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Intervention

Chronique de disque Jacques Daigle

L’art en périphérie, périphérie de l’art Number 19, June 1983

URI: https://id.erudit.org/iderudit/57379ac

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Publisher(s) Intervention

ISSN 0705-1972 (print) 1923-256X (digital)

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Cite this review Daigle, J. (1983). Review of [Chronique de disque]. Intervention, (19), 54–55.

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Certains tex­ tes sont sans équivoque à ce sujetf Lef's Kill each other, I Feel So Bad, Valium, Amour d'élec­ Tout d'abord, une compilation-collage discographique sur le trons). Des thèmes plus telle­ thème du devenir Inquiétant de la planète au langage musical ment nouveaux, finalement. Mais Industriel et technologique. Compilation d'Inconnus des États- l'originalité tient surtout de cette Unis, d'Europe de l'Ouest, mais aussi du bloc socialiste, du Japon façon dont les pièces ont été et de l'Iran. La rencontre de saxophonis­ assemblées pour faire ressortir Par la suite, une rencontre stimulante d'un Jazzman noir avec tes de avec la musique in­ des contrastes absolus. Ainsi deux grands maîtres des Indes. dien ne demeure toujours un élé­ une musique industrielle est sui­ Puis, une musique acoustique authentlquement hongroise aux ment de curiosité, depuis que vie d'une chanson traditionnelle couleurs familières, suivie d'un saut en Turquie avec une synthèse John Coltrane intégra des mo­ russe. Ailleurs une chanson sur­ Instrumentale très forte de folklores régionaux turcs. des orientaux à sa musique. réaliste sur Moscou est suivie Et enfin, les extrêmes géographiques rassemblés dans la musi­ Au fil de plusieurs autres ex­ d'un enregistrement d'une fiesta que orientale d'un Européen solitaire. périences, certaines enrichissan­ d'Atacames de l'Equateur. Qu'elles soient futuristes, actuelles ou sans âge, ces musiques se tes, d'autres plus superficielles, Musicalement, la tendance va situent à la périphérie des grands centres de production. on se retrouve en 1975, avec surtout vers la musique indus­ Karuna Supreme, première ren­ trielle, ce qui donne une teinte contre discographique entre le souvent sombre et angoissante. grand maître du sarod Ali Akbar Heureusement, l'utilisation des Khan et le saxophoniste alto FIX PLANET boîtes-à-rythmes et des claviers John Handy. Rencontre qui était AN INTERNATIONAL RECORD électroniques, qu'on rencontre toute tracée d'avance si on se chez plusieurs de ces groupes, rappelle que la musique des In­ évite de tomber dans la stérilité des fit son entrée en Amérique des répétitions de stéréotypes, par la Californie il y a deux chacun d'eux ayant ses propres décennies avec les tournées du nuances. même Ali Akbar Khan et de Ravi Certains sont plus minimalis- Shankar. Quant à Handy, ex­ Fix Planet ! tes, martelant des textes scan­ membre de workshops de Char­ an international record dés; guitare et basse font parfois les Mingus, sa production jazzis- leur apparition, de façon simple tique ne rend pas toujours justi­ et discrète ou plus sophistiquée. ce à ce saxophoniste au phrasé On découvre des territoires fa­ chaud et doux dont la façon ?^k?« • « » miliers à toute une nouvelle éco­ d'évoluer dans les octaves supé­ ,: le, qui va de Cabaret Voltaire rieurs (comme pour créer un * V -**- • *l jusqu'à certaines recherches pont entre l'alto et le soprano) guitaristiquesdeFred Frith (ver­ en fait un instrumentiste origi­ 4'a a |i • li sion Ralph Records). Ailleurs le nal. traitement électronique se veut Karuna Supreme, intensément ":'« » >' » "' très élaboré («Milan Bruits de et authentiquement indien, sem­ l 11 H « * Maurizio Bianchi» ou les travaux ble prouver que son sens d'écou­ des voix sur Alexao Sevsek). La te et d'improvisation s'enrichit nu ii «« s* iîa musique est étonnamment riche *»« J ,l4 de ces contacts étrangers. ••1IJI.II « et colorée chez Fra Lippo Lippi Mais avec Rainbow, cinq ans • .i n i qui rappelle un peu Tuxedo- plus tard, la qualité d'échange a vf ' i''i . w : 11 n 11 n V * ' moon, ou Semoe au piano ob­ mûri, d'autant plus qu'apparaît sédant. un troisième interlocuteur, L. MMiiiiiil.il V La cacophonie est parfois la Subramaniam, ce grand maître :î S 1 règle dans l'expression crue des du violon, qui apporte une troi­ • • * I,'' V4 Japanese ou Vagta. Autre piè­ sième «culture». Musique noire ce très particulière, la chanson américaine (sax alto), musique J*» :':WïBS*f mélancolique sur la guerre d'un classique du Nord de l'Inde (sa­ Avec la participation de: Sister (France!), Semoe (Pologne), Iranien, sur fond de guitare rod) et musique carnatique du M. (Japon), Esplendor Geome- Surplus Stock (Grande-Breta­ acoustique et claviers. Sud de l'Inde (violon): ce trian­ trico (Espagne), Bruchotin Au­ gne), Maurizio Bianchi (Italie) et Toutes ces pièces, si différen­ gle bien équilibré constitue un tomatic Band et Siluetes 61 Alexao Sevsek (Autriche) plus tes, constituent les éléments de lieu de communication de pre­ (Tchécoslovaquie), Fra Lippo des Atacames d'Equateur. ce collage sonore. mière force. Lippi (Norvège), VagtaZoHallot 54 Japanese excepté, ces grou­ Le a encore gagné Kémek (Hongrie), Raha (Iran), Un projet nouveau et intéres­ pes n'avaient probablement ja­ en souplesse et en versatilité. Peter X Kolja Y (URSS), Man sant (comme dirait si bien Ac­ mais été diffusés auparavant. Tendre et serein dans les ragas, Ray Band et 54 Japanese (USA), tuel). Un groupe allemand incon­ Certains d'entre eux dépasse­ il devient ailleurs humoristique, Kid Monatana (Belgique), Eva nu, Der Plan, a invité des grou­ ront-ils l'anonymat relatif d'un plein de swing, ou suraigu et Johanna Reichstag & die Form pes de n'importe où à lui faire élément de collage? Peut-être perçant (à la Arthur Blythe).

