Geneviève de Brabant Opéra-bouffon en 2 actes et 7 tableaux

Livret de Jaime et Tréfeu

Livret de censure Paris 1859

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Acte 1er _____ n° 1136 1er Tableau. ______

31 Octobre 1859 Un cabinet du palais de Sifroid.

_____ Scène 1ère _____

Geneviève de Brabant Lancelot - Lahire

–––––––––––– (Costumes de pages aux armes de Sifroid, ils se promènent autour d’un vaste baquet placé au milieu du théâtre.) Golo Geneviève Ensemble Mathieu Laensberg Faisons le guet Gratioso Autour du baquet Rude-acier Car si nous manquions à notre consigne Isoline Craignons des savants la fureur insigne. La Gandriole Charles Martel Lahire Arthur Nous serions perdus. Eglantine Lancelot Lancelot Lahirc Nous serions perdus. Ugolin Almanzor Lancelot Narcisse Ah ! que fait Eglantine à présent _____ O mon cœur que fait-elle ?

Lahire Alice pense-t-elle à l’absent Ah ! m’est-elle infidèle !

Reprise de l’Ensemble.

Lahire Ouf ! ... Lancelot.

Lancelot Quoi.

Lahire Les jambes.

Lancelot Hé ! bien !

Lahire Elles me rentrent ...

Lancelot Et moi je n’en puis plus.

Lahire Je voudrais bien savoir ce qu’il y a là dedans ?

Lancelot Ça doit être quelque chose d’important ... D’après la consigne ne laissez approcher âme qui vive. Les destinées du pays sont là !

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Pour donner votre avis Lahire Voyons notre devoir Dis donc, j’ai bien envie de regarder. Est de voir ... Ce que nous allons voir Lancelot Prends grade ... Ça doit être effrayant ! ... Le corps M. Lansberg des savants est là qui attend l’heure de soulever le Salut noble assemblée voile et ... moi veux tu que je te dise ... je commence Je vous apporte un philtre divin à trembler les savants ça m’a toujours fait peur ... As-tu remarqué leur président. Fait pour une tête couronnée Il ne peut qu’être souverain ! Lahire Seulement attendez Le petit vieux venu de je ne sais quel pays et qu’on Et regardez ! appelle Mathieu Laensberg ? Reprise du chœur Lancelot Savants de tous pays Je crois qu’il a des corns sous son bonnet ... c’est lui Etc. qui a préparé le baquet et à chaque instant je crois que le diable va sortir de là dedans. M. Lansberg Rondeau Lahire (tremblant) Messieurs de mons spécifique Ah ! ah ! Vous allez voir à l’instant Le résultat magnifique Lancelot Et le succès éclatant. Quoi ? S’il faut en Aristote Vous savez nobles savants Lahire Que la Vénus Hottentote Ça a remue. N’a jamais eu mal aux dents. ~~~ Lancelot Il a bien toutes les siennes Où. Lui, notre prince, on le dit, Mais il ressent des migraines Lahire Qui l’ont hélas abruti. Là. (il désigne le baquet) ~~~ Or, ce philtre est une essence, Lancelot Un alcali volatil Lahire ! Dont l’odeur et la puissance Lui rendront l’esprit subtil. Lahire ~~~ Lancelot ! C’est un elixir en somme D’un effet immédiat Lancelot Les savants. Qui régénère mieux l’homme Que le gymnase Triat. Lahire ~~~ Le Diable ! Si par amour de la science En attendant vous voulez Lancelot Sur vous faire expérience Sauve qui peut. (ils se sauvent. Entrée du corps des Voici mon philtre, parlez. savants.) ~~~ Parfait pour cirer les bottes _____ Scène 2e _____ Ainsi qu’à blanchir la peau Il rend aux vieilles culottes Mathieu Laensberg - Le corps des Savants. Messieurs un air jeune et beau !

(Les savants armés de telescopes et de loupes Les savants entourent le grand baquet placé au milieu de la scène Gloire au savantissime et le découvrent) Mathieu Lansberg ! Au maitre illustrissime Chœur Du grand Albert ! Savants de tous pays Il n’a pas son pareil Réunis Sous le soleil !

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Monseigneur me demande ou plutôt il m’appelle ... Lansberg C’est un bonheur pour moi ! Cette journée est belle Et maintenant, doctes savants, vous venus des quatre ... Et ... si ... coins du monde pour m’aider de vos admirables conseils, écoutez-moi ! Vous le savez nous vivons Sifroid sous un margrave ennemi de la fraude ! Sifroid, le Assez ! Je vous fais demander afin de changer les magnanime Sifroid puisqu’il faut l’appeler par son paroles que les courtisans m’adressent tous les nom, grandissimo principio, notre seigneur bien matins - toujours les mêmes louanges, ça devient aimé - seigneurus bien aimatus est menacé du plus assommant ! grand chagrin qui puisse affliger son cœur de père; il a constamment des migraines et n’a pas d’enfant, Narcisse pourtant, Doctibus savantibus, voilà deux ans qu’il Demain j’irai chercher ma céléste hauteur est marié à la bonne et belle Geneviève dite de Ou la gloire a placé tant d’illustres auteurs, Brabant à cause de la couleur de ses cheveux ... Ce recueil d’expressions que les cieux seuls bonus, bona, bonum - bellus, bella, bellum ! procurent, Laisserons-nous Sifroid devenir tout à fait imbécile, Les hommes bien, puisque les anges et la Principauté de Rosenkrac passer dans des mains l’eurent. moins intelligentes ? ... non confreribus, illustribus ! Sifroid Les savants C’est bien ! ... Ouf ! je n’en puis plus ! qu’on Jamais ! m’asseye (on l’assied) Golo, mon fidèle Golo ! ... parle pour moi et demande à tous ces abrutis ce M. Laensberg qu’ils font dans mon Palais ! Voilà pourquoi sur l’ordre de monseigneur j’ai composé un elixir qui doit avant peu raffermir ses Golo facultés mentales. Cet elixir, névralgifuge est ma Monseigneur, vous voyez devant vous le corps des propriété, c’est le fruit de mes veilles. Et pour vous savants. prouver l’influence qu’il peut exercer sur l’humanité, je n’hésiterais pas à en faire Sifroid l’application sur tous les animaux ! ... En voulez- Comme ils sont laids ! et que me veulent-ils ? vous ! ... M. Lansberg Tous Monseigneur, justement émus de voir qu’au bout de Vive Mathieu Lansberg ! 2 ans de mariage vos migraines continuelles donnaient de vives inquiétudes à votre illustre _____ Scène 3e _____ famille.

Les mêmes, Sifroid, Golo, Narcisse (Sifroid appuyée Sifroid sur Golo entre coiffé de la couronne et la queu de Ah ! oui ! je sais ! ... qu’est-ce qui me pèse donc son manteau portée par les pages.) comme ça sur la tête ?

Un Page (annonçant) Golo Son Altesse le margrave ! Monsiegneur c’est votre toque antique.

Chœur Sifroid Le voilà ! le voilà ! C’est juste ... porte moi ça Golo ! ... (il lui met la Le plus beau, le plus grand des seigneurs ! couronne sur la tête) Le voilà ! Le voilà ! Celui qui règne sur nos cœurs. Golo (à part) Ô mon Dieu ! ... ô mon rêve ! Sifroid Assez ! c’est bien assez ! ... Vos chants me fatiguent Sifroid le tympan ! et puis c’est toujours la même chose ! Eh bien ? Où donc est mon poète ... qu’on fasse venir mon poète. M. Lansberg Eh bien, grand prince, grâce à mes veilles ... grâce à Le Page mes savantes recherches, j’oserais dire grâce à mon Le poète de monseigneur. génie si ... tout le génie n’était votre partage, j’ai composé un elixir qui doit chasser vos sombres Narcisse (entrant) humeurs, rajeunir votre sang, en un mot vous rendre la force et la santé.

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Sifroid L’un des animaux a mangé l’autre si madame Golo ! Geneviève allait imiter l’autre ... vous comprenez ...

Golo Sifroid Monseigneur ! Comprends-tu, Golo ? Je te charge de comprendre pour moi. Sifroid Qu’est-ce qu’il dit donc cette vieille bête là ? Golo Seigneur ... (à part) Ah ! s’il prend cette médecine je Tous suis perdu ! Oh ! Sifroid Sifroid Enfin n’importe donnez moi la drogue. Mais à l’entendre, j’ai donc un sang vieré, je suis donc caduc débile ? Enfin je suis donc un crétin. M. Lansberg Voilà seigneur ! (il lui donne un flacon) M. Lansberg Monseigneur. Tous (quand Sifroid a bu) Vive maitre Lansberg ! Sifroid Jour de Dieu ! ... Il fait bien chaud, Golo ! ... Sifroid (il ôte son manteau et le jette sur les épaules de Suivez-moi ! Ah ! une petite observation ! ... Je vous Golo) déclare que si ça ne me fait pas d’effet je vous fais pendre tous ... suivez-moi et que personne ne sorte. Golo (à part) (ils s’en vont). Ô mon Dieu ! ô mon rêve ! _____ Scène 3e _____ Sifroid Mais vous êtes un faquin, M. Mathieu Lansberg ! Golo puis Almanzor.

M. Lansberg Golo Haut et puissant Margrave j’obéis aux lois qui Et moi cachons bien l’ambition qui me dévore régissent le pays ! il est dit qu’au bout de deux recouvrons d’un masque hypocrite la bassesse de années de règne, si le Margrave a fait preve mes sentiments, que personne ne puisse soupçonner d’idiotisme et n’a pas d’enfants, l’antique toque de que je suis capable de tous les crimes et de toutes les Rosenkrac passera dans d’autres mains ! Voici la 2e infamies. - Va Margrave ridicule et si je année et vous n’avez pas d’enfants. t’embrasse c’est pour mieux t’étouffer ... mais ce monologue qui doit être long serait insupportable, Golo (à part) parlant tout seul, appelons mon confident (à un page J’espère bien qu’elles ne cesseront pas. qui se trouve au fond) Qu’on amène Almanzor ! L’Almanzor que vous allez voir, c’est celui qui Sifroid reçoit tous mes secrets, qui connait toute la noirceur C’est vrai ! ... Quelle bête de coutume, Golo ... de mon âme. Mais me direz-vous, pourquoi un confident ? Un traitre n’a jamais un confident que Golo pour être trahi par lui ... moi je suis sûr de celui-ci Monseigneur, c’est la loi ... Dura lex ... lex. j’ai pris un confident sourd et muet ... le voici (Entre Almanzor) Approche, toi pour lequel je n’ai point de M. Lansberg secrets ! Viens entendre toutes les machinations Rassurez-vous ! grâce à mon spécifique que j’ai infernales que j’élabore. Almanzor, écoute; tout va essayé sur deux animaux, il est impossible qu’il soit mal, aurais-je perdu en un seul jour le fruit de tant de sans effet sur vous ... resterait donc Geneviève. crimes car je sue le crime tu le sais, je suis le plus grand gredin qui existe tu n’en doutes pas ... Pour Sifroid empêcher ce misérable Margrave de gouverner son On lui en fera prendre aussi ! royaume c’est moi qui l’abrutis ... re regarde il m’a déjà mis la toque antique sur la tête. Cette toque elle M. Lansberg est à moi si je réussis ... déjà grâce à mes soins, le C’est que, monseigneur, j’ai un scrupule. peuple se soulève et bientôt va crier: à bas Sifroid ! Vive Golo ! ... tout est prêt ... Eh bien ! mort et Sifroid damnation, enfer et malédiction ! ... Voilà que le Lequel ? corps des savants a inventé une limonade qui va renverser tous mes plans ... il faut donc trouver un M. Lansberg moyen adroit ... qu’est-ce que graves donc là !

