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Il a été tiré à part 15 exemplaires réservés aux Editions ECHE et à ses collaborateurs : Irène Dupont, Laurence Joos, Sylvie Mary, Marie- Françoise Redon, Monique Tatareau, Patricia Violette, Jean-Charles Ciry, Didier Dabemat, Daniel Fourie et François Marret le Cmmo tKmdiomê

Claudette PEYRUSSE

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Le Midi e dans le cinéma français (1929-1944)

Préface de Raymond BORDE Publié avec le concours de la Cinémathèque de Toulouse

Toulouse Eché Rue Délieux, 19 @ Eché, Toulouse, 1986 Tous droits réservés I.S.B.N. : 2 86513 053 3 PREFACE

Claudette Peyrusse a pris un sujet neuf : le Midi et le méridional dans le cinéma français. Jusque là, nul n'avait étudié le phénomène dans son ensemble. Le regard des historiens et des critiques s'était, pour l'essentiel, limité à , parce qu'il était le plus inventif et le plus loquace des cinéastes installés dans le Sud et que ses films, constamment repris en distribution, sont devenus des classiques. Il disait volontiers, de lui et ses amis, «Nous sommes les plus forts» et c'est vrai qu'il a occupé le devant de la scène par la maîtrise de son art et par son sens aigu de l'organisation. -Mais le. moment d'aller au-delà est venu. Pour la période qu'elle étudie, de 1929 à 1944, Claudette Peyrusse a dénombré environ 150 films français à dominante méridionale. Sur ce total, la Société Marcel Pagnol n'en a produit que 11. C'est dire à quel point il devient nécessaire, hors de tout critère esthétique : - d'analyser la méridionalité à l'écran comme un reflet de société, - de définir son aire géographique et ses variantes territoriales, - d'en rechercher l'origine dans les spectacles populaires, - de recenser tous les films qui s'en sont réclamés ou imprégnés, - de faire surgir des thèmes et des constantes, mais aussi des contradictions, - de mesurer la part du réalisme et de la complaisance, de la vérité et de la caricature, - .en un mot, d'apporter les méthodes de l'anthropologie et de la sociologie à un domaine dont la connaissance relevait d'une aimable frivolité. On verra par quels cheminements l'auteur est parvenu à poser la question qui lui semblait fondamentale : ce cinéma du soleil, de l'exubérance, de la bonhomie apparente et du retour à la nature, était-il une vision coloniale destinée aux Français du Nord, ou un modèle imaginaire? Claudette Peyrusse a finalement atteint son but, qui était de délimiter une mythographie du Midi, en déployant une érudition prodigieuse. Par le travail sur le terrain, les interviews, le dépouillement des journaux d'époque, elle a accumulé une masse d'informations qui fait rêver. Je voudrais prendre un seul exemple : la description qu'elle donne du spectacle méridional avant l'arrivée du parlant. Ville par ville (Bordeaux, Toulouse, Agen, ...) elle a retrouvé l'emplacement des cafés concerts et les titres des revues locales, des saynètes en patois ou des opérettes. Elle a identifié les directeurs de salles, les auteurs, les compositeurs et surtout les chanteurs et les comédiens qui allaient passer massivement, à partir de 1930, de la scène à l'écran. Elle a même retracé la préhistoire de ce théâtre populaire, avec les pastorales ou les diseurs, les conteurs en plein vent. Dans tous les domaines, elle a réalisé une enquête exemplaire et définitive. On pourra se livrer plus tard à d'autres analyses, mais les renseignements de base ont été recueillis quand il en était encore temps. L'étude des films porte sur la période 1929-1944. Le point de départ, 1929, est indiscutable. Il fallait l'arrivée du son pour rendre les accents, les parlers du terroir, la faconde méridionale. Mais 1944? Je pense que cette date a été choisie parce qu'elle donnait un corpus homogène. Le cinéma français a peu évolué durant ces quinze années et s'il est, sous Pétain, devenu plus moralisant, il a gardé ses traits généraux et son climat sentimental. Pour les films méridionaux, la coupure s'est produite en 1945. Cette année-là, Georges Rouquier a tourné Farrebique en Aveyron. Pour la première fois, la caméra a enregistré la vie paysanne, en terre d'Oc, avant l'agriculture industrielle. Ce témoignage ethnographique, qui a pris aujourd'hui une valeur fabuleuse, a fixé ce qu'étaient les travaux et les jours quand on coupait l'herbe à la faux et qu'on attelait les vaches. En rupture absolue avec le divertissement, Farrebique a pénétré un Midi inconnu. D'autre part quelque chose meurt de la naïveté joyeuse des années 30. On fait des remakes des opérettes marseillaises : Trois de la marine, Un de la Canebière, mais le cœur n'y est plus. Pagnol lui-même ne retrouve pas le jaillissement créateur d'Angèle ou de Regain. Enfin Marseille et la Côte sont associées au film noir. Depuis Borsalino, qui comportait encore de forts éléments de méridionalité, la région est envahie par des polars qui l'utilisent seulement comme un décor. Cet éclatement correspond à la mort des anciens, au déclin des provinces, à l'envahissement des villages par la voiture et le béton et à l'uniformisation de la vie française. Il fallait arbitrairement fixer un terme au diagnostic. J'ai connu ce même problème de chronologie en étudiant le néo- réalisme italien. 1944 est ici la bonne date.

