ROCK'N CLIP

NICOLAS DEVILLE et YVAN BRISSEITE

ROCK'N CLIP La première encyclopédie mondiale du vidéo-clip

SEGHERS/COGITE Nous remercions les compagnies : j BARCLAY SQUATT R.C.A. C.B.S. POLYDOR VIRGIN de nous avoir gracieusement fourni les photographies des chanteurs et groupes qui illustrent l'encyclopédie du vidéo-clip. BARCLAY pour : David et David, Eli Meideros, Caroline Loeb, Niagara, Carmel, L'affaire Luis Trio, Killing Joke. SQUATT pour : Passadena (P. Jeff Stern/P. Paul Cox), King Creole (P. Bruno de Balincourt).

R.C.A. pour : Cindy Lauper, Witney Houston, U2, Laurent Voulzy, Eurythmies, Mick Jagger, Elvis Presley, Sade, Sting. C.B.S. pour : Bruce Springsteen, George Mickael, Terence Trent d'Arby, Boy George, Mickael Jackson.

POLYDOR pour : Raft, Supertramp, Mint Juleps, Big Pig, Suzanne Vega, Joe Jackson, Princesse Erika, Patricia Kast, Vanessa Paradis, Maxime Le Forestier, Willy Deville, Victor Laszlo, Iggy Pop, Mylène Farmer, Level 42, Lio, Sabrina. VIRGIN pour : Z. Marley, Smith, UB 40, Brian Ferry, Genesis.

(0 Editions Seghers, Paris, 1988 ISBN 2 - 221 - 05312 - 5 SOMMAIRE

Préface 7 Genèse du 8e art : Le vidéo-clip, cet enfant qui n'a cessé de grandir 9 Règles du jeu 103 Tous les clips du monde... de A à Z ...... 145 Bibliographie ...... 423

PRÉFACE

e stupéfiant image : avec l'introduction du clip dans les familles jeunes et nombreuses, le film muet a amorcé un retour offensif, dont les conséquences iront encore plus loin que ne le laisseraient augurer les rêves les plus fous des gloutons optiques de la musique qui bondit. Grâce à ce huitième art, né véritablement il y a dix ans de la rencontre d'une machine à filmer et d'un synthé sur une table de montage, la rock, la pop, la funk, la disco, la reggae, la house, la sample music ne se contentent plus de se laisser entendre : elles se donnent à voir. Pas un chanteur débutant, pas un groupe de province même éloignée n'envisage désormais de presser un disque sans donner en même temps images aux sons. Et c'est ici que commence l'aventure que vous avez désormais sous vos yeux. icolas Deville, Yvan Brissette, et leur équipe franco-québécoise ont visionné, pendant plus de deux ans, plus de six mille cinq cents vidéo-clips fabriqués dans le monde entier. Ils en ont retenu trois mille environ pour cette première encyclopédie mondiale de la musique filmée. Tout a été inventorié, des pères fondateurs du Scopitone aux délires de Nam June Paik, en passant par les influences du réalisme fantastique, du surréalisme et des images de synthèse ; la manière dont on monte un clip, le budget, les réalisateurs et l'extraordinaire popularité de ce nouveau média auquel, ne l'oublions jamais, plusieurs chaînes de télévision consacrent la quasi-totalité de leur programmation. i l'on veut comprendre ce que veut dire la « culture jeune », si l'on veut comprendre l'esthétique et les valeurs, les signes et les significations qui agitent, de Moscou à Los Angeles, de Paris à Tokyo, de Buenos Aires à Londres, les dizaines de millions de garçons et de filles qui ont envie de vivre plus que de survivre, d'éclater plutôt que de ramper, de carburer à l'intensité plus qu'aux passages cloutés, il faut se munir de cette encyclopédie et se faire spectateur de l'immense lanterne magique pourvoyeuse de myriades de couleurs et de sons qui accompagnent désormais la vie quotidienne de la planète. icolas Deville, auteur de la première et désormais classique bande dessinée pour adulte Saga de Xam, co-auteur du Livre des possibilités et philosophe de l'image, donne ici la première grille de déchiffrage de cette culture non seulement populaire, mais surtout - et pour la première fois dans l'histoire - véritablement planétaire : il n'est que de mesurer les audiences respectives des concerts rock et des meetings politiques et l'implication de plus en plus réelle entre les deux démarches pour mesurer à quel point Rock'N'Clip vient à son heure. Et ce n'est pas un hasard si, au Québec (six millions d'habitants), il existe une chaîne de télévision (MusiquePlus) qui diffuse vingt-quatre heures sur vingt-quatre des clips dont 60 % de production francophone. Ce n'est pas un hasard, mais une leçon. ans un monde où les pluies deviennent acides et le sexe mortel, les lieux de jubilation ne se font pas si fréquents que l'on puisse négliger celui-ci. Entrez dans ce livre comme dans une fête chamarrée et métisse, bigarrée et délirante, où triomphe enfin l'arc-en-ciel des passions de vie et de jouissance. André BERCOFF

GENÈSE DU 8e ART :

Le vidéo-clip, cet enfant qui n'a cessé de grandir

BLAH BLAH MUSIK

ROCK' N RHYTHM

Il out a commencé un soir ou un matin à l'heure sublime de l'inspiration, lorsque le soleil rase la ligne d'horizon, l'ancêtre saisissant une baguette de bois a commencé de frapper le tronc évidé d'un arbre mort. A l'écart quelques jeunes de la tribu se sont mis à trépigner sur place, poussant force gémissements et râles syncopés ! Dans les âges farouches de la préhistoire, le rock est né ainsi, des tressautements joyeux de quelques congénères sympathiques... débridé, dévorant déjà. m ès sa fabuleuse origine, ce rythme fait gronder les saintes âmes du village ! Certains se plaisent à conter que la première organisation du son par l'humain, c'est la musique. C'est là bien de l'angélisme saint-sulpicien ! La première composition du son, c'est le claquement des peaux moites dans la fureur des orgasmes collectifs. m ouverts de peaux tannées, luisantes et graisseuses, de pierres vulgaires, de métal poli, les sectateurs du veau d'or se reconnaissent depuis toujours. Leur signe de ralliement ? La frénésie de la vie « drivée » à fond la caisse ! La fureur de vivre ! Le trash !

ers la fin des années 40, les Noirs à New-York City exhument l'antique idole oubliée depuis tant de siècles. Le rock revenait enfin, direct héritage de Babylone ! Après la disparition des sorcières et les persécutions du sabbat, les Blancs en avaient finalement perdu l'essence, mais, pour l'homme noir, il était resté au cœur même de sa langue. m ispersées sur le Nouveau Monde, des cultures africaines mouraient dans le malheur du servage. Mais pas le rythme, pas la frénésie d'une liberté ancienne. Bien au contraire, dissimulée sous la tolérance des « chants de travail », ou des gospels, la collectivité noire résistait, se raccrochant au centre de son identité profonde. Lorsque l'homme n'a plus de langue, il lui reste toujours son corps pour parler, et depuis ses origines le jazz a toujours été cette musique du corps, de la sueur et du foutre. Mais son audience restait limitée. Trop introvertie, repliée dans les boîtes, il lui manquait la frénésie orgiaque et collective du rock.

NYC 1950 « Le rock'n roll va rabaisser l'homme blanc au niveau du nègre1. »

ans le New York de l'époque, big city du « monde libre » de Broadway à Saint-Ger- main-des-Prés, c'est la grande réconciliation des races, des styles et des couleurs. Ça swinguait dans les clubs ! C'était la java, on baisait dans tous les coins, disait Henry Miller ! Se faufilant dans l'euphorie d'après-guerre, le rock est né dans la cave, à la sauvette, de l 'éjaculation massive du baby-boom. lm ais dans la campagne profonde, l'heure n'est pas encore au cosmopolitisme. Au fond des chaumières « blanches », ça craint ! Coluche en culottes courtes est le fils du Rital. Négros et juifs continuent d'alimenter les histoires drôles ! « Ya bon Banania » est un top publicitaire du moment ! Aux US, on lynche comme aujourd'hui au Brésil ou en Afrique du Sud. En revanche, à NYC, au fond des cours de Harlem, le background noir rejoint enfin la musique « celte ». Coït épiphanique ! Le son Black se répand... mais les premiers rockers qui le porteront ne seront pas noirs. Seul apparaîtra le Blanc, symbole imposé de la musique folk nord-américaine et de ses origines admises, d'Irlande et de Bretagne. Les Platters avec quelques autres, qui acceptent de jouer un look blanchi, profiteront quand même de la vague2. 1955, Bill Haley, premier hit-rock de l'histoire : "Rock around the Clock". 1956, Gene Vincent : "Be-Bop-a-Lula", Carl Perkins, Elvis... L'épidémie est commencée... Depuis trente ans, trois générations ont succombé à cette contagion en surfant plus ou moins la planète rock. Tous n'en mourront pas gagas, mais tous en seront atteints. Tous ont été rock, « au moins une fois », comme cette star qu'Andy Warhol recommandait à chacun d'être... ne serait-ce que « cinq minutes dans sa vie » !

1. Cette phrase prophétique, prononcée en 1954 par le Conseil des Citoyens Blancs d Alabama, a refleuri a Londres en 1987, sur le T-shirt de Terence Trent d'Arby et provoqué les foudres des associations antiracistes du Royaume-Uni. L'humour serait-il élitaire ? 2. Un disc-jokey de Cleveland, Alan Freed, est resté le symbole attaché à l'origine même du terme Rock'n Roll. En 1952, à la fin du maccarthysme, une des périodes les plus réactionnaires des Etats-Unis, il crée un programme radio qui reprend l'expression des Noirs désignant le rythme et le ahanement des corps nus sous la lune : « Moondog's Rock and Roll Party >,. L'émission, programme essentiellement des vedettes noires dans des shows destinés aux jeunes Blancs, et le succès immédiat incite A. Freed à monter à NYC où il s'installe en 1954. De là le phénomène prend une nouvelle ampleur ; principalement à partir de 1955, avec "Rock around the Clock" de Bill Haley. La réussite du rock à cette époque tient dans son réhabillage clean. Les chansons sont javellisées, les allusions grivoises recyclées par quelques banalités. « Get out of that bed » devient, par exemple : « Get out in that kitchen "... apparence correcte, l'honneur est sauf ! Si les mots prennent une tournure anodine, il est une rythmique du bas-ventre qui, elle, ne saurait tromper. Bien mieux que feu le président Mao, le rock a su répandre sa révolution dans les culottes, tel le frétillant poisson tant évoqué prophétiquement par le grand humoriste. la e ce point de vue, le rock n'est même plus un style musical, c'est devenu un terme générique globalement associé à l'idée « pop » de vivre. Une attitude fortement sexuée, avide et rythmée, que les sixties n'ont fait que développer, comme le feront les décennies suivantes. Au contact du folk et du rhythm'n blues, les années 60 ont confirmé le caractère rituel du nouveau mythe populaire. Rêve vagissant encore, retour aux sources « sauvages » de la fête, mais protest romantique devant la folie destructrice du monde. Bob Dylan, Joan Baez, Pete Seeger... une lucidité se fait jour, entre les vapeurs épicées du psychédélisme et l'horreur du napalm au Viêt-nam. A la faveur de 1968 et de Woodstock, une génération entière réalise que le monde est un nœud de démence mais aussi de jouissance. Tout dépendait alors de ce qu'on en décidait ! Devant nous était l'Histoire, disait-on, il nous appartenait de l'écrire. Il faudra attendre les années 80 pour que se popularise l'idée astucieuse de prendre ensemble démence et jouissance, dans le même bagage. Nouveau réalisme estampillant d'une sorte de copyright postmoderne les années de plomb de cette décennie. ntre-temps avec les sixties, le monde bascule dans l'effondrement des certitudes, la « positivité » en science se lézarde et, ce n'est certes pas par hasard si l'idée de « complexi- té » commence à se faire jour. Comme illustration aux savants propos d'Edgar Morin, le rock recouvre déjà d'immenses continents musicaux partis en dérive entre le « cosmic » des Pink Floyd, le « soul » d'Otis Redding et l'anarchisme des Doors.

