Etre Ou Ne Pas Être Charlie
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2 j FRANCE Investig’Action Les premiers fruits amers de l’unité nationale : guerres, peurs, humiliations, mises sous surveillance La grande manifestation « Je suis Charlie » a été célébrée par l’ensemble de nos médias, par le gouvernement et par la quasi-majorité de la classe politique comme symbole d’une « unité nationale » présentée comme nécessaire face à la menace « terroriste ». Said Bouamama ment binaire martelé à longueur « A la fin, nous nous sou- Les quelques voix discordantes de journée : si tu n’es pas Char- viendrons non pas des mots de appelant à s’intéresser aux cau- lie, tu soutiens les attentats. Les nos ennemis, mais des silences ses, aux enjeux et aux consé- graines semées par cette « unité de nos amis ». Martin Luther quences prévisibles de cette in- nationale » commencent à don- King jonction à l’unanimisme émotif ner leurs fruits amers et empoi- ont été réduites à un soutien aux sonnés. Le temps du premier bi- « terroristes » dans un raisonne- lan est arrivé. Une légitimation renforcée des guerres Toutes les puissances de décennies. Guerres de pillages septembre 2001 pour préparer dernières années. De l’Afgha- l’OTAN ainsi que leurs alliés dont le seul but est le surpro- un « arôme idéologique immé- nistan à la Syrie en passant étaient représentés dans la ma- fit, les aventures militaires ne diat1 » favorable à la guerre. par l’Irak, du Mali à la Cen- nifestation « Je suis Charlie » peuvent pas se présenter comme La négrophobie2 est un trafrique en passant par la Li- du 11 janvier 2015. Compren- telles. Elles nécessitent pour se autre ingrédient correspondant bye, l’armée française semble dre la signification et la fonction déployer sans résistance d’êtres aux nouvelles découvertes de ne vouloir rater aucune guerre de cette photo de famille sup- fardées en « guerres justes » : pétrole, de gaz et de minerais d’agression. La pression idéo- pose de prendre en compte le contre l’obscurantisme et le qui se sont multipliées ces der- logique islamophobe et négro- contexte mondial et ses rapports terrorisme, pour l’émancipa- nières années en Afrique s’ajou- phobe y est d’autant plus forte de force. tion des femmes, pour la dé- tant aux gisements déjà connus qu’est important le besoin de lé- Les guerres impérialistes fense d’une minorité opprimée, de ce continent surnommé « le gitimation d’interventions mili- pour le pétrole, pour les mine- contre le génocide, etc. L’is- scandale géologique3 ». taires dans des pays africains rais stratégiques et l’affaiblisse- lamophobie est un des ingré- La France est particulière- et/ou « musulmans ». ment des puissances émergentes dients idéologiques diffusés au ment engagée dans toutes les se multiplient depuis plusieurs moins depuis les attentats du 11 agressions impérialistes de ces Le site de la Direction de l’information légale et administrative donne lui-même les données quantitatives suivantes : la France est intervenue militairement à près de quarante reprises sur le sol africain dans les cinquante dernières années et une vingtaine de fois entre 1981 et 1995 sous les deux septennats de François Mitterrand. Certaines de ces opérations n’ont duré que quelques jours, d’autres ont donné lieu à des déploiements beaucoup plus longs (opérations Manta et Epervier au Tchad, par exemple).4 A ces chiffres ne concer- tanément, l’inclusion de l’Eu- nouvelle stratégie de l’OTAN. L’ALBA en Amérique du Sud nant que l’Afrique il faut ajouter rope de l’Est dans les zones à expérimente de nouvelles soli- le Liban (1983), l’Irak (1990), surveiller, la possibilité d’une Mais la séquence historique darités et cohérence régionale la Bosnie (1992), le Kossovo guerre nucléaire « limitée » et que nous vivons au niveau mon- permettant de desserrer l’étau (1999), l’Afghanistan (2001), le « partage du fardeau straté- dial est aussi celle des obs- du système capitaliste mondial. la Syrie (2014), etc. Les in- gique » : « C’est l’esprit même tacles à la prise de contrôle La Russie et la Chine freinent terventions militaires françaises du nouveau concept stratégique états-unienne du monde. Ces par leurs positions à l’ONU les à l’étranger s’inscrivent elles- de l’OTAN que de sommer en obstacles sont certes de natures tentatives de couvrir les agres- mêmes dans une stratégie glo- quelque sorte les Européens de très différentes mais convergent sions militaires d’une légitimité bale de l’OTAN. Cette straté- définir la nature et l’ampleur des pour mettre en difficulté le internationale. Les guerres me- gie est définie dans un do- obligations qu’ils sont prêts à « nouvel ordre mondial » que nées font apparaître de plus en cument intitulé « concept stra- assumer dans son cadre5 ». « l’Occident » tente d’imposer plus