LE MONDE/PAGES<UNE>
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LE MONDE DES LIVRES VENDREDI 30 NOVEMBRE 2001 SOUS LE SIGNE D’EROS A.S. BYATT DU CINÉMA AU ROMAN LE MONDE ARABE AU SALON HISTOIRE Réédition d’« Histoire de l’œil » page IV Quand Catherine Breillat et DU LIVRE JEUNESSE Alors qu’Eric A. Johnson et « madame Edwarda » Bruno Dumont se posent pages VI et VII évalue la culpabilité du de Georges Bataille. en écrivains, peuple allemand, retour sur Et aussi : Amin Zaoui, dans la lignée de prestigieux la persécution des Témoins Saikaku, Patrick Drevet, prédécesseurs Jéhovah et le massacre Didier Eribon... page V d’Oradour page IX pages II et III être changée. Que la poésie sur- (Mercure de France, 1975) –, à la semaine pour trois conférences tout, de quelque mystérieuse lumière ou en regard de ce texte de qui ont eu lieu à la Bibliothèque manière, est ce changement déjà jeunesse. Mais les lecteurs ordinai- nationale), ce n’est pas dans le but a réalisé. res n’auront pas besoin d’accom- de constituer, par-devers lui, une Bonnefoy, jusqu’en 1947 – date plir cet effort, car chaque livre for- somme, qu’elle soit de poésie ou à laquelle il rompra avec les surréa- me une unité où est présent ce qui de pensée. Toutes ces pages que listes, à la suite de son refus de doit l’être des questions anciennes l’on peut lire aujourd’hui indi- signer le manifeste « Rupture inau- comme des actuelles. Nous som- quent un chemin en même temps gurale » –, va fréquenter Breton, mes moins dans le domaine du pro- qu’une marche : c’est ce qui en fait Littératures sous se laisser impressionner par son grès que dans celui de l’approfon- la valeur et la beauté, la liberté aus- aristocratique intransigeance, sa dissement. « Mais il me semble aus- si en ces temps de querelles et de « courtoisie distante », et participer si que n’est réelle/ Que la voix qui chapelles. aux réunions du groupe, place espère, serait-elle/ Inconsciente des Blanche, sans pour autant devenir lois qui la dénient. Réel, seul, le fré- BRETON À L’AVANT DE SOI un militant de « la cause ». Il missement de la main qui d’Yves Bonnefoy. s’était déjà expliqué sur cette pério- touche/ La promesse d’une autre. » Ed. farrago-Léo Scheer, de inaugurale, notamment dans Cette « voix qui espère », qui est 120 p., 13,72 ¤ (90 F). ses Entretiens sur la poésie (rassem- bien la même qu’au commence- blés au Mercure de France en ment de l’œuvre, est cependant LE CŒUR-ESPACE 1990). Mais c’était encore un soumise à l’épreuve du temps, de d’Yves Bonnefoy. la vieillesse. L’accent Ed. farrago-Léo Scheer, de Bonnefoy n’est 60 p., 13,72 ¤ (90 F). Patrick Kéchichian pourtant pas celui de la mélancolie. Il y a en LES PLANCHES COURBES regard porté sur une circonstance lui une ardeur du questionnement, d’Yves Bonnefoy. extérieure, le récit d’un fragment du désir, une foi presque mystique Mercure de France, 136 p., de vie antérieure. accordée à l’être, au « vrai lieu »,à 12,50 ¤ (82 F). Les deux petits livres qu’il publie cette présence enfin dont il célèbre aujourd’hui tendent à renouer un l’épiphanie. Ainsi, l’enfant de cette e Signalons également deux autres fil, non du tout pour forcer la vie à page en prose qui donne son titre titres d’Yves Bonnefoy chez William se plier à la cohérence qu’on vou- au livre n’a ni mémoire ni nom. Lui Blake & Co. Edit. : Le Théâtre des drait la voir endosser, mais pour qui ne possède rien, pas même le enfants (54 p., 10,67 ¤ [70 F]) et Poésie tenter d’apercevoir une secrète souvenir du malheur qui fit de lui et architecture (texte d’une confé- continuité, pour mesurer la portée un orphelin, a le simple désir de rence prononcée à Rome en janvier et la fécondité d’une intuition. Cet- s’en remettre à autrui, à l’adulte, (42 p., 10,30 ¤ [68 F]). Enfin, deux te volonté, toute de discrétion, au géant, à celui qui va le faire pas- ouvrages collectifs viennent de le signe d’Eros jamais affirmée en tant que telle, ser sur l’autre rive. Le désir de met- paraître : Avec Yves Bonnefoy. De la rend le geste de Bonnefoy émou- tre toute sa confiance en ce qui est poésie, sous la direction de François vant. Mais aussi beaucoup plus simplement là et que le « leurre des Lallier (éd. Presses universitaires de qu’émouvant, car cette démarche mots » n’altère plus. Vincennes, 134 p., 19,82 ¤ [130 F]) et individuelle ne reste pas enfermée Si Yves Bonnefoy écrit et publie Yves Bonnefoy et le XIXe siècle : voca- en elle-même ; elle se fait critique