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VICTOR HUGO, CET INCONNU... DU MÊME AUTEUR : ESSAIS D'ART ET D'HISTOIRE Le Nouveau . Daumier. , artiste. La Vie glorieuse de Victor Hugo. Victor Hugo raconté par ceux qui l'ont vu. Delacroix (3 vol.) Delacroix et sa Consolatrice. L'Art italien. Greco. Gros. Henri Matisse. La Peinture française au XIXe siècle. La Peinture française au XXe siècle. Paris. Versailles. L'Hôtel-. Constantinople. Mes Pyrénées. ROMANS, NOUVELLES, FOLK-LORE Le Sel de la terre. Mahmadou Fofana. Maripepa. (EN COLLABORATION AVEC MARIE ESCHOLIER) Dansons la trompeuse (prix Northcliffe). Cantegril (prix Vie Heureuse). La Nuit. Quand on conspire. L'Herbe d'amour (Grand prix de littérature de l'Académie française). Gascogne. Au pays de Cantegril. Le Secret de Montségur (en collaboration avec Maurice GARDELLE, à paraître). THÉATRE La Conversion de Figaro (en collaboration avec J.-J. BROUSSON). Cantegril, opéra-comique (musique de Roger-Ducasse). Madame de Luzy (d'après la nouvelle d'Anatole , en colla- boration avec Eug. BOURGEOIS). POÈMES Vers l'autre rive. RAYMOND ESCHOLIER

VICTOR HUGO, CET INCONNU... « Ce sera ma loi d'avoir vécu célèbre et ignoré. » VICTOR HUGO.

Paris

LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT Imprimeurs - Éditeurs - 8, rue Garancière, 6 Copyright 1951 by Librairie Plon. Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays y compris l'U. R. S. S. A JEAN HUGO en témoignage de grande et fidèle amitié.

PRÉFACE

Il y a un peu plus de vingt ans, comme je m'apprêtais à publier la Vie glorieuse de Victor Hugo, d'aucuns me mirent en garde contre la vanité d'un sujet si rebattu... Je ne les écoutai point, car mes fonctions de conservateur de la et de Hauteville-House, ma connaissance de la précieuse bibliothèque rassemblée et donnée par Paul Meurice à la demeure de la place Royale, et tant d'inédits consultés, me mettaient à même d'éclairer d'un jour nouveau cette grande figure, soi-disant trop connue. Tant et si bien que, comme la collection aujourd'hui épuisée, le Roman des Grandes Existences, où parut ce premier volume, ne comportait aucune note, aucune référence (on en a trop abusé par ailleurs), certains crièrent à l'imposture. C'est ainsi qu'après avoir pris connaissance chez Louis Barthou de tout le dossier — encore inédit — général Hugo- Sophie Trébuchet, je fus amené à visiter Chateaubriant avec M. A. Gernoux, instituteur dans cette ville et le premier à avoir vu clair dans cette ténébreuse affaire. En outre en rela- tion avec les héritiers de La Horie et de Muscar, j'en savais long sur la « brigande » Sophie Trébuchet. Beaucoup plus long, en vérité, qu'Édouard Biré, prototype du cuistre malfaisant, dont l'ouvrage, trop longtemps vanté, sur Victor Hugo — véritable entreprise de démolition — fourmille à chaque page — Paul Berret l'a magistralement démontré — de faux sens, d'inexactitudes et de mensonges délibérés ; Édouard Biré qui, pour donner une bonne leçon au fils de la « mère vendéenne », nous avait travesti celle-ci en tricoteuse, partageant les fureurs terroristes de son grand- père Lenormand, juge au tribunal révolutionnaire de Nantes. Paul Souday, pourtant encore plus hugolâtre qu'hugophile, parut attribuer au domaine de la fantaisie cette « image d'Épi- nal ». Il n'en était rien cependant ; mais mes fonctions de con- servateur de la Maison de Victor Hugo et la nature de mes relations avec les héritiers du grand poète rendaient ma posi- tion délicate et m'obligeaient, en somme, à taire ce que je savais du passé aventureux de la générale Hugo. C'est alors que j'engageai mon ami Louis Guimbaud, l'au- teur de cet ouvrage définitif : Victor Hugo et , à faire ce qui m'était interdit, à entreprendre une enquête minutieuse sur les secrètes amours de Sophie « la Brigande » et du général Victor La Horie. Avec son beau volume, si documenté et si frémissant, sur la Mère de Victor Hugo (1), à laquelle les premières pages de ce livre doivent tant, Louis Guimbaud nous a donné un por- trait « au vif », parfaitement véridique, de la Chouanne qui a si fortement marqué, plus encore que la jeune Muse vendéenne de Quiberon, la religion primitive de Ce que me disait la bouche d'ombre et la sauvagerie celtique de Quatre-vingt-treize. Dans ce nouvel ouvrage sur notre grand lyrique, si l'on fait la part belle à Sophie Trébuchet, c'est non seulement parce qu'elle fut une héroïne de roman — à la Balzac (le Balzac des Chouans), c'est encore parce que le vieil Hugo lui est aussi redevable que l'Enfant sublime. De fait, nos grands romantiques, un Lamartine, un Vigny, un Victor Hugo, la qualité de leur génie, de toute évidence, ils le doivent surtout à leur mère. « Pourquoi, dira-t-on, donner pour titre à un tel livre ces quatre mots : Victor Hugo, cet inconnu? » C'est qu'en effet, on s'en avise de plus en plus, nul n'est plus ignoré que Victor Hugo... Déjà, en 1928, après la publication de la Vie glorieuse de Victor Hugo, je fus stupéfait de n'avoir pas enfoncé, comme je l'avais cru tout d'abord, trop de portes ouvertes... Je décou- vris alors, non sans surprise, que si la vie d'Olympio, vie secrète et vie d'aventure, s'il en fût, échappait au plus grand (1) Librairie Plon. nombre, le poète et le prosateur, le politique et le mystique n'étaient pas moins ignorés de ce qu'on appelle l'élite. Depuis, je n'ai fait qu'aller d'étonnement en étonnement... Quand avec une candeur désarmante, une amie comme Lucie Delarue-Mardrus me disait, devant les dessins de Hugo, en effet admirables et dignes des plus grands maîtres : « Quel dommage que Victor Hugo ne s'en soit pas tenu à cela ! », je souriais en songeant que cette charmante Muse normande m'apportait ainsi la preuve qu'elle n'avait jamais lu , , , ou Dieu. Quand un Claude Farrère se livrait aux « sorties » que l'on sait, on plaignait simplement ce marin d'ignorer les Travailleurs de la Mer et tant de poèmes sublimes, tant de dessins magnifiques, inspirés par l'Océan, par les phares, par les jetées, par les navires, au petit-fils des Trébuchet, gentils- hommes de fortune. André Gide, lui-même, est revenu sur un « Hélas ! » intem- pestif, en déclarant qu'il ne s'agissait là que d'une boutade. Pour Claudel, s'il a prétendu que Hugo était un « lâche », c'est qu'il ne savait rien de sa conduite héroïque durant les journées de juin et au moment du coup d'État où, quoi qu'on ait pré- tendu, sa tête était mise à prix. Paul Valéry... Au cours d'une conférence à Londres, il lui arriva de médire de telle façon du plus grand de nos poètes que tous ceux qui, là-bas, aiment les lettres françaises en marquèrent leur surprise et leur réprobation. Quelques jours plus tard, j'étais chez l'auteur de Charmes, qui voulait bien m'honorer de son amitié. On s'entretint de la poésie pure — et impure, et cela nous amena à parler de Victor Hugo. Je ne pus celer à Valéry les impressions que sa causerie avait provoquées aux bords de la Tamise... Il se défendit alors — assez mollement, me sembla-t-il, — de ne pas aimer Hugo : — En vérité, me dit le poète de la Jeune Parque, ce qui me rebute en Hugo, c'est son amour du récit... Pour moi, le récit est un genre inférieur et n'a rien à voir avec la poésie pure. Je gardai le silence... et songeai simplement à Homère et à Virgile, à Dante et à Milton... Le récit aurait-il étouffé chez ceux-là toute poésie ? Et d'ailleurs, qui pourrait soutenir, sans méprise, que l'œuvre lyrique de Hugo est vouée seulement au récit ? Plus récemment, sous la signature d'un des princes de la critique, j'eus la surprise de découvrir que Victor Hugo ne saurait être considéré comme un poète de l'amour, « puisqu'il n'a jamais aimé. » Rien ne permettant de mettre en doute la bonne foi de ce critique, on peut se demander, après cela, si ne lui sont point parfaitement étrangères l'œuvre et la vie de Victor Hugo. Aussi bien cette campagne de dénigrement ne date pas d'hier. Si Péguy se posait en admirateur et disciple de Hugo, si Renouvier, pur et grand esprit, consacrait des pages lucides et profondes à la Philosophie de Victor Hugo, que de fois n'ai- je pas entendu, dans le même temps, Anatole France, « pape des sceptiques », tourner en ridicule, Villa Saïd, le Burgrave de la Démocratie accueillant « sous ses ailes », lors de son quatre-vingtième anniversaire, « les jeunes poètes », parmi les- quels l'auteur des Noces corinthiennes? Avant sa grande brouille avec Leconte de Lisle, France, comme son ami Louis Ménard, n'avait-il pas été de ceux qui, familiers du bibliothécaire du Sénat, ne craignaient pas, en sa présence, de dauber sur la stupidité du « père Hugo »? Tant et si bien qu'un jour, Leconte de Lisle lui-même aurait lancé ce fameux apophtegme : « Il est bête comme l'Hima- laya. » Ce propos a-t-il été vraiment tenu par le chef de l'École parnassienne? Je voulus en avoir, un jour, le cœur net et je m'en ouvris à Henri de Régnier, l'un des fidèles de Leconte de Lisle : — N'en doutez pas, me déclara