Guts Of Darkness

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juillet 2015

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Un sommaire de ce document est disponible à la fin. Page 2/126 Les interviews

Page 3/126 Entretien : La Nóvia (avec les membres de Jéricho et Toad), Jardin des Chartreux, Lyon, le 16 juillet 2015 - (interview réalisée par Dioneo)

Au jour dit me voilà donc au Jardin... Un parc presque caché, de fait ; en haut de la colline de la Croix Rousse, pourtant – mais à l’un de ses azimuts les moins visités, excentré, comme coupé des rues autrement touristiques du quartier adjacent. La vue sur les quais de Saône, d’ici, est assez belle, l’angle un peu inhabituel sur la basilique de Fourvière, en face. Il est encore tôt lorsque nous arrivons l’ami Buck – qui me fournit aimablement l’enregistreur – et moi. L’ami Dariev nous rejoindra plus tard, au début de l’entretien. Pour le moment, les membres de Jéricho sont sur scène, encore en pleines balances. Nous les saluons rapidement puis allons nous poser discrètement à l’ombre, le temps qu’ils finissent. On a tout le notre. La canicule persiste, depuis des jours – trente huit degrés au moins, celui-là, et pas un souffle. Guilhem Lacroux – avec qui nous avions convenu de l’heure du rendez-vous – passe en voiture devant nous, nous informe qu’il va « acheter du vin » et sera vite de retour, pour l’entretien… Une fois les balances finies, tout le monde se présente, nous discutons un peu, tous, sans formalités. D’abord Guilhem et Yann, donc, puis Élodie – graphiste et "administratrice", logisticienne du collectif… Nous parlons des Échos, où avaient donc joués trois semaines plus tôt, à peine, Le Verdouble mais aussi France, l’extatique trio de Yann Gourdon avec Jérémie Sauvage (basse) et Mathieu Tilly (batterie). Nous échangeons quelques impressions sur ces deux jours passés, encore frais dans nos mémoires à tous, sur les concerts qui s'y étaient joués. Les musiciens nous rejoignent petit à petit – sauf les deux Violoneuses, dont le tour est venu de balancer, et qui ouvriront la soirée. Nous décidons rapidement de nous attabler à l’intérieur du petit pavillon où sont installées les loges et autres commodités de l’endroit. Outre Yann Gourdon (vielle à roue, boîte à bourdon ; membre de Toad, La Baracande, Jéricho, Le Verdouble, La Cléda, des duo Puech/Gourdon et Gourdon/Mauchant, et du trio Puech/Gourdon/Brémaud) et Guilhem Lacroux (guitare et lapseel ; membre de Toad, La Baracande et Faune), donc, ce sont, qui nous ont rejoints : Jacques Puech (voix, cabrette, glass harmonica ; membre de Jéricho et Faune) ; Pierre-Vincent Fortunier (violon, cabrette ; membre de Toad et La Baracande) ; Clément Gauthier (chant, cabrette, tunn-tunn ; membre de Jéricho) et Antoine Cognet (banjo ; membre de Jéricho). On m’avait dit ceux-là peu causants, pas très volubiles sitôt qu’il s’agissait de parler de leurs musiques plutôt que de les jouer… Dès le préambule, j’ai l’impression contraire ! Chacun se fera là-dessus l’opinion qu’il voudra à la lecture de ce qui suit. Piles neuves en place dans le zoom. « Ça module »… Quelques plaisanteries s’échangent, des gobelets s’emplissent d’anis. Entrons dans le vif du sujet.

Une chose me frappe, régulièrement, quand je lis des articles ou des chroniques sur La Nóvia… On a souvent l’impression que leurs auteurs ne savent pas s’il faut dire « le label », « le collectif »… Moi j’ai l’impression que vous êtes une espèce de « maison »… Est-ce que vous vous êtes rencontrés avec le but conscient de créer un « courant », théorisé, ou est-ce que c’est une rencontre sur des intérêts communs, qui s’est faite ?

Clément Gauthier : Plus que sur des intérêts, c’est sur une manière d’appréhender ces musiques-là, je pense. Et pour répondre à ta question, on n’est clairement pas un label. C’est vraiment un collectif, et qui fonctionne VRAIMENT comme un collectif. C’est à dire qu’on sait tout ce qui se passe. Tout circule, les informations circulent. Ce qu’on se dit entre nous, ça circule aussi. Et puis voilà, on a vraiment tous notre mot à dire dans ces choses là. Bon, après, Yann qui est peut-être plus à l’origine…

Yann Gourdon : … Non, je ne suis pas à l’origine. C’est Toad, qui est à l’origine, avec Guilhem et Pierre-Vincent. En fait c’est de LÀ qu’est partie la « structuration ». C’est au moment de créer la Baracande qu’on s’est rendu compte de la nécessité de structurer quelque chose qui à ce moment là n’existait pas en tant que collectif, puisqu’on était juste trois individus, Guilhem, Pierre-Vincent et moi… Et en franchissant le pas de la structuration, on s’est rendu compte qu’il y avait d’autres personnes, qu’on rencontrait à ce moment là, c’est à dire Basile {Brémaud, chanteur et violoneux de La Baracande} et Jacques, qui présentaient des intérêts qui étaient communs aux nôtres. Il y avait mon duo avec Jacques, le trio Basile, Jacques et moi, La Baracande, donc, qui arrivait… On s’est rendu compte que là il y avait quelque chose qui était en train d’émerger. Et

Page 4/126 progressivement ça s’est élargi, avec l’arrivée de Clément, Antoine… Il y a eu Yvan Étienne, Le Verdouble, aussi, et les dernières c’est…

Guilhem Lacroux : Il y a eu La Clèda, aussi.

Yann Gourdon : La Clèda, oui, avec Matèu {Baudoin} et Nicolas {Rouzier}, et les dernières, ce sont les Violoneuses, Mana {Serrano} et Perrine {Bourel}, qui jouent ce soir.

Vous aviez l’impression qu’il y avait un manque, dans ces musiques là ?

Yann Gourdon : Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un manque, ça vient plus d’un désir de faire quelque chose…

Guilhem Lacroux : … On avait le désir de faire les choses comme on les faisait, en fait. Comme on les entendait esthétiquement et… Ce n’était pas simple ! Et ensuite, de les faire aussi comme on les voulait politiquement. En fait ça a donné le fait de faire un, un…

… Un collectif ?

Guilhem Lacroux : Un collectif !

Yann Gourdon : Esthétiquement avant le politique. Mais c’est devenu politique au delà de notre volonté, je pense.

Dans la pratique ?

Guilhem Lacroux : En tout cas, politique en interne. C’est à dire « comment on fait pour fonctionner, structurer ? ».

Clément Gauthier : On s’est rencontrés pour jouer puis… Aussi, ce qui est très important : avoir un support administratif. Et puis, ce qui est aussi super fort dans le collectif – je crois qu’on est tous très concernés pas ça, c’est… À la base on vient quasiment tous – presque tous – des musiques de… De bal ! Donc des musiques qui se vivent là, à l’instant avec des gens qui dansent, etc. … Et la production discographique a elle aussi un sens mais je crois que pour nous ce sens est encore plus fort, a une raison d’être si on ne produit pas « juste un CD » mais… Un objet. Que ce soit un support poétique, artistique.

Yann Gourdon : On défend une esthétique… au delà de l’esthétique sonore et musicale. Il y a aussi, justement, toute la dimension graphique, qui est en grande partie tenue par Élodie {Ortega}, qui est salariée depuis… 2011, je crois, et qui fait aussi partie de cette structuration. C’est à dire que dans le cadre de la structuration on a une salariée, qui fait à la fois toutes les parties administratives mais aussi qui apporte toute cette partie graphique, l’aspect visuel, qui pour nous est aussi important esthétiquement que l’aspect sonore. Et au delà de ça, on défend aussi des choses… Quand on nous propose d’organiser des événements – on en fait très peu, à peu près un par an – on essaye d’aller au delà de… C’est à dire, c’est… Dans la manière d’accueillir les gens, ce qu’on propose à boire, à manger, la manière de faire la fête. Ça va au delà de la musique, je crois. On est des gens qui aiment bien fait la fête ensemble. Et ça fait partie de ce qu’on défend.

Page 5/126 Justement, à propos des concerts : vous jouez beaucoup, et j’ai l’impression que vous tournez dans des lieux très différents. Je vous avais vu, donc, à La Triperie {à Lyon} qui est une salle, disons, plutôt « alternative » ; j’avais vu Faune au Périscope, qui est une salle plutôt spécialisée…

Guilhem Lacroux : … Jazz.

Oui, jazz/musiques nouvelles, comme on dit… Je vois que vous jouez aussi parfois dans des salles communales…

Yann Gourdon : Des bals.

… En fait j’ai l’impression qu’au contraire des gens du mouvement folk des années soixante dix, vous essayez d’aller vers des lieux qui sont tout sauf des « enceintes pop ». Est-ce que c’est encore une question de rencontres, de contacts ?

Yann Gourdon : Déjà, on va vers ceux qui nous invitent, nous proposent de jouer.

Guilhem Lacroux : Après je pense qu’il y a un truc qui joue aussi… Avec pas mal de formations – même avec Toad au début – on essayait de jouer dans le milieu trad’ et… En fait, ils ne voulaient quand-même pas trop de nous ! Enfin, c’était compliqué… Et les gens qui étaient curieux par rapport à ces musiques là, c’étaient plutôt des gens de réseaux « underground », on va dire, et donc on s’est retrouvés à jouer « là ». Et donc on a développées je pense des choses aussi, dans ces réseaux là, dans ces écoutes là.

Yann Gourdon : Après, il ne faut pas non plus dire que le trad’ ne voulait pas de nous, parce que… C’est une CERTAINE CATÉGORIE de gens, qui ne voulait pas. Malgré tout il y a des gens envers qui on a eu un impact… Un impact qui est toujours effectif. Et aujourd’hui, il me semble que même, on en parlait avec jacques…

Guilhem Lacroux : Ben… La preuve ! La preuve ce soir…

Yann Gourdon : … la semaine dernière, il y a des gens, même si ce n’est pas forcément conscient, dans le milieu trad’, qui commencent à rentrer dans des esthétiques qui sont dérivées de celle de La Nóvia. Et… Ça veut dire que malgré tout ça commence à avoir une empreinte.

Guilhem Lacroux : Ben… Ça fait dix ans.

Dans l’autre sens, aussi… J’avais été assez étonné, à la Triperie, de voir les gens du public – on va dire « alterno » – lyonnais qui se mettaient à danser la bourrée sur la musique de Toad. Enfin… D’ailleurs, vous venez tous du trad’, à la base, ou… ?

Yann Gourdon : Non.

Guilhem Lacroux : Non.

Page 6/126 Pierre-Vincent Fortunier : Oui.

Clément Gauthier : Oui ! Ben oui, il en faut quelques uns.

Guilhem Lacroux : Non mais en fait je crois que c’est pas de là où on vient, c’est là où on va qui compte, c’est ce qu’on cultive.

Jacques Puech : C’est beau ce que tu dis.

Guilhem Lacroux : Ouais, c’est beau… (rires).

C’est une question qui se pose, parce que… Vous développez dans chaque groupe – si j’ai bien compris – un répertoire régional, ou même qui peut être très « local ».

Clément Gauthier : Oui, c’est ça

Et on peut se demander si vous avez décidé de développer ces répertoires parce qu’ils étaient « là, devant vous », dans vos vies ou si…

Clément Gauthier : … Non, je ne crois pas. Déjà, ça dépend des projets. Si on doit parler de La Baracande, c’est hyper… {geste frappé sur la table - "C'est là que ça se passe"... Rappelons que le répertoire du groupe La Baracande est entièrement puisé à celui de la Virginie Granouillet, chanteuse de Haute Loire collectée entre 1958 et 1962 par Jean Dumas, en son village du Mans (commune de Roche-en-Régnier)}. Après si on doit parler aussi du terreau de base c’est presque un non-sens, en fait, de penser que c’est originaire d’un endroit. Parce que par exemple quand tu regardes, déjà, la diffusion qu’a pu avoir une chanson « occitane »… Déjà, le territoire occitan c’est déjà énorme, hein, c’est la moitié de la France.

Jacques Puech : Plus un bout de l’Espagne.

Clément Gauthier : Plus un bout de l’Espagne. En sachant qu’une chanson soi-disant occitane, tu vas en retrouver la structure, éventuellement une mélodie assez proche, et un texte tout à fait similaire… Mais tout à coup qui va être en français et venir de Vendée. Ça te pose quand même beaucoup de questions sur « qu’est ce que c’est que l’endroit d’origine ? ».

Pierre-Vincent Fortunier : Ou même plus loin, tu va retrouver la même qui va venir de Louisiane ou d’Acadie.

Guilhem Lacroux : C’est ça ! Nantes… Nantes n’est pas dans le Massif Central. Et pourtant… voilà tu vois.

Clément Gauthier : Voilà, ça rejoint ce que dit Guilhem, l’important c’est là où on va. C’est à dire : nous, on est nous, on fait cette musique à un endroit ; avec notre histoire, chacun notre bagage. Il est ancré par certains aspects, qui peuvent être esthétiques, des phrasés, des choses comme ça. Mais après, nous, je crois que ce qui nous a fasciné – et c’est là que ces musiques sont quand-même bien ancrées – c’est avant tout la notion de timbre. Alors c’est sûr, on a peut-être une manière de porter le timbre qui est très commune au collectif, et qui

Page 7/126 est peut-être très ancrée mais finalement elle est ancrée… Eh bien dans la Nóvia, quoi ! On va la retrouver ailleurs mais… Après, de dire « ça vient de là précisément et pas d’ailleurs »… Pff !

Vous vous en foutez, en fait ?

Jacques Puech : Je crois.

Clément Gauthier : De quoi ?

D’où viennent…

Clément Gauthier : Non mais après il y a des trucs affectifs, tu vois.

C’est impossible à déterminer, en fait ?

Yann Gourdon : C’est hyper complexe. Après, je pense qu’on ne s’en fout pas non-plus ! Mais ça vient aussi de nous. Ça vient forcément de quelque part mais disons… On n’est pas avec les blasons sur l’épaule à revendiquer telle ou telle région…

Guilhem Lacroux : Non mais ce ne sont pas des trucs comme ça avec… Voilà, la frontière. On n’est pas, on n’est pas…

Vous n’êtes pas coincés sur…

Guilhem Lacroux : Non, je ne crois pas, en fait. Je crois que les frontières ne sont pas là. Ce ne sont pas des frontières de territoires.

Je me demandais si vous vous posiez la question d’une modernité ou pas ?

Clément Gauthier : D’une modernité ? Certainement pas ! Enfin, me concernant, certainement pas !

En fait, pour reprendre ce que disait Guilhem, plus que « d’où on vient » ou « où ça va », j’ai toujours eu l’impression, en écoutant vos musiques que vous vous étiez dit « là où on en est on prend les choses ».

Yann Gourdon : Oui. Mais ce n’est pas quelque chose qui a à voir avec la modernité. Je crois que la modernité, c’est un concept, euh…

Guilhem Lacroux : C’était une phrase de Rimbaud, il a dit « il faut être absolument moderne », les gens l’ont mal compris et puis voilà… Je crois qu’on en a franchement rien à foutre.

Yann Gourdon : On est…

Page 8/126 Guilhem Lacroux : On est tous contemporains toujours puisqu’on vit au moment où on vit.

Yann Gourdon : On est tous nourris de nos différents parcours, et qui sont passés par d’autres musiques que les musiques traditionnelles et forcément ça nourrit aussi ce qu’on fait musicalement. Mais c’est pas dans une volonté d’être moderne ou…

… Enfin, encore une fois, ça diffère à mon oreille de ce qui a pu être fait, en folk, dans les années soixante dix. On a l’impression qu’ils voulaient amener des répertoires dans une d’instrumentations modernes mais en les adaptant… Je ne sais pas, peut-être plus « consciemment » ou de façon…

Antoine Cognet : Je pense qu’il y avait une volonté de rendre les choses plus actuelles.

Ce que justement je ne sens pas chez vous.

Clément Gauthier : Parce que je pense que socialement et historiquement il se passait un truc à l’époque, dont nous… Finalement si tu veux, nous on n’a pas à mener ce combat. Nous on a pas à mener DE combat, en fait ! Alors que pour eux, je pense que ça s’est vraiment posé en ces termes là. C’est à dire « ça va crever, on doit se battre ». Et donc, du coup, ils ont développé tout un tas d’arguments sonores, musicaux etc. pour essayer de faire ressurgir le truc… Or, nous – enfin, en tout cas me concernant, après faut poser la question aux autres… Je ne me sens pas du tout dans un combat de quoi que ce soit. Moi il y a des choses qui me laissent pantois – dans le bons sens du terme, c’est à dire –, d’autres qui me laissent, euh… perplexe. Il y a des groupes des années soixante dix que j’écoute toujours et que je trouve géniaux – Los D’a Roier, Perlinpinpin Fólc, des gens comme ça… – et même si tu as des harmonies de voix à la tierce, des trucs bizarres, ils ont vraiment creusé une veine sur le timbre etc. et je trouve ça toujours aussi… En fait ça ne s’est pas démodé parce que ce n’était pas une mode. Par contre, ce qui est sûr et certain c’est que ces mecs là, avec ce qu’ils ont fait, la manière dont ils l’ont fait etc.,… nous on en récolte toujours des fruits. Dans le sens où ils sont allé au charbon, ils sont allé explorer des répertoires, voir les gens qui jouaient ces répertoires… Il y a quand-même fort à parier que s’ils l’avaient pas fait…

Guilhem Lacroux : Très clairement ! En plus on sait très bien que « les traditions » peuvent disparaître en… Cinq ans ! Ça peut crever hyper vite… Comme être relancé hyper vite, il y a des exemples de ça.

Clément Gauthier : Les traditions en tant que pratique, tu vois ?

D’ailleurs vous avez des retours… Vous êtes en contact avec des gens de ces autres générations du folk ?

Guilhem Lacroux : Tu veux dire des vieux ? Le général De Gaule et tout ça ?

(Tous) : Oui…

Jacques Puech : Il y en a qui vont venir ce soir, d’ailleurs.

Yann Gourdon : Alors moi je veux juste rebondir sur cette histoire de « combat »… Ce n’est pas un combat à proprement parler mais malgré tout il y a quelque chose que je revendique, et que je défends – vraiment, littéralement – qui n’a pas à voir avec une histoire de modernité ou quoi que ce soit mais c’est cette notion de

Page 9/126 timbre, une certaine qualité du son. À mon sens, il y a des pratiques musicales aussi bien traditionnelles que populaires en général qui tendent vers un appauvrissement du spectre sonore, ce qui a une incidence sur la manière dont on écoute la musique. Et ça par contre ça fait partie de quelque chose, dans ma pratique, que j’ai vraiment envie de défendre et de revendiquer : d’assumer le spectre de nos instruments et la manière dont ça sonne.

Après… Tu parlais de « musique populaire », et du milieu trad’… Il y a beaucoup de formes de musiques où on l’accepte, cet aspect sonore, le timbre, le spectre. Tout ce qui est drone… Dans des musiques contemporaines qu’elles soient dites « savantes » ou moins formellement théorisées…

Yann Gourdon : Il y a des mouvements où ils ont fait soi-disant « tabula rasa » pour revenir sur quelque chose et retomber dans cet aspect là du sonore, et...

Guilhem Lacroux : Ça a soixante ans, en fait.

Yann Gourdon : Et ça a soixante ans. C’était un nouveau point de départ mais pour moi, il n’y a rien qui ait été inventé à ce moment là. Ce sont des choses qui ont toujours existé dans certaines pratiques musicales – dont on peut reprendre conscience, aussi. C’est d’ailleurs pourquoi des musiciens expérimentaux se sont intéressé à des musiques « traditionnelles » pour la plupart exotiques… Tout l’intérêt pour les musiques balinaises et autres, ça va dans ce sens là, du timbre… Et effectivement, je pense que c’est pour ça que La Nóvia marche bien dans ces milieux là : parce qu’ils ont déjà l’oreille éduquée, en quelque sorte, à ce type de sons là.

Après comme tu disais : c’est déjà dans vos instruments. La vielle c’est… Plein de fréquences.

Yann Gourdon : Oui. C’est déjà dans nos instruments, mais il y a quand-même une catégorie de la lutherie contemporaine de ces instruments là qui a plutôt tendance à gommer, à faire disparaître ça.

Guilhem Lacroux : Non mais c’est une espèce de conflit, toujours, réel, entre les musiques du nord et les musiques du sud. J’exagère un peu… Mais c’est vrai : il y a une question d’appréhension du timbre qui, vraiment, dépend des cultures.

Mais tu parles à quelle échelle, quand tu parles de nord/sud ? A l’échelle européenne ?

Guilhem Lacroux : Non mais tu vois ! En Afrique, tu prends une calebasse, tu la pètes, tu mets une toile d’araignée et voilà quoi… Parce que c’est beau, parce que ce timbre là, qui fait « dzuing dzuing », est beau. Alors que tu vas voir d’autres pratiques, d’autres cultures – souvent moins traditionnelles, c’est vrai aussi – qui vont chercher un son beaucoup plus lisse. Regarde le dix-neuvième siècle, la flûte traversière, c’est abominable…

Clément Gauthier : Oui mais regarde, en Europe du nord, en même temps, tu avais des trucs hyper timbrés, des jeux de violon hyper crados, bourrés d’harmoniques… Moi je crois que c’est vraiment une pratique bourgeoise de la musique, le son lisse, en fait. C’est plutôt lié à ça. Mais bon, ça a sa raison d’être, aussi. C’est à dire, il y a une technique pour le chant lyrique parce que ça répond à des contraintes hyper spécifiques : chanter avec un orchestre symphonique, etc., dans une salle immense… Il faut que tu trouves ce que tu vas faire pour que ça marche.

Page 10/126 Guilhem Lacroux : Oui ! Mais… Je suis d’accord avec toi mais pas d’accord. Il y a quand-même des mecs qui écrivent des concertos pour guitare au dix-neuvième siècle… Enfin tu vois, le concerto d’Aranjuez, la guitare on ne pourra jamais l’entendre, de toute façon ! C’est juste que c’est mal écrit.

D’ailleurs, dans cette optique {du timbre} est-ce que vous modifiez la lutherie de vos instruments ?

Jacques Puech : Oui ! On la modifie, je crois, oui !

Enfin… Même sur les techniques de jeu… Guilhem, par exemple, je vois bien que tu as des techniques qui ne viennent certainement pas du folk, du trad’ …

Guilhem Lacroux : Si ! Il y a beaucoup de chansons avec des tournevis, dans le répertoire ! Non mais tu sais, en fait, les mecs, sur le violon, ils mettent des verres pour qu’il y ait une distorsion acoustique, c’est le même principe. C’est des trucs… C’est comme si c’était un fil qui avait pu être perdu mais je pense que le fait de bidouiller son instrument… L’organologie, c’est aussi un lieu de création !

Ce que je voulais dire c’est que pour quelqu’un comme moi – qui ne « viens » pas du tout du trad’ ; enfin, je… ce n’est pas ce que j’ai écouté le plus longtemps et depuis le plus longtemps – c’est facile de voir que tu uses de techniques pas forcément orthodoxes… Même quand tu fais des choses percussives avec les doigts de la main gauche sur le manche, là. Mais Yann, en revanche… Je n’arrive pas à savoir, quand tu joues, par exemple, en faisant directement pression sur les cordes avec les doigts, si c’étaient des choses qui se faisaient, qui existaient dans le « trad’ d’avant vous ».

Yann Gourdon : Eh bien quand j’écoutes certains vielleux, collectés…

... Tu entends ça ?

Yann Gourdon : Je n’entends pas techniquement qu’ils mettent les doigts dedans, j’entends un type de son particulier, ce son là qui me plaît et que je recherche… Après dans les techniques que j’emploie pour les obtenir – ces sons – elles me sont peut-être propres. Peut-être qu’elles n’ont jamais été utilisées… Ça je n’en sais rien et à la limite ce n’est pas ça qui est intéressant. Enfin… je cherche à faire sonner mon instrument d’une certaine manière, que j’ai entendu chez d’autres vielleux, et…

En fait, le sens de ma question… C’est que j’ai l’impression d’une certaine liberté de jeu qui n’est pas forcément… Je n’ai pas l’impression qu’il y ait chez vous un canon de techniques comme…

Yann Gourdon : Oui. Non mais… Non, il n’y a pas de canon de techniques. Et en l’occurrence quand on écoute différents vielleux, on va se rendre compte qu’ils ont tous, chacun, leurs propres techniques. Moi ce qui me marque, c’est la manière dont ça sonne. Quand je vais entendre ça je vais me dire « ah putain, ça sonne génial » et « comment je peux reproduire ça ? ». Et c’est là que moi, je vais développer ma technique particulière.

Pierre-Vincent Fortunier : Mais je crois que… Ce que tu évoques, la liberté de jeu, c’est quelque chose d’important, dans ce qu’on fait. En fait ce n’est pas parce que « ça s’est toujours joué comme ça » qu’on devrait s’interdire des choses.

Page 11/126 Mais… Est-ce que quelqu’un s’est déjà dit, en même temps, « est-ce que j’ai ou pas le droit de faire ça » ?

Pierre-Vincent Fortunier : Oui, oui. Mais parce qu’il y a des instruments pour lesquels des règles ont été éditées, en fait. Mais… Ça reste de la musique donc on a le droit quand-même de faire ce qu’on veut.

Guilhem Lacroux : Et puis il faut savoir que… Les règles qui ont été éditées correspondent à un endroit et… Tu sais très bien qu’à cinq-cents kilomètres, les mecs éditent des règles exactement inverses !

Pour en revenir au bal… Yann, j’ai lu plusieurs interviews où tu parlais beaucoup de l’importance du lieu, de son acoustique… Est-ce que l’importance du public… Est-ce que ça va changer la manière dont vous allez jouer, justement, que vous jouiez à la Triperie, ou…

Yann Gourdon : Le public, ça fait partie intégrante d’un lieu quel qu’il soit. Quand je parle de l’importance du lieu, il s’agit de prendre en compte toutes les constituantes d’un lieu – et c’est aussi bien l’architecture que les gens qui sont présents. Et tout ça, ça va avoir une incidence, on va avoir un « répondant » différent et on est hyper-réactif à ça.

Mais justement : c’est quelque chose de « réactif » ? Ce n’est pas quelque chose que vous pensez en amont ? Vous ne vous dites pas « on va jouer à tel endroit »…

Yann Gourdon : En ce qui me concerne je le pense en amont dans la mesure où ça a toujours été quelque chose qui m’a intéressé – et plus j’avance dans la musique, plus c’est quelque chose que j’ai envie de travailler. Mais après ça se joue sur l’instant, dans le lieu… Pour moi… J’aime bien cette idée de feedback – parce que j’ai aussi beaucoup écouté Alvin Lucier, sans doute, mais… C’est quelque chose qui me plaît énormément et – je me rends compte – que j’applique à tous les niveaux. Aussi bien dans le son, dans une relation à l’architecture d’un lieu – c’est à dire prendre en compte sa résonance acoustique – qu’avec les individus qui sont en train d’écouter. Il y a aussi un feedback qui s’opère dans le sens où quelqu’un qui est en train de m’écouter va entrer dans un certain état d’écoute, qui va avoir une incidence sur ma manière de jouer et… Inversement. Et du coup il y a un feedback qui opère.

Jacques Puech : Après il y a un point qui à moi me paraît un peu particulier, sur le bal. Là, il y a une autre interaction. On n’est pas que dans l’écoute. On est aussi dans le mouvement… C’est un autre type d’écoute qui apporte d’autres choses.

Pour revenir sur le feedback… Quand j’avais vu La Baracande puis Toad à la Triperie, toujours, j’avais vraiment eu l’impression d’assister d’abord à une veillée, avec des gens qui écoutaient… pas « religieusement » mais très concentrés, dans une espèce de contemplation, pendant La Baracande. Puis – vraiment – tout le monde s’était mis à danser dès le moment, avec Toad, où vous avez…

Yann Gourdon : Parce qu’on ne joue pas sur les mêmes ressorts. Ce feedback dont je parle, il n’agit pas de la même manière.

Guilhem Lacroux : Mais il agit toujours ! Vraiment, le public, c’est énorme ce qu’il apporte. L’écoute, ou le fait qu’il danse, ou… Enfin, moi je pense que c’est énorme.

Page 12/126 Vous ne vous sentez jamais « contraints » par un lieu ?

Guilhem Lacroux : Tu fais avec !

Jacques Puech : Il y a des lieux où ça marche mieux. Il y a des publics avec lesquels c’est vraiment dur aussi.

Parce que… Quand vous aviez joué {avec Faune ; duo constitué de Jacques Puech et Guilhem Lacroux} au Périscope, tout le public était assis sur des chaises… J’avais trouvé que la façon dont le lieu était conformé…

Jacques Puech : Oui, ça change tout.

Yann Gourdon : Pour en revenir aussi à la danse… Moi j’ai une pratique de la danse qui n’est pas très vieille, qui correspond avec le moment où j’ai rencontré les musiques d’Auvergne. Mais du coup, aussi, d’appréhender les musiques à travers la danse, ça a complètement modifié ma manière d’écouter aussi les musiques qui ne sont pas à danser. C’est à dire que j’ai pris conscience de quelle manière le corps est en action dans l’écoute. Même quand on n’est pas en train de danser. Ça rejoint ces idées de vibrations, qui renvoient à cette idée de feedback, aussi. Même si on est dans une écoute sans danser, on est dans une écoute active. Et cette écoute active passe aussi par le corps, même si on est assis sur une chaise ou immobile debout. En tout cas c’est ce qu’elle devrait être pour que ce feedback ait lieu et qu’il y ait quelque chose qui interagisse entre le son et l’auditeur.

Clément Gauthier : Et puis aussi, il y a quand-même un truc qu’on fait beaucoup dans le collectif, dans ce processus qui engage aussi les spectateurs… La plupart des groupes du collectif travaillent beaucoup aussi sur la notion de durée. On n’est plus dans les formats radio, et ça engage les musiciens comme les spectateurs dans un format d’écoute qui pour certains est assez inhabituel. Il y a des gens qui peuvent se sentir « attrapés », tu vois, dans le sens où c’est à dire… Dans la culture occidentale on ne fait pas de bruit, où on reste là, on écoute. Eh bien il y a des gens qui peuvent se sentir parfois victimes de ça, c’est à dire « merde, la chanson est pas finie, c’est long, c’est long c’est long c’est long » ! Alors qu’en fait, nous, ce qu’on a envie de proposer, ce sont des formats d’écoute dans lesquels tu es libre – personne ne t’a jamais dit qu’il fallait rester assis sur une chaise, comme ça, écouter religieusement. Tu peux très bien prendre ta part – et amener la tienne – dans une écoute. Elle peut durer trente secondes, elle peut durer huit minutes, elle peut en durer vingt… D’avoir cette espèce de liberté là, et aussi une liberté de mouvement, c’est aussi un truc qu’on aime bien proposer. Et dans le bal, justement, tu as aussi ça qui est proposé. Dans le bal tu as toujours des gens qui sont à la buvette, d’autres qui sont en train de danser, d’autres qui ne dansent pas… Tu as un truc qui est plus libre. Et finalement l’engagement que ça demande… Ça n’est pas un non-engagement. C’est un vrai engagement mais duquel le spectateur est complétement responsable, tu vois. C’est à dire que c’est lui qui choisit ce qu’il va faire. Et s’il a envie de gueuler ben il peut gueuler… Voilà, ça fait partie, c’est une des composantes du truc. Parce que je crois qu’on travaille vachement – quasiment tous autant qu’on est – on travaille vachement sur... Sur le non-contrôle mais aussi sur…

Yann Gourdon : Sur la perte du contrôle !

Clément Gauthier : Sur l’efficience du son, la performativité du son. Et du coup c’est un dialogue. Et si c’est un dialogue ça demande qu’en face, aussi, on te renvoie quelque chose. Sinon ce n’est pas un dialogue. Sinon tu fais une leçon. Tu fais une leçon inaugurale, tu vois, et tu… Voilà, tu tombes dans un travers musical qui je crois ne nous intéresse pas vraiment.

Page 13/126 Une réflexion que je me suis fait aussi : finalement, à aller vous écouter dans vos divers concerts, je me retrouve plus dans la même – j’allais dire la même ambiance mais ce n’est pas ça… Dans le même rapport, avec vous, ce que vous jouez, qu’avec des gens qui font des musiques complètement différentes, des choses plutôt bruitistes… Je ne sais pas si vous connaissez les gens du label tanzprocesz, par exemple, France Sauvage et d’autres. Des gens qui travaillent d’ailleurs souvent pas mal le son « sans hauteur identifiable», qui ne sont ni dans l’harmonie ni dans le modal mais justement essentiellement dans le timbre. Est-ce que vous pensez avoir des approches semblables, avec ces gens là, compatibles ?

Guilhem Lacroux : Oh, je pense que oui. Enfin, le son… C’est du son. Quand on dit qu’on fait de la musique – moi je crois, hein – c’est d’abord qu’on fait du son. C’est de la matière sonore.

Ce que je veux dire aussi, c’est que j’ai plus des impressions plus familières – d’un concert de Toad ou de La Baracande à un de ces gens là – que je n’en aurais, d’un concert annoncé comme « purement trad’ » à l’un des votre.

Guilhem Lacroux : Mais parce que… Enfin, d’une part il y a ton écoute, qui va sélectionner dans ce que tu entends – par exemple, comme tu dis, de Toad ou de La Baracande – et va te ramener à une école bruitiste… D’autre part le fait que nous, si on joue comme on joue, c’est aussi parce qu’on a été intéressés par ça. Et ça se retrouve là-dedans sur ces questions de durées, aussi… Enfin, dans la musique, il me semble qu’il y a toujours tout un tas d’entrées. Et peut-être que quelqu’un qui aura une écoute, une – mettons une connaissance – du répertoire, va entendre plus le répertoire et moins ces aspects là, que tu évoques. Et… que ça peut lui plaire. Ou pas. Mais disons que ces portes là, pour la musique qu’on fait… Peut-être que ce n’est pas absurde quand tu dis que toi ça te rapproche d’autres musiques censément pas du tout apparentées.

D’ailleurs concernant le rapport au public… Yann, on peut parler un peu de France – qui n’est pas un groupe de La Nóvia ? J’ai toujours l’impression qu’avec France tu investis un lieu, et que c’est presque une confrontation avec les gens. Le fait de se mettre au milieu…

Yann Gourdon : En tout cas pas ce n’est pas une confrontation, non. Ce qu’on a, c’est un besoin d’être DANS le public mais… Je me rends compte… Le week-end dernier avec Jéricho on a joué pour les Siestes Électroniques et c’est un contexte – un dispositif – qui fait que le public était vraiment tout autours de nous. Et moi c’est quelque chose qui me plaît vraiment. Et c’est quelque chose qu’on fait avec France depuis quelques années maintenant. Et c’est un rapport de proximité avec le public que j’aime énormément – mais parce que ça joue, encore une fois, de ce dont on parlait tout à l’heure. C’est ça que je recherche, et le fait de se mettre DANS le public, c’est un choix opéré pour ça.

Mais… Est-ce que le rapport est exactement le même avec le public, dans France et les groupes de La Nóvia ? Je veux dire… Avec France, je vois vraiment les gens devenir fous.

Yann Gourdon : France, ce n’est pas un groupe de La Nóvia, hein… Mais ça pourrait l'être ! Il y a une dimension peut-être plus rock, aussi, qui donne une autre accroche pour le public, qui apporte aussi une nouvelle dimension, qui nous ramène à quelque chose de très… Effectivement il y a une forme d’excitation assez rapide qui en plus est tenue sur la durée et qui nous amène dans un certain état.

Aux Échos j’ai vu quelqu’un tomber dans les pommes après le concert… Il y a une espèce d’épuisement.

Yann Gourdon : Oui. Mais pour moi ce sont des processus, ce sont des choses que je recherche à travers les

Page 14/126 groupes de La Nóvia, de la même manière. C’est juste que les moyens sont différents, la musique proposée… Non, elle n’est pas différente parce que je pense qu’il y a vraiment des similitudes mais… C’est le dispositif qui change, c’est tout.

Pour finir… Des projets en cour, des sorties peut-être ?

Yann Gourdon : Alors… Il y a beaucoup de disques en préparation. Un disque de Violoneuses, qui va sortir en octobre/novembre. Un double LP de Jéricho qui sera pour… on espère pas trop tard, ça dépend des délais de pressage. Un vinyle du trio Puech/Gourdon/Brémaud, accompagné d’un livre d’artiste, qui sortira simultanément à Jéricho, je pense. On va enregistrer La Baracande, en janvier. On enregistre La Cléda, aussi en janvier… J’enregistre un solo, aussi… Il y a un vinyle du Verdouble qui va sortir, sur le label Erratum. Sinon, on travaille en ce moment sur un projet qui s’appelle Flux, où on a cherché à mettre en évidence les similitudes – pour nous – esthétiques entre des musiques expérimentales et des musiques traditionnelles. Donc, on a choisi d’interpréter des œuvres du répertoire expérimental, notamment une pièce de Phil Niblock, avec des musiciens et des instruments traditionnels… Enfin, ce sont les musiciens de La Nóvia, hein !

Est-ce qu’il y aurait un mot que vous voulez ajouter pour nos lecteurs ?

Guilhem Lacroux : Je t’aime.

Yann Gourdon : Santé. (Repris par tous).

Clément Gauthier : Bisou Maman.

Eh bien merci beaucoup.

(Collégial) : Merci à toi.

Guilhem Lacroux : Eh ben tu vois, on y est arrivé.

En effet, on y est parvenu, à se parler. Je me dis qu’il eut été dommage, décidément, de ne pas enfin la faire, cette rencontre. Je m’aperçois – l’un d’eux me le signale – qu’on m’avait servi un verre de rosé. Pris dans la discussion, je ne l’avais même pas remarqué. Il est donc temps de trinquer… Dehors, sur l’herbe du parc devant et autours de la scène, assez loin, jusqu’au grille du jardin, une petite foule s’est amassée, pendant que nous devisions. Quelques centaines de personnes, je crois. L’endroit est assez plein, à vrai dire. On se dit « à bientôt » puis on conclut « qu’au fait, à tout de suite ». Nous rejoignons, avec les camarades, d’autres amis et connaissances venus aussi pour les concerts. Violoneuses montent sur scène et lancent les premiers feux – plutôt follets et effectivement… Magnifiquement timbrés. Leur tour finit, elles prolongent pour quelques uns – en cercle autours d’elles, pas partis à la buvette – sans amplification, à même la pelouse, au bas de l’estrade… Je me dis « vivement le disque ». Et j’espère les revoir dans d’autres lieux, aux dimensions pour le coup plus intimes. Suivent Jéricho, puis Toad. Ce seront encore deux espèces de tempêtes cosmiques et immanentes, poussées incroyables. Jéricho : chants alternés ou à l'unisson de Jacques Puech et Clément Gauthier - en français et en occitan, pour les deux -, longue, très longue montée sans arrêt reprise, et qui emporte, fait croire qu'elle va se poser mais ne vous lâche jamais, vous emmène encore à un autre palier, quand elle repart. Le

Page 15/126 tunn-tunn – cet instrument à cordes que Clément Gauthier percute avec des baguettes de bois - scande ; et les masses de fréquences s'amalgament, pulsent, se libèrent... Les pieds frappent lourdement le rythme. C'est un contact rude avec le sol, mais cette frappe, cette percussion, propulsent. Et Toad, ensuite : toujours ces danses qui s'emballent, ces moments où les enveloppes à la fois s'épandent, son étal, et se déchirent pour laisser entrevoir, toucher, derrière, ce moteur vivant, toujours prêt à s'affoler, du pas qui fait tourner. Là aussi, cela dure. Il semble que personne – ni eux, ni nous – ne voudra tenir la fatigue comme un motif possible pour mettre fin. Au bout, on sent bien ce qu'on veut atteindre. Ces tours sans fin, on ne voit pas pourquoi on demanderait qu’ils cessent... Il faut que ce monde-ci continue de se mouvoir. Une fois de plus, on en sortira en sueur, dénoués, toutes réserves brûlées, jetées dans le bal. Mais certainement pas vidés au sens d'un sentiment du rien, d'une vaine dépense regrettée. On se sent présents pour de bon, plutôt, là et avec qui l'on est. On a bien fait d'y venir, une fois de plus... Vous devriez voir passer ceux là, encore – et d'autres, ou eux tous, de La Nóvia – aux soirs allumés de vos contrée.