nettement leur seul résul- tégique ». La dernière version au reste du monde et même tat : le chaos. de ce concept en 2010 com- La multiplication des inter- à ses propres peuples. Partout prend la capacité à interve- ventions militaires européennes les agressions militaires et les L’instrumentalisation de nir sur plusieurs terrains simul- en général et française en par- chantages à la guerre ou à la l’émotion par le discours de ticulier s’inscrit dans le cadre sanction économique piétinent. « l’unité nationale » pour l’in- www.michelcollon.info FRANCE j 3 terne et de la « guerre mondiale ci aux yeux des peuples et du guerres. va dans le même sens le même contre le terrorisme » pour l’ex- peuple français en particulier. Il C’est ainsi par 488 voix jour par 327 voix et 19 absten- terne ont dans ce contexte un s’agit de remobiliser et de res- contre 1 que l’assemblée natio- tions. Le premier fruit amer de double objectif : Annoncer de souder un camp, de lui donner nale approuve la prolongation l’unité nationale c’est la guerre. nouvelles guerres impérialistes une légitimité populaire, de le des frappes aériennes françaises d’une part et légitimer celles- rassembler pour de nouvelles en Irak le 13 janvier. Le Sénat Hier comme aujourd’hui, en 1914 ou en 2015, l’Union sacrée a toujours le même goût de guerre. Réhabiliter des alliés assassins Mais la grande instrumenta- zaines de milliers de mani- palestiniens : ans de prison et 1 000 coups lisation de l’émotion a aussi été festants français qui ont ap- Ils m’ont expliqué, pour de fouets (50 tous les vendre- l’occasion de renforcer les liens porté leur soutien au peuple conclure, que si je pouvais cri- dis) pour avoir critiqué les di- avec les « amis de l’Occident » palestinien dans des manifes- tiquer Israël dans mon pays, je gnitaires religieux du royaume. et de réhabiliter ceux qui ont été tations quasi-quotidiennes. « La n’aurais plus le droit de le faire Les alliés du nouvel ordre mon- discrédités aux yeux de l’opi- présence de ces ministres, ré- sur leur territoire. Je savais dès dial sont trop importants pour sa nion publique par leurs crimes. sume le journaliste Alain Gresh, les premières minutes qu’ils al- sauvegarde. Ils peuvent conti- Citons les deux exemples dé- est une insulte à toutes les va- laient m’expulser, mais je ne nuer à bafouer sans aucune mentant les discours d’une mo- leurs dont prétendent se parer m’attendais pas à une interdic- crainte la liberté d’expression et bilisation pour la liberté d’ex- les organisateurs de la manifes- tion de séjour de dix ans. Ils financer des groupes qui désta- pression et contre le terrorisme. tation, un hold-up qu’il est im- m’ont traité comme si j’étais un bilisent les Etats voisins en cou- L’Etat d’Israël est repré- portant de dénoncer6 ». terroriste7. vrant leur agression du nom de senté par trois ministres : le pre- Faut-il encore rappeler que La « démocratique » Arabie l’Islam. Ces deux exemples suf- mier ministre israélien Benja- 17 journalistes ont été tués Saoudite était également Char- fisent pour démasquer l’hypo- min Netanyahu, le ministre des cet été dans les bombarde- lie le 11 janvier dernier par la crisie en matière de liberté d’ex- affaires étrangère Avigdor Lie- ments sionistes sur la bande de présence à la manifestation de pression. Celle-ci n’est défen- berman et le ministre de l’éco- Gaza ? Rappelons encore l’ex- son ministre des affaires étran- due que quand elle sert les in- nomie Naftali Bennett. Après pulsion d’Israël du journaliste gères Nizar al-Madani. Deux térêts des dominants et elle est les massacres de palestiniens français Maximilien Le Roy, jours plus tôt, le bloggeur saou- oubliée dès qu’elle les remet en par un terrorisme d’Etat cet été, alors qu’il se rendait à un fes- dien Raïf Badawi recevait ses cause. cette présence sonne comme tival de Bandes Dessinées, en 50 premiers coups de fouets. une provocation pour les di- raison de ses dessins jugés pro- Il est en effet condamné à 10 La réhabilitation des assassins et des financeurs de la mort, tel est le second fruit empoisonné de l’union sacrée qu’a tentée de construire l’instrumentalisation étatique de l’émotion. La peur Abordons maintenant les ef- vers, renforce ce climat. lise aujourd’hui nos opérations en quelques jours. « Quelque 11 fets de « l’unité nationale » sur Le déploiement de 10 000 extérieures . 116 actes anti-musulmans ont 13 le territoire français. Le pre- soldats à grand renfort de publi- Or que produit le discours été recensés en quinze jours » mier est évident : l’instaura- cité médiatique enracine l’idée de guerre que nos politiques évalue le journal Libération. tion d’un climat de peur porteur d’un danger permanent et omni- n’ont pas hésité à utiliser aussi Le chiffre réel est, bien en- de tous les dangers.