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Séquences La revue de cinéma

Vues d’ensemble

Number 240, November–December 2005

URI: https://id.erudit.org/iderudit/47860ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this review (2005). Review of [Vues d’ensemble]. Séquences, (240), 53–58.

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AN UNFINISHED LIFE BROKEN FLOWERS ien de nouveau ici pour deux acteurs à la feuille de route e Down By Law à Ghost Dog en passant par Mystery Train R vertigineuse: Robert Redford (The Horse Whisperer) D et Dead Man, le cinéma de Jim Jarmusch regorge reprend ses aises sur une ferme, près de ses animaux et de d'excentricité, d'ironie et de complaisance. On y retrouve la nature; Morgan Freeman (The Shawshank Redemption, également une certaine mélancolie. Mélancolie d'ailleurs très Million Dollar Baby) joue une fois de plus les guides spirituels présente dans Broken Flowers, son dixième long métrage, film d'un héros prisonnier de son passé. La rédemption prend sur la paternité, la détresse masculine et les mésententes de donc un sentier archi-connu de Hollywood. Mais on laissera couple, qu'il dédie, soit dit en passant, à la mémoire du une chance à ce récit tout de même habilement conçu (on cinéaste français Jean Eustache (La Maman et la Putain). attend au moins ça d'un film en postproduction depuis Cette œuvre minimaliste raconte l'histoire de Don Johnston (pas 2003), quelques éléments suscitant l'intérêt. l'acteur, mais «Johnson avec un "t" •• répète-t-il inlassablement), un Don Juan impassible et égocentrique qui reçoit une mystérieuse Robert Redford, l'acteur, est un conservateur et un lettre anonyme le jour où sa dernière conquête le quitte. Cette environnementaliste convaincu, chose utile à savoir si on lettre proviendrait d'une de ses anciennes amantes qui l'informe veut mettre le film en perspective. Le récit exploite deux qu'il aurait un fils de dix-neuf ans et que celui-ci pourrait tenter notions chères à la droite républicaine: la responsabilité de le joindre. Son meilleur ami, Winston, détective amateur, le individuelle et le sens de la famille. Mais il y a ceci de bon : pousse à enquêter sur cette affaire afin de retrouver la mère il semble naturel à Einar (Robert Redford) de s'occuper de présumée. Don s'embarque ainsi dans un périple à la son ami et ancien employé Mitch (Morgan Freeman), estropié recherche d'indices et rencontre quatre de ses anciennes amours. définitivement par un ours. Einar prodigue lui-même les soins requis avec douceur et compassion. Son sens de la À partir de cette prémisse originale, le film se transforme en famille le pousse par ailleurs à chercher à connaître davantage road movie, prétexte à des situations cocasses et des rencontres sa petite-fille, Griff (Becca Gardner), malgré un différend colorées entre Don et quelques flammes de sa vie, des qu'il entretient avec la mère de celle-ci, sa bru (Jennifer Lopez). personnages typés à souhait qui représentent les différentes classes de la société américaine. Tel un leitmotiv, l'excellente La complicité qui se développe entre eux, grâce à un jeu musique du jazzman éthiopien Mulatu Astatke sert de catalyseur d'acteur brillant de part et d'autre, est peut-être ce qu'il y a et de lien entre les situations. Ce n'est qu'à son retour chez lui de meilleur dans ce film qui offre peu de surprises. que Don tente de réévaluer sa vie, alors qu'il croit apercevoir L'espace maintenant: le ranch et ses environs montagneux le fils annoncé. La fin ouverte laisse place à toute ambiguïté, sont magnifiquement montrés en plans aériens, même si caractéristique récurrente chez Jarmusch. parfois l'image prend les allures d'une carte postale; le village Par son approche alambiquée et son scénario linéaire, Broken correspond assez bien, pour sa part, à la mythologie du bled Flowers demeure toutefois le long métrage le plus classique du américain. On peut tout de même déplorer que la perfor­ réalisateur. Son plus accessible aussi. Et son plus drôle. Grâce mance des acteurs de soutien ne soit pas à la hauteur; notamment à Bill Murray, irrésistible dans ce rôle d'un homme Jennifer Lopez et Josh Lucas (le shérif du village) ont plus nonchalant confronté à sa vie, et aux merveilleuses Sharon Stone, l'air de citadins égarés que de réels habitants de l'arrière-pays. Frances Conroy, et Tilda Swinton qui interprètent tour à tour et avec un malin plaisir les amours passées. Philippe Jean Poirier Pierre Ranger