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Page 17/126 Festival Échos #3 : La Ferme du Faï (Hautes Alpes), les 26 et 27 juin 2015 - (concert chroniqué par Dioneo)

Depuis Villefranche, où nous avons récupéré la voiture, le paysage a longuement changé. Les communes de plus en plus disparates, éloignées les unes des autres ; à mesure, souvent, de moins en moins peuplées. Dès l’autoroute, les montagnes ont commencé à s’élever, autours. À une heure de la destination, nous cherchons une pharmacie – l’un d’entre nous saisi d’une rage de dents, angoissant quelque peu que nous ne trouvions pas telle échoppe, manifestement plutôt rares dans les parages. Dans un bourg un peu gros, on nous renseigne : on aura ça plus loin, à Aspres sur Buëch. Nous trouvons finalement. Après cela, ce ne sont plus que routes départementales aux embranchements où il ne faut pas se tromper… Nous arrivons finalement. L’accès au site, de là, se mérite encore. Mais l’accueil est impeccable ! Sitôt la voiture posée au parking, nos sacs et tentes sorties du coffre, une bénévole vient nous informer de la marche à suivre. Nous pouvons laisser là nos bagages – à quelques dizaines de mètres en aval du village nommé Le Saix, disais-je (nous passons rapidement entre nous l’accord que, tourné le coin de la dernière maison, nous nous abstiendrons de tout jeu de mot sur ce nom). Une navette se chargera de les monter. L’ascension, pour nous – pour tous les festivaliers – se fera à pieds. Il ne passe pas plus d’un véhicule à la fois, sur cette route. Un panneau la donne d’ailleurs pour fermée, le temps du festival. Et de toute façon, toutes mécaniques, sans doute, ne sauraient parvenir en haut, question de puissance, traction, tenue de route… Nous voilà donc en marche. Nous passons un pont. Dans la petite commune, c’est d’abord un panneau "ralentir enfants", aux effigies – affreusement mal imitées – de Titeuff et Nadia, qui nous accueille. Puis un… épouvantail. Un autre. D’innombrables dans les ruelles, jusqu’à une place. Il doit y avoir quelque kermesse, en préparation. Nous passons la limite des jeux-de-mots-interdits. Un dernier, allez, sur le thème sûrement de la taille ou de l’étroitesse de l’endroit… Bon. La route devient vite escarpée. Le soleil tape. Les potes – déjà venus, eux, l’année d’avant – essayent de repérer, pour me l’indiquer, la falaise. Concluent que d’ici, sont-ils étourdis, on ne peut pas la voir. Nous croisons la navette. Elle s’arrête. Camille-aux-cheveux-désormais-prune – l’une des membres de l’association – en descend pour nous saluer. Agréable impression, familière – dans cet environnement qui, par ailleurs, continue de s’incliner sous chacun de nos pas. Nous repartons. Le minibus vers le bas, nous vers le site en lui-même, en haut. Très vite le goudron cesse, remplacé par une blancheur crayeuse, cailloux poudreux. Le "décor" change, aussi. Ce ne sont plus des épouvantails à tailles d’enfants. Mais à la place, des silhouettes, squelettes animaux ou humains ou fantastiques – cette femme aux allures de troll sylvestre qui pousse sans fin son rocher immobile, enraciné – faits de bois, souches, morceaux de nature sèche assemblés, parfois à peine re-disposés. À un moment, dans le creux d’un arbre, un vieux poste à transistor diffuse du reggae, vieux dub à la Linton Kwesi Johnson ou de ces environs là. Nous longeons, perdons, retrouvons la rivière – petit torrent, ruisseau. L’arrivée sous les arbres, m’annoncent les autres, indique que nous ne sommes plus loin de la destination. En effet, voici l’entrée du site. Les gens du Dôme nous y proposent de l’eau. Nous remercions, passons, entrons plus avant dans la vallée. Dans la cour de la ferme, nos bagages nous rejoignent bientôt… Les deux autres me font visiter rapidement. Il y a, en contrebas, le Théâtre de Verdure. Scène posée sur une eau – disais-je – parfaitement immobile, en apparence, et bordée au fond par le filet de la rivière. Gradins en tronc et en herbe, en terre. C’est là que joueront, dans quelques heures, tous les musiciens programmés ce premier soir. Pour le moment, il fait encore jour. Nous nous mettons en quête d’une place où planter nos tentes. Toute la vallée nous est ouverte, à vrai dire. Nous décidons de monter, grimper la pente verte pour nous établir loin des terrains les plus évidemment plats, pratiques, déjà bien peuplés, certains couverts de toiles dès maintenant. D’autres, d’ailleurs, se nichent dans les moindres recoins – entre deux arbres, derrière des bosquets, à l’abri d’un tas de pierres… Nous grimpons encore. Une étendue presque plane nous semble à notre convenance, à la lisière d’un petit bois de sapins. Nous établissons le campement. "Plus qu’à", de là… Néanmoins il faut se préparer. Nous savons qu’à un moment, il nous faudra avoir sous la main tout le nécessaire, sans délai. Il fera noir, sous peu. Et puis… Nous nous doutons bien qu’il y aura moyen de s’égarer. Autant tout faire pour que ça se passe bien. Chacun range dans un sac, à portée, sa lampe, un vêtement chaud – "c’est la montagne", nous avaient rappelé dans leurs messages, plusieurs fois, les organisateurs – quelques provisions selon ses fantaisies et puis de l’eau, aussi. Nous concoctons un repas simple. Légumes froids découpés, huile d’olive et sel. Et avant ça – puisque tout est prêt, que nous voilà parés – un ingrédient spécial, qui se prend à part ; inodore, incolore mais pas là pour rien… Le repas s’achève, la vaisselle est rincée. Le jour

Page 18/126 commence à décliner. D’en bas, les premiers sons s’élèvent.

PREMIÈRE NUIT : ÉCHOS ; "Mais elle est où, l’Étoile du Nord ?" ; La terre est chaude et la Falaise me parle… ; "Mais si, je te dis : il y a une route, là-derrière".

"Les couleurs commencent à devenir bizarres, non, là ? - Ah non, c’est toi qui… Oh nom de… Si, si, tu as raison. C’est vrai qu’il ne vibrait pas comme ça, avant, ce vert".

Le jour semble n’en vouloir pas finir de décliner. Nous cherchons l’étoile du Berger. À établir le Nord. L’ouest rosit, jaunit, s’irise et s’allume à mesure que le soleil passe derrière la montagne. La lune, à l’est, s’est montré il y a déjà un moment. Les premiers points de lumière commencent à percer le ciel. Aucun de nous trois ne connaît les constellations. Nous inventons, chacun, cherchons en toute bonne foi le juste azimut. Nous sommes à quelques mètres seulement, en contrebas, de notre campement. Nous avons l’impression d’avoir quitté une enceinte, franchit la limite de sa zone. La molécule court en nous. Nous nous sommes assis, de concert. Pris d’un rire qui a duré… Combien de minutes ? Peu importe. Elle agit, de plus en plus fort. Le ciel est toujours plus magnifique, perspective où les étoiles semblent grossir, sourdre en halos. Je sens la chaleur du sol, de l’herbe. Elle circule, s’exhale. D'autres giclées, rayonnements de feu, semblent jaillir de l'hémisphère droit de ma tête, tout en haut, presque au centre, me traverser tout le corps jusqu'au nexus du ventre, se couler jusqu'au bout de mes orteils. Autours de nous monte le chœur des criquets. Il se mêle aux premières notes envoyées, en bas. Impossible à vrai dire – sans voir – qui est en train de jouer. S’il s’agit d’un instrument seul ou d’un groupe, d’acoustique pure ou d’électronique. En logique retrouvée, le lendemain, ce pourrait être Michel Doneda et ses vents, colonnes et mécaniques, saxophones. (Il est même plus probable, avec le recul, qu’effectivement il se soit agit de celui-là, plutôt que de Loïc Verdillon ou Pali Meursault, avec leurs autres instruments et dispositifs ; je prie mes lecteurs, les musiciens et les organisateurs de m’excuser pour ces imprécisions qui – "circonstances d’écoutes" aidant, ou simplement, plutôt, modifiant quelque peu son cour et le souvenir persistant qu’il m’en reste – reviendront en plusieurs occurrences, au long de mon récit). Cela sonne, en tout cas, comme des appels. Répétés, remis, merveilleusement espacés. Un dialogue, véritablement, qui s’établit avec cette falaise, cette vallée. Les son, répercutés, attaques et filés, parcourent véritablement l’espace, nous entourent – à trois cent trente mètres par seconde. Sensation qu’ils passent par dessus nous. Le corps vibre. Celui, vaste, accidenté, du site. Le mien, d’où je ressens tout ça. Tout s’intensifie. Lentement ou pas, je ne sais. Il est des états où les secondes paraissent s’étirer, se dilater en heures. Je suis bien certain que le volume augmente, de la pièce jouée, de cette improvisation avec la nuit qui vient. Nouvel accès hilare, "collectif". Je ne sais combien de temps, encore une fois. Le son se fait plus dense, les traits se resserrent, les timbres en même temps éclatent. Sa vibration emplit. Enveloppe. Traverse. En bas – vers le bar, le théâtre donc, et la ferme – d’autres sont massés. Me vient l’idée – un peu étrange – que c’est une liesse médiévale, la population d’un bourg né ce soir là seulement et qui ne durera que jusqu’au lendemain. Je pense "animaux de la ferme, viandes fumées, foire". Je caresse l’idée qu’on descendra plus tard, que pour le moment pas question, que notre perchoir est sûr, qu’il y fait trop beau. Il y a un moment ou ce premier concert cesse.

(Épisode un peu flou, ici, chamboulé, fragmenté et remonté dans un drôle de désordre, dans sa réminiscence. Je ne sais plus si nous avons décidé de bouger, de changer de point d’écoute pendant la première performance ci-avant relatée, ou au point juste où elle a pris fin. Toujours est-il que pendant que nous marchons, un autre musicien commence. Est-ce donc Loïc Verdillon cette fois ? Ou bien déjà la violoniste Patricia Bosshard ? Je leur renouvelle à tous mes excuses… Et je les remercie, au fait, d’avoir peuplé ce noir. Bon… Évidemment, à un moment, nous nous perdons. Tournons ce qui nous semble une heure – probablement, dans les faits, pas plus de quelques minutes – avant de regagner la couverture laissée en partant entre nos trois tentes. Nous sommes

Page 19/126 deux, au même moment, à entendre passer une voiture, la lumière de phares striant en même temps un court instant l’espace… "Attends ! Mais il y a une route, je te dis ! Il doit forcément y avoir une route !". En pleine montagne ?! Nous nous promettons d’éclaircir ça le lendemain. Pour le moment, hors de question de traverser le bois. Pêle-mêle, l’un des deux frangins tente de grimper dans un arbre. La frontale du deuxième révèle qu’il n’en était qu’à la plus basse branche. L’un des deux propose un jeu de société intuitif. J’ai oublié le principe du truc. J’observe vaguement la partie. Je crois que c’est la violoniste, maintenant, qui a commencé. À un moment je saute, je crie : j’ai pris une ombre un peu trop ronde pour un animal, petit et plus sombre que tout autours, qui aurait fuit à toute vitesse en passant devant "mon" sapin – comprendre celui-au pied de quoi j’avais établie ma toile).

Nous sommes en bas, maintenant, dans le théâtre de verdure. Puisque nous la voyons, nous en somme sûrs, cette fois : c’est à ce moment Patricia Bosshard qui joue. Violon, micro. Coups d’archets infimes ou brutaux tour à tour ; grincements, textures des cordes rendues audibles. L’espace et le temps étant ici ce qu’ils sont – inhabituels, donc, pour le moins, au risque de me répéter – le moindre frottement, changement d’angle du crin, prend la dimension d’une grande brisure à même la roche, tonnerre, chute, trébuchement, jaillissement à même la nature. C’est un peu effrayant, par instant, cette plongée dans l’entraille du son. Presque "trop" exact, précis, détaillé, le parcours par quoi elle nous mène, à ses reliefs, chausse-trapes, anfractuosités. C’est extrêmement agréable, aussi, passionnant, séduisant pour le, les sens, jouissance perceptive. Dans n’importe quel état, j’aime énormément sentir ainsi le son, sa matérialité autant que sa volatilité. Encore un fois, cela pourrait – cela a pu, ça n’a sans doute pas – durer des heures. Sur les gradins, nous changeons de point d’écoute. Je crois que nous nous en éloignons, y revenons. Dans le silence retourné, plus tard, nous y reprenons place.

Des gens sont ivres, autours. D’autres, visiblement et à l’oreille, ont dû gober certains euphorisants. Pas mal semblent "sous rien de plus" que les quelques pintes qu'on prend aisément entre deux groupes, les nuits de concerts plus ordinaires. Quelques-uns sont probablement sobres tout court. Nous sommes tous en petits groupes, disposés sur les terrasses bordées de rondins (matériau, aussi, des escaliers qui mènent jusque là : bois, terre, herbes, toujours). Deux hommes arrivent, côté scène, à un moment. Ce sont Yvan Étienne et Yann Gourdon, les deux vielleux du Verdouble. Ils se mettent en place, ajustent, commencent à tourner brièvement leurs roues. Réglages. Je m’éloigne de mes deux camarades, qui restent en amont, pour m’approcher de la scène, juste devant. Des familiers du groupe sont allongés en bas, sur les planches, attendent ; roulent, allument et font tourner un énorme joint – entre eux, et aux musiciens. Ceux-là commencent à jouer… Une sorte de vision – mais lucide, avec la pleine conscience de ce que l’image a, aussi, de grotesque : Gourdon, les jambes croisées, chaussé de ses drôles de bottines à boucles, m’apparaît comme le diable, ou une espèce de diable. Un diable très ancien, en fait, peut-être appelé ainsi parce que d’avant le culte au dieu unique. Qu’on m’entende bien : nulles cornes à son front, pas l’épouvantail aux âmes – encore ça, tiens… mais ceux-là, nous les avons laissé au village. L’un de ces esprits, plutôt – êtres à vrai dire physiques – qui sont une présence parmi l’assemblée, dont la fonction, le but, la raison d’être est de la, de nous emmener. Un qu’en Bretagne – j’ignore le nom qu’on donne à ceux-là en Centre France… on doit bien y trouver de semblables ou comparables histoires - on appellerait par exemple Ankou. Trêve de divagation… Le Verdouble joue. Tourne. Fréquences qui farandolent et enflent. C’est tout de suite intoxicant. L’effet de l’épice-sans-teint plus tôt prise est loin d’être retombé. Je sens même comme un regain. Je me déplace plusieurs fois dans le théâtre de verdure. Il y a quelque chose d’une mécanique vivante impossible à stopper, une fois qu’elle est lancée, dans ce que met en branle et tient le duo. Qui ne s’arrêtera que sur un signe d’eux seul connu, qu’il importe finalement peu qu’on sache. Je le disais dans ma chronique de leur disque : aucun motif, mélodie, pas de ritournelle, ici. Pourtant, le folk y demeure, y a changé mais s’y tient lové et – lorsqu’ils commencent – y entame et y roule son mouvement. J’ai l’impression qu’ils ne se soucient guère de ce que renvoie la falaise. Elle renvoie, pourtant. À certaines hauteurs des terrasses, ça tourne au pur bourdon. À un mètre près, ce sont d’autres fréquences qui font orbite. J’ai cette sensation – habitude ancienne sans doute de souffle, aussi, gardée d’une autre vie où je fréquentais les tatamis – que le moindre changement de position modifie le chemin par quoi le flux me parcours, me traverse. Un peu plus droit, un peu plus calme, et tout est mieux. Je dois avoir les iris à peu près écartelées. Il me semble qu’il ferait jour ; je sais que pas du tout, qu’on est encore au creux des heures les moins éclairées ; et sous cette frondaison, en plus. Fin des cycles tournés. Applaudissements. Peu d’hésitation. Gourdon lâche

Page 20/126 comme une évidence, de sa voix particulière "Bon, deuxième tour, alors". je vis celui-là plus apaisé, encore, et le ressens pourtant plus fort. Quand je me retourne, mes camarades ont disparu. Ils me diront plus tard qu’ils étaient simplement partis au bar, prendre une bière. Pas de malaise… Je vais me promener un peu en attendant la suite – ou ne me souciant pas trop s’il y aura ou non une suite.

Bien entendu – et cette fois seul – je m’égare sur la pente. Le son a recommencé. Des grondements, grincements, sons d'humain et de machines. Des échos dont je ne suis pas sûr que tous proviennent de la roche, de ses courbes et reliefs. J’ai l’impression que le dispositif, déjà, les brise et les redistribue, les dilate ou les guide. C’est… Organique, ce qui s’est mis en mouvement. En quelque sorte, aussi… Vocal. Je marche en trajectoire sinon circulaire, pas tellement assujettie à la logique des droites. Je sens que je ne trouverai pas tout de suite – et pourquoi ai-je envie d’y aller – l’endroit où sont les tentes. Je m’assoie en pleine pente. Il me semble qu’ici les herbes sont très hautes. Quelques minutes passent. Ce que joue le type en bas – c’est un homme seulement ; et ce que m’en raconteront les autres, le lendemain, revenus entre temps devant la scène, me décrivant un jeu de magnétophones, de bandes, de delay et réverb analogiques... me permet de dire avec certitude qu'il s'agit de Lionel Marchetti – prend de plus en plus l’espace, l’envahit… Mais non, ce terme n’est pas tout à fait juste. Car il n’y a pas dans tout cela, on n’y entend, on n’y sent pas l’intention d’imposer, d’effrayer – rien qui soit intrusif. C’est seulement que partout, tout paysage, toutes dispositions d’éléments recèlent zones mates, dangers, gouffres. Et que la nuit, à cette heure, est devenue bien épaisse. Je me lève. En quelques pas – je m’en étais douté – je regagne le campement. Au moment où je m’établis sur la couverture, Marchetti décide de ralentir ce complexe de fréquences et résonances qu’il tenait, en boucle, depuis un moment. Effet inouï ! L’impression de me concentrer encore plus, conscient de mon échelle minuscule d'humain. D’être, aussi, ce grain vivant – et pleinement – planté et mobile, aux exactes coordonnées de l'expérience… Et là encore : sans aucun déplaisir, sans me sentir dépossédé ou amoindri. Au micro, tout en bas – ça aussi, ce sont les autres qui me le confirmeront le jour d’après - Marchetti chuchote, à peine, un "Eh". Cette voix voyage et grossi, rebondit. M’interpelle. Autre, même interjection discrète, répétée, rendue énorme. Je sais très bien d’où ça me vient, ce qu’il y a là-dedans de déformé, d’amplifié par tout. Mais je me dis avec exultation – avec amusement : "maintenant ça y est, la falaise a parlé". Et je me sens enchanté d’avoir entendu ce murmure… Silence. Je crois la soirée finie. J’entre dans ma tente. "Ça risque d’être difficile de dormir". J’entends du bruit dehors, pas lourds, artificiellement réguliers. Je percute immédiatement : c’est l’un des potes, passé voir, qui essaye de me faire flipper, façon Blairwitch. "Arrête tes conneries, je t'ai grillé". (Je ne sais plus si je l'ai articulé, ou seulement pensé). Il me dit que c’est loin d’être fini, plus bas dans les arbres. Je me rechausse, nous redescendons.

(Ici, encore une zone de vague, entre ce retour au théâtre de verdure et le début de la performance suivante. Je suis presque sûr qu’elle avait commencé, en fait, juste avant que le camarade soit remonté).

Je crois – pardon encore une fois pour cette incertitude – qu’il s’agit de Pali Meursault. Dispositif cette fois purement électronique. Ordinateur, pads… Lui use de sons percussifs, volontiers – mais joués disparates, sans tenter de marquer un rythme – aux attaques très perceptibles, qui font parfois choc, répercutées qu’elles sont. Des basses, aussi. Son plein, solide, même si là encore mouvant. C’est parfois comme un orage, presque. La chimie, au-dedans, commence à agir avec moins d’intensité, à tout doucement ralentir sa ronde et ses excitations. Mais on se prend tout de même de plein fouet ce que le gars envoie. Nous, on tient moins en place. On change encore plusieurs fois de point d’écoute. Bref silence à la fin de son jeu. Enfin, pas si bref…

(Je propose une autre bière – pour moi, en fait, la première de la nuit. Il me semble, en tout cas, que c’est à ce moment là que je le fais).

De retour vers la scène. Nous passons derrière, un sentier le permet. La mise en place du dernier groupe de la nuit – en ai-je, décidément, oublié ?! – prend un certain temps (nos perceptions par ailleurs déjà un peu moins déboussolée quant à cette dimension ; plutôt, déjà un peu plus fluctuante, avec des retours à la sensation

Page 21/126 normale de cet écoulement là ; et puis d'autres à des laps où l’on n’en sait trop rien – on ne s’en soucie toujours guère). Nous revenons devant eux. Ce sont donc les Italiens – pourquoi donc étions nous si persuadés qu’ils fussent russes ou des Balkans ? – du Jooklo Duo, qui s’installent, assez longuement. Virginia Genta teste ses saxophones, clarinettes, autres tubulaires plus folkloriques, nous semble-t-il ; et David Venzan, tout un arsenal de cloches, percussions aux allures "rituelles", objets sonnants ; il lance une boucle, aussi, après les tâtonnements, sorte de bourdon électronique qui renvoie tout autant aux psalmodies de moines tibétains qu’à un étrange didgeridoo qui aurait poussé ailleurs, loin de l’ile australe. Il semble que ceci, d’ailleurs, déclenche le début véritable du concert. Genta alterne motifs courts – encore une fois aux allures folkloriques intraçables mais entêtantes – et manières de souffle continu, tenu, circulaire… Effet assez fascinant, une fois qu’ils sont parvenu à lancer tout ça réellement. Venzan, à un moment plonge un jeu de cloche dans une bassine pleine. Cela fait une résonance très belle, dans la vallée, cette eau qui avale le son. Ça nous "relance", aussi. Un peu lassés de l'enceinte, nous partons écouter ça d’ailleurs. Nous nous rendons auprès de la trompe basse – colossal objet, décidément –, tournons autours d’elle, quelques temps. Au moment, en plus, où ils décident de jouer des fréquences les plus graves. Quoi qu’en disent les quelques-uns allongés là, devant – y étaient-ils depuis le début de la soirée ?! – c’est littéralement trop fort, aussi magnifique soit cette vibration, projetée et pourtant si présente, localisée, à hauteur de terre. Au sortir d’un bois moins haut – il a fallu le traverser encore – débouchant dans l’aire aux alentours du bar, nous constatons que le jour est en train de poindre. Assez éberlués. Il va sans dire qu’aucun de nous, à aucun moment, n’avait eu l’incongru réflexe de consulter montre ou téléphone portable. Nous avons encore nos verres, voulons les rendre à la consigne. Celle qui nous accueille au débit – on se croise souvent, à Lyon ; je crois, pourtant, que je n’ai jamais su son nom – les récupérant, nous propose à la place un autre demi, le prix desdites consigne s’élevant à celui de la boisson. D’accord. Il paraîtrait en effet presque déplacé d’ouvrir la caisse et de manier de la monnaie, en ce début d’aube. Nous partageons. Elle sort de l’enceinte du bar pour que nous nous entendions tous mieux. Nous discutons un moment. Le son, la musique, se tait puis repart – est-ce toujours le duo ? Considérations sur le meilleur endroit, près des trompes, question de quelques degrés, pour entendre toutes les fantastiques fréquences. Très agréable fin de nuit, que ces mots quelques minutes échangés – je me rends compte que nous n’avions pratiquement, dans les heures précédentes, parlé qu'entre nous, seulement (et souvent assez peu). Le jour continue de monter doucement. Nous, nous sommes bien redescendus. La fatigue gagne. Nous saluons et repartons, pas trop vite. Tout le monde est ravi de cette nuit qui s’achève. C’est la fatigue seulement, cette fois, qui fait que les tentes sont loin. Une fois couché, je m’endors dans la minute. J’imagine qu’il en va de même pour mes deux compagnons. (Mais nom d’un… L’avons nous donc hallucinée, cette route plus loin que le bois ?).

DEUXIÈME JOUR : OMBRE RARE/ERRANCES INCERTAINES/TROMPES MUETTES

À vrai dire – à considérer l’heure à laquelle nous avions fermé – nous nous réveillons tous assez tôt. Vers dix heures – à cause surtout du soleil. Il tape, encore. Et sa lumière est vive. Pas plus, un peu moins de quatre heures de sommeil, donc. Nous avions prévu la fatigue du lendemain, le besoin d’absorber de la fraîcheur. Ce sont donc, après une petit déjeuner un peu plus "normal", des tournées de gaspacho, encore agrémentées de légumes découpées. À l’ombre, dans une clairière du bois de sapins. Nous rediscutons d’ailleurs de la fameuse route. Nous sommes deux à l’avoir entendu, ce moteur, a avoir vu les phares. En montant un peu entre les arbres, nous débouchons sur un ruban crayeux. On n’avait donc pas rêvé. On en est presque un peu déçus… Sans doute est-ce une des voitures de l’orga, qui nous avait surpris. Pas de condiment spécial, aujourd’hui. Pour le moment, l’apéro même ne reste même pas envisageable… On se dégourdit les jambes. Il est prévu que certains festivaliers – qui s’étaient inscrits pour cela auparavant – puissent essayer leur instrument dans le système-son si particulier du site, en fasse passer les timbres par les trompes. Malheureusement, il y a une avarie. Les trompes ne fonctionnent plus. Un incident a dû survenir aux heures où nous dormions. Quelques festivaliers jouent donc en acoustique, "tels quels" des instruments qu’ils avaient prévu d’entendre autrement,

Page 22/126 multipliés par la montagne. Il y a parmi eux un gars qui joue à l’archet d’une plaque de métal… Ça sonnerait sans doute bien renvoyé par la falaise mais là, nous sommes au moins trois à trouver ça assez pénible. Plus tôt, dans le théâtre de verdure, des gens dont un enfant jouaient à taper sur le clavier et sur les cordes du piano défoncé qui y git en permanence. Un technicien, qu’on questionne, nous dit que l’accès aux amplis est malaisé. Une partie du système est enterré. On n'entendra finalement pas – le doute persiste longtemps – les trompes, ce jour. J’avoue que la journée est bien longue. Nous cherchons l’ombre, le frais. Et à nous occuper. La fatigue n’aide pas mais il fait trop chaud pour penser à reprendre, pour le moment, quelques heures de sommeil. On suit un peu, on explore mollement le lit de la rivière. On traverse "le camping" - comprendre : l’espace le plus parfaitement plat du site, où sont plantées des dizaines de tentes, serrées. On s’y arrête pour parler à des gens – encore des têtes souvent croisées à Lyon, dans le concerts – qui, eux, ont nommé le lieu "Le Vortex". Sur un rocher près de l’eau, où il fait meilleur… On s’envoie finalement une première et légère lampée de genépi – j’avais amené la flasque dans mon sac, "à tout hasard". Le soir paraît un peu moins loin. Idée à la con, toutefois : regagner le chemin en coupant par la pente. C’est de la craie, ça glisse, ça roule. Ça nous prend une éternité pour poser pied enfin sur le chemin. Et on manque plusieurs fois, chacun, de se vautrer dans les ronces. En fait, nous sommes tous trois bien éclatés. Nous remontons aux tentes. La chaleur commence quand-même à se dissiper un peu. Le soleil descend, il y a des coins d’ombre qui naissent. L’un des deux autres se met dans le hamac qu’en arrivant il avait tendu entre deux arbres. L’autre gagne sa tente, enfin passée en zone moins chaude. Je tire la couverture au pied de "mon" sapin. Siestes tardives et générales.

Au deuxième lever, tout va bien mieux. Organisation, encore : nous avons un appareil à gaz ; nous préparons le seul repas chaud que nous avions prévu pour ce séjour. Les pâtes-sauce-tomate c’est tout con mais ça fait du bien, à de telles heures. On se risque au pastis, aussi. Il nous reste un peu de temps avant que ça commence, plus bas. Cette fois les concerts auront lieu à l’altitude du bar. On se remet un peu vaillants… Allez, l’heure approche. On descend.

...

DEUXIÈME NUIT - LE BAL : PETIT BONHOMME/FRANCE/(... et SALSA - rendez-vous manqué pour cause d'épuisement)

Tout de suite – c’était de toute façon évident – il apparaît que l’ambiance, ce soir, sera toute autre. Notre hôtesse des dernières minutes, d’ailleurs, la veille, nous avait prévenus : "Demain, ça sera plus festif… ". Elle avait dit aussi, "Mais ça va être bien aussi, hein". De fait, sous l’auvent en dur, ce n’est pas qu’une scène, qu’ils ont installé : c’est une piste de danse. La lumière décline, encore. Le premier des musiciens à jouer ce soir est finalement en place.

Petit Bonhomme, donc. Ce qu’il est littéralement ! Un type assez jovial. Qui vient, semble-il, de La Suze – dans la Sarthe, je crois. Un curieux décor, sur ses instruments et autours, sorte de musée brut. Peluches et pantins pas tout-neufs, mappemondes qui pèlent… Des sortes de fétiches ? Des signes rieurs et usagés pour faire territoire ? … Quant à la musique : des éléments de batterie joués, tous, avec des pédales – grosses caisses, caisses claires, un charleston d’une drôle de taille… Aux pieds, oui, forcément. Car dans les mains, le type tient un banjo. Et quelle machine ! … C’est parti. Ça ne s’arrêtera pas de sitôt. Ritournelles courtes – fréquemment assez, vraiment belles ; parfois aux inflexions berbères, orientales ; d’autres fois d’une rusticités de terroirs plus proches de nous. Rythmes sommaires qui soudain se syncopent… Et cette énergie ! Il semble

Page 23/126 inépuisable. Et nous, et l’auditoire, soudain, aussi. Je ne dirais pas que "ça groove". C’est un autre genre d’entraînement, de ronde. C’est en quelque sorte plus "raide" que ça. Martelé, comme ce qu’il imprime a son bric-broc, avec ses semelles et – bien fort – ses talons. Quand il y a envolée… C’est qu’il enclenche l’effet, sur le banjo : la DISTORTION ! À un autre concert où le même avait joué, l’ami Dariev l’avait trouvé "presque black metal". Je suis un peu plus d’accord, maintenant, là-dessus, même si pas complètement. Il y a ces trémolos ultra rapides, ce son d’une dureté de gravier craché en jet, qui arrache, écorche… Le public est pris par cette folie, ce truc frénétique, cette fête et cette tempête des nerfs. Nous avons décidé de nous en tenir à un verre de liqueur verte – pour ceux qui en auraient envie – par musicien ou groupe qui passerait. Je crois que nous avons à peine outrepassée la dose (voire pas tous, allez). Mais l’ivresse gagne vite, avec ce tranquille agitateur, trublion, diablotin joyeux. (Décidément, je vois partout des diables, ce week-end). C’est épuisant. Et parfaitement réjouissant. J’avoue toutefois que je me serais bien passé des rappels. (Il nous fait comme la fois d’avant le coup du "Ah ben j’en ai plus… Bon, je vais rejouer le premier… Ou alors le troisième, là. Le slow"… Devinez si celui-là s’emballe). Il finit par cesser. Il n’y a pas grand monde qui se sente de retomber.

(Un autre verre de liquide herbacé).

Et le temps de changer le , voilà que déboulent France. Comme d’habitude, les trois s’installent non pas sur scène mais au centre de l’endroit, pour jouer en plein public. On les attend toujours avec impatience, France, quand on sait qu’ils vont jouer. On sait qu’ils n’ont qu’un morceau. Sur une note. Un seul rythme. C’est une machine, encore, en quelque sorte – un machine chaude, avec des muscle, des foies, et puis… Imprévisible, avec ça, malgré tout. On sait ce qu’il vont jouer – donc ; on peut chantonner même ce motif obsessionnel, curieusement en ne se trompant pas sur la hauteur, le ton, par avance. Mais jamais combien de temps. Quand ça va s’arrêter, une fois parti. Ils ont cette présence. L’un des compagnons disait la veille, en voyant Gourdon – qui paraît-il jouait de la vielle au bar, après sa performance avec Yvan Étienne (Le Verdouble, voir plus tôt dans mon récit…) : "Putain, c’est le James Dean du trad', ce mec". Et il y a de ça, un côté rocker, agité, rentre-dedans, aussi. Mais surtout avec France, à vrai dire, complètement outre-folk, hors canons, qu’ils sont (seraient-ce ceux qu’on pourrait supposer, nouveau, aux groupes du collectif La Nóvia). Et puis… Du trio, ce n’est pas le seul. C’est un bloc. Et ce sont trois qui font face, bravement, et provoquent. Mathieu Tilly, à la batterie, tient sa battue invariable – le coup de cymbale seulement tombant à sa guise sans qu’on sache quand il va claquer – avec un acharnement, une concentration qui tiennent de la hargne, du maniement maniaque d’un empoigneur de nerf-de-bœuf. Et Jeremy Sauvage - ce nom, déjà – le longiligne, interminable bassiste, avec ses pâtes, a toujours l’air d’un Mod désireux d’en découdre. Il bouscule, et le son de son ampli une fois réglé, ce soir, il balance spécialement rond et lourd. Ils sont en forme, ça s’entend dès l’instant qu’ils y sont vraiment. Et presque tout de suite… Le Jooklo Duo - ceux-là qui avaient le matin même accompagné le jour naissant – se joint à eux. Il faut quelques minutes, en revanche, pour qu’eux trouvent le pas, le ton, l’assez peu et le suffisamment, pour que leurs sons se mêlent à ceux de l’habituel trio, fasse la masse adéquate. Mais lorsqu’ils y arrivent… Le percussionniste, enfin, abandonne tout idée d’orner. À son tour – comme Tilly, et en motif tout aussi court – il s’obsède d’une seule frappe, la tient comme entre les dents. Et la saxophoniste, qui d’abord essayait de jouer des motifs, des mélodies, rejoint les régions spectrales de Gourdon enveloppes déchirées, fréquences en nuages d’orage magnétique. Cycles, encore. Ça joue fort, et longtemps. Là encore ça ne veut pas cesser – et puis pourquoi faudrait-il ! Nous sommes tous attrapés. Ça se déchaîne. Danse collective, mais chacun campé. Pris dans une aura, attirés vers ce pivot inamovible, cercle mouvant et dense aux limites qui vibrent. Densité, oui, vraiment. Tout est saturé. On n’est pas abruti mais on ne peut pas cesser la secousse. Et puis… Et puis encore pire : Yvan Étienne, l’autre vielleux du Verdouble, vient en remettre, s’ajouter, épaissir encore l’onde, le flot inépuisable. Ce n’est pas qu’il reste de la place : c’est qu’ils l’étendent, la font déborder d’elle, de nous-mêmes. Foutu bal galvanique… Ça ne cessera donc jamais, décidément ? Pas plus mal, ou faisons avec. De quelque manière, nous voilà encore tous ivres. Je reconnais des visages, certains que je n’avais pas encore croisés, ces deux jours. Tout le monde a l’air d’humeur forte, et lâchée, exaltée. Ça pousse, ça touche épaule à épaule, ça se serre autours du foyer de sons. Mais pour l’instant, personne ne tombe… Il faut bien pourtant qu’à un moment – on ne voit pas comment, autrement – ça s’arrête. Comme d’habitude, ça s’interrompt comme ça s’était emballé. D’un coup. On reste tous flottants. Gourdon disparaît. Moments d’hésitation. Les autres ont l’air de se trouver bien, ici. Le Sauvage lâche sa basse, prend l’un des instruments

Page 24/126 à percussion de la moitié masculine des Jooklo – une sorte de tambour sans corps, peaux transparente tendue sur un cercle. Ils tâtonnent un moment. C’est parti, allez, pour une impro, cette fois. Je commence à ressentir la fatigue accumulée – et puis tout ce que je viens de brûler dans leur tour de danse. (Un des autres présents, recroisé plus tard à Lyon, et qui avait enregistré le concert, nous dira que cette fois, ils l’ont joué une heure et six minutes durant, leur fameux morceau unique). Là… Ça peine un peu. Je vois une fille – qui n’était pas loin et se remuait autant que nous, quand on y était tous – vaciller puis tomber dans les pommes, dans les bras d’une de ses copines. Chaleur, alcool peut-être bien, épuisement… Ça ne trouve pas encore, côté musique. Les potes remontent aux tentes. Je reste un peu. Ça prend, puis ça lâche, puis ça revient… Impro, disais-je. Cette fois, et après "ça", moins consistante, pour le moins. Je crois que c’est l’Italienne, avec son sax soprano, qui lance la partie où ça veut bien se maintenir. Et où partant, ça monte enfin. Mais moi, je ne tiens plus trop. Je rejoins à mon tour ma tente. La longue pente ne m’avait jamais semblé si pentue et si longue, si haute. Il fait nuit très noire – et cette fois, contrairement à la veille, les étoiles gardent toutes leurs places fixes, sans que des lignes se tracent, s’effacent, se tirent autrement entre elles, géométries impermanentes… La fin de l’impro m’accompagne, jusqu’en haut. Quand elle cesse, je ne dors pas encore. Il me semble qu’elle se conclut en beauté… Je ne tarde pas à sombrer, toutefois, à basculer dans un agréable sommeil, bien mat et continu jusqu’au matin. (Je rate donc – pardon à eux – le concert de Salsa, duo électronique, même techno, projet des membres de Deux Boules Vanille, dont j’avais une autre fois, ailleurs, plutôt apprécié la musique bien minimale, analogique, dansante, encore, et elle aussi sans fin… Je pense qu’il me sera donné, tôt ou tard de les revoir – et cette fois ci, de veiller).

Le lendemain, nous prenons le temps d’émerger. Nous ne voulons pas, pourtant, trop nous attarder. Petit déjeuner, posé – il reste ce qu’il faut, tout juste. Impressions échangées. Tri de ce qui est encore consommable, il reste des légumes – bref – et de ce qu’il faut jeter. On les rassemble, nos poubelles. Penser à remplir une des bouteilles d’eau, pour la route. Vers onze heures trente, les tentes sont pliées, les sacs bouclés. Nous descendons une dernière fois. La même Camille qui nous avait salué, en premier, à notre arrivée, nous dit que la navette, si on veut, pourra prendre nos bagages jusqu’en bas, d’ici trois quart d’heures. Nous décidons de ne pas attendre, des au-revoir rapides s’échangent et nous voilà partis, tout chargés, sur le chemin blanc vers le village. Il nous semble plus long. Il fait très chaud. Nous ne croiserons pas la navette avant d’atteindre la voiture – c’est un regret de moins ! Mais au fait… Non, il n’y en a pas, de regret. On est tous claqués mais heureux d’en avoir été. Il reste bien des heures, c’est vrai – elles sembleront un peu trop élastiques, l'autoroute comme extensible, et les départementales, avant – de là jusqu’à Villefranche, où nous rendons la voiture ; et puis d'ici, de la maison et de la pause rafraîchissement – merci à ces hôtes-ci encore – jusqu’au quai, et au train. Ensuite jusqu’à Lyon. De l’autre quai, à l’arrivée, débarqués, dans les transports jusqu’à nos domiciles. Allez… Rarement j’aurais trouvé douche froide aussi bonne. Et puis ça ne fait pas de doute : dans un an, s’il se peut, j’y retournerai !

ÉPILOGUE : LES TROMPES VIVENT/TOUS LES ESPOIRS SONT PERMIS

Mon récit enfin clos, je tiens à souligner encore l’efficacité de l’équipe des Échos, son organisation impeccable. Outre la sympathie de tous, nous autres festivaliers – quatre cents personnes tout de même, éparpillées en pleine nature – avons trouvé réponses à toutes nos questions et requêtes. Tout était accessible, en quelques minutes, de n’importe où sur le site – les toilettes sèche et le point d’eau, le bar, le stand de nourritures pour ceux qui n’avaient pas amenées leurs propres provisions, aux heures des repas. Et ce fameux service de navette, aussi, qui nous a permis l’ascension d’un pas plus libre et plus léger. On notera, aussi – ce n’était pas

Page 25/126 gagné – que nuls tas d’ordures ou autres souillures ne traînaient sur l’herbe, dans la forêt… Nulle part, en fait, nos regards n'ont accrochés à de telles traces au moment de partir. C'eut été triste, vue la beauté du site. Les grands sacs-poubelles accrochés un peu partout et régulièrement renouvelés tout aux long des deux journées/soirées y ont sans doute contribué (outre peut-être une certaine autodiscipline – pas toujours attendue – de tous ces campeurs provisoires, visiblement d’âges, milieux, états endocriniens, couleurs de poils, ce-qu’on-est-venus-y-trouver divers et contrastés). Ah ! Et aux dernières nouvelles, les trompes ont été réparées. L’équipe, même, les a munies – ou va le faire – de nouveaux haut-parleurs. Merci à eux, encore – aux musiciens, aussi, bien sûr, pour cette expérience exceptionnelle. À bientôt, pour certains (si jamais ils nous lisent…). Et souhaitons – j’insiste – qu’il y ait l’été prochaine une édition quatrième. Le propre de l’Écho, après tout, est de se prolonger longtemps.

(PS : S'il se trouve parmi nos lecteurs des festivaliers/festivalières présents à cette édition des Échos, qui en aient pris des images et qui souhaiteraient voir celles-ci illustrer cet article - qui en manque cruellement... Que celles et/ou ceux-là n'hésitent pas à me contacter en message privé. Merci !).