ce noble poète. Ces mots ont bien été prononcés et qui plus est, en ma présence. Mais, en vérité, cette boutade a donné lieu à de fausses interpréta- tions — et il serait bon de remettre les choses au point... C'était en 1882. La gloire du poète montait au zénith et le peuple de Paris en avait fait un dieu. « Un matin, comme il prêtait l'oreille aux propos de ses visiteurs, Leconte de Lisle arrêta, non sans mépris, tout ce bavardage dénigrant et, dans un grand silence, prononça cet arrêt ironique : — Mes jeunes amis, vous avez raison... Victor Hugo est bête... Il est bête... oui... mais comme l'Himalaya! Évidemment, il n'est pas donné à tout le monde d'être « bête comme l'Himalaya » — propos où l'on reconnaît bien l'amant des hymnes védiques, le zélateur du Nirvana... Vers la même époque, Hugo notait ceci sur un carnet : « Je ne peux ni ne veux rien cacher de ma pensée. Je vis et je pense à mes risques et périls, ce qui fait que, par moment, j'ai l'air d'un imbécile. J'y consens. J'ai la fierté de ma bêtise. » Ironie souveraine que celle de Leconte de Lisle, perdue pour les jeunes Parnassiens qui, en vérité, ne connaissaient rien de l'œuvre du « père Hugo ». Ignoré de ses admirateurs comme de ses détracteurs, Hugo n'a pas cessé de l'être et l'on ne peut que souscrire au juge- ment porté à ce sujet par l'un des exégètes les plus récents de notre grand poète, par Henri Guillemin : « Cet homme illustre est très inconnu (1). » Cela, sans aucun doute, Hugo lui-même l'a voulu. Baude- laire aura été des premiers à s'en aviser. Il a vu mieux que personne qu'à côté du grelot sonore auquel il doit sa popula- rité, cette « gloire en gros sous », il y a chez l'auteur des Con- templations, une source de poésie fermée, une sorte de musique secrète, « musique de perdition », eût dit Barrès, accessible aux seuls initiés : « Hugo exprime nettement la lettre claire et nette ; mais il exprime avec l'obscurité indispensable ce qui est obscur et confusément révélé. » C'est bien ce que lui reprochaient un Renan et un Anatole France — et par surcroît un pamphlétaire catholique comme Léon Bloy le traitant, deux mois avant sa mort, de « Lama imbécile dont personne n'ignore la pitoyable sénilité intellec- tuelle, la sordide avarice, le monstrueux égoïsme, et la parfaite hypocrisie... » De ces jugements sommaires, un Denis Saurat, un Henri Guillemin, autrement informés, ont fait aujourd'hui bonne (1) On doit à M. Henri Guillemin la publication de Pierres, de Victor HUGO. (Éditions du Milieu du Monde. 1951.) justice — et avant eux, l'un de nos bons poètes, l'un de nos plus subtils essayistes, Léon-Paul Fargue. Celui-là, comme il a dit leur fait aux « pet de loups » : « Hugo n'est pas un génie ordinaire, un génie normal, un génie conforme et rassurant, comme peuvent l'être Pascal ou Tolstoï, et il faudra des années encore, et des révolutions dans la métaphore, dans le martyrologe, dans le snobisme, dans la mythologie politique, avant que la postérité ne con- sente à lui pardonner et à le classer dans son Olympe. D'ici-là, on sera toujours forcé de prendre les gens par l'oreille, de mettre la main au collet des pet de loups, et de leur dire, de la voix douce du sergent de ville qui indique la bonne rue : « Mais si, Hugo, c'est très bien Hugo, c'est excellent. Vous ne l'avez jamais lu (1). » Léon-Paul Fargue disait vrai. C'est ainsi qu'un jour, j'eus la surprise d'entendre l'un des plus déterminés détracteurs de Hugo me confier ceci : « Pendant ma convalescence... j'ai lu les Misérables... Savez-vous que c'est un chef-d'œuvre, et d'un intérêt passionnant? » Ce théoricien du nationalisme intégral avait attendu la quarante-cinquième année pour découvrir les Misérables, l'un des livres les plus lus dans le monde. Faut-il rappeler aux fervents de Mistral, pour la plupart si dédaigneux à l'égard de Victor Hugo, ce qu'écrivait à celui- ci l'auteur de Mireille, après la lecture de la Légende des Siècles : « C'est merveilleux, immense, cyclopéen ; on est étonné, abasourdi, ravi de trouver là, et au milieu d'un siècle antipoétique, une puissance, une virginité d'idées, un éclat d'images, une envergure de génie qui eût émerveillé l'antiquité indienne. » Pour montrer tout ce qu'annonce Hugo dans le domaine poétique, comme, d'ailleurs, en politique, Léon-Paul Fargue cite des vers qui pourraient être aussi bien de Mallarmé. Victor Hugo n'est-il pas à l'origine d'une grande partie de la littérature contemporaine ? « C' est lui qui a les clefs. » Et voici ce que trop de gens ignorent : « L'auteur du Satyre (1) Victor Hugo... la bouche d'ombre. (Préface de Léon-Paul Fargue). (N. R. F.) a comme autorisé le Parnasse, le Symbolisme, la poésie indus- trielle, la Tour Eiffel, Dada, le Surréalisme et les dérivés d'Apollinaire... Autour de lui, et après lui, poètes de toutes pointures et de toutes sonorités n'ont vécu que des éclats du son de ce trombone. Hugo, c'est le tableau électrique de la poésie moderne avec toutes ses manettes. Lautréamont est à la fois dans les Travailleurs de la Mer et dans l'Homme qui rit, livres inouïs (Barrès les admirait entre tous) qui font de leur auteur le Jules Verne des poètes du XX siècle. Il est le père de Banville et l'oncle à l'héritage d'Edmond Rostand. Mais toutes les formes de ce que nous appelons l'avant-garde, et non pas seulement en France, sont contenues dans ses orgues. Aujourd'hui encore ses vers, ses cris, ses emporte- ments et ses sourires travaillent dans le silence des biblio- thèques et dans la pierre des tombeaux, comme les vins et les métaux. Il nourrit de vitamines tous ceux que la blan- cheur du papier n'inspire pas. » Quant au penseur, si longtemps dénigré par le clan renanien et francien qui avait en réalité, le mal des cimes, ses détrac- teurs font aujourd'hui sourire. Albert Thibaudet aura été le premier, en 1935, à présager ce retour de flamme. Pour lui, l'auteur de Dieu et de la Fin de Satan resta un « Penseur », « que le Hugo de Rodin au Palais-Royal et même l'homme qui est nu devant le Panthéon, réalité hugolienne qui semble montée de la crypte pour témoigner du poète, commentent et exposent plus clairement que ceux des critiques qui ont vu de leur fenêtre que Hugo n'a pas d'idées (1) ». En vérité, les terribles épreuves que subit le monde depuis 1914 n'ont fait que donner à la philosophie hugolienne une singulière actualité, et aussi bien à sa pensée religieuse qui semble annoncer l'avènement d'un Graham Greene et de ce chef-d'œuvre d'inspiration si profondément évangélique et hugolienneGloire. : The Power and the Glory — la Puissance et la

15 (1)mai Albert 1935. THIBAUDET, Situation de Victor Hugo. Revue de Paris, J'ai publié en 1928 la Vie glorieuse de Victor Hugo et cepen- dant , à vingt-trois ans de distance, en découvrant tant d'iné- dits, tant de correspondances insoupçonnées, tant de témoi- gnages nouveaux, je m'aperçois que pour moi-même qui ai longtemps conservé ses maisons de la place Royale et de Guer- nesey, Victor Hugo est demeuré, pendant bien des années, un inconnu. Il m'a fallu découvrir, chez Louis Barthou (1), chez le libraire Gougy, à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, chez le peintre-graveur Louis Icart, possesseur de l'im- mense correspondance de Juliette Drouet, et surtout grâce à mon bien cher Jean Hugo, et aux autres héritiers du grand poète, une masse de papiers ignorés, de carnets inédits, pour me rendre compte à quel point l'ombre enveloppait encore cette grande figure mystérieuse, combien, au fond, était éloigné de nous cet « écho sonore ». Si, grâce aux beaux travaux de Denis Saurat (Victor Hugo et les Dieux du peuple) et d'Henri Guillemin (la Bataille de Dieu), la « religion » dont ce grand homme fut l'apôtre com- mence à peine à sortir des limbes (d'ailleurs de par sa propre volonté), si, depuis sa mort corporelle, la publication de Choses vues fut une révélation pour la critique et la masse des lecteurs qui ne pouvaient savoir que le premier journaliste de France s'appelait Victor Hugo, si des recueils posthumes comme la Fin de Satan, Dieu, Toute la lyre, Dernière Gerbe, Océan, nous donnent enfin la mesure de l'étonnant poète, le seul que la France puisse opposer à Dante, à Milton, à Gœthe, et aussi à Keats et à Shelley, si l'actualité politique et sociale justifie, de façon éclatante, les prophéties tant moquées du pair de France, du représentant du peuple à la Constituante et à l'Assemblée nationale, du sénateur de la Troisième Répu- blique, cet annonciateur des États-Unis d'Europe et des États- Unis du monde, que dire des révélations apportées depuis (1) Je lui dois la communication des lettres encore inédites de Victor Hugo à Juliette Drouet. vingt ans sur l'homme Hugo, sur ses amitiés, sur ses haines, sur ses amours dont certaines resteront sans doute très secrètes? Pendant plus d'un demi-siècle, les exécuteurs testamentaires de Victor Hugo, et, j'ai le regret de le dire, Paul Meurice, le premier (j'en