Les dossiers pédagogiques du Service éducatif des Archives départementales de l’

N ° 8 - Octobre 2006 1907 LA RÉVOLTE DES VIGNERONS DU MIDI

Service éducatif des Archives départementales de l’Aude 41, avenue Claude Bernard - 11855 Carcassonne Cedex 9 Tél. 04 68 11 31 54 Permanence de François Icher : chaque mardi de 14 h. à 17 h. Contact : franç[email protected] SOMMAIRE

• Pour en savoir plus • Commémorer 1907 • Chronologie de l'année 1907 • 1907 en questions • Document 1 : Quelques chiffres pour comprendre la crise • Document 2 : “Qui nous sommes ?”, extrait du Tocsin, numéro du 21 avril 1907 • Document 3 : Le chant des gueux, chanson sur l’air du Chant du départ, paroles de Hervé Riderni, 1907 • Document 4 : Rapport mensuel du préfet de l’Aude au ministre de l'Intérieur, 30 mai 1907 (extraits) • Document 5 : Manifestation de Béziers : vue des manifestants avant le départ au Champ de Mars, 12 mai 1907 • Document 6 : Pancarte de Villegailhenc • Document 7 : Carte postale éditée pour appeler à la manifestation du 9 juin 1907 à Montpellier • Document 8 : La mutinerie du 17e régiment d'infanterie de ligne : les mutins à Béziers crosses en l'air, 21 juin 1907 • Document 9 : Discours de Marcelin Albert à Montpellier, 9 juin 1907 • Document 10 : Discours d’ à Perpignan, 16 juin 1907 • Document 11 : Marcelin Albert, portrait et notice biographique • Document 12 : Ernest Ferroul, portrait et notice biographique

POUR EN SAVOIR PLUS Pech (Monique et Rémy), Sagnes (Jean), 1907 en Languedoc et en Roussillon, Montpellier, Espace Sud éditions, 1997. Ouvrage de référence écrit par des historiens spécialistes de la question. Les causes et les consé- quences de la crise, son analyse politique, sociale et économique, une abondante iconographie, des tableaux et des statistiques, une étude historiographique font de cet ouvrage le compagnon indispensable à toute démarche pédagogique s’inscrivant dans la commémoration de 1907. Valentin (Jean), La révolution viticole dans l’Aude, 1789-1907, Carcassonne, CDDP de l’Aude, 1977. Publiée en deux fascicules, cette étude est l’une des plus complètes menées à ce jour sur la crise viticole dans l’Aude. L'ouvrage présente un intérêt pédagogique d'autant plus grand qu'il combi- ne fort intelligemment présentation historique et publication de documents originaux. Le Tocsin 2007 Lettre de La Mission audoise pour la célébration de 1907, éditée par le Conseil général de l’Aude et site Internet du Conseil général de l'Aude http://www.aude.fr/ Données historiques, chronologie et documents commentés, renseignements pratiques sur les manifestations culturelles prévues. COMMÉMORER 1907

Au moment où l’Aude s’apprête à commémorer la révolte des vignerons du Midi, il nous a paru indispensable de proposer un outil pédagogique susceptible d’accompagner les enseignants et leurs élèves dans leur démarche visant à découvrir et comprendre cette crise qui secoue le monde viticole du Midi de la France durant la première décennie du vingtième siècle et atteint son paroxysme en 1907.

Commémorer un évènement ne signifie pas pour autant approuver la totalité des faits et des gestes de ceux qui, à un moment donné de l’histoire, ont pris part à un mouvement souvent com- plexe à saisir dans ses orientations, ses motivations et ses enjeux. L'objectif premier est de rendre lisibles et compréhensibles des évènements importants qui ont durablement et profondément mar- qué l’histoire et la mémoire sinon de notre nation, du moins de notre région.