Page 26/126 Les chroniques

Page 27/126 : Pre-Millenium Tension

Chronique réalisée par Raven

S'il ne fallait posséder qu'un seul d'Adrian Thaws ? Celui-ci, sans hésitation. En 1996 le gringalet asphyxié était caïd dans son monde-placard mental, perdu à l'insu de son plein gré dans une dimension perpendiculaire, blotti dans les studios jamaïcains comme une blatte dans la mie. Un mystique incertain, un fébrile cruel, une monstruosité insomniaque. La phalène et l'halogène en une seule entité. Glauque à souhait. Et érotique à en crever, quand il faisait appel à sa maîtresse au micro, la prêtresse de la musique qui s'écoute en grelotant de chaleur sous les draps arides d'humidité, j'ai nommé Martina Topley-Bird. Ce trois sur six de Progmonster reste une des conséquences inattendues de la subjectivité. Mais subjectivité est salut, on ne peut pas parler de musique en étant objectif si on est honnête, à moins de croire pouvoir se défaire de son filtre à l'écoute de tels , qui ne permettront jamais une écoute analytique. Et ça n'est qu'une note en fin de compte, une note amour-haine, avec laquelle je me suis sûrement senti en accord sans l'admettre lors de mes écoutes les plus nauséeuses de ce disque, à jeûn et ne me nourrissant que de fumée... avec une douleur dans le bide, cette douleur de la faim. La faim, de l'autre, d'une échappatoire impossible. Sortir de cette chambre, ouvrir les rideaux... Jamais. La faim d'un peu d'air. Respirer ? La musique de Tricky, avant de devenir étreinte amicale, était une constriction malsaine... et fascinante. Un jeu du chat et de la souris avec l'indispensable Martina. Reste à savoir qui est la souris de l'histoire... peut-être pas celle qu'on croit. "You're insignificant"... "Dans la vengeance, comme dans l'amour..." comment disait le vieux, déjà ? Voilà... Ce disque est sexe et danger, frémissements, peur et onirismes scélérats. Le gosier du mâle est dessèchement, celui de la femelle une sudation de plante carnivore à laquelle on ne peut pas résister. Les paroles sont des puits de fascination. La façon de les chanter est la plus sexuelle possible... était un album-base, le Nevermind du trip-hop en quelque sorte, du moins autant que Blue Lines ou Dummy. Un album extrêmement douillet, sensuel et confortable. Pre-Millenium Tension n'est pas la suite de cet album. Il en prolonge certaines esquisses, mais il va plus profond. Pre-Millenium Tension n'est pas confortable, du moins pas comme on l'entend d'oreille trip-hop académique : c'est du Tricky qui fait du Tricky, affranchi de toute obligation d'être accessible au lambda, et pas encore destiné à une carrière d'artiste pop (raté). C'est pourtant un album extrêmement sensuel, l'un des plus moites possibles... À la réécoute je sais toujours pourquoi je l'ai racheté deux fois. La pochette détient à elle seule toutes les clés pour comprendre quelle est la teneur de cette musique, son inspiration et son objectif : musique nocturne, musique-sexe, instrus organiques, digne de porter le nom de sons mutants, et nombre d'effets déformés et agglomérés sur ces armatures délicieusement bancales... Tricky ne parle que de sexe, de relations avec l'autre, avec soi-même, même quand il est ésotérique. De reflet dans la glace, de visages contemplés, fixés, de lentes fornications et de perte totale des repères. La réalité se liquéfie : Pre-Millenium Tension est un piège. Faut-il en décrire les mâchoires ? La fracture mentale que provoque instantanément "Ventolin" ? Le magnétisme de "Christiansands" ? La sauvagerie imprévisible de "Tricky Kid" ? La lumière blanche trompeuse de "Makes me wanna die" ? Le reggae malade "Ghetto Youth" et son ambiance digne des passages les plus irréels de Pere Ubu ? L'abstraction totale de "Bad Things" entre rap de coquin chenapan, blues-rock et IDM ? La reprise vaudou-bambou complètement cramée de Rakim ? Le final au piano et au respirateur artificiel (?), avec ses vers qui titubent et sa morne fatalité ? Tous ces titres sont uniques, et forment ce cauchemar dans un cagibi sans issue nommé Pre-Millenium Tension. Certains s'écoutent en boucle, on

Page 28/126 bloque dessus. La plupart. D'autres sont trops dégueulasses pour qu'on ose les mettre en massive rotation. Du début à la fin, cet album est tout ce que Tricky a fait de plus menaçant, de plus malade, avec ces greffes sadiques de sons blues/southern sur ses rythmes de Mesmer, qu'il réemploiera avec un guindage musicien plus bourgeois sur le suivant, mais qui sont déjà ici à leur plus trouble... La solitude absolue, dans les bras d'une femme ou tentant d'échapper à son emprise... C'est du trip-hop, mais c'est beaucoup plus que ça : c'est du Tricky lové dans son cocon morbide, autiste à en crever, et frémissant de tout son asthme mental. Plus gutsien que ce skeud, tu meurs. Le plus effrayant, c'est que Pre-Millenium Tension a jailli naturellement, instinctivement. Un peu comme du sperme. Ou du venin.

Note : 6/6

Page 29/126 TRICKY : Christiansands

Chronique réalisée par Raven

La fièvre. La grosse fièvre, l'auditeur piégé comme un gros lièvre dans son terrier. Ne pouvant contre-attaquer que par une réception-souflette des volutes. Il n'y a plus de piles dans ma télécommande, et pas de touche "repeat" sur ma chaîne modernement sobre. Je suis donc obligé d'appuyer sur play pour écouter comme il se doit "Christiansands". Quel dommage. Du coup je pourrais le chroniquer d'après ma mémoire limpide malgré la buée, car il tourne en boucle dans ma tête, aussi. Et Martina elle a des boucles aussi (et elle tourne dans ma tête aussi). "Christiansands" rules forever, peu importe what does that mean. Nous parlons bien sûr du titre magnétique de Tricky ultime, du moins d'un des ses plus beaux. De ses paroles vénéneuses et cryptiques, vraisemblablement inspirées - entre autres flashs existentiels - par un flirt avec une fille du Nord. Chaud. "Always [...] forever". Tout est là : les clés et la serrure. On réécoute avec un plaisir congélatoire son bad trip jamaïcain, puis on passe par ce remix évolutif-expé des plus vils en piste trois, qui est à la hauteur de l'originale : sept minutes délicieuses qui prolongent le trip avec force effets (subtilité, grand trip-hop), et rien d'une imposture, car il concentre en quelque sorte plusieurs remixes en un seul... Je ne me souviens jamais de "Flynn", sinon qu'il s'agit d'un de ses inédits boiteux et chelou, crari breakbeat abstract machin... Quand on aime Tricky, on achète ses singles d'occase dans les bacs pourris ou sur discogs. Ils ont vécu, ça leur donne ce charme des reliques abandonnées. C'est le carton usé du digipack ça, qu'on parle du laser ou du vinyle, c'est du carton avec des coins bousillés, du carton qui renferme tout sauf un titre en carton, mais le single-phare d'un album-phare rouge dans une nuit bleue-noire. Mon exemplaire de Christiansands très usé du genre vieille sèche de bachelier (ou bristol, uhuh), est orné d'un crop-circle de cendre. C'est beau.

Note : 5/6

Page 30/126 TRICKY : Tricky Kid

Chronique réalisée par Raven

Les singles de Tricky sont assez nombreux et peuvent se trouver au prix d'un paquet de Zig-zag. Celui-ci m'a été vendu par un brit, et on sent qu'il a vécu depuis 1996. La texture est rugueuse au toucher, le cartonné n'accroche pas le reflet comme celui de Christiansands, il est d'un mat des plus mornes, tout à fait adéquat... Certes, j'ai mes tendances fétichistes, c'est mon côté Bil de Nextclues ou Salad Fingers, paraît que ça se soigne, mais je ce genre de contacts visuels, et digitaux (oh, c'est cocasse) et de reniflements canins de l'emballage, pré-écoute, me rappellent toujours pourquoi je déteste chroniquer à partir de mp3, comme s'il manquait une dimension... et la musique donc ? Pareil : c'est du vécu. C'est réel. "Tricky Kid" est ce titre qui renvoie à leurs berlines proprettes toutes les petites racailles américaines ou françaises qui veulent faire peur ou se la péter avec leurs guns. Le maigre trucide les gros dans un râle rauque. Hyène shit. Tricky explore sur ce morceau les zones les plus mythomanes et les plus lucides de sa psyché, s'identifiant à Jésus. Sauf que c'est pas Lennon, le parano de Bristol. Et ce titre est sa carte d'identité. Son message à ceux qui penseraient le cerner ou en faire un produit vendeur style freak en cage comme Björk... Un egotrip façon Tricky ça donne autre chose que du gangsta rap basique. On est dans la paranoïa et la mégalomanie, la sauvagerie. Quasi-chanson engagée dans le texte (lol) où il troque sa beu habituelle pour un sniff de coke salvateur, et musicalement la définition du hip-hop que Guts of Darkness a été créé pour partager. On tient encore un single indispensable, avec ce titre qui restera un de ses rarissimes mais notables pétage de câble, avec une de ses instrumentations les plus scélérates, truffée d'échos de voix bien malsains qui semblent mimer les hallucinations auditives du Kid, qu'on imagine traqué, recroquevillé dans un coin de mur un surin à la main. Tuerie. "Devil's Helper", surtout découverte par les auditeurs ricains sur Grassroots, est un des morceaux les plus étranges de Tricky. Laveda Davis n'a pas la langueur redoutable de Martina, mais sa soul grasse ajoute au charme très spécial de ce titre énigmatique et (évidemment) très nocturne. "Smoking Beagles" de Sub Sub reste un des meilleurs morceaux rock du Kid, indispensable aux fans de sa période Pre-Millenium-Angels, délicieusement crade... La version live pas du tout trip-hop de "Suffocated Love" referme quant à elle ce single de façon choute, dans un esprit singer-songwriter chaleureux, non-académiquement académique (je me comprends), Tricky et Martina étant simplement accompagnés de guitare-batterie et de très discrets samples... ce n'est peut-être pas ce qu'on attendait alors de Tricky, mais quand il était au top, il pouvait faire ce qu'il lui plaisait, ça sonnait toujours bon.

Note : 5/6

Page 31/126 TRICKY : Grassroots

Chronique réalisée par Raven

Voilà-t-y pas que je replonge dans ma pile de singles et autres maxis du Kid de Bristol (j'en ai accumulé une petite poignée mine de rien...) et que je tombe sur ce Grassroots, mini-compile sortie dans la foulée de Pre-Millenium Tension pour donner un petit aperçu outre-Atlantique du style de Tricky, à travers diverses collaborations underground du moment, dans lesquelles il se contentait comme sur album du minimum syndical murmuré en guise de présence (façon maquereau maigre surveillant ses gagneuses dans la pénombre, à travers les volutes grasses). Un maxi single qui nous propose donc en intro un petit morceau dark-hop à la cool avec Hillfiguz (duo hip-hop éphémère de Brooklyn), ou pas cool en fait (j'en suis à la deuxième partie hem...), de la bonne voire très bonne came mais rien d'indispensable sur le titre de Stephanie Cooke qui est gentiment smooth malgré la patte reconnaissable du Kid dans ces paroles pas du tout anodines... mais je suis obligé de faire claquer la note positive pour le titre "Grassroots", ce genre de berceuse vaudou dans lequel Tricky excellait jadis, avec une instru très typée Dive (période Concrete Jungle) dans l'esprit. Ténébreux, glacial et trouble, il m'a convaincu de conserver ce maxi qui fait un peu double-emploi avec le single de "Tricky Kid" contenant également "Devil's Helper", cette moite et collante saloperie qui aurait eu toute sa place sur l'album du moment. Le titre épo, s'il fallait le répeter : le titre épo !

Note : 4/6

Page 32/126 TRICKY : The Hell E.P.

Chronique réalisée par Raven

The Hell E.P. ou le court-format le plus vendu signé Tricky, si je ne me docteur m'abuse. Et pas le moins dégueulasse, sous sa pochette culte (j'aime bien cette idée de look à base de spray argenté, Trickyna, c'est très... Orgy avant l'heure, uhuh, futuriste 90's, et l'outillage anti-vampire dans le panier est mignon comme tout). Il est découpé en deux parties, presque à l'opposé dans l'esprit. La première est avec Martina, la seconde avec des dégénérés new-yorkais liés à Shaolin et De La Soul et pratiquant le hip-hop des vautours ricaneurs, des croquemorts à la cool : Gravediggaz, qui d'autre ? Contact avec la marmaille US, acte permier. On passera sur le tube "Hell is around the corner" qui emballe toujours autant, parfait pour les soirées romantiques bougies-canapé, et on passera encore plus volontiers sur son remix assez inutile, pour se concentrer sur les deux derniers morceaux en featuring avec le groupe de Prince Paul et RZA. Malsain. Collant. Pas grand chose à voir avec la douce mélopée 90's : on est dans l'horrorcore croisée trip-hop, le sample cradingue. "Psychosis" est une tuerie. Le dernier morceau est du niveau de ce que faisait les Fossoyeurs sur 6 Feet Deep : hululements, ambiance lycanthrope et claudicante, hip-hop de crevards. Tricky sert à peine à quelque chose, tapi dans l'ombre des MC's, je retiens toujours le couplet complètement haché-flippé de RZA. Comme s'ils les avaient rendus titubants, maladroits, en un mot comme en deux. Comme une infection, une communication par la lèpre.

Note : 4/6

Page 33/126 Christian Mistress : Possession

Chronique réalisée par Rastignac

Alors que juillet grille les poivrons et les pères de famille sous les coups de butoir de la clim intégrée de la Renault sur l'A7, sur l'A9, sur l'A719, il fait bon rester chez soi et déménager pour la 30e fois en 35 ans. Et quand on déménage on garde le plus chiant pour la fin, parfois, ou on garde le plus fragile pour la fin aussi... les vinyles par exemple. Les vinyles c'est fragile, ça craint le chaud, c'est une vraie gale à névrosés, regardez donc ce documentaire sur Robert Crumb quand il doit déménager de la Californie au Gard, l'angoisse sur le confort de ses 78 tours emballés avec sur-maniaquerie dans les cartons ("vont-ils tenir le coup ? les déménageurs ne vont-ils pas faire n'importe quoi ?"). Donc là il ne me reste plus de cds, plus de cassettes, j'ai dû chroniquer tout ce que j'ai acheté sur bandcamp, je chronique donc du vinyle et pas n'importe lequel, un vinyle qu'on l'achète juste pour se dire que finalement on n'est pas né si trop tard que cela, finalement y a des gens qui font comme si, comme à l'époque, comme si on avait pas posé le perfecto en 1978 (je suis né en 1980, mais bon...), enfin, quoi, tout est born juste au point avec Christian Mistress. Tellement de choses moi aimer dans ce groupe : la voix éraillée de la chanteuse bien posée sur des mélodies imparables, les ritournelles NWOBHM toute fraiche, toute doomy, pas encore trop souillée par les stades, et cette jeunesse, cette fougue et cette envie de ne pas sortir d'un espace-temps révolu comme tellement de groupes contemporains pas même nés sous Jimmy Carter... En bon génération Mitterrand (même si né sous VGE), je cautionne toute tentative d'Hibernatus metal, tant que c'est bien gaulé, et là, c'est bien gaulé : son vintage, solos qui tuent, présence ultra bikeuse cool de la voix qu'on voudrait juste aller au bout de la terre avec elle (avec Gemma des SOA qui fait la moue derrière en tapotant de la botte sur le bitume fondu, là, au croisement entre Mulhouse et Vera Cruz). Heavy Metal fondu aussi, tout plein de tendresse pour les anciens comme le BÖC ou les vieux Judas Priest rutilants de la fin des seventies, Christian Mistress fut la caution true heavy de Relapse en cette année 2012. Dernier album du groupe aussi, plus de présence sur mes radars, m'enfin, sont jeunes, zont la vie devant eux pour continuer à fabriquer ce metal goutû, from Olympia - fleuron des quartiers washingtoniens à chemise à carreaux, "à domicile comme à l'extérieur, z'agissent sur le cafard comme le baygon!". Ah si, en fait ils devraient sortir quelque chose en 2015. Taïaut !

Note : 5/6

Page 34/126 SLO BURN : Amusing the Amazing

Chronique réalisée par (N°6)

Que faire après Kyuss, sinon encore du Kyuss ? Et l'identité d'un groupe, elle est où ? À revisiter la carrière post-groupe-cultissime de John Garcia, force est de constater que si, succès mondial de QOTSA aidant, on a beaucoup glosé sur le son de guitare certes singulier et foutrement fabuleux de Josh Homme, faut se rendre à l'évidence, le vocaliste y était pour beaucoup aussi dans le pourquoi du comment de la grandeur de Kyuss. Rien qu'à voir comment tous les suiveurs et séries B du genre galèrent vocalement face au colosse, tout simplement parce qu'il n'y a pas l'organe caniculaire de Garcia, hardos d'ascendance mexicaine aux accents solaires et au groove soulful. Reste à trouver un bon backing band prêt à relancer une série de riffs tectoniques au fuzz ravagé, la prod de Chris Goss, et c'est reparti sur le sentier de la guerre de la Vallée de la Mort. En Slo Burn, John Garcia trouve une suite logique et dérivée du dernier opus, "… And the Circus Leaves Town", plus concis et ramassé que ces prédécesseurs et dans lequel, d'ailleurs, le sieur Garcia s'était plus investi dans l'écriture. Aucune surprise à découvrir ces quatre titres qui s'enquillent dans cette droite lignée, efficaces dès le premier mais gagnant en force à chaque nouveau redémarrage, laissant de la gomme dans la poussière. "Muezli" fait déjà figure de gros classique immédiat digne du grand ancêtre, puis vient ce gigantesque "Pilot the Dune", véritable hymne stoner groovy as fuck (cliché, mais qu'est ce qui ne l'est plus dans le genre), avec son refrain plus cool qu'un seau de glaçons sous le cagnard, avant cette coda ralentie sous l'effet du délire, comme un mirage miroitant de pluie illusoire. Et puis "July" (même si j'y entend "Dilay", mais j'hallucine encore), qui ramone en plus royaliste que le roi du désert, un bulldozer lâché plein gaz, la gueule dans le reg et les pneus creusant des ornières dans lesquels les coyotes viennent se glisser la nuit tombée. Slo Burn, slow burn, burning dans la face ouais, 4X4 et seigneur Garcia dressé sur le toit du véhicule, comme le leader du Cult of Kyuss. Ce serait du revivalisme cinq étoiles si ça se passait aujourd'hui et sans la présence du maître étalon, mais voilà, c'est simplement la continuation du plus grand groupe de stoner de l'univers (et au-delà).

Note : 5/6

Page 35/126 TRICKY : Juxtapose

Chronique réalisée par Raven

Juxtapose n'est pas un mauvais album de Tricky, non. La comparaison avec Angels with dirty faces lui est fatale, certes, mais la comparaison avec certaines de ses daubes des années 2000-2010 lui est bénéfique. C'est étrange à dire vu qu'il a été comme un premier contact détaché avec la musique de Tricky, en soirée, mais avec le recul je me sentais le devoir de rééquilibrer sa place dans nos archives. C'est un Tricky fainéant, mais ça, il l'a toujours été... Oui, le premier morceau devait inquiéter au moment de la sortie, pour ceux qui avaient trippé sur les précédents... On le skippera volontiers, pour aller savourer sa suite. En effet difficile de nier l'évidence : nous ne sommes plus asphyxiés comme avant par la musique du Kid. Après quelques fricotages dans le secteur, Tricky travaille aux US. Il devient aussi pop, et un peu hip-hop forcément (la présence de MC's n'était vraiment pas indispensable pour le coup). Et il signe son premier album récréatif et décousu, même s'il n'a jamais du genre à faire dix fois le même morceau sur un album et du genre à conceptualiser des albums cohérents et profonds, égrenant ses humeurs de phalène au gré des visions que lui envoient les samples... Adrian fait les choses comme elles viennent, il a toujours été comme ça. Et quand il rencontre Muggs et Grease, ce qui aurait pu donner un album aux sonorités 100% plastiques (puisque Muggs est sur le point de commettre la daube Skull & Bones) donne en l'état ce petit album hybride dispensable mais très écoutable, de Tricky tous publics, avec certes du plastique ("I Like the Girls" et "Hot Like a Sauna" violon-raps gentiment péraves typiquement late 90's, dans lesquels on s'attend à entendre rugir DMX, même si le second est plus typé british electro), agrémenté de trois titres glauquasses-étranges comptant parmi ses meilleurs : "She said" (obsédante, j'y peux rien) et les gothiques "Wash my soul" et "Scrappy Love" (assez imparable celle-là, des fois il suffit de pas grand chose, en l'occurence une bonne ligne de basse et un piano), le reste étant tout à fait charmant en écoute de nuit, des titres anecdotiques comme "Bom Bom Diggy" ou le petit parfum californien de "Contradictive", qui passent sans problème à trois heures du mat', comme du Tricky pour clopes plutôt que pour blunt... Encore une fois, un album mineur pour Thaws, mais un album de trip-hop patchwork bien chaloupé, même si je comprends bien pourquoi Progmonster l'a puni de la sorte (la rupture artistique avec Topley-Bird a été une terrible amputation, le condamnant à chercher ses partenaires là où il pouvait comme ces hommes cherchant le réconfort dans les bras de filles frivoles après une aventure passionnelle). En 1999, on

était encore en 1999.

Note : 3/6

Page 36/126 TRICKY :

Chronique réalisée par Raven

Il y a les titres fillers dans un album, et il y a les albums fillers dans une disco... et en voilà (encore) un. Plutôt que de maudire les escrocs ou les sourds au dernier degré qui ont présenté False Idols comme retour aux affaires pour Tricky, j'ai envie de vous demander si, comme moi, vous avez déjà ressorti Knowle West Boy et Mixed Race depuis leur année de sortie respective... Non ? C'est normal. Et je pourrais aussi parler de Vulnerable l'album à pochette plus naze et tue-l'envie que son titre. Sauf que là, c'est peut-être l'occasion de les ressortir, ces albums 'mouais' ou 'beurk', histoire de comparer avec la flotte minérale de celui-ci (si tant est que vous n'ayez que ça à faire). Avec False Idols, on est plus que jamais dans l'ersatz de Tricky, le petit ersatz bien cynique trip-hop contemporain minimal, comme les remakes safe-sex du neo-Hollywood. C'est même plus du Tricky pop qui s'en fout, mais un pseudo-Tricky qui se vend comme du Tricky. Et ça c'est mal. Les lauriers, il se repose plus dessus, il les fume. Il s'est trouvé une nouvelle muse semble-t-il, en la personne d'une certaine Francesca Belmonte, timbre charmant mais évidemment loin de servir à être plus qu'un mauvais succédané de Martina. Qualitativement, False Idols est du niveau d'un skeud de cloud-rap de série : sinistrement fade, contreplaqué, stérilisé. Plastique. Ce serait pas Tricky je mettrais peut-être trois, en étant généreux quand même, mais on parle du mec qui a sorti Pre-Millenium Tension. Ma note est déjà généreuse, je crois que je suis captivé par une ligne de basse par-ci et quelques poignées de secondes par-là, ou plutôt le final "Passion Of The Christ", encore une de ses références bibliques ultra-subjectives, aidée par une instru effectivement très Mel Gibson, basiquement magnétique. Le plus étrange, ou logique, c'est que dans ce skeud, des flashes de la grande époque surgissent par endroits... Ils accentuent la déception. La présence ? Absente. Les instrus ? Synth-pop dévitalisée de 2013. C'est même pas de la bonne future pop, à croire que même sur les plates-bandes sonores d'un Covenant médiocre il se foire... Du pur son logiciel tout surgelé, fonctionnel. Et puis on est déjà sur du très embarassant avec cette ballade en chinois toute fade... S'amouracher d'une femelle tamagotchi pour se vider les mochi c'est de bonne guerre, Mr. Thaws, mais ça ne sert dans le cas présent à rien... Vous êtes déjà pardonné pour cet exotisme kikoo, vu qu'ailleurs, en bon Séguéla du navet, vous invitez Martina Topley-Bird pour le retour tant attendu... en mettant à la place cette nana qui joue à faire la Martina genre la copie taiwannaise. Oh my gosh ! Mais ça, c'est immoral monsieur. Je n'insulte pas votre mère, mais soyez certain que l'intention y est.

Note : 2/6

Page 37/126 TRICKY : Adrian Thaws

Chronique réalisée par Raven

Adrian Thaws has been known as Tricky. A long time ago. Now Tricky's gone. No breaking news, indeed : he was gone before being gone and without being gone (if you see what I mean). Gone since the breakup. Between 1993 and 1998 he was The Tricky Kid, breathing through this spliff-mist he was turning to smooth nightmares. Creating slows that we could listen under the duvet by a wet night, nude and holding a torch (or other hard and oblong stuff). And then someone offered him a ventolin. Perhaps he bought it. He breathed well, he discovered the pleasure of good health... Anyway, after that he broke with his perfect lover, his alter-ego, his one and only muse. Shit happens. His well-known lazy attitude that made him creative made him become arrogant. His complex music turned to a pop complex. Then his trip-hop slowly faded, like smoke in the air. Musical evaporation. Safe rhythm, like safe-sex (less feelings). Some good tracks, here and there, but lost amongst ruins of his great era. Attempts of boys-band music, clean hip-hop, poppy-pooh, and other crimes against good taste. Crimes for common taste. Disguised failures. Penetration attempts with Cindy Lauper were not the worst of his ideas. To be honest, he made much, much worse. Then he became a false idol. A fake Tricky, a clean hooker. A shitty creation of his own, making money for good health. So everyone of us, his devoted victims, tried to find something organic in his music to dig our aural teeth in, listening to his last albums. Pouting. Cursing. But they were just pieces of plastic, with more plastic in the music than the jewelcases themselves could ever contain. Yet we still hoped for a return. Because we are believers, so we believe. From a pout to a shout, we pray for the comeback of The Kid. For the musical disease. Joining our hands in the dark of the night, and remembering how magnetic he was in the mid-nineties. Because music is a drug and a religion, in equal proportions. Because we want to hear the cancer coming back after such a boring chimiotherapy. Health is a deadend for some artists, and Adrian Thaws is one of those. And this last album is some kind of hip-hop pop, amateurish big beat (and even casual electroclash with "Nicotine Love") with nothing good, except maybe this quite weird "Sun Down" and "My Palestine Girl". Disposable songs, once again, with a Tricky trying to make good club music (once again), trying to build Prodigy-like or Mark Lanegan-like moods like a cheap and wannabe badass alchemist. Pardon my english, but it's papier mâché lazy shit. I don't even want to spend more than three lines speaking about this soulless music : it doesn't exist. Adrian... I know that you don't give a fuck about the listeners opinion (we are your moths and moths can be irritating), but enough of that muzak now. You think you're unpredictable, but you became more predictable than Lady Gaga, you are BORING, man. Kick out your teenage maid, I don't know. Do something. Admitting you're not Tricky anymore with your new album title

? No, it's not a first step for recovery... I mean non-recovery... well, you see what I mean.

Note : 1/6

Page 38/126 WUMPSCUT : Bone Peeler

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Bone Peeler, le mal-aimé, souffre grandement de ne pas avoir trouvé son public. Son titre racoleur et ses visuels de morgue m'ont convaincu de lui redonner une chance. Rampant, sinueux, gothique en diable ("We're wearing the crown of thorns, we're wearing the cloth of mourns...") : c'est sur les territoires de Die Form que Rudy s'aventure là, au grand dam de ses fans qui attendaient un énième (insérez ici votre :W: pré-2000 favori). Certes Rudy R. n'est pas Philippe P., plutôt sa version ado coincé dans un personnage evil goth avec labret de série comme on en voit à la pelletée au WGT. Mais la musique goth partage avec le sexe ou le chocolat la particularité d'être toujours sympa, même quand c'est ni bon ni original. C'est sur ce principe même que va compter :W: par la suite pour payer ses factures. Bone Peeler, à mon sens, est encore sincère: Rudy joue la carte de la torture chinoise, avec des titres qui lâchent leurs beats au compte-gouttes, laissant planer une ambiance écrasante sur l'ensemble qui se tient sur quelques très bons titres (le redoutable 'Final Warning' à s'enquiller à fond, 'Rise Again' même repris par Haus Arafna dans les remixes, et cet apocalyptique 'And Life Goes On' aux bons airs de vieux ) et surtout sur le hit 'Just A Tenderness' au texte chiche mais cinglant, clamé sur fond de synthé minimal rouillé se faufilant sous une rythmique abrutissante. L'ennui, c'est que malgré cette ambiance morbide de bon aloi, l'album s'avachit sur une multitude de titres sympas mais répétant cette formule ad nauseam. Rudy a au moins la gentillesse de prévenir : 'The March Of The Dead' sonne exactement comme son titre l'indique, tout comme le boursouflé 'Fallen Angel' et le gentiment mélancolique 'In The Peace Of The Night'. Et ca ne se termine jamais, à cause de ces vingt dernières minutes de gnangnanteries recyclables pour chaque album electrogoth des années 2000. Arrive, pour un peu de fan service, la fameuse voix francaise du regretté 'Black Death' sur 'Your Last Salute', qui chante cette fois en espagnol, sauf qu'à ce stade on en a un peu plus rien à faire vu qu'on a arrêté le CD depuis longtemps. Sauvez du second le remix de Suicide Commando (c'est dire) pour vos soirées cyber du coin, et celui de Haus Arafna pour la cerise empoisonnée au Butterfly, et on est bon.

Note : 3/6

Page 39/126 WUMPSCUT : Evoke

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Voici enfin Evoke, l'album full-on emo pour :Wumpscut: (rassurez-vous, il fera pire). Un peu comme pour , Evoke aimerait s'incruster dans le monde heavenly goth mais cette fois avec la grâce de la bestiole qui orne sa pochette. Rudy laisse même parfois tomber les effets iveul sur sa voix, sort à la place son canon à émotions et ca fait mal. Pour ne citer qu'un exemple 'Don't Go' se résume à 'I don't want you to go, don't go', répété sur quatre minutes de mauvaise trance. Mais ceux qui s'y sont risqués savent ce qui fait le "charme" de cet album : les horribles chanteuses dont Rudy s'entoure dès qu'il en a l'occasion. Souffrez donc d'entendre, au moins une fois dans votre vie, 'Maiden' ou 'Hold', par delà le bon et le mauvais goût, sans même évoquer les thématiques que ces titres abordent. Que le temps de 'Fear In Motion' et la pétrifiante voix d'Aleta Welling paraissent loin... On peut vite fait mentionner le bizarre 'Breathe', sorte de hit clubby speedé sur fond de respirations et de voix d'enfants. 'Tomb' et 'Krolok' sont pas mal non plus niveau ambiance mais si les plages de remplissage sont meilleures que les véritables titres, c'est qu'il est grand temps d'abandonner le navire. Vu le tragique de la situation, je n'ai pas pris le risque de m'aventurer dans les remixes.

Note : 1/6

Page 40/126 WUMPSCUT : Cannibal Anthem

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Ah les ingrats ! Après Evoke, ils ont cru que je m'étais ramolli. Ce que je vais leur mettre, vous allez voir... Bon, réembauchons J. E. Wagner, il avait fait du bon boulot sur l'artwork d'Embryodead, et trouvons-nous un thême tout aussi glauque... voyons... le cannibalisme, ca c'est glauque. C'est que ca ne va pas se passer comme ca, je suis méchant, et j'ai une réputation à tenir. On va faire crisser les synthés et faire hurler les machines, là, 'Wir Warten' qu'est-ce qu'ils prennent. Ou était-ce trop ? Bon, une chanson douce pour les calmer. Mais après on y retourne, hein. 'Jesus Antichristus', c'est mon tube dark electro de l'année, alors ils ont intérêt à apprécier. Noir et satanique comme l'aiment mes détracteurs (ainsi que mes fans un peu trop littéraux dans leur appréciation de mon art). Et je les vois d'ici, les rivetheards avec leurs masques à gaz, tournoyant du poing dans les airs, hurlant "Warum! Sag mir warum!" à qui veut bien l'entendre sur la piste de danse tandis que le DJ appuiera sur le bouton de la machine à fumée. Que faire du morceau-titre, si le tube est déjà passé ? Une chanson calme, allez, avec de la guitare et un faux air darkwave. C'est que ca passe bien, ce mélange Kirlian Camera avec des flotteurs en béton armé. Allez, on rembourre avec quelques instrumentaux, ca a l'air de toujours passer avec mes auditeurs, dis donc Karin, tu veux bien fredonner un truc sur 'Pass Auf' ? N'importe quoi, c'est juste pour le facteur emo. Où en étais-je... ah, j'étais en train de faire un album bourrin ! 'Me suis encore assoupi, brm... Allez hop, 'Jetzt' fera un peu plus de bruit. Et la ballade, mein Gott, j'ai failli oublier la ballade. 'Ohne Dich' passera tranquillement. Comment Karin ? Tu veux encore chanter ? C'est que je viens de boucler la ballade. Bon, rien que pour toi j'en remets une autre. On la fait ultra goth, si tu veux, limite néoclassique. Ensuite je rajoute l'outro, c'est un peu ma signature. Bon, réécoutons tout cela... ja ja, plutôt bien, mais ca me rappelle terriblement quelque chose... Ach, scheisse! Voilà que j'ai réenregistré Wreath of Barbs.

Note : 3/6

Page 41/126 WUMPSCUT : Body Census

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Body Census, c'est Bone Peeler qui n'essaie même pas. C'est mou, c'est tarte, c'est flan, et ce dès le premier titre. Il n'est pas mauvais en soi, mais c'est exactement la même formule que l'ouverture de Wreath of Barbs, Boeses Junges Fleish, et plus tard Schädling: un synthé vaguement épique qui suit la même mélodie que le chant, sur une grosse rythmique poum-tchack. Et puis il y a le reste. Un peu de darkwave en caoutchouc, un ou deux morceaux qui tentent encore d'être brutaux ('Ain't That Hungry Yet' et l'éponyme, en gros), un bon titre burné qui se demande ce qu'il est venu faire là ('My Dear Ghoul') et tant de tristes variations ni EBM ni dark electro aux synthés si ampoulés qu'ils en deviennnent insupportables. Et en cadeau spécial pour nous les fans (ou disons les quelques péquenots d'Allemagne et d'Amérique du Sud qui s'accrochent encore à ce projet), deux chansons merdiques -pardon, humoristiques- qui brisent le quatrième mur en s'attaquant directement à la foule : 'You Are A Goth' (sigh) et 'Homo Gotikus Industrialis' (re-sigh). Une boule et demi car une des éditions contient son remix de 'Fuel My Fire' d'Ambassador 21 (procurez-vous leur album de remixes Drunken, Crazy,

With A Gun, parce qu'il tue), et aussi parce qu'il nous fera l'exploit de tomber encore plus bas par la suite.

Note : 1/6

Page 42/126 Endless Boogie : Full House Head

Chronique réalisée par Raven

40°c à l'ombre. Autant aller au Soleil. Et communier avec la bête le temps d'une transe infinie, au son des guitares à crin et de la batterie à sabots. Sur Guts of Darkness, causer de ZZ Top ou du Creedence - exemples bien entendu pris au hasard - est évidemment prohibé, pour la raison, entre autres meilleures raisons, qu'on aime pas de trop le Soleil, 'voyez, parce qu'on est des sombres, on s'en fade toute la sainte journée déjà, on va pas en plus se faire chier à écrire dessus, même si on a un rapport ambigu avec (cf. Progmonster, Dariev Stands, Dioneo ou N°6, cf. Bibi). On a le droit de jouer avec le feu, remarquez. Surtout que ce genre de disque n'en manque pas, avec sa volonté forcenée d'arriver à un genre de monolithe boogie de fermiers monomaniaques, bloqués sur jam à une seule vitesse. Cet album va vous transformer en grange. Et il ne tient qu'à vous d'avoir la paille et les allumettes. Endless Boogie ne fait pas de vrai album au sens découpé et analysable titre par titre : ils ne font que des jams qu'ils emballent comme un album. Sonnent comme des tas de groupes des late-60's début-70's qu'il serait encore plus harassant d'énumérer, mais sans ce son parfois désuet qui nous en rend la mélomanie archéologue, et sans comptes de durée limitée à rendre à qui que ce soit. Jammer sans s'arrêter, pour eux, c'est la meilleure drogue du monde. Le Soleil, quant à lui, permet la vie sur Terre, provoque le cancer de la peau en quelques années et peut rendre aveugle en quelques secondes. La musique qui s'en abreuve peut donc être gutsienne, entendez dans le cas présent : jusqu'au boutiste. Endless Boogie aiment le blues-rock, et nous en font bouffer une éternité de soixante-seize minutes. "Boogie sans fin", tout à fait. Piquer ce blase à la galette de John Lee Hooker n'était pas un coup de pute. Virilité, méconnaissance de ses propres frontières et religion du solo-abandon. Full House Head commence très vintage-boogie, connement accrocheuse. Puis EB amènent le feeling à un niveau consanguin, grâce au chanteur notamment, beefheartien comme souvent dit (mais ici surtout sur l'avant-dernier morceau) mais simple ponctuation dans cette phénoménale éjaculation blues. Grâce à une foi effrayante en leur jam - traduction de confiture, et en l'occurence un mélange solaire de rhubarbe, d'oranges et de coing, tartiné sur la longueur d'un semi-remorque. La chaleur leur crame les neurones au fur et à mesure que leurs guitares crachent sans relâche boogie-riff sur boogie-riff. Et puis bluesout. Dans la deuxième moitié, c'est l'ivresse, les mirages et la soif, jusqu'à la dernière confiote de vingt-deux minutes comme qui dirait enregistrée dans le fion d'une montagne. Une musique extrême, bien à sa façon, qui va beaucoup plus loin que Kyuss sous ses airs de gentil groupe retro. Encagnardée. Totalitaire. Comme marcher pendant des heures en plein été juste pour le plaisir de transpirer toute son eau, découvrir jusqu'où on ira, jusqu'où on pourra aller, si on arrivera à atteindre son but, au loin, si loin... à moins qu'il n'y aie pas de but, et que ce ne soit encore qu'un mirage. À moins que marcher sous un soleil de plomb pour aller nulle part et sans s'arrêter ne soit la meilleure drogue du monde.

Note : 5/6

Page 43/126 Leviathan : A silhouette in splinters

Chronique réalisée par Ntnmrn

"A Silhouette in Splinters" : "Une silhouette en éclats" ; tout est dans le titre. De par sa situation, qui le place en sandwich entre deux jolis assauts black-metal, qu’on n’appellerait pas conventionnels, mais qui embarquent tout de même les procédés de genre habituels, et de par sa composition, qui consiste en une compilation de morceaux ambient inédits datant de 2000-2002, voilà tout ce qui mènerait d’emblée à considérer ce skeud ou bien comme un disque-interlude en attendant le suivant, ou bien comme un disque "compil d’introductions et d’interludes" — donc de toute manière comme une oeuvre dévalorisée, ainsi que le confirme dans la pratique la rareté des chroniques à son effigie. Disque-silhouette, méconnu ou dédaigné sauf des chroniqueurs de recoin ; disque composé d’éclats, dont l’unité ne semble pas assurée a priori ; c’est pourtant un bijou de musique expérimentale dont il s’agit ! A vrai dire, le désamour des chroniqueurs à son égard s’explique sans doute par l’hétérogénéité apparente du disque avec le reste de la discographie de Leviathan, riche d’un black-metal moderne à la française bien racé, là où l’on ne trouverait céans qu’éparses émanations drone, post-rock, psyche, ambient, indus, et autres bizarreries expérimentales. Ces parties, cependant, ne manquent pas de familiarité pour le fan de Wrest, car elles se retrouvent éclatées dans chacun de ses disques, dans les intro, les interludes, les accalmies… et si la musique de Leviathan était un cheval, il s’agirait alors de l’imaginer ici dépouillé de ses pesantes chairs guitaristiques, de ses muscles infatigables, de sa robe en flammes et de son museau fumant, de son oeil d’enragé lubrique, de son galop de blast-beat, et de ces hennissements perdus dans le lointain, pour n’en laisser que sa base, son squelette, sa carcasse : en somme, l’élongation à satiété de ces parties ambient si importantes pour l’identité du one-man-band. Mais malgré la familiarité wrestienne de ces 6 pièces, j’y trouve bien plus de ressemblance avec un Earth tardif, ou un vieux Lustmord qu’avec n’importe quel skeud de black-metal du mec ; surtout pour ce caractère picturogène, bien particulier à l’ambiance étrange et désolée de cette galette. Ces 6 paysages dessinés le plus souvent à la guitare par crissements, grincements, vibrations ou notes égrenées, m’évoquent aussi bien la Green Place dévastée et infestée d’hommes-corbak du dernier Mad Max, que l’insalubrité inquiétante des zones urbaines sensibles figurées par les guitares de Zone Libre sur "Carnets de ma cage". Et il faut me croire : jamais on a vu pareille unité dans une pseudo-compilation ! Il y a en permanence cette odeur souffreteuse de calme avec la tempête, et cette lourde charge sentimentale à mi-chemin entre la plus exécrable déréliction et la loufoquerie habituelle des compos de Wrest. Les morceaux se ressemblent, avec toute la différence que comporte la notion de ressemblance : "Particular Dis-ease" tire le skeud vers le drone type Sunn O))) tranquille (avec l’unique occurrence vocale du patron) ; "It Comes in Whippers" plutôt vers le post-rock et le shoegaze (mais il y a cette si sympathique basse) ; alors que le titre éponyme donne dans l'ambient venteux à la Lustmord et l’indus à bruitages tetsuesques. "A Silhouette in Splinters", c’est donc bien plutôt "une silhouette dans les éclats", soit la même silhouette qui se forme à partir de tous les morceaux, avec les nuances d’ombre qu’on voudra selon l’un ou l’autre. Pas du tout la porte d’entrée idéale dans la discographie léviathanne, mais plutôt l’issue de secours, pour qui voudra s’échapper de l'étouffante fournaise black-metal, le temps d’un disque.