54_ .intervention Insistons moins sur la virtuo­ cette musique séduit par ce clin turque et un improvisateur de Personnage inconnu et dis­ sité des deux maîtres orientaux, d'oeil à la «West Coast». Esthéti­ premier plan. D'ailleurs, il n'est cret, à tel point qu'on ne sait trop celle-ci étant évidente, sinon quement parlant, on se rappro­ pas originaire d'une famille de s'il est Autrichien, Allemand ou pour mentionner la grande éten­ che des nouvelles musiques musiciens, ce qui le laisse libre Anglais, Stephan Micus poursuit due de ce violon à cinq cordes acoustiques douces (disques de toute tradition musicale par­ depuis plusieurs années et sept (+ 8 cordes sympathiques) qui Windham Hill), sans que les mul­ ticulière à un village ou une ré­ ou huit disques un voyage à tra­ passe des tonalités les plus gra­ tiples instruments à cordes ne gion donnée. vers une collaboration d'instru­ ves jusqu'au vol de papillon, au trahissent pour autant le dyna­ Sa curiosité intellectuelle le ments de musique provenant de butinement de la guêpe. Remar­ misme et les rythmes caractéris­ pousse plutôt à s'ouvrir aux di­ plusieurs parties du monde, quable encore une fois la grande tiques à cette musique de l'Est. vers types de m usique pratiqués, avec une propension marquée force intérieure qui se dégage Pourtant, ce hautbois chan­ répertoriant par la pratique un pour l'Extrême-Orient. du sarod. tant par-dessus, c'est... Oregon; patrimoine oral abondant. Il Micus compose toutes ses piè­ Les trois interlocuteurs con­ le travail à l'archet du bassiste, note, confronte et compare les ces dans une synthèse qui res­ versent en solos lyriques, duos, les harmoniques des cordes, cer­ différences techniques, les sty­ pecte le langage et la sonorité ensembles, contrepoints. Les tains arrangements inspirés de les" les échelles, les rythmes, les naturelle de chaque instrument. gammes occidentales et orien­ la musique de chambre, voilà danses. Loin de l'ethnomusicologie, sa tales s'entrechoquent, se fusion­ qui nous est aussi familier. L'in­ Le titre de cet album (L'Art musique ne se fonde ni sur une nent, les notes de blues s'échap­ teraction jazz/musique de cham­ vivant) décrit bien cette démar­ interprétation d'une tradition pent... Les cinq pièces sont as­ bre/Orient, qui avait si bien servi che, cette excursion dans de folklorique géographiquement sez variées; de la raga en pas­ Oregon, se présente ici dans les nombreuses musiques tradition­ précise, ni sur une coloration sant par une improvisation sans compositions, mais de façon dif­ nelles régionales vivant et se par des instruments «exotiques» le soutien usuel (tampura et ta­ férente. Les rapports sont diffé­ dépassant à travers l'improvisa­ de structures modernes. Pour bla) jusqu'à «Kali Dance», abou­ rents, et l'élément-oriental n'est tion. Quatre instruments de la tout dire, cette musique paradi­ tissement/fusion du swing du pas l'Inde (exotique) mais l'élé­ même famille sont utilisés (divan siaque est une des plus natu­ jazz et d'une structure rythmi­ ment turc, fondamentalement saz, tambura, cura blagama, cu­ relles qui soient, par sa simpli­ que indienne, le tout ponctué inscrit dans la tradition hongroi­ ra). Leurs dimensions variées cité qui respire une grande paix d'échanges de solos rapides de se. assurent une grande étendue intérieure. plus en plus courts, clin d'oeil C'est ainsi que l'âme magyare instrumentale. La succession, Ce dernier disque comporte pas sérieux au Mahavishnu (?). apparaît bien vite, dans le travail en huit plages, de pièces aux six pièces variées, certaines très Ainsi se termine dans une exu­ vocal, dans celui (aux couleurs rythmes plus ou moins lents ou­ longues où, comme d'habitude, bérance un peu bon enfant cette plus orientales) du violon et de verts à l'improvisation libre, et la superposition des pistes réunion au sommet. L'encens son parent hongrois le