L’environnement des sociétés néolithiques et protohistoriques autour de Lavau Christophe Petit, Grégory Dandurand, Gilles Deborde, Elise Doyen, Kaï Fechner, Millena Frouin

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Christophe Petit, Grégory Dandurand, Gilles Deborde, Elise Doyen, Kaï Fechner, et al.. L’environnement des sociétés néolithiques et protohistoriques autour de Lavau. Vincent Riquier. Archéologie dans l’ - Des premiers paysans au prince de Lavau (5300 à 450 avant notre ère), Snoeck; Archives départementales de l’Aube, pp.40-51, 2018, 978-94-6161-445-2. ￿hal-02173029￿

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Christophe Petit, Grégory Dandurand, Gilles Deborde, Élise Doyen, Kai Fechner et Millena Frouin

INTRODUCTION

u pied du site de Lavau implanté sur une et/ou pastorales et plus largement les sociétés colline crayeuse s’étend la large plaine sédentaires plus ou moins hiérarchisées. alluviale de la Seine qui traverse la ville Les sociétés anciennes, implantées dans l’es- actuelle de (fig. ).1 La découverte pace géographique qui correspond aujourd’hui de cette tombe princière est exception- au département de l’Aube, ont exploité leurs Anelle, en raison du mobilier conservé et parce ressources (eau, sols, ressources minérales, qu’elle modifie en profondeur notre connaissance végétales et animales) : quelles traces archéo- des sociétés du premier âge du Fer européen. logiques permettent de documenter cet aspect Les fouilles préventives documentent également environnemental et économique des sociétés ? l’environnement des sociétés anciennes, grâce À quels moments, avec quelle intensité et à quelle à l’analyse des données géomorphologiques, échelle spatiale, les sociétés ont-elles été le pédologiques, archéobotaniques et archéozoolo- moteur de transformations de l’environnement ? giques. Les relations que les sociétés anciennes Comment la reconstitution des couvertures entretenaient avec leur environnement doivent végétales peut-elle contribuer à caractériser le être identifiées si l’on souhaite comprendre développement de l’élevage et de l’agriculture leur développement au cours du temps ; cette depuis la Protohistoire ? Les modifications de la question est devenue évidente pour le dévelop- couverture pédologique témoignent-elles de la pement durable des sociétés contemporaines ! mise en culture des terroirs ? Dans un paysage Les variations environnementales durant l’Holo- alluvial très changeant à l’échelle de l’Holocène, cène (les derniers 10 000 ans), telles que les comment les sociétés se sont-elles implantées ? changements de végétation, les métamorphoses Enfin, quel était l’environnement de la vallée fluviales, l’érosion des sols, les variations clima- de la Seine où se sont implantés les deux sites tiques, affectaient déjà les productions agricoles princiers hallstattiens de Lavau et de Vix ?

40 INTRODUCTION GÉNÉRALE

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Vallée de la Seine Champagne sèche Alluvions et terrasses alluviales Terrains crayeux du Crétacé supérieur

Pays d’Othe Champagne humide Terrains argilo-sableux rouges à silex du Tertiaire Terrains marneux et argileux du Crétacé inférieur

Fig. 1

Fig. 1 Le site hallstattien de Lavau est implanté au sommet d'un versant crayeux dominant la plaine de la Seine, à hauteur de la ville actuelle de Troyes.