Claudette Peyrusse a voulu voir le maximum de films méridionaux. Elle s'est livrée à la chasse aux copies et c'est ainsi que nous l'avons connue puisqu'elle s'était adressée aux trois collections qui pouvaient apparemment l'aider : la Cinémathèque Française, les Archives du Film de Bois d'Arcy et la Cinémathèque de Toulouse. Or ces films ont très mal survécu. C'était, pour la plupart, des productions à petit budget dont les ayants droit se désintéressaient après la fin de la carrière commerciale. Ils étaient sur support nitrate et on en a beaucoup détruit, au début des années 50, quand la pellicule nitrate a été interdite et remplacée par l'acétate. Enfin l'incendie du Pontel, en 1980, a été une catastrophe pour les historiens. Il s'est produit dans un hangar de fortune, ouvert à l'air libre, où la Cinémathèque française avait entreposé les films inflammables qu'elle n'utilisait pas pour ses projections. Une grande part du cinéma français est partie en fumée. A Toulouse nous étions encore mal outillés pour la consultation, mais nous avions un certain nombre de pièces rares et une bibliothèque de haute érudition. Claudette Peyrusse a donc pu travailler longuement chez nous et nous l'avons mise en rapport avec nos collègues francophones de Bruxelles et de Lausanne. Enfin sa venue a eu pour nous une conséquence heureuse et imprévue. Elle nous a incité à isoler, dans nos collections, tous les films tournés dans le Midi, depuis les origines : longs métrages de fiction, documentaires, reportages ou cinéma indépendant. Ce fonds s'appelle «Archives du cinéma méridional». Il n'a pas d'équivalent. Il fonctionne comme une cellule autonome et il est financé par le Conseil Régional de Midi-Pyrénées. De nos 6000 longs métrages, nous avons extrait une centaine de films de fiction dont le plus ancien, Le Porion de Georges Champavert, tourné aux mines d'Alès en 1919, est en cours de restauration avec l'aide de Bois d'Arcy. Nous demandons systématiquement et nous obtenons les productions récentes tournées dans le grand Sud-Ouest et la zone méditerranéenne, qu'il s'agisse de Malevil ou de J'ai épousé une ombre. Nous explorons nos courts-métrages, environ 7000, et les découvertes ne sont pas terminées. Nous pressons les indépen- dants et les amateurs de déposer leur matériel avant qu'il ne s'altère. Nous gardons le contact avec l'Institut Jean Vigo à Perpignan qui a des éléments de qualité et nous prions les archives étrangères de tirer les films qu'elles possèdent sur le Midi et qui ont disparu en France. Claudette Peyrusse, qui est devenue membre actif de la Cinémathèque, préside maintenant aux destinées de ces Archives. Son livre porte, sur la page de garde, la mention «publié avec le concours de la Cinémathèque de Toulouse», mais le mot de «concours» doit être pris dans les deux sens. Il signifie aussi l'aide que l'auteur nous donne dans nos propres travaux et il traduit l'influence réciproque et assez unique entre une recherche d'historien et la gestion d'un patrimoine. Raymond Borde

AVANT-PROPOS

Figures fessues, pansues, braillardes et gesticu- geuse de Barjavel qui souhaitait voir accueillir les lantes qui pleurent de rire et rient en pleurant, qui opérettes d'Alibert, de Montélimar à Nice et de Bor- mentent la main sur le cœur et vocifèrent le cœur sur deaux à Marseille, par toute la récolte de tomates de la la main quand la bouillabaisse et l'aïoli ne les vouent région... Mais à quoi bon démontrer que le méridional pas aux digestions paresseuses, sous les canisses du n'est à tout prendre que le nègre du cinéma français, cabanon - l'expression la plus achevée de l'art de l'Oncle Tom du vieux continent, l'Irlandais revu et vivre -, bandits d'honneur traqués dans le maquis, corrigé par le Nouveau Monde, que l'on est toujours insulaires homologues des contrebandiers des mon- au sud d'un nord, l'Homme tranquille ou le Belge de tagnes basques... Voici dans le soleil - n'oublions pas quelqu'un? Aussi bien, si la représentation cinémato- le soleil, le crissement des cigales, la pointe d'ail, les graphique du méridional est souvent irritante et cari- tambourins et les voix d'or -, le petit peuple du Midi, caturale, l'atmosphère est à la bonne humeur et à encadré par une maréchaussée d'opérette, bon pied, l'œcuménisme. Faut-il bouder son plaisir à cette évo- bon œil et grosse moustache sous laquelle roule toute cation qui oscille entre la galéjade et l'Arcadie et ces la rocaille gasconne. Film publicitaire, en forme de films même médiocres ne nous entraînent-ils pas galéjade, à la gloire d'un apéritif, du coulis de tomates, dans un sud profond qui n'est certes pas celui de du cassoulet et des pruneaux, ou vision spectrale de Faulkner mais qui a la même puissance mythique? la représentation que la France s'est faite de ses Etudier les films méridionaux revenait à explorer une régions? fascination, personnelle sans doute, mais aussi très Cette image conventionnelle des pays du Midi, le présente dans l'imaginaire français. livre l'avait déjà popularisée, mais c'est le cinéma et Pour un spectateur d'aujourd'hui, il