U ne communauté de pensée rassemble ainsi pour la première fois la jeunesse d'une génération dans une même appartenance rock ! Le baby-boom entame sa seconde phase, assumant les nouvelles culottes un peu trop grandes de sa différence. Comme génération prophétique et fondatrice, elle découvre sans le savoir quelques mythes fondateurs. Jimi Hendrix, Janis Joplin, Bryan Jones, Jim Morrison vont mourir, immolés sur l'autel de leurs rôles... Mais la relève est déjà là : David Bowie, Iggy Pop. D'autres encore, qui parviendront au statut envié du survivant. Joe Cocker, Franz Zappa, Rolling Stones, Neil Young, Tina Turner. Images « up to date » de la persévérance méritante et des grands équinoxes du social, tel le comte de Monte-Cristo, vingt ans plus tard, ils reviendront brouter un public élargi à d'autres pâturages - les riches générations suivantes, cultivées dans l'art subtil de la consommation. la u centre de cette fresque historique, les années 70 marquent une sorte de passage. Ou l'intronisation symbolique d'une culture s'affichant résolument autre. Alternative d'espoir, à la certitude du pire, l'idée de « new generation » fait alors son chemin. Elevée sur un socle sublime, Pepsi s'en sert comme levier depuis plus de trente ans et le slogan lui a tellement porté chance qu'il est parvenu à grignoter l'écart le séparant de son grand rival Coca-Cola. la est que le terme « génération » est porteur de l'idée de la plénitude, de la multitude et rappelle l'incantation cosmique des temps passés. Nouvelle mythologie incubant à l'aube du troisième millénaire, tonneau des Danaïdes et boîtes de Pandore tour à tour, ses symboles sont élastiques, chacun pouvant y trouver ce qu'il veut et, selon son « beat », fantasmer sur le mélange d'origine. Ici la contre-culture l'emporte, là le « new age », l'alternatif, ou le « nouveau sérieux » yuppie, le choix des termes disponibles n'est que le signe narquois de la complexité des temps. [9 e rock digère tout. Il médite en haut des monts du Népal, se détruit avec Sid le Vicelard au fin fond de Soho. « C'est une pute qui vous prend par le fond du sac », chantait un punk. A chacun d'y passer ! Etre jeune, c'est être rock, vouloir vivre et jouir sans entraves ! Etre rock, c'est « rester » jeune et crier aux yeux de tous que le désir est toujours brûlant. Pour chaque génération, ça recommence, mais les premières à l'avoir signé dans cette version « actuelle » sont celles du rock ! Après quatre décades de remake bientôt, une nouvelle intelligence relie générations passées et présentes. Etrange paradoxe ! Là où les parents étaient largués par leurs enfants, bien souvent la mémoire rock restitue une nouvelle complicité réunissant qui dans ses souvenirs, qui dans sa jeunesse. Chacun pouvant revivre avec les derniers venus de furieuses « parties rétro ». L' es années 70 voient aussi l'envol des super-vedettes, Elton John, les Queen, Diana Ross, Marvin Gaye, Bob Marley. La planète Rock déborde encore, elle absorbe le feeling rasta. Ces Noirs et mulâtres de la Jamaïque, messagers d'un nouvel hédonisme, fondé sur le sexe, la musique reggae et la marijuana. Ils viennent à point prendre la relève des hippies, tristement confits dans leur brouet baba cool. Bob Marley marque un tournant majeur. Ça faisait un bout de temps que, dans le fond du chaudron pop, la musique noire en avait sa claque de pourvoir les seconds rôles. Brutalement, dans le sillage soul et disco, à la fin des années 70, le Black prend le devant de la scène. Mais ça ne lui suffit pas ! Il lui faut trouver un nouveau truc pour s'affirmer. e vidéoclip va être ce moyen. Dès le début du rock vidéo s'impose un changement de ton ! Michael Jackson, Tina Turner, Grace Jones et, bien sûr, « Monsieur Pepsi » - Lionel Richie lui-même. Tous des vieux routiers du vidéo promotionnel. L'image rock cesse enfin d'être exclusivement blanche. Par sa dimension visuelle, elle restitue maintenant l'essence multiculturelle du rock.

L' e vidéoclip, par le caractère métissé de ses origines musicales et par le furieux « combat des races » qu'implique le greffon des images, tend toujours davantage à se planétariser. C'est ce qui fait la caractéristique du produit, sa diversité, dans sa forme et dans son style. De sorte que, autant musicalement que visuellement, le clip exprime déjà en lui-même le symbole du mélange. BLAH BLAH VISION

« Une vidéo, ça ne peut qu'être beau. » Jean-Baptiste Mondino

Le mélange m ans la profession des musiciens pop, l'appétit du rock en matière de styles musicaux est très vite devenu proverbial. Pierre Boulez flashe sur Zappa, Laurie Anderson sur le zen, Terry Riley et Jon Hassell sur la musique ethnologique - le rock engloutit tout. Par fidélité à cette étrange « boulimie de famille », le petit dernier de la seconde génération technologi- que - le clip - affiche à son tour une gourmandise gargantuesque ! Pour séduire et bouffer les modes, genres musicaux, consommateurs, etc., il n'hésite pas à se diversifier. Les VJ (vidéo-jockeys) sont à l'affût des nouveaux « produits ». Si Afrika Bambaataa fait un tabac à Dakar, pourquoi Xalam ne vendrait-il pas à NYC ? Si Rita Mitsouko tourne sur MuchMusic, Sky Channel et MTV, pourquoi Condition ne viendrait pas sur le boulevard des Clips ? Ce mélange, Mondino, Brian Eno, Annie Lennox, tous le reconnaissent comme essentiel au vidéoclip. Il est le prolongement visuel du « cross over » des musiciens. Expression par laquelle se désigne l'artiste pop, capable de briller dans plusieurs styles musicaux. La vitesse

Il e clip est vite, il se coule dans l'esprit de son époque. La mode est au court, au mini. Gonzague Saint-Bris, vieille-, conçoit de l'Histoire en pastilles sauce yuppie - trois minutes sur A2 pour vous parler de la poule au pot et de Ravaillac. Le vidéo : « Cocteau, prince du Clip », l'un des innovateurs du genre « bref et culturel », a ouvert la voie à quantité d'autres projets - littéraires : Gainsbourg « clipant » Rimbaud ; touristiques : Karl Lagerfeld et le château de Versailles ; esthétiques : Jean-Jacques Beineix clipant Nicolas de Staël, Folon et Matisse ou les « Aventures de Mona Lisa » vues par Stéphane Millière. De la culture à dose homéopathique ! Le clip à tout faire est aussi Watcher Digest pour tout voir ! Tout ! Très vite et fort ! Reagan, homme de culture comme chacun sait, a envoyé ses félicitations au cher Gonzague - entre gens de bon goût, on se reconnaît toujours... Un clip, et tu ris plus fort ! C ohérence diabolique entre le technologique et l'utopie, sous-jacente à cette formidable montée des idées actuelles. Mélange et profusion sont élevés au rang des symboles de masse. Tout voir ! Tout entendre ! Tout savoir ! Ou l'appartenance massive des goûts et des couleurs. La quantité s'opposant au détail superflu, la brièveté ouvrant la chance à des talents toujours plus nombreux. La compétition elle-même, s'accommodant bien volontiers de cette logorrhée créative. En termes techniques, l'accélération des informations trouve son équilibre dans sa capacité de savoir mieux les condenser. Déjà, la technologie du microcas- sette avait permis à des millions de jeunes l'accès aux re-montages musicaux, réalisant leurs propres programmes en les personnalisant à partir des sources variées de la FM. Pareille- ment, les futures technologies vidéo offrent déjà à tous la possibilité de jouer avec l'image. Du côté de sa place dans la culture, c'est là une révolution majeure dont nous ne vivons actuellement que les prémices... les tout derniers zigotos du « house music » en sont déjà quelques plants prometteurs !

SYMBOL YK a 'avènement massif depuis 1985 du disque compact (CD) a marqué la première étape de ce bouleversement. Un an plus tard, son indice commercial en Amérique du Nord était déjà multiplié par trois. En 1989, on prévoit aux USA des scores tournant autour de 350 millions d'unités vendues. Mais les choses ne deviendront réellement sérieuses qu'avec la seconde étape. Elle sera franchie avec l'encodage numérique. Lorsqu'il sera possible à tout un chacun d'enregistrer sur ces disques et non plus seulement de les lire. Thomson et Philips travaillent ensemble sur un projet de ce type dans le cadre d'un programme européen de développement, le « digital video system ». Sony, qui a perdu sa guerre pour imposer le format bêta dans le monde, n'a pas envie de perdre celui du disque compact (CD). De son association avec Philips sortent actuellement toute une gamme de CD Audio et des « single » lancés au début de 1988. Et ils préparent, dit-on, pour le printemps 89 un mini-vidéodisque numérique, équivalent du 45-tours vinyle.

S uccédant à ces ambitieux programmes, de nouveaux marchés vont s'ouvrir. Grâce à la technologie avancée du CD, l'enregistrement de l'image sur disque compact étant à la portée de tous, le marché du vidéomusical s'apprête à nous travailler de près!. Tout est en place pour ça ! Progressivement, depuis l'apparition des vidéoclips, le bassin des consommateurs

1. Polygram est décidément dans le peloton de tête en matière de commercialisation grand public des vidéos. A1 automne ii7 il lançait, It s Over" du groupe Level 42, premier single, compact dise - soit vingt minutes de musique, plus cinq de clip. a été psychologiquement conditionné. Très vite s'est développé le commerce fructueux des produits conjugués du son et de l'image. Un nouveau type commercial hybride ! En effet, tous les films doivent maintenant être promotionnés par un groupe de chansons clipées. Depuis le film 1984 et la série composée par Eurythmics, c'est devenu un passage obligé. Autant d'appâts se conjuguant pour mieux nous relancer. Montées en bandes-annonces admirablement « imagées », le rêve nous poursuit maintenant partout. es comportements d'achats sont ainsi habilement « cultivés », à la lisière du désir et du banal. Probablement, bientôt il sera aussi naturel de s'offrir le clip de Berlin que son dernier album aujourd'hui. On y trouvera l'éventail de ses chansons dans un « concept » audiovisuel original, qui marquera certainement l'apparition de nouveaux créateurs. |3 ar la mise en vente de bandes enregistrées VHS classiques, une sorte de répétition générale est actuellement orchestrée pour sonder l'ampleur du marché. Premier temps, la rumeur s'organise, on lance des phrases clés du genre « Boom de la videomusic » ! Ensuite, arrivent certains vidéo (les tests), dans quelques secteurs clés (la FNAC a créé un rayon spécial à cet effet). Philippe Laco, directeur de Polygram Music Video, dit avoir vendu 30 000 cassettes de clips dès le dernier trimestre de 1986. Soit au début de cette mise en marché. Prix de vente moyen, 250 balles pièce ! Pendant ce temps les Britanniques, qui avaient tiré les premiers (au début 1986), en auraient vendu 180 000, à raison de 110 francs, chacun.

LIBERTAK « Les idées s'améliorent. Les sens des mots y participent. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idée juste. » Comte de Lautréamont lîjien entendu, cette consommation bovine du show-business, du compact ou des bandes, est en complète contradiction avec la « rock attitude ». Laquelle propage depuis trente ans des idées d'indépendance fortement arrosée de jouissance. Aussi est-ce là le point de jonction tant attendu. Le marché des « images chantées » et celui des « compacts » permettant techniquement la lecture et l'enregistrement des informations numériques. our tenir tête à ce système, insatiable, spéculant sur les nouveaux espaces commer- ciaux, le drapeau noir ne tardera pas à se relever encore et sans douté, le beau temps des

i radios pirates va se revivre bientôt, en images1. Très certainement, nous sommes à la veille d'une formidable explosion créative de l'audiovisuel, qui marquera profondément les années 90. Les jeunes privilégiés de nos grasses contrées occidentales vont à coup sûr s'en donner à cœur joie dans le remixage des programmes TV et des vidéos. Ils associeront informations, clips et publicités dans le plus déboussolant des désordres. C'est déjà le cas, à partir de 1988, avec l'apparition de l'électro-rap.

