1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze Revue de l'association française de recherche sur l'histoire du cinéma

68 | 2012 , de Vincennes à Fort Lee

Jean A. Gili et Éric Le Roy (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/1895/4503 DOI : 10.4000/1895.4503 ISSN : 1960-6176

Éditeur Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC)

Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2012 ISBN : 978-2-913758-63-6 ISSN : 0769-0959

Référence électronique Jean A. Gili et Éric Le Roy (dir.), 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 68 | 2012, « Albert Capellani, de Vincennes à Fort Lee » [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2015, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/1895/4503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1895.4503

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© AFRHC 1

SOMMAIRE

Présentation

Les deux carrières d’Albert Capellani Jean Antoine Gili et Éric Le Roy

Première partie : la carrière française

Capellani avant Griffith, 1906-1908 Richard Abel

Notre-Dame de Entre histoire locale et analyse des modes de représentation Pierre-Emmanuel Jaques

Notre-Dame de Paris À propos de la copie de la Cinémathèque euro-régionale. Institut Jean-Vigo de Perpignan François Amy de la Bretèque

De l’écrit à l’écran : Les Misérables Lucien Logette

De la tradition littéraire à la modernité cinématographique Germinal Béatrice de Pastre

Quatre-vingt-treize d’Albert Capellani et André Antoine (1914-1921) Michel Marie

Albert Capellani directeur artistique de la SCAGL ou l’émergence de l’auteur Dominique Moustacchi et Stéphanie Salmon

Des acteurs qui échappent au théâtre Les acteurs d’Albert Capellani Jacques Richard

Décors et espace dans les films français de Capellani Jean-Pierre Berthomé

Deuxième partie : la carrière américaine

« Déjà perçu comme immortel » : Albert Capellani aux Etats-Unis Jay Weissberg

Albert Capellani dans les studios américains Richard Koszarski

Albert Capellani, allers et retours Hubert Niogret

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Troisième partie : l’œuvre de Capellani Restauration, programmation, filmographie

Capellani ritrovato La programmation des films de Capellani au Cinema ritrovato de Bologne. Recherche des copies et restauration Mariann Lewinsky

La restauration des films d’Albert Capellani détenus par les Archives françaises du film (CNC) Caroline Patte

Filmographie Éric Le Roy

Bibliographie et sources documentaires

Il était une fois Albert Capellani… Bernard Basset-Capellani

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Présentation

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Les deux carrières d’Albert Capellani

Jean Antoine Gili et Éric Le Roy

Nous tenons à remercier tout particulièrement Sophie Seydoux et Stéphanie Salmon (Fondation Jérôme Seydoux-Pathé) pour leur soutien dans la réalisation de ce numéro. Par ailleurs, nous exprimons notre gratitude à Béatrice de Pastre, Fereidoun Mahboubi, Dominique Moustacchi, Caroline Patte, Elodie Gilbert, Patricia Novillo (Archives françaises du film du CNC), Gian Luca Farinelli (Cinémathèque de Bologne), Nicola Mazzanti (Cinémathèque Royale de Belgique), Bernard Benoliel (Cinémathèque française), Richard Abel, Mireille Beaulieu, Albert Bolduc, Raymond Chirat, Mariann Lewinsky, Hubert Niogret, Delphine Pallier, Jay Weissberg, et bien sûr Bernard Basset-Capellani.

1 Dans le numéro 29, décembre 1999, de la revue 1895, on pouvait lire l’annonce d’une « Rétrospective Albert Capellani » : « Les Archives du Film et du dépôt légal du Centre national de la cinématographie et la Cinémathèque française, en collaboration avec Pathé-Archives, l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma et les Indépendants du Premier Siècle, préparent pour 2001 une rétrospective Albert Capellani (1874-1931) à la Cinémathèque française assortie de la publication d’un numéro hors série de la revue 1895. »

2 Ainsi, il aura fallu plus de 12 ans pour que ce projet aboutisse, pour que le numéro de 1895 consacré à Capellani paraisse et pour que la rétrospective soit présentée à la Cinémathèque française.

3 Pourquoi des délais aussi longs? D’abord parque l’œuvre immense du cinéaste était mal connue – notamment la carrière américaine –, que beaucoup de films avaient disparu ou n’existaient plus que dans des copies improjetables nécessitant des restaurations coûteuses. Il aura fallu l’opiniâtreté de différents intervenants, l’organisation d’hommages, notamment au Cinema ritrovato de Bologne, pour que peu à peu la chose devienne réalisable.

4 Jusqu’à un passé récent, Albert Capellani n’était guère qu’un nom cité parmi d’autres de la période du cinéma muet français. Pourtant le cinéaste est un précurseur, un

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novateur infatigable et passionné, auteur d’une œuvre considérable partagée entre la France et les Etats-Unis à une période charnière de l’histoire du cinéma.

5 Elève du conservatoire avec Le Bargy, il débute sa carrière artistique comme acteur de théâtre dans la troupe du Théâtre libre d’Antoine, puis à l’Odéon, avant d’être nommé régisseur de Firmin Gémier et ensuite administrateur du music-hall l’Alhambra en 1903. Il rejoint le cinéma comme metteur en scène en 1905 aux établissements Pathé- Frères avec Ferdinand Zecca. Son premier film, Le Chemineau, est adapté de Victor Hugo, et il se caractérise déjà par un style naturaliste dépourvu d’emphase, qui tranche sur la production traditionnelle du cinéma de cette époque dite « primitive ». Il s’adapte tout de suite à l’organisation de la société Pathé et tourne des scènes dramatiques et réalistes (Pauvre mère, La Fille du sonneur…), des féeries et contes (Cendrillon ou la pantoufle merveilleuse, Aladin ou la lampe merveilleuse, Le Foulard merveilleux…), voire des scènes comiques (Les Apprentissages de Boireau), démontrant ses qualités d’adaptation à tous les sujets. Mais c’est à partir de 1908, lors de la création de la Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres (SCAGL) qu’Albert Capellani déploie toute son énergie pour à la fois superviser et conseiller les metteurs en scène (George Denola, Georges Monca, Michel Carré, Henri Etiévant ou d’autres encore), et pour réaliser lui-même un certain nombre de bandes. En tant que directeur artistique, il imprime sa marque et son écriture aux films tournés sous sa direction et devient le précurseur du long métrage avec Le Chevalier de Maison Rouge, La Glu, Notre- Dame de Paris, Germinal, Les Mystères de Paris, Quatre-vingt treize, et surtout Les Misérables, qui place en 1913 la société Pathé et son réalisateur au sommet de la gloire. Durant cette période, Capellani fait preuve d’originalité en puisant dans le répertoire littéraire et théâtral français, tout en innovant dans le découpage, en modernisant la mise en scène (entre autres en tournant en extérieur), la prise de vue (en jouant sur la profondeur de champ, le décor) et le montage. Il emploie les studios et laboratoires Pathé pour tourner et suivre la chaîne de fabrication des films. Capellani profite notamment des services techniques de l’entreprise pour le tirage et le développement, il s’attache à suivre pour les films placés sous sa direction la mise en œuvre des procédés en couleur alors en pleine effervescence dans les ateliers de Vincennes. Il recherche aussi pour ses interprètes de nouveaux talents et fait tourner de nombreux acteurs de théâtre comme son frère Paul Capellani, mais aussi Berthe Bovy, Jacques Grétillat, Henri Krauss ou Mistinguett à qui il offre son premier grand rôle dramatique dans Les Misérables. Cette période de création, entre 1905 à 1914 est celle d’un artiste aux multiples facettes, dont la vie et l’œuvre, en dépit du manque d’informations, témoignent d’une vivacité singulière, de sources d’inspirations variées, et d’une impressionnante capacité de travail (environ 150 films pour la seule carrière française).

6 Charnière fondamentale: l’entrée en guerre de la France en août 1914 paralyse la société Pathé. Mobilisé puis réformé (il a déjà 40 ans et il a déjà combattu à Madagascar dans une très dure guerre coloniale), Albert Capellani part pour les Etats-Unis en 1915. Il faut rappeler que le cinéaste jouit déjà d’une grande notoriété dans ce pays depuis la sortie des Misérables. Lorsqu’il arrive à New York le 22 mars 1915, il a 41 ans. C’est, avec , le plus âgé des cinéastes français (Henri Diamant- Berger, Emile Chautard, Alice Guy, Louis Ganier, Léonce Perret, Maurice Tourneur, Etienne Arnaud) qui s’installent aux Etats-Unis. Avec sa famille, qui arrive un peu plus tard, il se fixe dans une grande maison à Fort Lee près de New York. Son frère Paul le rejoint en septembre 1915.

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7 Capellani commence très vite à tourner puisque son premier film, The Face in the Moonlight, sort le 28 juin 1915. Au total, il tourne 28 films aux Etats-Unis de 1915 à 1922. Pendant ces années, il revient deux fois en France avant un retour définitif en 1924.

8 Le 25 avril 1915, le Moving Picture World annonce que la World Film Corporation s’est assuré le concours d’Albert Capellani, « celui qui a fait Les Misérables », un film sorti deux ans plus tôt aux Etats-Unis et considéré comme une pierre miliaire dans la reconnaissance du cinéma comme forme d’expression majeure. On salue chez lui l’idée d’avoir fait appel à des artistes de la scène (Henry Krauss, Henri Etiévant). Cette société confie à Capellani le soin de porter à l’écran une série d’adaptation d’œuvres théâtrales, souvent d’ambiance parisienne. Photoplay de juillet 1915 définit Capellani « maître metteur en scène de photo-dramatisation de Littérature française ». Cette ambiance parisienne, Capellani la reproduit d’autant mieux qu’il est entouré de collaborateurs français, les chefs opérateurs et Jacques Monteran (on peut encore citer Lucien Tainguy, Eugène Gaudio), les décorateurs, Henri Menessier et Ben Carré, sans oublier son frère Paul Capellani qu’il fait jouer dans tous ses premiers films. Henri Menessier sera son collaborateur le plus fidèle: on le trouve au générique de 24 films.

9 Capellani va diriger de nombreuses stars américaines. Il tourne d’abord Camille (1915), d’après La Dame aux camélias, avec , puis La Vie de Bohème (1916) avec . Il dirige ensuite dans trois films: Eye for Eye (1918), The Red Lantern (1919), Out of the Fog (id.). Il enchaîne avec trois films dans lesquels il met en scène June Caprice. Il fonde alors l’Albert Capellani Productions et tourne un de ses films d’ambiance parisienne les plus suggestifs, The Virtuous Model (1919) avec une nouvelle star d’origine italienne, Dolores Cassinelli. Il passe ensuite à la Cosmopolitan Productions, société créée par le magnat de la presse William Hearst, pour laquelle il dirige trois films avec . Sa carrière s’interrompt alors dans des conditions mal élucidées et au milieu de multiples difficultés.

10 Précocement usé, il tente vainement de reprendre sa carrière en France où il est revenu en 1924 – il subsiste quelque doute sur la date exacte de son retour – et où il meurt en 1931 à l’âge de 57 ans. En France et aux Etats-Unis, son décès passe à peu près inaperçu.

11 Pour présenter et analyser l’œuvre de Capellani, pour marquer les territoires biens connus et cerner les zones d’ombre, nous avons fait appel à de nombreux spécialistes français mais aussi étrangers comme Mariann Lewinsky. Nous avons également pu compter sur trois experts américains, Richard Abel, Richard Koszarski et Jay Weissberg (ces deux derniers apportent une contribution décisive à la connaissance de la carrière américaine de Capellani). Que tous soient vivement remerciés pour leur collaboration.

AUTEURS

JEAN ANTOINE GILI Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Jean A. Gili a été un des fondateurs en 1984 de l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma. Président de la

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Commission du patrimoine cinématographique au CNC de 2001 à 2005, il a codirigé pour l’AFRHC des ouvrages sur Jacques Feyder, Christian-Jaque, Léonce Perret ainsi qu’un Dictionnaire du cinéma français des années vingt. Il a publié aux éditions de la Cinémathèque de Bologne un ouvrage sur André Deed (2005).

ÉRIC LE ROY Eric Le Roy. Chef du Service Accès, Valorisation et Enrichissement des collections aux Archives françaises du film (CNC), président de la FIAF, auteur de plusieurs livres, articles et dossiers sur le cinéma français dont le Catalogue des films français de fiction de 1908 à 1918 (avec Raymond Chirat, La Cinémathèque française, 1995), Camille de Morlhon, homme de cinéma (L’Harmattan, 1997), Jean- Pierre Mocky (BiFi, 2000) et Denise Bellon (La Martinière, 2004).

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Première partie : la carrière française

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Capellani avant Griffith, 1906-1908

Richard Abel Traduction : Delphine Pallier

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article réactualise, corrige et réévalue les analyses faites au sujet des films de Capellani et publiée dans Richard Abel, The Ciné Goes to Town : French Cinema, 1896-1914, [Le « Ciné » arrive en ville : le cinéma français de 1896 à 1914], Berkeley, University of California Press, 1994, et dans Abel, « Albert Capellani : cinéaste Pathé-frères, 1906 », in Stephanie Salmon, ed., Albert Capellani (Paris, Fondation Jerôme Seydoux-Pathé, 2011), p. 10-16.

1 En 1905-1906, Pathé Frères était le plus grand producteur de films et fabricant d’appareils cinématographiques au monde ; ses agences étaient situées dans des dizaines de grands pôles d’échanges commerciaux à travers le monde. Cela est de notoriété publique au moins depuis le deuxième volume de l’œuvre monumentale de Georges Sadoul, Histoire générale du cinéma.1 Avec cinq studios à verrières et de nombreux laboratoires dans la proche banlieue parisienne, à Vincennes et Joinville-le- Pont, la société était en mesure de sortir au moins six nouveaux films par semaine et de vendre 40 000 mètres de pellicule positive par jour. La responsabilité de produire ces films incombait principalement à Ferdinand Zecca, premier réalisateur de Charles Pathé, qui supervisait maintenant les réalisations de Lucien Nonguet, Gaston Velle, Segundo de Chomón, Georges Hatot, et Albert Capellani. Jusqu’à un passé récent, le rôle que ces cinéastes jouèrent entre 1905 et 1908 dans la transformation naissante de la représentation cinématographique et de la narration dans les films de fiction était bien moins reconnu. Pour dire les choses simplement, cette transformation fut marquée par un passage d’un système basé sur des tableaux, qui était propre aux premiers films (des scènes filmées indépendamment les unes des autres, souvent précédées par un intertitre explicatif), à un système narratif caractérisé par une série de plans discrets, liés les uns aux autres (sans inclusion d’intertitres), qui établissaient dans une synthèse conceptuelle une unité spatio-temporelle et de la cohérence.

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2 Alors que certains types de plan dans les films des débuts – c’est-à-dire, des panoramiques et / ou des travellings, des gros plans, des plans en caméra subjective – avaient constitué l’attraction même du spectacle, dorénavant, ils pourraient se voir « conférer un nouveau sens », subordonnés et incorporés à la simple narration du déroulement de l’action.

3 Parmi les réalisateurs de Pathé, Capellani figurait indubitablement parmi ceux qui, à la pointe, développaient et systématisaient un bon nombre de techniques de représentation vouées à être rapidement standardisées dans le cinéma narratif. De récentes rétrospectives de ses films restaurés (par exemple au Cinema ritrovato à Bologne) et de nombreuses éditions spéciales en DVD2 attestent maintenant de la contribution de Capellani, en particulier dans l’usage de prises de vue en « deep staging »3, de divers changements dans le cadrage et même de techniques rudimentaires de montage. Ancien acteur qui avait travaillé avec André Antoine, Capellani avait tendance à se spécialiser dans plusieurs « genres » au sein du catalogue de Pathé Frères : films historiques, fables, aventures fantastiques et scènes dramatiques*i – c’est-à-dire du « cinéma réaliste » et / ou des mélodrames familiaux – qui étaient, pour certains, des adaptations. Ces genres, en particulier le dernier, sont bien représentés dans les nouveaux DVD et cet article présente une analyse de six titres produits entre 1906 et 1908 pour souligner son importance en tant qu’auteur et réalisateur à l’époque des premiers films de fiction.4

4 L’un des premiers films de Capellani, Le Chemineau (janvier 1906), met en scène un épisode tiré des Misérables de Victor Hugo dans lequel Jean Valjean, qui s’est vu accorder le gîte par le curé d’un village, vole plusieurs chandeliers en argent et échappe à l’arrestation grâce au faux témoignage du curé.5 Ce film utilise principalement le système de représentation habituel des débuts du cinéma : ses six tableaux d’exposition, dont la majorité est constituée de plans longs, furent filmés en studio avec des décors peints sur des panneaux pour les scènes intérieures et extérieures. Les deux premiers tableaux, par exemple, mettent en scène un paysage hivernal avec un petit village (église incluse) visible au loin, en arrière-plan, alors qu’au premier plan, la silhouette fatiguée de Jean Valjean titube dans la neige qui tombe.6 Toutefois, il y a au moins trois occurrences de choix de cadrage ou de montage inhabituels. Ce qui est particulièrement surprenant, dans le tout premier tableau, c’est de voir Valjean arriver grâce à un gros plan inattendu qui ne sert pas seulement à accrocher le spectateur mais aussi à décrire succinctement le personnage, mettant l’accent sur son regard désabusé, sa bouche triste et son aspect déguenillé.7 Après avoir été rejeté par une série de paysans sur son chemin et face à une femme ouvrant la porte où il vient de frapper, Valjean apparaît devant la porte du presbytère et est invité par une servante à entrer dans une petite pièce où le curé est assis à table. Cette scène suit son mouvement grâce à un enchaînement de plans extérieurs et intérieurs, d’un côté de la porte (à droite de l’écran) à l’autre (à gauche de l’écran). Quand la servante le surprend une assiette de nourriture à la main, un travelling panoramique horizontal vers la droite révèle une chambre adjacente où le prêtre et la servante le mènent pour qu’il y passe la nuit.8 Ce plan séquence se poursuit, alors qu’il découvre, à l’arrière-plan, un placard rempli d’argenterie, fourre les chandeliers dans un sac et, dans un plan inverse de panoramique horizontal vers la gauche, passe sur la pointe des pieds devant le prêtre endormi dans la première pièce et sort par la porte. Seul l’un des deux plans finaux a été conservé : le tableau de l’intérieur d’une boutique où Valjean met en gage les

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chandeliers, la servante, ne se doutant de rien, entre et est choquée de les voir ; les gendarmes l’arrêtent. Le tableau final fait apparemment revenir le spectateur dans la chambre du curé, mais probablement sans que le recours à un panoramique similaire ait été nécessaire, alors que ce dernier déclare aux gendarmes, contre toute attente, dans un intertitre recréé : « Laissez partir cet homme, je lui ai donné les chandeliers ».

5 La Loi du pardon (mai 1906), plus tard distingué par Victorin Jasset comme l’un des premiers succès populaires des scènes dramatiques* de Pathé9, partage le même sujet que d’autres films de Pathé de cette année-là : la trahison ou la défection d’un des conjoints qui menace de détruire de l’intérieur la famille.10 Ici, la menace vient de la femme ou de la mère, coupable d’infidélité, et le dénouement tourne autour du bien-être de la fille (unique) du couple : celle-ci adresse un plaidoyer à son père alors qu’elle est malade et alitée. La scène d’ouverture du film représente avec concision la désintégration de la famille : dans un salon bourgeois mais plutôt modeste11, le mari (Paul Capellani ?) découvre sa femme (Louise Willy) en train d’écrire un billet en réponse à une lettre d’amour qu’elle vient de recevoir (il n’y a pas d’insertion de gros plan explicatif) et, en dépit, des supplications de la mère comme de la fille, il lui ordonne avec colère de partir.12 Le film se termine dans un tableau triangulaire résumant la situation émotionnelle : le mari désespéré (à gauche de l’écran), la fille en larmes (à droite) et, en arrière-plan, la porte fermée par laquelle la femme est sortie. Après le seul intertitre du film, « LA SÉPARATION* », le plan suivant récapitule cet instant privé de la rupture au tribunal, lors du jugement du divorce où, en dépit du désir de la fille de rester avec sa mère, plusieurs juges réaffirment les droits patriarcaux de l’homme et l’autorisent à la conduire vers la sortie, à travers la porte au fond à droite par laquelle elle était entrée. Le troisième plan, un plan d’ensemble / de grand ensemble d’un extérieur, un parc, répète la situation émotionnelle initiale, mais avec une différence significative. Le père et la fille sont à présent assis sur un banc dans un parc, dans un espace inhabituellement vaste qui s’étend derrière eux vers un lac et des bois au loin qui s’ouvrent sur une clairière floue, au milieu de l’arrière-plan. Contrastant radicalement avec l’espace confiné de l’appartement, l’aspect dépouillé de ce vaste tableau semble faire écho à la solitude partagée du père et de la fille.

6 Les cinq derniers plans du film sont organisés autour d’une alternance (apparemment sans intertitres) entre un plan d’ensemble de l’intérieur de la chambre où la fille gît, malade (à droite de l’écran), et un plan de l’entrée de la maison de la famille (à gauche de l’écran) qui s’étend vers un autre espace vaste, mais loin d’être dépouillé cette fois13. Le père laisse la fille endormie en compagnie d’une nonne (il s’apprête à lui acheter des jouets) et, alors qu’il sort de la maison et tourne au coin, en arrière-plan, la mère, qu’il n’a pas vue, sort d’une voiture qui attendait à droite, en arrière-plan, et se précipite vers la maison. Ce qui se passe ensuite constitue un retournement de situation idéologique étonnant sur la fonction du déguisement : la mère persuade la nonne d’échanger leurs vêtements derrière une porte située au fond à droite (derrière le lit de la fille) ; son positionnement à l’identique est frappant car elle semble avoir la fonction inverse de la porte du tribunal. On peut supposer que l’objectif de la mère est de s’asseoir à côté de sa fille sans être reconnue, mais la jeune fille s’éveille et elles s’embrassent immédiatement. Plus important encore, les habits de la religieuse ont pour effet de masquer, voire d’effacer la culpabilité de la mère. Ce déguisement s’avère important au retour du mari alors qu’il reconnaît sa femme et la rejette à nouveau (bien qu’elle se mette à genoux pour le supplier), du moins jusqu’à ce que leur fille sorte du lit pour mettre la main réticente de son père dans celle de sa mère lors d’une

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réconciliation centrale mais très malaisée.14 Dans l’espace privé de la chambre de l’enfant, le verdict public précédent est annulé (mais pas ses implications patriarcales), alors que le lien qui unit mère et fille semble obliger le père à accepter la place centrale de la mère au sein de la famille bourgeoise.

7 La Fille du sonneur (novembre 1906) franchit une étape supplémentaire dans la stratégie naissante de Pathé concernant la description visuelle et la narration.15 Ce film a pour sujet la désagrégation d’une autre famille, vivant au seuil de la pauvreté celle-ci, mais le film est différent au sens où il accorde la même attention au vieux sonneur des cloches de Notre Dame qu’à sa fille qui le quitte sans prévenir pour partir avec un jeune homme.16 Dans de nombreux plans au début, des panoramiques lents (de droite à gauche) suivent avec fluidité les mouvements du jeune couple de leur point de rendez- vous sur un trottoir vers une voiture qui les attendait, de la voiture vers la colline d’un parc et de cette colline (où la voiture et son chauffeur sont toujours visibles à l’arrière- plan) vers un enclos où un batelier et une barque les attendent pour un tour sur le lac. Le plan initial de la chambre mansardée du vieux sonneur de cloches met en évidence la porte du fond par laquelle sa fille est sortie pour retrouver son amant. Par la suite, dans un plan teinté d’orange rougeâtre, alors qu’il s’inquiète de son absence, la caméra se décale de 30° pour révéler une grande armoire au fond à droite. Ce mouvement anticipe une action ultérieure de l’amant de la jeune femme, « ruiné et lessivé », qui a perdu tout son argent au jeu : il l’oblige à le faire rentrer dans la chambre du vieil homme pour fracturer l’armoire et voler un sac de pièces. Quand le père rentre et découvre l’armoire béante et le vol, il est également horrifié de découvrir le peigne de sa fille sur le sol. Cependant, sa fille partage bientôt son désespoir : l’amant joue et perd l’argent volé et passe sa colère sur la jeune femme, la repoussant, elle et le bébé qu’elle lui a fait, en-dehors de leur mansarde encore plus miteuse. Dans un plan d’ensemble / de grand ensemble, elle titube sur les bords de la Seine dont les rives sont bordées de péniches à l’arrière-plan. C’est alors qu’un batelier au loin remarque la jeune femme se mettre à genoux, se signer et se lever, il s’élance pour l’empêcher de se suicider.

8 La Fille du sonneur est marqué par deux occurrences significatives de sorties et entrées identiques à travers plusieurs plans d’espaces adjacents. Dans le premier, le vieux sonneur de cloches sort par la porte du fond de sa chambre et, dans le plan suivant, entre par une autre porte en arrière-plan et arrive sur un balcon dans les hauteurs de Notre-Dame. Alors qu’il se penche avec anxiété sur une corniche, un plan d’ensemble panoramique extrêmement long se déplace en insert doucement de droite à gauche au fil de l’horizon parisien (d’une silhouette de gargouille se découpant au premier plan à une autre) ; dans les deux plans suivants, l’homme quitte lentement le balcon et rentre à nouveau dans sa chambre vide. Cette séquence de cinq plans ne place pas seulement le vieil homme dans un espace temps cohérent, il établit aussi une passerelle entre le moment où les amants ont rejoint d’autres personnes à un café en extérieur et celui où le jeune homme joue au casino. La deuxième séquence est située vers la fin, quelques années après que la jeune femme avait placé son bébé sur les marches devant la porte latérale de la cathédrale, sachant que le sonneur de cloches trouverait l’enfant et l’élèverait comme le sien. Là, la jeune femme tombée en disgrâce voit et reconnaît son père et sa fille alors qu’elle fait la manche sur un quai, elle les suit jusqu’à un parc et s’assoit sur un banc au premier plan pour observer son père et sa fille à l’arrière-plan ; quand l’enfant s’approche pour jouer avec un cerceau, sa mère la prend dans ses bras, mais le père, en colère, lui arrache l’enfant, refusant de la reconnaître. Ce n’est que dans le plan final de la mansarde, après que la femme les a suivis pour supplier son

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père, que la jeune enfant persuade le vieux sonneur de se réconcilier, de mauvaise grâce, avec sa fille à genoux.

9 Basé sur le conte bien connu de Charles Perrault, Cendrillon* (janvier 1907) apporte, même dans le genre féerique* des preuves de ce système émergent de stratégies de représentation.17 Comme on s’y attend, l’adaptation de Capellani inclut les moments spectaculaires incontournables : sa marraine, la fée, transforme Cendrillon en princesse – à travers un petit panoramique horizontal gauche, un fondu et un petit panoramique horizontal droite, six jeunes femmes entrent dans la cuisine par une porte soudain révélée (en arrière-plan à gauche), elles sont rejointes par six jeunes filles portant des ailes d’anges pour tisser un ensemble de fils autour de Cendrillon afin de la parer d’une robe élégante – et une énorme citrouille se transforme en carrosse de plus en plus gros à travers le « montage rapide » de plusieurs plans. L’un des plus intéressants réutilise le procédé de l’image cadrée de l’intérieur, vu pour la première fois dans Aladin (décembre 1906), quand Cendrillon a dû retourner chez sa belle-mère en haillons après le bal. Alors qu’elle pleure et s’endort sur la table de la cuisine (à droite de l’écran), sa marraine, la fée, apparaît dans un fondu et provoque l’éboulement sur lui-même du mur à l’arrière-plan, révélant à l’échelle plus petite d’un plateau de studio éloigné, le début des recherches du prince en quête de la femme dont le pied rentrerait dans la pantoufle de verre. Ensuite, grâce à un rembobinage, le mur redevient normal. Ici, la technique spectaculaire a une double fonction : elle sert aussi à un introduire un fil narratif parallèle. Le plus accompli des plans se trouve cependant dans le tableau final, quand Cendrillon est emmenée à l’intérieur du château dans ses haillons pour être finalement rejetée par le prince. Puis, alors que sa marraine, la fée, apparaît dans un fondu, le prince fait tourner la jeune fille dans une pirouette et, précisément au milieu, après une coupe, elle est à nouveau transformée en princesse devant laquelle il s’agenouille, l’ayant reconnue avec stupéfaction.

10 Cependant, de manière tout aussi remarquable, Cendrillon* « importe » et incorpore toutes sortes de caractéristiques déjà apparentes dans les films précédents. En premier lieu, bien que le film s’ouvre dans le décor de studio relativement vaste de la cuisine et du salon de la belle-mère, de nombreuses scènes sont tournées en décors réels, en particulier celle du bal qui a lieu sur les terres d’un château au loin (arrière-plan à droite) et durant lequel un panoramique suit Cendrillon et son cavalier alors qu’il tournent parmi les danseurs. Par ailleurs, non seulement le mouvement suit les personnages avec aisance à travers ces espaces adjacents – par exemple la cuisine et le salon du studio – grâce à des entrées et sorties identiques, mais il les suit aussi avec fluidité à travers les décors extérieurs. Le plus frappant représente la fuite de Cendrillon à travers quatre plans : avançant le long du chemin d’un jardin, puis sur une route de campagne en courbe, jusqu’à une porte (à droite de l’écran) à l’extérieur de la maison de sa belle-mère et, enfin, à travers cette même porte (à gauche, en arrière- plan) entrant dans la cuisine.18 Bien que les deux premiers plans soient nécessaires à la narration (le prince et ses hommes la poursuivent dans le premier et, dans l’autre, repartent faute de l’avoir reconnue dans ses haillons), le troisième ne l’est pas, excepté au sens où il met en avant la continuité du déroulement de l’action à travers des espaces de plus en plus rapprochés. Au final, ce film transforme aussi des plans spectaculaires en agents narratifs – comme lorsque la marraine fée transforme un magicien menaçant en professeur de danse qui donne une leçon à Cendrillon et l’accompagne ensuite au bal. Vers la fin, les détails narratifs approchent une sorte de signification emblématique. Dans un enchaînement de plans d’ensemble avec prise de

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vues en plongée (dans différentes clairières), le représentant du prince arrive par deux fois de l’arrière-plan pour rechercher la propriétaire de la pantoufle perdue, s’approchant d’abord d’une diva sur le déclin entourée par ses admirateurs, puis d’une jeune paysanne seule nourrissant des oies et des poules. Bien que le première fasse preuve d’une extrême défiance (elle n’a aucun besoin de l’amour d’un prince ou de son statut social), l’autre pleure de désespoir, ce qui est un rappel éloquent que les rêves et les désirs de Cendrillon ne peuvent être exaucés que grâce à la magie ou des miracles.

11 Un autre mélodrame familial, Les Deux Sœurs * (juin 1907), raconte une histoire de mésalliance entre classes sociales dans laquelle, contrairement à La Loi du pardon*, c’est le personnage masculin qui est infidèle.19 Les deux sœurs du titre vivent avec leur mère malade dans une chambre mansardée (représentée dans le plan d’ensemble d’ouverture) où les jeunes femmes (dont les vêtements clairs contrastent avec la robe noire de leur mère) travaillent « en sous-traitance » en tant que couturières. Après un intertitre, « SEDUCTION* », la sœur aînée, Louise (Louise Willy) livre un jour une pile de vêtements à une boutique et rencontre un homme (Paul Capellani ?) qui la reconduit chez elle dans sa voiture, dans une séquence mettant en scène des sorties et entrées accordées à travers trois plans d’ensemble en extérieur. De retour dans la chambre mansardée, Louise se dispute avec sa mère, regarde par une fenêtre ouverte située à l’arrière-plan et sort avec colère rejoindre l’homme qui l’attend toujours dehors. Dans des plans d’ensemble extérieurs et intérieurs coordonnés, il la conduit aux larges marches qui mènent à sa maison moderne en stuc, puis dans un grand salon. Là, il l’oblige à écrire une lettre qui, à l’aide de l’insertion d’un gros plan, exprime sa frustration face à sa vie de « misère » et de « privation » et son refus d’accepter dorénavant les plaintes de sa mère. Un intertitre, « FATALE MISSIVE » *, introduit un plan moyen de la mansarde où la position rapprochée de la caméra, la teinte vert pâle spécifique et les rideaux désormais tirés permettent d’amplifier la réaction de la mère face à la lettre – elle s’effondre sous le choc et meurt – et le chagrin de la sœur cadette face à son décès. Ce tableau clôt efficacement le premier « acte » du film Les Deux Sœurs* et un autre intertitre, « UN AN APRES » * symbolise le début de la deuxième moitié du film.

12 Désormais vendeuse de fleurs dans la rue, la jeune sœur rencontre Louise, habillée à la dernière mode, sortant du magasin de vêtements Hellstern. Louise l’invite à monter dans sa calèche, qui se faufile au milieu des autres véhicules et les transporte le long d’un large boulevard (apparemment, près de l’Opéra*), dans le même plan d’ensemble de l’extérieur de la maison. Elle la présente ensuite à l’homme dont elle est devenue la maîtresse20 ; la réaction de celui-ci est de se frotter les mains en prévision de ce qui attend la jeune fille alors que les deux soeurs passent devant lui pour entrer. Ce qui suit, étonnamment, est un plan moyen sur la coiffeuse où la bonne compose une nouvelle coiffure pour la jeune sœur, maintenant habillée d’une élégante robe en dentelle blanche. Après que Louise l’a admirée et que sa sœur est sortie, la bonne s’assoit devant la coiffeuse pour se poudrer le visage – comme en écho à la jeune fille pauvre dans Cendrillon, pour souligner ce qu’il y a d’attirant dans une telle transformation. La nouvelle apparence de la sœur sert aussi involontairement à aiguiser l’appétit de l’homme (soit « TRAHISON »* en intertitre) comme le révèle le plan d’ensemble suivant dans lequel les deux femmes le rejoignent dans le salon. Alors que la servante appelle et éloigne Louise, il fait prestement des avances à la jeune fille apeurée et ce n’est que le retour de Louise qui l’empêche de l’attaquer. Elle croit l’explication de sa sœur plutôt que celle de l’homme et, dans un instant résumé sur les

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marches en-dehors de la maison, le quitte pour partir avec sa sœur. Dans le tableau final, précédé de l’intertitre « RETOUR AU DEVOIR » *, les deux sœurs reprennent leur travail de couturières, plaçant un liséré de tissu blanc sur un mannequin à moitié habillé, dans la même chambre mansardée où le film avait débuté. Maintenant que toute présence masculine explicite a été effacée (et les rideaux restent tirés devant la fenêtre située en arrière-plan), le lien fort qui s’est rétabli entre les sœurs est surtout défini par un rapport partagé à l’égard de leur mère décédée. Elles sont toutes deux vêtues de noir – comme si elles reproduisaient la figure de leur mère – et, à un moment, Louise s’agenouille à côté de sa chaise, manifestement vide (à gauche de l’écran).21 Au final, une absence ou un effacement double semble les « enfermer » dans le « rôle de femme », figure de souffrance et de victime. Toutefois, si la mobilité sociale par des voies illicites semble fermement condamnée ici, il reste à déterminer si la situation finale des sœurs doit être lue comme une punition pour avoir désobéi, alors qu’elles auraient dû se soumettre à un « destin » de classe, ou, peut-être, moins vraisemblablement, comme un signe d’injustice sociale.

13 Une des premières productions de la S.C.A.G.L., L’Homme aux gants blancs* (novembre 1908), est non seulement adapté d’une pantomime d’Henry Bérény22, mais fait aussi référence à une pièce d’André de Lorde jouée au Grand Guignol seulement une année auparavant.23 Fort heureusement, le film est disponible aujourd’hui dans une copie restaurée qui peut être comparée au scénario de deux pages écrit par Capellani lui-même. A la différence des premiers « films réalistes », ce scénario relate l’histoire, d’une cruelle ironie, d’une double supercherie parmi les nouveaux riches de Paris. Après avoir pris une chambre dans un hôtel parisien, un jeune homme bourgeois qui semble aisé, mais pratiquement sans le sou, un certain M. Rasta (Jacques Grétillat), séduit une riche jeune femme (Marguerite Brésil) qu’il a rencontrée dans un grand restaurant. Il la raccompagne jusque chez elle et en ressort ensuite joyeusement, avec un collier de perles très couteux dans sa poche. Examinant son trophée, cet « apache en bottes cirées » fait tomber les gants blancs qu’il avait achetés pour l’occasion et Jules, un homme moins élégant (Henri Desfontaines),24 qui avait observé ce manège, les ramasse et rentre dans la même maison. Alors que Jules fouille pour trouver de l’argent et des bijoux, la femme le surprend et il l’étrangle, laissant délibérément tomber les gants près de son corps. Cette preuve mène rapidement les policiers à Rasta, que la vendeuse identifie et chez qui ils récupèrent le collier. Alors qu’il est emmené au poste, le vrai meurtrier observe l’événement, debout au milieu de la foule.

14 Bien que le film de Capellani suive étroitement le déroulement de ce scénario, il y a de nombreux passages où cadrage et montage sont intelligemment utilisés.25 Non seulement y a-t-il une mise en valeur de certains détails du scénario, et particulièrement les gants blancs, mais aussi une certaine inventivité toute personnelle. Les deux premiers plans nous présentant Rasta, par exemple, montrent un taxi roulant dans une rue et s’arrêtant près de la grille d’un hôtel. Après qu’il est descendu, la caméra pivote à 90° et le montre avançant vers l’entrée de l’Hôtel Le Palace. Le plus atypique est peut-être le tableau triptyque qui dépeint le moment crucial de l’achat de gants en vue de remplacer d’autres dont Rasta vient de s’apercevoir qu’ils sont trop usés. Séparé par un « panneau central », un plan de grand ensemble d’un boulevard parisien embouteillé, on voit à gauche (en plongée), le concierge de l’hôtel parler au téléphone alors qu’à droite (aussi en plongée), une vendeuse écoute et note sa commande. Cela suggère succinctement la supposée maîtrise de la ville qu’a Rasta et ses moyens ; pourtant, quand la femme arrive pour

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livrer les gants dans la scène suivante, cette maîtrise est compromise par « Un incident malencontreux »*. Un bouton se défait sur l’un des gants qu’il essaie et un gros plan inséré de sa main confère un sens tout particulier aux doigts rapides de la vendeuse qui le recoud. La première rencontre de Rasta avec la femme a lieu à la terrasse d’un restaurant, la nuit ; le vaste espace de ce lieu extérieur accentue son approche, d’un taxi à l’arrière-plan, à un échange furtif de billets au premier plan (elle dîne avec un homme plus âgé). Le départ de la jeune femme prend la trajectoire inverse vers l’arrière-plan alors que l’homme reste assis, à droite de l’écran.

15 La deuxième moitié du film commence par reprendre la scène d’ouverture, mais cette fois, quand le taxi s’arrête et que Rasta et la femme en descendent, la caméra pivote sur la gauche de 45° et les montre se diriger vers la grille d’une maison (à gauche de l’écran) et monter jusqu’à l’entrée qui se trouve à l’arrière-plan, à droite – avec Jules, rôdant dans les alentours, en quête d’une « opportunité ». Une fois à l’intérieur, la femme passe derrière de lourds rideaux en arrière-plan pour se changer et, ce qui semble un plan en insert étrange, « interrompt » les tentatives de Rasta de s’assurer qu’il restera invisible dans le salon au premier plan. Alors qu’il regarde à travers un trou dans le rideau, il y a une coupe, non pour la voir se déshabiller ou s’habiller (comme dans un plan en caméra subjective), mais pour voir un plan d’ensemble extérieur de la bonne fermant les volets d’un des balcons, ce qui est apparemment un montage permettant d’expliquer (les deux femmes étant occupées) comment il vole le collier qui est placé dans une boîte sur une table au premier plan (à gauche). Alors que l’histoire arrive à son apogée, le film s’appuie de plus en plus sur des moyens plus conventionnels, chorégraphiant les faits et gestes des acteurs dans des tableaux en plans-séquences, par exemple dans la chambre d’hôtel de Rasta alors que la police interrompt son départ et que la vendeuse confirme que les gants qu’ils ont trouvés sont les siens, ou dans le salon de la femme, où Rasta essaie en vain de nier sa culpabilité dans sa mort. Pourtant, dans le plan moyen / plan d’ensemble de fin, à l’extérieur de la maison de la femme, un mouvement inattendu de la caméra prolonge le scénario froid et cruel, en faisant intervenir une surprise finale qui ouvre une distance ironique entre le spectateur qui sait et le « héros » et la police qui ne se doutent de rien. Quand Rasta est emmené, Jules sort du cadre par la droite, comme s’il s’enfuyait, mais un panoramique horizontal droit, pivotant à 45° (à l’inverse du panoramique précédent), le dévoile tout simplement en train d’attendre près du fourgon, ouvrant « aimablement » la porte arrière. Quand l’inspecteur fait tomber sa canne par accident, Jules la ramasse et, avant de la lui rendre, l’essuie sur toute sa longueur avec son manteau dans un geste hypocritement obséquieux. Cette pirouette finale ironique clôt admirablement cet exposé sauvage et probablement assez à propos de la vie mondaine parisienne dans L’Homme aux gants blancs* car, non seulement deux hommes s’attaquent à une femme (qui est doublement victime), mais le véritable « apache », en se contentant d’imiter son équivalent « bourgeois », se livre à un vol et à un assassinat en toute impunité.

16 Entre 1906 et 1908, de nombreux films de Capellani ont incontestablement joué un rôle essentiel dans l’apparition du discours cinématographique en France et ailleurs. Ses films ont progressivement subordonné le spectaculaire à une logique narrative linéaire et – en la combinant à des intertitres et à des inserts de lettres, à des effets sonores et à l’ajout de couleur – ont commencé à former un nouveau système de représentation standardisé. Alors que les caractéristiques de ce système étaient éparpillées, elles furent organisées de plus en plus en fonction du principe de répétition de séquences,

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comme dans La Fille du sonneur, Les Deux Sœurs, et L’Homme aux gants blancs*, dans un format de structure narrative en deux parties. L’effet dominant de ce système fut de garantir la lisibilité de l’histoire du film, en particulier si elle n’était pas connue, quels que soient le lieu et les conditions de projection à travers le monde d’un film Pathé. En d’autres termes, ce virage vers la narration devint une stratégie essentielle de standardisation pour Pathé qui s’assurait ainsi un contrôle éditorial sur son produit. Ce contrôle informa de plus en plus le discours des films de sorte que ceux-ci abordaient le spectateur dans une voix conventionnelle et morale, voire, dans L’Homme aux gants blancs*, une voix clairement « ironique ». Par ailleurs, en particulier dans les « films réalistes » de la société de production, ce nouveau système de représentation était calqué sur un espace historique spécifique des relations sociales françaises, les regroupant autour d’un axe de différences de classes et de genres, en particulier en termes de déviance morale ou criminelle par rapport aux normes sociales bourgeoises. Si, comme dans La Loi du pardon, la famille patriarcale est présentée comme le principal espace menacé et, in fine, légitimé, le caractère central des personnages féminins dans La Fille du sonneur et Les Deux Sœurs, en revanche, suscite des interrogations quant à la manière dont les spectatrices, en particulier, ont pu lire ces scènes finales aux codes moins rigoureux et plus ouvertes à l’interprétation.

17 Durant cette période de transformation, Capellani et ses collègues réalisateurs chez Pathé Frères, mais aussi Alice Guy et tout particulièrement Louis Feuillade chez Gaumont, testèrent avec succès bien des stratégies narratives et représentatives qui seraient amenées à caractériser le discours narratif du cinéma français pendant la plus grande partie des années 1910. Les cinéastes américains, d’abord à la Vitagraph, puis à la Biograph, où D.W. Griffith commença à tourner des films à l’été 1908, les développeraient encore plus et poseraient les bases de ce qu’on appellerait par la suite « le cinéma classique hollywoodien ». Bien qu’il y ait peu de preuves directes, les films français, en particulier ceux de Capellani, ont très probablement eu un fort impact sur le cinéma américain car ils étaient largement distribués et projetés aux Etats-Unis.26 En effet, aux Etats-Unis, les films Pathé ne servaient pas seulement à clore les spectacles de variétés dans des centaines de salles, ils formaient aussi le principal divertissement des Nickelodeon, une nouvelle enseigne de salles de spectacle, qui se comptèrent rapidement par milliers dès le début de 1907. Par ailleurs, vers la fin de 1908, les Nickelodeon se devaient d’être en mesure de louer et de diffuser les films à succès du célèbre « coq rouge » de Pathé dans le cadre de leur programmation courte et fréquemment renouvelée27. Cependant, les attitudes étaient alors en train de changer et les films français qui s’appuyaient sur la violence grand-guignolesque, sur des relations sexuelles risquées et des gags « de mauvais goût », suscitèrent de plus en plus d’appels à la censure et une demande croissante pour une production de sujets « américains » plutôt qu’« étrangers » pour les spectateurs américains. Une fois que Capellani fut nommé à la tête de la S.C.A.G.L., la nouvelle filiale de Pathé fondée en 1908, ses films purent dans une grande mesure éviter la censure, à quelques exceptions près, car la plupart étaient des adaptations de « classiques » français célèbres et / ou appréciés comme Jeanne d’Arc (1909), L’Assommoir (1909), Les Deux Orphelines (1910) ou Notre-Dame de Paris (1910)*, ce qui avait tendance à faire taire les accusations de goût douteux. Ils ont aussi contribué à l’apparition d’un contexte très favorable à Capellani, lui permettant d’être accepté aussi pleinement qu’il le fut dans l’industrie cinématographique américaine en 1915.

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NOTES

1. Voir en particulier, Georges Sadoul, « L’Epoque Pathé (1903-1909) », in Histoire générale du cinéma 2 : Les pionniers du cinéma, 1897-1909, (Paris, Editions Denoël, 1948), p. 221-540. 2. Mariann Lewinsky a organisé les rétrospectives des films de Capellani en 2010 et 2011 au festival Il Cinema ritrovato à Bologne et a aussi édité le livret et le DVD, Albert Capellani : Un cinema di grandeur 1905-1911 (Cineteca Bologna, 2011). Stéphanie Salmon et Sophie Seydoux de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé ont édité un second DVD, Coffret Albert Capellani (La Cinémathèque française / Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, 2011) et aidé à la production de l’autre. 3. Processus qui s’intéresse à la profondeur de champ. NdT. – Toutes les autres notes sont de l’auteur. 4. Voir aussi, Richerd Abel, « Albert Capellani, cinéaste Pathé frères, 1906 », p. 10-16. Ce court texte analyse six films de 1906 : Drame passionnel, La Femme du lutteur, Mortelle Idylle, Pauvre Mère, L’Age du cœur et La Fille du sonneur. 5. Sorti au début de 1906, Le Chemineau fut probablement produit à la fin de 1905. Cette analyse s’appuie sur une copie en 35 mm (100 mètres) du Nederlands Film Museum, où les scènes d’extérieur sont caractérisées par une teinte bleue, les scènes d’intérieur dans l’église, par des teintes sépia et, d’intérieur dans la boutique, par des teintes vertes. Le scénario fut attribué à André Heuzé ainsi qu’à Capellani. 6. Ce plateau de studio, mais avec un village différent peint au fond, est réutilisé pour une scène dans laquelle une jeune femme (arrêtée pour activité anarchiste) meurt sur le chemin de la Sibérie dans Le Nihiliste (avril 1906). 7. Ce genre de gros plan sur le visage d’un personnage alors qu’il s’approche lentement de la caméra a longtemps été utilisé dans des films par la suite, comme dans Musketeers of Pig Alley (1912) de Griffith et Suspense (1913) de Lois Weber. 8. Les films suivants Pathé datant de 1905 font figurer une sorte de mouvement de caméra : par exemple dans Au pays noir, Au bagne, et La Poule aux œufs d’or. 9. Victorin Jasset, « Etude sur le mise en scène en cinématographie », Ciné-Journal (28 octobre 1911), p. 35. Jasset fait davantage l’éloge de La Fille du sonneur mais affirme que le film a eu moins de succès auprès du public français. 10. D’autres films de 1906 films qui mettent en scène cette menace de trahison et / ou d’abandon incluent Drame passionnel, Mortelle Idylle, La Femme du lutteur et L’Age du cœur. 11. La principale caractéristique qui définit cette pièce comme « moderne » est le papier peint clair qui avait été lancé par les stations thermales et balnéaires bourgeoises de la fin du XIXe siècle. 12. Cette analyse de La Loi du pardon s’appuie sur une copie en 35 mm de 140 mètres conservée par le National Film and Television Archive de Londres, ainsi que sur une copie restaurée dans le DVD Albert Capellani, cette dernière est teintée sépia sur toute sa longueur. Là encore, le scénario est signé Heuzé et Capellani. Le film sortit aux Etats-Unis sous le titre The Law of Pardon en mai 1906 — voir « Last Films Out », [Dernières sorties cinématographiques], Views and Films Index (5 mai 1906), p. 4. 13. Les films suivants de Pathé, datant de 1905-1906, incluent des alternances entre des espaces intérieurs et extérieurs relativement adjacents, ainsi dans Au bagne et Les Chiens contrebandiers. 14. Dans la copie qui subsiste, le film s’interrompt avant qu’il n’y ait un signe quelconque de ce que le mari a pardonné et a complètement accepté sa femme. 15. Cette analyse de La Fille du sonneur s’appuie sur un copie restaurée dans le Coffret Albert Capellani DVD (2011).

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16. Selon la filmographie de Cappellani, des sources citent différents acteurs pour les rôles des personnages du film. 17. Cette analyse de Cendrillon s’appuie sur une copie en 35 mm (282 mètres) du National Film and Television Archive, mais aussi sur une copie restaurée dans le DVD Albert Capellani. Dans cette dernière copie, la plupart des plans sont en noir et blanc mais les plans extérieurs du trajet de Cendrillon pour aller au bal, le bal lui-même et la fuite de la jeune fille sont teintés en bleu (pour la nuit). La scène finale, cependant, est colorisée au pochoir. Michel Carré et Capellani ont été crédités pour le scénario. Le film sortit aux Etats-Unis en mars 1907 – Voir publicité de Pathé Films, Views and Films Index (23 mars 1907), p. 2. 18. Ce genre de mouvement du personnage à travers des espaces adjacents était déjà bien développé dans un grand nombre de films de poursuite américains, français et britanniques. Plus intéressante est la progression de deux récits parallèles à travers une série de plans en alternance comme dans Les Chiens contrebandiers et Le Détective de Pathé en 1906. 19. Cette analyse du film Les Deux Sœurs s’appuie sur une copie en 35 mm (219 mètres) détenue par le National Film and Television Archive, mais aussi sur une copie restaurée dans le DVD Albert Capellani. Dans cette dernière, de nombreux plans sont en noir et blanc, les plans intérieurs de la maison sont teintés en rose et les deux sœurs s’enfuient de la maison vers la fin pour déboucher sur un extérieur teinté en bleu (pour la nuit). Le film sortit aux Etats-Unis sous le titre Two Sisters en juin 1907 – voir publicité Pathé Frères Films Views and Films Index (1er juin 1907), p. 2. 20. Un synopsis de la copie américaine dans la presse professionnelle décrit la sœur aînée comme étant la femme de l’homme — « New Films » [nouveaux films], Views and Films Index (1er juin 1907), p. 4. 21. Le synopsis de la presse professionnelle attire aussi l’attention sur le détail de mise en scène de la chaise vide – ibid. 22. Le carton de titre dans la copie restaurée cite comme source une « comédie dramatique » de Georges Docquois. 23. La pièce de De Lorde intitulée The Dead Rat, Room 6 [Au Rat Mort, cabinet 6] ou A Pair of White Gloves [Une paire de gants blancs] atteint son apogée quand une jeune femme russe venge la mort de sa sœur révolutionnaire torturée en acceptant l’invitation à un dîner intime d’un général tsariste pour ensuite l’étrangler avec ses longs gants blancs. 24. Desfontaines a déclaré qu’il était ravi de travailler sur ce film dans un entretien avec René Jeanne dans Ciné- magazine (mars 1930), réimprimé sous le titre « Débuts de la SCAGL », in Marcel Lapierre, ed., Anthologie du cinéma (Paris, La Nouvelle Edition, 1946), p. 67. 25. Cette analyse de L’Homme aux gants blancs s’appuie sur une copie en 35 mm incomplète (70 mètres) de la George Eastman House ainsi que sur une copie restaurée dans le DVD Albert Capellani. Cette dernière est constituée de copies ayant survécu au temps et d’une qualité variable, issues de quatre archives différentes. Le film sortit aux Etats-Unis sous le titre A Pair of White Gloves [une paire de gants blancs] en avril 1909 – voir publicité de Pathé Frères Films, Film Index (24 avril 1909), p. 13. 26. Une photo de tournage de Two Sisters, l’une des dix illustrations reproduites, figurait en introduction de l’article de Joseph Medill Patterson’s « The Nickelodeon, the Poor Man’s Elementary Course in Drama » [Le Nickelodeon, le cour élémentaire du pauvre en art dramatique], Saturday Evening Post (23 novembre 1907), p. 10. Cet article fut réimprimé par la suite dans de nombreuses collections, mais sans les illustrations. 27. C’est un argument majeur dans mon ouvrage The Red Rooster Scare : Making Cinema American, 1900-1910 [La peur du coq rouge : ou comment rendre le cinéma américain, 1900-1910], Berkeley, University of California Press, 1999.

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NOTES DE FIN i. L’astérisque désigne tout au long de cet article des mots ou expressions en français dans le texte.

AUTEURS

RICHARD ABEL Richard Abel est professeur d’études filmiques au Collège Robert Altman de l’Université du Michigan. Ses livres récents ont pour titres Americanizing the Movies and « Movie-Mad » Audiences, 1910-1914 (2006), Early Cinema and the « National » (2008), Encyclopedia of Early Cinema (Paperback, 2010). Ses projets en cours portent sur Early Cinema, quatre volumes de reprints (Routledge 2013), et Menus for Movie Land : Newspapers and the Emergence of American Film Culture, 1913-1916. Il est par ailleurs l’auteur de deux livres classiques, French Cinema : The First Wave 1915-1929, Princeton University Press, 1984 ; The Ciné Goes to Town. French Cinema 1896-1914, Berkeley, University of California Press, 1994.

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Notre-Dame de Paris Entre histoire locale et analyse des modes de représentation

Pierre-Emmanuel Jaques

NOTE DE L’ÉDITEUR

Le présent texte a été réalisé dans le cadre de la Collaboration Cinémathèque suisse – Université de Lausanne, destiné à renforcer la connaissance des collections de la Cinémathèque suisse. Voir : http://www.cinematheque.ch/f/collaboration-avec-lunil/

1 Dans The Ciné Goes to Town. French Cinema 1896-1914, l’ouvrage qui a renouvelé la connaissance du cinéma français avant la Première Guerre mondiale, Richard Abel s’appuie sur une méthode mêlant système de représentation, construction narrative et imaginaire social1. Son analyse porte sur un ensemble très vaste de films, menée grâce à l’examen de fort nombreuses copies dans les principales archives du monde. Il regrettait de n’avoir pu consulter qu’une copie incomplète de Notre-Dame de Paris, laissant ouvertes certaines hypothèses soulevées par le film, notamment son dénouement. Depuis, d’autres copies ont été retrouvées et en ont permis une préservation par les Archives françaises du film. Nous avons pu examiner une copie conservée par la Cinémathèque suisse, renvoyant d’une part à l’histoire du document lui-même, notamment son contexte de diffusion, et permettant, d’autre part, de revenir sur des aspects plus généraux liés au système formel auquel correspond le film de Capellani. Un lien s’établit ainsi entre l’effort manifeste de légitimation lié à la présentation du film2 et son élaboration formelle, qui exprime elle aussi un souci d’élévation de la production.

De la circulation originale à la préservation actuelle

2 La copie conservée par Cinémathèque suisse de Notre-Dame de Paris a été déposée en 1978 par le réalisateur de télévision Pierre Barde. Celui-ci en avait fait usage à

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l’occasion de l’émission « CinémaTOGRAPHE », diffusée le 28 décembre 1970 et destinée à « fêter le 75e anniversaire de la première séance cinématographique ». Présentée par le département « Science et Education » de la Télévision suisse romande, cette soirée comportait des vues Lumière, s’efforçait ensuite de reconstituer une « séance de théâtre cinématographique ambulant », avant d’évoquer « la situation du cinéma aujourd’hui3 ». Cet usage rétrospectif et commémoratif de Notre-Dame de Paris renvoie à la présence d’une copie découverte des années plus tard, à Genève.

3 Aucun élément ne nous permet de connaître l’origine exacte de la présente copie, ni sa circulation originale. Tirée sur une pellicule portant l’indication Pathé Frères, celle-ci ne porte pas la trace d’une circulation helvétique, comme le nom d’une agence de location ou la présence d’intertitres français et allemands. Selon Pierre Barde4, elle aurait appartenu à un tourneur du nom d’Eminet ( ?) actif dans les années 1920 et 30 en Suisse romande. C’est grâce à un agent immobilier, appelé à vider un bien immobilier, que Pierre Barde s’est vu confier une série de films nitrate. Les deux hommes s’étaient connus dans le cadre du Ciné-club universitaire, une institution de la cinéphile genevoise depuis sa création en 1951. Intrigué par ces bobines, Barde découvrit une trentaine de films dont plusieurs des années 1910, comportant des virages et des teintages fort élaborés. La présente copie de Notre-Dame de Paris porte justement la trace de pochoirs apposés avec soin, ainsi que de fort belles teintes, justifiant son usage dans une émission appelée à évoquer l’évolution du cinéma au cours des trente premières années du cinéma5.

4 Si le programme télévisuel ne comporte pas la mention de ce titre, le passage du film en 1911 sur les écrans de Suisse romande avait déjà été repéré par Freddy Buache et Jacques Rial, dans une étude pionnière portant sur une histoire locale du cinéma. A partir de l’Histoire générale du cinéma de Georges Sadoul6, Buache, alors conservateur à la Cinémathèque suisse, et Rial, un de principaux animateurs du Ciné-club de Genève, établissent une chronologie des premières projections à Lausanne et Genève, retracent l’installation des premiers établissements permanents, tout en rendant compte des programmes des films à l’affiche. En se basant sur le dépouillement de la presse, ils retrouvaient des films, des personnalités, voire des débats dont Sadoul avait montré l’importance. Dans ce cadre, les deux auteurs avaient repéré la présence de Notre-Dame de Paris au sein des programmes parus dans la presse locale sans en faire d’autre mention dans leur texte7.

La présentation de Notre-Dame de Paris à Lausanne

5 A Lausanne, ville de 70 000 habitants, le film est à l’affiche des deux salles de cinéma : il est projeté au « Théâtre Lux » du vendredi 3 au jeudi 8 novembre 19118, ainsi qu’au « Théâtre Lumen », du 4 au 9 novembre, en soirée uniquement et à l’exception du mercredi, jour où l’opéra Lakmé est donné en représentation par la troupe du Grand Théâtre de Genève. La présence simultanée d’un film sur deux écrans n’est pas totalement exceptionnelle. Elle tendra à se raréfier, puis disparaîtra totalement, les salles cherchant au fil du temps à se distinguer davantage les unes des autres, grâce à leur programmation. Si le Lux est la plus ancienne salle de Lausanne, ouverte en décembre 1907 sous le nom de Moderne9, le Lumen est pour sa part le plus grand établissement lausannois dédié aux spectacles, pouvant accueillir près de mile

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spectatrices et spectateurs. Sa capacité d’accueil et son équipement lui confèrent une vocation polyvalente, de la conférence à l’opéra en passant par la danse et le concert10.

6 Au moment où passe Notre-Dame de Paris, un autre espace réservés aux loisirs abrite un cinématographe, la grande salle de Tivoli. Des projections quotidiennes y sont organisées par le Royal Biograph qui, quelques mois plus tard, va s’installer dans un bâtiment au centre ville et devenir le troisième cinéma permanent de Lausanne11. Face à cet accroissement, vu comme une menace contre la moralité, la municipalité tenta de bloquer l’ouverture d’un cinéma supplémentaire12. Ce qu’elle réussit jusqu’en 1913, une décision de justice fédérale imposant aux municipalités une même liberté d’installation qu’aux autres exploitations commerciales. L’Apollo put alors ouvrir ses portes en octobre 1913, devenant ainsi le quatrième cinéma de la ville. Cette tentative de limiter le développement du spectacle cinématographique exprime clairement les craintes suscitées dans ces années par le cinéma13.

7 C’est dans ce contexte de suspicion que Notre-Dame de Paris passe sur les écrans lausannois. Fruit d’un effort manifeste d’élévation du cinéma, le film figure en bonne place dans les annonces parues dans la presse, sans pour autant éclipser totalement le reste du programme, comme ce sera le cas plus tard, quand ne sera plus qu’indiqué le long film, le reste étant généralement considéré comme de moindre valeur : si la taille du lettrage est légèrement supérieur pour ce titre, on n’omet pas pour autant de mentionner les autres films à l’affiche, laissant entendre que l’on promeut encore davantage un spectacle composite plutôt qu’un seul film. Le Lux propose aussi Une leçon d’anatomie, qualifié de « grande scène dramatique », un film Gaumont de 1911 ; Little Moritz sauvé du feu, un comique Pathé ; La Vierge d’Argos, « Mythologique en couleurs », un Gaumont de la série « Le film esthétique ». Le programme de la semaine change légèrement le vendredi 3 novembre, à l’exception du Capellani. Les trois films cités sont remplacés, selon l’annonce parue dans la presse, par une autre production Gaumont de la même année : La Maison de la peur, « grande scène dramatique » ; Napoléon à Sainte- Hélène, de la Cines (Mario Caserini) ; Service secret, un film Lux (attribué actuellement à Gérard Bourgeois). Les programmes sont invariablement complétés par des actualités « et autres tableaux intéressants et inédits » sans que l’on en connaisse plus précisément le détail. On lit par ailleurs : « Pour détails, voir programme » laissant bien entendre que les séances comportent d’autres titres. Les affiches et programmes des salles de la ville ont hélas disparus, à quelques très rares exceptions. L’insistance plus ou moins grande donnée à tel ou tel titre ne nous est ainsi connue que par la presse : les variations, ou du moins des nuances apportées dans la hiérarchie du programme, nous resteront inconnues.

8 Le programme du Lumen est légèrement moins circonstancié, l’annonce de la semaine étant principalement dévolue à l’opéra Lakmé. Sont mentionnés : Sports nautiques en Italie ; Calino cow boy [certainement Calino veut être cow boy, un film de Jean Durand] ; Soir de première, une scène comique Pathé ; Mauvais Valet, un comédie Gaumont ; L’actualité mondiale. Sur l’une des annonces, il est précisé que Notre-Dame de Paris n’est donné qu’en soirée, lui conférant ainsi un statut particulier. Elle l’identifie à un spectacle de l’ordre des représentations scéniques se déroulant au Lumen. Mais – et nous ne pouvons qu’en rester au stade des hypothèses – une autre raison pourrait avoir suscité ce choix : le caractère dramatique et relativement cru de la pièce, le programme de l’après-midi étant destiné à accueillir aussi un public enfantin. Cette insistance sur le caractère moral, voire éducatif, du Lumen est d’ailleurs répétée à satiété dès la

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réouverture de la salle en avril 191114. Pareilles affirmations se trouvent régulièrement mises en avant dans les articles manifestement fournis par le Lumen, tant dans la presse quotidienne que dans les publications consacrées plus spécialement aux spectacles de la ville. On lit : « En effet tout en donnant des programmes du plus grand intérêt possible, il a impitoyablement banni de son répertoire tout ce qui peut choquer, froisser ou déplaire. En un mot, tout ce qui n’est pas absolument convenable, beau et artistique n’existe pas au « Lumen » qui est le théâtre du bon ton par excellence. Aussi l’on peut s’y rendre en compagnie de dames ou d’enfants sans avoir jamais à craindre d’y voir quelque chose de répréhensible ou simplement de mauvais goût15. »

9 Cette revendication d’absolue moralité des programmes mène à ce que, dans les commentaires accompagnant les programmes, un poids tout particulier soit donné aux vues d’après nature et autres documentaires. Cela n’empêcha pas le Lumen de programmer, quelques mois plus tard, un film consacré à l’arrestation de la bande à Bonnot – que la direction de police lausannoise s’empressa d’interdire, suscitant la protestation du directeur du Lumen, le film étant selon lui « tout à l’honneur de la police et la glorification du courage et du dévouement16 ».

10 Suivant les annonces du Lux, Notre-Dame de Paris a effectivement aussi un statut proéminent dans la programmation, la mention de sa présence étant immanquablement suivie d’une qualification en terme de genre et d’un renvoi à l’auteur adapté : « grand drame d’après l’immortel chef d’œuvre de Victor Hugo17 ».

11 Les annonces sont complétées par de brefs commentaires particulièrement élogieux. Le ton généralement laudatif de ces quelques remarques devient carrément dithyrambique pour le film de Capellani : « La source des attractions vraiment intéressantes ne tarit guère au Théâtre Lumen. Le programme porte, pour la semaine prochaine, un chef d’œuvre cinématographique de toute beauté, Notre-Dame de Paris, d’après Victor Hugo, une série de superbes vues instructives, des actualités toujours plus captivantes et des pièces comiques qui dérideront les plus moroses18. » Le programme du Lux comporte des qualificatifs identiques, tout en donnant quelques précisions : « Le nouveau programme du Théâtre Lux fait, cette fois, une plus grande part au drame et à la comédie. Notre-Dame de Paris est le chef-d’œuvre incontesté de Victor Hugo, auquel la cathédrale séculaire prête le cadre poétique de sa majestueuse architecture. Le cinématographe seul pouvait, grâce à ses ressources uniques, transporter cette œuvre en une pièce théâtrale19. »

12 Ces commentaires doublent littéralement un document émis par la firme Pathé au moment de la sortie du film, déposé au titre du dépôt légal à la Bibliothèque nationale (Paris).20 Cherchant à établir une équivalence entre le roman et son adaptation au cinéma, une notice consacrée au film qualifie tant le jeu que la mise en scène de « superbes21 ».

13 Ces différents éloges sont certainement destinés à favoriser un changement dans le goût du public, notamment en termes de genre et de longueur d’œuvre. Une enquête lancée en mai 1912 par l’hebdomadaire Lausanne-Plaisirs22 place ainsi le genre comique, les actualités, les pièces policières parmi les genres préférés du public alors que sont donnés comme plus controversés les « pièces pathétiques » ou les « grands drames vécus ». Les « drames sensationnels » se voient même condamnés par 62 désapprobations pour 38 avis favorables. Cette enquête démentirait donc que l’évolution vers de plus longs films, centrés sur des trames narratives et des genres

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considérés comme plus nobles, entraîne l’adhésion du public des cinémas. Toutefois, quelques mois plus tard, un quotidien lausannois rend compte d’une enquête similaire qui témoignerait d’une évolution en faveur du genre dramatique23. Aussi, s’il est difficile de juger du goût même des spectatrices et des spectateurs, il est manifeste que dans la presse un mouvement en faveur de genres plus nobles se fait jour. La présence de films comme Notre-Dame de Paris sur les écrans romands se déroule dans un moment manifestement de transition, tant en ce qui concerne l’organisation des programmes que dans les hiérarchies associées aux genres des films.

14 Le caractère encore largement controversé de la valeur culturelle du cinéma, et tout particulièrement de certains genres, apparaît de manière évidente dans le contexte de présentation d’un film de prestige comme Notre-Dame de Paris. Rapporté dans le détail par la presse lausannoise, un épisode judiciaire qui pourrait paraître relativement lointain, car situé à Berne, témoigne selon les termes mêmes utilisés dans la presse locale des enjeux soulevés par l’adaptation de classiques de la littérature au cinéma : le film adapté de Hugo constituerait plutôt une dégradation d’une œuvre reconnue. Ce faisant c’est bien le passage de la valeur de l’œuvre littéraire au film adapté qui est visé. Ce ne serait pas parce qu’on se base sur un chef d’œuvre reconnu qu’on obtient un chef d’œuvre au cinéma. Ce jugement s’oppose précisément au texte des annonces qui désignait le film comme « un chef d’œuvre cinématographique de toute beauté24 ». Tout en tentant de rendre compte sobrement de cette affaire, la Feuille d’avis de Lausanne lui confère une importance qui en dépasse le caractère local : suite à un article virulent, paru dans un journal bernois, Der Bund, le film a été retiré de l’affiche du cinéma Monbijou, avant d’être présenté devant un juge : « Dans son réquisitoire, le procureur général a soutenu que ce spectacle était une succession de scènes du réalisme le plus grossier et qu’on avait abusé du nom de Victor Hugo pour induire le public en erreur sur la valeur artistique de la représentation. Le roman fameux était déformé de façon à n’être plus qu’une suite de scènes de viol, de torture, d’exécutions, propres à exercer l’action la plus pernicieuse sur les nombreux enfants qui se pressaient au spectacle25. »

15 L’inculpée, Mlle Hiplé, qui dirige ledit cinéma, est acquittée, au motif qu’ « il n’avait pas été établi que le spectacle ait eu un caractère licencieux. » Néanmoins, bien que libérée de toute charge, l’accusée ne reçut aucune indemnité et les frais furent mis à sa charge…

16 Révélateur de la méfiance rencontrée par le développement des spectacles cinématographiques, ce jugement ne suscite pas d’autres commentaires dans la Feuille d’avis de Lausanne. La méfiance suscitée par le cinéma s’exprime aussi à Lausanne, comme en témoigne nombre d’articles parus dans la presse.26 Lausanne-Plaisirs qui donne régulièrement des informations sur les cinémas de la ville publie en juin 1912 un article au titre éloquent « Réformons le cinéma27. » Mais, bien au contraire d’appuyer l’article, qui en appelait à un changement dans l’orientation des films, l’hebdomadaire s’en sert pour dédouaner les salles lausannoises en y glissant l’addenda suivant : « Heureusement, ces lignes ne s’appliquent pas aux cinémas permanents lausannois, dont les directeurs avisés et soucieux de la moralité publique se font un devoir de ne présenter que des films instructifs, intéressants ou amusants, toujours d’une tenue irréprochable28. »

17 Le pétitionnaire réclamait une présence renforcée des films documentaires et d’actualités, généralement considérés comme relevant du domaine éducatif. Mais, phénomène plus étonnant, il préconisait aussi, pour l’élévation de la qualité des films

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que l’on adaptât les chefs d’œuvre du théâtre et de la littérature. Notre-Dame de Paris répondait donc bien à ce programme, mais, au vu des réactions de défiance évoquée à l’occasion du procès bernois, cette “récupération” ne faisait pas l’unanimité. Bien plus, elle passa pour une forme de dévoiement transformant un roman, désigné comme un chef d’œuvre populaire en « suite de scène de viol, de torture, d’exécution » comme l’en accusait le procureur général de Berne.

18 Traduisant le passage à un autre régime de spectacle, soucieux d’une respectabilité qui s’exprime tant par le choix de l’œuvre adaptée, la présence d’acteurs et d’actrices reconnus, voire une durée qui le distingue de genres mineurs, Notre-Dame de Paris est caractéristique de ce moment de transformation dont l’un des traits facilement identifiables est l’allongement du métrage. Dans ces années 1911-12, les annonces des cinémas signalent généralement les films plus longs. L’allongement des films à l’affiche exprime cette reformulation du spectacle cinématographique, cherchant à se conformer au modèle des représentations scéniques centrées sur une œuvre. Preuve nous est donnée que ce phénomène est considéré d’emblée comme une modification majeure : une des salles lausannoises, le Royal Biograph, chercha à se distinguer des autres cinémas de la place en insistant sur la présence dans ses programmes d’un film long : « Comme spécialité, cet établissement a chaque semaine une grande vue très intéressante, très captivante, d’au moins 1000 mètres29. » Le “grand” film est en passe de devenir le clou du spectacle, transformant le caractère généralement hétérogène des programmes en une forme passée du cinéma. Les annonces soulignent d’ailleurs Notre- Dame de Paris comme étant le clou du programme. Situé ainsi dans une histoire locale du cinéma, Notre-Dame de Paris y apparaît aussi comme un exemple représentatif de ce cinéma dit de la « seconde époque » suivant Eric de Kuyper30.

Analyse formelle

19 En l’état des sources, il est impossible de reconstituer les impressions suscitées par un film comme Notre-Dame de Paris auprès de son public historique. Notre appréciation contemporaine reconnaît le film de Capellani comme un bon exemple de cette esthétique développée dans nombre de films au métrage allongé, vers 191031. Suivant les remarques d’un chroniqueur du Moving Picture World, Richard Abel constate que la trame du film Notre-Dame de Paris se concentre sur un nombre réduit de personnages (Esméralda, Phoebus, Frollo et Quasimodo) et leurs relations. Cette réduction est saluée dans l’article américain comme une amélioration32, permettant – c’est le mot utilisé – une continuité mieux assurée33. Un des principaux critères de jugement est, déjà, ce que nous nommerions la cohérence narrative, impliquant d’interroger l’organisation temporelle et spatiale.

20 En se concentrant sur un moment hautement dramatique, le meurtre de Phoebus, il me semble possible de faire apparaître certaines constantes du fonctionnement de ce cinéma de la seconde époque. L’extrait retenu commence après le dixième intertitre dans la copie de la Cinémathèque suisse : « Le capitaine Phoebus, épié par l’archidiacre donne rendez-vous à la Esméralda à l’auberge de la pomme d’Eve » pour se terminer à l’intertitre suivant : « Claude Frollo vient trouver la Esméralda dans sa prison et, ne pouvant trouver le chemin de son cœur, la menace de sa haine » qui tout à la fois clôt le présent moment et ouvre le suivant en annonçant la suite. Au plan narratif, il s’agit du moment où Phoebus, après avoir indiqué le lieu du rendez-vous à Esméralda, se rend à

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l’auberge où le rejoint Esméralda – que Frollo cherche à éloigner. Mené par la tenancière dans une petite pièce située au-dessus de la salle, le couple s’embrasse. Ayant suivi leur déplacement par la vitrine, Frollo grimpe le long de la façade, entre par la fenêtre et poignarde Phoebus avant de s’en retourner par où il est venu. Aux cris, la tenancière monte et trouve Phoebus mort, Esméralda l’enlaçant. La tenancière va chercher des soldats qui se saisissent d’Esméralda.

21 Composé de quatorze segments, cet extrait se distingue du reste du film par son nombre élevé de plans – la plupart des autres cartons étant suivi d’un seul tableau. Ces différents plans présentent une durée d’une différence absolument remarquable : le plus long mesurant 1 minute 34 (à 16 images par seconde), le plus bref durant 5 sec. Ces quatorze plans se répartissent selon cinq positions de caméra, dont deux seules ne sont pas répétées : le premier tableau se distingue des autres, formant un tableau autonome évoquant une rue de Paris ; l’autre position non répétée est plus brève (36 sec.) et porte sur un espace contigu à la pièce où sont installés Phoebus et Esméralda, sorte de mansarde que Frollo a rejoint en grimpant le long de la façade et d’où il surgira pour planter son poignard. Cette diversité démontre, au besoin, l’étendue du registre temporel à la disposition de Capellani et son équipe, plus généralement des cinématographistes de l’époque, mais aussi du raffinement dans le jeu sur la contiguïté des espaces.

22 Autonome aussi bien à un plan temporel que spatial, le premier plan correspond exactement à l’annonce formulée par le carton. Situé dans un décor évoquant une rue de Paris, il témoigne d’une organisation désignée comme tableau, impliquant une mise en scène en profondeur. Au sein même de cet espace, construit de manière à donner une impression de profondeur, trois aires de jeu sont définies : une première dans la profondeur du décor, par laquelle apparaissent les personnages (Esméralda au bras de Phoebus), en pied. Ils s’avancent vers le devant, s’approchant ainsi de la caméra – comme s’ils remontaient la rue dans laquelle ils se trouvent. Ce mouvement vers l’avant les fait apparaître dans un cadre plus rapproché, permettant de mieux saisir le jeu de Phoebus, donnant à voir aussi l’attrait qu’il exerce sur Esméralda. Située sur la gauche du cadre, leur position laisse apparaître Frollo dans la profondeur qui se cache, espionnant le couple. Phoebus montre une direction sur la droite et le couple sort. Frollo s’avance ensuite pour occuper l’espace et faire voir son visage menaçant, renforcé par un geste indiquant la même direction.34 En un seul cadre, ce sont donc des variations multiples, tant en terme d’occupation de l’espace, de jeu des comédiens, que de circulation des regards (Frollo regarde le couple, alors que Phoebus indique une direction vers un autre espace, créant une tension vers un hors-champ situé sur la droite du cadre – tension qui est reprise par Frollo lui-même désignant la même direction mais avec un geste nettement plus menaçant), qui produisent une lisibilité et témoignent du soin apporté à la mise en scène dans Notre-Dame de Paris35. Celle-ci est encore rehaussée par les coloris appliqués au pochoir, qui, en plus d’offrir un effet esthétique, accentuent les contrastes entre les personnages (la noirceur de Frollo face aux couleurs vert et rouge du couple). Les pochoirs contribuent aussi à mieux faire ressortir les comédiens de la profondeur des décors.

23 Loin de l’autonomie du tableau précédent, la série suivante est organisée en fonction de quatre espaces contigus situés autour de l’auberge : il y a d’une part la vitrine sur la rue, d’autre part la salle où sont attablés les clients, elle-même surplombée par un petite pièce où se rendent Esméralda et Phoebus, avec, adjacente, une sorte de remise

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avec une fenêtre donnant sur la rue. Cette suite de cadres correspond à un système d’alternance complexe jouant sur le déplacement et le regard des personnages. Seul un cadre n’est pas répété : permettant la jonction entre la chambre et la rue, il donne à voir l’espace, une sorte de remise, où Frollo pénètre pour commettre son dessein meurtrier. Frollo s’y déplace, approchant la porte de la pièce abritant les amours de Phoebus et Esméralda. Il entrebâille la porte sur la gauche et son visage est alors vivement éclairé. Frollo par la porte entrebâillée assiste aux amours du couple. Ce plan témoigne ainsi du jeu subtil sur l’éclairage, ici soulignant de manière dramatique la jalousie du personnage36. Ces différences d’éclairage contribuent par ailleurs à distinguer ces quatre espaces, à en assurer la lisibilité et, dans le cas présent, à intensifier la charge dramatique.

24 Dans cet extrait, le passage d’un plan à un autre se fait suivant le déplacement des personnages. L’enchainement peut au besoin se faire sur un mouvement qui se poursuit d’un plan à un autre donnant parfois une impression très nette de continuité : lorsque la tenancière de l’auberge découvre le corps de Phoebus près d’Esméralda, elle court chercher les soldats. Ces derniers arrivent devant la devanture de l’auberge, la tenancière pointe du doigt l’emplacement de la chambre. Les soldats passent dans la salle de l’auberge en empruntant l’escalier au fond avant de saisir Esméralda : les trois plans s’enchaînent suivant le déplacement des soldats. La précision tant de la mise en scène que du montage insiste sur l’arrestation inéluctable d’Esméralda.

25 Si certains plans sont relativement brefs, d’autres peuvent par contre ne craignent pas de durer, constituant de véritables plans-tableaux, notamment ceux situés sur la devanture. Peu après que Phoebus se soit attablé dans la salle, arrive Frollo. Il regarde la vitrine et se cache précipitamment sur la droite. La vitrine est située selon un axe relativement incliné, établissant une légère diagonale. Esméralda survient à son tour, s’approche de la porte, repart sur la gauche de manière à voir l’intérieur par la vitrine. Frollo se glisse entre elle et la porte, voilant sa face avec les manches de son habit. Il découvre son visage, lui exprimant ainsi son courroux, et s’interpose. Il lui prend la main, tente de la saisir et de l’embrasser, elle se débat et recule. Remarqué par la tenancière, qui ouvre la porte, Frollo se cache et laisse passer Esméralda qui entre. Un pareil plan comporte ainsi plusieurs moments et s’appuie sur le mouvement mimique et même chorégraphique des comédiens : leur déplacement oppose explicitement l’un à l’autre, alors que se lisent différents sentiments sur le visage de Frollo : si le premier sentiment est celui de la réprobation, il cède le pas au désir avant de manifester la crainte d’être pris sur le fait. Si ce plan est le plus long de l’extrait (1 min 34 à 16 i/s), il sera complété par un même cadre, quelques instants plus tard, Frollo désignant la chambre où est le couple en faisant un geste négatif vers le haut, avant de sortir un poignard de sa poitrine et de commencer à grimper le long de la façade. Par ses quelques gestes amples, son projet criminel est clairement énoncé.

26 Loin de nuire à la cohérence narrative, cette cohabitation de plans longs avec d’autres plus brefs se développe en fonction de la nature des informations à transmettre au spectateur : un plan court convient parfaitement pour une “simple” action alors que les sentiments des personnages nécessitent souvent des développements plus longs, fondés sur leur gestuelle et leur déplacement. Cette limitation est renforcée par la conviction largement partagée que le cadre fonctionne suivant les règles du tableau, ainsi que le formule E. Kress dans l’une de ses conférences destinées à promulguer les règles techniques et esthétiques du cinématographe :

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« L’acteur, l’opérateur et le metteur en scène doivent avant tout se représenter que l’écran est comme limité par un cadre et que c’est dans les limites de ce cadre que doit évoluer une action qui ne peut être affranchie des règles esthétiques de l’art pictural37. »

27 Si cette recommandation est largement suivie, elle n’est manifestement pas absolue, démontrant la grande diversité des possibilités offertes aux metteurs en scène comme Capellani. Dans un moment marqué par son unité dramatique cohabitent donc plans longs et brefs. Les premiers permettent le déploiement d’une gestuelle poussée alors que les seconds assurent une continuité tant narrative, temporelle, que spatiale.

28 Ce constat basé sur l’analyse d’un film, fut-ce Notre-Dame de Paris, mériterait d’être déployé sur un corpus plus important. Il conviendrait en effet de mieux saisir si l’usage de plans relativement brefs et le déploiement de stratégies de montage basées sur une contiguïté spatiale est largement répandue. Actuellement et face au cinéma des années 1910, on ne peut qu’être frappé par la richesse des stratégies narratives et stylistiques à la disposition des cinéastes, comme en atteste les études menées par David Bordwell, notamment sur le style de Feuillade38, ou celles de Ben Brewster et Lea Jacobs39, qui insistent sur la prépondérance d’un style de jeu basé sur la succession de pauses dans des cadres-tableaux. Il conviendrait dans cette perspective de mieux saisir si les films de Capellani, dont les projections récentes au « Cinema ritrovato » de Bologne ont suscité l’admiration générale, se distinguent tout particulièrement de la production courante. Il conviendrait ainsi de mettre en regard certains moments tout à fait exceptionnels, comme ce plan de la fuite de Frollo poursuivi par Quasimodo : le plan s’ouvre sur le dos de Frollo, activant ainsi le hors champ de la caméra, pour découvrir l’espace de sa fuite. Son avancée dans la profondeur fait évoluer le plan d’un cadrage rapproché à un plan d’ensemble. Dans ce plan bref, mais saisissant, se révèle la maîtrise, exceptionnelle, d’Albert Capellani.

NOTES

1. Richard Abel, The Ciné Goes to Town. French Cinema 1896-1914, Berkeley, Los Angeles, California University Press, 1994. 2. Cet effort est aussi attesté par la présence de deux pages publicitaires dans Ciné-journal (n° 167, 4 novembre 1911, pp. 36-37) qui annonce Notre-Dame de Paris comme étant un « chef d’œuvre cinématographique tiré du chef d’œuvre de Victor Hugo » et qui n’omet pas de nommer tous les prestigieux théâtres auxquels appartenaient les interprètes désignés comme « l’élite des artistes » : Mlle Napierkowska, de l’Opéra (La Esméralda), MM. Krauss, du Théâtre Sarah- Bernahrdt (Quasimodo), M. Garry, de la Comédie française (Claude Frollo), Alexandre, de la Comédie française (Phoebus). 3. Fernand Schaub, « CinémaTOGRAPHE. Une grande soirée organisée à l’occasion du soixante- quinzième anniversaire de la première séance publique de cinéma », Radio TV je vois tout, n° 52, 24 décembre 1970, pp. 24-25 et 46 (« Programme du jour »). 4. Conversation téléphonique, août 2012.

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5. Elle est malheureusement certainement lacunaire : son métrage est de 706 mètres contre 810 annoncés. 6. Georges Sadoul, Histoire générale du cinéma, Paris, Denoël, 1946-1954, 5 tomes. 7. Freddy Buache et Jacques Rial, Les débuts du cinématographe à Genève et Lausanne 1895-1914, Lausanne, Cinémathèque suisse, 1964 (Documents de cinéma 5), p. 61 et 108. [réédition : Infolio, Gollion, 2011]. 8. Tribune de Lausanne, 3 novembre 1911 et 7 novembre 1911. 9. Elle accueillait alors 112 sièges. Elle est transformée en 1913 pour devenir le Palace, une salle de 377 places. Voir : François Langer, Per artem probam ad lumen. Les débuts de l’exploitation cinématographique à Lausanne 1896-1930, Mémoire de licence, Université de Lausanne, Faculté des Lettres, 1989 ; Gianni Haver, Les lueurs de la guerre. Ecrans vaudois 1939-1945, Lausanne, Payot, 2003, p. 74. 10. Les représentations scéniques, irrégulières, ayant lieu le soir, l’après-midi est dédié au cinéma. Les soirées sans spectacles vivants sont aussi dévolues à la présentation de films. 11. Il est inauguré le 1er décembre 1911 avec Rêve noir [Den sorte Drøm], avec Asta Nielsen, ainsi que le film Éclair Le poison de l’humanité. Voir mon article « Asta Nielsen in the cinema theatres of Lausanne, 1911-1914 », dans Martin Loiperdinger (éd.), Importing Asta Nielsen, à paraître chez John Libbey en 2013. 12. Des restrictions similaires furent imposées aux forains, qui se virent refuser l’accès aux places habituelles, dès 1912, sous prétexte des dangers liés aux installations de projection. 13. De nombreux articles parus dans la presse témoigne de la vigueur des débats suscités par la visibilité accrue du cinéma. On discute ainsi du bien fondé d’en limiter, ou non, le nombre. Cf. La rédaction, « Un quatrième cinéma permanent », Lausanne Plaisirs, n° 49, 24 août 1912 ; « Le Conseil d’Etat et les cinématographes », Le Nouvelliste vaudois, 14 novembre 1913. 14. Roland Cosandey, François Langer, « Le Théâtre Lumen de Roth-de Markus : défense et illustration du cinéma-tographe (Lausanne, 1908-1912) », Equinoxe, n° 7, 1992, pp. 45-61. 15. La Semaine à Lausanne, n° 142, 27 mai au 3 juin 1911, [pp. 15-16]. 16. « Une protestation », in : Tribune de Lausanne, 8 mai 1912, p. 2. 17. Tribune de Lausanne, 1er / 2 / 3 / 4 / 5 / 7 / 8 novembre 1911 ; Feuille d’avis de Lausanne, 3 / 4 / 6 / 7 / 8 novembre 1911. Les annonces du Lux dans la Gazette de Lausanne ne comportent par contre que le titre, sans autre qualificatif, mais l’annonce voisine avec celle du Lux. Le lettrage est sensiblement supérieur que pour les autres titres mentionnés (Leçon d’anatomie ; La vierge d’Argos). 18. Tribune de Lausanne, jeudi 2 novembre 1911. On trouve le même texte dans un quotidien de la ville, amputée de la première phrase : Feuille d’avis de Lausanne, jeudi 2 novembre 1911, p. 15. 19. Feuille d’avis de Lausanne, vendredi 3 novembre 1911, p. 23. 20. « Notre-Dame de Paris [Document d’archives] : scénario (résumé conforme à la vue) avec photogrammes », BNF, Richelieu, Arts du spectacle, cote : 4 – Col – 4 (5469). Version numérisée : IFN-6403176. 21. Feuille d’avis de Lausanne, lundi 6 novembre 1911, p. 19. 22. Cet hebdomadaire est consacré aux spectacles à l’affiche à Lausanne, ainsi qu’à ce que nous appellerions aujourd’hui les activités de loisirs. 23. « Le goût du public », Le Nouvelliste vaudois, 8 juillet 1913. 24. Voir note 18. 25. « Chronique judiciaire. Les spectacles cinématographiques », Feuille d’avis de Lausanne, samedi 25 novembre 1911, p. 20. 26. « Le cinématographe dangereux », Le Nouvelliste vaudois , 20 août 1912, p. 1. Traitant de l’initiative des autorités scolaires à Bienne qui demandent aux parents d’interdire l’accès des cinémas à leurs enfants, l’article souligne à la fois les possibilités éducatives du cinématographe et les dangers moraux qu’il représenterait. Il en appelle davantage à une responsabilisation des entrepreneurs de cinéma qu’à un encadrement législatif renforcé. Dans le Canton de Vaud, les

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autorités adoptent en 1913 un arrêté permettant le renforcement des mesures destinées à assurer la sécurité matérielle des spectateurs. 27. Tony d’Ulmes [pseudonyme de Berthe Rey], « Réformons le cinéma », Lausanne-Plaisirs, n° 40, 22 juin 1912. 28. Idem. 29. Lausanne-Plaisirs, n° 20, 3 février 1912. Projeté entre 16 et 18 images par seconde, ce métrage équivaut à une durée variant entre 49 et 55 minutes. 30. Eric de Kuyper, « Le cinéma de la seconde époque. Le muet des années dix », Cinémathèque. Revue semestrielle d’esthétique et d’histoire du cinéma, n° 1, mai 1992, pp. 28-35 ; « Le cinéma de la seconde époque. Le muet des années dix (2) », Cinémathèque. Revue semestrielle d’esthétique et d’histoire du cinéma, n° 2, novembre 1992, pp. 58-68. En rejetant le terme de transition, Kuyper insiste sur les caractéristiques de ces films sans les réduire à un passage d’un avant et un après, ce qui en gommerait les qualités propres. 31. Outre les travaux de R. Abel et E. de Kuyper, il conviendrait de mentionner ceux de, Ben Brewster, Lea Jacobs, David Bordwell, Kristin Thompson, Barry Salt, Roberta Pearson, Tom Gunning, entre autres. 32. « It has extracted a connected narrative from a rambling work of fiction. » dans l’article : « Notre-Dame de Paris. Reviewed by Louis Reeves Harrison », Moving Picture World, n° 10, 16 décembre 1911, pp. 884-885, consulté sur le site http://archive.org/stream/ moviwor10chal#page/ n887 / mode / 1up, le 5 octobre 2012. 33. Je traduis peu littéralement les termes « so much better preserved ». On notera aussi que Louis Reeves Harrison le compare à d’autres adaptations qu’il aurait vues, sans les nommer. Il s’agit peut-être d’Esmeralda (1906, prod. : Gaumont [attribué parfois à Alice Guy]), The Hunchback (1909, Vitagraph) ou Hugo the Hunchback (1910, Selig Polyscope). Voir : CinémAction, n° 119 (Le Victor Hugo des cinéastes), 2006, pp. 261-262. Le roman Notre-Dame de Paris avait été adapté en 1836 par Hugo lui-même en un libretto d’opéra La Esmeralda. Le roman avait été repris en 1850 par Paul Foucher pour devenir un « drame en cinq actes et douze tableaux » au Théâtre de l’Ambigu Comique. En 1907, cette version avait été reprise au théâtre de la Porte Saint-Martin (cf. Le Temps, lundi 1er février 1907, p. 1). 34. Cette orientation en strates dans le même cadre est une constante de ce film, comme dans la scène durant laquelle Quasimodo est sur le pilori (fig. d) : Quasimodo est relativement incliné, alors que son maître, Frollo au centre du cadre, regarde Phoebus et Esméralda, eux-mêmes dans situés au bas du cadre dans une position nettement plus proche de la caméra. 35. On retrouve ici des aspects clairement identifiés par Brewster et Lea Jacobs dans : Theatre to Cinema. Stage Pictorialism and the Early Feature Film, Oxford, Oxford University Press, 1997. 36. Un même type d’éclairage est déployé quand Frollo et Quasimodo regarde dans la direction du lieu où Esméralda est suppliciée. Le hors champ est la source d’une lumière vive. Cette vision provoque une réaction immédiate chez Quasimodo qui va se lancer à la poursuite de Frollo. 37. E. Kress, Conférences sur la cinématographie, Paris, Charles Mendel, s.d. [1912], vol. 1, p. 111. 38. David Bordwell, Figures Traced in Light. On Cinematic Staging, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of California Press, 2005. Une partie a été traduite : « Feuillade ou l’art du récit », Cahiers du Musée national d’art moderne, n° 112-113, été 2010, pp. 206-237 : 39. Op. cit. On lira aussi l’analyse de Ben Brewster sur Germinal : « Germinal and film acting » : http://uwfilmies.pbworks.com/w/page/4660024/Germinal-1913 (consulté le 11 octobre 2012).