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Ah ! cette boite à la malice ! ... Mathieu Lansberg a Gentille et tendre à croquer oublié sa pharmacie ... (il bouscule la boite du pied) Les bonvreuils et les pinsons C’est de là dedans qu’il a tiré sa drogue stupide. Qui chantaient dans les buissons Elixir de longue vie, baume oriental, qui procure des Avaient beau choisir leurs airs songes dorés: Recette contre l’embonpoint Poudre Ça lui prenait sur les nerfs ! (Almanzor a ramassé une boite; il s’avise de l’ouvrir Cocorico et aussitôt éternue) Qu’est-ce que c’est que ça ? (il Joli chant du point du jour ! prend la boite et lit) Poudre à l’usage des farceurs Cocorico qui veulent s’amuser en société Oh ! quelle idée, Je t’aime à mon tour ! silence voici Sifroid (il cache la boite) Est-ce une nouvelle vie Ou l’effet du printemps ? _____ Scène 4e _____ Qui me gratifie D’une ardeur comme à vingt ans ! Les mêmes, Sifroid, Les savants, La cour. Cocorico ! Ah ! quel bien être nouveau ! Chœur général Cocorico Bénissons à jamais Je suis libre du cerveau ! La chimie et ses secrets Holà mes gens, voici ma tête Tout le monde Que l’on me coiffe avec talent ! A la ronde Qu’on me parfume et me revête En éprouve les bienfaits ! De mon habit le plus galant ! Bénissons à jamais Qu’on me donne un miroir La chimie et ses secrets ! Je veux me voir !

Golo Le chœur Ce spécifique est-ce possible Vite un miroir Rendrait à l’esprit son ardeur Il veut se voir

M. Laenseberg Sifroid Voulez-vous voir s’il est sûr et infaillible Pas mal, un peu plus de rouge à la peau Regardez venir monseigneur Très bien ! me voilà beau !

Sifroid Le chœur (il arrive plein de feu, l’humeur gaillarde avec des Ah ! qu’il est bien ! ah ! qu’il est beau ! frissons nerveux.) 1 Ensemble Une poule sur un mur Qui picotait du pain dur Sifroid Appelait en cocottant Aujourd’hui jour de folies Prenons nos joyeux ébats, Son coq absent pour l’instant ! Auprès de femmes jolies On était au mois de mai Que l’amour quide mes pas. Et déjà l’air embaumé Ramenait aux alentours La Cour Le bonheur et les beaux jours ! Aujourd’hui, jour de folies Cocorico ! On prend ses joyeux ébats Joli chant du point du jour ! Auprès de femmes jolies Cocorico Que l’amour guide nos pas. Je t’aime à mon tour. Est-ce une nouvelle vie Golo Ou l’effet du printemps Auprès de femmes jolies Qui me gratifie Si l’amour guide nos pas D’une ardeur comme à vingt ans ? Il payera cher ses folies Cocorico Allons ne le quittons pas. Ah ! quel bien être nouveau ! Cocorico ! (ils sortent en dansant au bruit des violons.) Je suis libre du cerveau ! Fin du 1er Tableau. 2 _____ La Poulette avec amour Qui voyait naitre le jour 2e Tableau Frétillait d’un air coquet _____

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Les bains du Palais Geneviève (tristement) _____ Reynold.

Un ravissant jardin plein de fleurs et de lumières à Eglantine partir du 2e plan un petit lac entouré de roseaux et de Hé quoi ! encore plus triste. Et les beaux jours plantes aquatiques. A droite grands platanes, jetant d’autrefois passés à la cour de ton père. sur le tout une ombre mystérieuse. Geneviève _____ Scène 1ère _____ Passés !

Geneviève, Eglantine, Jeunes filles s’ébatant dans le Eglantine lac au milieu des joncs. Ma foi je ne sais plus que dire (aux compagnes) A votre tour, tâchez de chasser sa tristesse. Les compagnes de Geneviève A l’ombre des charmilles Blondette Dans ce lac argenté, Veux-tu que je te raconte l’histoire d’un vieillard Livrons-nous, jeunes filles, amoureux ? Aux plaisirs de l’été A l’eau, viens avec nous Hermance Sous nos pieds nus le sable est doux Veux-tu danser ? Viens, viens avec nous. Irma Eglantine Je jouerai du hautbois. Astre charmant de tes étoiles Conduis les jeux et la gaité Edvig Laisse à tes pieds tomber ces voiles Jouons à Colin-maillard. Et montre toi dans la beauté. Loin des regards indiscrets querette Confie à l’eau tes attraits A la main chaude.

Le chœur Blondette A l’ombre des charmilles Au cheval fondu. Dans ce lac argenté, Livrons nous jeunes filles A vil, encore. Aux plaisirs de l’été. A l’eau viens avec nous Ida Veux-tu que je te lise le Figaro programme. Sous nos pieds nus le sable est doux ! Viens, viens avec nous ! Blondette ~~~ Tiens, Eglantine, Irma, Edwiga et moi ... nous avons appris des vers ... prends ton luth Ida et accompagne Geneviève (baillant) nos paroles. Mon Dieu ! que je m’ennuie ! (Ida accorde son luth) Eglantine Mais enfin, le seigneur Sifroid ton époux ? Irma Où vont les étoiles qui filent. Geneviève Dans les profondeurs de l’azur Lui ! Depuis 2 ans que nous sommes mariés, il vit de Les lucioles qui scintillent son coté, moi du mien, la chasse est tout ce qu’il Diamants dans le bois obscur aime ... (baillant) mon Dieu ! que je m’ennuie ! Où vont les chants pleins de mystère Que redit l’oiseau solitaire Eglantine Ah ! si je voulais ramener le sourire sur tes lèvres, je Blondette n’aurais qu’un mot à dire. Ils vont où s’arrête leur route Peut-être au ciel que j’entrevois Geneviève Ils parlent et la nuit j’écoute Dis-le. Le doux murmure de leurs voix.

Eglantine Eglantine Reynold. Ils disent ce que dit l’abeille

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L’insecte d’or. La nompareille Argine ayant vu d’sa tourelle ! l’amour remplit la terre Le jeune et beau C’est le feu céleste apporté Prince Cacabo Pour pérpétuer le mystère De la grâce et de la beauté. Les jeunes filles Argine etc. etc. Edwiga Aimez du printemps à l’automne Eglantine Du soir au matin qui rayonne File aussitôt par une échelle Et du temps à l’Eternité ! Dont ses cheveux blonds Formaient les éch’lons ! Toutes Bravo ! Bravo ! Les jeunes filles File aussitôt ... etc. etc. Blondette (en voyant Geneviève rêveuse) Je crois que nous avons raison ... elle pense à Eglantine l’amour ! et l’amour chasse la tristesse en lui jetant Car le jour des rires au visage ! Où le veut l’amour Etc. etc. Hermance Ecoutez ... elle va parler. Geneviève Ah ! tous vos chants ne valent pas la ballade de Geneviève (baillant) Reynold. Mon Dieu que je ... m’embête ! Eglantine Eglantine Qui chantait sous tes fenêtres. Elle n’aime pas la poésie, alors faisons de la musique, chantons. Oh ! c’est trop fort ! Geneviève Te la rappelles-tu ? Ronde I Eglantine Il était un magot d’la chine Mon Dieu non. Tout laid, tout gris Nommé Mystigris ! Geneviève Quel dommage ! Les jeunes filles Il était un magot etc. etc. (On entend au dehors la voix de Gratioso)

Eglantine Gratioso (au dehors) En passant sous la fenêtre Qui retenait la belle Argine Où pour mon malheur Dans un coin noir De son vieux manoir Geneviève (avec émotion) Ecoute ... Quels sont ces accents ? Les jeunes filles Qui retenait ... etc. Eglantine C’est cette ballade bien aimée. Eglantine Mais le jour Geneviève Où le veut l’amour Qui peut chanter ainsi ... Landeloulette Landeloulour Eglantine Mais le jour Je ne vois qu’un page troubadour qui s’en vient sous Où le veut l’amour la feuillée. Landeloulette Il est maitre à son tour ! Geneviève Si c’était ... Les jeunes filles Mais le jour Eglantine Etc. etc. Faut-il l’appeler ?

Eglantine Geneviève

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Mais tu vois bien que j’en meurs d’envie. 2 Vous m’avez pris au passage Eglantine Mon unique bien ! Holà beau page ... Oui - vous ... Oh ! madame ! Si j’en crois votre visage, comme il est gentil ... il vient, le voici. Vous n’en faites rien. Ohé de la fenêtre, ohé ! Geneviève C’est vous la belle Ah ! je me sens mourir de joie. (le voyant entrer) ah Que j’appelle. ! Ce n’est pas lui ! Ohé de la fenêtre ohé ! C’est vous que j’appelle Entre Gratioso - costume de page troubadour) Rendez-le moi, mon cœur cruelle (bis) Ou du vôtre par pitié Gratioso Donnez-moi la moitié C’est vous qui m’appelez ? Ohé ! ---- Eglantine Oui. Incline toi ... tu es devant ... Gratioso bas à Geneviève) La voilà cette ballade, est-ce que vous ne vous en Gratioso souveniez plus ? Est-il besoin de me l’apprendre ... en voyant ces traits ... en admirant ces yeux ne vois-je pas bien que Geneviève je suis devant la Reine de la beauté. Oh ! si ... car j’ai beau faire ... à cette ballade je passe nuit et jour mais j’ai tort. Celui qui la chantait, Eglantine malgré tous ses serments, n’était qu’un infidèle. Pas mal - quelle ballade chantais tu tout à l’heure ? Gratioso Gratioso Lui ! Je parierais que non ! Celle de mon maitre. Geneviève Eglantine Tu perdrais. Depuis mon mariage, depuis un an, il Ton maitre ? n’a pas reparu ! et pour ma part je n’y veux plus songer car on m’a dit que c’était un gros pêché, Gratioso quand on était mariée, de penser à un autre qu’à son Reynold de Flandre. époux.

Geneviève Gratioso Reynold. Qui est-ce qui a dit ça ?

Gratioso Geneviève Voulez-vous que je vous la chante. Je n’en sais rien.

