La lettre du Chemin des Dames Bulletin d’information édité par le Département de l’ / 2009-2010 HORS SÉRIE n° 5

Journal d’une exposition

HS N° 5.indd 1 16/03/10 14:09:50 Hors-série du Chemin des Dames Introduction

de relations entre Belges, mais aussi Chinois), en rachetant acteurs de la re- des exploitations et terres jugées inutilisa- construction, la vie bles pour les plus riches (certains industriels au quotidien dans belges par exemple). Une nouvelle élite tend les régions dévas- à s’affirmer, composée des protagonistes Saint-Quentin, usine en ruines au lendemain tées, la solution les plus actifs de la reconstruction : entre- de la guerre. du « provisoire ». preneurs, dirigeants des coopératives, nota- FRAD002 22 Fi Passant de l’at- bles locaux, rescapés de la Grande Guerre, Saint-Quentin mosphère feutrée qui occupent des postes à responsabilités du cabinet de comme le comte Henri Rillart de Verneuil l’entrepreneur au (voir p.12). refuge que consti- tuait le café, le vi- Cette renaissance et réorganisation de la siteur aborde une société s’accompagne d’hésitations : entre histoire politique, tradition et modernisme, entre provisoire et sociale mais aussi durable. L’architecture de la reconstruction une histoire des est ainsi un subtil mélange de références techniques et des à des styles régionaux et d’inventions/ genres de vie. modernisations.

C’est après la C’est aussi la nécessaire prise en compte Première Guerre du culte des morts, si nombreux dans une L’étude des reconstructions 2003 aux éditions Encrage, et de travaux l’immédiat après-guerre concernent en effet mondiale que se même classe d’âge. L’inauguration du monu- après les conflits mondiaux ap- d’étudiants, parmi lesquels la maîtrise de de nombreux Axonais qui avaient dû quitter réorganise une so- ment aux morts est ainsi un moment fédéra- paraît comme un objet d’histoire David de Sousa, La Reconstruction et sa leur département d’origine — réfugiés partis ciété entière sur le teur essentiel, marquant paradoxalement la à la fin des années 1990. Les mémoire dans les villages de la Somme d’eux-mêmes pour fuir l’avancée ennemie, plan géographique renaissance du village après la guerre… historiens se sont d’abord inté- (1918-1932), publiée aux éditions de La évacués par les autorités militaires françai- et social : villages ressés à l’après-1945. Danièle Vague Verte, et la thèse d’Isabelle Blanc sur ses ou « rapatriés » par les Allemands après dont la disparition Telles un fil rouge, des citations de l’ouvrage Voldman, dont les recherches La reconstruction des bâtiments publics dans avoir subi l’occupation — et qui souhaitent est consommée, de Roland Dorgelès, Le réveil des morts, apparaissent pionnières, soutient l’Aisne après la Grande Guerre, soutenue en le réintégrer rapidement, dès le recul de regroupements de présenté p.19 viennent enrichir la présenta- alors sa thèse La reconstruction 2006. l’ennemi, puis après l’armistice. Au fil des Sur un chantier de la Reconstruction terres, départ définitif de nombreux nota- tion de cette période nouvelle, dans la limite des villes françaises de 1945 à pages qui suivent, le lecteur découvrira l’am- dans le Soissonnais. AD02, Fonds bles et habitants découragés par la tâche à de l’évocation propre au roman. 1954, histoire d’une politique, C’est pourquoi, comme directeur du Cen- pleur des ruines, la solidarité internationale, Vergnol, 13 Fi 1319 entreprendre, arrivée de populations étran- gères qui compensent les départs et dé- A. B. et S. Be

Préface publiée en 1997, tandis que le tre d’histoire des sociétés, des sciences et les conditions de la vie au provisoire dans Mémorial de Caen organise un des conflits de l’Université de Picardie, je l’année qui suit la fin du conflit, et la mise Si le thème de la Reconstruction a cès à deux niveaux : en devenant la main colloque sur Les reconstructions en Europe suis heureux de saluer l’initiative du Conseil en route d’une reconstruction qui durera longtemps été étudié pour la seule période d’œuvre indispensable à la reconstruction (1945-1949), publié la même année. général de l’Aisne d’aborder cette thémati- jusqu’au milieu des années 30. qui suit la Deuxième Guerre mondiale, on pour les plus pauvres (Italiens, Polonais, assiste depuis plusieurs années à un retour que. Les pages qui suivent en montrent la Etreillers, horloge dans les ruines de l’église La reconstruction après la Première Guerre richesse, au confluent de l’histoire de l’ar- Philippe Nivet sur l’après 1914-1918 et à la redécouverte (sans date). FRAD002, 22 Fi Etreillers 4 mondiale a été étudiée dans un deuxième chitecture et de l’aménagement, de l’his- Professeur du véritable « front pionnier » que constituent temps. Ce retard est peut-être à mettre en toire culturelle et, enfin, de l’histoire sociale. à l’Université de Picardie les départements dévastés, parmi lesquels relation avec le faible intérêt qu’y portent les Les difficultés de la vie quotidienne dans l’Aisne, considéré comme un territoire Français après le conflit, alors que l’on célè- martyre. bre la victoire et que l’on rend hommage aux Les études universitaires, colloques, publi- morts. En 1919-1920, les photographies de cations et films se multiplient autour de ce la reconstruction ne représentent que 0,5 % sujet : ainsi, entre autres, des expositions sur du corpus de L’Illustration et 1,5 % du cor- l’art décoratif à Reims, sur la reconstitution pus du Miroir. C’est à un géographe anglais, forestière à la Caverne du Dragon en 2006, Hugh Clout, que l’on doit le premier ouvrage des travaux des historiens sur le retour des de synthèse, essentiellement consacré à la réfugiés dans leur région natale qui ont per- reconstruction rurale (After the ruins, Uni- mis de mieux connaître cette période restée versity of Exeter Press, 1996). En 1997, les dans la mémoire orale. Archives départementales du Pas-de-Calais et l’Université d’Artois engagent un pro- L’exposition présentée à la Caverne du 2 gramme de recherche commun, aboutis- Dragon, musée du Chemin des Dames, 3 sant à une cinquantaine de maîtrises et de propose une nouvelle approche de ce champ DEA et, en novembre 2000, à un colloque de la recherche passionnant. « La Grande Reconstruction, Reconstruire le En s’en tenant aux tous débuts de la longue Pas-de-Calais après la Grande Guerre » et à Bouconville-Vauclair. période de la reconstruction, elle permet de une exposition. Bâtiment des postes. rendre le visiteur témoin d’une époque : le Années 1920. retour « au pays » des sinistrés qui décou- La reconstruction Au début des années 2000, l’Université de s’accompagne vrent la disparition de la maison familiale, le Picardie impulse à son tour des recherches d’une spécialisation flottement de quelques mois de la machine sur ce sujet, dans le cadre d’un colloque sur des édifices. étatique, pourtant prête sur le plan théori- les Reconstructions en Picardie, publié en © Caverne du Dragon/CG02. que, face à l’ampleur des dégâts, les jeux

