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Patrimoines du Sud

5 | 2017 Les patrimoines du Protestantisme The heritage of

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/pds/1443 DOI : 10.4000/pds.1443 ISSN : 2494-2782

Éditeur Conseil régional Occitanie

Référence électronique Patrimoines du Sud, 5 | 2017, « Les patrimoines du Protestantisme » [En ligne], mis en ligne le 01 mars 2017, consulté le 12 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/pds/1443 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/pds.1443

Ce document a été généré automatiquement le 12 février 2021.

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SOMMAIRE

Dépasser le Désert : un parcours du patrimoine protestant en Patrick Cabanel

Un volume des principes d’analyse consacré au patrimoine protestant : publication prévue en 2017 Mireille-Bénédicte Bouvet

Le temple de la Calade et la maison du consistoire de Nîmes Philippe Chareyre

Le château et l’observatoire de Guillaume Le Nautonier (1560-1620), seigneur protestant de Castelfranc (Tarn) Adeline Béa

La construction des temples dans le Gard par Charles-Étienne Durand au début du XIXe siècle, ou l’invention d’un temple néoclassique Josette Clier et Théodore Guuinic

De la Vaunage à la Petite Camargue, un patrimoine protestant majeur Patricia Carlier

Une architecture d’exception pour l’Église réformée de Ganges (Hérault) Yvon Comte

La construction du temple protestant d’Albi en 1924 : pour une histoire matérielle, culturelle et sociale de l’architecture protestante albigeoise Laura Girard

La protection au titre des monuments historiques des temples protestants Une campagne thématique dans l'ancienne région Midi‑Pyrénées (2007‑2014) Marie-Emmanuelle Desmoulins et Georges Gonsalvès

Les protestants lorrains et le protestantisme méridional du XVIe au XXe siècles Mireille-Bénédicte Bouvet

Le plus ancien cimetière en activité de : le cimetière protestant Pierre-Yves Kirschleger

Les protestants et la mort, le cimetière protestant de Nîmes Anne Nègre

Un patrimoine protestant méconnu : les cimetières familiaux Patrick Cabanel

La Société d’histoire du protestantisme de Montpellier au service du patrimoine protestant Jacques Delteil et Pierre-Yves Kirschleger

Références bibliographiques

Varia

Du recours à la dendrochronologie dans les études de l’Inventaire général du patrimoine culturel Maurice Scellès

Deux ornements réversibles du XVIIIe siècle : de Saint-Papoul à Carcassonne Josiane Pagnon

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Brève

La revue numérique In Situ Revue des patrimoines

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Dépasser le Désert : un parcours du patrimoine protestant en France Going beyond the Desert: Protestant Heritage Route in France

Patrick Cabanel

1 S’il est une minorité religieuse française, outre celle des juifs, saturée de mémoire, c’est bien le protestantisme réformé ou huguenot, dont l’histoire souvent tragique, toujours difficile jusqu’au début du XIXe siècle, a fabriqué durant des siècles cette mémoire à la fois martyrologique et glorieuse. Elle constitue une part très importante de son patrimoine et a été bien étudiée, notamment par Philippe Joutard à propos d’une région devenue cardinale, les Cévennes – mais aussi l’Ardèche voisine1 –, et d’un épisode traumatique fondateur, la guerre des Camisards2. En d’autres termes, un trait caractéristique de ce patrimoine tient aux persécutions et aux catastrophes dont la minorité a été la victime et qui expliquent des pertes irréparables, d’un côté, et des hypertrophies documentaires, de l’autre.

2 Les pertes concernent le patrimoine immobilier cultuel : la totalité des temples bâtis aux XVIe et XVIIe siècles ont disparu, non pas tellement au moment de la révocation de l’édit de Nantes, en 1685, mais dès les vingt années qui l’ont précédée, lorsque l’Église catholique et les autorités monarchiques et judiciaires ont mené une entreprise légale, tenace, froide, systématique, d’éradication de la liberté du culte chez ceux de la Religion prétendue réformée. Trois ou quatre temples seulement ont été sauvés, dans la mesure où ils avaient été promis à d’autres usages : maison commune au Poët‑Laval (Drôme), église catholique à Vialas (Lozère), bâtiment destiné à des missionnaires catholiques (Collet‑de‑Dèze (fig.1), Lozère)3. Ce dernier édifice, inscrit aux monuments historiques, est d’un intérêt exceptionnel car il est le seul témoin de l’architecture religieuse protestante dans le Midi de la France : les temples y avaient une arche unique, longitudinale. C’était le cas de ceux de Nîmes, Montpellier, Orange, tous disparus, et dont tel ou tel, s’il avait survécu, figurerait probablement aujourd’hui sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité, aux côtés du célèbre temple parisien de Charenton (victime directe, lui, de la Révocation) et de quelques autres aux plans

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parfois très originaux (La Rochelle, Quevilly près de Rouen, etc.) : la liste de l’Unesco est riche de bâtiments catholiques, pour la France, mais muette du côté protestant.

Fig. 1

Le Collet-de-Dèze (Lozère), vue intérieure du temple © Henri Comte

3 Avec les bâtiments ont disparu les ornementations intérieures et les objets liturgiques, à l’exception notoire de quelques tableaux représentant Moïse recevant les Tables de la Loi : ces tableaux, unique image acceptée dans les temples du XVIIe siècle, ont survécu ici et là, parfois déplacés dans une église catholique, comme ont pu l’être également des cloches. La bibliothèque de la SHPF, le musée Calvin à Noyon, le musée du protestantisme de Ferrières (Tarn) en possèdent chacun un exemplaire4. Ont survécu également, en dépit de la chasse qui leur a été faite, des Bibles, des Psautiers, divers livres de théologie ou de piété. Un certain nombre avaient été cachés dans des murs de maison et ont été retrouvés, toujours de manière fortuite, à l’occasion de travaux de restauration ou d’agrandissement, y compris en plein XXIe siècle5. Patrimoine amputé à mort, clandestin, épars, caché, réapparu et recouvré par bribes. Et visualisable, malgré tout, car plusieurs représentations d’époque des grands temples disparus existent, spécialement pour Charenton, mais aussi La Rochelle, Montauban, ou ce Quevilly, étonnant bâtiment de bois, dont les fidèles partant en exil aux Provinces‑Unies ont tenu à publier le plan et une vue extérieure6. Charenton, on le sait, a par ailleurs été en quelque sorte imité ou transplanté à Genève (temple de La Fusterie) comme à Londres (fig.2). À cette béance – dont témoignaient en mains endroits, au XIXe siècle, les emplacements ou « masures », restés vides, des bâtiments détruits, et sur lesquels des temples modernes ont pu être reconstruits – s’oppose la richesse du patrimoine lié au siècle du « Désert » (1685‑1787), entre répression et clandestinité. La première, les historiens le savent assez, produit beaucoup d’archives et même de patrimoine : enquêtes de police et jugements (série C des archives départementales), affiches proclamant les condamnations individuelles et collectives (impôts exceptionnels frappant des communautés sur le territoire desquelles des cultes interdits avaient été

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surpris), registres des galériens, estampes de propagande en faveur de Jean Calas, et jusqu’aux prisons, la plus célèbre étant évidemment la Tour de Constance, à Aigues- Mortes, transformée à partir du dernier tiers du XIXe siècle en lieu de mémoire. Ce matériau occupe une place parfois excessive dans les musées du protestantisme qui ont fleuri au XXe siècle, région par région.

Fig. 2

Démolition du temple de Charenton © S.H.P.F

4 Il y voisine en revers du patrimoine religieux de la clandestinité : chaires du Désert (fig. 3), coupes de communion démontables, méreaux ; voire des éléments peut-être plus « suspects », mais que la piété mémorielle a englobés dans l’équipement du culte secret (coiffes de femmes, lanternes sourdes, « miroirs » (fig.4), « bibles de chignon » (fig.5), « marmite huguenote », et même tel siège d’assemblée ou parapluie de berger, etc.)7 ; le bijou féminin du saint‑esprit, devenu croix cévenole puis croix huguenote, relève de cette histoire, puisqu’il a été créé comme un signe discret de reconnaissance, au cœur des années sombres (vers 1688), avant de devenir, de nos jours, le « logo » du monde protestant français. Ajoutons que le patrimoine de ce Désert ne saurait être contenu dans les seuls musées ou dépôts d’archives : outre les prisons (Tour de Constance, Tour de Crest, île Sainte‑Marguerite), il se trouve dans une série de hauts lieux. Ce sont les maisons natales, dans les Cévennes gardoises, de chefs camisards (celle de Pierre Laporte, dit Roland, est devenue le Musée du Désert ; celle d’Abraham Mazel est devenue le cœur d’une association éponyme très marquée à gauche) ; celles de prédicants ou pasteurs du Désert (plaques sur les maisons de Pierre Corteiz et de François Rochette - dernier pasteur exécuté, en 1762 - près de Vialas en Lozère), ou de la célèbre prisonnière à la Tour de Constance, (devenue

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musée du Bouschet‑de‑Pranles, Ardèche). Ce sont aussi les lieux de bataille au temps des camisards, les lieux d’assemblées surprises, tout un archipel de stèles, de plaques, de petits monuments, d’obélisques (Plan de Fontmort en Lozère, Pierre Plantée dans le Tarn…), dont nous n’avons malheureusement pas de cartographie.

Fig. 3

Mialet (Gard), musée du Désert ; chaire de Lédignan M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

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Fig. 4

Mialet (Gard), musée du Désert ; miroir huguenot M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

Fig. 5

Mialet (Gard), musée du Désert ; bibles de chignon, h : 5,1 cm, la : 3,3 cm, ép. : 2,3-cm M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

5 De manière plus diffuse encore, on peut évoquer un patrimoine « naturalisé » : ce sont d’une part les « déserts », avec minuscule et au pluriel, pour désigner les lieux habituels des assemblées clandestines, quand bien même aucune répression n’est venue les graver dans la mémoire martyre ; l’expression est usitée notamment dans le Béarn ; ces « déserts » sont suffisamment institutionnalisés pour que le volume de l’Inventaire consacré au Vivarais‑Lignon (Haute‑Loire) leur consacre une double page, avec deux photographies de sites (Bois de Larcisse au Chambon‑sur‑Lignon et Montréal à Mars)8. Ici plus encore que pour les lieux à monument ou plaque, aucune cartographie n’est disponible, et le risque existe à la fois d’un effacement de la mémoire et d’une transformation importante des lieux, par déforestation, enrésinement ou conquête de la friche, qui peut les rendre presque illisibles9. Des assemblées commémoratives

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annuelles ont lieu dans plusieurs de ces sites, et entretiennent à la fois la mémoire et le lieu (Cam de l’Hospitalet et « Chaire d’Abraham Mazel » en Cévennes lozériennes, La Favéa près du Mazet-Saint‑Voy en Haute-Loire…).

6 Plus largement, une région entière comme les Cévennes a été en quelque sorte patrimonialisée, notamment par des visiteurs français et étrangers venus en pèlerinage historique dès le XIXe siècle : un Napoléon Peyrat en 1837, un Samuel Smiles en 1870, un Robert‑Louis Stevenson en 1878, pour ne citer que le nom d’un pasteur historien qui a littéralement « inventé » les hauts lieux des Trois Fayards (camisards) et également celui de Montségur (cathares), et ceux de deux écrivains britanniques. Stevenson vient aux Cévennes du fait de leur réputation huguenote (le seul livre qu’il emporte dans son « sac à dos » est précisément celui de Peyrat, Les pasteurs du Désert, 1842) ; en retour, son Voyage avec un âne à travers les Cévennes a fortement contribué à doter la région de son identité à la fois naturaliste et littéraire10. En revanche, ni le Parc national des Cévennes, créé « tardivement » (1970), ni l’inscription des Causses et Cévennes au Patrimoine mondial de l’humanité (2011) n’ont entendu mettre en valeur le patrimoine protestant de la région.

7 Fait assez exceptionnel, la campagne d’inscription de temples aux monuments historiques, menée en 2015 en Midi‑Pyrénées (infra), a « élu » un lieu de mémoire du Désert, la Pierre plantée, lieu palimpseste puisqu’il contient à la fois un menhir (la pierre plantée) et un double phénomène de « huguenotisation » du même menhir11 : la tâche de lichen vaguement rougeâtre qu’il porte aurait été le sang du prédicant Jean Corbière martyrisé sur place en 1686, et le site, acquis en 1929 par la Société de l’histoire du protestantisme français, comprend désormais un obélisque et des plots de granit réunis par des chaînes, tout en accueillant une assemblée religieuse et commémorative annuelle…

8 On aurait tort, toutefois, de penser que le patrimoine protestant français se résume presque tout à ce « grand siècle » sombre que constitue le Désert et qui certes a tendu à occuper tout l’espace de la mémoire, de l’historiographie et des musées – que le premier et plus célèbre soit le Musée du Désert, au cœur des Cévennes, n’a pu que peser dans le double phénomène de « désertification » et de « cévenolisation », voire de « camisardisation ». Le siècle et demi qui précède la Révocation a ainsi spécialement compté dans l’édition, la littérature, l’art. La religion du Livre a bien été religion des livres, et les traductions de la Bible (Olivétan) et des psaumes (Marot et Bèze, puis Conrart), les traités de Calvin, la poésie religieuse ou épique (remarquablement étudiée, pour Agrippa d’Aubigné, bien sûr, mais aussi Jean de Sponde, Salluste du Bartas, Charles Drelincourt, etc.12), la tragédie biblique, les livres des martyrs (Jean Crespin) et d’histoire, etc., composent un continent impressionnant. En histoire de l’art, les architectes, les graveurs, les peintres, ont laissé quelques chefs d’œuvre : je m’en tiendrai à citer les estampes d’Abraham Bosse (1602‑1676) (fig.6) et les peintures de Sébastien Bourdon (1616‑1671), pour ce XVIIe siècle qui fut en son cœur un temps d’apaisement pour les huguenots, mais aussi les céramiques de Bernard Palissy, au siècle précédent. Il y a là un authentique patrimoine iconographique, pour une confession qui passe pour n’avoir pas aimé les images. Lorsqu’une gravure de Bosse comprend, au mur de la pièce, une représentation des Tables de la Loi comme décor de la vie quotidienne, l’œil du spectateur est doublement attiré, comme en abîme, et dans la nostalgie de la part disparue, celle qui se trouvait aux murs des temples et de quelques maisons de notables.

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Fig. 6

Fontrieu (Tarn), musée du protestantisme de Ferrières. Abraham Bosse, estampe. Les Vierges folles repoussées par le Christ P. Poitou © Inventaire général Région Occitanie

9 Ce sont les siècles contemporains, du XIXe à nos jours, qui ont recommencé à fabriquer du patrimoine protestant, même s’il a été longtemps difficile à percevoir, à cause même de sa jeunesse, de la modicité de ses dimensions et de ses matériaux, de l’austérité même que ses concepteurs ont voulu mettre en lui (un temple parallélépipède massif et fruste, élevé en 1840, a peu à voir et à être vu avec une délicieuse église romane ou quelque cathédrale gothique…). Il est normal que le volume de l’Inventaire du Vivarais‑Lignon, couvrant pourtant une des régions les plus protestantes de France, n’ait que 12 pages à consacrer au patrimoine de cette confession, contre 24 pour celui du catholicisme13. Normal également que le patrimoine protestant d’Alsace, présenté dans 110 pages d’une publication de 198514, soit si ancien et si riche : alsacien et luthérien, ce patrimoine n’a eu à souffrir ni du vandalisme louis‑quatorzien, ni de l’aniconisme réformé, le luthérianisme ayant conservé une large part des images, objets, rituels, vocabulaire, de l’ancien christianisme. La contribution de Mireille‑Bénédicte Bouvet, dans ce numéro et dans le volume qu’elle prépare, le montre bien.

10 Et pourtant, ce patrimoine contemporain existe, il est de plus en plus reconnu, étudié, inventorié, publié15, inscrit aux monuments historiques, et même admiré et visité. Bien que très récemment, et pour ne rien dire de ceux d’entre eux qui ne sont que d’anciennes églises réaffectées au culte réformé au lendemain de la Révolution, plusieurs temples de la région Occitanie ont été classés ou inscrits au titre des monuments historiques (fig.7) : ces « vagues » d’inscription remontent à 2012 pour le Gard, 2015 pour l’ancienne région Midi-Pyrénées (cf. les contributions de Patricia Carlier, Josette Clier et Théodore Guuinnic, Marie-Emmanuelle Desmoulins et Georges Gonsalvès dans le présent numéro). Il y a là, on peut le dire, une forme de réparation

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nationale à l’égard de la minorité protestante : après que l’État leur a cédé ou vendu des églises (années 1790‑1800), puis a subventionné au long du XIXe siècle la reconstruction de dizaines de temples16, il a inscrit une poignée d’entre eux au tableau d’honneur des monuments historiques. En cela, les temples ont aussi bénéficié du nouveau regard porté depuis quelques décennies sur les bâtiments du XIXe siècle et les architectures industrielle, scolaire, médicale, climatique, touristique…

Fig. 7

Temples de la région Occitanie protégés au titre des monuments historiques V. Marill © Inventaire Général Région Occitanie

11 Le patrimoine protestant contemporain va toutefois bien au-delà des temples et de leur ornementation (toujours aussi modeste ou absente, au moins du côté de l’Église réformée). Pour en rester à l’immobilier et à l’extérieur, on pourrait se demander si les cités ouvrières construites par le patronat protestant, souvent très chrétien‑social, notamment à Mulhouse (mais aussi en Picardie, en Normandie, à Mazamet…), présente quelque trait caractéristique. Du côté scolaire, les écoles‑modèles du XIXe siècle, ou écoles normales protestantes, méritent de retenir l’attention : ainsi celles de Mens (Isère)17, Dieulefit (Drôme), Glay (Doubs) ; du côté médical ou socioéducatif, ce sont les maisons de santé protestantes (ainsi à Nîmes ou à Lille : hôpital Ambroise Paré), l’hôpital des diaconesses à Reuilly, les orphelinats (Saverdun, Ariège), le complexe pour handicapés de La Force (où un Musée pour comprendre la différence, dans la Maison John et Eugénie Bost, est inauguré en 2017, à l’occasion du bicentenaire de la naissance du pasteur John Bost). Il me semble que pour l’heure aucun inventaire un peu systématique de ce patrimoine immobilier non cultuel n’a été entrepris, et que l’on doit encore se reporter, avec profit, à l’ouvrage monumental dirigé par Franck Puaux en 1893, Les Œuvres du protestantisme français au XIXe siècle18. En revanche, l’actuelle livraison de Patrimoines du Sud permettra de parcourir d’un peu près deux exemples d’un autre patrimoine protestant, celui des grands cimetières urbains (ici, Nîmes et Montpellier), mais aussi ce patrimoine modeste, populaire, disséminé, que constituent les cimetières familiaux.

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12 Quant au patrimoine mobilier, il est relativement abondant et trouve une place grandissante dans certains musées du protestantisme. Une remarque préalable doit néanmoins être faite à son propos. Si l’on considère que le protestantisme est une confession et ne saurait être abordé que sous cet angle, son périmètre patrimonial sera nettement plus réduit que s’il est perçu comme une culture, une vision du monde, à la manière dont de grands musées juifs européens parcourent l’espace qui va de la vie religieuse à la vie culturelle, artistique, politique, industrielle19.

13 Relèvent de la première approche une série de patrimoines pour l’heure mal connus, voire mal conservés : ce qui concerne la formation et la vie des pasteurs, l’évangélisation et son matériel aux XIXe et XXe siècles, le Réveil, les petites Églises (cf. la seule Armée du Salut), le scoutisme et les mouvements de jeunesse, mais aussi l’inculcation missionnaire (troncs à offrandes ou « nègres missionnaires », lanternes et plaques, cartes géographiques, jeux de cartes20 – et tous les objets apportés d’Afrique, de Nouvelle‑Calédonie…), ou encore le décor de la vie quotidienne (écriteaux et éphémérides bibliques chez les plus modestes ; assiettes à motifs bibliques ; reproduction de gravures sur le temps du Désert – encore – chez les notables)21 (fig.8). Une tente, un chapiteau, une voiture22, une péniche, liés à l’évangélisation, mériteraient (auraient mérité, car les pertes doivent être considérables) de faire partie du patrimoine protestant.

Fig. 8

Fontrieu (Tarn), musée du protestantisme de Ferrières, jeu de l’oie biblique ; vers 1930 P. Poitou © Inventaire général Région Occitanie

14 Dans la seconde approche, plus culturelle, voire sociologique ou artistique, le patrimoine potentiel s’élargit, comme l’a montré l’exposition réalisée à en 2002 à l’occasion du 150e anniversaire de la SHPF23 ou comme le donnent à voir, de plus en plus résolument, les musées d’Orthez (Pyrénées‑Atlantiques) et de Ferrières, les seuls, pour l’heure, à avoir un vrai secteur contemporain. Le premier insiste par exemple sur le

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pyrénéisme protestant (les frères Cadier) et sur les liens avec l’école publique (avec deux « régionaux » : Pauline Kergomard, née Reclus, inspectrice générale des écoles maternelles, et Félix Pécaut, directeur de l’École normale supérieure de jeunes filles de Fontenay‑aux‑Roses, un proche de Jules Ferry24). Le second propose des vitrines sur les liens entre protestantisme et industries du luxe (porcelaine Haviland, carré Hermès (fig.9), gants Buscarlet), protestantisme et République (avec un buste de Marianne), protestantisme et école (avec des manuels scolaires rédigés par des auteurs protestants de premier plan), protestantisme et franc-maçonnerie (avec des objets maçonniques : gants et tabliers), protestantisme et résistance spirituelle et/ou armée25.

Fig. 9

Fontrieu (Tarn), musée du protestantisme de Ferrières, carré Hermès, 1942 P. Poitou © Inventaire général Région Occitanie

15 Cette approche pourra paraître trop large : mais si l’on estime que les protestants français ont formé une communauté au sens sociologique, comme les juifs dans les pays européens ou les vaudois dans les vallées au nord de Turin, il semble légitime de proposer une définition en quelque sorte « wébérienne » de leur patrimoine, sur le thème des affinités d’une culture religieuse avec certains gestes et valeurs. La brochure intitulée Musées et lieux de mémoire des Vallées vaudoises présente ainsi 15 lieux et bâtiments divers, liés à la religion, à l’histoire, à la scolarisation, à l’ethnographie, au monde des femmes, à l’industrie (filature)26. Un musée national d’art et d’histoire du protestantisme, sur le modèle du MAHJ pour les juifs, s’il se constituait un jour, devrait aller dans ce sens. C’est ainsi qu’est conçu le Musée virtuel du protestantisme, dont le parcours propose des thèmes comme « L’éducation dans le monde protestant depuis la Révolution », « Les protestants et la vie économique » ou « Les protestants et la vie politique française au XIXe siècle ». Je publie pour ma part en 2017 un ouvrage intitulé

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La belle histoire du protestantisme français : composé des plus belles pièces (ou les plus rares, ou les plus significatives, y compris dans leur récurrence) contenues dans les musées français du protestantisme, dans la bibliothèque de la SHPF et dans le Musée international de la Réforme à Genève27, il offre une première présentation, ordonnée chronologiquement, du patrimoine protestant, dans ses dimensions cultuelles aussi bien que culturelles, et largement avant comme après ce siècle écran et écrin que continue à constituer le Désert.

16 En conclusion, un constat s’impose : le patrimoine protestant est ancien, riche, divers ; il a connu des destructions irrémédiables et une obsession remarquable, celle de la persécution ; mais même en France il a l’âge de la Réforme (cinq siècles, un bel âge), et s’avère aussi profondément théologique et religieux que technologique et culturel ; il gît dans les bibliothèques et centres d’archives aussi bien qu’au cœur des villes et sous le ciel des garrigues et des montagnes. Plus que d’autres, notamment le catholique, il attend encore en grande part ses inventaires (et ses inventeurs), ses catalogues, ses musées, ses classements, ses typologies, ses spécialistes. Ce n’est pas là sa moindre promesse.

NOTES

1. JOUTARD, Philippe ; MANEN, Henri. La Pervenche, une foi enracinée, chez H. Manen, 1972. 2. JOUTARD, Philippe. La légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Gallimard, 1977. 3. Le château de Cénevières, dans le Lot, possédé par une famille huguenote, a conservé le petit temple situé dans son enceinte et achevé en 1633 (lié à ce que l’édit de Nantes appelait le « culte de fief »). Château et temple sont classés monument historique depuis 1957. 4. Voir MILLET, Olivier. « La figure protestante de Moïse », Moïse. Figures d’un prophète, Flammarion, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 2015, p. 96-103. 5. Le Musée de Ferrières a reçu en don sept ouvrages trouvés en 2012 sous l’âtre d’une maison de Burlats (Tarn), datés de 1598 à 1686, avec pour auteurs, notamment, Philippe Duplessis-Mornay et Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde. Il conserve également une Bible de la fin du XVIe siècle, trouvée en 1902 dans un muret extérieur d’un domaine de Saint-Amans-Valtoret (Tarn). 6. Cf. Histoire de la persécution faite à l'église de Rouen sur la fin du dernier siècle ; sermons de M. Le Gendre sur divers textes qui ont du rapport à la matière contenue dans cet ouvrage, Amsterdam, J. Malherbe, 1704. Réédition par Émile Desens, Rouen, Louis Deshays, 1874. Même geste pour La Rochelle : l’Histoire des réformés de La Rochelle et du pays d’Aunis depuis l’année 1660 jusqu’à l’année 1685 en laquelle l’édit de Nantes a été révoqué (Amsterdam, 1705), comprend un dépliant, « Le Temple de la Rochelle bâti en l’an 1630 ; & démoli le Jeudi Ier de Mars, 1685 », avec quatre vues de ce second temple. 7. L’exil des protestants vers le « Refuge » a aussi produit du patrimoine, emporté ou fabriqué sur place, et qui dès lors n’appartient plus tout à fait au protestantisme français, sauf à prendre en compte – et à mon sens elle doit l’être – sa dimension diasporique, européenne et même ultramarine. Archives publiques et privées françaises conservent nombre de lettres envoyées par les réfugiés.

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8. Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Commission régionale Auvergne. Le Vivarais-Lignon : cantons de Saint-Agrève, Ardèche, Tence, Haute-Loire. Rédacteurs : HARTMANN-NUSSBAUM, Simone ; LUNEAU, Jean-François ; SAUZADE, Lionel. Clermont-Ferrand, association Étude du patrimoine auvergnat, (Images du patrimoine ; 205), 2000, p. 76-77. 9. Sur le massif lozérien du Bougès (1421 m.), où a commencé la guerre des Camisards, un hêtre au pied duquel se tenaient des assemblées (Fau Soulet : le hêtre isolé) a été abattu il y a plusieurs dizaines d’années ; et les Trois Fayards (les trois hêtres), où s’était réunie la première troupe de rebelles, ont été abattus également, au milieu du XIXe siècle, mais un historien local, Henry Mouysset, a retrouvé les souches en 2002. 10. Sur ces questions, lire notamment POUJOL, Jacques ; TRAVIER, Daniel. « Qu’allait donc faire Stevenson en Cévennes ? », BSHPF, 2012, 3, p. 599-616. CABANEL, Patrick. “La guerre des Camisards entre histoire et mémoire : la perpétuelle réinvention du témoignage”, Dix-Huitième Siècle, 2007, n° 39, Le Témoignage, p. 211-227. 11. Qui a d’abord été christianisé par une croix gravée… 12. Un seul titre : GŒURY, Julien. La muse du consistoire. Une histoire des pasteurs poètes des origines de la Réforme à la révocation de l’édit de Nantes, Droz, 2016. 13. Le Vivarais-Lignon. Op. cit. 14. KOCH, Gustave. « Le témoignage du visible chez les protestants d’Alsace », dans Gustave Koch et Marc Lienhard, Les protestants d’Alsace : du vécu au visible, Strasbourg, Oberlin, Wettolsheim- Colmar, Mars et Mercure, 1985, p. 65-174. 15. CABANEL, Patrick. Voyage en religions. Histoire des lieux de culte en Languedoc et , Montpellier, NPL éditeur, 2007, p. 130-154 (XVIe-XVIIIe siècles) et 239-268 (XIXe-XXe siècles). MONTAGNE, Brigitte ; COMTE, Yannick ; TIJOU, Catherine. « Les temples protestants “monuments historiques” en Poitou-Charentes », In Situ. Revue des patrimoines, 11, 2009. ALIQUOT, Claude ; NEIRINCK, Danièle. Le Patrimoine protestant du Pays des portes d’Ariège, s.l., s.d. (avec plusieurs planches sur l’ameublement des temples et les objets du culte). PELLEGRIN, Valdo. Montpellier la protestante, Sète, NPL, 2009. GUICHARNAUD, Hélène ; GUTTINGER-METTETAL, Christiane. Temples réformés et églises luthériennes de Paris, Éditions La Voix protestante, 2013. MARTEL, Robert ; RIGOLLET, Danielle et Jean Rigollet. Temples de la Saintonge maritime. Une histoire mouvementée, La Crèche, Geste éditions, 2014. 16. Il subventionnait au même moment l’édification de synagogues et surtout la construction ou la restauration de milliers d’églises catholiques. Son aide financière, contre toute l’histoire des huguenots, n’en a pas moins été reçue avec une particulière reconnaissance, comme le donnent à voir les discours d’inauguration des temples. 17. Le superbe bâtiment, qui porte toujours au centre de sa façade l’inscription « École modèle protestante », est devenu un EHPAD. 18. Comité protestant français, 1893. Ouvrage publié à l’occasion de l’Exposition universelle de Chicago. 19. Ainsi du Joods Historisch Museum d’Amsterdam. 20. CABANEL, Patrick. « L’inculcation missionnaire dans le monde protestant français (XIX e- XXe siècles) », SAAIDIA, Oissila ; ZERBINI, Laurick (dir.). L’Afrique et la mission. Terrains anciens, questions nouvelles avec Claude Prudhomme, Karthala, 2015, p. 225-237. RUOLT, Anne. « La tirelire, un artefact ludoéducatif ? L’exemple particulier du “petit nègre des Missions” des Écoles du Dimanche », Studies in Religion/Sciences religieuses, mars 2017, vol. 46, t. 1. 21. Sur ces questions, voir les articles de LUNEAU, Jean-François ; TRAVIER, Daniel ; BARAL, Simone ; CABANEL, Patrick. Dans actes du colloque (Mulhouse, 2016) dirigé par Céline Borello et Aziza Gril-Mariotte, Image(rie)s religieuses à l’ère industrielle en Europe XVIIIe-XIXe siècle (à paraître). 22. La Société des missions évangéliques possédait une « camionnette missionnaire », qui sillonnait les régions protestantes au début des années 1930.

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23. « Une exposition et une conférence : Dimanche 28 avril 2002 », BSHPF, 2002, 4, p. 777-784. L’exposition présentait un moulin à café Peugeot, un rabot à moulurer Peugeot-Jackson, un crachoir hygiénique Japy, la maquette d’un camion Schlumberger, des assiettes Haviland, des tissus, une cuillère à punch en fanon (beaucoup d’armateurs de pêche à la baleine étaient protestants), etc. 24. Une lettre autographe de ce dernier est du reste exposée. 25. Les nombreux « Justes » protestants (plus de 10 % des Justes français) constituent un gisement patrimonial pour l’heure inexploré ; la correspondance active et passive de la protestante Alice Ferrières, première femme française à être distinguée par Israël, en 1964, a été déposée au Mémorial du judaïsme. Les archives de la Cimade, déposées à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC, Nanterre), comportent de précieux éléments (faux papiers, tampons pour les fabriquer, cartes d’état-major relatives à la frontière avec la Suisse, photographies, correspondances…). 26. Musées et lieux de mémoire des Vallées vaudoises, Fondation Centre Culturel Vaudois, Turin, 2010. 27. Ce musée a été retenu, tant il présente de documents directement liés à l’histoire du protestantisme français, et pas seulement au cours du XVIe siècle.

RÉSUMÉS

Deux traits caractérisent le patrimoine protestant français : l’ampleur des pertes subies à la fin du XVIIe siècle, l’hypertrophie des documents liés à la répression et à la clandestinité au cours des années 1680‑1760. Les chefs d’œuvre des artistes protestants, de Palissy (et son école) à Bourdon et Bosse, n’ont pourtant pas disparu. Et l’époque contemporaine a recommencé à « fabriquer » du patrimoine protestant : temples et œuvres spécialisées (médicales, caritatives, scolaires…), entreprises de réveil et d’évangélisation, missions étrangères (spécialement en Afrique)… une approche plus « wébérienne » permet de scruter la trace ou la culture protestante dans une série de lieux et milieux (l’école, l’industrie, le luxe, la politique…). Le chantier est largement ouvert.

The main outlines of French Protestant heritage are the scale of the losses undergone in the end of the XVIIth century and the hypertrophy of documents bound to the repression and to the underground during 1680‑1760. The masterpieces of the Protestant artists, from Palissy (and his school) to Bourdon and Bosse, did not nevertheless disappear. And the contemporary time began again « to create » Protestant heritage: temples and specialized works (medical, charitable, school), undertaking of the Réveil and evangelization, foreign missions (specially in Africa) … an approach more « wébérienne » allows to scrutinize the track or the Protestant culture in a serie of places and circles (school, industry, luxury, politics). The study work is widely opened.

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INDEX

Index géographique : Gard, Tarn, Mialet, Fontrieu Keywords : protestantism, protestant, religious heritage, moveable heritage, temple, Ferrières Museum of protestantism Mots-clés : protestantisme, protestant, patrimoine religieux, patrimoine mobilier, temple, musée du protestantisme de Ferrières

AUTEUR

PATRICK CABANEL Directeur d’études, École pratique des hautes études

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Un volume des principes d’analyse consacré au patrimoine protestant : publication prévue en 2017 The principles of Protestant heritage analysis: a publication in 2017

Mireille-Bénédicte Bouvet

1 La primauté faite à la parole dans le monde protestant selon le principe Sola scriptura et le rejet de la sacralisation de tout élément matériel ont eu comme conséquence un intérêt moindre pour le patrimoine architectural et mobilier. L’histoire spécifique du protestantisme français avec la longue interruption d’une pratique publique entre 1685 et 1787 et la démolition de la quasi-totalité des temples des XVIe et XVIIe siècles, a causé la disparition d’une grande part du patrimoine ancien, sauf au nord-est de la France (Franche‑Comté, Alsace et une petite partie de la Lorraine).

2 Enfin, il faut aussi se rappeler que, minoritaire, le protestantisme français, surtout réformé, s’est construit historiquement contre le catholicisme avec une volonté d’autant plus affirmée que son existence était contestée par le pouvoir (« religion prétendue réformée ») et que ses fidèles se confrontaient aux affres des guerres de Religion. Le vocabulaire est d’ailleurs témoin de ce désir de démarquage : on parle de « temple » en France mais d’ « église protestante » en Alsace1, d’ « église2 » en Suisse, d’ « Evangelische Kirche » en Allemagne et de « Chiesa valdese3 » en Italie.

3 Lorsqu’au XIXe siècle sous l’impulsion de pasteurs érudits puis de la Société d’histoire du protestantisme français créée en 1852, les premières études historiques se sont mises en place, elles se sont placées dans le sillon mémoriel tracé par les rééditions du Livre des martyrs de Jean Crespin (1ère édition en 1544) et ne se sont guère intéressées aux aspects architecturaux et mobiliers.

4 Après avoir rappelé la place de l’objet dans le protestantisme, nous aborderons l’évolution de la collecte patrimoniale dans l’historiographie protestante avant de présenter les objectifs de la parution d’un volume de la collection « Principes et méthodes » consacré au patrimoine protestant. Nous aborderons la question

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architecturale uniquement par ce qu’elle nous enseigne sur l’usage des meubles et des objets.

Des objets et des meubles dont on ne parle pas

5 Les réformateurs n’ont accordé dans leurs écrits que très peu de place à la description des pratiques liturgiques dans leur matérialité. La première édition de l’Institution de la religion chrétienne de Calvin parue en 1536 affirmait combien les usages cultuels sont indifférents et dépendent de la volonté de chaque église. Aussi le réformateur n’édicte‑t‑il aucune norme ni aucun rituel. Ses préconisations insistent sur la nécessaire simplicité du culte dont l’objectif est l’édification des fidèles. Quand les questions esthétiques furent abordées4, dès l’édition de 1537, c’est au chant auquel Calvin pensa en tout premier, élément immatériel s’il en est.

6 Dans l’aire luthérienne, le positionnement face à l’objet est moins distant. L’autel est conservé tant dans sa forme que dans son vocable et Luther reconnaissait un statut particulier à ce meuble mis à part pour qu’on y célèbre le sacrement et qu’on y conserve la mémoire du Christ5. Et le principe qui l’emporte en matière d’objets est celui des adiaphora (du grec ἀδιάφορα « les choses indifférentes ») reprenant une notion d’origine stoïcienne qui désigne ce qui n’est ni interdit ni prescrit, et par conséquent qui est neutre. Les luthériens le reprirent à leur compte en l’appliquant dès le XVIe siècle aux pratiques ou aux objets dont l’usage n’est ni commandé ni interdit par la Parole de Dieu. Il s’agit de pratiques qui ne sont pas considérées comme essentielles à la foi mais qui peuvent l’aider. Autrement dit, rares sont les objets que l’on ne peut en aucun cas trouver dans un temple (ou église protestante). Sont proscrits de fait : les ciboria et tabernacles, les ostensoirs et les reliquaires.

7 Dans tous les cas, les informations concernant la vaisselle liturgique sont extrêmement rares. La tradition a rapporté le souvenir de la première cène de l’histoire qui eut lieu à Pâques 1525 à Zürich6 : une simple table en bois couverte d’une nappe blanche sur laquelle était disposée une vaisselle similaire à celle en usage dans la sphère domestique, des coupes et des assiettes en bois. Près d’un siècle plus tard, en 1616, une ordonnance du Comte Jean‑Frédéric de Montbéliard (1582‑1628) prescrivit de remplacer les coupes en métal commun par d’autres en argent dans les temples où il n’en existait pas encore7.

8 Les liturgies luthériennes8 ou réformées9 imprimées au XIXe siècle ne sont guère plus disertes. La numérisation des principales éditions permet une recherche systématique du vocabulaire : « chaire » et « autel » ou « table » sont présents mais peu fréquents et ne servent qu’à indiquer l’emplacement où peut se trouver le pasteur pour tel acte de la vie cultuelle ; ainsi la liturgie réformée prévoit que le pasteur offre une Bible aux mariés au pied de la chaire tandis que chez les luthériens, les époux se tiennent devant l’autel. Ces indications nous donnent des informations sur la localisation et le rôle symbolique de ces deux meubles mais ne nous informent en rien sur leur matérialité.

9 Les sources d’archives n’apportent pas beaucoup d’information pour l’Ancien Régime10. Il n’existe pas l’équivalent des visites pastorales si précieuses pour le patrimoine catholique. Il faut attendre le XIXe siècle et les archives des paroisses pour pouvoir disposer d’information sur les achats, les fournisseurs et les prix. Mais l’absence de normalisation tant pour les usages que pour le vocabulaire entraine une grande variété

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de termes qui ne recouvrent pas tous la même chose. Ainsi à Bar‑le‑Duc, le conseil demande une aide au consistoire de Nancy en 1862 pour acheter du mobilier : bancs, chaises, chaire, table de communion, table de la Loi, balustrade11. En 1874, à la mort du pasteur : ll se trouve dans ledit oratoire deux bibles et une liturgie, une table avec son tapis en drap noir, quatre bancs, huit livres de cantiques, dans le grenier du temple une bibliothèque … chez la veuve … ont été déposés le drap mortuaire, une boite contenant deux coupes avec leur couvercle, deux plateaux dont l’un sert au baptême et l’autre à la distribution du pain de Cène, un bassin pour le baptême, le tout en métal argenté et enfin une nappe et une serviette pour la communion12. Rien ne permet de savoir ce qui distinguait le plat de communion du bassin de baptême, si toutefois il y avait une différence. En effet, en l’absence de rituel fixe et de terminologie, le lutrin et pupitre peuvent désigner le même meuble et la même aiguière peut servir au baptême et à la sainte cène. L’absence de fournisseurs spécialisés en France, à l’exception de l’Alsace et de la Franche-Comté, a conduit les communautés à commander des objets là où elles le pouvaient : orfèvrerie catholique pour la sainte cène (Nilvange, fig.1), stalle de curé dont on retire l’agenouilloir pour le pasteur (Nancy, fig.2) … voire de manière récente, une coupe de kiddouch rapportée d’Israël pour servir de coupe de sainte cène (Raon‑l’Étape). Ce phénomène n’est d’ailleurs pas propre au protestantisme et se constate aussi pour le patrimoine juif13. Cependant, dans les secteurs bénéficiant de l’aide du Gustav Adolf Verein destinée aux églises protestantes de la diaspora, ce sont des objets manufacturés en Allemagne qui sont utilisés. Ils sont identifiables sans trop de difficulté grâce aux catalogues (fig.3). Des objets de la vie quotidienne apportés au temple à l’occasion d’une cérémonie peuvent y rester et avoir un usage cultuel non signalé dans les archives : un plat de service sert comme plat de sainte cène, un vide-poche comme présentoir pour les anneaux des mariés…. La pratique clandestine des sacrements accentua au XVIIIe siècle ce mélange des objets civils et religieux, parfois précieux d’ailleurs comme la carapace de tortue recouverte d’argent en son intérieur et réputée avoir été utilisée pour les baptêmes au désert (fig. 4).

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Fig. 1

Nilvange (Moselle), coupe de sainte cène © Alain George

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Fig. 2

Nancy (Meurthe-et-Moselle), stalle pastorale Ludovic Gury © Région Grand Est-inventaire général

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Fig. 3

Nouvel-Avricourt (Meurthe-et-Moselle), aiguière servant à la sainte cène et au baptême, production allemande de la région d’Hambourg Bertrand Drapier © Région Grand Est-inventaire général

Fig. 4

Mialet (Gard), musée du Désert ; carapace de tortue ayant servi pour les baptêmes du désert M. Kérignard © Inventaire général Occitanie

10 Il faut aussi tenir compte des remplois dans les temples ou églises protestantes qui se sont installés dans des édifices précédemment catholiques : des fonts baptismaux médiévaux sont alors réutilisés ainsi parfois que l’orfèvrerie (à Dalhunden, Bas‑Rhin : calice de la fin du XVe s ou début XVIe siècle, CLMH ; à Bethoncourt, Doubs, calice, limite XVe‑XVIe siècles, CLMH) même si ce cas est davantage attesté en Allemagne14. Plus rarement, cette réaffectation mobilière a pu se produire après les articles concordataires : ainsi le temple de Nancy « hérita » si l’on peut dire d’un ancien autel

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latéral et l’on recouvrit d’une dalle de marbre la table d’autel dont la pierre de consécration et les reliques avaient été ôtées (fig.5).

Fig. 5

Nancy (Meurthe-et-Moselle), autel Ludovic Gury © Région Grand Est-inventaire général

11 On aurait pu espérer quêter quelques informations concernant le mobilier et sa disposition auprès des manuels d’architecture. Il n’en est rien. Calvin rappelle que c’est le fidèle qui est le « vray temple de Dieu » : il nous faut garder de les [c’est à dire les lieux où l’on se rassemble] estimer propres habitacles particuliers de Dieu dont nostre Seigneur nous preste l’aureille de plus près ; ou que nous leur attribuions quelques saincteté secrète, laquelle rende nostre oraison meilleure devant Dieu. Car si nous sommes les vrays temples de Dieu, il faut que nous le prions en nous, si nous le voulons invoquer en son vray temple15. Et ces édifices n’ont qu’un usage fonctionnel. La Confession helvétique16 de 1566 insiste sur la simplicité et le pragmatisme nécessaire : qu’on eslise doncques des amples et spacieuses maisons ou temples et qu’icelles soyent repurgées de toutes choses qui sont indecentes à l’Église : et qu’elles soyent fournies et agencée de toutes choses qui sont requise pour la dignité, nécessité et honnesteté saincte.

12 Il faut attendre la publication en 1755 de l’ouvrage du suisse Élie Bertrand d’Yverdon (1713‑1797) sur la construction et l’aménagement intérieur d’une église destinée à l’usage des protestants17 pour avoir un descriptif précis d’un édifice et de son ameublement : la chaire devrait toujours être placée dans une église parallélogramme, au milieu de la plus grande dimension, pourvu que cette chaire soit garni ou fermée par derrière, suffisamment éloigné du mur, pas trop élevé et couverte ou surmontée par un dais convenable et ayant vis-à-vis une surface qui ne donne lieu à aucun écho, ni à aucun retentissement…/…les bancs devaient être disposés en amphithéâtre depuis le pied de la chaire.

13 Les travaux des théoriciens allemands de la seconde moitié du XIXe siècle concernèrent davantage les aspects architecturaux et stylistiques que le mobilier et les objets proprement dit18. Cependant le Regulativ für den evangelischen Kirchebau d’Eisenach

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(1861) précisait pour les églises luthériennes allemandes l’emplacement et le décor de l’autel, du crucifix, des fonts baptismaux, de la chaire, du pupitre, de l’orgue, des stalles, indications modifiées trente ans plus tard par le programme de Wiesbaden (1891).

La priorité accordée aux écrits et objets supports d’un récit mémoriel

14 L’historiographie du protestantisme et la constitution d’une mémoire huguenote en France ont fait l’objet de nombreuses études récentes qu’il ne saurait être question de reprendre ici. Nous nous attacherons donc plutôt à identifier les conditions de la prise en compte du patrimoine mobilier.

15 L’importance des destructions organisées par l’administration royale, après la Révocation de l’Edit de Nantes (1685), ont conduit tout d’abord à collecter prioritairement les témoignages de cette histoire douloureuse. Le premier programme est sans doute celui qu’Émilien Frossard lança dans « les archives évangéliques » du 15 octobre 1849 cité par Philippe Joutard19 : car il faudrait tout réunir : manuscrits, correspondances, arrêts judiciaires, mémoires, placets, discours, affiches, gravures, chants populaires, musique sacrée, médailles, portraits, sceaux, ouvrages imprimés de toutes époques etc … tels seraient les objets qui viendraient enrichir les casiers du musée et de la bibliothèque archéologique protestant.../... Quant aux collections qu’il serait bon de laisser dans les localités dont elles constituent les fastes ecclésiastiques, l’agent [recruté pour faire l’Inventaire] en recueillerait les catalogues et peut être plus tard les copies. Le projet concernait essentiellement le patrimoine écrit ou commémoratif. On note l’importance accordée aux médailles (fig.6). Quant aux chants et à la musique, l’intérêt manifesté par Frossard est contemporain de la coexistence de trois pratiques : le Psautier de Genève et ses rééditions, les chants nouveaux issus du Réveil et la diffusion de l’accompagnement par l’orgue puis l’harmonium20. L’originalité du programme est bien dans ce qu’on pourrait appeler le souci de conserver sur place tout ce qui peut l’être. Il semble bien que le projet n’eut pas de suite.

Fig. 6

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Nancy (Meurthe-et-Moselle), médaille du tricentenaire de la réforme, 1817, coll. Part

16 Il est relancé par la Société d’histoire du protestantisme français dès sa création en 1852. La lecture des articles publiés dans le bulletin permet d’identifier les principaux centres d’intérêt : l’histoire du protestantisme sous l’ancien régime et les personnages qu’ils soient illustres ou simple fidèle. En 185521, les sujets proposés concernent les méreaux22 (fig.7) et les sceaux d’églises. Quand on évoque les objets et les meubles c’est surtout parce qu’ils sont le témoignage de la répression23 comme [cette] prodigieuse quantité d’arrêts et de déclarations qui avoient peu à peu ruiné tous nos privilèges. On en avoit même vu où l’on abaissoit la majesté royale jusqu’à la faire intervenir pour retrancher les bras et les dossiers de tous les sièges où il y en pouvoit avoir dans les temples et dans le même temps que l’on abattoit ainsi les bancs des fidèles, on y en élevoit pour les moines et autres espions qui avoient ordre de nous observer. Le même volume signale un arrêt du conseil d’État du roi du 28 juillet 1746 mentionne la condamnation à La Rochelle de deux hommes convaincus d’avoir construit une chaire qu’il savait être destinée pour servir aux prédicateurs, lors des assemblées de religionnaires24.

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Fig. 7

Mialet (Gard), musée du Désert ; méreaux Bertrand Drapier © Région Grand Est-inventaire général

17 Les dépôts et dons suivent la même logique mémorielle en l’honneur des martyrs. Ainsi le Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français se réjouit en 188325 d’un don pour les collections de la SHPF, don d’un certain M. Aubenas qui a été prélevé dans la maison qui servit de prison à un pasteur en Lozère au‑dessus d’une porte, une planche enfumée où se lisent encore les premiers mots d’un psaume ; il est parvenu à s’en rendre acquéreur avant que ce précieux débris ait succombé aux outrages du temps et nous écrit j’ai pensé que ce vestiges de nos annales protestantes pourraient être accueillies avec joie par la société et je viens en ma qualité de huguenot et des fils de huguenots vous l’offrir. C’est la citation biblique et le souvenir du prisonnier qui donnaient à l’objet sa valeur.

18 L’essentiel de la collecte documentaire et matérielle orchestrée par la SHPF s’articule dès l’origine à l’aspect mémoriel non sans une certaine approche sentimentale. En 1927 est signalée une Bible « blessée »26 : cette Bible appartient depuis fort longtemps à une famille de Breuillet (Charente‑Inférieure). Au cours du XVIIIe siècle (peut être au moment du martyr du prédicant breuilleton François Touzineau, 1738), elle avait été cachée derrière une pile de fagots au village du Candé près Breuillet, où habitaient alors ses détenteurs comme me l’a raconté leur descendante, Mme Rouffineau ... un émissaire des autorités vint perquisitionner ; en fouillant de sa lance, cet homme pique la Bible à peu près au milieu de la tranche inférieure et ne se douta pas de la présence du volume proscrit. La déchirure est très nette … elle s’ouvre en triangle et dans l’endroit de sa plus grande profondeur (au livre des Proverbes) mesure 8 cm. De long sur 3 de large. Elle intéresse les pages 389 (Psaumes) à 588 (Jérémie). Nous ne connaissons pas d’autre Bible ainsi « blessée ». C’est ce même esprit mémoriel qui guide les donateurs au musée du Désert car le récit qu’on pourrait qualifier d’apologétique autour de l’objet, est au moins aussi intéressant que l’objet lui-même comme le montre la liste des dons en 193227 : le Musée s’est enrichi de différents souvenirs et ouvrages du XVIIIe siècle : dons de M. le pasteur François Martin ; de la famille Hugon-Teulon-Latour (bibles et différents ouvrages) ; de Mme Dardié (grand parasol pour les Assemblées [du désert]) ; famille Foucard-Ayral (bible et pupitre) ; pasteur Alex. Mage (deux volumes) ; le président Bonnes (bible) : M. Gaston Tournier (psautier, manuscrits, plans et cartes, médailles, gravures, livres) ; M. Izard

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Bonijoly (plat de Paul Rabaut) ; Mme Vignoles (deux bibles et coiffe de communion) ; Mme Bertrand-Lauze (bibles et psautiers), etc. La question de l’authenticité de l’objet déposé est rarement posée, elle ne l’est manifestement pas pour le « grand parasol pour les Assemblées » (l’objet aurait eu alors au moins 150 ans) aujourd’hui prudemment catalogué comme « parapluie de berger » (fig.8). L’exception concerne les bijoux : un bel échantillon de croix huguenote ancienne en or avec St-Esprit, bijou cévenol dont les exemplaires authentiques deviennent rares…28 (fig.9).

Fig. 8

Mialet (Gard), musée du Désert ; parapluie de berger considéré un temps comme « parasol pour les assemblées » M. Kérignard © Inventaire général Occitanie

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Fig. 9

Mialet (Gard), musée du Désert ; planche de croix huguenotes M. Kérignard © Inventaire général Occitanie

19 Après un tropisme de l’écrit, la quête patrimoniale des protestants français est marquée par un tropisme cévenol29 dû au fait que la guerre des camisards était devenue un événement structurant de l’histoire du protestantisme français au point d’occulter les autres épisodes de l’histoire régionale ou nationale comme l’a décrit Valérie Sottocasa dans une récente synthèse sur l’identité huguenote.

20 Corollaire de cette volonté mémorielle, l’intérêt se porte aussi sur les biographies de tous ceux qui ont participé à l’histoire du protestantisme. La politique de catalogage des collections déposées dans les locaux de la SHPF à Paris s’en ressent : en 192930, le Bulletin informe ses lecteurs : Les portraits historiques que possède notre Société sont au nombre de 2 766. Ils viennent d’être catalogués par ordre alphabétique, dans un répertoire manuscrit mis à la disposition des lecteurs. Les expositions sur le protestantisme français furent construites dans la même logique privilégiant la présentation de manuscrits, de gravures et d’ouvrages imprimés, comme celle de 1903 présenté par M. Garreta31. Ce faisant, la pratique française se distingue : l’exposition historique organisée au French protestant hospital de Londres en 1885 à l’occasion du bicentenaire de la révocation de l’Édit de Nantes, avait ajouté aux documents, écrits, des portraits et quelques pièces d’argenterie (XVIIIe s.)32, œuvres de protestants qui avaient fui la France.

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L’élargissement du champ patrimonial protestant

21 À partir du début du XXe siècle, on observe un lent élargissement du champ patrimonial protestant qui passe d’abord et encore par le biais mémoriel des visites aux haut-lieux du désert, le musée de Mialet, de ce point de vue, est une étape indéniable, car pour la première fois on donne à voir autre chose que de l’écrit et de la gravure : « Trouverait‑on ailleurs lit‑on dans le Journal de Genève (3 octobre 1911)33 un cadre plus approprié et plus suggestif pour une collection unique des édits d’expulsion et de poursuites, pour ces méreaux, médailles, gravures, pour ces calices de communion (fig.10), ces burettes à vin emportés non sans danger aux réunions du Désert, pour ces coiffes huguenotes, cas rabats de prédicants, ces croix cévenoles avec leur colombe ou leur fanne, ces psautiers, ces livres saints imprimés en caractère d’une incroyable finesse, qui se dissimulaient facilement dans la poche et parfois étaient traduits en vers ; pour ces livres d’heures protestants savamment enluminés et dont un exemplaire remarquable fut donné au musée le jour de son inauguration, pour ces complaintes naïves et douloureuses qu’on chantait le soir auprès de l’âtre ; pour cette Bible déchirée de Rolland et cette épée de Cavallier …. Ou en 191334 : « Le public a été fort intéressé par des lanternes du désert, un moule pour les méreaux, une liturgie manuscrite, des certificats de baptêmes célébrés dans les clairières de quelque forêt, un escabeau imité de ceux du XVIIe siècle portant sous sa planchette une bible de 1616 retenue par des agrafes en fer… (fig.11 et 12).

Fig. 10

Mialet (Gard), musée du Désert ; coupe du désert M. Kérignard © Inventaire général Occitanie

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Fig. 11

Mialet (Gard), musée du Désert ; moule des méreaux M. Kérignard © Inventaire général Occitanie

Fig. 12

Mialet (Gard), musée du Désert ; lanterne dite du désert M. Kérignard © Inventaire général Occitanie

22 En 1928 et 1929, le BHSPF lance un appel à un inventaire photographique portant sur un spectre documentaire élargi à l’architecture et aux objets ayant un intérêt historique :

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la société fait une fois de plus appel à tous ses membres et amis pour les prier de lui donner ou de lui céder … tous les documents de ce genre représentant un personnage, une maison, un lieu, relatifs à l’histoire du protestantisme. Il existe encore dans plus d’une ville ou d’un village des édifices ou des objets qu’il serait intéressant de photographier maintenant : dans quelques années peut-être seront‑ils détruits. C’est la première fois que la notion d’inventaire d’édifices et d’objets in situ apparaît clairement. Le projet de 1849 citait de manière sommaire des « collections ».

23 L’émergence d’un intérêt pour le patrimoine matériel du protestantisme n’entraîna pas pour autant le désir d’inciter le public à visiter les édifices cultuels. En 1924, un comité se créa afin de réfléchir à l’ouverture des temples, sous l’impulsion du pasteur Samuel Dieny (1859‑1930), pasteur à l’église réformée du Saint-Esprit à Paris (1908‑1922), puis à Auteuil (1926‑1948)35. Mais il s’agissait de réfléchir à un mode d’évangélisation et non d’une patrimonialisation comme l’expliquait l’encart publicitaire paru dans le BSHPF : ce comité est formé pour créer un sentiment favorable à l’ouverture des Temples (avec un T majuscule en dépit du pluriel !) en dehors des heures du culte, pour la prière, et pour l’évangélisation du monde qui reste indifférent à toute religion.

De l’intérêt à l’étude

24 Les premières études sur les objets cultuels ont été réalisées principalement dans l’aire germanique avec le travail de l’historien bernois Adolf Fluri (1865‑1930)36 ou encore de Rudolf Koch (1876‑1934)37 paru après sa mort en 1935 ou de Friedrich Buchholz en 193638. Les études sont souvent monographiques, s’attachant à l’ensemble des objets d’un lieu39 ou à une typologie d’objets comme les autel‑chaires40.

25 Une catégorie d’objets suscita davantage d’intérêt, sans doute plutôt pour son côté artistique que pour son usage cultuel : l’orfèvrerie. Présentée, nous l’avons vu, dès 1885, en exposition à Londres, elle fait l’objet de plusieurs publications41 et expositions dont une particulièrement importante à Lausanne en 198242. Faisant suite à l’enquête sur les églises et leur mobilier orchestrée à partir de 1954 par le Département de l’Instruction publique et des cultes et la Commission d’art religieux du canton de Vaud, catholique et surtout protestante, elle permit de disposer d’un corpus documenté du XVIe siècle à nos jours.

26 Quant au mobilier et son lien avec l’architecture d’une part, la liturgie de l’autre, ce sont des historiens suisses qui ont tracé la voie avec des travaux essentiels : Marcel Grandjean43, en 1988, dans sa thèse sur les temples vaudois pourvu de plusieurs chapitres consacrés au mobilier et Bernard Reymond depuis son premier ouvrage sur l’architecture protestante44 jusqu’à ses articles publiés à Montpellier sur la table d’autel45, la chaire46 et les fonts baptismaux47.

27 En France, l’approche patrimoniale s’est développée surtout dans l’Est pour deux raisons. L’histoire protestante de ce territoire, moins liée aux et à la révocation de l’Édit de Nantes, est moins façonnée par l’affect mémoriel. En Alsace et en Franche‑Comté, c’est davantage les luthériens de Confession d’Augsbourg qui sont présents et leur relation à l’objet est moins rigoureuse que celle de l’Église réformée. Là aussi, c’est l’étude de l’orfèvrerie qui est pionnière avec un premier travail de Masson, inspecteur ecclésiastique en Franche-Comté au milieu du XIXe siècle, puis Maurice Swetting, inspecteur ecclésiastique, vers 1958. Les travaux sont repris et complétés lors de l’exposition la « Réforme au pays de Montbéliard » au Musée Beurnier en 1960 et puis par les études de Charles‑Henri Lerch48. En Alsace, c’est en 200449, qu’une

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exposition présente des pièces somptueuses, souvent offertes par de grandes familles aux églises luthériennes.

28 C’est aussi en Alsace que Marc Lienhardt publia un travail sans aucun doute fondateur en 1985 dans un long texte50 posant un questionnement euristique sur la définition d’un patrimoine protestant du quotidien sous le titre « Un choix inhabituel, celui de présenter des objets pour présenter le protestantisme : le but des pages qui suivent est d’attirer l’attention sur les objets qui ont eu dans le passé ou qui ont aujourd’hui encore une signification pour la vie religieuse des protestants d’Alsace et de Lorraine. Une liste de divers types d’objets a été établie et des explications précisant leurs caractéristiques habituelles y ont été jointes, dans le dessein de porter un témoignage sur un aspect concret du vécu de la foi, d’encourager la conservation du patrimoine protestant et de susciter des recherches futures. Initialement il était prévu de présenter tous les objets dans un même volume, mais la place disponible et l’importance de certaines notices nous ont amené à traiter ici des bâtiments cultuels –des églises-de leur architecture intérieure, du mobilier et des objets utilisés pour ce qui est appelé l’exercice public du culte. Des objets qui touchent de près ou de loin à la vie paroissiale y ont été ajoutés. Nous réservons à une publication ultérieure l’étude des objets qui ont marqué ou marquent encore la piété personnelle et familiale. Ils sont plus particulièrement témoins des traditions religieuses populaires. Évidemment certains objets, comme le livre de cantique ou l’arbre de Noël auraient pu trouver leur place dans l’une ou l’autre partie… Dans le choix des objets mentionnés nommément ou reproduits en image, il a été tenu compte des témoins les plus marquants, les plus beaux ou les plus curieux. Pourtant, il ne s’agissait pas de réaliser un livre d’art religieux, ni un volume sur les traditions religieuses populaires, ni un inventaire des curiosités mais simplement une liste méthodique accompagnée d’explications et d’images. De toute façon, un catalogue même illustré, impose des choix et conduit à des réductions inévitables. Les objets présentés dans un livre, comme lorsqu’ils figurent dans une exposition ou dans un musée, sont mutilés. Non seulement ils sont coupés de leur environnement géographique, tel un mobilier d’église sorti de l’espace cultuel, mais il leur manque surtout la présence de la communauté dans l’expression de sa piété ou de celle du croyant, qui, par ses attitudes et ses gestes, son chant et sa prière, exprime sa foi. Dans ces pages, le choix délibéré a été fait de privilégier les objets, au détriment de l’évocation de la réalité vivante du déroulement des cultes et cérémonies. Ou des traditions religieuses personnelles ou familiales. Mais il n’était pas possible de décrire simplement les objets. Il fallait encore, ne fut ce que sommairement, signaler leur raison d’être et leur mode d’utilisation. Il fallait également indiquer, cas par cas, comment ils s’inscrivent dans la vie culturelle de la communauté et dans la vie spirituelle des fidèles…/… Le simple inventaire des richesses du patrimoine cultuel protestant [en Alsace et en Lorraine] reste à faire. Le présent travail se base en partie sur une enquête sommaire réalisée en septembre 1979 auprès des pasteurs d’Alsace et de Moselle, en vue de l’exposition « Traditions populaires et protestantisme en Alsace » présentée durant l’été 1980 à la Bibliothèque municipale de Strasbourg, et sur les renseignements glanés de ci de‑là.

29 C’est aussi à la faculté de théologie protestante de Strasbourg, que s’est développée une réflexion sur le rapport entre l’art et le protestantisme autour de Jérôme Cottin51. Ailleurs en France, l’intérêt patrimonial s’est davantage focalisé depuis les années 1990 sur l’architecture52 mais parfois le mobilier, plus exceptionnellement les objets, sont abordés. On peut citer pour le Languedoc les travaux de Patrick Cabanel53, pour la Moselle ceux de Christiane Pignon‑Feller54 et pour Paris ceux d’Hélène Guicharneau et Christiane Guttinger‑Mettetal55.

30 Voir des objets n’est pas non plus chose aisée. La quasi-totalité des temples sont fermés. Il n’existe pas de Musée national du protestantisme et les musées du protestantisme régionaux privilégient le plus souvent les temps difficiles des XVIIe et XVIIIe siècles à l’exception de Lemé (Picardie) et de La Rochelle (Charente-Maritime). Les musées

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publics présentent essentiellement de la poterie d’étain (Montbéliard, Hôtel Beurnier- Rossel) ou de l’orfèvrerie (Strasbourg, Musée des arts décoratifs). Le Musée virtuel du protestantisme offre dans sa rubrique « art‑patrimoine », sur 38 notices, 12 sur le mobilier et les objets (Bibles, cloches, croix, croix huguenotes, décor de temple, médailles, méreaux, objets de la clandestinité, orgues, plats et coupes de communion, table de communion, tables de la loi, vitraux). Mais leur nombre est croissant depuis quelques années. Il faut aussi signaler la publication, au printemps 2017, d’une Belle histoire du protestantisme français, de Patrick Cabanel, à partir des plus belles pièces des musées français du protestantisme et du Musée international de la Réforme à Genève.

De l’inventaire à la rédaction d’un volume de la collection « principes et méthodes »

31 Un premier travail pour la mise en place d’un vocabulaire avait été initié par le Ministère de la Culture en 1972. Un questionnaire avait été adressé à cet effet à Henri Bose alors conservateur de la bibliothèque de la SHPF. Après avoir rappelé le principe de sobriété qui convenait dans l’aménagement de tout temple, H. Bose signale dans les temples les plus anciens : • Les bancs des anciens et ceux des diacres (c’est-à-dire de ceux qui s’occupent des collectes, des veuves, des pauvres …) situés de part et d’autre de la chaire et constituant le parquet • une petite chaire particulière pour les chantres et pour les lecteurs de la Bible (mais cela ne se fait plus) • Quelques fois des draps mortuaires et des porte-cercueils • En sacristie : armoire pour les robes et rabats pastoraux

32 Il précise enfin que pour les luthériens, la table de sainte cène s’appelle autel, qu’il y a des cierges et un crucifix.

33 L’enquête est enrichie du recensement la même année des deux musées protestants languedociens (Mialet et Ferrières) effectué par le service régional de l’Inventaire général du Languedoc avec une campagne photographique en noir et blanc à l’appui.

34 Le projet de vocabulaire qui concernait également le patrimoine religieux juif et orthodoxe ne vit pas le jour. En 1998, le service de Poitou‑Charentes publia pour le 30e anniversaire de sa création une synthèse régionale sur les patrimoines moins connus parmi lesquels un chapitre fut consacré au patrimoine protestant56.

35 Les études de l’Inventaire général du patrimoine culturel ont permis de disposer de plus de 1300 notices accessibles en ligne sur le patrimoine mobilier protestant (dont près de 1000 pour l’Alsace) auxquels s’ajoutent ceux dont les dossiers sont consultables dans les services. Le thesaurus propose moins d’une quarantaine de termes dont certains sont une simple déclinaison de ce qui existe dans d’autres confessions (porte- cercueil protestant par exemple). Les protections au titre des monuments historiques concernent un peu plus de 300 objets. Les collections des Musées de Noyon (Musée Calvin), de Pfaffenhoffen et du Mucem (lettres de baptême et souvenir de confirmation) sont également accessibles sur la base Joconde. Il est désormais possible d’avoir une vision de corpus améliorant la compréhension des variantes selon les confessions, les lieux et les époques.

36 Pour mieux définir cet ensemble complexe et saisir des nuances parfois mineures aux yeux de l’observateur, il devenait nécessaire de disposer d’un outil de travail

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synthétique et le plus systématique possible. Aussi, les Éditions du Patrimoine ont programmé la sortie à l’occasion du 500e anniversaire de la Réforme, d’un 14e volume dans la collection de référence des Principes d’analyse du patrimoine consacré à ce sujet. Il traitera au moyen de 120 notices précédées d’une introduction générale et accompagnées d’une bibliographie : • De l’organisation de l’espace intérieur • De décor et de l’iconographie • Des objets du culte et du patrimoine mobilier dans les lieux de culte (dont le Désert) • Des objets religieux dans la vie privée

37 L’ouvrage couvrira le patrimoine des cinq siècles même si ce sont surtout les deux derniers qui sont les plus abondamment pourvus en patrimoine. Il sera aussi l’occasion de recenser les usages et les pratiques ainsi que leur évolution dans le temps et dans l’espace, sujet d’autant plus sensible que la fusion des églises réformée et luthérienne dans l’EPuf (Église protestante unifiée de France) pourrait aboutir à un certain nivellement et à l’oubli de plusieurs usages. Il prendra également en compte le patrimoine moins connu des Églises protestantes plus récentes dans l’histoire religieuse (baptiste, Armée du Salut …).

NOTES

1. C’est vrai surtout dans les paroisses luthériennes 2. Dans les paroisses réformées. 3. La chiesa valdese ayant rejoint l’Église réformée. 4. GROSSE, Christian. « L’esthétique du chant dans la piété calviniste aux premiers temps de la Réforme (1536-1545) », Revue de l’histoire des religions, 2010/1, p. 13-31. 5. Luther WA 31/1, p. 406, dans REYMOND, Bernard. « La table de communion des réformés : emplacement, forme, signification théologique, Du dispositif luthérien à l'originalité du dispositif zwinglien », Études théologiques et religieuses, Montpellier, 2007-4 (t. 82), p. 495. 6. REYMOND, 2007, op. cit., p. 493-520. 7. LERCH, Charles-Henri. « L’orfèvrerie civile et religieuse et les orfèvres de Montbéliard du XVIe au XVIIIe siècle ». Bulletin et mémoires de la Société d’Émulation de Montbéliard, 1964, vol. 63, p. 39-48. 8. LEVRAULT, François-Georges. Liturgie, ou Manière de célébrer le service divin : dans les églises de l'ancienne principauté de Montbéliard, du Ban de la Roche et de Paris (Confession d'Augsbourg). Strasbourg : F.G. Levrault, 1844. 9. ROUX, Mathieu-Jean-François. Liturgie en usage dans les églises réformées de France, revue et augmentée de services religieux, et de prières pour les solennités, et pour tous les cas, toutes les circonstances extraordinaires qui peuvent se présenter pour l'église. Uzès, chez Louis George, imprimeur-libraire et éditeur. An 1826. 10. Une exception dans le fonds Oberlin (Waldersbach (Bas-Rhin), musée Oberlin) ; 3/16 « Inventaire des objets liturgiques, registres paroissiaux et autres documents remis à Ernest Henri Stoeber par son prédécesseur le pasteur Stuber en 1754 ». 11. AD 55 146 J 23 : Registre du conseil presbytéral 1856-1906. 12. Ibidem.

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13. Les Juifs et la Lorraine. Un millénaire d'histoire partagée. Catalogue d’exposition. [Nancy : Musée Lorrain. 9 juin au 21 septembre 2009].Dir. DECOMPS, Claire / MOINET, Éric. Paris : Somogy éditions d'art, 2009. 14. FRITZ, Johann-Michael. « Continuité surprenante : œuvres d'art du Moyen Age conservées dans les églises protestantes en Allemagne ». Dans Iconographica. Mélanges offerts à Piotr Skubiszewski (Hrsg. R. Favreau, M.-H. Debiès), Poitiers, 1999, S. 102–108. Civilisation médiévale VII. Université de Poitiers, Centre d'Études supérieur de Civilisation médiévale. FRITZ Johann- Michael. Das evangelische Abendmahlsgerät in Deutschland vom Mittelalter zum Ende des alten Reichers, 2004, 584 p. 15. Calvin, Institution chrétienne, III, XX, 30. 16. REYMOND, Bernard. La porte des cieux, architecture des temples protestants. Lausanne, presses polytechniques et universitaire romandes, 2015, p. 48. 17. GRANDJEAN, Marcel. « Les Temples Vaudois, l’architecture réformée dans le Pays de Vaud (1536-1798) », Bibliothèque historique vaudoise, 1988, n° 89, Lausanne. 18. Voir à ce sujet l’ouvrage suivant : PIGNON-FELLER Christiane. Architecture protestante, Moselle XVIIe–XXe siècles. Metz, éd. Serpenoise, 2006. 19. JOUTARD, Philippe, dans BENEDICT, Philip, DAUSSY, Hugues, LECHOT, Pierre-Olivier (dir). L’Identité huguenote, faire mémoire et écrire l’histoire (XVI-XXIe siècle). Genève, édition Droz, 2014, (Publications de l’association suisse pour l’histoire du refuge huguenot, vol. 9), p. 629. 20. L’harmonium est diffusé à partir de 1843, année du dépôt du brevet. 21. BSHPF, 1855, p. 7. 22. Jeton d’accès à la sainte cène. 23. Ibidem, p. 60 à propos de l’histoire de l’Église de Rouen. 24. Ibidem, p. 395. 25. BSHPF, 1883, p. 13. 26. BSHPF, 1927, p. 493-494, par Franck Berton. 27. BSHPF, 1932, p. 420. 28. En 1908, p. 563, mentionne le don à la Bibliothèque de la SHPF. 29. Valérie Sottocasa, « Mémoires emboîtées, mémoires sédimentées », dans BENEDICT Philip, DAUSSY, Hugues, LECHOT, Pierre-Olivier (dir). L’Identité huguenote, faire mémoire et écrire l’histoire (XVI-XXIe siècle). Genève, édition Droz, 2014, 660 p. (Publications de l’association suisse pour l’histoire du refuge huguenot, volume 9), p. 258. 30. BSHPF, 1929, p. 172. 31. BSHPF, 1903, p. 339-341. 32. SPICAR, Andrew. « Huguenot identity in Victorian Britain », dans BENEDICT, op. cit., p. 419-421. 33. Repris par le BHSPF, 1911. 34. BSHPF, 1913, p. 479. 35. Source : geanet et BSHPF 1925, 3e de couverture. 36. FLURI, Adolf. « Die Kirchengeräte des Münster in nachreformatorischer Zeit » in Der Münsterausbau in Bern, Jahresbericht des Münsterbauverein, 1928, 23, p. 3-47. 37. KOCH, Rudolf. Das Kirchengerät im evangelischen Gottesdienst. Hambourg, Argentur des Rauhen Hauses, 1935, 30 p. 38. BUCHHOLZ, Friedrich. « Die Abendmahlsgeräte und der Abendmahlsaltar », dans : Kirche und Liturgie 3, 1936, n° 3-4, p. 32-39. 39. STOKAR, Karl. Liturgisches Gerät des Züricher Kirchen vom 16. bis 19. Jahrhundert. Typologie und Katalog. Zürich, 1981 (Mitteilungen des Antiquarischen Gesellschaft in Zürich, 50/2), 1991, p. 35-57. 40. MAI, Hartmut. Des evangelische Kanzelaltar. Geschichte und Deutung. Halle, 1969, 316 p.

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41. HILBER, Paul Dr. « Deux siècles d’orfèvrerie religieuse à Fribourg ». Archives de la Société d’Histoire du Canton de Fribourg, t. VII, 1918 et Scheffler Wolfgang, Vasa Sacra aus fünf Jahrhunderten, Geborgenes und Erworbenes Kulturgut im Archiv der Evangelischen Kirche der Union. Ein Katalog mit Aufnahmen von Heide Marie Moll u.a., Berlin : Evangelisches Zentralarchiv in Berlin, 1984. 42. Trésor d’art religieux en Pays de Vaud. Catalogue de l’exposition. Musée historique de l’ancien évêché, Lausanne, 1982. 43. GRANDJEAN, Marcel. Op. cit. 44. REYMOND, Bernard. L'architecture religieuse des protestants : histoire, caractéristiques, problèmes. Genève : Labor et Fides, 1996, 296 p. 45. REYMOND, Bernard. « Du sacrifice de la messe à la convivialité de la Cène ou la Réforme vue sous l’angle des rituels ». Études théologiques et religieuses, Montpellier, 2001, p. 357-370. Id. La table de communion des réformés, op. cit. 46. REYMOND, Bernard. « les chaires réformées et leurs couronnements ». Études théologiques et religieuses, Montpellier, 1999, 1, p. 35-49. 47. REYMOND, Bernard. « La réforme et les fonts baptismaux, Du dispositif luthérien à l'originalité du dispositif zwinglien ». Études théologiques et religieuses, Montpellier, 2014-1 (t. 89), p. 57-67. 48. LERCH, Charles-Henri, op. cit. 49. Deux siècles d’orfèvrerie à Strasbourg, XVIIIe-XIXe siècles dans les collections du Musée des Arts décoratifs. Strasbourg, édition des Musées de Strasbourg, 2004. 50. KOCH, Gustave, LIENHARD, Marc. Présence protestante en Alsace, Les Protestants d’Alsace : du vécu au sensible, Strasbourg : Oberlin ; Wettolsheim : Mars et Mercure, 1985, p. 65-66. 51. COTTIN, Jérôme. Le regard et la Parole. Une théologie protestante de l’image, (Lieux théologiques, 25), Genève, Labor et Fides, 1994, 342 p. 52. LAURENT, René. Promenade à travers les temples de France. Montpellier : Les Presses du Languedoc, 1996, 519 p. 53. CABANEL, Patrick (dir.). Itinéraires protestants en Languedoc (XVIe-XXe siècle). Volume 1, Les Cévennes ; volume 2, l’espace gardois ; volume 3, l’Hérault, Rouergue, Aude et Roussillon, Montpellier, presse du Languedoc, 1998-2000. Du même auteur, Voyages en religions, histoire des lieux de culte en Languedoc et Roussillon. Nouvelles Presses du Languedoc, 2007, 414 p. 54. PIGNON-FELLER, Christiane. Op. cit. 55. GUICHARNAUD, Hélène, GUTTINGER-METTETAL, Christiane. Temples réformés et églises luthériennes de Paris, Paris, édition de la Voix protestante, 2013, 164 p. 56. PON-WILLEMSEN, Charlotte, Le patrimoine protestant, témoignage de quatre siècles de fidélité. Dans Patrimoine de Poitou-Charentes. Inventaire général, ADAGP, C.P.P.P.C, Poitiers, 1998, p. 17-63.

RÉSUMÉS

La primauté faite à la parole dans le monde protestant selon le principe Sola scriptura et le rejet de la sacralisation de tout élément matériel ont eu comme conséquence un intérêt moindre pour le patrimoine architectural et mobilier. Les réformateurs n’ont guère abordé dans leurs écrits la matérialité du culte : les luthériens considéraient les objets comme des adiaphora (choses indifférentes) et les réformés y accordaient encore moins d’importance. Peu considérés, guère

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décrits dans les Agende et autres liturgies, beaucoup d’objets ont disparu du fait de la politique royale puis de la révocation de l’Édit de Nantes. Aussi, ce sont surtout les écrits qui ont suscité l’intérêt des protestants, historiens de leur propre église. Il faut attendre le début du XXe siècle pour voir s’élargir le champ patrimonial, évolution portée par le souci de faire mémoire des martyrs du désert avec l’ouverture du musée du mas Soubeyran. Les premières études sur les objets, autrement que comme support de la mémoire, ont été réalisées dans les secteurs luthériens et germanophones qui s’intéressèrent tout d’abord aux pièces très anciennes ou exceptionnelles comme les autel‑chaires. En France, ce fut l’orfèvrerie qui suscita les premiers travaux puis le patrimoine protestant d’alsace et de Moselle. À l’occasion du 500e anniversaire de la réforme, un volume de la collection « principes et méthodes » consacré au patrimoine protestant sortira cette année. Les premières collectes documentaires de 1972 ont été largement enrichies par les études de l’inventaire général et les collections des musées protestants.

The protestant world thinks the word as the most important, according to the principle Sola scriptura, and refuses to regard as sacred any material element; it explains a lesser interest for the architectural and movable heritage. The reformers wrote very little about the materiality of the worship: Lutheran considered it as adiaphora (indifferent things) and the Reformed considered it still less important. Many objects disappeared because of the royal politics and because of the Édit de Nantes revocation. So, it is especially the written documents which aroused the interest of the Protestants, historians of their own church. It is necessary to wait for the beginning of the XXth century to see widening the patrimonial field, an evolution carried by the concern of respecting the Desert martyrs’ memory, with the opening of the museum of the Mas Soubeyran. The first studies on objects were realized in the Lutheran and german‑speaking countries which were interested first by the oldest or exceptional pieces (altars‑pulpits). In France, the goldsmith work was studied first, then the protestant heritage in Moselle and Alsace. For the 500th birthday of , a volume in the collection « Principles and methods » dedicated to the protestant heritage will be published in 2017. The first documentary inquiries of 1972 have been widely enriched by the studies of the Inventaire général and the collections of the Protestant museums.

INDEX

Index géographique : Gard, Meurthe-et-Moselle, Mialet, Nancy Keywords : protestantism, protestant, religious heritage, moveable heritage, temple, painting, sculpture, work of art, liturgy Mots-clés : protestantisme, protestant, patrimoine religieux, patrimoine mobilier, temple, peinture, sculpture, objet d’art, liturgie

AUTEUR

MIREILLE-BÉNÉDICTE BOUVET Conservateur en chef du patrimoine Inventaire général du patrimoine culturel Grand Est Coordonnateur du projet

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Le temple de la Calade et la maison du consistoire de Nîmes The temple of La Calade and the House of the Consistory at Nîmes

Philippe Chareyre

1 Le n° 30 de l’actuelle rue de la Madeleine est l’un des principaux vestiges du temple de la Calade à Nîmes, l’un des plus grands de son temps. Son porche qui ouvrait sur un couloir débouchant à l’intérieur de ce lieu de culte a vu passer les principaux membres de l’Église réformée de la ville. La maison donnant sur la rue appartenait à une famille, les Bonijol, dont sont issus plusieurs anciens, ce qui lui valut sans doute d’échapper à la destruction. La qualité de sa construction initiale tout au moins de sa façade, lui permit de traverser le temps, ce qui n’a pas été le cas de la maison du consistoire ni de l’académie situées entre la cour intérieure et le mur du temple qui ont fait l’objet d’importants remaniements. C’est sans doute un des lieux les plus denses, mais aussi les plus méconnus de la mémoire protestante nîmoise (fig.1).

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Fig. 1

Nîmes (Gard), façade du 30, rue de la Madeleine J. Pagnon © Inventaire général région Occitanie

2 L’Église réformée de Nîmes possédait le premier et plus grand temple à arc caractéristique de l’architecture religieuse des protestants de la région. Construit en 1565, il fut imité à Alès en 1577, puis à Montpellier en 1581. Il était l’un des plus vastes de la France de son temps avec 1440 m² d’emprise au sol ; l’arc médian en pierre destiné à soutenir la charpente avec ses plus de 40 mètres de diamètre touche alors aux limites techniques de ce genre d’ouvrage. Cet arc permettait de créer un grand espace, à moindre frais, sans artifice spectaculaire de charpente, susceptible d’accueillir l’ensemble des membres d’une Église urbaine. L’actuel temple du Collet‑de‑Dèze qui a survécu aux destructions de la révocation de l’édit de Nantes a conservé à sa mesure, la mémoire de ce type architectural identitaire des réformés du sud rhodanien1. Bâti à l’intérieur de l’enceinte urbaine, dans le seul espace disponible qu’était un grand jardin au milieu d’un îlot de maisons proche de la porte de la Madeleine, ce temple entouré d’habitations n’avait pas pignon sur rue, et de ce fait, il n’est connu que par de très imprécis croquis sur les plans anciens de la ville. On y accédait par un court passage voûté qui donne sur la place de la Calade, c’est-à-dire pavée (elle existe encore aujourd’hui), parfois appelée à l’époque « place du temple », d’où le nom de temple de la Calade qui lui a été donné. Son entrée sur la place n’était alors signalée que par une inscription placée au-dessus de la porte, qui a vraisemblablement été détruite au moment de la révocation de l’édit de Nantes : « C’est ici la maison de Dieu, c’est ici la porte des cieux »2. Un clocher à fenêtres situé à la gauche du bâtiment, du côté de l’entrée, fut ensuite édifié en 1581, puis surmonté d’un dôme en 1590.

3 Thomas Platter, de passage à Nîmes en 1596, ne dit rien de la particularité architecturale de l’édifice en lui-même, mais il est en revanche impressionné par son

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volume et affirme que 10 000 personnes peuvent y communier en une seule fois3. L’avocat et historien nîmois, Anne Rulman qui fut diacre de l’Église de Nîmes, donne le chiffre plus réaliste de 5 000 auditeurs tous les dimanches au prêche pour les années 16204. Celui d’Alès, construit peu après, a une capacité de 5 à 6 000 personnes. Ces deux temples correspondent en taille au second temple de Charenton édifié un demi‑siècle plus tard, en 1623, qui pouvait accueillir 4 000 personnes5.

4 Toutefois, malgré sa taille remarquable pour l’époque, ce temple ne suffit pas à accueillir l’ensemble des fidèles. Un premier projet d’agrandissement est étudié dès 1585, puis en 1596 il est carrément projeté de construire un second édifice atandu que le présent temple est petit ou « court » selon les mots du consistoire, ne pouvant accueillir le dimanche l’ensemble des fidèles6. Il faudra attendre 1611 pour que le « petit temple » soit enfin édifié sur un terrain contigu à cet établissement, sous l’impulsion du bouillant pasteur Jérémie Ferrier7 qui en obtient l’autorisation en 1610, lors de son séjour en cour8. Un premier prêche y est célébré le 5 avril 1613, alors que la chaire n’est pas encore posée. Les travaux ne sont définitivement achevés qu’en 1616, avec la pose des vitrages, des rideaux et des troncs l’année suivante.

5 Auparavant, le temple de la Calade fonctionnait au plein, sinon au-delà de sa capacité d’accueil, notamment les jours de cène, grâce à la construction de galeries, si bien qu’au début des années 1600, il devient nécessaire de trouver des solutions pour faciliter l’accès et la sortie.

6 Un premier accès est recherché vers le nord, la rue étant accessible par un passage appartenant au Sr de Nages (fig.2). Ce dernier, après un premier refus en 1593, accepte en 1602 pour respecter les dernières volontés de sa mère. Une collecte est organisée pour voûter ce passage et les travaux s’achèvent en 1603 par l’acquisition de serrures et de barres de fer pour le clore, mais il n’est pavé qu’en 1607. La porte débouchant sur la rue de la Colonne, aujourd’hui rue de l’horloge, prend le nom de « petite porte » ou « porte neuve », ou encore de « porte des magistrats » car elle donnait accès au temple du côté du banc des magistrats, c’est-à-dire les juges et conseillers du présidial de la ville9.

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Fig. 2

Nîmes (Gard), essai de reconstitution du quartier du temple © Ph. Chareyre ; V. Marill © Inventaire général région Occitanie

7 Une seconde ouverture est établie en direction du sud, vers la rue de la Fleur de Lys (actuellement rue de La Madeleine) allant de la porte de la Madeleine à la Place (actuelle place aux herbes) où se trouvait la cathédrale. Elle donne accès au temple du côté du banc des consuls, ce qui lui vaut le nom de « porte des consuls ». Ce passage est voûté en 160310, puis pavé en 1605 aux frais de la ville, à la demande du consistoire auprès des consuls. Ainsi, dans les premières années du XVIIe siècle, avec la mise en service de deux entrées supplémentaires, le temple de la Calade prend son aspect définitif.

8 La porte et le passage voûté donnant sur la rue de la Madeleine sont les seuls vestiges actuels du temple de la Calade qui fut détruit après la dragonnade de Nîmes en 1685 (fig.3). C’est un ensemble rare, tout à fait exceptionnel qui conserve l’empreinte dans la ville, de l’institution qui a dirigé une des plus influentes Églises réformées pendant presqu’un siècle et demi. La façade présente une unité de style caractéristique du début du XVIe siècle, tant par la porte de style toscan surmontée d’un fronton triangulaire, que par les trois fenêtres du premier étage qui ont aujourd’hui perdu leurs meneaux d’origine (fig.4). Sa large porte d’entrée desservait non seulement la maison, mais aussi par le passage voûté toujours visible lorsque la porte de cet immeuble est ouverte, l’accès sud du temple de la Calade et des deux autres bâtiments liés à l’histoire religieuse de la cité.

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Fig. 3

Nîmes (Gard), ancien passage des consuls J. Pagnon © Inventaire général région Occitanie

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Fig. 4

Nîmes (Gard), 30, rue de la Madeleine ; ancienne porte des consuls J. Pagnon © Inventaire général région Occitanie

9 Derrière cette maison, et mitoyenne avec le temple, se trouvait en effet la maison dite du temple, plusieurs fois mentionnée dans les registres consistoriaux, à laquelle on accédait par le passage. La maison du temple qui disposait d’une cour avec un puits, possédait une porte de communication avec l’intérieur du temple. Menaçant ruine, elle fut entièrement réparée en 1597, et le rez‑de‑chaussée en fut voûté11. Ce rez‑de‑chaussée est laissé à partir de 1581 à l’usage de l’advertisseur Guillaume Guiraud, l’étage étant occupé par un pasteur. Ce personnage, que l’on désignera plus tard sous le nom de valet du consistoire, tire son nom du fait qu’il a pour principale tâche d’avertir les personnes suspectes d’encourir la censure morale du consistoire qu’elles vont devoir venir comparaître devant lui. Il est chargé de l’ouverture et de la fermeture des portes, tant pour le culte que pour les travaux et aménagements mobiliers, et de l’entretien du temple, notamment le rangement des bancs. Il exerce également la fonction de concierge, ce qui justifie d’occuper un logement contigu à celui-ci, et a la garde du mobilier du culte, notamment des plats d’étain ou d’argent, des registres des baptêmes et des décès, des ornements funéraires, c’est‑à‑dire des suaires que le consistoire prête pour le transport des morts de chez eux au cimetière. Il a enfin la charge de sonner la cloche pour annoncer le prêche, avant que cette fonction ne soit confiée à un « campanier ». Ses faibles gages sont comptés sur la bourse des deniers du ministère et s’élèvent à la somme de 72 livres par an à la fin du XVIe siècle, ils passent à 122 livres en 1607, puis à 150 en 1623, et enfin à 200 en 1657. L’advertisseur Louis Dupont résume ainsi cette charge... quand à Dieu honorable / Mais aux humains et ville bien peu proffitable12. De fait, les advertisseurs successifs, pour assurer leur subsistance et celle de leur famille, poursuivent tous une activité artisanale à côté de cette fonction.

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10 Le consistoire se réunissait à l’origine dans le temple mais dans certaines circonstances, pouvait se retrouver dans cette maison. L’article XXIII de la Discipline Particulière est assez éclairant sur le sujet : À chascun jour de Cène, on assemble à l’après dinée les diacres et surveillans à la maison du temple où demeure l’advertisseur en présance de l’un des pasteurs, et chascun apporte son rolle des poures13, lesquelz appelés au mesme lieu, on juge s’ilz doivent estre retranchés du rolle, ou leur subvention diminuée ou augmentée14.

11 En 1671 enfin, dans le « plus haut membre » de la maison du temple on fait ouvrir un « cabinet » de dix places. Il s’agit d’une extension du temple par le percement du mur mitoyen et l’aménagement d’une loge. D’autres seront également créés dans des maisons voisines. Plus qu’une véritable réponse à l’exiguïté du temple, ces « cabinets » constituaient des places de choix réservées à l’aristocratie urbaine, ainsi qu’aux membres éminents de l’Église qui pouvaient ainsi écouter les prédications, confortablement, hors de la presse de la foule. Lors de sa création, le consistoire distribue ainsi les places du « cabinet » de la maison du temple : deux pour Fauquier, deuxième consul, en raison des services rendus à l’Église, deux au viguier d’Albenas qui, après un premier refus, accepte ce privilège ; enfin, le ministre Baudan en réclame une, puis l’année suivante, le célèbre architecte nîmois Dardalhon, qui avait occupé les fonctions d’ancien, reçoit deux places au second rang du côté est.

12 À côté de cette maison existait un autre bâtiment qui a profondément marqué l’identité réformée nîmoise, l’auditoire « pour lire en théologie ». Sa construction à la porte du temple allant vers la rue de la Madeleine date de 1601, grâce à l’initiative du pasteur Jérémie Ferrier. Le contrat est passé avec le maçon Jean Trotin pour la somme de 20 écus, les travaux se terminent l’année suivante par la pose des fenêtres et des deux portes, l’une donnant dans le temple, l’autre dans le passage15. L’auditoire devait être le véritable siège de l’académie protestante, se distinguant ainsi du collège ; les pasteurs- professeurs comme Ferrier et ses successeurs pouvaient y organiser les disputes entre étudiants plus librement, étant désormais à l’abri du temple. Cette construction est contemporaine en effet de la soutenance de thèse du proposant Alexandre Selon, dont le sujet choisi par Ferrier, Clemens octavus papa est proprie antechristus connut une célébrité nationale. Cet édifice a également abrité la bibliothèque de l’académie créée en 1594 par le pasteur Falguerolles et le diacre érudit Chalas, que le consistoire décide de placer dans une armoire de l’auditoire de théologie. Un rapport de Corine Potay sur le 30 de la rue de la Madeleine, rédigé en 200716, mentionne que dans la cour située derrière cette maison se trouvent au nord « deux arcs joliment moulurés » qui portaient une coursive à laquelle on accédait par un escalier à vis dans l’angle nord‑ouest de cette cour. Il existait des coursives sur chacun des trois niveaux mais elles furent démolies à l’occasion d’un chantier de réaménagement en 1879. Une autre semble également avoir existé côté ouest. Ce genre de bâtiment à coursive est caractéristique de ce type d’établissement, comme en témoignent encore les vestiges des académies de Genève ou de Montauban.

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Fig. 5

Nîmes (Gard), 30, rue de la Madeleine ; cour intérieure J. Pagnon © Inventaire général région Occitanie

13 L’auditoire est apparemment désaffecté après la construction du Petit temple et le départ de Jérémie Ferrier. en 1635, l’advertisseur Charles Nicolas est autorisé à utiliser la chambre de l’Académie pour y dresser de mestiers sans toutes fois rompre aulcune choze. Puis il est indiqué en 1651 que l’assemblée des « Trois‑corps » s’y tient le dimanche. Cette assemblée composée des consuls et de magistrats protestants, ainsi que des représentants du consistoire avait pour charge de gérer les affaires stratégiques de la communauté. C’est elle qui coordonnera jusqu’au bout la résistance légale aux mesures restrictives de la monarchie. en 1660, il est également mentionné que l’« abrégé » ou « bureau » du consistoire a lieu tous les jeudis matin dans cette même salle.

14 Il faut attendre 1664, date de la démolition du Petit temple et de la fermeture de l’académie pour que la chambre de l’auditoire retrouve sa destination première et qu’une seconde cheminée y soit placée. Elle abrite alors les exercices des proposants nîmois, c’est-à-dire les apprentis pasteurs, qui peuvent ainsi se former à la prédication le lundi matin dans le Grand temple contigu à cette salle. Mais quelque dix ans plus tard, elle est à nouveau aménagée en salle pour accueillir les assemblées, Consistoire et Trois‑corps en 1677. C’est ici qu’est accueilli l’Intendant qui préside à la lecture de l’« avertissement pastoral » de 1683, exhortation du clergé de France à la conversion.

15 La porte du n° 30 de la rue de la Madeleine est donc un lieu de mémoire important pour le protestantisme nîmois, elle a été l’un des trois accès du temple de la Calade, elle desservait la maison du consistoire et l’auditoire en théologie. Mais il est un autre vestige prestigieux de cet ensemble ecclésial qui a survécu à la destruction du temple et ne se trouve plus sur les lieux. Il s’agit de la cloche (fig.6) qui porte en inscription : « Pour Messieurs de la religion réformée de Nîmes pour servir à leur grand temple.

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1661. », et en latin, la formule suivante : Muta, voco sanctos ad sancta comitia, cives qui Christum pura religione colunt « Bien que privée de la parole, j’appelle aux saintes assemblées les hommes vertueux de la cité qui honorent le Christ dans la pure religion » qui est l’expression d’une Église encore confiante et sûre d’elle‑même. Elle rythme depuis 1696 les heures de , et se trouve actuellement en haut du clocher de l’hôtel de ville.