existe surtout singulièrement le cinéma français parlant qui l'a as- un cinéma hexagonal, populaire ou moins populaire, sise et renforcée. De l'irritation devant ces stéréotypes travaillé par des forces divergentes mais dont nous ne sont nés l'envie et le besoin d'entreprendre cette re- percevons pas nettement les différences, tant notre cherche, avec l'espoir de répondre aussi à une ques- vision reste myope et partielle. Or, dans les années tion bien étrange pour l'auteur de ces lignes en trente et les années d'Occupation, ont existé plusieurs étrange pays dans son pays lui-même. Méridional? grands courants. Certains sont classiquement réperto- Comment peut-on être méridional quand on ne res- riés d'après le thème et l'ambiance (le réalisme poéti- semble ni à Marius et Olive, les duettistes de la Cane- que par exemple). En retenant des critères hétérogè- bière, ni à Miliy Mathis, ni à une herbe de Provence, nes, on peut distinguer la mise en boîtes de pièces de quand on ne se reconnaît dans aucun pandore ou théâtre, les vaudevilles militaires, les films tournés par matamore, coiffé du béret basque et plus fort que le les immigrés russes (et ceux qui évoquent l'ancienne roquefort? Russie), les films français d'origine internationale et Il faut avouer que les premières recherches furent tournés en plusieurs versions, les films coloniaux (réa- menées d'une façon guerrière avec l'allégresse ra- lisés par les métropolitains avec figuration locale), d'autres encore et, parmi eux, les films méridionaux ments de dégradation, au-delà des stéréotypes ap- qui constituent sans doute la série la plus cohérente. pauvrissants qui, sans doute, traduisent la position Pour restituer dans toute son ampleur ce dernier d'un Midi dominé, le monde que ces méridionaux font courant, alors que seuls surnagent dans les mémoires vivre, les valeurs qu'ils proposent ne font-ils pas sou- les films les plus connus de Pagnol, les opérettes vent figure de modèles imaginaires? marseillaises, quelques rôles-phares de Fernandel et de Raimu, il est certes important de répondre à certai- L'étude qu'on va lire comporte parfois des élé- nes questions : à quelles conditions une France déjà ments méthodologiques et informatifs bien austères centralisée dans ses éléments économiques, politi- mais dont on ne peut faire l'économie, même si le ques, administratifs et culturels a-t-elle pu permettre lecteur pressé d'entrer dans le vif du film méridional l'éclosion d'un cinéma si fortement ancré dans les peut commencer sa lecture au chapitre suivant... On régions du sud de la Loire? Une recherche sur les trouvera ici peu d'anecdotes sur l'atmosphère des équipements peut-elle montrer que certaines régions tournages de Pagnol, sur les colères de Raimu ou les méridionales étaient aptes à jouer un rôle dans cet art meilleures recettes de bouillabaisse. Bien des ou artisanat cinématographique? Elles le pouvaient conteurs ont excellé dans ce domaine à commencer d'autant plus, semble-t-il, que la création locale, vi- par Pagnol et ses proches; les biographies, livres de vace, du théâtre et du music-hall devenait exportable souvenirs, albums se sont multipliés : on y rit, on sous forme d'un répertoire adapté et d'un personnel s'émeut, on s'informe. Il manquait peut-être une important. Mais on ne saurait se contenter d'explorer étude plus sèche dont la piètre séduction pourrait être les soubassements et les contours du phénomène. compensée par une mise en évidence plus globale de Plus riche sans doute est la leçon que livrent ces films la veine méridionale dans le cinéma français. Tel a été « et sur laquelle on peut s'interroger. Au-delà des élé- notre but. REPERAGES

Qu'appeler films méridionaux? Des films mettant d'été sont peut-être provençales, le nom du lieu, en scène une communauté méridionale vivant dans Cabrières, a des consonances locales; un ouvrier le Sud de la France? Las... Comment définir les limi- parle avec l'accent du Midi mais, à aucun moment, le tes d'une communauté et que faire de cette diaspora film ne paraît situé explicitement en Provence. C'est des gens du Midi qui essaiment dans tous les films pourquoi nous avons convenu de distinguer les films français et quelquefois hors de France? Qu'est-ce dont les lieux et milieux sont chargés d'éléments que vivre au sud du pays quand on ne vit que sur méridionaux, ceux qui en sont plus pauvrement pellicule, ombres dansantes et parlantes animées de pourvus et ceux qui en sont totalement dépourvus. mouvements mécaniques, surgies du noir par la ma- Pour définir cette méridionalité, il faut également gie d'une lampe? prendre en compte les personnages et ceci sous deux aspects : retenir, d'une part, les éléments de la caractérisation méridionale, déterminer, d'autre part, Indices le statut du personnage dans la narration et son Pour que les lieux et milieux soient méridionaux, il importance - ces dernières données seront reprises faut qu'ils soient signifiés comme tels : un paysage et dans une analyse dramaturgique. Il est sûr qu'un un olivier, le grand soleil, une bâtisse