41 LA VARIÉTÉ DES PAYSAGES

Le sous-sol du département de l’Aube est cours d’eau ont ouvert de larges couloirs allu- constitué de formations sédimentaires de viaux. Ils sont aujourd’hui encombrés d’allu- natures diverses organisées en couches mono- vions graveleuses calcaires parfois argileuses, clinales basculées faiblement en direction du anciennes et modernes. Après avoir capté les cœur du Bassin parisien. Quatre grandes régions eaux de l’Aube, la Seine atteint seule le Nogen- naturelles y sont représentées avec, du sud-est tais, aux confins orientaux du plateau tertiaire au nord-ouest, les reliefs calcaires jurassiques d’Île-de-France. du Barrois, la dépression de la Champagne humide composée des argiles dites « tégulines », Au cours du Quaternaire (les deux derniers et des sables du Crétacé inférieur, la plaine millions d’années), le lent soulèvement du mollement ondulée de la Champagne sèche Bassin parisien et les oscillations climatiques composée des craies du Crétacé supérieur et sont à l’origine d’un nombre limité de terrasses enfin les confins orientaux du plateau tertiaire étagées et de nappes alluvionnaires de la Seine d’Île-de-France, comprenant grès quartzites, et de ses affluents. Au moins quatre nappes, galets de silex, argiles, etc. Des reliefs de côtes déterminant trois terrasses, sont reconnues (ou cuestas) successives séparent ces quatre pour la Seine et l’Aube dans le département. régions (fig. ).2 Ces dernières, qui appartiennent Ce nombre et leur position par rapport à la au large bassin hydrographique de la Seine, plaine inondable actuelle varient néanmoins en sont traversées par l’Aube et la Seine, dont les fonction de la région naturelle considérée et de sources sont situées sur le plateau de Langres, la morphologie des vallées (fig. ).2 et la Vanne, un affluent de l’Yonne prenant sa source dans le Pays d’Othe, localisé à l’ouest du La diversité des sols, engendrée par les trans- département et offrant une couverture d’argile formations au cours des temps géologiques à silex, riche en granules et galets ferrugineux. du substrat sédimentaire du département, L’eau du fleuve et les nombreuses rivières qui conduit à une variété tout aussi saisissante du sillonnent le département représentent donc paysage, de sa végétation et du mode d’exploi- une ressource essentielle, d’autant que les tation agropastorale actuelle de ces régions. vallées s’avèrent des lieux privilégiés de pêche Les calcaires jurassiques, peu sensibles à et de chasse, ainsi que d’excellents couloirs l’érosion, offrent un relief très vallonné, bien de déplacement. Dans la traversée des reliefs irrigué, favorable au développement sur les calcaires du Barrois (Côte des Bar), les cours plateaux de Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine d’une de la Seine et de l’Aube occupent des vallées couverture forestière dense ayant récemment longues et étroites qui reçoivent les eaux de cédé une grande place à la culture de la vigne. nombreux affluents (Laignes, Ource, Arce, Les argiles tégulines, sillonnées de nombreux Barse, Aujon et Landion). Dans la dépression de ruisseaux, sont propices au développement d’une la Champagne humide, en amont de et végétation dense, épineuse, qui, seulement de Buchères, l’Aube et la Seine ont édifié deux après défrichage mécanique ou animal, peut cônes de sédimentation, vastes étendues de permettre le développement de prairies perma- sables et de graviers calcaires vers lesquelles nentes. La couverture forestière de cette partie convergent de multiples cours d’eau secon- sud-est du département propose une réserve daires (Hozain, Hurande, Triffoire, Vienne et d’essences forestières variées (chêne, bouleau, Voire). En aval de Lesmont et de Troyes, dans saule, aulne, charme, orme et hêtre) pour les la traversée de la Champagne sèche, ces deux multiples activités de l’homme moderne, de la

42 INTRODUCTION GÉNÉRALE

Sézannes Vitry-le-François Marne Superbe Mailly-le-Camp N Saint-Dizier Nogentais G. Deborde del.

Noxe Huitrelle Plateau d'Arcis

Barbuise-Courtavant La Villeneuve-au-Châtelot Arcis-sur-Aube Périgny-la-RoseCon ans Puits Pont-sur-Seine Romilly-sur-Seine Meldançon Montier-en-Der Nogent-sur-Seine Voire

Barbuise LesmontFyLesmont Orvin Blaise

Auzon Brienne-le-Château

Longsols

Marcilly-le-Hayer Barberey-St-Sulpice Lavau Creney Mesnil-St-Loup Troyes Ste-Savine Bouranton Palis Amance Aube Vienne St-André-les-vergers Barse Forêt d'OrientVendeuvre-sur-Barse Villemaur-sur-Vanne Les Clérimois Triffoire Buchères Molinons Magny-Fouchard Bar-sur-Aube Laines-aux-Bois Isle-Aumont Rigny-le-Ferron Hurande St-Thibault

