Comique, Humour Et Ironie Dans Les Récits De Voyages De Chateaubriand
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Le Sourire de René Comique, humour et ironie dans les récits de voyages de Chateaubriand Thèse présentée à la Faculté des lettres et sciences humaines Institut de littérature française Université de Neuchâtel Pour l’obtention du grade de docteur ès lettres Par Caroline Rosset Acceptée sur proposition du jury : Prof. Daniel Sangsue, directeur de thèse Prof. Philippe Antoine, rapporteur Prof. Jean-Marie Roulin, rapporteur Prof. Juan Rigoli, rapporteur Soutenue le 29 juin 2011 Université de Neuchâtel 2012 Mots clés en français : Chateaubriand, récits de voyage, comique, humour, ironie, poétique, romantisme Mots clés en anglais : Chateaubriand, travel stories, comedy, humour, irony, poetic, romanticism Résumé : Cette thèse cherche à renouveler la lecture des Voyages de Chateaubriand et à montrer que leurs éléments comiques participent à la création d’une nouvelle forme de relation viatique, en accord avec la sensibilité romantique. Après une mise au point théorique, la première partie de la recherche propose d’analyser les différentes sortes de comique dans les récits de voyage de Chateaubriand, en traçant le cheminement qui mène l’auteur de la satire à l’humour. La satire du voyageur illustre la tendance à la démystification qui caractérise l’auteur des Mémoires d’outre-tombe et offre une vision lucide et réaliste du monde, qui lui permet non seulement de prendre ses distances par rapport à la littérature idéalisante de sa bibliothèque de voyage, mais aussi de se rallier à l’idéal d’authenticité qui conditionne, à son époque encore, le récit viatique. Or, Chateaubriand rejette explicitement le comique satirique, qu’il attribue aux sarcasmes des philosophes et à leur incrédulité. Il lui préfère une forme plus positive et plus personnelle, qui le situe à l’origine du voyage romantique : l’autodérision dont il fait preuve sur les routes sert de contrepoint aux mises en scène de l’héroïsme du nomade et contrebalance l’orgueil du satiriste. Dès lors, on peut prétendre que le Chateaubriand pitre constitue une sorte d’auto- démystification du Chateaubriand héros, ainsi qu’une mise à distance ironique, une négation du sérieux de l’œuvre et une réorientation de l’entreprise viatique. Mais plus encore, la vision humoristique du monde ramène à la religion le voyageur perdu, errant à travers les déserts du Nouveau Monde comme de l’Ancien. En effet, c’est en voyant dans les caprices du sort et de la Nature la force créatrice de la Providence, que l’humoriste parvient à dépasser la déception du satiriste. La deuxième partie de la réflexion propose une analyse de la poétique humoristique des récits de voyage chateaubrianesques. Métalepses, parabases, digressions, ou montage littéraire permettent à l’auteur de distinguer son œuvre viatique des relations sérieuses, par le biais desquelles le voyageur savant cherche à convaincre son lecteur de l’exactitude de ses observations. Conciliant fantaisie et réalisme et instaurant entre eux un constant va-et-vient, le récit humoristique trouve l’un de ses fondements dans la rupture d’illusions précédemment créées. Les Voyages de Chateaubriand oscillent constamment entre illusion et réalité, entre perception du réel et imagination. C’est le conflit entre ces deux modalités qui constitue la base de toute poétique humoristique. De ces observations découle une étude de la figure et de la double posture du Chateaubriand ironiste. Il faut en effet la dualité inconciliable entre le voyageur lucide et désenchanté et le poète emporté par son imagination pour que l’écriture se fasse humoristique et que l’auteur devienne ironiste. Dissimulation, réflexivité et décentrement, voire désengagement, permettent au voyageur de renouer avec la lignée tant convoitée des auteurs-créateurs, qui ont su s’affranchir d’une relation purement véridique pour lui préférer une vision plus poétique du monde. Chateaubriand fait donc de l’ironie un procédé littéraire destiné à mettre en évidence son indépendance et le pouvoir de sa fantaisie, par le biais de rapprochements inattendus, de brusques ruptures d’illusions et d’éclats bouffons, au sein de textes a priori sérieux. La dernière partie de ce travail est consacrée aux moyens par lesquels le voyageur s’efforce de réenchanter le monde qu’il parcourt. L’importance que le voyageur accorde aux anecdotes piquantes, aux détails insignifiants (une fourmi, une palmette de fougère, etc.) et aux scènes de la nature qui favorisent l’imagination lui permet d’éclipser le monde objectif pour le remplacer par une vision intime des lieux visités. Ainsi commence, avec Chateaubriand, la prise de pouvoir de la littérature sur le monde réel, un monde qu’elle entend dépasser. REMERCIEMENTS Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de thèse, Monsieur