UNIVERSITE PARIS 8 - VINCENNES – SAINT-DENIS École Doctorale Sciences Sociales - ED 401 Laboratoire dynamiques sociales et recomposition des espaces LADYSS

Thèse présentée pour obtenir le grade de Docteur de l’Université Paris 8 Domaine Géographie Présentée par COUMBA CISSE

Le 09 juin 2016 Sous la direction de Bezunesh TAMRU Titre :

«VIVRE À L’OMBRE PROCHE» DU BARRAGE DE

MANANTALI: LES REPRESENTATIONS SOCIALES DES IMPACTS DANS LES CAMPEMENTS ET LES VILLAGES ENVIRONNANTS.

JURY Anne OUALLET, Professeure, Université Rennes 2 Rapporteur Kouassi Paul ANOH, Professeur, université Félix-Houphouët-Boigny Rapporteur Adrien COLY, Enseignant Chercheur, Université Gaston Berger Michel LESOURD, Professeur émérite- université de Rouen Alphonse YAPI-DIAHOU, Professeur des universités, Université Paris 8 Bezunesh TAMRU Professeure des universités, Université Paris 8 Directrice

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RESUME

En 1988, le Bassin du fleuve Sénégal au a vu la mise en service d’un barrage par l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS). L’objectif principale est la production d’énergie électrique partagée entre : le Mali (52%), le Sénégal (33%) et la Mauritanie (15%). Mais l’apparition de cet ouvrage constitue une perturbation profonde dans l’organisation et le fonctionnement des espaces riverains. Les territoires autour du Bafing, affluent où se localise le barrage, se trouvent ainsi cloisonnés en une partie amont et aval du lac de retenue. Ce dernier a insufflé une nouvelle dynamique spatiale avec l’installation récente de 25 campements de pêche. Cette nouvelle économie constitue un facteur d’attraction de pêcheurs professionnels venus des régions du Centre du Mali, particulièrement de Mopti et de Ségou. Le lac devient ainsi une immense réserve de poissons avec des tailles plus importantes par rapport à ceux capturés dans les affluents du Bafing, du Bakoye, ou même du fleuve Sénégal. En amont du barrage, la pêche devient la première activité économique poussant des jeunes agriculteurs et éleveurs «autochtones» à une reconversion professionnelle pas toujours aboutie. Les campements de pêcheurs occupent un ancien site des villages déplacés lors de la construction du barrage. Trente-trois villages sont actuellement réinstallés en aval du barrage dans le finage d’autres hameaux préexistants. Cette cohabitation bouleverse l’occupation de l’espace et entraine des tensions foncières. Certains sites comme Manantali à 5 km du barrage en sont les grands bénéficiaires. Ce village s’est transformé en un véritable « centre-rural », en accueillant les cadres et les ouvriers qualifiés et toute la main d’œuvre venus du Mali voire de l’étranger. Cet afflux d’habitants urbanisés a profondément changé la configuration du site et l’a surtout fortement ségrégué. Les bureaux de la société d’exploitation au pied du barrage, le vieux village de Manantali, les cités des ouvriers et celle des cadres sont autant de témoins d’un espace urbain en devenir, fonctionnel et très inégalitaire. Le principal objet de cette étude est l’étude des impacts du barrage de Manantali sur l’organisation socio-spatiale et physique des territoires riverains. L’entrée par une lecture des représentations sociales, consensuelles comme conflictuelles, par les habitants et les différents acteurs, est privilégiée. L’analyse des données quantitatives et des différents discours identifie les expressions tant des effets environnementaux physiques que socioéconomiques suscités par l’ouvrage. Le concept de représentations sociales est posé de la façon suivante: «les représentations forment des codes mémorisés par le cerveau, mobilisables de façon consciente et se prêtant à de multiples utilisations mentales. Ces codes servent en particulier à décrypter notre environnement géographique, mais aussi à communiquer avec autrui, à rêver, imaginer, planifier et orienter nos conduites ou nos pratiques les plus diverses» (DI MEO, 2008). Cette étude d’impact se positionne donc le domaine de la géographie sociale. Au cœur de cette étude se trouvent les acteurs, les responsables politiques à différentes échelles, et surtout l’habitant ordinaire qui vit à l’ombre du barrage de Manantali. Cette notion d’ombre doit être comprise dans la polysémie des impacts de

2 | P a g e l’ouvrage, tout autant néfastes que bénéfique, et par rapport à son aire d’influence. Les principales zones d’étude considérées se situent à « l’ombre proche » de l’ouvrage, ou à l’échelle locale, dans un rayon de 50 kilomètres autour du barrage. Il s’agit de 8 villages déplacés et anciens. Mais également des 25 campements de pêche autour du lac de retenue. L’étude de la zone de chalandise, ventes de poissons du lac de retenue, conduit à la considération de deux autres échelles : régionale et nationale. Des responsables de structures administratives et des représentants de l’État malien ont ainsi été interrogés en concordance avec les niveaux territoriaux étudiés. En termes méthodologique, quatre procédés de collectes de données sont utilisés : l’enquête auprès des habitants, l’observation, l’entretien individuel et l’entretien collectif. L’approche comparative met en exergue les différences et les similitudes des formes de représentations. Une analyse multivariée est entreprise pour résumer la masse d’informations plurielles collectées. La combinaison de deux méthodes de traitement de données qualitatives et par leur cartographie, est choisie. L’analyse des correspondances multiples (ACM) et l’analyse factorielle des correspondances (AFC) servent à examiner les informations des questionnaires et des guides d’entretien semi-directifs. Les axes résumant ces informations sont par la suite cartographiés. Les résultats montrent des expressions plus subtiles dans les représentations des habitants ordinaires et des acteurs. Mais, ils révèlent aussi une distinction entre une forme «d’ombre spatiale», «une ombre protectrice» et une «ombre malfaisante».

Mots clés : représentations sociales, impacts, barrage hydroélectrique, Haut bassin du fleuve Sénégal, villages, campements, échelles.

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À mon père

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REMERCIEMENTS

Cette recherche a été réalisée grâce au soutien de nombreuses personnes. Mes premiers remerciements vont à la professeure Bezunesh Tamru, qui a accepté de diriger cette recherche. Sa patience, ses suggestions pertinentes ont aidé à dépasser les premières interrogations, et à comprendre la pertinence d’une approche dans le sens de la géographie sociale. La formation professionnelle dont j’ai pu bénéficier, à l’occasion d’un de ses programmes de recherche, m’a permis de développer des compétences pratiques, et des connaissances qui m’ont été utiles. Je lui exprime donc ma gratitude profonde et très sincère pour son orientation, ses corrections, sa grande attention, l’aide qu’elle a pu m’apporter tout au long de cette recherche. Je tiens à remercier le professeur Alphonse Yapi-Diahou pour son appui dès la construction du projet de thèse, qui n’aurait jamais existé sans sa grande disponibilité. Ses conseils précieux, ses encouragements et ses orientations dans les moments difficiles de la thèse m’ont beaucoup poussé à croire en l’exécution de ce projet. Je remercie également les membres du jury, Anne Ouallet, Michel Lesourd, et Adrien Coly, qui ont bien voulu être rapporteurs et/ou examinateurs de ce travail. J’exprime toute ma gratitude à Adrien Coly et à Boubou Aldiouma SY, avec qui j’avais souhaité travailler dans le cadre d’une co-tutelle entre l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et L’université Paris 8. Ce souhait n’a pas pu être réalisé, malgré tout le soutien de mes enseignants de l’UGB, pour des raisons financières et de famille. Je voudrais néanmoins remercier tous mes enseignants du département de géographie de l’UGB qui m’ont offert cinq années de formation et m’ont donné le goût du travail bien accompli. Au Sénégal, la rencontre avec les équipes du Haut-Commissariat a été possible grâce à l’aide de Saloum Cissé. Son objectif a été de m’encourager à aller le plus loin possible dans mes études. Pour cela, il n’a pas hésité à financer mes déplacements, à m’acheter du matériel informatique, je lui exprime toute ma gratitude. Le statut de stagiaire à Dakar a été avantageux, je souligne ma reconnaissance à Tamsir N’diaye, à sa secrétaire, et à toute l’équipe de la Direction de l'Environnement et du Développement Durable. Au Mali, je tiens à remercier toute la famille Cissé, Diabaté, Sylla, Konaté, qui m’ont accueilli dans leurs foyers lors des deux campagnes terrains. J’exprime toute ma gratitude à l’ancien directeur de l’Eskom Energie Manantali. sa, et à tous les services de la société d’exploitation du barrage. Le Service Santé Sécurité Environnement, et la cellule limnologie ont été mon équipe d’accueil lors des trois séjours à Manantali. Je remercie infiniment la directrice Madame Mariame Sissoko Konaté, et son agent Monsieur Bécaye Togola pour leur disposition, leur professionnalisme, et leur confiance. Ils m’ont permis de connaître le lac, les campements, les villages, et l’environnement de travail de la société d’exploitation. Je souhaiterais remercier toutes les personnes qui bien voulu répondre à mes questions lors des enquêtes, des entretiens individuels ou des entretiens collectifs. Vos réponses, les discussions, le séjour à vos côtés lors des terrains m’ont aussi enrichi

5 | P a g e humainement. Je remercie mon grand-père Makhily Gassama qui a m’a accordé sa confiance et a financé mon voyage d’étude en France. En France, je remercie toutes les personnes qui m’ont aidé à m’installer, à trouver mon premier travail d’étudiant indispensable en l’absence d’une bourse doctorale. Je veux citer Géraud Magrin et Olivier Ninot, merci à vous. Mes remerciements vont aussi à tous les enseignants du LADYSS/Paris 8, mes collègues et amis du PRCU, un grand merci à Antoine, à Alexia, et Jean Yves pour la relecture. J’adresse également mes remerciements à Diego qui aidé à la finalisation des nombreuses cartes. Je ne saurai terminer sans exprimer mes remerciements à ma famille Cissé, Sarr, Dabo et à mes ami(e)s. J’espère avoir réalisé le rêve de mon père qui a été de me voir obtenir ce diplôme. À mes parents, je ne trouve pas les mots pour dire combien je vous suis reconnaissante de votre soutien depuis toujours. Un remerciement particulier à mon époux qui a été plus que compréhensif pendant toutes ces années de thèse. Merci d’avoir cru en moi et de m’avoir aidé à accepter cette distance pesante avec ma famille.

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PLAN GENERAL

RESUME ...... 2 REMERCIEMENTS ...... 5 PLAN GENERAL ...... 7 SIGLES ET ACRONYMES ...... 11 CHAPITRE INTRODUCTIF ...... 14 I. DYNAMIQUE ET LES CATEGORIES DE GRANDS BARRAGES ...... 18 1. Evolution du nombre ...... 19 2. Les catégories de grands barrages et classification par hauteur ...... 20 II. COMMENT COMPRENDRE LES REPRESENTATIONS SOCIALES DANS CETTE THESE ? ...... 24 1. Représentations sociales : une forme de connaissances ? ...... 24 2. Géographie des représentations ? ...... 29 3. Opérationnalisation des hypothèses et présentation des variables étudiées ...... 33 III. QUESTIONNEMENTS LIÉS AUX BARRAGES, ET À MANANTALI ? ...... 35 1. Diversité des éléments interrogés dans les recherches sur les barrages ...... 35 2. Politiques de gestion commune et règles d’utilisation des barrages pour le développement? ...... 45 3. Réflexions sur les conséquences du barrage de Manantali ? ...... 51 4. Haut bassin au Mali : le lieu de l’étude ...... 56 PREMIERE PARTIE : LES ENJEUX DE L’EXPLOITATION DU FLEUVE SENEGAL PAR L’OMVS : L’IMPLANTATION DU BARRAGE DE MANANTALI ...... 65 CHAPITRE I : METHODOLOGIE DE RECHERCHE, ENJEUX DE L’IMPLANTATION DU BARRAGE DE MANANTALI SUR LE FLEUVE SENEGAL PAR L’OMVS ...... 66 I. METHODOLOGIE DE RECHERCHE ...... 68 1. Pré-terrain ...... 68 2. Déroulement des deux campagnes terrains ...... 70 3. Traitement des données ...... 83 II. L’OMVS ET LES ENJEUX DE L’IMPLANTATION DU BARRAGE DE MANANTALI SUR LE FLEUVE SENEGAL ...... 85 1. Héritage commun : l’histoire politique et du peuplement ...... 86 2. OMVS ou l’aboutissement de nombreux projets d’aménagement ...... 88 3. Fonctionnement et objectifs de l’OMVS ...... 92 4. Barrage de Manantali : de la conception à l’exploitation ...... 96 5. Production et la distribution de l’énergie aux pays de l’OMVS ...... 104 CONCLUSION DU CHAPITRE I ...... 106 CHAPITRE II : CHANGEMENTS DE L’ENVIRONNEMENT PHYSIQUE : DYNAMIQUE DU LAC ET DU BAFING ...... 108 I. CREATION D’UN LAC DE RETENUE EN AMONT DU BARRAGE ...... 109 1. Variation de la retenue d’eau et du Bafing en aval ...... 113 2. La dynamique des précipitations essentielles pour le stockage de l’eau ...... 115 3. L’influence du barrage sur les débits des stations ...... 117

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4. La qualité de l’eau du lac et du Bafing ...... 120 II. EFFETS DU CHANGEMENT DES CONDITIONS PHYSIQUES SUR LA DYNAMIQUE DES POISSONS ...... 131 1. Le bouleversement de la population de poissons ...... 132 CONCLUSION DU CHAPITRE II ...... 137 CONCLUSION PARTIE 1 ...... 139 DEUXIEME PARTIE : PERTURBATION PROFONDE DES CONDITIONS SOCIO- SPATIALES ...... 141 CHAPITRE III : RECOMPOSITION SOCIALE ET SPATIALE POST-BARRAGE : LA COHABITATION DES VILLAGES ET DES CAMPEMENTS...... 142 I. DYNAMIQUE GENERALE DE LA POPULATION DE ET DE LA ZONE RIVERAINE DU BARRAGE ...... 144 1. Dynamique de la population dans les campements et les villages environnants du barrage ...... 145 2. Villages environnants : une histoire perturbée ...... 148 3. Composition ethnique à dominante Malinké et Bozo ...... 153 II. UN BOULEVERSEMENT PROFOND DU TERRITOIRE LOCAL ...... 167 1. Type d’habitat dans les campements et les villages ...... 168 2. Mécanismes d’accès au foncier rural ...... 171 3. Occupation de l’espace du village « spécial » de Manantali ...... 176 4. Règles en vigueur : permis de construire, limites ...... 182 CONCLUSION CHAPITRE III ...... 185 CHAPITRE IV : ANALYSE DES INÉGALITES D’ACCÈS AUX SERVICES AGGRAVÉES PAR LE BARRAGE ...... 186 I. ACCROISSEMENT DES INÉGALITES D’ACCÈS AUX SERVICES ...... 187 1. De l’électricité pour l’ailleurs : les grandes villes et les pays voisins ...... 187 2. Des inégalités d’accès l’eau ...... 192 3. Une politique de gestion des eaux usées presque inexistante ...... 199 I. LES CONSÉQUENCES DU BARRAGE SUR LE DEVELOPPEMENT DES MALADIES HYDRIQUES ...... 202 1. Types de maladies: une conséquence du barrage ? ...... 202 2. Causes d’aggravation des maladies et la place de Manantali dans l’offre de services de soins...... 205 II. MULTITUDE DES SECTEURS D’ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES DES HABITANTS 217 1. De l’agriculture aux nouveaux métiers ...... 217 2. Sources de compléments des revenus familiaux ...... 220 CONCLUSION CHAPITRE IV ...... 221 CONCLUSION PARTIE 2 ...... 223 TROISIÈME PARTIE : RÉORGANISATION DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES ET ANALYSE DES FORMES DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES ...... 225 CHAPITRE V : ÉTUDE DE 3 ACTIVITES ECONOMIQUES : L’AGRICULTURE, L’ÉLEVAGE ET LA PECHE ...... 226 I. NON-EXPLOITATION DES PERIMETRES IRRIGUES ET CONSEQUENCES ...... 228

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1. Agriculture sous pluie et problèmes d’accès à la terre ...... 228 2. Structure de gestion des périmètres irrigués : mesures d’accompagnement du barrage ...... 234 3. La direction de régionale de l’agriculture utilise-t-elle le barrage ? ...... 251 II. COMMENT SE DEVELOPPE L’ELEVAGE DANS LA ZONE DU BARRAGE ? .... 255 1. La longue transhumance : une solution ? ...... 257 III. LA PECHE : PREMIERE ACTIVITE ECONOMIQUE EN AMONT PROCHE ...... 261 1. Le nombre de pêcheurs en amont ? ...... 262 2. Une pêche professionnelle émergente ? ...... 264 CONCLUSION CHAPITRE V ...... 274 CHAPITRE VI : QUANTITES DE POISSONS PECHES ET ZONE DE CHALANDISE DES VENTES DES PRODUCTIONS LOCALES ...... 276 I. QUANTITE IMPORTANTE DE POISSONS PRISE DANS LE LAC ...... 277 1. Des milliers de kilogrammes de poissons ...... 278 II. COMMERCIALISATION DES POISSONS ET DES PRODUITS AGRICOLES ...... 282 1. Zone de chalandise des ventes des productions locales ? ...... 285 2. Variété des circuits de commerce de poissons du lac ...... 289 CONCLUSION CHAPITRE VI ...... 301 CHAPITRE VII : CONNAITRE LES FORMES DE REPRÉSENTATIONS SOCIALES DES IMPACTS ET LES ATTENTES EXPRIMÉES ...... 303 I. PAR L’ANALYSE DE CONTENU ET L’ANALYSE FACTORIELLE DES CORRESPONDANCES (AFC) ...... 305 1. Employée pour analyser les représentations sociales ...... 305 II. POSTURES SUR LES IMPACTS NEFASTES: DIFFERENTES VOIRE CONFLICTUELLES ...... 308 1. Des acteurs observateurs ? ...... 308 III. De aux campements: des similarités malgré la distance ...... 317 1. Plus défendus aux échelles régionale et nationale ...... 318 2. barrage de Manantali: source de division en 4 groupes ...... 319 3. Des conceptions opposées entre les autochtones et les étrangers ...... 321 4. L’école pour qui et pourquoi ? ...... 322 5. Sur les routes du barrage ...... 328 IV. ATTITUDES VIS-A-VIS DES GESTIONNAIRES DU BARRAGE ET ATTENTES EXPRIM ÉES ...... 335 1. Le poids des avantages favorise une appropriation du barrage ? ...... 335 2. Appropriation ou rejet: quels sentiments? ...... 338 V. LES ATTENTES SONT-ELLES LE REFLET DES REPRESENTATIONS SOCIALES DES IMPACTS ?...... 342 1. Les résultats de l’AFC sur les attentes des acteurs ? ...... 343 CONCLUSION CHAPITRE VII ...... 352 CONCLUSION PARTIE 3 ...... 353 Conclusion générale ...... 357 Annexes ...... 365 Liste des cartes ...... 403

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Liste des encadrés ...... 404 Liste des figures ...... 405 Liste des photos ...... 406 Liste des tableaux ...... 407 Références bibliographiques ...... 408 Table des matières ...... 420

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SIGLES ET ACRONYMES

ABN……………………………………………………………Autorité du Bassin du Niger ABV………………………………………………………… Autorité du Bassin de la Volta ACM……………………………………………...Analyse des correspondances multiples ADRS………………Agence de Développement rural de la Vallée du Fleuve Sénégal AES………………………………………………….Audits Environnementaux et Sociaux AFC……………………………………………….analyse factorielle des correspondances AOF ………………………………………………………....Afrique Occidentale Française CCEG…………………………………Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement CM………………………………………………………………………….Comité de Bassin SOGEM ……………………………………Société de Gestion de l'Énergie de Manantali ATR…………………………………………………………… Accoucheuse Traditionnelle BAD………………………………………………….Banque Africaine de Développement BFS ……………………………………………………….bassin versant du fleuve Sénégal CCRE…………………………………….Centre de Coordination des Ressources en Eau CEDEAO…………………Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest CESCOM………………………………………………Centres de Santé Communautaires CICOS…………....Commission Internationale du Bassin Congo – Oubangui – Sangha CIGB…………...... Commission Internationale des Grands Barrages CLC……………………………………………………... Comités Locaux de Coordination CMB ………………………………………………… Commission Mondiale des Barrages CMDT………………………. Compagnie Malienne pour le Développement du Textile CN……………………………………………………………………… Cellules Nationales CNC………………………………………………… Comités Nationaux de Coordination CPE………………………………………………….Commission du Parlement Européen DEDD……………………Direction de l'Environnement et du Développement Durable DNTS……………………………….. Direction Nationale du Travailleur Social du Mali DRB……………………………………………….Dépôt Répartitif de cercle de Bafoulabé EDM………………………………………………………………………… Énergie du Mali EEEOA……………………………………Échanges d’Énergie Électrique Ouest Africain EIES…………………………………….Études d’Impacts Environnementales et Sociales ÉPA………………………………………Établissement Public à caractère Administratif GEF...Gestion des ressources en eau et de l’environnement du bassin du fleuve Sénégal GIRE……………………………………………...Gestion Intégrée des Ressources en Eau IGM ………………………………………………………...Institut Géographique du Mali IIED………………. Institut International pour l’Environnement et le Développement ODIPAC...... Opération Développement Intégrée de la Production Arachidière et Céréalières OMD…………………………………… Objectifs du Millénaire pour le Développement OMVG…………………………Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Gambie OMVS…………………………..Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal ONG ………………………………………………...Organisation Non Gouvernementale PACU………………………………………….. Projet d’Appui aux Communes Urbaines

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PADY…………………………… Programme d'Appui au Développement de Yélimané PDIAM……Projet de Développement rural Intégré en Aval du barrage de Manantali PEDRIK……………………programme de développement intégré de la région de Kita PGES………………………………………..Plan de Gestion Environnementale et Sociale PGIRE……………………Programme de Gestion Intégrée des Ressources en Eau et de développement des usages multiples PNUD…………………………...Programme des Nations unies pour le développement PRM…………………………………………………Projet de Réinstallation de Manantali PUS………………………………………………………………Plan d’urbanisme Sectoriel RAVEC……………………………Recensement Administrative à Caractère d'Etat Civil RECOPEB…...Réseau Communal pour la Protection de l’environnement de Bamafélé RFA……………………………………………………. République Fédérale d’Allemagne RGPH………………………….....Recensement Général de la Population et de l’Habitat RIMA…………………………………………….. Réseau d’Interconnexion de Manantali SAED……… Société Nationale d'Aménagement et d'Exploitation des Terres du Delta SDAGE……………………………………..Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion de l'Eau SEMAF………………………………… Société d’exploitation de Manantali et de Félou SHP………………………………………….. Service de l’Hydraulique et la Planification SOGED……………………... Société de Gestion et d'Exploitation du Barrage de Diama SOGEM…………………………………… Société de Gestion de l'Energie de Manantali SOGENAV………...... Société de Gestion et d'Exploitation de la Navigation SRAT…………………………………….. Schéma régional d’aménagement du territoire SSSE……………………………………………….Service Sureté Sécurité Environnement UA………………………………………………………………………….. Union Africaine UICN………………………….Union Internationale pour la Conservation de la Nature USAID…………………………… United States Agency for International Development

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CHAPITRE INTRODUCTIF

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Le questionnement sur les impacts du barrage de Manantali a débuté en 2009, lors d’un stage de Master 1. Les premières analyses, en Master 2, se sont intéressées aux changements de la qualité de l’eau, à la variation de la quantité d’eau, et aux liens avec l’évolution des poissons dans le lac et dans le Bafing en aval du barrage. Dans ces premiers travaux, les angles privilégiés ont donc été ceux de la géographie physique d’une part, et la géographie économique de l’autre, les deux sous un angle écosystémique.

La bifurcation vers une approche sociale et spatiale des mutations engendrées par le barrage de Manantali est apparue comme une nécessité dans une recherche en thèse. Mais, les premiers acquis seront intégrés dans les nouvelles analyses menées.

La construction des barrages est souvent liée à des politiques étatiques cherchant à répondre aux besoins des populations. Parmi ces besoins, l’accès à l’eau potable, la lutte contre les inondations, le développement de l’irrigation, l’accès à l’électricité, et le développement régional conduisent à la multiplication du nombre d’ouvrage. Près de la moitié des fleuves dans le monde comptent au moins un barrage, et les centrales hydroélectriques produisent plus de 50% de l’électricité consommée dans un tiers des pays du monde. Mais, autour des barrages existent toujours des tensions entre l’État fort, logique et ambitieux, et les citoyens locaux considérés ou non, avec ou sans voix (CRU-BN, 2010).

Les barrages font l’objet de nombreuses revendications par des membres de la société civile. Ces derniers reprochent souvent aux constructeurs et décideurs un manque de considération à leur égard, une absence de transparence, et des promesses non respectées. De ces inquiétudes qui animent les populations naissent des exigences, des forces de lutte contre les projets de barrage accusés de l’inondation des forêts, de l’acidité de l’eau, de la stérilisation des terres agricoles, et d’expropriations.

Des études renseignent sur le mode de fonctionnement des barrages, leur histoire, ainsi que leurs conséquences sur la fragmentation des cours d’eau. Ces impacts sont analysés sous plusieurs angles, notamment à travers les transformations des paysages, le déplacement des populations, les changements d’identité, les images projetées sur le barrage perturbateur, les apports économiques, l’utilité et les

15 | P a g e bénéficiaires. Ces analyses portent sur des cas de barrages déjà construits ou sur des projets.

Des informations existent aussi sur les types de construction. Ils peuvent être des barrages voûtes, des barrages poids ou des barrages à contreforts. Ces renseignements permettent d’avoir des connaissances sur la classification mondiale et selon la Commission Internationale des grands barrages (CIGB). La qualification de « grand barrage » est attribuée à ceux qui s’élèvent à plus de 15 mètres au-dessus des fondations, selon ladite commission.

Les impacts du barrage sont souvent examinés sans prendre en compte les formes de connaissances des habitants qui les subissent. La faiblesse de l’approche des questions sociales dans un contexte de recherche de développement durable est dénoncée par des sociologues, des anthropologues, des agrogéographes, des historiens, des économistes et des géographes. Sur le barrage de Manantali les premières études remontent dans les années 1970. Elles portaient sur des calculs et des simulations avant et après la construction du barrage et de la centrale hydroélectrique. La création du lac de retenue, la population piscicole, la qualité de l’eau, les débits, et le régime du fleuve étaient ainsi interrogés. Sur le plan juridique, le statut du barrage de Manantali est qualifié de copropriété. Le rôle spécifique de l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) dans l’exploitation du barrage de Manantali est souligné dans certaines études, et la réussite du pari de l’intégration régionale autour du fleuve Sénégal est particulièrement mentionnée.

Les informations sur les localités riveraines du barrage de Manantali sont fournies dans des études portant sur la pêche, le déroulement des déplacements de populations, les problèmes de foncier, la réorganisation de nouveaux territoires où cohabitent désormais les autochtones, les allochtones, et les étrangers. Des rapports reviennent sur les processus de construction et les mécanismes de financement d’un tel ouvrage international.

Suite à ces travaux qui ont porté soit sur l’environnement physique, soit sur les bouleversements de la zone abritant le barrage, et dans lesquels les habitants ne sont pas fréquemment au cœur de l’étude, cette thèse propose une approche par les

16 | P a g e représentations sociales des impacts du barrage de Manantali. En ce sens, elle se rapproche de la géographie sociale. Dans cette étude, le concept de représentations sociales sera comprise de la manière suivante : « les représentations forment des codes mémorisés par le cerveau, mobilisables de façon consciente et se prêtant à de multiples utilisations mentales. Ces codes servent en particulier à décrypter notre environnement géographique, mais aussi à communiquer avec autrui, à rêver, imaginer, planifier et orienter nos conduites ou nos pratiques les plus diverses » (DI MEO, 2008). Le choix de ce concept permet d’avoir une lecture spatiale, échelle locale, régionale, et nationale, des différences et des similitudes des représentations des habitants ordinaires et des acteurs. Dans la zone environnante du barrage, des habitants de 25 campements1 de pêche et 8 villages2 riverains ont été interrogés. Les réponses des habitants permettent de connaître les destinations des productions locales. Des ventes de produits de la pêche, de l’agriculture, et de l’élevage se sont multipliées dans les marchés de la région de Kayes et Bamako. Les habitants y achètent des denrées alimentaires, et du matériel de pêche et de navigation.

Ces échanges sont accélérés par les routes du barrage, qui rapprochent ainsi les échelles locale, régionale et nationale. Des camions de poissons quittent tous les samedis le débarcadère de Manantali pour ravitailler les marchés de Kayes, de Kita, de Mahina et Bamako. En outre, les commerçants de ces marchés affichent une grande attente de développement de la pêche sur le lac pour augmenter les ventes. De ce fait, un bitumage de la route Kayes, Manantali, Bamako sera une occasion d’ouvrir la région de Kayes vers l’intérieur du Mali. Face à tous ces enjeux, ce travail est l’occasion de comprendre les conséquences et la place d’un tel ouvrage d’aménagement du territoire, le barrage de Manantali, dans le Bassin du fleuve Sénégal au Mali. Des entretiens individuels sont utilisés pour interroger des responsables de structures administratives régionales et nationales, des maires, des agents de la société d’exploitation ou de l’OMVS, ainsi que des représentants de l’État du Mali. Les chefs

1 Les campements de pêche sont des formes de petits villages situés en rives gauche et droite du lac. Quelques campements se trouvent aussi sur des îlots dans le lac. Ils sont nommés « danga » dans la langue bambara. 2 «Le Village est un ensemble de concessions regroupées sur un espace géographique donné et qui abritent des ménages dépendant d’une même autorité locale ou chefferie » (RGPH, 2009). 17 | P a g e de villages ont été rencontrés lors d’entretiens collectifs. Les habitants ordinaires ont été interrogés lors des enquêtes par questionnaires.

I. DYNAMIQUE ET LES CATEGORIES DE GRANDS BARRAGES Le barrage indique souvent une barrière. Il peut être naturel ou d’origine catastrophique (glissement de terrains, avalanches…), ou bien le résultat d’une désorganisation du réseau fluvial avec un changement dans le système géomorphologique (barrage moranique ou glaciaire). Les barrages sont donc des ouvrages qui barrent sur toute la largeur une section d’une vallée et créent une cuvette géologiquement étanche (SCHLEISS ET POUGATSCH, 2011). Il est utile de rappeler que le barrage est un projet, il a donc une durée de vie longue mais déterminée dans le temps. Les barrages finissent assez souvent par être comblés, ou bien par céder, sapés par les eaux d’infiltration (BRUNET, 2005).

Les premiers barrages dans le monde datent de l’Antiquité. Ils avaient comme objectifs la satisfaction des besoins en eau des populations et l’irrigation. « On les situe dans la vallée du Nil, en Mésopotamie, en Chine et en Asie du Sud. Les plus vieux vestiges connus proviennent du barrage de Sadd-el-Karafa réalisé en Égypte entre 2950 et 2750 avant J.-C. » (SCHLEIS ET POUGATSCH, 2011). Ce barrage d’une hauteur de 14 m et d’une longueur de 113 m à son apogée aurait créé un réservoir d’une capacité de 0,5 millions de m3 pendant les crues. Il servait à l’irrigation en saison sèche.

D’autres ouvrages vont suivre : le barrage de Mala’a dans la vallée du Nil, le barrage de Marib au Yémen au VIIIe siècle avant notre ère, le barrage de Jawa en Jordanie, les premiers barrages du Sri-lanka vers 380 avant J.-C., les premiers barrages voûtes construits par les romains, les barrages de Kebar et de Kurit en Iran de forme cylindrique, les barrages en remblai au Japon vers le Ve siècle etc. (ibid.).

Cependant, « c’est en Europe lors de la révolution industrielle du Moyen Âge que se développe à grande vitesse la technologie de l’utilisation de la force hydraulique, connue depuis la fin du IIe siècle avant JC » (ibid.). De nombreux barrages furent construits dans le Hartz, région minière en Allemagne. Dans le même sens, B. Fargevielle rappelle qu’en France, en 260 avant J.-C., l’une des plus anciennes usines

18 | P a g e fût construite. Il explique que la demande n’a cessé d’augmenter, conduisant ainsi au Moyen Âge au développement des moulins à céréales et des scieries. Son analyse montre que malgré les grands efforts fournis par une exploitation maximum de l’eau par ces premiers barrages, les productions des machines restent faibles jusqu’au XIXe siècle notamment en 1833 avec la création de la turbine par Benoit Fourneyron, qui marque le début de l’hydroélectricité.

La consommation d’énergie augmente au XIXe siècle avec la révolution industrielle. La découverte de Goulard et Gibbs concernant la possibilité d’élévation de la tension et une diminution des pertes avec les transformateurs a révolutionné le monde de l’hydroélectricité. Au XXe siècle, jusqu’à la première Guerre Mondiale, les centrales électriques répondent à certains besoins industriels, des populations, d’éclairage public et de transport. Mais la crise économique de 1929, la seconde Guerre Mondiale et le choc pétrolier de 1973 ont eu des conséquences sur la consommation d’énergie. Toutes ces crises ont poussé les États à prendre conscience de la nécessité de l’autonomie énergétique pour le développement économique. La découverte de la turbine permet donc l’utilisation des chutes pour produire de l’énergie. Cette énergie est ensuite transportée par les lignes de hautes tensions reliant de grandes distances dans les années 1960 (FARGEVIELLE, 1991). Comment évolue le nombre de grands barrages depuis cette date? Quelles sont leurs caractéristiques ? 1. Evolution du nombre

La CIGB fondée en 1928 recensait 39 188 grands barrages dans son registre en 2014. Parmi ces grands barrages, seuls 2% ont une hauteur supérieure à 100 m. La classification par la CIGB, révèle que le Japon possède de nombreux vieux barrages, quinze sur les vingt de la liste. Ce classement met en évidence les barrages qui sont âgés de plus de 130 ans. Le barrage de Proserpina en Espagne, a 1480 ans ; celui d’Omine au Japon est également très ancien. Les États-Unis d’Amérique possèdent le plus grand nombre de barrages, soit 9 265. Ils sont suivis par la Chine (5 191), l’Inde (5 102), le Japon (3 116), et le Brésil (1 431).

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Carte 1: nombre de grands barrages par pays en Afrique

L’Afrique du sud, qui occupe la septième place sur la liste, est le premier pays cité du continent africain, avec 1114 grands barrages (Carte 1). Le Mali, trente- quatrième pays de la liste, n’en possède que 111. 2. Les catégories de grands barrages et classification par hauteur Les barrages sont installés avec un réservoir au fil de l’eau ou en pompage- turbinage. Ils sont classés en deux catégories selon les types de matériau : les barrages en béton (barrages poids, barrages à contreforts, barrages voûtes) et les barrages en remblai (barrages en terre, barrages en enrochement). Un troisième type regroupant les deux premiers est qualifié d’hybride ou de composé. La CIGB considère qu’il existe 24 395 grands barrages en terres, 3065 barrages en enrochements, 6688 barrages poids, 426 barrages à contreforts, 1839 barrages voûtes, 172 barrages multi voûtes et 2603 d’un autre type. Les barrages en remblai sont majoritaires et constituent près de 63% du total des barrages enregistrés. Il s'agit évidemment du type de barrage le plus ancien et il demeure des traces de barrages en remblai datant des civilisations les plus

20 | P a g e anciennes. De plus, ce type de barrage peut s'adapter avec de nombreux types de fondations.

Les cinq plus hauts barrages se situent au Tadjikistan, qui abrite le Rogun de 335 m, et le Nurek de 300 m; en Iran avec le Bakhtiyari de 315m ; et en Chine, avec le Jinping (305 m), le Xiaowan (292 m). Le Gilgel gibe III en Éthiopie est haut de 243 m.

Les barrages sont classés en fonction de leurs capacités de déversoir, de retenue, de surfaces irriguées, de production énergétique.

2.1. Le classement par capacité de déversoir, de retenue

L’Inde est le pays qui occupe la première place dans la classification des barrages par capacité de déversoir. En effet, le Nagarjunasagar tail pond a une capacité de 1 600 000 m3/s, le barrage Ukai 1 125 000 m3/s, le Mid manair project 508 000 m3/s et le Mohini pick-up weir 265 400 m3/s. Le barrage Inga II en République Démocratique du Congo a une capacité de 96 000m3/s.

Carte 2 : capacité de déversoir et de retenue des barrages par pays en Afrique

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L’Inde est également à la première place dans la classification par capacité de retenue avec le barrage de Tehri, qui peut contenir un volume d’eau estimé à 260 000 000 000 m3. En Afrique, Il est suivi par le barrage de Kariba au Zimbabwe/Zambie qui retient 180 600 000 000 m3, le grand barrage d’Assouan en Égypte peut retenir 162 000 000 000 m3; Akosombo au Ghana, 150 000 000 000 m3; Idase en Éthiopie, 63 000 000 000 m3 et le barrage de Cahora bassa au Mozambique, 52 000 000 000 m3 (Carte 2).

2.2. Le classement par capacité de production énergétique et par surface irriguée En ce qui concerne la classification mondiale par capacité de production énergétique installée, le barrage d’Inga III, en République Démocratique du Congo, 40 000 MW est le premier (Carte 3). Le barrage de Faxinal II au Brésil possède une capacité de 31 947 MW, le Sanxia en Chine 18 200 MW, le Dniepr en Ukraine 15 031 MW, le barrage d’Itaipu au Paraguay/Brésil 14 000 MW.

Carte 3 : capacité énergétique et de surfaces irriguées des barrages par pays en Afrique

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La Turquie possède la moitié (dix) des barrages sur la répartition par surfaces irriguées : le Kilavuzlu 95 750 km2, le Suat Ugurlu 82 707 km2, Sureyyabey 66 165 km2. Toutefois, le premier barrage dans ce classement est celui de Beni haroun 400 000 km2 en Algérie. De la même manière, la République Tchèque comprend treize barrages sur les dix-neuf ayant les plus grands surfaces disponibles en cas de crues. Les barrages ont la capacité de participer au développement de l’irrigation dans le continent africain. Dans ce domaine, Curara et Assouan occupent respectivement le 6e et 14e rang mondial.

Le barrage de Manantali se présente comme un ouvrage mixte long de 1460 mètres et haut de 68 m maximum au-dessus des fondations (Photo 1). Il est constitué d’une partie centrale avec des contreforts en béton. Cette partie est formée de 32 contreforts épais. Les contreforts de rive ont 14 m de large et sont partiellement noyés dans les digues. La partie centrale est prolongée par deux digues latérales en enrochement jusqu’aux falaises des plateaux environnants (OMVS, 1977). Le barrage est accompagné d’un bassin amortisseur long de 103,5 m, mais également de galeries qui traversent le barrage longitudinalement pour permettre son suivi. Un bloc évacuateur de crues, composées de huit vannes déversoirs de 9 m de largeur, est doublé d’un jeu de batardeau à l’amont.

Photo 1: barrage et la centrale hydroélectriques de Manantali. Source : Service Santé Sécurité Environnement (SSSE), 2012

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Il a été bâti entre 1982 et 1988, et est situé sur l’affluent du Bafing, ou fleuve noir en langue Bambara, dans la région de Kayes au Mali3. « Le barrage de Manantali, implanté sur le territoire malien, mais appartenant à trois pays différents, correspond à une sorte d’extra-territorialité. En effet, une chose est certaine, c’est que l’ouvrage en question est bien situé hors des deux autres pays. Mieux, les « mesures législatives, réglementaires et administratives » que le Mali s’engage à prendre en vue de mettre à la disposition de l’organisation « les terrains nécessaires… » sont comparables à de véritables immunités diplomatiques» (BA, 1995). Ce barrage hydroélectrique de l’OMVS a causé le déplacement de 10 000 personnes environ. À la place des villages déplacés a été créé un lac de retenue, autour duquel se sont installés des campements de pêche. En aval, les villages réinstallés cohabitent avec les anciennes localités. Une attention particulière a été accordée aux réponses fournies par les habitants ordinaires et les acteurs à cette échelle.

II. COMMENT COMPRENDRE LES REPRESENTATIONS SOCIALES DANS CETTE THESE ? Le concept de représentations sociales est la principale entrée utilisée pour connaître les conséquences du barrage de Manantali. Sans pour autant prétendre faire une présentation exhaustive de toutes les disciplines, des auteurs, des contextes, et des objectifs de son usage, nous revenons sur sa définition et le but de son utilisation en géographie. 1. Représentations sociales : une forme de connaissances ? Les origines de ce concept conduisent à la sociologie. Le sociologue E. Durkheim (1898) déplore la façon dont les chercheurs l’utilisent pour comprendre les liens entre la biologie et la sociologie. Selon lui, un rapprochement entre la sociologie et la psychologie est plus logique. Il affirme : « la vie collective, comme la vie mentale de l'individu, est faite de représentations; il est donc présumable que représentations individuelles et représentations sociales sont, en quelque manière, comparables »

3 Le Bafing «déborde légèrement au nord sur le Bambouk et à l’est sur le Gangara soit : 12°40’à 13°20’ Nord et 10°10 à 10°40’ Ouest» Le relief de la zone du barrage est marqué par les plateaux des monts Mandings. (ISH, 1985). 24 | P a g e

(DURKHEIM, 1898). Mais le travail de Durkheim est resté inachevé à cause du manque d’explication des relations entre les «représentations collectives et les structures sociales complexes des sociétés modernes » (MARKOVA, 2008). L’explication des fondements de la théorie des représentations sociales a été faite par S. Moscovici. En 1961, il publie les résultats de ces recherches en psychanalyse.

Selon ce dernier auteur, le concept de représentations doit être réactualisé et mieux expliqué (MOSCOVICI, 1961). Selon lui, « qualifier une représentation de sociale revient à opter pour l’hypothèse qu’elle est produite, engendrée, collectivement ». Elle a donc pour fonction de contribuer «exclusivement aux processus de formation des conduites et d’orientation des communications sociales» (ibid.). S. Moscovici compare ainsi la représentation à une opinion publique, un ensemble de réactions lors d’une conversation. Suivant le nombre de classes et de groupes, ces réactions changent d’orientation. Ce changement est comporte trois dimensions: l’information, l’attitude et l’image. Si l’information crée des niveaux de connaissances, l’image donne une vision d’ensemble, et l’attitude indique la position par rapport à l’objet représenté. Il étudie ensuite les clivages à partir de ces trois éléments. Depuis les travaux de Moscovici, la théorie a connu une diffusion rapide d’abord au Royaume-Uni, en Autriche, en Italie dans les années 1980, en Amérique Latine puis dans les années 1990 (MOLINER ET GUIMELLI, 2015).

La diffusion de cette approche est principalement liée au besoin de la psychologie sociale qui cherche à étudier «la façon dont nous ordonnons le monde». Cependant cette décomposition est souvent complexe. Pour l’opérer, l’individu procède à «une catégorisation» (MOLINER, 1996), laquelle correspond à « un ensemble de dimensions descriptives dont les valeurs peuvent varier dans certaines limites ». Elle a cinq fonctions : « réduire la complexité, l’identification, l’intégration des apprentissages, l’orientation des conduites et ordonne notre environnement » (ibid.). L’objet représenté est donc identifié, compris, projeté. Toutefois, une distinction est faite avec l’approche prototypique. « La différence essentielle entre elles, vient du fait que la problématique touche aux mécanismes «internes» dans le cas de l’approche prototypique, alors que l’accent est mis, dans le cas des représentations sociales, sur

25 | P a g e les facteurs influençant la manière avec laquelle nous ordonnons notre environnement » (SEMIN, 2003).

In fine, la représentation sociale met plus l’accent sur la dimension cognitive et symbolique. Elle est définie en fonction de son organisation par J.-C. Abric: « [la représentation sociale] est donc un ensemble organisé d’opinions, d’attitudes, de croyances et d’informations se référant à un objet ou une situation. Elle est déterminée à la fois par le sujet lui-même (son histoire, son vécu), par le système social et idéologique dans lequel il est inséré, et par la nature des liens que le sujet entretient avec ce système social » (ABRIC, 2003). La figure ci-dessous tente de résumer l’organisation de ce concept.

Figure 1: processus de construction d’une représentation sociale, (réalisation, C. Cissé)

La figure 1 montre, en fonction des lectures précédentes, que les représentations sociales découlent de conditions variables. La principale d’entre elles est la vie en société qui produit des interactions entre des individus qui partagent des activités.

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L’apparition d’un nouvel objet, tel le barrage, dans l’environnement4 quotidien de plusieurs personnes peut susciter des réactions conduisant à la construction de représentations sociales.

Elles interviennent comme des systèmes d’interprétation des événements, un savoir du sens commun, ou encore un phénomène cognitif. Elles sont perceptibles grâce aux discours, aux images, et aux attitudes. En plus de ces mécanismes, leur diffusion est assurée à l’aide des moyens de communications, notamment les médias, l’Internet, les conversations. Enfin, leurs effets se traduisent par des politiques ou des actions d’aménagement. Ils sont également susceptibles de se limiter à une appropriation de l’élément représenté.

1.1. Les quatre approches de la théorie des représentations ? La littérature révèle quatre approches de cette théorie que rappellent que rappelle Moliner et Guimelli (2015). Les modèles sociogénétique, structurale, sociodynamique, et l’orientation dialogique.

La première approche de S. Moscovici renseigne sur les processus d’émergence des représentations. Il en existe deux : l’objectivation et l’ancrage. Le premier consiste à l’appropriation cognitive d’un objet et à sa restitution en image. Il s’effectue par une opération qui nommée « naturaliser ». Ces images sont ensuite classées lors de leur restitution (opération de catégorisation) (MOSCOVICI, 1961). Le processus d’ancrage permet, quant à lui, à un groupe d’intégrer l’élément représenté à ses valeurs et de le redéfinir. Cet élément est de ce fait constitué de l’identité du groupe, qui facilite les relations entre ses membres. À propos de ces éléments représentés, S. Moscovici affirme que « l’ancrage permet de saisir la façon dont ils contribuent à modeler des rapports sociaux et comment ils les expriment. L’objet que la société vise en sort transformé, le sujet ne l’est peut-être pas moins » (ibid.). On remarque ainsi le rôle

4 « L’environnement prend en compte toute la diversité des composantes naturelles, des éléments matériels, des dimensions non matérielles comme le type de culture dominant mais aussi les représentations qu’ont les populations de leur cadre de vie et qui sont souvent fort différentes de celles qu’en ont les observateurs extérieurs » (BAUD et al., 2008). 27 | P a g e important des représentations dans l’appropriation des éléments de l’environnement, et dans la transformation des individus d’une société.

La seconde approche soutient l’idée de l’existence d’un «noyau central» dans toute représentation sociale. « Le noyau central est l’élément fondamental de la représentation, car c’est lui qui détermine à la fois la signification et l’organisation de la représentation » (ABRIC, 2003). De ce fait, les éléments cognitifs des représentations sont composés d’éléments centraux et d’éléments périphériques. C’est en ce sens que C. Flament soutient également l’idée d’une organisation structurelle. Autrement dit, il affirme qu’«une représentation sociale comporte des schèmes périphériques, structurellement organisés par un noyau central, qui est l’identité même d’une représentation» (FLAMENT, 2003). La structure décrite aurait donc une fonction génératrice (par le noyau) et une fonction organisatrice (autour du noyau). Ces théoriciens considèrent la représentation comme une entité. Ils arrivent ainsi à déterminer son contenu par une étude expérimentale. Celle-ci passe par les méthodes de l’enquête et d’autres méthodes qualitatives. Cependant, les éléments de méthodologies comme les consignes et l’habillage, c’est-à-dire la manière dont la question est présentée, sont désignés comme perturbateurs des résultats. En somme, seconde approche s’intéresse au contenu.

Le troisième modèle se base sur les rapports intergroupes. En effet, W. Doise (1992) soutient l’idée suivante : « les individus prennent position par rapport à des enjeux importants dans un environnement social, qu’ils doivent se préoccuper des positions des autres afin d’organiser leurs interventions et au moins symboliquement prendre position par rapport au prises de position des autres » (DOISE, 1992). En d’autres termes, les représentations, influencées par les appartenances sociales, sont à la base des comportements individuels, et du comportement entre groupes. Ceci amène des chercheurs à considérer cette forme de représentation comme particulière. Moliner et al. (2009) montrent par exemple « une accentuation des stéréotypes de sexe dans le contexte professionnel par rapport au contexte de vie privée. François y est en effet perçu comme plus masculin, et Sophie comme plus féminine » (MOLINER et al., 2009). On retient de cette approche l’analyse des comportements intergroupes.

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La dernière approche met en avant la place du langage et de la communication qui sont deux éléments fondamentaux dans la compréhension du monde et dans l’évolution des réalités sociales, selon I. Markova. En fait, l’auteure propose de considérer les représentations sociales comme une théorie de la connaissance sociale. Elle insiste sur le rapport établi entre le « sens commun5 » et « la rationalité dialogique », à l’idée que la capacité cognitive à penser rationnellement est par définition la capacité à communiquer. La capacité à penser rationnellement et à communiquer constitue le potentiel de la pensée de sens commun». (MARKOVA, 2007). Ce sens a été utilisé dans de nombreux travaux en psychanalyse sur les thèmes de la santé, la folie, les droits de l’homme, l’adolescence, la démocratie, la citoyenneté, ou la qualité de la vie. Cette approche s’est dernièrement développée dans les pays en voie de développement, en Amérique latine, en Asie ou encore en Europe post-communiste (ibid.).

Finalement, on constate que les approches de la théorie des représentations sociales sont souvent utilisées afin de comprendre l’Homme d’une part, et d’éclairer sur le processus de considération des minorités de l’autre. Sans nul doute parce qu’elle se focalise sur l’homme dans son environnement complexe, la représentation interpelle la géographie. Le concept y est également utilisé et connaît une expansion remarquée. 2. Géographie des représentations ? Des recherches en géographie ont pris en compte la dimension symbolique. Cette entrée a été développée dans les années 1970-1980 (BONIN, 2004). Et A. Bailly a en esquisse une généalogie, dans une de ses publication y consacrées : « il y a plus de dix ans, écrivait-il, l’Espace Géographique (1974) consacrait un numéro original à la géographie et à la perception de l’espace. Depuis cette année l’engouement pour le thème s’est amplifié » (BAILLY, 1985). Il y déplore la « naïveté des chercheurs » dans l’utilisation de ce concept et compare cet engouement à un « effet de mode ». A. Fremont expliquait la nécessité pour les géographes de changer la manière d’examiner leur objet de recherche : « l’espace, la région, les lieux ne peuvent plus être plus être

5 « Le sens commun est un type de savoir qui est considéré comme certain et ne laisse aucune place au doute. Ce type de savoir était considéré comme irrationnel, produit de la collectivité et inférieure au savoir scientifique» (Markova, 2007, p. 200). 29 | P a g e considérés tout à fait comme des réalités objectives que le géographe examine sous le regard froid de la science. La région est aussi, elle est peut-être même essentiellement une réalité vécue, c’est-à-dire perçue, ressentie, chargée de valeurs par les hommes » (FREMONT, 1974). L’objectif des chercheurs a été dès lors de comprendre les changements des lieux à travers l’imaginaire humain. En ce sens J. Gallais a fait une étude régionale du delta intérieur du Niger, il y montre les liens entre les ethnies et le milieu (GALLAIS, 1967). L’objectif a été dès lors de comprendre les changements des lieux à travers l’imaginaire humain.

Plus tard, dans les années 1980-1990, ce concept a pris une place importante dans les études de paysage (LUGINBÜHL, 2012). Et les représentations sont de plus en plus articulées avec la géographie culturelle. De manière plus poussée, il s’agissait de comprendre les liens associant les populations et ces paysages. L’engouement pour cette approche au travers des paysages peut se mesurer par les nombreuses thèses qui y sont consacrées, avec des terrains ou des objets variés comme le souligne Luginbül, opt cit): « au XXIe siècle avec de nombreuses thèses portant sur des paysages particuliers, comme des paysages de Marais, les paysages de volcans, d’une ville » (ibid.). La part des croyances culturelles dans l’agencement des réalités géographiques est ainsi questionnée.

Partant de là, « ce qui n'était qu'une démarche intégrant la dimension idéelle des sociétés à l'analyse de l'espace géographique s'affirme désormais comme la géographie culturelle» (ROSEMBERG, 2003). Ce constat a soulevé des questionnements sur le rôle de cette forme géographie. Faut-il préférer la notion de représentations à celle de culture ? Rosemberg, marque sa préférence, en écrivant : «à la notion floue et totalisante de culture il faut préférer le concept de représentation sociale, qui intègre dans l'approche de la pensée sociale la dimension cognitive. Et sans récuser aucunement l'intérêt d'une analyse des représentations et des pratiques spatiales pour comprendre l'espace, on doit mettre en question la généralisation du modèle culturel à l'analyse de l'espace» (ibid.). En ce sens, l’approche culturelle ne doit être qu’une dimension de l’analyse des interactions entre les représentations et l’espace géographique.

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S. Bonin rappelle la place de la géographie des représentations dans les études urbaines, en interrogeant les relations entre les manières de voir et les modes d’habiter. Les représentations spatiales favorisent « l’élaboration des schémas spatiaux ». Elles se traduisent sous la forme de carte mentale, permettant aux habitants d’une ville par exemple de se déplacer facilement. Ainsi, plusieurs groupes « vivent l’espace et développent des moyens pour assurer leur pouvoir » (BAILLY, 1985). Malgré son importance dans l’analyse des lieux, le concept de représentations fait l’objet de débats chez les géographes au point que S. Bonin, voit dans le terme de géographie des représentations une source possible d’incompréhensions et de confusions. Et pour cause, « il ne s’agit pas tant de faire une géographie des représentations que d’étudier les représentations géographiques, voire, si le terme ne paraissait pas trop ambitieux, il s’agit de l’étude des géographies ». Face à ce constat, elle propose « la terminologie de géographie représentationniste qui a le mérite d’éviter la confusion évoquée: cette géographie n’a pas de particularité dans ses objets d’étude mais seulement dans la façon de les aborder» (BONIN, 2004).

Quoi qu’il en soit, la manière d’aborder l’objet de représentation nécessite une prise en compte des liens « subtils » qui peuvent exister entre les sociétés et leurs espaces. Ces liens donnent un sens, une identité au territoire. C’est à travers cette interrelation que des populations s’approprient un espace. De ce fait, ces espaces appropriés varient en fonction des caractéristiques des individus et «leur vécu». Cette géographie s’intéresse donc «aux petits groupes et à leurs attitudes spatiales, à leur qualité de vie et à leur bien-être» (BAILLY et al., 2016). C’est pourquoi, cette forme d’analyse a été de nos jours qualifiée de «comportementale» (ibid.). Et G. Di Méo en vient au constat que la géographie ne peut plus se passer « des représentations sociales qui façonnent le monde, pas plus qu’elle ne doit oublier les acteurs ou agents qui interviennent sur la scène géographique. Il lui revient aussi d’intégrer dans ses modèles le vécu de l’homme habitant, producteur, consommateur, agent et acteur, etc. » (DI MEO, 2008). S’il invite à prendre en compte les institutions, il souligne plus encore la place des habitants, à l’instar des riverains du barrage, eux qui en vivent les effets au quotidien. Ainsi, le rapprochement proposé par cet auteur entre les représentations sociales, l’action et les territorialités semble spécifique à la géographie.

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Ce rapprochement est important pour mieux comprendre les impacts, indifféremment de leur nature. Tel est le cas de la «géographie sociale de l’environnement» dont l’objectif est d’étudier « les dynamiques sociales associées à ces modifications de représentations sociales du fonctionnement des écosystèmes ». En ce sens que ces changements de représentations affectent les types d’interactions entre les sociétés et les écosystèmes (CHARTIER, RODARY, 2016). Trois étapes sont proposées dans toute recherche qui prône l’entrée par les représentations sociales géographie. Il s’agit «tout d’abord d’une réflexion sur le choix de la problématique (que cherche-t-on et pourquoi?); ensuite une analyse des matériaux supports des représentations (les médiateurs, comme des acteurs, des textes, des images) ; enfin une mise en œuvre de méthodes destinées à organiser les représentations (analyses de textes, d’images, enquête) pour interpréter les résultats» (BAILLY et al., 2016).

Suite à ces études, les représentations sont saisies dans cette thèse dans le sens de la définition développée par G. Diméo en 2008, citée plus haut. Concrètement, ce concept est l’outil qui a permis de comprendre à travers les réponses des habitants ordinaires et les discours des acteurs les bouleversements introduits par le barrage.

Dans le cadre de la recherche proposée, l’objectif principal est de lire les représentations sociales des impacts du barrage de Manantali, en fonction de la localisation des populations et groupes en présence. De cette manière les représentations intègre une dimension spatiale, et les effets d’échelle, du local (villages et campement) au national (Bamako) en passant le régional (Kayes). En ce sens, cette recherche s’inscrit dans les champs de la géographie sociale. L’analyse des représentations exprimées permet de comprendre les changements tant sur le plan des conditions physiques6, que socioéconomiques introduits par le barrage. L’examen des relations commerciales impulsées par l’ouvrage devrait aider à l’analyse des territorialités induites dans le Haut bassin au Mali. Les idées soutenues sont les suivantes :

- Les représentations sociales des impacts du barrage de Manantali par les habitants ordinaires et les acteurs aident à comprendre les changements des conditions

6 La pluviométrie, les volumes d’eau, et la qualité de l’eau et la dynamique de la population piscicole 32 | P a g e sociales, économiques, spatiales et physiques. Comment, et par quels processus le barrage crée-t-il une recomposition socio-économique et spatiale dans la zone riveraine?

- Les représentations sociales des impacts sont des langages révélateurs des liens d’opportunités, et/ou des rapports d’incommodités qui existent entre les habitants ordinaires, les acteurs et le changement introduit par le barrage. En quoi les types d’impacts subis affectent-ils les représentations sociales? Est-il possible de faire une lecture spatiale des différentes formes de représentations entre l’échelle locale, l’échelle régionale et le niveau national?

- Les multiples représentations ont des effets sur les attitudes vis-à-vis du barrage et sur les nouvelles formes d’exploitation de cet ouvrage. Comment le barrage, ses gestionnaires sont-ils connus dans le haut bassin au Mali ? Quelles sont les nouvelles pratiques adoptées par les habitants et les acteurs découlant des formes de représentations? A la fin, il s’agira de mettre en exergue la variabilité de l’ombre « spatiale », « protectrice » ou « malfaisante » des impacts du barrage, en fonction des multiples formes de représentations sociales.

L’analyse du concept tout au long de l’étude est basée sur les discours des personnes interrogées. L’opérationnalisation du concept choisi et des trois hypothèses a permis de les rendre mesurables et vérifiables. Elle se compose de trois dimensions à prendre en compte, suite à l’adoption de la théorie de S. Moscovici. 3. Opérationnalisation des hypothèses et présentation des variables étudiées La figure 2 constitue l’opérationnalisation du concept choisi et des hypothèses de l’étude. L’idée est de montrer les trois dimensions qui constituent une forme de représentation sociale des impacts. La localisation par rapport au barrage influence la représentation. C’est la première dimension qui offre une lecture spatiale entre l’amont et l’aval, les villages déplacés et les anciens villages, le local, le régional et le national.

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Dans la seconde dimension, une attention est accordée aux types d’impacts introduits par le barrage. Ils dépendent de variables mesurées à l’aide du questionnaire, du guide d’entretien individuel, et du guide d’entretien collectif.

Enfin, les attitudes vis-à-vis des gestionnaires du barrage et les nouvelles formes d’exploitation exprimées par les habitants ordinaires et les acteurs comportent la troisième dimension. Elle est évaluée en fonction des réponses sur les connaissances des gestionnaires, les types d’attentes.

Figure 2 : opérationnalisation du concept et des trois hypothèses, (réalisation, C. Cissé)

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III. QUESTIONNEMENTS LIÉS AUX BARRAGES, ET À MANANTALI ? La problématique des barrages permet de nombreuses approches privilégiant l’aspect technique, économique, social, territorial, ou encore historique. Les analyses effectuées sur le barrage de Manantali concernent particulièrement l’environnement physique, mais aussi les effets spatiaux induits durant les premières années de mise en service. De plus, les documents de planification de la région de Kayes qui l’abrite ne prennent pas assez en compte le barrage de Manantali dans les programmes régionaux. Les éléments suivants peuvent soulever des questionnements. 1. Diversité des éléments interrogés dans les recherches sur les barrages Les conséquences de la construction des grands barrages se trouvent analysés sous plusieurs angles : physique, spatial, biologique, économique et social.

1.1. Des impacts sur l’environnement physique Les interrogations posées par les impacts des grands barrages hydroélectriques sur l’environnement physique ont évolué depuis les années 1970. Le poids des grands barrages dans la transformation des grands fleuves qui les abritent est évoqué à cause de la fragmentation ou de la transformation des cours d’eau (CRU-BN, 2010).

Ces questions ont d’abord intéréssé les ingénieurs des Mines. Le barrage a en effet une capacité de modification du régime du fleuve, et peut créer une division du bassin versant, et ce d’autant plus qu’il nécéssite une grande maîtrise des sciences de l’ingénierie. Dans une étude de 1834 d’A. De Voisins, ingénieur des mines, on trouve une approche de reconnaissances de ce type d’ouvrage. De Voisins cherche à montrer aux ingénieurs des règles pour mieux mener les projets sur les conduites des eaux et les travaux hydrauliques, tels les grands barrages. En 1998, l’ouvrage de J.Fine, ingénieur civil des Mines, réaffirme l’intérêt des formes de calculs numérique des tenues de terrains (mécanismes de déformations des massifs rocheux) dans les constructions de galeries et autres ouvrages de génie civil comme les barrages. La question de la modification profonde de la nature du fleuve est aussi posée. Plus tôt,

35 | P a g e dans les années 1980, Bakre et al. expliquent le comportement du Nil, profondément changé par la contruction du barrage d’Assouan en 1964. Ils déclarent que : « l’Egypte n’était qu’une suite de marais cernés par les déserts ou submergés par les crues. L’intégration des lieux à l’oekoumène n’a pu se faire que par la maîtrise des eaux qui implique elle-même un niveau élevé d’organisation et de discipline collective » (BAKRE et al., 1980).

1.1.1. La modification du paysage L’analyse des impacts du barrage par la perturbation du régime du fleuve cohabite dans les années 1990 avec les interrogations sur la préservation des paysages. M. Poirel et C. Raoult, respectivement acteur cinéaste et caméraman, évoquent le Saint- Laurent comme l'un des plus beaux fleuves du monde. Il est un fleuve puis un golfe et une mer intérieure, soutiennent-ils. L’occupation de ce fleuve est variée entre forte occupation humaine sur les rives de Montréal, et une occupation sauvage dans un lieu paisible pour les animaux. Ils rappellent ainsi que « Phoques du Groenland, rorquals, fous de Bassan, eiders à duvet, oies des neiges et bélugas se partagent cet immense territoire qui constitue une extraordinaire réserve de faune. Mais cette stabilité est menacée par les pollutions des eaux causées par les hommes à travers leurs projets industriels, les projets de barrages qui déplacent des minorités autochtones, rasent des forêts… Le questionnement sur une possibilité d’allier vie traditionnelle et grands projets industriels se pose !!! » (POIREL et RAOULT, 1990). Les conséquences sociales et écologiques des grands barrages semblent constituer une lourde préoccupation.

1.2. Des impacts étudiés sous plusieurs angles Dans le champ de la géographie, l’objet d’étude est moins le barrage lui-même que ses conséquences sur les territoires. Selon F. Lasserre, les barrages nord-Québécois ont toujours des impacts sur l’environnement. C’est la conséquence d’abord des grandes distances à faire franchir à l’électricité produite, mais aussi de l’aménagement de réservoirs de grande ampleur afin de rentabiliser les investissements gigantesques. Ces ouvrages sont ainsi accompagnés par la construction de lignes de hautes tensions de transport d’électricité à 735 KW, qui ont marqué l’histoire de l’ingénierie canadienne: « Le complexe la Grande compte 31 barrages et digues, et 7 réservoirs

36 | P a g e principaux. Certains de ces réservoirs figurent parmi les plus grands au monde » (LASSERRE, 2003). Le volet social retient de plus en plus l’attention des chercheurs. Ils expliquent comment le barrage perturbe l’organisation sociale des peuples en les amenant à se déplacer vers de nouvelles terres. En ce sens, M.J. Bares montre qu’en Europe, dans la période d’après-guerre et de recherche de croissance, l’analyse des impacts des barrages sur les lieux de vie, les populations déplacées et les coûts économiques s’est dévéloppée. Ces travaux dénoncent dèjà les impacts du barrage de

Serre Ponçon7 qui a condamné des villages à l’immersion. Les habitants, qui ont tous touché des indemnités, ont dû quitter les lieux (BARES, 1961).

Cette analyse nous paraît intéressante pour continuer à s’interroger sur les impacts sociaux des grands barrages. Les barrages en Chine sont à l’origine du plus grand nombre de déplacement dans le monde (CIGB, 2016) (Tableau 1).

Les effets des grands barrages se font sentir dans la création de ce que V. Lassailly-jacob nomme des « refugiés environnementaux ». Ce terme ne concerne pas seulement les déplacés: «Les réfugiés environnementaux (catégorie créée par les organisations onusiennes et passée d’un sens large à un sens restreint) ne sont souvent pas les déplacés en eux-mêmes, mais les populations oubliées en aval, notamment les pêcheurs-agriculteurs affectés par la baisse du débit des eaux, mais aussi en amont, les éleveurs en transhumance contraints de contourner les lacs de retenue et de dévier leur route (comme au Nigeria). Ces populations concernées par les effets de l’aménagement ne sont pas prises en compte par les aménageurs car elles ne sont pas déplacées » (LASSAILLY-JACOB, 2009). Le barrage favorise donc l’injustice sociale.

7 Le barrage de Serre Ponçon est l’un des plus grands en Europe. Il est construit sur la Durance, un cours d’eau millénaire. Son volume est estimé à 14 millions de mètres cubes. Les travaux ont débuté en 1955. La mise en eau de la retenue, débutée en novembre 1959, s'est achevée en mai 1961. Environ 1500 personnes ont été déplacées et leurs villages engloutis. 37 | P a g e

Tableau 1 : classification des barrages par nombre de personnes déplacées

m Name Reservoir Cap. Resettled persons Country (103 m3) SANXIA 39 300 000 900 000 China SANMENXIA 9 600 000 370 000 China DANJIANGKOU 33 910 000 347 200 China XIN'ANJIANG 21 626 000 271 550 China XIAOLANGDI 12 650 000 175 600 China KUIBYSHEV 58 000 000 150 000 Russia (Russian Fed.) ZHEXI 3 570 000 139 522 China RYBINSK 25 400 000 116 700 Russia (Russian Fed.) MANGLA 9 120 000 110 000 Pakistan WUQIANGXI 4 350 000 107 048 China XINFENGJIANG 13 896 000 106 000 China CHANGMA 194 000 96 000 China XIANGJIABA (C) 5 185 000 89 800 China XIJIN 3 000 000 89 323 China LONGTAN 29 920 000 75 100 China MEROWE 12 500 000 70 000 Sudan BAIHETAN (C) 18 800 000 69 000 China SHUIKOU 2 340 000 67 239 China HUALIANGTING 2 398 000 61 124 China VOTKINSK 9 400 000 61 000 Russia (Russian Fed.) Source : CIGB, 2016

1.2.1. L’effet sur les changements d’identité Si le barrage déplace les populations, il a aussi cette capacité de conduire à une redéfinition de l’identité des groupes et une redéfinition des frontières qui intéressent plus encore les anthropologues. En faisant l’analyse de la gestion de l’eau des rivières frontalières, F. Wateau donne l’exemple de deux projets de barrages, « l’un sur le Rio Minho (barrage de Sela) qui fait frontière et separe l’alto Minho (Portugal) de la Galice (Espagne). L’autre sur le Rio Guadiana (barrage Alqueva) faisant frontière entre l’Alentejo (Portugal) et l’Extremadura (Espagne). Ces projets créent un réajustement de l’identité locale à de nouvelles réalités physiques et sociales. Les frontières sont revisitées et choisies. En parlant de frontière subjective, différente des frontières physiques (ponts, rivières, montagnes…), politiques, l’accent est mis sur la subjectivité et le point de vue. Ce point de vue d’un individu ou d’un groupe vis-à-vis d’un autre peut être choisi. La mise en place d’un barrage change ces limites subjectives des uns face aux autres dans un même territoire » (WATEAU, 1999).

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1.2.2. Des images projetées aux barrages À partir de tous ces effets négatifs, et particulièrement du détachement au mode de vie habituel, le barrage est accusé, parfois à tort, d’être responsable de tous les malheurs des populations. Cela donne au barrage une image contreversée, selon des chercheurs en géographie et en sciences de l’environnement. Les travaux d’E.E. Ago et al., donnent des informations à ce sujet grâce à l’analyse des inondations en aval du barrage de Nangbeto sur le fleuve Mono long de 530 km (Togo/Bénin). Les auteurs mentionnent que depuis 1987, le fleuve abrite le barrage hydroélectrique de Nangbeto. Toutefois des observateurs ont remarqué une augmentation des inondations dans la zone. Selon les populations locales, sans aucune doute, le barrage est coupable de cette situation. Or, selon les auteurs, les inondations sont liées à une amélioration de la pluviométrie, à la pression démographique et à une mauvaise gestion. Celle-ci, à laquelle s’est ajouté unmanque de suivi, ont augmenté les vulnérabilités (dégradation des sols, déboisement des berges, augmentation des surfaces emblavées, installation des habitations dans des zones non constructibles). Le barrage hydroélectrique de Nangbeto a certes des conséquences (changement de l’environnement) mais il n’est pas le seul responsable des inondations, contrairement à ce que pensent les autochtones (AGO et al., 2005).

1.2.3. Et les effets du barrage sur l’économie ? Les géographes contemporains s’intéressent particulièrement aux impacts du barrage sur la différenciation socio-économique et la complexité des échanges des systèmes d’activités paysannes. En 2009 a débuté un travail de recherche sur les impacts des projets hydroélectriques en aval des barrages au Laos par les chercheurs de l’Université Nationale du Laos, AgroParisTech et le Comité de Coopération avec le Laos (CCL)8. Le Laos avait 14 barrages opérationnels, 9 en cours, 131 planifiés et 41 à l’étude en 2011. Les barrages ont à long terme affecté les activités villageoises positivement et négativement par des lâchers d’eau. Les écosystèmes des berges, la géographie du peuplement et des systèmes socio-économiques ont été complétement

8 Association de solidarité internationale, le CCL est né en 1980 de la volonté de ses fondateurs d’accompagner le Laos dans sa reconstruction après plus de 30 ans de guerre. Inscrites dans la durée, ses actions sont conduites exclusivement dans ce pays (http://www.ccl-laos.org/, le 25 septembre 2014). 39 | P a g e transformés. Selon les auteurs, les multiples oppositions des Organisation Non Gouvernementale (ONG) ne semblent pas retenir le gouvernement alors que les impacts environnementaux et sociétaux sont avérés.

1.2.4. L’utilité et les bénéficiaires des barrages existants ? Si tous les barrages ont des impacts, « sont-ils tous utiles pour autant? ». Les barrages hydroélectriques permettent certes la production de 20% de l’énergie mondiale et 30% de l’agriculture à travers l’irrigation, mais ont aussi conduit à 30 millions de déplacés ou déguerpis9. La question de l’utilité de certains barrages se pose donc également. La pertinence de la construction de certains barrages comme Akossombo, ou Alqueva au Portugal peut être remise en question, à cause du manque d’eau dans la retenue et de sa mauvaise qualité. La somme versée pour la construction de ces barrages seraient peut-être une perte pour les États (BERTHEMONT, 2008).

Dans le cas où les barrages apportent des bénéfices, ceux-ci sont inégalement distribués. Skinner, Niasse et Haas (2009) développent une analyse fondée sur les expériences vécues dans cinq cas de grands barrages. Dans le cadre des processus d’indemnisation, les auteurs remarquent que les responsables prennent plus en compte les infrastructures (puits, maisons, écoles…) que les moyens de subsistance dans le temps (terres et ressources naturelles, zone de paturâge permettant d’avoir des ressources et de survivre). Les auteurs montrent que dans la législation des pays étudiés comme le Sénégal ou le Mali, la terre est propriété de l’État. Lors des déplacements, seul l’usage est compensé. Une augmentation de la population entraîne celle des besoins en terres et des cas de conflits réels. « C’est pour cela que le mécontentement des populations vis-à-vis de ces grandes infrastructures n’apparaît pas toujours immédiatement après la mise en eau, mais seulement au bout de quelques années lorsque la pression foncière croissante donne une importance nouvelle aux terres englouties par le réservoir » (SKINNER, NIASSE, HAAS (dir), 2009).

9 Ce terme est utilisé pour le barrage de Kossou en Côte d’Ivoire lorsque les populations déplacées ont perdu leur honneur et leur racine foncière. 40 | P a g e

1.3. L’opposition aux projets de barrages Les barrages font l’objet de nombreuses revendications, d’oppositions de manifestants anti-barrages. Aux défenseurs des avantages des barrages, notamment les États, et autres décideurs, s’opposent les défenseurs de l’environnement, des populations locales, des associations...

1.3.1. À cause des promesses non tenues Les intérêts des décideurs sont souvent différents de ceux des défenseurs de l’écosystème et des populations locales. B. Fargevielle mentionne dans son ouvrage que, selon les populations, les décideurs et constructeurs de grands barrages ne tiennent pas toujours leurs paroles, ne respectent pas toutes les règles de construction et font pas preuve de totale transparence. Par conséquent, des affrontements de formes diverses ont lieu lors des projets de construction de grands barrages. Pour la construction du barrage de Tignes par exemple en 1946 (date de début des travaux), des affrontements par médias interposés ont eu lieu. L’intérêt des décideurs était d’ordre économique et politique, celui des populations concernées était de lever les inquiétudes face à la prochaine submersion du village de Tignes malgré la promesse faite de le reconstruire plus haut (FARGEVIELLE, 1991).

1.3.2. La force des mouvements associatifs Les mouvements associatifs constituent ainsi une force de lutte contre les projets de barrages. Dans le document de l’association culturelle Batwél, par exemple, nous pouvons lire qu’elle lutte contre le projet de la société d’électricité de France (EDF) qui avait prévu la construction du barrage hydroélectrique de Petit-Saut en 1994, avec la création d’une retenue d’eau de 310 km2 en remplacement de la forêt existant à Sinnamary (Guyane). Selon l’association, les populations de la localité considèrent que la mise en eau du barrage va s’accompagner de nombreuses conséquences : dégagements d’odeurs suite au pourrissement de la forêt inondée, acidité de l’eau, absence d’oxygène, apparition de nouvelles maladies, remontée saline à cause de la baisse des débits de la rivière. À travers l’association, les populations expriment leurs revendications et même leurs exigences. « Devant le laxisme des autorités compétentes en particulier la préfecture et EDF et la menace de notre existence à Sinnamary avec la

41 | P a g e mise en eau du barrage hydroélectrique. Nous exigeons, habitants de Sinnamary, demandons que tous les moyens soient mis en place pour garantir nos intérêts physiques et matériels. Nous exigeons ! » (ASSOCIATION CULTUREL BATWEL, 1993).

Les associations dénoncent aussi le manque de suivi après la construction, le déficit de gestion concertée et la multiplication des cas de conflits. S. Morel, parle de la construction accélérée de grands barrages depuis la fin de la colonisation britannique en Inde. Les 4 000 grands barrages de l’Inde ont pour objectifs de contrôler les crues et d’augmenter la production agricole. Mais les impacts négatifs sont très décriés par les populations et les mouvements anti-barrages qui se soulèvent contre les décideurs et les bailleurs de fonds comme la Banque Mondiale. Le manque de gestion concertée aggrave les risques de conflits et les impacts négatifs. Ces impacts sont amplifiés par la précipitation du gouvernement à construire malgré l’inexistence de bases de données, la surestimation des bénéfices et la sous-estimation des effets négatifs. Les barrages ont créé le déplacement de près de 50 millions de personnes et malheureusement dans certains cas, il y a une absence totale de suivi après la construction. Tout ceci est dénoncé par les mouvements anti-barrages (MOREL, 2007).

1.3.3. Des populations qui se sentent lésées Face aux projets de barrages, les populations autochtones se sentent souvent lésées10 et non considérées. Une étude de Wetlands International (2005) a démontré que le manque de concertation dans les prises de décisions de gestion des barrages dans le fleuve Niger a des conséquences profondes sur les inégalités, l’environnement, l’économie et l’organisation sociale des populations du bassin. L’étude a porté sur les barrages de Sélingué, celui de Markala au Mali et celui de Fomi en construction en Guinée. Ces barrages ont des coûts et des avantages sur certains secteurs, régions et communautés qui gagnent ou perdent. Si certaines populations profitent des avantages, d’autres enregistrent des pertes considérables. Les populations en aval

10 L’exemple du barrage de Cahora-Bassa est souvent cité. Ce barrage qui donne la priorité à l’hydroélectricité en équipant les pôles industriels, du système de transport et des ports industriels… a été construit par les portugais sur la Zambèze vers 1970. L’objectif principal était de vendre l’électricité à l’Afrique du Sud (65%) alors que seul un mozambicain sur cinq dispose de l’électricité. 42 | P a g e n’accusent que des pertes même si la région et le pays tirent partis des avantages. (WETLANDS INTERNATIONAL, 2005).

L’échec du volet social (déplacement de populations, création d’inégalités sociales et spatiales, populations autochtones non bénéficiaires du barrage…) est aussi à l’origine de mouvements de revendications. Le mouvement des « atingidos » est expliqué par G. Leturcq (2007). Les populations, menacées par la construction de barrages et soumises à des migrations, manifestent leur mécontentement contre le pouvoir et les organismes de construction au Brésil. Les conflits entre populations rurales et entreprises publiques/privées autour de la politique énergétique n’est pas une nouveauté dans le pays. Déjà en 1978, la construction du barrage d’Itaipu avait posé des problèmes. Plus de 1 500 agriculteurs expropriés étaient réunis pour demander une indemnisation. D’autres revendications ont suivi: en 1981, 25 000 personnes sont touchées par la construction du barrage de Tucurui sur le fleuve Tocantins au Nord du Brésil. Toujours au début des années 1980, le barrage d’Itaparica dans le Nordeste, a conduit à l’expulsion de 40 000 personnes (LETURCQ, 2007). Mais selon Faure (2008) certaines erreurs peuvent être évitées lors des constructions de grands barrages grâce à la concertation, le déplacement collectif et la transparence. L’auteure revient sur les négligences de communication et l’absence de participation du public aux décisions de projets de constructions de grands barrages. Elle montre que dans les projets de barrages de l’Aigle, de Tignes, de Bort-les-Orgues, et de Serre- Ponçon, il n’y a pas eu de véritable concertation, et ceci même après la création de l’EDF en 1946. Il s’agissait de décisions « Top down », par opposition aux démarches « Bottom up » ou participatives développées dans les années 1990. Les expropriations à Tignes ont manqué de transparence et de dialogue, car les décisions concernant les indemnités et les infrastructures étaient floues. «L’expropriation est une opération qui consiste à identifier les différents types de droits fonciers, en droit formel et non formel (l’absence de titre légal n’est pas un obstacle aux compensations et à l’assistance), et à les dédommager d’une façon concertée, équitable et transparente, avant le démarrage des travaux » (FAURE, 2008).

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1.4. La place des habitants négligée dans les projets de barrages Blanc et Bonin (2008) rappellent qu’« auparavant, la construction des barrages était synonyme d’intérêt général aux dépens des égoïsmes locaux». Dans l’ouvrage Grands barrages et habitants : les risques sociaux du développement publié en 2008, des chercheurs en histoire, en sociologie, en économie, en anthropologie, en sciences politiques et relations internatonales, en agrogéographie, et en géographie, ont interrogé la durabilité des grands barrages, et plus particulièrement la place du riverain dans ces projets. Ils se sont intéressés au rôle joué par les questions sociales. Ces questions sociales renvoient « aussi bien aux questions de solidarité et de justice sociale que celles, plus simplement relatives à l’habitant et aux populations concernées».

Les historiens se sont interrogés sur « les conditions dans lesquelles les relations entre les barrages et leur environnement, naturel et social, ont été pensées et vécues entre 1880 et 1980 en France » (DALMASSO, 2008). Par ailleurs, des sociologues, des économistes et des socio-économistes se sont attelés à montrer que le jeu des paradoxes dans les discours autour des grands barrages peut être un atout pour l’amélioration de la régulation territoriale du domaine de l’eau. En fait, ce débat permet de revisiter de nouvelles marges de manœuvres pour une meilleure gestion de l’eau (ALLAIN, 2008). La diversité des argumentaires anti-barrages chez les habitants, les jeux et les enjeux d’acteurs sont aussi importants dans l’analyse des sociologues (MARCANT, 2008). Une analyse des éléments du contexte historique et géographique autour du débat sur les grands barrages permet de voir les dynamiques des mouvements de contestation, depuis le premier cas en Californie en 1960. Dans leurs recherches, les économistes font également une analyse des enjeux socio-économiques de l’hydroélectricité. Ils étudient le potentiel technique et économique de l’hydroélectricité pour les perspectives de développement de la filière énergétique, par exemple l’ouverture des marchés de l’électricité à la concurrence. Ils travaillent aussi sur les relations entre énergie, croissance économique et développement humain, ou encore sur la notion «d’externalité» (ROMERIO, 2008).

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Les questionnements des anthropologues montrent que l’amertume, la frustration, les conflits entre les gestionnaires et les habitants conduisent à des interrogations sur l’intérêt d’un grand barrage pour le niveau local. A cause des grands barrages, des villages se vident, les inégalités sociales se creusent, et les rêves des habitants s’envolent (WATEAU, 2008). D’autres chercheurs en anthropologie proposent de réfléchir sur les risques sociaux du barrage, notamment la pauvreté. On doit penser autrement les impacts du barrage en anticipant les risques (CERNEA, 2008). En relations internationales, des chercheurs se penchent sur les controverses autour des grands barrages dans le contexte sociologique des relations internationales (MARMORAT, 2008). Les agrogéographes enfin mettent l’accent sur les préoccupations et les arguments écologiques pour les grands barrages, d’autant plus que ces derniers varient en fonction des échelles, des acteurs, et des enjeux.

Du côté des géographes, il a été intéressant de faire une analyse de la notion de « gestion durable » du fleuve (BONIN, 2008). Les géographes nous aident également à comprendre, dans un contexte de recherche d’articulation de la gestion de l’eau et des territoires, la différenciation des visions de développement et de leurs légitimités. Leurs travaux permettent également de concevoir les réactions sociales et politiques face aux aménagements, et la perturbation des équilibres entre les communautés de vie par les grands barrages (GHIOTTI, 2008). Quelles sont les politiques de gestion de ces grands barrages ? 2. Politiques de gestion commune et règles d’utilisation des barrages pour le développement? Le modèle de gestion des eaux du fleuve Sénégal et de suivi des impacts du barrage de Manantali est normalement conçu pour répondre aux normes mondiales et africaines. La charte des eaux de l’OMVS définissant les règles d’utilisation de ces eaux obéit à cette norme.

À l’échelle mondiale, la Commission Mondiale des Barrages (CMB) a été créée pour évaluer les résultats antérieurs et le rôle des futurs grands barrages. Elle explique l’intérêt d’avoir une nouvelle approche vis-à-vis des barrages si nous voulons les considérer comme options de développement (CMB, 2000). Cette nouvelle approche

45 | P a g e consiste à intégrer toutes les parties prenantes au processus de prise de décision sur le développement des ressources hydrauliques et énergétiques. Il ne s’agit plus seulement d’exploiter ces ressources, mais aussi de les protéger pour un développement soutenable, souligne le rapport du CMB. En 2003-2004, la Banque Mondiale11 a réaffirmé son soutien aux sept priorités stratégiques développées dans le rapport de la CMB, et vise par son action à les promouvoir. En effet, la CMB a identifié sept priorités qui sont :

1. « Obtenir l’adhésion du public, 2. Procéder à une évaluation exhaustive des options, 3. Optimiser les avantages offerts par les barrages existants, 4. Préserver les cours d’eau et les moyens de subsistance, 5. Reconnaitre les droits des parties concernées et partager les avantages, 6. Assurer le respect des normes, 7. Exploiter en commun les cours d’eau pour la paix, le développement et la sécurité » (ibid.). Atteindre ces objectifs devient une priorité dans un contexte où le prélèvement total en eau douce est estimé à plus de 3 800 km2, soit deux fois plus qu’il y a 50 ans (CRU- BN, 2010). Les directives de la CMB doivent être adoptées par tous ceux qui s’intéressent aux grands barrages comme un élément de développement économique durable. En 2007, la Commission du Parlement Européen (CPE) cite le développement des infrastructures énergétiques et la gestion intégrée de l’eau dans les bassins fluviaux transfrontaliers comme un des moyens préalables à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

2.1. Des règles de gestion des barrages en Afrique? À l’échelle du continent africain, des mesures ont été également prises. En 2000, le rapport de la Banque Africaine de Développement (BAD) montre que depuis 1968, 12% de ses prêts ont été accordés aux projets d’hydroélectricité, contre 62% pour l’eau et l’assainissement et 26% pour l’irrigation (BAD, 2000). Le document de la Vision Africaine de l’Eau à l’horizon 2025 est publié (Banque Mondiale et al., 2000). Il est le

11 Source : http://www.dialoguebarrages.org. 46 | P a g e résultat de la réflexion de plusieurs experts africains lors du premier forum sur l’eau organisé à Marrakech en 1997. Il a été mis à jour lors de la 5ème Semaine Africaine de l’Eau qui s’est tenue à Dakar, du 26 au 31 mai 2014. L’idée de cette vision est que le développement socio-économique de l’Afrique passe par l’eau. L’Afrique possède d’énormes potentialités de production d’énergie hydroélectrique (estimé à 1,4 GWh/an).

La BAD est revenue sur les procédures d’évaluation environnementale et sociale pour les opérations qui la concernent. Dans un de ses rapports en 2001, les procédures de prises de décisions pour les projets de grands barrages sont évoquées. Avant ces procédures, la décision de construire un barrage se prenait toujours au niveau le plus haut, et jamais à l’échelle locale ou régionale. Désormais, une consultation de toutes les parties prenantes est devenue une exigence pour obtenir un financement des bailleurs de fonds. Les Études d’Impacts Environnementaux et Sociaux (EIES), le Plan de Gestion Environnementale et Sociale (PGES), les Audits Environnementaux et Sociaux (AES) sont autant d’instruments formalisés pour accroître les bénéfices des barrages et pour compenser les impacts négatifs (BAD, 2001). Mais ceci change-t-il vraiment le fond du problème ? Même si toutes ces procédures ne sont pas toujours respectées par les décideurs, consultants, la volonté de réduire les impacts négatifs des projets de grands barrages, en exigeant des audits et un suivi, est à noter.

En 2002, préoccupée par la question de l’énergie, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), au cours du 22e sommet de la conférence des chefs d’États et de gouvernement, crée le système d’Échanges d’Énergie Électrique Ouest Africain (EEEOA). La CEDEAO souhaite intégrer les opérations des systèmes électriques nationaux dans un marché régional unifié afin d’assurer une fourniture d’énergie stable, fiable et abordable aux habitants de son espace. Les travaux de l’institution se structurent en réseaux électriques interconnectés. Notre lieu d’étude se situe dans le sous-groupe zone B. Il consiste à la mise en place de systèmes énergétiques en faveur de l’OMVS et de l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Gambie (OMVG).

47 | P a g e

En 2003, la «Convention africaine sur la conservation de la nature et des ressources naturelles» est publiée par les États de l’Union Africaine (UA). Celle-ci revient sur la nécessité d’accorder les programmes, les plans, les politiques, les stratégies, qui touchent l’environnement. Tous les projets, dans le continent, susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement, doivent faire l’objet d’études d’impacts rigoureuses. À la fin du projet, un suivi et une évaluation sont également des étapes obligatoires. En 2004, les chefs d’États de l’UA lors de leur rencontre à Syrte (Liban) font une déclaration dans laquelle apparaît encore une fois la nécessité de considérer l’eau comme un facteur de développement socio-économique. Aussi des investissements doivent-ils être faits en infrastructures pour la mise en place de réservoirs, d’équipements d’irrigation et, par la même occasion, de développement de l’hydroélectricité. En 2006, des recommandations sont données par le Conseil des Ministres chargés de l’eau créé en 2002 au Nigéria. Une place importante est accordée aux fleuves et rivières internationaux et à leur intérêt pour le développement de l’Afrique à travers une gestion globale et coordonnée des eaux transfrontières. En 2008, une étude juridique et institutionnelle est réalisée par l’UA.

L’étude porte sur la création d’une structure de coordination pour les grands projets hydroélectriques en Afrique. Le cadre juridique définit le cadre normatif et un profil institutionnel. Mais auparavant, elle donne des exemples de projets intégrateurs ou de coopération dans le monde. Les barrages ont permis un développement socio- économique réel et une amélioration des conditions de vie, une prévention et une gestion des conflits. L’UA propose, au vu de toutes les règles et de l’importance des projets hydroélectriques, la création d’une structure continentale de coordination regroupant tous les organismes de bassins (UNION AFRICAINE, 2008).

En 2009, le Centre de Coordination des Ressources en Eau (CCRE) de la CEDEAO et l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) ont instauré un dialogue régional sur les grands barrages en Afrique de l’Ouest. C’est dans ce cadre que s’inscrit la démarche sur la Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) et de nombreux projets comme le Global Water Initiative – Afrique de l’Ouest (GWI- AO) et ses composantes dont le GWI-Barrages. « Depuis 2009, le projet GWI-Barrages vise à promouvoir l’utilisation multiple et le partage des bénéfices autour des

48 | P a g e réservoirs de barrage en Afrique de l’Ouest pour améliorer les conditions de vie des populations locales. Il est piloté par le consortium formé par l’UICN et l’Institut International pour l’Environnement et le Développement (IIED) dans cinq pays de la sous-région : Niger, Burkina Faso, Mali, Sénégal et Guinée » (UICN, 2011). La CEDEAO a une bonne raison d’être préoccupée par le caractére transfrontalier des grandes infrastructures hydroélectriques, de leur nombre et de leur impacts environnementaux dans son espace du fait du nombre de fleuves transfrontaliers.

En 2010, les acteurs du bassin du fleuve Sénégal et du fleuve Niger ont tenu des forums. L’intérêt de ces forums est le recueil des avis des représentants de la société civile sur les impacts des barrages et leur place dans les prises de décisions. L’idée est que « certains impacts ont tendance à provoquer des sentiments de frustration et de rejet, particulièrement de la part des populations riveraines. Une situation qui présente des risques pour la cohésion et la stabilité sous régionale qui sont pourtant des conditions de base au développement économique et social12 ». Ce type d’initiative se multiplie ces dernières années, mais les résultats de l’étude et ses recommandations ne sont pas toujours suivis et/ou compris. Ils peuvent dans certains cas ne pas correspondre aux besoins réels des populations riveraines. Ces populations ne peuvent accéder ni au forum, ni au panel, ni au rapport de communication ou même au film documentaire. Nous considérons qu’elles ont plutôt besoin d’exprimer leurs visions et besoins réels, que ceux-ci soient examinés de manière spécifique et non généralisée à l’ensemble du bassin.

2.1.1. La charte des eaux du fleuve Sénégal Les bassins transfrontaliers gérés par des organismes sont généralement régis par des textes législatifs13. En Afrique de l’Ouest, ces textes émanent de l’Autorité du Bassin du Niger (ABN), l’Autorité du Bassin de la Volta (ABV), l’OMVG et ceux de l’OMVS sur le bassin du fleuve Sénégal. En 2002, l’OMVS a publié la charte des eaux régissant le bassin du fleuve Sénégal.

12 Source : http://www.dialoguebarrages.org 13 Parmi les protocoles d’accord en Afrique, il y’a celui entre la Guinée et la Guinée-Bissau pour l’aménagement du fleuve Koliba-korubal (1978). En 1988, le Niger signe un accord avec le Mali pour le fleuve Niger. En 1990, c’est autour du Nigéria et du Niger. Plus récemment en 2000, le Cameroun et le Nigéria se retrouvent pour une gestion durable du bassin de Banoue. 49 | P a g e

Cette charte a pour but de réduire les risques de conflits et de gérer durablement la ressource en eau de l’ensemble du bassin du fleuve Sénégal. Après avoir mentionné la prise en compte de toutes les règles concernant les cours d’eau internationaux définis par les sommets, conférences et conventions mondiaux cités précédemment, la charte précise, dans son article 2, son principal objectif : fixer les principes et les modalités de la répartition des eaux du fleuve Sénégal entre les différents secteurs d’utilisation. Ce sont l’agriculture, l’élevage, la pêche continentale, la pisciculture, la sylviculture, la faune, la flore, l’énergie hydroélectrique, l’alimentation en eau des populations urbaines et rurales, la santé, l’industrie, la navigation et l’environnement, en tenant compte des usages domestiques. La charte s’applique à tous les pays membres et sur l’ensemble du bassin hydrographique du fleuve Sénégal (affluents, défluents, dépressions). Les eaux du fleuve peuvent être utilisées par les États et leurs peuples mais en respectant certaines conditions de protection de la ressource. Dans l’article 5, il est demandé que toute répartition des eaux entre les usages prenne en considération la disponibilité de la ressource tout en se basant sur la coopération sous- régionale et la gestion intégrée.

L’OMVS fixe les priorités entre les besoins ainsi que la consommation d’eau nécessaire. «En cas de pénurie de la ressource, une attention particulière sera accordée à l’approvisionnement en eau potable et aux usages domestiques libres de l’eau » (OMVS, 2002, article 9). Pour le bien de tous, les États doivent demander une autorisation ou faire une déclaration avant d’entamer tout projet sur le fleuve risquant de modifier ou de nuire au cours d’eau, auprès du Haut-Commissariat de l’OMVS. Ce dernier, sous un delai de 45 jours, met le projet à la disposition de la Commission Permanente des Eaux (CPE). La décision finale revient au Conseil de Ministres de l’OMVS. La charte insiste et détaille les mesures de protection de l’environnement et des eaux du fleuve Sénégal.

La mise en place de scénarii de gestion des grands barrages, dont Manantali, est peut être une bonne chose même si la part des communautés locales semble être négligée. Certes, l’intégration des représentants des usagers et autres collectivités territoriales ou des ONG à la reunion de la CPE découle d’une bonne volonté. Mais ils ont simplement un statut d’observateurs au sein de cette CPE et ne reflétent pas

50 | P a g e toujours la réalité des populations sur le terrain. Y a-t-il eu des formes de questionnement spécifiques au barrage hydroélectrique de Manantali ? 3. Réflexions sur les conséquences du barrage de Manantali ? L’environnement physique du haut bassin du fleuve Sénégal au Mali a fait l’objet, dès les années 1970, de plusieurs calculs et simulations avant barrage et après. En effet, en 1977, L’OMVS et ses experts ont fait une étude d'exécution du barrage et de l'usine hydroélectrique de Manantali. Ils montrent les caractéristiques du futur barrage et de la centrale proposée. Le Groupement de Manantali (ingénieurs conseils) continue les mêmes études jusqu’en 1978, année de publication du rapport final. Il met davantage en valeur les conditions environnementales des territoires qui abritent le barrage et ceux d’accueil des populations à déplacer.

Aux environs des années 1980-1990, les questionnements sur la construction et l’après barrage commencent à se multiplier. L’analyse des consultants Coyne et Bellier (1996) s’inscrit dans ce contexte. Ils font une description des caractéristiques du barrage de Manantali, de la centrale hydroélectrique ainsi que de leurs impacts socio- économique et environnemental quelques années après sa mise en service. L’impact premier du barrage est la création d’un lac de retenue qui est devenu un immense plan d’eau où se sont rapidement développés d’importantes populations piscicoles. « Le réservoir n’a pas connu de problèmes graves de qualité de l’eau et le potentiel de pêche y est évalué à 17 000 tonnes/an alors que les captures sont actuellement de 2 000 tonnes. Les résultats reflétent une bonne reproduction piscicole, de façon continue » (COYNE ET BELLIER, 1996). La construction de la route reliant Tambaga à Manantali amène les auteurs à faire des prévisions. Ils considérent qu’avec cette route et son raccordement à la gare ferroviaire de Kita, le barrage aura un impact très positif sur la mise en marché du poisson pêché dans le lac. Elle permettra également une amélioration des conditions de scolarité et de santé, un développement de la production agricole et forestière, du commerce, des constructions et de l’artisanat. «Mais c’est la production halieutique qui retiendra toujours le rôle principal » (ibid.).

51 | P a g e

Le statut d’ouvrage internationnal de Manantali a interpellé des chercheurs en sciences juridiques. S. Ba (1995) fait savoir que la convention sur le statut du fleuve du 11 mars 1972 permet de voir les obligations de partage, d’équité et d’information entre les pays. il dit que «le barrage de Manantali a un statut juridique particulier. Les problèmes que suscite l’analyse de son statut sont autant complexes que variés. Il s’agit de problèmes spécifiques relatifs à la copropriété du barrage lui-même, des terrains et des eaux» (BA , 1995). F. Conac (1995) nous a également permis de voir la dimension juridique du fleuve Sénégal et du barrage de Manantali. B. Diagne (2004) relate l’historique de l’OMVS et d’autres organismes. Il fait une description de Manantali sur le plan technique et physique.