dont on croit personnage aux caractéristiques locales marquées reconnaître l'architecture régionale, Notre-Dame de et qui sera, en même temps, héros du film pèsera la Garde, la cueillette des feuilles de mûriers ou un davantage qu'une silhouette, fût-elle aussi colorée. défilé de gardians évoquent assurément le Midi mais Par ailleurs, chaque film institue sa hiérarchie des ne le signifient pas obligatoirement. D'autres élé- rôles : tel personnage secondaire pourrait, dans une ments doivent authentifier ce décor : tous les artifices autre œuvre, par sa présence et son action, jouer un de la nomination auditive ou visuelle peuvent alors rôle principal - et inversement. Pour raisonner sur un être utilisés. Un nom écrit sur un panneau (Besse- exemple concret, nous conviendrons que, dans le en-Provence), un encart au générique ou ailleurs, les début de la trilogie de Pagnol, Marius et Fanny jouent dialogues des personnages («A Marseille, Monsieur les rôles principaux, Panisse, César, Honorine, les Brun...»), des chants dont le sujet est local (des rôles secondaires, Escartefigue, M. Brun et les au- chansons corses orchestrent Le Refuge; ailleurs, on tres les silhouettes. Dans Fanny, Marius n'a plus chante le mistral ou la Canebière), un langage régio- qu'un rôle secondaire; dans le dernier volet de la nal ou un accent enfin. trilogie, César devient le personnage principal. Ces lieux et milieux sont plus ou moins chargés Ces personnages définis par leur statut et leur de «méridionalité». Cette charge s'obtient de plu- action le sont aussi par des caractéristiques méridio- sieurs manières. D'abord, par la multiplication des nales dont on peut dresser toute une nomenclature : indices et l'intrication d'éléments appartenant au dé- leur comportement (gestuelle et mimiques par exem- cor, au milieu et aux personnages : la densité méri- ple), leur apparence extérieure (vêtements), leur fa- dionale est alors extrêmement forte. Ont une charge çon de s'exprimer. On aura l'occasion de détailler méridionale faible ou nulle les lieux et milieux évo- ces traits typiques, mais la question primordiale a été qués par un décor local sans prolongement ni de savoir quel est l'élément qui signale et signe l'ori- authentification humaine, par un décor pauvre et sté- gine méridionale. Certains termes nous paraissent réotypé, parfois réduit à un seul indice (le Vieux port en effet indiciels et ne s'avèrent méridionaux que et le pont transbordeur par exemple); ceux encore où s'ils sont combinés à plusieurs autres. Gestuelle et les éléments méridionaux ont un support nominatif et mimiques, reconnues conventionnellement comme humain presque inexistant : les collines de Lumière traits spécifiques des populations méridionales, ex- pressives, expansives et remuantes, ne sont pas naux, se trouvent les films de Pagnol, nombre d'opé- plus caractéristiques au cinéma que dans la réalité. rettes marseillaises mais aussi L'Arlésienne de Marc Raimu conserve le même jeu qu'il s'agisse pour lui Allégret. A l'autre bout de la série, l'élément méridio- d'incarner César ou M. Bourdier qui n'est pas méri- nal devient extrêmement minoritaire, allusif, au point dional. Ce personnage du film de Pierre Colombier, qu'on ne le prend généralement pas en compte : il Le Roi (1936), se sachant cocu, multiplie d'autant peut s'agir d'une silhouette de garçon de café, d'un plus les gestes excessifs qu'il joue à être furieux de contrôleur des chemins de fer qui signalent leur ori- son infortune. Son visage mobile orchestre les diffé- gine méridionale par leur accent, d'une séquence ra- rentes phases de l'action avec les mêmes tics que pide tournée dans le Midi dans un film où les protago- lorsque l'acteur incarne le Patron Marc, suivant des nistes et les lieux sont autres que méridionaux. Appar- yeux et du cœur les jeunes filles qui doivent séduire tiennent encore aux marges du phénomène, ces films et sauver Frédéri (L'Arlésienne, Marc Allégret, dont l'action est située dans une région du Sud, où 1941). D'autres interprètes, connus pour leurs jeux l'essentiel des personnages sont natifs du cru, mais de physionomie, n'incarnent pas ou peu de méridio- où l'élément régional et méridional est volontairement naux : on connaît les qualités de Lucien Baroux, de éteint. C'est le cas de L'Affaire Lafarge, de P. Chenal, Michel Simon dans ce domaine. Quant à la gestuelle, de L'Inévitable M. Dubois, de Pierre Billon par exem- celle d'un Jules Berry, d'un Saturnin Fabre n'est pas ple, qui ne se différencient guère a priori de n'importe moins excessive que celle des gens du Sud même si quel film français. Il faut pourtant les prendre en elle est plus saccadée, si elle a moins de rondeur - compte tant ils sont éclairants. mais peut-on prétendre décrire exactement ces ges- tes, ce jeu? Tous ces éléments sont comparables à De proche en proche, la série se dilue (ou le film ne la frange sur front vaseliné qui, pour Roland Barthes, lui appartient plus) mais il n'y a pas solution de conti- constitue le signe de romanité dans les peplums. En nuité, tout au plus affaiblissement d'une couleur. Que revanche, dans le domaine méridional, l'accent est ce changement de degré soit significatif ne fait nul signe essentiel. Certes, les méridionaux au cinéma doute et on verra que les films sursaturés d'éléments n'ont pas tous l'accent du Midi - on verra d'ailleurs méridionaux sont solidaires d'un état d'esprit, de cer- que ce partage est significatif - mais un personnage taines propositions idéologiques. qui parle avec cet accent est forcément méridional. Le Parisien de L'Inévitable M. Dubois (P. Billon, Quel Midi, quelle époque? 