Fig. 6

Calvisson (Gard), clocher de l’hôtel de ville ; ancienne cloche du temple de Nîmes, 1661 © Ph. Chareyre

NOTES

1. Chareyre, Philippe. « accueillir et ordonner, tribunes et galeries dans le temple de la Calade à Nîmes », L’architecture des temples réformés XVI-XVIIe siècles, Hubert BOST, Bernard REYMOND (éd.), Bulletin de la Société de l’histoire du Protestantisme Français, 2006/3, p. 419-440. 2. Genèse 28/17, employé également pour le temple Paradis de Lyon construit probablement en 1564. Cité par BORREL, a. Notice historique sur l’église chrétienne réformée de Nîmes, Bianquis- Gignoux, Nîmes, 1837, p. 27. 3. Le voyage de Thomas Platter 1595-1599, éd. e. Le roy Ladurie, Fayard, 2000, p. 154 4. RULMAN, Anne de. Histoire secrète des affaires du temps, éditée par Ph. Chareyre sous le titre de Chronique secrète de Nîmes et du Languedoc (1622-1626), ed. Lacour, Nîmes, 1990, p. 96.

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5. Celui d'Alès construit sur le modèle de Nîmes était réputé pouvoir en recevoir 5 à 6 000. 6. AD Gard, 40J 28, 22/02/1585; 40J 31, 31/05/1596 f°88. 7. POIVRE, Joël. Jérémie Ferrier (1576-1626). Du protestantisme à la raison d’État, Droz, 1990. POIVRE, Joël. « La carrière mouvementée d'un pasteur au début du XVIIe siècle : Jérémie Ferrier ». Bibliothèque de l'école des chartes, 1988, t. 146, livr. 1, p. 131-161. 8. AD Gard, 42 J 31, 10/05/1601 f°411-412. ; 42J 347/04/1610, provisions reçues le 21/04/1610 f° 175. 9. AD Gard, 42 J 30, 3/02/1593 ; 42J 31, 10/05/1601 f°411-412 ; 42J 32, 27/03/1602 acte passé le 29 mai 1603 ; 42 J 33, 1/11/1606. 10. AD Gard 42 J 32, 12/03/1603, f°152. 11. AD Gard 42 J 31, 5/02/1597 f° 162 (un legs de cent écus y est employé) ; 16/04/1597 f° 176 contrat avec Trotin maçon pour le bâtiment et la voûte de la maison du temple de l'église. 12. AD Gard, 42J 63. 13. Les pauvres. 14. AD Gard 42J 28, entre 1583 et 1585. 15. AD Gard 42J 31, 12/09/1601, 17/10/1601. 16. Dossier historique p. 3-4.

RÉSUMÉS

La porte du 30, rue de la Madeleine, partie d’un immeuble bâti au tout début du XVIe siècle, est un lieu de mémoire important pour le protestantisme nîmois. Elle a été l’un des trois accès menant au temple de la Calade par un passage voûté débouchant sur la porte des consuls. Par là on arrivait aussi à deux édifices méconnus, tous deux contigus au temple, la maison du consistoire, logement de l’advertisseur et lieu de nombreuses réunions, et l’auditoire en théologie. Cette porte et le passage sont les seuls vestiges de cet ensemble ecclésial qui a été au cœur de l’histoire protestante de Nîmes.

The « 30, rue de la Madeleine », part of a building constructed at the very beginning of the XVIth century, is a main commemorative site for the Protestantism in the city of Nîmes. It was one of the three access leading to the protestant church of Calade, by an arched passage, and called door of the consuls. Using it, we also arrived at two under‑estimated buildings, both adjoining to the temple: the house of consistory (house of the advertisseur and place of numerous meetings) and the auditoire in theology. This door and the passage are the last remnants of this ecclesial group which was at the heart of the Nîmes’ protestant history.

INDEX

Index géographique : Gard, Nîmes Keywords : protestantism, protestant, religious heritage, temple, 16th century Mots-clés : protestantisme, protestant, patrimoine religieux, temple, XVIe siècle

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AUTEUR

PHILIPPE CHAREYRE Professeur, Université de Pau et des Pays de l’Adour

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Le château et l’observatoire de Guillaume Le Nautonier (1560-1620), seigneur protestant de Castelfranc (Tarn) The castle and observatory of Guillaume Le Nautonier (1560-1620), Protestant Lord of Castelfranc (Tarn)

Adeline Béa

1 Le château de Castelfranc1 (fig.1), sur la commune de Montredon‑Labessonnié, est implanté sur les terres occidentales du plateau Montredonnais aux lignes légèrement ondulées interrompues par quelques vallées. La demeure, élevée au XIXe siècle dans le style troubadour, est visible depuis la route et attire l’attention du visiteur. L’édifice a été inscrit sur la liste supplémentaire des monuments historiques le 1er décembre 1993 pour la valeur archéologique inestimable des pièces utilisées en remploi et le charme de son décor d’emprunt caractérisant si bien ces constructions des antiquaires du XIXe siècle2. Il l’est aussi, et surtout, au regard d’un observatoire de l’époque moderne attribué à Guillaume Le Nautonier. Le château, remarquable par l’envergure que lui a donnée au XIXe siècle le chevalier Auguste Paulin de Solages, de la famille des célèbres industriels carmausins, masque en effet un site structuré et beaucoup moins connu mais qui ne manque pas d’intérêt. Il abrite la résidence et les activités intellectuelles d’un seigneur protestant de la montagne castraise à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle.

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Fig. 1

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; depuis le nord, le château dans son site Adeline Béa © Conseil général du Tarn / © Inventaire général Région Occitanie.

Le château de Castelfranc à travers les siècles

Une longue histoire

2 Les origines du château sont mal connues. Il est généralement admis que la seigneurie de Montredon dépendait des vicomtes de Lautrec puis fut transférée au XIIIe siècle au titre des possessions de Simon de Montfort3.

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Fig. 2

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; plan cadastral de 1813 (AD Tarn, 3 P 182) © Conseil général du Tarn / © Inventaire général Région Occitanie

3 La baronnie de Montredon apparaît dans les textes au XIIIe siècle et se trouve au XIVe siècle aux mains d’Amaury II (1327‑1341) qui aurait établi sa résidence au lieu-dit de Castelfranc, à la place du château de Montredon. Situé sur la commune de Montredon‑Labessonnié, ce dernier était constitué d’un ensemble fortifié, organisé à partir de quatre corps de logis formant courtine et de quatre tours d’angle rondes. Il est peut‑être abandonné ou déserté à cette période pour Castelfranc qui présente aussi l’avantage d’être sur un promontoire contrôlant une des principales vallées d’accès au bourg de Labessonnié (fig.2)4. La plate‑forme sommitale abritait selon toute vraisemblance un château médiéval bordé de fossés avec une tour élevée sur un imposant rocher de granite de 100 m de circonférence environ et de 15 m de haut5.

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Fig. 3

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; l’observatoire depuis le sud-est Adeline Béa © Conseil général du Tarn / © Inventaire général Région Occitanie

4 Le replat, entouré d’un dénivelé important constitué de roche affleurante sur trois côtés, participait de fait à l’aspect défensif du site.

5 Pierre V (1390-1402) réside à Castelfranc où il décède en 1402. La baronnie est vendue en 1431 aux Arpajon et Gui I donne le château à son écuyer Pierre de Martrin en 1473. Par le jeu des alliances, la seigneurie passe ensuite aux mains de la famille Nautonier, originaire du Rouergue et installée à Vénès. Pierre Le Nautonier fixe sa résidence principale à Castelfranc pour y élever ses cinq enfants. Son fils aîné Guillaume lui succède et entreprend selon toute vraisemblance la construction de la demeure et de l’observatoire, lieu de ses recherches et expérimentations (fig.3). Une inscription placée dans le mur oriental de l’observatoire semble en effet se rapporter à sa construction, en 1610 : « GUIL. NAU. CAS. / GEOG. REG. F.C. / A.N.S. CDDCX ». Elle peut être retranscrite par « Guillaume Le Nautonier (seigneur de) Castelfranc / géographe royal F.C. (pourrait être retranscrit par « fait construire ») / An de notre Seigneur 1610 »6.

6 Les historiens ou érudits ayant travaillé sur Castelfranc ont habituellement attribué aux soubresauts du deuxième quart du XVIIe siècle et aux guerres dites de « Rohan », la destruction puis la reconstruction du logis. Ils précisent en effet que le château aurait été ruiné par le marquis de Ragny en 1627 puis réédifié l’année d’après. Un arrêt du parlement de Toulouse aurait ensuite ordonné la démolition des nouvelles constructions en 16547. Le château aurait donc été rebâti seulement au cours du siècle suivant. Malgré cela, il semblerait que le logis du XVIIe siècle ait bien été conservé. En effet, les évènements rapportés concernent selon toute vraisemblance le château médiéval dont l’emplacement est encore visible sur le site mais qui n’est pas représenté comme élément bâti en 1813. Les démolitions ne concernaient en effet que les éléments défensifs et il restait encore dans la première moitié du XXe siècle les fondements d’une tour sur le rocher situé au sud. En revanche, le château représenté sur le plan cadastral

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de 1813 semble bien être celui du début du XVIIe siècle comme en témoignent les éléments conservés.

7 Les membres de la famille Le Nautonier se succèdent dans la demeure jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, période à laquelle le fief est entre les mains des dernières descendantes. Jeanne se marie le 17 septembre 1763 avec Guillaume de Villeneuve8. Elle transmet le patrimoine familial à sa deuxième fille Louise-Charlotte qui épouse François-Philippe Joseph Dalgaires Dufour de Barbazan le 8 septembre 17729. Ces derniers vendent le château de Castelfranc à Jean‑Louis Bruniquel le 29 novembre 1803 qui le possède toujours en 181310, au moment du lever du plan cadastral. Il le conserve jusqu’à sa mort intervenue en 1835, année où Auguste Paulin, chevalier de Solages achète le château11.

Le nouveau château de la famille de Solages (milieu et deuxième moitié du XIXe siècle)

8 Auguste Paulin de Solages acquiert le 23 juin 1835 le domaine de Castelfranc situé dans la commune de Montredon composé de batimens, château sur jardin, champs, bois et pacage, cabeaux, semences, charrette et généralement tout ce quy en depend…. Font également partie de la vente une vigne qu’ils ont situé au vignoble de la Farandié… et une cuve vinaire et la vaisselle vinaire quy se trouve dans la cave du château de Castelfranc12.

9 Il décide d’agrandir le corps de logis du château vers l’ouest, ce qui est réalisé en 184213. Il commande un audacieux projet qui s’inscrit dans la tradition des « antiquaires » du début du XIXe siècle, consistant à édifier un château de style troubadour accueillant tout un ensemble d’éléments lapidaires de grande qualité mais de provenances diverses. Il s’agit pour l’essentiel de baies mettant à l’honneur la période gothique et celle de la Renaissance. En 1852, dans l’acte de succession du 25 août, il est bien précisé que le château est nouvellement construit14.

10 Le château est un édifice de 30 m de long sur 8 m de large avec une élévation postérieure d’une hauteur de 15 m (fig.4 et 5). Le bâtiment rectangulaire, toujours pourvu de la tour ronde du XVIIe siècle à l’angle nord-est, est cantonné sur les trois autres angles, de tourelles en encorbellement élevées sur le modèle d’échauguettes. Elles sont intégrées au programme architectural par la ligne continue d’une corniche simulant un mâchicoulis gracile. La tourelle orientale est plus grêle et ajoutée à une structure déjà existante. Son couvrement émerge du brisis et s’intègre moins aisément au traitement d’ensemble de la toiture. La tour ronde, plus imposante, se raccorde au reste par une corniche très développée adoptant dans la partie supérieure une arcature aveugle. La façade principale, ouverte au sud, est percée de six travées d’ouvertures qui s’organisent en deux parties. Elle suit un tracé biais en direction du sud pendant 18 m puis un changement d’orientation indique l’agrandissement du XIXe siècle. À l’est, l’élévation du logis du XVIIe siècle a conservé sa division en deux étages alors que le réaménagement intérieur et l’homogénéisation des percements en façade sur les trois travées en ont modifié l’organisation. La porte a été fermée en partie basse pour devenir une fenêtre. Un couloir, installé en arrière de la façade, dessert les pièces et conduit à un escalier rampe sur rampe à l’extrémité orientale.

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Fig. 4

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; plan de situation de différents bâtiments sur fond du cadastre actuel (2012 AR). Adeline Béa © Conseil général du Tarn / © Inventaire général Région Occitanie.

Fig. 5

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; vue générale Adeline Béa © Conseil général du Tarn /© Inventaire général Région Occitanie.

11 La partie ajoutée débute au niveau de la façade principale par une porte monumentale ornée des armes des de Solages, un soleil, et de leur devise « Sol Agens », « par l’action du soleil » (fig.6). Elle est rythmée par de grandes ouvertures rectangulaires sur un module de croisée à l’encadrement en pierre de taille de granite. Seules quelques‑unes ont un encadrement simplement constitué de briques. Elles accueillent traverses et meneaux en grès, d’un grain fin et de couleur claire, sculptés d’ornements variés tels que personnages en buste, parfois ailés, récoltes et chutes de fruits, pots à feu, dont la provenance est certainement à rechercher dans les hôtels particuliers toulousains du

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XVIe siècle. H. Crozes indiquait que les pièces pouvaient venir de bâtiments de la rue de la Dalbade, ayant connu plusieurs destructions dans la première moitié du XIXe siècle15. Les fenêtres du deuxième étage de la partie orientale du château, en revanche, ne possèdent qu’un meneau. Les ouvertures se poursuivent sur le pan coupé et l’élévation orientale, sur le rythme des deux étages et sont accompagnées d’un appui mouluré. L’accent a été porté sur la façade méridionale et l’élévation orientale alors que les élévations postérieure et occidentale ne sont percées que de fenêtres simples, pour lesquelles l’encadrement en brique est recouvert d’enduit. La pierre de taille n’y a pas été employée. Le brisis du toit à longs pans ménage la place aux lucarnes qui ajourent le comble sur tout le pourtour. Les tourelles en encorbellement et les faces sud et est de la tour ronde ont bénéficié de baies aux encadrements ornés de motifs sculptés, provenant d’édifices de périodes légèrement différentes. Des fenêtres provenant de bâtiments de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe siècle se trouvent dans les tourelles, les deux occidentales et l’orientale, ainsi que sur les faces sud et est de la tour. Pour les deux premières, elles sont couronnées d’un arc en accolade alors que les autres sont plus étroites avec des réseaux à mouchettes. La baie sud du premier étage de la tour est d’une autre origine. Elle se compose d’une baie couronnée d’un arc en pointe d’accolade au remplage trilobé retombant sur des chapiteaux figurés. L’analyse stylistique permettrait plutôt de la dater du XIVe siècle.

Fig. 6

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; porte du château du XIXe siècle en 1973 Albin Pons © CRMH Occitanie

12 Le projet est ensuite prolongé par son successeur, Gabriel Louis de Solages qui devient propriétaire de Castelfranc en 1857. Il envisage de créer au sud‑ouest une aile en retour composée d’une galerie à fonction d’orangerie clôturée par une chapelle privée (fig.7).

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Les travaux sont achevés en 186016. La galerie de plain‑pied de 15 m de long est fermée à l’est par un ensemble de quatorze arcs brisés en brique retombant sur quinze supports. À l’exception des deux extrémités, où seul un chapiteau reçoit la retombée, la réception des arcs est assurée par deux colonnes à chapiteaux pour treize supports soit un total de vingt-huit colonnes à chapiteaux gothiques d’origines diverses et assemblées par deux. La tradition littéraire rapporte que le comte de Solages aurait installé dans sa galerie des colonnes à chapiteaux provenant du couvent des Grands Carmes de Toulouse17, démantelé et détruit en 1809. Néanmoins, la question est plus complexe. L’ensemble est composé de chapiteaux de grès ou de calcaire des XIIIe et XIVe siècle venant de plusieurs sites. La parenté de certains chapiteaux calcaires de Castelfranc avec ceux, exposés au musée des Augustins, de l’église de Saint-Jean de Jérusalem de Toulouse, démolie en 1839, révèle une autre source d’approvisionnement18. En effet, la qualité de la pierre, le traitement général de la sculpture, de la corbeille et des motifs sculptés, ainsi que le tailloir en tablette, sont très proches.

Fig. 7

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; chapelle et galerie à chapiteaux en 1973 Albin Pons © CRMH Occitanie

13 La chapelle privée de trois travées, de 10 m de long sur 5 m de large, renferme de nombreux éléments lapidaires médiévaux et de la Renaissance ou des copies du XIXe siècle d’éléments anciens. Si l’on en croit H. Crozes19, la baie à deux lancettes placée dans l’élévation orientale ainsi que les colonnes à chapiteaux feuillagés du portail, proviendraient de Cordes, ce qui peut être vraisemblable au regard de la qualité de la pierre caractérisée par un grès de teinte rosée. Au-delà de ces éléments, elle rassemble d’autres pièces anciennes et de nombreuses copies d’œuvres médiévales ou de la Renaissance réalisées pour les plus importantes par la fabrique Virebent Frères à Toulouse : mise au tombeau de l’autel du Saint‑Sépulcre à Biron, en Dordogne, tombeau de Pons de Gontant, retable médiéval, bas‑reliefs de la Renaissance, Annonciation…

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Même dans la grande baie, la verrière est une œuvre composite. Elle regroupe des éléments anciens, tels que pièces de verre et rondels peints à la grisaille et au jaune d’argent, ou agrémentés d’un décor floral sur fond rouge des XVIe et XVII e siècles, assemblés dans une vitrerie moderne du XIXe siècle20.

14 Lors de cette campagne de travaux, les écuries du château sont installées dans le bâtiment rectangulaire de l’observatoire. L’intervention a demandé le percement de nouvelles ouvertures, notamment dans l’élévation occidentale où porte et fenêtre sont établies.

Le château et l’observatoire de Guillaume Le Nautonier (1560-1620)

L’homme

15 Le mercredy 16e décembre avant le jour, 1620, décéda dans sa maison de Castelfranc, ministre du Saint-Évangile et géographe ordinaire du Roy, homme consommé en toutes bonnes sciences, excellent en vertus, merveilleux en secretz, mais sur tout rare en piété et douce conservation21.

16 Fils de Pierre Le Nautonier, receveur des finances de Lacaze jusqu’en 1530, Guillaume naît en 1560 dans une famille de confession protestante22. Il reçoit une solide éducation en mathématiques, géographie et astronomie et parfait ses études de théologie à l’académie de Lausanne23. De retour en 1583-1584 à Castelfranc, il commence son ministère à l’église de Vénès et de Montredon en 158724 et s’occupe également de celui de Réalmont en 1592. Pasteur de Montredon tout au long de sa vie, il équipe le temple d’une cloche en 1594 et commande la reconstruction de l’édifice entre 1598 et 160025.

17 Guillaume Le Nautonier entreprend sans attendre des recherches sur l’aiguille aimantée guideymant, ou aiguille marine, qui a la propriété d’adresser le fer vers le nord26. À partir de l’hypothèse du magnétisme terrestre et de l’existence de deux pôles magnétiques, il élabore un système de tables permettant d’établir selon les lois mathématiques les latitudes et longitudes d’un lieu exprimées en degrés, minutes et secondes par le calcul de l’éloignement au nord géographique. Pour diffuser ses travaux, il fait installer une imprimerie à demeure en 1600‑1601, dans sa propriété de Vénès (Tarn), à l’Ourmarié, comprenant 50 000 caractères, outils, meubles et personnel. Il édite un premier ouvrage, La mécographie de la guideymant, c’est‑à‑dire la description des longitudes trouvées par les données des déclinaisons de l’aimant, dans lequel il détaille le résultat de ses recherches. Il s’engage ensuite dans la rédaction et l’édition d’un second ouvrage intitulé La mécométrie de l’Eymant, c’est‑à‑dire la manière de mesurer les longitudes par le moyen de l’Eymant27 (fig.8). La somme composée de sept livres et commencée en 1590, est éditée en 1603‑1604.

18 Ses travaux traitent du géomagnétisme en introduisant un élément nouveau et essentiel qui est celui de la notion du dipôle magnétique. Ses démonstrations ont marqué ses contemporains et il est cité dans plusieurs ouvrages28 au cours de la première moitié du XVIIe siècle. Il était également connu d’Isaac Casaubon et de Joseph Juste Scaliger et aurait entretenu des correspondances avec ce dernier qui aurait loué ses mesures et inventions29. La renommée et le couronnement des recherches de Guillaume Le Nautonier peuvent être plus justement appréciés par la reconnaissance royale : Henri IV le nomme géographe ordinaire du roi en 1609 et le dote d’une pension

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de 1200 livres. Après avoir édité ses ouvrages, Guillaume vend son imprimerie constituée de la presse et des caractères aux consuls de Castres qui effectuent la transaction avec l’imprimeur Pierre Fabry30, désireux de s’installer dans la ville. Son successeur, Jean Viala, rend d’ailleurs hommage de manière posthume à Guillaume Le Nautonier en publiant en 1626 son dernier ouvrage, Le diaire astrologique.

Fig. 8

Médiathèque d’Albi, RES.ROCH00314. Guillaume Le Nautonier, La mécométrie de l’Eymant, c’est-à-dire la manière de mesurer les longitudes par le moyen de l’Eymant, 1603-1604. Page de couverture Adeline Béa © Conseil général du Tarn / © Inventaire général Région Occitanie

Le château et l’observatoire

19 En contrebas du château médiéval a été construite la demeure, selon toute vraisemblance par Guillaume Le Nautonier, à la fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe siècle. Elle se résume à un logis de plan rectangulaire bordé à l’angle nord-est d’une tour ronde. Si les étages ont été englobés dans la construction du XIXe siècle, l’organisation et la distribution sont encore parfaitement lisibles au niveau du soubassement.

20 Le logis a été préservé dans son intégralité jusqu’en 1842, date à laquelle il est agrandi en direction de l’ouest. De 18 m sur presque 8 m dans œuvre, il a un niveau du soubassement qui s’organise à partir de deux salles en enfilade voûtées en berceau segmentaire (fig.9). Avec une base plus épaisse, les murs intérieurs sont talutés. La première salle, à l’est, est longue de 8,30 m et ouvre sur le niveau bas de la tour circulaire qui offre une salle par niveau. Elle donne sur une deuxième pièce, de 7 m de long environ, par une porte en arc segmentaire chanfreinée aux épais claveaux. À l’angle sud-ouest, une tour dont l’assise est encore visible, devait abriter un escalier en

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vis distribuant le logis. Dans l’organisation du logis actuel, cet emplacement est maintenant occupé par un escalier en colimaçon, faisant face à la porte du chevalier de Solages et qui permet de rejoindre le niveau du soubassement de la cuisine du XIXe siècle.

Fig. 9

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; croquis, plan de situation du niveau de soubassement Adeline Béa © Conseil général du Tarn / © Inventaire général Région Occitanie

21 À l’est, l’élévation du château conserve encore pour partie les deux niveaux d’étages antérieurs. Plus directement, l’emprise du premier logis est visible au niveau du rez‑de‑chaussée de la façade principale par une large porte à l’encadrement rectangulaire en pierre de taille de grès et au linteau en plate‑bande.

22 Le niveau du soubassement abritait la cave vinaire du château avec son entrée latérale. L’extrémité de la deuxième salle est occupée au nord par une fosse circulaire de 2 m de diamètre pourvue de chantiers maçonnés destinés à isoler la cuve vinaire en bois du sol. Le chai est entièrement dallé et un chantier maçonné construit contre le mur nord recevait la vaisselle vinaire composée de tonneaux. Au‑dessus de la cuve se trouve une baie qui pouvait avoir la fonction de déversoir, depuis l’extérieur, pour la vendange. Le rez‑de‑chaussée, avec son accès de plain-pied depuis le sud, et le premier étage, étaient consacrés à l’habitation alors que le dernier niveau, plus bas, devait être réservé aux greniers.

23 Les encadrements d’ouvertures d’origine sont en pierres de grès, au niveau de la porte sud et la face nord de la tour ronde qui comprend le niveau bas, le rez‑de‑chaussée et les deux étages. Là, les baies rectangulaires sont de deux types. Pour les niveaux dédiés aux activités domestiques, elles sont simplement abattues d’un chanfrein amorti sur un

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congé biais alors que pour les deux niveaux centraux réservés à l’habitation, les encadrements sont ornés de deux moulures en cavet qui retombent sur des bases pyramidales.

24 Le logis, construit en contrebas du château médiéval n’adopte plus une logique purement défensive mais plutôt dissuasive, avec l’imposante tour nord visible depuis la voie de communication passant au pied du château de Montredon. On profite de la déclivité pour dissocier la partie domestique en contrebas et comprenant un accès indépendant par le pignon oriental. Elle est reliée à un bâtiment entièrement construit dans la pente dont la fonction est plus difficile à interpréter, glacière, resserre ou écurie. L’organisation du niveau de soubassement avec la place laissée à la cave vinaire rappelle l’importance de l’activité viticole dans le domaine, qui n’est pas uniquement le propre des vignobles historiques comme le Gaillacois.

25 La demeure constituée d’un bâtiment rectangulaire adjoint d’une ou deux tours circulaires est un modèle assez répandu dans la montagne du comté de Castres. Construite souvent dans la deuxième moitié du XVIe siècle, elle incarne le parti architectural le plus simple adopté par la petite seigneurie. Le décor, rare, se porte le plus souvent sur les encadrements des ouvertures, portail, porte ou fenêtre à croisée, qui jouent également des différences de matériaux. Le plan rectangulaire à une ou deux tours, dans la tradition des repaires seigneuriaux, se retrouve par exemple à Brassac (fig.10), Berlats, Espérausses (fig.11) ou au Caussé Bas sur la commune du même nom, ou à Nages. En revanche, les sièges de seigneuries plus importantes ou de seigneurs plus ambitieux s’organisent sur des plans plus complexes et établis autour d’une cour.

Fig. 10

Brassac (Tarn). Château de Brassac de Belfortès ; vue générale depuis le pont médiéval Adeline Béa © Conseil général du Tarn /© Inventaire général Région Occitanie

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Fig. 11

Espérausses (Tarn). Château ; vue générale depuis l’est Adeline Béa © Conseil général du Tarn / © Inventaire général Région Occitanie

26 À une distance confortable du château s’élève l’observatoire composé d’une tour au tracé rectangulaire irrégulier mais proche du carré (5,80 m pour les côtés ouest et nord, 5,40 à l’est, et 6,10 au sud), reliée à un bâtiment rectangulaire de 12,80 m sur 6 m de large environ. La maçonnerie est composée d’un gros-œuvre de moellons de schiste et de gneiss qui file tout le long. La tour est formée de quatre salles superposées dont un niveau intermédiaire situé au-dessus de la salle principale. La dernière salle, sous charpente, est indissociable de la galerie de bois extérieure, continue et couverte, qui la ceinture sur les quatre faces (fig.12). Si les bois ont été changés au XIXe siècle par la famille de Solages et restaurés au XXe siècle, il n’en demeure pas moins qu’ils reprennent l’agencement et l’organisation originelle.

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Fig. 12

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; galerie en bois de la tour de l’observatoire Adeline Béa © Conseil général du Tarn / © Inventaire général Région Occitanie

27 La galerie est supportée par des aisseliers prenant appui sur des corbeaux de bois pris dans la maçonnerie du mur et aux quatre angles, par des corbeaux de pierre saillants et situés plus bas. Le toit en pavillon de la tour se prolonge pour couvrir la totalité de la galerie, au-dessus des piliers à aisseliers et du garde-corps. Les chevrons supportent un large débord en avant de l’espace de circulation pour le protéger des intempéries. Les mesures et observations pouvaient être prises depuis les quatre points cardinaux. Au sud et au nord, une porte ouvre sur la galerie alors qu’à l’est et à l’ouest, le mur est percé d’une fenêtre. Une lucarne protégée par un couvrement segmentaire est aussi aménagée dans la face sud de la toiture.

28 Le soin porté à l’édifice se traduit par le traitement de la porte à l’encadrement de grès chanfreiné, couverte par un arc en plein cintre et rehaussé d’une clef saillante en bossage que couronnent les armes de la famille Le Nautonier, « d’azur au navire d’argent, au chef d’or chargé de trois croix tréflées de gueules » (fig.13). Au-dessus et de part et d’autre de la porte, des corbeaux sculptés devaient supporter un couvrement.

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Fig. 13

Montredon-Labessonnié (Tarn), château de Castelfranc ; tour de l’observatoire, vue de la porte et de la fenêtre à croisée Adeline Béa © Conseil général du Tarn / © Inventaire général Région Occitanie

29 La salle principale, équipée d’une cheminée, se trouve au premier étage. Elle est éclairée par une fenêtre centrale à croisée avec appui saillant mouluré. De même que dans la tour du château, l’encadrement est mouluré par une succession de deux cavets qui retombent sur des bases pyramidales.

30 Le bâtiment rectangulaire, à deux niveaux, est construit dans le prolongement de la tour. L’élévation orientale est aérée par de simples jours très étroits mais le mur pignon sud a conservé deux ouvertures. Le rez‑de‑chaussée est éclairé par une fenêtre à l’encadrement mouluré par deux cavets retombant sur des bases pyramidales et le deuxième niveau est ouvert par une porte haute en arc plein cintre à l’encadrement chanfreiné.

31 Si la fonction originelle du bâtiment rectangulaire n’est pas connue, l’organisation de la tour de l’observatoire, avec sa galerie en bois, est unique. En effet, il semble bien que ce bâtiment soit un des plus anciens exemplaires conservés et il est rare par son usage d’ordre privé ; l’observatoire de Paris, le plus ancien connu, est néanmoins postérieur puisqu’il est construit en 1667.

32 Ainsi, l’étude des propriétés de Guillaume Le Nautonier permet non seulement de révéler un personnage hors du commun, malheureusement tombé dans l’oubli, mais aussi une période de l’histoire particulièrement riche qui, dans un climat de paix après l’édit de Nantes, a été propice à l’effervescence de la vitalité intellectuelle et scientifique dans le milieu protestant. La restitution partielle du logis replace la construction de ce dernier à la fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe siècle, à une période où s’élèvent dans la montagne du comté de Castres de nombreux logis, maisons

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fortes ou petits châteaux de seigneuries modestes sur un modèle architectural simple. D’ailleurs, une intervention archéologique sur ce site serait souhaitable pour pouvoir préciser le plan adopté à l’ouest. Le caractère remarquable du site de Castelfranc revient donc à la construction d’un observatoire à usage privé, tout proche de la résidence, qui révèle le parcours d’un seigneur consacré tout entier à ses recherches et aidé par les libéralités octroyées par le roi de France. La tradition littéraire rapporte également qu’il aurait entrepris des aménagements hydrauliques sur le cours du ruisseau pour réaliser ses expérimentations.

33 L’étude comparée des deux édifices indique la contemporanéité des deux constructions qui ont pu être élevées au tout début du XVIIe siècle, si l’on en croit l’inscription située dans l’élévation orientale de l’observatoire. L’architecture souligne une période de transition stylistique. Elle est encore très attachée à un répertoire de forme de tradition gothique dans les fenêtres ornées de cavets, bases pyramidales et appuis prismatiques, à une date pourtant tardive et contemporaine des modèles plus habituels du début du XVIIe siècle, les arcs en plein cintre chanfreinés et les clefs saillantes et passantes en bossage.

NOTES

1. Cette étude s’inscrit dans le cadre de l’inventaire thématique « Habitat et production » mené sur la partie tarnaise du Parc naturel régional du Haut‑Languedoc par la mission d’inventaire du patrimoine du Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement du Tarn, à la demande du Service de la connaissance du patrimoine de la région Occitanie et du département du Tarn. Le règlement de la succession de la propriété n’ayant pas été réglé, le propriétaire n’a pas pu être contacté. Les photographies utilisées dans l’article sont prises depuis la voie publique (route ou chemin communal) ou proviennent de la documentation de la Conservation régionale des Monuments historiques, prises en 1973 par le documentaliste Albin Pons. Espérons que cet ensemble remarquable trouve un propriétaire tout entier attaché à sa conservation. 2. DRAC Occitanie, site de Toulouse, Conservation régionale des monuments historiques. Dossier de Castelfranc, Rapport de présentation du 15 décembre 1989. 3. BOUSQUET, Fernand. Montredon (Tarn), essai historique d’une commune de France des origines à la Révolution, Albi, I.C.S.O., 1926, p. 60-61, 72. 4. FITOUSSI, Richard. Le patrimoine bâti médiéval et moderne de la commune de Montredon-Labessonnié, Tarn. Rapport de prospection, 1994, SRA, n. p. 5. Ces détails sont rapportés par H. Crozes en 1865. Il précise aussi que les bases de la maçonnerie de la tour sont encore visibles. CROZES, Hippolyte. Répertoire archéologique du département du Tarn, Paris, éd. Imp. Impériale, col. 69-70. 6. Il convient de garder une certaine prudence car J. Rouanet en 1911 précisait que l’inscription avait été placée sur ce mur par le nouveau propriétaire. ROUANET, J. « Monographie de la famille de Guillaume « Le Nautonnier » seigneur de Castelfranc (Montredon) et de l’Ourmarié (Vénès) ». Revue du département du Tarn, 1913, p. 270. 7. BOUSQUET. Op. cit. ROUANET. Op. cit., p. 258-259. CROS, Philippe (dir.). Châteaux, manoirs et logis, 1999, éd. Patrimoines et Médias, p. 252-253. 8. ROUANET. Op. cit., p. 268.

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9. ROUANET. Op. cit., p. 268. 10. AD Tarn. 3 P 1455. Matrice des propriétés bâties, articles 151, Bruniquel Jean-Louis. 3 P 1456. Matrice de rôle pour la contribution cadastrale. 11. AD Tarn. 3 E 75/219. Achat de Solages à Bruniquel, n° 133, 23 juin 1835. AD Tarn. 4 Q 4244. Je voudrais remercier Françoise Hubaut des archives départementales du Tarn pour son aide dans la série 4 Q. 12. AD Tarn. 3 E 75/219, Achat de Solages à Bruniquel, n° 133, 23 juin 1835. 13. AD Tarn. 3 P 1459, f° 1378. 14. AD Tarn. 3 Q 12009. Déclaration de mutations par décès, n° 329, 29 février 1852. 15. CROZES, Op. cit., col. 69-70. 16. AD Tarn. 3 P 1457. Registre des augmentations et des diminutions, situation pour 1859 et 1860. Il s’agit d’une nouvelle construction pour les parcelles 135 et 137. 17. CROZES. Op. cit., col. 69-70. ROUANET. Op. cit., p. 270. 18. Je voudrais remercier Daniel Cazes qui a été conservateur du patrimoine au musée des Augustins de Toulouse de m’avoir indiqué cette piste. 19. CROZES. Op. cit., col. 69-70. 20. Cf. l’étude de Jean-Pierre Blin dans le cadre du « Corpus vitrearum » lancé sur Midi-Pyrénées en 2012, reprise par Roland Chabbert. 21. CARRADE, Francis. « L’église de Ruffis, les châteaux de Castelfranc, de Fournials, de Vénès ». Revue du Tarn, 1993, n° 149, 3e série, p. 15. AD Tarn. E 5363. 22. ROUANET. Op. cit., p. 17. 23. VÈNE, Marc. Guillaume Le Nautonier, seigneur de Castelfranc, ministre du culte, astronome, géographe du roi. Éditions la Duraulié, 1990, p. 75. DUMONS, G. « Études historiques. La famille de Nautonier de Castelfranc ». Bulletin de la Société Historique du Protestantisme, 1911, p. 388. 24. VÈNE. Op. cit., p. 77. 25. VÈNE. Op. cit., p. 113 et 94. 26. VÈNE. Op. cit., p. 117-122. Voir aussi MANDEA, Mioara, MAYAUD, Pierre-Noël, « Guillaume Le Nautonier, un précurseur dans l’histoire du géomagnétisme », Revue d'histoire des sciences, 2004, n° 57, 1, p. 161-174. 27. Un exemplaire est conservé aux archives départementales du Tarn. AD Tarn, BIB CC 241. NAUTONIER, Guillaume de (Sieur de Castelfranc). Mécométrie de l’Aymant. Vénès, chez l’auteur, 1603-1604. Et deux autres dans la réserve de la médiathèque Pierre Amalric d’Albi, RES. ROCH00314. RESC0064. 28. MANDEA, MAYAUD. Op. cit., p. 161. 29. VÈNE. Op. cit., p. 140. L’auteur précise que les fonds se trouvent à la Bibliothèque de France, MSS BN, Fonds frc n° 13040. 30. ROUANET. Op. cit., p. 258 ; DUMONS. Op. cit., p. 392.

RÉSUMÉS

À Castelfranc (Montredon-Labessonnié), le château du début du XVIIe siècle témoigne de l’érudition et de l’étonnante inventivité de son propriétaire, Guillaume Le nautonier, seigneur de profession protestante. Guillaume a fait construire tout près de sa demeure un observatoire à

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usage privé, édifice indispensable à un géographe passionné d’astronomie, ordonné en 1609 géographe ordinaire du roi par Henri IV.

The castle of Castelfranc (Montredon-Labessonnié), built in the beginning of the XVIIth century give evidence of the erudition and the surprising inventiveness of his owner, Guillaume Le Nautonier, Protestant lord. Guillaume made build close to his house an observatory for private use, building essential to a geographer passionate about astronomy, ordered in 1609 king’s ordinary geographer by Henri IV.

INDEX

Index géographique : Tarn, Montredon-Labessonnié Keywords : protestantism, castle, Nautonier Guillaume Le, observatory, Castelfranc Museum Mots-clés : protestantisme, château, Nautonier Guillaume Le, observatoire, château de Castelfranc

AUTEUR

ADELINE BÉA Chargée de l’Inventaire du patrimoine au C.A.U.E. du Tarn

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La construction des temples dans le Gard par Charles-Étienne Durand au début du XIXe siècle, ou l’invention d’un temple néoclassique The construction of temples in the Gard, by Charles-Étienne Durand in the early 19th century, or the invention of the neoclassical temple

Josette Clier et Théodore Guuinic

1 Le département du Gard possède un assez grand nombre de temples protestants, presque tous dus à M. Durand, architecte à Nîmes1. L’affirmation de Charles Gourlier, inspecteur général du Conseil des bâtiments civils2, donne à croire que les temples construits au début du XIXe siècle par Charles-Étienne Durand ne sont pas restés inaperçus à Paris3. L’ingénieur et architecte nîmois, en moins d’une quinzaine d’années, adresse en effet à Paris près de vingt dossiers, relatifs à une dizaine de projets de temples différents4, dont sont issus six bâtiments, construits entre 1807 et 18225.

2 Un tel ensemble présente de multiples intérêts. En même temps qu’une importante contribution à l’architecture des temples protestants de cette époque, ces temples mettent en lumière une part encore mal appréciée de l’œuvre de Charles‑Étienne Durand. Les recherches d’Olivier Liardet6, qui mirent en évidence l’étendue de son œuvre bâtie dans le Gard et l’Hérault, ont démontré, à la suite des travaux de Christiane Lassalle7, la part importante que Durand prit aux embellissements de Nîmes sous le Consulat et l’Empire8. Dans la continuité de ces travaux, une étude des temples de Charles Durand tentera ici de mettre en lumière son apport original à l’histoire de l’architecture protestante, en formulant de nouvelles hypothèses issues de recherches en cours9.

3 Les temples du début du XIXe siècle, caractérisés par la discrétion du culte réformé, l’épargne imposée par les finances de l’Empire et l’autorité prégnante de l’architecture antique, sont longtemps restés méconnus et peu valorisés ; leur modestie était perçue comme ordinaire ou signe d’indigence. Si cette architecture bénéficie d’un récent

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regain d’intérêt10, il semble qu’elle reste associée à l’idée d’une créativité bridée par un manque de moyen, une recherche délibérée du dépouillement11, ou l’imposition de modèles par le Conseil des bâtiments civils12. À la faveur d’études récentes13, le contexte peu à peu mieux connu du renouveau de l’architecture protestante en France à cette époque fait apparaître l’originalité des temples de Charles Durand construits dans le Gard, dont l’histoire reste à écrire14. À rebours des préjugés partagés, ces édifices témoignent d’une vive inventivité, appliquée à la redéfinition d’un type d’édifice en quête de modèle, dont il convient d’apprécier l’originalité, les sources et l’influence (fig.1).

Fig. 1

Vauvert (Gard), temple protestant ; vue générale J. Clier © DRAC Occitanie / CRMH

Le contexte historique de la construction des temples au début du XIXe siècle

4 Les temples construits aux XVIe et XVIIe siècle avaient été détruits lors de la révocation de l’édit de Nantes en 1685, à quelques rares exceptions près, comme le temple du Collet-de-Dèze (Lozère). L’édit de tolérance de 1787 ne permettant pas de célébrer officiellement le culte protestant, il faut attendre 1802 et la promulgation par Bonaparte des articles organiques15 pour commencer à édifier des temples. Le département du Gard compte alors près du quart des réformés français, répartis surtout dans la zone des Cévennes, et comprend 17 églises consistoriales sur les 81 créées en France.

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5 Si le culte se célèbre encore « au désert » – c’est à dire à l’air libre ou chez des particuliers – dès 1805, les demandes de temples se multiplient. Certaines communes sont autorisées à utiliser d’anciennes églises, de manière provisoire ou définitive : ainsi au Vigan (Gard) dès 1802, à Aigues‑Vives ou à Moissac‑Vallée‑Française (Lozère), où le temple de la Boissonade est l’ancienne église de Notre-Dame-de-Val-Francesque. Certaines chapelles sont rétrocédées aux protestants ou achetées pour en faire des lieux de culte, telle l’ancienne église du Grand Couvent à Nîmes qui, achetée lors de la vente des biens nationaux en 1793 par Valz et donnée par sa fille Elizabeth Valz en 1831, devient le petit temple.

6 À Gallargues, c’est l’ancien château qui est cédé pour en faire un temple. Si un premier projet de l’architecte Yzombard de Lunel est approuvé en 1809 sur un emplacement assez restreint, Thomas Burnet16 achète l’année suivante le château du marquis de Rochemore et le donne pour y installer le temple. Ainsi, le bâtiment de culte inauguré en 1817 domine le village et jouxte la tour médiévale, tel un signe de revanche pour une communauté qui avait vu son temple rasé à la révocation de l’édit de Nantes en 168517.

7 En 1820, les demandes de construction de temples sont si nombreuses que le préfet conclut son Tableau indicatif des temples en affirmant qu’en adhérant à toutes les demandes des communes (…) il en résulterait une dépense trop considérable et qu’il serait peut-être plus convenable de se borner pour le moment à seconder et activer la construction de temples qui s’élèvent et l’érection d’un dans chaque section. Les secours que le gouvernement pourra accorder pour cela produiront un bien plus efficace et plus réel18.

8 Aucun synode national, tel qu’on en vit en 1572 à Nîmes ou en 1620 à Alès19, n’est alors prévu et chaque consistoire agit de manière autonome et isolée. On comprend ainsi qu’aucune consigne n’ait pu être donnée pour la construction des temples. Si l’architecte du département est le plus souvent sollicité, on rencontre également quelques exceptions20.

La dynastie des Durand dans le Gard : Charles-Étienne et ses fils, Léon et Henry21

9 C’est dans ce contexte que Charles-Étienne Durand se voit chargé de la construction de plusieurs temples dans les alentours de Nîmes. Né à Montpellier en 1762 et mort à Nîmes en 1840, Durand fait carrière entre ces deux villes. Entré à l’École de la Société des Beaux‑Arts de Montpellier en 1780, il y est l’élève de Jean‑Antoine Giral et de Jacques Donnat ; il obtient l’année suivante un 1er prix d’architecture et il est nommé la même année architecte de la maîtrise des Eaux et Forêts de Montpellier. En 1782, il est dessinateur chez Isaac-Étienne Grangent, directeur des Travaux Publics de la Province du Languedoc et en 1784, nommé sous-inspecteur des Travaux Publics de la province sur le canal de Beaucaire à Aigues-Mortes, puis inspecteur en 1785. L’année suivante, Durand est professeur d’architecture à l’École de la Société des Beaux‑Arts de Montpellier, réunie en 1787 à l’École des Ponts et Chaussées créée par les États de Languedoc, où il reste jusqu’en 1792. Il est alors nommé ingénieur ordinaire dans le Gard, à Saint-Hippolyte, puis à Nîmes en mai 1800, sous les ordres de l’ingénieur en chef Stanislas‑Victor Grangent. Charles Durand semble alors faire office d’architecte départemental, avant que Joseph‑Simon Durant ne soit nommé à ce poste en 1820, Durand étant mis à la retraite contre sa volonté. Durand fait alors partie, avec

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Grangent, de la « Commission des monuments antiques du département du Gard » créée en 1819, qui fait paraître cette même année avec S. Durant, le premier volume de la publication sur les monuments antiques de la France consacré aux édifices du Midi22.

10 En tant qu’ingénieur du département, Durand a projeté ou supervisé la construction de nouvelles routes, ponts, digues, canaux ou ports. Il a conçu de nombreuses fontaines et lavoirs avec adduction d’eau, aménagé des places et des cimetières, construit des mairies, une église et des temples. Durand s’est surtout consacré à la ville de Nîmes dont il fut directeur des travaux publics et dont la présence des monuments antiques l’a stimulé. Il a ainsi œuvré au dégagement des arènes, à la restauration de la Maison Carrée et aspirait à rendre à cette ville son aspect antique23. Ses œuvres conservées les plus marquantes sont la façade de l’hôpital général (devenu lycée en 1881)24, l’hôtel‑Dieu (agrandissement de l’hôpital Ruffi)25 et plusieurs maisons ; la colonnade de l’ancienne Comédie26 et son Palais de Justice ont été démolis. Enfin, l’élévation de la rue Auguste illustre son intérêt pour la composition d’un nouveau paysage urbain à même de mettre en valeur les monuments antiques.

11 Plusieurs écrits de Charles-Étienne Durand ont été conservés et témoignent de la pensée de l’ingénieur27 : son « Cours d’architecture pour l’École des ponts et chaussées de Montpellier »28 de 1791, en deux volumes, et illustré de projets d’architecture à l’antique ; ainsi que plusieurs mémoires prononcés à l’Académie du Gard29. Charles- Étienne Durand est enterré au cimetière catholique Saint Baudile à Nîmes.

12 Son fils Léon, né en 1797 à Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard), n’apparaît pas dans les annuaires du Gard comme architecte mais intervient sur de nombreux chantiers de son père à Nîmes et dans le Gard. Il est notamment l’auteur des projets du temple de Mus30 et de la tour de Comps31.

13 Le dernier fils de Charles Durand, Henry, né en 1805 à Nîmes et mort en 1884, a fait ses études à Paris. Il devient conducteur des Ponts et Chaussées dans le Gard en 1826. De 1841 jusqu’en 1851, il est inspecteur des travaux conduits par Charles‑Auguste Questel pour la Commission des Monuments historiques dans le Gard. Il est nommé inspecteur des édifices diocésains en 1849 et il assure plusieurs fois l’intérim de l’ingénieur ordinaire de l’arrondissement d’Uzès. Il fera valoir ses droits à la retraite en 1868.

14 Enfin, Charles-Étienne Durand mérite d’être distingué de Simon Durant, formé à ses côtés sous l’Empire et plus tard architecte départemental, comme d’ailleurs de son plus célèbre homonyme, Jean‑Nicolas‑Louis Durand, professeur à l’École Polytechnique à cette époque.

Le contexte urbain : l’emplacement des temples de Durand

15 Les premières demandes de construction émanent des bourgs qui avaient dû détruire leur temple en 1685 : leur demande fait allusion au bâtiment détruit et l’emploi du terme de « reconstruction » montre le souhait de continuité de l’église réformée. Cette tendance a été analysée par Véronique Ripoll après l’inventaire systématique de l’arrondissement du Vigan32. De même, le souhait de l’implanter sur le même site quand cela est possible confirme cet attachement.

16 Ainsi à Calvisson, lors de la délibération municipale du 2 décembre 1816, Monsieur le Maire a fait lecture de la pétition du consistoire et principaux habitants de la commune et église

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consistoriale (…) considérant que l’emplacement de l’ancien temple est libre et les fondements qui y existent sont de toute solidité … le conseil a unanimement délibéré qu’il sera construit un temple dans l’enceinte de Calvisson et sur l’emplacement ou il en avait existé un33. Cette situation dans une rue en forte pente oblige à construire de fortes substructions pour compenser la déclivité et met peu l’édifice en valeur mais elle a été adoptée (fig.2).

17 À Bernis, en l’an 12 et 13, la polémique sur l’emplacement du futur temple (souhaité par les protestants sur la place du temple, en souvenir de leur ancien bâtiment) divise protestants et catholiques et une pétition est envoyée en préfecture. Le maire demande alors au préfet un rapport à l’ingénieur que vous commettrez, en notant : quoique les protestants attachent quelque importance à relever leur maison de prière sur les débris de celle de leurs ancêtres, ils sacrifieraient facilement ce désir au vœu de ceux qui s’y opposent et aux moindres convenances qui parraitraient (sic) le demander.

18 C’est l’ingénieur en chef du département Grangent qui est mandaté pour ce dossier : il s’est transporté sur lieux [et a reconnu] que les vestiges d’anciens murs désignés par les protestants pour être les amorces de l’ancien temple ne paraissent appartenir d’aucune manière à un édifice de ce genre (…) Il observe qu’on ne doit pas non plus permettre l’érection d’une croix que les catholiques ont projetté (sic) d’élever sur cette place (…) par le même motif qu’elle produirait la même gêne que la construction du temple34.

19 La construction est finalement autorisée en 1809 près des anciennes murailles transformées en promenade. Sans être située au centre, elle est dans le bourg, emplacement assez rare pour être soulignée.

Fig. 2

Calvisson (Gard), temple protestant ; vue générale © T. Guuinic

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20 À Vauvert, la commune est autorisée à concéder aux protestants une partie du bâtiment dit des casernes pour y construire un temple dès 1795 et en 1810, le ministre de l’intérieur autorise la commune à faire construire un temple pour l’exercice du culte réformé35. Le bâtiment est donc situé à la limite du bourg, dans un îlot qui est dégagé sur le cadastre de 1853, et l’architecte a choisi de l’orienter vers la rue la plus importante (celle des capitaines) mais sans pouvoir cependant axer le portique en face de la rue de Broussan. À la fin du XIXe siècle, les halles ont été accolées à l’arrière du temple et les constructions encadrant le portique ont densifié cet îlot qui se retrouve en plein bourg.

21 À Beauvoisin, il ne semble pas y avoir eu de conflit pour l’emplacement qui est hors de l’agglomération, à l’intersection de deux chemins avec une rue à l’arrière qui l’isole complètement. De plus, il offre à l’architecte une place privilégiée, comme à la proue d’un navire, visible sur le premier cadastre (fig.3). Le fait que cette situation nécessite un soubassement important n’est pas pour déplaire à Charles Durand qui a beaucoup utilisé les perrons pour mettre en valeur ses constructions, comme pour le palais de justice de Nîmes qu’il construit en 1810.

Fig. 3

Beauvoisin (Gard) ; Cadastre 1832 J. Clier © AD Gard. 3 PFI 31

D’une doctrine esthétique à l’élaboration d’un type architectural

22 Les temples réalisés par Charles Durand méritent d’être resitués dans une suite de projets, qui montre que les réflexions de l’ingénieur relatives aux bâtiments d’assemblée naissent dans les dernières années de l’Ancien Régime. C’est à cette même

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époque qu’il formule les éléments d’une doctrine esthétique dans son « Cours d’architecture pour l’École des ponts et chaussées de Montpellier »36. D’après l’ingénieur, les premières règles de l’architecture sont l’unité, la simplicité et la plénitude, qu’il résume ainsi : Un édifice a de l’unité lorsque toutes ces parties se correspondent, et qu’elles ne paraissent pas avoir été ajoutées après coup. La simplicité consiste en une distribution sobre et prudente des ornements de sorte qu’on n’y aperçoive rien de confus et de compliqué. C’est une certaine simplicité riche et sans épargne, où tout est tranquile, où tout est à sa place, où tout se rapele et se correspond que l’on apele plénitude37. Durand consacre un petit chapitre aux temples et y précise la règle d’unité à observer : on doit faire en sorte qu’ils soient dans leur intérieur comme à leur extérieur, d’une symétrie exacte et parfaite et que toutes les parties qui le composent concourent à former des belles masses et un ensemble agréable38. Il en détaille ensuite la distribution, le porche, la nef et le sanctuaire puis le mobilier.

23 La doctrine esthétique de Durand, qui prône la sobriété à travers les idées de « plénitude » et de « tranquillité », n’est pas étrangère à la spiritualité protestante, dont elle partage l’idée, centrale, de Stille. Comme le rappelle Edouard Pommier, cette notion, chère à Winckelmann, est à rattacher à une certaine tradition luthérienne qui, plongeant ses racines dans la mystique allemande de la fin du Moyen Âge (...) s’épanouit dans la littérature du piétisme, florissant aux XVIIe et XVIIIe siècles39. Les écrits de Winckelmann, qui connaissent une grande diffusion en France dans la seconde partie du XVIIIe siècle40, ont ainsi pu inspirer41 à Charles‑Étienne Durand une doctrine esthétique particulièrement adaptée à l’architecture des temples protestants, bien qu’il s’agisse ici de temples calvinistes.

L’invention d’un type architectural

24 Avant d’évoquer les projets successifs des temples réalisés, l’examen de projets antérieurs aux articles organiques permettent de recomposer la généalogie de ses projets de temples. Il s’agit, d’une part, du projet d’église paroissiale, dessiné entre 1787 et 1791 ; d’autre part d’un projet pour un temple décadaire, envoyé en l’an II en réponse aux Concours de la Convention.

25 Le temple de forme ronde dans le genre antique propre à servir d’église paroissiale qui illustre son cours semble inspiré du Panthéon romain. Son plan, entièrement circulaire présente un grand perron avec une colonnade à six colonnes ; un vestibule avec deux colonnes in antis et une colonnade circulaire à l’intérieur pour délimiter la nef avec des chapelles, alternativement semi-circulaires ou rectangulaires, introduites par des colonnes in antis et séparées par des « entrées particulières », le tout d’une symétrie parfaite42 (fig.4, 4bis).

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Fig. 4

« Cours d’architecture pour l’École des ponts et chaussées de Montpellier par le sieur Durand, professeur d’architecture de ladite école, première année », planche 63, « temple de forme ronde dans le genre antique propre à servir d’église paroissiale » T. Guuinic © Académie de Nîmes

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Fig. 4bis

« Cours d’architecture pour l’École des ponts et chaussées de Montpellier par le sieur Durand, professeur d’architecture de ladite école, première année », planche 64, « élévation du temple » T. Guuinic © Académie de Nîmes

26 Sous la Révolution, Durand conçoit un projet similaire en réponse aux concours de l’an II organisés par le Comité de Salut Public. Durand vient alors d’être nommé ingénieur du département du Gard à Saint Hippolyte, d’où il envoie quatre projets, dont l’intérêt a été plusieurs fois souligné43. Le projet représente un temple décadaire44, conçu pour une petite ville45. La composition de l’édifice, analogue à celle du panthéon romain, frappe par la pureté du plan et la nudité du volume (fig.5).

Fig. 5

« Plan, coupes et élévations d’un monument décadaire projeté pour une petite ville de 5 à 6000 âmes », ENSBA, 18265 T. Guuinic © ENSBA

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27 Parmi les projets de temples protestants que Charles Durand conçoit à partir de 1807, plusieurs semblent parents de ces deux projets, comme en témoigne l’exemple du temple de Vauvert. Projeté en 1810 et réceptionné en 1817, le temple de Vauvert (fig.6) est une construction en hémicycle avec un grand perron, une colonnade à quatre colonnes, un vestibule orné de deux colonnes in antis. À l’intérieur, une colonnade ionique épouse, par son tracé, le mur de fond enveloppant l’hémicycle. La conception originale de l’édifice a conduit la commission régionale du patrimoine historique, architectural et ethnologique réunie le 24 novembre 2011 à souhaiter son classement au titre des monuments historiques46.

28 En 1816, Durand propose une variante de ce plan pour un temple projeté sur la place de la Boucarie à Nîmes, en face de la rue à ouvrir dans l’axe de la Maison carrée : depuis l’extrémité opposée, le péristyle à six colonnes devait répondre à l’édifice antique. Ce projet présente l’originalité de proposer une extension possible du temple sous la forme d’une surépaisseur annulaire, recoupée en plusieurs salles, pouvant être construites à l’avenir (fig.7).

Fig. 6

Vauvert (Gard), temple protestant ; plan des travaux à faire 22 juin 1822 J. Clier © AD Gard. 42 J 70

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Fig. 7

Nîmes (Gard), temple projeté sur la place de la Boucarie ; plan signé Durand et Grangent. 10 février 1816 J. Clier © AD Gard. 42 J 70

29 Pour le temple de Beauvoisin (commune très proche de Vauvert et dépendant du consistoire de Vauvert), Durand présente en 1819 deux projets devant le conseil des bâtiments civils : L’un est de forme entièrement circulaire et l’autre présente un hémicycle appuyé sur une partie carrée derrière laquelle est une petite pièce de forme hémicycle (sic) aussi destinée au pasteur47. La réalisation est semblable à celle de Vauvert bien que plus modeste : pas de colonnade à l’intérieur et le perron est orné d’un plus simple portique. Cependant, la tribune intérieure prévue et construite plus tard illustre, avec ses fines colonnes en fonte, le principe de la colonnade en pierre de Vauvert (fig.8).

30 La même année, à Aigues-Vives, Durand reprend l’ancienne église (de plan rectangulaire avec abside) et ajoute deux colonnes doriques surmontées d’un entablement pour encadrer la porte, en perçant au‑dessus une grande fenêtre thermale (fig.9).

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Fig. 8

Beauvoisin (Gard), temple protestant ; vue générale V. Ripoll © DRAC Occitanie / CRMH

Fig. 9

Aigues-Vives (Gard), temple protestant ; vue générale extérieure J. Clier © DRAC Occitanie / CRMH

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31 De même, à Saint-Laurent-d’Aigouze, Durand achève en 1818 une construction déjà commencée sur un plan rectangulaire avec une abside semi-circulaire : il ajoute des contreforts pour suppléer à la faible épaisseur des murs et surtout un porche avec deux colonnes doriques in antis surmontées d’un fronton, et deux escaliers pour accéder à la tribune et à la toiture (fig.10).

Fig. 10

Saint-Laurent-d’Aigouze (Gard), temple protestant ; vue générale J. Clier © DRAC Occitanie / CRMH

32 Une configuration analogue est reprise pour le temple de Calvisson (fig.11) dont le plan rectangulaire est hérité de la construction antérieure. C’était sur l’emplacement d’un autre temple anciennement démoli mais dont les fondements subsistent encore en grande partie48 écrit Guy de Gisors dans son rapport du 18 septembre 1817.

33 Le temple de Bernis, commencé en 1811, est une salle carrée avec un porche précédé de deux colonnes in antis et en face une abside semi‑circulaire, ce qui rend le plan rectangulaire. Les quatre piliers d’angle nécessaires à sa confortation contribuent à la symétrie de l’ensemble, au même titre que les trois perrons et trois portes qui suggèrent un symbole trinitaire, comme le propose Yves Krumenacker49 (fig.12).

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Fig. 11

Calvisson (Gard), temple protestant ; plan, élévations et coupes, 1817. F21/1883/1047 © AN

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Fig. 12

Bernis (Gard), temple protestant ; plan proposé en 1821 avec le projet des contreforts pour sa consolidation J. Clier © AD Gard. V406

34 La morphologie des temples construits par Charles-Étienne Durand est donc variée, les plans en hémicycle y côtoyant les plans à nef et des plans centrés. Si l’on reconnaît que plusieurs de ces temples doivent leur configuration à un contexte particulier – comme la présence d’un temple antérieur – force est de constater l’originalité des typologies élaborées par Durand. L’ingénieur semble adapter sa réponse à la variété des contextes et des besoins particuliers. Néanmoins, ses temples ont en commun d’offrir un espace unitaire favorisant, semble-t-il, la vue du célébrant et une bonne acoustique. C’est à ce titre que les temples de Durand s’inscrivent dans la continuité de l’architecture des temples du XVIIe siècle50, tout en aboutissant au type nouveau du temple en hémicycle.

Les difficiles rapports de Charles-Étienne Durand avec le Conseil des bâtiments civils

35 Le conseil des bâtiments civils51 exerce dans ces années un contrôle architectural sévère, comme on peut le constater à la lecture des procès-verbaux conservés aux Archives nationales. En effet, il analyse l’ensemble de la construction – plan, coupes, élévations, devis – et ses jugements sont sans appel. Durand témoigne de ces échanges parfois conflictuels dans son devis pour réparer le défaut de la toiture du temple de Vauvert : pour pouvoir établir (...) la charpente de la portion circulaire (...) le conseil des bâtiments civils a proposé et son Excellence a ordonné de substituer à la ferme principale proposée sur ce point une maçonnerie composée de 3 portiques soutenues par 6 colonnes52.

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36 De même, pour Beauvoisin, l’architecte Guy de Gisors, inspecteur général des bâtiments civils et membre du conseil, met explicitement en cause l’ingénieur dans son rapport : Ce devis n’est pas précédé de la description des ouvrages. On a vu par la lecture du mémoire de Mr l’Ingénieur qu’il s’en proposé de ne donner cette partie essentielle du devis que lorsque l’un des projets aura été définitivement adopté. En diverses circonstances, M. Durand a fait cette réserve au sujet de laquelle j’ai toujours objecté que pour bien juger de l’exactitude de l’estimatif des ouvrages, il était toujours nécessaire d’en avoir une description qui explique en quoi ils doivent consister. Mais il parait que M. Durand n’est pas persuadé de cette nécessité. Cependant il serait bon, quoiqu’il puisse en penser, qu’il soit invité derechef à produire dorénavant avec les estimatifs la description des ouvrages qu’ils comprennent. Le rapport de forces est clair et la rivalité entre architecte et ingénieur à peine voilée.

37 Concernant le plan, il poursuit : Il ne peut exister aucun motif plausible de faire en demi-cercle la pièce destinée au pasteur, plutôt que de lui donner une forme quarrée (…) [puis] Puisqu’a en juger par son mémoire, Mr Durand a eu l’intention de faire un porche dans le genre antique, il aurait du mettre les échiffres ou antes du perron de ce porche dans la direction des pilastres d’angle ainsi que les anciens l’ont toujours observé avec raison53. La critique est rude et le conseil de bâtiments civils ne l’a jamais épargné.

38 Cela n’a pas empêché Durand d’écrire au Ministre de l’Intérieur au sujet de la responsabilité et les honoraires de l’architecte, en louant l’expertise du Conseil : (…) lorsqu’un projet a subi tous les examens exigés par les règlements existants ou les usages, qu’il a reçu la sanction de l’autorité supérieure et les suffrages des maîtres de l’art formant le conseil des bâtiments civils, ce projet peut-il être attaqué comme vicieux ; et l’architecte en reste-t-il responsable comme si c’était sa simple production et qu’il n’est (sic) pas été soumis à cette épreuve ?54 Mais si l’ingénieur invoque ici la responsabilité du Conseil, c’est, semble-t-il, pour se défendre des nombreux vices constatés sur ses chantiers qui traînent en longueur ou donnent lieu à des procès.

La dure réalité des chantiers et des financements

39 Malgré les subventions accordées par le gouvernement, les impositions extraordinaires et les souscriptions des protestants, la construction des temples se fait avec la plus grande économie de moyens et connaît souvent de nombreux déboires. Rappelons que le temple d’ s’est écroulé en cours de chantier et que les travaux ont duré plus de dix ans. Ainsi, dans son rapport au conseil des bâtiments civils au sujet du temple de Calvisson, M. Garrez note : notre collègue [Guy de Gisors] observa que nonobstant le bas prix annoncé par cet architecte dans les matériaux et la main d’œuvre à Calvisson, il doutait qu’on put exécuter pour 40 000 f. (…) cet édifice destiné à recevoir jusqu’à 2000 individus55.

40 À Bernis, le chantier fut long et difficile ; la situation est résumée dans le rapport que l’architecte du département Simon Durant fait le 20 octobre 1824 : Cet édifice commencé en 1811 fut édifié sur un fonds peu solide (…) à peine élevé, le temple inspira des craintes. Des lézardes se manifestèrent et furent attribuées, soit à la poussée de la voûte, soit au vice du sol, soit enfin à une mauvaise construction. De-là, un procès survint entre les commissaires de la commune et l’adjudicataire et l’architecte. Ceux-ci furent condamnés, par arrêt de la cour, à consolider le temple à leurs frais (…) Dans l’état actuel des choses (…) il ne serait pas prudent de laisser exister la toiture telle qu’elle a été construite. Elle repose directement sur la voûte et en augmente le poids. En conséquence, il faut mettre au 1er rang des travaux à faire une nouvelle toiture qui serait supportée par deux fermes (…) Cette couverture serait à 2 pentes et reposerait

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sur les murs latéraux (…) s’il est indispensable de refaire la couverture peut-être conviendrait-il de renoncer à la voûte et d’y substituer un plafond56. De nos jours, la restauration de ce bâtiment pose encore beaucoup de problèmes.

41 Le chantier de Vauvert connaît aussi de nombreux revers : en 1819 (8 ans après le début de la construction) le fils de Charles Durand, Léon, propose de reprendre la toiture ; il s’agit de surhausser les murs de l’enceinte intérieure du temple de quatre mètres cinquante au-dessus de ceux existants afin de pouvoir établir les tirants des fermes principales57 mais il faudra encore deux examens par le conseil des bâtiments civils et en 1823, Tardieu concède dans son rapport que le système de charpente proposé par Mr l’Architecte tans pour couvrir la voûte demi circulaire du temple que pour en rattacher l’enrayure à la ferme du pignon qui couvre la partie quarrée était à la rigueur susceptible d’exécution quoique n’étant pas exempt de céder sous le faix de la charge du comble58. Le problème des ouvertures est aussi délicat à résoudre ; dans son devis du 1er juin 1823, Durand propose de supprimer le jour du vitrail du sommet de la voûte où il pleut presque toujours pour le remplacer par des vitraux perpendiculaires à faire au contour de la partie circulaire au-dessus des tribunes ainsi que cela a eu lieu au temple de Beauvoisin59. Cette solution ne sera pas retenue et les travaux de charpente reprennent mais l’étanchéité du jour zénithal posera toujours problème ; finalement le temple est réceptionné en 1826, ce qui n’empêche pas les réclamations et les rapports de se poursuivre jusqu’en 1829.

L’épineux problème des clochers

42 Avoir une cloche appelant au culte et pouvoir concurrencer ainsi le culte catholique semble une nécessité pour ces communautés protestantes. Quand un clocher n’est pas prévu dans la construction initiale, c’est semble‑t‑il surtout faute de moyens mais la demande intervient systématiquement quand les finances le permettent. Ainsi, le temple de Quissac se voit doté d’un clocher lors de travaux ultérieurs : un devis de Meynadier signale en 1840 que pour exercer convenablement le culte protestant, il était indispensable d’y introduire une sacristie (...) une tribune publique sur la grande porte d’entrée (…) de même qu’un campanile sur l’épaisseur du pignon de la façade principale60. Cependant, un tel ajout n’est pas sans conséquence sur des bâtiments construits à l’économie et ne manque pas de troubler l’esthétique de temples circulaires ou semi-circulaires, en rompant l’harmonie recherchée.

43 À Vauvert, en 1817, alors que la construction n’est pas terminée et que les problèmes de la voûte ne sont pas résolus, le consistoire demande d’élever un clocher aux frais des fidèles sur les plans de l’entrepreneur Nolhac. Durand réagit vivement dans un courrier au préfet pour s’opposer au projet de clocher sur le mur circulaire à plomb de la porte principale [il déplore cette] campanille tel qu’ils la proposent avec des pilastres et des enroulements du plus mauvais gout [et propose que] cette campanille peut et doit de préférence être placée sur l’un des murs de derrière du temple61. Il note aussi que la chaire à prêcher, la table de communion et la grille réalisées sont du plus mauvais goût. Le clocher sera construit comme il le préconise mais la grille reste en place. Son souhait formulé dans ce même courrier reste lettre morte : il serait bon d’instruire le consistoire de Vauvert qu’aucune corporation quelconque n’a le droit de construire dans un monument approuvé par Son Excellence, aucun accessoire sans l’autorisation de l’autorité supérieure.

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44 Pourtant, les grilles entre les colonnes du porche s’avèrent indispensables, comme le note la délibération municipale de Beauvoisin le 25 décembre 1835 car le péristyle sert de fosse d’aisance62… Dans cette même délibération sur les réparations à faire au temple, le conseil municipal considère qu’il est très urgent qu’il y soit placé une cloche pour annoncer le jour auquel le culte se célèbre, tant pour le service ordinaire que pour les services extraordinaires vu que la commune n’a pas elle seule un pasteur. L’adjudication des travaux, en 1837, mentionne : faire un clocher de 6m15 de hauteur (…) sur l’escalier qui donne sur le nord, reconstruire le plafond du péristyle, réparer le grand plafond du temple, faire un mur autour de la terrasse au devant et à coté du temple avec 3 escaliers, un au nord, l’autre au midi et le 3e au couchant (…)63. Cette réalisation sur l’arrière contraste par sa lourdeur avec le bâtiment mais lui donne une certaine visibilité.

45 À Bernis, en 1847, soit vingt ans à peine après les soucis de la construction, les protestants demandent à être autorisés à élever un clocher sur le temple à l’effet d’y placer une cloche64, ce que le conseil municipal accepte à l’unanimité. Finalement, c’est une simple cloche qui couronne la façade et elle s’intègre mal au dessin à l’antique.

Le cas du temple de Quissac ou la résurgence de l’architecture de Charles-Étienne Durand

46 Fièrement dressées au-dessus du Vidourle, de hautes colonnes affirment la présence du temple de Quissac, au centre du tableau composé par le fleuve, ses rives et le pont attenant. La monumentalité du portique répond à la majesté du site qui s’offre à la vue depuis le pont. On doit à Fauquier65, que les archives conservées désignent comme l’auteur du projet, d’avoir ainsi implanté le temple, dos à la ville et face au fleuve, lui prêtant l’échelle du paysage.

47 Composé de six colonnes doriques cannelées, ce portique s’élève sur un haut soubassement et un perron d’une dizaine de marches. Nul doute que le concepteur du projet a vu le palais de justice de Nîmes, construit par Charles Durand en 1810 : même surélévation, mêmes colonnes doriques sans base, surmontées d’un semblable fronton (fig.13).

48 Une attention prolongée décèle d’autres similitudes entre les deux édifices, jusque dans les détails des colonnes et de la corniche, dont ils partagent les mêmes singularités. L’ordre dorique mutulaire traditionnel y fait en effet l’objet de plusieurs adaptations66 : de puissantes mutules à gouttes rythment la corniche, qui s’achève par un large cavet, et non par la doucine prescrite par la tradition de la théorie des ordres67. Ces mutules rythment également les rampants du fronton, singularités partagées avec les temples que Ch.‑E. Durand élève à Saint-Laurent d’Aigouze, Calvisson et Beauvoisin. Dans les colonnes sont aussi associés des détails propres à tous les ordres : ces colonnes sont privées de base et évasées comme dans l’ordre dorique archaïque grec, elles emploient le chapiteau dorique romain, tout en empruntant leurs cannelures aux ordres ionique ou corinthien, dont des arêtes sont à méplats. Le soffite du portique, compartimenté et orné de rosaces, semble lui-même conforme à celui du Palais de justice de Nîmes disparu. L’architecture singulière que Durand adopte dans son Palais de Justice se retrouve en tous points à Quissac.

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Fig. 13

Nîmes (Gard), palais de justice ; édifice détruit, dessin aquarellé © Musée du vieux Nîmes (Inv.23.224.2). © Ville de Nîmes

49 De telles similitudes suggèrent une hypothèse : le portique que nous voyons s’élever à Quissac pourrait être celui-là même du palais de justice de Charles‑Étienne Durand, remployé suite à la démolition du bâtiment et remonté à Quissac. L’unique différence entre les deux portiques est l’absence, à Quissac, des sculptures et bas-reliefs qui ornaient les métopes et le fronton du palais de justice : ces bas-reliefs, qui représentent des allégories de la justice protectrice des arts du commerce et de l’agriculture, furent aussitôt remployés dans l’actuel Palais de Justice, dû à l’architecte départemental Gaston Bourdon68.

50 Plusieurs facteurs rendent l’hypothèse d’un réemploi vraisemblable, au premier rang desquels figure l’épargne, de rigueur dans la construction des temples protestants. En effet, peut‑on envisager que le temple de Quissac ait bénéficié d’un ouvrage équivalent à la façade principale d’un équipement public tel que le Palais de Justice de Nîmes ? Le Conseil des bâtiments civils, qui ne semble pas avoir été averti des travaux du temple, n’en aurait pas approuvé la dépense ni l’entorse faite à la convenance par une architecture recherchée destinée à un simple temple. L’hypothèse d’un remploi est d’autre part confortée par le recouvrement chronologique des deux chantiers entre 1830 et 1842, dont il faut rappeler les déroulements respectifs69.

51 Quand le 5 novembre 1832, la destruction de la façade principale du palais de justice est évoquée pour la première fois70 pour assurer la symétrie de l’édifice agrandi, les travaux de fondation du temple ont commencé depuis environ deux ans71, précédant d’un an l’adjudication officielle des travaux sur « les plans, devis et cahier des charges dressés par M. Fauquier ». La démolition de la façade du palais est plébiscitée par la Cour Royale le 5 janvier 1833. Le Ministre rejette le contre-projet72 de Charles Durand en 1835 et approuve la démolition de la façade la même année73. Suite à l’adoption des devis définitifs en 1837, le chantier débute en mai 1838 et la première pierre du nouveau palais est posée le 23 septembre 1838. Si les travaux s’étendent jusqu’en 1846,

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il semble que le portique du palais de justice de Durand soit abattu entre 1838 et 1840, date à laquelle sont entrepris les travaux du côté de l’esplanade74.

52 C’est à cette époque, en 1840, que le temple de Quissac subit une nouvelle phase de travaux, pour construire une sacristie, une tribune et un clocher75, travaux menés en 1842 et 1843. Les colonnes exécutées à cette époque pour soutenir la tribune, qui évoquent aussi l’architecture de Charles Durand76, sont chiffrées sur le devis de l’architecte Meynadier, qui ne fait aucune mention du portique extérieur. Les chronologies des deux chantiers permettent néanmoins d’envisager que le portique ait été remonté lors de cette seconde campagne de travaux.

Fig. 14

Quissac (Gard), temple protestant ; colonnade extérieure J. Clier © DRAC Occitanie / CRMH

53 Les archives relatives à la construction des deux édifices ne gardent pas trace77 d’un remploi du portique d’un chantier à l’autre. On ne peut donc compenser le silence des archives qu’en confrontant notre hypothèse à la matérialité de l’édifice et constater que les dimensions du portique de Quissac concordent avec celles du palais de Justice de Charles Durand78. Une telle hypothèse mettrait à jour un nouveau lien entre Charles Durand et le patrimoine protestant du Gard. Ce lien, inédit, reposerait sur un transfert symbolique entre un édifice civil et l’autre religieux, auquel l’architecture sévère de Durand confère une majesté inhabituelle mais dont l’austérité reste conforme aux valeurs du culte réformé. Par sa situation exceptionnelle en bordure du Vidourle, sa visibilité depuis le pont et son intime parenté avec l’architecture monumentale de Charles-Étienne Durand, ce temple a été inscrit au titre des monuments historiques le 30 janvier 2012 (fig.14).

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Les ornements antiques d’une architecture néoclassique

54 La licence avec laquelle Durand se joue des règles séculaires de la théorie des ordres ne sort pas de ce cadre strict : l’ingénieur prône avant tout la retenue en matière de décoration. Ainsi formule‑t-il dans son cours une réflexion intéressante à ce sujet : On doit disposer les ornements dans les édifices de manière qu’ils l’acompagnent et ne le changent pas et n’en faire usage qu’avec prudence et ménagement. Car, un édifice élevé a quelque chose de merveilleux et est déjà lui même une décoration. Il faut autant qu’il est possible que ce que l’on dispose pour la bauté contribue à la solidité, et que ce qui est agréable fasse partie de ce qui est utile79.

Fig. 15

Calvisson (Gard), temple protestant ; intérieur © T. Guuinic

55 Dans la tradition de l’architecture du XVIIIe siècle, Durand soumet l’usage de la décoration à la règle de convenance. On voit l’application de ces conceptions dans les temples qu’il a construits, dont la sobriété tend à s’accorder avec l’austérité prônée par cette religion. La seule décoration employée apparaît dans les chapiteaux des colonnes ; encore choisit-il presque systématiquement l’ordre dorique, le plus sévère, pour le porche et les colonnes intérieures supportant les tribunes, comme on le voit à Bernis ou à Calvisson. (fig.15). La seule exception concerne Vauvert où il choisit l’ordre ionique pour la colonnade intérieure et celle du perron (fig.16).

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Fig. 16

Vauvert (Gard), temple protestant ; colonnade intérieure J. Clier © DRAC Occitanie / CRMH

56 Pour le projet de Nîmes où il reprend cet ordre, l’ingénieur justifie son choix dans un rapport : le temple … est destiné à faire le pendant de la maison carrée aux deux extrémités d’une belle rue dont l’ouverture délibérée par le conseil général de la commune a été approuvée par le Conseil des Bâtiments Civils, ce temple dis-je ne peut absolument se passer d’une décoration qui annonce sa destination et qui puisse cadrer avec le beau péristyle de la maison carrée en face duquel il se retrouvera placé. Aussi avons-nous projeté pour ce seul monument un péristyle égal pour le nombre des colonnes et ses dimensions à celui de la maison carrée. Nous nous sommes gardés d’employer à l’ornement de ce péristyle l’ordre corinthien qui décore celui de la maison carrée ; nous n’eussions pas eu la témérité de vouloir rivaliser ici avec ce chef d’œuvre de l’architecture antique mais nous avons choisi l’ordre ionique embelli qui par ses proportions et ses formes se rapproche le plus de celui en face duquel il doit figurer. Cinq marches seulement arrivent sur ce péristyle ; la hauteur du terrain sur lequel ce temple doit être établi rendra ce nombre suffisant pour lui donner la grâce et les proportions convenables80…

57 La modération vaut également pour le mobilier liturgique : La disposition des chaires à precher est absurde et de mauvaise grace & pèche à cause de son porte à faux contre toutes les règles de la bonne architecture. Il faut faire des chaires portatives, qui ne paroissent point faire partie de la décoration, peu chargées d’ornements et qu’on puisse les enlever après l’instruction… Les stales et les bancs d’oeuvre sont des sièges ou plutôt des vrais trones que les pretres et les principaux citoyens font pratiquer dans les temples pour si placer avec distinction. C’est ainsi que la vanité élève dans le centre même de la religion des choses contraires à tout principe religieux. Des bancs comodes peu élevés sans aucun dossier ou du moins peu considérable suffiront aux uns et aux autres et empecheront la discordance choquante que cela cause dans la décoration des temples81… Si en 1791, il ne peut être question ici que d’églises catholiques, il convient de souligner le goût de l’ingénieur pour une sobriété en accord avec la sensibilité de la religion réformée et, plus largement, le message évangélique. La référence aux chaires

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portatives fait également écho aux chaires utilisée au XVIIIe siècle par les protestants pour prêcher « au désert », de même que sa conception de bancs « égalitaires ».

Fig. 17

Vauvert (Gard), temple protestant ; coupe datée du 22 juin 1822 J. Clier © AD Gard. V487

58 On ne peut étudier le répertoire ornemental de Charles-Étienne Durand, sans évoquer deux motifs particulièrement chers à l’architecte. La présence de couronnes civiques et d’ordres doriques sans base sont presque systématiques dans ses projets (fig.17), y compris dans ses temples, à l’exemple du temple de Beauvoisin, respectivement employés comme ornement sur sa chaire (fig.18) et dans son portique extérieur. Les couronnes civiques sont un ornement emprunté à l’Antiquité romaine82 : elles étaient la récompense des guerriers qui, au péril de leur vie avaient sauvé la vie d’un citoyen romain. Ces couronnes, par extension, furent employées dans l’Antiquité comme des symboles de victoire et de gloire militaire. Emblème de la vertu très prisé des architectes sous la Révolution et l’Empire, sa connotation militaire rend sa présence inattendue dans la décoration d’un temple. Dans le même temps, il peut entrer en résonance avec le culte et la sensibilité protestante : s’agit‑il de célébrer une liberté de culte récemment acquise, ou de symboliser le sacrifice du Christ pour le salut de l’humanité ? L’antique signification des couronnes civiques n’illustre-t-il pas un des passages clés de l’Évangile selon Saint Jean : Personne n’a un plus grand amour que celui-ci, quand quelqu’un expose sa vie pour ses amis83.

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Fig. 18

Beauvoisin (Gard), temple protestant ; détail de la chaire J. Clier © DRAC Occitanie / CRMH

59 Un autre ornement cher à l’ingénieur est l’ordre dorique sans base, qu’il emploie dans la plupart de ses temples protestants dans une forme stylisée en vogue à cette époque chez d’autres architectes tels qu’Alexandre‑Théodore Brongniart ou Jacques-Denis Antoine. Ces deux architectes, célèbres, en font un usage démonstratif à Paris au cours des années 1780. Comme Baldine Saint Girons l’a souligné, l’emploi du dorique sans base à cette époque s’applique en particulier à des édifices destinés aux pauvres : le noviciat des Capucins84 et l’hôpital de la Charité des frères Saint Jean de Dieu 85. Le recours, alors nouveau en France, à un ordre inspiré des temples grecs archaïques, ne manqua pas de choquer l’opinion de l’époque. Un article du Journal de Paris tournait ainsi en dérision l’inélégance de ces ordres et l’anticomanie des architectes. Dans le même temps, le journaliste y reconnaît le respect de la règle de convenance : En effet, pouvait-on mieux placer ces colonnes sans base qu’à une maison religieuse où l’on fait vœu de pauvreté ? N’est-il pas évident que c’est-là qu’il est à propos d’employer tout ce qu’on peut imaginer de plus pauvre en architecture ?86 On comprend mieux, par cet exemple, quelle connotation revêt un ordre sans base sur la façade d’un temple protestant : la sévérité de l’architecture y répond à l’austérité revendiquée du culte réformé. Pourtant, si ces colonnes sont l’une des marques de fabrique des édifices de l’ingénieur, il n’est pas le seul à employer un tel motif : son ancien maître et contemporain Jacques Donnat à Montpellier et son successeur Simon Durant en font un usage également régulier dans d’autres édifices, ce qui invite à apprécier l’influence de Charles-Étienne Durand.

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Influence et fortune des temples de Charles-Étienne Durand

60 Si les temples de Charles-Étienne Durand ne constituent pas numériquement un ensemble très considérable, leur place dans l’architecture protestante française doit être mesurée à l’aune de leur influence sur les constructeurs postérieurs. À la suite de Charles‑Étienne Durand, les architectes départementaux Simon Durant87 et Gaston Bourdon88 interviendront à leur tour dans la conception et la construction de temples protestants dans le Gard. Cependant, nombre de temples échappent à leur autorité, au profit de celle des ingénieurs et des entrepreneurs. Souvent dépouillés de décoration, la construction des temples exige en effet des compétences pointues en matière de construction de voûtes de grandes portées, à même d’offrir de grands espaces unitaires. Les temples protestants sont dans le même temps soumis à une exigence d’économie, notamment imposée par le Conseil des bâtiments civils. Ainsi, selon la nature du projet, la construction des temples dans le Gard au cours de la première moitié du XIXe siècle peut être confiée à tous les acteurs de la construction, parmi lesquels l’architecte89 doit faire face à la concurrence des entrepreneurs, des géomètres90, des conducteurs91 ou ingénieurs des ponts et chaussées92. Dans le Gard, un tel constat semble valoir pour les périodes de l’Empire, de la Restauration et de la Monarchie de juillet ; constat dont l’œuvre de l’ingénieur Durand fournit d’ailleurs la première illustration.

61 Les édifices de Durand, qui comptent parmi les exemples plus précoces de temples construits dans le Gard, présentent des qualités originales dues à l’inventivité de leur concepteur, grâce auxquelles ils semblent constituer dans la suite du XIXe siècle une référence incontournable. Cette influence n’est pas toujours aisée à mettre en évidence, car certains caractères stylistiques sont parfois communs à d’autres architectes. Le temple de Lourmarin93 (Vaucluse), édifié par Michel-Robert Penchaud 94 sous l’Empire emploie des colonnes et pilastres sans base, dans le cadre d’un projet au dépouillement sévère ; cependant sa parenté avec l’architecture de Durand paraît avant tout due à une sensibilité partagée parmi les architectes de cette époque. Le cas du temple de Florac, édifié par Gaston Bourdon vers 1828 représente, semble‑t‑il, un cas similaire. En revanche, l’architecte départemental Simon Durant95, longtemps collaborateur de Charles‑Étienne Durand à Nîmes, réalise plusieurs temples protestants96 au cours des années 1820, qui présentent une intime parenté avec les temples de Charles‑Étienne Durand.

62 Par ailleurs, les temples protestants sont nombreux au XIXe siècle à adopter un plan circulaire tel que Durand l’employa dans plusieurs projets d’églises, de temple décadaire et de temple protestant. Il est ainsi difficile d’établir son influence sur les temples d’Orléans (Loiret) de F.‑N. Pagot, ou de Saint-Gelais, dans les Deux-Sèvres. En revanche, la présence de portiques d’ordres archaïques pour caractériser la façade d’un temple semble pouvoir être attribuée à l’influence de l’ingénieur nîmois. Ainsi, le temple protestant de Saint‑Avit-Saint‑Nazaire97 construit par l’architecte Lapeyre en Gironde n’est pas sans évoquer les façades des temples gardois de Charles Durand. Dans cette lignée, le temple protestant de Saumur98 (Maine‑et‑Loire) édifié en 1843 paraît consacrer, dans un autre haut lieu du protestantisme français, la pertinence de ce motif pour caractériser les façades des temples protestants.

63 Au-delà des frontières nationales, l’influence des temples de Charles Durand semble avoir bénéficié d’autres canaux de diffusion, notamment en direction de la Suisse.

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Berceau de la Réforme, la Suisse conserve une certaine proximité avec le territoire du Gard, en particulier des Cévennes, du fait de la dispersion de la communauté protestante. Les articles organiques de la loi de 180299, en imposant la formation des pasteurs des églises réformées français à Genève, ont resserré ces liens. Nîmes est ainsi la destination de voyageurs originaires de pays protestants100, au même titre que Bordeaux qui réunit aussi une importante communauté protestante. Aussi n’est-il pas surprenant de trouver dans la correspondance101 de l’architecte bâlois Melchior Berri102, trois esquisses de plans, dont deux figurent des temples en hémicycle s’apparentant aux plans de temple de Durand pour Vauvert, Nîmes et Beauvoisin (fig.19). Une exception les distingue des trois temples gardois : un clocher s’élève le long du mur arrière du temple. Ces esquisses, que l’architecte suisse paraît proposer comme modèles, sont l’illustration de la seule forme à même de satisfaire les besoins du culte réformé pour Berri : celle de l’odéon grec, ou demi-octogone. Car selon lui, un temple doit avant tout permettre à l’auditoire de bien entendre et bien voir le pasteur, qui, situé au centre du temple, se trouve au plus près des fidèles.

Fig. 19

BERRI, Melchior. Esquisses dessinées en marge du rapport d’expertise de l’architecte sur le concours de 1834 pour la construction de la nouvelle église protestante de Neumünster à Zurich, 1835, p.8 © Archives de la paroisse de Neumünster, Zürich

64 En l’état actuel de nos recherches, nous ne pouvons dire si Berri eut accès aux projets de l’ingénieur nîmois par la circulation des fidèles et pasteurs protestants, ou par l’intermédiaire de son réseau professionnel. Formé à Paris à l’école des Beaux-Arts de 1823 à 1825, Melchior Berri y connut les professeurs Jean-Nicolas Huyot et Jean- Baptiste Rondelet. Ce dernier, membre du Conseil des bâtiments civils à cette époque, y assiste à l’examen des projets de temples de Charles Durand103. Berri aurait donc pu

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connaître les plans en hémicycle de Durand par l’intermédiaire de Jean-Baptiste Rondelet.

65 À l’époque où s’exprime Berri, les temples protestants en Suisse et en Allemagne semblent adopter, pour la plupart, un plan basilical, ou à nef. Si les exemples de temples circulaires ou ellipsoïdaux existent104, plusieurs exemples notables suggèrent que ce type est surtout privilégié pour des églises catholiques : la cathédrale catholique de Berlin105, l’église Saint Stéphane de Karlsruhe106 ou l’église Saint‑Louis de Darmstadt107. Ces exemples, parents des recherches que Charles Durand consacre au thème de l’architecture protestante, aident à imaginer ce que les plans de l’ingénieur nîmois purent paraître à Melchior Berri : s’ils évoquent les églises catholiques allemandes, ils restent assurément originaux et satisfont les besoins du culte réformé. Aussi apparaissent-ils aujourd’hui comme les produits d’une capillarité entre conceptions catholique et protestante de l’espace sacré, dont l’histoire suggère un « dialogue implicite » à cette époque108.

Conclusion

66 À la lumière de cette enquête, les temples de Charles-Étienne Durand semblent remarquables à plusieurs titres : illustrations de l’architecture originale de l’ingénieur, ils constituent semble‑t-il un épisode marquant de l’histoire des temples protestants. La variété des édifices ici étudiés montre que la contribution de l’ingénieur à cette histoire ne consiste pas en l’invention d’un modèle unique, mais bien en l’élaboration d’édifices singuliers, répondant à des contextes divers.

67 En ce début de XIXe siècle, le besoin de nouveaux temples construits ex-nihilo accorde à Durand la liberté de proposer des configurations nouvelles. Cette liberté permet à l’ingénieur de démontrer son inventivité, dont témoigne sa longue carrière, dès l’époque de son enseignement à Montpellier. Pourtant, l’histoire ici retracée montre que l’ingénieur dut se heurter à l’opposition du Conseil des Bâtiments civils et voir son talent limité par les moyens alloués à la construction des temples. C’est pourquoi les temples de Durand ne peuvent être appréciés séparément du contexte particulier des premières décennies du siècle, ni de la personnalité de l’ingénieur. Aussi convenait‑il de retracer la généalogie de ces édifices originaux dans les idées formulées et les projets conçus par l’ingénieur sous la Révolution.

68 Dans leur sillage, les temples de Durand revêtent les traits d’une architecture antique régénérée, dont Durand établit la grammaire et les ornements : les portiques d’ordre archaïque s’y détachent sur la nudité des masses et confèrent aux temples un caractère à la fois digne et sévère. Suivant des formes parentes de l’architecture néoclassique des édifices publics de leur époque, ces temples affirment comme eux leur présence dans le paysage urbain – ils illustrent ainsi la place nouvellement accordée au culte protestant dans la cité. Le cas du temple de Quissac serait significatif à cet égard : l’architecture de Durand y épouserait les valeurs de la religion réformée dans l’exacte mesure où elle aurait été destinée à un équipement public, en l’occurrence un Palais de Justice.

69 Pourtant, la sévérité des temples de Durand pourrait manifester un lien plus intime avec la spiritualité protestante. Car l’esthétique architecturale de Durand paraît puiser sa source dans la doctrine de Winckelmann dont les racines piétistes lui donnent d’entrer en résonnance avec la sensibilité de la religion protestante. La plus grande

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qualité des temples de Durand résiderait en ceci qu’une telle esthétique y engendre des configurations nouvelles – en hémicycle en particulier – répondant à la fois aux besoins et à la sensibilité des communautés protestantes. C’est sans doute cette adéquation qui permit aux temples construits par Charles‑Étienne Durand d’exercer une certaine influence, jusqu’à servir parfois de référence, en France et au-delà, au cours des décennies suivantes.

NOTES

1. GOURLIER, Charles. « Notice relative à la statistique artistique de la France ». Société libre des Beaux-Arts de Paris, Séances des 3 juillet et 21 août 1832, Paris, 1832, p. 21. BNF. 8-V PIECE-11527. 2. Entre 1819 et 1833, Charles Gourlier est inspecteur général et rapporteur du Conseil des bâtiments civils ; il est à ce titre un témoin de choix de la construction d’édifices publics à cette époque. Il grave et édite d’ailleurs une sélection d’exemples de chaque type de bâtiment : GOURLIER, Charles-Pierre ; BIET, Léon-Marie ; GRILLON, Edme-Jean-Louis ; TARDIEU, Jean- Jacques. Choix d’édifices publics pro- jetés et construits en France depuis le commencement du XIXe siècle. Paris, L. Colas, 1825-1850. 3. Sur l’influence du Conseil des bâtiments civils, voir CHATEAU, Emmanuel. « Le Conseil des Bâtiments civils et l’administration de l’architecture publique en France dans la première moitié du XIXe siècle (1795-1848) », thèse de doctorat en histoire de l’art, sous la direction de J.-M. Leniaud, EPHE, 2016. 4. Parmi ses projets non réalisés, citons les projets d’Anduze, Saint-Hippolyte-du-Fort, Valleraugue dont il abandonne l’exécution après l’effondrement de la voûte au cours des travaux. 5. Aigues-Vives, Beauvoisin, Bernis, Calvisson, Saint-Laurent-d’Aigouze, Vauvert. 6. Nous pensons aux recherches de thèse d’Olivier Liardet sur l’architecture dans le Gard au XIXe siècle, en particulier sur Charles Durand, Simon Durant et Henry Durand. 7. LASSALLE, Christiane. « Urbanisme et paysage urbain nîmois à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. ». Dans Nîmes et le Gard. Fin de siècle 1500-2000, (2000 ; Nîmes). Nîmes, Société d’Histoire moderne et contemporaine de Nîmes et du Gard, 2003, p. 121-154. 8. LIARDET, Olivier. « Charles-Étienne Durand à Nîmes ou le rêve de la ville néoclassique à l’aube du XIXe siècle ». Dans Autour de la ville de Napoléon, sous la direction de Gilles BIENVENU et Géraldine TEXIER-RIDEAU, (2004 ; la Roche-sur-Yon). Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 113-124. Voir également la notice biographique établie par Olivier Liardet dans Allgemeines Künstlerlexikon : Die Bildenden Künstler aller Zeiten und Völker (AKL), Munich, K. G. SAUR, vol. 31, 2002, p. 136-139. 9. Notamment les recherches de Théodore Guuinic, entreprises grâce au soutien du Service du Patrimoine du Ministère de la Culture et de la Communication, par la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine. Ces recherches se poursuivent aujourd’hui dans le cadre d’une thèse de doctorat à l’Université Paul Valéry-Montpellier III. 10. REYMOND, Bernard. La porte des cieux. PPUR, Lausanne, 2015. 11. REYMOND, Bernard. « Les temples protestants réformés aux XIX e et XXe siècles ». Dans Chrétiens et sociétés, 2011, Numéro spécial I, p. 201-221.