En prenant en compte le lac que le barrage a créé, des chercheurs maliens en archéologie et en science de la terre, dont Sokona (1981) ; Konateé (1986) et Sanogo (1991), font respectivement une étude de la capacité́ du réservoir de Manantali, des recherches archéologiques dans la zone du barrage de Manantali et un inventaire dans la zone de retenue du barrage. La question des débits et du régime hydrologique a été déjà posée par Bader et al., (1997 et 2003), qui s’intéressent à l'impact du barrage de Manantali sur le régime hydrologique du Sénégal spécialement au niveau de Bakel. D’autre part, A. Adams (1997), s’est intéressé à la gestion du barrage de Manantali et à l’impact du projet énergie sur la crue en aval du fleuve. Il a souligné que la surface cultivable en décrue diminue, et s’interroge sur le fait que rien n’est prévu pour régénérer les pâturages de décrue, la nappe phréatique, les ressources forestières, ni les zones de vie et de reproduction de poissons supprimés par le barrage.

J’ai porté plus d’attention aux interrogations des chercheurs14 historiens, des géographes, ou des économistes qui ont réfléchi à l’organisation de la pêche en amont du barrage sous multiples formes (peuplement de poissons, techniques et outils, commercialisation…) ainsi que sur le déplacement des populations et la réorganisation du nouveau territoire, où cohabitent désormais autochtones et allochtones (Koenig, 1987 ; Grimm, 1988 ; Samaké et al., 1998 ; Horowitz et al., 1990; Koenig et al., 1998). « La construction du barrage de Manantali dans le cadre de l’organisation pour la mise en

14 MAIGA, (1995), ALHOUSSEINI et al., 1999, ORANGE, et al., (2002), et KANTOUSSAN et al., (2007)). 52 | P a g e valeur du fleuve Sénégal (OMVS) a provoqué en 1986 et 1987 le déplacement de 10 000 habitants de la vallée du fleuve Bafing au Mali » (KOENIG, DIARRA, 1998). Cette réinstallation, financée par l’USAID est suivie par des planificateurs qui ont érigé en priorité l’accès aux ressources économiques, plus particulièrement aux terres agricoles.

Malgré ces efforts, le problème foncier reste un aspect crucial de développement dans la vie des populations. Ayant assisté au processus de déplacement et participé aux travaux du Programme de Réinstallation de Manantali (PRM), D. Tangara (1998) écrit une thèse de doctorat portant sur le thème : « les défis du développement régional et la dynamique des politiques d'aménagement du bassin du fleuve Sénégal : l'OMVS (Mali-Mauritanie-Sénégal) et le barrage de Manantali dans la vallée du Bafing (Mali) ». Dans son travail, il revient principalement sur les problèmes de la réinstallation. C. Piffaretti (2001) continue cette analyse du rapport entre les grands barrages et les populations en prenant aussi comme exemple le barrage de Manantali. Certains auteurs vont même jusqu’à tirer des bilans de l’après barrage : E.M. Ndiaye (2001). Son article montre les impacts du barrage de Manantali et de Diama sur les activités socioéconomiques et sur le foncier de la vallée du fleuve Sénégal. Enfin, la Banque Allemande de Développement, la Banque Européenne d’Investissement et l’Agence Françaises de Développement (KfW Banque allemande de développement et al.), (2008), font le bilan des impacts négatifs et positifs du barrage de Manantali. Ils mettent l’accent sur le mérite de l’OMVS d’avoir réussi le pari de l’intégration régionale autour du fleuve Sénégal. « En tant qu’organisation supranationale, l’OMVS a également exercé un impact positif en initiant et en entretenant la coopération régionale et l’intégration de ses trois pays membres. Le dialogue politique ainsi institutionnalisé est une composante essentielle de la coopération transfrontalière. Mais de toute évidence, l’impact de la structure de l’OMVS sur la coopération transfrontalière ne peut pas compenser les déficiences identifiées au niveau de l’agriculture irriguée et de la production d’énergie » (KfW Banque allemande de développement et al., 2008).

D’une autre manière, M. Maiga (1995) avait fait des suggestions et donné des recommandations pour réussir cette intégration. Mais nous retrouvons dans l’analyse de Dansogo (2010) un résumé intéressant de la problématique des grands enjeux des barrages. Il évoque les impacts négatifs et positifs du barrage de Manantali dans les

53 | P a g e villages environnants, même s’il se limite à citer la pêche et les maladies hydriques sans approfondir ces questions. Nous avons par ailleurs exploité les nombreux rapports et études d’impacts du barrage réalisés par les consultants et autres experts de l’OMVS des années 1970 et 1980 pour connaître l’environnement physique de la zone du barrage.

Je ne considère pas que cette liste d’études liées au barrage de Manantali soit exhaustive et révélatrice de tous les résultats spécifiques à chacune d’entre elles. L’objectif est de mettre en exergue les différents thèmes abordés dans différents champs d’étude et spécialement en géographie, afin d’éviter de traiter des questions déjà abordées et pour montrer l’apport supplémentaire que peut constituer cette recherche. La critique principale aux études recensées est le manque de considérations des avis des populations qui subissent ces impacts du barrage et qui vivent au quotidien ou non avec cet ouvrage depuis plus de 25 ans. Suite à ces recherches, quel est l’intérêt d’une autre étude sur les impacts de barrages hydroélectriques?

3.1. Les perturbations causées par l’implantation du barrage de Manantali Lors de la construction du barrage, 33 villages regroupant 10 000 personnes environ, sont déplacés et réinstallés dans la partie avale proche. Au même moment, des allochtones15 s’installent dans les campements de pêche autour du lac. Dans son rôle, le barrage fournit de l’électricité aux villes du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie. Pourtant, dans sa zone environnante, seuls deux villages sont électrifiés. En outre, il crée une inégalité socio-spatiale importante dans le village de Manantali. Des travailleurs étrangers16 vivent dans des cités à côté des quartiers des autochtones17 du Bafing. L’installation des bureaux et de tous ces travailleurs de la société d’exploitation transforme le village de Manantali en une sorte de « centre-rural ». Ce dernier se différentie essentiellement des autres villages et campements environnants.

Le bouleversement des villages environnants, à cette période, reste encore perceptible par les habitants. « Ces populations restent vulnérables à la pauvreté

15 Les habitants des campements originaires des autres régions du Mali. 16 Travailleurs qui viennent de l’extérieur du Mali. 17 Les habitants originaires de la région de Kayes. 54 | P a g e compte tenu des contraintes économiques imposées par les zones de déplacement (exigüité des terres arables, absence d’activités génératrices de revenus, etc.) en somme ces populations bénéficient moins des barrages que celles qui n’en ont pas subi les impacts directs » (SKINNER et al., 2009).

Face aux perturbations des conditions socio-économiques, les apports de la société d’exploitation, dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises, sont considérés comme des droits par les habitants. Les villages anciens multiplient des demandes de dons, tandis que les villages déplacés continuent à espérer la concrétisation des promesses faites lors de la construction.

La cohabitation entre tous ces villages devient difficile en raison d’une insuffisance de terres agricoles. Ce phénomène s’aggrave par l’abandon massif des périmètres irrigués, pour des raisons techniques. Cela entraîne des incompréhensions entre la société de gestion des périmètres et les autochtones qui se sentent incompris.

Les effets du barrage ont été déjà étudiés avant sa construction, pendant et après la mise en eau. Toutefois, la lecture des habitants qui subissent ces impacts n’est pas souvent mise en exergue. De plus, le manque de prise en compte des facteurs influençant la spécification des impacts d’un barrage est une limite. Par conséquent, les programmes mis en place pour éradiquer les effets négatifs n’atteignent pas tous les objectifs.

Les mesures d’accompagnement de l’OMVS et de la société d’exploitation se traduisent par des programmes internationaux ou des aides ponctuelles. Parmi ces derniers, le programme de lutte contre les impacts négatifs comme le projet GEF18/Bassin du fleuve Sénégal, le Programme de Gestion Intégrée des Ressources en Eau et de développement des usages multiples (PGIRE), et des politiques d’intégration des populations vivant dans l’emprise du bassin (les comités).

Certes, les habitants qui sont souvent les premières cibles profitent de ces programmes ponctuels. Mais par la suite, les manifestions d’intérêt portés à l’ouvrage international comme Manantali restent faibles. Dans la zone d’étude, une tendance au

18 Gestion des ressources en eau et de l’environnement du bassin du fleuve Sénégal 55 | P a g e départ s’est développée. Là encore, malgré les programmes d’aide au développement de la pêche, à l’agriculture et les aides financières, des habitants de plus en plus jeunes migrent vers les sites miniers du Mali et vers la frontière sénégalaise. On peut dès lors se demander si la zone du barrage n’a pas atteint une fin de cycle d’attraction. Dans ce contexte, la connaissance des représentations sociales des impacts semble intéressante.

Cette thèse s’inscrit dans cette nouvelle approche des grands barrages qui consiste à mettre le volet social, les habitants, au cœur de l’étude. Le principal objet de cette étude est l’étude des impacts du barrage de Manantali sur l’organisation socio- spatiale et physique des territoires riverains. L’entrée par une lecture des représentations sociales, consensuelles comme conflictuelles, par les habitants et les différents acteurs, est privilégiée. La finalité est donc de participer à la production de connaissances sur l’approche sociale des grands barrages hydroélectriques de l’OMVS. 4. Haut bassin au Mali : le lieu de l’étude Les pays riverains du fleuve Sénégal (Carte 4) ont mis en place trois barrages : Diama, Manantali et Félou. Ces barrages entrent dans le cadre d’un programme ambitieux d’exploitation des ressources en eaux par l’OMVS. Elle est composée de la Guinée, du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal. La création de l’OMVS, « intervient dans un contexte de graves péjorations climatiques, marquées par une sécheresse persistante et sévère qui dévaste toute la vallée. Cycles de sécheresse, dégradation des ressources naturelles, cultures sous pluies et de décrue compromises entrainent l’appauvrissement des populations et une forte émigration des jeunes. À cela s’ajoute la remontée de la langue salée sur près de 250 km, rendant les terres impropres à la culture19 ».

19 http://www.portail-omvs.org/presentation/historique/historique 56 | P a g e

Carte 4 : bassin du fleuve Sénégal et les pays de l’OMVS.

Les terrains étudiés se situent dans le Haut bassin au Mali. Selon M. Maiga, «le bassin versant du fleuve Sénégal (BFS) s’étend, du Sud au Nord, sur les territoires des républiques de Guinée, du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie. Il va de 10°20’ à 17°N et de 7° à 12°20’ W. Ce bassin a été délimité par Rochette en 1974. Du point de vue topographie, le BFS se situe sur les massifs du Fouta-Djalon (1445 m) au sud et les étendues dunaires du Nord, en Mauritanie et au Sénégal. Le Bafing, 18 672 km², représente environ 60% des apports du fleuve Sénégal. Dans ses 100 premiers kilomètres, il a une pente qui dépasse 5 m/km. Après 300 kilomètres environ de parcours, il entre en territoire malien servant de frontière entre les deux pays sur une longueur de 60 km (MAÏGA, 1995).

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Carte 5 : Haut-bassin du bassin du fleuve Sénégal situé au Mali.

Le Haut bassin au Mali du couvre une superficie de 155 000 km2 environ, soit 53,6% du bassin total, qui est estimé à plus de 289 000 km2 selon l’OMVS. Elle occupe 12,5% de la superficie du Mali, avec une population de 3 424 772 habitants environ. Elle s’étale entièrement sur la région administrative de Kayes et sur une portion de celle de Koulikoro à l’Est (Carte 5). Le lieu de l’étude fait partie de la zone d’action de l’OMVS. Cette organisation participe à l’aménagement de cette zone qui ne dépend plus seulement du Mali. La construction de routes, les campagnes de dons, l’électrification rurale et l’aménagement de périmètres irrigués constituent des mesures d’accompagnement du barrage de Manantali.

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Carte 6 : localisation des 8 villages et les 25 campements étudiés

Les huit villages et les vingt-cinq campements, nommés la zone d’étude, se situent essentiellement dans deux communes (Carte 6). Il s’agit des communes de Bamafélé et celle de Diokéli. La première abrite le barrage dans le village de Manantali. La seconde a accueilli 18 des 33 villages déplacés. De ce fait, les terrains d’études se trouvent dans une aire tampon comprise entre 3 et 50 km du barrage (Carte 7). Le choix d’interroger des acteurs de structures administratives de Kayes et de Bamako a été fait. « L’acteur n’est pas une personne en général, c’est une personne qui agit. Ce peut être une réalité plus large, une instance ou une organisation (groupe social) », « le statut d’acteur relève plus d’une posture, d’un comportement et d’une volonté, d’une intentionnalité associée à une position plus ou moins stratégique dans le complexe territorial, à différentes échelles, que d’une fonction clairement définie et établie» (DI MEO, 2008). Cette définition aide à comprendre l’utilisation de ce mot tout au long de l’étude.

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Carte 7 : distance terrains d’étude par rapport au barrage

Dans la méthodologie de collecte des données, l’approche sociologique fournit des éléments de compréhension de la vie des habitants de la zone d’étude. Ils semblent être les personnes les mieux indiquées pour parler des bouleversements liés à l’implantation du barrage. Par une approche des trajectoires de commerce, ces habitants sont également interrogés sur les destinations des productions locales. Les résultats du dépouillement d’un premier travail ont mis en relief les relations commerciales de la zone d’étude avec les villes de la région de Kayes, et la capitale. À ces échelles, il a été donc décidé de mener des entretiens avec les acteurs politiques et administratifs. L’objectif était de déterminer les impacts dans leur domaine d’action d’une part, et la place du barrage dans leurs projets de développement d’autre part.

L’approche comparative entre les représentations des habitants ordinaires des localités riveraines d’une part, et entre les discours des acteurs d’autre part, met en

60 | P a g e exergue les différences et les similitudes. Concrètement, les bouleversements introduits par l’ouvrage ont été évalués à travers les variables retenues lors des enquêtes de terrain.

4.1. Difficultés rencontrées Les premières difficultés sont dues à l’éloignement du terrain d’étude, d’abord alors que j’étudiais à Saint-Louis, ensuite après mon inscription en thèse à Paris. Il a fallu me rendre au Mali, loin de mes « habitudes », et trouver des relais localement d’abord à Bamako, ensuite près du barrage.

Les contraintes budgétaires pour mes déplacement et séjours depuis le master ont également existé. Malgré les aides à la mobilité, j’ai déposé des demandes de subventions pour mes terrains.

Le changement d’orientation de la géographie physique (en Master), à la géographie sociale dans le cadre de cette thèse a nécessité une longue période de transition. Il a fallu m’accorder avec mon encadreur qui venait d’accepter un projet complétement orienté vers mes premières recherches de master.

Les recherches, en 2012 et en 2014, ont débuté par une présentation et une demande d’autorisation auprès des chefs villages choisis. Contrairement aux villages, l’accès en amont a été plus complexe. Il exige un déplacement en pirogue. L’autre élément de difficulté a été la barrière de la langue. Le bambara et le malinké sont les langues les plus parlées dans les villages. Or dans les campements, il s’agit principalement de la langue bozo. Cette situation a conduit à travailler avec deux interprètes. Ce qui augmente les risques d’erreurs lors de la traduction. Toutefois, la ressemblance de ma langue maternelle avec ces langues bambara et malinké a permis de relancer les questions en cas de doutes.

Par ailleurs, les femmes ont un statut spécial dans les villages et campements. Elles n’ont généralement pas le droit d’assister aux entretiens collectifs. Or l’objectif a été d’avoir également leurs opinions. Dans ce contexte, l’observation participante aide à mieux les comprendre. En fait, la participation à des activités domestiques ou les discussions dans les marchés ont aussi été l’occasion d’avoir des renseignements.

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Au niveau des régions de Kayes et de Bamako, les responsables des structures n’ont pas tous accepté l’enregistrement lors de l’entretien individuel. Ils donnent toutefois des explications très détaillées de l’organisation de leur structure et des problèmes rencontrés. Ces éléments ont été utilisés dans la rédaction afin de présenter le contexte régional. Lors de nos deux campagnes terrains, la situation de crise au Mali s’est fait plus sentir à Bamako. Ce contexte est rappelé par la présence des militaires dans la capitale. Dans la zone de l’étude, la sécurité a été renforcée au niveau du barrage. Toutefois, en dehors des conversations et les médias, elle ne s’est pas fait trop sentir dans le quotidien.

Au total, l’approche des impacts du barrage de Manantali par les représentations a permis de faire plusieurs enquêtes et a laissé entendre plusieurs discours. Le plus difficile par la suite a été de transporter tous ces questionnaires, et de faire le choix de ce qu’il faut garder des discours. Comment analyser et exposer les bonnes informations sans s’écarter de la pertinence des discours entendus? De plus, chaque personne interrogée a répondu en fonction de ses connaissances. Les réponses individuelles et collectives sont donc utilisées pour appuyer nos analyses.

PLAN DE REDACTION

La première partie propose de présenter la méthodologie de recherche utilisée dans ce travail. Je reviendrai sur le déroulement du pré-terrain, des deux campagnes terrains en 2012 et en 2014 ; puis l’explication des méthodes de traitement des données collectées. Je présenterai par la suite le modèle de gestion du bassin transfrontalier du fleuve Sénégal par l’OMVS et les enjeux d’implantation du barrage de Manantali dans le Haut bassin au Mali. Je terminerai cette partie par l’analyse des impacts du barrage de Manantali sur l’environnement physique du lieu d’étude.

La seconde partie est l’occasion de montrer les conditions de construction des représentations sociales des impacts du barrage de Manantali. En d’autres termes, l’analyse y porte sur les différentes formes de manifestations à travers les conditions sociales, spatiales des territoires riverains. Dans cette partie apparaît la particularité

62 | P a g e des changements profonds subis par les villages et l’émergence des campements de pêche. Des inégalités d’accès aux services introduites par le barrage seront analysées dans un quatrième chapitre.

Quant à la dernière partie, elle montre les effets du barrage sur les activités économiques et les territorialités qui en découlent. Puis, une lecture spatiale des représentations sociales des impacts, des habitants ordinaires et des acteurs interrogés, est faite. En prenant en compte les résultats les connaissances des gestionnaires, on remarque des sentiments d’appropriation ou de rejet de l’ouvrage. Les derniers paragraphes indiqueront les attentes exprimées et leurs correspondances probables avec les formes de représentations.

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PREMIERE PARTIE

LES ENJEUX DE L’EXPLOITATION DU FLEUVE SENEGAL PAR L’OMVS : L’IMPLANTATION DU BARRAGE DE MANANTALI

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CHAPITRE I

METHODOLOGIE DE RECHERCHE, ENJEUX DE L’IMPLANTATION DU BARRAGE DE MANANTALI SUR LE FLEUVE SENEGAL PAR L’OMVS

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Les différents séjours sur le terrain ont permis d’allier plusieurs méthodes de recherche : l’observation participante, l’enquête, l’entretien individuel et l’entretien collectif. L’objectif était de collecter des données qualitatives, quantitatives et cartographiques. Cette collecte de données devait me fournir le plus d’informations possible sur l’organisation et le fonctionnement du lieu d’étude.

Plus spécifiquement, l’objectif était de déterminer la nature des impacts du barrage de Manantali selon les habitants ordinaires et les acteurs, mais également les stratégies qu’ils développaient pour répondre à chaque contrainte ou encore les attentes qu’ils en avaient afin de l’exploiter au mieux. Il était donc important, selon moi, de comprendre l’histoire, la culture, le mode de vie ainsi que les relations sociales et économiques, par la méthode de l’enquête, qui se sont modifiées du fait de la construction du barrage.

Les entretiens individuels et collectifs avaient en plus pour objectif de définir le niveau d’implication des acteurs. L’idée était de voir comment ils utilisent et se projettent avec cet ouvrage qui touche directement ou indirectement leurs domaines d’action. Cette étude a donc permis de mener des recherches dans les campements de pêche et dans les villages. Elle a aussi permis de comprendre les multiples interactions créées ou renforcées par l’utilisation de l’ouvrage, entre ces localités riveraines du barrage et les marchés aux échelles régionale et nationale.

Dans ce chapitre, j’exposerai d’abord le déroulement de mes recherches sur le terrain en 2012 et en 2014 ; les méthodes de collectes de données ; les méthodes utilisées pour le choix des zones à étudier et des personnes à interroger ; et les méthodes de traitement des données collectées.

Ensuite, je chercherai à montrer les enjeux de l’exploitation du bassin du fleuve Sénégal par les pays riverains membres de L’OMVS. Il s’agira de revenir sur les politiques et le fonctionnement de cet organisme international créé à la suite de nombreuses tentatives d’aménagement de ce bassin commun. J’aborderai le barrage de Manantali en montrant les différentes phases du projet à la réalisation, permettant de mesurer les impacts qu’il va introduire dans la zone du Bafing.

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I. METHODOLOGIE DE RECHERCHE L’intérêt porté sur l’étude des impacts du barrage de Manantali date de mon année de Master 1. En effet, c’est dans ce cadre que j’ai effectué, en 2009, un stage20 de quatre mois au sein de l’entreprise Eskom Energie Manantali s.a (société d’exploitation du barrage jusqu’en juin 2014). Ce stage m’a permis de collecter des informations sur les méthodes de suivi d’un lac et de la partie du cours d’eau en aval (mesures des paramètres de la qualité de l’eau, comptage et classification des poissons, analyse de la structure de la qualité de l’eau par rapport à la localisation au barrage). Cette expérience a mené à la rédaction de mon mémoire de Master 2 intitulé « état des ressources en eau dans le Haut bassin du fleuve Sénégal : approche limnologique ». Ce stage a donc été l’occasion d’un premier contact avec la région du Haut bassin du fleuve Sénégal au Mali. Dans le cadre de la thèse, j’ai choisi de continuer à m’intéresser aux impacts du barrage de Manantali mais en mettant, cette fois-ci, les habitants ordinaires et les acteurs du lieu de l’étude au cœur de ma recherche. 1. Pré-terrain Afin de connaître la nature des recherches déjà menées sur le barrage de Manantali, et avant de partir sur le terrain, j’ai commencé par effectuer un examen des thèmes abordés. En France, j’ai pu consulter des ouvrages généraux, des thèses, des rapports, des articles, des revues et des films documentaires. Il ressort de cette première approche qu’il existe d’ores et déjà de nombreuses études sur les impacts de différents barrages dans le monde. Les études sur les parties du Delta et de la Vallée du fleuve Sénégal sont en plus grand nombre que celles sur le Haut bassin21 du fleuve Sénégal au Mali. Les informations les plus détaillées que j’ai pu trouver sur l’histoire de la zone étudiée, avant et pendant la construction, et sur le barrage lui-même, ont

20 Le statut de stagiaire m’a permis de travailler avec la chef du Service Santé Sécurité Environnement (SSSE), d’avoir un accès à tous les services, et de travailler avec un agent limnologue. 21 Le Haut bassin du fleuve Sénégal au Mali a été pris en compte dès le début du processus d’aménagement du fleuve, mais les chercheurs se sont plus intéressés au delta et à la vallée, sans doute plus accessibles. Des récits de voyage, ou de l’histoire des peuples donnent une certaine image du Haut Bassin (Ricard, F.P., 1865 ; Fallot, E., 1884 ; Gaffarel, P., 1888 ; Brosselard-Faidherbe, H.F., 1891). Des chercheurs se sont intéressés à la géomorphologie, à l’hydrologie du bassin, avec une description détaillée des caractéristiques physiques du bassin sans prendre en compte les composantes humaines (Michel, P., 1969 ; Rochette, C., 1974 ; Saint-Martin, J.Y., 1989, Orange, D., 1992), Caponera, D.A., 1973, s’intéresse aux droits de l’eau dans plusieurs pays notamment le Mali, la Mauritanie et le Sénégal.

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été récoltées plus tard lors de mon premier terrain, au centre de documentation de Manantali.

En juin 2012, j’ai effectué un séjour au Sénégal. Au début, mon ambition était de travailler sur l’ensemble du Haut bassin du fleuve Sénégal (en Guinée, au Mali, en Mauritanie et au Sénégal). J’ai donc fait des pré-entretiens à Saint-Louis auprès de la direction régionale de l’hydraulique, de la Société Nationale d'Aménagement et d'Exploitation des Terres du Delta (SAED), des Eaux et forêts, du centre de documentation de l’OMVS et auprès d’un responsable d’ONG qui travaille sur la réutilisation des typhas comme ressource énergétique dans le Delta. Lors de ces premiers entretiens, je visais trois objectifs : d’abord, à travers un questionnaire commun, identifier les manifestations des impacts du barrage de Manantali à l’échelle internationale ; ensuite, élaborer un guide afin d’améliorer les entretiens avec les acteurs prochainement interrogés dans le Haut bassin ; enfin, se faire une idée de la structuration de la base documentaire et obtenir des documents sur l’OMVS et le barrage de Manantali. Même si tous les acteurs cités ont bien voulu me recevoir, ils étaient tous affirmatifs sur le fait qu’à cette échelle les effets du barrage de Diama étaient les plus visibles. J’ai donc très vite eu l’impression de perdre mon temps. Cependant, ces entretiens ont permis de saisir les limites intrinsèques à mon guide d’entretien (trop long, questions imprécises, trop vagues). Il sera par la suite retravaillé lors de mon stage au Haut-Commissariat de l’OMVS.

J’ai pu avoir un statut de stagiaire au Haut-Commissariat de l’OMVS, plus précisément à la Direction de l'Environnement et du Développement Durable (DEDD- Haut-Commissariat). Ce statut m’a permis d’accéder facilement aux différents experts de l’OMVS. Mon objectif était, dès le début, d’essayer d’obtenir des données cartographiques (selon les bases de données de l’OMVS sur la zone) et de faire des entretiens avec les gestionnaires du barrage. Il s’agissait également de mieux connaître les programmes et projets de lutte contre les impacts négatifs de l’infrastructure, d’obtenir des informations sur les structures administratives partenaires au Mali et de comprendre le fonctionnement interne de l’organisation. Ce temps passé au sein de cette structure m’a permis de : bénéficier d’une formation en étude d’impact environnemental dispensée aux experts de l’OMVS par une société canadienne, SNC-

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Lavalin, de décrocher des lettres de recommandation pour les partenaires au Mali, de me procurer des contacts dans les Etats-membres (contacts politiques et institutionnels) et des points focaux dans tous ces pays, ainsi que des données qualitatives (SDAGE22, PGIRE23, projets de barrages futurs) et cartographiques.

Ce stage a donc été l’occasion d’échanges avec des agents de l’OMVS. Dans le cadre de ces entretiens, j’ai pris conscience de l’immense superficie du Haut bassin situé sur quatre pays - et du budget et du temps nécessaires pour un travail à cette échelle. Je me suis également rendue compte des difficultés inhérentes à ce projet, qui plus est dans un contexte de thèse sans financement. Malgré ces avertissements, j’ai persisté dans cette voie mais j’ai, cette fois-ci, préféré partir de l’échelle locale. 2. Déroulement des deux campagnes terrains Je suis retournée au Mali entre juin et septembre 2012 et j’ai continué mes échanges avec les experts, notamment ceux de la Société de Gestion de l'Energie de Manantali (SOGEM). J’ai souhaité rencontrer ceux qui étaient présents lors de la construction du barrage, comme le représentant de la SOGEM à Manantali. Ces rencontres m’ont aidé à comprendre la phase de montage du projet de barrage, le déroulement des travaux, le coût des travaux, l’organisation et les liens de cette société avec celle chargée de l’exploitation à l’échelle locale. Avant de me rendre à ce niveau, j’ai procédé à des entretiens individuels à Bamako avec des responsables de la cellule de l’OMVS afin d’analyser le rôle de cette cellule et son fonctionnement au Mali. J’ai également essayé de prendre des rendez-vous avec des responsables de certains services administratifs nationaux qui figuraient sur la liste des partenaires obtenue auprès du Haut- Commissariat à Dakar. On peut citer la Direction nationale de l’énergie, la Direction de l’hydraulique, la Direction de la statistique, ou encore celle de la santé. L’objectif était d’étudier la place qu’occupe le barrage dans ces secteurs et dans les politiques nationales, et d’obtenir des statistiques sur la zone. Certains services, tels que la santé et les statistiques, ont refusé de me recevoir.

22 Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion de l'Eau de l’OMVS. 23 Projet de gestion intégrée des ressources en eau et de développement des usages multiples dans le bassin du fleuve Sénégal. 70 | P a g e

Dans la zone du barrage, j’ai obtenu le statut de stagiaire chez Eskom Energie Manantali s.a, ancienne société d’exploitation du barrage, au sein de la section limnologie du Service Sureté Sécurité Environnement (SSSE). Ce statut m’a facilité l’accès aux bureaux, aux documents et aux agents, mais également au barrage, très protégé (particulièrement avec la situation de crise au Mali). Il a surtout permis la prise en charge de l’hébergement, et du transport par la société. Celle-ci a aussi accepté de m’octroyer, suite à une demande, une première subvention de 705 000 FCFA, pour pouvoir payer des enquêteurs (8) lors du premier terrain, et une seconde de 350 000 FCFA lors du second terrain qui couvre les frais de séjour dans la région de Kayes pour les entretiens avec les acteurs régionaux. En contrepartie, la société exigeait des justificatifs de dépenses, la rédaction de lettres de motivation, des lettres de demande de stage et des lettres de demande de financement. À la fin de chaque terrain de recherches, il a fallu déposer un rapport de stage. J’ai enfin réalisé un court métrage de 33 mn intitulé «Remise de don Eskom 2014 », déposé aux ressources humaines à Manantali.

Dans le même temps, j’ai pu collecter des données hydrologiques des stations (de 1903 à 2013), des données limnologiques (de 1989 à 2013), des données de la section ligne (liste des villages sous les lignes à haute tension), des données sur la santé à l’hôpital de Manantali, des documents auprès des élus locaux, et accéder à divers autres documents, notamment des rapports établis avant et pendant la construction du barrage. Avant de commencer mes enquêtes et les entretiens proprement dits, j’ai testé les questionnaires et les guides d’entretien auprès de certains agents et habitants ordinaires choisis au hasard. Le but était de mesurer, sur place, la durée de l’interview, de vérifier la pertinence de chaque question. Le questionnaire a ainsi été corrigé en tenant compte des critiques des personnes interrogées.

Je suis retournée à Manantali entre mai et juin 2014 afin de procéder à des entretiens collectifs dans les huit villages où j’avais déjà enquêté en 2012. Ce terrain a été l’occasion de compléter les entretiens individuels à l’échelle locale et dans la ville de Kayes. Lors des deux terrains les méthodes de l’observation participante, de l’enquête, de l’entretien individuel et de l’entretien collectif ont été utilisées.

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2.1. L’observation participante L’observation participante a commencé par une prise en compte de toutes les réalités visibles du terrain. Depuis Bamako, j’ai remarqué une diversité de paysages (Planche photo 1), la présence importante de femmes dans les champs, la mauvaise qualité de la route qui rendait l’accès au barrage de Manantali difficile.

Planche Photos 1 : paysage de la zone du barrage de Manantali, (réalisation, C. Cissé)

En aval proche, je me suis installée dans le village de Manantali. Ce village se situe à cinq kilomètres du barrage. Il est traversé par la route principale Mahina- Manantali, longue de 80 kilomètres, et la route Manantali-Tambagan, de 105 kilomètres environ, en direction de Bamako. Mon installation à Manantali a facilité l’accès aux autres villages. Au début, je m’intéressais beaucoup à tous les éléments (type d’habitat, localisation des quartiers, des champs cultivés, des lieux de culte, des écoles, des lieux de loisirs et des moyens de transports). J’ai vite remarqué la modification rapide de l’environnement du village de Manantali entre 2009 et 2014. Il fut d’abord un village propre, avec une séparation nette entre les quatre parties qui le composaient : le barrage et les locaux administratifs de l’Eskom, la cité ouvrière, le

72 | P a g e vieux village de Manantali et la cité des cadres. Il est ensuite devenu un village «moins organisé». Les rues sont devenues sales avec par exemple des sacs plastiques le long de la route principale. Les maisons en paille se sont transformées en maisons en dur avec étages.

Pendant mes séjours sur le terrain, j’ai pu observer le déroulement du quotidien, et j’ai parfois accepté les invitations de repas en famille pour être au plus près des habitants et faciliter mon intégration. Mes différentes familles d’accueil m’ont de temps en temps autorisé à participer aux activités quotidiennes telles que préparer le repas, aller au marché et aux champs ou simplement discuter autour du thé. Ces moments étaient importants pour comprendre les discours concernant les allochtones, ou les étrangers venus avec le barrage. Ma compréhension de quelques mots de certaines langues locales m’a permis d’approcher certains habitants, tandis que les discussions plus approfondies ont nécessité une traduction en wolof, par mes familles d’accueil, ou en français.

2.1.1. Les enregistrements vidéo et l’observation spatiale Alors que des vidéos ont fait l’objet d’un film documentaire, les tracés et la prise de points GPS montrent mes trajets sur les terrains d’étude (Carte 8). Des informations sur la localisation géographique des campements par rapport au lac ont été créées. La distance entre chaque campement et le lac est mesurée et chronométrée par le GPS. Ce même travail de localisation a été repris dans tous les villages et villes visités (Carte 9). En outre, des images satellites ont été utilisées pour faire une comparaison de la zone de Manantali avant le barrage24 et après en montrant l’occupation de l’espace par un réservoir d’eau la construction25. Un ensemble de données cartographiques a été recueilli auprès des experts en système d'information géographique du Haut- Commissariat de l’OMVS. Il s’agissait d’informations sur le bassin du fleuve Sénégal, les stations hydrométriques, les routes, les villages. Ces renseignements ont été

24 cf. Photo "la zone de Manantali avant le barrage" provenant du site internet de la NASA http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=36241, Acquired January 31, 1978 download large image (4 MB, JPEG, 1579x1ction 579) 25cf. Photo : "la zone de Manantali après le barrage : création de lac artificiel". http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=36241, Acquired March 24, 2003 download large image (5 MB, JPEG, 3000x3000). 73 | P a g e complétées par une recherche de fichiers vecteurs et rasters sur les sites internet de « Diva gis26 » et de « Natural Earth27 » à petite, moyenne ou grande échelle.

Carte 8: tracé général enregistré par le GPS entre Bamako et Kayes en passant par la zone du barrage

26 (http://www.diva-gis.org/) On trouve sur ce site des données pour tous les pays du monde et par secteurs (divisions administratives, altitudes, végétation, hydrographie, populations…) 27 http://www.naturalearthdata.com/ 74 | P a g e

Carte 9 : zoom sur le parcours dans la zone du barrage

J’ai par ailleurs cherché à obtenir des données cartographiques auprès de l’Institut Géographique du Mali (IGM) située dans la ville de Kayes. Ce dernier est sous la tutelle du Ministère de l’équipement, du transport et du désenclavement. Lors de mon entretien avec le directeur de l’IGM en mai 2014, j’ai appris que le décret créant l’IGM en 2000 lui a assigné la mission de mettre en œuvre la politique nationale en matière de cartographie et de cadastre. L’IGM est donc chargé de concevoir, d’établir et mettre à jour les cartes de base du territoire national. Il doit aussi protéger et entretenir les réseaux géologiques, faire un traitement des photographies aériennes et des images satellitaires, faire de la télédétection et de la topographie, participer aux travaux techniques et matériels de gestion des frontières, et enfin apporter son concours aux administrations et collectivités territoriales et aux organismes privés.

Toutefois, j’ai remarqué qu’au niveau de la région de Kayes l’IGM ne s’occupe que du foncier à travers la délimitation des lotissements, le contrôle des plans cadastraux et des dossiers effectués par des géomètres privés. Il est saisi par les domaines pour faire la topographie : « Nous faisons plus de la topographie et pas de la cartographie 28». Cette structure régionale n’a même pas les moyens d’imprimer les cartes et de les mettre à la disposition des populations. Lorsqu’une personne fait une commande de carte, cette dernière est envoyée au bureau principal de Bamako.

Dans la réalisation de sa mission, l’IGM tente de faire face à un problème de personnel, mais aussi à des difficultés liées aux textes sur le foncier. Selon le directeur, d’une part la délimitation des domaines n’est pas claire et, d’autre part, l’accaparement des terres empêche toutes les prévisions. Les confusions dans les textes font naître des conflits entre les experts géomètres et ceux de l’IGM. Les premiers affirment que, selon les textes, ils sont les seuls habilités à faire des lotissements alors que les seconds pensent aussi que cela fait partie de leurs prérogatives. Au cours de mon entretien, le responsable de l’IGM m’a fait comprendre que son objectif principal était de rendre plus lisibles ces différents textes : « nous aimerions bien être sollicités par l’OMVS pour effectuer des travaux dans notre domaine. Cela nous donnera du travail, une aide financière,

28 Extrait d’un entretien réalisé avec le directeur régional de l’IGM/Kayes, réalisé en mai 2014 75 | P a g e surtout avec la situation actuelle du Mali » (Idem). Je n’ai donc pas pu avoir des données à l’IGM mais d’autres entretiens individuels ont été effectués.

2.2. L’entretien individuel L’échantillon (cf. Annexe 4) se compose comme suit : au Sénégal (6), à Bamako (5), à Kayes (21), et dans les villages et campements (24). Au total 56 sujets ont été visités lors d’un entretien individuel direct.

Le guide d’entretien individuel (cf. Annexe 3) est constitué de questions sur l’organisation, les missions, les moyens, les difficultés, les échelles d’intervention, la nature des partenariats, la place du barrage, les programmes futurs, et les structures administratives. Il a permis d’interroger des responsables d'associations et de coopératives, des agents de la société d'exploitation, des représentants des collectivités locales, des représentants de l'État, des responsables des instances déconcentrées.

Les personnes interrogées ont été identifiées et contactées avec le soutien de mon maître de stage qui travaille dans la zone étudiée depuis 1988. Si certains ont accepté l’enregistrement de l’entretien, pour d’autres, cela n’a pas été possible. Le même guide d’entretien a été utilisé pour tous les entretiens réalisés dans le but de comparer les réponses lors de l’analyse des discours.

Parmi les acteurs rencontrés, figurait le gouverneur de Kayes. Cet entretien m’a permis de me procurer la liste de toutes les structures régionales et associations de Kayes. Parmi les différentes directions régionales, j’en ai sélectionné seize. Il était ensuite nécessaire de contacter chaque directeur par téléphone dans le but de solliciter un rendez-vous pour un entretien individuel, avec comme base le même guide d’entretien semi-directif que celui utilisé lors de la première campagne en 2012.

Je me suis donc entretenue avec les directeurs des structures que je considérais susceptibles d’être affectées par un tel ouvrage. À la fin de chaque entretien individuel, j’évoquais avec la personne interrogée la possibilité d’obtenir des données quantitatives et de la documentation qui pourraient appuyer l’analyse de son discours. C’est ainsi que j’ai pu récupérer les documents du Schéma régional d’aménagement du territoire (SRAT), le rapport table ronde et le schéma stratégique amélioré au conseil régional de Kayes. J’ai également eu l’opportunité d’écouter l’histoire de la

76 | P a g e région racontée par le président des griots et gardien du musée de Kayes (cf. Annexe thématique 1).

2.3. La méthode de l’enquête par questionnaires « Les enquêtes, les études qualitatives constituent des outils indispensables et souvent plus riches d’informations – y compris théoriques – pour la connaissance et l’analyse des représentations sociales» (ABRIC, 2003). Ces méthodes de l’enquête, de l’entretien semi-directif individuel, de l’entretien semi-directif collectif et de l’observation ont permis de recueillir des informations sur les conditions socio- économiques des habitants et sur leurs représentations de l’environnement d’évolution. Un questionnaire et des guides d’entretien collectif ou individuel ont été élaborés, et servi à collecter les données auprès des populations pour les besoins de l’approche comparative.

Le questionnaire (cf. Annexe 3) structuré autour de quatre thèmes. L’identification cherche à avoir des renseignements sur l’âge, l’appartenance ethnique, l’origine géographique, la date d’installation, les motivations, l’appartenance à une association.

Le second thème nommé commodités renseigne sur les services. L’objectif a été de savoir les inégalités d’accès à l’eau, à l’électricité, aux services de santé et d’éducation; l’identification des bénéficiaires de l’électricité du barrage, la cartographie des lieux fréquentés pour les soins de santé, et la scolarisation des jeunes enfants.

Le troisième axe traite des activités économiques des habitants : les activités principales et leur date de début, les activités secondaires, les lieux de commercialisation, la nature des productions vendues, la nature des imports, les moyens de transport, les difficultés rencontrées.

Le questionnaire s’achève par une collecte de renseignement sur les impacts du barrage et les attentes des interrogés. Cette dernière partie a été l’occasion de demander des explications sur le fonctionnement de la zone avant et pendant la construction. Les impacts négatifs et positifs, les stratégies développées, les sentiments par rapport au risque de rupture, les attentes ont été également questionnés.

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2.3.1. L’échantillon et le choix des villages L’enquête a porté sur échantillon de 1730 (cf. Annexe 4) personnes réparties dans les 9 villages choisis en aval du barrage, 25 campements de pêche en amont du barrage et sur des marchés à Kayes et à Bamako. Dans cet échantillon 281 questionnaires ont été écarté lors de l’analyse. Elle n’a pas pris en compte le neuvième village (abandonné à cause des nombreuses erreurs), et des marchés enquêtés (pour des raisons de calendrier).

Du fait de la tradition29, j’ai choisi d’interroger les chefs de ménages30. J’ai dû également sélectionner les maisons au hasard (méthode d’échantillonnage aléatoire) afin d’éviter d’avoir une méthode différente entre les gros villages, où je pouvais atteindre facilement l’échantillon, et les petits villages. Autrement dit, le but était d’avoir la même probabilité de choix et de pouvoir l’appliquer dans tous les villages et campements. Les chefs de ménage étant généralement des hommes, les chances d’avoir une femme et des jeunes s’annonçaient faibles. Ces derniers ne pouvaient parler qu’en l’absence du chef de ménage. Cette absence fréquente pendant la période de nos enquêtes, qui a coïncidé avec l’hivernage et donc les travaux champêtres, aura permis d’interroger des femmes de chefs de ménage et, en leur absence, des jeunes.

Le choix des neuf villages s’est fait selon trois critères : la localisation par rapport au fleuve et au barrage (rive gauche ou rive droite), le statut du village (déplacé ou ancien, chef-lieu de commune) et le lieu de marché hebdomadaire. Les villages de Manantali, Bakouroufata, Kondonia et de Diakhabba n’ont pas été déplacés. Cependant, les villages de Bamafélé, Diokéli, Sollo, Maréna et Goumbalan ont subi le phénomène de réinstallation (Carte 10). Il m’a paru intéressant de considérer des localités situées aussi bien en amont en qu’en aval.

Le village de Manantali a été choisi car il abrite le barrage éponyme. Les habitants de Bamafélé ont été interrogés puisque leur localité est le chef-lieu de commune. On retrouve à Bamafélé la mairie et la sous-préfecture. Les villages de

29 II faut toujours s’adresser au chef de ménage 30 « Est un individu ou un groupe d’individus apparentés ou non vivant à l’intérieur d’une concession sous l’autorité d’une personne appelée chef de ménage. Le ménage est constitué du chef de ménage, son ou ses épouses et leurs propres enfants non mariés, avec éventuellement d’autres personnes avec ou sans lien de parenté » (Institut national de la statistique, 2009) 78 | P a g e

Maréna et de Kondonia sont situés sur la rive gauche. Ils font également partie de la commune de Bamafélé et sont dans la zone d’aménagement des terres irrigables.

Carte 10 : distinction entre les villages déplacés et les villages anciens

Les villages étudiés se situent aussi sur les terres de la commune de Dioékli. C’est la deuxième commune qui a subi les effets du déplacement des populations lors de la construction. En plus, les villages de Diokéli et de Sollo accueillent des marchés hebdomadaires où les échanges sont très importants à l’échelle locale. Le village « religieux » de Diakhaba est le plus gros village de la commune de Diokéli. Il constitue un important site de pèlerinage. Les villages sont composés de groupes de concessions avec des ménages. Le manque de document indiquant la délimitation de chacun nous empêche d’en connaître les superficies. Cependant, l’habitat est généralement de type case en paille ou en banco. Les habitants les plus aisés construisent en dur. Les villages d’une même rive sont reliés par des pistes en terre.

2.3.2. La préparation des enquêtes et les statistiques À cause de la tradition, il était nécessaire, aussi bien en amont qu’en aval, de commencer le travail par un passage dans la cour du chef de village. Cette première

79 | P a g e rencontre était l’occasion de me présenter et de demander l’autorisation de faire des enquêtes dans sa localité.

Au regard de la taille de l’échantillon, j’ai choisi de travailler avec huit enquêteurs31. J’ai dû interroger 10% de la population de chaque localité étudiée. En amont, je me suis basée sur les statistiques32 des recensements de la cellule limnologique de 2012. Il a été plus difficile d’avoir des statistiques récentes pour les villages. Les données du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2009 ne devaient être publiées qu’en 201333. De ce fait, pour les villages de la commune de Bamafélé, la Mairie m’avait proposé des données des recensements de 2001. Dans la commune voisine de Diokéli, le maire a mis à ma disposition des données issues d’un recensement particulier du Recensement Administrative à Caractère d'Etat Civil (RAVEC34) de 2009. Face à cette différence de dates, j’ai préféré considérer les chiffres publiés officiellement en ligne par le Ministère de l’administration territoriale du Mali35. Selon ce ministère, le taux de croissance de la population malienne depuis 1998 s’élevait à 3,6% par an.

J’ai calculé 3.6%, qui est certes pour l’échelle nationale, de la population par localité et ceci dans le but de me laisser une marge pour éliminer les questionnaires incomplets ou mal renseignés. Ce n’est qu’à la fin de mon séjour que le Sous-préfet des communes de Bamafélé et de Diokéli, lors d’un entretien, m’a affirmé que le taux d’accroissement à l’échelle locale était estimé à 2,6% environ.

Lors de l’enquête, j’ai été hébergée par plusieurs familles de pêcheurs, après l’autorisation des chefs de campements. Je dormais dans la cour familiale, sous une tente. L’accès aux campements nécessitant des déplacements en pirogue, j’ai profité de la campagne de suivi des agents du SSSE en août 2012 pour faire des enquêtes auprès des habitants ordinaires de ces lieux. J’ai commencé par la rive gauche avec le

31 Le responsable de l’ADRS à Manantali m’a mis en contact avec deux agents de l’agence. L’équipe des enquêteurs est complétée par deux étudiants, le directeur de l’école de Manantali A, le chef service pêche, le chef service agriculture et enfin un lycéen en classe de terminale. 32 Données sur la démographie des campements de pêche. 33 http://www.instat-mali.org/index.php/2014-06-05-15-00-18/2014-10-23-11-38-30/demographie 34 Recensement administratif à vocation d’état civil 35http://www.primature.gov.ml/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=23&Itemid= 100088 80 | P a g e campement de Bakaina afin de faire le tour et de terminer avec Manantalidanga (campement de Manantali en langue bambara).

2.3.2.1. Le pré-dépouillement Après une première phase d’enquêtes à l’échelle locale, je me suis réservée un temps de dépouillement de quelques questionnaires de toutes les localités. Le but était de me renseigner sur les destinations des productions des habitants de Manantali et des localités environnantes. Les résultats ont montré que ces produits locaux étaient vendus dans les grandes villes de Kita, Mahina, Kayes mais aussi dans la capitale, Bamako. Une fois les destinations connues, j’ai fait des enquêtes auprès des commerçants de poissons et de produits agricoles, des grands marchés des villes citées plus haut, qui recevaient les produits locaux. J’ai choisi au hasard cinquante commerçants par ville.

2.3.3. L’entretien collectif En ce qui concerne l’entretien collectif, il s’est tenu avec les 8 chefs de villages (Planche photos 2) et les membres de leurs conseils36. Comme pour les enquêtes, j’ai commencé par prendre rendez-vous avec chaque chef. Cette phase de préparation des entretiens collectifs a été facilitée par un membre de la famille du chef du village de Manantali. Le début de l’entretien collectif dans chaque village était marqué par une présentation qui déclinait les raisons de ma visite. Cette présentation était suivie d’un don de noix de kola et de la remise d’une somme d’argent (entre 2500 et 5000 FCFA) au chef de village et à sa délégation. Ce geste est symbolique pour des raisons de tradition et montre au chef mon respect et mess bonnes intentions. Après avoir accepté nos dons, ils nous autorisaient à commencer la discussion.

36 J’ai commencé par les villages (Diakhaba, Sollo, Diokéli, Bamafélé) de la rive droite du plus loin au plus proche à l’exception de Manantali. Ensuite les chefs de village de la rive gauche (Goumbalan, Maréna et Kondonia) ont été rencontrés selon la même logique. 81 | P a g e

La Famille Sissoko, chefs de village de Manantali Les chefs de village de Bamafélé en 2012 et en 2014

Au village de Maréna Au village de Goumbalan

Au village de Kondonia

Au village de Sollo Au village de Diokéli

Au village de Diakhaba

Planche Photos 2 : lors des entretiens collectifs dans les villages, (réalisation, C. Cissé)

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L’entretien était guidé par un questionnaire semi-directif qui permettait d’avoir une suite dans les questions et de laisser la liberté aux personnes interrogées d’élargir leurs réponses. Dans le guide d’entretien collectif (cf. Annexe 3), les questions ont davantage porté sur l’histoire des terrains étudiés. Ces questionnements ont concerné l’étymologie, le fondateur du village, sa date de fondation, l’organisation des pouvoirs, l’accès au foncier, les impacts (négatifs et positifs), les attentes des populations. L’objectif a été de comprendre les changements intervenus à travers les discours. «C’est peut-être dans le discours public qu’on peut le mieux explorer les représentations sociales de la société ; les phénomènes qui posent problème créent des tensions et deviennent par conséquent sujets de débats. Si le chercheur veut étudier des faits sans rapports avec les préoccupations de la société ici et maintenant, il aura beau chercher, il ne trouvera pas de représentations sociales! » (MARKOVA, 2007).

Le nombre de personnes présentes lors des entretiens collectifs était variable selon les villages, les heures ou les circonstances (réunion déjà programmée, nombre de chefs de famille disponibles). Les groupes les plus importants ont été rencontrés dans les villages de Diakhaba et de Kondonia avec plus de 20 personnes. Le nombre était plus réduit dans les autres villages, entre cinq et dix hommes. Bien que j’eus souhaité avoir autant d’hommes que de femmes pour comparer les réponses, j’ai très vite compris, comme lors du premier terrain, que les femmes n’avaient pas le droit de participer à ces entretiens collectifs et cela dans aucun des neuf villages visités. L’analyse du discours des femmes et des jeunes (hommes et femmes de moins de 20 ans) ne sera faite qu’à travers les résultats de la méthode de l’enquête citée dans les lignes précédentes. Je me suis servie d’un dictaphone pour enregistrer les discussions lors des entretiens collectifs. La méthode de l’entretien collectif a donc été importante pour vérifier mes premières impressions sur les discours des habitants. 3. Traitement des données Les données de l’enquête, 1449 questionnaires effectivement exploités, ont été dépouillées sous le logiciel Sphinx. Elles ont été ensuite analysées par la méthode de l’Analyse des Correspondances Multiples (ACM), dans le logiciel Xlstat. La méthode de l’ACM a permis de dépasser mes premières analyses, trop détaillées, par village, de

83 | P a g e montrer les similitudes et les différences entre les réponses des habitants par variables retenues, d’avoir une vision d’ensemble des résultats.

Les modalités ont été recodés sous forme d’abréviations ou en groupes de mots plus simples. Dans le logiciel Xlstat, en cliquant sur l’onglet « Analyse des données » puis sur « ACM » une boite de dialogue s’ouvre. Dans la case « Tableau observations/variables », il est possible d’aller sélectionner les différentes réponses possibles dans le tableau Excel. En cochant l’onglet « Libellés des observations », on indique dans la case les colonnes à considérer. Une nouvelle boite de dialogue apparait après validation des choix. Le logiciel ne prend pas en compte les cases sans intitulé et les chiffres manquants. Il faut donc, dans ce cas de figure, s’assurer qu’on ait bien le même nombre de lignes et de colonnes et que toutes les cases soient bien renseignées. Dans le but de facilité la lecture des graphique, les 25 campements sont groupés et représentés par une seule ligne.

Les discours des acteurs issus des entretiens individuels et collectifs sont traités par la méthode de l’analyse factorielle des correspondances (AFC). « Un certain nombre de recherches ont été menées, dans le cadre de cette méthode d’analyse, sur différents objets de représentation sociale» (LO MONACO, GUIMELLI, 2008). Au final, les deux méthodes de traitement ont permis de réduire les difficultés de gestion des données collectées et de rendre leur présentation plus simple sous forme graphique, puis de cartes thématiques. Ces cartes mettent en exergue les types de manifestations des impacts du barrage de Manantali. Comme pour les tableaux, sur les cartes seuls les six campements les plus proches du barrage sont représentés.

Le barrage a été construit par l’OMVS qui a son mode de fonctionnement spécifique prenant en compte des accords d’exploitation commune du fleuve signés entre les quatre pays membres. Les derniers paragraphes de ce chapitre 1 reviennent sur la structure de cette organisation internationale, les enjeux d’exploitation du fleuve Sénégal depuis la période coloniale, mais aussi ceux de construction d’un grand barrage hydroélectrique comme Manantali. À la fin, l’analyse de l’organisation de la zone du Bafing avant l’implantation, et pendant la construction du barrage a été faite.

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II. L’OMVS ET LES ENJEUX DE L’IMPLANTATION DU BARRAGE DE MANANTALI SUR LE FLEUVE SENEGAL Le fleuve Sénégal joue le rôle d’unificateur pour les pays riverains. L’étendue de son bassin versant et son linéaire qui traverse plusieurs pays, du sud vers le nord, mettent en relation ces différents Etats. Selon Rochette (1974), « long de 1800 km, le fleuve Sénégal prend naissance dans le nord de la Guinée, traverse la partie occidentale du Mali, puis constitue, sur tout le reste de son parcours, la ligne de frontière entre les territoires de la République du Sénégal et de la République Islamique de Mauritanie » (ROCHETTE, 1974). Ce fleuve se divise en trois parties : le Haut bassin, la Vallée et le Delta. D’après Sambou (2009), « le bassin-versant du fleuve Sénégal à Bakel s’étend sur une superficie de 218 000 km2. Le Bafing et le Bakoye, tous deux provenant du territoire guinéen, se rencontrent près la ville de Bafoulabé pour former le fleuve Sénégal. Le réseau hydrographique est ensuite complété par quelques affluents de moindre importance en rive droite, le Karakoro et la Kolombiné, et par le plus important affluent rive gauche, la Falémé » (SAMBOU, 2009).

En 1972, les pays riverains (le Mali, la Mauritanie et le Sénégal) de ce fleuve en Afrique de l’Ouest (Carte 11) ont décidé de se réunir sous le nom de l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (OMVS) afin d’arriver à une exploitation commune des ressources en eau. Ces pays sont déjà liés par l’histoire politique et du peuplement.

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Carte 11 : pays de l’OMVS en Afrique de l’Ouest 1. Héritage commun : l’histoire politique et du peuplement Le bassin du fleuve Sénégal a longtemps fait partie des zones d’échanges en Afrique de l’Ouest. Selon Milet (2007), «L’empire du Ghana ou l’empire du «roi guerrier » a existé de 300 à 1240. Cet empire s’étendait sur le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Il fût le premier grand empire noir de l’Afrique de l’Ouest. Sa capitale Koumbi-Saleh a connu une grande prospérité grâce aux échanges commerciaux qui existaient entre le monde berbère au Nord et le pays malinké au Sud. Fondé au VIIIe siècle par les Soninkés de Nara, l’empire du Ghana atteint son apogée au XIe siècle, consécutivement à de nombreuses conquêtes militaires. C’est en grande partie grâce au commerce de l’or, dominé par le Kaya Maghan «maître de l’or», titre que l’empereur se donnait lui-même, que cet empire a pu asseoir sa souveraineté dans toute cette partie de l’Afrique » (MILET, 2007). L’auteur ajoute que l’empire était une société matriarcale, peuplé en majorité par les soninkés animistes. La hiérarchie sociale était marquée par la division entre les clans, les tribus, les castes, les nobles et les esclaves.

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En dehors du commerce, l’agriculture (agrumes, fruits, légumes, tubercules, mil, etc.) et l’élevage (caprins et bovins) étaient les activités principales. La forge et les mines ont également permis le développement économique de l’empire. Attirés par toute cette richesse, les almoravides, qui ont pris le pouvoir dans l’empire vers 1076 suite à une sécheresse qui a affaibli le royaume, tentaient d’imposer l’Islam.

Cette situation conduira à la dislocation de l’empire par les fuites des uns ou le détachement des autres. Selon l’auteur, «le pays, tout entier s’appauvrit, faisant le jeu des royaumes satellites… Ainsi celui de Sosso, moins de deux siècles après la prise de Koumbi- Saleh par les almoravides, s’empara du Ghana» (Ibid,). Le royaume Sosso fût à son tour dominé lors de la fameuse bataille de Kirina, en 1235, par Soundiata Keita le roi de l’empire du Mali qui était ainsi né dans une capitale du nom de Niani. Par la suite, le grand empire du Mali, peuplé par les Malinkés a connu un essor incroyable grâce à l’extradition de l’or et au trafic caravanier, c’est-à-dire auxéchanges commerciaux entre le Nord qui fournissait le sel, le cuivre, les tissus et les produits manufacturés et le Sud, d’où partaient les épices, l’ivoire, la kola et les esclaves. Au même moment, l’agriculture prospérait avec les cultures d’arachide et de coton. L’empire du Mali, voulant continuer à s’agrandir, sera affaibli par les multiples crises de pouvoir internes qui conduisirent à sa dislocation vers le XVIIe siècle. Par la suite, s’est installé dans la zone un autre royaume du nom de Khasso où cohabitaient les peuls, les soninkés, les malinkés, les bambaras et les maures.

La construction du fort de Médine en 1855 marque les premiers instants d’une nouvelle domination de la zone du Haut bassin au Mali par les colonisateurs. Ces derniers cherchaient à développer de nouveaux échanges commerciaux avec le ralliement des bassins du Sénégal et du Niger. L’installation du poste de Bafoulabé et la construction du chemin de fer à partir de Kayes marquent la volonté de pénétrer dans le pays vers Bamako et de rallier le lac Tchad. « Le chemin de fer Dakar- Bamako était un cordon ombilical entre le Sénégal et le Mali 37». Le Haut-Bassin au Mali a ensuite joué un rôle important dans l’histoire administrative du pays. Il abritait, au XIXe siècle (1892), la capitale du Soudan Français, à Kayes. Les bâtiments administratifs de Kayes

37 Extrait d’un entretien individuel avec le responsable du musée de la région de Kayes, réalisée en mai 2014 87 | P a g e ont été construits à cette époque : le logement du gouverneur, le gouvernorat, la mairie, des quartiers le long du fleuve, le commissariat, la gare, le camp militaire. La capitale fut transférée à Bamako en 1899. Malgré ce transfert Kayes est restée une zone de passage des migrants des pays voisins.

Les pays de l’OMVS étaient membre de la fédération de l’Afrique Occidentale Française (AOF) jusqu’en 1958. Puis, le Sénégal et Mali ancien soudan français ont été réunis dans le cadre de la Fédération du Mali. Les deux pays étaient parvenus à avoir un seul gouvernement avec comme capitale Dakar. Mais à cause des jeux politiques et d’intérêt la fédération s’est disloquée. Le Soudan est devenu le Mali qui a gardé le nom. Après l’indépendance dans les années 1960, les deux pays ont gardé la même devise et portent des drapeaux nationaux presque similaires.

En 1972, la création de l’OMVS a succédé à une phase de sécheresse qui a motivé les pays membres à maîtriser les eaux du fleuve Sénégal, mais auparavant de nombreuses tentatives d’aménagement du bassin ont existé dans le passé. 2. OMVS ou l’aboutissement de nombreux projets d’aménagement L’histoire de l’aménagement de ce fleuve est racontée dans l’ouvrage de M. Maiga (1995) intitulé Le bassin du fleuve Sénégal : De la traite négrière au développement sous-régional autocentré (Encadré 1).

Encadré 1: l’histoire de l’aménagement du fleuve Sénégal38 Pendant cette période du XIXe siècle, le mercantilisme fait place à la révolution industrielle, la traite négrière disparaît, l'économie de traite et l'exploitation minière s'imposent progressivement dans les pays dominés. Les pays d'Afrique, d’Asie et d’Amérique doivent fournir désormais des matières premières et des produits agricoles aux pays capitalistes européens. Ces exigences du capitalisme européen furent satisfaites par l'adaptation “spontanée” des sociétés africaines à la nouvelle division internationale du travail, puisqu'elles y avaient été préparées auparavant par le commerce atlantique et la traite négrière. La France tenta de faire du Waalo, au Sénégal, un pays de plantation (de coton, canne à sucre, tabac, etc.) dont les produits seraient exportés en France. C'est après avoir perdu Saint Domingue dont les esclaves proclamèrent la république en 1804, que la France se tourna vers le Sénégal pour compenser ses pertes en Amérique”. l. Le plan de Julien Schmaltz (1802 -1820) Un plan de colonisation agricole du Sénégal rédigé en 1802 par un auteur anonyme proposa que des cultures agricoles soient développées dans le bassin du fleuve Sénégal par l’emploi d’une main-d’œuvre servile. Plutôt que d’arracher la main-d’œuvre servile au Sénégal pour l’envoyer travailler aux Antilles, on se proposa désormais d’employer cette main-d’œuvre sur place : “avec l’île à Morphil comme centre (du plan de colonisation agricole), C’est une véritable Antille qui devait être transportée au milieu des terres,

38 Extrait de l’ouvrage de M.MAIGA (2000). 88 | P a g e

pour servir d’exemple au reste de l’Afrique. Un réseau de comptoirs s'y implantera pour alimenter le commerce de la France. Le plan de colonisation que Julien Schmaltz (premier administrateur du Sénégal après la reprise du Sénégal aux Anglais) proposé au gouvernement français fut adopté sans difficulté. Dagana, village situé sur la frontière entre le Delta et la Basse Vallée du Sénégal, fut choisi comme centre pilote de cette colonisation agricole qui rencontra dès le départ des difficultés d'application. En effet, dès juillet 1819 les Maures Trarza menacèrent le Waalo d’une part, les chefs du Fuuta revendiquèrent la propriété des terres de Dagana d’autre part. Devant ces difficultés, le gouvernement français recula; il réduisit les crédits alloués au plan de colonisation agricole pour l’exercice 1820, après avoir été considérablement influencé par les conclusions du rapport de 34-Cf.B.Barry, o.p.c..p. 226. Ce plan ne connut un début d'exécution qu'à partir de 1818 (remanié par Julien Schmaltz), car de 1809 à 1817, Saint- Louis fut à nouveau occupée par les Anglais qui y supprimèrent officiellement la traite négrière en 1807 et imposeront cette suppression aux autres pays d'Europe : c ‘est l'acte final du congrès de Vienne de juin 1815 et le traité de Paris de novembre 1815 qui rétrocédèrent le Sénégal à la France avec l'obligation d’y supprimer la traite négrière. (…) Le gouvernement français condamna le plan de colonisation de Schmaltz. Ce dernier rappelé en France en juillet 1820, le capitaine de Vaisseau Le Coupé de Monterau le remplaça au Sénégal avec ordre de mener une politique pacifique et neutraliste à l’égard des Maures Trarza et Brakna, et des Peul en leur payant des redevances annuelles. Mais incapable de mener cette politique, Le Coupé fut remplacé par Jean François Roger qui arriva à Saint-Louis le 28 février 1822. C’est de 1822 à 1827 que le baron Roger tenta d’exécuter le plan de colonisation agricole en mettant en place une politique agricole globale avec l’aide de nombreux agents agricoles. 2. Le plan du baron Roger (1822 - 1931) a) Pour entreprendre la recherche agronomique dans le Waalo, Roger créa en 1822 un jardin d'essai ou de naturalisation dont la direction fut confiée au jardinier Richard qui fut le pivot de la politique agricole de l’administrateur du Sénégal. (…) De l’aveu même de Roger, la colonisation agricole du bassin sénégalais traversa en 1826 une crise dans le passage de la culture extensive à la culture intensive, malgré la disponibilité de nombreux moyens techniques. Les raisons profondes de l’échec du plan de colonisation se situaient à quatre niveaux“. 1. la pression des peuples voisins du Waalo. 2. le problème des terres. Le traité de 1819 stipulait la cession en toute propriété et pour toujours des îles et de toutes les autres portions de terres du Waalo qui paraîtront convenables pour le présent et pour l’avenir, aux cultures. Cette clause qui, pour les autorités françaises, constituait un achat des terres du Waalo, était ambiguë, car la terre, au Kayor comme dans le Waalo, appartient au souverain à titre de représentant de la nation, il peut en concéder la jouissance, mais non la propriété telle que nous la comprenons en Europe, c’est-à-dire avec la faculté d’en disposer comme on l’entend, en d’autres termes de la vendre. La double interprétation contradictoire du traité de 1819 constituait la source des conflits entre les français qui se croyaient être les propriétaires effectifs des rares terres achetées et les habitants du Waalo - les Waalo-Waalo - pour qui le paiement des coutumes signifiait une simple location des terres. C’est pourquoi les concessionnaires européens devant l’hostilité des populations autochtones ne pouvaient exploiter concrètement leur concession ; 3. Le problème de la main-d’œuvre. Le traité de 1819 stipulait également que le Brac et les principaux chefs du Waalo s’engageraient à fournir la main-d’œuvre sous leur autorité. Le salaire des ouvriers devait être fixé librement entre les propriétaires et les engagés. Les chefs de village qui fourniraient des travailleurs devaient recevoir en contre partie de leur travail une coutume de quatre barres de fer par individu et par an, mais avec l’obligation de remplacer dans les 15 jours, les déserteurs, les malades, les morts, sous peine de perdre l'allocation. On pensait ainsi obtenir une main-d'œuvre abondante. Mais on se rendit compte de l’évidence : les populations n’étaient pas intéressées par les cultures commerciales d'exportation. Pour pallier cet handicap, on songea à importer au Sénégal des travailleurs des îles Canaries ou des bannis de Martiniqne et de France. Cette politique échoua également. (…) En conclusion, les négociants saint- louisiens rejetèrent les plans de colonisation agricole. L'échec de ces plans signifiait le triomphe du commerce de traite traditionnel.

Ce passage montre l’enjeu de la colonisation agricole du fleuve Sénégal. Les populations du bassin avaient des habitudes culturales et des modes de gestion

89 | P a g e foncière propres qui feront échouer les projets d’aménagement. Les nombreuses propositions de primes et de nouvelles cultures n’ont pas empêché les hostilités. Malgré ces réticences, l’idée d’exploiter les ressources en eau du bassin de ce fleuve international est restée soutenu, particulièrement au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.

Un article du juriste J.-C. Gautron, intitulé L'aménagement du bassin du fleuve Sénégal et publié en 1967. L’auteur y expose cet intérêt spécifique porté sur les fleuves internationaux tels que le fleuve Sénégal (Encadré 2).

Encadré 2: le statut de fleuve international comme le Sénégal39 Dès 1815, le droit fluvial international avait mis l'accent sur la principale qualité des fleuves internationaux : la navigabilité. La conception classique du fleuve international fut consacrée dans la convention de Barcelone du 20 avril 1921 qui introduisit cependant la notion nouvelle de principale fonction économique (1). La doctrine soulignait l'importance d'une telle évolution (2). La recherche d'une exploitation systématique des fleuves internationaux à des fins économiques fut encouragée par les organismes internationaux, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le Conseil économique et social de l'O.N.U. vota une série de résolutions relatives à la coopération en matière d'utilisation des eaux (3) et institua un Comité d'experts qui, en 1958, publia un important rapport sur le « Développement intégré des bassins fluviaux ». En même temps 1'U.N.E.S.C.O. créait un Comité consultatif spécial en vue d'étudier les problèmes des zones arides. Un grand nombre d'accords relatifs à l'aménagement des fleuves étaient conclus : accord du 8 novembre 1959 entre l'Egypte et le Soudan (Nil), accord du 19 septembre 1960 sur le Fonds de mise en valeur du Bassin de l'Indus (4). L'Assemblée générale des Nations Unies ne suivit pas le délégué bolivien dans sa proposition émise en octobre 1959, de saisir la Commission du Droit international d'un projet de codification des règles concernant l'utilisation et l'exploitation des voies d'eau internationales, estimant que l'uniformisation rigoureuse de telles règles présenterait plus d'inconvénients que d'avantages. Cependant, l'Organisation des Nations Unies a fourni de nombreux experts aux pays intéressés, tandis que, parallèlement, l'Institut de Droit international, lors de la session de Salzbourg en septembre 1961, adoptait, sur le rapport de M. Andrassy une résolution recommandant aux Etats de créer des organismes communs pour l'établissement de plans d'utilisation des eaux internationales non maritimes (5). C'est dans ce contexte que fut élaboré le régime juridique des principaux fleuves africains, avant que ne soit posée la question de savoir s'ils constituaient des fleuves internationaux, au sens de la convention de Barcelone (6). Des régimes particuliers, élaborés par les gouvernements des États riverains, avec le concours des experts internationaux, furent appliqués au fleuve Niger et au lac Tchad (7) ainsi qu'au fleuve Sénégal. Dès 1962, en effet, le gouvernement du Mali avait lancé l'idée d'un régime international du fleuve Sénégal. Les 10 et 11 juillet 1962, une conférence inter-Etats groupant les représentants des quatre Etats riverains (Guinée, Mali, Mauritanie, Sénégal) s'était réunie à Conakry. La conférence avait recommandé la création d'un Comité inter-Etats et proposé d'entreprendre en commun, avec l'aide de l'Organisation des Nations Unies, des études et travaux de mise en valeur du bassin fluvial. Le 26 juillet 1963, était signée à Bamako une première Convention relative à l'aménagement du bassin du fleuve Sénégal, qui instituait une organisation quadripartite, le Comité inter-Etats, chargé de coordonner les études et les travaux de mise en valeur du bassin. S'agissant du statut international du fleuve, l'article 13 de la Convention laissait entrevoir la conclusion d'un autre accord, plus précis : tel fut l'objet de la Convention du 6 février 1964 signée à Dakar (8). Le même jour, le Comité inter- États adoptait son règlement intérieur. Sur le plan juridique, le statut du fleuve est assez proche des textes adoptés depuis l'indépendance par les gouvernements

39 Extrait de l’article de J.-C. GAUTRON (1967). 90 | P a g e

africains, mais la pratique du Comité inter-Etats, depuis 1965, dénote une volonté de coopération très poussée en matière d'aménagement du bassin fluvial.

Ce projet d’aménagement du fleuve Sénégal pour le développement économique des pays membres se concrétise avec l’adoption du statut juridique du bassin. On remarque dans ces deux passages que du début du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle, le bassin du fleuve Sénégal a fait l’objet de plusieurs initiatives40 d’aménagement. Le contexte de sècheresse41 des années 1970-1980 a joué un rôle particulier dans la prise de conscience des problèmes climatiques et leurs effets sur la situation alimentaire des populations de la zone sahélienne.

« Depuis le début des années 1970, la situation alimentaire dans la zone sahélienne a été largement discutée, disséquée, analysée à l’occasion de symposiums ou de colloques. On dispose désormais d’un nombre impressionnant de publications de toutes natures et de toutes origines (climat, environnement, alimentation, économie, société, etc.) sur les causes et effets de la sécheresse et des famines sur les populations » (GADO, 1993). Dans ce contexte, Selon M. Niasse et al., (2004) : « la création de l’OMVS a été ainsi l’aboutissement d’un long processus datant de la période coloniale et visant à organiser une gestion intégrée des ressources du bassin (…) » (NIASSE et al., 2004). Mais quelle est l’organisation et le fonctionnement de L’OMVS ?

40 La publication du plan de colonisation agricole de 1802, les études Partielles sur la navigabilité du fleuve publiées en 1908 sous le titre d’«instructions Nautiques entre Saint-Louis et Kayes (924 Km) ; le projet de l’Union Hydroélectrique Africaine de 1927 avec pour objectif l’étude de la navigation, l’irrigation et la production de force motrice. La Mission d’Études du Fleuve Sénégal (MEFS) née en 1935 a réalisé de nombreuses études topographiques sur le fleuve. En 1938, la mission d’aménagement du fleuve Sénégal remplace la MEFS. Elle réalise des travaux d’aménagement agricole dans le delta et la vallée. Avec les Indépendances dans les années 1960, le processus institutionnel s’accélère. Avec la convention internationale du 26 Juillet 1963 relative à l'Aménagement Général du Bassin du Fleuve Sénégal, les quatre pays riverains mettent en place le Comite Inter-états. La première convention faisant du fleuve un cours d’eau international fût signé. Et on parle de programme intégré des Ressources en Eau du Bassin. En 1968, le CIE est remplacée à son tour par l’Organisation des États Riverains du Fleuve Sénégal (OERS). Son objectif, était l’aménagement mais aussi l’harmonisation des politiques sectorielles des États. En 1972, au lendemain de la grande sécheresse, l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal a pour ambition de favoriser un développement intégré et coordonné du bassin du fleuve (OMVS, 2014) 41 « Entre 1968 et 1985, qui sont les dates extrêmes que l’on retient habituellement pour cette grande sécheresse, il y a au moins trois périodes pendant lesquelles le déficit est particulièrement marqué, il s’agit de 1970-1973, 1976- 1977 et 1983-1984. Depuis 1985 les déficits sont moins spectaculaires, mais il n’y pas eu de retour à la normale. Au Sénégal, trois années ont connu des déficits importants : 1972, 1977 et surtout 1983, avec des déficits de l’ordre de 50 à 60% ». (ROQUET., 2008) 91 | P a g e

3. Fonctionnement et objectifs de l’OMVS L’OMVS compte quatre États membres depuis 2006 (date d’adhésion de la Guinée). Lors de sa création, l’organisation avait pour objectif de sécuriser et d’accroître les revenus des habitants du bassin du fleuve Sénégal et des zones avoisinantes ; puis de rendre les économies des États membres moins vulnérables aux conditions climatiques et aux facteurs extérieurs. Il s’agit aussi de sauvegarder le milieu naturel, d’inciter à l’établissement de l’équilibre écologique, et d’accélérer le développement économique par la promotion intensive de la coopération sous régionale.

Carte 12 : barrages construits et en projet de l’OMVS

Pour atteindre ces objectifs, l’organisation a construit des barrages d’autres ouvrages sont aussi en projet (Carte 12). Les barrages de Diama et de Manantali, conçus pour être complémentaires. Ils ont pour fonction particulière de régulariser le régime du fleuve Sénégal ; de développer l’irrigation de 375 000 hectares de terres aménagées ; de permettre l’approvisionnement en eau des zones urbaines et rurales ; d’assurer la liaison fluviale navigable de Saint Louis à Ambidédi ; et enfin de produire

92 | P a g e en moyenne annuelle 807 gigawatt/heure d’énergie électrique répartie entre le Sénégal, le Mali et la Mauritanie.

3.1. Un modèle spécifique de fonctionnement La première convention42 du 11 mars 1972, signée à Nouakchott par les Chefs d'État, place l’OMVS sous la tutelle de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement (CCEG), instance suprême qui définit la politique de coopération et de développement de l’Organisation. La présidence de la Conférence est assurée à tour de rôle et pour un mandat de deux ans. L’OMVS est composée de deux organes délibérants (la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement et le Conseil des Ministres), d’un organe exécutif (le Haut-Commissariat) et de trois organes consultatifs dont la Commission Permanente des Eaux et le Comité de Bassin. Les cinq organes permanents sont le conseil des Ministres, le Haut-Commissariat, la SOGEM, la SOGED, et la SOGENAV.

Le Conseil des Ministres, est un organe de conception et de contrôle chargé de l’élaboration de la politique générale d'aménagement du bassin du fleuve Sénégal pour la mise en valeur de ses ressources. La présidence du Conseil est assurée à tour de rôle, pour un mandat de deux ans, par chacun des États membres.

Le Haut-commissariat (Figure 3) est dirigé par un Haut-commissaire nommé pour un mandat de quatre ans. Ce dernier est assisté et secondé par un Secrétaire Général également nommé pour un mandat de quatre ans. Le Haut-commissariat applique les décisions du Conseil des Ministres et rend compte régulièrement de leur exécution ainsi que de toute initiative prise dans le cadre des directives reçues et dans la limite des pouvoirs qui lui sont délégués. Il est l’organe exécutif de l'organisation.

42 La convention de 1972 définit le statut juridique du fleuve Sénégal : le Sénégal est un « cours d’eau international sur les territoires du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal ». La convention garantit la liberté de navigation entre les pays et l’utilisation équitable de l’eau du fleuve. L’accord cadre relatif aux privilèges et immunités accordés à l’Organisation et à ses fonctionnaires et agents est signée le 04 mai 1976. Le 21 décembre 1978 une convention sur le statut juridique des ouvrages communs a été signée : elle définit le statut de copropriétaire ainsi que les modalités de la création d'Agences de Gestion des Ouvrages Communs. A Bamako le 12 mai 1982 a été signée la convention relative aux modalités de financements des ouvrages communs : Mauritanie 22,60%, Sénégal 42,10%, Mali 35,30%. En mai 2002 la Charte des eaux a été adoptée. En 2003, La « Déclaration de Nouakchott » lors de la 13ème Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’OMVS a reprécisé les missions de l’OMVS. En 2006, un traité et des amendements apportés aux conventions antérieures ont permis à la Guinée d’intégrer l’organisation. 93 | P a g e

Le troisième organe permanent est la Société de Gestion de l'Énergie de Manantali (SOGEM), créée le 7 janvier 1997. La SOGEM est une société publique interétatique qui a pour rôle l’'exploitation, l'entretien et le renouvellement des ouvrages communs dont lui est confiée la gestion. Elle est également chargée de toute opération industrielle, commerciale ou financière directement ou indirectement liée aux objets et missions de la société. La société est administrée par un Conseil d'Administration de neuf membres dirigé par un Directeur Général. La Société de Gestion et d'Exploitation du Barrage de Diama (SOGED) est quant à elle une société publique interétatique, également créée le 7 janvier 1997. Elle a presque les mêmes missions que la SOGEM. La société est administrée par un Conseil d'Administration de neuf membres et a à sa tête un Directeur Général.

Figure 3: organigramme du Haut-commissariat de l’OMVS. Source : OMVS, 2014.

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Le dernier organe est la Société de Gestion et d'Exploitation de la Navigation (SOGENAV43). Cette dernière s’occupe « de gérer et d'administrer les activités de la navigation et du transport sur le fleuve ainsi que l'exploitation, l'entretien et le renouvellement des ouvrages qui lui sont confiés » (OMVS, 2014). Pour faciliter la gestion à l’échelle nationale de chaque pays membre, des Cellules Nationales (CN) se trouvent au Mali, en Mauritanie et au Sénégal. Elles sont sous la tutelle, dans chaque pays, du ministère en relation avec l’OMVS. Le ministre de tutelle de l’OMVS suit les activités et programmes de l’organisme dans son pays. Les CN sont dirigées par des coordinateurs membres de la CPE. Enfin, chaque cellule a la responsabilité d’animer les Comités Nationaux de Coordination (CNC) regroupant les services de l’administration, les représentants des collectivités territoriales et la société civile. Les CNC sont relayés au niveau local par les Comités Locaux de Coordination (CLC). Cependant, les CNC et les CLC au Mali n’ont pas atteint les objectifs que les gestionnaires s’étaient fixés dans une volonté de démarche participative, et cela à cause d’un manque de volonté des acteurs locaux et un manque d’information selon un agent de la cellule de Bamako44.

Quoi qu’il en soit, le modèle d’exploitation du bassin du fleuve Sénégal et de gouvernance des ouvrages de l’OMVS est cité en exemple. Elle inspire d’autres organismes de bassin qui réalisent des travaux d’étude pour mieux comprendre son fonctionnement. C’est le cas de la Commission Internationale du Bassin Congo – Oubangui – Sangha (CICOS). « L’OMVS offre un exemple unique de planification et de réalisation de projets de développement ayant utilisé la région comme base opératoire » (TONDO, 2007). Aussi, «en tant qu’organisation supranationale, l’OMVS a également exercé un impact positif en initiant et en entretenant la coopération régionale et l’intégration de ses trois pays membres. Le dialogue politique ainsi institutionnalisé est une composante essentielle de la coopération transfrontalière» (KfW Banque allemande de développement et al., 2008).

43 La SOGEM, la SOGED, et la SOGENAV sont créées sous la forme de Sociétés publiques interétatiques. Elles sont placées sous la tutelle de l’OMVS et disposent chacune d’organes propres : Conseil d’Administration, Direction Générale, Assemblées Générales des actionnaires (OMVS, 2014). 44 Extrait d’un entretien avec un agent de la cellule OMVS à Bamako, réalisée pendant l’été 2012. Cet entretien ne sera pas totalement utilisé dans cette étude pour des problèmes d’enregistrement. 95 | P a g e

En somme, le fonctionnement de l’OMVS se veut être équilibré entre les différents pays membres. C’est dans ce contexte, et pour réduire les risques de conflit, que ses bailleurs de fonds avaient exigé l’exploitation du barrage de Manantali par une entreprise électrique indépendante des États membres. L’OMVS avait donc fait un appel d’offre internationale et le marché avait été gagné par une entreprise sud- africaine appelée Eskom (Energy Supply Company) entreprise. L’Eskom45 Énergie Manantali s.a (EEM s.a) était le maître d’œuvre jusqu’au 30 juin 2014, date de la fin de son contrat avec la SOGEM. Je n’aborderai pas ici l’organisation de l’ESKOM car elle est remplacée depuis cette date par une filiale, la Société d’exploitation de Manantali et de Félou (SEMAF) ayant été créée par la SOGEM, le temps de trouver un nouvel exploitant. Comment le projet de construire le barrage de Manantali a été financé ? Quels sont les caractéristiques, le mode d’exploitation et de distribution de l’énergie du barrage de Manantali?

4. Barrage de Manantali : de la conception à l’exploitation Le projet de Manantali a fait l’objet de plusieurs études et préinvestissements entre 1960 et 1970. Ces études ont été rémunérées par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et réalisées par le groupe Sénégal-Consult. D’autres financements ont suivi, à l’image de celui de la République Fédérale d’Allemagne (RFA) à l’époque pour l’actualisation des données et l’étude d’exécution réalisée par le groupement de Manantali. Le Fonds Saoudien, le Fonds Koweitien, le Fonds d’Abu- Dhabi, la Banque islamique, la République Fédérale d’Allemagne, le Fonds Européen de Développement, la France, le Fonds de l’OPEP et l’Italie ont financé les travaux de génie civil. La Banque Africaine de Développement a payé la construction des équipements de surface et les auxiliaires électriques tandis que le Canada et l’Italie s’occupaient de leur mise en place. Les travaux ont été confiés à l’Entreprise de Construction du Barrage de Manantali sous le nom de groupement ECBM. Le

45 La société Eskom Énergie Manantali (EEM) s.a était une entreprise immatriculée à la chambre de commerce du Mali, au capital à 100% sud-africain. Elle comptait 150 employés environ (Eskom 2012). Elle s’occupait de la gestion de la centrale hydroélectrique de Manantali, du barrage, des lignes et postes à haute tension, des cités d’habitation et autres installations communautaires, conformément au contrat d’exploitation qui la liait à la SOGEM. Son but principal était de produire, transporter et livrer l’énergie aux trois pays membres de l’OMVS et d’assurer le recouvrement des factures. Elle était composée de plusieurs directions (ressources humaines, financière et commerciale, de l’énergie, technique) mais également de services pour mieux protéger l’environnement du bassin. 96 | P a g e personnel de l’OMVS, le maître d’ouvrage, était chargé de superviser, de coordonner et de contrôler toutes les activités du chantier de construction du barrage. Deux milles ouvriers environ, de plusieurs nationalités, y ont travaillé (OMVS, 1977).

4.1. Les phases du projet de construction du barrage Grâce aux bailleurs de fonds et à la détermination des dirigeants, le barrage de Manantali a été réalisé en trois phases. D’abord, avant 1984, les premiers contreforts sont construits en rive gauche à l’abri de deux batardeaux. C’est pendant cette période que les travaux d’injection, d’élévation et les digues ont été réalisés.

Ensuite, de 1984 à 1986, pour continuer les élévations des contreforts, l’eau du Bafing a été déviée dans un chenal de 42m. Enfin en novembre 1986, le chenal fut fermé. Alors qu’une partie de l’eau est retenue, le passage de la première crue a lieu le 18 juillet 1987. La côte normale d’exploitation a été atteinte pour la première fois dans la nuit du 23 au 24 septembre 1991. Une période d’entretien d’une durée d’un an (avril 1988 à avril 1989) a été observée pour réaménager le site.

Pour construire46 le barrage, plusieurs types et quantités de matériaux47 ont été utilisés pour le génie civil : 712 000 m3 de béton, 220 000 tonnes de ciment, 1 590 000 m3 de terrains meubles, 1 950 000 m3 de rochers, 1 432 000 m3 de noyau, 696 000 m3 de filtres et 5 506 000 m3 d’enrochement. Soit un total de 130 000 000 000 FCFA seulement pour le génie civil.

Á côté de cela, les travaux48 d’équipement étaient divisés en deux sous-lots. Le sous-lot 2A concernait les équipements de surface et auxiliaires électromécaniques.

46 « Ont participé à la construction du barrage : Pour le Génie Civil : sous le nom de Groupement ECBM : Zublin (RFA), Dykerhoff et Widman (RFA), Sage Com (Sénégal), Losinger (Suisse). Pour les équipements : 2 Consortia formés d'une part de Man (RFA), Vevey (Suisse) et d'autre part de Mongah (Canada), Man Lepper (Canada), Riva Calzoni (Italie) et ATB (Italie). La supervision a été assurée par les ingénieurs conseils ci-après : Rhein Ruhr (RFA), Tractebel (Belgique) et SONED Afrique (Sénégal) » (SOGEM, 2014). 47 « Tous les matériaux utilisés dans la construction du barrage de Manantali (granulats, sable, ciment, eau), aussi bien la partie béton que la partie remblai, ont été produits sur place. Une colline environnante servait de carrière d’où des blocs de pierre étaient tirés et transporter par des gros engins pour le concassage afin d’obtenir les différentes dimensions d’agrégats souhaitées. Pour l’occasion, une station de traitement d’eau a été mise en place » (Ibid,) 48 Les travaux de construction du barrage proprement dit « y compris les travaux préparatoires, la construction des deux cités d’habitation pour les travailleurs, la mise en place des installations techniques, des ateliers et magasins de chantier, la construction des ouvrages de franchissement du fleuve, l’aménagement des pistes internes, l’extension de la gare de déchargement de Mahinanding commencèrent le 2 juin 1982 et prendront fin en Mars 1988 97 | P a g e

Ces travaux ont été confiés en mars 1983 au Consortium Man-VEVEY. Ils ont coûté 124 800 845 FCFA. Le sous-lot 2B concernait les équipements des prises d’eau et des vidanges de fond. Les travaux ont été réalisés par le Consortium MAN- SOMETAL avec les financements du Canada (32 975 892 $ CAN) et de l’ABB-RIVA CALVONI en Italie (6 260 000 $ CAN) en 1984. Tous ces travaux ont été supervisés49 par le Groupement de Manantali. Il est lié par un contrat à l’OMVS. Le montant de ce dernier est estimé à 482 693 736 FCFA (OMVS, 1977).

Au total, « les dépenses relatives aux travaux de construction du barrage se sont élevées à 150 milliards de FCFA et équivalents. Le projet énergie qui a suivi a coûté, sur la base des fonds engagés jusqu’en décembre 1995, la somme de 220 milliards de FCFA » (OMVS, 2014). Le barrage a été inauguré le 29 octobre 1992, date à laquelle la première pierre de la centrale hydroélectrique de Manantali a été posée. Cette centrale, chargée du dispatching, sera inaugurée à son tour le 21 mai 2003. Il a fallu le travail de plusieurs centaines d’ouvriers et une utilisation importante de matériaux afin d’implanter cet ouvrage et la centrale hydroélectrique qui l’accompagne dans la zone du Bafing. Il est intéressant de montrer comment cette zone du Bafing était avant et les changements observés pendant la construction du barrage ?

4.2. La zone50 du Bafing avant et pendant la construction du barrage Le barrage de Manantali est situé dans le sous bassin du Bafing. La taille de ce sous bassin est estimée à 27 800 km2 environ. Le relief du Bafing « est dominé par les plateaux gréseux des monts Mandings. Sur le plan de la morphologie, la région est caractérisée par l’existence de divers établissements et surface d’aplanissement ainsi que par l’existence d’un sédiment très développé qui correspond à la partie basse de la vallée. Les plateaux qui dominent la vallée sont quelquefois recouverts de croutes latéritiques. Quant à la frange des terrains meubles, elle se limite à la partie basse de la vallée, dont le fond révèle des éboulis provenant de la falaise ainsi que des alluvions argilo-sableuses situées le long du fleuve où elles constituent une frange relativement étroite. Ce sont des sols réservés à l’agriculture » (ISH, 1985). Le climat de la zone du

49 La supervision et le contrôle des travaux ont été également assurés par les bailleurs de fonds tels que la Banque Africaine de Développement, le Fonds Saoudien, le Fonds Koweitien, le Fonds d’Abu-Dhabi et le KFW. 50 On comprend par ce groupe de mot « la zone du Bafing » le sous-bassin du Bafing où se situent les terrains d’étude. 98 | P a g e barrage « est soudanien, tropical et humide avec une hauteur des pluies variant entre 800 mm et 1350 mm par an » alors que la végétation est marquée par des arbres hauts, des baobabs et des jujubiers. Elle est généralement abondante sur les sites quand ceux- ci ne sont pas cultivés. Le long du fleuve est occupé par une végétation arbustive (Ibid.).

4.2.1. La composition socio-spatiale avant les déplacements Les Malinkés constituent l’ethnie majoritaire. Parmi les minorités, il y avait les Peuls, les Bambaras, les Sarakolés. La vie sociale était façonnée par des rapports patriarcaux et gérontocratiques, hiérarchisés en vertu du droit coutumier. «L’organisation sociale s’articule autour du clan, de la famille et du ménage. Les principaux clans sont ceux des Dembelé, des Sissokho et des Keita. C’est parmi eux que l’on trouve généralement les chefs de village et les conseillers» (Ibid.).

La zone du barrage était composée de nombreux de villages de 300 à 800 habitants en moyenne répartis dans la vallée. Les hameaux de culture cohabitaient avec les villages et étaient assez éloignés les uns des autres pour une bonne pratique de l’agriculture. L’élevage, la chasse, la poterie, de la forge formaient les activités principales des habitants.

Les sites se trouvaient généralement au bord des cours d’eau. «Les dimensions des maisons ne dépassaient généralement pas 150 m de diamètre. Le reste de l’habitat était éparpillé dans la cours. Les maisons étaient rondes avec des pailles sur le toit. Les murs de terre comportent parfois des armatures de bambou tressé. L’usage de la pierre est rare. Elle est réservée principalement aux fondations de greniers. Une des caractéristiques de cet habitat est son extrême mobilité » (Ibid.). Avant le barrage, cette zone manquait considérablement d’équipements sociaux et économiques mises à part quelques infrastructures et pistes. La zone était marquée par l’existence de nombreux gîtes d’onchocercose (B.E.C.I.S. 1987). Le début des travaux du barrage va modifier cette organisation socio-spatiale.

99 | P a g e

4.2.2. La phase de construction du barrage : une rupture Pour les besoins du chantier de construction, des bureaux, des maisons, des réseaux électriques, des magasins et des ateliers ont été installés. « Une micro-turbine hydroélectrique de 500 KW, doublée de groupes thermiques de secours a été construite en vue d’assurer une alimentation correcte en énergie des diverses installations, des bureaux et des cités » (OMVS, 1977).

4.2.2.1. Les conditions de déplacements et de réinstallations des habitants Les pays de l’OMVS ont confié, lors du conseil des ministres de l’OMVS tenu à Dakar en septembre 1982, les études des déplacements à la République du Mali. Pour réinstaller les populations en amont et en aval du barrage de Manantali, une convention (numéro de projet 625-0955) a été signée, le 11 août 1984, entre les gouvernements du Mali et les États-Unis par l’intermédiaire de l’USAID. Le gouvernement malien a par la suite créé le Projet de Réinstallation de Manantali (PRM51) par arrêté du 4100/MECE-CAB du Ministère d’État chargé de l’équipement datant du 21 août 1984.

Le PRM est rattachée à l’époque au Ministère de l’Hydraulique et de l’Énergie du Mali. Il avait pour mission de transférer, réinstaller et dédommager les habitants. La réinstallation concerne plus de 10 000 personnes, 100 ménages environ, sur une population régionale de 1 067 007 habitants52. Financées par le PNUD, l’USAID, le Programme alimentaire mondial et le Mali, des études pour réduire les risques de conflits lors des déplacements ont porté sur les secteurs suivants : socio-économie, agropédologie, hydrogéologie, topographie et archéologie.

51 « Il était composé de 77 permanents et de 507 saisonniers. Au sein de l’équipe, des personnes inexpérimentées, le surplus d’individus, ou l’emploi de gré à gré de personnes non qualifiées pour des missions de cette taille a conduit à des pertes, des retards, des renvois et des cas de malentendus avec les populations. La plupart de ce personnel sort tout juste d’école et, dans certaines circonstances, la composante « expérience » a certainement fait défaut. La DNHE aurait dû en tenir compte et conformément aux termes des accords de projet mettre en place une équipe qui n’est pas à son premier chantier et qui a une expérience certaine des relations avec les villageois » (B.E.C.I.S., 1987). Composé de plusieurs équipes : une direction de projet, une section technique, une section sociale, une section administrative, une antenne à Bamako, une assistance technique. Le projet a couté plus de 27 179 000 dollars et a été financé par l’USAID et le PAM entre autres. Au même moment le Mali a payé les salaires des fonctionnaires détachés du PRM et les charges sociales. Le manque de communication adéquate entre les différentes équipes ou sections du PRM et leur multiplicité (tandis que les équipes maliennes rendaient compte au Mali, l’assistance technique ne s’adressait qu’à l’USAID) se sont fait sentir dans le déroulement du projet. 52 Source : RPGH 1987, (http://instat.gov.ml/documentation/RGPH87_Resultats_Definitifs_Volume1Region_De_Kayes.pdf) 100 | P a g e

Dans la suite, deux phases de réinstallation ont eu lieu. La première concernait les villages situés en dessous de la courbe de 165 m. La seconde était destinée à déplacer les villages se trouvant en dessous de la courbe de 212 m. selon le rapport du PRM, ces deux réinstallations ont eu lieu en 1986 et en1987.

Les habitants avaient en majorité accepté de partir mais selon des conditions variables d’une localité à l’autre. En général, ils voulaient avoir le droit de consulter leurs devins sur le futur site et avoir leurs mots sur le choix de celui-ci. Ensuite, ils cherchaient à avoir de bonnes terres agricoles, une proximité de l’eau et à ne pas perdre le nom de leurs villages d’origine. Les habitants étaient très attachés à leurs anciens sites pour des raisons économiques (bonnes terres, proximité de l’eau), sentimentales (lieu de naissance), religieuses (tombeaux, lieux de culte).

La prise en compte de toutes ces conditions a conduit le PRM à entreprendre les actions suivantes:

- La construction de forages : 121 forages en pompes manuelles ou en puits citernes. La norme était 1 puit citerne pour 200 habitants et 1 forage pour 100 habitants ; - Le défrichage53 de nouveaux sites : 5 690 ha répartis en 2 sous-groupes : 450 ha pour les villages et 5 240 pour les terres de culture; - La reconstruction des villages : 4 515 cases ; - La construction des pistes : 50 km permettant de rallier les villages entre eux et la route principale; - La construction d’une pépinière à Bamafélé pour reboiser les nouveaux villages. Pour faire ce travail, des habitants se sont associées à la tâche. Ils étaient payés 1500 FCFA/pers./jour. Entre 1986 et 1987, le nombre de travailleurs villageois est passé de 18 à 46 personnes. Les populations ont participé aux opérations de défrichement et ont reçu entre 1985 et 1987 plus de 115 millions FCFA issus du PRM (B.E.C.I.S. 1987).

53 Les arbres fruitiers ont étés dédommagés. En outre, des dispensaires, des écoles et des maternités ont été construits sur les nouveaux sites. 101 | P a g e

Au final, tous les villages déplacés ont été réinstallés dans deux zones: il s’agit de Manantali amont et de Manantali aval. La zone amont, au sud de Manantali, est entrecoupée par des reliefs très marqués, et il y est difficile de trouver de l’eau par les puits. Les populations restées en amont vivent de nos jours encore de manière traditionnelle. À l’opposé, La zone aval est moins enclavée. L’installation est plus linéaire sur le Bafing. Toutefois, le projet de réinstallation a eu de nombreuses limites.

4.2.2.2. Construction des villages : un projet trop ambitieux et mal organisé ? Les travaux du PRM présentent de nombreuses limites et ceci malgré les efforts fournis par les experts de l’époque pour faire participer les habitants au processus de réinstallation. En effet, les responsables du PRM avaient fait certaines démarches auprès des populations: des réunions avec les responsables et représentants des villages, des visites du barrage de Sélingué avec les délégués des villages sont effectuées. Toutefois, les relations du PRM et des villageois ne sont pas restées bonnes très longtemps. L’une des causes citées était que certains agents se permettaient de faire des promesses à tour de rôles aux habitants.