ai la preuve en main : sa correspondance avec Henry Havard), ont, dans un sentiment sans doute expli- cable, organisé le silence (un vrai tir de barrage) et multiplié les ... contre-vérités au sujet des amours entre Hugo, Juliette Drouet, Mme Biard — et combien d'autres ! — au sujet aussi du Roman de Sainte-Beuve, comme l'a appelé gentiment Gus- tave Simon..., et de Mme Victor Hugo. Puisque j'évoque ce douloureux roman vécu — qu'il me soit permis de battre ici ma coulpe ! Non pas que j'aie été dupe de ces idylles à l'eau de rose, que signa Gustave Simon et qui s'appellent la Vie d'une femme et le Roman de Sainte- Beuve... Non, mais en 1928, je l'avoue, j'eus avec Paul Bourget, connaisseur pénétrant de Sainte-Beuve, un long entretien d'où il résultait que Mme Victor Hugo n'avait point failli, la preuve absolue de son innocence étant consignée dans Volupté. Je relus alors Volupté avec une extrême attention, et je dois convenir que cette lecture donnait absolument raison à la thèse très subtile de Bourget. Depuis — et cela seul suffisait à justifier la publication de ce nouveau livre — depuis, à la lumière de révélations fulgu- rantes, mon propos, à cet égard, a été entièrement bouleversé. A vrai dire, jusqu'à une certaine date qui se situe sans doute au cours de l'été 1831, Paul Bourget avait raison : Mme Victor Hugo était bien Mme de Couaën. Mais ensuite... c'est autre chose. La réalité, la voici : Volupté pourrait s'appeler : Avant, et le Livre d'Amour : Après. La vérité me fut, d'abord, révélée par la lecture minutieuse des notes rétrospectives d'Henry Havard sur « les Lettres de Mme Victor Hugo à Sainte-Beuve ». Qui a lu ces notes — d'une objectivité désarmante — ne peut plus croire à l'innocence de Mme Hugo. Certes, de cette lecture, bien plus qu'Adèle, sa victime, le triste Sainte-Beuve sort à jamais déshonoré. Sur ce chapitre, tous les honnêtes gens seront d'accord. C'est, d'abord, le dépôt, par Joseph Delorme, entre les mains de Paul Chéron, conservateur à la Bibliothèque nationale, de la cassette contenant sept cents lettres de Mme Victor Hugo, avec cette odieuse injonction : « Mon exécuteur testamentaire est prié de garder secrètement cette cassette, de ne pas se dessaisir des lettres qu'elle contient et de ne pas les rendre à Mme Victor Hugo, quelques demandes qu'elle fasse pour cela. — S. B. » Bien que Mme Hugo fût morte un an avant l'historien de Port-Royal, celui-ci ne jugea pas utile de modifier son impé- rative recommandation. Trois cent trente-quatre de ces lettres, embrassant une pé- riode de douze années — de 1831 à 1842 — furent, au témoi- gnage d'Henry Havard, incinérées par lui, le 29 novembre 1885 en présence de (neveu de Mme Victor Hugo), de Paul Chéron fils et d'Edouard Lockroy. Détail pittoresque. La flambée de ces effusions amoureuses fut telle que vers 11 heures du soir, le portier d'Henry Havard, nommé « Napoléon », sonna à l'appartement, tout ému. Il venait avertir l'inspecteur des Beaux-Arts qu'un sergent de ville l'avait réveillé dans sa loge. Cet agent de police avait, en effet, constaté que des flammèches voltigeaient sur le toit de l'immeuble : « Le feu n'est-il pas dans une de vos chemi- nées? » demanda « Napoléon », que son locataire s'empressa de rassurer. Dix-neuf ans plus tard, le commandant Cordier, que j'ai connu colonel des sapeurs-pompiers de Paris — et qui m'a longuement parlé de ce nouvel autodafé — apportait à Henry Havard la preuve qu'il avait été lui-même joué par le fils de Paul Chéron. Ce médicastre indélicat, après avoir affirmé à Henry Havard et à Paul Foucher qu'il leur livrait la totalité des lettres confiées à son père par Sainte-Beuve, se trouvait en avoir gardé par-devers lui plus de trois cents, dont les copies ne furent ignorées ni de Louis Barthou, ni du libraire Gougy, ni de Georges Hugo, ni de Tola Dorian — ni de moi-même. Ici, comment ne pas citer la lettre du colonel Cordier — alors commandant — adressée le 17 novembre 1904 à Henry Havard : « Mme Chéron mère m'a déclaré qu'à la suite des articles qui ont paru dans les journaux, à la fin du mois dernier, à l'occasion du centenaire de Sainte-Beuve ; dans la crainte d'être astreinte à montrer la correspondance qui nous inté- resse, elle avait, il y a quelques jours, au commencement de novembre, brûlé toutes les lettres au nombre de trois cents environ et surtout des billets de rendez-vous. « Il ne lui reste plus rien, si ce n'est une boucle de cheveux, un bout de ruban, un calepin sans inscription. Le tout sera également brûlé (?). Mme Chéron dit s'être ainsi conformée aux dernières volontés de Sainte-Beuve et de son mari, les lettres ne devant en aucun cas être livrées à la publicité. Elle a été fort surprise, lorsque je lui ai appris que trois cent trente- quatre lettres avaient été déjà détruites devant quatre témoins. « Nous ne pouvons l'expliquer qu'en pensant que le D Ché- ron avait dérobé la moitié des lettres à sa mère, à laquelle elles avaient été confiées. D'autre part, je me souviens par- faitement d'avoir trouvé dans la bibliothèque du D Chéron, après sa mort, plusieurs lettres... (ces lettres doivent encore être entre les mains de Mme Lucie Chéron)... Mme Chéron mère m'avait dit que les lettres brûlées dataient, d'après les cachets de la poste, de 1831 à 1833. Très tendres et affec- tueuses au début, elles étaient sur la fin beaucoup plus ternes. « D'après le nombre des lettres et les dates, il résulte que les correspondants s'écrivaient deux et trois fois par jour. « Les lettres étaient toutes adressées à Charles Laurent : « Signé : L. CORDIER. » A propos de ces nauséeux avatars d'une cassette et des brû- lantes reliques qu'elle contenait, reliques dont un coquin, le D Paul Chéron, s'empressa de battre monnaie, Henry Havard tire la seule leçon acceptable. Ce témoin, parfaite- ment impartial, et d'ailleurs très hostile à un Lockroy, à un Paul Meurice, à un Gustave Simon, uniquement soucieux de farder la vérité, Henry Havard traduit le sentiment des hon- nêtes gens, quand il livre au mépris public les « recommanda- tions impératives », faites par Sainte-Beuve à Paul Chéron le père et qui s'affirmaient dans cette dédicace latine : Lege atque tace, et fidei tuae commissum secreto in posterum serva », prescrivant à son ami « de transmettre ces révélations calom- nieuses à la postérité », la conservation enfin des lettres com- promettantes dans la cassette mystérieuse, et l'ordre intimé à son exécuteur testamentaire de ne jamais les restituer à celle qu'elles compromettaient — conservation et ordre qui persistèrent après le décès de la pauvre victime — tout cela, il faut bien en convenir, est moins le fait d'un galant homme que d'un parfait goujat ». « A quel sentiment obéissait le bas organisateur de cette félonie posthume? » se demandait encore Henry Havard. En vérité, nous ne saurions penser avec celui-ci qu'il est presque impossible de répondre à une telle question. Certes, Sainte-Beuve mit un jour en doute — uniquement par dépit — l'intelligence d'Adèle (préjugé partagé par beaucoup d'autres et selon nous très erroné ; qu'on lise les lettres de la fiancée et celles, de la femme, qu'on songe au Victor Hugo raconté, entièrement de la main d'Adèle ; qu'on pense aussi à la dignité de sa conduite à l'égard de Juliette, à la finesse de son attitude envers Mme Biard et l'on devra reconnaître que Mme Hugo fut, depuis son printemps jusqu'à son automne, tout le con- traire de l'être absurde et sans personnalité, imaginé de toutes pièces par certains thuriféraires de Juliette — Louis Barthou entre autres et Léon Daudet. Au surplus, Sainte-Beuve ne cessa jamais, en fait, de correspondre avec « Mme de Couaën » et de la voir. Jusqu'aux derniers temps de sa vie, ne professait- il point pour elle d'affectueux sentiments, adressant ses lettres respectueusement tendres à cette « chère Madame et ancienne amie »? Non, le seul mobile qui durcit ce cœur envieux, ce fut la haine inexpiable du sénateur de l'Empire « pour le superbe exilé dont la gloire trop éblouissante l'offusquait d'autant plus qu'il avait dû jadis s'humilier devant elle pour franchir les portes de l'Académie ». Ajoutez à cela qu'il devait tout à Hugo : un foyer trop géné- reusement ouvert ; toutes les relations, toutes les amitiés du chantre des Orientales mises à son service ; et même l'illusion que Joseph Delorme — ce cacographe invraisemblable (je parle de l'auteur des Confidences) — avait pu être un poète, illusion qui, en vérité, dura peu, car c'était là surtout que le bât le blessait. Hugo l'a bien senti, quand il a noté ceci sur ses tablettes — en 1876 — après avoir découvert, dans une cache, à Hauteville-House, quelques lettres d'Adèle à Sainte- Beuve, qui ne lui permettaient plus de douter de la trahison de celle-là : « Sainte-Beuve n' était pas poète et n' a jamais pu me le pardonner (1). » A vrai dire, Sainte-Beuve était une de ces âmes viles qui ne peuvent supporter cette offense : un bienfait.

