimar devient réalité sous le IIIe Reich » (45). La loi de prévention de la transmission des maladies congénitales (Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses ou GzVeN) du 14 juillet 1933 signe le début de l’application concrète d’un eugénisme négatif dans l’Allemagne nazie (46). Entrée en vigueur le 1er janvier 1934, cette loi légalise la stérilisation des malades et handicapés mentaux considérés, sur décision médicale, comme potentiels vecteurs de « tares » héréditaires. L’un des arguments des autorités allemandes est que la loi s’ali- gne sur des mesures comparables prises par d’autres pays européens ou américains.

41 Si souvent cité pour son ouvrage de 1935 (L’Homme, cet inconnu) où il imagine un « établissement euthanasique, pourvu de gaz approprié ». 42 À cet égard, les milieux catholiques reprochèrent à Carrel sa prise de position pro-eugéniste ; quant à Muckermann, à la fois persona non grata à Rome et écarté par les autorités nazies dès 1933, il déclara en 1933 être « assis entre deux chaises » (zwischen zwei Stühlen). 43 É. Jordan, L’Église et l’eugénisme (note 9). Quant à Jean Girard, lui aussi note en 1934 à propos du caractère conforme à la morale du fait d’imposer une opération à des individus que « la plupart des auteurs, et nous en sommes, pensent qu’on ne peut répondre à cette question que par la négative ». 44 À l’instar du credo de la Société française d’eugénique, témoignant du refus de l’eugénisme négatif. Voir O. Pasteau, « Eugénisme d’État et Matérialisme », Bull. Méd. Soc. S. L., juin 1936, p. 173. 45 I. Richter, Katholizismus und Eugenik (note 34), p. 491. 46 Sur les débuts de l’application de la politique d’hygiène raciale, voir Jürgen Peter, Der Einbruch der Rassenhygiene in die Medizin : Auswirkung rassenhygienischen Denkens auf Denkkollektive und medi- zinische Fachgebiete von 1918 bis 1934, Francfort-sur-le-Main, Mabuse-Verlag, 2004. Voir aussi Mar- tin Rudnick, Behinderte im Nationalsozialismus : von der Ausgrenzung und Zwangssterilisation zu « Euthanasie », Weinheim, Beltz, 1985. Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme en France et en Allemagne 443

Elle est cependant d’une radicalité extrême en raison du caractère obligatoire de la stérilisation, de son application forcée et de l’édification d’un système administratif de signalisation qui recense de manière systématique les « malades héréditaires » (47). Dans les mois qui suivent sa promulgation, les réactions de résistance des catholiques sont nombreuses. De nombreux journaux relatent des actes frondeurs liés à une déci- sion non seulement opposée à la morale chrétienne (Sittlichkeit), mais surtout imposée par un pouvoir temporel autoritaire dont on récuse la légitimité en vertu de l’auctori- tas divine (48). C’est ce point qui fonde la résistance « tout particulièrement des éléments catholiques » évoquée par le Völkischer Beobachter, faisant état de fidèles détournant le salut hitlérien au cri de « Heil Jesus Christi » ou se référant à Jésus comme leur « Führer céleste » (49). Il s’agit là d’une illustration parlante du fait que « l’idéologie nazie ambitionne d’embrasser tout homme sous sa loi et de briser tout groupe qui exercerait une influence propre dans la société » selon Ingrid Richter, rendant le conflit avec les Églises inéluctable à long terme. Mais peut-on parler de « front », alors que quelques années auparavant, le position- nement politique et idéologique de beaucoup de catholiques semblait encore hésitant ? On peut répondre ici par l’affirmative. Plus qu’une « excitation contre la loi » ou un « obstacle au réveil racique de la nation » comme les qualifie le régime (50), ces manifes- tations mettent en exergue un autre aspect de l’évolution du positionnement catholique allemand, à savoir son recentrage autour de l’autorité pontificale. Car si les débats à la fin de la République de Weimar avaient fait éclater le consensus d’un refus net de l’eugénisme négatif, il s’avère que le basculement dans la dictature hitlérienne semble faire converger les deux lignes catholiques nées dans les années 1920 dans une posture défensive commune. La loi de stérilisation forcée oblige les évêques à se positionner clairement, notamment pour assurer leur fonction pastorale et guider leurs ouailles de manière univoque. L’éventail des positions individuelles des prélats, allant au début des années 1930 du refus clair des perspectives eugénistes à l’acquiescement en passant par la pondération (51), se cristallise désormais autour d’un consensus net, même si tardif. Ces hésitations traduisent toutefois une inaptitude à se positionner fermement sur une question cruciale au sein de la morale catholique. Il s’agit dans un premier temps pour l’épiscopat de sauver la position d’un « eugénisme catholique » défendu du temps de Weimar. Dans un deuxième temps, après le constat d’échec d’un modus vivendi

47 Christian Bonah, Anne Danion-Grilliat, Josiane Olff-Nathan et Norbert Schappacher, « L’eugénisme », in : Christian Bonah (et al.), Médecine, santé et sciences humaines, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 594-600. Voir aussi Annette Hinz-Wessels, NS-Erbgesundheitsgerichte und Zwangs- sterilisation in der Provinz Brandenburg, Berlin, Berlin Brandenburg Wissenschaft Verlag, 2004. 48 On peut s’interroger sur l’accueil plus favorable des chrétiens évangéliques en Allemagne et de la reli- gion protestante en général. Outre l’esprit « d’ouverture » plus grand au progrès scientifique en géné- ral (l’Aufgeschlossenheit dont parle l’historiographie allemande), l’absence d’une instance centralisée réglant les pratiques et les dogmes a pu jouer dans ce sens. 49 Extrait du Völkischer Beobachter du 10 juillet 1935, traduit et cité in : Bull. pér. presse all., n° 451, 7 août 1935, p. 18. 50 Ibid., p. 17. 51 C’est à la conférence de Fulda en 1934 que se décide l’ancrage catholique à la norme du refus de la GzVeN, dans le but de sauver les fondements de l’éthique chrétienne. 444 Revue d’Allemagne par la voie concordataire (52), le front catholique se durcit. Ian Kershaw note bien que « l’Église catholique est le groupe le plus important dans la société allemande qui conserva ses institutions et son système de valeur. Aussi le nazisme vit-il dans l’Église un obstacle à son ambition totalitaire ». Sans possibilité d’indépendance dans un État refusant le pluralisme, l’identité catholique passe ainsi sur le mode de la résistance, certes en raison d’une incompatibilité d’ordre moral avec les décisions du régime nazi, mais aussi pour des raisons d’ordre politique. À cet égard, l’augmentation de la fré- quentation des cérémonies religieuses à partir de 1934 est significative (53). Au même chef, le refus des mesures eugéniques contraintes renforcent les dénominateurs com- muns objectivant le front catholique en tant que tel. De plus, l’existence d’un ethos ancien de la résistance dû au sentiment, depuis le Kulturkampf, d’être traités comme des « parias » fut sans doute un facteur clé dans ce processus. Chez le voisin français, les réactions des catholiques à la loi de stérilisation sont globalement indignées. Une thèse soutenue dès 1934 à la faculté de médecine de Stras- bourg, Considérations sur la loi eugénique allemande, constitue une source particuliè- rement précieuse. L’auteur y pose la question suivante : « si en France, rien n’a encore été fait dans ce sens, que penser de l’évolution quasi-foudroyante de l’Allemagne, qui à notre sens est déjà tombée dans l’exagération ? » (54), se joignant ainsi à une opinion française majoritairement modérée. En confrontant la politique eugéniste nazie avec sa réception de l’autre côté de la frontière se confirment les résistances fortes à l’eugé- nisme négatif en France, non seulement en vertu de facteurs nationaux, mais aussi en raison de l’existence de réels « contre-transferts » (55) engendrés par le IIIe Reich. Ces résistances peuvent être illustrées par la multiplication des articles dans les mois qui suivent l’entrée en vigueur de la loi de stérilisation. Dans les Bulletins de la Société médicale Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien, les médecins catholiques dénoncent l’absence de déontologie de l’eugénisme négatif en faisant sans cesse référence à la voie suivie par le voisin allemand. Certains articles prennent même une allure de pam- phlet, à l’image de celui de juin 1934, intitulé « Des médecins accepteraient-ils ce rôle odieux ? » (56). Dans d’autres articles publiés « à chaud », on retrouve les thèmes récur- rents de l’incertitude des connaissances de la jeune science qu’est encore la génétique, les dérives possibles en terme d’euthanasie, la non-pertinence de l’argument écono- mique, mais surtout le risque d’éradiquer des lignées qui auraient pu être « saines en

52 Début juillet 1933, des centaines de prêtres et de laïcs sont arrêtés, contrairement aux espoirs de liberté relative que les catholiques espéraient préserver par le Concordat. 53 62 % des catholiques remplissent leur devoir pascal entre 1934 et 1936, ce qui a été interprété comme l’un des aspects de leur « protestation muette ». Voir Ian Kershaw, L’opinion allemande sous le nazisme : Bavière 1933-1945, Paris, CNRS Éditions, 2013, p. 183-188. 54 J. Girard, Considérations sur la loi eugénique allemande (note 31), p. 15. 55 L’histoire croisée se propose d’aller au-delà d’une démarche simplement comparatiste qui figerait de manière excessive les oppositions. Par l’étude des dynamiques d’influences transferts)( et des résistan- ces (contre-transferts), il s’agit de corriger méthodologiquement une approche risquant de figer les cli- vages nationaux de manière excessive. Ainsi, la notion de contre-transfert, empruntée au vocabulaire de la psychanalyse, évoque des barrières et limites (sociétales) s’opposant à la circulation d’idées ou de pratiques dans un pays étranger. Voir Michael Werner et Bénédicte Zimmermann, De la comparai- son à l’histoire croisée, Paris, Seuil, 2004. Voir aussi Michel Espagne, « Sur les limites du comparatisme en histoire culturelle », Genèses, 17 (1994), p. 112-121. 56 G. Clément, « Des médecins accepteraient-ils ce rôle odieux ? », Bull. Méd. Soc. S. L., juin 1934. Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme en France et en Allemagne 445 puissance » en stérilisant des individus dont la « généalogie pathologique rigoureuse est impossible à établir ». Comme l’indique le Dr. Okinczyc, « la loi allemande veut stériliser la débilité mentale congénitale, mais où est le point de départ entre l’idiotie, l’imbécillité et la débilité simple ? On parle de stériliser des tarés, puis des déficients, et on arrive fatalement à stériliser des indésirables » (57). La question de la stérilisation mobilise ainsi une large partie des acteurs confes- sionnels français – prélats, médecins, presse et opinion publique. L’application de la mesure allemande propage et réactive ainsi le débat du côté français, où le refus global au sein de la « fille aînée de l’Église » gagne à être croisé avec les arguments des catho- liques allemands afin de mieux comprendre l’homogénéité de la position catholique. À ce propos, Girard précise bien que « l’Église catholique condamne absolument et sévèrement toute opération stérilisante effectuée pour des motifs eugéniques ; d’après la doctrine catholique, les présomptions téméraires de la science vont contre la raison humaine et divine […]. L’opposition semble donc absolue et irréductible de la part de l’Église romaine » (58). L’auteur note par ailleurs que « l’Église protestante est par contre beaucoup moins catégorique » et que nombreux sont les protestants plébiscitant l’hygiène raciale (59). Mais si l’application des mesures eugénistes inquiète en France, les prémisses de la Rassenhygiene ne sont pas un repoussoir, mais paraissent somme toute attrayantes. J. Girard note que si la législation eugénique allemande « va par certains côtés trop brutalement à l’encontre de certains principes de la charité et de la simple morale pour qu’une loi identique ait la chance de s’installer [en France], elle offre mal- gré cela un intérêt immense pour le médecin […]. C’est, nous avons dit, la plus grande expé- rience que l’on ait jamais tentée dans le monde pour en extirper les fléaux héréditaires » (60). Mesure « limite » mettant fin aux dissensions intraconfessionnelles chez les catholi- ques allemands (61), la loi de stérilisation semble accentuer les lignes de fracture inter- confessionnelles. À l’échelle européenne, la direction prise par l’Allemagne vers un eugénisme négatif appliqué à un grand nombre de malades et déficients mentaux de manière contrainte et à l’aide d’un appareil médico-judiciaire organisé la distingue alors, même si les variations nationales étaient déjà notables dans le développement des idées eugénistes. Les catholiques furent l’un des seuls groupes à s’opposer à ce puissant mouvement de pensée après 1933, preuve de la « grande force et [de] l’unité intérieure de la Weltanschauung catholique qu’aucun conflit théologique n’affaiblissait (à l’inverse des protestants) et qui, à travers ses prétentions à une interprétation totale, exerçait sur les croyants une influence bien plus forte, en terme de doctrine ou de comportement,

57 Dr J. Okinczyc, « Les conditions d’un ordre social chrétien et le rôle du médecin catholique dans son avènement », Bull. Med. Soc. S. L., septembre-octobre 1936, p. 23. 58 Ibid., p. 63. 59 Tandis que les contemporains relèvent à l’époque des degrés d’adhésion à l’eugénisme fort variables selon les religions, cette donnée reste quasi-absente des synthèses actuelles sur l’histoire de l’eugénisme français. 60 J. Girard, Considérations sur la loi eugénique allemande (note 31), p. 66. 61 Il est intéressant de noter que si la stérilisation forcée est refusée en bloc, l’alternative plébiscitée par l’épiscopat devient l’internement (« Asylieren statt Sterilisieren ! »), ce qui montre qu’une majorité bai- gnait tout de même dans un climat idéologique de crainte de la contagion héréditaire. 446 Revue d’Allemagne que le luthéranisme sur la plupart des protestants » (62). Contrairement à la mesure concernant l’« euthanasie » des malades mentaux qui suscita un rejet général et indé- pendant du paramètre religieux, la loi de stérilisation forcée a donc suscité des réac- tions divergentes selon l’appartenance confessionnelle (63). Ainsi, le constat kantien de l’intangibilité des normes morales théoriques face à la labilité de leur application pratique s’applique remarquablement bien aux tensions subies par la morale catholique au début des années 1930. Les débats autour de la stéri- lisation forcée montrent les écarts entre la clarté des principes de la morale chrétienne et les modulations qu’elle subit dans la pratique, preuve que même les dogmes en prin- cipe intangibles peuvent être ébranlés dans un contexte de radicalisation. Face au front eugéniste, l’institution catholique a toutefois été le vecteur de réponses assez cohéren- tes. Diverses sources tendent même à démontrer que l’Église a fait plus que combattre tant bien que mal le credo eugéniste. Une partie des catholiques s’est efforcée de réhabi- liter une vision alternative de cet Autre que l’eugénisme vise à éradiquer en valorisant la dignité humaine au-delà des vanités terrestres que représente la perfection physique ou intellectuelle. Plus encore, on retrouve dans les années 1930 des discours reprenant le thème de l’anormal en tant que « plus petit » de tous (64) qui participe néanmoins à la beauté du monde (65), propos originaux par rapport au climat idéologique de l’épo- que. Ces représentations ont toutefois peu d’incidence puisque l’eugénisme franchit un pas décisif en septembre 1939, au moment où Hitler ordonne l’Aktion T4 qui léga- lise l’euthanasie des malades et handicapés mentaux, afin d’éliminer cette population jugée « inutile à la société » (gesellschaftsunnützlich) (66). Cette étape supplémentaire dans la radicalisation de la politique d’hygiène raciale provoque une indignation dans l’ensemble des communautés religieuses allemandes qui condamnent rapidement l’incompatibilité de l’euthanasie avec la morale chré- tienne. La déclaration du 3 août 1941 par Mgr Galen dénonce « ce principe que l’on a de tuer un homme improductif ». Lue dans toutes les églises allemandes, elle fut cru- ciale dans l’arrêt de l’Aktion T4 (67). Toutefois, l’impulsion vint d’abord des populations

62 I. Kershaw, L’opinion allemande (note 53), p. 183-188. 63 La question de la réception plus grande du protestantisme aux idées eugéniques gagnerait à être com- parée à celle du catholicisme. Une telle démarche permettrait de mieux comprendre le succès de l’eugé- nisme à l’échelle européenne. Voir Jochen-Christoph Kaiser, Sozialer Protestantismus. Beiträge zur Geschichte der Inneren Mission, Munich, Oldenbourg, 1989. 64 On peut citer la parole du Christ dans l’évangile de Matthieu : « ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites » (Mt., 25, 40). 65 « Souvent des corps difformes abritent de belles âmes, et dans un organisme misérable de grands cœurs ont palpité […]. Et puis, disait spirituellement un confrère, la Nature veut des monstres ; elle les veut, ne serait-ce que pour mieux nous faire comprendre la beauté. » J. Piéri, « La stérilisation », in : É. Jordan, L’Église et l’eugénisme (note 9), p. 83. 66 Udo Benzenhöfer, Der gute Tod ? : Euthanasie und Sterbehilfe in Geschichte und Gegenwart, Munich, Beck, 1999. Sur les malades et handicapés mentaux victimes de l’action Tiergarten 4, voir Petra Fuchs, Maike Rotzoll, Ulrich Müller, Paul Richter et Gerrit Hohendorf, « Das Vergessen der Vernich- tung ist Teil der Vernichtung selbst » : Lebensgeschichten von Opfern der nationalsozialistischen Eutha- nasie, Göttingen, Wallstein, 2007. 67 C’est cependant surtout la crainte de ne plus pouvoir mobiliser les catholiques qui fut l’élément clé de la décision de Hitler prise au cours du mois d’août 1941. Le sermon de Mgr Galen dénonce notamment Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme en France et en Allemagne 447 elles-mêmes – les familles émues rapportant aux autorités religieuses leur trouble pro- fond devant les disparitions de malades et déficients mentaux – et c’est seulement dans un second temps que l’épiscopat allemand intervint. Assurément, la « pénétration de l’élément eugénico-racial, central dans l’idéologie nazie, dans la conscience populaire » avait été surestimée (68), ce qui permit à une Église se faisant le relais des inquiétudes populaires de remporter une victoire sans équivalent contre le régime. Reste que l’ins- titution catholique allemande resta dans une certaine ambiguïté malgré son unité idéo- logique d’après 1934 (69), contrairement à la dynamique d’opposition à l’euthanasie qui existait du côté protestant et qui y alimenta la véritable résistance. Au sujet de l’Aktion T4, il convient enfin de revenir sur notre démarche introduc- tive de croisement des politiques eugénistes en Europe. Si l’on excepte son caractère obligatoire et le nombre bien plus élevé de stérilisations effectuées en Allemagne (70), la politique allemande de stérilisation forcée présentait en 1933 de fortes similitu- des idéologiques avec les programmes eugéniques étrangers. À l’inverse, la mise en place dès le 18 août 1939 de la politique d’« euthanasie » est une radicalisation sans équivalent que dissimule mal l’euphémisme de la dénomination. Elle place l’historien face à l’impossibilité heuristique de toute comparaison possible. L’extermination de ces « vies indignes d’être vécues » (lebensunwerten Leben) entraîna la mort par injec- tion ou gazage de 80 000 victimes lors d’exécutions dont on sait aujourd’hui qu’elles servirent de propédeutique à la « Solution finale ». Or, la rhétorique employée pour qualifier le meurtre des malades et handicapés mentaux s’appuie fortement sur des termes empruntés à la morale chrétienne : la propagande parle alors de « mort miséri- cordieuse » (Gnadentod), « d’amour du prochain » et de compassion. Preuve s’il en est que confronter eugénisme et religion montre à quel point le premier se veut novateur par rapport à la seconde, mais détourne en réalité sa logique et réinvestit ses concepts dans un syncrétisme destructeur.

Résumé L’article examine la manière dont les idées eugénistes ont été reçues au sein des dif- férentes confessions présentes en France et en Allemagne, en s’intéressant essentielle- ment au cas du catholicisme. Le refus que ce dernier semble avoir manifesté à l’égard de l’eugénisme fut-il univoque dans les premières décennies du xxe siècle ? L’encyclique Casti connubii clarifie dès 1930 la position du Saint-Siège. Pourtant, tous les catholiques ne s’alignent pas sur cette position. Si en France le front confessionnel contre l’eugénisme

le viol du 5e commandement par l’Action T4. Or les autorités nazies n’osèrent pas toucher à l’évêque, Goebbels craignant de devoir renoncer à utiliser les soldats de Münster, voire d’autres communautés catholiques, pour l’effort de guerre. Voir I. Kershaw, L’opinion allemande (note 53), p. 302-304. 68 Ibid., p. 310. 69 Au-delà de 1934, même si le refus de la GzVeN est acquis, il est frappant de voir que certains ecclési- astiques résolument opposés à l’eugénisme continuent à tenir un discours ambigu : Mgr Gröber parle ainsi en 1937 de la nécessité de « délivrer le peuple allemand de sa charge héréditaire ». 70 380 à 400 000 et au moins 5 000 décès des suites d’une opération chirurgicale présentée comme peu risquée par les autorités sanitaires. Voir C. Bonah et al., « L’eugénisme » (note 47), p. 594-600. 448 Revue d’Allemagne semble unanime, outre-Rhin certains catholiques tentent de trouver des accommode- ments avec l’eugénisme négatif, populaire dans les dernières années de la République de Weimar, mais qui reste encore théorique. Ce n’est plus vrai à partir de 1933 : la loi de stérilisation forcée adoptée dans les premiers mois du IIIe Reich fait basculer l’Allema- gne dans la mise en œuvre de l’eugénisme négatif, mise en œuvre qui entraîne de vives réactions catholiques. Après avoir hésité entre recherche de consensus avec le nouveau régime et résistance face à une hygiène raciale contraire au principe de l’amour du pro- chain, les catholiques allemands finissent par former un front commun de résistance. La France constitue aussi un observatoire de choix : derrière le rejet non négociable de la stérilisation forcée, s’y dessine néanmoins une adhésion à l’objectif d’élimination des « maladies héréditaires », une évidence transcendant les appartenances nationales ou confessionnelles.

Abstract France is considered as the biggest catholic country in Europe whereas the Protestants are dominant in Germany. The article raises the issue of the impact of the religion as a factor for the reception of eugenism, through the sight of the catholic confession. At first sight, it seems that the catholic religion was against those ideas. The article weighs up the reasons that explain this refusal. Moreover, it questions the uniformity of the catholic position against eugenics: was it constant unequivocal in both countries between the two world wars? The position of Rome is clarified by the encyclical Casti connubii in the year 1930. Nevertheless, the German Catholics do not have a common position at the end of the Weimar Republic. Even though the majority of them are not supporting eugenics, it is striking to notice that some theologians trie to find compromise and woo the eugenics. On the contrary, French Catholics are fiercely opposed to negativ eugenics. The sterili- zation law adopted in the first months of the Third Reich is a breaking point. In fact, the article points out that after a long time of hesitation, the German Catholics manage to find a common position of resistance against the racial hygiene and its application through sterilization. Likewise, the debate inside French Catholics supports highlights how deep the fear of degeneration takes roots in the whole European society. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 449 T. 45, 2-2013

La foi des « Malgré Nous » (1942-1945)*

Matthieu Arnold**

Nombreuses sont les études qui ont été consacrées à la foi et à la guerre durant la Pre- mière Guerre mondiale (1). La Seconde Guerre mondiale, qui, il est vrai, n’a pas donné lieu aux mêmes excès du « Gott mit uns » que le conflit un quart de siècle auparavant (2), n’a guère suscité de travaux sur cette question (3). À partir d’un volume de correspondance récent, édité par un collectif d’historiens, nous aimerions montrer toute la légitimité d’une telle recherche : même si les questions d’intendance (la nourriture, les conditions de vie, le souci pour la famille… et pour la ferme pour les agriculteurs) revêtent souvent une place prépondérante dans ces lettres, les références à Dieu et à la religion sont loin d’en être absentes. Le 25 août 1942, le Gauleiter Robert Wagner décrétait l’incorporation de force des Alsaciens et des Mosellans. Ces dernières années, une abondante littérature

* À propos de : Société d’histoire de la Poste et de France Télécom en Alsace, Lettres de Malgré-Nous. Témoignages d’incorporés de force alsaciens, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2012, 271 p., ISBN 978-2- 7165-0875-5, € 25. ** Professeur à la Faculté de Théologie protestante de l’Université de Strasbourg, GRENEP (EA 4378). 1 Voir les références dans Matthieu Arnold, « La chaire au service de la patrie : prédications protes- tantes françaises et allemandes durant la Première Guerre mondiale », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 36/2 (2004), p. 135-154 ; id., « Violence et image de Dieu dans les prédications protestantes de 1914-1918 », in : Matthieu Arnold, Jean-Marc Prieur (éd.), Dieu est-il violent ? La violence dans les représentations de Dieu, Strasbourg, Presses Universitaires, 2005, p. 69-88. 2 « Von Begeisterung konnte jedoch bei ihnen [= bei den evangelischen und katholischen Militärpfar- rern] genau so wenig die Rede sein wie bei den Soldaten oder der Bevölkerung. Wenn auch hier und da der “Geist von 1914” beschworen wurde – die Erinnerungen an die Schrecken jener Jahre des “Welt- krieges” waren noch zu frisch, als daß ein neuerlicher Waffengang Grund zum Jubel gewesen wäre. » (Dieter Beese, « Kirche im Krieg. Evangelische Wehrmachtpfarrer und die Kriegführung der deut- schen Wehrmacht », in : Rolf-Dieter Müller, Hans-Erich Volkmann [éd.], Die Wehrmacht. Mythos und Realität, Munich, Oldenbourg, 1999, p. 486-502, ici p. 487.) 3 Outre les études auxquelles nous nous référons ci-après, voir notamment : Klaus Latzel, Vom Sterben im Krieg. Wandlungen in der Einstellung zum Tod vom Siebenjährigen Krieg bis zum II. Weltkrieg, Warendorf, Fahlbusch & Co., 1988. 450 Revue d’Allemagne

– témoignages et études – a traité des Malgré Nous, au point que l’on peut faire de ce thème un des sous-genres de la littérature « alsatique ». Toutefois, le volume paru à l’automne de 2012 aux éditions de La Nuée Bleue constitue le premier recueil de lettres de Malgré Nous ; ces lettres sont non seulement transcrites et le plus souvent traduites (la langue obligatoire pour la correspondance était l’allemand), mais aussi données en photographies, avec des reproductions d’une qualité telle qu’il est aisé de les lire et de contrôler les traductions. Les éditeurs (vingt lecteurs-traducteurs, six historiens) ont sélectionné, dans près de 5 000 lettres collectées par la Société d’Histoire de la Poste et de France Télécom en Alsace, des textes poignants, souvent accompagnés de photographies, et émanant « des incorporés de force présents dans les différentes armes et sur les différents fronts de la Wehrmacht entre 1943 et 1945, sans oublier ceux et celles qui ont dû servir sous le régime du […] Reichsarbeitsdienst […] ni les “Malgré-Elles”, parfois versées dans les forces d’appui à la Wehrmacht » (p. 11). Le front Est est le plus représenté, la majo- rité des Alsaciens-Mosellans y ayant été envoyés ; ils écrivent de Pologne, de Russie, de Lettonie (4)… Pour autant, servir sur le front Ouest n’était pas un gage de survie : ainsi, le jeune René Sorgius, né le 16 février 1926 à Rosheim, fut tué le 7 juillet 1944 à Angoville-sur-Ay, durant les durs combats dans le bocage normand (p. 173). À côté de soldats de la Wehrmacht, les plus nombreux, on trouve quelques incorporés dans la Luftwaffe ou dans la Kriegsmarine (5). Les documents sont présentés dans un ordre chronologique. Les Malgré Nous de pas moins de 21 classes d’âges ont servi dans la Wehrmacht : les plus âgés (1908) ont été incorporés en avril 1944, les plus jeunes (1929) en jan- vier 1945. Ainsi, André Schwein, auteur d’une lettre rédigée le 1er janvier 1945, et qui eut la chance de rentrer en Alsace le 10 juin 1945, est-il né à Grussenheim, près de Colmar, le 27 octobre 1928 (p. 233).