Note : 5/6

Page 44/126 Unida : Coping With the Urban Coyote

Chronique réalisée par (N°6)

Le coyote est un animal qui sied bien à John Garcia. Et à Unida, formation post-post-Kyuss avec laquelle le vocaliste fondu du désert de Palm Springs revient, le fuzz en moins, le mordant en plus. Ici, moins question de riffs tectonigantesques qui remuent même le fond de l'air sec, mais bien plus d'une vibration de moteur de vieille caisse reboostée au mezcal de contrebande, du genre que tu case direct dans le réservoir pour décrasser le pot. En un sens, c'est presque comme un retour au source, de l'époque du premier Kyuss, celui qui aurait bouffé du Motörhead sur des titres tirés en ligne droite, suivez la ligne jaune jusqu'à ce que l'asphalte cède le pas à la terre battue. Du stoner, forcément on ne va pas se refaire quand on est le grand manitou, mais avec une approche plus agressive, des solos qui misent moins sur une texture grasse que sur du pétage de cordes comme des coups de mâchoires sur des câbles électriques. Un Garcia remonté, bourru, mixé plus en avant que sur l'éphémère et beaucoup plus orthodoxe Slo Burn. Un coyote on vous dit, racé, lâché dans les rues à la lisière du désert, qui va vous courser jusqu'à perdre haleine, la gueule dans la poussière et les pattes grattant infatigablement un sol bien rugueux. Visez un peu comment "Black Woman" se lance la pédale déjà bloquée au fond de la carlingue, pour ne pas céder une once de puissance sur la distance. On y retrouve toute la sensualité de mâle défoncé de la tessiture de Garcia, son agilité suave et viriliste, qui seule extirpe ses régulières éructations de "yeah" et "allright" du cliché duquel s'enfonce toute la meute de ses suiveurs. Garcia est un animal, plus que jamais, secondé par une formation redoutable capable aussi bien de sprinter en aboyant sa lourdeur huilée que de ralentir le tempo au long d'une dérive hallucinogène digne des plus grands morceaux mid-tempo de vous-savez-qui, "You Wish", qui au détour de sa langueur fiévreuse se tape aussi des retour d'accès de violence soudaine. Unida, c'est pas un groupe pour rigoler, ni pour tuer le temps en attendant une illusoire réformation de groupe culte. Unida, c'est une machine qui tourne, ça joue fort, dur et bien. Les esprits chagrins iront trouver ici ou là dans quelques lignes vocales des relents par trop familiers, pointant du doigt un Garcia qui recycle parfois ses plans. Grossière erreur, même si faut bien dire que le refrain de "Human Tornado" ne vaut ni les rodéos ni les tourbillons imprimés dans les pores de nos peaux de fervents fils de Kyuss. Mais laissez passer ces quelques détails de l'arrière plan, toujours ouvert à quatre vents, y en a à revendre de la frappe non-chirurgicale, tel l'imposant "Nervous" et son classique refrain groovy comme seul Garcia sait en balancer, faudra bientôt ressortir les bières glacées pour supporter la fatigue induite par une transe recuite, alors que des mots viendront s'abîmer dans vos cerveau usé de soleil, "There's a flipside to that coin", encore et encore, de quoi danser pieds nus sous les grandes arches écarlates jusqu'à épuisement. Et puis ces montés d'adrénaline speedées au super-avec-plomb, comme ce "Dwarf It" final, aussi redoutable sur album qu'en live, quand il faut flinguer les dernières résistances. Parce que le bonus de la réédition d'Unida, groupe one-shot-wonder, c'est autant de pistes enregistrées quatorze ans plus tard, prouvant au passage et de façon définitive que Garcia est un chanteur très au-dessus de la stratosphère. Non seulement il assure tout autant en live, mais qui plus est une fois la quarantaine passée. Quant au groupe, il est à l'avenant dans le bottage de cul, aussi bien sur des inédits qui eux aussi ont une rage de chienne comme "MFNO", que sur les morceaux déjà éprouvés sur l'album original et qui prennent un bon coup de fouet, si c'était possible, histoire de rendre le tout encore plus sec et tranchant. Unida, c'était peut-être le grand groupe qui aurait permis à John Garcia de trouver sa voix suivante, stoner mais nettement moins psyché, un truc plus rentre-dedans, plus

Page 45/126 hardos du désert, de la secousse tectonique au grondement des moteurs. Et puis non, embrouille de label, conneries habituelles du music-business. Alors aujourd'hui, pouvoir reprendre la piste du coyote et voir ce qu'il en est advenu plus d'une décennie plus tard, c'est enfin pouvoir hurler avec la meute une bonne fois. Mordre à pleines dents du stoner méchant. Ca sera tout pour l'unique Unida.

Note : 5/6

Page 46/126 Madame Edwarda : ヒステリックな侯爵夫 人

Chronique réalisée par Twilight

Madame Edwarda, Dieu incarné sous les traits d’une pute sous la plume de Georges Bataille, une divinité de l’obscène en excès perpétuel car dans les extrêmes, sexe et mort, douleur et sublime, se côtoient pour fusionner en une forme d’extase parfaite. Madame Edwarda, un des groupes cultes de la scène goth japonaise, parfaite exemplification artistique des théories de l’écrivain car si les pionniers du genre au Pays du Soleil Levant s’inspiraient clairement de Bauhaus, UK Decay, Siouxsie and the Banshees, ils ont toujours sonné d’une manière à nulle autre pareil, typique, et pas uniquement en raison du chant. Les zicos japonais ont en effet une maîtrise de leur instrument assez impressionnante, à se demander s’il est autorisé d’être médiocre musicien même quand on fait du punk. Vous en connaissez beaucoup des combos goths qui ouvrent leurs chansons par des riffs limite heavy metal (‘Trench coat’, ‘悪の華') ? Non, et c’est bien pour ça qu’il n’existe aucun clone des Sisters au Royaume des Sushis et des Mangas, les mecs sont bien au delà de la copie tant leur vision des choses est personnelle et particulière pour nous-autres occidentaux (malgré de sempiternels clins d'oeil et gimmicks francophiles). La musique de Madame Edwarda est complexe dans ses structures bien qu’elle demeure fidèle aux canons du post punk goth, le groupe aime l’audace, les breaks impromptus, les emprunts légèrement heavy de certaines guitares. Pour autant, le fan retrouvera les rythmiques tribales, les ambiances glauques, qu’il affectionne. Ambiance, le mot est lâché. Madame Edwarda les soigne tout spécialement, au travers de sa musique mais également du chant de Zin-François-Angélique. Ce mec est d’un charisme stupéfiant, particulier même au sein de la scène japonaise. Comme une version asiatique et complètement hantée de Peter Murphy. Véritable prêtre de cérémonie impie, son chant fascine, virevolte, se coule dans l’ombre, ressurgit décadent à souhait, fantômatique (l’excellent ‘Le Sabbat’). Le sexe de la bête avec la classe d’un dandy. Cette réédition ne pouvait mieux tomber, ce disque est non seulement un monument de post punk goth mais également un pilier de la scène nippone. Barbaresque splendeur !

Note : 5/6

Page 47/126 CLUTCH : From Beale Street To Oblivion

Chronique réalisée par Raven

Du pain. Du beurre. Du jambon. C'est la meilleure recette de sandwich du monde. Vous pouvez toujours vous creuser les méninges (au lieu de creuser des sillons comme le clutcheur) pour trouver mieux, voire tomber dans le panneau de rajouter de la salade ou du fromton comme des petits prétentieux alambiqués, mais y en a pas de meilleure. Quelques cornichons, allez, pourqoi pas. Les guitares de Clutch. Le chant de Clutch. La batterie de Clutch... et voilà. Quelques touches d'orgue, allez, pourquoi pas... Tout ça c'est du vu et revu, de l'entendu et du ré-entendu, oui (j'ai même dû le lire formulé de la même manière, et pas envie de vérifier si je plagie inconsciemment, mais étant donné que Clutch s'en fout à très juste titre de plagier involontairement des riffs joués trente ou quarante ans avant, je vois pas pourquoi je m'en soucierais au sujet d'une foutue chronique)... Déjà fait et re-fait, comme Clutch et ce disque parmi les plus simples de Clutch dans cette discographie-sillons champêtres. Tout ne dépend pas d'inventer ou d'être à l'avant-garde de quoi que ce soit, puisque dans cette logique crétine on remontera toujours jusqu'au premier homme qui a cogné des bouts de caillou ou de bois pour faire de la musique, voire jusqu'à celui qui inventa le caillou ou le bois, donc à Dieu ou peu importe le nom que vous lui donnez. Nan. Tout dépendra toujours davantage de comment on le redit ou le rejoue, comment on évolue, comment on sublime : avec ou sans la foi, avec ou sans l'épaisseur, avec ou sans le mojo, avec ou sans tout ce que vous voudrez et qui fera toujours que certains disciples suivant leurs maîtres deviennent maîtres à leur tour. Neil Fallon prouve cela, comme Lemmy. C'est prouvé depuis Platon et même bien avant. "On va aussi devoir se manger des métaphores automobiles bien lourdingues et sans surprise en plus de vos analyses grossières, jeune homme prévisible ?" Bien sûr que oui. "Mr. Shiny Cadillackness" est accusatoire et biblique dans le texte, mais c'est Fallon qui a commencé. Moi c'est plus simple : mon âme est un pneu. Et si certains disques lui échappent, d'autres la rechapent. Je me sens prêt à lui brûler la gomme sur le tarmac d'une vie pleine de promesses scintillant comme les guirlandes de l'arbre sur cette pochette, à l'écoute de ce Clutch qui est, si pas leur plus hard rock, du moins leur plus onctueusement blues. Prêt à me sentir une paire sur jambes, sereine. Homme. Et puisque le rock (ou son papa le blues) m'est aussi vital que la nourriture simple, et me fait ainsi parler de la vie et de ses rouages essentiels - cette musique n'a toujours fait qu'en parler depuis le premier noir qui a tenu une guitare, alors chut - je respecte Clutch pour leur... fiabilité. Le long terme ne leur fait pas peur, la routine les a fait. Ils ont suivi la bonne vieille tradition et ajouté le soupçon de personnalité indispensable pour tenir leur formule, qui est un régal. Fiabilité. Le mot est un peu gland comme ça, en effet, mais Clutch est fiable : vous pouvez acheter n'importe lequel de leurs albums, au pire vous risquez de bien aimer. Celui-ci a un son à lui, comme tous les Clutch (plus chromé, plus gras ou plus vintage selon leur humeur du moment), il est entier et sans surprise, il blouse non-stop et ses airs d'album le plus homogène de Clutch au fil des titres lui vient aussi naturellement que les paroles décalées, S-F ou hip-hop ne viennent à Fallon - qui les chante comme si c'était aussi primordial que du Chuck Berry. Des titres encore imparables, l'impossibilité d'en extraire vraiment un plus qu'un autre pour une fois malgré le refrain tubesque de "Electric Worry". Album-pépère zéro souci zéro soucieux, et qui déploie son envergure américaine et campagnarde sans chichis, du début (Beale Street, Memphis - creuset du blues) à sa fin (Oblivion - ou l'oubli dans le blues). Un chant toujours plus Baloo et bonne pâte. Le son chaud, à bedaine, plus blues rock que jamais donc (incroyable début de "White's Ferry", sublime tout simplement, avant de virer quasi-progressif... et de redevenir slow...

Page 48/126 quand Clutch joue à pas feutré ce ronronnement de satisfaction qu'on se surprend à échapper vient du plus profond de notre intimité pendouillante et fragile). Puissant, long en oreille, ultra-sincère, Clutch est simplement l'un des meilleurs groupes de rock qui aient foulé cette étrange planète. C'est très vu et revu dit comme ça, comme le reste : mais si vous écoutez Clutch, vous réalisez si besoin était que beaucoup de groupes encore encensés des années 70 sont chiants à réécouter. Clutch, je peux encore en parler au présent, ce qui me permet de ne regretter aucun passé. L'innocence et la puissance de cette musique existeront toujours avec des groupes de ce gabarit. Et l'homme, il lui suffit d'un clutchwich pour être heureux : car il est cet être réconforté par les choses les plus simples, trouvant sa plénitude dans le pain, le beurre ou le jambon. Et plus encore dans les trois réunis.

Note : 5/6

Page 49/126 Prayers : SD Killwave

Chronique réalisée par Twilight

Trois jours, il aura fallu trois jours à Prayers pour composer et enregistrer ce premier album…C’est ça la vie quand tu l’as passée dans la rue dans l’univers des gangs, elle n’attend pas, elle peut te quitter demain, tout à l’heure au carrefour, dans deux ans…Une balle perdue, une overdose, un coup de poignard…Si tu veux t’en sortir, c’est pareil, enclenche le turbo parce que la dèche, ça colle méchamment aux basques. Cholo pour la vie et en vie parce que Rafaele, il a la gnaque. Il veut pas rapper comme ses potes, ce sont d’autres sortes de musiques qui ont bercé ses oreilles: Christian Death, Bauhaus, Depeche Mode, Pet shop boys…Et là où il y a le diable, Dieu n’est pas loin. Alors Rafaele se vernit les ongles, se charbonne les yeux, prend son couteau et sort dans la rue, dans la nuit de San Diego, sans vraiment savoir lequel des deux l’attend au coin de l’avenue. Son pote Dave Parley a bien pigé ça dès leur première rencontre, alors, armé de sa boîte à rythmes, de son clavier, ils pond des mélodies directes, simples, sèches, dansantes, pour que Rafaele puisse y coller ses textes, vite, sans chichis inutiles. Parce que l’exorcisme passe par le verbe, passe par l’art et ça, le cholo l’a senti. Les tatouages sur son corps sont comme autant de stigmates protectrices, l’armure qu’il dresse face aux ‘compadres’ et aux ennemis, le maquillage, c’est pour défier les forces occultes, parce qu’on l’entend dans son timbre étonnamment désespéré, Rafaele, c’est un dur mais un grand sensible aussi. C’est si fragile, la réalité. Autant se tenir fier et droit, assumer, casser les barrières des styles…Plus un gangster mais pas un goth non plus, juste un mec fier de son identité. Bien sûr, rien de très novateur dans la musique elle-même, synthétique, froide, mais elle frappe là où elle doit et des chansons telles que ‘From dog to god’, ‘Ready to bleed’, ‘Lazers on my neck’ ou ‘Pentagram medallion’ sont des bombes. Bien entendu, la hype ne pouvait pas passer à côté de ces nouveaux phénomènes de foire (putain, trop génial, le gangsta en perfecto qui chante sur la mort) et ce premier album est déjà en train de se vendre à 100 dollars sur Discogs…Triste…Car Rafaele lui ne joue pas, du poignard ou de l’ange, il ne sait toujours pas lequel lui apportera la rédemption.

Note : 4/6

Page 50/126 Compilations - Bandes originales de films : Crossing the Bridge

Chronique réalisée par (N°6)

J'avais rêvé d'Ista126ul. Je n'ai plus pour moi que des souvenirs et la poésie de Sait Faik Abasıyanık. Et encore, qu'aurais-je vraiment vu de cette ville ? Quelques quartiers, quelques bars, quelques bords de mer. Un appartement du côté de Göztepe. C'était suffisant. Surtout ne pas y aller en touriste. Mais en revenir en larmes. Quand j'avais, naguère, entendu cette chanson de Sezen Aksu, papesse pop au bord du Bosphore, "Souvenirs d'Ista126ul", sa tristesse m'avait frappé de loin. Sans comprendre la mélancolie profonde liée à la ville et sa dévastation, l’hüzün comme on dit. Sans trop bien savoir pourquoi, j'avais toujours été attiré par Ista126ul. Prémonition peut-être. Comme j'ai toujours aimé le cinéma de Fatih Akın, réalisateur allemand né en Turquie, suivant dans la ville les déambulations musicales d'Alexander Hacke, d'Einsturzende Neubaten (un de ces groupes qu'elle aime tant, justement). Pris entre Orient et Occident. C'est un cliché, mais là-bas tout est entre-deux, à cause du Bosphore. Il suffit de passer le pont. Ce fameux pont devenu un symbole, un lieu de passage, d'embouteillages et de lutte, quand des manifestants se dirigeant de la rive orientale vers Taksim se pressaient sur l’immense structure, fi de la répression. Traversé de nuit, sous une pluie battante, dans l'impatience de retrouvailles. Puis de jour, dans l'autre sens, hélas. La vue sur Ista126ul y est magnifique. Hacke, sur le Bosphore, jamme avec Baba Zula, le groupe folk-rock psychédélique parfois teinté de dub de Murat Ertel, dans la ligné de sa précédente formation ZeN. Quant il débarque au Peyote pour y rencontrer les fascinants Replikas (un de ses groupes préférés) et leur krautrock noisy aux grognements sauvages, l'ombre tutélaire du grand Erkin Koray se fait ressentir. Ah, le Peyote, sa terrasse couverte, son dancefloor miniature au sous-sol et sa petite salle de concert où… Une fille rock avant tout, disait-elle. Du coup, moins sensible aux mélanges traditionnel/nu-jazz de Orient Expressions, pourtant parfait pour ce bar d'hôtel un peu chic où la bière se tire directement d'un saxo, avec vue sur la rive orientale. Car Ista126ul est une ville où se côtoient aussi bien la fille en minijupe que les cinq prières par jour. Mais la fille en minijupe se fait bousculer dans la rue, parfois. D'un coup d'épaule qui lui signifie brutalement, salement, qu'elle n'a pas le droit à son autonomie. Ni même à s'amuser, à jouir de la vie. La rue reste dangereuse comme en témoigne les chansons du collectif Siyasiyabend, collées au ciment, interprétées uniquement dans ces espaces ouverts pourris par la misère et la drogue. Alors à l'abri dans les bars, la jeunesse écoute aussi bien du rock importé directement de chez nous, je veux dire du chez nous colonisé par l'anglocentrisme, on y chante aussi comme Eddie Vedder mais c'est pas Seattle, c'est Ista126ul, c'est Beyoğlu. La jeunesse a encore le droit d'y écouter ce qu'elle veut, l'électro-pop en reprise de Madonna de Sertab Erener ou le hip-hop ultra-speedé d'un Ceza qui flingue les MC's comme un holocauste. Tiens, des mots qui pèsent lourd là-bas. Y a des soucis, des problèmes non résolus. Les Kurdes, par exemple, elle en pense quoi ? ("elle nous saoule avec sa tristesse, on a compris, oh la la"). Pourtant elle chante divinement cette Aynur Doğan, une complainte kurde d'une pureté totale, enregistrée dans un hammam à l'acoustique enveloppante. La perte d'un amour, la perte d'un pays. C'est possible, d'un coup d'un seul. Mais pas encore. Dans un bus, de retour vers "la maison", étrange sensation alors qu'un appel à la prière résonne et que des néons flanchent à travers la pluie, d'être dans la ville de Blade Runner, avec son orientalisme un peu futuriste à l'image des mélodies ivres de Mercan Dede, à la fois DJ et joueur de ney dans la tradition soufie, se risquant ainsi à être taxé soit de trop traditionnel soit de trop en surface dans sa façon d'y mêler une électro planante. Mais Hacke ne fait pas de jugement, il prend le même

Page 51/126 plaisir à enregistrer ce familier des grands festivals qu'à capter un bruyant orchestre de mariage dans une ville de province peuplée de gitans. (je ne verrai finalement pas de mariage turc, dont elle avait évoqué les coutumes avec amusement. "Un jour, je t'emmènerai dans un mariage turc" avait-elle dit, avant). Les gitans, Selim Sesler connaissait ça, lui et sa clarinette balkanique, pour faire danser et danser encore. Et parfois aussi, accompagner de vieilles chansons reprises par une expatriée, la canadienne Brenna MacCrimmon ayant fait de cette culture d'ailleurs sa propre richesse. On la retrouve également aux côtés de Baba Zula à la toute fin, sur le Bosphore à nouveau, pour le sublime "Cecom", flottante d'une mélancolie grave et d'autant plus belle. Le bonheur et la tristesse dans un même chant. Cette traversée, je l'avais aimé le temps d'un trajet en vapur, une tête blonde et bouclée posée sur mes genous, pour y retrouver sur la rive orientale un quartier paradoxalement plus européen, plus chic, au-delà des bars branchés de Kadıköy. C'est que rien n'obéit aux clichés qu'on s'en fait à Ista126ul. Ne surtout pas confondre la musique classique turque, comme l'interprète l'ancienne Müzeyyen Senar, et l'arabesque influencée par la culture musulmane (elle déteste l'arabesque, une aberration kitsch bien pire que la turkish pop) et dont la star à la moustache de Lee Van Clef, Ohran Gencebay, ne se réclame pas. En virtuose du saz, il accepte de se faire enregistrer en live par Hacke, fait rarissime dans la carrière du musicien/acteur/reformateur de la tradition, pour un morceau aux cassures instrumentales contrôlées. Mais aujourd'hui c'est tout de même ce "İsta126ul Hatırası" qui me bouleverse vraiment, avec Hacke à la guitare, une version dépouillée qui laisse toute la place à l'émotion de Sezen Aksu. Feinte ("oh, elle se fait de l'argent en déprimant tout le monde, ah ah") ? Aucune idée. Pas la mienne en tout cas. "Ah bu ne sevgi bu ne ıstırap". Je comprends bien aujourd'hui. Après avoir repassé le pont, trajet interminable vers le noeud de la ville, cette place immense d'où partent les bus vers l'aéroport. Je crois que j'ai haï Taksim. Pour des raisons bien frivoles, alors que là-même la répression avait fait ses oeuvres dans le sang. On a les tragédies qu'on peut. Comme disait Zappa, "Broken hearts are for assholes."

Note : 5/6

Page 52/126 ARCANE : Perihelion

Chronique réalisée par Phaedream

Absolument! Pour reprendre les paroles de l'un des ses fans; Paul Lawler ne cesse d'étonner. Et ce même dans un créneau que plusieurs snobent parce qu'ils croient que le genre est épuré depuis des lunes. Superbe compositeur, musicien et synthésiste qui investit temps et argent à acquérir le meilleur de ces équipements sculpteurs de magie sonique, Paul Lawler façonne sons, rythmes, ambiances et harmonies qui sont au pinacle de nos visions les plus extravagantes. “Perihelion” est le 2ième E.P. qu'Arcane chuchote à nos oreilles depuis 2015. C'est pas loin d'un album. Un album en deux volets, car si Aphelion surfait nettement sur les ambiances de la période dite Blue Years de Tangerine Dream, “Perihelion” embrase nos oreilles avec une musique plus chaude, plus chaleureuse où l'analogue nous transporte au cœur des années sombres de la MÉ, telle qu'imaginée par des albums aussi solides que Stratosfear, Sorcerer et la tournée Encore. Et, honnêtement!? Ce “Perihelion” doit figurer parmi les meilleurs album de cette ambiance analogue Berlin School qui m'a tellement séduit au fil des ans. La force d'Arcane, mis à part le forgeage de ses ions séquencés, est de savoir greffer des mélodies dans des ambiances qui sont parfois surnaturelles. Décortiquons "Perihelion-1"! Des bruits, des clapotis, des ululements de chouette, des voix éteintes et des pulsations; l'intro de "Perihelion-1" nous plonge dans un marécage où règne une ambiance de zone embuée de poussières radioactives. Une superbe ligne de Mellotron s'arrache à ces ambiances et laisse flotter un embryon mélodique, comme un nuage étiolé par les vents, que des cordes de violoncelle érafle d'un lent mouvement de perversion. Ce qui saute aux oreilles; ce sont les ambiances. On fait abstraction des 40 dernières années et on jurerait que la planète musique n'a pas changée. Nous sommes vraiment aux orées des années 77 mais avec une touche de modernité qui est très perceptible à l'oreille. Le décor sonique est extrêmement riche. Ça prendrait 2 pages pour le décrire. Il n'y a rien de trop et chaque détail semble bien calculé. Une ligne pulsatrice fait sautiller un accord, alors que le Mellotron dégage un enivrant parfum de flûte. Tranquillement, "Perihelion-1" prend forme. Une onde nasillarde accompagne ce genre de marche funèbre dont la mélodie semble liée à une litanie folklorique. Des claquements, certains diront des gaz feutrés, s'échappent et détournent notre oreille d'une ligne de séquences qui fait zigzaguer ses ions en arrière-plan. Des chœurs chtoniens étreignent la marche et d'autres percussions résonnent dans l'absolu discrétion alors que le rythme s'échappe avec plus de vélocité. Nous ne sommes plus dans du TD, on est dans du Arcane. Des nappes d'orgue croquent le rythme qui ondule dans la violence des papillonnements des ions et d'un pattern de séquences dont les accords roulent et fustigent le rythme comme des rafales de mitraillettes. "Perihelion-1" n'explose pas. Il se refugie dans une phase ambiante où un synthé pleure dans des bancs de brumes irisées qui sentent tellement les parfums de Rick Wright. Au loin, nous entendons ce bassin de prisme miroiter comme les mirages des séquences flottantes et surélevées des années 76/77. Une grosse ligne noire et résonnante tombe alors entre nos oreilles, extirpant le meilleur de nos souvenirs du Dream, alors que "Perihelion-1" s'envole à grandes enjambées dans boucles oscillatoires aussi lourdes que vives. Des boucles qui montent et descendent dans les violences des pulsations d'une ligne de basse percussion dont les claquements et martèlements peinent à résister à cette furieuse approche de plancher de danse. Le rythme lourd, vivant et agressif; "Perihelion-2" se doit d'être considéré comme le prochain hymne de rock

Page 53/126 électronique. Le rythme est taillé dans l'enchevêtrement de séquences qui ondulent comme des papillons affamés, une ligne de basse stoïque et dévastatrice ainsi que de solides percussions. La portion mélodique est assumée par un autre décor désordonnée où sirènes, ondes vampiriques et solos de guitare aux harmonies spectrales vont et viennent sans jamais dompter la sauvage approche de "Perihelion-2". C'est mon titre préféré, alors que plusieurs ne jurent que par "Perihelion-1". Mais les deux sont très différents et toute comparaison de favoritisme me semble injustifiée. "Perihelion-3" offre une approche indécise, un brin sournoise. C'est la musique la plus près de Tangerine Dream ici. Le rythme palpite avec des battements furtifs. Ils arrêtent et repartent aussi sèchement dans les cendres de mélodies moqueuses alors qu'une autre ligne de séquences joue de la castagnette avec des ions qui zigzaguent continuellement dans un décor sonique que l'on peut aisément identifié à un désert torride où les scorpions font la danse de la séduction. "Perihelion-4" est aussi virulent que le 2, mais aussi plus fluide avec une structure de rythme nouée de vives oscillations qui ondulent dans un décor où les ambiances et les mélodies se toisent et fusionnent dans des parfums qui ont déjà embaumés les décors soniques de Phaedra. C'est très bon. En fait, “Perihelion” est plus que très bon. C'est un splendide E.P. qui prouve qu'Arcane, de par la magie de Paul Lawler, ne cessera d'étonner et ce même dans un créneau que plusieurs boudent ou encore regardent de haut parce qu'ils croient, à tort, que la mare est asséchée. Moi! Je vous mets au défi d'essayer ce “Perihelion”...

Note : 5/6

Page 54/126 Otarion : Monument

Chronique réalisée par Phaedream

Je suis tout tombé sous les charmes de Otarion avec la musique de Genius. Je sais! Nous sommes loin, très loin même, des longs fleuves soniques de la Berlin School où ambiances éclectiques s'imbriquent dans des rythmes en constantes fusions et défusions. Mais nous sommes toujours dans le royaume de la MÉ avec un Rainer Klein très philosophe qui cherche toutes les recettes afin de nous donner la chair de poule. Mélodieux, intense et pompeux; “Monument” surfe sur les profondes émotions de Genius, bifurque dans une phase d'Électronica, où le genre Enigma et Era pompe l'huile dans des rythmes endiablés, pour terminer dans des structures un peu plus près de la musique progressive avec, et toujours, une très forte attirance pour les arrangements de Vangelis. Chronique d'un album qui se déguste par phases. Des notes de piano très mélancoliques percent un voile moiré pour se promener timidement dans les échos de claquements de sabots. Le mouvement est tendre. Des nuages grondent en arrière-plan, donnant à "Movement" ce style si cinématographique dramatique désiré par Rainer Klein. Nous surfons sur les cendres de Genius. Les nuages tremblent à la 2ième minute, initiant le feu de "Movement". Le rythme est lourd. Un bon mid-tempo nerveux, il chevrote dans des parfums d'Électronica avec de brefs lassos technoïdes qui vont et vient dans les tremblements d'une bonne structure de basse dont les palpitations qui s'enchevêtrent à un intéressant jeu de percussions à la Jarre sont tisserands d'un rythme créatif et vivant dont on oublie qu'il porte de bonnes harmonies nasillardes soufflées par un synthé un brin arabique. Le rythme perd un peu de son ardeur afin de lier sa finale à l'intro de "Touch the Sky (Pt.1)" qui est un titre plus éthéré avec des élytres métalliques qui virevoltent dans des larmes de synthé/guitare et des voix angéliques. Des pulsations font vibrer, et oreilles, murs et âmes, permettant à un superbe et tendre piano d'y coucher une trop belle mélodie à faire pleurer le plus sensible des nostalgiques. "Touch the Sky (Pt.2)" est encore plus poignant, mais pas tant que le début de "Stardriver" et de sa superbe voix d'Elfe qui fait pleurer les arbres. Le piano qui défile ses agiles notes par la suite nous guide vers une phase intense où une étrange mélodie très brumeuse flotte dans les échos de percussions à la Chariots of Fire. "Stardriver" bascule par la suite dans une structure vivifiée par des éléments de danse et d'Électronica où cette voix de femme mi-dieu erre comme les vestiges d'Enigma sur un rythme qui fini par être pompeux. "Hidden Place" est une belle mélodie d'un genre ballade éthérée qui se parfume de Vangelis avec une superbe intro pianotée dans la tendresse où de beaux solos de synthés voguent sur un rythme doux. Par la suite, nous entrons dans la phase Électronica de “Monument”. Boom-boom, tsitt-tsitt, filets de séquences stroboscopiques, palpitations et structures de séquences nerveuses, ainsi que des violons enveloppants et agités; "The Prophecy" et "The Discovery" me rappellent The Bronski Beat ou encore Frankie Goes to Hollywood mais avec un tempo encore plus énergique et des arrangements encore plus pompeux. La voix n'a pas de paroles, mais des souffles d'oracles qui peuvent autant chatouiller les sens que les agacer. C'est selon les goûts. C'est entraînant. Les arrangements sont très bons, créatifs même, mais ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. Après le très beau "Touch the Sky (Pt.2)", je sais je suis un romantique, "The Monument" nous amène à un autre niveau du répertoire d'Otarion. Une délicate mélodie, martelée dans un carillon, en ouvre le chemin. Un brouillard menaçant s'élève au dessus de cette ritournelle un brin diabolique,

Page 55/126 amenant une phase dramatique où de très beaux solos sifflent autour des séquences qui papillonnent sur un genre de marche funèbre. Et comme un cocon qui aurait plusieurs métamorphoses avant d'éclore, "The Monument" changera de structures comme de rôles passant de bon rock électronique à du bon progressif tout en reniflant les rythmes plus endiablés de l'Électronica. C'est un bon titre bourré de profond passages ambiosphériques où la guitare crachent des solos rêveurs, les chœurs murmurent des mélodies morphiques et le synthé embaument les ambiances de solos oniriques dans de beaux arrangements. "Lost Past" est aussi poignant que la saga Touch the Sky avec un piano qui égare ses notes très mélancoliques dans des brumes cosmiques qui rappellent les douceurs évasives de Rick Wright. La guitare ne fait rien pour diminuer cette sensation d'entendre du Floyd avec de délicates nappes qui sont parfumées des délicatesses de David Gilmour. "Upstairs" termine ma 2ième rencontre avec la musique d'Otarion avec une approche vaseuse. La mélodie est ambiante et très éthérée avec des filets de voix qui murmurent dans les rayons réverbérants de cerceaux soniques. Des nappes de séquences y chatoient sans vraiment structurer une approche rythmique qui nait plus des échos des cerceaux pour embrasser un délicat mid-tempo parfumé de nappes de synthé/guitares très aériennes. J'ai bien aimé “Monument”. Rainer Klein n'a pas peur de sortir de sa zone de confort afin d'apporter d'autres richesses à ses structures qui restent toujours imbibées d'éléments dramatiques toujours à la portée de ces frissons qui nous chatouillent l'épine dans de forts moments cinématographiques. “Monument” est en fait une belle mosaïque sonique où on trouve un peu de tout mais surtout cette touche d'Otarion qui réussit toujours à secouer notre intérieur.

Note : 4/6

Page 56/126 MOONBOOTER : Cosmoromantics

Chronique réalisée par Phaedream

“Cosmoromantics” est le 4ième opus de la série Cosmo que Moo126ooter avait débuté en 2009 avec Cosmoclimax. L'idée de base est de toujours unir des approches d'une Électronica plus ou moins sauvage qui est gavée d'éléments cosmiques avec la genèse du genre Berlin School. Étant un projet hors-série “Cosmoromantics” est le 2ième album de Moo126ooter à paraître en 2014. Je souligne le fait car de beaux arômes du séduisant Still Alive parfument ce pari cosmique de Bernd Scholl où des sonorités et effets soniques du programme spatial Russe rôdent avec les douces mélodies qui tempèrent des ambiances parfois survoltées par des éléments de la trance-music. Mais les amateurs de Berlin School ne sont pas laissé sur la voie d'évitement, comme en font foi certains titres très alléchant pour les amateurs du genre. Et ça débute par "Edge of Sanity" et son squelette de séquences qui ondule et serpente les oblongues et sinueuses lignes plutôt cosmiques de son intro. La structure respire une phase de rythme ambiant et ce même avec des pulsations mouillées qui animent constamment la danse un brin disloquée de cette longue carcasse d'invertébré. Du techno ambiant? Possible alors que le rythme affiche ses nuances avec de bonnes variantes dans les coups des pulsations et de leurs échos qui font boum-boum dans les rayons des longs faisceaux soniques du synthé. Ça part plutôt bien et c'est plus doux que sauvage alors que le mouvement et la tonalité des séquences me rappellent Tangerine Dream. Et c'est encore plus vrai avec "Spirit of Time" et de sa mélodie à la White Eagle qui s'accroche à un doux rythme pulsatoire et ambiant. Nous restons dans le domaine du rythme lunaire avec "Flashback" et sa fascinante mélodie jouée sur un piano qui permute en guitare et dont les ombres chantent avec un souffle flûté. Les parures de cette mélodie minimaliste forgent un attrayant ver-d'oreille alors que Moo126ooter dirige les destinées de “Cosmoromantics” vers une tendance nettement plus sauvage. Les pulsations, un brin organiques, sont plus accentuées et les séquences papillonnent les ambiances cosmiques avec plus de nervosité. Disons que les choses démarrent réellement avec "Let Freedom Ring" et son approche de plancher-de-danse avec les paroles de Martin Luther King récitées avec une voix hors-champs qui éveillent en moi cette passion de David Byrne (Talking Heads). Le rythme est lourd et incisif avec un maillage de séquences taillées dans des lignes stroboscopiques qui vont et viennent picorer des percussions et pulsations désireuses de défoncer nos tympans. "Elnath" est une belle ballade qui semble sortir des ombres de "Flashback". Ici comme partout dans “Cosmoromantics”, l'assortiment et le jeu des séquences de Bernd Scholl est tout simplement attrayant. Le vif et solide "Cosmonaut Leonow", paré de son armure techno et de ses voix cosmiques, est un bon exemple de mouvements de séquences à la Berlin School qui circulent bien dans une approche de techno. La fusion des antipodes est moins agressante que l'on pourrait penser. Sur "Endogenious", les séquences tombent comme des flocons de neige. Malmenées par le poids des percussions et de leurs ombres pulsatoires, elles sont frivoles et voltigent avec de belles et vives oscillations. Le mouvement est tellement séduisant pour l'oreille que l'on oublie cette mélodie un brin arabique qui flotte en arrière-plan se déplacer en cacophonie cosmique. La force de cette saga sonique qu'est la série Cosmo de Moo126ooter, et je dirais cela pour sa musique en général, est cette richesse en nuances qui ornent tant ses rythmes que ses ambiances. Des mélodies tel que "Flashback", "Elnath" et "Endogenious" alors que des rythmes lourds et de plomb comme "Dancing in Ocean" qui virevoltent comme une ivresse cérébrale sont tout simplement enjôleurs et accrochants. Du techno et de la dance music de ce genre j'en avalerais à la tonne!

Page 57/126 "Broken Silence" est un bon down-tempo assez aérien où les parfums de Tangerine Dream rôdent mais dans une autre approche que "Spirit of Time". C'est plus vif, genre les années TDI qui fusionnent avec la saga Atomic Seasons, mais ça demeure assez cérébral. Et quelle belle mélodie flûtée qui niche ici. C'est tout de même assez étonnant comment ce style de Tangerine Dream, qui fut vertement critiqué, passe admirablement bien ici. Et Moo126ooter va conclure “Cosmoromantics” avec un rythme endiablé. "Fly with Me" est un hymne au Rave avec un titre aussi vif que lourd qui tourbillonne à la vitesse des flash stroboscopiques des plancher-de-danse. La musique de Moo126ooter est la preuve que le style Berlin School s'insère très bien dans l'Électronica. Bien que “Cosmoromantics” soit plus aérien que férocement dance, la fusion entre les rythmes doux et ambiants à des éléments de danses stroboscopiques et de Rave est très séduisante et passe très bien dans les oreilles des amateurs des deux styles. Et j'insiste sur cette vision de Bernd Scholl dans le jeu des séquences. C'est sans aucun doute le point fort de “Cosmoromantics”. Moi j'ai bien aimé et je me suis même surpris à faire jouer à haut volume un titre aussi fou que "Fly with Me", autant que "Spirit of Time" qui va plaire à coup sur à ceux qui ont dévoré la saga Dream Mixes de Jerome Froese. À découvrir...

Note : 4/6

Page 58/126 Bertrand Loreau : From Past to Past

Chronique réalisée par Phaedream

Bertrand Loreau est un irréductible! Il est ce Gaulois qui défend le genre Berlin School rétro bec et ongles depuis ses débuts en musique. Toujours très imbibé de son approche nostalgique et surtout très romantique, il poursuit sa quête musicale inspirée par la musique de Klaus Schulze et Tangerine Dream avec des fragrances qui lui sont propres. Le genre donne un alliage de Berlin School aromatisé par une approche française toujours très poétique. Reminiscences, Journey Through the Past et Nostalgic Steps sont tous des titres d'album qui situent sans appel les orientations de Bertrand; un chic type qui mérite à être connu. Et ce “From Past to Past” continue dans cette lignée. Flanqué de Lambert Ringlage, (quel retour!) et d'Olivier Briand (pour une 2ième fois), Bertrand Loreau signe ici l'album pinacle de sa carrière. Aussi direct que cela puisse paraître, “From Past to Past” est le Stratosfear, le Body Love de Loreau. C'est un album rempli de brumes de Mellotron, de solos et d'effets de synthé créatifs et de mouvements de séquences en constante transition très imaginatifs. Un album qui s'écoute en rafale sans que jamais nous ne voyons le temps passé. Et ça débute avec ce titre canon qu'est la longue pièce introductive. "Past Never Dies" débute cette dernière offrande sonique de Bertrand Loreau avec une nuée de nappes qui sont bourrées d'harmonies nasillardes. Des harmonies qui autrefois garnissaient les longues parades d'Adelbert Von Deyen avec des tonalités de vieil orgue dont les longues flûtes sont anesthésiées par des brumes d'éther. Le voyage dans le temps est bel et bien amorcé. Des bruits blancs, qui murissent dans des clapotis électroniques, donnent une touche astrale alors qu'un maillage de percussions et pulsations animent le décor d'un bref mouvement de rythme évanescent. Les nappes foisonnent avec des tonalités de métal imprégné de poésie, enrichissant l'introduction de "Past Never Dies" d'une irréelle enveloppe cosmico-industrielle qui peu à peu s'endort dans les brises d'Orion qui parsèment le décor lunaire de ce long périple de 40 minutes. D'autres nappes, aux tonalités plus contemporaines, rehaussent le décor en dansant des valses cosmiques sur les va-et-vient de filaments de séquences qui disloquent leurs ions en de longs mouvements saccadés. Des ions qui s'entrechoquent et des mouvements qui s'entrecroisent dans un ballet rythmique ambiant dont les vives oscillations ondulent pacifiquement dans les caresses morphiques des brises des anges. Les bruits restent. Ils ornent cette dualité persistante entre la fureur des oscillations et de leurs rythmes statiques qui serpentent langoureusement des territoires astraux noués dans les célestes orchestrations de "Past Never Dies". On atteint les 15 minutes et le trio Loreau, Lambert et Briand amène "Past Never Dies" vers une première phase plus tranquille. Une 2ième phase où le mouvement de séquences détache des ions solitaires qui gambadent plus paisiblement, un peu innocemment même, dans les chants et solos de synthés très créatifs. Même si délicat, le rythme réussi à saisir l'intérêt de nos hémisphères avec une ombre qui se détache pour danser dans les sillons, mais en contresens, de la ligne directrice. Le souci du détail reste la clé d'un long fleuve sonique qui avoisine les 40 minutes. Et ici, Bertrand Loreau ne néglige rien. Au travers les délicates permutations dans les ambiances et dans les rythmes, le synthésiste Nantais orne les transitions de mille nuances et subtilités qui contrecarrent une possible, et probable dans bien des cas, lassitude de l'écoute. Mais pas ici! Tout est tourné au quart de tour. Les ambiances transitent tranquillement dans la douceur des rythmes et ces derniers migrent vers des séquences soit un peu plus vives ou soit un peu plus rêveuses. Et d'autres séquences se détachent. Elles dansottent avec plus d'énergie, tissant un bon ver d'oreille rythmique

Page 59/126 afin de réveiller la 3ième et dernière phase de "Past Never Dies". Nous sommes aux portes de la 29ième minute et le mouvement se fait violence. Les oscillations sont vives. Elles ondulent dans des chants magnétiques où virevoltent une nuée de bruits parasitaires sous l'égide de nappes de synthé aux arômes d'éther et de ces chœurs qui se perdent dans cette illusion sonique où chaque détail est tissé dans la complexité. Les séquences fustigent et voltigent. Y allant de vives ruades, comme de longues cabrioles dans l'anarchie des oscillations qui gardent par contre toujours cette fascinante approche d'harmonie dans les rythmes tempétueux. C'est de la grosse MÉ qui peu à peu atteint le cap de la complète sérénité vers les 33 minutes. Mais encore là les séquences dansent dans la réverbération de leurs cognements, un peu comme pour dire que "Past Never Dies" ne meurt vraiment jamais. "Journeys Remains the Same" aborde nos oreilles avec la même approche un brin sournoise qui faisait vibrer la 2ième phase de "Past Never Dies". Le rythme est délicat. Il est brodé dans un maillage de séquences et de percussions électroniques dont les inlassables cabrioles forment une ligne de boucles minimalistes qui sautillent dans les harmonies d'un synthé, et de ses solos tissés dans du papier de rêve, avant de se liquéfier dans une finale bourrée de gaz d'éther. Une finale qui se fond à "Flying Stones Over the Sea" qui est dédié à la mémoire d'Edgar Froese et qui est le titre le plus dynamique de “From Past to Past”. Dans un mouvement plus vif, plus véloce les touches du séquenceur s'agglutinent et sautillent ici avec plus de force, multipliant boucles sur boucles frénétiques et oscillations sur oscillations furibondes dans des parfums d'un Mellotron qui étend ses nuages de brumes chargés d'éther. Les sons psychédéliques, les nappes morphiques et ce rythme effréné qui court de ses petits pas vifs à perdre haleine ne font aucun doute quand à l'esprit derrière sa conception. Et subitement tout est fini. Pas grave on recommence! C'est ce qui vous arrivera à coup sûr lorsque vous déballerez ce dernier album de Bertrand Loreau. “From Past to Past” est une véritable incursion dans le temps mais avec une philosophie d'écriture nettement plus contemporaine où la poésie, le romantisme et la mélancolie de Bertrand Loreau survolent avec grâce les subtiles transitions des deux longs actes de “From Past to Past”. C'est une vrai fiesta du rétro Berlin School avec les meilleurs dans le domaine. Et Bertrand Loreau, tout comme Olivier Briand avec son étonnant The Tape, atteint le zénith de sa carrière avec cet album qui démontre que le genre a encore et définitivement de quoi à offrir si on fait preuve d'audace et d'originalité. C'est un superbe album. Un classique en devenir!