Si, à la lumière de ce que j'ai pu découvrir depuis 1928, mes idées ont complètement changé en ce qui touche au « roman de Sainte-Beuve » et de Mme Victor Hugo, je dois avouer que, depuis que j'ai pris connaissance de certaines lettres, infiniment douloureuses, de Juliette Drouet à Olym- pio, — lettres que ne pouvait connaître, malgré ses minu- tieuses investigations, mon cher Louis Guimbaud, puisqu'elles se trouvaient chez Georges Hugo, mon opinion sur Mme Drouet a, elle aussi, beaucoup évolué. En réalité, il dut y avoir deux Juliette : l'une, la demoiselle de petite vertu entretenue par le prince Demidoff e tutti quanti, et l'autre, la femme de Pradier, qui, devenue la compagne et l'inspiratrice de Victor Hugo, sut accepter la claustration amoureuse et, à force de souffrance profonde, de noblesse d'âme et d'amour, infiniment désintéressé, parvint à s'élever à une telle hauteur que Mme Hugo lui ouvrit, un jour, toutes grandes les portes de Hauteville-House, sans que, d'ailleurs, deJuliette, se rendre par àune cette pudeur invitation. de sentiment bien rare, ait accepté (1) En vérité, et malgré la fameuse pièce, Date lilia, Victor Hugo, « lion jaloux », fut maintes fois hanté par la pensée que sa femme lui avait été infidèle... A cet égard, on n'a pas assez pris garde à quelques vers épars, publiés dans Océan (p. 546) : (En présence du berceau d'Adèle) : Ma femme, votre mère ô pauvre être innocent, Me trompait, je le sais. Je pardonne et j'espère. J'ignore, ange endormi, si je suis votre père, Mais, votre petitesse est grande, et vous défend; Mais étant un enfant, vous êtes mon enfant. Ma bénédiction vous adopte... On sait qu'à son lit de mort, sa main crispée se posait sur un camée, cerclé d'or, que lui avait légué Mme Victor Hugo et qui orna sa « liseuse » jusqu'à ce que cessât de battre ce cœur passionné. Il y eut, nul n'en ignore, d'autres femmes, bien d'autres femmes, dans la vie sentimentale, ou seulement sexuelle d'Olympio... Après nous avoir vraiment révélé Juliette Drouet, M. Louis Guimbaud s'est fait l'historiographe de « la duchesse Thérèse », cette ravissante Léonie d'Aunet, épouse infidèle d'un peintre médiocre à tous égards... Je regretterai toujours de n'avoir pas eu sous la main, vers 1930, les fonds qui m'eussent permis d'acquérir, pour la Maison de la Place des Vosges, les nombreux dessins exécutés par Hugo pour Mme Biard, la correspondance, les manuscrits et jusqu'à un grand album presque entièrement de la main du poète... Où se trouvent maintenant ces reliques? Peut-être aux États- Unis où se propage, de plus en plus, le culte hugolien (1) et où quelqu'un que je sais fait heureusement parfois de grandes trouvailles, dont bénéficiera, en fin de compte, l'une des « Maisons de Victor Hugo ». Je dois à mon ami Jean Hugo la découverte d'un fragment de journal, l'une des plus belles pages qu'ait jamais écrite une femme avant de se donner à son amant. Cette page achetée à Londres par Georges Hugo et attribuée par erreur, à Juliette Drouet, est, en réalité de Mme Biard, de Léonie d'Aunet. Il n'est pas de langage plus bouleversant, et, après cette lecture, combien s'éclaire telle lettre, non moins émouvante, de Juliette à Victor Hugo : « Si tu ne l'avais pas si bien adorée, pourquoi aurais-tu consacré des mois de ta vie, à la poursuite de ta passion à la supplier de se donner à toi !... » Cette longue liaison (elle dura sept années) avec une femme du monde, plus jeune qu'Olympio de quelque vingt ans, ne constitue pas, on le sait de reste, le seul manquement aux (1) Ce culte de Victor Hugo aux États-Unis ne date pas d'hier, puisque les soldats du Nord et du Sud portaient les Misérables dans leur sac et que dans Gone to the winds (Autant en emporte le vent), Margaret Mitchell nous apprend que les fantassins épuisés du général Lee s'étaient surnommés : « Les Misérables. » promesses solennelles, faites à Bièvres, à Jouy-en-Josas et ailleurs, par Olympio à Juliette... En dehors de tant d'inconnues, disparues sans laisser de traces, que de lettres de femmes, moins ignorées, celles-là, parfois même célèbres, et qui en disent long sur leurs relations avec Hugo, demeurent encore inédites, les unes faisant partie des dossiers remis en 1949-50, à la Maison de Victor Hugo par les petits-enfants du poète, les autres qui dorment encore dans des cartons demeurés en Languedoc et qu'il m'a été donné également d'étudier ! Sans parler d'Alice Ozy, des Variétés, et en mettant à part « Mademoiselle Juliette », de la Porte Saint-Martin, que de comédiennes illustres ou moins illustres, vinrent frapper à la porte dérobée de la place Royale ou de la rue de La Tour d'Auvergne ! Presque certainement Dorval, dont Juliette n'avait sans doute pas tort d'être jalouse, tout comme Vigny l'était de Hugo (1) ; Rachel, dont Arsène Houssaye nous a dit : « La fille d'Eschyle s'était jetée dans les bras de Shakes- peare, » en protestant du désir passionné où elle était de jouer , Angelo, , Lucrèce Borgia... Ardem- ment, elle avait récité un passage du rôle de Tisbé : « Je retrouve Mme Dorval, avec du style, » s'était écrié Hugo, émerveillé. Juliette semble s'être moins méfiée de Mme Mélingue (Théo- dolinde), dont Jean Hugo possède cependant des lettres élo- quentes... Enfin, bien plus tard, vint le règne de Sarah Bern- hardt, au temps où elle jouait et Hernani, avec son jeune amant Mounet-Sully, lequel confia, bien plus tard, à l'un de mes vieux amis — Charles Prud'hon, de la Comédie française — la vérité sur les amours de Doña Sol (ainsi la nomme Hugo dans ses notes personnelles) et de Ruy Gomez. Ruy Gomez, Juliette lui décocha une pointe acérée — le 12 juillet 1874 — ayant découvert ses amours avec Doña Sol : Ruy Gomez a de tendres heures, Près des femmes, c'est un coquin : (1) Hugo lui-même a parlé dans ses notes — inédites — des crises de jalousie que provoquaient, chez Vigny, les sorties de l'auteur d'Her- nani avec Marie Dorval, qui lui « donnait le bras ». Parfois, derrière Charles-Quint, Il dit : « J'en pince et des meilleures! » Auprès de Doña Sol qui, le 20 février 1872, dit à Ruy Gomez : « Embrassez-moi » et lui donne à son tour une bise de boca, combien d'autres Jolies femmes ou jolies filles, depuis Louise Colet jusqu'à Éva, jusqu'à Marie Mercier, jus- qu'à Blanche-Marie Lanvin et je n'aurai garde d'oublier la négresse qui, en février 1872, lui ramenait de la Barbade, l'in- fortunée Adèle, la fille démente d'Olympio : « Mme Céline Alvarez Baa... noire et puissante dame dans la Colonie, con- signe Hugo sur son carnet — la primera negra de mi vida. » Aussi lui donnera-t-il, « en souvenir d'Adèle, deux bracelets d'or, une broche et des pendants d'oreilles, également en or ! » Ai-je besoin de dire qu'on ne trouvera pourtant ici aucune de ces effusions trop intimes, inspirées au poète des Chansons des rues et des bois par ses nombreuses amours ancillaires? Trop nombreuses certes au gré de Mme Charles Hugo, devenue Mme Édouard Lockroy, laquelle, prétendait-on, congédiait la camériste ou la fille servante, dès que celle-ci portait sur son corsage, à la mode de 1880, une petite montre en or, sur- montée d'un ruban du même précieux métal, hommage de « Ruy Gomez » ! Lockroy ne prétendait-il pas ironiquement que le « Burgrave de la Démocratie » en ayant fait la remarque, ne manquait