• UNE VIE INACHEVÉE — États-Unis 2005, 107 minutes — Real.: Lasse • FLEURS BRISÉES — États-Unis 2005, 105 minutes — Real.: Jim Hallstrôm — Scén.: Mark Spragg, Virginia Korus Spragg — Int.: Robert Jarmusch — Scén. : Jim Jarmusch — Int. : Bill Murray, Jeffrey Wright, Sharon Redford, Morgan Freeman, Jennifer Lopez, Damian Lewis, Becca Gardner, Stone, Frances Conroy, Jessica Lange, Tilda Swinton, Julie Delpy, Chloë Josh Lucas — Dist.: Alliance. Sevigny — Dist.: Alliance.

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THE CONSTANT GARDENER CORPSE BRIDE he Constant Gardener est un film nécessaire. Évoquant par elle une sculpture de Giacometti, les personnages de Corpse T plusieurs aspects son percutant Cidade de Deus, Fernando T Bride déambulent d'un pas frêle dans l'univers glauque d'un Meirelles vise juste et frappe fort. Le cinéaste brésilien a le mérite petit village du 19e siècle, se cherchant les uns les autres remarquable d'avoir réalisé un thriller prenant, aux personnages pour trouver ou bien l'amour, ou bien le gage d'une fortune. complexes et à l'intrigue sociopolitique controversée (le pouvoir Rendre le romantique inquiétant et la mort amusante sont des grandissant de l'industrie pharmaceutique examiné par le prisme glissements fréquents dans l'œuvre de Tim Burton et cette de l'énorme problématique « santé •> du continent africain), mais coréalisation avec le jeune animateur (depuis peu réalisateur) dont la forme est à des lieues des conventions du genre. Le Mike Johnson ne fait pas figure d'exception. A priori, ce qui premier tiers du film en témoigne •. une Européenne blanche se charme et obnubile est d'ordre esthétique et technique. En promène à travers les allées jonchée de détritus d'un bidonville cette ère de «technologisation » exponentielle, l'animation kenyen, au cœur d'une marée d'Africains plus noirs que la nuit. image par image demeure, sans équivoque, d'une grande Elle se sent chez elle parmi eux et ils sont heureux de la croiser, efficacité. Le résultat plastique est agréable, on ne peut mais sa présence là n'en n'est pas moins étrangère. Pourtant, qu'être séduit par l'éclairage stylisé qui vient se refléter sur jamais Meirelles ne se permet jamais de juger ses personnages, la superbe texture des figures aux lignes caricaturales. ni la situation qu'il décrit. Entre quelques apartés musicaux se trame une narration fluide, Au contraire, il se contente de laisser tout l'odieux de son sujet mais peu inventive. Heureusement, l'esthétique alambiquée émerger de lui-même, simplement et radicalement : en expo­ étoffe le récit, car les émotions et les motivations manquent de sant les faits sobrement avec réalisme (le plan panoramique poids. Pour l'essentiel, on a affaire à une psychologie de surface. qui passe, sans coupure, du terrain de golf occidental parfai­ Et bien qu'on n'hésite pas à démembrer les protagonistes, les tement gazonné aux montagnes de déchets bordant le bidon­ blagues burlesques et colorées — parfois redondantes et ville, est aussi économe qu'éloquent); en offrant l'avant-scène à enfantines — freinent l'exploitation de « l'inquiétante étrangeté » des gens qui n'ont jamais voix au chapitre (le jeune Kioko à laquelle les amateurs de The Nightmare Before Christmas qui survit malgré la misère); et en laissant ses personnages auraient pu s'attendre. L'influence avouée de pionniers tels Jan s'exprimer par eux-mêmes, certains avec une passion provo­ Svankmajer et Ray Harryhausen est évidente, mais le film flirte cante comme Tessa (excellente Rachel Weisz), d'autres avec trop prudemment avec l'horreur afin de miser sur le conte un snobisme caractéristique comme le diplomate verreux Sandy pour tous. Woodrow (Danny Huston, parfait de détachement), d'autres encore avec une sincérité innocente qui se révèle être l'unique L'incursion dans cette nécropole sera un motif pour voir la mort lueur d'espoir au milieu de la corruption (magnifique et réser­ comme une finalité heureuse et colorée, puis la vie comme un vé Ralph Fiennes, d'une détermination insoupçonnée). état evanescent et monotone. C'est le monde à l'envers, puisqu'au pays des allongés l'amitié, la solidarité et le plaisir The Constant Gardener est un film-paradoxe: un r/iril/ertout trament le quotidien, alors que chez les êtres de chair et de sang en nuances qui s'intéresse aux terribles contrastes de notre la trahison, l'avarice et l'individualisme guident les ambitions. société actuelle, où pauvreté, détresse, déchéance et mépris Le fantastique morbide est l'occasion d'une critique sur extrêmes côtoient richesse, opulence et, miraculeusement notre société qui rejette la mort au profit du faux-semblant parfois, abandon et générosité sans borne. de la jeunesse éternelle. Une œuvre somme toute agréable. Claire Valade Dominic Bouchard