1942), incarné par André Luguet, imitant au téléphone Le territoire choisi comprend la zone occitane un docteur de Grasse, affecte une diction locale : il faut (Provence, région de Nice, Languedoc, Pyrénées, donc reproduire cet accent si l'on veut faire croire à Gascogne, Guyenne, Auvergne), le pays basque, ca- l'appartenance locale des personnages. talan et la Corse : une zone plus vaste encore que Une grille assez complexe, reproduite en annexe, «l'empire du soleil» tel que le rêvait Mistral... Est-il a servi d'instrument de travail pour apprécier le degré permis d'explorer un territoire aussi immense et de de «méridionalité». L'esquisse proposée permet de confondre dans la même unité les croupes grasses de mettre en évidence les films de la série où il y a Garonne et l'os des collines provençales; les deux saturation d'éléments méridionaux, ceux où l'élément mers, sans prendre garde au sexe des mots : l'Atlanti- méridional est important (les critiques spécialisés que mâle aux colères de père qui ouvre sur tous les parlaient souvent de films d'atmosphère provençale, ailleurs occidentaux et cette Mère Méditerranée pres- marseillaise ou méridionale) et ceux enfin qui consti- que enclose mais porte de l'Orient; confondre les pins tuent le seuil de la série. La saturation absolue corres- des Landes dans leur ciel de plâtre mouillé et leur pond aux films qui mettent en scène une communauté sable de suie et la triade méditerranéenne ocre, verte typée, dans le Midi. Les films qui se situent dans le et bleue; l'humide et le sec; le confit et l'olive; le ballon Sud (avec éventuellement des déplacements) et qui ovale et les boules rondes; les pays d'herbe élastique présentent un fort pourcentage de méridionaux, ceux où les mots rocaillent, les pays de rocaille où ils cou- dont le milieu est relativement neutre mais les êtres lent de source... Linguistiquement, culturellement, les très typés marquent aussi le summum du phéno- pays du Sud sont divers, leur vocation économique, mène. Parmi les films saturés d'éléments méridio- leur composition sociale n'a rien de comparable. De Marius par lequel tout commence même si tout le prépare. plus, le cinéma qui nous occupe privilégie Marseille et val chante Ma Quique aux refrains obscènes, La la Provence et il paraissait naturel de s'en tenir à cette Chanson du cabanon, Mado Stelli enregistre J'ai l'ac- étude. Mais c'est oublier que le rêve d'un Hollywood cent en 1930. C'est donc au début des années 30 que français et même européen se polarise sur le Sud de la mode marseillaise et méridionale lancée par la la France, de Biarritz à Nice, sans distinction. En outre, pièce de Pagnol devient manifeste. les œuvres proposent souvent des régions méridiona- Un coup d'œil sur la filmographie corrobore ces les une image indifférenciée; leurs auteurs, leur per- constatations d'évidence. Non que l'on n'ait tourné sonnel technique, leurs acteurs passent de Corse en des films dans le Midi et à sujet méridional avant 1929, Pays basque sans opérer souvent de réajustement, durant la période muette! En fait, ils sont multiples accréditant une figure syncrétique du Sud qui ne mais c'est le cinéma parlant, apportant avec lui non s'embarrasse pas de nuances. seulement la parole, mais une possibilité de caractéri- Si les limites dans l'espace se justifient aisément sation de cette parole (l'accent), qui lui donne sa vraie par la façon dont les régions sont présentées dans les chance, sa couleur et son éclat. Le premier film parlant films, les limites dans le temps semblent moins évi- français tourné en studio en 1929 par André Hugon, dentes. En amont, la date choisie est 1929. Cette Les Trois Masques, se situe en Corse. 1929 : date année est celle de la représentation de Marius au phare de l'utilisation d'une technique dans le domaine Théâtre de qui lance le phénomène marseillais. français, date phare d'un triomphe méridional à Paris, Très vite, au début des années 30, la mode investit date de création d'un film corse. Cet entrelac de don- d'autres secteurs. L'hebdomadaire Marius «qui rit et nées fait de cette année-là celle de l'émergence du fait rire» paraît pour la première fois le 4 octobre 1930. phénomène. Bien plus que les histoires marseillaises que racontait C'est en effet le coup d'envoi d'une vogue évi- Antoine Toë et qui constituent un apport marginal dente au cinéma, comme dans les autres spectacles dans Le Rire (auquel collaborait aussi le Marseillais ou activités investis par les méridionaux. Dès 1930, Dubout), dès