pas, dès qu'il était las d'une de ces officieuses, de lui faire ce petit présent? Mais Lockroy, qui haïssait Victor Hugo, n'en était pas à une calomnie près. Ces amours ancillaires ne doivent point pourtant nous fermer les yeux sur l'influence incontestable exercée par de très belles filles comme Éva et comme Blanche, qui, d'ail- leurs, n'était nullement une servante, et n'ayons garde d'oublier Marie Mercier, dont les dix-huit ans charmèrent le séjour d'Hugo à Vianden (il était alors dans sa soixante- dixième année) et qu'il devait ensuite retrouver à Paris, Marie au sujet de laquelle il consigne ce souvenir sur un carnet : « J'ai dit hier à Marie : « Marie, je ne sais pas pour- quoi vous êtes la servante, et moi le maître. Il y a quelque chose là-dessous. C'est pourquoi je vous traite, étant le maître, comme je voudrais être traité si j'étais le domestique. » Que de pièces des Contemplations, de la Légende des Siècles, des Chansons des rues et des bois, de l'Année terrible, de Toute la lyre, de Dernière Gerbe sont dues à ces jeunes femmes, par- fois fort intelligentes comme Blanche, et dont les origines plébéiennes n'étaient point faites pour déplaire à « Monsieur Madeleine » ! En vérité, mis à part le cas de Juliette Drouet et de Léonie Biard, admirablement étudiées par Louis Guimbaud, l'exis- tence amoureuse de Victor Hugo reste encore à écrire. D'il- lustres familles françaises, et même des familles souveraines, gardent jalousement le secret de certaines correspondances... Nous ne connaîtrons sans doute jamais la nature des relations entre le poète pair de France et la princesse royale, pour laquelle il écrivit Ruy Blas, Hélène de Mecklembourg, duchesse d'Orléans, qui tenta de faire de son poète le premier ministre de France, jusqu'au jour où le tribun s'efforça — désespérément — d'assurer à la mère du comte de Paris la régence du royaume... Ce n'est peut-être point par hasard qu'on trouve dans le dossier : Amour (ce mot est de la main du poète) une étrange va- riante de ce vers bien connu, écrit pour cette Princesse royale : Et lion pour autrui, je serais chien pour elle... Sur ses tablettes intimes, le poète n'a pas craint... d'avouer secretses sentiments de ses amours profonds : et de tutoyer le noble objet du plus Chien pour toi, lion pour les autres...! Ces longues soirées passées au pavillon de Marsan par le vicomte Hugo, pair de France, avec cette Altesse Royale, et la véritable frénésie dont, aux journées de 48, le tribun poète fit preuve lorsqu'il tenta, au péril de sa vie, de faire placer Hélène d'Orléans à la tête du gouvernement provisoire, avaient, d'ailleurs, eu le don d'exaspérer Juliette, si l'on en croit son propre témoignage : « Je vous mets à la tête de mon gouvernement définitif, écrit-elle alors à Olympio. Que vous faut-il de plus? » Juliette, du reste, qu'Olympio surnommait parfois, non sans amertume, « la maîtresse d'école », Juliette, depuis l'éclat de « la duchesse Thérèse », avait le nez fin et excellait à éventer les rivales possibles, surtout dès qu'elles appartenaient à ce monde, si longtemps fermé pour elle. C'est ainsi qu'au soir de leur vie amoureuse, Mme Drouet se déchaîne contre « Mme Angèle Magnin, la grande épisto- lière de ce siècle ». Et comme alors, l'ex-princesse Negroni s'entend à toucher le grand homme dans son orgueil — litté- raire : « Elle t'écrit pour te dire son regret de ne pouvoir dîner ici demain samedi, à cause de la répétition générale de Nana. Grand bien lui fasse, à elle et à tous ceux qui ont le goût du fumier et de l'égout. » On ne saura jamais sans doute le fin mot sur certaine bonne fortune arrivée à Hugo, à Carlsruhe, dans la nuit du 18 au 19 septembre 1863. Trois mois après la fuite d'Adèle la plus sensible et la mieux douée de ses enfants, le poète voyageait en Allemagne avec son fils Charles. Que se passa-t-il, dans la nuit du 18 sep- tembre 1863 ? Il est permis de se le demander, lorsqu'on feuil- lette tel carnet inédit de 1873, conservé à la Maison de Victor Hugo, et qu'on découvre ces lignes énigmatiques : « 21 septembre. — Ce matin, je regarde la douce relique adorée qui est dans mon porte-monnaie, toujours sur moi, et j'y trouve cette date : 19 septembre 1863, jour pour jour, à dix ans de distance. » Quelle était l'inconnue, visée par ces mots ? A coup sûr, une conquête imprévue et d'importance, si l'on songe que dix ans plus tard, elle éveillait chez Hugo, un souvenir si attendri. J'ai voulu en avoir le cœur net, et des recherches faites à la Bibliothèque nationale, parmi les carnets inédits, m'ont permis précisément de retrouver le carnet « emporté en voyage le 15 août 1863 ». Or, ce carnet contient des mentions — éloquentes. Et d'abord, à la page 64, ces vers très significatifs, où l'on voit un Hugo sexagénaire, renonçant aux joies de la vie comme Faust et, tout comme celui-ci, stupéfait de retrouver brusque- ment ses vingt ans dans les bras d'une jeune amoureuse : Ce vieux Clélio. Je n'aurai plus jamais, c'est fini, soyons sage, Cet enivrant bonheur de voir à mon passage Une femme effeuiller une fleur dans ses doigts, Et dans l' air de ma tête et dans mon son de voix, Dans mes gestes, mes chants, mes propos, dans la flamme De mes yeux souriants ou fiers, chercher mon âme. (Il se trompe; une femme est amoureuse de lui, sujet de la Comédie.) A la page suivante — page 65 — comme une confirmation de cette dernière remarque, on peut voir une campanule séchée, avec ce vers écrit au crayon : Elle était douce et tendre avec des yeux si doux! Sur la page opposée, cette simple date : 18 septembre 1863 nous avertit que nous... brûlons. Qui donc était cette inconnue?... Pour le deviner, peut-être suffirait-il de se reporter aux Voyages et excursions (éditions de l'Imprimerie nationale), à l'année 1863. On peut y lire ceci : « 11 septembre. — Bade où les Hetzel m'attendent avec Charles. « 13 septembre. — Dimanche, Hetzel dans sa voiture. Nous dans la ville. « 14 septembre. — Partis pour la Favorite à une heure avec Mme Hetzel et revenus à 6 heures et demie du soir. Nous avons invité Mme Hetzel ( ?) à dîner. « 15 septembre. — J'invite Hetzel (?) à déjeuner. « 18 septembre. — Arrivés à Carlsruhe. Les Hetzel nous y attendent, nous avons dîné ensemble et on s'est séparé à 11 heures. Ils repartent pour Bade demain à 5 heures... » De toute évidence, c'est cette nuit-là — du 18 au 19 sep- tembre 1863 — qu'il s'est passé dans la vie de Hugo quelque chose d'assez important pour qu'il en pût garder l'ardent souvenir, très précisément dix ans plus tard. Aux esprits ingénieux de se mettre en quête. Je n'ai pas la prétention de démasquer ici toutes les « inconnues » de Victor Hugo — et Dieu sait s'il y en a... ! Fini le temps où l'on croyait qu'il n'y avait eu dans la vie amoureuse du grand poète que trois femmes : Adèle, Juliette Drouet et Léonie d'Aunet (Mme Biard)... En vérité, quand on saura tout (mais sait-on jamais tout?) de ce prodigieux amant — amoureux de l'amour dès sa neuvième année et passionné de la femme jusqu'au seuil de sa mort, à plus de quatre-vingts ans, — il sera permis de se demander si ses conquêtes féminines n'ont pasmille dépassé e tre. le chiffre fatidique, dont se glorifiait Don Juan : N'est-ce point Maglia (Victor Hugo) qui déclare : Vois-moi! J'ai ravagé les brunes et les blondes...