• LA CONSTANCE DU JARDINIER — États-Unis / Grande-Bretagne 2005, 129 • LA MARIÉE CADAVÉRIQUE — Grande-Bretagne 2005, 76 minutes — Real. : minutes — Real.: Fernando Meirelles — Scén.: Jeffrey Caine, d'après le Tim Burton, Mike Johnson — Scén.: John August, Pamela Petler, Caroline roman de John Le Carré — Int.: Ralph Fiennes, Rachel Weisz, Hubert Thompson — Voix.: Johnny Depp, , , Koundé, Danny Huston, Bill Nighy, Pete Postlethwaite— Dist.: Alliance. Tracey Ullman, Paul Whitehouse, Joanna Lumley, Albert Finney, Richard E. Grant, Christopher Lee, Michael Gough — Dist.: Warner.

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LE COURAGE D'AIMER THE EDUKAT0RS ne jolie cambrioleuse fait la rencontre d'un chanteur de rues. rand succès en Allemagne, The Edukators est l'histoire de U Coup de foudre et coup de théâtre (thématiques G trois mousquetaires qui essaient de défendre, non pas la abondamment recyclées par le cinéaste) pour ce duo musical monarchie, mais certains principes de justice sociale. Non, hasbeen wannabe imprégné de trahison et de passion créatrice, non. Il s'agit plutôt de trois Robin des bois (nouveau genre) autour duquel gravitera une brochette de protagonistes qui qui tentent de conscientiser les oublieux riches et de leur virevoltent au rythme incessant de l'amour. faire donner, peut-être un jour, de leur argent aux pauvres. Mais ce n'est pas tout à fait cela non plus. Voyons, un réalisateur Lelouch revient de loin. Il fut méprisé par la critique française romantique et idéaliste, et il ne s'agit pas ici de Michael pour son dernier film, Les Parisiens, premier volet d'une Moore, fait un long métrage anti-bourgeois pour nous rappeler trilogie au titre lassant: Le Genre humain. Un manque que notre démocratie est en fait une dictature capitaliste et catastrophique d'assistance l'obligea à hypothéquer sa maison il appelle aux actions radicales et anarchistes. Bon, disons de production et l'incita à offrir une séance publique gratuite que cette affirmation résume bien, mais il ne faut pas oublier le 17 septembre 2004 dans près de 400 salles françaises. que la fougue revendicatrice de ce film s'essouffle rapidement En vain. Pour tenter de reconquérir la critique et le public, il et que les arguments politiques sont plutôt minces. présente spécialement pour la première édition du F1FM un remontage des Parisiens, enrichi de séquences de la The Edukators est un film honnête réalisé et coécrit par deuxième partie (Le Bonheur c'est mieux que la vie), Hans Weingartner, Allemand d'origine autrichienne. Malgré heureusement réintitulée