Il es zappeurs/rapeurs n'ont pas à aller bien loin pour chercher les éléments de leur vidéoculture. Les sources sont là, incroyablement riches. Depuis cette « mise en mémoire collective » que représente un siècle de cinéma. Il suffit de se tenir à l'écoute, en paressant devant la TV et zappant d'un doigt nerveux les télécommandes, marier Mozart, Jean-Chris- tophe Averty, Max Headroom avec un concert live d'Autograph à Leningrad. Philippe Gérard, parolier, déclarait dans Paroles et Musique : « Le plagiat est un vilain mot qui nomme la chose la plus naturelle qui soit. Si l'on pouvait trouver des thèmes communs dans l'hymne américain et dans celui des Russes, ce serait bon signe. Quand vous rencontrez une fille pour la première fois et que vous avez le coup de foudre, c'est peut-être parce qu'elle vous rappelle quelqu'un. » Les ardents défenseurs de la propriété privée ne l'entendent certainement pas de cette oreille. Reportez-vous au groupe MARRS, dans le listing, si vous désirez en savoir plus ! la ien sûr, tout sera fait pour décourager les pirates performeurs. Les marchands peuvent parler gestion, ils ont trop souvent des lustrines à la place des lunettes. De plus, ils sont de farouches adversaires de l'art populaire, surtout lorsque celui-ci fait un gros trou dans le fond du tiroir-caisse. De ce point de vue, le piratage audio restera pour eux, longtemps encore, un symbole de l'horreur. Q uoi qu'il en soit, la logique du progrès technologique n'ayant jamais pu être endiguée, de nouveaux secteurs de création seront finalement admis, récupérés, voire « innovés », et d'autres stratégies commerciales verront le jour. Au début des années 80, ce fut le cas des radios libres. La flambée de créations par collages radiophoniques, sur Gilda, Radio Nova, La Voix du Lézard, etc. Les magnifiques « montages » que certains artistes ont alors réalisés sont à mettre au compte des créations populaires « postmodernes »... selon le terme employé dans certains cercles initiés au début de cette décennie. Expression courtoise, par laquelle on essayait de définir une mise en aplat des références culturelles. Jean-Paul Sartre côtoyant Louis II de Bavière et Héraclite l'obscur. Tout le monde égal, vivants et mythes, en pays postmode. M ais qu'importe les étiquettes, ô combien éphémères, par lesquelles on veut parfois marquer le temps d'une époque ou d'une tendance artistique ! Les artistes, de plus en plus sauvages et de plus en plus nombreux de « l'art populaire » (formule bateau à souhait), sont

1. Entendre absolument le disque des radios libres, Brouillage Rec. (New Rose), première du genre - Radio verte, 1977. Amusant que les concepteurs de bandes vidéo ne se soient pas montrés plus inventifs (jusqu'ici !). Le mixage et le montage des clips sur ces bandes sont, le plus souvent, consternants de conformisme. Ainsi pourquoi ne pas insérer des spots publicitaires qui ont déjà les faveurs de très nombreux jeunes publivores ? A l'inverse, l'industrie du disque entreprend des démarches pour s'assurer de la « fiabilité commerciale » d'un support publicitaire télévisé. Celui-ci accompagnerait le lancement de certains disques ? Le PAF, n'en doutons pas, n'est pas loin de prendre quelques bonnes baffes ! des gens « sans qualités ». Autre formule vague, qui exprime assez bien l'arrogance du populaire. Goldman ne croit pas que ses chansons lui survivront, Madonna ne pense pas être une grande actrice. Comme les peintres pocheurs du faubourg, ils ne se posent pas ce genre de problèmes ! En revanche ils croient en ce qu'ils font ! Le plaisir de créer et de communiquer est leur seul guide. Et si, le plus souvent, ils ne font que nourrir l'esprit du temps, si leur nom a peu de chance de figurer dans les livres d'histoire, tant pis ! Anonymes peut-être, ça ne les empêche nullement de ratisser large dans les symboles de l'époque. epuis quelques années, par bombages et pochoirs interposés, facteur Cheval, douanier Rousseau et autres passionnés des dilettantes imaginales courent l'asphalte des villes. Comme d'autres autrefois, ils battent campagne urbaine, via la grouillance irrespectueuse de leurs graffiti funks' ! Quête, semble-t-il, d'un après-postmodernisme qui remettrait les pendules du pop à l'an 01 de la création inventive.

« Il n'y a plus d'artistes car tous le sont. » Raoul Vaneigem M a court les pages du courrier des lecteurs dans Libération, ça explose plein les petites annonces, les chéri(e)s, les contacts, les messages, sur Minitel ou ailleurs par téléphone. Ça « bombe » les clôtures et les espaces vides sur les façades urbaines ! Des bouts de mots, des morceaux d'images ! Toujours un même truc simple, par collages, découpages et remonta- ges. Comme le faisaient, au Moyen Age, ces imagiers qui dessinaient les tarots, reproduisant fidèlement, à la main, des figures copiées sur des documents plus anciens.

SF

121 est Jules Verne qui écrivait que ce qu'un homme imagine, un autre tôt ou tard viendra le réaliser. Dans la logique des choses, l'imaginaire sous-tend la création des peuples et des cultures. Les premiers manifestes du génie humain fleurissent d'abord dans nos technolo- gies. Industries du rêve, elles sont fondées sur les mêmes éléments mythologiques - l'air, l'eau, le feu - et l'image, bien sûr ! Ainsi les inventions du surf-wind, les ailes delta, les planches à voile, les sports de « glisse » en général réaccomplissent obstinément l'obsession d'Icare, planer ! Il a science-fiction est une formidable centrale « imaginante » ? Jules Verne écrit De la Terre à la Lune, Méliès le met en images et Neil Armstrong le concrétise soixante ans plus tard. Le mythologique, mis en forme dans l'information, travaille sur le temps et sa mémoire et prédit toujours, par les multiples délires de l'art, l'évolution des hommes et des

1. Le funky art, issu du subway art new-yorkais, a fait son apparition en France au milieu des années 80. Il se caractérise par le marquage systématique des territoires urbains et par la répétition obsessionnelle de signatures (togs). faisant songer aux anciennes traditions héraldiques. techniques. Et si on accorde tant d'importance à la technologie, la consacrant dans quantité de temples, musées, universités, etc., il serait temps d'en faire autant pour l'imaginaire populaire. Q1 est vrai que l'imaginaire n'a nul besoin qu'on lui accorde des subventions. Il prend comme il peut ce qu'on ne lui accorde pas. Pluc, le clown, nécessiteux, héros du clip de Margarita Marambio (concours de vidéoclip de Radio Québec), faisait la manche. Doué et patient, il travaillait son personnage dans la rue, au contact de la foule comme d'autres étudient la magie des tons et des contrastes sur les façades nues de la ville. Sur le trottoir se forgent ainsi bien des talents. Le pavé apprend le monde, dit-on, sans doute parce que dans les rues de nos villes, toujours davantage on rencontre le monde ! Métissage fort apprécié dans le milieu des arts. Annie Lennox, des Eurythmics, se plaît à demander dans quelle ville d'Europe il est aussi facile qu'à Paris de vivre les Caraïbes, l'Afrique et l'Amérique latine réunies ?

^9 'imaginaire populaire semble dialoguer avec lui-même. Par chaînes de réactions sociales, rumeurs et modes s'étendent. Comme les bombages sauvages de la rue qui reflètent nos clichés d'actualité. L'imaginaire social s'enracine. Par effets de surenchères symboli- ques, il flashe et renouvelle les représentations - l'image change de look, de plus en plus vite, mais le répertoire des rôles mis en scène reste, à peu de chose près, inchangé ! Ça continue d'être plein de héros de quatre sous et de clichés « all dress », faciles à c'onsom- mer... La mémoire de chacun peut ainsi se remplir des parcelles de l'imagerie publique « up to date ». De messages en brassages de rêveries, le populaire se murmure ainsi à lui-même !

m propos de Méliès justement, tout le monde a dans la tête l'image de sa lune en carton-pâte. Elle pleure ! Elle a reçu un obus en plein dans l'œil. En sortent des petits bonshommes sautillants. Les premiers astronautes de Jules Verne. Lorsqu'on projette ce bout de film, la plupart des gens le « reconnaissent » spontanément, souvent, sans même en connaître l'auteur. En effet, la lune de Méliès fait partie de la culture pop et se trouve désormais étroitement associée à une réalité devenue tangible dans les années 60. Chaque fois que les médias audiovisuels racontent l'histoire de la conquête spatiale, ils y intercalent immanquablement un fragment du film de Méliès. Tant et si bien qu'il en est devenu un cliché indissociable et qu'on a pu entendre un élève en donner comme auteurs : Jules Verne et Méliès ! m ela revient à la distinction que Glenn Gould, le célèbre pianiste canadien, faisait entre les faits (éléments matériels ou psychologiques se produisant au fil du hasard) et la réalité. Il définissait cette dernière comme un ordre, recréé de toutes pièces par les mass media. Mieux que s'adapter à son milieu, prenant le mythe comme modèle, au gré de ses désirs et de ses fantaisies, l'humain aménage la réalité « à son image » ! A ce titre, l'imagerie collective est bien plus que le simple reflet d'une culture, elle en est le principal moteur imaginai, et les vidéoclips constituent, ici, un épisode déterminant de la civilisation de l'image. 13 ent ans de science-fiction médiatisée ont changé la face du monde ! Aurait-il fallu brûler Edgar Allan Poe, Lovecraft et Cyrano de Bergerac pour autant ? La SF est-elle responsable du délirium génétique qui saisit aujourd'hui tous les « tordus » sympathiques rêvant de forcer un destin funeste ? Contre l'horreur nucléaire, ou les processus automati- ques de la guerre des étoiles, contre la sourde angoisse de se faire planter par un moustique infecté du sida ! devrait-on dénoncer le vidéoclip à la vindicte populaire ? Il aissons aux réactionnaires le soin de choisir leurs boucs émissaires. Pour l'heure, on ne s'acccommode plus guère des rôles que le hasard nous désigne. Ce qu'Alain Touraine décrivait comme la juxtaposition d'un pessimisme général et d'une bonne « sniffée » d'optimisme personnel se vit a priori, dans l'humour nécessaire. Plutôt se marrer que la déprime ! Secrètement, chacun caresse l'envie de changer sa vie, de la transformer, biologiquement ou sexuellement quand ce n'est pas institutionnellement... à moins encore, que ce ne soit sur les conseils d'un GO séduisant ! Peu importe les formules à la carte ! Quelles qu'elles soient, elles témoignent de la richesse des désirs ! Ceux-ci, en dépit de tout, demeurent plus forts que le fatal. C'est là l'un des thèmes principaux du vidéoclip, comme le montre, par exemple, la paillardise du Bateleur (cf. p. 108). L' a technologie fabrique le « réel », elle rend visibles les vieux rêves de toute-puissance des hommes. Les magies se concrétisent, les clones se pointent, les femmes se métamorpho- sent en hommes, les hommes deviennent pères porteurs !

Clip dream

Q e technologique réalise ainsi les vœux les plus fous. La conquête des étoiles ! La vie allongée ! Le quatrième âge (horizon cent vingt-cent trente ans ! annoncent certains) ; le retour à la mer avec les dauphins ! préconisent d'autres, autant d'images « futuribles », devenues sinon réelles, du moins probables, au moins projetées par une mise en scénario. A tel point que la science, au niveau des images qu'elle met en forme, qu'elle « informe », est en passe de devenir plus démente que les fictions qu'elle a de tout temps inspirées. M étamorphose du temps présent, les images d'E.T. se profilent, comme un nouveau gadget d'apprenti sorcier. Elles refleurissent sous cent formes contradictoires, dessinant le fabuleux territoire de l'interrogation cosmique. Ici l'Allien monstreux, là le Cocoon messia- nique ; repoussants ou sauveurs, leur liste serait bien longue ! En fait, les extra-terrestres ont réellement atterri, un jour de mai 1938, à l'occasion de l'émission d'Orson Welles. Depuis, ils jouent furieusement à cache-cache entre les multiples formes de nos médias. Leurs images inhumaines, surhumaines ou subhumaines font désormais, partie du quoti- dien (du « réel ») et peut-être, pourquoi pas, annoncent-elles des « faits » imminents ! Il outes les options sont aujourd'hui possibles. Si les vidéoclips les servent abondam- ment en images par leurs représentations hautement symboliques, sciences et techniques ne sont pas en reste non plus. Au cœur même des nouvelles théories de la science dite « pure » (physique et mathématique), les prospectives sont largement ouvertes sur la rêverie et l'imaginaire. Hubert Reeves évoque l'ivresse de l'infini, Carl Sagan gère des millions de dollars pour d'hypothétiques « contacts du 3e type ». Depuis des années, dans Actuel, Patrice Van Erseel ne cesse de débusquer les Professeurs Tournesol de la communauté scientifique internationale : John Lilly et ses dauphins, David Boehme et les « univers pliés », Etienne Guillé, la biologie moléculaire et l'alchimie ; une liste fort longue là encore et fortement déboussolante ! La France, depuis toujours « bouillon de culture », connaît une relève vigoureuse - Rougerie et les cités de la mer, Claudine Eyzikman et Guy Fihman avec le cinéma 3D... Des milliers de créateurs et d'inventeurs travaillant actuellement sur la maîtrise de technologies, autant d'essais passionnés pour donner forme à de nouveaux rêves... afin que se perpétuent (en devenant concrets) les ingénieux délires de l'imagerie collective ! m n s 'en doute dans les clips, les allusions amusées à ce monde extraordinaire de la science sont fort nombreuses : Kate Bush avec "Cloud Buster" et "Experiment IV", Eurythmics avec "Missionary Man", sans oublier l'incontournable Max Headroom, d'Art of Noise, devenu à partir de 1986 un véritable symbole du genre (cf. le Bateleur, p. 108). La musique pop donne le «ton» actuel de «l'appel planétaire». Profondément messianique, elle est assembleuse et rassembleuse bien mieux qu'aucun parti politique ne saura jamais le faire ! Le rock particulièrement, symbole d'une intelligence ayant commencé à se réciter par le rythme. Ayant trouvé le sens de ses mots, entre les années 60 et 70, pour enfin mettre en images, dans les années 80, le premier « album clipé » des différentes générations rock. Histoire d'un art de vivre ! « Bîn ordinaire », lançait Charlebois en 1970. Une « rock attitude », comme ont si bien su la nommer Michel Berger et Johnny Hallyday. Ce sont là, encore une fois, autant de signes centrés sur l'actuel et le quotidien, sur des subjectivités farouchement personnelles, arrogantes et finalement authentiquement « popu- laires ». Lieu collectif où chacun consent à se reconnaître, voire à s'identifier, en tout cas à vivre ensemble !

