La Place Royale Du Peyrou À Montpellier : La Statue Équestre, Le Paysage Et Le Territoire
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Revue 2006 n°36 http://www.etudesheraultaises.fr/ Article : La place royale du Peyrou à Montpellier : la statue équestre, le paysage et le territoire Auteur (s) : ................................................................................ Thierry LOCHARD Nombre de pages : ............................ 10 Année de parution : 2006 La place royale du Peyrou à Montpellier : la statue équestre, le paysage et le territoire Thierry LOCHARD e Fig. 1 - Inauguration de la statue équestre de Louis XIV à Montpellier, eau forte par Poilly, d'après un dessin de Caumette, s.d. [début XVIII siècle], in Charles d'Aigrefeuille, Histoire de Montpellier. Repro. J.-M. Périn © Inventaire général, ADAGP, 1993. L’histoire de la place royale du Peyrou de Montpellier initial et son achèvement en liaison avec l’aqueduc de Saint- commence le 31 octobre 1685 avec le vote des Etats du Clément, construit entre 1753 et 1764 par l’ingénieur Pitot Languedoc en faveur de l’érection d’une statue équestre à la pour l’approvisionnement en eau de la ville. Jean-Antoine 1 gloire de Louis XIV . Après le choix de la ville de Montpellier Giral réalise à partir de 1766 la composition architecturale e fait par le roi , un premier projet de création d’une place royale actuelle, exceptionnelle, transformée au XIX siècle avec la 4 intra muros, devant le collège des Jésuites, reçoit un début de plantation d’arbres sur la terrasse haute (fig. 2 et 3). 2 réalisation . Lui succède l’idée d’un aménagement de la place de la Canourgue (une place existante dans la ville). Vient Cette chronologie sommaire appelle naturellement de enfin en 1715 la proposition d’érection de la statue équestre nombreux développements. Ainsi le vote des Etats, pris à sur la colline du Peyrou, là où une promenade avait été créée l’initiative du cardinal de Bonzy, leur président-né, familier en 1689, et un arc de triomphe construit peu après, en 1691, de la Cour, s’inscrit dans le contexte d’une véritable « entre- 3 à l’emplacement d’une vieille porte de ville . Les Etats prise de propagande monarchique » qui explique le contrôle approuvent ce dernier projet en 1716. La statue équestre du projet par le milieu versaillais (choix des sculpteurs, dessin 5 transportée depuis Paris et mise en place sur la promenade est de la statue et du piédestal, fonte de la statue) . De même, le inaugurée le 27 février 1718 (fig. 1). choix de Montpellier assure la continuité d’un projet politique Dans la seconde moitié du siècle, les impératifs édilitaires qui date du début du siècle, après la reprise de la ville 6 imposent une reconsidération du programme monumental protestante par Louis XIII . Celui d’une place devant le Etudes héraultaises - 36, 2006 121 e Fig. 2 - Vue du Peyrou, n.s., n.d. [XVIII siècle] (Montpellier, Musée Languedocien, carton 21). A gauche, la ville et la porte du Peyrou. A droite, l’aqueduc de Saint-Clément. A l’arrière plan, la mer méditerranée et les collines de la Gardiole. Les plantations sur la terrasse e haute ne seront réalisées qu’au début du XIX siècle. © Inventaire général, ADAGP, 1978. collège des Jésuites en cours de construction répond quant à Le projet de 1715 pour l’érection de la statue sur la lui au contexte religieux particulièrement mouvementé dans promenade du Peyrou retient plus particulièrement l’attention. la Province ; l’édifice le plus emblématique d’une Contre- Il émane du cercle de l’intendant Lamoignon de Basville qui Réforme agressive constitue d’ailleurs également un signe fort s’en fait le défenseur dans une lettre du mois d’août, première dans la lutte contre le jansénisme qui divise le clergé et pénètre mention connue d’un dessein audacieux : « Nous avons 7 la société languedocienne . Enfin, l’abandon du projet de beaucoup travaillé depuis quelques jours, Monsieur, sur le 1685 s’explique certes par les difficultés liées au tissu urbain lieu où la statue du Roi peut être mise […]. Je puis vous montpelliérain très dense, hérité du Moyen-Age, mais aussi et assurer que toute la ville de Montpellier est de notre avis et 9 surtout par les tensions intérieures au royaume, économiques souhaite fort qu'on mette la statue au Peyrou… » . Un dessein et religieuses, et les revers militaires qui imposent la mise en audacieux en effet, car en contradiction totale sur deux sommeil des projets de place royale, à Montpellier comme à points essentiels avec l’idée que l’on se fait, au tout début 8 e Lyon, Dijon ou Nantes . du XVIII siècle, d’une place royale : située hors la ville, la promenade du Peyrou s’ouvre très largement sur la campagne environnante (fig. 4). On connaît l’artifice par lequel l’intendant et son cercle écartent la première difficulté : la place sera englobée dans la ville avec le déplacement des fossés et le comblement de ceux qui la 10 séparent de l’arc de triomphe . Et Basville s’oppose également aux contre-propositions faites pour résoudre l’inconvenance des proportions de la promenade et de l’ouverture sur le paysage, pourtant relayées par le syndic général de la Province : « J’ai beau représenter à M. de Basville que la place du Peirou est d’une étendue immense et que rien ne borne [...] je suis persuadé que les Etats prendront la solution de faire des maisons autour de la statue […] c’est l’avis général, car en vérité le Roi est mal placé au milieu des champs pour ainsi dire et la dépense de faire l’élévation des maisons avec un mur d’enceinte pour agrandir la ville Fig. 3 - La place royale du Peyrou : le temple des Eaux et l’arc de jonction avec l’aqueduc n’est pas plus considérable que celle des 11 de Saint-Clément. Phot. T. Lochard © Inventaire général, ADAGP, 2006. grands fossés... » . 122 Fig. 4 - La porte du Peyrou et la promenade vers 1700, peinture anonyme (coll. part.). Détail. L’intendant, « roi » du Languedoc, critique en particulier interprétable par une lecture conventionnelle, par un emprunt vivement la proposition d’« un architecte de Paris », Jacques de sens à l’extérieur de l’objet symbolique lui-même, mais Gabriel : sollicité par les opposants au projet, l’architecte bien comme un « signe » tel que le définit, à la même période, ordinaire du roi envisage de diviser la promenade en deux la Logique de Port-Royal : 12 et de fermer la partie dédiée à la statue par des arcades « Quand on considère un objet en lui-même et dans son 13 grillagées ; un « triste objet » selon Basville qui défend au propre être sans porter la vue à ce qu’il peut représenter, l’idée contraire vigoureusement le dessein d’un belvédère. Ce parti qu’on en a est une idée de chose, comme l’idée de la terre ou d’ouverture sur le paysage, aujourd’hui perturbé par les du soleil. Mais quand on ne regarde un certain objet que e plantations du XIX siècle (fig. 5), donne précisément à la comme en représentant un autre, l’idée qu’on en a est une place royale du Peyrou son caractère très exceptionnel. A idée de signe, et ce premier objet s’appelle signe. C’est ainsi l’opposé, le modèle parisien de la place Louis-le-Grand qu’on regarde d’ordinaire les cartes et les tableaux. Ainsi le définit un rapport strict entre la statue et le cadre architectural signe renferme deux idées : l’une de la chose qui représente ; de la place elle-même : « la statue à elle seule ne définit pas l’autre de la chose représentée ; et sa nature consiste à exciter 15 la place royale. C’est la relation entre un espace ordonnancé, la seconde par la première » . signifiant, et l’image du monarque qui fonde l’existence Le signe contient donc en lui-même l’idée de son rôle de 14 d’une place royale » . représentation et l’exprime dans le monde sensible : « le signe non seulement signifie ; non seulement il est, pour Port- Royal, cette chose qui en représente une autre mais il est 16 encore marqué visiblement de ce pouvoir de représenter » . L’enjeu autour de la statuaire et son contrôle direct par l’entourage du Roi (parti de composition, fonte à Paris en une seule partie, dessin du piédestal, etc.) s’expliquent donc aussi par l’effet de la représentation : rien ne doit en atténuer la puissance signifiante ; par un enchaînement de signes au contraire, tout doit l’orienter vers ce qui est à « exciter » : l’absolutisme royal et sa déification. Nul ne doit douter qu’à travers la statue, c’est la présence même du roi et son pouvoir absolu qui sont rendus visibles (fig. 6). La Logique de Port-Royal signale la portée du dispositif à travers les représentations spatiales et graphiques, la carte 17 Fig. 5 - La place royale du Peyrou. A l’arrière plan à gauche, derrière et le tableau, deux « espaces-fenêtre » délimités par un cadre la statue équestre, l’Arc de Triomphe et la ville ; à l’horizon à droite, dont le rôle se précise : le cadre « autonomise l’oeuvre dans la mer méditerranée. Phot. T. Lochard © Inventaire général, ADAGP, l’espace visible » et « met la représentation en état de présence 2004. exclusive » comme le souligne Louis Marin qui cite la lettre de Poussin à Chantelou accompagnant l’envoi de La Manne : La Logique de Port Royal « Quand vous aurez reçu votre tableau, je vous supplie de Quelle est donc cette relation et comment fonctionne-t- l’orner d’un peu de corniche [d’un cadre] car il en a besoin elle ? Avec la critique cartésienne de la ressemblance, le statut afin que, en le considérant en toutes ses parties, les rayons de e de la représentation renouvelé au XVII siècle éclaire ce lien l’oeil soient retenus et non point épars au-dehors en recevant et permet de mesurer la modernité du projet de propagande.