Le Courage d'aimer. une mise en scène calculée, le réalisateur et ex-militant souffre parfois d'un manque de recul. Il présente un récit qui Question de faire mentir ses nombreuses condamnations, lie actes terrorisants socialement acceptables et tribulations Claude Lelouch réussit à rafistoler une ravissante mise en scène. Le romantiques de trois jeunes par une dynamique plutôt mal film évoque les compétences de l'auteur: un montage dynamique, équilibrée. Passion et action font un heureux mélange, mais une vivacité scénaristique à la fois drôle et touchante, ainsi cela ne sait faire cogiter bien longtemps le spectateur sur qu'un jeu spontané des acteurs. Une variété de chansons l'iniquité des classes. Insistons, le message politique écope. françaises gratifie ce volet d'un enthousiasme irréfutable. Malgré l'inégalité du récit, le jeu des acteurs est sans tache et, Le corpus de Lelouch renferme une quarantaine d'œuvres après Good Bye Lenin!, il faisait plaisir de revoir réunis à filmiques dans lesquelles on retrouve les mêmes obsessions nouveau sur grand écran Daniel Brùhl et Burghart KlauBner. entourant l'amour. L'utilisation de la mise en abyme, où lui-même L'esthétique appréciable de ce film tourné caméra à l'épaule se met en scène, renouvelle les « hasards et coïncidences » de et éclairé par la lumière naturelle n'est pas sans rappeler un la vie. Malgré son désir de représenter des outsiders auto­ certain cinéma d'Europe du Nord. La facture réaliste colle didactes, son éternel sentimentalisme prolonge et accroît sa bien aux propos de l'œuvre. La trame sonore, élaborée avec tendance baroque. goût, nous rappelle que c'est de la génération Y dont il est Une réplique banale orienterait enfin la quête sentimentale question, une génération souvent qualifiée d'apolitique, vers de nouvelles perspectives: «Vous êtes comme tout le mais qui, comme on nous le laisse voir ici, possède des monde, vous êtes surtout amoureuse de vous ». À vrai dire, germes postsoixante-huitards. le film devrait s'intituler Le Courage de s'aimer. Dominic Bouchard Mathieu L'Allier • DIE FETTEN JAHRE SIND V0RBEI — Allemagne/Autriche, 2004, 127 minutes — Real.: Hans Weingartner — Scén.: Katharina Held, Hans Weingartner — • France 2005, 103 mm. — Real.: Claude Lelouch — Scén.: Claude Int.: Daniel Brùhl, Julia Jentsch, Stipe Herceg, Burghart KlauBner, Peer Lelouch — Int.: Mathilde Seigneur, Arielle Dombasle, Massimo Ramieri, Martiny, Petra Zieser, Laura Schmidt, Sebastian Butz, Bernhard Beftermann, Michel Leeb, Maïwenn. — Dist.: Christal. Claudio Caiolo — Dist.: Alliance.