Dans le Midi, région de monoculture viticole, les premières années du XX e siècle sont mar- quées par une grave crise de mévente du vin. Au printemps 1907, devant l'impuissance des pou- voirs publics à juguler la crise, sont organisés dans les principales villes du Midi languedocien d’importants rassemblements populaires : les viticulteurs crient leur misère et revendiquent des mesures législatives contre les fraudeurs présentés comme les principaux responsables de cette crise ; ils réclament notamment la taxation du sucre d’origine betteravière qu'ils accusent de tous les maux. Marcelin Albert, vigneron d’ et dirigeant emblématique du mouvement, réussit rapi- dement à fédérer les principaux responsables viticoles tout en s’attirant la sympathie et l’adhésion de la grande majorité des habitants de la région qui, pour la plupart, sont encore occitanophones ou catalanophones. Ces rassemblements disciplinés et pacifistes se déroulent sous la bannière tri- colore, les manifestants - dans leur grande majorité - se réclamant de la Nation tout en l’appelant à l’aide. Les revendications de dignité et de justice sont formulées dans des textes bien diffusés et portées par des foules de plus en plus nombreuses. Dimanche après dimanche, toutes classes sociales, toutes opinions confondues, se retrouvent pour manifester leur mécontentement et leur misère autour de slogans exigeant une juste solidarité envers ceux qui souffrent. En 1907 le gouvernement est dirigé par le radical Georges Clemenceau, président du Conseil et ministre de l'Intérieur. Ce dernier perçoit très vite ce mouvement avec méfiance : les manifes- tants sont en effet soutenus par les cercles royalistes et la presse réactionnaire et les élus audois, dans leur grande majorité radicaux, sont d'abord réticents à donner leur adhésion au mouvement. L'appui apporté aux manifestants par Ernest Ferroul, maire de et figure importante du parti socialiste, le ralliement d'un grand nombre d'élus radicaux à la cause des vignerons incitent toutefois le président du Conseil à adopter une attitude prudente et attentiste au début de ces mou- vements revendicatifs et pacifistes. Mais la démission de nombreuses municipalités et l’appel à la grève de l’impôt marquent un durcissement du mouvement. Le gouvernement fait arrêter les prin- cipaux leaders viticoles à Narbonne le 19 juin, ce qui provoque des émeutes, durement réprimées (six civils trouvent la mort au cours des affrontements avec l'armée). À Agde, le 17 e régiment d'in- fanterie de ligne se révolte et marche sur Béziers. Les démonstrations de force, les provocations, la mutinerie militaire soudent autour de Clemenceau une majorité politique désireuse de mettre un terme à cette crise qui risque de dégénérer et de déstabiliser le pouvoir en place. Face à la gravité de la situation, gouvernement, parlementaires et responsables viticoles éclairés cherchent une solution de sortie de crise. Le 23 juin l’entrevue à Paris avec Clemenceau discrédite Marcelin Albert peu habitué aux subtilités politiques et aux instrumentalisations média- tiques (il emprunte cent francs au président du Conseil pour payer son voyage de retour). Le 29 juin 1907, la loi réprimant les fraudes sur le vin est enfin votée. Le gouvernement s’engage à ne pas traduire devant la justice les leaders viticoles ; ces derniers sont libérés en août et travaillent à structurer un syndicalisme viticole naissant. Quant aux mutins du 17 e régiment d’infanterie, ils sont sanctionnés par l’accomplissement de plusieurs mois supplémentaires de service militaire. L’ensemble de ces évènements composent le socle fondateur de ce que certains n’ont pas hési- té à nommer « la révolte des gueux È. A l’enseignant de les replacer dans leur contexte historique en prenant soin de dépassionner l’étude. Avec les plus grands, il tentera également de souligner trois éléments majeurs issus d’une analyse plus fine de la crise de 1907. - le mouvement de 1907 est incontestablement un des premiers grands mouvements de défense régionale ; il débouche sur la création d’une organisation syndicale visant à regrouper les différents acteurs du monde viticole d’un espace déterminé : la Confédération Générale des Vignerons (C.G.V.) ; - 1907 marque également une étape importante dans l’intervention de l’État pour régu- ler l’économie de marché au moyen de la loi ; - le mouvement illustre enfin l’échec d’une conception de l’Etat quant au maintien de l’ordre par le recours à une armée de conscrits peu préparée à ce rôle et de surcroît à recrutement régional. À ce titre la mutinerie du 17 e régiment est très significative des limites de la réponse militaire.

En rappelant à ses élèves le souvenir de ces évènements exceptionnels, l’enseignant n’oubliera pas la place actuelle de la viticulture sinon dans notre région, du moins dans notre département. À l’heure où les vignerons de 2007 traversent une crise économique et identitaire sévère, le souvenir de leurs prédécesseurs de 1907 résonne avec un écho très particulier. Au-delà du cercle restreint des viticulteurs, tout Audois découvrira l’actualité de cette histoire vieille d’un siècle. En revisitant le passé, avec le privilège du recul, la quotidienne- té du présent reçoit alors un éclairage nouveau : ici réside également un des élé- ments pédagogiques de cette commémoration.

François Icher

Professeur chargé du Service éducatif aux Archives départementales de l’Aude L’ANNÉE 1907 CHRONOLOGIE DES PRINCIPAUX ÉVÈNEMENTS