Vannes Hozain Landion St Mard-en-Oth Mogne Bar-sur-Seine Arce

Sarce Pays d'Othe Hozain Chailley Ource Côte des Bars Armance Seine

Aujon Saint-Florentin Joigny Armançon Laignes Mussy-sur-Seine Yonne Aube Serein 0 50 km Vix Plateau de Langres

argiles du Crétacé argiles à silex du Pays d'Othe alluvions modernes inférieur (argiles, graviers et sables) calcaires du Jurassique sables et grès tertiaires alluvions de basse terrasse supérieur du Nogentais (sables et graviers calcaires

calcaires du Jurassique craies du Crétacé supérieur alluvions de moyenne terrasse Fig. 2 moyen (graviers calcaires) Carte géologique montrant clairement Fig. 2 la succession du sud-est au nord- ouest, le long de la vannerie à l’architecture, du tournage au chauf- tion rase et clairsemée propice à l’extension de Seine, des différentes fage. Les « pouilles » de la Champagne sèche résineux et à l’élevage extensif d’ovinés. Le Pays unités paysagères du correspondent plus particulièrement à la partie d’Othe, le Nogentais et une grande partie du département de l’Aube. septentrionale du plateau crayeux qui s’étend plateau en entre-deux présentent la spécificité Sont indiqués les noms de Troyes à Mailly-le-Camp. Aujourd’hui déca- d’un placage argilolimoneux tertiaire, pouvant des communes des sites pées par des cultures intensives, elles étaient localement offrir des zones de décarbonatation archéologiques cités jusqu’au xixe siècle caractérisées par une végéta- très favorables à la culture des céréales. dans le texte.

43 UNE GRANDE DIVERSITÉ DE RESSOURCES MINÉRALES

ensembles de puits d’extraction de silex, ouverts au Néolithique moyen dans l’épaisseur d’une assise de craie campanienne à Villemaur- sur-Vanne, à Palis et à Mesnil-Saint-Loup. Outre les silex du Pays d’Othe, des bancs de silex ont également été exploités à la base de la formation crayeuse qui affleure entre les communes de Romilly-sur-Seine, de Marcilly- le-Hayer et de Nogent-sur-Seine. Après la conquête romaine, le silex a été ramassé massivement derrière les labours pour servir à la construction des routes et des bâtiments. Il était encore couramment utilisé au xviiie siècle dans les parties en élévation destinées à être recouvertes d’un enduit ou dans les soubasse- ments de maçonnerie2.

À la fin du Néolithique, les grès erratiques du Nogentais ont servi à l’édification sur ce terri- toire de nombreux monuments mégalithiques à 3 Fig. 3 l’architecture très sobre . Ils seront également employés après débitage dès le Néolithique La diversité des roches, des formations super- comme outils pour moudre les grains, puis ficielles (alluvions, limons éoliens quater- comme matériau de construction dans l’habitat naires, sols), qui explique la grande variété et dans le pavage de voirie. des paysages rencontrés dans le département, constitue autant de ressources naturelles Les propriétés gélives de la craie semblent avoir exploitées par l’Homme. longtemps contrarié son utilisation comme matériau de construction. On y a recours dans Le silex est la ressource minérale la plus les parties enterrées des édifices (caves et anciennement travaillée1. Le plus vieux témoi- fondations) qu’après le ier siècle de notre ère4. gnage d’une occupation préhistorique remonte au Paléolithique inférieur (sites de Lassicourt Les calcaires du Barrois ont d’abord été des et Vallentigny). Dans le Pays d’Othe, ce maté- « pierres des champs » ramassées pour être riau se trouve naturellement en surface, sous employées brutes comme pierres à bâtir, la forme d’éclats libérés par la solifluxion des avant d’être exploités en carrières et débités argiles ou des limons tertiaires qui affleurent en moellons. Fig. 3 au sud de la vallée de la Vanne. De ces formations remaniées ont été exhumées de Fosses polylobées 1. Tomasson, 1990. d’extraction de limons nombreuses pièces bifaciales acheuléennes 2. Royer, 2001. argileux sur le site et moustériennes. C’est au nord de la Vanne 3. Jourdain, 1989. de Buchères. qu’ont été localisés et étudiés plusieurs 4. Deborde, Gry, 2015.