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FAMILIA LAST DAYS ouise Archambault avait fait sensation en 1999 avec le llons-y d'une affirmation dithyrambique: Last Days est un L court-métrage Atomic Saké, bardé de prix, en plus d'officier A plaisir exquis pour le cinéphile qui assiste ici à l'abandon comme designer sur les costumes d'Un crabe dans la tête, complet d'un acteur pour son rôle et d'un auteur pour son réalisé par son conjoint André Turpin. Pas étonnant que sujet. Mais nuançons, le réalisateur et scénariste indépendant celui-ci lui retourne la pareille en tenant la caméra dans Gus Van Sant (re)présente librement les derniers jours de Familia, le premier long d'Archambault. Les festivaliers à Kurt Cobain (légendaire instigateur du mouvement grunge) Locarno et Toronto lui ont réservé un accueil chaleureux et sans toutefois donner dans les détails biographiques la chose devrait se reproduire dans les salles québécoises. croustillants, ce qui pourrait décevoir l'inconditionnel du défunt. Par une mise en scène cassavetienne — hystérie et Avec humour et tendresse, la cinéaste plonge tête première pathos en moins — Van Sant développe son récit autour de dans le panier de linge sale d'amitiés filiales quasi fatalistes. Blake (Michael Pitt), un psychotique. Blake n'est pas Cobain, Que voulez-vous, elles ne sont pas capables de se blairer, mais l'homme derrière la star du rock, un antihéros introverti Michèle et Janine, surtout pas lorsque la première, joueuse presque catatonique qui, ayant accepté son sort de mortel, a compulsive, vient occuper les quartiers cossus de la seconde, choisi de se réfugier dans son imaginaire. Blake fuit tout contact décoratrice en mal d'amies et de mari que la toute jeune humain qui lui rappellerait un rôle qu'il refuse dorénavant adolescente se plaît à comparer à un certain Fùhrer. Au jeu d'incarner, soit celui de Kurt Cobain, chanteur du groupe du couple mal assorti, difficile de faire pire, tant le film fait Nirvana. Fantomatique est cette réminiscence d'un corps qui la part belle aux séquences antagonistes en prenant soin de déambule et marmonne sans but précis et où quelques situations les achever par un nombre considérable de pardons / minute. tantôt drôles, tantôt curieuses, mais le plus souvent troublantes, Archambault, comme Picard et Vallée, milite pour voir plus nous plongent dans l'âme d'un homme consumé. de rapprochements à l'écran et pour qu'on puisse entendre des «Je t'aime » comme jamais auparavant, ce qui n'est pas La démarche de l'auteur d'abord développée dans Gerry, pour déplaire. puis réaffirmée dans Elephant, semble se cristalliser avec Là où il devient plus difficile de chérir Familia, c'est Last Days, par cette façon très distante de filmer en longs étonnamment dans sa distribution — hormis celui de Paul plans-séquences l'interprétation et l'improvisation des Savoie et de Micheline Lanctôt, difficile de croire dans le jeu acteurs, qui en viennent à oublier la caméra. Résultat, la plaqué des jeunes comédiens, et encore moins dans celui de multiplication des situations anodines, quotidiennes et très Moreau, qui peine elle-même à nuancer ses interprétations intimes — rarement interrompues par le montage — atténue d'un rôle à l'autre — et le rôle explicatif des dialogues, souvent le ton fictionnel du récit et transforme le spectateur en encombrants et peu sentis. Archambault sait toutefois témoin. Van Sant cherche, une fois de plus, des prétextes comment s'y prendre pour dynamiser un scénario quelque pour réfléchir le cinéma. L'improvisation et les situations peu convenu et fait montre d'assez de jugement pour régler banales mettent à l'épreuve la narration, alors que les plans- sur le mode inclusif un divertissement au féminin. séquences et le montage en rétrospective questionnent l'acte du montage. Avec brio, il évite de traiter des clichés, du Charles-Stéphane Roy mythe qu'était Kurt Cobain, pour s'attarder à l'icône créée par le cinéma. Accusé d'être maniéré, voire complaisant, Gus Van Sant est plutôt un cinéaste inspiré. Dominic Bouchard • Canada [Québec] 2005, 102 minutes — Real.: Louise Archambault — • LES DERNIERS JOURS — États-Unis 2005, 97 minutes — Real.: Gus Van Scén.: Louise Archambault — Int.: Sylvie Moreau, Mâcha Grenon, Juliette Sant — Scén.: Gus Van Sant — Int.: Michael Pitt, Lukas Hass, Asia Argento, Gosselin, Jacques L'Heureux, Micheline Lanctôt, Vincent Graton — Dist. : Scott Green, Nicole Vicius, Ricky Jay, Ryan Orion, Thadeus A. Thomas — Christal. Dist.: Alliance.