Janvier Interpellation du gouvernement par les députés du Midi et débat sur les fraudes à la Chambre des députés. Création d’une commission parlementaire d’enquê- te sur la situation de la viticulture. 18 février Télégramme envoyé à Clemenceau par Marcelin Albert, demandant l'abroga- tion de la loi du 28 janvier 1903 sur les sucres. 11 mars La commission parlementaire d’enquête reçoit à Narbonne une délégation de 87 viticulteurs d’Argeliers menés par Marcelin Albert. 24 mars Réunion organisée à Sallèles-d'Aude (300 personnes), à l'initiative du "bureau de défense viticole" qui s'est formé à Argeliers. 31 mars Meeting de Bize (600 personnes). 7 avril Meeting d’Ouveillan (1 000 personnes). 14 avril Meeting de Coursan (5 000 à 10 000 personnes). 21 avril Meeting de Capestang (5 000 à 15 000 personnes). Publication du premier numéro du Tocsin, journal fondé par le Comité d’Argeliers. 28 avril Meeting de Lézignan (20 000 personnes). 5 mai Meeting de Narbonne (80 000 personnes). Ernest Ferroul, maire de Narbonne, adhère au mouvement. 12 mai Meeting de Béziers (120 000 à 160 000 personnes). Un ultimatum est lancé au gouvernement : la grève de l’impôt sera décrétée si aucune mesure n’est prise d'ici le 10 juin pour soutenir le cours de l’hectolitre de vin. 19 mai Meeting de Perpignan (170 000 à 180 000 personnes). 26 mai Meeting de Carcassonne (220 000 à 250 000 personnes). 2 juin Meeting de Nîmes (250 000 à 300 000 personnes). 9 juin Meeting de Montpellier (600 000 à 800 000 personnes). 10 juin Le Comité d’Argeliers lance l'ordre de grève de l’impôt et de démission des municipalités. 12 juin Clemenceau réunit les préfets du Midi. 85 municipalités dans l’Aude, 36 dans l’Hérault et 28 dans les Pyrénées-Orientales ont déjà démissionné. Les démis- sions des municipalités sont refusées. 14 juin Le mouvement des démissions s'étend : 160 dans l’Aude, 185 dans l’Hérault, 88 dans les Pyrénées-Orientales et 9 dans le Gard. 15 juin Création de fédérations départementales de vignerons dont la réunion formera la confédération générale des vignerons. 17 juin Dispositions prises par le gouvernement d'arrêter les principaux leaders viti- coles. Albert Sarraut démissionne de son poste de secrétaire d’Etat à l’Intérieur. 18 juin Des régiments et des renforts de gendarmerie sont envoyés vers le Midi. En pleine nuit, le 17 e régiment d’infanterie de ligne est déplacé de Béziers à Agde. 19 juin Arrestation des membres du Comité d’Argeliers (à l'exception de Marcelin Albert) et du docteur Ernest Ferroul. A Narbonne, dans la soirée, attaque de la sous-préfecture. Les cuirassiers chargent les manifestants : un mort, plusieurs dizaines de blessés. À Montpellier, heurts entre manifestants. A Castelnaudary, Marcelin Albert prend le train pour se rendre à Paris. 20 juin État de siège à Narbonne. L’armée tire sur la foule devant la mairie : 4 morts, une dizaine de blessés dont l'un succombe le lendemain. La préfecture de Perpignan est incendiée. Emeutes à Montpellier. A Agde 500 soldats du 17e régiment d’infanterie se mutinent et prennent la route de Béziers. 21 juin Incidents à Paulhan où les habitants coupent la voie ferrée pour empêcher le 142e de se rendre à Béziers. Ils séquestrent également le sous-préfet de Lodève. Soirée d’émeutes à Montpellier. Les mutins du 17e régiment d'infanterie rega- gnent leur caserne après de longues tractations. 23 juin Marcelin Albert rencontre Georges Clemenceau au ministère de l’Intérieur. L’entretien dure trois quarts d’heure. 24 juin Marcelin Albert regagne Argeliers. 26 juin Marcelin Albert se constitue prisonnier à Montpellier. 29 juin Vote de la loi contre la fraude, tendant à prévenir le mouillage des vins et les abus de sucrage. 2 août Mise en liberté provisoire des membres du Comité d’Argeliers et d'Ernest Ferroul. 15 septembre Parution du dernier numéro du Tocsin. 22 septembre Création de la Confédération Générale des Vignerons et désignation du bureau par les délégués des syndicats départementaux réunis à Narbonne.

1907 EN QUESTIONS

1 Comment expliquer la crise qui touche les vignerons du Midi en 1907 ? Documents 1 et 2. 2 Quelles sont les conséquences économiques et sociales de cette crise ? Documents 2, 3. 3 Comment expliquer la popularité de Marcelin Albert auprès des vignerons ? Documents 2, 4, 9 et 11 4 Quels moyens utilisent les viticulteurs pour exprimer leur mécontentement et leur misère ? Chronologie et documents 2, 3, 5, 6 et 7 5 Que réclament les viticulteurs à chaque manifestation ? Documents 5, 6 et 7 6 Quelles menaces brandissent les manifestants pour obtenir satisfaction ? Documents 7, 9 et 10 7 Quel est le rôle du docteur Ferroul durant les évènements de 1907 ? Documents 4, 10 et 12 8 Pourquoi une partie des soldats du 17 e régiment se mutine-elle? Document 8 9 Comment le président du Conseil, Georges Clemenceau, gère-t-il cette crise ? Documents 4, 8 et 10 Document 1 : QUELQUES CHIFFRES POUR COMPRENDRE LA CRISE

Ce tableau comparatif met en valeur les deux crises de mévente très rapprochées (1900-1901 et 1904-1907) qui frappent à des degrés divers la viticulture française. Cette mévente est liée à une évidente surproduction. A la suite de la crise phylloxérique, la production nationale de vin demeure faible pendant plu- sieurs années et les cours du vin se maintiennent alors à un niveau élevé. Mais dès 1895, la reconstitution du vignoble est achevée et les récoltes abondantes des années 1900 et 1904 (aux- quelles viennent s'ajouter des importations de vins d'Algérie) précipitent la baisse des cours du vin. Cet effondrement spectaculaire des prix permet de mieux comprendre l’ampleur de la crise et l’état de misère dénoncé par les vignerons du Midi de la France.

Année Production de vin Production de Prix moyen Prix moyen de récolte en France vin dans l’Aude del’hectolitre de l’hectolitre (en millions (en millions en France dans l'Aude d'hectolitres) d'hectolitres) (en francs) (en francs)

1894 39,1 4,8 23 15 1895 26,7 2,2 30 22 1896 44,7 3,6 25 18 1897 32,4 4,0 24 18 1898 32,3 3,1 28 18 1899 47,9 5.3 26 19 1900 68,5 6,3 18 7 1901 60,1 5,1 14 7 1902 42,3 4,5 20 16 1903 35,4 3,2 28 22 1904 68,9 7,9 17 5 1905 57,9 5,3 13 4,5 1906 52,1 4,1 17 5 1907 66,1 8,4 17 11 1908 60,5 6,5 16 10 1909 54,4 6,1 18 13 1910 28,5 2,0 39 37