Il a rock attitude est ainsi une forme de collectivité, une manière de se reconnaître, par un certain surfing sexué de la vie ! Entre l'âprété du cuir et la soie des culottes, se pratique le combat passionnel contre la peur. En jazzant sa vie, en préservant sa très nécessaire dose d'humour, son « Oxygène », comme disent Jean-Michel Jarre et Diane Dufresne, on donne forme à des rêves qui, chaque fois davantage, prolongent le sens de l'existence. la est encore sensible dans cette fameuse naïveté rouée des antihéros. « We don't need another Hero », gueulait Tina Turner en 1986. La guerre, le terrorisme sont peut-être entrés dans nos salles de séjour, mais ils n'ont pas réussi à en expulser la dérision. Bien au contraire, si d'une certaine façon nous prenons l'habitude de vivre dans la réalité de Mad Max, ces images ne s'assortissent pas moins d'une distance comique suffisante, pour traverser sans trop de dégoût les contradictions de l'actualité. abuleuses réalités mises en scène par les clips, elles deviennent des faits (matériels et psychologiques), mais aussi des signes du bouleversement que nos cultures traversent. Symptômes remarquables d'une prodigieuse interaction entre le « cerveau planétaire » de Joël de Rosnay, interconnecté, câblé, satellisé, et l'explosion dionysiaque de la société dite « civile ». Aussi nombreux qu'éloquents, les symboles clipés sont foison. Pour mesurer la température de ces débordements collectivo-électroniques, pour en savourer les mille et une variations, on peut visionner, comme nous l'avons fait, le parc des sept mille clips constituant le matériel brut de traitement du présent ouvrage... ou encore, procédé plus simple, continuer de lire...

BLAH BLAH SOCIAL

MUSAK

Kl a y est, la musique fait partie de notre vie, le rêve de M. Satie s'est réalisé ! Elle nous « accompagne » partout, « buveuse d'absence », sirupeuse d'aérogares, enjôleuse de maga- sins, patiente au téléphone, discrète, mais toujours obstinément accompagnante ! la acoleuse en fait, comme les musiciens de la rue ont toujours si bien su le faire. La musique « d'accompagnement » captive l'instant. Mais sans l'intention d'éveiller, qui est traditionnellement le caractère des chansons populaires. Tout au contraire, la musique d'accompagnement possède une vertu dormitive, connue comme étant l'opium des peuples. Elle a la fonction préméditée d'anesthésier le passant, de le bercer un instant dans un monde de nulle part, où peuvent galoper librement les archétypes1.

1. La musique des rues en tant que médium des contes populaires attend du badaud qu il verse son obole. Le geste de glisser quelques pièces dans un chapeau implique la participation du passant. Les passions chantées en appellent à la sympathie. Il faut bien qu'on y reconnaisse de sa vie pour déclencher les élans du porte-monnaie. Donc, ce qui est raconté dépeint au moins les passions tristes et/ou joyeuses du quotidien ; au plus, cela les dénonce ! Ainsi le « protestsong » contre l'injustice, la guerre, la torture, etc. Bref ! dans chaque cas, on s'en prend violemment à l'absurdité du monde ! Centre obligé de la complainte... qu'elle soit « ancienne » ou « pop », le Fatalitas chéribibien demeure ! La musique d'accompagnement n'a pas ce rôle vital d'attirer l'attention du passant. Exactement, c'est à l'opposé, celui de le distraire. Principalement en cajolant ses frustrations. Cependant, il convient de tempérer une telle approche « clinique » ; de plus en plus dans les lieux publics, mélangées aux mélodies « ambiantes » qu'on a dites « d'aérogare » (vaguement abstraites et instrumentales) sont intercalées de longues plages de musique pop et rock. En fait, c'est que probablement l'univers des « ambiances urbaines » gagne, lui aussi, en complexité à mesure qu'on découvre des équivalences vibratoires (sonologiques) adaptées pour chaque situation urbaine. De sorte que, si Brian Eno* continue de faire les beaux jours des aéroports, on découvre davantage combien "The Great Pretender" de Freddie Mercury sied agréablement à l'espace sonore des surgelés. C 'est dans le courant des années 70, après vingt ans d'histoire rock, que la musique pop a commencé à se modéliser en musique d'accompagnement. Au début, elle se contentait d'occuper les « silences » du social ; particulièrement loisirs et flâneries. Puis il fallut transformer ces parenthèses oisives en pouvoir d'achat, l'objectif consistant à captiver le passant, à l'arrêter, à le changer en consommateur ; d'où l'alliance d'éléments audiovisuels euphoriques et analgésiques, allant de la douce monotonie des musiques répétitives au disco trépidant des galeries marchandes. E ntre-temps, les origines farouches du rock l'avaient déjà marqué d'une hérédité trouble. Sous la frénésie apparemment insouciante du rythme, les paroles amenaient un démenti formel. Cela ne portait guère à conséquence... la foule des grandes surfaces n'ayant de toute façon rien à cirer des paroles... ou presque ! a vec la venue du vidéoclip, est venue s'ajouter aux paradoxes feutrés paroles/musique la succession rapide d'images elles-mêmes très contrastées. Comique et tragique y parais- sent devenus indissociables. Bruce Springsteen, A-Ha, Frankies Goes to Hollywood, The The et quantité d'autres en usent et en abusent... entre horrible et délices. [5 a musique d'accompagnement n'a pas cessé d'être pour autant. Elle s'est seulement ajustée. Graduellement, par paliers d'intensité selon le lieu et l'heure, elle a réussi à constituer un médium du conditionnement, sophistiqué et permanent. De sa dimension d'origine, discrète mais collante, elle a gardé le pouvoir hypnotique du piège à consommer. Puis, grâce aux systèmes de télévisions musicales, elle est parvenue à s'immiscer dans les foyers par cette troisième fenêtre ouverte sur le monde - la télévision. De là, elle peut maintenant obsessionnellement se redire, avec ce petit « plus » terriblement efficace - la culture pop-rock. Puissance symbolique qui n'a jamais cessé d'être brutale et sexuée, elle se combine aujourd'hui à l'impact de l'imagerie populaire ; dans ce que cette imagerie a de plus traditionnel, au travers des multiples expressions de l'art. Qu'on pense aux enseignes des échoppes de jadis, aux faïences, aux vitraux des cathédrales, aux jeux du tarot, aux sculptures médiévales, aux personnages de François Villon ou de Jean Rictus... Tout parle de l'art païen, sauvage, du populaire dans les vidéoclips.

Médium is...

S ous les artifices techno-magik du médium repasse, interminable, la permanence du message collectif. Le populaire se parle toujours par clins d'œil interposés. L'art de la rue est son lieu favori, son lieu public - et c'est en cela que l'art populaire est un art du lieu commun.

Entre l'imagerie d'Epinal et les premières pubs américaines au début du siècle, Coca-Cola « Coke du tonique cérébral », il y a plus qu'une similitude des formes et des couleurs. Même parenté logique encore, entre la symbolique des tarots, les marionnettes du Guignol et les jeux de rôles. En fait, l'art populaire n'a jamais cessé d'être « jeune ». Bien avant même qu'il soit possible aux générations baby-boom de s'offrir le luxe d'un concept 'ad hoc". m omment s'étonner, alors, si ces portraits de héros, éternels naïfs magnifiques et goguenards, réapparaissent dans les vidéoclips ? Les obsessions humaines sont de toute éternité et cet intemporel qui baigne l'art populaire est traversé des grands thèmes de l'existence - vie, amour, mort, magie. La trame du conte reste cousue de fil blanc. Au fil des « reprises », elle ne perd rien de son efficacité première à rafraîchir les mythologies. Bien au contraire, le culte de la répétition renforce encore les tendances larvaires et profondes de la scène primitive. Le caractère populaire tragique et naïf s'y imprime, chaque fois qu'il peut trouver un nouveau support pour s'exprimer librement. Ce fut le cas de la bande dessinée, alors qu'elle s'ouvrait aux clientèles « adultes » des années 60. C'est encore le cas des années 80, avec la venue du vidéoclip. m ans les deux cas joue la même expression sauvage, car la production du vidéoclip est un domaine, ô béni soit-il ! où la création jouit d'une relative liberté. Il n'y a pas, comme dans la publicité, « impérativement » un lourd cahier des charges à respecter. La commande est passée par les compagnies de disques. Et il aura fallu vingt ans pour qu'elles tolèrent d'autres images que les simples films de promotion présentant le groupe en « live1 ». M anque d'imagination ou prudence commerciale ? Ce que l'industrie du Scopitone avait tenté dans les années 60 ne s'est finalement imposé que lorsque le disque a cessé de bien se vendre. Il a bien fallu innover alors ! Revoir les stratégies de vente ne suffisait plus, il fallait changer le produit lui-même. Le clip (Scopitone2 newlook) est réapparu à la faveur d'un principe très simple du marché. La nécessité fait loi ! Et celle-ci vient toujours de la base puisque par son pouvoir d'achat elle détient (ultimement) le nerf de la guerre.

O r la « base », comme disent les « décideurs », consomme de plus en plus d'images ! Le clip répète un phénomène d'engouement qui s'était déjà manifesté avec les pochettes de disques, lorsque celles-ci accédèrent à leur qualité graphique actuelle. Tout bêtement parce qu'elles faisaient mieux vendre. Pour les clips, même processus logique !

1. Le « live » désigne l'enregistrement musical en direct (concert). La formule s'est trouvée reportée dans le domaine visuel, par l'enregistrement de minifilms présentant le groupe en - live ». Procédé visant initialement à fournir un outil de promotion capable de captiver le spectateur, l'arrêter devant l'image, dans le but qu'il se précipite au concert et achète le disque. 2. Le Scopitone était une machine hybride du juke-box et du minicinéma. Une invention lancée en 1964 par la Comeca, filiale de Thomson. Pour 100 balles (anciens) on « visionnait » son tube préféré agrémenté d'un film en 16 mm. Johnny l'idole des jeunes, Françoise Hardy, Sheila font les beaux jours du Scopitone qui traverse l'Atlantique pour pénétrer le marché nord-américain via Montréal. Malgré trois cent appareils en France et les cent cinquante au Canada, ça ne marche pas ! Les machines sont trop fragiles et la Comeca doit organiser un coûteux service de réparateurs itinérants ; finalement, ils revendent. Scopitone devient Cinématic, qui adopte le film super-huit plus économique ; sans plus de succès - quelques machines font encore les beaux jours des troquets arabes, où on passe des extraits des films d'Oum Khalsoum, et de Farid el-Arrache. L aventure du Scopitone, outre qu elle permit à de jeunes talents de se révéler (Claude Lelouch, Alexandre Tarta), marque cette longue tradition française du « court », qui va de Georges Méliès à J.-B. Mondino. Aujourd'hui, les quelques quinze cents Scopitone tournés à l'époque (propriété de Mme Davis Boyer qui en réalisa la plupart) représentent pour les jeunes vidéoclipeurs un trésor culturel inestimable. 12 remière étape - Les compagnies de disques commencent par financer timidement quelques clips ; produits de promotion distribués gratuitement aux réseaux spécialisés. Puis, en quelques années, sous la pression d'une demande grandissante, la situation se renverse. Le produit de promotion accède au grade de produit tout court ! Enfin, la pression des consommateurs se répercutant tout au long de la chaîne commerciale, un nouveau concept apparaît au début 80. Un terme le désigne, c'est le « clip », dans toute sa splendeur, un jeune bambin turbulent et glouton. m econde étape - Les compagnies décident de vendre (et « Bonsoir les Clips », un million de télespectateurs en 1985, s'arrête : A2 ayant refusé de payer la dîme pour un secteur considéré jusqu'alors comme de la promotion). Une partie de bras de fer s'engage, dont les compagnies sortiront finalement vainqueurs : 1 250 francs par passage, mais certaines exclusivités pouvant se payer fort cher, cf. Bowie. En fait, il n'y a rien de précis et tout se négocie au coup par coup. « Décibels » (FR3) payait 1 500 francs la minute en 1986, sans exclusivité, mais en première diffusion. La RAI donne 2 500 francs la minute avec l'exclusivité pour quatre ans, mais c'est Music Box Channel qui paie le moins cher de toute l'Europe ! Le deal joue à fond !