Toutes Gratioso Oui. Ça doit être un mari trompé - hé bien vous avez tort madame, car il m’envoie vers vous pour vous dire Gratioso qu’il ne vous a point oublié ... et qu’il veille. Ecoutez alors. Geneviève I Comment ! En passant sous la fenêtre Où pour mon malheur Gratioso Je vous ai vue apparaitre Vous êtes entourée de pièges et de périls, méfiez- J’ai perdu mon cœur ! vous. Ohé de la fenêtre, ohé ! C’est vous la belle Geneviève Que j’appelle ! De qui ? Ohé de la fenêtre, ohé ! C’est vous que j’appelle (bis) Gratioso Mon cœur était tendre et fidèle De l’infame Golo ! (on entend au dehors résonner Et cette nuit j’ai revé les trompes et les violons) Votre époux ... adieu ! Que vous l’aviez trouvé méfiez-vous (il s’éloigne) Ohé ! Geneviève

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Qu’est-ce que c’est que ce Golo ? (à Geneviève) Touche mes habits ils sont en soie, ces habits te déplaisent ? (il va pour oter son habit ____ Scène 2e _____ puis tout à coup il se retourne vers la cour et s’écrie) Est-ce que vous n’allez pas bientôt me laisser en Les mêmes, Sifroid et tout son cortège - Entrée des repos, vous voyez bien que j’ai à causer avec ma femmes annonçant l’arrivée de Sifroid femme.

Geneviève Chœur Ah ! mon Dieu c’est mon époux ! - Eglantine, ne me Les savants quitte pas ... mes amies restez là. Eloignons-nous, mais sur ces lieux, De loin, ayons toujours les yeux Sifroid (entrant) Halte ! assez, où est donc mon poète ? Les jeunes filles, Eglantine Eloignons nous Est ce ennuyeux Narcisse (sortant du cortège) Nous étions si bien en ces lieux ! Seigneur à votre voix j’accours avec bonheur Votre voix me maintient dans celle de l’honneur ! La cour Eloignons nous; fermons les yeux Sifroid Et laissons les seuls en ces lieux. Ça m’est égal ! pour peu que ça ne vous empêche pas de me changer ces chœurs d’entrée et de sortie ! (Tout le monde sort) - C’est toujours la même rengaine. _____ Scène 3e _____ Narcisse Voulez-vous qu’un choral gracieux à votre image Geneviève, Sifroid puis Golo Pour quitter le dessert tantot vous offre hommage ? Trio Siforid Sifroid Du fromage ! - J’y consens - Et maintenant au O toi reste mon ange ! oui demeure ma biche ! plaisir, à l’amour ! - Cré coquin ! qu’est-ce qu’ils m’ont donc donné (il saute) On dirait que j’ai maché Geneviève de la poesie et avalé le flambeau de Cupidon ! - Mais le qu’en dira-t on ? J’éprouve d’étranges hallucinations mon sang prend dans mes veines le galop de Pegase. Je vois des Sifroid horizons pleins de , puis que Vénus effeuille sur Ah ! pour ça je m’en fiche ! ma tête la rose qui lui sert de calotte. tandis que A l’ombre d’un épais feuillage Vénus effeuille sur ma tête la rose du printemps (il Au milieu de ces bois discrets saute) Où est Geneviève ? Où est ma femme ? L’amour nous guette et nous engage A nous confier nos secrets, Geneviève Sur ce gazon dont l’herbe est douce Seigneur, me voici. Ne crains pas de poser l’orteil, Viens nous glisserons sur la mousse, Sifroid A l’abri des coups de soleil. C’est elle ! c’est elle ! (il frétille) Une mandoline ! une guitare ! qu’on m’habille en troubadour. C’est Geneviève ainsi qu’un amant le plus tendre des amants ... le Il m’aime ! Il m’aime ! Je n’ose y croire ! plus sincère des amants ... le plus - mon poète - où est mon poète ? Qu’il invente des mots qui Sifroid dépeignent ma flamme ou je lui fais couper la tête ... Ah ! cré coquin qu’est-ce qu’ils m’ont fait boire ! et je la dépose à tes pieds comme témoignage de ma Ton œillade assassine passion - Geneviève. Me cuit, me roussit, me calcine

Geneviève Golo (paraissant à part) Seigneur. Ô amour ! Fais que je leur joue un bon tour ! Sifroid Approche. Sens ma perruque. Elle est pleine de Ensemble parfums ! Ces parfums t’incommodent-ils ? Non, Sifroid Geneviève non mais ils te gênent ça me suffit. Tiens regarde (il Une poule sur un mur C’est l’amour qui l’inspire jette sa perruque) Pour toi je sacrifierais toutes les Qui picotait du pain dur O surprise, ô bonheur ! perruques du monde (au corps des savants) Appelait en cocotant Il cède à son empire Messieurs rassurez-vous, je ne dis pas ça pour vous ! Son coq absent pour l’instant. Et m’offre enfin son cœur.

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(Golo sort) Golo Je ne rêve et n’aspire _____ Scène 5e _____ Qu’à troubler leur bonheur Que l’amour qui m’inspire Sifroid Geneviève Reste au fond de mon cœur ! Sifroid _____ Scène 4e _____ Il est parti, viens profiter ma belle De l’abri qu’offre ce frais bosquet Les mêmes, Golo Et suis ton époux qui t’appelle Vois quel homme ardent il fait Golo Eh bon ! voilà du nouveau Arrêtez ! Je suis enrhumé du cerveau Ca n’y fait rien, soyons galant tout de même Geneviève Ange (bis) m’aimes-tu ? O ciel ! Geneviève Sifroid Oui (elle éternue) je t’aime De barrer le passage Tiens je m’enrhume à mon tour (ils éternuent Qui se permet ? ensemble)

Golo Sifroid C’est moi, seigneur, c’est moi Sapristi mais ça continue Qui vous apporte un important message. Je n’aime pas qu’une femme éternue Quand on lui parle d’amour. Sifroid Au diable le message et toi. Geneviève Vous êtes un sau ... un sau .... un sauvage Golo (elle éternue) Mais seigneur c’est une lettre Qu’à l’instant même à votre hôtel Sifroid Le facteur vient de remettre Encore De la part de Charles Martel. Geneviève Sifroid Comme vous Charles Martel ! oh ! oui c’est son écriture. Sifroid Golo (regardant Geneviève à part) C’en est trop holà venez tous ! Il me livre sa chevelure ! Tiens, tiens, en veux-tu en voilà ! Ensemble Sifroid Geneviève Sifroid J’étouffe, je bous Seigneur calmez-vous Il arrive - C’est bon Craignez mon courroux Fait-il cher époux File à présent, va t’en d’ici. Malheur à qui nia Crier comme ça comme ça Pour un Golo Mais seigneur ? (Entre toute la cour)

Sifroid _____ Scène 6e _____ Es-tu bête ! Les mêmes, la Cour, les Savants, Golo Golo Charles Martel Sifroid Vous voyez tous cette femme Sifroid Eh bien sachez que madame Si tu me mets Martel en tête Manque de respect à son souverain Je ne réponds pas de moi Aussi ... je - je - je - hein ! Va je t’en prie éloigne toi Il faut que ça finisse. Laisse nous seuls, oui laisse moi. (il éternue et de colère donne un coup de poing sur Reprise de l’Ensemble. sa perruque Le nuage de poudre qui en sort fait éternuer tout le monde)

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Ah ! l’agréable indolence Tous D’une telle somnolence Monseigneur, Dieu vous bénisse ! Rien ne me ferait sortir Sifroid (furieux) Ah ! qu’il est bon de dormir ! Je ne puis vous empêcher De me manquer de la sorte II Eh bien je vais me moucher Faisons dodo (bis) Que le diable vous emporte ! Quel silence aimable ! J’ai chaud, très chaud sous Tous Que c’est agréable ! Bonne nuit au revoir S’endormir sur les reins Que le ciel vous soit propice C’est de - Bonne nuit, oui bonsoir Dormez bien, Dieu vous bénisse. Il me semble qu’on a frappé. Que ce que fait donc la sentinelle ? Je n’entends plus rien. C’est quelqu’un (Sifroid sort en éternuant. Tous le suivent.) qui se trompe, qui aura pris mon palais pour la boutique du boulanger à côté ... Allons ! allons; Fin du 2e Tableau redormons. (Il se rendort. On refrappe) Ah ! mais ! Est-ce que ça ne va pas bientôt finir ! ... Il faudra que 3e Tableau je promulgue un édit qui fasse défense de frapper ~~~ aux portes passé 10 heures. (On frappe sans discontinuer) Oh ! c’est trop fort ! (Il saute en bas de Chambre à coucher de Sifroid. son lit. Il est en caleçon et passe un pet en l’air) Oser ~~~ me réveiller, moi ! Sifroid ! ... (il éternue) Attends ! (Il prend son pot à l’eau, ouvre la fenêtre et arrose le Au fond, un lit. Portes latérales. A côté du lit une perturbateur) fenêtre. Charles Martel _____ Scène 1ere _____ Sang et tonerre ! Par tous les diables !

(Au lever du rideau Sifroid est couché. Il a un Sifroid bonnet de coton et dort profondément. Sur la table Ne faites pas attention ! C’est de l’eau ! de nuit, une veilleuse. On frappe à la porte cochère du palais. Sifroid ne bouge pas. On frappe plus fort. Ch. Martel Sifroid ronfle. On frappe à coups redoublés. Sifroid Mais ne sais-tu pas qui je suis ? ouvre un œil.) Sifroid Sifroid Non, j’avoue franchement que je l’ignore. Je ne vous 1 connais pas encore assez pour ça Ah ! qu’il est bon de dormir ! De voir ses tracas finir ! Ch. Martel De s’allonger, de s’étendre Eh bien ! qui que tu sois, tremble et reconnais Et de ne plus rien entendre Charles Martel. C’est bien le plus grand plaisir ! Ah ! qu’il est bon de dormir ! Sifroid (on frappe) Hein ? Quoi ? Monseigneur !

I Ch. Martel Faisons dodo (bis) Ouvriras-tu, mille démons ! Le sommeil m’accable ! Il est passé Sifroid Le bonhomme au fable ! Ah ! mon Dieu ! Lui, le maître ... et moi qui l’ai S’endormir sur les reins arrosé ... Hé bien, me voilà propre. (il se pend aux C’est le seul plaisir durable ! sonnettes) Holà ! mes gens ! mes valets ! mes Que je plains les hérauts d’armes ! Mais aussi, est-ce qu’on arrive De ne pas dormir sur les reins ! comme ça surprendre. (on frappe) Ch. Martel II Ouvriras-tu ? Je commence à m’assoupir, Que je vais donc bien dormir, Sifroid

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Oui, grand prince ! A l’instant. Je passe une culotte Pour la croisade sainte Dans cette vaste enceinte pour vous faire honneur ... (appelant) Holà ! le corps A mes soldats tous réunis des savants ! mon armée ! Tas de feignants ! ... mais Demain j’offre l’absinthe réveillez-vous donc ! Ah ! mon cor ... le cor de Après je disperse les rangs détresse (Il embouche un cor d’ivoire il tire des sons Des hordes ennemies discordants tout en se pendant aux sonnettes. Entre A la tete de vingt-mille francs toute la cour en caleçons, les femmes en jupons, Fruit d’mes économies. chacun portant sa lumière) Ah ! que je les plains Ces pauvres Sarrasins. Chœur _____ Qui cause tout ce bruit ? Qu’est-ce que l’on saccage ? Ch. Martel (Il est tout bardelé de fer) D’où vient tout ce tapage Sang et torture ! mille diables ! Tonerre et foudre ! Au milieu de la nuit ? Sac à papier ! Quel est le polisson qui m’a versé un pot sur la tête ? _____ Scène 2e _____ Tous Sifroid, Toute la Cour Seigneur !