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L Pas-de A S -Calais AM T

AU B C R S E E Aisne 1919 ... un pays « aplati » ' L BELGIQUE Vaux- La Flamengrie « C’est bien cela : aplatis. Andigny Le village, la contrée n’avaient plus de hau- teur, le pilon de la guerre

Guise avait tout enfoncé dans le Saint- Bernot sol. » Quentin E S I 'O L Roland Dorgelès, Le réveil des morts, p.13

E M M SO LA Somme « L’armistice n’était pas Beaumont- en-Beine signé depuis trois mois Fargniers que déjà la vie reprenait Ardennes Crépy sous les ruines, comme

Saint- une mystérieuse germi- Paul- aux-Bois Coucy-le- nation. » Château- Mons-en- Auffrique Laonnois Trosly- ! Auffrique Anizy-le- Loire Roland Dorgelès, Landricourt Château Blérancourt Le réveil des morts, p.11 Bellevue Filain L'Ailette Oise Ch Nouvron Cuisy-en- emin des Dam e s -Vingré Almont Chavigny Ferme de Berry- Chimy Berny- au-Bac Rivière Carte postale légendée « Saint-Quentin, le retour au pays ». L'A ISNE Saint- La guerre finie… Une femme dans les ruines. Avril 1919. D.R. Bandry

Landricourt L

' A

i l nze novembre 1918 : l’Armistice est signé. Pour les combattants 163 000 habitants sur les 530 000 que comptait le département e t O t e Monampteuil Villers- Courtecon Ailles Corbeny et leurs familles, s’annonce la possibilité du retour au « pays ». En avant guerre sont dispersés dans toute la . Cerny-en- Vauclerc Bouconville Cotterêts Filain Laonnois France seule, deux millions de civils, chassés par la guerre, évacués Laffaux min des Da Caverne du Dragon Dans ces ruines, pourtant, la population revient et la vie reprend, Sancy-les- Che mes Craonne Beaulne- ^_ ou rapatriés pendant l’occupation allemande, sont concernés. Faverolles Cheminots Oulches- et-Chivy La-Vallée- peu à peu, au milieu de mille difficultés… Moussy- Foulon La-Vallée- Fère-en- sur-Aisne Vailly-sur- Vassogne Foulon Fin 1918 - début 1919, les premiers réfugiés commencent à C’est cette recomposition rapide des sociétés villageoises et Tardenois Aisne Crouy Bourg-et- Comin Beaurieux regagner leurs foyers, avant même la signature de la paix à urbaines qui va permettre de débuter, dans un second temps, la L'AISNE Missy-sur-Aisne Versailles. Ils y découvrent l’aspect lunaire du champ de bataille, les lente entreprise de reconstruction de l’Aisne dévastée. Brécy Bucy- le-Long Roucy cimetières provisoires. Torcy-en- Longueval- Ciry-Salsogne Barbonval Valois E Y. F. Belleau RN A Dans l’Aisne, tout est en ruines, de Château-Thierry à Saint -Quentin, Château- M Courcelles- LA Thierry sur-Vesles Braine de Chauny au Chemin des Dames. Sur 841 communes, 139 sont

Bazoches- complètement rasées et 461 détruites à plus de 50%. Des milliers sur-Vesles d’hectares semblent définitivement incultivables, tant ils sont dévastés Mont-Notre-Dame et encombrés du matériel de la guerre. Le Traité de Versailles Carte publiée dans Lucien SAINT, La reconstitution de l’Aisne, et la clause des réparations exposé présenté au Conseil général en 1920. Marne Le 28 juin 1919, au château de Versailles, au cours Seine-et-Marne d’une séance solennelle, le traité de Paix est signé 0 5 10 Kilomètres entre les puissances alliées et l’Allemagne. Cet événement intervient après 6 mois de négociations difficiles fondées sur des compromis territoriaux qui entretiennent les tensions politiques. L’article 231 du traité stipule : « L’Allemagne et ses L'AISNE DANS LA GUERRE ET L'APRES-GUERRE : alliés sont responsables, pour les avoir causés, de SITUATION DES LIEUX EVOQUES DANS L'EXPOSITION toutes les pertes et dommages subis par les gou- 4 vernements alliés et associés et leurs nationaux, en 5 conséquence de la guerre qui leur a été imposée front en décembre 1914 Longueval- exemples de camps de Barbonval prisonniers allemands par l’agression de l’Allemagne et de ses alliés. » L’Allemagne consent aussi à « consacrer directe-

front au 16 avril 1917 Braine exemples de campements ment ses ressources matérielles à la restauration de travailleurs coloniaux physique des régions envahies ». avance extrême des Allemands Pour les habitants des zones dévastées par la juillet 1918 Ailles villages disparus guerre, ces clauses représentent l’espoir d’un siège provisoire de la Préfecture communes citées dans retour rapide à la vie normale. (septembre 1914 - juin 1918) l'exposition © Carte réalisée par le Système d’Informations Géographiques du Conseil général de l’Aisne © Carte réalisée par le Système d’Informations

HS N° 5.indd 4 16/03/10 14:10:04 HS N° 5.indd 5 16/03/10 14:10:06 Hors-série du Chemin des Dames Zone rouge, « zone morte » « C’est tout de même notre pays »

« (…) la zone rouge, cette zone « Sans maisons, sans argent, sans ouvrage, que l’administration considérait ils revenaient quand même, les vieux grimpés comme morte (…) » dans les camions de la troupe, les hardes et les Roland Dorgelès, gosses poussés sur une brouette, ne sachant Le réveil des morts, p.25 pas comment ils mangeraient le lendemain » Roland Dorgelès, Le réveil des morts, p.10 La définition d’une zone rouge Des retours organisés ?

Dès 1919, l’Etat fait réaliser des cartes du Au lendemain de la guerre, le département de l’Aisne sol des régions touchées par la guerre. Les compte 100 000 habitants de moins (530 000 en 1914 zones définies en bleu correspondent aux – 421 515 en 1921) et de nombreux réfugiés. territoires où les dégâts ont été limités, les Poussés par le mauvais accueil des départements de zones jaunes, ceux où des travaux de remise l’intérieur qui les surnomment parfois les « Boches du en état seront nécessaires, les zones rouges Nord », mais aussi par le souci de protéger leurs biens ou enfin sont définies comme les terres dont le par la volonté de participer aux travaux de reconstruction, coût de remise en état est supérieur à la valeur les Axonais reviennent vite. Dès le mois d’août 1918, la initiale, donc incultivables et inconstructibles. préfecture de Police de Paris signale des mouvements de La zone rouge couvre 19000 hectares dans réfugiés gare du Nord. Toutes les gares et voies ferrées l’Aisne mais, progressivement grignotée par n’étant pas remises en service, le voyage se termine les habitants, elle ne représente déjà plus Vue des environs souvent à pied, à l’aide de camions de troupe ou de que 725 hectares en 1925 (essentiellement de Soupir charrettes. le Chemin des Dames). Un décret du 9 dévastés. FRAD002 22 Fi septembre 1923 déclare en outre la mort Le souhait du retour se heurte à une procédure stricte. administrative de 6 communes du canton Les sinistrés doivent formuler une demande préalable de Craonne : auprès du service de réintégration des réfugiés. - Ailles Ce service s’assure alors que les réfugiés disposent - Courtecon effectivement d’un logement dans leur commune de - Crandelain et Malval retour. - Vauclair la Vallée-Foulon Si c’est le cas, la Préfecture délivre alors les moyens de - Verneuil-Courtonne et Vendresse transport. - Troyon Dans la pratique, le nombre d’habitants ayant suivi la procédure légale est très faible. Vue des environs Leur nom survit, au moins en partie, ratta- de Laffaux ché à une autre : Chermizy-Ailles, Pancy- dévastés. Courtecon, Bouconville-Vauclair et Oulches- FRAD002 22 Fi « Des femmes entraient et sortaient de la-Vallée-Foulon, Vendresse-Beaulne (fusion leurs caves, tout naturellement, comme de Vendresse, Beaulne, Chivy et Troyon), de chez elles. Les quelques maisons à peu Beaulne-et-Chivy. près habitables avaient été réparées tant Lettre du maire de Brunehamel au Préfet, datée du 16 décembre 1918, Vue des environs bien que mal avec des planches et du papier A. B. de Craonne dévastés. L’ampleur des destructions demandant le rapatriement des évacués « qui doivent (...) céder FRAD002 22 Fi goudronné. » la place » aux habitants de retour. FRAD002 E-dépôt 060 4 H 20 Habitat : Sur 841 communes de l’Aisne, 1 sur 6 a été rasée, plus de la Roland Dorgelès, Le réveil des morts, p.42 moitié endommagée à plus de 50%.