Ensuite, il y a eu des problèmes de compréhension avec la population sur l’habitat. Les cases ont été construites par les tâcherons et supervisées par GID-SEMA (ingénieur conseil). Le PRM avait proposé aux populations de faire elles-mêmes les toitures des maisons, les greniers et les cuisines pour gagner du temps et économiser de l’argent54. La case traditionnelle est généralement maintenue

En troisième lieu, le PRM pensait offrir, avec ces nouvelles constructions aux villageois, « une meilleure organisation spatiale tout en respectant le même plan d’installation ; un choix de modifier leur concession si possible ; un logement plus solide avec des matériaux de qualité » (B.E.C.I.S., 1987). Cependant, ces objectifs

54 La construction des cuisines et greniers ne fait pas partie du contrat de GID-SEMA. Le PRM a proposé un remboursement en numéraire aux villageois en raison de : - 1 grenier à 30 000FCFA - 1 cuisine à 20 000 FCFA Les villageois ont refusé cette offre, exigeant le même traitement que les tacherons pendant la première campagne à savoir : - 1 grenier à 80 950 FCFA - 1 cuisine à 99 000 FCFA Mais malgré ce refus on constate que certains villageois ont construits leurs greniers et cuisines sans remboursement » (B.E.C.I.S., 1987). 102 | P a g e

étaient presque impossibles à atteindre dès le début du chantier. Déjà en 1987, « les plans fournis par GID-SEMA55 ne présentent aucune organisation spatiale, les rues et les places publiques ne sont pas matérialisées, l’assainissement du village n’est pas étudié un instant soit peu» (Ibid.). Il n’existait tout simplement pas de cadastre dans cette zone avant le barrage. Pour connaître les sites de recasement, les responsables du projet et autres planificateurs ont effectué plusieurs visites dans les villages d’accueil et les villages à recaser afin de discuter avec la population. Certains disent qu’une enquête a été faite pour déterminer la taille et le processus d’attribution des nouvelles terres. Les enquêteurs ont tenu compte des droits coutumiers reconnus par le gouvernement malien, du nombre d’actifs, de femmes et d’enfants de plus de 8 ans (KOENIG et DIARRA, 1998).

Le sixième problème remarqué lors de la réinstallation est cette situation de dépendance des nouveaux arrivants vis-à-vis des villages hôtes. Ils ont perdu leur autorité car, n’ayant plus de terres à distribuer, ils ont été obligés de se soumettre aux règles de ces localités. La première famille qui s’installe dans un village a le pouvoir ou la chefferie. Si certains villageois ont bénéficié d’une nouvelle vie dans les hameaux, d’autres ont été hébergés. L’avantage des hameaux est qu’ils sont souvent accompagnés de routes et de marchés. Cette situation leurs a permis d’avoir un développement économique et une liberté dans leurs relations avec les autres villages. Les planificateurs ont fait l’erreur de négliger ce point social si important aux yeux des habitants (Ibid.).

Dans la zone du Bafing, les déplacements et la réinstallation s’entourent de faiblesses liées à une incompréhension entre les habitants et les constructeurs ; des problèmes de gestion. Après sa mise en service, et la création d’une centrale hydroélectrique, le barrage de Manantali participe à l’économie des pays de l’OMVS par l’apport en énergie électrique.

55 Groupement d’Ingénieurs de Développement, SEMA : Société d’Équipement du Mali. Ce groupement avait un contrat avec la DNHE pour la construction des 33 villages. 103 | P a g e

5. Production et la distribution de l’énergie aux pays de l’OMVS « De par sa conception, Manantali est un barrage régulateur, hydroélectrique permettant en combinaison avec le barrage de Diama : la production annuelle de 800 Gwh d'énergie électrique garantie 9 ans sur 10, l'irrigation de 255 000 ha de terres dans la vallée, la navigabilité du fleuve Sénégal de St-Louis à Ambidédi environ 800 km et tout au long de l'année » (OMVS, 2014). Cet objectif de production d’énergie est assuré depuis 2003 par une centrale hydroélectrique construit au pied du barrage entre 1997 et 2002.

Figure 4: le Réseau d’Interconnexion de Manantali (RIMA). Source : SOGEM, 2014

Dans la centrale, l’eau stockée de la retenue de Manantali est transformée en énergie cinétique par 5 groupes, puis en énergie mécanique et, avec l’alternateur en énergie électrique. Le transport se fait grâce aux transformateurs élévateurs de tension de Manantali, ils sont au nombre de cinq, placés en dehors de la centrale. Chaque transformateur est relié à un groupe, des lignes, et des postes à haute tension. Le

104 | P a g e barrage de Manantali dispose de deux principales voies de transport qui sont : la ligne Est (pour le Mali) et la ligne Ouest (pour le Sénégal et la Mauritanie). Ces lignes forment, avec les postes de hautes tensions et les pylônes, le Réseau Interconnecté de Manantali (RIMA) long de 1700 km qui conduit l’énergie du barrage aux pays de l’OMVS (Figure 4). Ce dispositif participe à la reconfiguration de l’espace du Haut bassin au Mali. Les villages à côtés de ces lignes (cf. Annexe 8) y sont exposés et sont vulnérables. Une emprise de 40 mètres pour les lignes 225 kV, et une emprise de 25 mètres pour les lignes 150 kV et 90kV avec les villages doivent être respectées.

« L’électricité de Manantali est destinée avant tout à alimenter Dakar, Nouakchott, et Bamako. Elle sera transmise par un réseau de plus de 1.400 kilomètres de lignes, coûtant à lui seul 114 milliards de francs CFA » écrivait ADAMS, (1997). La distribution aux sociétés nationales d’électricité des pays de l’OMVS obéit aux règles fixées dans les accords entre les pays membres en 1972. Elle se présente comme suit : le Mali (EDM) a 52% de la production, le Sénégal (Senelec) 33% et la Mauritanie (Somelec) 15%. Le tableau 2 ci-dessous montre que l’énergie produite au niveau de la centrale, entre 2003 et 2013, est estimée à 9016,9 GWH. La production la plus faible correspond à celle des années 2007 et 2008.

Tableau 2: évolution de la production d’électricité de 2003 à 2013.

Années Production Réalisé en GWH 2003 847 2004 827,4 2005 880 2006 815,4 2007 596 2008 571 2009 837,2 2010 842,6 2011 894,5 2012 998,9 2013 906,9 Source : service de l’Hydraulique et de la Planification (SHP)/Eskom, mai 2014.

105 | P a g e

Distribution de l'énergie entre les sociétés nationales 600

500

400

300

200 Energie Energie GWH en 100

0 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Somelec Senelec Edm

Figure 5 : répartition d’électricité entre les sociétés d’électricité de 2003 à 2013.

La figure 5 montre que l’EDM a toujours eu la plus grande part dans la distribution de l’électricité sauf en 2003 à la faveur du Sénégal. Ces deux pays sont suivis par la Mauritanie.

CONCLUSION DU CHAPITRE I

In fine, ce premier chapitre a été l’occasion d’exposer la démarche méthodologique choisie. La méthode de l’enquête a permis de collecter de nombreuses informations quantitatives et qualitatives auprès des habitants ordinaires qui vivent dans les villages et les campements riverains du barrage. L’observation participante m’a aidé à comprendre le quotidien des populations. La méthode des entretiens individuels et des entretiens collectifs a abouti à une analyse des discours montrant des différences et des similitudes en fonction des catégories socio-professionnelles et de la localisation par rapport au barrage.

Les méthodes statistiques d’analyse des données l’ACM et l’AFC ont servi à modifier mes tableaux de nombre en des graphiques puis en des cartes thématiques.

J’ai cependant rencontré certaines difficultés avec les enquêtes, qui avaient déjà été citées dans des études antérieures sur le Bafing en 1985. J’ai malgré un souci de calendrier essayé, pendant mes deux campagnes sur le terrain, d’obtenir des données

106 | P a g e primaires. Ces campagnes ont été facilitées par deux aides à la mobilité de l’Ecole doctorale sciences sociales et du laboratoire LADYSS de Paris 8. La bourse MOBI’DOC de la Région Île-de-France, une prise en charge de l’ESKOM au niveau de Manantali et de Kayes qui abrite le barrage de l’OMVS.

L’OMVS a succédé à plusieurs tentatives d’exploitation du fleuve Sénégal, elle assure une gestion internationale de ses barrages dont celui de Manantali qui aide à répondre aux besoins en énergie de ses pays membres.

Dans le chapitre 2, je commence à mettre en exergue les résultats de l’analyse de données quantitatives obtenues lors de mes campagnes terrains portant sur les éléments de l’environnement physique. Il sera l’occasion de constater les perturbations du régime du cours d’eau ; sa dépendance à la pluviométrie ; les effets sur la qualité de l’eau et sur la dynamique de la population piscicole qui vit dans le de retenue de Manantali et le Bafing.

107 | P a g e

CHAPITRE II

CHANGEMENTS DE L’ENVIRONNEMENT PHYSIQUE : DYNAMIQUE DU LAC ET DU BAFING

108 | P a g e

Le chapitre 1 a montré les perturbations de l’organisation socio-spatiale de la zone du Bafing lors de la construction du barrage. Ce chapitre 2 exposera les aspects de l’environnement physique qui ont été également modifiés.

Je commencerai par montrer les caractéristiques du lac de Manantali. L’analyse du comportement de ce lac suivant les années se fera avec les données sur le volume de l’eau, la surface d’eau, la cote du lac. La dynamique des pluies, principale source d’approvisionnement de la retenue, sera ensuite examinée. Les stations hydrométriques posées sur le Haut-bassin au Mali fournissent des renseignements pour cette observation. La régularisation de l’affluent du Bafing a des effets sur les stations de l’aval, particulièrement sur celle de Bakel, situé à la limite du Haut-bassin.

La qualité de l’eau du lac et du Bafing en aval sera aussi considérée. Sa modification entraine une perturbation du cadre de vie de la population piscicole du cours d’eau. Certaines espèces de poissons ont pu s’adapter à ce changement.

.

I. CREATION D’UN LAC DE RETENUE EN AMONT DU BARRAGE Les données quantitatives utilisées dans ce chapitre ont été obtenues auprès du Service de l’Hydraulique et la Planification (SHP), et de la section limnologie rattachée au Service Santé Sécurité Environnement (SSSE) de l’ancienne société d’exploitation du barrage. L’évolution des variables suivantes a été observée : la surface d’eau, le volume, le niveau, la pluviométrie, le débit et la qualité de l’eau. Les informations concernant ces éléments ont été récoltées dans des stations hydrométriques ou par des appareils de suivi de la qualité.

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Photo 2: zone de Manantali avant le barrage. Source : site de la NASA : http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=36241. Acquired January 31, 1978 download large image (4 MB, JPEG, 1579x1579)

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Photo 3 : zone de Manantali après le barrage : création du lac artificiel. Source : site de la NASA : http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=36241. Acquired March 24, 2003 download large image (5 MB, JPEG, 3000x3000) Les photos 2 et 3 montrent la zone du Bafing avant et après la création du lac de retenue. Le réservoir de Manantali se situe entre les latitudes 13°11'246'' N et 12°56'003'' et les longitudes 0 10°25'772'' O et 0 10°16' 565'' O (CISSE, 2012). Dans la commune de Bamafélé, sa présence se traduit par un immense bassin d’eau qui abrite de petits ilots56 (Planche photo 3). « Cette retenue alimentée par le Bafing occupe environ le 1/3 de la superficie totale de la commune » (ADRS, 2011).

56 Le paysage du lac est marqué par la présence d’oiseaux tels le Cormoran africain, le Héron crabier, le Héron garde-bœuf, l’Aigrette garzette, la Grande Aigrette, le Héron cendré, l’Ombrette, le Jacana, l’Échasse blanche, l’Œdicnème du Sénégal, le Pluvian d’Égypte, le Pluvier pâtre, leVanneau éperonné, le Bécasseau de Temminck, le Bécasseau cocorli, le Chevalier aboyeur, l’Oie de Gambie, le Dendrocygne veuf (SSSE, 2014).

111 | P a g e

Planche Photos 3 : types d’îlots visibles sur le lac de Manantali

Le début du lac se situe aux alentours du village de Gougoundala (Photo 4). Le lit mineur du Bafing n’est visible qu’après les murs du barrage, au niveau du bassin d’amortissement.

Photo 4 : début du lac de Manantali en amont

Le réservoir couvre une superficie de 475 km2, à la cote de 208m, et pour une profondeur maximale de 55 m. Le volume plafond d’eau est de 11,3 milliards de mètres cubes environ.

112 | P a g e

1. Variation de la retenue d’eau et du Bafing en aval 1.1. La superficie et le volume d’eau La surface moyenne annuelle du lac est située entre 166,5 km2 en 1987 et 450,35 km2 en 1998. Mais, entre 1987 et 2013, elle n’a jamais atteint la superficie totale estimée à 475 km2 par l’OMVS (Figure 6).

500

400

300 Surface Surface (km2)

- 200

100 Débits

0

1987 1994 2001 2008 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2009 2010 2011 2012 2013

Années

Surface _(km2)

Figure 6 : variation de la surface d’eau du lac entre 1987 et 2013

Volume d'eau en milliards de m3 12

10

8

6

4

2

0

Volume en milliards m3 de milliards en Volume

1990 2001 2012 1987 1988 1989 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2013 Années

Figure 7 : la variation du volume d’eau dans le lac

La comparaison entre l’évolution du volume d’eau (Figure 7) et celle de la surface d’eau montre des similarités. En effet, les chiffres du volume des premières années du barrage, de 1987 à 1989, sont faibles. Le lac s’est rempli au fil des années pour atteindre 9 milliards de m3 d’eau en 1991-1992. Une baisse a ensuite été observée de 1992 à 1998. Le volume le plus bas a été enregistré en 1995 avec 3,2 milliards de m3 d’eau. Les écarts

113 | P a g e de volume (autour de 7, 8 ou 9 milliards) d’une année à l’autre sont moins importants ces dernières années

1.2. la cote du lac En associant les deux indicateurs précédents, il a été possible de déterminer la cote du lac. Elle correspond à un volume d’eau stocké par rapport à une surface donnée. La figure 8 montre une dynamique du niveau du lac par année, elle a baissé entre 1992 et 1999. En 1995, le niveau moyen de la retenue était de 184,52 m, correspondant au volume d’eau stocké de 3,1758 milliards de m3. L’amplitude maximale est de 18,85 m.

220,00 210,00 200,00 190,00 180,00 170,00

Cote de l'eau en m en l'eau de Cote 160,00

150,00

1996 2009 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2010 2011 2012 2013 ManantaliAmt_C_A_(m) Niveau MAX

Figure 8 : variation du niveau du lac entre 1987 et 2013.

208,00 206,00 204,00 202,00 200,00 198,00 196,00 Cote en m en Cote 194,00 192,00 190,00 188,00

Cote de l'eau par mois en 2011

Figure 9 : variation du niveau du lac par mois

114 | P a g e

Les variations de niveau sont plus visibles sur le graphique mensuel (Figure 9). La courbe du niveau par mois montre qu’il est très bas en juin 195,70 m, et en juillet 194,59 m. Toutefois, la pluviométrie élevée à cette période permet de remplir le lac et d’avoir les niveaux les plus élevés en saison sèche : en octobre avec 204,52 m, en novembre avec 205,03 m et en décembre avec 204,62 m. Une période de transition est visible de janvier à mai. Les pluies constituent la principale source d’approvisionnement du lac. 2. La dynamique des précipitations essentielles pour le stockage de l’eau Le régime de stockage du lac dépend essentiellement des précipitations majeures dans cette partie du bassin. Les conditions pluviométriques de cette zone expliquent le choix de l’OMVS d’y implanter le barrage. « Le fleuve Sénégal et ses affluents traversent successivement des régions soumises aux climats guinéen, soudanien, sahélien avant d’atteindre la zone littorale où se fait sentir l’influence de la mer. Son régime hydrologique subit l'influence dominante d'un climat qui oppose partout saison des pluies et saison sèche. Le gradient pluviométrique est donc régulièrement décroissant de l’amont vers l’aval : 2000 mm de pluie à Mamou (près des sources du Bafing) et moins de 300 mm dans la basse vallée (vers Podor et Saint- Louis). Les conditions bioclimatiques conditionnent l’abondance, la composition et la diversité des ressources fauniques et ichtyologiques » (NDIAYE, 2003).

2.1. Une tendance générale à la baisse Dans la zone étudiée, l’observation de l’évolution de la pluviométrie s’est faite avec les données de sept stations hydrométriques. Les stations de Daka saidou, de Bafing makana, et de Manantali, se trouvent sur la rivière du Bafing. Le Bakoye héberge la station , celle de Gourbassi est logée sur la Falémé. Enfin les stations de Kayes et de Bakel se situent respectivement sur le Bafoulabé et sur le fleuve Sénégal.

115 | P a g e

Carte 13 : moyenne des pluies dans les stations entre 1990 et 1999

Carte 14 : moyenne des pluies dans les stations entre 2000 et 2009

116 | P a g e

Carte 15 : moyenne des pluies dans les stations entre 2010 et 2012

Les cartes 13, 14 et 15 indiquent que pluviométrie décroît du sud, de la station de Daka saidou, vers le nord la station de Bakel. Elle varie d’une décennie à l’autre dans toutes les stations. Elle se situe entre 1814,5 mm en 2010 et 771,5 mm en 2012 à Daka saidou. À Bafing makana, le minimum, 791,4 mm, est enregistré en 1990 et le maximum, 1741,9 mm en 2003. À Manantali, une spécificité caractérise l’année 2012 qui enregistre une valeur supérieure à 1500 mm. Les pluies les plus faibles notées à cette station sont comprises entre 600 et 700 mm/an, elles concernent les années 1992, 2000 et 2006. Au total, une tendance générale à la baisse est notée particulièrement dans cinq stations sur sept, même si la baisse est plus faible en amont. 3. L’influence du barrage sur les débits des stations 3.1. Situés en amont Les débits enregistrés ces dernières années sont supérieurs à ceux de la décennie 1990-1999 dans les stations en amont du barrage, à Bafing makana et à Daka saidou

Le graphique 10 montre que les débits enregistrés ces deux stations sont très variables de 1905 à 2011. Au niveau de la première station, ils sont compris entre 113,4 m3/s en 1984 et 285,5 m3/s en 2003. À Bafing Makana, le minimum soit 126,9 m3/s, et

117 | P a g e le maximum, soit 324,5 m3/s, sont aussi respectivement enregistrés en 1984 et en 2003. Les débits de ces deux stations du Bafing sont liés à une forte pluviométrie, soit 1816 mm à Daka Saidou et 1741,9 mm à Bafing Makana.

350

300

250

200 Débits Débits (m3/s) 150

100

1988 1993 2005 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1989 1990 1991 1992 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2006 2007 2008 2009 2010 2011

DakaSaidou_D_an_(m3/s) Années BafingMakana_D_an_(m3/s)

Figure 10 : débits des stations du Bafing avant et après le barrage

3.2. Situés sur les cours d’eau régularisés Le barrage a un effet particulier dans les stations qui se situent sur le Bafing et sur le fleuve Sénégal. Ces stations, notamment celles de Manantali, de Kayes et de Bakel, sont influencées par les lâchers au niveau du barrage (Figure 11).

Dynamique des lâchers à Manantali

1600 450 1400 400 1200 350

(mm) 300 - 1000 250 800 200 600

150 Débits Débits lâchers

400 100 Pluviométrie 200 50

0 0

1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Manantali Pluies_(mm) Manantali débits lachés en aval (m3/s)

Figure 11 : évolution des débits lâchés à Manantali.

L’analyse de la figure 11 montre deux périodes. De 1987 à 1999, les quantités d’eau lâchées par le barrage sont irrégulières. Une seconde partie, de 2000 à 2013, est marquée par une variation interannuelle moins forte. Dans les premières années, de

118 | P a g e

1987 à 1992, les débits lâchés étaient toujours inférieurs à la pluviométrie car l’objectif était de remplir le lac. À partir de 1993, ces lâchers étaient souvent supérieurs à la quantité de pluies tombée. L’année 2003 marque le début d’une gestion plus rigoureuse des lâchers du fait d’un besoin de stockage de l’eau dans le bassin pour produire de l’énergie électrique.

Les lâchers du barrage ont une influence particulière sur la station de Bakel, qui sépare le Haut-bassin et la vallée du fleuve Sénégal. Des effets similaires sont indiqués par A. Hassane et al. (2000), auteurs et chercheurs au CIRAD qui ont opté pour une méthodologie «basée sur des données hydrologiques des aménagements hydrauliques et des stations hydrométriques du fleuve Niger». Grâce à cette méthode, les auteurs démontrent que la gestion du barrage de Sélingué a une influence sur les soutiens d’étiage. En outre, les changements de niveau dans les retenues des barrages de Sélingué et de Markala se font sentir à l’entrée du delta. Les oscillations auraient plus d’impacts négatifs sur la pêche. les périmètres irrigués de l’office du Niger en aval affichent une dépendance à ces barrages (HASSANE et al., 2000).

3.2.1. sur la station de Bakel « Le régime des eaux du fleuve est de type tropical, il se caractérise par une seule saison annuelle de hauts débits qui survient entre juin-juillet et octobre–novembre. Les étiages sont très marqués : le débit à Bakel peut s’annuler. L’irrégularité interannuelle est considérable » (Groupement Manantali, 1978). Du fait de sa localisation, cette station est considérée comme « clé » par le SHP : elle reçoit tous les affluents de l’amont. Son fonctionnement dépend en grande partie du barrage de Manantali, surtout en saison sèche. Par exemple, pour l’année 2010-2011, la contribution de Manantali à Bakel et les apports des autres stations sont :

- Apports Lâchers à Manantali = 15023,750 millions de m3 d’eau soit 45,82% - Apports Bakoye à Oualia = 5632,329 millions de m3 d’eau soit 17,18% - Apports Falémé à Gourbassi = 7064,064 millions de m3 d’eau soit 21,55% - Apports Bassin versant intermédiaire = 5064,682 millions de m3 d’eau soit 15,45% (source : données SHP, 2012).

119 | P a g e

Contribution de Manantali en 2010-2011 à Bakel

15% 22% Lachers Manantali Bakoye à Oualia Falémé à Gourbassi 17% 46% Bassin versant intermédiare

Figure 12 : impact du barrage de Manantali sur le fonctionnement de la station de Bakel

Si l’on se réfère au graphique 12, le barrage de Manantali participe à lui seul à près de 45,82% des débits de la station de Bakel. Il est le fournisseur principal qui aide cette station, et donc la vallée toute entière, à répondre aux besoins agropastoraux ; d’eau de boisson et de navigation des populations de l’aval. Les apports des bassins versants intermédiaires sont importants mais particulièrement en hivernage car, en saison sèche, ils sont plutôt négatifs. Le nombre de mètres cubes qui s’est écoulé à Bakel s’élève à 32,784825 milliards. Ce chiffre ne concerne que l’année 2010-2011. Après l’analyse de la quantité d’eau de la retenue et l’effet particulier du barrage sur le comportement des stations, c’est désormais la qualité de l’eau qui est questionnée. Comment évolue la qualité de cette eau ? 4. La qualité de l’eau du lac et du Bafing Des chercheurs en hydrologie, W. Remini, et B. Remini, (2003) se sont intéressés au phénomène de sédimentation important dans les pays du nord (Algérie, Tunisie, Maroc) et ont révélé que les particules solides déposées par les cours d’eau à l’entrée des lacs créent des effets négatifs sur la qualité de l’eau, et menacent la sécurité des barrages (REMINI ET REMINI, 2003). Dans le cas du lac de Manantali, la qualité de l’eau est suivie par la cellule limnologique de la société d’exploitation. Lors de mes enquêtes, les agents n’ont pas semblé être inquiétés par ce problème d’envasement observé dans les barrages du nord du continent.

120 | P a g e

4.1. Au niveau du lac Le suivi de la qualité de l’eau du lac se fait au niveau de trois stations (Carte 16), matérialisées sur le lac par des balises (Photo 5). Il s’agit des Station I, III et IV. La station II a été éliminée à cause de sa proximité avec la première. Si dans les années 1980-1990 ce suivi était aléatoire, une fois par an, et le mois changeant d’une année à l’autre, il se fait désormais tous les trimestres depuis 2003. Parmi les paramètres mesurés se trouvent la température57 (°C), l’oxygène dissous58 (mg/l), le potentiel hydrogène (pH), la conductivité (µS/cm) et la transparence(m).

Le choix des paramètres est lié à leur régularité dans les mesures en fonction de la profondeur du lac, de 0 à 55 m. Chaque indicateur de mesure de la qualité de l’eau est doté d’une valeur à respecter. Le dépassement de ces valeurs conduit à une prise de mesure corrective pour éviter l’eutrophisation59 précoce du lac.

57 Dans les stations I, III, IV l’eau est plus dense en surface. La photosynthèse devient possible dans cette couche supérieure dite euphotique où la lumière est suffisante et permet la respiration des espèces ichtyologiques. 58 Comme la température, elle est importante en surface dans les stations I, III, IV et décroit constamment avec la profondeur. Avec la profondeur, la respiration l’emporte sur la photosynthèse et l’on peut même atteindre des conditions anaérobiques, ou manque d’oxygène. 59 L'eutrophisation est l'un des mécanismes qui conduisent à la mort des cours d'eau : le non suivi de certains paramètres comme les nitrates et les phosphates conduit à la prolifération d'algues à la surface des eaux. L’eau devient asphyxiante pour la vie aquatique et aboutit à la destruction de l'ensemble de l'écosystème. « Plusieurs cas ont été signalés dans la région de l’Afrique du nord. En effet, les déficits en oxygène, enregistrés près du fond du barrage El Khattabi (Maroc) au cours de la saison d’été, ont provoqué une activité de biodégradation dans les zones profondes (2001)» (REMINI ET REMINI, 2003). 121 | P a g e

Photo 5: balise de localisation de la station I de mesure de la qualité de l’eau, (réalisation, C. Cissé)

Carte 16 : répartition des stations de mesures sur le lac

La figure 13 ci-dessous sur la station I, montre l’évolution des paramètres mesurés de 1989 à 2013. Selon ces résultats, les températures au niveau de la station I

122 | P a g e sont en moyenne comprises entre 25°C au minimum et 27°C au maximum. La température la plus faible a été enregistrée en 1990 (22 °C). La valeur de l’oxygène dissous se situe entre 4 et 7 mg/l de moyenne. La conductivité60 minimum est de 27 µS/cm (1989) alors que le chiffre le plus élevé est de 67 µS/cm (1990). Depuis 2003, elle ne dépasse pas la trentaine : 36 µS/cm en 2013. Le pH est situé entre 7 et 8 et la transparence de l’eau est estimée entre 4 m (1989) et 8 m (2011). Ces données sont variables d’une année à l’autre.

STATION I

30 80

pH,Transparence,Oxygène 25 60

20 Conductivité Température, Température, 15 40 10 20 5

0 0

1998 2009 2010 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2006 2007 2008 2011 2012 2013

Années Tempér.(°C) Conduct.(µS/cm) Oxy.(mg/l) ,pH Transp. (m)

Figure 13 : mesures de la qualité au niveau de la Station I du lac

Au niveau de la station III (Figure 14), les températures sont plus élevées,29 °C en 1989, que pour la station I. Elles sont également les plus faibles, 21 °C en 1990. L’oxygène dissous est estimé entre 3 mg/l et 7 mg/l. Ces deux extrémités sont enregistrées dans les années 1990. La valeur de la conductivité maximale, plus élevée que celle de la station I, marque toutefois une nette diminution au cours des années. Elle est passée de 188 µS/cm en 1989 à 38 µS/cm en 2013. Si le pH61 se situe entre 7 et 8, la transparence de l’eau quant à elle se trouve entre 3 m et 8 m.

60 Plus la conductivité est basse plus l’eau est douce. On emploie un conductimètre pour prendre ces mesures. Elle augmente avec la profondeur. 61 Le pH permet de savoir le degré d’acidité ou d’alcanité d’une eau. Il y a trois domaines de valeur du pH. Si le pH est inférieur à 7, la solution est acide ; si le pH est égal à 7, la solution est neutre ; si le pH est supérieur à 7, la solution est basique. L’acidité est d’autant plus forte que le chiffre est petit. Une eau potable doit avoir un pH compris entre 6,5 et 7,5. Un pH de 7 est donc dix fois plus acide qu’un pH de 8. Les poissons peuvent dans certains cas s'adapter pour vivre dans une eau dont le pH ne leur convient pas, mais ils sont alors fragilisés. Certains poissons ont besoin d'eau acide, d'autres ont besoin d'eau basique : à Manantali, l’eau dans les trois stations est basique selon le SSSE.

123 | P a g e

Station III

Température, pH, Température, Transparence, 40 200 Conductivité 30 150 20 100

Pxygène 10 50 0 0

Années

Tempér.(°C) Conduct.(µS/cm) Oxy.(mg/l) Ph Transp. (m)

Figure 14 : mesures de la qualité au niveau de la Station III du lac

D’après les résultats de la figure 14, l’eau du lac est plus chaude dans la station IV, vers la source. Les températures varient entre 21 °C et 30 °C. La quantité d’oxygène dissous, entre 3 mg/l et 8 mg/l, est également la plus élevée. La conductivité maximale, 61 µS/cm en 1995, est moins importante que celle des deux premières stations. Toutefois elle est plus élevée ces dernières années et dépasse les 40 µS/cm depuis 2007 (45 µS/cm en 2013). Si les chiffres du pH n’ont pas changé, entre 7 et 8, ceux de la transparence sont plus bas. Ils sont estimés à 1 m en 1995, 6 m en 1996 et 4 m en 2012.

Station IV

Transparence,Oxygene 35 70

Température,pH, 30 60 Conductivité 25 50 20 40 15 30 10 20 5 10

0 0

1992 2000 2009 1989 1990 1991 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2001 2002 2003 2004 2006 2007 2008 2010 2011 2012 2103 Années

Tempér.(°C) Conduct.(µS/cm) Oxy.(mg/l) Ph Transp. (m)

Figure 15 : mesures de la qualité au niveau de la Station IV du lac

124 | P a g e

Avec ces données, je me suis limitée à une observation des différences annuelles entre les trois stations, mais il aurait été intéressant d’avoir une deuxième analyse de l’eau au laboratoire de Bamako62.

En Master 2, j’avais fait deux principaux constats : la qualité de l’eau se dégrade au fur et à mesure que l’on s’éloigne du barrage vers la source d’une part ; elle se dégrade avec la profondeur d’autre part. En outre, cette nouvelle recherche permet de confirmer ces premiers résultats. On retient qu’à Manantali, de 2003 à 2009, la température la plus élevée a été enregistrée à la station IV. Alors que le minimum a été noté dans les stations I et III. Toutefois, si le pH se stabilise entre 7 et 8 en moyenne, les chiffres moyens de l’oxygène, de la transparence et de la conductivité sont caractérisés par une baisse des valeurs dans les trois stations au cours de ces dernières décennies. On assiste peut-être à un début d’eutrophisation du lac de Manantali? Pourtant, selon le SSSE « l’eau de la retenue de Manantali est une eau faiblement minéralisée, turbide, eau douce, corrosion importante, de qualité physico-chimique bonne63 » (Cellule limnologique, 2012). Seulement, malgré l’aspect très clair en surface, le rapport de la cellule limnologique précise que l’eau du lac ne respecte pas les normes de potabilité pour l’Homme.

J’ai également analysé les mêmes indicateurs de la qualité de l’eau en aval, au niveau du bassin d’amortissement et de la station de Bafoulabé, afin de voir si les lâchers d’eau du barrage après la production d’énergie et les activités domestiques détériorent cette qualité.

4.2. Au niveau du Bafing en aval La zone du bassin d’amortissement est généralement inaccessible au public (Photo 6). Elle se situe après les murs du barrage en aval. Elle reçoit l’eau directement sortie des turbines après l’utilisation dans des groupes pour la production d’énergie.

62 J’y ai fait un stage de deux jours en 2012 pour comprendre l’analyse chimique des eaux. 63 Si les analyses de la qualité, avant le barrage, ont montré que « les eaux fluviales stricto sensu, particulièrement en période de crue, sont douces, peu minéralisées, tétraioniques asulfatés et achlorées Ces caractéristiques chimiques sont une conséquence des conditions géologiques, climatiques et végétales du haut bassin. Du fait de cette faible minéralisation globale, du déficit en calcium et de la quasi-carence, voire de la carence totale, en sulfates et en chlorures, ces eaux fluviales sont typiquement oligotrophes» (Groupement Manantali, 1978). 125 | P a g e

Comment est la qualité de l’eau dans cette partie du bassin ? Le rejet de l’eau par les groupes turbine-alternateurs peut-il comporter un risque de nuisance ?

Photo 6:localisation du bassin d’amortissement du barrage de Manantali, (réalisation, C. Cissé)

Les graphiques 16 et 17 ci-dessous montrent que la température de l’eau du bassin d’amortissement est comprise entre 24 et 29°C. La courbe des mesures de conductivité est marquée par une baisse au fil des années, elle passe de 80 µS/cm en 1991 à 41 µS/cm 1 en 2013. En ce qui concerne l’oxygène dissous et le pH, le premier est compris entre 4 et 9 et le chiffre le plus bas est enregistré en 2013, tandis que le pH se situe toujours entre 7 et 8.

126 | P a g e

80

54 49 51 50 50 47 44 44 43 41 40 41 40 42 42 42 41

29 27 27 24 24 24 24 24 23 25 24 25 25 25 26 26 24 25

1991 1992 1993 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Tempér.(°C) Conduct.(µScm-1)

Figure 16 : mesures de la température et de la conductivité de l’eau du bassin d’amortissement

9 9 9 9 9 8 8 8 8 8 8 8 7 8 7 8 7 8 7 7 7 7 7 7 7 7 7 7 7 7 7 7 6 6

4

1993 1999 2010 1991 1992 1995 1996 1997 1998 2000 2001 2006 2007 2008 2009 2011 2012 2013

Oxy.(mg/l) pH

Figure 17 : mesures de l’oxygène et du pH de l’eau du bassin d’amortissement

Pour voir si, en aval, la qualité de l’eau reste aussi bonne que l’affirme la SSSE, j’ai aussi analysé les résultats de la station de Bafoulabé, à 90 km environ de Manantali (Planche photos 4).

Dans la station de Bafoulabé, la particularité est la rencontre des deux principaux affluents qui forment le fleuve Sénégal. L’étude de la qualité de l’eau n’est pas aussi poussée que dans les premières stations, mais elle offre l’occasion de faire une comparaison avec les résultats à l’échelle locale. Les figures 18 et 19 révèlent que la température est plus constante à cette station et reste comprise entre 27,3 et 28,5 °C.

127 | P a g e

Les chiffres de l’oxygène dissous sont plus importants, ils varient de 6,3 à 10, 3 mg/l pour l’année 2007. Le pH est compris entre 6,9 et 7,5.

128 | P a g e

Planche Photos 4 : bafoulabé, la rencontre des affluents du Bafing et du Bakoye, (réalisation, C. Cissé).

93,9

54,4 41,4 37,3 37,5 40,0 38,4 38,8 36,5 38,4 37,0

28,5 28,2 27,8 27,4 27,9 27,9 28,5 28,0 27,3 27,6

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Température°C Conduct.(µS/cm)

Figure 18 : mesures de la température et de la conductivité de l’eau à Bafoulabé.

Oxy.(mg/l) pH

12,0

10,0 7,5 7,5 7,2 7,3 7,6 7,5 8,0 6,9 7,0 6,7 6,9 7,1 6,0

4,0

2,0

0,0 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Figure 19 : mesures de l’oxygène et du Ph de l’eau du bassin d’amortissement

À partir des résultats du bassin d’amortissement, et de ceux de toutes les stations, les mesures physico-chimiques de l’eau sont rassurantes (SSSE, 2013). En quoi s’expliquent alors l’apparition et le développement des plantes nuisibles qui inquiètent les agents de la société d’exploitation ? : « Le typha devient de plus en plus menaçant en aval immédiat du barrage aux deux rives, et tout au long de la rivière Bafing. Il nous faut prendre des dispositions urgentes pour sa destruction totale » (ibid.). Cette présence du typha qui n’existait pas dans la zone avant le barrage alarme pour deux raisons : d’abord, la perturbation de la production d’électricité et le dérangement des nombreuses activités humaines dépendants du cours d’eau en aval (Planche photos 5).

129 | P a g e

Planche Photos 5 : différentes d’activités sur le Bafoulabé, (réalisation, C. Cissé) L’affluent du Bafing joue un rôle important dans le quotidien des habitants des localités riveraines. Le barrage a profondément changé ce cours d’eau et son environnement :

« On note une conséquence sur les berges sous forme d’érosion accélérée. Plus loin dans la zone du delta du fleuve Sénégal, qui est une zone plate, l’écoulement est très lent, et il y a des zones d’épandage qui créent des conditions pour la prolifération des typhas au Sénégal et en Mauritanie sur la rive droite. Certains considèrent que cette faiblesse de l’écoulement en aval est liée au changement du régime du fleuve par le barrage de Manantali. Mais sur ce point, je pense plutôt que la création du lac protège les poissons, par ce que les zones d’étiage accéléré facilitaient la capture des poissons. Maintenant avec la régulation du cours d’eau, les poissons ont la latitude de se promener dans tout le lit et ceci les protège de l’extermination64».

64 Extrait d’un entretien avec le chargé de la division suivi des ressources en eau, de la Direction de l’hydraulique du Mali, réalisé pendant l’été 2012. 130 | P a g e

II. EFFETS DU CHANGEMENT DES CONDITIONS PHYSIQUES SUR LA DYNAMIQUE DES POISSONS Le lac de Manantali est installé sur l’ancien site de la forêt du Bafing. Avant la construction du barrage y résidaient deux formations végétales denses : les forêts galeries sur le Bafing et ses affluents (4 300 ha) d’une part et la savane arborée, arbustive et boisée (37 000 ha) d’autre part.

Pendant la construction, le déboisement du lac était l’une des recommandations de l’étude d’évaluation de l’impact sur l’environnement du programme d’infrastructure régionale de l’OMVS. L’OMVS était pour l’enlèvement65 de tous les arbres tandis que d’autres prônaient leur maintien car le déboisement dans le contexte du Sahel n’est pas sans conséquence.

Qui plus est, les feuilles pouvaient devenir de la nourriture pour la population piscicole. Finalement seule une partie du réservoir, 11 000 ha, a été déboisée grâce au financement de la République Fédérale Allemande (RFA) à l’époque, d’un montant de 20 millions de DM. Les opérations de déboisement, de novembre 1985 à juillet 1987, ont été supervisées par la direction des Eaux et forêts du Mali (ISH, 1985). Dans cette étendue d’eau marquée par la présence d’arbres, comment évoluent les poissons ? Pourquoi les poissons pêchés dans le lac sont-ils plus gros que ceux du Bafing, du Bakoye ou du fleuve Sénégal à Bafoulabé (Planche photos 6)? Dans les analyses qui suivront, en fonction des données de comptage disponibles, je ne prendrai en compte que la dynamique des poissons.

65 « Pour l’OMVS, l’enlèvement du bois se justifiait par les considérations suivantes : La dégradation de la végétation inondée, notamment les herbes, les feuilles des arbres, ainsi que la décomposition de matières organiques dans le sol pourraient libérer une masse importante de nitrifiants pouvant déclencher un développement d’algues et de macrophytes. Les troncs d’arbres flottants pourraient encombrer les conduites des vidanges de fond et des prises d’eau. L’eau dégradée du lac de retenue pourrait devenir corrosive vis-à-vis des équipements métalliques et du béton. La forte désoxygénation de l’eau du fond du réservoir peut entrainer la mortalité de poissons. Cette eau serait alors inapte à la consommation pour les villages proches de l’Ouvrage le long du fleuve » (OMVS, 1977). 131 | P a g e

Planche Photos 6 : types de poissons du lac et du Bafing, (réalisation, C. Cissé) 1. Le bouleversement de la population de poissons 1.1. Dans les eaux du lac Le comportement des poissons dans le lac, et dans les cours d’eau en aval, est suivi par les agents de la section limnologie de la société d’exploitation. Mon objectif était de voir les relations entre le changement de la quantité, de la qualité de l’eau et la dynamique des poissons. Pour se faire, j’ai utilisé les données disponibles au SSSE des deux nuits de pêche par trimestre entre 2003 et 2013. Je considère également les données fournies par l’OMVS, datant de 1989 à 1998. Toutefois le manque d’informations entre les années 1998 et 2003, m’a empêché de voir l’évolution des poissons durant cette période. La seconde limite de cette analyse est que, contrairement à la période de 1989-1998, du fait du changement de l’équipe de limnologie, les méthodes de classement se sont identiques. Les données obtenues à partir de 2003 sont classées par familles de poissons. Elles permettent toutefois d’avoir une idée d’ensemble des poissons pêchés dans le lac.

Selon les résultats obtenus, il apparaît qu’entre 1989 et 1998 certaines espèces ont disparu. Cet effet a été déjà signalé dans une recherche de S. Alhousseyni (1992). Dans

132 | P a g e sa thèse de doctorat, l’auteur fait une présentation de la nouvelle ressource piscicole et de l’immense capacité d’adaptation des acteurs dans un contexte environnemental et socio-économique qualifié comme difficile. L’auteur montre : « le développement des poissons après la mise en eau et une disparition de bien d’autres après cette phase à cause des changements dus à des modifications du milieu, et sa grande variabilité (profondeur, courant, température, oxygène). La retenue de Manantali est formée d’une partie fluviatile (zone amont) et d’une partie véritablement lacustre (zone proche du barrage). Cette division joue dans la répartition des poissons qui évoluent vers un type lacustre. Aussi, la composition du peuplement change de l’amont vers l’aval mais aussi d’une zone à l’autre. Globalement, le peuplement de l’amont est plus riche et plus diversifié surtout lors de la période des hautes eaux (novembre-janvier) » (ALHOUSSEYNI, 1992). Ceci explique peut-être la taille des poissons du réservoir. Dans le même sens, G. Rossi (1996) a fait une étude d’impact des barrages installés sur le fleuve Mono (340 km de long) au Togo/Bénin. Il a utilisé des modèles mathématiques pour mesurer les effets hydrologiques et sédimentologiques des barrages de Nangbeto (1986) et d’Adjarala (1992). Il souligne que les deux barrages peuvent créer une variation du régime du cours d’eau et une perturbation de la biocénose. Alors que les lâchers de turbines accélèrent l’érosion des berges, le creusement du lit, l’abaissement du niveau des nappes (ROSSI, 1996).

Cependant, je remarque que la composition des poissons ne change pas forcément de l’amont vers l’aval comme affirmé plus haut : c’est généralement le même peuplement avec des tailles et quantités plus importantes soit en amont, soit en aval. Les résultats obtenus dans le traitement des données annuelles des campagnes trimestrielles de 2003 à 2013 montrent l’évolution de 12 familles. Il s’agit des Bagridae, des Characidae, des Mormyridae, des Centropomidae, des Cichlidae, des Mochokidae, des Ciprinidae, des Tetraodontidae, des Clariidae, des Schilbeidae des Distichodontidae et des Malapteruridae.

133 | P a g e

Mochokidae Ciprinidae Bagridae 4% 2% 10% Cichlidae 17%

Centropomidae Characidae 8% 57% Mormyridae 2%

Bagridae Characidae Mormyridae Centropomidae Cichlidae Mochokidae Ciprinidae Tetraodontidae Clariidae Schilbeidae Malapteruridae

Figure 20 : classement par familles des poissons dans le lac

Le graphique 20 montre une prédominance de la famille des Characidae. C’est une famille qui est relativement facile à maintenir dans un lac. Ces poissons tolèrent des variations de pH entre 6 et 8 et des températures comprises entre 23 °C et 28 °C. Cette famille vit donc dans de bonnes conditions dans les eaux de Manantali où apparemment son nombre n’a cessé d’augmenter depuis 2003. Les Mochokidae sont assez bien représentés en 2006 et en 2007 juste après le démarrage des activités de la centrale hydroélectrique de Manantali. Une seule grande variation dans le graphique est à noter : les Centropomidae et les Bagridae sont bien représentés en 2004 et en 2008. Il en va différemment pour les Ciprinidae, les Tetraodontidae, les Clariidae et les Schilbeidae, parfois absents du comptage. Au total, les résultats montrent donc qu’en amont la mise en place du barrage a créé des conditions de développement de certaines familles : les Characidae, les Cichlidae, et les Centropomidae. La famille des Malapteruridae n’a été trouvée qu’en 2013. Comme se comporte la population de poissons dans la partie aval après le barrage ?

1.2. Dans les eaux du Bafing, du Bakoye et du fleuve Sénégal Des analyses ont été faites sur les données issues du comptage des poissons au grand marché de Mahina, situé à 80 km environ du barrage (Planche photos 7). « L’inventaire ichtyologique en juillet, août et septembre 2013 au marché de Mahina nous donne un bon nombre de familles : Anabantidae, Bagridae, Centropomidae, Characidae, Cichlidae, Ciprinidae, Clariidae, Distichodontidae, Malapteruridae, Mochokidae,

134 | P a g e

Mormyridae, Schilbeidae et Tetraodontidae. Une forte présence des Cichlidae, (34,4%) et Mochokidae (22,3%) » (SSSE, 2013). Ici, les mêmes familles de poissons que celles présentes dans le lac ont été notées. L’intérêt de l’analyse à cette échelle concerne plus l’apport par cours d’eau en poissons. Les analyses qui vont suivre ne prendront en compte que les données d’enquête et de comptage réalisés auprès des commerçants66 de poissons.

Planche Photos 7 : grand marché de Mahina, (réalisation, C. Cissé)

Bafing

1500

1000

500

0

2005 2007 2003 2004 2006 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Figure 21 : nombre de poissons du Bafing vendus à Mahina entre 2003 et 2013

66 Majoritairement des femmes mais aussi des pêcheurs-vendeurs. 135 | P a g e

1000 800 600 400 200

0

2004 2003 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Bakoye

Figure 22: nombre de poissons du Bakoye vendus à Mahina entre 2003 et 2013

350 300 250 200 150 100 50

0

2006 2003 2004 2005 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Sénégal

Figure 23 : nombre de poissons du fleuve Sénégal vendus à Mahina entre 2003 et 2013

La figure 21 est marquée par une phase intermédiaire de 2003 à 2006, une phase ascendante à partir de 2007 et une baisse de la quantité en provenance du Bafing en 2013. Celle du Bakoye est plus variable (Figure 22). En fait, les prises enregistrées sont importantes en 2004, en 2009 et particulièrement en 2011. Le nombre diminue depuis cette date. Sur le graphique du fleuve Sénégal, l’année 2010 a enregistré le plus grand nombre de poissons vendus au grand marché de Mahina (Figure 23).

136 | P a g e

60,00%

50,00%

40,00%

30,00%

20,00%

10,00%

0,00% Bafing Bakoye Sénégal

Figure 24 : part du Bafing dans l’offre de poissons au marché de Mahina.

Finalement, entre 2003 et 2013, plus de 50% des poissons vendus au grand marché de Mahina proviennent du cours d’eau du Bafing, 39% vient du Bakoye et 10% du fleuve Sénégal à Bafoulabé (Figure 24). Selon ces résultats, la présence du barrage n’a donc pas empêché le Bafing de jouer son rôle dans l’apport en ressources piscicoles en aval. Il a quand même créé une différence, car les poissons du lac et de l’aval proche du barrage sont plus gros que les poissons présentés au marché de Mahina en provenance du fleuve Sénégal, du Bafing éloigné ou du Bakoye.

CONCLUSION DU CHAPITRE II

L’apparition du lac de Manantali a changé le paysage de la commune de Bamafélé. La quantité d’eau dans le réservoir, et dans le Bafing en aval, dépend principalement des pluies, qui diminuent du sud, au niveau de la station de DakaSaidou, vers le nord à la station de Bakel. La régularisation du fleuve joue un rôle sur les débits dans les stations en amont et dans les stations de Kayes, et de Bakel. Ces lâchers sont plus maitrisés depuis le démarrage de la centrale hydroélectrique.

La qualité de l’eau en amont ne semble pas inquiéter les agents de la société d’exploitation. Or, l’apparition des typhas en aval a soulevé des interrogations sur la nécessité de prendre des mesures de suivi. En fonction de la qualité de l’eau, certaines

137 | P a g e familles de poissons se sont bien adaptées au nouvel environnement du lac, leur nombre ne cesse d’accroître.

Après l’analyse des impacts du barrage sur l’environnement physique, le premier chapitre de la seconde partie sera l’occasion de revenir sur les perturbations de l’environnement socio-spatiale de la zone riveraine.

138 | P a g e

CONCLUSION PARTIE 1

Dans cette première partie, l’objectif a été de présenter la démarche méthodologique adoptée qui est importante pour comprendre les résultats des analyses et les limites. Cette partie a ensuite permis de faire connaître l’organisation et le fonctionnement de l’OMVS propriétaire et gestionnaire du barrage hydroélectrique de Manantali qui depuis 2003 distribue de l’électricité aux pays membres de cet organisme international. Le dernier chapitre de cette partie avait enfin pour objectif de faire une analyse des impacts du barrage sur le cours d’eau du Bafing notamment la création d’un lac de retenue fournissant des tailles importantes de poissons.

La deuxième partie portera sur l’examen des bouleversements socio-spatiaux des villages et l’émergence des campements de pêche autour de ce lac de retenue. La question des inégalités d’accès aux services (eau, électricité, soins) sera abordée.

139 | P a g e

140 | P a g e

DEUXIEME PARTIE

PERTURBATION PROFONDE DES CONDITIONS SOCIO-SPATIALES

141 | P a g e

CHAPITRE III

RECOMPOSITION SOCIALE ET SPATIALE POST- BARRAGE : LA COHABITATION DES VILLAGES ET DES CAMPEMENTS

142 | P a g e

Dans le chapitre 2, j’avais montré la désorganisation du cours d’eau du Bafing par le barrage et par l’apparition du lac. Ce chapitre 3 marque le début de l’analyse des impacts du barrage sur les localités riveraines du lac et du Bafing.

Suite à la mise en eau de la retenue, des campements de pêche se multiplient dans ses alentours proches. Je présenterai d’abord les huit villages et les 25 campements à travers les différents variables observées: la dynamique démographique, l’histoire, la composition ethnique.

Ensuite, j’exposerai la réorganisation spatiale de la zone aval du barrage, où cohabitent désormais les villages déplacés (Goumabalan, Maréna, Sollo, Diokéli, Bamafélé) et les anciens villages dont Manantali, Diakhaba et Kondonia. En amont, il sera question de montrer l’occupation spécifique des alentours du réservoir par des familles de pêcheurs.

L’analyse par localisation des villages et campements permet d’identifier deux types de problématiques. Les habitants des campements de pêche ont réussi à profiter de la présence du lac et à développer une économie de pêche locale qui sera développée dans la troisième partie. Ceci se traduit par une spécialisation de l’amont proche autour du lac, qui voit l’émergence d’un nouveau territoire. Les habitants des anciens villages ont connu un changement brutal de la taille de leurs villages, à cause d’une cohabitation sur leurs terres avec les villages déplacés.

143 | P a g e

I. DYNAMIQUE GENERALE DE LA POPULATION DE KAYES ET DE LA ZONE RIVERAINE DU BARRAGE Selon les résultats du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH- Mali) de 2009, la population de la région de Kayes est estimée à 1 993 615 habitants (Carte 17).

Carte 17 : nombre d’habitants par cercle de la région de Kayes

Cette population est plus concentrée dans le cercle de Kayes qui est occupé par 513 172 habitants. Dans les cercles de Kita, de Bafoulabé, et Nioro vivent respectivement 432 531, 233 647 et 228 926 personnes. Après Diéma (211 772) et Kéniéba (197 050), le cercle de Yélimané enregistre le moins d’habitants, soit 176 517.

Une seconde lecture dans le cercle de Bafoulabé révèle des disparités entre les 13 communes qui le composent (Carte 18). Loin devant, les communes de Mahina et de ont plus de 21 500 habitants. Elles sont suivies par Kontéla, Bafoulabé et Oualia. Les chiffres les plus faibles sont à , à Sidibéla, à et à .

144 | P a g e

À l’image des communes de et de Koundian, les deux communes de Diokéli et de Bamafélé, voisines du barrage, répertorient entre 7 431 et 16 180 habitants.

La commune de Bamafélé est plus peuplée, soit 16 180 habitants en 2009, par rapport à celle de Diokéli qui en compte 13 097. Ces habitants vivent dans les villages, campements et hameaux de cultures qui composent ces communes.

Carte 18 : nombre d’habitants par commune du cercle de Bafoulabé. 1. Dynamique de la population dans les campements et les villages environnants du barrage 1.1. Dans les campements Dans les campements de pêche, la situation démographique est suivie par le SSSE, 1461 personnes y vivaient en 2013 dont 310 garçons, 384 filles et 280 femmes et des pêcheurs adultes. Depuis 1989, un recensement est organisé une ou deux fois par an.

145 | P a g e

Le manque de données de 1999 à 2002, lié à un problème de personnel à cette époque, limite mon analyse de l’évolution démographique.

Figure 25 : évolution de la population dans les campements.

Les résultats du graphique 25 montrent que, de 1989 à 1998, la population moyenne dans l’ensemble des campements était estimée à environ 900 habitants. Une baisse est notée en 1990 avec 840 habitants et une nouvelle fois à partir de 1995.

Les chiffres les plus faibles sont notés en 1996, avec 638 personnes. Estimé à 1327 en 2003, le nombre d’habitants a baissé en 2004 jusqu’à 1193 habitants. Dans l’ensemble, on note une tendance à l’augmentation de la population générale dans les campements avec de nouveaux arrivants. Le rush vers Manantali n’est pas une chose nouvelle pour les barrages, et il était prévu. « En ce qui concerne la venue de pêcheurs allochtones sur le site de Manantali, il est à peu près certain qu’elle aura lieu, quelle que soit la politique arrêtée. Citons à cet égard, les résultats obtenus sur le lac d’Ayamé en 1964, après 5 ans d’existence de la retenue » (GROUPEMENT DE MANANTALI, 1977).

146 | P a g e

Figure 26 : évolution par catégorie de population dans les campements.

La figure 26 montre une évolution des trois catégories de population depuis 2003. Il n’existe pas de données avant cette date. Le nombre de filles est resté supérieur par rapport aux deux autres courbes. Après une baisse en 2004, le nombre de filles a beaucoup augmenté jusqu’en 2010. Les chiffres les plus bas sont visibles chez les garçons. Ils sont 228 en 2004 et en 2011. La courbe reste toutefois ascendante depuis 2011. En ce qui concerne le nombre de femmes, il est moins important que celui des filles. Les chiffres sont en baisse en 2013, où l’on recense 280 femmes.

1.2. Dans les villages en aval Dans les villages, l’étude de la dynamique de la population a été plus difficile à cause d’un manque de données détaillées dans le premier recencement de la population du Mali en 197667. L’autre limite dans l’analyse concerne les villages de Diokéli et de Kondonia qui n’étaient pas renseignés dans le répertoire des villages du recensement de 1987. En outre, le manque d’informations sur la superficie de chaque village dans « les répertoires des villages », et donc sur les densité de population, constitue une limite notée dans les documents officiels de rencements généraux des populations. Ces informations auraient été utiles pour étudier l’évolution de la zone

67 Le Mali a connu 4 recensements de la population : 1976, 1987, 1998 et 2009. Les résultats de 2009 ne seront disponibles qu’en 2013 sur le site de l’INSTAT http://www.instat-mali.org/ 147 | P a g e d’emprise des villages avant et après barrage. Elles m’auraient également permis d’analyser une probrable densificaton des villages les plus proches du barrage, peut- etre en liaison avec les mesures d’accompagnements de celui-ci.

La population a augmenté dans tous les villages de l’aval. Le village de Diakhaba est celui qui a connu la plus grande évolution démographique. La population a pratiquement triplé entre 1987 (1673 habitants) et 2009 (4882 habitants). Pourtant, ce village est resté enclavé. Son statut de village religieux a un impact sur l’installation de personnes venues du Mali et des pays voisins lors des pèlerinages.

La population du village de Manantali n’a presque pas diminué. Elle était estimée à 6705 habitants en 1987 alors qu’en 2009, elle est de 6682 habitants. Cependant, le nombre de femmes est passé de 2787 en 1987 à 3302 en 2009. La baisse de la population du village de Manantali est en partie liée au départ des étrangers après les travaux de construction du barrage en 1988. Depuis quelques années, ce sont plutôt les habitants des villages voisins qui augmentent sa population. «Ils viennent travailler à Manantali, ils y construisent une résidence secondaire mais ils ont une maison dans leurs villages d’origine, un moyen de garder leur dignité et de ne pas se laisser engloutir par Manantali »68.

2. Villages environnants : une histoire perturbée 2.1. Les anciens villages de Manantali, Diakhaba et Kondonia Le nom de Manantali signifie le «flanc de la montagne où la lumière brille». Il est issu de la langue Malinké, et a été désigné par des chasseurs. Ils avaient besoin d’un point de rencontre et se donnaient rendez-vous au pied du flanc de la montagne « Manan » éclairé par des lucioles « Tali ».

À l’époque de sa fondation, Manantali était un hameau de culture, c’est-à-dire que la première famille est venue s’installer pour cultiver. Le village a été fondé par Djimo Sissoko en 1942. Vers 1968, la famille du chef de village accueille une centaine de personnes : des chasseurs, des éleveurs transhumants, des agriculteurs. Mais le

68 Extrait enquête auprès des habitants de Manantali, réalisée pendant l’été 2012. 148 | P a g e peuplement de Manantali s’est accéléré particulièrement avec les travaux de construction du barrage hydroélectrique éponyme sur les terres du village.

«Avant le barrage on cultivait, pêchait, chassait. Il n’y avait rien dans la zone. Tout ce qui est là est venu avec le barrage. On était tellement seuls et isolés à Manantali qu’on accueillait avec plaisir tous les étrangers. On avait besoin d’avoir du monde. Pendant la construction du barrage, le chef de village a hébergé presque tous les étrangers à la recherche de travail. Il dormait avec des dizaines de personnes dans sa case. Au bout d’un certain moment, on s’est rendu compte que Manantali ne pouvait plus abriter tout le monde, les gens ont commencé à s’installer jusqu’à 6 km du village, notamment à Soukoutali »69. Les étrangers venus chercher du travail lors de la construction du barrage sont majoritairement restés, d’après la famille Sissoko. L’organisation du pouvoir a connu quelques évolutions avec la croissance de Manantali. Ce n’est plus la famille du chef de village qui prend les décisions. Elle continue néanmoins à s’occuper des problèmes des habitants du village. Tandis que ceux, plus complexes, qui dépassent leurs compétences, se terminent à la mairie, à la sous-préfecture, ou au tribunal, si la réunion entre le chef de village et les responsables de chaque quartier (membres du comité de 12 personnes) ne débouche pas sur une solution.

Le village de Diakhaba, situé à plus de 40 km du barrage, reste le seul village religieux que nous avons visité. Fondé par le marabout El Hadj Saloum Souaré dont le tombeau se trouve au centre du village, son histoire a été relatée par son Imam, contrairement aux autres villages. Selon lui, le fondateur avait reçu l’ordre, en partant de la Mecque, de fonder un village. Son bâton lui permit de savoir que l’emplacement actuel de Diakhaba était l’endroit idéal après de nombreux voyages. Après avoir parcouru 39 villages, c’est seulement cet endroit que le bâton lui indiqua. L’objectif du fondateur était de convertir les habitants à l’islam. Le mot Diakhaba veut dire qu’ils vont « continuer à suivre la religion ». Le Marabout donna des terres à tous ses disciples.

« La terre n’est pas vendue et on ne prend pas de noix de kola. La seule condition pour accéder à nos terres c’est de partager notre religion. Le demandeur souligne la partie où il veut s’installer, et on lui indique à qui appartient cette partie. Et normalement, il la lui cède sans problème. On partage les terres dans la solidarité et le bon voisinage. Personne ne vend de terres à Diakhaba, on est conscient que cela peut arriver un jour, mais on n’en est pas encore là70 ».

69 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Manantali, réalisé en mai 2014. 70 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Diakhaba, réalisé en mai 2014 149 | P a g e

Le chef de village vient toujours de la famille Souaré. L’imam est, quant à lui, élu par consensus par tous les villageois. Quand des problèmes se déclarent, les habitants s’accordent toujours avec la mairie, et se réunissent pour les régler. Le village existe depuis plusieurs centaines d’années environ. Les familles à Diakhaba sont des Touré, les Diakhité, les Cissé, les Fofana, les Dramé, les Sylla.

L’organisation du pouvoir est similaire dans les autres villages non déplacés, comme le village de Kondonia qui a été fondé il y a plus de 75 ans par Katimy Dembélé. Le fondateur de Kondonia venait du village voisin de Sobela à cette époque. Kondonia vient d’un nom d’arbre « kondon ».

2.2. Les villages déplacés : Bamafélé, Goumbalan, Sollo, Diokéli, Maréna Malgré leur réinstallation, les villages déplacés prennent en compte leurs dates de construction dans les premiers sites. Le village de Bamafélé se trouvait dans un site nommé « Kotoura ». Bamafélé est un nom Malinké qui signifie « on aperçoit le fleuve ». Il a été fondé par Sira Mouhamadi Dembélé vers 1900. Des Malinkés, des Bambara et des Peuls ont été les premiers habitants de Bamafélé. On ressent une nostalgie de l’ancien site chez certains habitants. Les souvenirs des déplacements comme les regrets des réinstallations sont présents lorsque les interrogés relatent une période d’impuissance face aux décisions des constructeurs.

« Lors des déplacements, on n’avait pas le choix. Ils avaient déjà tracés les limites des villages. L’OMVS a déplacé les villages mais les mesures d’accompagnement ne suivent pas. Elle a juste déplacé les populations. On attend qu’elle fasse beaucoup plus d’efforts. Nous voulons des choses nouvelles, pas de remplacement. Il y a eu une très mauvaise étude socio- économique avant barrage. On ne sait pas sur quoi ils se sont basés pour parler des avantages pour la société locale. La vérité est que de Manantali à Kayes on ne voit tout simplement pas de choses concrètes. Dans l’ancien site, on avait beaucoup d’espaces pour cultiver et on avait le choix. La population n’a même plus d’endroit où cultiver. Imaginez, avant on était dans des villages où on avait des puits, des écoles, des terres, des animaux. Et les enfants respectaient les coutumes. Mais, aujourd’hui, nos enfants ne sont même plus nos enfants. On ne les reconnaît plus. On sait que le barrage sert à quatre pays, mais la population locale est la plus grande perdante. Je sais de quoi je parle, car j’ai 60 ans et j’étais là avant, et je suis encore là pour raconter les conséquences de ce barrage à qui veut l’entendre. La vérité est que, ceux qui ont été là lors de la construction vont mourir sans profiter du barrage. Peut-être que nos enfants vont en profiter un jour, mais il faut vraiment que cela arrive un jour71 ».

71 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Bamafélé, réalisé en mai 2014. 150 | P a g e

Si le village de Goumbalan a été fondé par Founéké Dembélé, celui de de Diokéli a été construit par une personne du nom de Kounéfimadi Keitfondé il y a plus de 80 ans. Le fondateur du village de Diokéli72 est originaire du village voisin de Bantandioké. Au cours du déplacement de Diokéli, les habitants ont été indemnisés. Ces conditions d’indemnisation sont des aspects mentionnées dans le récit de son chef de village : en dehors des terres qu’ils leur ont données, les constructeurs avaient indemnisé les arbres, les magasins, et les greniers qui étaient seulement dans les zones inondées soit 30 000 FCFA environ par élément. Le chef de village est revenu sur les limites de l’organisation des mesures d’accompagnement et les paiements des indemnités.

« Les habitants étaient ravitaillés en denrées alimentaires pendant les trois premières années. Les denrées alimentaires qu’on appelait produits PAM, à titre de mesure d’accompagnement, ont été très mal distribuées vers la fin. Au lieu de donner un lot par famille, les gestionnaires donnaient un lot pour deux familles, et ils vendaient très cher le reste. On ne pouvait rien dire. La distribution était devenue irrégulière, et un jour, ils ne nous donnèrent tout simplement plus rien. Ce qui nous fait le plus mal dans cette histoire, c’est qu’ils n’ont pas respecté leurs promesses. Ils devaient donner à chaque famille des frais de dommages et intérêts de 100 000 FCFA. Personne n’a jamais rien reçu. Ils n’ont construit que l’école et la route73 ». Cette situation d’argent non versé aux habitants de Diokéli prend parfois des formes particulières dans la géopolitique locale. Dans un des cas, la somme reçue par la commune de Bamafélé qui abrite le barrage sous forme de taxes payées par la société d’exploitation a créé un sentiment de jalousie, de frustration, et de tension entre les deux communes voisines du barrage. Cela s’est manifesté à tel point que, selon le maire de la commune de Diokéli, ses habitants se sentent seuls et n’ont pas bénéficié du barrage.

« La société d’exploitation donne 6 millions à la mairie de Bamafélé. Le conseil de cercle et l’assemblée régionale prennent une partie. La commune de Bamafélé a, à elle seule, 3 millions 500 FCFA. Alors qu’aucun village de Diokéli ne bénéficie de cet argent. La population est frustrée. Elle a tout perdu74 ».

72 Le village de Diokéli est le chef-lieu de la commune de Diokéli. Avant les processus de recasement, le site actuel du village n’était qu’un hameau de culture pour les habitants du village voisin de Bingassi. Il est transformé en village pour abriter les populations de l’amont. La majorité des populations est issue des anciens sites déplacés (Kourounding, Ganfan, Ougoundinko, Konkorma, Diokéli…). 73 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Diokéli, réalisé en mai 2014. 74 Extrait de l’entretien individuel avec le Maire de la commune de Diokéli réalisé pendant l’été 2012. 151 | P a g e

Cet apport financier du barrage aux communes a été remarqué par des chercheurs. Selon le géographe A. Savoie (2008), les impacts financiers des barrages de montagnes sont importants pour les collectivités locales. Il souligne en exemple que « les impôts locaux sur les équipements EDF (taxes foncières sur le bâti et taxes professionnelles liées aux barrages, centrales et toutes installations) représentent un soutien décisif pour les finances locales. EDF est le plus gros contribuable de la plupart des communes de la haute Maurienne. […]. Les revenus de l’hydroélectricité continuent aujourd’hui à participer de façon significative à l’équilibre financier de certaines stations de la Vanoise » (SAVOIE, 2008). Cet exemple de développement des domaines skiables grâce aux revenus assurés de la société d’exploitation en France montre combien des communes comme Bamafélé et Diokéli pourraient bénéficier d’une électricité à un tarif réduit. En outre, grâce aux taxes payées par la société d’exploitation, les mairies pourraient investir dans des secteurs de l’accès à l’eau, de la santé ou dans le tourisme local. Elles peuvent également tendre vers une diversification des activités du barrage de Manantali au-delà de la seule production d’électricité. Même si pour le moment, l’électrification des villages environnants reste un enjeu majeur.

Dans cette commune de Diokéli se trouve un des plus gros villages de cette recherche. Le village de Sollo est aussi le lieu d’un important marché hebdomadaire qui accueille tous les villages environnants. Sollo est un nom Malinké qui signifie « l’espace entouré par les collines ». Avant le barrage, sur l’ancien site, le village avait une seule entrée. Les collines le protégeaient contre les attaques et les hommes se mettaient au-dessus pour surveiller les alentours. Le village de Sollo est un village réinstallé qui abrite les anciens habitants de la localité de Solokoto.

Mais le plus vieux village étudié reste celui de Maréna. Le nom actuel du village est une transformation de Naréna, village de Kankaba. Il a été fondé par deux frères. L’un est resté dans cette partie du Bafing et a gardé le nom Maréna et l’autre est partie à Kita. Il y a beaucoup de Maréna au Mali. Le village se spécifie en portant le nom Maréna Bafing. Selon les habitants, le nom du fondateur ne se dit pas, car suivant l’histoire du village, toute personne qui a moins de 50 ans, et qui le prononce ou l’entend prononcer « meurt ». Même à l’école, pendant le cours d’histoire locale on met

152 | P a g e sur ce nom « nom anonyme ». Kaniba Simaro est finalement retenu comme le plus ancien des descendants « du fondateur ». Le village avait plus de 250 ans en 2014 selon le chef de village. 3. Composition ethnique à dominante Malinké et Bozo La majorité des villages en aval du barrage est peuplée presque entièrement de Malinkés. Le graphique 27 est un des résultats de l’ACM. Il montre en bleu tous les villages et les campements, en rouge toutes les modalités de réponses de deux variables, dont l’appartenance ethnique et les raisons de l’installation dans la zone. La variable supplémentaire, le niveau d’intégration, est présentée en jaune. Les cercles et les encadrés représentent des ensembles remarqués sur le graphique. La lecture de cette figure se base sur la proximité des mots sur le plan qui révèlent le rapprochement des profils de réponses des habitants

1,5 Bambara-5 Courrier-2 Pêche-62 Enseignement-2 Sarakolé-8 Kelingua-3 Sénoufo-1 KhassonkéSonrai-3 -1 Regroupement famillial-36 Minianka-1 1 Wolof-1 MalinkéBozo-3 -52Campements Somono-20 Khassonké-8 Peul-5 Oui-100 Commerce-4 Dialonké-1 Gendarmerie-1 Bambara-22 Natifs-61 Oui-51Barrage-7 Natifs-4 Somono-2 0,5 Malinké-100 Barrage-97 Non-49 Etude-1 Soninké-1 Malinké-96 Regroupement famillial-42 Pêche-5 Bozo-10 Peul-7Sollo Barrage-Courrier45 -1 Peul-4Kondonia GoumbalanNatifs-79 Regroupement famillial-39Oui-70 Malinké-83 Non-30 Maure-1 Barrage-5 Peul-15Malinké-93 Elevage-3 Dogon-1 0 Diokéli Mossi-1Manantali Soninké-Barrage2 -6 BamaféléBarrage-98 Sarakolé-6 Arabe-1 Soninké-3 MarenaPeul-3 Malinké-29 Sonrai-2 Malinké-94 Peul-11 Bobo-1 -0,5

Commerce-1

-1 F2 (18,63 %) (18,63 F2

Enseignement-1 Kakoro-1 -1,5

Oui-93 Diakhaba Non-7 -2 Bozo-2 Khassonké-1 Barrage-9 Malinké-34 Haoussa-1 Natifs-70 Peul-10 Soninké-18 Etude-2 Bambara-1 Diakhanké-28 Regroupement famillial-17 -2,5 Sarakolé-1

-3 -3,5 -3 -2,5 -2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 F1 (57,65 %) Variables Variables supp. Observations

Figure 27 : composition ethnique des villages et des campements, (réalisation, C. Cissé)

.

153 | P a g e

En observant le premier axe horizontal, je remarque une opposition entre les localités à dominante d’ethnie malinké ou bozo à gauche et le village pluriethnique de Manantali à droite. Pendant que l’axe vertical 2 oppose le village de Diakhaba où les raisons spécifiques fournies sont l’éducation en bas du graphique ; et les habitants qui s’installent dans les campements pour la pêche en haut. Il montre également tous les villages qui sont originaires du Bafing. Le village de Manantali est écarté des autres car il est le seul où les métiers de la sécurité sont cités.

Carte 19 : diversité ethnique dans la zone riveraine.

La carte 19 montre la diversité ethnique dans les zones étudiées. Les Malinkés constituent 83% des habitants de Bamafélé, 93% de Diokéli, 94% de Maréna, 100% de Goumbalan. Le village de Diakhaba est composé de seulement 34% de Malinké. Ils cohabitent avec les ethnies Diakhanké, Soninké mais aussi Haoussa (1%) et Noumou (3%).

Les campements de pêche ont une diversité ethnique moyenne. En tant que zone de pêche, les campements sont habités par des Bozo (52%) et des Somono (20%). Les

154 | P a g e

Malinké ne représente que 3% de la population, les Peul 5%, les Sonrai 1%, les Bambara 5%, Khassonké 3%, les Kelingua 3% et les Sarakolé 8%. Les habitants ont le sentiment d’être chez eux, même les pêcheurs.

Le village de Manantali situé à droite du graphique 27 est composé de plus de 19 ethnies. Or, « avant le barrage, à Manantali il n’y avait que des Malinkés mais maintenant il y a toutes les ethnies. Et grâce à Dieu nous n’avons jamais connu de problèmes avec les étrangers75 ». Malgré les changements, et comme l’indique le chef de village de Manantali, la majorité des habitants se dit bien intégrée76. Toutefois, la tendance s’inverse quand il s’agit de parler des relations inter-villageoises. Plus de 52,4% des personnes interrogées dans ce village pensent qu’il existe effectivement une discrimination créée par le barrage en faveur des allochtones et des étrangers.

75 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Manantali, réalisé en mai 2014. 76 Les femmes (78,4%) s’intègrent plus rapidement que les hommes (63,6%). Les jeunes de moins de 20 ans (84,6%) et les plus de 50 ans (72,3%) sont plus intégrés que les adultes entre 20 et 50 ans (67,3%). 155 | P a g e

Carte 20 : motivations à l’installation dans la zone riveraine du barrage

Je me suis intéressée aux profils d’installation des immigrants. Il s’agissait de voir quelles sont les principales raisons qui amènent les immigrés à s’installer dans cette zone du barrage. La carte 20 résume les raisons fournies par les habitants dans les zones étudiées. Pour les villages de Maréna, Bamafélé, Goumbalan et Kondonia, la raison est qu’ils sont tout simplement natifs du Bafing à 52%. Pour les villages de Sollo et de Diokéli qui ont connu tous les deux le phénomène de déplacement de l’amont vers l’aval, le barrage de Manantali est la principale raison d’installation. Cette réinstallation a eu lieu avant 1988. La lecture des modalités actives autour des campements de pêche de Manantali en amont sur le graphique 27 montre que les habitants s’installent pour trois principales raisons : le regroupement familial77 (36%), la pêche (62%) et le métier de courrier (2%). La proximité de la modalité « pêche » et de l’individu « campements », montre le poids très important de cette activité dans cette zone. Ce sont généralement des pêcheurs hommes, jeunes ou adultes qui sont suivis de leurs femmes, enfants, frères ou cousins. D’autres viennent pour pratiquer le métier de courriers (vendeur de poissons). Les courriers sont des immigrés des régions éloignées mais aussi des populations du Bafing ou des grandes villes avoisinantes, notamment Kita, qui se sont reconvertis avec le développement de la pêche.

Le graphique 27 révèlent aussi la différence avec le village de Manantali aval et celui de Diakhaba. Ces deux villages se particularisent par la multiplicité des facteurs de motivation. En plus des raisons déjà mentionnées par les autres villages, les habitants ont cité le métier de l’enseignement, le commerce, le service militaire (plus citées par les habitants de Manantali) et les études (plus citées par les habitants de Diakhaba78). L’analyse de la composition sociale a cherché à déterminer les origines géographiques des habitants.

77 Le regroupement familial est plus mentionné par les localités très proches du barrage à savoir Manantali aval (39%), campements de Manantali amont (36%), Bamafélé (42%), Goumbalan (39%) et Kondonia (31%). 78 Dans le cas de Diakhaba il s’agit particulièrement d’études coraniques 156 | P a g e

3.1. Des régions du Mali et de l’international Les habitants des localités étudiées sont originaires de la région de Kayes, des autres régions du Mali, mais ils viennent aussi des pays voisins.

1 Plus de 25 ans-96 Natifs-79 Plus de 25 ans-13 Ginée-2 5 et 15 ans-24 Burkina Faso-1 Natifs-61 Plus de 25 ans-94Kayes-98 Natifs-52 Ginée-1 Marena Plus de 25 ans-31 15 et 25 ans-20 Kayes-100 Bamako-2 0,5 15 et 25 ans-24 Goumbalan Natifs-4 Plus de 25 ans-7 Kayes-61 15 et 25 ans-19Diokéli Bamafélé 15 et 25 ans-39 15 et 25 ans-5 Mopti-11 Natifs-62 Sollo Moins de 5 ans-2 Kondonia ségou-8 Manantali 0 Tombouctou-1 Gao-1 Sikasso-4 15 et 25 ans-27 Mauritanie-1 -0,5 Tombouctou-2 Koulikoro-5 Koulikoro-8 5 et 15 ans-21Natifs-2Campements Mopti-63 Sikasso-1 Kayes-6 ségou-23 -1 Plus de 25 ans-41

F2 (19,61 %) (19,61 F2 Sénégal-1

-1,5

Moins de 5 ans-9

-2 Diakhaba

Ginée-5 Koulikoro-1 -2,5 Plus de 25 ans-5 ségou-1 5 et 15 ans-11Kayes-90 Mopti-1 Natifs-71 15 et 25 ans-4 Niger-1 -3 -3 -2,5 -2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 F1 (46,19 %)

Variables Observations

Figure 28 : origines géographiques des habitants de la zone riveraine du barrage, (réalisation, C. Cissé)

La figure 28 montre une opposition entre le village de Manantali à droite de l’axe 1, et les villages et campements à gauche. Le pourcentage d’inertie de l’axe 1 (ou le pourcentage d’information donnée par cet axe) est de l’ordre de 46,19%. Celui de la deuxième dimension est de l’ordre de 19,61%. Aussi les deux dimensions expliquent 65,8% de l’information contenue dans le graphique. L’opposition sur le premier axe du graphique qui sépare au mieux les points montre que ce sont des localités qui ont un comportement différent concernant les régions d’origine.

157 | P a g e

Carte 21 : origine géographique des habitants des localités étudiées.

Le principal facteur de variabilité par rapport au premier axe est la différence entre les villages à majorité autochtone et les localités composées entièrement d’allochtones, et/ou d’étrangers (Carte 21).

Les villages Goumbalan, Kondonia, Diokéli, Sollo, Bamafélé et Maréna sont très proches en haut de l’axe 2 du graphique. Les réponses des habitants sont pratiquement similaires car les habitants de ces villages sont presque tous originaires d’une même région géographique, celle de Kayes. Ils ont un nombre d’immigrants faible et sont majoritairement habités par des autochtones.

Dans le village de Diakhaba, la région d’origine des habitants semblent plus diversifiée. Il est donc plus isolé sur le graphique. Ses habitants, en plus de la région de Kayes, sont originaires du Niger et de la Guinée. La spécificité du village de Diakhaba est liée à son statut de village religieux.

158 | P a g e

Dans le village de Manantali à 5 km environ du barrage et dans le groupe des 25 campements, je constate une grande diversité des régions d’origine des habitants. Les habitants des campements viennent majoritairement du centre du Mali, plus précisément de la région de Mopti 63,1% et de Ségou 23,1%. Les régions du sud sont aussi concernées par l’émigration vers Manantali. Il s’agit de Kayes (6,2%), Koulikoro (4,6%) et Sikasso (1,5%). La région de Tombouctou, au nord, est citée par 1,5% des habitants interrogés sur cette question.

Carte 22 : périodes d’installation dans la zone du barrage

Dans le graphique 28 et la carte 22, on constate également une opposition entre les localités où l’installation est récente en bas du graphique, et les villages où elle est ancienne en haut. Autrement dit, les campements et le village de Diakhaba continuent à accueillir plus d’habitants. Dans l’ensemble, les installations ont été plus importantes

159 | P a g e les premières années du barrage, soit 26,2 % contre 21,5% (entre 5 et 15 ans âpres le barrage), et 9, 2% entre 2007 et 2012.

90,00% 80,00% 70,00% 60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00% Autochtones Allochtones Etrangers

Figure 29 : pourcentage d’autochtones dans la zone d’étude

En somme, la zone riveraine du barrage est marquée par la présence majoritaire des autochtones (83%), des allochtones principalement dans les campements (14%) et des étrangers plus concentrés dans le village de Manantali (Figure 29).

3.2. L’appartenance à la société civile, une stratégie de lutte contre les impacts du barrage? Dans la zone du barrage, j’ai constaté l’existence plusieurs formes d’associations, de syndicats, de comités religieux, de groupements de femmes ou tontines, d’ONG et de coopératives. La demande de création d’association doit être adressée à la sous-préfecture, qui délivre ensuite les récépissés nécessaires. La mairie détient par ailleurs tous les exemplaires des récépissés pour faciliter son contact avec les associations.

160 | P a g e

1,5 Autres associations de Mauvaise route et Aucun-23 Aucun-2 Manque de Poissons-27 Manantali-7 enclavement-2 Conservation du poisson-3 Cherté des denrées-11 Aucun-64 Accés à l'eau potable-14 Pauvreté-52 Coopérative des pêcheurs ou Manque de Poissons-3 Présence des arbres et Accés aux soins-5 Rareté et pauvreté des terres 1 des Bozo-60 transport limité-11 Ressortissants-3 profondeur du lac-3 Femmes Bozo-17 Conservation du poisson-2 de cultures-4 Main d'oeuvre-8 Coopératives-5 Cherté des denrées-19 Variation du prix du poisson-3 Campements Aucun-26 Femmes Bozo-1 Zone de paturâge limitée-2 Manantali Accés à l'eau potable-1 0,5 Accés à l'eau potable-4 Pauvreté-50 Syndicat des travailleurs-1Benkadi-5 San séné-31 Pauvreté-100 San séné-24 Yiriwa-11 Zone de paturâge limitée-15 Pauvreté-98 Teguereni-29 Feux de brousse-3 Wassa-1 Sollo Pauvreté-96 Teguereni-4 Aucun-47 Sewa-6 Wassa-6 Marena Kondonia Projet tonus-1 Grouprment des villagoeis-78 Yiriwa-18 Présence des arbres et 0 Aucun-31 Bamafélé Rareté et pauvreté des terres Zone de paturâge limitée-35 Goumbalan Diokéli de cultures-77 profondeur du lac-2 Grouprment des villagoeis-75 Teguereni-1 Aucun-Aucun34 -21 transport limité-6 Comité de gestion scolaire-1 Déficit et irrégularitéBenkadi des -27 Pauvreté-76 Pauvreté-65 Rareté du bétail-1 Grouprment des villagoeis-6 -0,5 pluies-4 Rareté et pauvreté des terres San séné-12 transport limité-3 de cultures-82 Main d'oeuvre-1 transport limité-2 Pauvreté-40 Accés aux soins-1

F2 (25,76 %) (25,76 F2 -1

Aucun-50 Cherté des denrées-1 -1,5 Diakhaba

Rareté et pauvreté des terres -2 Déficit et irrégularité des pluies-3 de cultures-5 Coopérative des pêcheurs ou Mécaniciens-1 Caisse des villagoies-1 des Bozo-1 Sakalé diané-1 Zone de paturâge limitée-7 -2,5 Benkadi-15 Comité religieux-4 Aucun-54 Lanaya-1 Tempi-1 Teguereni-18 Artisans-1 Mamoulaka-5 Groupement des jeunes-2 Yiriwa-1 -3 -3,5 -3 -2,5 -2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 F1 (36,05 %)

Variables Observations

Figure 30 : sociétés civiles dans la zone du barrage

Dans le graphique 30, le premier constat est le regroupement des localités de Kondonia, Maréna, Sollo, Diokéli, Bamafélé et les campements sur la gauche de l’axe 1. Dans ce groupe, à l’exception des campements, plus de 60% des habitants est membre d’au moins une association. Il s’agit également des habitants qui énumèrent le plus de difficultés rencontrées. À l’opposé, les villages de Manantali et de Diakhaba se trouvent sur la droite, ils sont ceux qui enregistrent le plus grand nombre de sociétés civiles. En outre, le village de Diakhaba est séparé des autres localités sur l’axe 2, il est marqué par deux particularités : la multiplicité des sociétés civiles alors que ses habitants sont moins actives dans les associations.

Les sociétés civiles sont importantes pour les habitants qui y trouvent un moyen de résoudre leurs problèmes financiers ou sociaux. Ce n’est pas le barrage de Manantali

161 | P a g e qui a amené cette forme d’organisation, mais il a multiplié leur nombre à travers la lutte contre ses impacts négatifs. Depuis la construction du barrage, les formes d’associations n’ont cessé de se diversifier, en lien avec des projets de développement. Par exemple, ces projets qui portent sur la production de savonnerie, de l’indigo, l’exploitation de l’embouche des animaux, ou le maraîchage peuvent se traduire par la naissance d’associations. Les habitants se réunissent également pour la protection de leur environnement perturbé par le barrage de Manantali.

Dans ce contexte, depuis janvier 2008, l’association nommée le Réseau Communal pour la Protection de l’environnement de Bamafélé (RECOPEB) a été créée par une ONG espagnole travaillant sur la réserve forestière du Bafing. Cette ONG, en collaboration avec la commune de Bamafélé et les chefs de villages, a mis en place un comité de quatorze membres pour la gestion de l’environnement de la commune. La mise en place de cette association est née d’un constat : selon le président du RECOPEB, après le barrage, le fleuve a commencé à dégrader les berges. Les lâchers d’eau du barrage ont créé des éboulements. Les habitants ont alors décidé de se regrouper avec l’aide de cette ONG et d’interpeller la SOGEM et l’ancienne société d’exploitation Eskom sur ces problèmes. Depuis sa création, l’Eskom travaillait ainsi avec l’association dans le cadre de son programme de reboisement de Manantali avec des caïlcédrats tout au long de la route qui traverse le village. L’apport financier de l’Eskom a permis l’achat de brouettes, d’ânes et de charrettes. Les jeunes sans activité ont été recrutés par ce programme. Pour augmenter les bénéfices de cette collaboration, les responsables de l’association ont souhaité avoir un partenariat avec la SOGEM. «On avait écrit à la SOGEM pour avoir un partenariat et malheureusement, on a jamais eu de réponse. Il faut que l’OMVS travaille avec nous pour protéger les berges. Elle doit aussi financer des programmes de reboisement à Bamafélé79 ».

L’organisation de cette association est marquée par la division en sous-comités de six membres par villages. Pour y être membre, la personne intéressée doit d’abord écrire une lettre de demande au président de l’association. Ensuite, elle s’engage à respecter le règlement intérieur de l’association notamment l’obligation de participer

79 Extrait de l’entretien individuel avec le président du RECOPEP, réalisé pendant l’été 2012. 162 | P a g e aux activités et de payer les cotisations requises. Ce sont généralement les six membres des sous-comités villageois qui paient 3000 FCFA par an à raison de 500 FCFA par personne. Les jeunes de la commune, membres de l’association, ont pour mission de s’occuper de la gestion de l’environnement de la commune notamment l’assainissement, les mesures d’hygiène, les campagnes de plantation des arbres, l’entretien des berges, la propreté des villages. Les réunions fréquentes (au moins une fois par mois) avec les présidents de ces sous-comités de villages sont des occasions pour établir des programmes de travail. Le rôle du président est de faire un compte- rendu aux habitants de son village. « Nous avons retenus certains villages pour faire du reboisement avec l’appui du service technique de la conservation de la nature. Parmi ces villages nous avons celui de Manantali, Bamafélé, Badioké, Dialakoto, Maréna, Kéniéba » (Idem.).

En se rendant compte du besoin de développer le maraîchage dans le village de Manantali, les femmes ont fondé une association des femmes maraichères et agricultrices depuis plus de 10 ans. Cette association développe les liens sociaux entre les femmes et leur permet d’économiser, afin de mettre en place des projets de commerce personnel. Ceci montre le contraire de l’image souvent attribuée aux associations de femmes qui se limiteraient à la solidarité lors des événements sociaux (baptême, mariage, décès etc.). En fonction des objectifs, les femmes ont commencé par fixer des cotisations de 5000 FCFA pour intégrer le groupe. Elles se réunissent chaque dimanche et cotisent 100 FCFA chacune. Cette somme sert à rémunérer le gardien de leurs périmètres maraîchers, et à faire des crédits entre elles. Ces crédits s‘accompagnent d’un taux d’intérêt qui permettra d’acheter des matériels d’agriculture. « Chaque femme a sa propre récolte. Nous cultivons oignons, aubergines, piment, poivrons, patates, manioc, maïs, salades, arachides et du riz quand il y a beaucoup d’eau dans les zones inondables. Nous vendons nos récoltes à Manantali, Diokéli, Bamafélé et dans les autres petits villages autour80 ».

En dehors de ces deux associations, le village de Manantali en compte au moins vingt-six autres selon la Mairie de Bamafélé. À partir de mes enquêtes auprès des

80 Extrait de l’entretien individuel avec la présidente de l’association des femmes maraîchères et agricultrices de Manantali, réalisé en mai 2014. 163 | P a g e habitants des villages et campements étudiés, nous avons appris l’existence des associations suivantes.

Tableau 3 : répartition des habitants dans des associations par tranche d’âge

Regroupement Habitant/Age Moins de 20 ans Entre 20 et 50 ans Plus de 50 ans Coopérative des Bozo 38,50% 61,50% Groupement des femmes Bozo 85,70% 14,30% Syndicat des travailleurs 25,00% 75,00% Association Teguereni 75,00% 25,00% Association des ressortissants de Mahina 100% Comité de Gestion Scolaire 100% Association Yiriwa 92,50% 7,50% Association Benkadi 73,90% 26,10% Association Redecoma 100% Association Asjimbo 100% Association Djitouma 50,00% 50,00% Association Danaya 100% Association Jekebara Association Jigiseme PS 50,00% 50,00% Association Kokaje PS 100% Association des ressortissants de Sikasso 100% Association des ressortissants de Kita 20,00% 80,00% Association Yeredéma 100% Association Jigiya 100% Association des bouchers 100% Association Kassa dambé 100% Association des ressortissants du NORD 100% Association des ouvriers 100% Association des jeunes de Sonfara 100% Groupe CMDI agriculture 100% Sninie siguie ONG 100% Aucuns 2,90% 47,70% 49,40% TOTAL 2,70% 55,90% 41,50%

Source : C., CISSE, 2012.

Le tableau 3 montre la diversité des types d’associations (culturelles, religieuses, éducatives, sportives, et par activité économique (agriculture, élevage…)) dans les villages de l’aval. Généralement, les hommes et les femmes sont dans des associations différentes par exemple le groupement des femmes bozos et la coopérative des hommes bozos… L’inverse est cependant visible également dans les comités de gestion scolaire, desquels les élèves garçons et filles sont membres. Avec une analyse par catégories, je remarque que selon les réponses obtenues, les personnes adultes de 20 à 50 ans ont été les plus actives dans les associations. Elles sont suivies par les

164 | P a g e personnes âgées de plus de 50 ans. Les jeunes de moins de 20 ans étaient moins intéressés.

3.3. Des dons qui créent des conflits dans la coopérative Pour comprendre le fonctionnement d’une coopérative de pêcheurs, je me suis particulièrement intéressée à celle de l’amont. La majorité des pêcheurs (60%) font partie de cette grande coopérative, quelle que soit leur ethnie. Elle a été créée par un pêcheur du nom d’Ibrahima Karabana en 1987, qui en fût le premier président. Il fut suivi par Ségou Baito, Madou Dramé, Mama Débo Kéné et l’actuel président (en 2012) Lassina Komotao, le chef du campement de Diamnaty. Selon L. Komotao : « tous les pêcheurs de l’amont (plus de 417) et ceux de l’aval du barrage de Manantali (nombre non défini) sont membres de la coopérative81 ».

La coopérative a pour objectif de développer la pêche dans le Bafing. Au début, pour avoir un fonds, les membres ont cotisé un montant de 500 FCFA par personne. Depuis quelques années, la coopérative a arrêté les cotisations. Elle dépose des demandes de subventions et organise des journées de pêche pour récolter des fonds. Grâce à l’argent récolté, elle achète du matériel de pêche et de navigation et les revend. Les bénéfices constituent une épargne qui peut être prêtée à un membre, suite à une demande, et moyennant des intérêts. La légitimité de la coopérative des pêcheurs est reconnue par les habitants et par les autorités locales. Elle a reçu un don en matériels de pêche, de navigation et des fours en métal pour fumer les poissons, de la part de l’OMVS (Photo 7). Malheureusement ce don a créé quelques situations de conflits. Des habitants ont affirmé n’avoir rien reçu « les matériels ont étés vendus aux plus offrants » (Idem.).

81 Extrait enquête auprès des habitants des campements, réalisée pendant l’été 2012. 165 | P a g e

Photo 7: modèle de four offert par l’OMVS à la coopérative des pêcheurs

Les problèmes de cette coopérative se multiplient avec le développement de la pêche. Les financements sous forme de dons, de crédits ou de subvention ont divisé la coopérative en deux groupes. Le premier est établi autour du responsable du service de pêche et l’autre autour du président de la coopérative. « Normalement dans la grande coopérative des Bozos, il n y a plus de cotisations. Mais nous, le groupe qui veut quitter la grande coopérative, nous cotisons chaque vendredi 1000 FCFA pour mieux nous préparer82 ». C’est un sous-groupe de la grande coopérative formé par les plus jeunes Bozos qui essaie d’assurer la continuité.

Enfin, lors de mes enquêtes 16,9% des femmes rencontrées en amont étaient membres d’une coopérative. Le but est différent selon la taille et les lieux concernés. Une coopérative est soit un moyen d’épargner de l’argent que ses membres se partagent à une date donnée, soit un moyen d’aide ponctuelle à une femme dans le besoin. Par exemple, il existe un groupement entre les femmes de N’Goungny n°1, N’Goungny n°2 et Diamnaty. Les femmes cotisent 500 ou 1000 FCFA en plus de matériel de cuisine. Cette cotisation est faite à l’occasion d’un mariage, baptême ou circoncision. Plusieurs femmes peuvent également se regrouper pour travailler dans

82 Extrait enquête auprès des habitants des campements, réalisée pendant l’été 2012. 166 | P a g e les champs pendant l’hivernage. L’argent sert à acheter des habits, des bijoux, du matériel pour la maison, un voyage vers la ville, des denrées. La recomposition sociale des villages et l’installation des pêcheurs se sont accompagnées d’une perturbation de la zone riveraine du barrage.

II. UN BOULEVERSEMENT PROFOND DU TERRITOIRE LOCAL La réinstallation des habitants des villages déplacés à l’aval s’est traduite par un bouleversement profond de leur cadre de vie, de leurs activités quotidiennes, de leurs habitudes culturales et de leur culture. Ils se considèrent comme étant les plus grands perdants dans ce contexte de barrage. La question de la recomposition sociale (cohabitation autochtone, allochtone et étrangers venus hors du Mali) dans les zones étudiées est intimement liée au facteur barrage de Manantali.

« En 1985, j’avais effectué mon premier voyage à Manantali. On voyait de très beaux villages qui sont maintenant sous l’eau. Il y avait des arbres qui ont mis plus de 15 ans pour disparaitre. Les villages étaient très aérés. Mais tout cela a disparu lors de la reconstruction. Dans les villages, les constructions actuelles ont étés imposées aux populations. Les cases sont alignées car on leur avait demandé de s’installer par maison. Si tu as deux femmes, on te donnait deux cases. Les gens ont voulu en profiter et s’offrir des choses qu’ils n’avaient pas avant. Des frères dispersés ont voulu se mettre ensemble. Les constructions sont différentes83 ». Il y a trois formes d’organisation de l’habitat dans la zone riveraine du barrage : le modèle d’occupation de l’espace des campements de pêche (Photo 8), le modèle spécifique du village de Manantali aval, et un modèle plus traditionnel dans les autres villages y compris les chefs-lieux-de communes comme Diokéli et Bamafélé. Les pêcheurs et leurs familles construisent leurs habitations selon leur activité principale.

83 Extrait de l’entretien individuel avec le médecin généraliste à l’hôpital de Manantali, employée de la société d’exploitation du barrage, et qui vit sur les lieux depuis 1988, réalisé pendant l’été 2012. 167 | P a g e

Colline

Cases Champs de culture

Zone inondable, zone de Pâturage

Lac

Photo 8 : organisation spatiale dans un campement en amont de Manantali, (réalisation, C. Cissé) 1. Type d’habitat dans les campements et les villages Les maisons sont très ouvertes, éparpillées, reliées par des champs de cultures. Le passage d’une maison à une autre se fait sans grande peine à cause d’un manque total de clôture. Elles sont soit en pailles, soit en terre crue, soit mixte avec du ciment (Planche photos 8).

L’entrée dans une case est délicate à cause de la hauteur et de la taille des portes, souvent très petites. Le choix du matériel de construction est lié à la durabilité du campement. Au début toutes les maisons temporaires étaient en pailles afin de s’adapter à la fluctuation du niveau du lac.

168 | P a g e

Planche Photos 8: types de construction dans les campements de pêche, (réalisation, C. Cissé)

Le tableau 4 nous indique la localisation, Rive Droite (RD) ou Rive Gauche (RG), et sur quelle hauteur dans les collines, se situent des campements de pêche. Les altitudes sont en moyenne autour de 200 m. Le maximum est de 224 m en RD (à Balamine Danga) et la plus faible 206 m est à Salégoun en RD également.

Au cours des années, après une connaissance du niveau maximal du lac les habitants ont commencé à construire en terre crue. L’autre raison est que les pêcheurs bougent beaucoup et « suivent les poissons même dans les zones les plus encaissées et interdites », ainsi qu’ils l’affirmaient lors de mes enquêtes en 2012. Ils préfèrent ce type de construction pratique pour l’activité saisonnière.

Chaque maison ou cours familiale, qui abrite plusieurs générations d’une même famille, est composée de la chambre du chef de famille située généralement à l’entrée.

