Mourad Benchellali
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
LUNDI 20 FÉVRIER 2006• DEUXIEME EDITION N° 7709• WWW. LIBERATION. FR emploi Aux Etats-Unis, les employeurs scrutent les blogs avant d’embaucher cahier central Témoignage «Je n’ai pas mérité Guantanamo» Mourad Benchellali, Lyonnais d’origine algérienne, raconte son passage dans des camps talibans en Afghanistan en 2001, avant d’être arrêté au Pakistan, puis détenu et torturé par les Américains à Guantanamo. Page2 Mourad Benchellali, hier. SEBASTIEN EROME.EDITING SEBASTIEN POLITIQUES Grippe aviaire: En Inde, Chirac gêné par la filière s’inquiète l’affaire Mittal-Arcelor P. 15 turin2006 La découverte d’un canard SOCIÉTÉ sauvage contaminé par le Un premier or noir virus H5N1, dans l’Ain, fait «Cerveau des barbares»: le craindre à la filière avicole profil de la bande se dessine P. 18 Shani Davis, seul champion française, qui emploie olympique d’hiver afro- 50000 personnes, une CULTURE américain, gagne le 1000 m en psychose qui entraînerait Yann Arthus-Bertrand passe patinage de vitesse après avoir une baisse drastique de la refusé de participer au relais. REUTERS Et toute l’actualité des Jeux P.24 à 27 AFP consommation. Page 6 au-dessus de l’Algérie P. 33 :HIKKLD=ZUVWUW:?a@m@l@h@a IMPRIMÉ EN FRANCE/PRINTED IN FRANCE Antilles, Réunion, Guyane 1,80 ¤, Allemagne 1,80 ¤, Autriche 2,30 ¤, Belgique 1,20 ¤, Cameroun 1200 CFA, Canada $ 3,25, Côte-d’Ivoire 1200 CFA, Danemark 17 Kr, Espagne 1,80 ¤, Etats-Unis 3 $, Finlande 2,40 ¤, Gabon 1200 CFA, Grande-Bretagne 1,20 £, Grèce 1,80 ¤, Irlande 2 ¤, Israël 13 NIS, Italie 1,80 ¤, Luxembourg 1,20 ¤, Maroc 12 Dh, Norvège 22 Kr, Pays-Bas 1,80 ¤, Portugal continental 1,80 ¤, Sénégal 1200 CFA, Suède 22 Kr, Suisse 2,5 F, Tunisie 1,6 DT. LIBERATION 2 événementGUANTANAMO LUNDI 20 FÉVRIER 2006 «Tôt ou Mourad Benchellali, parti en 2001 dans un camp taliban, raconte l’horreur tard, il y aura nécessité de fermer Guan- «DES MOIS DE COUPS tanamo.» Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, le 16 février « [Kofi Annan] est totalement dans l'erreur. Nous ne devons pas fermer Guan- tanamo.» Donald Rumsfeld, secrétaire américain à la Défense, le 17 février ÉTATS-UNIS La Havane BAH. CUBA MER DES CARAÏBES Guantanamo Bay 200 km (Etats-Unis) Depuis SÉBASTIEN ÉROME. EDITING SÉBASTIEN 2002 Mourad Benchellali, hier. Parti en juin 2001 de Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise, il a été pris au Pakistan par les Américains, puis est passé par plusieurs camps. Environ 700 détenus – le Lyon de notre correspondant «Quelques jours avant de partir, j’ai appris que je serai tion, sauf ceux qui étaient vraiment malades. Il fallait gouvernement américain ourad Benchellali a quitté Vénissieux en avec Nizar Sassi. C’était le grand frère d’un ami. J’étais pour cela l’autorisation du grand émir qui s’occupait refuse de donner des juin2001. Il avait 19 ans, partait pour l’Af- content. On a pris le TGV jusqu’à Paris, puis un bus du camp. Nizar, grâce à Dieu, a été malade au bout chiffres précis – sont ghanistan. Quatre ans et demi plus tard, il Eurolines pour Londres. On avait le numéro de télé- d’un mois, il a pu partir. passés par Guantanamo vient de rentrer, après quelques enfers phone d’un homme là-bas, on l’a appelé en arrivant, il «J’ai fait ce qu’ils appellent la formation de base. Une depuis l’ouverture de M successifs. Deux mois dans un camp d’en- nous a donné rendez-vous à Finsbury Park (1). Il est soixantaine de jours pendant lesquels on découvre les cette prison spéciale par traînement taliban, une capture au Pakis- venu nous chercher et nous a conduits dans un petit modules de spécialisation qu’on peut choisir après: l’armée américaine le tan pour être livré aux Américains. Et la torture, à appartement. C’est la seule personne qu’on a vue à topographie, techniques en montagne, explosifs… 11 janvier 2002. Les Kandahar puis Guantanamo. A son retour, la justice Londres. Un Algérien, je pense. Il nous a aidés pour les Les instructeurs venaient de pays différents. Dès le prisonniers, des anciens française l’a placé dix-huit mois en détention, avant billets d’avion et, trois jours après, on partait au Pa- premier cours, on nous a montré comment monter et talibans, des «suspects de le libérer, le mois dernier. La silhouette s’est épais- kistan avec un numéro de téléphone et le nom d’un démonter une Kalachnikov. Puis on a tiré une quin- de terrorisme», sont sie. Mourad porte des cheveux longs, crépus, qu’il re- hôtel à Peshawar. Là, quelqu’un nous a pris en charge zaine de balles, pour connaître les sensations. Après, originaires d’une tient d’une queue-de-cheval. Personne ne le recon- pour