le Professeur Daniel Sangsue, pour la précieuse aide qu’il m’a apportée tout au long de mes années de recherche. Ses conseils avisés, ses relectures fréquentes et toujours minutieuses, ses encouragements et sa disponibilité ont été essentiels dans la réalisation de ce travail. Mes remerciements vont aussi aux Professeurs Philippe Antoine, Jean-Marie Roulin et Juan Rigoli, qui ont eu la gentillesse d’accepter de faire partie de mon jury de thèse et qui m’ont fait part de leurs suggestions et recommandations. Je suis particulièrement heureuse que ce travail ait été soumis à leur précieuse relecture. Enfin, je suis reconnaissante envers tous ceux – amis, famille et collègues – qui m’ont entourée durant ces années et qui, par le biais de leurs discussions stimulantes ou simplement divertissantes, m’ont donné l’envie et le courage de terminer ce travail. Que tous trouvent ici l’expression de ma sincère gratitude. INTRODUCTION A qui peut s’envoler, qu’importent les souffrances de la terre (Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe ) Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie! Ainsi disant, je marchois à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur 1 . Ces quelques lignes, certainement parmi les plus célèbres de Chateaubriand, ont fait de l’auteur de René le « sachem du romantisme », un écrivain visionnaire à l’origine d’une écriture qui met l’accent sur les épanchements du moi et qui fait de la mélancolie la condition sine qua non de la création poétique. Mais cette étrange filiation, dont il est le père involontaire, met quelque peu mal à l’aise l’auteur des Mémoires d’outre-tombe , qui confie : Mais, au surplus, si René n'existait pas, je ne l'écrirais plus ; s'il m'était possible de le détruire, je le détruirais. Une famille de René poètes et de René prosateurs a pullulé : on n'a plus entendu que des phrases lamentables et décousues ; il n'a plus été question que de vents et d'orages, que de maux inconnus livrés aux nuages et à la nuit. Il n'y a pas de grimaud sortant du collège qui n'ait rêvé être le plus malheureux des hommes ; de bambin qui à seize ans n'ait épuisé la vie, qui ne se soit cru tourmenté par son génie ; qui, dans l'abîme de ses pensées, ne se soit livré au vague de ses passions ; qui n'ait frappé son front pâle et échevelé, et n'ait étonné les hommes stupéfaits d'un malheur dont il ne savait pas le nom, ni eux non plus 2. On peut bien sûr interpréter cette réaction comme celle d’un auteur fier de son œuvre et agacé par les mauvaises imitations de ses successeurs. Mais on peut également 1 Chateaubriand, René , dans Œuvres complètes , t. XVI, éd. Colin Smethurst, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 408. 2 Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe , t. I, éd. Jean-Claude Berchet, 2 e édition revue et corrigée, Paris, Classiques Garnier, « La Pochothèque », 2003-2004, p. 641. 2 lire entre ces lignes la volonté de désavouer un fils illégitime qu’on veut lui attribuer à tort. En effet, si Chateaubriand est indubitablement l’un des écrivains qui introduit le romantisme en France, son rôle ne se résume pas simplement à l’invention de « la mélancolie moderne 3 », contrairement à ce que pourraient penser les lecteurs de René . Dans cette optique, notre étude cherchera à mettre en évidence un pan relativement peu abordé de l’œuvre chateaubrianesque, qui contredit la grille de lecture prédominante : nous chercherons à montrer que Chateaubriand n’est pas dépourvu d’humour, qu’il parvient souvent à faire rire son lecteur et que, partant, le comique, en règle générale, joue un rôle tout aussi important (mais nettement moins évident) que la mélancolie chez l’instigateur du romantisme français. Dans L’Écriture comique , Jean Sareil constate que l’étude du comique a longtemps été négligée par une critique littéraire soucieuse avant tout des informations biographiques, de l’histoire des sources et de l’histoire des idées. Souvent, l’aspect humoristique d’une œuvre restait confiné dans un chapitre détaché, destiné à prouver que le commentateur « n’avait pas ignoré ce problème de déformation, même si on n’avait pas eu le temps, la place, l’envie ou la capacité de lui trouver une solution 4 ». Ces regrets ne sont cependant plus d’actualité, la critique s’étant largement penchée depuis plus d’un demi-siècle sur les différentes problématiques du comique chez de nombreux auteurs 5 et même chez ceux à qui le rire semblait le plus étranger. Ainsi, Patrick Berthier a récemment consacré un article à la présence de l'humour dans Corinne de Madame de Staël 6. Bien qu'il reconnaisse immédiatement que ce roman « prodigue plutôt des effets de larmes 7 », notamment par le biais des pleurs de l'héroïne, il se propose d'analyser la propension comique du texte au travers d'un personnage secondaire, représentant typique de la France: le comte d'Erfeuil.