La confiance dans le Dieu protecteur Né à Riquewihr le 16 février 1921, Frédéric Hunzinger a écrit 407 lettres, toutes en français, à sa future épouse, qui avait été aussi sa « Cheftaine » aux Éclaireurs unionis- tes de France, le mouvement scout protestant. Il signe ses lettres du nom de son totem, « girafe dévouée ». Aussi n’est-il pas surprenant que, dès sa lettre du 20 octobre 1942, après avoir mentionné les faibles quantités de nourriture distribuées aux incorporés de force, il affirme : « J’ai confiance en Dieu et il nous a toujours sauvés quand le danger était près. Je veux être son serviteur et je sais qu’il va nous rassembler tous, le jour où nous serons libérés de ces païens » (p. 23). L’affirmation, assez générale, de la foi-con- fiance en Dieu débouche sur une critique du paganisme nazi : les protestants alsaciens

4 Les incorporés n’avaient pas le droit de donner d’indication géographique dans leurs courriers ; le 21 juin 1944, Alfred Hennes, né le 20 février 1919 à Bischheim, contourne cette interdiction en écrivant, de Roumanie, un long poème acrostiche ; les premières majuscules de chaque paragraphe forment le message suivant : « Befinde mich zwieschen Jassy und Bacau [Je me trouve entre Jassy et Bacau] ». Dans ce long poème, l’auteur écrit notamment : « Plus d’un ne verra plus son Alsace » (p. 170). De fait, Alfred Hennes est décédé à Tambov, le 23 juin 1945. 5 À propos de ces soldats, voir Jean-Noël Grandhomme, Les Malgré Nous de la Kriegsmarine, Stras- bourg, La Nuée Bleue, 2011. La foi des « Malgré Nous » (1942-1945) 451 avaient été très bien informés du Kirchenkampf, avant d’être confrontés eux-mêmes au néo-paganisme nazi, soucieux d’éradiquer la foi chrétienne en Alsace et en Moselle (6). Le 29 octobre 1942, Hunzinger termine sa lettre à Robert Preiss par une citation bibli- que, « Ist Gott mit uns, wer mag wider uns sein [Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ?] », que les éditeurs n’ont pas identifiée (contrairement à ce qu’ils écrivent, cette citation n’est nullement altérée) : il s’agit de l’épître de Paul aux Romains, chapitre 8, verset 31 (p. 24), et ce sont les seuls mots allemands dans une lettre rédigée en français. La piété protestante était nourrie par la lecture de la Bible de Luther, par les cantiques, par les prédications ou – pour les plus jeunes – le catéchisme, tous en langue alle- mande dans les paroisses luthériennes durant l’entre-deux-guerres (7). Jacques Baltzer, né le 2 septembre 1915 à Imbsheim, près de Saverne, est un père de famille qui écrit une lettre par jour à sa « chère douce petite femme ». Lui aussi exprime, dix jours avant sa disparition et même s’il craint de ne plus voir la fin de la guerre, sa confiance en Dieu : « J’ai toujours confiance en Dieu, qu’il vous garde tous en bonne santé et qu’il me ramène, moi aussi, auprès de vous » (p. 84, 18 octobre 1943). De manière un peu naïve, Charles Kehres, né le 11 août 1924 à Gambsheim, écrit à son amie Thérèse, quelques semaines avant de décéder en Russie : « Toujours bon courage, ne pas oublier la prière et Dieu va nous protéger » (p. 158, 31 mai 1944). Les propos de Paul Bernhardt, né le 10 novembre 1911, traduisent une piété plus mûre ; à la fin de sa lettre, adressée de Pologne, il se demande si la joie de recevoir des lettres sera aussi ôtée aux soldats : « Mais ce souci, nous le laissons au grand Créateur et soutien [Helfer]. Il sait ce dont nous avons besoin et quel fardeau nous pouvons supporter. À l’instant, je me souviens du cantique [Lied (8)] “Ce que Jésus prend en main [Was Jesus in die Hände nimmt]”, où il est dit si joliment à la fin : “Comme il le fait, c’est magni- fique, cela me sera salutaire Wie[ er es macht ist’s herrlich, wirds heilsam mir sein].” Nous allons également suivre cela, car cette épreuve doit être salutaire (9) pour tous les gens » (p. 193, 9 août 1944 (10)). Quelques mois auparavant, Paul Bernhardt avait écrit à son épouse, qui attendait son troisième enfant : « Tu ne dois pas craindre les heures difficiles qui vont arriver pour toi, car notre Sauveur au ciel connaît nos petits et nos grands soucis [voir Matthieu 6, v. 25-34], et il sera à tes côtés, si nous le prions avec ardeur. Car le vrai secours et l’aide viennent de lui, lui seul peut nous donner la force pour voir l’avenir avec calme. Nous devons seulement lui faire confiance et croire en lui. » Quant à lui, il estime avoir « tout ce qu’on peut souhaiter sur la terre en tant que

6 Voir Didier Sturtzer, Les Églises protestantes d’Alsace durant la seconde guerre mondiale, mémoire de maîtrise, Faculté de Théologie protestante, Université des Sciences humaines de Strasbourg, 1983. 7 Voir Catherine Storne-Sengel, Les Protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939 : entre les deux règnes, Publications de la Société savante d’Alsace, 2003. 8 Les éditeurs ont traduit malencontreusement par « chanson ». 9 Les éditeurs ont traduit : « doit être le salut ». 10 Ce cantique n’est guère connu dans la tradition luthérienne. Nous avons consulté plusieurs spécialistes des cantiques protestants, en Alsace notamment (ainsi, Annemarie et Marc Lienhard), mais ils n’ont pas pu nous renseigner sur l’auteur de ce cantique ni sur la date et le lieu de sa première parution. Des recher- ches sur Internet menées par Yves Keler et par Marc Hug ont permis de trouver seulement l’extrait sui- vant : « Was Jesus in die Hände nimmt,/ und sei es noch so klein,/ das muss, ich weiss es ganz bestimmt,/ mir auch zum Segen sein. » Elles ont mis aussi en évidence que, actuellement, le cantique fait partie d’un volume intitulé Glaubenslieder, dont une 10e édition est parue en 2006 à Dillenburg (Hesse). 452 Revue d’Allemagne mari et père d’une famille heureuse et en bonne santé », bonheur qu’il a trouvé « avec l’aide de Dieu » (p. 154, 21 mai 1944). Le 12 mai 1944, André Frey, né le 9 septembre 1919 à Scherwiller, dans la région de Sélestat, écrit à sa mère et à sa famille. Même si la Fête des mères a été instituée par Hitler, avec d’autres incorporés de force il adopte cette tradition : « […] la Fête des mères, et en plus au joli mois de mai, nous ne pouvons pas la passer sous silence. […] Je lui [= maman] souhaite pour l’avenir bonne santé et bonne humeur, que le Seigneur la protège et nous la garde en vie encore de nombreuses années. […] Et si Dieu veut que Bernard et moi rentrions, elle ne doit recevoir que du bonheur de notre part » (p. 144).

La pratique religieuse Les lettres des Malgré Nous témoignent aussi de la distance que les incorporés peuvent prendre avec les cultes célébrés au front, dans la mesure où ils y perçoivent un mélange de religion et de patriotisme nazi. Ainsi, le 25 juillet 1943, le catholique Alphonse Laza- rus, qui disparaîtra quelques mois plus tard en Ukraine, écrit-il : « Ce matin, nous avions de nouveau un service religieux de campagne [Feldgottesdienst] vers six heures moins le quart, il y avait une sainte messe et un sermon, mais il ne nous a pas du tout intéressé, car c’est comme partout : la patrie avant tout. Quand on voit l’autel, dont les pieds sont entourés du drapeau à croix gammée… Mais ça n’a pas trop d’importance, nous avons de nouveau reçu les saints sacrements et participé à une messe, ce qui est le plus impor- tant » (p. 65). Un protestant eût, probablement, parlé du contenu du sermon. D’autres perdent les repères de l’année ecclésiastique : « Nous ne savions même pas qu’aujourd’hui, c’était Jeudi saint, mais comme les cloches se sont mises à sonner, j’ai pensé pour moi à la maison. » Or, passer le temps des fêtes loin du foyer s’avère parti- culièrement douloureux : « Vous pouvez vous imaginer que cela m’a fait mal lorsque j’ai entendu ça, mais je ne veux pas vous écrire plus à ce sujet. J’espère que nous fêterons Pâques à la maison l’année prochaine » (p. 126 ; lettre de Lucien Pfeil, né le 10 décem- bre 1925 à Kriegsheim, 5 avril 1944). De son côté, Jean Schaeffer, né le 27 octobre 1919 à Melsheim, évoque, quelques semaines auparavant et avec une ironie grinçante, « la charmante mélodie des obus » qu’ils entendront à nouveau chanter « quand les cloches de Pâques résonneront au pays » (p. 110). Pour Roger Berton, qui se trouve en Lettonie, « du dimanche on ne remarque pas de différence avec un autre jour, l’ennemi en face a chanté presque tout le matin depuis 7 heures » (p. 209, 3 septembre 1944 ; B. est né le 23 février 1912 à Lutzelhouse). Sa lettre traduit l’expérience selon laquelle « Not lehrt beten [la détresse apprend à prier] » : « Inutile de vous dire que je prie souvent et qu’ici, on apprend bien à prier, surtout dans les moments durs » (ibid.). Georges Bordmann, né le 20 février 1909 à Niederentzen, se rend à l’église de Kassel un peu plus de deux mois après son incorporation : « Il n’y avait pas autant de fidèles qu’à Lingen. Le prêtre a annoncé une messe de requiem pour un père de famille qui est mort dans un hôpital militaire en France, et pour son fils tombé sur le front de l’Est » (p. 188, 6 août 1944). Le Mosellan Aloïs Tempel, né le 27 juin 1921 à Niderviller, dans une région catholi- que très pratiquante, ne se contente pas d’évoquer sa propre pratique ; il encourage aussi vivement son épouse à se rendre à l’église : « Je viens de rentrer de l’église. Ce matin, La foi des « Malgré Nous » (1942-1945) 453 nous sommes pour la première fois un peu tranquilles. Sûrement que tu étais aussi à la messe, je l’espère au moins. Chérie, va le dimanche à la messe ; fais aussi ta Pâques, aussi si je ne suis pas là. Fais ça pour moi, chérie ; ça m’a fait mal quand je t’entendais quel- ques fois parler si méchamment. Pourtant, tu n’es pas mauvaise. Je ne suis pas le plus gentil, tu le sais bien. Il fait bon au lit le dimanche matin, ça sera un petit sacrifice, mais tu [ne ?] le fais pas pour le curé, tu le fais pour moi » (p. 116, lettre du 20 mars 1944). Plus tragiquement, d’autres Malgré Nous évoquent des rites liés au décès de leurs camarades : écrivant à la famille de Jules Fuchs, décédé le 9 septembre 1944, Marcel Thomas la réconforte par le fait que son camarade a une sépulture ; de plus, « devant sa tombe ouverte, je récitais un Ave Maria à votre place » (p. 226, 24 octobre 1944). Seuls deux courriers de femmes sont publiés dans ce recueil. L’un d’eux est une brève carte postale (11). Par contre, la lettre de Marguerite Karlen, née le 23 mai 1926 à Boll- willer, est pleine d’intérêt. Affectée à une batterie de la défense anti-aérienne au sud- ouest de Leipzig, en Saxe-Anhalt, la jeune fille dépeint des lieux qui lui sont étrangers: « J’ai l’impression d’être dans une région comme en Pologne. Les gens, les maisons, la boue et même les noms de villages, Uistritz et Markrölitz, etc. Ici, les femmes portent toutes des bottes, ont un fichu sur la tête, les hommes avec leurs voitures tombereau et leurs chars à banc, dans la fange et la boue, tel que dans le film Heimkehr [1941] » (p. 228). Ces observations s’étendent aussi à la religion : « Les gens ici sont très dif- férents du Westerwald (12). Ils sont protestants et croient au Führer. Les églises sont murées, tout à l’air triste » (ibid.).

Des lettres adressées à des ecclésiastiques S’il n’existe pas de lettre d’ecclésiastique parmi les témoignages retenus, on relèvera, par contre, deux courriers adressés par des soldats à leur curé. Alors que, en décembre 1942, Antoine Berring avait été incorporé dans la Wehrmacht sur le front Est, c’est depuis les Vosges, « entre Saint-Dié et Rambervilliers » que le jeune homme, né le 28 novembre 1924 à Flexbourg, écrit, « sur une caisse de munitions », à son « lieber Herr Pfarrer ». Ce courrier du 15 octobre 1944 s’inscrit dans une série d’échanges épistolaires, puisque Antoine Berring remercie son curé « de tout cœur » pour sa lettre du 6 septembre. Ses propos ressortissent au genre de la confession, car il ne cache pas à son curé les pensées religieuses contradictoires qui surgissent au plus fort des combats : « Pour le moment, c’est tranquille. Mais, ô Jésus, il y a près de dix jours et dimanche der- nier, nous étions tous moralement à bout [moralisch fertig] dans nos trous à ciel ouvert, au milieu des cris des blessés. Monsieur le Curé, vous pouvez me croire (ou pas, et je ne voudrais nullement faire le fanfaron), je n’ai jamais vécu en Russie quelque chose comme l’efficacité (sur le moral) des mortiers. Tout comme, de rage, on blasphème volontaire- ment ou involontairement, on en vient aussi à penser, dans la plus grande détresse – ou plutôt, dans une crainte mortelle [Todesangst] –, au divin [das überirdische], à notre Seigneur Dieu et à tous les êtres chers qui se trouvent à la maison » (p. 222 ; traduction modifiée par nos soins sur la base de l’original, p. 223). Ainsi, la détresse n’apprend-elle pas seulement à prier ; elle suscite aussi le blasphème. Par contre, nulle haine, dans les

11 Madeleine Pflumio (née le 21 juillet 1926 à Strasbourg ; carte du 2 octobre 1944, p. 220). 12 Entre juin et octobre 1944, Marguerite Karlen s’était trouvée au camp de Stahlhofen, dans le Westerwald. 454 Revue d’Allemagne propos du jeune « paroissien », ainsi qu’il signe sa lettre, à l’endroit des troupes adverses : « Nous sommes face à beaucoup d’Américains qui ne sont pas pires que d’autres. Ce ne sont pas du tout des gangsters comme on nous les présentait » (ibid.). Antoine Berring mourut une semaine plus tard, à Brouvelieures, dans les Vosges. La missive qu’Alfred Haenel, âgé d’à peine dix-huit ans, envoie le 29 avril 1944 depuis Feltin (Estonie) à ses « chers camarades de classe » et à son « cher Monsieur le Curé », à Schirrhein, est plus tragique encore : le même jour, le jeune homme va être fusillé pour avoir voulu fuir devant l’ennemi russe. « Des circonstances particulières ont voulu que je doive subir la mort. Je conçois que, dans les circonstances actuelles, des lois sévères soient en vigueur, et la roue passe aussi sur moi » (p. 253, traduction légèrement modi- fiée). À ses camarades de classe, le natif de Bischwiller adresse ses chaleureuses salu- tations et les prie de le garder en bon souvenir ; à son curé, il demande de se souvenir de lui devant l’autel et de transmettre ses salutations à ses amies et à ses camarades. À tous, il demande d’adresser ses salutations à la chorale – sans doute le chœur paroissial, dont il faisait partie (13).

Conclusion En raison du petit nombre de lettres (moins de 120) que renferme ce volume, les conclusions qui suivent devront être considérées avec prudence : en effet, nous igno- rons si ces lettres, dont les éditeurs ne livrent pas les « critères précis » (p. 12) de sélec- tion (de fait, ils ont privilégié un certain nombre de séries (14)), sont représentatives de la masse des 5 000 lettres conservées par la Société de l’Histoire de la Poste. Parmi les images de Dieu que privilégient les Malgré Nous, le Dieu protecteur (15) – ou la providence (16) – vient en première place, ce qui n’a rien de surprenant. C’est la même image de Dieu qui domine dans les lettres envoyées par les Jésuites allemands qui servirent dans la Wehrmacht (17), et, plus largement, dans la correspondance des

13 Johannes Güsgen, « Die Bedeutung der Katholischen Militärseelsorge in Deutschland von 1933-1945 », in : Müller/Volkmann (éd.), Die Wehrmacht (note 2), p. 503-524, ne parle malheureusement pas de la cure d’âme auprès des soldats condamnés à mort ; par contre D. Beese, « Kirche im Krieg » (note 2), p. 497-502, évoque longuement le sort des soldats, souvent très jeunes, condamnés à mort pour avoir fui le combat devant l’ennemi, ou, notamment, pour s’être endormis à la suite de marches harassantes, et alors qu’ils devaient monter la garde. Ces cas tragiques provoquèrent souvent, chez les aumôniers protestants qu’il a interviewés, de difficiles problèmes de conscience ; les ecclésiastiques étaient tenus d’accompagner les soldats par leur cure d’âme depuis la découverte du « délit » jusqu’à l’exécution de la sentence. 14 Telle a aussi été la démarche adoptée par Klaus Latzel, Deutsche Soldaten – nationalsozialistischer Krieg ? Kriegserlebnis – Kriegserfahrung 1939-1945, Paderborn/Munich/Vienne/Zurich, Schöningh, 1998, qui a étudié, pour la Seconde Guerre mondiale, 2749 lettres écrites par 22 personnes (p. 107). 15 Outre les références mentionnées, voir la lettre du 19 mars 1944 de Désiré Eiller, né le 10 mai 1916 à Haguenau : « Tu sais, […] la pensée d’être loin de vous me met en boule, mais comme dit, j’ai confiance en Dieu, qu’il nous protègera et mettra une fin bientôt à toute cette horreur et que nous puissions nous revoir bientôt » (p. 115). 16 « Ce qui nous attend encore, nous qui avons été épargnés par le destin, repose entre les mains de Dieu » (p. 147, Jean Schaeffer, le 12 mai 1944). Le même soldat écrit : « Nous sommes malheureusement nés à une mauvaise époque. » 17 Antonia Legers, Jesuiten in der Wehrmacht. Kriegslegitimation und Kriegserfahrung, Paderborn/ Munich/Vienne/Zurich, Schöningh, 2009, p. 99 ; les soldats parlent notamment de « Vorsehung » et de « Führung ». La foi des « Malgré Nous » (1942-1945) 455 soldats allemands (18). Toutefois, dans cette dernière correspondance comme chez les Malgré Nous, nombreux sont les soldats qui ne disent mot de Dieu, pas même du secours providentiel. Klaus Latzel a mis en évidence que leur proportion était bien plus forte (14 sur 22, soit près de deux tiers) que durant la Première Guerre mondiale (5 sur 17, soit moins d’un tiers) (19) ; cette évolution pourrait témoigner des succès de la propagande athée des nazis (et de la « religion politique » centrée sur le Führer), mais sans doute exprime-t-elle aussi, plus largement, la progression de la sécularisation en Occident dans la première moitié du xxe siècle. Il conviendrait d’examiner si cette évo- lution s’est dessinée aussi en Alsace et en Moselle. On relèvera en tout cas que, dans la correspondance des Malgré Nous, les demandes de prier pour soi sont peu nombreu- ses (voir p. 206, lettre du 27 août 1944, Roger Berton). Les soldats alsaciens et mosellans évoquent la « volonté de Dieu [Gottes Wille] » : « Si seulement, par la volonté de Dieu, cette guerre se terminait enfin ! » (p. 217 ; Marcel Thomas, 18 septembre 1944). Toutefois, au contraire des soldats allemands, jamais no ne trouve sous leur plume l’idée que la guerre menée contre l’Union soviétique serait le juste jugement de Dieu pour punir le bolchevisme athée, et les soldats de la Wehr- macht les instruments de la vengeance divine. Il est vrai que les Malgré Nous ont été mobilisés en 1942, et que ce thème du jugement domine surtout en 1941, au moment de l’offensive éclair contre l’Union soviétique (20). Alors que, dans les correspondances de la Première Guerre mondiale, on trouve souvent des interrogations sur la théodicée (si Dieu est bon, pourquoi laisse-t-il faire cela ? ou alors, n’est-il pas tout puissant ?) (21), ces douloureux questionnements sont absents des lettres ici rassemblées. S’agit-il d’un « effet de source », compte tenu de la faible proportion de lettres de Malgré Nous éditées ? En tout cas, ce thème appa- raît chez d’autres soldats de la Wehrmacht (22). Quant à la présence du curé – et, par contraste, l’absence du pasteur –, dit-elle quelque chose d’un lien moins fort entre le chargé d’âmes protestant et ses ouailles ? Sur ce point aussi, il est prudent de ne pas tirer de conclusion hâtive. Bien entendu, ces lettres, extrêmement riches, pourraient faire l’objet d’autres inves- tigations. Elles témoignent, par exemple, de l’impréparation de l’armée allemande lors de l’offensive en Russie : « Chère maman, envoie-moi des gants et un passe-montagne, écrit Pierre Constans, né le 25 novembre 1920, sinon mes mains vont geler, puisque nous n’avons pas encore nos effets d’hiver et qui sait s’il y en aura » (p. 83, 15 octobre 1943). D’autres soldats évoquent l’arrestation des Juifs ; c’est le cas de Jean-Pierre Bader, qui écrit depuis Arta, dans le nord de la Grèce : « Un soir, nous eûmes l’ordre d’arrêter tous les Juifs d’Arta. Ce fut une razzia, des hurlements et des cris des femmes. Nous avons livré ces Juifs aux Grecs, je ne sais pas ce qu’ils en ont fait. Ce fut une action générale dans toute la Grèce et dans tout le pays, le peuple de Dieu fut arrêté » (p. 136,

18 Voir K. Latzel, Deutsche Soldaten (note 14), p. 294. Les verbes qui sont associés à Dieu sont beistehen, beschützen ou encore helfen. 19 Ibid., p. 295. Voir aussi p. 268 sq. 20 Voir A. Legers, Jesuiten in der Wehrmacht (note 17). 21 Ibid., p. 93-96. 22 Ibid., p. 106 sq. 456 Revue d’Allemagne

20 avril 1944). Il serait intéressant de consacrer, pour l’ensemble de la correspondance des Malgré Nous, une étude spécifique à ce thème (23). Toutefois, les pages qui précèdent montrent l’importance de la religion dans la cor- respondance des Malgré Nous, et les commentaires que nous donnons tout l’intérêt qu’il y aurait eu à associer des théologiens à la publication de ces lettres, si riches et si émouvantes.

Résumé La correspondance des « Malgré Nous » (1942-1945) témoigne des préoccupations religieuses des incorporés de force alsaciens et mosellans. Leurs lettres insistent sur le Dieu protecteur, auquel ils encouragent leurs proches à prier. Elles témoignent de leur pratique religieuse, marquée par la défiance pour les cultes patriotiques nazis. Enfin, les lettres adressées à des ecclésiastiques ont valeur de confession, surtout lorsque des condamnés à mort adressent leur dernière lettre à leur curé.

Zusammenfassung Die Korrespondenz der „Malgré Nous“ (1942-1945) bekundet die religiösen Besorg- nisse der Zwangseingezogenen aus dem Elsass und aus Lothringen. In ihren Briefen insistieren sie auf dem schützenden Gott und ermutigen ihre Familie und Freunde zu ihm zu beten. Gleichzeitig lassen sie ihre religiösen Praktiken erkennen, die sich durch ein Misstrauen gegenüber den patriotischen Gottesdiensten der Nationalsozialisten auszeichnen. Schließlich können die an die Geistlichen gesendeten Briefe als Beichte gelesen werden, vor allem wenn sich die zum Tode verurteilten Männer in ihrem letzten Brief an ihren katholischen Pfarrer wenden.