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AUTEUR

PIERRE-EMMANUEL JAQUES Pierre-Emmanuel Jaques. Responsable de recherche (Section d’histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne) dans un projet de collaboration avec la Cinémathèque Suisse destiné à développer l’analyse et la valorisation des collections, Pierre-Emmanuel Jaques a contribué aux ouvrages Le spectacle cinématographique en Suisse (1895-1945) (2003) et Schaufenster Schweiz. Dokumentarische Gebrauchsfilme 1896-1964 (2011).

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Notre-Dame de Paris À propos de la copie de la Cinémathèque euro-régionale. Institut Jean- Vigo de Perpignan

François Amy de la Bretèque

Remerciements à Jacques Verdier, Julien Avet, (IJV), Eric Le Roy, Fereidoun Mahboubi (AFF), Pierre-Emmanuel Jaques (UNIL).

1 A la fin de l’année 1980, Marcel Oms réussissait le plus gros « coup » de ce qui était alors la collection de films de l’Association Les Cahiers de la Cinémathèque, « section catalane » de la Cinémathèque de Toulouse1. Il retrouva et acheta un lot de bobines chez un antiquaire héraultais. Cette collection appartenait à Justin Bardou, héritier d’une dynastie d’industriels fabricants de papiers à cigarette2. Il comportait un appareil de projection et un lot de 200 bobines de films datant de 1904 à 1918 dont 173 Pathé- Kok en 28 mm. L’appareil était en état de marche et les vieux compagnons de Oms se souviennent avec émotion d’avoir découvert ces films en format d’origine, projetés avec une lumière tremblotante et en taille réduite3 sur l’écran de la salle Jean-Claude Rolland du Palais des Congrès. L’auteur de ces lignes en était. C’est ainsi que nous redécouvrîmes le Monte Cristo de Henri Pouctal (60 bobines à lui seul) ou le Don Quichotte de Ferdinand Zecca. Cette trouvaille fut à l’origine du quatrième colloque de l’Institut Jean Vigo « les premiers ans du cinéma français » (1984), qui donna en France un écho au mythique congrès de Brighton de 19814. La collection comptait 72 titres dont certains uniques, et, sauf erreur de ma part, le Notre-Dame de Paris de Capellani, qui en faisait partie, passait alors pour un film perdu. Il existait, ou existe aujourd’hui, d’autres copies ailleurs dont ce numéro de 1895 parle.

2 L’archive perpignanaise fit réaliser une copie 16 mm au Laboratoire cinématographique Jean-Paul Boyer à Redessan près de Nîmes5. Devenue la Cinémathèque euro-régionale Institut Jean-Vigo, celle-ci décida de déposer les originaux parmi lesquels, toujours, le film de Capellani, aux Archives françaises du film le 31 octobre 2003.

3 Le projecteur Pathé-Kok figure désormais comme une des pièces majeures de la collection d’appareils qui font l’objet d’une exposition permanente dans les locaux de l’Arsenal à Perpignan.

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4 Vincent Pinel signale que cet appareil de projection n’était pas à la portée de toutes les bourses et qu’il « rencontra un bon succès auprès des amateurs fortunés ou des groupements pratiquant, avant la lettre, le cinéma non commercial »6. Il faut imaginer le fabricant de papier réunissant, peut-être, son personnel pour des projections à but éducatif autant que divertissant…

5 L’existence dès 1912 d’une copie au format Pathé-Kok atteste l’existence d’un public familial pour ce film et en oriente donc la lecture. Nous y viendrons plus bas, pour l’instant il faut commencer par décrire la copie dont nous parlons qui représente un objet historique ayant eu une existence publique réelle.

Description de la copie

Voici ce que porte le bordereau d’entrée n° 946504 du SAF :

Lot de boites « PATHE KOK » — format 28 mm — Bobines sous carter 120 m — Étiquettes écrites à

la main

Notre dame de Paris 1 – 118 m

Notre dame de Paris 2 – 119 m

Notre dame de Paris 3 – 119 m

Notre dame de Paris 4 – 120 m

Notre dame de Paris 5 – 122 m

6 Le total du métrage est donc de 588 m (soit 297 m dans le transfert en 16 mm, ce qui correspond à une durée de projection de 26 minutes à 24 images / seconde). Or, le Bulletin Pathé n° 39, reproduit par Henri Bousquet7, indique : 810 m dont 709 en couleurs. On devrait en conclure que la version Pathé Kok a été l’objet d’un condensé.

7 Or, la copie conservée à la Cinémathèque de Saint Etienne qui a été le support de la restauration en 35 mm des Archives françaises du Film a une longueur de 725 m. Ce métrage ne correspond pas non plus à celui qui est indiqué dans le Bulletin Pathé. Mais la chose n’est pas rare, soit que le Bulletin fournisse des indications erronées, soit que la copie retrouvée ne soit pas celle qui était proposée en distribution à la sortie.

8 Selon les AFF, l’écart de longueur entre la copie de Saint Etienne et celle de Perpignan n’est pas synonyme d’un écart de durée, car la durée de projection est quasi identique, ce que suffit à expliquer la différence des formats8.

9 La copie de la Cinémathèque suisse dont Pierre-Emmanuel Jaques parle dans ce numéro est un peu plus courte (695 m) mais il s’agit par contre d’une copie avec des appliques au pochoir9. La seule chose que l’on peut conclure de cet examen archivistique est que Notre-Dame de Paris nous est parvenu dans des versions d’origines différentes visant des publics différents mais sans que cela induise un écart significatif entre celles-ci. Le Bulletin10 donne le résumé suivant :

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Esmeralda, la Bohémienne, attire l’attention de l’archidiacre, Claude Frollo. Il demande à son sonneur, Quasimodo, de l’enlever mais elle est sauvée par le beau Phébus. Ce dernier donne rendez-vous à Esmeralda dans un cabaret louche. Frollo le poignarde et accuse Esmeralda. Mais au moment d’être pendue, Quasimodo l’enlève et l’emmène dans la cathédrale où le droit d’asile la met à l’abri. Frollo découvre la jeune femme et furieux de son refus la rend au bourreau. Et alors qu’ils assistent lui et Quasimodo à son supplice, le sonneur précipite Frollo du haut des tours11. Dans la copie que nous étudions, ce « scénario » se transcrit dans le découpage que voici :

Liste des tableaux et de leurs titres

0 – Titre Notre-Dame de Paris 1 – La cour des miracles. La danseuse Esmeralda est la reine des truands. On la voit danser dans un décor intérieur puis portée en triomphe sur une table. (une seule prise de 19 mètres) 2 – Dans les tours de Notre-Dame de Paris. L’archidiacre Claude Frollo en compagnie du sonneur Quasimodo se livre à des expériences d’alchimie. Frollo trafique dans un logis où l’on voit, entre autres, un globe terrestre, un crâne, un sablier. Quasimodo somnole sur le sol à ses pieds ; à son injonction, il va prendre un vase puis va pour se recoucher, mais se relève et fait comprendre par sa mimique qu’il doit aller accomplir son office. Changement de plan : on le voit tirer les cloches dans son réduit. 3 – La Esmeralda, accompagnée de sa chèvre savante, danse pour gagner sa vie sur le parvis de Notre-Dame. Une prise en plan large. Une foule de figurants encadre la danseuse12. 4 – Claude Frollo attiré par le bruit du tambourin aperçoit la Esmeralda. Deux plans sur la galerie, Quasimodo dans le second 5 – Claude Frollo dans l’intention de s’emparer de la Esmeralda la fait voir au sonneur Quasimodo. Sur le parvis, deux plans : danse d’Esmeralda, mendiants et infirmes au premier plan / Frollo survient, la sermonne, elle s’en va. 6 – Suivie, à son insu, par l’archidiacre et son sonneur, la Esmeralda fait la rencontre du beau Phébus capitaine des archers du roi. Un coin de rue, une seule prise. 7 – Sur l’ordre de Claude Frollo Quasimodo veut enlever la Esmeralda, mais il est empêché par Phébus. Mêlée un peu confuse, Quasimodo arrêté, Esmeralda reste avec Phébus à la fin du plan. 8 – Reconnu coupable d’agression et de rapt, Quasimodo subit le supplice du pilori. Foule au premier plan, Esmeralda parmi les spectateurs, Phébus à cheval la dépasse d’une tête. Quasimodo lié au pilori. Une seule prise. 9 – Émue des souffrances de Quasimodo, la Esmeralda a pitié du malheureux. Même cadre, on voit au fond la cathédrale dans la brume. 10 – Le capitaine Phébus, épié par l’archidiacre, donne rendez-vous à la Esmeralda à l’auberge de La Pomme d’Ève. Frollo les suit sans être vu, les amoureux viennent « à la rampe », Frollo sort du plan. Esmeralda et Phébus entrent, s’assoient, une servante s’adresse à eux. Raccord intérieur : Par une vitrine sur la rue, on voit Frollo qui épie l’intérieur. Plans alternés. Phébus et sa conquête montent à l’étage par l’escalier intérieur.

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Frollo monte à l’étage par l’extérieur. Baiser des amants. Frollo entre dans la chambre. Il poignarde Phébus qui agonise dans les bras de son aimée. Longue séquence de plus de 50 mètres découpée en neuf « plans » successifs 11 – La Esmeralda, condamnée par les apparences, est accusée d’avoir tué celui qu’elle aime. Autre séquence montée. Quatre plans : la chambre / La servante ouvre la porte et découvre le meurtre / On la reprend devant la façade, elle hèle des soldats / ceux-ci rentrent dans la chambre et arrêtent Esmeralda. 12 – Claude Frollo vient trouver la Esmeralda dans sa prison et, ne pouvant trouver les clés de son cœur, la couvre de sa haine. (Frollo a une croix de Malte sur la poitrine). Il essaie de l’embrasser, elle se débat. La chèvre est bien présente à l’image. Tableau long (15 mètres) 13 – Soumise à la torture, la Esmeralda finit par avouer le crime qu’elle n’a pas commis On la couche sur le chevalet, Frollo derrière avec plusieurs assistants. Il se détourne pour ne pas voir, se cache le visage et fait interrompre la Question, lui éponge le visage, se retourne et donne ordre de la délier. Elle tombe au sol. (tableau unique de 20 mètres) 14 – Pieds nus, cierge à la main, l’infortunée doit faire amende honorable sur le parvis de Notre- Dame avant d’être livrée au bourreau. Devant le porche. Arbalétriers, hallebardiers meublent l’espace. Esmeralda arrive en charrette et descend. On découvre Frollo derrière elle qui disparaît vers le fond. 15 – Quasimodo réussit à délivrer la Esmeralda et la fait pénétrer dans la cathédrale, lieu d’asile inviolable. Même cadre. Esmeralda est conduite « à la rampe », Quasimodo la saisit et part vers le fond, le porche de l’église. 16 – Quasimodo cache la danseuse dans le réduit qu’il habite dans la tour Nord. Allongée, la jeune fille se réveille, le sonneur hésite à franchir la distance qui le sépare d’elle puis il délie ses liens dans un geste assez érotique. 17 – Claude Frollo découvre la retraite de la Esmeralda. Sur la galerie de la cathédrale, espionnée par Frollo en cape et cagoule noires, Esmeralda s’enfuit / dans le réduit, empoignade ; survient Quasimodo, Esmeralda prend une pose impériale pour chasser Frollo / Quasimodo ramasse un poignard tombé sur le sol / retour sur la galerie. (3 plans, 25 mètres) 18 – Claude Frollo rend la Esmeralda au bourreau. Longue scène en plusieurs plans (6 plans, 20 mètres) sur la galerie Quasimodo tente d’arrêter un soldat / les soldats entrent dans le réduit et reprennent Esmeralda, en présence de Frollo qui ferme les volets (changement de lumière). Retour sur la galerie / reprise en bas, les soldats portent la jeune fille / Quasimodo se réveille sur la galerie, monte à la tour (escalier tout à gauche) / entre dans la salle des cloches où il retrouve Frollo. À partir de là, il n’y a plus d’intertitres. – 7 plans (15 mètres) condensant la fin de l’histoire : Supplice d’Esmeralda // lutte de Frollo et Quasimodo (montage alterné). Fuite dans la profondeur sur la galerie, lutte. Frollo jeté dans le vide, sa chute (en deux plans) Sur le parvis, la foule entoure son cadavre. Pas de carton FIN.

10 Il est clair déjà que l’adaptation du roman fleuve hugolien nécessitait, surtout dans ce faible métrage, une forte condensation, travail auquel s’est livré le scénariste Michel Carré13. Et cela, bien que le genre historique, comme l’a montré Philippe Azoury1414,

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fût – à la SCAGL en tout cas – celui qui conduisit à l’allongement du métrage des films. Le spectateur d’aujourd’hui doit naviguer entre ces deux appréciations : une adaptation qui semble une pilule fortement concentrée mais un film qui en 1911 a pu produire l’impression d’une longueur inusitée. Le film de Capellani dépassait largement la moyenne des métrages du genre15. Il faut admettre que ces productions de la SCAGL visaient à créer un effet de romanesque retrouvé quant à la durée.

11 J’ai commenté ailleurs 16 la signification que l’on peut accorder à ces coupures dans l’intrigue et mon propos ici ne portant pas sur l’adaptation, je ne m’y attarderai pas. Carré a procédé en gros à deux évacuations symétriques :

12 D’une part, tout ce qui touche à la sphère du pouvoir civil : le roi Louis XI, Tristan l’Hermite, etc., et la philosophie sur les époques de transition (« ceci tuera cela ») difficile à transposer en termes audiovisuels17.

13 D’autre part, tout ce qui concerne Pierre Gringoire à la Cour des Miracles, la fête des fous, le roi des gueux, les Truands à l’assaut de Notre Dame, c’est-à-dire les classes dangereuses.

14 Ajoutons-y ce qui dans le roman éclairait le destin d’Esmeralda : la recluse qui se révèle être sa mère et dévoile ainsi que la jeune fille n’est pas une Bohémienne mais une enfant enlevée.

15 Le film de la SCAGL visait un public large. Il se basa donc sur une version consensuelle de cette histoire : on n’y remet pas en cause le pouvoir légitime18 ni ses représentants. On évite également de montrer que le peuple peut devenir un danger incontrôlable pour l’ordre social (la Commune de Paris n’est pas si loin, l’Europe gronde de révoltes possibles). Quant à la Bohémienne, elle reste ce qu’on croit qu’elle est : son sacrifice final en sera peut-être moins difficile à faire accepter, d’autant que le film s’achève sur sa vengeance post-mortem. Le roman de Hugo se concluait sur un long épilogue. Le scénariste de 1911 comprend déjà qu’il faut finir sur un climax. La seule note qui pût introduire une fracture entre les publics était celle de la religion, Claude Frollo étant bien donné comme un homme d’Eglise dans le film. Mais j’ai souligné (dans une autre étude) que le réalisateur et ses techniciens ont bien pris soin d’effacer autant que faire se peut tous les signes religieux19.

16 Cette politique du consensus ne peut pas tromper sur l’idéologie qu’elle recouvre. Philippe Azoury écrit20 : « L’affirmation constante par la SCAGL d’un cinéma à la fois artistiquement » délicat », ” raffiné », tout en devenant » le spectacle favori de toutes les classes », ramène ce dernier aux sphères de la » culture populaire ». Il ne s’agissait pas, économiquement, de déplacer le cinéma sur les classes aisées, mais de l’étendre à l’ensemble des publics. (…) Le discours de la firme peut bien s’afficher sans ambiguïté, tout n’est pas si simple dès qu’il s’agit de mêler deux dimensions que rien n’oppose mais qui connaissent bien, pour les subir et les servir, les stratégies de manipulation d’une classe par l’autre ». Entendons que les maîtres du discours le restent et instrumentalisent à leur compte les archétypes de la culture populaire. C’est ainsi qu’il faudrait analyser ce scénario.

17 Vincent Pinel rappelle que « le format Kok correspond à une stratégie de conquête du public » et répète l’hypothèse historiographique traditionnelle : en 1912, les salles de cinéma, alors nouvelles, ne jouissent pas d’une bonne réputation et l’idée aurait été que « si certains publics craignent de venir dans les salles, le mieux est d’aller vers eux en pénétrant dans l’intimité de leur domicile »21. Il faut relativiser cette affirmation : les

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deux publics étaient conçus pour s’additionner et non pour s’exclure, comme l’atteste le fait que le film de Capellani sortit dans la salle de prestige, l’Omnia Pathé, dans la semaine du 10 au 16 novembre 191122. , rappelle Philippe Azoury, donnait pour objet à la SCAGL, pour la différencier du Film d’Art, d’« étendre le cinéma à toutes les couches de la société ». Il ajoute : « Cette extension doit pour assurer son succès, s’ancrer sur les habitudes populaires de la » haute époque » du cinéma : la pénétration du marché ne peut passer que par une adaptation »23.

18 La version Pathé Kok, qui s’adresse à un public plutôt privilégié mais familial, ne diffère pas fondamentalement, on l’a vu, des versions diffusées dans les salles de prestige mais pas non plus de celles des salles « ordinaires ». Il s’agit d’une sorte de digest du roman hugolien, assez comparable dans son intention comme dans son résultat aux éditions abrégées à destination pédagogique qui circulent encore aujourd’hui24. Les morceaux de bravoure, les passages incontournables sont sélectionnés, le reste éliminé au risque de fausser la vraie durée romanesque et son rythme.

19 Néanmoins, on est tenté de penser que des pratiques de raccourcissement des films existaient qui accentuent aujourd’hui l’impression d’une narration très elliptique, et que le public de 1912 (ou d’après) était susceptible d’accepter. Si l’on était prêt à admettre un digest en 810 m. (35 minutes) d’un roman de 800 pages, on pouvait l’être à approuver un super-digest de 695 ou de 588 m. J’avancerai cette hypothèse ci-dessous.

20 Comment fonctionnait donc ce digest du point de vue spectatoriel ? Les simplifications narratives repérées ci-dessus construisent un drame naturaliste archétypal sur le thème de la jalousie et autour de quatre figures seulement : Esmeralda, Frollo, Phébus, Quasimodo. Le récit se construit sur un retournement : un crime est commis au premier tiers, ce crime est vengé dans le dénouement. Encadrant ce premier schéma, un deuxième forfait (l’enlèvement de la Bohémienne par Frollo, désigné comme forfait principal par la construction25) est puni par l’épilogue, mais celui-ci est dysphorique. On peut reconnaître dans ces structures les « habitudes populaires » invoquées par Azoury26.

21 La narration avance assez bien quoique par à coups. Comment étaient gérées les ellipses qui sont parfois très fortes (entre 8 et 9 ou entre 17 et 18 par exemple) ? C’est une question classique pour le cinéma de cette époque. A moins de supposer la présence d’un « bonimenteur », peu probable à cette date (relativement tardive) et pour un film d’art27, il est plus vraisemblable que l’on s’appuyait sur la préconnaissance de l’histoire par un public informé, en particulier par les spectacles scéniques qui déjà actualisaient le roman hugolien.

22 Cependant, la gestion du (pré-) montage repose sur un mode narratif encore marqué par les « habitudes » antérieures. On est encore dans une esthétique des tableaux séparés par de grands vides. Ces vides, des intertitres pouvaient les combler28. On a vu qu’il y en avait 18 dans la copie étudiée. Il serait intéressant de savoir si ceux-ci sont spécifiques de la version Pathé Kok. Quoiqu’il en soit, leur dimension pédagogique est visible. Ces intertitres se présentent sous la forme d’annonce de ce qu’on va voir. Ils sont éventuellement chargés de combler des lacunes, comme le titre 8 qui suppose qu’il y a eu un jugement de Quasimodo auquel on n’assistera pas. Mais ils s’autorisent aussi des formulations « littéraires » : « ne pouvant trouver le chemin de son coeur… » (titre 12). Ils se chargent encore de donner des explications « encyclopédiques », comme cela

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arrive dans le roman historique : « [il] la fait pénétrer dans la cathédrale, lieu d’asile inviolable » (titre 15).

23 L’historien est frappé aujourd’hui par le caractère hétérogène du montage (si le terme peut être employé) au sein de ce film. Il y a un écart très important entre des scènes traitées en un seul tableau, conforme à l’esthétique des premiers temps, et d’autres passages découpés d’une façon qui paraît « moderne ». Relèvent de la première les tableaux 1, 3 (les deux scènes de danse), 13 (la salle de torture) : on est tenté de penser que leur sujet les tirait vers une esthétique des « attractions ». Les scènes de danse évoquent les « danses serpentines » du cinéma des premiers temps et le dernier tableau cité renvoie à un véritable sous-genre du cinéma des années 190029.

24 Ce sont surtout les scènes de la fin qui relèvent de la seconde catégorie au point que, on l’a vu, à partir de la violation de l’asile par les soldats, toute la fin peut se raconter sans intertitres, « toute seule » (13 plans en 35 mètres). Pourquoi cette différence ? Faut-il supposer une intervention postérieure, un remontage des derniers tableaux ? Ou est-ce que l’histoire étant bien lancée, elle peut ensuite se passer de l’intervention de l’énonciateur ?

25 Quoiqu’il en soit, ces raccourcis (volontaires ou accidentels, nous ne le saurons jamais) conduisent à une esthétique de l’ellipse qui finit par prendre une valeur en soi. La chute de Frollo est « montée » en deux plans : il bascule par-dessus la rambarde, et le plan suivant le reprend s’écrasant au sol30. La chute de l’ange du Mal qu’il incarne dans cette version devient métaphysique. Le temps s’y abolit dans le raccord, en inverse symétrique de la chute hugolienne dans laquelle elle prenait la dimension de l’éternité. Depuis quatre mille ans il tombait dans l’abîme. […] Il s’enfonçait dans l’ombre et la brume, effaré, Seul, et derrière lui, dans les nuits éternelles, Tombaient plus lentement les plumes de ses ailes. [..] Quelqu’un, d’en haut, lui cria : — Tombe ! Les soleils s’éteindront autour de toi, maudit ! — Et la voix dans l’horreur immense se perdit31.

NOTES

1. J’ai raconté cette histoire dans « De la collection à l’institution: Marcel Oms à l’Institut Jean Vigo », L’Humain de l’archive, textes réunis par Frédérique Berthet et Marc Vernet, Textuel n° 65, 2011, p. 73-79 (revue de l’UFR Lettres, arts, cinéma de l’université Paris Diderot) 2. Bardou était un entrepreneur à l’origine installé à Angoulême où il possédait l’usine de papiers à cigarettes « Le Nil ». En 1839 Joseph Bardou et son père créent à Perpignan leur atelier de façonnage de « cahiers français », des feuilles de papier à cigarettes reliées. Il dépose le premier brevet de ses cahiers sous le nom de ses initiales J et B entre lesquelles il place un losange, symbolisant la ville de Perpignan. Les utilisateurs liront « JOB » et jusqu’à nos jours on désigne la famille et l’entreprise sous le nom Bardou-Job, ignorant que ce second mot n’a jamais été un nom de famille. Il fit fortune (sa famille acheta trois châteaux dans le Roussillon) ce qui explique qu’il

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ait acquis cet appareil et sa collection de films. Source: http://histoireduroussillon. free. fr consulté le 11 septembre 2012. 3. Vincent Pinel explique que « le manuel de Kok conseille de ne pas dépasser une image projetée de 60x80 cm et il est en effet difficile d’aller au-delà de ce très modeste format d’écran compte tenu du médiocre rendement de la lampe à incandescence: avec la dynamo on doit tenir une fréquence de projection élevée pour obtenir une luminosité acceptable! »: « Le Salon, la chambre d’enfants et la salle de village: les formats Pathé » », dans Jacques Kermabon, Pathé, premier empire du cinéma, Centre Pompidou / 1er siècle du cinéma, 1994, p. 198. 4. Voir la publication qui suivit: Les Premiers ans du cinéma français, sous la dir. de Pierre Guibbert, Perpignan 1985. 5. C’est à lui qu’Henri Langlois s’était adressé pour faire réaliser un premier contretype des films Lumière, format dans lequel les nouveaux historiens redécouvrirent ce corpus. 6. Vincent Pinel, loc. cit. 7. Henri Bousquet, Catalogue Pathé des années 1896 à 1914, Années 1901-1911, Henri Bousquet éd. 1994 n° 4516 p. 447-448. 8. Les AFF-CNC ont restauré le film de Capellani Notre-Dame de Paris (1911) sur support 35 mm safety à partir d’un positif muet 35 mm nitrate déposé par la Cinémathèque de Saint-Etienne. La Cinémathèque française a 2 négatifs images nitrate et 1 positif muet PATHEORAMA (métrages non renseignés) et quelques éléments intermédiaires; et il y a bien sûr le positif muet de Saint- Etienne. Mais attention, la différence de longueur est probablement liée aux formats en question. Votre copie 28 mm dure 36 minutes, et la copie restaurée 35 mm dure 35 minutes! » (l’écart de durée que l’on relève avec les chiffres que j’indique pour la copie de Perpignan vient du rythme de projection: 18 i / s au lieu de 24 i / s.) (source: AFF) 9. Merci à Pierre-Emmanuel Jaques. 10. Cité par Henri Bousquet, op. cit. qui ne précise pas, cependant, s’il reproduit le texte du dépôt légal ou celui du Bulletin Pathé (cf la Préface où il liste ses sources). 11. Cité par Henri Bousquet, loc. cit. 12. Laurent Mannoni, dans son étude sur les décors de la SCAGL, indique que celui de ce film faisait 10 m sur 18 m et qu’il y avait 65 acteurs et figurants: La Firme Pathé Frères 1896-1914, sous la dir. de Michel Marie et de Laurent Le Forestier, Actes du Congrès Domitor 1999, AFRHC, 2006, p. 65. 13. Philippe Azoury, « L’Invitation à l’art », dans La Firme Pathé Frères 1896-1914, op. cit., p. 92: « Le genre historique (…) est plus le symbole d’une certaine idée du film d’art qu’un réel atout [commercial] pour la SCAGL. Or, les métrages démontrent que si l’on devait désigner un genre ayant spécifiquement servi à l’émergence du long métrage, ce serait précisément celui-là. ». 14. Michel Carré avait écrit pour le théâtre la pantomime L’Enfant prodigue. Gaumont l’adapta en 1907 ce qui fournit à Carré l’opportunité de devenir scénariste pour le compte de la SCAGL, pour laquelle il travailla jusqu’en1916. Laurent Le Forestier dans Richard Abel (éd.), Encyclopedia of Early Cinema, London & New York, 2005, p. 105. 15. François Amy de la Bretèque, L’Imaginaire médiéval dans le cinéma occidental, éditions Honoré Champion, Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge, 2004, p. 872-873. 16. Voir le tableau des métrages que le même Azoury donne dans son DEA.: en 1911 la moyenne est de 320 m pour les séries historiques contre 236 m pour le drame, 191 m pour les séries comiques. Les séries historiques ont toujours le métrage le plus long et il atteint 1925 m en 1914. Les Miroirs de la dispersion: la SCAGL, exemple pour une archéologie du vocable « film d’art », DEA sous la direction de Michel Marie, Paris 3, 1995, p. 66 17. Dans le film, aucune date n’est donnée non plus qu’aucune référence historique (du type: « au temps du roi Louis XI » ou même « au Moyen Âge ».) 18. Louis XI au cinéma est plus souvent un personnage positif que négatif, même si non dépourvu d’ambiguïté; je renvoie à mon article « Louis XI personnage de cinéma » dans Bien dire et bien

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aprandre, Revue de médiévistique, Lille, Centre d’études médiévales et dialectales de Lille 3, n° 27, 4e trimestre 2010, p. 317-335. 19. L’Imaginaire médiéval…, loc. cit. 20. Actes de Domitor, op. cit., p. 92-93. 21. Vincent Pinel, op. cit., p. 197. 22. Henri Bousquet, loc. cit. 23. Philippe Azoury, « L’Invitation à l’art », dans Actes du Congrès Domitor, 1999, op. cit., p. 90. 24. Par exemple, les « classiques abrégés » de l’Ecole des loisirs dans les années 1980. Le manifeste de la série précisait: « cette série se propose de rendre accessible aux jeunes lecteurs les grandes œuvres littéraires. Il ne s’agit jamais de résumés, ni de morceaux choisis, mais du texte même, abrégé de manière à laisser intact le fil du récit, le ton, le style et le rythme de l’auteur; (…) on n’y sacrifie que les parties pouvant rebuter ces lecteurs ». 25. Le désir de Frollo pour la Bohémienne est indiqué dès les premières images et sa mort intervient dans le dernier tableau. 26. J’ai par exemple invoqué (op. cit., p. 873) la ressemblance d’aspect du Frollo du film, vêtu d’une cape noire et encagoulé, avec les malfaiteurs qui hantent le cinéma de cette époque jusqu’à Fantômas sorti deux ans plus tard. 27. J’ai évoqué ci-dessus par amusement l’hypothèse d’un Joseph Bardou bonimentant le film pour ses ouvrières; mais on peut fort bien supposer que dans les salons où trônait le Pathé Kok, le père de famille jouât ce rôle. 28. Pierre-Emmanuel Jaques me signale que dans la version restaurée de Lausanne a été rajouté un intertitre, ce qui porte son métrage à 706m. 29. Voir l’article de Philippe Azoury « Le regard et la loi, Les Martyrs de l’Inquisition », [film Pathé de Lucien Nonguet 1905], Cinémathèque, n° 13, printemps 1998, p. 23- 37. 30. Ce montage s’oppose aux chutes « étirées », à l’inverse exact de celle-ci, fréquentes dans le cinéma des premiers temps (par exemple Méliès, La Lune à un mètre). 31. Victor Hugo, La Fin de Satan, I, (1886).

AUTEUR

FRANÇOIS AMY DE LA BRETÈQUE François Amy de la Bretèque. Professeur d’études cinématographiques à l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Membre du Bureau de la Cinémathèque euro-régionale Jean Vigo à Perpignan, responsable éditorial de la revue Archives, François de la Bretèque a publié plus de 200 articles. Parmi ses ouvrages L’Imaginaire médiéval dans le cinéma occidental, éd Honoré Champion, Paris, 2004 ; Le « Local » dans l’histoire du cinéma (dir.), PULM, Montpellier, 2008 ; Les Cinémas périphériques dans la période des premiers temps / Peripherial Early Cinemas (dir.), Actes de 10e Congrès de Domitor 2008, Presses de l’Université de Perpignan, 2010.

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De l’écrit à l’écran : Les Misérables

Lucien Logette

« Je suis en train de refaire Shakespeare », disait Zecca à un ami qui l’avait trouvé la plume à la main sur un manuscrit : « Ce qu’il a passé à côté de belles choses, cet animal-là ! » (Siegfried Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, Paris, Flammarion, 2010, p. 321).

1 En 1912, Albert Capellani n’est pas le premier cinéaste à s’attaquer aux Misérables. Quinze ans plus tôt, la maison Lumière a déjà produit, dans sa série des « Transformations », où un même acteur multiplie les incarnations, un Victor Hugo et les principaux personnages des « Misérables » (présenté en juin 1898), dans lequel un comédien apparaît successivement, le temps des 52 secondes fatidiques, en Jean Valjean, en Mgr Myriel, en Javert et en Thénardier – ne manquaient que Fantine et Cosette… En revanche, il est certainement le premier cinéaste à avoir utilisé le roman de Hugo comme base d’une fiction : le premier film qu’il a signé seul, en 1906, Le Chemineau, n’est pas une adaptation du fameux roman de Jean Richepin, mais du livre deuxième, « La chute », de Fantine, première partie des Misérables. Adaptation drastique, réduisant 66 pages de texte à 6 minutes, mais l’essentiel y est : l’arrivée du vagabond chez l’ecclésiastique, le repas, l’installation dans la chambre, le vol nocturne des couverts en argent, la fuite, le retour entre deux gendarmes, le mensonge du prêtre, la contrition – sans que jamais ne soit évoquées l’identité des protagonistes ni l’origine du scénario. Car à quoi bon citer Jean Valjean et le bon evêque Myriel ? L’un et l’autre étaient d’ores et déjà des figures mythologiques, immédiatement reconnaissables par le public de 1906, qui apprenait Hugo à l’école.

2 Quant à la « jivaroisation » du roman, personne ne s’en offusquait. La première adaptation américaine un peu développée, réalisée en 1909 par J. Stuart Blackton et Van Dyke Brooke, ne comprenait que trois épisodes d’une bobine, chacun sur un personnage – dans l’ordre, Jean Valjean, Fantine, Cosette — donc que du concentré. De toutes façons, qui avait lu le roman à l’époque dans son intégralité ? Peu de lecteurs, pas plus qu’aujourd’hui sans doute.1 Hugo avait beau être une gloire nationale, la diffusion des Misérables ou de ses autres titres s’effectuait à travers des fascicules

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populaires, typographie serrée sur mauvais papier, qui consistaient surtout en un résumé d’où seuls émergeaient les épisodes marquants. Jusqu’à l’apparition du Livre de poche au milieu des années 50, l’édition la plus courante des Misérables était celle de la Bibliothèque Verte de chez Hachette, en deux volumes de 256 pages, version lyophilisée des 1800 pages originelles – réduction d’ailleurs bien faite, qui, débarrassant l’épopée de tous ses éléments non-romanesques, le transformait en une suite assez haletante d’événements (à l’exception du chapitre « Tempête sous un crâne », tunnel inévitable, sur lequel les jeunes lecteurs faisaient l’impasse).

3 Ce n’est pas attenter à la mémoire du père Hugo que de constater que Les Misérables est un roman difficilement lisible, interminable, encombré, aux péripéties extrêmement statiques, mal fichu et qui rassemble plus d’invraisemblances dramatiques que les feuilletons de Ponson du Terrail. Un éditeur recevant aujourd’hui un manuscrit – ou un producteur un scénario – contenant autant de croisements improbables, de coïncidences incongrues, de situations grossièrement pathétiques et de sentiments grandiloquents, le tout entrelardé de digressions, considérations morales, cours d’histoire et d’instruction civique et adresses diverses au lecteur, le renverrait sans commentaires à son auteur. Au mépris de toute logique, narrative et géographique, Hugo meut ses personnages dans quatre décors, Toulon, Montreuil-sur-Mer, Montfermeil et Paris, les fait se retrouver, s’ignorer ou se reconnaître sans autre justification que les règles du mélodrame, « croix de ma mère » et autres instruments du destin. Parmi dix exemples, que Javert, garde-chiourme à Toulon, soit nommé inspecteur à Montreuil lorsque Monsieur Madeleine-Valjean en est le maire, puis à Paris, où, au milieu du million des habitants de 1830, il va identifier précisément l’ancien bagnard devenu rentier, le perdre puis le côtoyer sur la barricade de la rue de la Chanvrerie, tient du miracle. Un miracle du même ordre que les apparitions du couple Thénardier, surgissant inopinément dans l’orbite de Monsieur Fauchelevent- Valjean (sans jamais l’identifier) à chaque fois que celui-ci change de domicile. Rarement un écrivain a autant joué les démiurges avec ses créatures.

4 Et pourtant, par-delà toutes les réticences raisonnables, « ça fonctionne ». Toute la troupe, des plus grands au plus petits, est entrée dans le panthéon des personnages éternels, et n’est pas près de le quitter – s’il y a eu autant d’adaptations cinématographiques et théâtrales (on attend pour 2013 le dernier avatar sous sa forme musicale, filmée par Tom Hooper), c’est bien parce que le bagnard rédimé, le policier intraitable, le cabaretier indigne ou le gosse des rues chantant sous la mitraille sont des archétypes, dont la démesure assure la pérennité. Plus besoin de crédibilité romanesque. Leur puissance est inusable, résistant à toutes les cuisines des scénaristes qui, depuis un siècle, ont succédé aux frères Capellani.

5 Si l’adaptation, l’année précédente, de Notre-Dame de Paris, du même Hugo, était relativement simple, étant données la taille du texte (600 pages) et la faible quantité de rebondissements – une fois le décor planté, les relations entre Claude Frollo, Quasimodo et Esmeralda suffisaient –, il n’en était pas de même pour Les Misérables, d’une autre stature. Il convenait de tailler dans la masse, afin d’obtenir un scénario suffisamment structuré. En définitive, l’exercice n’était pas tellement compliqué : d’abord, l’architecture imaginée par Hugo, en grandes parties clairement différenciées par le lieu et l’action, facilitait le découpage. Ensuite, il suffisait de supprimer tout ce qui ne concernait pas directement les personnages, à savoir, en termes de quantité, à peu près la moitié du roman.

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6 En effet, la lecture intégrale permet de saisir la manière dont l’auteur a fabriqué son texte. Dès qu’un événement l’y autorise – et il est certain qu’il imaginait les événements en fonction des éléments extérieurs qu’il allait pouvoir introduire –, Hugo peaufine le background d’un personnage ou étale sa documentation. Exemples : la scène fondamentale du vol de l’argenterie, qui compte dix-huit pages (dont quatre hors sujet, carrément intitulées « Détails sur les fromageries de Pontarlier ») est précédée de soixante-treize pages de présentation de Mgr Myriel, histoire, vocation, pratiques religieuses, etc., une véritable nouvelle à l’intérieur du roman. Pour une chute de deux pages – le sauvetage du baron Pontmercy par Thénardier, élément qui sera utilisé mille pages plus loin –, Hugo reconstitue dans le détail (quatre-vingts pages) la bataille de Waterloo. La fuite souterraine de Valjean et Marius, après la chute de la barricade, est annoncée par une histoire mondiale des égouts (trente-cinq pages), du Cloaca Maxima romain au réseau parisien de 1832. Une conversation surprise entre voyous de barrière (excellemment dialoguée) permet une digression d’une quinzaine de pages sur la formation de l’argot médiéval et l’importance du langage codé. Etc., etc.

7 On peut comprendre : même si l’on a aujourd’hui l’impression d’être devant un copié- collé de wikipedia, Hugo se voulait pédagogique auprès du lectorat populaire auquel il destinait son livre. Pourquoi ne pas lui offrir quelques bribes de connaissance supplémentaire, à une époque où l’instruction n’était pas la chose la mieux partagée ? Au moins cette construction en marqueterie avait-elle un avantage pour les adaptateurs : en dégraissant tout ce qui n’était pas narration pure, l’ossature était suffisamment solide pour soutenir le scénario.

8 Le film se présente comme une « épopée dramatique en quatre époques d’après l’immortel chef-d’œuvre de Victor Hugo », selon l’un des cartons du générique. 3400 mètres de pellicule, répartis presque équitablement – 1600 m les deux premières époques, 1800 les deux dernières – deux heures quarante de projection, plus ou moins selon la vitesse de déroulement adoptée. Quatre parties, respectivement intitulées « Jean Valjean », « Fantine », « Cosette 1821 », « Cosette et Marius 1832 »2, qui valent d’être examinées de plus près, afin de vérifier le travail d’adaptation effectué.

Jean Valjean

9 Capellani entre immédiatement dans le vif et remet en place la chronologie bousculée par Hugo : le héros apparaît tardivement dans le roman, lorsqu’il cherche un gîte et s’invite chez l’évêque, et son passé – le vol d’un pain, les années de bagne, la libération — n’est évoqué qu’en un court flashback, de façon assez innovante. Sur l’écran, il cherche du travail pour aider sa mère, vole pour la nourrir et, coincé par les villageois, la voit mourir dans ses bras. L’incarcération à Toulon, le quotidien du bagnard, les fers, le dortoir3, les matraques des matons, le tirage au sort des tentatives d’évasion donnent lieu à une présentation très juste et à de belles scènes d’extérieur – celle, par exemple, de l’énorme pierre soulevée par Jean Valjean, sous l’œil de Javert. Rapidité, clarté, invention : Capellani montre Valjean réussissant à s’évader, ce qui ne figure pas dans le roman, extrêmement elliptique sur l’épisode toulonnais. Ce qui lui permet d’introduire un carton : « Le premier échec de Javert », qui justifie l’obsession future du policier.

10 Les séquences chez Mgr Myriel sont moins convaincantes ; outre le sulpicianisme de la présentation, l’évêque dégoulinant de prévenance (caractéristique que le personnage conservera d’une version à l’autre), et la disproportion insistante entre les manières de

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table du prélat et celles du bagnard, le filmage frontal en plan fixe est lassant. Quant à la longue scène du vol des couverts et de la fuite nocturne, du retour avec les gendarmes et de leur déconfiture, elle est pour l’essentiel reprise du Chemineau. L’absolution délivrée par l’évêque et l’étonnement de Valjean n’échappent pas à l’emphase. Mais Hugo lui-même y sacrifiait et ses pages sur la sainteté en action frôlent la pire bondieuserie. Un détail neuf chez Capellani : Myriel donne à l’ex-bagnard une lettre de recommandation pour son frère, industriel à Montreuil-sur-Mer, justifiant ainsi le déplacement de l’action – dans le roman, Valjean y arrive par hasard et Hugo oublie de préciser comment il y devient industriel…

11 Un épisode négligé par Capellani : celui de Petit-Gervais et de sa pièce tombée sur laquelle Valjean pose le pied, élément pourtant fondamental (c’est à cause de ce « vol » que, dans le roman, la justice persistera à le poursuivre). Aucune des versions suivantes, de Henri Fescourt à Robert Hossein, n’oubliera le petit ramoneur. Sur le plan des interprètes, si Léon Bernard (Myriel) est prisonnier de son rôle, tout en onctuosité, Henry Krauss (Valjean) et Henri Étiévant (Javert) sont impeccables, puissants, sans effets gesticu-latoires, comme ils le demeureront au long des quatre épisodes – mais on peut noter que, dans toutes les adaptations des Misérables, les porteurs des deux rôles (Gabriel Gabrio / Jean Toulout, Harry Baur / Charles Vanel, Jean Gabin / Bernard Blier, etc.) se sont toujours affrontés avec sobriété (même Baur…).

Fantine

12 L’héroïne de la première partie du roman apparaît enfin, comme une simple ouvrière de l’usine de verroterie de Jean Valjean, devenu M. Madeleine, patron prospère et maire de la ville. Disparues les quarante pages qui décrivaient les conditions de sa « faute » et la naissance de son enfant, Cosette (en réalité Euphrasie !). Fantine cache sa condition de fille-mère et s’échine pour payer la pension de sa fille, placée chez les Thénardier, aubergistes à Montfermeil. Renvoyée par la contremaîtresse, elle est réduite à vendre ses cheveux pour vivre – Capellani oublie la longue descente dans l’abîme de la prostitution, décrite dans le détail par Hugo, mais invente une belle scène où Fantine, moquée par ses ex-collègues, déclenche une bagarre dans la rue devant l’usine. Avec, pour une fois, des figurants en nombre : les bagnards de Toulon exceptés, il n’y avait eu, jusqu’à présent, que les principaux protagonistes dans les plans. Cadrage, profondeur de champ, mouvement des acteurs, la séquence est remarquablement conduite. Fantine, arrêtée par Javert, nouveau commissaire de Montreuil, est libérée par Valjean (pas encore reconnu par le policier, et qui se doit d’obéir au maire), à qui elle raconte son histoire et le placement de Cosette à Montfermeil : l’événement est montré en plan général dans la partie droite du champ, la narratrice, à gauche, étant entourée d’un léger halo. Tout cela est très court : entre la présentation de Fantine et son entrée à l’infirmerie de l’usine, d’où, phtisique, elle ne sortira plus, il s’est écoulé 12 minutes.

13 12 minutes, exactement la moitié de la durée du mouvement suivant de cette deuxième partie, dont Capellani va orchestrer puissamment les trois épisodes majeurs : le sauvetage du père Fauchelevent, le procès de Champmathieu et le cas de conscience qu’il impose à Valjean, la mort de Fantine. Fauchelevent écrasé sous sa charrette sous laquelle le maire se glisse et qu’il parvient à soulever, comme à Toulon le rocher, sous l’œil de Javert, est un élément incontournable, qu’aucun adaptateur n’a contourné ; il

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s’agit d’un des rares exemples dans le texte de la force herculéenne que Hugo prête à son héros sans jamais la mettre en scène – il expédie d’ailleurs l’événement en trois pages, alors que Capellani s’y attarde à juste raison, comme il s’était attardé sur les scènes spectaculaires du bagne escamotées par l’écrivain. La scène est forte, même si filmée sagement en plan général : le vieillard coincé sous le tombereau, l’affolement des passants, leurs efforts infructueux, Henry Krauss ôtant majestueusement sa veste pour se glisser dans la boue et arrachant Fauchelevent à l’ornière, il y a là tous les éléments d’une imagerie héroïque pérenne – l’événement est mineur dans l’économie générale de l’intrigue, c’est pourtant un de ceux qui ont le plus marqué les lecteurs du temps (et d’après : dans les années cinquante, il était encore utilisé pour les dictées du primaire).

14 Le procès de Champmathieu (pour mémoire : l’homme accusé par la justice d’être Jean Valjean et jugé par le tribunal d’Arras) est, évidemment, un des sommets de cette partie, comme il est un des sommets du roman – c’est à partir de là que Valjean va devenir un fuyard, poursuivi par Javert au long des sept volumes à venir. Capellani se sort bien de l’illustration de « Tempête sous un crâne », et des vingt pages d’interrogations sur le devoir et la culpabilité, extrêmement statiques, en tirant Krauss vers une sobriété encore plus grande : aucune mimique excessive, aucune emphase – du genre de celle que Marie Ventura-Fantine pratique constamment, rendant sa partie peu supportable –, une immobilité signifiante, accentuée par le partage de l’écran : à gauche, un Valjean massif, en gros plan, contemplant, à droite, en plan général, le tribunal et les gesticulations des protagonistes, un tribunal dans lequel un raccord soudain, astucieuse idée, le fait pénétrer. Même lorsqu’il se dénonce en découvrant son biceps tatoué « TF » (Travaux forcés), Krauss refuse les effets – alors que ses anciens compagnons de chiourme en rajoutent dans le surexpressif. Revenu à Montreuil, il recueille le dernier souffle de Fantine, qui lui confie Cosette. Lorsque Jacques Richard note dans son Dictionnaire des acteurs du cinéma muet en France que Marie Ventura « tendue comme une corde de violon, meurt avec des effets de sémaphore », il est encore au-dessous de la vérité. Le numéro est caricatural. Capellani l’a-t-il souhaité ainsi ? – puisque la situation est mélodramatique, autant l’assumer totalement – ou s’est-il laissé déborder par l’interprète, la seule de la troupe à jouer dans ce registre ? Quoi qu’il en soit, on la voit disparaître sans regrets.

15 Quant à Valjean, emprisonné, il tord les barreaux de sa cellule et s’enfuit dans la nuit, dans la future tradition du film à épisodes.

Cosette 1821

16 Cette troisième partie est certainement la plus réussie des quatre, celle qui rassemble, tant dans son chapitre « Montfermeil » que dans son chapitre « Paris », le plus grand nombre de scènes remarquables, en extérieurs – la forêt de Bondy, les rues du Vieux- Paris – ou dans les intérieurs construits par Henri Ménessier, habituel décorateur de Capellani – l’auberge « Au Sergent de Waterloo », la Maison Gordeau, le couvent du Petit-Picpus. Celle où la narration est la plus fluide, car l’adaptateur n’a pas eu besoin de creuser un chemin dans le bloc des événements : une fois éliminé tout ce qui n’était pas action principale – adieu l’ultime bataille napoléonienne, le retour de Valjean au bagne et son évasion, l’histoire de l’ordre des Bernardines –, demeurent une grosse centaine de pages qui contiennent les scènes qui nourrissent la légende des Misérables, les souffrances de Cosette, et son balai plus grand qu’elle, aux mains des Thénardier, la

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rencontre au bord de la rivière de l’enfant et de son futur père adoptif, l’achat de la poupée pour faire bisquer Éponine (sa sœur Azelma est restée entre les pages du livre), le rachat de la fillette par Valjean. Certes, les séquences nocturnes sont superbes, mais c’est l’interprétation de « la petite Maria Fromet »4 qui emporte le morceau. Éveillée et naturelle, parfaitement à l’aise lorsqu’elle reçoit des taloches ou traîne un seau démesuré, elle reste la plus juste incarnation de Cosette, supérieure, malgré son « primitivisme », à celle d’Andrée Rolane dans la version Fescourt ou Gaby Triquet dans la version Raymond Bernard.

17 Une justesse dont elle fait preuve non seulement en souffre-douleur, mais, dans la seconde sous-partie, en petite Parisienne couvée par son « père » ou embarquée dans une course-poursuite avec la police – car Javert, bien sûr, a retrouvé la trace de Jean Valjean (Hugo a omis de rebaptiser son héros entre deux noms d’emprunt). La reconstitution du lacis de rues, allées, impasses borgnes ou aveugles du Paris d’avant Haussman, une des forces du roman, est remarquablement effectuée : la souricière qui se referme sur l’homme et l’enfant, entre maisons de guingois, rues pavées luisantes et murs orbes, manifeste, quelques plans y suffisent, un génie certain des lieux, du même ordre que celui de Jasset ou de Feuillade. L’escalade du mur du couvent par le fugitif chargé de Cosette est aussi spectaculaire que dans le texte – un des beaux moments suspendus chez Hugo. Valjean retrouve le vieux Fauchelevent, devenu jardinier chez les nonnes, qui lui offre, en gage de sa reconnaissance éternelle, une nouvelle identité, celle de son frère. Et Cosette sera élevée au couvent.

Cosette et Marius 1832

18 Il restait à traiter la partie la plus lourde du roman – un bon millier de pages dans lesquelles Hugo met en scène l’amour et la révolution, tout un programme. Plus qu’auparavant, l’adaptation s’est faite drastique, Capellani ne s’encombrant pas de la multitude de personnages, importants et secondaires, mobilisés par l’auteur – une guerre civile, même réduite à quelques quartiers de Paris, demande des troupes. Demeurent le coup de foudre entre Marius, étudiant en rupture familiale, et Cosette, devenue adulte, les barricades du 5 juin 1832, la fuite dans les égouts de Valjean sauvant Marius, le suicide de Javert et les épousailles finales : de quoi nourrir un long métrage, ce qui explique la longueur de cette ultime partie et ses trois subdivisions.

19 L’histoire d’amour n’est pas l’élément le plus brillant, d’abord parce deux cœurs qui languissent sans que rien d’autre ne survienne, c’est d’un intérêt un peu léger, ensuite parce que si Gabriel de Gravone campe un Marius crédible, Cosette (interprète inconnue) n’affiche pas une beauté suffisante – on peut aller jusqu’à dire que son profil est assez ingrat – pour que l’on comprenne l’admiration éperdue du jeune Pontmercy. Beaucoup plus intéressant est l’amour, hélas pour elle non réciproque, éprouvé pour le même Marius par sa voisine Éponine Thénardier, car Mistinguett, qui l’interprète, est excellente – au point de faire accepter qu’elle incarne, à 40 ans bien sonnés, une jeunette de 25. Rôle trop court – elle sera une des premières à tomber sur la barricade -, mais Capellani lui offrira sa revanche dans La Glu l’année suivante.

20 La longue préparation de la révolte, l’assemblée des étudiants autour d’Enjolras, l’enterrement du général Lamarque, les soubresauts sociaux d’après 1830 (ce que Hugo baptise joliment « les lézardes sous la fondation ») qui expliquent l’insurrection, la jolie partie de l’éléphant de la Bastille qui abrite Gavroche, il n’était guère possible de les

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reproduire – même les versions les plus développées des Misérables n’en ont repris que des bribes. Mais l’adaptateur a bien choisi, parmi les éléments fournis par Hugo, ce qui se prêtait à la présentation la plus spectaculaire. Ainsi, le mouvement des troupes à travers le quartier Saint-Denis, la construction de la barricade de la rue de la Chanvrerie, la capture de Javert, espion embarqué parmi les insurgés, l’intervention armée de Valjean, les combats et la mort de Gavroche (bien moins magnifiée que dans les versions postérieures, surtout celle de Raymond Bernard), jusqu’au sauvetage par Valjean de Marius blessé, tout constitue une deuxième sous-partie extrêmement riche et enlevée. Ainsi, l’attaque des soldats et l’extermination des insurgés est un beau moment – même si Capellani fera plus fort, avec plus de figurants, deux ans plus tard dans Quatre-vingt-treize.

21 Les ultimes séquences respectent l’architecture du roman, en la réduisant, comme depuis le début, à son squelette : fuite par les égouts, suicide de Javert, convalescence de Marius chez son grand-père, fiançailles puis mariage, effacement de Valjean. C’est évidemment la partie la moins entraînante, puisqu’il ne s’y passe rien que de conventionnel, y compris la mort du héros que Mgr Myriel vient, en surimpression, bénir avant son dernier voyage. Pas plus qu’en littérature, les bons sentiments ne suffisent à faire passer l’impassable – les dernières lignes des Misérables n’échappent pas aux dégoulinures (« Dans l’ombre, quelque ange immense était debout, les ailes déployées, attendant l’âme »). Capellani a été jusqu’au bout fidèle au modèle…

22 Malgré sa durée, le film souffre, comme toutes les adaptations futures du roman de Hugo – à l’exception de la version en quatre parties et 320 minutes de Fescourt –, de sa richesse événementielle : quelle que soit l’habileté qui présidera au travail des scénaristes, l’accumulation d’épisodes produira toujours une impression de remplissage et de narration accélérée. Capellani, même avec les dégraissages opérés, n’a pu échapper à cette malédiction des Misérables, d’autant qu’il devait tracer la voie, premier réalisateur français à s’attaquer au monument national. Il atteindra une efficacité autrement remarquable dans Germinal, beaucoup plus simple à transposer – 600 pages de Zola en 150 minutes, contre 1800 de Hugo en 160 –, et qui demeure son chef- d’œuvre. Mais cette version princeps, outre sa qualité formelle, est précieuse : elle a servi de matrice à la plupart des versions suivantes, comme si, à part quelques personnages du roman réintroduits ou une insistance plus marquée sur certains épisodes, les scénaristes successifs s’étaient plus inspirés de l’adaptation de Capellani que du texte original. Pourquoi pas ? Le chemin était balisé, il suffisait de l’arpenter de façon plus studieuse ou plus nonchalante.

NOTES

1. On rapporte, dans le remarquable Albert Capellani des deux côtés de l’Atlantique réalisé par Hubert Niogret (2012), que le succès du film a attiré 200 000 nouveaux lecteurs vers Les Misérables. Mais dans une édition de quelle taille ? Certainement pas les dix volumes de l’originale… 2. Cinq parties dans le roman : « Fantine », « Cosette », « Marius », « Idylle rue Plumet et épopée rue Saint-Denis », « Jean Valjean ».

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3. Que l’on retrouvera de manière presque identique dans La Petite Lise de Grémillon (1931) et dans Autour d’une évasion de Brunius et Silvagni (1933). 4. Elle ne perdra le qualificatif qu’en 1913 (à l’âge de 11 ans). Rappelons le n° d’Archives que Henri Bousquet lui a consacré (« La belle carrière de Maria Léonie Fromet (1902-1967) », n° 97, mars 2005).

AUTEUR

LUCIEN LOGETTE Lucien Logette. Auteur d’une thèse de littérature comparée, Jacques-Bernard Brunius et le surréalisme (1981), Lucien Logette est rédacteur en chef de la revue Jeune Cinéma depuis 1992 et chroniqueur cinématographique de La Quinzaine littéraire depuis 2005. Membre du comité de rédaction du Dictonnaire mondial du cinéma (Larousse, 2011), il s’est surtout consacré au domaine français tout en couvrant d’autres cinématographies.

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De la tradition littéraire à la modernité cinématographique Germinal

Béatrice de Pastre

La culture visuelle de la mine

1 Lorsque le long métrage d’Albert Capellani sort sur les écrans en octobre 1913, le public n’est pas étranger au monde de la mine, à ses dangers et l’imagerie qui l’accompagne est fort présente dans les esprits. Les illustrations en couleurs qui font la une du supplément hebdomadaire du populaire Petit Journal, ont relayé à plusieurs reprises, en les exaltant les tragédies de la mine, dont celle de Courrières et les conflits sociaux qui en découlèrent1. Ce drame et les développements qu’il entraîna, ravivèrent l’imagerie zolienne. Le champ lexical spécifique que constituent les termes de « porion », « hercheur », « galibot », « berline », « carreau » fut de nouveau familier et les images photographiques ou les planches dessinées ravivèrent les souvenirs littéraires des uns et des autres. Car ne l’oublions pas, Germinal paru d’abord en feuilleton dans un journal populaire, Gil Blas, et connu deux adaptations théâtrales (dont la première dès 1885 fut interdite par la censure) qui lui assurèrent une diffusion importante.

2 Mais le cinéma avait également déjà exploré ce monde souterrain et l’organisation sociale qui y était attachée. En 1905, Pathé Frères édite une bande très soignée, pour ne pas dire remarquable, de Ferdinand Zecca et Lucien Nonguet, Au pays noir2. Entièrement tourné en studio devant deux toiles peintes principales, le film de 250 mètres se compose de huit tableaux qui définissent en quelque sorte la matrice du « récit minier »: 1) Intérieur du mineur; 2) En route vers le puits; 3) Entrée à la mine; 4) La descente; 5) Dans les galeries; 6) Le coup de grisou; 7) Envahis par les eaux; 8) Le Sauvetage3. Ce schéma grossier, peut bien évidemment se poser sur le Germinal de Capellani sans pour autant l’y réduire, mais il présente déjà les points saillants qui structureront le récit en images de 1913. L’utilisation de la toile peinte ne veut pas dire chez Zecca « décor » unique et plan fixe: le réalisateur a choisit de balayer d’un long et lent panoramique les deux principaux univers du film: celui du haut, de la petite

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maison du mineur au carreau de la mine et celui du fond où le mouvement de la caméra permet de découvrir en perspective, le réseau de galeries, l’écurie souterraine et les différents travaux des mineurs (circulation des berlines, boisage, exploration des veines) jusqu’à un surprenant pique-nique, quasi champêtre, plusieurs dizaines de mètres sous terre. La qualité de ces deux toiles, des mises en perspective sont tout à fait étonnantes. Le producteur du film exploita le caractère exceptionnel de cette bande en éditant une série de huit cartes postales reprenant les scènes emblématiques: La famille du porion / Au pays noir / Le Coron / Entrée de la mine / La descente à la fosse / Le chargement des berlines / La vie souterraine / Une inondation / Une catastrophe. Un jeu en est aujourd’hui conservé au Centre historique minier de Lewarde qui nous permet de noter le fin travail de mise en couleur de ces images où se dégagent quelques points rouges (bonnet, ceinture des mineurs, lampes) sur des tons doux et pastel. Cette mise en couleur ne fut pas réservée aux cartes postales du film, certaines copies ayant connu à des degrés différents ce même travail de rehaut. La restauration du film à partir du négatif conservé à la Cinémathèque française et d’une copie issue des collections de la Cinémathèque Royale de Belgique a permis de mettre à jour cet étonnant travail de colorisation. L’explosion due au coup de grisou est ainsi grattée sur la pellicule et soulignée d’un rouge vif. Cette copie ne fut pas sans réserver d’autres surprises avec la présence de deux plans ne figurant pas dans le négatif original. Il s’agit de deux plans documentaires, ajoutés dans cette « variante belge », qui revêtent un intérêt tout particulier car probablement tournés sur le carreau de Méricourt en 1906 au moment du drame de Courrières. Images semble-t-il uniques, car les fonds Pathé et Gaumont ne renferment aucune trace cinématographique de la catastrophe.

3 Mais l’évocation de la mine ne se limite pas dans le catalogue Pathé Frères à ce film de Zecca et Nonguet. En 1913, deux bandes documentaires sont éditées qui sensibilisent en quelque sorte le spectateur à la sortie de Germinal. Inscrit au catalogue comme « Scène instructive », le film Les Mines de Lens est sur les écrans en février-mars 1913 (époque où commence le repérage de Capellani à Auchel?). Le résumé du film dramatise le propos qui pourtant se veut documentaire: « Sous un ciel éternellement assombri par les fumées et les poussières de charbon, une vie prodigieusement active s’agite nuit et jour. C’est la vie intense et poignante des milliers de mineurs, héros obscurs dont la moitié de l’existence s’écoule dans les ténèbres et qui, quotidiennement, affrontent sans faiblir leurs implacables ennemis: l’éboulement et le grisou. »

4 En fait, il y est surtout question de l’incessante navette des cages qui font disparaître les hommes sous terre et remonter la houille à la lumière du jour, des berlines et basculateurs automatiques et du triage du charbon sur des tapis roulants.

5 Le numéro 32 de 1913 du Pathé Journal4 annonce la sortie d’une autre bande dans la « Série instructive », Fabrication des câbles de mines: « Nous emmenons aujourd’hui nos spectateurs dans une importante fabrique de câbles de mine. Ces câbles, d’une solidité et d’une résistance à toute épreuve, sont destinés à descendre ou remonter des souterrains les hommes et les matériaux. On conçoit que l’importante tâche qui leur est confiée nécessite une fabrication des plus minutieuse et qu’il soit du plus grand intérêt instructif pour tous de visiter en détails une telle industrie ».

6 Ces trois films extraits du catalogue Pathé Frères ont ainsi préparé les esprits et les yeux des spectateurs à la réception de Germinal. Ils étaient en pays de connaissance, familiers des paysages et du vocabulaire spécifique, certes déjà utilisé par Zola, mais

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revisité, comme vivifié, par ces bandes. Faut-il voir ici une stratégie commerciale de Pathé – tout comme la date de sortie du film qui s’inscrit à quelques jours près dans la commémoration de la mort de Zola? Rien ne nous permet de l’affirmer. On ne peut que relever la création, fortuite ou calculée, d’une culture visuelle de la mine dans les semaines qui précédèrent la sortie du long métrage de Capellani.

Construction du discours social

7 Pour élaborer la dramaturgie du récit visuel, Capellani mit en œuvre plusieurs procédés dont la conjonction conféra au film son originalité et le distingua de la production contemporaine. Nous relèverons quelques uns d’entre eux sans prétendre épuiser la richesse de cette adaptation. Eléments importants de la mise en scène, les décors intérieurs – et nous comptons parmi eux la mine – participent à l’élaboration du récit. Non comme toile de fond devant laquelle évolueraient les personnages, mais comme éléments constitutifs de la diégèse. Leur évolution accompagne la tension dramatique, ils tendent une sorte de miroir aux personnages, constituant ainsi un double qui évite de leur part le sur-jeu. Ils s’en tiennent donc à une sobriété gestuelle tout à fait novatrice.

8 La maison des Maheu, dont nous connaîtrons au fil du récit deux pièces, la salle de séjour et la chambre du couple, s’ouvre à gauche du cadre sur la rue et à droite (après une cuisine?) sur un jardinet. Elle est censée représenter l’archétype de la maison de coron. A ce titre, on y lit, tout au long du déroulement du drame, les bouleversements que subit la famille. Au moment où Lantier pénètre pour la première fois chez les Maheu, la pièce est propre, rangée et dénote l’aisance d’un foyer bien tenu. Le mobilier est sobre (table, chaises, bahut et étagères sont en bois sans éléments décoratifs notables) mais la nappe, les bibelots que l’on distingue traduisent un possible superflu. Par la porte entrebâillée au fond de la pièce principale, on distingue ce qui est un espace privé (la chambre des Maheu?) où l’on devine des objets mémoriels: photos, couronne d’oranger sous son globe de verre qui attestent de l’attachement du foyer à quelques valeurs familiales, mais ceci sans ostentation particulière. Cet intérieur simple, qui manifeste une aisance de bonne gestion, est loin de la soupente de Gervaise qu’évoque Lantier au détour d’une conversation5. Après quinze jours de grève, c’est ce décor qui dans de menus changements traduit la misère qui s’insinue dans la maison. La nappe a disparu tout comme le réchaud pour le café. On ne descend plus au fond, on ne se met plus à table. Le châle dont se couvrait la Maheu est passé de sa tête à son bébé: il n’y a plus de charbon pour chauffer la demeure.

9 Ce n’est qu’après sa mort que l’on pénètre dans l’intimité de Maheu, dans sa chambre qui, comme la pièce à vivre au début du récit, se distingue par sa simplicité. La lumière venue du vasistas s’ouvrant sur le toit, éclaire une scène classique de veillée funèbre: la mère et ses deux aînés se recueillent autour d’un lit en bois sobre et solide. L’autre source lumineuse vient des deux bougeoirs posés sur une table de chevet qui, s’ils ne sont pas en argent, sont tout au moins en métal argenté, seule trace restant de l’aisance passée. Les vêtements sont accrochés à deux patères dans un coin de la pièce: il n’y en a pas suffisamment pour avoir une armoire. Là encore tout relève d’une stricte économie qui se traduit dans l’ordre et la propreté. Ce sont aussi les qualités que l’on notera à la fin du film, lorsque Lantier quitte ce qui reste de la famille Maheu: le mobilier est réduit au réchaud à café qui a repris du service pour la mère de famille. C’est elle qui doit

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gagner le fond pour assurer sa subsistance, celle de son père et de son bébé. La table a traversé le drame, près d’elle se tient l’aïeul hagard qui doit veiller sur le berceau du dernier né de la famille. Les bibelots ont disparu en même temps que l’argent et les différents membres du clan Maheu. Celui-ci ne compte plus qu’un représentant par génération: un vieillard hébété – l’ironie du nom, Bonnemort, est ici éclatante – dont le regard fixe contemple la mort des siens et la sienne proche, un enfant en bas âge représenté métonymiquement par son berceau et une femme écrasée de douleur, qui seule doit affronter les lendemains. Le dépouillement du décor, l’apathie de son père, et la présence absente de son enfant mettent en exergue le corps de la Maheu qui emplit l’espace. C’est une autre façon de dire métaphoriquement que l’action, la vie, ne sont plus qu’en elle.

10 A l’autre bout de l’échelle sociale, l’intérieur du propriétaire de la mine est tout autant porteur de symboliques constructives. Capellani choisit une organisation de l’espace semblable à celle qui régit celui des Maheu pour faciliter les rapprochements visuels porteurs de sens. Ici la porte au fond de la pièce est remplacée par une lourde tenture qui dissimule un vase précieux couronnant une vitrine et non plus de simples reliques du passé. C’est aussi une femme qui règne sur cette intérieur et dispose élégamment des fleurs sur un guéridon, tâche inutile s’il en est. La jeune femme paiera de sa vie l’initiative qui la fait sortir de cette pure fonction décorative pour une action sociale et politique. Un tableau représentant un paysage minier décore le mur, un buste féminin orne une commode et beaucoup de plantes et de fleurs remplissent l’espace alors que chez les Maheu ce sont les mouvements des différents corps, partant ou rentrant de la mine, qui l’emplissait. Quand là-bas tout ou presque avait une fonction utilitaire, ici tout n’est que décor, jusqu’au bureau qui barre la pièce: encombré de bibelots et de piles de livres, il est là à l’instar des fauteuils confortables et de la banquette: un élément d’un espace dédié à l’oisiveté. Il faut noter que seul Negrel, l’ingénieur, s’assiéra à ce bureau pour écrire sous la dictée de son patron (qui lui-même ne prend pas la plume) les conditions draconiennes auxquelles il compte astreindre les mineurs. C’est ainsi, par petites touches inscrites dans la matérialité du décor, que le cinéaste condense les analyses politiques de Zola. On retrouve une transcription de même nature dans le bureau du sous-préfet qui envoie la troupe contre les mineurs. La table de travail large et décorée de ferrures Louis XV se dresse entre deux fenêtres lourdement encadrées de tentures. La cheminée et sa console prennent place entre ces deux ouvertures qui encadrent un buste, probablement une Marianne, qui a fait son apparition dans les mairies après 1877, remplaçant les effigies de Napoléon III. Le sous- préfet n’est pas assis dans l’axe de ce symbole de la République, mais légèrement sur sa gauche pour le spectateur. Une façon pour le réalisateur de dire que ce représentant de l’Etat n’incarne pas la devise républicaine. Celui qui fait charger la troupe ne représente pas la liberté, l’égalité, la fraternité. C’est ainsi, avec beaucoup de subtilité, que Capellani prend en charge un discours que ne peut porter sans ennui le récit cinématographique s’il devait passer par la verbalisation, ici l’intertitre. Alors c’est le placement du corps de Souvarine dans le cadre, toujours dos à l’action, à côté, en marge, qui dit son nihilisme. Le décor, habité de corps en actes, devient un personnage porteur du discours politique qui sous-tendait le texte de l’écrivain.

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L’inscription dans le réel: un témoignage documentaire exceptionnel

11 Si Germinal de Capellani a retenu l’attention de ses contemporains et la nôtre encore aujourd’hui c’est en partie parce que, préalablement au tournage, le réalisateur adopta la méthode documentaire que pratiquait Zola. Si celui-ci mena son enquête à Anzin, le réalisateur fournit à ses collaborateurs une documentation constituée de gravures à partir desquelles les décorateurs s’employèrent à reconstituer le carreau de la mine, l’enchevêtrement des galeries. Mais face aux résultats médiocres, le réalisateur conduisit son équipe étudier « sur le motif ». Pierre Trimbach témoigne: « La chance nous favorisa encore, du fait que Capellani avait un ami ingénieur des mines à Auchel, dans le Pas de Calais. C’est grâce à lui que sous la conduite d’un poron [sic] nous pûmes de fond en comble, c’est le cas de le dire, visiter la mine. La descente dans ces bennes était assez émouvante, la vitesse de descente était assez grande et l’on avait l’impression d’être expédié sous terre… »6

12 Le voyage est l’occasion pour Pasquier, le décorateur en second, de réaliser nombre de croquis du monde souterrain où s’affèrent les mineurs et pour Trimbach de prendre des photographies du carreau qui fut par la suite reconstitué en carton et en bois. Le résultat est saisissant: l’étroitesse des galeries, la précarité des boisages, l’atmosphère étouffante, sont parfaitement rendues, loin de la mine « proprette » de Zecca où le mineur déployait un grand torchon blanc au carrefour des galeries, sorte d’agora souterraine, où il partageait son repas avec ses compagnons7. Mais malgré la qualité de cette reconstitution élaborée après enquête in situ, ce qui retint certainement le regard des spectateurs en 1913, et qui aujourd’hui ne manque pas de nous surprendre, c’est la volonté du réalisateur d’immerger son public dans l’univers des mineurs qui ne se réduit pas à la mine, son carreau et ses galeries. La caméra de Capellani, loin d’être statique, balaye par de lents panoramiques les rues d’Auchel où s’alignent les corons. Ces images sont, aujourd’hui que cette architecture spécifique aux cités ouvrières du Nord a disparu, de rares témoignages d’une organisation urbaine, sociale et politique centrée autour d’une activité économique8. Des 2.050 habitations que comptait Auchel au moment où le réalisateur entreprit le tournage de Germinal, ne reste que la barre de la rue des Ecoles, promise dans un avenir proche à la destruction. L’Hôpital Sainte- Barbe, l’école Sévigné, la Goutte de lait ont été méthodiquement détruits entre 1989 et 2010. Aussi les images de Capellani acquièrent, au-delà de leur fonction diégétique, un poids documentaire exceptionnel. Il tend à faire vivre le monde du mineur que ses prédécesseurs, et notamment Zecca, ont brossé assez superficiellement, et en cela il nous livre des aperçus sur une civilisation dont les traces ont aujourd’hui disparu. La séquence de la Ducasse est à ce titre tout à fait remarquable. Cette fête traditionnelle, en Belgique et dans le Nord de la France, tire ses origines des dédicaces faites par les croyants pour honorer leurs saints patrons. Dans sa forme picarde, la ducasse devint une fête communale au XIX siècle à l’occasion de laquelle les rues se garnissaient de stands forains et de jeux de balle. Capellani campe sa caméra au milieu d’une foule endimanchée – les femmes en chapeau, les hommes en casquette et melon – qui se presse vers les attractions que l’on devine. Les acteurs se mêlent aux anonymes que la caméra surprend, fascine. Le positionnement de celle-ci, au plus prêt du mouvement, attrape les visages de ces figurants de hasard. Le regard des enfants est comme happé par cet objet étrange dont on sent, par le poids de leur attention, le caractère inusité de la présence. Une petite fille interpelle sa mère, un jeune garçon, bord cadre, se penche

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pour mieux scruter cet œil qui l’observe, le dispositif de prise de vues devenant ainsi une attraction au sein de la fête. Sylvie, Henry Krauss, Jean Jacquinet, Mévisto, se jouent aussi de la caméra vers laquelle ils plongent joyeusement leur regard. Rien ne les distingue plus des habitants d’Auchel, ils font partie de cette communauté en fête. Ces trois plans en forme de respiration constituent une suspension dans la mise en place du drame que l’on sait devoir advenir. Ils nous livrent aussi un témoignage fort, unique, sur une forme de convivialité aujourd’hui, en ces lieux, disparue.

13 Si Capellani souhaite plonger le spectateur au cœur du pays minier, cette immersion se construit très rapidement dans les premières séquences du film. Licencié par un contremaître prompt à se séparer des ouvriers à la première contestation de son autorité, Lantier prend la route à la recherche d’un nouveau travail. Il chemine dans un paysage caractéristique du Nord de la France avec ses maisons basses alignées sur la route. Après une tentative malheureuse auprès d’un groupe de cantonniers au repos, il est saisi de dos sur un petit chemin qui semble butter sur un pylône, puis sur un monticule de terre (un terril en construction?). L’horizon est barré par cette silhouette d’un terril qui occupe le cadre jusqu’à sa limite supérieure. Cette pyramide du monde industriel impose sa présence comme un dieu tutélaire, qui ne quittera le récit qu’à la toute fin du film. Elle sera omniprésente, bouchant en général les perspectives au sens photographique du terme mais aussi symboliquement, constituant l’horizon indépassable contre lequel les hommes, voués à la mine, se heurtent sans cesse. Le choix de ce paysage « naturel » installe ainsi le récit dans un cadre dramatique, sans qu’il soit besoin pour le réalisateur d’avoir recours aux intertitres. Le chemin conduit Lantier auprès d’un vieil homme, Bonnemort, double de Charon, qui va le faire pénétrer dans le monde que l’on découvre en contrebas, à leurs pieds. On devine, noyés dans la brume et la fumée, des structures métalliques, bâtiments industriels et wagonnets au milieu desquels s’agitent de petits points noirs. Après un court dialogue, le vieil homme descend vers ce monde incertain, il plonge et disparaît, avalé par ce gouffre. Lantier le suit après un temps d’hésitation. Le mouvement de ses épaules laisse deviner une profonde respiration, comme celle que prend le plongeur en apnée avant de s’enfoncer dans les abysses obscurs. A la fin du film, dans un mouvement inverse, Lantier aspire profondément l’air de la campagne qui lui donne l’allant pour reprendre vaillamment la route, passant d’un pas décidé devant le terril qu’il laisse derrière lui, silhouette noire et imposante, mais dépassée, sur laquelle se clôt le film.

Temps du roman et modernité de la réappropriation

14 Si décors et images documentaires contribuent à restituer l’univers de la mine, tel que le roman de Zola le popularisa au XIXe siècle, Capellani livre une adaptation ancrée dans le temps qui est le sien, dans un temps où la vie du mineur n’est plus tout à fait celle décrite par le romancier. Et le réalisateur, avec beaucoup de finesse, enregistra ces mutations sans pour autant trahir l’esprit du roman. Ainsi, si dans l’œuvre de Zola, Lantier loge dans une chambre chez Rasseneur, l’adaptation de 1913 lui fait prendre pension chez les Maheu9. C’était en ce début des années 1910, une pratique courante, encouragée par les compagnies minières, qui préféraient voir les mineurs célibataires installés dans des familles, plutôt que de les savoir livrés à eux-mêmes dans les cabarets. De même, si Capellani supprime le personnage de Maigras, et par voie de conséquence la scène de déchaînement de violence des femmes qui conduit à son

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émasculation, c’est probablement par convenance certes, mais aussi par vraisemblance. Depuis 1885, date de la parution du roman, la situation des mineurs a beaucoup changé. A partir de 1890, des députés mineurs, comme Emile Basly (qui servit à Zola de modèle pour le personnage d’Etienne Lantier) et Arthur Lamendin, défendent aux côtés de Jean Jaures et Jules Guesde des projets de loi visant à améliorer les conditions de travail des mineurs. L’année suivante, les Compagnies minières reconnaissent l’autorité des syndicats et acceptent de rencontrer leurs représentants à Arras10. En 1902, les organisations syndicales mobilisèrent 70 000 ouvriers autour de la revendication des « 4 fois 8 »: 8 heures de travail / 8 heures de repos / 8 heures de sommeil / 8 francs par jour. Et en mai 1906, c’est l’ensemble des bassins qui suite au drame de Courrières, se met en grève pour une meilleure prise en compte de la sécurité des équipes au fond. « L’agitation révolutionnaire », comme titré par Le Petit Journal11, est durement réprimée, mais ces mouvements ont une nouvelle fois prouvé la capacité de mobilisation des organisations ouvrières. Aussi en 1913, les révoltes sporadiques et très locales, telles que les décrit Zola, ne sont plus envisageables. Les mouvements de protestation et de revendication sont alors encadrés par les organisations syndicales.

15 Capellani enregistre cette mutation sans pour autant représenter explicitement cette nouvelle structuration des mouvements sociaux. Si la grève est toujours portée par un leader charismatique, ici Lantier, l’action du groupe n’en est pas moins mise en valeur par l’organisation scénique qu’orchestre le réalisateur. Il en va ainsi de la séquence qui voit un groupe de mineurs se rassembler chez Rasseneur dans la salle du cabaret, attenante à la salle des fêtes où se font les « assemblées générales », pour user d’une terminologie à l’image encore anachronique. Les différentes lignes de conduite sont exposées clairement par le positionnement des trois personnages clefs de la scène: Chaval exalte l’assemblée par une gesticulation vaine, Souvarine invite à une destruction de l’outil de travail qu’il symbolise en brisant le cruchon d’alcool contre le poêle. Lantier à l’inverse propose la mise en œuvre d’une action commune, unifiée qui seule pourra faire advenir des lendemains qui chantent. Toute l’habileté de Capellani repose dans la matérialisation de ces orientations politiques dans le positionnement des corps des acteurs. Souvarine est à la périphérie du groupe alors que Lantier est assis parmi ses camarades et exprime par le serrement de ses mains l’union indestructible qui doit être celle des mineurs. Lors du vote de la grève, l’un des inserts les plus longs du film inscrit la démarche des mineurs dans une geste héroïque où prime le groupe: « Camarade, soyons unis, tous pour un, un pour tous. À l’intransigeance directoriale opposons nos bras croisés. Vive la grève ». Lantier, une nouvelle fois au milieu de ses compagnons, est « porté » par eux vers l’estrade où il prend la parole. Chaval, réfractaire à l’action commune, est rejeté à la lisière du groupe. Il lui tourne le dos et prend des notes: le traître à la cause collective rédige une missive avertissant le propriétaire du mouvement de grève, tout comme plus tard il établira la liste des « meneurs » qu’il s’empressera d’aller « donner » au patron. Cette séquence est tout aussi l’occasion pour le réalisateur de représenter l’opposition entre deux modes de gestion: celle du directeur des temps anciens qui rémunère la trahison de Chaval et celle de l’ingénieur Négrel, offusqué d’une telle attitude, qui ne manque pas, dans un sursaut d’inscrire dans son corps toute la répulsion que lui procure cet échange mercantile. Lui, l’homme du savoir et de la parole s’inscrit à l’opposé de ces pratiques qu’il méprise.

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16 Capellani livre un tableau en miroir de cette scène élaborée autour du vote de la grève lorsqu’il s’agit cette fois de statuer sur la reprise du travail. Lantier, sorti du puits du Voreux où il s’était réfugié pour échapper à une arrestation certaine par les forces de l’ordre, tente de maintenir l’union du groupe dans la grève. Mais cet épisode est mené cette fois par Chaval qui harangue la foule et invective Lantier. Comme précédemment, Etienne est poussé vers l’estrade mais sous les quolibets. Sa parole ne porte plus et tous les bras se lèvent à l’instigation de Chaval pour entériner le retour à la normale. Lantier fend la foule qui s’ouvre cette fois devant lui et le laisse s’échapper sous les invectives. C’est un homme aux convictions bafouées, seul, qui se retrouve dans la salle du cabaret où se tient Souvarine, lui aussi condamné à la solitude mais ici une solitude voulue, recherchée, assumée. Toute la finesse de Capellani apparaît dans ces deux scènes construites sur le même schéma. Mais les deux hommes désavoués par le collectif n’adoptent pas la même conduite: l’un trahit et poursuit son dessein personnel, l’autre se range à l’avis exprimé par le groupe: Lantier retrouve le carreau de la mine, solidaire des ouvriers qui ont appelé à la reprise du travail. Il n’est pas besoin pour le réalisateur d’avoir recours à de longs intertitres ou à des gesticulations outrancières, le placement des corps dans le cadre et l’organisation scénique suffisent à porter le propos politique avec une économie de moyens d’une grande modernité.

17 Le personnage de Catherine, revisité par Capellani, est également exemplaire de l’inscription de l’adaptation dans la contemporanéité du film. C’est bien une jeune femme qu’incarne Sylvie et non une adolescente trop vite passé à l’âge adulte comme le personnage du roman. Mais elles ont en partage ce corps sans sexe dans le costume de galibot, corps voué au travail. Capellani choisit de révéler son identité dans une scène touchante: à l’heure du déjeuner, Catherine enlève son bonnet libérant ainsi une masse impressionnante de cheveux. Lantier est surpris et ému devant la divulgation du sexe de la toute jeune femme par l’intermédiaire de cette chevelure hautement symbolique de la féminité. Là aussi le dispositif imaginé par Capellani recouvre l’esprit du roman sans en adopter la crudité, impossible à mettre en images en 1913. En effet, c’est par la confrontation des corps que Zola avait construit cette révélation: Étienne, en se retournant, se trouva de nouveau serré contre Catherine. Mais cette fois il devina les rondeurs naissantes de la gorge, il comprit tout d’un coup cette tiédeur qui l’avait pénétré. « Tu es donc une fille? » murmura-t-il, stupéfait. Elle répondit de son air gai, sans rougeur: « Mais oui… Vrai! tu y as mis le temps! »12

18 Une intimité s’installe entre les deux personnages construite autour de gestes simples, anodins comme le partage du déjeuner au fond de la mine ou le jeu de Catherine avec le foulard de Lantier, geste de franche camaraderie ou agacerie amoureuse. Le jeune homme est quant à lui tiraillé tout au long du film par des sentiments ambivalents à l’égard de la fille des Maheu, tour à tour amoureux, substitut du père, camarade de fond, jaloux de l’époux ombrageux et adversaire politique. Ce n’est qu’au bord de la mort que leurs corps se trouveront dans un chaste baiser alors que le corps de Chaval vient se cogner à eux tel un remord lancinant. En effet, si le réalisateur a renoncé à porter à l’écran l’étreinte charnelle explicite entre les deux protagonistes, il n’en fait pas moins d’Etienne l’assassin de son rival. Mais cet accès de violence est déclenché par la frénésie avec laquelle Chaval se jette sur le dernier morceau de pain alors dans les mains de Catherine. Dans le roman c’est le désir de Chaval pour la jeune fille qui déclenche la folie meurtrière de Lantier. Choisissant, les convenances de son temps,

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Capellani n’en renonce pas pour autant à la sensualité. Lorsque la civière transportant le corps sans vie de Catherine passe devant Etienne, ne révélant de la jeune fille que sa chevelure pour la première fois éclatant en pleine lumière et son bras blanc dénudé13, il est irrésistiblement attiré dans une dernière étreinte avec cette Ophélie proche de celle de John Williams Waterhouse14, à jamais abandonnée à l’éclat de sa langueur.