Sources : Pech (Monique et Rémy), Sagnes (Jean), 1907 en Languedoc et en Roussillon, Montpellier, Espace Sud éditions, 1997, p. 14. Valentin (Jean), La révolution viticole dans l’Aude, 1789-1907, Carcassonne, CDDP de l’Aude, 1977, p. 39-52 et document 410. Document 2 : “QUI NOUS SOMMES ?” EXTRAIT DU TOCSIN, NUMÉRO DU 21 AVRIL 1907

Le 11 mars 1907, Marcelin Albert et 86 habitants d'Argeliers se rendent à Narbonne pour y rencontrer la Commission parlementaire d'enquête sur la viticulture et réclamer des mesures efficaces contre la crise. A leur retour, ils fondent à Argeliers un Comité de défense viticole, qu'on appelle bientôt le Comité d'Argeliers. Ils veulent faire entendre la voix des viticulteurs en détresse et organisent le dimanche des conférences dans les villages voisins (à Sallèles-d'Aude le 24 mars, à Ouveillan le 7 avril, à Coursan le 14 avril). Pour soutenir le mouvement et le faire connaître, le Comité d'Argeliers décide de publier un périodique : Le Tocsin, organe de la lutte viticole. Diffusé le dimanche, Le Tocsin est rédigé et administré depuis le village d’Argeliers, fief de Marcelin Albert. La forme même de ce journal, un quatre-pages dont les deux derniers feuillets sont conçus pour pouvoir facilement être transformés en affiches, témoigne de l'objectif premier de cette publication : toucher le plus grand nombre et convaincre. Le premier numéro (dont est extrait l’article suivant) est daté du 21 avril 1907 ; il est diffusé lors du meeting de Capestang qui réunit 15 000 manifestants selon L'Éclair (5000 si on en croit La Dépêche). Le Comité d'Argeliers y fait connaître les raisons de la colère des viticulteurs tout en insistant sur les consé- quences désastreuses de la crise qui affecte toute une région. Dans le célèbre texte qui suit, le Comité d'Argeliers insiste sur le caractère d'union du mouvement viti- cole qui fédère non seulement les différentes classes sociales mais aussi toutes les tendances politiques. Après avoir invité les élèves à recenser les divers groupes sociaux touchés par la crise ainsi que les par- tis politiques unis dans la lutte, le professeur portera leur attention sur la répétition volontaire de l’ex- pression « Nous sommes ceux qui crèvent de faim », preuve de l’extrême gravité de la situation en ce prin- temps 1907. Qui nous sommes ? Nous sommes ceux qui travaillent et qui n’ont pas le sou ; nous sommes les proprios décavés ou ruinés, les ouvriers sans travail ou peu s’en faut, les commerçants dans la purée ou aux abois. Nous sommes ceux qui crè- vent de faim. Nous sommes ceux qui ont du vin à vendre et qui ne trouvent pas toujours à le donner ; nous sommes ceux qui ont des bras à louer et qui ne peuvent guère les employer ; nous sommes ceux qui n’ont des marchan- dises que pour manquer d’acheteurs. Nous sommes ceux qui crèvent de faim. Nous sommes ceux qui sont endettés, les uns jusques au cou, les autres par-dessus la tête ; tous ceux qui paient mal et tous ceux qui ne paient plus ; nous sommes ceux qui ont encore quelque crédit, ceux qui n’en ont guère et ceux qui n’en ont pas. Nous sommes ceux qui crèvent de faim. Archives départementales de l'Aude, 591 Per 1 Nous sommes ceux qui doivent partout ; au boulanger, à l’épicier, au percepteur et au cordon- nier ; ceux que poursuivent les créanciers, ceux que relancent les huissiers et ceux que traquent les collecteurs d’impôt. Nous sommes ceux qui voudraient vivre en honnêtes gens et qui sont acculés aux expédients et à la misère. Nous sommes ceux qui crèvent de faim. Nous sommes ceux qui aiment la République, ceux qui la détestent et ceux qui s’en foutent ; nous sommes ses ardents défenseurs ou ses adversaires déclarés ; radicaux ou conservateurs, modérés ou syndicalistes, socialistes ou réactionnaires, nous sommes ceux qui ont leur jugeote et aussi leurs opinions. Mais nous avons un ventre et nous sommes ceux qui crèvent de faim. Nous sommes des miséreux ; des miséreux qui ont des femmes et enfants et qui ne peuvent pas vivre de l’air du temps : nous sommes ceux qui ont des vignes au soleil et des outils au bout des bras, ceux qui veulent manger en travaillant et ceux qui droit à la vie. Nous sommes ceux qui ne veulent pas crever de faim.

Document 3 : LE CHANT DES GUEUX CHANSON SUR L’AIR DU CHANT DU DÉPART, PAROLES DE HERVÉ RIDERNI

L'expression populaire qu'est la chanson a de tout temps servi à répandre idées et émotions liées aux événements sociaux et politiques. Les manifestations de 1907 n'échappent pas à la règle et les auteurs les plus variés, méridionaux mais aussi parisiens, composent, sur des airs connus de tous (le plus souvent patriotiques), des hymnes populaires. Cette chanson composée sur l’air du Chant du départ est un support intéressant pour accompagner les élèves dans l’étude de la crise viticole. Bien qu'il ne soit pas méridional, Hervé Riderni, librettiste connu,

Archives départementales de l'Aude, 3 J 2593 auteur de comédies musicales, met sa plume au service de la cause des vignerons. L’enseignant ne man- quera pas de faire remarquer la destination du produit de la vente de ce chant, vendu dans les agences de journaux au profit du comité d’Argeliers et il mettra ainsi en évidence le thème de la solidarité, cher aux vignerons du Midi. L’enseignant mettra l’accent sur les thèmes et l’importance de la manifestation des vignerons (le chiffre de 500 000 n'est en rien exagéré, le meeting du 9 juin 1907 à Montpellier réunit plus de 600 000 personnes), l’appel à la protection des lois (premier couplet), la question de la fraude et de ses consé- quences économiques et sociales (second couplet) ainsi que sur les revendications formulées sous forme d’ultimatum avec la menace de la grève de l’impôt (dernier couplet). Le refrain, quant à lui, permettra de rappeler la signification du mot gueux tout en soulignant les conditions de vie du vigneron de 1907.