Industries : La vie précaire 84% des ensembles industriels sont détruits, dont les 51 Un lent retour sucreries. Dans les régions les plus touchées comme le Chemin des Dames, rien n’existe au niveau d’avant-guerre pour accueillir les réfugiés. Infrastructures : On manque de tout. Certains habitants réinvestissent une maison encore en 816 ponts et ouvrages d’art détruits. partie debout et clôturent portes et fenêtres avec des matériaux de récupéra- tion. Le métal ainsi que le bois utilisés dans les tranchées sont ainsi réemployés 7 6 60% du réseau routier à reconstruire. Tableau des retours Les voies ferroviaires sont en grande partie neutralisées. et servent désormais d’abris contre un nouvel ennemi : le mauvais temps. D’autres occupent les cagnas abandonnées des soldats ou procèdent à l’amon- Recensement Recensement Territoire : cellement de matériaux de toutes sortes (briques, pierres..) sur lesquels ils 1911 1921 533 trous d’obus à l’hectare. posent un amas de planches recouvertes de carton bitumé ou de vieilles tuiles 39 millions de m2 de barbelés à ôter. Craonne 608 44 récupérées dans les décombres. 44 millions de m3 de tranchées à combler. Saint Pierre Aigle 428 189 300 000 ha de terres labourables à remettre en état. Les anciennes caves sont aussi aménagées en habitats de fortune fermés par Berry au Bac 815 221 un drap. Les carrières ou « creutes » sont utilisées de la même façon. S. Bo. Vervins 3206 3119 S. Bo.

HS N° 5.indd 6 16/03/10 14:10:12 HS N° 5.indd 7 16/03/10 14:10:16 Hors-série du Chemin des Dames Vivre parmi les ruines « Un espoir les soutenait,

« Quand un sinistré rentrait au pays, quitté en 1914, et un beau rêve » qu’il découvrait de la route de Soupir, ce 26 avril 1920 Soissons cet immense écroule- ment, ce chaos de décombres (Mlle Lefèvre, institutrice Soupir par Vailly- où disparaissait jusqu’à la sur-Aisne trace des rues, il sentait son Lettre adressée à Mlle M. Douen courage l’abandonner d’un Service technique coup. 12 rue des Cordeliers à Saint-Quentin)

Déblayer ces monceaux, Chère mademoiselle, niveler ces crevasses, Je vous vois tout étonnée de me trouver reconstruire quelque chose ici me voici installée dans une charmante sur ce tas de gravats, allons baraque au milieu d’une nombreuse donc c’est impossible ! population de 42 habitants et une classe aussi petite puisque je n’ai que 7 élèves. Pourtant, quand on avait dormi Je ne sors pas des ruines. Mais celles-ci quelques nuits dans sa cave ou sont assez pittoresques et le paysage est sous un toit de carton, quand très beau. on avait vécu quelques jours au Ma vie nouvelle ne me laisse aucun loisir et milieu de ces pierres calcinées, je ne m’ennuie pas. C’est drôle on dirait qu’il on reprenait confiance. On y a déjà très longtemps que je suis broyée à vivait bientôt dans les ruines Boutique de coiffure. cette vie là. Mes meilleurs baisers pour vous FRAD002 2 Fi Là où on manque de tout et mes amitiés au personnel. Carte postale envoyée de Soupir par une maîtresse d’école, le 26 avril 1920. comme les soldats dans la Trosly-Loire 2 boue, on s’y faisait. » Valentine. FRAD002 18 Fi Soupir 4 Roland Dorgelès, Pour bon nombre des personnes de retour dans leur Le réveil des morts, p.17-18 village, l’existence quotidienne est d’abord synonyme de recherche des ressources élémentaires : eau, nourriture, Les rares maisons On remuait la terre Ils s’étaient faits Crochet à bottines réalisé bois de chauffage, charbon, couvertures, vêtements. à l’aide d’une balle Laiton et fer L’eau courante est souvent souillée par les dépouilles de restées debout à Laffaux à leurs taudis Coll. particulière D. Pillant la guerre (cadavres d’hommes et d’animaux mais aussi encombrement de matériel jeté dans les cours d’eau) « La guerre n’avait rien épargné. « Un instant, cette France pauvre « Depuis qu’ils étaient de retour, Rainette de maréchal-ferrant et il n’est pas rare de devoir faire plusieurs kilomètres Des murs branlants, des tas de décombres, put croire que la France heureuse cette misère leur était devenue Réalisée dans un sabre-baïonnette pour pouvoir trouver de l’eau potable. Ce problème de grands trous noirs… De loin en loin, l’oubliait. (…) familière ; ils s’étaient faits à leur taudis, français modèle 1892 perdure longtemps : en août 1920, seuls 41 ré- la carcasse détuilée d’un toit était restée pour curer les sabots des chevaux. Privés de tout, se chauffant dans leurs ils ne voyaient même plus leurs ruines, tant seaux communaux d’adduction d’eau sont remis suspendue dans le vide, ou bien une façade Fer et bois tanières avec des poêles de tranchées, leurs yeux les avaient regardées ; aucun Coll. du C.A.R.H.O.M.T en état. apparaissait, sans rien derrière, plantée poussant le lit d’un coin à l’autre de la même n’avait dû remarquer qu’avec leurs L’alimentation est faite de ce qu’on peut comme un décor, et rageusement percée, maison quand la pluie avait percé le toit, habits frottés aux murs, leurs casquettes cultiver soi-même et des produits des ani- en pleine pierre, par le jet d’un obus. Les ne trouvant pas d’eau aux fontaines, la qu’ils ramassaient dans les plâtras, ils Cafés maux qu’on possède. Le bétail (chèvres, rares maisons restées debout avaient des plupart des ruisseaux détournés ou taris, ils devenaient de jour en jour neutres et gris vaches) et les poules et lapins sont très pré- airs hagards, avec leurs fenêtres béantes s’accrochaient à leur désert avec une sorte comme leurs pierres. » p.74 et commerces sents dans le paysage de ces lieux provisoires. comme des yeux crevés. Et de grandes de désespoir ou bien d’attente aveugle. Rien Le Comité Américain pour les Régions Dévas- balafres, par où le ciel passait… » p.8 n’eut raison de leur endurance. « Pourtant, au plus profond de leur tées (CARD) (voir p.12) distribue d’ailleurs On rentrait à Craonne, on remuait la terre misère, un espoir soutenait les sinistrés, des lapins aux habitants les plus démunis. à Laffaux, Berry-au-Bac commençait à un beau rêve… Dans leur bicoque au toit Comme l’on manque de tout, les matériaux et On attendait revivre, et à Sancy, où le mur le plus haut se crevé, bâchés sous une toile de tente où objets de la guerre sont récupérés et consti- dépassait de la tête, des hommes sortaient pissait l’eau, ils ne pensaient qu’à la belle tuent la matière première des nouveaux us- Les sinistrés n’avaient rien, ne les morts des caves pour y dormir. » p.63 maison qu’ils auraient un tensiles. savaient rien. On attendait. jour et ils oubliaient tout. Le bois de chauffage est là aussi pris où cela Tous, en arrivant, étaient pareils à des émi- Ils la voyaient, avec ses est possible (traverses de chemin de fer, an- grants qui débarquent dans des terres loin- deux étages, son pignon Un café à . ciennes bâtisses, bois de confortement des taines. C’était pour eux une vie nouvelle qui à redans, et deux piliers à Années 1920. FRAD002 18 Fi 2 8 tranchées). commençait. La confiance leur durcissait les l’entrée du jardin, comme 9 Pour les produits manufacturés, ce sont des bras, et ils voulaient tout de suite se mettre aux villas des riches. » entreprises rémoises qui fournissent le gros à l’ouvrage, pour en finir plus tôt. Mais leur p.131 des besoins. Le café-épicerie est le lieu cen- pauvre effort était si peu de choses dans cet tral où les habitants de retour peuvent ache- immense chaos que le découragement les ter les biens de première nécessité. Les com- prenait vite. » p.62 Citations extraites mandes de ces boutiques, essentielles dans du réveil des morts l’après-guerre, sont éloquentes : couvertures, de Roland Dorgelès. Images de bons de commande matelas, chaussettes… Vaux-Andigny, enfant au puits à des entreprises rémoises du village (années 1920). ou axonaises, de 1922 à 1927. A. B. FRAD002 2 Fi Vaux-Andigny 2