19 Germinal sort sur les écrans en pleine polémique sur le long métrage. L’allongement parfois jugé excessif de la longueur des films fait débat et la presse s’en fait largement l’écho. Les exploitants reprochent aux éditeurs un « délayage » abusif, économiquement intéressant pour eux, mais qui n’en alourdit pas moins les séances qui deviennent difficile à gérer pour les salles. Mais le public, tout comme précédemment pour l’adaptation des Misérables du même Capellani, adhère avec enthousiasme avec cette lecture cinématographique de l’opus de Zola. Les entrefilets dans la presse, peu loquaces, notent comme avec surprise le succès du film15. Les analyses fines du caractère innovant de l’œuvre sont rares voire inexistantes. Seul Georges Dureau dans Ciné-Journal semble percevoir l’habileté du travail d’adaptation auquel s’est livré Capellani, relevant « le réalisme des scènes vraies dans lesquelles les mots sont inutiles, le symbolisme des contrastes voulu par le poète et, par-dessus tout, la précision des décors miniers que Zola dessina, d’une main très sûre »16. Tout se passe comme si on ne pouvait que constater la formidable réception faite au film par le public, sans pouvoir en expliquer les raisons profondes. Il semblerait que la rupture avec les modes d’écriture cinématographique contemporains ne puisse encore être formalisée par la critique naissante. Laissons à Georges Dureau le soin d’exprimer cette sorte de sidération qui saisit le spectateur et engourdit les plumes les plus alertes: Un peu de gêne dans la salle où domine trop le public féminin ou enfantin. La grandeur du sujet écrase ces petits cerveaux. Mais elle les domine de si haut, par instant, qu’un frisson les parcourt et que tout le monde a le sentiment de voir du cinéma qui n’est pas comme d’habitude.17

NOTES

1. On relève ainsi le 25 mars 1906 « La Catastrophe des mines de Courrières – Les corps des victimes sont amenés au jour » ; le 15 avril : « Les Survivants de la catastrophe de Courrières » ; le 6 mai 1906 : « L’Agitation révolutionnaire au pays minier – Arrestation d’émeutiers dans les corons ». Mais on note aussi un reportage plus festif le 5 décembre 1911 : « La Sainte Barbe ». 2. On a vu dans ce film une adaptation du roman de Zola mais le personnage central du roman Etienne Lantier, en étant absent, il nous semble que cette interprétation est abusive. 3. Voir Films et cinématographe Pathé, supplément de mai 1905, collection Fondation Jérôme Seydoux – Pathé (FJSP). 4. Collection FJSP 5. Cette allusion explicite à l’ascendance de Lantier renvoie le spectateur non seulement à ses souvenirs littéraires, mais surtout au précédent opus de Capellani sorti en 1910. Pièce indépendante et autonome, Germinal peut se voir comme la suite de L’Assommoir, un épisode nouveau de la saga. Le caractère feuilletonnesque du récit littéraire est ainsi réaffirmé, au-delà des différentes parties du film. Par ce renvoi, qu’opère également Zola dans le roman, se met en

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place une œuvre qui se construit d’un film à l’autre à l’intérieur de la filmographie du réalisateur. C’est aussi dans ces détails, apparemment insignifiants, que l’on peut voir surgir l’entreprise de légitimation à laquelle s’attachait la SCAGL. 6. Pierre Trimbach, Quand on tournait la manivelle… Ou les mémoires d’un opérateur de la Belle Epoque, Editions Cefag, 1979, p. 85. 7. Nous partageons le sentiment de Michel Marie sur le caractère inapproprié du décor du puits de secours que fait sauter Souvarine pour inonder le réseau souterrain. Ce décor est le point faible de l’univers constitué par les colla- borateurs de Capellani. Voir Michel Marie, L’Année 1913, numéro hors série de 1895, AFRHC, 1993. 8. Autour de chaque fosse se dressait un quartier avec ses corons et ses bâtiments publics (écoles, hôpital…) et commerciaux. Les corons étaient composés de deux types de maisons : celles des employés aux extrémités qui encadraient celles des ouvriers. Les logements près des puits étaient réservés en priorité aux ouvriers du fond, jugés plus méritant que ceux de « jour », et à ceux qui avaient une famille. Les veuves, les retraités et les ouvriers indésirables (militants syndicaux, mineurs trop souvent absents) étaient repoussés en « périphérie » du complexe minier. 9. « C’est Maheu qui mène monsieur, un herscheur à lui, pour voir s’il y a pas une chambre en haut et si nous ne pourrions pas faire crédit d’une quinzaine. Alors, l’affaire fut conclue en quatre paroles. Il y avait une chambre, le locataire était parti le matin ». Emile Zola, Germinal, Le Livre de poche, 1975, p. 40. Ce n’est que lorsque Zacharie Maheu quitte le toit familial que Lantier le remplacera dans la chambre que partage tous les enfants Maheu, Catherine comprise. 10. Basly et Lamendin faisaient parti des cinq syndicalistes qui rencontrèrent les cinq représentants des patrons à l’hôtel Univers le 30 novembre. 11. Supplément illustré du 6 mai 1906. 12. Emile Zola, op. cit., p. 40 13. La blancheur de la peau de Catherine fascine Lantier, le romancier précise ainsi : « Quand le dernier jupon tombait, elle apparaissait d’une blancheur pâle, de cette neige transparente des blondes anémiques, et il éprouvait une continuelle émotion à la trouver si blanche… ». Opus cit., p. 157. 14. Ophélia, John William Waterhouse, 1889 15. On peut ainsi lire dans Comoedia du 5 octobre 1913 : « Germinal tiré de l’œuvre d’Emile Zola, par la S.C.A.G.L. et édité par la Société Pathé frères passe depuis vendredi à Paris. Malgré son métrage important qui dépasse 2 000 mètres, ce film remporte un énorme succès qu’il nous est agréable de signaler ». Et dans le numéro du 12 octobre du même journal : « Les salles ne désemplissent pas. Et ceci est assez naturel, car le scénario de ce drame est passionnant d’un bout à l’autre, et l’intérêt qu’on prend à cette lutte sociale ne languit pas un seul instant. Il nous est agréable de le noter ». Mais cet enthousiasme doit être tempéré car nous avons relevé que le Courrier cinématographique du 11 octobre évoque le succès du film exactement dans les mêmes termes, tout portant alors à croire qu’il s’agit ici de ce que l’on n’appelle pas encore des « éléments de langage » distribués à la presse par un éditeur zélé ! 16. Ciné-Journal, 10 octobre 1913, p. 85. 17. Ibid.

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AUTEUR

BÉATRICE DE PASTRE Béatrice de Pastre. Directrice des collections des Archives françaises du film du CNC, Béatrice de Pastre a dirigé la Cinémathèque Robert-Lynen de la Ville de Paris de 1991 à 2006. Elle a assuré le traitement documentaire de corpus de films dont les plus anciens s’inscrivent dans la production des années dix. Ces recherches l’ont entre autres conduite à la co-direction avec Alain Carou de l’ouvrage Le Film d’Art et les films d’art en Europe, 1908-1911, (1895, n° 56, AFRHC, 2008) et à approcher l’œuvre d’Albert Capellani dans « Aux origines était le conte… », in Le Cinéma fantastique en France, 1897-1982 (CNC, 2012).

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Quatre-vingt-treize d’Albert Capellani et André Antoine (1914-1921)

Michel Marie

1 Quatre-vingt-treize – que Victor Hugo orthographie Quatrevingt-treize1 – est le dernier film qu’Albert Capellani tourne en France avant de partir aux Etats Unis, après le déclenchement de la guerre de 1914, début août. Il a été réalisé au printemps et à l’été 1914 et André Antoine en a en grande partie suivi le tournage, presque terminé au moment de l’entrée en guerre. Voici le témoignage d’André Antoine : « Certaine maison d’édition achevait une adaptation cinématographique de Quatre- vingt-treize le jour même de la déclaration de guerre ; un an plus tard, lorsque les salles rouvrirent, on songea tout de suite à faire passer une bande qui avait coûté si cher ; la Censure suspendit le film jusqu’à nouvel ordre. Vous entendez, on ajourna, sous prétexte de paix sociale, un chef d’oeuvre, qui est une incomparable leçon de patriotisme et d’héroïsme. Le véto a été levé il y a quelques mois seulement, et voici un film qui va paraître sept années après avoir été tourné. » (André Antoine, Cinémagazine, no 3-4, 10 février 1921, pp. 5-6) Une autre information récente indique, en s’appuyant sur le témoignage de l’opérateur Pierre Trimbach, sans préciser toutefois ses sources : « Au début du mois de juillet 1914, la Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres (SCAGL), l’unité de production au sein de Pathé chargée de produire des adaptations de la littérature française, décide mettre en production Quatre- vingt-treize de Victor Hugo. Il est prévu pour avoir une longueur de 2000 à 3 000 mètres comme Les Misérables (1912). Une fois de plus, le témoignage de l’opérateur Pierre Trimbach est précieux. Grâce à lui, nous savons que le film a été tourné en partie dans les studios Pathé de Vincennes et que certaines scènes d’envergure sont tournées en extérieurs : l’équipe technique se déplace dans une carrière de Maisons-Alfort. On y apporte des éléments de décors pour tourner la grande scène de l’incendie du château de la Tourgue. Le lendemain matin à 7 heures, plus de 100 figurants costumés en Vendéens et en soldats de la République arrivent sur place. Ils tournent la scène de l’assaut de La Tourgue dont le carnage est reconstitué avec un grand réalisme. Alors qu’ils se reposaient avant de commencer la scène de l’incendie, Capellani arrive en taxi pour leur annoncer la mobilisation générale. Tous les techniciens et les figurants sont profondément affectés. Rapidement tout le monde entonne La Marseillaise. Ils doivent démonter le décor et rentrer au studio, laissant le film inachevé. »

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(Christine Leteux, site DVD Classik. com, 5 septembre 2012)

2 Le film n’est donc pas distribué car interdit par le censure militaire. Pathé décide de finir le film pour le distribuer après l’armistice ; André Antoine le termine en tournant des plans complémentaires et en assurant le montage final. Il est évidemment bien difficile d’indiquer avec certitude quels sont les plans tournés par Antoine. Lui même fait référence à des prises de vues dans la baie du Mont Saint Michel, réalisées en trois jours au cours de l’été 1917. L’épisode du retour d’Angleterre du Marquis de Lantenac aurait donc été tourné à cette date. On évoque parfois la séquence finale du château de la Tourgue. Mais l’analyse du film atteste que la plupart des plans ont été tournés dès 1914. Antoine a du simplement filmer des plans de compléments permettant le montage. Plus exactement, la séquence de le Tourgue mêle des plans de décors naturels filmés en Bretagne et de décors construits :

3 « Dans Quatre-vingt-treize, j’ai vu s’élever à Vincennes une tour en ciment armé, d’ailleurs affreuse », précise André Antoine, dans Du Théâtre libre au Cinéma du peuple. (cité par Philippe Esnault)

4 Concernant l’épisode maritime, Philippe Esnault cite en fin de texte une lettre d’Antoine partie de Camaret le 20 juillet 1917 : « Je viens d’achever Quatre-vingt-treize avec un détachement d’artistes qui m’avait été expédié ici et repart ce soir après trois jours de travail assez pénible sur un bateau secoué par le mauvais temps. Beaucoup de ces malheureux avaient le mal de mer en tournant. Tout s’est bien passé et malgré un mauvais opérateur comme toujours ; j’expédie à Paris de quoi compléter proprement le film. » (Philippe Esnault, Antoine cinéaste, L’Âge d’homme, 2011, p 118)

5 La séquence de la Tourgue comprend une importante figuration avec des centaines de soldats de l’armée républicaine. Il était difficile et cher de la reconstituer en 1917. Paul Capellani, qui incarne Gauvain, était parti aux Etats Unis. Les trois jeunes enfants ont trois ans de plus en 1917 et ont donc beaucoup grandi depuis l’été 14 : tous ces éléments indiquent que la plupart des plans de cette séquence finale ont été tournés par Capellani en 1914.

6 Le roman de Victor Hugo a été remarquablement adapté par Alexandre Arnoux, alors jeune romancier. Celui-ci n’a que 29 ans quand il signe cette adaptation2. Philippe Esnault évoque trois versions de ce scénario : « Alexandre Arnoux fit au départ trois adaptations successives du roman dont il sut tailler le foisonnement sans perdre le fil essentiel – mais en inventant des détails qui furent hélas sacrifiés, telle l’arrivée de la guillotine par des chemins creux, son charroi tiré par des boeufs. » Philippe Esnault, Antoine cinéaste, op. cit. p 117, note 32.

7 Arnoux a surtout développé les séquences introductives qui présentent les personnages principaux les uns après les autres, alors que le roman débute in medias res, au moment du parcours du bataillon du Bonnet rouge dans le bois de Saudraie et du retour de Lantenac sur les côtes françaises.

8 Le film est distribué par Pathé en deux parties les 24 juin et 1er juillet 1921, sept ans après le tournage de Capellani. Entre 1914 et 1921, les méthodes de tournage ont beaucoup évolué, et plus encore les formes de montage. Mais le style d’Antoine fondé sur le tournage en décors naturels, le plan long et la profondeur de champ prolonge tout à fait celui de Capellani. Les traces les plus manifestes des années dix se trouvent dans la première demi-heure du film et dans l’usage des décors de studio, parfois en toiles peintes, sans grand souci de la profondeur. Mais dans les séquences les plus

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réussies, telles la prise de Dol et l’assaut final de la Tourgue, ces décors peints sont parfaitement intégrés à la dramaturgie et à la mise en scène.

9 Cette distribution du film en deux parties correspond bien à deux mouvements généraux du film et à la construction du scénario d’Alexandre Arnoux. Elles sont de durées sensiblement égales, 1h24 et 1h21 pour un total de 2h45 (nous donnons ici les durées de la version DVD). La première partie présente les personnages et décrit les antagonismes idéologiques et politiques. Elle se termine par le massacre de la métairie de l’Herbe-en-Pail, ce qui correspond au début du roman de Victor Hugo. Cette partie montre l’organisation de l’insurrection et le pouvoir de l’armée des Chouans, ainsi que la détermination de leur chef, le marquis de Lantenac.

10 La seconde partie donne le premier rôle à Gauvain devenu chef de la colonne républicaine. Elle est consacrée à la reprise du pouvoir par l’armée jusqu’à l’incendie de la Tourgue et la fuite de Lantenac, libéré par son neveu trop clément.

11 Le film alterne des séquences de studio, essentiellement pour les séquences d’intérieurs et de nombreux plans tournés en extérieurs, dans les villages des Côtes du Nord, dans les forêts et les landes de l’Ille-et-Vilaine. Il comprend de nombreux intertitres et des inserts de textes écrits, des messages et des lettres, des déclarations politiques ou des citations de livres. Si les premiers ont été pour la plupart reconstitués au moment de la restauration du film par l’équipe de Philippe Esnault, les seconds sont d’origine (version de 1921) et permettent de respecter la graphie de l’époque. Ils sont tous écrits à la plume.

12 Nous nous proposons d’analyser ici plus en détail, en suivant l’ordre du film, la dialectique instaurée par l’organisation séquentielle et le montage entre les plans d’intérieur tournés en studio et les extérieurs en décors naturels. Ces derniers deviennent de plus en plus nombreux au fur et à mesure que le film se développe. Capellani et Antoine offrent conjointement au spectateur un véritable condensé de l’évolution du découpage entre 1914 et 1921 en un seul long métrage de 2h45. Quatre- vingt-treize est en même temps qu’une leçon d’histoire politique une leçon d’histoire du cinéma.

13 Le film débute par une présentation classique des personnages au générique avec le nom des acteurs, comme l’usage est fréquent dans le cinéma des années 10, surtout pour les grandes épopées historiques.

14 Ainsi, trois plans présentent Cimourdain en uniforme de conventionnel, avec panache et écharpe tricolore (interprété par Henry Krauss), au sommet d’une muraille, le jeune Gauvain (Paul Capellani) en officier des gardes nationaux avec sa cape, et le marquis de Lantenac (Philippe Garnier), en costume traditionnel breton, dans ses terres, et devant lequel s’agenouille un jeune paysan.

15 Plusieurs intertitres situent l’action dans la région de Fougères, de Dol et de Pontorson, dans la Bretagne du Nord-Est, à la frontière du Sud de la Manche et de l’Ille-et-Vilaine. Le premier carton indique :

16 « Dans la région de Fougères, près de Sept forêts, s’élevait sur une butte, le vieux château de la Tourgue, berceau d’une dynastie puissante de seigneurs bretons ».

17 Les autres personnages identifiés au départ, comme la femme du Fléchard, le métayer, et l’Imânus, le chouan qui seconde Lantenac, sont tous deux filmés en extérieurs, la première devant le décor de sa ferme misérable, le second en pleine forêt à la tête de sa bande.

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18 Les trois premiers longs plans du récit représentent successivement Gauvain, Lantenac et Cimourdain en intérieur. Le décor est reconstitué en studio, comme c’est l’usage dans le cinéma français de la période : Gauvain dans la bibliothèque de la Tourgue, avec ses livres, ses fauteuils, et quatre bustes de personnalités historiques ; Lantenac dans l’une des grandes pièces de son château, où trône au fond du champ une grande cheminée, avec un mobilier austère ; Cimourdain dans la modeste chambre de son presbytère lisant un livre au premier plan. On retrouvera deux de ces trois lieux, les intérieurs du château, lors de la fin du film.

19 Le cadrage est frontal, en plan d’ensemble, la prise longue accompagne les intertitres, très narratifs.

20 Ce début correspond donc bien à la théâtralité du cinéma de la première décennie, au « mode de représentation primitif », selon une formule célèbre. Mais cette forme de représentation disparaît assez vite pour laisser place à un très grand nombre de plans tournés en extérieurs, selon différentes échelles et formes de cadrages, même si le plan large reste dominant. Les trois intérieurs sont construits. Les toiles peintes en profondeur ne sont présentes principalement que lors de la représentation de la bataille de Dol, à la fin de la première partie.

21 Lorsqu’interviennent les autres personnages, le vieux Caimand (le quémandeur plus ou moins sorcier), puis le couple des métayers, Capellani les filme en extérieurs : la cahute dans la forêt pour le premier, la ferme pour le couple Fléchard. Plus encore, il va décrire par un lent panoramique vers la droite l’itinéraire du Fléchard qui va braconner le poisson en barque, dans une rivière des environs. Les plans qui suivent mettent au premier plan la nature et la luminosité de la forêt en cadrant des chemins ensoleillés. Les gardes du marquis viennent arrêter le pauvre contrebandier et lui faire subir le châtiment de la justice aristocratique en le flagellant à coups de bâtons jusqu’à l’intervention du vicaire qui vient s’interposer, au nom de la justice de Dieu. Toute cette action est représentée en plan continu, mais elle donne la part belle à la nature environnante, à la forêt, aux chemins forestiers et la prise de vue amplifie les effets de lumière.

22 Lorsque le vicaire sort de son presbytère, il est représenté en plan frontal extérieur : la cadrage donne à voir un grand bâtiment d’un étage construit en pierres, à l’architecture typique de cette région bretonne, avec son jardinet, sa grille et ses hauts murs de granit. Puis Cimourdain traverse la place du village où l’on aperçoit un calvaire en pierres de granit, des façades de maisons toutes en pierres grises. Il croise un double attelage de paysans qui transportent de très gros troncs d’arbres et il rejoint la vieille église du village. L’église est évidemment un décor naturel.

23 Le film offre au départ un tableau des rapports sociaux en cette année 1793 dans la Bretagne reculée, loin de la capitale. Le marquis est tout puissant, il a droit de justice et il tient ce droit de Dieu. Le mode de vie rural semble immuable. Un épisode suivant multiplie les plans de nature puisqu’on y voit Gauvin parti à la chasse dans ses domaines mordu par une vipère et sauvé par le Fléchard venu couper du bois à la hache.

24 Toutes ces péripéties sont filmées en extérieurs naturels. Le seul moment où le décor de studio intervient à nouveau est celui où Gauvin emporte le malheureux Fléchard empoisonné par le venin qu’il a absorbé dans la chambre de Cimourdain.

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25 Chacun des trajets des personnages (visite de Gauvin à Cimourdain et vice versa) donne une vision d’ensemble de la topographie du village en décors réels. Ainsi, quand Gauvin rapporte le livre de Rousseau au vicaire, il passe devant un autre côté de l’église où l’on peut voir un lavoir, des façades de maison du village, la grille du presbytère et quelques moutons attestant du mode de vie des paysans.

26 Cette présence de la vie rurale ancrée dans les traditions les plus archaïques est encore mieux représentée en termes visuels lorsque Capellani cadre en plan général et en plongée la rue principale du village avec son alignement de maisons aux toits de chaumes : il met en scène le trajet de Grandcoeur, le prêtre réfractaire, allant de maisons en maisons pour rassembler sous sa bannière le groupe de paysans hostiles aux forces révolutionnaires3. On les retrouve tous devant le parvis de l’église où vont s’affronter Grandcoeur et Cimourdain, le premier chassant le second du lieu du culte avec la complicité active des paysans. Le filmage en plan d’ensemble met au premier plan le cadre spatial de l’affrontement. Le conflit idéologique prend place dans un lieu réel chargé d’histoire, celle de la Bretagne traditionnelle et catholique. La mise en scène organise alors remarquablement les masses de personnages et les mouvements antagoniques qui montre que Cimourdain, malgré sa détermination, ne peut que s’enfuir.

27 L’affrontement entre l’oncle et le neveu intervient comme il se doit dans la bibliothèque car il prend prétexte de la lecture de Jean-Jacques Rousseau par le jeune homme, nouvellement acquis aux idées nouvelles de liberté, d’égalité et de fraternité, à la grande fureur de l’aristocrate qui le traite alors de « jeune sot ». La divergence des chemins se trouve représentée par une pancarte dans la forêt : le chemin de gauche part vers Saint Malo ; c’est celui que va emprunter l’oncle pour rejoindre les nobles en Angleterre. Le chemin de droite indique Paris, et c’est la voie qui choisit le neveu par aller rejoindre son nouveau mentor, le vicaire révolutionnaire Cimourdain.

28 Les deux épisodes suivants montés en opposition laissent une large place aux décors de studios, mais ce sont des décors construits et non des toiles peintes.

29 La chambre où va trouver refuge Cimourdain dans la capitale est une modeste pièce mansardée. C’est là que son jeune ami le retrouve et qu’ils vont pouvoir apercevoir le peuple de Paris défiler dans la rue en chantant « Ah, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne… ». Pour Cimourdain, « les tyrans défient le peuple, mais celui-ci n’est pas composé d’une masse d’esclaves ». Il faut « l’écouter qui gronde ». On retrouve cette esthétique du studio caractéristique du cinéma historique dans la représentation des rues du Paris révolutionnaire. Capellani opte pour les portraits de groupes restreints, cadrés en plans moyens, dans des coins de rue du centre, ou devant des escaliers qui permettent les harangues et l’engagement dans l’armée. On aperçoit au milieu des soldats et des orateurs politiques le gros Radoub que l’on va retrouver, de même que la cantinière. La stylisation du peuple parisien propre à cette séquence sera directement reprise par Jean Renoir dans La Marseillaise vingt-trois ans plus tard. Les intertitres restituent le texte de chansons populaires pendant que le jeune héritier Lantenac vient de s’enrôler dans l’armée du Rhin pour porter secours à la patrie menacée. Les décors et les costumes permettent de créer cette ambiance populiste, plus encore le jeu bon enfant des acteurs.

30 Tout oppose cet univers au décor intérieur du salon aristocratique de Londres où le marquis de Lantenac va retrouver le duc d’Artois pour se voir confier la direction de la révolte des contre-révolutionnaires bretons. Le cadre visuel, les costumes des

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personnages, le jeu guindé des interprètes donnent une très bonne image de l’Ancien Régime avec sa hiérarchie très codée, ses rites de politesse et ses artifices.

31 La mission de Lantenac qui doit retourner dans sa Bretagne va permettre le développement de plusieurs séquences magistrales presque exclusivement filmées en décors naturels. Lantenac a pris les habits d’un paysan breton pour revenir clandestinement. Parallèlement, le film montre le trajet du bataillon des bonnets rouges, alors que Cimourdain est devenu commissaire aux armées et observe à Paris un défilé militaire. Le trajet de Lantenac l’amène sur les plages de Jersey où l’attendent des marins ralliés aux nobles. Cet épisode aurait été filmé, comme nous l’avons évoqué au départ, par Antoine en 1917. Il est vrai que le cadrage du parcours des personnages sur le sable des grèves est particulièrement original, avec une variété d’échelle inhabituelle. Plus encore, la manière de filmer la corvette Claymore, l’alternance entre les plans du pont et le décor de la cale du navire indique sans doute une technique postérieure à 1914, surtout dans la forme du montage.

32 C’est le moment du film où la force de caractère du marquis de Lantenac trouve à s’exprimer au travers de deux séquences d’une grande intensité dramatique : la décoration de la croix de guerre pour le marin qui a provoqué un accident et qui su le réparer immédiatement suivie de sa condamnation à mort (la séquence de la fusillade du marin évoque irrésistiblement celle du Cuirassé Potemkime), la confrontation entre le marquis et le frère de la victime dans la barque qui les mène jusqu’au rivage. Le jeu de l’acteur Philippe Garnier exprime remarquablement le pouvoir de conviction du personnage, son fanatisme et sa détermination, mais le cadrage en plans rapprochés et les champs / contrechamps amplifient cette performance. L’alternance des images sert le texte des intertitres qui citent de près le texte de Victor Hugo : « Si tu me tues, tu ôtes à Dieu sa dernière ressource… Je ferai fusiller mon fils », phrases du marquis qui se concluent par le texte hugolien : « Halmalo bouleversé se jeta aux pieds d’un tel homme, lui demanda pardon, lui promit parfaite obéissance… ».

33 Le débarquement de Lantenac sur le rivage est tout aussi bien cadré lorsque l’on voit la silhouette du personnage appuyé sur une colonne et observant la silhouette du Mont Saint-Michel au fond du champ (voir photos).

34 La première partie du film se termine par l’organisation de la révolte des Chouans que rassemble Lantenac alors que le bataillon des bonnets rouges arrive sur les terres bretonnes pour y défendre les conquêtes révolutionnaires. Ces deux mouvements amplifient l’utilisation des décors naturels dans la mise en scène : les collines rocailleuses de Sept forêts pour les Chouans, le bois de la Saudraie pour le bataillon. L’alternance amène la rencontre tragique dans la métairie de l’Herbe-en-Pail, puis au massacre du bataillon par les Chouans.

35 Lantenac est d’abord accueilli par le Caimand qui le reconnaît aussitôt sous son déguisement de paysan. Il l’amène dans sa cahute au milieu de la forêt. Lorsque le tocsin retentit annonçant l’arrivée du nouveau chef de la rébellion, une série de vues de la campagne et de la forêt bretonne représente l’apparition soudaine des Chouans qui émergent des grottes, des rochers, des recoins de forêt, une belle manière de rendre visible le slogan : « la chouannerie se lève ». Lantenac est au sommet d’une colline et contemple sa nouvelle armée avec ses hautes serpes qui proclame « Vive Dieu, vive Monseigneur ! ». La séquence acquiert ici une dimension épique dont se souviendra Eisenstein dans Alexandre Newski avec ses prêtres et ses chevaliers aux capes blanches.

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36 Les gardes nationaux du bonnet rouge sont nettement moins menaçants. Ils fouillent le « redoutable bois de la Saudraie » et découvrent la Flécharde avec ses trois enfants que le bataillon va adopter. Ils en seront le porte bonheur, ce qui n’est pas sans ironie puisque la bataillon est décimé dans la séquence suivante. Le cadrage de la nature à hauteur d’hommes lui offre ici plutôt une fonction protectrice et bienveillante. Le soleil radieux qui éclaire le sous bois ajoute une touche joyeuse à cet épisode, en contraste total avec celui qui suit.

37 Tout au contraire, la mise en scène des soldats de Dieu exploite le caractère sauvage de la lande et ses escarpements rocheux. Le paysage cadré de plus loin est encore plus spectaculaire lorsque le prêtre réfractaire Grandcoeur célèbre la messe en haut des rochers, entourés des Chouans armés de leurs « ferpes » (hautes serpes, précises le carton). On va les voir ramper, descendre des arbres, faire le guet, surgir de partout, selon les techniques classiques de la guérilla, alors que « les Bleus, mal commandés, ont le dessous. »

38 Un long plan séquence de près de 3 minutes (2 minutes 43 précisément) matérialise ce rapport de force. Il cadre un chemin découvert au milieu de la forêt. Les bleus défilent les uns après les autres sur ce chemin rocailleux jusqu’à sortir du champ. La caméra reste fixée sur le même cadre vide pendant quelques secondes jusqu’à ce qu’apparaissent les premiers insurgés qui rampent sur la lande. Ils sont vêtus de peaux de bêtes, coiffés d’un grand chapeau traditionnel de paysan breton, leurs yeux sont cernés de noir ; certains portent des carabines de chasse, d’autres des ferpes. Mais c’est le nombre de ces poursuivants qui est spectaculaire. Ils ne cessent d’apparaître du fond du champ et défilent devant l’objectif. Capellani anticipe ici, sans le savoir, par la durée du plan et l’attente puis l’apparition des agresseurs la théorie bazinienne du montage interdit.4 On revient ensuite en contre champ sur le trajet des Bleus, filmés de dos, jusqu’à l’arrivée au cantonnement.

39 L’attaque des Chouans dirigée par « Une brute terrible qu’on nommait l’Imânus » secondant le marquis parmi les paysans est représentée de manière assez elliptique dans le décor naturel de la métairie. Capellani développe plutôt l’approche de la meute des Chouans qui se couche à terre et rampe pour ne pas être découverts. La sentinelle est vite éliminée et la bataille rangée se déroule en quelques plans (deux plans seulement de face, puis de dos, des soldats qui tirent en rang) montrant la supériorité numérique des assaillants et leur violence. La mise en scène insiste plutôt sur l’après bataille lorsque Imânus va rendre compte du combat au marquis, observant à la jumelle la scène du haut d’une colline lorsque les insurgés s’emparent de l’étendard révolutionnaire sur le toit du bâtiment. On voit par contre Lantenac venir scrupuleusement observer les effets de sa victoire et décider de faire fusiller les survivants, y compris les femmes. Seuls les trois enfants sont épargnés et enlevés par les Chouans.

40 Les soldats sont immédiatement exécutés, levant leur chapeau en criant « Vive la République ! ». Capellani, à la suite de Hugo, insiste sur la sauvagerie de cette guerre civile, sanguinaire et sans pitié. L’extermination du bataillon a été filmée en décors naturels, dans un corps de ferme fortifiée afin d’inscrire le combat dans un contexte régional précis, d’authentifier la victoire provisoire des Chouans dans leur territoire ancestral.

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41 Cette première partie assure le triomphe du marquis et la défaite des gardes républicains. Seul le sergent Radoub parti en avant garde avec un petit groupe a pu échapper au massacre, tout comme les trois jeunes enfants épargnés par le marquis.

42 Ils vont jouer un rôle essentiel dans la seconde partie du film.

43 La seconde partie est sensiblement égale à la première (1 h 21 au lieu de 1 h 24). Elle comprend de magnifiques séquences utilisant des décors naturels repérés en Bretagne. Elle commence par la découverte des ruines fumantes de la métairie où a eu lieu le massacre du bataillon. La caméra suit en un long travelling latéral le trajet du Caiman, bouleversé par le carnage. Autant le combat lui-même a été éludé, autant ses conséquences sont exposées en détail : les cadavres jonchent le sol, les bâtiments de pierre ont été incendiés et fument encore. Ces ruines sont réelles et n’ont pas été reconstruites en studio. Le Caiman retrouve alors le corps de La Flécharde qui respire toujours. Deux soldats survivants vont la porter jusqu’à la cahute du mendiant. La succession des plans donne une description détaillée du lieu réel, des ruines de la ferme. C’est une manière efficace de représenter les désastres de la guerre.

44 Auparavant, on a vu Gauvain nommé par Carnot à la tête de la colonne des Côtes du Nord arriver sur les lieux des combats. Il est aussitôt informé du massacre de L’Herbe- en-Pail.

45 Trois séquences s’enchaînent ensuite, radicalement différentes en terme de choix décoratifs. Dans la première, Gauvain qui chevauche à la tête de sa troupe de 1.500 soldats réquisitionne un bâtiment pour y passer la nuit. Il entre dans un monastère de religieuses. La description et le filmage du lieu réel sont magistrals. Capellani cadre le portail d’entrée, l’entrée des soldats dans le jardin du monastère, la traversée du cloître avec ses colonnades. Il filme en plan d’ensemble les mouvements successifs de panique des religieuses qui se dispersent comme un vol de moineaux, ou referment les volets de leurs cellules. L’épisode de la trahison de la mère supérieure, que surprend Radoub, est situé dans le jardin du couvent, avec son puits, ses escaliers de pierre, ses colonnes et son cloître. Le message de la mère supérieure à Lantenac précise qu’il s’agît du couvent de Saint Marc le Blanc. C’est dans ce lieu que le jeune officier fera part de sa clémence en épargnant la religieuse : « Pour une telle action, je devrais vous faire guillotiner. Mais je ne fais pas la guerre aux femmes, Vous êtes sincère. La République sait pardonner. Allez, je vous fait grâce… La Révolution, c’est la concorde et non l’effroi. »5.

46 Les deux séquences suivantes s’opposent en tous points à cet usage remarquable d’un lieu réel. On revient d’abord à Paris où Cimourdain reçoit un message de Marat. Capellani filme une séquence célèbre, purement fictionnelle, inventée par Hugo dans son roman : la réunion du triumvirat Marat-Danton- Robespierre dans la salle arrière du cabaret de la rue du Paon. La scène est évidemment filmée en décors de studio, d’autant plus qu’elle est très peu éclairée. Elle s’intègre dans le processus général de reconstitution des événements historiques. La pénombre offre une représentation très contrastée des silhouettes et des visages. reprend littéralement cette scène quelques années plus tard dans son Napoléon (1927). Cette « trinité formidable » donne les pleins pouvoirs à Cimourdain, commissaire délégué du Comité de Salut Public de l’An II de la Révolution, tel qu’il est mentionné sur le mandat signé par le triumvirat.

47 Le décor naturel de la Bretagne reprend ses droits lors du voyage de Cimourdain. Capellani filme en profondeur de champ le délégué à cheval dans la rue déserte d’un village. Cimourdain s’arrête devant une maison paysanne, avec sa façade de pierres, son

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escalier et ses dépendances. Il apprend que l’on se bat du côté de Pontorson et lit deux proclamations antagoniques placardées sur le portail, signées de Lantenac et de Gauvain. L’un comme l’autre déclare à son adversaire qu’il le fera fusiller.

48 Lorsque Cimourdain retrouve Gauvain, la scène se déroule dans un cour de ferme en décors réels, ferme transformée en quartier général de la colonne républicaine. On va voir la colonne de quinze cent hommes, comme le précise un intertitre, marcher à rythme rapide vers la ville de Dol, conquise par les Chouans. Capellani filme en plan général le trajet des gardes nationaux. L’ample figuration des hommes en uniformes restitue à l’écran le nombre de la colonne. Tous les mouvements sont représentés en décors naturels : colline boisée, chemins de pierres. Les soldats républicains reprennent alors le territoire des Chouans.

49 La représentation de Dol est radicalement différente. Capellani a choisi de reconstituer des rues de la ville en studio avec un décor de grandes colonnes, décor construit au premier plan. Les façades des bâtiments sont représentés par des toiles peintes en fausse perspective. Certes, il était difficile d’organiser le tournage dans la ville réelle, ou bien de la reconstituer en profondeur en décors de studios. Mais la manière de filmer les mouvements des personnages et les actions intègre tout-à-fait ces toiles peintes dans la scénographie générale.

50 On découvre d’abord les rues de Dol en suivant en panoramique le mouvement de Lantenac. Les Chouans sont allongés à terre après le combat. La caméra découvre une place vide avec des façades typiques de bâtiments à colonnades. Lantenac rejoint un groupe qui garde les trois enfants. Au premier plan, le décor donne à voir les colonnes de la promenade couverte, les objets répandus à la suite du combat, des tonneaux et un petit canon. Capellani choisit de filmer l’arrivée soudaine de l’armée républicaine dans la place auparavant parcourue. Un chouan vient de donner l’alerte et les insurgés assoupis se réveillent et se lèvent brusquement. Cette fois, le film développe les phases du combat, met en scène les tirs des soldats, l’attaque menée par Gauvain, la stratégie d’encerclement et la fuite des Chouans submergés à leur tour par le déferlement de l’armée républicaine et sa puissance de feu. Dans l’une de phases finales du combat, un Chouan s’apprête à tirer sur Gauvain et blesse Cimourdain qui s’est interposé, sauvant la vie du jeune officier.

51 Cet épisode amène le film dans un nouveau décor reconstitué, celui d’un hôpital de campagne où l’on soigne Cimourdain ; à nouveau Gauvain fait preuve de sa clémence envers son assassin.

52 L’hôpital marque un retour à l’esthétique du studio. L’échelle est celle du plan d’ensemble en intérieur. Le plan continu n’est fragmenté que par des intertitres livrant le dialogue entre le médecin militaire, Gauvain, Cimourdain et son assassin : Gauvain à Cimourdian : « Souffres-tu ? » ; le Chouan, mortellement blessé à Gauvain : « Sois, maudit, Chien ! », scène qui se termine par la réplique de Cimourdain, lourde de conséquences : « Tu es trop clément avec nos ennemis ».

53 Avant le final du film qui se déroule autour du Château de la Tourgue, une série séquentielle marque un retour aux extérieurs naturels de la campagne bretonne. Cette série suit l’errance de la Flécharde, soignée par le Caiman, qui part à la recherche de ses trois enfants enlevés par les Chouans. Sa quête est motivée par une évocation subjective des trois enfants apparue en surimpression, forme archaïque assez rare dans le film. On ne la retrouve que deux fois pour rendre visuelle les pensées de Gauvain et celle de Lantenac. Cette errance permet de parcourir de nouvelles rues de village

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breton, avec leurs vieilles maisons de pierres et leurs escaliers. Parallèlement, un montage alterné sommaire représente la fuite des Chouans après la défaite de Dol : « Les Chouans par bandes se replient dans les forêts ».

54 Capellani filme la déroute dans des lieux inédits : une rivière sous un pont, un mur qu’escaladent les fuyards, des clairières dans la forêt. Ils rejoignent alors Lantenac en haut d’une colline. Celui-ci écrit un nouveau message au duc d’Artois : « J’ai du évacuer Dol. Je ne puis plus rien que me réfugier avec mes hommes à la Tourgue en attendant l’aide des troupes anglaises ».

55 Après ces plans d’ensemble des collines bretonnes, on retrouve brièvement le décor de toile peinte de Dol lorsque la Flécharde arrive sur la place, retrouve les soldats républicains, erre de tonneaux en canons, au milieu des cadavres des Chouans. La série se clôt par un retour au Quartier général de Gauvain, précédé d’un plan de l’étendard de la République. Cimourdain y rédige son rapport au Comité de Salut public : « Le moment est venu. Lantenac va être pris. Je vous demande d’envoyer la guillotine », message auquel Gauvain rétorque : « Guillotiner Lantenac, vous en ferez un martyr ! ».

56 Dans le scénario initial, Alexandre Arnoux avait écrit une séquence qui décrivait le trajet de la guillotine de Paris à la Bretagne, mais celle-ci n’a pu être tournée (voir plus haut, la citation de Philippe Esnault).

57 Les derniers mots de Cimourdain avant l’épilogue sont les suivants : « La République doit être inexorable ou disparaître » et « Ne confonds jamais les idées avec les sentiments ».

58 La dernière partie intervient après deux heures de récit et dure 45 minutes. Elle est consacrée pour l’essentiel au siège de la Tourgue. On y retrouve en alternance des plans tournés en studio, tous ceux dont l’action se situe dans les pièces intérieures de la tour, et de nombreux plans d’extérieurs : le village où l’on annonce l’avis à la population, la forêt aux alentours, les terrains découverts où la colonne républicaine vient se rassembler, les hauts murs extérieurs de la tour.

59 La Tourgue est présentée ainsi : « La Tourgue, une haute tour ronde toute seule au coin du bois comme un malfaiteur. Dans cette masse robuste, l’idée de puissance était mêlée à l’idée de la chute. Romaine elle l’était même un peu car elle était romane ».

60 C’est la demeure ancestrale des Lantenac où ont été présentés le marquis et son neuveu au début du récit. L’arrivée de Lantenac et de ses comparses est filmée en contreplongée latérale, cadrée du bas. L’originalité de la prise laisse supposer qu’elle est postérieure à 1914. Lantenac et l’Imânus entre dans la tour par un passage secret. On en verra un autre dans les séquences suivantes, partant de l’intérieur de la tour. Ils arrivent dans une grande salle que nous avons déjà vu dans les premiers plans. C’est un vaste décor intérieur de studio, de même que la bibliothèque où nous avons fait la connaissance de Gauvain. Lantenac décide d’enfermer à clef les trois enfants dans la bibliothèque. Ces deux décors seront souvent repris en alternance avec des plans extérieurs des assaillants. Lantenac va faire passer une grande échelle par la fenêtre pour faire monter des barils de poudres et des grands sacs. Il utilise ensuite cette même échelle pour descendre les trois enfants lors de l’incendie en fin de séquence.

61 Parallèlement au siège des Républicains mené par Cimourdain et Gauvain, le montage alterné montre la poursuite de la recherche de la Flécharde. C’est l’occasion de découvrir une nouvelle ferme avec son étang et son calvaire. Ce n’est qu’une étape dans le chemin de croix de la malheureuse qui va s’abreuver dans la mare.

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62 On aperçoit un autre décor naturel de rue villageoise lorsqu’un garde champêtre vient annoncer son avis à la population : « Tout individu pris les armes à la main contre la République sera fusillé sans jugement ». La Flécharde demande « Où sont-ils donc ? ». « Ils se battent à la Tourgue », lui est-il répondu.

63 Capellani cadre en plan général la colonne de soldats qui viennent se disposer en rang. L’ampleur du cadre permet d’apprécier le nombre de soldats, sans doute plus d’un millier. Le film prend alors une dimension indéniablement épique. Un contrechamp montre Lantenac qui observe les assaillants de sa tour, un autre cadre en plan rapproché une fenêtre avec les enfants.

64 La suite décrit la progression de la défense pour les Chouans et de l’attaque pour les Républicains. On découvre une nouvelle salle du château (décor de studio), celle où sont entreposés les barils de poudre et les fusils. Radoub prépare une explosion avant d’ouvrir une brèche dans la muraille (décor naturel adapté). La Flécharde arrive près de la tour et le montage alterne alors des plans de la mère, marchant dans les environs de la tour et ceux des trois enfants à la fenêtre. Lantenac vient parlementer dans la brèche ouverte. Cimourdain dessine le plan de la forteresse avec ses étages et la salle de la bibliothèque. L’assaut à proprement parlé est filmé en un long plan qui montre les soldats entrer par la brèche. La mise en scène utilise alors les escaliers de la tour, les salles où se barricadent les assiégés, selon une tradition déjà bien établie du film historique. Tous les éléments du récit d’aventures, présents dans le roman initial, sont repris par Capellani : le passage secret par lequel s’enfuient les assiégés, le baril de poudre avec la mèche que l’on allume pour tout faire sauter, les deux combats singuliers livrés par Radoub, contre le Chouan blessé dans la salle des armes, puis contre l’Imânus resté seul dans la tour, l’incendie qui se propage de pièces en pièces, les enfants enfermés dans la bibliothèque. Toutes ces pièces intérieures sont des reconstitutions en trois dimensions en studio. Pour couronner le tout, il y a le remords final du marquis qui remonte dans le château pour aller sauver les trois enfants alors que les Républicains ont triomphé. Il descend alors les enfants en les portant un par un par la fenêtre grâce à l’échelle qu’il a fait replacer. On notera qu’il descend dos à l’échelle, pour faire face aux assaillants (et à la caméra), ce qui n’est évidemment pas la meilleure manière de descendre une échelle.

65 Le cadrage permet alors à Cimourdain de lui poser la main sur l’épaule et de lui intimer : « Au nom de la loi, Ci-devant marquis, je vous arrête ». Lantenac répondant alors face caméra : « Allez, je saurai mourir ». La scène est filmée en bas des murailles de la tour, en décor naturel.

66 L’épilogue à proprement parler est bref, après cette longue séquence à la Tourgue. Il débute par un plan extérieur de la guillotine que l’on a installé au centre d’une plaine. Gauvain va trouver le marquis dans sa cellule très sombre (studio) et le fait fuir en lui prêtant sa capote militaire. La cour martiale est réunie en extérieurs studio et on y voit Cimourdain condamner à mort Gauvain : « Tu la fait s’échapper. Tu connais le code. Tu risques ta tête ». Il va ensuite retrouver Gauvain dans sa cellule et partager avec lui son dernier repas, ce qui est l’occasion de formuler leurs divergences politiques : CIMORDAIN : « Tu crois en Homère, je crois en Euclide. La République, c’est 2 et 2 font 4. Je ne vois que la Justice. Nous voulons réaliser le possible. La civilisation avait une peste. Le grand vent de l’histoire l’en délivre. Devant l’horreur du miasme, je comprends la fureur du souffle ». GAUVAIN : « Tu oublies simplement les hommes. Au-dessus de la justice, il y a l’équité. Donner à chacun ce qui ne lui revient pas. Il y a l’immense concession

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réciproque que chacun doit à tous et que tous doivent à chacun et qui est toute la vie sociale… Je ne veux pas de service militaire. Je veux la paix, la misère supprimée, l’égalité pour la femme… ». La scène se clôt avec ces deux intertitres brefs : CIMOURDAIN : « A quoi penses-tu ? » GAUVAIN : « A l’avenir ! »

67 Le dernier matin est celui de l’exécution de Gauvain en lieu et place de Lantenac, malgré les supplications de Radoub et de la Fléchard, exécution aussitôt suivie du suicide de Cimourdain dans une dernière image très elliptique.

68 L’exécution est, bien sûr, filmée en extérieurs, la guillotine entourée des soldats du bataillon, au centre de la plaine découverte. Quatre-vingt-treize se termine par cette scène tragique et terrible.

69 Conclusion – La force du film tient d’abord à la construction du scénario et à sa scénographie d’ensemble. Le scénario d’Alexandre Arnoux a tiré le meilleur parti possible du roman initial, dans les contraintes d’un film muet de cette époque. Mais Capellani puis Antoine ont magistralement utilisé les décors naturels de la Bretagne, tous les lieux sélectionnés, les églises et les calvaires, les bâtiments comme les métairies et les maisons individuelles, les fermes avec leur puits et leurs dépendances, leurs attelages, les forêts et les collines de la région de Fougères. Il faut souligner également l’authenticité des costumes, tant ceux des Chouans que ceux des soldats révolutionnaires. Enfin, il y a la conception dramatique des trois personnages principaux, l’aristocrate intransigeant et sans pitié, le révolutionnaire prêt à sacrifier son meilleur ami pour la cause et le jeune humaniste qui croit à l’avenir. Mais cette conception ne serait rien sans l’interprétation de Philippe Garnier, Henry Krauss et Paul Capellani, tous trois remarquables de nuances et de sobriété.6

70 Quatre-vingt-treize est donc bien un film majeur, le point culminant de l’esthétique réaliste de la SCAGL en 1914.

NOTES

1. Quatrevingt-treize est le dernier roman de Victor Hugo, écrit à Guernesey de décembre 1872 à juillet 1873 et publié en 1874. Le film de Capellani est réalisé 40 ans plus tard. La mémoire du livre est encore fraîche en 1914. 2. Alexandre Arnoux, né en 1884 à Digne-les-Bains, avant d’être un critique et un romancier célèbre depuis les années vingt a d’abord publié deux recueils de poésie, L’Allée des nuits en 1906 et Au grand vent en 1909 et un premier roman en 1912, Didier Flaboche, une pièce de théâtre La Belle et la bête en 1913, à la source du film de Jean Cocteau. Quatre-vingt-treize est sa première adaptation et son premier scénario. 3. Capellani reprend ici un plan d’ensemble de son Germinal, lorsqu’il représentait la propagation de la grève de maisons en maisons, à la suite de l’intervention des meneurs. L’abbé Grandcoeur est filmé de la même manière. 4. « On reste pantois à la vision du prodigieux plan séquence qui fait longuement défiler tout le bataillon des bleus et se prolonge, une fois le dernier soldat sorti de l’image, sur la lande déserte jusqu’à ce que le spectateur, intrigué par cette immobilité suspecte, s’attende à voir surgir les

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chouans embusqués qui ne tardent d’ailleurs pas à apparaître, comme sortant de terre, pour bientôt envahir toute l’image et nous faire prendre conscience avec effroi qu’ils étaient là, invisibles, depuis le début. » (Claude Rieffel, avoir-alire.com) 5. « L’autre passage continue de m’interloquer. Il s’agit de la remarquable séquence de l’occupation du couvent par les Bleus, dont le découpage et le montage – d’une durée stricte – sont exemplaires pour l’époque : sens, rythme, lumière, expression. Dans une telle aventure, qui peut dire à l’exact la part de chacun (l’interprète principal, Paul Capellani, remarquable Gauvain, avait suivi son frère aux Etats-Unis) ? Après son tournage, Antoine intervint-il au montage ? Fit- on des modifications après l’interdiction prononcée par la censure ? Ou bien au moment de la sortie du film ? Je m’abstiens de supputer davantage. » Philippe Esnault, Antoine cinéaste, op. cit, p. 118.« La grandiose chorégraphie de la séquence du couvent, avec les nonnes s’enfuyant au fond des allées du cloître ou fermant toutes ensembles les volets des grandes fenêtres auxquelles elles étaient appuyées pour assister à l’arrivée du bataillon de Gardes Nationaux fournit elle aussi un très bel exemple du génie de la mise en scène de Capellani, immense cinéaste. » (Claude Rieffel, avoir-alire.com) 6. Sur le jeu des acteurs : « Très respectueuse du roman, l’adaptation qu’en réalise Albert Capellani durant l’été 1914, met en avant, dans les premières scènes, l’iniquité de l’Ancien Régime en décrivant la vie misérable des paysans bretons (le châtiment qui punit le braconnage) mais se refuse à charger excessivement la figure du Marquis de Lantenac, dont l’interprétation sobre et énergique de Philippe Garnier fait ressortir à la fois l’intransigeance bornée et une indéniable grandeur de caractère. A ce personnage représentant les forces réactionnaires, s’oppose celui de l’inflexible Cimourdin. Le prêtre défroqué n’est pas véritablement au centre de l’action mais sa figure domine le film et Henry Krauss, effrayant et pathétique à la fois, lui confère une dimension hallucinée et presque surhumaine : défenseur fanatique de la Révolution menacée il se résout, la mort dans l’âme, à lui sacrifier celui qui est pour lui bien plus qu’un fils spirituel, le jeune Gauvain, neveu du marquis, coupable de pitié envers l’adversaire (il laisse échapper son oncle). Paul Capellani, frère du réalisateur, réussit à faire exister à l’écran ce héros positif, acquis aux idées nouvelles mais attaché aux valeurs d’humanité, qui risquait, écrasé par ces deux monstres formidables, de paraître bien fade. » (Claude Rieffel, www.avoir-alire.com)

AUTEUR

MICHEL MARIE Michel Marie. Professeur émérite de l’université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Michel Marie a été président de l’AFRHC de 2001 à 2004. Il dirige la collection « Cinéma et Arts visuels » chez Armand Colin. Il a co-dirigé avec Laurent Le Forestier le volume La Firme Pathé Frères, 1896-1914 (AFRHC, 2004). Il a notamment publié Le Cinéma muet (Cahiers du cinéma, 2005) et récemment La Nouvelle vague et son film manifeste, A bout de souffle (Armand Colin, 2012). On lui doit une étude sur Germinal de Capellani dans L’année 1913 en France, numéro hors série de 1895, octobre 1993.

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Albert Capellani directeur artistique de la SCAGL ou l’émergence de l’auteur

Dominique Moustacchi et Stéphanie Salmon

Les débuts

1 Avant d’être nommé directeur artistique de la Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres, dès sa création en 1908, Albert Capellani débute sa carrière comme acteur au Théâtre Libre d’André Antoine puis devient régisseur du théâtre de Firmin Gémier. En 1904, il est administrateur de la scène de l’Alhambra où il dirige bon nombre de ballets1. Il quitte ensuite le milieu théâtral en 1905, quand le directeur de la production de Pathé, Ferdinand Zecca, lui propose de l’engager comme assistant, puis comme scénariste, si l’on en croit l’interview qui lui est consacré dans Le Cinéma et l’Echo du cinéma réunis en 19122, Après avoir débuté par des scènes interprétées par André Deed, il remporte un premier prix avec Don Juan lors d’un concours de scénarios.

2 Pathé lui demande bientôt son « concours comme metteur en scène » et, toujours sous la houlette de Ferdinand Zecca, il dirige de courts mélodrames. Le départ de Gaston Velle pour la Cines à Rome en 1906 lui laisse une place libre et lui permet de se lancer dans la réalisation de contes qui feront son succès, tels Le Pied de mouton, Le Chat botté, Cendrillon, Peau d’Âne. Il acquiert une certaine reconnaissance puisqu’il sera approché par la société du Film d’Art, selon l’article précédemment cité : Lors de la tentative cinématographique de M. Le Bargy, Capellani fut pressenti par l’ex sociétaire de la Comédie-Française. Il ne donna pas suite aux propositions qui lui furent faites.

3 1908 est une année décisive pour la société Pathé puisque après avoir lancé la location des films, elle commence à s’intéresser à l’édition pour diversifier son offre aussi bien en France qu’à l’étranger. C’est pourquoi elle participe activement à la création de la Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres, fondée par Saul et Georges

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Merzbach, banquiers liés à la firme au coq3, associés à deux écrivains de renom, Pierre Decourcelle et Eugène Gugenheim. Cette société anonyme a pour objet « L’adaptation, la composition et la représentation cinématographique, photographique, phonographique tant en France qu’à l’étranger d’œuvres littéraires et dramatiques d’auteurs français ou étrangers, décédés ou vivants (…) ».4

4 La marque SCAGL est déposée à Paris le 13 novembre 1909. La société est créée dans la mouvance du Film d’Art et dépend de la Compagnie de Charles Pathé qui, actionnaire et administrateur, lui fournit une aide matérielle et logistique pour le tournage, mais aussi pour le développement et l’édition des films. Pour en faire son principal organe de production, Pathé va également construire de nouveaux studios à la pointe de la technique, sur le terrain du Petit Parc attenant à son usine de Vincennes, afin d’y assurer des œuvres de prestige.

5 En fondant et contrôlant de nouvelles firmes, Pathé affronte la « crise du sujet », le public commençant à être saturé de bandes comiques ou de drames désormais jugés simplistes, comme le rappelle l’éditorial de Georges Dureau « Vers le Progrès » en juin 1909 : Les films d’un comique puéril succédaient aux films niaisement pleurnichards (…). Tous les esprits un peu avisés désertaient l’écran au nom du bon goût (…). Nos meilleurs éditeurs le comprirent avec clairvoyance (…). Ce fut l’époque où MM. Pathé et Gaumont firent un choix plus sévère dans le sujet des scénarios proposés et dictèrent à leurs metteurs en scène un souci moins léger de la vérité scénique, de la vraisemblance et du vrai (…)5

6 Mais la constitution de la SCAGL a surtout pour but de concurrencer Le Film d’Art, fondé en février 1908, dont la mission est « La fabrication (…) de scènes établies sur scénarios signés d’auteurs contemporains, avec le concours d’artistes connus »6, en programmant à son tour des adaptations des grands succès de la littérature. Néanmoins, force est de constater, à la lecture de la presse, que le lancement du Film d’Art lors de sa soirée inaugurale salle Charras le 17 novembre 1908, passionne bien davantage que les débuts de la SCAGL. Certains quotidiens, qui jusque-là n’ont jamais fait preuve d’intérêt pour le cinématographe, lui consacrent des articles, tels Le Gaulois, Gil-Blas, Le Matin7 ou encore Le Temps8, sous la plume d’Adolphe Brisson, son célèbre critique théâtral. Quant à la presse corporative, Phono-Ciné-Gazette9 lui dédie une page entière : « Une première sensationnelle », et Ciné-Journal, dans un article intitulé « Le Théâtre cinématographique10 » reviendra longuement sur les qualités littéraires et artistiques de L’Assassinat du duc de Guise.

L’Arlésienne

7 Or, la SCAGL devance Le Film d’Art d’un mois puisqu’elle présente début octobre dans la luxueuse salle Omnia-Pathé, sa première production, L’Arlésienne d’après Alphonse Daudet, mise en scène par Albert Capellani.

8 L’œuvre, longtemps considérée comme perdue, a été retrouvée par Lobster Films dans une copie malheureusement incomplète. La distribution est de grande qualité : Henri Desfontaines, Paul Capellani et Henry Krauss, tous comédiens du théâtre de l’Odéon. De plus, c’est la première fois que l’on associe à un film une musique composée par un auteur renommé, bien que celle-ci fut créée par Georges Bizet pour la pièce de Daudet donnée au théâtre du Vaudeville. Il est difficile d’imaginer que ce choix musical soit un

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simple effet du hasard, au moment où Camille Saint-Saëns écrit spécialement une partition pour le cinéma à l’occasion de L’Assassinat du Duc de Guise.

9 Il semble que cette « première » n’eut que peu d’échos dans la presse bien que l’on puisse imaginer que le Tout-Paris littéraire et artistique y fut convié. Le film connait cependant une certaine renommée à l’étranger comme l’atteste cette critique du Bioscope le 27 novembre 190811 après une projection au cinéma Alhambra à Londres : L’Arlésienne a été (…) un réel succès. (…) Il n’y avait pas de longueurs, les scènes se succédaient si rapidement que l’intérêt des spectateurs critiques était non seulement maintenu mais même intensifié. Le paysage rural est singulièrement beau et la chaleur du soleil rayonnant nous a emmené dans un paysage féérique. En France, seul Phono-Ciné-Gazette12 lui dédie un court article très élogieux dans sa rubrique « Ciné-Nouvelles » : L’adaptation au cinéma de la célèbre Arlésienne d’Alphonse Daudet obtient auprès du public un succès considérable ; (…) de nombreux applaudissements accueillent à l’Omnia L’Arlésienne (…). Et M. Le Bargy demandait l’autre jour s’il y avait une « claque » payée. Il n’y a jamais eu de claqueurs patentés dans les cinémas (…).

10 Le journal vante encore le succès de l’œuvre dans son numéro suivant, sous le titre « Un Art nouveau », article signé par Francis Mair, pseudonyme de plume d’Edmond Benoit- Lévy. Il n’est pas surprenant que ce corporatif, dirigé par Edmond Benoit-Lévy, par ailleurs avocat-conseil de Charles Pathé et cofondateur de l’Omnia, évoque L’Arlésienne dans des termes aussi flatteurs. Plus surprenante est la réaction rapportée de Charles Le Bargy dont on peut se demander si elle n’est pas le signe persistant de la rivalité entre les deux sociétés. Témoin également de cette concurrence, le commentaire de Richard Cantinelli13, directeur du Film d’Art entre juillet et décembre 1908, dans une lettre adressée à Henri Lavedan datée du 28 septembre : « (…) La Société des Auteurs (Decourcelle) a sorti déjà un film, L’Arlésienne, bien comme photo, mais à peu près nul comme mise en scène et comme artistes. (…) »

11 Par ailleurs, comme le note très justement Alain Carou14, le film est directement contemporain de Mireille, réalisé par Henri Cain d’après Frédéric Mistral et produit par Le Film d’Art, qui, bien que sorti en juin 1909, fut tourné un an auparavant. Dans les deux cas, il s’agit de tournages en extérieur, en pays d’Arles. On peut parler d’une véritable compétition pour donner des adaptations cinématographiques d’œuvres littéraires aux thématiques très proches dans l’esprit du public. Le but est clairement revendiqué par les deux sociétés de toucher une population plus « bourgeoise » et citadine que celle habituée jusque là à aller au cinématographe.

Capellani et l’organisation de la SCAGL

12 On peut imaginer l’état d’esprit de Charles Pathé quand il s’est lancé dans l’aventure de la SCAGL : son implication ne va pas sans une mise sous tutelle de la jeune société. D’après les clauses du contrat entre cette société et la Compagnie signées le 6 avril15 : (…) M. Charles Pathé choisira les scénarios et assumera la direction artistique. Nous éditerons tous les négatifs et les bénéfices nets provenant de la vente seront partagés entre la Société des Auteurs et notre Compagnie.

13 Ce pouvoir de Pathé sur les scénarios consiste surtout à choisir les sujets lui paraissant aptes à plaire au public. Pathé fait la jonction entre le théâtre de prise de vue, auquel ses équipes sont fortement associées (Albert Capellani en est l’un des transfuges), et la partie commerciale assurée par la Compagnie. Cette organisation est d’ailleurs décrite

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par Richard Cantinelli à Henri Lavedan le 4 août 190816, toujours très critique vis-à-vis de la SCAGL : Ils [Pathé] se sont d’ailleurs rendus compte que notre société [Le Film d’Art] est beaucoup mieux organisée que la société concurrente [SCAGL] et M. Charles Pathé a dit en propres termes que, nous au moins, nous apportions la besogne toute faite, alors que les auteurs Decourcelle fournissent bien des scénarios mais que tout le travail de la mise en scène, voire de l’adaptation cinématographique leur incombe, à eux Pathé.

14 Il semble néanmoins que Capellani ait eu assez rapidement la possibilité de choisir lui- même ses scénarios, preuve de son autonomie et de son pouvoir au sein de la SCAGL, comme en témoigne cette anecdote rapportée par son opérateur Pierre Trimbach17 : (…) Après le vol de la Joconde en 1911, un jeune auteur se présenta à Capellani pour lui présenter un scénario La Mona Lisa qui aurait l’avantage d’être d’actualité. Ce que le réalisateur accepta pour la plus grande joie du scénariste qui n’était autre qu’Abel Gance… Le film est ensuite sorti sous le titre Un tragique amour de Mona Lisa.

15 C’est donc dans un souci de rentabilité et de contrôle que la Compagnie décide de faire appel à un metteur en scène chevronné, ayant déjà fait ses preuves en son sein pour superviser la production de la firme nouvelle ; ce que confirme d’une certaine façon Alain Carou18 en rapportant le témoignage de Georges Hatot : « Comme Capellani ne s’entendait pas avec Zecca, Pathé l’a glissé à Decourcelle quand la SCAGL a été créée ».

16 Homme énergique et entreprenant, Albert Capellani est nommé directeur artistique à un moment où Pathé renouvelle son équipe de réalisateurs « maison ». Il supervise les réalisations et scénarios de bon nombre de nouveaux venus tels Georges Monca, Michel Carré, Henri Desfontaines, René Leprince, Georges Denola, Henri Andréani. Cette équipe forme un futur vivier, et l’on constate que, de ceux qui ont fait la renommée du coq, seuls restent encore à cette époque Ferdinand Zecca, Lucien Nonguet et Segundo de Chomon.

17 Pour assurer le succès de ses films, Albert Capellani fait également appel à de nombreuses vedettes de théâtre comme Berthe Bovy, Henry Krauss ou encore son frère Paul, qu’il fait travailler avec lui. Véritable découvreur de talents, nous supposons qu’il amène Harry Baur à la SCAGL. En effet, l’acteur a fait partie de la troupe de Firmin Gémier à partir de 1907, avant de démissionner le succès venant19. Bien que les deux hommes n’aient pas pu s’y croiser, Capellani ayant quitté la troupe en 1904, on peut imaginer que celui-ci a gardé des liens car il continuait à suivre l’activité théâtrale. Harry Baur, désœuvré après une tournée en Amérique du Sud dont il rentre malade, aurait répondu à une proposition de la SCAGL. Le directeur artistique le fait jouer pour la première fois au cinéma dans La Jeunesse de Vidocq ou comment on devient policier, en juillet 1909, avant de le faire tourner dans diverses comédies dont L’enlèvement de Mlle Biffin avec Prince et Mistinguett. Harry Baur démarre sa carrière cinématographique comme acteur comique, mais dès le milieu de l’année 1910, il aborde des rôles dramatiques.

18 Mistinguett fait ses débuts au cinéma dans L’Empreinte ou la main rouge et dès le mois de mai 1909 tourne une scène comique pour le compte de la SCAGL, Un mari qui l’échappe belle. Ce sera ensuite Fleur de pavé avec Prince. Elle raconte dans son autobiographie 20 que le scénario du film, réalisé par son ami Michel Carré (elle joua dans l’une de ses revues) fut improvisé en une demi-heure, le tournage étant bloqué à cause de la neige. En l’absence de sources plus précises, il est difficile de savoir à qui revient la décision

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d’engager la jeune femme, mais on peut penser que Michel Carré, scénariste à la SCAGL depuis 1908, réalisateur à partir de 1909 et fidèle collaborateur de Capellani puisqu’ils cosigneront nombre d’adaptations, lui en ait parlé… Capellani donnera d’ailleurs à la comédienne l’un de ses premiers rôles dramatiques dans Les Deux Chemins, avant de lui offrir celui d’Éponine dans Les Misérables.

19 Dans l’entretien que Capellani a accordé à Albert Bonneau pour Cinémagazine en 192321, on peut lire : (…) Albert Capellani me conte ses débuts à la tête de la production de la SCAGL. Il compte à son actif le baptême de « Rigadin » qui interpréta ses premières bandes sous sa direction, ainsi que Max Linder. Il fut aussi le parrain de « Boireau » alias André Deed (…).

20 Ces affirmations sont difficiles à vérifier mais elles témoignent en tout cas de la grande part d’autonomie qu’avait Capellani au sein de la société.

21 Enfin, il est le metteur en scène habile des grands succès de la SCAGL, et en particulier des adaptations restées célèbres d’Emile Zola, Victor Hugo ou encore Alexandre Dumas. Ses tournages, souvent très brefs, s’enchaînent à un rythme effréné à raison de un à deux films par mois, voire parfois trois22. A partir de janvier 1911, il bénéficie en cela de l’aide de Paul Polthy, par ailleurs acteur-figurant dans bon nombre de ses bandes. Dans le livre de compte de la SCAGL23, à partir de 1911, son nom est systématiquement accolé à celui du réalisateur On peut supposer que Polthy a une fonction de régisseur ou d’accessoiriste comme le confirme Alain Carou24. Ses responsabilités n’en sont pas moins soumises à la hiérarchie de Pathé, exigence commerciale oblige. Il semble, d’après le témoignage d’Etiévant25, que Zecca, directeur de la production chez Pathé exerce son ascendant jusqu’à une date avancée : Dans Les Misérables, [Zecca] a fait couper 6 ou 700 mètres. Il a dû le regretter étant donné le succès du film.

22 A propos de la longueur des films, et par extension de la composition des programmes hebdomadaires, la SCAGL semble d’ailleurs être un pilote pour Pathé, qui l’appréhende en quelque sorte comme une zone d’expérimentation : toujours selon Etiévant, le projet initial des Misérables portait sur cinquante-deux épisodes.26

L’Assommoir

23 Jusqu’au tout début des années dix, le métrage moyen des bandes de fictions dramatiques des maisons d’édition les plus importantes varie peu et oscille en moyenne entre 100 et 350 mètres. C’est pourquoi L’Assommoir, qu’Albert Capellani tourne à l’hiver 1908 mais qui ne sera distribué qu’en avril 1909, adapté par Michel Carré et lui-même, fait figure d’exception absolue de par sa longueur de 740 mètres. De même, L’Arlésienne avait été voulue comme une œuvre majeure si l’on considère son métrage original de 355 mètres, alors que la plupart des fictions dramatiques de Pathé à la même époque avoisinaient les 200 mètres.

24 En l’absence de sources, on ne peut qu’imaginer la confiance que Decourcelle et Pathé accordent à leur metteur en scène pour se lancer dans une telle aventure, pour le moins risquée, à un moment où le long-métrage n’est pas encore à l’ordre du jour. Le film est aussi une façon pour la SCAGL de mettre en avant ses productions et de faire parler d’elle. Il n’est pas une adaptation du roman d’Emile Zola mais de la pièce de théâtre à succès qu’en ont tirée William Busnach et Octave Gastineau27, jouée à l’Ambigu, bien

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que ni les publicités dans la presse corporative de l’époque ni même le générique de la seule copie connue à ce jour ne mentionnent le nom des dramaturges28. Seul l’écrivain est cité. Ceci est également confirmé par le récit que fait Charles Le Fraper de la projection du film dans un article portant sur les conférenciers29 : (…) Dernièrement j’assistais à une représentation à l’Eden Cinéma. On passait L’Assommoir, le chef d’œuvre du maître Zola, aujourd’hui disparu. (…) et pendant que mes yeux suivaient fort intéressés les mille péripéties des aventures de Coupeau, une voix grave, bien timbrée, expliquait le mécanisme du roman, en tirait les conclusions naturelles (…).

25 La pièce réduit l’intrigue à sa plus simple expression, un drame de la jalousie, mettant en avant un personnage secondaire dans le roman, Virginie, qui, devenant ici l’une des protagonistes principale, amène une modification du sens de l’œuvre originale. Zola, au demeurant, tout en ne reniant pas cette adaptation, ne l’a pas non plus approuvée complètement. Toutefois, comme le succès fut énorme, il convient que30 : « Les modifications apportées au roman, l’atténuation des chutes de Gervaise et les figures poncives de Lantier et de Virginie poussés au noir, ont donc mis dans le drame des éléments inférieurs, cela n’est pas niable. Seulement, il ne faut pas oublier que le drame a été écrit spécialement pour un théâtre du boulevard. Nous sommes à l’Ambigu, et non à l’Odéon ; je veux dire que les auteurs ont cru devoir compter avec le public de l’Ambigu. Le jour de la première représentation, les spectateurs ont pu sourire des machinations de Virginie ; mais, à la troisième ou quatrième représentation, les effets se sont déplacés, la salle s’est laissée prendre et s’est passionnée pour cette longue vengeance d’une femme outragée. (…) »

26 En choisissant la pièce plutôt que le roman, il s’agit pour la SCAGL de toucher un public habitué au théâtre de boulevard, avec un film ambitieux de par sa longueur. L’adaptation théâtrale se trouvant en quelque sorte cinématographiée (et la projection se déroulant bien souvent dans un théâtre), il conquiert son statut de spectacle – et non plus d’attraction – auprès d’une population citadine. Capellani œuvra à l’Ambigu ; il a la connaissance des ressorts de ses pièces et de son auditoire ce qui en fait le serviteur tout désigné. Cette volonté de se calquer sur l’art dramatique (adaptation, longueur, etc.) plait au public et interpelle la presse, comme par exemple Ciné-Journal31 : La faveur du public est allé (…) à des adaptations qui lui procuraient (enfin !) les émotions, le rire ou les larmes, qu’on ne trouvait jusque-là qu’au théâtre. Le cinéma est devenu ainsi, et d’emblée, le véritable théâtre du peuple, accessible à toute heure, dans tous endroits et à toutes les bourses.

27 L’adaptation de Capellani et Carré est extrêmement fidèle à la pièce, à deux exceptions près, comme si la version cinématographique avait censuré des scènes violentes dans le but de plaire à une assemblée aux mœurs a priori plus raffinées : la « scène du lavoir » et la mort de Gervaise. Les dramaturges avaient repris la première très exactement, or elle n’existe plus à l’image. Rien n’est montré de la bagarre entre Gervaise et Virginie. Plus curieusement, les deux hommes ont modifié la fin, car, contrairement au roman et à la pièce, Gervaise ne meurt pas mais s’évanouit après avoir découvert le décès de Coupeau.

28 Pour jouer le rôle de ce dernier, Capellani, qui semble toujours très attentif à l’actualité théâtrale, a d’ailleurs fait appel à l’un de ses anciens condisciples du théâtre Antoine, Alexandre Arquillière.

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Capellani, metteur en scène et régisseur

29 En 1909, la SCAGL produit près de quatre-vingt bandes, dont plus de la moitié sont des scènes dramatiques. Quatre d’entre elles sont tournées par Capellani qui, par ailleurs, ne réalisera quasiment jamais de comédies. Ce chiffre, en apparence assez faible, peut s’expliquer par le fait qu’il a été davantage mobilisé par son activité de directeur artistique (par exemple, en 1907, il avait donné sept films au moins chez Pathé, puis onze en 1908). Il faut également noter que la longueur des drames oscille généralement entre 250 et 300 mètres, tandis que ceux dirigés par Capellani dépassent tous les 300 mètres, atteignant une moyenne de 350 mètres. Cette année là, hormis Zola, il s’intéresse à Hugo : Le Roi s’amuse (également en collaboration avec Michel Carré), au feuilleton célèbre d’Adolphe Ennery et Eugène Cormon, Les Deux orphelines, et à une scène historique, La Mort du duc d’Enghien. La société, sous le contrôle de Pierre Decourcelle, puise essentiellement son inspiration chez des écrivains de romans populaires à succès, des auteurs de vaudeville, des feuilletonistes tels Daniel Riche (qui écrit pour Pathé depuis 1906).

30 Dès ses débuts, Capellani est donc le seul metteur en scène à transposer au cinématographe les grandes œuvres de la littérature. En comparaison, l’autre metteur en scène phare de la société, Michel Carré, en 1909, réalise neuf films parmi lesquels on ne trouve qu’une seule adaptation littéraire, La Peau de Chagrin d’après Balzac.

31 L’année suivante, la société ne produit quasiment pas de bandes issues de la littérature classique, privilégiant davantage les scénarios originaux, écrits spécialement pour la SCAGL. La production continue sa progression, avec une centaine de films ; Capellani en réalise plus d’une quinzaine (environ un tiers des scènes dramatiques), avec des métrages un peu inférieurs, avoisinant plutôt les 300 mètres.

32 Capellani est donc un metteur en scène de premier plan, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais nous en apprenons davantage sur son rôle de directeur artistique dans un reportage de Ciné-Journal du 30 juillet 191032 dans lequel l’écrivain Georges Cain raconte comment se déroulent les tournages sur le plateau de la SCAGL. Celui-ci consacre une longue description à l’élaboration minutieuse, pendant trois jours, d’un film identifiable comme étant L’Evadé des Tuileries. Capellani y est décrit comme le « régisseur » de la société, ce qui n’en fait pas exactement dans le cadre de ce reportage un membre de l’équipe technique, mais une personnalité importante du studio, et particulièrement l’auxiliaire, le bras-droit de Gugenheim. Cain, à travers sa description, attribue manifestement aux deux hommes les qualités de créateur et d’organisateur. Le rôle de Decourcelle, l’homme de lettres, est davantage assimilé à celui du maître d’œuvre. A propos de la préparation du tournage des scènes dans le cabinet de Louis XVI et la ruée populaire du 10 août 1792, Cain note : MM. Pierre Decourcelle et Capellani, son régisseur, choisissent les accessoires, rectifient les fichus mal croisés, font bouffer les boucles blondes de la petite servante, expliquent un mouvement, commentent un jeu.

33 D’une manière générale, la fidélité à l’œuvre et l’attention portée à la restitution d’une période historique sont alors gage de qualité. En septembre 1910, lorsque Decourcelle loue, au cours d’une conférence très remarquée du congrès de Bruxelles, les qualités de La Mort du Duc d’Enghien et de L’Arlésienne (deux films tournés en décor naturel, la dernière scène du Duc d’Enghien l’étant dans les douves du château de Vincennes, où

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tomba Louis Antoine de Bourbon-Condé), c’est moins pour leur mise en scène que pour la précision de leur reconstitution, qui donne à la scène « la force du drame »33.

34 L’attention de Capellani au détail, sa capacité à utiliser un décor naturel et à le mettre en valeur en choisissant un point de fuite, à recréer une atmosphère pour y fondre ses comédiens mieux que devant la toile d’un studio, sont parmi les qualités qui en font aujourd’hui un metteur en scène reconnu. Ses contemporains, si l’on se fie aux citations, y voyait déjà une révolution, à la différence près que le metteur en scène n’était alors pas désigné comme le véritable créateur du film, tout au plus comme un contributeur dévoué. Ainsi, selon Decourcelle s’exprimant à Bruxelles, le mérite de la « recréation » de la réalité revient notamment à Léon Hennique, auteur d’une version spéciale du Duc d’Enghien ; Capellani n’est même pas évoqué dans la conférence34. Il n’empêche qu’à cette période, la profession lui attribue bien les qualités idéales du metteur en scène : les capacités à restituer une vérité, le plus souvent historique, et d’ordonner pour ce faire les différents métiers du plateau. Dans le cas de L’Évadé des Tuileries par exemple, le tournage se poursuit le jeudi place du marché Saint-Louis à Versailles, avec une foule de figurants (et de curieux) ; les régisseurs, les photographes, les opérateurs et les comédiens se consacrent à leurs tâches dans le but de faire œuvre commune : Les régisseurs se multiplient, règlent les mouvements, préparent les accessoires. Les photographes tracent à la craie bleue le champ de vision sur le pavé gris.

35 Le lendemain, à la roseraie de l’Haÿ, où évolue l’entourage du duc d’Orléans, « les sourcils crispés », les régisseurs « tirent leurs plans », mesurent et délimitent le champ de vue, les opérateurs « font des essais de mise au point, préparent les bandes à tourner ».35

36 La création d’un film, véritable petite entreprise (la séparation des tâches telle que l’entendait Adam Smith est adoptée dès le début du siècle dans l’industrie cinématographique), induit une distinction entre ceux qui font œuvre de l’esprit et ceux qui s’appliquent à la réalisation d’un point de vue technique. Un metteur en scène comme Capellani appartiendrait plutôt à la seconde catégorie, ses qualités ne définissant pas alors celles d’un créateur. Cette distinction est accentuée, depuis la création de la SCAGL et du Film d’Art, par la volonté d’adopter les codes du théâtre, par le verdict du procès Courteline en 1909, mais aussi, petit à petit, par un changement du cinéma et de son public (réglementation des foires, public d’enfants déclinant36). En voulant « s’anoblir » par la fréquentation des gens de lettres et en y parvenant, le cinématographe se manifeste inévitablement dans la profession comme un Janus, constitué d’une part d’auteurs et d’autre part de faiseurs. Ainsi, Decourcelle, lors de sa conférence au congrès de Bruxelles37, ne met pas seulement l’auteur en exergue dans le déroulé de son argumentaire, il le désigne comme la source d’une mutation : Puisque le cinéma venait d’entrer dans le domaine de l’imagination, pourquoi ne pas s’adresser pour en être le fournisseur, à ceux dont l’imagination est précisément la carrière, aux auteurs dramatiques et aux hommes de lettres (…).

37 En 1910, les hommes de lettres sont bien les grands vainqueurs de la mutation du sujet. Quant à la mise en œuvre, elle revient à un corps de métier dont le rôle a peu changé depuis le début du siècle chez Pathé ; son mode opératoire a peu à voir avec un metteur en scène tel que le terme l’entend actuellement. Capellani agit en « patron », adaptant les sujets, enchaînant les mises en scène à un rythme soutenu (25 films entre mars 1909 et mars 1910 !), confiant une partie du travail à ses équipes. Dans son cas, où la

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renommée des films l’emporte indubitablement sur la mise en valeur de son nom, deux hypothèses au moins sont envisageables. Ses qualités intrinsèques de « régisseur » (reconstitution, organisation) sont d’autant plus reconnues qu’il montre ses compétences à souligner les origines littéraires d’un produit cinématographique : servant un auteur, il s’efface devant lui. La seconde hypothèse tient à son statut de directeur des studios de la SCAGL, nomination qui peut être interprétée à l’instar de celle de Zecca, comme le fruit d’une expérience dans le domaine du spectacle, et donc comme une promotion. En outre, les recherches en cours de Christine Leteux38 montrent que Capellani a eu une première carrière au Comptoir National d’Escompte (son père y officia et c’est l’un des principaux établissements bancaires de Pathé dans les années 1910) avant d’intégrer l’Ambigu vers 1904-1905. Cette donnée accentue l’image d’un homme habitué des écritures comptables et des budgets, celle d’un « col blanc » passé au cinématographe par attrait pour les lettres et pour le théâtre, peut- être influencé par son frère Paul et par sa culture familiale. L’habitude à manier les chiffres est certainement pour beaucoup dans sa nomination : d’une part, Pathé, qui se retrouve le créancier du Film d’Art en 1909, veille à ne pas répéter cette expérience ; l’ascendance d’un tel homme, qui sera son intermédiaire pour faire face aux desseins des fondateurs de la SCAGL, est d’autre part primordiale quand les dépenses pour la production des films, de par ses choix, s’élève d’année en année. Capellani est plus directeur que metteur en scène, veillant aux caisses et au bon œuvre des équipes plus qu’à ses propres créations. Le témoignage d’Etiévant va dans ce sens, lorsqu’il qualifie la direction de Capellani de confiante et de bienveillante, et décrit un homme intelligent, favorisant l’épanouissement des idées. Le portrait est finalement moins directif et moins censeur que Zecca à la même période aux théâtres Pathé Frères : Il nous laissait à peu près faire nos mises en scène nous mêmes. (..) Capellani était là pour dire : ça va, ou ça ne va pas. C’est trop long, trop court, mais il nous laissait une grande initiative.39

38 Un article consacré à la SCAGL dans Le Courrier Cinématographique de mars 191340 ainsi que les propos tenus par Alain Carou41 confirment à leur tour ce rôle de « superviseur ».

Un metteur en scène reconnu

39 S’il œuvre beaucoup en coulisse, il est manifeste que Capellani est connu dans la profession. Ses films sont donnés en exemple dans l’article de Georges Fagot en 191042 à propos du film d’art – le terme y est employé dans sa définition la plus large alors que les sociétés du Film d’Art et de la SCAGL se disputent les écrans et se livrent à la concurrence par voie de presse. Pour le journaliste, les titres marquants du genre sont ceux de Capellani, et le metteur en scène, au début d’un mouvement, n’a pas encore été égalé : Les exploitants se souviennent de L’Arlésienne, le premier grand film d’art (…), il marque une date dans l’histoire de la cinématographie. La célèbre pièce d’Alphonse Daudet fut interprétée à Arles même avec le concours des meilleurs artistes de l’Odéon. Depuis nombreuses sont les bandes a succès composées par la SCAGL. Faut- il rappeler L’Assommoir d’Emile Zola qui malgré son énorme métrage (735 m) fut tiré a un nombre d’exemplaires aussi considérable que les plus grands succès ?

40 Tous les autres titres de Capellani édités en 1909 sont donnés dans la suite de l’article (Le Roi s’amuse, La Mort du duc d’Enghien, Les Deux Orphelines). Mais le nom du metteur en scène n’est évoqué qu’en filigrane, le journaliste préférant attribuer le mérite de la

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SCAGL à ses comédiens, Mistinguett, Max Dearly, Jeanne Delvair…, seuls collaborateurs cités dans l’article.

41 Jusqu’à la guerre et le départ de la SCAGL, la reconnaissance de Capellani ne fait que grandir. En 1911, celui-ci mène une activité intense puisque hormis la supervision des films de ses collègues, il réalise lui-même plus de vingt-cinq films. L’année est d’autant plus « faste », que le métrage commence à s’allonger. La tendance ne sera vraiment avérée qu’à partir de 1912, mais elle s’affirme chez la concurrence et Pathé doit y faire face.

42 Capellani met à nouveau en scène quelques adaptations d’auteurs célèbres, qui avoisinent toutes les 800 mètres, la première exceptée, Le Roman de la momie, d’après Théophile Gauthier. Suivent : Le Courrier de Lyon ou l’affaire de la malle-poste, d’après Emile Moreau, Paul Siraudin et Alfred Delacour ; Notre-Dame de Paris d’après Victor Hugo ; Les Aventures de Cyrano de Bergerac. Ce dernier titre cependant pose quelques questions car les affiches et les publicités le présentent comme une adaptation de Léon Guillot de Saix. Selon Alain Carou43 : Quoiqu’il [Léon Guillot de Saix] fut un protégé d’Edmond Rostand, il semble bien que celui-ci n’ait pas cédé les droits de sa pièce. Le nom de Rostand ne figure pas dans la réclame du film, qui annonce au contraire que les épisodes présentés ont été puisés dans les œuvres du poète et les documents se rapportant à sa vie par Guillot de Saix.

43 Par ailleurs, l’opérateur de Capellani, Pierre Trimbach, rapporte dans ses mémoires44 un épisode troublant, dont il est témoin au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, où il s’est rendu pour applaudir Charles Le Bargy dans le rôle de Cyrano : (…) Un soir, Antoine alla voir Le Bargy. Tous deux échafaudaient des projets quand Le Bargy lui demanda pourquoi la SCAGL ne faisait-elle pas un film sur Cyrano ? Antoine en parla à Decourcelle qui se montra assez réticent, argumentant que cette pièce se prêtait très mal pour faire un film : son succès étant dans l’originalité du texte et surtout dans la beauté des vers. Par contre, Capellani se montra très emballé ainsi qu’Antoine. Capellani prétendait, avec juste raison, que certains passages, bien mis en scène et tournés avec de beaux éclairages, pouvaient donner de très beaux tableaux ! Il y eu beaucoup de controverses, mais enfin il fut décidé que le film serait fait. (…) Capellani fut chargé non seulement de la mise en scène mais encore de recruter les acteurs (…).

44 Or cette représentation a eu lieu en mars 1913… Trimbach juxtapose-t-il dans sa mémoire deux films et deux situations différents, y a-t-il une confusion sur les personnes concernées ? Il ne nous est pas possible aujourd’hui d’apporter une réponse à ces interrogations…

45 Certaines des bandes de Capellani ont droit à quelques commentaires – mitigés – dans Le Courrier cinématographique, sous la plume de « Mauvais œil » qui juge : Robert Bruce « franchement mauvais »45, Cyrano de Bergerac « passable »46. Par contre, Notre-Dame de Paris l’a particulièrement séduit47 bien que le mérite, là encore selon le journaliste, ne semble pas beaucoup en revenir au metteur en scène mais davantage à l’auteur : Soit une belle série. En tête, très haut, très loin, dominant la production générale, il y a Notre-Dame de Paris tiré de l’œuvre de Victor Hugo. C’est le plus beau film que j’aie jamais vu. Il aura un très gros succès. C’est du Victor Hugo.

46 En 1912, l’identité de la SCAGL va réellement s’affirmer. On peut supposer que, sous la houlette de son directeur artistique, elle se crée une identité stylistique grâce à ses décorateurs et à la fidélité de ses opérateurs, mais aussi, grâce à ses longs-métrages

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prestigieux, annoncés dans la presse à grand renfort de publicité. Verhylle, dans L’Echo du cinéma48, écrit en première page un long article à la gloire des Mystères de Paris : (…) On peut dire, sans être taxé d’exagération que, jusqu’à présent, rien n’a été donné au cinématographe qui s’apparente même de loin au fini de l’exécution, à la science de l’adaptation, au miracle de la mise en scène des Mystères de Paris dus à l’inimitable production de la SCAGL. (…)

47 On notera que, pour la première fois, les qualités de la réalisation sont mises en avant.

48 Début février 1912, le réalisateur est également portraituré dans le Bulletin hebdomadaire n° 5 de Pathé. L’article suit celui d’Andréani (n° 4), qui est sous ses ordres. Les deux hommes sont parmi les premiers à faire l’objet d’un article dans le périodique destiné aux exploitants, et également les rares metteurs en scène à être cités aux côtés des comédiens et autres collaborateurs. Cheville ouvrière, réalisateur des grands succès, Capellani est désormais indispensable à la SCAGL, vanté comme « le plus beau fleuron de sa couronne ».

49 La presse corporative lui consacre à son tour un article en fin d’année. Le Cinéma et l’Echo du cinéma réunis49, qui, chaque semaine, depuis sa création au mois de juillet (après la fusion de Cinéma et de l’Echo du Cinéma), présente le portrait d’un artiste, lui dédie deux colonnes en octobre. Le réalisateur est décrit comme : Aimable confrère, gai compagnon, excellent ami, [il] est adoré de ses interprètes, même les plus difficiles, tant est douce sa direction et débonnaire son commandement.

50 Et l’interview d’Eugène Gugenheim, dans ce même journal50 sur l’opposition qui règne entre le cinéma et le théâtre, n’est-elle pas la confirmation de son talent puisqu’il ne cite pratiquement que des films de son metteur en scène vedette ? (…) J’ajouterai que j’ai la conviction sincère que loin de nuire au théâtre, le cinématographe est pour lui un puissant agent de propagande. Je suis certain en effet que tous ceux qui ont vu « au cinéma » Notre-Dame de Paris, L’Arlésienne, Madame Sans-Gêne ou L’Assommoir, n’ont plus qu’un désir, c’est d’aller entendre51 et applaudir ces chefs-d’œuvre dans les théâtres où ils seront représentés (…).

Un metteur en scène au nom toujours inconnu

51 La Compagnie aborde l’année 1913 avec le succès considérable des Misérables grâce à la magistrale réalisation de Capellani. La tendance générale étant à l’allongement du métrage, le film reste malgré tout d’une longueur « osée » puisqu’il atteint une durée exceptionnelle de plus de 2 h 40, ce qui en fait certainement le film le plus long jamais produit en France à l’époque (rappelons que sa longueur initiale était de 4 000 mètres).

52 René Jeanne, en 1921, le considérait dans Cinémagazine52 : Comme une date dans l’histoire du cinéma. Soutenue par des moyens considérables pour l’époque, la mise à l’écran du plus populaire des romans de Victor Hugo atteignit un degré de perfection dans le jeu, dans la reconstitution historique, dans le choix des sites, dans la technique des moyens employés, dans la qualité de la photo, qui fit considérer pendant longtemps ce film comme un des plus beaux du monde et le plus beau de la production française (…).

53 Mais si certains noms sont cités sur les documents publicitaires (affiches et programmes), le sien n’y est jamais imprimé. Lorsqu’en décembre 1912, à l’apogée de sa carrière, la SCAGL sort d’un seul tenant les quatre parties des Misérables, la publicité dans Ciné-Journal donne une idée de la réception du film à l’Omnia Pathé53 :

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Exploitants, attention, Pathé Frères commence l’année en éditant Les Misérables, gigantesque épopée dramatique en 4 époques et 9 parties d’après l’immortel chef- d’œuvre de Victor Hugo (SCAGL). Exploitants ! Encore de belles recettes. La foule s’écrasera dans vos salles si vous passez Les Misérables à partir du 3 janvier. On ne parlera que de ce film. On ne voudra voir que ce film, car tout le monde ira voir Les Misérables. Véritable chef d’œuvre cinématographique auquel rien ne peut être comparé qui ne peut être égalé et qui résume à lui seul tous les drames de la vie. C’est le véritable roman de l’humanité.

54 De fait, ceux qui ont leurs patronymes sur les affiches et dans les programmes sont les auteurs au sens de « auteur de l’histoire ». A cette date encore, le nom de celui qui écrit est plus important que celui qui tourne54. On constate la même situation aux Etats- Unis : après Les Misérables, le nom de Capellani reste ignoré dans la presse corporative, même dans le Moving Pictures World.

55 Pathé annonce en février 1913 un nouveau chef d’œuvre produit par la SCAGL, réitérant sa confiance en son directeur artistique avec la réalisation de Germinal, drame en huit parties d’une longueur de 3 000 mètres dont la première projection en une seule séance aura lieu le 3 octobre 1913. Quelques mois plus tard, Capellani réalise La Glu, avec son frère Paul, Henry Krauss et Mistinguett dans les rôles principaux. Sorti début novembre, il en signe l’adaptation d’après Jean Richepin. Le petit ournal du 7 novembre 1913, dans sa rubrique hebdomadaire consacrée aux sorties de la semaine, en fait une critique très élogieuse.