Document 4 : RAPPORT MENSUEL DU PRÉFET DE L’AUDE AU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR 30 MAI 1907 (extraits)

Les passages proposés ici ont pour but de permettre à l’enseignant d’aborder de manière originale les deux personnages majeurs du mouvement viticole de 1907, Marcelin Albert et le docteur Ernest Ferroul. Après avoir rappelé l'importance de la manifestation tenue le 26 mai à Carcassonne, le préfet insiste sur le charisme de Marcelin Albert, dénonçant les comportements irrationnels d’une foule qui l'idolâtre. Tout aussi intéressant est le regard porté sur Ferroul, le maire socialiste de Narbonne, dépeint ici comme un rival de Marcelin Albert, plus résolu et plus dangereux que celui-ci car désireux d’instrumentaliser les évènements viticoles au profit de sa propre carrière politique.

Les renseignements que vous avez déjà reçus sur la manifestation viticole de Carcassonne vous ont fait connaître que près de 200 000 manifestants y ont pris part. (…) L’affluence des viticulteurs a dépassé ce jour là toutes les prévisions et a donné la mesure de l’extension formidable que prend ce mouvement d’agitation viticole. ( …) Il est, sans doute, nécessaire dans la concentration de telles masses de faire la part de la curio- sité qui attire nombre de personnes. Il n’en reste pas moins certain que la grande majorité y appor- te une conviction qui touche au fanatisme et il faut voir les délégations de paysans venues à pied de près de 100 kilomètres pour comprendre ce que peuvent engendrer de pareilles énergies. Ë leurs yeux, Marcelin Albert passe à l’état de quasi-divinité : ses collègues du comité d’Argeliers sont obligés de former aujourd’hui une chaîne serrée pour le soustraire aux actes d’adoration de la foule : un souffle de folie paraît avoir effleuré les cerveaux et l’on reste confon- du à la vue d’attitudes, de regards, de physionomies inspirées dont on ne sait quel mysticisme. (…) Les devises inscrites sur les pancartes des manifestants rivalisent d’énergie farouche, elles montent de ton à chaque meeting et ce sont les harangues, de plus en plus ardentes, de M. Ferroul, maire socialiste de Narbonne, qui obtiennent le plus gros succès. Il semble qu’il soit jaloux des lauriers de Marcelin Albert et veuille prendre la direction du mouvement après y avoir été réfrac- taire à son origine. Il l'aiguille vers la violence (…) Dans sa soif de popularité, on lui prête, non sans une apparence de raison, le dessein de pousser à un mouvement insurrectionnel pour mettre ensuite son prestige au service de la pacification et jouer le rôle de “sauveur de la situation”. (…)

Archives départementales de l'Aude, 1 M 43 Document 5 : LA MANIFESTATION DE BÉZIERS, 12 MAI 1907

Cette photographie a été prise lors de la manifestation tenue à Béziers le 12 mai 1907. Ce meeting a rassemblé plus de 120 000 personnes venues, une fois encore, crier leur mécontentement et réclamer des réponses urgentes face à la crise. L’enseignant mettra en valeur les trois éléments majeurs autour desquels est organisée l’image. - Le photographe a voulu tout d’abord témoigner de la densité de la foule. Le cadrage montre ici les manifestants en rangs serrés ; la manifestation pacifique, sans violence. - À l’arrière plan se détache le drapeau tricolore, symbole à lui seul de l’attachement à la République et de l’appel à la solidarité de la Nation envers ceux qui souffrent. - La pancarte en bois cherche à attirer l'attention sur la misère qui frappe les manifestants ; elle porte une inscription en occitan, langue couramment pratiquée à l’époque : " Abère tant de boun bi et pas pourré mangea dé pan ! ", ce qui signifie " Avoir tant de bon vin et ne pas pou- voir manger de pain !"

Archives départementales de l'Aude, 13 Dv2/1 (fonds Sallis-Bouscarle) Document 6 : PANCARTE DE VILLEGAILHENC