HS N° 5.indd 8 16/03/10 14:10:30 HS N° 5.indd 9 16/03/10 14:10:32 Hors-série du Chemin des Dames Aider à la reconstruction

« Il avait fallu toutes ces épreuves Anticiper les retours ? pour leur faire comprendre (…) que les lois ne suffisaient pas, qu’on ne Les coopératives Dès le début de la guerre, l’Etat tente construisait pas des murs avec de de prévoir le retour des réfugiés et la la paperasse. Les coopératives de reconstruction reconstruction des zones dévastées. regroupent les particuliers qui ont subi Partout ils se liguèrent. Des coopé- Il faut pourtant attendre la fin de l’année des dommages, mais également les 1917 pour que soit institué un ministère ratives de reconstruction se consti- communes sinistrées. unique chargé des régions envahies et tuaient jusque dans les plus petites Elles permettent de choisir un archi- sinistrées. communes, et il suffisait souvent tecte ou un entrepreneur en commun, d’un seul homme, plus résolu, de faire baisser les coûts des marchés, Sous l’autorité de son premier titulaire, Albert pour entraîner les autres (…) » assurent une plus grande sécurité face à Lebrun, est promulgué le texte fondateur de la malhonnêteté de certains acteurs de Roland Dorgelès, la réparation des dommages de guerre : la loi la reconstruction, délivrent des conseils Le réveil des morts, p.132 du 17 avril 1919 dite ‘Charte des sinistrés’, aux sinistrés perdus dans la complexité qui constitue une sorte d’assurance par l’Etat la perte subie, en valeur 1914. L’établisse- des démarches administratives, juri- des dégâts de la guerre. Elle doit faciliter au ment des dossiers de dommages de guerre diques et financières. Elles font le lien maximum la reconstitution, mais elle est est lent. entre les entreprises et les propriétaires, votée dans l’illusion, énoncée dans le Traité Le désastre de la guerre se prolonge : chacun supervisent l’ensemble des travaux de de Versailles, que « l’Allemagne paiera ». doit apporter la preuve des dommages et reconstruction (respect de la tradition et de leur importance par le biais de factures, des matériaux utilisés, des délais et des Par cette loi, l’Etat veut favoriser la renais- d’inventaires, d’attestations d’assurance ou démarches administratives). sance du pays d’avant-guerre : les sinistrés de témoignages oraux, étapes difficiles dans Tous les adhérents délèguent à la sont incités à réemployer leur indemnité les conditions où vivent les sinistrés. coopérative leurs droits individuels aux pour un immeuble de même destination que dommages de guerre. Les coopératives celui détruit, dans un rayon n’excédant pas Le montant de l’indemnité est fixé par des fonctionnent avec ces versements et 50 km. commissions cantonales. Dans l’Aisne, reçoivent aussi des subventions ou Qui choisit de reconstruire sa maison au les opérations d’évaluation débutent le 15 avances de l’Etat et des libéralités, dons même lieu ou à proximité bénéficie ainsi juillet 1919 et « les sinistrés vivent tous et legs. d’acomptes et reçoit même un supplément dans l’attente anxieuse de l’expert » (Roland L’Etat les contrôle : comptabilité, d’indemnité qui tient compte de l’augmenta- Dorgelès, Le réveil des morts). adéquation entre dégâts constatés et tion des prix pendant la guerre. programme des travaux, délivrance de Au contraire, si un sinistré renonce à la re- contrats types et d’une liste d’entre- construction, il ne perçoit que le montant de L’initiative privée preneurs agréés.