56 La SCAGL produit cette année là une quarantaine de bandes dont cinq longs métrages réalisés par Capellani : hormis les deux titres précédemment cités, celui-ci dirige Le Nabab d’après Alphonse Daudet (1,030 m), L’Absent (830 m), ainsi qu’une comédie, Le Rêve interdit (730 m).

57 L’année se termine brillamment pour la SCAGL. Toujours avec l’aide de Capellani, la société produit jusqu’à la déclaration de guerre quelques grosses productions, toutes des longs-métrages désormais, comme Le Chevalier de Maison rouge, drame en 6 parties d’après Alexandre Dumas (mars 1914) ou La Belle Limonadière d’après le drame de Paul Mahalin. L’ambition, perceptible dès 1908, d’imposer les longs métrages, est donc satisfaite.

58 Deux des derniers films réalisés par Capellani avant la déclaration de guerre, Patrie et Marie Tudor, ne seront édités qu’en 1917. Quant à sa dernière œuvre en France, Quatre- vingt-treize, il ne sera pas terminé avant le départ pour les Etats-Unis du metteur en scène. Le film sera censuré pendant la guerre et monté par André Antoine en 1921, pressenti dès 1914 pour entrer à la SCAGL.

59 L’arrivée de la Première Guerre mondiale marque la fin d’une époque aussi bien pour Capellani que pour la SCAGL qui avait réussi, en grande partie grâce à son metteur en scène et directeur artistique, à ne plus être une simple filiale de Pathé mais bien sa principale marque de films.

L’émergence de l’auteur-réalisateur

60 Quelle que soit son statut de directeur artistique, la réputation d’Albert Capellani dans la profession – évidente de par le nombre de ses films cités comme référents – contribue à une certaine reconnaissance des metteurs en scène dans ce qu’elle comporte de noble dans la création des films. Si l’on en croit un débat qui anime la

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presse corporative, ce moment advient en 1912. André Heuzé, qui, pour mémoire, a quitté Pathé vers 1908 pour rejoindre en 1910 la jeune société Film des Auteurs (dont les productions sont exploitées par Mono-Film), présente un rapport à la Société des Auteurs dans le but que ceux-ci reçoivent une redevance au passage des films dans les salles.55 La proposition d’Heuzé, en suscitant la critique, est à la source d’une revendication du rôle de créateur des metteurs en scène, par opposition aux hommes de lettres. Son fer de lance est un article de Charles Decroix qui, en signant photographe, choisit d’ailleurs son camp56. Dans le numéro du 6 janvier de Ciné-Journal, il cite Capellani parmi « les hommes de bonnes volonté, riches d’idées mais pauvres de moyens », au côté de Zecca, G. Hatto [sic], Jasset, Well, Floury, Feuillade, Arnaut. Ce sont : ceux qui, directement intéressés, ont défendu cette industrie aux prix d’efforts soutenus, prenant sur leur sommeil le temps nécessaire à combiner quelques scénarios inédits, travaillant manuellement à la mise en place de leur champ photographique, confectionnant ou combinant les décors rudimentaires, mais suffisants ; par exemple, M. Zecca, qui il y a encore six ans maniait alternativement la scie, le marteau et le pinceau pour obtenir le décor à son idée. Et d’autres faits, trop longs à rappeler. » Face à ces hommes de métier, les auteurs – les gens de lettres – font figure d’intéressée, appâtés par le gain que représente la source nouvelle du cinéma : « Le syndicat des auteurs à défaut de titres, ne voit dans le cinématographe qu’un débouché pour ses adhérents qui, à l’étroit au théâtre, où le voisinage de la puissante Société des auteurs le gêne quelque peu, se rabat sur le cinématographe, et solidarisé enfin de la perspective de gain, ne rêve pas moins que de décréter sur cette industrie sa propre exclusivité. Néanmoins, mon esprit de justice m’oblige à dire que, de cœur, j’aurais été avec vous si votre syndicat eut transigé et accepté comme adhérents tous les auteurs et metteurs en scène qui répondent d’un passé cinématographique, mais voilà, votre réponse fut catégorique : ne fait partie du syndicat que l’auteur ayant été joué au théâtre ».

61 Beaucoup plus que la publicité, la question de la rémunération guide les revendications. La réponse de Decroix à Heuzé, accusé de vouloir trouver une manne financière avec le cinéma, est manifeste de deux changements, celui d’une reconnaissance naissante des metteurs en scène, mais également la manière dont l’auteur doit être rémunéré. A partir de 1908, en effet, Pathé a favorisé les premiers en mettant en place un paiement au mètre (le prix unitaire se multiple selon la longueur de la bande ; il est de 0,04 centimes par mètre en 1912 pour les auteurs de la SCAGL). Fin 1910, s’ajoute désormais une redevance aux producteurs, calculée en fonction du nombre de copies louées. S’il ne concerne pas directement le metteur en scène, le paiement par redevance est un indicateur de la demande, et par extension des qualités commerciales et esthétiques du film. La valeur du metteur en scène prend alors plus de poids et la notoriété d’un film ne peut plus être liée uniquement à l’auteur.

62 Il faut attendre la Première Guerre mondiale et la multiplication sur le marché français des bandes italiennes et américaines, auxquelles la presse corporative reconnaît une grande habileté de mise en scène, pour que celle-ci commence à s’intéresser au rôle spécifique du réalisateur. Ainsi Jacques Yvel, dans un article du Cinéma et l’Echo du cinéma réunis de 1916 57, intitulé « Les Metteurs en scène » est l’un des premiers à demander que leur nom soit précisé et accolé à celui de l’auteur. Mais ce n’est qu’après la guerre que celui d’Albert Capellani apparaît enfin dans la presse spécialisée, par exemple pour Cœur de vingt ans, sorti en France en 1921. Laissons le mot de la fin à l’éditorialiste de Cinéma58, Eugène Louis Fouquet :

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63 « Le rôle du metteur en scène est au cinématographe le plus important. (…) C’est le principal artisan d’un film, celui qui permet que tout fonctionne et qui doit avoir la connaissance, le tact, la culture et l’intelligence pour créer une œuvre cinématographique (…) ».

NOTES

1. Le Cinéma et l’Echo du cinéma réunis, n° 14, 18 octobre 1912 2. Ibid. 3. Les frères Merzbach (La société « Les Fils de Bernard Merzbach ») est l’un des établissements où sont déposés les titres Pathé. La famille est intervenue dans l’acquisition de l’usine Blair en 1906. Elle s’associe bientôt à Edmond Benoit-Lévy pour fonder la société Les Cinémas Modernes. 4. Phono-Ciné-Gazette, « Informations financières » d’après Journal Officiel, 22 juin 1908, n° 81, 1er août 1908 5. Ciné-Journal, n° 44, 19-26 juin 1909 6. Statuts cités par Karim Ghiyati in 1895, n° 33, « Dictionnaire du cinéma français des années vingt », Paris, Ed. Afrhc / Cineteca di Bologna, p. 198 7. Articles reproduits dans Phono-Ciné-Gazette, n° 90, 18 décembre 1908 8. Le Temps, 23 novembre 1908 9. Phono-Ciné-Gazette, n° 89, 1er décembre 1908 10. Ciné-Journal, n° 63, 17 novembre 1909 11. Cité par Mariann Lewinsky, livret du coffret DVD « Albert Capellani, un cinema di grandeur 1905-1911 », Italie, Ed. Il Cinema ritrovato 12. Phono-Ciné-Gazette, n° 86, 18 octobre 1908 13. Cité par Alain Carou in 1895, n° 56 « Le Film d’Art et les films d’art en Europe, 1908-1911 » p. 51 14. Alain Carou, Le Cinéma français et les écrivains, histoire d’une rencontre, 1906-1914. Paris, Ed. Ecole nationale des Chartes / AFRHC, 2002, p. 133 15. Séance du Conseil d’administration de la compagnie du 6 avril 1908 ; livre I, p. 365-366, coll. FJSP. Cité par Stéphanie Salmon in 1895 n° 56, op. cit., p. 74 16. 1895, n° 56, op. cit., p. 75 17. Pierre Trimbach, Quand on tournait la manivelle ou les mémoires d’un opérateur de la belle Epoque, Paris, Ed. Cefag, 1970, p. 43 18. Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains, histoire d’une rencontre, 1906-1914. op. cit., p. 207 19. Hervé Le Boterf, Harry Baur, Paris, Ed. Pygmalion-Gérard Watelet, 1995 20. Mistinguett, Toute ma vie, Paris, Ed. Julliard, 1954 21. Cinémagazine n° 16, 20 avril 1923 22. Il en tourne par exemple trois en septembre 1910, trois autres en novembre, 4 en février 1911 (registre de distribution de la SCAGL, Cinémathèque française, CJ 1676-B 216). 23. Déposé à la bibliothèque de la Cinémathèque française, côte CJ1676-B216 24. Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains, histoire d’une rencontre, 1906-1914, op. cit, p. 206 : « (…) Dans une lettre à un fournisseur, Boudier demande que les acquits soient libellés au nom de la société, « le nom de M. Polthy, employé de la maison ne devant pas figurer dans nos opérations », ce qui suggère que c’est lui qui s’occupe du suivi des locations d’accessoires pour Capellani. On en trouve confirmation plus loin : en réponse à une réclamation de Romain et Léon,

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Léon Sainrat [son nom est associé à Michel Carré] est désigné comme « régisseur de Michel Carré » ». D’après des registres administratifs de la SCAGL déposés à la bibliothèque de la Cinémathèque française, actuellement non consultables car en cours de restauration. 25. Témoignage d’Etiévant, réunion de la commission de recherché historique du 7 février 1948, Cinémathèque française, CRH42B2 26. Ibid. 27. Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains, histoire d’une rencontre, 1906-1914, op. cit. Le scénario original est déposé à la BNF, coll. des scénarios Pathé. Alain Carou précise que « la similitude est telle qu’il est probable que la SCAGL a acheté les droits cinématographiques de la pièce ». p. 180 28. Provenant du banquiste Van de Voorde, elle est aujourd’hui conservée par Pathé (fonds Morieux). 29. Le Courrier cinématographique, n° 11, 23 septembre 1911 30. Préface d’Émile Zola donnée à : L’Assommoir drame en cinq actes et huit tableaux de William Busnach et Octave Gastineau.- Paris, Ed. Charpentier, 1881 31. Ciné-Journal, n° 56, 13-19 septembre 1909 32. Ciné-Journal n° 101, 30 juillet 1910 33. Conférence de Pierre Decourcelle du 3 décembre au congrès de Bruxelles, retranscrite dans Ciné-Journal, n° 108 du 17 septembre 1910. 34. L’omission soulève l’hypothèse d’une concurrence entre les deux hommes. Michel Carré est quant à lui cité dans la même conférence. 35. Georges Cain, op. cit. 36. Au sujet du public, voir Edmond Benoit-Lévy dans Ciné-Journal n° 107, 10 novembre 1910. Les forains, quant à eux, ne peuvent plus depuis l’ordonnance du 21 février 1906 exercer dans les villes en dehors des périodes de fête. Cette ordonnance, on s’en doute, à très certainement entraîné le développement du cinématographe dans les établissements fixes. 37. Op. cit. 38. A paraître en 2013 aux Editions La Tour verte. 39. Commission de Recherches Historiques de la Cinémathèque française, op. cit. 40. Le Courrier cinématographique, 15 mars 1913, article en anglais pour l’édition internationale du Courrier, tirée spécialement à l’occasion de l’Exposition Internationale de Londres. L’article est traduit le mois suivant. 41. Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains, histoire d’une rencontre, 1906-1914, op. cit. p. 207 : « Une des acti- vités d’Albert Capellani comme directeur artistique semble être de rédiger la feuille de montage. En effet, alors que Capellani est en vacances depuis une semaine, Adrien Boudier [directeur du théâtre de prises de vue] écrit à Adrien Caillard : « je vous enverrais volontiers le positif d’Antar [réalisé par Caillard] mais il faudrait pour cela que nous eussions la feuille de montage et Capellani ne nous l’a pas encore donnée (…) ». » 42. Ciné-Journal n° 95, 18 juin 1910 43. Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains, histoire d’une rencontre, 1906-1914, op. cit., p. 240. 44. Pierre Trimbach, op. cit. p. 87 45. Le Courrier cinématographique n° 24, 23 décembre 1911 46. Le Courrier cinématographique n° 3, 13 janvier 1912 47. Le Courrier cinématographique n° 17, 4 novembre 1911 48. L’Echo du cinéma, n° 10, 21 juin 1912 49. Le Cinéma et l’Echo du cinéma réunis, n° 14, 18 octobre 1912 50. Le Cinéma et l’Echo du cinéma réunis, n° 6, 23 août 1912 51. En italique dans le texte 52. Cinémagazine n° 24, 1er juillet 1921 53. Ciné-Journal n° 227, 28 décembre 1912

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54. Cette position admet tout de même une certaine mutation, car le nom d’un Zecca peut aussi se retrouver sur une publicité, aux côtés de celui d’Andréani (Robert le Taciturne, Cléopâtre, 1910) ou de Leprince (La Lutte pour la vie, 1913, Le Roi de l’air, 1914) quand ils jouent alors chacun les rôles d’auteurs et de metteurs en scène. Ces derniers titres cités ne sont toutefois pas inspirés d’œuvres littéraires. 55. Voir à ce sujet « Les auteurs dramatiques et le cinématographe », Ciné-Journal n° 176, 6 janvier 1912. 56. Decroix, qui a travaillé cinq ans à la mise en scène chez Pathé, a pris la succession des affaires montées à Montreuil par Breteau, au décès de celui-ci. 57. Le Cinéma et l’Echo du cinéma réunis, n° 212, 30 juin 1916 58. Le Cinéma n° 3, 15 mars 1912.

AUTEURS

DOMINIQUE MOUSTACCHI Dominique Moustacchi. D’abord restauratrice du patrimoine (spécialité peintures), Dominique Moustacchi reprend des études en histoire du cinéma et en documentation. De 2004 à 2008, elle est chargée de mission à la direction des Archives de l’Institut national de l’audiovisuel où elle effectue l’inventaire et le traitement documentaire d’un fonds de films des premiers temps de la télévision. Elle intègre les Archives françaises du film du CNC en 2009 comme administratrice de la base de données documentaires.

STÉPHANIE SALMON Stéphanie Salmon. Docteur de l’Université de Paris I pour une thèse intitulée Le Coq enchanteur. Pathé, une entreprise pour l’industrie et le commerce de loisirs (1896-1929), Stéphanie Salmon est directrice des collections historiques de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé. Elle a assuré pour la Fondation l’édition en DVD du Coffret Albert Capellani (2011).

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Des acteurs qui échappent au théâtre Les acteurs d’Albert Capellani

Jacques Richard

NOTE DE L'AUTEUR

(En gras : titre d’une pièce de théâtre. En gras italique : titre d’un film)

1 Autour de 1911, quand il parvient à la pleine maîtrise de son art, Albert Capellani, qui s’inspire souvent d’auteurs célèbres, se plaît à raconter des histoires d’hommes (L’Assommoir, Notre-Dame de Paris, Germinal) et il choisit pour les incarner au plus juste de fortes personnalités de la scène. Ces films au masculin pluriel se déclinent aussi au féminin singulier, illuminés par des météores aussi exceptionnels que Napierkowska dans Notre-Dame de Paris, Sylvie dans Germinal, Mistinguett dans La Glu.

2 Au contraire de Louis Feuillade choisissant dans sa troupe permanente des interprètes qu’il laisse rarement inoccupés, Capellani, durant sa période française, ne paraît avoir obéi à aucune habitude ou obligation sinon celle de recourir de préférence à des acteurs travaillant habituellement pour Pathé et la SCAGL dont il était le directeur artistique. A l’exception de Paul Capellani, tête d’affiche de très nombreux films mis en scène par son frère Albert, les noms mentionnés par les génériques se renouvellent fréquemment.

3 Les acteurs semblent avoir été sélectionnés au coup par coup. Avec une solide expérience du théâtre, Albert Capellani sait sur quelles scènes de Paris il peut découvrir ses héros positifs, ses ingénues, ses pères nobles, ses traîtres, ses malandrins, ses confidentes et ses « mauvaises femmes ». Son intuition ne le trompe guère et s’il arrive qu’à l’écran certains élus restent en deçà de leurs possibilités ou au contraire donnent, rétrospectivement, l’impression d’avoir un peu chargé leur personnage, d’autres échappent à toute critique, et ce n’est pas le moindre des mérites d’Albert Capellani que d’avoir deviné par exemple que Delphine Renot ferait une très juste Thénardier et que

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Henry Krauss ferait merveille en Jean Valjean ou en Lantier sans trop céder à la tentation de surjouer.

4 Certains comédiens ont été les interprètes et les disciples d’André Antoine. En fondant le Théâtre Libre, celui-ci avait voulu rompre avec la tradition qui sacrifiait la vérité en trompe-l’œil de la scène à la recherche systématique de l’effet. Par la suite, en dirigeant le Théâtre des Menus Plaisirs puis l’Odéon, Antoine, toujours attaché à un vérisme nuancé, se fit moins dogmatique mais il conserva beaucoup de ses exigences. Dans les films réalisés par Albert Capellani, Léon Bernard, Paul Capellani, Mévisto, Eugénie Nau, Andrée Pascal gardent l’empreinte de leur maître. Ce n’est pas par hasard qu’Antoine terminera Quatre-vingt-treize et remettra ses pas dans les pas d’Albert Capellani émigré aux Etats-Unis avant de réaliser sa propre œuvre cinématographique originale et puissante. Pour l’heure, Capellani s’attache à certains interprètes, Henri Etiévant, Emile Milo, Henry Krauss, Mistinguett, Napierkowska, engagés plus souvent que d’autres. En revanche, l’excellent Maurice Schutz n’a droit qu’à un personnage dans les films d’Albert Capellani ; de même l’occasion n’est offerte que deux fois à la douce et lumineuse Cécile Guyon de jouer (dans La Glu et dans Germinal) une jeune femme un peu sacrifiée ; enfin, Sylvie aux yeux clairs est, sous la houlette de Capellani, l’interprète d’un seul rôle : l’incandescente Catherine dans Germinal.

5 Sylvie, les autres, presque chaque acteur est en très exacte coïncidence avec son personnage, comme si Albert Capellani avait établi ses distributions en étant conduit par le seul souci de l’adéquation. Pas de contre-emploi, ce qui ne signifie pas : aucune surprise. Le tempérament, la singularité de chacun s’exprime. Avec l’expérience du théâtre, on joue la situation, mais sans le secours des mots, et il s’agit là d’une contrainte nouvelle pour la plupart de ces professionnels des planches qui, soudain, ne peuvent plus s’exprimer qu’au moyen de leur visage, de leur corps. Cet art nouveau se définit peu à peu. Dans son rôle de metteur en scène, qui va se préciser très empiriquement film après film, Albert Capellani donne le la, maîtrise certains débordements, tire de tous le meilleur en prêtant vie à la fiction. En métamorphosant des acteurs de théâtre en personnages de cinéma, il est un pionnier de la direction d’acteurs.

6 Les comédiens auxquels ont été consacrées les notices qui suivent sont ceux dont les noms se retrouvent le plus fréquemment au générique des films qu’Albert Capellani tourna en France avant son départ pour les Etats-Unis en 1915.

Jeanne BÉRANGERE (1887-1946)

7 Sous le même nom, deux actrices firent carrière dans le cinéma muet. La plus âgée (1864-1928) s’illustra surtout en jouant, dans les années vingt, les vieillardes de cauchemar comme l’aveugle d’El Dorado ou La Chouette des Mystères de Paris. Elle ne doit pas être confondue avec la plus jeune Jeanne Bérangère, de son vrai nom Chatelain, qui débute à l’écran en 1909 en sortant du Conservatoire. Son emploi : naturellement les ingénues. En 1910 elle est dirigée par Albert Capellani dans Péché de jeunesse et La Vengeance de la morte : ce dernier film a pour scénariste André Mouézy-Eon, auteur de mémorables vaudevilles militaires. Jeanne Bérangère l’épousera en 1914.

8 Pour l’heure elle est un des espoirs de Pathé. La publicité de la firme célèbre « cette beauté calme et sereine empreinte d’une douceur, d’un charme ineffables » et « la grâce délicate » de Bérangère. À partir de 1913 Mme Mouézy-Eon se tiendra éloignée du

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cinéma muet. On la reverra longtemps au théâtre et elle réapparaîtra dans quelques films parlants comme Sans Famille (Allégret 1934), Bibi-la-Purée que Joannon tire la même année du vaudeville de Mouézy Eon déjà adapté en 1925 par Maurice Champreux.

Léon BERNARD (1877-1935)

9 Sans avoir pu entrer au Conservatoire, Léon Bernard fait ses classes au Grand-Guignol, avant de travailler longtemps auprès d’Antoine, Boulevard de Strasbourg puis à l’Odéon à partir de 1906, où il interprète notamment, avec succès, M. Lepic de Poil de Carotte. Engagé à la fin de 1910 à la Comédie-Française où il joue les maris, les pères au physique un peu lourd, Léon Bernard aborde en 1911 le cinéma muet à la SCAGL où il va conserver son emploi de théâtre, aidé par un instinct très sûr. Dans Les Mystères de Paris Albert Capellani le dirige pour la première fois.

10 Léon Bernard reste à l’écran le barbon qu’on applaudit sur scène. Grandiose Mgr Myriel dans Les Misérables, il se retrouve à l’affiche du Nabab, de L’Eternel amour, de Patrie. Il a de la présence, une densité naturelle qui l’incite à éviter toute gesticulation. D’autres cinéastes, Monca, Bressol, Grétillat, Antoine surtout dans Le Coupable, continuent de l’employer après le départ de Capellani pour les Etats-Unis, cependant que Léon Bernard poursuit au Théâtre Français une carrière très honorable. S’éloignant des studios à partir de 1923, il attendra que le cinéma parle pour y interpréter avec sobriété Le Gendre de Monsieur Poirier (Pagnol, 1933) puis Deux couverts de Sacha Guitry (Perret, 1934) qu’il jouait déjà à la Comédie-Française. Il est emporté peu après par une septicémie.

Paul CAPELLANI (1877-1960)

11 Passionné par la sculpture, à quinze ans Paul Capellani expose au Salon des Artistes Français, mais c’est bientôt le goût du théâtre qui l’emporte. Il est l’élève de Le Bargy au Conservatoire d’où il sort en 1901 avec deux accessits. L’année suivante, Gémier lui fait créer à la Renaissance le rôle de Camille Desmoulins dans Quatorze juillet de Romain Rolland. Dès lors Paul Capellani ne cesse de jouer sur les boulevards, notamment au Théâtre Antoine dans Le Roi Lear en 1905. En 1907 il rejoint le maître du naturalisme à l’Odéon. Il n’y reste qu’un an et revient aux scènes de boulevard, jeune premier de drames ou de comédies.

12 C’est alors, en 1908, que Paul Capellani commence à travailler pour le cinéma : ses premiers tournages se déroulent sous la houlette d’Albert Capellani, son aîné de trois ans. C’est le début d’une collaboration intensive ; les deux frères semblent bientôt indissociables, et pourtant il arrivera à Paul d’être dirigé par d’autres metteurs en scène qu’Albert : Carré, Monca, Denola, Andréani, Caillard, mais toujours pour la firme au Coq.

13 Avec Albert, Paul Capellani va interpréter en France près d’une quarantaine de films en sept ans. Il plaît. Avenant, toujours très digne et bien mis dans les situations les plus diverses, il s’identifie avec sobriété à tous ses personnages, en pourpoint, uniforme, redingote. Irréprochable Rodolphe des Mystères de Paris, passionné sans gesticulation dans Eternel amour, il saura en revanche camper dans Quatre-vingt-treize un Gauvain

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presque lyrique. En Paul Capellani, son frère a trouvé l’interprète de tous ses héros, sans caractéristique trop voyante qui le marque à jamais : idéal donc par son universalité.

14 En 1914 Paul Capellani vient d’être engagé par la Comédie-Française quand la mobilisation l’empêche d’y débuter. Dès la fin de l’année, son frère Albert part pour les États-Unis. Réformé en 1916, Paul va être chargé par les autorités françaises du service de propagande de guerre aux USA. Ces fonctions ne l’empêcheront pas d’entamer une nouvelle carrière d’acteur dans les studios américains : il interprète certains des vingt- six films que réalise Albert Capellani aux Etats-Unis, mais il tourne aussi avec d’autres cinéastes, comme Ivan Abramson, William J. Humphrey. Le mode de fonctionnement du cinéma américain le laisse admiratif : il faut « industrialiser » le Septième art en France, expliquera-t-il beaucoup plus tard (26 avril 1923) à Mon Ciné. Curieusement, le 23 novembre 1918, La Cinématographie française annonce que Paul Capellani vient de diriger en Argentine « l’exécution d’un très grand film » et se trouve « attaché à la Haute Commission française aux Etats-Unis comme directeur de production pour le service français cinématographique », pompeuse allégation dont le bien fondé reste problématique.

15 De retour à Paris en 1919, Paul Capellani retrouve le chemin des studios, pour Marcel L’Herbier (Le Bercail, Le Carnaval des vérités) et pour Burguet (Suzanne et les brigands). Il fait sa rentrée au Gymnase en 1921 en reprenant Le Scandale. Après un dernier film, Phroso de Mercanton, le cinéma muet, avide de visages nouveaux, le délaisse. Au contraire, le parlant naissant a de nouveau recourt à lui avec La Robe, moyen métrage d’Andrew Brunelle en 1929, La Lettre de Mercanton, la version française de Une femme a menti signée Charles de Rochefort en 1930. La trajectoire à l’écran s’arrête là. Encore des rôles sur scène, mais bientôt Paul Capellani aura du temps à consacrer à la sculpture, où il excelle toujours. Il se retire dans sa propriété de Cagnes où il meurt en 1960.

André DEED (Henri André Chapais, 1879 – 1940)

16 Après avoir joué sur scène Le Bossu avec des amateurs, il entre dans les troupes de pantomime acrobatique de James Price puis des Omer. Georges Méliès le remarque et, de 1901 à 1903, l’emploie dans trois de ses films avant qu’André ne devienne Deed en incarnant, à dater de 1906, l’imprévisible et sautillant Boireau. La série des Boireau va prospérer jusqu’en 1908. Le nom d’Albert Capellani a été cité pour quelques titres, sans source fiable. Quoi qu’il en soit, Capellani se cherche encore et c’est dans le drame qu’il se trouvera bientôt. André Deed, lui, se montre très à l’aise dans le burlesque « physique ». Son personnage de Boireau plaît, sans qu’on puisse déterminer de quelle part de ce succès on est redevable à Capellani.

17 A compter du 1er janvier 1909 Deed est sous contrat à l’Itala, où l’on rebaptise son personnage Cretinetti (Gribouille pour le public français). En octobre 1911 il regagne Paris avec sa partenaire Valentina Frascaroli – qu’il épousera – et Gribouille redevient Boireau jusqu’au début de la guerre, sans que – semble-t-il – Albert Capellani y soit pour quelque chose. Après plusieurs succès d’auteur- interprète en Italie (L’uomo meccanico, 1921) André Deed, dans la France de l’après-guerre où il s’est définitivement établi, ne trouve plus beaucoup d’occasions de briller et finit par sombrer dans l’oubli.

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Henri ETIÉVEANT (1870 – 1953)

18 Homme de scène modelé à la fois par le Conservatoire, la pratique du mélodrame au Théâtre de Belleville, le travail auprès d’Antoine puis de Lugné Poe, Henri Etiévant appartient longtemps à la troupe de l’Ambigu (où il incarne, entre autres, l’adjudant Flick dans Le Train de 8h47). Il joue au Châtelet, à la Porte-Saint-Martin (Le Bossu, Cyrano) jusqu’au jour de 1908 où il découvre le métier d’acteur de cinéma en interprétant L’Empreinte avec Napierkowska. Etiévant deviendra bientôt un des comédiens de base de Pathé et de la SCAGL, souvent dans des films en costume, des drames solides, plus rarement des comédies, que signent Monca, Denola, Leprince.

19 En 1909, première collaboration avec Albert Capellani qui lui confie un petit rôle dans La Mort du duc d’Enghien en 1804. Son personnage va prendre du relief dans La Bouteille de lait ; dans Le Voile du bonheur, drame chinois sur un scénario de Clemenceau ; dans Les Aventures de Cyrano de Bergerac. On remarque mieux encore Henri Etiévant quand il compose, dans Les Mystères de Paris, un hallucinant Maître d’école au faciès lourdement maquillé. La même année 1912 il marque de sa personnalité le Javert des Misérables, jouant de sa carrure et de son regard noir. Ces rôles forts lui vont bien ; le dernier, et non le moindre, dans une œuvre de Capellani, il le trouve en 1913 dans un drame sentimental hollandais intitulé L’Absent où il personnifie un veuf épris d’une « étrangère » (Germaine Dermoz).

20 Sans doute Henri Etiévant serait-il encore l’interprète de Capellani si la Milano ne le sollicitait en 1913 : pour cette firme, il va en Italie tourner trois films en qualité de metteur en scène. La guerre passée, il ne sera plus acteur qu’occasionnellement (La Blessure, 1925), préférant se consacrer à la réalisation de grands films populaires. Il dirigera ainsi Francesca Bertini en 1926 dans La Fin de Monte-Carlo puis Joséphine Baker dans son seul film muet, La Sirène des tropiques.

Maria FROMET (1902 – 1967)

21 Fille des comédiens Paul et Marie Fromet, Maria passait pour avoir débuté sur scène à l’âge de quatre ans, donc en 1906, auprès de gloires de l’époque qui avaient nom Réjane, Mistinguett, Lucien Guitry. En 1908 elle fut de la création de L’Oiseau bleu de Maeterlinck en même temps que son nom était pour la première fois mentionné dans la distribution d’un film : Les Orphelins de Jasset.

22 C’est en 1909 que Maria Fromet entre dans l’écurie Pathé, où Carré, Denola, Morlhon, Monca, Heuzé font d’elle l’inévitable fillette du cinéma d’alors, souvent aux prises avec des personnages malfaisants, parfois abandonnée, ou évoluant au contraire dans des intrigues de comédie. La publicité l’appelle « la petite Fromet », et dans certains films ses parents, ses sœurs – actrices elles aussi – sont ses partenaires. En 1910 Albert Capellani dirige pour la première fois Maria. Elle sera son interprète dans au moins six films en trois ans. Son rôle marquant sera celui de Cosette dans Les Misérables où elle fait montre de vraies qualités de comédienne, avec une finesse, une justesse de ton remarquables.

23 Malheureusement pour sa carrière, Maria Fromet va grandir trop vite, et dès 1913 les catalogues la nomment non plus « la petite » mais « Maria Fromet ». Plus de rôles d’enfant : en 1914, sur la scène du Grand-Guignol dans Les Morts étranges d’Albury,

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elle joue une adolescente étranglée par un fou. La suite du parcours est difficile, les rôles de moins en moins nombreux. Un dernier film muet en 1922 : L’Ile sans nom de Plaissetty. Au théâtre, Maria Fromet prendra sa revanche, jusqu’à créer Mélo de Bernstein en 1929, puis des pièces de Bourdet : Les Temps difficiles, Margot. Engagée en 1937 à la Comédie-Française, Maria Fromet y jouera le répertoire classique et moderne jusqu’à sa retraite.

Claude GARRY (1877 – 1918)

24 Frère de Claire Dietz qui, devenue Mme Henri Laudenbach, sera la mère de Pierre Fresnay, Jules Dietz choisit pour le théâtre le pseudonyme de Claude Garry. Sorti du Conservatoire en 1901 avec un premier prix de comédie et un second prix de tragédie, il entre à la Comédie-Française mais reprend sa liberté dès 1905. Après une saison au Théâtre Michel de Saint-Petersbourg, Claude Garry est à Paris le partenaire de Réjane dans Le Refuge en 1909 et, la même année, il aborde le cinéma dans L’Epi de Calmettes.

25 Tout en restant très actif sur scène (souvent auprès de Réjane et en 1913 dans Le Secret de Bernstein), pendant quelques années Claude Garry ne cesse d’être sollicité par le cinéma, généralement à la SCAGL, et cela jusqu’à la guerre. Il brille le plus souvent dans des rôles en costume. Le plus marquant est en 1911 celui de Claude Frollo dans Notre- Dame-de-Paris, où Garry ne craint pas de donner à son personnage une allure inquiétante de Nosferatu avant l’heure. Son dernier film sera, en 1917, L’Heure sincère de Plaissetty. Claude Garry tombe bientôt malade et meurt dans sa quarante et unième année.

Henry KRAUSS (1866 – 1935)

26 Sorti du Conservatoire où il disait n’avoir rien appris, Henry Krauss joua les amoureux du répertoire à l’Odéon de Porel, le mélodrame à la Porte-Saint-Martin, des comédies sur les boulevards, avant de créer en 1911 Les Frères Karamazov avec Charles Dullin et Roger Karl. Parallèlement, dès 1908 il s’était lancé dans le cinéma, travaillant, non chez Eclair comme son frère Charles, mais chez Pathé et à la SCAGL où il devint un grand premier rôle dramatique très souvent sollicité.

27 C’est semble-t-il en 1908 qu’Albert Capellani dirigea pour la première fois Henry Krauss dans deux films : Marie Stuart et L’Arlésienne . En même temps que les métrages s’allongeaient, à partir de 1911 se succédèrent les personnages majeurs : alors qu’il venait de jouer au Châtelet Le Martyre de saint Sébastien de D’Annunzio et Debussy, Henry Krauss composa, dans Notre-Dame-de-Paris, un singulier Quasimodo dans lequel il parvenait à faire oublier sa robuste carrure. Héros absolu dans Les Misérables, il joua de sa simple présence avec une remarquable économie de moyens, comme si sa collaboration avec Capellani le confortait dans la volonté d’intérioriser son jeu pour la caméra, en oubliant les amplifications théâtrales auxquelles il était accoutumé.

28 Krauss restait à l’écran le « grand premier rôle dramatique » qu’il était à la scène. C’est en 1913, dans Germinal, qu’il atteignit son sommet, donnant à Lantier une énergie contenue et ne s’abandonnant que rarement à l’emphase. Un rôle magistral. Avec un fort hugolien Cimourdain dans Quatre-vingt-treize, prit fin en 1914 le parcours commun de Krauss et Capellani, lequel laissa à Antoine le soin de mettre à son film un point

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final. La rencontre avait été exemplaire : Capellani n’aurait pu imaginer meilleure symbiose avec un interprète idéal.

29 Toujours avec Antoine, Krauss poursuivit sa trajectoire dans Les Frères corses où il campa un Alexandre Dumas truculent. Jusqu’à la fin du cinéma muet il multiplia les créations, jamais banales (un Lepic tout en nuances dans Poil de Carotte (, 1925). Henry Krauss mit en scène lui-même sept films. Le parlant venu, il retrouva Les Misérables (Raymond Bernard, 1933), mais cette fois pour y personnifier, face à Harry Baur, un admirable Mgr Myriel. Il mourut deux ans plus tard.

Maurice LUGUET ( ?- ?)

30 Arrière-petit-fils d’une célèbre danseuse de corde nommée La Malaga, Maurice était le fils du directeur de théâtre Henri Luguet (né en 1821). Il épousa la comédienne Albertine Lainé qui avait pour beau-frère Maurice de Féraudy. Leur fils André Luguet (1892 – 1979) allait avoir une carrière brillante et longue au théâtre comme au cinéma. Maurice Luguet était déjà un acteur très expérimenté et un homme mûr quand la SCAGL lui donna son premier rôle à l’écran en 1909.

31 Ses films allaient être nombreux jusqu’en 1914. C’est en 1910 qu’Albert Capellani commença d’utiliser Maurice Luguet, généralement dans des drames, des intrigues sentimentales où il jouait les pères nobles, en comédien assez fin, aux effets mesurés. Après seulement deux années de collaboration avec Capellani, Maurice Luguet quitta la firme au Coq pour la Marguerite de Gaumont ; il interpréta plusieurs films de Feuillade, notamment les épisodes I et III des Vampires. Après avoir été dirigé par son fils André dans Pour régner en 1926, Maurice Luguet eut son dernier rôle au cinéma en 1929.

Léontine MASSART (1885-1980)

32 Ses premiers succès, Léontine Massart les remporta sur scène, auprès de Gémier dans La Rabouilleuse, puis à l’Ambigu, et c’est en comédienne chevronnée qu’elle aborda le cinéma en 1909 avec Camille de Morlhon. Etre avant tout l’interprète favorite de ce metteur en scène, et cela jusqu’en 1916, n’empêcha pas Léontine Massart de jouer aussi, à ses débuts, dans trois films d’Albert Capellani. Il s’agissait ordinairement de drames qui ne comptent pas parmi les œuvres majeures du cinéaste ; Léontine Massart leur apporta sa présence jugée charmeuse et strictement corsetée.

33 Sa propre sœur Mary Massart interpréta pour sa part deux films de Capellani, dont Le Chevalier de Maison-Rouge (où elle se contentait du rôle secondaire d’Arthémise). Elle épousa le metteur en scène René Plaissetty, avec qui elle alla tenter sa chance aux Etats-Unis en 1923.

MÉVISTO (1859 – 1927)

34 Autodidacte de la scène, comme son frère Jules, Auguste Wisteaux avait amorcé une carrière dans la pantomime et le café-concert quand Antoine le pressentit en 1888 pour faire partie de la première troupe du Théâtre Libre. Dans ses compositions dramatiques (La Puissance des ténèbres, L’Evasion) Mévisto sut se montrer, dira Antoine : « réaliste, rude et puissant », avant de quitter le Théâtre Libre pour aller jouer le

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mélodrame à la Porte-Sant-Martin. De longues années de pratique préparèrent Mévisto à son parcours au cinéma. On l’applaudit en particulier aux Menus Plaisirs où il campa un Coupeau saisissant dans L’Assommoir.

35 Il avait quarante-neuf ans et son éternelle « tête d’assassin », comme il le disait lui- même, quand il aborda l’art muet en 1908, sous la direction d’Albert Capellani dans L’Homme aux gants blancs. Presque toujours chez Pathé ou à la SCAGL, Mévisto retrouva pour la caméra un répertoire qui lui était souvent familier, notamment dans Le Courrier de Lyon où Capellani lui confia un rôle secondaire (Chopard) qui convenait à son physique. Dans Germinal en 1913, il sut donner à son Maheu une très forte présence. Une fois Mévisto fit office de scénariste. Le Chevalier de Maison-Rouge fut le dernier film qu’il tourna pour Capellani en 1913.

36 Pendant la guerre, il interpréta deux drames patriotiques (La Fille du Boche et Debout les morts !). La paix revenue, Mévisto tenta de renouveler son personnage, tant au théâtre (Pygmalion, Bava l’Africain en 1926) qu’au cinéma où il fut très remarqué, en 1925, dans La Douleur et Les Petits, en 1926 dans Le Chemineau. Marcel L’Herbier l’engagea alors pour incarner le père Leherg dans L’Ex-voto (film qui deviendra Le Diable au cœur) mais Mévisto prit froid et mourut au début du tournage ; le rôle fut repris par Roger Karl.

Emile MILO (1889-1952)

37 Ancien élève de Monrose au Conservatoire, Milo – comme il se fit appeler, sans prénom – joua beaucoup sur les boulevards, à la fin du XIXe siècle, de Feydeau à Capus. Sa haute silhouette dégingandée le prédisposait aux compositions le plus souvent comiques et c’est dans cet emploi que, quinquagénaire, il débuta au cinéma en 1909. Milo allait rester un des plus fidèles acteurs des productions de Pathé et de la SCAGL, parfois partenaire de Rigadin dans les œuvres de Monca, plus souvent interprète d’Albert Capellani, et cela jusqu’à la guerre.

38 A l’écran comme à la scène, Milo passait aisément de la comédie au drame et Capellani l’employa dans divers registres, entre La Victime de Sophie et Jacintha la cabaretière, mais il s’agissait encore de rôles secondaires. En revanche dans Les Aventures de Cyrano de Bergerac – une version qui ne devait rien à Rostand – Milo joua le héros lui-même. Le personnage le plus intéressant que Capellani lui confia fut, en 1912, celui de Thénardier dans Les Misérables, une mémorable canaille à moustache dont la perfidie se voit de loin. Milo poursuivait, dans le même temps, son activité au théâtre, souvent au Palais- Royal, en 1913 au Gymnase dans La Demoiselle de magasin avec Jules Berry.

39 Quand Capellani eut quitté la France, Milo tourna moins souvent. Il fut en 1916 le veilleur de nuit des Grands, première version, puis, surtout, le pittoresque « Hyacinthe, dit Jésus-Christ » de La Terre. Quelques drames au cours des années vingt, et c’est dans Jalma la double de Goupillières qu’on vit pour la dernière fois Milo en 1927, campant un chef de bande roublard, Malouk le « sultan des mendiants ».

MISTINGUETT (1875-1956)

40 De son vrai nom Jeanne Bourgeois, officiellement née en 1875 mais sans doute cinq ans plus tôt, la chanteuse Mistinguett brûla d’abord les planches du Trianon et de

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l’Eldorado, mais dès 1907 elle s’imposa pour ses talents de comédienne dans Le Coup de Jarnac aux Folies-Dramatiques. Et c’est encore Mistinguett comédienne qui se fit applaudir au Gymnase en 1909 dans L’Ane de Buridan, aux Variétés en 1911 dans Les Midinettes. Son exceptionnelle présence scénique l’avait signalée dès 1908 à l’attention du Film d’Art pour qui elle interpréta alors, avec son partenaire du Moulin-Rouge Max Dearly, L’Empreinte ou la main rouge. En 1909 Mistinguett devenait une vedette Pathé. Denola la dirigea, ainsi que Monca, notamment en 1910 dans Les Timidités de Rigadin où elle creva l’écran.

41 Elle devient un peu plus tard l’interprète de Capellani mais, la scène ne lui en laissant guère le loisir, elle travaillera peu avec lui. Deux rôles inoubliables pourtant : la très fiévreuse femme fatale de La Glu, puis Éponine des Misérables, où le jeu de Mistinguett est étonnamment direct et moderne.

42 Pendant la guerre, Mistinguett ira tourner en Italie. Le cinéma muet l’occupera encore, parfois, jusqu’en 1927, mais la chanson et les revues à grand spectacle absorberont l’essentiel de son activité. Quand viendra le parlant, Mistinguett sera la vedette d’un seul film : Rigolboche de Christian-Jaque en 1936, mais elle ne renoncera au music-hall qu’à un âge très avancé.

Stacia NAPIERKOWSKA (1891 – 1945)

43 Fille d’un émigré polonais, née à Paris à une date qu’elle pourrait avoir elle-même rectifiée, Stacia étudia la peinture dans l’atelier de Guirand de Scevola, puis la danse avec Mme Mariquita, et entra dans le corps de ballet de l’Opéra-Comique. Mistinguett sut la convaincre de faire du cinéma, et c’est avec elle que Napierkowska interpréta en 1908 son premier film, L’Empreinte, cependant qu’elle se produisait toujours sur scène (Folies-Bergère, Odéon, Opéra-Comique) dans des intermèdes chorégraphiques d’inspiration exotique.

44 Dans la plupart des films qu’elle tourna pour Pathé et la SCAGL, Napierkowska resta attachée à ce personnage d’almée ou de bayadère, danseuse lascive venue d’ailleurs, et Albert Capellani ne dérogea guère à cette habitude, comme en témoignent les titres des films où il employa l’éternelle séductrice. Il fallut Esmeralda dans Notre-Dame-de-Paris en 1911 pour que le personnage prît un peu de consistance, avec une Napierkowska fine et vive. Après avoir participé à deux autres films de Capellani, elle se tourna vers Max Linder et Leprince.

45 Pendant la guerre Napierkowska interpréta de nombreux longs métrages en Italie, puis on la retrouva en France dans les deux premiers épisodes des Vampires. Elle créa à Paris sa propre firme, « S. N. » qui ne vit aboutir qu’un seul film : L’Héritière de la manade en 1917. Il fallut un rôle exceptionnel, celui d’Antinéa dans L’Atlantide de Feyder en 1921, pour donner une impulsion nouvelle à la carrière de Napierkowska, mais elle avait perdu sa sveltesse. Les dernières productions, dont Les Frères Zemgano en 1925, n’eurent pas le retentissement espéré et la ci-devant femme fatale retourna à la peinture.

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Eugénie NAU ( ?- ?)

46 Ayant été une des figures marquantes du Théâtre Libre, où Antoine lui confia la création de deux personnages jugés alors scandaleux : en 1890 La Fille Elisa d’Edmond de Goncourt, en 1892 Mademoiselle Julie de Strindberg, Eugénie Nau a atteint l’âge mûr quand elle aborde l’art muet en 1908 dans des films de Jasset.

47 L’année suivante, Albert Capellani lui fait incarner Gervaise dans son résumé de L’Assommoir où elle retrouve, jouant Coupeau, son partenaire de Mademoiselle Julie Alexandre Arquillière. Cette expérience en amène d’autres. Eugénie Nau travaille beaucoup pour le cinéma, sollicitée par des réalisateurs d’Eclair (tel Jasset), de Gaumont (Perret), mais surtout de Pathé et de la SCAGL, Carré, Denola.

48 Pour sa part Albert Capellani l’emploie au total dans au moins sept films, où il sait mettre en valeur son tempérament fiévreux. Eugénie Nau s’affirme en 1912 dans des compositions remarquables : la terrible Chouette des Mystères de Paris et l’émouvante Sœur Simplice des Misérables. A la suite de quoi elle n’aura plus l’occasion de tourner avec Capellani ; sa carrière cinématographique se poursuivra après 1918, du Carnaval des vérités de L’Herbier à La Brière de Poirier et Catherine ou une vie sans joie de Dieudonné en 1924

Andrée PASCAL (1892-1982)

49 Elle débuta au théâtre à quatorze ans dans Madame la Maréchale. Engagée ensuite par Antoine à l’Odéon, Andrée Pascal y joua Agnès et Chérubin. C’est alors que cette douce ingénue aux yeux bleus fit son entrée chez Pathé. Elle n’avait que dix-huit ans quand Albert Capellani lui donna pour la première fois un rôle en 1910 dans Les Deux orphelines.

50 Jusqu’en 1914 il allait tirer parti de l’émouvante nature d’Andrée Pascal, de son sourire mélancolique. Elle personnifia Julie Lesurques aux prises avec l’erreur judiciaire du Courrier de Lyon, et quelques mois plus tard la tendre Fleur-de-Marie des Mystères de Paris. Pendant les quatre années de sa collaboration avec Capellani, Andrée Pascal incarna pour lui la candeur et le courage.

51 Cela ne l’empêcha nullement de trouver aussi sa place dans d’autres registres : elle fut notamment la jeune première très courtisée de plusieurs Rigadin. A l’aise dans tous les genres, elle l’était aussi, dans le même temps, au théâtre où elle passait de Triplepatte à Cœur de Française. La carrière d’Andrée Pascal se poursuivit tout au long des années vingt, parfois à côté d’Harry Baur. A l’écran elle prit fin dès 1921 avec le tournage de L’Empereur des pauvres.

Théodore THALÈS (1857 – 1935)

52 À la fin du XIXe siècle, sur scène, les mimes ont la faveur du public. Ainsi le Marseillais Thalès, qui triomphe, comme son cadet Séverin, au Palais de Cristal. L’un et l’autre partent à la conquête de Paris, où ils rivaliseront bientôt avec Georges Wague et Jean Jacquinet. Tous sont enrôlés par le cinéma naissant, où l’on s’imagine que l’art muet est fait pour eux. Thalès interprète son premier film en 1909. L’année suivante, Albert Capellani fait appel à lui pour Le Spoliateur. Dans cinq bandes au total Thalès apparaît

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comme dans autant de mimodrames. Après deux années de collaboration, Capellani, probablement conscient de la nécessité d’obtenir de ses acteurs plus de réalisme, cesse d’utiliser Thalès ; mime, celui-ci se limitera à la scène, après un ultime rôle au cinéma en 1916. Il fera ses adieux en 1927 à la Porte-Saint-Martin.

53 Jean Jacquinet, quant à lui, s’adapte mieux aux exigences de la caméra : deux fois en 1913 (Germinal, Le Chevalier de Maison-Rouge) et à nouveau l’année suivante (La Belle limonadière) il sait trouver sa place dans l’univers de Capellani. Son interprétation du lourd Chaval dans Germinal est restée exemplaire.

Georges TRÉVILLE (1864 – 1944)

54 Comédien de théâtre lancé en 1899 par L’anglais tel qu’on le parle de Tristan Bernard et rendu célèbre en 1902 par le succès de Madame Flirt à L’Athénée, Georges Tréville est bien connu des gens de théâtre qui font naturellement appel à lui à partir de 1908 lorsqu’ils commencent à travailler pour le cinéma, tels Michel Carré et bientôt Albert Capellani.

55 Le nom de Georges Tréville est mentionné pour la première fois dans la distribution d’une « scène dramatique » chinoise dont Georges Clemenceau a écrit le scénario : Le Voile du bonheur. S’il tourne énormément pour la SCAGL, surtout dirigé par Denola et Monca, dans des personnages d’aristocrates, de vieux beaux, Tréville participe à des œuvres de Capellani qui ne comptent pas parmi les plus importantes, exception faite de Notre-Dame-de-Paris.

56 Lorsque s’achève sa collaboration avec Albert Capellani, Georges Tréville travaille encore beaucoup pour la SCAGL, après quoi il va à Londres diriger lui-même et interpréter huit enquêtes de Sherlock Holmes pour le compte d’Eclair. Cette carrière d’acteur-metteur en scène se poursuivra jusqu’à la fin du cinéma muet, jalonnée de réalisations en France (Chrysalis, Lorena) et à nouveau en Angleterre après la guerre : All Sorts and Conditions of Men, Married Life (1921). Georges Tréville continuera d’être présent dans le cinéma parlant, avec des rôles de plus en plus brefs.

AUTEUR

JACQUES RICHARD Jacques Richard a été journaliste à L’Aurore et au Figaro. Il a longtemps collaboré à la revue Le Cirque dans l’Univers, ainsi qu’à plusieurs revues de cinéma, notamment Archives où il a publié des textes sur les burlesques français. Il a écrit avec Jacques Deslandes le second volume de l’Histoire comparée du cinéma (1896-1906).

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Décors et espace dans les films français de Capellani

Jean-Pierre Berthomé

1 Le premier film d’Albert Capellani, Le Chemineau (1905), s’ouvre par un plan saisissant, sans équivalent sans doute dans le cinéma de la période. Sur une route enneigée de campagne, le chemineau du titre marche vers la caméra, fixant sur l’appareil un regard farouche, jusqu’à envahir l’image. Derrière lui, au fond du cadre, le village d’où vient la route, signalé par son clocher. Le plan n’est pas bien long, six secondes à peine, tout ce qu’autorise ce décor peint en studio au déplacement physique du comédien, lourdement balancé pour masquer le fait qu’il n’avance guère. Mais déjà sont présents deux éléments parmi les plus remarquables de la conception de l’espace cinématographique par Capellani : son organisation presque systématique dans la profondeur et sa prédilection marquée pour des extérieurs qui bientôt ne seront plus peints mais naturels.

La Fille du sonneur

2 Dès l’année suivante, La Fille du sonneur établit avec une autorité étonnante les principes de Capellani en matière de décors et d’espace. L’anecdote de ce film d’une dizaine de minutes est simple et on la suit sans difficulté en dépit de l’absence des cartons qui, certainement, fournissaient des repères de temporalité. De nos jours, la fille du sonneur de cloches de Notre-Dame est séduite par un galant qui, ruiné au jeu, l’amène à cambrioler le logement de son père avant de la jeter à la rue avec leur enfant. Le sonneur a maudit sa fille qui, après avoir songé à se tuer, abandonne son bébé devant un porche d’église où il est recueilli par son grand-père. Une dizaine d’années plus tard, la jeune femme, réduite à la mendicité, voit passer dans la rue son père avec sa fillette. Le vieil homme refuse d’abord de pardonner puis cède aux objurgations de l’enfant et embrasse la fille prodigue.

3 Le film a peu de décors de studio : le logement du sonneur, un cercle de jeu, la mansarde où vit le couple illicite et le porche d’église où l’enfant est abandonnée. Et, si

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ce dernier extérieur de studio relève d’une tradition imagière des paysages urbains en trompe-l’œil, les intérieurs, eux, sont remarquables pour leur économie de détails, strictement réduits pour l’essentiel à ce qui est dramatiquement nécessaire (la pendule murale et le coffre-fort chez le sonneur, le lit de fer dans la mansarde, la longue table dans la salle de jeu). On note pourtant le souci d’ouvrir le logement du sonneur sur une galerie dont la balustrade visible fait raccord avec l’extérieur réel vu dans d’autres plans.

4 Bien plus remarquable encore est l’emploi fait des extérieurs par le cinéaste. D’abord en raison de leur abondance : ils représentent quatorze plans sur vingt-cinq, presque exactement la moitié de la durée du film. Ensuite pour leur variété et leur précision géographique. Lorsque la fille rejoint son séducteur au début du film, elle sort de Notre- Dame par la célèbre petite porte Rouge sur le flanc Sud, rejoint son galant place Vendôme, emprunte avec lui un taxi qui s’arrête au chemin de ceinture du lac inférieur, dans le bois de Boulogne ; puis ils marchent jusqu’à un embarcadère où ils empruntent une barque qui les amène jusqu’au restaurant le Chalet des îles, où ils rejoignent des amis en terrasse avant de pénétrer à l’intérieur. Un trajet où rien ne se passe et qui représente pourtant à lui seul plus du quart du film. Une promenade dans Paris rendue inoubliable par la qualité picturale des images, celles du bois de Boulogne en particulier, qui s’ouvrent sur des horizons de verdure en arrière de l’eau. Encore l’action est-elle ici indissolublement associée à son cadre. Capellani va bien plus loin quand il détache l’une de l’autre, dans cette scène magnifique où, au plan du sonneur appuyé sur la rambarde devant la fameuse Stryge de la galerie des Chimères de Notre- Dame (c’est avec elle que le décor de son logement faisait raccord), succède un panoramique à près de 180° sur les toits de Paris qui ne peut être que l’expression de la pensée du vieil homme, cherchant à comprendre sous lequel de ces toits se trouve sa fille.

5 D’autres aspects encore méritent d’être soulignés. D’abord le fait que, si Capellani choisit des lieux réels pour leurs vertus picturales ou dramatiques, il exploite rarement leur pur pittoresque. Quand il utilise la porte Rouge de Notre-Dame, c’est en refusant d’en montrer le splendide tympan sculpté et s’il filme deux fois le long du quai de Montebello, d’abord la tentative de suicide sur la voie de berge, puis la rencontre fortuite au niveau supérieur, c’est en se gardant bien de rendre identifiable la cathédrale pourtant si proche.

6 Il faut observer aussi combien, dès cette œuvre précoce, Capellani montre d’astuce dans l’organisation spatiale. Comment, par exemple, il choisit de placer sa caméra dans l’axe de la petite porte du jardin des Plantes, au début de la rue Buffon, de façon à voir ses personnages arriver par le boulevard de l’Hôpital et tourner à 45° à droite pour s’éloigner de dos dans une allée, au seul prix d’un très court panoramique.

7 La maîtrise de Capellani est plus remarquable encore quand il s’agit de recourir au montage pour organiser l’espace. Là encore, l’escapade des amoureux au bois de Boulogne est d’une virtuosité dont je ne connais pas à l’époque d’autres exemples. Sans cesse renouvelées dans leurs directions, les entrées et sorties de champ tirent les fils invisibles qui cousent l’espace. Le taxi qui a quitté la place Vendôme par le fond arrive au Bois au plan suivant à partir d’une courbe de la route à l’arrière-plan. Tous les mouvements, ainsi, s’enchaînent et se répondent jusqu’à ce que le couple, dont la barque arrive du fond pour accoster, sorte à droite en arrière de la caméra pour

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ressurgir, de derrière la caméra, au Chalet des îles et disparaître finalement au fond, à l’intérieur du bâtiment, sous les encouragements de leurs amis.

8 Ajoutons pour en finir avec ce film exceptionnel que, a contrario, la caméra de Capellani, très mobile en extérieurs où les panoramiques sont nombreux, paraît paralysée dès que l’action est filmée en studio, où les comédiens, si naturels dans des décors réels, se mettent à gesticuler. Et notons l’incongruité décorative du plan où la mère abandonne son bébé au pied d’un porche d’église. Il ne peut s’agir, on le comprend, que de la même entrée par où elle est elle-même partie au début puisque le sonneur en sort aussitôt. Comment expliquer alors que Capellani, qui obtient par ailleurs l’autorisation de filmer dans la galerie des Chimères, ait tourné le premier plan devant la véritable porte Rouge, effectivement empruntée par la comédienne, alors que le second est filmé en studio, dans un médiocre décor urbain qui ne fait pratiquement aucun effort pour reproduire l’original1 ?

Le choix des décors réels

9 Ce que nous connaissons de la suite de la carrière française de Capellani confirme quelques principes sur lesquels le cinéaste établit sa conception de l’espace et du décor.

10 Le premier est l’importance exceptionnelle qu’il donne aux décors réels. Jusqu’à ce que, après 1910, Pathé puis Gaumont déplacent une partie de leur production à Nice où ils tourneront abondamment en extérieurs, les films français sont presque exclusivement photographiés en studio, avec, selon les nécessités des courses-poursuites, des escapades dans les rues toutes proches et parfaitement interchangeables de Vincennes pour Pathé ou des Buttes-Chaumont pour Gaumont. Capellani, on l’a vu avec La Fille du sonneur, n’hésite pas à aller filmer en plein cœur de Paris ou même au bois de Boulogne qui se trouve à l’autre extrémité de la capitale. Et il ne s’agit pas là d’une exception : Drame passionnel (1906) débute lui aussi par une belle scène de séduction au bord du grand lac dans le bois de Boulogne, et Les Deux Sœurs (1907) passera à nouveau par la place Vendôme, devant la façade du fameux bottier Hellstern, parfaitement identifiable à l’écran. Presque tous les films de Capellani, ensuite, comporteront d’abondantes scènes en extérieurs, souvent cruciales pour l’action comme celles du Courrier de Lyon (1911).

11 Jusqu’à 1912 et Germinal, l’exemple le plus remarquable de cette détermination du cinéaste à filmer chaque fois qu’il le peut en décors réels est L’Arlésienne (1908), presque intégralement filmé sur les lieux de l’action puisque les scènes de studio représentent moins du cinquième du film. Encore ne concernent-elles que la salle commune, la chambre et le grenier du mas de Frédéric, verticalement reliés par trois escaliers, tandis que le reste de l’intrigue s’inscrit dans les arènes d’Arles, dans les ruelles de la ville ou bien plus loin, dans les Baux de Provence ou à leur pied. Capellani aime, on l’a vu, les décors remarquables, moins peut-être pour leurs vertus esthétiques que pour ce qu’ils lui apportent de vali-dation d’un effet de réalité qui situe instantanément le cadre géographique et social de l’action. La vision des arènes d’Arles, en ce sens, joue le même rôle que celles de la place Vendôme dans Les Deux Sœurs ou du Mont Saint-Michel dans Quatre-vingt-treize (1914).

12 On pourrait au moins s’attendre à ce que Capellani, quand il s’aventure du côté de la féerie ou du merveilleux, renonce à toute tentation réaliste dans son décor. Et c’est ce qu’il fait dans des fantaisies comme Aladin ou la lampe merveilleuse (1906) ou Le Pied de

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mouton (1907), où les décors sont aussi ingénument théâtraux que ceux proposés par Méliès ou par ses concurrents de Pathé. Mais les choses ne sont pas si simples et, dans plusieurs autres films, Capellani innove en explorant une voie qui ne sera guère reprise après lui que par Cocteau ou Demy. Les intérieurs de Cendrillon ou la pantoufle merveilleuse (1907), comme ceux de Peau d’Âne et de La Belle au bois dormant (1908), sont pures conventions de studio réalisées en trompe-l’œil, moins réalistes que celles des films contemporains de Capellani au même moment, mais c’est dans une nature bien tangible que se tient le bal de Cendrillon ou que le prince de La Belle au bois dormant réunit sa chasse. Mieux, l’artifice contamine le réel et les buissons s’ouvrent par magie dans un paysage sans mystère pour livrer passage au prince venu réveiller l’endormie, comme le feront ceux de Demy pour laisser Peau d’Âne entrer dans le domaine de la fée des Lilas. La limite de ce jeu entre le réel et l’invention est atteinte avec l’usage que fait Capellani du château de Pierrefonds dans Peau d’Âne ou dans La Belle au bois dormant. La restauration du monument par Viollet-le-Duc a alors à peine vingt ans et on ne peut imaginer qu’un spectateur de l’époque n’ait pas immédiatement reconnu un édifice devenu une véritable attraction touristique. Ce qu’il faut plutôt supposer, c’est que Capellani a parfaitement intégré les implications de son choix et que, lorsqu’il situe ses féeries dans Pierrefonds, il le fait comme dans le seul décor réel capable en France de passer pour un vrai château de conte de fées.

Un espace composite

13 Très vite, Capellani a compris le rôle du montage dans la construction de l’espace. Remarquablement, ce n’est que dans son premier film, Le Chemineau, qu’il recourt à un décor divisé en pièces attenantes comme on en voit tant d’exemples chez Méliès et comme Feuillade continuera de les uti- liser occasionnellement jusque dans Fantômas (1914). Dans Le Chemineau, la chambre du bon prêtre n’est séparée de sa salle à manger que par une cloison percée d’une porte et Capellani n’hésite pas à passer d’une pièce à l’autre par un simple panoramique qui révèle l’incongruité du dispositif. On ne connaît pas à ce jour d’autre exemple chez le réalisateur du recours à une telle solution, même si L’Épouvante (1911) en offre une variation inattendue et parfaitement réaliste quand, après avoir longuement filmé l’héroïne lisant sur son lit puis allumant une cigarette, la caméra recule pour révéler le dessous du lit dissimulé jusque-là par le cadre et où se cache un voleur. On ne sait ce qu’il faut davantage admirer ici de la puissance dramatique de cette composition à deux étages ou de celle d’un simple travelling arrière qui réintroduit dans l’image une menace que le spectateur était prêt à oublier.

14 Quand il dirige L’Épouvante, en fait, Capellani maîtrise déjà depuis plusieurs années les secrets des raccords de décors, en studio aussi bien qu’en extérieurs ou entre studio et extérieurs. L’Arlésienne offre un exemple d’autant plus remarquable de cette aisance avec laquelle Capellani fait se correspondre ses décors de studio que ceux-ci sont, on l’a dit, réduits au seul intérieur du mas de Frédéric. Pendant l’essentiel du film, on n’en connaîtra que la pièce commune, au fond de laquelle monte un escalier, puis, dans les deux dernières minutes, le montage multiplie les déplacements, toujours dans la hauteur, de Frédéric poursuivi par sa mère. D’abord un décor d’escalier donnant sur une pièce dont on ne voit que le départ de nouvelles marches ; ensuite, à l’étage supérieur, la chambre de Frédéric au fond de laquelle monte un troisième escalier ; et enfin, au-dessus encore, le grenier par la fenêtre duquel Frédéric tombera dans le vide,

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justifiant en quelque sorte par cette chute attendue l’obligation d’organiser tous les déplacements comme autant d’ascensions.

15 Capellani n’est pas moins à l’aise quand il s’agit de marier décors naturels et décors de studio. On en a un bel exemple avec la séquence de l’échafaudage d’où tombe Coupeau dans L’Assommoir (1908), dont les trois niveaux successifs, construits en studio de façon entièrement réaliste, raccordent adroitement entre eux et avec des abords de chantier aménagés en extérieurs. Ou bien quand, dans L’Épouvante encore, le voleur sort de l’appartement pour échapper à la police. L’opposition est nette alors entre l’appartement de studio, essentiellement une chambre et son antichambre surchargées de décoration, et des extérieurs réels très simples qui comportent un étroit balcon- terrasse ouvert devant la chambre, des toits où le voleur cherchera refuge et une autre terrasse étroite communiquant avec l’antichambre. Le plus remarquable ici est la complexité d’un espace que Capellani sait pourtant rendre parfaitement lisible, et l’efficacité avec laquelle le cinéaste inscrit dans le même cadre le malfaiteur accroché à une gouttière, la comédienne à sa fenêtre et, faisant le lien entre eux, le rideau qu’elle laisse pendre par la fenêtre de l’antichambre pour permettre à son cambrioleur de s’y accrocher.

Creuser la profondeur

16 Est-ce un hasard si chacun des trois décors composites qu’on vient d’évoquer s’organise en hauteur sur plusieurs niveaux ? Dans le cas de L’Arlésienne comme dans celui de L’Assommoir, cette disposition est exigée par les chutes des personnages imaginées par Daudet et par Zola, comme le seront aussi les égouts des Misérables ou les galeries de mine de Germinal (1913), voire les souterrains et la tour fortifiée de Quatre-vingt-treize. Ne rien conclure alors, et supposer que c’est le texte adapté qui impose le décor ? Ne serait-il pas aussi logique de plaider le contraire et de croire que c’est la prédilection de Capellani pour ce type de décors et de situations qui lui fait choisir précisément ces textes ? Il est clair, en tout cas, que sa conception de l’espace n’est pas celle de ses confrères metteurs en scène qui continuent de privilégier des décors frontaux hérités du théâtre dans lesquels les comédiens entrent et sortent par les coulisses latérales. Chez Capellani au contraire, bien plus souvent encore que dans la verticalité, le décor s’organise dans la profondeur. C’est particulièrement vrai des extérieurs naturels que les contemporains du cinéaste tendent, à partir de 1906, à filmer systématiquement en oblique afin de limiter visuellement une aire de jeu contenue. Confronté à cette situation, Capellani préfère, lui, photographier des points de vue que rien ne restreint, comme on le voit quand il filme dans le bois de Boulogne ou dans de grandes artères parisiennes. Mieux, il s’efforce de souligner le creusement du point de vue vers le fond en composant à l’image un couloir visuel qui happe le regard ou bien, plus souvent, en inscrivant au fond un détail remarquable qui joue le même rôle. Souvent, des routes s’éloignent vers le fond, dans l’axe de la caméra, mais au lieu qu’elles ne soient que trompe-l’œil de studio ce sont des espaces praticables sur plusieurs dizaines de mètres et par où les personnages peuvent arriver ou repartir. Quant aux marqueurs de la fuite perspective, ils sont légion, depuis l’amas rocheux dressé derrière la plaine nue de L’Arlésienne jusqu’au mont Saint-Michel de Quatre-vingt-treize autour duquel, toujours au fond de l’image, le regard semble tourner lors du retour du marquis de Lantenac en France. Ou encore, dans le même film, l’arbre isolé qui domine l’éboulis de rochers où

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se dissimulent les Chouans. En témoigne aussi la façon dont Capellani filme comme une sorte de couloir à parcourir par le prince l’entrée de Pierrefonds dans La Belle au bois dormant alors que le même château, dans Peau d’Âne, après que son intérieur a été filmé en plan rapproché, n’est plus lors de la fuite de l’héroïne qu’une haute silhouette vue de très loin.

17 On trouve une configuration inverse quand, au centre de l’image, avance comme une proue un élément de décor de part et d’autre duquel divergent deux lignes de fuite en profondeur. J’ai cité le cas, déjà, à propos de l’entrée du jardin des Plantes dans La Fille du sonneur. Capellani reprend la même configuration, exactement symétrique, dans Pauvre Mère (de la même année 1906), où un convoi funèbre monte d’une rue à gauche du cadre pour effectuer un virage en épingle et pénétrer dans une allée de cimetière qui se prolonge au centre de l’image jusqu’au fond. Deux ans plus tard, l’action de L’Homme aux gants blancs reproduit encore cette configuration qui place la caméra face à la convergence d’une rue et de l’allée qui mène vers une maison, puis la terrasse de café de L’Assommoir renouvelle cette disposition singulière, placée qu’elle est à l’angle de deux rues, dotées chacune de son accès propre à l’estaminet.

Des stratégies de déplacement dans l’espace

18 Le plus remarquable avec cette terrasse de L’Assommoir est l’invention mise en œuvre par Capellani pour animer l’espace. L’essentiel de l’action s’y trouve en avant, là où Coupeau retrouve le goût de l’absinthe et de l’oisiveté, mais c’est des minuscules actions latérales que vit la scène, toutes organisées autour des deux entrées du bistrot par où vont et viennent clients et employés. C’est sans doute là que se manifeste la plus évidente maîtrise du réalisateur, dans sa capacité à penser l’espace en relation avec les mouvements des personnages qui viendront s’y inscrire. À preuve, dans L’Assommoir encore, l’extraordinaire plan-séquence des fiançailles de Coupeau qui enchaîne en presque deux minutes, au gré des entrées et sorties des personnages dans un cadre quasiment fixe, une demi-douzaine de configu-rations différentes des échanges.

19 Chacun se souvient, dans L’Arlésienne, du panoramique qui balaie, à partir sans doute des hauteurs des arènes, le paysage des toits d’Arles, du clocher du collège Saint- Charles jusqu’au pont de Trinquetaille sur le Rhône, en passant par les tours de Saint- Trophime. Le plus surprenant n’est pas dans ce seul mouvement, pourtant si éloquent. Il est dans la dialectique qui l’associe à la trajectoire propre de Frédéric et de son Arlésienne, qui sortent très tôt du cadre pour laisser la caméra poursuivre seule son mouvement et les retrouver plus loin, en face du Rhône, comme si Capellani avait choisi de les délaisser un instant pour s’abandonner au seul plaisir de la contemplation.

20 La Loi du pardon (1906) offrait une démonstration encore différente de cette remarquable capacité de Capellani à penser en termes neufs l’inscription de l’action dans un cadre. La scène commence par l’image, filmée en enfilade, d’un large trottoir d’un beau quartier de Paris, bordé à gauche par un immeuble cossu. Le père en sort au premier plan pour s’éloigner vers le fond et tourner bientôt à gauche dans une rue adjacente. À ce croisement des rues se tenait depuis le début un fiacre immobile d’où descend alors l’épouse, qui parcourt le chemin inverse pour pénétrer dans l’immeuble. Ce devrait être la fin du plan. Pas pour Capellani qui s’accorde encore quelques secondes pour faire surgir de la droite, à l’instant précis où la femme disparaît, un facteur en uniforme qui traverse le cadre pour franchir à son tour la même porte. Il

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n’est qu’une silhouette rapide, inutile à l’action, essentielle pourtant à l’attestation que l’intrigue se déroule dans une ville réelle qui n’est pas peuplée que des personnages d’une fiction.

L’invention du décor expressif

21 Dans une analyse pénétrante2, David Bordwell a noté que, lorsque, dans Les Misérables, M. Madeleine reçoit pour la première fois Javert, il le fait dans une vaste pièce, assis derrière un bureau de travail si imposant qu’ils occupent, lui et le meuble, les deux tiers de la largeur du cadre. Javert entre par le fond et y demeure toute la scène, diminué par l’éloignement et par l’énorme meuble qui le dissimule en grande partie. Dans une scène ultérieure, Capellani reprend le même cadre pour filmer un échange entre Madeleine et Fantine. Mais la configuration devient toute différente : le secrétaire est repoussé jusqu’au fond, caché à son tour par la haute stature du maire penché paternellement vers Fantine, assise au premier plan sur le fauteuil qu’il occupait naguère. Cette nouvelle disposition a pour premier effet de dégager dans la moitié droite de l’image une aire inoccupée par l’action où inscrire la visualisation du souvenir de Fantine. Cette seule justification suffirait amplement à démontrer l’adresse avec laquelle Capellani sait tracer, entre une boiserie et un rideau, une ligne invisible de démarcation verticale où se rejoindront les deux images du présent et du passé3. Mais l’explication ne suffit pas à justifier le réarrangement du mobilier et il faut plutôt supposer que c’est à des fins purement expressives, pour mieux établir la relation hiérarchique entre Madeleine et Javert, que Capellani a choisi la première fois de placer le bureau au premier plan, témoignant en 1912 d’une conscience exceptionnellement précoce des capacités métaphoriques du décor.

Germinal

22 Si je n’ai pas cité encore Germinal (1913), c’est qu’il aurait fallu mentionner ce titre à chaque ligne tant s’y trouvent rassemblées toutes les inventions que je souligne chez Capellani.

23 Le plus remarquable y est l’emploi du décor naturel. Les paysages, d’abord. Faisant le choix de filmer dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, dans la région même où Zola situe l’action de son roman, Capellani nimbe de grisaille des plaines stériles dominées par les montagnes imposantes des terrils ou par les tours qui coiffent les fosses. Pour souligner encore cette tension qui creuse l’image, des routes s’éloignent jusqu’au fond vers la mine, et les lignes tirées dans le ciel par les câbles de transport du charbon vont les y rejoindre. Rien de plus éloquent à cet égard, dans sa simplicité nue, que la première rencontre de Lantier et du vieux Bonnemort, au sommet d’un monticule (une tête de puits en fait) devant lequel le chemin serpente jusqu’à la mine de Montsou, pendant qu’au-dessus de leurs têtes passent les bennes chargées de blocs de houille. Au plan suivant, qui voit les deux hommes descendre le sentier vers la mine, le point de vue est inversé et c’est maintenant un terril qui souligne au fond la perspective, comme si tout le destin des habitants du bassin houiller trouvait ses bornes entre la mine et ses rejets. Les cônes sombres des terrils dominent ainsi une grande partie des extérieurs, pesant le plus souvent sur les maisons basses des mineurs mais pas sur celles des patrons, jouant au lointain horizon le même rôle, à la fois

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signalétique, pittoresque et métaphorique que celui du Mont Saint-Michel dans Quatre- vingt-treize.

24 Les extérieurs naturels, ce sont aussi ceux du monde du travail tel qu’il est montré dans le film. Aucune trace d’activité agricole dans les champs, mais une entreprise métallurgique remplie de machinerie, une carrière à ciel ouvert. Puis Montsou comme une entité autarcique, avec ses rues, ses places, ses alignements de maisons ouvrières et son café, convergeant vers les bâtiments de surface de la mine. Et encore, un peu à l’écart, l’habitation cossue du patron. Il ne doit pas y avoir dans Germinal un seul plan d’extérieur qui ne soit emprunté au réel, et Capellani, chaque fois qu’il le peut, filme également in situ les décors de surface de l’usine ou de la mine quand l’éclairage le permet. Ainsi de l’entrée de la fosse du Voreux, là où se réfugie Lantier recherché par la police : on pourrait croire son entrée recréée en studio tant elle se prête efficacement au filmage et pourtant elle est entièrement photographiée dans l’arrière d’un bâtiment de mine dont une fumée discrète au sommet d’une cheminée nous révèle qu’il est au même moment en activité.

25 Les intérieurs construits en studio sont, eux, peu nombreux : le restaurant ouvrier du début, le cabaret Rasseneur, deux pièces chez Maheu, autant chez le patron, une seule chez Chaval. C’est tout, et ce n’est guère pour un film aussi long. On remarque à nouveau, de surcroît, que la mise en scène semble se figer dans ces décors où la caméra retrouve toujours les mêmes positions et se voit interdire le moindre mouvement (une restriction compensée par l’invention avec laquelle Capellani multiplie en revanche les déplacements de ses personnages). Ce qui frappe surtout, c’est l’intelligence avec laquelle le cinéaste oppose deux types de représentation. Dans le bureau et la salle à manger du patron règne l’esthétique affectionnée par la production Pathé pour ses drames bourgeois, avec ses trompe-l’œil de théâtre et sa profusion décorative. Chez Maheu, le décor se réduit à un essentiel qui rend inutile le trompe-l’œil : une table, trois chaises, une étagère au mur, un fourneau. Et trop de monde, toujours, dans ce décor restreint, trop de monde alors que ce sont les meubles et les accessoires qui encombrent l’espace bourgeois. Le sens du décor de Capellani éclate dans des détails. La nappe à grosses fleurs sur la table de Maheu est la même que celle chez Rasseneur, comme si l’une et l’autre avaient été achetées chez un même fournisseur offrant peu de choix. Et la disparition de cette nappe chez Maheu est le premier signe visible de la pauvreté qui s’installe avec la grève. D’autres suivront et le décor se dépouille sous nos yeux du buffet, de l’étagère, du fourneau même, jusqu’à ce que ne restent plus qu’une table nue et quelques chaises. Jusqu’à ce que, aussi, dans la dernière scène située dans ce décor, apparaisse au premier plan un berceau d’osier qui redit les promesses d’avenir « malgré tout » contenues dans les fins du roman et du film.

26 Le plus nouveau est la maîtrise affirmée par Capellani dans la reconstitution en studio des décors intérieurs de la mine. Il ne saurait être question, évidemment, de filmer sous terre et le recours aux décors construits est inévitable. Ils n’ont jamais représenté jusqu’ici, on l’a compris, un point fort du metteur en scène, même si Les Misérables (1912) témoigne d’ambitions décoratives nouvelles, particulièrement dans sa dernière partie avec le décor de la barricade puis avec une représentation particulièrement dramatique des égouts parisiens. La surprise est d’autant plus grande donc, de voir Capellani soumettre ses décors souterrains de mine au réalisme le plus strict tout en parvenant à créer un espace qui satisfasse à la fois aux exigences de l’intrigue (les galeries doivent donner l’impression de boyaux partant dans tous les sens et dans

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lesquels on ne peut se déplacer que courbé) et à celles de la mise en scène (elles doivent pouvoir être éclairées et permettre les mouvement contradictoires des personnages imposés par les paniques successives des mineurs). Capellani a toujours excellé à diriger les scènes de confusion qui font, chez lui, presque toujours appel aux déplacements dans la profondeur en même temps que vers le côté. Elles abondent dans la dernière partie de Germinal et l’animation de l’espace y semble si naturelle qu’il faut longuement analyser ces scènes pour mesurer à quel point leur réussite tient à l’efficacité d’un décor entièrement pensé pour la mise en scène qui l’occupera.

27 Nous sommes encore un an avant la sortie de Cabiria, deux ans avant celle de The Birth of a Nation. Avec Germinal, Capellani et ses décorateurs anonymes de Pathé donnent au décor de cinéma son premier vrai chef-d’œuvre.

28 On se reportera avec profit à l’article de Roland-François Lack « Capellani in Paris (and Sometimes in Vincennes) » mis en ligne sur le site The Cine-Tourist : (http:// www.thecinetourist.net/capellani-in-paris.html).

29 Avec une minutie de détective, Lack y trace une cartographie des extérieurs parisiens utilisés par Capellani et quelques autres metteurs en scène, illustrant abondamment sa démonstration de photogrammes des films, de cartes et de photos anciennes. Découvrir plus tôt les résultats de son enquête m’aurait épargné bien des heures de supputations et de recherche.

NOTES

1. On s’étonne aussi, étant donné la maîtrise du montage, de deux grossières erreurs de raccord. La jeune femme fait ses adieux à son père en longue jupe blanche et sort du logement pour réapparaître dans la rue avec le même manteau mais une jupe noire. Et, à la fin, le cerceau avec lequel la fillette jouera au jardin des Plantes n’apparaît qu’à l’approche de celui-ci alors que l’enfant ne l’avait pas quand la mère a commencé à la suivre quai de Montebello. 2. David Bordwell, « Observations on Film Art : Capellani Ritrovato » : http://www.davidbordwell.net/blog/2010/07/11/capellani-ritrovato/ 3. On n’associe guère le cinéaste à ce genre d’effets, mais il y en a au moins un autre dans le même film (la confrontation au tribunal telle que l’imagine M. Madeleine apparaît dans une réserve d’image constituée dans la cheminée) et une des scènes les plus remarquables du Courrier de Lyon ou l’attaque de la malle-poste (1911) implique une semblable découpe, rigoureusement invisible, de l’image pour permettre à Louis Ravet d’apparaître dans la même image à la fois comme Lesurques et comme Dubosc.

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AUTEUR

JEAN-PIERRE BERTHOMÉ Jean-Pierre Berthomé est professeur émérite d’études cinématographiques à l’Université Rennes 2. Il est l’auteur d’une douzaine de livres et de très nombreux articles, principalement sur l’histoire et l’esthétique du décor de film (Le Décor au cinéma, Cahiers du cinéma, 2003) ou sur les cinéastes Jacques Demy (Jacques Demy et les racines du rêve, L’Atalante, 1996), Max Ophuls (Le Plaisir, Armand Colin, 2005), Orson Welles (Orson Welles au travail, Cahiers du cinéma, 2006, livre écrit avec François Thomas).

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Deuxième partie : la carrière américaine

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« Déjà perçu comme immortel » : Albert Capellani aux Etats-Unis

Jay Weissberg Traduction : Delphine Pallier

NOTE DE L’ÉDITEUR

Les abréviations suivantes ont été utilisées pour les notes : LJS : Lewis J. Selznick Papers, Harry Ransom Center, Université de Texas à Austin MPN : Motion Picture News MPW : Moving Picture World NYDM : New York Dramatic Mirror PGW : P.G. Wodehouse Papers, Berg Collection of English and American Literature, New York Public Library

« Je voudrais remercier chaleureusement Maartje Alders, Bernard Basset-Capellani, Clémentine De Blieck de la Cinémathèque Royale de Belgique, Valerij Bosenko du Gosfilmofond, Kevin Brownlow, Virginia Budny, Frank Dabell, Marie-Françoise Osso-Fontaine, Pierre Fontaine, Anne Garner de la Berg Collection of English and American Literature, New York Public Library, David Kenten, Jennifer B. Lee de la Rare Book & Manuscript Library, Columbia University, Eric Le Roy, Mariann Lewinsky Sträuli, Mike Mashon de la Library of Congress, Steve Massa, David Robinson, Claire et Giovanni Sarti, Daniel Selznick, Josie Walters-Johnston de la Library of Congress, Steve Wilson et les bibliothécaires du Harry Ransom Center, The University of Texas à Austin. » – J. W. « Produire un film relève de l’art et non du travail, a déclaré Albert Capellani. Il est bien placé pour le savoir. » Variety, 19171

1 Même à l’aune de l’amnésie de l’industrie cinématographique, la fin brutale de l’état de grâce d’Albert Capellani est notable. Son nom est rarement mentionné dans les textes sur l’histoire du cinéma américain ou dans les mémoires de ses contemporains. Alors que les œuvres américaines de compatriotes émigrés comme Maurice Tourneur, Alice

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Guy Blaché et Léonce Perret sont reconnues et saluées, la carrière de Capellani entre 1915 et 1922 fait à peine l’objet d’une mention. Ceci est d’autant plus remarquable, si l’on tient compte de la rapidité avec laquelle la presse (certes un indicateur fallacieux) et l’industrie l’ont placé au sommet de sa profession : quelques mois à peine après son arrivée sur les côtes américaines, Variety suggérait que Griffith, Tourneur et Capellani étaient les réalisateurs les plus à même de percevoir les rémunérations les plus élevées2. En dépit de critiques élogieuses pratiquement universelles pour des films comme Camille, La Vie de Bohème, The Common Law, Out of the Fog et Sisters, à sa mort en 1931, leur réalisateur était complètement tombé dans l’oubli. Plusieurs explications peuvent être avancées : le fait que Capellani soit constamment passé d’un studio à l’autre y a certainement contribué, tout comme le fait que les stars auxquelles il était associé, Clara Kimball Young et Alla Nazimova, soient elles aussi brusquement tombées en disgrâce. En outre, de nombreuses actrices poussées par Capellani, en particulier June Caprice et Dolores Cassinelli, ne parvinrent jamais à susciter l’engouement du public. Si l’on ajoute à cela la faible proportion de copies qui ont pu être conservées et le fait qu’elles soient généralement inaccessibles, on comprend mieux comment la réputation de cet homme ait pu se dégrader de la sorte. Rectifier cela devient alors d’autant plus vital qu’il s’agit d’un acte de résurrection depuis longtemps nécessaire, en particulier si l’on prend en considération l’importance que Capellani avait pour ses contemporains comme artiste et non comme faiseur.

Les débuts de Capellani aux Etats-Unis avec World Studios

2 Jules Brulatour de Peerless Features était inscrit comme le contact américain d’Albert Lucien Capellani sur le manifeste des passagers quand le réalisateur fit la traversée du Havre à New York à bord de La Touraine le 22 mars 1915, un jour seulement après la première attaque de Zeppelin sur Paris3. Plusieurs années plus tard, les journaux de la profession alléguèrent qu’il avait été officier durant les premières années de la guerre, « relevé de ses fonctions en raison d’une maladie contractée durant la Bataille de Soissons »4 ; son implication réelle dans la guerre et les raisons précises de son départ pour les Etats-Unis font actuellement l’objet de recherches, même si, vraisemblablement, sa traversée de l’Atlantique fut précipitée par l’effondrement de l’industrie cinématographique française et les encouragements de ses compatriotes Emile Chautard et Maurice Tourneur, tous deux employés de la World Film Corporation, filiale de Brulatour.

3 La réputation de Capellani le précédait, principalement grâce à la sortie américaine de son film Les Misérables, distribué par Eclectic Films en 1913 et Germinal, distribué par la General Film Company au début de janvier 1914, également sous le titre alternatif de The Toll of Labor. Les deux films firent l’objet de critiques enthousiastes dans les journaux de la profession, mais aussi d’information générale, W. Stephen Bush de The Moving Picture World ayant écrit au sujet de ce dernier : « C’est un » chef d’œuvre » au sens propre »5. Aucun des deux films ne furent à l’époque attribués à Capellani dans la presse, mais sa mise en scène des Misérables fut par la suite fréquemment mentionnée dans la publicité de la World visant à promouvoir leur nouveau réalisateur attitré, officiellement associé à la société pour la première fois le 9 avril 19156.

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4 Il ne fait aucun doute que la World, dirigée avec énergie par son vice-président et directeur général Lewis J. Selznick, avait mis à l’essai sa nouvelle acquisition et avait choisi, pour sa première commande, un projet sûr et de moyenne envergure. The Face in the Moonlight de Charles Osborne fut au départ produit au Royaume-Uni en 1871 et reçut des critiques majoritairement négatives lors de sa première new-yorkaise en 1892. La World lançait la star Robert Warwick et la version cinématographique dont la société avait acheté les droits dès janvier7 lui offrait le double rôle d’un officier royaliste français aristocratique et de son demi-frère dégénéré. Le tournage aux studios Peerless à Fort Lee dans le New Jersey débuta fin avril, la publicité soulignant combien il était approprié que Capellani réalisât un drame se déroulant en France. Les critiques, à sa sortie fin juin, furent globalement positives, comme celle de Moving Picture World qui fit l’éloge de la mise en scène : « … les scènes étaient souvent photographiées à partir d’un angle inattendu, ce qui conférait un effet à la fois divertissant et moderne, et plusieurs surimpressions dans les dernières bobines étaient menées avec brio. L’ingéniosité technique de M. Capellani n’a, bien entendu, rien de surprenant car il l’a déjà illustrée dans » Les Misérables » et d’autres films renommés ». « Sime » de Variety était moins impressionné et notait non sans une certaine lassitude : « Il y a des gros plans, des inserts, des flashbacks et des fondus dans ce film. Il y a tout ce qui est attendu pour 1 000 pieds »8.

5 La commande suivante de Capellani, The Impostor, ne fut pas beaucoup plus prestigieuse, même si elle nécessita néanmoins des prises de vue en extérieur à Pittsburgh et fut présentée durant la campagne promotionnelle comme marquant les débuts de Jose Collins, star britannique de comédies musicales. Les critiques soulignèrent une fois encore l’exécution parfaite des scènes en surimpression et Motion Picture News fit l’éloge du caméraman Lucien Andriot9 – un membre de la communauté, en pleine expansion, d’artistes français employés par la World – qui travaillait ici avec Capellani pour la seconde fois. La troisième collaboration des deux hommes, le film The Flash of an Emerald, peut être considérée comme le dernier d’un trio d’essais, pour lesquels des droits achetés sur une œuvre, sans qu’elle soit rattachée à un réalisateur particulier, permettaient à la World, et plus particulièrement à Selznick, de mettre à l’épreuve leurs nouvelles et talentueuses acquisitions. La World avait acheté les droits sur l’histoire d’Ethel Watts Mumford en 1914. Capellani commença à tourner vers la fin d’août 1915 et le processus de production dut être extrêmement rapide puisque le film sortit le 27 septembre. Durant ce laps de temps, les acteurs et l’équipe partirent en tournage en extérieur (assurément un témoignage de la confiance que Selznick accordait à son réalisateur) à la basilique de Saint-Anne-de-Beaupré au Québec10.