44 INTRODUCTION GÉNÉRALE

Bien que la région regorge de formations argi- leuses d’âge Crétacé, exploitées à partir de la période gallo-romaine pour la fabrication de tuiles, briques, carreaux de pavement et céra- miques (c.-à-d. argile téguline de la Champagne humide exploitée à partir du xiiie siècle, argile plastique du Nogentais travaillée à l’époque gallo-romaine, argile à l’affleurement entre Chaource et Amance), les populations protohis- toriques ont préféré extraire leur matière première argileuse de poches d’argile déposées par la Seine dans ses anciens lits ou dans des dépôts lœssiques superficiels5.

Un matériau particulier, la « terre jaune de Troyes », a été utilisé très massivement dans la construction. Il s’agit d’un limon argileux à fine granulométrie, émanant selon les secteurs géographiques, d’un lessivage superficiel de la craie ou de dépôts lœssiques. Ce matériau qui couvre les moyennes terrasses de la Seine a été employé brut comme mortier ou moulé pour la confection de briques crues entre l’époque Fig. 4 gallo-romaine et la fin du xixe siècle6. Ce limon argileux non calcaire a fait l’objet d’une large exploitation en sape (site de Buchères, fig. )3 ; Les argiles à silex du Pays d’Othe comprennent Fig. 4 il entrait déjà dans la confection de cloisons localement des granules ou graviers ferrugi- Fragment de pisé en pisé au Bronze final (site de Troyes,fig. ).4 neux d’origine pédogénétique anciennement brûlé accidentellement À Lavau, un limon calcaire, extrait par larges exploités. Les amas de laitiers et de scories provenant du fosses à front de taille vertical a probablement encore aujourd’hui visibles en forêt témoignent comblement d’un été utilisé pour la construction des levées de d’une exploitation de ces gisements au cours silo du Bronze final terres qui structurent le site funéraire princier. du Moyen Âge7 et des fouilles conduites aux du site de la rue Clérimois dans l’Yonne attestent d’une exploita- de Preize à Troyes. e La vue au microscope Le sable et le gravier des terrasses de la Seine tion de ce minerai de fer local depuis le iv siècle permet d’identifier sa ont également fait l’objet d’une exploitation avant notre ère. Un minerai de fer du barrémien composition : granulats supérieur fut exploité au xixe siècle avec succès importante, dès l’époque romaine, pour la non triés de craie confection des voies ou la stabilisation des dans les environs de Vendeuvre-sur-Barse. recristallisée par l’effet niveaux de construction. Mêlés à la chaux, ils de la chaleur (c), limon constituent aujourd’hui encore des matériaux 5. Deborde, Gry, 2015 ; Colleté et al., 1996. crayeux (l), sable (s) de choix très recherchés comme granulats dans 6. Leymerie, 1846. et de rares éléments la construction et les travaux de génie civil. 7. Beck et al., 2008. ferrugineux (f).