Note : 5/6

Page 60/126 Klaus Legal / Les Spritz : Lisboa

Chronique réalisée par sergent_BUCK

Klaus Legal plus Les Spritz… Chacun de leur coté déjà, ça fait du boucan, mais les trois gaillards unissant leurs forces le temps d’un mini album, voilà typiquement la collab’ qui fait frémir. Imaginez le rock no-wavesque du duo Italien accompagné de la voix gerbante, purulente et débordant d’effets du Klaus… Ici, on les encaisse juste sur une face de vinyl, l’autre étant privée de sillon. Douze minutes donc, pour nous donner un aperçu de ce cauchemardesque union. Les Spritz toujours impecs dans leurs agencements rythmiques, commencent avec un riff cassé comme ils savent si bien nous les préparer, puis voilà cette voix qui entame ses récits malades sur fond de bruit parasites émis par une armée de pédales d’effets. Les deux entités se complètent à merveille, le résultat formant une sorte de bestiole acharnée qu’on se prends dans la tronche comme ce pauvre individu mangeant sa propre barbe sur la pochette… Parfois la rythmique semble émise depuis les machines infernales de Klaus, pour ensuite être dynamitée par la force de frappe des deux italien. Parfois, ces mêmes machines semblent vivre leur vie, comme de petits automates remontés à la clé qui se baladeraient dans le studio. Le lent et souffrant "Saccharine Od", Klaus Legal qui gueule et ne s’arrête pas, les Spritz qui cognent de toute leurs forces à coté, pour enfin lâcher en dernière piste toute l’énergie économisée dans un morceau jouissif et défoulatoire. Au final, je ne sais pas si cette courte durée est pile ce qu’il faut, ou s'il aurait été bénéfique de faire un disque plus long, tant ces quelques bribes m’éprouvent et à la fois me laissent sur ma faim…

Note : 4/6

Page 61/126 Massicot / Les Spritz : Uialla

Chronique réalisée par sergent_BUCK

Massicot et les Spritz… Deux groupes assez éloignés géographiquement, mais finalement proches par leur esprit DIY et leur efficacité auditive se retrouvent le temps d’une heure à faire une collocation sur bande magnétique. Massicot joue donc sur ce split une longue suite d’une demi-heure. Une rythmique qui se met en place lentement, pour décoller en un énorme riff groovy au bout de trois ou quatre minutes, et on est embarqués dans une irrépressible envie de sautiller dans tous les sens. Le tempo terriblement efficace. Les suissesses ont peaufiné pendant des années ce Motorik Beat, et là on se prends la claque qui devait arriver. Parfois ça s’arrête, on peut reprendre son souffle, contempler les notes de guitare qui s'étendent sous les effets… tremolo, delay, dieu sait quoi d’autre… mais la rythmique, la pulsation ne s’éteint jamais. Elle se terre en fond pour repartir de plus belle. Le morceau est composé de vagues, comme des montagnes russes. Ça danse, ça se calme, ça repart sur une variation, ça se repose, ça ralentit, il y a toujours ce violon aux allures de moustique qui vient couiner au creux de l’oreille, et puis ça se termine dans une incroyable transe de dix minutes. Après coup, je me souviens avoir vu le groupe jouer cette pièce en concert. Outre le coté performance, il y avait surtout une énergie positive et communicative dégagée tout du long. Et même si cet enregistrement cassette (une prise live lui aussi) ne parvient pas à retranscrire l’intensité de l’échange avec le public, il reste à mon sens ce que Massicot a fait de plus percutant et abouti… [on retourne la K7]… ‘Not Huge’. Voilà comment s’intitule le morceau des Spritz qui occupe l’autre face. Not Huge n’est en effet pas immense, il est colossal. Ils commencent à leur tour avec un riff répété en boucle, qui au bout de quelques secondes commence à donner le tournis. Le son est crade, ça sent la prise brute, un micro posé en répet, un instant volé au groupe. Comme à son habitude, l’ampli guitare est réglé sans compromis : Un raclement de cordes qui mêle aussi bien les remous graves que les stridences aigues, et entre ces deux extrémités, tout un panel de fange dilué par une delay floue. Un groove qui pourrait être tombé d’une répet de Killing Joke circa 81’… Et il ne faut pas longtemps pour comprendre que le groupe joue la carte de l’hypnose ici. Peppe fait inlassablement tourner cette petite ritournelle, sans faiblir pendant sa demi-heure. Pas le moindre écart de notes, le temps semble coincé sur ce fragment, bloqué dans une faille temporelle. Les variations, on les doit à Gaetano, qui fait régulièrement osciller les patterns de batterie, jouant en finesse sur les cymbales et woodblock, part se balader sur ses toms, et parfois envoie le pâté bien comme il faut (le coup de boost sur les cinq dernières minutes !). Car même avec son coté monolithique frontal, le morceau évolue sans cesse. Les infimes changements d’humeur dans le jeu des deux zicos, mêlé au continuel travail qu’effectuent nos méninges au même moment font qu’on a l’impression d’entendre toujours quelque chose de nouveau. Une fois n’est pas coutume avec ce genre de transe, on est presque déçu que ça ne dure pas plus longtemps quand le morceau s’arrête brutalement sur les derniers centimètres de bande. Idem pour les italiens donc, au milieu de leurs nombreux splits sortis ces dernières années, celui-ci est nettement le plus percutant et badass.

Note : 5/6

Page 62/126 Les Spritz / La Confraternita Del Purgatorio : Focaccannolo

Chronique réalisée par sergent_BUCK

Attention, Split 100% Italien pour le coup. Les Spritz, qui ont multiplié les collab’ à droite à gauche ces deux dernières années, toujours dans des bons plans par ailleurs, se sont cette fois associés à leurs confrères de La Confraternita Del Purgatorio pour une cassette sans compromis (est ce qu’un des deux groupes en a déjà fait d’ailleurs ?). C’est donc aux premiers d’ouvrir le bal cette fois, avec une autre session enregistrée aux Dalek studios, leurs locaux de prédilection. Ceux qui découvrent les Sprits avec cet enregistrement (ce fut mon cas) comprennent tout de suite à qui on a affaire : Du math rock ? Peut-être au vu des quelques enchevêtrements rythmiques, mais alors réduits à ce qu’il y a de plus direct dans le style. Le duo reste très percutant, jamais démonstratif, et toujours d’une sauvagerie à faire pâlir n’importe quel formation de garage rock. Les cinq morceaux d’ici s’enchainent vite, tranchent le cerveau au passage, et mettent K.O. aussi sec sans qu’on ait eu le temps de voir la dizaine de minutes passer. Seul ‘Joao’, le petit dernier, termine le bouzin sur une touche plus légère qui dénote du reste. La partie LCDP quant à elle est très fun, surement pour le groupe, un peu aussi pour l'auditeur qui y trouvera son compte en bourrinage couplé à sa dose d'absurdités. Deux morceaux, dont un se terminant par une infâme montée free rock noisy, avec même un peu de claviers. Un truc délicieusement débile parsemé de rôts bièreux bien gras qui rappellent qu’un bon Noise-rockeur éméché peut être au moins aussi lourdingue que n’importe quel Grind-coreux dans l’exercice de ses fonctions. Au final on passe un bon moment en compagnie méditerranéenne, et cette cassette incitera surtout à fouiller plus loin dans les discographies des groupes concernés, en attendant des futurs albums qui j'espère feront mouche (celui des

Spritz ne devrait pas tarder à pointer son nez d’ailleurs…).

Note : 3/6

Page 63/126 Terminal Cheesecake : Angels In Pigtails

Chronique réalisée par sergent_BUCK

Tu pensais que le Cheesecake en avait fini avec toi ? Qu’après avoir été tabassé par les gros bras de Johnny, puis cuisiné au Valium, tu pourrais rentrer à ta maison avec une simple barre au crane et les membres engourdis ? Attends voir, ils t’ont gardé un petit cadeau pour la suite, un spécialement préparé avec le cœur ("le cœur de qui ? mais nan, c’est une expression !")… Allez, fais pas ton timide, ouvre donc pour voir… Et que tout de suite, ça rengaine avec un bon gros ‘Chrome’ bien senti, une mandale parfaite, calibrée bien comme il faut. Un assaut de deux minutes qui fait voler en éclat toute défense auditive, toute défense physique, même. Maintenant, que ta boite crânienne a été défoncée et que la cervelle est mise à nu, on va pouvoir s’amuser à trifouiller au plus profond de ton imagination. 'Unhealing Wound' pose l’ambiance, le son. Il sera d’une profondeur psychédélique à faire vomir, guitares, basse et batterie réverbérées à l’extrême, et surtout Gary Boniface qui hurle tellement fort depuis son hyperespace que seul l’écho de sa voix arrive à un volume vertigineux. Tsunami sonore dégueulasse. Ça y est, tu viens de comprendre ? ta tête est plantée dans ton propre abdomen, il reste juste à y plonger tout entier afin de rencontrer les monstres qui te squattent dans une énorme rave party, une grande fête à la gloire de tes entrailles en ébullition. Des freaks en tout genre. Des mutants mi-enfants, mi-poney, des zombies à tête de président, des poules-au-pot encore vivantes, des souffleurs de verre aux yeux rouges et des cerbères extra terrestres. Blow Hound. Rebelote, le groupe prend son temps cette fois, il joue avec l’adrénaline. Ton cœur bat de manière irrégulière, mais quand ça s’emballe dans la cage thoracique, c’est la panique. Une horreur latente qui prend des ampleurs de monument lorsqu’elle révèle son vrai visage. Au milieu de ce carnaval méandreux, une reprise de Hello Skinny pouvait laisser imaginer un instant des plus mortifères… point du tout, le groupe la jouera avec une joie revêche. C’en devient même une barre d’énergie pour entamer la deuxième face, parce qu’elle te fera pas de cadeau non plus. ‘I126red 73’ est plutôt cool avec son riff à réveiller les morts, mais c’est moins dansant quand ils se mettent à avoir faim… Et puis voilà sur la terrible neuvième piste, tu peux voir arriver leur mascotte, le plus horrible d’entre tous. Les guitares sont remplacées par de grotesques samples de violon, et quand l’angoisse a enfin envahi la totalité du corps, et que les cris de ce Boniface retentissent de plus belle, tu es tétanisé. Chaque salve fait vibrer toute ta carcasse, et tu auras l’honneur de voir au ralenti tes os se briser et organes se déchirer… Au moment de rouvrir les yeux, toute cette immonde parade sera partie, et tu pourras enfin profiter un peu du calme pour te mouvoir au ralenti dans tes propres restes décharnés… ça y est, tu es devenu l’un eux, mon petit

Pony Boy.

Note : 6/6

Page 64/126 Mohammad : Lamnè Gastama

Chronique réalisée par saïmone

J'attaque la chronique de ce disque alors que j'écoute le dernier opus de la trilogie (celui-ci est le second), ce qui n'est pas une très bonne idée. Car si, indépendamment les uns des autres, les trois albums brillent par leurs qualités, leurs ambiances distinctes, c'est bien dans l'ensemble qu'ils prennent du sens. Zo Rèl Do pêchait par économie, mais pris dans la durée des 100 minutes de l'ensemble (tenable largement sur un double album), il en fait en réalité une parfaite introduction : sa retenue n'est en réalité que l'annonce de quelque chose de grave, quelque chose de sombre, ce quelque chose caché derrière les portes des caves souterraines, qui vous chuchote à l'oreille dans le noir de vos insomnies. Un quelque chose qui s'appelle Lamnè Gastama. J'ignore ce que ça veut dire, peut être Voyage au bout de l'Enfer, ça lui va bien. Parce que Mohammad, n'ayons pas peur des mots, se lâche carrément en mode triton-metal-drone-Sunn o))) et ce jusqu'à inviter le chanteur du groupe de black metal un peu nul Rotting Christ. Mais là n'est pas l'intérêt, même si on devine que le citoyen Sakis Tollis n'a jamais eu l'occasion de poser ses râles autre part que dans des groupes de seconde zone (et on se doute aussi que Sotiris se la pète trop pour participer à un groupe qui n'est pas le sien). Ici, les contrebasses ridiculisent carrément l'arsenal de monsieur O'Malley : à haut volume, le tissu fragile de la réalité se fend pour déverser les spectres d'hier formés d'antimatière, ou quelque chose dans ce style. Une ambiance proche du, et dans un style totalement différent, dernier album de Lvcifyre. Le feuillet promo parle de doom de chambre : j'aurais aimé l'inventer moi-même tellement ça lui va bien. Et surtout avec la suite !

Note : 5/6

Page 65/126 Mohammad : Segondè Saleco

Chronique réalisée par saïmone

La suite, et donc la fin, c'est ici, Segondè Saleco, l'élévation après la mise en bière, la plante qui pousse sur le cadavre de l'impossible Lamnè, les photons qui s'évadent du trou noir après l'implosion de celui-ci (je ne sais même pas si c'est physiquement possible, mais on s'en fout l'image est sympa). Bien plus porté sur l'électronique que sur les lamentables randonnées d'estropiés de l'archet sur les contrebasses, Segondè à tout du mystique, du deuil et des bâtiments religieux. Avec une lenteur infinie, celle des processions religieuses, des choeurs sans voix sanglotent les mesures d'austérité, celles des amputations de la couverture médicale, et donc celle des proches qui meurent et qui ne devraient pas. Segondè à tout de l'album testament (prenant, si besoin était d'insister, tout son sens après l'écoute des deux premiers, conclusion d'une œuvre à la durée d'un film), testament de l'histoire d'un pays (d'une région, si on s'intéresse au sous-titre) meurtri, à l'histoire plus longue que des bibliothèques, et à l'écrasement plus spectaculaire que les apocalypses : le pillage, la perte, l'impuissance. Segondè est l'album le plus beau de Mohammad, le plus accessible aussi, ça va ensemble : nous partageons tous la mémoire d'un mort, c'est un sentiment qui nous est commun, un sentiment qui se passe de mots. Quel talent d'avoir su en parler par l'équivoque, sans tomber dans le pathos et la pleurniche. Mohammad est grand, comprenez le bien ! Et cette œuvre inutilement découpée en trois, une fois additionnée, navigue à l'aise dans ce qu'on appelle nos "6/6", et restera comme l'un des grands moment de notre civilisation fin de siècle. Merde, attendez...

Note : 5/6

Page 66/126 Sourdure : La Virée

Chronique réalisée par Dioneo

Cette musique a un accent ; même plus : ce répertoire est un dialecte – c’est à dire, encore une fois qu’il est une langue pratiquée, vivante, et pas alignée sur un centre supposé, qui ferait d’elle un satellite alors que, bien souvent, elle est une des souches, des sources… Ou plutôt l’un des états transitoires de "ces choses là", simplement plus ancien, localisé ailleurs, d’avant que les cartes bougent. Les vernaculaires gardent toujours quelque chose de non-adapté. Les Centres n’aiment pas ça. Sourdure – sourde soudure ? – nom par quoi Ernest Bergez (par ailleurs membre de Kaumwald avec Clément Vercelletto), Clermontois, Auvergnat relocalisé à Lyon, va seul de scène en scène (squats, bars, salles de musiques dites "actuelles"… il me semble qu’il ne change pas d'approche de l'une à l'autre ; je trouve qu’il fait bien) – ne joue pas "assimilé". Quelque chose dissone, grince, fait violence, dans ses chansons rurales, anciennes, de bals et veillées, données là dans les remous d’autres machines que celles – en bois, boyaux, appareils phonatoires vibrés dur et fort – de leurs lieux d’origines. L’électronique, ici, brouille, salit, abîme. Elle déforme, fait ressortir telle ou telle dimension comme une douleur, un élan qui ne se peut plus contenir. Même… Ce traitement particulier du son, brut de grain et de contours, mais précis comme tout ce qui se manie par des moyens analogiques – j’entends : instantanés, et les changements, les écarts parfois rendus énormes par une moindre inflexion, questions de très peu de degrés dans la rotation d’un seul potentiomètre – parvient, parfois, à faire douter de ce qui "tout de suite" y était, de ce qui serait réaction, riposte au bruit environnant. Le pas lourdement frappé, par exemple, des Quinze segments. Est-il davantage scandé, là, qu’il serait sur quelque place d’un village, grossi, exagéré pour surmonter le bruit des rues autours du réduit où ça joue, dans cette ville ? Ou bien… Sont-ce nos oreilles, nos membres, qui ont perdu depuis longtemps, n’ont pas connu, tout simplement, cette manière de danser en imprimant à même la terre (elle n’en gardera pas trace, au vrai, c’est une question seulement d’ancrage et de dynamique en même temps, de résonance qui ne peut pas naître d’effleurements). Sourdure n’adapte pas – j'insiste : ce n’est pas le mot. Il joue de là où il est, et il devient vite difficile de dire si c’est "extérieur" ou bien "enclavé", ou si c’est autre chose encore. C’est en tout cas déboussolant et travaillé, dans tous les sens du terme. Il y aurait – il y a, de mon point d’écoute – un certain malaise, dans sa musique, une sorte d’irritation aux zones de césures, de coutures ou fusions, de cicatrisation où s’articulent ces tissus, ces matières à priori entre elles exogènes. Je n’entends pas vraiment dans ce folk-ci l’expansion cosmique, libérée, à quoi œuvrent ces temps-ci – ceux qui sont les nôtres – certains groupes du collectif La Nóvia, par exemple. Celui-là – Sourdure – me semble plus… Inquiet. Tourmenté, parfois cauchemardé. Il y a sans doute des liens, bien sûr, en tout cas des rencontre possibles – j’ai entendu il y a quelques temps ledit Ernest avec Gilhem Lacroux, guitariste entre autres de Faune, Toad, La Baracande, sur une péniche lyonnaise, et rien dans ce qu’avait joué ce duo ne sonnait plaqué, insuffisamment noué sur des détails qui ne seraient que de forme… Aussi, tous ont sans doute des sens voisins, cousins, de la "vision", du potentiel d’hallucination – au risque de me répéter, encore : celle ci prise au sens d’une épiphanie physiologique, immanente – contenu, recelé dans ces histoires, formes, qu’ils jouent, remettent, pour en libérer à nouveaux ces forces, les rendre à l’intoxication, au vertiges du lâcher prise qui était, peut-être, leur motif premier (et à quoi exposition dans les musées et concerts dans les stades ne pouvaient que les arracher, en en faisant un autre spectacle figé, arrêté). Mais vraiment, je crois que ce qui fait la force de ce disque, c’est aussi l’esseulement délibéré de son auteur, l’absence d’affiliation de son art,

Page 67/126 artisanat. Angoisses et tensions, disais-je, dans la confrontation de ces choses anciennes, de ces destins contés qui ne sont pas d’ici (Bonsoir belle bergère, entre autres, parle carrément d’un monde médiéval, féodal – fut-il fantasmé de plus tard, d'entre ces heures et les notres ; et même, la Virginie dont il est question plus loin semble d’un campagne qui n’est pas celle de maintenant…) ; et cette électronique prise à la sauvage, maniée rudement, réglée toujours pour qu’il puisse en jouer en prise directe. Certes... Mais j’ajoute, je précise : Ernest Bergez semble trouver aussi dans ce grand coltinage qu’il orchestre et suscite, qu’il explore, une dimension inédite, inouïe, parfois exultante. Lui parle de "dérives psychédéliques". Cela s’entend, ça ne se dément guère. Je disais "cauchemar" ; il faudrait parler d’onirisme puissant, pour élargir, tenter d’effleurer une définition juste ; une profondeur, perspective nouvelle, où le violon redevient cette incroyable matrice à timbres, enveloppes, harmoniques, où la voix bougnate se taille d’autres échos. Le rêve – le vrai, qui se fout de l’idéal et des trop parfaites interprétations, des traductions intégrales possibles – n’est pas fait, même quand il charme aussi fort, et surtout comme ça, pour rassurer. Il rend étrange le familier. Le bizarre s’y admet comme nouvelle évidence. J’aime beaucoup le titre de la dernière plage : Dans le ventre de la maison huileuse. Je trouve qu’il dit beaucoup, sur cette musique, mieux que ce que j’ai tenté plus haut, tout au long, d’approcher, de vous esquisser. L’hermine et le paysage, sur la pochette, sont découpés, curieusement ré-assemblés. Ce qui vit dans ce terrier, l’habitat, sous la couverture, est entier ; insaisissable, peut-être, mobile, vivace ; mais en tout cas, se rencontre de face et en volumes, sans platitude d’image fabriquée.

Note : 5/6

Page 68/126 300 basses : Sei Ritornelli

Chronique réalisée par saïmone

Que pourrais-je bien vous dire d'intéressant sur ce disque qui occulterait la note en bas de ce paragraphe, là, et le petit sous-titre qui a certainement piqué votre curiosité, le « accordéon des tréfonds » ? L'accordéon, cet instrument si cher à notre patrimoine, la carte de visite avec le béret, le pinard et la baguette. Les compos du groupe 300 basses (mais pourquoi trois cent basses ? edit : rapport au clavier de la main gauche) ne pourrait pas s'éloigner plus de toute idée de tradition. Jamais je n'ai entendu un trio d'accordéon aussi... austère. Longs drone de chambre, souffleries obstruées comme une lame dans une gorge, objets crissants et criards, on jurerait parfois entendre les couinements lointains d'un saxophone (ceux de Stéphane Rives, par exemple, ou d'Ankersmit), ou d'un archet maltraitant des canettes de soda (?). Sans qu'on ne puisse tout à fait identifier l'origine de tout ces sons, il est hallucinant de voir dans les notes du livret (enfin, du digipack) que tout est « maison », entendre « analogique », tout provient de l'acoustique, pas d'embrouille. Car le sel de ce genre d'exercice – j'en ai déjà parlé longuement, de la frontière ténue dans la musique concrète / improvisée entre le génie et la supercherie – tiens dans la volonté de proposer quelque chose de « palpable », que ce soit de l'ordre de l'architecture ou du cauchemar éveillé. « Sei Ritornelli » se situe très clairement dans la seconde, avec des outils assez classique qui ne ratent jamais : les crissements de films d'horreur en slow motion, le sombre écho des souffles qui se répercutent sur les murs de la geôle, celle de la peinture qui caille, des traces d'humidité et des briques apparentes ; les fréquences suraiguës de l’hôpital et de la fin de vie ; les notes continues en chœurs polyphonique qui n'annoncent rien de bon. C'est absolument imparable. Au final, le manque d'information sur le pourquoi du comment de la création de cet album, qui cache peut-être une supercherie de plus, d'ailleurs, et bien au final on s'en fout, parce que « 300 basses » fait tout le taff qui justifie sa présence sur le site, à savoir un putain de disque étrangement malsain, oppressant et effrayant, et réalisé avec trois putains d'accordéons ! Je ne sais même pas si c'était le but, mais on croise pêle mêle les fantômes de David Lynch, de Stauckhausen ou de Zeitkratzer dont Luca Venitucci est par ailleurs un transfuge – Venitucci, collaborateur de pas moins que Otomo Yoshihide ou John Butcher, et transcripteur d'une version « orchestrale » du Metal Machine Music de qui vous savez... Un habitué des sueurs nocturnes, en gros. Ça vous situe donc assez facilement à quoi on a affaire ici : violence accordéon, noise diatonique, anche diabolique, branle-poumons de l'enfer, boite à bruit à frisson, langueur grinçante, archet sur le corps de l’accordéon = asthme sur tableau noir. Terrifiant. Il va falloir creuser la discographique de monsieur Jonas Kocher maintenant, qui semble savoir s'entourer...

Note : 6/6

Page 69/126 Bryan Eubanks / Stéphane Rives: : fq

Chronique réalisée par saïmone

Nous savons par expérience que l'association du saxophone et des instruments électroniques fait des merveilles ; l'amour de Guts of Darkness pour le travail d'un Ankersmit n'en est que le témoignage. Nous sommes invités ici par Stéphane Rives (ce saxophoniste que Guts of Darkness adore également, à la discographie aussi maigre que géniale) et Bryan Eubanks a poursuivre l'expérience. Annonçant d'emblée le minimalisme de l'ensemble, linéaire et monochrome (ce long sifflement strident de dix minutes), « fq » (comme fréquence ? Ça lui va bien) pêche par excès de retenue. Aux reliefs saisissants d'Ankersmit (son disque cousin, vous l'aviez compris) répond ici l'horizon sans fin des mers trop calme. L'arrière plan dépeint par Rives est plein de couleur, d'ondulations discrètes, mais les interventions d'Eubanks manquent cruellement d'audace. Eubanks semble se rattraper aux branches, avec sa machine à feedback, doublant les fréquences de Rives en attendant l'ouverture pour une classique saturation inoffensive. Le manque d'initiative fait clairement défaut, surtout pour un disque de trente minutes. On s'y ennuie assez clairement, à arpenter avec lenteur des chemins balisés au paysage terne et neutre. Pur plaisir de son (là dessus rien à redire, c'est parfait), pour ceux qui prennent le déroulement du spectre pour un film, fq a l'austérité de l'architecture soviétique et la monotonie des voyages sur autoroute. Anecdotique.

Note : 3/6

Page 70/126 Catherine Wheel : Ferment

Chronique réalisée par Raven

Les artifices... Dangereux mais sans danger. Me rappellent que j'ai un passif assez particulier m'ayant peut-être ammené à ce groupe. En effet, encore tout môme lors d'un quatorze juillet, j'ai été brûlé au second degré par une Catherine wheel. Les feux étaient mal sécurisés. Cet accident a eu lieu l'année même de la sortie de Ferment, et j'en ai gardé quelques cicactrices diffuses. Bien sûr tout ceci est vrai... à moins que je ne l'aie rêvé... comme la musique de Ferment, que j'ai toujours un peu l'impression d'avoir rêvée. Comme Hüsker Dü, voilà un groupe gay attachant. Sans toutefois être aveugle concernant leur inocuité, leur légereté très pop et l'aspect indolore de leur musique aux premiers contacts... Je m'y suis attaché parce que j'ai un faible pour les 90's rock, leurs groupes velus mais aussi, parfois, leurs groupes imberbes (même quand leur nom évoque la torture). Je m'y suis surtout attaché car je l'ai écouté au quotidien, le "matin" en allant bosser, le "soir" en rentrant. Je l'ai écouté comme d'autres prennent ces pastilles pour avoir bonne haleine avant d'aller au travail. J'ai suçoté cet album, oui... cet album de Catherine Wheel qui est fade... si on essaie de se concentrer dessus. Il ne faut pas se concentrer sur Catherine Wheel, c'est une erreur. Il faut les écouter en fond, et fort. Ce n'est pas antinomique, non. Pas plus que de pointer leur rouille de guitares mêlée d'antiseptique vocal. Écouter ce premier Catherine Wheel pour qu'il fermente mentalement nécessite une approche typiquement shoegaze : l'approche frontale de biais. L'écoute lounge avec zoom audio pour en saisir le relief. Le contact répété avec ces refrains shoeshoe-la-praline (le bonus "Balloon" remportant la palme dans l'exercice), ses stalactites de riffs et ses accalmies troublantes - même son chant de british sensible aussi évanescent qu'une eau de toilette bon marché. L'évidence d'un intitulé comme "Indigo Is Blue" (le morceau avec l'intro à la Glenn Branca), indicateur sur la teneur du son même si la pochette a des teintes opposées à celles du suivant le plus bleu des deux est peut-être celui-ci... L'infusion lente... À condition évidemment de sentir dès le départ le potentiel. Le shoegaze est l'une des musiques qui impliquent le plus l'effet grower, et Ferment est l'un des vrais growers du genre. S'attacher à une aquarelle plus qu'une autre, trouver cette tiédeur-ci plus glaciale ou chaude que cette tiédeur-là... tout ça, c'est très shoegaze comme sensations. Si certains morceaux, comme "Flower to Hide", restent des moments purement frivoles, d'autres se sont révélés comme des compagnons. "I Want to Touch You", pour son aura typiquement nineties, ses guitares chatouillant le sublime, ses airs de tube grunge joué par des cadres anglais en costard sur-mesure. Mais aussi "She's My Friend", peut-être mon titre préféré de Catherine Wheel (avec son sujet tout à fait approprié à la voix du chanteur qu'on imagine neutramisé par ses cibles sentimentales féminines avec son mojo d'adulte vierge), un morceau obsédant, pas très éloigné des titres les plus turquoises que feront Paradise Lost. Ou le titre éponyme plus aérobie et éthéré, avec ses passages calmes dignes des meilleures ambiances de Bark Psychosis (la présence d'un bout de Talk Talk aux manettes n'y est pas étrangère), et ses explosions électriques d'une douce brutalité. Ces morceaux me hantent désormais, lointains mais présents. Ce qui contrebalance la légèreté pop / power pop sur ce Ferment, c'était cet amour des zones d'ombre, que Catherine Wheel cultivaient. Catherine Wheel puisaient leur magnétisme dans les guitares-aquarelles, et leur charme opérait en clair-obscur avec la présence de ce chant qui n'est qu'enrobage incolore, nappage vocal tellement transparent qu'il en devient fantômatique. Si j'ai appris à être sensible à ce genre de chant grâce au Moz depuis ma découverte de The Queen is Dead, il faut bien avouer que la voix de Rob Dickinson est en effet tout autant sinon plus inoffensive que celle de son cousin Bruce (le

Page 71/126 conteur d'épopées pour puceaux à cheveux longs, oui, celui-là), inutile de se mentir : elle est transparente. Et ce n'est pas vraiment un drame, dans ce genre musical. Cette voix de tapette ébahie est le halo pâle qui sertit la pop très corrodée et très mélodieuse de Catherine Wheel, et contribue à la douce fascination exercée par Ferment. Un halo qui trompera les oreilles avides de crasse depuis trop longtemps, une voix rasée de frais et fraîche comme la pomme fraîchement cueillie - et finalement le meilleur chant possible pour mettre en valeur les attaques mollement furibardes telles qu'on peut en entendre sur "", ce morceau qui sonne comme un slow joué dans une aciérie, l'angelot au micro zonant au milieu des gerbes d'étincelles crachées par les guitares avec la sérénité du Nazaréen en équilibrisme pédiluve... Toegaze. Un disque qui après chaque

écoute me laisse comme une sensation mentholée dans la tête. J'aime cela. C'est mon côté Ricola.

Note : 4/6

Page 72/126 Catherine Wheel : Chrome

Chronique réalisée par Raven

Métallique. Plus dense que Ferment. Plus... calibré. Cadre. Plus compact, comme un noise rock hydrophile lorgnant par endroits vers le metal alternatif candide. Tel est Chrome. Un brouhaha chochotte au double effet kiss-cool. Un rock à la surface très granuleuse et en même temps très lisse, des dissonances ("Ursa Major Space Station") écorchant l'épiderme d'une créature pâle et allanguie nommée Catherine Wheel... "Kill Rhythm" met dans le bain direct sans intro. Les guitares sont magmatiques. Rob Dickinson se découvre un chant rugueux, une âpreté de gosier, mais qui ne change rien à la donne : il est gentil, fondamentalement GENTIL. L'innocence même du dadais albino exclusivement nourri à la flotte, virevoltant sur les braises ardentes de son rock avec des mimiques qu'on devine nunuches à souhait, celles de ces bellâtres respectant les femmes au point de ne pas les toucher. L'eau attaque la roche mais ça prend du temps. Le son du groupe est plus vigoureux, on sent que nos britons jouent plus que jamais à faire leur grunge, leur grunge d'anglais, leur grunge nautique, aux boulons et aux écrous flottants, aux bouées sidérurgiques.... Et aussi, malgré un son plus chargé, ce qui ressemble toujours à des tubes une fois l'oreille accoutumée à ce rock H²O, ou plutôt des tentatives, puisque déclamer l'expression "tube shoegaze" a quelque chose d'un peu malhonnête. Eau parfumée. Rêve monochrome, mental lactose et mélodies-bifidus, "riffs" plus compacts que jamais, tentatives d'écrasement désespérées (le titre épo) et fixegrole acrobate... Liquide. Catherine Wheel est plus chloré que jamais. Relaxant comme de bonnes brasses en solitaire dans une piscine olympique par un clair matin de printemps. L'accouchement de ce second album donna la perte des eaux nécessaire au bain du second bébé de Catherine Wheel, qui a la rugosité du cabillaud caressé à rebrousse-écailles (les guitares), et la fadeur ambivalente de sa chair (le chant). Une pochette qui est donc fort à propos pour ce Chrome fluide, lisse selon le sens dans lequel on le caresse, tellement micro-poreux qu'il en devient sans aspérité au toucher tympanique. Et pourtant selon le volume, puisque présentement je le réécoute fort, on perçoit tout son relief. Oui : écouter cet album en fond n'a aucun intérêt, il faut le jouer à volume adulte, sinon walou. Inutile d'essayer de vous décrire en quoi "The Nude", qui n'est basiquement que du Smashing Pumpkins sans l'infect bonze arrogant à face de questche leur servant de frontman, est un morceau qui me réjouit... La gaze sur le chou, voilà tout. Je suis moins fan de titres comme "Pain" ou "Half Life" avec leur côté indie rock à caban beige, même si rien de dramatique non plus de ce côté-là, je réserverais le plus gros bémol pour "Show me Mary", titre aussi couillon qu'inutile finissant sur une note un peu tâche ce joli petit album. Chrome a le poids que la légèreté peut avoir parfois, comme un Smiths chargé d'acier, séduisant la ferraille en de gracieux babils... Paradoxe ou simple résultante de cette voix décidément toujours aussi gentille (shoegaze) mais moins plane, qui tente de faire sa pute sur "Broken Head" en montant dans des aigus aussi timides que touchants. Il faut attendre l'hommage "Fripp" (qui m'évoque plus la plénitude de Gilmour que le venin de Bob pour le coup) pour que Chrome atteigne les profondeurs de sa piscine désinfectée dans les moindre recoins. Avant, après, cet album n'est qu'un bloc noise pop aux hits aquarellés à mort, aussi homogène que tous les albums recommandables du genre, un album que je résumerais au mieux en disant qu'il est d'une massive évanescence. Flourd comme un souvenir s'abattant sur nous sans prévenir. Délicat à chroniquer avec justesse, comme tout bon disque du genre, même s'il est un des plus immédiats... Ou alors peut-être faudrait-il inventer une nouvelle façon de chroniquer dédiée à la shoegaze, avec des essences mélomanes qu'on pchit-pchiterait sur des languettes papier à imprimer

Page 73/126 comme ces pimbêches employées de parfumerie, puisque ce rock, cette pop, est plus qu'aucun autre affaire de subjectivité. Pour moi Chrome ça sent le Bleu de Chanel, en eau de toilette plutôt que de parfum. Ce disque parle à mon côté Gaspar Ulliel : j'ai le sentiment de plénitude de Moïse devant l'eau qui s'écarte tandis que les demoiselles me frayent une allée à l'unisson, dociles comme les molécules de l'eau épousant la silhouette du nageur. Les mains jointes pour la prière (apprentissage de la brasse leçon numéro un) sont la voix, les guitares sont l'eau, cette entrave malléable à travers laquelle on retrouve les sensations de l'état fœtal. Le flottement primordial. Voilà un album qui, même si je l'aime bien et ne l'aimerai jamais à la folie, reste un des disques auxquels je pense immédiatement quand je pense aux années quatre-vingt dix, aux groupes de "seconde zone" qu'elles nous ont servi discrètement sur un plateau d'argent. En fait je crois que je pense surtout à "Crank". Mais en fait, non : je crois que je ne pense pas à grand chose quand je l'écoute, me laissant balloter au gré des remous avec l'air un peu béat du petit Mayol dans son premier lagon.

Note : 4/6

Page 74/126 Gert Emmens / Ruud Heij : Echoes from Future Memories

Chronique réalisée par Phaedream

Gert Emmens et Ruud Heij avaient des choses à se faire pardonner après le très ambiant Signs. Ceux qui suivent les aventures soniques du duo Hollandais depuis Return to the Origin en 2004 étaient habitués à de longs fleuves soniques avec des figures rythmiques qui projetaient leurs ombres dans de denses décors ambiosphériques. Et en réalité ces fans ne s'étaient pas mis quelque chose sous la dent depuis 2011 avec The Sculpture Garden, car même Lost in the Swamp annonçait une aventure vers le monde de la musique planante. Et ces fans ne seront pas déçu! Avec “Echoes from Future Memories”, Emmens/Heij effectue un virage à 180 degré en remettant leur MÉ à l'ère de l'analogue. Avec ses quatre longues pièces bien ancrées dans de lentes introductions qui bouillonnent d'ambiances vaporeuses imbibées de gaz cosmique et de brume métallisée et où les rythmes lents chevauchent paresseusement les plaines intersidérales, ce dernier opus du très apprécié duo possède tous les attributs pour les reconnecter avec les fans qui avaient fuient le navire cosmique des aventures soniques de Gert Emmens et Ruud Heij. Et au final, vous découvrirez en “Echoes from Future Memories” un superbe album qui resplendit de toutes les phases d'une Berlin School et de ses complexités. Et je vous le dit d'emblée; la pièce-titre est un coup de génie! Une grosse ombre de bruits menaçants gronde en ouverture de "Secrets Lie within the Event Horizon". Les horizons suintent une eau métallique alors que des résidus de tonalités se fondent dans la masse des lignes de synthés plutôt sobres qui échappent des nappes de voix absentes. Le décor lunaire des œuvres interstellaires de Gert Emmens et Ruud Heij prend forme. Les arches soniques et les denses nappes de synthé flottent et forgent une tranquille oasis sonique où les illusions s'évaporent dès que des claquements surgissent un peu avant la barre des 3 minutes. Les nappes de synthé ornent une enveloppe sonique qui devient plus intense et les ambiances se déplacent comme un long vaisseau qui tente de changer de cap sur la Mer de la Tranquillité. Une ligne de basses séquences palpite violement, forçant un mouvement lourd et vif à osciller dans le sillage d'une autre ligne de séquences qui fait rugir des ions plus limpides dont les vifs reflets papillonnent vivement sous les langoureuses caresses d'un synthé et de ses solos rêveurs. Ici comme sur les trois autres titres de “Echoes from Future Memories”, le décor sonique est enchanteur. Mis à part les nappes éthérées et les solos, le duo Hollandais garnit ses ambiances intersidérales d'une nuée de bruits ambiants tous hétéroclites qui déferlent comme une brise légèrement psychédélique. L'introduction de "Depth of Prolonged Nature" nous projette littéralement dans l'espace avec des grondements d'une navette spatiale qui peine à déplacer sa carcasse métallique parmi les particules de météorites et des multiples explosions des astres. Une belle ligne de flûte fait entendre une évanescente mélodie acuité qui rôde comme un spectre parmi des nappes de voix errantes, des vents creux, des brises d'Orion et de tendres arrangements orchestraux. C'est à travers ces éléments très oniriques que le rythme émerge tranquillement un peu après les 4 minutes. Les séquences scintillent comme les reflets d'un ruisseau et de ses eaux suspendues dans le cosmos. Elles ondulent timidement avant de permuter en un mouvement vif avec des séquences basses qui oscillent maintenant avec plus de vigueur. Malgré sa fermeté le mouvement reste ambiant. Il reste flottant avec une flopée d'ions qui se bousculent et piétinent leurs ombres comme un troupeau pris de panique dans un long tubulaire trop petit pour conférer un semblant de liberté. Ce sont des figures de rythme typique à la signature du duo Emmens/Heij avec une approche très hypnotique avec juste assez de nuances et de variances dans le mouvement pour se défaire

Page 75/126 d'une étiquette minimaliste. Ici la tempête fait rage et progresse avec de subtiles gradations dans d'immenses bancs de brumes melltronnées où on peut entendre les charmes de cette belle ligne de flûte, des accords de claviers qui sonnent étrangement comme ceux d'une guitare et des voix à moitié formées qui errent comme des spectres bannis du cosmos. "Whispering Winds over Dusty Roads" propose aussi une introduction très éthérée alors que le rythme est plus fluide et plus vivant. Avec ses ambiances à la Phaedra, la pièce-titre est la pierre angulaire de “Echoes from Future Memories”. Le duo aménage à merveille ses 25 minutes avec une enveloppe sonique qui rayonne d'une luxuriante faune de tonalités. On y trouve des vents sibyllins, des brumes emplies de menaces, des woosh et des wiishh écarlates et des cerceaux rayonnants de discorde qui peu à peu forgent la première structure de rythme de "Echoes from Future Memories". Les ions qui sautillent le font dans la discorde alors que l'emprise de Phaedra guide les ambiances. Les solos sont uniques à la signature d'Emmens avec une tonalité un brin nasillarde. En ce qui me concerne; nous avons le meilleur d'Emmens/Heij avec ce long titre où les ions se dédoublent afin de forger une ligne de rythme aussi riche que douce dans des ambiances psychotroniques qui se multiplient tout en laissant la place à ces doux solos et ces harmonies de fûtes issus d'une machine à tisser les rêves. Si la première partie est doucereuse, voire onirique, la tempête fait rage et violence après la barre des 9 minutes. Le rythme est vibrant et très nerveux avec une nuée d'ions qui sautillent violement dans un long cylindre, et ses courbes, trop étroit pour laisser une liberté à des cabrioles plus amples. Des nappes de synthé remplies de brume, des percussions animées par des gaz cosmiques, des élytres métalliques virevoltant contre le sens du rythme, des voix absconses et des beaux solos ornent cette 2ième phase très agitée de "Echoes from Future Memories" qui, comme tout bon titre en MÉ, s'éteindra dans des brumes morphiques non sans avoir étalé auparavant une puissance sous-estimée avant d'atteindre cette finale. Disons que c'est un très grand titre qui porte ombrage aux trois autres qui sont pourtant des bonnes pièces de MÉ, témoignant de la force de cet album qui marque un grand retour du duo Emmens/Heij.