Parmi tant d'énigmes féminines que nous propose la longue, dure et éblouissante existence de Victor Hugo, il n'en est sans doute pas de plus ignorée que la douloureuse aventure de sa seconde fille Adèle, la filleule de Sainte-Beuve qui, la voyant chaque hiver, à l'insu de son père (Mme Hugo l'emme- nait à Paris, sous couleur de revoir Paul Meurice et Vacquerie), acheva de se venger de ce « grand cœur » (le mot est de Sainte- Beuve), en lui arrachant l'amour de son enfant. Drame atroce, dont on doit espérer qu'on nous révélera, un jour, les dessous encore ténébreux. Durant près d'un siècle, avec les meilleures intentions du monde, les hugolâtres — espèce aussi redoutable que les hugophobes — se sont atta- chés à travestir l'atroce vérité, justifiant, dans une certaine mesure, les entreprises équivoques d'un Octave Uzanne, « l'in- venteur », si l'on peut dire, du « Journal de l'Exil ». En vérité, il n'est pas de roman plus passionnant que l'his- toire vécue de la fille de Victor Hugo. En 1914, à la veille de la Grande Guerre (je veillais déjà sur la Maison de Victor Hugo), il me fut accordé, grâce à la fille aînée de Paul Meurice, Mme Ozenne, d'entrevoir Adèle, dans sa maison de santé, au château de Suresnes, 10 quai de Suresnes. Elle avait alors soixante-quatorze ans... Sous ses bandeaux blancs, ses traits purs avaient gardé une grande noblesse. Ses yeux étaient baissés, obstinément, comme dans les admirables photographies de sa jeunesse, conservées place Royale, comme dans l'émouvante évocation peinte par Georges Hugo, d'une touche presque musicale. La musique, Adèle ne songeait plus qu'à cela... Jusqu'à la fin, qui était proche, elle ne devait pas cesser de promener ses longs doigts sur les touches d'ivoire d'un piano donné par son père... Car Victor Hugo, dont on a fait, bien à tort, un ennemi de la musique (1), Hugo qui, selon certains, aurait eu la phobie du piano, se trouve avoir acheté un piano pour Juliette Drouet et deux pianos pour Adèle. Ce que fut Adèle Hugo? Il suffit de pouvoir déchiffrer son Journal très secret, pour découvrir ses dons bien rares d'ob- servatrice. Hormis Georges Hugo, si merveilleusement doué pour le dessin et la peinture comme pour l'art d'écrire, nul dans cette famille illustre ne semble, en dehors de son chef, avoir fait preuve d'un talent littéraire aussi spontané et aussi raffiné. Elle savait voir, et traduire ses impressions avec un égal bonheur, au point que son père en fit longtemps, dans son exil, sa secrétaire. Cet exil, qui pesa si lourdement sur la « vicomtesse Hugo », à laquelle manquait l'existence mondaine de la place Royale et de la rue de La Tour d'Auvergne, on peut croire qu'Adèle eut encore plus de peine à le supporter que sa mère. Est-ce à dire que la jeune fille n'aurait pu échapper à son destin? Il lui eût suffi sans doute d'agréer l'un des nombreux préten- dants qui demandèrent sa main à Guernesey comme à Jersey — le dernier en date étant Canizaro. Mais, pour cela, il aurait fallu qu'Adèle renonçât à sa folle passion pour le lieutenant fairePinson, tout passion son malheur. qu'elle nourrissait depuis dix ans et qui devait On sait que, lors de la fugue où allait sombrer sa raison, Adèle, en juin 1863, avait fait croire à ses parents séparés une fois de plus, puisque sa mère s'attardait à Paris, qu'elle avait épousé secrètement le lieutenant Pinson, du 16e de ligne. François-Victor qui, un jour, s'en ira jusqu'aux Antilles, rechercher la fugitive et la ramènera de la Barbade, sera le premier à révéler à sa mère les premières nouvelles, bien (1) Cf. à ce sujet les remarquables études de M. Jacques Heugel sur Victor Hugo et la musique. entendu absolument mensongères, reçues au sujet de cette fugue qui, à Guernesey, ne devait pas tarder à faire scandale. Lettre infiniment douloureuse, où l'on découvre comment, montée par sa mère et par Sainte-Beuve, Adèle en est arrivée à haïr son père. C'est bien là qu'est l'effroyable drame — et l'atroce contre-partie du Livre d'amour : Juin 1863. « Chère mère, après vingt-six heures d'anxiété mortelle, nous avons enfin reçu un mot d'explication d'Adèle. « Ce mot est sommaire. Elle nous dit qu'elle s'est rendue à une invitation de Mme Lester, demeurant près d'Hampton Court, et qu'elle est partie sans prévenir afin d'éviter les explications que provoque ici la chose la plus simple. C'est ainsi que froidement elle commet cette escapade inouïe qui nous a bouleversés et qui sera peut-être un scandale local impossible à étouffer. Il est évident que l'explication n'est qu'un leurre et ni mon père ni moi n'en sommes dupes. Elle va évidemment le voir. Où cela? Est-ce au Canada? Est-ce en Angleterre? Je ne le sais. Elle a emporté la lettre de Canizaro, la demandant en mariage, évidemment pour le mettre en demeure. Une expli- cation va avoir lieu. La crise approche. Donc, il ne faut plus différer ce que nous avons trop longtemps ajourné, la demande de renseignements. « Mon père est décidé à un refus net si les renseignements manquent. Il faut donc se les procurer. « Puisque tu reviens à Guernesey, notre avis est que tu passes par Londres et que tu t'informes auprès de l'excellente Mme Gibson. « Mon père est accablé de l'indifférence d'Adèle : « Elle me hait, » s'écrie-t-il. Adèle n'est pas seulement extravagante, elle est profondément maladroite. Si jamais l'affection de mon père lui a été nécessaire, c'est maintenant... » V. (FRANÇOIS-VICTOR). En fait, Adèle continue de tromper les siens par des mes- sages fallacieux et, contre toute raison (pour ne rien dire de plus), sa mère s'attarde sur le continent. François-Victor, cependant, lui révèle les efforts faits par lui et son père pour farder la cruelle vérité, et de nouveau il dénonce le terrible égoïsme de sa sœur. Hélas ! il croit encore en la parole de l'infortunée Adèle et, pas plus que son père, n'imagine que le lieutenant Pinson puisse être marié et que sa femme l'attende à Halifax, en Nouvelle-Écosse : « Ma chère mère, — la note de l'Indépendance, répétée par le Star de Guernesey, avec ces quelques mots ajoutés par mon père : « Nous apprenons qu'une fois le mariage célé- bré, les deux époux partiront immédiatement pour la Nou- velle-Écosse, » a été reproduite par tous les journaux anglais. Mon père m'a dit de la faire répéter et j'ai obéi aveuglément à son ordre... « J'approuve la note, mais je me demande pourquoi le futur a été employé au lieu du passé. Le passé engageait beau- coup plus M. P... et l'obligeait (au cas inadmissible selon moi, d'une fausse nouvelle) à un démenti ou à une réalisation immé- diate du fait annoncé comme accompli. J'ignore quelle légende tu as trouvée pour nos amis de Paris ; mon frère me le dira sans doute et m'éclaircira les points restés obscurs de notre plan. « Je déclare quant à moi que je n'ai aucun doute. Je crois Adèle sur parole; et si elle n'a pas donné de détails sur une cérémonie religieuse anglicane, c'est probablement par scru- pule d'esprit fort s'adressant à des esprits forts. En tout cas, le fait va être bientôt mis en lumière, et j'ai mis M. Pinson en demeure de m'envoyer l'acte de mariage. Ma lettre froide et polie réclame une réponse immédiate. « Je ne vois pas pourquoi tu t'agites si fort. Adèle a pris sa destinée dans ses mains, et nous devons accepter une résolution qu'elle nous impose avec une belle souveraineté. Son manque de tendresse et d'égards pour tous me détache et m'empêche de m'apitoyer sur le bonheur qu'elle a été chercher à travers tant d'abîmes. « Ton fils respectueux. « V. (FRANÇOIS-VICTOR). » Automne 1863... A son tour, Victor Hugo a franchi la Manche pour tâcher d'oublier. C'est alors qu'il reçoit de Mme Hugo cette lettre vraiment extraordinaire... A en croire celle-ci, laquelle, il est vrai, avait, dans sa jeunesse, formé le projet de se faire enlever par son fiancé, sa fille ne serait qu'une tendre victime, victime de l'égoïsme paternel ; par ailleurs (non moins surprenante contre-vérité), si la jeune Adèle n'a point fait part de ses justes noces (?) à son père, c'est que ce dernier aurait négligé de donner son adresse (or, la fugue ayant eu lieu en juin, Victor Hugo se trouvait alors à Hauteville-House, tandis que Mme Hugo était à Paris...). Que dire de la « pauvre enfant » qui « subvient à tous ses besoins »? Et que dire surtout de ce terrible propos que n'au- rait certes jamais tenu une épouse irréprochable... ? S'il fallait une preuve manifeste des torts conjugaux de Mme Hugo, cette parole suffirait : « Lequel de nous, en s'examinant, pourrait affirmer qu'il n'a pas sacrifié les convenances et risqué son hon- neur devant la passion? » Mais voici cette lettre capitale — chef-d'œuvre d'amour maternel... et d'inconscience féminine :

Mercredi, 24 octobre 1863. « Je reçois ta lettre, cher ami. Elle me semble bien sévère pour Adèle ; dans sa conduite, tu ne tiens pas suffisamment compte de la situation difficile où la pauvre enfant s'est trouvée. Son escapade lui ayant imposé le mariage, en nous l'annonçant, elle nous a crus satisfaits. Comment aurait-elle pu t'en faire part, ne sachant pas où tu étais; car je lui avais dit que tu voyageais. Tu m'as écrit au début de ton voyage et rien depuis ; je ne pouvais donner ton adresse à Adèle, l'ignorant moi-même. Tu as été un peu négligent, car rien n'était plus simple pour toi que de m'écrire, soit ici, soit à Villequier ; tes lettres me seraient nécessairement parvenues (je ne te reproche cet oubli que pour justifier Adèle) ; quoique à distance, nous eussions dû pouvoir nous joindre. Ce que tu me dis d'elle, en dehors de ce grief, est parfaitement juste, sauf toutefois en ce qui touche aux questions d'argent ! Tu es son banquier, dis-tu. A quel autre que toi veux-tu qu'Adèle s'adresse? C'est du reste à moi qu'elle écrit et cela encore parce qu'elle ne savait où te trouver. Ses demandes d'argent sont de plus très modestes; tout compte fait, elle aura coûté à sa famille, depuis son départ, environ 900 francs. Les dettes qu'elle a laissées, y compris les 40 francs que tu viens de donner ne dépassent pas 300 francs. J'ai les reçus de celles que j'ai acquittées à Guernesey et pourrai te les présenter. « Il y avait, en déduction de cette somme, trois mois d'entretien qu'on devait à Adèle. En ajoutant ces 300 francs aux 600 francs que nous lui avons envoyés, le total du déboursé est bien de 900 francs. Voilà quatre mois que la pauvre enfant nous a quittés et qu'elle subvient à tous ses besoins ; elle pèse, en ce sens, aussi peu que possible sur nous. Je n'agite cette question, fort secondaire, en ce moment, que pour redresser tes idées qui ne me semblent pas en ce point aussi équitables que je le voudrais. « Tu traites un peu trop la malheureuse enfant de Turc à Maure, en te réfugiant dans ton strict devoir. Les plaintes que tu lui adresses me sont communes ; je l'amnistie en partie, je m'étonne de ne pas trouver cette indulgence chez un pen- seur tel que toi. Lequel de nous, en s'examinant, pourrait affirmer qu'il n'a pas sacrifié les convenances et risqué son hon- neur devant la passion? « Adèle, fort coupable dans la forme et dans les procédés n'a blessé aucune loi humaine et sociale, elle est libre, elle aime depuis dix ans un homme et se marie avec lui. Quoi de plus légitime? Elle s'est mariée sans nous et en dehors de sa famille, ce qui est à coup sûr très blâmable, mais ce sont des torts intimes et dont elle ne doit de compte qu'à nous. Si nous l'entendions, il y a probablement dans sa faute beaucoup de circonstances atténuantes (1). » L'année suivante, peut-être pour fuir à jamais Hauteville- House, Mme Victor Hugo songe à franchir l'Atlantique et à se rendre en Nouvelle-Écosse, avec le ferme propos non point de ramener la fugitive, mais de vivre auprès d'elle, et en sep- tembre 1864, le tendre et charmant François-Victor lui envoie (1) Toute cette correspondance est inédite. ce billet désolé : « Chère mère, j'apprends avec peine que tu as toujours l'intention d'aller rejoindre Adèle à Halifax... » N'en doutons pas... La vérité sur ce tragique roman d'amour, l'un des chapitres les plus ignorés de la vie de Victor Hugo et des siens, on finira par la connaître, et peut-être apprendrons-nous, en même temps, ce qu'il y a de fondé dans les allégations de certaines personnalités de l'Amérique latine qui, à les en croire, descendraient de Victor Hugo...