2 3 Po u r l ’e n s e m b l e d e l a We h r m a c ht , v o i r Wa l t e r M a n o s c h e k (é d .), “Es gibt nur eines für das Judentum: Ver- nichtung”. Das Judenbild in deutschen Soldatenbriefen 1939-1944, Hambourg, Hamburger Edition, 1995. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 457 T. 45, 2-2013

Religion als Gegenkultur in der DDR? Eine Untersuchung des Umgangs mit Kirchenbau in der DDR am Beispiel Eisenhüttenstadt

Sylvie Le Grand*

Im Jahre 1983 erschien in der DDR ein 78seitiges, anschauliches und gut illustriertes Büchlein in französischer Sprache: Les chrétiens et les Églises, information sur la Répu- blique démocratique allemande. Es ist eine klar gegliederte und solide informierte, offi- zielle Broschüre der Auslandsagentur Panorama DDR. Ziel war es, dem Ausland zu zeigen, wie harmonisch die Beziehungen zwischen Marxisten und Christen und wie gut integriert die Christen und ihre Kultur in der DDR-Gesellschaft waren (1). Dass ausge- rechnet Eisenhüttenstadt (unter der Rubrik „materielle Lage“ [situation matérielle] zum Thema Wiederaufbau bzw. Neubau von Kirchen) erwähnt wurde, ist nicht ohne unwill- kürliche Ironie, war doch die Entstehungsgeschichte dieser Gemeinde im Hinblick auf ihren Kirchenbau eine recht langwierige, wie wir im Folgenden zeigen wollen. Doch ist eine solche Propaganda zunächst einmal vor dem Hintergrund des kirchlich und staatlich mit viel Pomp gefeierten Luther-Jahres und darüber hinaus der verän- derten politischen und gesellschaftlichen Rahmenbedingungen der Staat-Kirche-Bezie- hungen zu verstehen. Wie verhielt sich aber tatsächlich der DDR-Staat im Laufe seines 40jährigen Bestands zur Frage des christlichen Erbes und im Umgang mit den verschiedenartigen christli- chen Kulturgütern, die im Osten Deutschlands als historischer Wiege des deutschen Protestantismus so zahlreich waren? Dies ist eine der Fragen, die mich bei dieser

* Maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. 1 Unter der Rubrik „materielle Lage“ (situation matérielle) wird unter anderem auf die vielfältigen Bemü- hungen des Wiederaufbaus und Neubaus von kirchlichen Gebäuden, wie z.B. in Eisenhüttenstadt hin- gewiesen, sowie auf die groβe Rolle, die kulturelles Erbe (patrimoine culturel) und zeitgenössische Kunst (création contemporaine) im geistig-religiösen (vie spirituelle) Leben spielen. En exclusivité. Les chrétiens et les Églises. Information sur la République démocratique allemande, Panorama DDR, Auslandspresse- agentur GmbH Verlag Zeit im Bild, 1er mars 1983, 79 Seiten + Ill. (hier S. 65-66). 458 Revue d’Allemagne

Untersuchung (2) geleitet haben. Auf diesem Umweg möchte ich hier die Relevanz des gegenkulturellen Ansatzes in Bezug auf die Kirchen in der DDR überprüfen. Indes habe ich auf einen ziemlich klassischen Kulturbegriff zurückgegriffen, d.h. zunächst unter Kultur die historisch überlieferten Kunstprodukte und Bauwerke, Bil- dungserscheinungen, Lebensweisen, Vorstellungen, die von bestimmten Milieus (hier kirchlichen Milieus) getragen bzw. verkörpert waren und eventuell weiter tradiert wur- den, ohne jedoch den normativen Gehalt zu übernehmen, der diesem Kulturbegriff als „vom Bürgertum reklamiert“ im 19. Jahrhundert anhaftete (3). Somit habe ich die Reli- gion als möglichen Bestandteil einer Kultur und daher im weitesten Sinne verstanden: als soziale Institution, als System von Glaubensinhalten, Überzeugungen und Riten, sowie als Bewusstseinselement. Eine solche Perspektive über Kultur- und Religionsbegriffe bot sich hier aus verschie- denen Gründen an: t(FSBEFBVGEFS(SVOEMBHFEJFTFT,VMUVSCFHSJČTJTUJNXFJUFO'FMEEFS#F[JFIVOHFO und Wechselwirkungen zwischen Religion und Kultur bzw. Protestantismus und Kul- tur die starke Strömung des Kulturprotestantismus im 19. Jahrhundert entstanden, als Bildungsreligion, die die Grenzen zwischen Religion und Kultur weitgehend ver- wischt. Auf dieses uferlose Aufgehen der Transzendenz in der Immanenz hat Karl Barth im 20. Jahrhundert mit seiner dialektischen Theologie scharf reagiert (4). Diese – hier stark schematisierten – Pole bilden zwei extrem entgegengesetzte Positionen im Protestantismus, in deren Spannungsfeld sich das Verhältnis zwischen Religion und Kultur ausbildet. t/BDI(SàOEVOHEFS%%3XVSEFTQÊUFTUFOTNJUEFN"VċBVEFT4P[JBMJTNVTBC+VMJ 1952 dem Bürgertum und seiner als dekadent verpönten Kultur der Kampf angesagt. Auf der Tagesordnung stand nun die Ausbildung des sozialistischen Menschen, in dem die religiösen sprich christlichen Bindungen nichts zu suchen hatten und demnach systematisch bekämpft wurden. Ihr Absterben wurde vorprogrammiert. Die Religion und ihre kulturellen Erscheinungen wurden faktisch als eine Art Gegenkultur im

2 Dieser Aufsatz beruht weitgehend auf dem Vortrag, den ich am 18.5.2011 an der Universität Toulouse Le Mirail im Rahmen der von Françoise Knopper und Mechthild Coustillac organisierten Tagung „Con- tre-cultures en RDA?/ Gegenkulturen in der DDR?“ gehalten habe. Den Organisatorinnen der Tagung möchte ich hier für ihren Impuls, mich mit diesem Ansatz zu beschäftigen, danken. 3 Ansgar Nünning (Hg.), Grundbegriffe der Kulturtheorie und Kulturwissenschaften, Stuttgart, Metzler, 2005, S. 112. 4 In einem kurzen Gedenkartikel der EKD vom 3.5.2011 „Evangelischer Kirchenvater des 20. Jahrhun- derts. Vor 125 Jahren wurde Karl Barth geboren“ wird daran erinnert, dass Karl Barth „ab den 1920er Jahren zusammen mit Friedrich Gogarten, Rudolf Bultmann, Emil Brunner und anderen die ‚Dialekti- sche Theologie‘ [entwickelte], bei der die für ihn unüberwindbaren Gegensätze Gott und Mensch oder Zeit und Ewigkeit im Mittelpunkt standen. Barth brach radikal mit einer Theologie, die zwischen Gott und Mensch vermitteln oder den – aus seiner Sicht unendlichen – Abstand zwischen Gott und Mensch verringern wollte. […] Barth […] spricht von Gott als dem ‚ganz Anderen‘“, http://www.ekd.de/print. php?file=aktuell/76401.html (abgerufen am 9.5.2011). Grundlegend dazu Heinz Zahrnt, Die Sache mit Gott. Die protestantische Theologie im 20. Jahrhundert, München, Piper, 1966 (Taschenbuchneuausgabe 1988), 427 S. Siehe u.a. „die Umkehrung Schleiermachers“, S. 38ff: „Karl Barths ‚Römerbrief‘ ist von der ersten bis zur letzten Seite ein einziger groβer Protest gegen die theologische Ära, die vor allem durch die Namen Schleiermacher, Ritschl, Harnack und Troeltsch bestimmt war.“ Religion als Gegenkultur in der DDR? 459

wortwörtlichen Sinne betrachtet, die es auszutilgen galt (5). Hatte ja nicht Bebel gesagt, dass Sozialismus und Christentum sich wie Feuer und Wasser verhalten? So wur- den im vulgären Marxismus bzw. Marxismus-Leninismus und im wissenschaftlichen Atheismus diese beiden Gröβen als Gegenpole, Gegenwelten, ihrem jeweiligen abso- luten Wahrheitsanspruch entsprechend hochstilisiert, der aus beiden konkurrierende Heilslehren machte. Dieser Aspekt der DDR-Ideologie und Kirchenpolitik rechtfertigt einen zeitweiligen Gebrauch – gleichsam als Arbeitsbegriff – von Gegenkultur in dem eben skizzierten wörtlichen Sinne: wir stehen in der DDR einem gesellschaftlichen Versuch gegenüber, wonach eine Umkehrung der Verhältnisse zwischen Leit- und Randkultur unternom- men wurde. Doch ist es fraglich, ob dieses binäre Denken durchgehend auf jede Periode, jedes Fallbeispiel, jede Ebene der Kirchenpolitik und umgekehrt auf das Selbstverständ- nis der Kirchen bezogen werden kann. Die SED konnte schlieβlich nicht gänzlich auf Tradition und auf das kulturelle Potential des Christentums verzichten. Wir möchten diesen Begriff folglich hier auf seine geschichtliche Relevanz hin über- prüfen und untersuchen, ob und inwiefern er kompatibel ist mit der Zwischenstellung der Kirchen in der DDR (6). Das Thema Gegenkultur möchte ich also nicht unter dem vielleicht naheliegenderen, weil viel bearbeiteten Aspekt des Schutzes der oppositionellen Gruppen bzw. der sub- kulturellen Szene durch die Kirchen (als Dach für Gegenkultur im angelsächsischen Sinn von counter culture) untersuchen, sondern am Beispiel des Umgangs der DDR mit den kirchlichen Kulturgütern, d.h. hier in erster Linie am Beispiel Kirchenbau, Kir- chenabriss, Kirchenrenovierung, Denkmalpflege behandeln. Warum gerade die Kirchenbaufrage? Als „architektonischer und damit materialisierter Ausdruck der religiösen Idee“ (7) kris- tallisiert Kirchenbau städtebauliche, ästhetische, theologische und nicht zuletzt politische Gesichtspunkte, zumal er als materielle Kulturerscheinung öffentlichen Charakter hat, was einen Teil seiner Brisanz in der DDR ausmachte. Der Kirchenbau hinterlässt zudem Spuren aus der Vergangenheit, vereinigt Gegenwart und Vergangenheit, entspricht auch dem Gemeinschaftsbild der Kirche oder der Gemeinde als Körper bzw. als Baugefüge mit verschiedenen Elementen. Kurz, er vereinigt Kult und Kultur! Zunächst gehen wir vom Fallbeispiel Eisenhüttenstadt (8) aus, um dann in einem zweiten Schritt diese einmalige Geschichte vor dem Hintergrund anderer Entwick-

5 In der üblichen DDR-Terminologie hieβ es staatsfeindlich oder gegenrevolutionär. 6 Diese Zwischenstellung ist auf mindestens drei Faktoren zurückzuführen: auf die politische Weichen- stellung durch die Sowjets, die die Kirchen relativ wohlwollend behandelten, ihnen die Bodenreform ersparten und günstige verfassungsrechtliche Bedingungen ähnlich wie in der BRD und in Anlehnung an die Weimarer Republik schufen; auf die deutsch-deutsche Situation im doppelten Deutschland; auf allerlei pragmatische Erwägungen, die die konkrete Kirchenpolitik jenseits der atheistischen Prinzipien prägten. 7 Elisabeth Knauer-Romani, „Kirchenbau in Stalinstadt“, in: Holger Barth (Hg.), Projekt Sozialistische Stadt: Beiträge zur Bau- und Planungsgeschichte der DDR, Berlin, Reimer, 1998, S. 211-217 (Zitat S. 211). 8 Ausgangspunkt dieser Untersuchung sind die Erinnerungen von Pfarrer Heinz Bräuer gewesen: Die ers- ten drei Jahrzehnte der evangelischen Friedenskirchengemeinde Eisenhüttenstadt. Erinnerungen, Eisenhüt- tenstadt, 1991, 543 S. (im Internet nun als freie Datei zugänglich). Von dieser Quelle ausgehend habe ich 460 Revue d’Allemagne lungslinien (Kirchenbau allgemein, Staat-Kirche-Beziehungen und Kirchenpolitik allgemein, politische Groβwetterlage) zu betrachten und in gröβere Zusammenhänge einzubetten.

Eisenhüttenstadt, Stadt und Kombinat – ein paar Daten (9) „In der Wohnstadt des EKO geboren, in Stalinstadt getauft, und in Eisenhüttenstadt zur Kirchenweihe gegangen, ohne einmal umgezogen zu sein“: dieses Bonmot von Pf. Bräuer beleuchtet den dreifachen Namenwechsel der neuen Stadt und lässt darüber hin- aus ihre wechselvolle Geschichte ahnen. Als erste sozialistische Stadt in der DDR eignet sich Eisenhüttenstadt ganz besonders für eine Untersuchung der DDR-Verhältnisse, da einiges dort wie in einem Brennglas erscheint. Die neue Stadt war ja Vorzeigestadt des Regimes, wo der Mensch und die Familie neuen Typus erprobt werden sollten, eine Art Aushängeschild für den Aufbau des Sozialismus in der DDR. Die neue Stadt entstand aufgrund eines Parteibeschlusses von 1950 und war als Wohnstadt des neuen Eisenhüttenkombinats konzipiert. Nach dem Stahlembargo durch die Westmächte 1950 brauchte die DDR eine metallurgische Basis zur Stahlerzeugung. Aufgrund der sowjetischen Doktrin der wirtschaftlichen Selbstversorgung der Satelli- tenstaaten wurden Beschlüsse zur Schaffung eines neuen Industriekomplexes gefasst. Das neue Werk zog junge Arbeiter aus der ganzen DDR an und wurde zum Schmelz- tiegel der neuen sozialistischen Gesellschaft. In den 1950er Jahren lag das Durch- schnittsalter der Einwohner bei 25 Jahren; durch den Umzug waren diese Arbeiter ohne familiäre und traditionelle Bindung, was für die Formung des neuen sozialistischen Menschen günstige Voraussetzungen schuf. Die groβzügig und modern angelegten Wohnungen in der neuen Stadt waren sehr begehrt, zumal die allgemeine Wohnlage in der DDR lange Zeit – und insbesondere für junge Leute – angespannt war. Geplant für 30.000 Menschen zählte die Wohnstadt 1955 schon 15.157 Einwohner und bis 1960 sogar 24.372 Menschen. Sie lag unweit der Oder zwischen der Kleinstadt

im Evangelischen Zentralarchiv (EZA) und im Evangelischen Landeskirchlichen Archiv Berlin (ELAB) Unterlagen zur Kirchengemeinde in Eisenhüttenstadt und zum Kirchenbau stichprobenartig konsultiert, sowie vor Ort Gespräche geführt mit den langjährigen Mitgliedern des Gemeindekirchenrats, Klaus und Christel Jachning, dem Haus- und Kirchwart Hans-Peter Mikloweit. In einer breiteren Perspektive, der ich in den Grenzen des vorliegenden Beitrags kaum Rechnung tragen kann, aber einen anderen Auf- satz widme „Le patrimoine culturel chrétien en RDA: un potentiel critique?“, in: Hélène Camarade, Sibylle Goepper (Hg.), Actes du colloque „Résistance et opposition en RDA: tentatives de conquête de l’espace public (1949-1990)“ (à paraître), habe ich mich auch mit wichtigen Akteuren der staatlichen Denkmalpflege, Herrn Dr. Peter Goralczyk (u.a. 1987-90 Generalkonservator der DDR) und Herrn Prof. Dr. Ernst Badstübner (Kunsthistoriker), und einem Vertreter des berlin-brandenburgischen kirchlichen Bauamts, Herrn Dipl.-Architekt Heinz Tellbach unterhalten. Ihnen sei hier für ihre Gesprächsbereit- schaft und Hilfe herzlich gedankt. Dem Andenkenmeines Freundes, Kirchenmusiker Wolfgang Fischer (1932-2011), mit dem ich zusammen mit seiner Frau Dorrit immer wieder sehr anregende Diskussionen zum (kirchlichen) Leben in der DDR führen durfte, möchte ich diesen Beitrag widmen. 9 Ein groβer Teil dieser Daten sind den Erinnerungen von Pf. Heinz Bräuer und der Arbeit von Michael Tillmann entnommen. Michael Tillmann, Das Verhältnis von Staat und Kirche am Beispiel Stalinstadt in den fünfziger Jahren, Schriftliche Hausarbeit im Rahmen der Ersten Staatsprüfung für das Lehramt Geschichte/Deutsch Sekundarstufe II/I (Themensteller: Christoph Kleβmann), Universität Potsdam, Februar 1995, 105 S. (Typoskript, über die Fernleihe der Universität Tübingen zugänglich). Religion als Gegenkultur in der DDR? 461

Fürstenberg und dem Dorf Schönflieβ, wo im Gegensatz zur neuen Stadt noch tra- ditionelle Milieus und zu dieser Zeit auch Privatgeschäfte oder Privathandwerker zu finden waren. Dass die neue Stadt Vorbildcharakter haben sollte, zeigt der Umstand, dass ursprünglich Kleingartenkolonien als Relikt der bürgerlichen Zeit ausgeschlossen waren: „es lieβ sich auf die Dauer ebenso wenig durchhalten wie der Bann über die Kirchen“ (10), Kleingärten wurden 1959 zugelassen. Dass das Primat des Politischen dort besonders galt, kam unter anderem in der ideologisch überhöhten Bezeichnung des Kombinats und seiner Produktion als Frie- denswerk, Friedensstahl, Friedenstadt zum Ausdruck! Nicht ohne Ironie ist dann 1963 die Auswahl eines Namens für die Gemeinde durch den Gemeindekirchenrat auf Frie- densgemeinde gefallen. Die Aufbruchsstimmung und Euphorie der 1950er Jahre fand auβerdem ihren Niederschlag in Gedichten und Liedern (u.a. Hans Marchwitza, „Roh- eisen“, Oskar Nerlinger, „Mit Pinsel und Feder im Eisenhüttenkombinat Ost“), Festen (den seit 1954 jährlich inszenierten Hüttenfesten), einem Bildband (Neues Leben, Neue Menschen, 1958).

Rückblick auf die langwierige Entstehungsgeschichte eines evangelischen Massivkirchenbaus in Eisenhüttenstadt Dass kirchliches Leben in Stalinstadt/Eisenhüttenstadt unerwünscht war, lässt sich in erster Linie an der langwierigen Geschichte des Kirchbaus ablesen. Es ist die Geschichte einer 30jährigen Verzögerung, eines dauerhaften Provisoriums und eines ständigen Vertröstens auf eine ungewisse Zukunft. Als der erste Pfarrer der noch nicht existierenden Gemeinde am 1.2.1953 berufen wurde, lag seit Herbst 1952 ein Wagen der Goβner Mission auf einem gepachteten Privatgrundstück und diente als Raum für Gottesdienst und jedwedes Treffen für die im Entstehen begriffene Gemeinde. Inder Zeit der schärfsten Auseinandersetzungen um Junge Gemeinde und Kirchenarbeit in der DDR wurde dieser Wagen zwei Monate lang vom Staat beschlagnahmt. Ein 150 Menschen fassendes Zelt wurde von der Kirch- gemeinde zeitweilig beigefügt. Obwohl in den anfänglichen Bebauungsplänen des Generalprojektanten Kurt W. Leucht (11) 1952 und 1953 noch genaue Standorte für eine evangelische und eine katholische Kirche gezeichnet waren und sogar groβzügig ange- legte Pläne vorlagen, leugnete der Architekt später, 1957 und 1960, eine solche Planung je entworfen zu haben. Verschiedene Versprechungen wurden jeweils gegeben im Hinblick auf einen Mas- sivbau (12), auf die Bewilligung eines Standorts, auf das zur Verfügung Stellen eines

10 Rosmarie Beier (Hg.), Aufbau West, Aufbau Ost. Die Planstädte Wolfsburg und Eisenhüttenstadt in der Nachkriegszeit (Buch zur Ausstellung des Deutschen Historischen Museums vom 16. Mai bis 12. August 1997), Ostfildern-Ruit, G. Hatje, 1997, S. 255-256. 11 Zur wechselvollen Biographie von Kurt W. Leucht (1913-2001) siehe die interessanten Ausführungen von Jörn Schütrumpf, „Kurt W. Leucht, Planer von Stalinstadt, der ‚ersten sozialistischen Stadt Deutsch- lands‘“, in: R. Beier (Hg.), ebd., http://www.dhm.de/ausstellungen/aufbau_west_ost/katlg09.htm (abge- rufen am 8.7.2013). 12 „Massivbau“ ist der Terminus, der von den Betroffenen benutzt wurde, um den Unterschied zum lang- währenden Provisorium der Baracke (nach dem Wohnwagen und Zelt!) zu markieren. 462 Revue d’Allemagne

Grundstücks (sei es vom Staat gepachtet oder im Rahmen eines Tausches verkauft), dann aber mehrfach nicht eingehalten, so dass der Eindruck einer undurchschaubaren Situation mit vielen Ungereimtheiten und Widersprüchen zwischen den verschiedenen beteiligten Ebenen entsteht. Während das Ministerium für Aufbau und die städtische Bauleitung der Kirche eher wohlgesonnen zu sein schienen, wurde in der Partei auf Stadt- oder Bezirksebene oft eine härtere Linie vorgegeben (13). Dieses Wirrwarr und Durcheinander hielt auch nach dem Besuch von Walter Ulbricht am 7.5.1953 zur Namensnennung der neuen Stadt und seiner sogenannten „Turm- rede“ an: darin erteilte er unmissverständlich jedem Kirchbau eine Absage, indem er den „kapitalistischen Verdummungseinrichtungen“ in der Stalinstadt jede Existenz absprach. „Andere Türme [als fürs Rathaus oder Kulturhaus] können wir in der sozia- listischen Stadt nicht gebrauchen“ (14). Die Kirche suchte und bekam die Unterstützung vom damaligen Vorsitzenden der CDU (Ost), dem stellvertretenden Ministerpräsidenten bzw. stellvertretenden Vorsit- zenden des Ministerrats, Otto Nuschke, der auch bis 1957 für die damalige Hauptabtei- lung „Verbindung zu den Kirchen“ (15) verantwortlich war, sowie von Propst Grüber, der von 1949 bis Mai 1958 EKD (16)-Bevollmächtigter bei der DDR-Regierung war. Aufgrund von ersten positiven Versprechungen wurde von der Kirche eine soge- nannte Kirchbaracke gekauft, aber es dauerte wieder eine Weile, bis der Standort gefunden und die Baugenehmigung erteilt wurde. Der Durchbruch kam 1954, als die Kirch- und Pfarrbaracken aus Holz aufgestellt werden konnten. Sie blieben dann bis zur Grundsteinlegung des Gemeindezentrums 1976 erhalten. Dieses Gemeindezentrum ist ein Produkt des Sonderbauprogramms, das im Kontext der veränderten Rahmenbe-

13 Diese leichten Kursunterschiede mögen zeitliche Gründe gehabt haben: manchmal dauerte es eine Weile bis eine Parteientscheidung den städtischen Ausführenden erreicht hatte, daher die verwirrende Situation. 14 M. Tillmann, Das Verhältnis von Staat und Kirche (Anm. 9), S. 19, Fuβnote 59: Hinweis auf Kirchliches Jahrbuch 1953, S. 184. 15 Diese Verwaltungsstelle, die von 1949 bis zum Tod von Otto Nuschke am 27.12.1957 bestand, war der SED ein Dorn im Auge. Auch den Sowjets erschien sie als eine Agentur der Kirchen im Staatsapparat. Nach ihrer Auflösung nach Nuschkes Tod bestand die staatliche Kirchenpolitik vornehmlich in der Aktivität der im März 1957 neu gegründeten Dienststelle des Staatssekretärs für Kirchenfragen. Laut Martin Goerner machte Otto Nuschke dem Namen seines Amtes Ehre, indem er tatsächlich in Verbindung zu den Kirchen stand. Er unterhielt komplexe Beziehungen zur CDU. Von der SED wurde er persönlich als wichtiges deutschlandpolitisches Bindeglied relativ verschont. Martin Georg Goerner, „Die Behandlung der Kir- chenpolitik im Staatsapparat und in den Massenorganisationen“, in: Clemens Vollnhals, Die Kirchenpo- litik von SED und Staatssicherheit. Eine Zwischenbilanz, Berlin, Links, 1997 (2. durchgesehene Auflage), S. 139-158; Siehe dazu auch Andreas Schalück, Eine Agentur der Kirchen im Staatsapparat? Otto Nuschke und die Hauptabteilung „Verbindung zu den Kirchen“ 1949-1953, Berlin, Akademie Verlag, 1999, 343 S. 16 Die Evangelische Kirche in Deutschland (EKD) entstand 1945 in Treysa als Zusammenschluss der evangelischen Landeskirchen in Ost- und Westdeutschland und gab sich im Juli 1948 in Eisenach eine Grundordnung. Erst im Juni 1969 trennten sich organisatorisch die evangelischen Landeskirchen in Ost und West und es entstand neben der EKD der Bund der evangelischen Kirchen in der DDR (BEK) als Zusammenschluss der 8 evangelischen Landeskirchen in der DDR. Die Grundordnungen von EKD und BEK verwiesen gegenseitig auf die „besondere Gemeinschaft“ mit der jeweiligen anderen Dachorganisa- tion. Der BEK löste sich 1991 auf. Religion als Gegenkultur in der DDR? 463 dingungen für Staat-Kirche-Beziehungen Anfang der 1970er Jahre ausgehandelt und beschlossen wurde. Wir kommen gleich darauf zurück. In der Zwischenzeit hatte sich im Zuge der späten Entstalinisierung ab 1961 die Lage etwas entspannt (17): durch die Zusammenlegung der Städte Fürstenberg und Stalinstadt mit Schönflieβ hatte sich die Frontlinie etwas verlagert, es ging nun um den (Massiv) Bau einer zweiten evangelischen Kirche in Eisenhüttenstadt, da doch die im Krieg stark beschädigte Kirche von Fürstenberg noch vorhanden war und renoviert werden sollte. Bestimmt durch die patriarchalische Figur von Pfarrer Bräuer war das Leben der Gemeinde eher traditionell ausgerichtet; nichts war dort vom sogenannten „Team- denken“ und „Gemeindeaufbaukonzept“ zuspüren, das vom Bund der evangelischen Kirchen in der DDR (BEK) gefördert und in etlichen anderen evangelischen Neubau- gemeinden der DDR umgesetzt wurde (18). Hatte das mit der Ausnahmesituation von Eisenhüttenstadt zu tun? Mit der Persönlichkeit des Pfarrers? Fest steht, dass auch auf Parteiebene (19) die Stadt zwischen Mitte der 1950er und Anfang der 1960er Jahre aus der Kirchenpolitik des Bezirks herausgehalten wurde (20). Das 1981 eingeweihte Gemeindezentrum war im Anschluss an die architektonische Entwicklung im Kirchenbau als Mehrzweckgebäude konzipiert. Nicht nur aus politi- schen Gründen, sondern auch im Zusammenhang mit dem damals in Ost und West feststellbaren Trend zur multifunktionalen Bauweise wurde auf Kirchturm und auf die Bezeichnung als Kirche verzichtet. Die Grundstücksfrage (Tausch zwischen Staat und Kirche; Eintragung des Kircheneigentums ins Grundbuch) wurde erst 1985 geklärt. Der Eindruck, den man angesichts dieser abenteuerlichen Baugeschichte gewinnt, ist eher der von Schikanen und Willkür, aber nicht von massiven Repressalien. Die katholische Gemeinde hat es anscheinend schwerer gehabt, ihre Baracke wurde in einer nächtlichen Aktion im März 1954 zerstört (21), ein Massivbau ist in der DDR-Zeit nie entstanden.