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12. SOUCHON, Cécile. « Les avis des membres du Conseil des Bâtiments civils relatifs aux constructions de temples protestants et à leur esthétique (XIXe siècle) ». Chrétiens et sociétés, 2011, Numéro spécial I, p. 173-2000. 13. MONTAGNE, Brigitte ; COMTE, Yannick ; TIJOU, Catherine. « Les temples protestants « monuments historiques » en Poitou-Charentes ». In Situ, 2009, 11. 14. Ces temples n’ont fait l’objet jusqu’ici que de courts développements : LAURENT, René. Promenade à travers les Temples de France. Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1996 ; REYMOND, Bernard. L’architecture religieuse des protestants. Genève, Labor et Fides, 1996. 15. Loi relative à l’organisation des Cultes du 18 Germinal, an X de la République une et indivisible, section 2. Cette loi organise le culte protestant avec regroupement géographique en églises consistoriales de 6000 âmes, cinq églises formant un synode dont l’assemblée, en présence du préfet, est soumise à autorisation. En fait, ce sont les consistoires (composés du pasteur et de 6 à 12 laïques choisis parmi les citoyens les plus imposés) qui vont s’occuper de la vie de la communauté mais toutes leurs décisions sont soumises à autorisation. 16. Négociant à Montpellier et Sète, d’origine écossaise, établi à Gallargues après son mariage avec Marie Valz, maire en l’an III puis conseiller municipal. 17. Cet état des lieux est résumé dans l’ouvrage du fils du pasteur Paul Rabaut dit Rabaut le Jeune (1746-1808) : RABAUT le Jeune. Annuaire ou répertoire ecclésiastique à l’usage des Églises Réformées protestantes de l’Empire français. Paris, Montpellier, chez l’auteur, 1807. Temple de Gallargues-le- Montueux inscrit au titre des monuments historiques le 23 janvier 2015. 18. AN. F19 10650. Gard. Nous remercions Olivier Liardet, qui nous a communiqué ses recherches issues des Archives Nationales. 19. RABAUT, 1807, op. cit., note 17. 20. Par exemple à Salinelles dont le temple est bâti de 1841 à 1844 par Elisée Méjean, conducteur des ponts et chaussées, qui a construit aussi celui de Vic-le-Fesq. Le temple de Salinelles a été inscrit le 7 novembre 1991 au titre des monuments historiques. 21. Pour plus de précisions, voir les notices biographiques établies par Olivier Liardet dans Allgemeines Künstlerlexikon : Die Bildenden Künstler aller Zeiten und Völker (AKL), Munich, K. G. SAUR, vol. 31, 2002, pp. 136-139, 143-144, 149 et 163-164. 22. GRANGENT, Stanislas-Victor ; DURAND, Charles ; DURANT, Simon. Description des monuments antiques du midi de la France. t. I « Le département du Gard ». Paris, Crapelet, 1819. 23. LIARDET, 2006, op. cit., note 8. 24. Actuel lycée Alphonse Daudet, 3, bd Victor-Hugo, inscrit en 2007 au titre des monuments historiques. 25. Actuelle Chambre de Commerce et d’Industrie, 12 rue de la République, inscrit en 2000 au titre des monuments historiques. 26. Ancienne Comédie de Nîmes, dont la colonnade, démolie et remontée sur l’aire de Caissargues, est inscrite par arrêté du 6 décembre 1949. 27. Ses écrits sont l’objet de la thèse de doctorat en cours de T. Guuinic, Univ. Paul Valéry- Montpellier III. 28. DURAND, Charles-Étienne. « Cours d’architecture pour l’École des ponts et chaussées de Montpellier », Ms., Archives de l’Académie de Nîmes, Hm04. 29. Citons parmi eux un « Mémoire sur le style en architecture » et un « Mémoire sur les monuments publics, et particulièrement sur ceux qui devraient être construits dans la ville de Nîmes », Manuscrits conservés dans les Archives de l’Académie de Nîmes. 30. AD Gard. V 452. 31. AD Gard. 6 O 638. Lettre du 27 janvier 1819. 32. RIPOLL, Véronique. « Architecture du XIXe siècle : les temples de l’arrondissement du Vigan. » Mémoire de maîtrise d’histoire de l’art sous la direction de Denise Jasmin, Université de Provence, 1988.

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33. AD Gard. 2 O 494. 34. AD Gard. 2 O 335. 35. AD Gard. V 478. 36. Manuscrit conservé à l’Académie de Nîmes, partiellement transcrit par Stéphanie Quantin, inspecteur des monuments historiques, dans le cadre de son mémoire « le néo-classicisme dans le Gard » déposé à l’INP. 37. Durand, 1791, op. cit. p. 115. 38. Idem p. 124. 39. POMMIER, Édouard. Winckelmann, inventeur de l’histoire de l’art. Paris, Gallimard, 2003, p. 44. 40. POMMIER, Édouard. « Winckelmann et la vision de l’Antiquité classique dans la France des Lumières et de la Révolution ». La Revue de l’Art, 1989, 83 (1), p. 9-20. 41. Au sujet de l’influence de Winckelmann sur Durand, nous renvoyons à notre communication au colloque « Le symbolisme de l’architecture », Werner Oechslin Library Foundation, Einsiedeln, IGAP, Univ. de Siegen et Paris Sorbonne, 14-16 décembre 2016 (actes à paraître en 2017) : Th. Guuinic, « La symbolique des ordres dans les traités d’architecture des ingénieurs Pierre-Joseph Antoine (1730-1814) et Charles Durand (1762-1840) ». 42. Durand reprend ce plan avec quelques simplifications, en particulier la suppression de la colonnade intérieure, pour son premier projet présenté en 1808 pour l’église paroissiale de Remoulins. L’élévation de ce projet est d’ailleurs à rapprocher de celle du projet proposé dans son cours de 1791. Cependant, c’est son deuxième projet, de plan basilical, qui est adopté et réalisé. 43. SZAMBIEN, Werner. Les projets de l’an II, concours d’architecture de la période révolutionnaire, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 1986. Les architectes de la liberté, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 1989. 44. Édifice destiné à accueillir des assemblées de citoyens lors des diverses fêtes du culte décadaire institué sous la Terreur et mis en place sous le Directoire. 45. DURAND, Charles-Étienne. « Plan, coupes et élévations d’un monument décadaire projeté pour une petite ville de 5 à 6000 âmes », ENSBA, 18265. 46. Faute d’accord du propriétaire, cette démarche n’a pas abouti mais le temple est inscrit au titre des monuments historiques depuis le 30 janvier 2012. 47. AN. F19 10660. Rapport du conseil des bâtiments civils. 48. AN. F13 1760. Rapport du conseil des bâtiments civils, séance du 18 septembre 1817. 49. KRUMENACKER, Yves. « Les temples protestants français, XVIe-XVIIe siècles », Chrétiens et Sociétés XVIe-XXIe siècles, 2011, numéro spécial I, p. 131-154. 50. Idem. 51. À partir de 1795, le conseil des bâtiments civils est chargé d’examiner les projets de tous les édifices publics à construire, qui sont soumis à son examen sous la forme de plans et de devis. Ce conseil a notamment pour vocation de contrôler l’emploi des finances publiques dans la construction, puisqu’une subvention est sollicitée et généralement attribuée à tous ces bâtiments projetés. L’avis du Conseil est communiqué au préfet qui en avise l’auteur du projet, lequel reprend si nécessaire ses plans en fonction des modifications demandées. Les nouveaux plans sont alors envoyés avec le procès-verbal d’adjudication pour être archivés. 52. AD Gard. V 487. 53. AN. F19 10660. Rapport du 27 mai 1819. 54. AN. F13 214. Calvisson, courrier signé Durand, 7 avril 1818. 55. AN. F13 1706. Rapport du conseil des bâtiments civils signé Garrez, 30 avril 1818. 56. AN. F19 10650. 57. AD Gard. V 487. Devis du 6 avril 1819. 58. AN F19 10660. Rapport du conseil des bâtiments civils par Mr Tardieu, 13 septembre 1823. 59. AD Gard. V 487.

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60. AD Gard. V 459, devis du 14 mars 1840. Le campanile de Quissac est réalisé entre 1843 et 1844 et la cloche est achetée à Jean Baptiste, fondeur à Marseille. 61. AD Gard. V 487. Lettre du 28 février 1817. 62. AD Gard. V 405. 63. AD Gard. V 405. 64. AD Gard. V 406. 65. Capitaine du génie à Nîmes, Fauquié (ou Fauquier) reste une personnalité méconnue. Il appartient vraisemblablement à une famille de confession protestante, notamment implantée à Gignac (Hérault) à cette époque 66. Ce point est souligné dans une analyse de l’architecture du portique de Quissac : RISTRETTO, Philippe. Regard sur le Temple de Quissac. Quissac, Conseil Presbytéral de la paroisse de Quissac, sans date, brochure dactylographiée déposée au CAUE du Gard. 67. La moulure couronnant la corniche d’un ordre dorique mutulaire est généralement une doucine. Une exception à cet usage est également présente dans le cours de Jacques-François Blondel : Cours d’architecture, ou Traité de la décoration, distribution et construction des bâtiments (…), Paris, Veuve Desaint, 1771-1777, t. II, pl. LI et LXIX. 68. POTAY, Corine. Le palais de justice de Nîmes, mém. maîtrise., dir. L. Pellicer, Univ. Paul Valéry Montpellier III, p. 27. 69. Nous nous appuyons ici sur le travail de Corinne Potay, op. cit. 70. Lettre au Ministre, AD Gard. 4 N 40. 71. AD Gard. V 459. Temple de Quissac, 1829-1844. 72. AD Gard. 4 N 40. « Mémoire explicatif des ouvrages proposés pour l’agrandissement du palais de justice sans sortir de ses limites actuelles », 28 février 1835. Le projet décrit dans ce mémoire est présenté par deux plans et cinq coupes. 73. AD Gard. 4 N 40. Lettre du 24 octobre 1835. 74. Cité dans POTAY, Corinne, op. cit., p. 40. 75. AD Gard. V 459, devis du 14 mars 1840. 76. Ces colonnes sont comparables à celles que l’on peut voir à l’intérieur du temple de Calvisson. 77. En l’état actuel de notre connaissance, les archives départementales du Gard, les archives municipales de Nîmes et de Quissac et celles de la paroisse de Quissac ne conservent pas trace d’un tel remploi. 78. Nous estimons les dimensions du portique de Nîmes d’après le premier projet d’agrandissement du palais par Gaston Bourdon, où figure l’édifice tel qu’il fut construit. AD Gard. 4 N 40. Plans et élévations datés du 3 mai 1831. 79. DURAND, 1791, op. cit. p. 116. 80. AD Gard. 42 J 70. 81. Durand, 1791, op. cit. p. 129. 82. En latin : Corona Querna ou Quercea. 83. Jn 15 :13, La Sainte Bible, qui contient le Vieux et le Nouveau Testament (…), [trad. David Martin], Amst., 1744 (1707). Une autre traduction protestante donne : Nul n’a un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis. Jn 15 :13, La Sainte Bible (…) [trad.] par J.-F. Ostervald, Neuchâtel, A. Boyve et Cie, 1744, rééd. en 1805. 84. Actuels lycée Condorcet et église Saint Louis d’Antin, œuvres d’Alexandre Théodore Brongniart. 85. Œuvre de Jacques-Denis Antoine, aujourd’hui détruite. 86. Le Journal de Paris, 3 février 1783, n° 34 p. 139-141, cité dans SAINT GIRONS, Baldine. Esthétiques du XVIIIe siècle : le modèle français. Paris, P. Sers, 1990, p. 632. 87. Simon Durant intervient plus ou moins directement sur une dizaine de temples entre 1818 et 1832 : Saint Hippolyte (1818-1824), Milhaud (1822), Bernis (1824), Sauve (1824), Mus (1825), Lasalle (1826), Molières (1827), Avèze (1829), Soudorgues (1832).

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88. Architecte du département de la Lozère puis du Gard, Gaston Bourdon est l’auteur du temple d’Aubais (1822-1838). 89. Citons à titre d’exemple Bègue, Renoux, Bourdon, De Seyne, ou encore Mège. 90. Rouvière à Saint Chaptes. 91. Mejean à Parignargues. 92. Guillaume Grulet ou Grullet, à Anduze, Saint Ambroix et Saint Hippolyte-du-Fort. 93. L’édifice, imposant, est réalisé entre 1812 et 1818. 94. Michel-Robert Penchaud (1772-1833) A.N., F21/1906/3712 et F21 2482, dossier n° 328, p. 248-249. 95. Un inventaire de l’œuvre de Simon Durant a été réalisé par Olivier Liardet, publié sous la forme d’une notice biographique dans l’AKL, op. cit. p. 163-164 (voir note 21). Marie-Christine Samba-Silla a également consacré des recherches à cet ingénieur et à sa famille. 96. Nous pensons en particulier aux temples de Lasalle, en hémicycle, et à celui de St Hippolyte- du-Fort. 97. Les archives du Conseil des Bâtiments Civils permettent de dater l’édifice de 1821, mais sont muets quant au portique qui en orne la façade principale. AN. F21*2508, dossier n° 126, p. 230 ; AN. F21/1884/1210. 98. Le temple de Saumur est l’œuvre de Charles Joly-Leterme (1815-1885). 99. Loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) relative à l’organisation des Cultes, Articles organiques des cultes protestants, I, art. X. 100. SMETS, Josef. « Quatre voyageurs allemands à Nîmes (XVIIe-XIXe siècles) » Dans Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, 1998, t. 110, n° 221, p. 71-87. 101. BERRI, Melchior. Gutachten 1835 zum Neubau der protestantischen Kirche Neumünster in Zürich, Wettbewerb 1834, p. 8. Archiv. der Kirchgemeinde Neumünster, Zürich. Dans Huber Dorothee (dir), Melchior Berri 1801-1854 : Architekt des Klassizismus, Basel, Suisse, Schwabe & Co., 2001, p. 258-261. Nous remercions Susanne Stacher et Jelena Hawellek pour leur aide dans la compréhension de ce document. 102. Melchior Berri (1801-1854), architecte, ingénieur et entrepreneur suisse. Originaire de Bâle, Berri est protestant et le fils d’un pasteur. Élève de Weinbrenner à Karlsruhe puis de Jean-Nicolas Huyot à l’école des Beaux-Arts de Paris. Il effectue de nombreux voyages et mène une carrière active à Bâle, mais aussi à Berne, Lucerne et Zurich. 103. Jean-Baptiste Rondelet (1785-1863) rédige même un rapport pour le temple de Valleraugue. AN. F21 2502, dossier n° 247, p. 23. 104. Citons les temples d’Abraham Dünz I (1630-1688) dans le canton de Berne, et, plus proches de l’époque de Durand, l’église Saint Paul de Francfort, l’église Saint Matthieu de Munich, œuvre, aujourd’hui détruite, de Leo Von Klenze ; et l’église luthérienne d’Oberneisen en Allemagne, œuvre de F.- L. Schrumpf (1816-1819). Un siècle avant, L.-Ch. Sturm, conçoit également un projet de temple circulaire, orné d’une tribune sur colonnes. Entwurf für protest. Kirchen. Nach Leonhard Christoph Sturm, Architektonisches Bedenken von Protestantischer Kleiner Kirchen Figur und Einrichtung. Hamburg 1712, Taf. IV u. VI. Phot. Bibl. der Staatl. Mus. Berlin. 105. Construite par J. Boumann et J. G. Büring entre 1748 et 1773, suite à un projet de Jean- Laurent Legeay (1748). 106. Œuvre de Friedrich Weinbrenner (1766-1826), achevée en 1814. 107. Œuvre de Georg Moller (1784-1852), achevée en 1827. 108. LOURS, Mathieu. « Deux confessions, une perfection. Architectures sacrées catholiques et protestantes, regards croisés (XVIe-XVIIIe siècles – France, cantons suisses) ». Cahiers de recherches médiévales et humanistes. Journal of medieval and humanistic studies, 2012, n° 24, pp. 299‑320.

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RÉSUMÉS

Le département du Gard compte un ensemble de temples protestants originaux, construits au début du XIXe siècle par l’ingénieur des ponts et chaussées Charles‑Étienne Durand. Édifiés sous l’empire et la restauration, ces temples sont ici présentés à la lumière de projets et d’écrits théoriques de l’ingénieur, parfois antérieurs à la révolution. De la genèse à la réalisation des temples, est ici retracée l’élaboration de types originaux – notamment en hémicycle – dont l’esthétique épouse la sensibilité protestante. Ces temples, qui aident à mesurer l’influence du Conseil des bâtiments civils en ce domaine, illustrent, au début du XIXe siècle, l’invention d’un temple néoclassique appelé à occuper une place nouvelle dans le contexte urbain, et qui servira plus tard de modèle dans le Gard et en suisse.

In Gard, a district of Southern France, an important number of Protestant churches, called temples, has been built at the beginning of the XIXth century by Charles‑Etienne Durand, an ingeneer. Built between 1807 and 1822, these churches are presented here with early projects and theoretical writings of their architect, sometimes before the French Revolution. From the genesis to the realization, this paper retraces the elaboration of distinctive types – especially the semicircular one – whose aesthetic responds to the Protestant sensibility. these protestant churches which help to measure the influence of the Conseil des bâtiments civils (civil buildings concil) in this field, illustrate, at the beginning of the XIXth century, the invention of a neoclassical model, destined to occupy a new place in the urban context, and would become a model in the Gard district and Switzerland.

INDEX

Index géographique : Gard, Nîmes, Vauvert, Calvisson, Beauvoisin, Bernis, Aigues-Vives, Quissac Keywords : temple, Durand Charles-Étienne, religious architecture, 19th century Mots-clés : temple, Durand Charles-Étienne, architecture religieuse, XIXe siècle

AUTEURS

JOSETTE CLIER Recenseur des monuments historiques, DRAC Occitanie

THÉODORE GUUINIC Architecte, doctorant en architecture à l’Université Paul Valéry-Montpellier III

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De la Vaunage à la Petite Camargue, un patrimoine protestant majeur From Vaunage to Petite Camargue, major Protestant heritage

Patricia Carlier

1 La mission d’inventaire du Pays Vidourle Camargue a permis l’identification et l’étude de cet important patrimoine. Constitué de cinq communautés de communes, à cheval sur deux départements (le Gard et l’Hérault de part et d’autre du Vidourle), le Pays est un outil de territoire qui permet aux collectivités de se regrouper volontairement sur des axes de développement communs dans leurs politiques locales.

2 Initié en 2007, cet inventaire a eu pour but d’identifier notamment le patrimoine jusque-là non valorisé, susceptible de capter de nouveaux flux. Le patrimoine protestant entrait dans cette catégorie. Une quarantaine de temples a été référencée sur les cinquante communes du Pays (fig.1) et parmi eux les plus beaux temples de l’architecte montpelliérain Charles Durand (1762‑1840)1. Cet ensemble est complété par un autre trésor touristiquement inexploité : la collection des temples « au livre ».

3 La valorisation de cette thématique touristique a permis la réhabilitation d’édifices, pour certains avec les fonds européens LEADER2, et l’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques de cinq temples3.

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Fig. 1

Carte du patrimoine protestant sur le Pays Vidourle Camargue et ses alentours Autres patrimoines : - Congénies : ancienne chapelle méthodiste. Maison et cimetière des Quakers. - Lunel, Aigues-Mortes et Sommières (château) : lieux d’enfermement (graffitis). - Sommières : la maison émilien Dumas (CART). - Lunel : Musée Médard. - Calvisson : vestiges du XVIe s. d’un ancien temple ou maison de réunion. - Codognan : chapelle méthodiste. - Saint-laurent-d’aigouze : le fort de Peccais, place de sûreté. Carte V. Marill © Inventaire général, région Occitanie

La réforme, un enracinement de quatre siècles

Histoire et transmission jusqu’à la Révolution

4 Les auteurs de la France Protestante présentent ainsi le secteur qui nous intéresse : Entre Nîmes, Sommières et Lunel, la mémoire protestante atteint un degré de concentration unique en France. On peut étendre à la Vaunage et la Gardonnenque la qualification de « Petite Canaan », jadis réservée aux environs de Nages4. Les Nîmois adoptent les idées de la réforme dès 15325. en 1570, soixante-dix pasteurs officient dans la plaine de Nîmes et les Cévennes6. Dès lors, l’implantation géographique de la réforme dans le Gard est fixée. Elle a conditionné la renaissance du patrimoine d’aujourd’hui. Les fortes densités sont en Cévennes et au Sud de l’actuel département du Gard. Le protestantisme reste peu présent dans l’Uzège et le Gard rhodanien7. L’édit de Nantes en 1598 reconnait aux protestants un droit d’existence. Des temples peuvent être construits là où il y avait déjà une communauté protestante avant 1598. Pratiquement tous les villages du Pays ont un temple. Des places de sûreté sont concédées aux réformés, dont Aigues‑Mortes et Lunel font partie. Le Fort de Peccais, construit en 15698 pour la défense de l’accès aux

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salins, est cédé aux protestants par le gouverneur d’Aigues-Mortes en 1598, avec une garnison de dix-huit hommes. Il sera rendu à louis XIII lors de la Paix d’Alès en 1629. Encore existant sur le Pays, ce fort est l’un des plus anciens lieux de mémoire conservés de l’histoire du protestantisme dans la baie d’Aigues‑Mortes.

5 La réforme se répand en Europe au XVIIe siècle notamment grâce à l’imprimerie9. Des seigneurs locaux, comme les de Baschi, protestants de la première heure, seigneurs d’Aubais et marquis du Cailar, les Mirmand de Vestric, les Montcalm de Candiac, les Nogaret D’Aujargues l’ont adoptée et transmise à la population vivant sur leurs terres. Mais les persécutions recommencent sous louis XIV. Dès 1663, quatre‑vingt‑neuf temples sont détruits dans le Gard ; les premières dragonnades ont lieu10, des propriétaires terriens vendent leurs biens et partent s’installer à l’étranger, en Suisse, en Europe du Nord ou en Angleterre, après la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Louis de Baschi s’enfuit à Genève, en abandonnant son château d’Aubais en construction. Son fils Charles (1686‑1777)11, « nouveau converti »12, le termine au XVIIIe siècle. L’apprentissage de la lecture étant un fondement dans l’éducation protestante, il y conserve l’une des plus importantes bibliothèques du Languedoc, d’environ trente mille livres. Il autorise aussi les assemblées clandestines sur ses terres. Henri de Mirmand13, exilé durant cette période, parcourt l’Europe pour trouver du secours pour les réfugiés.

6 La guerre des Camisards (1702-1704) n’épargna pas la Vaunage ni la Petite Camargue. De grandes figures locales y sont restées attachées dont , chef des Camisards, basé à Calvisson, et Abdias Maurel dit « Catinat », chef de son armée, originaire du Cailar qui combattit les armées royales à la tête d’une cavalerie de chevaux de Camargue.

7 Cette révolte fut aussi à l’origine du courant des « inspirés » né dans la Vaunage avant 1685 et cristallisé en 1703 à la suite du martyre de Daniel Raoul14, qui fut leur inspirateur. Authentiques quakers français15, présents à Nages, Saint‑Gilles, Fontanès et Congénies, ils ne prirent conscience de l’existence de mouvements identiques au leur qu’en 1785. Ils décidèrent alors d’adhérer à la « Société des amis », internationale, ce qui leur apporta des moyens financiers. Ils fondèrent une maison d’assemblée et une école à Congénies dès la fin du XVIIIe siècle. Ce fut le départ de grands échanges culturels internationaux entre la commune et les quakers anglo‑saxons qui y vinrent régulièrement en visite. Unique congrégation existant en France, ces Quakers vaunageols revendiquaient la paix, le libre droit de conscience et la non-violence. Refusant les armes, renonçant aux rites et au culte qui n’avaient pas empêché les massacres, ils n’avaient que leur bible et se réunissaient dans le silence. À l’écoute du Saint‑Esprit, seul le souffle des « inspirés » était audible en réunion de prière. Cette attitude leur valut le surnom de coufflaïres16. Il existe toujours aujourd’hui une communauté de Quakers à Congénies qui anime la maison d’assemblée et conserve l’unique cimetière quaker de France (fig.2).

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Fig. 2

Congénies (Gard), cimetière quaker P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

8 En 1760, la richesse économique du territoire se construit sur le commerce du vin, des eaux-de-vie, sur l’industrie textile et sur les techniques de teintures. L’économie agricole est florissante. Les industriels et négociants protestants ayant durablement investi s’accommodent des interdits mais commercent volontiers avec la diaspora européenne qui leur fournit matière au débat d’idées et des ouvrages de référence. C’est le cas du bibliophile louis Médard (1768‑1841) de Lunel17, en relations professionnelles avec l’Europe du Nord. Un demi-siècle après le Marquis d’Aubais, il collecte manuscrits et livres, y compris ceux de philosophes ou de théologiens étrangers « circulant sous le manteau » pour constituer l’une des plus belles bibliothèques du Languedoc.

9 Le pasteur Paul Rabaut et son fils « Rabaut Saint-Étienne », député à la constituante, qui mena le combat politique pour la liberté de culte, ou le pasteur Ribes d’Aigues Vives18 héritèrent de ces générations de « nouveaux convertis » du XVIIIe siècle, riches ou modestes, mais tous lecteurs, qui assurèrent la transmission et la divulgation de la pensée. Ils ont initié la porosité locale entre protestantisme et politique. Au XIXe siècle, cette germination intellectuelle nourrie des idées du siècle des lumières et de celles de la réforme19 conduira certains membres issus de communautés protestantes locales à soutenir l’instauration de la république dès 1830, la laïcité scolaire, et à mener le combat pour une séparation des églises et de l’état dès 1848.

Le XIXe siècle : l’éclosion d’un patrimoine bâti

10 Quinze ans après les accords concordataires20, les premiers temples sont construits entre 1813 et 1830 sur la Vaunage, la Vistrenque21 et la Petite Camargue, les communautés protestantes en ayant réclamé la construction en vertu du nombre important de citoyens de confession réformée qui atteint 90 % de la population dans certains villages22. Sur cinq églises consistoriales créées pour l’arrondissement de

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Nîmes, quatre sont sur le Pays23, l’église consistoriale de Marsillargues dans l’Hérault, couvre l’actuel Pays de Lunel. Ceci explique l’importance de la concentration aujourd’hui de patrimoine protestant.

11 Sur les vingt-huit églises catholiques données aux protestants dans le département, dix concernent le Pays24 dont Aigues‑Vives, rénovée par Charles Durand 25. Sept seront remplacées par des temples bâtis dans le courant du XIXe siècle et rendues aux catholiques. Le temple de Lunel est également une ancienne chapelle de couvent.

12 Les premiers temples ont disparu, comme partout en Languedoc, après la révocation de l’édit de Nantes en 168526. Depuis la révolution, beaucoup de cultes avaient lieu en plein air, faute de lieux réservés. Toutes les couches de la société vont se mobiliser pour donner ou acquérir à leurs frais des terrains27. Tout au long du siècle, propriétaires fonciers, vignerons, mais aussi industriels locaux sont les premiers à payer de leurs deniers personnels la reconstruction des temples qui sont tous bâtis sur le même principe : un espace aux murs dénudés, le plus souvent parallélépipédique, garni de rangées de bancs de bois. Des fenêtres hautes apportent de la lumière par les murs latéraux. En façade, une fenêtre ou un oculus complète souvent l’éclairage intérieur, surmonté d’un campanile ou d’un clocher (fig.3 et 4). Une chaire à prêcher en bois, acceptant parfois une décoration très sobre et une table avec un lutrin pour porter la Bible sont les seuls éléments intérieurs. Du plus simple au plus grand temple, ces éléments sont immuablement présents. C’est donc le parti architectural du plan, le traitement des éléments de couvertures, des entrées et des façades, l’adjonction de galeries intérieures pour les temples monumentaux, qui vont caractériser le bâtiment.

Fig. 3

Souvignargues (Gard), le temple P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

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Fig. 4

Combas (Gard), le temple J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

13 Les temples sont construits à l’extérieur des centres anciens médiévaux, éloignés de l’église (fig.5). Mais, juste retour des choses, ils deviennent le centre d’un nouveau faubourg, lié à l’expansion économique locale en fin de siècle, jouxtant souvent la mairie et l’école comme à Fontanès ou Codognan. Sur tout le Pays, les temples sont au milieu de l’activité viticole, entourés de mas, de maisons bourgeoises et de chais comme à Saint‑Laurent d’Aigouze, Aubord, Codognan, Aubais, Vergèze, Uchaud ou Marsillargues.

14 Cette bipolarité urbaine dans les centres anciens d’aujourd’hui est caractéristique des villages ayant connu une importante communauté réformée. Le tissu urbain du XIXe siècle qui entoure le temple varie en fonction de l’activité économique principale du village. Ces deux noyaux urbains juxtaposés, dotés parfois chacun d’une place, ou structurés en deux hameaux distincts dans une même commune, diffèrent du simple principe de la ceinture urbaine du XIXe siècle entourant le noyau médiéval primitif qui caractérise les villages n’ayant qu’une église. Cette bipolarité se voit encore très bien dans certains centres anciens des communes du Pays comme Villevieille, Aigues- Mortes, Beauvoisin ou Crespian scindé en deux hameaux. C’est une particularité du paysage protestant28.

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Fig. 5

Beauvoisin (Gard). Cadastre de 1835 ; le temple de Charles Durand, en bleu, semi-circulaire, à l’écart du centre ancien est aujourd’hui le centre d’un quartier urbain constitué essentiellement de maisons vigneronnes P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

Un patrimoine singulier et multiple

Deux phases de construction

15 Les deux étapes sont bien documentées par les archives29. La première s’étend essentiellement sous la restauration (1815‑1830). Elle est constituée d’un patrimoine bâti remarquable, sobre et monumentalisé. Ce sont les plus beaux temples.

16 La deuxième phase est postérieure à la loi Guizot de 183330, la construction du temple va de pair avec celle de l’école. 1882 est la dernière date de construction relevée dans le Pays. Les temples sont plus modestes sur le plan architectural, adaptés à la population, les colonnes disparaissent, mais ils respectent toujours les mêmes éléments fondamentaux décrits plus haut. Un bon nombre, représentant un véritable groupe architectural, sont décorés d’un livre sculpté en façade, qui n’existait pas sur les façades du premier groupe d’édifice.

De la fin du Premier Empire à la Monarchie de juillet

Le triomphe de l’architecture néo-classique : des temples et des colonnes

17 Symbole de pouvoir comme de haute civilisation, sans outrance maniériste ou baroque, l’ordre classique était de loin le style monumental le mieux adapté à la « scolastique »31 des réformés français sinon le dépouillement total que l’on trouvera dans les petits temples ruraux un peu plus tard. La forte concentration de population réformée a

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permis la création de lieux de culte traités de manière radicalement différente et d’une monumentalité certaine pour répondre au bâti cultuel d’ancien régime subsistant. Il fallait créer un patrimoine visible, identifiable, durable et parlant pour ancrer la réforme dans le paysage autant que l’église catholique. La colonne est pour l’époque l’élément privilégié qui fait le lien entre le nouveau lieu de culte protestant, les palais de l’administration et de la justice des hommes et le temple antique, marqueur local du patrimoine bâti conservé depuis deux millénaires ; elle est un symbole de durabilité.

18 L’ancien château seigneurial de Gallargues-le-Montueux qui domine la plaine, est affecté par la commune au culte protestant dès 1813. Aménagé sur un projet de l’architecte Izambard32 de Lunel, son volume intérieur (fig.6) permet le développement d’une double galerie latérale portée par des pilastres maçonnés surmontés de colonnes aériennes en pierre de taille. De grandes fenêtres latérales éclairent la galerie supérieure. Ce premier projet, imposant par le site comme par la taille et les moyens mis en œuvre, donne la mesure de l’ambition locale. Les habitants s’empressent de lui faire apposer un porche monumental décoré de colonnes. Un deuxième niveau de colonnes pour supporter un clocher sera construit quelques décennies plus tard (fig. 7)33. Mais les protestants locaux souhaitent autre chose que d’anciens bâtiments.

Fig. 6

Gallargues-le-Montueux (Gard), le temple ; ancien château seigneurial dont il occupe le rez-de- chaussée. Une galerie à colonnade s’étend côtés nord et sud P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

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Fig. 7

Gallargues-le-Montueux (Gard), le temple. ; Le portail d’entrée à péristyle surmonté d’un portique portant le campanile. Le deuxième niveau, rapporté ultérieurement au projet initial occasionne des désordres et nécessite aujourd’hui d’être consolidé V. Marill © Inventaire général Occitanie

19 Leur richesse matérielle et spirituelle va les conduire à demander et soutenir la réalisation de projets architecturaux ambitieux proposés par l’architecte, ingénieur de formation, Charles Durand34, qui trouve là un terrain d’expérience. Il va y créer parmi les plus beaux temples du département d’inspiration classique. Vauvert de 1810 à 1817, et Beauvoisin (fig.8) de 1816 à 1819, bâtis ex nihilo, vont marquer durablement de leur monumentalité le nouveau paysage rural. De plans semi-circulaires, ils présentent un imposant porche pourvu de quatre colonnes surmontées d’un fronton triangulaire (fig. 9) qui est « la marque de fabrique » de Durand. Il gratifie l’ancienne église affectée au culte35 d’Aigues‑Vives datée du XVIIe siècle, d’une paire de colonnes sous corniche en 1819 (fig.10) pour marquer sa nouvelle identité architecturale.

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Fig. 8

Beauvoisin (Gard), le temple de Charles Durand J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Fig. 9

Vauvert (Gard), le grand temple de Charles Durand ; portail monumental J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 10

Aigues-Vives (Gard), le temple. Ancienne église, dotée d’un portail de Charles Durand J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Fig. 11

Saint-Laurent d’Aigouze (Gard) ; temple de Charles Durand P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

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Fig. 12

Calvisson (Gard), le temple de Charles Durand J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 13

Mus (Gard), le temple et son portail de Léon Durand, fils de Charles J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

20 D’autres communes vont souhaiter qu’il intervienne sur des temples plus modestes pour apposer son monumental fronton à colonnes comme à Saint‑Laurent‑d’Aigouze (fig.11) ou Calvisson (fig.12) où il est obligé de biaiser le portique d’entrée pour donner du recul et de la monumentalité à un édifice exceptionnellement sis dans une petite rue du centre ancien, la parcelle affectée étant celle de l’ancien temple du XVIIe siècle. Son fils Léon apposera deux colonnes à la porte du temple de Mus également en 1819 (fig. 13). La Petite Camargue durant les années 1818‑1822 est couverte de chantiers à la gloire du protestantisme, car d’autres communes, qui ne sont pas forcément des sièges de consistoire veulent aussi « leur » temple et rivalisent d’originalité.

D’autres temples de caractère

21 Junas, en 1821 se dote, grâce à la générosité des habitants, d’un beau monument présentant une couverture voûtée en ogives quadripartites surbaissées, retombant sur des pilastres engagés en pierres appareillées. Un campanile ouvragé à décor de colonnettes antiquisantes bâti en 1846 (fig.14) reçoit une cloche fondue par Eugène Beaudoin en 1839. C’est un village de tailleurs de pierre. Le temple est très grand, en rapport de la taille du village, mais sur 1083 habitants à l’époque, 992 sont protestants36. Paré en 2013 de verres décorés originaux réalisés par Daniel Humair (fig.15) qui animent les murs blancs du temple de couleurs changeantes au gré du soleil, ce temple fait écho à Notre‑Dame‑des‑Sablons à Aigues-Mortes décorée de vitraux signés de Claude Viallat.

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Fig. 14

Junas (Gard), le temple J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 15

Junas (Gard), le temple ; détail d’un vitrail de Daniel Humair P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

22 Salinelles est le premier temple inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1991. Situé dans un écrin de verdure enclos, c’est un havre de paix, encore aujourd’hui. Construit sur un projet d’Élisée Méjan, il est terminé en 1841. Il dépayse le visiteur par son allure d’église de mission espagnole (fig.16). Simple parallélépipède à la base, deux tours en avancée enserrent une façade présentant une rosace en pierre sculptée rayonnante. Un clocher central d’allure baroque, accueille la cloche de l’ancien temple de Sommières, datée de 1583. C’est la plus ancienne cloche datant de la première génération de temple. La complexité de la toiture, en voutains indépendants évoquant la carapace d’une tortue, directement posés sur le bâtiment sans le relais de fermes, rappelle les techniques de constructions catalanes37.

23 Marsillargues très imposant, est construit dès 1818 avec un clocher orthogonal central terminé en 1823. Sa façade classique au tympan à doucine très finement taillé, typique de la restauration, contraste singulièrement avec celles des temples de Durand de l’autre côté du Vidourle.

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Fig. 16

Salinelles (Gard), le temple et son parc enclos J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

24 Le temple d’Aubais, inauguré en 1838, offre un compromis en proposant un campanile monumental, moins lourd qu’un clocher mais donnant au monument une certaine allure, d’autant qu’il est compensé par un portique à colonne héritier discret des temples précédents. Sa finesse d’exécution, en pierres appareillées, rehaussée d’un entablement rappelle la facture du campanile tout proche de Junas (fig.17).

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Fig. 17

Aubais (Gard), le temple P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

25 Enfin il faut signaler le temple de Vestric-et-Candiac, qui jouxte l’ancien château de M. de Mirmand et la statue du marquis de Montcalm38. Construit entre 1844 et 1851, c’est un tout petit temple rural de plan rectangulaire, extérieurement très simple. Mais il est doté d’une architecture intérieure exceptionnelle, qui contraste avec celle des autres édifices. Des colonnes soutenant des corbeaux ancrés dans les murs se détachent pour donner l’illusion d’une salle hypostyle (fig.18). L’ensemble est relevé d’un décor peint imitant le marbre par endroit, très sobre. Quatre œil‑de‑bœuf l’éclairent. Bien qu’il prenne une certaine place au sol, ce dispositif de huit colonnes dont deux engagées donne paradoxalement l’impression d’une monumentalité et d’un plus grand volume à l’intérieur. Ce luxe ne s’accorde pas avec la rigueur évangélique. C’est l’une des curiosités du Pays. Bien que tardivement construit, ce temple appartient bien à l’esprit et à la philosophie de construction de la première période. Enfin des secteurs protestants sont créés dans les cimetières publics avec des entrées distinctes39 qui remplacent peu à peu les tombeaux privés dont certains sont encore visibles dans la nature (fig.19).

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Fig. 18

Vestric-et-Candiac (Gard), le temple ; détail de l’intérieur sur le principe d’une salle hypostyle P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

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Fig. 19

Montmirat (Gard), tombeau protestant sur la route de Cannes-et-Clairan P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

Des temples et des écoles 1848-1882

Les protestants locaux, une mémoire pour la république

26 Les communautés protestantes soutiennent le combat républicain très activement40. Dès les années 1830 la Vaunage est considérée comme une « tache » républicaine41. Le rapprochement entre les protestants locaux et la « chose publique »42 est une vieille histoire. Rabaut Saint-Étienne n’avait-il pas ouvert la voie ? Dès les premières élections au suffrage autorisées après la révolution de 1848 qui instaura la Seconde république, ils entrent en politique, tout en dirigeant les consistoires, occupent les chambres de commerce, s’emparent des mairies, se présentent à la députation, créent des cercles républicains, animent des « cafés du Progrès », intègrent les loges maçonniques. Plusieurs maisons dans les centres anciens du Pays en affichent les attributs sur leur portail (fig.20)43. Cependant la loi Falloux (1850)44 avait déclenché des suspicions à l’égard du régime républicain, comme partout en terre protestante française. Les protestants locaux vont mettre leur énergie au profit d’un nouveau combat durant le Second empire pour promouvoir la laïcité et la séparation des églises et de l’état qui sera votée en 1905.

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Fig.20

Marsillargues (Gard), porte décorée d’attributs maçonniques P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

27 Les mentions républicaines vont alors être inscrites sur les façades des églises et des temples (fig.21) : « république Française, liberté, égalité, Fraternité ». On peut encore distinguer ces mentions à Cannes‑et‑Clairan, Aigues Vives, Salinelles ou le Cailar.

Fig. 21

Cannes-et-Clairan (Gard), le temple portant les mentions républicaines J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

28 Aux grandes causes, grands hommes. C’est un patrimoine protestant de mémoire cette fois-ci qui nous est donné, unique sur le territoire français, comme celui hérité des Quakers de Congénies. Deux grandes figures émergent du territoire à la fin du siècle qui

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joueront un rôle national. Aigues‑Vives où prêcha le pasteur Ribes est le village natal d’Émile Jamais (1856‑1893) sous-secrétaire d’état, député du Gard, et de Gaston Doumergue (1863‑1937), ministre puis président du Conseil, du Sénat et de la république, tous deux protestants, tous deux francs‑maçons. Gaston Doumergue, premier président de la république protestant de souche, a cédé sa maison natale et familiale avec tous ses objets et sa bibliothèque (fig.22) de plus de mille ouvrages à la commune. Véritable trésor, la maison a été labellisée « Maison des illustres » en 201245 et sera prochainement ouverte au public après d’importants travaux de mise en sécurité et de conservation. Patrimoine républicain avant d’être protestant, cette maison représente l’aboutissement d’un combat porté par une communauté qui conduisit l’un des siens à la plus haute destinée de la Nation (fig.23).

Fig. 22

Aigues-Vives (Gard), Maison Gaston Doumergue ; le bureau du Président P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

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Fig. 23

Aigues-Vives (Gard), Maison Gaston Doumergue ; la bibliothèque du Président P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

Les temple-mairie-école, une spécialité locale

29 Combat premier des protestants comme des Quakers, l’apprentissage de la lecture et l’ouverture d’écoles en milieu rural sont l’un des fondements de la réforme. Des écoles protestantes privées, existaient déjà, financées par les intéressés. La loi Guizot va permettre la construction de nouvelles écoles à côté de nouveaux temples le tout financé pour partie par l’état et la commune. Il est évident, au vu de la documentation et des archives, que l’affaire de l’éducation primaire dans les villages est « la chasse gardée » des protestants locaux46. Deux constructions de temples, deux cas « d’école » au sens figuré, éclairent particulièrement ce propos : les constructions de temple- mairie-école à Aubord (1840‑1859) et à Cannes‑et‑Clairan (1853‑1857)47. Ce cas unique de projet d’architecture à Aubord, englobe dans le même bâtiment le temple, la mairie et l’école, conçu comme tel dès 1839. Gabriel Chauvet l’entrepreneur conçoit un bâtiment très simple à la demande du maire louis Brunel. Le temple, de plan rectangulaire comprend une niche semi-circulaire à l’arrière pour la chaire qui est encastrée dans un bâtiment perpendiculaire débordant du temple sur lequel sera érigée l’horloge municipale ultérieurement. Cette aile arrière du temple comprend l’école au rez‑de‑chaussée et la mairie au premier étage.

30 Dès 1859, les gens se plaignent que l’on traverse l’école pour accéder à la mairie. en 1884, la mairie quitte le bâtiment pour une parcelle mitoyenne à l’est du temple où elle est édifiée. L’actuelle mairie a été reconstruite sur cette parcelle. L’école s’agrandit et prend alors les deux niveaux. On loge l’instituteur à l’étage après avoir refait un escalier. L’école restera à l’arrière du temple contre la mairie jusqu’en 1906, date de construction de l’école municipale dans un autre secteur du village. Le temple est alors doté de l’horloge publique sur sa partie arrière alors que son campanile sur la façade avant sonne l’heure du culte. Le bâtiment est toujours aujourd’hui propriété municipale, l’école et la mairie ont été remplacées par le « Café du Progrès » au tournant du XXe siècle où se tinrent sans doute de mémorables réunions politiques.

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C’est le seul cas connu de « temple-mairie‑école » transformé en « temple-café-horloge publique » sous la IIIe république en France, l’actuel cafetier payant toujours son loyer à la mairie voisine, propriétaire des murs. La porosité qui habite la mentalité locale au tournant de 1848 entre politique, école et protestantisme est ici évidente. Le café fut sans doute considéré comme un lieu de réunion et de convivialité plus que comme un lieu de débauche puisque son imbrication dans le temple ne dérangea personne. Récemment rénové à la mode du début du XXe siècle, ce café particulier et son temple sont l’un des patrimoines protestants les plus singuliers du Pays (fig.24, 25).

Fig. 24, 25

Aubord (Gard), le temple, son horloge publique et son « Café du Progrès » J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

31 Le cas de Cannes-et-Clairan est un peu différent mais tout aussi singulier. Alors que le culte s’y pratiquait à l’air libre, la loi Falloux décida M. Coste, d’une famille protestante du village, à donner gratuitement un terrain à condition que la commune crée l’école, le temple et la mairie dessus. Le projet initié en 1853 est confié à l’architecte Léon Feuchère de Nîmes, qui le termine en 1857. La mairie et le temple sont deux bâtiments accolés sur un promontoire, de façades et d’allures identiques, visibles de très loin (fig. 26). Il n’est pas possible de distinguer l’un de l’autre en tant que temple ou mairie. L’école se trouve à l’arrière du temple et de la mairie. L’ensemble est d’autant plus troublant pour le public que c’est le temple qui porte les mentions républicaines (fig. 21). Seuls le drapeau et l’horloge indiquent aujourd’hui la bonne porte à l’administré (fig.27). Cette volonté affichée de réunir temple, école et mairie pose visiblement un problème à l’architecte concepteur qui respecte cependant la volonté du donateur. Ce dispositif crée immédiatement des soucis d’ancrage sur le temple qu’il faut réparer par deux fois, la voûte s’étant lézardée en 1864 et 1890.

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Fig. 26

Cannes-et-Clairan (Gard), le temple et la mairie ; deux façades jumelles V. Marill © Inventaire général Occitanie

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Fig. 27

Cannes-et-Clairan (Gard), la mairie, ses drapeaux et son horloge à côté du temple P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

32 Ces deux exemples mettent en évidence une évolution qui caractérise la deuxième moitié du siècle. L’instituteur de l’ancienne école protestante, est devenu l’instituteur communal, assurant la classe publique la semaine, l’animation de la « bibliothèque populaire » le soir48 et « l’École du Dimanche » pour les adultes quand il n’assiste pas le pasteur au culte et le maire au conseil municipal. C’est le cas de Samuel Jaulmes à Congénies49, instituteur public, frère et oncle d’une dizaine de pasteurs. Le village compte à cette époque quatre écoles, une est quaker, l’autre méthodiste, la troisième réformée et il reste bien sûr une école catholique. Le nombre de temples double sur dix ans dès 1848 comme le nombre d’écoles50. En tout cas les instituteurs d’Aubord comme de Cannes‑et‑Clairan n’avaient pas de problèmes de déplacement pour exercer leur service public et confessionnel. Une idée sans doute empruntée aux Quakers et aux Méthodistes qui faisaient l’école dans leurs chapelles dès le début du siècle.

Le « réveil » méthodiste et ses conséquences

33 Les prédicateurs méthodistes se sont implantés dans diverses communes du Pays, le plus célèbre d’entre eux étant l’anglais Charles Cook (1787‑1858). Attiré dès 1820 par les Quakers locaux, profitant de l’ouverture intellectuelle, il s’installe à Caveirac et fait école en Vaunage ayant épousé la fille du pasteur Marzials, native de Saint-Laurent- d’Aigouze51. Congénies, où les Quakers ont déjà leur maison d’assemblée, devient sa base opérationnelle en France. Sa fille Marie épousera le pasteur Sully Jaulmes (1822‑1891) natif de ce village. Ils influencent l’architecture locale, amenant le néo- gothique anglais, et créent des chapelles méthodistes dans certains villages comme à

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Codognan (fig.28) ou Congénies. Les calvinistes locaux concurrencés par le « réveil » évangélique52 anglo‑saxon sur leurs propres terres font construire des temples dans les moindres villages. Les méthodistes sont à l’origine d’un courant de pensée dit « évangélique » ou « orthodoxe ». Il conduira à la construction des « petits temples » de Marsillargues (fig.29) et Vauvert en 1866 et 1869 après les grands temples de la première période dans les mêmes communes, pour des raisons de divergence de doctrines et d’enseignement. Leur référence principale reste la seule lecture de la Bible, qu’ils développent dans leurs écoles confessionnelles alors que les réformés dit « libéraux » ont investi les écoles publiques locales à l’ombre de leurs temples.

Fig. 28

Codognan (Gard), le temple ou chapelle méthodiste évangélique en style gothique anglais J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 29

Marsillargues (Hérault), le « petit temple » en style gothique anglais V. Marill © Inventaire général Occitanie

La collection des temples « au Livre » 1845-1880

34 Ces temples présentent en façade un livre sculpté parfois inscrit, parfois sans écritures, le plus souvent portant simplement l’inscription « Sainte Bible ». Cet élément discriminant apparaissant sur des façades dont la création s’étend sur une période de trente-cinq ans essentiellement de 1845 à 1880, nous a conduit à identifier ces temples dans le cadre d’une typologie et à leur donner le nom de temples « au livre » dans notre inventaire architectural. Hormis cet élément, leur architecture est conforme à celle des autres temples avec les éléments intérieurs habituels, chaire à prêcher, table et lutrin.

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Fig. 31

Aspères (Gard), le temple « au Livre » J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Fig. 32

Fontanès (Gard), le temple « au Livre » J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

35 La Petite Camargue et la Vaunage en comptent la plus grande collection concentrée sur un petit territoire français actuellement conservée (fig.1). Entre Aspères (fig.31) pour le plus ancien, daté de 1847, et Fontanès, le dernier construit en 1881 (fig.32), un ensemble d’édifices décline cet élément sous diverses formes. Le plus imposant est à Codognan créé par l’architecte diocésain Henri Revoil en 185553 (fig.33, 34), qui construit en même temps et sur la même parcelle cadastrale l’horloge publique. Le temple jouxte la mairie et l’école. il présente une abside à l’arrière, inhabituelle pour un temple, due sans doute à un choix délibéré de l’architecte, grand bâtisseur d’églises par ailleurs. Si le temple

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est dépourvu de toutes fioritures architecturales intérieures, il est doté d’une chaire en bois décorée d’entablements moulurés et de culots inversés reposant sur une colonne à décor floral stylisé qui tranche nettement avec la sobriété habituelle des chaires.

Fig. 33

Codognan (Gard), le temple « au Livre » V. Marill © Inventaire général Occitanie

Fig. 34

Codognan (Gard), le temple « au Livre » J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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36 Le temple de Villevieille (fig.35) est construit la même année. Comme à Junas, le temple est voûté en ogives quadripartites, séparées par des arcs en plein-cintre surbaissés retombant sur les pilastres encastrés en pierre de taille. Des contreforts extérieurs contrebutent la poussée de la couverture permettant l’ouverture de fenêtres hautes. Le « livre » (fig.35 bis) présente un encadrement à boucles néoclassiques stylisées qui s’accorde avec les frontons triangulaires à corniches de la porte, du temple et du campanile. La façade est cadrée entre deux pilastres décorés d’un large entablement qui supporte la corniche de toiture. Cette allure très classique s’accommode aujourd’hui parfaitement avec le site gallo-romain voisin des Terriers.

37 À Sommières (travaux entre 1845 et 1865) et lunel (1854‑1857), les livres sont rapportés à l’occasion de la recréation des façades, ces deux temples étant d’anciennes églises de couvent. Les livres ne figurent pas dans les descriptifs des devis de travaux. C’est aussi le cas dans les devis de constructions des autres temples « au livre » celui-ci n’est ni mentionné, ni décrit. Il est assez facile de voir comme à Villevieille ou à Codognan que le livre s’inscrit stylistiquement dans la continuité créative de la construction du bâtiment et par conséquent quand la date de création est connue elle permet également de dater le livre. Mais la question se pose lorsqu’il s’agit de bâtiments antérieurs sur lesquels les façades et leur livre sont rapportés comme sur les temples du Cailar (1861) (fig.36, 37) et d’Aimargues (1865 ?) (fig.38, 38 bis). Sur le premier, il n’est pas envisageable que le livre soit antérieur à la construction du clocher puisque le bloc porte actuel qui le présente est construit durant ces travaux-là. Sur le second, aucune mention du livre ne figure, malgré les détails poussés de description de décors extérieurs dans les devis.

Fig. 35, 35bis

Villevieille (Gard), le temple « au Livre » avec détail du livre J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 36

Le Cailar (Gard), le temple « au Livre » ; détail du livre et de la mention républicaine P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

Fig. 37

Le Cailar (Gard), le temple ; détail du clocher rapporté P. Carlier © S.M. Pays Vidourle Camargue. Inventaire du patrimoine

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Fig. 38, 38bis

Aimargues (Gard), le temple « au Livre » et détail du livre J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

38 En revanche les livres sont de facto datés par les constructions à Cannes-et-Clairan (1854‑1857), Boisseron (1859‑1863), temple présentant un portail à l’allure fortifiée cantonné de deux tours massives et d’un clocher maçonné portant une meurtrière, et aux « petits temples » de Marsillargues (1866) (fig.29) et Vauvert (1869) d’inspiration néo‑gothique. Ces trois derniers temples et celui de Codognan présentent des inscriptions bibliques sur les livres. Vauvert et Marsillargues sont des temples « évangéliques » mais pas les deux autres. Au contraire à Codognan, c’est le temple réformé qui porte les écritures et le livre, la chapelle évangélique méthodiste (fig.28) n’en a pas. En revanche, il semblerait que la chapelle méthodiste de Congénies, en ait eu un54. Il en existe aussi dans le Pays de Nîmes tout proche, tous construits entre 1845 et 1880, comme à Saint‑Gilles, Milhaud ou Caveirac55. Le seul livre construit mentionné avec certitude est celui du grand temple de Nîmes (ancienne église), rajouté et marqué comme tel en 1843 dans le devis de travaux56.

39 Ces observations ouvrent le débat sur le pourquoi de ces livres. Si le groupe architectural est indiscutable, tant sur le plan récurrent de l’élément discriminant que sur la courte période de création de ces édifices, on peut s’interroger largement sur les motivations de ces sculptures. Pourquoi sont-elles sur certains temples et pas sur d’autres à la même époque alors que les communautés sont de même branche confessionnelle, évangélique ou réformée ?

40 Apprendre à lire permet de lire la Bible sans intermédiaire. Nous avons démontré plus haut l’intérêt des communautés protestantes locales pour l’apprentissage de la lecture, tant dans les écoles confessionnelles que dans les écoles communales allant jusqu’à intégrer mairies, écoles et temples dans un seul ensemble immobilier. Alors temples « au livre » ou « au livre » ?

41 L’ellipse est tentante d’y voir un lien de cause à effet. Du côté confessionnel, ce serait l’apport du réveil dont les prédicants étaient très présents sur le territoire, du côté progressiste, les réformés locaux auraient ainsi marqué leur accompagnement de la république française jusqu’à la promulgation de la loi Ferry57, fournissant même à quatre-vingt années d’écart deux ministres de l’instruction Publique, François Guizot (1930) et Gaston Doumergue (1910). il serait dangereux d’abonder l’un ou l’autre sans

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discernement. L’affaire est beaucoup moins simple à l’analyse architecturale qu’il n’y paraît, les contradictions relevées ci‑dessus ne permettent pas d’établir une stylistique liée à un mouvement ou à une pensée précise. Seule une étude plus poussée et élargie à l’ensemble de la France protestante pourra apporter un début de réponse à cette intéressante question. D’autres petites régions ont aussi des temples « au livre ». C’est le cas de la presqu’île d’Arvert, entre Royan et Marennes en Charente‑Maritime. Les Cévennes gardoises n’en comptent que de très épars à Saint‑Hippolyte‑du‑Fort, Saint Ambroix ou Saint Théodorit. La Drôme n’en a pas, bien que ses temples soient de la même époque pour beaucoup et que Charles Cook y ait particulièrement prêché.

42 C’est donc une analyse comparée tant sur le plan historique que sociologique qui pourrait éventuellement par son élargissement apporter des éclaircissements supplémentaires sur l’existence de ce groupe architectural d’édifices. À l’évidence, bien que fournies, les archives civiles n’y suffisent pas.

43 Enfin, nous terminerons cette présentation du patrimoine protestant de Vaunage et de Petite Camargue, aussi riche que méconnu, par la mention de quelques tristement célèbres prisons, la Tour de Constance à Aigues-Mortes, la Tour des Prisons de Lunel et la chapelle castrale du Château de Sommières transformée en prison où les protestants incarcérés avant déportation gravèrent leur nom. Bien restaurés et ouverts au public, ces trois sites présentent des graffitis qui ont été préservés et valorisés. Ces noms intéresseront sans doute les nombreux descendants dans le monde entier de réformés français envoyés aux galères ou déportés à l’étranger. En perpétuelle recherche de leurs racines, ces touristes d’un nouveau genre sont déjà très présents dans les Cévennes.

44 C’est donc un riche patrimoine, exceptionnel par son abondance et sa variété typologique, qui existe aujourd’hui sur le territoire du Pays Vidourle Camargue.

45 Temples, tombeaux, maisons, lieux de mémoire sont autant de marqueurs urbains ou paysagers qui ont engendré à la fois le développement de nouveaux centres générant une bipolarité urbaine encore bien visible aujourd’hui, mais aussi un environnement rural singulier. Deux grandes phases de constructions subsistent. l’une monumentale et néoclassique, a initié la création de temples parmi les plus beaux du département, malgré leur implantation dans de toutes petites communes rurales, l’autre plus modeste mais fortement marquée par la pensée républicaine naissante, a laissé quelques « curiosités publiques » et un trésor de temples « au livre », si rares en France.

46 Mais quel avenir pour ces monuments en ce début de XXIe siècle alors que l’afflux massif de nouveaux résidents depuis les années 1980 à parfois quadruplé voire décuplé le nombre d’habitants par village. Largement majoritaires au XIXe siècle comme nous l’avons montré, présentes pour moitié dans la plupart des villages au début du XXe siècle, les églises réformées de Vaunage et de Petite Camargue d’aujourd’hui, pourtant encore bien présentes, ont subi le départ des autochtones et le brassage de population lié à l’évolution récente. Elles n’ont plus les moyens d’animer tout ce patrimoine, comme en témoigne les regroupements de paroisses et bien des temples sont désaffectés et vendus pour certains aux particuliers. Ce patrimoine bâti doit aujourd’hui faire l’objet de l’attention des pouvoirs publics pour la qualité intrinsèque qu’il représente. La DRAC Occitanie a montré l’exemple en instruisant l’inscription de cinq temples de ce secteur à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, le Pays a modestement contribué à en réhabiliter certains. Il

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ne s’agit pas de conserver ces édifices uniquement s’il y a encore « une poignée de protestants dans le village », mais bien de transmettre un patrimoine culturel aux générations futures. Seule une valorisation touristique mettra en évidence ce devoir de conservation par le flux qu’elle captera comme partout en France où ce patrimoine est mis en valeur, il suffit de se tourner vers les Cévennes toutes proches. Cela permettra sans doute de renforcer une prise de conscience politique, déjà localement initiée, de manière durable autour de ce patrimoine, tant il est l’un des témoins identitaires profonds d’un vécu propre aux habitants de ce territoire sur cinq siècles de mémoire.

NOTES

1. Voir dans cette même revue l’article de Josette Clier et Théodore Guuinic sur Charles Durand. 2. Temples de Junas et de Vestric-et-Candiac en 2014, Codognan et Cannes-et-Clairan en 2017. 3. Vauvert, grand temple, Beauvoisin, Gallargues-le-Montueux, Quissac et Bernis, inscrits en 2010 et 2012. 4. DUBIEF, Henri ; POUJOL, Jacques. La France Protestante, histoire et lieux de mémoire, Paris, éd. Max Chaleil, 2005. 5. FANGUIN, Pierre. Textes et documents sur l’histoire du protestantisme dans le Gard. Nîmes, Service éducatif des archives départementales du Gard, 1986, p. 15-16 et 195-196. Plusieurs cartes sont reprises d’après MOURS, Samuel, Robert, Daniel. Le protestantisme en France du XVIIIe siècle à nos jours. 1685-1970. Paris, librairie protestante, 1972. 6. FANGUIN. Op.cit. p. 20. La carte montre que toutes les communes du Pays ont régulièrement un pasteur dès la fin du XVIe siècle, sauf quatre. 7. FANGUIN. Op.cit. p. 20. 8. FAUCHERRE, Nicolas. Note d’intérêt patrimonial sur le Fort de Peccais. LA3M, MMSH, Aix-en- Provence, 2015. Non publié. Inventaire Pays Vidourle Camargue. 9. L’imprimerie de Sébastien Jacquy existe à Nîmes en 1579. FANGUIN. Op. cit., p. 15. 10. FANGUIN. Op.cit., p. 15-17 et 36. 11. Léonard, Émile, G. « la vie des protestants dans le marquisat d’Aubais au XVIII e siècle. ». Bulletin de la société d’histoire du protestantisme français, déc. 1922, p. 470-472. Sous couvert de visite de sa bibliothèque, Charles de Baschi, Marquis d’Aubais, mousquetaire du roi, chevalier du Saint-Esprit n’hésitait pas à recevoir des prédicants dont la tête était mise à prix, au vu et au su du village. 12. Nom donné aux anciens protestants ayant accepté officiellement de redevenir catholiques pour conserver leurs biens, après la révocation de l’édit de Nantes en 1685. 13. CHAMBRIER, Alexandre de. Henri de Mirmand et les réfugiés de la Révocation de l’Édit de Nantes, 1650-1721, Neuchatel, 1910. 14. GROSSI, Roger. « Conflits internationaux et mouvements d’idées en Vaunage ». Dans ROGER, Jean-Marc (dir.). La Vaunage au XIXe siècle. Hommage à Maurice Aliger de l’Académie de Nîmes, Lacour 1996. p. 529-542. Daniel Raoul, prédicant vaunageol défendant les idées des futurs quakers, notamment la non violence, périt roué durant la guerre des Camisards, en 1703. 15. GROSSI. Op. cit. C’est en lisant un article paru dans la Gazette de France en 1785 sur des quakers anglais qu’ils découvrent leur existence et l’identité de pensée qui les rassemble. Cinq membres de la communauté de Congénies leur écrivent pour établir le contact. ils délèguent Jean de

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Marsillac de Nîmes en Angleterre pour régler leur adhésion et obtenir une reconnaissance officielle. Les « coufflaïres » devinrent alors les « Quakers de Congénies ». 16. PIC, robert. « La vie religieuse - les protestants ». Dans ROGER, Jean-Marc. Op.cit.p. 367-383. Coufflaïres peut se traduire par « soupirants » ou « souffleurs ». 17. Louis Médard a offert sa bibliothèque à sa ville. Elle constitue aujourd’hui le fonds du Musée Médard de Lunel. L’un des trois exemplaires existants de l’Histoire Naturelle de Buffon y figure. 18. Jean-Paul Rabaut dit « Rabaut Saint-Étienne » (1743-1793). Pasteur à Nîmes et député du Tiers-état, était le fils aîné de Paul Rabaut, (1718-1794), pasteur à Nîmes. Après avoir travaillé avec son père à l’obtention de « l’édit de Tolérance » de 1787, il fut l’un des pères de la Constitution républicaine. C’est à propos de l’article portant sur les Droits de l’Homme qu’il défendit la cause de la liberté de conscience et de culte. Voir FANGUIN, Pierre. Op.cit., p. 154-162. Concernant le pasteur Ribes, voir GAUSSENT, Jean-Claude. Grandes figures de Vaunage et Petite Camargue, Saint-Gely-du-Fesq, Mémoire d’Oc éditions, 2008. p. 13-34. 19. DEBANT, robert. « Des vaunageols spécialistes de sciences humaines ». Dans Roger, Jean- Marc. Op.cit., p. 387-406. L’auteur décrit les relations importantes entre philosophes européens et théologiens locaux. Il fait état d’un foyer intellectuel vaunageol en contact avec les théologiens suisses et allemands. 20. Signés le 8 avril 1802, ils règlementent le fonctionnement des cultes. 21. La Vistrenque, territoire sis au sud-ouest de la plaine de Nîmes, bassin versant du Vistre, fleuve côtier qui relie Nîmes aux étangs du littoral. 22. En 1803 : Mus : 68,6 %, Codognan : 93,4 %, Gallargues-le-Montueux : 85,6 %, aigues-Vives : 94,4 %, Vergèze : 91,9 %, Calvisson : 90,9 %, Nages : 89,4 %, Boissières : 88,9 %, Congénies : 80,7 %. FANGUIN, op.cit. p. 174. 23. À Vauvert, aigues-Vives et Calvisson avec chacune trois pasteurs, et à Sommières avec quatre pasteurs pour vingt communes. FANGUIN. Op.cit., p. 178. Pour le détail des communes dépendant de ces consistoires, les pasteurs nommés et les membres du consistoire, voir également Rabaud LE JEUNE. Annuaire ou répertoire ecclésiastique à l’usage des églises réformées et protestantes de l’Empire français, Paris, 1807. Gard, p. 72-106 et Hérault, consistoire de Marsillargues, deux pasteurs et 13 diacres. p. 112-120. 24. AD Gard V 346. Beauvoisin, aigues-Vives, Mus, Codognan, Nages, Solorgues, Villevieille, aujargues, lecques, Montmirat. 25. Voir article sur Charles Durand, dans cette même livraison. La façade de l’église d’aigues- Vives fut refaite par Charles Durand. 26. À Calvisson, il resterait quelques murs d’un ancien lieu d’assemblée, comportant une inscription datée de 1597. Cependant, les archives du XIXe siècle nous indiquent que l’ancien temple se trouvait sur le même site que l’actuel. AD Gard. 2.0 494 et V 418. Ces vestiges appartiendraient donc à un temple encore plus ancien. 27. Les Meynier donnent un terrain à Salinelles, Sylvestre Vesson et Jacques Blatière en achètent un au Cailar ; M. Coste en donne un à Cannes-et-Clairan pour construire la mairie, l’école et le temple. 28. On retrouve la même bipolarité urbaine dans d’autres régions protestantes de France. Dieulefit (Drôme) est un cas typique avec une rue reliant les deux places de l’église et du temple. Saint-Just-Luzac, à côté de Marennes en Charente-Maritime, a deux hameaux, l’un autour de l’église, l’autre autour du temple, espacés de 2 km comme à Crespian. 29. Ce travail nous a été grandement facilité par la consultation du mémoire de Véronique RIPOLL présentant le répertoire des archives concernant les temples du XIXe siècle dont le Gard et l’Hérault. Notamment les références d’archives nationales concernant la construction des temples dans les consistoires : F 19 10 650 (aigues-Vives et ses communes), F19 10 653 (Calvisson et ses communes), F19 10 658 (Sommières et ses communes), F19 10 660 (Vauvert et ses communes), F 19 10 664 (Marsillargues). RIPOLL, Véronique. L’architecture des temples du

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XIXe siècle, mémoire de D.E.A. sous la direction de Philippe Joutard, Université d’Aix-en-Provence, 1990. Non publié. Consultable au pôle M.H de la DRAC Occitanie. MHDC 3985. Pour l’ensemble du chapitre ont été consultées aux AD Gard les références suivantes dans la série 2.0 (travaux communaux) et série V (les cultes) : aigues-Vives : 2.0 63, V. 396 ; Aimargues : 2.0 78, V. 396 ; Aspères : V. 398 ; Aubais : V. 398 ; Aubord : 2.0 204, V. 398 ; Aujargues : V. 399 ; Beauvoisin : V. 405 ; Calvisson : 2.0 494, V. 418 ; Cannes-et-Clairan : 2.0 510, V. 420 ; Codognan : 2.0 602, V. 423 ; Combas : V. 425 ; Congénies : V. 426 ; Crespian :2.0 678, V. 426 ; Fontanès : 2.0 759, V. 430 ; Gallargues-le-Montueux : 2.0 861, V. 434 ; Junas : V. 434 ; Lecques : V. 437 ; le Cailar : 2.0474, V. 416 ; Montmirat : V. 451 ; Montpezat : V. 451 ; Mus : 2.0 1158, V. 452 ; Nages-et- Solorgues : V. 452 ; Salinelles : 2.0 1879, V. 479 ; Sommières : 2.0 1955, V. 482 ; Souvignargues : V. 483 ; Saint-Laurent d’Aigouze : V. 473 ; Uchaud : 2.0 2017, V. 485 ; Vauvert : 2.0 2076-78, V. 487 ; Vergèze : 2.0 2100, V. 488 ; Vestric-et-Candiac : 2.0 2113-14, V. 489 ; Villevieille : V. 490. Aux AD Hérault : Boisseron : 7 V 29 ; Campagne : 2.0 48/8, 7 V 30 ; Lunel : 2.0 145/50, 7 V 32 ; Marsillargues : 2.0 151/20. 30. Loi du 24 juin 1833. François Guizot, protestant nîmois est nommé ministre de l’instruction Publique sous louis-Philippe (1830-1848). Il rendit les écoles primaires obligatoires pour filles et garçons, séparées mais mixtes de confession. Les écoles protestantes locales furent remplacées par des écoles communales, le salaire des maîtres étant financé par l’état. Les protestants locaux en profitèrent pour faire construire de nouveaux temples et des écoles publiques, les anciens instituteurs protestants, après l’obtention d’un brevet étant devenus instituteurs publics. 31. Adéquation entre la pensée philosophique, la religion, l’enseignement et l’architecture, la scolastique fut initiée par Thomas d’Aquin au XIIIe siècle. Enseignant à la Sorbonne, il concilia le dogme chrétien et la pensée aristotélicienne qui introduisit l’homme et la raison dans le dogme, ouvrant ainsi la porte à la réforme trois siècles plus tard. PANOFSKY, Erwin. Architecture gothique et pensée scolastique, Paris, éd. de Minuit, coll. le sens commun, 1967. 32. Renseignement fourni par J. Clier, documentation du pôle MH, DRAC Occitanie. 33. Ce clocher cause des désordres dès 1897. Une citerne construite dessous fragilise l’ensemble du portail. Le temple, inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques est actuellement en cours de réhabilitation, le portail menaçant de nouveau de s’effondrer. 34. Pour l’ensemble de ces temples et l’œuvre de Charles Durand, voir l’article de J. Clier et T. GUUINIC, dans cette revue. 35. AD Gard. V 344. An X à 1818. Affectation des anciennes églises en temple. 36. COLLECTIF. Le temple de Junas. A.R.T. association pour la rénovation du Temple, 2013. Daniel Humair, artiste peintre et célèbre musicien de jazz, a réalisé ces vitraux assisté du verrier Eric Linard de la Garde-Adhémar dans la Drôme. Le village de Junas organise en ses carrières depuis 25 ans le festival « Jazz à Junas ». [En fait de vitrail, il s’agit d’une feuille souple décorée dans la masse (secret Linard) emprisonnée entre deux couches de verre translucides qui rigidifient l’ensemble.] 37. Aucun document d’archives trouvé à ce jour ne précise le pourquoi de ce choix architectural. La question reste ouverte. 38. Deux grandes figures de l’histoire de France de souche protestante : M. de Mirmand refusa de se convertir et mourut en exil. « Nouveau converti » comme son père, le marquis de Montcalm mourut en 1759 sur les plaines d’Abraham en défendant la ville de Québec pour le royaume de France. 39. C’est le cas de nombreux petits villages et l’on peut toujours aujourd’hui voir les deux secteurs et les deux portes, comme à Aubais par exemple. 40. HUARD, Raymond. La Vaunage, terre républicaine au XIXe siècle. ROGER, Jean-Marc. Op.cit., p. 497-528. 41. DEBANT, robert. « La restauration et la Monarchie de Juillet en Vaunage, ». Dans ROGER, Jean- Marc. Op.cit., p. 489-495.

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42. La res publica en latin, qui donna le nom de « république ». 43. On peut en voir à Marsillargues dans des rues proches du château. 44. Loi autorisant les églises à s’occuper de l’instruction publique pour toutes les confessions. Aidées par le denier public, ces écoles étaient principalement contrôlées par des catholiques restés majoritaires en France. Les protestants, ne représentant que 2 % des Français, craignirent de retomber dans les travers de l’ancien régime qui utilisait l’école pour propager le catholicisme à leur détriment. 45. Outre l’octroi de ce label, le ministère de la Culture l’a également inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, en 2015. 46. Pour tout ce qui concerne le protestantisme et l’accompagnement des lois pour l’apprentissage public de la lecture durant le XIXe siècle, voir : RUOLT, Anne. « Du rôle éducatif précurseur au XIXe siècle, du comité d’encouragement des écoles du Dimanche (1826-1828) en faveur de l’instruction religieuse et primaire des protestants de France », Rassegnia di pedagogia, 3-4, 2011, p. 81-105. Et CABANEL, Patrick, ENCREVÉ, André. (dir.) Les Protestants, l’école et la laïcité. XVIIIe-XXe siècles. Paris, INRP, mai 2006, n° 110. 47. Voir les références d’archives, note 29. 48. Ouverte à tous mais bibliothèque d’origine protestante pour aider à l’alphabétisation et à la culture des enfants et des adultes dans les villages. 49. LEFEBVRE, Roger. « L’enseignement en Vaunage au XIX e siècle ». Dans ROGER, Jean-Marc (dir.). Op.cit., p. 285-310. Les Jaulmes de Congénies sont une dynastie de pasteurs méthodistes, alliés de Charles Cook, auteur de la vague de réveil méthodiste dans la région. Sa fille, Marie Cook, avait épousé Sully Jaulmes, frère de Samuel, qui fut pasteur à Lausanne. 50. GROSSI. Op.cit. Sur 386 écoles protestantes en France il y en a 110 dans le Gard dont 25 en Vaunage et Petite Camargue. 51. Le Quakerisme a été fondé par George Fox (1624-1691) en Angleterre au XVII e siècle. Concernant les Quakers de Congénies, héritiers des « coufflaïres », les méthodistes, Charles Cook et son action en Vaunage, voir PIC, robert. Op.cit., p. 367-383. 52. FANGUIN. Op.cit., p. 188. 53. Pour les références d’archives consultées sur ces temples, voir la note 29. 54. PIC, robert. Op.cit. 55. La liste donnée n’est pas exhaustive. Nous nous sommes cantonnée au territoire du Pays et aux communes proches. Mais il serait intéressant de faire le relevé intégral de ces temples sur le département du Gard. 56. AD Gard. V 455. 57. 28 mars 1882. Jules Ferry. École gratuite et obligatoire pour tous.

RÉSUMÉS

Il existe au sud de Nîmes un patrimoine protestant majeur méconnu du grand public. La réforme adoptée dès 1530 perdure malgré la répression jusqu’au début du XIXe siècle. Tous les villages de Vaunage et de petite Camargue vont alors se doter de temples, soit une cinquantaine d’édifices. Deux phases de construction se développent, l’une monumentale présente les plus beaux temples de Charles Durand, l’autre dès 1840 marque le combat local pour l’instauration de la république

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et l’ouverture d’écoles faisant des temples-mairie-école et des temples « au Livre » une spécialité locale.

South of Nîmes, is a major protestant heritage underestimated by the general pubic. The Reformation adopted from 1530 continues in spite of the repression till the beginning of the XIXth century. All the villages of Vaunage and Small Camargue are then going to be equipped with protestant church, that is about fifty buildings. Two construction phases develop, the one presents Charles Durand’s most beautiful temples, the other one from 1840 marks the local fight for the institution of the Republic and the opening of schools, making temples-town hall-school decorated with carved Bible a local speciality.

INDEX

Index géographique : Gard Keywords : protestantism, temple, religious architecture, 19h century Mots-clés : protestantisme, temple, architecture religieuse, XIXe siècle

AUTEUR

PATRICIA CARLIER UMR 7307 IDEMEC Aix-Marseille Université / M.M.S.H. Chargée de mission patrimoine au Pays Vidourle Camargue

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Une architecture d’exception pour l’Église réformée de Ganges (Hérault) Exceptional architecture for the Ganges Reformed Church (Hérault)

Yvon Comte

1 Ganges est, après les périodes difficiles de la fin du moyen-âge, un petit centre économique dont la prospérité atteint son apogée à la fin du XVIe siècle grâce à la forte présence de la communauté protestante des Cévennes, notamment entre Saint‑Hippolyte et Le Vigan, et à la puissance de son organisation autour du consistoire. La ville reste considérablement marquée par les conflits religieux de cette période qui ne s’apaisent durablement, après l’épisode terrible de son opiniâtre résistance aux persécutions des dragonnades, qu’à partir du concordat, au début du XIXe siècle. Le contexte spécifique du protestantisme cévenol, et particulièrement gangeois, est encore très présent ici et il est bien différent sociologiquement de celui des riches communautés protestantes urbaines de Nîmes ou de Montpellier. Le seigneur de Ganges, comme ceux des environs, passe à la religion réformée dès 1560, ce qui entraîne la conversion de la quasi‑totalité de ses sujets. Le consistoire exerce alors une forte emprise sur la vie de la communauté qui, nonobstant des côtés certes positifs et charitables, impose une discipline radicale autoritaire, donnant lieu à certains excès et ceci jusqu’à la fin de la guerre de trente ans en 1648. Alors en position de force, les protestants auraient accueilli en 1560, Théodore de Bèze, le théologien humaniste, proche de Calvin, venu en personne prêcher (lors de son voyage de Genève jusque dans le sud‑ouest)1.

Le contexte particulier du protestantisme à Ganges

2 Même s’il n’est pas aussi fortement protestant que le département du Gard, le département de l’Hérault compte une minorité significative d’adeptes de la religion réformée répartis dans plusieurs secteurs isolés et principalement, bien sûr, dans le

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piémont cévenol au nord-est de son territoire. Les chiffres donnés par les recensements anciens sont extrêmement difficiles à interpréter2 mais la communauté réformée est vraisemblablement majoritaire à Ganges et dans les communes voisines jusqu’à la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Les protestants sont aussi nombreux dans cette petite ville qu’à Montpellier (où ils ne représentent qu’une fraction minime de la population)3.

3 Le premier temple est bâti dès 1605, sur un terrain acheté par la ville avec les décombres de la vieille église médiévale Saint‑Pierre, détruite dans les années 1560. Sur le cadastre de 1837 (fig.1), la « Place de l’ancien temple » et la « rue du temple Vieux » situent bien le lieu de culte protestant intra‑muros, dans le premier cœur médiéval, objet de regrettables destructions à partir de 1906, où se trouvaient la première église et le château seigneurial.

4 Ce « temple nouveau » était conçu sur un plan rectangulaire coupé longitudinalement en deux parties pour séparer hommes et femmes. Il comportait une chaire bâtie, partie intégrante de la construction, et des bancs personnalisés pour les notables.

5 Après le retour progressif du pouvoir catholique, on assiste au renversement, sinon des convictions, du moins des opportunités politiques. C’est au tour du temple d’être démoli dès l’année de la Révocation en 1685. Plus tard, les dragons arrivent en nombre pour « convertir » violemment la population. C’est ensuite la « traversée du Désert » avec la clandestinité des pratiques cultuelles dans les foyers et la traque des pasteurs puis les « Assemblées du Désert ». Durant cette période les catholiques qui ont repris le contrôle de la ville reconstruisent leur église. Cependant, la « guerre des Cévennes » fait rage et la ville est prise par deux fois au tout début du XVIIIe siècle par le chef des camisards Pierre Laporte, dit Rolland. La présence d’une dalle tumulaire commémore la mémoire d’un personnage majeur de la pensée huguenote au siècle des Lumières : Jean Gal‑Pommaret (sic), très digne pasteur de l’Église de Ganges, l’ayant desservie avec édification durant 42 ans, âgé de 72 ans, 1790 : organisateur de cultes « au désert », il participa à l’avènement de la Révolution4.

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Fig. 1

Ganges (Hérault) ; extrait du plan cadastral de 1837 montrant le noyau médiéval avec mention des places et rue du temple © AD Hérault

6 Il faut attendre la Révolution pour retrouver une paix relative entre les communautés. Les protestants ne représentent plus qu’une minorité de la population sur le territoire national5 mais, dans quelques villes comme Ganges, elle est encore suffisamment nombreuse pour avoir besoin d’un lieu de rassemblement conséquent. La situation s’améliore alors et les protestants investissent quelquefois d’anciennes églises et notamment celles de couvents urbains. C’est le cas à Montpellier ou à Nîmes6 et également ici à Ganges avec l’ancien couvent des cordeliers. Détruit une première fois lors des guerres de religion, comme l’église paroissiale, le couvent couvrait une vaste superficie au nord-ouest de la ville médiévale, hors les murs, à proximité des axes de communication. Il avait été reconstruit en 1673, sur injonction donnée par le Parlement de Toulouse aux consuls, mais dans des proportions beaucoup plus modestes et abandonné dès la fin du XVIIe siècle. C’est là que s’édifient des casernes dans la première moitié du XVIIIe siècle. Vendu comme bien national, en 1791, le couvent est investi par les protestants en 1793. Il est ouvert sur la place de l’ormeau, où se passent les grands évènements locaux. Le nouveau temple figure sur le cadastre de 1837, « rue du temple », comme un simple rectangle à l’angle est de cet espace. L’instauration du régime concordataire sous Napoléon au début du XIXe siècle rend la condition des religions minoritaires plus claire et leur autorise une certaine prospérité7. C’est d’autant plus vrai à Ganges où les protestants sont de plus en plus nombreux, nécessitant plusieurs ministres du culte, supervisant également les communautés voisines de Gorniès et de Cazilhac.

7 En 1842, l’ensemble est devenu trop petit et délabré. Le consistoire adresse une supplique au maire : nous ne pouvons prévoir l’instant précis où un écroulement s’en suivrait mais la certitude d’une pareille catastrophe ne peut être douteuse8. L’ancienne chapelle servant de temple est donc entièrement détruite pour pouvoir édifier à la place le

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véritable monument que la communauté protestante, encore riche et puissante, appelle de ses vœux pour affirmer sa prépondérance. La nécessité est reconnue de faire construire un nouveau temple pour remplacer celui actuel qui menace ruine et qui est insuffisant pour la population qui doit s’y rassembler9. Le ministère des travaux publics finit par donner son accord en juin 1846 malgré un rapport initial très critique de l’inspecteur général du conseil général des Bâtiments civils, Achille Leclère. En effet, le projet présenté par Pierre-Charles Abric, architecte départemental de l’Hérault (entre 1833 et 1859)10 ne convainc pas, notamment en raison du parti pris du plan heptagonal, dont la justification détaillée dans le devis descriptif paraît largement discutable comme on va le voir plus loin. Néanmoins le rapport définitif du conseil admet l’argumentaire présenté moyennant quelques modifications à la marge. L’adjudication date d’octobre 1847. La commission nationale des arts et édifices religieux vient alors tout juste d’être créée pour essayer d’introduire un peu de qualité dans la multitude de projets affligeants qui fleurissent à cette époque. Elle examine le projet en juillet 1848 (le rapporteur en est le luthérien Charles Frédéric cuvier)11 puis l’adopte en septembre de la même année sur le rapport de Viollet‑le‑Duc en personne. Les travaux durent trois ans et sont terminés pour l’essentiel en 1851 (réception provisoire des travaux) mais la réception définitive n’interviendra qu’au mois de mars 1856. Pendant les travaux, le culte protestant se tient provisoirement sur la place dans la halle de la Place couverte, où les fidèles étaient abrités derrière des tentures tendues entre les colonnes de pierre. La construction, que les protestants ont voulue comme une des plus imposantes de la région, avait été estimée initialement à 86 000 francs. Nous devons au travail très documenté du pasteur Jacques Bovet, réalisé en 1951 pour le centenaire de l’inauguration du temple, quelques détails intéressants sur la phase de construction12. La municipalité prévoit 40 000 francs sur huit ans et l’État 25 000 francs sur cinq ans et exige qu’une souscription réunisse au moins 6 000 francs. En fait, celle‑ci atteindra les 16 000 francs tant la mobilisation de la communauté se révèle massive. Cela ne couvrait pas d’importants frais annexes comme le coût de la chaire, qui est monumentale, et une partie des autres ouvrages de menuiserie. Le pasteur Amédée d’Estienne rêve même de doter l’édifice d’orgues à la mesure de ses ambitions, mais celles-ci ne seront jamais réalisées. Dès 1848, la commission des travaux du temple s’alarme : tous les travaux sont à peu près suspendus, l’entrepreneur est dans l’impossibilité de faire de nouvelles avances… ainsi plus de quatre-vingt ouvriers vont se retrouver sans travail13. C’est qu’en effet, une période de relative prospérité s’achève avec la crise de la sériciculture en Cévennes. Le consistoire et la commune lancent un appel à l’État qui débloque une aide suffisante pour que l’inauguration puisse avoir lieu le 31 octobre 1851. L’ampleur des festivités qui marquent ce jour n’a pas d’égale ; qu’on en juge : outre les officiels, quarante pasteurs font le déplacement à cette occasion et les solennités sont grandioses devant une foule nombreuse, célébrant la communion de toute la population et de la République ! L’édification d’un tel monument qui aurait selon les chroniques de l’époque accueilli alors plus de 1 500 personnes est bien emblématique de ce particularisme social et culturel. Le temple aura coûté en réalité 90 700 francs14.

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Fig. 2

Ganges (Hérault) ; temple protestant ; vue d’ensemble du côté de la façade principale au sud-ouest M. Kérignard © Inventaire général Occitanie

8 Par ailleurs, son architecture présente des caractères remarquables à plus d’un titre, principalement du fait de son plan centré heptagonal (fig.3) qui est un unicum dans le corpus régional, où la banalité des modèles et leur grande modestie dominent largement, mais aussi par la place éminente qu’il occupe dans l’histoire et le paysage urbain de la petite ville cévenole héraultaise15.

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Fig. 3

Ganges (Hérault), temple protestant ; AN F 21 1885, Beaux-arts, Conseil général des Bâtiments Civils, 1846/06 ; calque : plan, « Hérault, temple protestant pour l’église réformée de Ganges, juin 1848 ». Le plan du temple de 1848 apparait superposé au plan des vestiges du couvent des Cordeliers © Archives Nationales

Le contexte local de l’architecture des temples et leur protection au titre des monuments historiques

9 Au début du XIXe siècle, l’architecture religieuse est quasi-systématiquement de style néoclassique16, rappelant les temples et bâtiments officiels de l’Antiquité gréco‑romaine. Ainsi le Gard est-il déjà couvert de temples à la belle façade à portique à colonnes et tympan triangulaire sur entablement dorique ou ionique comme celui d’Anduze17 ou de Saint‑Hippolyte‑du‑Fort. Ceux-ci copient fidèlement le vocabulaire et les modèles des traités d’architecture, tels les édifices dus à Charles‑Étienne Durand18. cet architecte conçoit plusieurs autres édifices remarquables présentant le même aspect extérieur souvent à plan centré sur le cercle ou le demi-cercle comme ceux de Beauvoisin, Lasalle ou Vauvert. En revanche, au‑delà de l’entrée, sauf quelques cas comparables à ces derniers, le bâtiment reste sobre pour s’adapter au culte réformé refusant le faste ostentatoire, mais aussi en raison du fréquent manque de moyens financiers19.

10 Un peu plus tard, beaucoup se calquent sur le modèle le plus fréquent des églises néoromanes ou romano-byzantines comme le temple d’Alès (1864‑1869) par Henry Antoine Revoil20. Le cas du grand temple néo-romano-byzantin de la rue Maguelone à Montpellier, de plan centré, est exceptionnel par ses grandes proportions et la qualité de son décor21 (fig.4). Le dernier quart du XIXe siècle s’inspire davantage, comme pour

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les églises catholiques, du style néogothique, pourtant moins bien adapté au culte protestant.

Fig. 4

Montpellier (Hérault) ; Grand temple de la rue Maguelone, façade à galerie d’arcades romano- byzantines J.-M. Périn © Inventaire général Languedoc-Roussillon

11 Face à la faible considération dont bénéficie l’architecture de ces temples, à leur grand nombre et à la difficulté d’en sélectionner les exemples les plus représentatifs, seuls les cas les plus exceptionnels ou originaux sont protégés au titre des monuments historiques : 18 temples sont protégés en tout (13 dans le Gard, 2 dans l’Hérault et 3 en Lozère) dont 5 anciennes églises réaffectées. en 1989, la commission régionale du patrimoine historique, archéologique et ethnologique (CO.RE.P.H.A.E.)22 avait entamé la discussion sur la représentativité de tel ou tel édifice dans la série et sur la conjoncture locale (demande de protection, besoin de travaux, position de la commune ou de l’association cultuelle …) et avait conclu à la nécessité de faire réaliser une étude plus large ; ce qui fut engagé grâce au travail de Véronique Ripoll23 qui a permis de faire le point sur les sources d’archives mais qui, inachevé vu l’ampleur de la tâche, n’a pas été suivi d’une campagne de protection systématique. Par ailleurs, le débat est relancé favorablement sur la problématique de la prise en compte du patrimoine protestant lorsqu’en 2001, la commission régionale du patrimoine et des sites du Languedoc- Roussillon (C.R.P.S)24 propose la protection du cimetière protestant de Nîmes ainsi que de la maison et du tombeau du pasteur Paul Rabaut 25. En revanche, la tentative de protection du temple du village de Graissessac (Hérault) reçut un avis négatif en 2004 : comme pour d’autres propositions ou demandes de protection de temples considérés

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comme ordinaires sans caractère exceptionnel, la DRAC renvoie systématiquement sur une demande d’aide au titre du patrimoine non-protégé26.

Description du temple actuel

12 Ce grand monument (30 mètres de largeur totale) pouvant accueillir plus de 600 fidèles est d’un style néoroman très sobre et dépouillé (fig.5). Le décor est réduit aux chapiteaux sculptés des colonnes. Son plan est particulièrement intéressant ; il est centré sur un espace entouré d’une galerie à colonnade sous une coupole (fig.6). On l’a vu, on trouve ce principe appliqué dans quelques rares temples de la région. Mais ici, il offre la particularité d’être conçu sur le module du chiffre sept, ce qui est particulièrement rare et original27 (fig.7).

13 En effet, ce plan heptagonal est également rarissime dans l’architecture car sa réalisation savante relève du chef d’œuvre expérimental, compte tenu de la difficulté qu’il y a à transformer en trois dimensions un polygone tracé sur ces bases‑là28.

Fig.5

Ganges (Hérault), temple protestant ; AN F 21 1885, Beaux-arts, Conseil général des Bâtiments Civils, 1846/06 ; calque : élévation, « Hérault, temple protestant pour l’église réformée de Ganges, juin 1848 » © Archives Nationales

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Fig. 6

Ganges (Hérault) ; temple protestant ; coupole vue du sol M. Kérignard © Inventaire général région Occitanie

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Fig.7

Ganges (Hérault), temple protestant ; AD Hérault 2 O 111/12-3 ; plan de l’étage par Jean de Richemond, 1937-1938 © AD Hérault

14 Il est tentant d’évoquer le symbolisme riche du chiffre sept (« les sept piliers de la Sagesse »29,…) pour son usage liturgique mais, ici, il semble bien qu’il ne faille pas chercher quelque explication ésotérique. en effet, le conseil général des bâtiments civils n’a pas manqué de s’étonner de ce parti inaccoutumé que l’architecte Charles Abric explique de façon très pragmatique en justifiant son choix par la nécessité d’offrir une façade d’entrée alignée sur la route royale. Il y revient encore dans son « devis descriptif des travaux à exécuter pour la construction d’un temple pour l’église réformée de Ganges » produit le 29 mars 1847 : par suite de l’alignement à donner à la route royale traversant la ville de Ganges et passant devant le temple de l’Église réformée, le sol affecté au nouvel édifice serait disposé d’une manière irrégulière qui a motivé la forme du nouveau temple30.

15 Une importante modification de ce projet est néanmoins rendue nécessaire par le manque de profondeur de l’espace disponible au-devant de l’entrée, sur la place où passe la route. Le portail est en plein-cintre : une grande porte ornée de colonnettes et d’un style religieux mixte approprié au culte de l’Église protestante. Il s’ouvre sur un porche couvert et fermé qui devait être précédé d’un perron surélevé. En fait, celui-ci sera réduit à quelques marches qui se substituent au parvis non réalisé faute de place, ce qui aurait nécessité de reculer l’édifice rendant la rue à l’arrière trop étroite.

16 À l’intérieur, les circulations sont ainsi définies : À droite et à gauche du porche il serait construit deux escaliers pour monter aux tribunes formées par le premier étage de la galerie intérieure, une deuxième porte placée au fond du vestibule servirait à la communication intérieure du temple. Ces escaliers forment une élégante spirale. Pour monter ensuite

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jusqu’à la chambre des cloches, un escalier étroit s’appuie au mur intérieur du clocher et offre une vue inédite sur le vide intérieur de la tour révélant la structure complexe permettant de passer du plan carré de la base au plan polygonal de la tourelle par l’intermédiaire de trompes d’angles parfaitement appareillées sur le modèle de celles que l’on trouve dans l’art roman (fig.8).

Fig.8

Ganges (Hérault), temple protestant ; trompes d’angle à l’intérieur du clocher M. Kérignard © Inventaire général région Occitanie

17 Deux portes latérales secondaires sont ménagées et un bâtiment pour le Consistoire serait adossé sur un des côtés du temple. Il serait divisé en deux pièces, l’une servant de salle de Conseil, l’autre de cabinet pour le pasteur31. Actuellement, un modeste bâtiment rectangulaire, appelé « petit temple », occupe tout l’espace encore libre au sud-ouest du temple.

18 Faisant écho au beffroi municipal à campanile tout proche, la tour-clocher à pans coupés (fig.9), sur base carrée se signale dans le paysage urbain par sa silhouette et sa hauteur exceptionnelle de 30 mètres : Le clocher placé au-dessus du porche dominerait l’édifice, les tables de la Loi seraient placées avec d’autres inscriptions, soit au-dessus de la tour du clocher, soit dans le tympan ou la frise de la porte d’entrée selon le dessin de la façade joint au projet32. Une modification plus importante du projet initial est demandée par le conseil général des bâtiments civils : le crénelage de la tour est jugé inapproprié et sera remplacé par l’élégante tourelle sommitale ajourée de baies minces sous sa flèche pointue lui donnant des allures de lanterne des morts. Une cloche y est installée en 183733.

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Fig.9

Ganges (Hérault), temple protestant ; clocher polygonal à lanterneau ajouré M. Kérignard © Inventaire général région Occitanie.

19 Le vaste espace central (fig.11 et 12) est dégagé sans support intermédiaire sous une haute coupole qui culmine à 23 mètres du sol. Elle est rythmée par un faisceau de sept ogives réunies par une clé pendante au simple motif végétal. Elle reçoit une abondante lumière grâce à une série de quatorze hautes baies cintrées ouvertes en pénétration à la base de la voûte. Ce dispositif répond au critère majeur du culte réformé où l’assistance doit être en prise directe avec le pasteur qui répand la parole des écritures. Il respecte le plan général heptagonal, basé sur un rayon de 7 mètres (donc pour un diamètre de 14 mètres). C’est aussi la raison du développement accordé aux galeries (de plus de 3 mètres de large), basse et haute (ou tribune), pour assurer à tous la même proximité. Elles sont ouvertes par sept doubles-arcades en plein-cintre de 4 mètres de large (pour plus de 11 mètres de longueur du côté extérieur), reposant sur des colonnes à chapiteaux feuillagés (fig.10) à la mode médiévale34. Les motifs sculptés sont différents les uns des autres comme le pratiquaient les sculpteurs du moyen Âge et finement traités au trépan. De plus, un discret effet de polychromie est produit par les différentes teintes de gris de la pierre utilisée, animant d’une certaine vie un travail malgré tout un peu mécanique. Aux sept angles de la tribune, le problème de la jonction des berceaux voûtés a été traité de façon assez sommaire par le biais d’un simple arc doubleau en plein cintre de largeur inégale complété par un faisceau d’arêtes.

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Fig. 10

Ganges (Hérault), temple protestant ; détail de la sculpture des chapiteaux Yvon Comte © CRMH, DRAC Occitanie

Fig. 11

Ganges (Hérault), temple protestant ; AN F 21 1885, Beaux-arts, Conseil général des Bâtiments Civils, 1846/06 ; calque : coupe, « Hérault, temple protestant pour l’église réformée de Ganges, juin 1848 » © Archives Nationales

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Fig. 12

Ganges (Hérault), temple protestant ; volume intérieur sous coupole M. Kérignard © Inventaire général région Occitanie

20 L’ensemble est réalisé en maçonnerie de moellons et l’usage de la pierre de taille (pierre locale, notamment de Sumène et de Pompignan) est réservé aux piédroits, linteaux, appuis et plates‑bandes ; les voûtes sont en briques hourdées au mortier. Les éléments sculptés sont en « pierre froide » (calcaire dur local) et précisément indiqués : un grand cul de lampe, sept grands chapiteaux de colonnes et quatorze aux 2/3, (…) pour le rez- de-chaussée, répétés à l’identique pour la galerie d’étage auxquels s’ajoutent les quatre chapiteaux de la porte d’entrée et les simples « quatre feuilles » pour les portes latérales.