lm ême logique encore dans l'évolution rapide du produit. A l'origine, le vidéo de promotion met en scène « un portrait du chanteur », couleurs chromos, style ringard des premiers Rod Stewart. Puis la « tête qui parle » s'illustre de graffiti, de papiers découpés, de couleurs animées qui ont pour effet de souligner la rythmique du montage. De glissement en dérive, on arrive finalement à un produit ayant digéré la genèse des pères fondateurs : Méliès, Jean-Christophe Averty, Peter Foldès, McLaren. De moins en moins exclusivement promotionnel, de plus en plus créatif. En diachronie avec le rythme, le clip impose son style, pour un investissement valant de $ 50 000/250 000 francs, environ (80 % des clips), à 1,25 million de dollars (le top ! pour Grace Jones en 1986, avec Tm not Perfect"). Il es grandes compagnies, les « Majors » (CBS, RCA, Polygram, WEA, etc.) ont compris que le vidéoclip fait mieux que présenter le groupe... il fait vendre ! A aucun moment, la production de ces images n'échappe aux impératifs commerciaux (en 1983, l'album de Michael Jackson a atteint les dix millions d'exemplaires vendus aux USA contre cinq millions seulement pour Police et David Bowie). Mais le contenu des images, la symbolique qui s'y développe restent un domaine entièrement libre. En gros, ce que les commanditaires veulent, c'est des clichés, chiadés, rythmés avec la musique. Maintenant, ce que ça représente n'est pas de leur ressort, et pour tout dire ça leur est égal ! Non pas que la qualité leur importe peu, mais plutôt que les symboles dont elle se nourrit ne sont pas « décidables » en terme de marketing. Finalement, la qualité de l'image n'a qu'un seul impératif - répondre à « l'air du temps », à la mode et, par là, la seule sanction de l'efficience des vidéastes, c'est leur stricte rentabilité ! Un art rock ? « Je viens je ne sais d'où, je suis je ne sais qui, je meurs je ne sais quand, je m'étonne d'être aussi joyeux. » Propos attribués au baron Martimls von Biberach par Clément Rosset

ronie incroyable, au cœur du temple mass-médiatique, dans le saint des saints du showbiz (l'industrie mondiale représentant plus de 10 milliards de dollars, bon an mal an, dont 6, seulement, pour l'Amérique du Nord), entre les deux colonnes popularité/rentabilité, se développe alors un espace ouvert à la création. C'est là un canton libre de plaisir autour duquel s'empresse fébrilement tout un courant de jeunes créateurs. Très vite, certains deviennent des stars du genre - les noms sont déjà célèbres : Jean-Baptiste Mondino, réalisateur des très fameux "J'ai rêvé d'un autre monde", de Téléphone, et "Cargo" d'Axel Bauer ; Jean-Paul Goude, réalisateur de "Slave to the Rhythm" (Grace Jones). Philippe Gauthier, réalisateur de "Marcia Baila" (Rita Mitsouko) ; Dream Factory, avec à son palmarès les meilleurs clips français du moment, etc. (cf. Les Pros, p. 73). Sans oublier les pionniers. Des Britanniques, tel Steve Barron, réalisateur célèbre du "Take On Me" de A-Ha ; Bruce Gowers, créateur du genre "clip vidéo" vers 1975 - selon la prestigieuse revue américaine Industrial Design, à l'époque il s'agissait de la mise en images d'une pièce des Queen, "Bohemian Rhapsody". Décadents et symboliques à outrance, les Queen font leur « cinoche »... Freddy Mercury assimilé à un oiseau (signe de pureté) transforme illico l'essai en monnaie trébuchante et sonnante. Les résultats en terme de vente dépassent tous les pronostics les plus béats. En quelques semaines, le vidéo les propulse à la première place des hit-parades dans le monde entier... E3 ous ces créateurs démontrent ce que produit l'imaginaire d'une époque, lorsqu'un canal d'expression s'ouvre à lui. Le clip, médium nouveau, n'a pas d'histoire, il n'est associé à aucune « facture » artistique, c'est donc là un immense champ de création où tout lui est possible ; y compris inventer son propre système d'écriture - comme cette cadence si particulière, conjuguée entre le son et l'image. la est alors la curée innovatrice, une orgie de trouvailles, une débauche d'inventions. Depuis les petits films muets de l'âge d'or, le cinéma n'avait pas connu ça ! Le fait d'être dissocié du son libère techniquement le cinéaste des contraintes du synchrone. Un détail qui change tout ! lorsqu'on considère que sur un tournage il faut parfois recommencer une prise plus de vingt fois... pour de simples questions de bruit - l'avion qui passe, l'autre qui éternue, etc. ans le son, la liberté est retrouvée. La caméra devient volante. Elle se déplace vite. Et, bien sûr, cette aisance dans l'expression traverse tout le concept du vidéoclip. là n fait, si le clip ne doit rien à la technologie vidéo (plus de 90 % des clips sont tournés très classiquement en 35 mm), il doit tout à l'autonomie de ses parties professionnelles. Entre les musiciens, le réalisateur des prises de vues réelles, ceux des effets graphiques et du montage, les clips se décomposent en autant de moments relativement autonomes, chacun 'privilégiant la création commune. Le seul impératif ! être fascinant (cf. Les Pros, p. 73). m arallèle à cette liberté technique « inspirante », le fait que le clip soit sans histoire le sauve des pièges esthétiques et libère ses auteurs de l'obsession du « faire nouveau ». D'où cette pratique de la reprise, ce comportement du clin d'œil, cette passion de la copie ingénieuse. Par l'orgueil du créateur s'impose la nécessité du truc génial. Il garantit au clip son caractère irrésistible. Cela se règle parfois sur d'infimes détails ; ainsi le plan célèbre de la télévision et du chien, dans "Money for Nothing" de Dire Straits - composé en images de synthèse par Steve Barron. Un petit chien paraît opiner du chef, tandis que Mark Knopfler plonge tête la première dans l'image cathodique. Cette association du Milou et de la TV - images du confort et des pantoufles bourgeoises - sera reprise par la suite dans bien d'autres clips. Celui qui la mènera à son paroxysme est Jean-Baptiste Mondino dans "C'est comme ça". Cette fois le petit chien est posé comme un mauvais bibelot sur le poste de TV, et le chimpanzé (téléspectateur moyen) actionne sa queue articulée afin que celle-ci suive la cadence des Mitsouko.

e clip est en partie fait de cet art « sans façon » de la copie inventive. Point de grand discours, seul importe l'humour ! Place au rire et bonjour les fantasmes ! Le seul objectif étant d'être clair, on n'aura pas peur des poncifs, du redondant, voire de l'ampoulé. Par exemple, on recyclera de vieux films muets archiconnus en les remontant sur un hit rétro de Percy Sledge. Ou encore, pour une atmosphère mystérieuse, on fera appel à l'image de la lune. Symboles lourdingues peut-être, mais superbes. Loups-garous, princesses et Cendril- lon se succèdent en toute ingénuité. C'est gros ? Tant mieux, ça n'en sera que plus frappant ! C aptiver le spectateur, l'obliger à jargonner les rêves collectifs, parler le verlan pop n'impose pas de vraiment se creuser la tête. Au contraire, les arguments de l'image, du rythme et des paroles engagent à laisser courir son bébête show personnel. C'est ça le difficile pour les réalisateurs de vidéoclips, être bref et génial. i le clip parle en images et rythmes des questions de son temps, il associe aussi extase et misère. C'est ce qui rattache le clip au pop, un langage commun du populaire, redire la comédie éternelle. Rien de bien neuf de ce côté-là sous le soleil, sinon que l'image littéraire ou visuelle est primordiale. C'est elle qui fonde ce sentiment chez chacun, que la chanson parle de lui et lui parle.

Le neuf et le vieux

« L'avenir est si brillant que je dois porter des lunettes de soleil. » Timbuk 3

[5 e neuf et le vieux, l'ancien et le moderne, deux faces d'une même médaille, sur laquelle s'évaluent aujourd'hui les points forts du réel. On dit l'histoire mise à plat, postmoderne. Napoléon, Vercingétorix, Hitler et César Borgia seraient sans âge. « J'les ai vus à la télé ! » Autre indice, point d'orgue du banal, le vertige de la surenchère. Il s'empare de tous, sida, terrorisme, catastrophes alternent avec les modes des masques et des seins nus. Trop de passions défilent sur le registre du possible, manipulations génétiques, transsexualité, banques de fécondation... les nuances du réel sont devenues de plus en plus subjectives. Comme atomisées !

Il e monde, dans sa diversité, son horreur et ses fantasmes, s'étale sur les écrans de nos consciences. Des Américains fortunés vont s'acheter une épouse thaïe en Allemagne ; de jeunes Espagnols retrouvent l'art de la tauromachie à 200 à l'heure sur l'autoroute à l'inverse du sens ; en Californie le nouveau chic est de pratiquer le yoga sous l'eau (trois noyés déjà). Il se passe comme un phénomène d'inflation. Image et morale s'entrechoquent. Chacune se contemplant avec jubilation dans le miroir mass-médiatique de la planète électronique. Mais en même temps que tout s'exprime, tout manifeste également du néant et du dérisoire qui le rongent... La société, si dure à l'extérieur, n'en finit pas de se larmoyer dans le paletot, elle gémit, dégouline dans les miasmes de vieux folk urbain, grince d'angoisse dans les pantomimes punk, se pleure à tour de bras des chansons tragiques. la est la jungle ! Lézards, dragons et fauves de toute écaille rôdent, prêts à croquer le naïf. De séductions en tenailles psychologiques, la vie est impitoyable. Les comportements « amicaux », familiaux, amoureux sont sans pitié... « séduite abandonnée », « foudroyée d'amour », « meurtriers du désir », « elle a fait un bébé toute seule » (Goldman), les locutions de la chanson populaire n'en finissent pas de témoigner des grandeurs et de la misère du quotidien. Les clips en tartinent de longues tranches bien suppurantes de souffrance... car il y a aussi une incroyable jouissance, quasiment mystique, dans cette perverse dolorosa des rapports intimes ! U ne douleur qui n'est coupable d'aucun méfait, une brûlure plus cuisante que le soleil... la froide lucidité des temps peut-être ? Mais aussi et en dépit de tout, l'avidité carnassière de jouir.

« Curieusement, le triomphe du vidéoclip, sa surprenante rapidité à être admis de tous se sont accompagnés d'une désillusion synchrone. Il a surgi telle la divine providence, occupant instantanément un créneau colossal dont la veille on ignorait l'existence : son succès terrassant n'a terrassé que le néant. Pas étonnant dès lors que, s'il plaît à tous, il ne satisfait véritablement personne. »

m insi s'exprimait Oliver Seguret, dans Libération en 19851. Une désillusion fataliste... mais vibrante de passion. Depuis une dizaine d'années, ces valeurs paradoxales ont envahi j les images et les ondes des grands médias. Si, dans les années 50, la planète a commencé à j être jeune, en 80, le processus de rajeunissement des images continue toujours, tant et si

I

» 1. Supplément de Libération n° 1354, intitulé « Paysage du clip », paru à l'occasion d'un festival de vidéoclips organisé à Beaubourg. * 1 bien que parents et professeurs s'arrachent de nouveau les cheveux, pour essayer de comprendre ce qui se passe chez les jeunes - toujours aussi imprévisibles, fantasques et conformistes (à la fois) et qui s'expriment aujourd'hui par clips interposés : « T'as vu le clip de Machin ? Nul » « Attends, t'as pas tout vu ! Truc a fait une suite ! Terrible !... » N on, mais de quoi causent-ils ? se demande l'opinion publique. 83 % des Français jugeaient les jeunes inquiets et décontractés en 1985. La brisure entre les générations se reproduit. Entre les baby-boomers vieillissants (majoritaires) et les « postmodes » d'Orange mécanique, comment s'y retrouver dans le labyrinthe des tribus maraudant ? Ressemblan- ces qui ne doivent pas faire illusion, si les skinheads hantent les stades, il ne faut pas prendre tous les rasés pour des brutes kaki arborant une croix gammée. Sinead O'Connor ne fait pas l'apologie de la bière et de l'ondinisme d'Anne Pigalle, elle raconte la légende : "The Lion And The Cobra", elle parle des quatre éléments fondamentaux de la matière, elle n'est ni new wave, ni preppy, ni punk, elle est une nouvelle catégorie, dont la cote est en très nette hausse ces temps-ci, la catégorie « new age »...