Conformément aux recommandations formulées dans Le Tocsin du 5 mai 1907, les manifestants sont invités à défiler derrière une pancarte indiquant le nom de leurs communes respectives. Ainsi, en mettant en évidence la diversité géographique des délégations, les organisateurs des meetings sont-ils en mesure de montrer au gouvernement la force du mouvement, fédérateur de tout le Midi viticole. Bien sûr, la pan- carte est aussi le moyen privilégié de faire connaître les revendications des manifestants. Slogans, cari- catures et représentations symboliques sont généralement très explicites. La pancarte de Villegailhenc est à cet égard exemplaire. Dans la partie supérieure figu- re le nom de la commu- ne. Dans la partie infé- rieure, le slogan " A bas les fraudeurs ! " reprend un des thèmes majeurs des manifestations de 1907. Entre ces deux inscriptions, un dessin en couleurs illustre la situation dramatique des viticulteurs du Midi acculés à la ruine. Un vigneron, identifiable par sa gourde et son escaucel (outil servant à déchausser les pieds de vigne), est écrasé dans un pressoir sous le poids des produits embléma- tiques de la fraude : l’arrosoir d’eau, la bon- bonne d’acide sulfu- rique et le pain de sucre. Un flot de sang s’écoule de sa bouche. A la droite du pressoir, un homme politique en costume et chapeau haut de forme, décoré de la légion Archives départementales de l’Aude, 15 Dv 13/4 d’honneur et d’une écharpe rouge (symbolisant sans doute son appartenance au bloc des gauches) présente une bourse sur laquelle on peut lire Ç 6 000 FR È, allusion à l’indemnité des parlementaires de l’époque. Généralement Ïuvres populaires anonymes, les pancartes sont parfois signées d'artistes reconnus : celle de Couffoulens a été ainsi réalisée par Pierre Dantoine. La pancarte de Villegailhenc est l'Ïuvre de Benjamin Fabre- Guireaud, poète paysan de la commune. L’enseignant insistera surtout sur la fraude des vins dont les conséquences néfastes sont ici mises en scène de manière caricaturale et dramatique. Il invitera également les élèves à réfléchir sur le sens de la présence d’un homme politique dont le rôle semble ici contraire aux intérêts des vignerons (trahison des parlementaires qui refusent de voter des mesures efficaces contre la fraude et le sucrage). Document 7 : CARTE POSTALE ÉDITÉE POUR APPELER À LA MANIFESTATION DU 9 JUIN 1907 À MONTPELLIER

Cette carte postale reprend un dessin, signé Avril, destiné à convaincre un maximum de personnes de la nécessité de participer à la grande manifestation prévue à Montpellier le 9 juin 1907. L’auteur a donc pris soin de mettre en valeur le nom de la ville et la date à l’arrière-plan de son dessin. Au premier plan, plusieurs personnages : à gauche, une jeune et jolie vendangeuse et, à ses côtés, trois jeunes gens (l'un en costume de ville, les deux autres en tenue de travail) symbolisant la diversité sociale et l’union des manifestants. L’un d’entre eux tient une pancarte sur laquelle est inscrit Ç Honneur à Marcellin Albert È. Ë leurs pieds, un fraudeur (reconnaissable au pain de sucre qu’il tient sous le bras) est mis hors d’état de nuire. A droite, une vieille et pauvre femme balaie les pains de sucre, principaux ins- truments de la fraude des vins. La fraude est incontestablement l'un des deux thèmes majeurs de la carte postale. Derrière le premier groupe de personnages, on distingue une cuve sur laquelle figurent bien visibles les slogans des manifes- tants : Ç Guerre à la fraude, vive le vin naturel È. L’autre message se veut plus politique. En effet, sur la récolte de raisins, une autre pancarte annonce : “Le 10 c’est la fin. Nous aurons ce que nous voulons” ; c’est une allusion au fameux ultimatum lancé au gouvernement le 12 mai 1907 à l'initiative d'Ernest Ferroul : “si à la date du 10 juin, le gouvernement n'a pas pris les dispositions nécessaires pour provo- quer le relèvement des cours [du vin], la grève de l'impôt sera proclamée”. A l’arrière-plan, la foule des manifestants crie ses revendications. Quelques pancartes significatives sont rédigées en français: Ç Le droit de vivre È, Ç Ë bas les fraudeurs È. Mais, dans une foule essentielle- ment occitanophone, on distingue le désormais célèbre Ç Lou darnié croustet È (Le dernier morceau de pain), symbole à lui seul de la misère engendrée par la crise.

Sources : Pech (Monique et Rémy), Sagnes (Jean), 1907 en Languedoc et en Roussillon, ouvr. cit. p. 144. Document 8 : LES MUTINS DU 17 e RÉGIMENT D'INFANTERIE DE LIGNE À BÉZIERS, 21 JUIN 1907

Le 17 e régiment d'infanterie de ligne, habituellement stationné à Béziers et à Agde, est constitué dans sa majeure partie de jeunes méridionaux effectuant leur service militaire. L’autorité militaire s'inquiète de ce recrutement régional qui peut conduire les soldats à sympathiser avec les manifestants. Lorsque le gou- vernement décide de faire arrêter les leaders du mouvement viticole, la décision est prise d'éloigner le régiment de la région. Dans la nuit du 18 au 19 juin, le régiment est déplacé de Béziers à Agde, c'est une première étape vers une destination plus lointaine. A l’annonce des graves incidents de Narbonne, un sen- timent de révolte se propage très vite dans les rangs du régiment. Dans la nuit du 20 au 21 juin, 500 mutins quittent alors Agde à pied pour se rendre à Béziers où ils s’ins- tallent sur les allées Paul Riquet. Ravitaillés par la population, ils attendent quelque peu désorientés car dépourvus de tout commandement et n’ayant en fait aucun objectif précis. Sur ce cliché, on les voit arborant fièrement leurs fusils, la crosse en l’air, symbole de leur volonté manifeste de ne plus obéir aux ordres.