gadoulka, de danses variées très rapides, agrandit la dimension sonore et s'est éteint depuis un bon mo­ dont les courses effrénées des permet d'éviter toute monotonie, l'ambiance sans empêcher le ment; la rencontre a eu lieu en duos, les danses, les pièces solo sonore ou linéaire. tout de couler paisiblement. Allemagne. très lyriques vont fouiller jusque La virtuosité de l'instrumentis­ Les guitares acoustiques se dans l'histoire des invasions ot­ te est saisissante. On remarque marient dans un tourbillon ara­ tomanes. À l'occasion, des tex­ évidemment le travail de la main bisant au nay égyptien; le sa- tes de poètes hongrois contem­ droite, tellement rapide qu'elle rangi (instrument à cordes in­ KOLINDA porains s'ajoutent à cette musi­ semble parfois effleurer les cor­ dien utilisé ici comme un arc MAKAM ES KOLINDA que. des seulement. Dans un cas par­ musical) sert de point d'appui STOFF 7466 Donc un album qui témoigne ticulier, la main gauche, tout en percussif à une chanson où l'au­ d'un travail ouvert à plusieurs haut du manche, fait claquer les teur chante des mots qui ne se directions sans sacrifier pour ongles sur les cordes d'une fa­ rattachent à aucune langue. Makàm it Kolinda autant énergie et authenticité. çon qui équivoque particulière­ Plus loin, des guitares espa­ Toutefois, pour découvrir une ment des guitaristes expérimen­ gnoles, méditatives ou aux mo­ plus grande variété instrumen­ taux comme l'Allemand Hans tifs moresques, se promènent tale de la musique hongroise, les Reichel. Particulièrement saisis­ du flamenco à la raga. Des zi­ ^ vieux albums de Kolinda con­ sante aussi que cette façon bien thers bavarois, jusqu'à quatre viendraient mieux, ainsi que orientale de confronter silences superposés, créent, un peu à la ceux de groupes comme Ketto, et séquences ultra-rapides. façon de Laraaji dans ses musi­ Vizonto ou Sébo Ensemble. Cette virtuosité, si naturelle et ques ambiantes au santoor in­ mue par une sorte d'esprit de dien, une sorte d'espace sans dépassement, s'abreuve à même fond et sans fin, universel par TURQUIE la. source de ces traditions va­ l'intérieur. L'ART VIVANT DE riées. La nouveauté de ce disque, TALIP OZKAN VOL. 1 En somme, une entreprise vi­ c'est l'utilisation de... pots de OCORA vante et régénératrice d'une fleurs en terre cuite (jusqu'à 22) Porté par la'forte vague folk musique qui a rarement été aussi assemblés un peu comme des des années 70 en France, le bien exposée à nos oreilles d'Oc­ jaltarang indiens (série de tasse groupe hongrois Kolinda, grâce cidentaux. de thé). La fonction percussive à de nombreuses tournées et permet alors de créer une tapis­ trois beaux albums, se fit con­ serie répétitive simple qui se naître par une musique d'une STEPHAN MICUS glisse sous les guitares ou d'éla­ richesse insoupçonnée, issue WINGS OVER WATER borer un tissu plus complexe, un des Karpates et des Balkans, la JAPO 60038 duo avec le nay, pour évoquer tradition augmentée d'un esprit alors de la musique balinaise. de recherche plus contempo­ Un voyage de plus de 50 minu­ rain. tes dont on revient comme d'un La vague passée, le groupe se rêve aux contours flous, aux dissout. Deux membres-fonda­ évocations mélangées de beau­ teurs, Peter Dabasi et Andras coup de pays. Szell, forment Unikum, groupe- J. Daigle charnière et annonciateur d'une Musicien turc établi à Paris reformation de Kolinda autour depuis 1977, Ozkan dépasse de de Dabasi et de nouveaux mem­ beaucoup le titre d'interprète de bres. musique traditionnelle. Virtuose Avec Makam Es Kolinda, les incontestable du saz, cet instru­ couleurs s'occidentalisent un ment à cordes de la famille des peu plus: disparues les corne­ luths à long manche, il s'impose muses, vielle, hautbois turc. La à la fois comme un assimilateur qualité d'enregistrement aidant, de tous les types de musique

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