Profil des jeunes Français des années 80 (Attention ! ne pas faire lire aux parents)

L' a catégorie new age est l'une de ces nombreuses étiquettes dont les sociologues et les responsables du marketing font régulièrement leurs choux gras. E n décembre 1986 des milliers d'étudiants sont descendus dans la rue afin de protester contre un projet de loi aux effets jugés trop pervers. Subitement l'opinion publique découvrait les nouvelles valeurs des jeunes. La majorité des sondages réalisés jusqu'alors en offrait un portrait étrange, en retrait, comme l'empreinte troublante d'une absence. Les jeunes étaient montrés sous un jour de moins en moins sympathique. On les avait traités de « bof », un bon mot était même né au détour des années 80, la « bof génération » ! Selon une partie de la fine fleur intellectuelle en France, l'individualisme de Narcisse l'emportait largement dans une société civile parcellisée en minuscules réseaux d'intérêts. On se gobergeait de « vide », on se gavait d'idéologie française, Lipovetsky répliquait à B.-H.L., Finkielkraut parlait en même temps que les autres et personne n'y retrouvait ses ouailles. Décembre 1986 coupe court à ces redondances savantes. Brutalement est mis en évidence le côté simpliste du psychodrame intello. Notamment la belle image d'une jeunesse, uniforme et pragmatique. Le sondage Sofres publié la même année au sujet de la révolte étudiante souligne le sentiment d'insécurité des jeunes de seize à vingt-deux ans - 55 % manifestaient leur inquiétude par rapport à leur avenir professionnel (les lycéens faisaient grimper ce score à 62 %), mais, de façon quelque peu déconcertante, 7 % seulement s'en prenaient au gouvernement. Chiffres comparables lorsque l'on constate que 7 % à peine des clips pouvaient se ranger alors dans la catégorie du pure « protest song » (ce pourcentage ayant grimpé à 16 % en 1987, année caractéristique d'un fort retour du style contestataire). Cette désaffection pour la chose politique était même devenue une sorte de signe distinctif (en retrait aussi ! tiens tiens !). Un autre sondage réalisé la même année - 1986 - sur le sentiment des jeune à propos de la politique donnait à cette dernière 52 % entre ennui et nausée ! Mais, paradoxalement, 70 % des anciens « jeunes bofs » attendaient du paysage politique que « ça change » 1. |3 n fait, la difficulté des sondages provient du mosaïsme social. Au-delà des clivages, la tribu est la forme groupale et postmode de ce que Gary Snyder préfigurait dans les années 50, lorsqu'il désignait par ce terme la valeur symbolique d'une culture associative. La tribu signifiait surtout, selon lui, la disparité des genres et des plumages. « Le retour des tribus », qu'il annonçait, s'incarne toujours davantage. De nouvelles variétés de popers-rockers ne cessent d'apparaître. L'éventail va des BCBG aux skinheads, en passant par le hardcore et le trash. Mais ces microcultures, ces mouvements de modes se réconcilient volontiers autour de la liberté, de l'entraide planétaire (à l'exception des skinheads). A l'inverse, elles affichent un mépris consommé pour l'ensemble des technostructures. L'État est un système que l'on cherche à feinter, l'éventail des catégories segmentées par les enquêteurs manifeste d'ail- leurs de cette résistance très « active » de la société civile. L'acro-computo déverrouille les banques informatiques, le yuppie gère si bien ses combines qu'il fait phosphorer les législateurs, la délinquance n'est plus un seul fait de loubard, elle se pratique « sans problèmes » dans toutes les familles du social, de haut en bas de l'échelle, chacun s'essayant et que le meilleur gagne.

la e sont évidemment les jeunes les plus innovateurs. En 1985, le journal Pilote passait commande à l'Institut des Recherches Economiques et Sociales d'une enquête sur la morale des jeunes2. Les résultats provoquèrent une vente record du numéro, mais le sondage n'eut guère d'échos dans la grande presse. Le verdict était sévère. 90 %, soit plus de seize millions de jeunes Français, ont commis un délit. A côté des bravades et des défis (59 % avouaient avoir grillé un feu rouge), se plaçaient 58 % reconnaissant ne pas faire remarquer au commerçant qu'il rend trop de monnaie. 121ette attitude de méfiance (voire de dégoût) pour la chose publique sert abondamment à identifier l'un des facteurs dits de « désenchantement du réel », signe qui caractériserait les jeunes des années 80. m our L'Express et l'Institut de l'enfant, fin mai 1984, était réalisé un autre sondage portant sur une tranche d'âge mystérieuse. Nouvelle période de l'adolescence, au dire des

1. Sondage réalisé par Gallup-Faits et Opinions en mai 1986, auprès de 487 jeunes, représentatifs des Français de dix-sept à vingt et un ans. I 2. L'enquête fut réalisée en février de la même année, auprès d'un échantillon national de 700 personnes entre quinze et trente-cinq ans. spécialistes. Jacques Buob, qui signait l'article, remarquait qu'un enfant de treize ans possède la maturité que ses parents avaient aux environs de seize ans. Lucidité oblige, les neuf-treize ans semblent contenir en puissance toutes les contradictions qui se développe- ront plus tard, lors de la prématurité. E n réalité, 1985 marque un tournant dans la reconnaissance du fait que la jeunesse, loin d'être statique, accuse elle aussi certains glissements de valeurs qui sont autant de signes d'une sérieuse mouvance souterraine.

« Dans cette perspective, le banal, c'est-à-dire ce qui échappe à l'imposition des pouvoirs, peut être l'objet d'un réel investissement. La situation vécue, aussi minuscule soit-elle, court-circuite les fausses opposi- tions, au contraire, elle met en spectacle, elle verbalise même sa profonde ambivalence, elle est à la fois ceci et cela ; mais, de ce fait, elle reconnaît qu'au travers de cette ambivalence la vie peut être vécue quand même. » Michel Maffesoli

En ne enquête menée pour la Société générale, par Jacques Paitra, président de l'Institut Français de Démoscopie, et portant sur les comportements des jeunes de quinze à vingt- quatre ans à l'égard de l'argent, le conduisait à commenter en ces termes les résultats du sondage :

« Nous observons une génération de jeunes très réalistes, qui ont compris la situation économique difficile et durable dans laquelle nous sommes et qui sont prêts à faire avec. » « Ces jeunes sont de plain-pied dans la société de consom- mation, (...) L'argent est pour eux un moyen d'atteindre une qualité de vie. On ne trouve chez eux ni le désir possessif vorace des années 60, ni le rejet idéaliste des années 70. »

Q 'étude concluait que ces jeunes apparaissent encore plus réalistes que la génération des vingt-cinq/trente-cinq ans. En revanche, lorsqu'on leur demande à quoi sert l'argent, ils répondent à 88 % qu'il sert à être dépensé. Et Jacques Paitra de conclure superbement : « Ils assument pleinement leur rôle de consommateurs. » E n recoupant cette étude avec une enquête effectuée l'année précédente, en 1984, par Express Gallup-Faits et Opinions, et qui arrivait à peu près aux mêmes constatations - élan vers le risque d'un côté, repli vers la sécurité de l'autre - on arrive à deviner le profil général des jeunes Français. Innovation contre tradition, soit : comment s'impliquer à fond dans l'entreprise, ou dans un projet sportif par exemple, ou une performance, un exploit, un défi à surmonter ?... Le goût du risque s'affiche massivement comme l'intention de se dépasser soi-même... vivant quelque chose complètement, totalement, à plein tube ! Une certaine idée rock de l'existence (tiens tiens derechef! ). epuis Graine de violence et son "Rock Around the Clock", tout est consommé dans le grand creuset magique du rythme. Se succédant depuis quatre décennies, le rock se trouve être le point d'ancrage des jeunes générations. Dès le départ ce rythme est un chantier où s'exprime la palette des styles de vie ; et l'apparition des « socialités », groupes affectifs, réseaux d'intérêts, ne fait que reproduire dans le micro-social l'immense métaphore du métissage des masses. Le rock devenu dans les années 60, via la consécration artistique d'Andy Warhol (sponsor du Velvet Underground), le principal propagateur des styles adoptés par les jeunes, le rock, dis-je, s'affirme comme espace mythologique, fondateur d'une idée nouvelle de solidarité ! Christophe Bargues et Philippe Bedfert, toujours dans le spécial du Libération (novembre 1985), donnent "Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band" comme le précurseur de ce « package » complet, où tout, depuis la pochette du disque jusqu'au minifilm annonce, réalise une création totale (musicale et visuelle) faisant de nos goûts et de nos couleurs des valeurs sous très fortes influences ! « Dans la foulée (du Sergent Pepper's Lonely Hearts Club Band), tout le monde s'enhardit, les musiciens recher- chent la connexion avec d'autres horizons (jazz, musique classique ou contemporaine, voire folklorismes Nord- Sud), modifiant du même coup les techniques instrumen- tales et créant des sons nouveaux. C'est peu dire que l'image devient essentielle, excédant de beaucoup la seule théâtralisation des pochettes de disque pour déborder sur scène : Genesis se défonce au light-show, Bovine travelote à ne pas croire - Alice Cooper fétichise ses accessoires. C'est l'âge d'or et les ventes de disques s'envoient dans la stratosphère. » Christophe Bargues et Philippe Bedfert

insi, à l'aube des années 70, la marge envahit la page. Le rock s'institue massivement en « styles », polymorphe par la forme et marchand d'attitudes, moniteur tribal, designer des goûts, pour le contenu ! Un monstre composite en fait, qui émerge de l'inconscient collectif à la faveur d'un assemblage frankensteinien, la mode, la poésie et le fric. Soutenu de rengaines populaires et de shows à l'américaine, le médium fait miroiter les possibles pop-rock, constituant ce qu'il est convenu d'appeler l'image « jeune » ! Formulation impré- cise certes, mais modèle psycho-collectif dans lequel se retrouvent immanquablement les jeunes de chaque époque. Un signe de reconnaissance, terriblement éphémère, les « jeunes- ses » se suivant, mais ne se ressemblant pas. m ourtant quelque chose perdure - la jeunesse peut-être - ou, plus sûrement, une sorte d'espace socio-économique nouveau qui lui attribuerait un rudiment d'histoire. Nous avons tous été jeunes, c'est toujours là ! Bien plus qu'un souvenir, ça se vit encore ! à travers passions et jouissances, dans l'incessant concassage des images - vieux films, cartes postales, affiches, machines à Coke, bagnoles... pénombres et parfums du bon vieux temps, comme une mystérieuse cristallisation chimique. Le grand crocodile rocker enfile ainsi, comme des perles, tous les truismes dont il se repaît. Une pour chaque catégorie. Aux gominés en blouson noir, fondateurs du mythe, s'ajoutent dans les sixties les hordes hippies, freaks fleuris suivis de près par les punks et le heavy métal... des 70. La « scène primitive » est alors en place. Le mythe maintenant compte déjà ses premières tribus archaïques. Les pépés baby-boomers pointent aujourd'hui. Chacun y va de sa gigue personnelle, style de vie, cultes, disques, stars, quincaillerie vestimentaire, attributs électroniques ou naturels, diététique Spartiate, jogging et petite entreprise familiale... tous constituant en fin de compte un formidable compost de puissance économique... et culturelle. ^3 u début de la décennie, précédant l'invasion des vidéoclips, la radio FM parachevait la première répétition générale pour la mise en place des nouveaux systèmes médiatiques. En effet, la FM découpe l'espace urbain en surfaces exotiques du réel, autant de plages où l'on peut venir s'étourdir en consommant des fringues, de la musique, des looks... Autant de catégories sociales finement segmentées. lm ais comme pour modérer cette stratégie menant à l'extrême indigence (dépendance) du citoyen consommateur, le « commun des mortels » s'avère rétif aux stratégies et manifeste une étonnante duplicité pour déborder des cadres dont on veut l'entourer. Il s'insinue à travers les brèches du système. C'est les mères porteuses dans le « vide juridique ». Personne ne peut jamais prévoir l'inventivité des désirs. Comme cette effrayante générosité : certains couples américains, depuis octobre 1987, décident de porter à terme la grossesse de leur enfant (sans cerveau), afin que ses organes (cœur, poumons) puissent être transplantés sur un enfant « normal » mentalement, mais atteint d'une grave déficience physique. Bien, mal ? Humanisme, ou préfiguration d'autres « camps » pour l'élevage de légumes organiques ? On appellerait ça des « banques d'organes », le vide juridique serait-il comblé ? Les comités d'éthique concernés sont depuis quelque temps atteints de violents accès de folie furieuse. B lague à part, si l'horreur pointe, les perversions du social se jouent habilement des codes économiques et moraux. L'histoire des arts déborde des preuves de cette impossibilité notoire à domestiquer le social. Aujourd'hui, sur ce point, n'est pas bien différent d'hier. Lolotte cherche Jules sur Minitel, courriers intimes, lettres d'amants, confessions salaces, interviews coquines. Le catalogue des plaisirs détournés est complet ! Comme le disco frivole, ou l'authentique stakhanoviste du body-building, tous se retrouvent volontiers super-consommateurs... Nul n'échappera aux segmentations du marché. P as étonnant, dès lors, qu'on s'interroge sur la nouvelle toute-puissance des sociologues. Sur la scène médiatique de la pensée, les philosophes marmonnent dans l'imbitable ! Les « psys » sont boudés au profit des médecines douces, mais les sociologues, eux, s'en tirent haut la main. Vu l'état de crise actuelle, avec les publicitaires, ils sont les seuls à fournir encore des points de repère dans ce maelstrôm fin de siècle. Du strict rôle universitaire qu'ils ont tenu pendant si longtemps, les voilà promus grands décrypteurs des passions collectives, et recyclés pour des études pointues de marketing. Comment peut-on consommer et être membre de l'une des multiples facettes du social fragmenté ? Comment peut-on être « groupai » et constituer, à l'instant où ce groupe est nommé, une nouvelle cible pour rabatteurs du marketing ? Comment prévoir les grandes équinoxes des modes et coutumes à venir ? On crie au nivellement, quelle dérision ! c'est l'inverse exactement. Le temps des différences spontanées affirmées, et encouragées par les chasseurs de consommateurs. On se plaint du vide, quelle rigolade ! c'est au contraire l'ère de la plus enivrante abondance. S eule bouée dans la tempête, l'image jeune ! Elle continue d'être globalement le meilleur des symboles et même le « pouvoir gris » aura du cœur à montrer son éternelle verdeur. Il es mini jet-sets, les groupes en vue sont la pointe émergée de l'imaginaire d'une époque et de véritables locomotives, chacun soignant sa télégénie personnelle ; qui dans la mode, qui dans le show-business, qui dans le design... Chaque style, gagnant en caractère, aiguise d'autant sa séduction. Le new wave, par exemple, a permis de relancer l'industrie des gadgets fluo, des bidules parfaitement inutiles, devant lesquels on ne peut pas faire autrement que craquer ! « Il me trompe avec sa femme, je craque ! Mon Jules a un petit ami, je craque ! » La pub colle à l'esprit du temps, elle traduit le climat social, souligne les maîtres mots du commun. Désillusions malicieuses, perversions salvatrices, résolutions passionnelles, paradoxes en bouquets... autant de libidos informées et savamment repro- grammées, aidant par un sourire (si fugace soit-il) à traverser les galères du jour le jour. ar l'intermédiaire de la source télévisuelle, de nouvelles cultures se forgent ainsi, préfigurant à l'horizon 1990 ce que seront probablement les prochains réseaux d'influences - plus interactifs - plus fusionnels... plus toujours ! Mais en deçà de la fusion titanesque des grands monstres culturels, en deçà des appellations courantes, Français, Allemands, Espagnols, Cajun... d'autres mixages s'opèrent sur le plan micro-social de la famille, des amis... Plus que jamais, les groupes se croisent, s'échangent ! Comme on change de peau, on change de Kelton. Autant de mini-masques dont on affuble le dérisoire. « Hier ma fille était funky, aujourd'hui elle est postmode, j'ai de la difficulté à suivre... » confiait un père à André Bercoffl.