21 Actuellement, un badigeon intérieur a uniformisé largement l’ensemble lors de travaux effectués ces dernières années par la commune : une couleur ocre jaune pâle couvre les fonds tandis que les structures sont soulignées en blanc.

22 Sept médaillons circulaires, occupant la place d’oculi au-dessus de chacune des doubles arcades aveugles, scandent les garde-corps de la tribune ; ils portent les inscriptions suivantes : Je suis le chemin la Vérité et la Vie, Je suis la résurrection, Crois au seigneur-Jésus et tu seras sauvé, Le Juste vivra par la Foi, Le sang de Jésus purifie de tout péché, Aimez-vous les uns les autres, Nous prêchons Christ crucifié (fig.13). Mais, contrairement à ce qui était proposé initialement, on ne trouve nulle part les « tables de la Loi » qui sont, habituellement et souvent, l’unique ornement des temples protestants avec la représentation du Livre ouvert.

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Fig. 13

Ganges (Hérault), temple protestant ; médaillons portant des paroles saintes Yvon Comte © CRMH, DRAC Occitanie

23 La chaire constitue le point focal ; elle est placée au nord-ouest, bien en évidence, dans l’axe face à l’entrée. C’est l’élément le plus spectaculaire de l’ensemble par sa taille et la qualité de sa menuiserie (fig.14). De part et d’autre de celle-ci, deux grandes plaques de marbre rectangulaires au cadre mouluré sont dédiées « aux morts pour la Patrie 1914‑1919 » dont les cinquante‑cinq noms sont gravés. Le sol est pavé de larges carreaux de terre cuite rustiques. De simples bancs de bois occupent l’espace central qui, étant en léger décaissé par rapport à la galerie de rez-de-chaussée, a nécessité d’adapter chaque rangée à l’angle particulier de l’heptagone.

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Fig. 14

Ganges (Hérault), temple protestant ; chaire monumentale M. Kérignard © Inventaire général région Occitanie

24 Les archives communales et départementales conservent de nombreux dossiers sur divers travaux d’agrandissements et réparations qui ont évidemment dû être entrepris au cours de la deuxième partie du XIXe et de la 1ère partie du XXe siècles35.

Conclusion

25 Certes d’autres temples héraultais marquent encore l’est et le nord du département, là où existaient de modestes communautés protestantes isolées. La plupart manquent totalement d’intérêt architectural. Certains mériteraient pourtant l’attention mais aucune étude ne permet actuellement à notre connaissance de sélectionner les plus remarquables d’entre eux. on signalera néanmoins celui de Cournonterral (1818-1836) qui, par sa façade à fronton triangulaire néo-classique, ressemble beaucoup, en plus simple, à l’église catholique construite à la même période par le même architecte Jean- Antoine Millias et on relèvera quelques cas particuliers qui retiennent l’attention par la qualité de tel ou tel aspect de la construction ou du décor comme : Graissessac avec son plafond peint, Villeveyrac (1857), dû à l’architecte Arribat, conçu selon un plan hexagonal, Lunel (1851), par Louis Corvetto (l’architecte du grand temple de Montpellier) avec une belle façade néoclassique au décor à l’antique exemplaire (colonnes cannelées engagées, fronton triangulaire interrompu, corniche à denticules ...) ou Marsillargues, néoclassique, qui date du premier quart du XIXe siècle avec son petit clocher octogonal couvert d’un dôme mais aussi, sur la même commune, plus original, le « petit temple » de l’ « église libre » issue d’une scission au sein des Réformés : il est d’un style néogothique rarement utilisé, qu’on pourrait qualifier de

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« renaissance anglaise », construit à la fin du XIXe siècle. Plusieurs ont déjà disparu (Pézenas) ou sont actuellement désaffectés et donc menacés.

26 Par ailleurs, il importe de signaler comme élément majeur du patrimoine du protestantisme régional, outre le cimetière protestant de Nîmes déjà cité, celui de Montpellier dont la création est ancienne puisqu’un cimetière des non-catholiques avait été décidé dès 1789 mais abandonné au cours de la tourmente révolutionnaire. Il est mis en place en fait en 1809, année de la première inhumation et verra plusieurs agrandissements successifs ; il possède une chapelle bâtie en 1890 et un monument aux morts36.

27 Le temple de Ganges, comme on l’a vu, se distingue nettement comme le plus exemplaire à la fois par son originalité dans le contexte particulier du protestantisme local, et au-delà, au niveau régional, en tant que marqueur de l’identité culturelle cévenole. Son apparence extérieure, bien que remarquable pour l’œil averti, ne laisse pas soupçonner avec sa façade somme toute habituelle, l’ampleur et la qualité de son espace intérieur et les raffinements architecturaux qu’il recèle. Il mérite d’être mieux connu comme un des emblèmes d’une mémoire collective profondément ancrée dans l’histoire des mentalités religieuses et sociales languedociennes.

NOTES

1. ROUQUETTE, Julien (abbé). Histoire de la ville de Ganges. Montpellier, Imprimerie de la charité, 1904. Bovet, Jacques (pasteur). Bref aperçu du protestantisme gangeois de son origine à nos jours. Centenaire du temple de Ganges les 27 et 28 octobre 1951. Texte inédit, conseil presbytéral de l’Église de la Haute Vallée de l’Hérault (UNEPREF). 2. CHOLVY, Gérard. « Les protestants de l’Hérault : essai d’évaluation numérique ». Annales du Midi, 1965, t. 77, n° 73, p. 319-335. 3. CABANEL, Patrick (dir.). Itinéraires protestants en Languedoc XVIe-XXe siècles. Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1998-2000 ; notamment t. 3 : Hérault, Rouergue, Aude et Roussillon. 4. Jean GAL-POMARET (Saint-André-de-Valborgne, 1720 - Ganges, 1790), pasteur du Désert, pasteur de Ganges de 1748 à 1790, formé à Lausanne entre 1745 et 1746 où il rencontre sans doute Laurent Angliviel de La Beaumelle (Valleraugue, 1726-1773), qui est cévenol comme lui, avec qui il entretient une correspondance ainsi qu’avec Voltaire et Rousseau. DU CAILAR, Émile et BENOIT, Daniel. Gal-Pomaret, pasteur de Ganges, son temps, son ministère, ses écrits. Paris, Librairie évangélique, 1899. 5. ROBERT, Daniel. Les Églises réformées en France (1800-1830), Paris, PUF, 1961. 6. À Nîmes, le grand Temple est établi dans l’ancienne église des Dominicains et le petit Temple dans celle des Ursulines, toutes deux du XVIIIe siècle et inscrites au titre des monuments historiques en 1964. Pour Montpellier, il est frappant de constater la grande similitude de son histoire avec celle de Ganges. Toutes deux occupent depuis le concordat d’anciennes chapelles subsistantes du couvent des Franciscains dans les faubourgs de la ville qui, devenues trop exigües, sont remplacées par une nouvelle construction, dès 1851 pour Ganges et, plus tard, à Montpellier entre 1867 et 1870 (actuel grand temple de la rue Maguelone, inscrit monument historique en 2003).

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7. CHANTIN, Jean-Pierre. Le régime concordataire français. La collaboration des Églises et de l'État (1802-1905), coll. Bibliothèque Beauchesne, Paris, Beauchesne, 2010. 8. BOVET, op. cit. 9. BOVET, op. cit. 10. AD Hérault. 2 o 111 ; Pierre Charles Abric (1799-1871) est l’auteur, à Montpellier, du conservatoire d’anatomie de la faculté de médecine, de la maison centrale (prison) et surtout du Palais de Justice (1846-1853). Il intervient sur près de soixante églises et temples de l’Hérault. 11. AN. F 19 4544. Commission des arts et édifices religieux (1848-1853). Construction du temple protestant, rapporteur Charles Frédéric cuvier (1848) ; 6 septembre 1848, 14e séance, rapporteur Viollet-le-Duc, projet adopté. SOUCHON, Cécile. « Les avis des membres du conseil des Bâtiments civils relatifs aux constructions de temples protestants et à leur esthétique (XIXe siècle) », Chrétiens et Sociétés, 2011, N° spécial I, p. 173-200. 12. BOVET, op. cit. 13. BOVET, op. cit. 14. CLEMENCEAU, op. cit. 15. Il est intéressant de signaler que la communauté catholique qui ne disposait que de la vieille église Saint-Pierre déplacée hors les murs à la fin du XVIIe siècle, et alors en bien mauvais état, ne put bénéficier d’un lieu de culte d’importance comparable que plusieurs années plus tard. Construit à la hâte entre 1686 et 1691, l’édifice doit être rebâti de toutes pièces : une souscription est lancée dès 1850 (l’architecte montpelliérain Omer Lazard produit un devis d’agrandissement). Après plusieurs projets pour lesquels la commission des arts et édifices religieux demande de nombreuses et importantes modifications, le projet de reconstruction fait l’objet d’un rapport de Viollet-le-Duc en 1852 mais ce n’est qu’en 1859 que l’édifice est mis en chantier après l’intervention en 1858 de Henry-Antoine Revoil. La consécration n’a lieu qu’en 1866. Le coût (127 000 francs) sera nettement supérieur à celui du temple en raison notamment de la riche ornementation de l’architecture (fresques par Jacques Pauthe) avec ses deux hauts clochers encadrant la façade initialement prévus munis de flèches (démolies), rivalisant et dépassant en ambition l’édifice de culte des rivaux protestants. AD Hérault. 2 o 111-11. Ganges, église, élévation (façade et coupe). Revoil (Nîmes) 1858 ; 2 o 111-16. Ganges, église, projet reconstruction, 4 plans, 1856 ; exécution 1860-1870. AN F 19 4544. Commission des arts et édifices religieux (1848-1853) ; reconstruction de l’église. GUY, marcel (abbé). Les églises Saint-Pierre de Ganges : Études sur Ganges. Nîmes, c. Lacour, 1996. CLEMENCEAU, Robert. Les édifices religieux du département de l’Hérault au XIXe siècle. Thèse, Université Montpellier I, Montpellier, 1992. 16. REYMOND, Bernard. « Les temples protestants réformés aux XIXe et XXe siècles », Chrétiens et Sociétés, 2011, N° spécial I, p. 201-221. REYMOND Bernard, L’architecture religieuse des protestants, Labor et Fides, Genève, 1996. 17. classé au titre des monuments historiques en 1979. 18. Charles-Étienne Durand (Montpellier 1762-Nîmes 1840) : ingénieur des Ponts-et-chaussées ; il a travaillé à la restauration de la maison carrée de Nîmes et sur les monuments antiques du Gard ; il est un excellent connaisseur de l’architecture classique et se spécialise dans la construction des temples. NICOLAS, Fabien. « Un exemple de la vie artistique en province à la fin du XVIIIe siècle : la Société des Beaux-Arts de Montpellier (1779-1787) ». Dans PELLICER, Laure. Société et culture à Montpellier vers la fin du XVIIIe siècle, actes de la journée d'études du 28 mai 1999. Montpellier, UPV, 1999. SOUCHON, Cécile. Op. cit. 19. Exemples de plans centrés (hexagonaux ou octogonaux) : La calmette dans le Gard (Inscrit MH 1991) et Meyrueis en Lozère (Inscrit MH 2008) ; d’autres temples sont inscrits : le Collet-de- Dèze en Lozère (1984) en tant que seul subsistant du XVIIe siècle ; Salinelles (1991) présente une façade pittoresque librement inspirée du baroque d’Amérique latine ; plusieurs temples néo- classiques sont inscrits au titre des monuments historiques en 2012 : Beauvoisin, Bernis, Quissac et Vauvert ; puis, en 2015 : Gallargues-le-Montueux et Lussan.

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20. Henry Antoine Revoil (Aix-en-Provence 1822-mouriès 1900) : architecte en chef des monuments historiques en 1852 et architecte diocésain de Nîmes et de Montpellier, il construit de nombreuses églises de style néo-médiéval et intervient dans la restauration de plusieurs monuments antiques. 21. Le Grand temple de Montpellier, déjà cité, est réalisé par Louis Corvetto dans un style « romano-byzantin » sur un plan centré en croix grecque avec trois tribunes. Selon t. Lochard et F. Labarbe, Le plan centré répond au programme défini par le conseil presbytéral qui met l’accent sur la prédication (...). L’architecte affirme ainsi l’unicité de l’espace cultuel, s’opposant à la mise à l’écart de l’espace liturgique qui s’impose dans les projets contemporains comme celui d’Alès, par Revoil (1861-1868). Le décor inspiré du vocabulaire de l’art roman anime l’espace intérieur avec retenue conformément aux impératifs cultuels réformés. (LABARBE, Franck et LOCHARD, Thierry. Le grand temple de Montpellier, Montpellier, DRAC, Association pour la connaissance du patrimoine en Languedoc-Roussillon, Paris, Éd. du Patrimoine, 1998). Il remplace l’ancienne chapelle des cordeliers, transformée en temple dans la 1ère moitié du XIXe siècle, marquée par l’ajout d’une façade néo-classique à fronton triangulaire (inscrit MH 1977). 22. LANGUEDOC-ROUSSILLON. Conservation régionale des monuments historiques. PV de la CO.RE.P.H.A.E., Montpellier, DRAC Languedoc-Roussillon, 1989. 23. RIPOLL, Véronique. Architecture des temples protestants du XIXe siècle. Mémoire de DEA, Université de Provence, 1990. LANGUEDOC-ROUSSILLON. Conservation régionale des monuments historiques. Étude sur les temples réformés du Languedoc-Roussillon. RIPOLL, Véronique, Montpellier, DRAC Languedoc-Roussillon, 1992. 24. LANGUEDOC-ROUSSILLON. Conservation régionale des monuments historiques. PV de la C.R.P.S., Montpellier, DRAC Languedoc-Roussillon, 2001. 25. Inscrits MH en 2001. 26. LANGUEDOC-ROUSSILLON. Conservation régionale des monuments historiques. PV de la Délégation permanente de la C.R.P.S., Montpellier, DRAC Languedoc-Roussillon, 2004. 27. Plan centré hexagonal : La calmette, Mialet, Monoblet, Meyrueis, … 28. On ne connait guère dans la région que l’extraordinaire église romane Sainte‑Marie de l’Assomption de Rieux-Minervois (Aude) qui présente un tel parti (classée MH 1840). Elle est bâtie dans la seconde moitié du XIIe s. sur un plan centré basé sur le chiffre sept : sa rotonde heptagonale abrite une coupole couvrant le sanctuaire marqué de quatre piliers et trois colonnes. Sa sculpture est due au fameux « maître de Cabestany ». De plan pentagonal, on ne peut citer que deux créations architecturales de la Renaissance volontairement singulières : le château des Farnèse à Caprarola près de Rome, et le château de Maulnes en Bourgogne, qui pourrait avoir été directement inspiré par le précédent. 29. D’après un verset de la Bible : La Sagesse s’est bâti une maison ; elle a taillé sept colonnes (Proverbes IX, 1-6). on a du mal à nier toute intention symbolique dans le contexte de la théologie protestante tant cela s’accorde parfaitement à la construction d’un temple avec le recours direct à l’Ancien testament qui sanctifie particulièrement les sept jours de la création ou la construction du temple de Salomon, idéal de tous les lieux saints juifs et chrétiens, en sept ans, ... 30. AN. F 19 10664; AD Hérault. 2 o 111-19, 1847. Ganges, temple, devis descriptif des travaux à exécuter pour la construction d’un temple pour l’église réformée de Ganges, Charles Abric, 1847. 31. AD Hérault 2 o 111/12-1 et 2. Projet de construction d'un bâtiment consistorial, Ch. Abric (1851, 1884). 32. Les catholiques auront à cœur de doter leur nouvelle église plus tard de deux hauts clochers en façade, surmontés d’audacieuses flèches qu’il a fallu démolir par la suite. 33. AD Hérault. 7 V 31 : réparations et mise en place de la cloche. 1837-1866. Bien que sans rapport explicite, on ne peut éviter de comparer la silhouette de la tourelle avec celle de la souche cylindrique d’une cheminée du XIIIe siècle qui s’élève tout près au-dessus de l’ancienne maison de l’Aumône, rue Vacquerie.

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34. Selon les plans et coupe réalisés lors du dernier projet important de réparations : AD Hérault 2 o 111/12-3 et 4. Temple de Ganges, Jean de Richemond (1937-1938). 35. AC 2 M 3. Réparations et agrandissements du temple et de l’église réformée de Ganges, dossier de travaux, devis, plan, correspondance (1806-1939) ; construction d’un vestiaire pour le pasteur (1866-1867) ; AD Hérault 2 o 111. Reconstruction (1846-1865), réparations, agrandissements (1884-1938). 36 - DELORMEAU, Charles. « Les cimetières protestants de Montpellier ». Dans Actes du XXXVIe congrès de la fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Lodève, 1963. Montpellier, Faculté des lettres, 1963. 36. DELORMEAU, Charles. « Les cimetières protestants de Montpellier ». Dans Actes du XXXVIe congrès de la fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Lodève, 1963. Montpellier, Faculté des lettres, 1963.

RÉSUMÉS

Ganges atteint son apogée à la fin du XVIe siècle, grâce à la forte présence de la communauté protestante. La ville reste marquée par les conflits religieux qui ne s’apaisent qu’à partir du début du XIXe siècle. L’Hérault compte une minorité significative d’adeptes de la religion réformée majoritaire à Ganges jusqu’à la révocation de L’Édit de Nantes. Son temple présente une architecture remarquable du fait de son plan centré heptagonal qui est un unicum dans le corpus régional. Au début du XVIIe siècle, Ganges avait déjà bâti un temple mais, en 1842, celui-ci devenu trop petit est détruit pour être remplacé par le véritable monument que la riche communauté protestante appelle de ses vœux. Pierre‑Charles Abric, architecte départemental de l’Hérault est chargé du projet et les travaux sont terminés en 1851.

The City of Ganges reached the pinnacle of its influence at the end of the XVIth century, thanks to the strong presence of the local Protestant community. The city remained marked by religious conflicts which subsided only at the beginning of the XIXth century. The district of Herault has a significant minority of followers of the reformed religion which predominated in Ganges until the Revocation of the . Its church presents a remarkable architecture due to its heptagonal centered plan which is a unique feature in the regional corpus. At the beginning of the XVIIth century, Ganges had already erected a church but, in 1842, it proved too small and was therefore destroyed, to be replaced by the present monumental edifice, following the wishes of the rich local protestant community. Pierre‑Charles Abric, departmental architect of Herault, was appointed to realize the project and the work was completed in 1851.

INDEX

Index géographique : Hérault, Ganges Keywords : protestantism, religious architecture, temple, 19th century Mots-clés : protestantisme, architecture religieuse, temple, XIXe siècle

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AUTEUR

YVON COMTE Chargé d’études documentaires principal chargé de la protection des monuments historiques à la conservation régionale des monuments historiques Direction régionale des affaires culturelles d’Occitanie

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La construction du temple protestant d’Albi en 1924 : pour une histoire matérielle, culturelle et sociale de l’architecture protestante albigeoise The construction of the protestant temple of Albi in 1924: material, cultural and social history

Laura Girard

1 Au début du XXe siècle, l’association presbytérale de l’église réformée d’Albi souhaite s’équiper d’un nouveau lieu de culte et engage le projet de construction d’un temple. Tout au long du XIXe siècle, en réponse aux destructions des siècles passés, de nombreux temples ont été édifiés, permettant aux communautés de se doter de lieux de culte. L’écriture architecturale de ces nouveaux édifices s’inscrit, principalement sous le Second Empire, dans l’expression des styles néo-gothiques et néo‑romans, tandis que la fin du XIXe et le début du XXe siècle voient une tendance pour le pittoresque se développer. L’espace de culte, la place de l’édifice religieux dans la ville, les dispositifs architecturaux et les procédés constructifs ont évolué avec la société, les progrès techniques et les réformes cultuelles. Comment s’expriment ces évolutions techniques, sociales et culturelles dans le projet d’édification d’un temple protestant à Albi au début des années 1920 ?

2 La lecture croisée de ces trois dimensions - matérielle, culturelle et sociale - explore la conception architecturale du temple protestant d’Albi, en mettant en exergue la « manière de faire » de l’architecte au regard du programme et des contraintes et en donnant à voir les relations professionnelles entre les différents intervenants depuis la genèse du projet, sa mise en œuvre et sa livraison. Ainsi, l’emploi de matériaux locaux, la brique ici, sa couleur familière, la reprise de silhouette, l’adaptation au quartier viennent se conjuguer avec les impératifs et les ambitions de la commande : le budget

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contraint et évolutif, le chantier mené par étape et les dispositions architecturales d’un espace de culte protestant.

3 Les documents conservés dans les archives privées de la paroisse de l’église réformée d’Albi et dans le fonds d’archives professionnelles de l’architecte1, permettent de comprendre le choix du terrain, l’implantation du bâtiment, l’organisation de l’espace de culte, la composition de façade et le déroulement du chantier et, de fait, de faire l’histoire de la construction de l’édifice.

La nécessité d’un nouveau temple à Albi au début du XXe siècle

4 L’histoire de l’église réformée d’Albi est une histoire relativement récente, dont les faits connus et attestés remontent au début du XIXe siècle, hormis la connaissance des deux événements, identifiés aux XIIe et XVIe siècles. L’histoire du protestantisme albigeois2 n’est pas éclairée de faits historiques, de personnages célèbres, tels que les autres églises tarnaises, Castres en premier, peuvent en relater. Entre 1802 et 1905, le protestantisme est un des quatre cultes reconnus en France et bénéficie de donations publiques pour pourvoir aux salaires des pasteurs et à la réédification des temples disparus en 1685. De nombreux édifices sont alors construits dans le Tarn au XIXe siècle. Si l’axe Mazamet‑Castres, au pied de la Montagne noire, présente un visage prospère du protestantisme tarnais, Albi ne possède pas de lieu de culte réformé identifié et le caractère restreint de la communauté a longtemps été un motif pour écarter la création d’un temple.

5 Arrivé en 1859 à Albi, Claude Émile Jolibois, archiviste départemental, nouveau venu à la foi protestante, organise tous les dimanches soirs, dans le salon familial, des réunions de culte auxquels sont conviés tous les protestants de la ville3. En 1862, sont posées les bases de l’association religieuse. Un local nécessaire à la tenue des réunions est recherché, puis un poste de pasteur à temps plein est créé à partir de 1867. Les membres, environ une cinquantaine, constituent une petite communauté entreprenante et désireuse de faire édifier un temple. Par la générosité de plusieurs donateurs, la construction du temple est mise en œuvre rue de l’école normale (aujourd’hui rue du Général‑Pont) entre 1870 et 1872. L’inauguration de ce lieu met fin à de nombreuses années de réunions privées dans les salons des familles et aux échecs des différentes salles louées.

6 La paroisse d’Albi, officiellement reconnue par décret le 16 mai 1887, peut alors prétendre au soutien de l’argent public. De fait, le conseil presbytéral vote deux campagnes de travaux4 de réfection, formulant des demandes d’aides financières à la ville d’Albi et au conseil général. La première, en 1887, concerne la réparation et le badigeonnage de la façade avec un devis présenté par l’entrepreneur albigeois Charles Bousquet. La seconde, en 1905, concerne la réfection de la façade, le remaniement de la toiture et un complément de mobilier, dont le devis est établi par l’architecte départemental, et membre du conseil presbytéral, M. Hess.

7 Par la suite, à la veille de la première guerre mondiale, un projet d’extension est dressé par l’architecte Léon Daures. Néanmoins, la situation urbaine du temple, entourée de parcelles bâties, ne permet qu’une extension modeste. Gagnant quelques mètres carrés sur le domaine public, une nouvelle façade sur rue est dessinée, à l’alignement de la

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construction voisine. Le bâtiment se décompose en deux corps : le premier, à deux étages, occupé par le vestibule, la sacristie, la salle de réunion, la tribune et la bibliothèque, et le second, par le temple dédié à l’office, qui n’est pas concerné par l’extension. Avec les dessins de plusieurs élévations, Léon Daures semble rechercher le vocabulaire architectural adéquat pour caractériser l’édifice religieux et le distinguer des maisons d’habitations de la rue.

8 Finalement, la guerre reporte le projet, et, lorsque le conseil presbytéral se réunit le 6 mai 1920, l’actualité est à la construction d’un nouveau temple. L’exiguïté du temple actuel et l’impossibilité absolue d’un agrandissement quelconque5 ne permettent pas de répondre à la croissance régulière de la population protestante depuis la création de l’église, accélérée avec l’arrivée d’ouvriers après la guerre. Elle compte alors près de 350 à 360 membres6.

9 Les membres du conseil définissent les éléments du programme de la nouvelle construction : le temple à édifier devrait avoir une largeur de 12 mètres et un passage de 3 à 4 mètres devrait être laissé tout autour. La sacristie et une salle de réunion pourraient être édifiées à la suite du temple7. Deux parcelles dans le faubourg du Vigan sont repérées. L’architecte Léon Daures est chargé par le conseil presbytéral de mener à bien le projet de construction.

La conception d’un espace de culte protestant en 1920 à Albi

10 De confession protestante et membre du conseil de l’église réformée d’Albi, Léon Daures est l’architecte tout désigné pour ce projet. Né à Mazamet le 9 août 18778, après des études secondaires à Castres, il débute sa formation en architecture à l’école des Beaux‑arts de Toulouse, de 1894 à 18989. Avec l’obtention de nombreux prix10, notamment le 2e prix municipal, il poursuit ses études à l’école des Beaux-arts de Paris dans l’atelier de Victor Laloux11. Diplômé en 1905, sa première adresse est à Paris, puis il est nommé en 1907 architecte départemental à Albi. Sa production, très variée, compte des équipements communaux dans les villes et villages du département, le monument aux morts et la Caisse d’épargne à Albi, de nombreuses villas pour des industriels à Mazamet, Graulhet et Lavaur. dès le début de sa carrière, il est appelé régulièrement à intervenir sur le patrimoine bâti protestant : transformation de l’ancienne trésorerie royale en temple12, place du Salin à Toulouse en 1911 (édifice classé au titre des monuments historiques) ; aménagement du temple de Saverdun en 191313 ; visites et prescriptions d’entretien des temples de la Montagne noire14 ; projet non daté de temple à Mazamet15 et projet non réalisé d’un nouveau temple à Castres en 192116. Pour le projet du temple d’Albi, Léon Daures intervient dans la conception d’un temple ex‑nihilo.

11 L’association cultuelle avait, initialement, le choix entre deux terrains, l’un rue Séré de rivières et l’autre rue Fonvieille. Situés dans le faubourg du Vigan, peu éloignés du temple actuel, ils sont issus d’une vaste parcelle agricole telle que l’indique le plan d’Albi de 1887 (fig.1)17. Chargé d’estimer la surface parcellaire nécessaire au projet, Daures ne semble pas étranger à la préférence pour celui de la rue Fonvieille. Dans un premier temps, rappelons que la rue Séré de rivières forme une des entrées de ville et débouche sur la place du Vigan et les lices. À la fin du XIXe siècle, toutes les parcelles

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bordant cette rue sont construites, excepté la grande parcelle que M. et Mme Ichard ont reçue en succession en 191418. Le quartier à dominante résidentielle est formé notamment de la bourgeoisie nouvellement installée à Albi. À l’opposé, la rue Fonvieille est une rue de faubourg secondaire, percée au début du XXe siècle pour rejoindre le rond-point du Vigan (aujourd’hui place du Maquis). Plusieurs raisons pourraient expliquer le choix du terrain. d’une part, l’association cultuelle, disposant d’un budget de 10 000 à 12 000 francs pour le foncier, a pu trouver, rue Fonvieille, un parti raisonnable et un recul nécessaire à la réalisation d’espaces extérieurs de rassemblements. dans le même temps, le frère de Léon Daures, Henri, secrétaire général aux Usines du Saut du Tarn, s’est porté acquéreur du terrain de la rue Séré de rivières. D’autre part, du fait de la forme parcellaire irrégulière, Daures positionne le temple, de plan rectangulaire, parallèle au plus long côté de la parcelle. Cette implantation place le bâtiment dans une orientation est-ouest, dans un parallèle presque parfait avec la cathédrale Sainte-Cécile, mais, avec la façade principale à l’est.

Fig. 1

Albi (Tarn), plan de la ville d’Albi par A. Lacroux, Bibliothèque nationale de France, GED-3859

12 L’implantation du temple dans la ville reflète cette hésitation entre affirmation de l’édifice cultuel et discrétion, ou recul, qui révèle la reconnaissance, peut être encore incertaine mais velléitaire, de la communauté protestante dans la société albigeoise. Le campanile, par son caractère et sa hauteur, participe de cette ambiguïté exprimant la monumentalité du bâtiment dans le faubourg du Vigan. Dans la lignée des premiers temples édifiés après la réforme, il caractérise également la fonction d’édifice public, qui peut accueillir des réunions de la communauté à des fins non-religieuses et rappelle la fidélité au régime politique qu’est la république.

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13 Léon Daures présente au conseil presbytéral du 24 juin 1920, le plan et l’élévation qui semblent être la première esquisse du projet. Seul le plan a été conservé (fig.2).

Fig. 2

Albi (Tarn), Temple protestant ; plan du 14 juin 1920. Archives privées de la paroisse © Laura Girard

14 Un porche dans-œuvre, placé dans l’angle, donne accès à la salle de culte et à la salle de catéchisme. Une tourelle d’escalier de plan demi-octogonal, est adossée au porche et distribue probablement la tribune. Avec la chaire en bois placée en fond de perspective, encadrée de la sacristie et de la bibliothèque, la salle de culte est organisée en long, orientant l’assemblée vers le « chœur ».

15 Cette organisation est proche de celle mise au point pour le temple protestant à Toulouse : un grand porche dans l’angle (place du Salin et impasse), une salle de culte en long, avec, dans ce cas‑ci, la chaire excentrée placée dans la diagonale de l’entrée. À l’opposé, le projet imaginé19 à Castres propose un plan en croix grecque, avec un espace de culte en T, la chaire étant en fond de perspective. Ce dispositif rappelle celui du grand temple de Lyon construit en 1884 par Gaspard André.

16 Finalement, à Albi, Daures modifie sa proposition initiale en utilisant le dispositif d’entrée dessiné pour Castres : porche central adossé à la façade principale, vestibule encadré d’un vestiaire et de l’escalier. La bibliothèque et la sacristie ont été supprimées et le « chœur » simplifié pour un dessin rectiligne répondant à la fois à la sobriété souhaitée et au budget contraint.

17 La salle de culte demeure organisée en long. Ce dispositif, récent dans le culte protestant, répond aux dispositifs en large des plans orthogonaux, ellipsoïdaux ou rectangulaires en quadrangle (et leurs variantes) des temples médiévaux. Bernard

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Reymond explique que le style néogothique a contribué à rendre normal aux yeux de bien des réformés l’organisation en long de leurs salles de culte avec, comme retombée lointaine et actuelle, […], que l’assemblée soit tout entière orientée vers le chœur20. il rappelle que le pasteur Eugène Bersier est à l’origine du succès de ce style, notamment avec la publication de Liturgie à l’usage des églises réformés en 1874. Néanmoins, une des qualités de cette installation est la bonne propagation du son dans l’espace.

18 La salle profite d’une lumière naturelle abondante, homogène dans l’espace, ne cherchant pas à mettre en avant certains éléments vis‑à‑vis d’autres. Ce parti pris est une donnée caractéristique de la conception des lieux de culte protestants. Les baies sont néanmoins pourvues de vitraux, dans un dessin très simple avec une frise périphérique. L’espace de culte est ponctué de quatre arcs diaphragmes en plein cintre qui reposent sur des pilastres aux chapiteaux cubiques sobrement peints. L’ensemble des murs sont peints dans un ton gris, associé à mi-hauteur à des panneaux de chêne (fig.3 et 3 bis).

Fig. 3 et 3bis

Albi (Tarn), Temple protestant ; salle de culte, 2016 © Laura Girard

19 Les archives ne contiennent que peu de plans, le premier daté du 24 juin 1920 et le second du 2 juillet, sensiblement identiques dans l’aménagement qu’ils proposent. De fait, l’organisation intérieure apparaît relativement stable, démontrant un consensus au sein du conseil presbytéral. En séance, le 24 juin 1920, ils reconnaissent que la salle elle-même doit être faite avec une grande simplicité, et que tout l’effort d’architecture sera porté sur la façade21.

La façade principale : entre style roman et style languedocien

20 « Cet effort d’architecture », souhaité par le conseil, se vérifie dans la recherche de la composition de la façade principale que Léon Daures va mener. Elle est constatée par les multiples croquis et ébauches d’élévations, détails de corniches ou de toitures qui couvrent les calques conservés dans le fonds d’archives (fig.4).

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Fig. 4. Albi (Tarn)

Temple protestant ; esquisses de l’élévation principale, non datées A.D. Tarn. 143 J 232 © Laura Girard

21 Dès juillet 1920, l’élévation montre l’utilisation de la brique apparente associée à la pierre de taille pour les encadrements des baies et le porche. Les invariants que Daures conservera jusqu’au chantier se mettent en place : les trois baies de la façade principale, les baies en arc plein cintre, le dessin du porche et le campanile. Le vocabulaire est néo‑roman dès l’esquisse primitive.

22 Alors qu’il l’avait utilisée au temple de Toulouse, Daures semble écarter rapidement la rosace, préférant les trois baies jumelées. Le travail se porte ensuite sur la place du porche, excentré ou central, dans-œuvre ou adossé, et la position de l’escalier, intérieur ou en tourelle. Le dessin du campanile, entre des influences toscanes et méridionales, a également évolué, contribuant à sa prestance : si le toit en pavillon largement débordant est une constante, l’attention spécifique a été portée sur les baies jumelées par deux ou trois, un temps, à linteau droit puis à arc plein cintre. L’ajout des mâchicoulis en encorbellement a, semble-t-il, permis de rendre plus élancée la tour, tout en renforçant la prédominance du signal dans le quartier.

23 Cette recherche est ainsi révélatrice des références que l’architecte a convoquées pour caractériser le vocabulaire architectural de la façade principale (fig.5). Ces références, il est possible, dans une certaine mesure et par hypothèse, de les désigner dans le répertoire « églises » que Léon Daures avait constitué, au cours de sa carrière, à partir des planches de la revue La Construction moderne. Daures pourrait ainsi avoir glané le dessin des baies en arc plein cintre des façades latérales de la chapelle Saint-Charles, rue de la Croix Saint-Simon à Paris, des architectes Charles Nicod et Georges Lambert, construction débutée en 1914 et inaugurée en 1921. Elles se caractérisent par un arc à ressauts formé de trois rouleaux, en pierre, avec le rouleau d’archivolte à billette. Le

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clocheton du temple protestant de la rue Quinault à Paris de l’architecte Godeboeuf a fait partie, un temps, des esquisses de Daures. On retrouve également sur différents édifices religieux les trois baies plein cintre de la façade principale.

Fig. 5

Albi (Tarn), Temple protestant ; Esquisse du projet, non daté (circa 1920) Archives privées de la paroisse. © Laura Girard

24 Hors ces planches, on peut citer les temples protestants édifiés dans les grandes villes françaises : dans un style romano-byzantin à Lyon, celui de l’architecte Gaspard André en 1884, et à Montpellier, en 1870, ou encore le temple de Douai inauguré en 1901 qui possède une parenté avec celui d’Albi dans la composition de la façade à pignon.

25 Ces éléments de vocabulaire néo-roman mis à part, le caractère général de l’édifice s’oriente vers une architecture « méridionale », ou de tradition locale, notamment si on s’en tient à l’emploi de la brique pour la façade principale. Dès l’inauguration du bâtiment en juin 1924, les articles de presse dressent des commentaires dans ce sens : le nouveau temple, tout construit en briques rouges, se réclame du style roman et du style languedocien : le souleillé, lui-même, en son caractère moyenâgeux, rappelle la vielle tour de Lescure et son ensemble fait une réelle distinction et d’une austérité symbolique, s’harmonise délicieusement avec les vieux monuments en briques de la cité albigeoise22.

26 C’est un caractère identifiable dans l’architecture de Léon Daures. En effet, un certain éclectisme mêlant, selon les programmes et les commanditaires, historicisme, néo‑classicisme, régionalisme, néo-basque s’exprime dans ses choix constructifs, dans les dispositifs architecturaux et dans les décors. L. Charles‑Bellet, président du syndicat d’initiative du Tarn, dans la préface du carnet de réalisations de Léon Daures en 1933, insiste sur l’emploi de la brique chez l’architecte :

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il [Léon Daures] songea ainsi aux facilités que donnait la brique pour une utilisation moderne du plein cintre, notamment dans le tracé des ouvertures, en apportant aux façades les plus modestes un nouveau pittoresque23.

27 Pittoresque, régionaliste, languedocien forment un trait que Daures s’attache à mettre en œuvre dans ses réalisations, dont le point d’orgue est la réalisation du Pavillon du Languedoc24 pour l’exposition des arts et techniques de Paris en 1937 avec les architectes Jean Valette et Jean‑Henry Avizou.

28 Cette orientation régionaliste de Daures pour la construction d’un temple protestant, dans le sud de la France, est à mettre en parallèle avec l’utilisation en Suisse, à la charnière des XIXe et XX e siècles, du Heimatstil ou style patriote, par lequel les architectes convoquaient une architecture de tradition locale exaltant le savoir‑faire artisanal25 dans la construction des temples vaudois.

29 La maçonnerie de briques demeure uniquement mise en œuvre sur le pignon principal et le campanile. Elle est utilisée en parement d’une construction en moellons, les murs gouttereaux étant simplement enduits. Ce parti peut résulter d’un impératif économique, qui ne permettait pas d’y recourir pour l’ensemble des parements. Les barrottins bruts filés26, fournis par le briquetier Jean rouch, sont montés en appareillage flamand. Ce dernier est souligné par l’irrégularité du traitement des faces de la brique : si les panneresses sont lisses, les boutisses montrent des rugosités. (fig.6). Cette différence de finition est révélatrice de l’outillage du briquetier27 : il possède à ce moment-là des filières qui coupent les briques dans la longueur laissant des traces sur les faces coupées (les boutisses). La démarche d’analyse de la paroi de briques, entre constats in situ et recherches documentaires, a été renouvelée pour comprendre l’histoire du chantier, ses intervenants et la conduite des travaux.

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Fig. 6

Albi (Tarn), Temple protestant ; la différence de finition des faces (panneresses et boutisse) des briques montées en appareillage flamand. 2016 © Laura Girard

L’impératif économique dirige un chantier à étape

30 Avec la loi de séparation des églises et de l’état en 1905, l’association presbytérale ne peut plus compter sur le soutien de la ville d’Albi ou sur celui du conseil général du Tarn pour financer une partie du projet, tel que cela s’était produit pour les campagnes de travaux de l’ancien temple. Elle doit alors trouver les fonds nécessaires au paiement des artisans d’art, entrepreneurs et matériaux pour la construction du nouveau temple, que Léon Daures a estimé à 200 000 francs.

31 L’achat du terrain se formalise rapidement en juin 1920 avec le crédit disponible. Sur la base de l’esquisse validée à l’été 1920, ne disposant pas des ressources suffisantes, le conseil presbytéral demande à l’architecte de deviser son projet en trois parties : 1, l’indispensable ; 2, ce qui serait nécessaire ; 3, ce qui peut être ajourné à des temps meilleurs28. Ensuite, il lance une œuvre de souscription29 auprès de ses paroissiens, des autres églises réformées du Tarn, des comités protestants d’autres régions et de pays étrangers. Entre 1920 et 1922, sont ainsi réunis 51 000 francs. Paul Péret, directeur des mines d’Albi et membre du conseil presbytéral, est particulièrement actif dans cette œuvre. La société des mines d’Albi fait un don initial de 10 000 francs, et il incite les autres grandes entreprises industrielles albigeoises (les Verreries de Carmaux, l’usine du Saut du Tarn, la société des mines de Carmaux, etc.) à suivre son exemple. En août 1922, Paul Péret insiste pour que les fonds soient employés à la construction d’une première tranche de travaux et engage sa propre responsabilité,

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pour faciliter la construction immédiate du gros œuvre, c’est‑à‑dire des fondations, des quatre murs et de la toiture, […] à fournir au prix de revient des matériaux et à les transporter gratuitement sur le chantier, ce qui entrainera un important abaissement des prix unitaires ; il prend, en outre, l’engagement de trouver un entrepreneur qui consentira à exécuter les travaux dont il s’agit au prix de revient, sans aucun bénéfice30.

32 À l’initiative supposée de Daures et de Péret, l’entreprise générale de travaux Campenon et Bernard est sollicitée et répond favorablement au marché forfaitaire de 50 000 francs. Cette entreprise a été créée en 1920 par Edmé Campenon et André Bernard, basée à Albi et à Paris, et se spécialise dans les travaux hydrauliques dans les années 30. Au début des années 1920, les relations professionnelles entre l’architecte et l’entreprise se mesurent sur plusieurs projets : en 1920, Léon Daures aménage leurs bureaux rue de Ciron à Albi ; ensuite, il fait appel à eux pour les chantiers de l’usine La filature tarnaise à Mazamet entre 1920 et 1922, de la chapelle des sœurs dominicaines à Albi entre 1922 et 1929 et de la maison du directeur des Mines d’Albi, entre 1920 et 1921, à Albi.

33 À l’automne 1922, s’ouvre alors un chantier de deux ans pour lequel cette entreprise sera rejointe par d’autres corps de métier31, dont, en particulier, Saint‑Blancat pour les vitraux en décembre 1923, Limouzy frères pour la serrurerie en 1924, le sculpteur Jean Juéry, Jean Saint‑Amans (paveur), Chamayou frères (peinture), etc.

34 La première partie du bâtiment est achevée au début de l’été 1923, dont le dessin de la façade principale pourrait être le document ci-après (fig.7).

Fig. 7

Albi (Tarn), Temple protestant ; dessin de l’élévation principale pour la première étape du chantier. 143 J 232 © AD Tarn

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35 Les souscriptions enregistrées durant les années 1922 et 1923 permettent à l’architecte de programmer la suite du chantier. Ainsi, entre juin et septembre 1923, l’entreprise Campenon et Bernard entame les travaux supplémentaires de modifications de la charpente et de la couverture, puis de construction du campanile, du vestiaire et du porche d’entrée32. des travaux de second œuvre et de finitions, intérieurs et extérieurs, hors du marché à forfait, sont exécutés jusqu’à l’été 1924, portant leur facture totale à 149 935 francs.

36 Le temple est inauguré le 26 juin 1924 et, en février 1925, le conseil presbytéral tient sa première assemblée depuis l’inauguration et l’achèvement de la construction.

37 Le nouveau temple formalise ainsi les ambitions portées par le pasteur Émile Jolibois et les membres du conseil presbytéral de doter la communauté protestante albigeoise d’un lieu adapté à l’accueil des fidèles et à leurs rassemblements. L’espace de culte conçu par l’architecte Léon Daures au début des années 1920 à Albi, propose un dispositif cultuel hérité de l’influence néogothique des temples du XIXe siècle et de la conception des églises catholiques, avec la salle organisée en longueur tournée vers le chœur, l’orientation du bâtiment est-ouest, ou encore le recours aux vitraux.

Fig. 8

Albi (Tarn), Temple protestant ; vue générale 2016 © Laura Girard

38 Cette œuvre collective a sollicité la générosité des coreligionnaires, particuliers et grandes industries, à Albi, dans le Tarn et dans les comités protestants français et étrangers. Modestie et sobriété guident le décor intérieur tandis que les moyens sont concentrés dans le dessin et la réalisation de la façade principale. Aux attributs néo-

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romans, l’empreinte régionaliste se déploie dans le parement de briques, dans l’utilisation des toits débordants et dans le tracé du campanile.

39 Sa dimension urbaine et son caractère architectural participent de l’affirmation et de la reconnaissance de l’église réformée parmi les édifices cultuels albigeois. Associée à la qualité architecturale de l’édifice, cette reconnaissance a été réaffirmée par la protection au titre des monuments historiques, avec l’inscription à l’inventaire supplémentaire. Le temple a alors été protégé parmi une série de temples, sans distinction d’époques, en 2015 lors d’une Commission régionale du Patrimoine et des Sites de l’ancienne DRAC Midi‑Pyrénées33.

NOTES

1. Ad Tarn. 143 J 1-1003. Fonds Léon Daures et Édouard Veyret Daures (don de M. Veyret Daures, 2008). Le Fonds est en cours de traitement au moment de la publication de l’article. Certaines cotes sont susceptibles d’être modifiées, une table de concordance sera mise à disposition et permettra de les retrouver pour leur consultation. 2. Cf. JOLIBOIS, Émile. Le Lien Albigeois, 1925-1927 ; CABANEL, Patrick. « Un visage tarnais du protestantisme ». Revue du Tarn, automne 2010, n° 219, p. 361 ; APPOLIS, Émile. « La création de l’église réformée d’Albi au XIXe siècle », Bulletin de la Société des Sciences, Arts, et Belles Lettres du Tarn, janvier-décembre 1962, XXIII, p. 421. 3. Émile Jolibois, fils de Claude Émile et pasteur de la paroisse albigeoise de 1880 à 1924, raconte, une fois sa retraite prise, les évènements qui ont conduit à la création de l’église réformée d’Albi, dans le « lien albigeois ». Cette histoire, inextricablement liée à celle de sa famille, est enrichie de détails sur l’intolérance montrée à l’égard du groupe protestant dans la société albigeoise de la 2e moitié du XIXe siècle. 4. AD Tarn. 2 O 4 15. Édifices cultuels, temple protestant d’Albi 1879-1905. 5. Archives privées de la paroisse. Délibération du conseil presbytéral, 6 mai 1920. 6. Archives privées de la paroisse. Lettre du pasteur Jolibois au pasteur Morel, président de la commission permanente, le 6 juillet 1920. 7. Archives privées de la paroisse, délibération du conseil presbytéral, 6 mai 1920. 8. AD Tarn. 4E163016_10. 9. AM Toulouse. 1R628 et 1R629. 10. AM Toulouse. 1R620 et 1R621. 11. Archives nationales. AJ/52/240 et 403. Voir le dossier de Léon Daures à l’école des Beaux-arts de Paris. 12. AD Tarn. 143J294-296. 13. AD Tarn. 143J234. 14. AD Tarn. 143J233. 15. AD Tarn. 143J221. 16. AD Tarn 143J233. 17. https://catalogue.bnf.fr/ark :/12148/cb40675330x. 18. Reçue en succession de Paul et Léon Farssac en 1914 ; M. et Mme Ichard l’ont divisée et ont vendu les lots à plusieurs propriétaires (archives privées de la paroisse, actes notariés) : le terrain sur la rue Fonvieille à l’association cultuelle de l’église réformée d’Albi le 18 juin 1920 et deux lots

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sur la rue Séré de Rivières à Auguste Cassan le 24 mars 1920 et à Henri Daures, frère de Léon Daures, les 14 et 18 juin 1920. 19. AD Tarn. 143J233. Le pasteur demande un projet de restauration mais le jeune représentant de Daures semble avoir dessiné un temple nouveau. 20. REYMOND, Bernard. La porte des Cieux, architecture des temples protestants. Lausanne, Presses polytechniques universitaires romandes, 2015. p. 111 ; voir aussi Bernard, Reymond. « Les temples protestants réformés aux XIXe et XXe siècles », Chrétiens et sociétés [En ligne], Numéro spécial i | 2011, mis en ligne le 29 septembre 2011, consulté le 15 décembre 2016. 21. Archives privées de la paroisse, délibération du conseil presbytéral, 24 juin 1920. 22. La Dépêche de Toulouse, 17 juillet 1924. 23. AD Tarn. 143J seq 482 : Travaux d’architecture / Léon Daures. Strasbourg, EDARI édition d’architecture et d’économie rurale, 1933, 42p. 24. AD Tarn. 143J298-299. 25. Luthi, Dave. Les chapelles de l’Église libre vaudoise, histoire architecturale 1847-1965. Lausanne, Bibliothèque Historique Vaudoise, 2000, p. 159 cité par Reymond, Bernard. op.cit, p. 115 26. AD 81. 143J232, correspondance émise par le briquetier Rouch à destination de la société des mines d’Albi. Il s’agit de l’intitulé des produits commandés au briquetier pour monter la façade. 27. AM Carmaux. SMC 2 717 Rouch 1919-1928 (correspondances actives et passives de la société des mines de Carmaux avec le briquetier Jean Rouch). 28. Archives privées de la paroisse. Délibération du conseil presbytéral, 23 octobre 1920. 29. Archives privées de la paroisse. Le livre de souscription a été conservé. Il détaille les noms de chacun des donateurs et les montants associés. 30. Archives privées de la paroisse. Délibération du conseil presbytéral du 12 aout 1922. 31. Archives privées de la paroisse et AD Tarn. 143J232. Livres de compte, factures et correspondances. 32. La construction en étapes de ces ouvrages pourrait être à l’origine des pathologies observées sur le temple aujourd'hui. 33. Un article bilan sur le travail raisonné de protection des temples de l’ancienne région Midi‑Pyrénées est en préparation par les agents recenseurs de la CRMH.

RÉSUMÉS

Récemment protégé au titre des monuments historiques, le temple protestant d’Albi est dessiné par l’architecte départemental Léon Daures en 1924. L’article propose une contribution inédite sur sa construction, à travers une lecture croisée des dimensions matérielle, culturelle et sociale. Sa conception architecturale est explorée, en mettant en exergue la « manière de faire » de l’architecte au regard du programme et des contraintes et en donnant à voir les relations professionnelles entre les différents intervenants. Ainsi, l’emploi de matériaux locaux, la brique ici, l’adaptation au quartier viennent se conjuguer avec les impératifs et les ambitions de la commande : le budget contraint, le chantier mené par étape et les dispositions architecturales d’un espace de culte protestant.

Recently protected as an historic monument, Albi’s protestant temple is drawn by the departmental architect Léon Daures, in 1924. The article proposes an unpublished contribution on its construction, through a crossed reading of the material, cultural and social dimensions. His

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architectural design is studied, by highlighting the « way of making » of the architect with regard to the program and constraints and by giving to see the professional relations between the various speakers. So, the employment of local materials, the brick here, the adaptation to the district come to conjugate with the imperatives and the ambitions of the order: the budget forces, the construction site led by stage and the architectural capacities of a space of Protestant worship.

INDEX

Keywords : protestantism, religious architecture, temple, Daures Léon, 20th century Mots-clés : protestantisme, architecture religieuse, temple, Daures Léon, XXe siècle Index géographique : Tarn, Albi

AUTEUR

LAURA GIRARD Diplômée d’état d’architecture, doctorante en architecture ENSA Toulouse, LRA

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La protection au titre des monuments historiques des temples protestants Une campagne thématique dans l'ancienne région Midi‑Pyrénées (2007‑2014) Protection of Protestant temples as historical monuments. Thematic campaigning in the former Midi-Pyrénées region (2007-2014)

Marie-Emmanuelle Desmoulins et Georges Gonsalvès

Le contexte

Les protections antérieures à 2007

1 En région Midi-Pyrénées, peu de temples protestants étaient protégés au titre des monuments historiques avant qu'il ne soit décidé de mener une campagne d'étude exhaustive de ce type de patrimoine destinée à aboutir à une sélection d'édifices proposés à la protection.

2 Encore faut-il préciser que ces monuments déjà classés ou inscrits l'avaient été pour des raisons dépassant le caractère spécifique de ces lieux de culte.

3 En dehors du cas particulier du château de Cénevières (Lot), où la chapelle figure clairement en tant qu'ancien temple dans le libellé de la protection, cet édifice étant le seul lieu construit spécifiquement pour le culte réformé qui ait subsisté après la révocation de l'Édit de Nantes, quatre autres édifices étaient protégés. Le temple de Montauban, qui est l'ancienne chapelle du couvent des Carmes, fut, après Cénevières, le premier édifice à bénéficier d'une mesure légale de classement. Le temple de Nègrepelisse (Tarn-et-Garonne) a été classé en raison de la qualité de son architecture, en particulier pour l'emploi par l'architecte Jules Bourdais de solutions techniques préconisées par Viollet‑le‑Duc. Celui du Carla‑Bayle (Ariège) a été inscrit, à la fois parce qu'il s'agit d'un lieu de mémoire (le Carla est le village natal de Pierre Bayle ; de plus,

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pour la reconstruction de la fin du XIXe siècle, la communauté protestante choisit symboliquement de reprendre l'emplacement du temple primitif) et parce que dans ses dispositions architecturales les constructeurs ont su tirer profit de la situation particulière de l'édifice entre deux rues situées à des niveaux différents : la chaire est ainsi comme « suspendue » entre ces deux niveaux et les points de vue de deux étages de tribunes convergent vers elle. Le temple du Salin à Toulouse a été lui aussi classé en tant que création de l'architecte Daures, mais aussi, et peut‑être surtout, si l'on se réfère au procès‑verbal de la séance de la commission supérieure des monuments historiques et aux interventions de certains de ses membres, parce qu'il intégrait des vestiges de l'ancienne trésorerie royale fondée au XIIIe siècle.

De nouvelles demandes de protection

4 À partir de 2007, des demandes de protections ponctuelles sur certains édifices1 ont amené à s'interroger sur la pertinence de mesures prises au coup par coup, en fonction des opportunités et ont mis en relief la nécessité d'avoir des critères d'évaluation.

Le choix d'une campagne thématique de protection

5 Plutôt donc que de traiter à la « demande », il fut choisi de se doter au préalable d'outils permettant d'évaluer et de hiérarchiser l'intérêt des éléments d'un corpus relativement limité en nombre. Il fallait donc passer par une grille d'analyse prenant en compte d'autres critères que la qualité esthétique ou architecturale, les temples de la région présentant la plupart du temps, à part quelques réalisations en milieu urbain (le temple « neuf » de Mazamet, ceux d'Albi ou de Millau), une architecture des plus modestes. Il était nécessaire de constituer des séries reprenant justement la distinction entre les édifices urbains, ceux implantés en milieu rural, voire montagnard, ou ceux relevant d'un type intermédiaire ; on peut ainsi penser aux temples de gros bourgs de la basse Ariège, dont l'architecture se rapproche d'une typologie urbaine. Chronologiquement, le choix était resserré puisque la plupart des édifices datent du XIXe siècle et du début du XXe siècle, et que la région présente peu d'exemples d'édifices érigés plus avant dans ce dernier siècle.

6 En dehors de ces critères architecturaux, il était essentiel de considérer l'aspect historique ou mémoriel, de même que la dimension ethnologique et sociologique caractérisant ce patrimoine. La répartition géographique au sein de la région constituait aussi un paramètre important. En effet, l'une des particularités du protestantisme en Midi‑Pyrénées est, qu'après les guerres de Religion, il a subsisté en « îlots » très réduits sauf dans le sud de l'actuel département du Tarn, dans la région de Castres et de la Montagne Noire qui pourrait être comparée aux Cévennes. D'autre part, l'existence de certains temples dans des secteurs historiquement peu concernés par la Réforme, comme à Cauterets et à Bagnères‑de‑Bigorre, est due à un contexte très particulier. Il est en effet lié d'une part au développement du pyrénéisme et des cures thermales, qui attire de nombreux anglo-saxons de confession anglicane ou protestants de différentes obédiences, d'autre part à l'action du pasteur Ëmilien Frossard qui s'installe en 1848 à Bagnères‑de‑Bigorre pour y créer la paroisse réformée des Hautes‑Pyrénées et fait construire les temples de cette ville, de Cauterets et de Tarbes2.

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Le processus de protection

Phase 1 : le recensement

7 Il convenait donc, à l'instar de ce qui s'était fait, par exemple en région Poitou‑Charentes3, d'avoir un panorama exhaustif de l'ensemble des lieux de culte du protestantisme ; en revanche le choix fut fait de ne pas prendre en compte systématiquement, en raison de leur diversité et de leur foisonnement, les autres lieux liés à la Réforme : sites d'assemblée au Désert, cimetières, tombes isolées, sites liés à un événement particulier, souvent dramatique4. Cette enquête fut menée en interne au sein de la conservation régionale des monuments historiques de la Drac Midi‑Pyrénées : les trois chargés de la protection5, s'appuyant sur les archives et les publications, visitèrent et documentèrent tous les temples de la région, constituant un corpus composé de plus de quatre-vingts édifices, accompagné d'une couverture photographique la plus complète possible. Selon les secteurs, l'existence d'études plus ou moins approfondies6 ou de documents plus « grand public » réalisés parfois avec le support d'associations7, a aidé à ce repérage. De manière exceptionnelle, le département de l'Ariège avait bénéficié en 2000 d'une campagne de relevés systématiques de tous les temples y compris certains édifices désaffectés ou en ruine, exécutés par le service départemental de l'architecture et du patrimoine (actuelle UDAP8) de ce département. Sur le terrain, la structuration même des églises réformées amenait parfois quelques difficultés à identifier l'interlocuteur privilégié, représentants du conseil presbytéral, des associations cultuelles, maires des communes propriétaires de certains édifices, bénévoles membres actifs de la communauté ; cette situation offrit cependant la possibilité d'échanges particulièrement fructueux. Cette opération de recensement fut aussi enrichie par les contacts noués avec certains spécialistes de l'histoire et du patrimoine protestant comme Patrick Cabanel9 ou comme l'architecte Robert Mangado10 qui acceptèrent de participer à l'entreprise, par le biais d'un groupe de travail, et d'intervenir lors des séances de la délégation permanente et de la CRPS11 en formation plénière.

Phase 2 : le passage en délégation permanente de la CRPS

8 À la suite de cette phase de recensement une première sélection fut proposée à la délégation permanente lors de sa séance du 1er octobre 2013 : un panorama rapide des quatre‑vingt‑six temples répertoriés et de quelques lieux de mémoire fut suivi d'une présentation plus développée de vingt‑neuf édifices. Si, dans certains cas, les critères permettant de procéder à un choix conduisirent de manière aléatoire à ne pas retenir certains dossiers, treize temples et un lieu de mémoire furent finalement retenus pour une présentation ultérieure en CRPS. Dans sa séance du 16 décembre 2014 cette commission donna un avis favorable à l'inscription au titre des monuments historiques de l'ensemble des édifices constituant la sélection. Les interventions de Patrick Cabanel et de Robert Mangado, préalablement à l'examen des dossiers, avaient permis de resituer les édifices dans le contexte historique et architectural de la région.

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Quelques exemples de protection

9 Les quelques exemples ci-dessous, pris dans quatre départements, montreront comment la prise en compte des critères d'évaluation évoqués plus haut a pu, en phase finale de l'étude, aboutir au maintien ou au rejet des « objets » à protéger.

ARIÈGE

10 Un des îlots du protestantisme évoqués plus haut est celui, particulièrement remarquable, de la vallée de l'Arize, autour du Mas‑d'Azil ; une dizaine d'édifices posent la question de leur patrimonialisation : fallait-il tous les protéger au titre des monuments historiques malgré la modestie de leurs qualités architecturales ? Mais ne fallait‑il pas aller au‑delà de protections ponctuelles car, en plus des bâtiments, ce sont un paysage, des cheminements, une mémoire qui sont en cause ? Dans ce cas‑là une protection juridique au titre des monuments historiques n'était peut-être pas la plus adaptée. Finalement, le choix de la protection se porta sur deux édifices atypiques dans la série : le temple principal du Mas‑d'Azil (fig.1) pour sa relative monumentalité, mais aussi paradoxalement pour le fait qu'il renfermait des vestiges de l'ancienne abbaye détruite par les Huguenots ; celui de Gabre (fig.2, 3), emblématique d'une histoire, celle des gentilshommes verriers et de l'église réformée évangélique indépendante de la vallée de l'Arize, fut retenu, à l'opposé, pour sa simplicité et sa modestie revendiquées ; l'édifice relève en effet plutôt de la typologie de la grange ou de la bergerie.

Fig. 1

Le Mas d’Azil (Ariège), temple dit grand temple ou temple du bourg ; vue vers la tribune G. Gonsalvès © Drac Occitanie

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Fig. 2

Gabre (Ariège), temple ; vue depuis l'est G. Gonsalvès © Drac Occitanie

Fig. 3

Gabre (Ariège), temple ; vue intérieure vers la chaire G. Gonsalvès © Drac Occitanie

GERS

11 Dans ce département, la singularité architecturale ou historique fut parfois déterminante : à Sainte‑Dode, village de la partie méridionale du Gers, un petit édifice à l'architecture soignée a accueilli vers 1900 une communauté à la vie éphémère, dans une région qui, historiquement, n'avait jamais été touchée par le protestantisme. Dans

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ce petit temple, l'accent mis sur l'écriture, caractéristique des temples, est particulièrement remarquable : tous les murs sont recouverts de citations de l'ancien et du nouveau testament, et malgré ses petites dimensions, l'édifice possède deux portes, toutes deux surmontées d'un tympan sculpté et portant des citations bibliques (fig. 4, 5, 6). Paradoxalement, dans le même département, le temple de Mauvezin, haut lieu du protestantisme, appelé la petite Genève du Gers, n'a pas été retenu pour une protection (fig.7), alors que ses aménagements intérieurs soignés, notamment le parterre avec sa grille, les bancs des notables, ont été préservés et que les textes de l'écriture sont particulièrement mis en valeur dans des panneaux peints en trompe‑l'œil. À Eauze, le temple construit à une époque de renouveau de la communauté protestante de la ville, est un des rares exemples d'architecture de la deuxième moitié du XXe siècle, dont la construction a été confiée à un architecte vaudois, Paul Lavenex, auteur de plusieurs églises réformées dans son pays (fig.8). Curieusement, dans ses dispositions, cet édifice se rapproche de certaines églises catholiques post‑conciliaires, avec son ambon sur le côté, en lieu et place de la chaire trônant traditionnellement en partie centrale du mur de fond, un autel de pierre évoquant les temps paléochrétiens et non une simple table de communion ; un espace de réunion perpendiculaire à la salle principale fait penser aux chapelles de semaine des églises modernes. Le caractère atypique de l'édifice, peut-être mal compris, a, dans ce cas, conduit à l'écarter de la sélection.

Fig. 4

Sainte-Dode (Gers), temple ; vue depuis le sud-ouest G. Gonsalvès © Drac Occitanie

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Fig. 5

Sainte-Dode (Gers), temple ; porte occidentale avec son tympan sculpté et une citation de saint Matthieu G. Gonsalvès © Drac Occitanie

Fig. 6

Sainte-Dode (Gers), temple ; texte du Décalogue peint face à la porte d'entrée sud du temple G. Gonsalvès © Drac Occitanie

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Fig. 7

Mauvezin (Gers), temple ; la chaire encadrée par les textes peints du Notre-Père, du Symbole des Apôtres et du Décalogue G. Gonsalvès © Drac Occitanie

Fig. 8

Eauze (Gers), temple ; vue vers la chaire et la table de communion en forme d'autel G. Gonsalvès © Drac Occitanie

AVEYRON

12 Le protestantisme s’est maintenu dans la partie sud-est de l’Aveyron, qui dépend historiquement et administrativement du siège de Montpellier. Sur les sept temples

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repérés dans le département, trois ont été présentés en délégation permanente, ceux de Millau12 (fig.9), de Rodez et de Saint‑Jean‑de‑Bruel13 (fig.10).

Fig. 9

Millau (Aveyron), temple ; vue d'ensemble J.-F. Peiré © Drac Occitanie

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Fig. 10

Saint-Jean-de-Bruel (Aveyron), temple ; façade antérieure M.-E. Desmoulins © Drac Occitanie.

13 Le temple de Rodez (fig.11) se distingue des autres temples de Midi‑Pyrénées par trois caractéristiques, sa localisation en « terre de mission » - c’est en effet une partie de l’Aveyron où la communauté protestante a toujours été réduite - par sa construction tardive (inauguration le 8 juin 1947), enfin par son maître d’ouvrage, le pasteur Idebert Exbrayat (1913‑2002) qui a été, durant la seconde guerre mondiale, à la tête d’un réseau aidant les Juifs et les réfractaires au STO14. À la Libération, un terrain a été donné par la municipalité de Rodez, issue de la Résistance, aux protestants et à leur pasteur afin de les remercier pour leurs actions. Notons cependant que l’octroi de cette parcelle, coincée entre deux rues, sur un terrain très en pente, finalement peu adaptée à un bâtiment destiné à accueillir du public, suscita des oppositions dans la très catholique Rodez. Grâce à l’appui de Paul Ramadier alors président du Conseil et de la communauté juive, le pasteur Exbrayat a réussi à bâtir, avec l'architecte parisien Aloïs Verrey15, un temple en béton et parement de pierre de taille, avec une salle paroissiale en dessous. Ce temple est marqué par la personnalité d’Idebert Exbrayat qui, ayant été formé à l'école de théologie méthodiste de Richmond, a opté pour un chœur avec une table de communion, une chaire et des fonts baptismaux d’égales dimensions caractéristiques des églises méthodistes, et la croix de Lorraine sculptée sur la porte d’entrée marque son engagement à la France libre (fig.12).

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Fig. 11

Rodez (Aveyron), temple ; vue d'ensemble M.-E. Desmoulins © Drac Occitanie

14 Alors que les conditions de la construction de ce temple sont exemplaires des positions et les actions courageuses prises par plusieurs pasteurs et communautés protestantes en France, l’intérêt architectural de l’édifice a semblé vraiment insuffisant aux membres de la délégation permanente pour le présenter devant la CRPS.

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Fig. 12

Rodez (Aveyron), temple ; porte d'entrée M.-E. Desmoulins © Drac Occitanie

15 Ce rejet peut être rapproché des questionnements récurrents sur la pertinence ou non de protéger au titre des monuments historiques des édifices ayant essentiellement une valeur historique ou mémorielle.

TARN

16 C’est dans le Tarn que l’on trouve le plus grand nombre de temples ; environ une trentaine a été édifiée entre 1800 et 1905. L’étude préparatoire a permis de repérer vingt‑deux temples et trois lieux de mémoire ; neuf édifices ont été présentés en délégation permanente et six en CRPS.

17 Le temple Neuf de Mazamet (fig.13, 14, 15, 16) était, avec ses 900 places, le plus vaste du département et certainement un des plus monumentaux de la région. La décision de sa construction, prise en 1852 par le conseil presbytéral et la commune, correspond pour la ville à une période d’essor de l’industrie textile, florissante à partir du début du XIXe siècle et qui s’est encore amplifié, à partir de 1851, grâce à la mise au point du délainage16. Il a fallu cependant attendre 1864 pour que débutent les travaux, 1872 pour qu’ils s’achèvent, et 1881 pour que le temple soit officiellement inauguré. Le terrain choisi se trouvait à l’écart du centre ancien, dans le nouveau quartier des industriels enrichis, majoritairement protestants.

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Fig. 13

Mazamet (Tarn), temple Neuf ; façade antérieure J.-F. Peiré © Drac Occitanie

Fig. 14

Mazamet (Tarn), temple Neuf ; salle de prière J.-F. Peiré © Drac Occitanie

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Fig. 15

Mazamet (Tarn), temple Neuf ; l'orgue pris depuis la tribune J.-F. Peiré © Drac Occitanie

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Fig. 16

Mazamet (Tarn), temple Neuf ; la chaire à prêcher, signée « Élysée Bonner, 4 août 1881 » J.-F. Peiré © Drac Occitanie

18 L'architecte toulousain Alexandre Laffon (1819-1882), après un premier projet de style néo-roman, a opté pour un traitement néoclassique de la façade principale avec un ordre colossal ionique et un fronton surmonté d’un clocher, style qui répondait plus au vœu du conseil presbytéral. À cette date, le néo‑médiéval est pourtant préféré au néoclassicisme qui a connu un réel succès lors la première vague de reconstruction de la première moitié du XIXe siècle17. Ainsi, pour le temple contemporain de Millau (fig. 17), l’architecte montpelliérain Louis-Alphonse Corvetto (1814‑1887) a utilisé un vocabulaire néo‑roman18. Comme Mazamet, Millau était une ville industrielle prospère grâce aux peausseries et à la fabrication de gants où les manufacturiers étaient en majorité protestants. Situé au cœur d'un quartier d'imposantes villas, le temple Neuf, symbole de la réussite des industriels mazamétains, a été progressivement abandonné en raison de sa taille puis désaffecté en 1996. Il a été inscrit en totalité le 3 juin 2015. Comme nombre de communes, la municipalité est en quête d'une nouvelle utilisation conciliable avec son ancienne fonction.

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Fig. 17

Millau (Aveyron), temple ; vue d'ensemble J.-F. Peiré © Drac Occitanie

Fig. 18

Camarès (Aveyron), temple ; façade antérieure M.-E. Desmoulins © Drac Occitanie

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Bilan de la protection thématique

19 À la suite de cette campagne de protection ce sont donc en tout une vingtaine d'édifices, relevant du culte réformé, mais aussi un lieu de mémoire19 et les vestiges de l'ancienne académie protestante de Puylaurens (Tarn) qui sont protégés dans les huit départements de l'ancienne région Midi‑Pyrénées20. On peut regretter, comme cela a déjà été mentionné, que certains édifices, parfois représentatifs d'une histoire « forte » comme le temple de Mauvezin aient été écartés de la sélection finale, mais la « couverture » du territoire régional à la suite de cette campagne de protection est certainement plus représentative de la réalité du terrain puisque tous les départements de l'ancienne région sont maintenant concernés, avec, logiquement, une représentation plus ou moins importante, reflet de l'histoire spécifique de chaque territoire. D'autre part, la rareté des édifices bénéficiant d'un classement s'explique sans doute, en dehors peut‑être de l'absence quasi générale de qualités architecturales remarquables, par la difficulté d'intégrer, dans la perspective de protections au plus haut niveau, les dimensions symboliques, mémorielles voire ethnographiques, déjà évoquées dans cet article, d'un patrimoine encore aujourd'hui pleinement intégré à la vie d'une communauté.

ANNEXES

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Temples protégés au titre des monuments historiques dans les huit départements de l'ancienne région Midi‑Pyrénées

NOTES

1. Il s'agissait, entre autres, de demandes concernant le temple de Bagnères-de-Bigorre (Hautes- Pyrénées), dont la fondation s'insère dans le mouvement du Réveil, et celui de Saint-Jean-du- Bruel dans l'Aveyron, proche du foyer cévenol. 2. Fils de Benjamin Frossard, professeur à la faculté de théologie protestante de Montauban, Ëmilien Frossard s'inscrit dans le mouvement du Réveil. Son rôle fut aussi important dans le cadre du pyrénéisme et des études scientifiques : il fut en effet fondateur du museum de Bagnères-de-Bigorre, cofondateur de la société Ramond, société savante des Hautes-Pyrénées et contribua à la fondation de l'observatoire du pic du Midi de Bigorre. 3. Cf. MONTAGNE, Brigitte; COMTE, Yannick; TIJOU, Catherine. « Les temples protestants « monuments historiques » en Poitou-Charentes ». In Situ, 2009, n° 11, 39 p. 4. On peut citer, parmi ces lieux, le puits Sirvens à Mazamet. 5. Marie-Emmanuelle Desmoulins, Georges Gonsalvès, Dominique Watin-Grandchamp. 6. Ainsi en Ariège une exposition du service des archives départementales, accompagnée d'un catalogue : Conseil général de l'Ariège-archives départementales. Le protestantisme en terres d'Ariège. Rédacteurs : CABANEL, Patrick ; PAILHÈS, Claudine ; de ROBERT, Philippe. Foix, Conseil général de l'Ariège, 2004, 192 p. 7. Par exemple, l'association patrimoine huguenot d'Ariège éditrice d'un guide : l'Ariège au fil des temples – itinéraires protestants, Saverdun, Association Patrimoine huguenot d'Ariège, 2004. 8. Unité départementale de l'architecture et du patrimoine. 9. Patrick Cabanel était alors professeur d'histoire contemporaine à l'Université Toulouse Jean- Jaurès, conservateur du musée du protestantisme de Ferrières.

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10. Président de la commission régionale des immeubles de l'Église Réformée de France. 11. Commission régionale du patrimoine et des sites. 12. Inscrit au titre des monuments historiques : arrêté en date du 20 mai 2015. 13. L'association cultuelle de l’Église Réformée d'Aumessas (Gard), propriétaire, avait fait une demande de protection au titre des monuments historiques en 2005 ; avis défavorable de la délégation permanente pour la poursuite de la procédure. Il a été bâti en 1812 par souscription sur l'emplacement d'une maison achetée. 14. Idebert Exbrayat fut membre du Comité départemental de Libération. Avec son épouse, ils ont reçu le titre de « Justes des Nations » par Yad Vashem, le 13 septembre 1979. 15. Aloïs Verrey, architecte DPLG, 55, rue Geoffroy-Saint-Hilaire à Paris – information communiquée par le service du patrimoine de Rodez agglomération. 16. Mazamet devient le premier centre mondial de délainage et l’un des premiers sites bancaires de France : cf. ROYER‑BÉNÉJEAM, Mireille. Le temple Neuf de Mazamet. Mazamet, association de valorisation du patrimoine mazamétain, 2008, 43 p. 17. Comme le temple de Camarès (Aveyron, fig.18) non protégé et transformé en salle de cinéma. 18. Le grand temple de la rue Maguelone (inscrit au titre des monuments historiques le 10 février 2003) à Montpellier dont Corvetto est un des architectes, est contemporain de celui de Millau. 19. Le monument de la Pierre Plantée à Castelnau-de-Brassac, actuelle commune de Fontrieu (Tarn). 20. Voir tableau en annexe.

RÉSUMÉS

Au début des années 2000, les temples protestants ne faisaient l'objet en Midi-Pyrénées que de protections ponctuelles au titre des monuments historiques. Afin de répondre à de nouvelles demandes, la Drac éprouva la nécessité de se doter de critères d'évaluation rigoureux en entreprenant un recensement exhaustif des temples protestants de la région. Une première sélection, croisant les critères de qualité architecturale, l'intérêt historique et mémoriel, aboutit en 2014 au choix de 14 édifices qui reçurent un avis favorable de la CRPS pour une inscription au titre des monuments historiques. Malgré l'absence dans ce choix final de certains édifices, on aboutit ainsi à un corpus plus cohérent et plus représentatif de ce type d'édifices.

In the early 2000s, the Protestant protestant churches were the object in the Midi-Pyrénées area only of punctual protections as historic monuments. To answer new requests, the Drac felt the necessity of being equipped with rigorous criteria of evaluation by undertaking an exhaustive inventory of the Protestant temples of the region. A first selection, crossing the criteria of architectural quality, the historic and memory interest, ends in 2014 in the choice of 14 buildings which received a favorable opinion of the Heritage Régional Commission (CRPS) for an inscription as historic monuments. In spite of the absence in this final choice of certain buildings, we so end in a more coherent and more representative corpus of this type of buildings.

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INDEX

Mots-clés : monument historique, protestantisme, architecture religieuse, temple, XIXe siècle, XXe siècle Index géographique : Midi-Pyrénées, Aveyron, Gers, Tarn Keywords : historical monument, protestantism, religious architecture, temple, 19th century, 20th century

AUTEURS

MARIE-EMMANUELLE DESMOULINS Drac Occitanie, conservation régionale des monuments historiques

GEORGES GONSALVÈS Drac Occitanie, conservation régionale des monuments historiques

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Les protestants lorrains et le protestantisme méridional du XVIe au XXe siècles Lorraine Protestants and Southern Protestantism, from the 16th to the 20th century

Mireille-Bénédicte Bouvet

1 L’intérêt particulier accordé au Désert et plus largement à l’histoire du « croissant huguenot » par le protestantisme français se développa largement à partir de 1842 avec la publication par Napoléon Peyrat de l’Histoire des pasteurs du Désert depuis la Révocation de l’Édit de Nantes jusqu’à la Révolution française, 1685‑1789. Le mouvement fut amplifié par la création de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français en 1852, qui y consacra de nombreux articles. Depuis, cette histoire méridionale constitue une part essentielle de la mémoire protestante, de tradition réformée, nourrie tant par un tourisme mémoriel attesté dès le milieu du XIXe siècle que par les nouvelles assemblées du désert depuis 1885 et la diffusion du motif de la croix dite huguenote à partir de 1910.

2 Ce versant français est cependant assez éloigné géographiquement et historiquement du protestantisme lorrain, où se rencontrent Églises réformée et luthérienne d’une part, et des aires linguistiques francophone et germanophone d’autre part. À ceci s’ajoute à la fin du XIXe siècle, une recomposition et complexification de la géographie confessionnelle liée à l’Annexion de la Moselle à l’Empire allemand de 1870 à 1918. Des optants luthériens parfois germanophones vinrent s’installer en Lorraine non annexée, là où vivaient des communautés réformées. La mise en place d’une administration et d’une armée allemandes suscita l’arrivée en Moselle de nombreux luthériens qui vinrent s’ajouter ou plus se juxtaposer aux communautés déjà présentes. Pour les uns comme pour les autres, des temples nouveaux furent édifiés, se référant à des modèles français ou allemands.

3 Nous chercherons dans cet article à poser les premiers jalons permettant de comprendre comment les protestants lorrains se sont emparés peu à peu de l’histoire

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méridionale de leur Église. Nous prendrons en compte un large sud-ouest entre Rhône et Loire, vaste territoire au cœur duquel les Cévennes ont un rôle symbolique particulièrement fort1.

Avant le Concordat et les articles organiques de 1802 : des trajectoires individuelles

Le protestantisme lorrain à l’époque moderne

4 La Lorraine est constituée d’une mosaïque politique, administrative et religieuse complexe à l’époque moderne et il ne saurait être question de dresser ici le résumé de l’histoire de son protestantisme à cette période. Un récent colloque, Les protestantismes en Lorraine (XVIe‑XXI siècle), tenu à Nancy du 2 au 4 novembre 2016, en dresse la synthèse2. Nous rappelons seulement qu’une partie du territoire est tenue par le très catholique duché de Lorraine qui refusa d’autoriser la pratique protestante dans son ressort et créa l’Université de Pont‑à‑Mousson de façon à former un clergé apte à lutter contre l’hérésie. Cela lui vaut d’être présenté, à la suite de Pierre Chaunu, comme une frontière de catholicité. Les réformés de la ville de Saint‑Mihiel en vinrent à se réfugier à Genève, comme le sculpteur Ligier Richier. Metz, ouverte aux idées de Luther dès les années 1520, sous protection française depuis 1552, compta jusqu’à 4 000 calvinistes avant que la révocation de l’Édit de Nantes ne conduisit la population protestante au Refuge, en Allemagne et en particulier à Berlin. L’Est de l’actuel département de la Moselle, le Westrich, bénéficia quant à lui de la Paix d’Augsbourg et du principe Cujus regio ejus religio. Les villes passèrent alors au luthéranisme suivant les convictions de leur seigneur. Selon les lieux et l’histoire des premières prédications, le protestantisme lorrain se partagea entre Église réformée (influence française) ou Confession d’Augsbourg (influence allemande ou franc‑comtoise). Mais de 1685 à 1787, hors le Westrich, il est absent à l’exception de quelques personnes, isolées.

Un cas singulier : Catherine de Bourbon

5 La première présence réformée méridionale en Lorraine ne fut qu’éphémère. Bien que fort catholique, la famille ducale reçut en son sein une illustre protestante béarnaise, la sœur du roi Henri IV : la princesse Catherine de Bourbon (1559‑1604). Elle avait épousé en 1599, en application du traité signé l’année précédente à Saint-Germain-en-Laye, Henri, marquis de Pont-à-Mousson (1563‑1624), fils du duc Charles III de Lorraine (1567‑1607). Un petit groupe de protestants l’accompagna à la Cour de Lorraine, suscitant d’ailleurs quelques débats théologiques ; quasiment tous originaires du nord de la Loire, ils se dispersèrent à la mort de leur protectrice.

6 Autre cas singulier, près d’un siècle plus tard, le futur pasteur messin Paul Ferry (1591‑1669) fit ses études à la faculté de Montauban de 1609 à 16113.

Les soldats venus du sud-ouest du royaume de France

7 À partir de la fin du XVIIe siècle, les archives paroissiales signalent la présence de quelques soldats réformés venus d’Aquitaine ou du Languedoc en Lorraine au gré du mouvement des troupes auxquelles ils appartenaient. En 1686, à la chapelle des jésuites

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d’Épinal (Vosges) abjuraient ainsi Louis de Marolles de Vabres (Aveyron), Nicolas Leclerc de Blassac de Genes en Languedoc (Brassac, Tarn ?) et Jean-Philippe de La Roque de Lacaune (Tarn)4.

8 Les recherches prosopographiques conduites sur le Refuge protestant en Allemagne après la Révocation de l’Édit de Nantes (1685)5 signalent des familles mi languedociennes mi messines mais dont l’union avait été célébrée le plus souvent en Allemagne, entre réfugiés protestants de langue française. Toutefois, est mentionné un certain Pierre Caillet natif de Béziers (Hérault) et fondeur de cloches qui séjourna à Metz (Moselle) avant de se réfugier à Berlin où il mourut en 1693.

9 Au XVIIIe siècle, les conversions, rares, sont régulièrement citées dans les registres : en 1742 et 1768 à Épinal6 ou en 1748 à Mandres-sur-Vair (Vosges)7. Il s’agit pour ce dernier cas d’un cavalier gascon de Nérac (Lot‑et‑Garonne). Enfin citons pour mémoire, les soldats morts à l’hôpital royal militaire de Nancy (Meurthe‑et‑Moselle)8.

10 À la veille de la Révolution, il restait une présence protestante extrêmement minoritaire en Lorraine. Éparpillée et discrète, elle n’atteignait pas 1 % de la population et était composée de luthériens alsaciens ou allemands, de réformés suisses et de quelques foyers mennonites, mettant en culture des terres ingrates. Les liens entre protestants éloignés tenaient des histoires personnelles, souvent liées aux activités commerciales ou militaires ou aux aléas des rencontres sur la route du Refuge.

1802, la mise en œuvre des Articles organiques et les premières relations entre Églises

Constitution hétérogène des communautés lorraines

11 Après la promulgation des Articles organiques (1802)9, les communautés lorraines se recréèrent, réunissant des obédiences multiples et se confrontant à une triple influence réformée française, réformée suisse et luthérienne germanophone sans oublier les anglicans de passage dans les stations thermales (Vittel, Contrexéville dans les Vosges). Ajoutant de la complexité à cette diversité des pratiques, des fidèles calvinistes revendiquaient de suivre le culte en langue allemande (Lixheim, Moselle, 182010).

12 Les enquêtes préfectorales et les archives paroissiales indiquent l’origine des fidèles : Hollande, Zélande, Angleterre et Suisse pour les étrangers accueillis en 1820 à Nancy11 et de temps à autre une famille suédoise12. Mais il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle, pour voir arriver des protestants méridionaux : à Bar‑le‑Duc (Meuse)13, les listes d’électeurs conservées dans le fonds du Consistoire mentionnent en 1856 quelques natifs des Deux-Sèvres, des Pyrénées‑Orientales et de Saint-Hippolyte (Gard) puis d’Alès (Gard), en 1862.

Premières manifestations de solidarité de part et d’autre de la France à partir de 1815

13 Des relations ténues sont néanmoins attestées dès les années qui suivirent les Articles organiques. Le premier acte concerté entre les églises méridionales et lorraines pourrait bien avoir été la manifestation de solidarité des protestants nancéiens envers leurs frères nîmois dont le Petit Temple avait été pillé en novembre 1815 durant la

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Terreur Blanche qui accompagna la Restauration. L’historien protestant Christian Pfister (1857‑1933), auteur en 1909 d’une magistrale histoire de Nancy14 fait état en effet de la lettre circulaire signée à Nancy en protestation de l’injure subie à Nîmes.

Fig. 1

Saint-Dié (Vosges), temple ; vue extérieure de la façade L.Gury © Région Grand Est -Inventaire général

14 Peu après, lors d’un contentieux en 1825, Rodolphe Cuvier, pasteur de 1809 à 1830, sommé de justifier la pose de deux cloches à Nancy, développa l’argumentation selon laquelle l’usage des cloches est attaché au droit de professer publiquement notre culte … les protestants ont des cloches à Nîmes, dans toute l’Alsace et en beaucoup d’autres lieux15.

15 La solidarité entre les paroisses d’un bout à l’autre du territoire national se manifestait aussi lors des collectes pour le financement de la construction d’un temple. Celui de Saint‑Dié (Vosges) (fig.1) bénéficia ainsi en 1854‑1856 des dons des consistoires de Bordeaux, Marseille et Nîmes aux côtés de ceux de Paris, Caen, Strasbourg, Genève et de plusieurs églises alsaciennes16 (fig.2). Mais quelques années plus tard, les paroisses de Lunéville (Meurthe‑et‑Moselle), Toul (Meurthe‑et‑Moselle) et Raon-l’Étape (Vosges) ne semblent pas avoir profité d’une aide similaire.

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Fig. 2

Saint-Dié (Vosges), carte des donateurs pour la construction du temple Dess. A. Bertrand-Pierron © Région Grand Est - Inventaire général

L’arrivée de pasteurs du sud-ouest dans la seconde moitié du XIXe siècle

16 La création de la faculté de théologie protestante à Montauban (Tarn‑et‑Garonne), par un décret impérial de septembre 1808, facilita sans aucun doute l’émergence de liens entre les communautés réformées de l’ensemble du territoire national. Jusqu’au transfert à Paris en 187717 de la faculté de théologie protestante de Strasbourg (Bas‑Rhin), la faculté montalbanaise fut l’un des principaux centres de formation des pasteurs réformés français, et le seul sur le territoire français, Strasbourg formant principalement les ministres de la Confession d’Augsbourg. Aux côtés de ministres du culte formés en Alsace ou en Suisse18, d’autres originaires du Midi ou issus de Montauban furent ainsi nommés en Lorraine.

17 En 1875, Pierre Massot, né en 1819 à Vallon (aujourd’hui Vallon-Pont-d’Arc en Ardèche) prit le poste de pasteur à Verdun (Meuse) où il mourut en 190419. À partir de 1903, la paroisse de Nancy compta parmi ses ministres du culte Léon Philippe Étienne Durand originaire de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard)20. La même année,

18 Thaon-les-Vosges accueillit le pasteur Jean-Frédéric Braesch né à Paris en 1879, sorti l’année précédente de la faculté de Montauban21 (fig.3). C’est comme aumônier militaire à Épinal en 1918, qu’Henry Cabanis22 sut se faire apprécier de l’église locale qui fit appel à lui en 1920. Né comme sa femme à Mialet (Gard) au cœur des Cévennes, il avait exercé à Anduze. Son fils, Charly Cabanis (1904- ?), fut « consacré » pasteur à Épinal. À partir des années 1930, la paroisse de Thaon-les-Vosges eut plusieurs ministres du culte

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originaires du sud-ouest ou qui y avaient séjourné pour leurs études ou un ministère antérieur. Parmi eux, Jean Casalis, qui y oeuvra de 1933 à 1944.

19 Les uns et les autres surent dès le début du XXe siècle susciter quelques dons des protestants lorrains : en 1905, la paroisse de Nancy offrit 40 francs pour le temple de Saint-Maixent-l’École (Deux-Sèvres)23, celle de Thaon‑les‑Vosges affecta 50 francs en 1920 pour les travaux du temple de Tonneins (Lot‑et‑Garonne) touché par un incendie24.

Fig. 3

Thaon-les-Vosges (Vosges), le pasteur Braesch en chaire Reproduction B. Drapier © Région Grand Est - Inventaire général

1911, le lent développement de la référence cévenole en Lorraine

De l’ouverture du Musée du Désert à l’assemblée annuelle au Désert

20 Le début du XXe siècle est marqué dans les milieux protestants français par une puissante vague commémorative orchestrée par la Société d’histoire du protestantisme français (SHPF) créée en 1852. Les paroisses lorraines furent surtout intéressées par le Monument international de la Réforme25 érigé à Genève par les sculpteurs Henri Bouchard (1875‑1960) et Paul Landowski (1875‑1961) : en 1909 les paroisses de Bar‑le‑Duc (Meuse), Metz (Moselle), Nancy et Saint‑Dié participèrent au financement. Ces dons marquent un intérêt croissant pour la sphère réformée qui contraste avec la pratique antérieure : un demi‑siècle plus tôt, lorsqu’il s’était agi d’acquérir à Nancy un portrait de protestant illustre, ce fut celui de Martin Luther qui s’était imposé26.

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21 En 1911, seul Armand Lederlin (Strasbourg 1836-Thaon-les-Vosges 1919) fit un don, à titre personnel, à la Société d’histoire du protestantisme français pour le Musée du Désert qui ouvrait ses portes au Mas Soubeyran à Mialet (Gard) (fig.4). Ingénieur alsacien, il avait opté pour la France en 1872 et créa la Blanchisserie teinturerie thaonnaise à Thaon‑les‑Vosges, petite localité rurale située à quelques kilomètres au nord d’Épinal (Vosges). Maire de sa commune, il présida le Conseil général des Vosges de 1907 à 1919. Il fut l’unique bienfaiteur de tout le quart nord‑est de la France à être mentionné dans le tableau des donateurs paru lors de l’ouverture du musée. Celui-ci se revendiquait aussi comme un lieu d’expression du patriotisme protestant, se drapant du drapeau tricolore lors de l’inauguration (fig.5).

Fig. 4

Mialet (Gard), musée du Désert, tableau des donateurs M. Kérignard © Région Occitanie - Inventaire général

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Fig. 5

Mialet (Gard), musée du Désert, carte des donateurs en faveur du musée Dess. A. Bertrand-Pierron © Région Grand Est - Inventaire général

22 Le 6 septembre 1925, sept ans après le retour de l’Alsace et de la Moselle dans le giron de la République française, eut lieu le premier pèlerinage au Désert des protestants lorrains associés à leurs coreligionnaires alsaciens. Leur intérêt pour le protestantisme méridional est dû à la volonté de se rattacher aux fondamentaux historiques de la Réforme française, permettant aux communautés de se démarquer du luthéranisme réputé d’autant plus germanique que Martin Luther est perçu depuis le début du XIXe siècle comme un héros national allemand.

23 Un compte-rendu en parut l’année suivante dans la presse, qui encourageait une nouvelle édition de ce voyage à la fois pieux et historique27 : Environ quatre-vingt protestants d’Alsace et de Lorraine sont allés, l’an passé, prendre part à la grande assemblée du Désert qui réunit annuellement, le premier dimanche de septembre, quelques milliers de Cévenols au Mas Soubeyran, près de Nîmes. Leurs récits enthousiastes ont éveillé chez d’autres le désir d’entendre évoquer de grands souvenirs religieux dans le cadre auquel ils se rattachent. C’est pourquoi un nouveau voyage sera organisé cette année. Les participants qui pourront lui consacré (sic) quelques jours de plus visiteront, en outre, la Tour de Constance à Aigues-Mortes, Arles et quelques autres villes célèbres du Midi. Le programme détaillé sera envoyé à tous les pasteurs qui donneront volontiers tous les renseignements complémentaires. L’organisation matérielle du voyage est confiée, comme l’an passé, à l’agence Vosges et Rhin (Strasbourg, 13. rue du 22 Novembre), qui enverra des circulaires à toutes les personnes qui en feront la demande, et recevra dès maintenant les adhésions. M. le professeur Strohl (rue Stoeber, 9, Strasbourg), accompagnera ses compatriotes et leur rappellera, comme l’a fait l’an passé M. le professeur Yvill sur les lieux visités dans l’histoire du christianisme et du protestantisme.

24 En mémoire de cette visite, une plaque fut posée au musée du Désert, dans l’extension édifiée en 1921 afin de servir de Mémorial (fig.6). Le geste est éminemment symbolique car toute visite ne donna pas lieu à la pose d’une telle plaque commémorative en ce lieu

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dédié à la mémoire des camisards, des galériens et des prédicants. En affirmant descendre des camisards persécutés au XVIIIe siècle, le texte s’inscrivait dans une filiation patriotique, proclamant le rattachement intellectuel du protestantisme alsacien et lorrain aux martyrs français et non pas aux églises historiques de l’Est. Le contexte politique s’y prêtait car le conflit de 1914‑1918 avait vu renaître des polémiques antiprotestantes attribuant par exemple la responsabilité de la destruction de la cathédrale de Reims à Luther28.

Fig. 6

Mialet (Gard), musée du Désert, plaque apposée dans le musée M. Kérignard © Région Occitanie - Inventaire général

25 Le musée du Désert inspira des artistes lorrains et la galerie Thiébault de Nancy exposa en 193529 une eau-forte sous le nom de « Mas Soubeyran ». L’année suivante, l’Est Républicain annonçait : l’assemblée traditionnelle du Musée du Désert aura lieu le dimanche 6 septembre 1936, au Mas-Soubeyran, commune de Mialet, près d’Anduze (Gard), dans le vallon qui vient d’être classé par le ministre des beaux-arts parmi les sites pittoresques. Elle sera présidée par M.-F. de Witt-Guizot et consacrée à la commémoration des forçats pour la foi. Le matin, la prédication sera donnée par M. le pasteur Lauril de Nîmes. Le soir on entendra après M. de Witt-Guizot, les allocutions du professeur Jacques Monod et du pasteur Henri Eberhardt. Et on chantera de vielles et rares complaintes de galériens. Toute cette cérémonie sera radio- diffusée par la station de Montpellier-Languedoc et différents relais. On inaugurera, ce jour‑là, une série de panneaux contenant les noms de trois mille galériens identifiés et également une scène de la lecture de la Bible au dix-huitième siècle, avec des personnages de cire dans d’authentiques costumes30.

26 Le voyage au Mas Soubeyran devint dès lors une activité récurrente et les paroisses manifestèrent le désir de retrouver la pratique des assemblées du Désert, y compris dans leur région. En 1959, sous la conduite du pasteur Pierre Joudrier (1912‑2013), la paroisse protestante d’Épinal se rendit ainsi à la Roche des Huguenots à Passavant (Haute‑Saône), dans un site qui aurait servi au XVIIe siècle de lieu de rassemblement aux protestants vosgiens31. C’était un moyen de rappeler une communion de souffrance.

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La diffusion de la croix huguenote

27 Après l’ouverture du musée du Désert, le bijou féminin appelé « croix huguenote » commença à se diffuser dans toute la France. Dès 1912, sa vente fut assurée par la librairie générale et protestante de Paris à grand renfort de publicité dans le Bulletin de la société d’histoire du protestantisme français. Ces derniers les nommaient parfois croix du Languedoc32. Les bijoutiers lorrains les vendirent à partir de la fin de l’entre-deux guerres33 (fig.7). Un témoignage oral 34 mentionne que la première génération à avoir porté ce bijou était celle d’une femme née en 1911. La croix dut lui être offerte pour sa confirmation, juste avant la déclaration du second conflit mondial et n’était portée que pour les grandes occasions. Auparavant, le principal bijou était un cœur en or suspendu à une chaînette. Le motif même de la croix huguenote est utilisé pour orner les objets de la piété individuelle à partir de l’après seconde guerre mondiale35.