Note : 4/6

Page 76/126 SCHROEDER (Robert) : Flavour Of The Past

Chronique réalisée par Phaedream

Très prolifique depuis son retour en 2005, Robert Schroeder publie ses œuvres comme un mourant pressé de liquider son testament. La série D.M.O., 30 Years After et Paradise 2014 ne sont que des exemples de compilations de vieux titres inédits qui sont mis à l'ordre du jour ou de titres remixés que le synthésiste d'Aachen a offert au travers d'une production régulière de nouveau matériel. Cette fois-ci “Flavour Of The Past” offre un petit quelque chose de différent. C'est une collection de titres qui sont apparus aux environ des années 85 et qui sont disparus dans la spirale du temps. Des titres, pour la plupart, que l'on retrouvait dans des jeux vidéos, dans des annonces publicitaires pour des équipements informatiques et dans diverses compilations qui sont disparues depuis des lunes. Qui dit années 84-86 dit aussi vielles tonalités et c'est sans doute le principal attrait de cet album qui nous projette littéralement 30 ans en arrière. Certains aimeront, d'autres un peu moins. Mais peu importe, ce document sonique démontre toute l'indispensabilité de Robert Schroeder dans l'évolution de la MÉ. Et ça débute avec les sifflements aigus et les bruits parasitaires des jeux vidéos de l'époque qui ornent la longue intro de "Die Story Der Final Legacy". Des parfums, notamment au niveau des ambiances et de ces bruits qui défilent en de longues torsades éructées, éveillent les bons moments de Computer Voice, alors qu'une voix hors-champs narre la conception du monde futuriste qui entourait le jeu Final Legacy que plusieurs ont joué sur le système Atari Computer Inc. en 1984. Le rythme qui éclot est vif et entraînant. Les percussions sont vivantes, vieillottes mais vivantes, et les nappes de synthé sont tranchantes. La mélodie est entraînante et sculptée dans un clavier style MIDI où les touches résonnent comme du xylophone. Les effets sonores sont lourds et résonnants alors que d'autres éclatent comme des feux d'artifices. Je trouve la voix de Arnold Marque, une légende en Allemagne, assez ennuyeuse, donc je préfère, et de loin, la version tout en musique de "The Final Legacy Theme". Le son, le déroulement des boucles de rythmes, les percussions et le décor font très kitsch et c'est avec étonnement que l'on se rappelle combien on affectionnait ce genre de synth-dance ou synth-pop des belles années MTV. Paru sur la compilation Music for the 3rd Millennium Vol. 3, "Sax Delight" est un lent tempo bichonné par des percussions, qui sont aromatisées par de soudains éclats de cymbales, et une bonne ligne de basse qui rampe et trace un lent groove entre nos oreilles. Le sax est comme est plus comme une effusion de voix, mais ce n'est pas ce qui fait le charme de "Sax Delight". Apparaissant sur la compilation Searching For Life - The Mars Project Vol. I, "Big Joe" est une belle ballade ornée de grosses vagues cosmiques et bien structurée avec de beaux arpèges qui scintillent à nos oreilles toujours avec un brin de fraîcheur. C'est un des bons titres sur “Flavour Of The Past”. Nous sommes à l'ère du MIDI où tout se ressemble et sonne assez froid, mais Robert Schroeder réussi toujours a tiré son épingle du jeu avec de bons arrangements et une bonne palette de sons. "Just a Love Song" et "Quick Shot" sont deux titres issus de la compilation New Age Music paru chez IC en 1987. Étonnement, "Just a Love Song" est plus du genre ballade acoustique avec une belle guitare et de fausses voix qui semblent sortir du cosmos. Un autre bon titre! "Quick Shot" offre une structure plus nerveuse où les percussions sonnent comme des boîtes à rythmes très rétrograde. "Galactic Floor" est un Maxi Single de 1984. C'est un gros funk lourd et nerveux qui palpite sur une ligne de basse ultra pompeuse et des nappes de synthé trop dociles pour l'agitation du rythme. La mélodie respire de ces accords extraient d'un xylophone enrhumé du MIDI qui entourait l'excursion sonique de "Die

Page 77/126 Story Der Final Legacy". Avec ça, "The Beat" et "The Sound", conçu pour promouvoir le clavier SEIKO en 1985, nous sommes dans la phase très dance de “Flavour Of The Past”. On pouvait trouver "Polarisation" à l'intérieur d'un magazine Allemand et c'est un titre plus ou moins ambiant avec une nuée de séquences qui pétillent dans une armure statique et beaucoup d'effets sonores. "Diamond Stars" présente un rythme lent, un peu comme dans "Sax Delight", mais avec beaucoup d'effets de Mellotron, alors que "Sounds and Noises" est un beau titre ambiant avec un tout petit soupçon de rythme qui démarquera la musique de Robert Schroeder. Au final, “Flavour Of The Past” n'est pas si vilain que cela. Certes il y a des bouts qui agace, mais faut comprendre que nous remontons le temps et devons composer avec l'évolution de la MÉ qui passait par l'exploitation des plateformes MIDI et toutes ces percussions qui sonnaient plus comme des pulsations trop accélérées que comme du vrai rythme. Du rythme kitsch qui semblait être martelé sur des boîtes de conserve. Mais peu importe, le talent de Robert Schroeder remonte à la surface et emboîte ces petits agacements, faisant de sa énième compilation un bon rendez-vous avec le temps. Son temps où il était constamment à la recherche des limites de la MÉ.

Note : 4/6

Page 78/126 Von Hallgath : Intersection

Chronique réalisée par Phaedream

Des pulsations imbibées de résonnances bourdonnent tout autour de nos oreilles lorsque les ions sauvages de "Open Phase" déferlent comme une pluie de battements vifs dans le fond de nos tympans. Les pulsations sont vives et lourdes. Elles cognent vigoureusement dans un mouvement énergique, hyper accéléré même, avec une horde d'ions séquencés qui sautillent prestement en de vives ruades minimalistes. Même que certains ions prennent le temps de faire trébucher un complice afin de déséquilibrer la placidité de cette vive structure minimaliste trouée de nuances et d'éraillures. L'univers de “Intersection” déboule dès lors entre nos deux hémisphères avec le même attrait que celui de Easterfield. Des nappes de synthé gorgées de brumes électroniques et des lignes qui virevoltent comme les spirales d'un tirebouchon assouplissent la révolte des ions, alors que des percussions électroniques aux martèlements robotiques et d'autres séquences plus limpides cette fois-ci qui voltigent dans les roucoulements de lignes de synthé devenues plus musicales en resemencent la vivacité. Oh que j'aime ça.... Entre la Berlin School et ses vieux parfums d'équipements analogues modulaires et les rythmes de dance à la Kraftwerk; Von Hallgath semble avoir trouvé ce fameux pont sonique qui lie Berlin et Düsseldorf. Autant j'ai adoré Easterfield, autant mes oreilles ont dévorés le tout premier essai de Von Hallgath; “Intersection” où les pôles sont intimement liés même si près de 2 ans séparent le deux opus. "Dr Horsten" assiège nos oreilles avec le bourdonnement métallique d'une diabolique machine industrielle. Les ambiances sont noires même si des gouttes d'eau cristallines suintent comme des billes de verres roulant sur un convoyeur mural. Les pulsations vibrantes, leurs ombres échoïques et leurs ondes réfléchissantes, abondent dans les schémas rythmiques de Jörg Erren et Jochen Schöttler. Elles forgent sur "Addicted" une séduisante mélodie séquencée qui mangera vos tympans bien des jours plus loin. Et sur "Dr Horsten" elles enchevêtrent leurs teintes, leurs nuances et leurs pas dans une étrange danse ambiante où flottent des lignes de synthé dont les parfums dessinent une ambiance d'une peur viscérale, un peu comme si nous étions égaré à l'intérieur du labyrinthe d'un savant fou. Les ambiances sont encore plus Méphistophéliques dans "Burnt Wall" où ces danses usuelles des séquences et leurs harmonies qui soufflent en boucles arborent la signature de Von Hallgath. Même si l'univers est coutumier, les charmes séduisent encore en raison de la diversité des ambiances qui au final sont toujours vêtues de noir. "Rails" veut tout dire! L'influence des battements symétriques de Kraftwerk est dominante ici avec un mouvement pulsatoire assez fluide où des séquences et les élans plein de saccades des harmonies synthétisées forgent le roulement d'un train qui part de l'École de Düsseldorf pour ce rendre à celle de Berlin, mais dans une enveloppe plus contemporaine. C'est le meilleur des deux mondes si effectivement on affectionne les deux univers, leurs nuances et leurs ambigüités. Oh que j'ai aimé ça....

Note : 5/6

Page 79/126 Alireza Mashayekhi / Ata Ebtekar : Persian Electronic Music: Yesterday And Today 1966 - 2006

Chronique réalisée par saïmone

Un disque historique. Une rencontre historique. Celle d'Alireza Mashayekhi, compositeur de musique électronique à l'aube des années soixante, et celle d'Ata Ebtekar, compositeur de musique électronique d'aujourd'hui, également connu sous le pseudonyme de Sote, oeuvrant dans une electro qui souhaite s'inspirer d'Autechre, mais qui s'avère malheureusement un peu tiédasse, old school et pour tout dire assez ringarde. « Persian electronic music » est un double album : un premier disque où l'on se confronte à Mashayekhi sur une quinzaine d'années (de 66 à 82) (et avec ce défaut de ne pas être dans l'ordre chronologique), qui se fait se huerter (comme chez Dolat-Sahi) les instruments traditionnels (parfois des musiciens, parfois des samples) aux Xenakiserie diverses de la nouvelle musique électronique de l'après-guerre, celle Pierre Henry et compagnie. Si la teinte iranienne ne s'efface pas (comment en serait-il autrement ?), je pense à l'étrange Mithra Op90 qui évoque assez bizarrement Dune, dans sa kitscherie séduisante, ou à Chahargah (qui est l'un des dastgah de la musique perse), radif réalisé au synthé et complètement ratée, Mashayekhi se montre plus convaincant sur les longues pièces abstraites, concrètes (pour ne pas dire bruitiste), comme le Panoptikum, long voyage dans les brume amère du totalitarisme laxiste (en comparaison au totalitarisme actif des années Khomeni) de Reza Shah. À l'époque où la musique occidentale était autorisée (elle est contemporaine des Fragments pour Artaud et de Presque Rien), cette pièce audacieuse (cousine de la suivante, Stratosphaere, dans le même ton) ne brille peut être pas son excentricité, mais sa férocité annonce assez clairement les orages de la scène noise à venir. Sur le second disque, Aba Ebtekar, c'est le changement dans la continuité : samples d'instruments traditionnels malaxé à la mode Autechre, mélodies de synthés à la persane mais modifiée à la bizarre, radif microtonal à la Nancarrow (le très drôle « Robot radif »). Si Aba Ebtekar est l'auteur d'un unique bon disque dans sa carrière (celui sur Warp, Electronic Deaf, qui est cool), ce n'est pas pour rien : à quelques exceptions près (l'excellent « Satan's Lullaby » ou le brutal « Cry », à la Genocide Organ), le tout ressemble à des expérimentations « in bedroom » qui n'avaient aucun intérêt à voir le jour sur le marché, autre que celui, anecdotique maintenant, d'être de nationalité Iranienne (encore que Aba est un exilé de longue date). Au final, en faisant le tri, c'est à dire en réunissant le meilleur des deux disques sur un seul, on pourrait avoir un très bon disque témoignage, un document, à prendre comme tel, recouvrant une cinquantaine d'année d'évolution souterraine (car interdite par la loi) de la musique contemporaine (allons-y carrément) persane. À trop vouloir en mettre, Sub Rosa (dont c'est souvent le défaut, concernant les compilations) continue de noyer l'auditeur dans un surplus d'information dans un monde qui en est déjà saturé. Prochaine étape les mecs, engagez un type pour l'édition !

Note : 3/6

Page 80/126 Oneiroid Psychosis : Stillbirth

Chronique réalisée par Raven

Désires-tu te sentir piégé dans le rêve érotique d'un vampire ? Viens... Suis-moi, enfonces-toi avec moi dans ces velours glauques. Le manoir des soupirs a ouvert ses portes, tu es invité... La boîte à musique avale nos âmes comme une dionée mécanique... Les phalènes mirent Mère dans cette pénombre où les plaisirs interdits suintent d'une éternelle et candide liqueur... Les hôtes y déghoulent suavement leur romantisme morbide à la non-lueur des bougies éteintes. Ceulles qui opèrent dans le gothique des alcôves, avec pour multiples témoins les orbitèles frémissant d'orgasmes interminables au creux de leurs cocons... À moins qu'ille ou el ne soit seul/e... La nuit des poupées qui mouillent est tombée, entre un hier batcave et un demain dark-electro... Onanorisime goth-trans... Je reste condamné à la lisière atrocement soyeuse d'un orgasme ne survenant jamais, seul dans l'armoire de Mère, accroupi sous les robes qui deviennent rideaux, je ne peux m'extraire de Sa berceuse magique... Me soustraire à la glueur de cette voix... Ce chant de wisconsinois androgyne tenace comme une suée de sconse dans le cerveau, ce timbre d'une gluance gothique supérieure au Comte de Sexgang, fondant sur ses trames qui digèrent comme les marécages de Disintegration... Je... dois tenter de me disscocier du trip par trop subjectif, pour te confier les clés de ce secret uuuuuh...... Lacis sonores labyrinthiques et coagulés capables d'être aussi impossibles à mémoriser que les plus tarabiscotés , quand ils ne sont pas basiques et glaçants comme du Dirk Ivens ("Bloodlust") ou berceuses aussi cheaps que moites ("Menarche") jusqu'à des sarabandes nauséeuses interminables ("Broken Eyes" et "Hypnagogic Existence" - ou pour citer l'un des deux frères Hansen sur leur site internet : "this song is about the moment occurring just before sleep and being stuck in that moment forever"). Sans oublier ces sons entomologiques qui frétillent pour notre plus égoïste plaisir de corbac ("Mind's I")... Moyens dignes de Psyche, mais aura outre-gothique aussi rare que précieuse, et rythmes catacombesques de rigueur ("Motionless")... Même s'il est dommage que le dernier titre à la Delerium gâche un peu l'impression finale. À coup sûr l'un des albums auxquels je penserais en premier si je devais résumer le gothique américain à son plus misanthrope en même temps qu'à son faîte sensuel et sexuel (les soupirs dans "Psychopathia Sexualis" sont dignes de ceux de Videodrome, et croyez-moi ces scènes-là ne s'oublient pas). La darkwave dans toute sa sudoripare et empyreumatique réfrigération. Le khôl qui colle.

Note : 5/6

Page 81/126 Synæsthesia : Ephemeral

Chronique réalisée par Raven

Synæsthesia, c'est le projet de Bill Leeb et pour faire des bandes originales de leurs adaptations de Dune et Blade Runner, leur projet synth-ambient qui s'écoute un peu comme du Future Sound of . Certes très SF comme toujours avec les deux larrons, mais assez typé new age aussi, ce qui n'est pas forcément péjoratif car pour le coup, avec ce troisième qui atteint comme un point d'écrémage de leur style, ça ne se fait jamais par le versant kitsch (même si les sons utilisés sont parfois borderline), Synæsthesia concentrant tout ce que le Delerium acceptable avait d'accrocheur, mais sans toute la daube Ushuaïa ou la house à deux balles. Plutôt qu'Ushuaïa, on visualisera des panoramiques à la Crysis premier du nom, des jungles à perte de vue dans lesquelles on évolue avec la combinaison hi-tech cousue main par Bill et Rhys. Synaesthesia est plus sobre que Delerium, moins darkwave que , et garde la patte cyborg-la-praline de , et en même temps c'est un peu plus subtil sur ce Ephemeral : le son est très ample et comme en lévitation, presque impalpable par moments, rituel synthétique dans la pénombre. Ce sont les échos de cet album qui se répercuteront plus tard dans les passages calmes du Implode de FLA, c'est certain. Impression de minimalisme plat aux premières écoutes, puis on saisit rapidement la profondeur de cette petite toile sonore contrastée avec soin, et on se la passe en boucle. Le feeling est à la fois ethnique et futuriste : on visualise des plans séquences de space-opera avec un vaisseau-cathédrale géant flottant au côté du vaisseau-jardin, avec des plantations naturelles pour générer de l'oxygène sur dix mille hectares. Pendant que Flubber s'occupe de faire bichonner ses fougères au vaporisateur digital, Leeb règle tranquillement le viseur de son canon-laser avec un cure-dent holographique au coin du bec en attendant l'attaque imminente des flottes dark electro germaines. Les comètes passent au ralenti. Le calme relaxant de l'antigravité, avec quelques silhouettes menaçantes au loin et des jeux d'ombres de planètes et de lunes suggérés par les loops du binôme. Les droïdes font dodo, bercés par ces mélopées aussi naïves que vastes. On se sent dans cet album comme dans un Starcraft scénarisé par des bouddhistes, un Dead Space sans ennemi alien où le plaisir consiste simplement à vaquer dans un complexe spatial à l'abandon, carte-postale-style. Entre les moments à la Dead Can Dance electro, ceux à la Passion de (version electro aussi), les titres très minimaux genre nappage de synthé sur boucle rythmique zen-darkwave, et ce final un peu tiède qui donne effectivement envie de relire René plutôt que de focaliser sur la musique, les pièces de choix de ce Synæsthesia restent selon moi le superbe "Naked Sun" avec ses sons organiques rituels greffés comme des pousses de bambou sur la carapace polie-chromée d'un robot de combat, et surtout le conquérant "Intelligence Dream" : une pulsion, un vrombissement badass de synthétiseur façon "réveil du titan", quelques éléments greffés dessus mais pixel trop n'en faut. La classe en toute sobriété, l'envergure en toute simplicité. S'il manque une puissance conquérante type In Slaughter Natives et des rythmiques plus musclées qui permettraient à cet album d'avoir plus de poids et de vraiment s'imposer, question ambiance d'anticipation et sérénité cosmico-végétale, c'est du nanan.

Note : 4/6

Page 82/126 Only Living Witness : Innocents

Chronique réalisée par Raven

Amateurs de grunge burné, métalleux en chemise à fleurs, et motards dans l'âme sensibles au stoner artisan : unissez-vous et formez le cercle de puissance qui aidera enfin ce ronronnant album des 90's alternatives à rencontrer ses plus féroces défenseurs. Quand j'écoute Innocents, c'est un peu le contraire de quand j'écoute Les Innocents. C'est à dire que plutôt de me boucher les oreilles en essayant de flatuler ma race, je suis debout, conquérant, et prêt à tenir la position "guidons-de-chopper" avec l'expression déterminée d'un croqueur de croissant. Quand j'écoute cet album, je vois le geek rédacteur en chef de magazine qui me l'a fait découvrir, tel qu'il serait, dans un monde sans papier journal : avec du papier à poncer, et une grosse carosserie à reprendre en écoutant pour se motiver "Knew Her Gone", "Deed's Pride", "Downpour" ou le tube implacable "Some Will Never Know". Only Living Witness était un groupe qui incarnait l'expression "top notch". Un groupe à la fois banal et atypique. Le charme réconfortant du 'casual', du 'regular', du 'denim', du 'classic', l'armature essentielle de nos vies simples - avec le petit plus personnel dans le feeling qui fait l'épaisseur de leur rock. Et nous appelerons ce petit plus émotion pour faire simple. Du rock américain de la grande époque, plus spécifiquement du métal alternatif. La saveur du grunge tout juste désintégré, qu'on ressent de partout. Un feeling stoner indéniable sur certains titres très "motorisés", qui lubrifie tout ça de façon naturelle. Les dernières vibrations post-hardcore se font encore ressentir dans Innocents, mais c'est désormais un groupe de rock qui est à l'œuvre, pour son dernier baroud avant le split, la der des der, le hug, vaya con dios ; on ressent cette émotion subtile sous le cuir épais et les poils, ce cœur qui veut survivre. Et quand les potards retombent un peu, d'abord avec le mignon interlude americana "Placid Hill" (qui préfigure l'album solo du batteur) OLW lâche enfin la bonne grosse ballade southern à grosses phalanges avec "Hank Crane". Voilà ce que j'appelle une vraie ballade, avec une petite saveur chamber pop à violons versant prolo ou cow-boy, costard-cravate troqués contre une veste en cuir de vachette usé. Quelques morceaux, s'ils sont ouvertement stoner, font aussi penser à du Tool primitif joué par des bûcherons ou des mécaniciens (sur le final Jenkins évoque un Maynard à gros bras). Voilà : ce dernier OLW pour le feeling c'est un peu entre du vieux Kyuss et du vieux Tool. Je passe les autres comparaisons gourmandes qui me viennent avec des groupes un peu moins populaires comme Clutch, COC ou Quicksand (mettez les pochettes de Slip et de celui-ci côte à côte, on a déjà la cohérence visuelle), préférant vous réserver le plaisir de déguster cette tranche de 90's comme il se doit, le matin au réveil encore en slip, le soir avec la clope aux lèvres et des cernes de deux kilos sous les yeux... Je vous laisse découvrir Innocents comme vous avez découvert jadis Undertow, Badmotorfinger ou Meantime. Album compact, ultra-facile à apprivoiser et pourtant pétri d'influences diverses : Only Witness Living était un groupe à la fois standard et vraiment singulier, sans faire étalage d'exhubérance. Tout passait par ce son brut de guitare, électrique ou sèche, ce feeling mélodique et sentimental dont le chant clair jenkinsien se taille la part du jaguar, en surf vocal sur ces amas de riffs virils. Le groupe qui sent le vécu, la sincérité, le quotidien, avec une fougue et un sens du rafraîchissement massivement rock (je vérifierai si ça veut dire quelque chose après avoir publié) qui survivra plus tard dans un groupe comme Torche. M'bref, autant vous dire que si d'aventure vous voyez ce disque dans un de ces bacs d'occasion crasseux, ne faites pas comme moi l'erreur de passer à côté et de le regretter des années après. Cet album me donne envie de faire l'amour avec les mains pleines de cambouis. De n'avoir pour seul décor qu'un poster, pour seul plumard qu'un vieux pick-up rouillé. Cet album

Page 83/126 me donne envie de vivre dans un garage.

Note : 5/6

Page 84/126 Come : Near Life Experience

Chronique réalisée par Raven

Courtney Love est fatiguée. Lessivée. Elle s'est faite à l'idée de ne même pas avoir le statut de la cagole ; mais celui du cageot tout juste alléchant pour un taulard de longue peine, de celle qu'on arrive à aimer un peu saoul une fois les lumières éteintes (c'est cru, mais accepter la réalité est un premier pas honorable Courtney, et ton effort n'est pas tombé dans l'oreille d'un ingrat). Ces salauds disent aussi qu'elle a la gorge sèche et la voix éraillée - la meilleure voix qu'elle ne pourra jamais avoir. Elle n'en peut plus, le monde est usant. Alors plutôt que de continuer à s'exhiber dans les médias à coups de frasques périmées et d'interviews où elle attend l'énième et désespérante question sur son ex, elle a décidé de rester enfermée chez elle, de ne plus laver son linge, de ne plus faire la vaisselle. Pour la première étape, ça a été difficile. Mais la voici dans l'obscurité du domicile non-conjugal. Tous rideaux tirés, comme celle qui le fût tant veuve et avant. Sa fille avec la baby-sitter, son clébard au chenil. Enfin TRANQUILLE, elle peut se laisser aller à son blues sans plus chercher à se rebeller contre les méchants hommes. Puisque personne ne regarde ni n'écoute. Enfin femme au foyer qu'on ne dérange plus, gazouillant comme une Faithfull prolétaire, la voici s'ayant adjoint les services de fans de Sonic Youth. Prête à sortir son chef-d'œuvre intime, à base de slows amers et de rocks corrodés. À moins que tout le monde s'en foutra cette fois... Pauvre bougresse... En plus elle a besoin d'être secondée au micro par un mec. Quelle déchéance. Elle a même eu besoin de l'aide de plusieurs connaissances, pour arriver péniblement à ces trente minutes et quelques d'indie rock noisy qui mettront tout le monde d'accord, à condition de ne pas être trop difficile non plus. L'issue de tout cela ne sera pas fatale, en effet, juste sympathique, et sonner comme du Jesus Lizard dépressif (coucou Mac, je t'entends petit coquinou :) destiné aux épaves amatrices de riot grrrl n'était de toute façon pas vraiment un challenge pour le quidam. Enfin le Lézard c'est surtout pour "Bitten" en l'état, les autres morceaux étant moins énergiques, parfois même complètement léthargiques. L'issue de tout cela sera juste un bon petit album du genre, ce qui n'est déjà pas mal, charriant tous les clichés indie-noisy et blues de la façon la plus naïve possible. Un peu radin, mais sincère, avec une sensibilité mélodique confinant par moments au sublime ("Weak As The Moon") et quelques petits fignolages mignons comme tout (le marimba sur "Walk On's"). Un album succint et un grower relatif, qu'on réécoutera seul à la lumière douce d'une lampe de chevet, allongé sur le dos en contemplant le plafond. Un disque confidentiel des 90's qui fait partie de mes compagnons d'infortune depuis un petit bout de temps, de ces skeuds modestes auxquels on s'attache pour X raison. Dariev Stands vous dirait que c'est parce que Come fait partie des groupes méconnus qu'affectionnait Kurt Cobain ; mais ça ne donne pas envie alors je préfère ne pas le dire. Excellent titre d'album quoiqu'il en soit.

Note : 4/6

Page 85/126 Young and in the Way : When Life Comes to Death

Chronique réalisée par Rastignac

Il est un temps où tout bascule. Il est un temps où faut se faire une idée, se dire que demain, c'est pas comme hier, mais vraiment vraiment pas. Et pour se rappeler cette vérité digne d'un proverbe écrit par un Panoramix de comptoir, il faut savoir gratter dans les tréfonds de son disque dur, il faut fouiller les bacs à soldes et sortir d'un tas de poussière quelque chose qui ravira les papilles du nostalgique invétéré hantant notre soi flippé. Par exemple, ce soir : Young and in the Way. Jolie fleure poilue extraite d'un croisement qui fut assez trendy à un moment, à savoir la mixture "black metal" / "crust", ce groupe américain, poilu (déjà dit ?), noir, blanc, haineux jusqu'à la carotide (tatouée et velue) nous a sorti son dernier album l'année dernière. Lisez-moi donc ces titres : "Baise cette vie", "On n'est rien", "Aimé et non voulu", "Sanglote dans ma poussière", pfiou... ça va pas très fort du côté de Charlotte, malgré le côté crémeux que mon inconscient marmonne au doux son du nom de ce gâteau à la fois aérien et sucré, et bourratif. Ici, sur ce disque, ce n'est pas aérien, même si c'est joué rapidement, même des fois un peu lentement aussi comme dans les moments "hé!, hé!, héyh!" des concerts de black metal, vous savez quand tout le public bat la mesure le bras droit en l'air avec les doigts satan, sinon c'est trop Adolf ? Cette musique est amère, et c'est un tout petit peu bourratif, le rythme "D Beat" ne prêtant pas à un maximum de variation à part si on est un ouf du genre Dave Lombardo ou King Fowley... Mais qu'est-ce qu'il raconte cet album ? Ben il nous engueule en nous disant que la vie c'est pas du gâteau Monsieur Brossard, mais, euh... question : lorsqu'on arrive au bout de ce chemin pénible chanté par Dante et Stephen King est-ce qu'on arrive dans une salle qui sent la cave en compagnie de trois mecs portant t-shirts Converge et Integrity ? Est-ce qu'on regarde un concert, avec des chevelus tout en noir, tous tatoués et velus sur scène, en buvant une pinte de Krone126ourg trop chère, et en regardant aussi du coin de l’œil ce que la distro du coin veut nous vendre ? Est-ce bien cela le purgatoire ? Ou est-ce aussi un peu ce qui réside dans le fond de ces trémolos BM et cette glaireuse dépression habitant le chanteur de ce groupe de jeunes dans le vent, consacrés dernièrement en Europe lors d'une jolie tournée, balançant fiel, chantant décrépitude avec bouts de rock and roll et de Xanax dedans ? Bon, que vous ayez vu ou non ce YAITW en concert (yeaah, acronymmmmme!), écoutez-le au moins chez vous si vous aimez le pathos simple qui donne des crampes d'estomac ou si vous êtes adepte de noirceur complètement stérile. Mangez-moi cette galette si vous voulez du BM du caniveau de la Charlotte, avec des interludes instrumentaux tristounes, si vous voulez aussi garder un pied dans tout ce que le punk a créé comme discours anti-humaniste, nihiliste et suicidaire, tout en gardant une certaine patience pour les riffs recyclés déjà un paquet de fois. Si vous trempez dans un sentiment "Demain, c'est loin" c'est pas mal aussi. "Hier plus qu'aujourd'hui". Si vous êtes réactionnaire. Triste, nostalgique, dépité. Si les projets ne sont que des powerpoints creux pour vous. Si vous vous dites, là, que la vie en arrive à sentir la mort, ce disque est pour vous. Par contre, si pour vous le changement c'est maintenant, et que la confiance, c'est l'avenir, je me demande bien pourquoi vous avez lu jusqu'ici. Tentative d'entrisme de gens heureux ? Alerte !

Note : 4/6

Page 86/126 Black Elk : Always a six, never a nine

Chronique réalisée par Raven

"I like you, Lloyd. I always liked you. You were always the best of 'em. Best god damn bar tender from Timbuktu to Portland, Maine – or Portland, Oregon, for that matter." Et quel groupe nous vient de Portland, Oregon, Lloyd ? Black Elk, Lloyd, Black Elk ! Maintenant sers-moi ce bourbon Lloyd, et fais gaffe car je crois que le Jack Daniel's s'en est pas... et Black Elk, c'est du Jack ou du bourbon ? Les deux couillon, avec plein d'autres liquides en tout à l'égout ! Déjà ce qu'on sait : ça CHARCLE. C'est tout ce que je pourrais dire de définitif au sujet de ce groupe, qui joue à sa manière une chiure intense de noise-rock à la Jesus Lizard Dazzling Kilmen croisé mathcore non-intellectuel (plutôt rural façon Calvaire) et post-hardcore (le post-hardcore au sens originel, pas la merde planante-contemplative que les porteurs de grosses lunettes carrées étiquettent aussi sludge, mais la vieille école, abstraite et corrodée), des plus concentrées, instinctives, mal embouchées et campagnardes. Avouez qu'avec tout ça c'est tout de suite plus clair, pas vrai ? Mais bon, c'est pas comme si j'avais pas mis trois plombes à réussir à pondre une chronique de ce skeud. L'aimer à été immédiat de chez immédiat ; en parler est une autre paire de manches. Quoiqu'il en soit "Hospital" est ce qu'on pourrait appeler un tube, constitué de laideur et de beauté dans des proportions rigoureusement égales (pléonasme pour le matheux mais précision pour le littéraire, s'il en est). Avec ailleurs quelques embardées métalleuses, par accès et par excès, ou plutôt par mimétisme (après tout pour certains Jesus Lizard évoque le jazz), plus prononcées que sur leur premier album. Quand les solos dissonnants ultra-stridents deviennent des solos jolis et bien fichus par exemple... Car je ne suis pas vraiment ce qu'on pourrait appeler un auditeur exclusif de metal, du coup je ressens assez bien cette saveur quand elle s'impose à mes oreilles (pas autant que les nextclueseurs, mais eux les ont bien senties, et comme certains le savent le nextclueseur est comme la grenouille qu'on mettait jadis sur l'échelle pour connaître la météo, quand il entend du métal il reste au fond du bocal), même si elle n'est qu'une des peaux de bête que revêt leur musique et non son squelette (encore ces métaphores, oui). Bugnehead, féroce, indomptable, et beau par accident, cet album violemment polymorphe vous en mettra plein la gueule. Sans parler des accalmies au feeling melvinsien ou oxbowesque (ou harvey-milkien). Bref vous aurez compris que cet album mérite sa poignée d'écoutes pour être cerné, qu'il squattera quelques temps vos peinates comme il a squatté les miennes. Wapiti Noir est un groupe farouchement singulier, un de ces groupes rares comme Helms Alee dont vous n'aurez jamais la moindre chance d'entendre de copie conforme. Wapiti Noir hésite entre plusieurs tipis comme l'indien whitetrash imprégné de mescal-mescaline qu'il est, restant fatalement au centre de tout ça, autour du feu de camp, à danser ses gigues en plein delirium et à prendre la forme de ses démons. J'en oublierai presque leur capacité à la country extrême (oui, ça existe), et la capacité cartoonesque du chant-polymorphe, de l'édenté de service au micro, noyé sous la charge des guitares et de la batterie et tentant d'en émerger avec force grognements, chuintements et feulements... Mais difficile d'être précis avec ces freaks. Un groupe purement instinctif, très extrême à sa façon (écoutez juste "Hold My Head"), qui amalgame tout ça comme ça lui vient. Au gré des liquides absorbés. Une des plus sauvages et corrosives bestioles estampillées Crucial Blast, ce label du Maryland qui cartonne dans tous les sens du terme, et nous a refourgué quelques-uns des groupes rock les plus atypiques qui soient.

Page 87/126 Note : 5/6

Page 88/126 COMPILATIONS - DIVERS : Saigon Rock & Soul: Vietnamese Classic Tracks 1968-1974

Chronique réalisée par dariev stands

Du point de vue américain, des centaines de chansons ont été consacrées au Vietnam. Et si les Vietnamiens, lors de la même fatidique guerre, en avaient fait autant, et avaient livrés, eux aussi, leurs impressions sur la tragédie en train de se jouer sur support enregistré ? Eh bien, ce postulat à priori incongru n’est autre que le matériau dont est constituée cette compilation. Comme l’expliquent les fort intéressantes notes de pochette signées Mark Gergis, ce qui a fait basculer bien prématurément cette scène "Rock & Soul" vietnamienne, c’est bien évidemment la victoire et l’accession au pouvoir du Viet-Cong, pouvoir communiste pour qui la musique rock, apportée par les G.I.’s américains stationnés dans le sud, était interdite d’office sous peine d’emprisonnement immédiat dans un "camp de réformation" probablement synonyme de tortures, malnutrition et mort. Comme tant d’autres scènes rock des années 60 et 70 redécouvertes aujourd’hui au fil de compilations toujours plus nombreuses, toujours intéressantes. Sublime Frequencies, en crate-diggers officiels de la région Asie du Sud-Est, n’en est plus à sa première exhumation. On imagine donc sans mal le travail pour récupérer les chansons présentées ici dans un Vietnam du sud où chaque bande, chaque disque était devenue pièce à conviction pour finir brocardé contre-révolutionnaire. Et il faut reconnaître à l’ensemble une qualité sonore étonnamment bonne au vu du contexte historique. Meilleure que les ébouriffantes compilations que le label a consacrées à la Birmanie, en tout cas. La musique, en revanche, est plus occidentale, plus "pop" vu de nos oreilles à nous. Gergis note que, là où les Thaïlandais et Cambodgiens ne juraient que par Santana, les Vietnamiens avaient une prédilection pour Hendrix, Blind Faith et Blue Cheer ! Difficile à vérifier, tant cela s’entend quand même assez peu ici, hormis quelques titres comme ceux du CBC Band, poussés vers un son plus saturé par le même mécanisme que les Monks (pour jouer devant les G.I.’s, il faut un minimum de violence sonore). Quoique, même dans une ballade midtempo au chant vaguement sirupeux, un solo fuzzé ultra saturé et strident peut toujours surgir, ce qui surprend assez. Ce qui est certain, c’est que James Brown et la soul américaine avaient trouvé leur chemin dans la musique des groupes présentés ici. Après tout, nombre de soldats U.S. mobilisés de force étaient blacks. Etonnant, par exemple, de constater à quel point les tempos sont funky, les batteries sèches et en place, les arrangements développés. La colonisation française étant passée par là, on relève pas mal de ballades éplorées avec chanteuses mélancoliques, sous influence chanson française d’après le livret. Ça aussi, ça s’entend peu. On pense plutôt à Nancy Sinatra, voire à Dusty Springfield. Là où Sublime Frequencies fait vraiment bien les choses, c’est dans la tracklist : ils ont été jusqu’à résumer les paroles de chaque chanson, en quelques mots. Sans surprise, ça parle de la guerre. Plus étonnant, la condition des femmes est maintes fois évoquée. Une grande partie des hommes étant au combat, les femmes, livrées à elles-mêmes, chantent leur peine, les mèches de cheveux envoyés depuis le front, la jalousie provoquée par l’absence, voire les mariages arrangés… Saluons enfin la démarche zélée du crooner Elvis Phruong (sic), ici capturée dans sa période pré-soupe d’après le livret, qui dédie deux chansons au bonheur d’être pauvre et libre, afin de contrer ces salauds de communistes qui prônaient l’égalité sociale à tout prix !

Note : 4/6

Page 89/126 : The Fragile

Chronique réalisée par Raven

J'ai cru aimer cet album. À l'époque où j'étais étudiant en art. Tout s'explique. Le digipack épais - mais au carton trop souple - est resté dans un état comme neuf, alors que le fourreau de The Downward Spiral - acheté à la même époque - est dans un état déplorable, presque en papier mâché désormais, à force d'avoir été touché, manipulé, ouvert, clos, rouvert et refermé. À force de l'avoir cent fois et plus encore prêté à moi-même. Qu'est-ce que ce simple coup d'œil à ces deux objets collés l'un à l'autre depuis toutes ces années... sinon une comparaison des plus cruellement éloquentes ? J'entends The Fragile comme le disque que a voulu sortir pour impressionner ses amis musiciens. Pourquoi pas Coil, Brian Eno, et tant d'autres artistes pour lesquels j'ai tempéré ma fascination depuis que j'assume mon oreille pop. Un album au son terriblement réel et profond, là-dessus on ne pourra rien lui reprocher. Un album qui a demandé à coup sûr un travail de fignolage colossal, aussi... mais surtout pour fignoler. Je n'ai pas envie de ressortir The Fragile. Jamais. D'abord, ironique ou pas, je n'aime pas beaucoup son titre : il n'est pas tout à fait raccord avec ce que je perçois chez Trent. En tout cas pas digne du Trent qui a fait The Downward Spiral (son évident climax à côté duquel celui-ci est juste non-avenu), pas de celui qui fera With Teeth (bien plus sincère, et sentimentalement sans appel) ou Hesitation Marks (bien plus glaçant et subtil, d'ailleurs réécoutez-le à la suite sans plus tarder). The Fragile contient de bons passages, mais à peu près aucun bon morceau. Même "The Great Below", que j'entendais jadis comme la réussite incontestable de cet album et l'un de ses plus beaux titres, sonne finalement assez moyenne, et son refrain est bien un repompage à peine voilé de "Hurt", mais en version un peu empruntée. Les passages énervés sont poussifs, simples autocaricatures sans cruauté ni venin. Les passages ambient/electro temporisent. Montage-collage. Patchwork ennuyeux. Le chant est bien souvent superflu. The Fragile contient énormément de sons... intéressants. Parfois même beaux. C'est un empilement riche et dense d'effets, limpides, brumeux, une multitude de canevas, de micro-mondes, d'approches variées... Mais Trent n'y créé aucun tube. Sinon des tentatives d tubes. Et Trent n'y créé pas non plus de vrais morceaux aventureux. Il y est un brillant technicien, ça je ne dis pas - et je salue son intelligence (d'avoir su s'entourer, une intelligence tactique redoutable qu'il a en commun avec David Bowie et Serge Gainsbourg). Il semble collectionner les chutes studios, ou plutôt aligner les works-in-progress de morceaux qui tuent, et qui, par l'incapacité à créer de vraies envolées, de vraies constrictions, de vraies accroches, ne tuent pas. Pour un artiste pop, c'est mal avisé. Mais soit : "cet album n'a pas pour but d'être accrocheur, c'est le contraire", entendé-je déjà au travers d'une hypothétique contre-agrumentation, soit l'anti-popisme primaire de ceux qui n'ont jamais lu les remerciements dans le livret de Pretty Hate Machine, et prennent avant tout Reznor pour un expérimentateur ? C'est leur droit le plus strict. Alors qu'en est-il de l'expérimentation, du coup ? Eh bien même à ce niveau, je ne dissèque dans The Fragile que de maigres et fainéantes compositions, et pas mal de cache-misère servant à les faire passer pour ce qu'elles ne sont pas. Peaux maouss, mais squelettes fragiles (en fait Trent était honnête, autant pour moi). Et dès qu'on se rend compte que ce disque n'est que peau sans armature solide, avare en âme et en sauvagerie autant qu'en onirisme, eh bien c'est très simple : on n'en veut plus. À ce niveau (expérimental) on préfèrera sans hésiter son deuxième album double, l'instrumental Ghosts, qui, en ayant recours à moins d'ustensiles, est finalement meilleur. La production ? Bon là c'est vrai qu'à ce niveau, c'est ce qu'il a fait de plus fin, mais on pourra préférer The Downward Spiral, plus tabasseur et direct certes, ce qui ne l'mpêche pas d'être

Page 90/126 tout aussi profond et complexe... Mais là je ne me mouille pas beaucoup : alors on préferera le son stoner-catchy de With Teeth, décrié comme NIN vulgaire mais déjà bien plus honnête que cette pièce-montée bancale qui a coûté deux bras. Oui : The Fragile est un Nine Inch Nails mineur. Ce n'est pas dramatique, il aurait toujours dû être présenté comme tel et cela m'aurait économisé l'effort d'années à réaliser sa maligne supercherie. En fait, ce n'est même pas loin d'être son moins bon album (avec Year Zero et The Slip), dont je sanctionne comme il se doit la prétention, le superflu et le tape-à-l'oreille stérile. Premier CD inutilement tarabiscoté et pénible, second CD un peu plus naïf et donc meilleur, mais guère meilleur... Frustrant, maniéré, et prometteur du début à la fin : voilà The Fragile, l'album d'exposition, technique et mécanique. Prise de tête ? Si c'est le cas, dites-vous qu'un album qui la provoque a déjà une certaine qualité. Et un tout aussi certain défaut. Trent a bien sur-ciselé ce gros bidule abstrait dans son studio, et depuis 1999 une tripotée d'amateurs l'ont érigé comme son œuvre absolue juste derrière (mais parfois juste devant) The Downward Spiral. Giga-mouais. Être lucide sur les escroqueries les mieux ficelées de nos musiciens chéris, ça fait mal, hein, personne ne dit le contraire...