1 1. Manuel d'instruction civique pour temps ingouvernables, André Bercoff, Grasset, Paris, 1985. Quelques conseils pratiques desti- nés aux parents... (à ne pas faire lire aux enfants) [9 es jeunes aujourd'hui, comme de tout temps, veulent qu'on les écoute ! Mais surtout sans discours moralisateurs, sans donner dans le blah-blah parental : « Quand mon vieux veut m'parler, j'en ai pour deux plombes à l'écouter. » La remarque frappe juste ! la eux qui ignorent la rencontre entre générations ! Ceux qui, tel Léotard, reconnaissent devant Sabatier ne rien savoir des styles musicaux du pop-rock. Ceux-là charrient un terrible handicap qui les empêchera toujours de comprendre leur époque. En ces années où toute la culture tourne justement autour de la rock attitude, celle-ci reste encore la meilleure monnaie d'échange entre générations. □ ibrer au son des Pink Floyd avec ses enfants est un plaisir que nos parents ont bien peu connu dans les années 50 et 60, eux qui comprenaient si mal les bouleversements dont ils étaient témoins. Le choc entre le monde du XIXe siècle industriel, méritant, et boutonné, et le XXe siècle s'est opéré douloureusement dans le creuset des décades mythologiques d'après- guerre. Mais il y manquait le brin « cynik » des années 80... indispensable « plus » pour affronter les illusions surréelles de l'audiovisuel. our les parents, il y a deux solutions, soit considérer leur progéniture comme atteinte du sida mental (les métaphores intelligentes ne manquent pas : effondrement des défenses immunitaires ; apparition jumelée du clip et du sida dès les premières années 80)... et dans ce cas, il n'y a plus d'autre alternative que de les « suicider » courageusement en toute dignité... Ou alors on se laisse aller à parler... mais alors il faudra rocker légèrement la langue... Q uoi de plus accessible que de contempler à même la profusion télévisuelle, les multiples visages de la vie en devenir ? le conformisme ? Allons donc, lui-même n'échappe pas à l'atomisation du réel, on lui reconnaît aujourd'hui bien des façons différentes de s'incarner.

La mosaïque des mondes

Il a société polymorphe qui se dégage de l'ensemble de ces looks est marquée d une sorte de mysticisme froid (touch) qui touche la liberté sous toutes ses formes (les pires étant inclues). Comme si « l'engagement » des existentialistes s'exprimait aujourd'hui sous de multiples options personnelles. Il rès tôt les jeunes dans les sociétés urbaines font l'apprentissage du « réel ». Le système D est une condition de survie et, on l'a vu, les occasions déterminent sans ambages la quantité de larrons potentiels. L'information « objective » pénétrant partout, la vision du monde qu'elle impose est un cocktail explosif entre le rêve (publicités et variétés) et le cauchemar - l'information quotidienne des « nouvelles », nationales et internationales. Ce paradoxe désamorçant la plupart des stratégies institutionnelles, les jeunes se montrent diversement réfractaires aux morales instituées. Leur refus détermine une certaine logique plus tolérante, « particip-active ». Valeurs autant signifiées par des mots (les potes, les Restaus du Cœur, Médecins sans Frontières, Amnesty International) et des comportements (métissage) que par des images concrètes (la terre, les réseaux de télécommunications), toute une gamme de redondances symboliques, multi-culturaliste et multi-ethnique. a a société « civile », selon le qualificatif que lui attribuent certains, est résolument multiple. Le spectacle est son meilleur promoteur... la sanction des options personnelles est sans appel... elle impose la plus grande efficacité. « Oui, je suis un produit », reconnaît Madonna ! Ce qu'on est importe peu en vérité, princesse ou larron ont même droit de cité... l'important n'est pas le fond, il est dans la forme ! On est tenu de bien jouer son rôle, d'aller au bout de soi-même ! Différence fondamentale avec le credo des années 60, le désir est très lucidement autogéré selon les possibles de chacun. Pouvoir qui se mesure à l'aune d'une | qualité strictement personnelle et orgueilleusement subjective. Elle pourra être coopérative, associative, individualiste, peu importe, elle sera toujours personnelle ! La personne est au centre ! Au sens étymologique grec du mot - masque (persona) - à travers lequel étaient « interprétés » les rôles du théâtre antique. 'où cette étrange inconscience du réel, dit Elie Théofilakis : « Nous sommes dans la distorsion, relative depuis long- temps déjà, et maintenant définitive, entre un projet de vie et le foisonnement illimité et sans maîtrise du monde qui se lève... La réalité devient un des matériaux possibles, et on est au-delà du grand récit, de la grande saisie du réel. Il n'y pas de preuve de l'essentiel, tous les éléments sont 1 égaux en droit, et il faudra chaque fois en proposer une règle... La scène de notre modernité est maintenant vacan- te. Elle est à occuper, à investir chaque fois différemment. Elle est un support pour des intensités, des propositions qui changent, à la fois relatives et absolues, d'un sublime baroque dans leur moment de successions1. »

1. Les Immatériaux. Autrement, Paris 1985. la 'où cette sensation d'ivresse, vertige produit par la double « ouverture » des comporte- ments et l'emballement du système qui en résulte. Vertige du banal, directement issu de la logorrhée des « possibles ». C ar si nos sociétés nourrissent le plus de suicides (le Québec et la France sont en tête au hit-parade mortifère, avec les plus hauts taux proportionnels, respectivement en Amérique du Nord et en Europe), ces mêmes sociétés manifestent aussi un étonnant sens moral, d'extraordinaires élans d'enthousiasme et de solidarité, le succès toujours croissant des entreprises d'entraide depuis "We are the World" en signe l'indéniable désir. 3.1

HISTORIK

Quelques précurseurs du médium télé... businessmen, scientifiques, bricolos, aventuriers, illusionnistes, artistes...

Il a naissance du nouveau médium que constitue le vidéoclip s'enracine dans l'émer- gence des télécommunications modernes. Télécommunication signifiant « transport d'infor- mations à travers temps et espace », on peut considérer, de ce point de vue, que les débuts de la télévision sont bien antérieurs au cinéma : 1862 l'abbé florentin Giovanni Caseli invente le « pantélégraphe » ou télégraphe qui dessine. Des images sont transmises entre Paris et Amiens. Le système tient de la simili utilisée en photogravure (grille de points traduisant l'intensité des ombres), il consiste en un balayage circulaire d'une image (point par point, ligne par ligne), puis à sa reconstitution intégrale. Une première forme de « digitalisation » des images. 1873 Joseph May, technicien dans une station de câble transatlantique en Irlande, découvre par hasard les propriétés photo-électriques du sélénium. La lumière pouvant se transformer en courant électrique, G.R. Carey à Boston préconise un écran formé d'un tissu de plusieurs milliers de cellules (faites de sélénium) et connectées à des ampoules électriques. Ce dinosaure médiatique resta théorique (vu ses dimensions), cependant, par son principe de décomposition de l'image en « pixels », il représente, de fait, la première proposition d'une technologique TV. 1876 Alexander Graham Bell transporte la voix humaine à soixante mètres par le premier microphone... à liquide ! Le pacte symbolique est ainsi paraphé entre la liquidité et le son. Le « son » étant le premier élément à se traduire dans la signalétique moderne par le signe d'aquarius ! Cent cinq ans plus tard, la télévision se traduira à son tour par des images ondulantes. 1877 le poète Charles Cros présente à l'Académie des sciences ses plans d'un appareil play-back qu'il appelle paléophone, soit la possibilité d'enregistrer un son, sur lequel il serait possible de réenregistrer (en surimpression) un autre son. La même année, le

I Britannique William Crookes invente le principe du tube cathodique, soit une chambre à vide dans laquelle un faisceau d'électrons, émis par une électrode (la cathode), fournit l'image d'un signal électrique sur un écran translucide. Tandis que Thomas Edison concrétise le rêve de C. Cros en enregistrant sur son phonographe cette simple phrase : « Mary had a little lamb. » Après la suprématie de l'écrit comme dépositaire du savoir, la mémoire collective s'enrichit maintenant de la restitution du son.

1878 les laboratoires Bell signent avec l'inventeur Emile Berliner un contrat qui mènera à la fabrication en série des premiers microphones. 1880 Alexander Graham Bell, Chichester Bell et Charles Tainter, propriétaires de Bell's Volta Laboratory, décident de la fabrication de cylindres de cire servant à l'enregistre- ment de la voix.

1881 Constantin Senlecq, notaire dans le Pas-de-Calais et bricoleur de génie, perfectionne les procédés de G. Caselli et G.R. Carey - une plaque d'ébonite percée de trous remplis de sélénium. L'intensité de la lumière frappant les trous déclenche la puissance du courant électrique en produisant certaines variations lumineuses resti- tuant la réalité.

1882 Etienne Jules Marey invente la caméra de cinéma. Après l'image fixe, voilà l'avène- ment de l'image mobile. 1884 Paul Nipkow, étudiant berlinois de vingt-quatre ans, invente le système d'un disque percé de trous, analysant et restituant télégraphiquement une image par synthèse. Il dépose son brevet d'un « télescope électrique ». La télévision est née. Grand lecteur de Jules Verne, il imagine déjà les prolongements probables de l'innovation, notamment par l'introduction de la couleur. 1887 Alexander Graham Bell et Charles Tainter fondent l'American Gramophone Co. En France, Etienne Jules Marey perfectionne son invention par un ruban de gélatine - le cinéma est né ! 1892 Emile Berliner, qui a déjà inventé le principe du disque plat pour l'enregistrement du son, passe à son industrialisation avec la fabrication d'un « master » de zinc capable d'imprimer, par vulcanisation, des disques de caoutchouc. 1895 Guglielmo Marconi réussit la première liaison « sans fil » de la simple lettre « s » entre l'Angleterre et la Nouvelle-Ecosse. En France, Georges Méliès invente le principe des films à sketches, il réalisera jusqu'en 1913 plus de cinq cents de ces petits chefs-d'œuvre, qui établiront (entre autres) les bases du trucage cinéma. 1896 ouverture à La Nouvelle-Orléans du Vitascope Hall, la première salle de cinéma dans le monde. 1897 Emile Berliner lance en Angleterre The Gramophone Co., maintenant connue sous le nom de EMI. Le siège nord-américain est fondé à Montréal, d'où sont organisés le pressage et la distribution des disques dans le monde entier. L'année suivante, le frère d'Emile crée à Hanovre la Deutsche Gramophone AG qui se scindera plus tard en Deutsche Gramophone, puis en Polydor. En Allemagne Karl Braun met au point un dispositif de balayage du faisceau d'images qui représente une étape importante dans l'application de la technique télévisuelle. Michelin en France invente le bonhomme pneumatique, l'un des premiers symboles du marketing moderne.