6 La caractéristique réellement notable de The Flash of an Emerald est la structure d’autoréférence ouvrant et fermant le film dans laquelle Capellani lui-même évoque son prochain film avec la star Robert Warwick. Alors que le réalisateur essaie de convaincre son acteur d’accepter le rôle ingrat d’un voleur, l’action commence et le film se termine par Warwick lui déclarant qu’il n’accepterait pas ce rôle. Il ne fait aucun doute que ce procédé encadrant le film fut utilisé pour rendre ce revirement original dans la carrière de Warwick plus acceptable pour un public habitué à voir leur idole cinématographique dans des rôles plus sympathiques. En tout cas, c’était là l’opinion de Jolo, critique à Variety, qui avait rapporté que l’intertitre final de Warwick disait : « Je ne jouerais pas cet abject scélérat pour 10 000 dollars ». Les critiques furent très

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positives, bien que pas complètement enthousiastes, avec une mention particulière pour les scènes au Québec et une séquence de course hippique au début.11

7 Désormais, il semble que Selznick ait été prêt à donner de l’avancement à Capellani qui, comme on l’imagine aisément, rongeait son frein en attendant de se voir confier de meilleurs projets. Selznick, en homme d’affaire avisé et réfléchi qu’il était, cherchait également à poursuivre son lancement de la star Clara Kimball Young (par la suite mentionnée sous l’acronyme CKY), une actrice dont la carrière, à ses débuts chez Vitagraph, lui avait permis de montrer un réel talent aussi bien dans la comédie que dans des rôles plus dramatiques. En 1914, CKY et son mari, le réalisateur James Young, signèrent avec la World où Selznick guida cette actrice sophistiquée aux beaux grands yeux vers des films plus sérieux. Il est probable que la liaison entre le producteur et la comédienne débuta à cette époque12 et la trajectoire mouvementée de leur relation allait avoir un impact significatif sur la carrière de Capellani. Il semble probable que Selznick fusse déjà en train de préparer sa maîtresse à endosser le rôle de Camille, un rôle le plus souvent associé à , quand, au milieu de 1915, Colgate Baker de Photoplay la qualifia de « véritable Bernhardt du grand écran » – la seule question qui se pose ici est de savoir si ces mots sont de Selznick ou du publiciste Harry Reichenbach13.

8 Les journaux professionnels rapportèrent à la mi-octobre que Capellani était en train de travailler sur une production très prestigieuse avec CKY, mais le studio n’annonça le projet de A Modern Camille14 que le mois suivant (le titre fut par la suite abrégé à Camille). Pour conforter dans l’esprit du public l’association entre CKY et Bernhardt, le premier rôle masculin fut attribué au frère de Capellani, Paul, qui avait joué face à la diva emblématique en 1911 dans le film La Dame aux camélias. Ce fut un épisode particulièrement fécond dans la vie du réalisateur qui venait d’être nommé trésorier du nouveau studio Paragon, succursale la plus prestigieuse de la World grâce à l’apport financier considérable de Jules Brulatour, studio dont Tourneur assurait la vice- présidence et la direction générale.15 Selznick eut l’occasion de communiquer directement avec la presse début décembre, rassemblant CKY, Bernhardt et Modjeska, et annonçant que la demande et l’anticipation pour Camille étaient les plus fortes que la World ait jamais rencontrée ; les articles qui suivirent évoquèrent le « temps supplémentaire et les soins particuliers » prodigués au film avant sa sortie16. Les censeurs de Chicago, cependant, intervinrent en fonction de leurs propres considérations et deux scènes furent coupées dans l’Illinois : une où Camille donne à son amant la clef de son appartement et une séquence se déroulant dans une chambre à coucher17.

9 Les critiques furent plus ou moins unanimes dans leurs éloges et la plupart mirent en avant l’habileté de Capellani à filmer les scènes d’intérieur, la pertinence pour se réalisateur de faire un film basé sur une source française (certains articles alléguèrent qu’il avait délibérément copié la production avec Bernhardt18) et le style de jeu du vieux continent de Paul Capellani. La critique Kitty Kelly (nom de plume d’Audrie Alspaugh Chase), avec son mélange habituel d’intelligence et d’ironie, attira l’attention sur le film lui-même : « Il a une atmosphère, somptueuse et pleine de caractère, qui conduit le spectateur jusqu’en France. Il faut applaudir Capellani, le réalisateur, car c’est grâce à lui, et il faut lui être reconnaissant d’avoir placé la barre si haute pour les intérieurs de ce film. Il est parvenu à rendre totalement réaliste ce que personne d’entre nous ne connaît. C’est un artiste qui nous a conduit, avec habileté, à vivre chez nous une vie

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antérieure et différente ». Bien qu’aussi enthousiaste, Julian Johnson de Photoplay s’est plus concentré sur le premier rôle masculin : « Nous avons ici un jeune Français qui fait de son tailleur une affaire secondaire… Il se meut avec une éloquence toute française, fait preuve d’une passion pleine d’allant, d’une rapide montée en intensité, et passe de la légèreté au drame avec cette vivacité des acteurs de théâtre français »19.

10 A Paragon, on était évidemment enchanté par le réalisateur : non seulement on augmenta son salaire en janvier 1916, le faisant passer de 200 à 500 dollars par semaine, mais on ajouta aussi une clause à son contrat « spécifiant qu’il ne devait y avoir aucune interférence de la part de qui que ce soit »20. Tout ne se passait pas aussi bien cependant avec Selznick à la World : alors que Capellani et CKY (accompagnée, assurément non sans malaise, par la femme de Selznick, Florence) étaient à Cuba pour tourner des scènes de The Feast of Life, des rumeurs bruissaient que Selznick avait démissionné en tant que directeur général de la World et qu’un groupe d’investisseurs de Cleveland dans l’Ohio avait créé la Clara Kimball Young Film Corporation avec un capital d’un million de dollars. Cela fut finalement divulgué le 2 février dans le Cleveland Plain Dealer qui détailla le nom des bailleurs de fonds de la nouvelle société et annonça (à tort) que CKY était la première actrice à donner son nom à une société cinématographique21. Les statuts de cette nouvelle société avaient en fait été rédigés à Richmond, en Virginie, le 22 janvier ; CKY avait signé un contrat de cinq ans avec la Clara Kimball Young Film Corporation qui devait débuter le 1er septembre, Selznick était président, CKY était vice-présidente et Florence Selznick était secrétaire22. Il ne fait aucun doute que Capellani fut impliqué dans la manœuvre, même s’il demeure incertain qu’il y ait participé dès le départ. Dans Variety, une publicité pour la nouvelle société, sous la forme d’une lettre de CKY datée du 12 février à La Havane détaille douze raisons motivant ce changement, à la neuvième, on peut y lire la promesse que le nouveau réalisateur de la société est « un homme de grande renommée internationale, maîtrisant parfaitement le génie de la mise en scène, célèbre et déjà perçu comme immortel pour ses chefs d’œuvres – son nom sera annoncé sous peu »23. On ne peut guère douter que le réalisateur en question fût Capellani, même si, en avril, il était encore cité en tant que partenaire de Tourneur à Paragon. Il est vraisemblable que toute cette incertitude quant à son employeur ait conduit à l’annulation de sa production annoncée des Mystères de Paris d’Eugène Sue24.

11 Alors que les dirigeants des studios croisaient le fer, Capellani achevait à Cuba le tournage de scènes pour The Feast of Life, tournées en majorité à Santiago. Des critiques comme Kitty Kelly s’enthousiasmèrent pour les plans extérieurs, le New York Dramatic Mirror loua le réalisme de Capellani : « Son goût pour ce qui est beau a produit les scènes les plus remarquablement artistiques et pittoresques à avoir été tournées sur la côte et les scènes du rendez-vous amoureux, en ombres portées, sont d’une beauté et d’une distinction exceptionnelles ». De nombreuses critiques toutefois se plaignirent de la photographie mais, si l’on prend en considération les avis divergents entre critiques, il est probable que Peter Milne ait eu raison de croire que c’était la pellicule qui ait été à blâmer25. Presque toutes les critiques déplorent la banalité de l’histoire et du scénario, qui était le fruit de la seconde collaboration de Frances Marion avec Capellani (elle ne le mentionne nulle part dans son autobiographie).

12 La réaction suscitée par le film suivant du réalisateur, La vie de Bohème, dont le tournage s’acheva en mai, fut bien plus positive. Depuis le départ, ce film fut conçu comme une production prestigieuse, ne serait-ce qu’en raison de sa vedette, Alice Brady, qui était la

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fille du plus grand producteur de la World, William A. Brady. Alors que le népotisme garantissait une production de grand standing, il faut bien avouer qu’Alice Brady était une actrice formidable dont la trajectoire de carrière, bien qu’appuyée par son père, aurait été ascendante même sans son aide. Les journaux de la profession prédirent un succès et tous firent l’éloge de la capacité de Capellani à restituer Paris sur les plateaux du studio Paragon : « L’atmosphère est la qualité première de ce film », écrivit Kitty Kelly. « Capellani, magicien du celluloïd dont le coup de baguette magique nous transporte à Paris, a fait naître chez des individus de chairs et de sang la légèreté, l’amour profond et la tendre désinvolture de cette Bohème… tout le film se pare d’un lyrisme poétique… ». Billboard remarqua : « La mise en scène est d’une telle qualité que, même sans connaître le nom du réalisateur, nous pourrions voir la touche d’Albert Capellani dans chacune des scènes »26. Je n’ai pas réussi à établir la vérité sur l’injonction que Puccini aurait placée sur le film pendant sa réalisation, qui aurait été levée quand son avocat américain, Nathan Burkan, après une projection privée, aurait déclaré : « Le film est trop beau pour qu’on l’entrave »27. Des critiques positives accueillirent également le film après sa sortie française en 1917 : « La mise en scène est une pure merveille ; ce film est la plus curieuse, en même temps que la plus exacte, reconstitution de l’époque 1830 qu’il soit donné de voir… On n’en finirait pas d’énumérer toutes les merveilles marquées au coin du vrai bon goût français dont fourmillent ce beau film28. »

Directeur-Général de la Clara Kimball Young Film Corporation, 1916-1917

13 Avant la sortie du film en juin, Variety rapporta que Capellani avait quitté Paragon et, après quelques jours d’incertitude, ils annoncèrent sa nomination en tant que directeur général de la Clara Kimball Young Film Corporation : « Il assurera personnellement la supervision de chaque production de la nouvelle société, à commencer par l’adaptation à l’écran de The Common Law…29 ». Ce film était programmé pour une sortie en octobre car CKY et Capellani étaient encore tous deux sous contrat avec Peerless, où on était d’accord pour les laisser partir (après quelques négociations juridiques), à condition qu’ils fassent un dernier film pour la société, The Dark Silence30. Le tournage débuta en juin alors que Selznick était déjà bien avancé dans son processus d’élaboration d’une campagne de presse phénoménale pour la Clara Kimball Young Film Corporation. Passé maître dans l’autopromotion, Selznick utilisait la nouvelle société pour casser le système de réservation en bloc qui imposait aux exploitants de louer le catalogue complet d’un distributeur. Avec la Clara Kimball Young Film Corporation, il offrait aux salles la possibilité de louer les titres séparément : « Un exploitant ne serait que bien trop heureux de payer quatre à cinq fois le prix dont il s’acquitte à présent pour un grand film s’il pouvait éliminer du programme les déchets restants et doubler ses recettes31. »

14 Capellani soutint la croisade anti-déchets de son patron dans un entretien au long cours pour Moving Picture World dans lequel il déclara : « Vous ne pouvez pas faire des films comme vous faites des chaussures… Faire un film relève de l’art et non du travail. Vous ne pouvez pas faire de votre studio un atelier mécanique, de vos acteurs des travailleurs à la chaîne et de vos réalisateurs des contremaîtres et vous attendre à produire des créations artistiques et séduisantes qui élèveront le grand écran au-delà

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du sordide et de l’ordinaire et placeront le cinéma sur le même rang que ses pairs artistiques que sont le théâtre, la littérature et la musique ». Il est fort peu probable que Capellani ait pu s’exprimer de manière si éloquente (dans la citation originale de cette phrase, en anglais), et les mots sont certainement ceux du publiciste de Selznick, mais les sentiments exprimés sont vraisemblablement ceux du réalisateur : « La standardisation du film en cinq bobines est l’un des plus grands pas en arrière dans le progrès de notre art. C’est comme si vous disiez à un romancier le nombre de mots qu’il doit écrire pour sa prochaine histoire ou à un peintre le nombre de coups de pinceaux qu’il doit passer sur sa prochaine toile. La majorité des histoires produites comme films en cinq bobines aujourd’hui auraient pu être bien mieux faites en trois. En revanche, l’obligation de se limiter à cinq bobines a fortement porté préjudice à beaucoup d’histoires formidables32.

15 Etant donné la désapprobation de Capellani pour le cinéma à la chaîne, le projet de Selznick de sortir un nouveau film de CKY chaque mois est plus qu’ironique. Il ne fait aucun doute que son amour pour sa maîtresse l’ait convaincu, pour paraphraser Mae West, que trop d’une bonne chose peut être merveilleux, et la nouveauté de cette nouvelle aventure l’a probablement aveuglé sur l’impossibilité de pérenniser autant de CKY. En tant que directeur général de cette nouvelle société, Capellani aurait pour responsabilité de superviser, si ce n’est même de réaliser, tous les titres, ce qui était certainement un exercice peu enviable, en dépit des nouvelles opportunités qu’offrait Selznick et du talent certain de CKY. A une date indéterminée de mai, Capellani signa un contrat d’un an avec la Clara Kimball Young Film Corporation qui devait débuter le 15 juillet 1916, avec un salaire de 500 dollars par semaine, le même montant qu’il touchait à Paragon33. Durant cette période, il portait deux casquettes, travaillant sur The Dark Silence pour Peerless-World et sur l’adaptation de The Common Law pour la première production de la nouvelle société. Peut-être était-il plus engagé dans la dernière que la première car les critiques pour The Dark Silence furent généralement mitigées en dépit de remarques positives quant à la performance de CKY. Premier de deux films de Capellani à avoir pour toile de fond la Première Guerre mondiale, le film incluait apparemment des extraits filmés à Paris et dans les tranchées34. Le film, intitulé Femmes de France pour sa sortie française en juin 1917, généra une légère polémique critique quand Colette, écrivant pour Le Film, se plaignit de son « charme bourgeois » : « Pendant que l’on s’efforce, en France, vers le film « goût américain », M. Capellani se dévoue, en Amérique, à la mise en scène d’un scénario qu’il intitule : Femmes de France. Il ne me paraît pas qu’il ait gagné, là-bas, le goût des tentatives hardies et inédites, ni qu’il se soit détaché des traditions théâtrales. » En réponse, le très prolixe André de Reusse, rédacteur en chef d’Hebdo-film, publia une attaque délicieusement sarcastique, mentionnant à peine son appréciation du film dans son enthousiasme à se moquer de sa rivale35 ».

16 The Common Law fut un projet bien plus joyeux, Selznick faisant couler l’argent à flots dans la première production de sa société créée de fraîche date. La production débuta fin juin au studio Solax avec une campagne publicitaire conséquente mettant en scène le travail d’illustrateurs réputés comme James Montgomery Flagg et Hans Flato et des suppléments comme une édition spéciale du roman à l’occasion de la sortie du film avec des photos et les formidables dessins originaux de Charles Dana Gibson, à qui le livre était dédié36. Le roman est sans nul doute l’une des meilleures œuvres que Capellani ait eu à adapter à cette époque ; il s’agit du récit divertissant et bien mené d’une modèle artistique tiraillée par sa conscience entre l’idée de coucher avec le peintre issu du

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gratin (et donc impossible à épouser) dont elle est amoureuse, et abandonner ses désirs à jamais. Le film parvint à échapper à la colère des censeurs (seuls cinq intertitres, mais aucune scène, furent coupés à Chicago37) et tous glosèrent sur le tact avec lequel Capellani avait traité ce sujet sensible. La phase de production s’acheva début septembre et une première vague de diffusions en avant-première fut organisée à New York et Chicago à la fin du mois ; Variety fit part d’un nouveau record au box office à New York et Chicago en 48 heures d’avant-premières et le film connu un énorme succès. Il se dit même que Selznick dut tirer 100 copies pour être en mesure de répondre à la demande38.

17 The Common Law était l’un des plus grands succès populaires et critiques de Capellani, ce qui rend sa disparition d’autant plus frustrante. « Il est plaisant d’observer qu’Albert Capellani, le réalisateur, a de toute évidence une idée tout à fait différente de la majorité de ses contemporains de ce que doit être la fonction de réalisateur », écrivit Solita Solano dans The Boston Traveler et en dépit de l’avalanche de publicités, Peter Milne déclara : « The Common Law n’a pas été surmédiatisé… M. Capellani est une sorte d’artiste… C’est un maître dans l’art de la suggestion… Sa mise en scène de l’histoire est tout à fait parfaite. Le réalisme de ses scènes ne semble pas limité par le celluloïd – elles ne laissent en rien dénoter le studio de cinéma. » Même un esprit relativement chagrin comme Julian Johnson de Photoplay s’enflamma : « Il y a un casting parfait, une production sans faute, un niveau de jeu globalement bon et un environnement qui convoque non seulement la gentilhommerie mais aussi une réalité absolue »39.

18 Pour tenir le plan intenable de Selznick visant à sortir un film de CKY par mois, Capellani et l’actrice étaient dans l’obligation de travailler sur deux films en même temps, Moving Picture World rapporta que la production de The Foolish Virgin devait débuter en août (heureusement, Selznick engagerait bientôt le réalisateur Charles Giblyn pour alterner les films avec Capellani)40. Bien que ce ne soit que pure conjecture de ma part, j’imagine que la création de l’Albert Capellani Film Corporation en novembre était en partie une façon de ménager son célèbre réalisateur, au vu de sa masse de travail. Un accord fut conclu le 21 novembre en vue de former cette nouvelle société qui fut lancée avec un capital d’un million de dollars et où Capellani pouvait se verser un salaire de 750 dollars par semaine, en plus de ses parts, après l’achèvement de son projet suivant, le film The Easiest Way (dont la production s’est probablement terminée en mars 1917). Dans le mémo originel, Capellani est inscrit en tant que président et Selznick en tant que trésorier, mais une copie du certificat de création, probablement rédigé immédiatement après le mémo, fait figurer Selznick en tant que président et trésorier et Sam E. Morris en tant que vice-président et secrétaire ; le nom de Capellani n’apparaît pas à la direction. Cela fut modifié dans la multitude de contrats qui suivit début décembre, entre Capellani, la nouvelle société, Selznick et la Clara Kimball Young Film Corporation. Même s’il est évident que Selznick tenait les rênes en tant que distributeur, il s’est vu ici conférer le titre de trésorier et Capellani de président. Les termes du contrat soumettaient Capellani à une exclusivité de cinq ans et à l’impératif de faire au minimum six films par an (d’au moins 1524 mètres de pellicule chacun41.

19 Comme nous allons le voir, les contrats furent annulés avant qu’ils puissent prendre effet, mais Capellani avait incontestablement consolidé sa position pour devenir l’un des quelques prestigieux réalisateurs aux Etats-Unis à se compter sur les doigts de la main (Selznick poussait Herbert Brenon de la même manière). Un portrait dans

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Photoplay en janvier 1917 souligna que même s’il n’avait été en Amérique que depuis un an (ce qui n’était pas parfaitement juste), « son palmarès de ce côté de l’Atlantique l’a déjà établi comme l’un des six maîtres de l’art du grand écran dans ce pays ». Ce qui suivit dans l’article, outre une discussion sur l’accent qu’il mettait sur le jeu naturel, mit continuellement en évidence le côté artistique du réalisateur : « L’excellence de Capellani tient plus à l’attention exquise qu’il porte aux détails et à la finesse qu’à l’envergure et la puissance de Griffith ou Brenon. Il est aussi subtil que sa langue maternelle, il produit ses effets grâce à une créativité qui avance furtivement dans votre dos, pour ainsi dire, et vous poignarde dans le cœur entre les côtes… Il a un sens tout à fait français de la frontière précise séparant le risqué du vulgaire42. »

20 Etant donné la réputation grandissante de Capellani, il est fort dommage que Selznick lui ait confié la responsabilité d’adapter le roman effroyable The Foolish Virgin pour en faire un film de CKY. Il semble que le tournage ait dû s’interrompre pour permettre à CKY de faire la promotion de The Common Law, mais la production reprit fin octobre et s’acheva début décembre. Comme pour le film précédent, Selznick créa l’événement en organisant une sortie anticipée à New York et à Chicago, mais alors que certains prédirent un plus grand succès que The Common Law, beaucoup furent déçus, comme Julian Johnson qui en dit que c’était « presqu’un désastre si l’on prend en compte la célébrité de la star, les ressources de la société de production et le beau CV du réalisateur. Comment Capellani a-t-il pu commettre une chose aussi ennuyeuse ? » Moving Picture World était plus élogieux, faisant référence au « style inimitable » du réalisateur et saluant le faible nombre d’intertitres43.

21 Suite aux inepties puritaines de The Foolish Virgin (il semble que la version cinématographique fit l’économie des passages superflus de Dixon en faveur de l’eugénisme), Selznick chargea Capellani d’adapter la pièce controversée d’Eugene Walter, The Easiest Way Ayant fait l’objet d’une production neuf ans plus tôt, le drame relatait le déclin d’une jeune actrice tombant dans la prostitution et était considéré comme choquant et licencieux ; il ne fait aucun doute que sa notoriété convainquit Selznick de sa valeur publicitaire et il en aurait acheté les droits à un prix jamais payé auparavant pour une pièce. La version scénique demeure un portrait émouvant et bien écrit d’une femme sympathique qui fait de mauvais choix, sa fin ouverte mettant en scène Laura Murdock se préparant à une vie de prostituée confère à la pièce une touche de modernité qui a été comparée à Ibsen. Une telle ambiguïté, sans parler de l’absence de punition, n’était pas considérée comme appropriée pour le grand écran et le film sortit avec deux fins, l’une montrant Murdock sortant exercer son métier, comme dans la pièce, et l’autre la faisant se suicider par noyade. Comme je n’ai pu trouver que deux critiques dans les journaux de la profession mentionnant les fins alternatives, il me semble correct de supposer que la majorité de l’audience américaine a vu la version où Murdock se tue (le dramaturge, qui n’était pas fan de cinéma, fut loin d’être ravi)44.

22 Cela aurait plu au critique de Billboard qui se tordait d’irritation, au sommet de son indignation, au sujet du matériau original qu’il ridiculisait en évoquant « un fatras nauséabond de sensualité… dégoulinant de fumier et nageant dans l’abjection ». Il fut cependant content de la version cinématographique, « remarquable pour sa correction ». De manière générale, les critiques furent exceptionnellement positives ; Jolo de Variety déclara que c’était « de loin la meilleure illustration à l’écran du monde de la nuit des grandes villes jamais offerte à l’approbation du public ». La majorité fit l’éloge de la mise en scène, même si le critique du Wid’s trouva que la caméra bougeait

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trop : « Dans une situation, il suivit Mademoiselle Young tout du long jusqu’à un vaste décor de studio, ce qui poussera tout le monde à commenter sur le mécanisme, mais ne saurait être impressionnant vu sous un autre angle ». Julian Johnson, grand admirateur de la pièce d’origine, regretta la manière dont le nouveau scénario avait minimisé les objectifs de Walters, mais fit l’éloge de la mise en scène de Capellani, « merveilleuse par son habileté et sa maîtrise »45.

23 Compte tenu de l’effondrement imminent de la Clara Kimball Young Film Corporation, dont il était directeur général, il faut espérer que Capellani trouva quelque réconfort dans ces compliments. Sa propre société, l’Albert Capellani Film Corporation dont le lancement était prévu après l’achèvement de The Easiest Way se désagrégeait en raison d’un tremblement de terre qui avait secoué l’empire de Selznick. CKY était infidèle à Selznick, non seulement en amour, mais aussi en affaire. L’instant précis où Harry Garson, exploitant de Detroit, est entré en scène demeure incertain mais il fut l’exploitant de Selznick pour le Michigan au moins dès le 23 mai 191646. La véritable question qui se pose est de savoir quand Garson et CKY débutèrent leur relation ; étrangement, Garson créa une société nommée la Clara Kimball Young Productions en 1916 et fut contraint d’en changer le nom pour la Harry I. Garson Productions par la Selznick Enterprises en juillet de cette même année47. Quelque chose se tramait certainement déjà en février 1917, quand James Young, le mari de CKY dont elle était séparée, poignarda Garson avec un couteau de poche à Times Square. Il est difficile de savoir si Selznick pensait que CKY et lui formaient toujours un couple, mais la preuve que Garson complotait quelque chose fut porté à la connaissance de Selznick en mars, quand Garson et CKY (immédiatement après son tournage sur The Easiest Way) partirent en Californie et la rumeur se répandit qu’ils cherchaient à louer un studio de cinéma pour leurs propres productions48.

24 Les procès, rancœurs et récriminations s’amoncelèrent les années suivantes, pour le plus grand bonheur des avocats des deux parties. CKY, guidée par les conseils prodigieusement mauvais de Garson, se moqua allègrement des contrats légaux et Selznick se comporta comme un amant éconduit. Malheureusement, cet épisode marqua également le déclin de l’imposante célébrité de CKY, affaiblie par des films bien médiocres (mis à part Eyes of Youth en 1919) dus à la mauvaise gestion de Garson. Pour Capellani, ce fut un désastre ; malheureusement, aucune correspondance ni aucun document offrant un aperçu de son point de vue n’ont pu être trouvés mais, l’année suivante, le réalisateur, encensé quelques mois plus tôt comme l’un des grands maîtres du cinéma, s’enlisait dans un studio mineur, adaptant des œuvres de piètre qualité. Dès avril 1917, Variety rapporta qu’il serait en négociation avec Pathé, mais en mai, il s’avéra qu’il avait signé avec la Mutual Film Corporation pour mettre en scène la star des planches Julia Sanderson pour la Empire All Star Corporation. A la mi-juillet, on rapporta que le tournage avait commencé et, en dépit de nombreux articles sur la collaboration entre Capellani et Sanderson, une semaine plus tard, une correction fut publiée dévoilant qu’il préparait plutôt un film avec Ann Murdock49.

Chancelant à la Mutual Film Corporation, 1917

25 Variety écrivit à la fin du mois d’août que la production de The Richest Girl de Capellani, avec Murdock touchait à sa fin mais, mis à part une brève référence dans Motion Picture World en octobre, il n’est fait mention du film nulle part, jusqu’à sa modeste sortie en

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avril 191850. Je ne suis pas en mesure d’affirmer ce qui s’est passé, pourquoi le film prit sept mois à être diffusé (deux films de Capellani réalisés après sortirent avant). A en juger par le petit nombre de critiques (rien dans Variety, par exemple), il semble qu’il s’agissait d’un film mineur, une petite comédie avec si peu de caractère que les critiques ne mentionnent même pas la participation de Capellani, si ce n’est dans la distribution. Pour nous, l’aspect peut-être le plus remarquable tient à ce que The Richest Girl marqua la dernière collaboration entre Capellani et son frère Paul, dont la relation (selon la légende familiale) tourna au vinaigre à peu près pendant cette période51.

26 Son film suivant, American Maid, bénéficia d’une sortie légèrement plus adéquate mais ne rencontra pas plus de succès. Conçue comme un film autour d’Edna Goodrich, une actrice de théâtre dont la Mutual essayait de redresser la carrière en perte de vitesse, la production semble avoir débuté en août et s’est vraisemblablement achevée vers la fin octobre pour une sortie début décembre. Fred de Variety sentit que quelque chose n’allait pas quand il écrivit : le film « semble avoir été fait il y a déjà quelque temps, en tout cas pour la plus grande partie. Puis, quelqu’un a découvert combien il était mauvais et une nouvelle introduction a été écrite… Les trois dernières bobines sont tout simplement des trucs de western farfelus, du genre de ce qui était en vogue dans les courts-métrages en une ou deux bobines il y a dix ans ». Wid’s qui s’était plaint auparavant que la caméra de Capellani bougeait trop dans The Easiest Way, grommela ici qu’elle était trop fixe, résumant le film ainsi : « Le film est par moment déprimant, sans intérêt et semble plus ou moins théâtreux [sic]52 ». Sans grand studio pour le soutenir, il semblerait que Capellani fît du surplace.

27 Ses contemporains étaient du même avis. Dans un essai sur la ressortie du film Les Misérables qui connut un grand succès en octobre 1917, un éditorialiste du New York Dramatic Mirror, signant « Un Vieil Exploitant » se demanda pourquoi le réalisateur d’un tel chef d’œuvre (dont il pensait qu’il avait été réalisé en 1914) ne faisait pas de films similaires : « Griffith réalisa « Intolerance » après « The Nation » et Ince serait en train de planifier le successeur de « Civilization. » Mais Cappelani [sic], qui a réalisé « Les Misérables », n’a jamais fait de triomphe par la suite, car nous pensons difficilement à « The Common Law » comme d’un chef d’œuvre bien qu’il soit un bon film pour mettre en valeur une vedette féminine. Etait-ce la faute de Cappelani, ou celle des dirigeants des studios car il n’y a pas de système permettant d’assurer un suivi de ce qu’un homme est capable de faire pour s’adresser à lui quand il faut réaliser un grand film ? L’apparente raréfaction actuelle des grands films appelle à une réflexion sur les méthodes de nos « grosses légumes » quand l’homme qui a fait un film comme « Les Misérables » ne peut pas se voir confier une histoire tout aussi – voire plus – impressionnante à réaliser sur une période longue de trois ans. »

28 Cette lecture laissa certainement un parfum doux-amer, mais heureusement, une semaine plus tôt, Capellani avait signé avec la Metro Pictures et avait enfin élu domicile dans un endroit correct, tout du moins pour les dix-sept mois à venir53.

29 La Metro convenait parfaitement puisque la société qui montait cherchait activement des talents et semblait prête à dépenser de l’argent dans les mois à venir pour assurer de belles productions et des campagnes de publicité de grande ampleur. La première collaboration fut Daybreak, basée sur une pièce coécrite par Jane Cowl et Jane Murfin qui venait de s’achever à Broadway – une source bien plus récente que celles sur lesquelles Capellani avait travaillé ces derniers temps, bien que la pièce ait reçu un accueil mitigé. La vedette était Emily Stevens, aujourd’hui pratiquement tombée dans

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l’oubli, mais qui jouissait à l’époque d’une grande considération en tant qu’actrice, et l’histoire, celle d’une femme riche et enceinte fuyant son mari alcoolique, faisait de la place au drame sans pour autant tomber dans la mièvrerie. Les appréciations furent positives, les critiques furent en particulier enthousiasmés par la sophistication des décors et de l’éclairage. Randolph Bartlett de Photoplay acheva son papier en déclarant : « C’est une histoire pour les hommes et les femmes qui comprennent la vie54 ».

Capellani à la Metro, et sa collaboration avec Nazimova, 1918-1919

30 La situation de Capellani semblait prendre un meilleur tour et, quelques jours seulement après la sortie de Daybreak, la Metro proclama que leur nouveau réalisateur allait réaliser The House of Mirth d’ en collaboration avec sa nouvelle acquisition, la reine de l’opérette Emmy Whelen. La Metro tirait avantage du talent et du prestige de Capellani (la ressortie des Misérables contribua certainement à raviver sa réputation après sa stagnation à la Mutual) et, début février, la société annonça qu’il dirigerait Alla Nazimova, la star phénoménale dont les débuts à l’écran en 1916 dans une production de Selznick, War Brides, réalisée par Herbert Brenon, avait créé la sensation. Nazimova et Capellani allaient devenir le duo idéal, mais la Metro, ou Nazimova elle-même, prirent leur temps pour débusquer le bon projet (qui ne fut pas trouvé avant mai)55. Cette recherche poussée convenait à son emploi du temps chargé, car il devait terminer Social Hypocrites tout en préparant The House of Mirth. Un drame de société anglais adapté par Capellani et June Mathis à partir de la pièce d’Alicia Ramsey datant de 1907, Bridge (le beau-frère de Ramsey, Leander de Cordova, était assistant réalisateur sur le tournage). Social Hypocrites n’était pas vraiment du Wharton, mais la production était soignée et les critiques, une fois encore, accueillirent positivement les décors recherchés et firent l’éloge de leur faste, de la manière dont ils étaient éclairés et de la distribution qui avait May Allison à sa tête56.

31 Etant donnée la place, tout à fait justifiée, qu’occupait The House of Mirth au panthéon de la littérature américaine, l’adaptation de Capellani, qui portait pour la première fois à l’écran le roman de Wharton, a aujourd’hui un intérêt tout particulier. La découverte récente à Paris de fragments de ce film qu’on croyait jusqu’ici perdu est une trouvaille particulièrement bienheureuse. Le moment où Wehlen fut remplacée par Katherine Harris Barrymore dans le rôle de Lily Bart est incertain, bien que l’annonce d’un changement d’acteurs en mars, avec le remplacement de Robin Williamson par Edward S. Abeles ait pu signalé un remaniement du personnel (à une époque Emily Stevens fut également annoncée pour le rôle)57. Harris Barrymore, première femme de John Barrymore, était une femme mondaine (ce qui convenait plutôt bien pour le rôle de Lily Bart) dont le mariage malheureux à cette époque fit l’objet de plus d’articles que ne le fit jamais sa carrière que ce soit à l’écran ou sur scène, même si, à en juger par les critiques de l’époque, elle semble avoir été une actrice accomplie. Un article très insolite dans Motography en mai 1918 évoque le fait que Capellani ait transformé tout un plateau de la Metro en marché arabe aux esclaves pour une scène de The House of Mirth : « Des drapiers déroulaient leurs riches tissus. Les vendeurs de fruits et de fleurs allaient et venaient avec leurs marchandises. Un chien esseulé passa et les pigeons s’envolèrent. Un âne étanchait sa soif dans un abreuvoir. » Au départ, je supposai qu’il y avait une erreur et que la scène était tirée de son film suivant, Eye for Eye, qui se déroule en

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Arabie, mais les dates ne correspondent pas. Fort heureusement, un synopsis de huit pages de la trame du film, publié dans un magazine non identifié, permet de faire sens de tout cela : « C’est un marché aux esclaves moderne, ce House of Mirth, c’est ainsi qu’on a appelé la demeure des riches oisifs », peut-on lire au début. « Il y a des banquets et des célébrations, il règne une atmosphère douce et parfumée, les vêtements sont rares et chers, personne ne peine. Mais les sommes sont dues. Si les femmes ont de l’or dans leurs sacs, alors tant mieux, c’est qu’il y a de riches maris ». Une critique dans Motion Picture News explique également cette curieuse insertion : « L’allégorie du début et de la fin du film, montrant un vieil homme pesant la vertu avec de l’or, avec un crâne humain sur la table, n’est pas très plaisante. Elle sert faiblement la dramaturgie et dessert grandement le divertissement58. »

32 Inutile de dire que Wharton aurait probablement été horrifiée : heureusement, il n’y a aucune trace que l’auteur, qui était loin d’être une amatrice de cinéma, ait vu le film59. Elle aurait également été affectée par la fin que Capellani et sa co-auteure June Mathis avaient modifié pour que la tentative de suicide de Bart se solde par un échec, lui permettant de trouver la rédemption dans les bras de Lawrence Selden. Pour certains, comme le critique de Wid’s, ces changements revêtaient peu d’importance : « N’ayant pas lu le livre qui, à ce que j’ai compris, s’est beaucoup vendu, je dois admettre que je m’attendais à voir une comédie – et je pense que la plupart seront dans le même cas en voyant le titre » (il a tout de même aimé le film, puisque Capellani « l’a rendu rapide… artistique tout du long »). Heureusement, suffisamment de personnes ayant lu le roman allèrent voir le film ; un exploitant de la côte Est déclara : « La direction a reçu plus de compliments de spectateurs issus des classes supérieures que pour n’importe quel film auparavant ». Cependant, comme pour The Easiest Way, certaines objections puritaines s’élevèrent contre le thème et, en dépit de l’admiration pour le film, certains critiques exprimèrent des réticences, par exemple Jolo de Variety : « La majorité des plats forment un ensemble pourri qui ne vaut pas le coût qu’on perde du temps dessus, en particulier parce qu’aucun d’entre eux n’obtient son juste dessert60 ».

33 En mai, Screen Classics, une société de prestige récemment créée et travaillant avec la Metro, acheta les droits de la pièce L’Occident, du dramaturge belge Henry Kistemaeckers pour Nazimova ; celle-ci devait commencer à tourner une fois qu’elle aurait fini sa saison Ibsen à New York. Les principaux plans commencèrent à être tournés le 10 juin et un article de Motography décrivant la richesse du plateau et donnant un compte-rendu détaillé de la scène dans laquelle le projecteur d’un cuirassé illumine plusieurs personnages procure des informations importantes sur des éléments qui ont disparu. En ce qui concerne la méthode de travail de Capellani, une description utile peut être trouvée dans une coupure d’un journal non identifié dans l’album réalisé par l’acteur Henry Kolker qui travaillait ici en tant qu’assistant réalisateur. L’article décrit la fusillade de la scène finale qui avait nécessité des pauses pour des gros plans et des plans insérés. Kolker commença à s’inquiéter après que 60 mètres de pellicule furent déjà utilisés, s’attendant à ce que Capellani arrête de tourner pour permettre la prise de vue des plans insérés, mais, quand il essaya d’interrompre le réalisateur, il fut réduit au silence alors que l’équipe regardait la performance de Nazimova. Quand Capellani eut filmé toute une bobine, Kolker lui demanda pourquoi il ne s’était pas arrêté pour les gros plans et les flashbacks : « Si je m’étais arrêté au milieu de cette scène pour les prises de vue des plans insérés, Mme Nazimova n’aurait jamais, pas même en mille ans, été capable d’accomplir un travail aussi exaltant que celui qu’elle vient de faire. En ne

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l’interrompant pas, je lui ai permis de rentrer dans l’esprit du rôle… Je pourrai toujours faire les gros plans et les plans insérés, demain, la semaine prochaine, l’année prochaine si c’est nécessaire, et je pourrai les monter dans la scène sans aucune difficulté. J’ai gagné à peu près deux jours de travail en ne m’arrêtant pas une seule fois pour replacer la caméra. »

34 Ce n’étaient probablement pas les mots exacts de Capellani, mais cela nous donne un aperçu de sa démarche61. Le titre fut modifié en Eye to Eye en août et, juste avant son lancement en novembre, le film, annoncé comme une sortie par la Métro d’un film de Nazimova Productions, était soutenu par une campagne publicitaire particulièrement faste. La confiance de la Metro dans sa star et son réalisateur fut récompensée par de nombreuses réservations à l’avance et, fin décembre, Wid’s rapportait que plus de quatre-vingts salles présentant des films de première diffusion le diffusaient en projection spéciale, dont des cinémas qui n’avaient jamais diffusé de films de la Metro auparavant. Leur analyste du box office enjoignit les exploitants : « Portez-vous acquéreur de ce film par tous les moyens et ne vous inquiétez pas si vous excédez légèrement votre prix habituel car le film justifie la dépense62 ».

35 Motion Picture News exprima des doutes quant au fait que le film soit trop artistique, suggérant que cela pourrait rebuter un public à la recherche de divertissements faciles, mais la majorité des critiques furent impressionnés par le film et par Nazimova en particulier. Julian Johnson s’exprima pour un grand nombre quand il écrivit : « Susceptible de surjouer avec n’importe quel metteur en scène qui aurait peur d’elle, cette femme russe a de toute évidence été dirigée d’une main de fer par Capellani et, bien que toujours incandescente, elle n’en reste pas moins réelle63 ». La plus grande partie de la dernière bobine existe au Gosfilmofond de Moscou et ce qui a été conservé entérine absolument les comtes rendus de l’époque : Nazimova use de sa présence physique avec une assurance confondante et la caméra semble comme envoûtée par les changements qu’elle joue dans ses gros plans. L’éclairage atmosphérique, une marque de fabrique de Capellani, dont on trouve de constantes évocations dans les critiques, façonne merveilleusement l’espace, et le montage fait admirablement monter la tension en faisant une coupe entre la danse de Nazimova dans une scène culminante et celle de son compatriote armé d’un couteau dans une autre partie de la maison.

36 C’était une période exceptionnellement féconde, on pourrait même dire frénétique, pour Capellani que Moving Picture Word baptisa en octobre : « Le réalisateur probablement le plus débordé de l’industrie ». Le cinéaste passait ses journées à filmer Out of the Fog (au départ intitulé Ception Shoals), ses petits-déjeuners et ses pauses déjeuner étaient dévolus au montage de Eye for Eye et ses soirées étaient consacrées au scénario de The Red Lantern. Quelque part dans tout cela, Nazimova, Henry Harmon, Tom Blake et lui prirent deux jours de congé de Out of the Fog pour tourner A Woman of France, l’une des quatre contributions de la Metro à la Fourth Liberty Loan Drive (la quatrième campagne pour les titres d’emprunt de guerre ; Nazimova est créditée à l’écriture de ce court métrage ainsi que dans le rôle titre. Cela fut certainement épuisant, surtout que l’équipe de Out of the Fog était en tournage extérieur pour deux semaines à la mi-septembre pour tourner au phare de l’Eastern Point à Gloucester dans le Massachussetts (également utilisé dans le film The Perfect Storm de 2000). Mettant fin à ce rythme infernal, Capellani et son équipe déménagèrent en Californie fin octobre pour filmer The Red Lantern64.

37 Nazimova avait été la vedette de Ception Shoals, du dramaturge haut en couleur H. Austin Adams, en janvier 1917. La diffusion du film fut limitée à cinq semaines

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seulement à Broadway car le Princess Theater avait été réservé pour la première de Oh, Boy (ironie du sort puisque la pièce ferait l’objet d’une adaptation de Capellani par la suite). Le drame, au sujet d’une jeune femme seule élevée dans un phare par un grand- père puritain et amer, fut conçu comme un plaidoyer « en faveur de l’éducation adéquate des jeunes quant aux mystères et privilèges du sexe ». Compte tenu de son cadre, le format cinématographique offrait des perspectives bien plus prometteuses que les limites imposées par la scène, et Capellani semble avoir tiré avantage de toutes les perspectives. Lors de journées venteuses sur la côte, le caméraman Eugene Gaudio se pendit au bout d’une chaîne humaine pour prendre les plans idoines de vagues agitées (une caméra dû être récupérée par des pêcheurs après avoir été emportée par la mer). D’autres défis consistaient notamment à travailler dans le brouillard et réussir à filmer l’éclairage du phare pendant une tempête. Picture World consacra plusieurs articles au film, rapportant que Capellani s’appuyait beaucoup sur le deuxième caméraman, William Tuers « car deux scènes allaient être tournées simultanément pour boucler… le plus rapidement possible afin de commencer les prises de vue de la grosse production suivante de Nazimova, “ The Red Lantern ”65 ».

38 Cette activité intense semble avoir été bénéfique aux talents du réalisateur car les critiques étaient presque toutes unanimes dans leur admiration : « Le film est tellement loin d’être ordinaire au vu de ses qualités artistiques intrinsèques que je voudrais adresser un appel aux éléments les plus critiques de notre communauté », s’enthousiasma l’analyste du box office de Wid’s. Ceux qui avaient vu la pièce ont tous jugé la version cinématographique supérieure et les critiques concernant Nazimova comptèrent parmi les meilleures qu’elle ait reçues. Peter Milne, l’un des meilleurs critiques des journaux de la profession, résuma le tout en déclarant : « C’est sans peine l’un des triomphes du cinéma », ce qui rend la disparition du film aujourd’hui d’autant plus regrettable66. Durant cette période, Capellani parvint d’une manière ou d’une autre à faire rentrer une autre activité dans son emploi du temps, bien qu’elle fût mineure : la co-écriture avec June Mathis de l’histoire de The Parisian Tigress pour la Metro, un film destiné à mettre en scène Viola Dana et réalisé par Herbert Blaché. Les publicités citent Capellani et Mathis juste sous le nom de la star, de manière plus visible que Blaché, ce qui est un autre signe de la confiance des studios dans la rentabilité de Capellani, dont ils faisaient abondamment la promotion en vue de la sortie de The Red Lantern début mai. La preuve la plus marquante du statut du réalisateur à cette époque se trouve peut-être dans la pleine page de publicité dans Motion Picture News pour le film Universal, The Heart of Humanity, réalisé par Allen Holubar. Sous le gros titre « Et Capellani le sait ! », avec un portrait en photo, se trouve une appréciation écrite par Carl Laemmle à Capellani, saluant son film et sa « grande maîtrise technique française » et concluant par « c’est la première indication de l’intégration du réalisateur français et de l’alliance de cette technique à l’ingéniosité de la production américaine ». Une telle publicité entre studios était rare et atteste du statut de star de Capellani au sein de l’industrie67.

39 « Quand vous verrez Nazimova dans The Red Lantern, vous verrez le début d’une nouvelle ère dans le cinéma », clamait une publicité un mois avant la sortie du film et, bien que ce soit légèrement exagéré, ce fut une entreprise colossale qui aurait coûté 250 000 dollars. Le département publicitaire de la Metro travailla encore plus dur que Capellani pour s’assurer que les journalistes reçoivent un flot continu d’histoires à rapporter, que ce soit au sujet des huit cents figurants chinois, des cinq cents lanternes rouges, des vingt-cinq projecteurs, des seize hommes requis pour le palanquin doré ou

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des six cameramen attachés au tournage de la scène culminante du bal de nuit. Le directeur artistique Henri Menessier travailla avec Capellani à la conception de décors somptueux et on mit beaucoup en avant les robes majestueuses de Nazimova. Motion Picture News consacra cinq pages entières à « une section spéciale note de service » informant les exploitants de la manière dont ils pouvaient promouvoir le film (Moving Picture World ne consacra que trois pages)68.

40 Par chance, certains articles contiennent des informations intéressantes sur les méthodes de tournage, dont la description d’un plan général dans la scène du bal pour laquelle Eugène Gaudio fit passer le négatif par deux fois derrière l’objectif « pour accentuer les lanternes illuminées sur les bâtiments ». Le supplément de Motion Picture News pour les exploitants les encouragea à vanter la qualité du film : « Parlez-leur du réalisme et des effets saisissants », et un peu plus haut, « nous aimerions faire référence au fait qu’il s’agit d’une production de 250 000 dollars et qu’elle fut réalisée par Albert Capellani », sous-entendant que même le public connaissait le nom de Capellani. « Vous devriez présenter cela comme une production qui met au défi toute comparaison avec les planches et inviter to ceux qui ont considéré avec dédain le cinéma à venir et voir une chose dont il n’ont jamais vu l’équivalent au théâtre » (en italiques dans le texte). Tout le monde semble être tombé d’accord sur le fait que l’argent avait été bien dépensé. Jolo de Variety écrivit : « L’association de Nazimova et de “The Red Lantern“ est l’une des aventures les plus étonnantes jamais entreprises dans la courte histoire du cinéma ». La plupart des critiques se concentrèrent sur le bal ; le New York Tribune rapporta avec émerveillement : « Il ne nous avait jamais été donné de voir un étalage de costumes aussi prodigieux, ployant sous l’or et les bijoux, de fabuleuses coiffures, des dieux chinois, des effigies en ivoire, de grands temples et des lanternes partout ». Néanmoins, la star, dans un double rôle (quelque chose qu’affectionnait Capellani), impressionna mais n’émut guère : « En vérité, Nazimova vous surprend et vous pousse à la réflexion, mais elle ne parvient pas à susciter chez vous des émotions69 ».

41 Le studio dû estimer que ses dépenses étaient justifiées en lisant la dernière phrase de Jolo : « Avec la sortie de « The Red Lantern », la Metro se place au premier plan et s’inscrit parmi les producteurs d’avant premières de ‘gros’films ». Les nouvelles devinrent de plus en plus réjouissantes alors que les cinémas de prestige qui se conformaient à des règles strictes de location de première diffusion pour une semaine seulement, relouèrent le film pour des projections répétées, poussant Edward Weitzel de Moving Picture World à formuler l’espoir que « l’ordre ancien des choses soit derrière nous pour toujours et que la vie d’un film dépende à l’avenir de sa capacité à « continuer à les faire venir » et non de la loi de la diffusion sur une semaine. » The Red Lantern » a réussi à renouveler son mandat sur la base de la seule épreuve pratique : celle du box-office. » Le film rencontra aussi du succès en province, comme le montre l’article « » The Red Lantern » brille à Omaha » qui détaille comment les exploitants du Boyd Theatre dépensèrent plus de 6 000 dollars dans le lancement du film, ce qui inclut la publicité, la décoration et un spectacle scénique (la direction augmenta le coût des meilleures places à 75 cents, un record). Des décorations sophistiquées dans le hall devinrent de rigueur à travers le pays : deux sociétés souscrivirent auprès de Wid’s Daily l’équivalent de plusieurs mois de publicité pour faire la promotion de leur décor à louer autour du thème de The Red Lantern. Une plantation orientale fut créée à St. Louis, une rue chinoise et un temple furent érigés à Chicago, les chansons de Nazimova furent chantées à Des Moines et les glaciers de Kansas City vendaient des boissons glacées Red Lantern. Dans le somptueux Rialto Theater de New York, le danseur Adolf Bohm

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chorégraphia un spectacle, John Wenger décora les lieux avec des lanternes, des bannières de temple et de l’encens, et China de Prizma Color fut judicieusement projeté comme court-métrage70.

Albert Capellani Productions, 1919

42 Capellani faisait enfin partie des rares élus se trouvant au sommet de l’industrie cinématographique américaine, ce qui fut confirmé non seulement par ses succès avec Nazimova mais aussi par la création, alors que The Red Lantern était toujours en cours de tournage, de sa propre société de production, Albert Capellani Productions. Enregistrée à New York fin janvier, cette nouvelle entité devait convoquer un sentiment de victoire personnelle chez Capellani après le fiasco qui avait paralysé l’Albert Capellani Film Corporation fin 1916. Photoplay avança qu’il avait quitté la Metro parce que les actionnaires avaient regimbé face aux coûts faramineux de ses films et, bien qu’il puisse y avoir ici un fond de vérité, il demeure certain qu’il cherchait à être indépendant71. Ayant sans aucun doute retenu les leçons des années précédentes, il s’entoura de personnes qu’il connaissait et en qui il avait confiance : son ancien studio, Pathé, serait son distributeur, et son directeur général, solidaire dans les statuts de l’entreprise, était son compatriote Adolphe Osso (de nationalité française mais né à Safed, ville aujourd’hui située en Israël)72. Osso – un personnage fascinant qui nécessiterait grandement qu’on l’étudie plus avant – était le fils d’Oscar Osso, agent aux Etats-Unis pour la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques et donc le représentant américain de « toute la production artistique, dramatique et musicale de France ». C’était Oscar Osso qui négocia les droits de L’Occident de Henry Kistemaeckers pour la Screen Classics en mai 1918, sans aucun doute avec l’aide de son fils Adolphe qui travaillait avec lui à l’époque. Un portrait d’Adolphe dans un Variety daté de novembre 1918, avec photo, le mentionne en tant que co-représentant de la Société ainsi que publiciste de Capellani, Léonce Perret, Alice Guy Blaché et Dolores Cassinelli73.

43 Début février 1919, Capellani donna un dîner d’adieu à son équipe de Los Angeles et quitta la Californie le 8, les préparatifs visant à reprendre le studio Solax à Fort Lee étaient déjà bien avancés. Il fut accueilli à son retour sur la côte Est à l’occasion d’un déjeuner offert par Adolphe Osso le 24 février auquel ses anciens amis de la période Pathé assistèrent : Ferdinand Zecca, Paul Brunet et Louis Landry. Ce fut sans doute un événement gratifiant ; Leslie Mason, rédacteur à la Exhibitor’s Trade Review fit un discours saluant Capellani et sa « remarquable contribution à l’art et la psychologie du cinéma ». Il est certain que le réalisateur avait appris à courtiser la puissance médiatique sous la houlette du maître dans ce domaine, Selznick, car les représentants des plus grands journaux et des revues de l’industrie avaient été invités à la joyeuse tablée. La nouvelle équipe de l’Albert Capellani Productions incluait un ensemble d’anciens collègues et de sang neuf : Henri Menessier suivit Capellani depuis Los Angeles et Lucien Andriot revint auprès du réalisateur en tant que chef caméraman. Allan Rock était le publiciste mais aussi la personne chargée des intertitres, Carlton Andrews devint le directeur du service scénario et, dans le mois qui suivit, le réalisateur George Archainbaud (graphie américanisée remplaçant Georges Archaimbaud), qui était par ailleurs le beau-fils d’Emile Chautard, fut débauché à la World. On annonça dès le début du mois de janvier que la nouvelle société aurait pour stars June Caprice et Creighton Hale74.

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44 Hale s’était fait un nom avec Pearl White dans la série The Exploits of Elaine mais il faisait depuis des va-et-vient entre les studios et n’avait pas encore trouvé sa place. Caprice, star de la Fox depuis 1916, était une actrice construite sur le modèle « femme-enfant » ; il est possible de se faire une idée de sa personnalité à l’écran à partir des titres de certains de ses films : Little Miss Happiness, The Small Town Girl, Miss Innocence. A nos yeux, elle semble un choix curieux pour Capellani – elle est à mille lieues de la sophistiquée CKY et de la tempétueuse Nazimova, mais peut-être était-ce là tout le propos et le réalisateur espérait-il aussi la transformer en une sorte de pâle copie de Mary Miles Minter. Les premiers droits achetés par la nouvelle société constituèrent un choix inhabituel et excitant : Oh, Boy !, une comédie musicale à succès de Jerome Kern avec un livret et des paroles signés par P.G. Wodehouse et Guy Bolton. Le contrat entre l’Albert Capellani Productions et son équipe de créateurs de choc ainsi que le producteur prolifique de la pièce, F. Ray Comstock, fut signé le 20 février 1919, la nouvelle société s’acquittant de 15 000 dollars pour les droits du film, avec un règlement en quatre fois. Le tournage débuta en mars dans les studios Solax, temporairement rebaptisés Studios Capellani, et fut achevé vers la fin du mois d’avril75.

45 En gardant à l’esprit que la tornade publicitaire de The Red Lantern venait de débuter, on ne peut qu’imaginer l’omniprésence du nom de Capellani dans la presse professionnelle durant ces mois. Il inventa même un genre nouveau : la « comédie filmusicale » ; le numéro de juin de Theatre Magazine, sous le gros titre « Il y a quelque chose de nouveau au Royaume du Cinéma » expliqua les objectifs de Capellani : En mettant « Oh Boy » en images, M. Capellani était guidé par la certitude que le cinéma n’est pas une émanation de la scène soi-disant légitime, mais une nouvelle forme d’art… qui a très peu de choses en commun avec les planches et qui requiert une technique et un traitement complètement différents. Ainsi, il n’a en rien essayé d’avoir recours aux techniques du théâtre pour retranscrire le plus exactement possible les effets d’une comédie musicale, mais il s’est plutôt totalement appuyé sur les techniques particulières de la production cinématographique pour susciter, à travers une série d’images, des réactions émotionnelles similaires à celles produites par une comédie musicale

46 La campagne publicitaire fut assez vaste, elle débuta par une bande-annonce, saluée pour son originalité, suivie par des publicités en pleine page s’assurant que les lecteurs associeraient le nom et le visage de Capellani à The Red Lantern et Oh, Boy !, ainsi qu’à sa nouvelle société de production. Motion Picture News diffusa une publicité extraordinaire de sept pages pour Oh, Boy !, avec des dessins au trait, des photos du réalisateur et de ses deux stars ainsi qu’un poster, une brochure et un dépliant publicitaire. Pour l’avant- première, le Ziegfeld Theatre de Chicago mit à l’affiche un spectacle en première partie avec vingt danseuses de revue et cinquante-six instruments d’orchestre jouant des airs de la comédie musicale. C’est alors, cependant, qu’intervinrent les critiques qui furent résolument mitigées. La plupart des critiques regrettèrent que le scénario soit trop ténu pour six bobines et que la légèreté semble artificielle ; un bon nombre estima que les deux acteurs principaux n’étaient pas assez bons. « Peut-être le réalisateur n’est-il pas complètement à l’aise avec ces scènes de batifolage puisqu’il a sacrifié la badinerie à des aspects plus dramatiques », suggéra Laurence Reid, terminant par « beaucoup de sauce, mais peu d’épices ». Variety écrivit : le réalisateur « semble être un homme perdu dans les coulisses d’un spectacle de danseuses », alors que Marion Russell, de Billboard alla droit au but : « Nous sommes terriblement déçus par ce premier essai de l’Albert Capellani Productions alors que nous avons en tête ses œuvres précédentes dans les films avec Nazimova. Assurément, il ne doit pas être si difficile de trouver de bonnes

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histoires76. » Il faut espérer que les critiques s’avéreront inexactes quand la restauration prochaine du film nous permettra de voir ce film avec un regard nouveau.

47 L’Albert Capellani Productions poursuivit son chemin avec de nouveaux projets. En mars, il fut annoncé que la nouvelle protégée d’Osso, Dolores Cassinelli, avait créé sa propre société de production, faisant distribuer ses films par Pathé. Il était prévu qu’ils fassent environ dix films par an, tous sous la supervision de Capellani et réalisés, en alternance, par Archainbaud et lui-même. Capellani figurait au conseil d’administration de la nouvelle entité, la Cameo Exhibition Corporation (bientôt modifié en Cameo Pictures Corporation), qui, moins d’un an après sa création, fusionna avec l’Albert Capellani Productions. Le Ruisseau, pièce de Pierre Wolff tout d’abord rebaptisée The Gutter, puis, The Virtuous Model, marqua leur première collaboration. Avant le début, des négociations prirent place avec le producteur Arthur Hammerstein pour acquérir les droits de trois comédies musicales dans lesquelles Elaine, la fille de Hammerstein, devait tenir la vedette, mais les 50 000 dollars demandés constituaient, ce qui n’est guère étonnant, un prix trop élevé. Au lieu de cela, le tournage débuta avec Archainbaud derrière la caméra et Capellani à la production pour le deuxième opus de l’Albert Capellani Productions, The Love Cheat (dont le titre original était Unknown Dancer) avec Caprice et Hale. Basé sur Le Danseur inconnu de Tristan Bernard, il s’agissait d’une comédie romantique légère et donc pas le meilleur choix pour montrer les capacités de la société naissante. Bien qu’apprécié pour sa valeur et ses mouvements de caméra, le film fut sévèrement critiqué pour la banalité de son histoire, le sentiment général étant encore une fois résumé par l’abrupte Marion Russell de Billboard : « Il est étonnant qu’Albert Capellani perde son temps avec un matériau de base aussi inconsistant que celui de cette histoire sentimentale un peu tarte77 ».

48 Marion Russell – bien qu’elle écrivît en tant que femme, je « la » soupçonne d’avoir en fait été un homme – était complètement au bord de l’apoplexie quand « elle » fit la critique de The Virtuous Model, se drapant dans ses habits de pureté insultée et versant dans des invectives francophobes : « Le spectacle de ce film ferait peut-être la joie du public français, qui accepte une vie sans contraintes comme partie intégrante de son existence, mais il ne convient pas à la population métissée de ce pays, où l’honneur et la vertu ont bien plus de valeur… Le film est tout simplement saturé par la sensualité, insultant l’intelligence moyenne en montrant des femmes salaces caressant des hommes dans des lieux publics – chaque scène s’appuie sur nos passions les plus viles, sans aucune influence manifeste de finesse ». C’était une réaction étrange si l’on considère que tous les autres critiques trouvèrent que Capellani avait géré les scènes légèrement osées avec délicatesse. Cependant, peu d’entre eux lui donnèrent des critiques plus qu’à moitié positives, notant à nouveau la créativité de la mise en scène mais se plaignant du rythme lent du film et de la vedette, certes belle mais avec peu de présence. Cassinelli avait été une vedette populaire avec Essanay entre 1911 et 1913, elle avait disparu des écrans (probablement pour prendre des cours de chant) jusqu’en 1918 quand Perret la mit en scène dans plusieurs films. Bien qu’agréable à regarder à l’écran, il semblerait que cette actrice n’ait pas eu une personnalité suffisamment forte et l’analyste du box-office de Wid’s, dans son article sur The Virtuous Model, prévint les exploitants : « Son seul nom suffira difficilement à effacer les défauts de ce film ». Fort heureusement, il n’avait pas les mêmes sentiments en ce qui concerne le réalisateur, puisqu’il suggéra aux directeurs des salles de mettre en avant le fait qu’il s’agissait d’un film de Capellani, Moving Picture World fit de même. Pourtant, il devint évident même

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avant cela que le réalisateur-producteur avait besoin de sources de meilleure qualité et de stars plus distinguées. Les deux semblèrent acquis : le 16 mai, l’Albert Capellani Productions signa un contrat achetant les droits de l’adaptation cinématographique de A Damsel in Distress de P.G. Wodehouse, et, une semaine plus tard, il fut annoncé que le réalisateur collaborerait sur un projet non spécifié avec la vedette de théâtre Marjorie Rambeau78.

49 Capellani négocia un bon accord sur les droits de Damsel – seulement 5 500 dollars, probablement parce que l’histoire faisait toujours l’objet d’un feuilleton dans The Saturday Evening Post au moment où le contrat fut signé, son succès demeurant alors incertain. Roman parmi les plus savoureux de Wodehouse sur cette période, ce récit était très prometteur, ce qui nous laisse nous interroger sur la raison pour laquelle il confia la réalisation à Archainbaud, à moins qu’il n’eût été à la recherche d’une pause salutaire après le tourbillon de l’année précédente. Quoi qu’il en soit, les critiques tombèrent sous le charme de A Damsel in Distress ; Caprice et Hale reçurent des appréciations très positives et Archainbaud fut salué pour sa mise en scène, en particulier pour ses prises de vue en extérieur autour de Broadway. Le nom de Capellani était encore évoqué comme facteur faisant la différence, Wid’s rappelant aux exploitants que cela « devrait augurer quelque chose de considérable pour le box office79 ». En août ou septembre (plus probablement quand la production de Damsel était en cours d’achèvement), Capellani retourna pour la première fois en France depuis 1915, la route ayant été pavée, professionnellement parlant, par Osso qui y était retourné début juillet avec les négatifs de Oh, Boy !, The Love Cheat et The Virtuous Model (le fait que ces deux derniers fussent tirés de pièces françaises n’avait pas d’importance). Osso faisait régulièrement l’aller-retour en bateau entre les Etats-Unis et la France : il avait monté sa propre société qui importait des droits sur des œuvres françaises pour adaptation aux Etats-Unis et exportait des films américains, dont la production de la Goldwyn, en France. Il était aussi encore directeur général de l’Albert Capellani Productions, dont il faisait énergiquement la promotion à Paris quand il accorda un entretien à Hebdo-film en novembre où il aborda la façon dont Capellani avait su équilibrer la délicatesse française au savoir-faire américain : « Il a toujours cherché à joindre aux qualités techniques américaines des qualités françaises, que ses collaborateurs et lui ont conservées », rappelant à son interlocuteur la forte présence de ses compatriotes au sein de l’équipe de la société, dont Archainbaud, Menessier, et Andriot80.

50 Le réalisateur Edwin Carewe offrait aussi ses services à la société ; il venait tout juste d’établir l’Edwin Carewe Productions et était conseillé par Harry Cahane, un personnage qui travaillait plutôt dans l’ombre (de notre point de vue) au poste de trésorier (et parfois de vice-président, bien qu’Osso possédât également ce titre) de l’Albert Capellani Productions. Cahane semble avoir été le bailleur de fonds à hauteur de 2 225 000 dollars de Carewe et Capellani ainsi que d’autres filiales de Pathé, Cameo Pictures et Edgar Lewis Productions. Avec Capellani, il fonda la Coronet Exhibition Corporation en août visant « à œuvrer dans l’industrie cinématographique », une description assez vague qui n’offre aucun indice sur son objectif. Carewe fut probablement engagé en septembre pour réaliser The Right to Lie, réalisé sous la bannière de l’Albert Capellani Productions, avec Cassinelli dans le premier rôle dans une transposition à peine voilée du scandale de 1906 entre Harry Thaw et Evelyn Nesbit. Bien qu’apprécié pour sa grande valeur et son élégante photographie, le film fut en majorité boudé et considéré comme une belle forme soignée de sensationnalisme ; il

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ne fut presque pas fait mention de la présence de Capellani en tant que producteur. En effet, il semble qu’il était en France au moment du tournage et il ne serait retourné à New York que le 9 octobre. De retour sur le sol américain, il évoqua en détail l’impact funeste de la guerre sur l’industrie cinématographique française, prédisant sa résurrection in fine mais déclarant son intention de demeurer aux Etats-Unis : « Je me sens plus à la maison ici que de l’autre côté de l’Atlantique. Broadway est la rue la plus merveilleuse au monde81 ».

51 Juste avant le retour de Capellani, Archainbaud débuta le tournage du prochain film de June Caprice, In Walked Mary. Intitulé au départ Little Mother Hubbard, ce film était pour Caprice un retour à ses rôles précédents à la Miss Innocence, avec quelques marques d’originalité dans la réalisation pour en atténuer la douce banalité. Cela ne rendit service à personne et ce fut le dernier film de Caprice pour la société (elle se retira du cinéma après la série de 1921, The Sky Ranger). Capellani lui-même commençait le tournage de The Fortune Teller avec Marjorie Rambeau, une adaptation de la pièce elle avait joué et qui avait pris fin en mai. L’actrice était devenue une star des planches quelques années plus tôt et, en dépit d’apparitions dans une kyrielle de films réalisés par Frank Powell en 1917, elle n’avait pas encore percé sur le grand écran. Le tournage au studio Solax débuta vers le début du mois de décembre, ce qui obligeait Rambeau à aller à Fort Lee la journée et revenir le soir à Broadway où elle jouait dans The Unknown Woman. Les prises de vue s’achevèrent dans les premiers mois de 1920, mais, début mars, il y eut une restructuration : Pathé mit fin à son contrat de distribution avec l’Albert Capellani Productions. Je ne suis pas en mesure d’affirmer ce qui s’est passé, mais il ne serait pas exagéré de penser que la production de la société n’avait pas rencontré le succès escompté dans la plupart des Etats. Le 1er mars, Wid’s rapporta que The Fortune Teller serait distribué par Robertson-Cole et publia, une semaine plus tard, que Capellani venait de signer un accord de deux ans avec la maison de production pour faire quatre films par an. Les choses deviennent encore plus confuses à présent : le 10 mars, une nouvelle société nommée Capellani Pictures fut créée avec un capital de 25 000 dollars, Cahane, Capellani et Abraham L. Feinstein étaient au conseil d’administration82.

52 Les relations entre cette nouvelle organisation et l’Albert Capellani Productions demeure incertaine, mais à en juger par les documents produits par la suite, il semblerait que Cahane ait été en train de déposséder l’homme dont la société portait le nom de ses prérogatives. En septembre 1920, époque à laquelle le contrat entre Capellani et Robertson-Cole avait été annulé et où Capellani émargeait à présent à la Cosmopolitan, Cahane vendit tous les droits de quatre films de l’Albert Capellani Productions : Oh, Boy !, A Damsel in Distress, In Walked Mary et The Fortune Teller. Selon les attestations et les contrats élaborés en 1936 entre le nouveau propriétaire des droits, Ernest DeJourno, et la RKO pour les droits ouvrant à un remake de Damsel, l’Albert Capellani Productions avait cessé de produire des films le 10 septembre 1920 mais la société ne fut officiellement dissoute que le 16 décembre 1929. Les noms de Capellani ou d’Osso ne sont inscrits nulle part en tant que directeurs et, si l’on tient compte des procès intentés par la suite contre la société (voir plus bas), il est certainement heureux que le réali- sateur n’ait plus été responsable juridiquement. Toutefois, les raisons de ces contrats restent pour l’instant mystérieuses83.

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Une carrière se conclut : Capellani chez Cosmopolitan, 1920-1922

53 Avant tout cela, The Fortune Teller sortit en mai et fut accueilli par des critiques réservées, la plupart des auteurs saluant la performance de Rambeau mais trouvant regrettable la trop grande attention que Capellani portait aux détails (ce qui est ironique si l’on tient compte du fait que tout le long de sa période américaine, c’est justement cet élément qui enchanta le plus les critiques). Robertson-Cole appuyèrent la sortie en publiant un livre de 50 pages tiré du film, mais il est peu probable que le film fit beaucoup d’entrées. A l’époque de sa sortie, Capellani avait encore changé de société : cette fois il était parti chez International Film Service-Cosmopolitan et on avait annoncé que leur première production ensemble serait The Inside of the Cup. On imagine aisément le soulagement que dut ressentir le réalisateur quand il élut à nouveau domicile dans un studio aux caisses pleines, doté d’un accord de distribution confortable avec la Famous Players-Lasky. Même si cela ressemble à une perte d’indépendance, il est tout à fait légitime de se demander de quelle indépendance jouissait vraiment Capellani fin 1919. En outre, The Inside of the Cup était le genre d’œuvres controversées à partir desquelles il n’avait pas travaillé depuis ses années avec Selznick. Ecrite par Winston Churchill (l’auteur américain, et non l’homme politique britannique), le roman est une attaque cinglante contre les riches paroissiens qui financent à flots la construction d’églises tout en appauvrissant leurs communautés en se livrant à une forme de capitalisme débridé. Selon une publicité dans Variety, publiée juste avant la sortie du film, « Jamais un livre ne suscita une telle indignation depuis » La Case de l’Oncle Tom84 » ».

54 Le tournage commença début mai et s’acheva vers la fin du mois de juin, mais, avant sa sortie, une chose étrange arriva : la Cosmopolitan renvoya Capellani, poussant le réalisateur à lui faire un procès. Les détails restent flous mais, selon Wid’s, Capellani attaquait International Film Service, filiale de la Cosmpolitan, pour un montant de 15 000 dollars. Heureusement, les parties trouvèrent un accord en un mois et, lorsque le film sortit en janvier 1921, Capellani rencontra enfin à nouveau le succès. Dans un certain sens, ce succès qui a généré un record de six semaines de diffusion, jamais rencontré par un film les cinq années précédentes, est une surprise : aucune star ne figure à la distribution de The Inside of the Cup et il s’agit plus ou moins d’un film choral dont l’aspect romance est négligeable. Le film est presque aussi moralisateur que le roman et le caractère religieux ostensible rebuterait certainement le public d’aujourd’hui. Toutefois, Capellani réussit à faire ressortir le drame et, comme à son habitude, sa maîtrise de l’éclairage et de l’espace (les décors sont signés Joseph Urban) est splendide. L’accueil critique fut hétérogène, certains dans la profession se plaignant (ce qui était légitime) d’une inclination au mélodrame (Laurence Reid accusa Capellani de devenir vieux jeu), alors que d’autres, comme le socialiste New York Call proclamèrent que le film était « un tournant pour le nouveau cinéma – le cinéma qui traitera des vrais problèmes, réels et vitaux de notre époque ». L’auteur pardonna même la fin loin d’être révolutionnaire (modifiée par rapport à celle du roman), « complément perdue de vue en raison de la force du message charrié par le cœur du film ». Ailleurs, dans la presse générale, des commentateurs débattant des mérites du film occupèrent les colonnes, le New York Times approuvant le message mais pas le style et le Chicago Daily Tribune décriant ses excès socialistes. Tout cela était bon pour les

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affaires et contribua à un record au box office et à une diffusion cinq semaines d’affilée au Criterion Theatre de New York où « pratiquement toutes les sortes de New Yorkais y ont assisté et de nombreux hommes d’Eglise de différents courants sont venus… » The Inside of the Cup » attire un genre de spectateurs qui évite les films convenus et sensationnalistes, car il y a matière à réflexion et une forte valeur éducative dans ce film85 ».

55 Après les rebondissements des années précédentes, cela dut assurément mettre du baume au cœur de Capellani d’être à nouveau en vogue. Il est malheureux que le film suivant, The Wild Goose, ne fut pas aussi riche en émotions. Basé sur un roman de l’écrivain à succès Gouverneur Morris, ce triangle amoureux plutôt banal n’inspira pas Capellani, même s’il est intéressant de voir comment il fit de la supposée héroïne, Diana Manners (Mary MacLaren), un personnage aussi antipathique. Les décors raffinés de Joseph Urban semblent prendre le dessus sur les personnages par moments et seule Dorothy Bernard, dans sa dernière apparition créditée à l’écran, fait impression. Comme l’histoire faisait l’objet d’un feuilleton dans l’un des magazines de Hearst en 1918, il est probable que Capellani n’eut pas d’autre choix que d’accepter cette réalisation. Les critiques se déclinèrent sur toute la gamme : des plus positives aux moins impressionnées, même si, grâce à l’empire de Hearst, le battage médiatique donna un coup de pouce aux entrées, et les journaux de la profession continuèrent à enjoindre les exploitants de mettre en avant le nom de Capellani comme un label d’excellence. Harriette Underhill du New York Tribune reconnut qu’elle n’aurait pas dû voir The Wild Goose juste après avoir vu le Carmen de Lubitsch (aussi connu sous le nom de Gypsy Blood), appelant le premier « le film le plus mauvais qu’on puisse voir ou qui puisse exister… Si les producteurs américains vont faire des films comme The Wild Goose, ils ne peuvent pas nous reprocher d’importer des films comme » Passion », ” Deception » et » Gypsy Love86 » ».

56 Quoi qu’il en soit, à la Cosmopolitan, on dut être content car on fit signer Capellani pour une série de films en avril 1921, alors même qu’il rentrait d’un voyage en France avec sa famille. Attestant de la confiance de Hearst dans le réalisateur, Capellani fut commissionné pour mettre en scène le nouveau film de Marion Davies, The Young Diana, basé sur le roman de pseudo science fiction de Marie Corelli autour du thème de la jeunesse éternellement renouvelée. Le tournage débuta en mai et se prolongea au moins jusqu’à juillet, mais, en septembre, Capellani fut assigné à un autre film, Sisters. La raison pour laquelle on mit Young Diana en attente fut probablement lié à l’emploi du temps chargé de Davis – elle était sans doute en train de tourner dans Beauty’s Worth et commençait à jouer dans le somptueux When Knighthood Was in Flower, réalisé par Robert Vignola en février 1922. Pendant ce temps, le tournage de Sisters, une production qui avait indiscutablement moins de prétentions pour la Cosmopolitan, débuta en septembre 1921, mais le film ne sortit qu’en avril 1922. A un moment entre ces deux dates, International Film Service de Hearst transféra les droits de distribution de ce film à une société fraîchement créée, l’American Releasing Corporation, qui fit une campagne de publicité en mars clamant que Sisters « avait été monté et préparé selon les demandes et les désirs de l’American ». Une déclaration des plus inquiétantes. Néanmoins, Sisters s’avère être l’un des films américains les plus forts de Capellani ayant survécu à l’épreuve du temps. En dépit de ce qui semble être un film de « problème » de divorce tel qu’on les faisait à l’époque, l’histoire est menée avec une très grande subtilité et sensiblement épurée de ses éléments mélodramatiques pour ne laisser qu’un naturalisme honnête et rare. Mary Kelly dans Moving Picture World

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exprima toute son admiration face à la pudeur : « La délicatesse avec laquelle l’action est menée tout du long, est l’un de ses plus grands attraits. Même les instants les plus dramatiques l’illustrent et c’est justement leur retenue qui leur confère cette puissance ». Presque tous les critiques saluèrent avec justesse Seena Owen, qui fait preuve d’une sensibilité remarquable et nous pousse à regretter que si peu de ses films ait survécu. Les billets se vendirent en grand nombre – en partie grâce à la machine publicitaire de Hearst qui fit du roman un feuilleton dans dix journaux à travers le pays87.

57 Pour l’instant, je n’ai pas été en mesure d’établir ce qui arrivait à The Young Diana pendant ces mois : que ce soit quand la production reprit ou quand Robert Vignola fut engagé comme coréalisateur, même si, compte tenu du nombre de films que Vignola fit avec Davies, on peut affirmer sans danger qu’il était son réalisateur favori – ou le réalisateur préféré de Hearst pour elle. Ce fut certainement quelque chose à voir : les photos de tournage montrent de magnifiques constructions par Joseph Urban, que ce soit le laboratoire du scientifique – qui influencèrent sans nul doute les nombreux films de science fiction et d’horreur qui allaient être produits par la suite – ou le décor époustouflant pour la scène du carnaval sur la glace, ce dernier poussant Hearst à adresser à Urban un message plein d’effusion : « C’est la plus belle chose qu’il m’ait été donné de voir et plus je la regarde, plus elle me plonge dans l’enthousiasme… Grâce à elle, le film fera sensation ». De nombreux critiques furent d’accord, comme Charles Larkin dans Motion Picture News qui fut totalement transporté : « Vous avez là une pantomime, un décor, de la couleur, de la créativité, de la beauté… Tout cela mélangé dans une série de scènes dont la beauté est sans précédent ». Peu de critiques ne firent pas mention des fabuleux costumes de Davies et Variety déclara que c’était son meilleur rôle à ce jour. Seule Harriette Underhill sembla gênée par la coréalisation (« La Cosmopolitan n’a-t-elle jamais entendu que trop de cuisiniers gâtent la sauce ? »), alors même que la plupart trouvèrent que cette alliance réussissait à mettre au jour les différentes nuances : « Chaque réalisateur a sa propre petite musique, mais les deux se mélangent dans un ensemble remarquablement harmonieux ». On peut supposer que Photoplay donna une évaluation objective : « Les décors onéreux, le carnaval sur la glace et le paysage suisse sont bien beaux mais, à la longue, vers la troisième bobine, vous commencez à vous demander si un peu d’émotion pure ne serait pas superflue88. »

58 Ce fut le dernier film de Capellani. Nous ne savons pas si le cinéaste lui-même mit fin à son contrat avec la Cosmopolitan, ou, plus vraisemblablement, si la société annula le contrat, cela fait encore l’objet de recherches. Mais pour quelle raison ? Ce silence est étrange et je n’ai pas non plus été en mesure de trouver la date à laquelle il est retourné en France (les documents de la famille furent détruits après la mort du fils de Capellani, Roger). Etait-ce un départ volontaire ? En 1919, avant son premier voyage en France depuis la guerre, il avait déclaré à un journaliste : « Bien sûr, j’ai toujours de l’affection pour mon ancien pays, et l’équipement que j’ai apporté avec moi de là-bas, je l’ai dédié avec joie à la cause visant à faire du cinéma un art en l’élevant et l’améliorant, mais j’aimerais être connu en tant que réalisateur américain : le reste de ma carrière a été accompli ici, mes intérêts professionnels et personnels sont ici et mon cœur est ici ». Malheureusement, ses affaires se tarirent et les quelques mentions qui furent faites de son nom dans les journaux professionnels étaient généralement au sujet des procès de l’Albert Capellani Productions, pour laquelle, fort heureusement, il n’était plus

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responsable juridiquement : Solax lui fit un procès pour retard de paiement du loyer et Marjorie Rambeau pour sommes dues89.

59 Son nom refit surface occasionnellement, en 1923, il y eut des rumeurs au sujet d’un projet à Paris avec Denis Ricaud qui avait tout juste démissionné de Pathé, avec une possibilité d’alliance anglo-française, mais, apparemment, cela ne conduisit à rien. Deux ans plus tard, un encart parut dans Variety rapportant de Londres que Capellani réaliserait Jacob’s Way pour Markus Film, mais cela ne se concrétisa pas non plus. A l’été 1927, on annonça en France que, après une longue absence pour raison médicale, il retournait à la réalisation : « M. Albert Capellani, un des premiers metteurs en scène du cinéma, qui a réalisé les premières versions de Les Misérables, La Glu, L’Arlésienne, L’Assommoir, et qui a également mis en scène plusieurs films à Los Angeles, revient au cinéma ». Quelques temps plus tard, les journaux appelèrent le projet Werther de Goethe, attisant la curiosité en expliquant que Capellani travaillait à éditer son propre scénario. Cela ne se concrétisa pas plus90. Puis, en 1930 vint l’une des annonces les plus tristes : près de quatre-vingt dix bobines de films, « conservées pour la Capellani Productions Inc et / ou Pathé Exchange » par la Lloyds Film Storage de New York, furent vendues aux enchères pour rembourser les charges impayées. Les pleurs sont toujours plus bouleversants que les cris et, dans le cas de Capellani, il y a quelque chose d’autant plus cruel dans la manière dont il fut oublié. Outre les films qu’il nous a légués, célébrés pour leur qualité artistique, son implication fut plus qu’accessoire dans deux changements majeurs de la distribution cinématographique : la fin du système de réservation en bloc et la diffusion des films sur plusieurs semaines. Pourtant, le jour de sa mort, la seule mention qui fut publiée dans Variety fut simplement la suivante : « Le père de Roger Capellani est décédé ». Il n’y eut pas de nécrologie, on ne mentionna même pas son prénom. Et quelle fut la première page ce jour-là ? « C’est la fin des films muets91 ».

NOTES

1. « News of the Film World », Variety, 23 novembre 1917, p. 48. 2. « Scenario Writer’s Day is Rapidly Approaching », Variety, 1er octobre 1915, p. 15. 3. Consulté sur le site d’Ellis Island : http://www.ellisisland.org 4. « Capellani With Metro », NYDM, 13 octobre 1917, p. 12 ; « Capellani a Metro Director », MPW, 20 octobre 1917, p. 393. 5. Concernant la sortie américaine compliquée du film Les Misérables, voir Richard Abel, Americanizing the Movies and « Movie-Mad » Audiences, Berkeley : University of California Press, 2006, pp. 36, 272. Selon Variety, le film engrangea en moyenne 4 000 dollars par semaine pendant cinq mois. Il se jouait au Carnegie Lyceum de New York : « 8-Reel Specials and Long Runs to Solve Problems », Variety, 4 février 1921, p. 47. Pour Germinal, voir W. Stephen Bush, « Germinal », MPW, 24 janvier 1914, p. 416 ; E.C. Dwyer, « Germinal », MPN, 31 janvier 1914, p. 29. 6. « Film Flashes », Variety, 9 avril 1915, p. 19 ; « Albert Capellani », MPW, 24 avril 1915, p. 541. 7. « Brady Has Extensive Plans », The Billboard, 30 janvier 1915, p. 53.

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8. Lynde Denig, « The Face in the Moonlight », MPW, 3 juillet 1915, p. 80 ; Sime, « The Face in the Moonlight », Variety, 9 juillet 1915, p. 18. 9. Peter Milne, « The Impostor », MPN, 11 septembre 1915, p. 82. 10. « Film Flashes », Variety, 28 novembre 1914, p. 22 ; « October Releases for World Film Notable », MPW, 18 septembre 1915, p. 2013. 11. Jolo, « The Flash of an Emerald », Variety, 15 octobre 1915, p. 21 ; Peter Milne, « The Flash of an Emerald », MPN, 9 octobre 1915, p. 86. La découverte récente de la première bobine en pellicule nitrate chez un collectionneur privé en Angleterre devrait bientôt nous permettre d’évaluer les mérites du film. 12. La liaison extraconjugale entre Selznick et CKY m’a été confirmée par un email du petit-fils de Selznick, Daniel Selznick, le 7 janvier 2012. James Young, dans un procès intenté le 3 février 1916, alléguait que depuis mars 1914, « Selznick s’est appliqué à détourner les sentiments que sa femme lui portait » : « Wife, ‘Movie Queen,’ Valued at $ 100,000 », The Sun, 4 février 1916, p. 5. CKY elle-même fit une demande de séparation de Young auprès du tribunal pour cruauté de traitement, mais les poursuites furent abandonnées : « Clara K. Young Sues », Variety, 10 décembre 1915, p. 19. 13. Colgate Baker, « The Girl on the Cover », Photoplay, mai 1915, p. 64. Harry Reichenbach, comme on l’a dit à David Freedman, Phantom Fame. The Anatomy of Ballyhoo. New York : Simon and Schuster, 1931, p. 208. 14. « Film Flashes », Variety, 15 octobre 1915, p. 20 ; « World Film’s Fall Program », MPW, 16 octobre 1915, p. 449. « A Modern Camille », MPW, 6 novembre 1915, p. 1159. 15. « The Paragon Studio », MPW, 6 novembre 1915, p. 1114. Pour une étude captivante et exhaustive de la World et de ses diverses entités, qui contient aussi l’une des rares évaluations de la carrière américaine de Capellani, voir Richard Koszarski, Fort Lee : The Film Town, Rome : John Libbey Publishing, 2004. 16. « Clara Kimball Young as “Camille” », Motography, 4 décembre 1915, p. 1178 ; « Notes From All Over », Motography, 4 décembre 1915, p. 1201 ; « Release Date of “Camille” », MPW, 4 décembre 1915, p. 1815. 17. Kitty Kelly, « Flickerings from Film Land, What Happened to “Camille”– and Others », Chicago Daily Tribune, 30 décembre 1915, p. 14. 18. « Camille », MPW, 4 décembre 1915, p. 1861. 19. Kitty Kelly, « Flickerings from Film Land », Chicago Daily Tribune, 8 janvier 1916, p. 14 ; Julian Johnson, « The Shadow Stage », Photoplay Magazine, mars 1916, p. 109. 20. « Capellani Gets More Money », Variety, 28 janvier 1916, p. 28. Variety annonça par erreur que les employeurs de Capellani était Peerless plutôt que Paragon ; ils publièrent un article corrigeant leur erreur, rapportant les propos de Maurice Tourneur déclarant qu’il était « trop fier de s’être assuré les services d’un réalisateur français si intelligent pour laisser planer quelconque équivoque concernant la société pour laquelle il travaillait », « Tournier [sic] Likes Capellani », Variety, 4 février 1916, p. 31. 21. « More World-Equit. Rumors », Variety, 28 janvier 1916, p. 29 ; « $ 1,000,000 Film Corporation Has Name of Actress », Cleveland Plain Dealer, 2 février 1916, p. 6. 22. Extrait Kbis (certificat d’incorporation) de la Clara Kimball Young Film Corporation ; Statement to the State Corporation Commission. LJS, Box 2527.2, Folder 513 : « C.K.Y. Corp’n – Organization – Dissolution ». 23. Publicité, Variety, 25 février 1916, p. 30. 24. « Paragon Super-Features », NYDM, 22 avril 1916, p. 43. Voir aussi la filmographie figurant à la fin de cet ouvrage. 25. Kitty Kelly, « Flickerings from Film Land », Chicago Daily Tribune, 24 avril 1916, p. 20 ; S., « The Feast of Life », NYDM, 6 mai 1916, p. 12 ; Peter Milne, « The Feast of Life », MPN, 13 mai 1916, p. 2912.

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26. Kitty Kelly, « Flickerings from Film Land », Chicago Daily Tribune, 7 juin 1916, p. 20 ; WAG, « La Boheme », The Billboard, 24 juin 1916, p. 60. 27. « Alice Brady in “ La Bohème ” », MPW, 10 juin 1916, p. 1897. 28. « Scènes de la Vie de Bohème », Hebdo-film, 3 novembre 1917, pp. 7-10. 29. « Capellani Quits Paragon », Variety, 12 mai 1916, p. 18 ; « Film Flashes », Variety, 19 mai 1916, p. 25. 30. Lettre de la World à CKY, 24 avril 1915. LJS, Box 2533.3, Folder 516-12 : « Clara Kimball Young vs. Clara Kimball Young Film Corp’n. » Lettre de la World à Mme James W. Young, 6 mai 1915. LJS, Box 2532.4, Folder 516-11 : « CKY State Suit – Miscellaneous ». Lettre de Peerless à CKY, 3 juin 1916 ; Lettre de la Clara Kimball Young Corporation à la Peerless, 3 juin 1916. LJS, Box 2527.7, Folder 513-D : « World Film Co. Matter ». 31. « To Wage War on Selznick at Convention Next Week », Variety, 30 juin 1916, p. 16. 32. « Factory Methods Will Ruin Pictures », MPW, 15 juillet 1916, p. 466. 33. Pièce C de la convention, décembre 1916. LJS : Box 2529.2, Folder 516-C : « LJS Enterprises – Closed Matters – Albert Capellani Film Corp’n. » 34. « The Dark Silence », Wid’s, 21 septembre 1916, p. 978 ; E.S., « The Dark Silence », NYDM, 23 septembre 1916, p. 25. 35. Colette Willy, « La Critique des Films », Le Film, 18 juin 1917, p. 4 ; [André de Reusse], « Entre confrère et sœur ». 36. « Capellani Busy on “The Common Law” », MPW, 1er juillet 1916, p. 75. 37. Kitty Kelly, « Flickerings from Film Land », Chicago Daily Tribune, 25 septembre 1916, p. 15. 38. « “Common Law” Records », Variety, 29 septembre 1916, p. 20 ; « “Common Law” Well Received », MPW, 14 octobre 1916, p. 252. 39. « Press of New York, Chicago and Boston Acclaim New Clara Kimball Young Film », coupure de presse tiré d’un journal non identifié, 5 octobre 1916, New York, Library of the Performing Arts au Lincoln Center, Clara Kimball Young clippings folder. Solano, critique, romancière, poète, et amante de longue date de Janet Flanner, travailla en tant que représentante de la Albert Capellani Productions à un moment donné entre 1919 et 1920 : « News of the Film World », Variety, 2 avril 1920, p. 94. Peter Milne, MPN, 7 octobre 1916, pp. 2229-2230 ; Julian Johnson, « The Shadow Stage », Photoplay Magazine, décembre 1916, p. 81. 40. « Clara Kimball Young in Dixon’s “The Foolish Virgin” », MPW, 29 juillet 1916, p. 765. « Biograph Plant for Selznick », NYDM, 4 novembre 1916, p. 24. 41. Note de K.W.K. – Albert Capellani Film Corporation, 21 novembre 1916. Certificate of Incorporation of Albert Capellani Film Corporation. Divers contrats avec la Albert Capellani Film Corporation. LJS, Box 2529.2, Folder 516-C : « LJS Enterprises – Closed Matters – Albert Capellani Film Corp’n. » 42. Allen Corliss, “Cap”, a Sweet Tempered Director », Photoplay Magazine, janvier 1917, pp. 88-89. 43. « The Foolish Virgin », NYDM, 14 octobre 1916, p. 22 ; « Clara Kimball Young in ‘The Foolish Virgin’Repeats Triumph of “ The Common Law” », coupure d’un journal non identifié, 23 décembre 1916, New York, Library of Performing Arts au Lincoln Center, Clara Kimball Young clippings folder ; Julian Johnson, Photoplay Magazine, mars 1917, p. 120 ; George Blaisdell, MPW, 30 décembre 1916, p. 1975. 44. « Shadows on the Screens », New York Tribune, 12 novembre 1916, p. 2 ; Peter Milne, MPN, 28 avril 1917, p. 2690 ; Edward Weitzel, « The Easiest Way », MPW, 28 avril 1917, p. 635 ; « Written on the Screen », The New York Times, 8 avril 1917, p. 6. 45. L.H., « The Easiest Way », The Billboard, 21 avril 1917, p. 61 ; Jolo, « The Easiest Way », Variety, 13 avril 1917, p. 26 ; « The Easiest Way », Wid’s, 17 mai 1917, p. 311 ; Julian Johnson, « The Shadow Stage », Photoplay, juillet 1917, pp. 83-85.