Note : 3/6

Page 91/126 COMPILATIONS - DIVERS : Guitars Of The Golden Triangle: Folk And Pop Music Of Myanmar (Burma) Vol. 2

Chronique réalisée par dariev stands

Avant toute chose, si vous ne connaissez pas "Princess Nicotine", le 1er volume de ces 2 compilations estampillées "Folk & Pop Music of Myanmar", foncez y jeter une oreille… Vous y trouverez un son qui ne ressemble à rien d’autre. Pour ceux ayant, comme moi, pris une bien inattendue claque à son écoute : voici le volume 2. Jamais réédité, et resté sous une pochette repoussante, à l’inverse de son prédécesseur. A l’écoute ; on comprend : Alan Bishop a juste tenu à ne pas mentir sur la marchandise, en apposant une image lo-fi et cheap comme pour prévenir, subliminalement, l’auditeur : "le son est pourri !". Car les chansons exposées ici sont rescapées de ce que Bishop appelle une "lost scene", un vivier de musiciens aujourd’hui disparu, dont le principal débouché était d’être écoutés sur les autoradios des camionneurs sur les routes boueuses du "triangle d’or". Pour info, le Triangle d’Or, c’est un genre de zone hors contrôle dans la jungle de l’Est Birman, bastion des trafiquants d’opium et autres contrebandiers, où vit une ethnie appelée Shan, dont sont originaires la plupart des musiciens compilés ici. La simple description du "lieu" (60 000 miles carrés inaccessible aux touristes, quand même), suffit déjà à transporter dans un autre monde. Alors quand les accords aigrelets de la guitare de Saing Saing Maw (artiste le plus représenté ici) s’égrènent en ouverture du 3ème titre, semblant imiter la pluie tombante (ou est-ce la crasse accumulée sur la bande ?), l’esprit vagabonde. Qu’est ce qui a pu pousser ces gens coupés du monde à enregistrer ces titres, très fignolés, pour certains ouvertement et volontairement psyché (tâtez de la 8, par Khun Paw Yann, membre de l’ethnie Pao, qui porte des serviettes éponges orange sur la tête)… Mystère. Le pire, c’est que certains sont auréolés d’un entrain assez accrocheur (le country-garage de l’impayable Lashio Thein Aung, le "Texan Birman" !), voire d’une tristesse et d’un dénuement qui laisse sidéré… On pense à Khun Paw Yann, encore lui, aux timbres de guitare acides, psyché et profondément étranges. Les 4 morceaux qu’il laisse à la postérité augurent en tout cas d’un sacré talent… J’en oublie presque de parler du 1er morceau, tube lo-fi au riff power pop préfigurant celui de Power of Love de Judy & Mary et de Party Hard de Andrew W.K. !! Bref, une compil bien riche en perles, une fois la barrière du son crade passée. A noter, enfin, que si l’intitulé peut rappeler l’album "Guitars from Agadez" sorti sur le même label et consacré aux touaregs et à leur jeu de guitare abasourdissant, on est ici en face d’une compilation de vieux garage rock, aux morceaux courts et aux mélodies assez évidentes. Rien à voir avec les entrelacs des contemporains Group Inerane et consorts, donc…

Note : 5/6

Page 92/126 DJ Krush : Krush

Chronique réalisée par Raven

Pochette à l'ancienne de bon augure, renvoyant à peu près tout l'état d'esprit d'une époque le plus sobrement possible. DJ nippon ex-yakuza en camouflage new-yorkais limite plus new-yorkais que les new-yorkais de l'époque... Ici, rien de ce cliché très répandu sur la folie débridée des nippons : que du travail appliqué, de l'artisanat brut, l'humilité du mec rangé qui se fait plaisir dans son nouveau travail, avec son hobby. Et surtout "Keeping The Motion", ce premier tube - du moins dans l'ordre tracklist de ma version - imparable. Avec son cuivre qui vous file la banane en deux-deux et son groove chaloupé à mort, "Keeping The Motion" est bien l'un des morceaux cultes des années jazz-rap, et même si ça n'est pas très gutsien on s'en fout royalement car ce titre incarne l'idée tant galvaudée de COOL. Je n'ai même jamais cherché à savoir d'où il avait pompé le/les samples ou si c'en était vraiment un ; tout ça me va très bien comme ça. Après cette entrée en matière top smoothie, y a du bon, et puis y a aussi du mou jazzy un peu générique, un soupçon dub aussi, quelques thèmes qui te font cet effet assez sympathique du "c'est de la musique d'ascenceur ça... eh mmmh, mais c'est pas mal ce son en fond, là..." Rien de très envoûtant, mais une fluidité appréciable. Expé et/mais confortable au possible. On sent que le japonais veut nous communiquer cette ambiance cool de disquaire bordélique visité à l'improviste alors qu'il est plongé dans son inventaire, et dans un brouillard de fumée (toutes mes excuses, dans ce cas ne remettons que dans le contexte temporel, pas géographique), ce petit plaisir des disques qu'on ausculte avec attention avant de les jouer. Krush est un amoureux de l'organique, de l'instru crémeuse, sans autre prétention que bricoler des petits films audio. Pour faire de la merde en 1994 il fallait vraiment le vouloir, même en instrumental. Et cet épo du petit Hideaki, crate-digger artisan des plus appliqués et consciencieux, est vraiment un album agréable, avec un son ultra-limpide, des samples jazz très chaleureux et du beat de batterie à l'ancienne. Krush a un talent certain pour mettre en valeur les cuivres même s'il n'en abuse pas du tout ici, son turntabilism tombe parfois dans l'abstract un peu gadget ("Mixed.Nuts") mais ça n'est jamais que l'affaire d'une minute de récréation, avant qu'il ne revienne à la charge avec des instrus aux lignes de basse imparables ("Roll & Tumble"), malgré quelques morceaux bien foutus mais trop tapisserie proprette pour club ("Big City Lover"). Il y a les concessions au classieux 90's et les concessions au banal 90's... Krush évolue un peu entre les deux tout au long de son album. On frôle parfois un feeling lounge, un parfum musical frivole comme qui dirait proto-Pompougnac - mais Krush maintient heureusement une ambiance assez étrange, métissée et plutôt classieuse, avec des passages très cinématographiques comme ce "Murder Of Soul" ambiance un peu nouvelle-vague (ce qui est à double tranchant) avec son beat super raplapla et son speech en français. Bref tout ça me fait pencher pour une note positive plutôt que platement moyenne. Une certaine idée de l'élégance, et des trames sur lesquelles j'attends rarement l'apparition d'un MC, ce qui est toujours bon signe avec ce genre de came. Nettement moins fouillis-zapping qu'Entroducing du Shadow auquel il est parfois comparé, Krush de Krush compte simplement parmi les bons skeuds "casual" de hip-hop instrumental, genre qui par définition ne fait pas très envie à moins évidemment d'être allergique au rap... Une bonne petite ambiance de polar peinard, où aube et crépuscule se confondent, comme se confondent les sillons des vinyles et ceux des cheveux disciplinés par la gomina.

Page 93/126 Note : 4/6

Page 94/126 DJ Rush : Shall we dance?

Chronique réalisée par Raven

DJ Rush. RUSH, pas Krush ! Mais où est passé le "K" ?... me suit-il ? Vous ne me suivez-pas... Comment Rush a-t-il fait disparaître le " " ? In da zen ? En même temps cela n'est qu'une digression amusée, puisque leurs musiques n'ont aucun rapport. L'un des deux est jazzy-mellow, et c'est pas DJ Rush. "Less is more", ça vous dit quelque chose ? En voilà une incarnation sonore nette de chez nette. La techno par le vide. On imagine bien le challenge que Rush va relever, du genre "donne-moi trois sons maximum, et je te fous en transe en moins de trois minutes et avec moins de trois doigts". Tout se passe au cœur de la piste pour le non-humain. Au centre de gravité, avec le mec aux platines qui sourit, qui sourit de plus en plus, et qui sourira jusqu'à la fin quand nos têtes seront creusées comme des iwis... Cet album terriblement basique ne parlera pas à tout le monde, c'est sûr. Pas plus qu'Alan Vega ou ce MC du nom de Sensational. Pourtant c'est une des musiques les plus pures qu'on puisse imaginer. Dans son créneau plus restreint qu'un cagibi, Rush opère en maître absolu, faisant perdre toute notion de "cheap" ou "foutage de gueule". Dès le battement industriel étouffant de "Midnight After Dar ", vous allez en quelques secondes comprendre en quoi la techno peut être fatale sans avoir recours à la moindre sophistication. Rush peut se faire Superfun de psychopathe ou Underworld ultra-primitif selon son humeur, mais il est toujours rivé sur une seule ligne... Le beat. "C'est l'son des capuches" comme dirait l'autre. La house d'un trou noir crevant le dancefloor et attirant implacablement à lui, tandis que le plafond d'abaisse progressivement jusqu'à les réduire à l'état d'atomes. DJ Rush a un style aussi radical que maniaque, et son album-testament de disc-jo ey chicagoan au pinnacle sur sa colonne de 12" permet d'en goûter un elixir toujours aussi brut de chez brut. Même si cette musique est, je crois, conçue pour être savourée en boîte compacté comme sardines (et pourtant plus seul que si on était tout seul) et que l'écouter sur disque fait tout de suite perdre une dimension non-négligeable, son aspect autiste s'accomode à la perfection aux écoutes en solitaire. Casque rivé aux esgourdes ou non, mais volume adulte de rigueur. Style incomparable, car Isaiah Major n'use d'aucun effet surperflu, d'aucun son en trop. Parce qu'il fixe le rythme maniaquement linéaire et à l'os, et ainsi met sous sa coupe dominatrice et méprisante tout le dancefloor - tout le mental, démantelé - avec la plus glaciale des impavidités. River au rythme. Souder au rythme. Focaliser et faire focaliser - comme avec ce "America" alien et aliénant, que je pourrais entendre pendant dix heures non-stop... Minimalisme glacial et desséché qui me permet aussi de faire le lien avec linik ou Dir Ivens en solo. D'façon le "dar " et le "blac ", c'est logiquement assez proche. Les corbeaurgnes qui en auront besoin écouterons Leftism à la place s'ils le souhaitent, puisque ce disque a servi de pont vers un autre univers - mais ce Shall We Dance? plus jusqu'au-boutiste en est un possible aussi, avec son contrôle psychopathe du beat et du montage d'atomes en neige, qui (par exemple) montre très bien que Suicide Commando, bah... c'est de la musique pour Ibiza. Un son finalement antique, qui nous pétrifie en statue quelques instants avant de nous mener à l'irrésistible transe. On passera sur le détaillage des samples disco ou Motown sous-mixés, aussi vain que de disséquer du chopped & screwed. Rare moment vocal et pas des moindres : le tube "Frea s On Hubbard" avec son babil onanique de gangsta dépravé au possible, truc de pur dominateur, à la Oliver Chessler jouant au Drexl Spivey pour infiltrer un gang renoi californien - mortel. À écouter après "Frea " de LFO. Isaiah Major ne lâche à aucun moment la pulsion effaçant la matière autour de l'auditeur. Verrouillage mental sans issue du club - "gnééé mais c'est qui ce mec chelou en haut là-bas, qui m'regarde fistement comme s'y voulait me bouffer, c'est pas Maglaire ?" ...

Page 95/126 Non. Tu es piégé. En 2-2 comme au 5-7. Sauf qu'au lieu de flammes, tu seras azoté.

Note : 5/6

Page 96/126 The Weakener : What do you know about it

Chronique réalisée par Raven

The Weakener, son alias pour le zen-zener en apensanteur, fait peut-être partie des projets les plus objectivement chiants de Mick Harris, et donc de ses bons albums : trames linéaires, rythmes mous concassés, dub sans dub, drum'n'bass lessivé, confort de souricière. Présence humaine : néant. Même pas de Bernocchi. Que dalle. Juste Harris, le mec tout seul avec ses sourcils, qui tripote ses beats abstract et ses samples façon Prypiat en plein hiver, les basses restant ici de l'ordre du soyeux mirage. De quoi vous endormir si vous vous attendez à une écoute concentrée analytique de cette saleté, vous l'aurez compris. This is LOUNGE MUSIC by Tonton Micko, chers petits esquimaux. Donc dormir, pourquoi pas, quand Harris se fait si vicieusement... moelleux. À croire qu'un blase n'est jamais dû au hasard. Enfin moi, cet album me berce. La nuance est à marquer. Je ne dors pas à l'écoute de The Weakener : je somnole, tenu à demi-éveillé par une sensation nauséeuse. De toute façon, s'endormir en écoutant un album ne veut pas dire que celui-ci est forcément barbant ; tous les mélomanes le savent, et c'est le point de vue d'un blaireau qui choisit volontiers ses Napalm Death pour roupiller relax en rentrant du boulot justement. The Weakerner, un des projets récréatifs hors-Scorn du Briton que seuls dix péquins vont kiffer ? Oui, dont Bibi. Bonne came pour qui est amateur d'un Logghi Barogghi et voudrait se rendre compte à quel point c'est un album hip-hop et varié comparé à celui-ci. Et continuer le trip, à hauteur de satellite oublié. En 1998, Harris est plus que jamais d'humeur à faire ce qu'il veut, à la façon d'un Adrian Thaws qui se sentirait encore moins concerné par le monde extérieur. Il ne se permet pas ici des excentricités expérimentales du genre inspiratrices de décorticage conceptuel, de gnose sur l'innovation, et toutes ces affaires de plasticiens : ça c'est Painkiller, Zorn, Laswell et toute la clique jazz qu'il a pu fréquenter. The Weakener est plus de l'ordre de la musique insecte. Comme tant d'autres signés Mick, cet album se prend en bloc ou se refuse en bloc. Et opère en phasme, qui nous enserre calmement de ses grandes pattes épineuses, et nous étouffe lentement, sans même penser qu'il nous étouffe. Sans penser à rien. Du coup on ne pense à rien non plus. Sinon à une vague hantise, type Nostromo sans Ripley. Et on se laisse - ou pas - prendre à cette musique de tam-tam spongieux et de cliquetis organiques. L'auditeur n'existe pas. Le son évolue mollement, froidement, chaque piste naissant et mourant comme une ampoule électrique, jusqu'à "Silent Dust" et son feeling aussi SF que préhistorique (musique SF niveau ambiance, musique de singe à peine évolué niveau rythmique). Pas d'agression noise bruitiste, pas d'imprévisibilité prévisible : juste la percussion trépanante d'un ancien batteur qui a toujours privilégié l'effet à la branlette technique, et les échos glaçants d'un ailleurs plus lointain que Pluton. Encore un des albums de Harris qui s'apprécient pleinement en mode "avachi dans le canapé et crevé de fatigue". Et donc ultrasensible aux nuances scélérates que Harris incorpore dans ses trames mandibulesques, comme on peut l'être aux voix ou à la lumière du jour quand on a pas dormi depuis des plombes. Tout dépend de ce qu'on y cherchera, mais y chercher de la surprise est évidemment voué à un échec cuisant. Quelle que soit la quantité d'effort que What Do You Know About It aie demandé à son auteur, il fonctionne. 50 minutes de torpeur en container.

Note : 4/6

Page 97/126 INTEGRITY : Integrity 2000

Chronique réalisée par Raven

Juste avant de se lancer dans des reprises de Donna Summer (oui) et juste après avoir fricoté avec la harsh noise locale, Integrity a orné son blase d'un appendice pré-apocalyptique - un thème qui les travaillait depuis leurs débuts, comme Neurosis - puis a placé à la batterie l'un des cogneurs de Mushroomhead (ce groupe au line-up et accoutrements tout aussi grotesques souvent réduit à l'étiquette "Slipknot du pauvre"), et a enfin sorti ce que les amateurs de true hardcore fait par des vrais trues authentiques ont désigné par rangs compact comme "l'album de la débâcle" ou "autoparodique" et encore "pathétique". Il semblerait que les coreux qui vomirent Integrity 2000 à sa sortie se comptèrent par légions. En dehors de l'aspect très expé des deux pistes bonus de l'édition CD qui a dû en rebuter plus d'un, c'est à n'y rien comprendre... moi qui tenait cette communauté pour sensible au pogo, voir certains de ses molosses snober ainsi l'évidence truffale de cet imparfait mais belliqueux petit album, l'évidence de titres aussi torves que "Never never" et "Sanctuary", aussi malsains que "The Burden of Purity" ou aussi brutalement salade-de-museau-sauce-piquante que "Never Surrender", cela reste un mystère... Ou pas... Ne seraient-ce donc pas tout connement les fans de groupes "concurrents" qui se sont alors vengés en crachant leur bile sur Integrity ? Je me pose encore la question. C'est vrai qu'Integrity 2000 n'est pas un album très académique non plus, c'est déjà suggéré par l'emballage (la pochette, superbe au demeurant, mais le boîtier chelou du CD aussi) du moins pas si ce qu'on attend du hardcore se limite à des histoires... d'intégrité. Moi ça va, j'écoutais pas encore Starkweather quand j'ai découvert Integrity 2000 mais j'aimais déjà, alors ce skeud, il passe crème. C'est du hardcore de Cleveland, du hardcore qui n'évoque pas vraiment les boucs perdus au milieu de faciès joufflus nourris à la Bud mais quelque chose d'un peu plus... badass, pour causer simple. Ce skeud m'évoque plus The Shield, et les passages les moins jouasses en l'occurence, en même temps que les passages coup-de-pompe au train. C'est très... pugnace. Le riffing saccadé ultra-cliché mais brutalement bon de "Given you everything" en dit à lui seul beaucoup sur le feeling de ce groupe. Integrity ne calcule aucun agrément confortable, sinon quelques arpèges mélodiques genre sur "Never meant as much" ou un petit bout d'ambiance orientalisante à la caveau de Killing Joke ailleurs - quoiqu'en fait ça n'est pas de l'exotisme du tout mais juste la volonté farouche de coller à l'ambiance du moment (goût d'album terminal, encore, Integrity ne parle à peu près que de ça, du dernier hurlement avant la chute). Ce disque, c'est de la bugne. Un peu comme 16, avec qui ils partagent sur ce 2000 un talent manifeste pour le groove de taulard caucasien cassant des skateboards à coup de genou, Integrity ruent férocement dans un style bien personnel. L'exécution qui finalement n'en a rien à foutre d'être hardcore ou pas, qui l'est violemment, et qui tartine le crépit sans répit. La gueulante est l'une des plus trépanées, arides et obstinées possibles dans le genre. Car si j'aime Integrity, c'est surtout grâce au dwidesque râclage de gorge, si unique. Ce hurlement outre-excédé, genre "je n'irai plus à la mine, je préfère buter tout le monde avant". Coup-de-grisou-core. Dwid Hellion incarne totalement son blase ici : depuis ses premiers concerts au début des années 90, ce mec a pour sacerdoce de se chier lui-même de colère. Et sur 2000 il donne dans le bas-du-front façon annexion de la région sourcils par les cheveux. En étant chauve. Cordes vocales passées au papier à poncer gros grain, et puis cordes de guitares couplées à une beuglante très veau pouvant évoquer un Korn à qui on a rasé les dreads et cramé le baggy ("Falling away"). Integrity parle aux vrais amateurs de gosiers ardents, et si cet album est mal-aimé, c'est peut-être tout connement parce qu'il se permet les passages les

Page 98/126 plus adolescents possibles sans perdre une once de belliqueux, une once de violence des plus adultes. Le graffiti sur le mur ? Non : le mur. Trente minutes achevées dans un espèce de final goth-country dark-ambient rituel pas si impromptu qu'il en a l'air (dix ans plus tard Converge tenteront moins efficacement le même genre de transition "WTF ?" avec Steve Von Till), et puis d'interminables bouillies noise-jungle complètement gratuites avec en leur centre une imitation de Lemmy (Dwid est un des rares beugleurs à avoir la capacité de faire du Kilmister) sur samples reversed-tape. Qui font quand même pas loin de la moitié du skeud... Pour la validation "expérimental" la case est allègrement cochée à coups de grosses croix surlignées, je ne vais pas toujours au bout, d'où ma note, mais ça fait partie de la personnalité Integrity, ce côté "disque foncièrement bourrin mais qui achève sa course dans un je-m'en-foutisme princier des obligations esthétiques de la scène"... Cela n'a pas l'épaisseur de Seasons in the Size of Days, mais c'est toujours aussi spécial. Si vous voulez encore savoir ce que véner, teigneux, mal embouché, ou plus simplement "mange tes dents, p'tit merdeux" veulent dire, écoutez cet album.

Note : 4/6

Page 99/126 Division Alpha : Replika

Chronique réalisée par Raven

En plus d'avoir hébergé des gros machins boursouflés comme Septic Flesh, le label lié aux années "fastes" de la vente par correspondance Holy Records a ciblé français, et a fait son "prestige" avec deux groupes "sophistiqués" : SUP(uration) et Misanthrope. Mis côte à côte ça peut choquer, mais c'est ainsi. J'en oublierai presque Elend, Argile et Stille Volk, mais ces trois-là je n'avais pas du tout envie de les écouter du temps où je commandais pas sur cet internet aseptisé, et attendais fébrilement mes disques comme un gamin ses prochains autocollants Panini. Quoiqu'il en soit, on peut rajouter le duo Division Alpha à la liste des groupes "bon pontentiel" du terroir. Ceux qui n'ont jamais sorti de tuerie mais travaillaient très naïvement sur leurs albums en les ciselant, plutôt que de faire dans le power-metal par exemple... ben eux ils faisaient dans le cyber-metal, OK, mais au moins ils se cassaient un peu à écrire des histoires, imaginer les protagonistes de leurs chansons, à penser leurs albums comme des volets d'un tout... mais... OK, je dois avouer que je m'en tamponnais complètement de l'histoire racontée par ce skeud, préférant saisir les scènes au gré des pistes et de l'émotion. De toute manière en dehors de quelques geeks boutonneux (attardés ou non) personne n'a semble-t-il vraiment capté l'existence de Division Alpha, malgré les efforts de la maison-mère. Deux raisons possibles à cela : le nom - à moins d'être amateur de comic's - et les pochettes, plus série B-pour-Darkstar-Seven-tu meurs. Si Division Alpha sont restés au rang de chiffre dans les catalogues périmés, ma réécoute de Replika, quoiqu'un peu pénible, fût teintée d'une petit pincement mélancolique. Ces deux français amateurs de science-fiction et de gros riffs chromés avaient construit une forme de trilogie futuriste, dont Replika est l'ultime volet. L'album-conceptuel de cyber-metal dans toute sa touchante naïveté, peaufiné dans une ambiance évidemment très SF versant hollywoodien. Les deux premiers pour rappel - si ma mémoire est bonne - étaient axés sur le point de vue de la machine qui a mis en esclavage l'espèce humaine dans la cité imaginaire de Psykron. Et Replika, donc, est l'album-film plus mélodique, plus émotionnellement chargé, du point de vue des humains en rébellion contre ces gros enculés de Skynet, de Replika je veux dire, enfin La Matrice quoi, m'bref qu'importe dans le fond c'est pas du Jaz Coleman non plus, et donc... où j'en étais ? Ouais donc, avec une approche mélodique/dark wave, et un son rock futuriste à la fois puissant et cheap... Un peu comme ça se faisait dans la seconde moitié des années 90, ici par des prolétaires très investis dans leur hobby dominical. Alors certes, maintenant je trouve ça aussi frivole mais agréable que relire des vieux romans d'anticipation de seconde zone que j'achetais par colonnes de vingt dans les vide-greniers à une époque, style les Zwuls de Rehan. On est à mille lieues de Kill The Thrill dans l'esprit, c'est-à-dire plus proche du côté cyber que du côté industriel de la force (la nuance ? C'est tout con : si une musique te fait plus penser à des pixels qu'à des parpaings), mais pour ce qui est de l'interprétaion et de l'exécution, Division Alpha avaient ce petit brin de passion... Le côté crétinement EBM du gimmick de "Inside Replika" et son chant de comptable ne sont pas la meilleure entrée en matière possible, mais l'album prend en assurance au fil de son évolution malgré quelques morceaux plats ("Shield of Flesh"), jusqu'à lâcher quelques bombinettes comme "Suspended Lives" et son riff ultra-tranchant, passant du cyber-metal cucul-la-praline à quelque chose de plus froid, rigide ("The Exodus"), voire de troublant, comme l'apparition du saxophone sur "The Last Breath" qui a comme un petit parfum de Norma Loy pas du tout dégueulasse. Le civil au micro pratiquant des espèces de vocalises semi-gothiques, grave et grandiloquentes, sans abuser de voix trafiquées à la Jourgensen, évoquant

Page 100/126 franchement Marilyn Manson par moments ("Intenebrity", ou "The Troubling Ascent" qui ressemble aussi à du Senser) et à d'autres un chanteur de future pop comme pléthore, fan de Gary Numan et Dave Gahan. Replika s'achève dans un thème très emo-ricain pour générique final (cette fois la voix ne rappelle plus Manson mais Jonhatan Davis), dans une ambiance maigrelette, froide, américaine à souhait. Quoiqu'il en soit question sérieux et poids (et gutsien), mieux vaut réécouter le CD en bonus avec les remixes expérimentaux aux influences larges allant de RevCo et Oomph! à des bouts d'Alan Vega et de Scott Sturgis... Un album loin de la coquille vide mais qui n'est pas vraiment à la hauteur de ses ambitions, un peu trop poussif et emprunté, malgré des titres toujours variés (parfois presque des tubes, comme celle qui a toujours été ma préférée, la superbe "The Kelin's Call"), et plus d'âme qu'on pourrait le croire. À réécouter idéalement comme on revoit une série B d'anticipation oubliée (avec Christophe Lambert ou non).

Note : 3/6

Page 101/126 YELLO : Pocket Universe

Chronique réalisée par Raven

"Univers de poche". C'est l'image qui m'était venue sur certains vieux albums de Yello. Un univers de poche, oui, comme ces morceaux qui vous envoient dans différents pays, parfois plusieurs au sein d'une même piste : c'était ça, Yello, au moins sur leurs cinq premiers albums, cette capacité cinématographique parfois hallucinante, cette excentricité que je qualifierai autant de colonialisme mélomane que de haute couture dalinienne du son. Et Yello en 1997, ça donne une musique toujours assez atypique, mais nettement moins fascinante que par le passé. Car désormais soumise aux tendances new age, progressive house et chill-out du moment, voire trip-hop. À ceci près qu'avant de tomber dans ces clichés, Yello les ont anticipés. "Monolith" par exemple reste dans cet exercice borderline du new age électronique, mais Yello n'est pas Delerium, et ne tombe jamais dans le vulgaire et la grossièreté : leur musique a toujours ce raffinement expérimental-métissage un peu désuet, cette liberté d'aller où ils veulent, comme ces gros bourgeois moustachus sur leur yacht tels qu'on les imagine, voguant d'atoll en lagon avec les cales blindées de champagne et des prostituées fringuées comme Amanda Lear sirotant des piña colada sur des tansat griffés "DM & BB". Yello dans les années 90 a plus que jamais ce côté "projet qui annonçait l'apparition des compilations d'ambiance Buddha Bar et Hôtel Costes", c'est évident, et même depuis les ambiances très lounge et exotiques de One Second pour tout dire. Mais Yello a ce goût pour le kitsch quon a pas envie d'appeler kitsch, cette banque de sons dans laquelle on pioche les plus élégants, même si les beats sont des plus académiques sur Pocket Universe, rythmiques très linéaires et sans impact, les samples et les loops sont plus proches du caviar que de l'œuf de lump vendu aux prolos. Sauf que jadis c'était du beluga sauvage avec longueur en bouche indécente, là c'est de la tambouille de grande surface. La métaphore du caviar pour parler de musique est si cliché, n'est-ce pas, mais ce Pocket Universe somme toute assez cliché 90's ne mérite pas non plus des images excentriques, pas plus que des éloges mensongers. De ce point de vue accroche pop, Pocket Universe est bien le premier album de Yello dont je ne retiens en tête aucun morceau, l'album pas-marquant pour un sou. L'ambiance très atmosphérique et récitative n'est pas déplaisante mais glisse logiquement sur l'auditeur, yacht sur une mer d'huile, avec quelques passages cheap (les spoken words de Dieter notamment, très flat), d'autres plus ambient et ténébreux (comme ce "Liquid Mountain" avec ses voix graves inhumaines à la Koyaanisqatsi, évoquant un culte rituel du fin fond de l'Île de Pâques), un feeling mystique-cosmique-intello superficiel mis en avant, (le côté raëlien de Yello), et des trames techno assez raplapla, même si Boris Blank, comme Martin Gore, est un type bien trop raffiné pour faire de la synth-pop comme un gros germain bourrin. Un Yello mineur, donc, assez fade et ennuyeux, plus taillé pour des écoutes de fond en faisant de l'aérobic ou en jouant. Dans ce type d'exercice nos barons suisses sont largement mis à l'amende par Underworld, Leftfield, Orbital et d'autres, mais survivent la tête haute et sauvent les apparences (le très énergique et fluide "Pan Blue"), un peu comme ces nobles ruinés mais qui gardent leur château jusqu'au bout. Même has-been, Yello a toujours cette classe aristo, cette aura du groupe qui était là avant les autres et qui ne peut pas se résoudre à faire complètement dans l'alimentaire, Blank continuant de chercher des nouveaux angles d'attaque, des ambiances différentes. Mi-classieux mi-cheesy, hélas, et uniquement conseillé aux amateurs les plus transigeants des moustasuisses.

Page 102/126 Note : 3/6

Page 103/126 YELLO : Motion Picture

Chronique réalisée par Raven

La première piste de Motion Picture est manifeste d'une sévère baisse de qualité dans la musique de Yello. Blank reprend la formule de Pocket Universe, en plus impersonnel et en moins subtil. En (encore) moins passionnant. Meier parle mais on ne l'écoute plus. Trames chiantes et blabla de vieux beau cultivé mais loin de son charisme d'antan, promesses de titres ingénieux dans le livret avec les faux synopsis qui font sourire, mais aucun voyage sonore à la clé sinon le mol ballottement du Yello-Yacht face à la terrasse de Sénéquier. On frôle la muzak pure à ce niveau de platitude, l'effet Pink Martini. Tout l'album est du même niveau d'inocuité que l'introduction : lounge music sans saveur par un groupe capable de tellement mieux, tout juste relevée par une micro-pincée de sons un peu bizarroïdes de Blank ou un "Shake and Shiver" qui irait bien pour une scène de OSS 117. La moisson est maigre en effet. Des babils flacides sur une musique électronique en pilotage automatique. La chute est définitive : Yello vise le deejaying pour soirées jet-set mais fait dans le Swatch, le Milka, la marmotte est blasée et elle met son caca dans le papier-hallu. On s'emmerde sec sur ce Motion Picture, dubitatif comme devant ces œuvres abstraites contemporaines telles que François Hollande. Yello ne sont plus que l'ombre d'eux-même, et on a grand peine à entendre des réminiscences de leur grande époque excentrique et ensorcelante, en se forçant sur un morceau un peu dingo comme "Squeeze Please" ou le final "Point Blank"/"Cyclops" un peu mystérieux et plus étrange que le reste, mais c'est à peu près tout - et de toute façon ça tient de l'autocaricature sans allant, on est loin des pistes ambient qu'on pouvait trouver sur le génial Solid Pleasure, confectionnées avec un matériel plus rudimentaire mais bien plus profondes. Pas un album nullissime non plus, juste couillon et fainéant. Honnêtement, j'ai plus d'enthousiasme à l'idée de réécouter Play de Moby ou une compilation de Béatrice Ardisson, plutôt que d'avoir à me fader encore cette soupe yello-esque artificielle.

Note : 2/6

Page 104/126 Brad Fiedel : Terminator

Chronique réalisée par Raven

"*chuchotte* Hé, pssst !... viens par là, vers le bar, là... reste baissé !... Avec un peu de chance il ne nous verra pas... Oh my god... qu'est-ce que tu fous à poil y avait pas de stripteaseurs prévus ce soir... C'est quoi ce bordel putain ils ont mis de la drogue dans les fumigènes ou quoi ?!!!... ne fais pas de bruit reste calme !... Il est venu pour tuer tout le monde ce malade, oh merde merde merde... moi je suis qu'une extra bordel, le Tech Noir ça me faisait rêver, on y passe de la bonne new wave, mais là argh je crois que la paye je vais devoir faire une croix dessus... Merde mais c'est qui ce gros barraqué qui bute tout le monde ?... Et toi t'es qui ? C'est toi qu'il cherche ? T'es pas blessé, ça va ? Essaie de mettre des fringues, tiens..." Hum... ça va, merci... D'abord ce "mec", comme tu dis, est un T-800 modèle 101, soit la machine la plus évoluée conçue pour tuer les humains (du moins jusqu'à la fabrication du T-1000, mais c'est une autre histoire et je ne veux pas t'embrouiller), ensuite il ne nous tuera pas si on ne se met pas en travers de son chemin puisque nous ne sommes pas sa cible prioritaire, donc contente-toi de rester calme le temps qu'il s'en aille pendant que je t'explique. Je vais faire simple, et tu vas m'écouter : je viens du futur, pour chroniquer la musique de votre monde dans votre monde, puisqu'elle n'intéresse plus personne à mon époque sinon quelques fanatiques du synthétiseur, la majorité des mélomanes la trouvant désuète, comme vos coupes de cheveux et vos fringues au passage, et à ce sujet puisque tu me reproches d'être nu sache qu'on ne peut voyager dans le temps habillé, car les molécules de notre corps risqueraient de se mélanger aux tissus et que ça ferait comme les téléportations ratées dans La Mouche. "...??????? " Pardon j'avais oublié que ce film sera réalisé dans un an, mais voici l'essentiel : je viens de l'année 2015, année où on est à peu près tous connectés à des ordinateurs quotidiennement et où Skynet s'appelle Google. "...mec... tu es choqué, ça va aller..." Non non, c'est VRAI, crois-moi. Et je connais bien le T-800. Son vrai nom est Arnold Schwarzenegger, des gens l'ont pris pour un culturiste sans âme mais il est le Terminator, et ne sera jamais autre chose que le Terminator. Ah les idiots.... On n'est qu'une bande d'humains faméliques tu piges ?... Et c'est en jouant le rôle d'une machine sans âme qu'il prouve qu'il n'est pas sans âme, même si dans la réalité c'est une machine... Sarahdoxe ? BOOM - exact, un peu à l'image du scénario une fois qu'on a bloqué sur le truc, proto-Retour vers le futur mais pas pour les enfants qui écoutent Huey Lewis & The News, plutôt pour les amateurs de Front 242. Dans des dimensions parallèles à la vôtre, ils l'ont appelé Hercules, ils l'ont appelé Conan, mais cette fois-ci faut vraiment pas le faire chier. Car il vient du futur comme moi !... et il était tout nu aussi en arrivant. Alors il a pris des fringues aux punks qu'il a croisé, les punks sont morts instantanément, et il a foncé d'un point A vers un point C pour tuer sa cible Sarah Connor - la nana que t'as pu apercevoir il y a quelques secondes et qui a réussi à s'échapper - et pour faire simple toutes les personnes qui se mettent sur son chemin meurent. Pas besoin de faire compliqué pour faire un bon entertainment badass. Bon tu m'écoutes là ? "Il est parti mec c'est bon, tu peux arrêter ton délire s'il te plaît ? Je crois qu'on a eu de la chance de pas se faire repérer avec tes conneries" Nan jeune serveuse péroxydée, je dois accomplir ma mission : le T-800 est une machine créée par les machines pour tuer le seul espoir de la résistance du futur, quand les machines auront gagné. Envoyé du futur, Kyle Reese, simple humain, essaye de protéger l'avenir de l'humanité, en arrivant tout nu lui aussi... Mais les flics seront après son cul, ne voyant jamais le Terminator (quels cons ces flics) comme par hasard, jusqu'à cette scène d'anthologie d'une violence jouissive où ils vont le voir de très près... Mmmh bon, je crois que pour les synopsis c'est pas mon fort, mais la

Page 105/126 musique qu'en est-il ? Culte évidemment. Ce thème principal très naïf, axé sur un crescendo redoutable, est déjà étrangement chargé de la mélancolie qu'on trouvera dans le deuxième film, mélancolie absente du premier qui reste un film noir et dur. Cet amour aussi vieux que la SF pour l'anthropomorphie sur la machine est fiedelement retranscrit par Brad, apposé à un générique moderne qui claque méchamment. Ce thème est une tuerie pour sa mélodie simple et touchante, sa rythmique rampante implacable, et aussi parce que Brad Fiedel place des sons type martèlement d'acier cheap mais imparables, qu'il réutilise à bon escient par endroits. Musique glaciale mais paradoxalement chaude, musique totalitaire de grosse série B burnée comme pas deux. Car le premier Terminator - pardon : votre monde - est un film burné. Un film sec, abrupt, et mal embouché. Son antihéros que tu viens d'apercevoir n'inspire alors aucune sympathie. Il est là pour faire peur aux gosses, comme le croquemitaine de Halloween (et comme Michael Myers se relève toujours une fois mort), il débarque au commissariat avec la violence mécanique de la voiture Christine dans la station-essence (le tube rock "Bad to the Bone" sera d'ailleurs réutilisé dans T2, un pur hasard ?). Et la référence à ces deux films me permet une transition parfaite, puisque si Carpenter est une influence manifeste de Cameron sur le premier Terminator, Fiedel compose des thèmes aux synthétiseurs proches de ceux de Big John. Ou plutôt, avec les même synthétiseurs que Carpenter, il met en place piste après piste le cheminement implacable de la machine. Rythmiques carrées type martiales, implacables ("Police Station / Escape From Police Station"), ou interludes dark-ambient sinistres à souhait comme ce malsain "Garage chase" explosant brutalement en un matraquage de toms bourrin strié de sons nauséeux. Limiter Fiedel au côté Carpenter comme au côté Tangerine Dream est donc un peu réducteur, quelques passages étant assez troublants, comme l'electro expérimentale de "Reese chased", où Fiedel déconstruit des sons aigus malsains sur un vrombissement de synthétiseur dégueulasse, d'autres à part comme ce "Factory Chase" et ses pseudo-violons dissonnants. Expérimental : plutôt ouais. Sombre : carrément, les seuls passages à l'eau de rose étant restreints aux trentes secondes à piano riquiqui de "Sarah on her motorbike" et la version romantique du thème principal "Love Scene". Le reste n'est que noirceur implacable, créée à partir de machines rudimentaires. Pour l'aspect "indus", on pourra trouver ça exagéré, mais ceux qui écouterons cette bande originale dans la seule version qui vaille (la Definite Edition de 1994) comprendront que l'étiquette est plutôt à propos - comme elle l'est pour le film du reste. Gros film badass, grosse B.O. badass. Bon je crois que j'ai rempli ma mission maintenant... O.K... je parle tout seul depuis dix minutes, d'accord... ahem... du coup je dois retourner dans le futur. Ouais mais j'ai paumé la notice, c'est ballot... en plus y a semble-t-il un bonne ambiance dans cette époque, mmmh, j'aime bien ces néons. Je reviendrai... ou pas.

Note : 5/6

Page 106/126 Brad Fiedel : Terminator 2: Judgment Day

Chronique réalisée par Raven

1991. Il vient pour vous botter le cul bis. B.O. glaciale et martiale bis. Badass bis. En mode blockbuster fun et bienveillant cette fois, contrairement au premier volet brutal et craspec. Six ans se sont écoulés, à attendre le retour du T-800, notre Schwarzie commençant à faire un peu de la merde alimentaire pour payer ses comptables, ses garagistes et ses femmes d'entretien (remember Jumeaux ?). Quoiqu'il en soit il n'aura jamais été aussi physiquement crédible en machine que dans ce rôle de rempilage. Crédibilité, c'est important, même dans une série B d'anticipation avec un robot insensible aux balles et au feu ; crédibilité massive, massivement crédible ouais, et aussi droit dans ses bottes qu'un tank humain le monolithique Schwarzie, et c'est un peu ce qui l'a toujours différencié du sensible et intellectuel Stallone, son sidekick cheesy (pour lequel j'ai toujours eu de la sympathie hein, c'est l'amateur de Rambo et Cobra qui parle). Alors que Schwarie est un bestial pur avec le micro-soupçon d'humour mono-neurone, quand il dit qu'il va te briser la nuque avec une main t'y crois, il a pas besoin de se tordre la bouche en diagonale pour glairer un cri crari Tom Waits, il EST la brute ultime, tandis que l'autre ne sera jamais qu'un varappeur belliqueux ou le copain d'AdriÂÂÂÂne, c'est ainsi... Après cette digression dans la digression, difficile de ne pas admettre que T2 est bien plus gentil et fun que T1. Certes. Mais Schwarzie nous fait davantage croire à son "personnage", et ça c'est très important pour les grands gamins fans de Terminator, comme le Fat Boy pour les vieux motards. Coupe de cheveux, expression faciale et mouvements plus crédibles, c'est indéniable : PRÉ fuckin' SENCE, that's all folks. Lors de la confection de cette B.O. nous sommes en 1990, année froide qui prépare l'avènement définitif de la grosse machine (lui aussi !) James Cameron, devenu en quelque sorte le successeur glacial de Steven Spielberg après le très mélo-écolo mais très accrocheur Abyss (et sa séquence de scaphandre à respiration par perfluocarbure mémorable, surtout quand on réalise que ce truc existe vraiment). Entre Abyss et Titanic, Cameron laisse un peu ses marottes océaniques, et revient aux affaires sérieuses avec le T-1000, dont les séquences de transformation sont rempompées aux scènes fantastiques du film précédent justement (je fais allusion à l'eau polymorphe bien entendu). Un recyclage malin, ni vu ni connu. Et un recyclage de la musique idoine par Fiedel... Studio Canal, Carolco, Pacific Western et Lightsorm sont les principaux investisseurs et dépensent 100 millions de dollars pour la production de la suite tant attendue, allègrement claqués dans les effets spéciaux, la mise en scène, la ballistique et le casting... Mais le compositeur Brad Fiedel, lui, peut se gratter pour ce qui est des moyens : il ne reste plus que les fonds de poche pour la bande originale, ce gros gorets ont tout investi dans le visuel. Pas d'orchestre, et un timing serré : il doit se démerder avec ses synthétiseurs, comme John Carpenter, "puisque ça avait marché la première fois on compte sur toi Bradou, fais pareil en plus propre si possible"... Et il ne va en l'occurence pas trop se casser sur les mélodies, usant comme très souvent dans les B.O. de ce type de la déclinaison/variation d'un thème principal, les passages marquants restant le thème magistral du premier en intro et outro, augmenté d'effets plus léchés pour l'occasion, type simili-symphonique. Fiedel élabore quelques ambiances post-apo encore prenantes flirtant avec le dark-ambient ("Tanker Chase"), mais rien de franchement marquant non plus de ce côté-là, les thèmes sont souvent typés suspense façon infiltration commando (plus à la Predator qu'à la Commando soit dit en passant), avec une ambiance qui louvoie dans le ténébreux ("Attack on Dyson / Our gang goes to Cyberdyne"), mais toujours ces rythmiques militaires typiques des films de Schwarzennegger. Fiedel évolue sur cette bande originale entre deux ambiances : le menaçant et

Page 107/126 l'atmosphérique. Ne tendant cette fois-ci pas franchement plus d'un côté que de l'autre, il signe donc une OST assez tiède, qui comme celle de Predator ne parlera qu'aux purs collectionneurs ou à ceux qui ont aimé ce film. Une B.O. en dents de scie à cause de l'effet "montée en puissance systématiquement désamorçée". Même si Fiedel s'efforce de construire des ambiances en étoffant sa palette de sons, en reprenant les effets marquants du premier, la grosse artillerie avec ses rythmiques typiques à gros sabots comme sur "Trust Me" (le côté industriel tout simplement), ça fonctionne moins bien cette fois-ci. Une version plus guindée, mais plus superficielle que la B.O. du premier, et surtout moins prenante.