17 Laut Michael Tillmann (Das Verhältnis von Staat und Kirche [Anm. 9], S. 5) wurden die Auseinander- setzungen weniger scharf und der sozialistische Charakter der Stadt verblasste. 18 Siehe dazu meine Untersuchung zum Vergleich zweier Neubaugemeinden in Halle-Neustadt und Dort- mund-Scharnhorst: Sylvie Le Grand, „Kirchenalltag in Ost und West: die Gemeinden“, in: Claudia Lepp, Kurt Nowak (Hg.), Evangelische Kirche im geteilten Deutschland (1945-1989/90), Göttingen, Vanden- hoeck & Ruprecht, 2001, S. 228-254. 19 Zum Beispiel wurde der Pfarrer nach der Unterredung zwischen Innenminister Maron und Kirchenver- tretern am 10.2.1956 von den Gesprächen auf Bezirksebene (Frankfurt/Oder) ausgenommen, die mit allen Pfarrern durchgeführt werden sollten. M. Tillmann, Das Verhältnis von Staat und Kirche (Anm. 9), S. 6 (Fuβnote 13); S. 20. 20 Auf einer anderen Ebene und unter veränderten Rahmenbedingungen ist festzustellen, dass diese Kirch- gemeinde, vielleicht bedingt durch die politisch exponierte Lage der Stadt ein zwar lebendiges, aber am Rande vielfacher innerkirchlicher Entwicklungen bestehendes Leben führte, so dass jedenfalls Erschei- nungen der späten 1970er und 1980er Jahre an ihr vorbei zu verlaufen schienen, wie z.B. der Konflikt um den kirchlichen Aufnäher Schwerter zu Pflugscharen Anfang der 1980er oder das Gruppenphänomen Mitte bis Ende der 1980er Jahre. Im Kirchenkreis Guben, dem die Stadt Forst sowie Eisenhüttenstadt angehörten, wurden zwar die Konflikte über die Forster Aktivitäten um das SamisdatblattAufbruch o.ä. diskutiert, aber ohne direkte Auswirkung auf das Gemeindeleben in Eisenhüttenstadt. 21 H. Bräuer (Pfarrer a.D.), Erinnerungen (Anm. 8), S. 89-90 (mit Bildern der zerstörten Baracke). 464 Revue d’Allemagne

Einbettung in gröβere Zusammenhänge – Gegenüberstellung von verschiedenen Entwicklungslinien Vor welchem Hintergrund ist das Zustandekommen des Gemeindezentrums in Eisenhüttenstadt zu verstehen? Zunächst ist der Zusammenhang mit der Auflockerung des Staat-Kirche-Verhältnisses wichtig: nach dem Mauerbau und der damit erreichten relativen inneren Stabilisierung der DDR lieβen sich Anzeichen einer Annäherung an christliche Kräfte von Seiten der SED erkennen: Ulbricht sprach in einer Rede vor der Volkskammer im Oktober 1960 von der humanistischen Verantwortung von Marxis- ten und Christen; eine weitere Stufe eines zur Schau gestellten Integrationswillens von Christen wurde vom Politbüro-Mitglied Albert Norden zwölf Jahre später erreicht, als er in einem Gruβwort des ZK der SED an den 13. Parteitag der CDU (Ost) in Dresden den Begriff vom sozialistischen Staatsbürger christlichen Glaubens prägte (22). Diese Auflockerung des Gegensatzes zwischen Staat/Partei und Kirche hatte aber nur taktischen Charakter: sie gehörte zur Differenzierungsstrategie der SED, die durch Ent- gegenkommen Unterstützung oder mindestens Loyalität in den Reihen der Kirchen zu gewinnen versuchte. Solche scheinbare Annäherungsversuche konnte sich die SED nun erlauben, nachdem sie ihren Feind teilweise erledigt zu haben glaubte, d.h. nachdem ihre Entkirchlichungsversuche in den eigenen Reihen und in der Bevölkerung im Zuge des Konfliktes um die Junge Gemeinde (1953) und die Einführung der Jugendweihe (1954) einigermaβen erfolgreich gewesen waren. Nachdem die Trennung von der EKD erreicht und eine DDR-spezifische kirchliche Vertretung des Protestantismus, der BEK im Juni 1969 gegründet worden war, wurde diese Strategie um so stärker fortgesetzt; sie nahm sogar noch unbekannte Ausmaβe an: es hatte nun – auf beiden Seiten übrigens – die „Stunde der Pragmatiker“ geschlagen (23). Das sogenannte Sonderbauprogramm ist ein gutes Beispiel dafür. Es ist ein noch nicht richtig erforschtes Gebiet der kirchlichen Zeitgeschichte. Schon 1970 und 1971 gab es erste Gespräche vom Sekretär des BEK, Manfred Stolpe, mit „Freunden aus der EKD“, zur Besprechung einer entscheidenden Hilfe der Schwesterkirchen im Westen für ein Kirchensonderbauprogramm in der DDR. Die jährlichen Bauzuschüsse des Staates in Höhe von zirka 800.000 Mark, die für denkmalpflegerische Zwecke gegeben wurden, reichten nicht aus angesichts der groβen Baulast im Osten (über 4000 Gemeinden mit einer Kirche fast überall), so Stolpe rückblickend 1976 (24). Der BEK überreichte Listen von Kirchen, die jeweils dem Staat abzugeben bzw. zur Verfügung zu stellen, zu reno- vieren oder gar aus dem Boden zu stampfen waren. Durch Beschluss des Ministerrates der DDR vom 13.12.1972 wurde dann die Durchführung eines Renovierungs- oder Bauprogramms für die Jahre 1973-75 für 45 Kirchen genehmigt. Es wurde mehrfach

22 Frédéric Hartweg (Hg.), SED und Kirche. Eine Dokumentation ihrer Beziehungen, Bd. 2: 1968-1989, bearbeitet von Horst Dohle, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 1995, S. 620. 23 Dieser Ausdruck wurde auf die Phase nach dem Spitzengespräch zwischen Staat und Kirche am 6.3.1978 nachträglich gemünzt. Joachim Heise, „Kirchenpolitik von SED und Staat zwischen ideologischem Dogma, praktischer Toleranz und politischem Miβtrauen“, in: Horst Dähn (Hg.), Die Rolle der Kirchen in der DDR- Eine erste Bilanz, München, Olzog, 1993, S. 79. 24 Bund der Evangelischen Kirchen in der DDR, Sonderbauprogramm. Zwischenbericht, im Mai 1976, S. 1. Diese Dokumentation ist im Evangelischen Zentralarchiv Berlin zu konsultieren. Religion als Gegenkultur in der DDR? 465 verlängert: 1976-80, dann bis 1985 und zuletzt bis 1992, so der Bericht 1988 (25). Mit Ausnahme eines einzigen Falls, des Gemeindezentrums von Stralsund Knieper West in der Landeskirche von Greifswald (26) wurden Gemeindezentren für Neubaugebiete erst ab 1976 in Aussicht genommen (27). Das Programm hing von der groβzügigen Spendenbereitschaft der EKD ab, der sich auch Schweden und die schweizerische Eidgenossenschaft punktuell anschlossen (28). Im Grunde aber flossen in erster Linie Gelder vom Bundesministerium für innerdeutsche Beziehungen. Unterhändler auf westlicher Seite war u.a. der Vizepräsident des Diakoni- schen Werkes, Ludwig Geiβel, auf östlicher Seite Manfred Stolpe. Der Kern der ganzen Angelegenheit beruhte für den DDR-Staat auf dem wachsen- den Bedürfnis nach Devisenbeschaffung. Zuständig dafür war die 1966 gegründete Abteilung KoKo (Kommerzielle Kontakte, bzw. kommerzielle Koordinierung) im Ministerium für Auβenhandel (29). Sie war von Alexander Schalck-Golodkowski gelei- tet und ein Teil ihrer Tätigkeit war auf die Arbeit mit den Kirchen ausgerichtet (30). Als das Sonderbauprogramm ausgehandelt wurde, war die DDR an einer Ausweitung der Transferleistungen interessiert, und die Kirche an einem Bauleistungsfonds. Laut Zeugnis von Manfred Stolpe erfolgte der entscheidende Durchbruch im Zusammen- hang mit der Berliner Domfrage. Im Zuge der Fertigstellung des Berliner Stadtzen- trums und des 1972 geplanten Baus des Palastes der Republik war der Staat plötzlich an der schnellen Renovierung des Berliner Doms interessiert, was hingegen die eigentlichen Eigentümer (31) des Doms, die Domgemeinde und die Evangelische Kir- che der Union (EKU) (32), nicht besonders wünschten. Diesen Umstand nutzte offenbar

25 Bund der Evangelischen Kirchen in der DDR, 15 Jahre Sonderbauprogramm, 95 S. (hier S. 3). 26 Jörg Kirchner, „Das Sonderbauprogramm in der DDR und die ‚Kirche im Sozialismus‘. Das Gemeinde- zentrum in Stralsund Knieper West, 1975-77“, in: Kulturerbe in Mecklenburg und Vorpommern, 4 (2008), Schwerin, 2009, S. 23-34. 27 Zu finden sind oft irreführende Aussagen, dass erst nach 1978, nach dem Staat-Kirche-Gespräch vom 6. März das Sonderbauprogramm in Gang gekommen und Neubauten genehmigt worden seien, während bisher nur Wiederaufbau oder Instandsetzung von Kirchen erfolgten: das ist also falsch. 28 Bund der Evangelischen Kirchen in der DDR, Sonderbauprogramm. Zwischenbericht, im Mai 1980, S. 3. 29 Siehe dazu neuerdings Matthias Judt, Der Bereich Kommerzielle Koordinierung. Das DDR-Wirtschafts- imperium des Alexander Schalck-Golodkowski – Mythos und Realität, Berlin, Christoph Links, 2013. 30 Ludwig Geiβel, Unterhändler der Menschlichkeit, Stuttgart, 1991, zitiert von Christian Dürrast, Der Evangelische Kirchenbau in der DDR 1969-1989, Magisterarbeit (Nov. 2009) Fach Neuere und Neueste Geschichte am Institut für Geschichtswissenschaften der philosophischen Fakultät I Humboldt Univer- sität Berlin Betreuer: Prof. Dr. Gerd Dietrich, S. 8. Dank an Chr. Dürrast für die Zur-Verfügung-Stellung seines Typoskripts. 31 Die kirchliche Eigentumsfrage ist in Deutschland und Frankreich auf diametral entgegengesetzte Weise geregelt: im Unterschied zu Frankreich, wo die katholischen Kirchen und Gebäude, die vor 1905 gebaut worden sind, der öffentlichen Hand (also der Stadtgemeinde, dem Departement oder dem Staat) gehö- ren, sind die kirchlichen Gebäude in Deutschland Eigentum der Kirchen. In der SBZ/DDR wurde an diesem Status nicht gerüttelt. Im Zuge der Bodenreform 1945 (und danach) wurden die Kirchen dort nie enteignet. 32 Die Evangelische Kirche der Union (EKU) bekam ihren Namen 1954 aufgrund der Umbenennung der Evangelischen Kirche der altpreuβischen Union, die 1817 auf Initiative vom preuβischen König Friedrich Wilhelm III. aus der Vereinigung der lutherischen und reformierten Gemeinden in Preuβen hervorgegangen war. 466 Revue d’Allemagne

Manfred Stolpe zu einem sogenannten Junktim und machte beide Projekte voneinan- der abhängig (33). Zurück zur Finanzierungsfrage: das Sonderbauprogramm ist als Teil des Kirchenge- schäfts A (sogenanntes Valuta-Programm) zu betrachten. Die BRD organisierte Waren- lieferungen (in jährlicher Höhe von 40 Millionen DM), deren Gegenwert den Kirchen in Mark der DDR zur Verfügung gestellt wurde, während das Kirchengeschäft B den Freikauf von Häftlingen oder die Zusammenführung von Familien betraf. „Die Bau- kosten der Vorhaben wurden in Valuta-Mark abgerechnet. Dabei handelte es sich um die in der DDR übliche statistische Recheneinheit zur Erfassung auβenwirtschaftlicher Aktivitäten. Als solche wurde auch die Finanzierung aus dem Westen Deutschlands deklariert“ (34). Das Bauprogramm war vor diesem Hintergrund in die Planungswirtschaft der DDR (Zuteilung von Baukapazitäten, Bilanzierungen, usw.) eingebunden; es mobi- lisierte staatliche wie kirchliche Bauleitungen, kirchliche wie staatliche Architekten (u.a. aus der Denkmalpflege, zumindest wenn es um die Renovierung von Gebäuden ging, die unter Denkmalschutz standen), staatliche Unternehmen und insbesondere die Auβenhandelsfirma Limex Bau. Die Beschaffung von Materialien, die in der DDR schwer zu finden waren, konnte aber auch darüber hinaus direkt über das Diakonische Werk oder Partnergemeinden laufen (35). Zog aber die SED über die Devisenbeschaffung hinaus weitere Vorteile aus diesem Sonderbauprogramm? Einer SED-Akte aus dem Jahre 1976 ist zu entnehmen, dass die SED sich durch Kirchenneubauten bzw. Gemeindezentren in den Neubaugebieten eine bessere Kontrolle des Gemeindelebens erhoffte. Sie hatte Angst vor den Hauskrei- sen und hielt diese Form des kirchlichen Lebens für „undurchsichtiger und weniger

33 „Die Evangelischen Kirchen in der DDR und der Wiederaufbau des Doms“, Vortrag des Ministerpräsi- denten Manfred Stolpe beim 3. Dom-Kolloquium in Berlin am 4. Februar 2000. http://www.stk.branden- burg.de/reden/2000/0204.html (abgerufen am 5.1.2011). „Der vom Staat gewünschte Dombau musste als Pfand in Kirchenhand genutzt werden: Es galt, das Dom- bauprojekt innerhalb des Sonderbauprogramms so zu verankern, dass es von den übrigen Bauvorhaben unterscheidbar blieb, diese nicht infrage stellte, sondern ein zusätzlicher Impuls für deren Durchsetzung blieb.“ S. 5 Webseite; S. 7 „die ‚Lokomotive‘ Dombau“ ermöglichte dann die Zustimmung zu weiteren Berliner Projekten: dem Dietrich Bonhoeffer Tagungshaus und einem Ergänzungsbau zum Königin- Elisabeth-Hospital. Ersteres ist als Tagungshaus der Herrnhuter Brüdergemeine, der pietistisch geprägten Glaubensbewegung der Brüder-Unität in Berlin-Mitte entstanden und später dafür bekannt geworden, dass es die ersten drei Sitzungen des Zentralen Runden Tisches in Berlin am 7., 18. und 22. Dezember 1989 beherbergte. Inzwischen ist es ein Hotel geworden, das an den Verband christlicher Hoteliers e.V. angeschlossen ist. Letzteres war laut Webseite der aktuellen Einrichtung ein evangelisches „Krankenhaus in Trägerschaft des Diakonischen Werkes mit den Schwerpunkten Innere Medizin und Chirurgie, das im Jahre 1843 gegründet worden war“ (http://www.keh-berlin.de/de/geschichte abgerufen am 8.7.2013). 34 J. Kirchner, „Das Sonderbauprogramm in der DDR“ (Anm. 26), S. 25. Er fährt fort: „Der jeweilige Umrechnungskurs der Valuta-Mark blieb unveröffentlicht, so dass die jeweiligen Kostenangaben nur eingeschränkte Aussagekraft besitzen und eher als Vergleichsgröβen von Interesse sind.“ 35 Verschiedene Akten aus dem Evangelischen Landeskirchlichen Archiv Berlin (ELAB) über die Friedens- gemeinde Eisenhüttenstadt geben einen guten Einblick in diese Problematik und illustrieren sie mit ganz konkreten Beispielen. Siehe Akten unter der Signatur K1257 und I31, Va. Bd. VIII 1982-1984. Religion als Gegenkultur in der DDR? 467

überschaubar als in offiziellen Kirchenräumen“ (36). Die Hauskreise waren nämlich Gesprächskreise (Bibelkreise o.ä.), die sich in regelmäβigen Abständen bei den Teil- nehmern selbst abwechselnd trafen. Eine Unterwanderung der sozusagen dezentralen Hauskreise kam der SED schwieriger vor als bei zentralen Veranstaltungen etwa im Gemeindehaus. In derselben Akte ist übrigens auch zu erfahren, dass die Genehmigung des Gemein- dezentrums für Eisenhüttenstadt 1976 reibungslos erfolgte, wohl weil es keine schwie- rige, widerspenstige Gemeinde war. Darüber hinaus waren Sonderbauprogramm und Kirchenbau überhaupt für die SED ein Mittel, symbolisches Kapital zu schlagen. Ihre pragmatischere Kirchenpolitik und das damit verbundene Sonderbauprogramm sind also auch in den Zusammenhang mit dem Ringen der DDR nach internationaler Anerkennung im Zuge der Entspannungs- politik und der Unterzeichnung der deutsch-deutschen Verträge einzuordnen. Die Ent- wicklung eines eigenen Nationalbewusstseins, des Bewusstseins einer sozialistischen deutschen Nation, ging auch damit einher. In diesem Rahmen wurde die Rezeption vor- handener Kulturdenkmäler – unter anderem aus dem Raum der Kirche – im Zeichen des dialektischen Begriffspaars „Erbe/Tradition“ intensiviert. Es kam der Denkmalpflege zugute, die selbst von längerfristigen Entwicklungen profitierte: das internationale Jahr des Denkmals 1975, in dem das Denkmalschutzgesetz der DDR verabschiedet wurde, wird allenthalben (37) als eine wichtige Zäsur in diesem Bereich betrachtet. Dass die sonst übliche Periodisierung des Staat-Kirche-Verhältnisses in Bezug auf Kirchenbau nicht immer greift, oder dass die sich aus dem Eisenhüttenstädter Fall erge- benden Erkenntnisse nicht auf die ganze DDR übertragbar sind, möchte ich hier noch kurz andeuten. 1957 veröffentlichte der Architekt und Kirchenoberbaurat im Kirchli- chen Bauamt Potsdam, Winfried Wendland, eine kleine reich illustrierte Abhandlung über den „Kirchenbau in dieser Zeit“, aus der hervorgeht, dass eine Vielzahl von Kir- chen in Dörfern, in Städten bis 1954 und 1956 oder sogar 1957 wiederaufgebaut oder neugebaut wurden. Fest steht, dass eine Reihe von Wiederaufbaumaβnahmen noch in die Zeit der den Kirchen eher wohlgesonnenen Sowjetischen Militäradministration fallen (38). Fest steht auch, dass die SED damals im Juni 1946 im Hinblick auf Wahlen auch noch Anweisungen gab zur Unterstützung von „Gesuche(n)“ zur „Renovierung von beschädigten Kirchengebäuden oder zur Anschaffung von Gegenständen, die für den Gottesdienst notwendig sind“ (39).

36 Siehe Dok. 44 „Information der Arbeitsgruppe Kirchenfragen im ZK der SED für Paul Verner und Hans Seigewasser vom 1.6.1976 über Bestrebungen der Kirche zur Abgabe von Kirchengebäuden sowie zur Errichtung kirchlicher Gemeindezentren in Neubaugebieten der DDR“, in: F. Hartweg (Hg.), SED und Kirche (Anm. 22), S. 280-284 (Zitat S. 282). 37 Siehe z.B. Gerhart Pasch, „Erhaltung und Restaurierung von Kirchen in der DDR“, in: Herbergen der Christenheit: Jahrbuch für deutsche Kirchengeschichte, Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 1996, S. 192- 208 (besd. S. 204); Rudolf Mau, Der Protestantismus im Osten Deutschlands 1945-1990, Leipzig, evange- lische Verlagsanstalt, 2005, S. 122. 38 Dürrast erwähnt sogar den Bau von neun Kirchen im Rahmen des „ersten von Otto Barning entworfenen Notkirchenprogramms“. Ch. Dürrast, Der Evangelische Kirchenbau (Anm. 30), S. 15. 39 M. Tillmann, Das Verhältnis von Staat und Kirche (Anm. 9), S. 12, zitiert Gerhard Besier, Der SED-Staat und die Kirche. Der Weg in die Anpassung, München, Bertelsmann, 1993, S. 30. 468 Revue d’Allemagne

Fest steht auβerdem, dass Otto Nuschke bis zu seinem Tod 1957 eine diesbezügliche Vermittlungsrolle spielen konnte. Auf ihn ist der sogenannte Nuschke-Fonds zurück- zuführen, der jährlich 1,2 Millionen Mark Zuschüsse für Baukosten verteilen konnte. Dieser Fonds, der ab 1960 vom Ministerium für Kultur verwaltet wurde, blieb bis zum Ende der DDR erhalten. Die Situationen müssten also im Einzelfall geprüft werden. Die politischen Rahmenbedingungen waren auf dem Land, in der Kleinstadt, in der Groβstadt unterschiedlich. Eine Reihe von Kirchen sind wohl nur aufgrund des freiwil- ligen Einsatzes der Gemeindeglieder und der mehr oder weniger improvisierten Hilfe vom Westen wieder aufgebaut worden (40). Es besteht also die Vermutung, dass die Geschichte des Kirchenbaus nach einem ihr eigenen Rhythmus und unter etwas anderen Vorzeichen verlief als andere Bereiche des kirchlichen Lebens oder des Staat-Kirche-Verhältnisses. Eine Studie vom Staatssekreta- riat für Kirchenfragen 1960 lässt zumindest diese Annahme zu: nach dieser Studie (41) seien von 9824 evangelischen Kirchen, worunter 2678 schwer beschädigt und 200 total zerstört waren, 1400 der beschädigten Kirchen bis zum Jahre 1957 mit staatlicher Hilfe in Stand gesetzt bzw. neuaufgebaut und 52 neu erstellt worden. Die Gegenbeispiele später Sprengung von schon wiederaufgebauten Kirchen, wie zum Beispiel der Universitäts- kirche in Leipzig 1968 (42), der Christuskirche in Rostock 1971 (43) oder gar der Jakobus- Kirche in Dessau 1977 (44) weisen auch ex negativo auf diesen asynchronen Rhythmus hin. Eine Geschichte des Kirchenbaus in der DDR bleibt noch zu schreiben (45)!

Schlusswort Kommen wir auf die Eingangsfrage zurück. Was lehrt uns das Beispiel Eisenhütten- stadt in Bezug auf das mögliche gegenkulturelle Potential der Religion in der DDR? Wir können hier zweierlei festhalten. Der Fall Eisenhüttenstadt hat exemplarisch gezeigt, inwiefern bauliche Probleme in der DDR als politische Instrumente gehandhabt

40 Ch. Dürrast, Der Evangelische Kirchenbau (Anm. 30), S. 23-25. Er erwähnt z.B. die sogenannten Gustav- Adolf-Kirchen, die vom Gustav-Adolf-Werk mitfinanziert wurden. 41 M. Tillmann, Das Verhältnis von Staat und Kirche (Anm. 9), S. 12, zitiert eine Studie vom Staatssekreta- riat für Kirchenfragen 1960, „Staat und Kirche in DDR. Eine Dokumentation“, 36 S. (im Brandenburgi- schen Landeshauptarchiv unter folgender Signatur zu finden: Bez. Ffo. Rep. 601, Sign. 8221). Eine andere Studie wird von Dürrast zitiert, aber ohne Datum (Der Evangelische Kirchenbau [Anm. 30], S. 21). 42 Katrin Löffler, Die Zerstörung: Dokumente und Erinnerungen zum Fall der Universitätskirche Leipzig, Leipzig, Benno-Verl., 1993, 234 S.; Ehrhart Neubert, Geschichte der Opposition in der DDR 1949-1989, Berlin, Links, 1997, S. 177-181: der Plan eines Abrisses reichte bis Ende der 1950er / Anfang der 1960er Jahre zurück. 43 Georg M. Diederich, Aus den Augen, aus dem Sinn. Die Zerstörung der Rostocker Christuskirche 1971, Rostock, Ed. Temmen, 1997, 240 S. 44 Ch. Dürrast, Der Evangelische Kirchenbau (Anm. 30), S. 15. 45 Erste wichtige Ergebnisse auf diesem Weg sind Christian Dürrast (Der Evangelische Kirchenbau, ebd.) und Henriette von Preuschen zu verdanken: Henriette von Preuschen, Der Griff nach den Kirchen: Ideologischer und denkmalpflegerischer Umgang mit kriegszerstörten Kirchenbauten in der DDR, Worms, Wernersche Verlagsgesellschaft, 2011, 258 S. (zugl.: Cottbus, Techn. Univ. Diss., 2010); Henriette von Preuschen, „Zum ideologischen und denkmalpflegerischen Umgang mit kriegszerstörten Kirchen in der DDR: Die Bezirkshauptstadt Magdeburg“, in: Sigrid Hofer (Hg.), Grenzgänge zwischen Ost und West, Dresden, Sandstein Verlag, 2012, S. 108-126. Religion als Gegenkultur in der DDR? 469 wurden (46) und wie brisant die Kirchenbaufrage in der DDR gewesen ist. Über die Neu- bauten hinaus könnte man diese Aussage genauso gut auf die Denkmalpflege (von Kir- chen) beziehen sowie auf andere Bereiche des christlichen kulturellen Erbes. Es lieβen sich hier zahlreiche weitere Beispiele anführen. „Wer baut, ist noch nicht gestorben. […] Gemeinden wissen auch, daβ wertvolle Tra- dition gegenüber den Auβenstehenden eine besondere Anziehung ausübt“ (47). Indem dieses Zitat von Manfred Stolpe die Baufrage mit derjenigen der kulturellen Ausstrahlung verknüpft und damit indirekt die Rolle der Kirche als wichtiger Kul- turträgerin in der DDR betont, faβt es vorzüglich zwei Seiten einer Medaille und ein Kernargument unserer Untersuchung zusammen: Kirche wurde zwar durch Ideologie und Politik des Parteistaates in eine gegenkulturelle Rolle eingezwängt. Die Aura, die ihr aber somit als kulturellem Gegenpol zuwuchs, erfolgte quasi ohne ihr Zutun durch Pflege ihrer Tradition und Kultur. Ausgehend vom hier herangezogenen wörtlichen Sinne des Begriffs Gegenkultur sind im Rückblick das Hin und Her, die Austauschprozesse oder Umkehrbewegungen zwi- schen offizieller Leitkultur und Randkultur im Osten Deutschlands besonders auffällig: während die christliche Religion und Kultur als frühere Leitkultur in der DDR bald zum Feind erklärt und an den Rand gedrängt wurde, kehrten sich die politisch-gesellschaftli- chen Symbole nach der politischen Wende 1989 um: so wurde unter völlig veränderten Vorzeichen der ehemalige und langjährige Pfarrer der evangelischen Gemeinde Eisen- hüttenstadt in den Kreis der ersten Honoratioren der Stadt erhoben. Er wurde zum ersten Ehrenbürger der Stadt, dem der erste Eintrag ins Goldene Buch der Stadt galt. 2006 wurde schon zu Lebzeiten eine Straβe nach ihm genannt.

Zusammenfassung Der Beitrag untersucht anhand des Fallbeispiels von einem evangelischen Kirchenbau in Eisenhüttenstadt, inwiefern der gegenkulturelle Ansatz in Bezug auf Religion und Kirchen in der DDR relevant ist. In dieser sozialistischen Vorzeigestadt des DDR-Regimes war der Bann über die Kirchen besonders ausgeprägt und das kirchliche Leben unerwünscht. Dass Religion und Kirchen vom DDR-Regime als Gegenkultur im wörtlichen Sinne betrach- tet wurden, lässt sich dort an der wechselvollen Entstehungsgeschichte eines „Massivkir- chenbaus“ erkennen, der das 30jährige Provisorium (Zelt, Wohnwagen, Kirchbaracke aus Holz) ersetzen sollte. Dass das neue Gemeindezentrum 1981 schlieβlich eingeweiht wer- den konnte, lag an der Auflockerung der Beziehungen zwischen Staat und Kirche seit den 1970er Jahren und konkret am Kirchensonderbauprogramm, das zwischen Ost und West ausgehandelt wurde. Die Stunde der Pragmatiker hatte nun geschlagen. Diese Entwick- lung zeigt aber auch, dass die besondere Ausstrahlung der Kirche als Kulturträgerin in der DDR intakt geblieben war.

46 Siehe auch allgemein G. Pasch, „Erhaltung und Restaurierung von Kirchen“ (Anm. 37), S. 193. 47 Zwischenbericht 1976 (Anm. 24), S. 2. 470 Revue d’Allemagne

Résumé Partant de l’histoire mouvementée du projet de construction d’un temple protestant à Eisenhüttenstadt, l’article étudie la pertinence du concept de contre-culture rapporté au rôle de la religion et des Églises en RDA. Dans cette ville sidérurgique, vitrine idéologi- que du régime communiste, la volonté d’ostraciser les Églises s’est fait clairement sentir. En témoignent les vicissitudes qu’a connues le projet de temple « en dur » destiné à remplacer les solutions provisoires ayant eu cours pendant 30 ans (tente, caravane, « temple-bara- que » en bois). La construction d’un centre paroissial, inauguré en 1981, est finalement due à l’assouplissement des relations Église/État depuis les années 1970 et à la négociation entre l’Est et l’Ouest d’un programme spécial de construction d’églises. L’heure des pragmatistes avait sonné. Mais cette évolution montre aussi combien le rayonnement des Églises en tant que vecteur de culture était intact en RDA. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 471 T. 45, 2-2013

La loi de neutralité berlinoise du 27 janvier 2005 : une mise à l’épreuve du modèle national de régulation du religieux ?

Sylvie Toscer-Angot*

La loi dite de neutralité, votée par le parlement du Land de Berlin le 27 janvier 2005, s’inscrit dans le prolongement du jugement de la Cour constitutionnelle du 24 septem- bre 2003 (1) sur le port du foulard islamique par une enseignante musulmane à l’école. Ce texte de loi, supposé apporter une réponse pertinente à cette question, retient toute notre attention, dans la mesure où il prohibe tous les signes religieux sans exception, non seulement au sein de l’institution scolaire, mais également pour l’ensemble des agents de la fonction publique (enseignement, justice, police) (2). La législation berli- noise semble ainsi aller à l’encontre de la conception allemande traditionnelle selon laquelle les convictions religieuses ont toute leur place dans l’espace public. On ne peut qu’être frappé par l’écart entre la loi berlinoise et les normes habituelles en vigueur outre-Rhin. On serait tenté d’y voir la consécration juridique de la laïcité comme prin- cipe d’organisation des relations Églises-État. Or, ce principe tient largement lieu de repoussoir en Allemagne (3). Comment est-il alors possible d’interdire tous les signes

* Maître de conférences, Université Paris-Est Créteil (UPEC), membre du Groupe Sociétés Religions Laïcités (UMR 8582 EPHE-CNRS). 1 http://www.bverfg.de/entscheidungen/rs20030924_2bvr143602.html 2 Voir http://www.parlament-berlin.de/ados/JugFamSchulSport/vorgang/jfs15-0513-v.pdf. La loi ber- linoise précise bien que les interdictions valent non seulement pour le personnel enseignant et non enseignant dans les écoles publiques, mais également pour les agents travaillant au sein de la police et de la justice. 3 On peut citer les propos de l’ancien président de la RFA, Johannes Rau, qui, dans un discours sur la liberté religieuse prononcé le 22 janvier 2004, s’était nettement démarqué du modèle français : « L’État et les Égli- ses sont clairement séparés en Allemagne, mais ils coopèrent dans de nombreux domaines dans l’intérêt de toute la société. J’estime que c’est la bonne voie et je ne vois aucune raison de nous rallier au laïcisme de nos voisins et amis français […]. Notre société n’est pas un espace où la religion n’aurait pas droit de cité et la religion n’est pas simplement une affaire privée. Le caractère public de la religion est reconnu chez nous 472 Revue d’Allemagne religieux pour les agents de la fonction publique et de refuser en même temps le prin- cipe de laïcité ? Comment comprendre une telle législation dans un pays où l’espace public se veut ouvert à la religion ? Faut-il l’interpréter comme une remise en question du modèle national de régulation du religieux ? Notre propos vise à déterminer le rôle des différents acteurs dans la production du texte de loi berlinois, et notamment l’articulation entre acteurs judiciaires, politiques et religieux. Quels sont les acteurs qui se sont mobilisés pour ou contre le port du fou- lard au sein de l’institution scolaire ? Quel a été le rôle et l’argumentaire des différentes formations politiques représentées au parlement berlinois (4) ?