169 | P a g e

Elle se trouve en face d’un hangar (en bois84 et/ou en paille, ou en zinc) ouvert ou fermé qui sert de salon pour accueillir les invités. Sous le hangar, des lits en bois ou en filets accrochés à deux bois parallèles. Du bois sec ou des bouteilles vides d’huile de 20 litres sont utilisés comme bancs.

Tableau 4: localisation des campements selon la hauteur

Noms des Campements Altitude (m) Rives Bakaina Daga 223 R.G Dembakourou 213 R.G Burkina Daga 215 R.G M'Baba Daga 215 R.G N'Kéba Daga 213 R.G N'goungny N°2 216 R.G N'goungny N°1 214 R.D Goungoudala 215 R.D Diamnatay 213 R.G Boubou Daga ou woudia 212 Samai Ladji Daga 216 R.D Balamine Daga 224 R.D Kambou Daga 218 R.D Dounkankono 217 R.D Némabougou 214 R.D Kérouané 227 R.D Salégoun 206 R.D Mama Daga 221 R.D Friya Dangan 220 R.D Friyakpro 217 R.D Madinacoura 212 R.D Koulounidjan 209 R.D Gonota 211 R.D Niguikoro 207 R.D Manantali 218 R.D Source : C.CISSE, 2012

La chambre de la ou des femme(s) est à côté de la cuisine. Une première cuisine est construite sous forme de chambre fermée. Elle sert seulement de lieu de rangement des ustensiles de cuisine dans la mesure où une deuxième cuisine est logée en plein air. Elle est formée de trois pierres sous forme de triangle. Alors que le four à fumer les poissons est en terre crue (rectangulaire) en métal (rond) ou sous forme de casier

84 Le bois coupé dans la forêt sert à la construction mais également à la préparation des aliments, au chauffage. 170 | P a g e plus moderne (don de l’OMVS). Le toit du four est un morceau de zinc démontable à tout moment et retenu par du bois. Le bois empêche le zinc de s’envoler et retient la fumée grâce à son poids. Les toilettes se situent toujours derrière une chambre, généralement derrière la case principale du chef de famille et dans les champs. Toutes les toilettes sont en pailles (des sacs de riz déchirés ou des pagnes des femmes servent de rideau). Une table de séchage des poissons, une autre de séchage des ustensiles de cuisine, et un enclos pour les animaux (bœufs, chèvres, moutons ou ânes) complètent souvent l’habitat familial. En saison des pluies, les maisons sont entourées et séparées les unes des autres par des champs de culture. Les principales cultures dans les champs proches, à l’intérieur des maisons sont le maïs, le mil, le gombo, l’oseille africaine, et parfois l’arachide. Les habitants arrivent, malgré le sol caillouteux, à cultiver sous pluie pour répondre aux besoins de leur famille. Les champs de cultures de maïs et d’arachide sont protégés par des filets de pêche formant une ligne et par des épouvantails en bois. Ils servent à chasser les oiseaux qui déterrent l’arachide et les singes qui volent les récoltes.

Pour des raisons culturelles et pratiques, les pêcheurs gardent presque tous le même mode de construction et de vie. Les rares signes de richesse que l’on peut voir sont la présence de la télévision grâce à l’antenne parabolique dans certaine cour où se retrouvent le soir tous les voisins. Ces appareils et leurs téléphones portables fonctionnent grâce aux rares groupes électrogènes, laissant ainsi paraître une différence de niveau de vie. Par quels moyens les pêcheurs et leurs familles ont-ils accès au foncier ? 2. Mécanismes d’accès au foncier rural Pour accéder à la terre dans les campements, l’intéressé doit demander la permission de s’installer au chef en offrant des noix de kolas, signe de sa bonne foi. Dans la majorité des cas, le chef et le conseil acceptent sans problème. Par la suite, l’intéressé peut s’installer dans la partie du campement qui lui convient. En retour, il doit faire partie du campement, s’imprégner des problèmes qui y existent, participer à la vie sociale. Dans ces conditions, peut-être pourra-t-il un jour être chef à son tour. Dans les campements, la chefferie se fait par ordre d’arrivée. Si deux candidats à la

171 | P a g e chefferie se sont installés à la même date, le jugement se porte alors sur l’âge. Leur intégration totale ne se fait cependant qu’au moment où les services des Eaux et Forêts de la région de Kayes vont vers eux pour leur exiger de payer les licences de pêche s’élevant à 6000 FCFA par an.

En aval, j’ai pu constater que le problème de l’accès à la terre était plus complexe. À l’échelle des villages étudiés, la distribution des terres se fait par le conseil de village, dont le premier responsable est le chef de village. Il est donc le chef de terres. Généralement, comme on l’a vu dans l’histoire des villages, il suffit d’apporter au chef de village 10 noix de kolas pour avoir un terrain. C’est le demandeur qui choisit la taille du terrain, il doit toutefois le rendre à son départ.

Les enquêtes auprès des habitants montrent que ce type d’attribution tend à disparaître dans les villages qui se sont agrandis. Selon le conseil de village de Manantali par exemple, le changement des conditions est survenu suite à un constat. Les bénéficiaires ne respectent en effet pas toutes les règles de gestion du foncier indiquées par le chef du village. Quand le comité villageois attribuait gratuitement les terres, les bénéficiaires les plus entreprenants les vendaient ou en louaient la moitié à un particulier. Dans la majorité des cas, elles étaient vendues aux cadres de la société d’exploitation du barrage, ou aux fonctionnaires de l’État malien mutés à Manantali. Les locataires étaient souvent les habitants des villages voisins ouvriers au barrage. Face à cette situation, le chef de village et son conseil ont décidé d’attribuer les terres du village selon la condition suivante : le demandeur doit fournir certes 10 noix de kolas, mais doit de surcroît verser une somme d’argent variant selon la taille de la parcelle. Cette nouvelle tendance à Manantali, a débuté dans les années 1994.

« Les prix ne cessent d’augmenter. Si en 2005 par exemple, un terrain de moins de 200 m2 était vendu à 130 000 FCFA. En 2013, ce même terrain de 200 m2 est vendu à 500 000 FCFA à Manantali. Même les champs de cultures sont de plus en plus vendus, et pour laisser la place à des habitations en dur. La vente se fait entre les propriétaires et en présence de leurs deux témoins. Un papier confirme la vente et est légalisé à la mairie de Bamafélé85 ». Concernant, le rôle de la mairie de Bamafélé, il nous a été signifié qu’elle travaille en étroite collaboration avec la famille du chef de village pour la gestion des terres. Un

85 Extrait d’enquête auprès des habitants de Manantali, réalisée pendant l’été 2012. 172 | P a g e des cas de collaboration a été dans le cadre des projets de la mairie ou de ses partenaires. Tous les projets passent obligatoirement par le chef de village. Il est chargé avec son conseil de trouver l’emplacement du projet si cela est nécessaire. Ce n’est qu’après que la mairie s’occupe des formalités (document d’attribution ou titre). En dehors des projets de la mairie, il existe des exemples où des particuliers cherchent à implanter un commerce par exemple. Dans ce cas, ils demandent des terrains pour construire des bars, des auberges, des fermes agricoles...

« Une ONG est venue nous voir récemment. Nous ne connaissons pas vraiment ces gens. C’est un de nos compatriotes qui travaille dans le cercle de Bafoulabé qui nous a amené ces Hollandais qui s’intéressent apparemment à Manantali. Ils veulent construire des hôtels et développer le tourisme dans la zone. Les Hollandais ont visité le terrain et le projet est en cours86» Dans les villages réinstallés, les habitants ont souligné qu’ils font face à un manque total de terres à acheter ou à louer. Ce problème est sans doute une des conséquences de la réinstallation qui limite leur espace d’habitation, de cultures, d’extension depuis les années 1980. En effet, il est montré qu’ils subissent le manque de terres, notamment depuis les premières années du barrage, dans les études de Koenig et Diarra (1998). La population des villages déplacés, à l’image du pays, ne cesse par ailleurs d’augmenter, tout comme leurs besoins en terres. Malgré la volonté des villages voisins de partager leurs terres, les risques de conflits augmentent avec le temps. « On ne donne plus facilement les terres par ici. Le chef de village n’est plus le seul responsable de la gestion des terres. Mais il trouve toujours une solution pour le demandeur qui vient le rencontrer avec ses 10 noix de kolas87».

En examinant la situation, il apparaît que les villages voisins refusent complétement de céder à nouveaux leurs terres aux villages réinstallés. Cette situation est peut-être liée à une peur d’être envahi ou de se trouver un jour dans le même cas, parce que les habitants des villages réinstallés commencent par une demande de terrain pour construire un simple hameau de culture. Celui-ci est au début constitué d’une case, de champs de cultures et de pâturages tout autour. Si l’idée première est de faire des navettes juste pour cultiver dans des terrains généralement loin du village,

86 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Manantali, réalisé mai 2014. 87 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village à Maréna, réalisé mai 2014. 173 | P a g e les hameaux de cultures se transforment très vite à leur tour en village. Une fois l’autorisation obtenue, c’est d’abord une seule famille qui s’installe, puis deux, puis d’autres encore. Par conséquent, un nouveau village se crée entre les deux. L’autre cas est que le village déplacé s’agrandit au détriment du village hôte.

Finalement, les chefs de villages ne sont pas totalement responsables de toutes les terres de leurs localités. Ils partagent leur gestion avec les différents responsables administratifs élus ou nommés (maires, sous-préfets, préfets et gouverneurs). Aussi les rôles politiques de tous ces acteurs sont-ils également visibles à l’échelle des villages. Par exemple, il y a dans le village de Manantali, qui nous intéresse particulièrement, cinq bureaux de vote. Les partis politiques représentés à Manantali sont au nombre de dix-sept dont Adema, RPM, FAR, Yelema, PSP.Chaque villageois a le choix du parti politique qui l’intéresse. Il existe souvent des alliances entre les partis lors des élections. Tous les partis sont presque représentés à la mairie de Bamafélé. Les villageois votent pour élire les dix-sept conseillers, qui élisent à leur tour le maire. Chaque parti a ses représentants dans le village, mais les politiciens sont obligés, avant d’entrer en campagne, d’aller saluer le chef du village pour lui permettre d’intervenir en cas de problème. Le chef de village reçoit tout le monde, même s’il a une préférence. Les politiciens donnent de l’argent aux associations pour avoir leur vote et leur soutien, lors de la campagne électorale. Souvent les personnes prennent l’argent (30 000 FCFA ou plus) mais ne votent pas forcément pour le donateur. Les politiciens ne s’arrêtent pas à Manantali, ils vont aussi dans tous les villages en aval qui ont des bureaux de vote : à Bamafélé, Nantela, Dialakoto, Maréna, Kondonia, tous abritant un bureau de vote. Certains partis politiques, pour avoir des fonds, vendent des cartes de membres à 200 FCFA. Mais les habitants, à cause d’un manque de moyens financiers, en achètent peu et manifestent un désintérêt à leur égard.

« Les partis ne fonctionnent en général que grâce à une, deux ou quatre personnes au maximum. Les gens ne viennent que s’il y a des subventions. Les populations se sentent exploitées par les politiciens qui ne viennent les voir que pendant les périodes électorales. La solution maintenant est d’aller chaque semaine d’un village à l’autre pour sensibiliser les populations pour leur faire comprendre l’importance du vote88 ».

88Extrait de l’entretien individuel avec un homme politique de Manantali, réalisé en mai 2014 174 | P a g e

Encadré 3: Des entités administratives et l’accès au foncier89 Le Mali a quatre entités administratives : L’État, la région, le cercle et les communes. Le cercle de Bafoulabé dans la région de Kayes est composé de 13 communes. Les communes sont des collectivités territoriales décentralisées. Dans les collectivités territoriales, les agents d’administration et de gestion sont élus. Un conseil communal est élu, qui élit à son tour un bureau communal dirigé par un maire et ses adjoints. Le rôle de l’État a changé depuis la décentralisation. Il mène des actions mais les collectivités territoriales ont pour missions l’élaboration et la mise en œuvre de politique de développement social, économique et culturel. Désormais, l’État ne s’occupe que des grosses réalisations. Le secteur du développement régional et local a été transféré avec des mesures d’accompagnement et d’ouverture de crédit. Les collectivités territoriales ont un budget annuel. Pour définir ce budget, les conseils régionaux, les conseils de cercles, ou les conseils communaux, chacun à son niveau, se réunit pour faire son programme qui dure généralement 5 ans (programme quinquennal). Ce programme est souvent actualisé pour être par la suite révisé au bout de 5 ans. Par exemple, normalement, chaque commune doit avoir un programme de développement économique et social (PDES) prenant en compte l’ensemble des villages qui la composent. « Ce document contient tous les projets dans tous les domaines. C’est comme un cahier de route qui marque les réalisations à faire chaque année. C’est à l’intérieur de ce document, que sont inscrites toutes les actions que les élus pensent être utiles pour répondre aux besoins de développement des populations. Mais ce document doit être validé et approuvé par la hiérarchie. Après validation par le sous-préfet, il est mis en exécution. Le sous-préfet accompagne les mairies dans l’élaboration de leur schéma directeur de développement» (entretien avec le sous-préfet90 de Diokéli et de Bamafélé, été 2012). Malgré mes demandes auprès des maires de Diokéli et de Bamafélé, je n’ai pas pu avoir le programme de développement des communes les plus concernées par l’implantation du barrage de Manantali. Mon objectif était de voir comment le barrage est pris en compte dans la planification. Le rôle administratif de la préfecture du cercle de Bafoulabé se limite à l’accompagnement des communes qui ont apparemment de nombreuses difficultés d’applications des règles de la décentralisation. «Notre rôle se réduit à la fonction régalienne de l’État, c’est-à-dire les travaux d’aménagement. Par exemple, nous facilitons la tâche dans le cadre des constructions des routes, des aménagements de surfaces culturales ou quand les partenaires au développement veulent investir. Mais ce sont les collectivités qui, depuis leur création, sont investies du pouvoir économique. L’objectif était que les collectivités s’autogèrent elles-mêmes. Malheureusement, elles ne s’en sortent pas, c’est l’Etat qui intervient avec l’ANCT, c’est-à-dire l’Agence Nationale d’Appui aux Collectivités Territoriales pour les appuyer » (entretien avec le préfet de Bafoulabé, été 2012). Dans le pays, même si les terres appartiennent généralement à l’État. Le code domanial et foncier qui est régi par l’article 0200 du 27 mars 2000 divise les terres en trois parties entre les l’État, les collectivités territoriales et les particuliers. Dans le cadre de la décentralisation, ces attributions aux collectivités avaient pour objectif de leur procurer plus d’autonomie et d’avoir des économies. Dès lors, lorsque la collectivité territoriale a besoin de terres supplémentaires, elle doit en faire la demande auprès de l’État à qui elle paie les frais d’utilité. Par la suite, l’État leur donne des titres. Par exemple, quand un maire a besoin de terres pour un lotissement, il fait une demande qui passe par la voie hiérarchique. Il y a alors

89 Extrait des entretiens individuels avec le préfet de Bafoulabé, et avec le sous-préfet des communes de Diokéli et de Bamafélé, réalisé pendant l’été 2012.

175 | P a g e

tout un arsenal d’experts qui intervient, le géomètre agréé, le service d’urbanisme. Après l’obtention du titre, le maire délibère avec le conseil communal et renseigne sur le prix de l’acquisition. Les membres du conseil, dont le maire, décident ensemble à combien ils doivent vendre chaque parcelle. Les nommés de l’administration civile ont donc le droit d’attribuer des concessions rurales par le biais de la répartition hiérarchique. Le sous-préfet de Diokéli et de Bamafélé peuvent par exemple attribuer des parcelles ayant une taille comprise entre 0 et 2 ha. De 3 à 5 ha, c’est du ressort du préfet de Bafoulabé. De 5 à 9 ha c’est le gouverneur de Kayes et à partir de 10 ha, seul le conseil des ministres du Mali a le pouvoir de décider. Au niveau des villages, si un habitant a besoin d’une concession rurale, il a la possibilité d’aller voir le paysan qui acceptera ou non de lui vendre sa parcelle. Il peut y avoir un accord achat-vente entre eux. Toutefois, il a impérativement besoin d’une autorisation de titre provisoire de construction rurale qui permet d’exploiter la parcelle. Après cinq ans, il peut demander le titre définitif, c’est-à-dire le titre foncier. Actuellement, le domaine coutumier, c’est-à-dire des espaces réservés aux villages et régi par le droit coutumier continuent d’exister. Les chefs de villages connaissent ces endroits réservés pour les cimetières, les champs, les rites. Ce domaine reste interdit à la vente. Chaque village détient ses règles d’accès spécifique aux terres gérées par les chefs de villages.

L’analyse de l’organisation administrative, de la gestion foncière, et du fonctionnement des partis politiques permet de comprendre le rôle des acteurs concernés et leur rapport aux sols. Il est important d’essayer de comprendre comment ils se traduisent dans les mutations de l’habitat et des territoires en aval du barrage. 3. Occupation de l’espace du village « spécial » de Manantali Le village de Manantali a été choisi pour plusieurs raisons. D’abord, il est le village le plus proche du barrage (de 3 à 5 km), et a accueilli tous les travailleurs étrangers lors de la construction. Ensuite, il est une porte d’entrée vers l’amont (à partir du débarcadère) et vers les autres villages de l’aval du fait de sa position sur la route Manantali-Tambagan. Troisièmement, il a été le plus transformé parmi les anciens villages, il est devenu « un centre rural ».

« Dans le passé il n’y avait pas de schéma directeur mais c’est comme si ce schéma était venu avec le barrage. Parce que chaque village a été recasé avec une carte à l’appui. Le barrage a complètement changé le village de Manantali qui se différencie maintenant totalement des autres villages de la localité. Il a un caractère urbain. Beaucoup d’étrangers pensent que c’est le chef-lieu de commune alors que ce n’est pas le cas91 »

91 Extrait de l’entretien individuel avec un homme politique de Manantali, réalisé en mai 2014 176 | P a g e

Dès notre premier stage dans ce village en 2009, j’ai remarqué une différence importante de niveau de vie, entre les quartiers du même village. Lors de la construction du barrage, les ouvriers se sont installés juste en face du barrage. Leur installation est suivie par la construction des bâtiments administratifs de la société d’exploitation. Les maisons des ouvriers ont été déplacées derrière les bâtiments du quartier Niafa, dans la cité du même nom. Actuellement, le village de Manantali est installé sur la zone qui était prévue pour le périmètre irrigué. En fait, le village de Manantali, les villages déplacés et les autres villages proches du barrage situés en aval devaient être tous logés sur la colline. Mais suite au refus des villages concernés par cet emplacement proposé, ils se trouvent maintenant dans le bas-fond. L’objectif de la proposition était de regrouper tous les villages en haut de la colline et de créer « une ville du Bafing » qui serait électrifiée et aurait des champs de cultures dans les périmètres.

À Manantali, l’organisation des quartiers m’intéresse particulièrement car, contrairement aux villages étudiés, ils sont majoritairement le reflet de la catégorie socio-professionnelle qui l’occupe. En 2014, le village de Manantali est composé des quartiers suivants : la cité célibataire ou ouvrière, la cité des gendarmes de la brigade, la cité des enseignants92 de l’école A, la cité de l’escadron, le quartier de Niafa, le quartier de Badala Bougou, la cité des cadres de l’OMVS, et la cité des enseignants de la cité des cadres93. Le village est également composé de deux églises (protestante et catholique) et de cinq mosquées (quatre à Manantali village, une à la cité des cadres). Le barrage a joué un rôle dans cette création des quartiers en fonction des identités professionnelles. Pour comprendre la spécificité de l’organisation spatiale à Manantali, j’ai choisi d’étudier les quatre parties que l’on distingue le plus facilement (Photo 9).

92 Première école comme mesure d’accompagnement du barrage, 93 La cité est financée par Eskom/SOGEM pour loger les enseignants de l’école de la cité des cadres. Elle était déjà construite, mais n’était pas encore habitée lors de notre campagne de terrain de 2012. 177 | P a g e

1 Zone du barrage : bureaux administratifs, centrale, dispatching…

2 Cité ouvrière

3 Vieux village de Manantali et autres quartiers

5 Cité des cadres

6 Périmètres irriguées

Photo 9: occupation de l’espace du village de Manantali. Source : image Google earth, 2015, (réalisation, C. Cissé)

D’abord, après les murs du barrage se situent les bureaux administratifs. Ensuite, la cité ouvrière à moins de 3 km, est habitée par les ouvriers de l’ESKOM et de l’OMVS. Elle se trouve à côté de la cité des enseignants, l’école, le dispensaire, l’église de Manantali. Troisièmement, le village traditionnel de Manantali avec des concessions en paille, en terre crue et en dur, abrite le grand marché de Manantali, la

178 | P a g e gare, ainsi que le siège de certains ONG ou groupements. Le cœur du village est totalement occupé et les autochtones ont commencé à s’installer au sortir du village. Par exemple, un des frères du chef de village a créé un hameau de culture à Sonfara (après la cité des cadres vers la commune de Bamafélé). Cet espace est également la zone où on trouve les fermes des cadres de la société d’exploitation.

Parcours personnel

Photo 10 : occupation de la cité des cadres de Manantali. Source : image Google earth, 2015, (réalisation, C. Cissé)

Enfin, la cité des cadres se trouve à 5 km environ du barrage. Elle est la seule qui est dotée d’un système d’assainissement et d’adduction en eau potable. Elle abrite la banque, la poste, l’hôpital, des écoles, un jardin d’enfant, la radio locale, une mosquée, un restaurant, une piscine-bar. L’entrée et la sortie de cité sont surveillées par des gardiens 24 h sur 24. La cité des cadres, avec des maisons modernes, est habitée

179 | P a g e par les cadres de l’a société d’exploitation et de l’OMVS. Lors de mes enquêtes en 2014, j’ai remarqué qu’une partie de la cité était occupée par des Chinois responsables de la construction de la route Manantali-Mahina. La cité des cadres est une cité « internationale » (Planche photo 9).

Planche Photos 9: construction de la route bitumée Manantali – Mahina, (réalisation, C. Cissé)

Le barrage a transformé le village de Manantali en un village spécial, par la présence notamment de fonctionnaires internationaux. Plusieurs nationalités y sont représentées. Ces étrangers qui travaillent sur le barrage pour le compte de la société d’exploitation, de la SOGEM ou de l’OMVS y sont logés. On remarque ainsi un mode de vie urbain à l’échelle du village. Les maisons sont construites comme en ville et le confort à l’intérieur est très loin de la réalité des cases du vieux Manantali. La présence de micro-ondes, d’antennes satellites, de baignoires dans les salles de bain, de climatiseurs, de machines à laver, de cuisinières et autres installations ne manquent pas d’attirer l’attention. Entre 2012 et 2014, j’ai remarqué que l’espace entre le village traditionnel de Manantali et la cité des cadres, environ 2 km, s’est réduit. Il est occupé par de nouvelles maisons, parfois à étage et en dur. Même dans le vieux Manantali, les constructions se modernisent de part et d’autre de la route principale. Lorsque je fais part de cette remarque et demande des explications, le chef de village et ses conseillers me répondent ainsi :

« Le nombre de construction en dur à Manantali augmente chaque année. Nous construisons en dur car les maisons en pailles et en terre crue ne tiennent pas face à la forte pluviométrie, au vent, aux incendies et à l’inondation. Avant, nous reconstruisions chaque

180 | P a g e année. L’autre cause est que les jeunes immigrés qui ont de l’argent investissent maintenant dans les maisons en dur. C’est devenu une tendance que tout le monde suit94 » Encadré 4: les politiques de planification et d’aménagement du territoire régional de Kayes95 J’ai cherché à comprendre le processus de planification et d’aménagement du territoire régional de Kayes. À Kayes, les missions de planification, de collectes et d’analyse de données statistiques, et d’aménagement du territoire dans le cadre d’élaboration de schémas des collectivités territoriales (région, cercles, communes), sont gérées par la Direction Régionale de la Planification, de la Statistique, de l’Informatique, de l’Aménagement du territoire et de la Population (DRPSIAP). Cette direction est composée d’une dizaine d’agents dans la région de Kayes. Elle relève de quatre directions nationales. Pour ses activités, elle a un centre de documentation et normalement des subdivisions dans les cercles de Kayes. Il s’agit de la division « planification stratégique », la division « plan et programmes », la division « suivi et formation », la division statistique, la division informatique. Mais ces subdivisions ne sont pas pour le moment opérationnelles à cause d’un manque de personnel. La région de Kayes possède trois documents de planification qui se superposent. Le premier schéma régional d’aménagement du territoire de Kayes a été élaboré en 2007. Il est disponible au niveau du conseil régional. Le schéma régional d’aménagement de Kayes est prévu pour 25 ans. Ensuite, pour la mise en œuvre de ce schéma, il a été élaboré un plan stratégique de 10 ans. En 2010, le plan stratégique a été amélioré. Enfin, on trouve le plan de développement de la région de Kayes (PDRK) pour 5 ans. Ceci constitue une limite majeure, parce que tous les documents ont été élaborés en même temps, d’où des interférences entre eux. Les causes de cette situation sont variées. « Le schéma sous tutelle de l’assemblée régionale est assorti d’un plan stratégique qui constitue un premier élément de mise en œuvre du schéma. Après, on a vu qu’il y avait trop d’interférences entre le schéma et le plan stratégique qui ont été élaborés pratiquement à la même période. Le Projet d'Appui à la Décentralisation et au Développement Économique Régional (PADDER), avec l’appui de la BAD, avait demandé de revoir le plan stratégique. Le plan stratégique est en train d’être mis en œuvre dans deux autres cadres : celui du développement de la région, et là aussi ce sont des bureaux d’étude qui ont été promus dans le cadre de l’intercommunalité pour voir les espaces économiques partagés. Il y a la définition de 4 ou 5 grands espaces entre Kayes, Bafoulabé et Yélimané. Toutes ces activités entrent dans la mise en œuvre de schéma. Nous sommes partie prenante de tout le processus d’élaboration du plan stratégique, du schéma, du plan de développement rural et des espaces économiques partagés qui constituent les éléments de mis en œuvre de ce plan stratégique (extrait entretien avec un directeur du DRPSIAP, mai 2014). Si l’on se réfère aux propos du directeur du DRPSIAP, la région de Kayes est l’une des premières du Mali à avoir eu un schéma régional officiel. En 1997, la rencontre de la première table ronde de Kayes a permis de réfléchir sur la problématique du développement de la région en termes de potentiels et de contraintes. Le résultat de cette table ronde a été un document final avec de fortes recommandations. Ce manque de continuité des actions est un des facteurs qui limite la création du schéma national d’aménagement du territoire. L’autre facteur est que les schémas couteraient chers. Par conséquent, même si le Mali a un réel besoin de partir d’un schéma national, car les travaux des années 1985 ne peuvent plus servir et parce que presque toutes les régions ont des schémas propres, la situation de crise risque d’aggraver le problème financier. La région de Kayes détient un document intéressant appelé l’annuaire, qui est la compilation de l’ensemble des activités des services techniques des collectivités et des administrations. La production de ce document a été possible grâce aux partenariats extérieurs de la DRPSIAP. Il n’existe à ce jour que l’annuaire de 2009-2010. « On devait entamer les autres procédures en 2011-2012 mais on a plus de partenaires. Avant la situation de crises récentes au Mali, le DRPSIAP avait un partenariat avec l’UNICEF qui a permis de produire des documents de projets et d’avoir des dons de matériel informatique de travail. Et dans le cadre des programmes de suivi évaluation, l’UNICEF nous accompagnait dans la production et la distribution des engrais» (extrait entretien avec un directeur du DRPSIAP, mai 2014). L’État appuie financièrement la direction. Les missions de cette direction sont en retard dans ses réalisations, car elles sont dépendantes des partenaires extérieurs. Par exemple, lors de ma visite en 2014, ce directeur me disait qu’ils travaillaient en ce moment sur la finalisation de l’annuaire de 2011,2012 et 2013. Et ils, avec ses équipes, ne s’occupaient pas encore de l’annuaire de 2014.

94 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Manantali, réalisé mai 2014. 95 Extrait de l’entretien individuel avec le directeur du service de la planification et d’aménagement du territoire régional de Kayes, réalisé en mai 2014. 181 | P a g e

Les formes de partenariats à l’échelle régionale sont aussi nombreuses. Par exemple, la DRPSIAP accompagne, sur le plan technique, le conseil régional de Kayes qui pilote tous les programmes d’aménagement. Dans ce partenariat, ils prennent en compte les avantages de la région sur le plan hydrologique, c’est-à-dire la présence des affluents et les barrages. Le fleuve est un atout pour améliorer l’accès à l’eau, développer l’agriculture, permettre la navigation. Dès lors, tous les barrages futurs ou actuels notamment celui de Manantali sont pris en compte dans les documents d’aménagement. «On n’a pas eu à travailler directement avec le barrage de Manantali mais au regard du potentiel inondable, du potentiel hydrique et le potentiel électrique nous ne pouvons ignorer l’importance de ce barrage sur le plan agricole, sur le plan piscicole et hydroélectrique pour la région et pour Bamako» (extrait entretien avec un directeur du DRPSIAP, mai 2014). La présence du barrage de Manantali est un potentiel qui est révélé dans le programme de l’annuaire et du document stratégique. Il est pris en compte dans le projet de système d’alerte HYCOS qui utilise les indicateurs de la sécurité alimentaire nutritionnelle. Chaque mois, les agents de la DRPSIAP se renseignent sur les relevés hydrologiques au niveau du barrage de Manantali mais aussi dans le domaine de la pêche. Ceci nous amène ainsi à mettre en exergue le partenariat avec les services de l’OMVS. Inversement, la direction reçoit des missionnaires de l’OMVS qui viennent prendre des données statistiques de la région à travers les annuaires. Lors de la construction du barrage de Félou dans la commune de , ils ont aussi travaillé avec des consultants de la direction. Au final, en dehors de l’UNICEF et de l’OMVS, cette direction travaille beaucoup avec le PADEPA96 sur le domaine du schéma, le GRDR97 dans le cadre du développement des collectivités territoriales et avec les autres directions comme l’assainissement ou les mines. Par exemple, la collaboration avec le PADEPA qui couvre les cercles de Kita, Bafoulabé, de Kayes et de Kéniéba a permis l’élaboration de schémas pour 12 communes sur 30 assortis d’un plan d’action environnemental de 5 ans. Ce plan est une sorte de plan sectoriel de mise en œuvre du schéma de la collectivité. Mais ces nouvelles formes de constructions défendues lors de l’entretien collectif à Manantali obéissent-elles à règles communales, ou régionales d’établissement de l’habitat ? 4. Règles en vigueur : permis de construire, limites Un entretien individuel a été mené avec le responsable de la direction régionale de l’urbanisme et de l’habitat. Mon objectif était de comprendre le rôle de cette structure et ses relations de partenariats. Sa mission est de mettre en œuvre les politiques définies au niveau national en matière d’urbanisme et de construction. Au Mali, l’ensemble des régions et des cercles sont dotés de schémas directeurs d’urbanisme. Le schéma directeur d’urbanisme, élaboré en 2006, est accompagné de deux plans d’urbanisme qui divisent la ville de Kayes par rapport au fleuve (rive gauche et rive droite). Il y a le Plan d’urbanisme Sectoriel 1 (PUS1) et le PUS 2. C’est ce plan d’urbanisme qui définit les règles de constructions admises. Le rôle des directions consiste en la mise en œuvre, sur le terrain, de ce schéma à travers les autorisations de construire, la conception des bâtiments et les opérations d’urbanisme (lotissements, zones parcellaires, réhabilitations, restructurations, restauration). La direction

96 Projet d’appui au développement des productions animales dans la zone de Kayes 97 Groupe de recherche et de Réalisations pour le Développement rural 182 | P a g e nationale de l’urbanisme et de l’habitat surplombe les directions régionales et dépend du ministère du même nom. J’ai aussi constaté que cette direction, créée en 1978, est représentée par sept subdivisions au niveau de la région de Kayes. Les moyens dont dispose la direction régionale pour assurer des contrôles par les brigades sont une voiture et quatre motos. La brigade sillonne la ville pour identifier les gens qui construisent sans autorisation, qui occupent des zones de servitudes routières, ferroviaires, ainsi que pour vérifier le respect des règles de construction (hauteur admise, recules, règlement d’urbanisme).

Comme toutes les directions régionales, celle-ci dépend également d’un budget alloué par l’État malien. Or ce budget très limité ne prend en compte que les carburants et les fournitures par trimestre. Parallèlement, cette structure fait face à un manque de personnel. Par exemple, on a appris que chaque subdivision dispose généralement de deux agents. Il existe même des subdivisions avec un seul agent comme à Yélimané. Comment se fait-il que toutes les directions rencontrées ont un problème de personnel ? Est-ce lié à un manque de formation dans leurs domaines, à une forte immigration, ou à une absence de recherche? Dans la région de Kayes, les directions cherchent à fonctionner à leur rythme et essayent de jouer leurs rôles. Parmi ces rôles, nous retrouvons celui des maires dans la délivrance des permis de construire. Le permis de construire est délivré par la mairie avec l’accord des services techniques tels que l’urbanisme, l’assainissement, le service des domaines. Par ailleurs, l’application des règles et lois concernant les permis de construire est un échec.

Les acteurs publics eux-mêmes ne respectent pas les règles et les lois qu’ils ont pourtant établies. Le schéma directeur d’urbanisme de Kayes est en train d’être violé par tous, selon le directeur. D’abord par l’État qui alloue des terres et surtout par les préfets et les sous-préfets qui créent des constructions rurales en zone urbaine sans tenir compte des prévisions du schéma. Ceci est un gros problème car le schéma définit des vocations pour chaque espace urbain (zone administrative, zone commerciale, zone d’habitat, zone industrielle, gare). Donner des titres provisoires de constructions rurales revient donc à fausser les prévisions du schéma.

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« Pour faire face à ce problème, nous avons fait une circulaire signée par le gouverneur de Kayes. Dans la circulaire, nous soulignons que nous avons constaté à plusieurs reprises que les dispositions des décrets sont mal appliquées par certaines autorités chargées de l’attribution des terres du domaine privé de l’État. C’est ainsi que l’on assiste à la délivrance de titres provisoires de constructions rurales dans les périmètres d’urbanisation des villes sans respect de l’article 8 du décret 040. La superficie d’une construction rurale ne peut excéder en aucun cas le quart d’hectare à l’intérieur du périmètre d’urbanisation. le préfet ne peut pas donner l’autorisation de construction rurale sans avoir l’autorisation du gouverneur par arrêté et l’avis favorable des services techniques tels les domaines, les Eaux et Forêts, l’urbanisme, le génie rural. Le non- envoi aux services techniques des affiliations des autorisations des titres provisoires, la prolifération des constructions rurales dans le seul but d’accaparement des terres est le principal problème, ces problèmes concernent tous les cercles de Kayes98». La seconde difficulté est causée par les populations. La gestion de l’habitat au Mali est exclusivement réservée à la mairie. Une demande doit être adressée au maire qui attribue, avec ses conseillers, les terres. Le maire crée un lotissement en cas d’un nombre important de demandes. En dehors du maire, personne n’a le droit de donner des terres. En cas de besoin de l’État pour à des fins d’utilité publique, tous les habitants qui ont des titres fonciers achetés peuvent être forcés à quitter les terres occupées sous forme d’expropriation. Les chefs de villages n’ont cependant pas abandonné leurs habitudes d’allouer et de vendre des terres à des particuliers. Au Mali, toutes les terres appartiennent à l’État comme nous l’avons vu plus haut. Or quand un chef de village vend une terre, il ne cherche pas à savoir si l’espace a été programmé pour un projet de l’État par le schéma. De ce fait, les personnes s’installent d’une manière anarchique sans autorisation dans des constructions parfois en dur. Ceci crée des conflits lors des tentatives de récupération.

Tous ces éléments limitent l’urbanisation de façon harmonieuse à Kayes. Il est difficile d’organiser l’occupation des terres dans ce contexte. Le Projet d’Appui aux Communes Urbaines (PACU) appuie la direction en logistique. Il leur a permis d’avoir des motos (6 véhicules) pour toute la région. Les agents de la direction de l’urbanisme ne se sentent pas trop concernés par les impacts du barrage de Manantali et n’ont pas de relations de travail avec les gestionnaires. Ils s’occupent de l’espace de la ville de Kayes (chef-lieu de région) qui se situe assez loin, et est un peu différent de la zone

98 Extrait entretien individuel avec un directeur régional de l’urbanisme et de l’habitat, réalisé en mai 2014. 184 | P a g e encore rurale qui abrite le barrage de Manantali. Ce barrage a en quelque sorte réécrit l’histoire des villages environnants et a perturbé leurs habitudes culturelles.

CONCLUSION CHAPITRE III Dans ce chapitre, j’ai identifié et décrit les entités administratives, les règles de gestion du foncier, l’organisation spatiale en amont et en aval et la composition sociale et culturelle des zones étudiées. Le barrage de Manantali semble avoir apporté des changements à cette situation. Le village de Manantali aval et les campements de pêche plus proche du barrage se particularisent plus que les autres villages sur le plan des mutations sociales. Le village de Manantali est devenu un « centre-rural » qui est marqué par une importante inégalité sociale perceptible dans l’organisation spatiale des quartiers après les murs du barrage. La différence de niveau de vie entre la population autochtone, les ouvriers et les cadres tend à être moins visible dans les formes de constructions, de plus en plus en dur et à étages, qui sont les résultats de financements des jeunes du village émigrant vers les zones minières à Kéniéba et à la frontière avec le Sénégal.

Par ailleurs, le développement d’associations contribue à la multiplication des cas de conflits d’intérêts, en particulier suite à l’obtention de financements ou de dons à partager.

Dans le chapitre suivant, j’analyserai les modifications apportées par le barrage de Manantali sur les services : l’accès à l’eau potable, à l’électricité, à la santé et l’éducation. J’ai pu remarquer que le barrage avait des impacts spécifiques dans les villages qui lui sont plus proches. Alors quel est l’apport particulier du barrage dans le village de Manantali aval pour les services ? Comment s’organisent les habitants des villages et campements étudiés pour répondre aux besoins en services de base ? Le barrage ne créé-t-il pas une dépendance totale des autres zones étudiées au village spécifique de Manantali ?

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CHAPITRE IV

ANALYSE DES INÉGALITES D’ACCÈS AUX SERVICES AGGRAVÉES PAR LE BARRAGE

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Le chapitre 3 a permis de présenter les changements profonds de la composition sociale particulièrement du village de Manantali qui est devenu un village marqué par une grande diversité ethnique. Il a également exposé la recomposition spatiale qui a accompagné l’émergence d’un nouveau territoire de pêcheurs en amont proche du lac.

Ce chapitre 4 sera l’occasion de faire une lecture spatiale des inégalités d’accès aux services permettant de mesurer les multiples manifestations des effets du barrage dans les localités riveraines. La première variable observée sera l’accès à l’électricité. Il avait été indiqué dans la première partie que le barrage produisait et distribuait de l’électricité aux 3 pays membres de l’OMVS depuis 2003. Cette électricité est distribuée comme suit : le Mali a 52% de l’électricité produite, la Mauritanie 15% et le Sénégal 33%. Mais, quelle est la part des localités riveraines qui ont subis les troubles des déplacements et des réinstallations dans cette répartition?

Le barrage ayant modifié le cours d’eau du Bafing, il s’agira d’analyser sa place dans les sources d’approvisionnement en eau des ménages. Je déterminerai les modes d’accès à l’eau des habitants des localités riveraines, puis les relations avec les dynamiques des maladies hydriques seront interrogées. Le rôle de l’hôpital de Manantali dans l’offre de soins renforce la dépendance des autres villages et campements à ce village. Pour comprendre les nombreuses raisons de renoncement aux soins dans les zones étudiées, je m’intéresserai aux types d’activités économiques principales et secondaires. Ceci marquera une bifurcation vers la troisième partie portant sur les impacts économiques du barrage.

I. ACCROISSEMENT DES INÉGALITES D’ACCÈS AUX SERVICES 1. De l’électricité pour l’ailleurs : les grandes villes et les pays voisins Le village de Manantali et celui de Bamafélé sont les seuls à être électrifiés dans la zone riveraine du barrage (Carte 23). Plus de 94% des habitants affirment avoir accès à l’électricité. Cet avantage, si l’on peut dire, est lié à leur statut et à leur localisation par rapport au barrage. Le village de Manantali abrite l’ouvrage et les exploitants. Bamafélé est le chef-lieu de commune. Parmi les habitants qui ont l’électricité à

187 | P a g e domicile, il est important de dissocier ceux de la cité des cadres, de la cité ouvrière qui ne paient pas l’électricité (gratuite pour les agents de la société d’exploitation) et les habitants du village traditionnel de Manantali qui paient l’électricité à EDM99- Manantali. L’EDM a créé des tarifs réduits pour ces populations qui peuvent demander aux agents d’effectuer le branchement jusqu’à leur domicile.

Carte 23 : bénéficiaires de l’électricité du barrage dans la zone riveraine

Le village de Diakhaba se distingue par le fait que 3% des habitants ont un accès à l’électricité. À la différence des villages précités, aucune des zones étudiées, et quelle que soit leur distance par rapport au barrage ou leur statut de chef-lieu comme Diokéli, ne bénéficie de l’électricité produite par cet ouvrage. Les villages environnants du barrage ne sont donc pas les plus grands bénéficiaires sur le plan de l’offre en électricité.

99 Énergie du Mali 188 | P a g e

Carte 24 : niveaux d’informations sur le rôle du barrage et les bénéficiaires de l’électricité.

L’analyse des réponses des habitants nous montre un second résultat (Carte 24). Elle nous renseigne d’une part, sur le profil de niveau d’informations des habitants sur le rôle de production d’énergie par le barrage. D’autre part, elle indique leur lecture des bénéficiaires de cette électricité à leur détriment. En effet, malgré la proximité du barrage, il y a des villages dont la majorité des habitants ignorent les destinations de la production du barrage et/ou pensent qu’elle va ailleurs, c’est-à-dire dans les grandes villes du Mali (particulièrement la capitale Bamako). D’autres habitants pensent que cette électricité est destinée aux trois pays de l’OMVS.

Dans les campements de pêche, on constate une absence totale d’infrastructures d’accès à l’électricité. Les lampes torches sont les seuls moyens de s’orienter la nuit. Néanmoins, certaines cours familiales possèdent des panneaux solaires et des groupes électrogènes qui fonctionnent à l’essence. Le coût de l’essence limite cependant l’usage

189 | P a g e de ces matériels. Le groupe électrogène n’est allumé pour cette raison que très tard dans la soirée et seulement pour regarder la télévision. Au même moment, les membres de la famille et les voisins en profitent pour charger leurs téléphones portables. Le manque d’électricité limite les activités liées à la pêche et crée une dépendance totale des pêcheurs par rapport au village de Manantali ou à Kita en ce qui concerne les besoins en glace pour conserver les poissons. Les pêcheurs achètent par exemple la barre de glace à un prix variant entre 40 et 50 FCFA tous les samedis ou à chaque sortie. La partie amont où se situe le campement de pêche est par ailleurs très accidentée. Selon les habitants, la présence du lac, et l’enclavement des campements sont des facteurs explicatifs de l’inexistence de projet d’électrification pour l’amont, qui nécessite un financement lourd pour les pays de l’OMVS.

Quelle que soit leur situation (bénéficiaire de l’électricité ou non), les personnes interrogées100 ont majoritairement souligné que l’électricité du barrage était plutôt pour les autres régions ou les pays voisins. Elles parlent en priorité (1) des grandes villes du Mali, (2) des pays voisins du Mali et membres de l’OMVS, ou encore elles déclarent ne pas savoir (NSP 3). Leurs propres villages ne sont cités qu’en dernière position (4). Ce sont les habitants du village de Manantali qui pensent davantage aux grandes villes du Mali (82%). Seuls 7% ne se prononcent pas (NSP) contre 62% à Sollo par exemple. A l’issue de ces enquêtes, nous avons constaté que le barrage de Manantali était loin de répondre aux besoins des habitants des villages environnants en électricité. Contrairement l’électricité, les habitants semblent avoir le choix entre plusieurs sources d’accès à l’eau.

100 Le nombre de citations est supérieur au nombre d'observations du fait de réponses multiples (2 au maximum). 190 | P a g e

Encadré 5: l’électricité du barrage de Manantali : un atout pour une région à forte potentialité minière101

La région de Kayes comprend cinq mines : , Yatéla, Loulo, Gounkoto et Tabakoto. Les mines de Kalana dans les années 1980, et la coopération soviétique à Sikasso sont les premières mines du Mali. D’autres mines comme Siama ont ouvert à Kayes. Les mines sont suivies et contrôlées par la direction régionale des mines de Kayes. Cette direction s’occupe de la promotion des indices, c’est-à-dire des recherches sur tout le territoire malien sur le sol, et de l’évaluation des indices (fer, manganèse, or..). Les résultats de la carte géologique sont ensuite vendus. La direction s’occupe également des carrières. La direction de la géologie et des mines fonctionne avec un budget régional et sous la supervision du gouverneur de Kayes. Les directions régionales n’existent que dans quatre régions du Mali : Kayes, Gao, Sikasso, Kidal qui ont des sous-sols riches en minerais. Les autres régions n’ont pas montré d’anomalies lors de l’exploration. Le responsable a souligné que la direction régionale de la géologie et des mines est composée de cinq divisions dont la documentation, les mines, la géologie, les installations classées et l’environnement minier, et la division études et législations qui s’occupe des permis d’exploitation. Les permis sont obligatoires pour l’exploitation d’une mine. Avant de l’obtenir, le demandeur doit suivre plusieurs étapes. D’abord, l’exploitant doit créer sa société de droit malien et fournir des documents et des justificatifs. Il s’agit d’une demande adressée au ministère chargé des mines en deux exemplaires, un document qui mentionne le statut de la société, la certification d’immatriculation à la régie des commerces, un document des programmes et des coûts des travaux, les coordonnées du périmètre, le tracé sur carte géologique ou topographique au 1/200 000e, une preuve des capacités techniques et financières (justificatifs bancaires), et le rapport d’étude d’impact environnemental et social. Les demandes sont ensuite envoyées à Bamako. Si elles sont acceptées, c’est le Programme de Développement de Ressources Minérales (PDRM) qui devient le bras exécutif de la direction régionale de la géologie et des mines. Cela signifie que l’exploitant qui a son permis verse sur le compte du PDRM les frais des travaux effectués par la direction. Les géologues, sur la base du programme et coût des travaux, évaluent comment l’exécuter année par année. Ils livrent les anomalies du terrain de l’exploitant. Une anomalie constitue la potentialité de la zone. Troisièmement, le permis n’est délivré que si la rentabilité de la zone allouée est avérée après les travaux d’exploration et la connaissance des réserves. Le permis va jusqu’à 10 points. Avant tout, il faut impérativement donner le quitus environnemental et social pour avoir l’autorisation d’exploration et d’exploitation, c’est-à-dire le permis. Après l’exploration, il y a une possibilité de parler de gisement. On parle de gisement quand l’élément recherché est potentiellement et économiquement exploitable. Après avoir essayé de comprendre le processus d’exploitation des mines, l’autre enjeu de cette rencontre a été de connaitre l’impact de l’électricité de Manantali dans le développement des mines, mais aussi les relations de cette structure avec les autres acteurs régionaux et les gestionnaires du barrage. En ce qui concerne ces éléments, j’ai été informée que la surveillance des mines exigeait effectivement des partenariats. La direction de la géologie et des mines travaille ainsi avec toutes les directions ou services techniques de la région : l’assainissement, les eaux forêts, l’urbanisme, la santé, l’agriculture, l’académie etc. et avec les exploitants à cause des risques élevés de l’exploitation minière. Par exemple, les problèmes d’orpaillage sont devenus aujourd’hui une préoccupation. L’orpaillage est toléré et régi par le code minier, mais il doit rester traditionnel. Or, les conditions du code minier ne sont pas toujours respectées par les orpailleurs de Kayes qui utilisent des cracheurs, des camions bennes, des produits chimiques L’orpaillage n’est plus traditionnel, il devient mécanisé pour augmenter le rendement. « Avant, l’orpaillage était saisonnier mais aujourd’hui, les habitants des villages ont abandonné l’agriculture et sont en train de détruire l’environnement avec l’utilisation de produits chimiques (mercure) non maitrisée » (entretien individuel avec le directeur régional des mines de Kayes, mai 2014). De ce fait, les acteurs régionaux organisent des journées de concertation, de communication. Des rapports sont rédigés à la fin des rencontres, qui mettent en évidence les analyses de chaque service. Des partenariats sont aussi créés dans la construction des barrages hydroélectriques, dont celui de Manantali. Par exemple, lors de la construction de ce type d’ouvrage, des experts s’occupent du choix du site de stockage des explosifs, de la formation du personnel, du suivi, ou encore du bilan. C’est dans ce contexte que la direction des mines a travaillé avec l'entreprise chinoise SINOHYDRO qui a construit le barrage de Félou de l’OMVS sur le fleuve Sénégal. « Ils voulaient un dépôt d’explosifs et nous avons droits sur toutes les installations classées. Nous pensons aussi veiller sur les installations et les travaux du future barrage de Gouina de l’OMVS. La direction intervient également en cas de fuites de produits chimiques et des inondations dans la construction de grandes infrastructures » (entretien individuel avec le directeur régional des mines de Kayes, mai 2014). Au final, il faut mentionner que la région de Kayes a de nombreux sites potentiels de mines. Il y existe 80 titres miniers d’or, mais on y trouve aussi de la bauxite, de l’uranium, et des matériaux de construction (calcaire, marbre, granite). Les sites déjà en exploitation ont besoin d’énergie pour fonctionner et réduire le prix de l’importation du gasoil. Le barrage de Manantali est donc un atout pour les miniers. « On attendait beaucoup du barrage de Manantali. C’est un grand rêve qui s’est concrétisé grâce à l’OMVS. Il a apporté une bouffée d’oxygène dans le secteur de l’énergie. C’est une énergie du développement qui est encore insuffisante. Mais je pense qu’avec Félou qui fait 60 MW et le future barrage dans les chutes de Gouina, beaucoup de changements interviendront dans le domaine de l’énergie des trois pays. Ils en ont tellement besoin aujourd’hui» (idem). Par exemple, les mines de Sadiola consomment 50 000 litres de gasoil par 24h. Les mines de Loulo en consomment 270 000 litres. Et les mines de Sadiola ont épuisé les minerais oxydés, et les

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exploitants sont en train d’aller encore plus en profondeur d’après le directeur. Les besoins en énergie sont importants et, pour le moment, les sociétés proposent une interconnexion pour subvenir aux besoins des mines. Une fois les besoins des sociétés mentionnés, il faut prendre en compte les inégalités créées par les mesures d’accompagnement des projets miniers. « Pour le villageois, l’or ne brille pas. Il faut lui faire comprendre que l’or brille et qu’il peut en bénéficier» (idem). Vraisemblablement à l’image de l’électricité produite par le barrage de Manantali, les villages qui abritent les mines ne bénéficient pas toujours de cette implantation. Je considère que ceci et la principale limite de tous les projets d’exploitation des ressources, car le développement communautaire passe par les aides ponctuelles au niveau de la santé, les adductions d’eau, les routes, les écoles etc. sans formation ni suivi. Pour le moment, les recherches minières sont limitées à cause de la crise au Mali. Les agents ne sont pas envoyés dans les zones de crises et l’économie minière a par conséquent baissé dans certaines zones comme Kidal. L’analyse des types de maladies et des modes d’accès aux soins permet de voir l’impact du barrage de Manantali sur le secteur de la santé des populations du haut bassin du fleuve Sénégal au Mali.

2. Des inégalités d’accès l’eau Les villages, avant l’arrivée du barrage, utilisaient principalement l’eau de l’affluent du Bafing. Ce barrage a permis la maîtrise de l’eau dans ce contexte du Sahel où l’eau du Bafing est soumise à une forte variabilité de son niveau liée à la pluviométrie. De fortes pluies qui durent trois mois provoquent ainsi des inondations. Pendant les neuf mois qui suivent, il n’y a souvent pas une goutte de pluie. Le rôle du barrage de Manantali est donc de retenir le surplus d’eau qui s’écoule pendant la période des hautes eaux afin de pouvoir la restituer progressivement en saison sèche pour les usagers en aval. Cette régularisation du régime permet les activités anthropiques (accès à l’eau pour la boisson et les activités domestiques, les grands périmètres, les petites irrigations, l’abreuvement du cheptel, la navigation qui est encore un projet etc.). J’ai constaté une différence de l’origine de l’eau utilisée par les ménages de l’amont et de l’aval d’une part, et entre les villages d’autre part.

La visualisation des modalités d’accès à l’eau a permis d’avoir la figure 31. Ce graphique affiche une différence entre les villages de Manantali, de Maréna à droite de l’axe 1 qui ont le choix entre plusieurs types d’accès à l’eau face à des localités qui en ont moins à gauche. Le second axe de ce plan factoriel oppose une première association composée du village de Diakhaba et de Manantali en bas, et le second formé par les autres localités en haut. En d’autres termes, les villages qui sont en haut (Bamafélé, Kondonia, Goumbalan, les campements, Sollo, Diokéli) utilisent plus l’eau du fleuve ou du lac pour répondre à tous leurs besoins.

101 Extrait de l’entretien individuel avec le directeur régional des mines de Kayes, réalisé en mai 2014. 192 | P a g e

1,5 Puits-32 Pompe-53 Fleuve ou lac-2 Puits-75 Forage-3 Pompe-30 Pompe-53 Pompe-68 Robinet-37 1 Pompe-66 Puits-34 Puits-59 Puits-67 Marena Forage-2 Robinet-37 Diokéli Pompe-25 Puits-59 Sollo Forage-2 0,5 Goumbalan Kondonia Fleuve ou lac-100Campements Fleuve ou lac-100 0 Bamafélé Pompe-0

-0,5

Fleuve ou lac-1 F2 (27,74 %) (27,74 F2

-1 Forage-1 Fleuve ou lac-78 Puits-1 Robinet-85 Diakhaba Fleuve ou lac-87 -1,5 Robinet-60 Puits-1 Forage-1 -2 Manantali Pompe-1 Puits-4 Robinet-95 Robinet-94 Pompe-1 Fleuve ou lac-3 -2,5 -3 -2,5 -2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 F1 (37,04 %)

Variables Observations

Figure 31 : origine de l’eau utilisée par les ménages dans la zone riveraine, (réalisation, C. Cissé)

Par contre, les villages qui sont en bas, à savoir Manantali et Diakhaba, utilisent majoritairement l’eau du robinet pour la boisson et les activités domestiques. Le village de Maréna est isolé car les habitants ont le choix entre plusieurs types d’accès à l’eau, mais ils se servent plus l’eau de pompe et de puits. La

La carte 25 révèle que les villages de Sollo et de Diokéli utilisent particulièrement l’eau de pompe (à Diokéli 25% et à Sollo 66%) et l’eau de puits (à Diokéli 75% et à Sollo 34%) pour la boisson. Pour les activités domestiques, à Diokéli les habitants utilisent 30% de l’eau de pompe et 67% de l’eau de puits, contre 68% et 32% à Sollo). Ils ont en plus la possibilité de prendre l’eau du forage (à Diokéli 3%, 1% à Manantali aval, 2% à Maréna et 1% à Diakhaba). La pompe et les puits servent également aux habitants de Manantali (1%) pour la boisson.

193 | P a g e

Carte 25 : origine de l’eau utilisée par les habitants de la zone riveraine

Pour ce dernier cas de figure, j’ai remarqué que 95,5% de la population de Manantali a accès à l’eau du robinet. Les robinets peuvent être publics ou à domicile. À Manantali, l’eau est gratuite pour tous les habitants. « Le problème à Manantali est le gaspillage de l’eau. Les habitants ne paient pas l’eau et donc même si on leur explique, ils ne suivent pas nos conseils102 ». En 2012 pourtant, malgré les deux châteaux d’eau, d’aucuns utilisaient encore l’eau du fleuve (3,5%), l’eau de la fontaine (0,20%), l’eau du puits (0,20%), l’eau des forages (0,40%) et enfin l’eau des pompes (0,20%). Les habitants ont le choix, mais il est limité par le niveau de vie. Ici aussi, on retrouve un reflet de l’inégalité entre les catégories professionnelles vivant à Manantali. Enfin, pour les activités domestiques, l’eau du robinet est la plus utilisée à 93,6%. 4,3 % se servent de l’eau de puits, 1,4% de l’eau du fleuve, 0,4% de l’eau du forage et 0,2% de l’eau de pompe.

102 Extrait enquête auprès des habitants du village de Manantali, un cadre de l’Eskom, réalisée pendant l’été 2012. 194 | P a g e

2.1. L’absence totale de réseau d’eau potable dans les campements Le séjour dans les campements a permis d’y constater une absence totale de réseau d’adduction en eau et une rareté de puits à cause de la nature rocheuse du sol, selon les habitants. Les effets de cette situation touchent particulièrement la population féminine (femmes et filles). Elles vont chercher de l’eau tous les jours dans le lac malgré les contraintes (topographie, éloignement, non-respect des normes de potabilité). Par exemple, on remarque que dans le campement de pêche de Salégoun, situé au sommet d’une colline, les femmes escaladaient deux fois par jour de grosses pierres pour aller chercher de l’eau, afin de laver le linge, ou les bols (Photo 11). Elles s’y rendaient aussi pour préparer les poissons dans le lac.

Photo 11 : habitants qui escaladaient les grosses pierres pour aller chercher de l’eau, (réalisation, C. Cissé)

Pour faciliter le transport, elles portaient les bouteilles sur la tête, tandis que les familles de pêcheurs les plus aisées achetaient des motos, des ânes et charrettes ou des chariots (Planche photos 10). Lors de mes enquêtes, une femme de ce campement soulignait qu’elle avait choisi de faire du commerce spécialement pour économiser afin d’acheter un chariot de transport de l’eau du lac vers les campements. Le chariot neuf coûte 60 000 FCFA et celui d’occasion entre 25 000 et 40 000 FCFA (enquête, 2012).

195 | P a g e

Planche Photos 10: modes de transport de l’eau du lac vers les campements de pêche, (réalisation, C. Cissé)

La distance, la boue en saison des pluies, les fortes pentes, la variation du niveau du lac sont des facteurs qui rendent encore plus difficiles leurs tâches quotidiennes (cf. Annexe 6). Un troisième facteur peut également être abordé pour montrer ce problème : la qualité de l’eau utilisée. Comme souligné dans le chapitre 2 de la première partie de cette thèse, selon les agents du SSSE, les résultats de mesures des paramètres physiques et chimiques de l’eau des stations I, III et IV du lac indiquent qu’elle est acceptable pour un lac. En revanche, elle n’est pas propre à la consommation directe par l’homme, et ce d’autant plus que ce lac est le lieu où sont directement lavées les motos, préparés les poissons, déversés certains déchets. Pour réduire les risques de contamination, les habitants ont mis en place des techniques. Il s’agit de l’utilisation de tissus blancs transparents comme filtres pour rendre l’« eau potable » avant de la mettre dans des jarres achetées à Manantali, Bamako, Kita, Mahina ou Kayes. Les jarres conservent l’eau de boisson filtrée tandis que l’eau pour la préparation des repas et autres besoins reste dans la bouteille au milieu de la cour familiale. De nos jours, les

196 | P a g e campements de pêche autour du lac de Manantali n’ont toujours pas accès à l’eau potable. Peut-être que les conditions topographiques ne permettront jamais l’installation d’un système d’adduction en eau. Je n’ai pas eu connaissance et n’ai pas appris des populations de probable projet allant dans ce sens. Mais peut être la mise en place d’un réseau d’eau potable ne résoudra-t-il pas cette chaîne de difficultés à laquelle les habitants font face pour accéder à l’eau. En effet, lors de mes enquêtes, certains habitants affirmaient leur préférence à utiliser l’eau du cours d’eau car elle était, selon eux, plus « douce » et plus agréable. Est-ce une question de préférence, d’habitude, de culture ou de résignation ?

En comprenant la fonction essentielle de l’eau du cours d’eau, source unique d’approvisionnement en amont, j’ai pu me renseigner sur les risques de pollution de ces eaux et les mesures prises pour les réduire. Pour l’agent de la société d’exploitation interrogée, cette rencontre a été l’occasion de défendre l’image de sa société.

Elle affirme qu’« autour du barrage, l’environnement n’est pas dégradé. La société d’exploitation a mis en place la norme ISO 14001 pour minimiser les pollutions liées aux activités du barrage, particulièrement celles qui sont dues à la gestion des déchets organiques ou industriels. Pour le moment, on n’a pas pollué l’environnement du bassin. Le lac et le débarcadère sont un peu salis par les pêcheurs qui y jettent des sachets plastiques de glace. Mais ce n’est pas trop grave pour le moment. On reconnaît toutefois que c’est un phénomène qui peut avoir des conséquences sur l’environnement à long terme. Nous avons construit une petite décharge au niveau du débarcadère pour gérer les déchets. Pour le moment le seul problème est la pollution de l’air par les voitures. Nous faisons des campagnes de désherbage sous les lignes de hautes tensions. Pour compenser, la société d’exploitation fait des campagnes de plantations d’arbres ailleurs en recrutant des villageois103 ». Mon interlocutrice a toutefois reconnu des cas d’accidents tout en essayant de les minimiser au maximum. Par exemple, lorsque l’eau turbinée n’est pas bien traitée, elle peut être rejetée dans le fleuve avec des huiles. Pour réduire ce risque, il est prévu de créer un lac flottant en aval proche. En outre, à la cité des cadres, il y a eu, à cause d’un problème de décantation, des rejets d’eaux usées directement dans le fleuve mais, là encore, le problème a été réglé souligne-t-elle.

À la fin de cette rencontre, j’ai également appris que le risque de pollution de l’environnement lié à l’exploitation du barrage pouvait venir de la maintenance, du

103 Extrait entretien individuel avec la responsable de la cellule sécurité environnement de l’ESKOM, réalisé en mai 2014. 197 | P a g e fait de la production et du rejet de déchets comme les chiffons souillés, ou de vieilles batteries, mais aussi de la pollution de l’air. Au niveau de l’exploitation, le risque d’incendie est permanent, à cause du matériel vieillissant, en plus du risque de maladies. Pour réduire tous ces risques, la société d’exploitation s’occupe des déchets dangereux (barriques d’huiles, néons, vieux ordinateurs, climatiseurs), qui sont stockés à part. La société d’exploitation s’est occupée de la gestion des ordures non seulement dans ses bureaux administratifs mais aussi dans ses deux cités : la cité ouvrière et la cité des cadres. Elle a mis des poubelles dans les cités et recruté quatre ramasseurs : un pour s’occuper des déchets organiques, deux pour ramasser les déchets domestiques, et un dernier responsable du ramassage des papiers du bureau. Les ramasseurs passent tous les jours, et déposent les ordures à la décharge de la cité des cadres. Contrairement aux deux cités, le ramassage des ordures dans le village traditionnel n’a pas été organisé, et les agents ne sont pas responsables de cette activité. Le suivi de la pollution des eaux fait également partie des politiques de la direction régionale de l’assainissement et de contrôle des pollutions de Kayes.

Encadré 6: l’organisation administrative autour de l’accès à l’eau104 Selon BARBIER et al. 2009, « En Afrique de l’Ouest, les urbains consomment 40 à 60 litres par jour. Comme les villes croissent très rapidement et que la moitié des Africains de l’Ouest vivront en ville au milieu du siècle, les demandes urbaines, jusque-là modérées, vont représenter une part non négligeable du disponible » (BARBIER et al., 2009). Le responsable de la direction régionale de l’hydraulique a été rencontré dans le cadre d’un entretien individuel en mai 2014. Il m’a souligné que cette direction était sous tutelle du ministère de l’environnement et de l’assainissement et qu’elle était composée de deux sous-divisions. D’une part, la division programmation et suivi des projets et programmes qui comprend un chargé des programmations et de l’appui conseil aux collectivités territoriales, un chargé de coordination et de suivi des projets et programmes, et un chargé de suivi des projets et programmes d’aménagements des eaux de surface. De l’autre, la division inventaire et gestion des ressources en eau est composée d’un chargé de l’inventaire et de l’évaluation des eaux souterraines, un chargé de l’inventaire et de gestion des eaux de surfaces, un chargé de la gestion des bases de données, et un chargé de la police de l’eau. Elle a pour rôle de suivre et d’évaluer le potentiel hydraulique, de collecter et traiter les informations sur les ressources en eau, de coordonner et contrôler les différents intervenants dans le secteur de l’eau, de contribuer à l’élaboration des schémas directeurs régionaux d’aménagements des bassins fluviaux et de l’approvisionnement en eau potable, et enfin d’apporter appui et conseil aux collectivités territoriales dans l’élaboration, la recherche de financement et la mise en œuvre des programmes de réalisation des infrastructures hydrauliques. Autrement dit, la direction située à l’échelle régionale doit accueillir et travailler avec les Organisations Non Gouvernementales (ONG), les groupements, les collectivités territoriales etc. qui souhaitent réaliser des points d’eau comme les forages, les puits à grands diamètres ou les adductions d’eau. Ces acteurs ont l’obligation de passer par la direction régionale de l’hydraulique. Pourtant, en réalité, « c’est comme dans le domaine du bâtiment, les textes ne sont pas toujours appliqués. Alors que normalement personne ne doit réaliser un point d’eau sans avoir l’autorisation » (entretien individuel avec le directeur de l’hydraulique, mai 2014). Cette autorisation est en fait fournie par un représentant de l’État, c’est-à-dire le préfet ou le sous-préfet, avec en plus l’accord de la direction technique de l’hydraulique. La réalisation d’un point d’eau crée une aire d’influence de l’infrastructure qui doit être suivie par un agent. Cependant, la direction de l’hydraulique essaye de faire face à un manque de personnel. Pour le moment elle continue de garder les retraités et travaille beaucoup avec des stagiaires. L’autre solution est de travailler avec les agents de l’OMVS qui, dans le cadre des mesures d’accompagnements du barrage de Manantali, continuent à construire des infrastructures d’eau dans la région de Kayes. « Tout récemment, l’adduction d’eau de Mahinanding et de Sélinkiégni est réalisée par l’OMVS. Elle est également en train de réaliser l’adduction d’eau de Médine. La

104 Extrait de l’entretien individuel avec le directeur régional de l’hydraulique de Kayes, réalisé en mai 2014. 198 | P a g e

SOGEM, dans le cadre des mesures d’accompagnement du barrage de Félou, est en train de réaliser une adduction d’eau de Lontou-, dans les villages environnants de ce barrage » (entretien individuel avec le directeur de l’hydraulique, mai 2014). Les infrastructures d’eau réalisées par l’OMVS dans la région sont suivies par la direction. Les agents de la direction régionale de l’hydraulique font, avec les experts de l’OMVS, les missions de suivi du bassin du fleuve Sénégal. Par exemple, ils travaillent ensemble lors des campagnes de recensement de la SOGEM/OMVS des usagers qui prélèvent l’eau dans le fleuve Sénégal et ses affluents. L’inventaire permet à l’OMVS de faire payer des redevances à ces usagers. Normalement tous les usagers doivent payer des redevances à l’OMVS à travers la SOGEM. L’Agence de Développement Rural de la vallée du fleuve Sénégal (ADRS) qui gère l’irrigation, les sociétés minières comme Loulo, Tabakoto, Sadiola, qui drainent l’eau du fleuve directement jusque dans leurs carrières doivent payer car les eaux du fleuve Sénégal appartiennent aux quatre pays de l’OMVS. Dans ce contexte, l’autorisation de prélèvement de l’eau de surface est donnée par l’OMVS. Les grandes sociétés ont aussi la possibilité d’exprimer leur besoin en eau à la CPE/OMVS. A l’heure actuelle, le plus grand usager et client de l’eau du bassin du fleuve Sénégal au Mali est la Société Malienne de Gestion de l'Eau Potable (SOMAGEP-sa). La Société Malienne de Patrimoine de l'Eau Potable (SOMAPEP.sa) est chargée de la production d’eau et la SOMAGEP de la distribution de l’eau potable au Mali et dans la région de Kayes. Les usagers sont donc la SOMAGEP, les sociétés minières, la société d’eau à Mahinanding, la cimenterie de et les petits usagers individuels (agriculteurs, pêcheurs, éleveurs). Le prix de l’eau par m3 dépend des taux forfaitaires, c’est-à-dire qu’il est défini par type d’usage et selon les sociétés. Toutefois, le paiement de ces taxes n’est pas encore très effectif à cause du manque d’informations des usagers, et du manque de compteurs pour comptabiliser l’eau consommée. Les projets de la direction de l’hydraulique de Kayes sont souvent financés par des partenaires européens. Par exemple, l’Allemagne avait financé un vaste programme de forages et d’adduction d’eau. Plus de 350 forages et plus de 50 adductions d’eau ont ainsi été réalisées entre 2003 et 2012 dans la région de Kayes. L’AFD a également réalisé une vingtaine d’adductions d’eau dans les cercles de Nioro et de Diéma. Un programme de l’UEMOA a pris fin en 2013. Il avait réalisé une centaine de forages dans la région notamment au niveau de Nioro et Diéma. Les deux projets en cours en 2014 étaient le programme des forages et des pompes. Ils sont financés par l’Arabie Saoudite. La réalisation de l’adduction d’eau de Médine est également en cours, et effectuée par l’OMVS.

3. Une politique de gestion des eaux usées presque inexistante Dans la région de Kayes, il existe une direction régionale de l’assainissement et de contrôle des pollutions de Kayes qui a été créée par l’ordonnance 027 RM le 25 mai 1998. Cette direction a pour mission d’appliquer les programmes des politiques nationales en matière de stratégies de luttes contre les nuisances et les pollutions ainsi que d’assurer la coordination et l’exécution des programmes par les services concernés. Elle est divisée en sept services du même nom à l’échelle des cercles. Les services sont représentés dans les communes par les antennes d’assainissement et de contrôle des pollutions et des nuisances.

« Par manque de personnel, nous n’avons pas d’agent au niveau des communes. La direction régionale dépend d’une direction nationale du même nom à Bamako, sous tutelle du ministère de l’environnement de l’eau et de l’assainissement. Ce ministère est composé de trois directions nationales, la nôtre, la direction des eaux et forêts et la direction de l’hydraulique105 ».

105 Extrait de l’entretien avec le directeur régional de l’assainissement et de contrôle des pollutions de Kayes, réalisé en mai 2014. 199 | P a g e

Comme l’indique son nom, cette direction a pour mission de s’occuper de la gestion des eaux usées, des ordures ménagères et des excrétas. Pour les ordures ménagères, des poubelles publiques sont placées dans les quartiers. Les ordures sont déposées ensuite dans des dépôts de transit, et c’est la mairie de chaque commune qui est responsable de la gestion finale. La mairie reçoit à cet effet des taxes d’enlèvement des ordures ménagères. Pourtant, lors de ma dernière visite à Manantali, les déchets étaient présents tout au long de la route principale. Peut-être que la mairie est confrontée au même problème que la direction régionale, à savoir un manque de personnel et un manque de matériel de gestion? « La somme allouée par l’État est insignifiante. Nous n’avons pas de programmes et les agents de Bamako ne veulent pas être mutés ici. La jeune direction se débrouille avec les moyens du bord » (Idem.). Peut-être aussi que le statut particulier du village de Manantali amène les autorités communales à considérer que cette mission est à la charge de la société d’exploitation. Dans le cadre de son contrat d’exploitation, rappelons que cette société est responsable de la gestion des infrastructures d’accompagnement du barrage, et notamment de la cité ouvrière et de la cité des cadres. Les autres quartiers de Manantali aval sont ainsi sous la responsabilité de la mairie de Bamafélé. La gestion des ordures ménagères pose beaucoup de problèmes et crée des conflits chez les populations qui n’ont pas de lieux de dépôt. Malgré cela, d’après le directeur régional, les problèmes sont aggravés par le comportement des ONG. En effet, elles seraient nombreuses à utiliser le vocable de l’assainissement pour pouvoir facilement s’introduire dans la région et/ou pour avoir plus de facilités de financement. En réalité, elles se dirigent ensuite dans le domaine de la santé, où il y a beaucoup plus de moyens et de programmes.

En ce qui concerne les effets du barrage sur l’environnement de Kayes, comme constaté dans le chapitre 2, le directeur souligne à son tour que le barrage de Manantali est à l’origine de la présence des plantes aquatiques dans le fleuve. Les plantes colonisent certaines parties du lit du fleuve à Kayes, mais ce phénomène serait plus visible à Bamako sur le fleuve Niger. Dès lors, la direction de l’assainissement n’est pas plus préoccupée par les effets du barrage sur le fleuve Sénégal mais plutôt par la présence permanente des ordures dans la ville. Les agents sont encore plus inquiets du fait de l’impact des produits chimiques utilisés dans les mines à Kéniéba, qui

200 | P a g e conduirait d’ici 10 ans à un manque d’eau potable dans le cercle de Kéniéba. Une collaboration avec l’OMVS est souhaitée par le directeur régional de l’assainissement et de contrôle des pollutions de Kayes. Ce serait l’occasion d’avoir un partenariat pour le suivi de toutes les activités sur le plan environnemental à Kayes. « Avec les moyens qu’elle a, et à travers ce genre de partenariat elle pourrait nous aider à nous équiper sur le plan logistique (voiture, motos) » (Idem.). L’un des plus grands partenaires de la direction de l’assainissement est celle de l’hydraulique. Elles travaillent beaucoup ensemble et tiennent des réunions, des séminaires d’échanges, réalisent ensemble des campagnes de terrain.

201 | P a g e

I. LES CONSÉQUENCES DU BARRAGE SUR LE DEVELOPPEMENT DES MALADIES HYDRIQUES G. Parent et al. ont montré dans un article paru en 1997 les conséquences des barrages en Afrique sur la santé. Ils soulignent qu’à la fin des années 1980, en dehors de l’Afrique du Sud, il existait 423 grands barrages qui avaient deux principaux objectifs dont la sécurité alimentaire et la sécurité énergétique. En ce qui concerne les maladies liées au barrage, les auteurs montrent des exemples de pays où les cas de paludisme ont diminué après l’ouvrage. Il s’agissait de la vallée du Kou au Burkina Faso et la région de Maka au nord du Cameroun. D’autres exemples montrent le contraire. C’est le cas à Madagascar, à l’ouest du Kenya, ou dans la vallée de la Ruzizi au Burundi. La seconde maladie étudiée a été la bilharziose. Selon les auteurs, à l’exception de la vallée Logone au Nord-Cameroun, cette maladie a touché autour du barrage d’Akosombo Ghana 90% de la population en 2 ans. Le barrage d’Assouan (61%) et celui de Diama (72%) sont également cités. La diarrhée, l’onchocercose et la maladie du sommeil sont aussi parmi les maladies à risques dans le contexte de transformation de l’eau par les barrages (PARENT et al., 1997). 1. Types de maladies: une conséquence du barrage ? Si le barrage de Manantali a eu des impacts dans la création d’inégalités d’accès à l’eau potable et à l’électricité, il a également provoqué des effets sur l’accroissement des maladies hydriques et l’inégalité d’accès aux soins. La figure 32 montre la position des campements d’un côté et les villages de l’autre de l’axe factoriel 1. Ceci renseigne sur fait que les habitants des campements souffrent particulièrement plus de la bilharziose. L’axe 2 sépare les villages de Kondonia, Diokéli, Goumbalan, Maréna, Sollo, et Bamafélé qui enregistrent le plus de cas de maladies diarrhéiques en bas. Les habitants de ces villages ont présenté toutefois moins de types de maladies dont ils souffrent que les villages de Manantali, de Diakhaba et des campements en haut. Toutefois, ce deuxième facteur de différenciation est toutefois à nuancer. Les habitants de ces villages qui seraient moins malades par rapport aux autres villages ont peut- être moins d’accès aux soins, moins de chance de se faire diagnostiquer une maladie. J’ai remarqué que cette différence n’est pas liée à la taille du village, ni à sa localisation

202 | P a g e par rapport au barrage, ni aux conditions d’accès à l’eau. Il ressort de cette analyse que ces villages plus concernés par plusieurs maladies sont ceux qui, soit possèdent un dispensaire (cas de Diokéli, et de Bamafélé) et un hôpital (cas de Manantali aval), soit ont la possibilité de se faire soigner plus facilement dans les villes proches comme Kita (cas des campements de pêche). C’est pourquoi je considère que la présence d’une infrastructure de santé joue un rôle dans la mesure de l’indicateur sur la diversité des types de maladies par zone étudiée.

2,5 Maux de ventre-18 chaude pisse-4 Manantali-3 Cholera-6 Paludisme-94 Aucun-67 Estomac-25 Diakhaba-30 Tension-6Diarhée-13 Rougeole-3 2

Maux de dents-1 Maladie des yeux-1Infection-1 Infection-2 1,5 Kita-25 Diakhaba Maux de dents-3 Bilharziose-1 Diarhée-2 -8 Fièvre typhoïde-1 -6 Manantali-83 -3 1 Boutons-1 Tambagan-2 Manantali-78 Tomadiuma-2Bamako-3 Fièvre typhoïde-2 Paludisme-99 Campements-3 Diarhée-1 Aucun-22 Goungoudala-2 Onchocercose-1 0,5 Estomac-5 Rhumatisme-1 Bilharziose-23 Manantali Estomac-8 CampementsBoutons-8 F2 (22,82 %) (22,82 F2 MauxTension de -ventre1 -3 Rhumatisme-5 Tension-2 Maux de ventre-14 0 Maux de ventre-12 Estomac-2 Sollo Estomac-10 Maux de ventre-Manantali5 -1 Diokéli Diokéli-99 Paludisme-100 Aucun-19Sollo-99 Cholera-31 -0,5 Cholera-17 Diarhée-67Goumbalan Diarhée-6 Estomac-19KondoniaBamafélé Diarhée-25 Diarhée-62 Estomac-1 Marena Rougeole-7 Aucun-96Paludisme-92 Paludisme-98 -1 Manantali-100 Bilharziose-2 Goumbalan-4 Aucun-17Marena-83 Estomac-9 Méningite-Rougeole1 -1 Diarhée-8 Cholera-25 -1,5 -3 -2,5 -2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 F1 (40,89 %)

Variables Observations

Figure 32 : maladies dont souffrent les plus les habitants

« Ce n’est pas facile à dire mais la construction du barrage de Manantali a amené les affections pulmonaires. Les personnes allergiques ont du mal à s’adapter. On est ici dans un trou, il n’y a pas d’air pur. Il suffit de monter sur la colline pour sentir la différence. On voit des gens qui ont des allergies, des conjonctivites et tout cela est venu avec le barrage. Les maladies hydriques sont également directement liées au barrage. Il s’agit principalement de la diarrhée et de la bilharziose106 »

106 Extrait de l’entretien individuel avec le médecin généraliste de l’Hôpital de Manantali, réalisé pendant l’été 2012. 203 | P a g e

La planche cartes 1 montre que toutes les localités étudiées souffrent d’abord du paludisme (plus de 90%), comme dans tout le pays.

Planche cartes 1 : maladies hydriques qui touchent le plus les habitants

« Dans la zone comme dans tout le Mali, c’est le paludisme qui est présent toute l’année. Ceci est dû à plusieurs facteurs parmi lesquels les eaux stagnantes, les coins sombres, les

204 | P a g e ordures, l’assainissement. Et même si les gens ne le disent pas, il y a aussi l’habitat. Nos cités n’étaient pas faites pour des familles nombreuses. Elles ont été construites à l’européenne. Nous, on est avec nos paniers, nos sacs, nos cartons qu’on veut garder alors que la famille s’agrandit et les conditions ne changent pas. Même si on veut garder nos maisons, ce n’est plus facile de vivre dans ces conditions. Par exemple, une seule salle de bain pour une famille nombreuse, c’est impossible. Le chef de famille construit toujours des toilettes provisoires à côté de la maison. Finalement chaque famille se retrouve avec des toilettes externes et des buanderies externes. Les blancs qui ont construit les maisons n’avaient pas prévu la buanderie externe. Pour eux tout devait être à l’intérieur. Ils ont pensé que la machine à laver aller suffire. Mais nous, nous avons besoins de sortir dehors pour faire la vaisselle et le linge. En plus, les gens ont fait des jardins non entretenus. Malheureusement tous ces facteurs sociaux ont un impact sur la santé. Le résultat est la présence du paludisme, des affections broncho-pulmonaires et les diarrhées à cause du manque d’hygiène » (Idem.). Le choléra est plus cité dans les villages de Maréna (8%), de Bamafélé (17%), de Diakhaba (6%) et de Kondonia (31%). Les campements ont la particularité d’énumérer la bilharziose (23%). Cette maladie hydrique est plus faiblement citée par les habitants de Manantali (1%), de Maréna (1%) et de Diakhaba (1%). Ceci est peut être lié au fait que les habitants des campements utilisent totalement l’eau du lac pour la boisson, la douche, ou les activités domestiques.

Au total, il découle de la réponse des habitants que les maladies les plus présentes, par ordre décroissant, sont les suivantes : le paludisme (98%), la diarrhée (24%), les maux de ventre (10%), les problèmes d’estomac (9%), le choléra (9%), la bilharziose (3%), la rougeole, les boutons et problèmes de peaux, les problèmes de tension, les maladies des yeux, le rhumatisme, les maux de dents, la blennorragie, les infections, la fièvre typhoïde , l’onchocercose, et la méningite. Les habitants citent plusieurs maladies en même temps. 2. Causes d’aggravation des maladies et la place de Manantali dans l’offre de services de soins L’analyse de l’aggravation de ces maladies montre que le type d’alimentation et les pratiques de médecine traditionnelle jouent un rôle important selon le médecin. « Tout le monde est guérisseur par ici. L’information passe de bouche à oreille. Tu entends souvent face à une personne malade des gens dire, il faut prendre tel ou tel arbre » (Idem.). Les habitants ne se rendent dans les structures de santé que lorsque les cas de maladies sont très graves. Par exemple, selon le médecin, du paracétamol pourrait faire l’affaire

205 | P a g e pour une personne qui a un paludisme simple. Généralement, les personnes malades suivent cependant les conseils des autres habitants et prennent des décoctions qui conduisent à un cumul de la première maladie avec la diarrhée. À l’hôpital, les médecins sont obligés de traiter d’abord la diarrhée et les vomissements puis du paludisme. Malheureusement le patient se retrouve avec deux ordonnances qu’il considère trop chères, se retrouve sans argent pour traiter le paludisme chronique qui crée de nombreux cas de décès. Lors de mes enquêtes, certains habitants disaient : « l’hôpital est tout près mais les médicaments sont inaccessibles à cause de leurs prix. Ils sont tout simplement trois fois plus chers ici qu’à Bamako. Les plus pauvres préfèrent donc se soigner avec des plantes à domicile ou chez le marabout107 ».

Carte 26 : habitants qui renoncent aux soins

La carte 26 éclaire sur les habitants des villages qui renoncent aux soins. Dans les villages de Diakhaba et de Goumbalan, plus de la majorité des personnes interrogées ont renoncé aux soins, elles trouvent que les frais pour se faire soigner au

107 Extrait, enquête auprès des habitants du village de Manantali, réalisée pendant l’été 2012. 206 | P a g e dispensaire et particulièrement les coûts des médicaments sont trop chers. Ensuite, il y a des villages qui n’ont pas accès aux soins du fait de la cherté des médicaments, malgré la présence de dispensaire ou d’hôpital. Par exemple, à Manantali aval, les habitants interrogés se soignent au niveau de ces structures de santé à 76,8%. Les autres 23,2% estiment ne pas avoir accès aux soins malgré la proximité des centres de soins, à cause des médicaments trop chers pour eux. « Les personnes les plus vulnérables à ces maladies sont d’abord les enfants, les femmes âgées et enfin les hommes. On sensibilise les habitants mais ici, c’est la misère, les gens peinent à se nourrir108 ». Dans ces conditions, on remarque qu’une offre de soins adéquate est nécessaire.

Carte 27 : choix des lieux de soins des habitants

Il ressort de mes analyses de la carte 27 une opposition entre les villages qui ont le choix d’aller se soigner dans une ou à deux localités. Il s’agit des villages de Manantali aval, Kondonia, Bamafélé, Diokéli, Diakhaba, Goubalan, Sollo et Maréna. Seuls les campements de pêche, censés être plus enclavés en amont du barrage, ont un

108 Extrait de l’entretien individuel avec le technicien chef du centre de santé de Diokéli, réalisé pendant l’été 2012. 207 | P a g e accès aux soins plus élargi sur plus de 10 choix de localités. Le village de Manantali est la première destination des habitants des campements de pêche pour se soigner. Son hôpital et son dispensaire accueillent 83 % des malades de l’amont. Ces populations vont également au dispensaire de Kobri qui se situe en amont vers Tambagan en allant à Kita. Une femme de chef de campement nous explique : « Le dispensaire de Kobri est construit par un jeune ressortissant de Kobri. Ce jeune médecin vient chaque année à Kobri, accompagné de ses amis médecins européens pour une campagne de soins gratuits109 ». La femme ajoute qu’à Kobri le ticket de soins coûte 500 FCFA quels que soient le sexe et l’âge du malade. À Manantali en revanche, les soins sont gratuits. Malgré tout, elle préfère partir à Kobri car l’accès est plus simple en moto. L’hôpital de Kita est également une des destinations des malades des campements de pêche. Enfin, les habitants vont aussi à Kokofata, à Bamako, Tomadiuma, à Goungoudala, Niantanso, Tambagan.

En plus de son dispensaire, le village de Manantali possède un hôpital qui renforce son poids de « centre rural » vers lequel se dirigent principalement les malades de nombreux villages (Tableau 5).

Tableau 5 : liste des communes et villages dépendants de l’hôpital de Manantali

Commune de Commune de Commune de Commune de Commune de Bamafélé Diokéli Koundian Niantasso Konkorma

Sonfara Diokéli Koundian Niantasso Konkorma Bangassi Solo Foret Gomou Farabanding Bamafélé Kenieba Bafing Kéniéma Fatafing Badioké Bambouta Boukara Fatakomassadji Kouniakari Bantandioké Fatafing Diakala Barlakourou Koundinko Makadougou Toumadiema Nantela Samatoutou Kama Kobri Tintila Kounfan Nanifara Diakafé Sobéla Diakoaba Bangaya Toumoudinto Maréna Niki Kouroukonding Soukoutaling Kondonia Bakouroufata Koumbalan Berthékounda Bandiougoutinting Ganfan

109 Extrait, enquête auprès des habitants des campements, réalisée pendant l’été 2012. 208 | P a g e

Talikoto Liliko Source : hôpital de Manantali, 2012.

2.1. L’histoire et le fonctionnement de l’hôpital de Manantali aval L’hôpital de Manantali compte actuellement un médecin généraliste à tendance chirurgicale et un médecin généraliste avec des missions de gynécologie-obstétrique. Ces médecins travaillent avec un infirmier d’État et un aide-chirurgien qui sont payés par la société d’exploitation, en plus d’un technicien et un agent de santé. Ils s’occupent de toutes les consultations : pédiatrie, gynécologie, médecine générale. Ils travaillent pour les agents de la société d’exploitation, mais accueillent toute la population des villages environnants, l’administration locale, l’escadron, la gendarmerie, la police, et les travailleurs de l’Agence de Développement rural de la Vallée du Fleuve Sénégal (ADRS).

L’hôpital existe depuis la période de construction du barrage. Parmi les volets phares du Programme de Réinstallation de Manantali (PRM), se trouvait la protection des travailleurs du chantier contre l’onchocercose et la trypanosomiase à partir de 1985. L’onchocercose sévissait de façon endémique dans le Bafing. Dans cette partie du programme, il s’agissait de « détruire les stades larvaires des similies par épandage d’insecticide dans le cours d’eau, et de procéder simultanément à une évaluation entomologique des résultats » (OMVS, 1977). Les endémies présentes dans la zone du barrage avant la construction étaient le paludisme, la bilharziose, la dysenterie, la maladie du sommeil, la lèpre, l’onchocercose, la tuberculose, la variole, la rougeole et la méningite. Lors de la construction du barrage, cette structure hospitalière avait statut d’hôpital de chantier. « Il n’existait pas un hôpital semblable au Mali. C’était un des meilleurs pour les traumatologies et pour tout » (entretien individuel avec le médecin généraliste de l’hôpital de Manantali, été 2012). Juste après la construction, il est passé au statut de structure provisoire d’exploitation lors de l’édification de la centrale hydroélectrique de Manantali. L’entreprise allemande qui s’occupait de l’hôpital avait vendu le matériel et procédé à des licenciements du personnel. Pendant ce temps, les consultations se tenaient mais l’hôpital attirait moins de monde.

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Dans les années 2000, avec l’arrivée de la société d’exploitation Eskom et en collaboration avec des équipes partenaires espagnoles et colombiennes, les médecins ont tenté de remettre en place un hôpital. Finalement, la politique malienne n’autorisait pas l’implantation d’un hôpital à cette échelle. C’est dans ce sens que l’Eskom avec l’aide de l’inspection du travail a mis en place un protocole pour demander un statut au ministère de la santé. Actuellement, selon ce ministère, il a un statut de service médical d’entreprise.

« On ne peut nous appeler hôpital et on n’est pas non plus un Centre de Santé Communautaire (CESCOM) car il y a des médecins, tout le confort, et on s’occupe du personnel expatrié. On ne peut pas non plus nous considérer comme un service privé sur un territoire malien. D’autant plus que l’objectif est de rester en relation avec l’administration malienne. Par exemple, avec notre statut, on fait tout avec le centre de santé de référence du cercle de Bafoulabé à une heure d’ici. Sauf si c’est un cas grave qui ne peut vraiment pas se soigner là- bas. On l’envoie alors directement à Bamako » (Idem.). Après l’obtention du nouveau statut, il a été possible de mettre en place le dispensaire de Manantali, situé dans la cité ouvrière.

« Pour réduire les risques de maladies des travailleurs on ne peut pas se limiter à soigner les intellectuels et les gens de la cité. Car on a des ouvriers qui vivent hors de la cité. Et vous remarquerez que le mode de vie de la cité ouvrière est différent de celui de la cité des cadres. C’est pourquoi nous avons tout fait pour mettre en place le dispensaire car à cause de la proximité, la majorité des travailleurs vont au dispensaire» (Idem.). Le service médical d’entreprise englobe l’hôpital et le dispensaire. Mais le technicien de santé et l’infirmière obstétricienne travaillent pour le compte de la Direction Nationale du Travailleur Social du Mali (DNTS).

Dans la zone environnante du barrage, la consultation est gratuite seulement à l’hôpital. Il est totalement pris en charge par la société d’exploitation. Ceci fait partie des accords du contrat-cadre signé entre cette société et la SOGEM : l’exploitant du barrage s’occupe du social et donc de la santé. Les habitants peuvent ainsi bénéficier des soins dans les locaux de cet hôpital composés d’une salle d’odontologie, d’une salle des soins, de radiographies, d’un bloc opératoire, d’une laverie, d’une cuisine, et de quatre salles d’observation, ainsi que d’une ambulance et d’un laboratoire. Pour se soigner au dispensaire de Manantali, il faut acheter un ticket à 100 FCFA.

210 | P a g e

2.2. Des prix de soins variables dans les CESCOM110 des villages chefs-lieux Pour les dispensaires des deux villages chefs-lieux de communes de Diokéli et de Bamafélé (Photo 12), j’ai constaté que tous les soins étaient payants. Mais les prix varient en fonction du village d’origine de la personne malade. Par exemple, pour une consultation simple, les personnes qui habitent dans l’aire du dispensaire payent 500 FCFA.

Photo 12 : CESCOM de la commune de Bamafélé

Les personnes qui sont hors de cette zone payent 750 FCFA. Les prix des soins pour l’accouchement sont aussi variables. Les femmes qui ont respecté toutes les visites de consultations prénatales payent 2000 FCFA. Alors que celles qui n’ont pas eu de suivi doivent débourser 3000 FCFA. L’équipe du dispensaire de Diokéli est formée par un technicien de santé, une infirmière obstétricienne, une matrone, une ATR, c’est-à-dire une Accoucheuse Traditionnelle, qui s’occupe en même temps de la propreté des locaux, et un gérant des médicaments. Si l’hôpital de Manantali a une

110 Centres de Santé Communautaires 211 | P a g e pharmacie privée, le dispensaire de Diokéli a une pharmacie dont les médicaments viennent du Dépôt Répartitif de cercle de Bafoulabé (DRB).

2.2.1. Les limites des services de soins et les solutions proposées Si l’on se réfère au médecin de l’hôpital de Manatali et aux deux techniciens de santé responsables des dispensaires des communes de Bamafélé et de Diokéli, la première difficulté est le manque de personnel qualifié. Normalement au Mali, un hôpital doit avoir un personnel composé d’au moins d’un médecin et de deux infirmiers. Pour faire face à ce manque, le personnel s’appuie sur des stagiaires.

L’enclavement de la zone est une seconde limite d’autant que les malades les plus graves sont toujours transportés vers l’hôpital du cercle de Bafoulabé et/ou à Bamako. Les médicaments et les vaccins proviennent également de ces sites. « Pour aller à Bafoulabé, on prie Dieu pour qu’il n’y ait pas d’accidents car il n’existe pas de villages sur la route qui vendent de la glace » (entretien individuel avec le médecin généraliste de l’Hôpital de Manantali, été 2012). De cette situation d’enclavement, découle un manque de continuité dans la formation du personnel médical dans les villages environnants du barrage. Ils déplorent l’accès difficile au séminaire ou à des congrès. « On est vraiment en retard et isolé. On n’a même pas accès aux nouveaux médicaments » (Idem.). Pour faire face à toutes ces difficultés, l’une des solutions proposées à la direction de la société d’exploitation a été de mettre en place des méthodes de formation sur place et des formations en ligne. Même si elle a fourni des clés de connexion à internet dans ce sens, ces propositions n’ont pas été réalisées car d’une part, l’enclavement des villages n’encourage pas les pharmaciens et encore moins les délégués médicaux à venir dispenser des formations à Manantali. Il faut faire une journée entière en voiture pour rallier Bamako à Manantali sur plus de 100 km de route en terre. D’autre part, la formation à distance coûte cher.

La construction des dispensaires de Diokéli et de Bamafélé a permis la mutation de techniciens de santé venus des autres régions du Mali. Avant leur arrivée, certains ont souligné qu’ils n’avaient pas imaginé les problèmes de santé auxquels les populations faisaient face. « Je suis venue de Sikasso pour travailler dans la zone. Nous autres techniciens de santé, on vient pour aider à payer les frais médicaux ou à acheter leurs médicaments »

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(entretien individuel avec le technicien chef du centre de santé de Bamafélé, été 2012). Dans les zones étudiées, les habitants auraient du mal à acheter leurs médicaments comme on l’a vu dans les renoncements aux soins. Parfois pour aider les habitants, les techniciens de santé reviennent sur leurs diagnostics ou réduisent le nombre de médicaments prescrits.

«Si tu consultes dix personnes, tu constateras qu’une seule est en mesure de payer. Un enfant qui vient en consultation avec de la fièvre et des vomissements, tu es obligé de lui prescrire des anti-vomissements et de le mettre sous quinimax injectable qui coûte 175 FCFA (4 doses) + 250 FCFA de frais d’injection et 500 FCFA de frais de perfusion pendant 72 h. Mais on s’aperçoit que même avec ce traitement, les parents nous demandent de faire deux injections à la place des quatre. Je sais que cette situation est risquée mais on n’a pas le choix car ils nous demandent de le faire » (Idem.). Cet arrangement accepté par les techniciens de santé ne résout pas pour autant les problèmes car souvent les mêmes patients retournent au dispensaire deux semaines plus tard avec des cas aggravés.

Dans les mêmes dispensaires, les conditions d’accouchement précaires augmentent les risques de décès en couches. Le manque d’électricité dans les villages les plus proches du barrage est encore plus déplorable dans ce contexte. J’ai rencontré dans le CESCOM de Diokéli la matrone et l’infirmière qui m’ont dit que :

« les accouchements pendant la nuit sont trop difficiles à gérer. On utilise des lampes torches. On met la torche entre l’épaule et la tête pour nous éclairer. Le pire est qu’ils nous amènent les femmes que lorsque l’accouchement devient impossible à la maison. A notre niveau, si le cas devient compliqué, on appelle l’ambulance de Bafoulabé. Malheureusement, cela peut prendre des heures avant que cette ambulance nous parvienne. On a vraiment besoin d’avoir un accès à l’eau potable et à l’électricité111 ». Les habitants de Diokéli ont cotisé pour faire construire ce dispensaire (Planche photos 11). Le niveau d’équipement en matériels de soins et surtout de maternité est resté très faible. Malgré la bonne volonté du personnel médical, le fonctionnement de leur centre de santé dépend des frais des soins. Dans l’équipe, seul le technicien de santé est un fonctionnaire de l’État malien. Les salaires de la matrone, de l’aide- soignant et de l’infirmier sont payés grâce aux frais d’injection, de consultation et de perfusion.

111 Extrait d’un entretien avec l’infirmière et la matrone du CESCOM de Diokéli, réalisé en mai 2014. 213 | P a g e

Planche Photos 11 : CESCOM de la commune de Diokéli,

« Tout notre fonctionnement repose sur les tickets. Nous n’avons pas d’aide. Je suis venue de Ségou pour travailler à Diokéli. Mais nous n’avons aucun matériel de bonne qualité. Le centre de santé n’est même pas clôturé, pendant la nuit on tombe souvent sur des reptiles. Pour le moment, on fonctionne comme on peut. Normalement, dans la politique sectorielle au Mali, chaque membre de la commune doit cotiser 50 FCFA pour faire fonctionner les CESCOM mais les populations refusent de le faire112 ». Malgré la différence d’échelle, les difficultés rencontrées par les structures de santé des villages riverains du barrage de Manantali ont été également constatées dans la région de Kayes. Dans l’ensemble, l’analyse des inégalités d’accès aux services particulièrement aux soins montrent à quel point le facteur financier peut aggraver les effets du barrage. Mais quelles les domaines d’activités économiques des habitants de la zone riveraine du barrage ?