beaucoup, si son œuvre de traduc- tion et filiation, textes réunis par et jugement. Sous le beau titre de teur est d’une impressionnante Daniel Lançon (éd. Publication de GÉRARD RONDEAU POUR « LE MONDE » Breton à l’avant de soi, est repris le cohérence, s’il intervient fréquem- l’université François-Rabelais de texte d’une conférence prononcée ment en public (comme cette Tours, 358 p., 13,72 ¤ [90 F]). en 1996 à la Sorbonne. Deux autres textes, dont l’un publié dans Le Monde la même année à l’occa- sion du centenaire de la naissance de Breton, font suite à cette confé- rence. Le second volume des édi- tions farrago propose deux ver- Bonnefoy dans sions d’un poème de la période surréaliste, Le Cœur-espace –la première date de 1945, la seconde, qui est de 1961, a été publiée dans une édition à tirage limitée ; dans a un entretien inséré en fin de volu- me, l’auteur explique ce « début d’écriture ». La réalité seule intéresse, les voies du réel requiert Bonnefoy. C’est sur elle qu’il fonde ce qu’il appela, à la fin Spécial Salon du De son passage par sachions ou non. De plus, l’histoire des années 1950, un «nouvel politique ou littéraire n’est pas un espoir ». Le rêve ou l’imaginaire, la film qui se déroule au fond d’une poésie et l’art, Baudelaire, Keats le surréalisme après salle obscure, pour faire de nous Leopardi ou Poussin, ne le condui- des spectateurs, pour nous distrai- sent pas loin d’elle, mais au la guerre, l’auteur re de nous-mêmes. A cette histoi- contraire l’en rapprochent. Aucu- re, il a bien fallu s’affronter. Even- ne instance religieuse ou magique, hez un poète de la de « Pierre écrite » tuellement intervenir pour tenter encore moins idéologique, ne peut taille d’Yves Bonnefoy, la quête de ne conserve ni nostalgie d’en modifier le cours, ou du rendre justice, à ses yeux, au mon- Csoi n’emprunte pas les chemins du moins en penser quelque chose. de que nous habitons et à cette narcissisme pour conduire à l’érec- 1945. Yves Bonnefoy est un présence que nous lui devons. tion d’un monument à son effigie ni regret. Le même désir jeune homme né à Tours vingt- C’est pourquoi le « surréel », tel et à sa propre gloire. Ce n’est pas deux ans plus tôt. Sa mère est insti- que Breton a tenté de le penser, ne ici une constatation psychologi- de réalité anime tutrice, son père monteur de loco- retient Bonnefoy qu’en fonction que. Nous ne parlons pas de la motives. La fin de la guerre n’a pas de la capacité qui est la sienne, par modestie ou de l’orgueil d’un écri- ce « début d’écriture » installé dans les esprits une eupho- le rêve notamment, par l’art et la vain, de son désir toujours suspec- rie durable, mais un profond désir littérature électivement, de nous té d’apparaître ou de s’effacer ; de et l’œuvre d’aujourd’hui d’avenir. Monté à Paris depuis rendre, lavés peut-être, à la pléni- sa personne, nous pourrions ne peu, l’étudiant en philosophie et tude du réel, de « mieux savoir que rien savoir et connaître simple- propos, ne transforment aucune- en histoire de l’art cherche, com- la réalité, fille du désir, n’est pas ment son œuvre. C’est elle, et elle ment notre attention en vulgaire me toute sa génération, un sens à une somme d’objets, à décrire avec exclusivement, dans tous ses chapi- curiosité. son existence. Le surréalisme est plus ou moins de finesse, mais une tres, dans l’ampleur qu’elle a prise D’ailleurs, la notion de quête de alors l’aventure collective qui vient communauté de présences ; n’est depuis plus de cinquante ans, et soi accuse ici son insuffisance. Plus le moins démentir ou détruire ce pas un réseau d’apparence mais un jusque dans le risque qu’elle court exactement, cette quête n’est que désir : au contraire, elle l’exalte, ensemble d’êtres ». de se répéter ou de marquer le pas, l’un des moments, l’une des facet- affirmant toujours, comme au Les nombreux commentateurs qui s’impose à notre attention, à tes d’un souci plus vaste qui a la temps de la jeunesse du mouve- qui se penchent sur l’œuvre d’Yves livre de jeunesse notre respect admiratif. Et les poésie pour foyer, d’une question ment dans les années de l’entre- Bonnefoy pourront lire le recueil détours biographiques que cette ontologique qui, avec une même deux-guerres, que les révoltes sont qu’il publie aujourd’hui, Les Plan- quête rend parfois nécessaires ne acuité et urgence, nous regarde logiques, que la vie demande tou- ches courbes – le plus beau sans viennent pas contredire notre tous, à égalité.