Annibal En Gaule
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ANNIBAL EN GAULE PAR JEAN COLIN. CAPITAINE D'ARTILLERIE BREVETÉ PARIS - 1904 AVANT-PROPOS. CHAPITRE PREMIER. — La Région rhodanienne avant la conquête romaine. I. Géographie physique. — II . Géographie politique. CHAPITRE II. — Les textes. I. Polybe et Tite-Live. — II . Les historiens anciens. — III . La méthode de Tite- Live. — IV . Polybe. — V. Les textes perdus. — VI . Vie et travaux de Polybe. — VII . Travaux comparatifs sur Polybe et Tite-Live. — VIII . Comparaison des textes. — IX . Les connaissances géographiques des anciens. CHAPITRE III. — Le passage du Rhône. I. L'Emporium au Rhône. — II . Le point de passage. CHAPITRE IV. — La traversée des Alpes. I. La distance du Rhône aux plaines du Pô. — II . Les bords du Rhône. - L'Île. — III . L'entrée dans les Alpes. — IV . A travers les Alpes. — V. Le col. CONCLUSION. TRADUCTION DES TEXTES. I. Le récit de Polybe. — II . Le récit de Tite-Live. AVANT-PROPOS. Quelle route Annibal a-t-il suivie dans sa marche à travers la Gaule ? Il n'y a guère de problème historique plus captivant que celui-ci ; mais on lui a fait une réputation détestable; les savants le croient insoluble, et il leur paraît aussi fou de le reprendre pour la millième fois que de tenter la quadrature du cercle; encore n'est-ce pas aussi méritoire, car c'est une distraction accessible aux moindres talents. On n'admet pas que les données soient en nombre assez grand, et de nature assez précise : une dissertation sur la marche d'Annibal ne saurait être qu'une œuvre d'imagination, non un travail scientifique basé sur des faits positifs, aboutissant à des conclusions en règle. Ceux qui se livrent à de tels passe-temps sont des amateurs puérils et superficiels. Les hommes graves ont le devoir de s'en abstenir. Cette opinion règne depuis deux mille ans, et les railleries de Sénèque sont encore de mode. Il est vrai que pendant longtemps les faits ont paru lui donner raison : jusqu'au début du XIXe siècle, on n'a pu tenter aucune recherche méthodique, les moyens faisant défaut. On ne pouvait qu'inventer des itinéraires dans des pays à peine connus, et la fantaisie des auteurs se donnait libre carrière. Il y a quatre-vingts ans, deux historiens consciencieux et méthodiques, Deluc et Larauza, crurent que les cartes et la science de leur époque permettaient enfin de traiter rationnellement la question. Ils découvrirent vite que, parmi les données du problème, il s'en trouvait une, et une seule, capable de déterminer d'un bout a l'autre la route d'Annibal : au moment où il va commencer le récit de la marche, Polybe fait connaître sommairement la longueur du trajet qui va être accompli : Il y a , dit-il en substance, 3.000 stades des Colonnes d'Hercule a Carthagène; de cette ville à l'Ebre, 2.600 stades ; de l'Ebre à Emporion (Ampurias) 1.600 ; d'Emporion au Rhône, 1.600 ; du point où Annibal a passé le Rhône jusqu'à l'entrée (ou la montée) des Alpes, 1.400 ; de là jusqu'au débouché dans les plaines d'Italie, 1.400 . Nous connaissons les Colonnes, Carthagène, l'Ebre, Ampurias; les trois premières distances ne nous apprendront donc rien ; elles ne serviront qu'à vérifier l'exactitude de l'auteur. Quant aux trois autres, elles doivent, au contraire, déterminer le point où Annibal a franchi le Rhône, puis l'entrée et la sortie des Alpes. Toute la solution du problème tiendrait en quelques lignes. En se dirigeant d'Ampurias vers le Rhône, on ne peut suivre que la route du littoral, dont le tracé a peu varié à travers les siècles ; comptons 1.600 stades sur cette route à partir d'Ampurias, et nous aurons le point de passage, fixé sans discussion possible. Au delà du Rhône, plusieurs chemins distincts traversent les Alpes, et ont des longueurs différentes. Mesurons chacun d'eux à partir du point de passage trouvé; rejetons ceux qui ne présentent pas d'entrée ou de montée des Alpes bien caractérisée à 1.400 stades de là, ou dont le développement total, jusqu'en Italie, diffère trop des 2.600 stades (1.400 + 1.200) indiqués par Polybe. Il en restera deux ou trois, peut-être, entre lesquels le choix se fera d'après les autres circonstances du récit. Telle était l'œuvre entreprise par Deluc et Larauza ; mais ils disposaient de moyens insuffisants. Les cartes et les livrets de poste qu'ils employaient leur firent commettre des erreurs matérielles que vint encore augmenter une évaluation inexacte du stade. Dès le passage du Rhône, ils se trouvèrent égarés, et réduits aux expédients. Ce double exemple a-t-il découragé leurs successeurs ? Toujours est-il que, depuis lors, on est retombé en pleine fantaisie. Les historiens ont désespéré d'atteindre