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9 SONGS QUAND LA MER MONTE... urvolant l'Antarctique, Matt se remémore Lisa. Il ne se souvient ne femme rondelette va de ville en ville et fait son numéro S guère de ses vêtements ou de son travail; sa nationalité et ce U sur scène : la matrone a tué son mari, elle s'en confesse, qu'elle racontait lui importent peu. Son odeur en mémoire, mais ne regrette rien. L'auditoire hésite entre le malaise cru sa peau contre la sienne et la sapidité de son corps et le rire coupable. Et peu à peu il y a glissement. de la réalité réactivent ses passions. qui entre sur scène, puis la fiction qui déborde dans la vie. Deux ans après 24 Hour Party People, l'éclectique Michael La cinéaste nouvellement aguerrie Yolande Moreau explore Winterbottom mêle ses goûts musicaux à une éphémère et avec justesse cette mince ligne où la vie nourrit l'art et vice torride romance. 9 Songs fait se rencontrer une saison de versa. On ne se surprend pas d'apprendre l'apport auto­ musique rock et la nostalgie intimiste d'un jeune couple. Une biographique: Moreau, scénariste et réalisatrice du film, en structure narrative non conventionnelle offre divers tableaux plus de tenir le rôle central, a effectivement donné ce spectacle sexuels avec lesquels alternent des spectacles londoniens. tragicomique en début de carrière. Inspiré par la provocation explicite de Houellebecq dans Plateforme, le cinéaste désire filmer l'intimité physique sans Il y a dans ce film un réel effort poétique. Un va-et-vient simulation. Winterbottom ne scénarisé pas la perception des incessant entre le mot et l'image du mot. L'un parle de sentiments, il laisse parler les corps dans toute leur pureté. fleurs, d'un champ entier, puis l'image suivante est un champ Filmé à petit budget, sans scénario, sous un éclairage naturel et de pylônes électriques. Le prétendant, simple d'esprit, est avec support mini-DV, ce film s'apparente à l'esthétisme du porteur de géant au carnaval. Ça devient parfois plus grand Dogme, et spécialement à celui des Idiots de Lars von Trier. Ces que nature... La cinéaste s'approprie les lieux, la route surtout, deux œuvres puisent dans la corporalité et dans l'espace les qu'elle transforme en opéra divin. La mise en scène est alors vertus physiques des personnages en quête de multiples travaillée dans le moindre détail afin de nous offrir de sensations fortes. Sous l'objectif de la caméra à la fois discrète merveilleux vers cinématographiques. Malheureusement, et subjective, l'érotisme torride se confond à une beauté triviale. tout cela est fait au détriment des personnages, surtout La musique et la passion physique subsistent à travers ce secondaires, à peine esquissés. •• film-concert », tel que l'auteur le décrit. En effet, Matt et Lisa s'unissent lors d'une prestation des Black Rebel Motorcycle, Par son point de vue, Moreau participe à un cinéma proprement bouclant ainsi le premier et le dernier extrait des neuf chansons féminin. L'adultère est vécu à la manière d'une femme: une captées en direct. On a droit à une kyrielle de mélodies des romance de quelques soirs, qui se cherche un sens, plutôt groupes de l'heure: Franz Ferdinand, The Dandy Warhols, qu'une vulgaire histoire de cul. La soudaine passion de l'héroïne, The Von Bondies... aussi mère et femme mariée, monte et redescend, comme la marée, métaphore du titre. Ainsi, le film se termine en queue Cette musique révèle-t-elle des passions antérieures? Ne se limitant pas à exprimer des émotions, elle devient un cata­ de poisson : une fin ouverte, diront certains; les autres lyseur de souvenirs intimes et charnels des relations auraient aimé aller au bout de cette histoire qui s'annonçait humaines. Enfin, l'audacieux réalisateur évoque une sym­ rouge d'une passion tranquille. phonie sexuelle explicite rarement offerte au cinéma. Philippe Jean Poirier Mathieu L'Allier

• Grande-Bretagne 2004, 69 minutes — Real.: Michael Winterbottom — • Belgique / France 2002, 90 minutes — Real.: Yolande Moreau, Gilles Scén.: Michael Winterbottom — Int.: Kieran O'Brien, Margo Stilley — Dist.: Porte — Scén.: Yolande Moreau, — Int.: Yolande Moreau, Wim Alliance. Wiliaert, Olivier Gourmet, , , Jacques Bonnaffé — Dist.: FunFilm