Fig. 7

Nancy (Meurthe-et-Moselle), croix huguenote en métal doré vendue par la bijouterie Jacquot G. André © Région Grand Est - Inventaire général / coll. part

28 En juin 1942, en pleine guerre, le pasteur de Thaon-les-Vosges, Jean Casalis36 informa le conseil presbytéral du don d’un vitrail représentant une croix huguenote qui fut placé sur la façade du temple37. Le donateur protestant, M. Geisler, était maître‑verrier à Nancy. Il s’agit de la première représentation identifiée de la croix huguenote dans un édifice lorrain (fig.8). Il pourrait bien aussi s’agir d’une discrète référence à l’activité de résistant du pasteur Casalis. En effet, d’après les indications du pasteur Franck Christol, aumônier des troupes françaises en Angleterre depuis juin 1940, la croix huguenote figurait sur le deuxième modèle de l’insigne des protestants de la France libre réalisé à Londres par la maison Cartier 38. Elle y côtoyait la silhouette de la Tour de Constance et

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l’inscription « Résister » selon le propos de la plus célèbre des prisonnières, Marie Durand. La tradition orale rappelle également que le pasteur Casalis mit à l’abri de la vindicte nazie plusieurs résistants qu’il aurait caché dans la partie inférieure de la chaire pastorale du temple de Thaon !39

29 Depuis, la croix huguenote se généralisa dans l’ornement d’architecture, soit comme décor rapporté à l’occasion de travaux de construction (Amnéville40, Moselle, 1953), en verrière comme à Contrexéville (Vosges) ou plus sobrement en applique à l’intérieur du chœur comme à Vittel (Vosges) ou Niederstinzel (Moselle). À Vittel et Contrexéville, il s’agissait d’anciennes chapelles anglicanes passées à l’Église réformée de France, le nouveau décor affirmant le changement ecclésial. Plus rarement le motif se trouve brodé sur les parements de chaire (Yutz, Moselle) ou de lutrin.

30 Les églises lorraines ne se distinguent toutefois pas de la pratique française : les cinquante dernières années ont vu la diffusion générale du motif de la croix huguenote dans toutes ses mises en œuvre : applique extérieure à Épernay (Marne), ferronnerie de porte à Cannes (Alpes‑Maritimes), enseigne extérieure à Marseille (Bouches‑du‑Rhône) … On notera cependant la présence particulièrement précoce de croix huguenote dans le décor peint par Gustave-Louis Jaulmes (Lausanne, 1873-Paris, 1959) à l’intérieur du temple de Reims (Marne) reconstruit après le bombardement allemand de septembre 1914.41

Fig. 8

Thaon-les-Vosges (Vosges), temple, vue d’une verrière avec croix huguenote A.George © Région Grand Est - Inventaire général

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La circulation des œuvres et des artistes

31 La circulation des hommes et notamment des pasteurs et la construction d’un attachement spirituel entre protestantisme de l’Est et Cévennes furent l’occasion d’échanges artistiques dont le plus significatif est la peinture d’une Ascension du Christ à Saint‑Dié. Alors que le protestantisme cévenol affirme une sobriété décorative dans l’architecture de ses temples, c’est à Henri Lindegaard (1925‑1996), un confrère gardois, que fait appel le pasteur Pierre Vallotton (1916‑2015). Né à Lausanne en 1916 dans une famille d’artistes qui s’installa à Strasbourg à partir de 1921, Valloton fut pasteur à Reims (1942‑1947) puis dans le Gard (1947‑1950), avant de prendre la charge de Saint- Dié de 1955 à 1973. Il rencontra probablement Lindegaard lors de son séjour pastoral en Languedoc. Celui-ci était le fils d’un danois, pasteur de la communauté protestante de Madrid et avait quitté l’Espagne franquiste pour se réfugier dans le sud de la France. Ministre à Vézenobres (Gard) ; il résidait à une trentaine de kilomètres, précisément à Mialet tout près du Mas Soubeyran. Très influencé par l’œuvre d’Albert Gleizes (1881‑1953), un peintre cubiste converti à l’âge mûr au catholicisme, il peignait avec une touche angulaire des sujets bibliques ou des paysages cévenols de formats rectangulaires, procédant par aplats successifs, le plus souvent noir et blanc. Il illustra aussi plusieurs ouvrages liturgiques ou de piété dont deux publiés chez Oberlin à Strasbourg, l’un sur le baptême (1990), l’autre intitulé Prières pour mon village avec la coopération de la communauté de Pomeyrol (1982). À Saint-Dié, il réalisa une Ascension du Christ, nimbé et les mains et les pieds marqués des clous, dans des aplats, blancs et ocres, sur un fond gris, ensemble plus coloré que ces œuvres publiées (fig.9).

Fig. 9

Saint-Dié (Vosges), temple, peinture monumentale de l’Ascension du Christ L. Gury © Région Grand Est - Inventaire général

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32 Outre les relations artistiques entre Lorraine et Languedoc, dues surtout à des contacts personnels, la peinture de Lindegaard témoigne aussi de la diversité de la provenance des objets servant dans les temples lorrains. L’exemple de Saint‑Dié est particulièrement représentatif, sans toutefois être une exception : le patrimoine mobilier est le reflet de l’hétérogénéité d’une communauté qui puise ses références, nous l’avons vu, depuis ses origines, dans différents courants du protestantisme (fig. 10).

Fig. 10

Saint-Dié (Vosges), temple, carte de la provenance des œuvres conservées au temple de Saint-Dié Dess. A.Bertrand-Pierron © Région Grand Est - Inventaire général

33 Il n’en reste pas moins que depuis la seconde moitié du XXe siècle, des signes ténus mais réguliers montrent l’attachement des communautés protestantes lorraines aux Cévennes protestantes. Durant l’exposition « Juste une ligne bleue de l’Alsace aux Vosges, 1871‑2011 » à Épinal, aux côtés d’objets liés à l’histoire du protestantisme dans la cité, fut présentée une « Bible de chignon ». Quand la paroisse de Senones (Vosges) souhaita se séparer de la cloche du temple provisoire de la Petite-Raon, c’est à la communauté de Pomeyrol (Valleraugue, Gard) qu’elle en fit don42. Il est vrai que cette communauté de diaconesses avait noué au lendemain de la seconde guerre mondiale des liens solides avec les diaconesses de Strasbourg et leur maison de Rothau (Bas‑Rhin), distante d’à peine une vingtaine de kilomètres.

Conclusion

34 En cinq siècles, les liens entre protestants du sud-ouest et de Lorraine ont évolué au fur et à mesure de l’intégration de la communauté protestante dans la société française dont la vie religieuse était réorganisée par le Concordat et les Articles organiques. Aux

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pasteurs venus de Suisse ou de Strasbourg, succédèrent des ministres formés en France du Sud-Ouest, à Montauban.

35 L’autre élément fondateur de ces relations est la constitution d’une identité protestante qui fit de la guerre des camisards et plus largement des Cévennes et du Languedoc, des éléments structurants de la conscience communautaire.

36 C’est après la première guerre mondiale que la référence à l’histoire française du protestantisme français s’impose en usant de symboles comme le musée du Désert. Le choix par les protestants de la France Libre de reprendre le « Résister » de Marie Durand comme devise de leur action contre l’horreur nazie ancra encore davantage, s’il le fallait, le lien entre lutte contre l’intolérance, patriotisme et symbole protestant.

37 Ces premiers éléments permettent surtout de voir l’étendue des questions qui restent ouvertes sur le territoire lorrain : • La formation et la carrière des ministres du culte lorrain et le rôle de l’Université de Montauban au regard de celui des universités de Suisse, de Strasbourg, et de Paris ; • L’adhésion (ou non) des élites intellectuelles protestantes lorraines à la Société d’histoire du protestantisme français, lieu de mémoire et lieu d’histoire43 ; • La pratique (ou non) du voyage au Désert comme tourisme de mémoire ou tourisme spirituel par les lorrains ; • La référence au Désert dans les écrits apologétiques et les sermons prononcés en Lorraine ; • La diffusion du thème iconographique mais surtout symbolique de la croix huguenote, en particulier dans la sphère privée lorraine ; • La diffusion (ou non) de « la Cévenole », cantique chanté pour la première fois en 1885 sur une composition de Ruben Saillens (1855‑1942) né à Saint‑Jean‑du‑Gard et des chants composés dans ce contexte du réveil évangélique autour du Désert, ou encore de la « Complainte des prisonnières » ; • La perception de cet ancrage méridional : les pasteurs lorrains manifestèrent-ils leur désaccord face à un exercice qui pouvait être taxé de passéisme, teinté d’hagiographie voire de contre-exemple du pardon44.

NOTES

1. Cet article est une restitution partielle de l’étude sur le patrimoine protestant lorrain engagée par l’Inventaire général du patrimoine culturel du Grand Est (site de Nancy), étude aujourd’hui élargie dans le cadre d’une opération nationale et la rédaction d’un volume de la collection « Principes d’analyse scientifique » sur le patrimoine protestant. 2. Colloque du 3 et 4 novembre 2016, organisé par le CRULH (centre de recherche Universitaire Lorrain d’histoire) au laboratoire de l’Université de Lorraine. Parution des actes en 2017. 3. LÉONARD, Julien. Être pasteur au XVIIe siècle, le ministère de Paul Ferry à Metz (1612-1669), Rennes, presses universitaires de Rennes, 2014, p. 40. 4. AC Épinal ; GG7 registre paroissial cité dans Les Cahiers de généalogie, sommaire du n° 3 du 3ème trimestre 1983. 5. VINCLER Jeanne. Calvinistes proscrits à Metz colons à Berlin. Éditions Ampelos, 2011, 338 p.

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6. AC Épinal ; GG 13 registre paroissial cité dans Les Cahiers de généalogie, sommaire du n° 3 du 3ème trimestre 1983. 7. AC Mandres-Sur-Vair ; GG4. 8. VALETTE, M.-S. « Décès des calvinistes protestants et camisards décédés à l’hôpital militaire de Nancy », Les Cahiers de généalogie n° 67, 1999, 3e trimestre, p. 165. 9. Préparés par Portalis sous le Consulat, les Articles organiques des cultes protestants donnent un statut aux Églises protestantes (Confession d’Augsbourg et Église réformée) et en organisent le fonctionnement. 10. AD Meurthe-et-Moselle. 7 V1. 11. AD Meurthe-et-Moselle. 7 V 3. 12. AD Meurthe-et-Moselle. Fonds du Consistoire de Nancy 25 J 17 (1822). 13. AD Meuse. Fonds du Consistoire de Bar-le-Duc 146 J 10. 14. PFISTER, Christian. Histoire de Nancy, Nancy, Berger-Levrault, 1909, t. II, p. 161. 15. AD Meurthe-et-Moselle. 7 V12. 16. AD Vosges. 7 V 16 et Anonyme. Notice historique sur l’église réformée de Saint-Dié, 1826-1926, publiée en souvenir des fêtes de son centenaire, 6 juin 1926. Saint-Dié, éd. Weick, non paginé. 17. Elle eut alors une vocation mixte plus importante à Paris qu’à Strasbourg. 18. Par exemple les pasteurs d’Épinal Georges Charles Bader, en place en 1848-1849 issu de la faculté de théologie de Strasbourg, ou Albert Goguel, actif de 1878 à 1911, formé à Strasbourg et qui passa sa thèse de théologie à Genève. (STROHL, Jacques. Église réformée d’Épinal, centenaire du temple, 1873-1973, Épinal, tapuscrit, p. 6 et 9). 19. AD Meuse. Fonds du Consistoire de Bar-le-Duc 146 J 10. 20. PFISTER, t. II, 161 (l’auteur cite sans les préciser les exactions commises à Nîmes). 21. Archives paroissiales Thaon-les-Vosges. Registre des séances du Conseil presbytéral 1906 11 mars - 1919 14 mars. 22. STROHL, op. cit. , p. 13-14. 23. Bulletin de la SHPF, 1905, p. 315 note1. 24. Archives paroissiales Thaon-les-Vosges. Registre du conseil presbytéral 1919 16 septembre -1961 13 septembre. Il semble ne s’agir en fait que d’une réparation. 25. Bulletin de la SHPF, 1909, p. 385. 26. AD 54 fonds du Consistoire de Nancy 25 J 34. 27. Est Républicain, 10/07/1926. Il y eut une délégation à Mialet en 1926 et 1927. 28. Article de la revue Évangile et Liberté du 21 novembre 1914, p. 363-364, cité par ENCREVE André, « l’hebdomadaire protestant libéral Évangile et Liberté face aux premiers mois de la guerre (août-décembre 1914) ». In Xavier. Boniface et François Cochet (éd). Foi, religions et sacré dans la Grande Guerre, Artois, Presse Université, 2014, p. 188. 29. Est Républicain, 26/06/1935. 30 - 30. Est républicain, 28/08/1936. 31. Église réformée d’Épinal, centenaire du temple, 1873-1973, catalogue d’exposition, tapuscrit, Épinal, 1973, p. 9. 32. En 1918 par exemple. 33. Témoignage oral, bijouterie Jacquot à Nancy. 34. Collectée dans une famille lorraine originaire de Clairegoutte (Haute-Saône). 35. Dans une collection de psautiers remontant au XVIIIe siècle et ayant appartenu à cette même famille de Haute-Saône proche des Vosges, le premier volume à être pourvu d’une liseuse en cuir ornée de la croix huguenote date de 1945. 36. Connu pour avoir créé S.O.S Amitié avec sa femme et Georges Lillaz, à Boulogne-Billancourt (1960) 37. Archives paroissiales de Thaon-les-Vosges : registre des séances du Conseil presbytéral, 19 septembre 1936-13 septembre 1961.

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38. Cf. également le musée virtuel du protestantisme. 39. À l’occasion des 90 ans de notre sœur Jeanne Laruelle et des 90 ans de la fondation de notre association, 1906-1996, tapuscrit, Thaon-les-Vosges, 1996, p. 18. 40. PIGNON-FELLER Christiane. Architecture protestante, Moselle XVIIe–XXe siècles. Metz, éd. Serpenoise, 2006, p. 33. La croix huguenote figurant sur le dessin d’Isler vers 1953 (archives municipales) semble n’avoir jamais été réalisée. 41. GROJEANNE, Paul. Le temple de l’Église réformée de Reims, Reims, tapuscrit, 1991, p. 43. 42. Témoignage oral, 2009. 43. Selon l’expression de SCHOLL, Sarah, « Mémoire d’un lieu d’histoire, la SHPF vu au travers de ses commémorations ». In BENEDICT Philip, DAUSSY Hugues et LECHOT Pierre-Olivier (dir.). L’Identité huguenote, faire mémoire et écrire l’histoire (XVI-XXIe siècle), Genève, éd. Droz, 2014, p. 487. 44. CARBONNIER-BURKARD Marianne, « L’invention d’un lieu de mémoire identitaire du protestantisme français, le Musée du désert », dans BENEDICT Philip, DAUSSY Hugues et LECHOT Pierre-Olivier (dir), op. cit, p. 563.

RÉSUMÉS

Si avant la révolution, les contacts entre protestants lorrains et leurs coreligionnaires du sud- ouest sont informels et liés aux aléas de trajectoires individuelles, ils se structurent au cours du XIXe siècle dans le cadre d’une nouvelle géographie ecclésiastique née du Concordat et des articles organiques. Les lieux de formation eurent indubitablement un rôle dont l’importance sur ce point reste encore à quantifier. La création de la société de l’histoire du protestantisme français puis des lieux de commémoration qu’elle met en place, n’entraîne pas en Lorraine un intérêt pour l’histoire cévenole ou plus largement languedocienne du protestantisme avant le traumatisme de la première guerre mondiale. Concomitante avant le quatrième centenaire de la réformation (1917), le conflit suscita une forte expression du patriotisme des protestants français renforcée par le souci de se démarquer d’une image trop germanique d’un protestantisme lié à Luther. La référence huguenote principalement méridionale apparait surtout au XXe siècle et dans les milieux plus intellectuels. Elle est indéniablement liée au sentiment patriotique et républicain mais elle dénote aussi la volonté des protestants lorrains de se reconnaître dans l’histoire des protestants martyrs, victimes de la royauté puis héros de la liberté de conscience. Il faut cependant attendre la seconde partie du XXe siècle pour que ces nouvelles relations se matérialisent par des échanges artistiques.

Before the Revolution, the contacts between Protestants of Lorraine and their coreligionists of the southwest were informal and bound to the hazards of individual trajectories, they form themselves during the XIXth century within the framework of a new ecclesiastical geography arisen from the Concordat and from organic Articles. The places of formation had indubitably a role the importance of which on this point still remains to quantify. The creation of the Société de l’histoire du protestantisme français then the places of remembrance which it sets up, does not introduce in Lorraine an interest for the Cévennes history or more widely for the Languedoc Protestantism before the trauma of the World War I. Before the fourth centenary of the Reformation (1917), the conflict aroused a strong expression of the patriotism of the French Protestants strengthened by the concern to distance itself from a too Germanic image of a Protestantism bound to Luther. The reference mainly Southern Huguenot appears especially to

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the XXth century and in the more intellectual circles. It is unmistakably connected to the patriotic and republican feeling but it also denotes the will of the Protestants of Lorraine to recognize itself in the story of the martyred Protestants, the victims of the monarchy then the hero of the freedom of conscience. We have however to wait for the second part of the XXth century so that these new relations materialize by artistic exchanges.

INDEX

Index géographique : Lorraine, Gard, Vosges, Saint-Dié, Thaon-les-Vosges, Mialet Mots-clés : protestantisme, histoire, XIXe siècle Keywords : protestantism, history, 19th century

AUTEUR

MIREILLE-BÉNÉDICTE BOUVET

Conservateur en chef du patrimoine Inventaire général du patrimoine culturel‑Lorraine

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Le plus ancien cimetière en activité de Montpellier : le cimetière protestant Montpellier’s oldest working cemetery: the Protestant cemetery of Montpellier

Pierre-Yves Kirschleger

1 Au sein du patrimoine funéraire désormais reconnu à sa juste valeur1, les cimetières protestants présentent assurément une étonnante originalité, et la région Occitanie, fortement marquée par l’histoire du protestantisme, abrite une large part des cimetières protestants français, qu’il s’agisse des petits cimetières familiaux disséminés dans les campagnes ou des grands cimetières urbains de Castres, Mazamet, Nîmes, Montpellier...

2 Le cimetière protestant de Montpellier, créé en 1809, est le plus ancien cimetière en activité de la ville, ouvert quarante ans avant le cimetière Saint‑Lazare. Le patrimoine protestant des XVIe et XVII e siècles ayant été entièrement détruit sous Louis XIV, le cimetière est également le plus ancien vestige protestant à Montpellier. Propriété de l’Église réformée locale, il appartient de plus à la rare catégorie des cimetières urbains privés ; de ce fait il n’a pas été déconfessionnalisé sous la troisième république, par les lois du 14 novembre 1881 et du 5 avril 1884 qui ont aboli dans les cimetières communaux toutes les distinctions ou prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt2 : si le cimetière « catholique » communal Saint‑Lazare3 a été laïcisé, le cimetière protestant est ainsi resté réservé aux fidèles des Églises réformées. Il constitue donc bien un patrimoine funéraire peu commun.

3 Cette contribution propose de présenter l’histoire et l’évolution de ce cimetière, pour dégager les caractéristiques majeures de ce patrimoine méconnu.

Genèse du cimetière protestant

4 Malgré les persécutions et l’interdiction officielle du protestantisme dans le royaume de France entre 1685 (révocation de l’Édit de Nantes) et 1787 (Édit sur les

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non‑catholiques, appelé communément Édit de tolérance), Montpellier n’en conserve pas moins une communauté protestante active, dont le dynamisme se manifeste à nouveau au grand jour à la fin du XVIIIe siècle. Le protestantisme montpelliérain a perdu en 150 ans une grande partie de ses effectifs, mais il représente encore 5 à 6 % de la population de la ville, soit 2.100 à 2.300 personnes. Le 25 mars 1788 a lieu la première inhumation protestante publique à Montpellier, celle de Pierre-Barthélemy Farel, premier consul de la juridiction consulaire de la cité, dans sa propriété familiale, dite « jardin Farel », située faubourg Boutonnet. Sous les arbres du parc du domaine de Grammont, aux environs de Montpellier, on peut encore voir aujourd’hui la sépulture de Suzanne de Frégeville, née Périé, mère du général‑marquis Charles Louis de Frégeville qui fit en 1796 l’acquisition de cet ancien prieuré vendu comme « bien national ». Son épitaphe est plus éloquente que la modestie de sa tombe : Ici repose la dépouille terrestre d’une femme vertueuse, d’une […] mère, puisse tout mortel mériter comme elle la vie bienheureuse dans l’Éternité. Qui que vous soyez, respectez ce tombeau, âmes sensibles donnez un soupir à sa mémoire. Fille de Pierre Périé, négociant à Bédarieux, seigneur des îles Sainte‑Marguerite et du Môle, négociant, et de Marie‑Suzanne de Lavit, épouse à Paris en 1753 Jean, seigneur de Grandval et de Plégades, officier de cavalerie, qui finit sa carrière comme lieutenant-général de Louis XV.

5 En 1789, l’Église réformée de Montpellier inaugure son nouveau cimetière, qui n’est pas le premier dont les protestants disposent.

Les cimetières protestants dans l’histoire de la ville

6 Dans les premières années qui ont suivi l’établissement de la réforme à Montpellier (1560)4, les adeptes de la nouvelle confession ont enterré leurs morts selon les habitudes familiales existantes, dans les mêmes cimetières que les catholiques. Mais dès que la réforme a été considérée comme une hérésie par l’Église catholique, l’inhumation des protestants a posé problème. Le cimetière paroissial étant une terre consacrée par une bénédiction, la présence d’un défunt protestant, considéré comme hérétique, constitue un cas de « pollution » du lieu5. en 1565, le gouverneur du Languedoc interdit aux protestants l’usage des cimetières ordinaires : en octobre de la même année, un gentilhomme huguenot, du nom de François des Urcières de Gaudette, offre donc à la communauté réformée un champ pour servir de lieu de sépulture. C’est la naissance du premier cimetière spécifiquement protestant6.

7 Situé en dehors de la ville, au-delà de la porte de Lattes, ce cimetière s’étend sur une zone actuellement partagée entre l’esplanade et la citadelle. Fortement endommagé par le siège de 1622, il est confisqué pour permettre la construction de la citadelle, dont les travaux démarrent en 1624. Portant l’affaire devant la Chambre de l’Édit de Castres7, cour de justice composée de catholiques et de protestants pour garantir l’impartialité des procès, les protestants montpelliérains obtiennent en compensation, en 1632, un terrain de superficie équivalente, au-delà des remparts entre les portes de Lattes et de la saunerie (entre les actuelles rues Joffre et d’Obilion)8.

8 Ce second cimetière, utilisé pendant cinquante ans, fait à son tour l’objet d’une confiscation légale en 1678 par les administrateurs de l’hôpital général nouvellement créé9. Car Montpellier n’est plus alors la capitale protestante du Midi languedocien qu’elle a été à la fin du XVIe siècle. La contestation de ce transfert devant la justice par l’Église réformée ne permet pas de remettre en cause une décision qui s’inscrit dans un contexte plus général de restriction des libertés protestantes : le petit temple de

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Montpellier a été détruit dès 1670 ; le grand temple est rasé en 1682 ; une déclaration royale du 21 août 1684 attribue définitivement tous les biens des consistoires protestants aux hôpitaux. Le 17 octobre 1685 Louis XIV signe la révocation de l’Édit de Nantes, et deux jours plus tard l’hôpital général prend possession du cimetière protestant de Montpellier.

9 Officiellement, la « religion Prétendue réformée »10 n’existe plus. Les « nouveaux convertis », qui ont abjuré de gré ou de force, peuvent se faire enterrer au cimetière catholique ; mais les autres ? Le Conseil du roi donne sur ce point des instructions claires : Sa Majesté ne veut pas qu’il y ait d’endroit marqué pour les enterrements de ceux de ladite religion et chacun pourra les faire enterrer où bon lui semblera11. Les protestants récalcitrants enterrent donc leurs défunts clandestinement, de nuit et sans rassemblement, dans des propriétés privées, des champs ou des caves. Les archives mentionnent le « petit jardin », situé dans le faubourg Boutonnet, dans lequel un ancien procureur de la Cour des aides du nom de Moynier permettait qu’on inhumât les protestants pour si peu qu’ils fussent connus, ce qui donna à ce jardin le nom de cimetière des protestants, nom qu’il conserve encore [en 1799] quoi que l’usage en ait cessé12. Lors des enterrements, un matelas léger de toile et de paille est placé par-dessus le tapis ou la couverture d’étoffe noire [du cercueil] pour cacher le tout sur le brancard13. Un autre cimetière est mis en place en 1784 par le consistoire protestant clandestinement reconstitué : une grange et un petit jardin sont achetés au-delà de la porte de la Blanquerie, près du couvent des récollets ; il est revendu en 1794.

10 L’Édit du 29 novembre 1787 sur les non catholiques constitue une rupture majeure puisqu’il rend aux protestants une existence légale, en leur accordant un état‑civil. En son article 27, il prévoit les dispositions à prendre lors des décès protestants : Arrivant le décès d’un de nos sujets ou étrangers demeurant ou voyageant dans notre royaume, auquel la sépulture ecclésiastique ne devra être accordée, seront tenus les prévôts des marchands, maires, échevins, capitouls, syndics ou autres administrateurs des villes, bourgs et villages de destiner dans chacun desdits lieux un terrain convenable et décent pour l’inhumation ; enjoignons à nos procureurs sur les lieux, et à ceux des seigneurs, de tenir la main à ceux que les lieux destinés auxdites inhumations soient à l’abri de toute insulte, comme et ainsi que le sont ou doivent être ceux destinés aux sépultures de nos sujets catholiques.

11 Aussitôt les protestants montpelliérains sollicitent de la municipalité l’application de cette disposition, qui permet la création en 1789 d’un nouveau cimetière, officiel cette fois. Acheté pour moitié par la ville, pour moitié par la communauté protestante, ce cimetière est situé contre le jardin des carmes déchaussés, entre les actuelles avenue Clemenceau et rue Chaptal. Les archives municipales gardent trace des plaintes concernant la hauteur des murs d’enceinte jugée insuffisante : Les Écoles de médecine et de chirurgie occasionnant fréquemment l’enlèvement des cadavres, laisser les murs [du cimetière] des non catholiques à une hauteur moindre que celle des autres, c’est exposer le premier à être préférablement insulté14. Mais les vicissitudes de la révolution entraînent dès 1797 l’aliénation de la partie du cimetière financée par la commune et nationalisée ; la partie achetée pour le compte du Consistoire par deux prête-noms est elle-même vendue en octobre 1799. À nouveau, les protestants se retrouvent sans cimetière propre, mais ils ont à leur disposition les mêmes cimetières15 que leurs concitoyens : le « cimetière commun » dit de la Blanquerie, situé entre l’actuel boulevard Pasteur et le ruisseau du Verdanson ; le cimetière mitoyen de l’Hôtel-Dieu Saint‑Éloi16 ; et celui, tout

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proche, de l’Hôpital général17. La révolution, en réintégrant les protestants dans la communauté nationale, semble mettre un terme à la nécessité de cimetières particuliers.

Un nouveau cimetière protestant par la grâce de Bonaparte

12 C’est la réorganisation législative de napoléon Bonaparte qui ouvre aux protestants la possibilité d’un nouveau cimetière. En effet, par le décret sur les sépultures du 23 prairial an XII (12 juin 1804)18, Bonaparte met en œuvre une « révolution funéraire » qui transpose dans le monde des morts le pluralisme des cultes reconnus établi par le système concordataire19. Le décret définit les conditions de création des cimetières confessionnels : Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation particulier ; et, dans le cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y aura de cultes différents avec une entrée particulière pour chacune et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte (article 15).

13 L’Église réformée de Montpellier demande aussitôt aux autorités de la ville la création d’un cimetière protestant : la même année, la communauté protestante est en effet choquée par le sort réservé au corps d’une certaine dame triaire, décédée à l’hôpital général et placée dans une des cours non fermées de cette maison tandis que le mari avait payé pour qu’elle fût enterrée dans le cimetière20. De plus, le décret de prairial interdit toute inhumation dans une propriété privée si celle-ci n’est pas située à une distance de trente-cinq à quarante mètres des dernières habitations21.

14 La municipalité marque peu d’empressement à répondre à une demande qui exigerait l’équité avec les autres confessions, et donc la création de trois cimetières confessionnels pour une dépense estimée à 30.000 francs22. Après plusieurs années de négociation et de recherche d’un terrain propice, le nouveau cimetière protestant est finalement ouvert en 1809 et installé hors de la ville, conformément à la législation. Situé au sud‑est de Montpellier, sur le chemin vicinal qui conduit à Lattes (au bout de l’actuelle rue du Pont de Lattes), le terrain d’une superficie de 35 ares est acheté par la commune le 15 septembre 1809 au sieur Raymond Jaoul ; il est bordé par le chemin du jeu de mail et le ruisseau des Aiguerelles, juste en face de la fontaine de Lattes : la nature perméable du sol est particulièrement adaptée à la création d’un cimetière. Le 20 novembre suivant, l’achat est officiellement autorisé par napoléon, et le même jour a lieu la première inhumation, celle d’une jeune femme de 22 ans, du nom de Marguerite Bouvier.

Visage du cimetière

15 Devenu rapidement trop petit, le cimetière est agrandi progressivement ; par les aménagements et les plantations réalisés, son visage est entièrement remodelé. Ce faisant, le cimetière prend sa physionomie définitive au début du XXe siècle.

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Évolution du cimetière

16 Le terrain acheté à Raymond Jaoul est composé de deux parcelles : la plus grande, d’une surface de 24 ares, plantée de dix-sept mûriers et déjà en partie entourée de murs, est aménagée dès 1809 (fig.1). Mais en 1824, le consistoire décide d’agrandir le cimetière en se servant de la petite parcelle située au fond du terrain, séparée par un mur et jusque- là inutilisée. Un second agrandissement, envisagé dès 1840, est réalisé en 1856 : le consistoire achète au sieur Chamayou la parcelle voisine d’un hectare, à usage de jardin potager, close de murs avec bâtiments d’habitation et puits à roue. L’agrandissement ayant été financé par le seul consistoire, la commune reconnaît à ce dernier la gestion de l’ensemble du cimetière. La majeure partie du terrain est lotie en tant que cimetière ; seule la partie sud de la parcelle est temporairement laissée à la disposition d’un jardinier qui la loue depuis 1851. dans cette partie est un peu plus tard construit l’ossuaire, destiné à recueillir les restes mortels provenant des tombes dont les concessions ont été reprises ; il est également prévu d’y créer quatre nouvelles sections du cimetière, mais cette extension n’est finalement pas menée à terme, et cette portion du terrain ne sert que de jardin et de logement pour le gardien‑concierge.

Fig. 1

Montpellier (Hérault), cimetière protestant ; plan historique du cimetière, réalisé par Charles Delormeau et revu par Pierre-Yves Kirschleger Dessin V. Marill © Région Occitanie - Inventaire général

17 En 1878, la ville cède gratuitement au consistoire une surface de mille mètres carré située à la bordure ouest du cimetière et laissée libre par le nouvel alignement du chemin de Palavas ; ce chemin ayant été exhaussé, l’entrée du cimetière est elle aussi surélevée. De même, du côté est, l’alignement du chemin vicinal (actuel boulevard d’orient) offre au consistoire la possibilité de racheter en 1923 une petite parcelle devenue abandonnée. Grâce à ces deux légères modifications de limites, le cimetière prend sa forme triangulaire, d’un hectare et demi. en 1949, la municipalité étudie la possibilité d’agrandir le cimetière sur un de ses côtés sans qu’il soit besoin de démolir des

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immeubles : l’idée est aussitôt abandonnée, car la jurisprudence n’autorise pas l’agrandissement de cimetières confessionnels23. En 1980, l’aménagement de nouvelles concessions dans le jardin du cimetière est à nouveau envisagé, mais abandonné au profit d’une procédure de reprise des concessions à l’état d’abandon. en 2009, confrontée à des difficultés financières, s’interrogeant sur l’utilité de conserver son cimetière et procédant de manière plus générale à une réduction de ses implantations immobilières, l’Église réformée locale ampute le cimetière de la parcelle du jardin, vendu et remplacé par un immeuble. Cette vente nécessite le déplacement de l’ossuaire et la construction d’une nouvelle crypte, en contrebas de l’entrée principale.

Évolution de l’environnement urbain du cimetière

18 Érigé hors la ville en 1809, le cimetière protestant est progressivement rattrapé par l’urbanisation d’une ville qui se développe fortement au XIXe siècle.

19 Dès le mois de mars 1810, le Consistoire se plaint de la présence mitoyenne d’un terrain de jeu de mail : il est fréquent que les boules atterrissent dans le cimetière, et les joueurs n’hésitent pas à faire le mur pour récupérer celles‑ci tombées au milieu des tombes. Vous ne souffrirez pas, Monsieur le Maire, que l’asile des morts, si vénérable à toute âme sensible, soit aussi indignement profané24. Et aussitôt le maire interdit tout jeu de mail sur le chemin avoisinant.

20 En 1838 est construite tout près du cimetière, le long du chemin de Lattes (entre les actuels boulevard de Strasbourg et rue de Barcelone), la première usine à gaz de Montpellier25. Avec ses cheminées et ses gazomètres, l’usine va jusqu’en 1975 faire partie du voisinage immédiat du cimetière, d’autant qu’à partir de 1889 elle s’étend des deux côtés du boulevard de Strasbourg ; sur la parcelle située face au cimetière, de l’autre côté de la rue du cimetière des protestants, sont édifiés successivement, en 1932 et 1962, deux gazomètres de 20.000 et 40.000 m3 (fig.2).

21 Le chemin de fer arrive à Montpellier en 1839, et en 1844 sont construites la gare (à son emplacement actuel) et la voie ferrée qui relie la ville à Nîmes : le quartier situé au sud‑est de la gare est dès lors appelé à se développer26. Découpé en vastes propriétés foncières, qui servent de support à de grandes opérations de lotissements, ce quartier s’affirme comme résidentiel. en 1862, le Conseil municipal décide d’organiser l’extension de la ville dans ce secteur ; l’architecte communal dessine un plan régulier, un maillage géométrique des voies de lotissement marqué par des rues rectilignes et un vaste rond‑point (place Carnot) marquant le centre d’une composition en étoile ; et le boulevard de Strasbourg est censé relier la gare au futur port sur le Lez. Le propriétaire de ce vaste ensemble, dit du Clos‑René, commence à le lotir à partir de 1864, en respectant le tracé des voies imposé par la mairie27. Les îlots ainsi délimités sont dotés progressivement, pendant cinquante ans et de façon assez éclectique, soit de petits immeubles, soit de maisons individuelles avec jardin. Ainsi se compose peu à peu l’ambiance du faubourg, dont témoigne la bordure de l’avenue de Palavas en face du cimetière : un groupe de maisons et un groupe d’immeubles à l’alignement, de taille homogène et aux façades similaires.

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Fig. 2

Montpellier (Hérault), vue aérienne de l’usine à gaz et de la « forêt » du cimetière protestant, 1960 © Association Mémoire pour l’avenir

22 En 1911, les faubourgs ont atteint leur ampleur maximum et rattrapé le cimetière protestant, qui se situe désormais en lisière de la ville. Les deux pointes extrêmes de l’urbanisation sont, au sud du cimetière, l’îlot situé entre l’actuelle rue Frédéric Bazille et le boulevard Rabelais, et à l’est le petit ensemble construit à partir de 1870 au‑delà du boulevard d’Orient. Structuré par un maillage de voies organisées en damier (actuelles rues du Canal de Suez, d’Oran, de Constantine), ce dernier est un lotissement à vocation résidentielle. Une pétition du « Club républicain démocratique des quartiers Carnot et Puech‑Pinson » en 1913 demande d’ailleurs – et en vain – le déplacement du cimetière : ce quartier très populeux, dit le texte, pourrait suivre son évolution d’embellissement et devenir plus agréable par les constructions nouvelles que permettrait la disparition du cimetière des protestants.

23 C’est avec le lotissement pavillonnaire de la Cité Mion dans les années 1940, et surtout la construction des immeubles collectifs au sud du boulevard d’orient à partir des années 1970, que le cimetière protestant est entièrement absorbé par la ville.

Topographie et aménagement du cimetière

24 Le paysage du cimetière repose sur sa composition, sur son léger relief, mais également sur la place qu’y tient la végétation.

25 La topographie du cimetière est le reflet de ses agrandissements successifs. La partie primitive est la partie basse du cimetière. L’actuelle entrée a en effet été avancée et surélevée lors de l’agrandissement de 1878. L’entrée primitive était plus en retrait, située au pied de l’actuelle chapelle dans l’axe de l’allée basse.

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26 Un plan d’aménagement d’octobre 1809 prévoyait une organisation toute rationnelle du cimetière : une porte monumentale de sept pieds de large, surmontée d’un fronton triangulaire et d’une figure représentant le temps (fig.3), devait ouvrir sur une grande cour ; la porte devait être encadrée par deux pavillons symétriques, à gauche la loge du concierge, à droite le salon d’assemblée des convois. La cour, plantée d’arbres, devait s’ouvrir sur le cimetière, soigneusement découpé en sections de trois toises carré, et réparties en deux rangées latérales puis en damier.

Fig. 3

Montpellier (Hérault), projet de porte monumentale pour le cimetière protestant, 1809 © Collection particulière

27 Ce bel ordonnancement géométrique n’a pas été mis en œuvre, délaissé au profit d’un lotissement plus simple. Seule la loge du concierge est construite ; l’entrée s’ouvre sur une allée centrale, qui se partage à mi‑chemin en deux allées parallèles. Lors de l’agrandissement de 1824, ces deux allées sont poursuivies, l’une rectiligne, l’autre courbe pour suivre le contour de la parcelle, les deux allées se rejoignant pour former une boucle au fond du cimetière. Ce faisant, le cimetière primitif offre un paysage marqué par de belles perspectives, et un lieu propice à la promenade.

28 Avec l’achat du jardin Chamayou, le consistoire se trouve confronté à deux difficultés : d’une part la présence du ruisseau des Aiguerelles, qui sépare le cimetière de sa future extension ; d’autre part la différence de niveau entre les deux parcelles : le sol du cimetière est situé à 2,80 mètres en contre‑haut du lit des Aiguerelles, tandis que le jardin Chamayou est à une hauteur de 4,25 mètres. Il est donc décidé de construire un aqueduc pour couvrir et canaliser le ruisseau ; composé d’un socle en pierre de taille et d’une voûte en moëllons, l’aqueduc a une largeur de 2,60 mètres pour une hauteur de 2,50 mètres. L’actuelle allée principale, dans l’axe du portail d’entrée, correspond au parcours du ruisseau à travers le cimetière ; une plaque scellée sur l’intérieur du mur de clôture du boulevard d’orient rappelle l’axe de passage du ruisseau. De plus, un mur

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de soutènement est érigé entre la section K (partie ancienne du cimetière) et la nouvelle section KK, pour compenser la surélévation du jardin Chamayou.

29 Le réalignement du chemin de Palavas, exhaussé, entraîne de substantielles modifications de l’entrée du cimetière en 1878. L’ancienne entrée se retrouvant en effet en contrebas de la route, avec les inconvénients que cela impose, le consistoire décide de déplacer la porte du cimetière et de l’installer en face de l’allée médiane ; la municipalité l’autorise à condition que l’entrée extérieure soit aménagée sous la forme d’un rond‑point circulaire, de seize mètres de diamètre. Ceci explique que l’allée principale descende en pente douce jusqu’au milieu du cimetière. Le mur d’enceinte est déplacé sur les nouvelles limites et rehaussé par la même occasion.

30 Un esprit rationaliste a présidé à l’organisation du cimetière, autour d’allées rectilignes et d’alignements d’arbres. Les deux allées principales se coupent à angle droit, comme le cardo et le decumanus du cimetière ; le rond‑point de l’entrée trouve son écho dans celui qu’esquisse, au cœur du jardin Chamayou, l’intersection entre les carrés M, N, R et S. Les chemins principaux marquent le découpage en sections, et les chemins secondaires donnent accès aux concessions à l’intérieur de ces divisions ; des circulations informelles se sont au fil du temps créées dans les interstices, comme autant d’adaptations au tracé préconçu. Si l’allée principale a été bitumée, l’ensemble des chemins sont restés en terre.

31 Le patrimoine végétal du cimetière est le support d’une biodiversité remarquable. L’ancien et dernier gardien‑jardinier se souvient que, lorsqu’il est embauché en 1985, le cimetière abrite 285 arbres de différentes essences, cyprès, ifs, micocouliers, pins… Peut-être le protestantisme se distingue‑t-il d’ailleurs par une manière de gérer les cimetières qui laisse la part belle à un « retour à la nature », comme le notaient dès 1980 Marie-Pascale Malle et régis Bertrand à propos du cimetière protestant de Nîmes : On a laissé les plantations de bosquets se développer et envahir les espaces situés entre les allées : l’accès à la plupart des tombes anciennes est impossible au milieu de ce taillis28. L’état du cimetière protestant de Montpellier à la même époque était semblable, selon les souvenirs du gardien-jardinier : Des acanthes de partout, du lierre je ne vous en parle pas, il n’y avait plus d’allées, c’était la forêt vierge ! Pour trouver une concession, il fallait y aller au coupe-coupe ! Pour les fossoyeurs, arriver au cimetière protestant, c’était l’enfer du devoir. La priorité, c’était l’entretien du parc. J’y passais toutes mes matinées en commençant par dégager l’allée principale. J’interrompais mon travail pour aller dégager le chemin jusqu’aux concessions à chaque enterrement. J’en faisais en moyenne deux à trois par mois selon les saisons. Sur une semaine, je passais deux jours pour l’entretien général du cimetière alors que pour un seul enterrement c’est trois jours qu’il me fallait !29

32 Trente ans plus tard, le cimetière de Montpellier a retrouvé un aspect tout à fait accueillant, mais il conserve quelque chose de ce caractère original. Le cimetière compte 311 arbres en 2004, un nombre qui a été réduit ces dernières années. La nature imperceptiblement reconquiert les concessions abandonnées, les ensevelissant peu à peu. Dans ce jardin, somptueuses acanthes à la gracieuse silhouette de chapiteau corinthien ou humbles fleurs champêtres forment avec les arbres majestueux des allées un ensemble romantique dont seul le chant des oiseaux ou la course des écureuils viennent rompre le silence et ajouter une note poétique. Tout y incite au recueillement et à la méditation, ce qui en fait un lieu de promenade pour les habitants du quartier. La densité de la végétation confère au cimetière un rôle de poumon vert, de jardin public, d’îlot de fraicheur au cœur de la ville.

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Un lieu de mémoire

33 Le cimetière protestant compte près de 1500 sépultures, qui font l’objet d’expressions architecturales, artistiques et décoratives fort diverses. L’inventaire en cours de réalisation30 permet d’ores et déjà de dresser un tableau significatif du patrimoine extrêmement riche de ce « musée à ciel ouvert ».

Un art funéraire protestant

34 La sensibilité protestante pour une certaine austérité s’est longtemps traduite par une grande sobriété des tombes. La tombe la plus courante au début du XIXe siècle est une simple dalle, incrustée d’une plaque de marbre portant l’identification du défunt. Habitués aux inhumations dans la clandestinité ou dans des cimetières provisoires, les protestants ont alors à réinventer une architecture funéraire et à redécouvrir l’art du tombeau ; c’est pourquoi les tombes de protestants étrangers morts et inhumés à Montpellier, inspirées par une tradition funéraire depuis longtemps établie, comptent parmi les monuments les plus originaux du cimetière.

35 Les deux sœurs américaines Maria Smith, épouse Campbell‑Stewart (1784‑1867) et Juliana Smith (1789‑1867) reposent dans un sarcophage à l’antique, de style dorique, reproduction du célèbre tombeau de Scipion trouvé en 1780 à Rome le long de la Via Appia (concession HH 653). S’il existe à de nombreux exemplaires au cimetière du Père‑Lachaise à Paris31, il s’agit d’un monument unique dans les cimetières de Montpellier. La tombe arménienne de Grigor ter Mkrtichyan, décédé en 1865 (fig.4) est composée d’une colonne surmontée d’une urne funéraire drapée, dont le socle est orné d’un portrait en bas-relief du défunt. Le sarcophage de William Gordon Coesvelt (concession EE 434) est un imposant bloc de marbre blanc.

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Fig. 4

Montpellier (Hérault), cimetière protestant ; sépulture Ter Mkrtichyan (concession N 1537) © Pierre-Yves Kirschleger

36 Trois dalles, dispersées à trois endroits du cimetière et séparées par une quinzaine d’années, ont la même forme, en chapeau de gendarme, et le même décor d’une couronne de fleur ou de chêne : or il s’agit de trois compatriotes originaires de Mulhouse. Ces alsaciens semblent venus à Montpellier non seulement avec leurs toiles imprimées, mais aussi avec leur modèle de dalle funéraire…

37 Ces exemples jouent sans nul doute un rôle d’émulation pour les protestants montpelliérains, et la bourgeoisie locale n’hésite pas à faire appel à des artistes ou à des architectes pour ses deuils. La famille Bazille érige en 1884 un imposant monument en hommage à son fils Frédéric, jeune peintre talentueux disparu prématurément lors de la guerre franco-prussienne de 1870 (fig.5) : le sculpteur montpelliérain et ami du peintre auguste Baussan réalise un buste de Frédéric Bazille, qui surplombe la figure de la Jeunesse, conçue par Henri Chapu32. L’architecte Edmond Leenhardt (1870‑1950) invente, pour de grands tombeaux familiaux décorés de mosaïques qu’il dessine, un système de roulement à billes pour faire glisser les lourdes dalles fermant les sépultures33.

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Fig. 5

Montpellier (Hérault), cimetière protestant ; tombe du peintre Frédéric Bazille (concession C 138) © Josiane Pagnon

38 Ainsi, tout protestant qu’il soit, le cimetière ne reste pas à l’écart du développement de l’architecture funéraire au XIXe siècle : comme dans tous les cimetières français, on y observe une évolution générale tendant à la monumentalisation.

39 La simplicité des sépultures du début du XIXe siècle laisse place aux modes qui animent l’art funéraire, dans une grande diversité architecturale et stylistique : la tombe horizontale peut être combinée avec des structures verticales, stèles, cippes, colonnes ou obélisques. L’antiquité sert de modèle dominant et inspire des sarcophages plats ou en bâtière. La tombe‑chapelle, si couramment utilisée dans le midi de la France, n’est reprise ici que comme un édifice décoratif, vide et sans autel, à moins qu’elle ne serve d’enfeu pour abriter les cercueils entre ses murs ; d’inspiration romane ou composite, elle adopte en général le style néoclassique.

40 Loin du cliché de l’iconoclasme protestant, les sépultures sont riches de symboles et d’images. Les enfants sont honorés de tombes miniatures à côté de celles de leurs parents. La croix (sans crucifix, sauf pour les familles luthériennes) se répand peu à peu, dans la diversité de ses formes et de ses styles : croix droite, croix de vie (faite d’épis de blé ou de joncs), croix trilobée, croix bourgeonnée, croix rayonnante, croix ajourée, croix celtique, croix fleurie… et la croix sur le rocher : le Golgotha. La croix de la résurrection le dispute à la croix huguenote, qui devient omniprésente au XXe siècle, sous diverses formes elle aussi : associée à la croix ou bien seule, en creux, en relief, en métal, en pierre, en petits cailloux…

41 La symbolique funéraire, souvent héritée de l’Antiquité, affiche ses formes et ses figures : colonnes brisées, pour représenter la vie soudainement arrêtée ; urnes

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funéraires drapées ; couronnes mortuaires (de lierre, de chêne, de liseron) ; flambeaux renversés ; sabliers ailés aux ailes de chauve-souris ; anges ; étoiles… Macabres ou lumineux, les animaux et végétaux sont nombreux (fig.6) : chouette, lion, colombe, rose, lierre, pensée, pavot, palme, saule pleureur, etc. L’ornementation des chapelles se décline en une multitude de modèles : sans aucun décor, avec des pilastres ou des frises avec métopes, triglyphes et gouttes. Les acrotères, placés aux extrémités des frontons, deviennent les emplacements privilégiés pour une décoration à motifs végétaux, à têtes d’angelots ou de monstres. Les représentations humaines sont par contre très peu courantes : trois bustes seulement dans tout le cimetière34. Au cours du XXe siècle, les portraits se multiplient cependant, grâce à la photographie. Le second œuvre est en général de grande qualité : les grilles entourant les concessions ou les portes des chapelles s’ornent de pommes de pin, symbole d’immortalité, ou d’urnes funéraires. Autant d’éléments qui permettent de définir la sensibilité funéraire protestante.

Fig. 6

Montpellier (Hérault), cimetière protestant ; la sépulture richement sculptée de la famille Albaret (concession U 2469) © Pierre-Yves Kirschleger

42 L’une des originalités qui caractérisent le cimetière protestant est la concession de famille : il faut comprendre ici non le simple tombeau de famille – sépulture collective d’une famille bourgeoise dont le nom s’inscrit au fronton et dont la concession à perpétuité permet de réunir peu à peu les membres –, mais bien un enclos familial, délimité par des grilles, qui forme comme un jardin dans le jardin, un cimetière dans le cimetière, et regroupe jusqu’à une vingtaine de tombes sur plusieurs générations (fig. 7). La famille marque ainsi dans le monde des morts sa structure et ses liens35. La concession de la famille d’Adhémar est la plus grande, regroupant dix‑huit tombes et quatre générations, de 1757 (plus ancienne naissance mentionnée) à 1923 (dernier décès mentionné). Ces nécropoles familiales sont aussi le reflet d’une situation sociale, celle de familles aisées et nombreuses où la natalité est forte (cinq enfants et plus), qui achètent des concessions perpétuelles ou centenaires, attribuées jusqu’au début des années 1980. Mais les grilles qui délimitent ces ensembles ont tendance à disparaître,

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par manque d’entretien et sous l’effet de l’érosion, si bien que le cimetière perd peu à peu l’un de ses caractères marquants.

Fig. 7

Montpellier (Hérault), cimetière protestant ; enclos de la famille Castelnau (G 501) © Pierre-Yves Kirschleger

Un témoin de l’histoire du protestantisme montpelliérain

43 De manière plus générale, le cimetière protestant se révèle surtout être l’un des meilleurs témoins de l’histoire de la ville et de la communauté protestante en son sein, dans sa diversité sociale – des élites au petit peuple en passant par les classes intermédiaires. Dans les années 1860, l’Église réformée célèbre en moyenne 70 enterrements par an.

44 En parcourant le cimetière, le visiteur voit resurgir ce monde disparu : Ci-gît Jeanne Marie Bourrilhon, épouse de Louis Chassefière, parfumeur (concession EE 433) ; Sophie Schrodt, épouse de A. Barre, employé au chemin de fer (concession d 267) ; Suzanne Delrand sergente de l’Armée du Salut (1884-1949) (concession CC 158) ; Léon Girand, ex-contrôleur des contributions indirectes, préposé en chef de l’octroi de Montpellier (1852-1899) (concession L 1033) ; Sydney Barker, étudiant en médecine (1903-1927) (concession J 809) ; Jean Jourdan, facteur à la poste de Montpellier (concession o 1863) ; Jean Baptiste Bénézech, ouvrier typographe, député (concession Q 2022).

45 Si la communauté protestante présente un visage très diversifié, dont témoignent les registres d’inhumation qui égrènent les métiers occupés par ses fidèles, elle abrite en son sein une grande bourgeoisie dont l’influence régionale est sans équivalent, et sans commune mesure avec le nombre de ses membres. Une bourgeoisie locale de propriétaires et de banquiers souvent protestants, les Leenhardt, les Castelnau…, avait étendu son emprise sur la terre et les échanges au moment de la grande prospérité viticole, note ainsi l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie dans son autobiographie Paris-Montpellier 1945-1963. Or le cimetière, dont le visage est d’abord façonné par les concessions perpétuelles qui traversent le temps, est encore aujourd’hui le reflet de cette omniprésence de la « haute société Protestante » (H.S.P.).

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46 La première concession à perpétuité du cimetière, achetée par Pierre Grand-Guidais en janvier 1817 à l’entrée du cimetière, est encore en activité. Les noms des concessionnaires qui se portent acquéreurs de concessions perpétuelles renvoient tous à la H.S.P. : Marc-Antoine Bazille (concession perpétuelle n° 2, achetée en décembre 1817), Louis Parlier (n° 3, décembre 1817), la baronne Cabannes de Puymisson (n° 4, décembre 1817), la demoiselle Jeanne Pomier (n° 5, décembre 1817)… Cette H.S.P. fournit à la ville une bonne part de ses élites, commerçantes, industrielles, viticoles, intellectuelles et politiques. si les familles protestantes appartenant à la noblesse sont peu nombreuses (noblesse d’ancien régime comme les familles d’Adhémar et de Paul, ou noblesse d’empire comme les familles Martin de Campredon, Cabannes de Puymisson, Poitevin de Maureilhan, Cabrol de Mouté…), les familles bourgeoises ont assis leurs positions très tôt, en constituant leur fortune avant la révolution française dans le secteur du textile (comme les Farel et les Pomier) ou de l’orfèvrerie (comme les Bazille). Manufacturière ou commerçante, cette grande bourgeoisie s’investit également dans la possession foncière et dans l’activité financière (les banques Bros de Puechredon, Castelnau, Huc, Tissié-Sarrus).

47 Ville négociante associée au port de Sète ou de Marseille, Montpellier attire de nombreux marchands venus d’Allemagne ou d’Europe du nord, de confession protestante ; les plus dynamiques d’entre eux s’implantent et créent de véritables dynasties : André Chrétien Leenhardt, né en 1744 à Francfort, s’installe à Montpellier en 1789 et devient directeur d’une fabrique d’indiennes ; les négociants auguste Lichtenstein et Alexandre Westphal viennent de Hambourg ; les Warnery sont originaires de suisse.

48 Ville universitaire célèbre pour sa faculté de médecine, l’une des plus anciennes d’Europe encore en fonction, Montpellier devient au XIXe siècle une capitale intellectuelle protestante, avec ses savants, ses intellectuels et ses artistes, et à partir de 1919 sa faculté de théologie. en 1900, les doyens des cinq facultés montpelliéraines sont tous protestants.

49 Or de même qu’elle s’installe dans les grandes demeures aristocratiques de l’Écusson ou construit ses nouveaux hôtels sous le second empire, la H.S.P. bâtit avec soin, quoique sans ostentation, sa dernière demeure. Une promenade dans le cimetière est donc la découverte du gotha protestant montpelliérain. On dénombre six maires protestants au cours du XIXe siècle, dont le très long mandat de l’haussmannien Jules Pagézy (1852-1869) : tous sont inhumés au cimetière protestant. Les généraux Victor Féline, René Cazalis, René Lehr, Julien Masselin, Eugène et Jacques Pagézy, François Perrier et l’amiral Robert Kilian… les doyens de la faculté des sciences Daniel encontre, Félix dunal, Gustave Chancel, Paul de Rouville, Armand Sabatier, Samuel Dautheville… les doyens de la faculté de médecine Justin Benoît, Alfred Castan, Albert Mairet, Gaston Giraud… les directeurs de l’École supérieure de pharmacie Jules-Émile Planchon, Jules- Émile Diacon, Henri Fonzes‑Diacon ; les recteurs d’académie Gustave Chancel et Antoine Benoist ; le premier titulaire de la chaire de pharmacie, Pierre Figuier (1759‑1817) ; les directeurs de l’École d’agriculture Gustave Foex (1844-1906) et Jean- François Breton (1922‑1985) ; le directeur de l’institut de botanique Jules Pavillard (1868-1961) ; le directeur de l’hôpital psychiatrique André Blouquier de Claret (1887‑1940) ; les dynasties médicales des Bertin-Sans, Castan, Carrieu ; les historiens Paul Cazalis de Fondouce (1835‑1931) et Albert Leenhardt (1864‑1941) ; le bibliophile Louis Médard (1768‑1841) ; le premier président de l’union départementale des

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mutuelles de l’Hérault, Charles Warnery (1858‑1941) ; l’ingénieur Henri Samuel Bermont (1825‑1870), directeur de l’assèchement du lac Fucino ; la comtesse Amélie von Zeppelin (1816‑1852) ; les pasteurs honoré Michel, Abraham Lissignol, Philippe Corbière, Émile Gachon… l’écrivaine Jeanne Galzy ; les architectes Edmond Leenhardt et Jean de Richemond ; les peintres Eugène Castelnau (1827-1894) et Max Leenhardt (1853‑1941) ; les résistants Georges Flandre († 1944), officier de l’armée du salut, Philippe Pagézy († 1944), Jean Cadier, Jeanne Atger… la « Juste des nations » Suzanne Planchon…

50 Par le rayonnement de ses activités et de sa faculté de médecine, Montpellier attire également bon nombre d’étrangers, dont une partie sont de confession protestante ; lorsqu’ils viennent à y décéder, ceux-ci sont inhumés dans le cimetière protestant – ce qui explique la présence de nombreuses tombes britanniques ou allemandes, mais également américaine, arménienne, canadienne ou finlandaise : Lucius Bentinck Cary, 10e vicomte Falkland, baron Hundson (1803-1884), administrateur colonial ; George richard Corbett (1863‑1907), dernier vice-consul britannique à Hyères ; John-Peter Hudemann († 1817), conseiller du roi du Danemark ; Aaron Kustavi Lindh (1807‑1858), bienfaiteur de l’école publique finlandaise ; Hermann de Loewenskjold (1783‑1825), chambellan du roi du Danemark ; Alexandre de Reutern (1824‑1879), aide de camp général du tsar de Russie ; James Sanders († 1843), physicien écossais ; Albert Laurent de Spengler (1789‑1835), administrateur des dépenses du royaume des Pays‑Bas… Mais le cimetière est aussi un lieu de mémoire collectif. en 1890, le consistoire décide de créer un emplacement exclusivement réservé à la sépulture des militaires protestants. Montpellier est en effet une ville de garnison, et les colonels commandant le 2ème Génie (installé à la citadelle) et le 122ème régiment de ligne (installé dans la caserne des minimes, cours Gambetta) ont sollicité des terrains spéciaux au cimetière saint-Lazare ; le cimetière protestant répond lui aussi favorablement à ce souhait. Un carré militaire, de 9 puis 15 emplacements, est installé dans la partie ancienne du cimetière, dans la première allée. Après la première guerre mondiale, le carré militaire est complété par un Monument aux morts, érigé en 1921 contre le mur d’enceinte grâce à une souscription réalisée auprès des paroissiens montpelliérains (fig.8). Inauguré le 1er novembre 1921, celui-ci est composé d’un portique à colonnettes et chapiteaux sculptés, séparant cinq plaques de pierre sur lesquels figurent les noms de 99 soldats glorieusement disparus ; douze soldats de la Grande Guerre sont inhumés dans le carré militaire, désormais délimité par des chaînes reliant six obus de 370 issus des stocks de guerre. Depuis lors, chaque année, une cérémonie commémorative est organisée le 2 novembre par le souvenir français, en présence des autorités civiles et militaires de la ville. La chapelle du cimetière abrite depuis les années 1960 les plaques commémoratives en hommage aux paroissiens protestants morts pour la France, initialement installées dans les deux temples du centre‑ville.

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Fig. 8

Montpellier (Hérault), cimetière protestant ; monument aux morts et carré militaire © Pierre-Yves Kirschleger

Foi et convictions affirmées par le cimetière

51 Le cimetière est protestant par ses défunts : Toute personne née protestante ou ayant demandé que son inhumation soit présidée par un pasteur, pourra être inhumée dans le cimetière protestant, précise l’article premier du règlement adopté en 1908 par l’association cultuelle de l’Église réformée de Montpellier. Mais le cimetière est également protestant par ses usages et ses symboles.

52 Les sépultures sont en effet le lieu privilégié d’expression des convictions religieuses individuelles et familiales, alors même que, dans la ville des vivants, celles-ci ont tendance à ne plus s’exprimer que dans la sphère privée. Par l’abondance des signes et des symboles protestants, le cimetière se fait ainsi le reflet de la foi des défunts et de leurs proches.

53 La comparaison avec le cimetière saint-Lazare est significative : nulle trace ici de culte marial ou de culte des saints, nulle représentation du Christ, de la Vierge ou de saints patrons. Tout au plus découvre‑t‑on quelques anges sur des tombes d’enfants. Le développement des mariages « mixtes » (protestant‑catholique) au cours du XXe siècle explique la présence de signes catholiques, comme des plaques souvenirs de Notre- Dame de Lourdes. Le crucifix, abandonné par les réformés, est en revanche utilisé par les luthériens.

54 Les tombes développent donc une iconographie spécifiquement protestante : la croix huguenote, la colombe du Saint‑Esprit (fig.9), et la bible.

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Fig. 9

Montpellier (Hérault), cimetière protestant ; mobilier funéraire protestant : la colombe du Saint-Esprit ornée d’une croix huguenote © Pierre-Yves Kirschleger

55 La bible est un élément décoratif important, le plus souvent sous forme d’un livre ouvert ornant la tombe. Mais elle inspire surtout l’épigraphie protestante des tombes. Même si elle est loin d’être systématique, l’inscription d’un verset biblique est d’un usage courant, pour les tombes comme pour les faire‑part de décès. La foi s’exprime, non pas dans la subjectivité, mais dans le langage biblique qu’on adopte comme une sorte de devise dans laquelle on se reconnaît. Les versets cités sont fort variés, souvent tirés de l’ancien testament (en particulier des psaumes), mais également des évangiles, des épîtres, du livre de l’apocalypse ; majoritairement, ils sont issus du nouveau testament. Cette proximité avec le texte biblique va jusqu’à l’utilisation des langues originales (hébreu et grec) – jamais du latin.

56 La lecture des versets choisis36 permet d’évaluer la théologie implicite des familles lorsque, après la mort de l’un de leurs proches, elles décident de caractériser son existence ou d’affirmer leurs convictions. Le choix des versets gravés a été fait soit selon les volontés du défunt, soit à l’initiative de la famille, soit en reprenant un extrait de la lecture biblique faite par le pasteur au moment des obsèques.

57 Les citations introduisent souvent un dialogue, en privilégiant les pronoms de la première et de la deuxième personne, du singulier ou du pluriel : Ta bonté, ô Eternel, m’a soutenue (ps. 94, 18) ; Sur toi je me repose, ô Jésus mon sauveur37. Ce dialogue s’établit entre dieu/Jésus et les croyants, et réciproquement entre le défunt et dieu/Jésus. Mais il s’agit aussi d’un dialogue entre le défunt et le lecteur de l’épitaphe, sous forme de témoignage : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi (2 tim. 4, 7) ; Je sais en qui j’ai cru (2 tim. 1, 12).

58 Les affirmations doctrinales utilisent soit un registre concret (champ, soleil, vallée, berger…) soit celui plus abstrait de la théologie (salut, foi, grâce). Les versets expriment

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massivement la foi en la résurrection, de manière implicite (à travers le thème de l’éternité et de la promesse) ou explicite (à travers la rédemption et l’élection) : Le Corps est semé corruptible, il ressuscite incorruptible (1 Cor. 15, 54) ; Heureux ceux qui ont le cœur pur car ils verront Dieu (Matt. 5, 8) ; Ici repose Madame Marques jusqu’à la résurrection (concession n 1585). On ne trouve ni prières pour les morts, ni discours sur l’enfer.

59 La résurrection signifiant, en grec, le fait de s’éveiller, la métaphore du sommeil est souvent prise comme image de la mort (et non pas sa négation) : Ceux qui dorment en Jésus, Dieu les réunira à lui (1 th. 4, 14) ; La petite fille n’est pas morte, mais elle dort (Mc 5, 33). L’état de veille est donc valorisé : c’est une exhortation pour les vivants, un appel à la vigilance, la vie terrestre n’étant pas son propre but (Dieu a rappelé à lui).

60 Cette foi affirmée n’enlève rien à la dimension de tristesse causée par la mort ; les versets permettent alors de nommer la mort, la brièveté de la vie, la recherche de consolation : Nous irons vers eux mais ils ne reviendront pas vers nous (Samuel 12, 25) ; Elle ne viendra pas vers nous, mais nous irons auprès d’elle ; Son soleil s’est couché avant la fin du jour (Jérémie 15, 9) ; L’Éternel l’avait donné, l’Éternel l’a ôté, que le nom de l’Éternel soit béni (Job, 21). Lors des décès prématurés à cause de maladie ou de mort violente s’impose parfois le discours du doute et de la révolte : Ô ma Lydie, ô ma fille si chérie, quoi déjà des bras de ta mère tu prends ton vol vers l’éternel séjour, quoi, ma fille, sitôt, ravie à notre amour. Ah si le ciel t’enviait à la terre, devions-nous y rester avec ton pauvre père pour n’avoir que des pleurs à verser chaque jour !

61 Au XXe siècle, le thème de l’amour (Aimez-vous comme je vous ai aimés) s’impose très largement.

62 Ce discours biblique est également celui de la façade de la chapelle du cimetière (fig.10). D’une ordonnance sobre, la façade est en effet couronnée par un fronton triangulaire surbaissé, dont le tympan est orné de volutes surmontant et encadrant une Bible ouverte, dont les inscriptions en creux affirment : Veillez et priez, Nous ne sommes pas sans espérance. Au‑dessus de la porte, un fronton par enroulement sert de base à une croix latine dont les extrémités des branches rappellent les fleurs de lis.

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Fig. 10

Montpellier (Hérault), cimetière protestant ; chapelle du cimetière © Pierre-Yves Kirschleger

63 Cette chapelle, située à gauche du portail d’entrée, a été érigée en 1899 : il s’agit donc d’une construction tardive, presque un siècle après l’inauguration du cimetière. Elle est le signe d’une évolution majeure dans les rites funéraires protestants au cours du XIXe siècle, du développement d’une nouvelle liturgie protestante de la mort38. Car la pratique réformée instaurée depuis le XVIe siècle était celle de funérailles « laïques », sans cérémonie religieuse ni au temple ni sur la tombe, sans la présence d’un pasteur. or des raisons à la fois matérielles et ecclésiales poussent les protestants à faire évoluer leurs pratiques : les pasteurs accompagnent désormais les familles affligées de la maison mortuaire jusqu’au cimetière ; les enterrements en plein air, sous l’ardeur des rayons du soleil, sous les intempéries ou dans le froid, présentent des inconvénients, tandis qu’une cérémonie à la chapelle a bien des avantages : recueillement, gravité, cachet religieux.

64 Mais si la pratique liturgique évolue, son espace symbolique reste spécifiquement protestant, notamment par la sobriété des cérémonies. L’intérieur de la chapelle est particulièrement dépouillé : en face de la porte se trouvent trois fenêtres, garnies de vitraux colorés aux motifs géométriques ; sur le mur de gauche est installée la chaire, sur une estrade, devant une abside ménagée dans l’épaisseur du mur ; au fond de cette abside, une croix en chêne et une bible ouverte au‑dessus. De chaque côté de la chaire, deux versets sont peints sur le mur : Jésus a dit : je suis la vérité et la vie, et Celui qui croit en moi vivra éternellement. Le discours biblique de la chapelle fait ainsi écho à celui des tombeaux.

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Conclusion

65 Derrière une apparente permanence, le cimetière est en réalité un lieu en constante évolution, sous l’effet conjugué de la gestion matérielle du site et des changements des mentalités. Le XXe siècle est marqué par une standardisation des tombes et une simplification des épitaphes : le cimetière protestant ne fait pas exception à cette transformation que connaissent tous les cimetières. La pratique de l’incinération se développe lentement, mais significativement : un premier columbarium est créé dans les années 2000, dans une chapelle funéraire dont la concession avait été reprise ; dix ans plus tard un columbarium plus grand est construit à l’entrée du cimetière.

66 Mais certains changements peuvent paraître préjudiciables au regard du patrimoine que constitue le cimetière : en 2009, la vente de la parcelle située au sud a amputé le cimetière de son jardin. en raison de la dispersion ou de l’extinction des familles, surtout de la reprise des concessions, le visage du cimetière se remodèle lentement, et les monuments existants laissent bien souvent la place à des sépultures basses en marbre poli, dont l’installation à côté de tombes anciennes rompt l’homogénéité du secteur : la préservation du cœur ancien du cimetière, à l’image de celle des vieux quartiers dans les villes et les villages, semble aujourd’hui une nécessité afin d’en conserver l’atmosphère qui en fait le charme. Les cimetières sont un patrimoine fragile et menacé39.

67 Cette fragilité intrinsèque est renforcée dans le cas des cimetières protestants par le fait que leur existence n’a aucune justification théologique ou ecclésiale : le cimetière protestant de Montpellier est avant tout un héritage, né des hasards et des contingences de l’histoire. Mais cette faiblesse est peut-être aussi ce qui explique sa pérennité improbable au cours des siècles : il a sans cesse été investi d’une fonction familiale bien sûr, mais également identitaire, communautaire et religieuse, par un protestantisme montpelliérain dynamique et conquérant.

NOTES

1. Voir le bel ouvrage consacré au patrimoine funéraire par les Éditions du patrimoine : BERTRAND, Régis ; GROUD, Guénola (dir.). Patrimoine funéraire français. Cimetières et tombeaux. Paris, Éditions du patrimoine-Centre des monuments nationaux, 2016. 2. Bertrand, Régis. « Limites d’une laïcisation de la mort ». Dans CHANTIN Jean-Pierre ; MOULINET, Daniel (dir.), La Séparation de 1905 : les hommes et les lieux. Paris, Les éditions de l’atelier, 2005, p. 37-49. 3. Ville de MONTPELLIER. Guide historique du cimetière Saint-Lazare, coordonné par Mireille LACAVE. Montpellier, imprimerie de la Charité, 1989. 4. KIRSCHLEGER, Pierre-Yves. « Être protestant à Montpellier (XVIe-XVIIIe siècle) ». Dans AMALVI Christian ; PECH Rémy (dir.). Histoire de Montpellier, Toulouse, Privat, 2016, p. 201-210.

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5. Sur cette question, voir THIBAUT-PAYEN, Jacqueline. Les Morts, l’Église et l’État. Recherches d’histoire administrative sur la sépulture et les cimetières dans le ressort du parlement de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, Fernand Lanore, 1977, p. 158-195. 6. DELORMEAU, Charles. Le Cimetière protestant de Montpellier. Notice historique et description sommaire. Montpellier, imprimerie J. RESCHLY, 1963. 7. CAPOT, Stéphane. Justice et religion en Languedoc : la chambre de l’Édit de Castres (1579-1679). Paris, École nationale des chartes, 1998 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 3). 8. Comme le situe très précisément (sous l’appellation « cimetière des gens de la religion ») le plan réalisé en 1724 par Antoine NIQUET, directeur des travaux publics du Languedoc. 9. Par lettres patentes de mai 1678, Louis XIV ordonne la création d’un hôpital général à Montpellier, qui se voit attribuer tous les biens des anciens établissements charitables ou hospitaliers, ainsi que les aumônes dont sont chargées les communautés ecclésiastiques : c’est à ce titre que le consistoire protestant se voit confisquer les biens qui lui ont été légués pour l’entretien des pauvres et l’éducation des ministres. 10. Telle est la désignation officielle du protestantisme en France à partir de 1568. 11. Cité par BERTRAND, Régis. « Les cimetières protestants en Provence (XVI e‑XIXe siècles) ». Dans Provence historique, 1999, fascicule 197, p. 673. 12. Cité par DELORMEAU, op. cit., p. 11. 13. Cité par DELORMEAU, op. cit., p. 11. 14. Cité par DELORMEAU, op. cit., p. 13. 15. KIRSCHLEGER, Pierre-Yves. « Les cimetières de Montpellier depuis deux siècles ». Dans AMALVI, Christian ; PECH, Rémy (dir.). Histoire de Montpellier, Toulouse, Privat, 2016, p. 631-637. 16. Les bâtiments de l’Hôtel-Dieu Saint-Éloi sont aujourd’hui occupés par le Rectorat de Montpellier, rue de l’Université. Voir DULIEU, Louis. Essai historique sur l’hôpital Saint-Éloi de Montpellier (1183-1950). Montpellier, impr. C. Déhan, 1953. 17. L’hôpital général ouvre son cimetière en 1777, pour accueillir les bienfaiteurs de l’établissement. Voir DUMAS, robert et alii. Histoire de l’Hôpital général et de l’hôpital Saint-Charles de Montpellier. Montpellier, Sauramps Médical éditions, 2002. 18. BERTRAND, Régis. « Origines et genèse du décret du 23 prairial an XII ». Dans Aux origines des cimetières contemporains, s. dir. Régis Bertrand et Anne Carol. Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2016, p. 93-129. 19. LALOUETTE, Jacqueline. L’État et les cultes. 1789-1905-2005. Paris, La découverte, 2005 (coll. repères). 20. DELORMEAU, op. cit., p. 16. 21. Lorsqu’ils ne disposent pas d’un terrain, les protestants inhumaient leurs morts dans les caves, comme le fut le célèbre pasteur Paul Rabaut en 1794, dans sa maison de Nîmes, sise aujourd’hui 2 rue Rabaut-Saint-Étienne (la tombe et la maison sont classées monuments historiques depuis 2001). 22. La municipalité ne crée les cimetières catholique et israélite de saint-Lazare qu’en 1849. 23. Lors du vote de la loi du 14 novembre 1881 abrogeant l’article 15 du décret du 23 prairial an XII, l’amendement autorisant la création de nouveaux cimetières confessionnels a été rejeté. La jurisprudence du Conseil d’État (1938 et 1944) n’a fait que confirmer ce vote en refusant toute possibilité de créer de nouveaux cimetières confessionnels ou d’agrandir ceux déjà existants. 24. DELORMEAU, op. cit., p. 18. 25. Association Mémoire pour l’avenir. Histoire de l’usine à gaz de Montpellier. Montpellier, association Mémoire pour l’avenir, 2010. Voir également leur site internet. 26. FABRE, Ghislaine ; LOCHARD, Thierry. « L’extension urbaine à Montpellier de 1840 à 1940 : initiative privée et gestion municipale ». Dans Études héraultaises, 1993, n° 9, p. 49-58.

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27. Voir le « nouveau plan de la ville de Montpellier dressé sous l'administration de M. J. Pagézy, maire, 1864 » par J. Cassan, architecte de la ville, conservé aux archives départementales de l’Hérault. 28. MALLE, Marie-Pascale ; BERTRAND, Régis. « Le cimetière protestant de Nîmes ». Dans La Ville des morts. Enquête sur l’imaginaire urbain contemporain d’après les cimetières provençaux, éd. Michel Vovelle et régis Bertrand. Paris, Éditions du C.N.R.S., 1983, p. 87-88. Ce retour à la nature correspond à plusieurs niveaux d’explication : une attitude délibérée liée au refus de toute forme de culte des morts ; l’imitation, peut-être, d’un modèle inspiré de l'Europe protestante ; une plus grande liberté laissée aux plantations privées ; l’éloignement, l’ignorance, l’extinction ou le désintérêt des familles pour les tombes de leurs aïeux ; l’attitude des autorités gestionnaires du cimetière qui n’ont pas les moyens ou la volonté d’entretenir l’environnement des sépultures… 29. Témoignage de Jean-Marie G., recueilli le 18 février 2014 par Élodie Paul (association inter Ligne). 30. Inventaire réalisé sous la direction de Pierre-Yves Kirschleger, avec le soutien de la direction régionale des affaires culturelles Languedoc-Roussillon. Voir KIRSCHLEGER, Pierre-Yves. « Faire l’inventaire d’un cimetière : un exemple au cimetière protestant de Montpellier ». Dans BERTHERAT, Bruno (dir.), Les sources du funéraire en France à l’époque contemporaine. Avignon, Éditions universitaires d'Avignon, 2015 (coll. En-jeux), p. 103-121. 31. On le retrouve par exemple sur la sépulture du peintre Eugène Delacroix ou celle de Louis Barthou, président du Conseil, assassiné à Marseille en 1913. 32. Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme. Catalogue d’exposition (HILAIRE, Michel ; PERRIN, Paul, dir.), Montpellier, Musée Fabre, 25 juin-16 octobre 2016. Paris, Flammarion, 2016, p. 204-205. 33. Edmond Leenhardt architecte montpelliérain (1870-1950). Catalogue de l’exposition réalisée par le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de l’Hérault, Montpellier, 2007. 34. Outre celui de Frédéric Bazille, on trouve le buste d'Ernest Audibert (1842-1901), conseiller général, réalisé par auguste Baussan, et un buste en plâtre du député Jean-Baptiste Bénézech. 35. La tombe est « la vraie maison de famille », comme l’écrit Philippe Ariès (Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen-Âge à nos jours, Paris, seuil, 1975, p. 141). 36. À titre de comparaison, voir BOST, Jean-Pierre ; BOST, Hubert. « Pratiques funèbres et discours biblique des tombes en Béarn protestant au XIXe siècle ». Dans Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1996/4, p. 831-851 37. Il s’agit de la première phrase d’un cantique célèbre, composé par Fanny Crosby (1820-1915), (paroles traduites en français par Théodore Monod). 38. CHAMP, Nicolas. « L’invention d’une liturgie de funérailles dans les Églises réformées de la Charente-inférieure au XIXe siècle ». Colloque Liturgie et les pratiques cultuelles de l’Antiquité à nos jours, organisé par la Commission internationale d’histoire et d’études du christianisme, 5-7 juillet 2007 (Paris). Texte aimablement communiqué par son auteur. 39. Selon l’expression de Guénola Groud, dans BERTRAND, 2016, op. cit., p. 273.

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RÉSUMÉS

Le cimetière protestant de Montpellier est le plus ancien cimetière en activité de la ville, ouvert en 1809. Mais il a également d’autres titres à faire valoir : il est le plus ancien vestige protestant de la cité ; propriété de l’église réformée locale, il est l’un des rares cimetières urbains privés en France, et n’a pas été déconfessionnalisé sous la troisième république. Le visiteur peut y découvrir les spécificités de l’art funéraire protestant. Patrimoine méconnu et pourtant fort riche, le cimetière est un témoin privilégié de l’histoire de Montpellier et de l’importance de sa communauté protestante.

The protestant cemetery of Montpellier is the oldest in operation in the town, opened in 1809. It has other qualities: it is the oldest Protestant vestige of the city; property of the local Reformed Church, it is one of the scarce urban private cemetery in France, and it remained under the Third Republic. The visitor discover there the specificities of the Protestant funeral art. Underestimated heritage and nevertheless very rich, the cemetery is privileged to witness the history of Montpellier and the importance of his Protestant community.

INDEX

Index géographique : Hérault, Montpellier Keywords : protestantism, cemetery, history, funeral art, 19th century Mots-clés : protestantisme, cimetière, histoire, art funéraire, XIXe siècle

AUTEUR

PIERRE-YVES KIRSCHLEGER Université Paul-Valéry Montpellier 3

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Les protestants et la mort, le cimetière protestant de Nîmes Protestants and death, the Protestant cemetery of Nîmes

Anne Nègre

Introduction

1 Ces quelques lignes sont le reflet des recherches menées dans le cadre d’une thèse de doctorat de droit dont le sujet était : La contribution à l’histoire du patrimoine, le cimetière protestant de Nîmes, 1778–19101. Ce thème entraîne de prime abord, une réticence, un recul. Le macabre, les cadavres étaient au rendez‑vous, ils gênent les vivants, c’est une première barrière à dépasser. Les vivants d’hier avaient-ils les mêmes présupposés ? Si la mort est inhérente à la vie, la conception de celle‑ci a-t‑elle évolué ? On sait que le propre de l’homme c’est le rire, c’est aussi d’enterrer ses morts. Les civilisations anciennes traitent la question souvent de manière différente. Ainsi, les Égyptiens pensent que l’âme périrait si le corps vient à se détruire, c’est pourquoi ils le convertissent en momie2.

2 Platon, lui, croit à l’immortalité de l’âme3. Il considère l’homme comme une âme provisoirement emprisonnée dans un corps matériel. La mort du corps, toutefois, n’implique pas la délivrance finale des entraves de la matière, car l’homme peut se réincarner sous quelque autre forme terrestre. Cette doctrine connue sous le nom de transmigration des âmes ou de métempsycose est enseignée avant lui par Pythagore notamment, c’était là, plus une doctrine psychologique et philosophique plutôt qu’une conviction religieuse4.

3 Les Grecs imaginent l’homme privé de sépulture errant longtemps avant d’arriver aux enfers. De manière pratique, en Grèce et à Rome des associations ou collèges existaient dont le but était d’assurer à leurs membres une sépulture convenable que la loi et les mœurs protégeassent5.

4 Les religions monothéistes, comme les autres, s’emparent des rites entourant la mort. Les âmes continuent de vivre après la mort dans des conditions différentes selon leurs

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mérites. L’errance, sous diverses formes, apparaît un lieu commun des croyances humaines pour le temps postérieur à la mort car l’on se refuse à la prendre pour un simple anéantissement.

5 La manière de concevoir la mort était quasi identique pour la très grande majorité des personnes pendant des siècles dans une France catholique. La Réforme protestante provoque une rupture avec de grandes difficultés pour l’enterrement de ses adeptes, ce qui est assez méconnu. Ces quelques lignes survolent cette histoire aboutissant à la création de ce patrimoine collectif protestant nîmois.

L’évolution d’une vision divergente de la mort conduit à des inhumations différentes

6 Les français suivent massivement les mêmes rites pendant des siècles jusqu’à ce que certains en inventent d’autres sur terre et soient poursuivis sur terre et dans l’au‑delà.

Comment les rites entourant la mort ont changé

Une appréhension commune de la mort

7 Au cours du premier millénaire de notre ère, l’idée de la mort évolue, même si Pierre Chaunu6 et Emmanuel Le Roy Ladurie7 montrent que les cultures traditionnelles sont quasi statiques. Philippe Ariès a cherché à déchiffrer sous le langage ecclésiastique le fonds banal de représentation commune de la mort, imprégnant les chrétiens du même passé, les catholiques et protestants étant façonnés par une histoire identique jusqu’au temps de la Réforme8.

8 L’appréhension de la mort est familière mais apprivoisée, elle s’illustre par le décès en Occident des chevaliers médiévaux qui est attendu ou immédiat. Gauvain dit : sachez que je ne vivrai que deux jours9. L’inconscient change et devient habité par la mort annoncée, peut‑être à cause de la peste noire frappant en 1348, partant, revenant, repartant10 influençant l’idée même de la mort. À la fin du XVe siècle, la mort s’invite ; selon Philippe Ariès, l’exemple se rencontre par un être jeune, aimant la vie recevant la manifestation de l’annonce de la mort. Puis une jeune fille pleine d’entrain est frappée par la maladie, elle se révolte sans refuser la mort. Une ébauche de contestation émerge contre la mort. Dans le désespoir, on peut aller jusqu’à donner son âme au diable pour continuer à vivre.

9 La symbolique de la mort transparaît également, dans la position du défunt qui, à elle seule, révèle les croyances des vivants. Au haut Moyen Age, la position des défunts se précise. Les juifs d’après les descriptions de l’Ancien Testament se retournaient vers le mur pour mourir11. Tous les morts sont étendus de telle sorte que leur tête soit tournée vers l’Orient, vers Jérusalem12. Iseult sera ainsi tournée vers l’orient. Dans le christianisme primitif, la personne décédée est représentée avec les bras étendus le long du corps. Puis, on attend la mort, couché, regardant vers le ciel, avec les mains croisées sur la poitrine. C’est l’attitude des gisants à partir du XIIe siècle, gisant au lit malade selon l’expression des testaments pendant plusieurs siècles. Les liturgistes du XIIIe siècle prescrivent cette position rituelle13.

10 Un cérémonial traditionnel accompagne la mort, le défunt comme on le remarque dans la Chanson de Roland où il tient en trois actes. Le premier est le regret de la vie, un

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rappel triste, discret, des êtres et choses aimés. L’étape suivante est constituée par le pardon demandé aux compagnons et autres personnes entourant le mourant qui est normalement dans son lit. La dernière phase doit permettre d’oublier le monde pour ne penser qu’à Dieu.

11 La prière est une pratique de plus en plus courante aux XVIe et XVIIe siècles. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que les éloges funèbres se développent, liés au concile de Trente qui a proclamé l’efficacité des prières pour les défunts, même si la prière des morts, mentionnée dans la Bible - Maccabées 2 - apparait au IIe siècle après Jésus‑Christ. Elle se rapporte au jugement dernier ; celui-ci étant placé à la fin des temps, il sera suivi de la théorie de l’épreuve du feu, précédant le jugement, qui est à l’origine du Purgatoire. Vers le XIIe siècle, une iconographie nouvelle naît dans les églises romanes14. La séparation des justes et des damnés oblige à un jugement et à la pesée des âmes. Et au XIIIe siècle, l’idée de jugement l’a emporté, une cour de justice où siège Jésus entouré de ses apôtres invite à un procès. Chaque personne est alors jugée selon le bilan de sa vie, les bonnes et mauvaises actions sont posées sur les plateaux d’une balance où elles ont même été écrites sur un livre. Les ressuscités portent le jugement comme une marque d’identification, une balance des comptes. Cette balance n’est pas fermée le jour de la mort, mais le dernier jour de la fin des temps. La fin physique n’est pas la fin de l’être, la fin de l’être n’est pas l’éternité infinie, elle est sur le chemin. Les textes et la prédication des ordres mendiants précèdent l’image qui s’impose partout au XIVe et surtout au XVe siècle. Un jugement particulier se fixe à l’instant de la mort, un jugement dernier à la fin des temps. En acceptant le temps des âmes entre les deux jugements, l’Église acceptait implicitement la représentation de l’au-delà de la mort sous la forme d’une durée, nous rappelle Pierre Chaunu15.

12 Dans les premiers temps du Purgatoire, l’Enfer y est superposé. Les peines du Purgatoire de légères deviennent lourdes à partir du XIIIe siècle, le pouvoir de l’Église s’intensifiant. De l’endroit indéfini où les morts traînent leur vie, les rendant jaloux des vivants et donc dangereux, ils ont trois lieux de destination finale, le Paradis, l’Enfer, ou le Purgatoire. L’Église orientale, elle, est restée à l’épreuve du feu et dans l’ancien testament, Dieu n’aurait ordonné aucun sacrifice pour les morts. Dans le nouveau testament, il n’y aurait pas davantage de commandement de prier Dieu pour les morts. Le culte des morts serait un ajout de l’Église catholique.

13 Plus près de nous, vers le XVIe siècle, le jugement n’est plus entre la mort et la fin des temps, il est là, dans la chambre du mourant, avec ses proches. Les rites s’accomplissent, ils sont réservés au seul mourant, sans que les proches s’en rendent compte. La cour céleste, Satan et ses démons sont là, fixant le rassemblement de la fin des temps désormais peu de temps avant la mort. La balance ne sert plus, mais le livre est présent et Satan s’en empare quelquefois, manifestant son succès. Les êtres surnaturels sont là pour apprécier le comportement du mourant face à sa dernière épreuve, sa dernière tentation. Il reverra sa vie et sera tenté par la vaine gloire ou le désespoir de ses fautes. Cette épreuve remplace le jugement dernier. La piété populaire se manifeste, par exemple, dans des sanctuaires à répit16. Dans un tel lieu, la Vierge est censée ressusciter les poupons mort-nés, juste le temps de les ondoyer. Quant aux confirmés, les seuls qui aient le droit d’approcher la Sainte Cène, il n’est pas sûr que tous les chrétiens aient pu l’être. En effet, les évêques qui parcouraient en entier leur diocèse étaient rares17 De même pour l’extrême-onction, on la voyait dans certaines régions

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comme un luxe à la portée des riches seulement, ou on la tenait pour une ordination in extremis.

14 L’extrême-onction est réservée alors aux clercs, puis aux confirmés, peu nombreux encore aux XVIe et XVII e siècles ; c’est une pratique qui se généralisera plutôt tardivement.

15 On attend désormais la mort au lit, dans une cérémonie organisée et présidée par le mourant lui-même qui en connaît le protocole, cérémonie devenant de plus en plus publique jusqu’au XIXe siècle. L’ensemble de ces pratiques, le but funéraire essentiel, est aussi d’empêcher les défunts de revenir troubler les vivants, nos villageois prendront longtemps ce qu’il y a de rassurant dans une croyance ou une autre, relève Pierre Bourdieu18. La manière de croire n’est pas identique sur tout le territoire français19. Avec la théorie du salut par les œuvres, de l’humilité, qui interdisent l’entrée directe au Paradis, le Purgatoire devient le lieu unique, le sas obligatoire pour tous.

La Réforme protestante influe sur la vision de la mort

16 Ni jugement dernier, selon l’expression consacrée, ni condamnation n’existent dans les premiers siècles du christianisme. La responsabilité individuelle, les bonnes ou mauvaises actions ne sont pas comptées. Ceux qui appartiennent à l’Église lui confient leur corps et se réveilleront au Royaume des cieux. Au contraire, tous ceux qui n’appartiennent pas à l’Église Catholique, c’est à dire l’Église universelle, ne se réveilleront pas. Le néant les attend.

17 Il apparaît nettement que dans la France chrétienne du Moyen Age, enterrer les morts est devenu la responsabilité exclusive de l’Église qui détient l’accès à la terre bénite des cimetières. En sont privés les mécréants, les divers hérétiques, les excommuniés, les juifs et les suicidés20. L’Église catholique, apostolique et romaine règne sans partage sur les âmes tirant son droit des Saintes Écritures ; tout individu s’opposant à ses préceptes est excommunié et décrété hérétique21 comme les cathares ou les vaudois 22. à défaut d’abjuration de leur foi, ces personnes seront poursuivies avec une volonté d’extermination sans faille, dans le temps présent, privées du bienfait du Royaume des cieux, volontairement condamnées à perpétuité à l’Enfer, par leurs frères en humanité. Les personnes insoumises à la vérité ambiante deviennent de plus en plus nombreuses avec le développement de la lecture, particulièrement de la Bible. Cet accès à la connaissance grâce à la copie puis à l’imprimerie trouble23. Ce sont des fissures dans la toute puissance de l’Église catholique car les lecteurs découvrent que la Bible24 ne contient guère de rituels au contraire de ceux que l’Église impose à tous. L’Humanisme et la Renaissance rompent avec l’obscurantisme25 du Moyen Age26.

18 La Réforme au XVIe siècle embrasant l’Europe, bute et débute sur l’achat indulgences27 pour obtenir son salut, sur le pouvoir des clés détenues par le Pape pour l’accès au Royaume des cieux. Luther devient le théologien du salut gratuit, du salut par la grâce s’opposant au salut par les œuvres, et ses quatre-vingt-quinze thèses qui datent du 4 septembre 151728 imposent un saut de 1000 ans dans la réflexion et finissent par un rejet de l’intercession en vue du jugement dernier, contestant le pouvoir29 des clefs, la mort30 déliant31 de tout32. Divers théologiens33 dont Zwingli, Luther, Calvin espèrent une Réforme de l’Église catholique34. Cette Réforme catholique sera postérieure à la Réforme protestante35 mais en repoussoir de celle‑ci36.

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19 Pendant ce temps, dans l’Europe entière, des fidèles de plus en plus nombreux se rassemblent pour écouter la lecture de la Bible, pour prier et chanter37 des psaumes. En France, une répression sans pitié s’exerce contre ces rebelles de l’âme. Trouve-t-elle sa raison d’être dans le Concordat de 1516 ? À l’issue de négociations et marchandages, François Ier conclut un Concordat permanent 38 avec la papauté. Cette convention fondamentale fixe les structures ecclésiastiques en France pour plusieurs siècles. Traditionnellement, les biens de l’Église catholique échappaient à tout impôt et en outre, celle‑ci bénéficiait de grandes libertés d’action dans notre pays. Ensuite, par Concordat, c’est à dire par convention à vocation provisoire, elle consentit à payer à titre de don gratuit une contribution fixée au dixième du revenu des bénéfices ecclésiastiques qu’on a appelé décime, mais pour cela l’autorisation du pape était nécessaire39. En outre, ce Concordat permettait également au Roi de France de bénéficier de la régale40. Plus tard, Louis XIV utilisera le produit de cette régale pour financer la surveillance des nouveaux convertis, ces protestants qui ont été pressés d’abjurer leur foi. À cette époque, les souverains français et étrangers, leurs sujets eux-mêmes, sont empreints du principe de Saint Augustin devant s’appliquer à tous les états : Une Foi, une Loi, un Roi41. La religion est celle du souverain42, il est inconcevable qu’elle souffre d’exception.

20 On découvre déjà à quel point le thème traité est un sujet à la croisée des chemins, la vie, la mort, l’Église catholique en proie à un schisme durable, laissant des séquelles profondes. L’Angleterre, les Principautés et Villes libres de l’Empire, les pays scandinaves, les Provinces‑Unies deviennent protestantes43. L’Espagne, le Portugal, l’Italie, et bien sûr la France, restent catholiques. À l’aube du XXIe siècle, les pays sont toujours majoritairement tenants encore de la religion choisie ou conservée quelques siècles plus tôt, bien que l’Islam progresse rapidement. En France, sans l’avoir recherché, cette nouvelle religion prétendue réformée, la R.P.R.44, devient un mouvement d’opposition ; en pénétrant dans les châteaux et les manoirs, il était devenu politique et militant45 constituant ainsi son bras armé ralliant les mécontents. Les guerres de religion s’enchaînent, émaillées par des colloques débouchant sur des Édits46. À peine conclus, ils n’ont même pas le temps d’être enregistrés que d’autres les remplacent47. Les lieux d’ensevelissement sont au cœur de ces édits successifs48. La Paix de Saint‑Germain scellée le 8 août 157049 s’affirme pour la première fois avec une vocation perpétuelle, elle est d’ailleurs proclamée comme irrévocable. Cet Édit de pacification invente la liberté de culte50. Les guerres de religion51 continueront52 et les massacres de la Saint Barthélemy en 157253 embrasent de haine la France. L’avènement d’un Roi d’origine protestante, un homme d’un caractère trempé, Henri IV, est déterminant dans la concrétisation de l’évolution originale de la France de cette fin du XVIe siècle. L’Édit de Nantes du 30 avril 159854 reprend l’Édit de Poitiers de 1557 dans ses articles principaux55. Cet Édit de Nantes ouvre la coexistence de deux religions, unique en Europe à l’époque.

21 Ces faits permettent de comprendre que le cimetière de Nîmes n’est pas seulement un lieu d’inhumation quelconque, mais l’aboutissement d’une cruelle histoire, celle de gens croyant différemment, obéissant à des exigences nouvelles, inconnues jusqu’alors, mettant en place une Église nouvelle, avec des règles autres56. Ce sont d’anciens catholiques, habités du même passé inconscient, des mêmes approches de la mort.

22 Les membres du clergé catholique interdisent très rapidement l’usage des cimetières, ceux de leurs ancêtres communs, puisqu’ils étaient considérés par l’Église dominante comme des hérétiques, donc ne pouvant être inhumés dans la terre bénite des églises

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ou des cimetières catholiques, ni même dans un terrain les jouxtant. L’Édit d’Amboise de 1562 impose l’enterrement de nuit, c’est à dire à la pointe du jour et au couchant, cette obligation ne sera levée qu’à la Révolution. Comment vont réagir les membres de cette nouvelle Église à Nîmes face à ces difficultés pour enterrer leurs morts.

Les temps difficiles des inhumations des protestants à Nîmes 1521-1776

23 Les difficultés majeures des protestants pour enterrer leurs morts émaillent trois siècles d’histoire.

Les enterrements tolérés des protestants nîmois, 1521-1685

24 C’est l’Église Réformée de Nîmes, une des plus anciennes de France, se mettant en place dès 1521, qui pourvoira à cette tâche délicate dans des temps violents pour les non catholiques. Elle se charge de l’enterrement des membres de sa paroisse, particulièrement des plus pauvres d’entre eux, en trouvant les terrains adéquats. L’interdiction d’utiliser les cimetières par les réformés a été généralisée en Languedoc en 1565 par son Gouverneur, Henry de Montmorency. L’Édit de Nantes, en 1598, dégage une ère nouvelle qui impose aux protestants d’instituer leurs propres cimetières.