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46. Lettre à M Filbin, Messrs Konta & Kirchway, des W. F. Hurst, Lewis J. Selznick Enterprises, 25 janvier 1917. LJS, Box 2527.7, Folder 516 : « Apr. 26, 1916 to July 12, 1917. Lewis J. Selznick Enterprises, Inc. [Echange de correspondances] » 47. Lettre de Geoffrey Konta à Selznick, 28 juillet 1916. LJS, Box 2527.7, Folder 516 « Apr. 26, 1916 to July 12, 1917. Lewis J. Selznick Enterprises Inc. [Echange de correspondance] ». 48. « James Young Acquitted », Variety, 16 février 1917, p. 19. Rapport au Conseil d’administration de la Clara Kimball Young Film Corporation, 29 mai 1917. LJS, Box 2527.2, Folder 513 : « C.K.Y. Corp’n – Organization – Dissolution ». 49. « Capellani with Pathe », Variety, 6 avril 1917, p. 21 ; « Capellani to direct Julia Sanderson for Mutual », NYDM, 16 juin 1917, p. 22 ; « Albert Capellani Engaged to Direct Julia Sanderson », MPW, 14 juillet 1917, deux pages de « Mutual News » supplément entre pp. 174-175 ; « Directs Julia Sanderson », NYDM, 21 juillet 1917, p. 26. 50. « Empire Pictures Ready », Variety, 31 août 1917, p. 22 ; « Capellani a Metro Director », MPW, 20 octobre 1917, p. 393. 51. Entretien avec Bernard Basset-Capellani, Paris, 25 février 2012. 52. « Four Edna Goodrich Productions », MPW, 25 août 1917, p. 1206 ; « “Her Second Husband” Edna Goodrich’s Fifth Mutual », Motography, 13 octobre 1917, p. 778 ; Fred., « American Maid », Variety, 7 décembre 1917, p. 50 ; « The American Maid », Wid’s, 6 décembre 1917, p. 776. 53. « Without Fear or Favor – By an Old Exhibitor », NYDM, 13 octobre 1917, p. 9 ; « News of the Film World », Variety, 5 octobre 1917, p. 36. Pour la ressortie du film Les Misérables, voir « Wide Advertising for “Les Miserables” », NYDM, 25 août 1917, p. 27. 54. « Metro Takes “Daybreak” », Variety, 26 octobre 1917, p. 24 ; « Daybreak », Wid’s, 10 janvier 1918, p. 866 ; Fred., « Daybreak », Variety, 11 janvier 1918, p. 40 ; Randolph Bartlett, « The Shadow Stage », Photoplay, avril 1918, p. 72. 55. « “The House of Mirth” For Emmy Wehlen », MPW, 19 janvier 1918, p. 365 ; « Nazimova Working on Gypsy Story », MPW, 9 février 1918, p. 844 ; « Releases and Relays », The New York Times, 26 mai 1918. 56. « Big Cast to Support Miss Allison », MPW, 2 mars 1918, p. 1252 ; Wynn, « Social Hypocrites », Variety, 12 avril 1918, p. 42 ; « Social Hypocrites », Wid’s, 25 avril 1918, p. 1096. 57. « All-Star Cast in Metro’s “House of Mirth” » MPW, 2 février 1918, p. 691 ; « News of the Film World », Variety, 22 mars 1918, p. 46 ; Lillian Montanye, « Emily Stevens – A Philopena Star », Motion Picture Magazine, juin 1918, p. 120. 58. « Entire Studio Required for Single Set », Motography, 18 mai 1918, p. 960 ; Jane McNaughton Baxter, « The House of Mirth », article tiré d’un magazine non identifié, scrapbook de Henry Kolker, New York, Library of Performing Arts au Lincoln Center ; « The House of Mirth », MPN, 24 août 1918, p. 1212. 59. Scott Marshall, « Edith Wharton on Film and Television : A History and Filmography », Edith Wharton Review, Printemps 1996, pp. 15-26 ; Parley Ann Boswell, Edith Wharton on Film, Carbondale : Southern Illinois University Press, 2007, p. 65 60. « The House of Mirth », Wid’s Daily, 11 août 1918, p. 31 ; « The House of Mirth », NYDM, 31 août 1918, p. 320 ; Jolo, « The House of Mirth », Variety, 16 août 1918, p. 38. 61. « Who’s Who in Nazimova’s Making of “L’Occident” », MPW, 22 juin 1918, p. 1735 ; « Nazimova Starts Work on “L’Occident” », Motography, 6 juillet 1918, p. 18 ; « Capellani Let Nazimova Act an Entire Reel », coupure d’un journal non-identifié, Henry Kolker scrapbook, New York, Library of Performing Arts au Lincoln Center. 62. « Cuts and Flashes », Wid’s Daily, 6 août 1918, p. 2 ; « Go After High Class Clientele With Dignified Advertising », Wid’s Daily, 29 décembre 1918, p. 22. 63. P.S. Harrison, « “Eye for Eye” » – Nazimova Production », MPN, 30 novembre 1918, p. 3267 ; Julian Johnson, « The Shadow Stage », Photoplay, février 1919, p. 68.

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64. « Metro Director Works on Three Productions at Once », MPW, 5 octobre 1918, p. 103 ; « News of the World », Variety, 20 septembre 1918, p. 41 ; « Cuts and Flashes », Wid’s Daily, 6 septembre 1918, p. 2. Concernant les campagnes pour les titres d’emprunt de guerre et un résumé de la trame de A Woman of France, voir Craig W. Campbell, Reel America and World War I. Jefferson, NC : McFarland & Company, 1985, p. 259. « Seas Run High in Nazimova’s Production », MPW, 1er février 1919, p. 665 ; Guy Price, « Coast Picture News », Variety, 25 octobre 1918, p. 39. 65. « Shows at the Box Office in New York and Chicago », Variety, 9 février 1917, p. 11 ; « Music and Drama », The Evening Post, 11 janvier 1917, p. 11 ; « Cameraman Gaudio Battles with Old Atlantic’s Waves », MPW, 19 octobre 1918, p. 389 ; « Nazimova to New England Coast for Marine Scenes », MPW, 5 octobre 1918, p, 99. 66. « Something Worth While for the Most Critical Element in Your Community », Wid’s Daily, 6 février 1919, p. 3 ; Peter Milne, « “Out of the Fog” – Nazimova », MPN, 15 février 1919, p. 1063. 67. Advertisement for The Parisian Tigress, MPN, 5 avril 1919, pp. 2884-2885 ; Publicité pour The Heart of Humanity, MPN, 5 avril 1919, p. 2036. 68. Publicité pour The Red Lantern, MPN, 5 avril 1919, p. 2086 ; « Cuts and Flashes », Wid’s Daily, 24 mars 1919, p. 2 ; « Wonder of Picture Should be Stressed to Limit », MPN, 10 mai 1919, p. 3061 ; « Nazimova Film has Big Night Scenes », MPW, 22 mars 1919, p. 1643 ; « Old Pekin “Dragon Room” Shown in “Red Lantern” », MPW, 25 janvier 1919, p. 514 ; « Special Service Section on Nazimova in “The Red Lantern” », MPN, 10 mai 1919, pp. 3059-3063 ; « ”The Red Lantern” Stars Nazimova », MPW, 10 mai 1919, pp. 920-922. 69. Op. cit., « Nazimova Film has Big Night Scenes » ; Op. cit., « Special Service Section », pp. 3063, 3062, 3059 ; Jolo, « The Red Lantern », Variety, 9 mai 1919, p. 53 ; « On the Screen », The New York Tribune, 5 mai 1919, p. 11. 70. « Rivoli to Repeat “Red Lantern” », Wid’s Daily, 17 mai 1919, p. 1 ; Edward Weitzel, « The Return of “The Red Lantern” », MPW, 14 juin 1919, p. 1625 ; « “The Red Lantern ” Shines in Omaha », MPW, 7 juin 1919, p. 1483 ; « Putting it Over », Wid’s Daily, 11 juillet 1919, p. 4. 71. « New Incorporations », The New York Times, 28 janvier 1919, p. 11 ; Cal York, « Plays and Players », Photoplay Magazine, mai 1919, p. 88. 72. Adolphe Osso, de son vrai nom Ossovetsky, producteur et distributeur français (Safed, 8 septembre 1893-Paris, 23 août 1961). Il a fondé en 1920 à Paris la Société française des films Paramount avant de créer sa propre société en 1930. 73. « Caprice and Hale Co-Stars », Variety, 31 janvier 1919, p. 58 ; « Oscar Osso is Representative », The Music Trade Review, 9 mars 1918, p. 12 ; Annonce d’Oscar Osso, Variety, 1 mars 1918, p. 36 ; « Nazimova in New Plays », NYDM, 1er juin 1918, p. 771 ; « Adolphe Osso », Variety, 22 novembre 1918, p. 41. 74. « Capellani to Head Own Company », MPW, 1er mars 1919, p. 1185 ; A.H. Giebler, « Rubbernecking in Filmland », MPW, 1er mars 1919, p. 1183 ; « Albert Capellani Productions, Inc. Formally Launched », The Billboard, 3 mars 1919, p. 67 ; « Dolores Cassinelli with Capellani », Wid’s Daily, 27 mars 1919, p. 1. 75. Accord entre F. Ray Comstock, Guy Bolton, P.G. Wodehouse, Jerome Jern [sic] et la Albert Capellani Productions Inc, 20 février 1919. PGW, 68B4021 (Bolton), Folder 20 of 28 ; « First Capellani Picture, “Oh Boy !” is Completed », MPW, 26 avril 1919, p. 561. 76. « Something New in Filmland », Theatre Magazine, juin 1919, p. 398 ; « Novel Advertising Trailer for Capellani’s “Oh, Boy” », MPW, 3 mai 1919, p. 701 ; Advertisement, MPW, 24 mai 1919, p. 1118 ; Advertisement for Oh, Boy !, MPN, 21 juin 1919, pp. 4175-4181 ; « Two Weeks Pre-Release for “Oh Boy” in Chicago », MPW, 14 juin 1919, p. 1674 ; Laurence Reid, « Oh Boy », MPN, 21 juin 1919, p. 4221 ; « Oh Boy ! », Variety, 13 juin 1919, p. 49 ; Marion Russell, « Oh, Boy », The Billboard, 21 juin 1919, p. 80. 77. « Dolores Cassinelli with Capellani », Wid’s Daily, 27 mars 1919, p. 1 ; « Incorporations », Variety, 11 avril 1919, p. 54 ; « “ Cameo Girl ” Merges with Capellani », MPW, 3 mai 1919, p. 702 ;

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« Cassinelli’s Next », Wid’s Daily, 5 mai 1919, p. 4 ; « Want Hammerstein Shows », The New York Clipper, 23 avril 1919, p. 5 ; « “ Unknown Dancer ” Second Hale-Caprice Production », MPW, 10 mai 1919, p. 927 ; Marion Russell, « The Love Cheat », The Billboard, 16 août 1919, p. 83. 78. Marion Russell, « The Virtuous Model », The Billboard, 27 septembre 1919, p. 92 ; « The Virtuous Model », Wid’s Daily, 28 septembre 1919, p. 21 ; « The Virtuous Model », MPW, 27 septembre 1919, p. 2024 ; Contrat entre P.G. Wodehouse et la Albert Capellani Productions Inc, PGW, 68B5030, (Wodehouse) 3 ; « News of the Film World », Variety, 23 mai 1919, p. 57. 79. Fred., « A Damsel in Distress », Variety, 17 novembre 1919, p. 63 ; « A Damsel in Distress », Wid’s Daily, 19 octobre 1919, p. 21. 80. « Carewe with Pathe », Wid’s Daily, 18 septembre 1919, p. 1 ; « Adolphe Osso Will Sail with Capellani Films », MPW, 28 juin 1919, p. 1942, « Les Films Capellani », Hebdo-film, 8 novembre 1919. 81. « Cahane Combination », Variety, 26 septembre 1919, p. 57 ; « Incorporations », Wid’s Daily, 4 août 1919, p. 2 ; « The Right to Lie », Wid’s Daily, 7 décembre 1919, p. 18 ; « In the World of Cinema », The Sun, 19 octobre 1919, p. 4. Voir également un entretien qu’il a donné durant son séjour à Paris : J.-L. Croze, « Courrier des Films », Le Figaro, 6 septembre 1919, p. 4. 82. « Film Notes », Variety, 3 octobre 1919, p. 29 ; « Rambeau Film Started », Wid’s Daily, 3 décembre 1919, p. 2 ; « Rambeau with R.C. », Wid’s Daily, 1er mars 1920, p. 2 ; « Capellani with Robertson-Cole », Wid’s Daily, 9 mars 1920, p. 1 ; « New Incorporations », The New York Times, 10 mars 1920, p. 23. 83. Pièce B, 10 septembre 1920, PGW, A Damsel in Distress, 68B5029 (Wodehouse) 2 ; Déclaration de Ernest DeJourno, 16 décembre, 1936, PGW, dans le même dossier. 84. Louis Reeves Harrison, « The Fortune Teller », MPW, 22 mai 1920, p. 1107 ; « “The Fortune Teller” Begins its Broadway Run on May 9 », MPW, 15 mai 1920, p. 971 ; « Capellani with Cosmopolitan ? », Wid’s Daily, 7 avril 1920, p. 1 ; Publicité, Variety, 24 décembre 1920, p. 27. 85. « Frances Marion Goes Back to Pickford », Variety, 27 août 1920, p. 29 ; « In the Courts », Wid’s Daily, 28 août, 1920, p. 2 ; « Capellani back with Internat’l », Wid’s Daily, 28 septembre 1920, p. 4 ; Laurence Reid, MPN, 22 janvier 1921, p. 911 ; « “The Inside of the Cup” at the Criterion, Most Notable Screen Production of the Year », The New York Call, 10 janvier, 1921, p. 4 ; « Brought into Focus », The New York Times, 16 janvier 1921 ; « When They Do it in the Movies », Chicago Daily Tribune, 31 mars 1921, p. 8 ; « ‘The Inside of the Cup’Attracts Unusual Audiences », The New York Call, 19 janvier 1921, p. 4. 86. Laurence Reid, MPN, « The Wild Goose », 21 mai 1921, p. 3225 ; Harriette Underhill, « On the Screen », New York Tribune, 9 mai 1921, p. 8. 87. « Cosmopolitan Signs Capellani », Wid’s Daily, 21 avril 1921, p. 1 ; « New Davies Film Started », Wid’s Daily, 27 mai 1921, p. 1 ; « Painted Ice », Variety, 15 juillet 1921, p. 30 ; « News of the Films », Variety, 9 septembre 1921, p. 44 ; American Screen supplement, The Film Daily, 18 mars 1922, p. 4 ; Mary Kelly, « Sisters », MPW, 15 avril 1922, p. 763 ; « “Pay Day” Falls Below Hopes ; “Beauty’s Worth” Big Surprise », Variety, 14 avril 1922, p. 46. 88. Lettre non datée, Joseph Urban Collection, Rare Book & Manuscript Library, Columbia University, NY, Box 27, folder 9, part 1 ; Charles Larkin, MPN, 15 juillet 1922 ; Samuel, « The Young Diana », Variety, 1er septembre 1922, p. 41 ; Harriette Underhill, « On the Screen », New York Tribune, 28 août 1922, p. 6 ; « The Shadow Stage », Photoplay Magazine, novembre 1922, p. 66. 89. « Without Fear or Favor », NYDM, 8 mars 1919, p. 357 ; « News of the Film World », Variety, 25 mars 1921, p. 45 ; « In the Courts », The Film Daily, 8 juin 1922, p. 2. 90. « Capellani’s Backer », Variety, 20 septembre 1923, p. 2 ; « Activities in the Market Abroad », The Film Daily, 30 septembre 1923, p. 11 ; « London Film Notes », Variety, 11 mars 1925, p. 30 ; Le Gaulois, 12 août 1927, p. 4 ; « L’activité cinégraphique », Cinéa-ciné pour tous, 15 septembre 1927, p. 32 ; « Les Cinémas », Le Gaulois, 11 octobre 1927, p. 3.

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91. « Auction Sales », The Daily Star, 22 août 1930, p. 13 ; « Chatter. Paris », Variety, 20 octobre 1931, p. 42.

AUTEURS

JAY WEISSBERG Jay Weissberg. Né à New York, Jay Weissberg habite Rome et il est critique de cinéma pour la revue Variety depuis 2003. Ses nombreux écrits ont été notamment publiés dans The London Review of Books, Sight & Sound, EPD Film et Rushprint. Il a été chargé de la rétrospective « Sherlock and Beyond » aux Giornate del cinema muto de Pordenone en 2009.

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Albert Capellani dans les studios américains

Richard Koszarski Traduction : Delphine Pallier

1 Albert Capellani arriva en Amérique le 22 mars 1915 dans le cadre d’un contrat en vue de réaliser des films pour la société Peerless Feature Producing Co1. Il savait que l’industrie cinémato- graphique française qu’il quittait était en proie à une période de troubles sans précédent. En revanche, il ne s’était peut-être pas attendu aux troubles qu’il trouverait dans une Amérique où, en dépit d’une industrie en pleine expansion, il aurait l’occasion de voir entreprises et carrières passer de l’essor au déclin en l’espace de quelques mois.

2 De prime abord, la carrière de Capellani aux Etats-Unis semble assez ordinaire, suivant un schéma familier dont la trajectoire limitée n’a jusqu’ici suscité qu’un faible intérêt chez les historiens américains et européens. Il ne semble pas qu’il y ait grand-chose à dire à ce sujet : il n’eut pas à éprouver le passage des courts aux longs métrages, il fut presque toujours employé par un petit nombre de studios de la Côte Est, pratiquement tous ses films furent des adaptations de pièces de théâtre et il travailla régulièrement avec bon nombre des mêmes acteurs et techniciens2. Cependant, si le travail de Capellani en France était caractérisé par la relative stabilité que lui apportait sa collaboration avec Pathé et la S.C.A.G.L., sa carrière américaine était marquée par une perpétuelle précarité, le poussant à un va -et-vient entre toute une série d’employeurs et des changements continuels dans le choix des studios et des stars, des collaborateurs techniques et des propositions de réalisation.

3 Cinéaste chevronné et réalisateur depuis 1905, Capellani a vu son aptitude à maîtriser son propre destin dans cette nouvelle industrie être en grande partie dictée par une série de stratégies économiques et bureaucratiques sur lesquelles il ne pouvait exercer aucun contrôle. Afin d’expliquer la nature de ses succès et de ses échecs en Amérique, il nous faut nous intéresser, non seulement à ses films, mais aussi à l’infrastructure culturelle et commerciale qui a présidé à leur avènement. En fait, étudier cet aspect de la carrière américaine de Capellani pourrait s’avérer un point de départ utile afin de

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comprendre, non seulement le travail d’un réalisateur, mais aussi le système émergent du studio américain lui-même.

4 Dans un article avantageusement placé et illustré par un beau portrait, le journal Moving Picture World annonça que la World Film Corporation s’était offert les services d’Albert Capellani, salué comme « l’homme qui réalisa Les Misérables », un film sorti en Amérique deux ans plus tôt mais encore considéré comme un événement majeur. « L’excellence des images peut, pour la plus grande part, être attribuée à M. Capellani et ses idées modernes concernant les possibilités qu’offrent les pièces cinématographiques », écrivait le Moving Picture World, ce qui incluait le fait d’être « l’un des premiers à avoir recours aux services de célèbres acteurs de théâtre » dans des films. Faisant l’éloge de Capellani pour son travail avec Pathé et la S.C.A.G.L. (« leur perte fait le profit de l’Amérique »), le journal le surnomma « le Père des Artistes dans le Royaume du Cinéma » et prédit qu’il « serait certainement une acquisition brillante pour la World Film Corporation et, plus généralement, pour l’industrie cinématographique américaine3 ».

5 Albert Capellani était le plus accompli des grands réalisateurs français de la période d’avant-guerre à être arrivé en Amérique. Il croiserait d’ailleurs le chemin de nombre d’entre eux alors qu’il travaillerait dans divers studios à Fort Lee et dans ses environs, dans le New Jersey, au cours des années qui allaient suivre. En effet, bien que le même communiqué de presse soulignât avec obligeance : « il ne sera pas handicapé par la langue étant donné qu’il parle couramment anglais », Capellani n’aurait que peu de difficulté à se faire comprendre à la World Film qui comptait déjà parmi ses rangs beaucoup de réalisateurs, décorateurs et opérateurs français.

6 World Film était initialement le fruit d’un projet de Charles Jourjon, l’un des fondateurs de la Société Française des Films et Cinématographes Eclair, dont le studio américain, Eclair, avait ouvert dans le centre-ville de Fort Lee en 1911. Jourjon comprenait l’importance grandissante des longs métrages, mais Eclair n’avait pas l’intention de se tourner vers ce marché. Il prit donc la décision de créer personnellement la société de production, Peerless Feature Producing Company le 12 janvier 1914 et acheta rapidement le terrain adjacent au studio Eclair où il lança la construction d’un impressionnant nouveau studio de cinéma. « L’immense enceinte en verre du studio mesurait 36,6 mètres de long et 24 m de large, sans aucun pilier porteur. Tous les côtés étaient constitués de panneaux pivotants et le toit était équipé d’une large conduite d’eau à gicleurs sur le bord extérieur pour asperger et rafraîchir le toit les jours de fortes chaleurs. L’intérieur comportait un bassin de 4 m pour usage photographique. Le verre dépoli utilisé dans ce studio avait été tout spécialement importé de France en raison de ses capacités supérieures à laisser passer les rayons actiniques4. »

7 Le studio de Jourjon allait s’avérer un franc succès mais celui-ci ne serait plus là pour en profiter. Le 19 mars, un incendie détruisit le laboratoire Eclair de Fort Lee obligeant Eclair à remettre en question toute son aventure américaine5. Trois mois plus tard, le studio Peerless de Jourjon devint l’un des éléments d’un ambitieux nouvel organisme de production et de distribution financé par Jules Brulatour, le magnat de la pellicule Eastman et les imprésarios Lee et J.J. Shubert. Les pièces dont Shubert et William F. Brady détenaient les droits seraient filmées à Peerless et la World Film Corporation, un importateur et distributeur, en commercialiserait le résultat comme le produit de diverses unités de production semi-indépendantes6. Rétrospectivement, ce plan ressemblait à ce qui avait déjà cours chez Paramount et Mutual, mais les politiques

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derrière la création de la World était un peu plus opaques. Ben Carré, l’un des décorateurs d’Eclair, ne comprit jamais la nature de la relation entre Eclair et Peerless : « C’était mystérieux… qui était responsable de l’idée de monter un nouveau studio, qui en était l’architecte, je ne sus jamais qui discutait des plans, des arrangements, du matériel, des infrastructures. » Une organisation semblait avoir muté pour devenir une autre. « Je suis entré à Peerless comme si j’étais entré dans une autre pièce7 ». Cela faisait-il partie du plan initial de Jourjon, ou les circonstances avaient-elles pris le contrôle ?

8 Cet été-là, la guerre éclata en Europe. Le temps que Maurice Tourneur, réalisateur d’Eclair, arrive à Fort Lee, il n’y avait plus de films Eclair à réaliser et Tourneur, Carré et le caméraman Lucien Andriot, ainsi que le reste des employés d’Eclair à Fort Lee se retrouvèrent à tourner des films à Peerless, films qui étaient ensuite distribués par la World. Bien qu’Etienne Arnaud fut retourné en France, un autre réalisateur d’Eclair, Emile Chautard, les rejoignit à la World quelques mois plus tard8. C’est au sein de cette équipe éminemment francophone qu’Albert Capellani fut accueilli au printemps 1915.

9 Le statut militaire de nombreux immigrés dans l’industrie du divertissement en provenance des nations en guerre – en particulier des personnalités aussi célèbres que l’acteur comique britannique Charles Chaplin – était un sujet de discussion courant aux Etats-Unis, avant même que l’Amérique n’entre en guerre. Dans un article très favorable publié dans Photoplay Magazine en janvier 1917, les lecteurs purent lire : « Capellani a tous les droits d’être aux Etats-Unis en ce moment. Il passa toute la première année de la guerre au sein de son régiment, tout d’abord en tant que réserviste, puis au cœur du combat. Il contracta une forme de rhumatisme qui le rendit inapte au service et fut déchargé honorablement avec une mention spéciale pour sa courtoisie sur le champ de bataille. Dès qu’il fut apte à voyager, il emmena sa famille en Amérique, étant donné que la guerre avait complètement stoppé l’industrie cinémato- graphique en France9. »

10 La taille de l’espace consacré à cette explication, sans parler du ton versant explicitement dans la justification et les erreurs factuelles, évoque un effort intentionnel de la part de Capellani ou de ses employeurs de désamorcer toute situation potentiellement embarrassante. Bien entendu, il existait d’autres façons de gérer cela. Léonce Perret, peut-être le dernier grand réalisateur français de sa géné-ration à travailler en Amérique, arriva au début de 1917 et se mit rapidement à produire une série de films de propagande déclarée, dont Lafayette, We Come ! et Lest We Forget (tous deux sortis en 1918).

11 La World mit immédiatement son nouveau réalisateur français à l’ouvrage, l’affectant à un film d’aventure napoléonien en costume appelé The Face in the Moonlight. Ce film présida aux débuts d’une fructueuse collaboration entre Capellani et l’opérateur Lucien Andriot qui tournera cinq films américains du réalisateur10. Plus tard cette année-là, avec sa première production américaine notable, Camille, débuta une autre collaboration importante, avec Clara Kimball Young cette fois (six films), une star que la World avait débauché de chez Vitagraph. C’était aussi le premier film dans lequel Capellani fit jouer son frère Paul qui tenait le rôle d’Armand face à Camille jeune11.

12 En partenariat avec Maurice Tourneur et William Brady, Jules Brulatour avait créé Paragon Films Inc. le 31 mars 1915. Cette nouvelle société de production distribuerait ses films à travers la World, mais elle les filmerait dans ses propres studios à Fort Lee, seulement situés deux blocs plus loin. L’usage ambigu du mot « Paragon » prêterait souvent à confusion par la suite, le terme étant utilisé tour à tour pour décrire le studio

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lui-même, la marque distribuée sur le programme de la Word, le laboratoire, qui était une installation distincte, et la société holding de Brulatour et ses partenaires. Tourneur était « vice-président, réalisateur en chef et directeur général » de Paragon, ce qui lui conférait le contrôle artistique de l’un des studios les plus sophistiqués du pays. Le bâtiment du studio lui-même était un carré mesurant 61 mètres de côté et le plateau de tournage faisait environ 1 860 mètres carré. Le studio était doté d’un sol en béton, de deux plateaux tournants et d’un rail en fer à travelling qui parcourait la largeur totale du plateau en vue de faciliter les prises de vue selon des angles audacieux12. L’équipe de réalisation était constituée de Maurice Tourneur, Emile Chautard et Albert Capellani, « le trio de réalisateurs français qui avait eu tant de succès dans ce pays »13.

13 Le fait de créer un studio autour d’un seul réalisateur talentueux n’était pas du tout une nouveauté : c’est exactement ce que faisait Herbert Brenon à Hudson Heights, à quelques kilomètres au sud de Fort Lee. Lier une équipe de directeurs artistiques soutenus par des financements ad-hoc et des installations techniques à la pointe du progrès, en revanche, était une entreprise audacieuse qui différenciait Paragon de concurrents tels que Mutual ou Universal. Le fait que le contrôle artistique final puisse être conféré au réalisateur était un geste artistique puissant qui, malheureusement, allait s’avérer plus difficile à mettre en œuvre à mesure que l’industrie se développerait.

14 Le nouveau studio étant toujours en construction, Capellani emmena Clara Kimball Young à Cuba en janvier 1916 pour un travail intensif en extérieur pour sa première production Paragon, The Feast of Life. Il n’était alors pas rare que les producteurs de la côte Est tournent en extérieur en Floride, dans les Bermudes ou en Jamaïque pendant l’hiver, puis renvoient acteurs et équipes techniques pour filmer les plans intérieurs au studio. Dans ce cas précis, Lewis J. Selznick, vice-président et directeur général de la World annonça son intention de construire un studio permanent à Cuba, probablement sur un terrain que la World avait en vue près de Santiago ou dans le district minier de Dykeri14. Toutefois, le projet de studio à Cuba de la World n’aboutit à rien : il semblerait que celui-ci ait été victime d’un conflit interne au sein de la direction de la World.

15 De retour à Paragon, Capellani réalisa rapidement La Vie de Bohème qui était essentiellement un remake de sa réalisation de 1912 pour Pathé (Paul Capellani joua dans les deux versions de 1912 et 1916). Ce qui avait probablement été destiné à mettre encore une fois en vedette Clara Kimball Young fut cependant confié à une nouvelle star bien moins importante : Alice Brady. Renvoyé en tant que directeur général et remplacé par William F. Brady (le père d’Alice), Selznick était parti avec Clara Kimball Young. Il emmena aussi Albert Capellani pour en faire le directeur général de la Clara Kimball Young Film Company.

16 Quel qu’ait été l’état de ses relations avec Tourneur et Brulatour, Capellani prit un risque considérable en suivant l’imprévisible Selznick. Néanmoins, il était à présent à la tête de son propre studio et mettait en scène l’une des stars les plus populaires du cinéma, disposant du pouvoir de s’entourer d’une équipe choisie par ses soins, dont l’opérateur Jacques Montéran, le décorateur Henri Ménessier et, une fois encore, son frère Paul. Cet été-là, la Clara Kimball Young Film Company emménagea dans le studio Solax, construit sur l’avenue Lemoine à Fort Lee par Herbert et Alice Guy Blaché en 1912. Même si les Blaché y tournaient encore leurs propres films à travers leur société

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US Amusement Corporation, il s’avéra plus intéressant de louer ces plateaux, en particulier en raison des installations pointues du laboratoire15.

17 Dans un entretien sur le tournage de The Common Law, en production cet été-là, Capellani s’exprima principalement sur le besoin de techniques de jeu moins démonstratives, une chose qu’il avait lui-même lancée chez Pathé. Capellani déclara au journaliste de Photoplay Magazine : « Le jeu des acteurs au cinéma devrait être essentiellement naturel ». « Votre Shakespeare, il enjoint à refléter la nature. La caméra, elle ne ment pas. Elle dit la vérité, toujours la vérité16 ». Le journaliste était sous le charme de la manière « magnifiquement gauloise » avec laquelle Capellani avait traité une chose aussi délicate que la scandaleusement célèbre scène de nudité de Young dans le film (et aussi de son accent apparemment), l’article incluait même la photo d’un grand panneau accroché à une extrémité du plateau sur lequel était inscrit « SOYEZ NATURELS ». Bien que les historiens situent l’apparition sur les écrans de ce « jeu naturel » des années plus tôt, il devait encore y avoir suffisamment d’exemples concurrents pour justifier ce commentaire17.

18 The Common Law s’avéra être un franc succès mais Capellani ne réalisa que deux films supplémentaires avec Clara Kimball Young (Emile Chautard mettrait en scène un petit nombre des productions Kimball Young qui suivirent). Le metteur en scène acheva de tourner The Easiest Way en février 1917 et, quatre mois plus tard, il signa avec Mutual en vue de réaliser les adaptations des pièces de Charles Frohman pour la Empire All-Star Corporation dans leur studio de Glendale à New York. Pourquoi Capellani abandonna-t- il son poste dans la Clara Kimball Young Film Company après moins d’un an ? Y eut-il des frictions avec Selznick qui veillait à ce que son nom apparaisse toujours en premier sur tout support publicitaire de film ? Ou avec la fameuse bande d’amis et de courtisans réputés entourer Young depuis toujours ? Ou peut-être fut-il simplement pris entre deux feux dans la dispute très médiatisée entre sa star et son producteur18 ?

19 Quoi qu’il en soit, son geste révèle un certain désespoir. Alors que Capellani avait travaillé auparavant dans les studios les plus sophistiqués et construits à cet effet aux Etats-Unis, le studio de Glendale s’avéra être un pavillon dansant désaffecté et converti en plateau à louer en 1915. Quelques semaines après son engagement, le service publicité d’Empire dû publier des excuses publiques après avoir fait une erreur sur le film et la star qu’il allait mettre en scène dans un communiqué19. Son équipe technique composée de Montéran, Ménessier et Paul Capellani brillait par son absence. En juillet, Capellani tourna The Richest Girl, une comédie romantique avec Ann Murdock et David Powell, mais le film ne sortit pas avant avril 1918, une période de gestation à la longueur suspecte. American Maid, tourné en septembre, eut sa sortie avancée à décembre, mais s’avéra être le dernier film de Capellani pour Empire. Comme de nombreuses maisons de production indépendantes du même acabit, l’entreprise était mal conçue et manquait de capitaux, une aventure spéculative qu’un homme de la stature de Capellani aurait dû être en mesure d’éviter.

20 En fait, après son départ précipité de la CKY Company en 1917, Capellani allait être confronté à un marché de l’emploi très tendu dans les studios de New York et du New Jersey. Un ralentissement de la production locale avait débuté un an plus tôt quand Universal avait fermé son gigantesque studio de Fort Lee, une situation qui allait encore empirer quand l’Amérique entrerait en guerre en avril. Des perturbations dans les réseaux de transport et le rationnement du charbon et d’autres denrées essentielles, sans pour autant avoir les effets dévastateurs observés dans les studios européens,

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incitèrent de nombreux producteurs américains à continuer à centraliser leurs activités en Californie où il était possible de faire des économies d’échelle et où l’absence de chauffage constituait rarement un problème. Dans ces circonstances, Capellani n’a probablement guère eu d’autre choix que d’accepter l’offre de la Mutual. Quoi qu’il en soit, il ne saurait être tenu responsable des problèmes internes de l’entreprise qui mèneraient à sa disparition en 1918.

21 Ce qui est clair, c’est que son départ qui suivit pour la Métro de Richard Rowland marqua un retour aux sommets de l’industrie locale. Métro avait été organisée en 1915 pour être un distributeur de films – auparavant, Rowland avait été en partenariat avec la Paramount – même si, en plus de la distribution des films de quatre maisons de production satellite, elle produisait aussi des films sous son propre label20. Ce modèle économique s’avérerait toutefois inefficace, comme le montra l’échec de la Mutual. Universal, Paramount et First National s’adapteraient au fil des années en centralisant le contrôle de la production et Métro s’orienta dans cette direction en 1917, augmentant sa capitalisation de 2 300 000 dollars en juin21. En octobre, rapidement après avoir terminé de filmer American Maid, Capellani rejoignit Métro dans le cadre d’une modernisation de la production, il fut l’un des trois nouveaux réalisateurs engagés cette semaine-là22.

22 Métro avait concentré sa production de la côte Est dans son propre studio au n° 3 de la 61e rue Ouest dans Manhattan. Complexe doté d’une verrière situé tout en haut d’un immeuble de bureaux de 12 étages près de Central Park, le studio avait été construit en 1915 pour l’une des unités de production initiales de Métro, Dyreda. Il était constitué d’un grand plateau de 88 m par 28 m, avec des dépendances, des bureaux et des vestiaires occupant de nombreux autres étages. June Mathis était à présent la scénariste en chef de la Métro et semblait avoir développé un intérêt particulier pour les six films que Capellani y réaliserait l’année suivante, apparaissant personnellement au générique en tant qu’auteur pour chacun d’entre eux23. Mathis devint de fait un membre clef de la nouvelle unité de production de Capellani, ce qui aurait un effet positif sur les castings et les budgets de ses films.

23 Capellani n’avait réalisé aucun film dans lequel un acteur masculin tenait le rôle principal depuis ses premiers mois à la World. A présent totalement perçu comme « un réalisateur à femmes » (certainement l’un des premiers en Amérique), il tourna rapidement deux films avec Emily Stevens et May Allison, suivis par The House of Mirth, une adaptation du roman éponyme d’Edith Wharton. Il fut récompensé en se voyant confier la recrue la plus importante du studio, Alla Nazimova, une personnalité théâtrale flamboyante que la Métro payait le montant sans précédent de 13 000 dollars par semaine24.

24 Henri Ménessier rejoignit alors Capellani, un signe de l’autorité et de la capacité croissantes du réalisateur à s’entourer d’une équipe technique de son choix25. Cet été- là, l’équipe réalisa Eye for Eye, un mélodrame sur la légion étrangère française se déroulant à Tanger et Marseille. Toutes les mentions dans les documents professionnels que j’ai pu trouvées indiquent que le film fut tourné à New York, en-dehors du studio de la 61e rue, mais au moins un historien le décrit comme une production de la côte Ouest, avec des tournages en extérieur à Palm Springs26. Le tournage des scènes extérieures du film suivant, Out of the Fog, une adaptation du grand succès théâtral de Nazimova, Ception Shoals, s’acheva en septembre sur la côte Est, à Gloucester, dans le Massachusetts. Le 5 octobre, le Moving Picture World relata que Capellani était

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simultanément en train de monter Eye for Eye, filmer les dernières scènes de Out of the Fog et travailler sur la préparation du prochain film de Nazimova, The Red Lantern. Ceci ne pouvait être réalisable que grâce à la grande efficacité du studio de la Métro, concluait le World, et à un rare degré de respect mutuel et de coopération de part et d’autre. « M. Capellani parle en des termes élogieux des acteurs avec qui il est associé et déclare que jamais depuis son arrivée en Amérique il n’a joui d’une collaboration aussi heureuse qu’avec le studio Métro27 »

25 Le même article révélait également que Capellani venait de terminer de mettre en scène Nazimova dans un court-métrage produit par la Métro pour sa contribution à la quatrième campagne pour les titres d’emprunt de guerre. Ce film, prétendument écrit par Nazimova elle-même, n’a pas été associé à Capellani jusqu’ici ; le court synopsis publié par le World à un autre endroit de ce même numéro mérite donc d’être réimprimé ici : « Une femme de France » (Métro) Distribution : Louise, Madame Nazimova ; Marquis X : Henry Harmon, Baron allemand, Tom Blake. Quelque part en France, les troupes allemandes occupent le château du Marquis X. L’officier en chef voit le marquis âgé essayer de prévenir sa fille Louise et, se saisissant d’un papier, écrit un ordre exigeant sa présence. Sur le papier, un message codé du marquis intime de sonner la cloche pour signaler l’arrivée des troupes françaises. Louise tue l’un des officiers allemands et fait sonner la cloche, même si elle sait que cela implique sa mort et celle de son père. L’image se fond sur la Cloche de la Liberté qui sonne : « Achetez, achetez, achetez des bons28 ».

26 Chaque studio produisit certains de ces courts-métrages en faveur des emprunts de guerre et tous semblent avoir reflété les attitudes officielles de cette période de guerre telles qu’elles étaient promues par le Bureau d’Information Publique de George Creel. A Woman of France, cependant, semble une contribution particulièrement étrange venant (de la plume ?) de Nazimova. Deux ans plus tôt, lors de sa première apparition à l’écran dans War Brides (1916) de Herbert Brenon, peut-être le film pacifiste d’avant-guerre américain à avoir fait le plus sensation, Nazimova interprète un personnage qui se suicide plutôt que de vivre dans un monde où les femmes doivent laisser leurs fils devenir de la chair à canon. Les temps avaient changé.

27 Capellani venait de terminer de tourner Out of the Fog quand la grande épidémie de grippe frappa la côte Est, créant une nouvelle interruption sans précédent. La plupart des studios locaux furent fermés pendant des semaines, surtout si leurs propriétaires avaient la possibilité de déplacer la production en Californie où la grippe n’était pas encore apparue et où le climat chaud semblait procurer un certain degré de sécurité. La Métro condamna ses installations new yorkaises en octobre, envoyant Nazimova et Capellani travailler au studio Robert Brunton à Los Angeles ; le reste de leurs employés de la côte Est devait rapidement les suivre29. Néanmoins, cela ne fut pas assez rapide pour leur jeune et prometteur réalisateur John Collins, et pour l’acteur très populaire Harold Lockwood qui moururent tous deux à quelques jours d’écart, juste avant le départ prévu30.

28 Malheureusement, alors que Capellani parvint à survivre à l’épidémie de la grippe, son expérience à Hollywood ne semble pas avoir été agréable. Le biographe de Nazimova, Gavin Lambert, cite la lettre suivante que l’actrice envoya à sa sœur aînée, Nina Lewton, juste après la fin du tournage :

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« Capellani n’est plus. La chose que je ne pouvais plus supporter était de voir et de devoir travailler avec un homme dont on lisait constamment l’insatisfaction et le malheur sur le visage, quoi qu’on fasse. Rien n’était à son goût : le pays, les gens, la firme (Métro)… Jusqu’à ce qu’un jour, je lui demande : « Y a-t-il une chose qui vous rendrait jamais heureux ? » et il répondit « Oui, être mon propre chef !…. ». Quant au succès de mes films, il maintient que c’est de son fait et pense qu’il devrait être traité comme Griffith. Il parle constamment de l’adoration que voue son studio à ce dernier, appelé « Maître » au lieu de M. Griffith, etc. En outre, il voulait une hausse de son salaire (750 dollars par semaine au lieu de 500) et beaucoup d’autres choses qui étaient impossibles31 ».

29 Même en tenant compte de la subjectivité manifeste (et indépendamment des précédentes affirmations de joie et d’harmonie dans le Moving Picture World citées plus haut), les observations de Nazimova ont un accent de vérité. Capellani aurait eu toutes les raisons d’être en colère d’un petit salaire de 500 dollars par semaine, en particulier à la lumière des milliers versés à sa star. Il n’est pas non plus surprenant que l’homme qui avait été directeur artistique à la S.C.A.G.L. ait envié des réalisateurs comme Griffith – ou Herbert Brenon, Lois Weber, George Seitz et quelques autres – qui conservaient le contrôle de leur propre studio-ateliers. Pour mémoire, Capellani avait auparavant quitté la Clara Kimball Young Company où, même en tant que Directeur général, il devait rendre des comptes à sa star et à son producteur. Avant cela, à Paragon, c’était Maurice Tourneur qui avait été aux commandes32.

30 La fin de la guerre pourrait aussi avoir conduit Capellani à espérer avoir l’occasion de récupérer son pouvoir et son statut d’antan. Adolphe Osso, associé à la branche américaine de Pathé depuis 1912, était dorénavant producteur indépendant ; il avait déjà mis sur pied une unité de production personnelle pour Léonce Perret et fit rapidement de même pour Capellani.33 Avant même son départ de Los Angeles le 8 février, Capellani avait conclu un accord avec Pathé Exchange en vue de distribuer les produits de la société Albert Capellani Production Inc34. En dépit de sa longue expérience d’avant-guerre avec Pathé, Capellani n’avait jamais collaboré avec sa division américaine. Passé aujourd’hui à la postérité principalement pour sa distribution des films de Pearl White et des comédies de Hal Roach, Pathé Exchange était aussi un important distributeur de films : 49 films en 1917 et 47 en 1918, dans lesquels il avait une participation financière. George Fitzmaurice, Léonce Perret et Herbert et Alice Guy Blaché réalisèrent certains de ces films, tournés dans divers studios loués par Pathé, dont le Solax. Pariant sur une expansion des activités suite à la fin de la guerre, leur nombre irait jusqu’à 78 en 191935.

31 La nouvelle société s’implanta au studio Solax dont Osso déclara qu’il serait rebaptisé le « Studio Capellani ». Le directeur artistique, Henri Ménessier, et le responsable du studio Lou Jerkowski superviseraient les importantes rénovations des lieux, dont la construction d’un bassin de 15 m sous le plateau (« contrôlé par une installation électrique » comme dans La vie est belle de Frank Capra) et « l’aménagement du propre système d’éclairage de M. Capellani, dont il se dit qu’il aurait été importé de France »36. Herbert et Alice Guy Blaché y avaient installé leur propre studio-atelier en 1912 et, à présent, Capellani créait le Studio Capellani sur ces mêmes plateaux. Bien entendu, Capellani aurait dû prêter plus d’attention à cette ironie du sort : si le Studio Solax était disponible, c’était parce que les Blaché avaient échoué en tant que producteurs et louaient les installations à des personnes comme Selznick et Goldwyn afin d’éviter la banqueroute. Même s’il n’était pas possible de le prévoir à l’époque, aujourd’hui, nous savons qu’aucun de ces studio-ateliers ne se sont avéré viables financièrement et que

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Griffith, Weber, Brenon et Capellani ont tous pâti professionnellement d’avoir cherché à concrétiser ce rêve.

32 Capellani se jeta dans le rôle de directeur de studio. George Archainbaud, un autre réalisateur Français dont il aurait connu le travail à la World, fut engagé pour tourner « sous la supervision personnelle d’Albert Capellani37 ». Lucien Andriot, Jacques Montéran et Lucien Tainguy officieraient en tant qu’opérateurs. La campagne promotionnelle initiale vantait l’embauche de June Caprice, une belle ingénue de la Fox dans la lignée de Mary Pickford qui jouerait dans quatre films. Dolores Cassinelli, récemment érigée en diva américaine par Léonce Perret (mais dont la plus grande partie de la carrière fut passée à tourner des courts métrages pour Essanay) fut affectée aux films plus dramatiques, The Virtuous Model et The Right to Lie.

33 Du point de vue de Capellani, le plus important de ces films serait le premier, Cœurs de vingt ans, une adaptation de Oh, Boy !, la comédie musicale phare écrite par Guy Bolton, P.G. Wodehouse et Jerome Kern. Considéré comme un tournant dans l’histoire de la comédie musicale, le spectacle était novateur et stylé avec des chansons qui dérivaient de l’histoire (certes légère) et l’alimentaient38. Capellani fit la promotion de son adaptation comme la « première comédie musicale en film » et le réalisateur lui-même apparu dans un prologue extra diégétique, dirigeant un orchestre alors qu’à l’écran, un rideau se levait pour dévoiler un spectacle dans le film39. Capellani (ou sa société) payait alors pour d’énormes doubles pages publicitaires dans les journaux de la profession dans lesquelles il était présenté comme « le Génie de l’Ecran, Albert Capellani lui- même40 ». Il avait enfin réussi à atteindre le niveau de reconnaissance recherché depuis si longtemps, même s’il en réglait les frais de sa propre poche.

34 Le 10 juin 1919, juste avant la première de Oh, Boy !, Capellani et Perret figuraient parmi les intervenants d’un dîner new-yorkais en l’honneur de Charles Pathé (à qui les directeurs de la branche américaine offrirent une parure de bureau de chez Tiffany)41. Adolphe Osso partit très vite pour Paris avec les trois films de Capellani et il semble que ce dernier le suivit rapidement. L’activité du studio cessa pour l’été et Archainbaud accepta un travail dans un autre studio (à Glendale !) après avoir réalisé A Damsel in Distress, un film tiré d’une histoire de P. G. Wodehouse, également auteur de Oh Boy42 ! Lors de la sortie, le matériel promotionnel citait Wodehouse déclarant : « Je suis ravi de dire que je trouve que M. Capellani a accompli un travail superbe. Il a saisi l’esprit de chaque personnage et consciencieusement préservé l’atmosphère dans sa transposition de l’Angleterre à l’Amérique43 ». Plus qu’un simple discours promotionnel, ce document intéressant permet non seulement d’identifier Albert Capellani en tant qu’auteur, au lieu de George Archainbaud, mais met aussi en exergue sa capacité à « américaniser » avec succès le matériau, une question qui soulevait de plus en plus d’inquiétude dans l’Amérique d’après-guerre.

35 Capellani revint d’Europe le 9 octobre 1919 après avoir acquis « les droits d’adaptation cinématographique de plusieurs pièces françaises44 ». Que cette longue période d’inactivité soit simplement due à l’interruption estivale, ou que des problèmes plus importants en soient la cause (aucune adaptation des pièces françaises ne serait tournée), tout cela demeure incertain. Quoi qu’il en soit, l’activité sembla reprendre avant même son retour au studio. Edwin Carewe avait été embauché pour réaliser le prochain film avec Dolores Cassinelli et George Archainbaud était de nouveau employé pour mettre en scène June Caprice. Presque immédiatement, néanmoins, les choses prirent un mauvais tour. Carewe partit rapidement pour créer sa propre maison de

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production (avec Adolphe Osso !) et tenta d’emporter le film The Right to Lie, mais Albert Capellani Productions parvint tout de même à le conserver45.

36 Après un certain retard, Capellani parvint finalement à lancer le tournage de The Fortune Teller, quand un autre désastre survint. Les installations de la Solax étaient à présent constituées de plusieurs bâtiments : le bâtiment principal d’origine avec sa verrière, un plateau de tournage extérieur et un laboratoire. Il s’agissait d’installations assez vastes qui étaient souvent utilisées par plusieurs locataires en même temps. Le matin du 20 décembre, le bâtiment où se situait le laboratoire explosa et pris feu, même si le studio et les décors ne subirent aucun dommage. « M. Capellani s’est lacéré la main en cassant une vitre pour sauver une partie du film » qu’il réalisait, raconta le New York Times46. Cependant, bien que la plus grande partie du négatif de The Fortune Teller fusse sauvé, Selznick n’eut pas cette chance et « certaines des plus grosses productions prévues par sa société furent détruites47 ».

37 The Fortune Teller fut achevé et projeté, mais pas par Pathé Exchange, alors en train de réduire drastiquement le nombre de long métrages qu’elle comptait distribuer. L’incendie du laboratoire de la Solax était tragique mais, rétrospectivement, il eut peu d’effet sur le destin de Capellani, dont les occasions de travailler étaient bien plus affectées par les réalités mouvantes de l’économie de l’industrie cinématographique. Le 9 mars 1920, il fut annoncé que Capellani avait signé un contrat de deux ans avec Robertson-Cole, un importateur et distributeur qui souhaitait dorénavant produire ses propres films. Même si Roberston-Cole se chargea de la sortie de The Fortune Teller et tourna ensuite un de ses propres films dans le studio Solax (The Wonder Man, avec Georges Carpentier dans le rôle-titre), Capellani commença immédiatement à prendre ses distances de cet accord.48 Avec Abraham Feinstein et Henry Cahane (le bailleur de fonds d’Adolphe Osso), il fonda Capellani Pictures le 18 mars 1920 pour 25 000 dollars, ce qui était probablement une tentative de limiter sa propre responsabilité financière dans un contexte économique de plus en plus précaire.49 En juin, il conclut un accord avec Selznick en vue de sous-louer le studio, mais dans l’année, la New Jersey Studio Corporation, la personne morale à travers laquelle les Blaché étaient propriétaires, fut dans l’obligation de faire un procès à Capellani pour 14 500 dollars de loyers impayés50.

38 Au lieu de maintenir son contrat avec Robertson-Cole qui l’avait annoncé comme le réalisateur de Kismet, une grosse production où jouerait Otis Skinner, Capellani réalisa The Inside of the Cup pour la Cosmopolitan Productions de William Randolph Hearst. Tourné en mai 1920, il s’agissait de l’un des premiers films tournés dans le gigantesque nouveau studio de Hearst à l’angle de la 127e rue et de la seconde avenue, à Manhattan. Capellani termina le film le 19 juin, mais passa l’été dans une bataille juridique avec International (une société écran de Hearst), arguant qu’il n’avait été payé que d’une partie de la somme due pour son travail de réalisation. Les contrats liant Capellani à International produits devant le tribunal indiquaient qu’il devait être rémunéré 25 000 dollars pour chacun des quatre films qu’il devait réaliser pour International sur une période de 12 mois, 100 000 dollars lui étaient assurés, quel que soit le nombre de films achevés – une précaution contre les retards causés par des problèmes de production indépendants de sa volonté. La seule exception s’appliquait en cas de maladie ou d’incapacité de Capellani, suggérant que sa santé ait pu poser un problème à ses employeurs. La situation fut finalement résolue et Capellani réalisa The Wild Goose pour Hearst en septembre51.

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39 Hearst ferait trente-cinq films à New York avant de déménager à Hollywood en 1924 (même s’il n’arriverait pas à assumer indéfiniment les frais généraux engagés par un studio privé). Contrairement à ce qu’on a coutume de croire, Marion Davies ne figurait que dans un tiers de ces films et seulement quatre d’entre eux étaient des films en costumes52. Capellani eut beaucoup de chance de signer avec Hearst qui exploitait le plus grandiose des studios. A une époque où d’autres studios de la côte Est, englués dans la récession d’après-guerre, réduisaient radicalement le nombre de productions, voire mettaient définitivement la clef sous la porte, Hearst faisait des dépenses somptuaires. La différence entre son salaire avec Hearst et les 500 dollars hebdomadaires qu’il avait touchés en mettant en scène Nazimova en 1918 n’est qu’un indicateur montrant combien cet accord était vraiment avantageux.

40 Néanmoins, Capellani semble être resté inactif après avoir fini The Wild Goose et il emmena sa famille pour un séjour prolongé en France. Il revint le 29 avril 1921, un nouveau contrat en poche pour une série de films pour la Cosmopolitan, et, en mai, il commença à tourner The Young Diana, une histoire d’amour fantastique mettant en scène la vedette du studio, Marion Davies, dans une scénographie sophistiquée conçue par le décorateur préféré de Hearst, Joseph Urban.53 Ce qui arriva à ce moment-là reste flou. Hearst et Davies semblent être partis pour Mexico sur le yacht de Hearst, avec la majeure partie de l’équipe à bord54. La production de The Young Diana reprit des mois plus tard et quand le film sortit en juin 1922, Capellani et Robert Vignola partagèrent l’affiche en tant que coréalisateurs.

41 Durant l’hiver 1921-1922, Capellani fut engagé pour un film modeste nommé Sisters55. Même si des acteurs sous contrat avec Hearst figuraient dans la distribution et que le film fut produit par Cosmopolitan Studio (avec des décors signés Joseph Urban), le film ne fut pas distribué par la Paramount, comme il en était d’usage, mais fut vendu par International à la American Releasing Corp., un petit distributeur s’occupant de films indépendants à petits budgets. A ma connaissance, aucune autre production Hearst ne fut lâchée avec aussi peu d’égards. Pire encore, bien que Capellani eût été annoncé en janvier comme le futur réalisateur de Enemies of Women, une grande histoire d’amour épique de l’auteur Vicente Blasco Ibanez, le 27 février, un autre communiqué fit savoir que la production avait été suspendue « indéfiniment »56. Sisters sortit rapidement en avril et The Young Diana parut enfin sur les écrans en juin.

42 Il s’agissait des derniers films réalisés par Albert Capellani en Amérique, mais pas de sa dernière trace repérable dans les documents qui subsistent. Bien qu’il eût apparemment réglé son problème de retard de loyers au studio Solax, il était toujours poursuivi pour non paiement de salaire par la star de The Fortune Teller, Marjorie Rambeau. En avril 1922, la section « publicités légales » du New York Times publia une série de bulletins officiels, exigés par la loi, convoquant Capellani à se présenter devant le tribunal civil de Manhattan en tant que prévenu dans un procès intenté par l’agent de Rambeau, Edward Small (qui deviendra lui-même producteur hollywoodien)57. Habituellement, ce genre de « service » était présenté personnellement, sauf s’il était impossible de localiser le destinataire. Rambeau alléguait qu’elle avait été employée pour six semaines pour une somme hebdomadaire de 2 500 dollars, mais qu’elle n’avait été rémunérée que pour cinq. Capellani ne se présenta jamais pour se défendre et la cour, dans son jugement, accorda 2 712 dollars à l’actrice. Je ne sais pas si celle-ci fut jamais en mesure de recueillir cette somme.

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43 Je ne sais pas non plus ce qui arriva exactement à Capellani et à sa carrière au début de 1922. Pourquoi fut-il écarté de la production de Enemies of Women ? Y avait-il des problèmes avec le studio ? Sa santé était-elle chancelante ? Etait-il déjà de retour à Paris quand Edward Small renonça à le rechercher en avril ? Capellani travailla dans les studios américains pendant près de sept ans, mais le rêve qu’il poursuivait là-bas – « être son propre chef » – lui échappa finalement. Il confia à Nazimova qu’il méritait qu’on le respecte et le rémunère comme D. W. Griffith, mais, à l’époque où il arriva en Amérique, personne ne pouvait construire une carrière sur ce schéma. Maurice Tourneur y parvint presque, en s’adaptant aux évolutions de la situation dans la production et en maîtrisant le style et la bureaucratie américains. Mais, dès 1926, il était, lui aussi, de retour à Paris.

NOTES

1. Capellani arriva sur La Touraine et inscrivit Jules Brulatour de Peerless comme son contact local (information tirée de la base de données d’Ellis Island). Sa femme et leurs enfants le rejoignirent le 12 mai ; ils avaient fait la traversée sur le Rochambeau quelques jours avant que le Lusitania ne coulât – une coïncidence qui avait suscité « une vague d’horreur chez chaque personne travaillant à World Film Studios » et qui attendaient des nouvelles de l’arrivée des passagers sains et saufs. Voir base de données d’Ellis Island et aussi « Director Capellani’s Family Arrive from France », [La famille du réalisateur Capellani arrive de France », Moving Picture World (5 juin 1915), p. 1609. 2. Le rôle de Capellani dans l’histoire du cinéma américain fut aussi occulté par le fait que, jusqu’à récemment, seul un petit nombre de ses films américains étaient réputés s’être conservés, la plupart étant éparpillés dans diverses archives. 3. « Albert Capellani, The Man Who Made Les Misérables Joins World Film Staff of Directors », [Albert Capellani, l’homme qui réalisa Les Misérables rejoint l’équipe des réalisateurs de la World Film] Moving Picture World (24 avril 1915), p. 541. 4. « Studio of the Peerless Company », [le studio de la Peerless Company] Moving Picture World (26 septembre 1914), p. 1781. 5. Seul le laboratoire fut détruit, pas le studio qui fut par la suite utilisé par la Fox et d’autres producteurs. « Film Factory Burns With $ 300,000 Loss », [le bâtiment d’un studio brûle, engendrant une perte de 300 000 dollars] New York Times (20 mars 1914), p. 1. 6. Kevin Lewis, « A World Across from Broadway : The Shuberts and the Movies », [De l’autre côté du miroir de Broadway : les Shubert et les films] Film History I, 1 (1987), p. 39-52. La World maintint une politique flexible en tant que distributeur, commercialisant les films produits sous les marques Brady, Shubert et Peerless ainsi qu’un certain nombre de titres produits de l’autre côté de l’Atlantique ou par des producteurs indépendants américains. 7. Ben Carré, « First Films at the Peerless Studio », [Premiers films au studio Peerless] in Richard Koszarski, Fort Lee : The Film Town [Fort Lee : la ville cinématographique] (Rome : John Libbey, 2004), p. 113. 8. « Emile Chautard », Moving Picture World (6 mars 1915), p. 1460.

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9. Allen Corliss, « “Cap”, a Sweet Tempered Director », [“Cap”, un gentil réalisateur] Photoplay Magazine (janvier 1917), p. 88-90. Le titre fait un jeu de mots avec la marque de cigarettes à succès Sweet Caporal. 10. Lucien Andriot (1892-1979) travailla avec presque tous les plus grands réalisateurs qui avaient émigré aux Etats-Unis. A l’époque du muet, il tourna des films pour Tourneur, Capellani, Perret et Chautard, et, plus tard dans sa carrière, pour Robert Florey, René Clair et Jean Renoir. 11. La base de données d’Ellis Island indique que Paul Capellani arriva sur le paquebot Chicago le 16 septembre 1915. Comme pour Max Linder, la presse annonça quelques mois plus tôt que Paul Capellani avait été tué au front. Voir « Pathe Players Killed on the Firing Line », [Acteurs de Pathé tués au front], Moving Picture World (12 décembre 1914), p. 1503. 12. « Paragon Studio Is Wonder-Place of Convenience », [Le studio Paragon est un lieu de tout premier choix], Motion Picture News (mars 1916), p. 1571. Tourneur expose son merveilleux studio dans A Girl’s Folly, sorti en février 1917. 13. « “Photodrama Is a Distinct Art”, Declares Tourneur », [‘Le cinéma est un art spécifique’, déclare Tourneur], Motion Picture News (4 janvier 1916), p. 316. 14. « World Film’s Annex on Island of Cuba », [L’annexe de la World Film sur l’île de Cuba] Exhibitors Herald (15 janvier 1916), p. 15. 15. « Clara Kimball Young at Solax Studio », [Clara Kimball Young au studio Solax], Moving Picture World (5 août 1916), p. 922. Cet article écrit que la présence de Capellani et Young à Solax n’est que temporaire. Il est possible que les films suivants fussent en partie réalisés au studio Biograph dans le Bronx qui avait aussi été loué par Selznick. Voir « Biograph Studios Available for Independents », [Les studios Biographe mis à disposition des indépendants], Moving Picture World (22 décembre 1917), p. 1821. 16. Allen Corliss, « “Cap”, a Sweet Tempered Director ». [“Cap”, un gentil réalisateur]. 17. Alice Guy Blaché prétendait que c’était elle qui avait accroché ce panneau, une assertion acceptée plus tard par les historiens. Voir The Memoirs of Alice Guy Blaché [Les mémoires d’Alice Guy Blaché], traduction de Roberta and Simone Blaché, publié par Anthony Slide (Metuchen, N.J. : Scarecrow Press, 1976), p. 45, et Alison McMahon, Alice Guy Blaché, Lost Visionary of the Cinema [Alice Guy Blaché, visionnaire perdue du Cinéma] (New York : Continuum, 2002), p. 63. Pour rappel, Capellani travaillait alors dans son studio Solax, mais le passage dans ces mémoires mentionnant ce panneau est associé à une visite de Paul Capellani : « un sociétaire de la Comédie Française » qui lui déclara : « il m’a fallu onze ans pour atteindre cet objectif » (p. 45-46), ce qui laisse à penser qu’elle-même liait ce panneau à au moins l’un des Capellani. 18. Voir, par exemple, « Clara Kimball Young Sues Selznick », [Clara Kimball Young intente un procès à Selznick] Moving Picture World (9 juin 1917), p. 1580, qui détaille des accusations de pratiques irrégulières financières et de gestion. 19. « Capellani to Direct Miss Sanderson », [Capellani doit mettre en scène Mademoiselle Sanderson] Moving Picture World (23 juin 1917), p. 1946 ; « Albert Capellani Directs Ann Murdock, Not Julia Sanderson, For Empire Corp. », [Albert Capellani réalise un film avec Ann Murdock et non Julia Sanderson, pour Empire Corp] Exhibitors Herald (28 juillet 1917), p. 24. 20. Jackson Schmidt, « On the Road to MGM : A History of Metro Pictures Corporation, 1915-1920 », [Sur la route de MGM : une histoire de la Metro Pictures Corporation, 1915-1920], Velvet Light Trap 19 (1982), p. 46-52. 21. « Metro Increases Capitalization by $ 2,600,000 », [La Métro accroît sa capitalisation de 2 600 000 dollars] Moving Picture World (9 juin 1917), p. 1579. 22. « Capellani a Metro Director », [Capellani, réalisateur de la Métro] Moving Picture World (20 octobre 1917), p. 393. 23. Il se peut que ce soit contractuel, quoi qu’il en soit, elle ne figurait pas au générique de chaque production de la Métro.

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24. Gavin Lambert, Nazimova (New York : Knopf, 1997), p. 190. Le chiffre, proche du salaire de Mary Pickford, semble élevé, bien que Lambert ait effectivement fondé ses recherches sur les journaux intimes de Nazimova, sa correspondance et d’autres documents privés. 25. Le catalogue de l’AFI ne crédite pas Ménessier au générique des films précédents de la Métro, ou des deux films réalisés par Capellani pour Empire. Toutefois, des sources plus récentes semblent le faire. 26. Par exemple, « Stock Actors in Vicious Brawl », [Les acteurs de films dans un conflit déchaîné] Moving Picture World (13 juillet 1918), p. 251, en particulier les références au studio de la 61 e. Et voir Gavin Lambert, Nazimova, p. 203. 27. « Metro Director Working On Three Productions at Once », [Un réalisateur de la Métro travaille simultanément sur trois productions] Moving Picture World (5 octobre 1918), p. 103. 28. « A Woman of France », [Une femme de France] Moving Picture World (5 octobre 1918), p. 124. 29. « Studio Shorts », [Courts métrages de studios] Moving Picture World (12 octobre 1918), p. 208 ; « Nazimova Will Lead Metro’s Exodus », [Exode de la Métro : Nazimova en tête du cortège] Moving Picture World (19 octobre 1918), p. 390. 30. Pour plus d’information sur les effets de l’épidémie sur l’industrie cinématographique américaine, voir Richard Koszarski, « Flu Season : Moving Picture World Reports on Pandemic Influenza, 1918-19 », [La saison de la grippe est ouverte : Moving Picture World publie des articles sur la pandémie de grippe] Film History 17.4 (2005), p. 466-485. Harold Lockwood décéda le 19 octobre et John Collins le 23. 31. Gavin Lambert, Nazimova, p. 213. Nina Lewton était la mère de Val Lewton, futur producteur à Hollywood. 32. Émile Chautard, l’autre membre du triumvirat de Paragon, entretenait une relation personnelle et professionnelle de longue date avec Tourneur qui remontait à leur contrat chez Eclair en 1912 ; Capellani ne commença à travailler avec eux qu’au moment où il arriva à la World en 1915. Bien que figure plus importante que Chautard, Capellani, en tant que nouvel arrivant dans le groupe, aurait pu plutôt considérer sa position dans Paragon selon cette optique. 33. Adolphe Osso exerçait une très forte influence au sein de la communauté franco-américaine des cinéastes, formant des accords de production pour Capellani, Perret et Alice Guy Blaché. Voir « Will Handle Films Internationally », [S’occupera de films à l’international] Moving Picture World (7 juin 1919), p. 1495. Son succès en revanche, est une autre histoire. Richard Abel l’accuse de saboter la tentative de coproduction internationale de Henri Diament-Berger en engageant sa maîtresse, Lois Meredith dans Le Secret de Rosette Lambert (1920). French Cinema, The First Wave, 1915-1929 (Princeton : Princeton University Press, 1984), p. 16-18. 34. « Capellani to Head Own Company », [Capellani dirigera sa propre société] Moving Picture World (1er mars 1919), p. 1185 ; « Luncheon Marks Return of Capellani to Pathé », [Un déjeuner marque le retour de Capellani à Pathé] Moving Picture World (1er mars 1919), p. 1165. 35. Ces chiffres sont tirés du American Film Institute Catalog. [catalogue de l’AFI] 36. « Capellani Productions Are Active », [Les productions de Capellani sont actives] Moving Picture World (8 mars 1919), p. 1345. 37. « “Unknown Dancer” Second Hale-Caprice Production », [ Unknown Dancer, deuxième production avec Hale et Caprice] Moving Picture World (10 mai 1919) : 927, qui caractérise la position d’Archainbaud dans ce projet. 38. Lee Davis, Bolton and Wodehouse and Kern : The Men Who Made Musical Comedy [Bolton, Wodehouse et Kern : les hommes qui « firent » la comédie musicale] (New York : Heineman, 1993), p. 121-124. Le spectacle se produisit 475 fois, presque un record. 39. L’apparition de Capellani dans le film semble avoir servi diverses fonctions : un élément suggérant l’accompagnement musical du film, un exemple de mise en valeur de l’auteur – comme dans L’émeraude fatale (1915) qui débutait par une scène montrant le réalisateur tentant de

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convaincre l’acteur Robert Warwick d’apparaître dans le film et une autoréférence à une technique de cadrage, comme dans l’entrée en matière de The Wishing Ring (1914) de Tourneur 40. Voir, par exemple, Moving Picture World (7 juin 1919), p. 1458 et 1459. Que Capellani achetât alors autant d’espaces publicitaires signifiait que le World avait grandement développé la couverture médiatique de ses activités, relatant tout engagement d’acteur mineur et toute vente locale exclusive. Ce n’était pas le cas de Motion Picture News, par exemple. De tels échanges de bons procédés était typique de la presse spécialisée de l’époque, ce dont on doit tenir compte en examinant le matériel publié. 41. « Pathé Chief Honored by Friends », [Le directeur de Pathé mis à l’honneur par ses amis] Moving Picture World (21 juin 1919), p. 1753. 42. Sam Spedon, « Personal and Otherwise », [Personnel et autre] Moving Picture World (28 juin 1919), p. 1933 ; « Adolph Osso Will Sail with Capellani Films », [Adolphe Osso roulera pour Capellani Films] Moving Picture World (28 juin 1919), p. 1942 ; « Archainbaud with American Cinema », [Archainbaud chez American Cinema] Wid’s Daily (8 juillet 1919), p. 1. Même si Osso prétendit utiliser ses contacts pour organiser une grande avant-première de Oh, Boy ! dans la salle Marivaux, le film ne sortit à Paris qu’en septembre 1921 (sur cette question, voir filmographie) 43. « Author Praises Capellani for “Damsel in Distress” », [L’auteur vante les mérites de Capellani pour “Une demoiselle en détresse”] Moving Picture World (14 octobre 1919), p. 94. L’histoire fit à nouveau l’objet d’une adaptation par George Stevens en 1937 avec Fred Astaire dans le premier rôle de cette comédie musicale. 44. « Carewe with Pathé », [Carewe chez Pathé] Wid’s Daily (18 septembre, 1919), p. 1. La base de données d’Ellis Island témoigne du retour de Capellani et de sa famille à bord du France. 45. « Edwin Carewe Forms Own Company », [Edwin Carewe crée sa propre société] Moving Picture World (14 octobre 1919), p. 94. 46. « Actors Fight Studio Fire », [Les acteurs à l’épreuve d’un incendie dans le studio] New York Times (21 décembre 1919), p. 20. 47. « Solax Film Company Destroyed by Fire ; Many Narrow Escapes », [La Solax Film Company détruite dans un incendie : nombreux sont ceux qui y ont échappé belle] The Palisadian (27 décembre 1919), p. 5, réimprimé dans Richard Koszarski, Fort Lee the Film Town [Fort Lee, ville du film], p. 137. 48. « Capellani With Robertson-Cole », [Capellani chez Robertson-Cole] Wid’s Daily (9 mars 1920), p. 1 ; « Capellani with Cosmopolitan ? », [Capellani chez Cosmopolitan ?] Wid’s Daily (7 avril 1920), p. 1 ; « Only One Capellani », [Un seul Capellani] Wid’s Daily (8 avril 1920), p. 1. Pour The Wonder Man, voir Motion Picture News (1er mai, 1920), p. 3845. Sans être directement associé au projet de The Wonder Man, Capellani était toujours préoccupé par le loyer du studio et était à la recherche de nouveaux locataires. 49. « Incorporations », [créations d’entreprises] Wid’s Daily (18 mars 1920), p. 2. Cela peut être mis en relation avec le procès décrit dans « Capellani Made a Defendant », [Capellani, défendeur malgré lui] Moving Picture World (24 septembre 1920), p. 94. 50. Concernant le contrat avec Selznick, voir Exhibitors Trade Review (12 juin 1920), p. 153. Dans le litige, les opposants à Capellani, les Blaché, alléguaient qu’il devait en droit s’acquitter d’un loyer hebdomadaire de 600 dollars, impayé depuis septembre 1920. « In the Courts », [Au tribunal] Wid’s Daily (21 avril 1921), p. 3. Dans une lettre adressée à Alice Guy Blaché datée du 2 septembre 1920, Joseph Borries, qui était chargé de la gestion de sa propriété, écrit : « Les perceptions du loyer du studio se sont faites jusqu’à présent sans difficulté, quoique Selznick soit souvent en retard à payer Capellani », soulignant qu’il incombait à Capellani de payer le loyer, mais que ce dernier faisait face à des difficultés avec au moins un de ses locataires. Lettre réimprimée dans Koszarski, Fort Lee the Film Town, p. 139. 51. « International Plans », [Projets internationaux] Wid’s Daily (29 juin 1920), p. 1 ; « In the Courts », [Au tribunal] Wid’s Daily (28 août 1920), p. 2 ; « Albert Capellani Sues International

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Alleging $ 15,000 Due Him in Salary », [Albert Capellani intente un procès à International réclamant 15 000 dollars au titre de salaire impayé]. Moving Picture World (24 septembre 1920), p. 70 ; « Capellani Back with International », [Capellani retourne chez International] Wid’s Daily (28 septembre 1920), p. 4. 52. Concernant les activités de Hearst à New York, voir Richard Koszarski, Hollywood on the Hudson : Film and Television in New York from Griffith to Sarnoff [Hollywood sur l’Hudson : cinéma et télévision à New York, de Griffith à Sarnoff] (New Brunswick : Rutgers University Press, 2008), p. 115-127. 53. « Cosmopolitan Signs Capellani », [Cosmopolitan signe avec Capellani] Wid’s Daily (21 avril 1921), p. 1, décrit que Capellani avait été à Paris pour « quelque temps », mais avait quitté la France « hier ». Voir aussi « New Davies Film Started », [Début de tournage pour un nouveau film avec Davies] Wid’s Daily (27 mai 1921), p. 1. La base de données d’Ellis Island témoigne du retour de Capellani et de sa famille à bord de l’Adriatic le 29 avril. 54. W.A. Swanberg, Citizen Hearst (New York : Bantam, 1963), p. 401-402. 55. La Cosmopolitan conféra à Sisters le numéro de production 32. Je déduis sa date de production en m’appuyant sur la date de production de Beauty’s Worth (n° 31) et The Good Provider (n° 34). Je n’ai trouvé aucun article de presse annonçant sa mise en production, autre preuve de problèmes en coulisse. 56. « Capellani to Direct Ibanez Story », [Capellani mettra en scène une histoire d’Ibanez] Film Daily (6 janvier 1922), p. 1 ; « Capellani Production Put Off », [Une production de Capellani suspendue] Film Daily (27 février 1922), p. 2. Le projet Ibanez était une actualité de premier plan en raison du franc succès d’une adaptation cinématographique de son œuvre The Four Horsemen of the Apocalypse (1921). En mai, le projet fut confié à Robert Vignola (« Two for Brady », [Deux pour Brady] Film Daily [10 mai 1922], p. 15), mais fut finalement réalisé par Alan Crosland, qui tourna de très nombreux plans en extérieur dans le sud de la France. 57. « Summonses », [Assignations] New York Times (4 avril 1922), p. 31 ; (18 avril 1922), p. 36 ; (25 avril 1922), p. 33.

AUTEURS

RICHARD KOSZARSKI Richard Koszarski. Professeur d’anglais et d’études cinématographiques à la Rutgers University du New Jersey, Richard Koszarski a reçu le Prix Jean Mitry des Giornate del cinema muto de Pordenone en 1991. Parmi ses livres, on peut citer An Evening’s Entertainment (1990), Fort Lee, the Film Town (2004) et Hollywood on the Hudson (2008).

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Albert Capellani, allers et retours

Hubert Niogret

1 En 1914, Albert Capellani est au sommet de sa carrière. Il est un des premiers metteurs en scène français à entreprendre des longs métrages après avoir réalisé environ 80 films de courts métrages de une à trois bobines. Il est reconnu comme un metteur en scène talentueux. Le 5 juillet 1912 sort à l’Omnia Pathé Les Mystères de Paris qui fait sensation avec une durée de 90 minutes projeté en une seule séance. Le 3 janvier 1913, dans la même salle de cinéma, sont projetés les premier et deuxième épisodes de l’adaptation du roman de Victor Hugo, Les Misérables, bientôt suivis des troisième et quatrième parties. Le lancement du film est accompagné d’un énorme effort publicitaire de la part de son producteur-distributeur-exploitant Pathé et le film est un très grand succès commercial. Le mois suivant, Albert Capellani commence le tournage de Germinal d’après l’œuvre d’Emile Zola, sans doute l’écrivain le plus populaire de l’époque avec Victor Hugo. Le film sort le 3 octobre, toujours à l’Omnia Pathé, dans sa durée de 2 heures 40, en un seul programme. L’année 1913 est définitivement celle où les films sont passés au long métrage. La même année, le cinéaste tourne Le Nabab, adapté d’Alphonse Daudet, confirmant une fois encore que la SCAGL a pour mission de porter à l’écran les grandes œuvres théâtrales et romanesques qui constituent le patrimoine littéraire français. Le film, où le cinéaste apparaît brièvement dans le rôle d’un capitaine de bateau, est passionnant par la manière dont les décors nombreux et très différents reflètent la situation sociale évolutive du personnage réel qui a inspiré Alphonse Daudet. La structure scénique est l’abandon définitif de la littéralité des premiers temps cinématographiques : désormais est constamment présente une ouverture dans le fond du décor qui permet la circulation centrale. Le film comporte aussi un certain nombre de plans dont le cadrage, en dehors de toute symétrie, modifie la dramaturgie.

2 Les grandes fresques sociales, historiques, tournées entre 1912 et 1914 (car ont suivi Le Chevalier de Maison-Rouge et surtout le magnifique Quatre-vingt-treize) sortent dans le monde entier car Pathé, avec qui Albert Capellani est sous contrat à travers la SCAGL, est une société mondiale, la plus importante, qui détient des bureaux de représentation, des agences de distribution dans les plus grands marchés cinématographiques, y compris aux Etats-Unis où la société produit même des films.

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Les grandes adaptations du patrimoine littéraire national traduit dans le monde entier contribuent à faciliter la diffusion des films français dans un contexte mondial où le cinéma dominant est français, allemand, italien, russe, danois, en un mot, européen. Et même s’il n’est pas toujours identifié comme l’auteur, car à l’époque le nom des réalisateurs – comme celui des acteurs – sert peu à la promotion des films, Albert Capellani est le cinéaste français le plus diffusé dans le monde. Toutefois, la situation du cinéma français, notamment de Pathé, est en train de changer. Charles Pathé, qui voyage beaucoup, le sait bien et l’analyse dans ses mémoires : « Le monde cinématographique entier avait les yeux fixés sur nos ateliers, nos procédés, nos appareils. Sans doute, à partir de 1910, un mouvement inverse commençait à se dessiner en Amérique et, pour un observateur averti, aucun doute ne pouvait subsister sur l’issue de la concurrence franco-américaine en matière de cinéma. Nous devions être dépassés et nous le fûmes. (…) Désormais, il fallait bien s’en rendre compte, les Etats-Unis, avec leurs possibilités indéfinies, s’étaient emparés, probablement pour toujours, du marché mondial. La guerre n’avait fait que hâter un peu l’avènement de cette suprématie. Favorisés par l’importance de leur marché intérieur qui, au point de vue des recettes d’exploitation, représente environ quarante à cinquante fois celui du marché français, soit les trois quarts environ du marché mondial, les Américains pouvaient engager des sommes considérables dans l’exécution de leurs négatifs, les amortir complètement sur leur territoire et venir ensuite conquérir les marchés d’exportation dans tous les pays, notamment dans tous ceux qui, du fait de leur faible population, ne sauraient se permettre le luxe d’une production nationale régulière. Cette vérité m’était apparue au cours de mes divers séjours en Amérique. La primauté cinématographique française dans le monde reposait uniquement sur son avance initiale et devait disparaître le jour où l’équipement américain serait terminé. Ce jour- là était venu. »1

3 Quand la Première Guerre mondiale éclate en 1914, Albert Capellani, est réformé (il a déjà quarante ans et a participé en 1894 à l’expédition de Madagascar, dont il était revenu malade pendant quelques temps) et démobilisé. En raison du déclin de Pathé mais surtout de la guerre, il n’a plus beaucoup d’avenir en France car la production diminue brutalement, et il n’y a plus guère de place pour les grandes productions prestigieuses et onéreuses qui ont fait sa gloire. Désormais, les quelques films français qui se tournent ont bien du mal à circuler dans le monde. Albert Capellani décide de partir aux Etats-Unis non pas, comme on l’a souvent dit, comme ambassadeur de Pathé, mais pour sa propre carrière personnelle. Pathé a déjà des bureaux à New York et n’a pas besoin d’un représentant de prestige. Le manifeste du bateau où Albert Capellani embarque indique d’ailleurs que son adresse de destination est celle de Jules Brulatour (132-136 West de la 46° rue)2, dans un des quartiers les plus huppés à l’époque, à quelques minutes des bureaux de Pathé. L’adresse de Brulatour mentionnée dans le manifeste laisse penser qu’un contrat entre Brulatour et Capellani était déjà en cours de négociation, sinon signé depuis quelques semaines. La société de Jules Brulatour, Paragon, est d’ailleurs enregistrée quelques jours après l’arrivée d’Albert Capellani le 31 mars 1915, et produira les premiers films à Fort Lee, alors que le cinéaste n’a pratiquement jamais travaillé pour Pathé aux Etats-Unis. Albert Capellani part seul, il embarque au Havre le 13 mars 1915 sur le bateau La Touraine, et arrive à New York le 22 mars 1915. Il voyage en première classe, dépense très onéreuse à l’époque et, en raison de ce caractère privilégié, débarque sans doute directement à New York, sans passer par Ellis Island, où se retrouvent par contre tous les passagers de deuxième et

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troisième classes, les émigrés qui viennent d’Irlande, d’Italie, des pays d’Europe centrale, et qui doivent attendre des heures pour être acceptés aux Etats Unis par les services de l’immigration.

4 Albert Capellani, dont Les Misérables est toujours à l’affiche sur Broadway, le grand quartier des théâtres et des cinémas, s’installe d’abord chez Jules Brulatour, puis, pour quelques semaines, lorsque sa famille le rejoint, dans l’hôtel le plus important d’une ville voisine, Atlantic City3. Sans doute le temps que soit installée pour lui la maison de Fort Lee où il va résider au n° 1114 d’Edgewood Lane, quartier de Pallisade, à côté des studios de la World Film Corporation, une des sociétés les plus actives de la ville. Son frère Paul, vedette de ses films français (notamment La Bohème, Quatre-vingt-treize) et future vedette de ses films américains (Camille, La Vie de Bohème, The Feast of Life), le rejoint le 16 septembre 1915, débarquant du bateau Chicago. Paul voyage en deuxième classe, et l’adresse mentionnée dans le manifeste du bateau est bien celle d’Albert Capellani à Edgewood Lane.

5 A Fort Lee, les Capellani retrouvent une communauté française importante, dont ils connaissent déjà un certain nombre de membres. Alice Guy, suite à son mariage avec Herbert Blaché de nationalité américaine, a été la première à s’y installer. Mais s’y trouvent aussi depuis 1913 le décorateur Henri Menessier (parti après avoir travaillé sur Germinal) et, depuis 1914, Maurice Tourneur et l’opérateur Lucien Andriot. Ben Carré, autre décorateur, arrive en 1915 (il créera les décors de La Vie de Bohème). Il y a également Emile Chautard, metteur en scène de très grande réputation, l’opérateur Georges Benoit qui, en 1915, va photographier Regeneration du jeune Raoul Walsh qui débute à Fort Lee.

6 Après un premier séjour à Los Angeles, Albert Capellani rachètera les studios de Guy et Blaché. Lucien Andriot et surtout Henri Menessier (notamment pour les décors parisiens reconstitués – en partie issus du souvenir, en partie fantasmés – de The Virtuous Model en 1919) seront ses plus fidèles collaborateurs. Andriot photographie notamment La Vie de Bohème, The Feast of Life et The Virtuous Model, film nocturne et dans les brumes, exceptionnel pour ses atmosphères. Maurice Tourneur, qui a déjà intégré le style du découpage américain qui se rapproche des acteurs, a eu, d’après Richard Kozarski, une grande influence sur Albert Capellani. Les uns et les autres se retrouvent souvent, même quand ils ne travaillent pas sur les films des uns et des autres, d’autant plus que les réunit la difficulté de la langue qui rend la communication parfois difficile. Si aucune langue parlée autre que le français n’est indiquée dans le manifeste du bateau pour Albert Capellani, il semble qu’une partie du problème ait été facilité à son arrivée par la collaboration avec Frances Marion qui, quant à elle, parlait français. Et Frances Marion, qui est une des collaboratrices préférée de la World Film Company pour qui elle écrit parfois jusqu’à trois scénarios en parallèle, a sans doute été proposée à Albert Capellani pour cette raison-là. Celle qui va très vite devenir la scénariste la plus demandée, la mieux payée du cinéma américain, travaille sur les scénarios de Camille, premier film américain du cinéaste en 1915, La Vie de Bohème (réadaptation de l’œuvre d’Henry Murger) en 1916, puis The Feast of Life la même année, pour un tournage à Cuba entièrement en décors naturels. S’il y a une vraie différence de traitement entre le dernier film français, Quatre-vingt-treize (1914) et le premier film américain, Camille, c’est sans doute que Capellani a été induit dans sa mise en scène, sa direction sur le plateau, par la structure narrative du scénario. Même si celui de Quatre-vingt-treize, d’après Victor Hugo, est signé Alexandre Arnoux, Albert Capellani a collaboré de près

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ou de loin à tous ses scénarios depuis plusieurs années, les signant souvent comme seul auteur.

7 Dans son adaptation de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, entreprise sous la responsabilité de Frances Marion, il y a déjà une narration différente, plus émotionnelle, plus fluide, plus mélodramatique. Et même si Albert Capellani a été précédé d’une grande réputation en tant que directeur d’acteurs, celle-ci est déjà différente dans Camille, sans doute confrontée à un autre type de comédienne, en la personne de Clara Kimball Young. Par contre, dans La Vie de Bohème, la vedette est Alice Brady. Et il est intéressant de comparer cette version américaine avec la version française tournée quatre ans auparavant par le même cinéaste. Dans la version écrite par Frances Marion, l’intrigue est plus développée, les situations diversifiées, les personnages creusés et la narration se déploie non plus dans un récit de trois bobines mais dans un ample long métrage dont la longueur permet un travail en profondeur. Le film ne fonctionne plus seulement comme une suite de représentations de situations emblématiques sur les joies et misères des artistes encore en marge dans Paris, mais comme une narration où se développent des relations entre les personnages qui viennent nourrir l’intrigue. Par ailleurs, Albert Capellani découvre le « star system » inconnu jusqu’alors en France, mais qui par contre a commencé aux Etats-Unis au début des années dix. Les stars sont promues, lors de la sortie des films, davantage que les metteurs en scène, et dans la fabrication des films elles ont une grande puissance. Clara Kimball Young sera d’ailleurs productrice d’un grand nombre de ses films comme d’autres actrices de son niveau. Et elle-même impose des scénaristes aux sociétés de production, comme Frances Marion, dont plusieurs actrices exigent la collaboration, et qu’elles entrainent souvent derrière elles quand elles changent de production ou de sociétés de distribution-financement.

8 Albert Capellani, qui semble s’être adapté assez rapidement à ce nouveau système, fera ainsi plusieurs films avec Clara Kimball Young, puis Alla Nazimova, et Marion Davies. Pour cette dernière, complètement dirigée dans sa carrière par William Randolph Hearst, on peut imaginer que son mari-mécène-milliardaire – qui avait la possibilité financière d’offrir à sa protégée n’importe quel metteur en scène – avait choisi Albert Capellani pour plusieurs films en connaissance de cause. Hearst n’ignorait pas les qualités de directeur d’acteurs, et plus spécifiquement d’actrices, du metteur en scène. Cependant, Albert Capellani n’a pas toujours pu résister aux modèles imposés du « star- sytem ». Par exemple, The Red Lantern (1919), qui bénéficie parfois d’un découpage très audacieux pour l’époque (notamment cette scène de résolution entre tous les personnages qui est entièrement filmée en plan américains et gros plans), est victime des postures d’Alla Nazimova que le cinéaste n’a pas pu toujours gommer. Adaptant le roman d’Edith Verry, le scénario de La Lanterne rouge, situé en partie dans une Chine improbable, est l’œuvre de June Mathis, également une des plus célèbres scénaristes américaines et qui fait partie du cercle d’amies de Frances Marion.

9 Entre 1915 et 1924, dates de son départ aux Etats-Unis et de son retour en France, Albert Capellani a beaucoup voyagé. Parti en 1917 dans sa gigantesque Packard en Californie, il travaille à partir de 1918 pour la Metro Pictures Corporation4, puis revient à Fort Lee en 1919 pour créer la Albert Capellani Production Inc. (dont l’activité fût interrompue en raison de l’incendie survenu sur le tournage de The Medium). Après une brève collaboration la même année avec Pathé Exchange, il travaille en 1920 pour la Robertson-Cole et enfin de 1920 à 1923 pour la Cosmopolitan Productions de William

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Randolph Hearst : plusieurs tournages pour la société de Hearst se déroulent à New York, les sociétés cinématographiques importantes ayant désormais boudé les installations déclinantes de Fort Lee. C’est là qu’il tourne d’ailleurs le dernier film avec Marion Davies, La Jeune folle (The Young Diana) qu’il coréalise en 1922 avec Robert Vignola.