la fin des années 20, Marius intronise la cinq films sont tournés où les éléments méridionaux galéjade à Paris. On verra que le Concert Mayol, qui sont importants. En 1931, la pièce de Pagnol se fait avait volontairement tari sa veine marseillaise, la re- film et l'accueil en est triomphal. Symboliquement, la trouve miraculeusement en avril 1930. Alibert, qui fai- Commune libre du Vieux-Montmartre reçoit la Répu- sait un tour de chant très parisien devant un décor blique des Maurins et les Marseillais de Paris en octo- représentant le Moulin de la Galette, se voit accompa- bre 1931 et l'on y célèbre la conquête d'une ville par gné d'attractions méridionales dès 1931, chante dans une autre, d'un esprit par un autre esprit. En 1932, le La Revue marseillaise en avril 1932, avant de créer, à film méridional est déjà ressenti comme un genre, au l'automne de la même année, sa première opérette sens courant du terme, auquel on peut sacrifier parce marseillaise : Au pays du soleil. C'est à propos de La qu'il se vend. Présentant ses nouvelles productions, Revue marseillaise de Sarvil et Max Andrès, repré- Félix Méric fait les déclarations suivantes : «M. Félix sentée au Moulin de la chanson avec Sarvil, Castel, Méric n'a pas voulu demeurer en dehors du mouve- Delmont, Jenny Hélia, Marthe Marty, Gorlett, et dont il ment qui, avec Marius, Fanny et d'autres films portent était lui-même la vedette, qu'Alibert déclarait sans les cinéastes à dépeindre les mœurs et coutumes ambages : «Cette revue marseillaise venait, je crois méridionales. Etant firme marseillaise (sic), il a estimé bien, à son heure. Saisissons au vol les courants de qu'il était pour cela mieux placé que tous les autres et l'actualité, essayons même de la devancer. Nous il donne actuellement les premiers tours de manivelle avons cette fois tiré parti de la vogue du méridio- à deux grands films parlants Paris-Soleil et Toine qui nalisme» (1). Des sondages opérés dans le catalogue vont célébrer avec éclat tout ce qui charme» (2). Et des disques Polydor montrent qu'avant 1930 on ne encore ces mots imprimés sur une plaquette publici- trouve aucun enregistrement méridional. En revan- taire luxueuse dont la couverture est ornée d'une che, dans le supplément au catalogue général d'avril guirlande d'ail : «Consacré à Marseille qui a conquis 1930, les sketches et chansons se multiplient. Ancê- l'écran et la faveur du public, Toine est une œuvre tres des vidéo-clips, des chansons filmées - méridio- originale, réellement digne de la grande cité pho- nales pour l'occasion - sont tournées dès 1929 : Ber- céenne, évoquant avec l'accent phonogénique de la Quand Marseille annexe l'Italie : Fernandel dans Don Camillo à Moscou. Canebière, les mœurs et les coutumes de ses habi- le petit peuple des marins grecs qui hante les cabou- tants, les galéjades, leur bonne et franche gaieté» (3). lots du Pirée dans Jamais le dimanche de Jules Das- 1929 se révélant une excellente date de départ, sin. Le complexe de Picrochole qui affecte la série restait à déterminer une autre date en aval. L'ana- méridionale la fait déborder sur l'Italie mais aussi sur l'Afrique du Nord : Ali Baba et les quarante voleurs a lyste, avec son complexe d'Attila, rêve de ces coups l'accent du Midi français. Les' débordements de la de force qui font les places nettes, d'événements série sont sensibles aussi dans l'auto-parodie : dans historiques qui, par leur ampleur, segmentent l'his- un des sketches du Mouton à cinq pattes d'Henri toire des idées. Certaines dates paraissaient d'entrée Verneuil, Fernandel singe Don Camillo, son propre fort tentantes : 1939,1944. Mais l'histoire des mentali- rôle. tés n'obéit pas forcément au rythme de l'histoire gé- nérale jalonnée d'événements importants sans doute Une transformation notable cependant : le Midi mais qui, peut-être, ne constituent pas des seuils, des rural et villageois très présent des années 30 aux ruptures réelles. S'arrêter en 1939, date majeure de années 50 cède la place, dans la période postérieure, notre histoire nationale, obligeait à ne pas tenir à la Côte d'Azur, lieu d'élection d'aventures policières compte de l'importance extrême du Midi au début de et gendarmiques. l'Occupation, d'une série de films à l'idéologie extrê- La série vit donc sa vie normale, jalonnée de re- mement cohérente qui systématisaient des éléments makes, de disparitions et d'inventions, de parodies, déjà présents dans les films de la décennie précé- de débordements et de transformations. Mais, si l'on dente. De plus, si l'on peut discerner l'impact de l'évé- peut ainsi définir des changements, aucun n'est suffi- nement (la guerre et l'instauration d'un régime parti- samment net pour déterminer une date obligatoire. On culier), la coupure envisagée ferait penser que la série sent bien que la fin des années 50 et le début de la de films méridionaux s'interrompt alors qu'elle se décennie suivante, qui correspondent à l'irruption poursuit. agressive d'un nouveau cinéma, portent un coup aux A observer de plus près le contenu même de cette conventions du