112Extrait entretien avec le technicien de santé chef du CESCOM de Diokéli, réalisé pendant l’été 2012. 214 | P a g e

Encadré 7: des difficultés sanitaires des services régionaux113 L’organisation de la direction régionale de la santé à Kayes montre des difficultés de fonctionnement généralisées. Dans l’organigramme du système de santé au Mali, la direction régionale de la santé de Kayes dépend du niveau central, qui est chargé de concevoir et de définir les politiques et les stratégies en matière de santé. Cette direction nationale de Bamako est appuyée par les directions régionales et les districts sanitaires. Les districts sanitaires sont constitués des centres de santé de références et des Centre de Santé Communautaires (CESCOM). Autrement dit, si le centre de santé est la structure de prise en charge, son aire de rayonnement est appelée district de santé. Le système de santé comprend également le secteur privé (cabinets, cliniques). De nos jours, la région de Kayes compte un hôpital et huit districts de santé. Chaque district comprend plusieurs centres de santé. Il est du rôle de la direction régionale d’appliquer les politiques décidées au niveau central et d’appuyer les districts de santé. Elle a donc pour mission d’apporter de l’aide en termes de formation, de planification, de coordination. Elle est responsable du suivi de la mise en œuvre des programmes, de leurs évaluations et, le cas échéant, de propositions de reprogrammations. « Nous apportons tout ce qui est appui technique en termes de formation et d’équipements. Nous avons aussi une certaine autonomie à élaborer les plans d’actions avec des partenaires avec qui nous travaillons directement » (entretien avec le responsable de la direction régionale de la santé de Kayes, mai 2015). Toutefois, cette forme de fonctionnement du système régional de santé présente des limites. Le manque de personnel qualifié comme à l’échelle locale témoigne de ces difficultés. Selon le directeur, la région dispose d’un médecin pour plus de 15 000 personnes, d’une sage-femme pour environ 17 000 habitants et d’un infirmier et un technicien supérieur de santé pour environ 5500 habitants. Cette situation les amène à travailler en étroite collaboration avec le service privé. En ce qui concerne, les moyens financiers et logistiques, ils dépendent en grande partie des apports étatiques programmés. L’État envoie ses crédits de fonctionnement, et pour compléter son budget de la santé, la direction est aidée par les partenaires techniques et financiers de la région. Parmi ces partenaires se trouvent la Croix Rouge, l’OXFAM International, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la Coopération canadienne, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) etc. À la différence des zones étudiées autour du barrage de Manantali, parmi les maladies les plus inquiétantes citées ici se trouve le VIH- SIDA, particulièrement renforcé par le développement des zones minières selon le directeur. Ces zones minières ont de nombreux impacts négatifs en termes de santé public que ce soit pour les infections sexuellement transmissibles (IST), le paludisme, les infections respiratoires, la malnutrition et les difficultés liées à la grossesse qui deviennent de plus en plus des préoccupations urgentes pour la région. L’analyse des types de solutions possibles pour réduire les malades révèlerait un apport positif du barrage de Manantali. En effet, selon le directeur, l’apport en énergie de cet ouvrage n’est pas à négliger à Kayes, même s’il y a encore des coupures d’électricité. Cet apport sur la santé publique s’explique par le fait qu’il développe l’économie locale. L’augmentation des revenus des populations serait en relation avec la capacité de se soigner. Deuxièmement, c’est parce que le barrage se situe dans la région de Kayes, que sa direction régionale de la santé reçoit un appui de l’OMVS. L’aide de l’OMVS passe par la société civile à l’instar du groupe PIVOT SANTE qui est un consortium d’ONG. « Toutefois nous pensons qu’il serait plus intéressant pour nous de travailler directement avec l’OMVS sans intermédiaire » (entretien avec le responsable de la direction régionale de la santé de Kayes, mai 2015).Elle pourrait aider à financer les plus grands programmes qui intéressent cette direction en ce moment. Il s’agit du programme de lutte pour la santé de la reproduction (suivi de la femme) très encouragé dans la région ainsi que celui de la lutte contre la cécité, qui est également un programme de la santé publique. Il est important d’analyser le rôle des associations et des coopératives qui apparaissent comme d’autres formes de solutions aux problèmes quotidiens des habitants des zones étudiées.

113 Extrait de l’entretien individuel avec le directeur régional de de la santé à Kayes, réalisé en mai 2014. 215 | P a g e

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II. MULTITUDE DES SECTEURS D’ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES DES HABITANTS Le barrage a favorisé l’immigration de nombreux ouvriers lors de la construction, il a aussi permis la création de nouveaux métiers qui s’ajoutent aux activités économiques traditionnelles des autochtones : l’agriculture, l’élevage, la chasse.

1. De l’agriculture aux nouveaux métiers

1 Plus de 25 ans-34 Constructeur de pirogues-2 Topographe-1 Frigoriste-1 5 et 15 ans-43 Moins de 5 ans-3 Agriculteur-63 Vendeur de poissons-15 Ouvrier-16 Pêcheur-6 0,5 Eléve ou Etudiant-18 Ménagère-12 Campements Pêcheur-59 ManantaliEnseignant-3 Ménagère-25 Eléve ou Etudiant-2 Ménagère-26 Commerçant détaillants-11 Bamafélé Blanchisseur-15 et 15 ans-28 Sollo Menuisier-1 Ménagère-37 Marena Diokéli Agriculteur-95 Ferrailleur-1 KondoniaGoumbalan Agriculteur-10 0 Agriculteur-23 15 et 25 ans-35 Plus de 25 ans-97 Marabout-1 Mécanicien-5 Eléve ou Etudiant-27 Animateur culrurel ou rural-2 Maçon-2 Gendarme-1 Femme de ménage-3 -0,5 Commerçant -12 Plombier-1 Chauffeur camions-2 Enseignant-1 Forgeron-1 Vendeur de poissons-3 Fonctionnaire-1 -1 Tailleur-1 Maçon-1 Boucher-1 Eleveur-1 F2 (27,98 %) (27,98 F2 Mécanicien-1 -1,5

-2 Diakhaba Commerçant détaillants-4 Chauffeur camions-1 Agriculteur-68 Jardinier-1 Eléve ou Etudiant-4 Ouvrier-1 -2,5 Aucune-1 Electricien-1 Boulanger-1 Ménagère-3 5 et 15 ans-33 Marabout-4 Pêcheur-2 Orpailleur-1 -3 -3 -2,5 -2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 F1 (55,16 %)

Variables Variables supp. Observations

Figure 33 : différentes activités économiques principales des habitants, (réalisation, C. Cissé)

La figure 33 porte sur la répartition des habitants des localités riveraines par secteur d’activité économique principale, elle montre trois grands ensembles. Si on regarde l’axe 1, le village de Manantali isolé en haut à droite, et le village de Diakhaba affichent leurs particularités, ceci révèle le nombre important de formes d’activités

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économiques principales cité par leurs habitants. À l’inverse, les villages des Kondonia, de Sollo, de Bamafélé, de Diokéli, de Goumbalan et les campements sont sur la gauche de l’axe 1, ils sont marqués par un nombre plus faible d’activités économiques principales. Le second axe montre une opposition entre le village de Diakhaba en bas ou les habitants ont cité des activités plus rares en bas, il est séparé des autres localités en haut de cet axe.

Carte 28 : principales activités économiques par localités étudiées

La carte 28 indique une dominance du secteur agricole pour les activités principales en aval du barrage. 52% des habitants interrogés dans l’ensemble des villages riverains du barrage sont des agriculteurs. L’analyse du graphique montre également que 19% des habitants se disent être des ménagères, alors que le secteur de la pêche regroupe 7% de pêcheurs et 2% de vendeurs de poissons. La spécificité des villages de Diakhaba et du village de Manantali aval réside dans le fait que leurs habitants pratiquent de nombreux métiers. Ces métiers ont été introduits dans la zone avec l’arrivée du barrage. Il renforce ainsi le statut de ces villages et augmente l’offre

218 | P a g e de services à Manantali. Parmi ces métiers, on peut trouver les ouvriers (16% à Manantali, ils sont majoritairement des employés de la société d’exploitation). Les habitants sont aussi des boulangers (1%), des mécaniciens (5%), des frigoristes (1%), des fonctionnaires de l’état malien ou de l’OMVS (6%), des tailleurs (2%), des bouchers (2%), des électriciens (1%), des maçons (4%), des gendarmes (1%), des plombiers (1%), des blanchisseurs (1%), des femmes de ménages (3%), des topographes (1%), des menuisiers (1%), des animateurs culturels ou ruraux (2%) et des ferrailleurs (1%).

Les habitants du village de Diakhaba ont plus cité le métier de marabout, d’orpailleur, de boulanger, de jardinier ou d’arboriculteur en dehors de l’agriculture, qui regroupe 68% de la population.

Dans les autres villages, l’agriculture continue à être l’activité principale. Il s’agit de 23% des habitants de Bamafélé, 95% de Diokéli, 59% de Maréna, 57% de Goumbalan, 63% de Kondonia et 95% à Sollo. Les éleveurs sont plutôt installés dans les villages de Maréna (7%), de Sollo (3%) et de Bamafélé (2%).

La pêche est davantage représentée dans les campements en amont du barrage. Cette activité qui attire de plus en plus d’autochtones regroupe 59% des habitants de l’amont, contre 6% à Manantali et 2% à Diakhaba par exemple. Cette analyse permet de voir que le principal facteur de variabilité oppose trois catégories de villages. D’abord, les villages où la majorité des habitants pratique l’agriculture et l’élevage comme Bamafélé, Kondonia, Goumbalan, Sollo, et Maréna. Ensuite, le village religieux de Diakhaba où l’agriculture reste l’activité principale tout en cohabitant avec des métiers plus rares, tels celui d’électricien, d’orpailleur, de boulanger, de jardinier et d’arboriculteur.

Enfin, le cas du village de Manantali est spécifique, marqué par la multiplicité des types d’activités économiques. La plupart de ces métiers ont donc commencé à être pratiqué après 1988. Dès lors, on peut tirer de cette analyse une seconde typologie. D’abord, on trouverait des villages où les revenus des habitants dépendent (plus de 65%) presque totalement de l’agriculture dont Diakhaba, Sollo et Diokéli. Ensuite, des villages où l’agriculture a un poids moyen dans les revenus dont Kondonia, Maréna, Goumbalan et Bamafélé grâce aux petits métiers. Enfin, il existe des localités qui ne

219 | P a g e vivent pratiquement plus de l’agriculture mais surtout des nouvelles activités comme la pêche et les services accompagnant le barrage. Il s’agit des campements de pêche et du village de Manantali aval. Le barrage de Manantali a aussi contribué à diversifier l’offre d’activités secondaires.

2. Sources de compléments des revenus familiaux Tout comme pour les activités principales, mon approche a consisté à interroger les habitants sur les types d’activités secondaires qu’ils pratiquent. Mon objectif a été de savoir si, dans ce domaine aussi, le barrage avait causé des inégalités dans l’offre de choix d’activités économiques secondaires entre les zones étudiées.

Carte 29 : différents types d’activités secondaires

À partir de la carte 29, il apparaît que les habitants de la zone riveraine pratiquent six d’activités économiques secondaires. De manière générale près de 30% de l’ensemble des personnes interrogées n’ont aucune activité secondaire. Cependant, les habitants pratiquent, en plus d’une activité principale, la pêche (16%), le petit commerce (16%), l’élevage (11%), la chasse (7%), le jardinage ou l’arboriculture (5%),

220 | P a g e ou le maraîchage (5%) comme activité secondaire. Les autres activités complémentaires citées sont la forge, le tissage, l’orpaillage, la menuiserie, la prestation de services à travers des associations de nettoyage, le gardiennage.

De manière plus particulière, chez les habitants des campements de pêche, l’agriculture constitue la première activité secondaire à 77%. Elle est suivie du petit commerce (14%) et de l’élevage (5%). Le métier de « courrier » créé avec le développement de la pêche est aussi pratiqué à 3%. Dans les villages de l’aval, il s’agit plutôt de l’élevage pour, par exemple 36% des habitants de Diokéli et 65% de ceux de Sollo.

Les villages de Manantali et de Diakhaba se distinguent une seconde fois, et ceci par l’importance du nombre d’habitants qui ont une activité secondaire. Par exemple, en dehors du village de Sollo (33%), le maraîchage est plus développé à Manantali aval (19%) et à Diakhaba (6%). La spécificité de Manantali est que ses habitants ont en plus la possibilité de faire de la maçonnerie, du gardiennage au niveau du barrage et des bureaux, de la menuiserie, d’être ferrailleurs, ou de faire de la blanchisserie. Le métier de marabout apparaît seulement à Diakhaba. Il y a aussi des vendeurs de sable (7%). Le sable est pris au bord du fleuve et mis dans des charrettes pour la vente.

Au final, il y a une opposition entre d’une part, les villages où les habitants pratiquent plus une activité secondaire (Diokéli et Sollo) et d’autre part, les villages où les habitants n’ont presque pas d’activité secondaire (58 % à Manantali aval, 73% à Bamafélé, 60% à Goumbalan, 58% à Diakhaba, 44% à Kondonia).

CONCLUSION CHAPITRE IV Trois éléments ont été particulièrement distingués dans ce chapitre IV. Dans la zone du barrage, on constate une inégalité d’accès à l’électricité, à l’eau et aux soins. Seuls les villages de Bamafélé et de Manantali sont électrifiés. A la question sur les niveaux de connaissances du barrage et des bénéficiaires de l’électricité, les habitants désignent en majorité les autres régions du Mali et les pays voisins comme les

221 | P a g e principaux bénéficiaires de cette électricité. Pour l’accès à l’eau, les ménages des villages de Manantali, du village « religieux » de Diakhaba, et de Maréna (proche de Manantali), ont la possibilité d’utiliser l’eau potable du robinet. Le fleuve et le lac demeurent la principale source d’approvisionnement des foyers dans les autres localités et des campements.

Par conséquent, le nombre de cas de maladies hydriques est important. L’hôpital et le dispensaire de Manantali accueillent généralement les habitants des villages et campement riverains. Les centres de santé de Bamafélé et de Diokéli, chefs- lieux de communes, sont confrontés à un manque de ressources financières et de personnel, à l’image des structures sanitaires régionales.

Le chapitre V présentera les reconstitutions des deux activités économiques principales, l’agriculture et l’élevage dans ce contexte de barrage. La transformation de la pêche devenue une activité commerciale majeure sera également analysée.

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CONCLUSION PARTIE 2

In fine, les mesures d’accompagnement de l’implantation du barrage de Manantali ont contribué à la création d’une disparité dans les conditions d’accès à l’eau potable, à l’électricité, et aux soins entre les zones étudiées. Les responsables des directions régionales dans ces domaines essaient de trouver des solutions à ces problèmes mais ils sont confrontés à un manque de personnel qualifié et de moyens financiers. En dehors des subventions de l’État malien, ils tentent de développer des partenariats avec des acteurs publics et privés internationaux.

Les différentes structures régionales partagent des réunions, des séminaires ou des programmes d’échanges pour le développement des secteurs de la santé, de l’hydraulique entre autres. Les habitants sont les premiers à subir les changements introduits par le barrage dans leur environnement, et ils se réunissent pour leur part sous forme d’associations aidées par des ONG ou pas. Les associations des ressortissants d’une zone géographique donnée, de pêcheurs, d’élèves, de femmes maraichères etc. sont les principales formes de stratégies communes pour faire face aux changements. Elles aident à rapprocher les habitants, à financer des projets individuels, à développer des projets communs ou encore à lutter contre la dégradation du fleuve. Elles sont dans tous les cas un moyen de réduire les difficultés pour les habitants qui les créent selon leurs intérêts.

Dans la troisième partie, j’analyserai les perturbations et les réorganisations de l’agriculture, et de l’élevage, il s’agira d’étudier également la structuration du secteur de la pêche dans les campements. À travers les réponses des habitants la zone de chalandises des ventes des productions locales particulièrement des poissons sera déterminée. Le dernier chapitre de cette partie exposera la lecture spatiale des différences et les similitudes des formes de représentations des impacts du barrage de Manantali d’une part, leurs effets sur les types d’attentes exprimées d’autre part.

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TROISIÈME PARTIE

RÉORGANISATION DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES ET ANALYSE DES FORMES DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

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CHAPITRE V

ÉTUDE DE 3 ACTIVITES ECONOMIQUES : L’AGRICULTURE, L’ÉLEVAGE ET LA PECHE

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La deuxième partie a permis d’analyser les différentes modifications sociales apparues en amont et en aval du barrage. Ensuite j’ai montré comment le village de Manantali se particularise au point d’être considéré parfois comme un « centre rural ». Les inégalités d’accès à l’eau potable, à l’électricité et aux soins observées entre, d’une part l’amont et l’aval, et d’autre part entre les villages de l’aval, soulignent cette particularité du village de Manantali se fait jour de nouveau.

Suite à ces analyses des changements sociaux et spatiaux, il paraît nécessaire dans ce chapitre 5 de s’interroger sur les impacts du barrage sur les activités économiques, principalement l’agriculture, l’élevage et la pêche. Je reviendrai sur le rôle des périmètres irrigués aménagés lors de la construction du barrage. Il s’agira de comprendre pourquoi ils sont abandonnés par les habitants qui sont pourtant confrontés à un manque de terres agricoles. Je mettrai en exergue les formes de dispositions prises par l’agence responsable de la gestion de ces périmètres, et qui en sont les principales bénéficiaires.

Par la suite, je présenterai les difficultés rencontrées dans le secteur de l’élevage et les stratégies développées par les éleveurs de la zone riveraine mais aussi à Kayes. Ces stratégies offre des possibilités de création d’emplois pour de nombreuses personnes, à chaque étape de la commercialisation du bétail.

Enfin, j’effectuerai une analyse de l’organisation de la pêche et la dynamique des campements qui s’en suit en amont. J’avais souligné que le déplacement de 33 villages lors de la construction du barrage, et la création du lac dans leur ancien site d’installation ont favorisé l’émergence de campements de pêcheurs aux alentours du réservoir. Je montrerai qu’à l’image des campements, le nombre de pêcheurs et de leurs familles venus majoritairement des régions centre du Mali, principalement de Mopti et Ségou, ne cesse d’augmenter. Ils sont attirés par les possibilités de développement de la pêche et le métier de « courrier » depuis les années 2000. Cet emploi intéresse également les jeunes autochtones en reconversion dans ce domaine d’activité.

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I. NON-EXPLOITATION DES PERIMETRES IRRIGUES ET CONSEQUENCES Avant l’arrivée du barrage, les principales activités économiques dans la zone qui l’abrite, comme nous l’avons souligné dans la première partie, étaient l’agriculture, l’élevage, et la chasse. L’implantation du barrage s’est accompagné de nouveaux métiers mais l’agriculture conserve sa place dominante. Avec la construction du barrage, des périmètres ont été mis en place pour développer l’irrigation. Comment sont-ils exploités par les habitants qui ont longtemps pratiqué l’agriculture sous pluie? Quelles sont les discours des aménageurs des périmètres et ceux des habitants censés être bénéficiaires? J’essaierai en premier lieu d’identifier les problèmes rencontrés par l’agriculture sous pluie dans la zone, elle permettra de comprendre les enjeux autour des périmètres irrigués. 1. Agriculture sous pluie et problèmes d’accès à la terre Dans les zones étudiées, l’agriculture pluviale est caractérisée par la production céréalière (mil, sorgho, maïs, fonio, riz pluvial), les légumineuses (arachide, haricot) et autres cultures commerciales, notamment le coton et les tubercules (igname, patate douce, oseille de guinée, manioc). Cette agriculture s’accompagne de l’utilisation d’animaux (culture attelée avec des bœufs et des ânes) et d’intrants (semences, engrais, herbicides) pour permettre une amélioration des rendements. Les récoltes des agriculteurs sont très variables :

« 1 tonne, 2 tonnes 500 Kg d’arachide ou 5 tonnes par an, ou au maximum entre 14 et 16 tonnes par an… Dans l’ancien site, deux personnes pouvaient avoir jusqu’à 100 sacs de récoltes. Il n’y avait pas beaucoup de machines. On cultivait avec nos forces et les techniques traditionnelles114 ».

Pour cette agriculture, la première étape est le nettoyage du champ, suivie d’une phase de labour, de semis, puis de l’apport de fumure, du sarclage et enfin de la récolte. L’examen des outils de travail dans les champs met en évidence l’utilisation d’outils comme la hache, la daba, la charrette, la charrue, le semoir.

114 Extrait, enquête auprès des habitants de la zone d’étude, réalisée pendant l’été 2012. 228 | P a g e

1.1. Les villages déplacés limités dans leur extension Des enquêtes dans les villages déplacés et dans les anciens villages m’ont permis de faire une comparaison dans les deux cas entre les phases avant et après barrage. Les réponses des habitants sur les changements dans le domaine de l’agriculture ont montré le rôle de sa construction.

Un premier cas d’étude dans les villages déplacés montre que l’agriculture pluviale se distinguait par l’utilisation des terres en jachères, qui connaissent une diminution de leur nombre et de leur taille depuis l’implantation du barrage. « Avant le barrage on n’avait jamais eu de problèmes de terres de cultures. On cultivait où on voulait » (extrait, enquête auprès des habitants à Manantali, été 2012). Les habitants soulignent qu’ils avaient la possibilité d’avoir trois à quatre hameaux cultivables. Ils alternaient une année sur deux entre ces zones de culture. Cette possibilité de rotation des champs de cultures n’existe plus. Au manque, s’ajoute la mauvaise qualité des terres.

« Nous avons essayé de cultiver le mil, le fonio, mais les rendements sont faibles. Nous n’avons plus rien et on meurt de faim. Nous avons cherché des solutions en créant des hameaux de cultures. Mais on n’a pas d’eau dans ces hameaux qui sont éloignés du fleuve, et les animaux détruisent la production dans les hameaux115 ».

La construction du barrage de Manantali a conduit au déplacement de 33 villages et hameaux. Lors de la réinstallation, l’attribution de la taille des parcelles a été faite en fonction du nombre de personnes dans la famille. Mais la taille du terrain n’augmente pas, bien que la population ne cesse de s’agrandir. Le village de Maréna est installé à côté de trois villages dont Kondonia, Sobela et Nantela, et c’est également le cas pour les autres villages réinstallés. Malheureusement, les villages sont très proches les uns des autres, moins de 3 km dans certains cas. Ils sont presque continus. De ce fait, à 100 m de part et d’autres de Maréna, il y a les terres de Kondonia et de Sobela. Le village de Maréna leur a ainsi emprunté des terres, pour la construction de l’école, du dispensaire, de la cité du PDIAM, et du terrain de football.

Les villages déplacés sont donc limités dans leur extension. S’ils essaient d’utiliser les terres de la forêt du Bafing pour des hameaux de cultures, ils créent des

115 Extrait, enquête auprès des habitants du village de Manantali, réalisée pendant l’été 2012. 229 | P a g e conflits avec les habitants des villages hôtes, dans ce cas ceux de Kondonia ou de Sobela. Les réactions des villages hôtes montrent leur sentiment d’appropriation de cette zone. Ils considèrent que les villages déplacés n’ont aucun droit sur les terres de leurs ancêtres. L’autre difficulté pour étendre les terres agricoles réside dans la connaissance des limites des villages recasés. Invisibles à l’œil nu, ces limites sont pourtant connues de tous les habitants. Des tentatives de dépassement ont eu lieu mais sans succès. De même, à cause du barrage de Manantali, les habitants des villages déplacés considèrent qu’ils « s’appauvrissent de jour en jour ». Le problème des villages déplacés sont souvent cités dans des études sur les conséquences des aménagements des territoires. Par exemple, selon F. Brondeau (2009), dans le cadre de la construction des périmètres irrigués du bassin du Niger au Mali, « des villages entiers sont « expropriés » et déplacés pour céder la place aux aménagements. Les dédommagements sont variables selon les projets : sur les 5500 ha aménagés dans la zone UEMOA, 500 seulement reviennent aux populations locales ; 5 ha ont certes été attribués à chacune des familles issues des 33 villages affectés par le projet Alatona, mais dans la mesure où elles doivent rembourser 3 ha pour devenir propriétaire du lot, il n’est pas sûr qu’elles aient les moyens financiers d’en conserver la jouissance » (BRONDEAU, 2009). Les populations locales sont ainsi souvent les plus grandes perdantes.

Dans les villages du Bafing par exemple, les habitants obtenaient de bons rendements des cultures d’arachide, de riz et de mil. Ils pouvaient rester pendant une saison sèche entière sans épuiser leurs réserves. « On enlevait l’ancien mil pour mettre les rendements de la nouvelle saison » (extrait, entretien collectif chez le chef de village à Goumbalan, mai 2014). Les habitants, de nos jours, achètent le sac de mil à 20 000 FCFA, et le sac de riz à 18 000 FCFA.

« Et tout cela est dû à un manque de terres que le barrage nous impose. Les commerçants nous prennent notre argent, car ils savent qu’on n’a pas l’habitude d’acheter ces produits. Ils remplissent le sac de mil à moitié de maïs et on ne s’en rend compte qu’après l’achat. Parfois, ils s’amusent à doubler ou à tripler les prix des denrées. Avant, la vie était moins chère, et l’agriculture plus simple et rentable » (Idem.). Les villages déplacés souffrent fréquemment de problèmes de terres après leur réinstallation. Dans une étude, A. Dalmasso (2008) évoque ainsi les impacts négatifs

230 | P a g e d’un barrage construit en France entre 1928 et 1937. Selon l’auteure, « le barrage du Chambon a noyé une cuvette, « la plaine du Dauphin », qui était habitée et traversée par la route fréquentée du col du Lautaret. Certes, l’ampleur des déplacements de population peut paraître dérisoire au regard de ce que les grands barrages actuels provoquent : trois hameaux, 200 personnes et une distillerie de lavande destinée aux touristes de passages. Mais à l’échelle de ce qu’était, l’Oisans des années 1930, ce n’est pas négligeable. L’opération semble s’être pourtant passée sans heurts : les indemnisations ont été négociées localement entre personnes du cru. La société a confié à un ancien instituteur et secrétaire de mairie, choisi pour sa bonne implantation locale, le soin de mener les négociations. Les montants sont considérés comme « corrects ». De plus, la plupart des expropriés purent se réinstaller sur la commune même » (DALMASSO, 2008). Cet exemple montre que lors de déplacements de populations, les constructeurs cherchent à réinstaller les populations dans la zone proche du barrage, mais néanmoins que les impacts d’un barrage restent toujours importants pour la société locale.

1.1.1. Des solutions problématiques pour l’agriculture sous pluie ? Les solutions trouvées découlent souvent des négociations avec les habitants anciens villages acceptant de prêter de manière temporaire leurs champs de cultures, « mais selon leurs humeurs ». Ils peuvent les leurs retirer à tout moment. Selon les villages déplacés, ce sont généralement des champs de moins bonne qualité, qu’ils n’utilisent plus, qu’ils leur mettent à disposition. En situation de besoin, les villageois déplacés acceptent souvent de les cultiver pour nourrir leurs familles. Dans un contexte de rareté de terres de cultures, les populations essayent de réduire la dépendance à la pluviométrie. Ils utilisent l’eau des pompes ou des grands puits pour développer le maraîchage ou le jardinage. Des difficultés rendent complexe cette adaptation. Elles sont liées au manque de matériel (grillages) pour protéger les champs et au manque d’eau pour développer le jardinage (par exemple, l’éloignement du fleuve à Goumbalan). Pour résoudre le problème de l’eau, des pompes ont été installées au bord du fleuve mais le système n’a pas bien fonctionné.

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Il est d’autant plus difficile pour les villages déplacés d’accepter cette situation que dans leurs anciens sites, ils auraient eu de nombreux marigots à moins de 200 m. C’était le cas, par exemple, à Maréna. Les animaux n’avaient alors pas de difficultés pour s’abreuver. De plus, si les mares des villages voisins de Goumbalan et de Bougoudani étaient sèches, les habitants pouvaient s’approvisionner dans le village voisin. En outre, dans l’ancien site, la nappe phréatique était proche :

« même les femmes creusaient des puits pour faire le jardinage. On n’avait pas de problème de terre, pas de problème d’eau, ni de problème de pâturage. A vrai dire, tout allait très bien pour nous. On faisait du maraîchage et on cultivait beaucoup de tabac qu’on vendait au Sénégal par les trains. On ne connaissait pas de conflits de terre, ni d’animaux116 ». Les villageois déplacés ont aussi pensé à une utilisation massive des produits chimiques. C’est en fait l’une des solutions les plus adoptées par les habitants qui, avant le barrage :

« utilisaient moins de terres et moins d’engrais. L’agriculture est devenue très difficile. Pour avoir de bons rendements, il faut utiliser des engrais et avoir de bons outils de travail. Le petit mil, le sorgho, l’arachide rien ne prend sans l’utilisation de l’engrais chimique. Alors que ces derniers sont très chers, et ne sont pas à la portée de tout le monde117 ». Pour faire face à cette série de difficultés qui limite les rendements, des jeunes, hommes et femmes, ont choisi d’émigrer vers Manantali, ou plus loin vers les zones minières, les grandes villes du Mali, ou hors du pays. Ces départs ont engendré d’autres conséquences sociales. Par exemple, j’ai pu entendre lors de mes enquêtes : « À cause du barrage, le taux de divorce dans la localité a augmenté » (extrait, entretien collectif chez le chef de village de Maréna, mai 2014). Les services proposés par les associations de femmes aident à répondre aux besoins de main-d’œuvre dans les champs. Les membres de l’association peuvent être employés et rémunérées par la personne propriétaire d’un champ pour un jour à une semaine. Dans d’autres cas, des voisines décident d’échanger gratuitement leurs services.

116 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Maréna, réalisé en mai 2014. 117 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Diakhaba, réalisé en mai 2014 232 | P a g e

1.1.2. Les mêmes problèmes de terres réduites et dégradées dans les anciens villages Les anciens villages subissent également des difficultés dans le domaine de l’agriculture pluviale. Comme pour les villages déplacés, leurs habitants mentionnent qu’avant le barrage de Manantali, ils avaient suffisamment de terres de cultures en aval. Ils avaient la possibilité de faire une rotation en laissant des terres en jachères. De nos jours, ils ne peuvent avoir qu’un champ et n’ont pas les moyens financiers d’acheter de l’engrais afin d’augmenter les rendements. Par exemple, si un champ peut fournir la première année 30 sacs de récoltes, la deuxième année, il ne fournit que 20 sacs et cette tendance décroissante est continue. Lors de mon enquête, les habitants peinaient à obtenir cinq sacs. Or, « [avant le barrage], on avait beaucoup de rendements. On avait jusqu’à trois greniers en une saison. Et maintenant on a du mal à remplir un grenier » (extrait, entretien collectif chez le chef de village de Maréna, mai 2014).

Les habitants de ces villages reviennent donc sur les mêmes problèmes de terres de cultures réduites et dégradées. Ils pensent qu’ils sont obligés de partager leurs terres avec les villages déplacés par mesure de solidarité, alors qu’ils n’en ont même pas assez pour eux.

« Nous avons accueilli les autres villages et on leur a donné nos terres. Maintenant, nous sommes là, et nous n’avons plus de terres à cultiver et rien à faire. Nous avons vraiment des difficultés pour manger correctement. Ce n’est pas que nous ne voulions pas travailler, ou que nous n’ayons pas de travailleurs valides. C’est plutôt un manque de terres à cultiver. Et tout cela est causé par ce barrage » (Idem.). La majorité des personnes interrogées expliquent ce problème en partie par le fait qu’en dehors de l’occupation de leurs terres par les villages déplacés, le gouvernement malien leur aurait retiré des terres à deux reprises. La première fois, c’était pour installer les déplacés et la seconde, pour y créer les périmètres irrigués. Par exemple, le une partie des périmètres se trouve sur les terres du village de Kondonia. Ses habitants reprochent surtout au gouvernement de n’avoir pas laissé de choix dans l’octroi des terres. Celui-ci a divisé le périmètre en plusieurs champs et les a donnés à tout le monde. Même les gens qui vivent à Bamako auraient obtenu des parcelles dans ces périmètres, au détriment des habitants des villages hôtes.

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Au niveau des anciens villages, le constat du manque de terres et des baisses de rendements s’est transformé en un sentiment de colère contre les propriétaires du barrage (le Mali et les autres pays de l’OMVS) qui n’auraient jamais tenus leurs promesses. « Ils avaient fait beaucoup de promesses et jusque-là on a rien vu, on a rien eu, ni de nouveaux bâtiments, ni de mesures d’accompagnement définitives » (extrait, entretien collectif chez le chef de village de Kondonia, mai 2014).

Le seul facteur de satisfaction dans le domaine de l’agriculture pluviale selon ces villages, est désormais la possibilité d’exploiter les terres près du fleuve, ceci grâce à la maîtrise de l’eau par le barrage. Comme les villages déplacés, ils y font du maraîchage et du jardinage. L’autre facteur est l’espoir que les habitants gardent malgré tout de voir les périmètres irrigués mieux aménagés et d’y obtenir plus de champs. 2. Structure de gestion des périmètres irrigués : mesures d’accompagnement du barrage « Les périmètres irrigués représentent moins de 2% des terres cultivées ouest- africaines contre 18% au niveau mondial et 33% en Inde, et ne contribuent que modérément à la sécurité alimentaire de la région » (BARBIER et al., 2009). Les périmètres irrigués occupent une place importante dans l’aire de la commune de Bamafélé. « Les aménagements hydro-agricoles dans la commune totalisent 693 ha sur lesquels 252 ha ont été exploités. Le potentiel de superficie aménageable est au moins de 917 ha : superficie programmée par la direction régionale du génie rural de Kayes » (ADRS, 2011). Ces périmètres sont gérés par l’Agence de Développement Rural de la Vallée du Fleuve Sénégal (ADRS). Comment se structurent les relations entre cette organisation et les habitants des zones étudiées ? Pourquoi les habitants abandonnent- ils ces périmètres pour se diriger vers les zones minières ? Quelles sont les conséquences de ces abandons ? Ne serait-il pas plus intéressant pour cette structure de prendre en compte les solutions proposées par les habitants interrogés ? Les entretiens individuels avec le responsable de cette agence et des agents permettent de connaître son histoire.

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2.1. L’histoire de l’ADRS L’ADRS a été créée en 2009. Avant cette date, cette structure portait le nom de Projet de Développement rural Intégré en Aval du barrage de Manantali (PDIAM) depuis 1998.

Le PDIAM avait comme objectif d’aménager les terres en aval du barrage pour les villages déplacés en vue de leur permettre d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Les périmètres faisaient partie des mesures d’accompagnement de la construction du barrage et du déplacement des populations, pour leur permettre de pratiquer leurs activés traditionnelles, principalement l’agriculture. La mission du PDIAM devait s’arrêter au courant de l’année 2005. Du fait des travaux d’aménagement des périmètres, elle a été prolongée jusqu’en 2008. C’était un projet de l’État malien.

Dans la région de Kayes, le projet couvrait la zone de Manantali et le cercle de Bafoulabé. Dès la fin de son programme, le gouvernement malien a pris l’initiative de transformer le PDIAM en agence. Cette transformation a été effectuée suivant ces conditions : il a fallu au gouvernement malien réunir tous les projets de la région de Kayes, notamment du Programme de Développement Intégré de la Région de Kita (PEDRIK) et le Programme d'Appui au Développement de Yélimané (PADY), et les services d’agricultures de cette même région. Pour un besoin de coordination, l’État malien a créé l’ADRS, une structure fédératrice de tous les projets. Le statut juridique de l’ADRS est celui d’un Établissement Public à caractère Administratif (EPA) comme les offices (office du Niger, de Sélingué). L’ADRS est une direction centrale, comme la direction nationale du génie rural, ou de l’agriculture, et son siège est à Bamako.

L’ADRS est composée du département des infrastructures, du département du développement rural, du département des acquisitions et du suivi des marchés, du département de l’administration et des finances, et de différentes cellules : juridique, de gestion des contentieux et de contrôle et gestion. Le chef de zone représente l’ADRS au niveau local, il est prévu des subdivisions en sous-zones avec un agent pour huit à neuf villages. La direction est sous tutelle du ministère du développement durable.

La mission de cette nouvelle agence est restée centrée autour de l’autosuffisance alimentaire mais dans des domaines d’activité différents. Par exemple, elle s’occupe

235 | P a g e de l’aménagement des plaines et de l’aménagement des périmètres maraîchers pour les femmes des villages riverains. L’ADRS a donc pour principale mission d’aménager les terres de la région de Kayes, et de gérer leur mise en valeur agricole. « On sensibilise et on va vers les habitants pour des conseils » (extrait, entretien avec un agent de l’ADRS, été 2012).

Dans les zones étudiées, l’ADRS n’a pas encore (en 2014) mené d’actions concrètes. Ceci est lié au fait qu’elle a trouvé sur place le PGIRE (Programme de Gestion Intégrée des Ressources en Eau et de Développement des Usages Multiples) financé par la banque mondiale sur une initiative de l’OMVS. A son arrivée, le budget du PGIRE avait déjà été réparti entre les différents ministères. L’aménagement des petits périmètres maraîchers, commencé par le PDIAM, et la construction des puits étaient par exemple confiés au ministère de l’agriculture.

De nos jours, l’ADRS est responsable de l’exécution de la mission du PGIRE. Dans ce programme, par exemple, l’OMVS a demandé la protection des berges du fleuve Sénégal. L’ADRS a ensuite essayé de mener des activités pour empêcher cette dégradation des berges, accentuée par les animaux et les riverains exploitant le bord du fleuve. On peut ainsi noter que c’est dans ce contexte que l’OMVS appuie (en matériel) l’ADRS, en installant des grillages et en aidant l’agence à réorienter les activités des femmes du bord du fleuve vers l’intérieur, en vue de réduire son exploitation anarchique. La seconde forme de partenariat avec l’OMVS s’est développée dans le cadre de la recherche de financements. Par exemple, l’OMVS jouait l’intermédiaire entre l’ADRS et les bailleurs de fonds, notamment la Banque Mondiale. « Nous faisons des projets et nous les donnons à l’OMVS qui les soumet aux bailleurs » (extrait, entretien avec un agent de l’ADRS, été 2012).

2.2. L’aire d’intervention de l’ADRS et la gestion du périmètre B Outre les zones étudiées dont s’occupait le PDIAM autour du barrage de Manantali et de Mahina dans le cercle de Bafoulabé, l’ADRS a créé d’autres zones. Il existe aujourd’hui la zone de Manantali, de Bafoulabé, mais aussi celles de Yélimané,

236 | P a g e de Kéniéba118 , de Kita et de Kayes. La zone d’intervention de l’ADRS va de Kita jusqu’à Dara, après Kayes près de la frontière sénégalaise. Les périmètres sont numérotés par ordre alphabétique. En 2014, les derniers périmètres G et H étaient en cours d’aménagement à Bafoulabé. Dans toutes ces zones, l’agence devait également gérer des infrastructures hydro-agricoles, les bas-fonds, les périmètres irrigués et les périmètres maraîchers des femmes sous forme d’appui-conseil auprès des producteurs (entretien avec le directeur de l’ADRS, mai 2014). La zone de Manantali couvre les communes de Bamafélé, de Diokéli et de Koundian (environ 40 km à partir de Manantali rive gauche). La zone est limitée à l’est par la zone de Kita, au nord par Bafoulabé, à l’ouest par la zone de Kéniéba. L’exploitation du périmètre B en rive gauche du fleuve est devenue un enjeu national (Planche photos 12). Tous les ministres de l’agriculture en visite à Manantali s’intéressent à ce périmètre B dont la surface est de 682 ha aménagés. Il est divisé en 10 secteurs. Les villages de Nantela à Kondonia sont installés le long des périmètres.

Le village de Manantali est installé sur les terres du périmètre A. Dans le périmètre B, il y a un canal d’amenée d’eau relié au barrage qui permet son irrigation. Il draine l’eau jusqu’au secteur et, entre les secteurs, des aménagements sont également réalisés pour irriguer les parcelles. Le canal principal dessert les canaux secondaires, tertiaires et les arroseurs. Les variétés cultivées dans le périmètre sont la polyculture (maraîchage, maïs, tournesol). En contre-saison, on y cultive du riz. « Notre périmètre est parmi les mieux aménagés de la sous-région. Il a été très bien fait » (extrait, entretien avec le directeur de l’ADRS, mai 2014). D’après le directeur de l’ADRS, toutes les mesures ont été prises pour faciliter l’exploitation des périmètres. Par exemple, le PDIAM avait déjà donné des engrais et des semences en 2007 pendant la phase d’essai. L’État malien a ensuite subventionné l’engrais utilisé par les habitants. Le paysan achète le sac de 50 kg d’engrais à 12 500 FCFA au lieu de 25 000 FCFA.

118 En 2014 la zone de Kéniéba était encore en construction. Elle n’avait pas encore de bureaux, de logements pour les agents, ni d’infrastructures de productions. Le chef de zone était venu prêter renfort à l’équipe de Manantali. 237 | P a g e

Planche Photos 12: partie du périmètre irrigué B dans la zone de Manantali, (réalisation, C. Cissé)

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L’ADRS s’occupe de la distribution des engrais subventionnés, et les donne aux paysans sous la forme de crédit agricole. L’objectif était pour l’agence d’encourager les paysans et de récupérer après le travail, la somme en sacs de récoltes. Malheureusement, les paysans achetaient cet engrais et au lieu de le mettre dans leurs champs, le revendaient plus chers dans les marchés. « L’État avait donné 25 millions de FCFA pour l’engrais mais on n’a rien récupéré» (extrait, entretien avec un agent de l’ADRS, été 2012).

« Les paysans ne voient pas l’intérêt. Car les périmètres aménagés sont jugés inadéquats et mal faits. Mais je pense que ce n’est pas seulement la faute des aménageurs, les populations sont aussi coupables car elles n’ont pas été capables d’exploiter ces zones irriguées et de diversifier leur culture. Les périmètres n’ont pas atteint leurs objectifs. Les paysans n’ont pas compris que les périmètres doivent servir en contre -saison et en période hivernale119 ». 2.3. Les échecs de la mission de l’ADRS selon les gestionnaires En ce qui concerne les modes d’attribution, il a été convenu dès le début que les habitants pouvaient exploiter les parcelles individuellement ou sous forme de coopératives. Dans la zone de Manantali, il existe au moins une coopérative agricole par village. Je me suis intéressée aux mécanismes d’attribution des parcelles. Il apparaît que l’ADRS a raisonné en termes d’unités de production, c’est-à-dire qu’une unité de production pouvait être attribuée à un chef de ménage, ou à plusieurs chefs de ménages appartenant à une même grande famille. La taille de la parcelle était généralement de 0,25 ha chef ménage. Dans les conditions d’attribution, il m’a été expliqué que le paysan n’avait aucune somme à payer. La personne intéressée doit faire une demande officielle à l’ADRS. Il s’engage également en fin de campagne de récoltes, à payer la redevance en eau. Certes, l’ADRS utilise gratuitement l’eau du fleuve, mais le directeur de l’agence estime qu’ils fournissent beaucoup de moyens pour la drainer jusque dans les périmètres.

« Grâce au barrage, que nous avons la chance d’avoir, l’eau vient directement par système gravitaire. On n’a pas besoin d’avoir des groupes motos-pompes avec le système de pompage qui nécessitent de payer au moins le gasoil. Les paysans doivent payer cet effort.

119 Extrait de l’entretien individuel avec le sous-préfet des communes de Bamafélé et de Diokéli, réalisé pendant l’été 2012. 239 | P a g e

Malheureusement, malgré nos nombreuses tentatives, personne ne paie la redevance, les habitants continuent d’abandonner les périmètres120 ». Deux formes de critiques s’opposent ainsi entre les gestionnaires des périmètres et les habitants bénéficiaires ou non.

2.3.1. Le contexte socio-culturel : un frein aux politiques d’exploitation des périmètres irrigués ? Selon les gestionnaires de l’ADRS, les habitants refusent de comprendre que les agents administratifs de l’ADRS sont des fonctionnaires du gouvernement malien qui ont pour mission d’expliquer aux populations les innovations et techniques les plus adaptées pour avoir de meilleurs rendements. « Malheureusement c’est tellement difficile à dire mais les populations d’ici comprennent mal les choses. Je parle peut être en tant qu’agent appui-conseil mais elles n’ont pas la volonté de travailler. Nous essayons de les encourager à le faire » (extrait, entretien individuel avec un agent de l’ADRS, été 2012). Malgré la maîtrise de l’eau par le barrage qui a permis l’aménagement de 1600 ha, moins de 60 ha sont réellement exploités, soit 2,5%. Ceci correspondrait à un investissement de 17 milliards FCFA non encore rentabilisé. Les agents sont sur le terrain dans le cadre du PDIAM depuis 2002 et ils l’étaient déjà avant cette date. L’histoire des périmètres est compliquée. Ils sont aménagés depuis plus de 25 ans et sont aujourd’hui sous-exploités voire complètement abandonnés par les populations bénéficiaires. Parmi les causes de ces abandons massifs, on retrouve tout d’abord un problème d’encadrement. De fait, jusqu’en 2013, en dehors du chef de zone, il y aurait eu un seul technicien d’encadrement du génie rural qui s’occupait du réseau. À cause de ce problème de personnel qualifié, il n’existait pas de statistiques officielles sur les rendements dans les périmètres irrigués à cette date.

Le facteur culturel a également joué un rôle décisif, car les habitants du Bafing ne sont pas familiers de la culture de l’irrigation. Elle est une pratique nouvelle dans cette zone, contrairement à celles de Ségou ou de Mopti. Ce facteur est aggravé par le refus des habitants d’accepter de suivre les « vulgarisateurs » pour être formés à l’agriculture irriguée. Les agents administratifs se demandent pourquoi les habitants

120 Extrait de l’entretien individuel avec un agent de l’ADRS, réalisé pendant l’été 2012. 240 | P a g e abandonnent les parcelles et préfèrent monter cultiver sur les collines en faisant entre 7 et 10 km de marche aller/retour.

L’ADRS essaye d’expliquer différemment les raisons qui font que les habitants affirment que les parcelles octroyées sont trop petites. Certes, ils reconnaissent qu’après l’aménagement, les premières parcelles attribuées mesuraient un demi- hectare, 1 ha ou 1,75 ha. Il était cependant prévu d’alterner trois types de cultures dans les périmètres, c’est-à-dire une campagne pendant l’hivernage, une en contre-saison froide, et une dernière en contre-saison sèche. En outre, une parcelle de 0,25 ha devait être exploitée par quatre bras actifs, car cela demande beaucoup de travail.

« Les Bafingués ne comprennent pas les conseils techniques. Ils ont du mal à s’adapter. Par exemple quand on dit à un paysan qu’il faut faire une pépinière pour le riz, ensuite faire une pré-irrigation, une mise-en-boue, et repiquer à un plan… il ne comprend rien. Il préfère faire le semis au volet ou utiliser le semoir qui passe. Avec le temps on peut corriger ces problèmes » (Idem.). Les habitants laisseraient en réalité l’eau entrer directement dans le bassin. Pourtant, une fois ces étapes respectées, la parcelle peut être exploitée pendant trois ans. Cette date expirée, un nouveau cycle de préparation doit être engagé. Si dans les champs de culture pluviale, les habitants ont une seule récolte par saison hivernale (6 mois), les périmètres irrigués offrent la possibilité d’avoir 2 récoltes.

Le développement des zones minières est un des éléments qui a accéléré l’abandon des périmètres irrigués, bien que les habitants ne veuillent pas le reconnaître. En effet, cet abandon des parcelles par les bras actifs par maison de 18 à 35 ans (adultes capables de travailler selon l’ADRS) se traduit par des départs vers les zones minières, offrant des gains plus rapides.

« 80% des jeunes partent pour extraire l’or. Mais sur 50 personnes qui partent, seuls 10 reviennent avec de l’argent. Tout le monde n’a pas la chance de trouver de l’or. Et pourtant, à côté de leurs villages nous proposons des périmètres aménagés, un accès permanent à l’eau, les semences subventionnées, et des techniciens qui s’occupent de l’encadrement et du suivi. J’avoue, je ne comprends vraiment pas pourquoi s’adonner à des travaux hasardeux alors que les aménagements sont concrets121 ». L’autre facteur qui décroît la motivation des habitants a un lien avec les possibilités offertes par le barrage de Manantali. Si l’agriculture et l’élevage ont

121 Extrait de l’entretien individuel avec le directeur de l’ADRS, réalisé en mai 2014. 241 | P a g e toujours été leurs activités principales, la société d’exploitation Eskom a recruté de nombreux jeunes actifs comme gardiens ou comme ouvriers du barrage. Ils ne cultivent plus comme avant son implantation, et préfèrent être salariés de la société. Le barrage a ainsi créé des habitudes.

La pratique de la transhumance renforce encore les difficultés d’exploitation des périmètres. Les parcelles sont en effet très ouvertes et les animaux y entrent facilement. Le plus inquiétant se déroule dans les parcelles les plus proches du fleuve, qui sont détruites par les hippopotames, une espèce intégralement protégée. Le Mali a en effet signé les accords de protection des espèces rares, et les périmètres se trouvent le long du fleuve où des hippopotames sortant de l’eau, font beaucoup de dégâts, notamment dans les parcelles d’arachides et de sorghos. « Les lacs de barrages hydroélectriques constituent également l’espace de vie pour de nombreux troupeaux d’hippopotames qui sévissent en certains endroits. Les cas les plus préoccupants ont été signalés sur le lac de Kossou où ils seraient responsables de plusieurs accidents (20 décès dénombrés ces dernières 5 années pour le seul lac de Kossou). Cette situation rend inaccessible des portions non négligeables des plans d’eau ». (ANOH, 2007)

En me focalisant sur les difficultés de gestion des périmètres, j’ai pu remarquer l’l’inquiétude profonde de l’ADRS. Cette agence assiste de manière impuissante à l’abandon continu de leurs périmètres par les habitants. Pour faire face à cette situation, de nouvelles règles de gestion ont été instaurées.

2.3.2. Les nouvelles mesures prises par l’ADRS Premièrement, l’ADRS a décidé de retirer les parcelles à toute personne ou coopérative qui ne l’exploiterait pas au moins une saison sur trois. « Pour être sûr de l’abandon, on fait des rondes tous les 30 du mois, afin de vérifier l’exploitation des périmètres » (extrait, entretien avec un agent de l’ADRS, été 2012). Pour faire face à la pénétration des animaux, lors de l’aménagement d’un périmètre, les agents laissent une distance minimum par rapport au fleuve et reboisent pour limiter la montée des hippopotames. Ils font également des ateliers de travail pour trouver des solutions avec les services des eaux et forêts.

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Deuxièmement, la mise en place de campagnes de sensibilisation a pour but de changer « la mentalité des populations. Comme on le dit ici, les Bafingués n’aiment tout simplement pas travailler. Cette population a été encouragée à ne rien faire par les mesures d’accompagnement lors des réinstallations» (extrait, entretien avec le directeur de l’ADRS, mai 2014). Ils continuent à penser que ces périmètres installés sur les terres de leurs ancêtres leurs appartiennent. Les terres sont considérées comme leur propriété même s’ils refusent de les exploiter, d’autant plus que les périmètres ont été construits pour accompagner leur réinstallation. L’objectif est donc de faire comprendre la réalité juridique foncière aux habitants des villages environnants du barrage de Manantali. L’agence a décidé de faire appels à des sociologues. Ces derniers auraient souligné la part de responsabilité des mesures d’accompagnement. Elles ont installé les habitants dans une situation où ils ont reçu des dons pendant 2 ans. Cette période a conduit à une phase de reconversion professionnelle d’agriculteurs vers des emplois d’ouvriers salariés du barrage. A ce moment-là, il était difficile de gagner 100 000 FCFA par mois dans le smic malien. C’était l’équivalent du salaire d’un haut cadre fonctionnaire. Certains habitants des zones étudiées pouvaient pourtant gagner 200 000 à 300 000 milles FCFA par mois et ceci jusque dans les années 1990. Compte tenu de ces changements financiers, des habitudes culturales, et des formes d’éducations, les modes de vie se sont transformés.

Troisièmement, l’ADRS a pensé à lancer des appels d’offres nationaux et internationaux pour l’exploitation des parcelles. Cette solution serait liée aux résultats très surprenants de la campagne de 2008. Cette année, pour la première fois, le paysan pilote de l’agence, c’est-à-dire celui qui a eu la meilleure récolte, était un cadre de l’Eskom. Ce cadre l’Eskom avait deux ha dans le périmètre. Il avait embauché les mêmes habitants des villages environnants qui refusaient d’exploiter leurs propres parcelles, mais avaient accepté de travailler pour être payer en journaliers.

« À Manantali, ce sont les étrangers qui sont les vrais cultivateurs, les agents de de la société d’exploitation et les commerçants. Ces étrangers travaillent eux-mêmes leurs champs, et/ou ils emploient la population locale. Par exemple, les autochtones sont employés pour nettoyer les parcelles, ils demandent un salaire de 7500 FCFA environ pour 0,25 ha et 55 000 pour 1 ha. Ils préfèrent avoir de l’argent journalier que de cultiver leurs propres champs. Ils sont exploités par les étrangers. Ils vont peut-être comprendre un jour mais ce sera trop tard » (Idem.).

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Grâce aux habitants, le paysan pilote a obtenu 90 sacs de riz paddy, soit environ 3,5 tonnes. Selon l’ADRS, cette situation et la non-exploitation des périmètres par les autochtones justifient le retrait des parcelles auparavant allouées aux habitants. Mais la réalité serait peut être différente, si l’on se réfère à la tendance nouvelle de privatisation des terres au Mali dénonçée par F. Brondeau (2009). Dans le cas du bassin du Niger en effet, la « privatisation du foncier est soutenue par les bailleurs de fonds au nom de la sécurisation de l’accès à la terre, jugée indispensable pour susciter les investissements. Elle est, par contre, rejetée par les paysans de l’Office, qui estiment que la privatisation du foncier ne permettra en aucun cas de régler leur problème majeur, celui de l’exiguïté des exploitations » (BRONDEAU, 2009).

Toujours dans ces stratégies, nous remarquons la création des coopératives. Cette solution avait été déjà essayée dans le passé par les structures précédentes. Dans le cadre du PDIAM, il existait un volet appelé la Division des Activités Economiques (DAE), qui s’occupait des groupements de femmes dans les villages. Encore auparavant, le programme allemand nommé GTZ avait lui aussi encouragé la création de groupements de femmes pour travailler dans les périmètres maraîchers et pour fabriquer du savon traditionnel. Dans les deux cas, les groupes de femmes travaillaient ensemble mais sans aucun statut. La différence avec l’agence est que celle-ci demande les récépissés qui prouvent le statut d’une coopérative avant l’octroi des crédits agricoles. Les animateurs agricoles ont pour mission d’aider les femmes des villages à se réunir dans une coopérative, à avoir des projets et un statut. Mais cette initiative présente beaucoup de limites. La principale s’est traduite par un manque de transparence. Par exemple, certains habitants viendraient, au nom de la coopérative, prendre de l’engrais sans en faire par la suite la distribution auprès des membres.

Enfin, pour la gestion du périmètre, l’agence avait demandé à chaque village de nommer quelqu’un pour faciliter l’information. Le morcellement des parcelles rend difficile la distribution de l’eau à l’intérieur du réseau d’irrigation. L’eau doit passer d’une parcelle à l’autre en fonction d’un débit évolutif. Tous les paysans ne peuvent donc pas en avoir au même moment, ce qui crée des frustrations et des cas de conflits. De ce fait, un planning de distribution de l’eau par secteurs et par villages a été établi par l’agence. Les aiguadiers gèrent les vannes. Mais les habitants qui s’étaient au début

244 | P a g e portés volontaires pour être aiguadiers ont ensuite réclamé un salaire à l’ADRS qui n’a pas accepté. J’ai essayé de comprendre les raisons qui poussent les habitants à ne pas exploiter les périmètres irrigués à côté de leurs villages.

Les habitants ne sont pas de l’avis du directeur de l’agence, et du sous-préfet. Ils sont plutôt critiques sur la méthode de l’aménagement des périmètres, leur gestion, et sur les conditions d’attribution des parcelles. Depuis leur création, les périmètres irrigués ont montré de défauts selon les habitants, en dehors du mode d’attribution des parcelles. Les habitants ont par ailleurs exprimé leur refus de les exploiter.

2.4. Le manque de collaboration avec les habitants à l’origine de l’échec ? Les personnes qui se sont prononcées sur cette question vivent dans les 8 villages choisis en aval du barrage de Manantali. Les habitants ont souligné deux problèmes majeurs dans les périmètres irrigués.

D’abord, ils se sentent jugés et incompris par les gestionnaires des périmètres irrigués avec qui ils entrent en conflit.

« Même si on nous attachait la bouche, on se défendrait pour le dire tout haut. On souffre alors qu’on n’a rien demandé. Franchement, on en a assez de tous ces problèmes. Si vous observez bien vous remarquerez que tous les villages du Bafing sont des perdants. Nous nous demandons si nous ne sommes pas dans un autre pays que le Mali. Mais est ce qu’on nous considère comme des Maliens ? On se pose la question car les agents de l’ADRS viennent de la capitale et nous obligent à travailler dans les périmètres. Ils osent dire qu’on refuse de travailler dans les périmètres mais c’est faux. C’est anormal, on est des Maliens, on paie nos impôts, ils nous imposent des taxes très chères122 ». J’ai, lors de mes enquêtes, constaté que plus de 25 ans après l’implantation du barrage, les habitants autochtones étaient encore profondément blessés dans leur fierté. C’est avant tout un sentiment d’injustice, de non-considération de la part du gouvernement, qui leur aurait pris « [leurs] terres par la force et sans même laisser un petit mot gentil et sans respect. Il ne fallait même pas en rêve espérer une indemnisation » (Idem.). Ils n’acceptent pas non plus le manque d’informations sur la création de périmètres irrigués. « On voyait juste des agents venir mesurer, sous nos yeux, les terres et revenir installer les familles sans notre accord ni notre avis. Ce fût la même procédure pour

122 Extrait de l’entretien collectif dans le village de Kondonia, réalisé en mai 2014. 245 | P a g e l’installation des périmètres irrigués » (Idem.). Seuls les chefs de villages avaient été informés que c’était pour les besoins du gouvernement.

Pour les habitants, le discours des gestionnaires à leur propos serait un bon moyen voire un prétexte pour vendre les terres des périmètres aux plus offrants, c’est-à-dire aux étrangers de Bamako et aux allochtones qui travaillent comme cadres au barrage de Manantali. C’est en ce sens que les habitants ont dénoncé les pratiques de l’ADRS. En effet, ils ont expliqué que l’ADRS attribuait un champ à un chef de ménage, et que quelque temps après, elle réattribuait la même parcelle à une autre personne d’un autre village, ou à un étranger de Manantali sous prétexte que le premier bénéficiaire ne l’exploitait pas correctement. Le pire des cas est que parfois l’ADRS réattribuerait un champ déjà cultivé par le premier bénéficiaire. Ce mode de gestion est à l’origine de nombreux cas de conflits entre villages voisins. Ces conflits sont gérés à l’amiable par les chefs de villages, la mairie ou la sous-préfecture même si de plus en plus, à cause des cas plus graves, les habitants préfèrent aller directement à la gendarmerie pour porter plainte et amener le cas devant le tribunal. Ils disent que la gestion à l’amiable est trop lente et souvent inefficace.

Le second problème, selon les habitants, est que ces périmètres ont été très mal aménagés en dépit du fait que le gouvernement malien a dépensé pour cela des milliards. « On souffre même pour atteindre les cimetières du village de l’autre côté des périmètres. Il n’existe pas de routes en dehors des champs, il faut descendre dans les champs, faire une ligne humaine pour se passer le corps du défunt au-dessus des canaux » (extrait, entretien collectif dans le village de Kondonia, mai 2014). Ces canaux seraient également mal disposés car l’eau n’arrive que dans les petits bassins. Pour les villages situés à plus de 4 km de la zone de distribution comme Goumbalan, une journée voire plus est nécessaire pour répondre à leurs demandes en eau. En outre, ils sont des lieux de multiplication des moustiques en hivernage et donc de développement des cas de paludisme. Selon les habitants du village de Kondonia, en hivernage presque tout le monde est malade, surtout les femmes et les enfants. L’OMVS a fait des dons de moustiquaires imprégnées mais ceci est insuffisant car c’est une moustiquaire pour 10 personnes d’une même famille. « On va tout le temps en vélo ou en moto au dispensaire de Maréna, et on paye trop d’argent pour se soigner » (Idem.). Ils ajoutent que la localisation

246 | P a g e des périmètres pose aussi des problèmes. Les habitants pensent que les périmètres devaient être en rive droite où vivent plus de populations déplacées qu’en rive gauche.

En ce qui concerne la taille des parcelles attribuées, les habitants ont aussi montré les limites du système. Par exemple, dans une famille de 20 personnes, l’agence attribue au chef de ménage une parcelle de moins d’un ha. La majorité des familles ont une parcelle de 0,25 ha. Or, avant le barrage, la population avait beaucoup d’espace pour cultiver. En fait, « Kayes était la capitale de l’arachide ». L’Opération Développement Intégrée de la Production Arachidière et Céréalières (ODIPAC) et le projet de développement du ont développé la culture de l’arachide, du sorgho, du maïs et du coton. La Compagnie Malienne pour le Développement du Textile (CMDT) a par ailleurs développé la culture de rentes. Les populations sont donc habituées à ces cultures de rentes.

« Voici la grande difficulté des agriculteurs que nous sommes. Nous n’avons même plus d’argent pour prendre soin de nous. Avant le barrage, on vendait nos sacs d’arachide à l’ODIPAC qui venait jusqu’ici pour ramasser la récolte. Après, on vendait à la CMDT mais aujourd’hui à cause du périmètre, on ne peut plus rien faire. En un mot le barrage n’a pas favorisé le développement de l’agriculture alors que le propre du Bafingué est de cultiver. Nous ne connaissons que cette activité123 ». Jusqu’ici, les habitants dénoncent donc les problèmes liés aux périmètres irrigués justifiant leurs abandons, mais ils ont également proposé des solutions pour optimiser les avantages de ces périmètres.

2.4.1. Des habitants qui se résignent à accepter la situation Face à tous ces problèmes, les habitants rencontrés dans le cadre de cette recherche se résignent parfois à accepter la situation. « Nous ne pouvons rien contre eux car c’est un projet du gouvernement. Ils nous traitent d’incapables mais la réalité est qu’ils donnent des terres à des personnes plus riches. On ne peut même pas tout dire tellement que c’est dur. On s’en remet à Dieu car on est désespéré » (extrait, entretien collectif à Goumbalan, mai 2014). Ils essayent aussi parfois de collaborer avec l’agence en demandant du matériel, comme des grillages. « Les périmètres ne sont pas bien protégés, les vaches passent comme elles veulent à tout moment dans les champs. On a demandé des grillages et la création de la

123 Extrait de l’entretien collectif dans le village de Kondonia, réalisé en mai 2014. 247 | P a g e fourrière pour y amener les vaches qui trainent dans les champs mais le gouvernement a refusé124 ».

Le niveau d’équipement des paysans peut être amélioré pour augmenter les rendements. Les habitants ont des revenus faibles et n’ont pas les moyens de s’offrir les équipements agricoles adéquats. Ils travaillent avec des charrues, des dabas et souhaitent avoir des tracteurs. Il faut au moins un tracteur dans le périmètre B pour changer la physionomie du périmètre en termes d’emblavures. Le tracteur peut être utilisé à tour de rôle par les familles du village.

Pour régler le problème des animaux, il a été proposé de mettre des grillages et de créer une fourrière commune à tous les villages. Concomitamment, il est nécessaire de reprendre le découpage des parcelles des périmètres irriguées afin d’avoir des tailles équilibrées.

L’aménagement de la rizière de 10 hectares pour les villages de la zone de Manantali pourra permettre de réduire les dépenses. Cette rizière fait partie de la zone prévue pour les périmètres depuis la phase de la construction du barrage. La terre y est très fertile. Par exemple sur un hectare, il est possible d’avoir plusieurs centaines de sacs de récoltes. À cause d’un aménagement concret, cette zone crée des tensions car elle est en cours de production par les agents de la société d’exploitation capables de s’offrir le matériel adéquat. « Elle profite aux gens de Manantali, qui ont de l’argent » (extrait, entretien collectif à Kondonia, mai 2014). Ils achètent ainsi des tuyaux avec l’autorisation de l’ADRS, et prennent l’eau du fleuve pour cultiver du riz.

Les canaux d’irrigation sont très proches des villages. Le principal problème du village de Kondonia est qu’il se trouve dans l’espace des périmètres et est entouré par les canaux d’irrigation. Normalement, il devait être déplacé lors de la construction du périmètre. Pour éviter le coût très élevé des indemnisations, le village a été laissé sur place. « L’objectif du gouvernement est peut-être de nous inciter à partir de nous-mêmes. Mais nous, on ne quittera jamais notre village » (Idem.). Les canaux doivent donc comporter des

124 Extrait de l’entretien collectif dans le village de Kondonia, réalisé en mai 2014. 248 | P a g e signalisations, alors que l’accès au cimetière est facilité par des routes bien tracées par l’ADRS.

Au total, les ambitions de l’ADRS pour l’irrigation dans la zone de Manantali entrent dans un contexte de recherche de développement agricole au Mali. Comme l’ADRS, de nombreux acteurs interviennent dans le bassin du Niger. Par exemple, F. Brondeau (2009) explique dans un article « la révolution verte » au Mali. Selon l’auteur, les périmètres de l’office du Niger sont des avantages dans un contexte de recherche de développement agricole. «Son avenir s’avère ainsi étroitement lié aux objectifs économiques établis à l’échelle de l’UEMOA (Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest) et de la CEN-SAD (Communauté des États sahélo-sahariens) qui tendent à promouvoir l’agro-business » (BRONDEAU, 2009). L’exemple de ces périmètres irrigués en extension montre l’ambition des acteurs internationaux et du Mali dans le cadre d’accords sud-sud. L’auteur souligne aussi le nombre d’hectares prévus pour les pays de l’UEMOA, mais également les financements des États-Unis dans le cadre du Millenium Challenge Account (MCA), l’intérêt affiché par la société LONRHO, implantée à Londres. Une coopération entre la Libye et le Mali a même donné naissance à une société mixte du nom de Malibya Agriculture, qui travaille avec la société chinoise China Geo-Engineering Corporation CGC.

Toutefois, l’auteur dénonce une dépendance du Mali aux semences fournies par une société chinoise basée au Nigeria. Il souligne également les projets de création d’un pôle élevage intensif, les risques d’utilisations des OGM, le projet de production de canne à sucre pour le bioéthanol, la production d’oléagineux divers (tournesol, soja), la production de biodiésel, ou encore la culture de la pourghère par une société française, Agroed (Agro-énergie développement). Ces projets mettent en danger l’agriculture familiale. « Les choix économiques actuels s’orientent vers la promotion de l’agro-business. Les bailleurs de fonds souhaitent s’appuyer sur des exploitations dynamiques de taille moyenne (10 à 50 ha) qui produisent des excédents commercialisables et obtiennent des bénéfices susceptibles d’être réinvestis. […] Se pose par ailleurs la question du devenir des territoires de pêche des Bozos, dont le maintien suscitait déjà des heurts avec les cultivateurs et surtout les bergers de la région. Le développement d’un pôle d’agriculture intensive semble difficilement

249 | P a g e conciliable avec le maintien d’activités extensives de pêche et d’élevage ». (BRONDEAU, 2009). Les périmètres irrigués de Manantali sont des espaces suivis par les services du génie rural, qui collaborent avec l’ADRS.

Encadré 8 : les périmètres irrigués suivis par les services du génie rural de la région de Kayes125

Depuis 2009 par la création du décret n° 09 203 du 4 mai, la région de Kayes a une direction régionale du génie rural. La traduction sous forme de projets des grandes orientations nationales en matière d’aménagements hydro-agricoles, d’équipements ruraux d’une part, et leur coordination voire leur contrôle, et leur mise en œuvre d’autre part, sont ses missions. Autrement dit, elle doit apporter un appui et un conseil aux collectivités territoriales, aux organisations socioprofessionnelles en matière d’aménagement, d’équipements, de mécanisation agricole, de technologies adaptées, de recherche de financements et de passations de marchés. Elle doit aussi réaliser et faire réaliser des études relatives à l’aménagement et aux équipements ruraux, contrôler et assurer le suivi de la mise en œuvre de ces projets, élaborer et diffuser des méthodologies d’aménagement des terroirs de la zone, traiter et diffuser des informations et des données statistiques et, pour finir, suivre et évaluer des activités dans le domaine de l’aménagement et de l’équipement rural. J’ai appris lors d’un entretien que la direction régionale dépendait d’une direction nationale du même nom qui est sous tutelle du ministère du développement rural. Le problème de personnel dans les trois pôles ou services locaux de Kayes, qui regroupent les cercles de Kayes, Yélimané et Kéniéba, du pôle de Kita qui s’occupe de Bafoulabé et du pôle de Nioro s’occupant de Nioro et Diéma, m’a été également signalé. Toutes les activités de ces services dépendent de la direction régionale établie à Kayes. À cause de ce problème et du manque de logistique, ils n’ont pas d’agents à l’échelle des communes et des villages. Un bureau existe exceptionnellement à Manantali. Je n’ai malheureusement pas pu rencontrer le responsable à cette échelle malgré deux tentatives, les locaux étaient toujours fermés. « Pendant les périodes de grande activité, il est nécessaire de multiplier les missions. Cependant, par manque de moyens, nous attendons la fin d’une mission pour en lancer une autre. Nous n’avons pas de relations directes avec l’OMVS. Nous avons toutefois une vision sur les aménagements de l’ADRS. C’est à travers cette agence que nous sommes en contact avec les projets de l’OMVS» (entretien avec un responsable de la direction du génie rural, mai 2014). Les pôles de la direction régionale du génie rural travaillent avec l’ADRS dans la mise en valeur des aménagements agricoles (périmètres irrigués villageois, périmètres maraîchers). Ils aident l’agence également dans ses missions d’intervention sur l’aménagement des micro-barrages pour la submersion contrôlée au niveau des bas-fonds. Les agents du génie rural s’occupent de l’aménagement et des équipements hydro- agricoles suite à une demande de parcelle. Les demandes adressées à l’ADRS et aux pôles du génie rural sont transmises à la direction nationale qui fait une programmation suivant la pertinence des différents projets. La direction vérifie toutefois que la parcelle du projet ne fait pas l’objet de litige, voire si un permis d’exploitation n’a pas dans le passé déjà été délivré. Normalement, le demandeur paie tout le matériel d’aménagement et les agents ont un per diem durant la réalisation des aménagements hydro-agricoles et des équipements. Un autre rôle important des services du génie rural est noté dans l’exécution du programme gouvernemental dans le cadre de l’aménagement des bas-fonds. Il s’agit du projet d'Accroissement de la Productivité Agricole du Mali (PAPAM) sur 5 ans (jusqu’en 2016), qui consiste à aménager des périmètres maraîchers, des bas- fonds, des plaines pour une superficie totale de 107 000 ha. En plus de l’ADRS et des divisions de la direction régionale du génie rural de Kayes, la direction régionale de l’agriculture est une autre structure déconcentrée du ministère du développement rural et de la direction nationale de l’agriculture. Elle est aussi chargée d’apporter appui et conseil aux producteurs, c’est-à-dire aux paysans qui sont au niveau de la région de Kayes.

125 Extrait de l’entretien individuel avec un agent du service du génie rural de la région de Kayes, réalisé en mai 2014. 250 | P a g e

3. La direction de régionale de l’agriculture utilise-t-elle le barrage ? L’agriculture semble être restée l’activité principale dans les villages déplacés et non déplacés étudiés en aval du barrage de Manantali. Elle rencontre de nombreux problèmes, notamment liés au manque de terres et à la dégradation des champs. Si l’ADRS et la direction régionale du génie rural essaient d’encourager le développement de l’agriculture irriguée, comment la direction de l’agriculture de Kayes utilise-t-elle la maîtrise de l’eau par le barrage de Manantali dans ses activités ?

J’ai rencontré lors d’un entretien individuel le directeur de cette structure régionale qui m’a expliquée qu’elle est composée de subdivisions chargées de programmes au niveau des cercles. Au niveau de chaque cercle, il y a des secteurs, dans lesquels existent des sous-secteurs, au niveau des ex-arrondissements ou d’un ensemble de communes. À l’échelle des villages ou groupes de villages se trouvent des agents d’encadrement ou de base.

Il a ajouté que la direction de l’agriculture est chargée de voir avec les producteurs les contraintes liées à l’agriculture. À partir de la base, ils recensent les difficultés et essaient de les apparenter à des thèmes techniques. Par exemple, pour quelqu’un qui a un problème dans son champ de maïs, ils étudient avec lui les sources du problème. Si la raison relève de la fertilité des sols, ils lui proposent des thèmes, en fonction de ce que le producteur peut supporter comme coûts financiers. Il ne s’agit par exemple pas de lui demander de mettre plus d’engrais plus cher alors la fumure organique peut faire l’affaire. C’est dans ce sens que les cadres et des agents de la direction qui ont reçu des formations, selon le directeur, essaient de relever les défis de l’agriculture de nos jours à Kayes. Ils sont aidés par des équipements tels que les motos et des voitures (cinq au total) sur l’ensemble de la région. Les collectivités territoriales fournissent également des moyens.

Dans l’exécution de ces missions, la direction a privilégié la collaboration avec tous les partenaires qui interviennent dans le monde rural.

« Elle a compris qu’en matière de vulgarisation ou de conseil agricole, il faut mettre à contribution tous ceux qui peuvent apporter quelque chose. C’est une mission partagée qui

251 | P a g e nécessite la participation des partenaires techniques ou financiers. En tant que structure étatique, nous sommes souvent limités dans notre mission. C’est pourquoi nous travaillons avec des partenariats et rédigons des contrats dans le cadre des activités126 ». Toutefois, les partenaires de la direction sont majoritairement maliens, même s‘il y a d’autres ONG internationales telles que l’OXFAM. Les ONG viennent généralement de l’étranger, mais les programmes nationaux tels que le développement de l’irrigation avec l’ADRS, ou le PAPAM, aident la direction régionale dans ses missions. Le Programme d’Amélioration de la Productivité Agricole au Mali (PAPAM) aide les petits producteurs à lutter contre les contraintes agricoles, à accroître leur production à travers des sous-projets. Il y a des bassins de riz qui sont aussi suivis. Cet ensemble de programmes en cours ou annoncés permettra de lutter contre la pauvreté en milieu rural selon directeur. Dans la zone de Manantali, par exemple, la direction travaille beaucoup avec l’ADRS. Le programme de l’ADRS, qui intervient dans les zones de Kita jusqu’à Bafoulabé, travaille pour le développement de l’agriculture avec PGIRE 2. Puisque cette agence qui appartient à l’État malien est en étroite collaboration avec l’OMVS, la direction de l’agriculture a une plateforme de collaboration qui la lie ainsi à l’OMVS. C’est ainsi qu’elle travaille indirectement avec elle dans le programme de développement des périmètres irrigués.

L’objectif de toutes ces collaborations est de résoudre les nombreux problèmes dans le secteur de l’agriculture. L’un des problèmes avait déjà été soulevé dans la zone de Manantali : il s’agit de la dégradation des terres dans 80% des champs selon le directeur. Par manque de moyens, la population n’arrive pas à exploiter ces terres fatiguées. Sur plusieurs années de rendements, malgré la présence de zones propices à la riziculture, la région de Kayes est totalement déficitaire en riz.

Les problèmes de l’agriculture sont en partie liés à l’élevage. En effet, le type d’élevage dominant dans la zone est la transhumance. Or, la transhumance se déroule pendant les périodes de cultures ou pendant la récolte. Les cas de conflits entre agriculteurs et éleveurs sont permanents, car il n’existe pas de schéma désignant les tracés des parcours du bétail.

126 Extrait de l’entretien individuel avec le directeur du service régional de l’agriculture, réalisé en mai 2014. 252 | P a g e

L’agriculture est aussi très affaiblie par le phénomène de l’émigration, qui crée un déficit de travailleurs. Comme à l’échelle locale, le directeur a affirmé que dans la région, les personnes adultes et jeunes, hommes et femmes, se dirigent dans les zones minières pour pratiquer l’orpaillage. « Quand on part dans les zones minières on voit qu’il y a un monde fou. Par ailleurs, dans les zones agricoles il n’y a personne. Les gens ont besoin de main d’œuvre mais n’en trouvent pas ou elle coûte chère. Tout ceci augmente le coût de la production et des prix » (Idem.).

Enfin, au niveau de la région de Kayes, il existe un déficit pluviométrique réel selon le directeur, et les conséquences se ressentent sur les rendements agricoles. Or, la production agricole est presque totalement liée à la pluviométrie, car il n’y a pas encore assez de périmètres irrigués dans la région. Pourtant, le potentiel de terres aménageables y est immense. L’exploitation de ces terres peut augmenter voire doubler la production de la région. Je constate ici l’enjeu de l’aménagement des terres, compte tenu de leur potentiel. La direction de l’agriculture pense que cet aménagement est la solution à tous ces problèmes. Une maîtrise de l’eau de surface grâce au barrage de Manantali a déjà permis de réduire ceux-ci dans le monde rural. « Certes, quand on analyse la part du Mali sur le plan des aménagements agricoles du bassin du fleuve Sénégal, elle est faible. Mais si on prend à l’échelle régionale de Kayes, nous remarquons que les superficies qui doivent être aménagées dans le cadre des projets de l’OMVS sont très importantes pour nous » (Idem.). Par exemple, dans le cercle de Bafoulabé, plus de 1000 ha étaient en cours d’aménagement en 2014. La mise en œuvre de ces périmètres permettra de gagner le pari de la promotion agricole d’abord au niveau de ce cercle, car sur 800 ha d’un côté et 600 ha de l’autre ne s’étaleront que des parcelles pour la riziculture, la culture du maïs, et l’horticulture. Grâce à l’énergie produite par le barrage dont bénéficie la région, les paysans ont de plus la possibilité de travailler avec des motos-pompes. « L’électricité améliore le cadre de vie et résout nos problèmes de transformation des produits, et permettra toujours dans le futur d’améliorer le niveau de production agricole. D’autant plus que l’aménagement des autres périmètres par l’ADRS dans le cercle de Kayes est aussi en cours » (Idem.).

La direction de l’agriculture se rend compte des opportunités offertes par la présence d’un tel ouvrage de développement dans sa région, et se considère comme

253 | P a g e un des principaux gagnants. En effet, avant le barrage, le fleuve tarissait à beaucoup d’endroits, mais de nos jours, il existe au moins un débit minimum qui est assuré pour l’agriculture. Les producteurs qui se situent le long du fleuve Sénégal arrivent ainsi à cultiver toute l’année. La présence du débit aurait même créé un microclimat qui baisserait la chaleur au niveau de certaines zones.

Si l’on se réfère aux résultats des recherches de Barbier et al., (2011) : « la régulation des débits opérée par les barrages hydroélectriques de Manantali sur le Sénégal et de Sélingue sur le Niger, se renforcera et favorisera l’extension de l’irrigation en saison sèche. Elle va aussi contribuer à faire reculer les cultures et les pâturages de crue, déjà affectés par les évolutions climatiques » (BARBIER et al., 2011). Même si les auteurs dénoncent l’irrégularité des productions agricoles des pays de l’Afrique de l’Ouest et leur grande dépendance en matière d’importation de produits alimentaires (huile, riz, lait, sucre etc.) de plusieurs milliards de dollars chaque année, ils soutiennent l’idée que pour plus réduire les risques de famines et de crise alimentaire comme celle des années 1970, l’irrigation serait la solution dans ces pays. Car si dans les autres pays du monde, les prévisions affirment une baisse des périmètres irriguées, l’effet contraire devrait se produire en Afrique dans le futur. Les auteurs ont montré par exemple la multiplicité des systèmes irrigués en Afrique, « pour cinq pays sahéliens : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal. En combinant des critères d’investissement, de gestion, de maıtrise de l’eau et de taille, elle différencie 9 types de systèmes » (Ibid.). De ces pays, le Mali est de loin le pays qui le plus de surfaces irriguées grâce au fleuve Niger.

De la même manière, J.P. Venot et P. Cecchi (2011), évoquent la nécessité de considérer les petits barrages et les aménagements hydro-agricoles en Afrique de l’Ouest comme des socio-écosystèmes. Ils les désignent comme des construits sociaux. Toutefois, les auteurs dénoncent les limites des études qui ont comme entrées les communautés. Selon eux, elles ne mettent pas en valeur les « hétérogénéités concernant la distribution des bénéfices et des risques » (VENOT, et CECCHI, 2011). Même s’ils ne font pas l’objet de notre étude, il est intéressant de noter qu’en plus des grands barrages hydroélectriques, les petits barrages jouent un rôle important dans les activités locales. Pour lutter contre les effets des sécheresses, leur nombre a aussi

254 | P a g e augmenté dans le continent africain. « Il en existe en particulier des centaines dans toute l’Afrique subsaharienne. Malgré les difficultés d’inventaire, leur nombre est estimé à 1700 au Burkina Faso, 800 au Mali, 600 en Côte d’Ivoire et 500 au Ghana » (Ibid.). Dans leur conclusion, les auteurs soutiennent la nécessité de prendre en compte dans l’étude des dynamiques complexes liés aux aménagements tels les barrages, les savoirs et les processus d’innovations dans un contexte de systèmes agraires afin de mieux répondre aux préoccupations locales. « L’importance des dimensions sociales et institutionnelles dans la gestion des systèmes irrigués est désormais largement reconnue et un consensus s’est imposé : une action collective explicite et durable est nécessaire pour leur bonne performance » (Ibid).

Les liens entre l’agriculture et l’élevage ont été soulevés à l’échelle régionale, il faut essayer de comprendre le problème dans la zone de Manantali. Plus précisément, comment l’implantation du barrage a-t-elle changé les habitudes des éleveurs transhumants, et comment continuent-ils à développer leur activité ?

II. COMMENT SE DEVELOPPE L’ELEVAGE DANS LA ZONE DU BARRAGE ? Les problèmes de l’élevage dans ce contexte de barrage ont été soulevés lors d’un entretien individuel avec le président de l’association des éleveurs dans la zone de Manantali. Cette personne rencontrée m’a d’abord rappelé que les moutons et les bœufs sont les principaux animaux des éleveurs des zones étudiées.

Nous avons évoqué avec cet éleveur le fonctionnement de l’élevage dans la zone avant le barrage de Manantali. Selon le président, les éleveurs n’avaient pas dans le passé des problèmes de pâturage et les animaux avaient tout le temps de quoi manger. Ils ne sentaient pas la différence entre saison des pluies et saison sèche. Il n’y avait pas de forêt classée interdite aux animaux. Cependant, avec l’arrivée du barrage, les conflits entre agriculteurs et éleveurs ont débuté. Ils perdent de plus en plus d’animaux chaque année

Depuis les années 1990, la situation ne cesse de se dégrader pour les éleveurs. Il semble que le nombre d’éleveurs a augmenté alors que la taille des troupeaux a diminué. Les nouveaux éleveurs sont surtout des allochtones, et ils possèdent les plus gros

255 | P a g e troupeaux (150 animaux environ). Par exemple, plus de 30 éleveurs du village de Manantali sont des allochtones ou des étrangers. Compte tenu des avantages de l’élevage, des autochtones anciens agriculteurs s’y reconvertissent mais ils ont des troupeaux de 30 têtes au maximum. Tous les éleveurs étrangers et allochtones recrutent des jeunes bergers, qui sont payés 15 000 à 25 000 FCFA par mois pour s’occuper de la transhumance de leurs troupeaux.

Le président de l’association des éleveurs a reconnu que les agriculteurs n’avaient plus beaucoup de terres, mais il maintient que les agriculteurs n’avaient pas à occuper la zone de passage des animaux ou les zones de transhumance. Ils ont en effet créé des hameaux de cultures partout dans la zone de Manantali. Par conséquent, il suffit que l’animal mette le pied dans leur champ pour qu’ils aillent porter plainte à la gendarmerie, alors que ce sont eux qui sont venus occuper la place des animaux selon l’éleveur. En cas de conflit, la gendarmerie appelle l’agent de l’agriculture qui est chargé de faire le constat et de fixer le prix à payer par l’éleveur.

L’abreuvement des animaux est aussi un problème en saison sèche. Les seules herbes disponibles et les points d’eau sont dans la forêt classée et interdite à la transhumance. Néanmoins, même s’ils prennent le risque de payer des amendes, les éleveurs y amènent leurs animaux. Les éleveurs dénoncent les abus des agents des eaux et forêts qui leur infligent des amendes de 100 000 à 250 000 FCFA. Le plus grave, selon eux, est que les amendes sont toujours surtaxées. Lorsqu’un animal entre dans un petit champ de culture, la taxe est tellement élevée qu’ils ont envie de vendre l’animal.

« La saison dernière, j’ai payé plus d’un million (des sommes de 100 000, 10 000, 15 000, 200 000 FCFA). Je viens de payer 60 000 pour deux vaches. Les éleveurs sont découragés mais nous n’avons pas d’autres métiers en dehors de la boucherie. Les autres éleveurs sont parfois bouchers comme moi. Le problème de la boucherie, c’est que les bœufs sont très chers. Le kilo de viande était à 1000 FCFA et maintenant il est de 1500 FCFA. Un bœuf peut coûter 250 000, 300 000 à 350 000 FCFA. C’est après le barrage que l’élevage est devenu un problème sinon avant, nous n’avions aucun problème. Nous avions de l’espace, beaucoup d’animaux et du lait qu’on vendait. Mais maintenant tout cela n’est plus possible. Nous avons perdu environ 20 bœufs car il y a un manque d’eau et d’espace réel127 ».

127 Extrait de l’entretien individuel avec le président de l’association des éleveurs de Manantali, réalisé en mai 2014 256 | P a g e

Le problème d’espaces de transhumance est aggravé par les nombreux feux de brousse enclenchés par les agriculteurs lors du désherbage de leurs terrains. Les animaux n’ont alors plus assez à manger. Cette perte est dénoncée par le chef de village de Goumbalan et ses conseillers : « Dans l’ancien site, on avait des bœufs, des moutons et beaucoup de champs. On nous a déplacés vers l’aval et depuis que l’on est là on a perdu toutes nos richesses. Par exemple moi, j’avais 80 têtes dans mon troupeau et tous les villageois avaient des animaux. Maintenant, je n’ai même pas 10 animaux » (extrait, entretien collectif dans le village de Goumbalan, mai 2014). Or, normalement au Mali, les feux de brousse sont réglementés. Il y a une période bien précise pour mettre le feu aux champs. Pendant la saison sèche, quand les herbes sont très sèches, c’est strictement interdit. Sur ce point, les éleveurs reconnaissent que le barrage n’est pas le seul responsable de tous leurs problèmes actuels. Si les agriculteurs ne créaient pas des feux de brousse, les animaux pourraient rester dans les villages environnants. Ils se sentent toutefois menacés par ces pratiques qui tuent leur bétail et s’inquiètent d’enregistrer encore plus de pertes dans le futur à cause de la baisse de la pluviométrie. Face à ce problème de feux de brousse, les éleveurs déplorent le manque d’implication des agents des eaux et forêts qui devraient davantage s’intéresser à cette situation. 1. La longue transhumance : une solution ? Face à tous ces problèmes, la longue transhumance est considérée comme la solution principale. La personne rencontrée m’a signifiée que les animaux sont généralement envoyés dans la brousse « car on ne peut pas les nourrir à la maison ». Autrement dit, le renvoi des animaux dans la brousse, derrière le fleuve, à plus 60 km de Manantali et jusqu’à la frontière guinéenne au sud, a été l’une des principales stratégies choisies pour éviter ces problèmes. À la fin de la saison des pluies, les animaux font la transhumance, puis ils sont ramenés en saison sèche pour éviter des conflits avec les agriculteurs. Cette stratégie est aussi confrontée à des difficultés de pâturage dans les zones de destination. Les forêts traversées par les animaux font parties de la réserve du Bafing. Les bergers n’ont donc pas le droit de couper d’arbre sous peine de devoir payer des taxes aux eaux et forêts. En cas de délit, les éleveurs essaient de marchander le prix de l’amende avec les agents afin de payer le moins cher possible.

257 | P a g e

Une autre solution a consisté à développer le commerce des animaux. Les éleveurs de Manantali ont construit un entrepôt « daral » pour les animaux à vendre. En 2014, cet entrepôt était en construction à côté de la cité des cadres. Le but est que cet endroit devienne un lieu de rencontre de tous les transhumants, Mauritaniens, Sénégalais et Maliens pour faciliter et organiser la commercialisation des animaux. La zone de Manantali est en effet une zone de passage importante pour les éleveurs transhumants du Mali et des pays voisins. Les transhumants qui viennent de Nioro, de Kayes, de Diéma et de Bafoulabé causeraient plus de dégâts dans les champs que les éleveurs de Manantali d’après leur président. Ils arrivent dans les villages environnants du barrage à la fin d’octobre alors que les récoltes ne sont pas encore faites. Ils passeraient de manière clandestine, en laissant les animaux vaquer dans les champs d’arachide des villages. À cause d’eux, les paysans qui avaient prévu de gagner au moins 40 sacs de 100 kg se retrouvent avec moins, et rejettent souvent la faute sur tous les éleveurs sans faire de différence. Alors que les transhumants étrangers sont déjà repartis sans rien dire, les paysans tombent sur leurs champs complètement détruits le lendemain. Selon le chef de village de Maréna et ses conseillers, ils ne peuvent simplement rien contre ces transhumants qui causent plus de dégâts car :

« ils ont eu des autorisations auprès des eaux et forêts pour transhumer. En passant par nos villages, ils se dirigent vers la forêt classée. Au retour, ils repassent par Manantali. Il existe un autre chemin pour aller vers la Guinée, sans passer par Manantali, en allant derrière le fleuve mais ils refusent de le prendre. Certes, avant le barrage, cette transhumance existait déjà, mais avec la baisse de la pluviométrie, ils sont chaque année de plus en plus nombreux à fuir la sécheresse du nord. Avant nous ne sentions pas les dégâts car ils étaient moins nombreux. Mais aussi on avait assez d’espace de culture, on était libre, il n’y avait pas de forêt classée128 ». Le prix du sac de tourteau devient également un handicap pour les éleveurs les plus pauvres, car il est passé de 4000 à 10 000 FCFA selon le responsable de la coopérative. La subvention du sac de tourteau par l’OMVS a été souhaitée pour le développement de l’élevage. Avec cette subvention des sacs de tourteaux, les éleveurs acceptent parfois de prendre le risque de vendre trois ou quatre de leurs animaux. Avec cet argent et la subvention, il sera possible de nourrir pendant toute la saison des pluies les autres animaux. « Mais en attendant, nous allons continuer à couper les arbres

128 Extrait de l’entretien collectif dans le village de Maréna, réalisé en mai 2014. 258 | P a g e pour nos animaux » (extrait, entretien avec le président de l’association des éleveurs de Manantali, mai 2014).

1.1. L’exportation du bétail de la région vers les pays voisins du Mali Selon les informations lors d’un entretien avec le président de l’union régionale des éleveurs de Kayes, de nombreux éleveurs deviennent plus des commerçants de bœuf et de mouton. Cette union des éleveurs de Kayes est composée par plusieurs coopératives, et a plusieurs bureaux régionaux et locaux. Normalement tous les cercles ont une coopérative selon le président de l’union des éleveurs. Les membres des coopératives cotisent et achètent du matériel, des aliments, du bétail. La direction régionale de l’élevage s’occupe de la santé animale. Elle a privatisé le secteur de l’élevage. Si la principale mission de l’union est de s’occuper de l’exportation, elle travaille aussi avec les syndicats des éleveurs, des marchands de bétails et des bouchers.

Le problème d’accès aux points d’eau constitue le souci majeur des éleveurs de la région de Kayes. On peut noter que l’union, dans son rôle fédérateur, a fait un effort de recensement de tous les endroits herbeux en abondance pour y creuser des puits. Pour les aider, j’ai appris que certaines ONG et services régionaux de l’état malien ont essayé de leur construire des puits, qui seraient apparemment très mal bâtis.

En se focalisant sur la santé des animaux, on apprend que les éleveurs ont du mal à respecter les vaccinations. Sur ce plan, des critiques sont émises à l’encontre des gestionnaires du barrage. Selon le président de l’union, le barrage a plus favorisé le développement de l’agriculture au détriment de l’élevage. Il affirme ainsi :

« on se demande s’ils ont pensé à l’élevage en faisant le barrage. Ils parlent tout le temps de l’agriculture et toutes les aides ou presque sont pour l’agriculture. Ils ont subventionné l’engrais. Ils oublient que l’élevage est aussi très important, l’aliment bétail n’a jamais été subventionné. Mais nous pouvons reconnaître que l’eau du barrage de Manantali a permis d’avoir plus de zones d’abreuvement et a permis le développement de l’agriculture129». Le souhait de voir subventionner les tourteaux revient une nouvelle fois à l’échelle régionale. Entre août et décembre, l’aliment bétail est moins cher. Cette

129 Extrait de l’entretien avec le président de l’union régionale des éleveurs de Kayes, réalisé en mai 2014. 259 | P a g e subvention permettrait d’avoir des aliments pour le bétail à prix raisonnable. Pour le moment, une des idées développée par certaines coopératives de l’union est la formation des populations à la transformation et la conservation des pailles pour nourrir les animaux.

Comme souligné dans les lignes précédentes, la principale mission de l’union est d’organiser l’exportation du bétail dans les régions du Mali et particulièrement vers les pays voisins. La principale destination des animaux de la région de Kayes est le Sénégal (Dakar), et ce trafic ne cesse d’augmenter d’après le président. Les Guinéens viennent de surcroît depuis 2012 avec leurs camions pour acheter des animaux de la région.

Pour organiser le commerce du bétail, l’union a eu l’idée de construire des parcs d’embarquement. Les éleveurs vont voir le maire, qui leur alloue une partie de son territoire pour cette construction. Grâce aux parcs d’embarquement, tous les éleveurs ont la possibilité d’y amener, jusqu’au jour de départ des camions, leurs animaux à vendre à Dakar ou en Guinée. Les parcs d’embarquement existent de plus en plus à Kayes. Ils offrent même du travail à de nombreuses personnes à chaque étape de l’exportation. Le propriétaire des animaux paie tous les travailleurs. Les personnes qui sont chargées de mettre la paille dans le camion sont payées entre 7000 et 13 000 FCFA par camion. Celles qui s’occupent de regrouper les animaux et d’encadrer leur chargement dans les camions reçoivent 2000 FCFA par camion. Troisièmement, les personnes qui voyagent à côté des animaux pour les surveiller jusqu’à Dakar sont rémunérées 30 000 FCFA par personne, en plus de leur assurer le transport de retour vers Kayes. Puis, les personnes qui contactent les camionneurs appelées les « chargeurs » ont droit à 10% de la somme des ventes. Enfin, la coopérative obtient 5000 FCFA pour chaque camion chargé dans son parc d’embarquement, mais cette somme est aussi payée par le propriétaire des animaux. Une fois à Dakar, il faut payer le « daral » à 10 500 FCFA et 50 FCFA par tête d’animaux pour qu’ils puissent s’abreuver. Au total, le prix moyen d’un voyage Kayes-Dakar est estimé entre 300 et 400 000 FCFA pendant les périodes de fêtes contre 150 000 FCFA en temps normal. Si auparavant les camions partaient presque vides vers le Sénégal, depuis l’installation des parcs, ils sont remplis au départ et reviennent avec des marchandises.

260 | P a g e

Les coûts de l’exportation des animaux vers Dakar et le nombre de personnes qui y travaillent montrent l’importance de ce réseau de commerce à Kayes. Face au déficit pluviométrique et aux problèmes de transhumance, une nouvelle tendance nous a été expliqué par le président de l’union.

« Notre projet est d’acheter des bœufs, on les nourrit 2 mois et on les revend à Dakar. Pour un bœuf acheté à 300 000 FCFA, on peut le revendre entre 450 000 et 500 000 FCFA. Ce secteur est plus rentable que d’élever au quotidien les animaux. Avant on aimait nos animaux et on les gardait. Face à la grande mortalité des animaux, on a décidé d’encourager à vendre » (Idem.). Dans la plupart des cas, ces animaux engraissés à Kayes proviennent de la Mauritanie avant d’être revendus à Dakar. « Parfois, les Mauritaniens achètent nos animaux sur le chemin de leur retour » (Idem.). Les Mauritaniens peuvent aller directement au Sénégal mais ceux qui sont proches de Kayes préfèrent la route de Kayes.

Des reconstitutions sont observées dans l’agriculture et dans l’élevage. Il s’agira dans les dernières lignes de ce chapitre d’étudier le processus de développement d’une pêche professionnelle dans les campements. Comment des pêcheurs allochtones profitent-ils de la présence du lac du barrage pour introduire dans la zone du Bafing une pêche professionnelle qui attire les autochtones?