La genèse de l’affaire et l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 septembre 2003 Précisons d’emblée que, contrairement à ce qui se passe en France, les jeunes musul- manes en Allemagne ont toute liberté de porter un foulard à l’école. Cette possibilité donnée au sein même de l’institution scolaire fait l’objet d’un large consensus et n’est remise en question par aucun des acteurs politiques ou religieux, ni par les parents d’élèves, qui considèrent que la pratique religieuse des élèves ne peut être laissée en dehors de l’école, dans la mesure où elle participe à la construction du sens et des valeurs qui structurent l’individu (5). La diversité des expressions religieuses de la part des élèves à l’école est donc pleinement reconnue. Cette conception qui lie l’éducation scolaire et la formation religieuse est tout à fait caractéristique de la place reconnue aux Églises chrétiennes dans l’espace public en Allemagne. Si la position allemande est caractérisée par une grande tolérance vis-à-vis des élè- ves, la question du port du foulard par les enseignantes musulmanes dans le cadre des établissements scolaires est en revanche devenue problématique, dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, avec l’affaire Fereshta Ludin dans le Bade-Wur- temberg, du nom d’une enseignante allemande musulmane, d’origine afghane. Après avoir réussi ses examens pour devenir professeur d’allemand, d’anglais et d’éducation civique à l’école primaire et dans l’enseignement secondaire de cycle court (Haupts- chulen), elle obtient durant sa période probatoire de stage pratique un poste dans une école du Bade-Wurtemberg. Se présentant avec un foulard en classe, Fereshta Ludin refuse d’enlever celui-ci à la demande des autorités scolaires. Elle revendique en effet, au nom de la liberté religieuse, le droit de porter un foulard comme l’expression de ses convictions religieuses et de son identité islamique.

[…]. Je crains en effet qu’une interdiction du port du foulard soit le premier pas sur la voie d’un État laïque, qui exclut les signes et les symboles religieux de la vie publique », in : http://www.bundespraesident.de/ SharedDocs/Reden/DE/Johannes-Rau/Reden/2004/01/20040122_Rede.html. La plupart du temps, la laïcité française est comprise en Allemagne comme un système hostile aux religions, comme une priva- tisation de la religion et comme une menace pour la liberté religieuse et la liberté d’expression. 4 De 2001 à 2011, c’est une coalition rouge-rouge, formée par les sociaux-démocrates (SPD) et les néo- communistes du PDS (lui-même héritier du SED, le parti socialiste unifié de RDA), qui était à la tête du Sénat (gouvernement) berlinois. Depuis 2011, c’est une grande coalition de sociaux-démocrates (SPD) et de chrétiens-démocrates (CDU) qui dirige le gouvernement du Land de Berlin. 5 Cela renvoie initialement à l’expression publique des religions en Allemagne et à la mission éducative impartie aux Églises chrétiennes dans la formation des élèves au sein même de l’école publique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. On pense bien sûr ici au cours de religion dans les écoles publiques. La loi de neutralité berlinoise du 27 janvier 2005 473

À l’issue de sa période probatoire de stage en juillet 1998, Fereshta Ludin se voit finalement dans l’impossibilité d’intégrer la fonction publique. Les autorités scolaires du Bade-Wurtemberg invoquent en effet son « manque d’aptitude à enseigner » (6), dans la mesure où le port du foulard est « une atteinte au principe de neutralité auquel est tenu tout représentant de l’État ». Il est de plus interprété comme un signe de « différen- ciation culturelle » (7) (kulturelle Abgrenzung) et comme un symbole politique suscep- tible d’influencer les élèves. La ministre de l’Éducation du Bade-Wurtemberg, Annette Schavan (CDU), reprend des arguments similaires. Elle fait valoir que le foulard est en contradiction avec le principe de neutralité de l’État – que tout fonctionnaire est censé incarner – et qu’il constitue une atteinte au principe de « liberté négative » (8) selon lequel les élèves doivent être protégés de toute influence religieuse. Elle rappelle également que le port du foulard n’est nullement une obligation pour les femmes musulmanes. C’est au nom de la liberté religieuse que l’enseignante, qui s’estime lésée dans ses droits fondamentaux, porte alors plainte auprès du tribunal administratif de Stuttgart, en s’ap- puyant notamment sur les articles 1, 2, 3, 4 (§ 1 et § 2) de la Loi fondamentale relatifs aux libertés et droits fondamentaux, ainsi que sur l’article 33 relatif à la non-discrimination dans la fonction publique pour des motifs religieux (9). Elle décide ainsi de mobiliser les ressources juridiques à sa disposition pour obtenir, au même titre que les croyants d’autres religions (10), la reconnaissance de son droit à exprimer son identité religieuse. Sa demande est rejetée en octobre 2000 au motif que le port du foulard islamique est une violation du principe de « neutralité religieuse ou idéologique » qu’un agent de l’État est censé respecter et représenter. Dans le même temps, les juges insistent sur le respect des valeurs chrétiennes inscrites dans la constitution du Bade-Wurtem- berg. On voit ainsi s’exprimer la tension entre les principes de liberté religieuse, de neutralité confessionnelle et l’héritage confessionnel dont est porteur le Bade-Wur- temberg. La Cour administrative d’appel (baden-württembergischer Verwaltungsge- richtshof) rejette également la plainte de l’enseignante en 2001 (11) et pour finir, la Cour

6 Réponse des autorités scolaires de Stuttgart (10 juillet 1998) : « Il lui manque l’aptitude à enseigner nécessaire à la fonction en raison de son intention déclarée de porter un foulard à l’école et en classe » (trad. de l’auteur). 7 Communiqué de presse d’Annette Schavan, 13 juillet 1998. 8 Le droit allemand distingue deux dimensions de la liberté religieuse : la liberté positive de pratiquer sa religion, mais également la liberté négative de n’être contraint à aucune forme de pratique ou de n’être limité dans aucune de ses libertés par la pratique religieuse d’autrui. 9 Art. 33 § 3 de la Loi fondamentale allemande : « La jouissance des droits civils et civiques, l’admission aux fonctions publiques ainsi que les droits acquis dans la fonction publique sont indépendants de la croyance religieuse. Personne ne doit subir de préjudice en raison de son adhésion ou de sa non-adhé- sion à une croyance religieuse et philosophique. » 10 Voir Matthias Koenig, « Gerichte als Arenen religiöser Anerkennungskämpfe », in : Astrid Reuter, Hans G. Kippenberg (Hg.), Religionskonflikte im Verfassungsstaat, Göttingen, 2010, p. 158 : « indivi- duelle Gleichstellungsforderungen liegen den Kopftuchkontroversen zugrunde ». 11 Jugement de la Cour administrative d’appel (baden-württembergischer VGH Mannheim 26.06.2001) : « Die dem Staat vom Grundgesetz auferlegte Pflicht zu weltanschaulich-religiöser Neutralität sei keine distanzierende, abweisende im Sinne der laizistischen Nichtidentifikation mit Religionen und Welt- anschauungen, sondern eine respektierende, “vorsorgende” Neutralität, die den Staat verpflichte, dem Einzelnen wie auch den Religions- und Weltanschauungsgemeinschaften einen Betätigungsraum zu sichern. » 474 Revue d’Allemagne administrative fédérale de Leipzig confirme à son tour, le 4 juillet 2002, l’interdiction du port du foulard par l’enseignante en vertu du principe de neutralité de la fonction publique (12). Après le rejet de sa plainte par les différentes juridictions administratives du Bade-Wurtemberg, Fereshta Ludin se tourne alors vers la Cour constitutionnelle, la juridiction suprême allemande, qui rend son jugement le 24 septembre 2003. D’après l’arrêt des juges de Karlsruhe, le port du foulard tombe sous la protection de la liberté religieuse individuelle inscrite dans la Loi fondamentale. Ils reconnaissent le droit de l’enseignante musulmane à porter un foulard au sein de l’institution scolaire, dans la mesure où la législation du Land concerné ne l’interdit pas expressément (13). Ils réfutent ainsi l’argument du « manque d’aptitude à enseigner » de Fereshta Ludin en raison du port de son foulard, faisant valoir qu’il est impossible de refuser à quicon- que l’accès à un emploi dans la fonction publique du fait de son appartenance confes- sionnelle : « L’accès à des emplois publics doit s’effectuer indépendamment de toute croyance religieuse » (14). On peut y voir une tendance de la Cour constitutionnelle à faire évoluer les dispositifs institutionnels en vue de mieux prendre en compte les droits de l’individu. Tout en défendant la liberté de manifester publiquement son apparte- nance religieuse, les juges constitutionnels laissent la porte ouverte à une prohibition du port du foulard par les législateurs des Länder, compétents en matière religieuse et scolaire, et renvoient en fait la question au champ politique. Ils insistent également sur la nécessité de concilier la liberté religieuse avec les principes de neutralité de l’État et d’égalité de traitement entre les différentes religions et convictions (15). La décision de la Cour constitutionnelle annule ainsi le jugement de la Cour administrative fédérale du 4 juillet 2002 (16). La réunion des ministres de l’Éducation des différents Länder (KMK) qui se tient le 7 octobre 2003 ne permet pas de parvenir à une position commune. Alors que certains veulent légiférer contre le port du foulard, d’aucuns se prononcent contre l’interdic- tion générale des signes religieux dans la fonction publique, tandis que d’autres encore ne veulent pas légiférer du tout. Loin de pacifier ou de clore le débat, le jugement de la Cour de Karlsruhe va connaître des prolongements législatifs divers et variés dans les différents Länder, parfois même totalement opposés, conduisant à une polarisation des débats. La question du foulard se trouve dès lors renvoyée vers les acteurs politi- ques et les débats sur le foulard vont se déployer dans les parlements des Länder. Le dessaisissement des juges au profit des instances législatives des Länder conduit, entre 2004 et 2006, huit d’entre eux (le Bade-Wurtemberg, la Sarre, la Basse-Saxe, la Hesse, la Bavière, la Rhénanie du Nord-Westphalie, Berlin et Brême) à promulguer des

12 BVerwG 4.07.2002, BVerwGE 116, 359. 13 Voir http://www.bundesverfassungsgericht.de/entscheidungen/rs20030924_2bvr143602.html : « Ein Verbot für Lehrkräfte, in Schule und Unterricht ein Kopftuch zu tragen, findet im geltenden Recht des Landes Baden-Württemberg keine hinreichend bestimmte gesetzliche Grundlage. » 14 Ibid. : « Die Zulassung zu öffentlichen Ämtern habe unabhängig von einem religiösen Bekenntnis zu erfolgen (Art. 33 Abs. 3 Satz 1 GG), ohne dass dem Bewerber insoweit Nachteile erwachsen dürften (Art. 33 Abs. 3 Satz 2 GG). Das Tragen eines Kopftuchs sei danach kein Eignungsmangel. » 15 Ibid. : « Der Staat hat auf eine am Gleichheitssatz orientierte Behandlung der verschiedenen Religions- und Weltanschauungsgemeinschaften zu achten. » 16 Voir supra p. 473. La loi de neutralité berlinoise du 27 janvier 2005 475 lois spécifiques relatives à l’interdiction de signes religieux ou idéologiques pour les représentants de l’État dans les écoles publiques ou dans la fonction publique, avec des inflexions parfois très différentes.

La loi de neutralité berlinoise de janvier 2005 Neutralité de l’État et égalité de traitement entre les religions La loi adoptée par les parlementaires berlinois le 27 janvier 2005 – modifiant l’arti- cle 29 de la Constitution du Land de Berlin – dans le prolongement du jugement de la Cour constitutionnelle de septembre 2003 limite clairement la liberté d’expression reli- gieuse au sein de la fonction publique. Elle interdit en effet le port de symboles religieux ou idéologiques visibles (à l’exception des petits bijoux très discrets) ou de vêtements témoignant d’une appartenance ostensible à une communauté religieuse ou idéologi- que (17). Sont concernés par cette interdiction au sein de l’institution scolaire les ensei- gnants et les salariés ayant une mission pédagogique dans les écoles publiques, excepté les professeurs de religion ou d’éthique (Weltanschauungsunterricht). Il est à noter que la législation berlinoise va très loin, dans la mesure où la prohibition du port de signes religieux n’est pas limitée à l’institution scolaire, mais étendue aux agents de la fonction publique travaillant dans le domaine de la justice ou de la police, contrairement à l’en- semble des textes de loi votés dans les autres Länder (18). La loi de neutralité berlinoise présente par ailleurs la singularité d’avoir privilégié le principe de l’égalité de traitement entre les religions, ne faisant ainsi aucune distinc- tion entre foulard, crucifix ou autres symboles. À l’inverse des législations prohibiti- ves adoptées dans les autres Länder, la neutralité, telle qu’elle est comprise dans la loi berlinoise, ne fait aucune exception pour les signes chrétiens ou juifs et supprime les privilèges impartis aux Églises chrétiennes au profit d’une égalité de traitement entre les religions. Ce principe ainsi que celui de neutralité sont considérés comme indisso- ciables, en ce sens que l’État ne doit favoriser aucune confession, mais se tenir à égale distance vis-à-vis de chacune d’entre elles et simplement donner le cadre à l’intérieur duquel les confessions peuvent s’organiser. Paradoxalement, la loi berlinoise semble obéir à une logique de privatisation du religieux, alors même que cette privatisation, identifiée à la laïcité, est vue comme un repoussoir. On peut ainsi se demander quels sont les acteurs politiques qui ont joué un rôle déterminant dans ces orientations. La singularité du contexte berlinois Pour tenter de comprendre les spécificités de la loi berlinoise, sans doute convient-il de rappeler tout d’abord quelques éléments propres à la situation socio-religieuse de Berlin. La société berlinoise, qui connaît depuis quelques décennies un phénomène de sécu- larisation et de pluralisation sans précédent, se distingue clairement des autres Länder. En 2011, on y dénombrait 9 % de catholiques, 19 % de protestants, 8 % de musulmans

17 Voir la loi berlinoise du 27 janvier 2005 : http://www.berlin.de/imperia/md/content/lb-integration- migration/neutral_gesetz.pdf?start&ts=1141920687&file=neutral_gesetz.pdf 18 Seule la loi de prohibition votée en Hesse étend également l’interdiction de porter des signes ou vête- ments religieux à l’ensemble de la fonction publique. 476 Revue d’Allemagne et 63 % de sans confession ou autres confessions (19). L’augmentation spectaculaire du nombre des sans confession au cours des dernières décennies, et notamment depuis la réunification, a mis en évidence le découplage de plus en plus frappant entre la société berlinoise et le christianisme. Il n’est donc pas étonnant que la loi berlinoise ait privi- légié l’égalité de traitement des religions au détriment des privilèges dont bénéficiaient les Églises chrétiennes, comme le montrent bien les argumentaires des partis de la coalition de gouvernement berlinoise lors de l’élaboration de la loi (20). Les interdictions contenues dans la loi de janvier 2005 semblent toutefois diffici- lement compréhensibles, si on ne les met en perspective avec la reconnaissance de la Fédération islamique berlinoise (IFB) (21) au tournant du xxie siècle, et notamment avec la question particulièrement sensible de l’enseignement islamique à Berlin. Il est à noter que contrairement à ce qui se passe dans l’ensemble des Länder, le cours de religion est un enseignement facultatif à Berlin, dont la responsabilité relève du seul contrôle des autorités religieuses accréditées (22). La loi scolaire berlinoise prévoit en effet à titre dérogatoire – en vertu de la clause dite de Brême (23) – que l’enseignement religieux n’est pas soumis à l’article 7-3 de la Loi fondamentale, selon lequel la religion est une matière d’enseignement obligatoire à l’école, placée sous le contrôle de l’admi- nistration scolaire. Il importe de rappeler que le refus des autorités scolaires berlinoises, au début des années 1980, d’autoriser l’IFB à dispenser des cours de religion islamique à l’école et leur choix de s’en remettre aux instances consulaires de Turquie pour l’organisation d’un tel enseignement à l’école avaient déclenché un très long conflit. En 1998, la Cour admi- nistrative d’appel (Oberverwaltungsgericht) de Berlin (24) a finalement accordé à l’IFB, au terme d’une bataille judiciaire qui a duré près de vingt ans (25), le droit de dispenser un enseignement religieux à l’école, faisant valoir dans son jugement que le plaignant (IFB) remplit tous les critères d’une « communauté religieuse ». Dès lors, l’IFB a pu prendre en charge l’enseignement religieux islamique dans plusieurs écoles publiques berlinoises. Ce jugement suscita un tollé de protestations de la part des organisations musulmanes non représentées au sein de cette fédération (26), parce qu’elles contestaient la représentativité de l’IFB. Il provoqua aussi de vives inquiétudes de la part des services

19 http://de.statista.com/statistik/daten/studie/201622/umfrage/religionszugehoerigkeit-der- deutschen-nach-bundeslaendern/ 20 Voir infra p. 478. 21 La Fédération islamique de Berlin regroupe plusieurs organisations islamiques. Sur la question, voir Nikola Tietze, « Institutionnalisation de l’islam et intégration nationale en Allemagne », in : A. Capelle-Pogacean, P. Michel, E. Pace (dir.), Religion(s) et identités en Europe, Paris, Presses de Sciences po, 2008. 22 Voir l’article 13 de la Loi scolaire berlinoise. 23 La clause dite de Brême est inscrite à l’article 141 de la Loi fondamentale. 24 Le jugement de la Cour administrative d’appel de Berlin a été confirmé par la Cour administrative fédérale en février 2000. 25 Voir Claire de Galembert, « Musulmans de Berlin, musulmans d’Allemagne : au seuil du droit de cité », in : A. Gotman (dir.), Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs « étrangers », Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004. 26 Des associations sunnites berlinoises ou encore une association alévie (Kulturzentrum Anatolischer Aleviten) ont tout particulièrement protesté contre cette décision. La loi de neutralité berlinoise du 27 janvier 2005 477 de renseignements allemands et du Sénat berlinois (27) au vu des liens attestés entre l’IFB et Milli Görus (28), un groupe turc qualifié d’organisation nationaliste radicale par le Bureau fédéral pour la protection de la Constitution. En 2001, une nouvelle décision de justice a confirmé le droit de la Fédération islamique de Berlin (IFB) à dispenser des cours de religion islamique, placés sous sa seule responsabilité et financés par des fonds publics, consacrant ainsi la tentative victorieuse d’une association islamique d’assurer l’enseignement religieux. Les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates berlinois, qui formaient à l’épo- que un gouvernement de coalition, exprimèrent alors leur intention de contourner cette décision en mettant un terme à l’exception berlinoise en matière d’enseignement reli- gieux. Leur objectif était de remplacer le cours de religion facultatif inscrit dans la loi scolaire par un enseignement obligatoire placé sous le contrôle des autorités scolaires, afin de ne pas en laisser la responsabilité aux communautés religieuses, mais ils ont ûd finalement s’incliner devant la décision des juges. L’IFB dispense ainsi depuis la rentrée scolaire 2001, dans une trentaine d’écoles berlinoises, des cours de religion placés sous son seul contrôle, dérogeant au principe inscrit dans la Loi fondamentale selon lequel l’enseignement religieux est placé sous le contrôle de l’État. Cet enseignement islamique est toujours contesté par certaines formations politiques berlinoises qui craignent des influences politiques radicales, peu conformes à la Loi fondamentale allemande. C’est donc dans ce contexte de défiance des autorités politiques vis-à-vis de la Fédé- ration islamique berlinoise (IFB), interlocuteur musulman officiel des pouvoirs publics berlinois, que se sont inscrits les débats parlementaires berlinois sur le port des signes religieux. Les registres d’argumentation des acteurs politiques La législation adoptée en janvier 2005 n’a pas fait l’objet d’un consensus de tous les partis politiques représentés au parlement régional de Berlin. Au cours des débats parlementaires, une ligne de partage oppose d’un côté, ceux qui souhaitent prohiber le port de tous les signes religieux sans exception, c’est-à-dire les sociaux-démocra- tes (SPD) et les néo-communistes (PDS), et de l’autre, les tenants d’une interdiction exclusive du foulard islamique, à savoir les chrétiens-démocrates et les libéraux, sou- tenus par les responsables des Églises catholique et protestante. Les Verts, quant à eux, généralement profondément hostiles à toute interdiction du foulard au nom de l’in- tégration des femmes musulmanes, manifestent en l’occurrence principalement leur opposition à un texte de loi qu’ils estiment trop flou. Le fait qu’un gouvernement de coalition rouge-rouge (SPD-PDS) était au pouvoir au moment de l’élaboration de la loi n’est bien sûr pas étranger à l’accent mis sur le trai- tement égalitaire des religions (29), un principe largement ignoré dans l’ensemble des

27 À l’époque, le Sénat berlinois était formé d’une coalition de chrétiens-démocrates et de sociaux- démocrates. 28 Milli Görus fait l’objet d’une attention particulière des services de renseignements allemands du fait de ses propos antisémites et de ses orientations nationalistes radicales. 29 Ce principe a également été mis en avant par les juges de Karlsruhe dans l’arrêt du 24 septembre 2003. Le juriste catholique Böckenförde a également défendu le point de vue selon lequel une interdiction générale des signes ou symboles religieux devait s’appliquer à toutes les religions, plaidant pour une « neutralité ouverte et bienveillante de l’État ». 478 Revue d’Allemagne autres Länder qui ont légiféré (30). L’argumentation principale des sociaux-démocrates et de la gauche radicale (PDS), visant à justifier l’interdiction du port de signes reli- gieux ou idéologiques par les agents de la fonction publique, repose sur les paradigmes de neutralité et d’égalité de traitement des différentes religions. Ils s’efforcent de placer le débat sur le terrain de la conformité aux droits fondamentaux, en faisant explicite- ment référence à la recommandation des juges de Karlsruhe et à la nécessité de « se conformer aux directives anti-discriminatoires de l’Union européenne » (31). Pour le SPD et le PDS, la régulation de l’expression religieuse dans la fonction publique va de pair avec la lutte contre toute forme de discrimination. Il importe de souligner l’influence des députés néo-communistes sur la loi de neu- tralité berlinoise, notamment à travers leur volonté d’exclure les signes religieux de l’espace public institutionnel. Pour ces derniers, le port du foulard est, d’une part, une atteinte à la neutralité de l’État. La prise en compte de la diversité passe à leurs yeux par la neutralisation de la visibilité religieuse. Refusant toute hiérarchie entre les confessions, les parlementaires du SPD et du PDS ont fait pression, au nom de l’égalité de traitement entre les religions, pour qu’il n’y ait pas d’exception pour les signes chrétiens et juifs. Ils rejettent en effet toute interdiction qui se limiterait au port du foulard, afin d’éviter toute stigmatisation ou discrimination des usulmans.m D’autre part, un des arguments politiques que défendent les députés SPD et PDS est celui de l’intégration : le port du foulard est perçu comme un obstacle à l’intégration des musulmanes, d’où son interdiction afin d’éviter le risque de sociétés parallèles (32). Les députés sociaux-démocrates considèrent, quant à eux, l’interdiction du foulard comme un rempart contre des influences islamiques radicales (33). Ce qui est nouveau, c’est que la conception de la neutralité, telle que l’entendent les députés du SPD et du PDS, est une neutralité stricte de l’État, qui ne s’identifie à aucune confession, n’en privilégie aucune et qui a pour corollaire une approche res- trictive de la liberté religieuse. Elle se traduit par une normativité d’interdiction, à savoir par l’absence de tout signe religieux pour les agents de la fonction publique, remettant ainsi en cause le statut privilégié réservé aux Églises chrétiennes dans l’es- pace public. C’est au nom de la défense de la liberté religieuse « négative » (34) qu’ils plaident pour l’interdiction généralisée du port des signes religieux. Cette conception nouvelle de la neutralité de l’État, qui n’est pas sans présenter quelques affinités avec la laïcité de l’État en France, va à l’encontre de celle, longtemps communément admise en Allemagne, et défendue encore aujourd’hui par les Églises chrétiennes et un certain nombre de formations politiques (35), qui inclut les références chrétiennes.