45 IMPACT DES SOCIÉTÉS AGROPASTORALES SUR LE COUVERT VÉGÉTAL

Dans le Bassin parisien, les sociétés de chas- et moyen). Vers la fin duv e siècle avant notre seurs-collecteurs puis celles des sociétés agro- ère, quand est construite la tombe de Lavau, pastorales ont vécu dans des environnements le climat est à nouveau plus sec et plus chaud. évoluant au gré des fluctuations climatiques et La fin de la culture hallstattienne coïncide des activités anthropiques (développement de avec une nouvelle période de refroidissement. l’agriculture, de l’élevage, des besoins domes- Le déclin des cités princières est probablement tiques et artisanaux). Les steppes du climat froid le résultat de désorganisations profondes des périglaciaire caractérisent la seconde moitié du sociétés européennes (guerres, migrations ?), Paléolithique supérieur. Après le fort réchauffe- contemporaines de dégradations climatiques ment climatique qui marque le début de l’Holo- qui ont certainement provoqué une baisse des cène il y a environ dix mille ans, les sociétés de rendements céréaliers en Europe moyenne. chasseurs-collecteurs nomades mésolithiques En Champagne, ces périodes de dégradations vivent dans un milieu plus forestier fréquenté climatiques coïncident avec des périodes de plus désormais par le sanglier, le chevreuil et le faible densité d’habitat mise en évidence sur cerf. La Seine et ses affluents présentent la large opération d’archéologie préventive du alors un cours d’eau à larges méandres et de « Parc logistique de l’Aube8 ». C’est au cours vastes plaines alluviales où s’accumulent des d’une longue période clémente qui dure de limons argileux détritiques et où parfois se 200 avant notre ère jusqu’à la fin de l’époque précipitent des carbonates fluviaux (tufs de la romaine, que se mettent en place le réseau vallée de l’Aube et de la Seine) ou de la tourbe de villes celtiques (les oppida), puis les villes de bas marais dans certaines petites vallées. La gallo-romaines au sein de campagnes large- période qui s’étend de 7500 à 3800 avant notre ment cultivées et pâturées. ère correspond à la période la plus chaude de l’Holocène. Durant le Néolithique et l’âge du L’histoire des relations que tissent les sociétés Bronze, la forêt sur les plateaux est diversifiée anciennes et leur environnement est reconsti- et l’aulne se développe dans les plaines allu- tuée à partir de l’analyse des données archéolo- viales. À partir de 800 avant notre ère (début giques et des archives « naturelles » conservées de l’âge du Fer), le hêtre puis le charme sont les dans des marais alluviaux. La présence de essences de nos forêts, auxquels on doit ajouter certains pollens (céréales, plantes de zones piéti- au moins dès l’époque antique, le noyer et le nées et plantes messicoles) et de champignons châtaignier qui ont été importés. coprophiles (principalement Sporormiella sp.) – inféodés aux excréments des herbivores Depuis 12 000 ans, le climat est tempéré et sujet conservés dans ces milieux humides – permet à des variations de faible amplitude (moins d’un d’identifier les activités agropastorales. Lors degré) et de courte durée (quelques centaines de la récente opération d’archéologie préven- d’années au plus). À certaines périodes, le tive liée à l’installation d’un gazoduc, l’analyse climat du Bassin parisien a été plus froid et plus d’une séquence sédimentaire de marais sur la humide, avec des conditions similaires à celle du commune de Barbuise-Courtavant a permis de Petit Âge Glaciaire (1350-1850). Après la période reconstituer plus de 4000 ans de l’évolution de clémente de la fin de l’âge du Bronze, vers 800 la végétation, des activités agropastorales des avant notre ère, survient un net refroidisse- ment d’au moins deux siècles (Hallstatt ancien 8. Riquier et al., 2010.

46 INTRODUCTION GÉNÉRALE

Couvert végétal, indicateurs anthropisation Végétation fond de vallon échelle locale à régionale échelle locale

s l e o i c s s s e s e l l e i l e m h r t s p t u e e o l s i l r u e s h s g c é l e p e y s c a l e h e a r r o a r o d r b é p r é v e s o e d o é n n é r i h r u c c a l m é arbres et arbustes h u P c a 2000 Epoque contemp & moderne 1500 Bas M-A M-A 1000 central

Haut

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e Fig. 5 g

A La Tène Mise en évidence des phases d’anthropisation - 500 sur la séquence de la vallée de la Noxe à Hallstatt travers un diagramme de synthèse confrontant les principaux résultats - 1000 Bronze des analyses des final pollens (en % par rapport au total des pollens de plantes terrestres hormis Bronze - 1500 la végétation de moyen fond de vallon) et 20 40 60 80 100 20 5 0 1 0 0 1 5 0 20 20 50 10 0 15 0 20 0 des champignons coprophiles (exprimés Fig. 5 en nb/cm²/an).

