Jean - Victor Colchen
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
JEAN - VICTOR COLCHEN PREMIER PRÉFET DE LA MOSELLE CONFERENCE FAITE LE 29 NOVEMBRE 1950 A L'HOTEL DE VILLE DE METZ PAR ETIENNE HARSANY Professeur d'Histoire au Lycée de Garçons de Metz De la lourde berline qui, il y a 150 ans, assurait le transport des voyageurs en deux jours et demi entre Paris et Metz (1), des cendait à Metz vers les 3 heures du soir du 24 germinal de l'an VIII, c'est-à-dire le 13 avril 1800, un voyageur de marque: le premier préfet de la Moselle, Jean-Victor Colchen. Depuis plus d'un mois les Messins l'attendaient et la sonnerie des cloches, annonçant enfin cet événement, attirait dans les rues de nom breux curieux. « La gaîté, peinte sur presque toutes les figures, note un témoin oculaire, annonce un avenir heureux et une par faite tranquillité» (2). Cette prédiction devait se réaliser. Colchen, qui le soir même occupait déjà ses bureaux qu'il ne quitta que 5 ans plus tard, recevait le lendemain les autorités civiles et militaires. Il s'était mis ainsi sans aucune autre cérémonie à la lourde tâche qui l'attendait. Colchen n'était pas un étranger pour les Messins. Mais il était trop âgé pour qu'on reconnut en lui le jeune collégien et l'avocat d'autrefois. Né donc à Metz, dans la paroisse Saint-Victor, le 5 novembre 1751, il était fils de Jean Colchen, lorrain d'origine (1) Annuaire du déparlement de la Moselle, an VUT. (2) Journal de Metz, 26 germinal an VIII. / 32 JEAN-VICTOR COLCHEN allemande, procureur puis second interprète au Parlement, et de Madeleine Stoffel (3). La famille comprenait 9 enfants, 7 garçons et 2 filles, et Jean-Victor en était le sixième. Ayant fait ses études au collège royal de Metz dirigé par les Bénédictins (4), reçu avocat au Parlement le 25 février 1776 (5), un ami de la famille, Bertrand de Boucheporn, lui aussi avocat au Parlement et ve nant d'être nommé intendant de justice, de police et des finances de Corse, le prenait à son service (6). Le jeune Golchen débuta donc dans la carrière administrative comme secrétaire d'inten dance en Corse, où il fit une utile connaissance en la personne de l'aide major général, Dumouriez, Colchen devint ensuite pre mier secrétaire et subdélégué général de l'intendance d'Auch (1785). La révolution l'attira ensuite à Paris, où il devait retrouver le général Dumouriez qui dirigeait le Ministère des affaires étran gères. Colchen lui offrit ses services, ce qui prouve son appar tenance au parti jacobin, et le général le nomma, en mai 1792, chef du 5e Bureau, chargé deda correspondance avec la Suisse et les Alliés. Colchen garda son poste jusqu'au 18 Brumaire, en dépit du départ de son protecteur, devenu déserteur, et en dépit aussi de ses relations intimes avec les Montagnards, devenus terroristes. Parmi ces derniers, il avait pour ami intime le trop célèbre Collot d'Herbois, et un échange de lettres entre les deux amis, prouve combien Colchen était gagné aux idées révolutionnaires et, ce qui nous intéresse surtout, combien il était déjà un fonctionnaire ponctuel et dévoué. « Je voudrais, mon cher ami, lui répond Colchen, pouvoir visiter souvent l'aimable sans-culotte, votre com pagne (qui d'après la lettre de Colldot d'Herbois s'ennuyait à Paris), mais la République demande tout notre temps et nous ne pouvons rien lui refuser. Pourtant, je profiterai de tous les ins tants que je pourrai dérober et j'irai, avec mon frère, parler de vous, boire à votre santé, à votre retour. Adieu, cher patriote, aimez un peu un vrai sans-culotte, qui vous aime de tout son cœur» (7). (3) Arch. тип. Metz, Série E. — Е.-Л. Begin, Biographie de la Moselle, t. 1er (4) Mgr. J.-B. Pelt, Etudes sur' la cathédrale de Metz, documents et notes, p. 156. T (5) E. Michel, Biographie du Parlement de Metz, p. 101. (6) Michaud, Biographie Universelle, t. VIII. (7) Frédéric Masson, Le département des affaires étrangères pendant la Révolution, p. 251. PREMIER PRF1FET DE LA MOSELLE 33 Jacobin influent, Colchen arrivait parfois à faire libérer quel ques prisonniers royalistes, comme son compatriote le comte d'Hunolstein, président du département de la Moselle, arrêté et incarcéré à Besançon, inculpé d'émigration (8). Lorsque les minis tères furent remplacés à Paris par des commissions executives, il devint commissaire des Relations extérieures (du 14 ventôse an III au 15 brumaire an IV) (9). En 1797, le Directoire le désigna comme secrétaire de la mission française pour négocier la paix avec l'Angleterre à Lille. Malgré ses qualités de fin diplo mate, ni lui, ni ses collègues ne réussirent dans leur délicate mission (10). L'orage révolutionnaire passé, Colchen était suffisamment connu et apprécié dans les milieux officiels de la capitale