30 Les autres Länder qui ont légiféré étaient gouvernés à l’époque par des gouvernements CDU ou à majorité CDU. 31 Cf. propos de Marion Seelig, députée PDS, lors du débat parlementaire du 20 janvier 2005 : http:// www.parlament-berlin.de/pari/web/wdefault.nsf/vFiles/D12-00056/$File/p15-062-wp.pdf 32 Voir M. Koenig, « Gerichte als Arenen religiöser Anerkennungskämpfe » (note 10), p. 156. 33 Propos du député SPD Felgentreu : « Die Stadt Berlin, in der so viele Muslime leben, muss insbesondere diejenigen vor autoritärer Einflussnahme schützen, die im Fokus islamitischer Bestrebungen stehen », http://www.parlament-berlin.de/pari/web/wdefault.nsf/vFiles/D12-00056/$File/p15-062-wp.pdf, p. 5196. 34 Voir supra note 8. 35 C’est le cas des chrétiens-démocrates, mais aussi des libéraux et parfois des sociaux-démocrates dans d’autres Länder. La loi de neutralité berlinoise du 27 janvier 2005 479

Le SPD berlinois, revendiquant son rattachement à la tradition de tolérance des Lumières (36), rejette ainsi toutes les propositions visant à s’aligner sur la loi votée dans le Bade-Wurtemberg, qui interdit le port des signes religieux à l’exception des signes chrétiens et juifs. À l’inverse du SPD et du PDS, les chrétiens-démocrates (CDU) se déclarent profondé- ment hostiles au principe d’égalité entre les religions et à l’idée que le port d’une croix ou d’une kippa puisse être interdit à des agents de la fonction publique et sont favora- bles à une interdiction exclusive du foulard. S’inscrivant dans une logique culturaliste, ils estiment que l’État ne peut faire abstraction de ses racines culturelles chrétiennes, comme en témoignent les propos du député chrétien-démocrate berlinois Henkel : « Dans une Allemagne marquée par le christianisme, il ne saurait y avoir d’obligation découlant de la Constitution à traiter de manière égale toutes les religions. De notre point de vue, il est licite de privilégier les valeurs culturelles chrétiennes » (37). Ce dernier s’appuie sur le jugement de la Cour constitutionnelle qui évoquait la pos- sibilité pour les parlementaires de prendre en compte « les traditions scolaires, la com- position confessionnelle de la population et son enracinement religieux plus ou moins fort » (38). La culture et la tradition sont ainsi des variables mobilisées par les chrétiens- démocrates pour justifier la différence de traitement entre signes chrétiens ou juifs et signes musulmans. Pour eux, le port de « signes chrétiens ou occidentaux (39) » est conforme à la mission éducative de l’école. Le point central de l’argumentation déve- loppée par les chrétiens-démocrates repose sur la distinction entre symbole religieux et symbole politique. De manière générale, ils refusent de voir dans le foulard un simple symbole religieux, sous peine d’être accusés de porter atteinte au principe de liberté religieuse inscrit dans la Loi fondamentale, et l’interprètent essentiellement comme un signe politique, faisant porter leurs critiques sur le statut de la femme dans l’islam : le foulard est ainsi vu comme un « signe de l’oppression de la femme », « un signe d’inéga- lité entre hommes et femmes », incompatible avec les valeurs de la Loi fondamentale. Ils le rejettent également, au nom de la tradition chrétienne, comme un signe de différenciation culturelle et comme l’expression visible et illégitime d’une affiliation à l’islam (40). Ils revendiquent clairement la distinction entre symboles chrétiens ou juifs, reconnus comme légitimes, et symboles islamiques compris comme des symbo- les politico-religieux illégitimes. Si les chrétiens-démocrates refusent de reconnaître ou de promouvoir des identités religieuses autres que chrétienne ou juive, la diffé- renciation entre signe religieux et signe politique ou culturel est centrale dans leur

36 Propos du député Felgentreu (SPD) : « Wir knüpfen an die Tradition von Aufklärung und Toleranz an. Wo jeder nach seiner Façon selig werden darf, hat der Staat sich in Zurückhaltung zu üben », http:// www.parlament-berlin.de/pari/web/wdefault.nsf/vFiles/D12-00056/$File/p15-062-wp.pdf, p. 5197. 37 Voir les propos du député Henkel (CDU) : http://www.parlament-berlin.de/pari/web/wdefault.nsf/ vFiles/D12-00056/$File/p15-062-wp.pdf, p. 5198. 38 http://www.bverfg.de/entscheidungen/rs20030924_2bvr143602.html 39 Il est à noter que l’expression « signes occidentaux » est souvent utilisée par les chrétiens-démocrates pour désigner les signes juifs. 40 Propos du député Henkel (CDU), p. 5198, ibid. : « Die CDU ist der Auffassung, dass das Tragen eines Kopftuchs nicht mit dem Tragen eines Kreuzes am Revers oder eines Davidsterns an einer Kette glei- chgesetzt werden darf. » 480 Revue d’Allemagne argumentation, afin de ne pas être soupçonnés de favoriser un traitement discrimi- natoire des musulmanes. Les arguments mis en avant par la CDU sont rejetés par le SPD et le PDS qui récla- ment une prise en compte de la réalité sociologique berlinoise (41). Aux yeux des chrétiens-démocrates et des Églises chrétiennes, qui refusent de voir que l’équilibre des forces religieuses au sein de la société berlinoise ne correspond guère à la situation dans la plupart des anciens Länder, le projet de loi signifie une limitation inquiétante de la place du christianisme dans l’espace public. Ils craignent ainsi que, sous prétexte de garantir une égalité de traitement entre différentes reli- gions, il ne mette en péril l’expression d’un consensus social autour du rôle fondateur des valeurs chrétiennes. Ils reprochent à la coalition gouvernementale berlinoise son anticléricalisme et revendiquent une compréhension de l’État marquée par la référence chrétienne, afin d’éviter toute discussion sur la remise en question des droits et pré- rogatives des Églises chrétiennes. La question du port du foulard s’articule ainsi avec la conception du rôle des Églises dans l’espace public allemand. La neutralité revendi- quée par les députés CDU, qui inclut les signes chrétiens, et leurs tentatives d’assigner au foulard un sens politique ou culturel ne sont-elles pas un alibi pour refuser à l’islam toute visibilité dans la sphère publique ? Si les libéraux (FDP) défendent généralement des positions qui varient en fonction de leur appartenance à une coalition gouvernementale ou à l’opposition, ils partagent globalement à Berlin le point de vue de la CDU, mais font valoir tout comme les Verts que le texte de loi défendu par les députés du SPD et du PDS est très ambigu en raison des dérogations possibles pour le port de bijoux discrets. Ils mettent ainsi en garde contre le renvoi de futures affaires devant les juges, alors même qu’ils entendent réaf- firmer le rôle des responsables politiques en la matière. Dans une interview accordée à la radio berlinoise RBB, le 31 janvier 2004, le président de l’Église protestante d’Allemagne (EKD), l’évêque de Berlin-Brandenburg Wolf gang Huber, avait également pris position contre le port du foulard par les enseignantes et déclaré : « Qui prend fait et cause pour la liberté religieuse n’a pas à approuver le port du foulard par une enseignante musulmane. » Il se démarquait ainsi clairement du président de la République Johannes Rau qui avait plaidé pour une égalité de traite- ment entre les religions et laissé entendre qu’une interdiction du foulard devait impli- quer l’interdiction de tous les signes religieux sans exception (42). Globalement, on peut dire que deux visions contrastées de la régulation du pluralisme et de la neutralité religieuse se sont opposées à travers les débats berlinois : l’une, défendue principalement par les chrétiens-démocrates et les Églises, qui souhaitent accorder aux composantes religieuses de la société berlinoise un statut proportionnel à leur degré de représentativité historique et démographique, et l’autre, défendue par les sociaux-démo- crates et la gauche radicale, soucieux avant tout d’un traitement égalitaire des différentes religions et des acteurs concernés et favorables à une neutralité stricte de l’État.

41 Ibid., p. 5199. La députée PDS Seelig fait valoir que 68 % des Berlinois sont athées. 42 L’archevêque de Hambourg, Mgr Werner Thissen, avait estimé pour sa part « incompréhensible que le président Rau traite de la même façon la question du foulard islamique et les signes de la foi chré- tienne » (Hamburger Abendblatt). La loi de neutralité berlinoise du 27 janvier 2005 481

Conclusion Si la référence au christianisme détermine encore aujourd’hui dans de nombreux Länder les modalités de présence et d’insertion de l’ensemble des religions dans la vie publique, la législation berlinoise, quant à elle, tourne clairement le dos à la logique culturaliste défendue par les Églises chrétiennes et les chrétiens-démocrates du fait de son refus de privilégier la référence au christianisme et d’accorder un statut dérogatoire aux symboles chrétiens ou juifs. La prise en compte des principes de neutralité et d’éga- lité de traitement entre différentes religions a conduit les députés sociaux-démocrates et néo-communistes à privilégier l’exclusion des signes religieux de l’espace public insti- tutionnel. Le Land de Berlin a mis ainsi l’accent sur le caractère séculier de l’État com- pris comme absence de toute référence religieuse dans l’espace public. On peut y voir une rupture dans la mesure où une nouvelle conception de la neutralité s’exprime ici : l’État renonce à s’identifier à une religion déterminée, notamment au christianisme, et décide d’afficher sa stricte neutralité en matière de religion ou de conception du monde. La loi de neutralité berlinoise, qui marque la prééminence de la neutralité de l’État sur la liberté religieuse individuelle, peut être interprétée comme une étape déterminante vers une sécularité qui n’est pas sans rappeler la laïcité française, sachant toutefois que l’objectif principal des législateurs berlinois est de garantir le traitement égalitaire de toutes les confessions. Le texte de loi berlinois semble ainsi en contradiction avec la tra- dition allemande, selon laquelle l’expression des croyances religieuses a toute sa place dans la sphère publique institutionnelle. Il est révélateur des défis auxquels doivent faire face les pouvoirs publics dans un contexte de diversification des croyances religieuses et des convictions. Mais il apparaît clairement que c’est aussi la question de la visibilité de l’islam qui est ici posée. En faisant disparaître les manifestations trop visibles des signes religieux, et au vu de son périmètre normatif, la loi de neutralité peut être perçue comme une loi d’interdiction tournée principalement contre l’islam. Elle traduit égale- ment le souci de régulation plus forte du pluralisme religieux par l’État berlinois, avec en toile de fond les débats particulièrement vifs sur l’islam à l’école. Si les débats sur les signes religieux dans les écoles publiques ont mis en lumière la perte de légitimité des références chrétiennes pour la majorité des députés berlinois du fait du poids croissant des sans religion et de la diversité religieuse, on ne saurait igno- rer l’influence déterminante de la couleur politique du gouvernement berlinois sur la législation de janvier 2005. La loi de neutralité apparaît avant tout comme un révéla- teur de la situation spécifique berlinoise, mais il serait sans doute hasardeux d’imagi- ner que les mutations évoquées préfigurent des évolutions à venir sur l’ensemble du territoire allemand ou que le processus de laïcisation est irrémédiablement en marche en Allemagne. En ce sens, on ne saurait y voir une mise à l’épreuve du modèle national de régulation du religieux. 482 Revue d’Allemagne

Zusammenfassung Seit einigen Jahrzehnten sieht sich Deutschland mit Forderungen islamischer Gemein- schaften nach öffentlicher Anerkennung konfrontiert. Ende der 1990er Jahre entstand die sogenannte „Kopftuchaffäre“ in Baden-Württemberg. Im September 2003 bestimmte ein Bundesverfassungsgerichtsurteil, dass „ein Verbot für Lehrkräfte, in Schule und Unter- richt ein Kopftuch zu tragen, im geltenden Recht des Landes Baden-Württemberg keine hinreichend bestimmte gesetzliche Grundlage“ hatte. Zahlreiche Bundesländer erließen darauin eigene Kopftuchgesetze. Im Januar 2005 wurde in Berlin ein Neutralitäts gesetz verabschiedet, das das Tragen religiöser oder weltanschaulicher Symbole und Kleidung im öffentlichen Dienst verbot. Wie konnte aber das Tragen aller religiösen Zeichen und Symbole verboten und der Laizismus zugleich als Feindbild betrachtet werden? Wie war eine solche Einschränkung der Religionsfreiheit in einem Land möglich, wo freie Aus- übung der Religion auch im öffentlichen Raum zulässig ist? Steht das Berliner Gesetz nicht im Widerspruch zum Modell des Staat-Kirche-Verhältnisses in Deutschland? Ziel dieses Beitrags ist es, die Rolle und die Argumente der verschiedenen Akteure für die Regulierung des Verhältnisses von Politik und Religion in Berlin zu analysieren.

Abstract In the last few decades, German society has become pluralistic and multireligious. Since the early 1980s, the political actors have been facing claims from Islamic groups or individuals seeking legitimacy or public recognition. One of the most important debates was about teachers wearing an Islamic headscarf at school. In September 2003 the Con- stitutional court ruled that Baden-Württemberg was wrong to ban a Muslim teacher from teaching, because the ban “has no sufficient legal basis in Baden-Württemberg’s law”. The ruling declared that individual states are free to ban or approve Muslim head- scarves or other religious symbols in state schools. Then, in January 2005 the federal state of Berlin passed a neutrality law excluding the display of all religious symbols from schools and other public services. The aim of this paper is to give a clearer insight into the working of the different levels of religious regulation in Berlin and to determine whether the neutrality law is in contradiction to the conception of freedom of religion or to the historically constituted church-state relations in Germany. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 483 T. 45, 2-2013

Chronique juridique Le détachement international de travailleurs en droit allemand, autrichien et suisse

Sandie Calme*

La directive n° 96/71/CE du Parlement et du Conseil du 16 décembre 1996 concer- nant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services concerne les situations de détachement de travailleurs intracommunautaires, c’est- à-dire (article 1er) soit le détachement, par une entreprise intracommunautaire, pour son compte et sous sa direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’en- treprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement (article 1er, 3., a)), soit le détachement d’un travailleur sur le territoire d’un autre État membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement (article 1er, 3., b)), soit le détachement, en tant qu’entreprise de travail inté- rimaire ou en tant qu’entreprise qui met un travailleur à disposition, d’un travailleur à une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail inté- rimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement (article 1er, 3., c)). Toutefois, le personnel navigant de la marine marchande est exclu de ce dispositif (article 1er, 2.) et la directive reconnaît le principe selon lequel les entreprises sises dans un État non membre ne peuvent bénéficier d’un traitement plus favorable que celui des entreprises intracommunautaire (article 1er, 4.). La directive institue un socle minimum de prérogatives impératives pour les salariés détachés quant à leurs conditions de travail, elle impose aux États membres de coopérer entre eux et de communiquer ouvertement sur leurs conditions nationales d’emploi,

* Docteur en droit, LL.M. (Francfort sur le Main, Allemagne), avocate au barreau de Paris. 484 Revue d’Allemagne en vue de parvenir à ses objectifs de régulation et de transparence des conditions de travail des travailleurs détachés dans un esprit de non-discrimination et afin de pallier le risque de distorsion de la concurrence par une inégalité de traitement des travailleurs détachés qui consisterait à les exploiter abusivement à moindre coût. Une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’exécution de la direc- tive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services est à l’étude. La proposition s’inscrit dans le prolongement de la directive et vise à en assurer l’exécution en apportant des précisions. Elle aspire à ce que les sanctions soient pleinement efficaces, proportionnées et dissuasives et puissent être mutuellement reconnues et exécutées. Nous verrons que ce projet doit nourrir une réflexion allant au-delà du cadre intracommunautaire, en prenant l’exemple de l’Alle- magne, de l’Autriche et de la Suisse.

I. La mise en œuvre du droit de l’Union européenne sur le détachement international de travailleurs Pour ce qui est de la mise en œuvre du droit de l’Union européenne, le droit allemand et le droit autrichien ont élaboré leur système de protection des travailleurs détachés à l’international en suivant la directive mais en empruntant des voies différentes. Le droit allemand met l’accent sur l’alignement sur la protection offerte au niveau national alors que le droit autrichien opère une distinction selon que l’employeur qui détache le salarié siège ou non au sein de l’Espace Économique Européen ou en Suisse. A. En droit allemand En droit allemand, le détachement de travailleurs relève de la loi sur les conditions de travail impératives pour les employés et employées détachés à l’international et pour ceux et celles régulièrement engagés sur le territoire allemand (Gesetz über zwingende Arbeitsbedingungen für grenzüberschreitend entsandte und für regelmäßig im Inland beschäftigte Arbeitnehmer und Arbeitnehmerinnen), dite loi sur le détachement (Arbeit- nehmer Entsendegesetz – AEntG). Cette loi a également vocation à assurer une loyale concurrence en matière de détachement (§ 1). Le détachement des travailleurs intéres- sant particulièrement l’actualité et la réalité du marché du travail, cette loi du 20 avril 2009 a succédé à celle du 26 février 1996, qu’elle a abrogée. Ainsi, la protection accordée aux travailleurs détachés est alignée sur celle de travailleurs non détachés régulièrement employés sur le territoire allemand. Ces conditions de travail impératives relèvent de conventions collectives, qui peuvent émaner notamment du ministère allemand du Tra- vail. La protection se rapporte au salaire, aux congés, à la protection sociale en matière de santé et de travail et à la mise à disposition de main-d’œuvre : selon l’article § 2 de cette loi, les conditions de travail impératives portent sur la rémunération minimale y compris quant aux heures supplémentaires, sur les congés payés, les durées maximales de travail, les durées minimales de congés, les conditions du transfert de main-d’œu- vre, y compris en matière de travail temporaire, la sécurité, la santé et l’hygiène au travail, les mesures de protection concernant les conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes après la grossesse, des enfants et des jeunes, l’égalité de traitement entre hommes et femmes et la lutte contre les discriminations (§ 2). Aussi, les conditions impératives de travail prônées par cette loi portent sur des domaines d’activités circonscrits qui présentent une certaine diversité et vont au-delà du cadre Le détachement international de travailleurs 485 des prestations de services relatifs à la construction. Le concept de salaire minimum relève de conventions collectives par secteur d’activité. Des dispositions spéciales por- tent une attention particulière à des branches d’activités telles que le domaine sanitaire (§ 10 à § 13), où une commission spéciale prend en charge l’élaboration des conditions de travail minimales, le transport routier de monnaie européenne (§ 14). En outre, l’entrepreneur ayant recours à un autre entrepreneur pour des prestations de services ou pour la réalisation d’un ouvrage répond des obligations de son sous- traitant, de l’entrepreneur qu’il se substitue ultérieurement ou du prêteur mandaté par l’entrepreneur ou par l’entrepreneur lui succédant, en ce qui concerne le paiement aux employés de la rémunération minimale ou le versement de prestations sociales à un établissement commun aux parties à la convention collective et se rapportant aux conditions de travail impératives (§ 14). Le détachement des travailleurs fait l’objet d’une déclaration et d’un contrôle admi- nistratifs qui donnent lieu à une coopération internationale avec les administrations étrangères. Les sanctions peuvent consister en le versement d’une amende (§ 23) voire en l’exclusion de marchés publics (§ 21). B. En droit autrichien D’après l’article § 7 de la loi d’adaptation du droit des contrats de travail (Arbeits- vertragsrechtsanpassungsgesetz), si un employeur non sis en Autriche et non membre d’une collectivité émettrice de conventions collectives en Autriche emploie un salarié dont le lieu de travail habituel se situe en Autriche, alors ce salarié a impérativement droit, au minimum, à la rémunération prévue par la loi, les règlements et accords col- lectifs, qui revient de droit aux salariés se trouvant dans sa situation sur son lieu de travail, pour des employeurs comparables. Selon l’article § 7a alinéa 1er de la loi d’adaptation du droit des contrats de travail, la protection offerte par l’article § 7 s’étend, quel que soit le droit applicable à la relation de travail, à tout salarié détaché en Autriche par un employeur non sis dans un État mem- bre de l’Espace Économique Européen pour des travaux s’effectuant dans le cadre d’un transfert de main-d’œuvre ou pour une prestation de travail suivie. L’employeur et l’en- treprise cliente de ce dernier répondent solidairement de la rémunération minimale du travailleur (§ 7a alinéa 2). Les prérogatives du salarié portent notamment sur les congés et sur le temps de travail (article § 7a alinéa 3). Pour des prestations de courte durée en matière de travaux d’assemblage et de réparations en lien avec la livraison d’équipement et de machines à une entreprise ou pour les travaux nécessaires à la mise en service de tels équipements et machines qui ne peuvent pas être réalisées par des salariés locaux, il est fait exception à ces prérogatives pour les salariés (article § 7a alinéa 4). Par contre, pour les salariés employés pour des travaux de construction servant à ériger, mettre ou maintenir en état, reconstruire ou démolir des travaux de construction, les prérogatives en matière de congés, de temps de travail et de rémunération minimale sont de droit à compter du premier jour de travail en Autriche (article § 7a alinéa 5). L’article § 7b de la loi d’adaptation du droit des contrats de travail se rapporte aux situations où l’employeur étranger a son siège social au sein d’un État de l’Espace Éco- nomique Européen et aux cas dans lesquels les salariés sont détachés en Autriche par un employeur sis en Suisse, pour une prestation de travail continue (article 7b alinéa 10). Il accorde aux salariés détachés la même protection qu’à ceux dont l’employeur se situe 486 Revue d’Allemagne en dehors de l’Espace Économique Européen et de la Suisse. À cela s’ajoute le respect de la directive n° 91/533/CEE du Conseil, du 14 octobre 1991, relative à l’obligation de l’employeur d’informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail. Le détachement des travailleurs par un employeur sis au sein de l’Espace Économique Européen ou en Suisse fait l’objet d’un contrôle administratif et d’une déclaration obligatoires, les documents spécifiques devant être conservés. Les contrôles font l’objet d’une coopération internationale entre les administrations compétentes. En particulier, toute violation des obligations de déclaration, tout man- quement au formalisme inhérent à la relation de travail, sont susceptibles de donner lieu au versement d’une amende.

II. Le positionnement du droit suisse La conceptualisation juridique suisse de la libre circulation des travailleurs appelle naturellement la Confédération helvétique à accorder sa règlementation sur le déta- chement des travailleurs avec la progression de cette liberté. A. Le positionnement du droit suisse en matière de libre circulation des travailleurs De par sa situation géographique, la Suisse est appelée à entretenir des relations éco- nomiques avec ses voisins de l’Union européenne, notamment en matière de relations de travail et, partant, de détachement de travailleurs. C’est pourquoi elle a entrepris un rapprochement de sa législation d’avec le droit intracommunautaire, érigé à cer- tains égards en modèle. Ainsi, l’article 7, a), de l’accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, prône « le droit à l’égalité de traitement avec les natio- naux en ce qui concerne l’accès à une activité économique et son exercice ainsi que les conditions de vie, d’emploi et de travail ». Cet accord a institué un Comité mixte composé de représentants des parties à l’accord, qui veille activement à l’ajustement de la législation suisse au droit communautaire, pour ce qui est de la réalisation des objectifs de libre circulation. Il est relayé par l’ordonnance sur l’introduction progres- sive de la libre circulation des personnes entre, d’une part, la Confédération suisse et, d’autre part, l’Union européenne et ses États membres, ainsi qu’entre les États mem- bres de l’Association européenne de libre-échange, dite ordonnance sur l’introduction de la libre circulation des personnes. Cette évolution juridique progressive de la libre circulation des personnes va de pair avec le développement du droit suisse des déta- chements internationaux de travailleurs. B. L’ouverture du droit suisse en matière de détachement international de travailleurs En droit suisse, la régulation du détachement international de travailleurs relève de la loi fédérale sur les mesures d’accompagnement applicables aux travailleurs détachés et aux contrôles des salaires minimaux prévus par les contrats-types de travail, dite loi sur les travailleurs détachés. Elle porte, notamment en réponse aux travaux de Gysin Hans Rudolf dans le cadre de ses activités parlementaires jusqu’en décembre 2011, un intérêt particulier à la situation des faux indépendants, les travailleurs indépendants travaillant en Suisse faisant l’objet d’un contrôle administratif et étant soumis à l’obli- gation de procéder à des formalités spécifiques. Le traitement des salariés détachés est aligné sur celui prévu par les dispositions obligatoires en matière de rémunération Le détachement international de travailleurs 487 minimale, de durée du travail, des vacances et du repos, de sécurité, de santé et d’hy- giène au travail, de protection des femmes enceintes et des accouchées, des enfants et des jeunes, de non-discrimination et d’égalité de traitement entre hommes et femmes (article 2, alinéa 1er), pendant toute la durée de la mission (article 2, alinéa 4). Les dispositions des conventions collectives obligatoires s’appliquent aux travailleurs détachés dans les domaines suivants : - les contributions obligatoires aux frais de formation continue, pour un détache- ment en Suisse de plus de 90 jours ; - le dépôt par l’employeur d’une garantie financière ; - les amendes dues à des organes paritaires chargés de veiller à la bonne application de l’accord collectif en cas de violation des normes relatives aux conditions minimales de travail et de salaire des travailleurs détachés. Spécifiquement concernant la situation des personnes détachées, les paiements effec- tués par l’employeur au titre du détachement sont inclus dans le salaire dans la mesure où ils ne correspondent pas au remboursement de dépenses liées au détachement, concer- nant par exemple les frais de séjour (article 2 alinéa 3). L’employeur peut être tenu de verser des contributions sociales en Suisse (article 2 alinéa 5). Il s’agit notamment de la participation aux frais de contrôle et de fonctionnement des organes paritaires relevant des conventions collectives de travail obligatoires, qu’ils incombent aux travailleurs ou aux employeurs (article 8a de l’ordonnance sur les travailleurs détachés en Suisse). L’hé- bergement offert par l’employeur aux travailleurs détachés en Suisse doit respecter les conditions d’hygiène et de dignité usuelles (article 3). Les garanties salariales offertes par des organismes suisses de protection sociale du fait de conventions collectives de travail obligatoires concernent les travailleurs détachés en Suisse, à moins que l’employeur sis à l’étranger ne démontre verser à une institution comparable du lieu de son siège social de telles contributions pour la période de détachement en Suisse (article 2 alinéa 2). Pour des travaux de faible ampleur ou de courte durée, des dérogations sont appor- tées en matière de rémunération et de vacances, sauf pour certains secteurs tels que la construction, le génie civil, le second œuvre, l’hôtellerie ou la restauration (article 4). Dans le cadre de la sous-traitance (article 5), l’entrepreneur principal doit se charger de conduire le sous-traitant à respecter le droit suisse, au moyen d’un contrat. En cas de défaillance de sa part, il est sujet à des sanctions et engage sa responsabilité civile, étant entendu qu’il est solidairement responsable avec le sous-traitant en cas de non- respect des conditions minimales de travail et de rémunération (article 5). En principe, le détachement des travailleurs donne lieu à une déclaration adminis- trative, à un contrôle et à l’obligation d’émettre et de conserver certains documents. Les administrations suisses procèdent au contrôle de façon coordonnée et en coopéra- tion avec les organismes de l’État du siège de l’employeur. Dans ce cadre, des sanctions peuvent être prises à l’encontre de l’employeur : elles peuvent consister en des amen- des, en une interdiction d’activité professionnelle en Suisse pour une durée d’un an à cinq ans ou en l’obligation d’assumer personnellement les frais afférents au contrôle. En outre, la violation des dispositions protectrices des travailleurs détachés, dont notamment l’obstruction aux contrôles administratifs, peut conduire à des poursuites pénales (article 12). 488 Revue d’Allemagne

À l’instar de la proposition de directive intracommunautaire, le législateur suisse a eu l’occasion de se préoccuper des modalités d’exécution de ses sanctions admi- nistratives quant aux violations des normes sur les travailleurs détachés, notamment concernant un jugement par lequel un tribunal allemand (Arbeitsgericht Ulm, Urteil vom 29. Juli 2009 Az. 2 Ca 571/08), en tant que juge (compétent conformément à la convention de Lugano) de l’entreprise débitrice sise en Allemagne ayant procédé à la violation du droit suisse sur le détachement international de travailleurs, a appliqué le droit allemand quant au paiement des sanctions administratives, de manière à anéan- tir ces sanctions. Ces difficultés ont donné lieu à des discussions au sein d’un groupe de travail trinational d’experts entre l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse. La proposi- tion de directive présente donc un intérêt majeur de réflexion pour le droit suisse afin d’harmoniser les normes relatives au détachement international de travailleurs. S’il est vrai que la directive n° 96/71/CE prive les entreprises extracommunautaires de tout traitement plus favorable par rapport à celui des entreprises intracommunautaires, un alignement de fait du droit suisse sur le droit de l’Union européenne à l’image des transpositions nationales intracommunautaires de la directive est d’autant plus envisageable que le législateur suisse procède par une analyse approfondie de la teneur du droit intracommunautaire. Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 489 T. 45, 2-2013

Italiques

Catherine MAURER, La Ville charitable. Les œuvres sociales catholiques en France et en Allemagne au XIXe siècle, Paris, Éditions du Cerf (Coll. Histoire religieuse de la France, 39), 2012, 411 p., 24 €.