Tous Ch. Martel Qu’y a-t-il, qu’est-il arrivé ? Qu’il se nomme, ou je mets le feu aux quatre coins du Brabant. Sifroid Ce qu’il y a, ils le demandent ... Mais Charles Martel Sifroid qui est en bas lui-même ! Sur la tête de qui j’ai Seigneur ! Le polisson ... c’est moi (Il tombe à flanqué un pot d’eau. genoux)

Tous Ch. Martel Grand Dieu ! Charles Martel. Toi ! (Il tire son sabre)

Sifroid Tous Vite, qu’on s’habille ! revêtissez-vous armures. Grand Dieu ! Allons ! Chaud, chaud, le voilà ! Sifroid Chanson Arrêtez, prince ! C’était de l’eau filtrée. Charles Martel 1 Ch. Martel (rengaînant) J’arrive armé de pied en cap Cette excuse te sauve ... d’autant plus que je n’étais On dit que les infidèles pas venu pour ça. Vassaux et serviteurs ! Valets, Ont franchi les Alpes par Cap drôles, gens de corvée et autres canailles ! Enfin, tas Et pris trois citadelles de vilains qui m’écoutez oyez mes paroles ! et Qu’en traversant la Suisse en long qu’elles restent gravées dans vos cœurs ! ... Pour Dans leur itinéraire servir des projets qu’il est inutile que vous Pour être invulnérabes ... ils ont connaissiez, apprenez que je vous ai tous choisis Bu tout le vulnéraire pour claquer mourir avec moi ! ... (Consternation Ah ! que je les plains générale) Ce silence me plaît, et m’indique que la Ces pauvres Sarrasins jalousie s’est glissée dans vos cœurs ... Soyez tranquilles, il n’y aura pas de privilégiés ! ... 2 L’endroit où je vous envoie est un endroit d’où on Cette armure dont la bonté ne revient jamais ! C’est à une mort plus que Garantit mes épaules certaine, à une mort pleine de tortures et de douleurs César la mit ... au mont d’piété ! ... Mais me direz-vous ? ... Pourquoi n’y vas-tu pas Quand il quitta les Gaules toi-même ? ... C’est parceque j’aime autant que ce C’est avec ce fer que je tiens soit vous que moi. Enfin je vous fais filer tous en Que le grand Alexandre Palestine. En deux coupa les noeuds gordiens Qui gardaient Lille en Flandre Tous Ah ! que je les plains En Palestine ? Ces pauvres Sarrasins ! Ch. Martel 3 Avez-vous assez de chance ? ... Et nous partons à Dans la plaine de Saint Denis l’instant.

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Vous et tous ces preux allignés, Sifroid Vous partez mon doux sire ? Pardon, grand prince. Nous sommes à peine vêtus ... et pour aller en Palestine Sifroid Ceux qui vous ont dit ça Ch. Martel Ont dit ça me semble C’est suffisant pour le climat ! Aurais-tu peur ? Je pars, tu pars, il part, nous partons tous ensemble.

Sifroid Geneviève Peur ? moi ! Sifroid ! ... dans les combats ! ... Et moi vous me plantez donc là ? (chantant) Ah ! que je les plains ! Sifroid Ces pauvres Sarrasins ! Pour des raisons que je n’ai pas le temps Ah ! prince ! moi, mes vingt sept hommes d’armes, De vous expliquer chère dame mes deux pièces de vingt et le corps des savants, Mais attendu qu’on ne peut plus longtemps nous sommes prêts ... Compter sur une femme Qui comme vous, madame, Ch. Martel Eternue à tous les instants C’est bien ! En route. Que l’amour lui réclame En face du soleil ... devant lui ... devant tous ... Sifroid Ainsi que ça se fait en toute tragédie, Une minute ! ... Golo ! Moi, Sifroid ... votr époux ... Toc ... toc ... toc ... je vous répudie ! Golo _____ Seigneur ? Si pourtant quelque cavalier Sifroid Se présentait en brave chevalier Voici les marques de ma force ... l’antique toque, Pour combattre la lance au poing mon manteau et la clef de mon armoire à glace. Sifroid ne reculerait pas J’engage ici ma foi Golo (à part) Que Golo se battrait là pour moi O mon Dieu ! O mon rêve ! Golo Sifroid Mais, mais ... vous en parlez bien à votre aise En attendant mon retour, tu commanderas ici. De me faire tuer dans ce chaise

Golo Sifroid Oui, seigneur. Personne ne dit mot ? Nous n’allons donc pas voir qui ramasse ce gant (Il jette un gant. Coup de tam- Ch. Martel tam. Tous se retournent consternés à la vue d’un Allons ! Est-ce que ce n’est pas bientôt fini. chevalier couvert d’un costume noir rehaussé d’or, la figure masquée) Sifroid Pardon, mon colonel ! Héros colossal. Encore deux Rudacier (paraissant) secondes ... rien que deux ! Quelque chose à faire, Moi ! quelques ordres à donner ... Tous Ch. Martel Le chevalier noir. Qu’est-ce donc ? Ensemble Sifroid Tous Le Chevalier Ah ! une bagatelle ! Rends moi la clé. Le temps Juste ciel ! quel secret Tremblez tous le forfait seulement de répudier ma femme, que j’ai fait Pour venger ce forfait Qu’il connait en secret prévenir. D’où sort donc à l’instant Va trouver sur le champ Ce héros surprenant. Son juste châtiment _____ Scène 4e ______

Les mêmes, Geneviève Rude Acier Oui, devant tous je relève ce gant Geneviève Et bravant ta vaine menace, Ciel ! Qu’ai-je appris ? Que vient-on de me dire. Pour te punir ennemi, plein d’audace, Pour des pays lointain, des climats éloignés Je vais te percer le flanc

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_____ Et nous partons ... emboîtons le pas ! Le chemin de fer du Nord ... n’attend pas ! (Combat en règle entre Golo et Rude Acier sur une feinte de Golo, le masque de Rude Acier tombe) Ensemble Le clairon qui sonne Golo (la reconnaissant) Enflamme nos cœurs Elle ! Isoline ! Ah ! quel effroi Nous serons vainqueurs. C’est l’instant, seigneur, Rose D’en chanter des cœurs Tu m’as reconnu ... Je me vengerais de toi. Ecoutez, le clairon qui sonne (Elle sort) La Brabançonne Marche Saxonne Sifroid Ecoutez c’est la Brabançonne Il s’est enfui. Golo ... bravo. Que le clairon sonne Tu sais ce que l’on fait, Golo, D’une femme répudiée Allons, partons en Palestine Partons, vaillants guerriers Golo Dans ces lieux chauds, Mars vous destine Elle sera promptement expédiée Sa bière et ses lauriers. Etranglée ... ou jetée à l’eau _____

Sifroid Le clairons qui sonne Allons partons, preux chevaliers Etc. En avant ... arche ! Grenadiers ! Ch. Martel Geneviève Nobles époux, Au nom du ciel ... je vous adjure Embrassez vos femmes De m’écouter. Et vous, belles dames, Embrassez-nous Sifroid Non, non, ma foi (Tout le monde tire son mouchoir)

Geneviève Tous Il faut donc, ô mon Dieu O mon Sifroid, je t’en conjure Se dire adieu ! Ecoute moi (Tout le monde se mouche) Sifroid Non, lâchez-moi Les femmes Ô grand saint Michel, grand saint Nicolas Martel, Geneviève grand Charles Martel ! As-tu donc oublié déjà Préservez-les des coups de là bas du coup Le joli couplet que voilà mortel ! Ecoute encore ... écoute ça ... Rendez-les à notre amour Une poule sur un mur Et qu’ils soient complets plus galants au retour Qui picotait du pain dur Reprise de l’Ensemble Sifroid Le clairon qui sonne Ah ! quelle scie Etc.

Geneviève (Défilé) Une poule sur un mur (La toile tombe) Qui picotait du pain dur Fin du 1e Acte Sifroid ______Ça ne peut pas durer ainsi Qu’on l’emmène hors d’ici Acte 2. _____ Geneviève (qu’on entraîne tendant vers lui les bras) Une poule sur un mur 4me Tableau _____ Sifroid

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Une caverne. Mon cœur veillera sur toi Ah ! ah ! ah ! ah ! _____ Scène 1re _____ Reste avec moi près de moi.

Au lever du rideau. Pages, chasseurs, à la livrée de 2. Sifroid sont en scène Ugolin, Silvio, Geneviève Biche aimante et si douce Si les hommes sont méchants Trio Dors sur mon lit de mousse Partons en chasse Loin d’eux reste longtemps. Devançons le soleil. Ah ! ah ! ah ! ah ! Tayant ! etc. Le gibier est sur place Il lui faut donner l’éveil (Au dehors on entend un coup de feu. Geneviève Tayant ! entre en entrainant sa biche) Entendez-vous le cor qui sonne Entendez-vous dans les grands bois Geneviève Le cor qui sonne et qui résonne Oh ! les vilains ! les barbares ... pauvre biche ! n’aie Et nos fins limiers donner de la voix. pas peur ... Ils l’auraient tuée sans moi ... chère biche, depuis trois mois qu’ils m’ont enfermée ici ... Ugolin voilà toute ma société ... et nous nous comprenons ... Et moi je te dis que je l’ai vue ... parfaitement vue ... je lui raconte mes chagrins ... elle me répond bé ... une biche ravissante, je la tenais au bout de mon bé ... et nous pleurons ensemble ... comme deux fusil ... et elle a disparu au milieu de ces rochers. biches ... c’est monotone ... mais ... c’est bien ennuyeux ! (elle lui donne à manger) Silvio Eh bien, reprenons notre course et en chasse. _____ Scène 2. _____

Tous Geneviève, Isoline En chasse ! Geneviève Chœur O mon Dieu ... qui donc viendra m’arracher d’ici ! ... Partons au bois Chasseurs adroits Isoline Partons au bois Moi ! (le fond du rocher fait bascule et donne Au bois ! passage à Rose)

Geneviève Geneviève 1. Qui toi ? Biche aimante et si douce Qu’ils t’ont fait de frayeur. Isoline Ô toi qui m’as nourrie Une femme qui n’a pas cessé de veiller sur ton sort. De ton lait, ô ma soeur ! Viens sur mon cœur Geneviève Où là tu n’auras plus peur, Mais je ne te connais pas. Viens sur mon cœur ! Isoline 2. Ne te souvient-il plus du page qui t’a chanté la Biche aimée et si douce romance de Reynold ... du chevalier qui a pris ta Si les hommes sont méchants défense. Dans un bon lit de mousse Demain tu dormiras Geneviève Dors dans mes bras. C’était ... Où là plus ne les craindras Dors dans mes bras ! Isoline Moi-même ! et aujourd’hui que j’ai retrouvé ta trace Couplets ... je viens te dire ... courage ... plus de chagrins ... 1. Douce biche effrayée Geneviève Ne crains rien, reste ici Mais qui es-tu ? Mieux que sous la feuillée Tu seras à l’abri ! Isoline Ah ! ah ! ah ! ah ! Qui je suis ... regarde-moi.