Pour accélérer la re- Malgré quelques difficultés, ces coopé- construction, les sinis- ratives connaissent un véritable essor. trés se regroupent au On compte dans l’Aisne 150 coopé- sein d’associations les ratives en mars 1920 et 472 dans le coopératives de recons- courant de l’année 1923, pour 660 truction. communes. Déjà apparues pendant Les coopératives se regroupent aussi en le conflit, leur création unions locales (soissonnaise et laonnoi- est favorisée par la loi du se) et en fédérations départementales. 15 août 1920. Une Confédération nationale présidée Elles connaissent alors par Guy de Lubersac regroupe les 35 un véritable essor, no- unions, et représente alors 162 000 tamment dans l’Aisne, membres à travers la France du Nord, sous l’impulsion du sé- auprès du plus haut niveau de l’admi- nateur Guy de Lubersac. nistration à Paris. C’est le département qui compte le plus de coo- D’autres organismes privés pératives et le plus d’ad- Les mots hérents. D’autres organismes privés se mettent 10 en place, ainsi des syndicats agricoles 11 comme l’Union de syndicats agricoles S. Bü. de l’Aisne, fondée le 18 juillet 1919, de la vie ou du Comité de l’Aisne, créé dès novembre 1914 et dissous en 1920, qui assiste les sinistrés dans leurs démar- La remise en place ches : organisation du retour, logement au provisoire des tambours des piliers provisoire, reconstruction de leur mai- de la cathédrale de Soissons. son. FRAD002 13 Fi 1312, fonds Vergnol Une habitante de Fontenoy dans les années 1920. FRAD002 22 Fi

HS N° 5.indd 10 16/03/10 14:10:43 HS N° 5.indd 11 16/03/10 14:10:46 Hors-série du Chemin des Dames Aide internationale Entrepreneurs, architectes

Anne Morgan Dans l’Aisne dévastée, un certain nombre Ses objectifs sont de participer au relèvement et maires d’associations œuvrent pour tenter d’alléger les sanitaire, social, agricole et culturel des zones difficultés des populations. dévastées par la guerre. Dès 1916, l’association « l’Aisne dévastée » est Son action est très diversifiée. Des dispensaires, Dès 1919, les entreprises du bâtiment par- Les architectes, agréés par créée. des bibliothèques, des foyers, des centres de ticipent au « chantier du siècle ». La forte chaque coopérative, jouent Placée sous le patronage de personnalités scoutisme et de sport sont ouverts. demande leur permet de travailler dans une aussi un rôle essentiel. On peut nationales et locales, elle est dirigée par des Des camions magasins circulent jusque dans les zone limitée et d’établir ainsi des liens étroits citer, parmi les 200 architectes femmes de la haute société (Madame Foch par villages les plus reculés pour vendre à bas prix avec les coopératives de reconstruction loca- présents, souvent parisiens, exemple). les produits de première nécessité. les. L’obtention des chantiers est fonction du Albert-Paul Müller, arrivé à Laon Par la publication de brochures, d’affiches Une coopérative agricole et un atelier de réseau de relations, familiales et politiques, avant 1914 et concepteur des réalisées par des artistes célèbres, elles incitent reconstruction permettent la mise en commun que l’entrepreneur a créé. Son influence est églises de Martigny-Courpierre, à la générosité pour les évacués et rapatriés. des biens et des efforts. grande au sein du conseil municipal : il em- , Brancourt-en- Cet effort philanthropique est aussi international. Le 30 juillet 1924, Anne Morgan et Anne Murray ploie souvent la moitié du village. Laonnois, ou encore Adrien Bastié, architecte rémois de Le CARD est l’une des nombreuses associations Dike, fondatrices et dirigeantes du CARD, Ainsi, l’entreprise Maroteaux-Cabaret à l’église Saint-Martin à Craonne. étrangères présentes en France. Dès 1917, le reçoivent la Croix d’officier de la légion d’honneur Vassogne travaille dans un petit périmètre Obligés d’élargir leurs compé- Comité agit pendant 7 ans dans les 4 cantons des mains du général Pétain. Les autorités de Jumigny à Oulches et Craonnelle. tences, ils réalisent l’expertise qui lui sont confiés : Anizy, Coucy, Soissons, à françaises marquent ainsi leur reconnaissance Son directeur, Jules Cabaret, reçoit les des ruines pour les dossiers l’exception de la ville, et Vic-sur-Aisne. pour l’action des « dames de Blérancourt ». commandes de la coopérative de Beaurieux de dommages de guerre et les et bénéficie de dérogations pour des nouveaux plans des commu- marchés en théorie soumis à la concurrence S. Bo. nes. comme celui de la reconstruction du lavoir de Vassogne en 1925. Cabaret est conseiller Les maires et leurs conseils municipal, ami du député Henri Rillart de municipaux (qui ne sont renou- Verneuil et son oncle, Auguste Maroteaux, velés qu’à la fin de 1919) s’em- maître maçon ancien propriétaire de ploient à soulager et à protéger Figures l’entreprise, conseiller municipal, participe à leurs concitoyens. Les regis- la commission de déblaiement. tres de délibérations indiquent qu’ils sont d’abord préoccupés Henri Rillart de Verneuil (1870-1943) par le ravitaillement en pain et Vue du bureau de l’entrepreneur charbon, la consolidation ou au reconstitué dans l’exposition à contraire l’arasement des édifi- Situation de travaux exécutés à Oulches au 20 avril 1924 Né dans le Loiret mais très lié par sa famille à la Picardie, la Caverne du Dragon. ces, les crédits à la reconstruc- par l’entreprise Paul Piketty à Paris, signée par l’architecte il devient conseiller municipal de Bouconville en 1896 puis © Caverne du Dragon, CG02. tion, la main d’œuvre étrangère. de la coopérative Daniel Beylard. Coll. C.A.R.H.O.M.T. maire (de 1904 à 1908 et à nouveau en 1912). Il prend ème Une « association des maires des régions dévastées » leur vient en aide tant A. Morgan. part à la guerre comme lieutenant puis capitaine du 6 ils sont nombreux à être désarmés face à la tâche à entreprendre. Guy de D.R. chasseurs. Blessé à deux reprises, il est cité cinq fois et décoré de la Légion d’Honneur. Après guerre, il devient Lubersac, sénateur de l’Aisne, écrit d’ailleurs à cette association pour lui député de l’Aisne dès 1919 et Président départemental de « signaler le manque d’informations sur le droit des sinistrés » et lui demande l’Union Nationale des Combattants. Elu sénateur en 1934, « de bien vouloir avertir les concitoyens des nouvelles réglementations sur Fille du banquier John Pierpont membre de la Commission de l’Armée, il défend le statut les dommages de guerre et de les aider dans les démarches ». Morgan, Anne Morgan séjourne en des grands mutilés de guerre et traite de la question des Europe au moment de la déclaration dommages de guerre. Peu à peu, certaines opérations échappent à l’emprise des élus et mettent en de guerre. Elle s’engage pour la valeur d’autres « notables » : les responsables de grandes sociétés privées prise en charge des blessés et, en pour l’édification de nouvelles cités ouvrières, les curés pour la reconstruction 1916, transforme la villa Trianon à Guy de Lubersac (1878-1932) des églises. Parfois, c’est un entrepreneur qui devient maire, marquant par Versailles en infirmerie. Peu après, là l’importance des hommes chargés des premiers travaux de reconstruction est créé l’ « American Fund for dans la vie municipale. French Wounded », qui vient en Maire de Faverolles depuis 1904, le marquis Guy de S. Be. aide à la France, au sein duquel Lubersac est officier dans l’aviation pendant la guerre. Courrier de l’Aisne, 1919. Annonce publicitaire Anne Morgan, avec Anne Murray Une fois la paix revenue, il s’attache à reconstituer son pour un entrepreneur belge. AD02. Dike, constitue le Comité Américain département et se fait le promoteur du regroupement des pour les Régions Dévastées (CARD), sinistrés. basé à Blérancourt (Aisne) dès En 1922, il est président de la Fédération des unions de 12 1917, nommé ainsi en mars 1918. coopératives de reconstruction de l’Aisne. Pour lui, ces 13 Anne Morgan collecte elle-même organisations sont un moyen de donner plus de poids les fonds destinés aux régions aux sinistrés, de les renseigner et les aider, de renforcer dévastées, près de 5 millions de leur position face à leurs interlocuteurs – architectes, dollars. Dès 1924, elle permet entrepreneurs, commissions d’évaluation des dommages l’ouverture d’un musée historique de guerre ou tribunaux – et surtout face à l’Etat. A Soissons, franco-américain à Blérancourt. Ce un monument « à l’œuvre des sociétés de reconstruction premier musée devient en 1931 le des Régions libérées » est inauguré en 1935. Il y est rendu musée national de la Coopération hommage à Guy de Lubersac, figuré en partie centrale. franco-américaine. Y. F. H. Rillart de Verneuil en 1932. D.R. A. B.