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RED EYE SAINTS-MARTYRS-DES-DAMNES 'intérêt porté au seul nom de Wes Craven est fascinant. Sur n journaliste, spécialisé dans les phénomènes bizarres, L une affiche, il suffit pour capter l'attention. Du moins, celle U se rend dans le bien nommé village qui donne son nom au de quiconque a aimé The Last House on the Left, film. Cynique, Flavien l'est de plus en plus, travaillant pour The Hills Have Eyes, ou A Nightmare on Elm Street une publication qui exploite la crédulité des gens en (Freddy). Pour avoir écrit et réalisé ces trois incontournables publiant de fausses histoires et des photos truquées. Habitué du genre horrifique, Craven mérite entièrement son statut à comprendre facilement les choses et aidé de son meilleur de réalisateur culte. Œuvres riches, habitées d'une vision ami photographe, cet orphelin se trouve confronté à des personnelle, elles continuent d'étonner même après plusieurs événements de plus en plus inexplicables et à une ribambelle visionnements. Malheureusement, ce ne sont pas toutes les de personnalités toutes plus excentriques les unes que les productions signées Craven qui laissent autant de traces. Ses autres. Seule une jolie jeune femme, prénommée Tite-Fille, films sont généralement rentables au box-office, mais force est trouve grâce à ses yeux. Le réalisateur Robin Aubert montre, d'avouer qu'ils sont inégaux quant à leur influence. dans cette rencontre entre ces deux êtres, la même qualité émotionnelle que dans son court métrage Lila et la suite a Au mieux, Red Eye est un film ordinaire. Un suspense typé, des accents à la Kusturica, avec ses corps flottants dans le avec explosions, poursuites et moult tentatives héroïques, paradis de l'amour-passion. Malheureusement, la deuxième toujours réussies, juste à temps. Lisa occupe un poste partie du film, avec ses explications et ses courses-poursuites important dans un hôtel chic. En avion, à 30 000 mètres dans des usines désaffectées, n'est pas de la même eau. d'altitude, Jackson la somme d'user de son influence pour Certains effets sont inutilement appuyés et des acteurs qu'un homme politique que l'on veut assassiner change de malheureusement sous employés. Le thème de l'identité et chambre. Si elle refuse de collaborer, son père sera poignardé. de la gémellité, après les trouvailles stylistiques et cinéma­ Croyez-le ou non, au final Lisa sauve sa peau, celle de son tographiques de l'auberge et du restaurant, méritait un père et celle du secrétaire de la Défense américaine... traitement plus mesuré et qui, ainsi plus sournois, aurait D'emblée, la rencontre entre les deux protagonistes avait disséminé l'enfer bien loin de ce petit village perdu et coincé déjà donné le ton : un manque flagrant d'originalité. À l'aéroport, dans un nulle part économique. pour charmer Lisa, Jackson tente de deviner quelle est sa Les grands films d'horreur ou de science-fiction, comme boisson préférée; on apprend plus tard que, pour l'avoir Invasion of the Body Snatchers, réussissent ce passage suivie, il connaissait la réponse. du local à l'universel. Pourtant, les acteurs sont bien dirigés, De toute façon, rien à faire, à ce moment-là, l'intérêt pour la photographie de Steve Asselin est étonnante dans ses l'histoire s'est depuis longtemps essoufflé. Pas de surprise, changements de ton et la musique d'Alain Desrosiers est donc, plutôt l'impression d'avoir affaire à une recette quant à elle fortement évocatrice, mais l'on sort tout de hollywoodienne tout ce qu'il y a de plus prévisible. même de ce film en étant un peu déçu. Antonin Marquis Luc Chaput

• Canada [Québec], 117 minutes — Real.: Robin Aubert — Scén.: Robin • VOL SOUS HAUTE PRESSION — États-Unis 2005, 85 minutes — Real. : Wes Aubert — Int.: François Chénier, Isabelle Biais, Patrice Robitaille, Monique Craven — Scén.: Carl Ellsworth — Int.: Rachel McAdams, Cillian Murphy, Mercure, Monique Miller, Pierre Collin, Carl Hennebert, Sylvie Boucher, Brian Cox, Jayma Mays — Dist: Incendo > DreamWorks. Hubert Loiselle, Germain Houde, Michel Forget — Dist.: Christal.

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