25 Trois cimetières seront officiellement utilisés par les protestants au XVIIe siècle à Nîmes, sis Porte de la Couronne, Porte de la Bouquerie et Porte de la Madeleine. Les membres catholiques d’une famille n’avaient pas le droit d’y être enterrés.

Les enterrements clandestins par l’Église du Désert, 1685-1776

26 L’Édit de Fontainebleau du 28 octobre 168557, entrainant la Révocation de l’Édit de Nantes,58 interdit purement et simplement l’enterrement des pratiquants de la religion prétendument réformée. Les protestants sont réputés ne plus exister dans le Royaume. De nombreuses violations de ce texte ont eu lieu les années précédant sa révocation59.

27 En 1688, ces trois cimetières sont repris et solennellement consacrés par l’Église catholique. L’Église Réformée n’a plus d’existence officielle, elle a pourtant de nombreux adeptes. Elle devient l’Église du Désert se référant à l’exode pendant 40 années dans le désert par les Hébreux sortis d’Égypte60.

28 À Nîmes, cette Église de l’Ombre, de la clandestinité a des membres d’un grand courage car au péril de leur vie, ils s’occupent des lieux d’inhumation pour permettre que les corps des plus déshérités bénéficient d’une sépulture, de 1685 à 1778. Les caves deviennent les dernières demeures des propriétaires urbains et dans les propriétés rurales, un champ était consacré à l’ensevelissement expliquant ainsi la multitude de petits cimetières privés en Cévennes ou dans le Languedoc et dans toutes les autres régions où les protestants étaient nombreux. Des pigeonniers, des capitelles sont aussi utilisés à cette fin.

29 Pour le reste, le protestant est physiquement seul face à la mort. La mort et l’enterrement se placent en dehors de la vie de l’Église. Il n’y a pas de cérémonie religieuse et le mourant n’est pas assisté de pasteur. Il est dans la main de Dieu. La relative sérénité des protestants se fonde sur l’assurance d’un salut qui vient entièrement de Dieu, d’un salut ne devant rien aux actions et mérites humains.

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30 La France n’a pas craint d’enfreindre un des tabous communs à toutes les civilisations : accorder la paix aux morts. En effet, les opiniâtres qui refusent d’abjurer au seuil de la mort, ou refusent l’extrême-onction tombent sous le coup de la déclaration royale de janvier 1686. Elle prévoit à leur décès un procès post mortem. Jusqu’au XVIIIe siècle, des lois permettront de faire des procès à la mémoire de gens morts, de les condamner à perpétuité dans l’au‑delà, aux fins de confisquer leurs biens, but de la manœuvre des plaignants revendiquant les héritages. Les procès sont diligentés par le pouvoir judiciaire civil et si la majorité de ces juges répugne à ce genre de pratiques, ce n’était pas l’unanimité, des arrêts en font foi61.

31 Des procès sont également faits aux cadavres des convertis revenus à l’hérésie au moment de mourir. En application d’une déclaration royale en date du 29 avril 1686 la sanction d’un tel procès contre un cadavre convaincu du crime de relaps sera d’être déterré, puis traîné sur une claie dans la grande rue du bourg et jeté à la voirie. Quant à ses biens, ils seront confisqués au profit de Sa Majesté le Roi.

32 La Réforme a transformé l’attitude devant la mort. En terre réformée, une grande austérité a longtemps caractérisé les approches de la mort, les usages en vigueur, plus qu’en pays luthériens, certainement pour s’opposer aux pratiques des catholiques majoritaires. Au XVIe siècle, d’une façon générale, les corps des protestants étaient ensevelis en pleine terre, face vers le ciel, les mains croisées sur la poitrine, usage qui perdure au XXIe siècle. Les cérémonies funèbres éloignent les pleureuses et aucune prière ou rite n’entoure l’ensevelissement, ils ne participent pas d’un rituel de passage d’un monde à l’autre. Le rôle du pasteur est déterminé par la Règle fondamentale de l’Église Réformée de France. D’ailleurs, la Discipline ecclésiastique dispose qu’il ne fera aucune prière ou prédication aux enterrements pour prévenir toute idolâtrie. Les premiers synodes demandent d’ailleurs aux pasteurs de ne pas parler aux enterrements ; on défend de se servir des cloches de peur d’être soupçonnés de quelques cérémonies superstitieuses.

33 Louis XIV avec sa politique impitoyable s’est privé d’artisans talentueux nécessaires à ses projets de développement dans le domaine des arts. Pour combler ce déficit, les autorités françaises favorisent la venue d’artisans scandinaves, allemands, en provenance des pays du Refuge, des luthériens. Les premiers arriveront à pied, fort pauvres, puis, leur nombre croissant, ils prendront un bateau accostant à Rouen et s’installeront dans le faubourg Saint Antoine. Janine Driancourt62 explique cette aberration de la politique royale française. L’afflux de ces luthériens oblige leurs États à se préoccuper de leur sort, une Église luthérienne se crée à Paris et la situation au XVIIIe siècle des protestants étrangers luthériens évolue grâce à l’action de leurs Ambassadeurs. L’entraide de cette communauté étrangère pour leurs co‑religionnaires français ne s’est jamais démentie malgré les risques encourus et leur peu de moyens. Ces luthériens forment une communauté bénéficiant de l’extraterritorialité, tenant des registres de comptes, des registres d’état civil avec des remises d’extraits certifiés par les ambassades, et elle entretient une infirmerie qui sera largement ouverte aux protestants parisiens privés de tous soins. Un arrêt du Conseil d’État du 10 juillet 172063 a pour objet l’inhumation des protestants étrangers, à une époque où les protestants français sont exclus des cimetières communs et jetés à la voirie.

34 À la mort de Louis XIV, la répression est moins systématique, mais elle se poursuit cependant. Au début du XVIIIe siècle, le 8 mars 1715, une déclaration annule l’Édit de Fontainebleau64, étant donné qu’officiellement il n’y a plus de protestants en France. Le

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régent corrobore cette annulation dans une ordonnance de mai 1716. En août 171665, l’exil des hérétiques protestants est officiellement définitif66, et, de ce fait, la législation répressive s’intensifie en France avec l’Édit de Versailles du 14 mai 1724. La pression de l’Église catholique, apostolique et romaine ne baisse pas. Les condamnations aux galères ne cessent pas après la disparition du Roi Soleil. Commencées en 1624, elles sont au nombre de 250 pour la seule année 168967.

35 Le début d’une reconnaissance des protestants et de leur Église apparaît dans la déclaration royale du 9 avril 1736 concernant les édifices religieux, les registres de l’état civil, des baptêmes68, des mariages69 des décès, les sépultures, les vêtures, les noviciats et les professions, les extraits à délivrer, pour qu’une procédure laïque d’inhumation soit autorisée, avec la délivrance d’un permis d’inhumer pour les français. Le clergé est hostile dans son ensemble à ces progrès et il interdit toujours l’ensevelissement dans les Églises qui dépendent de sa compétence à de rares exceptions près70. C’est en 1792 que l’état civil séculier est créé.

36 D’abord, les théories hygiénistes, ensuite, un contrôle des décès s’imposent aux autorités71. La communauté protestante n’est plus tout à fait refusée, néanmoins, elle est encore très mal tolérée. Au contraire, les protestants d’Alsace et de Lorraine72 connaissent, comme les luthériens de Paris, un régime exorbitant du droit commun. Ces régions n’étaient pas françaises en 1598 et le traité d’Osnabrück de 1648 les rattachant à la France prévoit que chaque confession sera propriétaire des biens et droits possédés au 1er janvier 1624. Ces régimes différents selon l’origine des protestants prouvent l’aspect éminemment politique et non uniquement religieux de cette question.

37 En 1756, un Pasteur est encore pendu pour avoir prêché dans une assemblée clandestine du Désert (fig.1). Son cas n’est pas isolé73. Il faudra 40 ans pour que les dispositions de 1736, y compris celles liées au souci de salubrité publique se concrétisent. Pour la première fois en 1770, les religionnaires sont pris officiellement en compte dans certains formulaires74.

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Fig. 1

Assemblée de protestants à Lecques près de Nîmes © S.H.P.F.

38 Le progrès des Lumières ouvre le chemin de la tolérance, de l’acceptation d’un autre plus ou moins différent de soi, la liberté de conscience permet des avancées significatives.

L’apaisement 1776-1906

Mise en place de la stratégie d’inhumation jusqu’en 1849

39 Dès avant la Révolution, les protestants accèdent au droit d’enterrer les leurs dans la décence et la dignité. En 1776, les Lettres Patentes du Roi imposent le transfert des cimetières hors les agglomérations, pour des raisons de salubrité publique. Le consistoire de l’Église du Désert de Nîmes utilise cette ouverture pour acheter courant 1778 par personne interposée, une parcelle de terre pour pourvoir à l’enterrement des pauvres de la paroisse de Nîmes.

40 Le Maître Jardinier Maruejols, puis son fils, sont officiellement propriétaires de ce terrain jusqu’en 1849. L’Église Réformée de Nîmes apparaît à cette date comme propriétaire de certaines parcelles et comme gestionnaire. Le 22 juillet 1782 intervient le premier enterrement75. Pour situer ce cimetière protestant de Nîmes, il est nécessaire de préciser que les autres cimetières collectifs protestants privés, gérés par l’Église Réformée de France, à travers des associations cultuelles sont actuellement, au nombre de 4, tous postérieurs à celui de Nîmes : 1809 (Montpellier) ; 1825 (Bordeaux et Castres) ; 1838 (Cournonsec). Hormis les temples de Collet-de-Dèze et de Vialas ayant survécu à la Révocation, le cimetière protestant de Nîmes, est le plus ancien patrimoine collectif réalisé par les protestants et dans tous les cas le plus ancien depuis la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685.

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41 Le 27 novembre 178776, l’Édit dit de tolérance, remet les protestants en possession des droits et biens dont ils avaient été dépouillés. Ils bénéficient enfin d’un état civil, leur mariage et la légitimité de leurs enfants sont reconnus77. Le curé qui tenait le registre des âmes tient dorénavant les registres de l’état civil, il enregistre les décès78. L’article 27 de cet Édit oblige les municipalités à fournir aux non catholiques un cimetière.

42 La ville de Nîmes décide par délibération du 1er mars 1789 de prendre à bail ce terrain moyennant 500 livres par an pour 9 ans. La ville laisse tout l’entretien et les inhumations à la charge de la communauté protestante. Le bailleur officiel, Maruéjols, finance la clôture du terrain et il règle les frais d’entretien. Cette prise en charge des frais de fonctionnement évite une revendication quelconque de propriété au moment de la nationalisation des biens.

43 Paradoxalement, le cimetière de Nîmes n’étant ni officiellement propriété d’une Église, ni bénéficiaire de subventions communales pour l’achat de terrain, ou, de participation partielle dans les frais de construction, il échappera au redoutable article 91 de la loi du 24 août 1793 de la Convention qui estime que les biens patrimoniaux des communes appartiennent à la République jusqu’à l’acquittement de leurs dettes. C’est au vu de ce texte que le premier cimetière protestant privé de Montpellier a été nationalisé. Si la Révolution renforce les droits des non catholiques, c’est le Consulat qui parachève les droits des Églises par la loi du 18 germinal an X, 8 avril 1802 promulguant le concordat du 15 juillet 1801. Les Juifs devront attendre 1808 pour l’organisation de leur culte.

44 C’est dans ce cadre concordataire du décret du 23 prairial an XII, 12 juin 1804, jusqu’à la loi de séparation des Églises et de l’État que ce champ de morts se développe, instituant l’obligation pour les communes où l’on professe des cultes différents, de pourvoir à des champs d’inhumation particuliers. La loi du 14 novembre 1881 abroge cette disposition.

Affirmation de L’Église réformée de Nîmes sur la propriété sur son cimetière

45 La dernière étape majeure de l’évolution de ce cimetière est liée à la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905. En 1905, les nîmois mécontents du prix élevé des concessions dans les cimetières communaux par rapport à celui du cimetière privé sis route d’Alès, le Préfet exige l’unification des prix et la vente du cimetière protestant à la ville. La municipalité de Nîmes dans sa délibération du 28 novembre 1905 acte l’achat du cimetière pour un montant de 120 000 F, mais le 11 décembre 1905 un conseiller municipal relève qu’il est inutile d’acheter ce que la loi du 9 décembre 1905 offre. La municipalité ne peut plus rien acheter à un établissement supprimé qui a, en tous les cas, perdu le droit de disposer de son patrimoine et par suite de le vendre. Le Conseil municipal cesse aussi de payer le loyer.

46 Courant 1906, le conseil presbytéral attribue les terrains des concessions, d’une part, à une nouvelle association, l’Association Protestante d’Assistance. D’autre part, il dévolue le cimetière dit gratuit et la créance sur la ville de 120 000 F à la nouvelle Association Cultuelle de l’Église Chrétienne de Nîmes juste créée, par délibération du 29 novembre 1906. Cette dernière délibération du conseil presbytéral de Nîmes sera seule attaquée par la ville devant le Conseil d’État qui, en son arrêt du 30 décembre 191079, assoit définitivement le statut du cimetière en bien privé. Le cimetière juif de Nîmes a suivi la même voie.

47 Cette juridiction considère que le cimetière gratuit Maruejols est libre de toute charge et de toute condition d’emploi, qu’il avait seulement été donné à bail à la ville pour

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servir de cimetière, sans l’affecter à ce service. Ce bien n’étant pas grevé d’une affectation étrangère à l’exercice du culte, les conditions d’application de l’article 7 de la loi du 9 décembre 1905 n’étaient donc pas remplies.

48 La question de la vente est de nouveau posée, ainsi que le paiement des arriérés de loyers. En 1915, en pleine guerre, avec des finances peu brillantes, le risque est de voir ce cimetière supprimé par la ville causant un fort émoi dans les paroisses protestantes. La situation cadastrale embrouillée en cas de vente poserait des problèmes, aussi un statu quo est décidé. En 1979, lors d’une révision du cadastre, tout le cimetière sans distinction de provenance est enregistré sous le compte de l’Association Chrétienne Réformée de Nîmes.

Valeur des décrets d’attribution des biens suite aux dévolutions ?

49 Les décrets d’attribution confirmant les dévolutions aux associations avaient-ils une quelconque valeur tant à Nîmes qu’ailleurs ?

50 En effet, Louis Méjan, dernier Directeur de l’Administration Autonome des Cultes, rédacteur du projet de loi de 1905, dans un ouvrage de souvenirs écrit par sa fille Lucie Violette Méjan en 1959, ouvrage grand public de sa thèse de doctorat, souligne les conditions de charge de travail considérable de l’administration, la plus importante du siècle.

51 Il est intéressant de citer Louis Méjan lui-même : Les innombrables décrets d’attribution de biens ont soulevé une curieuse difficulté qui n’a encore jamais été signalée : on ne pouvait imposer au Président de la République presque quotidiennement la signature de centaines parfois de milliers de décrets. Nous l’avons résolue par une pratique administrative nouvelle : la signature de décrets collectifs. Les attributions ainsi gérées par des décrets établis « sous yeux et la responsabilité » n’ont fait l’objet d’aucun recours au Conseil d’État pour abus de pouvoir ou d’illégalités80.

52 Découvrir la fragilité de toutes les opérations de transfert des biens des cultes est pour le moins surprenant. Ainsi, d’après le meilleur connaisseur de cette loi, toutes les attributions auraient pu être annulées… Une étude approfondie devrait être engagée sur ce sujet.

53 Les protestants ont maintenant un lieu libre, pour enterrer leurs morts, pauvres ou aisés. Il est intéressant de voir ce qu’ils en ont fait.

Le cimetière protestant de Nîmes, un lieu de mémoire

54 Échappant à la destruction ou à la banalisation en devenant communal, ce cimetière créé par les protestants pour les protestants du fait d’une histoire violente et tragique directement issue de la Réforme, est d’une conception unique et encore préservée. Il est situé au 17 bis, avenue du Pasteur Brunel.

Les premiers achats et la mise en place du cimetière

Les achats par personnes interposées jusqu’en 1849

55 Le noyau initial du cimetière de 1778, longtemps consacré aux fosses communes, appelé cimetière gratuit, est d’une surface d’1 hectare 20. Ensuite, il s’accroît des terrains achetés à Jeanne Martin, courant 1821. Voués dès l’origine aux concessions payantes,

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ces terrains seront complétés essentiellement par l’achat Peladan et la donation Jeanne Bergeron pour plus de deux hectares en 1856, puis par l’achat Roussy ; l’ensemble dépasse les cinq hectares.

56 Une fondation au bénéfice des pauvres protestants dont la gestion est déléguée à l’Église Réformée de Nîmes est constituée, pour recevoir les dons de Jeanne Martin et de Jeanne Bergeron, en réalité deux prête noms, car un triple but est recherché : suppléer l’insuffisance de terrain destiné à la sépulture des protestants, procurer des ressources pour soulager les indigents de la communauté et enfin mettre en place une structure protectrice des intérêts de la paroisse et des protestants. À l’évidence on craignait le retour à des temps plus difficiles. Ce n’est pas officiellement indiqué, mais les modes d’acquisition des parcelles dans un temps où l’Église protestante avait droit de cité nous l’indiquent. Actuellement l’Association cultuelle gère toujours le cimetière et en reçoit les bénéfices s’élevant à environ 10 % de son budget de fonctionnement.

57 Le cimetière Maruéjols forme pratiquement un carré entre la route d’Alès et le cadereau. Il n’y a pas de trace d’un plan du cimetière gratuit. Seulement trois allées ont été tracées d’est en ouest à 40 mètres les unes des autres. Avec une excroissance au midi pour les enfants de moins de 5 ans. Les parcelles Bergeron et Roussy sont en terrasses. Un atlas fut envisagé dans un souci de bonne gestion dès 1852. Par contre, les plans des autres parties du cimetière ont fait l’objet de travaux remarquables et de nombreuses délibérations81.

58 Après la donation Martin en 1821, on confie au géomètre la réalisation d’un plan refait en 1830. Cette parcelle est un quadrilatère qui sera découpé en 4 triangles avec des plantations d’espèces variées, des allées de grands arbres, des arbustes de couleurs diverses, et bien sûr des cyprès, l’ensemble ordonnancé dans la volonté de créer autrement. Un paysage totalement différent des autres cimetières s’installe. La notion de rangée y est absente contrairement aux autres cimetières (fig.2).

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Fig. 2

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; plan actuel du cimetière prenant en compte les extensions progressives du XIXe siècle © A. Nègre ; V. Marill © Inventaire général Occitanie

59 Il existe des allées, mais elles ne séparent pas deux rangs de tombes comme c’est le cas ailleurs (fig.3). Les plantations individuelles des familles se sont développées donnant un sentiment de paix, mais devant être disciplinées. Un mur d’enceinte a été bâti qui se devait d’être de 35 à 40 mètres de distance des bourgs82, et qui représente un coût très élevé dans l’aménagement.

Fig. 3

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; vue d’une allée dans le secteur Bergeron J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Le fonctionnement du cimetière

60 Il laisse place à l’innovation, aux exigences de cette communauté nîmoise, intégrée dans son siècle, à l’évolution de la façon de vivre sa religion. Toutes les décisions du Consistoire puis du Conseil presbytéral sont prises à l’issue de discussions, de consensus, donnant l’impression d’un cadre démocratique. Un règlement du cimetière existe et est revu au cours des années par le conseil presbytéral de l’Église Réformée de Nîmes.

61 Il est à noter qu’aucun culte n’est rendu aux morts dans la religion protestante, le lieu d’inhumation n’a guère d’importance. On ignore d’ailleurs où est enterré Calvin car il a été fidèle à ses préceptes. Aussi les Pasteurs ne se rendaient pas dans les cimetières. Ce n’est qu’en 1893, à Nîmes, que les Pasteurs accéderont aux demandes des parents d’enfants décédés de plus de cinq ans de les accompagner au cimetière.

62 Et les défunts n’entraient pas dans les temples. La chapelle du cimetière, en réalité un temple, a permis de concilier les nouveaux besoins des familles et la rigueur réformée. Une cérémonie d’actions de grâce présidée par un Pasteur pouvait avoir lieu, puis les cercueils sont entrés dans la Chapelle construite en 1874. Encore aujourd’hui à Nîmes, une décision du Conseil presbytéral est nécessaire pour qu’un défunt pénètre dans les Temples et elle n’est accordée que si les justifications à l’appui de la demande lui paraissent fondées.

63 Il est à noter que les conditions pour être enterré dans le cimetière protestant ont été empreintes de tolérance comme elles le sont actuellement. Il ne semble pas que la présentation d’un certificat de baptême ait jamais été exigée. Quant à l’absence d’argent, il n’a jamais été une cause de refus.

L’architecture funéraire à travers une promenade dans le cimetière

64 Le premier abord est une belle entrée en pierre calcaire et un long mur d’enceinte (fig. 4). Quelques éléments particuliers tiennent à ce cimetière, ainsi la Sacristie du Désert (fig. 5), maisonnette de l’olivette où les pasteurs revêtaient leur robe avant de présider un culte clandestin au Serre du Diable.

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Fig. 4

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; entrée, rue du pasteur Brunel J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Fig. 5

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; sacristie du Désert J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

65 La gravure de Boize (fig.1) montre une Assemblée du Désert, dans le haut à droite on aperçoit la Tour Magne. Ce bâtiment est à l’extrémité nord‑ouest du cimetière, au bord du cadereau de Vacqueirolles, ombragé par un cyprès. Les pasteurs utilisaient la Chaire

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du Désert, démontable, qui est désormais dans le hall de la Maison du Protestantisme de Nîmes.

66 La crainte des protestants, à Nîmes comme ailleurs, était d’être enterrés vivants. Les porteurs auraient eu dans les temps forts anciens, une mission spéciale, la vérification de la mort effective, en mordant le corps d’où l’expression croque mort. On raconte qu’autrefois à Nîmes dans le cimetière, la chambre du concierge se situait au-dessus du dépositoire. Lorsqu’on entreposait un corps, un pied était attaché à une corde, elle- même reliée à une clochette fixée dans la chambre du concierge. Il était ainsi prévenu si le mort reprenait vie. Méthode empirique s’il en fut.

Les modes d’inhumation

67 Les pierres utilisées étaient régionales jusqu’à ce que le granit devienne accessible et commence à dénaturer ce cimetière comme tant d’autres. La commission du cimetière de l’Église de Nîmes l’a interdit dans son règlement, en espérant que ce soit définitif. Les premiers enterrements protestants sont en pleine terre, le corps dans un linceul, sans signe distinctif, dans une fosse individuelle comme au XVIe siècle. Puis des pierres marquent la bordure de la sépulture recouverte de terre battue et éventuellement de gravier.

68 Ensuite, on en vient aux pierres tumulaires (fig.6), souvent jouxtées par celles des membres de la famille (fig.7), et entourée éventuellement d’une chaîne ou d’une grille (fig.8) ; on reconstitue en quelque sorte le pré familial. La gravure d’épitaphe peut singulariser les sépultures. Mais il n’y a pas de stèle.

Fig. 6, 7, 8

Nîmes (Gard), cimetière protestant J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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69 L’étape suivante sera un tombeau important, avec caveau, surplombé d’une pierre plate recouverte d’une autre plus petite. De très nombreux exemples figurent au cimetière. De 1840 à 1910 près de la moitié des tombes ne comportent pas de stèles qui d’habitude, donc, servent à porter les croix (fig.9).

Fig. 9

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; monument de la famille Giran Cadière J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

70 Les chapelles funéraires apparaissent vers 1830 et se développent à partir de 1843, date où la loi autorise les monuments funéraires favorisant l’individualisation des tombes. Elles démontrent aussi, que les protestants sont dans le siècle et qu’ils hésitent moins à se faire édifier des constructions funéraires exemptes de modestie. Ces chapelles sont des édifices bâtis sur une chambre funéraire dans laquelle se trouve un ensemble de cercueils. Cette dernière est nécessairement enterrée, pour respecter la législation du XIXe siècle. Elles constituent l’antichambre du tombeau avec des décors sobres qui rehaussent la pureté des lignes, et des portes ouvragées en fer peint. Leur intérieur est dénué d’autels, à la différence des chapelles catholiques. Là encore, les choses vont certainement évoluer.

L’esthétique du cimetière

71 L’esthétique du cimetière est riche et commence à peine à être examinée dans les cimetières protestants ; il convenait de déterminer les symboles utilisés, la beauté de divers éléments, des constructions. Certains mausolées attirent l’attention. Ainsi la statue de l’Immortalité, appartenant au tombeau d’André Amenlier, riche notable local, est la seule pièce classée monument historique du cimetière (20 décembre 1911). Le monument est réalisé, pour les plans, par Jean‑Jacques Feuchères, le statuaire James Pradier et le sculpteur Paul-Hubert Colin ; il sera livré en 1852 (fig.10). Cette sculpture en marbre blanc représente une allégorie de l’Immortalité, une jeune femme drapée regarde vers le ciel. La Bible est posée à ses pieds. Un autre exemple est le temple

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antique, mélange d’art grec et d’art byzantin, situé sur les terrasses, en face de l’allée nord‑sud du cimetière Bergeron, visible de tous ; c’est le tombeau de la famille Charles et Henri Tur (fig.11).

Fig. 10

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; monument Amenlier J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 11

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; monument Tur J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

72 On rencontre également quelques demi-chapelles (fig.12) ; elles couvrent partiellement les tombes sur l’arrière et contiennent souvent une plaque avec le nom des défunts et quelquefois une épitaphe.

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Fig. 12

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; demi-chapelle J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

73 Les tombes à tiroir sont rares, probablement édifiées à l’époque où la construction au‑dessus du niveau du sol était autorisée (fig.13). En fait, une grande variété de formes affecte ces monuments : pour celui de Jules Salles, sur une stèle entourée de deux colonnes, une femme en léger relief s’envole vers le ciel (fig.14) ; la dernière demeure de Boileau de Castelnau est une pyramide (fig.15). Les cippes sont des colonnes brisées comme symbole de mort précoce. Certaines, qui étaient visibles il y a dix ans, sont à nouveau enfermées dans la végétation.

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Fig. 13

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; monument des familles Gaston Goby Ausset J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 14

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; monument Salles J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 15

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; monument Boileau de Castelnau J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

74 Les stèles sont variées par leur forme et ce qui y figure. Certaines rappellent le métier des défunts - les épées croisées pour l’officier, la palette (fig.16) pour le peintre, un globe pour le professeur, une décoration - ou des défunts que l’on veut honorer. Quelquefois on croise un banc, posé à côté du caveau d’une mère aimée pour que le fils puisse aller lui chanter des airs d’opéra qu’elle appréciait.

Fig. 16

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument Salles J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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La représentation ornementale

75 Toutes les parties constituantes des monuments sont prétextes à ornementation. Les colonnes sont des structures de construction essentielle, elles symbolisent l’arbre de vie avec le plus souvent, une base et un chapiteau. La base marque l’enracinement, le fût se confond avec le tronc, et le chapiteau représente le feuillage. Ces colonnes sont la représentation des relations entre le ciel et la terre. Les chapiteaux reprennent, avec quelques libertés, les ordres bien connus, dorique (fig.17), ionique (fig.18) et corinthien (fig.19).

Fig. 17

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument Gide J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Fig. 18

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail de pilastre à chapiteau ionique J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 19

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument Brouzet-Perrier J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

76 Les frontons de chapelles sont richement ornés ; ils représentent souvent le temps qui passe (fig.20, avec le sablier ailé), et l’immanence de l’au-delà. Sur la chapelle du tombeau Ponge-Fabre, un Livre est posé sur des feuilles de palmes et du lierre et la croix (fig.21). Cette inscription d’espérance est gravée sur les pages : « Quand Christ qui est notre vie apparaitra, alors nous paraitrons en gloire avec lui ».

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Fig. 20

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument Roux J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Fig. 21

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument Ponge J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

77 Le travail du fer mérite en soi une étude dans ce cimetière ; l’ouvrage des fermetures de chapelles, selon qu’il est riveté ou soudé, permet de mieux dater les tombes. Une belle évolution stylistique est perceptible entre le monument Foulc, de 1838 (fig.22) et le monument Tur, avec ses fleurs de pavots (fig.23).

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Fig. 22

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; porte du monument Foulc J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 23

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; porte du monument Tur J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

78 La représentation ornementale de ces protestants, méfiants à l’égard de la représentation humaine du spirituel, utilise plutôt un langage symbolique, l’allégorie, la métaphore83. C’est par leur valeur symbolique que de nombreux animaux acquièrent le droit d’entrée dans le cimetière de Nîmes. Souvent liée à une volonté d’éternité, l’ornementation tente aussi, par le choix de certains animaux, de lutter contre les forces mystérieuses, le mal. Les êtres surnaturels, relais entre la terre et le ciel, sont des anges (fig.24, 25), des chérubins mais aussi des dragons (fig.26), des griffons, des sphinx.

Fig. 24, 25

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détails du monument Brouzet-Perrier J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 26

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

79 Des animaux associés à l’ombre, à l’obscurité, accompagnent volontiers les défunts : la chauve-souris (fig.27), gardienne des tombeaux, la chouette (fig.28) ou le serpent (fig. 29), lié à l’immortalité, l’infini. Mais l’on voit aussi la colombe portant un brin d’olivier, symbole de paix et réconciliation.

Fig. 27

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail de grille J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 28

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument Pelissier-Hugon J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Fig. 29

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument Lacoste J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

80 Les rondes bosses sont rares ; tout de même, dans le secteur au-delà de cadereau, sont discrètement placées une statue d’ange (fig.30) et une autre de femme, qui correspond parfaitement au type de la Vierge au calvaire (fig.31). Rien d’étonnant là d’avoir récupéré des sculptures catholiques puisqu’il n’y a pas de sculpture funéraire protestante.

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Fig. 30

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; statue d’ange J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 31

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; statue de femme J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

81 En revanche, beaucoup de figures apparaissent aux angles des monuments de ce cimetière ; par exemple, un monument quadrangulaire, orné aux angles par des pilastres cannelés et aujourd’hui frôlé par les arbres, est sommé d’acrotères à ses quatre coins. Mais, dans la courbure de ces acrotères, ont pris place des visages, fins et glabres en façade (fig.32), moustachus et barbus à l’arrière (fig.33). On peut aussi trouver dans ce cimetière au moins deux représentations de la foi héraldique, les mains jointes (fig.34), le signe d’un engagement fort qui se poursuit dans l’au‑delà.

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Fig. 32, 33

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détails d’acrotères J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Fig. 34

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument Fromental J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

82 L’ornementation reprend l’iconographie funéraire commune mais l’adapte : des urnes, des vases drapés (fig.35), des amphores, des sabliers ailés, des flambeaux renversés (fig. 37), des larmes, des rubans, des pots à feu (fig.36), des anneaux divers, liens avec Dieu ou d’engagement comme l’anneau nuptial.

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Fig. 35

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail avec vase drapé J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 36

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail avec pot à feu J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 37

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail avec torche renversée J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

83 La végétation prend naturellement place dans le décor de ce cimetière-jardin : on voit aussi apparaître des immortelles (fig.39), des couronnes de lauriers, d’oliviers, des pensées, des roses, des pavots, des acanthes, des amarantes, des palmes, des roses, la vigne, des marguerites, des lierres. Les arbres symbolisés le sont pour leur longévité ou marqueur d’éternité, olivier, chêne (fig.38), cyprès, if, palmier, même le peuplier.

Fig. 38

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument de la famille Nègre J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 39

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; détail du monument Mathieu Paul J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

84 Le cadre de verdure de ce cimetière n’a pas été laissé au hasard (fig.40). Les plantations d’origine, décidées dès 1822 jouant des couleurs, les familles des défunts ont souvent placé un cyprès aux quatre angles de la tombe, semblant perpétuer l’inhumation isolée.

85 Si les frondaisons des arbres se rejoignent pour former une voûte au-dessus des chemins qui sont en terre battue, tapissés d’aiguilles de pins, on ressent un sentiment de paix dans ces lieux entre les pierres claires des constructions et la nature aujourd’hui mieux contrôlés.

86 Les tombes anciennes sont dans un taillis et l’impression d’ensemble est d’un sous-bois, calme, de réconciliation entre la vie et la mort, ressenti par tous, mais dangereusement en péril car les pierres se fendent, la végétation recouvre de nombreuses sépultures abandonnées ou non entretenues (fig.41).

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Fig. 40

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; vue du rond-point du secteur Martin J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Fig. 41

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; vue d’ensemble dans le secteur Peladan J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Les épitaphes

87 Les épitaphes examinées pour la première fois, dans un cimetière protestant collectif n’ont pas été simples à relever. Il a fallu gratter les pierres, pour arriver à retrouver les textes. Le résultat méritait indéniablement de s’y attarder.

88 Les noms des défunts sont le plus souvent indiqués alors que ce n’est nullement une obligation légale de les mentionner sur les monuments. C’est donc un usage courant. Et cet usage est aussi bien catholique que protestant. Les noms de jeune fille des épouses suivent le nom marital ce qui est le contraire de l’habitude du Nord de la France.

89 En revanche, une différence notable apparaît, si l’on cerne le mot épitaphe dans le sens étroit de la phrase personnelle, excluant le nom, les dates de naissance et de décès. Il n’y a guère d’ouvrages sur ce thème et certainement la raison tient au fait qu’elles sont très peu courantes dans les cimetières communaux, anciens cimetières catholiques où les tombes protestantes ne se singularisent pas dans ces lieux. Ces épitaphes paraissent donc vraisemblablement liées à l’inhumation collective des protestants.

90 Elles sont souvent absentes des petits cimetières privés. Les témoignages des qualités du défunt sont exceptionnels ou de l’activité sociale. On relève davantage d’expressions de prière, d’espoir ou de regret. Elles ne sont pas liées à l’importance de la sépulture.

91 Ces épitaphes apparaissent pour le plus grand nombre vers 1858, quand on peut les dater, ce qui correspond bien à l’évolution des constructions des chapelles des monuments funéraires. 38 % des 143 épitaphes étudiées sont composées de cinq épitaphes bibliques et d’une non biblique : Aimez-vous les uns, les autres, Jn 15, 12 ; Que ta volonté soit faite, Mt 6, 10 ; Je suis la résurrection et la vie, Jn 11, 25 ; Le soir venu, Jésus dit passons sur l’autre rive, Mc 4, 35. L’épitaphe non biblique est empreinte d’une foi évidente : Ils ne sont pas perdus mais ils nous ont devancés, ainsi ne crains pas, mais Crois seulement. Il transparaît une connaissance de la bible typique de la culture réformée des défunts enterrés dans ce cimetière.

Qui sont les défunts ?

92 L’origine des défunts est essentiellement locale. En cela, le cimetière est le reflet d’une composante sociologique majeure du protestantisme, certainement plus qu’en étant la dernière demeure d’une personnalité exceptionnelle. Il ne paraît pas figurer de ténor politique tel qu’un Jaurès, Gambetta, Poincaré, ou de sommité connue du grand public des arts ou des lettres. La famille de Gaston Deferre est enterrée dans ce cimetière.

93 Il paraît être le lieu d’enterrement de la Haute Société Protestante, H. S. P., milieu bourgeois de la banque et du négoce, et c’est comme un cocon de soie, en tirant un fil, tout le protestantisme nîmois se dévide.

94 Pour tenter de cerner les personnalités enterrées, il a fallu déterminer un critère à cette notion qui revêt souvent un sens personnel pour chacun. Aussi le choix s’est porté sur les personnalités reconnues par la ville de Nîmes, ayant donné un nom de rue à cette localité. Tout en se réservant d’ajouter les individus qui, n’ayant pas vécu à Nîmes, paraissent avoir tenu une place particulière au niveau régional ou national.

95 Tout d’abord, un constat évident à soulever, quasiment aucune femme n’a été élevée à la dignité posthume de donner son nom à une rue. Deux femmes ont une notoriété

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locale, une romancière Élisabeth Barbier, et une manadière, Fanfonne Guillerme. Maintenue dans la sphère privée, les femmes étaient ignorées du public. • Antoine Allut : député. Il n’est pas possible de certifier que cet Antoine Allut est bien celui enterré dans la tombe mentionnée (fig.42). • Charles Babut : pasteur de l’E. R. F. de Nîmes. Il a consacré sa vie à l’apostolat dans les milieux populaires. Dans divers ouvrages il étudie les causes de la régression du protestantisme national. • Élisabeth Barbier : romancière, elle est née à Nîmes et a vécu à Avignon. Elle a participé à la création du Festival d’Avignon avec Jean Vilar. Elle est l’auteur des œuvres intitulés Les Gens de Mogador ou Mon père ce Héros. • Antoine Bigot : il fut avec Jean Reboul le plus populaire des poètes nîmois. Il parlait et écrivait en langue du terroir. • Barthélemy Bianquis de Ginoux : né à Saint Jean de Luserne, en vallée vaudoise, il s’engage dans les armées de Napoléon en 1806, et, participe à la campagne de Russie où il sera fait prisonnier. En 1818, il épouse Jenny de Ginoux avec qui il fonde une librairie de culture protestante à Nîmes. C’est un cousin de Guizot. Il est l’auteur d’un Journal de Route qui serait inscrit sur le Répertoire mondial des souvenirs de Napoléon, par l’Association pour la conservation des monuments napoléoniens. • Simon Boileau de Castelnau : entré dans les chevau-légers de la Garde du Roi en 1782, il est nommé Maire de la Ville en 1811, et membre du Consistoire. Il sera baron d’Empire. • Auguste Bosc (1828-1879) : un sculpteur à qui l’on doit des statues importantes à Nîmes (fig. 43). • Armand Coussens : peintre de notoriété régionale. • Crespon (1797-1857) : ornithologue, fondateur du Musée d’Histoire naturelle de Nîmes et du Musée populaire de zoologie. • Henri Donnedieu de Vabres : né à Nîmes d’une vieille famille protestante, agrégé des Facultés de Droit, il enseignera le droit criminel et la législation pénale comparée à Aix, Montpellier, puis Paris. Il collabore à la révision du code d’instruction criminelle. En 1944, il est nommé Juge au Tribunal International de Nuremberg, puis il devient expert auprès de l’O.N.U. Il a été le meilleur spécialiste français de droit pénal international, un juriste d’exception. • Alexandre Ducros : poète, il fut bibliothécaire municipal et membre de l’Académie de Nîmes. • Henri Esperandieu (1828-1874) : architecte qui a conçu le Palais Longchamp, la cathédrale et la basilique Notre Dame de la Garde dans la ville de Marseille. • Jacques Favre de Thierrens (1895–1973) : aviateur et peintre. Il est devenu membre de l’Académie de Nîmes. • François Honoré Fornier de Clausonne : Maire de Nîmes de 1800 à 1811, Président de Chambre à la Cour Royale en 1814, membre du Consistoire. • Charles Gide (1847–193) : économiste, Professeur de Droit à la Faculté de Montpellier, il écrit de célèbres ouvrages d’économie politique. Il est un fervent défenseur du coopératisme et ce mouvement sera à l’origine de l’École de Nîmes. • Ferdinand Girard (1796-1881) : Maire de Nîmes pendant un peu moins de 20 ans, membre du Consistoire, il a participé à l’embellissement de la ville en créant l’esplanade, l’Église Saint Paul, l’avenue Feuchères. • Fanfonne Guillerme (1895–1989) : manadière demeurant à Aimargues. • Jauréguiberry (1849–1919) : fils du Vice-amiral Jean-Bernard Jauréguiberry qui s’illustra comme gouverneur du Sénégal, puis comme ministre de la Marine de 1878 à 1883, Alfred Jauréguiberry était par sa mère, le petit-fils du pasteur de Nîmes Jean Jacques Gardes,

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l’arrière-petit-fils du pasteur de Nîmes Jean Jacques Olivier Desmons et le neveu du Pasteur Horace Monod. Il fut inspecteur général et vice-président du Conseil Supérieur de la Marine française jusqu’en avril 1914. Il épousa Marguerite Claris, fille du sénateur du Gard Edmond Claris, qui repose à ses côtés dans la tombe Lagorce de ses ancêtres maternels. • François Félix de Lafarelle (1800-1872) : avocat, puis magistrat. Il sera Député du Gard, et Conseiller Général d’Anduze. Il est aussi écrivain, membre correspondant de l’Institut de France et du Consistoire. • Louis Rossel (1844-1871) : partisan de la Commune, il fut fusillé en 1871. • Jules Salles (1814-1900) : négociant en soieries, il devient un peintre de genre connu et généreux. Il a conçu et offert à la ville de Nîmes, une Galerie des Arts. • Samuel Vincent (1787-1837) : pasteur, sa tombe est la propriété du Consistoire depuis 1837. À la suite des inondations de 1988, elle a été regroupée avec celles de sa femme, Suzanne Peyron, de son père Adrien Vincent, et de son arrière-petit-fils, Houel.

Fig. 42

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; monument Allut J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

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Fig. 43

Nîmes (Gard), cimetière protestant ; tombeau d’Auguste Bosc J. Pagnon © Inventaire général Occitanie

Conclusion

96 L’ensemble de ce cimetière était en voie de disparition rapide. La totalité des surfaces disponibles ayant été concédée, le paysage est menacé à terme du délabrement de tombeaux abandonnés, des débordements des plantations et jusqu’à très récemment la destruction pure et simple des tombes abandonnées, malgré la procédure légale de reprise, pour proposer à la place des tombes standardisées, non pas en pierres calcaires des environs mais en granit. Alors que des reprises des tombeaux eux‑mêmes sont possibles et doivent être encouragées.

97 Des mesures de protection s’imposent de manière durable, dans le cadre de la loi du 31 décembre 1913, car l’intérêt est public, historique et artistique. Et selon les critères de la loi du 2 mai 1930 sur les sites, un intérêt historique, légendaire ou pittoresque, est suffisant pour en rendre la conservation souhaitable, avec l’inscription sur l’inventaire supplémentaire à la liste des monuments historiques.

98 Ce souci de conservation est appuyé par une circulaire du 31 mai 2000 du Ministre de la Culture et de la Communication qui a justement pour objet la protection des tombes et cimetières au titre des monuments historiques et la gestion des tombes et cimetières protégés. Le 28 juin 2001 suite à une audition de l’auteure de ces lignes par la Direction Régionale des Affaires Culturelles, la procédure d’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques est intervenue, finalisée par un arrêté du 27 décembre 2001 qui porte sur le cimetière avec les murs de clôture, les bâtiments d’entrée, le pont sur le cadereau et la sacristie du désert. Cette commission s’est même déclarée en

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faveur d’un classement de deux parties situées au nord de l’allée principale partant du portail d’entrée y compris cette allée ; le souhait est resté sans suite, la question de la gestion de ce genre de patrimoine restant complexe.

99 Le Conseil presbytéral de l’Église Unie de Nîmes est en charge de la protection de ce patrimoine collectif protestant le plus ancien de France depuis la Révocation, sa tête de série thématique. Il a la responsabilité de maintenir en l’état ce lieu de mémoire unique en France.

NOTES

1. NÈGRE, Anne. Le cimetière protestant de Nîmes. 1778-1910. Thèse de doctorat de droit sous la direction de Monsieur le Professeur Christian Chêne. Faculté de Droit, Université de Poitiers, 13 juillet 2000. 2. AUGE, Paul. Ouvrage collectif. Larousse du XXe siècle, 6 vol. , Paris, 1928, V° Sépulture. 3. PLATON. Sophiste, Politique, Philèbe, Timée, Critias, Paris, 1969, p. 15. 4. ROBINSON, Théodore-Henry. Introduction à l’histoire des religions, Paris, 1929, p. 115. 5. AUGE, Paul. Op. cit. 6. CHAUNU, Pierre. La mort à Paris, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, Paris, 1978. 7. LE ROY LADURIE, Emmanuel. Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, 1976. LE ROY LADURIE, Emmanuel. Les paysans de Languedoc, Rennes, 1969. 8. ARIÈS, Philippe. Essai sur l'histoire de la mort en occident du Moyen Age à nos jours, Paris, 1974, p. 20. 9. BOULENGER, Jacques. Les Romans de la Table Ronde, Merlin l’enchanteur, Lancelot du Lac, Le Saint Graal, La mort d’Artus. Paris, 1941, p. 443. 10. DUBY, Georges. Le Moyen Age, 987-1460. Paris, 1987, p. 424. 11 - 11. LE ROY LADURIE, Emmanuel. Op. cit., p. 594. 12. BOULENGER, Jacques. Op. cit. p. 347 13. ARIÈS, Philippe. Op. cit. p. 21. 14. Les Églises romanes de Beaulieu, Conques, Autun. 15. CHAUNU, Pierre. Le temps des Réformes, t. II, La Réforme Protestante, Bruxelles, 1984, p. 430. 16. RAPP, Francis. L'Église et la vie religieuse en occident à la fin du Moyen Age, Vendôme, 1971, p. 142. 17. RAPP, Francis. Op. cit., p. 142. 18. BOURDIEU, Pierre. Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève, 1972. 19. LE ROY LADURIE, Emmanuel. Op. cit. p. 594, p. 60-63. 20. Ce sont bien les autorités civiles qui prévoient que le cadavre du suicidé fera l’objet d’un jugement, selon des coutumes urbaines du Moyen Age jusqu’à l’ordonnance enregistrée par le Parlement de Paris le 26 août 1670 établissant quelques règles de procédures pénales. 21. En grec ce mot hérésie signifie choix, choix personnel. 22. CHASTEL, Étienne. Histoire du christianisme, Paris, 1881, t. IV, p. 101. 23. FEBVRE, Lucien ; MARTIN, Henri-Jean. L'apparition du livre, Paris, 1958, p. 377. La Bible se diffuse dès la fin du XVe siècle grâce à la copie. L''imprimerie multiplie sa diffusion par dix vers 1520. 24. CHAUNU, Pierre. Op. cit. p. 320.

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25. CHASTEL, André. Arts et Humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique. Paris, 1961, p. 96. 26. BAUMGARTNER, Antoine-Jean. Calvin prédicateur, Genève, 1887, p. 4. 27. MERLE d’AUBIGNE, Jean-Henri. Histoire de la Réformation du seizième siècle, Genève, 1835, t. I, p. 486- 28. DELUMEAU, Jean. Le catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, 1971, p. 38. Le 27 juin 1519 commence la dispute de Leipzig. 29. Le rejet du pouvoir des clefs est basé sur l’Évangile de Matthieu, XVI, 18-19. 30. LUTHER, Martin. Thèse 13, des 95 Thèses, Wittenberg, 31 octobre 1517 : La mort délie de tout ; les mourants sont déjà morts aux lois canoniques, et celles-ci ne les atteignent plus. 31. CHAUNU, Pierre. Op. cit., p. 458. Une autre rupture est engendrée, celle liée à la mendicité. 32. LE ROY LADURIE, Emmanuel. Op. cit., p. 21. Les ordres mendiants seront des agents de la reconquête de l’orthodoxie. 33. RILLIET, Jean. Zwingli, le troisième homme de la Réforme, Paris, 1959, p. 107 Les clés, dans la pensée du Christ sont destinées à ouvrir les âmes. Il ne les remet pas à Pierre, seul. 34. DELUMEAU, Jean. Op. cit. p. 33. Les deux Réformes qui se crurent et se voulurent ennemies, tirèrent leur substance d'un passé commun. 35. LE ROY LADURIE, Emmanuel. Op. cit., p. 563. 36. CHAUNU, Pierre. Op. cit., p. 295. 37. MAROT, Clément ; DE BÈZE, Théodore. Les psaumes en vers français avec leurs mélodies, fac-similé de l’édition genevoise de 1562, Genève, 1986, p. 213-214. 38. RAPP, Francis. Op. cit. 39. FOIGNET, Gabriel. Histoire du droit français, Paris, 1908, p. 224. 40. Grâce à la régale, le Roi de France avait un double droit pendant la vacance d’un évêché. D’une part, il pouvait recueillir les revenus du bénéfice, la régale temporelle, d’autre part, il conférait les bénéfices vacants dépendant de l’évêché, la régale spirituelle. 41. LABROUSSE, Élisabeth. Une Foi, une Loi, un Roi ? La Révocation de l’Édit de Nantes, Paris, 1985, p. 102. 42. LÜTHY, Herbert. Le Passé présent. Paris, 1965, p. 105-106. 43. LECLER, Joseph. Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, Paris, 1994, p. 301. 44. Les Édits successifs de tolérance évoquent toujours péjorativement ceux de la nouvelle religion (1562), ceux de la religion qu’ils disent réformée (1563), et la religion prétendue réformée (1568), expression abrégée en R. P. R. En 1576, l’édit de Beaulieu rend cette dernière appellation obligatoire. 45. HAUSER, Henri. La prépondérance espagnole : 1559-1660, Paris, 1933, p. 45. 46. ISAMBERT ; JOURDAN ; DECRUSY ; TAILLANDIER. Recueil général des anciennes lois françaises, Paris, 1821-1833, t. XIV, p. 283. L'Édit de pacification de mai 1576 tente de faire cesser les troubles du royaume et à son article 6 octroie un cimetière aux parisiens, et prévoit dans les autres villes et lieux une place la plus commode que faire se pourra pour procéder aux inhumations. 47. DELUMEAU, Jean. WANEGFFELEN, Thierry. Naissance et affirmation de la Réforme, Paris, 1997, p. 196 : depuis la conjuration d’Amboise, l’appellation des huguenots commença et ôta le nom de luthériens. 48. FONTANON, Antoine. Les Édicts et ordonnances des rois de France, Paris, 1611, t. IV, p. 460. Le traité de Bergerac de 1577, en son article 20, dispose : Ordonnons pour l'enterrement des morts de ceux de ladite religion, pour toutes les villes et lieux de ce royaume, qu'il leur sera pourvu promptement par nos officiers et magistrats, en chacun lieu, d'une place la plus commode que faire se pourra. Ce que nous enjoignons à nosdits officiers de faire et tenir la main qu'aux dits enterrements, il ne se commette aucun scandale. NÉRON, Pierre ; GIRARD, Estienne. Les édictes et ordonnances des très chrestiens roys François Ier, Henry III, Paris, 1627, p. 892 et 909. CHRISTIN. Olivier. La Paix de religion. L’autonomisation de la raison politique au XVIe, Paris, 1997, p. 302-304. HIGMAN, Francis. La diffusion de la réforme en France 1520-1562, Genève, 1992.

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49. LE BRAS, Gabriel. La police religieuse dans l'Ancienne France, Paris, 1940-1941, p. 77. 50. CLAVEL, Pierre. Nîmes de la Réforme au XVIIIe siècle à travers une histoire familiale, Nîmes, 1987, p. 72. Les troupes du Duc de Guise massacrent à Wassy une Assemblée Réformée ; ce sera la première guerre de religion. La seconde sera sanglante, à Nîmes, avec l’épisode de la Michelade, car elle se passait au temps de la Saint Michel. Ces guerres dureront près de quarante ans. 51. JOXE, Pierre. L’édit de Nantes, La Flèche, 1998, p. 99. Traditionnellement les historiens identifient huit guerres de religion entre mars 1562 et avril 1598. 52. GARISSON, Janine. L'homme protestant, Bruxelles, 1986, p. 19-21. La populace voulant purifier la France de la vermine hérétique, a fait flamber au fond des rues des Écoles et Saint Jacques des monceaux de livres, et le libraire - s avec. 53. BENOÎT, Élie. Histoire de l’édit de Nantes, Delft, 1693-1695, t. 1, p. 224 et 321. 54. MOUSNIER, Roland. L'assassinat d'Henri IV, Paris, 1964, p. 127. 55. GUYOT, Joseph-Nicolas. Répertoire Universel et Raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique, et bénéficiale, Paris, 1782, t. 53, V° Religionnaires, p. 267. Les religionnaires, selon le mot couramment utilisé du XVIe au XVIIIe siècle ce sont ceux qui dans le royaume, suivent une doctrine différente de celle de l'Église romaine. Ils se reconnaissent eux-mêmes simplement réformés, mais plusieurs règlements et des arrêts du conseil privé du roi, des 14 juillet 1633, 25 janvier 1661 et un arrêt de la chambre de l'Édit de Rouen du 20 juillet 1645, leur ont fait défense et leurs ministres et consistoires d'user des termes d'Église recueillie ou réformée (…) et de lui donner une autre qualité que celle de prétendue réformée. 56. MOUSNIER, Roland. Les XVIe et XVIIe siècles, la grande mutation de l'humanité, l'avènement de la société moderne, l'expansion de l'Europe, Paris, 1967. 57. Dix-sept Édits le suivent de 1685 à 1686. De 1685 à 1686, pas moins de dix-sept Édits traitent du cas des protestants. Un Édit du 29 décembre 1698 enregistré le 7 janvier 1699 porte permission aux français sortis du royaume pour cause de religion, qui y reviendraient, de rentrer dans leurs biens, en satisfaisant aux conditions qu'il contient. Des interprétations ont été nécessaires devant les décisions de justice divergentes. Les textes du 27 octobre 1725 enregistrés le 14 février 1726 tentent d'y remédier. 58. LAVISSE, Ernest. Histoire de France, Louis XIV, t. VII, p. 66-68 : Défense est faite par déclaration de février 1680 qu'aucune personne de quelque sexe que ce soit faisant profession de R.P.R ne puisse dorénavant se mêler d'accoucher dans le Royaume. 59. Bibliothèque Inguimbertine, Carpentras. Manuscrit apocryphe sur La législation anti protestante de 1661 à 1685, Répertoire contenant les règlements faits pour et contre ceux de la religion prétendument réformée, Manuscrit 245. Dans ce manuscrit rédigé à la plume d’un auteur inconnu, certainement un fin juriste protestant, la législation protestante de ces années est rappelée avec des rubriques classées par ordre alphabétique. Il est cité un arrêt du 28 novembre 1664, suite à la destruction du petit Temple de la ville de Nîmes il fut ordonné que ceux de la religion reprendront leurs matériaux. Ce Temple a effectivement été détruit. Ou encore : En 1662, par arrêt en date du 16 janvier 1662, les cimetières de ceux de la religion ne doivent pas être proches des Églises ; il est ordonné que la distance soit de 300 pas (…). En 1662, par arrêts des 7 août et 13 novembre, il est ordonné que lesdits enterrements se feraient le matin à la pointe du jour ou le soir à l'entrée de la nuit (…). En 1663, par arrêt du 19 mars, il est ordonné qu'aux enterrements ne pourront assister que 30 personnes seulement, les parents du défunt compris, savoir pour les lieux où l'exercice est permis et 10 personnes pour les autres (…). En 1663, par arrêt du 5 octobre, les cimetières occupés par ceux de la religion qui tiennent aux Églises doivent être rendus aux catholiques (…). En 1664, par arrêt du parlement de Rome du 22 février, il est défendu à ceux de la religion de faire porter les coins des draps mortuaires (…). En 1666 par déclaration du 2 avril, lesdits cimetières doivent être rendus sans espoir d'indemnité (…).En 1666, aux lieux où il n'y a qu'un cimetière qui est commun entre les catholiques et ceux de la religion, bien qu'il ne soit pas attenant à une Église, néanmoins ceux de la religion sont obligés de le quitter, ils peuvent porter leurs morts aux cimetières qu'ils ont dans la paroisse voisine. Il est défendu à ceux de la religion de

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faire des consolations ou exhortations dans les rues à l'occasion des enterrements. En 1669, par arrêt du 1er février, pour les enterrements des morts de ceux de la religion à la campagne, les convois doivent partir depuis le mois d'avril jusqu’à la fin de septembre à 6 heures précises du matin et à 6 heures du soir et depuis le mois d'octobre jusqu'à la fin de mars à 8 heures du matin et à 4 heures du soir. Il est enjoint aux officiers des lieux de tenir de la main à ce qu'aux enterrements de ceux de la religion, il ne se commette aucun scandale. Pour s’en tenir au droit canonique, l’âge de la puberté est légalement fixé depuis la seconde moitié du XIIe siècle à quatorze ans pour les garçons et douze ans pour les filles. Mais cela signifie aussi que les jeunes gens ne sont plus protégés en cas d'exercice illégal de la religion réformée. 60. CARBONNIER–BURKARD, Marianne ; CABANEL, Patrick. Une histoire des protestants de France, Paris, 1998, p. 77. 61. DENISART, Jean-Baptiste. Collections des décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, 7e édition, 9 vol, 1771 p. 180. 62. DRIANCOURT GIROD, Janine. Ainsi priaient les luthériens, la vie religieuse, la pratique, la foi des luthériens de Paris au XVIII e siècle. Paris 1992. 63. DENISART, Jean-Baptiste. Op cit. p. 515. 64. LIGOU, Daniel. Le protestantisme en France de 1598 à 1715, Paris, 1968. 65. DOUMERGUE, Albert. Nos garrigues et les Assemblées au Désert. Églises de Nîmes sous la croix, 1685-1792, Gap, 1993, p. 11. À Nîmes, la garrigue est devenue le refuge de l’Église sous la croix. 66. ORCIBAL, Jean. Louis XIV et les Protestants, Paris, 1951. 67. TOURNIER, Gaston. Les galères de France et les galériens protestants des XVIIe et XVIIIe siècles, Cahors, 1943, 2 vol. , p. 13, 59-64, et 213. Le 27 février 1720, le duc de Roquemaure prononce 20 condamnations pour le seul crime d'avoir participé à une Assemblée du désert aux portes de Nîmes. Gaston Tournier nous apprend que ce chiffre baisse jusqu'à une reprise en 1745. Il considère que le chiffre des condamnations est lié à la tenue des Assemblées clandestines. Plus les Assemblées sont nombreuses, plus les condamnations aux galères se multiplient. En 1774, il reste encore deux forçats, condamnés aux galères et qui sont oubliés. Ils deviennent des bagnards (p. 213). Le corps des galères de Marseille est transféré au corps des galères de la marine en 1748. À partir de 1778, les galères disparaissent des rôles de la Marine, bien qu'il y en eut encore neuf. C'est donc vers 1748 que l'Arsenal de Marseille construit des dortoirs, et devient le bagne avec deux milles forçats (p.13). 68. ARIÈS, Philippe. L’Enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Paris, 1973, p. 2. L’obligation des curés d’inscrire les naissances sur les registres paroissiaux remonte au règne de François Ier. 69. CARBONNIER, Jean. « L'amour sans loi ». Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français. 1979, p. 57. 70. VILLIEN, Antoine ; MAGNIN, Étienne ; NAZ, Raoul. Dictionnaire de droit canonique, 7 vol. B. 1 1289-3. 71. HAROUEL, Jean-Louis. L'embellissement des villes, l'urbanisme en France au XVIIIe siècle, Paris, 1993, p. 7. 72. GUYOT, Joseph-Nicolas. Répertoire Universel et Raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique, et bénéficiale, Paris, 1782, T. 53, V° Religionnaires, p. 269. JOXE, Pierre. Op. cit., p. 204. 73. TOURNIER, Gaston. Op. cit., p. 59. En 1731, un prêtre du diocèse de Saintes est condamné aux galères pour s'être montré tolérant envers les protestants. 74. LEFÈBVRE TEILLARD, Anne. « Les problèmes juridiques de l'Édit de tolérance », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, avril-mai-juin 1988, t. 134, p. 259. 75. AD Gard, série J, série M, série V, série B 91, série F. 76. Édit, enregistré en Parlement le 29 janvier 1788. Actes des journées d'études sur l'Édit de 1787, Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français, avril, mai, juin 1988. 77. LODS, A. La législation des cultes protestants 1787-1887, Paris, 1787, p. XI. Le 15 décembre 1778 à l'Assemblée des Chambres réunies, de Bretignières réclame pour les protestants Ce qu'on accorde

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aux juifs dans toute l'étendue du royaume, ce que les Princes protestants ne refusèrent jamais aux catholiques, ni les empereurs païens, eux-mêmes, aux Chrétiens qu'ils persécutaient, le moyen légal d'assurer l'état de leurs enfants… On compte depuis 1740 plus de 400 0000 mariages contractés au Désert. 78. Édit du Roi, enregistré en Parlement le 29 janvier 1788. Article 18, cf. Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme Français, 134, 1988, p. 180. 79. Recueil Dalloz 1912.3.130. 80. Ibid. p. 465. La note de la p. 465 rappelle en outre : Un état des décrets d’attribution des biens ecclésiastiques signés du ministre, état daté du 9 août 1911 (…) fait mention de 24 191 décrets. Le ministre des Finances avait donné à la Chambre (…) les statistiques suivantes : 34 903 fabriques, 2056 menses curiales possédant des biens, 541 archevêchés, chapitres, séminaires. À côté de ces chiffres, les 105 communautés israélites, et les 692 conseils presbytéraux faisaient piètres figures. 81. AD 30. 42 J 73 (gros dossier de devis, plan, projet d’élévations des bâtiments de l’entrée) ; 42 J 46 (registre de délibérations). 82. Article 2, décret 23 prairial an XII, loi du 12 juin 1804. 83. CADIER REY, Gabrielle. « Les vanités, une peinture protestante, Le patrimoine protestant », Bulletin du Centre Protestant d'Études et de Documentation, juillet août 1996, n° 57, p. 195.

RÉSUMÉS

Le cimetière protestant de Nîmes est le plus ancien patrimoine immobilier collectif réalisé par les protestants depuis la révocation de l’Édit de Nantes, la tête de série thématique. Les membres de l’église protestante de Nîmes fondée en 1553 ont toujours veillé à trouver des lieux d’inhumations pour leurs coreligionnaires malgré les interdictions successives. Créé en 1778, il met en place une organisation particulière, des plantations variées, une créativité iconographique unique inventant un lieu d’exception.

The protestant cemetery of Nîmes is the oldest collective real estate property realized by the Protestants since the Revocation of the Edict of Nantes. The members of the protestant Church of Nîmes established in 1553 always took care to find places of burials for their coreligionists in spite of the successive bans. Created in 1778, it sets up a particular organization, varied plantations, unique iconographic creativity inventing a place of exception.

INDEX

Index géographique : Gard, Nîmes Keywords : protestantism, cemetery, history, sculpture, funeral art, 19th century Mots-clés : protestantisme, cimetière, histoire, sculpture, art funéraire, XIXe siècle

AUTEUR

ANNE NÈGRE Docteure en droit Avocate au Barreau de Versailles

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Un patrimoine protestant méconnu : les cimetières familiaux Unknown Protestant heritage: family cemeteries

Patrick Cabanel

1 S’il est un patrimoine familier aux protestants – si familier et familial qu’ils ne sauraient le percevoir comme patrimoine – et totalement étranger au reste de la population, ce sont bien ces minuscules cimetières familiaux qui parsèment, encore aujourd’hui, les régions rurales marquées par le protestantisme, du Poitou au Dauphiné. Avant d’en étudier les origines et la disposition, je voudrais rapporter quelques éléments, très disparates, d’appréciation de cette étrange spécificité huguenote. Un souvenir personnel, tout d’abord : lors d’enquêtes orales menées en 1982 dans l’Aubrac lozérien, cette terre puissamment catholique où le cimetière, comme il se doit, entoure l’église paroissiale1, des dames par ailleurs très sympathiques, apprenant que j’étais un protestant des Cévennes, ont commenté avec une sorte d’épouvante stupéfaite ce qu’elles avaient entendu dire sur cette région : il paraît que, là- bas, les gens sont enterrés partout !2 Un sentiment que l’écrivain Jean Carrière avait fait sien, dans son chef d’œuvre funèbre sur les Cévennes, L’Épervier de Maheux, en imaginant un pays pétri d’ossements : Pour couronner le tout, reste le petit cimetière à usage familial ; il en existe qui sont dignes d’un décor d’épouvante, avec leurs louches renflements de terre boursouflée, leurs stèles contrariées par des mouvements souterrains, comme ces cimetières d’Écosse ou d’Europe centrale, lieux de prédilection des vampires et des lycanthropes. Généralement, il aligne ses tombes à proximité de la maison (on les aperçoit des fenêtres, on est obligé d’y passer matin et soir), soit pour soutenir le moral des vivants dans les épreuves quotidiennes en leur rappelant que tous ces emmerdements finiront un jour ou l’autre, soit pour faciliter les choses, et rendre le trajet moins long quand viendra l’heure ; à moins que ce soit tout simplement parce que les gens qui l’ont installé là n’avaient pas d’imagination. Les orties, qui raffolent des endroits humides, s’y multiplient avec une rare exubérance. De l’os partout, un soleil africain, des ombres qui ont la fraîche amertume de l’Armorique : voilà le Haut‑Pays3.

2 Pourtant, il n’est pas de lieu plus apaisant, pour recevoir les morts, que ces cimetières de proximité, proprement familiaux, aux antipodes des villes mortuaires que sont les

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cimetières urbains, et dont un trait majeur est peut-être qu’ils ne contiennent rien de la sémiotique habituelle de la mort, allées, caveaux, crucifix, granite ou ciment également glacials, débauches de plaques et de fleurs en plastique, présence de promeneurs étrangers. La plupart, qu’ils soient soigneusement enclos de murs et soulignés d’arbres, ou ne contiennent que deux ou trois bandes de terre à peine marquées d’une pierre à leur tête, respirent la sérénité. À quelque trente kilomètres des cimetières inquiétants de Jean Carrière, Madeleine Gouth (1883‑1958), fille de pasteur, écrivaine religieuse sous le nom de Sabine Malplach, a peint dans les années 1930 ou 1940 une aquarelle représentant le cimetière de la famille du pasteur Léo Farelle (1821‑1881), dans un pré en contrebas de la vaste demeure familiale et de la route : la reproduction ci‑jointe exprime bien cette sérénité presque méditerranéenne (y compris les cyprès, sur lesquels je reviendrai), au sein même de l’austérité des Cévennes schisteuses4 (fig.1).

Fig. 1

Saint-Germain-de-Calberte (Lozère), cimetière des Farelle ; aquarelle de Madeleine Gouth, sans date (années 1930-1940) © Brigitte Maurin-Farelle

3 Et s’il faut se référer à d’autres sources littéraires sur ces cimetières, ce seront les romanciers Pierre Loti (île d’Oléron) et Jean-Pierre Chabrol (Cévennes), tous deux d’origine protestante. Le premier a évoqué non sans tendresse, dans Roman d’un enfant (1890), la « panoplie » d’une famille huguenote : le psautier miniature, afin d’être aisément dissimulé ; les lettres envoyées par les membres de la famille émigrés en Hollande au moment de la Révocation ; les souvenirs d’une grand‑mère bien aimée, qui avait été inquiétée pour sa foi sous la Restauration (en 1815). Et le cimetière : De plus, dans l’« île », à l’ombre d’un petit bois enclos de murs attenant à notre ancienne habitation familiale, on m’avait montré la place où dormaient plusieurs de mes ancêtres,

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exclus des cimetières pour avoir voulu mourir dans la religion protestante. Comment ne pas être fidèle, après tout ce passé ?5

4 Jean-Pierre Chabrol a intitulé l’une des nouvelles de son recueil Contes d’outre temps, en 1969, « Le tombeau vidé ». C’est l’histoire du vieux Louis : il a travaillé toute sa vie, élevé des enfants qui ont réussi comme fonctionnaires à la ville, et a tenu à bâtir sur sa terre, pour son épouse et lui, un tombeau qui ressemblait à une maison d’enfant, aux murs blancs, avec un toit en tuiles romaines. Il y est enseveli en 1945, sa veuve peu après ; mais en 1968, Chabrol repasse par‑là : Le tombeau est vide. Vidé. La dalle, descellée, a été jetée sur le côté. Devant le trou béant, on a fait un feu. Parmi les cendres, j’identifie quelques clous, une poignée de cercueil6. Que s’est- il passé ?

5 La propriété a été divisée ; un petit-fils, devenu un homme aisé, a hérité du champ avec le caveau et l’a aussitôt mis en vente, mais l’opération a traîné, les acheteurs éventuels hésitaient à cause des deux morts. Le petit‑fils, haussant les épaules, estimant qu’il faut aller de l’avant, a fait exhumer et transporter les restes au cimetière du village. L’écrivain, lui, s’assurant que personne ne le voyait, s’est glissé dans le caveau vide, s’y est allongé « dans la position exacte ». Trois ans plus tard, il revient sur l’épisode dans Le Crève-Cévennes, un livre qui a accompagné et nourri, au même moment que L’Épervier de Maheux, le sentiment qu’un paysage, un monde, une culture étaient frappés à mort – et que jusqu’aux morts mouraient une seconde fois. Pauvres ossements huguenots – s’ils sont là, c’est qu’on leur refusait jadis la sépulture chrétienne des cimetières. On pourrait croire qu’enfin là, chez eux, on va leur foutre la paix éternelle. Ah mais non ! Des siècles après leur mort, on les expulse encore7.

6 Ces gens qui vident leurs ancêtres ne sont pas antipathiques, ils se veulent juste « dans le vent ». Et ils bradent leurs terres grasses de morts pour se payer cette nouvelle bagnole dont la photo en couleurs s’étale sur deux pages dans Match, présentée par un minet couvert de minettes. Même si certains montrent les tombes à l’acheteur, en demandant simplement de laisser les morts en paix.

7 L’écrivain déclare ici que le vieux Louis du conte est son propre grand‑père, et que ce « tombeau des Chabrol » l’attend – il y repose effectivement, depuis 2001.

Petite histoire des cimetières dans le protestantisme français

8 Il n’entre aucune raison théologique dans ce phénomène très étonnant pour un étranger, qui fait que chaque maison était doublée d’un micro cimetière. L’explication est strictement historique et française et ne se retrouve pas dans d’autres régions rurales calvinistes, comme en Suisse, où le protestantisme a triomphé : de même que les huguenots français, vaincus, ont dû rendre au plus tard en 1598 (édit de Nantes)8 les églises catholiques dont ils avaient pu s’emparer pour en faire des temples et ont dû dès lors inventer un nouveau style de bâtiment du culte, alors qu’à berne ou Genève (Saint‑Pierre), par exemple, les anciennes cathédrales sont devenues et restées des temples, de même ont-ils dû « bricoler » une autre façon d’enterrer les leurs, au lendemain de la révocation de l’édit de Nantes et de l’interdiction pour un siècle de leur religion.

9 Auparavant, les édits les avaient autorisés à mettre en place des cimetières, dans une France divisée sur le plan confessionnel et qui apprenait bon gré mal gré à faire vivre

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une coexistence pacifique. Chaque communauté urbaine ou rurale comptant une population protestante d’une certaine taille a donc eu deux cimetières, le catholique et le protestant, le tout encadré par une législation contraignante, mais cependant protectrice, à l’endroit de la minorité huguenote. L’édit de Saint-Germain, en 1570, enjoint les représentants du roi de pourvoir les protestants de lieux pour enterrer leurs morts et de veiller à ce qu’aucun scandale ne soit fait au convoi (qui ne pourra comprendre plus de dix personnes et devra se faire de nuit). L’édit de Nantes, plus généreux, supprime ces dernières conditions ; l’un de ses articles particuliers stipule que les protestants parisiens, déjà pourvus de deux cimetières, pourront en utiliser un troisième. La déclaration royale du 5 février 1669, considérée par les historiens comme s’inscrivant plutôt dans la continuité de l’édit de Nantes et marquant une pause après un raidissement du jeune Louis XIV au cours des années précédentes, confirme le droit pour les protestants d’avoir des cimetières (mais ils ne pourront plus être limitrophes des églises catholiques ou communs avec les catholiques) ; et les convois funèbres ne pourront se faire qu’à 6 heures du matin ou du soir l’été, 8 heures du matin ou 4 du soir l’hiver, et sans arrêt sur le trajet. L’édit de février 1685, qui réduisait à cinq le nombre des temples protestants dans le Béarn, ordonnait aux protestants d’y abandonner les cimetières communs avec les catholiques et de s’en procurer à leurs frais hors des villes et dans des endroits que leur désignerait le juge local, en observant une distance proportionnée de ceux des catholiques, et dans un endroit où les processions n’aient pas accoutumé de passer. Quelques mois plus tard un arrêt du Conseil du 9 juillet 1685 aggrave les choses pour l’ensemble du royaume : dans les lieux où tout exercice du protestantisme a été interdit, les huguenots ne peuvent conserver leurs cimetières, d’autant qu’ils ne peuvent faire lesdits enterrements sans y paraître publiquement assemblés, ce qui est contraire aux défenses de faire aucun exercice, et que d’ailleurs les peuples n’étant plus accoutumés à voir l’exercice de ladite Religion esdits lieux, ces enterrements peuvent donner lieu à des émotions populaires9.

10 Il ne s’agit plus, on le voit, de coexistence biconfessionnelle, comme au temps des édits, mais d’une ségrégation croissante destinée à expulser des lieux et des temps communs les morts et enterrements de la minorité.

11 L’édit de Fontainebleau, révoquant celui de Nantes, est en revanche muet sur la question : il n’y a plus officiellement que des catholiques (dont les « nouveaux convertis ») et la question de cimetières protestants ne se pose plus. Ceux qui existaient encore dans les villes ont été transformés en places publiques ou lotis – ainsi à Nîmes et Montpellier. Mais il n’était pas moins nécessaire d’enregistrer le décès de ceux qui se refuseraient à recevoir les derniers sacrements (catholiques) et dont le prêtre ne pourrait donc ni coucher le nom sur ses registres, ni accepter l’inhumation dans la terre sacrée du cimetière catholique. Une déclaration royale du 11 décembre 1685 édicte que les deux plus proches parents (ou à défaut les deux plus proches voisins) du disparu devront déclarer le décès aux juges royaux et apposer leur signature sur un registre prévu à cet effet10.

12 Mais l’entrée en résistance pacifique des huguenots, après les abjurations collectives du début de l’automne 1685, dont la culpabilité en ronge beaucoup, et lorsqu’ils ne peuvent (se décider à) gagner les pays du Refuge, consiste à reprendre au moment de mourir leur liberté et leur fidélité à la religion disparue. La famille cache l’agonie afin d’éviter la venue du prêtre, ou bien le mourant refuse l’extrême-onction : il est alors considéré comme relaps, une accusation d’une particulière gravité. La déclaration

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royale du 29 avril 1686 frappe ceux des malades qui auront fait abjuration, et qui auront refusé les Sacrements de l’Église, et déclaré auxdits curés, vicaires ou prêtres qu’ils veulent persister et mourir dans la R.P.R. et seront morts dans cette malheureuse disposition : procès sera fait au cadavre ou à sa mémoire ; il sera traîné dans les rues sur une claie, avant d’être jeté à la voirie (et les biens confisqués). L’historien Élie Benoist cite près d’une quarantaine de cas, dont des femmes11, plusieurs étant documentés par diverses pièces officielles12. À Montpellier, les soldats gardant le corps d’une dame de la bourgeoisie interdisent de l’approcher à des femmes qui avaient cueilli des feuilles de vigne pour le couvrir. C’était quelque chose de si horrible de voir un corps tout nu exposé sur une claie traînée par le bourreau, précédé des trompettes qui sonnaient des fanfares et suivi d’un cortège de gens de justice et d’armes, note Daniel Brousson13. L’émotion ressentie dans la population, y compris catholique, surtout lorsque les victimes appartenaient à des milieux dirigeants (tel le vieux conseiller au Parlement de Metz, Paul Chenevix), a été assez vive pour que la monarchie ordonne discrètement, le 8 décembre 168614 (puis, à nouveau, en août 1699), de ne plus recourir à une telle mesure sauf lorsque le mourant et sa famille avaient entendu faire du refus des sacrements un acte ostentatoire : à exemple il fallait alors opposer exemple et demi, et l’on compte encore quelques cadavres traînés sur la claie. La déclaration de 1724, quoique reprenant tout l’arsenal répressif, y compris le procès fait à la mémoire des morts sans sacrements, devait renoncer à cette menace.

13 S’ouvre alors une période sur laquelle nous manquons d’études et de documents. Que font de leurs morts les protestants des villes comme des régions rurales dans les années qui suivent immédiatement la Révocation ? Les conduisent‑ils au cimetière catholique (qui jouit du monopole dans cette France dont l’espace public est catholique), comme les vivants sont allés abjurer et continuent, plus ou moins assidûment, de donner des marques de catholicisme, notamment au moment des baptêmes et des mariages ? La généalogie confessionnelle de la plupart des protestants urbains, surtout dans les milieux favorisés, montre un XVIIIe siècle catholique, entre des XVIIe et XIXe siècles protestants15 – c’est la trajectoire typique d’un marranisme : identité (XVIIe siècle), fiction (XVIIIe siècle), retour à l’identité16 (XIXe siècle). On peut penser que pendant une ou deux générations le cimetière catholique, au moins dans les villes, a accueilli les dépouilles des « nouveaux convertis », sauf d’une poignée d’irréductibles. Par la suite, la monarchie, bien informée de ce que les protestants n’avaient évidemment pas disparu, mais soucieuse de maintenir cette fiction officielle, a dû se résoudre à prendre des dispositions pour que l’inhumation des intéressés ne fût pas une occasion de trouble : elle l’a autorisée, sans le dire, et sans prendre conscience (ce sont les historiens qui le discernent, sans grande difficulté…) que ce faisant, et dès la déclaration de décembre 1685, elle commençait à « laïciser » la tenue de l’état civil, longtemps avant l’édit dit de tolérance de 1787 et les lois révolutionnaires, puisqu’elle remplaçait le prêtre par le juge civil pour procéder à l’enregistrement des actes. À Paris, dès 1725, les défunts étaient enterrés, après autorisation écrite du lieutenant général de police, nuitamment, sans aucun bruit ni scandale, en la manière accoutumée, à savoir dans un chantier situé au port au Plâtre (aujourd’hui quai de la Rapée) et tenu désormais pour le cimetière des protestants français (les étrangers ayant leur sépulture dans un autre cimetière parisien)17. Au niveau national intervient la déclaration du 9 avril 1736 concernant la forme de tenir les registres des Baptêmes, Mariages, Sépultures…, et son article XIII : ceux auxquels la sépulture ecclésiastique ne sera pas accordée (bel exemple de périphrase pour ne pas nommer les protestants, quitte à permettre à d’autres, dont les juifs, de mettre à profit le texte) pourront être inhumés en vertu d’une ordonnance

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du juge de police des lieux18. Une étude sur le département du Tarn a montré que 26 communautés ont appliqué la déclaration, à partir de 1737 pour Castres (598 actes jusqu’en 1788) et Puylaurens (505 actes jusqu’en 1787), de 1738 pour Labessonié (124 actes jusqu’en 1779), etc19. Gildas Bernard a relevé 244 registres de sépultures de protestants pour toute la France de 1736 à 1787, soit près de dix fois plus que pour les cinquante années précédentes : l’édit de 1736 a été mis à profit par les intéressés20.

14 L’autorisation de mourir et d’être inhumé en dehors de la religion catholique a accordé l’essentiel. À défaut de cimetières collectifs, les corps ont été enterrés dans des caves de maison21, plus souvent dans des jardins, des prés, des vignes… Cachées jusqu’à la déclaration de 1736, qui fait œuvre d’apaisement, les tombes sont maintenant visibles22. Soit l’exemple de Pierre Rauzier, de Saint‑Germain‑de‑Calberte, mort le 13 mai 1775. Sa veuve, Jeanne Teulon, explique que le vicaire de la paroisse se refuse de lui accorder la sépulture ecclésiastique et demande qu’il soit permis d’inhumer le défunt conformément à l’article XIII de la déclaration. Le procureur fiscal donne son accord ; le lendemain matin, devant Pierre auguste Rouvière, seigneur de Saint‑Martin, plus ancien avocat en l’absence du juge en titre de la police dudit St‑Germain, quatre voisins du défunt prêtent serment sur les saints Évangiles et affirment avoir vu le défunt au suaire dans son lit, l’avoir reconnu parfaitement être le même qu’ils avaient connu pour tel, et avoir assisté à l’inhumation vers les cinq heures du matin dans une vigne que le défunt avait près de Saint‑Germain et du mas du Serre. Les mêmes formulations se retrouvent dans des actes ultérieurs ; les hommes ayant porté le corps en terre sont nommés23. La précision des notations est probablement une précaution après un coup de semonce du commandant en chef de la province, le duc de Fitz‑James, en 1763 : il rappelle consuls et juges de police à leurs devoirs, après avoir appris « que non seulement il y avait des gens assez téméraires pour oser faire inhumer ceux des leurs à qui la sépulture ecclésiastique avait été refusée, sans avoir demandé ni obtenu la permission du Juge de Police du lieu, conformément à ce qui est prescrit par l’art. 13 de ladite Déclaration [de 1736], mais que ces mêmes Juges de Police, dans ces circonstances, restaient dans le silence et l’inaction, au lieu de sévir par des amendes contre les délinquants, et de s’assurer, par l’exhumation de ces cadavres, et leurs vérifications, s’ils étaient décédés de mort naturelle ou de mort violente » ? Désormais, les consuls devront avertir les Juges, lesquels, si le cadavre a été inhumé sans que l’autorisation ait été demandée et obtenue, devront le faire exhumer et faire procéder à son examen par un chirurgien, avec une amende contre le délinquant. Ce texte montre à la fois que la société cévenole, notables en tête, faisait bloc, et que les autorités cherchaient moins à harceler le protestantisme qu’à assurer une police minimale des décès, afin d’assurer « la tranquillité des familles [comme de] l’humanité24 ».

15 En une ou deux générations un « cimetière » était né, réduit aux membres de la famille : c’est l’origine des cimetières familiaux qui se comptent par centaines (sans doute quelques milliers) de nos jours encore. L’origine d’une « tradition » récente, sans lien avec la Réforme et sa théologie, mais liée à l’interdit qui a pesé pendant un siècle sur le protestantisme et en même temps à une « tolérance » minimale de la part d’une monarchie qui a fini par accepter que l’on meure hors de la religion officielle et sans le payer des procès et peines infamantes appliquées au lendemain immédiat de la Révocation.

16 La question que posent ces cimetières familiaux, dès lors, se déplace quelque peu et porte sur la fin de la période des persécutions : pourquoi, avec la normalisation

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intervenue après 178725 et surtout 1789, les protestants n’ont‑ils pas cherché à reconstituer, comme au XVIIe siècle, des cimetières collectifs ? La réponse se décompose en trois éléments : d’une part, ils l’ont fait, partout où ils l’ont pu et dû, à cause de l’ampleur même de leur population. Soit ils ont créé des cimetières protestants privés, avec quelques très beaux exemples dans les grandes villes du sud, à Nîmes et Montpellier (cf. les articles d’Anne Nègre et Pierre‑Yves Kirschleger dans la présente livraison). Mais aussi en zone rurale : pas moins de 17 cimetières sont créés dans le Tarn au lendemain de l’édit de 1787 ; 11 d’entre eux, ouverts de fin mars 1788 à mars 1789, apparaissent dans les registres de l’Intendance26. On trouve de tels cimetières dans de très petites communes de montagne, par exemple à Cassagnas, en Lozère, où il jouxte le temple, à la manière catholique, ce qui ne laisse pas de surprendre ; ou aux Vastres (plateau du Chambon, Haute‑Loire) où un premier cimetière, complet, a été remplacé il y a une soixantaine d’années par un second, toujours en activité, et à forte inscription protestante (croix huguenotes, colombes du saint esprit et versets bibliques). Ailleurs, les cimetières municipaux ont été divisés en deux parts, catholique et protestante : solution très répandue, ainsi à Montaren, à côté d’Uzès, où le monument aux morts de la commune se situe à la limite exacte des deux moitiés confessionnelles27, ou à Florac (Lozère), terminus septentrional du protestantisme languedocien.

17 Dans les régions les plus rurales, avec la dissémination de l’habitat en hameaux, comme dans les Cévennes, ou en domaines isolés, comme sur le plateau du Chambon28, les protestants ont conservé les cimetières familiaux. Cela a-t-il pu être lié à la modestie des ressources collectives à mobiliser au moment d’édifier un cimetière collectif ? C’est dans ces mêmes régions que les temples ont le plus tardé à être reconstruits, et que des cultes pourtant tout à fait officiels, avec des pasteurs rétribués par l’État, se tenaient encore « au Désert » au milieu du XIXe siècle, comme le montre, pour la Drôme, le journal du pasteur Alexis Muston, qui consacre du reste une partie de son long ministère à Bourdeaux (1836‑1888) à faire bâtir une demi-douzaine de temples29. Sur le versant atlantique de la commune de Saint‑André‑de‑Lancize (Cévennes lozériennes), au fort passé camisard, le petit temple n’a été bâti qu’au tout début du XX e siècle, en dépit de la rudesse du climat… et une fois l’équipement en lieux de culte à peu près terminé, on sait que les protestants ont ressenti le besoin de se retrouver « au Désert » pour diverses assemblées commémoratives, à la belle saison, mêlant la mémoire, la gratitude envers les ancêtres et aussi l’État moderne, le plaisir de se retrouver en foule et en plein air, mais encore, un peu plus tard, l’inculcation missionnaire30. Plusieurs de ces assemblées poursuivent leur vie plus que séculaire, en plein XXIe siècle, au Musée du Désert bien évidemment, depuis leur institutionnalisation en 1911, mais aussi à la Cam de l’Hospitalet (non loin de Barre-des-Cevennes, Lozère), à la Favea (non loin du Mazet‑Saint‑Voy, Haute‑Loire), à la Pierre plantée (près de Brassac, dans le Tarn), etc.

18 Pour revenir aux cimetières, faut-il évoquer surtout une sorte d’accoutumance, ou de résistance, ou d’attachement, des mentalités à ce qui était en passe de devenir une « tradition inventée31 », à cette nouvelle manière d’inhumer les siens, au plus près des lieux où ils ont vécu et travaillé, et des vivants qu’ils y laissent ? Pouvait‑on, sous prétexte que sa religion était à nouveau autorisée, abandonner le cimetière familial, séparer les morts à venir (et soi‑même) des morts d’hier et d’avant‑hier ? Lorsque l’époux reposait déjà dans l’enclos familial, prétendre en séparer l’épouse ? Le fils du père ? Les parents de leurs enfants mort-nés ou morts en bas âge, ce qui arrivait encore trop fréquemment ? Ce n’est pas une mince décision que d’ainsi interrompre une

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lignée. On doit probablement aussi évoquer la force de l’attachement à l’ostal, la « maison » en occitan, que les anthropologues et les historiens ont définie comme un ensemble complexe et puissant, comprenant les terres, les maisons, le cheptel mais aussi la famille élargie (héritiers et collatéraux, aînés mariés et cadets célibataires) au sens fort de gens, et des éléments plus immatériels, réputation, honneur…32. L’histoire tourmentée des protestants leur a offert un suprême élément d’appartenance et d’identification : la demeure de leurs morts sur le territoire même de la « maison », un peu comme les nobles pouvaient jadis avoir leur chapelle et leurs morts enterrés dans son sol. Élément de « distinction », également, d’avec le catholicisme…

19 L’historien Philippe Ariès a fait, pour sa part, un parallèle avec le cas de la Corse, dont le catholicisme baroque se situe pourtant aux antipodes du protestantisme austère : or l’île a bel et bien connu les cimetières, ou plus précisément les caveaux familiaux33. Cette pratique n’a pas les mêmes origines que dans les Cévennes : elle serait une conséquence locale du décret sur les sépultures du 23 prairial an XII (28 juin 1804), qui interdit toute inhumation dans les églises, hôpitaux, etc., et exige la création de cimetières situés à 35 mètres au moins de l’enceinte des villes et des bourgs, tout en autorisant chacun à être enterré sur sa propriété, pourvu que ladite propriété soit hors ou à distance prescrite de l’enceinte des villes et bourgs. Les familles corses, jugeant insuffisamment digne le cimetière communal, et ne pouvant plus recourir aux églises, auraient préféré un temps au moins des sépultures sur les propriétés, et la pratique s’en est continuée, ici et là, jusqu’à nos jours. C’est le seul cas français, à ma connaissance qui ne soit pas lié au protestantisme34.

20 Cette tradition est-elle encore légale ? L’opinion collective fluctue, à propos de ce qui relève à la fois du droit et de l’histoire ; des inquiétudes et même une forme d’« émotion » se sont ainsi manifestées dans la Drôme, fin 1991 et début 1992, à la suite de deux circulaires du préfet, apparemment mal comprises, rappelant aux maires la réglementation des inhumations en propriété privée35. autant s’en tenir au droit : les articles L 2223-9 et R 2213-32 du Code général des collectivités territoriales, reprenant le décret de 1804 cité à l’instant, stipulent que toute personne peut être enterrée sur une propriété particulière pourvu que cette propriété soit hors de l’enceinte des villes et des bourgs et à la distance prescrite (distance d’au moins 35 mètres de toute habitation : article L 2223-1). Une circulaire du Ministère de l’Intérieur (bureau central des cultes), en date du 19 février 2008, rappelle les dispositions de cet article et précise que l’inhumation dans une propriété particulière nécessite l’autorisation du préfet (souligné dans le texte) du département concerné36, après vérification des formalités relatives au constat et à l’acte de décès et avis d’un hydrogéologue agréé (qui constatera l’absence de risque de contamination des eaux)37. Cette autorisation est exclusivement individuelle et ne confère aucun droit d’inhumation dans le même terrain privé aux autres membres de la famille38. Si la création d’un cimetière familial sur un terrain privé est interdite, tout comme son agrandissement (Conseil d’État, 18 août 1944 Sieur Lagarrigue ; 13 mai 1964 Sieur Eberstarck)39, des inhumations sont donc toujours possibles dans des cimetières existants. Et c’est bien là une pratique actuelle et encore répandue dans les terroirs protestants.

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Premier essai d’inventaire et de typologie des cimetières familiaux

21 Leur paysage se reconnaît donc aussi bien à l’absence de signes catholiques ostensibles (croix et oratoires) qu’à la présence de ces signes discrets mais si emblématiques qu’offrent les cimetières familiaux40. Certes, il est plus difficile de lire un tel paysage, aujourd’hui que forêts et friches ont tout envahi, et que nombre de ces cimetières, de surcroît, ont été abandonnés en même temps que les maisons (ou longtemps après…) en ce XXe siècle d’exode rural. Mais il faut imaginer ce qu’était un hameau cévenol, par exemple, vers 1880, quand la châtaigneraie était mieux entretenue qu’un parc urbain aujourd’hui et que tout l’espace était systématiquement fauché, fané, ramassé, pâturé, comme un jardin. Trois « habitats » se tenaient ensemble, tout proches les uns des autres : celui des vivants, dans la pierre et le bois ; celui des morts, dans le bois, la terre et la pierre ; et celui des abeilles, dans leurs propres maisons de bois et de pierre (et auxquelles on faisait prendre le deuil, à la mort du maître de maison). D’un habitat à l’autre, il n’y avait à parcourir que quelques dizaines de mètres (fig.2), et cela était fait plusieurs fois par jour, en ce temps où les morts n’étaient pas exilés dans une ville lointaine et glaciale, mais restaient au milieu des leurs, comme vivants ils l’avaient été. Il était – il est facile de leur accorder un regard, même distrait, une pensée, même fatiguée, quand les autres morts attendent des visites rituelles, « endimanchées », annuelles…

Fig. 2

Vallée du Tarnon (Lozère), cimetière familial © Monique Fraissinet

22 Que peut-on dire, aujourd’hui, de la répartition de ces cimetières familiaux, de leur disposition, de leur ornementation41 ? Dresser leur inventaire est à peu près impossible, tant ils ont été nombreux dans une région comme les Cévennes, et tant un certain

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nombre ont disparu ou sont en cours de disparition (ce ne sont plus alors que des « bosses » dans un pré à l’écart des maisons). Dans mon hameau lozérien, longtemps habité par trois familles, on trouve logiquement trois de ces cimetières ; l’un est abandonné (mais bien visible dans un traversier entouré d’un haut mur), les deux autres « vivants », si l’on ose dire (toujours à même d’accueillir un nouvel hôte…) : le premier abrite un caveau assez monumental, bâti dans les années 1950 par le maire, aisé, de la commune ; le second aligne une huitaine de tombes, les plus anciennes remontent au XIXe siècle avec de lourdes stèles de pierre sur lesquelles sont gravés les noms des défunts et un verset biblique42, les plus récentes s’égrènent au long du XXe siècle, jusqu’en 1989, avec une simple plaque noire sur laquelle le nom du ou de la disparu(e) est gravé en lettres dorées ; fleurs, rosiers et même groseilliers entourent les tombes de leur verdure et de leurs couleurs (fig.3). Il en va ainsi dans chaque hameau ; parfois, si le caveau, situé en bord de route, ou l’enclos du cimetière présentent un aspect remarquable (précisément lorsqu’il s’agit d’un enclos de murs, avec portail), comme sur le plateau du Chambon-sur-Lignon ou en Dordogne, leur emplacement est signalé sur les cartes IGN au 25 000e, avec l’abréviation « Tomb. ».

Fig. 3

Vallée de la Mimente (Lozère), cimetière familial © Patrick Cabanel

23 Ces dernières années, des historiens ou des associations ont entrepris d’inventorier le patrimoine régional des cimetières familiaux : dans le Béarn, la Drôme, le Poitou, le plateau du Chambon, la région de La Force en Dordogne (mais non dans les Cévennes). L’enquête menée de 1996 à 1999 par le pasteur Paul Durand et dix-huit personnes a permis de collecter les épitaphes dans douze cimetières communaux et quelques centaines de cimetières familiaux de la région du Chambon, du Mazet‑Saint‑Voy et de

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Saint-Agrève, entre Haute‑Loire et Ardèche43 ; elle a porté sur 1740 tombes ou tombeaux (3094 défunts)44. Une enquête similaire menée pour quatorze communes de la Dordogne, en aval de Bergerac et sur la rive droite de la rivière, pour l’essentiel, a abouti à une liste de 107 tombes et cimetières (29 au Fleix, 27 à Lamonzie-Saint‑Martin, 14 à Prigonrieux, 7 à La Force…) : liste très lacunaire, reconnaît son auteur, mais qui donne un ordre de grandeur intéressant et a été assortie d’une publication illustrée, en guise de catalogue45… en Vendée, ce sont 279 pierres tombales qui étaient comptabilisées en 2011, dans 48 lieux dits (28 communes), par les membres de l’association pour la sauvegarde des cimetières familiaux protestants (ASCFP), créée en 1997 pour prendre soin de cet élément du patrimoine dans les départements de Charente-Maritime, Deux‑Sèvres, Vendée et Vienne46. Dans le Béarn, Jean‑Pierre et Hubert Bost ont relevé 458 tombes datant de la seconde moitié du XIXe siècle, mais elles se trouvent pour la plupart dans des cimetières collectifs (589 tombes, toutes périodes confondues, pour le seul cimetière d’Orthez).

24 Peut-on se risquer à une typologie, même incomplète géographiquement et à très gros traits ? Dans la région de La Force comme en Vendée, trois points retiennent l’attention : la présence fréquente d’enclos, enceints de murs, parfois de végétation, pouvant contenir un certain nombre de sépultures et bien visibles sur des terrains généralement plats ; celle, plus fréquente encore, de caveaux ou au moins de pierres tombales plutôt monumentales ; et, à consulter le fascicule publié pour la région de La Force, l’état d’abandon d’une part non négligeable de ce patrimoine47. Il ne s’agit pas d’incriminer l’indifférence des familles, mais leur disparition pure et simple, par émigration ou dilution socio‑confessionnelle à la suite de mariages « mixtes » : une thèse, sur la région jadis protestante de Sainte‑Foy‑la‑Grande, a quantifié cette quasi exténuation locale du protestantisme48. L’observateur a le sentiment de se trouver face à des cimetières « morts », dont les propriétaires actuels, quand ils sont connus, n’ont aucun lien de famille avec les sépultures qu’ils contiennent.