1898 Valdemar Poulsen invente à Copenhague le principe d'une bande magnétique souple pour l'enregistrement du son. 1901 G. Marconi réussit une communication (émission-réception) transatlantique sans fil. La même année, près de Boston, un service de radio AM est créé à l'usage de la navigation. 1906 le Multiphone, premier « juke-box », est commercialisé. Il offre un choix de vingt- quatre enregistrements. 1907 le Russe Boris Rosing perfectionne le procédé de P. Nipkow et de K. Braun et met au point le principe du tube cathodique. 1908 Alan Campbell Swinton, ingénieur électricien, imagine le système complet (émission- diffusion-réception) de la télévision actuelle.

1910 Histoire comique des Etats et Empires de la Lune, ce premier film utilisant expérimenta- lement un son synchrone est une interprétation du roman de Cyrano de Bergerac, précurseur de la science-fiction au XVIIe siècle et grand visionnaire du monde des étoiles. Son œuvre ayant inspiré quantité de films, cette première scelle ainsi l'alliance sacrée entre le rêve et le cinéma.

1916 Asa Candler, patron de Coca-Cola, fait dessiner la petite bouteille aux lignes galbées fortement évocatrices.

1919 KDKA, à Pittsburgh, inaugure l'ère de la radio populaire, jingles, annonces, spots publicitaires, émissions, musique, etc. 1922 Der Brandstifter (Allemagne), premier film sonore. 1923 à Harlem, ouverture du Cotton Club. Durant l'entre-deux-guerres dans un climat de violence, de luxe et de misère, ce sera le centre huppé de New York, où une clientèle blanche et socialement mêlée (gangsters, politiciens et stars) viendra voir se produire des artistes « de couleur », de Duke Ellington à Cab Calloway. Le principe du métissage culturel commence à être un comportement à la mode.

1925 Le Fantôme de l'Opéra, premières images en couleurs travaillées lors du développe- ment. A Paris, se produit la Revue nègre, artistes en provenance du Cotton Club. L'une d'elles, Joséphine Baker, produit la plus forte impression sur un jeune artiste nancéen, Paul Colin, qui l'immortalise par une affiche que beaucoup considèrent comme l'une des premières images publicitaires modernes. 1926 John Logie Baird donne à Londres la première démonstration publique d'un système opérationnel de « télévision ». 1927 la Bell Telephone organise, entre New York et Washington, l'inauguration du principe de la télévision. The Jazz Singer d'Al Jolson, considéré comme le premier véritable film audiovisuel. Il est à noter que c'est par ce musical que commence « le parlant ». C'est aussi par un « court » ou plutôt un « soundy », comme on les a appelés dans les années 30 - ces mini-films musicaux dans les boîtes de jazz présentaient les chanteurs et en assuraient la promotion. La plus grande star de ces soundies aura été Billie Holiday.

1928 télévision en couleurs, transmise par J.L. Baird à Londres. Georges Eastman à Rochester fait la démonstration d'une pellicule de film pour cinéma couleur.

1929 à Londres, J.L. Baird inaugure le premier studio de télévision. Il existe alors, en tout et pout tout en Grande-Bretagne, vingt récepteurs pour capter les programmes.

1930 Technicolor commence la commercialisation des films couleurs. A Southampton, Peggy O'Neil, première actrice à être interviewée sur un circuit télé. En Italie, les essais resteront du domaine expérimental jusqu'à l'avènement de la Seconde Guerre mondiale. 1931 le principe de l'enregistrement stéréophonique est mis au point par le Britannique A.D. Blumlein. A New York, RCA (Radio Corporation of America) installe un émetteur au sommet de l'Empire Stade Building. 1934 Vladimir Kosma Zworykin, directeur des recherches à RCA, invente l'Iconoscope, premier tube de prise de vues intégralement électronique. Le système fondamental de la télévision électronique est né.

1935 la télévision britannique adopte la norme des 405 lignes de définition d'image. Le 10 novembre 1935 à Paris, Georges Mandel, ministre des PTT, inaugure à la tour Eiffel la première émission française de télévision, le procédé est mis au point par l'ingénieur René Barthélemy. 1936 aux USA, le magazine Billboard publie des cotes de musique populaire, par ventes et programmations radio. Ce système fera la renommée internationale du magazine qui deviendra la référence incontournable du show-business. A New York, RCA inaugure la première station de télévision commerciale, en 343 lignes - nombre de récepteurs : 5 000. A Londres la BBC s'installe dans les studios de l'Alexandra Palace, assurant deux heures de programmations chaque jour. En France la société Grammont commercialise un « combiné radio-télévision ». Aux Jeux olympiques de Berlin, les reporters TV se bousculent déjà, américains, britanniques et allemands. Ces derniers, très en avance, ont déjà relié par câble les principales villes, Hambourg, Nuremberg, Munich, Leipzig. Cent cinquante mille spectateurs suivent ainsi les Jeux en direct de Berlin. L'année suivante l'Allemagne adoptera un système standard de 441 lignes. La télévision est désormais devenue une réalité mondiale. 1939 Pepsi-Cola réalise en dessin animé un spot publicitaire entièrement musical. Par cette forme « courte », en couleurs et musicale, on peut considérer cette « pub » comme une autre étape importante vers la réalisation du vidéoclip. 1941 la norme télévisuelle américaine est fixée à 525 lignes de définition, dix ans plus tard le National Television System Committee entérine le procédé avec l'introduction de la couleur. C'est le NTSC nord-américain, toujours en vigueur.

our l'Europe, les procédés se partagent entre le système SECAM, créé par Henri de France en 1967, et le système PAL de Telefunken en Allemagne, tous deux sur la norme européenne (625 lignes). Ces différences standard disparaîtront avec l'instauration du TVHD (ou HDTV en anglais), procédé de haute définition. Le système qui devrait être mis progressivement en service avant la fin du siècle permettra, entre autres avantages, l'introduction du numérique incomparablement plus performant. Déjà une guerre se prépare entre la coalition nippo-américaine et les Européens. En septembre 1987, Michel Carpentier, directeur des télécommunications à la Commission Européenne, dénonce le blocus du système « Hivision » de NHK et CBS associé à Sony. « C'est un système fermé sur lui-même destiné à créer un marché complètement nouveau. » Celui-ci imposerait une transformation radicale de tous les équipements audiovisuels pour une performance inférieure (1125 lignes) au lieu du système HD-Mac Paquet (1 250 lignes), adopté par l'Union Européenne de Radiodiffusion. En avril 1988 à Toulouse, au cours de sa réunion annuelle, l'UER prenait la décision de passer outre le système nippon et d'instaurer sa norme dans les 32 pays de l'Union (contre les 38 pays cosignataires du système « Hivision »). Cette décision met fin aux espoirs d'un système mondial standard. Quoi qu'il en soit, la haute définition offrira aux « TV globe-trotters » plus de possibilités pour enregistrer et mixer des émissions provenant des quatre coins du monde - sans passer par les services onéreux du transcodage actuel. 1940 démonstration de la radio à modulation de fréquence (FM). 1944 Louis Jordan, vedette d'un jazz déjà fortement métissé d'exotisme (influences hispani- ques, orientales, etc.), connaît un succès mondial grâce à un minifilm accompagnant l'un de ses meilleurs morceaux. Actuel le considère comme le premier véritable (certifié ancêtre) vidéoclip. 1945 Hiroshima, cent cinquante mille victimes, beau score qui se superpose - par la figure du champignon - au mythe très relatif de la Justice, en mettant fin à la Seconde Guerre mondiale. Le concept d'absurdité vient de gagner cinq étoiles de crédibilité. 1948 Peter Goldmark lance sur le marché le 33-tours, connu sous le nom de long playing « LP ». Une innovation de la firme Columbia. La même année apparaît le PVC (polyvinyle chloride), autrement dit le disque en plastique surnommé « vinyle » par les rockers. Les jours des vieux 78-tours de cire sont déjà comptés. 1949 c'est au tour du 45-tours « single » de faire son apparition promotionné par RCA. 1950 Alan Freed, animateur de radio WJW à Cleveland, invente le style « disc-jockey », deux ans plus tard il fera naître le terme Rock'n roll (cf. R.N.C. - N.Y. 1950, p. 12). Les premiers lézards commencent à grouiller dans le fin fond de la fosse de Babel. Berk ! 1952 démonstration inaugurale de la bande magnétique vidéo. 1953 Elvis Presley est remarqué par Sam Phillips alors qu'il veut enregistrer une chanson comme cadeau d'anniversaire pour sa maman. Le bon Dieu qui est grand portera à la postérité cette marque d'amour filial ! mais en même temps Marlon Brando tourne L'Équipée sauvage, annonciatrice des hell's angels, du heavy metal et de Mad Max. Le reptile change de peau et adopte le blouson de cuir noir... « avec un aigle sur le dos », chantera Piaf. 1955 une sacrée année : James Dean, A l'Est d'Eden ; à La Nouvelle-Orléans Little Richard enregistre "Tutti Frutti" ; Fats Domino "Ain't That A Shame" ; et Chuck Berry "Ida Red" à Saint Louis. Le Billboard Magazine publie le « Hot 100 chart », les 100 meilleurs, formule hit-parade qui rentrera très vite dans les mœurs. RCA introduit le système stéréo. Enfin Bill Haley and The Cornets produisent "Rock Around the Clock". Du coup, Pepsi oriente systématiquement ses campagnes sur le symbole de la « New Generation », alors que Coca-Cola préfère jouer sur la tradition radieuse de l'« Ameri- can Way of Life ». La société du spectacle commence pour de bon. 1956 Ampex Corporation produit les premiers systèmes d'enregistrement vidéo. Gene Vincent, "Be-Bop-A-Lula". Elvis Presley enregistre "Blue Suede Shoes", le mythe de Cendrillon est introduit dans l'aventure pop-rock. CBS Radio crée le premier show de Rock'n Roll Dance Party, animé par Alan Freed. Une semaine plus tard le réseau ABC inaugure à son tour une émission concurrente, « Rhythm On Parade ». 1957 The Platters, premiers artistes noirs à s'implanter sur la scène pop avec "Only You". Peggy Sue, de son côté, introduit le mélange jeune et explosif « sex-pop-rock » avec "Rave On". 1958 année du cha-cha. Ritchie Valens marque une cassure dans l'industrie musicale entièrement aux mains des Américains. Avec "La Bamba", il préfigure la vague hispanique des eighties. 1959 à Détroit, création de Tamla Motown Sound par Berry Gordy, premier label assurant la promotion de la musique noire américaine. A part ça, c'est la tempête : mort de Buddy Holly, Ritchie Valens et Eddy Cochran dans le crash de leur avion ; Elvis fait son service militaire ; enfin, ancêtre du PMRC (cf. Franck Zappa), une première commission sénatoriale se réunit à Washington pour juger des effets pervers occasion- nés par l'écoute prolongée du rock. L'Amérique en pleine période de récession morale ne filme les rockers qu'au-dessus de la ceinture... 1960 l'année du twist. 1961 dans le Cavern Club de Liverpool, début des Beatles. ROCK'N' -

CLIP ' Première encyclopédie mondiale du vidéo-clip NICOLAS DEVILLE - YVAN BRISSETTE Il est devenu, incontestablement, le huitième art. Cet enfant qui a moins de dix ans, mais qui ne cesse de grandir, c'est le clip: de New York à Tokyo, de Paris à Vancouver, le village planétaire est peuplé, sur tous ses petits écrans, de myriades d'images étranges et magi- ques qui accompagnent obligatoirement, désor- mais, chanteurs et musiciens. Du rock au raï, du funk à la chanson française, de Michael Jackson aux Rita Mitsouko, les mélodies ne se contentent plus de se faire entendre : elles vont 1 aussi se faire voir. De la plus somptueuse manière. Pour la première fois, le vidéo-clip, regardé par des dizaines et des dizaines de millions de jeunes à travers le monde, a sa bible : ce Rock'n clip dresse en effet la liste des 3 000 meilleurs vidéo-clips créés dans le monde entier par des concepteurs aussi divers que les Anglo-Saxons Julian Temple ou Russell Mulcahy, les Fran- çais Jean-Baptiste Mondino ou Jean-Paul Goude. Mais cette encyclopédie n'est pas seule- ment le plus passionnant des catalogues, indis- • pensable à tous ceux qui s'intéressent à la musique contemporaine : elle fait aussi, dans un texte d'une centaine de pages, l'analyse de cette culture véritablement universelle qui a engendré cette nouvelle forme d'art. D'Elvis Presley à Médecins du monde, l'histoire des mouvements de jeunes enfin expliqués aux parents. Au-delà d'un gros plan entièrement inédit sur les images du rock, un livre indispensable pour comprendre les véritables mutations de notre "présent fin de siècle" si ambigu... et si chatoyant. Un livre présenté par André Bercoff. Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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