Dès l’introduction de sa thèse, Le modèle allemand de charité. La Caritas de Guillaume II à Hitler publiée aux Presses Universitaires de Strasbourg en 1999, Catherine Maurer affirma vouloir combler l’absence d’historiographie sur la charité religieuse, et spéciale- ment sur ses aspects catholiques, aux XIXe et XXe siècles. Pour elle, ce sujet avait été long- temps négligé et même méprisé par les chercheurs allemands et français alors que la bibliographie était surabondante sur les politiques sociales étatiques et les mouvements de solidarité de classe et que le discours contemporain évitait d’employer le concept de « charité », jugé humiliant pour ceux qui en bénéficient. Mme Maurer a poursuivi ce chantier en 2003 en consacrant un petit ouvrage à Caritas. Un siècle de charité organi- sée en Alsace (Strasbourg, Éditions du Signe). Du fait des changements d’appartenance étatique de notre région, on y trouvait des données sur les similitudes, les différences et les échanges entre deux modèles d’organisation des œuvres catholiques en France et en Allemagne. Ce nouvel ouvrage approfondit considérablement cette analyse comparative, tout en la limitant aux milieux urbains et au « long XIXe siècle » des lendemains de la Révolution française jusqu’en 1914. Pour ce faire, l’auteur a utilisé, outre plusieurs fonds d’archives publiques, ecclésiastiques ou associatives, des sources principales très pré- cieuses : entre 1885 et 1900, avait été publiée, en France, une série d’ouvrages retraçant des enquêtes menées sur les œuvres catholiques caritatives et sanitaires agissant dans des villes aux dimensions et aux structures assez différentes, soit Paris (qui fait l’objet en 1885 d’un gros livre de Maxime du Camp que l’on n’imaginait guère en propagandiste des bonnes œuvres quand on connaît ses expériences osées lors du voyage en Orient avec Gustave Flaubert), Lyon, Saint-Étienne, Rouen, Nancy, Angers, Orléans, Neuilly, Elbeuf. De façon générale, la France, comme l’Angleterre, avait été pionnière dans le domaine de l’enquête sociale depuis le début de la révolution industrielle. Ce fut l’exemple fran- çais qui incita certains dirigeants d’œuvres catholiques allemandes de 1895 à 1906 à lancer eux aussi des enquêtes. Ces travaux portèrent sur une seule ville, mais c’était la capitale du Reich, Berlin ; toutes les autres publications concernaient des diocèses entiers, ceux de Cologne, de Paderborn, de l’Erm land (Prusse Orientale), de Breslau, de Lim- burg, de Wurtzbourg et de Strasbourg alors ville allemande, mais qui restait marquée 490 Revue d’Allemagne

par son passé français. La démarche comparative se fondant sur ce corpus permet, selon l’auteur, de dépasser l’horizon de l’histoire régionale ou nationale pour « dissiper, comme l’écrivait Marc Bloch dans un article pionnier de 1928, le mirage des fausses cau- ses locales » tout en mettant « en valeur des spécificités liées à un lieu, une tradition ou un moment pour répondre à des problématiques récurrentes (par exemple la “cohésion” du milieu catholique et son rapport ambivalent à la modernité) ». L’étude commence par une « enquête sur l’enquête » ou plutôt sur les enquêtes, qui témoignent de l’intérêt des élites catholiques du « tournant du siècle » pour une approche rationnelle du social. Ces publications sont de taille et de valeur variables, mais les plus riches d’entre elles permettent de saisir discours et pratiques. Ces manuels permettaient de s’informer sur les œuvres qui s’étaient multipliées, ce qui allait à l’encontre de l’idée traditionnelle dans les milieux catholiques, selon laquelle l’action charitable doit pré- férer le silence et la discrétion. Il s’agissait aussi, en France, de dénoncer les nouvelles municipalités républicaines et laïques qui prenaient des mesures défavorables à la bien- faisance confessionnelle, comme l’exclusion des religieuses de la distribution des secours à domicile. On cherchait également à pousser les lecteurs à s’engager financièrement et physiquement dans le monde des œuvres. L’action charitable et sa manifestation publi- que étaient présentées comme des remèdes à tous les maux de la société, en particulier les séductions de la propagande socialiste. C’est un laïc, Max Brandts, qui réalisa l’enquête sur le diocèse de Cologne à partir de 1890, exemple suivi dans les autres diocèses déjà évoqués. À partir de 1897, le travail fut coordonné par une grande organisation fédérale, la Caritas, dont l’inspiration rejoignait celle de l’Office central des œuvres de bienfaisance française. Les auteurs des ouvrages étaient le plus souvent des ecclésiastiques de haut niveau intellectuel, comme le Stras- bourgeois Paul Muller-Simonis. Pour Caritas, il ne s’agissait pas seulement de recenser et de décrire les œuvres, mais de produire des manifestes en faveur d’une réforme de l’action caritative. À l’égard des concurrents issus des pouvoirs publics ou du protes- tantisme, le ton est généralement courtois. Le seul véritable adversaire apparaît être la social-démocratie. À la différence de l’échantillon étudié en France, les villes alleman- des étudiées par l’auteur sont, à l’exception de Wurtzbourg, toutes des grandes ou de très grandes villes, écho de leur importance dans l’urbanisation de l’Allemagne. Malgré l’absence de statistiques officielles, l’auteur a tenté une évaluation globale du nombre d’œuvres catholiques en activité pour chacune des villes dans les deux pays et le rapport du nombre de catholiques de ces villes au nombre d’œuvres qui y étaient localisées. Cette dernière donnée permet de détecter le faible engagement des élites catholiques de Colo- gne pour l’action sociale, déjà évoqué par Pierre Ayçoberry, qui serait responsable de la déprise religieuse des masses populaires dans une des plus grandes cités catholiques de l’Empire. En revanche, il est impossible de faire le compte des personnes réellement concernées tant par l’engagement dans les œuvres que par leurs bénéficiaires, ni par les budgets en jeu. Enfin, la chronologie des fondations établit que très peu d’œuvres fondées avant la Révolution étaient encore en activité à la fin du XIXe siècle. L’œuvre de charité fut essentiellement un produit de ce siècle. En France, leurs créations s’étalent de 1811 aux années 1890 ; en Allemagne, elles se concentrent plus tardivement dans les années 1850 et surtout entre 1890 et 1895. Le décollage économique y est plus tardif et plus brutal et il s’accompagnait d’une urbanisation galopante, mais on peut aussi constater le caractère plus tardif du réveil religieux et du développement des congréga- tions, animatrices par excellence des œuvres de charité. Suit un long chapitre consacré à la formation des œuvres de charité qui distingue trois grands types de fondateurs ou de fondatrices : des laïcs ou laïques, regroupés ou non en association, des membres du clergé diocésain ou de congrégations, plus des ini- tiatives mixtes. Sont particulièrement évoqués, outre le rôle des élites bourgeoises ou aristocratiques, celui de prêtres entreprenants dans le domaine social comme Muller- Simonis à Strasbourg, ou d’évêques tel Freppel à Angers. Une large place est évidemment Italiques 491

consacrée aux congrégations caritatives surtout féminines, parfois mal reçues, comme à Berlin, ville majoritairement protestante où progressait l’indifférence religieuse. Deux réseaux nés en France connaissaient une diffusion internationale : le Bon Pasteur d’An- gers et la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Il en allait de même pour les associations de protection de la jeune fille parties de Munich. Dans les villes multiconfessionnelles, la volonté de limiter l’influence protestante peut être aussi un facteur de dynamisme pour les initiatives catholiques, telle la création de l’hôpital Sainte-Hedwige à Berlin. Après cette approche qui relève avant tout de l’histoire des structures caritatives, le lecteur plus tourné vers l’histoire sociale sera soulagé en parvenant au troisième chapi- tre qui analyse les principaux champs d’intervention des œuvres. S’occuper des enfants était prioritaire, car il fallait « sauver leurs âmes » en cas de décès précoces ou former de bons chrétiens pour leur vie adulte. Dans le contexte de l’industrialisation et de l’urbanisation, les Français créèrent des crèches puisque les fem- mes du peuple travaillaient désormais souvent à l’extérieur. Les catholiques allemands étaient, eux, déjà hostiles à ce qu’ils considéraient comme un encouragement à la prati- que malsaine du travail des femmes hors du domicile. En revanche, l’opinion était plus généralement favorable aux salles d’asile et aux Kindergarten pour les enfants de 3 à 6 ans. Quant aux orphelinats religieux, ils avaient déjà un long passé. Bien plus novatrices, les institutions dites de protection de la jeune fille liées à l’afflux dans les villes d’adolescentes en quête d’un travail et d’une vie meilleure : le modèle ici est aussi français avec le succès de la congrégation du Bon-Pasteur et de ses « refuges » pour jeunes filles en danger ou nécessitant un « redressement ». D’autres formes d’ac- tion sociale sont évoquées : les patronages pour un usage « honnête » du temps libre des jeunes filles, nombreux en France, rares en Allemagne, les foyers et les aides au placement pour domestiques ou ouvrières. De nouveaux champs d’action apparurent à la fin du siècle, comme l’accueil des migrantes dans les gares sur un modèle protestant allemand. Le réseau hospitalier d’origine médiévale était souvent géré par le clergé. En France, la nationalisation des biens ecclésiastiques par la Révolution rompit ce lien, bien que le plus souvent les religieuses hospitalières conservèrent leurs fonctions dans des établisse- ments municipalisés. En revanche, les villes allemandes virent se développer un réseau d’hôpitaux confessionnels catholiques, y compris dans les villes où les catholiques étaient fortement minoritaires. Dans toutes les villes du corpus existaient aussi des initiatives de congrégations féminines consacrées au soin des pauvres malades à domicile, mais aussi des sœurs garde-malades pour les personnes aisées, qui ne souhaitaient pas entrer à l’hôpital. Chez les plus pauvres, qui n’avaient pas de domestiques, les sœurs remplis- saient souvent un rôle d’aide ménagère et d’assistante familiale. Dans tous les domaines, l’action caritative se conçoit avant tout comme une autre manière d’évangéliser le corps social. Il y a là une différence essentielle avec l’action humanitaire actuelle qui se réclame d’un idéal humaniste et philanthropique sans réfé- rence métaphysique, même quand elle est d’origine chrétienne. Les sœurs s’emploient ainsi à convertir les protestants ou les libres penseurs à l’article de la mort. On voit cependant surgir de nouvelles préoccupations extérieures à la dimension religieuse, la lutte contre la mortalité infantile et la dénatalité, le souci du bien public. Enfin, une partie des responsables d’œuvres participent au grand courant hygiéniste, composante majeure de la modernité à la fin du siècle. Autre face de la modernisation : la demande de plus en plus pressante de la part des administrations municipales d’une collaboration entre assistance publique et bienfai- sance privée, en vue d’une distribution juste des secours. Celle-ci se heurtait souvent à la volonté d’indépendance des œuvres, mais elle poussait quand même les institutions catholiques à se fédérer, comme à Strasbourg où Muller-Simonis fonda en 1898 l’Union de Charité en s’inspirant du modèle de l’Office central des œuvres de bienfaisance créé à Paris en 1890. En fait, la collaboration entre secteurs public et privé fonctionnait depuis 492 Revue d’Allemagne

1796 en France dans les bureaux de bienfaisance : à Strasbourg ou Nancy, les trois cultes reconnus étaient représentés dans leurs commissions administratives. Pourtant, le dernier tiers du siècle vit se multiplier les conflits entre assistance municipale et bien- faisance catholique : en Prusse, les autorités accordaient leur préférence aux initiatives protestantes ; à Strasbourg, les fonctionnaires du Reichsland se méfiaient de la Société de Saint-Vincent-de-Paul dont le siège était à Paris. En France, l’offensive laïque contre l’influence cléricale dans l’action sanitaire et sociale fut violente à partir de 1880. Le remplacement des salles d’asile par les écoles maternelles permit d’éliminer le personnel congréganiste. Cette tension ne fut quand même pas constante : les deux partenaires avaient trop souvent besoin l’un de l’autre pour se séparer complètement. Fait significa- tif, à Strasbourg, en 1906, Weydmann, jusqu’alors secrétaire de la Fédération de Charité catholique, fut appelé par le maire libéral Schwander à diriger le service d’assistance publique de la ville. En terminant, Catherine Maurer constate que la comparaison entre les deux pays lui a permis de mettre en évidence les limites du modèle national de société : le caractère international du catholicisme a produit des pratiques convergentes. De part et d’autre, les créateurs d’œuvres reprirent l’image pessimiste de la société moderne « comme un corps malade », ce qui ne les empêcha pas de tenter de trouver des réponses à plusieurs aspects de la modernité sociale, ne serait-ce que pour réagir aux défis qui menaçaient la survie de la religion. On a scrupule à formuler des critiques, mineures il est vrai, devant l’ampleur et la solidité de ce travail. Il me semble qu’il vaut mieux éviter l’usage de sigles et acronymes pour désigner des institutions du XIXe siècle, époque où leur emploi était bien plus rare que de notre temps. On peut aussi s’étonner de voir l’adjectif « inquisitorial » désigner ce qui relève de l’enquête socio-historique : il évoque pour le lecteur français des « enquêtes » plus brutales. De façon plus globale, le lecteur garde le regret de ne pas en apprendre plus sur la sociologie et la psychologie des bénéficiaires de l’assistance confessionnelle et aussi de ceux qui en étaient exclus. Dans une recherche centrée sur les villes, on souhaite aussi connaître davantage sur la place de ces déshérités dans l’univers urbain, leur visibilité et évidemment leur pratique ou non de la religion. Mais il s’agit là d’un autre travail qui relève, lui du domaine de l’histoire sociale de la pauvreté et des détresses, tel qu’il a été entamé pour la France par André Gueslin.

Léon STRAUSS

Richard FABER, Uwe PUSCHNER (dir.), Intellektuelle und Antiintellektuelle im 20. Jahrhun- dert, Berne, Peter Lang (Zivilisationen & Geschichte ; 20), 2013, 239 p., 46,95 €.

Jean-Paul Sartre, peut-être la dernière incarnation du modèle dominant de l’intellectuel depuis l’affaire Dreyfus, nous a quittés en 1980 ; tout se passe, depuis, comme si les chercheurs de plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales avaient repris le flambeau pour œuvrer à la définition de ce que doit être ou de ce qu’est un intellectuel. Alors que plus d’un avait constaté son silence, voire annoncé sa mort, cette figure sociale est l’objet de discussions des plus vivantes. De fait, en Allemagne, en France et jusqu’aux États-Unis, la recherche sur les intellectuels connaît un fort regain d’intérêt depuis trois décennies ; en témoignent en Allemagne de nombreuses publications récentes. Citons par exemple la monographie de Dietz Bering, Die Epoche der Intellektuellen 1889-2001. Geburt, Begriff, Grabmal, 2010 (2e éd. 2011), deux ouvrages collectifs : Jutta Schlich (dir.), Intellektuelle im 20. Jahrhundert in Deutschland. Ein Forschungsreferat (2000) et Thomas Kroll, Tilman Reitz (dir.), Intellektuelle in der Bundesrepublik Deutschland. Italiques 493

Verschiebungen im politischen Feld der 1960er und 1970er Jahre (2013), ainsi qu’un article publié en édition électronique de Daniel Morat : « Intellektuelle und Intellektuellen- geschichte », in : Docupedia-Zeitgeschichte, 20.11.2011. Le présent ouvrage collectif, qui s’inscrit dans cette discussion scientifique interna- tionale et transdisciplinaire, émane d’une série de conférences organisées en 2010 par Richard Faber, professeur en sociologie de la culture, à l’Université libre de Berlin sur le thème « Qu’est-ce qu’un intellectuel ? » Ce recueil d’articles se présente comme le fruit de réflexions sur la transformation de la figure sociale de l’intellectuel ; ce faisant, il met en évidence la fluidité des frontières entre intellectuels et anti-intellectuels. Organisé de façon symétrique, l’ouvrage commence par une contribution qui replace la naissance de l’intellectuel, avec l’affaire Dreyfus, dans le contexte de l’histoire des intellectuels. Deux parties se font vis-à-vis : l’une, simplement intitulée « intellectuels », regroupe quatre contributions sur des intellectuels allemands et étrangers, l’autre, intitulée « anti-i ntellectuels », présente quatre exemples d’anti-intellectualisme. Revenant sur le questionnement initial, l’ouvrage se clôt sur un article qui analyse les tentatives actuelles de redéfinir la fonction de l’intellectuel. Placé en exergue de l’ouvrage, l’article de l’historienne Anne Kwaschik met en pers- pective le modèle de l’intellectuel qui a dominé tout le XXe siècle en revenant sur sa nais- sance à l’occasion de l’affaire Dreyfus. S’appuyant sur la tradition française de l’histoire des intellectuels, qui définit le cadre de l’intervention intellectuelle au croisement entre milieu, lieu et réseau, elle revient sur les mobilisations en amont de ce qui allait devenir l’« affaire » ainsi que sur les conditions d’intervention d’Émile Zola. Il apparaît que l’in- tellectuel s’appuie sur des réseaux de personnes et de communications – les « sociabilités intellectuelles » (Racine et Trébitsch, 1992) – dans lesquels il endosse le rôle de figure de proue. Une analyse de discours incluant des éléments de dramaturgie révèle la dimen- sion performative de l’intervention intellectuelle, lorsque, fort de sa notoriété publique, l’intellectuel se pose en autorité morale indépendante, en défenseur de la vérité et de valeurs universelles. Telles seraient les origines de la définition caractéristique de l’his- toriographie française des intellectuels, articulant la dimension individuelle et collective, ainsi que la portée universelle de l’intervention intellectuelle. Dans la partie dédiée aux « intellectuels », la contribution d’Helen Theil sur la concep- tion de l’intellectuel selon Simone Weil fournit un exemple d’une certaine forme d’anti- intellectualisme chez « l’intellectuelle Simone Weil » (p. 47). Rejetant la fonction sociale exclusive de l’intellectuel parce que non démocratique et élitiste, Simone Weil appelait de ses vœux une intellectualisation de la société, de chaque individu en elle. Dans cette société idéale, où chaque individu est doué et capable de raison, chacun est responsable de ses actes, au travail comme en politique, et peut ainsi se passer des intermédiaires qui l’empêchent de faire un usage propre de sa raison : l’expert, l’homme politique, le parti. Simone Weil attend des intellectuels une indépendance en toutes circonstances. Or, du moment qu’ils interviennent en tant que tels, ils sont, selon elle, déjà gagnés à une cause ou à un parti, perdant ainsi leur autonomie et leur attachement aux valeurs universel- les. Le portrait du médecin, auteur et communiste militant Friedrich Wolf que propose l’historien Jens Flemming illustre ce phénomène. Friedrich Wolf est un auteur prolifique, qui produit des pièces et romans à thèse, un auteur engagé s’il en est. Aux antipodes de l’intellectuel retiré du monde, il fait la chronique des conflits sociaux et bouleversements révolutionnaires de son siècle, porté par l’idéologie communiste à laquelle il n’a jamais cessé d’adhérer. Jens Flemming voit en lui un infatigable auteur engagé, un « activiste littéraire » (p. 77), qui intervenait au nom d’une autorité intellectuelle qu’il s’attribuait, mais non un intellectuel au sens du détenteur d’une autorité morale indépendante, sans attache partisane. Rüdiger Hentschel dresse un portrait de l’« intellectuel », en reconstruisant son parcours intellectuel à partir de ses lectures et interprétations des textes de Lukas, mais aussi d’analyses de Paul Sering sur le capitalisme moderne et de Sawinkow sur l’organisation du combat révolutionnaire. Apparaît ainsi une évolution : 494 Revue d’Allemagne

d’abord membre charismatique de l’« Action subversive » et du SDS (l’Union allemande des étudiants socialistes) porté par un marxisme inébranlable, Rudi Dutschke a plus tard formulé son rejet du terrorisme d’extrême gauche de la RAF (Fraction Armée Rouge), pour finalement se faire le défenseur d’une lutte des classes émancipatrice, dans laquelle les intellectuels joueraient un rôle indispensable. Originaire de la RDA, qu’il avait quittée avant la construction du Mur, Dutschke serait resté en RFA un intellectuel inclassable parmi les intellectuels ouest-allemands. Ehrhard Stölting retrace quant à lui l’histoire des intellectuels en Russie, de la constitution progressive de ce groupe social à partir du XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Il le fait dans un mouvement de va-et-vient entre les intellectuels occidentaux et l’intelligenzija russe, et constate ainsi l’existence d’analogies structurelles entre ces deux groupes. Examinant la validité des topoi relatifs aux intellectuels occi- dentaux pour le cas de la Russie, Ehrhard Stölting relève plusieurs caractéristiques de l’intelligenzija russe, en particulier sa rigueur morale, d’où se dégagent en creux des caractéristiques des intellectuels occidentaux. La galerie de portraits rassemblés sous le titre « anti-intellectuels », dans la deuxième partie de l’ouvrage, ne compte que des personnalités allemandes. Richard Faber illus- tre les liens étroits qui peuvent exister entre modernisme et anti-modernisme, intellec- tualisme et anti-intellectualisme à l’exemple du germaniste et écrivain Karl Wolfskehl, disciple de Stefan George et pilier de la Bohême munichoise. Dans un portrait haut en couleurs, il met en évidence les paradoxes du personnage – par exemple entre le culte de la germanité et l’affirmation de son judaïsme dans un entourage de plus en plus ouvertement antisémite – et son syncrétisme apparemment sans limites. Germaniste chevronné et esprit quasi universel, aussi bien que sombre ésotériste, Karl Wolfskehl est, selon Richard Faber, intellectuel et anti-intellectuel dans une égale mesure. Partant de l’aversion des artisans de l’idéologie völkisch pour les intellectuels autant que pour la civilisation occidentale, la culture des grandes villes et les transformations de la société industrielle, Uwe Puschner s’interroge sur l’existence d’un type d’intellectuels völkisch, là où la conception classique de l’intellectuel place celui-ci résolument à gauche. Il présente pour cela le biologiste et théoricien völkisch Willibald Hentschel et son audacieux « plan Mittgart » (Mittgart ou Midgard, litt. l’enceinte du milieu ; ce terme est emprunté à la mythologie nordique), projet de colonie d’hommes et de femmes sélectionnés selon des critères raciaux à des fins de préservation et de culture de la race germanique. En dépit des capacités intellectuelles de Hentschel, de l’usage qu’il fait du verbe au service des idées et valeurs qu’il défend, de l’engagement continu de sa personnalité pour cette cause à ses yeux supérieure, Uwe Puschner lui refuse le statut d’intellectuel au sens propre en raison du caractère figé de sa pensée, de son incapacité à l’auto-critique et du peu d’in- fluence qu’il soit jamais parvenu à exercer sur ses contemporains. Relevant du type du démagogue, du fanatique et du prophète séculaire, Hentschel renverrait plutôt l’image d’une déformation de l’intellectuel. Le germaniste Ralf Georg Czapla analyse les mani- festations de l’anti-intellectualisme chez Joseph Goebbels, qui, nommé en 1933 ministre du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande, contrôlait pourtant l’ensemble du secteur culturel et artistique. Cet anti-intellectualisme était construit sur un antagonisme entre l’intellect et les sentiments, caractéristique de l’idéologie völkisch, combiné à une forte valorisation de l’irrationnel. Partant de la biographie, du parcours universitaire et des échecs professionnels de Goebbels dans l’écriture et l’analyse littéraire, Czapla s’appuie sur la psychologie individuelle pour formuler son interprétation des origines de l’anti-intellectualisme virulent de Goebbels. Le politologue Michael Kohlstruck présente, en la personne du journaliste, universitaire et auteur Klaus Mehnert, un « intellectuel pour non intellectuels ». Mehnert n’est pas un anti-intellectuel dans le même sens que les idéologues völkisch ci-dessus ; sa seule profession de journaliste, puis de professeur d’université, fait de lui un intellectuel. Mais c’est plutôt par l’autorité qu’il a acquise au fil de ses publications, qui s’adressent à un public conservateur moyennement cultivé, lui offrant des clés de lecture de l’actualité internationale, et parce qu’il a ainsi contribué à Italiques 495

faire accepter au grand public la modernisation ou l’« occidentalisation » de la Républi- que fédérale, que Mehnert, quoique conservateur, a acquis le statut d’intellectuel ouest- allemand. Michael Kohlstruck souligne la nécessité d’élargir la définition d’intellectuel dans un sens sociologique, définition tournée vers les acteurs et la diffusion d’idées et de valeurs, qu’elles soient de gauche ou plus conservatrices. Le volume se clôt sur une contribution du politologue Hans-Manfred Bock qui rend compte des tentatives menées ces trois dernières décennies par des universitaires pour dépasser le système auto-référentiel, dans lequel les intellectuels définissaient eux-mêmes ce qui les caractérisait, et proposer une définition historico-sociologique du rôle des intel- lectuels. Révélant la fragilité de valeurs supposées universelles, le post-fondamentalisme a sérieusement entamé le socle sur lequel reposaient l’autorité et la légitimité, partant les formes de recrutement et d’intervention des intellectuels correspondant au modèle qui a perduré de Zola à Sartre. À l’intellectuel « universel » succède ainsi, d’après Fou- cault, l’intellectuel « spécifique » qui, dans des situations précises, aurait pour tâche de constituer des réseaux de résistance au pouvoir, au capital, etc. La sociologie des intellectuels de Bourdieu, qui présente la position d’autorité de l’intellectuel comme le produit d’interactions conflictuelles dans un champ social et non comme le résultat d’une auto-proclamation ou de la reconnaissance sociale de son autorité, a fortement contribué à démythologiser cet acteur social et culturel. Si Jean-François Lyotard remet en question l’existence des intellectuels en leur attribuant tout au plus un rôle d’intervenants ponc- tuels auprès des citoyens sur des questions précises, Pierre Nora et Marcel Gauchet, dans le périodique Le Débat, nourrissent la discussion internationale sur la transformation ou le déclin des intellectuels dans le présent et à l’avenir. Cet ouvrage offre une galerie de portraits d’intellectuels d’une grande richesse et convainc aisément de la fluidité des frontières entre intellectuels et anti-intellectuels. Dans ce sens, on s’étonne même de voir figurer le portrait de Klaus Mehnert dans la par- tie dédiée aux anti-intellectuels, car Mehnert apparaît comme un intellectuel, du moins par la profession, qui a fait le choix de s’adresser à un public moyennement cultivé mais intéressé en recourant à des formes de vulgarisation. On ne voit pas en quoi Mehnert était anti-intellectuel et sans doute la contribution à son sujet figure-t-elle dans cette par- tie pour équilibrer les deux parties du volume. La symétrie dans l’organisation du volume semble alors un peu artificielle. On peut également regretter que certaines contributions, si intéressants que soient les portraits qu’elles proposent, soient bien peu aux prises avec la définition de l’intellectuel. La contribution d’Anne Kwaschik sur la naissance du modèle de l’intellectuel apporte des éclairages d’une prime importance sur le modèle auquel se réfèrent toutes les réflexions sur la définition de l’intellectuel, éclairages d’autant plus appréciables que l’introduction de l’ouvrage ne propose pas de cadre théorique situant son objet dans la recherche existante. Pour cette même raison, on apprécie particulièrement les réflexions de Hans-Manfred Bock qui dessine les lignes de force des discussions des trois dernières décennies sur la définition et le rôle des intellectuels. Incontestablement, cet ouvrage apporte sa pierre à l’édifice de ces discussions et il trouvera sa place dans l’ensemble de travaux sur les intellectuels en Allemagne, un champ d’étude qui est encore loin d’être épuisé.

Anne-Laure BRIATTE-PETERS 496 Revue d’Allemagne

Laurence DUCHAINE-GUILLON, La vie juive à Berlin après 1945. Entre Est et Ouest, Paris, CNRS Éditions, 2011, 27 €.