III. LA PECHE : PREMIERE ACTIVITE ECONOMIQUE EN AMONT PROCHE Dès la création du réservoir de Manantali en 1987, l’immigration vers cette partie du bassin a commencé. Elle s’est traduite par une prolifération de campements construits par des pêcheurs et leurs familles. Leur installation a provoqué le développement de l’activité économique de la pêche dans la zone étudiée. L’étude des mécanismes de pêche concernent essentiellement la dynamique des campements et du nombre de pêcheurs; les techniques et les outils de pêche, les effets sur l’environnement et les raisons de modifications des méthodes dans le temps.

261 | P a g e

1. Le nombre de pêcheurs en amont ? Selon la figure 34, il y a 487 pêcheurs en amont du barrage de Manantali en 2013. Estimé à 404 en 1989, le nombre a connu des périodes de baisse, notamment en 1990 (190), de 1995 (269) à 1998 (296) et enfin de 2007 (423) à 2009 (412). Même si ces derniers chiffres sont importants ils restent inférieurs à ceux des périodes où nous constatons les maximums. Il s’agit de 1989 (404), 2006 (512) et 2012 (530).

Figure 34: nombre de pêcheurs en amont

En 2013, les 26 campements en amont du barrage de Manantali sont : Bakaina, Dembakourou130, Burkina131, M'Baba, N'Kéba132, N'goungny n°2, N'goungny n°1, Goungoudala, Diamnaty, Koua Dokodoko133, Samai Ladji, Balamine, Kambou134, Dounkankono, Némabougou135, Kérouané136,Salégoun, Mama, Friya, Friyakoro,

130 Le campement de Dembakourou est très difficile d’accès à cause des arbres dans le lac. Avant d’arriver au campement qui se trouve au pied d’une colline, il faut marcher plus de 700 m et ceci pendant le mois d’août car le niveau de l’eau est encore bas. 131 Le nom de Burkina a été choisi par des jeunes Maliens qui soutenaient la cause de Thomas Sankara. 132 Le campement de N’Kéba est situé sur une colline. Il faut monter la pente pour atteindre les maisons en hauteur. 133 Koua Dokodoko est un mot bambara qui signifie « les habitants de Koua ». Le nom est donné par des pêcheurs originaires du village de Koua dans l’arrondissement de Diéné. 134 Le campement de Kambou est divisé en trois petits campements à cause des problèmes d’espace de cultures et de pâturages. Certains de ses habitants se sont réinstallés de l’autre côté du lac. C’est une petite portion d’eau qui les sépare. 135 Némabougou signifie « case du bonheur» en bambara. Le campement est divisé en deux parties distantes d’au moins 200 m. 136 Kérouané n’est pas un campement mais un village malinké. Le mot signifie en malinké « le bonheur va me trouver ici ». Le village de Kérouané est de plus en plus habité par des pêcheurs. La cohabitation entre ces derniers et les Malinkés généralement agriculteurs se passe bien d’après les habitants. Certains jeunes Malinkés commencent même à faire de la pêche une activité secondaire. 262 | P a g e

Madinacoura, Koulounidjan137,Gonota, Niguikoro et Manantalidanga. Estimés à 26 dans les premières années de mise en eau du barrage, ils passent à 21 en 1991. En 1998, ils étaient 18 campements en amont. Le plus grand nombre, c’est-à-dire 26, est enregistré en 2013. L’évolution du nombre de pêcheurs a joué un rôle dans la multiplication des campements. Elle est aussi liée au fait que les jeunes pêcheurs cherchent à s’isoler pour faire leurs propres bénéfices et avoir plus de terres de cultures. Les campements grossis par les nouveaux arrivants se divisent en plusieurs petits campements du même nom ou de noms différents.

Les campements de pêche portent généralement le nom du fondateur, qui en est le premier chef. La majorité des familles est polygame. Le nombre de familles dans les campements est estimé à 158 en 1989, il est passé à 188 familles en 2012, et à 174 en 2013 (Figure 35). Les habitants sont majoritairement de confession musulmane.

Figure 35 : évolution du nombre de campements de pêche par année

Les campements de pêche sont classés sous trois types de statuts selon l’équipe de limnologie du Service Santé Sécurité Environnement (SSSE). Un campement est itinérant dès qu’il est créé et habité par des pêcheurs transhumants, ou voyageurs. Le campement devient temporaire à partir d’un an d’existence. Le statut de campement

137 Koulounidjan est un mot malinké qui signifie « la petite colline longue ». Le campement se situe au pied d’une colline. La distance entre le campement de Madinacoura et celui de Koulounidjan est de 791m (12 min de marche environ). 263 | P a g e permanent est acquis à partir de cinq ans d’existence. En fonction du niveau maximal de l’eau, mal connu au début, les habitants s’installent au bord ou loin du lac. « En Côte-d’Ivoire, le campement est une forme d’habitation précaire, le plus souvent provisoire liée à l’exploitation d’une ressource. Il est généralement construit avec du matériau trouvé sur place dans les périmètres du lieu de travail. Il sert de logement aux travailleurs pendant les périodes d’intenses activités. Les campements disparaissent dans la majorité des cas avec le déclin de l’activité qui a suscité leur création. Toutefois lorsque l’activité s’intensifie, se diversifie et attire la main-d’œuvre, l’afflux des populations le hisse au rang de village centre. Si la migration ne faiblit pas, des services publics s’installent et petit à petit la localité évolue et finit par prendre le statut de centre urbain » (ANOH, 2007).

J’ai constaté qu’en 2013, les campements itinérants étaient plus rares. Il s’agissait seulement de Gof Séléké, et de Madina N'di. Les campements temporaires étaient : Gougoundala, Koua Dokodoko et Madinacoura. Tous les autres 21 campements permanents ont plus de 5 ans. Les plus vieux sont ceux de Manantali (34 ans), Némabougou, Kérouané, Salégoun, Bakaïna Daga, Burkina Daga, N'Gougny n°1 et Diamnaty. Ces derniers campements avaient 26 ans en 2013. Il est important de souligner que certains campements, localisés en 2012, ont disparu tandis que de nouveaux itinérants se sont très vite installés. 2. Une pêche professionnelle émergente ? La pêche est la principale activité économique dans les campements autour du lac de Manantali. K. P Anoh (2007) explique le rôle important des lacs de barrages hydroélectriques dans la production aquatique en Côte-d’Ivoire : « Ces lacs sont par ordre d’importance Kossou, Buyo, Ayamé I et II et Taabo. En plus de la fonction principale de production d’énergie électrique, les étendues d’eau servent à la pratique de la pêche. Les couloirs de pêche aménagés avant la mise en eau des lacs sont les plus fréquentés. Cependant profitant de la baisse périodique et saisonnière des eaux, certains pêcheurs ont aménagé et délimité des territoires de pêche propres à eux. Ils y emploient le plus souvent les engins de pêche collective » (ANOH, 2007).

264 | P a g e

Cette activité s’est développée grâce à l’implantation du barrage mais aussi par ce qu’elle est pratiquée par des habitants dont l’histoire, la culture y sont liées. J. Gallais parlait déjà du mouvement des pêcheurs professionnels en 1967. Il écrit alors : « Il faut décrire ce second volet des rythmes saisonniers du Delta, 70 000 pêcheurs bozos et somonos les suivent ou en dépendent. […] La partition de nombreux domaines hydrographiques a obligé les Bozos à élargir leur domaine de nomadisme. Se déplaçant davantage, ils ont pu chercher, et trouver, les régions éloignées les plus favorables. Les Bozos se sont souvent mis à l'école de ces concurrents étrangers et leurs techniques se sont enrichies et diversifiées » (GALLAIS, 1967).

L’histoire des campements de pêche en amont a commencé après la mise en eau du barrage en 1987. Les Bozos et les Somonos constituent généralement les nouveaux venus qui s’installent autour du lac. Ce sont des pêcheurs de père en fils, mais de manière très différente néanmoins. Ils vivent généralement dans la partie centrale du Mali à Ségou, Mopti. Ces ethnies définissent la pêche comme une identité. L’histoire de ces pêcheurs professionnels m’a été racontée par un chef du campement de Samailadji lors de mes enquêtes en 2012. Il disait :

« L’histoire de pirogues utilisées par les Bozos vient de Nabila Nouhou, notre ancêtre. Il pêchait à la main et attrapait beaucoup de poissons. Les Bozos et les Somonos vivent toujours à côté de l’eau même dans les grandes villes. Ils sont très conservateurs de la tradition. Par exemple les Bozos se marient entre eux, les Somonos aussi. Mais cette tradition est en train de se perdre sous l’effet du modernisme apporté par le barrage. La célébration du mariage bozo pouvait durer une semaine entière, contre trois jours pour celui des Somonos. Après la fête, le jeune couple marié n’avait pas le droit de sortir dans la cour, ni de travailler. Le divorce était mot inconnu de notre culture. Malheureusement, à cause des nouveautés apportées par le barrage (écoles, routes, télévisions) et la modernité, les choses ont changé. Les jeunes n’ont plus le temps et les enfants ne respectent plus la tradition. […] Les jeunes doivent revenir à la tradition et pêcher comme les ancêtres138 ». Une autre transformation de la culture bozo qui semble également perturber le chef est le changement de l’outil du travail de pêche. En effet, il ajoute que « les filets de pêche qui étaient faits à la main, sont maintenant fabriqués par des machines et de plus en plus achetés dans les villes » (idem). Cette inquiétude est liée au fait que les pêcheurs, soit par manque de temps, soit par facilité ou tout simplement pour s’adapter à la taille, aux types, et aux zones de pêche, décident d’acheter des filets et de retravailler les mailles.

138 Extrait, enquête auprès des habitants des campements, réalisée pendant l’été 2012. 265 | P a g e

En quoi l’installation des pêcheurs professionnels accélère-t-elle cette activité? Comment se déroule la pêche (techniques, outils, zones) dans le lac ? Pour essayer de répondre à ces questions, je focaliserai l’analyse en amont du barrage. Ce choix est lié à la disponibilité de données sur les outils de pêche de cette zone, la concentration de campements seulement dans cette partie du bassin à cause du barrage, et à la relation d’échanges d’informations qui existait déjà entre les pêcheurs et le service où je faisais mon stage.

3.1. Les techniques et les outils de pêche à Manantali ? J. Gallais (1967) a montré l’importance du rythme génétique des poissons du delta du Niger pour l’organisation de la pêche. Il affirme que la densité de poissons à l’étiage, en hautes eaux, ou en mares peut conduire à des techniques de pêche différentes. « À l'étiage, la densité du poisson est si grande qu'un moteur de pirogue suffit pour réussir une pêche. Les poissons effrayés sautent de l'eau et on recueille plusieurs pièces de belle taille au fond de l'embarcation » (GALLAIS, 1967). Il ajoute que ce rythme biologique détermine une exploitation mobile qui se traduit par des territoires de collectivités de pêcheurs. Il s’agit de pêcheurs qui s’approprient et développent un mode d’utilisation d’un domaine hydrologique. L’auteur parle des Bozos comme « une collectivité tribale ou un simple lignage patriarcal, le Kayama ». Il souligne que les Bozos se donnent le droit d’exploitation exclusif dans les régions où ils sont installés. Une distinction est faite entre l’espace de pêche des Somonos, « Les Somonos reçurent la maîtrise des eaux des fleuves dont ils habitent les rives », et celui des Bozos qui, « demeurés sur leur ancien domaine hydrographique, sont réduits à la maîtrise des mares et marigots, mais conservent les charges religieuses pour l'ensemble » (Ibid.).

Dans le cadre de cette recherche, j’ai remarqué que pour vivre dans les campements, les pêcheurs et leurs familles descendaient plusieurs fois par jours sur le lac. Sur chaque bord de lac, où se situe au moins un campement, se trouvent des pirogues sans moteurs appelées plus couramment des « pinasses » par les habitants, et parfois des pirogues motorisées (Photo 13).

266 | P a g e

Photo 13 : pêche avec une pinasse traditionnelle, (réalisation, C. Cissé)

La pinasse est l’outil principal de pêche pour les hommes qui se déplacent dans le lac. Elle comporte le filet et les autres outils de pêche que nous verrons dans les prochaines lignes. Les pêcheurs restent assis dans la pinasse durant l’activité de pêche, mais il arrive aussi qu’ils pêchent à la nage près des berges.

Les pirogues motorisées, généralement plus grandes et plus hautes, aident au transport des personnes, et ont souvent un vieux réfrigérateur à bord (Photo 14). À Manantali son nombre a très vite évolué depuis 1988. Si dans les premières années du barrage, les pêcheurs travaillaient avec une pinasse, de plus en plus, elles sont remplacées par des pirogues motorisées construites sur place.

Photo 14 : pirogue motorisée contenant de vieux réfrigérateurs, (réalisation, C. Cissé)

267 | P a g e

Sur le graphique 36 ci-dessous, le plus grand nombre de pirogues enregistrées dans le lac depuis 1989 est estimé à 268. Ce dernier chiffre est enregistré en 2006, et en comprend 29 motorisées. Parmi les 266 pinasses de 2011, 56 sont motorisées. Une période de baisse du nombre total de pirogues est notée entre 1994 (185 pirogues) et 1998 (148). 1996 est l’année qui a enregistré le nombre le plus bas, en l’occurrence 134 pinasses.

300

250

200

150

100

50

0

1998 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 2003 2004 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Pirogues non motorisés Pirogues motorisés

Figure 36 : évolution du nombre de pirogues en amont

En 2013, il y a dans le lac de Manantali 155 pirogues non motorisées et 103 pirogues motorisées. L’année 2003 correspond au début du fonctionnement de la centrale hydroélectrique. À partir de cette date, les pêcheurs ont eu la possibilité d’acheter de la glace dans le village de Manantali aval et de conserver plus de poissons dans des vieux réfrigérateurs installés désormais dans les pirogues. L’accès à cette glace a réduit les pertes de poissons et permis une croissance des ventes de poissons frais. Les pêcheurs qui ont vu leurs revenus augmenter ont ensuite acheté des moteurs pour pouvoir aller plus loin et plus vite dans le lac. Dans la majorité des cas, les pêcheurs utilisent les filets maillants dormants comme principale technique de pêche (Photo 15). Le nombre de filets de pêche a augmenté dans la période de 2006 (1865 filets) à 2013 (1601). La technique du filet dormant consiste à poser les filets dans la journée depuis la pinasse. Ces filets passent la nuit dans l’eau et sont récupérés le

268 | P a g e lendemain matin. Auparavant, il avait connu une baisse à partir de 1995 (615 filets) et 1997 (685 filets) alors qu’en 1991 il y avait 979 filets recensés. D’après les pêcheurs, c’est parce que les poissons se font plus rares ou qu’ils sont de plus en plus dans les zones profondes.

Photo 15: un pêcheur qui retravaille les mailles de son filet.

« Avec deux filets on nourrissait nos familles. Maintenant il faut aller dans les zones profondes jusqu’à 20 m avec 5 filets pour espérer avoir le même nombre. Le filet est le meilleur outil pour attraper beaucoup de poissons. Au début il était utilisé par peu de pêcheurs car il coûtait cher. Maintenant tous les pêcheurs qui ont les moyens s’en procurent. On peut avoir les hameçons pour 10 000 à 15 000 FCFA. Or, pour 90 m (cent yards) de filet « multi- filaments», il faut entre 50 000 et 100 000 FCFA environ. La coopérative des pêcheurs vend les cent yards à 10 250 FCFA mais au marché, il coûte 12 500 FCFA environ. Nous achetons les filets et après on reprend les mailles, en plus petit ou plus grand en fonction de la pêche que nous voulons faire. Les filets à 4 doigts de mailles attrapent plus de poissons moyens. Les filets de 6 doigts peuvent attraper de gros poissons, par exemple une carpe de 1kg500139 » affirme un pêcheur des campements. Le tableau 6 indique ce maillage utilisé par campements. Les poissons se sont peut-être adaptés à leur environnement lacustre, ou peut-être sont-ils surexploités avec ce nouveau développement de la pêche. Tableau 6: le maillage des filets de pêche Noms de campements Maillage (doigts) Noms de campements Maillage (doigts)

Bakaina Daga 1,5 à 5 Kambou Dangan 3 à 6

Dembakourou 1,5 à 6 Doukankono 1,5 à 7

Burkina Daga 1,5 à 10 Némabougou 3 à 5

M'Baba Daga 3 à 7 Kérouané 2,5 à 5

Kéba Daga 2 à 7 Madina N'di 4 à 6

N'Gougny N°1 2,5 à 6 Maman Daga 3,5 à 6

Gougoundala 2 à 3 Friya Dangan 2 à 4

139 Extrait, enquête auprès des habitants des campements, réalisée pendant l’été2012. 269 | P a g e

Diamnaty 1,25 à 9 Friyakoro 2,5 à 4

Koua Dokodoko 1,5 à 4,5 Madinacoura 1,5 à 4

Samaï Ladji Daga 2 à 5 Koulounidjan 1,5 à 3

Balamine Daga 2,5 à 6 Gof Séléké 3 à 6

Source : données Service Sécurité Santé Environnement _Limnologie_ 2014.

Comme l’a souligné le chef de campement, les filets sont encore construits par les pêcheurs eux-mêmes. Cela tend à disparaître, car ils utilisent de plus en plus de filets achetés à Bamako, à Kita ou à Kayes. La conception ou l’achat du filet varie en fonction du type de poissons qu’ils souhaitent attraper, et de son prix.

On remarque sur la planche figure 1 que les hameçons, les sennes, les harpons, les golfs, les nasses et les éperviers sont des outils complémentaires aux filets précités. Alors que les chiffres pour les filets et les pinasses existent depuis 1989, le recensement du nombre d’hameçons n’a commencé qu’en 1994 (23 663 hameçons).

La figure du nombre d’hameçons est composée de quatre périodes. La première période est de 1994 à 1998, où le nombre ne dépasse pas les 21 000. À la reprise du suivi en 2003, il y avait 57 073 hameçons. Il y a eu une augmentation ces dernières années (depuis 2011 : 135 430) après une baisse autour de 2007 (20 495).

Le recensement du nombre de sennes permet d’avoir des données observables entre 2003 et 2013. Le nombre de sennes utilisées a crû de 2003 à 2010. Cependant il recule en 2011. Une remontée de la courbe commence en 2012.

Filets Hameçons

2000 200000

1500 150000 100000 1000 50000

500 0

Nombre Filets Nombre de

Nombre Hameçons Nombre

1989 1991 1993 1995 1997 2003 2006 2008 2010 2012 Années Années

270 | P a g e

Nombre Sennes Nombre Harpons

30 15

20 10

10 5 0

0

Nombre Nombre Harpons

Nombre de Sennes de Nombre

2003 2004 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2003 2004 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Années Années

Nbre Golf Nbre Nasses

10 6000 8 4000 6 4 2000 2

0

2003 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

0 2004

Nombre de Golf de Nombre

Nombre de Nasses de Nombre

2012 2003 2004 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2013 Années Années

Nombre Eperviers

200 150 100 153 50 110 106 102 72 69 89 91 97 84

0

2008 2011 2003 2004 2006 2007 2009 2010 2012 2013 NOMBRE EPERVIERS NOMBRE

ANNÉES

Planche figures 1 : évolution du nombre des différents outils de pêche

Les années qui ont enregistré la plus grande utilisation du nombre de harpons sont 2003 (5), 2006 (6), 2009 (8) et 2012 (12). Les données sont faibles dans les années intermédiaires.

La courbe de l’utilisation des golfs est contraire à celles des outils précédents. En effet, les golfs étaient plus utilisés dans les années 2003-2004 (8 Golfs). En 2013 une tendance à l’augmentation est déclenchée après une phase de baisse. D’après mes enquêtes, les hommes sont ceux qui utilisent principalement ces outils.

271 | P a g e

« Notre système de pêche est efficace. Nous utilisons une pirogue motorisée et on met le filet plusieurs heures dans l’eau pendant la nuit. À un certain moment on commence à taper sur l’eau et les poissons effrayés tombent dans le piège. En une nuit on peut reproduire le même système sur cinq à dix sites de pêche au niveau du lac en amont140 ». Dans leur activité de pêche occasionnelle, les femmes travaillent avec des nasses. Elles posent les paniers de pêche ou nasses le soir et à l’aube (Planche photos 13). Dès l’aube, elles passent récupérer les nasses dans l’eau et les posent une nouvelle fois après avoir sorti les poissons pris. La pinasse est plus rarement utilisée par une femme seule. Avec une nasse, les femmes mettent des boules de mil pour attirer les poissons. L’avantage de cette technique est que la pose est facile. Les femmes préfèrent les installer dans des endroits calmes entre les rochers dans le lac. Elles sont de moins en moins utilisées depuis 2012. À l’image des golfs et des nasses, le nombre d’éperviers est passé de 153 en 2003 à 102 en 2013.

L’analyse des outils, a montré que ces dernières années, ils sont très adaptés aux différentes saisons et aux lieux de pêche. L’augmentation de l’intérêt porté à cette nouvelle activité en progression a conduit à l’utilisation d’une diversité de techniques de pêche. Par exemple, depuis 2009, d’autres outils sont recensés. Il s’agit des palangres appâtés (PLA), et des palangres non appâtés (PLNA). Les données concernant les PLA sont : 154 en 2009, 153 en 2010, 128 en 2011, 149 en 2012. Les PLNA sont estimés à 63 en 2009, 69 en 2010, 111 en 2011 et 33 en 2012.

140 Extrait de l’entretien individuel avec un pêcheur du village de Manantali, réalisé en juin 2014. 272 | P a g e

Planche Photos 13 : outils de pêche des femmes, (réalisation, C. Cissé)

J’ai remarqué que la mise en eau du barrage et la création du lac ont encouragé les habitants des campements dans le développement du secteur de la pêche. Avant le barrage, cette activité était loin derrière l’agriculture et l’élevage dans les villages installés dans cette zone. Cet espace est devenu une zone de pêche en croissance qui attire de plus en plus d’habitants des villages riverains autochtones. Toutefois, l’accélération du nombre de nouveaux campements a augmenté la pression sur les zones de pêche, la quantité des prises et la diversification des techniques. Les pêcheurs sont conscients des effets qu’ils ont sur le lac.

« Nous pensons que la technique de pêche du tapage sur l’eau et les sennes (gros filets) de rivages qui consistent à tirer les poissons jusque sur les berges dégradent plus l’environnement du lac. Pour la première, le risque est la fuite des poissons, effrayés ils vont ailleurs, alors une semaine après on ne peut rien avoir sur une même zone. La coopérative des pêcheurs voulait interdire ce mode de pêche mais il y a eu des cas de conflits, et elle n’a finalement pas pu atteindre son objectif. On a plus de poissons avec cette technique, mais on est conscient qu’elle est dangereuse pour l’environnement lacustre. Chacun pêche comme il veut et où il veut sauf pendant les périodes de pêche des sennes de rivages. Pour ce type de pêche, il faut d’abord nettoyer le milieu et s’assurer qu’il n’y a pas d’arbres pendant les basses

273 | P a g e eaux. Le pêcheur ou son groupe qui souhaite faire ce type de pêche, prévient la coopérative, et elle informe les autres pêcheurs de ne pas toucher à la zone visée. La senne de rivage nécessite de gros filets et de grandes cordes spéciales » (Idem.). J’ai aussi interrogé mon interlocuteur, un des rares pêcheurs de l’aval, sur la manière dont ils s’organisent en fonction des horaires fixés par les exploitants du barrage par mesure de sécurité depuis la crise au Mali, et ils répondent ainsi :

« Nous avons un problème à cause des horaires du barrage. Des heures strictes de pêche sont fixées depuis le problème des djihadistes au Mali. La sécurité du barrage est renforcée. Les gendarmes interdisent de partir à la pêche avant 6 h, et il faut impérativement remonter avant 18 h, sinon il faut dormir dans les campements. Alors que notre moteur peut tomber en panne. On a en réalité besoin de plus de temps. Par exemple si nous partons à 6h du matin, le temps de poser nos filets et de récupérer nos poissons, il est presque 10h. Les femmes du marché ont déjà vendu leurs poissons, il n’y a plus de clients(es) pour nous. Nous sommes obligés de donner les poissons aux commerçants qui partent dans les zones d’orpaillage de Kéniéba » (Idem.). Avant cette nouvelle réglementation les pêcheurs de l’aval pouvaient partir à n’importe quelle heure sur le lac. Les lignes suivantes tentent de revenir sur l’importance de la quantité des poissons attrapés.

CONCLUSION CHAPITRE V En définitive, ce chapitre a exposé les changements introduits dans les activités économiques par le barrage. Les informations découlant des enquêtes auprès des habitants ont permis de voir les perturbations de l’agriculture. Les tentatives de développer l’irrigation ont enregistré des échecs car les habitants se sentent incompris. Les agents de l’ADRS continuent les campagnes de sensibilisation sur les potentiels agricoles des villages environnants du barrage. Cependant, la tendance dans les villages semble être le départ vers les zones minières qui attirent de plus en plus de populations, qui investissent dans la construction de maisons en dur. De l’autre côté, les cadres du barrage et autres fonctionnaires qui sont venus travailler au barrage manifestent un intérêt plus marqué pour les parcelles des périmètres irrigués. L’obtention du titre de paysan pilote par un travailleur de la société d’exploitation montre les bénéfices obtenus par ce dernier, qui emploie malgré cela les autochtones agriculteurs de la zone rémunérés à la journée. L’agriculture reste l’activité principale, nonobstant toutes ces difficultés, dans la majorité des villages en aval.

274 | P a g e

Les problèmes du secteur de l’élevage dévoilent qu’il a été moins accompagné que l’agriculture. Toutefois, les éleveurs ont développé des stratégies. En premier lieu, les animaux sont de plus en plus envoyés vers les zones les plus pluvieuses dans la frontière guinéenne. À l’échelle de la région de Kayes, les entretiens ont montré que les éleveurs préfèrent, de nos jours, acheter des moutons et des bœufs pour les revendre au Sénégal. La vente des productions locales se solde généralement par des achats de produits de première nécessité ou de matériel de travail pour les courriers et/ou pêcheurs sur le lac.

En amont, l’activité principale des habitants des campements est la pêche. Après l’analyse de la dynamique des campements et les différentes techniques de pêche, je chercherai à montrer dans le chapitre 6 l’évolution des quantités de poissons pêchés dans le lac. Il s’agira surtout de présenter la zone de chalandise des ventes de poissons et de produits agricoles qui s’étend sur trois échelles territoriales.

275 | P a g e

CHAPITRE VI

QUANTITES DE POISSONS PECHES ET ZONE DE CHALANDISE DES VENTES DES PRODUCTIONS LOCALES

276 | P a g e

Après la mise en eau du barrage de Manantali, son lac est devenu une ressource en eau pour la production d’énergie, les besoins des habitants, mais surtout une réserve de poissons avec un riche peuplement piscicole. Le lac a favorisé une rupture avec l’ancienne image de la pêche locale, qui est désormais une activité principale, comme l’agriculture et l’élevage en aval.

Ce chapitre 6 explique les évolutions des quantités de poissons pêchés dans le lac et les lieux de commercialisation des productions locales. Comment évolue la quantité des poissons pêchés dans le lac de Manantali depuis 1988 ? En quoi l’accès à l’électricité dans le village de Manantali va-t-il changer les catégories de poissons vendus ? Je commencerai par présenter des éléments de réponses à ces questions. J’étudierai ensuite les lieux de commercialisation des poissons et des produits agricoles de la zone riveraine du barrage. Pour connaître ces lieux, j’ai posé la question aux habitants lors de mes enquêtes. Il ressort de l’analyse de leurs réponses, depuis l’implantation du barrage, une accélération des échanges commerciaux entre les villages lors des marchés hebdomadaires dans la zone de Manantali. L’autre aspect important est la commercialisation des produits locaux dans les marchés des villes de Kayes et vers la capitale du pays.

I. QUANTITE IMPORTANTE DE POISSONS PRISE DANS LE LAC La quantité de poissons prise dans le lac est recensée par la section limnologique de la société d’exploitation (pour le compte de l’OMVS) et par le représentant du service de la pêche dans la commune de Bamafélé (pour le compte du ministère de la pêche du Mali). J’utilise dans mes analyses les données qu’ils ont enregistrées au niveau du débarcadère de Manantali et/ou au marché de Manantali (une fois par semaine). Le choix d’étudier cette quantité de poissons débarquée à Manantali est lié à une volonté de savoir le poids de la pêche de Manantali, et de voir l’évolution de la quantité de produits par catégories. C’est dans ce contexte que j’ai choisi de ne prendre que les années qui ont des informations complètes de janvier à décembre.

277 | P a g e

1. Des milliers de kilogrammes de poissons La pêche dans le lac de Manantali a produit des milliers de kilogrammes de poissons (Figure 37). Ils sont estimés en 2011 à 743 165 kg. Dans les premières années du barrage, la production était plus élevée avec une petite exception pour l’année 1990 (601 188).

Total poissons frais en Kg KILOGRAMMES 1100000 1000000 900000 800000 700000 600000 500000 400000 300000 200000

100000

1991 2000 1989 1990 1992 1993 1994 1995 1996 1997 2006 2007 2008 2009 2010 2011

ANNÉES

Figure 37 : production de poisson frais entre 1988 et 2011.

Les chiffres de 1989, 1991 et 1992 sont respectivement 676 983, 1 024 319, 870 238 kilogrammes de poissons frais pêchés. Cette période de croissance est suivie d’une phase de diminution de la quantité entre 1994 (465 521 kg) et 2008 (489 577 kg). Ces deux années enregistrent même les plus petites quantités. La courbe connaît une montée pour 2009 et 2010. « Si la pêche est bonne nous pouvons avoir jusqu’à 120 kg de poissons ou plus, c’est-à-dire 150 000 FCFA par jour. Les mauvais jours, on a entre 10 et 20 kilos donc environ 10 000 et 50 000 FCFA141 ». La figure 37 met en exergue le total de poissons frais correspondant à la somme des quantités des trois catégories. C’est-à- dire les poissons frais, les poissons séchés et les poissons fumés. En 2007, K.P Anoh (2007) annonçait qu’en Côte-d’Ivoire « certains unités de pêche au filet ont trouvé dans l’usage de la glace un moyen inespéré de pêcher plus loin et plus longtemps sans risque d’avarie de la production. Pour ces pêcheurs l’usage de la glace permet de réaliser d’importantes économies car, désormais, le retour à la terre n’intervient pas sans avoir réalisé des prises importantes » (ANOH, 2007).

141 Extrait de l’entretien individuel avec un pêcheur du village de Manantali, réalisé en juin 2014 278 | P a g e

Le calcul de ce total s’est fait de la manière suivante : d’abord le total mensuel des poissons fumés et le total mensuel des poissons séchés sont convertis en frais. Ce mode de calcul m’a été communiqué par l’agent représentant l’OMVS à l’Eskom, et responsable du suivi limnologique dans les premières années du barrage. Il part de l’idée que les poissons séchés et les poissons fumés perdent leur poids après transformation. Dès lors, nous avons appliqué pour les données mensuelles de toutes les années de 1989 à 2012, la formule pour la conversion en équivalent frais suivante : Total poissons frais = poissons fumés x 3 + poissons séchés x 4. Les données du tableau 7 ci-dessous l’exemplifient.

Tableau 7 : exemple de résultat de conversion en équivalent poissons frais

MOIS Avant conversion (kg) Après conversion Equivalent frais (kg) FRAIS FUME SECHE TOTAL FUME SECHE TOTAL mars-89 1219,5 19826,5 899 21945 59479,5 3596 64295 avr-89 405,5 30572,5 1677,5 32655,5 91717,5 6710 98833 Source : Cissé, C., 2012.

700000 600000 500000 400000 300000 200000 100000

Nombrede poissons 0

1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 2000 2006 2007 2008 2009 2010 2011

Années

Poissons frais Poissons fumés Poissons séchés

Figure 38 : quantités vendues de poisson frais, fumés et séchés entre 1989 et 2011

La figure 38 montre une augmentation du nombre de poisson frais depuis 1989. La courbe des poissons séchés est moins importante. Contrairement à la situation des deux premières courbes, les pêcheurs débarquent et vendent de moins en moins de poisson fumé. Ca baisse a commencé en 1992 et s’est accélérée à partir de l’année 2003. Cette situation est liée à l’installation et au fonctionnement de la centrale qui a conduit à l’électrification de Manantali et de Bamafélé.

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La fréquence de sorties sur le lac par jour est de 30jours/30. C’est désormais possible pour les pêcheurs qui le souhaitent d’augmenter leur fréquence de sorties sur le lac et d’écouler le plus rapidement possible les poissons frais sans être obligés de les sécher ou de les fumer afin de les conserver le plus longtemps. « Dans ce secteur, la chefferie est partie prenante dans l’organisation et la gestion des plans d’eau. La détermination des jours de pêche et des règles et principes qui régissent l’exploitation des eaux incombent généralement à l’autorité traditionnelle » (ANOH, 2007). «Les quantités les plus importantes de poissons fumés sont commercialisées de janvier à mars alors que pour les poissons séchés c’est en janvier et février » (ADRS, 2011). Dans la partie amont du barrage, c’est une économie de pêche qui influe sur les revenus quotidiens familiaux des campements. La vente de poissons permet de répondre aux besoins quotidiens.

Encadré 9 : le développement de la pêche : organisation, lois, limites et projets

La direction régionale de la pêche est une nouvelle structure au Mali. C’était auparavant les eaux et forêts qui s’occupaient de la pêche. La direction a été créée en 2005. Elle dépend d’une direction nationale de la pêche qui est rattachée au ministère du développement rural du Mali, remplaçant du ministère de l’élevage et de la pêche. Le ministère du développement rural regroupe désormais la pêche, l’élevage et l’agriculture. Dans son organigramme, la direction est divisée et représentée par ce qu’on appelle des secteurs de pêche dans les cercles. Elle a démarré avec moins de 10 agents pour toute la région de Kayes. Ils sont 18 en 2014. Malgré ses efforts en 2014, la direction n’a des divisions que dans 4 cercles dont Kayes, Bafoulabé, Kita et Kéniéba. A Kayes ; il y a deux agents, contre trois à Bafoulabé, deux à Kita et deux dans le cercle de Kéniéba. Au niveau des communes, il existe des antennes de pêche. La pêche dans la région de Kayes est différente dans les cercles du nord et les cercles du sud. Les cercles du nord sont Nioro, Yélimané et Diéma. Ce sont des cercles qui n’ont pas de fleuve. Selon le directeur régional de la pêche, malheureusement, ce sont des gens qui aiment la pêche plus que ceux des autres cercles. Pour pallier au manque de fleuve, ils se contentent de la pêche dans les nombreux plans d’eau dont ils disposent (marigots et mares). Dans ces eaux se développent de nouvelles formes de pêche dans la région. « La tendance en 2014 au Mali est de développer la pisciculture pour pouvoir intégrer ces cercles qui n’ont pas de fleuve mais qui ont beaucoup d’eau de surface dans leurs communes. Dans ce contexte, la première mission de la direction régionale de la pêche est d’inventorier tous les plans d’eau de la région. Ces données n’existaient pas aux eaux et forêts dont le travail se limitait à protéger les zones de pêche » (extrait, entretien avec un directeur régional de la pêche à Kayes, mai 2014). Les missions de la direction sont donc de mettre en valeur les plans d’eau, d’encourager les personnes à venir pêcher, de développer la pisciculture, d’avoir le maximum d’information sur les pêcheurs. Certains pêcheurs se spécialisent dans une nouvelle forme de pisciculture, notamment au niveau de Manantali. Ils mettent des poissons dans une case flottante qui est ensuite déposée dans l’eau. Ils nourrissent les poissons dans la case pendant 6 mois, puis les vendent et les remplacent par des jeunes poissons. Les limites de ce type de pêche encore nouveau dans la zone est le niveau très élevé des risques de pertes et de conflit en cas de vols. De nos jours, les deux formes de pêche au Mali sont la pêche dans les cours d’eau naturelle et la pêche dans les plans d’eau. Cette activité n’avait auparavant pas le même poids que l’agriculture. « Pendant longtemps, seuls les intrants agricoles bénéficiaient de subvention de l’État ». Mais le nouveau gouvernement en place a décidé de subventionner également la pêche. À Kayes, la direction régionale met en œuvre la politique nationale de la pêche. C’est grâce à la pêche de Manantali que sa création a

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été vue comme une nécessité. « Parce qu’au départ il n’y avait que 2 directions régionales sur le territoire malien. La direction régionale de Mopti, et la direction régionale de Ségou. La direction de Kayes est la troisième du pays. Et par la suite, nous en avons eu une dans toutes les régions du Mali» (Idem.). Les lois permettent de définir la réglementation de la pêche (qui, comment, où). L’État s’occupe des droits de la pêche, les formes de pêche responsables et des autorisations de pêche. Il veille ainsi à la pérennité de la ressource. Dans leurs rôles, les services des eaux et forêts et la direction de pêche se sont engagés à tenir au courant tous les pêcheurs de la réglementation à respecter. La réglementation peut également être sous forme d’entente entre les populations qui décident d’organiser l’exploitation collective d’un plan d’eau. Un pêcheur qui n’a pas de permis de pêche commet une infraction pénalisée par la loi. Un permis de pêche est composé de deux parties (recto-verso). Il permet d’identifier le pêcheur et de notifier exactement le type d’engins qu’il est autorisé à utiliser. Les permis délivrés au niveau de la direction nationale étaient sous la responsabilité des eaux et forêts. Il existe quatre types de permis de pêche (A, B, C, et Sportif). Le type de permis dépend de la nature des engins utilisés. La pêche avec une ligne sur la berge a besoin d’un permis dit sportif. Le permis sportif est de couleur blanc est coûté 1500 FCFA. Le permis bleu est un permis B détenu par les pêcheurs de pirogue qui payent 6000 FCFA l’année. L’accompagnant du pêcheur a un permis C de couleur jaune. Les permis les plus chers sont les permis A, délivrés pour les grands pêcheurs à la senne. Il coûte 15 000 FCFA l’an. Comme dans tous les services des pays en développement comme le Mali, la direction est confrontée à un problème de moyens financiers, techniques et de personnel. Le manque de mesures d’accompagnement à la création de la direction pose un problème de personnel. «Nous avons un problème de personnel très sérieux dans notre direction. Les causes sont le manque de personnel qualifié. L’école de pêche est une création très récente. La première promotion de l’école des techniciens de la pêche est déjà sortie et elle en est en sa deuxième promotion en 2014. Moi, comme la plupart des agents, avons eu une formation des eaux et forêts qui s’occupaient de la pêche. On est même allé jusqu’à travailler avec des éleveurs dans l’équipe. Ce manque de spécialistes limite jusqu’à présent les interventions sur les terrains» (idem). Les premiers projets sur la pêche s’intéressaient généralement à Mopti où se trouvaient la première direction et les spécialistes de la pêche. « On pensait automatiquement à Mopti quand on parlait de pêche au Mali ». En illustration, il y a eu un projet qui se nommait « opération de pêche » dans les années 1970-1980. Dès la fin de cette opération, il a été question de répartir les spécialistes entre les régions. Mais cela n’a jamais eu lieu car le deuxième plus grand projet dénommé PADEPECHE142 a été également implanté à Mopti. Une communauté de pêcheurs bien organisée y était en effet déjà présente. Par conséquent, les autres régions sont restées avec un effectif faible. Il a fallu attendre la création de la direction de la pêche à Kayes pour former des « agents sur le tas ». Certains étaient formés sur le territoire malien et d’autres étaient envoyés en formation dans d’autres pays. « Par exemple, le chef de secteur de Kayes a été en Chine pour deux mois de formation » (lors entretien avec un directeur régional de la pêche à Kayes, mai 2014). En dehors des problèmes d’effectifs et de personnel qualifié, la direction fait face à un problème de moyens matériels ou logistiques. Les agents se débrouillent avec leurs motos personnelles. « Au niveau de la région de Kayes, notre seul espoir est le projet de l’OMVS PGIRE » (idem). Le Projet de Gestion Intermédiaire des Ressources en Eau (PGIRE) de l’OMVS a établi une première phase en 2011. Cette phase a permis d’équiper les acteurs de la pêche de la région de Kayes. Il a aussi permis la construction des infrastructures telles que le débarcadère à Manantali, des marchés à poissons (Manantali, Mahina, Bafoulabé, Kayes), mais aussi un approvisionnement en filets, pirogues avec moteurs, fours en métal, hameçons etc. Le point critique est qu’il s’est toutefois limité aux deux cercles de Kayes (chef-lieu de région) et de Bafoulabé (qui abrite le barrage de Manantali). Lors de ces interventions dans le secteur de la pêche, les agents de l’OMVS ont associé la direction régionale de la pêche seulement dans l’analyse des besoins des pêcheurs. En s’apercevant que les femmes des pêcheurs déploraient le manque de poissons et donc une baisse de leur vente, la solution compensatoire de l’OMVS a été la création de trois périmètres maraîchers pour les femmes des pêcheurs dans la région de Kayes. Cette solution était un moyen de réduire les impacts négatifs du barrage. Je considère qu’elle est incohérente, car il aurait été plus judicieux de renforcer la capacité de ces femmes aussi bien dans la transformation que le développement de la pisciculture, d’autant plus que des mesures d’accompagnement à savoir le matériel agricole, n’a pas suivi. La deuxième phase du PGIRE devait commencer en janvier 2014. Il a été dit que

142 Le Projet d’appui au développement de la pêche continentale 281 | P a g e

cette phase aller s’intéresser à l’encadrement des pêcheurs, c’est-à-dire aux services techniques. « C’est cet espoir qui nous fait vivre dans notre direction régionale ». D’après le directeur régional de la pêche, le barrage de Manantali qui a conduit au développement de la pêche, et donc à la création de sa direction, a beaucoup d’avantages. « Les barrages, du point de vue des techniciens comme du nôtre, sont positifs. Le barrage de Manantali est à buts multiples. Il a créé un lac de retenue qui offre les plus gros poissons de la région de Kayes. De gros camions quittent Bamako pour aller chercher les poissons de Manantali. Le barrage se trouve au niveau d’un village et de la région de Kayes, mais en réalité les produits sont plus près de Bamako que de nous. Au départ c’était un problème de route, quand on quittait Manantali, il était plus facile d’aller à Bamako que de venir à Kayes. Maintenant avec la route de Manantali- Mahina en construction nous espérons avoir plus de poissons de Manantali. Grosso modo, sur le plan de la pêche, le barrage est bénéfique pour nous les Maliens » (Idem.). Toutefois, d’après les pêcheurs et notamment les anciens qui étaient là avant le barrage, il y avait beaucoup plus de poissons en aval. Ils ont de moins en moins de poissons. Parmi les causes citées, le débit des lâchers du barrage qui perturbent les zones de pêche et rendent l’activité plus difficile que dans les eaux calmes. Par conséquent, les pêcheurs demandent à être associés aux décisions des lâchers d’eau. Or, les lâchers sont décidés par la commission permanente des eaux. Les pêcheurs ne veulent pas croire à ce mode de décision et pensent que ce sont les gestionnaires du barrage qui sont directement responsables de tous les problèmes en aval. De ce fait, ils souhaitent non seulement que les projets de l’OMVS s’étendent sur les cinq autres cercles de la région de Kayes et ne soient pas seulement limités à Bafoulabé et Kayes. D’autre part, la direction de la pêche ne pouvant pas étendre les financements alloués aux deux cercles spécifiques précités, il est important que chaque cercle ait un appui pour couvrir la région dans sa totalité. Il serait également intéressant de former de vrais spécialistes de la pêche et d’encourager les écoles de pêche. Manantali est la troisième zone de pêche au Mali, après le barrage de Sélingué et le delta intérieur du Niger au niveau de Mopti. En temps normal, le barrage de Manantali produit plus de 30 000 tonnes de poissons par an. Avec les problèmes de changement climatique toutefois, le tonnage est parfois irrégulier. Au niveau de la région de Kayes, les bénéfices de la pêche ne sont pas encore très perceptibles, à cause des problèmes d’axes de communications, notamment celui des routes bitumées. Il n’y avait avant que des voies ferrées. La multiplication des routes est un programme récent. Dans la deuxième phase du PGIRE, il est prévu des dons de camions frigorifiques (cercles de Kayes et Bafoulabe) pour prendre des poissons des zones de productions comme Manantali et les amener dans les zones de distribution de Kayes. Pour le moment, et en attendant l’apport de l’OMVS, la direction régionale développe des partenariats avec des ONG. Par exemple elle travaille avec les Allemands depuis 2013 à travers le Projet d’appui aux collectivités territoriales (PACT- GITZ143, commencé à Koulikoro, Ségou et Mopti), qui s’occupe de la formation anticipée sur la pisciculture artisanale sur les plans d’eau intéressants.

II. COMMERCIALISATION DES POISSONS ET DES PRODUITS AGRICOLES Dans les villages, les ventes concernent principalement les produits agricoles (Carte 30). Il s’agit aussi bien des rendements de l’agriculture pluviale que du maraîchage. Les villages exportateurs de produits agricoles sont ceux à majorité composés d’autochtones et sont notamment celui de Diokéli (dont plus 65% de produits agricole exportés), de Maréna de Kondonia de Goumbalan, et de Diakhaba.

143 « Le Programme d’Appui aux Collectivités Territoriales (PACT) est un programme conjoint de coopération allemande (coopération technique : GTZ et DED ; coopération financière : KfW). Il est placé sous la tutelle du Ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales (MATCL) » (source : http://www.giz- pact.org/, décembre 2014. 282 | P a g e

Le village de Maréna est le plus grand exportateur de bétail (8%) parmi les villages riverains étudiés.

Les poissons occupent le deuxième rang des produits exportés soit 13% selon l’ensemble des zones étudiées (Carte 31). Plus particulièrement, les plus grands commerçants de poissons sont les campements de pêche de Manantali amont, il s’agit de 97% de leurs exportations. Ils exportent aussi des pirogues fabriquées sur place (2%) et des marchandises de petit commerce dans des campements voisins (2%).

Carte 30 : part des produits agricoles dans les ventes par localité étudiée

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Carte 31 : part des poissons dans les ventes par localité étudiée.

Au total, il existe une différence entre les localités où le poids du commerce des productions des habitants est très important à savoir les campements de pêche. Ensuite, les villages qui enregistrent un poids moyen dans les exportations, il s’agit de ceux de Bamafélé, Kondonia, Goumbalan, Maréna. A l’opposé, Manantali aval, Sollo et Diokéli et Diakhaba sont marqués par un poids plus faibles dans les ventes hors de la localité. La spécificité du village de Manantali réside plus sur la diversité des produits exportés: produits agricoles (14%), poissons (13%), bétail (3%), marchandises de petit commerce (8%), métal (1%), denrées alimentaires (2%). Le village de Diakhaba est le seul qui exporte de l’or (1%). Quels sont les principaux lieux où ses produits locaux sont vendus ?

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1. Zone de chalandise des ventes des productions locales ? 1.1. À l’échelle locale : une priorité au village de Manantali Dans le chapitre 3, le barrage apparaissait avoir complètement modifié le statut du village de Manantali aval, considéré comme un « centre rural ». Le poids de ce village se fait à nouveau sentir dans l’analyse des lieux de commercialisation des productions locales. La comparaison des lieux de ventes des produits exportés montre que Manantali est leur destination principale.

La carte 32 montre que presque toutes les productions des habitants de Manantali aval (91%) ne sortent pas du village. En outre, au marché de Manantali, sont vendues les productions des habitants de pêche (68%), des villages de Bamafélé (44%), de Maréna (67%), de Goumbalan (56%) et de Kondonia (63%). Contrairement aux premiers villages cités, la spécificité des villages de Diokéli (3% seulement à Manantali aval), de Diakhaba (18%), et de Sollo (0%) est qu’ils vendent majoritairement leurs produits dans les marchés hebdomadaires de leurs villages respectifs. Autrement dit, les habitants du village de Diakhaba vendent à 58% leurs productions dans le marché du village et 1% dans la ville de Mahinanding144.

144 Cette localité se trouve entre Diakhaba et la ville de Mahina. Il signifie « petit Mahina » en langue Malinké. 285 | P a g e

Carte 32 : centralité du marché de Manantali

Ceux des villages de Diokéli et de Sollo tiennent des marchés hebdomadaires (jeudi ou mardi). De ce fait, 97% des productions de Diokéli sont vendus à Diokéli et pareillement 96% de celles de Sollo sont écoulés dans son marché hebdomadaire.

Les deux marchés hebdomadaires reçoivent après les productions de leurs villages respectifs (Diokéli et Sollo), plus particulièrement les productions des villages de Bamafélé (56%) et Diakhaba (29%). Les villages en aval montrent une dépendance au marché du village de Manantali, alors que les campements de pêche et le village de Manantali aval lui-même sont plus tournés vers les villes

1.2. Les marchés des villes: lieux de commercialisation des produits de la zone riveraine Sur la question des destinations des productions locales, après l’analyse des réponses des habitants, les lieux de commercialisation constatés sont les suivants : les marchés des villes de Mahina, de Kita, de Kéniéba, de Kayes et de Bamako (Carte 33).

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Dans l’ensemble, la ville qui se particularise dans l’analyse des zones de ventes des productions locales est spécialement Kita qui se trouve à environ 100 km environ au sud-est de la zone du barrage. Les exportations des campements de pêche (49%), de Bamafélé (1%), de Maréna (1%) et de Diakhaba (1%) sont dirigées vers Kita. Cette ville est suivie de près par la ville de Mahina à 80km environ de Manantali qui reçoit plus les productions de Diakhaba (34%), de Maréna (4%) et de Manantali (7%). Puis la capitale Bamako est ravitaillée par les campements de pêche (15%), Manantali aval ( 8%), Bamafélé (1%), Goumbalan (2%), Maréna (2%) et Diakhaba (2%). Enfin, la ville de Kayes reçoit les productions des villages de Manantali aval (6%), de Manantali amont (6%), de Maréna (2%), de Goumbalan (4%), et de Diakhaba (4%).

Carte 33 : localisation des marchés, destinations des productions locales

Les exportations vers les pays voisins du Mali notamment le Sénégal, la Guinée, et la Mauritanie, sont faibles et concernent essentiellement les villages comme Diakhaba (1%), Manantali (1%), et Maréna (1%).

Une principale distinction est donc visible entre les villages qui exportent plus vers le village de Manantali ou à l’échelle régionale et nationale voire internationale dont le village de Diakhaba, de Manantali aval, de Maréna et les campements de pêche.

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Les villages de Diokéli, de Sollo, de Kondonia, de Goumbalan, et Bamafélé écoulent pour leur part leurs productions dans les marchés hebdomadaires locaux.

1.2.1. Une place importante des denrées dans les importations Après la vente des productions locales dans les villes et la capitale, selon le la carte, les villages riverains s’y procurent principalement des denrées alimentaires (Carte 34), même si 37% ne se ravitaillent que dans les marchés locaux.

Carte 34 : part importante des denrées alimentaires dans les importations

Les autres produits achetés sont des marchandises de petit commerce (4%), du matériel de pêche et de navigation, du matériel de construction (1%), du carburant (1%), du bétail (1%), des médicaments et du matériel pour les centres de santé (1%). D’autre part, les habitants des villages de Kondonia, de Diokéli, de Sollo, de Goumbalan et de Bamafélé acquièrent généralement des denrées alimentaires dans leurs propres villages et dans des villages voisins (Diokéli et Sollo) où se tiennent les marchés hebdomadaires. En outre, ils peuvent s’approvisionner en matériel de pêche et de navigation et en matériel de construction à partir de Manantali aval. Les médicaments et le matériel pour les centres de santé proviennent en revanche du cercle

288 | P a g e de Bafoulabé.Les villages de Diakhaba, de Manantali aval et des campements de pêche sont plus dépendants des villes et de la capitale pour les achats de denrées alimentaires et d’autres matériels de pêche et de navigation. La localisation du village, la proximité des routes et la disponibilité des moyens de transports semblent avoir des effets sur la classification des rapports entre les zones étudiées et les destinations de leurs productions. Je constate une différence avec les villages de Diokéli, Sollo, Kondonia, Goumbalan, Maréna et Bamafélé qui se ravitaillent plus dans les marchés hebdomadaires et/ou dans le village de Manantali aval, qui joue ici encore un rôle important à l’échelle locale. 2. Variété des circuits de commerce de poissons du lac

Planche Photos 14 : rencontres du samedi au débarcadère de Manantali, (réalisation, C. Cissé)

Le commerce de poissons du lac suit plusieurs circuits de vente. En dehors de l’écoulement dans les campements, le premier lieu de rendez-vous est le débarcadère de Manantali. Chaque samedi, le débarcadère du barrage de Manantali reçoit les

289 | P a g e pêcheurs et/ou les commerçants de poissons des campements. À partir de 10h et jusqu’à 17h environ, des pinasses se succèdent sur le quai du débarcadère (Planche photos 14). Une fois au débarcadère, les femmes et les enfants profitent du voyage pour faire des achats, réparer les matériels ou habits, voir leur famille et amis(es), continuer sur Bamako, Mahina ou Kayes. Les pêcheurs commencent par vider la pirogue avec l’aide des porteurs de chariots. Au niveau du débarcadère, ils interviennent dans la seconde étape de la commercialisation. Les porteurs de chariots gagnent environ 1500 FCFA pour aider à monter les poissons vers le pont et assurer le transport d’un chariot de poissons du débarcadère au marché de Manantali. Les poissons qui ne sont pas vendus à Manantali (débarcadère) sont pesés au marché et mis dans des camions de 10 tonnes environ. Ils sont destinés aux marchés de Bamako, de Kayes et de Kéniéba dans lesquels les prix de ventes sont distincts (Planche photos 15).

Planche Photos 15: camions de transport des poissons du lac vers Bamako, (réalisation, C. Cissé)

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2.1. Une grande irrégularité des prix ? Dans les zones étudiées, les prix du poisson varient beaucoup entre l’amont et l’aval. Ils sont aussi différents en amont, entre les campements de la rive gauche et ceux de la rive droite. Deuxièmement, le prix du poisson varie suivant le type (fumé, séché, frais).

« Nous vendons le kilo de carpes par exemple à 1500 FCFA à un vendeur de poissons. Au marché de Manantali aval, ce kilogramme est revendu entre 1750 et 2000 FCFA. Les campements qui sont accessibles par pinasse ou par moto vendent plus cher leurs poissons aux vendeurs (ses). Les autres qui sont plus enclavés vendent encore moins cher que les premiers. Par exemple le capitaine vendu à 2000 en aval ne coûte que 1200 FCFA en amont. Les poissons vendus à 850 FCFA en aval coûtent entre 500 et 650 en amont. Enfin, les prix du poisson varient aussi en fonction de la taille et de l’espèce. Il est entre 850 (pour le synodontis par exemple) et 3000 FCFA (pour les capitaines)145 ».

Le kilogramme de poisson fumé est fixé à 1000 FCFA quel que soit la saison, la taille et le type. In fine, le prix du poisson en amont est différent entre les campements suivant l’accès. Le kilogramme de poissons coûte entre 350 et 2000 FCFA en amont. Ce prix est différent du prix fixé en aval au niveau du débarcadère, lui aussi moins cher que le prix fixé dans les marchés des villages de l’aval et dans les villes de Kayes, Bamako, Kita ou Kéniéba. En effet, les poissons y sont vendus entre 600 et 3000 FCFA le kilogramme.

La grande différence des prix du poisson du lac crée une difficulté et une inégalité d’accès au poisson pour les populations les plus modestes de Manantali et celles des villages environnants du barrage. Par exemple, pour avoir du poisson à Manantali, malgré la quantité importante débarquée chaque samedi, il faut vraiment négocier. Les pêcheurs refusent souvent de vendre leurs poissons à Manantali et ceci pour les raisons évoquées précédemment. Par ailleurs, ils considèrent pouvoir vendre plus cher en les exportant vers les grandes villes (Mahina, Bamako, Kita, Kayes et Kéniéba). Le dernier facteur concerne les commandes de poissons qui se passent durant les jours de semaines dans les campements. Certains commerçants de Manantali ou des grandes villes amènent de la glace sur le lac et passent leurs

145 Extrait entretien individuel avec un pêcheur du village de Manantali, réalisé en juin 2014. 291 | P a g e commandes sur place. Par la suite, le pêcheur les conserve jusqu’au jour du marché. Les poissons du lac sont donc souvent vendus à l’avance.

La vente des poissons aux marchés les plus offrants a été indiqué dans d’autres cas d’études par des géographes. « Le poisson des pêcheurs professionnels continentaux sera de préférence vendu là où le pouvoir d’achat est le plus élevé, c’est-à-dire à Richard-Toll ou à Saint-Louis, si bien qu’une bonne partie des riverains du fleuve ne consomment plus de poisson d’eau douce ou fort peu » (MAGRIN et SECK, 2012). Selon les auteurs, de nouveaux acteurs ont fait une arrivée remarquée sur le marché du poisson de Richard-Toll. En 2006, des commerçants maliens de Kayes s’y approvisionnent régulièrement. Ils étaient déjà allés chercher du poisson à Joal ou à Mbour, mais des relations nouées avec un mareyeur de Richard-Toll ont révélé des possibilités locales d’autant plus intéressantes que les Maliens préfèrent le poisson d’eau douce, auquel ils sont habitués. La demande croissante du marché intérieur le rend rare et cher. Il est possible que le bitumage récent (2004) du tronçon Kidira-Kayes (90 km) ait aussi joué un rôle dans cette arrivée. Les Maliens achètent le poisson au kilogramme et non en tas, ce qui ferait monter les prix. Ils ont une préférence pour les espèces à forte valeur, comme les tilapias, mais surtout le capitaine (lates niloticus) ou le gymnarchis niloticus. (Ibid.).

2.2. Des prix aussi variables à Mahina Le marché de Mahina se présente comme le plus grand marché proche du barrage de Manantali. Une vente de produits agricoles et des poissons enrichissent les tables et les magasins. La construction d’un hangar par l’OMVS avec des tables et sols carrelés, laisserait penser que contrairement à notre première visite (étalement par terre en 2009), le commerce de poissons s’est développé. J’ai noté cependant des points critiques émis par les vendeuses de poisson bénéficiaires de cette construction. Une vendeuse de poisson nous explique : « ce hangar est une bonne chose, mais je préfère être par terre comme avant car il est très difficile de se déplacer dans les couloirs du hangar lorsqu’y a trop de clients. Ils auraient dû nous demander notre avis » (extrait, enquête, 2012). Le tableau montre qu’à Mahina, le prix du poisson varie entre 500 et 3000 FCFA.

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Ils sont vendus en tas ou en kilogrammes. Comme souligné dans la première partie de cette thèse, la spécificité du marché de Mahina est qu’il reçoit les poissons du Bafing, du Bakoye et du fleuve Sénégal. Ces poisons sont amenés directement au marché dans des sacs de riz par les pêcheurs de la ville. Chaque pêcheur de Mahina a une commerçante associée qui vend les poissons et lui donne sa part. Pendant toute la matinée, le pêcheur reste assis sous le hangar pour attendre son argent.

Tableau 8 : prix des poissons et produits agricoles à Mahina

Poissons frais/KG Prix Mahina Produits agricoles/KG Capitaine 2500 Arachide 850 Silure ou Manokos 750 Bamam 1500 Carpe 1250 Komkom 1000 Dolam 1500 Petit poissons par tas 750 à 1000 Poissons fumés/KG Capitaine 2000 Silure ou Manokos 1500 Bamam 1250 Autres 1000 Source : CISSE, C., 2012.

2.3. De Manantali à la ville : un circuit qui crée des emplois J’ai choisi de montrer les activités de certains grands commerçants des marchés de Kayes (chef-lieu de région) et de Bamako (capitale) qui se ravitaillent à Manantali. La ville de Kayes se situe à plus de 250 kilomètres de Manantali. Le trajet entre les deux localités se fait en 4-5h environ. J’ai rencontré à Kayes une commerçante du nom de W. Togola. Elle a développé son activité de vente de poissons depuis quelques années dans la ville. Elle nous explique que c’est grâce à la pêche développée par le barrage de Manantali qu’elle a créé son entreprise familiale de commerce de poisson. Elle travaille avec ses frères et a recruté d’autres jeunes de Kayes. Situés à plus de 250 km de Manantali, les membres de son équipe font le trajet aller/retour une fois par semaine. Lors d’un voyage, ils peuvent acheter à Manantali entre 80 et 500kg ou même parfois une tonne de poissons.

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Le transport de ces poissons vers Kayes est permis par des caisses qui peuvent contenir jusqu’à 200 kg de marchandises. Ces dispositions permettent de voyager en plusieurs étapes. D’abord, les membres de l’équipe transportent les caisses de poisson dans des bus qui font la navette de Manantali à Mahinanding. Les tickets de transports par caisse sont payés 50 000 FCFA environ, alors que chaque personne débourse 3000 FCFA.

La seconde étape du voyage est le trajet de Mahinanding à Kayes par le train. Cette étape nécessite le recrutement d’un personnel temporaire pour transporter les caisses de la voiture et les installer dans le train. Chaque travailleur est ainsi payé à 2000 FCFA par caisse. La dernière étape concernant l’arrivée à Kayes exige également les services d’autres personnes qui aident au transport des caisses. Chaque personne recrutée pour ce travail est payée 1000 FCFA par caisse. Le transport vers la maison est fait dans des pousse-pousse louées à 1000 FCFA par caisse. Depuis Manantali, la commerçante estime un budget supplémentaire pour 150 morceaux de glaces et une natte à 250 FCFA par caisse. Au final, selon W. Traoré, le total engagé pour le transport de chaque caisse de poissons de Manantali à Kayes est estimé à 8540 FCFA et 5000 FCFA pour les tickets par personne.

La vente des poissons à Kayes se fait en gros et au détail. Un hangar devant la maison de la commerçante constitue le lieu de vente. Les femmes vendeuses de poisson au grand marché de Kayes sont aussi ses clientes. Celles installées devant le marché devant la gare routière de Kayes sont également ravitaillées en poisson frais. En termes de collaboration, les femmes vendeuses de poisson des deux marchés cités qui ont des revenus modestes, reçoivent les poissons sous forme d’un crédit. Elles ne le remboursent qu’en fin de journée de travail.

Les poisons de Manantali sont quant à eux vendus dans trois marchés de Bamako : Sougounicoura, Médine et celui de Bamakocoura. Dans un second exemple, c’est une femme vendeuse de poisson au Marché de Sougounicoura à Bamako qui nous explique le déroulement de son commerce de poissons de Manantali. Elle nous explique très clairement que le barrage de Manantali a permis d’augmenter leurs bénéfices et de changer de mode de vie. « Je possède maintenant 3 camions qui font la

294 | P a g e navette chaque semaine entre Manantali et Bamako. Le kg de poissons varie entre 500 et 3000 FCFA » (extrait, enquête à Bamako, été 2012). Cet entretien m’a permis de savoir que les poissons vendus à Bamako provenaient, en plus de Manantali, de Mopti, de Gao, de Ségou (Markala), de Sikasso (Sélingué) et du Sénégal (Dagana).

Dans les villes et capitales citées, les populations profitent des productions locales (agricole et piscicole) de la zone de Manantali. Qu’est-ce que les villages et les campements de pêche amènent après les ventes dans les marchés des villes et dans la capitale ?

2.3.1. Le métier de « courrier » : entre les ventes de poissons et les importations Dans la zone de Manantali, le développement de la pêche qui a suivi la création du lac de retenue s’est accompagné de la naissance d’un nouveau métier. Pratiqué par les habitants de la zone de Manantali et de la ville de Kita, le courrier est une personne qui assure la vente de poissons entre les campements du lac et les grandes villes en moto. Ce métier, très pratiqué de nos jours dans la zone de Manantali, a connu son essor vers la fin de l’année 1999 et au début de l’année 2000. À Manantali, parmi les courriers, on retrouve plus les étrangers allochtones qui viennent généralement de Kita. Ils peuvent, dans des cas rares, être leur propre chef. La plupart de ces courriers travaillent pour des grands commerçants de Kita. Dans cette ville, ils sont souvent logés par leurs employeurs. Comme dans le cas de l’équipe de la vendeuse de poissons de Kayes, les courriers respectent une organisation, ce qui leur permet de s’occuper de l’achat et du transport des poissons. Ils ne vendent cependant pas eux-mêmes les poissons. J’ai constaté, dans les campements de pêche, que de plus en plus de pêcheurs pratiquaient ce métier. Ce sont donc des pêcheurs-courriers, qui ont développé leur propre clientèle au marché de Kita. Certains se sont même totalement reconvertis. Ils ont très vite compris les avantages de ce nouveau métier. J’ai remarqué qu’ils ont commencé par acheter une moto pour faciliter le trajet vers Kita qui est plus avantageux, et ils sont assurés de vendre leurs poissons dans la journée (Planche photos 16).

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Planche Photos 16 : transport des poissons par des « courriers » sur une moto.

Par exemple, un aller/retour entre le campement de N’Gougny n°1 et Kita (plus de 100 km), nécessite l’utilisation de 8 litres d’essence en moto, alors qu’un aller-retour à Manantali en pinasse consomme plus. Or, selon une vendeuse d’essence du campement, « le litre d’essence coûtait 800 FCFA » (extrait, enquêtes, août 2012). Les avantages du métier de courrier nous amènent à penser que les poissons du lac de Manantali seront plus destinés aux marchés de Kita et de Bamako. Les campements de pêche vont être de plus en plus ouverts vers Kita. La seule limite du système est que la quantité de poissons qui peut être transportée en moto est plus faible qu’avec la pinasse. Le schéma ci-dessous montre la distribution des poissons de Manantali et les échanges opérés lors des ventes.

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Photo 16 : circuits de vente de poissons du lac de Manantali, (réalisation, C. Cissé)

Le métier de courrier connaît d’autres difficultés liées au manque de routes. L’un des exemples les plus remarquables est le parcours effectué par un pêcheur du campement de la rive gauche. Le voyage commence par la traversée en pirogue du lac vers la rive droite. La moto et les poissons sont transportés dans la même pirogue. Pour aller à Kita, à partir de la rive droite, il faut traverser la forêt jusqu’à « Banco » dans la localité de Kounkoufata où le courrier retrouve une route bitumée. Le pêcheur- courrier me raconte ainsi ses difficultés :

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« je fais 110 km pour arriver à Kita. Sur la route, je rencontre beaucoup de difficultés, surtout en saison des pluies mais je ne peux pas m’arrêter car l’argent, c’est pour la famille. En saison des pluies la route est très mauvaise, on traverse dans la brousse des points d’eau et parfois il y a des pentes très fortes. En cette période, je fais généralement 3 h 30 min de route alors qu’en saison sèche il est possible de faire le même trajet en 2 h146 ». Les enquêtes dans les campements de pêche ont mis en exergue les règles de fonctionnement du commerce de poisson. J’ai remarqué sur les berges du lac à N’Gougny n°1 que les pêcheurs vendaient leurs poissons selon l’ordre d’arrivée des courriers. Leurs échanges sont basés sur la confiance car les poissons remis au courrier ne sont payés qu’après la vente à Kita. Ceci explique que chaque courrier et chaque pêcheur aient un carnet pour noter les échanges. Ils essaient de vendre le plus de poissons possible lors de chaque voyage, et les courriers n’hésitent pas à laisser leurs motos sur la berge et à aller dans les campements voisins (N’Gougny n°2 ou Diamnaty par exemple).

2.3.1.1. Avantages du métier de courrier dans les campements ? Le développement du métier de courrier a eu de nombreux avantages, selon les habitants des campements. La possibilité de commercialisation des poissons du lac à Kita a facilité l’approvisionnement des populations en denrées alimentaires. Autrement dit, le courrier prend auprès des pêcheurs des poissons frais et auprès de sa femme des poissons séchés ou fumés. A son retour de Kita, le courrier semble faire des achats pour ces derniers. Sur la liste des courses fournie au courrier se retrouvent le plus souvent des médicaments, de l’huile et des condiments, entre autres. Les pêcheurs qui ont la possibilité de se déplacer très souvent vers Manantali aval préfèrent s’y ravitailler alors que les équipements de pêche ou de navigation sont généralement achetés à Bamako. En dehors des courriers, j’ai remarqué que les campements même les plus enclavés étaient visités par des commerçants ambulants. Les commerçants ambulants étrangers ou pêcheurs-commerçants ravitaillent les habitants en tissu, riz ou encore en médicaments (Planche photo 17).

146 Extrait, enquête auprès des habitants des campements, réalisée en juin 2014. 298 | P a g e

Planche Photos 17 : commerçants ambulants dans les campements, (réalisation, C. Cissé)

J’ai rencontré un des plus grands commerçants ambulants qui travaillait avec deux membres de sa famille. Il s’agit d’un Bozo, venu pour la pêche et qui a décidé de se consacrer entièrement à cette activité depuis 1995. Bien que j’aie évoqué dans les lignes précédentes qu’il existait des règles de ventes de poisson entre les courriers et les pêcheurs, notamment celle de l’ordre d’arrivée, il faut souligner que ce commerçant bozo a la priorité sur l’achat des poissons lors de ses jours de passage dans les campements. Le commerce de Badembo et sa famille (quatre fils) alimente plusieurs niveaux. D’abord, le commerçant vend ses marchandises et achète en retour des poissons. Il raconte qu’il fait deux à trois voyages dans le mois entre Bamako- Manantali aval et les campements de pêche. Un tour dans tous les campements lui prend trois jours de voyage en pinasse, qui consomme 60 litres d’essence. Ensuite, certaines femmes font du petit commerce en marchandant plus cher les produits achetés chez le commerçant ambulant. Elles vendent en fait ces produits aux habitants des villages malinkés les plus enclavés en amont qui viennent à leur tour s’approvisionner dans les campements. Je suppose que le commerce dans les campements est très rentable, car ce commerçant ambulant précité possède des

299 | P a g e boutiques dans le village de Manantali aval et détient en parallèle des camions de poissons qui font la navette entre Manantali-Bamako une fois par semaine.

Le trajet parcouru par un autre commerçant ambulant me conforte dans cette supposition. En 2012, j’ai rencontré un commerçant qui m’affirmait qu’il venait de la Guinée Conakry. Depuis plus de 10 ans, il fait ce commerce en respectant le trajet qui lie la Guinée à Bamako en passant par les campements de pêche en amont.

Dans la recherche de compréhension des relations commerciales entre les zones étudiées et les villes, j’ai eu un entretien avec le directeur du service régional du commerce de Kayes. Je relate dans les lignes suivantes ses explications.

Encadré 10: les règles de fonctionnement du commerce dans la région147 Le renseignement d’éléments permettant au gouvernement malien d’établir une politique commerciale en matière de concurrence du pays à travers le ministère du commerce, est la mission principale de la direction régionale du commerce à Kayes. Ses agents doivent également s’occuper de la promotion de l’activité économique et commerciale. Cette direction se compose de plusieurs divisions dont celle du commerce intérieur, de la règlementation et de la concurrence, mais n’élabore pas de politique commerciale. Elle exécute les décisions prises au niveau national en ce qui concerne la politique du Mali en matière d’import-export, de commerce intérieur, de concurrence entre le Mali et les pays étrangers, et entre les commerçants du pays. En somme, elle a été chargée d’émettre des titres de commerces pour importer des produits dans la région de Kayes, mais aussi pour exporter des produits du Mali vers d’autres pays. Autrement dit, la douane malienne libère les marchandises (produits agricoles, matériel, voitures etc.) à travers les titres délivrés par cette direction. Concernant le déroulement du commerce intérieur dans la région de Kayes, la direction veille plus spécifiquement sur la concurrence au niveau des marchés pour lutter contre la compétition déloyale. Le paiement des droits de douane par l’interpellation des fraudeurs soit suite à une plainte, soit lors des contrôles quotidiens, sont aussi des moyens de lutte. J’ai noté que lors de ces contrôles, il arrive que des produits soient confisqués de manière provisoire. Cela conduit à l’élaboration d’un procès-verbal d’infraction économique qui est déposé au tribunal. Toutefois, la voie la plus usitée est celle d’amende par transaction (paiement d’argent). Le montant de l’amende dépend de la gravité de la fraude. Le rôle d’une telle direction est aussi de veiller sur les prix, en vente au détail, des divers produits (riz, carburant, céréales ou autres) de première nécessité et de grande consommation. Ce suivi est préparé en amont par l’envoi, toutes les semaines, d’un rapport qui compile tous les prix des produits à la direction nationale, puis au ministère. C’est alors le ministre qui doit informer le conseil des ministres de l’état des stocks disponibles. L’objectif est, d’une part d’éviter ou de réduire les risques de mauvaises surprises, notamment de rupture de stocks des produits de première nécessité. D’autre part lorsque les prix montent trop rapidement, cette approche permet de connaître les causes de cette spéculation. Les hypothèses qui sont émises sont soit que les produits sont chers dans les pays d’importation, soit que ce sont les taxes qui ont été élevées à la frontière, ou enfin que ce sont des commerçants qui spéculent en créant une situation de manque. Or, les commerçants qui retiennent des stocks pour vendre plus cher plus tard sont sévèrement sanctionnés par le code du commerce. Malheureusement, la faiblesse de l’État conduit selon le directeur à une non-application des lois. Les activités des commerçants dans les villages en aval et les campements de pêche en amont peuvent laisser croire qu’ils n’ont pas besoin d’être déclarés. Or, comme on peut le lire dans les lignes suivantes, tous les commerçants de la région de Kayes doivent s’inscrire au registre du commerce surveillé par la

147Extrait de l’entretien individuel avec le directeur du service régional du commerce de Kayes, réalisé en mai 2014. 300 | P a g e

direction concernée. Cette inscription est gratuite et se fait au niveau du tribunal, dans la section du greffe gérée par un chef greffier. L’inscription paraît donc simple et un numéro unique est délivré. Il ne change pas, même si le type de commerce (import, export, détaillant, grossiste) est modifié. Par la suite, le document notifiant l’inscription est amené aux services des impôts. Ces derniers sont chargés de délivrer une patente par rapport au type de commerce déclaré. Ils affectent à leur tour un numéro d’identification fiscale qui est aussi unique et non modifiable. Contrairement au numéro, la patente peut changer de valeur suivant le type de commerce. Par exemple, la patente import-export est plus chère que les autres. Elle coûte 600 000 FCFA par an, dont 300 000 pour les droits d’import et 300 000 pour ceux d’export. Le commerçant peut aussi choisir d’être soit importateur ou exportateur. Il existe deux cas particuliers. D’abord, l’importation des armes est interdite. Il faut être agréé même pour importer des armes de chasse, ou être reconnu comme armurier importateur. Ensuite, le commerce du carburant exige également des conditions particulières et d’agrément. « La constitution au Mali est très dure sur ce plan. Il faut remplir les conditions d’import-export et des conditions supplémentaires, parmi lesquelles la preuve de la capacité de stockage avec cuve enfouie dans le sol. Ces cuves doivent avoir une capacité de 500 000 litres soit 500 m3 de capacité au nom du commerçant. Il faut déposer une caution de 200 millions de FCFA. C’est une commission pluridisciplinaire à Bamako qui donne l’autorisation » (entretien avec le directeur régional du commerce à Kayes, mai 2014). Malgré toutes ces règles bien détaillées, la direction du commerce aurait du mal à réaliser ses missions par manque de moyens financiers, logistiques et d’agents. Elle fonctionne seulement à partir d’un budget alloué par l’État malien chaque trimestre. Comme dans le cas de la plupart des directions visitées, ces manques se traduisent par l’absence de subdivisions dans toutes les localités. Par stratégie, le maintien des bureaux dans les zones frontalières a été indispensable, comme c’est le cas à près de la Mauritanie et à Kita. Ce sont les deux plus importantes sous-divisions de la direction dans une région de passage comme Kayes. En prenant rendez-vous avec le responsable de cette direction régionale, j’avais postulé que les retombées économiques du barrage de Manantali auraient conduit à développer de nouvelles stratégies de commerce, et à valoriser des productions de la zone de l’ouvrage. Mais je comprends qu’il n’existe aucune relation de partenariat avec les gestionnaires du barrage et la direction affirme le manque de stratégies allant dans ce sens. Les seules manifestations d’intérêt se font sous forme de demandes « d’aides à l’OMVS en dotation de moyens financiers et logistiques » (entretien avec le directeur régional du commerce à Kayes, mai 2014). Par contre, à travers cette rencontre, il a été possible de lire dans les chiffres de la direction que le premier pays avec lequel le Mali, à travers la région de Kayes, a des relations commerciales est le Sénégal. Beaucoup de produits y partent ou en arrivent. Cependant, il faut comprendre que la majorité de ces produits sont entreposés et passent par le Sénégal grâce à son port. Néanmoins, il est toujours mentionné sur le document de commerce que le Sénégal est le pays de provenance, ce qui est différent du pays de production. Les conteneurs viennent de tous les pays du monde. « Les exports d’animaux (moutons, bœuf, chèvres) pour le Sénégal sont très importants aussi. Nos relations avec le Sénégal sont plus développées qu’avec des pays comme la Mauritanie (pas très ouvert) ou le Burkina qui est un peu loin » (entretien avec le directeur régional du commerce à Kayes, mai 2014). Finalement, pour protéger les consommateurs, en 2014, un projet de loi à l’Assemblée nationale pour la protection du consommateur a été proposé. Les droits des consommateurs sont reconnus mais l’assemblée nationale du Mali n’a pas encore légiféré sur cela. L’objectif dans le futur est d’avoir un document de référence sur les droits des consommateurs au Mali.

CONCLUSION CHAPITRE VI Au final, nous avons vu à travers ce chapitre 6 que les villages et les campements autour du barrage de Manantali semblent afficher une dépendance particulière au marché du village de Manantali pour écouler leurs produits et pour se ravitailler. Ceci est probablement lié au pouvoir d’achat des habitants de ce village, qui sont

301 | P a g e majoritairement des allochtones et des étrangers employés à la société d’exploitation du barrage. Manantali aval communique davantage avec la capitale Bamako pour, in fine, mieux répondre aux besoins particuliers de ces habitants difficiles à trouver dans cette zone rurale. Ce qui est intéressant également est qu’en dehors de Manantali, les villages les plus proches du barrage s’appuient énormément sur leurs marchés hebdomadaires, notamment ceux de Diokéli et de Sollo. C’est peut-être parce que, lors de ces marchés, les villages déplacés et non déplacés retrouvent cette solidarité et cette unité bafingué toujours affirmée. Le village de Diakhaba, quant à lui, est le plus éloigné du barrage, et ceci expliquerait ses relations de commerce avec la commune de Mahina.Des échanges de produits entre les zones étudiées et les villages de la région de Kayes et Bamako.

Dans le dernier chapitre 7, j’exposerai les différentes formes de représentations sociales des impacts du barrage dans le Haut-bassin au Mali. En quoi la localisation (proche ou éloignée, amont ou aval) par rapport au barrage peut-elle être un élément de distinction ? Comment le statut socioprofessionnel et les origines géographiques des personnes interrogées jouent-ils un rôle dans les représentations ? Comment les profils de représentations participent-ils au mécanisme de production et d’expression d’attentes similaires?

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CHAPITRE VII

CONNAITRE LES FORMES DE REPRÉSENTATIONS SOCIALES DES IMPACTS ET LES ATTENTES EXPRIMÉES

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Le chapitre précédent révèle que le barrage a créé un rapprochement des échelles locale, régionale, et nationale par le commerce de produits agricoles et des poissons pêchés dans le lac.

Dans la zone d’influence proche, les habitants ordinaires et les acteurs doivent dorénavant vivre avec les changements liés à l’implantation du barrage. Les mesures prises par les gestionnaires sont-elles parvenues à atténuer les effets négatifs de cet ouvrage? L’OMVS a fait des dons de matériels de pêche et de navigation, des moustiquaires, des médicaments. À partir d’un entretien avec le RH de l’Eskom en 2012, j’ai également constaté la nature des dons de la société d’exploitation aux habitants. Il s’agit de financement des campagnes de sensibilisation sanitaire, d’événements religieux et en offrant notamment des produits alimentaires pendant le mois de Ramadan (cf. Annexe 8). Ces pratiques soulèvent une réflexion sur les politiques sociales des entreprises, d’autant que les financements octroyés le sont à la suite de demandes individuelles ou collectives adressées directement à la direction. Les habitants, qui considèrent ces subventions comme un droit, précisent qu’elles restent insuffisantes voire inexistantes. Ce sentiment serait-il lié à un besoin de compensation des pertes?

L’analyse des formes de représentations des impacts du barrage d’une part, et des attentes exprimées par les habitants ordinaires et les acteurs de l’autre permettront peut-être d’avoir une réponse à cette question. Comment les habitants se représentent- ils les externalités positives et négatives? Quelle lecture spatiale peut-on avoir des différentes formes de représentations ? En quoi sont-elles influencées par les modifications des conditions socio-économiques des zones étudiées ? Les attentes exprimées sont-elles des conséquences des représentations sociales ?

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I. PAR L’ANALYSE DE CONTENU ET L’ANALYSE FACTORIELLE DES CORRESPONDANCES (AFC) Après les enregistrements des entretiens avec les acteurs cités dans le chapitre I, ils ont été retranscrits afin d’étudier les convergences et les divergences entre les formes de représentations à l’aide de deux méthodes de traitement de données qualitatives. L’analyse de contenu a permis à la fois de déterminer les logiques de discours mais aussi la construction de tableaux lexicaux, qui une fois constitués ont été transformés sous forme graphique par la méthode de l’AFC relative à la liaison entre deux variables qualitatives. Dans un tableau croisé, les modalités de la première variable constituent les lignes, et celles de la seconde variable, les colonnes. Les modalités sont ensuite projetées sous forme graphique sur un plan factoriel. Ici, on s’intéresse à la distance par rapport au profil moyen central qui est mesurée par le test d’indépendance le khi2. En un mot, plus les modalités sont éloignés du centre, plus elles s’écartent de l’uniformité. Voici les détails sur les deux méthodes. 1. Employée pour analyser les représentations sociales En s’appuyant sur une étude des représentations sociales de la toxicomanie, le sociologue L. Negura (2006) revient sur les méthodes d’analyse des données qualitatives qu’il considérait «comme très pertinentes pour l’étude des représentations sociales». Il propose des techniques visant à exploiter les différentes informations contenues dans les discours. «Chaque énoncé peut alors devenir un indicateur des représentations sociales qui participent à sa constitution. Pour l'analyse de contenu qui vise l’examen à l'aide d'indicateurs des conditions de production du discours et de leur signification réelle pour la communication, les connaissances sur les dynamiques des représentations sociales sont très utiles» (NEGURA, 2006). Cette possibilité d’analyse des conditions de production du discours est au centre de mon intérêt. Qui produit le discours et dans quel contexte ? En quoi les profils de discours correspondent-ils aux types d’impacts subis?

J’ai adopté la technique de l’ancrage sociologique qui constitue « le fondement sur lequel les individus s’appuient lorsqu’ils prennent une position par rapport à un objet de représentation, il est important d’effectuer une analyse de la façon dont la

305 | P a g e représentation est conditionnée par les dynamiques relationnelles, ou, autrement dit, dans des rapports symboliques entre acteurs sociaux » (ibid.). Elle permettra d’avoir une lecture spatiale des formes de représentations des impacts. La classification de ces formes est-elle indépendante des catégories socio-professionnelles des enquêtés? En quoi le facteur de la localisation par rapport au barrage contribue-t-il à la différenciation de ces formes de représentations dans l’espace géographique du Haut- bassin du fleuve Sénégal au Mali? Une explication détaillée de la phase d’identification des logiques de discours est exposée.

1.1. Analyse de l’ancrage sociologique : identification des logiques de discours Cette phase d’identification des logiques de discours s’opère sur les retranscriptions de 8 entretiens collectifs et 37 entretiens individuels. L’analyse a révélé 9 logiques de discours différentes. Un système de codage a ensuite été choisi afin de faciliter l’affichage dans des tableaux lexicaux (Tableau 9).

Tableau 9 : système de codage des différents discours retranscrits Discours de Chefs de Villages Non DCVND Déplacés Discours de Chefs de Villages Déplacés DCVD Discours d’Employés de l’Eskom et de DEESA l’ADRS Discours de Responsables DRAAS d’Associations et d’Agents de Santé Discours de Chefs de Campements et DCCRC de Responsables de Coopérative Discours d’Élus Politiques et de DEPDE Directeurs d’Écoles Discours de Directeurs de Structures et DDSPAR de Président d’Association Régionales Discours d’Élus Politiques Régionaux DEPR Discours de Directeurs de Structures DDSN Nationales Source : C. CISSE., 2016. Dans la construction des tableaux de contingence, les codes ont constitué les lignes, et les colonnes représentent les modalités d’une des trois variables : les types d’impacts négatifs, les types d’impacts positifs, ou la nature des attentes exprimées. Les

306 | P a g e informations contenues renseignent le nombre de fois qu’une modalité est citée dans un discours. Sur cette base, j’ai obtenu une liste importante de modalités. C’est pourquoi, celles renvoyant à un thème similaire ont été regroupées. L’élevage, l’agriculture, la santé en constituent des exemples. Tous les tableaux ont été par la suite analysés avec la méthode de l’AFC.

1.2. L’apport de l’AFC ? Avec la méthode de l’AFC l’objectif a été de transformer les tableaux en graphiques. Selon F. Husson148, «les premières applications de l’analyse des correspondances au début des années 1960 était justement des applications sur des données textuelles. Elles sont dues à Jean-Paul Benzécri qui a fondé l’analyse des correspondances et par la suite toute l’école de l’analyse des données. Jean-Paul Benzécri avait comme première étudiante Brigitte Escoffier qui a soutenu sa thèse en 1965. Dans sa thèse, il y a beaucoup de résultats théoriques qui sont très importants pour l’analyse des correspondances. Il s’agit des formules de transitions, des formules de reconstitution. Une première étude concernait la pièce Phèdre de Racine dans laquelle, on avait les personnages de Phèdre d’une part. Et pour chaque personnage, on avait le nombre de fois qu’il avait utilisé un mot. Ceux-ci sont les premiers tableaux analysés par l’analyse des correspondances». Ici, il s’agit ainsi d’étudier les liaisons entre les variables qualitatives issues du guide d’entretien.

Sous le logiciel Xlstat, on a ouvert le fichier Excel contenant les tableaux lexicaux des modalités citées plus de trois fois. À l’intérieur de la macro nommée « Analyses des données », j’ai choisi « l’Analyse des Factorielles des Correspondances (AFC) ». Par rapport à l’objectif visé, le choix des autres méthodes proposées ne semblent pas pertinentes. Pour visualiser toutes les données, les options suivantes ont été sélectionnées : « Tableau croisé », « Feuille », « Libellés inclus ». Bien que les données supplémentaires soient en mesure d’apporter des précisions, seul le test d’indépendance Khi2 a été choisi dans l’onglet «options». Car, les modalités en dessous du seuil de 3 pouvant être utilisées comme des données supplémentaires

148 Professeur en statistiques, membre du laboratoire de mathématiques appliqués Agrocampus Ouest. 307 | P a g e n’apportent pas plus de précision. Les données manquantes n’ont également pas été acceptées.

Même si le traitement automatique a permis une analyse des tableaux croisés, la lecture des résultats a été plus difficile.

- D’une part, une analyse approfondie des résultats nécessitent une connaissance dans le domaine des statistiques. Ce sont des modes de calculs qui renvoient à des notions en mathématiques, même si le logiciel évite l’utilisation directe de formules. - D’autre part, la présentation des résultats sous de nombreuses formes. Parmi les apparences, le test d'indépendance entre les lignes et les colonnes ; les valeurs propres et pourcentages d'inertie ; 5 tableaux pour les lignes ; 5 tableaux pour les colonnes ; les graphiques pour les lignes et les colonnes etc. Peut-être que cette méthode va être plus appliquée en analyse de données qualitatives, si le nombre de résultats est simplifié. Un examen des résultats des graphiques symétriques, et du test de khi2, a été réalisé. Il permet d’obtenir les résultats sur les différences et les similarités des formes de représentations sociales des impacts du barrage.

II. POSTURES SUR LES IMPACTS NEFASTES: DIFFERENTES VOIRE CONFLICTUELLES Certes les acteurs rencontrés ont pu se montrer critiques à l’encontre du barrage, mais, moins que les habitants de la zone environnante qui en ont davantage subi les effets. Peut-être, les acteurs ont surement recours à leur formation, leur statut politique ou administratif, lorsqu’ils parlent des effets néfastes du barrage, quand les habitants, et particulièrement ceux des villages déplacés, se remémorent les pertes et dommages. 1. Des acteurs observateurs ? Dans la majorité des cas, les acteurs tentent d’expliquer les externalités liées au barrage comme s’ils sont hors du système. Les réponses concernant les effets néfastes ont été très variables.

308 | P a g e

Lignes Colonnes 2,5 DCCRC Modernisation

2

1,5

1 DDSPAR Mesures Pollution Acculturation Chômages Vente Périmètres Injustice Conflits 0,5 Électrification DEESA Désorientations Choix Risques Frustration DCVND

Disparitions F2 (19,81F2%) Difficultés DEPDE Émigration Déguerpissement 0 Faim Terres LimitesDéceptions Agriculture DCVD DEPRPlantes Fleuve -0,5 Pauvres

MaladiesDDSN -1 ÉlevageDRAAS

-1,5 -3 -2,5 -2 -1,5 -1 -0,5 F10 (32,150,5 %) 1 1,5 2 2,5 3 3,5

Figure 39 : formes des représentations chez les acteurs interrogés, (réalisation, C. Cissé).

Dans la figure 39, l’axe factoriel 1 renferme 32,15% de l’écart à l’indépendance. L’axe factoriel 2 correspond à 19,81%. Ils représentent 51,96% du khi2. L’analyse du tableau lexical sur les impacts négatifs montre une liaison entre les deux variables. À l’évidence, certains mots ont été particulièrement utilisés par un code. Le risque de rejeter l’hypothèse selon laquelle les lignes et les colonnes du tableau sont indépendantes, alors qu'elle est vraie, est inférieur à seulement 0,01%.

On constate que la distance vis-à-vis du centre de gravité du graphique est plus faible pour les codes DCVD, DCVND, DEPDE, et le DRAAS. Les codes DEESA, DDSPAR, le DEPR, DDSN, et le DCCRC sont quant à eux plus éloignés. Il s’agit d’une séparation entre les acteurs qui utilisent des mots spécifiques sur la droite, et ceux plus analogues à gauche de l’axe 1. Autrement dit, le premier axe factoriel représente le niveau de connaissances des effets néfastes.

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1.1. Un jargon d’experts à l’opposé des réalités vécues On se demande s’ils vivent dans le Haut-bassin du fleuve Sénégal au Mali. Dans les DEESA, des termes comme « risque », « pollution », et « mesure » ont été mentionnés. À Bamako, on peut constater que le groupe de mots maladies hydriques est très présent dans le DDSN. Certainement pas pour les mêmes raisons, il est également plus entendu dans le DRAAS. Les premiers donnent l’impression de se servir d’un jargon d’experts, ce qui n’est pas le cas dans les villages.

Là, les mots s’appuient sur des exemples de bouleversement des activités comme les difficultés de transhumance des éleveurs depuis la mise en eau. Autour du lac, dans les DCCRC, l’effet négatif est peu perçu. Ils ne voient presque pas de répercussions négatives en dehors du dérangement des techniques de pêche, de l’accessibilité à l’école, et du manque d’électricité. À cet effet, l’axe 2 de la figure 39, renseigne sur les perturbations des activités économiques.

1.1.1. Des explications sans critiques ? Les représentants de l’État interrogés se sont exprimés sur les impacts écologiques et les risques de conflit. Leurs réponses ressemblent davantage à des explications qu’à des critiques. Elles sont aussi l’occasion pour eux de proposer des solutions. On a pu entendre un membre du conseil régional de Kayes révéler :

« la construction du barrage a entrainé une fuite énorme des espèces. La réserve du Bafing est une des cinq plus importantes du Mali. Cette réserve est malheureusement une des victimes du barrage. Le mode de vie de ses populations qui dépendaient des ressources naturelles a changé. Au lieu d’aller chasser directement, maintenant, ils vont acheter de la viande. Ceci est une dépense de plus. Le conseil général essaie de trouver des solutions sur ce point. Nous organisons un forum économique de Bafoulabé pour voir comment à travers toutes ses potentialités, Bafoulabé peut se développer149 ». Dans le même sens, l’opinion du sous-préfet des communes de Bamafélé et de Diokéli est plus précise. Mais, il laisse entendre que le barrage est un élément séditieux de la gestion foncière.

«Le déplacement de l’amont vers l’aval a complètement désorienté les habitants du Bafing. Ils étaient bien dans leurs anciens sites. Mais, le barrage a causé un déphasage par rapport à la réalité. D’autres problèmes comme le manque de terres de cultures se sont également posés. Dans l’ancien site, les habitants n’étaient pas nombreux. Ils avaient des terres

149 Extrait de l’entretien individuel avec un membre du conseil régional de Kayes, réalisé pendant l’été 2012. 310 | P a g e abondamment riches, beaucoup d’espace. Ils vivaient d’activités agropastorales. Avec le déplacement chaque village a été recasé et a reçu des terres cultivables limitées. Si 10 ha pouvaient combler les besoins d’habitants d’un village, ces besoins ont augmenté. Par conséquent, les gens créent de plus en plus des hameaux de cultures. Le barrage a aussi amené une rareté de l’eau à laquelle les villageois sont confrontés en saison sèche. L’eau des forages ne suffit plus. Heureusement en accompagnement des travaux de bitumage de la route Manantali- Mahina, la SOGEM et les chinois vont construire 30 forages couvrant les deux communes. Ceci va être un vrai soulagement pour les habitants150». Une contraction a été notée dans cette conversation. Dès le début, le sous-préfet a montré des connaissances sur l’histoire de la zone, sur les difficultés subies par les habitants et particulièrement des cas de conflits autour de la question foncière. Malgré le fait qu’il s’occupe de la résolution de cas de conflits. Les habitants sont toujours évoqués à la troisième personne du pluriel, laissant supposer une distance.

Comme pour se protéger, les représentants de l’État interrogés laissent apparaître des nuances dans leurs explications relatives aux externalités négatives de la mise en marche du barrage. C’est sans doute parce qu’ils sont partagés entre leur qualité d’habitant de la région de Kayes (qui les amène à insister sur les profondes modifications), et leur responsabilité administrative qui les contraint à adopter une position défendant l’investissement de la République, et à promouvoir les solutions proposées par les services publics régionaux afin d’améliorer la qualité de vie des habitants. L’entretien avec le Préfet de Bafoulabé en est un parfait exemple. Le fonctionnaire révèle qu’il « n’y a rien qui n’ait pas d’impacts négatifs dans la vie. (…). Mais, lorsqu’ils existent, ils le sont plus chez les populations qui sont à côté du barrage. Je sais que les populations ont été recasées. C’est au moins un cas d’impact négatif culturel et sociologique151». Pourtant, lorsque la question des mesures de préventions d’un risque de rupture a été posée, tous les responsables ont affirmé l’absence d’un plan directeur. On a vu un plan d’évacuation d’urgence affiché à la mairie de Bamafélé, toutefois il ne donne pas l’impression d’être connu. Les chefs et les habitants des villages riverains du barrage ont été les plus critiques.

150Extrait de l’entretien individuel avec le sous-préfet des communes de Diokéli et de Bamafélé, réalisé pendant l’été 2012. 151 Extrait de l’entretien individuel avec le préfet du cercle de Bafoulabé, en 2012. 311 | P a g e

1.2. Villages et campements : positions différentes ? Dans la zone du barrage, une première différence est constatée entre les campements et les villages. Si les campements n'ont presque rien à répondre à cette question des impacts négatifs (plus de 83% des personnes interrogées pensent que le barrage n’a aucun résultat négatif), les habitants des villages n’ont pas raté l’occasion de montrer leur mécontentement. En amont, l’externalité négative mentionnée, mais dans des proportions faibles, est la fluctuation du niveau du lac (Carte 35).

Carte 35 : principaux effets négatifs cités par localité étudiée

Les habitants interrogés se considèrent comme les plus grands perdants à tous les niveaux. Ils ont soit été déplacés, soit accueillis les villages réinstallés. Notamment, cet ouvrage a créé un manque de terres cultivables dans tout le Bafing. À l’évidence, les autochtones ne parviennent pas à accepter cette situation, parce que ce problème marque le début d’un cycle dans lequel ils pensent être condamnés. À chaque village réinstallé, des terres ont été attribuées. Or celles-ci correspondent aux champs ou zones de pâturage des anciens villages. Dès lors, ni les uns, ni les autres ne peuvent agrandir

312 | P a g e leurs zones d’activité ou d’habitation. Par conséquent les sols de cultures deviennent pauvres avec le temps ; malgré l’utilisation d’engrais chimiques les rendements demeurent faibles. Les habitants de Kondonia confiaient :

« le barrage a eu beaucoup plus d’impacts négatifs» pour eux. « Il nous a transformé notre havre de paix en un milieu à problème. Car dans le Bafing, on n’arrivait pas à consommer tout le lait de vache, le mil, l’arachide en abondance. Mais depuis l’arrivée du barrage on n’a plus rien. On ne peut rien avoir. Chaque année le nombre de problèmes augmente152». Parmi les villages étudiés, les habitants de Kondonia ont été plus critiques. Lors de l’entretien chez le chef de village, les répondants étaient plus de 20 hommes jeunes et adultes. Même si les inconvénients ont été plus soulevés par les habitants de plus de 50 ans, tous accusent le barrage d’être à l’origine de tous leurs problèmes. Ils ont également l’impression de ne pas être défendu par l’État malien. Ce dernier «a laissé leur destin aux mains de l’OMVS», ce qui est ressenti comme une «injustice». À ce titre, les plus jeunes ont beaucoup déploré le «refus» de la société d’exploitation de les recruter.