Archives départementales de l'Aude, 13 Dv2/14 (fonds Sallis-Bouscarle)

Sur la foi d’une promesse que l’armée ne pratiquera aucune sanction individuelle, les mutins regagnent leur casernement sans opposer de résistance. La mutinerie cesse officiellement le 21 juin à trois heures de l’après-midi. Elle n’aura duré que quelques heures. A Paris, Clemenceau sait tirer profit de cet évènement, exagérant l’ampleur de cette « révolution sociale » et les motivations de cette « soldatesque déchaînée » afin de souder autour de sa personne une solide majorité parlementaire. Contrairement au chant célèbre consacré à la mutinerie par Montéhus (Gaston Brunschwig, 1872-1952), Ç Gloire au 17 ème È, le régiment n'a jamais reçu l’ordre de tirer sur la population mais sa révolte est un épisode majeur qui démontre aux pouvoirs publics combien il est difficile de faire confian- ce, pour assurer le maintien de l'ordre, à une armée mal préparée à cette tâche et de surcroît à recrute- ment souvent très régional. Document 9 : DISCOURS DE MARCELIN ALBERT AU MEETING DE MONTPELLIER, LE 9 JUIN 1907 (extraits)

Cette manifestation à Montpellier marque le point d’orgue du mouvement contestataire. Il faut imagi- ner Marcelin Albert prenant la parole face à une foule estimée à plus de 600 000 personnes. L’enseignant amènera les élèves à réfléchir sur la manière dont Marcelin Albert dresse son propre por- trait, se présentant comme un visionnaire, incompris et isolé dans les premiers temps de la crise viticole. Les élèves seront invités ensuite à chercher dans ce texte les passages du discours dans lequel Marcelin Albert souligne le caractère unitaire du mouvement, regroupant tous les courants politiques, toutes les classes sociales, tous les habitants du Midi. La grève de l’impôt et l’appel à la démission des municipali- tés permettront enfin d’expliciter le terme d’ultimatum et les enjeux qu’il recouvre.

Ce n’est pas sans une indicible émotion et après l’inoubliable cortège qui vient de se dérouler dans cette ville admirable de Montpellier, que je me trouve en face de tous mes frères de misère qui, depuis les points les plus extrêmes de notre Midi malheureux, sont venus se presser jusqu’au pied de cette tribune. Il y a trois mois, trois mois à peine, j’étais seul, seul, entendez-vous bien, à n’attendre notre salut que d’un soulèvement général de la conscience méridionale ; j’étais seul à rêver d’un Midi qui se lèverait comme un seul homme pour dire à la France entière : Ç Nous ne sommes pas des parias, il faut que cela finisse È. Mais un jour j’eus la bonne fortune d’être enfin compris par quelques amis ; mes compatriotes m’entendirent : nous fûmes 87 à Argeliers, pour aller porter nos plaintes auprès de la commission d’enquête, et bientôt après c’étaient d’autres villages tout entiers qui se levaient pour donner l’exemple aux communes voisines. Et, dès lors, la boule de neige commençait à se former : après Ouveillan, Coursan, après Capestang et Lézignan, c’était Narbonne, c’était Béziers, et la boule de neige devenait avalanche. C’était Perpignan, puis Carcassonne, puis Nîmes, et aujourd’hui c’est enfin Montpellier. Montpellier, c’est-à-dire tout le Midi assemblé pour faire entendre son cri de détresse. Huit cent mille hommes sont là. C’est l’armée du travail la plus formidable qui se soit jamais vue. Elle est pacifique, certes, mais résolue à tout. C’est une armée de « gueux ». Elle n’a qu’un drapeau, celui de la misère ; elle n’a qu’un but, la conquête du pain. Plus que jamais, restons unis dans distinction de parti et sans distinction de classe. Pas de jalou- sie ! Pas d’ambition ! Pas de haine ! Pas de politique ! Tous au drapeau de Défense viticole ! Le Midi si florissant, le Midi si fertile se meurt. Au secours ! Camarades, unissons-nous tous, que le sang gaulois circule dans nos veines et dans un même élan fraternel écrivons une belle page d’histoire méridionale. Toutes les générations futures viendront s’y retremper pour la défense de leur droit, de leur indépendance, de leur liberté. Etes-vous d’avis qu’il faut prendre des mesures énergiques ? Etes- vous résolus à ne plus payer d’impôts ? Qu’on ne vienne donc plus dans nos communes chercher ce que vous n’avez pas. Il me reste à faire devant vous un second geste : vous avez décidé à la réunion de Béziers, par un ultimatum qui, aujourd’hui, vient à échéance, que toutes les municipalités des départements fédérés devront démissionner dans trois jours, si nous n’avons pas satisfaction. L’heure est venue. Le citoyen Ferroul vous donne l’exemple. La démission de toutes les municipalités est proclamée. Vive à jamais le Midi ! Vive le vin naturel ! È Document 10 : DISCOURS D’ERNEST FERROUL À PERPIGNAN, 16 JUIN 1907 (extraits)

Ce discours intervient quatre jours après une réunion à Paris de tous les préfets du Midi convoqués par Clemenceau, ministre de l’Intérieur et président du Conseil. A l’ordre du jour, la démission des muni- cipalités (85 dans l’Aude, 36 dans l’Hérault et 28 dans les Pyrénées-Orientales) que le gouvernement se refuse à accepter. Deux jours, après, le 14 juin, le mouvement s’étend : on enregistre 160 démissions dans l’Aude, 185 dans l’Hérault, 88 dans les Pyrénées-Orientales et 9 dans le Gard. C’est dans ce contexte que Ferroul tient ce discours très politique où il réaffirme la détermination des élus démissionnaires. L’enseignant sollicitera cet extrait du discours de Ferroul pour illustrer la dimension et les enjeux poli- tiques de la crise viticole ; il profitera également de cette occasion pour rappeler le fonctionnement des institutions de la Troisième République, insistant tout particulièrement sur le statut du président du Conseil qui cumule la direction du gouvernement de la France avec un poste de ministre (ici de l’Intérieur).