47 sociétés dans ce secteur de la vallée de la Noxe, coprophiles indique la pratique de l’élevage vallée qui se jette dans la Seine à Nogent-sur- dans le secteur10. Le développement de ces Seine (fig. 5). À la fin de l’âge du Bronze moyen et cités princières le long de la vallée de la Seine durant l’âge du Bronze final (1600 à 1000 av. n. è.), s’accompagne donc d’une augmentation des plusieurs indices d’anthropisation sont enre- activités agropastorales. À partir du second âge gistrés. Les importantes diminutions de l’aulne du Fer et durant la période romaine, l’essor des puis du hêtre (vers 1300 av. n. è.) sont certai- activités agropastorales enregistrées dans la nement causées par des défrichements liés vallée de la Noxe se marque par d’importants au développement des activités anthropiques défrichements, le développement du pastora- dans la zone humide. Les activités pastorales lisme, de la culture des céréales et du chanvre. étaient prépondérantes et le bétail fréquentait Cette forte dynamique de l’anthropisation à ces marais. À partir de 1000 avant notre ère, partir du second âge du Fer est un phénomène les arbres et arbustes recolonisent les berges. fréquemment enregistré à basse altitude dans Des activités agropastorales continuent d’être la partie septentrionale de la France. À partir pratiquées aux alentours de la vallée, mais du haut Moyen Âge, un nouveau seuil dans elles semblent plus éloignées du site étudié. les modifications anthropiques du paysage L’ensemble funéraire de Barbuise-Courtavant9, semble être franchi dans la vallée de la Noxe. localisé à trois kilomètres plus au sud, témoigne Les zones ouvertes occupées par des prairies à de l’occupation dense de ce secteur aubois. tendance plus ou moins humides et des champs Durant le premier âge du Fer et le début du dominent dans le paysage. Les défrichements second âge du Fer, on observe ici un redéve- de la plupart des espèces arborées témoignent loppement de l’aulnaie et une activité agropas- d’une ouverture du milieu, à l’échelle locale torale de plus faible ampleur plutôt localisée et régionale, qui concorde avec les données en dehors de la vallée. Le long de la Seine, sur archéologiques du secteur situé entre la vallée le site princier hallstattien de Vix, situé à une de la Noxe et la vallée de la Seine, attestant soixante de kilomètres en amont de Troyes, les de nombreuses implantations humaines au premiers défrichements sont bien identifiés cours de cette période. Durant le Moyen Âge par la baisse des pollens d’arbres et d’arbustes central, le bas Moyen Âge et l’époque moderne, en faveur de graminées, dès la fin de l’âge du la pression anthropique sur l’environnement se Bronze et durant le Hallstatt. L’augmenta- maintient, le paysage reste très déboisé et les tion des valeurs des spores de champignons activités agropastorales perdurent.

DES ÉVIDENCES ARCHÉOLOGIQUES DE MISE EN CULTURE PRÉCOCE DES SOLS FERTILES

Les usages anciens des sols ont été variés. Sur des sols argilolimoneux de Buchères et de Les nombreuses études (observations pédo- Sainte-Savine, des horizons de labours anciens archéologiques, analyses des mollusques, etc.) ont été identifiés (fig. ).3 En revanche, dans le sol conduites aujourd’hui sur des sols anciens calcaire de Saint-André-les-Vergers, les coquilles exceptionnellement conservés permettent de de mollusques anciennes y indiquent un milieu mesurer le temps de la transformation des sols et des paysages à l’échelle de l’histoire 9. Rottier et al., 2012. de l’Homme. 10. Cruz et al., 2015.