On note un sentiment de regret chez tous les chefs de villages. Majoritairement présents avant le barrage, ils sont contrariés par la perte des valeurs et des traditions locales. Ces changements ont aussi affecté la cohésion des familles. Un d’entre eux s’exprimait :

«Nous avons perdu nos valeurs. Auparavant, il suffisait de regarder un enfant dans les yeux pour lui faire comprendre un message. Maintenant les enfants ne connaissent plus le langage des yeux. Quand on les regarde, ils nous demandent pourquoi. Les gens ne sont plus pudiques. De nombreux villages ont été déplacés et les gens n’ont plus rien, plus de parcelles, plus de bœufs. Plusieurs familles se sont disloquées. Les membres des familles qui ont trouvé du travail au sein de la société d’exploitation du barrage ont acquis des terres en aval, se sont installés à Manantali. Ils ne sont plus retournés dans leurs villages ou villes. Ceci a considérablement augmenté la population de Manantali. Nous ne pouvons pas comprendre que tous les habitants du village n’aient pas accès à l’électricité alors qu’on est à moins de 5 km du barrage. C’est injuste153». Le cas de Manantali est spécial (Carte 35). D’abord, ils sont les seuls à avoir insisté sur la cherté de la vie et à parler de la présence des eaux stagnantes, des problèmes de canalisation. En fait, le discours montre la modification totale de l’organisation de ce village. Manantali peut-il encore être considéré comme un village ou bien est-ce

152 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village du Kondonia, réalisé en mai 2014. 153 Extrait de l’entretien collectif chez le chef du village de Manantali, réalisé en mai 2014.

313 | P a g e devenu une petite «ville» ? Les habitants construisent de plus en plus des maisons à étages, affichent des habitudes citadines ; les conflits autour du foncier se terminent au tribunal. Quoi qu’il en soit, sa gestion dépasse dorénavant les seules compétences de la famille du chef de village. Entre les décideurs de la société d’exploitation, et le maire de la commune, le chef dispose-t-il encore d’un pouvoir?

Le village le plus éloigné, Diakhaba, est le plus préoccupé par les conséquences sur la partie avale du Bafing. Les habitants ont expliqué les dommages de l’inondation et de l’érosion des berges. La variance du niveau de l’eau est importante, et a causé de nombreux cas de noyade. Par ailleurs, le développement des plantes aquatiques a rendu difficile la traversée du plan d’eau et l’activité économique de la vente de sable. C’est en ce sens qu’ils disaient :

«L’extraction du sable est une activité qui s’est beaucoup développée ces dernières années. Le sable du fleuve est vendu pour la construction des maisons. Nous faisons ce travail comme activité secondaire. Mais, nous avons beaucoup de problèmes à cause de la présence des plantes aquatiques dans le fleuve. Elle nous dérange énormément dans notre travail154». Les personnes présentent lors de l’entretien, présidé cette fois-ci par l’imam, ont souligné le singularisme de ce village. Ils ne se sentent pas très concernés par le barrage. Sans doute parce qu’il n’a changé ni les activités ni les habitudes à Diakhaba.

Le cas des villages de Maréna et de Goumbalan est plus remarqué. Cet ouvrage est le symbole des promesses non-tenues par les gestionnaires. Tout au long de leurs discours, les chefs n’ont cessé de faire référence au passé. Chaque impact souligné correspond à un bien perdu. Ils louaient la solidarité, l’accès facile au fleuve, et la tranquillité de jadis. Et tel un fardeau, ils racontent les changements occasionnés par le barrage. Malgré eux, ils confessent qu’ils sont «obligés de reconnaître que le barrage a des avantages comme la route et le dispensaire». Cependant « ces avantages sont limités » face à l’insuffisance :

« de produits agricoles à commercialiser par ces routes et au manque d’argent pour aller nous soigner au dispensaire de Maréna». «On nous a promis une vie meilleure et nous sommes venus avec ce rêve mais sincèrement nous n’avons que des problèmes à cause de ce barrage. Nous avons un problème d’eau pour le jardinage. Dans l’ancien site nous étions très proches

154 Extrait, enquête auprès des habitants du village de Diakhaba, réalisée pendant l’été 2012. 314 | P a g e du fleuve. Maintenant on est loin du fleuve. Le pire est que nous n’avons même pas de l’eau potable155 ». Contrairement aux paroles explicatives des acteurs, celles des habitants des villages sonnent comme des appels au secours. Ils n’ont pas choisi le déplacement et moins encore les sites de réinstallation. En fait, ces villages n’ont simplement toujours pas accepté cette situation même après 25 ans. Malgré la cohabitation avec les allochtones et les étrangers de Manantali, ils utilisent toujours le complément « notre » comme pour montrer leur possession du Bafing, des terres, de la zone, mais ils ne l’ont jamais associé au barrage.

Le sentiment de tristesse est aggravé par une comparaison répétitive avec le village de Manantali. Les déplacés se considèrent-ils plus légitimes pour recevoir les avantages ? Si la localisation de Manantali est son seul avantage, comment se fait-il que tous les villages étudiés soient restés traditionnels? Après l’examen des postures sur les effets néfastes, je m’intéresse aux résultats concernant les formes de représentations des opportunités du barrage.

Le sentiment de tristesse est aggravé par une comparaison répétitive avec le village de Manantali. Les déplacés se considèrent-ils plus légitimes pour recevoir les avantages ? Si la localisation de Manantali est son seul avantage, comment se fait-il que tous les villages étudiés soient restés traditionnels? On examine les résultats concernant les impacts positifs.

155 Extrait de l’entretien collectif à Goumbalan, 2014. 315 | P a g e

Encadré 11: les discours des habitants sur les effets néfastes156.

- «Le barrage est implanté chez nous, mais les jeunes de la localité ne bénéficient pas de ses avantages. Il a provoqué une accentuation de la délinquance juvénile, les étrangers sont toujours prioritaires et les gestionnaires refusent de nous recruter. Pourtant, ils devraient employer les autochtones à la place des allochtones» (extrait, enquête auprès des habitants à Manantali, été 2012). - «Le barrage nous a obligé à changer de métier car l’agriculture ne paie plus à Manantali» (extrait, enquête auprès des habitants à Manantali, été 2012). - «Avec le barrage, le nombre de petits groupes de sous-traitance a augmenté. Les travailleurs ne sont parfois pas payés. On souhaiterait être directement recruté par l’OMVS ou ESKOM, et éliminer la sous-traitance. Mais eux, ils ne nous considèrent pas» (extrait, enquête auprès des habitants à Manantali, été 2012). - «Le barrage s’est accompagné d’une grande immigration vers Manantali. Manantali est devenu une zone ouverte au monde. Cette situation aggrave le manque de terres déjà noté. Le village n’était pas si peuplé. La vie n’était pas aussi dure. Aujourd’hui la plupart des habitants de Manantali sont sans emplois et la misère s’est installée. Enfin, le nombre de poissons a diminué» (extrait, enquête auprès des habitants à Manantali, (été 2012). - «Le barrage nous a rendu pauvre. Il a sali l’eau du fleuve alors que l’eau potable n’est pas à la portée de tout le monde. Les pompes sont souvent en panne et la réparation coûte chère» (extrait, enquête auprès des habitants à Manantali, été 2012). - «Nous avons toujours cultivé dans la zone. Avant le barrage on pratiquait l’agriculture, la chasse, la pêche dans les marigots, et l’élevage de bœufs, de moutons, de chèvres, de volailles. Les rendements de l’agriculture étaient très importants, on ne connaissait pas la faim. Il a conduit à un manque de terres et de zones de pâturage. Les seuls sols disponibles sont pauvres. Tous nos animaux sont morts. Maintenant la seule solution est de partir vers les hameaux de cultures. En aval, il y a trop de maladies hydriques» (extrait, enquête auprès des habitants de Maréna, été 2012). - «Nous avons parfois peur lorsqu’on se rend en amont. La quantité d’eau est trop importante. Nos villages sont justes en aval dans un trou. Une rupture du barrage entrainerait notre perte. C’est trop dangereux» (extrait, enquête auprès des habitants à Maréna, été 2012). - «Nos femmes ont perdu certains avantages à cause du barrage. Avant, elles fabriquaient des habits «Bogolan» et elles pouvaient les vendre pour se faire de l’argent. Á cause du barrage, elles n’assurent plus cette place de tailleurs de tenues traditionnelles dans nos sociétés. Nous avons tout perdu : nos terres, nos fétiches, nos coutumes. Il ne nous reste plus que la pauvreté » (extrait, enquête auprès des habitants à Maréna, été 2012). - «D’autres villages bénéficient des avantages du barrage. Manantali et Bamafélé sont électrifiés. Les villages de Sobela, Nantela, Kondonia, Tintila, Manantali bénéficient des périmètres irrigués alors que nous, qui avons tout perdu à cause du barrage, nous n’avons rien» (extrait, enquête auprès des habitants à Diokéli, été 2012). - «Dans notre ancien site, on était très riche. La présence de la forêt, des gibiers, des poissons, du miel et des médicaments traditionnels, nous permettait de vivre tranquillement» (extrait, enquête auprès des habitants à Diokéli, été 2012). - « Le barrage de Manantali n’a rien fait pour nous. Il a créé l’érosion des berges. Cette érosion et l’inondation détruisent les cultures et diminuent nos rendements» (extrait, enquête auprès des habitants à Diakhaba, été 2012). - « Nous sommes incapables de contrôler les fluctuations. La période de montée et de descente de l’eau n’est pas régulière. Cette situation rend très difficile la pêche et nous empêche d’avoir beaucoup de poissons » (extrait, enquête auprès des habitants des campements, été 2012). - « Il ne faut pas vous fatiguer à chercher loin, la route est la seule chose concrète apportée par le barrage » (extrait, enquête auprès des habitants à Bamafélé, (été 2012)).

156 Lors des enquêtes par questionnaires auprès des habitants des villages et des campements, réalisées pendant l’été 2012. 316 | P a g e

III. De Bamako aux campements: des similarités malgré la distance Pourquoi les personnes interrogées à Bamako et dans les campements s’accorde à faire un éloge du barrage malgré la distance? Ci-dessous une partie du tableau croisé traité afin de répondre à cette question (Tableau 10).

Tableau 10 : modèle de tableau de contingence

Impacts positifs Codes ou Routes Dispensaires Écoles Immigration Programmes logiques DCVD 12 5 5 0 0 de discours DCVND 5 0 0 15 4 DEESA 0 24 1 9 18 DRAAS 0 4 0 5 10 DCCRC 1 0 0 0 0 DEPDE 5 1 1 1 1 DDSPAR 9 0 0 0 1 DEPR 3 0 1 0 0 DDSN 0 0 0 1 0 Total 35 34 8 31 34

Source : C., Cissé, 2016.

Ce tableau 10 est composé de deux variables qualitatives. Les codes ou logiques de discours, d’une part, et les impacts positifs d’autre part. Les modalités correspondant à quelques mots ou thèmes utilisés pour décrire les impacts positifs de Manantali sont en colonnes.

Le graphique 40 affiche que l’axe 1 renferme 29,52% de la variance et l’axe 2 21,21%. Ce graphique n’a pris en compte que 50,73% de la variance du tableau, donc plus de la moyenne. Autrement dit, il révèle une opposition entre le DCCRC, le DDSPAR, le DDSN sur la droite de l’axe 1, et les autres codes sur la gauche. L’axe 1 représente la posture par rapport aux avantages du barrage. De la gauche vers la droite, des plus faibles aux conséquences les plus positifs soutenues. Une lecture du second axe indique une opposition des acteurs de la zone environnante DCVND, DCVD, DRAAS, DEESA et DCCRC en haut, face aux DDSN, DEPR, DDSPAR à Kayes et à Bamako, en bas.

317 | P a g e

2

1,5

Formations 1 Campements Immigration Programmes DCVND Dispensaires DCCRC Modernisation DRAAS Pêche 0,5 DEESA Intégration Recasement Emplois DCVD Financements

F2 (21,21 %) (21,21 F2 Écoles 0 Routes DEPDE

-0,5 Irrigation Développement Régularisation Partenariats DDSPAR -1 DEPR Électrifcation DDSN

-1,5 -2,5 -2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 F1 (29,52 %)

Lignes Colonnes

Figure 40 : formes des représentations sociales des opportunités du barrage, (réalisation, C. Cissé)

Cet axe informe sur le rapport quantité-portée des impacts positifs. Par ce que, ceux qui sont en bas mentionnent moins de termes. Pourtant, ils ont eu plus de poids dans le graphique à cause des ressemblances contrairement aux codes en haut qui ont indiqué plusieurs formes de retombées positifs. Le DEPDE est composé de mots aussi bien utilisés par le premier groupe que par le deuxième. C’est pourquoi ses coordonnées sont proches du centre.

1. Plus défendus aux échelles régionale et nationale Les effets positifs sont plus défendus aux échelles régionale et nationale. Les habitants de ces lieux sont-elles pour autant les plus grandes bénéficiaires du barrage? Si oui, est-ce parce qu’elles n’ont pas subis les désordres lors de la construction ? En nous référant aux réponses entendues, on constate que les directeurs de structures se

318 | P a g e basent sur l’effet dans leur domaine d’action. Principalement concernés, les services de la pêche et de l’agriculture, ou encore de l’énergie, et de l’hydraulique. Le barrage a participé à la régularisation du cours d’eau, à l’augmentation du nombre de grands puits et forages et à l’électrification des villes. Par conséquent, ils sont généralement satisfaits de l’avoir dans leurs zones d’actions. Quelle est la spécificité des réponses des villages et des campements ?

2. barrage de Manantali: source de division en 4 groupes La zone environnante comporte quatre groupes concernant les formes de représentations des opportunités. Dans le premier, les deux plus gros villages déplacés qui ont donné de faibles réponses. À Diokéli et à Sollo, les habitants ont néanmoins signalé la construction de routes et le désenclavement de la zone. Le centre de santé, les écoles ont été aussi mentionné (Carte 36).

Carte 36 : principaux impacts positifs cités par localité étudiée

Ensuite, les petits villages de la rive gauche : ce sont les plus proches des périmètres irrigués. Pour eux, même s’ils ne l’exploitent pas, l’irrigation est une

319 | P a g e possibilité. Les habitants de Maréna, de Goumbalan et de Kondonia rappellent le développement de la pêche et les routes. Ils déclaraient :

«la route est le seul impact positif, car on peut se déplacer vers Manantali et vers les grandes villes sans probléme. Nous pouvons quitter le matin Kondonia et être dans l’après-midi à Bamako, ce qui était impossible avant le barrage. Pendant les cinq années de construction, nous avons eu du travail, et c’était très bien. le barrage a également permis d’avoir de l’eau en abondance 157 ». Soulever la question des effets positifs, c’est aussi mettre en exergue la spécificité de Bamafélé et de Diakhaba. Même si Bamafélé a été déplacé, il est resté le chef-lieu de commune et est un des deux villages électrifiés dans la zone. De ce fait, 61% des personnes interrogées citent cet avantage non négligeable. Alors que l’eau pérenne et les financements octroyés par la société d’exploitation pour des événements religieux sont fortement soulignés à Diakhaba.

Enfin, les réponses à Manantali et dans les campements ne révèlent pas de surprise. Les habitants des campements indiquent à 97% le développement de la pêche. Au même titre, le lac, la création d’emploi et même l’électrification de la ville de Kita sont évoqués. Pourtant cette ville se situe à plus de 100 km. On se demande dès lors quel peut-être le lien? En quoi l’électrification de Kita est un avantage pour les campements? En un sens, les marchés de cette ville sont d’importants lieux de commercialisation des poissons du lac. Cette électrification offre de fait des possibilités de conservation. De l’autre côté, les pêcheurs se ravitaillent en barre de glace au retour de Kita.

Dans le village de Manantali, l’accès à l’électricité158 est cité par 58% des personnes interrogées. Le barrage a attiré des travailleurs internationaux. De sorte que de nombreux emplois ont été créés. Dans ce contexte, le poids du village a conduit à l’installation d’un marché et d’un pont reliant les deux rives. Mais les transformations sont telles que l’accès à internet, l’installation d’un bureau de la gendarmerie159 ont été nécessaires. L’avantage160 des habitants est qu’ils sont ravitaillés par les trois châteaux

157 Extrait de l’entretien collectif chez le chef de village de Kondonia, réalisé en mai 2014. 158 Elle est fournie à un tarif réduit par la société EDM. 159 Chargée de la sécurité du barrage 160 En somme, en nous basant sur la synthèse des réponses des habitants des villages riverains, voici les principaux impacts du barrage de Manantali : 1. la construction de route et le désenclavement des villages, 2. le développement de la pêche, 3. la construction d’écoles, 4. la création d’emplois et de nouveaux métiers, 5. le développement de

320 | P a g e d’eau. L’inégal accès à ces avantages est une limite dans ce village. Malgré les châteaux d’eau certains habitants boivent l’eau du fleuve ou des puits. Dans la cohabitation avec les travailleurs internationaux, les zones d’habitation sont bien tracées. D’une part l’emplacement du barrage, des bureaux de la société d’exploitation, les deux cités pour les employés, et de l’autre le village traditionnel et son échelonnement. Mais à l’intérieur du village de Manantali des postures conflictuelles sont remarquées.

3. Des conceptions opposées entre les autochtones et les étrangers L’occupation spatiale de Manantali suivant les statuts professionnels s’accompagne de conceptions opposées. Pour les étrangers et allochtones, le barrage a beaucoup d’avantages, ce sont plutôt les habitants du Bafing qui ont choisi leurs modes de vie. «Ils sont fainéants et ne veulent pas travailler» selon un agent de la société d’exploitation. Cette situation créée une faiblesse des ressources financières et augmente la dépendance envers les familles des travailleurs internationaux, qui emploient les habitants comme femme de ménage, jardinier, gardien. Les autochtones sont également des travailleurs journaliers dans les champs des étrangers.

Pour les autochtones, les origines de cette situation remontent à la période de construction. Ils refusent d’entendre qu’ils ont choisi de ne pas travailler. Pour eux, ce sont plutôt les gestionnaires qui ont créé une rupture dans leurs modes de vie. Pendant des mois, ils n’ont pas eu besoin de pratiquer les activités traditionnelles notamment l’agriculture et l’élevage, mais les autochtones, même s’ils acceptent la cohabitation, se sentent dépossédés, avec l’impression d’être mis au troisième plan après les étrangers et les allochtones. L’aménagement des périmètres irrigués en est un exemple. Comme nous l’avons dans le chapitre V, ces périmètres ne sont pas bien exploités par ce que les autochtones ont décidé de les abandonner. Il est important de les associer aux prises de décisions concernant des projets de développement, de créer des emplois dans les secteurs qu’ils proposent pour limiter l’abandon des terres du Bafing aux étrangers.

l’irrigation, 6. la construction de centres de santé, 7. l’électrification des villages, 8. la présence permanente de l’eau dans le fleuve, 9 : le développement du commerce, et 10 : l’immigration.

321 | P a g e

Parmi les autochtones, ceux qui partent sont de plus en plus jeunes comme nous allons le voir dans les lignes qui suivent.

4. L’école pour qui et pourquoi ? Lors des enquêtes, je me suis rendue compte que l’école était citée comme l’un des plus grands effets positifs probablement parce qu’avant le barrage, seule l’école de Bamafélé accueillait les élèves de la zone. Désormais les villages environnants ont plusieurs écoles, mais est-ce pour autant que les habitants y envoient leurs jeunes enfants ? Comment sont-elles réparties dans la zone ? Mon objectif est de déterminer si tous les villages, où cette externalité positive est soulevée, en profitent réellement ?

Dans les villages de Manantali, de Bamafélé, de Diokéli, de Sollo, de Maréna, et de Kondonia, les habitants interrogés ont au moins un enfant scolarisé, principalement parce qu’ils ont bénéficié de la construction d’une école lors de la réinstallation (Carte 37). D’autres écoles ont été financées par des partenaires étrangers. Le chef du village de Maréna me confiait que «pour le premier cycle de l’école de Maréna», une première partie avait été financée « par la France», et une seconde partie comprenant de trois classes l’avait été par l’Allemagne « grâce aux programmes de jumelage ». Le second cycle « a été construit par les Pays-Bas ». Le chef précise que l’Allemagne «a aussi construit le centre de santé et la cité des enseignants » avant de conclure que ces «amis ont beaucoup fait pour le village». Avant, ils passaient par les chefs d’arrondissement, mais depuis la décentralisation au Mali, ils sont obligés de passer par la mairie161».

Pour les villages de Goumbalan162, de Diakhaba et les campements, je relève moins de réponses affirmatives concernant les enfants scolarisés. Il s’agit de nos terrains les plus enclavés. Ce facteur est peut-être une limite. Peut-être, le statut de village religieux de Diakhaba est un obstacle. Sommes-nous dans un cas similaire avec les campements? Les pêcheurs travaillent souvent avec leurs enfants.

161 Extrait de l’entretien collectif chez le chef du village à Maréna, réalisé en mai 2014. 162 L’école de Maréna accueille aussi les enfants de Goumbalan.

322 | P a g e

Carte 37 : pourcentage d’habitants avec au moins 1 enfant à l’école

4.1. L’école n’est pas une nécessité «pour nous» ! Un chef de campement me confiait que l’école n’était «pas une nécessité » pour eux. Sur l’ensemble des réponses, j’ai remarqué que 69 % des habitants pensent de façon similaire. Il est cependant important de nuancer ce pourcentage. Il s’agit du nombre de personnes interrogées n’ayant pas d’enfants à « l’école française», en effet de nombreux enfants garçons et filles sont à l’école coranique.

Dans les campements l’absence d’école explique pourquoi les quelques enfants scolarisés vont à Manantali163. Ils restent aussi dans les régions d’origines des parents, comme indiqué dans la deuxième partie, à Mopti et à Ségou principalement, mais aussi dans les villages voisins, à Kita ou à Bamako. Ceci explique l’importance du nombre de choix sur les lieux de scolarisation (Carte 38).

163 Il accueille 17% des enfants des campements, 3% vont à l’école de Tondidji, ou plus loin à Mopti 2%, à Kita 8% et à Bamako 2%. 323 | P a g e

Par ailleurs, les pêcheurs manifestent un rejet de l’école par « peur » de perdre leurs traditions, ils ont en effet « pour habitude d’apprendre le métier à leurs enfants dès le bas âge» et se déplacent souvent autour des points d’eau. Selon un chef de campement «l’école est un problème » car elle « détruit » les familles en poussant « les filles à refuser le mariage tandis que les garçons choisissent de rester dans les grandes villes et renient leur origine164».

Carte 38 : importance des possibilités de choisir les lieux de scolarisation

Par conséquent, les enfants n’ont souvent pas le temps d’avoir un diplôme. Ils reviennent aider les parents en s’investissant dans la pêche. Pendant ce temps, une nouvelle tendance est visible à Manantali. Les écoles sont abandonnées au profit des zones minières. Mais avant de présenter les causes de ces mouvements, je reviens sur la place majeure des écoles et lycées de Manantali dans la zone riveraine.

164 Extrait d’un entretien individuel avec le chef de campement de salingoun, en 2012.

324 | P a g e

4.2. Le rôle majeur des écoles et lycées de Manantali dans la zone Par rapport à Manantali165, la localisation de certains villages facilite l’accès aux lycées. Ces établissements accueillent les adolescents des villages les plus éloignés. J’ai toutefois noté que les enfants des travailleurs internationaux allaient généralement ailleurs c’est-à-dire à Kayes, à Bamako et au Sénégal, ou hors du continent. Autrement dit, si les villages en aval affichent une dépendance vis-à-vis des écoles de Manantali, ceux qui en ont les « moyens financiers » visent les meilleures écoles du Mali et à l’extérieur. À partir de là, les conditions d’études et la qualité de l’enseignement ne sont-elles pas négligées?

Photo 17 : une classe de l’école de la cité des cadres de Manantali, (réalisation : C. Cissé)

Pour répondre à cette question, un entretien a été fait avec K., le directeur d’école du village et natif du Bafing. Les résultats de l’entretien révèlent que le village possède six écoles publiques dont trois du premier cycle. Les trois autres écoles correspondent au second cycle. Il existe aussi dans le secteur privé deux lycées, deux écoles de formations professionnelles et deux jardins d’enfants. Après les cours, à 18

165 L’école de Manantali accueille1% des enfants de Diokéli, 9% de Maréna, 97% de Kondonia, 1% de Diakhaba, 17% des campements de pêche et 2% de Sollo. 325 | P a g e heures, les écoles se transforment en Centres de Développement (CED), dans lesquels des enseignants dispensent des cours de langue à une vingtaine d’adultes ayant terminé leur journée de travail. Le premier cycle a environ 387 élèves en 2014 (Photo 17). Dans chaque école du second cycle, trois disciplines sont proposées ; la littérature, les sciences et l’économie.

Les difficultés rencontrées dans ces classes sont notamment le surnombre d’élèves et le manque d’enseignants. Selon le directeur, depuis la décentralisation, l’éducation est devenue une compétence transférée. Or les mairies166 n’ont pas assez de moyens financiers pour recruter de nouveaux enseignants. Par conséquent, dans le premier cycle, il existe cinq classes pour quatre enseignants. Il précisait que «le manque de formation » des enseignants était aussi «une contrainte pour l’éducation ». Ils ne sont pas non plus très enchantés de quitter les grandes villes pour venir dans cette brousse, c’est la routine ici. Dans les grandes villes comme Bamako, ils peuvent se faire de l’argent grâce aux cours du soir à domicile167 ».Le manque de tables est l’une des conditions de travail qui sont fortement déplorées par le directeur, qui m’expliquait qu’il était normalement «prévu d’installer trois élèves par table » mais qu’en réalité ils les partageaient souvent à «5 ou 6». Sans me laisser le temps de comprendre le lien, il enchaînait en précisant que «le barrage n’apporte rien dans le fonctionnement de nos écoles». On saisit dans la suite de l’entretien qu’il veut désigner la société d’exploitation, me permettant de relevée une contradiction. En le questionnant au sujet des apports de l’ouvrage, il m’affirmait qu’il fallait «toutefois reconnaître que l’Eskom » avait « aidé pour l’adduction en eau potable, le mobilier, l’accès à l’électricité». Il précise qu’à chaque panne, qu’à chaque travaux à effectuer, il suffit de rédiger « une demande écrite » pour que la société envoie «ses techniciens ». Les parents d’élèves contribuent au fonctionnement de l’établissement en formant, avec la direction de l’école, le comité de gestion scolaire. Pour participer à ce comité, l’État a fixé une cotisation annuelle obligatoire, estimée à 500 FCFA, par parent d’élève. Ce système se retrouve dans «toutes les régions du Mali». Face aux problèmes, les parents décident de donner plus que cette somme.

166 Les écoles publiques sont aussi subventionnées par l’État 167 Extrait d’un entretien individuel avec un directeur d’école à Manantali, réalisé pendant l’été 2012.

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Les aides ponctuelles de la société d’exploitation, et celles des parents d’élèves en cas d’urgence, n’accroissent-elles pas la fragilité des sites scolaires? Si oui, les collectivités territoriales se sentent-elles vraiment concernées par ces écoles?

4.2.1. L’abandon des écoles au profit des zones minières L’abandon des écoles suscite l’inquiétude dans les villages. Du premier cycle au lycée, les élèves sont de plus en plus attirés par les zones minières. Je me suis laissée dire qu’entre « entre 2013 et 2014, (…), 20 élèves » du second cycle se sont volatilisés. « Certains lycéens abandonnent l’école et ne reviennent que le jour du baccalauréat. L’année dernière 8 ont complètement abandonné et ne sont pas encore revenus». Selon les habitants, les deux destinations sont les mines de Kéniéba au Mali et la zone frontalière avec le Sénégal.

Je me suis à la fois interrogée sur les causes de ces départs ces dernières années. Le premier facteur explicatif est la pauvreté. Mais, l’influence directe ou indirecte des travailleurs revenant des mines joue également un rôle. L’un des changements les plus visibles est la transformation des cases en maisons à étages. Comme me le confiait le directeur d’une des écoles de Manantali les personnes revenant des mines « impressionnent » car ils « arrivent avec beaucoup d’argent », sont en mesure d’acheter de « belles motos». Les jeunes qui voient ces changements sont aussi désireux de partir. Ils n’ont plus la patience de finir les études, ils disent que même après l’obtention des diplômes, il leur serait difficile d’avoir autant d’argent. Certains enseignants se sont eux aussi lancés dans cette aventure» a regretté le directeur.

Ces nouvelles migrations vers les zones minières se retrouvent dans tous les villages environnants. Elles ont été abordées à chaque entretien collectif. Le maire de la commune de Diokéli soulignait :

« Depuis quelques temps il y a un départ massif vers les zones minières à cause de la pauvreté du sol et des récoltes. Les gens cherchent du travail ailleurs. On note plus de départ que d’accueil d’étrangers. Alors que c’était le contraire. Les hommes vont jusqu’à Kédougou au Sénégal et à Kéniéba, à Sadiola, à Tabakoto. Ils reviennent souvent pour construire des maisons en dures. Ces gens restent modestes malgré tout168».

168 Extrait de l’entretien individuel chez le chef de village de Diokéli, réalisé en mai 2012.

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À Maréna, ils disaient : «il n’y a plus de jeunes même pour creuser les tombes lors d’un enterrement. Chaque jour des bus se remplissent et se dirigent vers ces zones d’orpaillage. Beaucoup de jeunes meurent là-bas. Les parents ne savent plus quoi faire». Malgré les conséquences, les villages continuent à se vider. Des membres d’une famille se cotisent parfois pour préparer le départ. Ces cotisations, combinées à des prêts, permettent d’acheter un détecteur d’or. Selon les habitants, le coût de cette machine avoisine les 3 millions FCFA. Plus de 25 ans après la mise en service du barrage, la zone de Manantali a-t-elle encore quelque chose à offrir ou bien assisterions-nous à la fin de l’attractivité de Manantali?

5. Sur les routes du barrage Comme pour l’école, les habitants considèrent que la construction des routes est un autre effet très positif. Dès lors qui en sont les principaux bénéficiaires ? Ont-elles permises de diversifier les modes de transports ? Si oui quels sont ces modes de transports ?

Des informations sur les modes de transport ont été obtenues lors des enquêtes. La carte 39 montre les principaux modes de déplacement des habitants dans les localités étudiées. La localisation incite peut-être les habitants de Manantali à privilégier la voiture. Paradoxalement, ce mode transport est aussi utilisé par les habitants des campements et de Diakhaba, terrains les plus enclavés de mon étude. Les pêcheurs prennent peut-être en compte les camions de poissons. La carte révèle également la forte utilisation de la charrette, surtout par les habitants de Bamafélé, de Diokéli, de Goumbalan, et de Sollo. Les motos sont aussi utilisées dans les campements, à Maréna et à Diakhaba.

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Carte 39 : principaux modes de transport par localité étudiée

Entre les campements, certains écoliers ont choisi de faire le commerce de poissons à vélo. C’est un moyen de se faire un peu d’argent en parcourant de petites distances. En général, ce sont des élèves qui habitent dans les villages Malinkés les plus éloignés du réservoir. Naviguer sur lac peut être difficile à cause des arbres (Planche photo 18), c’est pourquoi seuls les pêcheurs osent s’y aventurer la nuit. Selon eux, ces arbres sont la cause de nombreux accidents de pirogues169, de nombreux filets y sont perdus. K.P Anoh (2007) soulignait que « la présence très gênante des plantes depuis 1980 interdit l’accès à certains villages et débarcadères et présente un réel danger pour les pêcheurs (plusieurs cas de mort par noyade ont été signalés) » (ANOH, 2007).

169 Des pirogues deviennent des moyens de transports en communs les jours de marchés. À Dembakourou, les habitants payent 150 FCFA pour se rendre au débarcadère. 329 | P a g e

Planche Photos 18 : navigation difficile à cause de la présence des arbres, (réalisation : C. Cissé)

La construction des routes n’a toutefois pas stoppé les déplacements en pirogue. En aval proche, les habitants de Kondonia et de Maréna y ont recours afin de rejoindre la rive droite. Avec le bitumage de la route Manantali-Mahina, les commerçants de Manantali vont peut-être plus prendre le train.

Il existe alors une diversité des modes de transports sur les routes du barrage. C’est- à-dire les trajectoires possibles depuis son implantation. Les routes principales, entrant dans le cadre des mesures d’accompagnement, sont-elles gérées par les structures régionales concernées ? Autrement dit, la direction régionale des routes de Kayes est- elle responsable du suivi ? Comment la prise en charge de ses routes peut-elle être une opportunité pour plus ouvrir la région de Kayes vers Bamako et l’intérieur du Mali ?

5.1. Manantali, une voie d’ouverture vers Bamako Chercher des réponses aux questions précédentes m’a conduite à m’entretenir avec le responsable de la direction régionale des routes de Kayes en 2014. Cet organisme assure le suivi des réseaux routiers, la supervision des travaux exécutés par les entreprises privées nationales, et conseille les collectivités dans le cadre de la décentralisation.

Les routes du barrage sont gérées à l’échelon régional. La direction régionale de Kayes s’occupe de la route Mahina-Manantali sur 80 km environ, déjà en construction avec 50% revêtues en 2014. Si les agents s’occupent du suivi, l’importance de cette route a été bien appuyée lors de l’entretien.

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« Nous prenons en compte dans chaque rapport annuel en perspective les routes d’accès à Manantali. Sur la route d’intérêt nationale Kayes-Bafoulabé-Manantali-Tambagan-Kita- Bamako, ce n’est que le tronçon Manantali-Tambagan qui reste très difficile d’accès. Mon objectif est de motiver les autorités de Bamako à trouver des partenaires. Il faut commencer le plus tôt possible les travaux relatifs à la construction de la route Manantali-Tambagan, après les travaux de Mahina-Manantali bientôt terminés170».

Encadré 12: les catégories de routes et les sources de financement de la direction171

Exceptionnellement, cette direction régionale est formée par six subdivisions contre deux par régions en moyenne pour le reste du pays. Ceci s’explique par la taille et la localisation de la région. Chaque subdivision doit faire remonter l’information à la direction régionale de Kayes, qui la fait ensuite remonter à Bamako, à la Direction nationale des routes, dépendant du ministère des équipements. Depuis la décentralisation, les routes sont administrativement classées en quatre catégories en fonction de leur intérêt : national, régional, local et communal. Lorsque les collectivités territoriales concernées n’ont pas les moyens de les entretenir, la direction régionale de Kayes est responsable de toutes les routes financées par l’État. Celles d’intérêt national sont les plus suivies à cause des investissements très lourds et des enjeux économiques. Le corridor sud Dakar-Bamako et le corridor nord en sont des cas exemples. Sur le plan financier, son budget dépend de l’État. La structure nationale s’occupe de la logistique, des frais de suivi (le carburant, les coûts de réparation des véhicules…). Le conseil régional lui alloue également un budget. Le Fond routier est l’autorité chargée de financer exclusivement l’entretien. À ce titre, le responsable de la direction doit en faire la demande chaque année aux mois d’octobre- novembre, en de fin de l’hivernage. Suite à la réunion annuelle, la réponse est donnée en fonction des ressources disponibles. «Habituellement, même pas la moitié n’est financée. Par conséquent, la direction régionale reprend tous ses programmes en fonction du montant alloué par l’autorité». Après la reformulation des programmes, l’Agence d’exécution des travaux d’entretien Routier AGEROUTE assure la maîtrise d’ouvrage. Elle est déléguée par la direction nationale des routes et s’occupe de la recherche d’entreprise de contrôle sur le terrain.

Ici, c’est l’enjeu économique de l’ouverture de la région de Kayes vers Bamako qui est mis en exergue. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de bitumer le segment Kayes-Manantali. Dans cette perspective, deux projets de construction de ponts, sur le fleuve en plus d’un raccordement de 8 km, sont en cours de montage. Ces ponts devraient diminuer la dépendance au principal moyen de traverser le fleuve172 : le vétuste bateau de Bafoulabé. Dans le même sens, dans le cadre du programme d’ouverture d’un port173 au village d’Ambidédi174, un second pont à Kayes devrait être

170 Extrait de l’entretien individuel avec le directeur régional des routes de Kayes, réalisé en mai 2014. 171 Extrait de l’entretien individuel avec le directeur régional des routes de Kayes, réalisé en mai 2014. 172 Les autres moyens actuels de traverser sont les pirogues à bâton. 173 L’objectif est d’arriver à la navigabilité du fleuve Sénégal d’Ambidédi à Saint louis. 174 Situé à environ 60 kms de la ville de Kayes sur la route Kayes-Djiboli en allant vers Dakar. Le village d’Ambidédi est à la frontière des trois pays : le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Ce port est donc une priorité pour les trois pays. Toutefois l’existence d’un seul pont à Kayes pose un souci d’accompagnement des activités du futur port. Le 331 | P a g e construit. En l’état, il apparaît clairement que les routes du barrage ne sont pas suffisantes ; la liaison Kayes-Bamako via Manantali est donc souhaitable pour répondre aux besoins du trafic routier. C’est pourquoi le directeur interrogé a souhaité dépasser les relations « timides » que sa structure entretient avec l’OMVS. Il m’a affirmé que le barrage de Manantali était «un très bel ouvrage », et souligné son caractère « extrêmement important » en raison de ses « impacts sur le fleuve Sénégal » et par conséquent sur « la vie de tous les villages » qui bordent son lit.

On sent nettement l’influence de son fonctionnement jusqu’à Kayes notamment en périodes de basses eaux et de hautes eaux. La régularisation se sent au niveau du pont de Kayes. On ressent les impacts des lâchers à travers les niveaux d’eau, la fraîcheur… C’est extraordinaire d’avoir le barrage dans notre région. Mais, la direction régionale doit être plus considérée pour sa gestion. Je veux dire pour les prises de décisions et les projets dans notre région. Je sais que l’OMVS a fait des travaux de rénovations des berges dans la région. Et à travers la SOGEM, elle construit la route Mahina-Manantali et qu’elle dépend plus de Dakar. Mais elle collabore seulement avec la direction nationale. Nous voulons vraiment être associés à ce qui se fait » (Idem.). Une nouvelle fois, je constate dans les propos du directeur un souhait/un désir d’être davantage pris en considération, comme j’ai pu le remarquer dans pléthore d’entretiens. La collaboration de l’OMVS avec la direction nationale, ne semble pas suffisante pour l’échelle régionale.

Comme les habitants des villages et des campements ont également la possibilité de se rendre à Kayes par le train, il ne faut négliger le risque d’abandon total de ce moyen de transport après la finalisation de la route Bamako-Manantali-Kayes.

5.1.1. Un risque d’abandon du train ? La construction de routes du barrage a-t-elle affaiblie le poids du chemin de fer à Kayes? Pour répondre à cette interrogation, j’ai mené deux entretiens : un premier avec le chef de la gare de la ville de Kayes et un deuxième avec le chef de la division de Kayes175.

À l’occasion du premier entretien, j’ai tâché de comprendre l’histoire de la Régie du chemin de fer du Mali. Pour des raisons financières, cette régie, à l’origine

premier pont a été construit pour désenclaver et rallier «Kayesnding» ou petit Kayes à « kayesba» ou grand Kayes. Le financement de ce pont a été effectué par les populations, les élus, les opérateurs économiques. 175 Responsable d’un tronçon de 250 Kms de voies ferrés de la frontière entre Sénégal-Mali jusque vers Mahina, il est aussi responsable de l’entretien de tous les bâtiments, et des ponts sur cette distance. 332 | P a g e société publique, a été remplacée en 2003 par un consortium franco-canadien du nom de Transrail176. Les actionnaires publics sont le Mali et le Sénégal conservant l’objectif de continuer le transport ferroviaire.

Encadré 13: la société Transrail et la subdivision du réseau ferrée177

Rattachée au Ministère des Transports, la société Transrail est gérée par une direction générale située à Bamako. Elle est représentée à Dakar par un directeur délégué. Pour faciliter sa mission, un directeur central des opérations organise le transport et les installations fixes (voies) depuis Bamako. Ce directeur travaille avec une équipe composée d’un chef de département qui supervise les trois chefs de divisions de la partie malienne. Dans cette partie, le réseau ferré, estimé à environ 644 km, est divisé en trois tronçons : , Kayes, et Bamako. Chaque tronçon est lui-même subdivisé en quatre districts, gérés par des chefs de district secondés par des chefs de groupes. Dans cette étude, il s’agit des districts de Kayes, de Diamou, de Mahina et d’Ambidédi. En 2014, 17 personnes travaillent au district d’Ambidédi, 14 pour Kayes, 11 pour Diamou et 14 pour Mahina. Elles ne s’occupent que de la partie malienne du chemin de fer. La même organisation est maintenue dans la partie sénégalaise du réseau. Le train reste un mode transport privilégié dans les villages les plus enclavés qui, selon le chef de gare, se situent entre les villes de Kayes et Kita178. Il affirmait que le train était « très bénéfique » et que «c’est ce qui nous motive à vouloir l’entretenir par tous les moyens179». Grâce à lui les déplacements sont facilités durant la saison des pluies, période durant laquelle les routes non bitumées deviennent impraticables. De surcroît de nombreux produits agricoles sont transportés par train pour éviter des pertes liées à la difficulté de maintenir une chaîne de conservation. Toutefois malgré son utilité, la fréquence des trains a aujourd’hui diminué. Est-ce un dommage collatéral direct qu’il faut imputer à la construction des routes du barrage ?

Cette baisse me semble au contraire être la conséquence de plusieurs facteurs, à commencer par la qualité des voies180 de circulation, c’est pourquoi seuls les trains de marchandises sont autorisés à circuler, avec une fréquence estimée à un par jour. Ces trains portent les numéros 123,125, 214, et 216 : les numéros impairs partent de Dakar et les numéros pairs s’y rendent. Dans un sens, des denrées alimentaires (riz, sucre, farine) et du matériel sont acheminés vers le Mali. Dans l’autre, vers le Sénégal, ce sont

176 Des possibilités de reprise par le Groupe Bolloré sont indiquées. 177 Extrait entretien individuel avec le chef de division de Kayes, réalisé en mai 2014. 178 Ceci s’explique en partie par une absence de route bitumée dans l’axe allant de Kayes à Diamou. Le manque de route entre Diamou et Kita en passant par Toukoto encourage les habitants à prendre les trains. 179 Extrait d’un entretien individuel avec le chef de gare de Kayes, réalisé en mai 2014. 180 Les matériaux qui composent le réseau ferré seraient vieux de plus d’un siècle et généralement importés. 333 | P a g e des "produits pauvres" comme le karité, des fruits secs mais aussi le coton produit par la Compagnie Malienne pour le Développement du Textile (CMDT).

Selon le chef de gare, la privatisation en 2003 a eu des conséquences dommageables sur le trafic, notamment à travers le licenciement, qu’il estime être de 700 personnes.

Avant 2009, pour le transport de passagers c’étaient deux trains qui circulaient quotidiennement : l’un à destination de Dakar, l’autre à destination de Bamako. Il existait également un train de banlieue entre Kayes et Mahina. Depuis 2009, en raison d’un accident, la liaison Dakar-Bamako a été arrêtée. Par conséquent, sur la partie malienne du réseau, la liaison Bamako-Kayes reste irrégulière. Le temps d’attente peut atteindre 48 heures car seulement trois trains passent par semaine et ce dans les deux sens. Ainsi un train au départ de Kayes à 20h15 arrivera vers 13h le lendemain à Bamako, d’où il ne peut repartir que le jour suivant.

À la suppression de la première classe, les voyageurs ne peuvent acheter que des billets pour la seconde classe. Les prix varient en fonction du trajet et de la place assise. Elle est de 6585 181FCFA pour une distance allant de Kayes à Bamako. Pour se rendre à Kati, le trajet coûte 6400 FCFA. Il s’élève à 4110 FCFA pour Kita. Alors qu’un voyage vers Toukoto182 va revenir à 3185 FCFA. Enfin, la somme de 2010 FCFA permet d’avoir un billet Kayes-Mahina. C’est le "minimum de parcours" sur un rayon de 150 km. Quel que soit la destination, la place assise correspond à un numéro vendu183 à 375 FCFA.

À la lumière de ces éléments, il est possible que la route Kayes-Manantali- Bamako puisse renforcer le poids du chemin de fer et accélérer l’intégration territoriale par le bas encouragée par acteurs de la pêche dans la zone riveraine. Le bitumage de la route Manantali-Mahina va faciliter l’accès à la gare de Mahina, à partir de laquelle les habitants des villages et campements pourront écouler plus simplement leurs

181 Les prix ne concernent que les grandes gares. Les petites gares intermédiaires n’ont pas été citées lors de l’entretien. 182 Le plus grand dépôt à l’époque coloniale. C’était également la zone de formation des agents. 183 On peut payer un billet sans avoir une place assise.

334 | P a g e productions aux voyageurs. Le renouvellement de la voie ferrée serait un projet en cours dans les deux pays.

Dans la zone du barrage, j’ai interrogé les habitants ordinaires et les acteurs dans les trois échelles au sujet des gestionnaires de l’ouvrage. Je désirais connaître leur sentiment à l’égard des actions menées, et parvenir à déterminer comment ils les perçoivent et quelles sont leurs attentes vis-à-vis des gestionnaires et donc du rôle du barrage.

IV. ATTITUDES VIS-A-VIS DES GESTIONNAIRES DU BARRAGE ET ATTENTES EXPRIM ÉES Lorsque j’ai questionné les habitants au sujet des rôles des gestionnaires du barrage, j’ai constaté qu’ils ne faisaient pas de distinction entre les trois entités. Pour la plupart, l’OMVS, la SOGEM et l’ESKOM sont les « barragetigui ». En langue bambara, ce mot signifie «les propriétaires du barrage». À partir de là, les trois ont été désignés sous l’appellation « gestionnaires ».

Les habitants connaissent les gestionnaires car ces derniers ont octroyé de matériels de pêche et de navigation, font des campagnes de lutte contre les maladies hydriques, aménagent des périmètres irrigués, ont mis en place des mesures d’accompagnement, et ont introduit une nouvelle mode de vie. Il semble que les rapports d’opportunité et/ou les liens d’incommodité jouent un rôle sur les représentations sociales des gestionnaires et du barrage. 1. Le poids des avantages favorise une appropriation du barrage ? 1.1. Effet des dons de matériels de pêche et de navigation Dans les campements, les gestionnaires ont permis l’obtention de matériels de pêche et de navigation, à travers des dons de fours en métal et de filets de la part de l’OMVS (Carte 40). Dans le cadre du PGIRE, le développement du secteur de la pêche est visé. Cet apport est important pour les pêcheurs, et leur offrent l’opportunité d’améliorer leurs conditions de travail. Les résultats de la constituent les principaux revenus financiers des familles. Il faut nuancer cette façon de percevoir les

335 | P a g e gestionnaires, car seuls les pêcheurs adultes ont été interrogés. Les femmes et les jeunes ont peut-être des idées différentes.

Carte 40: les réalisations qui ont permis de connaître le barrage

Cette forme de connaissances des gestionnaires est-elle influencée par les gains obtenus? La réponse à cette question semble être affirmative. Parce que les pêcheurs, les identifient également par rapport à la construction du débarcadère. L’inauguration de ce dernier a fait l’objet d’une cérémonie que je qualifierai de « politique », en présence des élus de la commune et des hauts fonctionnaires de la région. Sur ce point, on s’interroge sur les principaux gagnants de ces types de dons. Est-ce les pêcheurs destinataires des dons et du débarcadère? Ou est-ce que ce sont les gestionnaires qui se font une image positive? Quel est le rôle des élus et autres invités dans le suivi? Pour les habitants du village de Diakhaba, on retrouve cette forme de connaissances. À l’occasion des évènements religieux, la société d’exploitation contribue à leurs financements. Des soutiens de logistiques ont été également évoqués.

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1.2. Des dons de médicaments et de moustiquaires Les habitants des campements et des villages de Diokéli et de Sollo184 en bénéficient à travers des dons de médicaments ayant pour la plupart vocation à traiter la bilharziose. Des campagnes de dons de moustiquaires imprégnés sont énumérées. Le Paludisme fait partie, comme dans tout le pays, des principales maladies des habitants. Des familles entières, comme remarqué lors de la campagne terrain de 2012, peuvent tomber malades. Face à cette situation, des dons de cette nature sont bien marqués. Là encore, se pose la question des objectifs visés. Mais, les gestionnaires sont connus dans ces deux villages principalement grâce à ces dons.

1.3. L’aménagement des périmètres irrigués Il en est fait mention essentiellement à Goumbalan et à Diakhaba, alors que paradoxalement ils ne sont pas les villages les plus proches des périmètres irrigués. Si l’on en croit les réponses, les habitants n’en bénéficient pas non plus, ce qui m’a amenée à me questionner au sujet de cette mention. Alors pourquoi cette idée? Contrairement aux campements, la connaissance ne se justifie pas toujours par le gain obtenu. Cette mesure est peut-être connue par tous les villages, et à Goumbalan et Diakhaba les habitants pourraient vouloir en bénéficier. Non seulement les périmètres font partis des mesures d’accompagnement perceptibles, mais il peut y avoir un intérêt derrière cette occurrence, un besoin ou une volonté d’exploiter ces périmètres ? Une lecture des attentes exprimées par ces villages permettront peut-être de mieux comprendre les enjeux.

1.4. Les mesures d’accompagnements et le mode de vie particulier On peut compter parmi ces mesures la construction de routes, de centres de santé, d’écoles, le forage de grands puits, et l’électrification rurale. Sont principalement concernés par ces services les villages de Bamafélé, de Goumbalan, et de Maréna. Bamafélé est dorénavant traversé par la route et électrifié. Comme pour l’aménagement des périmètres, cet élément est connu de tous les villages.

184 Le centre d’alphabétisation est cité à Maréna et à Sollo.

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Le mode de vie est peut-être à l’origine des savoirs sur les gestionnaires. Le cas Manantali en est un exemple. Ce qui est intéressant, ce sont les mots employés par les habitants. À travers les châteaux d’eau, l’hôpital, le foyer des jeunes, les gestionnaires ont introduit dans le village une autre manière de vivre et de construire. En référence aux deux cités des employés, les habitants parlent «d’habitat moderne».

Là encore, on remarque une autre forme de décalage entre Manantali et les villages et campements. Ses habitants donnent l’impression d’être dans un autre contexte. D’ordinaire dans les villages et les campements les formes de connaissances se réfèrent davantage à des mesures d’accompagnement ou des de dons, mais à Manantali elles se justifient par l’introduction d’une autre manière de vivre. Cette différence peut-elle avoir des répercussions sur les relations entre les habitants et le barrage ? Après le constat des formes de connaissances des gestionnaires et du barrage, il a semblé intéressant de s’interroger sur les sentiments des personnes rencontrées sur le barrage. 2. Appropriation ou rejet: quels sentiments? Les positions adoptées sur la présence du barrage sont certes variables, mais il est toutefois nécessaire de s’interroger sur les éléments influant sur ces positions (Carte 41).

La carte 41 montre que les campements de pêche, et les villages de Manantali, de Diakhaba, de Maréna sont ceux qui s’approprient plus le barrage. Sans surprise les villages déplacés et le village de Kondonia manifestent plus de rejet de la présence du barrage. On peut distinguer trois éléments explicatifs : la fonction des habitants, la proximité du barrage, et le déplacement des villages.

Les employés de la société d’exploitation et de l’OMVS ont tendance à défendre sa présence. Ils vont jusqu’à justifier son caractère essentiel. Une des médecins de l’hôpital m’assurait que le barrage c’était « presque » sa vie.

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Carte 41 : sentiment des habitants vis-à-vis du barrage

«Depuis 1982, j’ai toujours vécu avec lui à travers mon mari. Il fait partie de ceux qui ont travaillé sur la maquette. Cet ouvrage m’a éblouie car c’est un bel édifice. On doit faire de notre mieux pour sa meilleure exploitation. On doit aider à améliorer l’entretien du barrage à vie. C’est vraiment quelque chose à préserver. Je veux dire, qu’il faut beaucoup plus motiver le personnel. Il exploite un ouvrage d’une grande taille qui participe à l’intégration sous- régionale. Il fait la fierté de la sous-région. Je pense qu’il participe au développement de la sous- région et même de l’Afrique. Toute personne qui veut aller de l’avant doit le prendre à cœur. Le personnel n’est pas que du Mali ou des pays de l’OMVS. Les travailleurs sont venus du monde entier. Par exemple pendant la construction de la centrale, j’ai eu à travailler avec des médecins et des infirmiers moldaves. Je n’avais jamais imaginé cette possibilité qui ne peut être offerte que par un barrage. Je ne savais même pas que les moldaves pouvaient venir jusqu’ici. On prie Dieu que nos enfants aussi profitent et qu’ils n’oublient pas l’importance de protéger le barrage. Ce n’est pas que l’eau et l’électricité. Ce sont quatre pays qui se sont donné la main pour un lendemain meilleur. Ceux qui ont signés les textes ne sont plus là, ceux qui ont posés la première pierre, même s’ils sont vivants, ne peuvent pas savoir ce qui se passe ici. Tous les villages jusqu’à 40 km viennent se soigner à Manantali185». L’ensemble des responsables politiques et administratifs interrogés à Kayes et à Bamako partagent également la même opinion à l’exception des maires de Diokéli et

185 Extrait d’un entretien individuel à Manantali, réalisée pendant l’été 2012. 339 | P a g e de Bamafélé. S’ils sont convaincus de la présence indispensable de cette infrastructure, ils posent des conditions parmi lesquelles une augmentation des retombées dans la zone du barrage qui pourrait, selon eux, atténuer le mécontentement des autochtones. Leurs demandes ne semblent pourtant pas se baser sur l’estimation des besoins réels des communes parce qu’à chacune des conditions posées se trouve une comparaison avec les apports relatifs aux mines. Comme si l’apport de la société minière est le modèle de référence. Le maire de Bamafélé me confiait : «nous avons décidé de demander de l’aide aux communes des zones aurifères qui font des dons aux communes pauvres. La commune de Sitakili dans la zone aurifère de Kéniéba a offert 5 millions aux ressortissants du nord, tellement qu’elle a de l’argent186».

La proximité du barrage est un autre élément de tendance. Si le village de Diakhaba n’a pas vraiment d’avis, ce n’est pas le cas des habitants des villages de Kondonia, de Bamafélé, de Maréna, de Manantali et des campements qui ne s’imaginent plus vivre sans le barrage. Les campements ont émergé suite à sa mise en eau, ils continuent de vivre de la pêche. Cet ouvrage est pour eux une source de revenus. Il est au cœur de leur motivation à immigrer dans la zone du Bafing. Que vont devenir ces campements en cas de rupture? Les pêcheurs vont-ils pouvoir retourner dans le delta du Niger avec leurs familles ? Est-ce envisageable pour ceux qui ont fondé une famille sur place ? Même si ces questions ne se posent pas pour les autres villages, il est intéressant de voir leur adhésion qui peut s’expliquer par le niveau de transformation. Si le statut de Manantali est devenu discutable, de l’autre côté, pour les habitants de Kondonia et de Bamafélé, il est impensable de retrouver les dispositions d’avant-barrage. Lors d’un entretien collectif j’ai pu relever que «malgré tous les problèmes », ils ne peuvent plus «l’absence du barrage». L’un des habitants de Bamafélé nous racontait :

« Mon père avait accepté le barrage, alors je n’ai pas le droit de dire le contraire. Au moment des déplacements on avait beaucoup de regrets. Mais maintenant on s’est rendu compte qu’on ne pourrait plus jamais retourner sur l’ancien site. Il n’y a plus de place pour nous. On accepte la situation mais elle est dure187».

186 Extrait d’un entretien individuel avec le maire de Bamafélé, réalisé pendant l’été 2012. 187 Extrait d’un entretien collectif chez le chef de village à Bamafélé, réalisé en mai 2014. 340 | P a g e

La position de ces villages apparaît dès lors comme une sorte de résignation. Pourtant ils continuent à espérer le voir répondre à leurs besoins. Pendant ce temps, l’émigration semble être une issue. Ils précisaient que pour eux :

« le barrage n’a aucun sens. Il est sur le Bafing mais ne profitent vraiment pas aux Bafingués. Les jeunes du village ne sont pas recrutés par l’Eskom pour travailler au barrage. Si nous ne pouvons pas cultiver, nous ne sommes pas embauchés, nous sommes obligés d’émigrer. Il n’y a aucun projet pour nous. Pourtant nous voyons tous les jours les câbles qui traversent nos champs. Nous savons que l’énergie du barrage va jusqu’à Bamako, à Nouakchott, au Sénégal. Alors que notre village est à environ 10 km. Malheureusement à part Bamafélé et Manantali aucun village du Bafing n’est électrifié. On laisse faire tout cela sans rien dire188». Ils ajoutent comme si cette acceptation était temporaire: «Mais s’ils continuent de recruter les étrangers et pas nos enfants nous ne serons pas contents». Ce possible mécontentement met–il en exergue un risque de conflit? Combien de temps les habitants vont-ils accepter cette présence « imposée » du barrage ?

Son absence en cas de rupture ne semble pas déranger les villages de Sollo, Goumbalan et Diokéli, puisque d’après eux, le barrage a introduit une misère aggravée par les pertes de terres de cultures. Cette « pauvreté inconnue» dans les anciens sites est devenue une réalité. Dans leurs discours, ils expriment souvent l’espoir de retrouver ces sites. Ils ont d’ailleurs le sentiment que le barrage n’est pas pour eux. Il appartient au village Manantali, ce qui créée une sorte de « rivalité » entre les villages.

Au total, après avoir critiqué les politiques des gestionnaires, et donné leurs opinions sur la nécessité du barrage, il semble intéressant dorénavant de déterminer les attentes réelles. Comment ces attentes traduisent-elles les formes de représentations ? Quelle lecture spatiale avoir des attentes exprimées ?

188 Extrait d’un entretien collectif chez le chef de village de Kondonia, réalisé en mai 2014. 341 | P a g e

Encadré 14: les positions des habitants sur la présence du barrage189

- « Oui la présence du barrage me dérange, car tous nos problèmes sont venus avec lui. Il a entrainé l’immigration des étrangers dans la zone et l’exportation de tous nos produits. Malgré cela nous ne pouvons plus vivre sans lui » (extrait, enquête auprès des habitants à Maréna, 2012). - « Oui l’absence du barrage me dérange, parce qu’on a déjà tout perdu en abandonnant nos anciens sites. Ce n’est plus possible de retrouver ce beau passé. On doit se contenter de ce barrage pour survivre » (extrait, enquête auprès des habitants à Maréna, 2012). - «La présence du barrage est une chance. Dieu ne donne pas une telle chose à toutes les localités» (extrait enquête auprès des habitants à Diakhaba, 2012). - « L’absence du barrage serait une catastrophe pour nous, car la vie de plusieurs travailleurs en dépend» (extrait enquête auprès des habitants à Manantali, 2012). - «Sans le barrage nous allons beaucoup souffrir» (extrait enquête auprès des habitants à Diakhaba, été 2012). - «Le barrage est quelque chose de très important pour nous. Je ne voudrais surtout pas mourir sans l’avoir visité un jour» (extrait enquête auprès des habitants à Diakhaba, été 2012). - « Sans le barrage on n’aura jamais de l’électricité dans le village. Sans le barrage l’eau va détruire toutes nos maisons» (extrait enquête auprès des habitants à Diakhaba, été 2012). - « La disparition du barrage entrainera la disparition de tous les villages environnants car nous n’aurons plus d’eau, plus de nourritures… » (extrait enquête auprès des habitants à Kondonia, été 2012). - « On vivrait mieux sans le barrage. S’il n’est plus là, on pourra retrouver nos espaces d’avant. Et il n’y aura plus de maladies, plus de moustiques… » (extrait enquête auprès des habitants à Diokéli, été 2012).

V. LES ATTENTES SONT-ELLES LE REFLET DES REPRESENTATIONS SOCIALES DES IMPACTS ? Si l’on prend en compte les formes des représentations sociales des impacts, est-il possible d’établir une comparaison entre les profils des attentes ? Retrouve-t-on les mêmes ressemblances ou les mêmes différences que lorsque l’on fait une lecture spatiale ? Un cas d’exemple avec les campements ayant quasi exclusivement cantonnés les effets positifs au secteur de la pêche. Est-ce que les attentes soumises par ces campements correspondent à des projets visant le développement de cette activité ? Un second cas avec les villages déplacés qui ont davantage évoqué des effets négatifs. Ces villages ont-ils plus d’attentes que les autres ? En quoi leurs attentes sont-elles particulières ? À travers ces différents exemples de cas on peut déterminer l’objectif visé. Dans cette perspective, les attentes des habitants et des acteurs sont aussi

189 Lors des enquêtes par questionnaires auprès des habitants des villages et des campements, réalisées pendant l’été 2012. 342 | P a g e analysées avec la méthode de l’AFC. Alors que les réponses des habitants, issues principalement des enquêtes, sont toujours traitées avec l’ACM. 1. Les résultats de l’AFC sur les attentes des acteurs ? Le graphique 41 est composé d’un premier axe factoriel qui représente 33,51% de la variance et un second axe qui en représente 20,56%. En fait il ne représente que 54,08% de la variance de notre tableau lexical. Ce pourcentage étant supérieur à la moyenne il est donc acceptable. L’AFC a permis de visualiser les mots utilisés lors des entretiens individuels et collectifs pour répondre à la question des attentes. Comme pour les graphiques sur les impacts, les logiques de discours sont en bleu et les modalités en rouge.

1,5

Culture 1 Élevage DDSPAR

0,5 Programmes Efforts CollaborationsDEPR Eau DCVD Jardinage ÉquipementsFormations 0 Financements Routes Électrification DRAAS Agriculture DEPDE DEESA Grillages -0,5 Dispensaires Justice Écoles Taxes DCVND

-1 F2 (20,56 %) (20,56 F2 -1,5

-2 Emplois

-2,5

-3

-3,5 DCCRC -4 -3,5 -3 -2,5 -2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 F1 (33,51 %)

Lignes Colonnes

Figure 41 : attentes exprimées par les acteurs, (réalisation, C. Cissé)

On remarque sur la figure 41 un premier résultat sur la séparation entre les codes DCVND, DCCRC, DEESA, DCVD à droite de l’axe 1. À l’opposé, se situent les codes DEPR, DDSPAR, DRAAS, DEPDE. Autrement dit, les attentes énoncées par les

343 | P a g e codes à droite sont donc différentes de celles du groupe à gauche. De sorte que l’axe 1 représente la singularité des attentes soumises.

Le plus surprenant dans ce graphique est l’absence du code des logiques de discours à Bamako. Les responsables des structures nationales manquent-ils de visions intégrant le barrage ? Ou bien est-il possible qu’ils soient influencés par leurs fonctions? Peut-être prennent-ils plus en compte les règles de gestion internationale de cet ouvrage. Pourtant C., chef de division de la direction nationale de l’énergie de Bamako, précise qu’ils attendent :

« beaucoup de l’OMVS principalement le projet de rendre navigable le fleuve Sénégal. Cela va être une très bonne chose sur le plan économique pour les trois pays. Nous espérons aussi qu’elle a renforcé les mesures face au risque de rupture du barrage. J’avoue qu’on ne souhaite pas que cela arrive. Sinon, trouver une solution immédiate va être difficile. Il y a eu des périodes où, on a eu des problèmes avec le barrage de Sélingué qui produit 40 MW. La production hydroélectrique était interrompue et il fallait la remplacer par une production thermique. Ce qui nous a couté très chers financièrement. On n’a vraiment pas les moyens de faire face à une rupture de barrage de Manantali. Il y aura encore des délestages en pagailles. On compte vraiment sur les futurs projets de barrages de l’OMVS, même si on a commencé à réfléchir à l’utilisation de l’énergie solaire190».

2.1. Les attentes spécifiques des villages et des campements Les chefs de campements, de villages, et les responsables des associations ont utilisé des termes spécifiques comme «efforts», «jardinage», «eau», «grillage» et «agriculture». Puisque les politiques des gestionnaires semblent être insuffisantes, les personnes interrogées exigent plus d’efforts de leur part. Concrètement pour les villages déplacés, il s’agit d’une demande de respecter le cahier des charges établi lors des réinstallations. Malheureusement peut-être que les engagements pris alors ne sont plus tenables non pas pour des raisons de motivation mais parce qu’ils ne sont peut- être plus adaptés aux réalités des villages. Pour la coopérative des pêcheurs, la gestion commune du niveau de l’eau dans le lac est indispensable. La mise en place d’un plan de suivi alterné est peut-être nécessaire. Il peut permettre à la société d’exploitation de présenter aux pêcheurs un agenda d’utilisation de l’eau pour la production

190 Extrait de l’entretien individuel avec le chef de division de la direction nationale de l’énergie de Bamako Bamako, réalisé pendant l’été 2012.

344 | P a g e d’électricité. Ces derniers peuvent choisir d’y accoler un calendrier de pêche plus organisé dans le but de développer une pêche plus respectueuse, d’établir une relation de travail entre la société d’exploitation et la coopérative des pêcheurs. Peut-être qu’en comprenant, et qu’en se sentant plus concerné par la fluctuation du niveau de l’eau arrêteront-ils de la considérer négative. Les trois autres termes ont un lien avec le secteur de l’agriculture. On y revient dans le paragraphe sur les attentes des habitants.

Une lecture du côté gauche de l’axe 1 du graphique 41 révèle une plus grande concentration de mots autour des codes DEPR, DRAAS, DDSPAR, DEPDE qui sont proches à cause d’une presque conformité des prévisions. De nombreux termes traduisent une nécessité de changer les rapports entre les gestionnaires et les responsables de structures régionales. Parmi les mots collaboration, programme, financement, formation, équipement, taxe. Ils sont analysés dans la lecture de l’axe 2.

2.2. Le forum du barrage : moyen de réduire les frustrations ? Les maires des deux communes voisines souhaitent l’organisation d’un forum du barrage. M., Maire de la commune de Bamafélé, disait :

«Nous attendons que les gestionnaires acceptent de faire un forum avec les deux communes qui ont subis tous les impacts négatifs. Ils ne peuvent pas nous mettre au même niveau que les autres communes du Mali, des pays de l’OMVS. Nos problèmes sont différents de ceux des autres pays et doivent bénéficier d’un traitement particulier. Nous ne voulons plus rien demander. Nous savons qu’ils ne répondront pas à nos besoins. Nous payons l’électricité alors que nous sommes au pied du barrage. Notre mairie a payé une ambulance pour sauver sa population. Pourquoi vouloir trouver une solution générale ? En tant que Maire, normalement, je devais être mis au courant de ce qui se passe. Ils doivent me recevoir lorsque que je demande un rendez-vous pour parler des problèmes des habitants. Vous savez que c’est aussi dans leur intérêt de développer la zone puisque leurs enfants naissent et vivent ici. Et comme le dit le proverbe bambara «là où tu vies, c’est chez toi quelques soit ton origine». La seule solution pour régler les impacts négatifs pour moi est qu’ils donnent les moyens à la commune. Par exemple, en mettant en place un bureau de coordination OMVS/Commune de Bamafélé. Sinon on n’ira jamais dans la même direction. On doit faire des réunions, on doit collaborer. Ils sont super puissants et riches, nous nous n’avons rien. Mais puisqu’ils ne viennent pas vers nous, forcément ils ne sont pas au courant des vrais problèmes. Je soulignerai également que malgré toutes les avancées que nous avons eues grâce au barrage, la réalité est que la population attend encore beaucoup de choses. Elle pensait avoir un changement de vie radical et extraordinaire au moment des transferts. Elle ne comprend donc pas comment après plus de 20 ans d’existence du barrage même le village de Manantali ne soit pas électrifié dans sa totalité191».

191 Extrait d’un entretien individuel avec le maire de la commune de Bamafélé, réalisé pendant l’été 2012. 345 | P a g e

Cette proposition de concertation dans la zone proche du barrage peut être intéressante. Si elle permet aux élus des deux communes et aux habitants de mieux accepter les changements profonds. Mais peut-être faut-il dépasser le simple constat des problèmes locaux, des effets négatifs, et essayer de les transformer en propositions concrètes des habitants en différents projets. Il ne faut pas non plus se contenter de les traduire en rapports de forum. Peut-être qu’en associant les habitants au financement partiel, la réalisation de ces projets deviendra plus concrète pour eux. Le cas du financement du barrage de la renaissance, en est un exemple.

2.3. Acteurs régionaux : une soif de prendre part aux projets visant le barrage Le besoin de participer à tous les projets en cours et futurs sur le barrage assemble les responsables des structures administratives de Kayes DDSPAR. Ils sont rejoints par les élus politiques régionaux DEPR en haut de l’axe 2 de la figure 41. Il les oppose aux codes DCVND, DEPDE, DRAAS, DEESA, DCCRC. C’est pourquoi, on considère que cet axe présente la multitude des attentes. À partir du bas, on remarque l’isolement des campements. Un examen du tableau lexical a révélé qu’ils ont moins répondu à cette question. Le mot «emploi» a été utilisé par les chefs de campements, mais plus encore par ceux des villages anciens, ce qui explique sa position entre les deux codes. Selon les chefs, la création d’emploi pour les jeunes doit passer par l’installation d’usines de transformation des productions locales.

Dans le sens opposé, les responsables des structures régionales et les hauts fonctionnaires interrogés ont souligné la nécessité de participer activement aux projets liés au barrage. En d’autres termes, les structures ont besoin d’avoir des moyens pour exécuter leurs programmes. Or, on a constaté des difficultés de fonctionnement dans tous les services régionaux. Bien que l’OMVS soit une organisation internationale, une participation à la dynamique des structures régionales de chaque pays membres ne serait-elle pas plus profitable ? Est-il pertinent d’avoir des programmes pour les populations du bassin alors que la capacité des services régionaux demeure faible ? Certes cette organisation internationale a besoin d’avoir un mode de fonctionnement particulier. Elle tente de travailler avec les structures de Kayes qui lui fournissent des

346 | P a g e données statistiques, mais peut-être que cela ne suffit pas. Ne faudrait-il pas directement leur confier des missions en rapport avec leurs domaines d’activités? Là encore, il est intéressant de proposer des formations et de ne pas se limiter seulement aux dons de logistiques si souvent évoqués lors des entretiens. Il s’agit d’allier le travail technique des experts et les connaissances pratiques des agents des services régionaux sur le terrain. Peut-être qu’avec la rémunération des missions, la subvention de l’état malien et la subvention du conseil régional, ces services deviendront plus dynamiques. Peut-être que les acteurs régionaux trouveront la place souhaitée dans la gestion du barrage. K., un conseiller du gouverneur de Kayes, me disait :

« je sais que c’est une organisation sous régionale mais si vous allez à l’Assemblée régionale ou au Conseil régional de Kayes les programmes sont là. À ce niveau des populations, il y a d’autres préoccupations. Il y a d’autres propositions qui ne sont pas soumises à l’OMVS et elle pourrait faire des projets plus concrets. Dans les programmes de développement au niveau de la région, le barrage n’est pas pris en compte. Nous n’avons rien à voir avec cette organisation alors qu’elle travaille dans notre région. Nous n’avons pas un droit de regard et nous ne sommes au courant de rien. C’est vrai que l’OMVS dépasse le cadre de la région. Il paye des taxes à la commune mais nous, nous n’avons rien. Les populations sont frustrées. Malheureusement elle ne peut pas descendre jusqu’à notre niveau192». Dans le même sens, A., Préfet du cercle de Bafoulabé, a reconnu la part de responsabilité des acteurs régionaux dans cette faiblesse de participation. Selon lui, ils ont manqué d’initiatives dans la recherche de partenariat avec les gestionnaires, mais il assure l’existence de tentatives qui se sont soldées par des échecs. L’une des raisons fournies est le statut de l’organisme. Dans ce contexte, il espère malgré tout voir plus de politiques concrètes en matière d’infrastructures.

« Dans le secteur de la pêche, Manantali produit beaucoup de tonnes de poissons. Je pense que la construction de plus de routes et des marchés augmentera les opportunités pour les pêcheurs. Je sais que Manantali est un ouvrage international. Mais on doit plus sentir ses impacts positifs dans le cercle. Par exemple sur le volet socio-culturel par la construction de CESCOM. On doit sentir un renforcement des bénéfices pour les habitants du cercle. Notre terre porte l’ouvrage. Ceci devrait donner le droit aux populations d’en bénéficier encore plus. Dans les zones minières, par exemple, les collectivités ont des millions et des appuis sur le volet social193».

192 Extrait d’un entretien individuel avec un conseiller au cabinet du gouverneur de Kayes, réalisé pendant l’été 2012. 193 Extrait d’un entretien individuel avec le Préfet du cercle de Bafoulabé, réalisé pendant l’été 2012. 347 | P a g e

Parmi les grands enjeux liés au bitumage de la route Manantali-Mahinanding, le désenclavement du cercle de Bafoulabé est majeur. Le goudronnage du tronçon Manantali-Tambagan va faciliter l’ouverture du cercle, et donc de la région, vers Bamako. Le Préfet ajoutait que :

« cette route devient indispensable car le cercle connaît une croissance économique avec les activités de la cimenterie, de l’usine de fer, de la société d’exploitation de Manantali, de l’usine de carreaux… Bafoulabé est un cercle qui abrite beaucoup d’unités industrielles dont beaucoup de production, en plus des productions des périmètres irrigués. Le marché de consommation du cercle est très limité en dehors des quelques fonctionnaires. La route pourra donc favoriser le développement du trafic routier et donner les moyens d’écouler les productions » (Idem.).

2.4. Vivre à l’ombre du barrage : quelle lecture spatiale des types de besoins des habitants ? Malgré la bonne volonté des démarches participatives, les politiques de lutte contre les effets du barrage restent limitées. Certains habitants jugent qu’ils ne correspondent pas à leurs besoins. Moins critiques, d’autres ne doutent pas de leurs caractères nécessaires, mais en attendent toujours plus. L’enjeu d’encourager les habitants à s’approprier le barrage pour mieux exploiter ses retombées est devenue important. Avec les réponses des habitants, on a une lecture spatiale des types de besoins de soutien. Il s’agit de l’électrification des villages, l’adduction en eau potable, le développement de l’agriculture, la construction d’écoles.

348 | P a g e

Carte 42 : les types d’attentes exprimées dans la zone environnante

L’électrification des villages se présente comme une évidence. Pour tous les villages, elle est un droit. Cet élément témoigne de la connaissance du rôle principal du barrage au sein de ces populations. À partir de là, ce souhait est présenté comme un devoir des gestionnaires lors des enquêtes. Il semble intéressant de réfléchir sur la notion du «droit à l’électricité» dans un contexte de barrage hydroélectrique.

Les villages de Diokéli, Maréna, Kondonia, Goumbalan et Bamafélé parlent en priorité de l’accès en eau potable. Comme j’ai pu le constater, ces villages utilisent principalement l’eau du Bafing augmentant ainsi les risques de maladies hydriques. Le développement du secteur de l’agriculture a été aussi évoqué. Ils ont une idée précise des éléments à améliorer comme la mise en place d’un système de crédits afin de faciliter l’achat de matériels agricoles et d’engrais qui seraient subventionnés par les gestionnaires. Ensuite, tous les agriculteurs sont intéressés par des formations sur l’utilisation des engrais et des matériels. À Sollo, ils déclaraient :

349 | P a g e

« nous avons constaté qu’il ne pleut plus beaucoup maintenant. Nos problèmes sont le manque de terres de cultures et les animaux. Nous ne pouvons pas cultiver à cause de la grande divagation des animaux des transhumants peuls. Le manque d’espace, les problèmes avec les animaux, empêchent d’avoir des rendements acceptables en fin de saison des pluies. La solution serait de clôturer les champs et les jardins de cultures avec des grillages, mais nous n’avons pas les moyens. Les femmes sont très braves, mais n’ont également pas de matériels de cultures, elles se débrouillent seulement avec la daba et n’ont même pas de charrue. Par exemple sur 5 familles d’agriculteurs, seulement une possède la charrue. On fait face à un manque de matériels très sérieux. On n’a presque rien. La conséquence est que nos jeunes hommes migrent beaucoup. L’agriculture ne donne plus rien.194». Troisièmement, l’installation d’une usine de transformation des céréales pourrait créer des emplois et mieux organiser l’exportation des productions locales. Selon les habitants, ils vendent les produits agricoles à bas prix dans les marchés des villes, et les marchés hebdomadaires parce qu’il semble impossible de les conserver longtemps dans les villages. Des améliorations peuvent concerner le développement de l’élevage, la construction de plus de centres de santé et des écoles. Ils souhaitent :

« vraiment avoir de grands puits et des subventions pour les engrais chimiques afin d’avoir plus de rendements. Dans le cadre de l’élevage nous souhaitons avoir une subvention des tourteaux. On n’a pas les moyens d’acheter les tourteaux. Cela peut éviter les nombreux cas de conflits causés par la divagation des animaux195». Dans le village de Manantali, l’édification d’un centre de formation professionnel et sportif semble être importante pour les moins de 20 ans. Un tableau des principaux secteurs concernés par village étudié est présenté en annexes.

Le plus surprenant dans les réponses a été le souhait d’avoir un programme de soutien au retour en amont. Malgré la présence du lac, ils envisagent la possibilité de s’installer à côté des villages malinkés plus éloignés. Il s’agit spécialement de quelques habitants des villages de Sollo, de Diokéli et de Maréna. Mais comme s’ils doutaient de la possibilité de réalisation de cet «idéal», ils réclament une restauration des cases. Ils disaient : « Nous ne pouvons toujours pas comprendre les types de constructions de nos cases par les ouvriers de l’OMVS. Les cases sont très mal faites. Elles sont inhabitables. La réinstallation a été tout simplement mal faite ». Le Maire de Bamafélé revient sur cette nostalgie des anciens sites :

194 Extrait d’un entretien collectif chez le chef de village de Sollo, réalisé en mai 2014. 195Extrait d’un entretien collectif chez le chef de village de Maréna, réalisé mai en 2014. 350 | P a g e

« La commune de Bamafélé n’a eu de l’électricité qu’en 2009. Je veux dire par exemple que sur les 42 villages, des deux communes, seuls deux sont électrifiés. Alors que l’électricité est la base de développement. Nous souffrons énormément. Il suffit de discuter avec la population pour savoir qu’elle est déçue. Des personnes vont même jusqu’à dire que rien a été fait dans la localité. Les promesses tenues par les gestionnaires sont très insignifiantes. On s’attendait à des choses concrètes. Par exemple, ils devraient nous construire des centres de santé et arrêter les nombreux dons. Ils dépensent ainsi des milliards de FCFA sans conséquence dans le futur et pas de traces visibles. Dans notre zone, en dehors de l’Hôpital de Manantali, nous ne disposons que des centres de Bamafélé et le nouveau à Maréna. Or l’Hôpital de Manantali est normalement réservé aux travailleurs de la société d’exploitation. On vit misérablement dans la zone. Je pense sincèrement que le niveau de vie de la population doit dépasser cette étape très basse en présence d’un grand projet de l’ampleur du barrage hydroélectrique de Manatali. Les deux communes qui ont le plus payé les frais du déguerpissement ne parviennent toujours pas à se développer. Lorsque les gens entendent parler de Manantali, ils pensent à une chose grandiose. Les communes voisines pensent que nous avons tous des avantages. Mais rien n’a été concrètement fait pour nous. On a tout perdu à cause de ce barrage. Je rappelle encore et toujours que dans l’ancien site même s’il ne pleuvait pas, on pouvait faire des sacrifices et la pluie tombait. A cause du barrage, on a tout laissé là-bas, nos ancêtres, nos pères, nos mamans, ils sont tous sous l’eau tous à cause de ce barrage. On se réconforte en se disant qu’il sert à plusieurs pays et que c’est normal. Mais rien ne va, on supporte et on se dit finalement que c’est notre destin196».

Encadré 15 : des réponses à la question des attentes «L’OMVS doit beaucoup investir dans le domaine de l’agriculture sinon cette population va mourir de faim. les gens vont se diriger de plus en plus vers les zones aurifères. Car il n’y a plus de zones de pâturage, ni de terres. Elle peut faire beaucoup de choses pour cette population qui souffre. Elle a tout perdu à cause du barrage.» (un agriculteur, extrait d’une enquête auprès des habitants à Manantali, été 2012). «Ils doivent aménager la ville de Manantali pour éviter les problèmes causés par la pluie. Le manque de caniveaux pour évacuer les eaux stagnantes augmente les problèmes d’effondrement des maisons en banco ou en pailles.» (un enseignant, extrait d’une enquête auprès des habitants à Manantali, été 2012). «L’OMVS peut faire plus pour nous. Elle peut créer des opportunités de développement. Elle peut aussi permettre l’accès à l’électricité à un prix forfaitaire, car on a été déplacé de nos anciens villages, sans avoir eu à bénéficier d’aucun avantage du barrage. Enfin, elle peut nous aider à lutter contre le paludisme, pendant l’hivernage cette maladie tue les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans.» (une commerçante, extrait d’une enquête auprès des habitants de Maréna, été 2012). «L’OMVS a entamé un aménagement de périmètres irrigués pour le riz, jusque-là les travaux se sont arrêtés sans suite. Les surfaces irriguées sont au-dessus du canal d’amener d’eau. D’où une grande difficulté d’arroser correctement nos plantes. Les périmètres irrigués sont mal aménagés selon moi. Elle doit aider l’ADRS à refaire les aménagements. Elle nous a fait beaucoup de promesses et nous attendons encore. Je ne crois même plus qu’on aura cette fameuse électricité un jour. Mais on aura de l’électricité à tout prix.» (extrait d’une enquête effectuée à Kondonia, été 2012).

196 Extrait d’un entretien individuel à Bamafélé, en 2012.

351 | P a g e

CONCLUSION CHAPITRE VII L’objectif de ce chapitre a été d’exposer les divergences et les accointances entre les différentes formes de représentations sociales concernant les impacts d’une part, et les attentes vis-à-vis du barrage d’autre part. Il révèle également les connaissances des personnes interrogées sur les actions des gestionnaires. Ces connaissances en plus du facteur de localisation et des types d’impacts subis participent à l’ampleur des attentes exprimées. La création d’emplois, le développement de la pêche, l’immigration, la création de routes, ou l’électrification constituent autant d’impacts positifs que les habitants souhaitent voir renforcer.

Au total, le premier résultat est l’absence d’attentes énumérées au niveau national qui est peut-être liée à un manque de représentations des impacts négatifs, une meilleure connaissances des règles des gestionnaires, ou une plus grande collaboration avec les gestionnaires.

À l’opposé, les acteurs régionaux qui se sentent exclus des programmes des gestionnaires espèrent plus de partenariats. Les habitants ayant subis les impacts négatifs semblent accepter cet ouvrage désormais présent sur leur territoire en proposant un nouvel rôle dans la croissance locale.

352 | P a g e

CONCLUSION PARTIE 3

Cette dernière partie a permis une lecture spatiale des différentes formes de représentations entre les échelles locale, régionale et nationale. Les rapports d’opportunité et/ou les liens d’incommodité jouent un rôle sur ces représentations des impacts du barrage. Pour me parler des changements introduits par le barrage, les acteurs interrogés, aux échelles régionale et nationale, ont recours à des connaissances liées à leur formation, leur statut politique ou administratif, contrairement aux habitants ordinaires qui s’inspirent de leur vécu. Cette différence donne lieu à un jargon d’expert d’une part, et à des explications accompagnées d’exemples du quotidien d’autre part.

Les discours des représentants de l’État ont moins mis l’accent sur les effets négatifs du barrage, et se présentaient sous une forme explicative, comme si l’objectif était de défendre cet ouvrage. Cependant, il arrive par moment que le statut d’habitant de la région de Kayes laisse apparaître des contradictions dans leurs réponses. La faiblesse voire l’inexistence de mesures de préventions du risque de rupture du barrage, à l’exception du plan d’évacuation d’urgence affiché à la mairie de Bamafélé, a été déplorée par tous les acteurs politiques et administratifs rencontrés.

Les acteurs dans la zone riveraine ont émis plus de critiques sur le rôle du barrage. Le sous-préfet, les maires des deux communes, les chefs de villages, les responsables d’associations ont laissé entendre que le barrage est un élément perturbateur de l’organisation et du fonctionnement des localités riveraines.

Comme chez les acteurs, les réponses des habitants riverains ont été l’occasion de constater la multiplicité des formes de représentations sociales de ces impacts. Les apports de la pêche en amont conduisent à une image positive du barrage par les habitants des campements. Tous les villages déplacés, et l’ancien village de Kondonia ont profité de l’occasion pour signifier leur mécontentement, et leur sentiment d’être les plus grands perdants suite à leur réinstallation. Il existe une difficulté d’acceptation chez les autochtones « bafingués » des changements de conditions de vie. Ils pensent être « condamnés » à supporter la présence du barrage, et ne pas être soutenus par l’État malien dans leur « mal » quotidien.

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L’éloignement du village de Diakhaba a rendu particulières les préoccupations de ses habitants, qui ne se sentent pas vraiment concernés par les effets négatifs du barrage : les conséquences des lâchers sur le cours d’eau du Bafing, les risques de se noyer, l’inondation des terres agricoles, le développement des plantes aquatiques, et les possibilités de vente du sable du fleuve sont leurs principales inquiétudes.

Ainsi, il apparaît que l’ombre du barrage de Manantali peut être « malfaisante ». Elle est la face cachée du barrage, qui perturbe les habitudes des habitants ordinaires et/ou des acteurs. Ces impacts négatifs sont majoritairement perçus par les villages déplacés, les agriculteurs, les éleveurs, les chefs de villages, les responsables de société civiles, et les responsables de structures sanitaires et scolaires, qui dénoncent les manquements des gestionnaires du barrage. Cette ombre devient pesante pour les autochtones qui nourrissent une certaine nostalgie du passé, et des allochtones parfois déçus. Si les effets négatifs existent à toutes les échelles, la zone riveraine reste marquée par un changement profond qui participe à la construction d’un sentiment de rejet de l’ouvrage dans son ensemble.

À l’inverse, une ombre « protectrice » découle des rapports d’opportunité entre les habitants ordinaires, les acteurs et le barrage. Chaque variable retenue dans le questionnaire est représentée différemment, et les codes utilisés par les personnes interrogées pour la qualifier sont affectés des avantages individuels ou collectifs, qui peuvent varier en fonction du groupe, de la localité et de l’échelle. Les représentants de l’État, les responsables administratifs régionaux et nationaux, les habitants ordinaires et les acteurs du village « spécial » de Manantali, lui confèrent l’image d’un ouvrage de développement ayant introduit une modernité des conditions de vie, et d’accès aux services. Les gestionnaires et le barrage sont connus à travers les mesures d’accompagnements : la route, les écoles, les centres de santé, les dons de médicaments, de matériel de pêche, de moustiquaires et des aides financières dont ont bénéficié certains villages.

Les différentes attentes exprimées résultant des formes de représentations sociales des impacts construites par les personnes interrogées ont mis en exergue le souhait de nouvelles pratiques qui prendraient désormais en compte les possibilités offertes par

354 | P a g e cet ouvrage de développement local et régional. Cet effort d’appropriation du barrage a été fait par les habitants ordinaires et les acteurs de la zone environnante et de Kayes. Au niveau national, les réactions se sont limitées aux questionnements sur les types d’impacts.

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Conclusion générale

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L’objectif principal de cette thèse a été d’interroger les représentations sociales des impacts du barrage de Manantali, en fonction de la localisation des populations et des groupes en présence. Les représentations intègrent une dimension spatiale et scalaire : du local (villages et campement) au national (Bamako) en passant par le régional (Kayes). Les effets de cet ouvrage ne peuvent plus être étudiés sans tenir compte des habitants ordinaires et des acteurs qui vivent dans le Haut-bassin au Mali. Ils ont subi les changements des conditions physiques, sociales, spatiales et économiques introduits par le barrage. Ce travail a permis de récolter des informations et de mieux comprendre ces changements.

La zone du Bafing a encaissé les effets de la construction, les déplacements, la modification du paysage en une partie amont et une partie aval. La création du lac et l’installation des pêcheurs professionnels conduisent à une appropriation de l’amont, et à sa transformation à une zone de pêche en développement. En attirant de plus en plus de pêcheurs et d’autochtones, une pression s’exerce sur les lieux de pêche, les quantités de prise augmentent, les techniques et les outils de pêche changent. J’ai remarqué que les campements dépendent du marché et des services du village de Manantali à l’échelle locale. Sinon, ils communiquent plus avec la ville de Kita qui se situe à 100km environ, ou encore avec la ville de Kéniéba. L’électrification du village de Manantali et de la ville de Kita renforce la part des poissons frais, à l’opposé de ceux fumés et séchés, dans les quantités vendues.

Le barrage a favorisé le développement de la pêche, une recomposition socio- spatiale et économique, mais « l’identité bafingué » reste visible dans les modes de vies, dans les activités économiques traditionnelles et dans les discours. Dans la partie aval du barrage, les villages déplacés de Diokéli, de Sollo, de Maréna, de Bamafélé, et de Goumbalan sont plus dépendants de Manantali. Ce village se présente comme un « centre rural ». Sa position sur la route et sa proximité avec les campements, donc le lieu de commerce des poissons, en fait une zone de passage importante. Les perturbations de la zone du Bafing ont d’abord entraîné une modification des relations entre les localités riveraines, mais ce changement ne se limite pas à l’échelle locale.

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Dans l’ensemble, toutes les localités regardent principalement dans deux directions: celle des villes de la région de Kayes (Mahina, Kayes, Kita, Kéniéba), et la capitale nationale (Bamako). Les acteurs locaux y écoulent produits agricoles et surtout piscicoles qui sont présentés aux clients urbains les plus offrants, créant un manque dans la zone aval proche. La taille des poissons de Manantali intéresse les commerçants qui peuvent ainsi les vendre plus chers. Certains commerçants des villes se déplacent jusque dans les campements, où ils passent des commandes, livrées plus tard par camion à partir du débarcadère de Manantali. La question se pose de savoir jusqu’à quel point le barrage est indispensable pour les grands marchés des villes consommatrices, qui sont vulnérables à un risque de rupture de production. Les réseaux de commerce sont par ailleurs irréguliers, et organisés en fonction des demandes des citadins, des saisons, et de la disponibilité des produits. De ces villes, les habitants ramènent principalement des denrées alimentaires, et du matériel de pêche et de navigation.

Au total, l’implantation du barrage de Manantali est à l’origine de deux dynamiques majeures : l’ouverture des localités riveraines vers les villes et la capitale, et la dépendance des marchés de ces villes aux productions locales. Le barrage a impulsé une intégration territoriale dans l’économie régionale et nationale par le commerce des productions locales notamment de poissons du lac. Certes, le barrage est d’abord construit dans le but de produire de l’énergie pour les pays de l’OMVS. À travers cet ouvrage international, l’OMVS a aussi cherché à atteindre son objectif d’intégration régionale par l’électricité. Son implantation a cependant davantage favorisé une intégration par le bas. Une aire d’influence du barrage s’est créée (Carte 52), délimitée par une approche des trajectoires de commerce. Cette approche met en exergue les échanges économiques entre les échelles locale, régionale et nationale. Ces trois niveaux entretiennent des interactions dynamiques autour du barrage, qui devient un élément perturbateur mais intégrateur. Pour le moment, cette intégration territoriale par les réseaux de commerce créés par le barrage reste timide. Cependant, le bitumage de la route Mahina-Manantali pourra ensuite ouvrir davantage la zone du barrage vers la région de Kayes, et de cette dernière vers Bamako et l’intérieur du Mali.

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Les produits locaux des villages et campements environnants du barrage pourront à partir de là être exportés hors des frontières nationales.

Toutefois, la faible prise en compte du barrage dans les projet et programmes régionaux constitue une limite à cette nouvelle dynamique encouragée par l’ouvrage. En effet, le premier document de planification de la région Kayes, qui abrite le barrage de Manantali, est issu de la première table ronde de Kayes. Celle-ci s’est tenue en 1997 pour réfléchir à la problématique de développement de la région en termes de potentiels et de contraintes. Le résultat de cette table ronde a été un document final avec de fortes recommandations. « La Table Ronde (…) a eu le mérite de poser les problèmes et les contraintes du développement de la Région et de sensibiliser à cette occasion les décideurs et les partenaires au développement » (TRK, 2012). Parmi les recommandations, « mettre en exploitation urgente le barrage de Manantali au profit de toute la région et non pour une partie seulement (Est et Ouest) ».

Par la suite, le schéma d’aménagement de la région de Kayes, élaboré par l’Assemblée Régionale en 2007 a été publié en 2009. Le document se compose de trois parties qui traitent du diagnostic, des orientations de développement. Le barrage de Manantali est mentionnée dans le document à la 37ème page, dans le cadre de la «mobilisation des riverains du fleuve sur l’après barrage de Manantali (les financements des volets 1 et 2 passent à travers l’ARK qui a ouvert un compte spécial) » (ASSEMBLÉE REGIONALE DE KAYES, 2009). Le barrage est aussi mentionné dans le cadre des projets et programmes de la région de Kayes à l’instar du Projet de Développement rural Intégré en Aval du barrage Manantali (PDIAM), devenu l’Agence de Développement Rural de la vallée du fleuve Sénégal (ADRS). Le barrage est cité comme un des atouts de la région à côté des mines et des terres irrigables malheureusement sous-exploités (page 86 du document).

En 2008, selon le schéma d’aménagement de la région, seule une localité avait le statut de ville dans le cercle de Bafoulabé. Il s’agit de Mahina avec 7 603 habitants. Les prévisions pour l’année 2031 mentionnent 11 villes dont Manantali qui aurait 8 256 habitants à cette date. Le poids du village de Manantali est visible avec la présence de la Banque de Développement du Mali (BDM) dans la cité des cadres de ce village. Dans

360 | P a g e toute la région de Kayes, « la couverture territoriale est la suivante : la BDM-SA : 2 agences dans la ville de Kayes, 1 agence à Diema, Kita, Nioro du Sahel, Yelimane et Manantali » (ASSEMBLÉE REGIONALE DE KAYES, 2009). Ce document insiste sur ce que serait le changement apporté par le barrage de Manantali dans le domaine de l’électrification rurale, le poids démographique et économique de certains villages. En revanche, il ne mentionne pas clairement l’utilisation qu’il faudrait en faire et comment. Dans ce document, il est pourtant affirmé que des efforts doivent être faits dans le cadre du renforcement de l’électrification rurale. Mais, il manque une intégration de cet ouvrage dans les plans d’actions. Ils sont marqués par une faiblesse voire une absence totale de projection avec un apport spécifié de cet ouvrage et de ses limites. Ceci est lié à la forme de gouvernance « par le haut » dans laquelle les acteurs régionaux apparaissent comme des exécutants des programmes internationaux, sans pour autant en faire le lien avec l’aménagement de leur territoire régional. Le processus décisionnel, malgré l’effort d’une démarche participative indiquée par les experts de l’OMVS, se traduit par un sentiment d’exclusion des acteurs et un manque de prise en compte de cet ouvrage depuis sa planification.

L’entrée par les représentations sociales permet de comprendre la nature des bouleversements des conditions sociales, physiques, économiques et spatiales dans la zone d’étude. Elle m’a aussi aidé à comprendre des postures différentes voire conflictuelles sur les impacts du barrage, en fonction de la situation des acteurs et des localisations spatiales. Toutefois, cette entrée présente des limites liées au caractère subjectif des informations obtenues.

Les habitants ont expliqué les conséquences du barrage en fonction des avantages et/ou des inconvénients subis. Le nombre d’habitants interrogés a été désigné en fonction de la population totale par village. Pour ce faire, 10% de cette population, selon les résultats du Recensement Général de la Population et de l'Habitat (RGPH) 1998, ont été retenus. Cette référence ancienne s’explique par l’absence de données plus récentes lors des enquêtes. Les résultats de 2009 n’ont été publiés qu’en 2013.

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Le but de l’approche sociologique favorisée a été de mettre les habitants ordinaires et les acteurs au centre de cette étude. Toutefois, lors des deux campagnes terrains, la barrière de la langue a amené à travailler avec des enquêteurs et/ou des interprètes. Ce besoin a existé particulièrement dans les 8 villages et les 25 campements. La présence des interprètes et la nature de la traduction peut constituer une faiblesse. Dans le même sens, il a été moins facile d’utiliser les nombreuses publications en anglais remarquées lors de la documentation.

Lors de la première campagne terrain, les habitants de la zone d’étude avaient indiqué les marchés de Mahina, de Kayes, de Kita et de Bamako comme les principaux lieux de vente des produits locaux. Par la suite, des enquêtes ont été faites auprès de vendeurs choisis dans ces marchés. L’objectif a été de voir si ces productions allaient au-delà de la région et du pays. Autrement dit, il s’agissait de déterminer l’aire d’influence concrète du barrage de Manantali. Dans chaque marché, 50 vendeurs ont été interrogés en 2012. Leurs réponses ont permis de concevoir que les productions de la zone d’étude ne sortaient pas de la région de Kayes et de Bamako, mais que ces marchés dépendaient également du Sénégal pour les poissons de mer, de la Sierra Léone et de la Côte-d’Ivoire pour les produits agricoles. Je n’ai pas pu avoir plus d’explications et d’analyses sur ces relations de commerce. Les données collectées, à cause des difficultés d’emploi du temps de vérification, seront approfondies lors de prochaines réflexions.

Au final, une première piste de réflexion est de faire une analyse systémique de l’aire d’influence du barrage de Manantali au Mali. Il s’agira d’analyser le rôle des marchés des villes, et des marchés hebdomadaires comme des éléments structurants du système d’intégration territoriale par le bas. Il sera intéressant de comprendre les mécanismes de fonctionnement de chaque marché et la nature des interactions entre ces lieux de commerce et de rencontre de nombreux groupes.