Si la vie intime de ce grand homme demeure pleine de mys- tère, que dire de sa vie publique, que dire des jugements de la plupart de ses biographes sur son action politique? Les uns, dans un sentiment de latrie, parfaitement absurde, se livrent à des apologies sans mesure. D'autres, à la suite d'Edouard Biré, travestissent les pensées les plus généreuses, et parfois les plus clairvoyantes, du tribun romantique ; d'autres enfin se donnent, non sans impudence, des attitudes de « réalistes », à la mode de 1939-44, et couvrent de sarcasmes Hugo, pair de France, puis représentant du peuple. Or, il se trouve que le machiavélisme de ces petits esprits, triste postérité du bouffon Bourboussou, s'est révélé, au cours de ces années cruciales, comme le plus lamentable des « dessus de pendule », pour employer une expression chère à Léon Daudet. Ainsi que l'a montré, avec tant de force, M. Henri Guille- min, c'est l'honneur de Victor Hugo, membre en 1849, de l'Assemblée législative, d'avoir tenu tête à une majorité de prétendus « réalistes », en défendant avec M. de Melun, « catho- lique, d'une droiture exemplaire et d'un grand courage », la cause de la justice sociale, la défense des classes laborieuses. De fait, peut-être parce qu'il avait souffert la faim dans sa jeunesse (il n'est point de meilleure école), nul ne fut plus ardent que l'auteur des Misérables à se faire l'avocat du prolé- tariat, et cela explique, pour une grande part, la sympathie que lui inspira tout d'abord l'apôtre de l'Extinction du Paupé- risme, Louis-Napoléon Bonaparte. N'est-il point possible, en effet, que le discours sur les classes souffrantes, prononcé, à la Législative, le 9 juillet 1849, et qui consomma « la rupture éclatante entre le poète et les conservateurs », ait été conçu d'accord avec l'Elysée, Hugo croyant encore à la sincérité du Prince-président ? Il n'est point cependant que la question sociale où le père de Jean Valjean ait devancé son siècle. Depuis 1914, ses idées sur l'entente des puissances rhénanes, dont on trouve l'essen- tiel, dès 1839-40, dans la préface du Rhin, ses discours sur l'organisation de la paix, lors des conférences de Paris et de Lausanne, en 1849, sa conception des États-Unis d'Europe, puis des États-Unis du monde, qu'à la suite de terribles con- vulsions — guerre et révolution — doit réaliser le XX siècle, ne paraissent plus absurdes et utopiques qu'aux pauvres esprits auxquels n'ont rien appris les événements de 1914 à 1945. Qu'ils y consentent ou non, les rieurs ne sont plus dans leur camp, mais du côté du poète, lequel, comme, d'ail- leurs, le prince royal de Prusse, a prédit en 1871 à l'Allemagne triomphante le misérable destin que lui ménageait sa victoire, le machiavélisme bismarckien, responsable des trois guerres fratricides, devant immanquablement conduire à sa perte l'Empire allemand et, du même coup, l'Europe. Pour moi, je ne puis oublier l'émotion qui étreignait le président Wilson, le jour où, amené incognito, place des Vosges, par son ami le colonel House, il se pencha sur le haut bureau de Victor Hugo et se fit traduire cette annonce pro- phétique, de la main du grand annonciateur de la paix : « Je représente un parti qui n' existe pas encore, le parti Révolution- Civilisation. Ce parti fera le XX siècle. « Il en sortira, d'abord, les États-Unis d'Europe, puis les États-Unis du monde. » Cette anticipation ne parut alors nullement absurde au fondateur de la Société des Nations, première esquisse de l'Organisation des Nations Unies, pas plus que ces mots, encore inédits, où Victor Hugo assignait sa place à la France, dans la construction des Etats-Unis d'Europe : « La France est l'étoffe dont sera faite la République européenne. » « Lentement, mais sûrement, écrivait Anatole France, l'avenir réalise les rêves des sages... » Mais où nous pénétrons en plein inconnu, c'est quand nous nous trouvons en présence du Victor Hugo religieux, du Victor Hugo spirite, du Victor Hugo mystique et peut-être fondateur d'un Credo nouveau. Lui-même, on le sait, entouré « d'esprits forts », parfaits représentants du « siècle des lumières », résolut de ne point publier de son vivant des poèmes révélateurs de sa foi profonde comme la Fin de Satan, Dieu, Toute la Lyre, Dernière Gerbe, Océan, et un document d'un intérêt passion- nant comme les Tables tournantes de Jersey. A la vérité, il a fallu surtout les admirables travaux de Denis Saurat sur la Religion de Victor Hugo, Victor Hugo et les Dieux du peuple, l'Expérience de l'Au-delà, et aussi, tout récemment, les fructueuses recherches d'Henri Guillemin pour que le plus grand poète de France nous apparût enfin comme l'adversaire le plus résolu de l'athéisme, comme un chrétien de l'Église la plus primitive, balançant comme Jean l'Évangé- liste entre le monde de l'Apocalypse et celui du Divin Amour. Ses croyances religieuses devant échapper aux plus fidèles de ses disciples et soulever les risées du clan positiviste, tout établit que, durant plus de trente ans, de 1853 à 1885, Hugo ne cessa de s'envelopper de silence. La Mort ne lui avait-elle pas prescrit ceci à Jersey : « Échelonne dans ton testament tes œuvres posthumes de dix ans en dix ans, de cinq ans en cinq ans ; fais pour le xxe siècle une œuvre affirmative plutôt qu'une œuvre dubitative pour le XIX siècle... ? » C'est pourquoi « ce livre-ci — les Tables de Jersey — qui, à en croire Hugo, sera certainement « une des Bibles de l'ave- nir, » n'a été imprimé qu'en 1923, longtemps après la publi- cation — en 1886 et en 1891 — de la Fin de Satan et de Dieu, pourtant écrits avant 1856. « Craignait-il (c'est probable) l'opinion du parti républicain, qu'il savait être devenue très irréligieuse? Peut-être est-ce pour sa foi dans les métempsycoses qu'il redoutait la cri- tique... C'était décidément une doctrine (1). » (1) RENOUVIER, Victor Hugo. Le Philosophe. Doctrine étrange, qui aurait, en effet, soulevé les rires du « stupide XIX siècle », mais qui, en notre âge de fer et de feu, au seuil de cet an 2000, lequel pourrait être bien plus redou- table que l'an 1000, serait peut-être susceptible de rallier bien des âmes en pleine panique. C'est que là, comme ailleurs, le Celtique Hugo, Celte par sa mère, Sophie Trébuchet, apparaît, avant tout, comme un primitif, Fils des dieux chevaliers, fils des dieux paysans. Cela, Denis Saurat l'a dit mieux que personne : « Nous aurons donc souvent à voir en Victor Hugo l'héritier naturel du paysan de France, avec ses vieilles idées parfois d'avant le christianisme, sa croyance obstinée à la survie des morts et à leur intervention fréquente, sa foi à la puissance de la sor- cellerie et de la magie primitive. De même que Hugo a renou- velé le vocabulaire de la langue poétique en y faisant passer les expressions vulgaires employées par le peuple, de même il a fait pénétrer dans la poésie, il a élevé dans la pleine lumière de la littérature les innombrables conceptions du primitif qui habite toujours la terre de France. Pour cela, il a le droit de se considérer comme le représentant et le champion de la masse ethnique française. » Cette nature primitive, ce substratum de granit breton, que Sainte-Beuve fut le premier à découvrir et dont il avait hor- reur, tout cela on le connaissait, mais ce qu'il reste à décou- vrir, malgré la pénétrante étude de Saurat, c'est Hugo fonda- teur de religion. Certes, une telle révélation peut prêter au sourire autant qu'à l'indignation... Et pourtant, comment ne pas reconnaître l'élan supérieur d'une âme mystique dans ce passage du Post- scriptum : « La liberté, c'est l'âme. « Liberté implique résurrection ; car résurrection, c'est responsabilité. Pour accomplir sa loi, c'est-à-dire pour devenir de liberté responsabilité, il faut absolument qu'après sa vie ce phénomène, qui est l'homme même, persiste. Donc, et irré- Cesistiblement, sont là les voilàténèbres la survivance sacrées. de l'âme au corps démontrée. « ... L'affinité de Dieu avec mon âme se manifeste par une ineffable caresse obscure quand je m'approche de lui. Je pense, je le sens près de moi ; je crée, je le sens plus près ; j'aime,encore. je» le sens plus près ; je me dévoue, je me sens plus près Comme on comprend, après cela, que Hugo ait pu écrire à : « Je crois en Dieu plus qu'en moi-même; je suis plus sûr de l'existence de Dieu que de la mienne