48 INTRODUCTION GÉNÉRALE

Fig. 6 terrestre non cultivé, de type ouvert, plutôt protohistorique. La première couche atteste humide, avec une végétation riche et variée telle d’une phase locale de défrichement par le feu, une prairie avec quelques buissons et arbustes sans doute néolithique. On identifie ensuite épars, en lisière forestière (fig. ).6 L’étude en une phase d’érosion plus forte ; les colluvions lame mince permet d’exclure un remaniement présentent des éléments mobiliers remaniés, par les labours. Les sols limoneux à argileux issus des habitats protohistoriques situés présentent un bon équilibre agricole en matière à proximité. Aujourd’hui, sur les hauts des Fig. 6 d’éléments nutritifs, ils sont donc fertiles, versants de Fontvannes, ces sols fertiles ont Site de Saint-André- alors que les sols à base de craie sont dominés entièrement disparu à cause de cette érosion. les-Vergers. Sur un par le calcium et pauvres en autres éléments Sur le site de Laines-aux-Bois, une première substrat constitué de chimiques utiles aux plantes cultivées11. phase d’érosion des sols a été datée de la marnes et de graviers On comprend donc les choix qui ont pu être faits transition Subboréal-Subatlantique indiquant calcaires, s’est édifié un par les agriculteurs de la protohistoire. une dégradation de la couverture pédologique sol noir protohistorique, dès la fin du Hallstatt et le début de La Tène. forestier et de prairies comme l’indique Le plus souvent, les sols des plateaux et des Sur les plateaux, les sols se présentent l’analyse du cortège aujourd’hui, comme souvent, profondément versants ont été largement cultivés, ce qui a de mollusques et entraîné leur érosion et une accumulation des érodés : la faible profondeur des fosses du les observations colluvions agricoles en bas de pente. Dans le Bronze moyen et final et celle du Hallstatt final micromorphologiques. site de Fontvannes, des colluvions limoneuses sur le site de Courtenot peuvent en témoigner. Il est recouvert de à argileuses remplissent le fond du vallon et colluvions agricoles ce, dès les phases d’habitat néolithique et 11. Boulen et al., 2012. antiques.