pour que le nouveau régime, le Consulat, le prit dans son giron. Bonaparte se préoccupait surtout de l'aptitude professionnelle et des opinions politiques des nouveax fonctionnaires à son égard; une fois engagés, il ne leur demandait que du labeur, de l'expé rience et de l'obéissance. C'est ainsi que Colchen fut retenu et nommé le 2 mars 1800 préfet de la Moselle par le Premier Consul (11). Le choix était judicieux si l'on tient à la valeur profession nelle de l'élu et à l'idée maîtresse qui présidait aux nomina tions. (( Les préfets sont actuellement choisis, dit un document de l'époque, dans la classe d'hommes plus recommandables par leur mérite et par les talents que par la richesse, lesquels coûtent beaucoup moins au gouvernement que les anciens intendants qu'ils remplacent... » (12). Colchen dut alors éprouver une joie profonde et de son main tien aux affaires publiques et de son retour au pays natal, où le gouvernement avait déjà délégué un haut fonctionnaire, le nommé Delpierre, à la place de l'ancien commissaire du gouver nement Thirion, révoqué. Malgré son légitime désir d'un prompt départ, une raison ma jeure le retenait à Paris: il n'avait pas d'argent! N'a-t-il pas écrit au ministre de l'Intérieur (le 18 ventôse an VIII) : « Quant à mon départ, je ne peux en fixer l'époque précise, qu'au préa- (8) Frédéric Massox, Le département des affaires étrangères pendant la Révo lution, p. 251. (9) Dictionnaire des LJarlementa\res, t. II. (10) G. Lefebvre, La Révolution française (Peuples et Civilisations, t. XTIT, p. 360). (11) Pierre-Henry, Histoire des Préfets, p. 22. (12) Arch. dép. Moselle, 18 N. 1. 3 34 JEAN-VICTOR COLCHEN lable je ne sache s'il sera accordé aux préfets une somme quel conque à titre de frais d'établissement. Si on ne nous accorde pas de frais d'établissement, nous nous trouverons dans une si tuation bien pénible, car nous sommes, la plupart, sans fortune personnelle. On ne pourra du moins se dispenser de nous faire une avance sur notre traitement. (Celui de Colchen est fixé à 16.000 francs par an). Dans l'un et l'autre cas, continue Colchen, et en ce qui me concerne, les dispositions à faire pour mon départ exigeront nécessairement une huitaine de jours, à dater de celui où le gouvernement m'aura mis à même de toucher quel ques fonds » (13). Cet argent tarda à lui être versé. Colchen resta donc à Paris une quinzaine de jours encore. Il en profita pour commander sa tenue officielle: ((Habit bleu; veste, culotte ou pantalon blancs; collet, poches et paremens de l'habit brodés en argent; écharpe rouge, franges d'argent; chapeau français brodé en argent, une arme» (14). 11 prêta serment de fidélité à la Constitution de l'an VIII, reçut les recommandations de Bonaparte: ((Ne soyez ja mais les hommes de la Révolution mais les hommes du gouver nement. Rappelez-vous que vous êtes au-dessus des intrigues comme le gouvernement est au-dessus des factions, et faites que la France dale son bonheur de l'établissement des préfec tures » (15). Colchen assista enfin à un dîner de gala offert par le ministre de l'Intérieur, dîner suivi d'une réception en l'honneur des nou veaux préfets. Muni des fonds nécessaires — rien que le voyage en diligence jusqu'à Metz devait lui revenir à 67 francs 25 cen times (16) — il quittait Paris le 11 avril pour être à Metz deux jours plus tard. Le soir même de son arrivée, il rendait compte au Ministre de l'Intérieur de son installation à la Préfecture. ((Citoyen Ministre, écrit-il, j'ai l'honneur de vous prévenir de mon arrivée dans cette ville. Je suis descendu au lieu des séances de l'administration centrale. J'ai présenté à cette administration le brevet de ma nomination à la préfecture de la Moselle et l'ai fait enregistrer... Après quelques moments d'entretien avec (13)' R. PAQUET, Bibliographie analytique de VHisloire de Metz pendant lu Révolution, p. 1257. (14) Bulletin des lois de la République française, arrêté du 17 ventôse an VIII. (15) PIERRE-HENRY, Histoire des Préfet, p. 25. (16) Annuaire du département de la Moselle, an VIII. PREMIER PRÉFET DE LA MOSELLE 35 les membres de l'administration, je me suis retiré dans une pièce séparée, là j'ai reçu du secrétaire général le serment de fidélité à la Constitution, prescrit par la loi... Je vous salue avec respect (signé) Colchen» (17). Le département de la Moselle vient donc de recevoir un admi nistrateur de choix. Agé de 49 ans, Colchen paraît être un homme plein de vigueur et d'énergie. Son portrait, que nous avons eu la chance de retrouver, nous révèle un visage encore jeune, un re gard ouvert, des traits allongés, un front haut surmonté d'une courte chevelure en coup de vent; l'ensemble constitue une phy sionomie intelligente, assez énigmatique et réservée.