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Geneviève Geneviève Tu es jolie ! Commen fis-tu ?

Isoline Isoline Je suis ... la femme légitime de l’infâme Golo. Ma foi ! j’en louai un !

Geneviève Geneviève Sa femme ... Ah ! bah !

Isoline Isoline Isoline de Hainant. Ecoute ... il y avait une fois à la Oui ça se fait ! et nous vinmes nous précipiter dans cour du roi ton père une jeune fille pure, innocente, se bras ! mais une fois en sa puissance, le traître il vertueuse - c’était moi. nous fit jeter dans cette caverne voisine et depuis 18 mois, le gueux, oubliant les devoirs sacrés d’un père, Geneviève éternise son infâmie en nous tenant prisonniers ! tu Toi ? vas voir si cet homme a des entrailles ! (elle appelle au fond) Arthur ! ici ! Arthur. (elle va au fond et fait Isoline jouer une partie du rocher, qui en s’entrouvrant Ça t’étonne ? laisse voir une seconde caverne)

Geneviève _____ Scène 3 _____ Non ... continue. Les mêmes, Arthur Isoline Je passais toutes mes journées à chanter, à travailler, Isoline à arroser mes fleurs sur le bord de ma fenêtre. Un Tiens le voilà, cet enfant chéri ! et j’avais poussé la matin en face de ma mansarde, j’aperçus la tête d’un délicatesse jusqu’à chercher un enfant qui lui jeune homme blond j’étais en train de planter des ressemblait ! n’est-ce pas que c’est tout son portrait gobéas. le jeune homme blond se mit à planter des ? tulipes et depuis ce moment, je le rencontrai partout ... enfin, que te dirai-je ? de gobéas en tulipes, de Geneviève tulipes en gobéas ! c’est moi qui le fus gobé ! jour Mais comme il est grand ! fatal ! il m’offrit sa main et j’acceptai. il me semblait pourtant qu’il me cachait son véritable nom ... sa Isoline position sociale ... et un jour en farfouillant sa malle, Je n’ai pas pu en trouver de plus petit ! cher amour, j’y trouvai un casque à plumes, un manteau dis bonjour à la dame. d’hermine et un gilet de flanelle - plus de doute, c’était un gentilhomme ! ... je compris que j’étais Arthur perdue ! ... le lendemain il avait disparu ! J’veux pas !

Geneviève Isoline Le traître ! Pourquoi ça monsieur ?

Isoline Arthur Cet homme ! c’était Golo l’infâme ! j’ai voulu faire J’ai mal au ventre. valoir mes droits sacrés d’épouse ... A la cour de Sifroid mon mariage était nul. Alors j’écrivis les Couplets lettres les plus tendres, pas de réponses ! le monstre ! 1. cependant d’après le conseil d’une de mes amies Oh ma ma maman bis intimes, j’écrivis une dernière lettre à Golo en lui J’ai bobo, j’ai de la peine avouant que j’étais mère. Oh ma ma man bis C’est pain d’épice qui me gêne Geneviève J’ai mangé sans l’quitter Toi ? Mon bonhomme tout entier Ça l’aura contrarié Isoline Le méchant bis Moi ! ça mordit. Poste pour poste je reçus une lettre Oh ma ma maman dans laquelle il m’enjoignait de venir le rejoindre A fait du mal à l’enfant moi et son fils bien aimé. Il voulait assurer notre Oui ! (5 fois) j’ai bobo (bis) bonheur ! mon embarras fut cruel ! pour être mère il ne me manquait qu’un enfant. 2.

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Oh ma ma maman bis Un’aut’fois j’aime mieux des pommes Isoline O ma maman Ce sont les pruneaux. N’en mange pas toi des bonshommes L’mien m’a fait du bobo Arthur De cette vue lui si beau Je veux m’en aller. Croquer jusqu’au chapeau Je l’aimais (bis) O ma ma maman (bis) Isoline J’en veux plus manger jamais A une condition, monsieur, c’est que vous direz Non ! (5 fois) j’ai bobo ! (bis) votre fable à la dame.

Arthur Arthur C’est le régime qu’il nous fait subir, le tigre ! ... Elle est trop vilaine. depuis 18 mois nous ne mangeons que des pruneaux et du pain d’épice ... le lâche ! Geneviève Il n’est pas poli. Geneviève Oh ! pauvre enfant ! Isoline C’est le pain d’épice ... je te donnerai un sucre Isoline d’orge. Mais le jour de la vengeance approche. Golo ignore que ces rochers ... ont une sortie ... et sont machines Arthur ... il a cru nous ensevelir à tout jamais ... moi ... mon J’aime mieux du befteak. ... son ... notre enfant ... et grâce aux déguisements que j’ai pris ... je le suis partout pas à pas ... Isoline comprends-tu ? Je t’en promets avec des pommes.

Geneviève Arthur Je comprends ! Non avec des pommes de terre.

Isoline Isoline Nous attendons pour le frapper plus surement que T’en auras. allons dis ta fable. une fable que je lui son crime soit flagrant ! ah ! tu nous a fait mangé ... avais apprise pour la fête de son gredin de père. pendant 18 mois ... des pruneaux et du pain d’épice. Allons mouche-toi. (il se mouche)

Arthur Arthur J’ai mal au ventre ! Le cheveu blond et le cheveu noir.

Geneviève Fable Pauvre enfant ! Un cheveu blond causait un soir Dans une alcove, avec un cheveu noir. Isoline « Mon brillant ne vaut pas le vôtre Et si gentil quand il se porte bien ... fais une risette Disait le blond à l’autre ... Et cependant quand je rentre au logis On me soigne ... que j’en rougis. Arthur (beuglant) Chut ! fit le noir à voix basse Hi ! hi ! hi ! Notre monde est endormi Voici ce qui se passe Isoline A mon sujet, cher ami. Eh bien rions ! eh bien rions ! Ma maitresse est bien jolie. Mais voilà si longtemps Geneviève Qu’il faut qu’à tout prix je pallie Dis-moi mon petit ami quel âge as-tu ? Ses cinquante printemps Ah ! bah ! reprit le blond, cédant à l’évidence Arthur Votre noir n’est pas réel ? Tu m’embêtes ! Oh ! moi, je suis naturel. Mais confidence pour confidence Isoline Je suis aussi faux qu’immortel Quel amour ! Si votre femme use de la chimie Mon maître est de l’académie Geneviève Disons-le donc à leur insu Il est mal élevé ! Vous êtes teint et moi cousu.

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La morale ici saute aux yeux. Je dis que depuis huit jours je n’ai pu résister aux Quoique tirée un peu par les cheveux charmes de tes yeux ... je me suis fait maigrir ... je On ne veut plus de la nature dis que j’en tiens pour toi. Aujourd’hui l’art est mieux goûté Geneviève Et la peinture Ô mon Dieu ! Embellit la beauté ! Golo Isoline Sérénade Est-il gentil, hein ? et faut-il qu’un homme ait peu Si tu savais combien je t’aime d’entrailles pour repousser de son sein un pareil Combien à toi je pense nuit et jour; trésor. Tu m’aimerais à l’instant même Et tu saurais ce que c’est que l’amour ! Geneviève Oui tu saurais qu’un long carême Mon petit ami, veux-tu m’embrasser ? Double à mes yeux le prix de tes attraits !

Arthur Je te dirais mon nom de baptême !!! Je veux m’en aller tout de suite ... je veux m’en Tu ne sais pas tout ce que tu saurais. retourner chez nous. 2. Isoline Si tu m’aimais comme je t’aime Silence ! quelqu’un vient. Tu ne sais pas comment je t’aimerais ! Je t’aimerais plus que moi-même. Geneviève Je t’aimerais comme on n’aima jamais ! C’est lui ! c’est Golo ! Comme l’avare aime Barême Comme le tigre aime le mouton frais. Isoline Comme le chat aime la crème Viens Arthur, rentrons ! qu’il ne nous voie pas ou Voilà comment, comment je t’aimerais tout serait perdu ! Arthur ici ! (elle pousse Comment trouves-tu ça ? brusquement Arthur dans la 2e grote) A tout-à-l’hure et surtout pas un mot ! (elle referme le rocher sur Geneviève elle) Ah ! vous me faits horreur !

_____ Scène 4. _____ Golo Oh ! redis-moi encore ce mot ! je te fais horreur Geneviève, Golo, Almanzor n’est-ce pas ? tu me méprises ? tu me hais ?

Geneviève Geneviève Ah ! cachons-lui bien mon émotion, feignons de Je vous abhorre. dormir. Golo Golo (entre et la contemple) Oh ! Dieu ! tu ne peux pas te figurer quel plaisir tu Elle est encore plus belle quand elle dort ! Oh ! il me fais ! mais sois tranquille, bientôt ton exécration manquait à tous mes forfaits ce nouveau crime, pour moi n’aura plus de bornes. Connais-moi tout d’aimer la femme de monseigneur ! Almanzor, entier. C’est moi qui ai poussé ton stupide époux à te n’est-ce pas que si tu pouvais parler tu me dirais que répudier. C’est moi qui l’ai fait quitter son royaume je suis un grand coquin ! Eh bien ! que veux-tu, je pour aller s’amuser là bas, et je viens de lui envoyer l’aime cette femme, je l’aime, il faut qu’elle soit à comme souvenir, une petite tisane, qu’il déguste en moi ! veille au grain. (éveillant Geneviève) holà ! ce moment, et dont probablement il ne me donnera debout la belle ! jamais de nouvelles, jamais ! jamais. C’est moi qui au lieu de te renvoyer à la cour de ton père, comme Geneviève je le devais, t’ai enfermée dans cette horrible Hein ! qui m’appelle ? caverne.

Golo Geneviève Moi, ton maître ! non ton esclave. Vous !!