Une seconde piste de recherche concerne les représentations sociales de l’indépendance financière de la femme dans la zone du Bafing. Elle reste un sujet difficile dans les villages riverains malgré les activités commerciales des femmes. Une étude comparative entre les échelles, et entre les catégories socio-professionnelles peut

362 | P a g e aider à déterminer des facteurs d’explication des différentes formes de représentations.

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Annexes

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Annexe thématique 1 : La région de Kayes dans la partie malienne du bassin

La partie malienne du fleuve Sénégal couvre une superficie de 155 000 km2, soit 53,6% (donc plus de la moitié) du bassin total du fleuve Sénégal197 estimé à plus de 289 000 km2. Il occupe 12,5% du Mali, avec une population de 3 424 772 habitants. Il constitue une partie du bassin supérieur, ou haut bassin, situé en amont de Bakel. Il s’étale entièrement sur la région198 de Kayes et sur une partie de la région de Koulikoro. La région de Koulikoro est divisée en 7 cercles (Banamba, Dioila, Kangaba, Kati, Kolokani, Koulikoro et Nara) et en 108 communes. La région de Kayes, quant à elle, est composée également de 7 cercles (Bafoulabe, Diéma, Kayes, Kita, Nioro du Sahel, Kéniéba et Yélimané). Les cercles sont divisés en 129 communes199. Les villages composent les communes (Assemblée régionale de Kayes, 2009). La région de Kayes, de par son histoire et sa démographie, connait une évolution singulière d’où découle son importance stratégique actuelle. Ce fait a été confirmé par le responsable du musée et président du réseau des communicateurs traditionnels de Kayes200. Selon lui, « la région de Kayes fut traversée par plusieurs empires. Le premier fût celui du Ouagadougou dont le premier roi était Kayamaka Cissé. Cet empire a connu des moments de fortes déstabilisations par les Almoravides, mais il a toujours réussi à se relever. Les Soninkés sont les premiers habitants de Kayes. La première révolte de Soumangourou Kanté, roi de l’empire du Sosso et Soninké, a eu lieu à cette époque. Il a conquis le Mandé quatre fois. Cette situation a poussé Soundiata Konaté à partir en exil chez les Soninkés afin de se perfectionner dans l’art de la guerre. Il tire son nom de là, Keita, qui signifie « prend l’héritage ». C’est au retour de Soundiata Keita que le Mandé a retrouvé son indépendance. Il s’est battu quatre fois avec Soumangourou, ce dernier, battu, se refugia dans les collines de Koulikoro Nianakourou (devenues dès lors des lieux de sacrifice). À partir de ce jour, l’empire du Mandé a vécu de grands évènements tels que l’établissement de la charte de Kurukan Fuga ou Mandé Kalikan en 1236, en présence de tout le peuple Manding et de tous les rois du Mandé. On disait que le Mandé se

197 « Le bassin du fleuve Sénégal couvre une superficie totale de 289 000 km2. Il comprend trois régions principales : le Haut- Bassin, la Vallée et le Delta. Ces régions se différencient fortement par leurs conditions topographiques et climatologiques. Le Haut-Bassin, qui va du Fouta-Djalon jusqu’à Bakel, fournit la quasi-totalité des apports en eau car il est relativement humide, les précipitations annuelles étant de 700 à 2 000 mm Les pluies tombent entre avril et octobre dans la partie montagneuse de l’extrême sud du Bassin et provoquent la crue annuelle du fleuve qui a lieu entre juillet et octobre » (source : http://www.portail- omvs.org/gestion-ressource-et-environnement/fleuve-senegal/caracteristiques-physiques) 198 Avant le barrage, la structure administrative reposait sur quatre jalons : la région, le cercle, l’arrondissement (anciens cantons) et le village. Mais le processus de décentralisation entamé depuis 1992 donne naissance à trois niveaux de Collectivité Territoriale Décentralisée (CTD). Il s’agit de la région, du cercle et de la commune dotés chacun de la personnalité morale et de l’autonomie financière. 199 La commune qui a remplacé l’arrondissement regroupe les villages. Elle est dirigée par un maire et doit être accessible à tous villages et villageois. Le maire est responsable de la collecte des impôts et de la célébration des mariages. Les registres de naissance et de décès se trouvent au niveau de la mairie. La commune possède des écoles, des centres de santé, des services d’agriculture, d’élevage, des eaux et forêts, etc. Le cercle est dirigé par un préfet. Le cercle a des écoles (premier et second cycle) avec souvent une inspection de l’enseignement (exemple Bafoulabe), la douane, la météo, la gendarmerie, etc. La région est reconduite mais est une création plus ancienne. La région est dirigée par un gouverneur. Il travaille avec les chefs de cabinet, des conseillers techniques et les chefs des différents services de la région (Assemblée régionale de Kayes, 2009 et Assemblée régionale de Koulikoro, 2011). 200 Je retranscris ici mon entretien, qui date de 2014. 366 | P a g e composait de trente personnes, mais en réalité il s’agissait de trente clans : quatre clans princiers, cinq clans de marabouts, quatre clans de niamakalas, seize clans de porteurs et un clan d’esclaves. La charte de Kurukan Fuga est composée de quarante-quatre lois. Le Mali continue à s’inspirer de ces lois pour gérer certains conflits. Après le décès de Soumangourou, l’empire du Mandé s’est disloqué en plusieurs empires indépendants : le Sonraï vers le nord, le royaume Baman de Ségou et le royaume du Kéniédougou vers Sikasso. Il y avait au même moment le royaume du Khasso et le royaume Bamanan du Kaarta. Une partie de la région de Kayes fait partie de ce grand Mandé. » A l’époque de la colonisation, le royaume Mandé avait presque disparu de la région de Kayes. Celle-ci était occupée par l’empire du Khasso et le royaume Bamanan du Kaarta. La colonisation n’a presque pas changé l’organisation territoriale de Kayes. On parle toujours du Dembaya, du Safria, du Guidimakha, etc. Par contre, tous les bâtiments administratifs de Kayes ont été construits à cette époque. De nos jours, il y a peu de réalisations étatiques à Kayes, qui est pourtant la première région économique avec six zones minières. La région de Kayes s’est développée par l’action de ses propres fils201, qui sont à l’origine de nombreux investissements : transfert d’argent aux familles, construction de mosquées, de centres de santé, de bornes fontaines, de châteaux d’eau, d’écoles, d’édifices publics (cas de la mairie) et de l’éclairage public. Avant la décentralisation, la force de Kayes résidait dans les associations de développement. Les premières irrigations au bord du fleuve ont été réalisées par des immigrés de retour de France. Évidemment l’OMVS a très peu fait pour l’irrigation à Kayes. Lors des réunions de l’ONG « Union Rurale du Bassin du Fleuve Sénégal », composée de 42 communes le long du fleuve, les participants partageaient ce point de vue. Le barrage de Manantali a seulement changé le niveau d’eau. Avant, le fleuve tarissait complètement et on pouvait traverser à pied en saison sèche. Il permettait la culture de contre-saison. Cependant, depuis l’implantation du barrage, il y a beaucoup de cas de bilharziose et très peu de poissons en aval. Par ailleurs, la région de Kayes est une zone de transit et de transhumance. Les "kayesiens" utilisent le port de Dakar, de Nouakchott et même celui de Banjul en passant par Tambacounda, pour faire entrer les marchandises anglaises. La relation entre le Sénégal, la Mauritanie et le Mali, à travers la région de Kayes, est marquée par des import-export d’arachide, de gomme arabique, de bétails, de céréales, etc.202 Le conflit ivoirien a conduit à l’abandon du port d’Abidjan et à un retour vers le Sénégal et la Mauritanie pour les commerçants de Bamako. Dans le cadre du projet

201 Selon mon interlocuteur, depuis l’indépendance du Mali en 1960, deux de ses chefs d’État sont originaires de la région. Il s’agit du Président Alpha Oumar Konaré et de Moussa Traoré. Le tiers environ des membres de tous les gouvernements vient de Kayes. Cela s’explique par les investissements précoces en termes d’éducation par les colons à Kayes. 202 Les camions remplacent de plus en plus le chemin de fer. La construction des routes a favorisé l’ouverture de la région de Kayes vers la capitale Bamako. L’enclavement de Kayes a été ressenti il y a quelques années, lorsque le pont avait été endommagé. Il était difficile de croire qu’il y avait un trafic quotidien si important sur ce réseau. En 48 h, le bord du fleuve était devenu un marché avec de nombreux camions en attente. Malgré ce réseau, la région de Kayes est plus ouverte vers les pays voisins. Elle se ravitaille rarement à Bamako. 367 | P a g e sur la navigation de l’OMVS, il est prévu la construction d’un port sec dans la région de Kayes, à Ambidédi, à 45 km. Avant le barrage, il y avait deux problèmes majeurs à Kayes : l’enclavement et le manque d’eau. Le barrage a résolu ces problèmes mais la population n’a eu aucune compensation par rapport à l’implantation du barrage. Il a créé un problème d’érosion des berges et la navigation n’a pas évolué. Le plus grave dans tout cela est qu’il n’y a même pas d’électricité au musée. Pourtant, elle a été la première ville électrifiée au temps de la colonisation, avec le fonctionnement de la centrale électrique de Papara».

1. Les approches théoriques sur les migrations et la région de Kayes Dans les années 1970, N'DIAYE KEITA a réalisé une étude de la géographie régionale du haut bassin du fleuve Sénégal au Mali. L’étude retrace l’histoire du Haut- Sénégal et permet de comprendre cette partie avant l’implantation du barrage de Manantali. Elle nous montre à son tour que, la région de Kayes qui abrite le barrage fût d’abord une cité vivante (grâce à sa position géographique et au passage de la voie d’eau) dans les circuits de commerce entre l’Afrique noire et les pays arabes et aussi lors de la colonisation. Elle est définie comme la capitale du « Haut-Sénégal » dans la période coloniale, ce qui joue un rôle important dans son développement socio- économique. La ville de Kayes portait le nom de capitale du rail grâce à sa liaison avec Thiès (Sénégal) sur la ligne du chemin de fer Dakar-Niger. L’urbanisation de Kayes est accélérée par la culture et la commercialisation de l’arachide. Elle devint après la seconde guerre, le point de traite de l’arachide, le plus grand marché de bétail, le lieu de commerce et d’échanges entre pays voisins et peuple Malien. L’indépendance du Mali en 1960 change cette tendance. Les crises successives (changement de régime, éclatement de la fédération du Mali, arrêt du rail et autres calamités naturelles) réduisent la dynamique de la région. Le processus de migrations internes et externes est accéléré en raison du grand nombre de jeunes ruraux sans emploi et l’instabilité du secteur primaire. L’auteure soutenait l’idée que l’avenir de Kayes était intimement lié aux aménagements du fleuve Sénégal. Avec la construction du barrage de Manantali, l’espoir était permis car, grâce au barrage, Kayes était censée devenir un grand complexe industriel avec la multiplication des réseaux de communication et l’apport en énergie. La région de Kayes a repris son dynamisme vers 1968 et continue d’être une zone importante du « Haut-Sénégal » ralliant Bamako aux pays voisins (N'DIAYE KEITA, 1972). Le rôle des migrants dans le développement de la partie malienne du bassin, notamment à Kayes est également souligné par GUBERT (2002) qui insiste plus sur le détail du nombre, la composition et les impacts. D’abord le nombre important de migrants dans la région fait que, sur l’ensemble des 305 ménages qu’elle a enquêtés, 60% comptaient des migrants, du moins un migrant, à l’étranger. La plupart de ces migrants sont à l’étranger et sont généralement des jeunes hommes de plus de 14 ans. Les femmes migrent moins et se limitent généralement à l’intérieur du Mali. Ensuite, les migrants externes investissent beaucoup plus que ceux de l’interne. Les fonds issus de la migration représentent beaucoup pour les familles. Les envois souvent mensuels (liés à un sentiment de solidarité, d’altruisme, d’assurance, etc.) résolvent plusieurs

368 | P a g e problèmes (maladies, funérailles, dépenses quotidiennes, mauvais rendements, etc.). « Au sein de la région de Kayes, les revenus en provenance de l’étranger se traduisent par une demande locale accrue en fruits et légumes ou en biens immobiliers (maisons d’habitation). Cette demande crée une incitation pour les familles non receveuses de transferts à investir dans ces activités, et beaucoup de familles qui vivent en bordure du fleuve Sénégal tirent aujourd’hui une fraction importante de leurs revenus de l’activité maraîchère. La migration et les transferts exercent également une pression à la hausse sur les prix et les salaires. Cette pression inflationniste est favorable aux salariés et à tous les offreurs nets de biens et services tout en étant dans le même temps défavorable aux consommateurs surtout les villageois. Mais ils conduisent également à une situation de paresse générale animée par l’assurance de l’envoi et le rêve de partir de Kayes». (GUBERT, 2002,). Kayes est concernée par des flux interafricains des voyageurs. « Elle doit son attrait à sa position dans les réseaux de transport ouest africains. Par les circulations de personnes à différentes échelles, les frontières avec le Sénégal et la Mauritanie deviennent, non plus des barrières, mais des espaces d’intégration régionale » (LOMBARD, 2008). La position de Kayes comme zone relai, entre le sud de la Mauritanie et l’est du Sénégal, accentue son rôle de ville de contact. La zone est desservie par plusieurs moyens de transport : routier, ferroviaire et aérien. Des échanges de marchandises entre transporteurs maliens, sénégalais, mauritaniens et guinéens se font à travers des camions mais aussi des motocyclettes, des automobiles et des trains. Le rôle des réseaux de circulation sur le développement économique s’est accentué avec le phénomène de migration vers l’Europe, la sous-région et la grande dynamique du système de transport. La présence d’hommes d’affaires (migrants ou pas) augmente l’offre de transport avec la multiplication du nombre d’autocars privés sur les pistes et routes du Mali. Longtemps dominées par les Soninkés, migrants de travail, dans les pays de l’Afrique de l’Ouest et Centrale, les nouvelles migrations depuis les années 1950 s’orientent vers les pays d’Europe, notamment la France. Au même moment, des étrangers se sont progressivement installés dans la zone. Par exemple, dès le début du XXe siècle, la ligne ferroviaire a favorisé l’installation des familles wolofs arrivant du Sénégal. Les flux les plus distingués sont : le départ des maliens pour les pays africains ou la France, par le train à Kayes, puis Bamako et Abidjan par la route. Toutefois, selon l’analyse de Lombard portant particulièrement sur la ville de Kayes, les trafics ont diminué à partir de 1995 à cause de la crise en Côte d’Ivoire et la vétusté du rail. « En 2000, entre le Sénégal et le Mali, le train ne transportait plus que 30 000 voyageurs contre 41 900 en 1998. Sur la période couvrant 1995-2007, la baisse est même de 42% ; l’offre se limitant aujourd’hui avec le désenclavement de l’opérateur privé, à un train dans chaque sens par semaine » (ibid.). Malgré la baisse, la libéralisation de l’économie malienne à travers les politiques d’ajustements structurels et sectoriels appliquées au transport a favorisé l’investissement de grands groupes nationaux. La construction de routes et du barrage de Manantali, la mise en place de turbines au niveau du barrage et la réalisation de la ligne électrique à haute tension, qui alimentent Bamako, Nouakchott et Dakar, s’inscrivent dans ce contexte. Cette liste est loin d’être exhaustive mais elle permet de comprendre la place de la région de Kayes sur le territoire malien et dans les pays voisins.

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2. Démographie et contexte culturel Selon les données de l’Institut National de la Statistique (INSTAT) du Mali, en 2009, la densité de population était plus élevée à l’est du bassin versant (région de Koulikoro avec 26,8 hts/km2) qu’à l’ouest (région de Kayes avec 16,5 hts/ km2). Les zones les plus peuplées à l’est sont les cercles du sud de Kati et de Diola près du district de Bamako. Ils sont suivis par les cercles du nord, principalement Nara près de la frontière mauritanienne. Par contre, dans la partie ouest, les cercles les plus peuplés se trouvent autour du fleuve et de la zone du barrage de Manantali. Tableau1: Démographie du Mali et de la région de Kayes RGPH 2009 Population Hommes Femmes Total Ménages Concessions Urbain 1 643 671 1 631 3 274 727 520 598 268 968 056 Mali Rural 5 561 319 5 692 11 253 1 834 695 979 289 616 935 Total 7 204 990 7 323 14 528 2 355 293 1 248 257 672 662

Région de Urbain 139 714 138 241 277 955 42 820 19 570 Kayes au Rural 843 469 872 191 1 715 660 262 922 110 300 Mali Total 983 183 1 010 1 993 615 305 742 129 870 432 Source : RGPH, 2009, http://www.instat-mali.org/index.php/2014-06-05-15-00-18/2014-10- 23-11-38-30/demographie. La construction du barrage participe à l’installation des populations dans les villages riverains. En outre, l’accès (rendu possible par la construction des routes de l’OMVS accompagnant le barrage de Manantali) et la proximité des grands centres urbains, comme Kayes, Bafoulabé, Mahina ou Kita sur la route de Bamako, sont également un avantage pour l’écoulement rapide des produits à travers l’utilisation des routes et du chemin de fer. Enfin, les cercles du nord, Nioro et Diéma (lieux d’échanges et d’installation des maures de la Mauritanie et peuls du Mali), puis ceux du sud, vers la Guinée, enregistrent des densités plus faibles que les précédents. La faiblesse du peuplement est liée à l’éloignement des points d’eau, aux maladies, à l’éloignement des centres urbains du Mali, à la topographie, à la profondeur de la nappe, etc. Selon les schémas régionaux d’aménagement de Kayes et de Koulikoro, plusieurs groupes ethniques vivent dans le haut bassin au Mali : les Malinkés plus à l’ouest dans la région de Kayes, les Bambaras plus nombreux à l’est de Koulikoro, les Somonos et les Bozos sur le long du fleuve Sénégal, les Sarakolés, les Peuls et les Maures plus vers le nord. Il y a également des Wolofs et des Sérères, venus des pays de l’OMVS et d’Afrique de l’Ouest via le processus d’immigration.

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Les voyageurs et autres commerçants des réseaux ouest-africains ont des lieux de passage à travers la région de Kayes (une des portes d’entrée du Mali par l’ouest). Cette région est une importante zone d’émigration des jeunes. « On a toujours parlé de lutter contre l’exode rural dans la région, mais il ne suffit pas de le dire et de renforcer le contrôle aux frontières pour que les jeunes qui sont de plus en plus alphabétisés dans l’une des régions les plus déshéritées du pays, restent chez eux à attendre que le fameux projet d’aménagement du bassin du Sénégal soit réalisé et leur apporte le bonheur » (N'DIAYE KEITA, 1972). L’implantation du barrage de Manantali avait ainsi un enjeu de développement. L’ouverture des frontières internationales (Sénégal à l’ouest, la Mauritanie au nord et la Guinée au sud) renforce la circulation des biens et des personnes, précocement enclenchée par le vecteur de la voie ferrée Dakar-Bamako. Ceci démontre une interaction déjà ancienne des territoires et s’inscrivant dans, voire devançant, les dynamiques d’intégration impulsées par les institutions régionales (OMVS, UEMOA, BCEAO, CEDEAO). La question de fond demeure la soutenabilité des projets régionaux d’exploitation des ressources en eau et des grandes infrastructures qui les accompagnent.

3. La « maîtrise » des principaux affluents du fleuve Sénégal situés au Mali Le climat203 de la zone est marqué par une succession de saison sèche et de saison des pluies204. Avec un réseau hydrographique riche, cette partie du bassin du fleuve Sénégal a été choisie par l’OMVS pour abriter le barrage de Manantali sur le Bafing. La topographie de la zone est définie de manière suivante dans l’ouvrage de MAIGA : « cette partie du bassin est entièrement située au Mali. Elle correspond à la zone dite des cuvettes intérieures de l'Afrique Occidentale qui sont caractérisées au Mali par de hauts plateaux. La sous-région soudanienne du bassin du Sénégal est traversée par deux plateaux : le plateau mandingue, à cheval sur les régions administratives de Kayes et de Bamako (entre Kita et Bamako) atteint 700 à 800 m d'altitude ; les monts de Tambaoura, s’étirant du nord au sud entre Kayes, Bafoulabé et Kéniéba ont une altitude de 400 à 600 m. Excepté ces deux zones de hauts plateaux, l'ensemble de la sous-région soudanienne est constitué de plaines de 200 à 400 m d'altitude » (MAIGA, 2000). La présence des deux principaux affluents du fleuve Sénégal, le Bafing et le Bakoye, dans cette partie du bassin située au Mali, donne une spécificité hydrographique qui explique le choix de l’implantation du barrage dans cette zone. Ces deux affluents forment le fleuve Sénégal dans les hauteurs de Bafoulabe en aval de Manantali. En plus de la Falémé, le Kolimbiné, les rivières (Karokoro, Wadou et Térékolé) et le lac Magui sont rejoints par de nombreuses mares (Goumbou, Léhé, Gassara, Doro, Korkodio, Tinkaré, Médina et Lamé) pour arroser la zone. « Le Bafing

203 Au nord, la zone sahélienne se limite par l’isohyète 150 mm et 550 mm au sud. Il se caractérise par un climat aride. Au centre, la zone soudanienne se situe entre les isohyètes 550 mm nord et 1150mm sud. Son climat est de type semi-aride avec 4 à 5 mois de pluies. Au sud, la zone est dite pré-guinéenne car elle s’approche du climat guinéen du Fouta-Djalon. Elle est située entre les isohyètes 1150 mm nord et 1400 mm sud. 204 La saison sèche : elle est de durée variable du sud du bassin (Guinée) au nord en Mauritanie. Elle dure de novembre à mai, et se caractérise par l’absence de précipitations. La saison humide (hivernage) : elle dure de mai à octobre avec des pluies dont la hauteur va décroissante du sud au nord du bassin versant. Ces pluies sont apportées par le flux de mousson, de secteur sud à sud-ouest, en provenance de l’anticyclone de Sainte Hélène. Son arrivée est due à la remontée du FIT vers le nord. Les températures les plus élevées (45°C ou plus) s’observent entre les mois de mars et juin. 371 | P a g e ou fleuve noir est le plus grand affluent du fleuve Sénégal. Il est un cours d’eau voyageur qui n’hésite pas à traverser les frontières. En prenant sa source en Guinée Conakry, au Fouta-Djallon, il draine à lui seul 40 à 60% des apports du Sénégal. L’importance du débit est une conséquence directe de la pluviométrie qui varie entre 1000 et 2000 mm/an » (OMVS, 1977). Grâce à ce potentiel hydrographique, le haut bassin accueille également d’autres barrages de l’OMVS tel que le barrage au fil de l’eau de Félou. Il est prévu d’y installer de futurs barrages, comme ceux de Gouina (80 km en amont de Kayes), Koukoutamba (sur le Bafing en territoire guinéen à 150 km en amont de la frontière séparant la Guinée et le Mali) et Boureya (sur le Bafing en territoire guinéen à 30 km environ en amont de la frontière séparant la Guinée et le Mali) (OMVS, 2014). La population est alimentée en eau à partir des fleuves et de leurs affluents, des mares, des rivières, des forages, des puits et des robinets. Cette eau et l’eau pluviale permettent le développement des activités économiques.

Carte 43 : les cours d’eau dans la région de Kayes

4. Les principales activités économiques et les mobilités L’économie du bassin est majoritairement fondée sur le secteur primaire : l’agriculture, la pêche, l’élevage, et l’exploitation forestière y jouent un grand rôle. Selon une étude du Commissariat de la Sécurité Alimentaire (CSA) pour la période 2007-2011, ce secteur occupe plus de 80% de la population du bassin. L’agriculture est la principale activité de la région. Elle est favorable dans la zone grâce à la pluviométrie, à la présence du fleuve en zone inondable et au

372 | P a g e développement de l’irrigation avec les barrages. L’agriculture est caractérisée par la production céréalière (sorgho, mil, mais, riz), les légumineuses (arachide, haricot) et autres cultures commerciales notamment le coton et les tubercules (igname, patate douce, manioc, etc.). Ces cultures servent à l’autoconsommation et à la vente dans les grandes villes et les pays voisins. Par exemple, les céréales sont commercialisées en Mauritanie, surtout quand la pluviométrie est déficitaire dans ce pays, d’où une multiplicité d’échanges entre les pasteurs et cultivateurs du sud de la Mauritanie et le nord du haut bassin. Elle connait une grande variation des rendements au fil des ans et des milieux en raison de : l’émigration des bras valides, la reconversion et la variabilité des conditions climatiques, l’érosion des sols, la topographie, le mode de culture extensif et itinérant, l’attaque des animaux et la difficulté de communication pendant l’hivernage. Le développement de l’agriculture n’est pas la seule conséquence de la présence des barrages. Il s’explique aussi par l’encadrement du monde rural par les services techniques et les projets. Le rôle du PDIAM, devenu l’ADRS, en aval du barrage de Manantali est souvent cité en exemple. La commercialisation des produits se fait généralement de manière individuelle sous forme d’échanges avec les grands commerçants ruraux, au niveau des marchés hebdomadaires ou urbains, puis vers Bamako et Dakar via le train ou la route. En dehors des champs individuels, on retrouve des champs ou plantations familiales, et de plus en plus des champs ou plantations appartenant à des fonctionnaires des services publics ou privés comme l’OMVS et l’ESKOM. Avant le barrage, l’agriculture a toujours joué un rôle important dans le haut bassin, même si elle était caractérisée par une forte autoconsommation, contrairement aux zones proches des routes. Par exemple, la région de Kayes fournissait la majeure partie des exportations d’arachide, grâce à la route et au rail, et une bonne partie du bétail exporté sur pied. La zone n’avait pas une grande production de fruits et de légumes en raison du manque d’eau et de la prédominance de la culture de l’arachide, du coton et du mil. L’élevage est aussi une activité très importante dans la zone. L’élevage extensif est combiné à l’agriculture comme activité secondaire pour les sédentaires, ou pratiqué seul généralement, par les peuls205 et les maures. L’élevage de bovins par les peuls et celui des caprins, ovins et chameaux par les maures a plusieurs fonctions. Il assure l’alimentation de la famille (viande, lait, œufs), la fertilisation des sols et la culture attelée. Plus pratiqué au nord qu’au sud à cause des conditions climatiques et groupes ethniques, l’élevage est marqué par de grands mouvements de transhumance. La population nomade a toujours parcouru le haut bassin du nord au sud en saison sèche à la recherche d’eau et de pâturages. En saison des pluies, les éleveurs retournent dans le nord. Lors de leur transhumance, ils font des échanges commerciaux dans les foires, centres urbains et villages. Les agriculteurs sont aussi parfois des éleveurs de bœufs, de chèvres, de moutons, de volailles et d’ânes. Ils confient souvent leurs bêtes aux maures à cause du manque d’espace ou des conflits avec les éleveurs sédentaires. Contrairement aux éleveurs maures et peuls, les malinkés et autres agriculteurs amateurs du haut Bassin ne vendent leurs bétails que pour des besoins urgents (décès,

205 Ils sont souvent originaires du nord du Mali ou du sud de la Mauritanie 373 | P a g e baptêmes, mariage, dettes, etc.). Avant le barrage, les mouvements de transhumance entre le sud de la Mauritanie, le haut bassin et le Sénégal oriental existaient déjà. La pêche est la principale activité des Bozo et Somono du delta du Niger et du fleuve Sénégal. La pêche, qui était une activité familiale et traditionnelle, se modernise avec l’arrivée des barrages. Pour mieux l’organiser et protéger les réserves, des permis de pêche sont délivrés. Par exemple à Manantali, le SSSE se charge du suivi de cette activité dans son environnement. La pêche nourrit les membres de la famille, offre des emplois et augmente les revenus journaliers. Elle obéit souvent à des croyances traditionnelles et religieuses. En effet, ce sont les « maitres de l’eau » qui signalent les périodes favorables et attribuent les zones de pêche. Les pêcheurs des campements, organisés en clans ou en groupes, respectent les zones de pêches des uns et des autres. Avant le barrage, Selon N'DIAYE KEITA (1972), « une pêche journalière destinée à l’auto consommation était pratiquée sur le fleuve Sénégal et ses affluents par les riverains. Il n’y avait pas une pêche professionnelle avec une population particulière. Les techniques utilisées étaient archaïques avec de petites pirogues et des filets fabriqués par les pêcheurs amateurs. Les embarcations n’étaient pas motorisées et les pêcheurs utilisaient la perche et la pagaie uniquement. La migration des Bozos et Somonos a commencé avant le barrage même si elle était très négligeable. Un mouvement saisonnier de Bozos et de Somonos du Niger se faisait en direction du Haut-Sénégal. Le service forestier encourageait une opération de ce genre vers le Bakoye. Une équipe s‘installait sur la rivière et pêchait ; les cyclistes allaient livrer les poissons à Kita où les agents des Eaux et forêts s’occupaient de la vente du poisson au poids, à la grande satisfaction de la population urbaine. C’est ce qui expliquait les risques de conflits dans certaines zones riches en poissons entre villageois et étrangers ou encore entre agriculteurs, éleveurs et pêcheurs. Les pêcheurs bougeaient beaucoup comme les éleveurs et faisaient des campagnes sur le long du fleuve Sénégal. Car les poissons étaient rares une partie de l’année (hautes eaux) et même pendant la saison de pêche (novembre à mars) où les prises étaient irrégulières et les ventes aussi. Les populations du bassin versant importaient des poissons secs et fumés des autres régions du Mali et le poisson frais de la mer du Sénégal par le train. La production journalière était donc faible à cause du manque de moyens, des habitudes de pêche, de l’insalubrité du Haut Bassin, de la navigabilité difficile du fleuve» (N'DIAYE KEITA (1972). Le haut bassin est également très riche en ressources forestières. Il est l’une des zones la plus boisées du Mali. Il abrite des essences comme le caïlcédrat (kaya senegalensis), le vène (Ptérocarpus erinaceus), le lingué (Afrezelia africana), le rônier (Borassus flabelifer), le bambou qui pousse dans les vallées, le sau (Isoberlinia doka), etc. Il était sous-exploité à cause du manque de réseaux de communication mais, avec les nouvelles routes qui accompagnent le barrage et désenclavent la zone, le commerce du bois se développe. Le nombre de coupeurs saisonniers en provenance des grandes villes ou régions voisines, même s’ils n’ont pas toujours un permis de couper, fourni par les Eaux et forêts normalement, augmente. Ils ravitaillent la plupart des populations, surtout urbaines. La forêt sert à la consommation de bois de chauffe, la cueillette, la chasse ou la zone de jachère pour l’agriculture (Assemblée régionale de Kayes, 2009). La zone d’étude est plus industrialisée dans sa partie est vers Koulikoro à cause de la proximité de la capitale, Bamako. Les industries sont les résultats

374 | P a g e d’investissements étrangers ou nationaux, publics ou privés. La zone possède ainsi une huilerie (Huicoma) à Kita, une usine d’égrainage de coton, des industries alimentaires, des industries minières (la mine d’or de Sadiola) et beaucoup d’autres petites et moyennes entreprises. Mais la principale source d’approvisionnement des populations riveraines en énergie est le bois de chauffe et le charbon de bois. La société nationale d’Energie du Mali (EDM) fournit de l’énergie aux foyers. Cependant, cette offre reste limitée et généralement destinée aux grandes villes et à la capitale. Les populations rurales aisées utilisent des groupes électrogènes. En dehors des barrages de Manantali et de Sélingué sur le fleuve Niger, la centrale thermique de Paparah participe à l’offre d’énergie. Pourtant, depuis l’indépendance du Mali, de nombreuses ressources minières ont été découvertes dans la zone : le fer, la bauxite, le calcaire, le marbre, le cuivre, l’ilménite, l’or, etc. Toutefois, après l’indépendance, la mise œuvre de projets industriels ainsi que l’exploitation de ressources était difficile dans la zone, en raison d’un manque de moyens financiers et particulièrement d’énergie. L’espoir était donc fondé sur les barrages hydroélectriques en projets. S’agissant de la mobilité, elle repose sur une offre de transport sous-tendue par les routes, le chemin de fer, les pistes et les fleuves. Le chemin de fer est le principal moyen de transport qui traverse tout le bassin d’ouest en est. Il est long de 640 km (pour un total de 1287 km de Dakar à Koulikoro). Dans la région de Kayes, sa longueur est estimée à 410 km. Le chemin de fer est l’une des voies de communication les plus importantes de la zone. Il relie, au sein du bassin, les grands centres de Kayes à l’instar de Bafoulabe, Mahina et Kita, à la région de Koulikoro plus à l’est du bassin. Il est géré par la régie des chemins de fer du Mali. Le train est certes, de moins en moins utilisé à cause de la vieillesse du rail, du personnel, du faible tonnage des rames, de l’insalubrité, du développement des routes, etc. mais il reste un moyen de transport important des personnes et des biens. Avant le barrage, le chemin de fer a toujours joué un rôle important dans le système de transport. Il était considéré comme l’épine dorsale de la zone du fait de son rôle dans l’économie. Même si les routes sont nombreuses, qu’elles soient bitumées, latéritiques déjà construites, ou latéritiques en construction, elles sont souvent impraticables en saison des pluies. Les habitants des zones enclavées sont coupés du monde pendant l’hivernage et ne circulent qu’à motocyclettes, charrettes, pieds et vélos. En outre, la dégradation avancée de certaines routes limite les échanges entre les populations et les localités. Les bus et les camions, permettent le transport des biens et des personnes sur de longues distances et rallient souvent les grandes villes comme Bamako, Kayes, Koulikoro à des villages enclavés. La navigabilité du fleuve Sénégal est périodique souvent en saison des pluies. Avant le barrage de Manantali, le fleuve était une « voie médiocre ». Il était navigable par les pêcheurs maliens et sénégalais de Saint Louis à Kayes sur quatre mois. Alors que sur les affluents, notamment le Bafing, il y’avait une inadaptation de la navigation soit par manque d’eau, soit à cause de nombreuses chutes et rapides. Les pistes d’atterrissage pour petits avions et hélicoptères sont destinées à un public restreint. Ces pistes sont au nombre de quatre dans la région de Koulikoro (à Nara, Kolokani, Faldié, et Dioila). La région de Kayes en possède six mais seuls quatre restent utilisables (à Kayes, Nioro du sahel, Kéniéba et Yélimané). Les deux autres sont à et Sadiola. Auparavant, l’avion rendait service dans le haut bassin du fleuve Sénégal au Mali à des commerçants et à des hommes politiques en raison de l’impraticabilité des routes en

375 | P a g e hivernage. De petits avions d’Air Mali étaient loués pour le transport des personnes et des biens dans des situations exceptionnelles. Les moyens de communication tels que la radio et la téléphonie mobile ne se limitaient que dans les grandes villes comme Kayes ou Koulikoro. En milieu rural, à l’échelle des villages enclavés comme Manantali, il n’est pas rare de retrouver des réseaux d’antennes de Malitel, Orange, Ikatel, etc. qui permettent la communication avec l’extérieur. Des radios locales transmettent des émissions d’actualité et de divertissement. Au même moment, les possibilités d’obtenir le réseau wifi se développent petit à petit avec des clés de connexion mobiles et des câbles. Des bureaux de poste et de banques existaient dans certains gros villages. Antérieurement, les télécommunications étaient faibles dans le haut bassin au Mali. Des réseaux de liaison par fil existaient dans les grands centres urbains près des voies ferrées. Ces derniers étaient complétés par des liaisons avec radio, surtout pour l’étranger. Les populations rurales pouvaient faire bien souvent plusieurs jours de marche pour aller poster une lettre ou la confier à des proches qui se rendaient en ville. Eu égard aux coûts des infrastructures de télécommunications, n’étaient équipés que les centres économiques ou stratégiques (Assemblée régionale de Kayes, 2009).

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Annexe thématique 2 : Le contexte de « crise » au Mali : vulnérabilité du haut bassin et du barrage de Manantali L’instabilité chronique du Mali, sur le plan politique notamment, est une source de vulnérabilité du haut bassin du fleuve Sénégal au Mali. Selon TAMRU (2002, p 615), la vulnérabilité est « la propension d’un espace à subir des dommages, et une évolution complexe relevant de tendances générales ou de cas particuliers de mutations des lieux. Le terme de processus de vulnérabilisation devient ainsi plus adéquat pour prendre en considération la complexité des changements que connaissent les espaces. Mais le processus de vulnérabilisation ne peut être cerné sans prendre explicitement en compte les représentations sociales ». Les pays riverains du fleuve Sénégal partagent une histoire politique commune. En 1895, la colonie du « Soudan français », actuel Mali, faisait partie de l’Afrique Occidentale Française (AOF) avec le Sénégal et la Mauritanie, la Guinée et d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest : la Côte d’Ivoire, la Haute Volta (l’actuel Burkina-Faso), le Niger, le Dahomey (l’actuel Bénin) et le Togo. Vers 1958, le Mali forme, avec le Sénégal, la Fédération du Mali. En 1960, la fédération éclate suite à des crises politiques entre États. La République du Mali est proclamée le 22 septembre 1960, avec à sa tête le président Modibo Keita. La création du franc malien, le désintéressement des investisseurs, l’enclavement du pays et sa taille, entre autres facteurs, produisent de nombreuses situations de crise ralentissant le développement du pays. En 1968, un premier coup d’État survient au Mali, organisé par des militaires dirigés par le lieutenant Moussa Traoré, et regroupés dans le Comité Malien de Libération Nationale (CMLN). Jusqu’en 1979, les militaires ont régné en maîtres absolus sur le pays, avant que des élections puissent y être organisées. Le pays est alors doté d’une assemblée nationale, d’un chef d’État élu pour cinq ans mais il est loin d’être démocratique, avec un parti unique, l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM). En 1991, le gouvernement de Moussa Traoré est à son tour décimé par un coup d’État organisé par le colonel Amadou Toumani Touré dit ATT. En 1992, le professeur d’histoire et d’archéologie Oumar Konaré est élu. Le gouvernement essaie alors de répondre aux besoins des jeunes et réussit à relever l’économie du pays206. « La production céréalière progresse de 25% en 1991 et 1992, la production de paddy (riz non décortiqué) de 50% et celle du coton est aussi en hausse » (MILET, 2007). Amadou Toumani Touré revient au pouvoir, cette fois-ci démocratiquement, en 2002. Il est renversé en 2012 par un coup d’État mené par le capitaine Amadou Sanogo. Les militaires annoncent la suspension de la Constitution et la dissolution des institutions car ils jugent que l’ancien gouvernement était incapable de leur fournir les moyens de lutter contre les islamistes du Nord du Mali. Le problème des « islamistes » au Mali n’est toutefois pas récent. Le sentiment des populations d’être abandonné par le gouvernement a accentué les mouvements de rebellions dans le nord. Malgré les multiples efforts de négociations des gouvernements de Moussa Traoré, de Konaré et d’ATT, la volonté des islamistes a pris de l’ampleur. C’est ainsi que le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA), Ansar-dine et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) profitent du coup d’État de 2012 pour envahir les régions

206 Source : http://www.rfi.fr/afrique/20130719-mali-presidentielle-dates-chronologie-crise 377 | P a g e du Nord (Kidal, Gao, Tombouctou, Mopti…) et déclarer la partition de l’État malien. Plus tard, ils étendent leur emprise vers le haut bassin malien (Kayes, Koulikoro) et menacent la capitale Bamako. En décembre 2012, le Conseil de Sécurité autorise le déploiement d’une force africaine d’assistance aux forces maliennes dénommée MISMA. En janvier 2013, les combats et la prise de Kona conduisent à une demande d’aide d’urgence formulée par le président intérimaire Dioncounda Traoré. La France envoie alors des troupes au Mali. Elle est soutenue par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Des troupes nigérianes, tchadiennes, sénégalaises, etc. combattent à leur côté pour la libération et le retour de la paix au Mali207. Cette situation de crise perturbe les activités de l’OMVS. Si bien que les pays membres ont réalisé des investissements pour consolider la sécurité du barrage. Cela s’est traduit par un renforcement du personnel dédié à la sécurité de l’ouvrage208. A ce propos, pour le gouverneur de Kayes, « ce n’est pas le même contexte. Il n’y a jamais de sécurité parfaite ou de risque zéro, nous veillons. Nous avons fréquemment des réunions avec des forces de sécurité. Au niveau des cercles cela se fait également régulièrement autour des représentants de l’État. Et nous sommes en relation avec le niveau national. Si jamais il y a eu un problème qui nous dépassait ils seront là. Mais jusque-là on arrive à gérer. Il y a eu la phase la plus critique qui était la guerre de libération mais nous l’avons dépassée. Les seuls problèmes de sécurité rencontrés à Kayes sont des problèmes de banditisme, comme partout dans le monde209 ».

207 http://www.rfi.fr/afrique/20130719-mali-presidentielle-dates-chronologie-crise 208 J’en ai fait le constat lors de mes enquêtes de terrain en 2014. 209 Déclaration faite lors d’un entretien en mai 2014. 378 | P a g e

Annexe 3 : outils de collectes de données  Questionnaire utilisé pour l’enquête auprès des habitants

Le même modèle de questionnaire est utilisé pour tous les villages en aval, campements de pêche en amont du barrage Date:……/...... /2012 …....heures Lieu de l’enquête : Village de Quartier de: Coordonnées : I. IDENTIFICATION Êtes-vous ? Quel est votre âge ? Femme Moins de 20 ans Homme Entre 20 et 50 ans Plus de 50 ans

1. Quelle est votre ethnie ? 2. Quel est votre village ou ville d’origine ? 3. Depuis quand habitez-vous dans le village ? 4. Quelles sont les raisons qui vous ont amené à vivre dans le village ? 5. Vous sentez-vous chez vous dans le village ? Oui Non 6. Avez-vous des relations avec les autres villageois ? Beaucoup peu aucun Oui liens professionnels Oui liens familiaux Oui liens amicaux Oui liens économiques Non 7. Avez-vous le sentiment que les habitants de votre village ? Soient traités de manière égalitaire en matière de prise de décisions et partagent de responsabilités dans le village Il y’a une discrimination entre les travailleurs de l’OMVS et les villageois Il y’a une vraie discrimination entre les autochtones et allochtones 8. Êtes-vous, ou avez-vous été, membre d’une organisation ou groupement dans le village? Oui, je l’ai été Oui, je le suis Non Précisez le nom de l’organisation et ses activités principales svp : II. COMMODITES 9. Quelle eau utilisez-vous pour ? - boire - vos activités domestiques Eau courante (du robinet) Eau courante (du robinet) Eau du fleuve Eau du fleuve 10. Avez-vous l’électricité chez vous ? Oui Non

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11. Selon vous, où va l’électricité produite par le barrage ? Dans les villages voisins Dans les grandes villes Hors du pays Je ne sais pas III. SANTE 12. Quelles sont les maladies, dont vous ou votre famille, souffrez le plus fréquemment ? 13. Bénéficiez-vous d’un accès facile aux soins ? IV. EDUCATION 14. Envoyez-vous vos enfants à l’école ? Filles ou Garçons ? 15. Arrivent-ils à avoir un diplôme ? 16. Votre village dispose-t-il d’un établissement scolaire ? 17. Sinon, dans quels autres villages ou villes se rendent-ils pour étudier ? V. ACTIVITES ET RESEAUX 18. Quelle est votre activité principale ? 19. Depuis quand pratiquez-vous cette activité ? 20. Pouvez-vous nous décrire votre activité? Zone d’intervention : Type : Technique : Outils : Production: Lieux de commercialisation : 21. Quels sont les produits importés et lieux de provenance ? 22. Quels sont les produits exportés et lieux de destination ? 23. Quels sont vos moyens de transports (transport des personnes et des marchandises)? 24. Que pensez-vous de votre indépendance financière ? (questions adressées aux femmes) 25. Comment pensez-vous y parvenir ? (questions adressées aux femmes) 26. Quelles sont les Difficultés rencontrées ? 27. Comment faites-vous face à ces difficultés ? 28. Quelles sont vos activités secondaires ? 29. Utilisation du revenu ? VI. IMPACTS DU BARRAGE ET ACTIVITES 30. Caractéristiques de l’activité dans la période avant barrage ? 31. Quels sont les changements intervenus dans votre (vos) activité (s) depuis l’implantation du barrage de Manantali ? 32. Quels sont, selon vous, les impacts positifs ou négatifs du barrage ? (facultatif) Quelles sont les différentes stratégies, que vous ou votre entourage avez développés, pour faire face aux impacts ? 33. La présence du barrage de Manantali vous pose-t-elle un problème ? 34. L’absence du barrage vous pose-t-elle un problème ? 35. Quelles sont les différentes réalisations que l’OMVS a faites dans votre zone ? 36. quelles sont vos attentes ?

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 Guide d’entretien individuel utilisé pour interroger les acteurs

1. Depuis quand travaillez-vous dans cette institution ? Comment est-elle organisée ? Quelles sont vos actions ? 2. Quels sont vos moyens, vos ressources (ensembles des potentialités dont vous disposez) ? 3. Quels sont les contraintes ? vos résultats ? 4. Quelles sont vos échelles d’intervention (villages, villes, régions, pays, internationale) ? 5. Avez-vous des relations avec d’autres institutions ? Si oui, pouvez-vous nous décrire les circonstances et les interrelations ? Les limites ? 6. Comment considérez-vous le barrage de Manantali ? A-t-il une influence sur vos résultats ? 7. Quelles sont vos relations avec OMVS ou Eskom ? Souhaiteriez-vous améliorer cette relation ? Pour quelle finalité ? 8. Quels sont vos projets, vos programmes futurs ? Prenez-vous en compte la présence du barrage ?

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 Guide d’entretien utilisé pour interroger les chefs de villages

Date :  Nom et prénom du chef :  Localisation et frontières (Données GPS, Orientation):  Répartition spatiale d’hommes et des activités (types d’installation) :  Axes de communication et transports (types de routes, et direction) : Histoire du village  Étymologie du nom  Fondateur  date de fondation  Origine du village Autres questions  Quelle est l’organisation des pouvoirs dans votre village ?  Quelle est votre appartenance politique ?  Quelles sont vos relations avec les institutions ? ONG ?  Quelles sont les villages avec qui vous avez des relations ? et quelle est la nature de cette relation ?  Avez-vous des Cotisations sociales ?  Quel est le Revenu moyen par famille/jour ?  Quels sont les problèmes auxquels vous étiez confrontés avant le barrage ? Les stratégies développées ?  Quels sont vos problèmes actuels ? Les stratégies ?

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Annexe 4 : Nombre de personnes interrogées  Par la méthode de l’enquête

Localités Echantillon/personnes

Campements de pêche 65 Village de Manantali 487 Village de Bamafélé 93 Village de Kondonia 16 Village de Goumbalan 55 Village de Diokéli : 81 Diakhaba : 435 Village de Sollo : 98 Village Maréna 119 Villages de Bakouroufata 81 Marché de Kayes 50 Marché de Mahina 50 Marché de Kita 50 Marché de Bamako : 50

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 Par la méthode de l’entretien individuel Dans la zone d’étude : 1. Directeur de l’ADRS bureau Manantali 2. Medecin chef de l’Hopital de Manantali Mme Mme Diémé Jolie 3. Représentant de la SOGEM à Manantali M. Cheikhna Ba, 4. Chef section génie civil M. Sidibé 5. Responsables section lignes M. Ngom et M. Keita 6. Chef du centre de documentation Manantali M. Sissokho abdoul khadre 7. Présidente de l’Association des femmes agricultrices et maraichères de Manantali Mme Lolo Kanouté 8. Président du réseau communal pour l’environnement 9. Président de l’association des éleveurs de Manantali 10. Président de la coopérative des pêcheurs de Manantali amon et aval 11. Maire de la commune de Diokéli M. Mouhamadou Sissoko et son secrétaire général Monsieur Issa Kaba Sissoko. 12. Technicien supérieur de santé de Diokéli 13. Sous-préfet de Bamafélé M.Oumar Ibrahim Maiga 14. Maire de Bamafélé M. Mary Dembélé et son Secrétaire général Monsieur Issaga Sanogo 15. Technicien Supérieur de la santé du centre de santé de Bamafélé M. Sangaré 16. Matrone et infirmière du centre de santé de Diokéli 17. Directeur d’école de Manantali M. Kanté 18. Responsable de la Sécurité- environnement Mme Juliette 19. Chef service Santé Sécurité Environnement Mme Konaté 20. Chef Service Hydrologie Planification M. Dembélé 21. Directeur général de l’Eskom 22. Directeur des Ressources humaines de l’Eskom M. Konaté 23. Responsable Limnologie M. Togola 24. Responsable parti politique à Bamafélé M. Famalé

Dans la ville de Kayes : 25. Préfet du cercle de Bafoulabé 26. Conseiller du gouverneur 27. Gouverneur de Kayes 28. Responsable de l’Union des éleveurs de la région 29. Responsable du musée de Kayes 30. Responsable de la Direction régionale de la pêche 31. Responsable de la Direction régionale de l’agriculture 32. Responsable de la Direction régionale du Génie rural 33. Responsable de la Direction régionale de l’assainissement 34. Responsable de la Direction régionale de la culture 35. Responsable de la Direction régionale de l’urbanisme 36. La DRPSIAP 37. Responsable de la Direction régionale de l’hydraulique

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38. Responsable de la Direction régionale de la santé 39. Responsable de la Direction régionale des eaux et forêts 40. Responsable Transrail 41. Responsable de la Direction régionale des routes 42. Responsable de la Direction régionale du commerce et de la concurrence 43. Responsable de la Direction régionale de la Géologie et des mines 44. Responsable de L’Institut de Géographie du Mali 45. Conseil général de Kayes

Dans le district de Bamako : 46. Responsable Direction National de l’Energie (M. Coulibaly) 47. Responsable de l’institut National de la Statique (M. Doumbia) 48. Responsable Direction National de la Santé (Mrs Keita et Maiga) 49. Cellule Nationale de L’OMVS à Bamako (Mr Sogoba ) 50. Responsable direction Nationale de l’Hydraulique (M. CISSE OMAR) Dans la ville de Saint-Louis et à Dakar : 51. Responsable Centre de Documentation de l’OMVS 52. Direction régionale de l’Hydraulique 53. SAED 54. Eaux et Forêts 55. ONG sur le Delta 56. Responsable de la Direction de l’Environnement et du développement Durable/Haut-Commissariat (Monsieur N’diaye)

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 Par la méthode de l’entretien collectif Dans la zone d’étude :

1. Chef de village de M. Manantali (Fakourou SISSOKHO) et des chefs de ménage 2. Chef de village de Bamafélé M. Mamady DEMBELE et des chefs de ménage 3. Chef de village de Diokéli M. Niama KEITA et des chefs de ménage 4. Chef de village de Sollo M. Bemba DEMBALE et des chefs de ménage 5. Chef du village de Diakhaba M. Makan SOUARE et des chefs de ménage 6. Chef du village de Maréna M. Séko KEITA et des chefs de ménage 7. Chef du village de Kondonia M. Sadio DEMBALE et des chefs de ménage 8. Chef du village de Goumbalan M. Balaké DEMBALE et des chefs de ménages

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Annexe 5 : Programme type de terrain et budget des campagnes terrains  Planning type de la campagne terrain 1 Semaine 1 du 24 juil au 29 Semaine2 Semaine 3 Semaine 4 Semaine 5 Semaine 6 Du 30 aout au 5 Du 6 aout au 12 Du 13 au 19 Du 20 au 26 Du 27au 02

Rencontre avec la direction d’Eskom Briefing et motivation sur la thématique de la thèse Rencontre avec le service SSE encadreur de la recherche - briefing sur la thématique

Échantillonnage pour les enquêtes - Des localités - Sélection de l’enquêteur (Choix des enquêteurs et de leur nombre par localité) - fixation du perdium Préparation des enquêtes : - Correction des fiches - Impression des fiches - Achat de crayons, gommes et tailles crayons Rencontre avec les enquêteurs - explication du contenu - sensibilisation des enquêteurs - distribution des fiches - payement avance perdium Enquêtes - enquêtes dans les villages - enquêtes sur le lac de la retenue Rencontre avec : - Mr Fofana, représentant de l’ADRS - Mr Cheikhna Ba, représentant de la SOGEM - Le sous-préfet de Bamafélé Monsieur Oumar Ibrahim Maiga - Le maire de Bamafélé : Monsieur Mary Dembélé et son Secrétaire général Monsieur Issaga Sanogo - Le Technicien Supérieur de la santé du centre de santé de Bamafélé : Mr Sangaré. - Le maire de la commune de Diokéli : Mr Mouhamadou Sissoko et son secrétaire général Monsieur Issa Kaba Sissoko. - Dr Mme Diémé jolie - Le village de Manantali Rencontre avec : - Jacob direction hydrologie et planification - Dr Ba représentant Sogem - Sidibé chef section génie civil - Mr Ngom et Mr Keita section lignes - Mr Sissokho abdoul khadre Chef du centre de documentation Manantali Retour à Manantali - Retour de Bamako - Matinée de travail avec le : Mr Dembélé Amadou chef service Hydrologie - Récupération données Limnologie avec Dr Ba, Cissokho péche et Togola - Échantillonnage pour les enquêtes de destination (Choix des enquêteurs et de leur nombre par localité, fixation du perdium) - Préparation des enquêtes - Impression des fiches - Envoie des fiches Mission à Mahina - Marché de Mahina - Rencontre avec le chef de village de Bakouroufata - Rencontre avec le chef de village de Diakaba - Rencontre avec l’ONG Tonus Rencontre avec les chefs de village de: - Diokéli - Bamafélé - Maréna - Goumbalan - Kondonia - Sollo Rencontre avec : - Association des femmes maraichères - Association des femmes agricultrices - Le réseau communal pour l’environnement Missions destinations : - Kayes - Kita - Bamako

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 programme du second terrain de recherche en 2014 Programme à l’échelle locale Programme à l’échelle régionale - 8 entretiens collectifs ont été réalisés avec Nous avons fait un entretien individuel avec : les 8 chefs de villages et conseillers - le Gouverneur de Kayes et les - Une mise à jour nos données de la responsables de : limnologie, des données hydrologiques, - L’union des éleveurs de Kayes des données de la pêche, des données sur - du Musée de Kayes l’agriculture, - La Direction régionale de la pêche - Un entretien individuel avec le directeur - La Direction régionale de l’agriculture de l’ADRS - La Direction régionale du Génie rural - Un entretien individuel avec le président - La Direction régionale de l’assainissement de la coopérative des éleveurs - La Direction régionale de la culture - Un entretien individuel avec un membre - La Direction régionale de l’urbanisme de la coopérative des pêcheurs en aval - La DRPSIAP - Nous avons aussi complété les points - La Direction régionale de l’hydraulique GPS, - La Direction régionale de la santé - Visité les villages malinkés déplacés en - La Direction régionale des eaux et forêts amont - Du Transrail - Réalisé un entretien individuel avec - La Direction régionale des routes l’officier chargé de l’environnement de - La Direction régionale du commerce et de l’Eskom la concurrence - Collecter des documents sur l’occupation - La Direction régionale de la Géologie et du sol à la Mairie de Bamafélé, des mines - des documents sur les politiques sociales - L’Institut de Géographie du Mali de l’Eskom auprès de la DRH

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 Budget pour les deux campagnes budget campagne n°, été 2012 (subvention Eskom) Départ (échelle locale) Lieux de l’enquête enquêteurs Nombre jours Coûts/fcfa Manantali aval 2 10 80 000 Bamafélé + 1 10 50 000 Goumbalan Maréna + Kondonia 1 10 50 000 Diokéli + Sollo 1 10 50 000 Diakaba 2 10 150 000 Bakouroufata 1 10 75 000 Destination des produits locaux (échelle régionale et nationale) Bamako 1 10 50 000 Kayes 1 10 50 000 Kéniéba 1 10 50 000 Kita 1 10 50 000 Mahina 1 10 50 000 Total 14 13 705 000

Budget campagne n°2, mai-juin 2014 (subvention Eskom) Lieux Nombre jours total Coûts/FCFA

Manantali aval 3 5 000 Bamafélé 5 000 Maréna 5 000 Diokéli 5 000 Diakaba 5 000 Sollo 5 000 Kondonia 5 000 Goumbalan 5 000

Kayes 13 Convention Eskom avec Hébergement Restauration Hotel Kamankolé Transport Manantali-Kayes Véhicule ESKOM Transport dans la ville de Option 1 : Véhicule Kayes ESKOM expatrié à Kayes ?

Option 2 : 60 000 Autres Frais (crédits 50 000 téléphones + imprévus) Transport Kayes Manantali Véhicule Eskom Total 150 000 NB 1: 13 jours à Kayes dont 10 ouvrables pour les rencontres avec les directeurs de services régionaux et les recherches documentaires ; 2 jours de week-end pour la rédaction et un jour pour le retour. NB 2: 5000 prix des noix de kola pour la chefferie de chaque village.

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Annexe 6 : Accès à l’eau, distance parcouru par les habitants des campements Aller simple à pied Noms des campements Distance en Août (m) Durée (environ) Bakaina Daga 110 02mn14 Dembakourou 750 10mn16 Burkina 680 09mn14 M'Baba 653 08mn42 N'Kéba 356 05mn51 N'goungny N°2 348 05mn33 N'goungny N°1 517 08mn30 Goungoudala 260 Diamnatay 392 6mn51 Boubou Daga ou woudia 471 07mn32 Koua Dokodoko 352 05mn18 Samai Ladji 205 03mn58 Balamine 104 02mn08 Kambou 179 03mn52 Dounkankono 748 10mn14 Némabougou 448 4mn51 Kérouané 1km325 14mn30s Salégoun 250 04mn23 Mama Daga 576 08mn47 Friya Dangan 1km26 17mn44 Friyakpro 869 12mn02 Madinacoura 1km07 15mn18 Koulounidjan 824 11mn57 Gonota 320 04mn 37 Niguikoro 182 03mn18 Manantali 390

390 | P a g e

 Statut et âge des campements de pêche en 2013. N° Noms des Statut Age Rive Campements (année) 1 Bakaïna Daga P210 26 R.G 2 Dembakourou P 22 R.G 3 Burkina Daga P 26 R.G 4 M'Baba Daga P 9 R.G 5 Kéba Daga P 19 R.G 6 N’Gougny N°2 P 6 R.G 7 N'Gougny N°1 P 26 R.D 8 Gougoundala T 3 R.D 9 Diamnaty P 26 R.G 10 Koua Dokodoko T211 2 R.D 11 Samaï Ladji Daga P 17 R.D 12 Balamine Daga P 19 R.D 13 Kambou Dangan P 15 R.D 14 Doukankono P 23 R.D 15 Némabougou P 26 R.D 16 Kérouané P 26 R.D 17 Madina N'di I 02mois R.D 18 Salégoun P 26 R.D 19 Maman Daga P 16 R.D 20 Friya Dangan P 15 R.D 21 Friyakoro P 23 R.D 22 Madinacoura T 2 R.D 23 Koulounidjan P 14 R.D 24 Gof Séléké I212 07mois R.D 25 Gonota P 10 R.D 26 Manantali P 34 R.D Source : données Service Sécurité Santé Environnement Limnologie_ 2014

210 Permanent 211 Temporaire 212 Itinérant 391 | P a g e

Annexe 7 : Tableaux de contingence sur les marchés

Régions d'origine Dates d'installation Motivations 15 Moin 5 et et Plus Ségo Mop Kaye Bamak Sikass Ga Kouliko Sénég Burkin Mauritan s de 5 15 25 de 25 Natif Pêch Regroupeme Natif Commer Courri u ti s o o o ro al a Faso ie ans ans ans ans s e nt famillial s ce er

Kayes 26 8 54 0 0 0 6 2 2 0 6 4 18 12 60 14 26 60 0 0

Bamak o 50 8 2 4 10 0 26 0 0 0 0 2 50 44 4 22 26 4 48 0

Kita 16 12 42 8 0 0 14 0 0 4 36 42 2 8 12 0 36 12 40 12

Mahin a 4 26 64 0 0 0 6 0 0 0 0 0 10 30 60 6 20 60 14 0

Ethnies

Somono Bozo Malinké Sonrai Peul Bambara Sarakolé Khassonké Dogon Bobo Soninké Sénoufo Maure Mossi Minianka teugue

Kayes 26 14 2 4 16 26 2 4 2 0 0 0 0 2 0 2

Bamako 6 26 2 0 4 30 12 0 0 2 4 4 0 0 4 0

Kita 0 20 18 0 18 14 4 12 0 0 6 0 8 0 0 0

Mahina 6 26 0 0 4 48 8 8 0 0 0 0 0 0 0 0

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Sexe Age Problèmes 20 Manque Moins et Plus Cherté de Conservatio Main Surabondance Homm Femm de 20 50 de 50 des Poisson transpo Pauvret Mauvais n des d'oeuvr des produits Aucu e e ans ans ans denrées s rt limité é e route poissons e agricoles n

Kayes 12 88 4 78 18 0 36 6 84 0 40 0 0 6

Bamak o 60 40 0 70 90 2 40 2 48 14 6 4 0 4

Kita 74 26 0 94 6 12 0 0 58 54 28 0 8 2

Mahin a 66 34 0 74 26 2 30 90 0 0 0 0 2

Connaissance du barrage Villages Grandes villes du Hors du NSP riverains Mali Mali Kayes 2 18 42 50 Bamako 2 22 14 66 Kita 0 98 98 2 Mahina 26 92 82 0

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Annexe 8 : Tronçons, nature des dons de l’ESKOM, types de maladies traités  Liste des villages à risques riverains de lignes HT Eskom Energie Manantali TRONҪON MANANTALI KITA 1 – Manantali 2 – Bandiougoutintin 3 – Liliko 4 – Kenieba Kouta 5 – Talikoto 6 - Toumadjima 7 – Diakafé 8 – Niantanso 9 – Fangaoura 10 – Néroumba 11 – dionfagakourou 12 – Diakala 13 – Kourounouna 14 – koboronto 15 – Faraguéto 16 – Masala 17 – Horonko 18 – Kohéba Tension : 225 KV Distance du tronçon de la ligne : 119 Km Nombre de pylônes : 318 Section du câble : 309,6 TRONҪON KITA – KODIALANI 1 – Sananfara 2 – Soungarola 3 – Keniékola 4 – Dialakoniba 5 – Badinko 6 – Kouleko 7 – Sangarebougou 8 – Kabakoro 9 – Mananbougou Coura 10 – 11 – Sorébougou 12 – Néguéla 13 – Ziranikoro 14 – Djinina 15 – Mangorotou Dioba 16 – Dombila Koyan 17 – Kénékoun Gomi 18 – Dgoba 19 Tanfarba Tension : 225 KV Distance du tronçon de la ligne : 182 Km

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Nombre de pylônes : 499 Section du câble : 309,6 TRONҪON MANANTALI – KAYES 1 – Manantali 2 – Bainbassi 3 – Bamafélé 4 – Badioké 5 – Diokéli 6 – Nigui 7 – Berthécounda 8 – Ganfan 9 – Kala 10 – Bakouroufata 11 – Tenko 12 – Dalloma 13 – Faroto 14 – Sitokoto 15 – Bantingougoun 16 – Mahina - Diallola 17 – Talary 18 – Galouko 19 - Foukara 20- Bouroukoun 21 – Diamou 22 – Balandougou 23 – Dinguiraye 24 – Malou 25 – Faguiné Koto 26 – 27 – Sambaga 28 - Lontou 29 – Médine Tension : 225 KV Distance du tronçon de la ligne : 181 Km Nombre de pylônes : 487 Section du câble : 309,6 TRONҪON KAYES – MATAM 1 – Embrassement 2- Dar Salam 3 – Djibiribougou 4 – Djebefar 5- Segoubougou 6 – Djidjian 7 – Koulounegté 8 - Dramané Tension : 225 KV Distance du tronçon de la ligne : 103 Km Nombre de pylônes : 272 Section du câble : 309,6

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 Nature des dons de l’ESKOM

TABLEAU DE BORD DE LA SITUATION DES DONATIONS 2011 De Janvier à Novembre SANTE EDUCATION ADMINISTRATION COMMUNES-ASSOCIA-DIVERS SPORT ENVIRONNEMENT VALEUR BUDGET 2 000 000 5 250 000 5 000 000 8 000 000 1 750 000 22 000 000 Janvier 5 200 0 1 147 500 100 000 0 1 252 700 Février 47 440 0 675 500 480 000 190 000 1 392 940 Mars 5 440 0 2 305 000 6 800 552 650 2 869 890 Avril 1 100 440 0 292 600 750 000 25 000 2 168 040 Mai 5 560 0 1 614 000 4 915 510 50 000 6 585 070 Juin 5 560 0 1 186 100 270 000 100 000 1 561 660 Juillet 5 560 0 544 500 2 959 702 0 3 509 762 Août 5 560 361 000 718 500 500 000 200 000 1 785 060 Septembre 5 560 200 000 288 000 0 0 493 560 Octobre 5 560 48 000 360 000 500 000 0 913 560 Novembre 5 560 0 446 000 0 0 451 560 Décembre 5 560 0 348 000 200 000 0 5 53 560 TOTAL 1 203 000 609 000 9 925 700 10 682 012 1 117 650 23 537 362 DEPASSEMENT 0 0 4 925 700 2 682 012 0 7 607 712 RELIQUAT 797 000 4 641 000 0 0 632 350 6 070 350 DEPASSEMENT TOTAL BUDGET 1 537 362 LEGENDE: 121 demandes reçuees BUDGET 107 demandes traitées TOTAL DEPENSE 97 demandes avec avis favorable DEPASSEMENT 10 demandes avec avis non favorable RELIQUAT 06 demandes en attente de traitement: cf.Décision D.G, fin donation 2011. 08 demandes: (lettres de remerciement).

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 Maladies traitées à l’Hôpital de Manantali, troisième trimestre 2011

3er TRIMESTRE 2010 Total

Affections 0-11 mois 1-4 ans 5-9 ans 10-14 ans 15-24 ans 25 ans +

M F M F M F M F M F M F M F T

Choléra CAS 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

D-C 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Diarrhée présumée infectieuse CAS 0 0 1 1 0 0 0 0 0 0 2 1 3 2 5

en dehors du choléra D-C 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Rougeole CAS 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

D-C 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Tétanos CAS 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

D-C 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Paralysie Flasque CAS 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Aiguë D-C 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Méningite CAS 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

cérébrospinale D-C 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Toux inf. 15 jours, IRA basses: CAS 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

pneumonie, bronchopneumonie D-C 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

IRA hautes (Rhinopharyngite, CAS 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

rhinite, trachéite) D-C 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Toux supérieur a 15 jours CAS 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

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Annexe 9 : donnée démographique et nombre d’infrastructures. Noms villages Nbre de Nbre de hommes femmes Total infrastructures présentes concessions ménages Manantali 941 1593 3918 2787 6705 2 écoles premières cycles, 1 dispensaire, 1 pharmacie, un campement administratif et 1 bureau de poste Bamafélé 36 79 277 266 543 1 dispensaire, 1 pharmacie, 1 campement administratif Goumbalan 11 54 175 191 366 - Maréna 17 49 163 200 363 - Sollo 50 138 453 456 909 1 école première cycle Diakhaba 87 245 811 862 1673 Manantali 836 1163 3380 3302 6682 3 écoles, 2 structures de santé, 2 pharmacies, 1 bureau de poste, 2 marchés, 1 Campements administratifs et pieds à terre, 3 Adduction d'eau (fontaines, forages, puits à grands diamètres), Bamafélé 59 127 377 418 795 1 école, 1 structure de santé, 1 Campements administratifs et pieds à terre, 1 Marché, 2 Adduction d'eau (fontaines, forages, puits à grands diamètres), 1 Banques de céréales Goumbalan 28 130 454 513 967 2 Adduction d'eau (fontaines, forages, puits à grands diamètres) Maréna 70 146 460 481 941 1 structure de santé, 1 Marché, 3 Adduction d'eau (fontaines, forages, puits à grands diamètres),

Sollo 55 181 522 554 1076 1 école, 5 Adduction d'eau (fontaines, forages, puits à grands diamètres), 1 Banques de céréales Diakhaba 246 588 2473 2409 4882 1 école, 1 structure de santé, 14 Adduction d'eau (fontaines, forages, puits à grands diamètres), 1 Banques de céréales, 1 Caisses d'Epargne et de Crédit Kondonia 43 117 393 362 755 2 Adduction d'eau (fontaines, forages, puits à grands diamètres) Diokéli 87 179 506 518 1024 1 école, 1 structure de santé, 1 Marché, 3 Adduction d'eau (fontaines, forages, puits à grands diamètres), 1 Banques de céréales, 1 Caisses d'Epargne et de Crédit Source : données recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) Mali 1987

Annexe 10: Autres photos des campements de pêche

398

Paysage rocheux de Bakaina, premier campement sur la rive gauche

399

Four traditionnel en banco pour fumer les poissons

Hangar pour sécher les bols et/ou les poissons

Case détruit par la pluie en 2012 à Dembakourou Danga

400

Type de cuisine à Burkina Danga

Type de hangar principal

Effets de l’érosion hydrique sur la piste du campement de Friya

401

Balance traditionnelle de poisson par le « courrier »

Type de sols dans la majorité des campements

Paysage du lac de Manantali

402

Liste des cartes Carte 1: nombre de grands barrages par pays en Afrique ...... 20 Carte 2 : capacité de déversoir et de retenue des barrages par pays en Afrique...... 21 Carte 3 : capacité énergétique et de surfaces irriguées des barrages par pays en Afrique ...... 22 Carte 4 : bassin du fleuve Sénégal et les pays de l’OMVS...... 57 Carte 5 : Haut-bassin du bassin du fleuve Sénégal situé au Mali...... 58 Carte 6 : localisation des 8 villages et les 25 campements étudiés ...... 59 Carte 7 : distance terrains d’étude par rapport au barrage ...... 60 Carte 8: tracé général enregistré par le GPS entre Bamako et Kayes en passant par la zone du barrage ...... 74 Carte 9 : zoom sur le parcours dans la zone du barrage ...... 75 Carte 10 : distinction entre les villages déplacés et les villages anciens ...... 79 Carte 11 : pays de l’OMVS en Afrique de l’Ouest ...... 86 Carte 12 : barrages construits et en projet de l’OMVS ...... 92 Carte 13 : moyenne des pluies dans les stations entre 1990 et 1999 ...... 116 Carte 14 : moyenne des pluies dans les stations entre 2000 et 2009 ...... 116 Carte 15 : moyenne des pluies dans les stations entre 2010 et 2012 ...... 117 Carte 16 : répartition des stations de mesures sur le lac ...... 122 Carte 17 : nombre d’habitants par cercle de la région de Kayes ...... 144 Carte 18 : nombre d’habitants par commune du cercle de Bafoulabé...... 145 Carte 19 : diversité ethnique dans la zone riveraine...... 154 Carte 20 : motivations à l’installation dans la zone riveraine du barrage ...... 156 Carte 21 : origine géographique des habitants des localités étudiées...... 158 Carte 22 : périodes d’installation dans la zone du barrage ...... 159 Carte 23 : bénéficiaires de l’électricité du barrage dans la zone riveraine ...... 188 Carte 24 : niveaux d’informations sur le rôle du barrage et les bénéficiaires de l’électricité. 189 Carte 25 : origine de l’eau utilisée par les habitants de la zone riveraine ...... 194 Carte 26 : habitants qui renoncent aux soins ...... 206 Carte 27 : choix des lieux de soins des habitants ...... 207 Carte 28 : principales activités économiques par localités étudiées ...... 218 Carte 29 : différents types d’activités secondaires ...... 220 Carte 30 : part des produits agricoles dans les ventes par localité étudiée ...... 283 Carte 31 : part des poissons dans les ventes par localité étudiée...... 284 Carte 32 : centralité du marché de Manantali ...... 286 Carte 33 : localisation des marchés, destinations des productions locales ...... 287 Carte 34 : part importante des denrées alimentaires dans les importations ...... 288 Carte 35 : principaux effets négatifs cités par localité étudiée ...... 312 Carte 36 : principaux impacts positifs cités par localité étudiée ...... 319 Carte 37 : pourcentage d’habitants avec au moins 1 enfant à l’école ...... 323 Carte 38 : importance des possibilités de choisir les lieux de scolarisation ...... 324 Carte 39 : principaux modes de transport par localité étudiée ...... 329 Carte 40: les réalisations qui ont permis de connaître le barrage ...... 336 Carte 41 : sentiment des habitants vis-à-vis du barrage ...... 339 Carte 42 : les types d’attentes exprimées dans la zone environnante ...... 349 Carte 43 : les cours d’eau dans la région de Kayes ...... 372 Planche cartes 1 : maladies hydriques qui touchent le plus les habitants ...... 204

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Liste des encadrés Encadré 1: l’histoire de l’aménagement du fleuve Sénégal ...... 88 Encadré 2: le statut de fleuve international comme le Sénégal ...... 90 Encadré 3: Des entités administratives et l’accès au foncier ...... 175 Encadré 4: les politiques de planification et d’aménagement du territoire régional de Kayes ...... 181 Encadré 5: l’électricité du barrage de Manantali : un atout pour une région à forte potentialité minière ...... 191 Encadré 6: l’organisation administrative autour de l’accès à l’eau ...... 198 Encadré 7: des difficultés sanitaires des services régionaux...... 215 Encadré 8 : les périmètres irrigués suivis par les services du génie rural de la région de Kayes ...... 250 Encadré 9 : le développement de la pêche : organisation, lois, limites et projets ...... 280 Encadré 10: les règles de fonctionnement du commerce dans la région ...... 300 Encadré 11: les discours des habitants sur les effets néfastes...... 316 Encadré 12: les catégories de routes et les sources de financement de la direction ...... 331 Encadré 13: la société Transrail et la subdivision du réseau ferrée ...... 333 Encadré 14: les positions des habitants sur la présence du barrage ...... 342 Encadré 15 : des réponses à la question des attentes ...... 351

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Liste des figures Figure 1: processus de construction d’une représentation sociale, (réalisation, C. Cissé) ...... 26 Figure 2 : opérationnalisation du concept et des trois hypothèses, (réalisation, C. Cissé) ...... 34 Figure 3: organigramme du Haut-commissariat de l’OMVS. Source : OMVS, 2014...... 94 Figure 4: le Réseau d’Interconnexion de Manantali (RIMA). Source : SOGEM, 2014 ...... 104 Figure 5 : répartition d’électricité entre les sociétés d’électricité de 2003 à 2013...... 106 Figure 6 : variation de la surface d’eau du lac entre 1987 et 2013 ...... 113 Figure 7 : la variation du volume d’eau dans le lac ...... 113 Figure 8 : variation du niveau du lac entre 1987 et 2013...... 114 Figure 9 : variation du niveau du lac par mois ...... 114 Figure 10 : débits des stations du Bafing avant et après le barrage ...... 118 Figure 11 : évolution des débits lâchés à Manantali...... 118 Figure 12 : impact du barrage de Manantali sur le fonctionnement de la station de Bakel ... 120 Figure 13 : mesures de la qualité au niveau de la Station I du lac ...... 123 Figure 14 : mesures de la qualité au niveau de la Station III du lac ...... 124 Figure 15 : mesures de la qualité au niveau de la Station IV du lac ...... 124 Figure 16 : mesures de la température et de la conductivité de l’eau du bassin d’amortissement ...... 127 Figure 17 : mesures de l’oxygène et du pH de l’eau du bassin d’amortissement ...... 127 Figure 18 : mesures de la température et de la conductivité de l’eau à Bafoulabé...... 129 Figure 19 : mesures de l’oxygène et du Ph de l’eau du bassin d’amortissement ...... 129 Figure 20 : classement par familles des poissons dans le lac ...... 134 Figure 21 : nombre de poissons du Bafing vendus à Mahina entre 2003 et 2013 ...... 135 Figure 22: nombre de poissons du Bakoye vendus à Mahina entre 2003 et 2013 ...... 136 Figure 23 : nombre de poissons du fleuve Sénégal vendus à Mahina entre 2003 et 2013 ...... 136 Figure 24 : part du Bafing dans l’offre de poissons au marché de Mahina...... 137 Figure 25 : évolution de la population dans les campements...... 146 Figure 26 : évolution par catégorie de population dans les campements...... 147 Figure 27 : composition ethnique des villages et des campements, (réalisation, C. Cissé) ..... 153 Figure 28 : origines géographiques des habitants de la zone riveraine du barrage, (réalisation, C. Cissé) ...... 157 Figure 29 : pourcentage d’autochtones dans la zone d’étude ...... 160 Figure 30 : sociétés civiles dans la zone du barrage ...... 161 Figure 31 : origine de l’eau utilisée par les ménages dans la zone riveraine, (réalisation, C. Cissé) ...... 193 Figure 32 : maladies dont souffrent les plus les habitants ...... 203 Figure 33 : différentes activités économiques principales des habitants, (réalisation, C. Cissé) ...... 217 Figure 34: nombre de pêcheurs en amont ...... 262 Figure 35 : évolution du nombre de campements de pêche par année ...... 263 Figure 36 : évolution du nombre de pirogues en amont ...... 268 Figure 37 : production de poisson frais entre 1988 et 2011...... 278 Figure 38 : quantités vendues de poisson frais, fumés et séchés entre 1989 et 2011 ...... 279 Figure 39 : formes des représentations chez les acteurs interrogés, (réalisation, C. Cissé)..... 309 Figure 40 : formes des représentations sociales des opportunités du barrage, (réalisation, C. Cissé) ...... 318 Figure 41 : attentes exprimées par les acteurs, (réalisation, C. Cissé) ...... 343

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Liste des photos Photo 1: barrage et la centrale hydroélectriques de Manantali. Source : Service Santé Sécurité Environnement (SSSE), 2012 ...... 23 Photo 2: zone de Manantali avant le barrage. Source : site de la NASA : http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=36241. Acquired January 31, 1978 download large image (4 MB, JPEG, 1579x1579) ...... 110 Photo 3 : zone de Manantali après le barrage : création du lac artificiel. Source : site de la NASA : http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=36241. Acquired March 24, 2003 download large image (5 MB, JPEG, 3000x3000) ...... 111 Photo 4 : début du lac de Manantali en amont ...... 112 Photo 5: balise de localisation de la station I de mesure de la qualité de l’eau, (réalisation, C. Cissé) ...... 122 Photo 6:localisation du bassin d’amortissement du barrage de Manantali, (réalisation, C. Cissé) ...... 126 Photo 7: modèle de four offert par l’OMVS à la coopérative des pêcheurs ...... 166 Photo 8 : organisation spatiale dans un campement en amont de Manantali, (réalisation, C. Cissé) ...... 168 Photo 9: occupation de l’espace du village de Manantali. Source : image Google earth, 2015, (réalisation, C. Cissé) ...... 178 Photo 10 : occupation de la cité des cadres de Manantali. Source : image Google earth, 2015, (réalisation, C. Cissé) ...... 179 Photo 11 : habitants qui escaladaient les grosses pierres pour aller chercher de l’eau, (réalisation, C. Cissé) ...... 195 Photo 12 : CESCOM de la commune de Bamafélé ...... 211 Photo 13 : pêche avec une pinasse traditionnelle, (réalisation, C. Cissé) ...... 267 Photo 14 : pirogue motorisée contenant de vieux réfrigérateurs, (réalisation, C. Cissé) ...... 267 Photo 15: un pêcheur qui retravaille les mailles de son filet...... 269 Photo 16 : circuits de vente de poissons du lac de Manantali, (réalisation, C. Cissé) ...... 297 Photo 17 : une classe de l’école de la cité des cadres de Manantali, (réalisation : C. Cissé) .... 325

Planche Photos 1 : paysage de la zone du barrage de Manantali, (réalisation, C. Cissé) ...... 72 Planche Photos 2 : lors des entretiens collectifs dans les villages, (réalisation, C. Cissé) ...... 82 Planche Photos 3 : types d’îlots visibles sur le lac de Manantali ...... 112 Planche Photos 4 : bafoulabé, la rencontre des affluents du Bafing et du Bakoye, (réalisation, C. Cissé)...... 129 Planche Photos 5 : différentes d’activités sur le Bafoulabé, (réalisation, C. Cissé) ...... 130 Planche Photos 6 : types de poissons du lac et du Bafing, (réalisation, C. Cissé) ...... 132 Planche Photos 7 : grand marché de Mahina, (réalisation, C. Cissé) ...... 135 Planche Photos 8: types de construction dans les campements de pêche, (réalisation, C. Cissé) ...... 169 Planche Photos 9: construction de la route bitumée Manantali – Mahina, (réalisation, C. Cissé) ...... 180 Planche Photos 10: modes de transport de l’eau du lac vers les campements de pêche, (réalisation, C. Cissé) ...... 196 Planche Photos 11 : CESCOM de la commune de Diokéli, ...... 214 Planche Photos 12: partie du périmètre irrigué B dans la zone de Manantali, (réalisation, C. Cissé) ...... 238 Planche Photos 13 : outils de pêche des femmes, (réalisation, C. Cissé) ...... 273

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Planche Photos 14 : rencontres du samedi au débarcadère de Manantali, (réalisation, C. Cissé) ...... 289 Planche Photos 15: camions de transport des poissons du lac vers Bamako, (réalisation, C. Cissé) ...... 290 Planche Photos 16 : transport des poissons par des « courriers » sur une moto...... 296 Planche Photos 17 : commerçants ambulants dans les campements, (réalisation, C. Cissé) .... 299 Planche Photos 18 : navigation difficile à cause de la présence des arbres, (réalisation : C. Cissé) ...... 330

Liste des tableaux Tableau 1 : classification des barrages par nombre de personnes déplacées ...... 38 Tableau 2: évolution de la production d’électricité de 2003 à 2013...... 105 Tableau 3 : répartition des habitants dans des associations par tranche d’âge ...... 164 Tableau 4: localisation des campements selon la hauteur ...... 170 Tableau 5 : liste des communes et villages dépendants de l’hôpital de Manantali ...... 208 Tableau 6: le maillage des filets de pêche ...... 269 Tableau 7 : exemple de résultat de conversion en équivalent poissons frais ...... 279 Tableau 8 : prix des poissons et produits agricoles à Mahina ...... 293 Tableau 9 : système de codage des différents discours retranscrits ...... 306 Tableau 10 : modèle de tableau de contingence ...... 317

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Table des matières

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RESUME ...... 2 REMERCIEMENTS ...... 5 PLAN GENERAL ...... 7 SIGLES ET ACRONYMES ...... 11 CHAPITRE INTRODUCTIF ...... 14 I. DYNAMIQUE ET LES CATEGORIES DE GRANDS BARRAGES ...... 18 1. Evolution du nombre ...... 19 2. Les catégories de grands barrages et classification par hauteur ...... 20 2.1. Le classement par capacité de déversoir, de retenue ...... 21 2.2. Le classement par capacité de production énergétique et par surface irriguée 22 II. COMMENT COMPRENDRE LES REPRESENTATIONS SOCIALES DANS CETTE THESE ? ...... 24 1. Représentations sociales : une forme de connaissances ? ...... 24 1.1. Les quatre approches de la théorie des représentations ? ...... 27 2. Géographie des représentations ? ...... 29 3. Opérationnalisation des hypothèses et présentation des variables étudiées ...... 33 III. QUESTIONNEMENTS LIÉS AUX BARRAGES, ET À MANANTALI ? ...... 35 1. Diversité des éléments interrogés dans les recherches sur les barrages ...... 35 1.1. Des impacts sur l’environnement physique ...... 35 1.1.1. La modification du paysage ...... 36 1.2. Des impacts étudiés sous plusieurs angles ...... 36 1.2.1. L’effet sur les changements d’identité ...... 38 1.2.2. Des images projetées aux barrages ...... 39 1.2.3. Et les effets du barrage sur l’économie ? ...... 39 1.2.4. L’utilité et les bénéficiaires des barrages existants ? ...... 40 1.3. L’opposition aux projets de barrages ...... 41 1.3.1. À cause des promesses non tenues ...... 41 1.3.2. La force des mouvements associatifs ...... 41 1.3.3. Des populations qui se sentent lésées ...... 42 1.4. La place des habitants négligée dans les projets de barrages ...... 44 2. Politiques de gestion commune et règles d’utilisation des barrages pour le développement? ...... 45 2.1. Des règles de gestion des barrages en Afrique? ...... 46 2.1.1. La charte des eaux du fleuve Sénégal ...... 49 3. Réflexions sur les conséquences du barrage de Manantali ? ...... 51 3.1. Les perturbations causées par l’implantation du barrage de Manantali ...... 54 4. Haut bassin au Mali : le lieu de l’étude ...... 56 4.1. Difficultés rencontrées ...... 61 PREMIERE PARTIE : LES ENJEUX DE L’EXPLOITATION DU FLEUVE SENEGAL PAR L’OMVS : L’IMPLANTATION DU BARRAGE DE MANANTALI ...... 65 CHAPITRE I : METHODOLOGIE DE RECHERCHE, ENJEUX DE L’IMPLANTATION DU BARRAGE DE MANANTALI SUR LE FLEUVE SENEGAL PAR L’OMVS ...... 66 I. METHODOLOGIE DE RECHERCHE ...... 68 1. Pré-terrain ...... 68

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2. Déroulement des deux campagnes terrains ...... 70 2.1. L’observation participante ...... 72 2.1.1. Les enregistrements vidéo et l’observation spatiale ...... 73 2.2. L’entretien individuel ...... 76 2.3. La méthode de l’enquête par questionnaires ...... 77 2.3.1. L’échantillon et le choix des villages ...... 78 2.3.2. La préparation des enquêtes et les statistiques ...... 79 2.3.2.1. Le pré-dépouillement ...... 81 2.3.3. L’entretien collectif ...... 81 3. Traitement des données ...... 83 II. L’OMVS ET LES ENJEUX DE L’IMPLANTATION DU BARRAGE DE MANANTALI SUR LE FLEUVE SENEGAL ...... 85 1. Héritage commun : l’histoire politique et du peuplement ...... 86 2. OMVS ou l’aboutissement de nombreux projets d’aménagement ...... 88 3. Fonctionnement et objectifs de l’OMVS ...... 92 3.1. Un modèle spécifique de fonctionnement ...... 93 4. Barrage de Manantali : de la conception à l’exploitation ...... 96 4.1. Les phases du projet de construction du barrage ...... 97 4.2. La zone du Bafing avant et pendant la construction du barrage ...... 98 4.2.1. La composition socio-spatiale avant les déplacements ...... 99 4.2.2. La phase de construction du barrage : une rupture ...... 100 4.2.2.1. Les conditions de déplacements et de réinstallations des habitants ...... 100 4.2.2.2. Construction des villages : un projet trop ambitieux et mal organisé ? ...... 102 5. Production et la distribution de l’énergie aux pays de l’OMVS ...... 104 CONCLUSION DU CHAPITRE I ...... 106 CHAPITRE II : CHANGEMENTS DE L’ENVIRONNEMENT PHYSIQUE : DYNAMIQUE DU LAC ET DU BAFING ...... 108 I. CREATION D’UN LAC DE RETENUE EN AMONT DU BARRAGE ...... 109 1. Variation de la retenue d’eau et du Bafing en aval ...... 113 1.1. La superficie et le volume d’eau ...... 113 1.2. la cote du lac ...... 114 2. La dynamique des précipitations essentielles pour le stockage de l’eau ...... 115 2.1. Une tendance générale à la baisse ...... 115 3. L’influence du barrage sur les débits des stations ...... 117 3.1. Situés en amont ...... 117 3.2. Situés sur les cours d’eau régularisés ...... 118 3.2.1. sur la station de Bakel ...... 119 4. La qualité de l’eau du lac et du Bafing ...... 120 4.1. Au niveau du lac ...... 121 4.2. Au niveau du Bafing en aval...... 125 II. EFFETS DU CHANGEMENT DES CONDITIONS PHYSIQUES SUR LA DYNAMIQUE DES POISSONS ...... 131 1. Le bouleversement de la population de poissons ...... 132 1.1. Dans les eaux du lac ...... 132

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1.2. Dans les eaux du Bafing, du Bakoye et du fleuve Sénégal ...... 134 CONCLUSION DU CHAPITRE II ...... 137 CONCLUSION PARTIE 1 ...... 139 DEUXIEME PARTIE : PERTURBATION PROFONDE DES CONDITIONS SOCIO- SPATIALES ...... 141 CHAPITRE III : RECOMPOSITION SOCIALE ET SPATIALE POST-BARRAGE : LA COHABITATION DES VILLAGES ET DES CAMPEMENTS...... 142 I. DYNAMIQUE GENERALE DE LA POPULATION DE KAYES ET DE LA ZONE RIVERAINE DU BARRAGE ...... 144 1. Dynamique de la population dans les campements et les villages environnants du barrage ...... 145 1.1. Dans les campements ...... 145 1.2. Dans les villages en aval ...... 147 2. Villages environnants : une histoire perturbée ...... 148 2.1. Les anciens villages de Manantali, Diakhaba et Kondonia ...... 148 2.2. Les villages déplacés : Bamafélé, Goumbalan, Sollo, Diokéli, Maréna ...... 150 3. Composition ethnique à dominante Malinké et Bozo ...... 153 3.1. Des régions du Mali et de l’international ...... 157 3.2. L’appartenance à la société civile, une stratégie de lutte contre les impacts du barrage? ...... 160 3.3. Des dons qui créent des conflits dans la coopérative ...... 165 II. UN BOULEVERSEMENT PROFOND DU TERRITOIRE LOCAL ...... 167 1. Type d’habitat dans les campements et les villages ...... 168 2. Mécanismes d’accès au foncier rural ...... 171 3. Occupation de l’espace du village « spécial » de Manantali ...... 176 4. Règles en vigueur : permis de construire, limites ...... 182 CONCLUSION CHAPITRE III ...... 185 CHAPITRE IV : ANALYSE DES INÉGALITES D’ACCÈS AUX SERVICES AGGRAVÉES PAR LE BARRAGE ...... 186 I. ACCROISSEMENT DES INÉGALITES D’ACCÈS AUX SERVICES ...... 187 1. De l’électricité pour l’ailleurs : les grandes villes et les pays voisins ...... 187 2. Des inégalités d’accès l’eau ...... 192 2.1. L’absence totale de réseau d’eau potable dans les campements...... 195 3. Une politique de gestion des eaux usées presque inexistante ...... 199 I. LES CONSÉQUENCES DU BARRAGE SUR LE DEVELOPPEMENT DES MALADIES HYDRIQUES ...... 202 1. Types de maladies: une conséquence du barrage ? ...... 202 2. Causes d’aggravation des maladies et la place de Manantali dans l’offre de services de soins...... 205 2.1. L’histoire et le fonctionnement de l’hôpital de Manantali aval ...... 209 2.2. Des prix de soins variables dans les CESCOM des villages chefs-lieux ...... 211 2.2.1. Les limites des services de soins et les solutions proposées ...... 212 II. MULTITUDE DES SECTEURS D’ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES DES HABITANTS 217

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1. De l’agriculture aux nouveaux métiers ...... 217 2. Sources de compléments des revenus familiaux ...... 220 CONCLUSION CHAPITRE IV ...... 221 CONCLUSION PARTIE 2 ...... 223 TROISIÈME PARTIE : RÉORGANISATION DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES ET ANALYSE DES FORMES DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES ...... 225 CHAPITRE V : ÉTUDE DE 3 ACTIVITES ECONOMIQUES : L’AGRICULTURE, L’ÉLEVAGE ET LA PECHE ...... 226 I. NON-EXPLOITATION DES PERIMETRES IRRIGUES ET CONSEQUENCES ...... 228 1. Agriculture sous pluie et problèmes d’accès à la terre ...... 228 1.1. Les villages déplacés limités dans leur extension ...... 229 1.1.1. Des solutions problématiques pour l’agriculture sous pluie ? ...... 231 1.1.2. Les mêmes problèmes de terres réduites et dégradées dans les anciens villages 233 2. Structure de gestion des périmètres irrigués : mesures d’accompagnement du barrage ...... 234 2.1. L’histoire de l’ADRS ...... 235 2.2. L’aire d’intervention de l’ADRS et la gestion du périmètre B ...... 236 2.3. Les échecs de la mission de l’ADRS selon les gestionnaires ...... 239 2.3.1. Le contexte socio-culturel : un frein aux politiques d’exploitation des périmètres irrigués ?...... 240 2.3.2. Les nouvelles mesures prises par l’ADRS ...... 242 2.4. Le manque de collaboration avec les habitants à l’origine de l’échec ? ...... 245 2.4.1. Des habitants qui se résignent à accepter la situation ...... 247 3. La direction de régionale de l’agriculture utilise-t-elle le barrage ? ...... 251 II. COMMENT SE DEVELOPPE L’ELEVAGE DANS LA ZONE DU BARRAGE ? .... 255 1. La longue transhumance : une solution ? ...... 257 1.1. L’exportation du bétail de la région vers les pays voisins du Mali ...... 259 III. LA PECHE : PREMIERE ACTIVITE ECONOMIQUE EN AMONT PROCHE ...... 261 1. Le nombre de pêcheurs en amont ? ...... 262 2. Une pêche professionnelle émergente ? ...... 264 3.1. Les techniques et les outils de pêche à Manantali ? ...... 266 CONCLUSION CHAPITRE V ...... 274 CHAPITRE VI : QUANTITES DE POISSONS PECHES ET ZONE DE CHALANDISE DES VENTES DES PRODUCTIONS LOCALES ...... 276 I. QUANTITE IMPORTANTE DE POISSONS PRISE DANS LE LAC ...... 277 1. Des milliers de kilogrammes de poissons ...... 278 II. COMMERCIALISATION DES POISSONS ET DES PRODUITS AGRICOLES ...... 282 1. Zone de chalandise des ventes des productions locales ? ...... 285 1.1. À l’échelle locale : une priorité au village de Manantali ...... 285 1.2. Les marchés des villes: lieux de commercialisation des produits de la zone riveraine ...... 286 1.2.1. Une place importante des denrées dans les importations ...... 288 2. Variété des circuits de commerce de poissons du lac ...... 289

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2.1. Une grande irrégularité des prix ? ...... 291 2.2. Des prix aussi variables à Mahina ...... 292 2.3. De Manantali à la ville : un circuit qui crée des emplois ...... 293 2.3.1. Le métier de « courrier » : entre les ventes de poissons et les importations 295 2.3.1.1. Avantages du métier de courrier dans les campements ? ...... 298 CONCLUSION CHAPITRE VI ...... 301 CHAPITRE VII : CONNAITRE LES FORMES DE REPRÉSENTATIONS SOCIALES DES IMPACTS ET LES ATTENTES EXPRIMÉES ...... 303 I. PAR L’ANALYSE DE CONTENU ET L’ANALYSE FACTORIELLE DES CORRESPONDANCES (AFC) ...... 305 1. Employée pour analyser les représentations sociales ...... 305 1.1. Analyse de l’ancrage sociologique : identification des logiques de discours .. 306 1.2. L’apport de l’AFC ? ...... 307 II. POSTURES SUR LES IMPACTS NEFASTES: DIFFERENTES VOIRE CONFLICTUELLES ...... 308 1. Des acteurs observateurs ? ...... 308 1.1. Un jargon d’experts à l’opposé des réalités vécues ...... 310 1.1.1. Des explications sans critiques ? ...... 310 1.2. Villages et campements : positions différentes ? ...... 312 III. De Bamako aux campements: des similarités malgré la distance ...... 317 1. Plus défendus aux échelles régionale et nationale ...... 318 2. barrage de Manantali: source de division en 4 groupes ...... 319 3. Des conceptions opposées entre les autochtones et les étrangers ...... 321 4. L’école pour qui et pourquoi ? ...... 322 4.1. L’école n’est pas une nécessité «pour nous» ! ...... 323 4.2. Le rôle majeur des écoles et lycées de Manantali dans la zone ...... 325 4.2.1. L’abandon des écoles au profit des zones minières ...... 327 5. Sur les routes du barrage ...... 328 5.1. Manantali, une voie d’ouverture vers Bamako ...... 330 5.1.1. Un risque d’abandon du train ? ...... 332 IV. ATTITUDES VIS-A-VIS DES GESTIONNAIRES DU BARRAGE ET ATTENTES EXPRIM ÉES ...... 335 1. Le poids des avantages favorise une appropriation du barrage ? ...... 335 1.1. Effet des dons de matériels de pêche et de navigation ...... 335 1.2. Des dons de médicaments et de moustiquaires ...... 337 1.3. L’aménagement des périmètres irrigués ...... 337 1.4. Les mesures d’accompagnements et le mode de vie particulier ...... 337 2. Appropriation ou rejet: quels sentiments? ...... 338 V. LES ATTENTES SONT-ELLES LE REFLET DES REPRESENTATIONS SOCIALES DES IMPACTS ?...... 342 1. Les résultats de l’AFC sur les attentes des acteurs ? ...... 343 2.1. Les attentes spécifiques des villages et des campements ...... 344 2.2. Le forum du barrage : moyen de réduire les frustrations ? ...... 345

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2.3. Acteurs régionaux : une soif de prendre part aux projets visant le barrage .... 346 2.4. Vivre à l’ombre du barrage : quelle lecture spatiale des types de besoins des habitants ? ...... 348 CONCLUSION CHAPITRE VII ...... 352 CONCLUSION PARTIE 3 ...... 353 Conclusion générale ...... 357 Annexes ...... 365 Liste des cartes ...... 403 Liste des encadrés ...... 404 Liste des figures ...... 405 Liste des photos ...... 406 Liste des tableaux ...... 407 Références bibliographiques ...... 408 Table des matières ...... 420

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