cinéma populaire dont participe large- série, jusqu'aux années 60, on constate qu'elle ment la série méridionale - mais les films sont tout aussi connaît des remakes. Au film Roi de Camargue réa- nombreux. Ils ont peut-être moins de spectateurs qui lisé en 1934 par J. de Baroncelli répond Le Gardian de trouvent en outre des spectacles équivalents à la télévi- J. de Marguenat (1946), à L'Arlésienne du même sion. Faute de pouvoir faire une enquête chiffrée pré- Baroncelli (1930) succède celle d'Allégret en 1941, à cise, on doit se contenter d'approximations. Ramuntcho de R. Barbéris (1937) fait écho Le Ma- riage de Ramuntcho de Max de Vaucorbeil en 1946; En fait, la périodisation la plus précise devrait tenir le sujet de Colomba traité par Jacques Séverac en compte non seulement de ces données chiffrées, des 1933 est repris en 1947 par Emile Couzinet. Des transformations d'évidence dont nous avons parlé, genres disparaissent sous l'Occupation comme mais surtout des modifications internes de l'objet. Si l'opérette marseillaise qui resurgit dès 1945 avec les copies de films étaient plus accessibles, une ana- L'Affaire du Grand Hôtel réalisé par André Hugon. lyse précise des différents remakes et de leur destinée Maurice de Canonge entreprend une série de rema- devrait livrer des renseignements définitifs. Faute de kes dès 1951, le premier titre étant celui de la première pouvoir travailler sur un échantillonnage que l'on dé- opérette d'Alibert portée à l'écran : Au pays du soleil. terminerait d'une manière théorique, de pouvoir faire De même, les vaudevilles militaires, interdits de séjour des sondages (tel type de film, ou telle équipe de sous l'Occupation, reparaissent dans les années 50. réalisation à suivre d'une manière chronologique), de Avec les co-productions italiennes, la méridiona- pouvoir conjuguer cette démarche avec une enquête lité jusqu'alors contenue au sud de la France annexe sur l'accueil fait à ces films (leur succès ou leur échec), l'Italie, voire la Grèce. Le Petit monde de Don Camillo recherches multiples qui dépassent les possibilités tourné par Duvivier en 1951 est le point de départ d'un chercheur isolé, il a fallu subvertir la question d'une véritable saga. Dans les films italiens importés initialement posée. en France et doublés en français, les figures populai- Au lieu d'étudier l'intégralité de la série méridio- res italiennes ont souvent l'accent marseillais comme nale, ses développements, ses ruptures, ses renou- vellements apparents et internes, nous avons choisi leurs premières armes dans ce genre codifié. Sous de l'examiner à l'intérieur du cadre chronologique l'Occupation furent tournés 400 documentaires, dont dicté par l'histoire générale : de 1929 à 1944, c'est-à- bon nombre consacrés aux régions du Midi! Citons, dire de l'aube des années de crise à lafin de l'Occupa- dans la décennie précédente, Au pays des Basques tion, sans pouvoir déterminer, en toute rigueur, si la de Maurice Champreux, réalisé en 1930, La Voie fonction idéologique de la série se transformait nota- triomphale de Louis Cuny (1935) qui fait revivre les blement après 1944 ou si elle se maintenait d'une coutumes médiévales de la Provence, Terre d'amour manière tenace. Notre sentiment est qu'il y a eu cas- de Maurice Cloche où la Provence du passé et du sure (sans doute peu après 1944) mais nous avons présent était évoquée sur une musique de Germaine exclu ce problème de notre champ de recherche. Tailleferre, toute une série de documentaires tournés Cependant, l'analyse de la série menée sur ces par J.K. Raymond-Millet entre 1937 et 1939 : Occita- quinze années montre que les événéments histori- nie, Aude, belle inconnue, L'Albigeois, La Haute- ques, l'évolution de la conjoncture la modifient profon- Vallée de la Garonne, La Catalogne française, La dément. Les processus de transformations à l'œuvre Bigorre... Sous l'Occupation, le magazine «La France dans les films sont importants, comme les permanen- en marche», animé par Jean des Vallières en zone ces. C'est justement cette tension entre le fugitif et le libre, sort chaque quinzaine, puis chaque mois, un durable qui est édifiante. métrage de 300 à 350 m consacré à des activités françaises, au rappel de traditions locales, souvent Ce cadre chronologique institué, quel rôle joue la méridionales. Citons en 1941 : R.N. 7, à 3 à l'heure représentation du Midi dans l'imaginaire français, de consacré à la transhumance, de la Crau vers les pâtu- quelle idéologie est-elle solidaire? En quoi les évé- rages alpestres. La dix-huitième édition du magazine nements que traverse le pays transforment-ils cette en 1942 est constituée d'un reportage sur les travaux représentation ou en soulignent-ils les données? d'agrandissement de l'aéroport de Marignane et d'un hommage à Henri IV, Nouste Henric. Rhapsodie arlé- Coupe traversière sienne, Capitale de poésie, Le Moulin enchanté, Le Miracle de l'eau, Naissance d'un port, Le Passé vi- Pour les longs métrages, la production méridio- vant, telles sont encore les autres prestations de «la nale présente plusieurs