nous conduire à Jalalabad, en Afghanistan. A on a appris la topographie, savoir lire une carte, tenir trentaine de pays. naît, et il préfère ça. Il veut tourner la page. une boussole. Ensuite le maniement des Mais d’abord raconter ce qu’il a vu à Guan- «L’arrivée au camp de Kandahar explosifs: on nous montrait toutes les tanamo. Il témoigne longuement, pour Li- sortes qui peuvent exister. Les conditions bération, de la filière utilisée pour re- a été violente. Ils nous ont roués de de vie étaient très difficiles: la chaleur, la Non- joindre l’Afghanistan, de l’entraînement fatigue, la faim. Ils voulaient nous faire res- chez les talibans, des tortures endurées. coups de pieds et de poings, avec sentir des conditions extrêmes, au cas où droit Son récit est précis, car les multiples inter- on irait combattre, en Tchétchénie par Les détenus de rogatoires, dit-il, ont «gravé» les moindres des insultes et des crachats.» exemple. J’ai perdu beaucoup de poids. Guantanamo échappent détails dans sa mémoire. Il est impossible J’avais une diarrhée très forte. aux conventions de de vérifier ses dires mais son témoignage recoupe chaque étape, la personne laissait un autre contact, «Ben Laden est venu une fois pendant qu’on était Genève sur les prisonniers ceux d’autres «pensionnaires» de Guantanamo. avant de nous quitter. C’était facile. On est partis pour dans ce camp. En juillet. Il est arrivé avec son escor- de guerre, selon le «Le départ s’est fait très vite. Quelques semaines Kaboul, puis on nous a conduits dans le camp d’en- te, dans des 4x4 pick-up. Tout le monde dans le camp gouvernement américain, avant, une personne très proche m’a parlé de la possi- traînement de Kandahar, début juillet2001. a commencé à chanter en arabe “Voilà le cheikh, voilà qui les considère comme bilité d’aller en Afghanistan [lire encadré page sui- le cheikh”. Nizar et moi, on comprenait pas l’excita- des «combattants vante]. Elle-même y était allée, elle m’a dit que ce se- «Quand Ben Laden est venu, tion. C’était avant le 11septembre, il ne représentait ennemis». La base, de fait rait une bonne expérience. Je savais pas que c’était on comprenait pas l’excitation» pas ce qu’il représente aujourd’hui. Je n’avais jamais un «no man’s land pour un camp taliban. Il n’était pas question d’ap- «J’ai passé deux mois là-bas, dans le désert. Il y avait entendu parler de lui. On nous a dit: “C’est le cheikh juridique», n’est pas prendre à se battre. L’idée globale, c’était d’aller dans des tentes, une petite mosquée en terre, une petite Ben Laden!” Il est sorti, beaucoup se sont dirigés vers formellement un territoire un pays islamique, où l’on pourrait avoir une vision de clinique. On était plus de 200, de toutes nationalités. lui pour lui serrer là main. Il a fait son discours. J’étais américain et les l’intérieur de l’islam. Je n’avais jamais voyagé. Je vou- J’ai eu l’impression de m’être fait piéger. Nizar et malade, fatigué, je comprenais pas l’arabe, je suis re- prisonniers ne sont pas lais aller à l’aventure, sortir de la routine. Je devais moi, on n’avait pas l’intention d’aller dans un tel tourné à ma tente, j’ai pas écouté le discours. passibles non plus des chercher une formation en septembre2001. Je pen- camp. Mais il y avait une règle claire: une fois entré, «Après ma formation, j’ai retrouvé Nizar et on est re- juridictions américaines. sais quitter Vénissieux pour deux ou trois mois. on pouvait plus ressortir avant la fin de notre forma- partis à Jalalabad. Là, on a appris la mort de Massoud, LIBERATION LUNDI 20 FÉVRIER 2006 3 de sa détention par les Américains à Kandahar puis à Guantanamo. Par GÉRARD DUPUY Arbitraire ET DE PANIQUE» Mourad Benchellali ne fréquente sans doute guère les œuvres de Voltaire, mais il y a du Candide chez ce gamin qui s’enrôle aux Minguettes et se retrouve à Guantanamo après avoir traversé le fracas du monde sans trop comprendre ce qui lui arrivait. Les sergents recruteurs de l’islamisme n’ont pas de scrupule pour fabriquer les petits soldats d’Allah – leur très sainte cause justifie tout par avance. Le récit de Benchellali montre une nouvelle fois la facilité avec laquelle des adolescents sensibilisés à une vision politique de l’islam peuvent basculer dans le terrorisme organisé. Sa capture a abrégé cette aventure que d’autres ont poursuivie jusqu’à l’assassinat et au suicide. Le deuxième volet de son témoignage est autrement inquiétant. Le compte rendu de son séjour dans les geôles américaines, conforme à tous ceux qui ont déjà été publiés, montre un monde placé hors de toute norme de droit et qui fait de cette extra- territorialité un argument de sa défense HARAZ GHANBARI.