Le président du Conseil a voulu nous donner des conseils de sagesse en priant les maires de reprendre leur démission. Il a tort de croire que, quand des hommes réfléchis ont pris des résolu- tions mûrement examinées et dont ils connaissent les conséquences, ils peuvent y revenir par le seul fait que le conseil des ministres le leur demande. Nous avons le droit de donner notre démission, et Clemenceau a le droit de ne pas les accep- ter, mais il se trompe en supposant que nous rentrerons comme des moutons dans les mairies….. Mais si les préfectures n’envoient pas des délégations dans les mairies, c’est parce qu’elles savent fort bien qu’elles auraient la honte de ne pas trouver dans les communes un seul citoyen qui vou- lût se charger de cette délicate mission. A tous les maires démissionnaires, je conseille de ne plus paraître dans les mairies…. Nous n’avons rien à entendre que du peuple, parce que le peuple est souverain.

Document 11 : MARCELIN ALBERT, PORTRAIT ET NOTICE BIOGRAPHIQUE

Né à Argeliers (Aude) le 29 mars 1851, le jeune Marcelin Albert reçoit une instruction supérieure à la moyenne de l’époque, quittant son village natal pour suivre à Carcassonne les cours de la pension Montès. De 1873 à 1905, il est un vigneron modeste, avant de prendre en charge le petit café du village. Loin d’être un villageois timide, il aime le théâtre et participe à des troupes d’amateurs, montant même des pièces à l’image du célèbre Ruy Blas de Victor Hugo. Marcelin Albert est donc un homme habitué à affronter le public et à prendre la parole devant un audi- toire important. Dès 1900, il est sensible aux problèmes viticoles et n’hésite pas à se déplacer dans les vil- lages environnants pour haranguer la foule les jours de marché. Déjà, il préconise la démission des élus et la grève des impôts pour se faire entendre des pouvoirs publics afin d’obtenir la taxation du sucre, prin- cipal accusé dans la fraude des vins. Il quitte une certaine marginalité lorsque, le 11 mars 1907, il est élu président du comité de défense viticole d’Argeliers. Dès lors, pendant trois mois, il devient le porte-parole emblématique de la contesta- tion viticole. Très vite, il reçoit des surnoms très évocateurs : le rédempteur, l’apôtre, le roi des gueux… Sa popularité ne cesse de grandir. Mais Marcelin Albert n’est pas un homme politique ; républicain dans l’âme, il n’appartient à aucun parti ce qui fait de lui un homme consensuel pour quelque temps. Après les évènements tragiques de Narbonne, il tente de négocier directement avec Clemenceau. Cette initiative personnelle entraîne son discrédit aux yeux d’une opinion publique savamment instrumentalisée par le pouvoir en place. Il est désormais marginalisé au sein d’un mouvement qu’il avait porté depuis son origine. Il ne participe pas à la création de la Confédération Générale des Vignerons et, progressivement, son nom tombe dans l'oubli. Il meurt dans son village natal le 12 décembre 1921.

Archives départementales de l’Aude, 13Dv 1/312 (fonds Sallis-Bouscarle) Document 12 : ERNEST FERROUL, PORTRAIT ET NOTICE BIOGRAPHIQUE

Né le 13 décembre 1853 au Mas-Cabardès (Aude) dans une famille bourgeoise, il devient médecin à Montpellier où, à partir des années 1870, il fréquente les futures figures du parti socialiste comme Guesde et Brousse. Installé à Narbonne, il utilise le prestige lié à sa profession pour cultiver son image d’homme public dévoué au peuple. En 1888, avec l’aide des radicaux, il est élu député. Il fréquente l’extrême gauche, s’intéresse au bou- langisme avant de gagner les élections municipales à Narbonne en 1891. Il siège dès lors au Conseil national du Parti Ouvrier de Jules Guesde. Dans les années 1900, il devient plus modéré et soutient le Bloc des Gauches ; en 1902 il cède son siège de député à Félix Aldy puis adhère à la SFIO en 1906. Les évènements de 1907 lui permettent de se repositionner comme opposant à ses anciens alliés radi- caux. Il se montre intransigeant envers Georges Clemenceau tout comme envers son représentant local Albert Sarraut, allant même jusqu’à s’allier à la droite pour les combattre. Il emprunte au discours régio- naliste pour dénoncer les Barons du Nord. Au moment le plus critique des évènements, afin d’éviter une effusion de sang, il accepte d’être arrêté et assiste impuis- sant à la gestion de la fin de crise par Clemenceau. Sans l’appui des ouvriers viticoles, il parvient cependant à organiser la Confédération Générale des Vignerons initiée à Narbonne le 22 septembre 1907. Candidat malheureux face à Albert Sarraut aux législatives de 1910 et 1914, il se consacre exclusi- vement à son fief de Narbonne tout en maintenant son engage- ment envers le mouvement régionaliste et félibréen. Rallié à l’Union sacrée en 1914, il rejoint la SFIO en 1920. Ernest Ferroul est décédé le 29 décembre 1921.

Archives départementales de l’Aude, 13Dv 1/294 (fonds Sallis-Bouscarle)