Geneviève Golo Que dites-vous ? Oui, moi ! n’est-ce pas que je suis un grand scélérat. Eh bien, dis un mot, à nous deux le pouvoir, la Golo richesse, les plaisirs. Geneviève, veux-tu mon amour ! viens avec moi, califorme d’amour, viens en

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Suisse, je te donnerai un chalet, avec des oies, des tire ton sabre et tue là. (Almanzor n’a pas l’air de poules, des dindons, des canards. aimes-tu les comprendre) Almanzor, je t’ordonne de canards ? il y en aura partout avec des navets. entends-tu ? (Almanzor reste immobile) Ah ! j’oublie toujours qu’il est sourd et muet. attends. (il Geneviève déchire une feuille de son carnet écrit l’ordre qu’il Je n’aime pas la campagne. donne à Almanzor; celui-ci comprend alors et fait signe qu’il va faire mettre Geneviève à genoux et lui Golo trancher la tête) C’est ça ! que ça soit fini à mon Quoi ! tu ne t’es jamais trouvée dans une campagne retour. Je n’aurai pas perdu ma journée. émaillée de fleurs fanées à demi, pendant une soirée d’automne ? tu n’as jamais examiné la feuille _____ Scène 5 _____ veloutée de l’arbre de Jupiter ? lorsque jaunie par le souffle impétueux du zephyr septentrional, elle Almanzor, Geneviève tombe, inclinée par son poids, dans les vagues écumantes du ruisseau paisible de la vallée solitaire, Geneviève entrainée au sein d’un vaste océan, où elle rencontre Que vois-je ? o ciel ! ce valet de carreau son tombeau ? Ah ! si tu savais comme alors, à A tiré son grand sabre du fourreau ! l’aspect ravissant de la nature en deuil, et prête à C’est donc pour me couper le cou ! revêtir la robe glacée des frimats, l’âme s’épanouit Ah ! ça va me gêner beaucoup ! aux impressions tardives d’un amour prématuré, et (elle tombe à genoux ferme les yeux) se balance avec délices dans la vague de mélancolie Oui ! c’en est fait de moi ! d’un cœur qui ne brule que pour toi et dont tes yeux Frappe ! depêche-toi ! sont le brasier qui le dessèche nuit et jour. Almanzor Geneviève Il était un magot d’la Chine Va-t-en, monstre ! va-t-en ! Tout laid, tout gris, Nommé Mystigris ! Golo Ah ! mais, si tu ne veux pas, je t’y forcerai - Geneviève hypocrite avec les forts, je suis féroce avec les Que veut dire ceci ? faibles. Qui chante ainsi ?

Geneviève Almanzor Oh ! je le sais ! Isoline et son fils en sont les preuves Qui retenait la belle Argine ! Dans un coin noir De son vieux manoir ? Golo Par la croix de ma mère ! ah ! tu connais ce secret ! (il la relève) ... tu vas mourir ! (appelant) Almanzor, v’là de la besogne mon petit ! Tiens, tu vois bien cet homme, Geneviève c’est mon complice et je le charge de te tuer. Quoi ? Reynold en ces lieux ?

Geneviève Almanzor Lui ! et son honneur ? Oui, Reynold en ces lieux !

Golo Geneviève Il est sourd et muet. Dois-je en croire mes yeux ?

Geneviève Almanzor Et sa conscience ? Oui, n’en crois que tes yeux !

Golo Ensemble Il a du coton dans les oreilles ! Ah ! comme il bat mon cœur En cet instant suprême ! Geneviève Ah ! comme il bat mon cœur Ah ! malheureux ! je suis perdue ! D’une violence extrême ! D’espoir et de bonheur Golo Il bat ! il bat mon cœur ! Je le crois ... Voyons, Geneviève il en est temps encore, acceptes-tu mes meubles et mon amour, en Almanzor acajou, en palissandre, en boule ... non ? eh bien ! Geneviève, à la cour de ton père c’en est fait ... signé Jean Baptiste Golo. Almanzor, Tu m’aimais ... m’aimes-tu toujours ?

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Mais le champagne enivre Geneviève Prends, si tu vis sans l’aimer A celui qui sauve nos jours Tu n’aimes pas à vivre. Je ne puis que répondre: espère ! 3 Des billets de loterie Almanzor Prends, pour gagner sur le champ Paraissez Navarrois, Sarrasins, Castillans Ces billets de série Et vous tous gredins malveillants Ils sont du rase d’argent Que le Brabant recèle (bis) Toujours en loterie ! A la hâche, à l’épée, au poignard, au fusil Oui, tous, je vous défie ici 4 un roman de Paul de Kock De m’enlever ma belle ! Si tu veux t’instruire en bloc En y trouvant des charmes Reprise de l’ensemble Ce roman de Paul de Kock Ah ! comme il bat mon cœur Te fera rire. Etc. Une brassière et un bonnet d’enfant A broder ces chiffons là Geneviève Je m’étais occupée Mais comment se fait-il ? Tiens, à l’âge où te voilà On joue à la poupée. Almanzor Que je sois ici ? c’est pour mieux te venger ! Depuis 5. Un paquet de cigarres le jour où tu fus forcée par ton père d’épouser Voici pour flatter les sens; Sifroid, je ne t’ai pas quittée - pour démasquer cet Dans le siècle où nous sommes infâme Golo, je me suis fait son complice. Cet ordre Les cigarres sont l’encens de mort écrit de sa main le confond et le perd à Que nous brûlent les hommes. jamais. Grâce à mes soins, aidé d’Isoline, j’ai déjà soulevé les chefs principaux, le peuple sera pour 6. Boite de poudre de riz nous et bientôt tu reprendras ta place ! tiens regarde, Mets de la poudre de riz comme dans les mille et une nuits ! (le rocher du Vois quels teints sont les nôtres ! fond s’ouvre entièrement autour d’une table Ça surprendra ton mari richement servie on voit les seigneurs de Rosenkrac Elle en trompe bien d’autres ! les femmes de Geneviève, Rose Pompon, son fils et le poète Narcisse) 7. Un journal du soir Veux-tu dormir comme un loir _____ Scène 6. _____ Fais une chose ingrate Parcours ce journal du soir (Le rocher s’entrouvre, entrent les amis de Rose Lis, jamais ça ne rate. Pompon) Rose Pompon Chœur Comment ! c’est là tout ce que vous avez de mieux à C’est Geneviève, amusons-nous offrir à notre charmante Geneviève ... et vous croyez Soyons plus gais, soyons plus fous ! que cela suffira pour distraire une pauvre prisonnière Pour honorer sa présence ... Allons donc ! voilà la chose la plus précieuse (elle Amis, dépouillons-nous tire des jeux de cartes de sa poche) Pour tuer le Eclairons son innocence temps, avec ça on resterait 6 mois au clou, le jeu, ma Et contentons ses gouts ! chère, le jeu, mais c’est le seul charme de l’existence. Chacun s’avance et lui fait son cadeau Rondeau 1 Sac de bonbons Prends ces bonbons, ces babas, A l’heure où la nuit profonde Te plaisent, je m’en flatte, Endort les simples mortels Si tu ne les aime pas Le jeu cher nous fait sa ronde Tu ne serais pas chatte. Nous lui dressons des autels ! Prends ces bonbons, manges-en Autour d’une table immense Satisfait ton envie Nous voilà tous l’œil ouvert; Puisqu’on te prive à présent Et le lausquenet commence Des douceurs de la vie ! Les émois du tapis vert ! Vingt francs ! je tiens - va - nous y sommes ! 2 Bouteille de Champagne Mon tour - Banco ! l’or a relui L’amour ne sait plus charmer Fi des amours beau gentilhomme

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Nos yeux, nos cœurs sont tout à lui Perds ta santé, perds ta fraicheur, Bientôt la foule imposante Perds la raison, perds ta fortune De tous côtés du bazar Tout est perdu ! même l’honneur ! Dans une anxiété croissante Ah ! c’est charmant ! c’est ravissant ! Sacrifie au Dieu hasard. Mais rien ne vaut à mes yeux Là la bouillotte ramasse Qu’un petit bezigue à deux ! Les enjeux faibles ou grands. C’est à vous - je vois - je passe Tous Je fais mille francs ! Vive le jeu ! ~~~ Les voyez-vous la face pâle Narcisse Les yeux fixes, le cou tendu ! Et moi, simple poète à l’écart, sur le seuil, Un cri rauque, un cri comme un râle Vais-je en ceci rester l’arme au bras ou à l’œil ? S’échappe enfin ... ils ont perdu ! ~~~ Almanzor Ah ! c’est charmant ! c’est amusant ! Toi ? tu écriras l’histoire de Geneviève de Brabant. C’est délirant ! éblouissant ! Mais rien ne vaux à mes yeux Narcisse Un petit bezigue à deux. Si c’est en vers, j’en suis ! le vert est ma couleur. Oh ! non rien ne vaut à mes yeux Un tout petit bezigue à deux. Almanzor Là l’écarté qui s’anime Une complainte qui remue, qui fasse crier le peuple Allèche les spectateurs ... confonds l’infâme Golo ! sois touchant, Et le plus pusillanime pathétique ... songes que tu écris l’histoire et que tu Est bientôt dans les parieurs. marches à l’immortalité. ~~~ Par ici c’est la roulette Narcisse Quel bruit étrange et confus. Je mettrai sur Geneviève en historien fidèle Ceux-ci froissent leur toilette Tout ce qu’on dit de fort, tout ce qu’on cita d’elle. Ceux-là raflent leurs écus. Et chacun comme à la foire Almanzor Repousse des mains, des pieds, Silence ! on vient ! Diable ! c’est ce gredin de Golo ! A moi la rouge, à moi la noire Et tout l’or file aux croupiers Tous Ah ! c’est charmant, c’est ravissant Golo ! sauve qui peut ! (On s’esquive en emportant Là deux vieilles chrysalides la table) Jadis galants papillons Au piquet, jeu d’invalides Almanzor Cherchent des émotions. Il vient voir sans doute si j’ai exécuté ses ordres. Là plus loin quatre momies Attends ! fermez le rocher ! comme c’est machiné ! Font le whist sans sourciller ah ! Geneviève, vite sur ton lit. (Geneviève se jette Autant d’ombres mornes endormies sur la paille. Almanzor la recouvre d’une nappe) Jusqu’au jugement dernier. C’est ça ! ~~~ La nuit devient plus épaisse _____ Scène 7. _____ Grâce au punchs, grâce au tabac C’est l’heure où la lampe baisse Golo, Almanzor, Geneviève Taillons vite un léger baccarat ! Golo (il entre en reniflant) Place au jeu, que fait la banque Oui, si j’en crois mes narines, Moi cent francs. Deux cents, cent louis. On sent la chair fraiche, ici ! Enjeux fous, inouis J’ai du toupet d’entrer ainsi Rien n’y manque. Dans cette caverne en ruines ! Bref ! pendant qu’ils sont feu et flammes On arrive au chemin de fer. Almanzor (à part) Pas celui du Nord Il tourne autour Mais au grand jeu, jeu d’enfer ! Du pot aux roses ! Qui veut de moi corps et âme ? Si tu le découvres, cher amour, De mon oncle l’armateur ? Il va se passer des choses ... Moi, je veux jouer ma femme ! Je t’ à ton tour ! Moi, messieurs, je mets mon cœur ! (il feint d’essuyer son sabre sur sa manche) Bravo ! le blond ! très bien la brune !

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Golo (il lui frappe sur l’épaule) E ... e ... e ... e ... e ... rincée ! Fin du 4me Tableau. _____ Almanzor O ... o ... o ... o ... o ... oui ! 5me Tableau _____ Golo E ... e ... e ... e ... e ... rasée ? La Galerie de Tableaux de Golo. _____ Almanzor O ... o ... o ... o ... o ... Oui ! Une galerie occupant le 1er plan. la galerie est partagée en deux compartiments qui tiennent tout le Geneviève (se lamentant sous son drap) fond du théâtre. à droite on lit: Portraits de mes Ah ! ah ! ah ! ah ! dernières victimes; (à gauche: Portraits des personnes que je dois tuer prochainement sur un Golo (effrayé) cartel en bas on lit: Etude spéciale et raisonnée des Tais toi ! tais toi ! différentes postures dans lesquelles les victimes Entends-tu ? Soutiens-moi ! peuvent mourir. Dans la catégorie des dernières Si nous allions voir un fantôme victimes on voit les portraits de Geneviève, de Grand comm’la colonne Vendôme. Sifroid, de Charles Martel, tous dans des positions incroyables. Dans la catégorie des personnes à tuer, Geneviève les portraits de Rose Pompon, Arthur, Almanzor, Ah ! ah ! ah ! ah ! Narcisse et une suite de personnages qui font queue, en frontispice Galerie de Golo, ce dernier Golo compartiment se ferme par un rideau, un large divan Tais-toi ! tais-toi ! et un petit meuble.