la vérité par une méthode régulière ; ils se contentent donc de chercher des indices dans la lecture de Polybe, ou même en dehors de lui : un mot, une phrase les frappent, sur lesquels ils bâtissent tout un système. S'agit-il de déterminer l'endroit où Annibal a passé le Rhône, point essentiel dont tout le reste va dépendre ? Ils ne tiendront pas compte de la distance à Ampurias, dont la précision les gênerait, ou bien ils jugeront à propos de lui infliger une majoration. Ils choisiront pour base de leurs recherches une donnée assez élastique pour se plier à tous leurs caprices ; celle-ci par exemple, que le point de passage est à quatre marches de la mer . Suivant quelle route comptera-t-on ces quatre marches, et quelle en sera la longueur ? On ne le sait pas, et la latitude laissée par une telle condition est si grande, que tous les points proposés, depuis Arles jusqu'à Pont-Saint-Esprit, y satisfont également. Plusieurs de nos historiens ayant fixé d'avance leurs vues sur Roquemaure ou Pont-Saint- Esprit, imaginent des marches énormes, et même des marches à vol d'oiseau ! Ils se justifient parfois en déclarant qu'ils ont tout calculé de manière à se plier aux indications ultérieures de Polybe. Mais qu'arrive-t-il, au contraire ? C'est que toutes ces solutions, établies en dehors des premières données précises et solides de l'historien grec, se trouvent encore en contradiction avec les autres. Aucune d'entre elles ne comporte, suivant les chemins ordinaires, un parcours de 2.600 stades entre le Rhône et la plaine italienne ; il faut supposer des montées et descentes quotidiennes, des détours inexplicables, des unités de longueur inconnues, pour retrouver le chiffre de Polybe. Elles ne présentent pas, à 1.200 stades environ du Rhône, une entrée ou montée digne de ce nom ; il faut qualifier de montée des Alpes une côte insignifiante où la route s'élève doucement de 60 mètres pour redescendre aussitôt, et cela en pleine montagne. Parmi les diverses conditions imposées par Polybe, les plus nettes sont les suivantes : Annibal a remonté le Rhône sur une longueur de 800 stades ; à son entrée dans les montagnes, il a combattu les Allobroges, dont il traversait le territoire, et il a pillé leur ville où il a trouvé 150.000 rations. Il a franchi les Alpes en un point d'où l'on voyait largement la plaine d'Italie, et à la descente, le chemin a passé non loin d'un glacier. Or, personne, jusqu'à ce jour, n'a trouvé moyen de faire parcourir à Annibal 800 stades le long du Rhône : on n'a pas craint de supposer que tout ou partie de cette longueur peut se compter sur un affluent, Isère, Eygues ou Durance. On impute ainsi à Polybe des confusions indignes de lui. Il était également impossible de placer le combat contre les Allobroges et le pillage de leur ville sur le territoire que tous les géographes leur attribuent. On leur suppose des migrations invraisemblables, en sens inverse de celles qui pourraient être admises si tout ne prouvait qu'il n'y en eut aucune entre Annibal et l'époque de la conquête, etc. Les causes d'erreur qui ont égaré Deluc et Larauza n'existent plus aujourd'hui. Depuis les travaux de Dorpfeld, on sait que le stade grec est de 177m,50 environ, et non de 185 mètres, comme le supposaient ces deux historiens. Cette valeur est en parfait accord avec le renseignement de Strabon (VII, 7) d'après lequel Polybe comptait 8 stades 1/3 dans le mille romain d'environ 1.480 mètres 1. Nous disposons, en outre, de cartes précises, de carnets d'étapes, de guides, etc., grâce auxquels nous ne pouvons commettre d'erreurs dans l’évaluation des distances sur les routes modernes. Munis de ces éléments de travail parfaits, nous reprenons la comparaison des longueurs relevées sur la carte avec celles que nous indique Polybe. Quelle exactitude faut-il attribuer à ces dernières ? Polybe indique parfois, au cours du récit ou dans une digression géographique' des distances en chiffres ronds, estimées d'une manière très vague. C'est une conséquence de l'esprit pratique dans lequel est conçu son ouvrage : il veut présenter à ses lecteurs des idées générales, et ne pas les égarer dans les détails ; il ne cite pas plus de chiffres précis qu'il ne nomme de petites localités. Parlant à des Grecs, il esquisse à grands traits la géographie de l'Occident, donne les dimensions de l'Espagne, de la Gaule, en milliers de stades, évalue enfin le rapport de l'une a l'autre avec une approximation grossière pour n'employer que les nombres les plus simples. Tel n'est pas le cas pour la série des distances mesurées entre Gibraltar et l'Italie : elles sont données en centaines de stades, c'est-à-dire à cent stades près (17 à 18 kilomètres) .