25 Signalons une intéressante tradition orale : dans ce grand Sud‑Ouest, du Tarn‑et‑Garonne au Poitou, les cimetières familiaux se signaleraient par la plantation d’un pin parasol, un « signe » connu des initiés mais indéchiffrable pour l’étranger à la communauté – un peu comme la croix huguenote (ou « Saint‑Esprit ») portée par les protestantes à partir de la fin du XVIIe siècle. On m’avait [toujours] dit que là où l’on voyait un pin parasol, on pouvait découvrir un cimetière protestant, rapporte une femme de 59 ans interrogée dans les Deux‑Sèvres par l’historien Jérôme Lamy49. Ce pays protestant a trois marqueurs, les temples, les cimetières, les pins parasols, précisent deux responsables de la Maison du Protestantisme Poitevin à Beaussais. Une enquête menée fin 1998 par Delphine Palluault pour le compte de l’association Poitou Saintonge Protestant et portant sur 46 pins parasols remarquables dans les Deux‑Sèvres relève effectivement que dix-huit sont associés à un cimetière familial, 24 autres se trouvent sur des parcelles de propriétés connues pour protestantes ; douze de ces arbres sont âgés d’au moins 150 ans50. Le lien entre le cimetière familial et le pin parasol n’en est pas pour autant véritablement documenté ; mais la seule existence de la tradition orale est significative : la religion clandestine et secrète, contrainte d’enterrer ses morts en dehors de tout lieu sacré, aurait su pourtant donner des signes éclatants de sa permanence.

26 Des arbres sont également repérés dans les cimetières familiaux de la Drôme : surtout des cyprès et des ifs ; le buis est utilisé pour la clôture, mais aussi la pierre, avec de

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beaux résultats pour ces enclos drômois, situés généralement en bordure ou au milieu du finage agricole ; les caveaux sont rares51. La mémoire collective prétend ici que le cyprès est signe par excellence du cimetière familial : un article publié en 1966 dans la revue de la pédagogie Freinet, Bibliothèque de travail52, présente des enclos ceints de murs épais et ayant « généralement » un cyprès en leur centre, la force de cette association [pouvant] procéder d’un désir de décalque du modèle – réel ou imaginaire – des cimetières des Cévennes, région perçue comme le cœur de l’identité huguenote, commente à son tour l’ethnologue Jean‑Yves Durand. Mais nous sommes pour l’heure confrontés au manque de relevés systématiques, et contraints de raisonner avec les erreurs probables des représentations collectives et leur savoir impressionniste : le cyprès « cévenol », s’il existe, ne peut être trouvé de toute façon que dans la partie basse, quasi méditerranéenne, de la région (fig.4). Les enclos, en revanche, sont nombreux dans la Drôme rurale. Jean-Yves Durand parle à leur propos de « ponctuation protestante du paysage quotidien », qu’il oppose au « balisage » catholique de l’espace, avec les clochers, les chapelles, les statues perchées, les croix de carrefour (ou de mission).

Fig. 4

Vallée de la Mimente (Lozère), cimetière familial © Patrick Cabanel

27 Il en va de même pour le plateau du Chambon-sur-Lignon (fig.5) : la pierre de l’enclos est ici le granit, utilisé dans la construction des puissantes maisons paysannes situées à proximité, et il assure à ces enclos une solidité, une architecture, une dignité, une harmonisation avec l’ensemble du paysage, qui ne manquent pas de faire contraste avec ces enclos fragilisés et parfois écroulés ou dévorés par la végétation que l’on rencontre dans le Sud‑Ouest. À l’intérieur, les pierres tombales semblent rares, les tombes sont plus souvent recouvertes de terre ou de gravier enserrées dans un

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quadrilatère de pierre ou de ciment, avec à leur tête une pierre ou une plaque comprenant le nom du défunt et souvent un verset biblique. Le pays d’herbages qu’est le plateau semble permettre un entretien plus facile de l’enclos, puisqu’il suffit d’y donner un coup de faux (hier) ou de débroussailleuse à fil (aujourd’hui) pour obtenir autour des tombes la même rectitude d’aspect que dans les prés entretenus qui les bordent. Le trait essentiel, sans doute, tient au fait que la région est encore aujourd’hui peuplée et cultivée, et habitée par des protestants, avec de surcroît des courants religieux, liés au Réveil, très dynamiques. On peut évoquer un terroir de cimetières « vivants » - cela se vérifie à la présence de tombes récentes, entretenues, fleuries.

Fig. 5

Plateau du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), trois cimetières familiaux © Patrick Cabanel

28 Les Cévennes offrent un autre visage de cimetières familiaux. Les enclos de pierres y sont beaucoup plus rares, alors même que le pays est un exemple classique de paysage construit en terrasses et en murs. Précisément, il a suffi d’installer le cimetière sur l’une de ces terrasses (bancel ou faisse, en occitan), y compris lorsqu’elle est occupée par un jardin potager (et dans ce cas l’espace des morts prend l’aspect d’un jardin floral, avec une séparation minimale, grille ou simple espace), ou à l’abri d’un mur existant ; les tombes sont très simples : recouvertes de terre et délimitées par des pierres, avec une plaque à la tête. La simplicité même du dispositif explique le quasi effacement du cimetière lorsque les familles ont disparu depuis longtemps. Mais partout ailleurs les cimetières sont, ici aussi, « vivants », utilisés par les familles même émigrées, et qui reviennent au « pays » aussi bien pour les vacances d’été que pour le dernier séjour des aînés. Un enterrement, dans un hameau cévenol, se remarque à l’accumulation des voitures partout où il est possible de les garer, y compris à la suite les unes des autres, au bout de la route tortueuse qui dessert le site ; la foule, plus ou moins nombreuse, est

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massée tout près des maisons, souvent inconfortablement distribuée dans l’espace complexe du finage villageois, et écoute le pasteur ou le prédicateur laïque53, lui‑même installé ou juché comme il le peut ; la mise en terre terminée, parents, voisins, amis, se retrouvent dans la maison du défunt, où du café, des rafraîchissements, des biscuits, sont offerts au cours d’un moment de sociabilité souvent animé, dans le respect du mort et de la peine des siens mais aussi dans le dynamisme de la vie qui continue et renaît. Répétons combien est grande – et sereine – la proximité, dans cette civilisation, entre les morts et les vivants, la maison de vie et la dernière demeure.

29 Les cimetières protestants – et ici il n’est plus opératoire de distinguer entre enclos familiaux et collectifs – se distinguent des catholiques par un manque et un surcroît, comme toujours lorsque l’on compare les cultures romaine et réformée. Le manque, c’est évidemment celui des crucifix, des statues, des images (le sacré‑cœur de Jésus, par exemple) et longtemps même de toute croix ; cette dernière n’était pas pour autant remplacée par la croix huguenote, devenue le signe identitaire des protestants français, car sa présence sur les pierres et plaques tombales est récente (quelques dizaines d’années tout au plus). La simple croix est maintenant acceptée par les protestants, mais la croix huguenote l’emporte. Signalons, comme un témoignage assez extraordinaire d’une culture disparue, ces cimetières publics de la région de la Grand‑Combe, en Cévennes gardoises, où traditions protestante et communiste ont noué des liens étroits dans les années 1930‑1980 : on peut y voir côte à côte, comme dans la photographie ci-jointe, des stèles à la croix huguenote et d’autres à la faucille et au marteau, les défunts étant dans les deux cas d’origine protestante (fig.6).

Fig. 6

Cendras (Gard), cimetière de Malataverne © Isabelle Jouve

30 Le surcroît, ou le plein, des cimetières protestants est scripturaire, comme il se doit dans cette confession du Livre et du « patois de Canaan », ce français chargé de

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citations et d’images bibliques et charriant des archaïsmes liés à des traductions toujours un peu datées de la bible et des cantiques entonnés dans les temples. Dans les maisons protestantes, on trouvait aux murs de la cuisine ou des chambres de petits écriteaux de bois verni, souvent décorés de verdure ou de fleurs très simples (un peu comme dans une broderie), et comprenant un verset biblique. Le Musée du protestantisme de Ferrières (Tarn) en expose deux (fig.7) : Croissez dans la grâce (2 Pi, 3,18) et Ne crains pas, crois seulement (Mc, 5, 36). D’autres versets ont été gravés sur les pierres tombales : au cours du XIXe siècle dans la plupart des cas, avant que la tradition ou plus probablement la piété ne s’en perde, sauf sur le plateau du Chambon-sur- Lignon dont j’ai déjà souligné le dynamisme religieux. Ces versets ont fait l’objet de relevés systématiques dans plusieurs régions, et j’en résume ici les principaux apports.

Fig. 7

Ferrières (Tarn), musée du protestantisme, deux écriteaux P. Poitou © Inventaire général Région Occitanie

31 Sur le plateau du Chambon, 2033 citations bibliques, appartenant à 45 livres bibliques, ont été relevées, pour 1740 tombes et 3094 défunts : soit près de 66 % de ces derniers ; cette « couverture » biblique semble exceptionnelle ; sept versets donnent lieu à eux seuls à 925 citations (45 % de l’ensemble), avec une nette préférence pour le Dieu est amour (1 Jn, 4, 16 : presque 10 % des citations). Dans la région de La Force, de telles citations sont nettement moins nombreuses, et plus anciennes. Sur 109 citations relevées, 30 % sont empruntées à l’ancien Testament (pour les deux tiers, tirées des Psaumes)54. Dans le Béarn, J.-P. et H. Bost ont identifié 1361 tombes pour les XIXe et XXe siècles (outre 78 illisibles ou anonymes), avec un total de 2387 noms ; 1199 tombes (50 % des défunts) comprennent un verset, ce qui semble attester d’une imprégnation biblique moindre qu’en Haute‑Loire/Ardèche. Leur analyse des tombes « scripturaires » (avec verset) a porté sur les 458 qui remontent au XIXe siècle : elles offrent un corpus de 231 versets, dont 206 sont lisibles et exploitables. 115 versets différents sont attestés, plusieurs autres étant cités entre trois et cinq fois, voire six fois ou bien plus, comme le montre le tableau joint. Un quart des versets sont tirés de l’ancien Testament, principalement les Psaumes, Ésaïe et Job. Dans le Nouveau Testament, les Évangiles sont cités 85 fois (44 pour les synoptiques, 41 pour Jean), l’apocalypse 20 fois, le reste appartient aux Épîtres, essentiellement pauliniennes. Je laisse les deux auteurs de l’étude conclure : En dépit de la diversité théologique des livres bibliques, la sélection des versets donne au lecteur l’impression d’une certaine homogénéité doctrinale. La foi qui s’inscrit sur les tombes protestantes béarnaises est de frappe éminemment réformée : elle exclut tout acte de piété consistant à prier pour les morts, toute spéculation sur une géographie de l’au-delà

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impliquant l’existence de lieux tels que le paradis, l’enfer ou le purgatoire, et plus généralement tout discours s’adossant à la peur pour adresser une exhortation. L’idée de l’immortalité de l’âme, pourtant largement partagée dans la culture protestante, n’est guère présente. Il semble qu’à un tel concept, jugé peut-être trop spéculatif, soit préférée l’affirmation d’une conviction plus existentielle. L’annonce massive de la résurrection ne nie pas la mort, mais affirme la victoire du Dieu de Jésus-Christ sur elle. Dieu apparaît comme celui qui accueille le défunt en même temps qu’il soutient les affligés dans l’épreuve. […] Au bout du compte, c’est la notion de testament qui exprime le mieux ce discours biblique : un discours où il n’est pas possible de disjoindre le testament du défunt (ses dernières volontés, ou plutôt l’expression de sa foi, de sa piété), la confiance que la communauté ecclésiale tient à attester devant (et sur) les tombes, et le Testament (au sens d’alliance) scellé entre Dieu et l’humanité ou l’Église (selon les théologies), aux termes duquel la victoire sur la mort est promise au-delà de la mort55. (fig.8)

Fig. 8

Vallée du Tarnon (Lozère), cimetière familial © Monique Fraissinet

Les versets bibliques les plus courants sur les tombes du XIXe siècle en Béarn Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort, Jn 11, 25 (22 cas) Heureux dès à présent les morts qui meurent dans le Seigneur, Ap 14, 13 (12 cas) Laissez venir à moi les petits enfants, Mt 19, 14 ou Mc 10, 14 ou Lc 18, 1656 (8 cas) L’Éternel a donné, l’Éternel a ôté, que le nom de l’Éternel soit béni, Job 1, 21 (7 cas) Christ est ma vie et la mort m’est un gain, Ph 1, 21 (6 cas) Les versets bibliques les plus courants sur les tombes du plateau du Chambon57 Dieu est amour, 1 Jn 4, 16 (291 cas) L’Éternel est mon berger, Ps 23, 1 (148 cas) Je suis la résurrection et la vie, Jn, 11, 25 (140 cas) J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la Foi, 2 Tm 4, 7 (100 cas) Ma grâce te suffit, 2 Co 12, 9 (98 cas)

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Ne crains point, crois seulement, Mc 5, 36 (85 cas) Christ est ma vie et la mort m’est un gain, Ph 1, 21 (63 cas) Les versets bibliques les plus courants sur les tombes de la région de La Force Heureux dès à présent les morts qui meurent au Seigneur, ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les suivent, Ap 14, 13 (6 %) Dieu est amour, 1 Jn 4, 16 (4 %) Venez à moi vous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai le repos, Mt 11, 28 (3 %) Heureux ceux qui ont le cœur pur, ils verront Dieu, Mt 5, 8 (3 %)

32 Religion scripturaire que le protestantisme : au-delà des bibles et des livres, au-delà des inscriptions sur la façade et sur les murs intérieurs des temples, le petit patrimoine abordé dans le présent article en apporte une preuve supplémentaire. La partie la plus ignorée, la plus domestique, invisible (et volatile), concerne ces écriteaux à versets bibliques. Une autre partie, en plein air, considérable, elle aussi largement ignorée du grand public, et dont la valeur patrimoniale commence seulement à être prise en compte, concerne ces cimetières familiaux, doublement significatifs d’une identité huguenote et protestante. Huguenots, tout d’abord, parce qu’ils renvoient, de manière toute implicite, à l’inverse des lieux de mémoire, plaques commémoratives et musées dont le rôle est presque hyperbolique, à un passé de persécution et de clandestinité ; leurs propriétaires et utilisateurs en savent-ils toujours la lointaine origine tourmentée ? La réponse semble positive58. Au hameau de Paussanel, près de Mialet (Gard), la mémoire s’est teintée d’émotion, comme le rapporte Jacques Verseils : Lorsque j’avais une douzaine d’années, mon père et ses deux frères ont décidé d’ouvrir le double mur d’un vieux four à chaux derrière lequel, on nous avait toujours dit, se trouvaient les cercueils de nos ancêtres ensevelis en cachette des prêtres. J’ai assisté à cette ouverture, à la découverte effective des corps déposés à même le sol entre des planches qui se sont désagrégées, et les ossements se sont mêlés aux restes d’habits noirs. Mon père et ses frères les ont rassemblés pour tout déposer dans un nouveau cercueil qu’ils ont fabriqué et l’installer dans un tombeau situé dans le jardin et dans lequel se trouve maintenant aussi mon grand-père. Ce souvenir est resté chez moi comme le moment d’une très grande et très forte émotion car pour la première fois j’ai vu ces adultes pourtant aguerris, et après la guerre, qu’ils avaient vécue dans les maquis, et la mort de leur jeune frère, peu sujets à la sensiblerie, prêts à pleurer59.

33 Protestantes également, ces tombes, parce qu’elles peuvent être lues comme des manifestes de l’aniconisme réformé (pas d’images, pas de croix, pas d’expression baroque des sentiments, mais dépouillement, simplicité, austérité) et de son biblisme : l’enseignement par le Livre, une dernière fois.

34 Ces deux petits patrimoines, de bois et de pierre, intérieur et extérieur, sont-ils menacés ? Le premier, surtout : les écriteaux n’ont guère survécu au nécessaire réaménagement des maisons : cloisons de placoplâtre, tapisseries, peintures, tableaux ou reproductions, les ont relégués dans des placards, des greniers, ou sans doute au rebut60. Je souhaite lancer à leur propos une enquête collective – et conservatoire, destinée à en recueillir et sauvegarder un certain nombre. D’ores et déjà, voici deux témoignages intéressants sur leur fabrication et leur diffusion. Le premier concerne les Cévennes gardoises : Mon grand-père paternel (pasteur à Anduze pendant 25 ans) et ma grand-mère confectionnaient de tels tableaux « évangéliques » ainsi que des croix huguenotes en bois qu’ils vendaient dans les paroisses et au Musée du Désert. Dans le presbytère sur de longues tables séchaient continuellement les croix et les tableaux après la pyrogravure et le vernissage. Et il en est resté un accroché au mur de la salle à manger, un seul que nous avons gardé pendant des années, et sur lequel il était écrit : Moi et maison nous servirons

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l’Éternel, Josué 24 v. 15. Mon grand-père avait oublié le « ma » de « ma maison » ! Invendable ! Mais depuis je ne peux oublier ce verset61.

35 Le second porte sur le plateau du Chambon-sur-Lignon : Dans les années 1950, j’accompagnais mon père dans de nombreuses fermes du Plateau pour collecter, pour la Fête de la moisson de l’Armée du Salut, des denrées agricoles. Dans chaque maison j’étais très étonné de voir accroché au mur de la cuisine, entre la porte et la fenêtre, un verset biblique gravé sur une plaque en bois. Si je me souviens bien il s’agissait souvent d’une parole de reconnaissance comme « Mon âme bénis l’Éternel et n’oublie aucun de ses bienfaits ». Parfois c’étaient des versets, toujours de gratitude. Ces inscriptions étaient certainement plus fréquentes dans les fermes de la communauté darbyste. Au fil des ans, il me semble que ces écriteaux bibliques en bois ont disparu, remplacés le plus souvent par des sous-verre. Aujourd’hui il est rare de trouver ces inscriptions gravées. Par contre on trouve accroché La bonne semence, avec des feuillets quotidiens pour montrer que la parole de Dieu est toujours vivante62.

36 Les cimetières familiaux, mal en point dans des régions d’où le protestantisme s’est très largement retiré au cours du XXe siècle, conservent leur vitalité dans ces « conservatoires » que continuent d’être, bon gré mal gré, les Cévennes ou le plateau du Chambon. L’inventaire des emplacements, des tombes, des inscriptions, est parfois passablement avancé, et des initiatives ont pu être prises quant à l’entretien de ce patrimoine. Des associations se sont fondées : l’association pour la sauvegarde des cimetières familiaux protestants dans le Poitou (1997), déjà citée, qui a inventorié 476 cimetières pour les seules Deux‑Sèvres63 ; plus récemment, l’association pour la sauvegarde des cimetières familiaux de la Drôme (2012), qui a répertorié 480 cimetières – dont 150 (31 %) en état apparent d’abandon – dans 38 communes, essentiellement du Diois et de la vallée de Quint.

37 Je souhaite là aussi que se développe un travail collectif consistant à compléter notre connaissance cartographique et typologique de ces cimetières, ainsi que des cimetières protestants urbains. Cela permettrait de répondre plus complètement aux questions autour des enclos et de la présence (ou de l’absence) d’arbres, pins parasols et autres cyprès. Cela permettrait aussi d’aider à dater un certain nombre d’évolutions religieuses, identitaires et esthétiques : arrivée de la croix puis de la croix huguenote (et de la seule colombe), répartition des citations bibliques dans l’espace, le temps et les thèmes, et leur raréfaction (ou sécularisation des tombes protestantes), choix ou non choix de sépulture chez les émigrés, abandon du cimetière familial au profit d’un cimetière collectif voisin ou de l’incinération, etc. Rien de plus vivant, évolutif, fragile, mais aussi résistant, qu’un patrimoine, fût-il celui de la mort et, ici, celui de cette minorité protestante, souvent soupçonnée de contenir bien peu ou point de patrimoine, du fait de la violence de l’histoire et de ses propres refus iconoclaste et aniconique. Alors que ce patrimoine est bien présent, à condition que nous sachions, et donc que nous ayons appris, à le repérer et à le lire.

ANNEXES

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Le cimetière familial protestant de Grattegals

[Les cimetières familiaux ne laissent pas toujours – pas souvent – indifférents leurs héritiers, on l’a vu avec Jean-Pierre Chabrol. En voici un autre témoignage, envoyé spontanément à l’auteur qui l’interrogeait sur la question, par Monique Fraissinet‑brun, une habitante du moulin de Grattegals (commune de Saint‑Laurent‑de‑Trèves), dans les Cévennes lozériennes. Nous la remercions de nous avoir autorisés à publier son texte] Pour avoir accès à ce cimetière, il faut traverser le hameau familial de Grattegals. Chercher. Il est discret, on le distingue très mal si l’on reste au niveau du béal64. Cachés, juste à côté de ma maison, mes anciens reposent là, sur un même rang, dans le même alignement. Quatre tombes sont marquées par des stèles gravées des noms, prénoms, dates de naissance et de décès de chacun d’eux, suivis d’un verset de la bible. C’est Jules Lauriol, de Salgas, qui a taillé et gravé ces pierres tombales (fig.8) dans des blocs de calcaire provenant probablement de Solpérières d’où cet artisan extrayait ses matériaux. Trois pierres presque entièrement enfouies dans le sol témoignent de la présence de trois sépultures non identifiées. Pour l’une de ces trois, j’ai voulu marquer sa présence par une lauze de schiste plantée verticalement, j’ignore à la mémoire de qui ? Pour la seconde, la lecture de la généalogie me permet de penser que c’est un jeune garçon : André, Raymond Fraissinet, né le 25 juillet 1920, décédé le 25 juin 1925, cinq ans. Pour la troisième, je sais qu’il s’agit d’un bébé, parce que la pierre « de pied » limite la longueur de cette sépulture : Paul, Émile, né le 14 Janvier 1924, décédé le 5 février 1924, à trois semaines. Trois jeunes enfants, trois frères, décédés prématurément, en l’espace de six ans, dont deux emportés par la maladie, septicémie et méningite. La stèle de Georges né le 27 octobre 1912, décédé le 12 juillet 1919, sept ans, en témoigne par le verset qui y est inscrit Laissez venir à moi les petits enfants car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent, Mathieu, XIX.14. Ils auraient été mes oncles. Mes arrière-grands-parents, Théophile Fraissinet et son épouse Fanny Teissier sont ensevelis au même endroit, ils étaient nés en 1856. Ils sont décédés respectivement en 1930 et 1924. Pour eux, il est inscrit ce verset Je suis la résurrection et la vie – quiconque croit en moi ne mourra jamais, Jean XI.25. Leurs fils aîné, Ulysse, est décédé quatre ans avant sa mère. Pour lui, un verset de Jean, 6, 68 : Seigneur à qui irions nous qu’à toi, tu as les paroles de la vie éternelle. Il était célibataire et cordonnier au Collet‑de‑Dèze. Il n’est pas parti à la guerre ; aîné de la famille, il était soutien familial. Il souffrait aussi d’un léger handicap à un pied. Leur fils cadet Paul (à l’état civil Jules, Paul) a combattu au front pendant toute la guerre de 1914‑1918, sans blessure. De ce que j’ai entendu, soldat libéré, il aurait été blessé dans un déraillement de train à Valence en rentrant chez lui, ici, à Grattegals. Il décède le 19 octobre 1918 à l’âge de vingt-huit ans sans héritier. Encore un verset qui reflète une triste réalité : son soleil s’est couché avant la fin du jour, Jérémie, XV, 9. Son nom est gravé sur le monument aux morts de la commune. Ulysse et Paul, mes grands‑oncles, les frères de mon grand‑père Numa.

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Sur les pierres tombales, scellée sur la partie supérieure, une barre de fer horizontale, recourbée à chacune des extrémités, recevait la couronne mortuaire faite de toutes petites perles de verre blanches, noires et grises. Avec toute l’inconscience d’une enfant, alors que je n’avais même pas dix ans, j’allais récupérer quelques-unes de ces perles sur l’ossature bien endommagée de ces couronnes. J’en faisais des bracelets. Rien ne se perd, tout se transforme ! Je ne savais pas ! Parce que dans nos familles protestantes on ne parle pas des morts, on tait la douleur comme pour conjurer le sort. Les femmes portent le deuil, elles sont habillées de noir, de sombre souvent dès l’adolescence. La couleur ferait offense à leurs chers disparus. La douleur est partout, dedans et dehors. Cette petite parcelle de terre, bien ensoleillée, à l’ouest, surplombée d’un grand mur de soutènement (fig.9) en pierres de schiste garde la mémoire d’existences douloureuses et difficiles des périodes où l’on ne savait pas soigner, où l’espérance de vie en était diminuée, de ces années d’une terrible guerre qui a vidé le pays de ses hommes jeunes.

Fig. 9

Vallée du Tarnon (Lozère), cimetière familial ; vue d’ensemble © Monique Fraissinet

Ce cimetière familial, j’ai voulu « lui redonner vie », lui donner une intimité pour ne pas oublier notre histoire, mon histoire. Lors de mon retour à Grattegals, en 2002, je l’ai débarrassé des ronces et herbes folles qui l’avaient envahi. Je tonds régulièrement l’herbe verte. J’ai enlevé le vieux grillage tout défoncé, j’ai planté une haie de petits arbustes au feuillage persistant, pour en délimiter l’espace sur deux côtés. J’ai entretenu et taillé quelques buis qui ont poussé naturellement à la base du mur. Un rosier grimpant à grosses fleurs blanches tapisse une grande partie du mur de soutènement. J’ai planté cinq althéas pour égayer le côté donnant au Sud. Enfin, j’ai semé au droit de chaque stèle des fleurs vivaces ; au printemps ce sont les jonquilles, les tulipes multicolores qui donnent de l’éclat, puis, comme une suite naturelle, de juin à

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septembre des fleurs aux pétales jaune d’or et au cœur marron fleurissent et se ressèment naturellement pour l’année suivante (fig.10).

Fig. 10

Vallée du Tarnon (Lozère), cimetière familial ; vue au printemps © Monique Fraissinet

Le temps passe mais je retrouve chaque année deux pieds d’un grand lys blanc qui fleurit sur la dernière tombe. Depuis bientôt une centaine d’année, sans jamais avoir été replanté ce lys blanc fleurit et refleurit. Il garde la vie. Incroyable témoignage d’amour éternel de mes grands-parents pour leur petit Georges. D’année en année la nature donne de la couleur, l’éternel retour des saisons et de la vie sur ceux qui ne sont plus (fig.11).

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Fig. 11

Vallée du Tarnon (Lozère), cimetière familial ; vue sous la neige © Monique Fraissinet

Je ne les connaissais pas mais quelque part en moi, ils vivent dans le souvenir de ce qu’ils ont été et de ce qu’on m’en a dit. J’aime imaginer qu’ils veillent sur nous. Je ne veux pas les oublier. Ils sont chez eux, chez nous, ils reposent pour l’éternité dans notre cimetière privé protestant.

NOTES

1. À Pradelles, en Haute-Loire, le cimetière est situé en contrebas du village, et sa porte d’entrée porte l’inscription suivante, m’a rapporté l’archiviste diocésain de Mende : Hic Pratella, non super. « Ici se trouve (vraiment) Pradelles, non en haut ». Ce qui montre aussi combien la mort est collective en pays catholique, contrairement à la dissémination huguenote que nous étudions. Un trait confirmé par l’inscription sinistre, aujourd’hui enlevée mais photographiée par Michel Vovelle dans La mort et l’occident (Gallimard, 1983), et qui narguait les automobilistes sur la route nationale 106 à hauteur de la Grand-Combe (Gard), à l’entrée du cimetière : « Nous avons été ce que vous êtes, vous deviendrez ce que nous sommes ». Ce « nous » funèbre, agressif et anonyme est impensable dans la culture huguenote où les morts sont les seuls membres de la famille, restés à proximité des maisons et des prés, et non exilés dans une ville fantôme. 2. Quelques années plus tard, la prieure du Carmel de Mende, mère bonnet de Paillerets, évoquant spontanément les origines protestantes de sa famille, me disait non sans émotion que son ancêtre avait été enterré dans le jardin de leur hôtel particulier, à Marvejols, peu après la Révocation. 3. CARRIÈRE, Jean. L’Épervier de Maheux, Pauvert, 1972, p. 16.

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4. Je remercie Brigitte Maurin‑Farelle (Nîmes et Saint-Germain-de-Calberte), détentrice de l’aquarelle, qui a bien voulu m’autoriser à en publier une photographie. 5. P. Loti, Le roman d’un enfant, Gallimard, « Folio », 1999, p. 126-128. Loti a évoqué à nouveau ces souvenirs dans l’avant-propos (publié dans la Revue de Paris, 1er novembre 1898, p. 1-3) de sa pièce Judith Renaudin, jouée à Paris en 1898, consacrée à un membre de sa famille parti en Hollande. 6. CHABROL, Jean-Pierre. Contes d’outre temps, Plon, 1969, p. 114-117. 7. CHABROL, Jean-Pierre. Le Crève-Cévennes, Plon, 1972, p. 64-75 [p. 74]. 8. 1620 pour le Béarn conquis par Louis XIII à la tête de l’armée royale. 9. Les protestants concernés devront se procurer des cimetières sur des territoires où l’exercice du culte n’a pas été interdit. Texte dans Léon Pilatte, éd., Édits, Déclarations et Arrêts concernans la Religion P. Réformée 1662-1751 Précédés de l’Édit de Nantes, Fischbacher, 1885, p. 206. 10. Gildas Bernard et son équipe n’ont relevé que 25 de ces registres jusqu’en 1736 (dont 4 dans le Gard, 1 en Lozère, 1 dans l’Hérault, etc.), ce qui montre la réticence des protestants à faire enregistrer légalement les décès. BERNARD, Gildas, Les familles protestantes en France XVIe siècle – 1792. Guide des recherches biographiques et généalogiques, archives nationales, 1987, p. 21. 11. BENOIST, Élie. Histoire de l’édit de Nantes…, Delft, a. Bernan, 1693-1695, t. 5, p. 984. 12. WEISS, Nathanaël. « Le supplice de la claie. Les cadavres des protestants morts sans sacrement étaient-ils réellement traînés sur la claie ? », BSHPF, 1895, p. 511-527 ; GELIN, H. « Cent cadavres de huguenots sur la claie et à la voirie, sous Louis-de-Grand », ibid., 1903, p. 385-419. Exemple de Martial Pons, du Mas d’Azil (Ariège) : la sentence au criminel du 15 novembre 1686 (archives du tribunal civil de Pamiers) est publiée dans BSHPF, 1878, p. 15-18. 13. La sortie de France pour cause de religion de Daniel Brousson et de sa famille, 1685-1693, Fischbacher, Grassart, 1885, p. 53-55. 14. Cf. la lettre envoyée aux intendants en février 1687, RULHIÈRE. Éclaircissements historiques sur les causes de la révocation de l’édit de Nantes, Genève, Dufart, 1788, p. 355-357. Plus globalement, utile mise au point pour l’ensemble de la période dans THIBAUT‑PAYEN, Jacqueline. Les morts, l’Église et l’État. Recherches d’histoire administrative sur la sépulture et les cimetières dans le ressort du Parlement de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles, Fernand Lanore, 1977, p. 157-193. 15. C’est ainsi que les enfants de Jean Calas, à Toulouse, ont été baptisés catholiques. 16. Pas pour tous, spécialement dans les milieux aristocratiques… 17. « Procès-verbal d’inhumation d’une dame protestante, à Paris, au XVIII e siècle (1737) », BSHPF, 1893, p. 483-485. 18. MOLINIER-POTENCIER, Sophie. La sépulture des protestants de l’édit de Fontainebleau à l’édit de tolérance, 1685-1792, thèse de droit, univ. Paris-II, 1996 ; v. aussi AZÉMA, Ludovic. La politique religieuse du Parlement de Toulouse sous le règne de Louis XV, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2010. 19. BOUTIÉ, Nicolas. Mourir en protestant. Les sépultures des protestants du Tarn de 1685 à 1792, mémoire de maîtrise, Univ. Toulouse-Le Mirail, 2002, p. 56-57. Sur Bruniquel, dans le Tarn-et- Garonne, voir Robert Garrisson, « Documents nouveaux sur le protestantisme à Bruniquel 1737-1753 », BSHPF, 1979, p. 98-113. 20. BERNARD, Gildas. Op. cit., p. 22. 21. Un exemple célèbre est celui du pasteur Paul Rabaut, enterré en 1794 dans la cave de sa maison à Nîmes. À Orthez, des sépultures sont faites dans des dépendances de la maison Préville, en 1771, 1782 et 1785 : les restes sont exhumés en 1873 pour être réinhumés dans le cimetière protestant de la ville. Ibid., p. 24. 22. Remarque faite par M.-L. FRACARD. « L’état-civil et les sépultures protestantes entre les deux édits de tolérance (1598-1787) », Mémoires de la Société archéologique et historique de la Charente, 1961-1962, p. 200 [p. 193-204], (cité ibid., p. 23).

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23. Un an, puis deux ans après l’inhumation de P. Rauzier, le même « cimetière » accueille Marguerite Barnier, l’épouse d’un « chirurgien » de Saint‑Jean‑du‑Gard, puis Susanne Pin, la veuve d’un maçon, sans que l’on sache quels liens unissaient les familles. La même liasse signale une inhumation au « clos » de Jean-Pierre Ausset de Corbière, coseigneur de Saint‑Germain (1776), et une autre au hameau de la Liquiérolle, dans une pièce de pré attenante à la vigne du défunt (1781). Archives Brigitte Maurin-Farelle, Saint-Germain de Calberte et Nîmes. 24. Document reproduit en fac similé dans l’article d'André Claveirolle, « Cimetières privés protestants en Cévennes : une continuité identitaire », Le lien des chercheurs cévenols, n° 155, octobre-décembre 2008, p. 16 [p. 14‑17]. L’auteur cite un mémoire de Dea de l’université de droit de Montpellier, Anne Christine Gallier, Du droit des sépultures privées : des sépultures privées en Cévennes, 1984. 25. L’édit dit de tolérance accorde à nouveau des cimetières aux protestants (article XXVII) 26. BOUTIÉ, N. Op. cit., p. 104-106. 27. Relevons que la partie la plus ancienne du site présente une série de magnifiques cyprès. 28. Qui compte toutefois des cimetières collectifs protestants ou communaux. 29. Journal en cours de publication (2017) aux Presses universitaires de Grenoble. 30. Cf. mon article, « L’inculcation missionnaire dans le monde protestant françaix (XIXe‑XXe siècles », Oissila Saaidia et Laurick Zerbini (dir.), L’Afrique et la mission. Terrains anciens, questions nouvelles avec Claude Prudhomme, Karthala, 2015, p. 225-237. 31. HOBSBAWM, Éric ; RANGER, Terence (dir.). L’invention de la tradition, Éd. Amsterdam, 2012 [1993]. 32. CLAVERIE, Élisabeth ; LAMAISON, Pierre. L’impossible mariage. Violence et parenté en Gévaudan, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, Hachette, 1982. Cf. BALFET, Hélène ; BROMBERGER, Christian. « Dimensions de l’espace et formes d’entraide : le “quartier cévenol” », in Pratiques et représentations de l’espace dans les communautés méditerranéennes, Éditions du CNRS, 1976, p. 101-123 [p. 112 sur les cimetières familiaux]. 33. ARIÈS, Philippe. L’homme devant la mort, Seuil, 1977, p. 509-517. Il cite p. 515 cette phrase de l’écrivain Angelo Rinaldi dans La maison des Atlantes (1971) : Je suis d’un pays où l’on bâtit des tombeaux à grands frais au bord des routes comme on s’achète une voiture pour manifester l’éclat de son rang. 34. Il est bien documenté, chez l’ethnologue Wilhelm GIESE (« Die volkstümliche Kultur des Niolo », Wörter und Sachen, XIV, 1932, traduit dans la revue Strade, Travaux du Centre d’Études Corses, 2, 1994, p. 7-35), chez Arnold Van Gennep (Manuel de Folklore français contemporain, Tome premier II Du berceau à la tombe (fin). Mariages-funérailles, Picard, 1946, p. 758-759), chez RAVIS- GIORDANIS, Georges. Bergers corses. Les communautés villageoises du Niolu, Edisud, 1983, p. 392-393. 35. Cf. les citations de la presse régionale données par Jean-Yves Durand, « entre « paisibles jardins » et « patrimoine culturel ». Les cimetières familiaux protestants du Diois », Terrain, « La mort », mars 1993, n° 20, p. 119-134. 36. Le préfet a été substitué aux maires depuis un décret du 15 mars 1928. 37. Cet avis est nécessaire une seule fois, si plusieurs personnes sont inhumées dans le même terrain privé, mais n’est valable que durant dix ans. Une inhumation dans un cimetière particulier crée une servitude perpétuelle, la propriété privée étant grevée d’un droit de passage inaliénable et imprescriptible. En cas de vente de la propriété, les héritiers de la personne inhumée bénéficient d’un droit d’accès perpétuel. 38. Précision donnée dans un document de la Préfecture des Deux-Sèvres, « Inhumation dans un cimetière familial privé. Procédure de demande d’autorisation ». 39. Contrairement, donc, à ce qu’affirme sur son site l’Association de sauvegarde des Cimetières familiaux de la Drôme. 40. Le musée du protestantisme de Ferrières a organisé en 2016 une exposition sur les paysages protestants, avec une série de photographies de cimetières collectifs et familiaux dans le Tarn.

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41. J’ai découvert après la rédaction de cet article le résumé d’un mémoire de master rédigé par Typhaine Couret (Les cimetières familiaux protestants de Châteauneuf-de-Vernoux, Univ. de Lyon Jean Moulin, 2015, 132 p.) : « Les cimetières familiaux protestants », Chrétiens et sociétés XVIe- XXIe siècles, n° 23, 2016, Lyon, 2017, p. 163-185, en ligne, qui propose un précieux tour de France de ces cimetières et de nombreuses références bibliographiques et sitographiques ; les cimetières familiaux des mennonites de l’est sont signalés p. 179-180. 42. En l’occurrence, l’un des versets assez répandus sur les tombes, comme on le verra plus bas : Heureux les morts qui meurent au Seigneur, ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les suivent. 43. Paroisses protestantes de : Le Chambon, Chaumargeais, Les Chazallets, Devesset, Fay-sur- Lignon, Freycenet, Mars, Le Mazet, Montbuzat, Saint-Agrève. 44. Les importants matériaux recueillis sont conservés par l’historien Gérard Bollon (Chambon- sur-Lignon), que je remercie pour son aide dans la rédaction du présent article. 45. Tombes et cimetières privés du Pays de La Force, Éditions de l’A.R.A.H., 2005, 176 p. 46. KLEIN, Christophe. Les cimetières familiaux protestants de Vendée. 7e Assises départementales du patrimoine funéraire, Musée de la France protestante de l’Ouest, 2011, 96 p. Le fascicule propose, comme le précédent, des éléments d’un catalogue illustré, en couleurs, des cimetières familiaux. Cf. aussi THEBAULT, Paulette ; ALLARD, Mathilde ; FAVREAU, Suzette. « De très discrets cimetières protestants », Arcades, 13, décembre 2016, p. 42-45. 47. Le fascicule révèle l’existence de cimetières privés appartenant à des familles catholiques. 48. BOUIX, Michèle. Vote à gauche et protestantisme sur le canton de Sainte-Foy-la-Grande de 1870 à 1986, thèse de sociologie, Univ. de bordeaux II, 1989, 3 vol. 49. LAMY, Jérôme. « Un musée à ciel ouvert ? Anthropologie du patrimoine végétal protestant dans le Moyen Poitou », Diasporas. Histoire et sociétés, 2012, 21, Jardins, p. 113-126. 50. Archives du Centre Jean Rivierre, Livre des Pins Parasols du Pays protestant poitevin, Poitou Saintonge Protestants, Syndicat Mixte du Pays Mellois, 1999. Cité ibid. 51. ROUCHOUSE, Jean-Claude. « Les cimetières familiaux protestants, l'exemple de Poyols, commune du Diois », Études drômoises, décembre 2012, 52, p. 22-24, et sur internet. 52. Bibliothèque de Travail, n° 620, 1966, « Les huguenots dans le Diois », cité par Jean-Yves Durand, « entre « paisibles jardins » et « patrimoine culturel »… », op. cit. 53. Dans les Églises protestantes, un ou une simple fidèle qui a reçu une formation et est « reconnu(e) » par l’Église, et remplit les fonctions d’un pasteur. 54. Olivier Pigeaud, « Les inscriptions bibliques des tombes du Pays de La Force », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme dans la Vallée de la Dordogne, 15, 2013, p. 8-12. 55. BOST, Jean-Pierre ; BOST, Hubert. « Pratiques funèbres et discours biblique des tombes en Béarn protestant au XIXe siècle », BSHPF, 1996, 4, p. 831-851 [846]. Les auteurs ajoutent qu’un sondage rapide leur a permis de noter la montée en puissance du thème de l’amour de Dieu sur les tombes du XXe siècle : 8 mentions pour 206 versets (3,8 %) au siècle précédent, 65 pour 938 versets identifiés (7 %) au XXe siècle. 56. Verset sur des tombes de nouveau-nés ou de jeunes enfants. 57. En italiques, les versets qui se retrouvent parmi les plus fréquents dans l’une ou l’autre des deux régions également étudiées. 58. Quand je vais à Die et que je vois tous ces cimetières un peu partout, je peux pas m’empêcher de penser à ce qu’ils ont vécu dans le temps, parce qu’ils en ont vu, hein… ; ça vous rappelle qu’on les a obligés à enterrer les morts en cachette, comme des bêtes, il faut bien dire, témoignages rapportés par Jean-Yves Durand, op. cit 59. Courriel de Jacques Verseils, 19 janvier 2017. Ce souvenir avait été évoqué devant le journaliste Guy Caunègre, qui l’a repris dans son livre Les Camisards, éd. Golias, 1999, p. 7. 60. Il existe aujourd’hui des formes modernes de ces écriteaux, en vente dans les librairies chrétiennes.

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61. Courriel de Jacques Verseils, 20 janvier 2017. Un écriteau comportant ce même verset (entier !), entouré de branches fleuries avec hirondelle, est conservé dans une maison des Vastres (Haute-Loire). 62. Gérard Bollon, courriel du 18 janvier 2017. Les darbystes sont des protestants marqués par la prédication très stricte du pasteur britannique John Darby, au milieu du XIXe siècle. 63. Ces 476 cimetières se répartissent sur 6 communes essentiellement, dont l’inventaire est du reste toujours en cours, des Deux-Sèvres (Sepvret, Prailles, Souvigné, Pamproux, avon, Thorigné) (mes remerciements à Suzette Favreau pour ces informations). Les bénévoles de l’association inventorient les cimetières, commune par commune, les entretiennent pour le compte des propriétaires qui le souhaitent (110 cas), les restaurent pour leur compte ou en partenariat avec des collectivités locales et/ou d’autres associations (10 à 12 chantiers par an). Cf. Les cimetières familiaux protestants de Vendée, op. cit., p. 48. Activités identiques pour l’association drômoise, dont le site propose l’exemple d’une fiche d’inventaire de cimetière familial, avec photographies. 64. Canal d’irrigation ou d’amenée d’eau à un moulin.

RÉSUMÉS

L’interdiction du protestantisme en France, de 1685 à 1787, et la disparition des cimetières protestants, ont contraint les « nouveaux convertis » restés secrètement fidèles à leur foi à se faire enterrer hors du cimetière catholique : dans les caves, les jardins, les prés. Les autorités ont fini par fermer les yeux (à partir d’une déclaration de 1736), dès lors que la mort était dûment signalée par écrit, et une tradition est née, qui a survécu jusqu’à nos jours, devenant un signe fort de l’identité huguenote – et des paysages protestants - dans la France contemporaine. Ces cimetières familiaux, au nombre de plusieurs milliers dans les régions rurales protestantes, très inégalement connus et conservés, commencent à être étudiés : forme de l’enclos, présence ou non d’un arbre signal, inscriptions bibliques. L’article propose une première mise au point à propos de ce patrimoine faussement familier.

The ban on the Protestantism in France, from 1685 till 1787, and the disappearance of the Protestant cemeteries, forced the « new converts » remained secretly faithful to their faith to be buried outside the catholic cemetery: in cellars, gardens, meadows. the authorities have eventually close eyes (from a declaration of 1736), since the death was indicated duly in writing, and a tradition was born, which survived until our days, becoming a strong sign of the identity Huguenot - and Protestant landscapes - in contemporary France. These family cemeteries, among several thousands in the protestant rural areas, very unevenly known and kept, begin to be studied: shape of the enclosure, presence or not of tree signal, biblical inscriptions. The article proposes a first development about these heritage wrongly familiar.

INDEX

Index géographique : Gard, Haute-Loire Lozère Mots-clés : protestantisme, cimetière, histoire Keywords : protestantism, cemetery, history

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AUTEUR

PATRICK CABANEL Directeur d’études, École pratique des hautes études

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La Société d’histoire du protestantisme de Montpellier au service du patrimoine protestant The Protestantism History Society of Montpellier: at the service of Protestant heritage

Jacques Delteil et Pierre-Yves Kirschleger

1 La responsabilité que nous assumons est celle de représenter dans le corps de l’Église les fonctions de la mémoire, écrivait en 1950 l’ambassadeur Gabriel Puaux, nouveau président de la Société de l’histoire du protestantisme français (désormais S.H.P.F.) ; l’évocation de grands exemples ne peut être qu’un stimulant et un appel à l’action.

2 C’est dans cet esprit de mainteneur du patrimoine protestant qu’a été créée en 1979 la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier. La forme juridique choisie témoignait de cette volonté : la nouvelle société se constituait, sous la forme d’association loi 1901, en tant que section montpelliéraine de la S.H.P.F. Or cette dernière n’est pas une association de personnes, rappelait à cette date son président, le conseiller d’État François Méjan : créée en 1852, elle est une « fondation », un établissement lié à un patrimoine, un ensemble de biens érigé en personne morale par le décret du 13 juillet 1870 en conseil d’État qui, en la reconnaissant d’utilité publique, lui a en même temps, par prérogative de la puissance publique de nature régalienne, conféré l’existence juridique et l’a affectée à perpétuité au but historique et protestant fixé par ses statuts annexés au décret. Car aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoyait alors la « fondation » ; ce procédé de droit public aboutissait à créer une personne de droit privé, à laquelle cette mission historique protestante s’imposait rigoureusement, ne varietur. Et depuis sa création, la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier s’efforce d’être fidèle à cette vocation.

3 La présente contribution propose ainsi de revenir sur l’histoire d’une association qui a su déployer plus de trente‑cinq ans d’activités.

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Les origines de la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier

4 C’est au début de l’année 1979 que commence l’histoire de la Société de Montpellier. Quelques membres de la S.H.P.F. habitant la ville expriment le souhait d’y créer une section de la dite Société, à l’image de celle qui vient de se constituer à Nîmes, en octobre 1977, sous l’impulsion du pasteur Roger Grossi (1914‑2011).

5 Le professeur Guy Romestan (1930-1997), de l’université Paul‑Valéry de Montpellier, et le pasteur Gérard Delteil, professeur à la faculté de théologie protestante, lancent le projet à la fin du mois de mars 1979 : avec le pasteur Jean Cadier (1898‑1981), ils constituent le bureau provisoire de la société à la suite de la réunion préparatoire qui se tient le mardi 3 avril à la faculté de théologie. Une première conférence est organisée le mardi 22 mai, à 18 heures à la faculté de théologie, et prononcée par Charles‑Olivier Carbonell, alors maître de conférences à l’université Paul-Valéry, sur le thème Protestantisme et historiographie au XIXe siècle.

6 L’accueil favorable fait au projet permet aux initiateurs de préparer les statuts de la future association. Le 25 septembre 1979, ils convoquent par courrier, pour le jeudi 25 octobre à 17 heures à la faculté de théologie, une assemblée générale constitutive pour mettre en route le fonctionnement de l’association dénommée Société d’histoire du protestantisme de Montpellier (désormais S.H.P.M.). L’ordre du jour prévoit tout d’abord d’obtenir l’adhésion aux statuts proposés, ensuite d’élire le comité directeur, de fixer le taux des cotisations, d’informer sur les activités et projets de la S.H.P.F. à Paris, enfin d’envisager les activités que mènera l’association locale au cours de l’année 1979‑1980.

7 La déclaration à la préfecture de l’Hérault de la nouvelle association loi 1901 est enregistrée le 29 novembre 1979, publiée au Journal officiel du 14 décembre suivant, et le récépissé de déclaration est adressé au président du comité provisoire, Guy Romestan. Ainsi est née la Société d’histoire de Montpellier, après trente années d’attente…

8 Les archives de la S.H.P.F. contiennent en effet une correspondance du pasteur Henri Bosc (1908‑1990) se lamentant, plusieurs années auparavant, de l’impossibilité de créer à Montpellier une section de la S.H.P.F., malgré les efforts qu’il avait déployés lorsqu’il était en poste dans la ville, au temple de la rue Maguelone, entre 1946 et 1962. Reçu pour une conférence sur Les grandes heures du protestantisme à Montpellier1, le 4 novembre 1982 à l’occasion de la fête de la réformation, Henri Bosc dit alors sa grande joie de voir aboutir la création de cette société, rappelant les tentatives infructueuses qui avaient été les siennes pour mettre en route un tel projet.

9 En 1979, cette naissance est rendue possible par un concours de circonstances : d’une part les qualités remarquables du professeur Guy Romestan et son engagement dans l’Église réformée locale, d’autre part l’arrivée à la retraite à Montpellier de l’ancien président du conseil national de l’Église réformée de France, le pasteur Pierre Bourguet. Ce dernier va, avec les pasteurs Jean Cadier et Jean Pellegrin, permettre la réalisation tangible d’un projet jusque-là impossible.

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Buts et statuts de la Société

10 En liaison avec la S.H.P.F., l’association se donne pour buts : • d’encourager les travaux de recherche sur l’histoire du protestantisme et des protestants de Montpellier, de l’Hérault et des environs, • d’en faire connaître les résultats en organisant des conférences publiques, des séances de travail, des colloques ou congrès, ainsi qu’en participant aux activités de la maison-mère à Paris, • de publier des notes d’information, des bulletins, des actes de congrès ou des ouvrages, • d’inventorier et de sauvegarder les archives privées, paroissiales, associatives ou familiales, conservées à Montpellier ou dans le département de l’Hérault, • d’éventuellement constituer une bibliothèque, • d’entretenir des relations ou correspondances avec d’autres sociétés savantes ou des chercheurs, en France ou à l’étranger.

11 La Société d’histoire de Montpellier entend ainsi participer, de manière large, à la préservation du patrimoine moral et historique du protestantisme dans la région ; elle est d’ailleurs habilitée à recevoir, par l’intermédiaire de la S.H.P.F., dons et legs, notamment d’objets historiques.

12 Organisme associé à la S.H.P.F., l’association se doit d’adopter les statuts préparés par Paris, mais l’accord achoppe sur les conditions d’adhésion. Les discussions préparatoires et la comparaison avec les statuts de la Société d’histoire de Nîmes témoignent de l’esprit de totale ouverture dans lequel les initiateurs ont travaillé : Il nous paraît difficile, écrit le 18 avril 1979 Guy Romestan au président Méjan à Paris, dans une ville universitaire, où nous voulons essayer d’intéresser de jeunes chercheurs à côté d’universitaires éminents – qui les uns et les autres n’appartiendront pas toujours à « une Église issue de la Réforme », de distinguer fauteuils et strapontins (sans droit à la parole !), titulaires et amis […]. Il nous semble souhaitable que les uns et les autres soient des membres adhérents, sans condition d’admission (appartenance à une église issue de la Réforme), et que la société soit « ouverte » (la candidature par écrit nous semble un peu désobligeante).2

13 Un entretien au mois de juin 1979, à Paris, avec le président, le vice-président et le secrétaire général de la S.H.P.F., permet d’intégrer certaines des suggestions montpelliéraines, si bien que c’est en plein accord avec le Président et le Comité de la S.H.P.F. que les statuts sont adoptés ; par convention avec la nouvelle association, la S.H.P.F. agrée officiellement celle-ci comme l’une de ses sections.

14 L’association se compose de quatre classes de membres (article 4) : membres d’honneur ; membres bienfaiteurs ; membres titulaires ; membres amis. Seuls les membres titulaires ont voix délibérative dans les assemblées générales, lors desquelles les membres honoraires et bienfaiteurs ont voix consultative et les membres amis peuvent être invités sans avoir droit à la parole. Les Montpelliérains n’ont pas réussi à éviter la distinction tant redoutée entre fauteuils et strapontins…

15 En revanche, ils ont obtenu, par rapport aux statuts nîmois qui ont servi de modèle, de faire inscrire dans les textes l’ouverture recherchée en direction des non protestants. Cet équilibre s’articule en trois points. La définition des membres titulaires est élargie : ces derniers doivent dans leur majorité3, appartenir à une Église de la Réforme ou issue de la Réforme (article 4) ; les membres titulaires pouvant donc être non protestants, les statuts précisent, pour pérenniser le caractère protestant de l’association, que seuls

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ceux appartenant à une Église de la Réforme ou issue de la Réforme peuvent être élus au comité directeur (article 8) ; et pour qu’une pleine coopération puisse s’établir avec les chercheurs de la région, l’article 11 prévoit la possibilité de la création d’un Conseil scientifique, destiné à préparer l’orientation scientifique des recherches, activités, publications et manifestations organisées par l’association.

Visage de la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier en 1980

16 Si la première conférence donnée par Charles-Olivier Carbonell le 22 mai 1979 a servi de lancement à la création de la Société, c’est au début de l’année 1980 que celle-ci débute véritablement ses activités.

Une première année qui donne le ton

17 La Société est associée à deux manifestations organisées à Montpellier : • la commémoration du cent-cinquantenaire de la mort de Félix Neff (1797-1829), les 19 et 20 janvier 1980, dans les locaux du temple de la rue Brueys. Sous le titre Avec Félix Neff dans les Hautes-Alpes sont présentées des aquarelles queyrassines de Georges Preiss (1899-1968), ainsi que deux conférences, par le pasteur Albert gaillard (Neuf mois d’hiver, trois mois d’enfer. La vie des protestants haut-alpins) et par le pasteur Jean Pellegrin (Actualité de Félix Neff) ; • l’exposition Maurice Leenhardt (1878-1954) et la Nouvelle-Calédonie, préparée et présentée par le centre régional de documentation pédagogique (C.R.D.P.) de Montpellier, du 6 au 22 février 1980. en marge de l’exposition et de ses animations, le pasteur Raymond Leenhardt, fils de l’ethnologue, donne une conférence, le 9 février dans les locaux de la rue Brueys, intitulée Maurice Leenhardt missionnaire.

18 Le mercredi 28 mai, la Société organise, conjointement avec le groupe d’histoire religieuse moderne et contemporaine de l’université Paul-Valéry, sous la direction du professeur Gérard Cholvy, une après-midi d’études consacrée aux « mouvements de jeunesse protestants en Languedoc‑Roussillon aux XIXe et XX e siècles ». Pendant plusieurs mois, la Société a recueilli les témoignages des « anciens » qui ont participé aux divers groupements (Unions chrétiennes de jeunes gens ou de jeunes filles, Fédé étudiante, La gerbe, scoutisme), pour reconstituer tous les aspects de la vie de ces mouvements (vie spirituelle, problèmes matériels, recrutement et effectifs, fonctionnement, noms des responsables…). L’inventaire des publications de ces associations se révèle à cette occasion un exercice délicat, en raison de la périodicité irrégulière de celles-ci, mais surtout de l’absence de collections complètes. Ces recherches donnent lieu à trois communications lors de la séance de travail : Les Unions chrétiennes de jeunes gens en Languedoc-Roussillon, XIXe-XXe siècles, par Élisabeth Manen ; La Gerbe, par Philippe Romestan ; et Le scoutisme unioniste, par le pasteur Jean Pellegrin.

19 Enfin, la Société met en place son propre cycle de conférences : le mercredi 26 mars 1980, le pasteur Bernard Reymond, de Lausanne, dresse un portrait d’Alexandre Vinet, autrement ; le dimanche 11 mai, Marianne Carbonnier, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France, présente Les bibliothèques populaires protestantes du XIXe siècle, un phénomène social ; le 9 décembre, le professeur Pierre Petit, de la faculté de théologie de

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Montpellier, évoque La jeunesse et la conversion d’un républicain protestant, Eugène Réveillaud (1851‑1878).

La mise en place du Comité

20 La première assemblée générale ordinaire de la Société se tient sous la présidence du doyen Gérard Delteil, le 17 janvier 1981, à 14h30 dans la salle de conférences des archives départementales4, gracieusement mise à disposition par Jean Sablou, conservateur en chef et directeur des services d’archives de l’Hérault.

21 En tant que président du comité provisoire, Guy Romestan présente le rapport moral et le rapport financier, adoptés à l’unanimité ; après l’assemblée, Jean Sablou livre une communication sur les Sources de l’histoire du protestantisme dans les fonds d’archives de l’Hérault ; celle-ci est suivie par une visite commentée des locaux (salle de lecture et magasins), ainsi que de l’exposition de documents sur l’histoire du protestantisme en Languedoc, préparée par Martine Sainte-Marie, conservatrice, et ses services.

22 L’assemblée générale, ayant fixé à huit le nombre de membres du comité directeur, procède aux élections. Onze candidatures, encouragées par Pierre Bourguet afin qu’il y ait possibilité de choix, sont présentées : sont élus Mademoiselle Danièle Fischer, enseignante en histoire à la faculté de théologie, Mademoiselle Marguerite Soulié, professeur de littérature à l’université Paul‑Valéry, le pasteur Pierre Bourguet, Christian chêne et Jean-Didier combes, maître Jacques Delteil, avocat à la cour, le docteur Marc Jaulmes, qui est élu la même année à l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, et Guy Romestan.

23 Outre ces membres élus, le comité comprend statutairement un membre désigné par la S.H.P.F. : il s’agit du professeur Frank Delteil, secrétaire général honoraire de la S.H.P.F. en 1991 lui succède le professeur Jacques Bompaire, de l’université Paris‑Sorbonne, lorsque celui-ci s’installe à Saint‑Christol‑les‑lès (Gard). en 2005, alors qu’elle exprime le souhait de se retirer du comité montpelliérain où elle siège depuis sa fondation, Marguerite Soulié accepte d’y rester en tant que déléguée de la S.H.P.F.

24 L’assemblée générale de janvier 1981 décide de nommer président d’honneur celui qui a été l’une des chevilles ouvrières de la création de l’association : le doyen Jean Cadier. Déjà souffrant, celui-ci décède malheureusement onze jours plus tard.

25 Réuni le mardi 26 mai, le comité directeur de la Société procède à l’élection de son bureau. Sur proposition de Pierre Bourguet, sont élus : président, Jacques Delteil ; vice- président, Marc Jaulmes ; secrétaire, Danièle Fischer ; trésorier, Guy Romestan. Pour son secrétariat, la Société va bénéficier de l’aide de la secrétaire de la faculté de théologie, Françoise Leenhardt, jusqu’à son départ à la retraite en 1997.

Composition de la Société

26 À sa création, la Société compte 70 cotisants. Grâce à une étude statistique réalisée à l’époque, nous pouvons nous faire une idée assez précise du visage de la Société. 64 de ses membres résident à Montpellier et dans ses environs, deux à Béziers, un à Ganges, un à Montagnac, un dans la région parisienne et un à Arras. Leurs activités professionnelles laissent apparaître un nombre élevé de pasteurs et d’enseignants : 15 pasteurs, dont 5 à la faculté de théologie et 7 retraités ; 24 enseignants, dont 10 à l’université Paul‑Valéry, 3 à la faculté de droit et des sciences économiques, 2 à l’École

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nationale supérieure d’architecture de Montpellier, 9 professeurs de l’enseignement secondaire dont 3 retraités ; 5 docteurs en médecine… Les membres appartiennent majoritairement à l’Église réformée de France (55), mais 4 aux Églises réformées évangéliques indépendantes, 2 à l’Église luthérienne, 1 à l’Église baptiste, et 10 n’appartiennent pas à une Église protestante. La Société a toujours eu à cœur d’être un lieu de rencontre par‑delà les appartenances confessionnelles. À l’assemblée générale de janvier 1981, 17 femmes sont inscrites pour 54 hommes.

27 Au cours de ses trois décennies d’activités, la Société va bénéficier du soutien ou de l’engagement de personnalités d’une grande richesse intellectuelle et attachées à l’histoire du protestantisme : les pasteurs Pierre Bourguet (1902-1984), Jean Pellegrin (1902‑1990) et Roger Chapal (1912‑1998) ; le docteur Salvaing († 1996) de Béziers, et charles Delormeau (1907‑1993), tous deux historiens éclairés ; le professeur Michel Péronnet (1931‑1998), directeur du centre d’histoire des réformes et du protestantisme de l’université Paul-Valéry, orateur de talent ; madame Colette Preiss (1919‑1999), bibliothécaire de la faculté de théologie…

Activités

28 L’activité principale de la Société est le cycle annuel de conférences qu’elle met en place. Soucieuse de ne pas limiter l’histoire à des spécialistes, la Société est ouverte au grand public, pour toutes les périodes historiques depuis la réforme, dans l’indépendance vis-à-vis de toutes les institutions – université Paul‑Valéry, faculté de théologie, Église réformée de France ou Églises évangéliques.

29 Les conférences ont lieu à la faculté de théologie ou aux archives départementales, puis à partir des années 2000 dans l’un des deux temples du centre‑ville, avant de revenir à la faculté de théologie en 2015.

30 Le 11 février 1981, le professeur Raymond Huard, de l’université Paul-Valéry, vient présenter les Protestants du Gard pendant les débuts de la Troisième République (1870‑1880). Le 23 mars 1981, le professeur Gabriel Audisio, de l’université de Provence, entretient le public des Vaudois de Provence aux XVe et XVIe siècles. Le professeur Claude Lauriol, de l’université Paul‑Valéry, évoque, le 27 octobre 1981, La Baumelle, un protestant cévenol entre Montesquieu et Voltaire. Le mardi 1er décembre 1981, à 18 heures, Charles Delormeau donne une conférence sur Mathurin Cordier et l’enseignement chez les premiers réformés.

31 Le 18 mars 1981, la Société participe à une réunion de travail et une table ronde sur « le scoutisme féminin en Languedoc-Roussillon » organisées à l’université Paul‑Valéry.

Le développement et le rayonnement de la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier

Conférences et colloques

32 Dans ses conférences, quels sujets la Société doit-elle aborder ?

33 Lors de l’une des premières assemblées générales, Charles Delormeau critique la place, excessive à son gré, occupée par l’histoire de la période la plus récente du protestantisme ! La réponse qui lui est faite souligne la volonté des fondateurs de la

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Société de ne pas concurrencer les institutions et centres de recherches plus anciens qui sont déjà voués à l’étude des XVIe, XVIIe et XVIII e siècles (Musée du désert et université Paul‑Valéry) ; mais il s’agit aussi, pour la Société, de se donner pour objet d’étude l’évolution du protestantisme à travers les siècles, jusqu’à l’époque contemporaine : les statuts de l’association précisent d’ailleurs que le champ de recherche va des origines de la réforme jusqu’en 1939, en ajoutant qu’à partir de 1979, la limite annuelle sera celle de l’année antérieure de 40 ans (article 3). L’évolution de la recherche au cours des vingt dernières années a rendu cette règle quelque peu obsolète…

34 La Société veille ainsi à l’alternance des thématiques d’histoire moderne et d’histoire contemporaine, dans la pluridisciplinarité (histoire, théologie, sociologie, littérature, musicologie…), en invitant des chercheurs universitaires comme des chercheurs amateurs.

35 Certaines des conférences programmées sont l’occasion de célébrer des anniversaires. Ainsi, le 6 janvier 1983, la Société s’associe à la Société d’histoire et d’archéologie de Montpellier et de sa région, à l’occasion du centième anniversaire de la chapelle de la rue Brueys, pour organiser la conférence de Guy Romestan sur Les protestants de Montpellier il y a cent ans. Pour le 500e anniversaire de la naissance de Martin Luther, en 1983, la Société invite le pasteur Albert Greiner, biographe du réformateur et dont les publications ont beaucoup contribué à faire connaître Luther en France. en 1985, pour la commémoration du tricentenaire de la révocation de l’Édit de Nantes, la Société s’associe au colloque de Nîmes et au colloque Jean‑Boisset de Montpellier5.

36 Et cette tradition se poursuit : les 25 et 26 juillet 2002, le comité de la Société est présent dans son ensemble au Pont‑de‑Montvert (Lozère) pour le tricentenaire de la guerre des Camisards6 ; en 2005, la Société apporte son soutien aux manifestations du « Forum laïcité » organisées au temple de la rue Maguelone pour le centenaire de la loi de Séparation des Églises et de l’État.

37 Le 10 décembre 2005, pour fêter son propre 25e anniversaire, la Société reçoit celui qui fut son premier conférencier, le professeur Charles‑Olivier Carbonell, sur le thème L’empreinte protestante dans la civilisation européenne.

38 Au-delà des conférences, la Société participe activement à l’organisation de colloques.

39 Elle co-organise le colloque Les Rabaut, du Désert à la Révolution7, dans le cadre du deuxième centenaire de l’Édit de tolérance, le samedi 23 mai 1987 à Nîmes, en collaboration avec la Société d’histoire du protestantisme de Nîmes et du Gard, la Société d’histoire moderne et contemporaine de Nîmes, la commission régionale d’histoire de la révolution française (Languedoc-Roussillon). Elle co‑organise le colloque Entre Désert et Europe, le pasteur Antoine Court8 en 1995, à l’occasion du tricentenaire de la naissance de celui-ci, conjointement avec la Société d’histoire du protestantisme de Nîmes et du Gard, la faculté de théologie et le centre d’études du XVIIIe siècle de l’université Paul‑Valéry.

40 Elle soutient le colloque Jansénisme et protestantisme, organisé en 1997 par l’université Paul-Valéry et l’association des Amis de Port‑Royal. Elle co‑organise la journée d’études Roland de Pury9 et l’exposition itinérante créée pour l’occasion au mois de décembre 2007. Elle co‑organise la journée d’études Une voie protestante dans une décennie de révolutions ? Protestantisme(s) des années 1960‑197010, qui se tient à l’université Paul‑Valéry

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en juin 2012. Depuis 2012, elle se joint à l’organisation de la journée annuelle de la toute jeune Société d’études du méthodisme français.

Publications et sauvegarde des archives

41 La Société d’histoire a publié à ses débuts une feuille d’information, relayant les annonces de publications, de souscriptions ou de colloques (notamment les colloques Jean‑Boisset organisés par le centre d’histoire des réformes et du protestantisme, dirigé par Michel Péronnet, ou ceux de l’équipe de recherche Mentalités et croyances contemporaines de l’université Paul-Valéry, dirigée par Gérard Cholvy). Ce bulletin présente également les activités du club cévenol, de l’assemblée du Désert à Mialet le premier dimanche de septembre, les rassemblements d’Églises (par exemple celui du Mémorial huguenot de l’île Sainte-Marguerite, dans la baie de cannes) ; il relaie enfin les demandes reçues de recherches généalogiques. La Société a soutenu la publication du premier volume de la correspondance de La Beaumelle en 2006. Un partenariat avec la librairie Jean‑Calvin d’Alès permet, ces dernières années, aux conférenciers et à leurs auditeurs d’avoir à leur disposition un stand de livres.

42 À partir de 1991, les conférences de la Société sont rediffusées sur la radio protestante locale FM Plus tout juste créée, à la suite de la proposition de son directeur d’antenne, le pasteur Pierre Zentz. Depuis 2009, la Société dispose d’un site internet pour relayer ses informations. Dès le lancement de la Société, Guy Romestan a mis l’accent sur la nécessité de sauvegarder les archives en péril, notamment celles des Églises réformées : il va être à l’origine du dépôt aux archives départementales de nombreux fonds dormant dans les armoires ou sur les étagères. Lors de l’assemblée générale de 1981, des participants signalent des documents menacés de disparition à Ganges, au Vigan, à Aulas… On s’inquiète du sort des archives consistoriales de Montagnac, des archives paroissiales de Saint‑Pargoire ; le professeur Henri Vidal, par ailleurs président de l’Association des amis de l’orgue de la cathédrale de Montpellier, attire l’attention sur les archives musicales (partitions, recueils de cantiques). Grâce à la mobilisation de la Société, de nombreux fonds sont déposés aux archives départementales de l’Hérault : • les archives du consistoire de Montpellier, des associations cultuelles réformées et de diverses œuvres protestantes de la ville, pour des documents allant de 1635 à 1984 (sous- série 12 J) ; • les papiers anciens du Foyer de la Jeune Fille, association protestante montpelliéraine créée en 1914 (sous-série 24 J, non encore classée) ; • les archives de l’ancien consistoire de Saint-Affrique et des paroisses réformées de Camarès, cornus, Saint-Jean du Bruel, Millau (Aveyron), allant de 1765 à 1973 (sous-série 18 J) ; • les archives du consistoire de Montagnac (Hérault), de l’an Xii à 1956 (sous-série 63 J) ; • les archives de l’Église réformée de Lunel (Hérault), allant de 1777 à 1969, ainsi que de la Société de bienfaisance des dames protestantes de la ville (sous-série 78 J).

43 La Société d’histoire fait elle-même un dépôt de livres (sous‑série 13 J).

44 Le mouvement de collecte, un temps suspendu, a été relancé en 2014, avec la création d’un fonds protestant d’archives (sous-série réservée 217 J) aux archives départementales, en partenariat avec la faculté de théologie11. Cette initiative a déjà permis de recueillir des archives de pasteurs et de familles, les archives anciennes de l’Église réformée de Sète, ainsi que celle de l’association des Amis de l’aumônerie militaire protestante de Montpellier (créée en 1977 et dissoute en 2010).

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Sauvegarde du patrimoine

45 Visionnaire, Guy Romestan invite également les sociétaires de Montpellier à s’associer aux efforts de restauration des monuments commémoratifs de l’histoire du protestantisme de la région, en particulier de la stèle du Pont d’Avène, à Saint-hilaire de Brethmas (Gard), ou du monument de Castelnau‑Valence en hommage au chef camisard Roland : il sollicite des dons pour cela. La Société prête son appui au recensement des plaques commémoratives de l’histoire protestante lancée par la société‑sœur de Nîmes. Par des dons, la Société soutient les entreprises de protection du patrimoine : dès 1981, elle alloue 500 francs de son budget à la restauration de plaques et monuments commémoratifs huguenots. en 1988, sollicitée par l’Association culturelle de sauvegarde du temple de Salinelles (Gard), par la famille Meynier de Salinelles et André Sauveplane, auteur d’un livre sur ce magnifique édifice menacé, elle fait un don de 1000 francs pour la restauration ; le temple de Salinelles, réalisé en 1845 selon des plans d’Élysée Mejan et dont le clocher abrite la cloche de l’ancien temple de Sommières de 1583, est inscrit peu de temps après au titre des monuments historiques. La Société accorde une subvention de 500 francs pour la restauration des vitraux du temple de Boissonade (Moissac) en 1991, au Musée international de la réforme à Genève lors de son ouverture en 2006, au patrimoine protestant de l’Ardèche en 2007, au temple de Luneray (Seine‑Maritime) pour la célébration des 200 ans de son édification en 2012. Bien sûr, la Société n’oublie pas les lourdes charges de la S.H.P.F. et de son musée-bibliothèque de la rue des Saints‑Pères à Paris, et la soutient financièrement de manière régulière.

46 Sur le plan local, la Société s’inquiète de la réalisation d’une stèle publique en l’honneur des pasteurs et prédicants exécutés à Montpellier – vieux rêve remontant au début du XXe siècle - qui est finalement installée sur l’esplanade Charles‑de‑Gaulle par la municipalité en 2008 (fig.1).

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Fig. 1

Montpellier (Hérault), monument commémoratif des pasteurs et prédicants exécutés à Montpellier (2008) © Pierre-Yves Kirschleger

47 La même année, la Société soutient activement l’initiative du pasteur baptiste André La Barbe pour faire modifier le texte des deux plaques descriptives apposées sur l’Arc de triomphe de Montpellier (fig.2). commentant pour les visiteurs le médaillon représentant la Foi terrassant l’Hérésie fig.3), cette plaque présentait en effet la révocation de l’édit de Nantes comme l’un des grands actes du règne de Louis XIV : Les médaillons, évoquant allégoriquement quelques grands actes du règne du monarque, représentent côté campagne Louis XIV sous les traits d’Hercule foulant le lion d’Angleterre et mettant en fuite l’aigle de l’Empire, la prise de Mons et de Namur ; côté ville, la Révocation de l’Édit de Nantes, la création du canal des deux mers.

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Fig. 2

Montpellier (Hérault), porte du Peyrou en forme d’arc de triomphe (1691-1693) © Pierre-Yves Kirschleger

Fig. 3

Montpellier (Hérault), porte du Peyrou en forme d’arc de triomphe ; médaillon représentant de manière allégorique la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV, l’hérésie vaincue © Pierre-Yves Kirschleger

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48 La Société écrit donc au maire-adjoint délégué à la culture, Philippe Saurel, pour solliciter une réécriture de cette formulation inadéquate, jugée même choquante ; une nouvelle plaque est installée peu après, avec une formulation neutre (certains événements).

49 Le 5 septembre 1988, la Société participe à l’accueil des descendants de huguenots à Montpellier. c’est un événement considérable que la réunion internationale des descendants de huguenots qui se tient dans la région du 2 au 9 septembre de cette année-là : 150 personnes, sous la conduite du docteur René Bosc, de Nîmes, sont reçues à Montpellier par Christine Lazerges, au nom de la municipalité, et par André Féline au nom de l’Église réformée de Montpellier ; un culte spécial a lieu au temple de la rue Maguelone, présidé par le pasteur André Gounelle, juste après l’assemblée du Désert. Grâce à l’implication de son président, la Société tisse des liens étroits avec la Société huguenote suisse.

Conclusion

50 Avec trente-cinq ans d’activités et plus de 250 conférences organisées, la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier a largement honoré les ambitions de ses fondateurs : faire rayonner le protestantisme en faisant connaître son histoire à un large public. et depuis sa création, la Société s’efforce d’y contribuer en évitant les écueils du tout entre soi, en dehors de toute « vanité » protestante qui fait parfois de la réforme la mère de la démocratie, de la révolution, du capitalisme et de la plupart des valeurs modernes… tout autant que l’histoire du protestantisme, la Société essaie de faire découvrir l’inscription du protestantisme et des protestants dans l’histoire plus générale de leur pays, et l’éclectisme des sujets abordés est bien le reflet de cet esprit d’ouverture qui a présidé à sa création.

51 Pour ce faire, la Société a bénéficié de l’engagement des membres de son comité, du soutien d’un grand public curieux et avide de savoir, de la présence de la faculté de théologie et des universités comme de la collaboration des archives départementales. Elle a surtout bénéficié de la disponibilité et de l’érudition de ses conférenciers, qui lui ont permis de s’inscrire, au fil du temps, dans le paysage culturel de la ville.

ANNEXES

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Annexe 1 : Membres du comité directeur de la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier depuis sa création

Sont indiquées entre parenthèses les dates de participation et les fonctions exercées au sein du comité. • Mademoiselle Danièle Fischer, maître de conférences d’histoire ecclésiastique à la faculté de théologie protestante de Montpellier (élue en 1981 ; secrétaire du comité ; ne se représente pas en 1983). • Mademoiselle Marguerite Soulié, professeur de littérature à l’université Paul‑Valéry (élue en 1981 ; vice-présidente de 1995 à son décès en 2009). • le pasteur Pierre Bourguet (élu en 1981 ; décédé en 1984). • Christian chêne, docteur en droit et agrégé d’histoire du droit (élu en 1981 ; ne se représente pas en 1983). • Jean-Didier combes (élu en 1981 ; ne se représente pas en 1983). • Maître Jacques Delteil, avocat à la cour (élu en 1981 ; président de la Société de 1981 à son décès en 2016). • docteur Marc Jaulmes, de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier (élu en 1981 ; vice-président de 1981 à 1985 ; ne se représente pas en 1990). • Guy Romestan, professeur d’histoire médiévale à l’université Paul-Valéry (élu en 1981 ; trésorier de 1981 à 1985 ; ne se représente pas en 1985 ; élu à nouveau en 1994 ; décédé en 1997). • doyen André Gounelle, professeur de systématique-dogmatique à la faculté de théologie (élu en 1983 ; secrétaire de 1983 à 1999 ; ne se représente pas en 2003). • préfet Robert Poujol (élu en 1983 ; ne se représente pas en 2003). • Charles Delormeau, historien (élu en 1983 ; vice-président de 1985 à son décès en 1993). • Pierre Nègre, avoué à la cour (élu en 1985 ; trésorier de 1985 à son décès en 1997). • Claude Lauriol, professeur de littérature à l’université Paul-Valéry (élu en 1985 ; vice-président depuis 2010). • Jean Gartner, ingénieur et géophysicien (élu en 1989 ; trésorier de 1997 à son retrait en 2013). • Madame Agnès Parmentier, conservatrice aux archives départementales de l’Hérault (élue en 1991 ; se retire suite à son départ à Paris en 1993). • Hubert Bost, maître de conférences, puis professeur en histoire moderne à la faculté de théologie (élu en 1991 ; vice-président de 1993 à 1995 ; se retire suite à son départ à Paris en 2004). • Laurent Gambarotto, maître de conférences en histoire contemporaine à la faculté de théologie (élu en 1993 ; se retire suite à son départ de Montpellier en 2002). • Mademoiselle Françoise Mourgue‑Molines, conservatrice à la bibliothèque municipale de Montpellier (élue en 1995 ; secrétaire de 1999 à 2007 ; ne se représente pas en 2007). • Francis Higman, ancien directeur de l’institut d’histoire de la réformation de Genève (élu en 1999 ; décédé en 2015). • Jean-Claude gaussent, professeur, docteur en histoire (élu en 1999 ; décédé en 2015). • Pierre-Yves Kirschleger, agrégé d’histoire, maître de conférences à l’université Paul-Valéry (élu en 2003 ; secrétaire depuis 2007).

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• Jean-Claude Lacroix, président de l’Association des chercheurs et généalogistes cévenols (élu en 2003 ; ne se représente pas en 2013). • Jean-François Zorn, professeur d’histoire du christianisme à l’époque contemporaine à la faculté de théologie (élu en 2003). • Daniel Bolliger, maître de conférences en histoire moderne à la faculté de théologie (élu en 2005 ; se retire suite à son départ de Montpellier en 2012). • pasteur Paul Loupiac (élu en 2005 ; trésorier en 2013-2014). • Frank La Barbe, professeur d’histoire, docteur en ethnologie (élu en 2007). • Georges Vidal, professeur d’histoire au lycée Joffre, docteur habilité en histoire (élu en 2013 ; trésorier depuis 2016). • Gilles Vidal, maître de conférences en histoire du christianisme à l’époque contemporaine à la faculté de théologie (élu en 2013). • Stéphane Zehr, pasteur, libraire à la librairie Jean‑Calvin d’Alès (élu en 2013 ; trésorier en 2014‑2016). • Madame Chrystel Bernat, maître de conférences en histoire du christianisme à l’époque moderne à la faculté de théologie, directrice-rédactrice de la revue Études théologiques et religieuses (élue en 2015).

Annexe 2 : Liste des conférences organisées par la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier

Malgré les recherches effectuées, il est possible que toutes les dates n’aient pas été retrouvées : les conférenciers qui ne trouveraient pas ici leur nom voudront bien nous en excuser. 22 mai 1979 : Protestantisme et historiographie au XIXe siècle, par Charles-Olivier CARBONELL, maître de conférences à l’université Paul-Valéry de Montpellier 26 mars 1980 : Alexandre Vinet autrement, par le pasteur Bernard REYMOND, de Lausanne, chargé d’enseignement à la faculté de théologie protestante de Montpellier 11 mai : Les bibliothèques populaires protestantes au XIXe siècle, phénomène social, par Mlle Marianne CARBONNIER, conservatrice à la Bibliothèque Nationale, membre du comité de la S.H.P.F. 28 mai : La S.H.P.M. organise, conjointement avec le groupe d’histoire religieuse moderne et contemporaine de l’université Paul-Valéry (s.dir. professeur Gérard Cholvy), une séance de travail sur Les mouvements de jeunesse protestants en Languedoc- Roussillon aux XIXe et XXe siècles : - Mlle Élisabeth MANEN, Les Unions chrétiennes de Jeunes Gens en Languedoc-Roussillon, XIXe- XXe siècles, - Philippe ROMESTAN, La Gerbe, - le pasteur Jean PELLEGRIN, Le scoutisme unioniste. 9 décembre : Jeunesse et conversion d’un républicain protestant, Eugène Réveillaud (1851‑1878), par le pasteur Pierre Petit, professeur honoraire à la faculté de théologie de Montpellier 17 janvier 1981 : Sources de l’histoire du protestantisme dans les fonds d’archives de l’Hérault, par Jean SABLOU, conservateur en chef, directeur des archives départementales 11 février : Les protestants du Gard pendant les débuts de la Troisième République (1870‑1880), par Raymond HUARD, professeur d’histoire à l’université Paul‑Valéry 23 mars : Les Vaudois de Provence aux XVe et XVIe siècles, par Gabriel AUDISIO, maître de conférences en histoire moderne à l’université de Provence

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27 octobre : La Beaumelle, un protestant cévenol entre Montesquieu et Voltaire, par Claude LAURIOL, professeur de littérature à l’université Paul-Valéry 1er décembre : Mathurin Cordier et l’enseignement chez les premiers réformés, par Charles DELORMEAU, historien 30 janvier 1982 : Images du protestantisme nîmois au XIXe siècle, par le pasteur Pierre Petit, professeur honoraire à la faculté de théologie de Montpellier 17 mars : Agrippa d’Aubigné, historien et prophète, par Mademoiselle Marguerite SOULIÉ, professeur de littérature à l’université Paul‑Valéry 27 avril : La Grande Arche des fugitifs, ou les Huguenots français aux Pays-Bas, par Madame Jacqueline BRUGEROLLE, conférencière de l’Alliance française des Pays‑Bas 18 mai : La révolution religieuse à Millau au XVIe siècle, par Frank DELTEIL, agrégé d’histoire, secrétaire général honoraire de la S.H.P.F. 4 novembre : Les grandes heures du protestantisme à Montpellier, par le pasteur Henri BOSC, docteur ès lettres, conservateur honoraire de la bibliothèque de la S.H.P.F. 4 décembre : Antoine Bigot, poète et fabuliste protestant de langue d’oc, par le pasteur René CHÂTEAU (Nîmes) 6 janvier 1983 : Les protestants de Montpellier il y a cent ans, par Guy ROMESTAN, de l’université Paul‑Valéry 29 janvier : Historique de la faculté de théologie de Montpellier, par Mademoiselle Danièle FISCHER, maître de conférences à la faculté de théologie de Montpellier 19 février : Entre Genève et Strasbourg. La mésaventure de nos ministères, par le pasteur Jean PELLEGRIN (Montpellier) 19 mars : L’Intendant Basville et les protestants, par Robert POUJOL, préfet honoraire 15 octobre : Un pasteur non conformiste au XVIe siècle : le transylvanien Ferencz David, apôtre de la tolérance et fondateur des Églises unitariennes, par le doyen André GOUNELLE, de la faculté de théologie de Montpellier 19 novembre : Luther le réformateur, par le pasteur Albert GREINER, agrégé de l’université, docteur en théologie, inspecteur ecclésiastique honoraire de l’Église évangélique luthérienne de France à Paris 14 janvier 1984 : Les Académiciens huguenots de Nîmes et la Révocation de l’Édit de Nantes, par le pasteur Idebert EXBRAYAT (Calvisson) 18 février : Le protestantisme dans « l’Encyclopédie », par Jacques PROUST, professeur de littérature à l’université Paul‑Valéry 3 mars : Quand les francophones découvrent Karl Barth, par le pasteur Bernard REYMOND, de Lausanne 5 mai : Isabelle de Charrière (1740‑1805), un écrivain protestant méconnu, par Madame Jacqueline BRUGEROLLE‑AUTRAND, conférencière de l’Alliance française des Pays‑Bas 26 mai : Eugène Réveillaud, propagandiste protestant (1878‑1902), par le pasteur Pierre Petit, professeur d’histoire honoraire à la faculté de théologie de Montpellier 20 octobre : L’abbé du Chayla, par Robert POUJOL, préfet honoraire 24 novembre : Luther et Calvin lecteurs de l’épître aux Romains, par François VOUGA, maître de conférences de nouveau testament à la faculté de théologie de Montpellier 26 janvier 1985 : État des recherches récentes concernant la Fédération française des Associations Chrétiennes d’Étudiants, par Gérard CHOLVY, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul‑Valéry 16 février : Élie Gounelle à Ganges, un homme qui n’a jamais renoncé, par le pasteur Jacques

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MARTIN 26 mars : Jean-Sébastien Bach, théologien. Entre l’orthodoxie protestante et le piétisme, par le pasteur Jean-Denis KRAEGE, du canton de Vaud, chargé d’enseignement à la faculté de théologie de Montpellier 27 avril : Marsillargues, par Jean-Marc DAUMAS, professeur d’histoire à la faculté de théologie réformée d’Aix‑en‑Provence 26 octobre : Les protestants du Midi, par le professeur Michel PERONNET, de l’université Paul‑Valéry, directeur du centre d’histoire des réformes et du protestantisme 18 janvier 1986 : Aux sources du piétisme, un regard sur le XIVe siècle et les cercles d’ « amis de Dieu », par le pasteur Jean PELLEGRIN (Montpellier) 15 mars : Les Quakers de la Vaunage entre l’Encyclopédie et Rousseau, par le professeur Jacques PROUST, de l’université Paul‑Valéry 26 avril : « L’Évangéliste », reportage d’Alphonse Daudet sur les protestants, par Robert POUJOL, préfet honoraire 24 mai : Le Refuge huguenot à Berlin et en Brandebourg, par le pasteur Aimé BONIFAS (Nîmes) 18 octobre : Un village protestant languedocien, Codognan, par Pierre FANGUIN, professeur à Nîmes 6 décembre : Quelques aspects peu connus de l’histoire des Églises Réformées en Bas‑Languedoc, à partir de l’enquête nationale sur l’état‑civil des protestants, par Madame Agnès PARMENTIER, conservatrice en chef, directrice des archives départementales de l’Hérault 17 janvier 1987 : La théologie réformée, ses grands principes et leur actualité, par le professeur André GOUNELLE, de la faculté de théologie de Montpellier 21 février : Le consistoire de Montagnac, par le docteur SALVAING (Béziers) 26 mars : Les psaumes de Marot et de Bèze, et leur place dans la tradition réformée, par le pasteur François GONIN 2 avril : Notre histoire, cet avenir, par le professeur Jean CARBONNIER, de l’université de droit de Paris, conservateur du musée du Désert 16 mai : Le protestantisme nîmois sous la Restauration, par le pasteur Pierre Petit, professeur honoraire à la faculté de théologie de Montpellier 24 octobre : L’Édit de tolérance de 1787, par le professeur Claude LAURIOL, vice-président de l’université Paul-Valéry 14 novembre : Le Refuge en Suisse, par Madame SAXER, secrétaire générale de l’Association suisse pour l’histoire du refuge huguenot (Berne) 16 janvier 1988 : Quelques remarques sur quelques familles protestantes montpelliéraines, par Jean GARTNER (Montpellier) 6 février : L’évocation de la douloureuse époque du Désert dans l’œuvre du poète nîmois du Languedoc, Antoine Bigot, par le pasteur René CHÂTEAU (Nîmes) 19 mars : Les protestants français et l’Étranger, 1687-1710, par Henri DUBLED, archiviste- paléographe, conservateur de la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras 29 octobre : La reconstitution de l’Église Réformée de France en 1938, par le pasteur Philippe VASSAUX, de la paroisse de l’Oratoire du (Paris), membre du comité de la S.H.P.F. 17 novembre : Orthez ou le chant des anges, par Hubert BOST, assistant de recherche en histoire à la faculté de théologie de Montpellier

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14 janvier 1989 : Worms et Heidelberg, citadelles de la foi, par Guy ROMESTAN, de l’université Paul‑Valéry 18 février : Justin Beaux de Magnerelles (1740-1794), par le professeur Didier POTON, agrégé et docteur en histoire 18 mars : Protestantisme et Révolution, par le professeur Michel PÉRONNET, de l’université Paul-Valéry, directeur du centre d’histoire des réformes et du protestantisme 15 avril : Les choix politiques des protestants au XIXe siècle, par le professeur André ENCREVÉ, de l’université de Limoges, membre du comité de la S.H.P.F. 20 mai : Pourquoi les vaudois sont-ils devenus protestants ?, par Gabriel AUDISIO, maître de conférences à l’université de Provence 21 octobre : Comment et pourquoi le marquis de La Fayette s’est-il intéressé aux protestants ?, par le docteur René BOSC (Nîmes) 25 novembre : Protestantisme et Révolution, par le pasteur Philippe VASSAUX (Paris) 13 janvier 1990 : Il y a cent ans, les protestants et l’Université, par le professeur Guy ROMESTAN, de l’université Paul-Valéry 10 février : Le protestantisme français durant la guerre 1914-18, par Laurent GAMBAROTTO, maître assistant en histoire à la faculté de théologie de Montpellier 17 mars : Les nouveaux convertis de Montpellier : leur rôle caché après la Révocation, par robert POUJOL, préfet honoraire 19 mai : Entre rupture et continuité : Réforme, anabaptisme et baptisme, par André LOVERINI, professeur au Lycée Joffre de Montpellier 20 octobre : Duplessis-Mornay et l’accession d’Henri de Navarre à la couronne de France, par Madame Marie-Madeleine FRAGONARD, professeur de littérature française à l’université Paul-Valéry 17 novembre : Idelette de Bure, femme de Calvin, par le pasteur François GONIN, membre du comité de la S.H.P.F. 19 janvier 1991 : République et protestantisme, par le professeur Michel PERONNET, de l’université Paul-Valéry 16 mars : Doutes sur la date de naissance du protestantisme, par le pasteur Hubert BOST, chargé de cours en histoire moderne à la faculté de théologie de Montpellier 13 avril : Napoléon Bonaparte et le protestantisme, rétablissement et réorganisation du culte, par Charles DELORMEAU, historien 26 octobre : Image de la Réforme dans la propagande du Réveil, l’exemple de la « Feuille religieuse du canton de Vaud » (XIXe siècle), par Mademoiselle Marguerite SOULIÉ, de l’université Paul‑Valéry 30 novembre : Cette grande Corisande, ou l’inspiration politique d’Henri de Navarre, par Claude DOMERCQ, docteur en droit, ancien directeur à la B.N.P. 11 janvier 1992 : Le patriarche Photius, précurseur de la Réforme ?, par le professeur Jacques BOMPAIRE, président honoraire de la S.H.P.F. 8 février : Le protestantisme de Sète et l’établissement des Bains de mer au siècle dernier, par Jean-Claude GAUSSENT, docteur en histoire 21 mars : L’art et les protestants, de Rembrandt à Sébastien Bourdon, par robert POUJOL, préfet honoraire 23 mai : Samuel Vincent (1787-1837) témoin du protestantisme et analyste de la société française, par le pasteur Roger GROSSI, président de la Société d’histoire du protestantisme de Nîmes et du Gard

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3 juin : Le rôle des missions protestantes dans le combat anti-esclavagiste de la fin du XIXe siècle, par le pasteur Jean-François ZORN, ancien responsable du D.E.F.A.P. 17 octobre : Napoléon Peyrat (1809‑1881) pasteur, historien des cathares et des camisards, poète. Éléments biographiques et témoignage sur le siège de Paris en 1871, par Madame Agnès PARMENTIER, conservatrice en chef des archives départementales de l’Hérault 14 novembre : Court de Gibelin (1725‑1784), un protestant pré-révolutionnaire, par Madame Anne-Marie MERCIER-FAIVRE, professeur à Annecy 5 décembre : Révolution, République et Protestantisme, par le professeur Michel PÉRONNET, de l’université Paul‑Valéry 16 janvier 1993 : Frédéric Bazille et sa peinture, par le docteur Marc JAULMES et Jean GARTNER 6 février : Le philosophe protestant danois Sören Kierkegaard, par le pasteur Jacques RIGAUD (Saint‑Hippolyte‑du‑Fort) 6 mars : La justification des prises d’armes de Condé au début des guerres de Religion, par Madame Arlette JOUANNA, professeur d’histoire moderne à l’université Paul‑Valéry 3 avril : Les protestants de Montagnac, par le docteur SALVAING (Béziers) 5 juin : Des protestants méconnus : ceux de l’Ouest, par Madame Nicole MEYER‑VRAY 23 octobre : La prédication du pasteur Jean Cadier à Montpellier pendant la guerre 1939-1945, par le doyen Gérard DELTEIL, de la faculté de théologie de Montpellier 13 novembre : Catharisme et protestantisme, par le pasteur Michel JAS (Nîmes) 11 décembre : L’affaire Calas, par le professeur Claude LAURIOL, de l’université Paul- Valéry 15 janvier 1994 : Sébastien Castellion et les limites de la tolérance au XVIe siècle, par le pasteur Philippe VASSAUX (Paris) 26 février : En marge du rêve américain : les Amish, par le pasteur Aimé BONIFAS (Nîmes) 19 mars : Port-Royal vu par les protestants, par le doyen André GOUNELLE, de la faculté de théologie de Montpellier 16 avril : Un protestant héros de la Résistance : le commandant Pierre Colin, 1900-1944, par Guy ROMESTAN, de l’université Paul‑Valéry 15 octobre : La place du protestantisme dans la civilisation française, aspects généraux, aspects historiques, aspects actuels, par le professeur Roger ZUBER, de l’université Paris- Sorbonne, président de la S.H.P.F. 19 novembre : La découverte des huguenots par les historiens (1830-1848), par Michel DESPLAND, professeur à l’université Concordia de Montréal (canada) 10 décembre : Deux personnalités protestantes montpelliéraines : Alexandre et Alfred Westphal, par Mademoiselle Françoise MOURGUE‑MOLINES, conservateur en chef honoraire à la bibliothèque municipale de Montpellier 21 janvier 1995 : La religion du père : Jacques Fontaine, mémorialiste protestant (1658‑1728), par le professeur Bernard COTTRET, de l’université de Versailles‑Saint‑Quentin 25 février : Le chef camisard Rolland : de la Légende à l’Histoire, par Max CHALEIL, éditeur 1er avril : , restaurateur du protestantisme français au XVIIIe siècle, par le professeur Maurice BOULLE, historien spécialiste du Vivarais 6 mai : Abjurations et abjurants en Pays castrais à l’époque de la Révocation de l’Édit de Nantes, par Madame Nathalie ROUBEAU 9 juin : Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, par le professeur Jean DELUMEAU, du collège de France 14 octobre : À propos de Madame de Bourdic, née Payan de l’Estaing, la muse du fort de Nîmes