10 Dans ces années, les réalisations personnelles alternaient avec des films dont il assurait la supervision (Le Danseur inconnu / The Love Cheat de Georges Archaimbaud et A Damsel in Distress du même cinéaste ; quatre films de Léonce Perret, arrivé aux Etats-Unis en 1917, et un film d’Emile Chautard) ou parfois l’écriture (The Parisian Tigress d’Herbert Blaché, 1919). Ces voyages Ouest-Est à l’intérieur des Etats-Unis, entre les deux pôles de production de l’industrie cinématographique qui maintenant dominent le monde, vont être entrecoupés de voyages en France, puisque le 9 octobre 1919, il revient à New York à bord du bateau France, toujours en 1re classe. Le 29 mars 1921 il revient également d’un voyage en France, depuis Cherbourg, en ayant emprunté le bateau Adriatic. Dans tous ces allers et retours à l’intérieur de l’industrie cinématographique américaine, et entre les deux continents qui ont va le déroulement de sa carrière, Albert Capellani a évolué entre des pratiques cinématographiques différentes. Il s’est adapté et a suivi le mouvement d’une évolution générale du cinéma maintenant influencé par le modèle américain.

11 Le retour en France en 1924 fût difficile. Redécouvrant un autre cinéma qui ne lui était plus familier, et sans doute pour cette raison-là, Cappelani ne parvint pas à entamer une troisième carrière.

NOTES

1. De Pathé Frères à Pathé cinéma, Charles Pathé, 1940, Editions Premier Plan, 1970. 2. Aujourd’hui un hôtel. 3. Aujourd’hui détruit. 4. Les studios qui existent encore aujourd’hui sont occupés par le fabricant de Caméra Red, à la pointe du cinéma numérique.

AUTEUR

HUBERT NIOGRET Producteur de films de fiction, producteur-réalisateur de documentaires notamment sur le cinéma, membre du comité de rédaction de la revue Positif, Hubert Niogret a écrit des ouvrages

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sur Akira Kurosawa, Julien Duvivier, Shohei Imamura. Il est l’auteur du documentaire, Albert Capellani des deux côtés de l’Atlantique (2012).

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Troisième partie : l’œuvre de Capellani Restauration, programmation, filmographie

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Capellani ritrovato La programmation des films de Capellani au Cinema ritrovato de Bologne. Recherche des copies et restauration

Mariann Lewinsky Traduction : Delphine Pallier

« Un talent assez révolutionnaire »

Une fois qu’on a vu un film, c’est irréversible.

1 Aujourd’hui, il m’est étrange de penser qu’au début de 2007, dans l’histoire du cinéma telle que je me la représentais, il n’y avait pas d’Albert Capellani. J’avais lu son nom à de nombreuses reprises sans en tenir compte1. Un an plus tard2, je me suis lancée dans l’aventure de voir autant de ses films encore en état de conservation que je pouvais retrouver. J’étais persuadée qu’il était l’un des meilleurs réalisateurs de sa génération et j’avais convaincu les dirigeants du festival Il Cinema ritrovato de Bologne de me laisser préparer la première rétrospective de son œuvre jamais organisée. Une quarantaine de ses films (ou de films qui lui étaient attribués) furent projetés dans le cadre d’une programmation en deux parties, « Albert Capellani : Un cinema di grandeur », au festival de Bologne en 2010 et 2011. Durant mes préparations de ces programmations, de nombreuses œuvres présumées disparues depuis longtemps sont réapparues (et tout particulièrement L’Arlésienne et L’Assommoir) et un travail de restauration et de fabrication de nouvelles copies destinées à la projection fut entrepris. En outre, en 2011, grâce à Sophie Seydoux et à la Fondation Jérôme Seydoux- Pathé, vingt-quatre films français de Capellani sortirent en DVD3. Aujourd’hui (2012), trois publications4 et deux programmations importantes – Capellani, troisième partie, à Bologne et une rétrospective à la Cinémathèque française de Paris – sont en préparation et il y en aura bien d’autres encore.

2 Un iceberg est sorti de l’océan qu’est l’histoire du cinéma, entraînant dans son sillage des conséquences capitales. « Albert Capellani n’est pas qu’un de ces réalisateurs que l’on redécouvre pour l’ajouter au panthéon », déclare l’historienne Kristin Thompson.

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Selon elle, les projections de Bologne ont permis de « réécrire l’histoire du cinéma des premiers temps » : Film après film… Je ne cessai de comparer ce que je regardais avec ce que D.W. Griffith avait fait cette même année. A chaque fois, les films de Capellani semblaient plus sophistiqués, plus agréables, plus léchés. Dans l’ensemble, Capellani n’était peut-être pas meilleur réalisateur que Griffith, mais pour la période française des films français, je crois qu’il ne serait pas exagéré de dire qu’il l’était : L’Arlésienne (1908) comparée à toute œuvre de Griffith cette année-là, ou L’Assomoir (1909) [sic] contre The Lonely Villa, voire The Country Doctor (…) Rien dans la carrière d’avant- guerre de Griffith n’approche Les Misérables ou Germinal. »5

3 Les rédacteurs de 1895 m’ont gentiment demandé de raconter l’histoire de cette redécouverte. Cela remplirait tout un épais volume de relater ces cinq merveilleuses dernières années, d’aventures de recherche, de découverte des pouvoirs magiques de la coopération (sans mes collègues des archives à travers le monde, rien de tout cela n’aurait été possible) et de passion (le désir de voir des films incite assurément à les trouver). Je me limiterai donc à des questions simples portant sur des questions de lieu et de temps. Pourquoi Capellani fut-il redécouvert à Bologne et non à Paris ou Pordenone ? Et pourquoi cela est-il arrivé maintenant et non plus tôt, quand Yevegeni Bauer, Franz Hofer, Léonce Perret et d’autres firent l’objet de l’attention des historiens ? Les festivals à la recherche de bons films muets pour leur programmation existent depuis le début des années 1980 et cela fait des années que Bernard Basset essaie de susciter un intérêt pour l’œuvre de son grand-père.

Temps

4 La production d’un kairos, ce moment opportun, nécessite de nombreuses conditions et raisons obscures et, face à l’impossibilité de les connaître, nous en sommes réduit à dire bêtement quelque chose comme : « Il a fallu le temps qu’il a fallu pour que les choses passent de non à oui, pour que Capellani passe de la périphérie où il était à peine visible au devant de la scène où il retient toute l’attention. » De tels changements, comme les changements dans la mode, sont probablement liés à des lois au long cours affectant la vague de la sensibilité collective que le courant pousse vers de nouvelles zones en l’éloignant définitivement d’autres, ce qui permet à une génération de comprendre la qualité de ce qui avait été invisible ou inacceptable aux yeux d’une autre.

5 Par exemple, des générations ont appris, enseigné et pensé que les montages avec raccords dénotaient d’un bon film. Ce postulat a été posé à Pordenone en 1989 par une figure qui faisait autorité dans les études cinématographiques et qui critiquait les réalisateurs russes des années 1910 pour leurs montages lents. Selon lui, ces personnes n’avaient aucune notion de narration cinématographique. Cependant la majorité des spectateurs à Pordenone ont apprécié les œuvres de Yevgenii Bauer en raison de leur sophistication – non pas dans le montage, mais dans la réalisation – et ils ont reconnu en lui un grand réalisateur, comme Ophuls, comme Visconti.

6 En 1908, « plusieurs écrivains et artistes constatèrent que Capellani avait un certain talent assez révolutionnaire »6. En 2005, quand Germinal (1913) et Quatre-Vingt-Treize (1914), deux des plus grands chefs d’œuvre de Capellani, furent projetés à Pordenone, il ne se passa rien de particulier. Dans les notes du catalogue, Philippe Esnault attribua toutes les qualités du film, comme la maturité stylistique, le réalisme et la qualité de l’interprétation, à l’influence d’André Antoine (qu’Esnault croyait avoir été le « mentor

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de Capellani »), alors que c’est Capellani qui est responsable de tout ce qui « rappelle encore le théâtre », comme l’usage de plans d’ensemble et de plans moyens, et l’absence de raccord linéaire et de mouvements de camera. (« Antoine aurait eu recours au montage qui lui tenait tant à cœur »).7

7 En 2008, j’ai présenté huit films de Capellani dans la section Cento anni fa [Il y a cent ans] au Cinema ritrovato à Bologne, et rien ne s’est vraiment passé, si ce n’est que David Mayer a absolument adoré LE Pied de mouton. En 2009, la projection de la version intégrale qui venait d’être redécouverte de L’Assommoir (1908) a suscité un léger mouvement. Toutefois, c’est aux éditions de 2010 et 2011 du festival de Bologne que le vent a tourné ; les films projetés dans la section Albert Capellani. Un cinema di grandeur ont eu un effet comparable à celui qu’ils avaient eu cent ans plus tôt. L’audience fut transportée par le mélange puissant de la mise en scène, de la scénographie et de la direction d’acteurs, par la beauté de la photographie et de la direction artistique.

Lieu : La programmation « Cento anni fa » de Bologne

8 Ce retournement aurait peut-être été suffisant pour mettre au jour l’importance de Capellani in fine, mais, à ma connaissance, la section du festival de Bologne consacrée aux films d’il y a plus de cent ans était une condition nécessaire. Tout a commencé en 2003 avec une série de cinq programmes datés de 1903, organisée par Tom Gunning, éminent historien du cinéma. 1904 était la première année qu’il me fut donné d’organiser et je n’ai pas cessé depuis de m’en occuper, à l’exception de 1906, organisée par Andrea Meneghelli.

9 Le fait de présenter les films d’une année donnée peut paraître une idée simple et le titre de la série, Il y a cent ans de cela, ajoute une touche « il était une fois » très grand public. Cependant, c’est un cadre excellent : il n’y a pas de meilleure façon d’extraire des coffres des archives ce qui reste de la période la moins connue de l’histoire du cinéma. En faisant les choses année par année, vous pouvez obtenir un corpus cohérent de documents pour construire vos programmations. En faisant les choses année par année, vous pouvez trouver ce que vous ne pouviez pas chercher en regardant par nom (de réalisateur ou de star), puisqu’il n’y a pas de nom : la production est principalement anonyme et la première star (André Deed, alias Cretinetti) n’est apparue qu’en 1909. Il n’est pas possible de travailler par titre car seule une fraction a été publiée dans les catalogues de production. Année après année, nous avons déterré des centaines de films intéressants, quantité d’œuvres formidables et nous avons présenté une histoire du cinéma en partant de zéro.

10 Il est facile d’expliquer pourquoi le cinéma de la première période n’est pas populaire mais une chose qu’on apprend à aimer. Il ne possède aucun des ressorts nécessaires pour faire carrière dans l’histoire du cinéma : ni stars, ni auteurs, ni chefs d’œuvre canonisés, ni poids. Les films sont courts avec une durée moyenne d’une minute en 1904 à quinze minutes en 1912, et ils sont produits et vus dans le cadre d’une programmation qui regroupe une douzaine de films, voire plus, de toutes sortes de genres. Ce sont des scènes et non des œuvres qui peuvent se voir de manière autonome, ce ne sont pas des films8.

11 D’autres organisateurs auraient certainement traité différemment cette programmation de la production d’une année donnée. Je m’appuie sur les films eux- mêmes, en regardant le plus possible d’entre eux et en essayant de comprendre leur

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topographie, les leitmotivs et les genres qui apparaissent et disparaissent, les pics de qualité et les films qui rentrent dans une moyenne typique. J’aime aussi les films qui rapportent ce qui se passaient dans d’autres domaines du divertissement, au sein de la société ou dans la politique, comme la mode de la pantomime, l’occupation du Maroc, la mode, la lutte pour le vote des femmes, des cochons gambadant dans les prés (comme c’était le cas avant l’industrialisation de la production de viande), observant ce qui s’y passe, les enfants acteurs (bien meilleurs qu’aux époques qui suivirent, quelles qu’elles fussent), les couleurs, les feux d’artifices, les opérettes et ainsi de suite.

12 En 1907, c’est-à-dire au moment où j’ai préparé la programmation de 1907, début 2007, un certain nombre de choses se sont imposées à moi. Je souhaiterais ici faire une seule remarque : le cinéma n’a jamais été faible ou maladroit. Les productions de ces premières années ne constituent pas les débuts d’un médium qui allait devenir formidable par la suite : ce sont les œuvres cinématographiques à succès de leur époque. Les films de n’importe quelle année donnée montrent que leurs réalisateurs savaient exactement ce qu’ils faisaient et pourquoi ils le faisaient : pour faire plaisir et divertir leur audience. Ils font preuve d’une joyeuse assurance de soi : ils savaient qu’ils allaient réussir.

1907 : Clic ! Capellani !

13 1907 était une très grande année, avec de nombreux films d’une beauté et d’une pureté incroyables. Ils représentent ce que nous appelons aujourd’hui le « cinéma des premiers temps » à un degré de perfection : la narration est organisée en tableaux qui s’enchaînent à un rythme ponctué d’intertitres (laconiques) qui se détachent des images par des couleurs contrastées. Mes notes de visionnage pour cette année arborent de nombreux passages soulignés, des points d’exclamation et des étoiles – quatre étant ma meilleure note. J’ai toujours veillé à noter le nom de la maison de production alors que le nom du réalisateur était optionnel : il n’apparaissait jamais dans les génériques originaux et ne figurerait pour la distribution et dans le catalogue du festival que si son nom était fourni par les archives. Nous ne connaissons pas le nom du réalisateur de nombreux films parmi les meilleurs produits par Pathé en 1907 : Le Petit Jules Verne est de Gaston Velle, mais qui a réalisé La Grève des nourrices ou Le Bagne des gosses ou La Course des belles-mères ou Le Pain à la campagne ? J’ai vu Les Deux Soeurs de Capellani et Le Pied de mouton la première fois simplement en tant que films de Pathé, l’un à Bois d’Arcy (« Très beaux plans des scènes de rue ! » et quatre étoiles, souligné deux fois et surligné en jaune) et l’autre au Filmarchiv en Autriche (« Pas de générique, une féerie totale, l’Escargot Géant ! » avec les quatre étoiles, encerclées avec enthousiasme). En regardant Amour d’Esclave (Pochoir. Alma Tadema. Scène avec jeune fille esclave embrassant l’hermaphrodite de Quo Vadis ?, Ballet = rêve), j’ai dessiné les étoiles les unes après les autres et je me suis demandée si ce film datait vraiment de 1907. Comme il est impossible de vérifier chacun des centaines de titres que j’ai visionnés en préparant le festival, je ne vérifie les informations fournies par les archives que si quelque chose semble anormal. Ce qui me semblait anormal dans ce cas était la sophistication de l’ensemble, alliée à l’ambition de réaliser un film à un niveau de haute culture ; cela n’était censé arriver qu’un an après, en 1908, avec le Film d’Art.

14 Mais non, le Catalogue Pathé de Bousquet confirma qu’Amour d’esclave était une scène dramatique de 1907. Le texte du catalogue ressemble à une citation d’un roman

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historique de l’époque, une projection littéraire de la munificence et de la décadence par Couperus ou Sienkiewizc. Voici les premières phrases : La scène se passe à Athènes. À l’horizon, la silhouette du Pirée sur le sombre azur du golfe d’Égine. Polymos, à demi couché sur le banc circulaire du péristyle, las des orgies, des chants, des vins et des cithares, repousse distraitement les riches étoffes, les bronzes de Corinthe, l’ambre et la nacre que lui présentent les marchands nubiens et serre ses tempes de ses mains comme un homme malade et qu’on obsède.9

15 Bousquet avait pour habitude de prendre le synopsis complet dans les catalogues de vente de Pathé et d’omettre les louanges à la fin des textes, mais pour ce film il est assez intéressant (et en accord avec mes impressions) de voir qu’elles sont entièrement citées à partir du catalogue de vente allemand de Pathé : La mise en scène excellente, la beauté de la coloration au pochoir, les décors fabuleux, le sens artistique qui transparaît derrière la réussite esthétique de chacune des scènes ainsi que l’intérêt du sujet, font de ce film l’un des plus sensationnels à avoir jamais été filmés et il est voué à rencontrer un franc succès partout.10

16 Bousquet cependant a fourni le nom du réalisateur qui n’était pas mentionné dans ma source, le catalogue de vente allemand de Pathé de 1908, et quand j’ai vérifié quels autres films avaient été réalisés par Capellani en 1907, il s’avéra qu’il s’agissait des meilleurs drames contemporains de cette année, Les Deux Sœurs, et trois féeries magnifiques – Le Pied de mouton, Cendrillon et La Vie de Polichinelle. En reprenant à rebours sa filmographie pour les années 1906 et 1905, j’ai découvert que Capellani avait aussi réalisé La Fille du sonneur et Le Chemineau, tous deux des films exceptionnels par leur qualité générale et leurs caractéristiques individuelles, qui tranchaient fortement de la moyenne : le plan d’ouverture du film, avec le vagabond se dirigeant droit sur la caméra, dans Le Chemineau, la narration présente des actions qui ont lieu en parallèle sur différents plateaux et avec un grand panorama de Paris, comme celui que regarde le sonneur de cloches qui attend le retour de sa fille toute la nuit dans La Fille du sonneur, alors que nous, le public, nous savons qu’elle est partie pour de bon.

17 Note : « Faire une programmation Capellani ? Dois voir ce qu’il a fait en 1908 ».

18 Ce qui est advenu après ce moment de cristallisation11 est expliqué dans les catalogues du festival du Cinema ritrovato (2008 à 2011) et dans le DVD « Albert Capellani. Un cinema di grandeur 1905-1911 ». Regardez Amour d’Esclave, Les Deux Soeurs et Le Pied de mouton sur le DVD et vous verrez ce que j’ai alors compris pour la première fois : la grandeur de Capellani. Tout est là, dans ces trois courts métrages.

Découvertes et restaurations

19 Les organisateurs qui préparent une rétrospective jamais encore présentée, par exemple sur Albert Capellani, doivent trouver quelles sont les pellicules qui existent et où elles se trouvent. Le mieux pour s’en assurer est de consulter la base de données de la FIAF et de demander aux aimables collègues des archives des listes des films de Capellani se trouvant dans leur collection. Dans les deux cas, tout dépend bien entendu du fait que le film a) ait été entré dans la base de données et b) l’ait été en tant qu’œuvre de Capellani. Pour que ces conditions soient remplies, il a fallu que cela apparaisse dans une source – et la principale source dans ce cas serait Bousquet, voire

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parfois Ford – en tant qu’œuvre de Capellani (je reviendrai sur le sujet problématique de sa filmographie un peu plus loin).

20 De nombreux films de Capellani ont été conservés. J’ai trouvé en tout quelques 50 copies destinées à être projetées dans les grandes collections d’Europe et des Etats- Unis : le CNC-AFF (Centre National de la Cinématographie – Archives françaises du film), la Cinémathèque française, le BFI, le Nederlands Filmmuseum (à présent le EYE Film Institute Netherlands), la Narodni Filmovy Archiv à Prague, le Gosfilmofond de Russie, la George Eastman House et la Bibliothèque du Congrès aux Etats Unis. Les œuvres des premières années (1905-1909), les grands moyens métrages (1913-1914) et les films réalisés aux Etats-Unis (1915-1922) sont plutôt bien conservés. Ce n’est pas le cas des films que Capellani a réalisés de 1910 à 1912. Parmi les 45 titres environ, seuls douze existeraient encore à présent et 33 environ seraient perdus, parmi lesquels Les Mystères de Paris, Cyrano de Bergerac et La Danseuse de Siva. Pourquoi ? J’ai posé cette question à Stéphanie Salmon en 2010, elle m’a dit qu’une raison qui expliquerait le taux de conservation lamentable de ces années pourrait être dû au fait que Pathé, dans les premières années de location de films, ait recyclé les copies de distribution qui lui avait été rendues, en grattant la couche d’image et en réémulsionnant la pellicule.

21 Peut-on espérer voir un de ces films perdus refaire surface ? Il y a eu et il peut y avoir des miracles, comme le prouvent les trois cas qui suivent.

22 En 2008, quand j’ai fait la programmation des films de Capellani de 1908, une grande partie de ses principales œuvres de cette année n’était pas disponible. On ne pensait que seule une partie de L’Assommoir (connu pour être l’un des premiers films de fiction français, d’une longueur originale de 740 m) existait encore et pour L’Homme au gants blancs, il n’y avait apparemment qu’une version fragmentaire (130 m sur un total de 310 m) et de piètre qualité – une version gonflée à partir d’un 28 mm – qui pouvait être projetée, et L’Arlésienne avait disparu, un de ces films que la légende disait perdus.

23 Les personnes à la recherche des films français des premières années consultent régulièrement le site Internet des Archives de Gaumont Pathé. Et là, au début de 2009, tout à coup, une nouvelle copie de L’Assommoir est apparue sous mes yeux incrédules, diffusée sur le site, avec un time-code et entière ! J’ai appris par Manuela Padoan, directrice des Archives de Gaumont Pathé qu’elle avait récemment découvert un stock appartenant à une dynastie de forains belges, la famille Van de Voorde, qui était composé de plus de cent films datant de 1902 à 1908 (la majorité étant des films de Pathé ou de Gaumont), et un grand nombre d’affiches, en parfait état, des mêmes années et un nombre renversant d’au moins 3 000 objets, des parties démontées d’un théâtre mécanique spectaculaire, le Théâtre mécanique Morieux avec des décors panoramiques peints gigantesques et des marionnettes mécaniques.12 L’Assommoir devait être l’un des tout derniers films que les Van de Voorde achetèrent à Pathé. De nombreux forains abandonnèrent cette pratique après le passage de la distribution de la vente à la location ; mais je ne sais pas, au jour d’aujourd’hui, à quel moment exact les Van de Voorde ont cessé de projeter des films durant leurs spectacles.

24 L’Arlésienne était une autre découverte miraculeuse. J’ai pris pour habitude de demander aux archives des listes de leurs titres de Capellani plus d’une fois et d’essayer de poser cette question à une personne différente de celle qui avait établi la liste précédente. Fin 2008, j’ai eu une deuxième ou troisième liste des films de Capellani dans la collection de Serge Bromberg et Eric Lange de Lobster : une liste de vingt-deux titres au lieu des quinze de la liste précédente et, là, dans la feuille Excel aux petits

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caractères, j’ai vu et lu « L’Arlésienne. Albert Capellani ( ?) ». J’ai regardé le mot encore et encore de peur que ce que j’appelais de mes vœux m’ait encore une fois bercée dans l’illusion ou m’ait induite en erreur dans ma lecture d’un titre similaire. Le mot imprimé noir sur blanc « L’Arlésienne » a résisté, s’est maintenu, n’a pas disparu et ne s’est pas transformé en un autre titre comme L’Absente ou L’Assommoir.

25 Un titre dans une liste sans autre spécification peut être tout (une copie nitrate en parfait état) ou pratiquement rien (un fragment, une ruine en décomposition, un négatif horrible en 16 mm). L’étape suivante est donc d’aller voir l’objet auquel se réfère le titre. Ce qui est facile à dire qu’à faire : 19 janvier 2009. Mariann Lewinsky. : Il paraît que vous avez une Arlésienne, 1908. Or, Capellani m’intéresse et je ne crois pas que le film existe ailleurs. Est-ce que tu me le fais voir quand je viens la prochaine fois, début mars ? 16 février 2009. Eric Lange : Je vais ramener la copie nitrate à Lobster lors de mon prochain voyage au stock. 17 février 2009. Eric : Le film porte bien son nom. Je n’ai pas retrouvé la copie au stock. Je serai absent la semaine prochaine. Je ferai une nouvelle tentative à mon retour. 15 avril 2009. Mariann : Est-ce que tu as récupérée [sic] l’Arlésienne ? J’ai décidé de faire tout Capellani en 2010, donc si le film est retrouvé, il m’intéresse toujours, pour le programme de l’année prochaine. Je crois que c’est un titre important et une copie extrêmement rare. 16 avril 2009. Eric : Toujours pas d’Arlésienne. Je ferai une nouvelle tentative la prochaine fois que j’irai au stock. 29 janvier 2010. Mariann : Mes notes pour L’ARLÉSIENNE : Nitrate complet, 300 m, et 16 mm. Peut-être le nitrate a disparu mais vous avez toujours le 16 ? Je pourrais passer mardi prochain. 29 janvier 2010. Eric : J’ai bien peur que cela ne soit pas possible mardi. Je ne serai pas là et les films non plus. L’ARLÉSIENNE n’est pas réapparue. 9 avril 2010 10 :30 Eric : Grande nouvelle : J’ai retrouvé l’Arlésienne. Tu pourras faire sa connaissance lors de ta prochaine visite parisienne. 9 avril 2010 12 :28 Je te confirme que notre copie de l’Arlésienne est en bon état, N & B avec titres teinté [sic] et globalement complète. Elle mesure 302 m (Bousquet donne 355), mais l’action est complète. Il manque le carton fin. 21 avril 2010 Mariann : Jeudi matin chez vous – je dois repartir pour Oberhausen de Paris-Nord à 10 25. Donc 8 30 ou 9 00. 8 45 ? 21 avril 2010. Eric : C’est parfait.

26 J’ai pris part à de tels échanges de courriers électroniques avec des amis dans d’autres archives pendant des années et je dois encore voir ce qui est resté des films Le Foulard merveilleux (1908) et Un monsieur qui a un tic (1911). Mais pour L’Arlésienne, le résultat fut fantastique ; la nouvelle pellicule de sécurité fut projetée pour la première fois à Bologne le 28 juin 2010 et, en 2011, le film fut disponible en DVD avec douze autres films de Capellani datant de 1905 à 1911, avec le tout aussi impressionnant L’Homme aux gants blancs. Ce film fut perdu et redécouvert de manière complètement différente.

27 Les copies nitrate redécouvertes de L’Assommoir et L’Arlésienne étaient suffisamment complètes pour pouvoir être dupliquées telles quelles, mais dans le cas de L’Homme au gants blancs la version complète n’a revu le jour qu’après une reconstruction comme un

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puzzle utilisant quatre éléments, tous très incomplets et issus de quatre archives différentes : ce qui restait d’un négatif nitrate de la Cinémathèque française, une version en 28 mm fragmentaire avec des intertitres en italien à Bologne et deux bobines de 28 mm avec des intertitres en français à Lobster et Eye. J’ai utilisé le scénario original et une copie nitrate positive avec une image très détériorée mais des intertitres plutôt complets (en allemand) pour me servir de référence pour la reconstruction de ce film à suspense élaboré. La restauration fut financée par la Fondation Jérome Seydoux-Pathé et la nouvelle version fut produite par L’Immagine ritrovata (Bologne).

28 À présent, plusieurs films de Capellani sont encore en attente (et je les attends) de restauration : Not’ fanfare concourt (1908, EYE, 28 mm), La Belle Limonadière (1914, CNC, image complète, pas d’intertitres), Social Hypocrites (1918, CNC, grain fin), Oh Boy ! (1919, Lobster, 28 mm) et The Inside of the Cup (1921, LoC, grain fin). Les fragments non restaurés les plus importants que je connaisse sont 65 m de Les Deux Orphelines, la première bobine de Flash of the Emerald (1915) et 200 m de The House of Mirth (1918). De nombreuses féeries, dont Riquet à la houppe (1908, BFI), ont été conservées en noir et blanc et doivent être restaurées en couleur puisque leur couleur est fondamentale pour apprécier Féeries et contes.

Etat des questions : Filmographie et Auteurisme

29 Dans leur incomparable Histoire comparée du cinéma, Jacques Deslandes et Jacques Richard ont mis à la fin de chaque partie une page consacrée à un Etat des questions. L’une de mes questions concerne la filmographie et, la question liée à la filmographie est de savoir si Capellani doit être considéré comme un auteur, ou non, ou peut-être s’il en était un pour certaines périodes de son activité et non pour d’autres.

30 Quand vous entamez des recherches sur un réalisateur, vous partez à la recherche de sa filmographie, laquelle vous donnera les grandes lignes de l’œuvre de votre héros. Nous avons la chance d’avoir comme outil la formidable filmographie de Pathé Production établie par Henri Bousquet. La tâche semble assez facile : une filmographie de Capellani élaborée à partir de l’œuvre majeure et révolutionnaire de Bousquet et complétée ou corrigée grâce à des sources et des informations supplémentaires. Toutefois, les sources auxquelles Bousquet a eu recours restent quelque peu mystérieuses, assurément pour les films d’avant 1910, mais aussi pour les années qui suivirent.13 En juin 2003, Bousquet a mentionné dans un entretien avec Michel Marie « deux anciens registres de 1907 à 1913 et de 1914 à 1926… aujourd’hui précieusement conservés par les Archives Pathé à Saint-Ouen »14, mais qu’en est-il des années précédentes, 1905 et 1906 ? Est-il possible que les registres dont Bousquet fait mention indiquent le nom du metteur en scène à côté du titre d’une production ; c’est le cas dans deux registres de la S.C.A.G.L. (que Georges Sadoul a récupéré dans une pile de détritus, comme il l’a noté dans la première page). Ils couvrent les périodes allant du (a) 2 novembre 1910 au 12 décembre 1911 et du (b) 7 mai 1913 au 3 juin 1919, mais le deuxième volume énumère des productions cinématographiques datant seulement de 1914 et avant, le reste est constitué de correspondances commerciales et de factures d’électricité. Il semble que Bousquet n’ait pas utilisé cette source primaire, puisqu’il y a de nombreux films où Capellani est noté en tant que metteur en scène, alors que Bousquet les attribue à quelqu’un d’autre (plus d’une fois, au scénariste de ces films). Et

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il nous faut tenir compte du fait que Capellani était le directeur artistique de la S.C.A.G.L. – et, à ce titre, supervisait et coréalisait beaucoup de films où il n’est pas crédité à la mise en scène.15 Il en va de même pour Ferdinand Zecca, directeur artistique aux Studios Pathé où Capellani a commencé en tant que metteur en scène fin 1905. Les premiers films de Pathé ont (outre les acteurs qui, à l’époque, étaient beaucoup plus indépendants dans leur appropriation d’un rôle, en particulier les acteurs comiques comme Linder ou Deed), probablement au moins cinq coauteurs : Ferdinand Zecca, le scénariste, le décorateur16, le metteur en scène, l’opérateur et – Ferdinand Zecca. Pour les films des années 1905-1908 attribués à Capellani, il faut le considérer comme un auteur parmi d’autres, voire comme un primus inter pares. Et certains de ses films sont des remakes comme, par exemple, Samson et La Belle au Bois dormant de 1908 qui se basent sur des titres de Pathé de 1902. Les quatre films sont tous excellents.

31 Les films de Pathé étaient clairement le fruit de productions collectives d’équipes de studios et non des créations d’un auteur-artiste. Les mémoires d’anciens collaborateurs de Pathé comme le décorateur Hugues Laurent ou l’opérateur Pierre Trimbach dépeignent avec vivacité ce travail d’équipe.17 Georges Fagot, le secrétaire de Ferdinand Zecca, se rappelle et réinvente en 1932 le commencement de Les Débuts d’un patineur.18 (J’ai transformé le texte de Fagot en mini-pièce sans changer quoi que ce soit du dialogue). (Un matin d’hiver de 1907. Capellani entre dans les studios de la rue du Bois.) Capellani : Le lac de Saint-Mande est gelé ! C’est l’occasion ou jamais de tourner une scène de patinage. Zecca : Oui, mais quelque chose de drôle. Prenons quelqu’un qui patine mal. Capellani : Ou qui ne sache pas patiner du tout. Zecca : Et de chic, pour que ce soit plus ridicule (Se frappant le front) Parbleu ! Il nous faut Max Linder !

32 D’ailleurs, Les Débuts d’un patineur ne fut pas une réalisation de Zecca ou de Capellani ou des deux, la filmographie de Pathé cite Louis Gasnier à la mise en scène. Les mémoires de Hugues Laurent regorgent d’informations techniques : noms, détails quant à la production de tel ou tel film, chiffres précis. Et il mentionne que l’équipe créative regardait toutes les semaines les nouveaux films ensemble. Tous les lundis matin, M. Charles Pathé réunissait, dans la salle de projections, le directeur des deux théâtres [Lépine, ML], les metteurs en scène, les décorateurs et les opérateurs, pour se faire présenter le travail de la semaine écoulée, discuter ce travail, y apporter des modifications (…) et donner des directives pour le travail à réaliser.

33 Laurent est un témoin très fiable même si ses mémoires sont des Souvenirs de 50 ans !…., de 1957. Grâce à lui, nous apprenons que Capellani était le metteur en scène de deux films de 1906 qui apparaissaient sans son nom dans la filmographie de Pathé : Le Prestidigitateur (qui deviendra Le Prestidigitateur pratique) et Les Amours de Pierrot (aussi La Folie de Pierrot ou La Revanche de Pierrot). Une autre source merveilleuse est constituée par les mémoires de Pierre Trimbach, opérateur sur de nombreux films de Capellani à la S.C.A.G.L. : celui-ci décrit la manière dont Capellani conduisit une équipe de tournage jusqu’au siège des membres de la Bande à Bonnot, mais aussi comment Debussy traînait au studio de Vincennes et rêvait de filmer La Cathédrale engloutie ; il raconte aussi comment Capellani tourna un film se déroulant dans un village exotique avec des cactus, des palmiers et des habitants noirs sommairement vêtus et avec, dans le rôle du méchant, un crocodile (remplaçant la panthère, trop nerveuse pour jouer ce jour-là)

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qui attaquait une jeune Française perdue dans la forêt. Quelqu’un a-t-il une idée du film de Capellani dont il pourrait s’agir ? Je suis ouverte à toute suggestion.

34 La grande saga de Capellani va se poursuivre. J’espère être en mesure de faire restaurer plus de films et de présenter à nouveau une programmation à Bologne. J’aimerais aussi faire une recherche complète, mais mes priorités, en termes de temps, sont différentes et je suis donc très reconnaissante envers ceux qui font des recherches sur Albert Capellani.

35 Pour finir, mon travail était le fruit d’une entreprise individuelle et un risque. Ce qui m’a énormément aidée est la passion d’autres personnes pour Capellani et je les remercie d’avoir voulu si fortement voir un film précis, ou le plus de films possible, de Capellani : cela qui ne m’a pas laissé d’autre choix que de visionner et de montrer le plus grand nombre possible d’entre eux à Bologne. Bryony Dixon est partie avec moi en quête d’éléments de La Vie de Polichinelle qui auraient été préservés et, pour l’instant, nous avons trouvé la deuxième moitié de ce film deux fois, dans une qualité excellente mais, malheureusement, rien de bien pour la première moitié. David Mayer a écrit une lettre fervente et revigorante « récupérant encore du plaisir extraordinaire du Pied de Mouton… ce film remarquable qui, en environ un quart d’heure, utilisait tous les effets mécaniques du théâtre du XIXe siècle : deux trappes à apparition, deux trappes dans les étoiles, une toile de fond fluide permettant des apparitions soudaines, des battants tombants pour changement de décor, des praticables qui se rabattent sur le côté et des élévateurs, des effets de séparation et de disparition, de flottement et une transformation en apothéose ».

36 Jay Weissberg et moi sommes devenus des collectionneurs d’Albert Capellani le mois dernier. Nous achetons ou acceptons les copies des films perdus de Capellani, au cas où vous en auriez à vendre ou à donner.

NOTES

1. En 1991, j’ai assisté aux projections de la collection Komiya au Centre National du Film du Musée d’Art Moderne de Tokyo et, depuis, j’ai toujours utilisé les publications qui les accompagnaient: le nom de Capellani apparaît en toutes lettres quatre fois, en tant que réalisateur de Quatre-vingt treize, Samson, La Légende de Polichinelle et Athalie (Film Center 89, Hakko sareta eigatachi — Komiya Tomijiro korekushion, Tokyo 1991, pp. 34, 43, 44, 47). Durant l’atelier d’Amsterdam de 1995, « Disorderly order: Colour in », La Belle au Bois dormant et Deux enfants dans la forêt furent projetés en tant que films de Capellani; j’ai participé à l’atelier – ses programmes étaient une grande source d’inspiration pour le futur organisateur de la série « Cento anni fa » – et j’ai souvent utilisé la brochure publiée pour y chercher la distribution des films. 2. Albert Capellani. Un cinema di grandeur 1905-1911, a cura di Mariann Lewinsky. DVD et fascicule en italien, français et anglais. Edités par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et la Cineteca di Bologna (2011). 3. Coffret Albert Capellani. Les films restaurés d’un pionnier du cinéma, La Cinémathèque française et la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé (2011).

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4. Pour 2012, la présente édition de 1895 Revue d’histoire du cinéma; pour 2013, une monographie de Christine Leteux, éditée par La Tour Verte et pour 2014 une publication chez University Press aux Etats-Unis. 5. www.davidbordwell.net/blog/2011/07/14/capellani-trionfante / 6. Pierre Trimbach, Le cinéma il y a 60 ans – uand on tournait les manivelles. Editions CEFAG (1970), p. 15. 7. Voir la base de données en ligne: www.cinetecadelfriuli.org 8. NdT. Les mots en italiques sont en italiques et en français dans le texte original. 9. voir la filmographie en ligne: www.fondation-jeromeseydoux-pathe.com 10. T raduction de la traduction de Mariann Lewinsky. Supplément de la première semaine de décembre 1908 s.p. La photocopie que j’ai consultée à la bibliothèque de la Fondation Jérôme Seydoux Pathé contient des annotations et des retraductions des titres des films en français de la main d’Henri Bousquet. 11. Le point de non-retour quand on tombe amoureux que décrit Stendhal en 1822, dans De l’Amour. 12. Les films et les affiches furent acquis et restaurés par ceux qui les avaient produits cent ans plus tôt, Gaumont et Pathé, les objets, par Jean-Paul Favand, collectionneur et propriétaire du Musée des arts forains. On peut en voir une sélection à l’exposition « Dreamlands » (5. 5.-9. 8. 2010) au Centre Pompidou. Voir www.arts-forains.com 13. Henri Bousquet ne cite pas toujours ses sources, mais, comme c’est Bousquet, il est exclu qu’il ait donné une information sans l’avoir trouvée dans une source. Il est toutefois possible qu’il ait eu recours à des sources secondaires et peu fiables comme la filmographie de Charles Ford. 14. La firme Pathé Frères, 1896-1914, sous la direction de Michel Marie et Laurent Le Forestier, avec la collaboration de Catherine Schapira. Paris, AFRHC, 2004. 15. Voir la remarque de conclusion de Bernard Basset dans la partie sur son grand-père sur www.lips.org/bio_capellani.asp 16. Selon les mémoires de Gaston Dumesnil, ils touchaient les mêmes salaires que le metteur en scène, en moyenne 400 francs en or, en 1906. Bulletin de l’Association française des ingénieurs et techniciens de cinéma, n° 16, 1957, p. 11. 17. Hugues Laurent, « Le décor de cinéma et les décorateurs », – le Bulletin de l’Association française des ingénieurs et techniciens de cinéma, n° 16, 1957, p. 3-10. Christine Leteux m’a aidée à trouver ce texte important à la BnF. 18. « A l’aube du cinéma, Les Souvenirs de Georges Fagot », L’Image, n° 30, 1932, p. 28.

AUTEURS

MARIANN LEWINSKY Responsable depuis 2005 de la section Cento anni fa au Festival « Il Cinema ritrovato » de Bologne, Mariann Lewinsky a proposé une histoire du cinéma indépendante des canons traditionnels. Elle a été responsable des tout premiers cycles sur Léonce Perret, Albert Capellani et Loïs Weber et elle a dirigé de nombreux projets de restauration. Auteur de livres et d’essais, elle a aussi publié les trois DVD édités par la Cinémathèque de Bologne, European Cinema in 1909, Comic Actresses and Suffragettes et Albert Capellani, A Cinema of Grandeur 1905-1911.

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La restauration des films d’Albert Capellani détenus par les Archives françaises du film (CNC)

Caroline Patte

1 Avec la création des Archives françaises du film du Centre national du cinéma et de l’image animées (CNC) en 1969, l’Etat prenait avant tout en charge l’inventaire et la conservation des films anciens sur support nitrate. Mais l’objectif était aussi d’entreprendre des travaux de restauration pour les éléments particulièrement en danger. Avec la mise en place d’un laboratoire autonome, au début des années 70, puis avec le lancement du « plan nitrate » au début des années 90, un travail de restauration d’envergure s’est mis en place. Dès les premières années d’activité des Archives françaises du film, Albert Capellani a fait l’objet d’un intérêt particulier, avec entre autre la publication des recherches de Charles Ford sur la carrière du réalisateur et avec la prise en charge de la restauration de ses films déposés aux Archives françaises du film (AFF)1.

2 Le travail d’inventaire et d’identification est un préalable nécessaire avant tous travaux de restauration. L’analyse et la comparaison de tout le matériel lié à un film permet de sélectionner les meilleurs éléments pour effectuer la restauration. Cette sélection se fait selon des critères physiques (état de la pellicule, longueur ou durée, état des couleurs) et techniques (nature de l’élément). Un négatif sera toujours le meilleur élément d’un point de vue technique, mais pas toujours le plus intéressant.

3 La collection de films d’Albert Capellani conservée aux AFF provient de différents dépôts. Il s’agit dans la plupart des cas de copies d’exploitation, parfois d’éléments uniques, avec ou sans inter-titres, souvent en couleurs et dans un état physique variable. Nous avons pu constater des dégradations physiques, biologiques ou chimiques liés à la nature du support de la pellicule et des conditions de conservation. Dans le cas de négatifs, nous sommes obligatoirement en présence d’éléments noir et blanc, non montés dans l’ordre. Les plans sont assemblés en rouleaux selon la lumière nécessaire au tirage et selon la teinte finale dans la copie. Les rouleaux comprennent aussi les indications d’emplacement des intertitres.

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4 Très tôt, la couleur est apparue au cinéma en utilisant divers procédés. Les principales techniques utilisées étaient le coloriage et le pochoir ou encore le teintage. Elles s’appliquaient sur un positif noir et blanc. Dans le cas des coloriages, l’application de plusieurs couleurs se faisaient aux pinceaux de manière manuelle sur chaque image. La technique du pochoir reprend le principe du coloriage, mais à travers des pochoirs. Dans le cas du teintage, la mise en couleur se faisait par des passages dans des bains colorés. Les solutions colorées se déposaient sur le support de la pellicule. Chaque couleur de teintage étant bien souvent choisie en fonction des ambiances ou de repères spatiaux. Les indications de couleurs étaient notées sur les amorces qui précédaient chaque rouleau de tirage. C’est après le tirage des éléments positifs qu’avait lieu le montage narratif avec insertion des cartons titres en français ou dans une autre langue selon le pays de diffusion.

5 Quand nous n’avons que le négatif entre les mains, il est difficile de restituer les couleurs d’origine souhaitées, sans références visuelles. Sauf dans le cas des films Pathé, il est possible de se baser sur les références codifiées des couleurs dans l’ouvrage Le Film vierge Pathé.

6 Jusque dans les années 70, la restauration des films couleur muets se faisait beaucoup en noir et blanc. C’est pourquoi, les spectateurs ont oublié que ces films pouvaient être projetés en couleur. Par la suite, les Archives et Cinémathèques, dont les AFF, ont entrepris à nouveau des restaurations en couleurs de ces films à partir de références solides. A présent, les spectateurs peuvent redécouvrir la couleur sur ces films muets.

7 Dans le cas des films d’Albert Capellani, faute de négatifs, nous avions donc essentiellement en dépôt des copies couleurs. De cette façon, la restauration entreprise permit la restitution des couleurs de l’original, du moins telles qu’elles nous sont parvenues. De plus, les copies possédaient aussi leurs intertitres d’origine. La restauration se fait en dupliquant les copies sur un support intermédiaire couleur. Avec ce procédé, les couleurs obtenues sont proches des couleurs originales, mais le film conserve certains défauts laissés par le passage du temps (décomposition, fadeur, etc.). Même si ce procédé peut faire perdre du contraste, nous sommes au plus proche des couleurs de l’original.

8 Dans le cas de ce corpus de films de Capellani identifiés et restaurés aux Archives françaises du film, il y a autant de situations qu’il y a de films. Chaque restauration a été un défi particulier. Et c’est avec beaucoup d’enthousiasme que ce travail a été entrepris en prévision de la rediffusion des films auprès d’historiens, de chercheurs, et aussi du public, revisitant l’œuvre du cinéaste pour la première fois depuis des décennies. L’ensemble des travaux menés dans les différentes Archives et Cinémathèques a permis de réévaluer l’apport de Capellani à l’histoire du cinéma, d’étudier les techniques utilisées par les laboratoires d’origines (Pathé), et de mieux percevoir la place centrale du cinéaste dans les premières années du cinéma français. À noter que l’inventaire des collections se poursuit, avec l’espoir de retrouver encore des films considérés comme perdus d’Albert Capellani.

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Fiches techniques de restauration des films d’Albert Capellani détenus par les Archives françaises du film

9 La Loi du pardon (1906) Elément d’origine : Copie 35 mm nitrate, déposée par un collectionneur. 138 m, 7 minutes, 16 i / s. noir et blanc + intertitres teintés en rouge. État médiocre. Léger affaiblissement de l’image par intermittence. Image légèrement affecté de taches bleues. Absence carton mot fin. Date dépôt : 1978 Elément obtenu : copie 35 mm, 137 m, 7 minutes, 16 i / s. avec reconstitution des intertitres. Date des travaux : 1994. Note : Restauration à partir d’une copie nitrate noir et blanc mais qui présente des défauts photographiques avec affaiblissement de l’image par intermittence. Mais la restauration a permis de rattraper ces défauts.

10 La Fille du sonneur (1906) Elément d’origine : Copie 35 mm nitrate acquise par le CNC auprès d’un collectionneur. 194 m, 10 minutes, 16 i / s, noir et blanc + teinté. Titre et intertitres trop courts. Défauts physiques majeurs : décomposition et perforations arrachées par intermittence. Date dépôt : 1981 Elément obtenu : copie 35 mm, 197 m, 10 minutes, 16i / s, noir et blanc + teinté. Avec des passages de décomposition photographique. Remise à longueur du titre et des intertitres pour une meilleure lecture. Date des travaux : 1993. Note : La copie a été acquise par le CNC en 1981, et elle est la seule copie existante connue. Elle présentait des signes de décomposition en début sur environ 40 mètres. Par conséquent la copie obtenue en couleur est incomplète avec de nombreux défauts photographiques dus à l’état physique de l’original. Malgré cela, la restauration s’est faite en couleur avec remise à longueur de lecture des intertitres et du titre. Malgré le manque de début, la narration reste compréhensible.

11 Cendrillon ou la pantoufle merveilleuse (1907) Elément d’origine : Copie 35 mm nitrate, 260 m, 14 minutes, 16 i / s, noir et blanc + teinté + pochoir (sur les 16 derniers mètres). Il manque le début et le mot fin. Intertitres en anglais. Elle présente de nombreuses rayures côté émulsion et côté support. Cette copie a été donnée aux Archives françaises du film du CNC par la Bundesarchiv en 1988 dans le cadre des échanges entre membres de la Fédération Internationale des Archives du Film (FIAF). Date dépôt : 1988 Elément obtenu : une copie 35 mm 269 m, 13 minutes, 16 i / s, couleur; remontage d’intertitres français issus d’une copie appartenant à une institution privée française, mais présentant des couleurs dénaturées et de nombreux défauts physiques, et plus incomplète (noir et blanc + teinté + pochoir, 252m) Date des travaux : 1994 Note : Malgré l’absence de début et de fin, la copie de la Bundesarchiv présente une continuité narrative.

12 Les Deux Sœurs (1907) Elément d’origine : Copie 35 mm nitrate, déposée par un collectionneur. 194 m,

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9 minutes, 16 i / s. Noir et blanc + teinté. Avec de nombreux défauts physiques dont des tâches de rouille en fin. Il existe aussi un négatif nitrate en 8 rouleaux non montés, moisi, pellicule Pathé à une perforation avec indication des emplacements des intertitres. Date dépôt : 1980 Elément obtenu : copie 35 mm, 194 m, 9 minutes, 16i / s, noir et blanc + couleur. Date des travaux : 1992 Note : Les tâches de moisi n’ont pu être complètement éliminées lors de la restauration.

13 Les Apprentissages de Boireau (1907) Elément d’origine : Copie nitrate incomplète, 35 mm, 108 m, 5 minutes, 16 i / s. Noir et blanc + teinté, intertitres en anglais. Il manque environ 100 m en fin. Cette copie a été donnée aux Archives françaises du film du CNC par la Bundesarchiv en 1988 dans le cadre des échanges entre membres de la Fédération Internationale des Archives du Film (FIAF). Date de dépôt : 1988 Elément obtenu : Copie 35 mm, 105 m, 6 minutes, 16i / s, couleur. Incomplète. Manque de fixité dû à l’original. Date des travaux : 1996 Note : Récemment, une nouvelle copie plus complète a été déposée aux AFF. Une nouvelle restauration pourrait être envisagée prochainement.

14 La Légende de Polichinelle (1907) Elément d’origine : copie 35 mm nitrate déposée par une institution privée. 245 m, 13 minutes, 16 i / s, noir et blanc. Défaut physique majeur : gélatine fondue. Date de dépôt : 1990 Elément obtenu : contretype 35 mm, 212 m, 11 minutes, 16 i / s. noir et blanc. Incomplet. Image affaiblie sur la moitié du film. Date des travaux : 1991 Note : Travaux de sauvegarde d’un élément en mauvais état, alors qu’à l’époque le film était dit perdu.

15 Aladin ou la Lampe merveilleuse (1907) Elément d’origine : copie 35 mm nitrate déposée par une institution d’Etat. 225 m, 10 minutes, 16 i / s, noir et blanc + pochoir + teinté. Avec des traces de rouille et une absence partielle d’image. Date de dépôt : 1972 Elément obtenu : Internégatif 35 mm, 236 m, 12 minutes, 16 i / s. Noir et blanc + couleur. Date de la sauvegarde : 1974 Note : Travaux de sauvegarde d’un élément en mauvais état, alors qu’à l’époque le film était dit perdu.

16 Le Pied de mouton (1907) Elément d’origine : copie 35 mm nitrate, déposée par un collectionneur. 278 m, 15 minutes, 16 i / s, noir et blanc + pochoir (Procédé Pathécolor) + intertitres teintés Date dépôt : 1974 Elément obtenu : copie 35 mm, 282 m, 15 minutes, 16 i / s. Couleur. Quelques sauts dans l’image et manque de fixité sur quelques séquences. Date des travaux : 1994 Note : Le tirage d’une nouvelle copie en 2000 a été nécessaire, pour répondre aux

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nombreuses demandes de projection. Création d’un carton de présentation du titre, pose du mot fin.

17 La Vestale (1908) Elément d’origine : copie 35 mm nitrate, déposée par un collectionneur. 206 m, 11 minutes, 16 i / s, noir et blanc + teinté + pochoir (Procédé Pathécolor). Absence du mot fin. Date dépôt : 1974 Elément obtenu : copie 35 mm inversible couleur, 212 m, 11 minutes, 16 i / s, cadrage sonore. Date des travaux : 1995 Note : restauration complète de l’élément, avec pose d’un carton de présentation du titre. Le choix d’une copie inversible s’est imposé par souci d’économie.

18 Le Chat botté (1908) Elément d’origine : copie 35 mm nitrate incomplète, déposée par un collectionneur. 200 m, 11 minutes, 16i / s. Noir et blanc + pochoir, en très mauvais état. Défaut physique majeur : gélatine fondue par intermittence. Date dépôt : 1974 Elément obtenu : copie 35 mm, 202 m, 11 minutes, 16 i / s, noir et blanc, incomplet. Date des travaux : 1976 Note : Restauration à partir d’un élément au pochoir en très mauvais état. Les couleurs étaient trop dénaturées pour envisager une restauration couleur.

19 Notre-Dame de Paris (1911) Elément d’origine : copie 35 mm nitrate en 3 bobines déposée par une institution privée. 719 m, 39 minutes, 16 i / s. Noir et blanc + intertitres teintés. Pellicule gondolée par intermittence. Mot fin trop court. Date dépôt : 1984 Elément obtenu : copie 35 mm, 725 m, 39 minutes, 16 i / s, noir et blanc. (intertitres noir et blanc) Date des travaux : 1995 Note : Seuls les intertitres étaient en couleur (orange et vert). C’est pourquoi le choix a été fait de faire une restauration uniquement en noir et blanc de tout le film. Remise à longueur de lecture du mot fin.

20 La Belle Limonadière (1914) Elément d’origine : négatif image avec parfois des plan en tri-acétate, déposé par une société de production. 1 425 m, 69 min, 18 i / s. défauts de dépolissage. Non montés : indication de l’emplacement des intertitres par des croix. Date de dépôt : 2001 Elément obtenu : Copie 35 mm, 1 432 m, 69 m, 18i / s. sans intertitres. Traces de moisissures par intermittence, élément issu de supports différents. Effet de pompage Date des travaux : 2001 Note : Travaux incomplets car il manque les intertitres. La narration n’est pas compréhensible.

21 Social hypocrites (1918) Elément d’origine : copie 35 mm nitrate déposée par une institution d’Etat. 1 054 m, 51 minutes, 18 i / s. noir et blanc + teinté Date de dépôt : 1971 Elément obtenu : copie 35 mm, 1.140 m, 18 i / s. noir et blanc.

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Date des travaux : 2012. Note : Le contretype date de 1974. Les intertitres présentaient un problème de contraste important. La copie a été tirée en 2012.

NOTES

1. Le CNC a édité en 1984 la monographie de Charles Ford Albert Capellani, précuseur méconnu. Malgré ses imperfections et ses erreurs, cette publication unique à l’époque marque l’intérêt de l’Institution pour l’œuvre du cinéaste, mais curieusement sans s’appuyer sur les collections déposées au CNC. Or, plusieurs titres étaient déjà présents, déposés par des collectionneurs pour la plupart. Certains travaux ont été réalisés il y a plusieurs années, mais le projet de programmation du festival Il Cinema ritrovato a placé le travail de restauration de l’œuvre de Capellani au cœur des activités du CNC, vingt ans après la publication de l’ouvrage de Ford.

AUTEUR

CAROLINE PATTE Chargée d’étude pour la valorisation des collections aux Archives françaises du film, Caroline Patte a d’abord été monteuse avant d’intégrer le laboratoire de restauration des AFF, puis ensuite l’équipe du Service des acquisitions, de la valorisation et de l’enrichissement des collections où elle prend en charge la recherche documentaire, la programmation et l’accueil du public. Elle a déjà participé comme co-auteur au livre Du Praxinoscope au cellulo : un demi-siècle de cinéma d’animation en France (1892-1948).

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Filmographie

Éric Le Roy

1 Pour établir cette filmographie, il a fallu surmonter les difficultés liées au manque cruel de sources fiables, notamment pour la partie française. Cette information n’est pas récente, mais, contrairement à d’autres cinéastes et producteurs de la période des débuts du cinéma, Albert Capellani n’a pas laissé d’archives, de documents et de sources permettant d’assurer ou d’écarter tel ou tel titre. De plus, le nom d’Albert Capellani n’apparaît quasiment pas aux génériques, dans les programmes édités par Pathé ou la SCAGL, ni sur les affiches et très peu dans la presse corporative, à l’exception de sa période américaine. Nous sommes encore au règne des comédiens, du vedettariat et avec une production française (particulièrement chez Pathé) à son zénith.

2 Donc, en dépit de documents de première main, il a fallu reconstituer, à partir de filmographies existantes mais incomplètes ou erronées, le fil de la production d’Albert Capellani avec les travaux d’historiens, monographies ou portraits de comédiens, en les croisant avec d’autres recherches monographiques attribuant tel ou tel film à tel au tel autre cinéaste, en écartant des titres cités mais n’existant dans aucune autre source fiable. Enfin, les programmations récentes à la Cineteca di Bologna (Il Cinema ritrovato) ont permis d’assembler un certain nombre d’informations.

3 La filmographie réalisée est donc basée sur une méthode scientifique utilisant des documents existants et fiables. Le résultat est, me semble-t-il, crédible, avec des données moins fournies pour la période française que pour les films tournés outre- Atlantique, là où la masse de données est infiniment plus complète. Il en résulte une sorte de distorsion entre ces deux périodes et lieux de création.

4 Ce minutieux travail a pris fin sans que je puisse néanmoins prétendre à l’exhaustivité. Ce patient échenillage a entrainé pointages, relectures et vérifications, réflexions ou hypothèses à propos de titres similaires à plusieurs années de distance, de titres évanescents, jouant les doublons… Cela dit, il il reste encore des points d’interrogation.

5 De 1906 (Le Chemineau) à 1908, tous les films, sauf indication contraire, sont produits et édités par Pathé Frères ; et de 1908 (L’Arlésienne) à 1917 (Marie Tudor), les films, sauf indication contraire, sont produits par la SCAGL et édités par Pathé Frères. Concernant

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la chronologie, la date du film retenue est celle de la sortie et à défaut celle du numéro de catalogue Pathé.

6 Il nous a semblé nécessaire d’établir une liste, dans une section séparée, comportant erreurs et incertitudes. Celle-ci est basée sur des éléments contradictoires, des attributions erronées, et permet de les faire apparaître pour ne pas oublier qu’elles ont été définitivement écartées de la carrière d’Albert Capellani.

7 Enfin, l’œuvre d’Albert Capellani est dans le domaine public depuis 2002 : il n’y a donc aucune indication d’ayant droit pour ses films.

8 Ce travail filmographique n’aurait jamais vu le jour sans l’aide et le soutien actif de Dominique Moustacchi pour la période française et de Jay Weissberg pour la période américaine : qu’ils en soient ici vivement et chaleureusement remerciés. Je remercie également pour leur contribution Jean A. Gili, Patricia Novillo, Béatrice de Pastre et Caroline Patte.

BIBLIOGRAPHIE

Sources

Albert Capellani, précurseur méconnu, par Charles Ford, édition Centre national de la cinématographie, 1984, 55 p.

Catalogue des films français de fiction 1908-1918, par Raymond Chirat, avec la collaboration de Eric Le Roy, édition Cinémathèque française, 1995.

Filmographie Pathé (www.fondation-jeromeseydoux-pathe.com) basée sur les travaux de Henri Bousquet et complétée par d’autres sources.

Le portrait d’Albert Capellani dans Pathé-Journal

Les revues corporatives : Ciné-Journal (1908-1938), Phono-Ciné-Gazette (1905-1909), Le Cinéma et l’Echo du cinéma réunis (1912-1923), Le Courrier cinématographique (1911-1937), Hebdo-Film (1917-1923).

Le livre de comptes de la SCAGL (Cinémathèque française / Bifi).

Le matériel publicitaire existant (archives de la Fondation Pathé, collection Richard Koszarzki).

The American Film Institute Catalog. Feature films, 1911-1920, 1921-1930, édition AFI, 1999.

Catalog of Copyright Entries Motion Pictures, 1912-1939, Library of Congress, 1951.

Wid’s Film and Film Folk, 1915-1916; Wid’s Independent Review of Feature Films, 1916-1918; Wid’s Daily, 1918-1921; Film Daily, 1922-1927.

Hebdo-Film (1918-1923), collection des Archives françaises du film-CNC.

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Les copies de films projetés et référencés dans les catalogues de festivals (notamment Il Cinema ritrovato, Bologne ; Le Giornate del cinema muto, Pordenone) ont permis d’indiquer la localisation des films et leur restauration.

ANNEXES

Le Chemineau Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Heuzé, Albert Capellani (d’après Charles Ford) D’après : le roman Les Misérables (Livre Deuxième) de Victor Hugo (1862) Métrage : 110 Première mondiale : janvier 1906, Cineografo Americano, Trieste (Italie) Date de sortie : 21 mars 1906, Basilo Cinématographe, Foire de Mars, Bordeaux Interprétation : Louise Willy, Liane de Pougy, Paul Capellani, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : Eye Film Institute Nederlands Notes : Sujet dans le Supplément du Catalogue Pathé de décembre 1905, n° 1330 du catalogue Pathé. Drame passionnel Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Heuzé Métrage : 125 Date de sortie : 30 mai 1906, Cinématographe Bellecour, Lyon Sauvegarde-restauration : Pathé production (Gaumont Pathé Archives) Notes : Sujet dans le Supplément du Catalogue Pathé d’avril-mai 1906, n° 1407 du catalogue Pathé, Publicité dans L’Avenir Forain n° 54, 15 mai 1906. La Voix de la conscience Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Heuzé Métrage : 85 Dates de sortie : 5 octobre 1906, Mondial Cinéma, Cirque, Rouen, 7 août 1908, Empresa Fontenelle e Cia, Teatrinho Iracema, Fortaleza (Brésil). Interprétation : Louise Willy, Liane de Pougy, Paul Capellani, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford) Notes : Sujet dans le Supplément du Catalogue Pathé de février 1906, n° 1354 du catalogue Pathé. Pauvre mère Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Heuzé Métrage : 115 Date de sortie (Paris) : 26 octobre 1906, American Vitographe, Renaissance Music-Hall Interprétation : Louise Willy, Liane de Pougy, Paul Capellani, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : Pathé production (Gaumont Pathé Archives)

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Notes : Sujet dans le Supplément du Catalogue Pathé de septembre 1906, n° 1525 du catalogue Pathé La Loi du pardon Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Heuzé Métrage : 145 Première mondiale : 3 novembre 1906, Empresa Star Company, Sao Paulo (Brésil) Interprétation : Louise Willy, Liane de Pougy, Paul Capellani, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : AFF Notes : Sujet dans le Supplément du Catalogue Pathé d’avril-mai 1906, n° 1381 du catalogue Pathé La Fille du sonneur Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Heuzé Métrage : 235 Date de sortie : 4 novembre 1906, Cinématographe Universal, Marseille Date de sortie (Paris) : 14 décembre 1906, American Vitographe, Renaissance Music- Hall Interprétation : Gabriel Moreau, Renée Coge, la petite Ransart (d’après Bousquet) / Louise Willy, Liane de Pougy, Paul Capellani, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : AFF, Lobster films Notes : Sujet dans le Supplément du Catalogue Pathé de septembre 1906, n° 1508 du catalogue Pathé La Femme du lutteur Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Heuzé Métrage : 150 Date de sortie : 22 décembre 1906, Stinson Bio, Cirque, Rouen Interprétation : Louise Willy, Liane de Pougy, Paul Capellani, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : Pathé production (Gaumont Pathé Archives) Notes : Sujet dans le Supplément du Catalogue Pathé d’octobre 1906, n° 1550 du catalogue Pathé Mortelle Idylle Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Heuzé Métrage : 105 Interprétation : Louise Willy, Liane de Pougy, Paul Capellani, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : Pathé production (Gaumont Pathé Archives) Notes : Sujet dans le Supplément du Catalogue Pathé d’août 1906, n° 1477 du catalogue Pathé L’Âge du cœur Autre titre : Les Drames du cœur (d’après Charles Ford) Réalisation : Albert Capellani

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Scénario : André Heuzé Métrage : 85 Date de sortie (Paris) : 15 février 1907, Artistic Cinéma Interprétation : Louise Willy, Liane de Pougy, Paul Capellani, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : Gaumont Pathé Archives Notes : Sujet dans le supplément du Catalogue Pathé d’octobre 1906, n° 1554 du catalogue Pathé Cendrillon ou la pantoufle merveilleuse Autre titre : Cendrillon Réalisation : Albert Capellani (attribution) Scénario : Albert Capellani, Michel Carré (D’après Charles Ford) D’après : le conte de Charles Perrault Métrage : 295, en couleurs Date de sortie (Paris) : 15 février 1907, Omnia Pathé Sauvegarde-restauration : AFF Notes : Annoncé dans le Supplément du Catalogue Pathé de janvier 1907, n° 1557 du catalogue Pathé Les Deux Soeurs Réalisation : Albert Capellani (attribution) Scénario : Albert Capellani, Michel Carré (d’après Charles Ford) Métrage : 225 Date de sortie (Paris) : 13 avril 1907, Omnia Pathé Sauvegarde-restauration : AFF Notes : Avril 1907, n° 1681 du catalogue Pathé Amour d’esclave Autre titre : Amours d’esclave Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani, Michel Carré (d’après Charles Ford) Métrage : 210 dont 160 en couleurs Date de sortie (Paris) : 17 mai 1907, Omnia Pathé Interprétation : Gabriel Moreau, Darenne Bennard Sauvegarde-restauration : Eye Film Institute Nederlands Notes : Annoncé dans le Supplément du Catalogue Pathé de mai 1907, n° 1688 du catalogue Pathé Les Apprentissages de Boireau Réalisation : Albert Capellani Métrage : 205 m Date de sortie (Paris) : 24 mai 1907, Omnia Pathé Interprétation : André Deed, Aurèle Sydney Sauvegarde-restauration : AFF Notes : Annoncé dans le Supplément du Catalogue Pathé de mai 1907, n° 1730 du catalogue Pathé La Légende de Polichinelle Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani, Michel Carré (d’après Charles Ford)

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Métrage : 410 dont 40 en couleurs Date de sortie : 21 juin 1907, Pathé Grolée, Lyon Interprétation : Max Linder (Polichinelle) Sauvegarde-restauration : AFF Notes : Juin 1907, n° 1783 du catalogue Pathé La Fille du bûcheron Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani, Michel Carré (d’après Charles Ford) Métrage : 185 Date de sortie : 21 juin 1907, Pathé Grolée, Lyon Notes : Juin 1907, n° 1796 du catalogue Pathé Not’fanfare concourt Autre titre : Notre fanfare concourt (d’après Charles Ford) Réalisation : Albert Capellani Métrage : 195 Date de sortie (Paris) : 25 juillet 1907, Omnia Pathé Interprétation : André Deed Notes : Août 1907, n° 1837 du catalogue Pathé Aladin ou la lampe merveilleuse Autre titre : Aladin Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Heuzé, Albert Capellani (d’après Charles Ford) D’après : les Mille et une nuits Photographie : Segundo de Chomon Décor : Hugues Laurent Trucages : Segundo de Chomon Métrage : 250 dont 35 en couleurs Date de sortie : 17 novembre 1907, The Royal American Cinématographe, Café de Paris, Limoges Interprétation : Georges Vinter (Aladin) (d’après Henri Bousquet) / Louise Willy, Liane de Pougy, Paul Capellani, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford), André Deed (d’après Jean A. Gili) Sauvegarde-restauration : AFF Notes : Sujet dans le Supplément du Catalogue Pathé d’octobre 1906, n° 1506 du catalogue Pathé. Possible collaboration de Floury sur ce titre (d’après le catalogue Chirat-Le Roy). Le Pied de mouton Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani, Michel Carré (d’après Charles Ford) Effets spéciaux visuels : Segundo de Chomon Décor : Hugues Laurent Métrage : 300 dont 195 en couleurs Date de sortie (Paris) : 27 décembre 1907, Le Cirque d’Hiver Sauvegarde-restauration : AFF, Filmarchiv Austria Notes : Conte féerique en 10 tableaux. Novembre 1907, n° 1960 du catalogue Pathé. Possible collaboration de Floury sur ce titre (d’après Chirat-Le Roy).

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La Vestale Réalisation : Albert Capellani Métrage : 225 dont 168 en couleurs Date de sortie (Paris) : 22 janvier 1908, Omnia Pathé Sauvegarde-restauration : AFF Notes : Mars 1908, n° 1922 du catalogue Pathé Don Juan Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani, Michel Carré (d’après Charles Ford) D’après : la pièce de Molière Métrage : 300 dont 200 en couleurs Date de sortie (Paris) : 3 avril 1908, Le Cirque d’Hiver Interprétation : Paul Capellani (Don Juan), Henri Desfontaines (Sganarelle) Notes : Mai 1908, n° 2140 du catalogue Pathé Samson Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani, Michel Carré (d’après Charles Ford) Métrage : 330 dont 316 m en couleurs Date de sortie : 8 mai 1908, Pathé Grolée, Lyon Interprétation : Ravet Sauvegarde-restauration : National Film Center (National Museum of Modern Art, Tokyo). Notes : Floury est parfois cité comme co-réalisateur. Juin 1908, n° 2179 du catalogue Pathé. MPW. 5 septembre 1908 Béatrix Cenci Autre titre : Béatrice Cenci Réalisation : Albert Capellani Scénario : Michel Carré (d’après Charles Ford) D’après : Giuseppe Rota Métrage : 225 Date de sortie (Paris) : juin 1908, Artistic Cinéma Interprétation : Staca Napierkowska, Henri Desfontaines (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : CF Notes : Juin 1908, n° 2224 du catalogue Pathé, Compte rendu dans le MPW du 20 juin 1908 La Belle et la Bête Réalisation : Albert Capellani D’après : le conte de Jeanne Marie Le Prince de Beaumont (1757) Métrage : 190 m dont 160 en couleurs Date de sortie (Paris) : juin 1908, Le Cirque d’Hiver Sauvegarde-restauration : Lobster Films (fragment). Notes : Août 1908, n° 2252 du catalogue Pathé, Compte rendu dans le MPW du 14 novembre 1908 Le Foulard merveilleux Réalisation : Albert Capellani Métrage : 145

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Date de sortie (Paris) : Juillet 1908 ? Interprétation : André Deed, Aurèle Sidney Sauvegarde-restauration : British Film Institute Notes : Juillet 1908, n° 2204 du catalogue Pathé Riquet à la houppe Réalisation : Albert Capellani D’après : le conte de Charles Perrault (1697) Métrage : 290 dont 212 en couleurs Interprétation : Georges Monca (le Roi) Notes : Juillet 1908, n° 2221 du catalogue Pathé, Compte rendu dans le MPW du 29 août 1908 Le Chat botté Réalisation : Albert Capellani D’après : le conte de Charles Perrault (1697) Métrage : 225 dont 204 en couleurs Sauvegarde-restauration : AFF Notes : Août 1908, n° 2265 du catalogue Pathé Peau d’âne Autre titre : Peau-d’Âne Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani, Michel Carré (d’après Charles Ford) D’après : le conte de Charles Perrault (1697) Trucages : Segundo de Chomon Métrage : 310 Sauvegarde-restauration : CF Notes : Septembre 1908, n° 2201 du catalogue Pathé, Annoncé dans Filma n° 6, août 1908, Compte rendu dans le MPW du 21 novembre 1908 Marie Stuart Réalisation : Albert Capellani Scénario : Michel Carré D’après : la pièce de Schiller ? (d’après Chirat – Le Roy) ou Victor Hugo (selon Charles Ford) Métrage : 255 dont 227 en couleurs Interprétation : Jeanne Delvair, Jacques Grétillat, Henry Krauss, Paul Capellani, Véra Sergine (d’après Chirat – Le Roy) Sauvegarde-restauration : CF, Cineteca di Bologna (copie pochoir) Notes : 3 actes et 60 scènes. Septembre 1908, n° 2313 du catalogue Pathé, Compte rendu dans le MPW du 28 novembre 1908 L’Arlésienne Réalisation et scénario : Albert Capellani D’après : la nouvelle d’Alphonse Daudet dans Les Lettres de mon moulin (1869) Musique : Georges Bizet Production : SCAGL Distribution : Pathé Frères Métrage : 355 Date de sortie : 16 octobre 1908, Pathé Grolée, Lyon

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Interprétation : Jeanne Grumbach, Melle Bouquet, Melle Bertyl, Jean Marié de L’Isle, Henri Desfontaines (Mitifio), Paul Capellani (Frederi) (D’après Chirat – Le Roy), Henry Krauss (Balthazar) (d’après Chirat – Le Roy), Jeanne Delvair (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : Cineteta di Bologna / Lobster films (2010) Notes : Octobre 1908, n° 2494 du catalogue Pathé. Premier film réalisé par Albert Capellani à la SCAGL L’Homme aux gants blancs Réalisation et scénario : Albert Capellani D’après : une pantomime de Henry Bérény Métrage : 310 Date de sortie (Paris) : 1er novembre 1908, Omnia Pathé Interprétation : Marguerite Brésil (la demi-mondaine), Henri Desfontaines (Jules, l’apache), Jacques Grétillat (l’aventurier), Alexandre Arquillière (d’après Chirat – Le Roy), Mevisto (d’après Chirat – Le Roy) Sauvegarde-restauration : Cinémathèque française (CF) Notes : Décembre 1908, n° 2588 du catalogue Pathé L’Assommoir Réalisation : Albert Capellani Scénario : Michel Carré Adaptation : Albert Capellani, Michel Carré D’après : la pièce de William Busnach et Octave Gastineau d’après le roman homonyme d’Emile Zola (1877) Métrage : 740 Date de sortie (Paris) : 21 décembre 1908, Le Cirque d’Hiver Interprétation : Alexandre Arquillière (Coupeau), Jacques Grétillat (Lantier), Jacques Varennes (Henri Gouget) (d’après Chirat – Le Roy), Mansuelle (Mes bottes), Bazin (Bec- Salé), Paul Lack (Bibi la Grillade), Eugénie Nau (Gervaise), Marie-Louise Roger (Nana), Catherine Fontenay (Virginie), Irma Perrot (Mme Boche), et d’après Chirat-Le Roy : Paul Capellani, Harry Baur, Catelan, Stacia Napierkowska. Sauvegarde-restauration : CF Notes : Avril 1909, n° 2815 du catalogue Pathé. L’Assommoir est reconnu comme étant le premier film français de long métrage. Le Roi s’amuse Réalisation : Albert Capellani Scénario : Michel Carré Adaptation : Michel Carré D’après : le drame de Victor Hugo (1832) Métrage : 350 Date de sortie : 1er octobre 1909, Pathé Grolée, Lyon Interprétation : Henri Sylvain (Triboulet), Paul Capellani (François 1er), Armand Numès, Albert Dieudonné, Marcelle Géniat (Blanche), Trouhanova (Maguelonne) (D’après Bousquet) / Mademoiselle Trounanowa (Maguelonne) (d’après Chirat – Le Roy) Notes : Pièce cinématographique en 20 tableaux. Août 1909, n° 3037 du catalogue Pathé. La Mort du Duc d’Enghien en 1804 Autre titre : La Mort du Duc d’Enghien

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Réalisation : Albert Capellani Scénario : Léon Hennique (d’après Chirat – Le Roy) Métrage : 310 Date de sortie : 3 décembre 1909, Pathé Grolée, Lyon Interprétation : Georges Grand (le Duc d’Enghien), Henry Houry (l’officier chargé de l’arrestation), Germaine Dermoz (la princesse Charlotte), d’après Chirat-Le Roy : , Charles Lorrain, Paul Capellani, René Leprince, Henri Etiévant, et Nelly Cormon (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : CF Notes : Novembre 1909, n° 3154 du catalogue Pathé Les Deux Orphelines Réalisation : Albert Capellani Scénario : Georges Monca (d’après Chirat – Le Roy) / Michel Carré (d’après Charles Ford) D’après : la pièce d’Adolphe d’Ennery, Eugène Cormon et Dumanoir (1874) Directeur de la photographie : Emile Pierre Métrage : 355 Date de sortie (Paris) : 14 janvier 1910, Omnia Pathé Interprétation : J. Rosny (d’après Chirat – Le Roy) / Gabrielle Rosny (d’après Bousquet), Lucy Fleury, Delphine Renot, Edmond Duquesne, Georges Dorival, Jacques Villa, et d’après Charles Ford : Andrée Pascal, Germaine Rouer, Claude Garry, Henry Krauss, Paul Capellani, Georges Saillard, Mévisto. Notes : Mélodrame en 20 tableaux. Décembre 1909, n° 3263 du catalogue Pathé. La Puissance du souvenir Autre titre : Le Monstre (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Aruyvelde (d’après Bousquet) / André Anyvelde (d’après Chirat – Le Roy) Production : SCAGL, SAPF Métrage : 230 Date de sortie (Paris) : 31 septembre 1910, Omnia Pathé Interprétation : André Hall (le peintre), Fernand Tauffenberger (l’ami), Régina Sandri (D’après Bousquet) / Huguette Sandri (D’après Chirat – Le Roy) (le modèle), (D’après Chirat – Le Roy pour tous les noms suivants :) Spyker, Raxonne, Raulin, de Kock, Barry, Reynold, Georges Desmoulins, Javert, René Navarre, Caillet, Gosset, Enner, Tauffenberger fils, Chalange, de Beye, Dieudonné fils, Franck, Paul Polthy, Benoit, Madame Hawkins, Madame Nava, Gabrielle Chalon, Madame L. Hoss, Madame Beauchène, Madame Steyaert, Madame Carina Notes : Tournage : 23 février – 10 mars 1910. Août 1910, n° 3583 du catalogue Pathé. Sous la terreur Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani (d’après Charles Ford) Métrage : 280 dont 234 en couleurs Date de sortie : 15 octobre 1910, Cinéma Pathé, Limoges Interprétation : Jacques Grétillat, Henri Desfontaines Notes : Mai 1910, n° 3449 du catalogue Pathé

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La Bouteille de lait Réalisation : Albert Capellani Scénario : Jacques de Choudens Métrage : 295 Date de sortie : 4 novembre 1910, Théâtre National Pathé, Bordeaux Interprétation : Henri Etiévant (le père), Albert Dieudonné (le major allemand), Delmy, Sainrat, Fernand Tauffenberger, Charlotte Barbier (la mère), le petit Colsi, et d’après Chirat – Le Roy : André Hall, Dieudonné fils, Gallois, Jean Garat, André Bacqué, Dupont- Morgan, Chalange, Kaplan, Lanson, Mmes Faivre, Steyaert, Maria Fromet, Madeleine Fromet, Villé, petite Garat, MM. Coly, Georges Desmoulins, Georges Paulais, Spyker, Sarborg, Desgrez, Dumas, de Kock, Martin Ménier, Desjardins, Grégoire, Marcel, Stengel, Fromet, Aubry, Benoit, Caillet, Richard, Henriquet, Tauffenberger fils, bébé Rollin Notes : Tournage : 5-13 avril 1910. Juillet 1910, n° 3684 du catalogue Pathé. L’Honneur Autre titre : Pour l’honneur (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Adaptation : Maurice Remon D’après : le drame de Hermann Sudermann (1909) Production : SCAGL, SAPF Métrage : 405 Date de sortie (Paris) : 4 novembre 1910, Omnia Pathé Interprétation : Georges Grand (le fils), Armand Bour (le père), Georges Saillard, Gina Barbieri (la mère), Colonna-Romano (la fille), (D’après Chirat – Le Roy pour tous les noms suivants :) André Simon, Deltour, Pelletier, Henri Bosc, Lesueur, Chauveau, Mario, Sainrat, Faivre fils, Dalmy, Paul Polthy, Edmond, Goode, Térillac, Michelet, Arnold, Desprez, Deltour fils, Marseille, Delisle, Scipion, Michel, Lévy, Mmes Faivre, Pelletier, Fernande Bernard, Cassagne, Massard, Matsa, Darcey, Mirval, Germaine Lançay, Delmy, Mario Notes : Tournage : 5-20 juin 1910. Octobre 1910, n° 3839 du catalogue Pathé. Fra Diavolo Réalisation : Albert Capellani Scénario : Michel Carré D’après : l’opéra comique de Eugène Scribe et Casimir Delavigne (d’après Bousquet) ou Scribe et Auber (d’après Chirat – Le Roy) (1830) Métrage : 245 Date de sortie : 25 novembre 1910, Théâtre des Variétés, Bordeaux Interprétation : (Fra Diavolo), Maurice Luguet, Georges Baud (le capitaine des Gardes), Marcelle Barry (la fille de l’aubergiste), Eugénie Nau, Germaine Rouer (d’après Charles Ford) Notes : Juillet 1910, n° 3662 du catalogue Pathé La Mariée du château maudit Autre titre : La Fiancée du Château Maudit Réalisation : Albert Capellani Scénario : Léon Poirier Métrage : 255 dont 221 en couleurs Date de sortie : 2 décembre 1910, Théâtre des Variétés, Bordeaux

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Interprétation : Victor Capoul (le marié), Herman Grégoire (le père), Carmen Deraisy (la mariée), Gabrielle Chalon (la mère), Marie Fromet (La petite), Herté, André Simon Sauvegarde-restauration : Cinémathèque Royale de Belgique Notes : Tournage : 15-22 mars 1910. Juin 1910, n° 3617 du catalogue Pathé. La Victime de Sophie Autre titre : Victime de l’amour (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Léon Nunès Métrage : 175 Date de sortie (Paris) : 2 décembre 1910, Omnia Pathé Interprétation : Emile Milo, Armand Numès, Régina Sandri (d’après Bousquet) et d’après Chirat-Le Roy : Huguette Sandri, Gabrielle Lange, Albens, Paul Clerc, Dupont- Morgan, Prika, Mario, Faivre fils, Sainrat. Notes : Tournage : 16-18 juillet 1910. Octobre 1910, n° 3909 du catalogue Pathé. Le Voile du bonheur Réalisation : Albert Capellani Scénario : Georges Clémenceau D’après : la pièce de Georges Clémenceau Métrage : 365 dont 325 en couleurs ( Date de sortie (Paris) : 9 décembre 1910, Omnia Pathé Interprétation : Henry Krauss, Henri Etiévant, Georges Tréville, Léontine Massart, Madeleine Carlier, (D’après Chirat – Le Roy pour tous les noms suivants :) Milo, Delmy, Dupré, Prika, petit Dupré, Rumeau, Manville, Chartrettes, Bessy, Sauriac, Simone Joubert, Madame Cassagne, Madame Fromet, Madame Delmy, Madame Dupré, Madame Guimard, Sylvette Fillacier, Madame Denise, Monsieur Fromet, Monsieur Sainrat, Monsieur Caillet, Tauffenberger fils, Monsieur Desgrez, Monsieur Scipion, Monsieur Brémond, Monsieur Raimbaud, Monsieur Lanson, Monsieur Franois, Madame L’Host, Paulette Notes : Tournage : 28-29 juillet 1910. Novembre 1910, n° 3889 du catalogue Pathé. L’Evadé des Tuileries Autre titre : Une Journée de la Révolution, Août 1792 (Titre de travail, d’après Chirat – Le Roy) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Georges Cain (d’après Bousquet et Chirat – Le Roy) / Jean-Joseph Renaud (d’après Charles Ford) Métrage : 320 Date de sortie (Paris) : 9 décembre 1910, Omnia Pathé Interprétation : Georges Grand (Comte de Champcenetz), Jean Chameroy, Jean Garat, Faivre, Herman Grégoire, Henri Bosc, Gabrielle Robinne (Grace Elliott), Suzanne Avril, Jeanne Brindeau, Gabrielle Chalon, la petite Renée Pré, (D’après Chirat – Le Roy pour tous les noms suivants :) Dupont-Morgan, Chauveau, Didier, Pricka, Aimable, Antony, Godefroid, Reynold, Pelletier, Barry, Darville, Hédouin, Delisle, Longuépée, Gonnet, Sassard, Ougier, Raymond Max, Delmy, Mmes Elyane, de Tremerenc, Augusta Vallée, Cassagne, Darçay, Pelletier, Simone Joubert, Fromet, Mendès, Desgrez, Denise, Lange, Salvadora, Bauval, Delmy, Vallon, Gautreau, Symiane, MM. Lebrun, André Derville, Gustave Derville, Faivre fils, Victorins, Desgrez, Dumas, Caillet, Hermenault, Tauffenberger fils, Scipion, Jean Diener, Térillac, Marsy, Suber, Terestri, Lévy, Lanson,

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Jouanic, Fromet, Mmes A. Derville, G. Derville, Sylvette Fillacier, Cécile Didier, Dargis, (d’après Charles Ford pour tous les noms suivants) Claude Garry, René Leprince, Paul Capellani Notes : Tournage : 2-8 juillet 1910. Novembre 1910, n° 3929 du catalogue Pathé. La Vengeance de la morte Autre titre : Le Portrait (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : André Mouézy-Eon Production : SCAGL, SAPF Métrage : 210 Date de sortie : 28 décembre 1910, Théâtre Omnia, Rouen Interprétation : Paul Capellani (le mari), Fernand Tauffenberger, Faivre, Jeanne Bérangère (la femme), Andrée Méry (l’amie) et d’après Chirat – Le Roy : René Leprince, André Hall, Ternois, Julian, Rémy, Calvin, Grégoire, Picot, Nicolaï, Scipion, Raymond, Max, Georges Paulais, Guery, Tauffenberger fils, Herté, Georges Desmoulins, Lebrun, Caillot, Martin Menier, Nive, Mmes Marsa Reinhardt, Valbert, Cassagne, Martsa, Hoffmann, Blanche Marcel, Gabrielle Lange, Desgrez, Bauval, Dorbel, Suzy, Fromet, Fernande Bernard, Gilda, Mirval, Germaine Lançay Notes : Tournage : 31 mai – 4 juin 1910. Octobre 1910, n° 3898 du catalogue Pathé. La Complice Autre titre : L’Écharpe (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Pierre Frondaie Production : SCAGL, SAPF Métrage : 255 Interprétation : Paul Numa (le joueur (d’après Bousquet) / l’ami (d’après Chirat – Le Roy)), Fernand Tauffenberger (le banquier (d’après Bousquet) / le Baron (d’après Chirat – Le Roy)), Stacia Napierkowska (la danseuse), Gabrielle Chalon, Madame Besnard, et d’après Chirat – Le Roy : Lévy, Didier, Longuépée, Paul Polthy, Fernande Bernard. Notes : Tournage : 5-9 septembre 1910. Décembre 1910, n° 3980 du catalogue Pathé. Le Spoliateur Autres titres : L’Autre, L’Autre ou un drame en wagon (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Edouard Adenis Production : SCAGL, SAPF Métrage : 290 Date de sortie (Paris) : 3 février 1911, Omnia Pathé Interprétation : Le mime Thalès (Préville), Paul Capellani, Maurice Luguet, Madame J. Ugualde (d’après Bousquet) / Jeanne Ugalde (d’après Chirat – Le Roy), et d’après Chirat – Le Roy : Raoul Praxy, Duperré, Didier, Barry, Lacépède, Paul Laurent, Nicolaï, Longuépée, Sylver, Herté, Faivre, Sainrat, Anthonin, Paul Polthy, Fromet, Nadir Notes : Tournage : 27 septembre – 4 octobre 1910. Décembre 1910, n° 4027 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 127, 28.1.1911 Le Roman de la momie Autre titre : La Momie

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Réalisation : Albert Capellani Scénario : Théo Bergerat D’après : le roman homonyme de Théophile Gautier (1858) Métrage : 250 dont 199 en couleurs Date de sortie (Paris) : 24 février 1911, Omnia Pathé Interprétation : Paul Franck (lord Evandale), Romuald Joubé (le Pharaon), le mime Thalès, Louis Ravet, Madame California (la momie), Jeanne Brindeau, (D’après Chirat – Le Roy pour tous les noms suivants :) Tourneur, Jean Guitry, Delmy, Selvat, Duperré, Bessy, Didier, Longuépée, Desgrez, Sainrat, Witheley, Fritz, Faivre fils, Rumeau, Egoël, Delson, Lebrun, Caillet, Lanson, Antonin, Franceschi, Renard, Hillairet, Gallois, Mmes Jane Dirys, Ravet, Nadir, Carlita, Dolly, Cassagne, Grisard, Fernande Bernard, Layzac, Lebrun, Barthélémy, Lyzia, Madeleine Lyzia, Desgrez, Fromet, Jeanne Fromet Notes : Titre de travail La Momie. Tournage : 14-21 septembre 1910. Janvier 1911, n° 4063 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 130, 18.2.1911, Sujet dans le Bulletin Pathé n° 3. L’Intrigante Autre titre : L’Institutrice (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Paul Géhaux Métrage : 175 Interprétation : Georges Coquet (le père), Georges Baud (le voisin de campagne), Catherine Fonteney (l’intrigante), la petite Carina (l’enfant) Sauvegarde-restauration : Eye film Institute (Nederlands) Notes : Tournage : 6-9 décembre 1910. Mars 1911, n° 4168 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 136, 1.4.1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 9. La Mauvaise Intention Autre titre : L’Image (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Jacques de Choudens Métrage : 255 Date de sortie (Paris) : 21 avril 1911, Omnia Pathé Interprétation : Charles Mosnier (l’oncle), Georges Le Roy (le neveu), Renée Sylvaire (la nièce), Andrée Marly, Gabrielle Chalon, Besnard Notes : Tournage : 29 novembre – 2 décembre 1910. Mars 1911, n° 4188 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 138, 15.4.1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 11. Le Prix de vertu Réalisation : Albert Capellani D’après : René Brunschwick et Auguste Barthélémy Métrage : 225 Date de sortie (Paris) : 28 avril 1911, Omnia Pathé Interprétation : Germaine Reuver (Gotte), Georges Tréville (Grégoire), Bach, Andrée Marly, Gabrielle Lange, Gabrielle Chalon, et d’après Chirat – Le Roy : Candieu, Fred, Sémery, Foucher, Sainrat, Desgrez, Faivre fils, Albert Briant, Paul Polthy, Fromet, Mmes Blémont, Pâquerette, Steyaert. Notes : Tournage : 28-30 décembre 1910. Mars 1911, n° 4200 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal, n° 139, 22 avril 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 12.