HS N° 5.indd 12 16/03/10 14:10:53 HS N° 5.indd 13 16/03/10 14:11:02 Hors-série du Chemin des Dames Dommages de guerre Architecture

« La reconstruction va profiter des progrès faits depuis cent « Les marchands de biens ne se cachaient même pas. Le 17 avril 1919, une loi institue le principe des dommages de ans. Eh bien, rien de plus normal… Il en serait de même si guerre, sorte d’assurance rétrospective sur les dégâts occasionnés Les affiches : Achat de dommages de guerre, se lisaient un raz-de-marée détruisait Marseille ou le Havre : la ville par le conflit. Les sinistrés constituent un dossier qui leur donnera sur tous les murs ; (…) comme on pouvait remployer reconstruite serait forcément plus moderne… » dans un rayon de 50 km, on voyait s’élever dans droit à remboursement, par l’Etat, du montant de la perte subie Roland Dorgelès, Soissons et dans Laon, - comme ailleurs dans Arras, (valeur 1914) ainsi que parfois d’une somme supplémentaire cor- respondant à la hausse des prix entre 1914 et 1918. Si le dossier, Le réveil des morts, p.188 Reims, Dunkerque ou Verdun, - des raffineries, des validé par une commission cantonale d’experts, est accepté, 25% filatures, des villas luxueuses, bâties avec l’argent d’acomptes permettent de débuter les travaux, le reste étant versé de mille bicoques calcinées qu’on ne relèverait après justification de ceux-ci. jamais. » Très vite, se met en place un commerce des droits à dommages de Cette question fait l’objet d’une réflexion dès la période de guerre : faut-il Roland Dorgelès, guerre. reconstruire à l’identique ou au contraire profiter des destructions pour Le réveil des morts, p.183 Illustration ci-dessus : Courrier de l’Aisne, 10 juillet 1920. AD02. introduire une architecture moderne dans les campagnes ? Des architectes, des urbanistes, des hygiénistes animent ce débat par une Cimetières intense activité éditoriale : Comment reconstruire nos cités détruites est l’un des ouvrages fondamentaux signé dès 1915 par les architectes Auburtin, Agache et Redont. Concours et expositions complètent aussi cette ré- flexion : ils fournissent aux sinistrés des plans types qui sont autant de « Pour quelques fosses re- modèles destinés à promouvoir la richesse et la diversité de l’architecture trouvées, combien d’incon- des régions alors envahies. nus resteraient pour toujours oubliés dans les champs ! » On y trouve en bonne place les dessins de l’architecte des Monuments historiques André Ventre, qui sillonne le département de l’Aisne pendant le Roland Dorgelès, conflit pour y relever les caractères traditionnels de l’architecture. En effet, Le réveil des morts, p.36 c’est le régionalisme qui domine chez les futurs reconstructeurs. Leur but Encadrés par le service militaire est de redonner aux sinistrés le cadre qu’ils ont connu avant la guerre. de l’Etat civil, ce sont les travailleurs Si le retour aux sources régionales est officiellement privilégié, la reconstitu- coloniaux ou étrangers qui ont la tion des villages détruits doit aussi être l’occasion d’améliorer les conditions charge de l’exhumation des cada- de vie en matière d’hygiène ou de mieux adapter les bâtiments à leur des- vres et de leur inhumation dans tination. Même si, une fois la guerre terminée, la théorie se confronte vite à des cimetières spécialement créés. la réalité marquée par l’urgence et les difficultés matérielles. Les procédures d’identification des S. Bü. corps ne sont pas toujours suivies, en raison de l’urgence et de la diffi- culté de la tâche. Pour aller plus vite, des exploitants agricoles obtiennent Flèche en béton de l’église de Martigny-Courpierre reconstruite Croquis de la reconstruction de la mairie-école de Vauxaillon en 1920. l’autorisation d’effectuer les exhu- en 1928-1933 par Albert-Paul Müller, architecte. FRAD002 E-dépôt 363 4 H 13 mations sur leurs terres. © Caverne du Dragon/CG02.

la réinhumation des corps de soldats. Lieu inconnu. 1919. Coll. du père Courtois en dépôt à la Caverne du Dragon, musée du Chemin des Dames. Droits réservés. Églises Reconstruites plus tardivement, les nouvelles églises sont inaugurées par la communauté villageoise tout entière. Dangers Ces cérémonies à la fois religieuses et laïques, débutent par un cortège dans les rues pavoisées. Le maire accueille La remise en état des sols peut s’avérer dangereuse : les l’évêque par un discours, puis le prélat bénit l’église et opérations de désobusage n’empêchent pas de nombreux célèbre une messe. Le baptême des cloches refondues accidents (35 artificiers meurent en 1919-1920). donne aussi lieu à des cérémonies financées en partie par les parrains et marraines. Symboles de la communauté reconstituée, les cloches portent des inscriptions dont certaines rappellent la guerre et ses tragédies : « Je sonne en l’honneur des défunts de Braye-en-Laonnois morts pour 14 Tablettes de la France » (bourdon de Braye). En 1932, la commune de 15 l’Aisne, 8 mai Vassogne qui a fait refondre une cloche fêlée, fait même 1919. AD02. inscrire un message qui dit bien ce que furent les premiers temps de la reconstruction, période encore occupée par « (…) les explosifs attendaient dans les la guerre : «Je suis une mutilée de guerre. Bénite le 2 champs la venue d’artificiers français, à novembre 1884 (…) j’ai dû passer à nouveau par les mains du fondeur Blanchet. (…) j’ai retrouvé ma marraine d’avant moins qu’ils n’éclatassent au passage d’un La bénédiction des cloches de l’église de en présence des parrains et guerre et l’on m’a donné un nouveau parrain (…) Reliant brabant, mettant en pièces le cultivateur, le marraines et de l’évêque. De g. à dr. Laure Bigot, ?, Jacqueline Vieville, M. et le présent au passé, je rappelle les vieux souvenirs de cette cheval et la charrue. » Mme Haibe et Emilien Vieville, maire. Le 15 août 1929. Coll. A. Potier. D.R. paroisse.» S. Be. Roland Dorgelès, Le réveil des morts, p.51

HS N° 5.indd 14 16/03/10 14:11:09 HS N° 5.indd 15 16/03/10 14:11:13 Hors-série du Chemin des Dames « Le travail, seule langue universelle »