Note : 3/6

Page 108/126 The Death Riders : Soundtrack for depression

Chronique réalisée par Twilight

The Death Riders ou la mort version badass parce que c’est bien connu, ‘Dieu déteste les crados’… Dégaines de Fields of The Nephilim descendus d’une Harley plutôt que d’un canasson, la poussière du Nouveau Mexique collée sur les fringues en bonus. Et devinez qui est derrière tout ça ? Un certain Johnny Coffin que les fans de guitare connaissent par sa marque Coffin Case (oui, oui, c’est ça, des boîtes de rangement en forme de cercueil), lequel s’est adjoint les services de Rob Blasko, ex-bassiste de Rob Zombie et actuel pour Ozzy Osbourne ; sans qu’on puisse parler de super-groupe, il est évident que les mecs ne sont pas des amateurs. Au programme : du rock burné pour motard mais enrichi d’une touche gothique, de très légères influences psychobilly, d’un doigt de surf, parfait pour s’envoyer sa dose d’électricité mais avec de solides mélodies en prime, du genre qu’on chantera sous la douche ou en briquant la bécane. Avec un tel bagage, les Death Riders peuvent se permettre un disque plus varié que la moyenne dans le genre avec des titres travaillés dans les ambiances comme ‘Death in the valley’ ou des pruneaux directs dans la gueule tels que le génial ‘God hates the dirty ones’ (que je m’écoute au minimum trois fois avant de passer à la suite du disque), ‘Suffer’, ‘Mary’ ou ‘No mercy’ avec ses riffs limite hard rock sur le refrain et son intro pour film d’horreur mexicain de série Z. Bien entendu, rien d’original, les accords, les arrangements sont prévisibles, le timbre rocailleux passé à la nicotine et au bourbon ultra cliché, mais le charisme est là, le doigté aussi (purée, cette basse qui claque comme un fouet) et ça fait toute la différence. Pas grand chose à jeter sur ce skeud, solide et sincère de la première à la dernière note, parfait pour les déçus de The Almighty ou ceux qui se demandent ce que pourraient donner

White Zombie version psycho surf.

Note : 5/6

Page 109/126 ELECTRIC PRESS KIT : Low cost

Chronique réalisée par Twilight

C’est absurde, j’en conviens, de reprocher à un groupe son audace mais en toute honnêteté depuis qu’Electric Press Kit ont cessé d’expérimenter dans toutes les directions pour se concentrer et travailler leur aspect le plus post punk, ils n’ont cessé de s’améliorer et avec ‘Low cost’ nous livrent leur essai le plus abouti. En réalité, selon les chansons, on pourrait carrément ôter le ‘post’ tant se fait sentir une influence punk à la française (Bérurier Noir, La Souris Dégulinguée), notamment dans la nervosité crue des guitares et le rythme (‘Low cost’, ‘Les choses ne s’arrangent pas’, ‘Motorblood’) mais s’y arrêter serait trop réducteur. Ce serait sans compter l’excellent ‘Rape of the vampyre’ flirtant avec le goth, ‘La Rivière’ assez particulier avec son ambiance cold wave râpeuse, ou simplement les morceaux calibrés post punk ; ‘Black Cat’ me rappelle même de lointains échos des Tétines Noires. Il faut dire que Emmanuel a amélioré son chant, travaillé sa manière de poser les paroles et sa voix y gagne nettement en charisme; on le sent qui se lâche complètement et c’est très bien comme ça. Histoire d’enrichir les textures, le duo s’est adjoint les services de deux vocalises (Mélanie et Sanda C avec qui E.P.K. avait collaboré déjà), ajouté une discrète touche de clavier. Fidèle à une production assez rêche, fort bien maîtrisée, il peut donc se payer le luxe de peaufiner ses mélodies. Seule 'erreur', à mon avis, ‘Où que tu sois’, nettement plus maladroit dans son mixage, ses paroles (un peu niaises à mon goût), avec une mauvaise juxtaposition des vocaux féminins et masculins; dommage car en terme d’écriture, tout n’est pas à ajouter (le clavier, les nappes vocales sont parfaits). Bonne idée d'ajouter la version single, interprétée par Sandra C, plus cohérente, avec une ligne de guitare mieux valorisée. Electric Press Kit peuvent donc être fiers du bébé, ‘Low cost’ est d'une efficacité tranchante et rafraîchissante.

Note : 5/6

Page 110/126 Dead Born Babies : A call to cult

Chronique réalisée par Twilight

Tombes en carton-pâte, toiles d’araignées en spray, crânes en plastique, sous une pleine lune cathodique…Ce genre de sabbat bien batcave m’avait manqué. Les officiants sont originaires du Pays à la Feuille d’Erable, un duo plus précisément, composé de Baby Bastard et Mummy Baby. Après une intro bien rigolote avec des dialogues dignes d’un film d’horreur de série B des années 50, on entre dans le vif du sujet avec ‘Black Party with witches’. C’est évident, les Dead Born Babies ont le sens des mélodies qui tuent: programmation qui claque, basse d’enfer, quelques petits synthés chauve-souris et des riffs tueurs. Il fallait ça, parce que presque sept minutes, c’est pas rien tout de même ! ‘El incensio del infernio’ attaque plus fort encore avec ses guitares deathrock jouissives mais là encore, le groupe est si fier de son morceau qu’il va nous le balancer sur plus de huit minutes, sans variation suffisante pour justifier un tel exploit. Je suis le premier à me plaindre de certains titres trop courts mais là, on bascule dans l’excès inverse, même si c’est goûteux. Heureusement le syndrome de l’horloger fou se dilue par la suite; le duo applique la même formule, plutôt efficace d’ailleurs, sur la majorité des compositions, soit les percussions souvent binaires bien claquantes (bon son de batterie, loin de certaines boîtes cheap), la basse sépulcrale, les synthés Ed Wood, des accords de gratte deathrock à souhait et le chant déjanté de Baby Bastard, complété par les choeurs de sa collègue par moments. Ca remue les os, c’est catchy à mort et j’aime assez l’idée de chanter en espagnol de temps à autre (les origines de Baby Bastard). Le groupe varie même son propos avec ‘Skeletal dancing’ en y mêlant une légère influence rockabilly dans le tempo (couplée avec le theremin spatial, miam). Si la suite est du même tonneau, avec toutes les qualités requises (le plus lent ‘Offering of honey’ est redoutable dans ses atmosphères, de même que 'In caged' avec ses attaques de guitare mortelles), j’avoue, qu’à mon grand regret, il manque un petit quelque chose pour m’exciter à 100%. La durée excessive des deux premières pièces prolonge-t-elle un brin trop la longueur du cd ? C’est possible, d'autant que le remix final est des plus dispensables. Je chipote. ‘A call to cult’ demeure un solide opus batcave tenant largement ses promesses, non exempt cependant de faiblesses souvent inhérentes à un premier essai. C'est vraiment pas grave.

Note : 4/6

Page 111/126 Vomitory : Revelation Nausea

Chronique réalisée par Rastignac

Quand on a terminé toutes les activités dues à certaines circonstances - papiers de divorce, déclarations d'impôts, déballage de cartons, plan maléfique pour devenir maitre du monde - il faut savoir se remettre à la machine à écrire et dégueuler des chroniques. Par contre, pour bien reprendre le chemin du crayon il faut reconnaitre l'attrait du dicton "moindre effort FTW". Dans cette optique je vous propose de continuer à suivre Vomitory. Y en a qui soufflent dans le fond, ok, je vais donc parler prioritairement à ceux qui gardent toujours un goût pour ce que le death metal demeure et demeurererera : une musique pour headbanguer fin bourré en moulinant de la tête ! Et là encore une fois chez Vomitory après une introduction samplée sur un film de culs bénits on va avoir c'qu'on veut quand on veut brasser de la dure-mère : du headbang suédois descendant des vieux papis crust, des vieux tontons thrash, avec encore plus de blasts, plus de binarité, un nouveau beugleur pas très innovant, toujours ce simplisme death efficace à l'image de cette pochette primate encore une fois réalisée par Peter Wallgren. Un album jouissif et court, juste fait pour se taper les mains sur la poitrine tout beurré à l'aquavit, idéal pour se chauffer la nuque dans les bouchons ou pour couper du bois, même si certains moments de finesse orchestrale affleurent, comme ce bien joli break sur "The Corpsegrinder Experience" (référence à une partie de WoW à poil ?), cette entame deathgrind d'"Under Clouds Of Blood", ou l'épique "When Silence Conquers" qui arrive à bourriner sur plus de six minutes sans me lasser, avec une attitude grind / crust en filigrane tout au long de l'album, encore une fois. A réserver donc aux brutaux amateurs de death pas finaud et dansant tous zébrés de patches Anti-Cimex. La preuve ? Y a le gerboulifleur de Driller Killer en guest !

L'est donc pas belle la death ?

Note : 5/6

Page 112/126 GFOTY : Bobby

Chronique réalisée par (N°6)

I guess it doesn't really matter. A première vue c'est bien vrai. Mais c'est quoi ces sons über-glossy ? Cuty. Girly. Plein de mots en y. Ca blip dans les aïgus. Ca r'n'bise électroniquement, en mutation de machins dancefloor dévolués à force d'aller bouffer à toutes les sources les plus mutantes. Lisse mais plein de plis. Quasiment vulgaire mais non parce qu'au-delà. C'est sur ça qu'ça glose autant, partout ? I guess it doesn't really matter. Pas même en vinyle. Ca se partage, ça se télécharge, ça se stream, ça se partage, ça se like, ça se Soundclound, ça se Tweet, ça s'Instagram, ça se bidule là qui envoie des photos qui s'autodétruisent au bout de trois secondes, je sais pas comment ça s'appelle parce que je suis déjà vieux vu de là et que se sont des gamins issus du bouillon du social network. Je devrais pas comprendre, mais ça m'attire. Putain mais comment on télécharge un truc sur Soundcloud ? I guess it doesn't really matter. A peine plus de trois minutes. Format single. Format suffisant. Posté sur Facebook. Pas de logo. De la photo, de l'image, hyper-réelle, celle du filtre photoshop exposant mille. Tellement lisse que ça en devient alien. Comme ces sons qui font des bulles. C'est mignon ou c'est mutant. Oh la voix. Oh l'accent britton à y accrocher son porte-manteau. Elle a quel âge la fille ? La middle-life crisis me guette. Débite des banalités ou c'est juste son ton monotone, monocorde, plus détaché qu'un swipe sur Tinder. Histoire de rupture. Elle épelle K.I.S.S.I.N.G cette petite idiote. Mais elle a quel âge pour faire un truc aussi bébête ? Chier, je suis vieux. Elle choisit des mots faciles, comme pour aller avec le ton neutre. Ca tombe dans l'oreille comme des truismes à la truelle, mais on a pas toujours des choses originales à raconter. Et puis ça tintinabulle des bullettes de savon sonique, ça gremlinise sur fond de beat opinant de droite à gauche. Polly-Louisa, la Girlfriend Of The Year, rappe sans conviction des lyrics trop simples pour être honnête. Et puis le refrain où l'instru couine de plus belle. I guess it doesn't really matter. Elle répète. Ca devient sinistre d'ennui un peu malhonnête, sur la dernière phrase. Et puis toujours ces sonorités dont la vulgarité clinquante a cédé devant les filtres plus girly qu'un dildo rose bo126on. Le récit suis son court, précis, clinique, idiot de banalité familière. I guess it doesn't really matter. L'instru, parfaitement grotesque, comme une petite peluche de fifille sous coke, prend le pas sur la ratiocination aussi raide qu'un mot d'adieu sur WhatsApp. I guess it doesn't really matter. Oh, du remix. Ca devient de la house débile. La voix de Polly en prend pour son grade, contaminée par les notes-hélium. Oh, une version alternative, toute abimée l'instru. Oh, l'instru toute seule. Un vrai petit bijou en toc, en pleine lumière artificielle. Toutes les couleurs y sont apocryphes. Oh, un remix paumé dans le fog, quasi ambient, t'es où Polly-Louisa, ma petite amie de l'année ?

Pourquoi t'as disparu dans les limbes ? I guess it doesn't really matter. Basically I'm over it. (Well, not quite yet)

Note : 5/6

Page 113/126 Diabolical Messiah : Satan Tottendemon Victory!!!

Chronique réalisée par Rastignac

Ralalah... qu'est-ce que c'est pénible les disques, ça se mélange, ça commence par où ? A ? Z ? Alors voilà, je voulais vous parler du dernier live de Morbid Angel - enfin l'archive sortie cette année - mais je ne le trouve pas, tant pis. Je m'écoutais "Entangled in Chaos" au même moment pour faire le point et puis je tombe sur cette saleté chilienne. Sale : tout est fait pour pointer cette qualité, l'artwork, les vocaux méga-guturraux, les arpèges / décalages dissonants et azagtothiens de l'auriculaire sur l'manche un peu pompés sur le gros Ancien, enfin, voilà, du brutal death ultra-blasphématoire qui pue l'encens de messe inséré dans orifices malodorants mais chanté en anglais - c'est tellement mieux le death en castillan, je comprends pas ce parti-pris de nos chilenos ! Enfin, ça surburne, c'est pas du tout original mais le son en rajoute beaucoup dans le gras, tout en gardant le paquet de lard bien ficelé pour les oreilles, la preuve, je taaappppe plus viiiite au cclllavier ! Se dégage de cet objet une odeur douçâtre, uuuuuuuuune envie de ne plus vraiment faire confiance à sa Raison - pourquoi ne pas s'habiller cuir et clous et tout brûler sur son passage finalement ? Tout en créchant dans un cimetière quand le taf est terminé ? Ce disque, bourratif pour les plus légers, méga charlotte aux fraises satan pour les gourmets, ce groupe ne semble n'en avoir absolument rien à branler du bon goût et des manières afin de nous balancer des tas de gravats dans la tronche tel un Jack Nipper sorti de l'amstrad pour vous fourrer des crucifix dans le fion - pour situer, hein, ça n'arrivera pas, ne vous inquiétez pas Marguerite. Saisissez ? Le death metal rend marteau tellement y rend content et surpuissant, en toute configuration sociale possible. Seuls contre tous ! Windows contre Mac ! Dieu contre Diable ! Metal blade pour séparer tout ! Bleeeeuuarrrgh ! À écouter fort, bien sûr - dernier album en date avant un autre split avec Swarm of Terror, va falloir faire chauffer les timbres transatlantiques pour choper le reste, j'vous dis.

Note : 5/6

Page 114/126 ARC : Arclight

Chronique réalisée par Phaedream

Le concert qu'Arc a donné au Capstone Theatre à Liverpool en mi-novembre 2014 avait soulevé une onde de passion sur les réseaux sociaux. La légion de fans du duo Anglais, qui est dispersée aux quatre coins du globe, lisait les nombreux commentaires de la poignée de chanceux qui ont pu voir ce spectacle dans une enceinte du Liverpool Hope University. Axé principalement sur les cendres du majestueux Umbra, ce concert faisait l'objet de commentaires extrêmement élogieux et admiratifs. Par ricochet il faisait aussi l'objet d'une massive demande des fans d'Arc afin qu'il soit un jour transporté sur CD. La machine à rumeurs fut lancée et Ian Boddy officialisait le tout sur son compte Twitter à la fin Juin. Et avec près de 90 minutes de MÉ dans la plus pure tradition Arc/Redshift, “Arclight” exauce la requête des plus exigeants. Ian Boddy n'a rien voulu enlevé aux fans en effectuant le montage sonore complet de ce spectacle qui se retrouve sur la plateforme de téléchargement de DiN dans sa totalité, suivant ainsi le principe du concert qu'il avait performé avec Erik Wollo au Electronic Circus V de 2012; EC12. Et si je me souviens bien, il y avait une vidéo (elle y est toujours j'ai vérifié) de 30 minutes qui donnait une dimension encore plus réelle de ce concert. Aurons-nous aussi droit à cette petite gâterie? Mais parlons de “Arclight”.... Ce qui saute tout de suite aux oreilles, et contrairement à Umbra, Ian Boddy à enlevé tous les bruits de l'audience. Du moindre soupir d'ébahissement au plus petit applaudissement, donnant ainsi à “Arclight” l'impression qu'il précède Umbra. Qu'il est l'album studio sur lequel Umbra a étendu ses tentacules soniques. Et lorsque nos oreilles croisent les délicates permutations des rôles, comme la lourdeur et les tintements de "Arcadia" ou encore cette guitare qui accompagne le chant fluté de "Cherry Bomb", on comprend que Mark Shreeve et Ian Boddy ont décidé de donner encore plus de relief aux ombres de Umbra. Les nuances dans "Arcadia" sont subtiles mais oh combien importantes. Si le rythme me semble plus lourd, les détails sont encore mieux définis. Comme cette ligne un brin flûté qui gambade dans une enveloppe plus cosmique. Le pouls du rythme me semble aussi plus incisif. Mais là je plonge vraiment dans les détails. Ce qu'il faut retenir sont les 3 titres additionnels à Umbra. Trois titres qui complémentent le premier volet sur les ombres avec plus de 35 minutes de musique additionnelle. Et si on fait le calcul; l'aventure sonique de Umbra avoisine les 120 minutes de pure délice électronique. Pas d'applaudissent, donc Ian Boddy a retravaillé les intros et outros, donnant encore plus l'illusion que ce “Arclight” a servi de base au concert qu'Arc avait performé au E-Live Festival de 2013. De Umbra il ne reste que Arcadia, Proxima Obscuro, Panthera et Cherry Bomb. Et j'insiste pour vous dire que chacun de ces titres possèdent des reflets absents chez Umbra. Entre autres, Panthera et Cherry Bomb sont à couper le souffle. Et les nouveautés? La pièce-titre est le fait saillant de “Arclight”. C'est un genre de mélange entre Panthera et Cherry Bomb avec des phases rythmes parfois nerveuses et explosives qui s'extriquent de corridors ambiants aux parfums de nébulosité. De belles nappes de voix célestes gorgées de filets de flûte ouvrent ses atmosphères. L'union de cette grande chorale éthérée à des nappes vampiriques et à des larmes de synthé aigues ornent les premières secondes d'un voile puissant dramatique. Et ces larmes, ces soupirs et ces nappes flottent comme des vents suspendus et dégagent un genre de brouillard morphique qu'une lourde et agile ligne de séquences chasse après seulement 3 minutes d'un massage céleste de nos tympans. Des tympans qui en avaient besoin car si le

Page 115/126 rythme est lourd et animé, les ornements sont d'une richesse à l'image grandiloquente du duo Anglais. Au début le rythme semble hésitant. Les ions sautillent sur place, un peu comme si ils attendaient un signal. Une autre ligne de séquences étend une structure nouée de riffs. Et lorsque le tout se met à vaciller, le rythme à la fois oscillatoire et zigzagant de la signature Arc infiltre nos oreilles et rampe sur nos murs. De superbes nappes démoniaques peinturent les ambiances d'une obscurité à la Redshift alors que la guitare de Boddy cisèle les ambiances de solos torturés. Les séquences qui vrombissent, le gros Modulaire qui rugit et les solos de guitare qui pleurent; nous sommes dans un univers comme nul part ailleurs où Mark Shreeve et Ian Boddy prennent un malin plaisir à remplir chaque espace d'un son qui échappe à notre attention mais qui reste collé dans nos tympans. Des sons que l'on redécouvrira lors d'une prochaine écoute et d'une autre après, témoignant de la pertinence d'Arc à trôner au sommet de la MÉ parmi les grands. Et lorsque "Arclight" se refugie dans une phase un peu plus apaisée, ce n'est jamais pour bien longtemps et c'est pour exploser vivement comme vers la 12ième minute où nos oreilles peinent à saisir toute cette richesse encarcanée dans une structure qui dévoile ses richesses minute par minute. C'est du grand Arc. "Filtered Through Haze" n'est pas en reste avec ses larmes de synthé aigues qui flottent parmi des lamentations d'un violoncelle écorché. Les premières secondes sont délicieusement ambiantes et très riches de tonalités contemporaines. De délicats arpèges tournoient dans de lourdes et vrombissantes respirations du Modulaire, donnant naissance à une figure de rythme passive qui ondule en boucles dans des ambiances à faire dresser les poils de la peur. "Into Dust" rejoint un peu le genre Électronica d'Ian Boddy. C'est un titre un peu déroutant mais qui dans les ambiances d'Arc fait tout son effet.Des arpèges errent sur une structure de rythme en continuelle gestation où traînent aussi des ondes morphiques et des éraillures d'une six-cordes électrique. Et le rythme se pose délicatement entre nos oreilles. C'est un bon down-tempo très morphique où la mélodie ambiante respire les secrets d'Arc. Et comme un spectre moqueur, la mélodie se disloque pour s'évaporer dans ces ambiances toujours aux portes de l'épouvante qui est l'antre d'Arc, de Redshift, de Mark Shreeve et d'Ian Boddy. Tout simplement majestueux, comme Umbra!

Sylvain Lupari (12 Juillet 2015)

Note : 6/6

Page 116/126 René Splinter : Frames

Chronique réalisée par Phaedream

René Splinter avait atteint un autre niveau avec Modern Ruins où il entourait ses mélodies, l'homme est très mélodieux faut lui donner cela, d'ambiances qui s'arrimaient parfois avec le surréalisme. Et c'est avec plaisir qu'il poursuit dans cette veine avec son dernier album “Frames”. Toujours fier ambassadeur de la période Franke/Froese et Schmoelling, René Splinter navigue sur le concept des harmonies larguées par le mythique trio sur des structures aussi énergisantes que les mélodies pouvaient être séduisantes. Vous entendrez tout au long de “Frames” ces éléments sonores qui pimentaient les structures du Dream; des séquences troubles et agitées aux mélodies fragmentées dans des cocons en continuelles permutations. Mais plus rythmique que purement électronique, René Splinter extirpe ici, et encore et toujours, plus l'essence d'un Johannes Schmoelling que les acrobatiques figures de rythmes de ses deux célèbres compères. Même que parfois l'illusion est plus que parfaite. Et ça débute avec "Celluloid Skyline" et sa superbe introduction nappée de bonnes percussions basses caoutchouteuses et des percussions de bois qui picorent des filets de fumées soniques, des bruits hétéroclites ainsi que ces étranges effets de voix synthétisées qui parfumaient l'univers glauque de Tangerine Dream. Une ligne de séquence émerge derrière un tintamarre de percussions. L'impression d'entendre un titre oublié de Sorcerer nous éclate en plein visage. De son intro ambiosonique "Celluloid Skyline" éclot en une belle mélodie arquée sur de belles séquences avant de séduire encore plus avec de superbes solos d'un synthé qui respire tellement ces parfums de Johannes Schmoelling. Ça débute fort et très bien. "Strangers in the Land of Sunder" offre introduction solennelle avec de somptueuses nappes de ce qui sonne comme un vieil orgue avant de fuir avec un lourd mouvement de séquences basses. Des cliquetis dansent sur le mouvement, initiant un rythme nerveux où les parfums du Dream, période Exit, respirent à plein les oreilles. Le rythme devient alors plus nerveux. Il est forgé dans un maillage de riffs et séquences qui chevrotent dans l'ombre de sobres percussions électroniques et des belles nappes de mélodies. Les séquences dans l'univers Splinter sont tout simplement savoureuses. Ici, elles sautillent comme un troupeau de billes sur la peau d'un tambour emprisonné dans une boîte trop petite. C'est du bon é-rock sorti tout droit d'une session du Dream égarée dans le temps. Mais l'illusion ne tape pas sur les nerfs car René Splinter a ce don de bien arroser ses structures d'une richesse sonique qui transcende l'univers du Dream de cette époque. J'aime bien et c'est assez entraînant. "Two Wanderers Above the Sea of Fog" propose une intro très ambio-organique avec des bruits de jungle, des pépiements d'oiseaux qui jacassent sur d'ondoyantes ligne de synthé aux couleurs de la rêveries. Ça fait très Schmoelling et ça s'étend jusqu'aux portes de "The Road to Transylvania" qui hésite sur une structure de rythme lente à décoller. Une structure qui prendra plus de vigueur avec des pulsations séquencées qui font onduler leurs papillonnements sur des percussions trop germaniques alors que les nappes de synthé et les riffs à saveurs très TD, année Exit, habillent la structure mélodieuses d'ornements que l'on ne peut aimer. C'est un titre en constant mouvement, comme un genre de crescendo rythmique, avec une belle gradation dans les séquences et les harmonies. C'et très TD, on accroche et j'aime bien ça! "Stereopticon" nous ramène un peu dans des phases ambiosoniques avec une lente structure où crissent des larves de synthé qui déchirent des ambiances trop sibyllines pour être éthérées. Un délicat piano, et ses notes quelque songeuses même

Page 117/126 rageuses, tentent de rattacher un brin d'espoir à cette longue structure lugubre. "Laterna Magica" est une belle mélodie qui exploite ses charmes sur un rythme léger où suintent de délicats ruisselets d'arpèges et sifflent de beaux solos dont les roucoulements affichent les couleurs de la mélancolie. Les solos de synthé sont charmeurs et très harmonieux. C'est tendre et mélodieux, même lorsque le rythme affiche plus de vigueur en seconde moitié. Idem pour la pièce-titre qui est une belle composition axée sur le piano. En fait, "Frames" est une belle berceuse ambiante. Une berceuse sombre entourée de très bons solos de synthé et d'un filet de séquences dont les délicates oscillations ondulent comme les caresses d'un rythme rêveur. Des bruits d'une jungle industrialisée entourent aussi l'introduction de "Instant Memory" qui peu à peu se défait de cette emprise afin d'offrir une autre belle mélodie qui se berce sur un bon down-tempo. Un down-tempo qui intensifie sa structure pour la reposer dans une figure de ballade électronique très bien nourrie d'éléments électroniques autant harmoniques que dissymétriques, témoignant de cette énorme capacité de René Splinter à unir deux ponts, à unir deux visions sans jamais rien laisser au hasard. Oui! “Frames” est un autre très bel album de René Splinter. Et à chaque fois je me fais prendre par cette fascinante façon qu'il a de nous entraîner dans ses souvenirs, dans ses influences fortement imbibées des années Virgin de Tangerine Dream sans que jamais je ne trouve ça exagéré ni agaçant. C'est comme si le temps c'était arrêté et que Splinter, images par images, nous ramène à une époque ou lui aussi était aussi contrarié que nous par la nouvelle tangente du Dream. Beau, bon et pas du tout inutile!

Note : 4/6

Page 118/126 Magnetron : Photonic Waves

Chronique réalisée par Phaedream

De violentes pulsations de bruits blancs attaquent nos oreilles dès l'ouverture de "Tachyon". Les coups sont distancés et émiettent des poussières de sons qui sont enveloppées par de lentes vagues de synthés dont les caresses autant morphiques que cosmiques flottent comme les songes sous les brumes d'un orchestre à cordes. Si les coups persistent dans le temps, leurs résonnances se couvrent de feutre et leurs écarts ne parviennent pas à tisser une structure de rythme en continu. Et si les bruits deviennent un étrange langage intergalactique, les ondes de synthé deviennent eux de suaves lignes flûtées. Le choses évoluent par contre assez vite à l'intérieur de "Tachyon". Une clef basse sautille en solitaire un peu avant la barre des 6 minutes. Fouettée par de soudaines explosions, elle trace un mouvement de rythme minimaliste tressé dans un solitaire mouvement oscillatoire où les fines nuances ondulent et trébuchent dans des brumes morphiques. Ces brumes et les chants flûtés unissent leurs charmes éthérés, alors que la courbe du rythme papillonné de "Tachyon" évolue avec une subtile fluidité sinon une certaine vélocité avec l'arrivée des percussions. Le rythme est devenu plus soutenu, et même assez entraînant. Il galope maintenant dans de beaux effets de synthé où un dialecte électronique assez rauque râle occasionnellement parmi ces douces lignes de flûte et ces amas de brouillard d'éther qui sont maintenant les dignes empereurs morphiques de fins solos de synthé qui sont un peu trop en retrait. Il faut vraiment se mettre dans l'esprit pour écouter du Magnetron. L'univers de Steve Humphries et Xan Alexander tourne constamment autour des mêmes orbites. Autour de rythmes fractionnés qui se régénèrent en forme de boucles minimalistes et autour d'ambiances psychotroniques où les parfums de Tangerine Dream cherchent à s'extirper des fragrances de Klaus Schulze. En bref! C'est un rendez-vous avec le temps. Ce temps où la MÉ cherchait autant à séduire qu'à fasciner et où la gradation dans les longs actes de musique était sculptée dans cet art de vouloir redéfinir les standards mais dans une enveloppe et avec une approche nettement plus contemporaine. Ça s'entend dans le son. “Photonic Waves” est un 5ième album. Un album que je qualifierais de plus direct que Spherics mais qui demande tout de même à être autant apprivoisé car l'univers de Magnetron, même dans son cocon plus numérique, est aussi atypique que ces vieilles intrigues soniques des années vintages. "Spherium" suit avec des battements vifs qui tambourinent dans une dense enveloppe ambiosonique nourrie de longilignes et lentes torsades dont les crissements dessinent des graffitis acérés sur une muraille de soie noire. Le rythme évolue lentement en amassant les fruits métalliques des cymbales alors que les ambiances, un brin psychotroniques, se nourrissent de voix errantes. Des percussions et des séquences chevrotantes se greffent aux tambourinements alors que la phase de rythme de "Spherium" s'achemine vers une structure plus nerveuse où la maillage des séquences et des percussions dresse une structure qui devient un genre de mélange entre un funk cosmique et un break-ambient-dance. Une structure spasmodique qui libère ses secousses hybrides minimalistes avec une subtile vélocité dans le mouvement sous un dense manteau psychotronique où des séquences organiques, des graffitis d'un synthé nasillard, des lignes flûtées, des larmes de violon et des solos ornent un firmament qui n'a rien à envier à ces structures quelque peu complexes et un peu psychédéliques des années vintages. Après 3 écoutes, on devient définitivement accro. Les impulsions éparses d'une profonde ligne de basse qui ajoutent aussi une profondeur intense à "Spherium" sont au cœur de la structure très ambiante de "Illumination" qui se gave aussi

Page 119/126 d'orchestration cosmique à faire rougir Software. C'est un titre ambiant lourd qui trouve ses charmes dans son intensité. Ici aussi les longilignes larmes de synthé torsadées sont à faire décaper les oreilles. Les ambiances cosmiques affluent tout au long de “Photonic Waves” mais n'ont jamais été aussi dominantes que sur "Refraction". Ici les orchestrations valsent lentement sur une structure de rythme nerveuse qui déroule ses ruades sous les caresses des violons intergalactiques. La structure principale reste minimaliste alors qu'une foule d'éléments (pulsations, percussions et séquences) s'y greffent afin d'enrichir son noyau, qui reste tout de même assez statique, l'amenant graduellement vers un suave crescendo, autant dans la puissance du rythme statique que des ambiances qui n'ont jamais été aussi riches qu'ici. Oui, il faut vraiment se mettre dans l'esprit pour écouter du Magnetron! Et une fois que c'est fait, on découvre un album intense où Steve Humphries et Xan Alexander garnissent les ambiances d'une telle richesse sonique que nos oreilles ont besoin plus d'une écoute afin d'assimiler ces tempêtes de sons à des rythmes que l'on redécouvre sous une autre facette à chaque nouvelle écoute. C'est la marque d'un album construit sur la créativité, sur l'art de vouloir redéfinir ses propres standards. J'ai bien aimé et mes murs en sont encore bien décorés!

Note : 4/6

Page 120/126 MORBID ANGEL : Juvenilia

Chronique réalisée par Rastignac

Ah, je la retrouve ! Pas ma jeunesse non, celle de Morbid Angel. Je vais continuer à exploser l'ambulance, mais le moindre qu'on puisse rappeler est que les années 2010 et le passage du Azagthoth Band chez Season of Mist ne fut pas des plus euh... voilà, comme je disais, je ne vais pas trop remuer le bidule dans la plaie, hem, bon. Oui, ok, le "I" était vraiment vraiment pénible à écouter, voilà, c'est fait ! Et alors, le dernier, le "J" ? Ben c'est le premier en fait, mais version live, enfin le "vrai" premier, exception faite de "Abominations of Desolation" car on parle ici d'un des chefs d’œuvre du genre qui est ? Qui est ? Indice : le titre commence par la lettre A. En éfè, le live ici chroniqué reprend exclusivement des titres d'"Altars of Madness", lors d'une soirée "thrash extravaganza" (sic et lol) comme on n'en fait plus, à Nottingham, en 1989 avec au programme Bolt Thrower, Carcass, Morbid Angel, Napalm Death tête d'affiche. Pfff, né trop tard sans déconner ! Pour ceux qui se demandaient ce que pouvait être un concert de Morbid Angel lors de leur fougueuse jeunesse, la solution ne passait donc que par l'achat de bootleg jusqu'à ce que Juvenilia paraisse, celui-ci étant sans doute déjà disponible sous version non officielle - en fait déjà sorti sous forme vidéo par le label... Earache nous fait donc encore une Record Store Day blagounette mais celle-ci ne porte seulement que sur les marges dégagées par ce produit : emballer un live vieux de 25 ans, en vendre 1500 copies limitées à 20/30 euros, lol non ? D'autant que, souv'nez vous, Morbid Angel est parti d'Earache pour cause de non-ventes d'"Heretic". Résultat des courses ? "Venez vous refaire une virginité chez nous avec un pressage 1500 copies d'un concert que vous ne pouvez plus faire aujourd'hui" ; comme un sous-fumet d'humiliation non ? Ben oui bis, souv'nez, déjà, Sandoval ne joue plus dans le groupe officiellement depuis 2013, et resouv'nez vous cet été 2015 ! Un vrai soap opera : Azagthoth annonce que Steve Tucker revient dans le groupe (basse, chant), David Vincent répond le même jour qu'il n'est pas au courant et en profite pour ne poster que des photos vintage de Morbid Angel sur son profil facebook... A côté les "négociations" Troïka / Syriza c'est une partie de belote à la coule... Bon, ce contexte croquignolet posé, revenons au boot euh au dernier album de Morbid Angel. Celui-ci ressemble vraiment à un live, contrairement à cet "Entangled in Chaos" ressemblant plus à un concert studio... donc, pains, solo inutile (mais pas trop long), son parfois un peu "lointain", un peu faiblard aussi, David Vincent bavard entre les morceaux, introduisant la suivante un peu comme Tom Araya vous voyez ? Avec cette voix tragique et tremblotante et grave, "if you liiiive by the swwoôrd, then you willl diiiiiieee by the swoord" ? Le concert est brutal, la prise de son est propre (soundboard) mais pas retouchée il me semble, avec une bonne perte de patate malgré des pics de ouf dûs à la richesse des standards joués ici, du genre "Chapel of Ghoooouls", "Damnation", "Maze of Torment" ou "Lord of All Fevers and Plague"... ou tous les autres titres quoi. Le public s'entend peu, sûrement parce qu'il n'y avait pas grand monde dans la salle et que les morbideux furent la petite première partie qui venaient faire la promo de son petit premier album... en tout cas les britons ont dû se prendre une grosse mandale ce soir-là en découvrant ce groupe lors de cette tournée européenne ! Que dire au finish ? Bon live, qui aurait pu être sorti par Earache en 1990, mais qui sort en 2015, un peu en conclusion de l'histoire d'un groupe ayant profondément marqué les musiques dites extrêmes, après des albums cultes, un changement de vocaliste engendrant d'autres méga bons albums, carrière s'écroulant sur une bizarrerie ayant rendu tourette la plupart des fans... drôle de destin. Oui, ça serait vraiment une belle conclusion d'en finir humblement sur ce petit live, le serpent se bouffant la queue sur ces morceaux infernaux d'Altars of Madness.

Page 121/126 C'est mon souhait, mais ça ne m'étonnerait pas que le Trey nous sorte un "K" quand même... arf, quand je vous dis que personne ne m'écoute !

Note : 4/6

Page 122/126 Informations

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Page 123/126 Table des matières

Les interviews...... 3

Entretien : La Nóvia (avec les membres de Jéricho et Toad), Jardin des Chartreux, Lyon, le 16 juillet 2015 - (interview 4réalisée par Dioneo)

Les chroniques de concerts...... 17

Festival Échos #3 : La Ferme du Faï (Hautes Alpes), les 26 et 27 juin 2015 - (concert chroniqué par Dioneo)...... 18

Les chroniques ...... 27

TRICKY : Pre-Millenium Tension...... 28

TRICKY : Christiansands ...... 30

TRICKY : Tricky Kid ...... 31

TRICKY : Grassroots...... 32

TRICKY : The Hell E.P...... 33

Christian Mistress : Possession ...... 34

SLO BURN : Amusing the Amazing...... 35

TRICKY : Juxtapose ...... 36

TRICKY : False Idols...... 37

TRICKY : Adrian Thaws ...... 38

WUMPSCUT : Bone Peeler...... 39

WUMPSCUT : Evoke...... 40

WUMPSCUT : Cannibal Anthem...... 41

WUMPSCUT : Body Census...... 42

Endless Boogie : Full House Head...... 43

Leviathan : A silhouette in splinters...... 44

Unida : Coping With the Urban Coyote...... 45

Madame Edwarda : ヒステリックな侯爵夫人47

CLUTCH : From Beale Street To Oblivion ...... 48

Prayers : SD Killwave ...... 50

Compilations - Bandes originales de films : Crossing the Bridge ...... 51

ARCANE : Perihelion...... 53

Otarion : Monument ...... 55

MOONBOOTER : Cosmoromantics...... 57

Bertrand Loreau : From Past to Past ...... 59

Klaus Legal / Les Spritz : Lisboa ...... 61

Massicot / Les Spritz : Uialla ...... 62

Les Spritz / La Confraternita Del Purgatorio : Focaccannolo...... 63

Page 124/126 Terminal Cheesecake : Angels In Pigtails...... 64

Mohammad : Lamnè Gastama ...... 65

Mohammad : Segondè Saleco ...... 66

Sourdure : La Virée ...... 67

300 basses : Sei Ritornelli ...... 69

Bryan Eubanks / Stéphane Rives: : fq...... 70

Catherine Wheel : Ferment...... 71

Catherine Wheel : Chrome...... 73

Gert Emmens / Ruud Heij : Echoes from Future Memories ...... 75

SCHROEDER (Robert) : Flavour Of The Past...... 77

Von Hallgath : Intersection ...... 79

Alireza Mashayekhi / Ata Ebtekar : Persian Electronic Music: Yesterday And Today 1966 - 2006 ...... 80

Oneiroid Psychosis : Stillbirth...... 81

Synæsthesia : Ephemeral...... 82

Only Living Witness : Innocents...... 83

Come : Near Life Experience...... 85

Young and in the Way : When Life Comes to Death...... 86

Black Elk : Always a six, never a nine...... 87

COMPILATIONS - DIVERS : Saigon Rock & Soul: Vietnamese Classic Tracks 1968-1974...... 89

NINE INCH NAILS : The Fragile ...... 90

COMPILATIONS - DIVERS : Guitars Of The Golden Triangle: Folk And Pop Music Of Myanmar (Burma) Vol. 2. 92

DJ Krush : Krush...... 93

DJ Rush : Shall we dance? ...... 95

The Weakener : What do you know about it...... 97

INTEGRITY : Integrity 2000...... 98

Division Alpha : Replika...... 100

YELLO : Pocket Universe ...... 102

YELLO : Motion Picture...... 104

Brad Fiedel : Terminator ...... 105

Brad Fiedel : Terminator 2: Judgment Day...... 107

The Death Riders : Soundtrack for depression...... 109

ELECTRIC PRESS KIT : Low cost...... 110

Dead Born Babies : A call to cult...... 111

Vomitory : Revelation Nausea ...... 112

GFOTY : Bobby...... 113

Page 125/126 Diabolical Messiah : Satan Tottendemon Victory!!! ...... 114

ARC : Arclight ...... 115

René Splinter : Frames ...... 117

Magnetron : Photonic Waves ...... 119

MORBID ANGEL : Juvenilia...... 121

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