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Deux Collègues Réalisation : Albert Capellani Scénario : Charles Clairville Métrage : 160 m Interprétation : André Simon (Dupont), Paul Calvin (Durand), Saturnin Fabre (le directeur), Régina Sandri (d’après Bousquet) / Huguette Sandri (d’après Chirat – Le Roy) (la solliciteuse), et d’après Chirat – Le Roy : Charles Lorrain, Simery, Albertot Notes : Tournage : 16-18 janvier 1911. Avril 1911, n° 4260 du catalogue Pathé. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 17. Péché de jeunesse Autre titre : Roman d’un jour (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Adrien Caillard Métrage : 330 Date de sortie : 3 mai 1911, Théâtre Omnia, Rouen Interprétation : Georges Grand (le docteur), Charles Mosnier, Gabrielle Robinne (la femme du docteur), Jeanne Bérangère (l’ouvrière), la petite Maria Fromet (l’enfant), Andrée Marly, Gabrielle Chalon, et d’après Chirat – Le Roy : Ternois, Fred, Fromet, Fernande Bernard, Madame Delavigne, Madame Massart, Madame Blondeau, Madame Biancheri, Madame Chantenay, Madame Grisard, Madame Fromet, Madeleine Fromet. Notes : Tournage : 10-18 novembre 1910. Février 1911, n° 4147 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal, n° 135, 25 mars 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 8. Le Courrier de Lyon ou L’Attaque de la malle poste Autre titre : Le Courrier de Lyon Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani D’après : pièce de Moreau, Siraudin et Delacourt (1850) Métrage : 780 Date de sortie : 10 mai 1911, Théâtre Omnia, Rouen Interprétation : Louis Ravet (Lesurques-Dubosc), Mévisto (Chopard (D’après Bousquet) / Choppart (d’après Chirat – Le Roy)), Georges Tréville (Courriol (d’après Bousquet) / Couriol (d’après Chirat – Le Roy)), Paul Calvin (Fouinard), Paul Capellani (Didier), Albert Dieudonné (le père Lesurques), le petit Colsi (le garçon d’auberge), Faivre, Emile André, Dupont-Morgan, Sainrat, Eugénie Nau (la femme Chopard (d’après Bousquet) / Choppart (d’après Chirat – Le Roy)), Andrée Pascal (Julie Lesurques), et d’après Chirat – Le Roy : Maurice Luguet, Grégoire, Faivre père, Gaudray fils, Mmes Cassagnes, Bouquet, MM. Delmy, Mario, Chauveau, Antony, Charlet, M. Vernaud, Dieudonné fils, Prika, Schultz, Anthonin, Cressonnier, Renoux, Duperré, Romain, Morlac, Franck, Bessy, Saulieu, Chartrettes, Lecomte, Schmidt, Ferdal, Delson, François, Fromet, Desseigne, Remo, Gilbert, Labry, Desgrez, Eygen, Gaygnesse, Tauffenberger fils, Fred. Notes : Drame historique en 2 parties. Tournage achevé le 15 mars 1911. Mai 1911, n° 4322 du catalogue Pathé. Sujet dans le Bulletin Pathé, n° 9. L’Epouvante Autre titre : Le Coucher d’une étoile (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Pierre Decourcelle

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Métrage : 235 Date de sortie (Paris) : 12 mai 1911, Omnia Pathé Interprétation : Emile Milo, Mistinguett, Léa Frey, et d’après Chirat – Le Roy : Sylves, Ternois, Faivre, Sémery, Foucher, Sainrat, Faivre fils, Dumas, Eygen, Desgrez, Paul Polthy, Carly Sauvegarde-restauration : Eye Film Institute (Nederlands) Notes : Tournage : 14-23 décembre 1910. Avril 1911, n° 4220 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 141, 6 mai 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 14. La Danseuse de Siva Réalisation : Albert Capellani Scénario : Henri Cermoise D’après : une légende hindoue Production : SCAGL, SAPF Métrage : 285 dont 248 en couleurs Date de sortie (Paris) : 26 mai 1911, Omnia Pathé Interprétation : Georges Tréville (le prince Achilgar), Emile Milo, Gaston Fred, Stacia Napierkowska (la danseuse Viamalah), Madeleine Carlier (Ourvasi), et d’après Chirat – Le Roy : Prika, Albert, Bessy, Raveux, Sauriac, Anthony, P. Faivre, Jacques Faivre, Delmy, Valbel, Calvin, Fromet, Egoël, Ferdal, Hilairet, Mmes Massard, Henriette Leblond, Bérysse, Léa Frey, Béral, Fabris, Ambrosi, Fernande Bernard. Notes : Tournage : 7-14 janvier 1911. Avril 1911, n° 4240 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal, n° 143, 20 mai 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 16. Le Rideau noir Réalisation : Albert Capellani Scénario : René Berton Métrage : 250 Date de sortie (Paris) : 2 juin 1911, Omnia Pathé Interprétation : Paul Capellani (Christian Marnier le vagabond), Jacques Grétillat (Claude Frémont le mari), Germaine Dermoz (Lucienne Frémont, la femme), Germaine Béral, et d’après Chirat – Le Roy : Franck, Polthy Notes : Tournage achevé le 28 janvier 1911. Avril 1911, n° 4257 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal, n° 144, 27 mai 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 17. L’Envieuse Autre titre : Le Vol (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Mévisto Métrage : 285 Date de sortie : 9 juin 1911, Théâtre Français, Bordeaux Interprétation : Adolphe Candé (le mari), Maurice Luguet, Dupont-Morgan, Léontine Massart (la femme), la petite Hacquard (l’enfant) (d’après Bousquet) / le petit Hacquart (d’après Chirat – Le Roy), Camille Steyaert, Andrée Marly, et d’après Chirat – Le Roy : Barnières, Tauffenberger, Fred, Martin, Baud, Lucien Callamand, Georges Paulais, Madame Maes, Madame Chantenay, Fernande Bernard, Madame Carol, Madame Darcha, M. Massard, Germaine Lançay, Madame Regalia, Madame Daley, Madame Ravaux, Madame Le Blanc, Monsieur Sarborg, Monsieur Delmy, Monsieur Chartrettes, Monsieur Darville, Monsieur Vallès, Monsieur Albert, Monsieur Bessy, Monsieur Elmer, Monsieur Eygen, Paul Polthy.

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Notes : Tournage : 22-26 novembre 1910. Produit en 1910 (D’après Chirat – Le Roy). Mars 1911, n° 4187 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 138, 15 avril 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 11. La Poupée de l’orpheline Autre titre : La Poupée brisée Réalisation : Albert Capellani Scénario : Adrien Caillard Métrage : 215 Date de sortie (Paris) : 9 juin 1911, Omnia Pathé Interprétation : Mévisto, Eugénie Nau, la petite Maria Fromet, la petite Renée Pré, le chien Bobo (D’après Bousquet) / Bobo (et son chien) et d’après Chirat – Le Roy : Tauffenberger, Jacques Faivre, Madame Darmody, Petite Dupré. Notes : Tournage : du 30 janvier au 4 février 1911. Mai 1911, n° 4270 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 145, 3 juin 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 18. Les Deux Chemins Autre titre : Les Deux Sœurs (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Léon Hennique Métrage : 290 Date de sortie (Paris) : 31 juin 1911, Omnia Pathé Interprétation : Jacques Grétillat (le lutteur), Roger Monteaux (Jacques), Gaston Fred, Mistinguett (Rosa), Juliette Clarens (Madeleine), (D’après Chirat – Le Roy pour tous les noms suivants :) Tauffenberger, Wagner, Candieux, Gonnet, Victorins, Chauveau, Mario, Vermaud, Emile André, Bessy, Darville, Cambey, Tauffenberger fils, Jacques Faivre, Delson, Eygen, Schmidt, Chartrettes, Gaston Dupray, Barlay, Sainrat, Rousseau, Godot, petit Siméon, Fromet, Mmes Cassagne, Hélyane, Marie-Louise Roger, Layrac Desgrez. Notes : Tournage : 21-25 février 1911. Mai 1911, n° 4321 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal, n° 148, 24 juin 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 21. Un monsieur qui a un tic Réalisation : Albert Capellani Scénario : Félix Galipaux, Charles Samson Métrage : 165 Date de sortie (Paris) : 7 juillet 1911, Omnia Pathé Interprétation : Félix Galipaux, Mévisto, Armand Lurville, Emile André, Maurice Luguet, Carlos Avril, Madeleine Guitty, Gabrielle Lange, et d’après Chirat – Le Roy : André Simon, Tauffenberger, Berthier, Ternois, Delmy, Renoux, Darville, Sémery, Candieux, Calvin, Anthonin, Gaston Dupray, Lorrain, Fred, Lucien Callamand, Dieudonné fils, Tauffenberger fils, Franois, Petit Gallot, Paulette Lorsy, Darmody, Hischfeld, Chantenay, Petite Gallet. Notes : Tournage : 7 au 10 février 1911. Juin 1911, n° 4325 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal, n° 149, 1er juillet 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 22. Le Pain des petits oiseaux Réalisation : Albert Capellani Scénario : Georges Le Faure Métrage : 265 Date de sortie : 4 août 1911, Théâtre Français, Bordeaux

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Interprétation : Edmond Duquesne (le charmeur), Antony, Sainrat, Jacques Faivre, Stacia Napierkowska (Ginette), Pauline Patry, Gabrielle Chalon, (D’après Chirat – Le Roy pour tous les noms suivants :) Barral, Tauffenberger, Maurice Luguet, Mario, Emile André, Lucien Callamand, Candieux, Anthonin, Fred, Nicolai, Grégoire, Desgrez, Cambay, Gommet, François, Tauffenberger fils, Fromet, Polthy, Mmes Paule Andral, Lérida, Cassagnes, Hervyl, Mario, Viennois, Georgine, Raymonde, Yrval Sauvegarde-restauration : CF Notes : Tournage : 13-18 février 1911. Mai 1911, n° 4290 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal, n° 146, 10 juin 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 19. Jacintha la cabaretière Autre titre : Les Emotions de Jacintha (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani, Daniel Riche (d’après Charles Ford) / Daniel Riche (d’après Bousquet) Métrage : 260 Date de sortie : 23 août 1911, Théâtre Omnia, Rouen Interprétation : Thalès (Alonzio), Paul Capellani (Landry (D’après Bousquet) / Landay (D’après Chirat – Le Roy)), Georges Tréville (l’aubergiste), Lucie Pacitti (Jacintha), Dupont-Morgan, Milo (D’après Chirat – Le Roy), Claude Garry (D’après Charles Ford) Notes : Juin 1911, n° 4356 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 150 ; 8 juillet 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 23. Par respect de l’enfant Autre titre : Le Sacrifice, Par respect pour l’enfant (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Chaptal Métrage : 295 Date de sortie : 21 septembre 1911, Théâtre Français, Bordeaux Date de sortie (Paris) : Interprétation : Paul Capellani (Paul Sernin), Georges Tréville (Jacques d’Hastry (d’après Bousquet), Charles Mosnier (Mr de Beauchamps (d’après Bousquet), Emile Milo, Jeanne Bérangère (Irène de Beauchamps (d’après Bousquet) / Eléonore (d’après Chirat – Le Roy)) Notes : Juin 1911, n° 4387 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 153, 29 juillet 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 26. Deux Filles d’Espagne Autre titre : Deux jeunes filles se ressemblent (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Maurice Dênecheau (d’après Bousquet) Métrage : 195 Date de sortie : 27 septembre 1911, Théâtre Omnia, Rouen Date de sortie (Paris) : Interprétation : Emile Milo (Mateo), Charles Dechamps (Fernando), La California (Conchita et Mercédès), Darmody, Faivre, Léontine Massart, Maurice Luguet, Nadia d’Angely Notes : Juillet 1911, n° 4430 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 156, 19 août 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 29.

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La Vision de Frère Benoît Autre titre : Frère Benoît (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Michel Carré Métrage : 215 Interprétation : Thalès, Georges Tréville, Mévisto, Massilia Notes : Septembre 1911, n° 4531 du catalogue Pathé. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 35. L’Oiseau s’envole Réalisation : Albert Capellani Scénario : Marcel Manchez Métrage : 285 Date de sortie : 1er novembre 1911 Interprétation : Henry Krauss (le bohémien), Suzanne Goldstein (Jeannette), Maurice Luguet, Eugénie Nau Notes : Août 1911, n° 4511 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 160, 16.9.1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 33. Notre-Dame de Paris Réalisation : Albert Capellani Scénario : Michel Carré Adaptation : Michel Carré D’après : le roman homonyme de Victor Hugo (1831) Opérateur : Mérobian Directeur de la photographie : Pierre Trimbach Production : SCAGL, SAPF Métrage : 810 dont 709 en couleurs Date de sortie (Paris) : 10 novembre 1911, Omnia Pathé Interprétation : Claude Garry (Frollo), Henry Krauss (Quasimodo), René Alexandre (Phœbus), Stacia Napierkowska (Esmeralda), Paul Capellani, Mévisto, Jean Dax, et d’après Chirat : Georges Tréville, Jean Angelo. Sauvegarde-restauration : AFF Notes : Drame en 2 parties. Septembre 1911, n° 4516 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 167, 4 novembre 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 39. Le Visiteur Réalisation : Albert Capellani Métrage : 295 Date de sortie (Paris) : 24 novembre 1911, Omnia Pathé Interprétation : Polaire, Georges Tréville, Georges Baud, Thalès, Cécile Barré, Louis Ravet (D’après Chirat – Le Roy) Notes : Octobre 1911, n° 4619 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 169, 18 novembre 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 41 Robert Bruce, épisode des guerres de l’indépendance écossaise Autre titre : Robert Bruce Réalisation : Albert Capellani Scénario : Romain Coolus Adaptation : Romain Coolus Métrage : 405

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Date de sortie (Paris) : Interprétation : Paul Capellani, Louis Ravet, Henri Etiévant, Georges Baud, Darmody, le petit René Nadir Notes : Novembre 1911, n° 4698 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 174, 23 décembre 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 46. Les Six Petits Tambours (1794) Autre titre : Six Petits Tambours, Messidor An II 1794 Réalisation : Albert Capellani Scénario : Léon Hennique Métrage : 285 Date de sortie (Paris) : 4 janvier 1912, Omnia Pathé Interprétation : Jean Kemm, Dupont-Morgan, le petit Colsi Notes : Novembre 1911, n° 4717 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 175, 30 décembre 1911. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 47. Les Aventures de Cyrano de Bergerac Autre titre : Cyrano de Bergerac (d’après Charles Ford) Réalisation : Albert Capellani (attribution) Scénario : Léon Guillot de Saix Décor : Vallé Métrage : 735 Date de sortie (Paris) : 18 janvier 1912, Omnia Pathé Interprétation : Emile Milo (Cyrano de Bergerac), Paul Capellani (Raoul de Brienne), Henri Etiévant (le chevalier Lafietti), Andrée Pascal (Magdeleine), (D’après Chirat – Le Roy pour tous les noms suivants :) Grégoire (Carbon de Castel-Jaloux), Dupuis (Ragueneau), Garrigue (Le Bret). Notes : Décembre 1911, n° 4777 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 177, 13 janvier 1912. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 49. La Bohème Autre titre : La Vie de Bohème Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani D’après : les Scènes de la Vie de Bohème d’Henri Murger Directeur de la photographie : Pierre Trimbach Métrage : 770 Date de sortie (Paris) : 15 mars 1912, Omnia Pathé Interprétation : Paul Capellani (Rodolphe), Charles Dechamps (Marcel), Paul Gerbault (Colline), Léon Bélières (Schaunard), Suzanne Revonne (Mimi), Juliette Clarens (Musette), Cécile Barré (d’après Chirat – Le Roy), Stacia Napierkowska (d’après Charles Ford). Sauvegarde-restauration : CF Notes : Drame en 2 parties. Février 1912, n° 4896 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal n° 185, 9 mars 1912. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 5. La Fin de Robespierre Autres titres : La Dernière Charrette, 9 Thermidor An II (titre de travail) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Gaulot

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Directeur de la photographie : Pierre Trimbach Métrage : 425 dont 339 en couleurs Date de sortie (Paris) : 5 avril 1912, Omnia Pathé Interprétation : Georges Saillard (Robespierre), Jacques Grétillat (Tallien), Georges Dorival (Collot d’Herbois), Charles de Rochefort (St Just), Armand Numès (Couthon), Marie Ventura (Terésa Cabarrus (d’après Bousquet) / Madame Tallien (d’après Chirat – Le Roy)), et d’après Charles Ford : Jean Angelo, Paul Capellani, Henri Desfontaines Sauvegarde-restauration : Eye Film Institute (Nederlands) Notes : Février 1912, n° 4925 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal n° 188, 30 mars 1912. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 8. Un tragique amour de Mona Lisa Autre titre : La Joconde (titre de travail), Le Tragique Amour de Mona Lisa Réalisation : Albert Capellani Scénario : Abel Gance Directeur de la photographie : Pierre Trimbach Production : SCAGL, SAPF Métrage : 550, couleurs Date de sortie (Paris) : 17 mai 1912, Omnia Pathé Interprétation : Claude Garry (François Ier), Jacques Grétillat (Léonard de Vinci), Aimée de Raynal (Mona Lisa), Blanche Barat (la Belle Ferronnière), Stacia Napierkowska, Abel Gance Notes : Avril 1912, n° 5008 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal n° 194, 11 mai 1912. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 14 Le Congrès des balayeurs Réalisation : Albert Capellani Métrage : 240 Date de sortie (Paris) : 24 mai 1912, Omnia Pathé Interprétation : Henri Collen. Notes : Film en quatre parties. Avril 1912, n° 5044 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal n° 195, 18 mai 1912. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 15. Josette Réalisation : Albert Capellani Scénario : Louis Z. Rollini D’après : le roman de Paul Reboux (1903) Métrage : 385 Interprétation : Paul Capellani (Charles Vernecourt), Georges Dorival (Vernecourt père), Georges Tréville (Béju), Juliette Clarens (Josette, le modèle). Notes : Juin 1912, n° 5149 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal n° 202, 6 juillet 1912 Les Mystères de Paris Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani D’après : le roman d’Eugène Sue (1842) Directeur de la photographie : Pierre Trimbach Métrage : 1540 Date de sortie (Paris) : 5 juillet 1912, Omnia Pathé

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Interprétation : Paul Capellani (Rodolphe), Henri Etiévant (le Maître d’école), Jean Kemm (le Chourineur), Felix Gandéra (Tortillard), Jeanne Delvair (Miss Sarah MacGrégor), Eugénie Nau (la Chouette), Andrée Pascal (Fleur de Marie), d’après Chirat – Le Roy : Léon Bernard, Jean Angelo, Léon Bélières, Edmond Duquesne, Jacquinet, Henri Houry, Henri Collen. Notes : Drame en 4 parties. Mai 1912, n° 5118 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal n° 201, 29 juin 1912. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 21 Le Signalement Réalisation : Albert Capellani Scénario : Jules Hoche Directeur de la photographie : Pierre Trimbach Métrage : 310 m dont 277 en couleurs Date de sortie (Paris) : 29 novembre 1912, Omnia Pathé Interprétation : Jean Kemm (le fou), Emile Duard (le cordonnier), la petite Maria Fromet (la petite Jeannette). Notes : Octobre 1912, n° 5378 du catalogue. Pathé Annoncé dans Ciné-Journal n° 221, 16 novembre 1912. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 42. Les Misérables Réalisation, scénario, adapation : Albert Capellani D’après : le roman homonyme de Victor Hugo (1862) Directeur de la photographie : Pierre Trimbach (D’après Bousquet) / Louis Forestier, Karénine Mérobian (D’après Chirat – Le Roy) Décor : Henri Ménessier Métrage : 805 (1re époque), 800 m (2e époque), 730 (3e époque), 1110 (4e époque) Date de sortie (Paris) : 3 janvier 1913 (1re et 2e époques), 17 janvier 1913 (3e époque) et 24 janvier 1913 (4e époque), Omnia Pathé Interprétation : Henry Krauss (Jean Valjean), Henri Etiévant (Javert), Léon Bernard (l’Abbé Myriel), Milo (Thénardier) (D’après Bousquet) / Milo, Mevisto (Thénadier) (d’après Chirat – Le Roy), Léon Lerand (Gillenormand), Gabriel de Gravone (Marius), Gaudin (Gavroche), Calvin (Fauchelevent), Jean Angelo (Enjolras), Grégoire (Guenlemer), Gervais (le directeur de l’usine), Tauffenberger (un gendarme à cheval), Defresne (le boulanger), Legrand (Babet), Bary (Combeferre), Terrier (Courfeyrac), Gravier (le forçat Brevet), Scipion (l’avocat et un étudiant), Sarbog (un argousin), Casa (un garde-chiourne), Salvat (le forçat Cochepaille), Sterny (Jean Prouvaire), Baud (Feuilly), Chartrettes (Bossuet), Faivre (le garde-champêtre et un argousin), Wyll (un juré et un paysan), Taldy (le président du jury), Chambly (le président des Assises), Mmes Marie Ventura (Fantine), Mistinguett (Eponine), Renot (la Thénardier) (D’après Bousquet) / Delphine Renot, Eugénie Nau (la Thénadier) (d’après Chirat – Le Roy), Maria Fromet (Cosette, enfant), Marialise (Cosette, jeune-fille), Barsange (contremaîtresse de l’usine), Nau (Sœur Simplice), Barbier (la Supérieure du couvent), Bade (la bonne de l’Evêque), Vallée (la mère de J. Valjean), Steyaert (une paysanne), Nadir (Jeanne), Barré (Hélène), Mac-Lean (Fernande), Becker (Lucienne), Bartet (Gabrielle), Gravier (Raymonde), Mr Gransdet (le directeur de police), Rivière (Claquesous), Stengel (un forçat), Anthonin (un gendarme à cheval), Bresson (le coiffeur), Reynold (Joly), Antony (un juré), Longucopée (l’avocat général), Charlet (le préfet de police), Lebrun (premier assesseur), Devalence (un juré), Franck (un forçat), Delmy (un garde-chiourne), Taldy (2e assesseur), d’après Chirat – Le Roy : Grandet, Léon

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Bélières ?, Yvette Netter Sauvegarde-restauration : CF Notes : Quatre époques, cent tableaux, dix parties : 1re époque : Jean Valjean, 2e époque : Fantine, 3e époque : Cosette, 4e époque : Cosette et Marius. Novembre 1912, n° 5451 (1re époque), n° 5475 (2e époque), n° 5490 (3e époque), n° 5506 (4e époque) du catalogue Pathé. Les restaurations de la cinémathèque française, les films projetés en 1986, éd. La Cinémathèque française, 1986, p. 79. Le Nabab Réalisation : Albert Capellani Scénario : Jean-José Frappa D’après : le roman d’Alphonse Daudet (1877) Métrage : 1130 Date de sortie (Paris) : 23 mai 1913, Omnia Pathé Interprétation : Léon Bernard, Jean Dax, Mevisto, Pierre Larquey, Marcelle Frappa, Georges Tréville (d’après Charles Ford). Sauvegarde-restauration : CF Notes : Drame en 3 parties. Avril 1913, n° 5864 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal n° 246, 10 mai 1913. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 15. L’Absent Réalisation : Albert Capellani Scénario : Georges Mitchell D’après : la pièce de Georges Mitchell Métrage : 830 Date de sortie (Paris) : 13 juin 1913, Omnia Pathé Interprétation : Henri Etiévant (Driès Schoonejans), Henri Rollan (Peter Schoonejans), Henri Collen, Jeanne Grumbach (grand’mère Grietje), Germaine Dermoz (Minna), Raymonde Dupré (Dina) Sauvegarde-restauration : CF Notes : Comédie de mœurs hollandaises en 2 parties. Mai 1913, n° 5919 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal n° 249, 31.5.1913, Sujet dans le Bulletin Pathé n° 19. Le Rêve interdit Réalisation : Albert Capellani Scénario : Daniel Riche Métrage : 705 dont 320 en couleurs Date de sortie (Paris) : 11 juillet 1913, Omnia Pathé Interprétation : Gabriel de Gravone (le duc d’Illyrie), Georges Saillard (le professeur Lachenal), Suzanne Revonne (Geneviève), Andrée Pascal Notes : Comédie en 2 parties. Mai 1913, n° 5950 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné- Journal n° 253, 28 juin 1913, Sujet dans le Bulletin Pathé n° 22. Germinal Réalisation et scénario : Albert Capellani D’après : le roman homonyme d’Emile Zola (1885) Opérateur : Karénine Mérobian, Louis Forestier Directeur de la photographie : Louis Forestier, Pierre Trimbach Décor : Vallé, Pasquier (d’après Trimbach) / Henri Ménessier (d’après Chirat – Le Roy) Métrage : 3020

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Date de sortie (Paris) : 3 octobre 1913, Omnia Pathé, Kinérama Pathé, Paris Ciné, Le Cirque d’Hiver Interprétation : Henry Krauss (Etienne Lantier), Jean Jacquinet (Chaval), Paul Escoffier (Négrel), Mévisto (D’après Bousquet) / Mevisto aîné (D’après Chirat – Le Roy) (Maheu), Dharsay (Souvarine), Marc Gérard (Bonnemort), Albert Bras (Hennebeau), Sylvie (Catherine), Jeanne Cheirel (la Maheude), Cécile Guyon (Cécile Hennebeau), Max Charlier (d’après Chirat – Le Roy), d’après Charles Ford : Paul Capellani, Léon Bernard, Henri Etiévant, Gina Barbieri Sauvegarde-restauration : CF Notes : En 8 parties. Août 1913, n° 6224 du catalogue Pathé. Au sujet du film, voir le numéro hors série de 1895 « L’année 1913 en France ». La Glu Réalisation et scénario : Albert Capellani D’après : le roman de Jean Richepin (1881) Opérateur : Karénine Mérobian, Louis Forestier Directeur de la photographie : Karémine Mérobian, Louis Forestier Métrage : 1875 Date de sortie (Paris) : 7 novembre 1913, Omnia Pathé Interprétation : Henry Krauss (le Docteur Cézambre), Paul Capellani (Marie-Pierre), Marc Gérard (le père Gillierou), Henri Collen, Raoul Praxy, Mistinguett (La Glu), Cécile Guyon (Anaïk), Gina Barbieri (la mère Marie des Anges) Sauvegarde-restauration : CF Notes : Septembre 1913, n° 6388 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal n° 270, 25 octobre 1913. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 39. Eternel amour Réalisation : Albert Capellani ou Afrien Caillard Scénario : Jean-Joseph Renaud Opérateur : Paul Castanet Métrage : 880 Date de sortie : 13 février 1914 (d’après Chirat – Le Roy) / 10 juillet 1914, Cinéma Le Castillet, Perpignan (D’après Bousquet) Date de sortie (Paris) : Interprétation : Léo Malraison (Jeanne et Madeleine Frantz) (d’après Bousquet) / Léo Malraison (Jeanne Frantz), Léa Piron (Madeleine Frantz) (d’après Chirat – Le Roy), Léon Bernard (le Père Frantz), Paul Capellani (Philippe Sartèle), Louis Gauthier (Pierre Korlar), Lise Gauthier (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : CF Notes : Drame en 3 parties. Janvier 1914, n° 6406 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal n° 284, 31 janvier 1914. Sujet dans le Bulletin Pathé n° 1. Le Chevalier de Maison-Rouge Réalisation et scénario : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani D’après : le roman homonyme d’Alexandre Dumas (1845) Directeur de la photographie : Louis Forestier Métrage : 2265 Date de sortie : 27 février 1914 (d’après Chirat – Le Roy) / 10 mars 1914, Théâtre Omnia, Rouen (d’après Bousquet)

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Interprétation : Paul Escoffier (Chevalier de Maison-Rouge), Marie-Louise Derval (Geneviève Dixmer), Léa Piron (Marie-Antoinette), Georges Dorival (Dixmer), Georges Flateau (Lorin), Henri Rollan (Maurice Lindey), Mevisto (Rocher), Jacquinet (Général Santerre), Milo (l’homme aux provisions), Lucien Walter (Durand, greffier), Lebreton (Agesilas), Angely (le notaire), Dorny (l’officier municipal), Raoul (Gilbert, gendarme), Anthonin (Dufresne, gendarme), Victorius (1er guichetier), Robert Casa (2e guichetier), Grégoire (3e guichetier), Gorieux (Fouquier-Thinville, Accusateur public), Desmoulins (Hermann, Président du Tribunal Révolutionnaire), Taldy (Sellier, juge), Blanchard (Fourcaud, juge), Durafour (Hébert, rédacteur de l’Ami du Peuple), Henry Valbel (Fabricius, greffier du Tribunal), Donelly (Chauveau-Lagarde, défenseur officieux), Chambly (le domestique), Brochet (1er ouvrier tanneur), Gidon (2e ouvrier tanneur), Delmy (3e ouvrier tanneur), Eygen (1er sans-culotte, un gendarme à cheval), Lauson (2e sans-culotte), Durand (3e sans-culotte), Lemarchand (le représentant de la Convention), Charpentier (le prêtre), H. Legrand (un crieur de gazettes), Fred (le cabaretier), Harvaut (1er conspirateur), Sterny (2e conspirateur), Champdor (3e conspirateur), Maxel (4e conspirateur), Dardier (5e conspirateur), Sarmann’s (6e conspirateur), Devenne (1er Juré du Tribunal Révolutionnaire), Rouvenat (2e Juré du Tribunal Révolutionnaire), Calvin (3e Juré du Tribunal Révolutionnaire), Harlettys (4e Juré du Tribunal Révolutionnaire), Leriche (5e Juré du Tribunal Révolutionnaire), Sellier (6e Juré du Tribunal Révolutionnaire, un girondin, un aristocrate), Cordier (7e Juré du Tribunal Révolutionnaire), Henriquet (8e Juré du Tribunal Révolutionnaire), Sarborg (un officier de la Garde Nationale), Chevin (1er gendarme à cheval), Willy Stang (2e gendarme à cheval), Joe Wells (3e gendarme à cheval), René (4e gendarme à cheval), Terrore (5e gendarme à cheval), Irma Perrot (la femme Tison), G. Maylianes (Héloïse Tison), Mary Massart (Arthémise), Demeter (Madame Elisabeth), M. Valmont (La Princesse Royale), Renée Marges (1re condamnée), Mlle Roseraie (2e condamnée), Dalret (3e condamnée), Camille Lorrain (6e gendarme à cheval), Perdreau (7e gendarme à cheval), Erik Harcy (8e gendarme à cheval), Hubert (9e gendarme à cheval), Gauthier (1er girondin), Léon Duvelleroy (2e girondin), Defresnes (3e girondin), Sidney (4e girondin), Amaury (1er aristocrate), Rumeau (2e aristocrate), Rolla Norman (d’après Charles Ford) Sauvegarde-restauration : CF (nouveau tirage, 2010) Notes : Scène historique en 6 parties et 60 tableaux. Janvier 1914, n° 6548 du catalogue Pathé. Annoncé dans Ciné-Journal n° 286, 14 février 1914. Sujet dans Programme Théâtre-Pathé, Bruxelles, n° 21, mai 1914. Dans le Bulletin Pathé n° 3 de 1914, les noms de 77 acteurs et actrices sont mentionnés sur une double page et sur une autre page figurent les titres des 60 tableaux. La Belle Limonadière Réalisation, scénario et adaptation : Albert Capellani D’après : le drame de Paul Mahalin (1884) Métrage : 1605 Date de sortie : 7 août 1914 (d’après Chirat – Le Roy) / 22 décembre 1914, Cinéma Pathé, Toulouse (d’après Bousquet) Interprétation : Charles Mosnier (Jacques Lebrun), Jean Jacquinet (Hubert de Saint-Pol alias Vidocq), Henri Bonvalet (Roland), Guyta Réal et Paule Andral (la belle limonadière), Marie-Louise Derval (Hélène). Sauvegarde-restauration : AFF

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Notes : Juillet 1914, n° 6715 du catalogue Pathé. Sujet dans Le Cinéma et l’Écho du Cinéma réunis n° 155, 21 juillet 1914. Patrie Réalisation et scénario : Albert Capellani D’après : le drame de Directeur de la photographie : Karémine Mérobian Production : SCAGL — Optima Distribution : Pathé Frères Métrage : 1885 en couleurs Date de sortie : 29 décembre 1916 Date de sortie (Paris) : 23 novembre 1917, Omnia Pathé Interprétation : Henry Krauss (le comte de Rysoor), Paul Capellani (Karloo Van der Noot), Léon Bernard (Jonas), Maxime Desjardins (le duc d’Albe), Henri-Amédée Charpentier (le docteur), Claude Bénedict, Pierre Larquey, Maximilien Charlier, Véra Sergine (Dolorès, comtesse de Rysoor), Yvonne Sergyl (Raphaëlle) Notes : Produit en 1914, édition en 1916 : présentation corporative le 5 décembre 1916. Décembre 1917, n° 6878 du catalogue Pathé. Sujet dans Pathé Journal, n° 29 de 1916. Marie Tudor Réalisation : Albert Capellani Scénario : Michel Carré D’après : la tragédie de Victor Hugo (1833) Directeur de la photographie : Karémine Mérobian Décor : Henri Ménessier Métrage : 1600 dont 1321 en couleurs Date de sortie (Paris) : 1er juin 1917, Omnia Pathé Interprétation : Jeanne Delvair (Marie Tudor), Paul Capellani (Fabiano Fabiani), Romuald Joubé (Gilbert), Léon Bernard (Simon Renard), Andrée Pascal (Jane Talbot), Léa Piron (Catherine d’Aragon), Henri-Amédée Charpentier (d’après Chirat – Le Roy) Notes : produit en 1914 et édité en 1917, n° 6868 du catalogue Pathé. Sujet dans Programme du Cinéma Castillet, Perpignan, 23 au 26 novembre 1917. Annoncé dans Ciné-Journal, n° 402 / 96, 28 avril 1917. Quatre-vingt-treize Autre titre : 93 Réalisation : Albert Capellani, André Antoine Scénario et adaptation : Alexandre Arnoux D’après : le roman de Victor Hugo Assistant réalisateur : Julien Duvivier Directeur de la photographie : Karénine Mérobian, Pierre Trimbach, Paul Castanet (Antoine) Décor : Vallé Métrage : 2820 Présentation corporative (Paris) : 18 mai 1921 Date de sortie (Paris) : 1re partie, 24 juin, 2e partie 1er juillet (Omnia Pathé, Paris) Interprétation : Philippe Garnier (le marquis de Lantenac), Paul Capellani (Gauvain), Georges Dorival (sergent Radoub), Max Charlier (l’Imanus), Henry Krauss (Cimourdin), Maurice Schutz (Grandcoeur), Jean Liezer, Lucien Walter, Charlotte Barbier-Krauss (La Flécharde)

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Sauvegarde-restauration : CF (1985, par Philippe Esnault) Notes : Produit et réalisé partiellement en 1914. Durée de la version restaurée en 1985 : 170 mn. Le film a été terminé par André Antoine en 1920. Sujet dans Pathé-Programme n° 27. Les restaurations de la cinémathèque française, les films projetés en 1986, éd. La Cinémathèque française, 1986, p. 92. Publicité dans Hebdo-film n° 20, 14 mai 1921.

PÉRIODE AMERICAINE

The Face in the Moonlight Réalisation: Albert Capellani Scénario: Anthony Paul Kelly. D’après: la pièce The Face in the Moonlight de Charles Osborne, 1871 (première production à New York, Proctor’s Theatre, 29 août 1892) Assistant réalisateur : Albert Dorris Caméra : Lucien Andriot Lieu de tournage : Peerless Studio, Fort Lee, NJ Production: William A. Brady Pictures Plays, Inc. Distribution: World Film Corp. Métrage: 5 bobines Date de sortie: 28 juin 1915 Interprétation: Robert Warwick (Victor / Rabat), Stella Archer (Lucile), H. Cooper Cliffe (Munier), Montague Love (Ambrose), Dorothy Fairchild (Jeanne Mailloche), Georges D. MacIntyre, Buckley Starkey (l’aubergiste) Note : Premier américain réalisé par Albert Capellani. © World Film Corp., 10 juillet 1915 The Impostor Autre titre : The Imposters Réalisation : Albert Capellani Scénario : E.M. [Eugenie Magnus] Ingleton D’après : la pièce Impostors de Douglas Murray (production indéterminée) Caméra : Lucien Andriot Lieu de tournage : World Film Studios, Fort Lee, NJ ; extérieurs à Pittsburgh, PA Production: William A. Brady Feature Films Distribution: World Film Corp. Métrage: 5 bobines Date de sortie: 6 septembre 1915 Interprétation: Jose Collins (« The Tearer » / Miss Gibson), Alec B. Francis (Sir Anthony Gregson / Blink), Leslie Stowe (Gouger), Sumner Gard, E.M. Kimball, Dorothy Fairchild, Jacqueline Morhange Note : Premier film de la vedette de comédies musicales Jose Collins. © World Film Corp., 8 septembre 1915 The Flash of an Emerald Réalisation: Albert Capellani Scénario: Captain Leslie T. Peacocke D’après: la nouvelle « The Flash of an Emerald », d’Ethel Watts Mumford, sortie dans le mensuel The Smart Set, février 1902. Caméra : David Calcagni

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Lieux de tournage : Peerless Studios, Fort Lee, NJ ; Ste-Anne-de-Beaupré, Québec, Canada Production: World Film Corp., A Shubert Feature Distribution: World Film Corp. Métrage: 5 bobines Date de sortie: 27 septembre 1915 Interprétation: Robert Warwick (Lucius Waldeck), Dorothy Fairchild (Victoria Allison), Jean Stuart (Sonia Mercer), Julia Stuart (Madame Watson), Georgia May Fursman (Madeline), Clarissa Selwynne (Marie), June Elvidge (Phillipa Ford), Paul Gordon (Morton Conway), Albert Capellani (lui-même) Note: © World Film Corp., 30 octobre 1915 Camille Autre titre : A Modern Camille Réalisation : Albert Capellani Scénario : Frances Marion D’après : le roman La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils (France, 1848) Caméra : Lucien Andriot Lieu de tournage : World Film Studios, Fort Lee, NJ Production: Shubert Film Corp., World Film Corp. Distribution: World Film Corp. Métrage: 5 bobines Date de sortie: 27 décembre 1915 Interprétation: Clara Kimball Young (Camille), Paul Capellani (Armand Duval), Lillian Cook (Cécile, sa sœur), Robert Cummings (Monsieur Duval), Dan Baker (Joseph le domestique), Stanhope Wheatcroft (Robert Bousac), Frederick C. Truesdell (Comte de Varville), William Jefferson (Gaston), Edward M. Kimball (le médecin), Louie Ducey (Madame Prudence), Beryl Morhange (Nanine) Notes : Premier titre A Modern Camille. Ressortie, World Film Company, février 1917. Autres films tournés d’après ce roman : Camille produit en 1912 par la Champion ; Camille produit en 1917 par la Fox ; au moins trois films américains des années vingt tournés en tout ou partie du roman : 1921 Camille de Ray C. Smallwood avec Nazimova et Rudolph Valentino, 1924 The Lover of Camille de Harry Beaumont avec Monte Blue et Marie Prevost, 1927 Camille de Fred Niblo avec Norma Talmadge et Gilbert Roland ; parmi les nombreuses autres adaptations à l’écran du roman : 1936 Camille de George Cukor avec Greta Garbo et Robert Taylor ; plusieurs films basés sur l’opéra La Traviata de Verdi inspiré de ce roman, dont le film italien de 1982 de Franco Zeffirelli. Note: © World Film Corp., 14 février 1917 The Feast of Life Réalisation: Albert Capellani Scénario : Frances Marion Caméra : Lucien Andriot Lieux de tournage : Paragon Studio, Fort Lee, NJ ; Santiago, Cuba. Production: Paragon Films, Inc. Distribution: World Film Corp. Métrage : 5 bobines Date de sortie : 1er mai 1916 Interprétation : Clara Kimball Young (Aurora Fernandez), Mrs E.M. Kimball (Señora

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Fernandez), Edward M. Kimball (Père Venture), Paul Capellani (Don Armada), Doris Kenyon (Celida), Robert Frazer (Pedro) ; Millie Bright. Note : Des extraits de ce film furent tournés à Cuba. © World Film Corp., 4 mai 1916 La Vie de Bohème Titre français : La Vie de Bohème Autres titres : Mimi ; The Bohemians Réalisation : Albert Capellani Scénario : Frances Marion D’après : le roman Scènes de la Vie de Bohème d’Henri Murger (Paris, 1849) Assistant réalisateur : Albert Dorris. Deuxième assistant réalisateur, Warren G. Bellew. Caméra : Lucien Andriot Directeur artistique : Ben Carré Lieu de tournage : Paragon Studio, Fort Lee, NJ Production: Paragon Films, Inc. Distribution (USA): World Film Corp. Distribution (France) : Les Cinematographes Harry Métrage : 5 bobines, 1653 (France) Date de sortie (USA) : 19 juin 1916 Présentation corporative (Paris) : septembre 1917 Date de sortie (France) : 17 octobre 1917 Interprétation : Alice Brady (Mimi), Paul Capellani (Rodolphe), June Elvidge (Madame de Rouvre), Leslie Stowe (Durandin), Chester Barnett (Marcel), Zena Keefe (Musette), Fred Truesdell (l’auteur), D.J. Flanagan (Schaunard), Helen Hamilton. Sauvegarde-restauration : Notes : © World Film Corp., 6 juin 1916. Le film changea plusieurs fois de titres pendant le tournage : Mimi, The Bohemians, La Bohème. Pathé Frères a redistribué en France la version Capellani 1912 en novembre 1917. Parmi les nombreux films inspirés du roman : 1926 La Bohème de King Vidor avec Lillian Gish et John Gilbert, 1935 Mimi de Paul Stein avec Douglas Fairbanks, Jr. et Gertrude Lawrence, 1945 La Vie de Bohème de Marcel L’Herbier avec Louis Jourdan, 1965 opéra filmé franco-italien La Bohème de Franco Zeffirelli. The Dark Silence Titre français : Femmes de France Réalisation : Albert Capellani Scénario : Gardner Hunting D’après : Paul West Caméra : Hal Young Lieu de tournage : Peerless Studios, Fort Lee, NJ Production: Peerless Feature Producing Company Distribution (USA): World Film Corp. Distribution (France) : Les Cinematographes Harry Métrage : 5 bobines. 62 mins (Wid’s) ; Métrage maximum de projection, 70 mins (MPW). Date de sortie (USA) : 25 septembre 1916 Présentation corporative (Paris) : mai 1917 Date de sortie (France) : juin 1917 Interprétation : Clara Kimball Young (Mildred White), Edward T. Langford (Derwent Ainsworth), Paul Capellani (Dr. Mario Martinez), Barbara Gilroy (Sibil Ainsworth), Jessie

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Lewis (Fifine). Notes: © World Film Corp., 7 septembre 1916. Il s’agirait du premier film américain de Capellani distribué en France. The Common Law Titre français : La Loi commune Réalisation : Albert Capellani Scénario : Beryl Morhange D’après : le roman The Common Law de Robert William Chambers (New York, 1911), paru en feuilleton dans Cosmopolitan Magazine, novembre 1910 – octobre 1911 Assistant réalisateur : Henri Ménessier Caméra : Jacques Monteran, Hal Young Lieu de tournage: Solax Studio, Fort Lee, NJ; bureaux du New York Evening Telegram, Herald Square, NY. Production: Clara Kimball Young Corp. (Selznick- Pictures) Distribution (USA) : Lewis J. Selznick Productions, Inc. Distribution (France) : Les Cinematographes Harry Métrage : 7 bobines Date de sortie (USA) : 15-16 octobre 1916 Présentation corporative (France) : 30 juillet 1921 Date de sortie (France) : 16 septembre 1921 Interprétation : Clara Kimball Young (Valerie West), Conway Tearle (Neville), Paul Capellani (Querida), Edna Hunter (Rita), Lillian Cook (Stephanie), Julia Stuart (Madame Neville), Edward M. Kimball (Mr. Neville), Lydia Knott (Madame West), D.J. Flanagan (Ogilvy), Edmund Mortimer, Barry Whitcomb. Notes: © Clara Kimball Young Film Corp., 25 septembre 1916. Premier film produit par la Clara Kimball Young Film Corp. Un article du 9 septembre 1916 dans MPW l’annonce comme distribution générale en six bobines, avec une version en 9 bobines pour quelques-uns des théâtres les plus importants. MPW annonçait que parmi les artistes et illustrateurs, Harrison Fisher, Malcolm Straus et James Montgomery Flagg, entre autres, avaient réalisé des esquisses pour le film qui devinrent ensuite des lithographies, et que Flato et Fritz Winold Reiss avaient préparé des dessins pour la publicité et pour les affiches. Selznick Pictures tourna une nouvelle version de The Common Law en 1923 avec Corinne Griffith. RKO Pathé tourna une version sonore en 1931, réalisée par Paul L. Stein avec Constance Bennett. Publicité dans Hebdo-Film n° 282, 23 juillet 1921. The Foolish Virgin Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani D’après : le roman The Foolish Virgin de Thomas Dixon (New York, 1915), paru en feuilleton dans The Green Book Magazine, janvier-septembre 1915 Caméra: Jacques Monteran, Hal Young, George Peters Lieu de tournage : Solax Studio, Fort Lee, NJ ; Biograph Studio, NY ; extérieurs à Catskills, NY Production: Clara Kimball Young Film Corp., Selznick-Pictures Distribution : Lewis J. Selznick Enterprises, Inc. Métrage : 6 bobines ; 80 mn (Wid’s). Date de sortie : 18 décembre 1916

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Interprétation : Clara Kimball Young (Mary Adams), Conway Tearle (Jim Anthony), Paul Capellani (Dr. Mulford), Catherine Proctor (Nance Anthony), Sheridan Tansey (Jim), William Welsh (le père de Jim), Marie Lines (Jane), Agnes Mapes (Ella Swanson), Edward Elkas (Harden), Jaqueline Morhange (Dora), Freddie Verdi. Note: © Clara Kimball Young Film Corp., 26 décembre 1916. Columbia Pictures produisit un film d’après le même roman en 1924, réalisé par George W. Hill avec Elaine Hammerstein. The Easiest Way Réalisation: Albert Capellani Scénario : Albert Capellani, Frédéric Chapin Adaptation : Albert Capellani D’après : la pièce The Easiest Way d’Eugene Walter (Hartford, Conn., 31 décembre 1908 fut l’avant- première en province). La première à Broadway eut lieu le 19 janvier 1909 au Stuyvesant Theatre) Assistant réalisateur : Henri Ménessier Caméra : Hal Young, Jacques Monteran Lieu de tournage : extérieurs à Skyland Resort, VA Production: Clara Kimball Young Film Corp., Selznick-Pictures Distribution : Lewis. J. Selznick Enterprises, Inc. Métrage : 7 bobines ; 110 mn (Wid’s) Date de sortie : avril 1917 Interprétation: Clara Kimball Young (Laura Murdock), Louise Bates (Elfie St Clair), Joseph Kilgour (Willard Brockton), Rockliffe Fellowes (John Madison), Cleo Desmond (Annie), George Stevens (Jim Weston), Frank Kingdon (Burgess), May Hopkins (Nellie De Vere), Walter McEwen (Jerry). Notes: © Clara Kimball Young Film Corp., 6 avril 1917. Joseph Kilgour joua également le rôle de Willard Brockton à la scène. Selon des revues professionnelles, Capellani loua le Garden Theatre de New York pour le tournage et engagea trente mannequins du music- hall le Strand Roof, quinze danseuses d’une comédie musicale de Broadway et l’orchestre du Waldo (Waldorf Astoria). American Maid Titre français : Mademoiselle Duchesse (sous réserve) Réalisation : Albert Capellani Scénario : Hamilton Smith D’après: Julius Rothschild Caméra: David Calcagni Lieu de tournage : Empire All Star Corp. Studios, Glendale, Long Island Production: Empire All-Star Production Distribution: Mutual Film Corp. Métrage : 5 bobines ; 71 mn (Wid’s) Date de sortie : 3 décembre 1917 Interprétation: Edna Goodrich (Virginia Lee), George Henry (Sénateur Lee), William B. Davidson (David Starr), John Hopkins (Sam Benson) Daybreak Titre français : Réconciliation (sous réserve) Réalisation : Albert Capellani Supervision : Maxwell Karger

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Scénario : June Mathis Adaptation : June Mathis, Albert Capellani D’après : la pièce Daybreak de Jane Cowl et Jane Murfin (New York, Harris Theatre, 14 août 1917) Caméra : David Calcagni Production : Metro Pictures Corp. ; B.A. Rolfe Productions ? Distribution : Metro Pictures Corp. Métrage : 5 bobines ; 69 mn (Wid’s) Date de sortie : 7 janvier 1918 Interprétation: Emily Stevens (Edith Frome), Julian L’Estrange (Arthur Frome), Herman Lieb (Herbert Rankin), Augustus Phillips (Dr. David Brett), Frank Joyner (Carl Peterson, le déprédateur), Evelyn Brent (Alma Peterson, la détective), Joe Daly (Otway), Madame Evelyn Axzell (Meta Thompson) Notes : © Metro Pictures Corp., 31 décembre 1917. Ce film fut le premier réalisé par Albert Capellani pour la Metro. Social Hypocrites Titre français : Une infamie (sous réserve) Réalisation : Albert Capellani Supervision : Maxwell Karger Scénario : Albert Capellani, June Mathis D’après : la pièce Bridge de Alicia Ramsey (première au New Rochelle Theatre, New Rochelle, New York, 14 octobre 1907) Assistant réalisateur : Leander De Cordova Caméra : Eugene Gaudio Directeur technique : Edward J. Shulter Graphisme intertitres : Ferdinand Earle Décor : Henri Ménessier Lieu de tournage : extérieurs à Huntington, Long Island Production: Metro Pictures Corp., B.A. Rolfe Productions? Distribution: Metro Pictures Corp., Metro All-Star Series Métrage : 5 bobines ; 65 mn (Wid’s) Date de sortie : 6 avril 1918 Interprétation : May Allison (Leonore Fielding), Marie Wainwright (Maria, Duchesse de St Keverne), Joseph Kilgour (Lord Royle Fitzmaurice), Henry Kolker (Dr. Frank Simpson), Stella Hammerstein (Lady Vanessa Norton), Frank Currier (Col. Francis Fielding), Ethel Winthrop (Lady Felicia Mountstephen), Maggy Breyer (Fluffy), Stephen Grattan (Père Gilbert Grandon), Pauline Welch (la jeune Maria, Duchesse de St Keverne), Fred Radcliffe (le jeune Francis Fielding). Notes : © Metro Pictures Corp., 1er avril 1918. Matériel film existant aux AFF. The Richest Girl Titre français : La Petite Chocolatière Réalisation : Albert Capellani Scénario : Harry R. Durant D’après : la pièce The Richest Girl de Michael Morton et Paul Gavault (Criterion Theatre, New York, 1er mars 1909) ; pièce jouée à Paris au Théâtre de la Renaissance, 23 octobre 1909 Caméra : Tony Gaudio

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Décor : Henri Ménessier Production: Empire All-Star Corp. Distribution : Mutual Film Corp. Distribution (France) : Les Cinematographes Harry Métrage : 5 bobines ; 60 mn (Wid’s) Date de sortie (USA) : 8 avril 1918 Présentation corporative : 31 mars 1920 Date de sortie (France) : 12 mars 1920 Interprétation: Ann Murdock (Benjamine Downey), David Powell (Paul Normand), Charles Wellesley (Mr. Downey), Herbert Ayling (Commissaire Mingasson), Gladys Wilson (Flora Mingasson), Paul Capellani (Félix), Cyril Chadwick Notes : publicité dans Hebdo-Film n° 4, 24 janvier 1920. Refait en France en 1927 comme La Petite chocolatière par la Société des Cinéromans, distribué par Pathé, réalisation de René Hervil. Une projection a eu lieu le 31 janvier 1920 au Ciné Max Linder, à Paris. Le film était livrable avant la présentation corporative (Paris). The House of Mirth Titre français : Le cœur ne se vend pas Réalisation: Albert Capellani Supervision: Maxwell Karger Scénario: June Mathis, Albert Capellani D’après: le roman The House of Mirth d’Edith Wharton (New York, 1905) Assistant réalisateur : Leander De Cordova Caméra : Eugene Gaudio Décor : Henri Ménessier Production : Metro Pictures Corp. Distribution: Metro Pictures Corp., All-Star Series. Métrage : 1719 (5 640 ft) Date de sortie (USA) : 5 août 1918 Date de sortie (France) : juin 1921 Interprétation : Katherine Harris Barrymore (Lily Bart), Henry Kolker (Lawrence Selden), Christine Mayo (Bertha Trenor-Dorset), Joseph Kilgour (Augustus Trenor- Dorset), Lottie Briscoe (Gertie Farish), Edward Abeles (Simon Rosedale), Maggie Western (Mme Haffen), Pauline Welch (Nettie Struthers), Nellie Parker-Spaulding (Mme Penniston), W.D. Fichter (Ned Silverton), Sidney Bracy (Percy Gryce), Kempton Greene (Jeff Wade), Morgan Jones (Butler), William A. Sullivan. Notes : © Metro Pictures Corp., 9 août 1918. Le rôle de Lily Bart devait être d’abord donné à Emmy Wehlen. Le roman fut adapté au théâtre par Clyde Fitch et Edith Wharton, et eut son avant-première le 11 septembre 1906 à la Detroit Opera House, Détroit. La première à Broadway eut lieu le 22 octobre 1906 au Savoy Theatre. A Woman of France Réalisation : Albert Capellani Scénario : Alla Nazimova Production : Metro Pictures Corp. Distribution : Metro Pictures Corp. Date de sortie : octobre 1918 Interprétation : Alla Nazimova, Henry Harmon, Tom Blake, Frank Currier Notes : Le court-métrage final de la série Liberty Loan Specials crée pour le Fourth

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Liberty Loan Campaign. Le film fut réalisé pendant le tournage de Out of the Fog, avec les trois mêmes protagonistes. Eye for Eye Titre français : L’Occident Réalisation : Albert Capellani Supervision : Maxwell Karger Scénario : June Mathis, Albert Capellani Adaptation : June Mathis, Albert Capellani D’après : la pièce L’Occident de Henry Kistemaeckers (Paris, 4 novembre 1913) Assistant réalisateur : Henri Ménessier, Henry Kolker Caméra : Eugene Gaudio Graphisme intertitres : David Anthony Tauszky Décor : Henri Ménessier, E.J. Shulter Production : Nazimova Productions, Inc. (Richard A. Rowland, Maxwell Karger). Distribution (USA) : Metro Pictures Corp. Distribution (France) : Phocéa-Location Métrage : 1981 (6 500 ft) Date de sortie (USA) : novembre 1918 Présentation corporative (Paris) : 4 juin 1919 Date de sortie (France) : 4 juillet 1919. Interprétation : Alla Nazimova (Hassouna), Charles Bryant (Capitaine de Cadière), Donald Gallaher (Enseigne de vaisseau Arnaud), Sally Crute (Madame Hélène de Cadière), E.L. Fernandez (Taieb), John Reihnard (Paul Lecroix), Louis Stern (le Cheik), Charles Elridge (Tootit, le clown), Hardee Kirkland (Rambert, le propriétaire du cirque), Miriam Battista (la petite sœur d’Hassouna), William Wright Cohill, William T. Carleton, Barry Whitcomb, Anita Brown. Notes : © Metro Pictures Corp., 4 décembre 1918. Ce film fut projeté en avant-première à New York le 18 novembre 1918, distribué dans le Milwaukee le 24 novembre et à New York le 22 décembre 1918. Selon MPW, on donna d’abord le rôle d’Ensign Arnaud à Richard Barthelmess. MPW signala que Capellani utilisa des marins d’un cuirassé français comme figurants. Publicité dessinée par Lambert Guenther. Publicité dans Hebdo-Film, mai 1919 et critique dans le n° 23, 7 juin 1919. Autre version réalisée par Henri Fescourt (France, 1928) production Société des Cinéromans – Films de France, distribuée par Pathé. Out of the Fog Titre français : Hors de la brume Réalisation : Albert Capellani Supervision : Maxwell Karger Scénario : June Mathis, Albert Capellani D’après : la pièce Ception Shoals de H. Austin Adams (Princess Theatre, New York, 10 janvier 1917) Assistant réalisateur : Robert E. Stevens Caméra : Eugene Gaudio Assistant opérateur : William Tuers Photographie : Eugene Morin Directeur technique : Henri Ménessier Directeur Associé : Henry Kolker

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Equipe technique : Daniel Carey, Charles Quinlan, Louis Onzevrdo, Frank Kirshner Accessoiriste : Charles Devens Lieu de tournage : Gloucester Eastern Point Lighthouse, Massachusetts Production : Nazimova Productions, Inc. (Richard.A. Rowland, Maxwell Karger) Distribution : Metro Pictures Corp. Métrage : 7 bobines ; 2 133 (7 000 ft) Date de sortie (USA) : 8 février 1919 Présentation corporative (Paris) : juin 1920 Date de sortie (France) : 23 juillet 1920 Interprétation : Alla Nazimova (Faith / Eve), Charles Bryant (Philip Blake), Henry Harmon (Job Coffin), Nancy Palmer (Maude Standish), T. Morse Koupal (Luke Allen), George W. Davis (Brad Standish), Charles Smiley (Elijah Allen), Tom Blake (Jim Smooth), Hugh Jeffrey (le gendarme), Dorothy Smoller (la danseuse), Marie Grant, Ada Scovill, J. O’Connor, Amelia Burleson, Harry Weiss, Lydia Wellmore (la population des pêcheurs), Barry Whitcomb. Notes : © Metro Pictures Corp., 7 février 1919. Le film fut tourné en partie sur les côtes du Massachusetts. Selon certaines sources, seule June Mathis aurait écrit le scénario. Cependant, les affiches indiquent que ce fut une collaboration Mathis-Capellani. The Parisian Tigress Autre titre : Jeanne of the Gutter, Jeanne du ruisseau (premier titre) Réalisation : Herbert Blaché Supervision : Maxwell Karger Scénario : Finis Fox D’après : June Mathis et Albert Capellani Caméra : John Arnold Décor : Henri Ménessier Lieu de tournage : Metro studios, Hollywood Production : Metro Pictures Corp. Distribution : Metro Pictures Corp. Métrage : 5 bobines Date de sortie : 31 mars 1919 Interprétation : Viola Dana (Jeanne), Darrell Foss (Albert Chauroy), Henry Kolker (Henri Dutray), Edward Connelly (Comte de Suchet), Clarissa Selwynne (Melle de Suchet), Louis D’Arclay (Jacques, un apache), Paul Weigel (Comte de Suchet aîné), Mitzi Goodstadt (Mimi), Maree Beaudet (Cisette) Note: © Metro Pictures Corp., 4 avril 1919. The Red Lantern Titre français : La Lanterne rouge Réalisation : Albert Capellani Supervision: Maxwell Karger Scénario: June Mathis, Albert Capellani Adaptation: June Mathis, Albert Capellani D’après: le roman The Red Lantern: Being the Story of the Goddess of the Red Lantern Light d’Edith Wherry (New York, 1911) Assistant réalisateur : Henri Ménessier, Henry Kolker Caméra : Eugene Gaudio Photographie : Ray Smallwood

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Directeur artistique : Henri Ménessier Directeur technique : James Wang Interprète : James Wang Décor : Henri Ménessier Equipe technique : Ray Smallwood Recherche : Adeline Alvord Lieu de tournage : Metro Studios, Hollywood Production : Nazimova Productions (Richard A. Rowland, Maxwell Karger) Distribution : Metro Pictures Corp. Métrage : 7 bobines ; 2,042 m (6 700 ft) Date de sortie (USA) : 4 mai 1919 Présentation corporative (Paris) : août 1919 Date de sortie (France) : septembre 1919 Interprétation : Alla Nazimova (Mahlee / Blanche Sackville), Mrs. McWade (Mme Ling), Virginia Ross (Huang-Ma), Frank Currier (Sir Philip Sackville), Winter Hall (Révérend Alexander Templeton), Amy Van Ness (Mme Templeton), Darrell Foss (Andrew Templeton), Noah Beery (Sam Wang), Harry Mann (Chung), Yukio Ao Yamo (Sing), Edward J. Connelly (Jung-Lu), Jack Yutaka Abbe, Tote G. Ducrow, Anna May Wong. Notes : © Metro Pictures Corp., 9 mai 1919. Les opérateurs suivants ont filmé les séquences de défilés de nuit : John Arnold, Robert B. Kurrle, William E. Fildew, Arthur Martinelli, Micky Maguire, Henry Bergquist (sans doute R. J. Bergquist) et Charles Fuhr. Selon des sources contemporaines, 800 figurants chinois auraient étés utilisés, et la production aurait coûté environ $ 250 000. Restauration : Cinémathèque royale de Belgique Oh, Boy ! Titre français : Cœurs de vingt ans Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani Adaptation : Albert Capellani D’après : la comédie musicale Oh, Boy !, dialogue et paroles de P.G. Wodehouse et Guy Bolton, musique de Jerome Kern (Princess Theatre, New York, 20 février 1917). Caméra : Lucien Andriot. Graphisme intertitres : Tom Bret Lieu de tournage : Los Angeles Production : Albert Capellani Productions, Inc. Distribution (USA) : Pathé Exchange, Inc. Distribution (France) : Pathé Métrage : 6 bobines ; 1 737 m (5 700 ft), 1 535 m (France) Date de sortie (USA) : 22 juin 1919 ; avant-première à Chicago, 7 juin 1919 Présentation corporative (Paris) : 24 août 1919 Date de sortie (France) : 30 septembre 1921 Interprétation : June Caprice (Lou Ellen Carter), Creighton Hale (George Budd), Zena Keefe (Jackie Sampson), Flora Finch (Mlle Pénélope Budd), William H. Thompson (Juge Daniel Carter), Grace Reals (Mme Carter), Joseph Conyers (Gendarme Simms), J. K. Murray (Doyen du collège Richguys), Maurice Bennett Flynn (« Lefty » Flynn), Albert Capellani (le chef d’orchestre), Ben Taggart, Charles Hartley Notes : © Pathé Exchange, Inc., 19 juin 1919. Premier film des Productions Albert

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Capellani. Projeté en avant-première à Chicago le 7 juin 1919. Maurice Bennett Flynn était un joueur de football américain bien connu de Yale. Matériel film existant aux AFF. Dans Hebdo-Film, n° 45 du 8 novembre 1919, Adolphe Osso se présente comme manager de la société Albert Capellani Productions, Inc. The Love Cheat Titre français : Le Danseur inconnu Autre titre : The Unknown dancer Réalisation : George Archainbaud Supervision : Albert Capellani Scénario : Peggy McCall D’après : la pièce Le Danseur inconnu de Tristan Bernard (France, 29 décembre, 1909) Assistant réalisateur : Albert Dorris (sous réserve) Caméra : Lucien Tainguy Directeur artistique : Henri Ménessier Directeur technique : Henri Ménessier Lieu de tournage : Capellani Studio, Fort Lee, NJ Production : Albert Capellani Productions, Inc. Distribution (USA) : Pathé Exchange, Inc. Distribution (France) : Pathé Cinéma (Adolphe Osso éditeur) Métrage : 5 bobines ; 1 414 (4 640 ft) Date de sortie (USA) : 24 août 1919 Présentation corporative (Paris) : 4 août 1920 Date de sortie (France) : 10 septembre 1920 Interprétation: June Caprice (Louise Gordon), Creighton Hale (Henry Calvin), Edwards Davis (J. Stewart Gordon), Alfred Hickman (Herbert Rand), Charles Coleman (William West), Jessica Brown (la danseuse), Katherine Johnson Ayant-droit : © Pathé Exchange, Inc., 18 mars 1920 Notes : Premier titre The Unknown Dancer (Le Danseur inconnu). Selon de nouvelles d’après s, Jessica Brown exécuta une danse dont elle avait elle-même réalisé la chorégraphie, mélange de danse de l’antiquité grecque et de danse jazz contemporaine. Capellani Studio, Fort Lee, NJ correspond sans doute au Solax studio, qui appartenait toujours aux Blaché. Publicité dans Hebdo-Film n° 31, 31 juillet 1920 The Virtuous Model Titre français : Le Ruisseau Autre titre : The Gutter Réalisation : Albert Capellani Scénario : Albert Capellani D’après : la pièce Le Ruisseau de Pierre Wolff (Paris, Théâtre du Vaudeville, 21 mars 1907) Caméra : Lucien Andriot Directeur artistique : Henry Ménessier Lieu de tournage : Capellani Studio, Fort Lee, NJ Production : Albert Capellani Productions, Inc. Distribution (USA) : Pathé Exchange, Inc. Distribution (autres pays) : Etablissements Pathé frères (édition Adolphe Osso) Métrage : 6 bobines ; 2.013 (6 606 ft) 1 400 (édition française) Date de sortie : 14 septembre 1919

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Présentation corporative (France) : 10 mars 1920 Date de sortie (Paris) : 16 avril 1920 Interprétation : Dolores Cassinelli (Denise Fleury), Helen Lowell (sa mère), May Hopkins (Suzanne Carton), Vincent Serrano (Paul Brehant), Franklyn Farnum (Edouard Dorin), Paul Doucet (Jacques Le Sage), Marie Chambers (Comtesse Olga Vosloff), DeSacia Saville, Albert Roccardi Notes : © Pathé Exchange, Inc., 23 août 1919. Le premier titre de ce film était The Gutter (Le Ruisseau). Selon de nouvelles sources, les vues extérieures de Montmartre furent faites à Paris. Deux versions de la pièce de Pierre Wolff furent tournées en France sous le titre Le Ruisseau : l’une en 1928 sous la direction de René Hervil, l’autre en 1938 réalisée par Maurice Lehmann et Claude Autant-Lara avec Michel Simon. A Damsel in Distress Titre français : Mam’zelle Milliard Réalisation : George Archainbaud Supervision : Albert Capellani D’après : le roman A Damsel in Distress de P.G. Wodehouse, paru en feuilleton aux Etats- Unis dans le Saturday Evening Post (10 mai-28 juin 1919) ; publié comme livre aux Etats- Unis (New York : George H. Doran, 4 octobre 1919) et au Royaume-Uni (Londres : Herbert Jenkins, 15 octobre 1919). Assistant réalisateur : Philip Masi Caméra : Lucien Tainguy Directeur artistique : Henri Ménessier Lieu de tournage : Capellani Studio, Fort Lee, NJ ; extérieurs à NY : au Iroquois Hotel, et sur Sixth Avenue Production : Albert Capellani Productions, Inc. Distribution (USA) : Pathé Exchange, Inc. Distribution (France) : Pathé Consortium Cinéma Métrage : 5 bobines ; 1 524 (5 000 ft) Date de sortie (USA) : 12 octobre 1919 Présentation corporative (Paris) : 6 octobre 1920 Date de sortie (France) : 12 novembre 1920 Interprétation : June Caprice (Maud Marsh), Creighton Hale (George Bevan), William H. Thompson (John W. Marsh), Charlotte Granville (Mme Caroline Byng), Arthur Albro (Reggie Byng), George Trimble (Keggs), Katherine Johnson (Alice Farraday), Mark Smith (Percy Marsh) Sauvegarde-restauration : Notes : © Pathé Exchange, Inc., 18 mars 1920 Le roman original de P.G. Wodehouse parut en feuilleton dans le Saturday Evening Post. L’histoire fut de nouveau portée à l’écran en 1937 par la RKO, réalisée par George Stevens avec Fred Astaire et Joan Fontaine. The Right to Lie Autre titre: The Rightful Heir Titre français : Le Droit de mentir Réalisation : Edwin Carewe Supervision : Albert Capellani Scénario : John Norwood D’après : Jane Murfin

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Caméra : Lucien Andriot Production : Albert Capellani Productions, Inc. Distribution (USA) : Pathé Exchange, Inc. Distribution (France) : Pathé Cinéma (Adophe Osso éditeur) Métrage : 7 bobines ; 2.013 (6 605 ft) Date de sortie (USA) : 16 novembre 1919 Présentation corporative (Paris) : 18 août 1920 Date de sortie (France) : 24 septembre 1920 Interprétation: Dolores Cassinelli (Carlotta), Frank Mills (Curtis Austin), Joseph King (Crosby Dana), Warren Cook (J. Winthrop Drake), Grace Reals (Mrs. Drake), George Deneubourg (Signor Riccardo Novelli), Claire Grenville (Signora Dolores), Violet Reed (Edith Austin), John A. Boone (Adam Burton) Notes : © Pathé Exchange, Inc., 22 novembre 1919. Inspiré par le procès capital Harry Thaw-Evelyn Nesbit. Publicité dans Hebdo-Film n° 32, 7 août 1920. In Walked Mary Autre titre: Little Mother Hubbard Réalisation : George Archainbaud Supervision : Albert Capellani Scénario : George D. Proctor D’après : la pièce Liza Ann de Oliver D. Bailey (production indéterminée) Caméra : Lucien Tainguy Production : Albert Capellani Productions, Inc. Distribution : Pathé Exchange, Inc. Métrage : 5 bobines ; 1 473 (4 833 ft) Date de sortie : 7 mars 1920 Interprétation : June Caprice (Mary Ann Hubbard), Thomas Carrigan (Dick Allison), Stanley Walpole (Wilbur Darcey), Vivienne Osborne (Betsy Caldwell), Frances M. Grant (Mammy). Notes : © Pathé Exchange, Inc., 8 mars 1920. On annonça d’abord que le rôle principal serait donné à Pedro De Cordoba (NYT, 12 oct. 1919). The Fortune Teller Réalisation : Albert Capellani Scénario : George D. Proctor D’après : la pièce The Fortune Teller de Leighton Graves Osmun (Republic Theater, New York, 27 février 1919). Caméra : Jacques Monteran Directeur artistique : John D. Braddon Lieu de tournage : Capellani Studio, Fort Lee, NJ Production : Albert Capellani Productions, Inc. Distribution : Robertson-Cole Distributing Corp., Special Métrage : 5 bobines selon MPW, 7 bobines selon l’AFI. Wid’s indique environ 7 500 feet, soit 2,286 m. Date de sortie : 16 mai 1920 Interprétation : Marjorie Rambeau (Renée Browning), Frederick Burton (Horatio Browning), E. Fernandez (Tony Salviatti), Raymond McKee (Stephen Browning), Franklin Hanna (le Gouverneur Leonard), Virginia Lee (sa fille), T. M. Koupak (Jim l’homme fort), Cyprian Giles (Lottie)

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Notes : Marjorie Rambeau faisait également partie de la distribution de la création de la pièce à New York. Le film devait à l’origine être distribué par Pathé Exchange, Inc. Projection spéciale à New York le 9 mai 1920. The Inside of the Cup Titre français : Les Rapaces Réalisation : Albert Capellani Scénario : George Dubois Proctor D’après : le roman The Inside of the Cup (Le Contenu de la coupe) de Winston Churchill (New York, 1913) Assistant réalisateur : Dan Pennell Caméra : Al Siegler, Jacques Monteran Décor: Warren Alfred Newcomb, Joseph Urban Graphisme intertitres : Neil E. McGuire, Thomas M. Stell Lieu de tournage : Cosmopolitan Studios : West 127th Street et Second Avenue à West 125th Street (probablement Estee studio). Production : Cosmopolitan Productions Distribution : Paramount Pictures Métrage : 6 bobines ; 2 590 (8 500 ft), 2 000 m (France) Date de sortie (USA) : 16 janvier 1921 Présentation corporative (Paris) : 15 décembre 1921 Date de sortie (Paris) : 27 janvier 1922 Interprétation : William P. Carleton (John Hodder), David Torrence (Eldon Parr), Edith Hallor (Alison Parr), John Bohn (Preston Parr), Marguerite Clayton (Kate Marcy), Richard Carlyle (Richard Garvin), Margaret Seddon (Mme Garvin), Albert Roccardi (Wallis Plimpton), Frank A. Lyon (Ferguson), Henry Morey (« Beatty »), Irene Delroy (l’amie de Kate Marcy), George Storey (l’enfant de Garvin), Edward O’Connor. Notes : © International Film Service Co., Inc., 15 janvier 1921. On annonça d’abord que Marion Davies serait dans la troupe. The Wild Goose Titre français : Immolation Réalisation : Albert Capellani Scénario : Donnah Darrell D’après : le roman The Wild Goose de Gouverneur Morris (New York : C. Scribner’s Sons, 1919), paru en feuilleton dans Hearst’s Magazine, septembre 1918 - août 1919 Caméra: Harold Wenström Décor: Joseph Urban Production : Cosmopolitan Productions pour Famous Players-Lasky Distribution : Paramount Pictures Métrage : 1980 (6 497 ft) Date de sortie : 5 juin 1921 Interprétation: Mary MacLaren (Diana Manners), Holmes E. Herbert (Frank Manners), Dorothy Bernard (Mme Hastings), Joseph Smiley (Mr. Hastings), Norman Kerry (Ogden Fenn), Rita Rogan (Tam Manners), Lucia Backus Seger. Note: © International Film Service Co., Inc., 2 juin 1921 Sisters Réalisation: Albert Capellani Scénario: E. Lloyd Sheldon

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D’après: le roman Sisters de Kathleen Norris (Garden City, New York: Doubleday, 1919) Caméra : Chester Lyons Décor : Joseph Urban Production: International Film Service Distribution: American Releasing Corp. Métrage : 2 068 (6785ft), MPW ; 2133 (7 000 ft) Wid’s Date de sortie : 2 avril 1922 Interprétation : Seena Owen (Alix Strickland), Gladys Leslie (Cherry Strickland), Mildred Arden (Anna Little), Matt Moore (Peter Joyce), Joe King (Martin Lloyd), Tom Guise (Dr. Strickland), Robert Schable (Justin Little), Frances Grant (la grand-mère de couleur), Fred Miller (domestique de couleur) Note: © International Film Service Co., Inc., 29 mars 1922 The Young Diana Titre français : Jeunesse Réalisation : Robert G. Vignola, Albert Capellani Scénario: Luther Reed D’après: le roman The Young Diana; an Experiment of the Future, a Romance de Marie Corelli (London: Hutchinson, 1918) Caméra: Harold Wenström Décor: Joseph Urban Production : Cosmopolitan Productions Distribution : Paramount Pictures Métrage : 2 055 (6 744 ft) Date de sortie : 7 août 1922 Interprétation : Marion Davies (Diana May), Maclyn Arbuckle (James P. May), (Commandeur Cleeve), Gypsy O’Brien (Lady Anne), Pedro De Cordoba (Dr. Dimitrius) Note : © International Film Service Co., Inc., 28 juin 1922

1906-1915 : incertitudes et erreurs

Plusieurs filmographies ont cité à plusieurs années d’intervalles des titres de films en les attribuant à Albert Capellani. Nous avons fait un nombre important de recherches, d’identifications et avons défini trois sections : les films qui n’ont probablement jamais existé et sont totalement imaginaires, les films anonymes (et qui ne peuvent pas être attribués à Capellani), et ceux qui ont été réalisés par d’autres réalisateurs, avec des sources avérées. - Films imaginaires, provenant de filmographies différentes : La Toilette de la Parisienne (1906), La Guêpe et le papillon, La Légende des tulipes d’or, Métempsychose, Plus fort que le diable (1907) Guillaume Tell (1908) Hamlet, Le Petit Poucet, Le Trouvère (1908) La Tour de Nesle (1909), Un clair de lune sous Richelieu (1910), La Haine, Paganini, Trahis (ou Trahir) (1910), Le Modèle, Les Surprises du Kodak (sans date). -Films anonymes : Jeanne d’Arc (ou La Vie de Jeanne d’Arc, 1909), La Zingara (1910), La Vagabonde (1911), Manon Lescaut (1912), La Folle de Pen’march (1912).

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-Films attribués à d’autres cinéastes : Peau d’Âne (V. Lorant Heilbronn, 1904), Les Débuts d’un chauffeur (Georges Hatot, 1907), La Belle au bois dormant (1908, Albert Capellani d’après Charles Ford, mais probablement de Lucien Nonguet selon les travaux de J.G. Tharrats), L’Affaire Dreyfus (Lucien Nonguet, 1908) Tarquin le superbe (Il Film d’Arte Italiana / Série d’Art Pathé frères, 1908), Fleur de pavé (Michel Carré, 1909), La Peau de chagrin (Michel Carré, 1909), Le Luthier de Crémone (André Calmettes, Film d’Art, 1910), La Princesse Tarakanova et Catherine II (Kaï Hansen, Maurice André Maître, 1910), Messaline (Ferdinand Zecca, Henri Andréani, 1910), Le Lépreux de la cité d’Aoste (André Calmettes, 1910), Hernani (Louis Gasnier, 1910), Salomé (Hugo Falena, 1910), Francesca da Rimini (Ugo Falena, 1910), Anna Karénine (Maurice André Maître, 1910), Athalie (Michel Carré, 1910), Tristan et Yseut (Ugo Falena, 1911), La Fille des chiffonniers (Georges Monca, 1912), La Vengeance de Licinius (Georges Denola, 1912), Lucrèce Borgia (Gerolamo Lo Savio, Film d’Arte Italiana, 1912), Les Etapes de l’amour (Maurice Le Forestier, 1912), Les Deux Gosses (Adrien Caillard, 1916). Et plusieurs titres de Camille de Morlhon : Benvenuto Cellini, La Savelli (1908), La Mort de Lincoln, Le Tyran de Jérusalem (1909) Un Episode de 1812 (1910), Madame Tallien (1911), Un Amour de la Du Barry (1912) Enfin, le livre de compte de la SCAGL (collection CF) comporte le titre Fâcheuse Méprise, film terminé le 22 juillet 1910. Il s’agit probablement d’un titre de tournage.

Période américaine : corrections

La filmographie établie par Charles Ford a été définitivement écartée car peu fiable sur l’ensemble des données, par exemple en ce qui concerne les noms des troupes et des équipes, mais aussi les titres en langue française. Par exemple, L’Émeraude fatale est le titre français du film de William Desmond Taylor, The Green Temptation (1922), qui sortit en France en février 1924. Par ailleurs, nous n’avons pas retrouvé d’information sur la sortie en France de The Flash of an Emerald. Maddalena a été également écarté. Il s’agit aussi d’une confusion : Edna Goodrich fut la vedette d’un film de 1916 avec le titre The Making of Maddalena, avec la mise en scène de Frank Lloyd, et produit par la Oliver Morosco Photoplay Company, mais Frances Marion ne joua aucun rôle, et le nom de Capellani ne fut jamais cité.

Projets américains signalés avec Albert Capellani comme metteur en scène :

The Daughter of Heaven, d’apres la pièce La fille du ciel de Judith Gautier, Pierre Loti. Signalé dans l’article « The Daughter of Heaven », The Billboard, 12 juin 1915, p. 54, avec Clara Kimball Young comme vedette. « Clara Kimball Young as a Chinese Empress », MPW, 19 juin 1915, p. 1952 indique aussi que le film aurait Young comme vedette, mais ne cite pas de metteur en scène. Jamais réalisé. The Mysteries of Paris, d’apres le roman Les Mystères de Paris d’Eugène Sue. Signalé pour la première fois dans Variety, 7 avril 1916, p. 18. On annonce que l’acteur français Claude Benedict aurait le rôle de Jacques Ferraud, et que le tournage aurait lieu à New Jersey (« A Palisades Seine », Variety, 21 avril 1916, p. 25). Jamais réalisé.

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Un projet non identifié avec Julia Sanderson. Signalé pour la première fois dans « Capellani with Mutual », Variety, 18 mai 1917, p. 17. Articles ultérieurs, et en particulier « Capellani to Direct Julia Sanderson for Mutual », The Dramatic Mirror, 15 juin 1917, p. 22, annoncent que Capellani fut engagé par John R. Freuler, président de la Mutual Film Corporation, pour diriger Julia Sanderson pour la Empire All-Star Corporation. Le seul long-métrage de Sanderson, The Runaway, fut réalisé par Dell Henderson et sortit le 24 septembre 1917. The Unforeseen, d’apres la pièce de Robert Marshall. Signalé dans « Olive Tell », MPW, 8 septembre 1917, p. 1518. Sans doute une erreur, car The Unforeseen (Empire All-Star – Mutual), avec Olive Tell, fut réalisé par John B. O’Brien. The Heart of a Child, d’apres le roman de Frank Danby [Julia Davis Frankau]. Signalé pour la première fois dans « Written on the Screen », The New York Times, 16 février 1919, comme production Metro, scénario par June Mathis, et avec Nazimova comme vedette. Le tournage aurait eut lieu dans un nouveau studio à San Francisco (« To Erect Studio in San Francisco », MPW, 22 février 1919, p. 1052). A la fin Metro produisit le film, mise en scène de Ray C. Smallwood, scénario par Charles Bryant, sortie le 11 avril 1920. Held in Trust, d’apres la nouvelle de George Kibbe Turner. Signalé pour la première fois dans « Apfel with Capellani », Dramatic Mirror, 18 décembre 1919, p. 1965. Oscar Apfel aurait été le metteur en scène, avec Dolores Cassinelli comme vedette, pour Albert Capellani Productions. A la fin, il fut produit par Metro in 1920 avec la mise en scène de John Ince et avec May Allison. The Shulamite, d’apres le roman d’Alice et Claude Askew. Signalé pour la première fois dans « Buys ‘Shulamite’for Rambeau », Wid’s Daily, 21 janvier 1920, p. 2. Harry Cahane acheta les droits du roman The Shulamite pour la mise en scène de Capellani, avec la collaboration de George Proctor pour le scénario, et avec Marjorie Rambeau comme vedette. Ensuite adapté par Famous Players-Lasky comme Under the Lash (1921), réalisé par Sam Wood et avec Gloria Swanson. Kismet, d’apres la pièce d’Edward Knoblock. Signalé dans « Only One Capellani », Wid’s Daily, 8 avril 1920, p. 1, comme production Robertson-Cole avec Otis Skinner comme vedette. Le film fut réalisé par Louis J. Gasnier, sortie 14 novembre 1920. Enemies of Women, d’après le roman de Vicente Blasco Ibanez. Ce film a été annoncé dans le Film Daily du 6 janvier 1922, avant d’être retiré le 27 février. Le sujet concernait les Russes blancs dans le sud de la France. Le film existe, réalisé par Alan Crosland en 1923, avec Lionel Barrymore. L’actrice française Jeanne Brindeau y a un petit rôle. On ne connaît pas l’identité de l’opérateur qui a tourné les scènes en France.

AUTEUR

ÉRIC LE ROY Eric Le Roy. Chef du Service Accès, Valorisation et Enrichissement des collections aux Archives françaises du film (CNC), président de la FIAF, auteur de plusieurs livres, articles et dossiers sur le cinéma français dont le Catalogue des films français de fiction de 1908 à 1918 (avec Raymond Chirat, La Cinémathèque française, 1995), Camille de Morlhon, homme de cinéma (L’Harmattan, 1997), Jean- Pierre Mocky (BiFi, 2000) et Denise Bellon (La Martinière, 2004).

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Bibliographie et sources documentaires

Ouvrages

Charles Ford, Albert Capellani, précurseur méconnu, édition CNC, Paris 1984, 57 p. Antoine cinéaste (sous la direction d’Emmanuelle Toulet, Eric Le Roy, Philippe Marcerou, Laurent Mannoni), « 1895 », n° 8-9, mai 1990. L’Année 1913 en France, « 1895 », n° hors série, AFRHC / Le giornate del cinema muto, octobre 1993, 303 p. Richard Abel, The Ciné goes to town, French cinema 1896-1914, University of California Press, 1994, 568 p. Les vingt premières années du cinéma français (sous la direction de Jean A. Gili, Michèle Lagny, Michel Marie, Vincent Pinel), Presses de la Sorbonne nouvelle, Paris, 1995, 510 p. Henri Bousquet, Catalogue Pathé (1896-1906, 1907-1909, 1912-1914), Editions Henri Bousquet, Paris, 1993-1996. Catalogue des films français de fiction de 1908 à 1918, Raymond Chirat avec la collaboration de Eric Le Roy, édition Cinémathèque française, Paris, 1995. Alain Carou, Le cinéma français et les écrivains, histoire d’une rencontre 1906-1914, Ecole nationale des chartes / AFRHC, Paris, 2002, 364 p. La Firme Pathé frères 1896-1914, sous la direction de Michel Marie et Laurent Le Forestier avec la collaboration de Catherine Schapira, AFRHC, 2004, 446 p. Richard Abel (edited by), Encyclopedia of early cinema, éditions Routledge, 2005, 791 p. Catalogues Il Cinema ritrovato, : « Albert Capellani, Un cinema di grandeur », a cura di Mariann Lewinsky. Cineteca di Bologna, I, 2010 ; II, 2011. Philippe Esnault, Antoine cinéaste, Lausanne, L’Age d’Homme, 2011, 271 p. Jacques Richard, Dictionnaire des acteurs du cinéma muet en France, Editions de Fallois, Paris, 2011, 909 p.

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Pierre Lherminier, Annales du cinéma français, les voies du silence, 1895-1929, Nouveau Monde Édition, Paris, 2012, 1 136 p.

Revues

France : Le Cinéma et l’écho du cinéma réunis, Hebdo Film, Bulletin Pathé. États-Unis: Motion Picture News, Moving Picture World, New York Dramatic Mirror, Variety.

Base de données

Fondation Jérôme Seydoux-Pathé : http://www.fondation-jeromeseydoux-pathe.com/

Editions DVD

Stéphanie Salmon (dir.), Coffret Albert Capellani, Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, Paris, 2011. Mariann Lewinsky (a cura di), Albert Capellani, Un cinema di grandeur 1905-1911, édition Cineteca di Bologna / Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, 2011. The Red Lantern d’Albert Capellani, Bruxelles, Cinémathèque royale de Belgique, 2013 (avec un livre d’accompagnement, Nazimova and the Boxer Rebellion).

Documentaire

Albert Capellani des deux côtés de l’Atlantique d’Hubert Niogret (prod. Les Films du Tamarin, 52 minutes)

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Il était une fois Albert Capellani…

Bernard Basset-Capellani

1 Je pourrais décrire ma découverte de l’œuvre de mon grand-père à la façon d’un conte. Dans mon enfance, j’entendais ma grand-mère, Léonie Capellani, parler de personnes aux noms mystérieux qui sonnaient étrangement pour moi, Zecca, Pathé, Decourcelle, Blaché, Linder et bien d’autres. Je suivais passionnément ses conversations avec ma mère, sa fille aînée, Simone Basset-Capellani. Elles se remémoraient les souvenirs d’une époque où elles avaient vécu aux Etats-Unis avec Paul, le frère d’Albert, qui, en tant qu’acteur, participait à de nombreux films de son frère. Ma mère me racontait souvent des anecdotes sur son père, un homme charismatique et un grand organisateur dont l’humour enchantait son entourage. La description de son arrivée à New York, où son film Les Misérables faisait les gros titres de Broadway, était un moment d’anthologie.

2 Il y a vingt ans, c’est avec une curiosité d’historien que j’ai commencé à découvrir la vie de mon grand-père. Mes parents, témoins principaux, étant disparus, il restait mes rares documents familiaux et les encouragements de personnalités que je rencontrais dans ma quête laborieuse pour remonter le temps.

3 C’est lors d’une visite de la grande exposition Pathé au Centre Pompidou en 1994 que je découvris ses courts métrages comiques ; cela m’incita, une fois retraité, à entamer sérieusement mes recherches, d’abord à la Cinémathèque française puis au CNC. Je pris alors connaissance des grandes réalisations de mon grand-père et de son statut chez Pathé : directeur artistique de la SCAGL. Plus tard, je pris contact avec les directeurs de la Cinémathèque française qui m’apportèrent toujours leur soutien et un accès aux nombreuses archives.

4 L’étape suivante fut ma participation à diverses associations du cinéma tels DOMITOR, l’AFRHC, les Indépendants du Premier Siècle. Je pus ainsi m’initier aux arcanes du cinéma et connaître son milieu, ses réalisateurs et ses ayants droits, mais essentiellement cela me permit de prendre conscience qu’il était de mon devoir de faire tout mon possible pour promouvoir celui qui semblait oublié comme il le fut au sein de sa propre famille.

5 La découverte de ses courts métrages comiques, ses films à truquages hilarants, puis ses grandes productions, tels Les Misérables, Germinal, Quatre-vingt treize, me permit de

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comprendre l’étendue et la diversité de son œuvre filmographique. Je ne connaissais pas à cette époque sa carrière américaine, comme bien d’autres pourtant férus de cinéma. A travers mes archives familiales, je me suis aussi intéressé à ma lointaine filiation italienne remontant au XVIIème siècle à Turin.

6 Depuis quelques années, la reconnaissance d’Albert Capellani a créé une dynamique : des restaurations par les Archives françaises du film, des hommages à la Cinémathèque de Bologne, l’édition de DVD ainsi qu’un documentaire d’Hubert Niogret, enfin une rétrospective à la Cinémathèque française, la première organisée en France.

7 2013 sera le centième anniversaire d’une année fantastique pour le cinéma français, l’année des Misérables et de Germinal. A cette occasion, l’AFRHC édite un numéro monographique sur le réalisateur. Ce livre n’est qu’une étape et j’en remercie chaleureusement les initiateurs, Jean A. Gili et Éric Le Roy, et tous les historiens qui ont permis le retour de Capellani dans l’Histoire du cinéma.

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