Les premières tâches de déblaiement des ruines, de confortement des murs encore Immigration debout, de fermeture des huisseries dépassent le potentiel local. Dans l’urgence, on fait appel à La venue de travailleurs étrangers est liée l’immense vivier humain que la fin de la guerre à l’intervention directe de l’Etat. laisse disponible. Celui-ci conclut des accords d’immigration avec la Pologne (100 000 ouvriers sont concernés), l’Italie (150 000), le Portugal, L’armée française et la Grèce. Dès 1920, la Confédération générale des exploitants agricoles des les prisonniers allemands régions dévastées se rend en Pologne On attend beaucoup de l’armée en termes de pour diriger les premiers contingents de moyens humains et matériels mais la démobi- travailleurs sur le Chemin des Dames. lisation provoque une certaine désorganisation. La Société Générale d’Immigration, créée Le préfet de l’Aisne, Lucien Saint, présente en 1924 par les compagnies charbon- son action comme « presque insignifiante » : nières, les maîtres de forges mais surtout on compte 1 800 travailleurs au 1er avril 1919, par les employeurs ruraux, permet aussi 2 200 en juin 1919. Les militaires sont attachés d’employer massivement ces ouvriers à la tâche dangereuse du déminage et à la sur- immigrés dans les régions dévastées. veillance des prisonniers de guerre allemands. 50 000 prisonniers sont utilisés dès septembre 1919, assignés au déblaiement par le Service Carte d’identité et de circulation attribuée à des Travaux de Première Urgence (STPU). un travailleur chinois en 1920. Crépy-en-Laonnois. Mais, comme le stipule le Traité de Versailles, ils FRAD002 E-dépôt 110 2 I 10 doivent retrouver leur pays « aussi rapidement que possible ». Leur rapatriement se termine au Missy, , . Encadrés entre l’Aisne et l’Ailette et plus particulière- mois de février 1920. par des Européens, il leur revient les ment sur le plateau de Craonne. Très vite tâches d’exhumation des cadavres et de assimilés par des mariages avec des Fran- comblement des tranchées. çaises, ces propriétaires font appel massive- Les ouvriers français ment à de la main d’œuvre étrangère. Des Espagnols, des Italiens, des Portugais, Les ouvriers français sont d’abord peu nombreux des Belges, des Polonais, des Chypriotes, En 1911, 6 970 étrangers, représentant à . Des ouvriers de la briqueterie. Années 1920. (ils sont 20 000 en août 1919) et constituent des Grecs vont aussi participer au redres- peine 1% de la population, sont recensés « On se mit à baragouiner toutes Tous droits réservés. Coll. part. une masse de journaliers qui s’emploient à tous sement économique et démographique dans le département. les langues, dans les régions. travaux. Reconstruction des écoles de Vregny, probablement par l’entreprise Garibaldi. Vers 1923-1924. du département en y travaillant et en s’y 20 ans plus tard, en 1931, ils sont 41 000, Quand on apercevait un nouveau Coll. A. Potier. Droits réservés. installant. L’Argus Soissonnais de septembre soit 8% de la population à vivre dans l’Aisne. compagnon, on se demandait Les travailleurs étrangers 1919 rapporte que des propriétaires locaux, Cela est le fruit d’une politique volontariste et dans quel idiome il fallait lui trop âgés ou effrayés par l’ampleur de la organisée, tout comme du choix d’individus parler. Les travailleurs coloniaux : Indochinois, tâche, ont préféré céder leurs droits aux désormais installés dans l’Aisne. Kabyles, Chinois (ils sont 5000 en 1920), vivent dommages de guerre et vendre « aux Bel- Un Tchèque faisait équipe avec dans des cantonnements de type militaire à ges de préférence ». C’est ainsi que des Fla- S. Bo. et S. Be. un Arabe, sous la conduite d’un Bazoches, Braine, Courcelles, Bucy-le-Long, mands achètent de nombreuses propriétés Italien ou d’un Français, et tous, croyant mieux se faire entendre, se mettaient à hurler, chacun dans son jargon, s’expliquant la besogne avec de grands gestes et se traitant réciproquement de tous les noms. Il y avait bien un moment de désarroi, mais, comme le travail 16 est la seule langue universelle et 17 que le geste éternel de remuer la terre ou d’assembler les briques est le même pour tous les pays, . il se trouvait qu’au bout de cinq Groupe de maçons en 1919. Coll. part. minutes tout le monde avait Droits réservés. compris. »

Roland Dorgelès, Le réveil des morts, p. 151

HS N° 5.indd 16 16/03/10 14:11:16 HS N° 5.indd 17 16/03/10 14:11:20 Hors-série du Chemin des Dames Provisoires Une vision de la reconstruction La variété des habitats provisoires