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(1780-1788), par le docteur René BOSC (Nîmes) 18 novembre : L’affaire Caroli (1537-1545) : Calvin, Farel et Viret accusés d’antitrinitarisme, par Jean-François GOUNELLE 20 janvier 1996 : Protestants et juifs dans le Gard pendant l’affaire Dreyfus (1894-1906), par Madame Yolande DELARUELLE 17 février : Le fantôme de Luther au Japon (XVIe‑XVIIIe siècles), par le professeur Jacques PROUST, de l’université Paul‑Valéry 16 mars : Le dominicain Pierre Dore : première opposition religieuse à Calvin, par Madame le professeur Marie‑Madeleine FRAGONARD, de l’université Paris III 4 mai : Les correspondances de notables montpelliérains avec l’Académie d’Arras avant la Révolution, par le pasteur Paul DOMBRE (Nîmes) 19 octobre : Les Pères de l’Église avant la Réforme, par le professeur Jacques BOMPAIRE, de l’université Paris-Sorbonne, président honoraire de la S.H.P.F. 16 novembre : Autour du « Théâtre sacré des Cévennes », par Max CHALEIL, éditeur 14 décembre : Le cœur et la raison chez le pasteur Adolphe Monod, par Laurent GAMBAROTTO, de la faculté de théologie de Montpellier 18 janvier 1997 : John KNOX, l’homme et l’œuvre, par le professeur Pierre JANTON, de l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand 15 février : Le protestantisme à Sedan, par le pasteur Philippe VASSAUX (Paris) 15 mars : Réactions protestantes face au Ralliement de l’Église catholique à la République (1890-1894), par Madame Yolande FOURCHARD-GOUNELLE, docteur en histoire 12 avril : Un maire protestant, Jules Pagézy (1802‑1882), initiateur des aménagements haussmanniens de la ville de Montpellier, par Robert POUJOL, préfet honoraire 31 mai : Le Réveil protestant au XIXe siècle : un exemple, Le Vigan, par le pasteur Christian ALMÉRAS 15 novembre : À l’occasion du Quatrième Centenaire de la signature de l’Édit de Nantes : Protestantisme et Protestants du Midi, dix ans de recherche 1985-1995, par le professeur Michel PÉRONNET, de l’université Paul‑Valéry 17 janvier 1998 : L’action de la Fédération des Églises du Christ en Amérique en faveur du protestantisme français (1915‑1923), par le pasteur Laurent GAMBAROTTO, de la faculté de théologie de Montpellier 21 février : L’apport du protestantisme à l’idéal laïque (1860-1905), par Patrick CABANEL, maître de conférences à l’université de Toulouse-Le Mirail 14 mars : Mes rencontres avec Albert Speer, ministre d’Hitler, criminel de guerre, Histoire d’une conversion difficile, par le pasteur André HAPPEL, ancien aumônier militaire à Berlin 18 avril : Les rebaptisations de 1752, par Jean-Claude GAUSSENT, docteur en histoire 24 octobre : John Bost et la pérennité des Asiles, par Madame Irène WESTPHAL (Montpellier) 21 novembre : Jeunes protestants dans le siècle, histoire de la Fédération Française des Associations Chrétiennes d’Étudiants (Fédé) 1898-1968, par Rémi FABRE, maître de conférences à l’université de Nantes 19 décembre : Claude Brousson (1647-1698), un avocat entre loyauté et insoumission, par Madame Muriel FLOUTIER-FRANC, historienne 30 janvier 1999 : Catholiques et protestants lisaient-ils de la même manière ? Ce que révèlent les gravures et peintures, par le professeur Michel DESPLAND, de l’université Concordia de Montréal (canada)

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27 février : Le témoignage de John Locke sur la situation du protestantisme français à la veille de la Révocation (1676-1679), par le professeur Jacques PROUST, de l’université Paul‑Valéry 27 mars : Les voyages de Stendhal à Montpellier et dans les Cévennes, par Robert POUJOL, préfet honoraire 24 avril : Sur les traces de Luther en Allemagne, par Madame Christiane POHER, ancien conservateur des Musées de France 29 mai : Lire la Bible en français au XVIe siècle ?, par le professeur Francis HIGMAN, de l’institut d’histoire de la réformation de Genève 23 octobre : La face cachée du Psautier de la Réforme, par le pasteur François GONIN 20 novembre : L’Intendant Basville, par Madame Françoise MOREIL, professeur à l’université d’Avignon 11 décembre : Le Protestantisme en pays de Cèze et à Saint-Ambroix à travers l’histoire d’une famille, par Jean-Claude LACROIX, historien 15 janvier 2000 : Le prophétisme cévenol, archaïsme ou modernité ?, par Jean-Paul CHABROL, historien 19 février : À propos des mémoires d’Élie Salvaire, sieur de Cissalières, un cévenol face aux Dragons du Roi et aux Camisards, par le professeur Didier POTON, de l’université de Poitiers 18 mars : Autour du protestantisme lunellois (1788‑1848), par Madame Yolande FOURCHARD-GOUNELLE, docteur en histoire 15 avril : François Guizot, du Désert au Palais des Tuileries, par Pierre‑Yves KIRSCHLEGER agrégé d’histoire 7 octobre : Jean de Léry, les protestants et l’Écriture sous l’Ancien Régime, par le professeur Paolo CARILE, de l’université de Ferrare (Italie) 18 novembre : Les combats d’Henri de Rohan (1579-1638), un Huguenot de plume et d’épée, par Madame Solange DEYON, professeur à l’université de Strasbourg, et le recteur Pierre DEYON 16 décembre : La démolition du temple de Montpellier avant la Révocation, par Madame Muriel FLOUTIER-FRANC, historienne 13 janvier 2001 : La vocation européenne du protestantisme français, par le pasteur Philippe VASSAUX (Paris) 17 février : Les relations baptistes-catholiques en France de 1820 à 1950, un aspect historique, par Sébastien FATH, chercheur au C.N.R.S. 10 mars : Gallargues-le-Montueux : une communauté languedocienne dans sa lutte contre le prieur à la veille de la Réforme 1536-1560, par Madame Anny HERRMANN, historienne 21 avril : La Rochelle et les protestants, par Madame Nicole VRAY, docteur ès-lettres 19 mai : Paul Rabaut, ministre de la Religion Réformée en Languedoc au milieu du XVIIIe siècle, par Jean-Claude GAUSSENT, docteur en histoire 20 octobre : Une famille protestante à Sète à la veille de la Révolution, par Jean-Claude GAUSSENT, docteur en histoire 24 novembre : Le consistoire de Courtezon (Vaucluse) au XVIIe siècle, par Madame Françoise MOREIL, professeur à l’université d’Avignon 15 décembre : Le prophétisme cévenol et les Multipliants de Montpellier, par Daniel VIDAL, directeur d’études à l’École pratique des hautes études 12 janvier 2002 : Sébastien Castellion (1515-1563), un réformé non-conformiste et exemplaire, par le professeur André GOUNELLE, de la faculté de théologie de Montpellier 23 février : La « conscience martyre » des Églises sous la Croix, par le professeur Hubert

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BOST, de la faculté de théologie de Montpellier 23 mars : La découverte du premier écrit de Guillaume Farel (1524), par le professeur Francis HIGMAN, de l’institut d’histoire de la réformation de Genève 27 avril : La Révocation de l’Édit de Nantes, « la voie de douceur » et les distributions de livres aux nouveaux convertis, par Bernard CHÉDOZEAU, agrégé de lettres, docteur d’État, inspecteur d’académie 8 juin : Les Huguenots et le Roi : le combat politique de Philippe Duplessis-Mornay (1572-1600), par Hugues DAUSSY, maître de conférences à l’université du Maine 12 octobre : Les Huguenots à Berlin de Louis XIV à Hitler, par le pasteur Aimé BONIFAS, de l’Académie de Nîmes 16 novembre : Les articles organiques des cultes protestants en 1802 et leur application dans l’Église réformée de Montpellier, par Laurent GAMBAROTTO, maître de conférences à la faculté de théologie de Montpellier De janvier à mars 2003, la S.H.P.M. s’associe aux conférences organisées autour de l’exposition « Lettre pour l'Europe. Philippe Melanchthon (1497‑1560) », exposition itinérante internationale créée à l’occasion du 500e anniversaire de la naissance de Philippe Melanchthon. 5 avril 2003 : Les protestants de Provence au XVIIe siècle, par Madame Céline BORELLO, docteur en histoire 3 mai : Des protestants aux origines des Caisses d’épargne, par Marc CHOLVY, docteur en histoire 14 juin : La famille du pasteur Marc Boegner, par Pierre BARRAL, professeur émérite à l’université Paul‑Valéry 18 octobre : Regards protestants sur l’arrivée de l’Armée du Salut en France (1881), par Pierre- Yves KIRSCHLEGER, agrégé d’histoire 8 novembre : Comment rendre les œuvres de Calvin intéressantes, par le professeur Francis HIGMAN, de l’institut d’histoire de la réformation de genève 13 décembre : Les Castelnau, une dynastie de négociants protestants au XIXe siècle en Languedoc, par Lionel DUMOND, maître de conférences à l’université Paul‑Valéry 24 janvier 2004 : La transmission de l’Évangile aujourd’hui, par le pasteur Michel BERTRAND, responsable de Théovie, service de formation théologique à distance de l’Église réformée de France 21 février : Olivier de Serres, agronome et réformé, par Henri GOURDIN, écrivain et biographe 20 mars : Les galériens de la foi à Nîmes et Montpellier, par Madame Claude GAIDAN, membre correspondant de l’Académie de Nîmes 24 avril : Benjamin-Sigismond Frossard et Guillaume de Felice, deux théologiens protestants anti-esclavagistes, par le doyen Jean‑François ZORN, professeur à la faculté de théologie de Montpellier 12 juin : À propos des Cévennes catholiques, confessionnalisations en Cévennes, par robert SAUZET, professeur émérite de l’université de tours 30 octobre : Les prisonniers du fort Vauban à Alès, 1687-1767, par Monsieur et Madame SALÉRY 20 novembre : Théophraste Renaudot (1586-1653), du médecin au prix littéraire, par Madame Nicole VRAY, docteur ès-lettres et doctorante en théologie 11 décembre : Sortir du Royaume au XVIIIe siècle : les nouveaux convertis du Languedoc en liberté surveillée, par Jean-Claude GAUSSENT, docteur en histoire

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22 janvier 2005 : Promenade historique à travers le passé protestant de Montpellier, par Valdo PELLEGRIN, maître de conférences à l’école de chimie de Montpellier 5 mars : Jacques de Barjac, Marquis de Rochegude au secours des réfugiés et condamnés pour leur foi, par Claude-Jean GIRARD, écrivain 9 avril : Parcours dans les vignes avec les agronomes protestants d’Olivier de Serres au XIXe siècle, par Jean-Claude MARTIN, secrétaire général de l’institut supérieur de la vigne et du vin de Montpellier 21 mai : Le siège du Mas d’Azil. Les protestants ariégeois contre les armées du Roi, par Hubert D’AMBROIX de LARBONT 11 juin : Inquisition et protestantisme en Espagne aux XVIe et XVIIe siècles, par Michel BOEGLIN, maître de conférences en littérature et civilisation espagnoles à l’université Paul-Valéry octobre-novembre 2005 : la S.H.P.M. apporte son soutien aux manifestations du Forum Laïcité, organisées au temple de la rue Maguelone (cycle de quatre conférences ; exposition La laïcité en France, avec des documents inédits prêtés par Madame Violette Méjan). 10 décembre : L’empreinte protestante dans la civilisation européenne, par Charles-Olivier CARBONELL, professeur émérite à l’université Paul-Valéry 21 janvier 2006 : Faire testament au temps des troubles de religion, par Madame Valérie LAFAGE, docteur en histoire, professeur agrégée à l’université Paul‑Valéry 18 février : Une commune protestante entre Causses et Cévennes : Meyrueis, par Philippe CHAMBON, historien 25 mars : L’inhumation des protestants au XVIIIe siècle dans l’ancienne province du Languedoc. Entre mythe et réalité, par Nicolas BOUTIÉ, doctorant en histoire, archéologue 22 avril : Répondre à la « Vie de Jésus » de Renan (1863), par Pierre-Yves KIRSCHLEGER, agrégé et docteur en histoire 20 mai : Destin d’une minorité protestante dans les montagnes d’Auvergne XVIe-XVIIIe siècles, par Joël FOUILLERON, maître de conférences honoraire à l’université Paul-Valéry 10 juin : Une parole engagée : la prédication du pasteur Jean Cadier à Montpellier (1939-1945), par Gérard DELTEIL, doyen honoraire de la faculté de théologie de Montpellier 7 octobre : La figure littéraire du pasteur dans le roman français, par Jean-Marc DAUMAS de CORNILHAC, ancien professeur à la faculté de théologie réformée d’Aix-en-Provence 20 novembre : Pierre Bayle (1647-1706) et les « droits de la conscience errante ». Les audaces philosophiques d’un huguenot en exil, par Hubert BOST, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (Paris) 9 décembre : Protestants en Algérie, XIXe‑XXe siècles, par Madame Zohra AÏT ABDELMALEK, pasteure de l’Église réformée de France 13 janvier 2007 : Être immigrant au XVIIe siècle, par Madame Michelle MAGDELAINE, chargée de recherches honoraire au C.N.R.S. 24 février : Les protestants du Midi et l’évangélisation de la France : la Mission Intérieure Évangélique (1871-1914), par Madame Madeleine SOUCHE, professeur agrégée honoraire à l’université de 24 mars : La Révolution, nouvel épisode des guerres de religion en Cévennes ?, par Madame Valérie SOTTOCASA, de l’université de Toulouse‑Le Mirail 21 avril : Protestantisme et modernité. Changement et continuité depuis la Réforme jusqu'à nos jours, par André GOUNELLE, doyen honoraire de la faculté de théologie de Montpellier 9 juin : Les catholiques du Sud-Ouest de la France face à la Réforme, par Serge BRUNET,

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professeur d’histoire moderne à l’université Paul-Valéry 6 octobre : Michel Hollard, le Français qui a sauvé Londres, par son fils Florian HOLLARD, ancien maître de chapelle à l’Oratoire du Louvre (Paris) 10 novembre : Le voyage de « l’Espérance », la déportation des protestants languedociens aux Isles de l’Amérique, par Jean CHAPOT (Montpellier) 1er décembre : La S.H.P.M. organise, conjointement avec la faculté de théologie de Montpellier, la journée d’étude : Un théologien protestant non conformiste en son siècle : le pasteur Roland de Pury 1907-1979 19 janvier 2008 : Gaston Bazille (1819-1894), un juste au service de la cité, par Madame Michèle PALLIER, de l’Académie de Nîmes 23 février : La Roumanie orthodoxe et les protestants, par André PALÉOLOGUE, docteur en histoire, expert consultant auprès de L’UNESCO 15 mars : Monseigneur de Cabrières et les protestants, par Gérard CHOLVY, professeur émérite de l’université Paul-Valéry 12 avril : Comment faire la paix entre chrétiens ? Les protestants français et allemands à l’issue des deux guerres mondiales du XXe siècle, par André ENCREVÉ, professeur émérite de l’université Paris XII 17 mai : Les condamnations pour fait de religion à Montauban, 1685-1715, par Madame Anne- Cécile GLÉDEL, chargée de médiation culturelle à la ville de Toulouse 7 juin : Introduction du protestantisme dans la Vallée de la Vis, par Madame Nicole Forget 18 octobre : Les enjeux identitaires protestants en contexte minoritaire : l’exemple du Gard contemporain, par Philippe RIGOULOT, docteur en sciences politiques 22 novembre : L’Unité des Églises hier et aujourd’hui, par le pasteur Maurice LONGEIRET 13 décembre : Mouvements religieux : de l’inspiration à l’institution, par Gabriel AUDISIO, professeur émérite de l’université de Provence 24 janvier 2009 : Être pasteur sous Louis XIV : les sermons de Pierre du Bosc, par Jean-Louis MEUNIER, secrétaire de l’institut européen Séguier, enseignant de littérature française à l’université de Nîmes 28 février : La liturgie réformée et sa réception par les fidèles, par le professeur Raymond MENTZER, de l’université d'Iowa (États‑Unis) 21 mars : La Saint-Barthélemy, les mystères d’un crime d’État, par Madame Arlette JOUANNA, professeur émérite de l’université Paul‑Valéry 1er avril : Sur les traces des huguenots de Floride : expéditions en Charenta (1562-2007), par gilles FONTENEAU, écrivain [conférence organisée en partenariat avec la faculté de théologie de Montpellier et la Librairie Sauramps] 18 avril : Calvin dans la Pléiade, par le professeur Francis HIGMAN, ancien directeur de l’institut d’histoire de la réformation de Genève, éditeur du volume 16 mai : L’évolution de l’influence protestante dans l’engagement politique de la fin du XIXe siècle à nos jours, par Nicolas CADÈNE, conseiller parlementaire 6 juin : Jean Calvin, docteur de l’autorité souveraine de Dieu, par Jean-Marc DAUMAS, ancien professeur à la faculté de théologie réformée d’Aix-en-Provence 17 octobre : Itinéraire d’une romancière montpelliéraine : Jeanne Galzy (1883-1977), par Raymond HUARD, professeur émérite de l’université Paul-Valéry 21 novembre : Bretons et protestants. La Réforme en Bretagne, par le pasteur Roger BERTRAND 12 décembre : Calvin et les Vaudois, par Madame Nelly DURET, professeur honoraire d’histoire

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23 janvier 2010 : Jean Guizonnier, un pompier résistant, par Pierre DUMONT et Jean TAVOILLOT, sapeurs-pompiers professionnels à Montpellier (caserne Guizonnier) 27 février : L’Imaginaire religieux et la violence : les Camisards, par Jean-Paul CHABROL, historien 13 mars : Les femmes de pasteurs dans la principauté d’Orange, XVIe-XVIIe siècles, par Madame le professeur Françoise MOREIL, de l’université d’Avignon 17 avril : Les conflits religieux sous la Révolution. Le cas du Gard, par Jean-Claude LACROIX, ancien président de l’association des chercheurs et généalogistes des Cévennes 29 mai : L’impossible survie. Destin du protestantisme dans le diocèse de Béziers, XVIe- XVIIIe siècles, par Joël FOUILLERON, maître de conférences honoraire à l’université Paul- Valéry 23 octobre : Louis XIII et les protestants du Midi (1621-1622), par Madame le professeur Marie-Madeleine FRAGONARD, de l’université Sorbonne nouvelle (Paris) 20 novembre : Le protestantisme libéral français en 1903 (d’après André-Numa Bertrand, Ferdinand Buisson, Jean Réville, Charles Wagner), par le professeur André GOUNELLE, de la faculté de théologie de Montpellier 4 décembre : Les débuts du protestantisme à Blain, fief de la famille de Rohan, par Henri‑Louis ORAIN, ancien conseiller technique à l’Organisation mondiale de la santé 22 janvier 2011 : Entre conformité et croyance : la coexistence religieuse dans l’Aquitaine moderne, par le professeur Gregory HANLON, de l’université Dalhousie d’Halifax (canada) 12 février : Itinéraire d’un Français libre (1939-1944) : Jacques-Henri Schloesing, par le colonel Patrick COLLET 19 mars : Calvisson, une communauté languedocienne dans la tourmente des guerres de Rohan (1622-1629), par Madame Anny HERMANN, de l’Académie de Nîmes 16 avril : Le protestantisme aujourd’hui au miroir des médias, par Madame Blandine CHÉLINI‑PONT, maître de conférences à l’université Paul‑Cézanne d’Aix-en-Provence 28 mai : Une communauté méconnue au XVIIe siècle : les protestants de Bourgogne face aux persécutions, par le professeur Yves KRUMENACKER, de l’université Lyon III 15 octobre : 450ème anniversaire du Psautier huguenot : la musique du Psautier, par le professeur Francis HIGMAN, ancien directeur de l’institut d’histoire de la réformation de Genève 19 novembre : Le château Leenhardt du Grau‑du‑Roi, l’établissement de bains de mer de l’Église réformée de Nîmes, par Jean-Claude GAUSSENT, professeur d’histoire honoraire 3 décembre : Une relique « oubliée » de l’amiral de Coligny : l’os de phalange du château de Choye (Haute-Saône), par Madame Myriam GILET, docteur en histoire 21 janvier 2012 : André Gide, l’Évangile et le malheur des hommes, d’une guerre à l’autre : le secours aux réfugiés (1914-1945), par Frank LESTRINGANT, professeur de littérature à l’université Paris IV-Sorbonne 4 février : André ADOUL, bouillant évangéliste du XXe siècle, par le pasteur Frédéric Travier 3 mars : Une présence protestante française en Kabylie (1885–1919) : la mission méthodiste française à Il Maten, par le pasteur Jean-Louis PRUNIER 2 mai : Une école pas comme les autres : l’École préparatoire de théologie protestante, de Lille (1846) à Montpellier (1990), par Jean-François ZORN, professeur émérite d’histoire à la faculté de théologie de Montpellier 2 juin : De Maré (Nouvelle-Calédonie) à la Valbonne (Gard) : l’action du pasteur Philadelphe Delord, “l’apôtre des lépreux”, (1898-1935), par Thierry PELLECUER, chercheur associé à la

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faculté de théologie de Montpellier 20 octobre : La Faculté de théologie protestante de Montauban au XIXe siècle, par André GOUNELLE, doyen honoraire de la faculté de théologie de Montpellier 10 novembre : La S.H.P.M. s’associe à la journée d’études organisée par la Société d’études du méthodisme français, sur le thème : La sanctification dans le méthodisme. Controverse et fécondité d’une notion théologique 1er décembre : À quoi les protestants ont-ils servi dans l’histoire de France ?, par Patrick CABANEL, professeur d’histoire contemporaine à l’université Toulouse-Le Mirail 19 janvier 2013 : Jacques Androuet du Cerceau (1511-1586) et l’art des jardins en France à la Renaissance, par Laurent PAYA, professeur, docteur en histoire de l’art 16 février : Les pentecôtismes en France : de la dissidence à la reconnaissance, par Frank LA BARBE, professeur d’histoire, docteur en ethnologie 20 mars : Maurice LEENHARDT, pasteur, missionnaire, ethnologue, par Gilles VIDAL, maître de conférences en histoire à la faculté de théologie de Montpellier 20 avril : Deux siècles de diaconat dans la communauté réformée à Montpellier, du Concordat à nos jours, par Gérard ESTRABAUD, diplômé de master d’histoire 25 mai : Les mythes fondateurs babyloniens et bibliques : comparaisons et ruptures, par Madame Nicole VRAY, docteur ès lettres et en théologie 12 octobre : Gaston Doumergue, grandeur et servitude d’un honnête homme en politique, par Guy TABOULAY, conseil en stratégie d’entreprises et communication, président du comité d’organisation Doumergue anniversaire 2013 16 novembre : La S.H.P.M. s’associe à la journée d’études organisée par la Société d’études du méthodisme français, sur le thème : Sources et pratiques de l’Hymnologie méthodiste 22 janvier 2014 : Les soldats indigènes protestants pendant la Première Guerre Mondiale, par Jean-François Zorn, professeur émérite à la faculté de théologie de Montpellier 22 février : Une femme protestante, la nîmoise Florestine de Clausonne (1803-1834), par Madame Danielle BERTRAND‑FABRE, de l’Académie de Nîmes, agrégée et docteur en histoire 22 mars : Dynamiques et transformations naturelles dans l’art des jardins selon Bernard Palissy (1510-1590), par Laurent PAYA, professeur et docteur en histoire de l’art 05 avril : Les œuvres sociales protestantes à Montpellier au XXe siècle, par Gérard ESTRABAUD, diplômé de master d’histoire 24 mai : Le monde, un territoire pour les Camisards, par Jean-Paul Chabrol et Jacques Mauduy, auteurs de l’Atlas des Camisards (éditions Alcide, 2013) 18 octobre : Johannes KEPLER (1571-1630), l’astronome protestant qui a découvert les lois du mouvement des planètes, par Edgar SOULIÉ, ingénieur au C.E.A., président de la commission des étoiles doubles de la Société astronomique de France 14 novembre : Après-midi d'études organisée en collaboration avec la faculté de théologie et le laboratoire C.R.I.S.E.S. de l’université Paul-Valéry : Les Rabaut, témoins et témoignages du second Désert huguenot, - avec Heidi et Dieter GEMBICKI, historiens (Genève), Une facette inconnue de l’activité de Paul Rabaut : ses contacts avec les émissaires de l’Unité des frères moraves (1743-1791) - et Madame Céline BORELLO, maître de conférences à l’université de Mulhouse, Temporalités historiques et écritures pastorales dans le second XVIIIe siècle : la fratrie Rabaut 15 novembre : La S.H.P.M. s’associe à la journée d’études organisée par la Société d’études du méthodisme français, sur le thème : Le Méthodisme dans l’histoire de France

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6 décembre : Histoire et actualité de la laïcité en France, par Gérard CHOLVY, professeur émérite de l’université Paul-Valéry 17 janvier 2015 : Les affrontements entre catholiques et protestants dans l'opéra français au 19e siècle, par Madame Sabine TEULON‑LARDIC, docteur en musicologie, professeur au conservatoire de Nîmes 28 février : Albert Schweitzer contre la guerre : itinéraire d’un humaniste chrétien, par Jean- Marie SZAFARCZYK (Vialas) 14 mars : Écrire l’histoire du protestantisme au 19e siècle : regards sur l’œuvre du pasteur Daniel Benoît, par Franck BELLOIR, directeur de la librairie Jean-Calvin (Alès) 11 avril : Le théâtre protestant du 16e siècle : entre édification et esthétique nouvelle, par Madame Marie-Madeleine FRAGONARD, professeur émérite de l’université Sorbonne nouvelle Paris 3 6 juin : Le corps embaumé de Maurice de Saxe, Maréchal de France : enjeux de la mort dans la France des Lumières, par Madame Myriam GILET, docteur en histoire 17 octobre : Présence des protestants dans l’histoire de Montpellier, par Madame Jeannine REDON, professeur honoraire 21 novembre : La S.H.P.M. s’associe à la journée d’études organisée par la Société d’études du méthodisme français, sur le thème : Le Méthodisme dans l’histoire de France. Aspects de l’histoire du méthodisme national et régional 30 janvier 2016 : Les Lieux de mémoire du Midi, par Pierre-Yves KIRSCHLEGER, maître de conférences à l’université Paul-Valéry 19 mars : Les Quakers de Congénies, par Madame Anny HERMANN, de l’Académie de Nîmes 2 avril : L’éducation au champ. L’instruction huguenote au temps du Désert (1680-1750), par Madame Chrystel BERNAT, maître de conférences en histoire moderne à la faculté de théologie de Montpellier 4 juin : Henry de Rohan (1579-1638). En Languedoc, en Cévennes et… ailleurs, par Jean-Paul CHABROL, historien 1er octobre : Frédéric Bazille, un artiste à scruter encore, par le professeur François-Bernard MICHEL, de l'institut de France 26 novembre : la S.H.P.M. s’associe à la journée d’études organisée par la Société d’études du méthodisme français, sur le thème : Les œuvres éducatives du méthodisme français 3 décembre : Du choc des mémoires en histoire, ou de l’abbé Pialat, prêtre réfractaire, en Cévennes sous la Révolution, par Gérard CHOLVY, professeur émérite de l’université Paul‑Valéry.

NOTES

1. Henri Bosc reprend pour l’occasion le titre de l’ouvrage qu’il a publié en 1957 (Montpellier, imprimerie J. Reschly, 129 p.). 2. Archives de la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier. 3. Souligné par nous. 4. Alors installées avenue de Castelnau. 5. Les actes en ont été publiés : Société d’histoire du protestantisme de Nîmes et du Gard et Société d’histoire du protestantisme de Montpellier. La Révocation de l’Édit de Nantes dans les Cévennes et le Bas-Languedoc 1685-1985, Actes du colloque de Nîmes (22‑23 novembre 1985). Nîmes,

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Lacour, 1986 ; et Tricentenaire de la révocation de l’Édit de Nantes. La révocation et l’extérieur du royaume. 1685, Actes du IVème colloque Jean‑Boisset recueillis par Michel Péronnet. Montpellier, Université Paul‑Valéry, 1985. 6. Les Camisards et leur mémoire (1702-2002), Actes du colloque du Pont-de-Montvert (25 et 26 juillet 2002) réunis par Patrick Cabanel et Philippe Joutard. Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2002. 7. Les Rabaut : du Désert à la Révolution, Actes du colloque de Nîmes (23 mai 1987). Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1988. 8. Entre Désert et Europe, le pasteur Antoine Court (1695-1760), Actes du colloque de Nîmes (3-4 novembre 1995) réunis par Hubert Bost et Claude Lauriol. Paris, honoré champion, 1998. 9. Roland de Pury 1907-1979 : un théologien protestant non-conformiste en son siècle, Pierre-Yves Kirschleger, Paul Loupiac, Martin Rott et Jean-François Zorn (dir.). Lyon, Olivétan, 2008. 10. Une partie des communications présentées ont été publiées : Aspects du protestantisme français des années 1960-1970. Textes réunis par Pierre-Yves Kirschleger. Dans Bulletin de la S.H.P.F., octobre- décembre 2014. 11. KIRSCHLEGER Pierre-Yves. « Création d’un ‘Fonds protestant d’archives’ aux archives départementales de l’Hérault ». Dans Bulletin de la S.H.P.F., avril-mai-juin 2015, p. 297-300.

RÉSUMÉS

C’est dans une vocation de mainteneur du patrimoine protestant qu’a été créée en 1979 la société d’histoire du protestantisme de Montpellier. Section locale de la société de l’histoire du protestantisme français, fondée en 1852, l’association montpelliéraine a su développer en plus de trente‑cinq ans d’existence une activité riche : conférences, colloques, sauvegarde des archives et du patrimoine.

It is for maintaining the protestant heritage that was created in 1979 the Société d’histoire du protestantisme de Montpellier. Local section of the Société de l’histoire du protestantisme français, formed in 1852, the Montpellier's association has developed during more than thirty five years of existence a rich activity: conferences, colloquiums, protection of archives and heritage.

INDEX

Index géographique : Hérault, Montpellier Keywords : protestantism, history, religious heritage, 20th century Mots-clés : protestantisme, histoire, patrimoine religieux, XXe siècle

AUTEURS

JACQUES DELTEIL Avocat honoraire, président de la Société d’histoire du protestantisme de Montpellier

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PIERRE-YVES KIRSCHLEGER Université Paul-Valéry Montpellier 3

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Références bibliographiques

1 BENEDICT, Philip ; DAUSSY, Hugues ; LECHOT, Pierre-Olivier (dir). L’identité huguenote, faire mémoire et écrire l’histoire (XVIe-XXIe siècle). Genève, édition Droz, 2014, Publications de l’association suisse pour l’histoire du refuge huguenot, vol. 9.

2 CABANEL, Patrick ; ENCREVÉ, André (dir.). Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours, tome 1, A-C, Les éditions de Paris, 2015 (3 autres vol. en préparation).

3 Conseil général de l'Ariège-archives départementales. Le protestantisme en terres d'Ariège. Rédacteurs : CABANEL, Patrick ; PAILHÈS, Claudine ; de ROBERT, Philippe. Foix, Conseil général de l'Ariège, 2004, 192 p.

4 DUMONS, G. « études historiques de Castelfranc ». Bulletin de la Société Historique du Protestantisme, 1911, p. 388.

5 Tricentenaire de la révocation de l’Édit de Nantes. La révocation et l’extérieur du royaume. 1685, Actes du IVe colloque Jean-Boisset recueillis par Michel Péronnet. Montpellier, Université Paul-Valéry, 1985.

6 Les Camisards et leur mémoire (1702-2002), Actes du colloque du Pont-de-Montvert (25 et 26 juillet 2002) réunis par Patrick Cabanel et Philippe Joutard. Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2002.

7 GROSSE, Christian. « L’esthétique du chant dans la piété calviniste aux premiers temps de la Réforme (1536-1545) », Revue de l’histoire des religions, 2010-1, p. 13-31.

8 MILLET, Olivier. « La figure protestante de Moïse », Moïse. Figures d’un prophète, Flammarion, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 2015, p. 96-103.

9 NEIRINCK, Danièle. Le Patrimoine protestant du Pays des portes d’Ariège, s.l., s.d. (avec plusieurs planches sur l’ameublement des temples et les objets du culte).

10 PELLEGRIN, Valdo. Montpellier la protestante, Sète, NPL, 2009.

11 Société d’histoire du protestantisme de Nîmes et du Gard et Société d’histoire du protestantisme de Montpellier. La Révocation de l’Édit de Nantes dans les Cévennes et le Bas‑Languedoc 1685‑1985, Actes du colloque de Nîmes (22‑23 novembre 1985). Nîmes, Lacour, 1986.

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12 VÈNE, Marc. Guillaume Le Nautonier, seigneur de Castelfranc, ministre du culte, astronome, géographe du roi. Éditions la Duraulié, 1990, p. 75.

13 L'université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées met en ligne la bibliothèque numérique patrimoniale des universités toulousaines, Tolosana, dont un des corpus importants concerne le protestantisme dans le sud de la France.

Protestantisme et images

14 BAUER, Olivier. « Les protestants sont plus idolophobes qu’iconoclastes ! ». Théologiques, 2009, vol. 17, n° 2, p. 69-83.

15 CHRISTIN, Olivier. Une révolution symbolique. L’iconoclasme Huguenot et la reconstruction catholique, Les éditions de Minuit, 1991.

16 KOCH, Matthew. « Calvinism and the visual arts in Southern France, 1561 to 1685 ». Dans CORBY FINNEY, Paul. Seeing beyong the word. Visual arts and the Calvinist tradition. Grand Rapids, Cambridge, 1999.

17 SAUZET, Robert. « L’iconoclasme dans le diocèse de Nîmes au XVI e et au début du XVIIe siècle ». Revue d’histoire de l’Église de France, 1980, vol. 66, n° 176, p. 5-15.

Espace liturgique

18 CHRISTIN, Olivier. « Le temple disputé : les Réformes et l’espace liturgique au XVIe siècle ». Revue de l’histoire des religions, 2005, n° 4, p. 491-508.

19 REYMOND, Bernard. “La table de communion des réformés : emplacement, forme, signification théologique, Du dispositif luthérien à l'originalité du dispositif zwinglien », études théologiques et religieuses, Montpellier, 2007-4, t. 82.

20 REYMOND, Bernard. « Du sacrifice de la messe à la convivialité de la Cène ou la Réforme vue sous l’angle des rituels ». Études théologiques et religieuses, Montpellier, 2001, p. 357‑370.

21 REYMOND, Bernard. « La réforme et les fonts baptismaux, Du dispositif luthérien à l'originalité du dispositif zwinglien ». Études théologiques et religieuses, Montpellier, 2014-1 (t. 89), p. 57-67.

22 ROUX, J.-M.-F. Liturgie en usage dans les églises réformées de France, revue et augmentée de services religieux, et de prières pour les solennités, et pour tous les cas, toutes les circonstances extraordinaires qui peuvent se présenter pour l'église. Uzès, chez Louis George, imprimeur- libraire et éditeur. 1826.

Cimetières

23 BERTHERAT, Bruno (dir.). Les sources du funéraire en France à l’époque contemporaine. Avignon, éditions universitaires d’Avignon, 2015 (coll. enjeux)

24 BERTRAND, Régis. « Les cimetières protestants en Provence (XVIe-XIXe siècles) ». Dans Provence historique, 1999, fascicule 197, p. 669-682.

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25 BERTRAND, Régis. « Origines et genèse du décret du 23 prairial an XII ». Dans BERTRAND, Régis ; CAROL, Anne (dir.). Aux origines des cimetières contemporains. Aix‑en‑Provence, Presses universitaires de Provence, 2016.

26 BERTRAND, Régis ; GROUD, Guénola (dir.). Patrimoine funéraire français. Cimetières et tombeaux. Paris, éditions du patrimoine/Centre des monuments nationaux, 2016.

27 BOST, Jean-Pierre ; BOST, Hubert. « Pratiques funèbres et discours biblique des tombes en Béarn protestant au XIXe siècle ». Dans Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1996, 4, p. 831-851.

28 BOUTIÉ, Nicolas. Mourir en protestant. Les sépultures des protestants du Tarn de 1685 à 1792, mémoire de maîtrise, Univ. Toulouse-Le Mirail, 2002.

29 CARBONNIER-BURKARD, Marianne. « Les manuels réformés de préparation à la mort ». Revue de l’histoire des religions, 2000, vol. 217, n° 3, p. 363-380.

30 DELORMEAU, Charles. Le Cimetière protestant de Montpellier. Notice historique et description sommaire. Montpellier, imprimerie J. Reschly, 1963.

31 DELORMEAU, Charles. « Les cimetières protestants de Montpellier ». Dans Actes du XXXVIe congrès de la fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Lodève, 1963. Montpellier, Faculté des lettres, 1963.

32 KIRSCHLEGER, Pierre-Yves. « Être protestant à Montpellier (XVIe-XVIIIe siècle) » et « Les cimetières de Montpellier depuis deux siècles ». Dans AMALVI Christian ; PECH Rémy (dir.). Histoire de Montpellier, Toulouse, Privat, 2016.

33 Ville de Montpellier. Guide historique du cimetière Saint-Lazare, coordonné par Mireille Lacave. Montpellier, imprimerie de la Charité, 1989.

34 MALLE, Marie-Pascale ; BERTRAND, Régis. « Le cimetière protestant de Nîmes ». Dans La Ville des morts. Enquête sur l’imaginaire urbain contemporain d’après les cimetières provençaux, éd. Michel Vovelle et Régis Bertrand. Paris, éditions du CNRS, 1983, p. 87-88.

Cimetières familiaux

35 BALFET, Hélène ; BROMBERGER, Christian. « Dimensions de l’espace et formes d’entraide : le “quartier cévenol” ». Dans Pratiques et représentations de l’espace dans les communautés méditerranéennes, éditions du CNRS, 1976, p. 101-123.

36 CABANEL, Patrick. « Les protestants et les cimetières », Réforme, 29 octobre 2008.

37 COURET, Tiphaine. Les cimetières familiaux protestants de Châteauneuf-de-Vernoux, mémoire de master, Univ. de Lyon Jean Moulin, 2015.

38 COURET, Tiphaine. « Les cimetières familiaux protestants », Chrétiens et sociétés XVIe- XXIe siècles, n° 23, 2016, Lyon, 2017, p. 163-185.

39 DURAND, Jean-Yves. « Entre “paisibles jardins” et “patrimoine culturel”. Les cimetières familiaux protestants du Diois », Terrain, « La mort », n° 20, mars 1993, p. 119-134.

40 PON-WILLEMSEN. « Catholiques et protestants, les cimetières dans la région Poitou- Charentes de la fin du XVIe siècle à nos jours ». Dans BENOIST, André ; POTON, Didier (dir.). Catholiques et protestants dans l’Ouest de la France du XVIe siècle à nos jours, 2006, p. 323-340.

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41 ROUCHOUSE, Jean-Claude. « Les cimetières familiaux protestants, l’exemple de Poyols, commune du Diois », Études drômoises, 52, décembre 2012, p. 22-24.

42 SAULO, Sylvie. « Les sépultures protestantes dans la Drôme de 1598 à 1804 », Études drômoises, 1998, 2, p. 27-33.

43 THEBAULT, Paulette ; ALLARD, Mathilde ; FAVREAU, Suzette. « De très discrets cimetières protestants ». Arcades, décembre 2016, 13, p. 42-45.

44 THIBAUT-PAYEN, Jacqueline. Les morts, l’Église et l’État. Recherches d’histoire administrative sur la sépulture et les cimetières dans le ressort du Parlement de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles. Fernand Lanore, 1977, p. 157-193.

45 Site de l’Association pour la Sauvegarde des Cimetières Familiaux Protestants. Site de l’Association des cimetières familiaux de la Drôme.

Temples

46 Cent cinquantième anniversaire de la construction du Temple de Lasalle (1829-1979) réouvert après sa restauration (1976-1979). S.I. : s.n.

47 BOST, Charles. Les temples de Lasalle de 1561 à 1829. Montauban, imprimerie coopérative, 1930.

48 BOST, Hubert ; REYMOND, Bernard. L’architecture des temples réformés (XVIe-XVIIe siècles) en Europe et notamment en France. Actes du colloque de Montpellier, 15-17 mai 2003, BSHPF, juillet-septembre 2006.

49 CABANEL Patrick (dir.). Itinéraires protestants en Languedoc (XVIe-XXe siècle). vol. 1, Les Cévennes ; vol. 2, L’espace gardois ; vol. 3, l’Hérault, Rouergue, Aude et Roussillon, Montpellier, presse du Languedoc, 1998-2000.

50 CABANEL, Patrick. Voyages en religions, histoire des lieux de culte en Languedoc et Roussillon. Nouvelles Presses du Languedoc, 2007, 414 p.

51 CHAREYRE, Philippe. « Accueillir, ordonner : tribunes et galeries dans le temple de La Calade à Nîmes », L’architecture des temples réformés XVI-XVIIe siècles. Actes du colloque de Montpellier, mai 2003. BSHPF, juillet-septembre 2006, vol. 152, p. 419-440.

52 COLINET, Karine. Les temples protestants cévenols. Essai de typologie. Mémoire de maîtrise, Univ. Paris I, 2 vol. , 1994.

53 DEYON, Solange. « La destruction des temples ». Dans ZUBER, Roger ; THEIS, Laurent (dir.). La révocation de l’édit de Nantes et le protestantisme français en 1685, BSHPF, 1986, p. 239-259.

54 DOMBRE, Paul ; SCHMITT, Jean-Claude ; SCHMITT PANTEL, Pauline ; VERNEY, Jean. Vialas en Cévennes et son temple depuis 1612. Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1997.

55 DUBLED, Henri. Les églises protestantes de Gardonnenque de 1802 à 1906. Nîmes : C. Lacour, 1990 (Rediviva).

56 FABRE, André-Georges. Le temple de Lasalle. Anduze, 1984.

57 GACHON, P. « Les biens des églises protestantes en 1685 et les « œuvres pies » ». Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, 1913, vol. 25, n° 99, p. 298-322.

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58 GRANDJEAN, Marcel. « Les Temples Vaudois, l’architecture réformée dans le Pays de Vaud (1536-1798) », Bibliothèque historique vaudoise, 1988, n° 89, Lausanne.

59 HUGON, André. En Cévenne. Le temple et l’histoire de la paroisse réformée du Collet-de-Dèze. Uzès, Peladan, 1975.

60 JOUANEN, Pasteur J. Quelques notes d'histoire locale, le temple de Vialas. Nîmes, Imprimerie « La laborieuse », 2e édition, 1934.

61 KRUMENACKER, Yves. « Les temples protestants français, XVIe-XVIIe siècles », Chrétiens et Sociétés, XVIe-XXIe siècles, 2011, numéro spécial I, p. 131-154.

62 LA BARBE, Franck. « La construction du temple de la rue Maguelone à Montpellier (1862-1870) », BSHPF, 2002, n° 2, p. 385-404.

63 LA BARBE, Franck ; LOCHARD, Thierry. Le grand temple de Montpellier. Montpellier, Association pour la connaissance du patrimoine en Languedoc-Roussillon, col. Itinéraires du patrimoine, 180, 1998.

64 LAURENT, René. Promenade à travers les temples de France. Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1996, 519 p.

65 LOCHARD, Thierry. « La modernité à Montpellier sous le Second Empire : le temple de la rue Maguelone », Bulletin historique de la ville de Montpellier, 2003, n° 27, p. 39-50.

66 MONTAGNE Brigitte ; COMTE Yannick ; TIJOU Catherine. « Les temples protestants « monuments historiques » en Poitou-Charentes ». In Situ, 2009.

67 PENEAU, Dominique. Architecture, protestantisme et modernité. Du sacré et de l'ascèse en particulier. Paris : L'Harmattan, 2008. 195 p.

68 POUJOL, Olivier. « Deux temples en Cévennes (Le Collet-de-Dèze et Vialas). Cévennes magazine, février 2017, n° 1908, p. 6-7.

69 REYMOND, Bernard. L'architecture religieuse des protestants : histoire, caractéristiques, problèmes. Genève : Labor et Fides, 1996.

70 REYMOND, Bernard. « Les temples protestants réformés aux XIXe et XXe siècles ». Dans Chrétiens et sociétés, 2011, Numéro spécial I, p. 201-221

71 REYMOND, Bernard. La porte des cieux, architecture des temples protestants. Lausanne, presses polytechniques et universitaire romandes, 2015.

72 RIPOLL, Véronique. « Architecture du XIXe siècle : les temples de l’arrondissement du Vigan. » Mémoire de maîtrise d’histoire de l’art sous la direction de Denise Jasmin, Université de Provence, 1988.

73 ROYER-BÉNÉJEAM, Mireille. Le temple Neuf de Mazamet. Mazamet, association de valorisation du patrimoine mazamétain, 2008.

74 SOUCHON, Cécile. « Les avis des membres du Conseil des Bâtiments civils relatifs aux constructions de temples protestants et à leur esthétique (XIXe siècle) ». Chrétiens et sociétés, 2011, Numéro spécial I, p. 173-2000.

75 TUCOO-CHALA, Suzanne. « Un patrimoine méconnu des pays de l’Adour : les temples réformés, XVIe-XXe siècles », Revue de Pau et du Béarn, 1991, n° 18, p. 35-57.

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Livres

76 CARLUER, Jean-Yves. « Un grand éditeur protestant du XIXe siècle : la Société des Livres Religieux de Toulouse », 2004, vol. 116, n° , p. 473-494.

77 CHRISTIN, Olivier. Les yeux pour le croire. Les dix commandements en image, XV-XVIIe siècles. Seuil, 2003.

78 GŒURY, Julien. La muse du consistoire. Une histoire des pasteurs poètes des origines de la Réforme à la révocation de l’édit de Nantes, Droz, 2016.

79 KIRSCHLEGER, Pierre-Yves. « Création d’un ‘Fonds protestant d’archives’ aux archives départementales de l’Hérault ». Dans Bulletin de la S.H.P.F., avril-mai-juin 2015, p. 297-300.

80 MENTZER, Raymond A. « Une nouvelle langue liturgique parmi les réformés ». Albinea Cahiers d’Aubigné, 2012, vol. 24, n° 1, p. 113-122.

81 SACQUIN, Michèle. « Évangélisez la France » Les bibles protestantes dans la France rurale (1814-1870) ». Revue de l’histoire des religions, 2001, vol. 218, n° 1, p. 113-141.

Musées

82 BORDES-BENAYOUN, Chantal ; CABANEL, Patrick ; ZYTNICKI, Colette. « Les musées protestants et juifs dans le midi de la France », in Alban Bensa et Daniel Fabre, dir., Une histoire à soi, Paris, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001, p. 227-249.

83 CABANEL, Patrick. « Impensable pèlerinage protestant ? L’Assemblée annuelle du Musée du Désert », Archives de sciences sociales des religions, 155 (juillet-septembre 2011), p. 149-164.

84 CABANEL, Patrick. « Les protestants français et le “désir de musée” », CARBONNIER- BURKARD, Marianne ; CABANEL, Patrick , dir., Les musées du protestantisme, BSHPF, 2011, 4, p. 481-494.

85 CABANEL, Patrick. « Les dieux au musée (XIXe-XXe siècles). Un essai de typologie appliqué à la France », Dieu(x) au Musée. Actes du XXVIIe colloque des musées protestants, Ferrières, Musée du protestantisme de Ferrières, 2013, p. 6-24.

86 CABANEL, Patrick ; CARBONNIER-BURKARD, Marianne (dir.). Les musées du protestantisme, BSHPF, 2011, 4, p. 467-632.

87 CABANEL, Patrick ; TRAVIER, Daniel. « Le musée du Désert ». Dans CABANEL, Patrick (dir.). Itinéraires protestants en Languedoc XVIe-XXe siècle, 1. Cévennes, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1998, p. 368-375.

88 CARBONNIER, Marianne. « La cachette et la Bible. La mémoire camisarde au Mas Soubeyran avant le Musée du Désert ». Dans CABANEL, Patrick ; JOUTARD, Philippe (dir.). Les Camisards et leur mémoire 1702-2002, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2002, p. 213-225.

89 JOUTARD, Philippe. « Le musée du Désert – La minorité réformée ». Dans NORA, Pierre (dir.). Les lieux de mémoire. III La France. 1 Conflits et partages, Gallimard, 1992, p. 531-559.

90 LAUTMAN, Françoise. « Du Désert au Musée : l’identité protestante », Autrement, n° 110, 1990, Hauts lieux, p. 89-96.

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91 LAUTMAN, Françoise. « Musée du Désert et peuple protestant », BSHPF, 1994, p. 305-310.

92 PUAUX, Gabriel ; HUGUES, Pierre-Edmond. Musée du « Désert », 1685-1787, Guide du visiteur, notice historique et régionale. Nouvelle édition, Imp. P. Oudin, Poitiers, 1964, 76 p.

93 Les musées du protestantisme en France, CPED, 2e éd., 2011 [2001].

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Varia

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Du recours à la dendrochronologie dans les études de l’Inventaire général du patrimoine culturel Use of dendrochronology (tree-ring dating) in studies on the General Inventory of Cultural Heritage

Maurice Scellès

1 Que l’on ne se méprenne pas : il ne s’agit pas de revendiquer pour « l’Inventaire général » une spécificité scientifique, voire de l’ériger en « discipline ». L’Inventaire général du patrimoine culturel a néanmoins des spécificités : des normes nationales définies par le ministère de la culture et de la communication, un système documentaire dont la pérennité est prouvée par plus de 50 ans d’existence, une organisation territoriale régionale (à l’origine en tant que service déconcentré de l’État et depuis 2006 compétence obligatoire des régions) dans laquelle s’inscrivent naturellement les programmes de travail.

La mise en place d’un programme pluriannuel

2 Le programme de dendrochronologie lancé en 2004 dans l’ancienne Région Midi‑Pyrénées a été élaboré dans une période de remise en cause ou tout au moins de scepticisme de la part des historiens de l’art vis-à-vis d’une méthode de datation dont les résultats obtenus par des laboratoires différents étaient parfois contradictoires1 sans que le commanditaire soit en mesure de juger de leur fiabilité.

3 La vérification ne pouvant être faite que par des dendrochronologues, on a inclus dans le cahier des charges le rendu obligatoire : • d’un mémoire donnant, pour chaque édifice ou objet, le plan d’échantillonnage et sa justification, la description de l’emplacement et des caractéristiques de chacun des échantillons, les résultats bruts de chaque analyse, l’interprétation proposée et la justification de la sécurité des résultats pour chaque échantillon et pour l’ensemble ;

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• des mesures en fichiers structurés selon le format d’échange défini par le laboratoire de chrono-environnement de Besançon (UMR 6249 CNRS-UFC).

4 Mémoires et fichiers de données sont la propriété de la Région, et la commande prévoit leur publication, effectivement réalisée par leur mise en ligne sur le site internet de la Région dédié au patrimoine. Les données brutes sont ainsi accessibles à tous les laboratoires de dendrochronologie2 et leur analyse vérifiable.

5 Leur indexation dans le système documentaire de l’Inventaire général fournit le cadre de leur gestion, facilitant en particulier d’éventuelles reprises d’analyse d’échantillons non datés, tout en permettant la confrontation permanente des résultats de la dendrochronologie avec les avancées de la connaissance des œuvres.

6 Le programme des premières années3 avait pour objectif prioritaire de constituer la courbe de référence la plus complète possible pour le chêne, la principale essence mise en œuvre dans les constructions du Quercy, où les études réalisées sur l’architecture civile médiévale de cahors fournissaient une première série d’édifices pouvant faire l’objet de prélèvements. L’une des conditions était, et est encore, que l’édifice ait fait l’objet d’une étude aussi complète que possible, ou au moins assez avancée pour que le dendrochronologue dispose d’une documentation suffisante à la préparation de sa campagne de prélèvement, et que les résultats puissent être confrontés à ceux de l’analyse archéologique. Des entorses ont été faites à cette règle quand l’occasion se présentait de collecter des échantillons susceptibles de compléter la courbe, l’édifice faisant cependant toujours l’objet d’une notice d’inventaire, réduite dans ce cas à une fiche minimale.

7 Les campagnes s’inscrivent ainsi le plus souvent dans le cadre d’enquêtes topographiques (saint-Antonin dans le Tarn-et-Garonne, Sorèze et Labruguière dans le Tarn) ou thématiques (l’architecture civile médiévale dans le lot et l’Aveyron, les granges du canton de Bretenoux dans le lot, la construction en terre en Pays Midi‑Quercy dans le Tarn‑et‑Garonne), ou dans le cadre d’études permanentes comme celles menées sur les centres anciens de Cahors et de Lectoure. elles peuvent aussi accompagner des opérations ponctuelles, justifiées par l’intérêt particulier d’un groupe d’édifices pour des programmes de recherche à l’échelle de la région (les maisons médiévales de Cordes‑sur‑Ciel dans le Tarn), ou des études monographiques comme celle du château de Fiches (Verniolle dans l’Ariège) où l’analyse archéologique de l’édifice ne permettait pas de préciser la datation d’un plafond au décor peint exceptionnel. seules deux campagnes de dendrochronologie ont répondu à des demandes extérieures, l’une à la Tour des Lautrec de l’ancienne abbaye de Vielmur-sur- Agout (Tarn), en réponse à une demande des archéologues de la société Hadès intervenue après un diagnostic patrimonial réalisé par le service, l’autre au Palais de la Berbie à Albi (Tarn) à la demande du service régional de l’archéologie (DRAC) ; la difficulté peut être alors de récupérer copie des rapports et d’assurer la mise à jour du dossier d’inventaire.

8 Le choix des édifices à prélever requiert une formation progressive des chercheurs afin d’assurer la faisabilité de l’opération. Une façade à pan-de-bois n’est pas toujours le meilleur sujet pour le dendrochronologue, et les prélèvements depuis l’extérieur sont souvent difficilement réalisables en raison de la hauteur, des contraintes liées à l’occupation de l’espace public par une nacelle ou un échafaudage, des hourdis qui limitent l’accès aux angles des pièces de bois ; les carottages (fig.1) seront

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principalement réalisés dans les solives du rez-de-chaussée, ou depuis l’intérieur et ou à la faveur de travaux.

Fig. 1

Une « carotte » prélevée à la tarière P. Poitou © Inventaire général Région Occitanie

9 Les échantillons doivent être en nombre suffisant (au moins cinq bois et cinquante cernes) afin de pouvoir établir des chronologies moyennes pour chaque phase de la construction. Une pièce de bois unique comportant un minimum de cinquante cernes pourra certes être datée, mais ne fournira qu’une indication à interpréter : la date d’abattage, entre 1243 et 1280, obtenue pour le linteau de la porte d’une maison de Saint‑Affrique (Aveyron) est retenue parce que les assises dans lesquelles il s’insère semblent en place et que les caractères constructifs de la maison sont ceux du XIIIe siècle (fig.2).

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Fig. 2

Saint-Affrique (Aveyron), maison 30 rue du Théron ; élévation sur la rue Relevé R. Chabbert, L.-E. Friquart, F. Galés, S. Gerber, L. Krispin, S. Servant © Inventaire général Région Occitanie

10 Les poutres peintes sont a priori exclues de l’échantillonnage, sauf à présenter une zone adaptée et dépourvue de décor ou à être accessibles depuis le dessus, et à la condition que les vibrations de la tarière ne mettent pas en péril la couche picturale. Les pièces fortement équarries, et c’est le plus souvent le cas des poutres moulurées, sont rarement retenues pour n’avoir que du bois de cœur qui fera connaître la période de croissance de l’arbre mais pas la date de sa coupe. le chercheur doit apprendre à reconnaître l’aubier et les flaches susceptibles de conserver de l’écorce, à identifier progressivement les essences ou au moins leurs groupes principaux, et à noter les mortaises orphelines ou toute autre marque de remploi sur les bois eux-mêmes en plus de l’observation des éventuelles traces de reprise autour des empochements dans les murs.

11 Le cahier des charges de la commande prévoit que la fiabilité des résultats soit qualifiée, mais si le dendrochonologue a une obligation de moyens il n’a pas d’obligation de résultats quant à la datation. Les trois échecs, auxquels il faut ajouter les propositions de datation de faible fiabilité (de classe c), sont pris en compte comme tels, apportant par ailleurs nombre d’informations sur les essences, les conditions de la récolte des bois, leur mise en œuvre…

12 À Sorèze et Labruguière, en raison d’une zone climatique particulière, les analyses ont abouti à des chronologies relatives avant d’être calées, dans un second temps, sur une chronologie absolue.

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Bilan des années 2004-20144

13 Ce sont quelque quatre-vingt-dix édifices qui ont fait l’objet d’analyses de dendrochronologie au cours des trois campagnes de deux ou trois ans organisées depuis 2004 (fig.3).

Fig. 3

Carte des sites ayant fait l’objet d’analyses de dendrochronologie entre 2004 et 2014 M. Scellès © Inventaire général Région Occitanie

14 D’abord centré sur cahors, le programme a été rapidement étendu au sud du Tarn, avec les études alors en cours de Sorèze et Labruguière touchant au piémont septentrional de la Montagne Noire, et ponctuellement à Cordes-sur-Ciel, Graulhet, Montauban, Figeac et Calmont (Aveyron). Les campagnes suivantes sont restées de fait dans des aires géographiques contiguës, avec principalement le lot et le nord de l’Aveyron et, ponctuellement, le Tarn‑et‑Garonne et l’Albigeois, Vielmur‑sur‑Agout dans le sud du Tarn, Saint-Affrique et Brousse le château dans le sud de l’Aveyron… Lectoure, dans le Gers, où neuf édifices étudiés par le service du patrimoine de la Ville ont été datés, demeure pour le moment un site isolé et le plus à l’ouest.

15 Malgré l’extension progressive de la zone, les bois d’œuvre analysés sont quasi- exclusivement du chêne, parfois mélangé à du châtaignier5. La courbe cumulée de référence du chêne couvre désormais les années 1031 à 1794, et 1809 à 1893, avec des disparités selon les départements et les zones climatiques. Celle du châtaignier, obtenue sur deux sites de cahors seulement, est limitée aux années 1450‑1548.

16 Du pin n’a été rencontré que dans la charpente, restée non datée, de la cathédrale de Montauban, et seuls quatre sites ont livré du sapin, avec une datation de la première

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moitié du XVIIe siècle obtenue dans un immeuble de la place Nationale à Montauban. La faible représentation des résineux est évidemment due à l’aire géographique concernée par les analyses, que l’on a voulu élargir en saisissant les occasions offertes par les deux édifices montalbanais. Montauban, Toulouse ou encore Mirepoix en Ariège font, on le sait, un large emploi des résineux, mais les programmes d’inventaire qui y sont menés répondent jusqu’à présent à des problématiques ne nécessitant pas les études archéologiques qui pourraient justifier le recours à la dendrochronologie.

17 Depuis le bilan de 20086, aucun édifice antérieur au XIIIe siècle n’est venu s’ajouter au corpus daté par dendrochronologie. Dans le cadre des programmes actuels, seul cahors conserve suffisamment de bâtiments du XIIe siècle, voire du XIe siècle, pour que l’on puisse espérer des avancées dans ce domaine, mais cela dépendra des chantiers où pourra intervenir le service du patrimoine de la Ville.

18 Nous constations en 20087 que le vieillissement d’une trentaine d’années qui avait été proposé pour des édifices habituellement attribués au début du XIVe siècle était confirmé par la dendrochronologie. Nous disposons désormais de vingt-trois datations pour le XIIIe siècle, dont quatre seulement pour la première moitié du siècle, et de trois datations au début du XIVe siècle. Dans la zone prise en compte, la sélection des édifices peut être considérée comme aléatoire puisqu’elle n’est pas raisonnée mais dépend presqu’exclusivement des conditions d’accès aux bâtiments ; elle est cependant encore trop peu nombreuse pour avoir une valeur autre qu’indicative. La seconde moitié du XIIIe siècle apparaît bien comme la période de construction la plus active, dont on s’attendrait cependant à trouver plus nettement l’amorce au cours des décennies précédentes, en particulier en milieu urbain. Au vu des données recueillies, l’arrêt serait brutal et surviendrait dès le début du XIVe siècle, vingt à trente ans avant les ravages de la peste noire et de la guerre de cent Ans. Les quatre datations tardives obtenues à Lectoure : 1292‑1300, 1289‑1327, 1311 et 1330, sont peut-être dues au hasard des sélections, mais elles pourraient aussi signaler un contexte particulier, celui de la ville elle-même ou plus largement celui du Lectourois. La découverte la plus originale a été due à l’identification d’une cloison en pan de bois datée des années 1265‑1270 à Saint‑Antonin‑Noble‑Val ; les éclisses soigneusement taillées sont séparées par des cales engagées dans les rainures des poteaux et la porte est couverte d’un linteau délardé en arc segmentaire.

19 La reconstruction de l’après-guerre de cent Ans n’apparaît pas avant 1434, et encore s’agit‑il, à Capdenac (Lot), du réaménagement d’une maison du XIIIe siècle. Or nous savons par les textes que le repeuplement du Quercy est amorcé dès les années 1420 : le retard enregistré par la dendrochronologie tient probablement à une sélection qui a privilégié les maisons de bourg, et pour les élévations en pan de bois des formes suffisamment caractérisées. Le programme d’étude de l’architecture rurale des XVe‑XVIIe siècles qui pourrait être retenu dans le lot permettrait sans doute d’infirmer, ou de confirmer, ce qui semble être une distorsion, et de situer la réflexion dans la longue durée. la trentaine de dates obtenues pour le XVe siècle, dont quatre seulement pour la première moitié, est néanmoins significative d’une période de réparations, de modernisations et reconstructions nombreuses, qui se prolonge dans les premières décennies du XVIe siècle (avec dix‑neuf résultats quand la seconde moitié du siècle n’en compte que sept), manifestation de l’enrichissement au cours des décennies précédentes et de la reprise démographique.

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Fig. 4

Calmont (Aveyron). Maison à élévation en pan de bois © Inventaire général Région Occitanie

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Fig. 5

Calmont (Aveyron). Maison, détail de la cheminée du premier étage © Inventaire général Région Occitanie

Fig. 6

Calmont (Aveyron). Maison ; extrémités moulurées des solives de l’encorbellement du premier étage © Inventaire général Région Occitanie

20 Les deux maisons de Calmont en Aveyron (fig.4-6), datées des années 1440, maintiennent des modénatures gothiques et des structures de pan de bois que l’on était tenté de dater du XIVe siècle, tandis que les formes de la cheminée conservée sont bien celles que l’on attend pour le XVe siècle. L’étude des maisons de Sorèze avait déjà montré la persistance des modénatures du siècle précédent sur les extrémités des Solives jusqu’à la fin du XVe siècle, tandis que les structures à grille et petites croix de

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Saint-André n’étaient pas antérieures au début du XVIe siècle. Le corpus du XVe siècle s’est accru de deux granges à cruks8, l’une de 1465 et l’autre comprenant des fermes courbes de 1487‑1503 (fig.7), exemples d’un type de construction jusqu’alors inconnu en France pour cette période alors que l’Angleterre en conserve du XIVe siècle. La date de 1536 a été proposée pour une troisième grange à cruks, mais sous réserve.

Fig. 7

Cours (Lot), grange à cruks. Schéma de répartition des bois datés par dendrochronologie É. Cassan, © Département du Lot / Inventaire général Région Occitanie

21 Ce sont en tout sept granges du lot9 qui ont été retenues pour servir de premiers points de repère, dont une grange-étable « en superposition » qui a été datée du XVIe siècle mais qui a probablement été entièrement remontée au XVIIe siècle voire plus tard. Le programme s’intéressait plus particulièrement aux charpentes à crucks dont l’exemplaire le plus récent a été daté de 1739.

22 Les XVIIe-XIXe siècles ont été les parents pauvres des trois programmes successifs. Les datations ont été obtenues dans le cadre de programmes diachroniques (les maisons à pan de bois de Sorèze et Labruguière, les granges du lot) ou d’études ponctuelles pour six d’entre elles. À Rodez, il s’agissait de dire si l’hôpital général fondé en 1676 par une ordonnance royale avait conservé des charpentes d’origine en dépit des importantes campagnes de travaux des années 1870, ce qui a été prouvé pour deux de ses pavillons dont les bois ont été collectés en 1684‑1687. Le bâtiment le plus récent est un modeste logis de ferme, à Lapenche en Tarn‑et‑Garonne, inclus dans une étude des constructions en terre en Pays Midi-Quercy (fig.8). La dendrochronologie a permis de vérifier que la date de 1791 inscrite sur le linteau de la porte était bien celle de la construction et d’une timide introduction de l’adobe, et que la cloison à hourdis de terre ne résultait pas d’un réaménagement.

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Fig. 8

Lapenche (Tarn-et-Garonne). Logis daté 1791 S. Ruefly © P.E.T.R. Midi-Quercy / Inventaire général Région Occitanie

23 Le bilan de dix années de dendrochronologie ne se limite pas aux seuls résultats obtenus, dont nous venons de donner un aperçu très sommaire et volontairement limité aux datations. Pour la plus grande partie du corpus qui constitue le champ de l’Inventaire général, la dendrochronologie apporte des datations à l’année près quand les arguments constructifs et stylistiques autorisent au mieux une précision au quart de siècle. Le recours aux sciences exactes devrait progressivement modifier profondément les méthodes de travail en libérant les chercheurs de l’obsession de datation qui est souvent la leur, au profit d’une plus grande attention à la diffusion et la pérennité des formes. Cela suppose d’associer plus systématiquement des analyses de dendrochronologie aux programmes de travail.

Perspectives

24 Outre l’objectif de la datation, atteint ou non, le travail du dendrochronologue comprend nombre d’observations qui vont de l’identification des essences à celle des milieux de croissance des arbres, de la collecte des bois à leur mise en œuvre. les sections des bois, les modes de débitage, les traces d’outils, les marques d’assemblage qui contribuent à l’établissement du plan d’échantillonnage sont autant d’informations sur les savoir‑faire et leurs évolutions ; les durées de stockage avant mise en œuvre, les marques de flottage ou la détermination de la saison d’abattage des arbres nous parlent de l’économie du bois… le modeste logis rural de Lapenche révèle ainsi une collecte de proximité opportuniste associée à des bois de remploi, dont il faudrait pouvoir apprécier la représentativité.

25 Les quelques éléments de synthèse proposés en 2008 (des coupes faites en dehors de l’automne et de l’hiver qui apparaissent au XVIe siècle, par exemple) devront être repris lorsque l’on disposera de séries suffisamment nombreuses, dans le temps et dans l’espace, pour commencer à avoir une valeur statistique.

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26 Au vu des résultats obtenus, l’important travail déjà réalisé sur la thématique de la maison médiévale mérite d’être poursuivi, à la faveur de recensements départementaux et surtout d’études monographiques d’édifices‑clefs d’une part, et d’études de sites d’autre part ; il conviendrait sans doute d’y adjoindre des analyses des charpentes des édifices religieux (des églises paroissiales propriétés communales en particulier), en fait très mal connues.

27 Nos connaissances sur l’architecture rurale, encore trop souvent envisagée du seul point de vue typologique, gagneraient à être renouvelées par des analyses à même de préciser la chronologie des bâtiments et de leurs évolutions. Le recours à la datation par dendrochronologie est d’autant plus nécessaire que les sources sont rares et que les formes perdurent.

28 Si la réalisation d’un corpus d’édifices de référence bien datés restera longtemps encore un objectif majeur, elle ne doit pas empêcher le recours à des datations systématiques de séries ou d’ensemble dans le cadre d’enquêtes thématiques ou topographiques. En milieu urbain, lorsqu’existe un service chargé de l’étude du patrimoine, des problématiques d’ensemble sont probablement à construire et des modalités particulières à mettre en œuvre, en procédant, par exemple, à la constitution d’une banque d’échantillons prélevés lors des chantiers de rénovation et dûment documentés, dans l’attente d’un traitement par le dendrochronologue.

29 Pour le mobilier religieux ou civil, qu’il faudrait pouvoir intégrer aux prochaines campagnes, les prélèvements de bois devront être effectués en parfaite relation avec les ateliers de restauration et pour les objets protégés au titre des Monuments historiques avec les conservateurs des Antiquités et Objets d’Art en charge de la maîtrise d’ouvrage.

30 Ce sont donc des programmes inscrits dans la longue durée qu’il faut pouvoir mettre en place, à l’échelle désormais des treize départements de la Région Occitanie. L’extension des aires prises en compte par les campagnes de dendrochronologie devrait permettre de mieux rendre compte de la diversité des territoires, dans leurs composantes géographiques et historiques, et d’en apprécier mieux les spécificités et les variations au cours des grandes phases de l’histoire régionale et nationale.

31 Si dans le cadre de l’Inventaire général, les données archivées concernent en priorité l’histoire du patrimoine culturel, l’enrichissement d’une base de données publique de dendrochronologie sera aussi une contribution non négligeable à une meilleure connaissance de l’évolution du climat et de l’environnement naturel dans notre région.

NOTES

1. Voir par exemple : LEROUX, laure. « Du monument à son histoire : aperçu méthodologique des études castrales en France », dans Annales de Janua, Actes des journées d’étude, n° 1, Enjeux de l’historiographie et de la datation des sources, § 21-22. 2. Dans un délai de deux ans après la fin de la mission afin de réserver aux auteurs la primeur de l’utilisation scientifique de leurs études. Les données brutes sont également versées dans la base de données de la Digital collaboratory for cultural Dendrochronology (DCCD).

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3. Un bilan en a été dressé en 2008 : BÉA, Adeline ; GIRARCLOS, Olivier ; SCELLÈS, Maurice et alii. « Dendrochronologie en Midi-Pyrénées : bilan du programme 2004-2008 », dans Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t. LXVIII (2008), p. 171-203. 4. Le bilan a été établi à partir des études d’inventaire réalisées par les chercheurs du service connaissance du patrimoine de la Région, et des services du patrimoine du P.E.T.R. de Midi‑Quercy (Alexia Aleyrangues, sandrine Ruefly, carole stadnicki), de Rodez agglomération (Diane Joy), du C.A.U.E. du Tarn (Adeline Béa, Sonia servant), de la Ville de Lectoure (Gaëlle Prost), du Département du lot (Julien Hadjadj, Élodie Cassan), avec leur collaboration et celles d’Anne-laure Napoléone et Pierre Garrigou Grand‑champ. 5. Nous laissons de côté les quelques cas peu significatifs où ont été rencontrés du peuplier, de l’orme ou du sapin restés non datés. 6. BÉA, A. et alii. Op. cit., 2008, p. 181. 7. BÉA, A. et alii. Op. cit., 2008, p. 180, 185. 8. Appellation, empruntée à l’anglais, d’un type de charpente à arbalétriers courbes. 9. Calviac, le Theil (non daté) ; Cours, Saint-Michel (1487-1503, 1713, 1730) ; Floirac, La Martinie sud (1465) ; Lacam-d’Ourcet, Courbou (1525, 1544-1579) ; saint-Médard, le Rouergoux, 2 granges (1536, 1719) ; Salviac, Roquebrune (1739, après 1784).

RÉSUMÉS

Dix années de dendrochronologie dans l’ancienne région Midi‑Pyrénées ont largement démontré tout l’intérêt d’analyses intégrées aux enquêtes de l’inventaire général, à la condition qu’en soient respectés les protocoles. La possibilité de disposer de datations précises des bois modifie les méthodes et les problématiques de recherche de l’historien, mais l’enrichissement d’une banque de données régionale publique de dendrochronologie devrait tout autant intéresser les climatologues.

Ten years of dendrochronologie in the former region Midi-Pyrénées widely demonstrated all the interest of analyses integrated into the inquiries of the Inventaire général, on condition that protocols are respected. The possibility of having precise datings of wood modifies the methods and the search mode for the historian, but the enrichment of a public regional data bank of dendrochronologie should interest just as much the climatologists.

INDEX

Keywords : dendrochronology, general inventory of cultural heritage, Middle Ages, architecture Mots-clés : dendrochronologie, Inventaire général du patrimoine culturel, Moyen Âge, architecture Index géographique : Aveyron, Lot, Tarn-et-Garonne, Calmont, Cours, Lapenche, Saint-Affrique

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AUTEUR

MAURICE SCELLÈS Conservateur du patrimoine, Région Occitanie

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Deux ornements réversibles du XVIIIe siècle : de Saint-Papoul à Carcassonne Two reversible ornaments of the 18th century: from Saint-Papoul to Carcassonne

Josiane Pagnon

1 La cathédrale Saint-Michel de Carcassonne conserve, entre autres textiles de belle qualité, deux ornements en soie brodée sur les deux faces ou réversibles. La fiche manuscrite rédigée peu avant leur classement au titre des monuments historiques (30 septembre 1911) pour 2 chapes, 2 chasubles, 2 manipules, 2 étoles, 2 voiles de calice, 2 bourses de corporal indique clairement qu’ils proviennent de l’ancien évêché de Saint‑Papoul1. En 1919, dans le second supplément à son grand ouvrage sur la broderie2, Louis de Farcy publie les photos de deux chasubles et la chape 1 d’un évêque de Saint‑Papoul, à Carcassonne. Quel est l’intérêt de ces ornements ? Au‑delà de la tradition, quels fondements historiques les rattachent à la commune de Saint‑Papoul ? Tels sont les objets de cet article.

Description des ornements

2 Le premier ornement est rouge d’un côté et blanc de l’autre ; il est composé des éléments de base habituels que sont chasuble, étole, manipule, voile de calice et bourse de corporal, mais il est aussi accompagné d’une chape3.

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Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Vue d’ensemble de la chasuble 1, face rouge M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

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Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Vue d’ensemble de la chasuble 1, face blanche M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Vue d’ensemble de la chape 1, face rouge M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

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Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Vue d’ensemble des étoles, manipule, voile de calice et bourse de corporal 1, face rouge M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

3 Le second ornement est violet sur une face et or sur l’autre. Il est incomplet puisque l’étole et le voile de calice ne sont pas localisés à ce jour, mais possède une chape4. Les ornements liturgiques, même anciens, de la cathédrale ont longtemps été en service ; les pièces manquantes pourraient avoir été simplement déplacées sans être définitivement perdues.

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Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Vue d’ensemble de la chasuble 2, face violette, avec manipule et bourse de corporal M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Vue d’ensemble de la chape 2, face or M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

4 Les deux ensembles sont en gros de Tours moiré mais cependant très différents, ce qui s’explique par leur usage. Les ornements réversibles sont caractéristiques de prélats qui devaient transporter avec eux un vestiaire conséquent5 ; blanc et rouge sont les couleurs des grandes fêtes qui impliquent recherche de beauté et de grande richesse ; au contraire, le violet du temps de pénitence et l’or qui remplace les autres couleurs

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exigent plus de sobriété. Il n’empêche que le tout est réalisé par des brodeurs professionnels. Les broderies sont toutes de filé argent ou filé argent doré (le filé est une lame de métal enroulée autour d’une âme en soie) et elles se substituent6 même aux galons qui bordent habituellement chaque pièce ; la passementerie, réduite à l’entourage du chaperon, a été refaite pour la chape violette, mais elle est d’origine sur la chape rouge ; elle est extrêmement complexe et raffinée, avec des franges métalliques de quatre sortes dont une, appelée migret, qui dessine même des fleurs en enroulant les lames métalliques sur des bandelettes de carton (ou de baudruche ?).

Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Vue d’ensemble du devant de la chasuble 2, face violette M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

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Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Détail de la chape 1, face blanche M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

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Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Détail de la chape 1, face rouge M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie.

5 La technique des broderies à double face, montées ici sur une triplure en lin, rend impossible tout changement de fond, lorsque ce dernier est usé, ce qui est inéluctable pour un ornement en service. La face blanche se trouve aujourd’hui fort ravaudée ou fragilisée par de nombreuses déchirures. Pour l’ornement violet/or, on s’est résolu à changer tout le tissu violet ; pour cela, il a fallu découper soigneusement tout autour des broderies et venir appliquer un tissu neuf bords à bords. Pour cacher la couture de jonction, pas d’autre choix que d’appliquer un galon argent, fin certes, mais qui alourdit le motif. La dentelle métallique du voile de calice est très fragilisée (objet encore en usage liturgique). Sa face blanche est très ravaudée.

La provenance de Saint-Papoul

6 L’assertion selon laquelle ces ornements proviendraient des anciens évêques de Saint- Papoul méritait d’être vérifiée. Il convient de dire tout d’abord que le motif des broderies indiquait clairement le XVIIIe siècle. Plusieurs pistes ont été suivies dans les documents de ce siècle aux archives départementales de l’Aude ; c’est autour de la personne de Mgr Daniel‑Bertrand Delangle que se concentre finalement le faisceau d’indications le plus probant. Mgr Delangle devient évêque de Saint‑Papoul en 1739. Il est connu comme bienfaiteur de sa ville épiscopale et des pauvres, et comme restaurateur de l’Hôtel-Dieu de Castelnaudary. Contrairement à d’autres évêques, il est bien présent dans son diocèse où il décède le 25 juin 1774. Son testament (annexe 1), déposé chez Maître Antoine Bauzit, notaire à Castelnaudary, spécifie : Nous donnons à tous les évêques nos successeurs dans le siège épiscopal de Saint-Papoul notre chapelle avec tous

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les effets qui la composent, comme argenterie tant simple que d’orée, tous nos ornements de quelque espèce qu’ils soient… Il souligne qu’il leur sera interdit d’emporter avec eux cette chapelle dans un autre lieu. Afin que ses volontés aient plus de chance d’être respectées, il ordonne qu’un inventaire (annexe 2) soit enregistré officiellement par la sénéchaussée de Castelnaudary.

7 Dans la liste détaillée des biens, apparaissent dès le début du document : Plus l’ornement complet blanc et rouge, grande broderie en or estimé y compris la chappe de même 1600 livres. Plus autre ornement complet rouge et blanc avec son pluvial moire d’or et violet brodé en argent à deux faces estimé 600 livres.

8 L’énorme différence d’évaluation entre les deux ensembles tient aux broderies et à leur poids d’argent. Le second ornement est sans aucun doute l’ornement violet/or conservé à Carcassonne, pour deux raisons : d’abord, la combinaison violet/or est extrêmement rare7 ; ensuite, l’association de ce pluvial violet avec la chasuble – qui pourrait être considérée comme rouge – est certaine, puisque les broderies sont identiques.

Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Vue d’ensemble de la chasuble 2, face or, avec manipule et bourse de corporal M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

9 Les ornements cités sont propriétés personnelles de Mgr Delangle, mais la sacristie de Saint-Papoul pourrait posséder des textiles réversibles laissés par un autre prélat. C’est ce que laissent supposer des délibérations du chapitre de juillet 1735. Mgr Jean-Charles de Ségur, évêque de Saint‑Papoul de 1724 à 1735, avait, semble‑t‑il, omis de payer son droit d’entrée à la tête du diocèse ; un accord est trouvé quand le procureur de Mgr de Ségur, avec 3 500 livres, offre au nom du seigneur évêque, baillés et donnés audit chapitre les deux chasubles brodées à deux envers faisant les quatre couleurs avec leurs étoles, manipules,

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voiles, bourse et palles, deux autres chasubles d’étoffe de Soye avec un galon d’or avec leurs étolles, manipulles, voiles, palles comme dessus, plus un pluvial, plus l’étolle de visite, plus deux burettes8... Par ailleurs, la visite officielle de la sacristie de l’abbaye de Saint-Papoul, faite le 27 septembre 1768 par le vicaire général guillaume-Louis Gauzy indique la présence d’ornements à deux endroits (annexe 3).

10 Le style des broderies, en permettant une datation, aiderait à préciser les choses. Pour cela, il nous faut élargir le cadre géographique de l’étude, grâce à une collaboration fructueuse avec Danièle Véron‑Denise9.

Carcassonne (Aude), cathédrale Saint-Michel

Vue d’une partie de la chape 2, face violette M. Kérignard © Inventaire général Région Occitanie

Pour aller plus loin

11 Il fut très surprenant de découvrir qu’un ornement aussi magnifique en broderie que l’ornement rouge/blanc de Carcassonne pouvait avoir un sosie : à la cathédrale de Metz, un ornement identique a été offert par Mgr de Montmorency‑Laval, évêque de Metz de 1760 à 1802, mais prélat dès 1754. Sans être des copies conformes, une chape réversible, conservée à Stockholm mais commandée en 1751 à Paris, une chape aujourd’hui conservée au musée des Antiquités de Rouen, qu’il faut associer avec une chasuble de l’abbaye de Saint-Denis, elle-même liée à Louise de France, fille de Louis XV, entrée au Carmel de Saint‑Denis en 1770, présentent d’indéniables similitudes dans la virtuosité de leurs dessins brodés. Il faut noter que ces pièces sont datables des années 1750 ou juste après ; c’est pourquoi, l’hypothèse selon laquelle les ornements de Carcassonne viendraient d’une commande de Mgr Delangle reste privilégiée.

12 Dans son article, Danièle Véron-Denise émet l’hypothèse que ces magnifiques ornements ont été exécutés par des membres de la famille Rocher, installée dès 1600 à Paris. Cette dynastie de brodeurs-chasubliers était spécialisée dans la fourniture d’ornements pour le haut clergé de France ; ils vendaient et louaient des ornements aux

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prélats du royaume. Voilà qui, de la tranquille abbaye de Saint-Papoul en passant par la cathédrale de Carcassonne, nous ouvre les vastes horizons d’un goût pour le beau à la Française. Le diocèse de Saint-Papoul fut supprimé le 29 novembre 1801. Les traces de l’arrivée des textiles à la cathédrale de Carcassonne n’ont pas été trouvées, mais il semble logique, après la disparition de l’évêché de Saint‑Papoul, d’avoir déposé l’ornement à la cathédrale la plus proche, respectant d’une certaine façon jusqu’au bout les dernières volontés de Mgr Delangle, en permettant à ses successeurs évêques géographiquement les plus proches de conserver les précieux ornements réversibles.

ANNEXES

Annexe 1 Archives départementales de l’Aude. 3 E 10144

Registre notarié d’Antoine Bauzit, notaire à Castelnaudary, au 25 juin 1774, jour du décès de Daniel-Bertrand Delangle, également abbé de l’abbaye de Blanche Couronne, diocèse de Nantes. Testament : […]. Septimo. Nous donnons à tous les évêques nos successeurs dans le siège épiscopal de Saint- Papoul notre chapelle avec tous les effets qui la composent, comme argenterie tant simple que d’orée, tous nos ornements de quelque espèce qu’ils soient, nos mithres, bas et souliers de cérémonie, nos missels et pontificaux, nos anneaux et croix pectorales avec tout le linge, dantelles d’église, nos tapis, carreaux, dossiers et fauteuils du trône. NOUS VOULONS qu’en cas de translation de quelqu’un de nos successeurs à un autre siège, il ne puisse rien emporter des effets de notre ditte chapelle mais qu’ils demeurent réservés en entier à son successeur dans le siège de Saint-Papoul. Comme aussi que les effets de notre ditte chapelle ne puissent jamais être saisis ny vendus pour acquitter les dettes des évêques de quelque nature qu’elles puissent être et afin que notre volonté sur ce point soit fidellement exécutée, nous voulons qu’après notre décès il soit fait par notre héritier et notre exécuteur testamentaire, un de mes vicaires généraux et M. le procureur du roy au siège présidial de Castelnaudary y appellés et présents, fait un inventaire exat de notre ditte chapelle au pied duquel inventaire sera faite par gens connoisseurs et experts, l’estimation desdits effets ; et que notre présente substitution soit publiée à l’audiance de notre sénéchal de Castelnaudarry et enregistrée avec l’inventaire au greffe de la juridiction, que du tout il soit fait trois copies, en forme probante dont l’une sera remise aux archives de l’évêché, l’autre entre les mains de notre héritier, et la dernière à notre exécuteur testamentaire, notre héritier, et notre exécuteur testamentaire.

Annexe 2. Archives départementales de l’Aude. B 2021. Cours et juridictions. Sénéchaussée du Lauragais. Insinuations (1553-1789)

Plus l’ornement complet blanc et rouge, grande broderie en or estimé y compris la chappe de même 1600 livres Plus autre ornement complet rouge et blanc avec son pluvial moire d’or et violet brodé en argent

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à deux faces estimé 600 livres Plus autre ornement complet brodé en or avec sa chappe de même estimé 600 livres plus autre ornement complet violet et vert brodé en argent sans pluvial estimé cent livres plus ornement complet de velours noir avec son pluvial galonné en argent, 400 livres plus un vieux ornement à fleurs sans voile, estimé 6 livres plus écharpe cramoisy, 6 livres plus quatre tunicelles de taffetta blanc, estimé 6 livres plus six tunicelles violet, rouge et noir, estimées 9 livres plus quatre paires de bas de soye blanc, rouge et violet, pour 8 livres plus quatre paires gants pour pontifier blanc, rouge et violet estimées 12 livres plus quatre paires souliers pour pontifier blanc, rouge et violet estimées 6 livres Plus les palles de toutes les couleurs comprises dans l’estimation des ornements, plus les pontificaux et missels estimés 30 livres plus l’étole de visite or et violet brodé en or, estimée 100 livres plus l’étole or et violet brodée en argent, estimée 50 livres plus le tapis de velours violet avec ses deux carreaux galonnés en or, estimés 400 livres plus la garniture de fauteuil du trône en velours galonné en or, estimée 80 livres plus le dossier du trône galonné en velours galonné en or, 120 livres plus un dossier de trône en drap violet, estimé 6 livres plus deux caisses pour les ornements 3 livres plus une nape à dentelle, 9 livres plus l’aube à dentelle et un coupon de dentelle de quatre pour 48 livres plus une aube garnie de mousseline brodée, 24 livres plus un rochet uny 9 livres plus trois seintures, 12 livres plus neuf camails de gros de Tours ou drap violet ou noir, 30 livres plus deux mitres de glacé en or et broderie de même, estimées 172 livres plus une mitre moire en argent brodée en or, estimée 48 livres plus deux mitres d’un glacé en argent uni, 30 livres plus six rochets estimés ensemble 314 livres plus trois aubes estimées ensemble 360 livres plus deux tapis de pied estimés 350 livres plus dans la chapelle un tapis de drap violet, deux carreaux couverts de même, et un petit tapis de pied, le tout estimé 60 livres enfin sur l’autel de laditte chapelle quatre chandelliers et une croix d’argent aché. Total : 8 792 livres 6 sols 3 deniers Estimation faite par Marc Joupart, orfèvre, et par Frèche, maître tapissier à Toulouse. Document finalisé le 15 septembre 1774.

Annexe 3. Archives départementales de l’Aude. g 473. Visite de la sacristie de l’abbaye de Saint-Papoul, le 27 septembre 1768, faite par guillaume-Louis Gauzy, vicaire général

Ornements blancs [dans la marge : fait en 1735 au départ de M de Ségur]. Une chasuble de damas blanc avec son étole, le manipule, voile et bourse, garnie d’un galon d’or et bordé de même, quatre dalmatiques avec leurs étoles et manipules et trois man (sic) pluviaux aussi de damas avec un galon d’or, le chaperon des pluviaux garni d’une crépine en or, le tout en fort bon état. [dans la marge : donné par l’évêque actuel]. Une chasuble avec quatre dalmatiques, leurs étoles et manipules, voiles et bourses d’un gros de tours blanc broché en fleurs de soye et or, garni d’une dentelle en or, le tout presque neuf et en fort bon état. Une chasuble avec deux dalmatiques, leurs étoles et manipules, voiles et bourse d’un satin blanc fleuri garni d’une dentelle en argent en fort bon état.

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Une chasuble avec deux dalmatiques, étoles, manipules et bourse sans voile, ensemble deux pluviaux. Le tout de damas blanc garni d’un galon et bordé d’or ; ledit ornement vieux et plus qu’à demy usé. Autre chasuble de damas blanc avec deux dalmatiques, étoles, manipules et bourse sans voile, garnie d’une dentelle en or, le tout fort usé. Un pluvial à deux envers d’étofe de moire couleur de feu et blanc garni d’un galon et crépine d’or sur le blanc, d’un pareil galon en argent sur le rouge, en bon état. Autre pluvial en moire en argent à fleurs de soye et or garni d’un galon (à) crépine d’argent, l’étofe d’iceluy un peu passée, ledit pluvial d’ailleurs en bon état. Six chasubles camelot blanc avec deux dalmatiques, étoles, manipules, voile et bourse de même garnie d’un galon fil (de ou et) soye, dont deux chasubles hors de service, le reste demy usé, et d’une couleur passée. Une chasuble brodée partie en or et partie en soye avec son étole, manipule, voile et bourse brodée de même, en bon état. [dans la marge : donnée en 1735 au départ de M. de Ségur]. Une chasuble à deux envers détofe de moire couleur de feu et blanc brodée, étole, manipule, voile et bourse brodée de même, en bon état. [dans la marge : donnée en 1735 au départ de M. de Ségur]. Une étole à deux envers de moere en or et violet brodé en or, garnie d’une crépine et cordon de même ; elle a besoin d’être […] et réparée. Une chasuble à deux envers de moere couleur de feu et blanc. Sur le rouge, étole et manipule, voile seulement pour le rouge, et bourse, le tout garny de même galon un peu usé ; […] garnie d’un galon en or sur le blanc et en argent. [dans la marge : donnée en 1735 au départ de M. de Ségur]. Deux chasubles persienne à fleurs de différentes couleurs avec leurs étoles, manipules, voiles et bourses garnies d’un galon en or, et doublées d’un taffetas rouge en fort bon état ; la doublure de l’une aurait besoin d’être un peu réparée. Une chasuble d’un moere en argent à fleurs et soye et or assez ancienne et ternie avec son étole et manipule sans voile ni bourse garnie d’un galon en or, la chasuble est déchirée sur le devant. Une écharpe pour la bénédiction d’un tafetas blanc garnie d’un picot et crépine en or, en bon état. Un tapis pour le pulpitre de l’évangile d’un satin blanc et rouge garnie d’une frange en soye, en bon état. Ornements rouges [dans la marge : l’évêque actuel les a fait décrasser et au lieu d’une mauvaise dentelle a mis un galon d’or avec des franges d’or]. Deux chasubles en damas cramoisy avec quatre dalmatiques, étoles, manipules, voiles et bourses, ensemble deux pluviaux de la même étofe, le tout garny de galon et bordés d’or, et les pluviaux d’une crépine de même sur l’une desdittes chasubles et sur deux dalmatiques sont brodées les armes de M. de Montpezat, évêque de Saint-Papoul, le tout en bon état. Un pluvial de satin brodé en plein, en soye et or, et les orfrois et chaperons en velours brodé de même, dont la doublure a besoin d’être réparée ; une étole de velours cramoisy brodée aussy en soye et or, avec un bordé de ( ?) crépine en or, en bon état. Un pluvial de satin cramoisy avec les orfrois et chaperons de velours sizellé fond or et soye et garny d’une dentelle or et argent. Ladite dentelle déchirée en quelque petit endroit ; la doublure en soye a besoin d’être réparée. Quatre chasubles de camelot rouge, deux dalmatiques, étoles, manipules, voiles et bourses de même garnies de galons fil et soye à demy uzées et néanmoins en bon état, à l’exception d’une

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chasuble à laquelle il manque un peu de galon. Deux autres chazubles de camelot fort uzées et hors de service [...].

NOTES

1. Ce court article de mise au point est rédigé à la demande de l’association des amis de Saint- Papoul qui fait paraître chaque année un Bulletin. 2. FARCY, Louis de. La broderie du XIe siècle à nos jours d'après des spécimens authentiques et les anciens inventaires. Premier fascicule paru chez l'auteur, à Angers, 23, rue du Canal et chez Belhomme, libraire-éditeur, Angers, 1890. Second supplément en 1919, avec photo de l'ornement, planche 254. 3. Dimensions en cm : chasuble : h : 114,5 ; la : 70,3 ; étole : h : 112 ; la : 23 ; manipule : h : 52 ; la : 22,5 ; voile : h : 57 ; la : 56,5 ; bourse : h : 28,4 ; la : 23 ; chape : h : 141,5 ; d : 293 ; chaperon : h : 54,5 ; la : 46,2 ; laize : la : 54. 4. Dimensions en cm : chasuble : h : 113 ; la : 70 ; manipule : h : 43 ; la : 23,5 ; bourse : h : 24,5 ; la : 29 ; chape : d : 301 ; h : 138 ; chaperon : h : 51 ; la : 49 ; patte de fermeture : h : 21 ; la : 12. 5. Sur les réversibles en général, cf. PAGNON, Josiane. « Les ornements liturgiques réversibles : premières approches d'un bilan ». Patrimoines du sud, 1, 2015. 6. Tous les galons, en dehors de celui du chaperon rouge/blanc, sont postérieurs à la confection des deux ornements. 7. Cf. Liste des ornements répertoriés, PAGNON, J. Op. cit. 8. AD11, g 480. Délibérations du chapitre de Saint-Papoul, 1581-1778. 9. Cf. VÉRON-DENISE, Danièle. « Les ornements épiscopaux du XVIII e siècle des cathédrales de Metz et de Carcassonne et l'atelier parisien de la famille Rocher ». Patrimoines du sud, 1, 2015.

RÉSUMÉS

Étude de deux ornements réversibles du XVIIIe siècle conservés dans la cathédrale de Carcassonne, mais originaires de Saint‑Papoul (Aude).

Study of two reversible liturgical ornaments of the XVIIIth century preserved in the cathedral of Carcassonne, but coming from Saint‑Papoul Church (Aude).

INDEX

Index géographique : Aude, Carcassonne, Saint-Papoul Mots-clés : broderie réversible, ornement liturgique, XVIIIe siècle Keywords : reversible embroidery, liturgical ornament, 18th century

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AUTEUR

JOSIANE PAGNON Chercheur à l’Inventaire régional d’Occitanie

Patrimoines du Sud, 5 | 2017 373

Brève

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La revue numérique In Situ Revue des patrimoines

Patrimoines du Sud, 5 | 2017 375

In Situ, revue des patrimoines a pour objectif d’offrir à l’ensemble des spécialistes du patrimoine un organe de diffusion des résultats de leurs travaux portant sur la connaissance, la conservation et la valorisation du patrimoine, de favoriser les échanges entre les différents acteurs et les différentes disciplines de la recherche appliquée au patrimoine et de mettre à disposition du public le plus large les nouvelles connaissances. Depuis sa création en 2001, au sein de l’Inventaire général, la revue, exclusivement publiée en ligne et diffusée gratuitement, a progressivement évolué de manière à couvrir l’ensemble des champs patrimoniaux de la direction générale des patrimoines : archives, musées, archéologie, patrimoine mobilier et immobilier, patrimoine culturel immatériel. Chaque numéro est composé d’un dossier central consacré à une thématique spécifique et placé sous la responsabilité scientifique d’un ou de plusieurs spécialistes du sujet. Il est généralement complété d’une rubrique de « varia » accueillant des articles hors thématique. Des « brèves » peuvent en outre apporter des informations plus ponctuelles sur une découverte, une attribution, une restauration, etc. Depuis 2009, la revue est éditée par le département du pilotage de la recherche de la direction générale des patrimoines. Le projet éditorial est clairement interdisciplinaire, comme en témoigne le comité de lecture qui réunit en son sein des chercheurs et des professionnels des différents domaines patrimoniaux, dans un souci d’équilibre tout à la fois thématique, géographique et institutionnel. La mise en place d’un comité scientifique ouvert à des professionnels et à des chercheurs étrangers a conforté la qualité scientifique de la revue. Depuis 2012, la totalité des numéros a rejoint la plateforme d’OpenEdition, revues.org En 2016, trois numéros ont été publiés, un quatrième est en préparation : • N° 28 Le moulage, pratiques historiques et regards contemporains • N° 29 Ensembles mobiliers, industriels, techniques. Connaissance, protection, conservation, présentation au public • N° 30 Au regard des métiers du patrimoine • N° 31 Patrimoine de la santé, essai de définition, enjeux de conservation (à paraître)

Patrimoines du Sud, 5 | 2017