propre! » J'ai parlé de Pathmos. Dans son admirable William Shakes- peare, trop ignoré et qui est, par instants, une véritable auto- biographie, Victor Hugo, l'insulaire, y a fait une allusion sai- sissante : « Tout homme a en lui son Pathmos. Il est libre d'aller ou de ne point aller sur cet effrayant promontoire de la pensée d'où l'on aperçoit les ténèbres. S'il n'y va point, il reste dans la vie ordinaire... Pour le repos intérieur, c'est évidemment le mieux. S'il va sur cette cime, il est pris. Les profondes vagues du prodige lui ont apparu. Nul ne voit impunément cet océan- là... » « Ame extraordinaire, a conclu très justement Denis Saurat, aussi incommensurable avec nos âmes normales que celle de sainte Thérèse ou de Mahomet. Dans ces cas, juger c'est ne pas comprendre. Hugo n'était pas un civilisé, et nous le jugeons en civilisés. Hugo était en partie l'esprit des grands primitifs, fondateurs de religions, en partie l'âme des grands mystiques, qui ont eu l'expérience de Dieu. » Apôtre inconnu du Dieu inconnu, le Victor Hugo religieux, que nous ont révélé Paul Berret (1), Jacques Heugel (2) Henry Barbier (3), Charles Lecœur (4), et surtout Denis Saurat, et auquel, enfin, récemment, Henri Guillemin a con- sacré de pénétrantes et impartiales études, a échappé jusqu'à (1) Dans sa magistrale édition de la Légende des Siècles. (Hachette.) (2) Essai sur la philosophie de Victor Hugo au point de vue gnostique. (Calmann Lévy.) (3) Le Sentiment religieux et la pensée religieuse chez Victor Hugo. (Fischbacher.) (4) Philosophie religieuse de Victor Hugo. (Bordes.) ce jour, à la critique. En vérité, celle-ci l'ignore quand elle n'en est pas restée aux trop faciles ironies sur « le Lama sénile » (encore que de 1854 à 1885, les idées mystiques de Victor Hugo soient demeurées sensiblement les mêmes). Mystique !... Il est peu de mystiques auxquels la présence de Dieu ait arraché des cris aussi sublimes, — celui-ci, par exemple que n'eût pas désavoué la sainte d'Avila : « Dieu a des harmonies qui nous entrent dans le cœur comme des épées! » ... Et que dire de la splendide correspondance, échangée avec sa nièce carmélite? Cet immense effort est-il demeuré stérile ? Il est encore trop tôt pour pouvoir le soutenir : « Dans la lutte des idées, si les siens s'en aperçoivent (et de nombreux écrits, estime Saurat, semblent indiquer un éveil en ce sens), Hugo peut devenir le plus resplendissant des porte-drapeaux. » C'en est assez, semble-t-il, pour démontrer à quel point, dans la seconde partie du XX siècle, ce génie, l'une des plus grandes gloires de la France et de l'humanité, demeure inconnu — et méconnu.

Ses origines enfin demeurent aussi mystérieuses que sa per- sonne. Si grâce aux minutieux travaux de Louis Guimbaud, nous en savons long sur son ascendance maternelle, toute celtique, nous sommes beaucoup moins informés sur ce terroir lorrain qui forma les Hugo... Malgré les ironies d'Édouard Biré et de quelques autres, rien ne prouve que, comme dans tout le reste de la France, du sang bleu ne se soit pas mêlé au sang des laboureurs de Dompvallier, et l'argument avancé par Victor Hugo n'est pas aussi absurde que d'aucuns l'imaginent : — Un menuisier pour père et des rois pour ancêtres, C'est singulier! — Non pas! Une branche descend, Puis remonte, mais c'est toujours le même sang. A cet égard, Barrès avait esquissé à Nancy des recherches intéressantes et il m'a souvent parlé d'une grand'tante de Viçtor Hugo, fort honorée, comme lectrice, à la cour du bon roi de Pologne Stanislas, à la petite cour de Lunéville. On aimerait que le fils de Georges Hugo, doué comme son père d'un grand talent de peintre, pût continuer son enquête à Dompvallier. Dans une lettre adressée le 10 décembre 1885 à Georges et à Jeanne Hugo, le maire de cette commune lor- raine évoquait le souvenir de Jean-Philippe Hugo, grand- père du général, né à Dompvallier, descendant d'habitants de cette commune, « dont nous pouvons attester la filiation et la résidence dans notre paroisse depuis le XVI siècle... » Dompvallier. Comme Jean Hugo en parle bien dans ses notes inédites : « A Mirecourt, ville des luthiers, où presque chaque maison est ornée de l'image d'un violon... On quitte la route de Nancy pour prendre un petit chemin qui va vers le cou- chant. Dompvallier est bâti au flanc d'un coteau qui l'abrite contre le vent du Nord. Une espèce de place très longue ou de rue très large semble constituer à peu près tout le village. « Elle est bordée d'un seul côté par des maisons à un étage collées les unes contre les autres. Toutes semblables, elles ont une porte basse, surmontée d'une croix peinte à la chaux ; un grand portail s'ouvre sur la cour, une vigne serpente sur la muraille grise. La place est occupée presque entièrement par de vastes fumiers carrés, alignés devant les portes, aussi larges que les maisons. Avant d'arriver au haut de la côte, elle se rétrécit en un mauvais chemin qui longe un parc à l'abandon où les sapins se mêlent aux chênes. « Au sommet de la colline, on tourne, entre le parc et l'humble maison qui, longue et basse, lui sert de château. On aboutit alors à la grille d'un enclos sans arbres, qui est l'an- cien cimetière. « Parmi les ronces et les folles avoines, j'ai relevé les ins- criptions des tombes qui portent notre nom : « Jean-François Colin (1809-1891) — Thérèse Hugo (1809- 1893). « Hugo (Jean-Baptiste), receveur des contributions indi- rectes, né à Dompvallier (1805-1878)... » et enfin beaucoup d'Adèle Hugo... « Au fond du cimetière, une petite chapelle délabrée, avec un autel et une statue de la Vierge en bleu et blanc, tourne le dos à la vallée et aux collines qui cachent Baudricourt. « En reprenant le chemin, si l'on s'avance un peu plus sur LES CAHIERS DU COLONEL GIRARD (1766-1846) publiés d'après le manuscrit original par PAUL DESACHY

Beaucoup de mémoires des survivants des guerres de la Révolution et de l'Empire, publiées jusqu'ici, pouvaient laisser croire que tout avait été dit sur ces aventures étonnantes et prodigieuses. Or, c'est sous un jour absolu- ment nouveau que le colonel Girard évoque toute l'épopée impériale. Né à Châteaudun en 1766 d'un pauvre vigneron et d'une servante, Etienne- François Girard fera une brillante carrière. Tous ses grades, il les gagnera sur les champs de bataille. Engagé à dix-huit ans, il ne sait encore ni lire ni écrire; c'est au bivouac qu'il apprend. Le premier il monte à l'assaut de la redoute de Toulon, réputée imprenable. Il y est laissé pour mort. A peine rétabli, il entre à l'état-major de Dugommier, puis il passe à l'armée des Pyrénées-Orientales. En 1796, le voici à l'armée d'Italie sur l'insubordination et les révoltes de laquelle il nous donne des renseignements précieux. En 1798, envoyé en Bretagne à la recherche de Cadoudal, il le manque de peu. En 1801, il est envoyé dans le Var pour pacifier les rebelles. C'est à Toulon qu'il se fiance en 1805, au moment de partir rejoindre la Grande Armée. Il fait les campagnes d'Austerlitz, d'Iéna, d'Erfurt, d'Eylau, de Fried- land, souvent aux côtés de l'Empereur qui le fait officier de la Légion d'hon- neur. En 1808, il quitte la Prusse pour l'Espagne où il restera jusqu'à la fin de 1813. Sur cette malheureuse campagne, le colonel Girard nous donne aussi de très intéressantes précisions. Rappelé en hâte avec sa division, il participe à la campagne de France. Il est blessé sous les murs de Laon. A peine convalescent, il va rejoindre sa fiancée qui l'attend depuis près de dix ans et peut enfin se marier. Les Cent-Jours en font le chef d'état-major de Toulon. Waterloo le rend à sa retraite. On ne l'y laissera pas longtemps tranquille : il est nommé maire de Toulon en 1815. Il démissionne en 1822 On le rappelle en 1830. Nouvelle démission en 1832. Sa femme meurt en 1837. Une fois encore Girard prendra la charge de la mairie de Toulon à la demande du roi et des administrés, ce ne sera que pour quelques mois. Cet homme Ilde mourrasoixante-dix en 1846. ans, qui souffre toujours de ses blessures, a besoin de repos. Ecrits dans une langue limpide qui a gardé toute sa saveur d'autrefois, les Cahiers du colonel Etienne-François Girard constituent un témoignage précieux pour l'Histoire, non seulement militaire mais aussi sociale du début du XIX siècle.

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