Comment vivre en tant que Juif au pays de ses bourreaux après la Shoah, qui plus est dans l’ancienne capitale du IIIe Reich ? Laurence Duchaine-Guillon, dans l’ouvrage issu de sa thèse de doctorat, pose et tente de répondre à cette question en apparence paradoxale. L’auteur a choisi d’interroger l’identité juive au lendemain de la Catastrophe, et d’inter- roger celle-ci sur le sol allemand, là même où a émergé l’idéologie exterminatrice visant à débarrasser celui-ci de toute présence juive. Pour ce faire, elle opte pour un choix auda- cieux mais pertinent, celui de concentrer son étude sur Berlin après 1945, ville d’emblée divisée pour bientôt symboliser le conflit Est-Ouest qui se profile au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Une « troisième Allemagne » (1) à l’image des deux entités qui succèdent au Reich – un espace autre, qui permet peut-être d’expliquer pourquoi il était envisageable pour les Juifs rescapés de la guerre de s’y installer ou d’y revenir. Ce travail mené sur la « (re)construction de la vie juive à Berlin » (p. 22) vise à s’inscrire dans une « histoire intégrée » (p. 35) analysant conjointement deux histoires, celle de l’Est et celle de l’Ouest, qui dans l’historiographie sont encore trop souvent pensées séparément ou parallèlement mais sans lien entre elles. L’auteur part d’une définition « minimale » (p. 17) des acteurs principaux de son objet d’étude, les Juifs à Berlin, dépassant la définition religieuse ou d’appartenance à une communauté organisée pour inclure aussi bien les personnes s’autodéfinissant comme juives que celles uniquement identifiées comme telles. Pourtant, les trois sources majeures qu’elle utilise dans sa recherche – presse juive, témoignages et archives communautaires – privilégient de fait l’approche de la vie juive par le biais des institutions communautaires organisées, incontestablement les plus aisées à saisir, mais pas nécessairement les plus représentatives, comme elle le souligne justement à plusieurs reprises dans son ouvrage. Cette approche classique dans le choix des sources privilégiées se retrouve dans le plan adopté pour cette étude. Cinq grands chapitres analysent en premier lieu la renaissance et les premières divisions de la communauté juive au sortir de la guerre jusqu’à la rup- ture de 1953 (il est intéressant de constater ici que cette césure est plus liée au monde juif qu’à l’histoire politique de la division de la ville de Berlin), puis considèrent l’ensemble de la période des deux communautés (1953-1989) pour une étude comparative de la démographie, des institutions juives, des rapports de celles-ci aux questions et aux prati- ques politiques et enfin de la « culture juive » à Berlin Est et Ouest. De ce panorama très complet émerge une vision d’ensemble cohérente de la vie juive berlinoise et des identités spécifiques qui s’y sont construites. L’auteur conclut qu’au delà de cette reconstruction qui s’opère dans une division effective et tout particulièrement visible et matérialisée à Berlin par le mur, de nombreux éléments rattachent les deux histoires des communautés juives de Berlin Est et Ouest à leur passé commun, et illustrent des correspondances, échos, transferts et porosités qui se font jour entre ces deux mondes, que ce soit dans la concurrence ou la coopération. En ce sens, la pratique de cette histoire intégrée se révèle fructueuse. Celle-ci permet en effet à l’auteur de constater en filigrane, et au delà des divisions profondes qui marquent les deux communautés, un même attrait et une semblable revendication d’un passé commun, une volonté comparable – mais vaine – de faire revivre l’illusion de la « symbiose judéo-allemande » qui aurait caractérisé tout particulièrement la ville de Berlin jusqu’aux années 1930. On peut néanmoins regretter que cette conclusion intéressante émerge relativement difficilement d’un ensemble certes très informatif et bien documenté, mais par moments très scolaire dans l’écriture, tout en n’offrant pas au lecteur tout l’appareil critique pour lui permettre de mieux se repérer (absence d’index et d’une liste d’abréviations des sigles

1 Expression que l’auteur (p. 22) emprunte à Peter BENDER, Deuschlands Wiederkehr. Eine ungeteilte Nachkriegsgeschichte 1945-1990, Stuttgart, Klett-Cotta, 2007, p. 70. Italiques 497

utilisés, pourtant nombreux). Par ailleurs, un certain nombre de constats fort justement opérés ne sont pas toujours mis en perspective avec la situation plus générale des resca- pés de la Shoah, en Europe occidentale d’une part, dans l’Europe centrale passée sous la férule soviétique d’autre part. C’est ainsi que les remarques concernant la démographie et la sociologie des sociétés juives berlinoises, marquées par la sécularisation, les unions mixtes ou encore l’apparition d’un conflit générationnel à l’orée des années soixante ne sont que le reflet de tendances observables dans l’ensemble des communautés juives d’Europe au sens large, mais vaudrait aussi pour les États-Unis et sans doute même au delà des communautés confessionnelles, c’est l’ensemble des sociétés européennes qui est marqué après 1945 par ces phénomènes. De la même manière, plusieurs aspects relatifs au fonctionnement des institutions communautaires, leur décalage avec la société juive qui critique ces « Juifs de métier » (p. 244) et l’atmosphère qui y règne, certes familiale mais également très paternaliste et patriarcale (p. 250), pourraient tout à fait s’appliquer à la situation observable dans les communautés juives en France ou en Pologne à la même époque, pour prendre deux exem- ples respectivement à l’Ouest et à l’Est de l’Europe. Une connaissance plus approfondie de la littérature anglo-saxonne – peu citée dans les notes et quasi absente de la bibliogra- phie placée en fin de volume – aurait peut-être pu permettre d’élargir la perspective en replaçant notamment les spécificités est-allemandes dans un ensemble plus vaste incluant d’autres démocraties populaires où certaines problématiques entrent clairement en réso- nance (2). C’est ainsi que l’intéressante « renaissance » de l’attrait pour la culture et le patrimoine juifs, que l’auteur constate dans les années 1980 tant à l’Ouest qu’à l’Est s’ob- serve également selon une chronologie parallèle et des modalités proches – notamment la restauration des cimetières juifs qui débute également en Pologne à cette période (3). Au total, et en dépit des quelques réserves émises, cette synthèse sur l’histoire des Juifs dans les deux Berlin depuis 1945 est incontestablement bienvenue dans l’historiographie en français encore trop pauvre sur l’histoire juive européenne après 1945. Elle apporte une somme de connaissances fort utiles tant dans une perspective comparatiste Est-Ouest que dans l’étude des communautés juives d’Europe rescapées de la Shoah.

Audrey KICHELEWSKI

Guillaume DUVAL, Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes, Paris, Seuil, 2013, 234 p., 17 €.

Cet ouvrage de quelqu’un qui a travaillé comme ingénieur pendant plusieurs années dans des entreprises allemandes mérite toute notre attention. Court et bien documenté sur de nombreux points, il aidera à combattre l’ignorance des Français au sujet de l’Al- lemagne, au moment où cette dernière fait sentir de plus en plus fortement son poids sur l’évolution de la société française. Toutefois, il n’échappe pas complètement à ces vues déformantes qui empêchent une grande partie de la classe politique française de comprendre les fondements actuels des rapports franco-allemands.

2 Parmi une littérature abondante, on peut citer Lynn RAPAPORT, Jews in Germany after the Holo- caust : Memory, Identity and Jewish-German Relations, New York, Cambridge University Press, 1997, et Michael MENG, Shattered Spaces. Encountering Jewish Ruins in Postwar Germany and Poland, Cambridge, Harvard University Press, 2011, qui tous deux dépassent le cadre allemand pour inclure le cadre est-européen dans leur réflexion. 3 Sur cette question, cf. M. MENG, Shattered Spaces, op. cit., chapitre 4, « Restoring Jewish Ruins ». 498 Revue d’Allemagne

L’auteur montre l’ancienneté des facteurs qui fondent la réussite économique alle- mande. Sa thèse essentielle est qu’elle repose sur des causes structurelles et que « les profondes différences héritées de l’histoire continuent de marquer de façon détermi- nante nos sociétés et nos économies ». Sur ce point, l’ouvrage de Guillaume Duval est d’une grande richesse et il a de surcroît le mérite d’être clair. Guillaume Duval a vu de l’intérieur tout ce que doivent les succès de l’industrie alle- mande à un mode de relations sociales reposant sur la cogestion. Les comités d’entreprise (Betriebsräte) donnent leur accord préalable à toute décision sur les horaires de travail, les congés, les recrutements et les promotions. Dès qu’une décision économique entraîne des conséquences sociales, l’employeur est tenu de présenter un plan social qui doit recueillir l’approbation du Betriebsrat, alors qu’en France, l’avis du comité d’entreprise n’est que consultatif. Les représentants des salariés occupent, depuis 1976, la moitié des sièges au conseil de surveillance des entreprises de plus de 2 000 salariés. En contrepartie de cette participation à la gestion des entreprises, les syndicats de branche ont accepté une certaine flexibilité. En témoigne notamment l’introduction de clauses d’ouverture (Öffnungsklausel) dans les conventions collectives, ces clauses permettant aux entrepri- ses en difficulté de déroger temporairement aux accords de branche. Comme l’Italie, l’Al- lemagne ne dispose pas de salaire minimum légal (principe dit de la « Tarifautonomie »). Le salaire minimum est fixé par la convention collective de la branche. On aura compris qu’il est plus bas dans le textile que dans la chimie. Les accords sont conclus pour une durée de deux ou trois ans, pendant laquelle les grèves sont interdites. Ces négociations de branche ont joué un rôle clé dans la stratégie menée pour défendre la compétitivité- coût de l’industrie allemande depuis la guerre. En France, remarque Guillaume Duval, il faut un niveau plus élevé de chômage et de liquidations d’entreprises pour modérer les revendications salariales. Un autre avantage comparatif ancien de l’économie allemande est le respect que la société tout entière voue à la compétence professionnelle, quel que soit le domaine où elle s’exerce. En Allemagne, les emplois industriels sont nettement plus valorisés sociale- ment qu’en France. L’apprentissage, au lieu d’être une filière de second choix, est la voie prédominante et n’est pas synonyme de formation courte. Même si, comme dans tous les pays riches aujourd’hui, les jeunes Allemands ont tendance à se détourner des études scientifiques et techniques, leur orientation vers les métiers de l’industrie reste plus forte qu’en France. De réelles possibilités de promotion interne sont ouvertes à ceux qui ont démarré leur vie professionnelle dans le cadre de l’apprentissage. Jürgen Schrempp, président de Daimler de 1995 à 2005, commença comme apprenti mécanicien, rappelle Guillaume Duval. Même si l’apprentissage rencontre aujourd’hui des difficultés, comme la réduction du nombre de places offertes par les entreprises, il permet à l’Allemagne ainsi qu’aux pays ayant des systèmes d’enseignement similaires (Autriche, Pays-Bas, auxquels on peut ajouter la Suisse) d’avoir en 2011 un taux de chômage des 15-24 ans inférieur à 10 % des actifs contre plus de 20 % en France. Ce rapport du simple au double se maintient même si l’on considère l’ensemble de la classe d’âge : en 2011, les jeunes chômeurs représentaient 8,4 % des jeunes en France contre 4,5 % en Allemagne. La longue survie des corporations, jusque pendant le XIXe siècle, a permis de développer la coopération interentreprises au sein d’une même branche d’activité, notamment dans le domaine de la formation professionnelle et de la définition de normes industrielles. Très contraignantes, ces dernières constituent aujourd’hui un avantage comparatif pour l’in- dustrie allemande : les règles du Deutsches Institut für Normung ont été la source d’éco- nomies d’échelle considérables en permettant une standardisation plus poussée et elles ont allégé les coûts de transaction en limitant les incertitudes sur la qualité des produits. Elles ont été largement reprises par les normes européennes… auxquelles les entreprises allemandes sont – et pour cause – celles qui s’adaptent le plus facilement. La France, pays plus libéral que l’Allemagne sur ce plan, a souffert de l’individualisme de ses entreprises et de l’absence d’un rôle substantiel confié aux branches professionnelles. Italiques 499

D’autres avantages structurels sont encore à prendre en compte. La densité du peu- plement se traduit par un coût moindre des réseaux. La fragmentation politique de l’Al- lemagne a, comme en Italie du Nord, favorisé l’esprit d’entreprise. Sur ce dernier point, Guillaume Duval note que ce qui fut longtemps perçu comme un handicap se révèle au bout du compte comme un avantage décisif dans un contexte de mondialisation où les petits États et les États décentralisés tirent mieux leur épingle du jeu. Guillaume Duval montre que les Allemands sont préparés depuis longtemps au nouvel ordre international fondé sur le libre jeu du marché et le rejet du dirigisme. L’ordolibéra- lisme, qui s’est imposé en 1947, avec le choix du professeur Ludwig Erhard pour assumer la responsabilité des questions économiques de la bizone, est en réalité un courant de pensée développé dès le lendemain de la Première Guerre mondiale par les économistes de l’université de Fribourg-en-Brisgau. Il considère les mécanismes de marché comme plus efficaces que l’économie administrée, tout en posant, à la différence du libéralisme anglo- saxon, que l’État doit établir un certain nombre de règles. Les idées de l’ordolibéralisme ont été provisoirement écartées avec l’arrivée de Hitler au pouvoir et la remise en place d’une économie de guerre, administrée par l’État. C’est pourquoi les Allemands associent l’idée de relance keynésienne et d’intervention de l’État à la politique de réarmement à marche forcée et à la catastrophe hitlérienne. Le succès des thèses ordolibérales en Allemagne depuis 1945 s’explique par la défiance qu’éprouve l’opinion publique à l’égard de toute forme d’intervention étatique, à la suite du traumatisme laissé par l’expérience nazie. Guillaume Duval note que ce rejet de l’interventionnisme étatique a été renforcé par la répression sanglante des émeutes populaires à Berlin-Est en 1953, alors qu’il a fallu attendre la fin des années 1970 pour que le modèle soviétique soit définitivement discrédité en France. Le rejet du dirigisme par l’Allemagne ne signifie pas la renonciation à conduire des projets industriels à long terme : l’absence de ce que les Français appellent une « politique industrielle » est compensée par la coopération interentreprises, fondée sur une connaissance fine du terrain. Plus récemment, de nouveaux avantages comparatifs sont venus s’ajouter aux avan- tages structurels anciens : l’absence de bulle immobilière liée à la stagnation du nombre d’habitants, une dépense publique plus faible due à une moindre prise en charge des jeu- nes enfants ainsi qu’au caractère sélectif de l’accès à l’université et enfin la compression des prix des services, où les salaires horaires sont en moyenne un tiers plus bas qu’en France ; trois millions de salariés allemands, pour l’essentiel, des femmes travaillant dans le secteur tertiaire, gagnent moins de 6 euros de l’heure en 2010 (alors que le SMIC horaire est de 8,90 euros pour toutes les branches en France). Ce bas prix des services a joué un rôle dans l’amélioration de la compétitivité-coût de l’industrie allemande, en rendant plus supportable la stagnation des rémunérations des salariés de l’industrie, mais la crise a accru l’inégalité de temps de travail entre les hommes et les femmes aux dépens de ces dernières. À ces nouveaux avantages comparatifs se sont ajoutés, depuis 1990, la chute du communisme, qui rend possible une symbiose industrielle profitable avec les ex-pays frères de la défunte RDA, ainsi que le décollage des pays émergents, dont la demande se trouve en accord avec les spécialisations traditionnelles de l’industrie allemande. Là où il est moins convaincant, c’est dans sa critique radicale des mesures prises par Gerhard Schröder, qui constitue la seconde thèse centrale de son ouvrage. Non seulement celles-ci n’auraient eu aucune part dans les succès actuels de l’économie allemande, mais encore elles l’auraient plutôt fragilisée à long terme. Dès l’introduction, l’auteur laisse paraître son hostilité au néo-libéralisme. Il condamne d’un trait de plume le système éco- nomique des pays anglo-saxons « démonétisé, dit-il, par les frasques de ses financiers ». Mais si l’on veut bien se donner la peine de comparer le taux moyen de croissance du PIB français depuis quatre décennies à ceux des États-Unis et de l’Angleterre, la comparaison 500 Revue d’Allemagne

est à l’avantage de ces derniers. Entre 1974 et 2008, le PIB de la France a été multiplié par 2, celui du Royaume-Uni par 2,3 et celui des États-Unis par 2,8. Les taux de croissance annuels moyens sont respectivement de 2,1 %, 2,4 % et 3,1 % par an (4). Le chapitre consacré à la gestion de Gerhard Schröder est sous-titré : « anatomie d’une mystification ». Il reproche au chancelier social-démocrate d’avoir développé la pauvreté et les inégalités. Et de comparer les performances allemandes et françaises en matière de redistribution de revenus : le taux de pauvreté (5) allemand est passé de 10,5 % en 1999 à 14,5 % en 2006 et le rapport entre les revenus des 10 % les plus riches et ceux des 10 % les plus pauvres est passé de 5,3 en 1997 à 7,1 en 2006, quand en France il retombait de 7,7 à 6,1 grâce à la forte hausse du Smic horaire due aux 35 heures. En fait, il y a là une profonde divergence entre les intellectuels des deux pays sur la notion de pauvreté. Pour les Français, celle-ci se mesure uniquement en termes monétaires. C’en est au point que les experts français des reconversions industrielles ont considéré le problème résolu quand ils avaient multiplié les préretraites et les congés de fin de carrière. Or les populations sorties des chiffres du chômage et entrées dans la catégorie des non actifs ont sombré dans les addictions, la perte des repères sociaux, et les troubles de santé. Ce fait n’a jamais fait l’objet d’analyses statistiques poussées : il est bien dommage qu’il n’existe pas de médecine de l’oisiveté à côté de la médecine du travail. En faisant passer la durée d’indemnisation du chômage de 32 à 12 mois, en rendant plus stricte l’obligation d’accepter les emplois proposés, en imposant les « ein Euro jobs » aux chômeurs de longue durée et en exonérant de charges sociales les « minijobs » à temps partiel de moins de 400 euros par mois, le gouvernement social-démocrate a redonné un emploi du temps à des centaines de milliers de personnes fragilisées psychologiquement par l’inactivité. Pour un Allemand, la condition de « working poor » est moins dérangeante que celle de chômeur et d’assisté. Cette divergence fondamentale fait que l’expérience Schröder de baisse de la rémunération du travail (qualifiée par Guillaume Duval de « multiplication des petits boulots mal payés ») est rejetée avec indignation par une bonne partie de l’opinion française alors qu’elle est vue de façon moins négative par l’opinion allemande. Guillaume Duval met l’accent sur l’effet récessif immédiat des mesures prises par le gouvernement Schröder. Il cite en abondance les statistiques qui enregistrent la décélération de la croissance, la contraction de la demande intérieure et la baisse des investissements des entreprises pendant la période 1998-2005. Mais la baisse des coûts unitaires de main-d’œuvre enregistrée en Allemagne entre 1998 et 2006 n’est évoquée que très incidemment, en quelques lignes. Or c’est le redémarrage des exportations qui a permis à l’économie allemande de renouer durablement avec la croissance. Au même moment, la croissance française, qui avait trop longtemps reposé sur la dépense publique, a fini par buter sur le bon vouloir des créanciers étrangers. L’auteur a bien connaissance du « redressement indéniable » de l’économie allemande après 2005, mais il affirme qu’il « doit en réalité fort peu à l’action de Gerhard Schröder ». On aimerait alors savoir quels autres facteurs expliquent cette réussite, mais le chapitre suivant (« Les vraies raisons du rebond de l’Allemagne d’Angela Merkel ») laissera le lecteur sur sa faim : l’auteur se contente en fait de rappeler les avantages comparatifs structurels et conjoncturels de l’économie allemande. Sa foi dans le keynésianisme est si fervente qu’elle lui fait même entrevoir une vision dans laquelle l’austérité imposée par Schröder se serait « quelque peu relâchée avec Angela Merkel ». Il en oublie, dans ce chapitre, la décision de la chancelière d’augmenter de trois points la TVA, passée d’un seul coup de 16 % à 19 % au 1er janvier 2007, mesure qui a fortement affecté le pouvoir d’achat des Allemands. S’il est vrai que la part des salaires est remontée légèrement dans la valeur

4 Cf Angus MADDISON, Statistics on World Population, GDP and per capita GDP, 2-2010 AD, http://www.ggdc.nl/maddison. 5 Proportion de la population vivant au-dessous d’un niveau de revenu égal à 60 % du revenu médian. Italiques 501

ajoutée entre 2007 et 2012, c’est à l’amélioration de la santé des entreprises et à la baisse du chômage qu’on le doit, et non à un assouplissement de la politique économique du gouvernement fédéral. Au total, ce livre, même s’il aide à dissiper beaucoup de préjugés erronés sur l’Allema- gne, ne contribue pas encore à éclairer suffisamment les Français sur la situation exacte de leur pays dans le couple franco-allemand. Il comporte un certain nombre d’omissions et de non-dits. Il souffre sans doute d’être biaisé par une pieuse défense de la politique française traditionnelle de soutien de la croissance par la demande intérieure. Pour- tant, la preuve par l’absurde est depuis longtemps sous nos yeux : une lente asphyxie du potentiel productif français qui se manifeste par la coexistence d’un déficit commercial extérieur croissant et d’un sous-emploi massif.

Michel HAU

PRESSES UNIVERSITAIRES DE STRASBOURG « Les Mondes Germaniqes » À vocation pluridisciplinaire, la collection des Mondes Germaniques explore les aspects politiques, économiques, sociaux Le Modèle allemand de la charité. et culturels de lAllemagne et des pays La Caritas de Guillaume II à Hitler. germanophones à lépoque contemporaine. Catherine Maurer 1999 > 360 p. > 24,39 € La Cour de Vienne 1680-1740. Service de La Charité en pratique. Chrétiens français l’empereur et stratégies spatiales des élites et allemands sur le terrain social : xixe - xxe siècles. nobiliaires dans la monarchie des Habsbourg Dir. Isabelle von Bueltzingsloewen & Denis Éric Hassler Pelletier 2012 > 380 p. > 27,00 € 1999 > 224 p. > 15,24 € À la recherche de la paix. France - Allemagne. Poincaré, la France et la Ruhr (1922-1924). Les carnets d’Oswald Hesnard 1919-1931 Histoire d’une occupation. Carnets et écrits inédits édités par Jacques Bariéty Stanislas Jeannesson 2011 > 698 p. > relié toile, jaquette > 40 € 1998 > 432 p. > 24,39 € Les Espaces de l’Allemagne au xixe siècle. Pédagogie et enseignement en Allemagne Frontières, centres et question nationale. de 1800 à 1945. Dir. Catherine Maurer Jacques Gandouly 2010 > 272 p. > 24,00 € 1997 > 432 p. > 22,87 € La Politique russe de Bismarck Gustave Stresemann (1878-1929). et l’unification allemande. De l’impérialisme à la sécurité collective. Mythe fondateur et réalités politiques. Christian Baechler Stéphanie Burgaud 1996 > 928 p. > Épuisé 2010 > 512 p. > 36,00 € Walther Rathenau (1867-1922). L’Image de Vienne et de Prague Paul Létourneau à l’époque baroque (1650-1740). 1995 > 272 p. > 19,82 € Ève Menk-Bertrand Sous le signe de la rééducation. 2008 > 464 p. + 32 p. hors-texte > 32,00 € Jeunesse et livre en Zone Française Les Reichsuniversitäten de Strasbourg d’Occupation (1945-1949). et de Poznan et les résistances Monique Mombert universitaires. 1941-1944. 1995 > 232 p. > 18,29 € Dir. Christian Baechler, François Igersheim La Politique culturelle de la France et Pierre Racine sur la rive gauche du Rhin (1945-1955). 2005 > 284 p. > 19,00 € Corine Deance Le Tournant occidental de l’Allemagne après 1945. 1994 > 364 p. > 25,92 € Denis Goeldel Migrations et mémoire germaniques 2005 > 376 p. > 24,00 € en Amérique latine. Aspects du fondamentalisme national Jean-Pierre Blancpain en Allemagne de 1890 à 1945. 1994 > 354 p. > 25,92 € Louis Dupeux 2001 > 310 p. > 24,00 €

Vous trouverez toutes nos publications sur : hp://www.lcdpu.fr/ Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande 503 T. 45, 2-2013

Sommaire du tome 45 – 2013

N° Pages Matthieu Arnold La foi des « Malgré Nous » (1942-1945) ...... 2 449-456 Alain Ayerbe Les enjeux démographiques en Allemagne ...... 1 7-21 Christian Baechler La perception de Briand et de sa politique à l’Auswärtiges Amt de 1921 à 1932...... 1 131-150 Eliane Beaufils Le jeu avec les imaginaires collectifs dans les théâtres hors établissements en Allemagne...... 2 389-402 Emmanuel Béhague Introduction au Dossier « Images et discours de la nation »...... 2 259-263 Sandie Calme Chronique juridique – Le droit de garde des enfants nés hors mariage. Étude comparée en droit allemand, autrichien et suisse...... 1 233-239 Chronique juridique – Le détachement international de travailleurs en droit allemand, autrichien et suisse...... 2 483-488 Valérie Carré Le Braqueur de Benjamin Heisenberg ou l’Autriche « surmoderne » ...... 2 309-320 Guillaume Christen et al. Quels enjeux à l’introduction des énergies renouvelables ? Une analyse comparative Alsace/Rhénanie-Palatinat ...... 1 83-108 Béatrice Dedinger L’avenir commercial de l’Allemagne ...... 1 109-127 Lucile Dreidemy Die Staatsoperette. Satire als Geschichtspolitik ...... 2 265-282 Anaïs Feyeux Pour ne plus être le miroir de l’Allemagne. L’émancipation de la photographie dans la seconde moitié des années cinquante ...... 2 339-356 Vincent Génin La Belgique face au traité de l’Élysée (juillet 1962-juillet 1963). Vers un axe Paris-Bonn ou une influence de Bruxelles ?...... 1 185-200 Anahita Grisoni La naturopathie et le Heilpraktiker. Détours par l’Allemagne et construction d’un espace de circulation européen...... 1 211-224 Michel Hau L’excédent commercial allemand. Quelques réflexions à propos de l’article de Béatrice Dedinger ...... 1 123-127 Kerstin Hausbei Emblème interactif du commerce identitaire : « Bitte liebt Österreich » de Christoph Schlingensief...... 2 283-296 504 Revue d’Allemagne

Valentine Hoffbeck Le catholicisme à l’épreuve de l’eugénisme en France et en Allemagne (1919-1934)...2 433-448 Italiques...... 1 241-254 2 489-501 Barbara Lafond Gegenläufigkeit der Tell- und Alpen-Diskurse in der Schweizer bildenden Kunst des 20. Jahrhunderts. Integrativer Tell- und Alpen-Mythos, identitätsstiftende Tell- und Alpen-Emblematik und ihre korrosiven Gegendiskurse ...... 2 403-416 Sylvie Le Grand Religion als Gegenkultur in der DDR? Eine Untersuchung des Umgangs mit Kirchenbau in der DDR am Beispiel Eisenhüttenstadt...... 2 457-470 Gilles Leroux Avant-propos – Dossier « Allemagne : enjeux et défis »...... 1 3-5 Les Allemands et le nucléaire : Histoire d’un double défi. Première partie : Le nucléaire en tant que défi industriel et enjeu de politique internationale...... 1 41-59 Seconde partie : De la contestation à la « sortie » du nucléaire...... 1 61-81 Michael Lück Memory-Effekt. Überlegungen zur künstlichen Erinnerung...... 2 357-368 Jacques Poumet Nation et arts en RDA ...... 2 321-338 Sébastien Rival Les premières années de l’échange d’assistants de langue entre la France et l’Allemagne (1904-1939) ...... 1 151-165 Éric Rugraff Le « modèle » allemand de croissance économique par les exportations : une solution pour les pays européens en crise ? ...... 1 201-210 Anne Salles Le tournant de la politique familiale allemande : un succès en demi-teinte...... 1 23-40 Bénédicte Savoy Exposition impossible ? Retour sur l’exposition de Bonn, Napoléon et l’Europe. Le rêve et la blessure ...... 1 225-231 Franziska Schössler Nationale Mythen und avantgardistischer Widerstand bei Christoph Schlingensief. .2 297-307 omas Schuler Le regard d’un Alsacien sur l’élaboration de la paix. L’abbé Émile Wetterlé et la question du « Rhin français » (janvier-juin 1919)...... 2 419-432 Sylvie Toscer-Angot La loi de neutralité berlinoise du 27 janvier 2005 : une mise à l’épreuve du modèle national de régulation du religieux ? ...... 2 471-482 Urs Urban Deutschland – ein Sommermärchen? Bilder der Nation bei Heinrich Heine, Sönke Wortmann und Klaus Lemke ...... 2 369-388 Marie-Bénédicte Vincent La dénazification et son contentieux : un legs qui pèse durablement sur la RFA. Le cas de Mathilde Ludendorff (1877-1966)...... 2 167-184