Ensemble _____ Scène 1re _____ Geneviève, Golo, Almanzor Ah ! dans ce lieu solitaire Almanzor, Narcisse sous Tout nous prête ton secours Almanzor me Hé bien ? L’audace et le mystère Nous réussissent toujours ! Narcisse Me Voici la complainte de Geneviève de Brabant.

(On entend derrière les rochers le chœur chanter) Almanzor Donne. (la lisant) Bien, très bien. Golo, la biche, la Allons ! buvons ! caverne. Chantons ! jouons ! Non, rien ne vaut à mes yeux Narcisse Un joli petit bézigue à deux ! Comment voulez-vous qu’on ne pleure pas et qu’au moment donné le peuple ne crie pas: vive Geneviève Golo ! vive l’enfant, la caverne et la bête ! Entends-tu ces chants étouffés, sombres ? Vois-tu ces fantômes, ces ombres ? Almanzor Mais plus rien, c’est surprenant ! C’est vrai ... j’oubliais ... embrasse-moi ... je cours ... Comme la peur s’apaise sapristi (il va à un petit meuble qu’il ouvre et en tire Ah ! vous chantiez ... j’en suis fort aise un flacon sur un plateau) Eh bien danser maintenant ! Narcisse Reprise de l’ensemble Que faites-vous ? Dans ce lieu solitaire Etc. Almanzor Tu vois bien ceci ... c’est une potion ... qui a la vertu (A la fin du trio, sur les dernières mesures de d’endormir chaque jour l’infâme Golo ... eh bien, je l’orchestre, Golo en se retirant dit à Almanzor) veux qu’il ne dorme plus. (il vide le contenu du flacon et met de l’eau à la place) C’est ma Golo vengeance qui commence ... Désormais qu’il vive Il te reste à jeter à la mer ce cadavre avec ses remords. Flanque-le dans la Seine, il ira par le Havre !

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Narcisse Croyez-vous qu’il en ait ? (il replace le flacon) Golo Pas mal ... j’aime ça qu’on me flatte ... ça Almanzor m’encourage dans mon mépris pour l’humanité ... Qu’il tremble du moins ... en revoyant aujourd’hui avoue qu’en toi-même tu te dis: en voilà une canaille même tous ceux qu’il croit avoir tués. ! pourquoi ça ? parceque j’ai tué Geneviève, empoisonné Sifroid ... Charles Martel ... Bagatelles ! Narcisse tiens regarde les autres. (il découvre le second Quoi ? Sifroid, Charles Martel ? comprtiment) Tu vois ton portrait ... si tu ne m’obéis pas ? Almanzor Se portent aussi bien que Geneviève de Brabant. Narcisse Dans quelques heures ils seront de retour. J’obéirai.

Narcisse Golo Mais je croyais que vous étiez amoureux de Et celui d’Almanzor ... mon confident ... quant à toi, Geneviève. ton affaire est claire. Que faire d’un confident quand on n’a plus rien à lui confier ! et maintenant, Allez- Almanzor vous en, bonsoir ... j’ai besoin d’être seul. Hé bien ? (Almanzor et Narcisse sortent) Narcisse Et vous vous réjouissez du retour du mari ! _____ Scène 3 _____

Almanzor Golo seul puis Sifroid Sifroid n’a-t-il pas répudié sa femme ? Golo Narcisse J’ai besoin d’être seul ... il y a longtemps que je n’ai Ah ! je comprends ... farceur ! Geneviève une fois fait la conversation avec ma galerie ... et je n’aime replacée sur le trône ... peut reprendre un époux de pas qu’on me dérange quand je converse avec elle ! son choix ... charmant ! admi ... Grâce à ce narcotique (il prend le falcon) je me pourvois des rêves les plus extravagants ! je (On entend rire et chanter au dehors) m’endors là, en face de mes victimes et je les vois à peu près descendre de leurs cadres. Quelle volupté Narcisse on éprouve en se disant tous les matins: Quels Qu’est-ce que c’est que ça ? forfaits vais-je commettre aujourd’hui, et le soir on se couche, on voit passer une ribombelle de Almanzor fantômes qui se dérangent exprès pour vous tenir Encore lui, toujours lui ! Depuis qu’il se croit compagnie (car les fantômes sont comme les débarrassé de tous ses ennemis, qu’il se croit maître créanciers, ils reviennent toujours.) Les uns dansent, enfin, il se livre nuit et jour à la joie, au plaisir. les autres boivent, ceux-ci grinchent des dents, ceux- là jouient, le tout avec un bruit de chaine qui charme Narcisse et engourdit tous les sens; ah ! les belles nuits ! (il Il fait une noce d’enfer ! boit) hier, c’était charmant, il y avait mon grandpère qui jouait à saute mouton avec mon frère le jeune, Almanzor tandis que Geneviève me tirait la langue en Silence, le voici ! m’appelant petit polisson. je voudrais bien rêver de Sifroid et de ... Charles Martel ! sapristi ! mais il me _____ Scène 2. _____ semble que je ne dors pas si vite qu’à l’ordinaire.

Les mêmes, Golo (très agité) Voix au dehors Ah ! (bruit et sons de trompes) Golo (à la cantonade) Bravo ... très bien ... continuez ... chantez ... Narcisse Golo .... mon poète ... car tu es mon poète ... dis-moi Quel est ce bruit ? ces trompettes ? ... quelque chose de flatteur. Voix du dehors Narcisse Vive Sifroid ! vive Charles Martel ! Ce que j’aime en Golo Ce n’est pas qu’il est beau, Golo Mais il est bon ... si bon ... si bon ... si bon ... Sifroid ! Charles Martel ! Ah ! c’est mon rêve qui Qu’il est le meilleur de tous les gens bons ! commence.

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Golo Sifroid (entrant) Où ça ? je n’en sais rien - je l’avais envoyée vous Où est-il ? où est-il ? Ah ! le voilà ! où est mon retrouver. sceptre, mon manteau et la clé de mon armoire à glace ? Sifroid En Palestine ? Golo Seigneur ... votre manteau est au clou ... quant à la Golo clé de votre armoire à glace ... elle avait un ... Il appelle ça en Palestine ! Ah ! ah ! ah ! farceur de elle est chez le serrurier. cadavre, il m’amuse.

Sifroid Sifroid Chez le serrurier ? embrasse moi ! Je lui trouve un drôle d’air à mon premier ministre ! premier favori ! Golo Ah ! ah ! ah ! ça va bien cadavre ? Golo Et ... entre nous là ... êtes-vous content ? Sifroid Cadavre ? pourquoi donc m’appelles-tu cadavre ? Sifroid Nous avons essuyé bien des dangers. Golo Ah ! ah ! ah ! et Charles Martel, je ne vois pas Golo Charles Martel. Bah !

Sifroid Sifroid Il est entré chez le pharmacien, il est en train de se Ah ! sans mon casque, tu ne m’aurais jamais revu, rafraichir. figure-toi, c’est toute une histoire ! tu sais que nous étions partis pour la Palestine, très légèrement vêtus Golo ... il faisait un froid de chien; heureusement j’avais Ah ! ça va bien la santé, cadavre ? mon caleçon ... mais les soldats ... n’avaient que leur chemise c’était très joli à voir ... Sifroid Pas mal, merci, tel que tu me vois ... je pourrais Golo revenir de la Palestine ... si j’y avais été ... et mon Je sais ... royaume ? qu’as-tu fait de mon royaume ? Sifroid Golo Mais ils avaient leurs sabres. Ça boulotte ... ce soir, on se rassemble ... et on fait sa petite partie. Golo (riant) Ah ! ah ! ah ! mais il est très drôle ... de son vivant il Sifroid n’était pas amusant comme ça ... ce farceur de Ah ! cadavre !

Golo Sifroid Oui, hier j’ai gagné trois livres quinze sous au grand Tout-à-coup ... nous étions dans les champs ... le écuyer. régiment marchait devant ... et moi par derrière ... lorsqu’il arrive un orage ... mais un orage ... nous Sifroid nous mettons à l’abri sous une porte cochère, le A quoi ? portier sort avec son balai ... et nous avons reçu une trempe ... on entendait le bruit de tous côtés ... ma Golo foi c’est comme ça que nous avons descendu les A l’ambre. bords du Rhin ... Arrivé là, Charles Martel me dit: si nous allions voir mon cousin le duc de Bourgogne Sifroid qui demeure en Picardie ... je réponds: allons-y. Et ma femme ? tu ne m’en parles pas de ma femme ? Nous prenons le chemin de fer de l’Ouest et nous arrivons directement à Poissy. Le duc de Bourgogne Golo est enchanté et me dit: comment vas-tu ? pas mal et Votre femme ? vous ne l’avez pas rencontrée ? toi ? Viens-tu ce soir au théâtre, on joue les mariages dangereux et la harpe d’or. nous achetons trois Sifroid contremarques. Où ça ? Golo

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Et les soldats ? Sifroid Sifroid Ils étaient toujours sur les bords du Rhin ... mais Quels militaires ? rassure-toi ... en cas de pluie ils avaient reçu l’ordre de quitter leur uniforme. Golo L’armée ! Golo Ça m’inquiétait. (à part) il est verbeux ! Sifroid Ah ! les sans culottes ? ils étaient toujours sur les Sifroid bords du Rhin, nous entrons à la 1re galerie; Ah ! mon ami, tu n’as jamais vu les mariages l’ouvreuse faisait des difficultés, mais ... le Duc de dangereux ? Bourgogne s’est nommé, il avait ses entrées ! Oh ! mon ami, je n’ai jamais vu jouer la comédie comme Golo ça - il y avait un marchand de boeufs qui avait Jamais ! amené un veau ! il pleurait ! il pleurait ! Sifroid Golo Pour t’en revenir à la sortie du spectacle ... Qui ça ? le veau ? Golo Sifroid Il est amusant, certainement, comme cadavre, il est Et le marchand ... ça fendait l’âme ... mais patatras ... amusant, mais il n’a aucune suite dans les idées. Il n’y a pas de plaisir sans peine. Sifroid Sifroid V’là le duc de Bourgogne qu’était très contrarié. La fortune ne fait pas le bonheur. Charles Martel propose de repartir pour la Palestine. Bourgogne accepte et nous v’là en route en Golo compagnie du marchand de boeufs qui n’avait pas Chat échaudé craint l’eau chaude. quitté son veau ! De sorte que moi, Charles, le Duc, le marchand et le veau, nous étions cinq ! aimes-tu le Sifroid veau, toi ? Qui va piano va sans. Golo Golo Il en ! ... C’est une viande blanche ... mais pourtant Honny soit qui mal y pense. avec des carottes tout autour ...