49 LA VALLÉE DE LA SEINE : UN ESPACE DENSÉMENT OCCUPÉ ET UN AXE DE CIRCULATION PROTOHISTORIQUE

L’évolution morphosédimentaire de l’Aube et de de dater leur fonctionnement (fig. 7). Même en la Seine depuis le Tardiglaciaire (18 à 10 mille fond de vallée, de nombreuses phases d’érosion ans) peut être décrite en trois grandes phases. expliquent probablement la rareté des sites Suite à l’emboîtement d’un système en tresse antérieurs à l’âge du Bronze. En revanche, dans dans la nappe de graviers weichsélienne, la la seconde moitié du Subatlantique, l’activité première phase est responsable de l’individuali- fluviale ralentit. Les établissements antiques, sation du lit majeur actuel et du façonnement de attestés par des fossés parcellaires, organisent la très basse terrasse et des montilles, sommet alors le paysage de la plaine alluviale. Le drai- de barres de graviers affleurant dans la plaine. nage des sols limite les effets des crues et limite Au début de l’Holocène, un surcreusement le développement des tourbes. À Verrières, dans la nappe tardiglaciaire s’accompagne de commune située au sud de Troyes, l’important l’individualisation d’un chenal principal associé recouvrement colluvial est la conséquence du à un système latéral de chenaux anastomosés développement de terroirs agricoles dès le caractérisé par des bras sinueux et stables. Bronze final. Les vestiges mis au jour au toit Au Subboréal et au Subatlantique, on observe de niveaux de tufs calcaires montrent que les un surcreusement des chenaux anastomosés dépressions liées aux paléochenaux de la Seine dû à une reprise des écoulements, puis une ont perduré jusqu’à la Protohistoire. À partir aggradation verticale rapide qui conduit au de l’Antiquité, les dépressions ne sont plus colmatage des chenaux : cette dynamique sédi- perceptibles dans le paysage, en raison d’un mentaire est le reflet d’une augmentation des colmatage naturel ou d’un drainage antique ou flux hydriques et sédimentaires sous le contrôle médiéval de ces zones relativement humides. parfois difficile à séparer entre dégradation Cette situation est générale ; elle est identifiée climatique (pluviométrie plus abondante) et sur tous les sites implantés le long de la Seine activités anthropiques (en particulier l’augmen- (Vix, Troyes, etc.) et sur l’ensemble des petits tation des surfaces mises à nu par les cultures affluents de la Seine (Laigne, Beuvronne, etc.)12. associées aux développements des sociétés agropastorales). Les sociétés anciennes ont exploité diffé- rentes ressources régionales, modifiant de Les nombreuses opérations d’archéologie ce fait leur environnement. Depuis 2500 ans, préventive réalisées sur les communes de Pont- l’environnement immédiat des sites princiers sur-Seine, la Villeneuve-au-Châtelot et Périgny- hallstattiens a largement évolué : les sols des la-Rose permettent de visualiser l’empreinte plateaux ont été profondément érodés, entraînant des corridors fluviaux sur une surface de plus de l’accumulation de colluvions et d’alluvions13 ; 300 hectares (fig. 7). Des alignements de fosses les plaines alluviales marécageuses s’assèchent mésolithiques et néolithiques sont, dans le dès la fin de l’âge du Fer. Les premières traces cadre d’activités cynégétiques, supposés avoir d’activités agropastorales identifiées datent du accueilli des poteaux guidant le gibier. Des sols Néolithique ; elles sont fréquentes durant la anciens ont été conservés en bordure des monti- Protohistoire et se généralisent dès l’Antiquité, cules graveleux et reconnus dès le Néolithique. comme l’indiquent les indices palynologiques Le site de Pont-sur-Seine « Ferme de l’Isle » recueillis dans les sédiments des plaines allu- porte bien son nom, puisqu’il est enfermé de toutes parts, par le cours actuel de la Seine 12. Cruz et al., 2015. et par d’anciens bras dont la fouille a permis 13. Cruz, Petit, 2012.

50 INTRODUCTION GÉNÉRALE

742500 745000 747500 6827500

1 2 6825000

Opérations d'archéologie préventive Tranchée de diagnostic

Fouille en contexte de zone humide Graviers calcaires sub-affleurants Habitat implanté sur un dôme graveleux Graviers calcaires profonds 0 500 1000 1500 2000 m Diagnostic Scan25©IGN

Fig. 7 1 2 Secteur alluvial de Pont- sur-Seine largement documenté par l’archéologie préventive Dome de graviers sur fond Scan25©IGN. Les secteurs en orange chenal sableux correspondent aux monticules de graviers argiles calcaires constituant chenal à remplissage argileux un îlot « au sec » sur lesquels les occupations Fig. 7 datées du Néolithique à l’époque actuelle viales. Ce développement local des sociétés Grande-Bretagne (les îles Cassitérides, sans- ont été reconnues ; protohistoriques dans ce secteur de la vallée doute la Cornouailles) au monde méditerranéen les secteurs en bleu signalent les de la Seine s’explique peut-être par des raisons dans le cadre du commerce des métaux pour corridors marécageux plus globales : Lavau et Vix sont tous les deux la réalisation du bronze, alliage de cuivre et où s’accumulent des implantés sur des buttes dominant la plaine d’étain. Ces cités princières hallstattiennes, en argiles plus ou moins alluviale de la Seine dont ils ont le contrôle ; particulier Lavau, la cité la plus au nord du bassin organiques. Les photos ils peuvent former deux jalons d’une probable, de la Seine, constituaient à n’en pas douter les illustrent en plan et mais encore hypothétique route de l’étain, mise nœuds d’un réseau d’échange européen entre coupe des chenaux en place dès l’âge du Bronze et qui relierait la l’Europe moyenne et le monde méditerranéen. alluviaux.

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