La loi du 17 avril 1919 accorde aux sinistrés une maison provisoire. Mais malgré les efforts de l’administration, l’installation des « baraques » par le Service des Travaux de Première Urgence est lente et reste insuffisante eu égard à l’importance des besoins. Ces baraques sont de différents types. Le modèle Adrian est prévu pour quatre familles, avec, au centre, une buanderie commune. La Nissen, composée de deux parois cylindriques et de deux murs percés de fenêtres, est très basse Roland Dorgelès. et oblige ses occupants, selon un article de 1920, à Tous droits réservés. « prendre l’habitude de ne pas se cogner contre la toiture ». Une cloison de 7 cm d’épaisseur la divise en deux pièces exiguës. Une boutique provisoire à Tergnier. FRAD002 18 Fi 7 n 1923, est édité Le réveil des morts, Le STPU édifie aussi des cabanes en bois de E œuvre de Roland Dorgelès, auteur des Croix récupération. C’est le modèle majoritaire dans de bois (1919). Celui-ci séjourne alors non l’Aisne en 1920 (52% de l’habitat provisoire). provisoires », trop coûteux. L’Etat propose aux locataires des baraques de les racheter loin de Laffaux, en compagnie de Georges L’armature et la charpente sont en bois, l’extérieur avant que la vente ne devienne publique. Les prix sont compris entre 600 et 1 000 Monnet qui vient d’acheter les ruines de la est constitué de planches clouées sur la structure, francs, à déduire sur les dommages de guerre ou réglés comptant. Les contrats de ferme de Chimy. Il délivre dans cet ouvrage percées généralement d’une fenêtre par pièce. Le vente sont signés entre le locataire et le service de la Reconstitution des régions une vision saisissante du front pionnier toit est recouvert de tôles ou de papier goudronné. libérées. qu’est l’Aisne de l’immédiat après-guerre. Distribution de pain à , années 1920. Plus résistantes, les baraques de type Puchot sont Madame Ch. écrit le 27 janvier 1926 au maire de Beaurieux pour lui « demander FRAD002 2 Fi Chavignon 7 bâties sur une dalle de béton, possèdent des murs d’acheter une provisoire actuellement louée ainsi que le bâtiment (attenant) ». Elle Roland Dorgelès dessine le portrait d’une en pierre et une toiture de tôle. demande aussi à acheter sa propre baraque. société variée, nouvelle Comédie humaine : Le réveil des morts est aussi et surtout un Si la dimension fictionnelle doit imposer Construites pour durer, elles sont appelées « semi- les Chinois, les Kabyles, les Espagnols venus roman sur la difficile sortie de guerre et sur la distance, il n’en reste pas moins que provisoires », comme les maisons de bois, et doivent pour reconstruire, les habitants de retour sur l’oubli qui s’installe peu à peu, à mesure Le réveil des morts est un beau témoignage représenter la même valeur qu’une construction De grands camps civils leurs terres, les nouveaux-venus, des types que la reconstruction progresse ou pour d’une certaine vision de la reconstruction : vi- démontable. sociaux comme la veuve de guerre rapide- que la reconstruction progresse : le roman sion de ruines qui se relèvent peu à peu malgré « Un continuel remue-ménage régnait dans ce grand camp civil ». ment remariée, le mutilé, l’ancien combat- d’un ancien combattant engagé volontaire tout, désillusion du personnage principal du Telle est l’impression de Roland Dorgelès lorsqu’il découvre l’univers des provisoires. tant qui hérite d’une ferme située en zone dans l’infanterie qui rend hommage à ses roman, l’architecte Jacques le Vaudoyer, qui Du provisoire qui dure En théorie, les baraques doivent être placées en dehors de l’ancien village, sur rouge, le maire, l’aubergiste et sa femme frères de tranchée (l’ouvrage est d’ailleurs s’attendait à trouver une société meilleure de vastes espaces nettoyés des débris de la guerre et aplanis. Dans les faits, les qui ont fait fortune pendant la guerre, l’ar- dédié « à la chère mémoire de (ses) cousins là où les intérêts personnels et les éternel- Dès 1926, le Service des Travaux d’Etat des Régions baraquements de bois et les « semi-provisoires » sont généralement implantés dans chitecte, les profiteurs de la reconstruction. Paul et Raoul tués à l’ennemi ») et, en un les jalousies humaines priment. L’auteur libérées envoie un avis à toutes les communes les jardins ou cours des maisons détruites, au gré de la volonté des sinistrés. Les C’est pour lui la société des premiers temps morceau de bravoure littéraire, fait se lever Paul Flamant s’oppose à cette vision dans dévastées, les informant qu’il « ne pourra, dans un élus locaux et l’administration de la reconstruction peinent à faire appliquer les plans de l’après-guerre, présentée sous des traits les morts venus demander des comptes aux Le réveil des vivants, publié en 1924. Pour avenir très rapproché, assurer l’entretien des abris d’alignement prévus. parfois féroces. vivants. lui, la guerre 1914-1918 est un jalon essen- tiel dans la création d’une nouvelle société En dépit de cette apparente désorganisation, et l’œuvre de reconstruction est positive. l’installation des premières baraques facilite au Celui-ci connaît cependant une bien moin- sein des villages la renaissance et l’organisation dre postérité littéraire. de la société républicaine. A. B. La mairie, l’école, l’église, le débit de boissons sont des lieux centraux qui favorisent la commu- nication, les échanges, le commerce. Le café est souvent choisi pour traiter une affaire avec un entrepreneur ou signer un contrat. Certains y cèdent leurs dommages de guerre. C’est aussi un espace de rencontre privilégié pour l’embauche de la main d’œuvre ou même 18 pour la préparation d’un mauvais coup… 19

S. Be.

Plan d’une habitation semi-provisoire en matériaux La Fère, abri provisoire. Années 1920. de remploi. Type 2. FRAD002 4 H 13 Vaux-Andigny 1-1 FRAD002 2 Fi La Fère 125

HS N° 5.indd 18 16/03/10 14:11:30 HS N° 5.indd 19 16/03/10 14:11:33 Hors-série Tourisme de mémoire

Un groupe en visite dans l’Aisne. FRAD002 22 Fi La lettre d’information du Chemin des Dames A la veille de la Première Guerre mondiale, les associations de touristes créées à la fin du est éditée par le Département de l’Aisne / XIXe siècle sont en plein développement : Club Alpin Français (1874), Touring Club de France hors-série n° 5 / 2009-2010. (1890), Automobile Club de France (1895). Pendant la guerre, ces associations viennent Directeurs de la publication : en aide aux soldats (envois de colis, d’équipements, de matériel…) et tentent d’organiser Yves Daudigny, Philippe Mignot. précocement le tourisme d’après-guerre, considéré comme un levier économique essentiel Rédacteur en chef : Damien Becquart à la reconstruction. Ont participé à la rédaction de ce numéro, Le tourisme des champs de bataille est en effet vu comme un devoir patriotique, un hommage sous la direction de Anne Bellouin et Stéphane aux combattants mais aussi une source de revenus pour les régions dévastées, même si Bedhome, doctorant, membre du CRID 14-18 : Yves Fohlen, Sébastien Boucher, Sandrine localement il suscite parfois des réactions d’hostilité. Bücher. Face à l’ampleur des destructions, on se préoccupe pendant la guerre de conserver des Assistante : Karine de Backer. traces et de faire venir des visiteurs : dès 1915, une proposition de loi est faite par le député Conception graphique : Sylvie Makota. J. L. Breton en vue de préserver certains des paysages nés des premiers combats : Remerciements : Archives départementales “Dès maintenant, il convient de choisir, le long du front, quelques-uns des villages détruits de l’Aisne, Musée national de la Coopération pour les conserver pieusement… Il serait également utile de garder dans leur aspect les franco-américaine à Blérancourt, Noël Genteur, forêts historiques, les terrains de bataille (…)” maire de Craonne et Conseiller général, Société Le conflit se prolongeant, la conservation des champs de bataille devient totalement irréaliste archéologique, historique et scientifique et, à la fin de la guerre, on estime que « le choix des vestiges de guerre doit (...) se limiter en de Soissons, Philippe Nivet, Guy Marival, principe à des témoins isolés dont la conservation ne puisse nuire à l’œuvre de reconstitution l’association pour la promotion du Centre d’archivage et de recherches historiques sur générale ni occasionner à l’Etat des expropriations excessives » (Paul Léon dans l’Illustration l’outil et le monde du travail (CARHOMT) du 23 février 1918). à Vassogne, Daniel Pillant, André Potier, A. B. la Conservation des musées et de l’archéologie, d’après un texte de Martine Becker. Céline Pierre (Conservation des musées de la Meuse), Alexis Guilbert, Alain Nice, Patrick Bernard, Alain et Marie-Hélène Sillas, la Société académique de Saint-Quentin, : Un inventaire des habitations APPEL le SiG, M. et Mme Bedhome, Martine Becker. 20 provisoires de l’après Première Guerre mondiale qui subsistent dans l’Aisne reste Renseignements : à faire. Si vous en connaissez, dans votre mission Chemin des Dames / Familistère de commune, ou disposez de sources relatives à Guise - [email protected] ces provisoires, la Caverne du Dragon-musée Imprimerie : Alliance Impressions / du Chemin des Dames est à la recherche de Tirage 10 000 exemplaires. telles informations. Contactez-nous au 03 23 25 14 18 ou sur [email protected]

Provisoire à Laffaux, © Damien Becquart/CG02.

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