Sifroid Sifroid Patatras ! va te promener ! il pleuvait à la sortie ! Hé bien, j’étais comme toi, je ne pouvais pas le souffrir, mais depuis que j’ai fréquanté celui-là ... Golo c’est bien utile ! chaque fois que nous étions C’est pas de chance. fatigués, on montait sur son dos, à tour de rôle ... enfin, bref, nous arrivons. Sifroid Si, j’avais une cuirasse neuve et pas de parapluie, Golo pas l’ombre d’un parapluie ! quant aux omnibus, tu En Palestine ? sais qu’il en pleut. Sifroid Golo Nous tenons conseil tous les cinq. Complet, à moins de monter sur l’impériale ... la position était ... Golo Ici ! il se croit encore chez lui. Sifroid Critique. Sifroid Les mariages dangereux m’ont monté la tête et à Golo l’instar de Louis 14, je donne, dans mon palais, une Ah ! mon Dieu ! fête splendide. La pièce est de nous. Toi-même tu as un rôle. Sifroid Quoi ? Golo Un rôle ... et le veau ? Golo J’y songe et les soldats ? Sifroid

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Le veau ... quel veau ? Chœur Qu’ici l’on se presse Golo C’est jour d’allégresse Le veau du marchand de boeufs ... il n’a aucune C’est grande fête, festival suite dans les idées. Chantons tous un chœur triomphal.

Sifroid Clé de sol Ah ! le veau ? Oh ! nous l’avons mangé et le 1 marchand de veau aussi. Des vieux airs, des chansons Je suis la Reine, Golo Je dicte mes leçons Ah ! ah ! farceur de cadavre ... il m’amuse ... quel En souveraine ! drôle de rêve ! ... flattons son ombre ... quel rôle O toi ma voix joué-je ? Chante et sois Mon plus charmant Sifroid Talisman, Mais au fait, si je te le dis il n’y aura pas de surprise Livre aux zéphirs ... viens, suis-moi. Nos plaisirs Livre aux amours Golo Nos beaux jours ! Flattons son ombre ... farceur de cadavre ! (il lui tape sur le ventre) 11 Clé de sol est mon nom Sifroid Par sa puissance V’là trois fois qu’il me frappe sur le ventre ! V’lan ! Il a fait le renom (il lui donne un coup de pied au derrière) De la romance ! O toi ma voix Golo Chante etc. Ah ! ah ! ah ! quel drôle de rêve ! Chœur _____ Scène 5. _____ Bravo clé de sol Vive notre Reine Les mêms, Charles Martel (en roi Dagobert) C’est une syrène C’est un rossignol ! Charles Martel Tout est prêt ! Clé de sol Allons, commençons la fête Golo Allons les complaintes en tête Charles Martel ! La lice est prête Paraissez Sifroid Commencez ! C’est Charles. (jeu de scène) (Arrivant l’une après l’autre; avec leur costume et Charles Martel leurs attributs les chansons suivantes.) Le marchand de boeufs s’impatiente. Le Juif errant. Golo Est-il rien sur la terre Ah ! ah ! ah ! de leur vivant ils n’étaient pas si Qui soit plus surprenant amusants que ça ! Que la grande misère Du pauvre juif errant (ils sortent) _____ Compère Guilleri Titi carabi 6.e Tableau. Toto carabo _____ Compère guilleri Te tairas-tu Le Palais de la complainte. _____ Mme Denis. Quoi vous ne me dites rien La reine clé de sol, au lever du rideau est entourée Mon ami ce n’est pas bien de sa cour. Chœur des complaintes et des chansons. Jadis c’était différent Souvenez-vous en.

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Comm’ le mari d’notre mère La pipe de tabac Doit toujours s’appeler papa Chagrin de ma vie Quand j’ai ma pipe de tabac Je vous dirai que mon père Un certain jour on happa. Je t’embrouille En avant fanfan la tulipe Mon Dieu comme il ment Oui millions d’une pipe en avant Dit la pauvre enfant Ni vu, ni connu, je t’embrouille. Chœur En avant fanfan la Tulipe Maréchale de Saxe Oui mill’noms d’une pipe en avant. Ecoutez peuple de France Et du Nord et du Midi (Le délire des chansons est à son comble, la Peuple d’Italie aussi bohémienne entourée de ses folies mène la troupe à Du cap de bonne espérance la stupéfaction de Sifroid.) Pleurez du grand maréchal De Saxe le sort fatal. Sifroid Ah ça mais que vient faire ici cette bohémienne, ça Le Rosier n’est pas dans la pièce ! Je l’ai planté, je l’ai vu naitre Ce beau rosier où les oiseaux La bohémienne Viennent chanter sous ma fenêtre Allons, mes seigneurs ainsi que vous belles dames, Pérchés sur ses jeunes rameaux. approchez-vous, je vais vous dire votre bonne aventure (On s’approche) Je vous préviens que j’en Le Roi d’Yvetot sais long, que je dirai tout et qu’au besoin je casserai Il était un roi d’Yvetot les vitres (On se recule) je vois à ce silence que Peu connu dans l’histoire j’aurai du succès ... allons messieurs, sondez vos Se levant tard, se couchant tôt consciences, retournez vos poches, qui commence ? Dormant fort bien sans gloire. Charles Martel (à Almanzor) Cadet Roussel. Moi je plus à la sorcellerie ... Cadet Roussel a trois maisons Qui n’ont ni portes, ni chevrons. La bohemienne Qu’à la vertu des femmes n’est-ce pas ? La Bohémienne. Je viens de bien loin d’ici Charles Martel Je viens de bohème Justement ! Voyez je suis reine aussi Voyez mon diadème La bohémienne Au pays des sorciers Ce brave Charles Martel ! toujours aussi bête. Pays des folies On en fait par millier Charles Martel Toutes sont jolies. Elle me connait. La a la la a ! Tous (riant) La Vivendière. Ah ! ah ! ah ! Malgré la bataille Qu’on donne demain (Charles Martel disparait) Ça fesons ripaille Et buvons ce bon vin ! Sifroid Mais ça n’est pas dans la pièce. La Bohémienne Je viens de bien loin d’ici La bohemienne Je viens de bohème etc. Et toi qui ne jeune et bel Almanzor es-tu toujours sourd et muet de naissance ? Mr de la Palisse Monsieur d’la Palisse est mort Almanzor Mort devant Pavie Mais certainement ! Un quart d’heure avant sa mort Il était encore en vie. Tous (riant) Ah ! ah ! ah ! (Almanzor disparait) Fanfan la Tulipe

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Sifroid (à Golo) Dis donc, d’Yvetot, elle a joliment le truc je La bohémienne commence à avoir le trac ! Oui, la malheureuse Isoline ta victime, monstre, qui te poursuivra toujours, brigand ! Mathieu Laensberg, Golo le page Gratioso, le chevalier noir - c’était moi. Ma foi ! j’en ferais bien le troc avec Melle Prudence elle est par trop lucide. Golo Assez - Cette nuit à trois heures, au foyer, sous Sifroid l’horloge (à part) Attends-moi sous (il sort) J’ai bien envie de lui demander ce que fait ma femme en ce moment ... Isoline Va, brigand, va, ton chatiment t’attend au coin de la La bohemienne rue ! Elle raccommode des chaussettes. Sifroid Sifroid Mais enfin, qui donc es-tu ? Hein ! ... Pour qui ! Isoline La bohemienne Une femme ! une simple femme, monseigneur ! qui Ne le demande pas ... pauvre homme ! a fait son possible pour sauver la toque antique des Sifroid et qui vous dit aujourd’hui: il n’est plus Sifroid temps ! Vous avez répudié votre femme innocente et Si, si parle ! persécutée. Elle se venge en vous prenant votre rang ! Elle a raison ! La bohémienne Tu le veux ... l’Almanzor que tu viens de voir sortir Sifroid est ... Quelle insolence ! A moi mes gardes, le corps des savants ! mon poète ! Almanzor ! Charles Martel ! Sifroid Golo ! Geneviève ! Arthur ! la biche ! Est ... ? Isoline La bohemienne Il n’est plus temps ! vous dis-je, le peuple est Reynold de Flandres ! ... soulevé, la complainte de Geneviève lui a remué les entrailles ! Sifroid Sac à papier ! Mais ça n’est pas dans la pièce ! Sifroid (cherchant au milieu des chansons) Où est-elle cette complainte ? que je lui allonge les La bohémienne (à Golo) oreilles. Et toi Golo, Golo l’infâme ! Tous Golo Oui ! oui la complainte ! Bigre ! (haut) Madame, modérez votre accent circonflexe. Isoline Elle n’était pas dans la pièce, mais la voici. La bohémienne Veux-tu des nouvelles de la tienne. Complainte _____ Golo Je ne vous connais pas ! Narcisse Il était un’princesse aut’fois La bohémienne Qu’était bien malheureuse. Ah ! je suis donc bien changée. Son mari la battait chaque fois Qu’elle allait être heureuse. Golo Hein ? Chœur Trompes, trompes, trompes La bohémienne Sonnez vivement Mais regarde-moi donc entre les deux yeux, animal, Pour Geneviève de Brabant et tu me reconnaitras ! (elle se démasque) Ch. Martel Golo (à part) Pour calmer le bouillant Sifroid Une femme ! Quelle tuile ! Je l’emmène à la guerre

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Mais je l’avoue, avec effroi Et moi, nom d’un petit bonhomme ! Ça ne le calma guère. Trompes etc. etc. Isoline Toi et Golo ! la posterité vous condamne à l’orgue Almanzor de barbarie à perpétuité, allez par le monde et C’est alors que l’infâme Golo tournez tous les deux pendant l’éternité ! A l’indélicatesse De me charger de j’ter à l’eau Tableau final. Reprise du chœur. Cette aimable princesse _____ Trompes etc. etc.

Isoline C’est moi qui l’ai dedans les bois Au milieu des bêtes fauves Retrouvée au bout de six mois Vivant d’chardons et d’mures Trompes etc. etc.

Arthur C’est moi que la biche a nourri L’enfant qui cherche un père, Je n’en qu’un, père chéri, Mais au moins qu’j’aie un père. trompes etc. etc.

Sifroid C’est moi qui suis le fier Sifroid Je suis un grand coupable, Ma femme est innocente et moi Me voilà votre fable. Trompes etc. etc.

Golo (avec un orgue) Je suis toujours l’infâme Golo Mes crimes sont ma joie Puisque les forfaits sont mon lot Que ce trône soit ma proie. Trompes etc. etc. il va pour s’élancer vers le trône, les draperies s’écartent Geneviève apparait.

Geneviève Arrête ou plutôt non, n’arrête pas, accompagne moi de là bas. Répudiée, innocente, enfin Libre de ma personne. A mon sauveur j’offre ma main Reynold je te la donne. Trompes etc. etc.

Isoline (s’emparant de la palme de A Geneviève de Brabant cette couronne !

Geneviève A nous deux, monsieur ! (elle partage le trône avec Isoline)

Tous Vive Geneviève de Brabant !

Sifroid

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