sommets : 1934, 1937, 1940, France en marche» consacrées au Midi. A la même 1942, 1944. Si l'on établit la courbe de la production, époque, on peut citer d'autres initiatives : Le Golfe apparaissent d'une manière nette les crêtes de 1937, latin de Jean Tedesco, Chez les vrais pescadous de 1940, surtout après l'Occupation, et de 1942. Le d'Elie de Fort-Bacourt, Haute-Garonne, Gens et cou- pourcentage élevé de 1944 ne devrait pas faire illu- sion : en fait, si l'on excepte La Fiancée des ténèbres, tumes d'Armagnac de Raymond-Millet sur un scéna- l'élément méridional se transforme ou devient minori- rio de Joseph de Pesquidoux, La Crau, jardin des Hespérides d'E. Nadoux, Terres vermeilles sur le taire. Nous aurons l'occasion de reprendre les raisons Roussillon, Toulouse connue et inconnue, Pêches de ces variations lorsque nous tenterons de tirer la niçoises, Monaco forteresse enchantée, Le Béarn, leçon idéologique de la production méridionale. Di- Au pays où fleurit l'oranger de J. Mineur, Manosque, sons, pour le présent, que la crue méridionale se situe pays de par Georges Régnier. Certains entre 1937 et 1942, les années précédentes corres- titres laissent présager du contenu, l'accent mis sur le pondant à une montée lente mais têtue, la décrue folklore, l'éloge des régions présentées comme autant s'amorçant en 1943. de Chanaan. Il est sûr que l'analyse de ces documen- Films méridionaux de première partie taires serait riche d'enseignements, mais elle passerait Par ailleurs, les films consacrés aux régions du d'abord par un inventaire presque impossible. Sud de la France sont plus nombreux encore qu'il n'y De même écarterons-nous les autres films consti- paraît. Déjà fréquents durant les années 30, les docu- tutifs de la première partie des spectacles, fantaisies, mentaires se multiplièrent durant les années d'Occu- pochades, courtes fictions, chansons dont le réper- pation pour des raisons de propagande et parce que toire est colossal. Le début des années 30 voit fleurir maints cinéastes du Centre artistique et technique des des réalisations de Roger Lion, Marius à Paris, La jeunes du cinéma, créé en zone libre, firent souvent Bouillabaisse, la série des Olive entreprise par M. de Canonge; Té... vé... Olive d'A. Mourre interprété par échos tant le projet lui paraît débile et la réalisation Canonge, Marius amateur de cidre d'E.T. Gréville qui médiocre. Marius et Olive à Paris qui devait être un s'inscrit dans une série intitulée Cancans, douze films long métrage ambitieux et à la mode fut bâclé, trans- marseillais ou juifs réalisés en 1931, Mon Cousin de formé en moyen métrage de 1100 m. Œuvre manquée Marseille de Germain Fried avec Charpin dans le rôle d'un grand cinéaste à bout de souffle qui accepta de principal (1936) et tant d'autres sans doute, à com- tourner n'importe quoi? Peut-être. Il reste que ce pro- mencer par les courts et moyens-métrages interpré- jet est significatif de la vogue extrême des films mar- tés par Fernandel : une filmographie récente en réper- seillais (5). torie vingt, de 1930 à 1943 (4). Nous n'avons rappelé ces films et ces projets que On conviendra que le Midi au cinéma était quelque pour mémoire, pour que l'on puisse mesurer le vo- peu débordant. A ces films que les spectateurs ont lume des œuvres en ce domaine, nous réservant généralement vus, il faudrait ajouter les projets avor- d'étudier les films de fiction, de long métrage, tournés tés. De 1934 à 1938, l'acteur Aquistapace caresse le entre 1929 et 1944 (6). Pourquoi? Parce qu'il fallait projet de réaliser un film entre Draguignan et les gor- bien restreindre le champ à explorer - qui reste im- ges du Verdon intitulé Pitalugue d'après le roman de mense, on le verra - et pour donner à l'ensemble un Marcel Millet. Les échotiers signalent que Pagnol a maximum de cohérence. Nous avons déjà donné une acheté... une île en 1937 et un «yacht photogénique» appréciation en volume de la production méridionale. pour réaliser Le Roi de Bandol avec Raimu. La Prière Plutôt que de procéder à une description un peu vaine aux étoiles qu'il tourna pendant de très longs mois de cette production, nous renvoyons à la filmographie sous l'Occupation comportait divers éléments méri- en attendant les études générales ou particulières sur dionaux. En 1938, Germaine Dulac envisage une les films. nouvelle mouture de Colomba dont le titre devient Rimbecco et qui ne verra pas le jour. La même année, La vague méridionale Alibert et René Pujol prévoient Sur la route bleue où Un dernier mot pour prendre la mesure du phéno- Alibert jouerait le rôle d'un chauffeur de car de la ligne mène et lui restituer son importance. Environ 10% de Paris-Nice. En 1941, le même pense porter à l'écran moins de la production cinématographique des an- l'opérette Ma belle Marseillaise; André Hugon pré- nées trente, cela peut paraître mince. Mais si ces 10% pare Le Secret de Maître Comille en 1944. sont portés par une vague énorme faite d'histoires Si l'on rappelle ainsi ces projets avortés, quelques marseillaises que l'on imprime, que l'on enregistre sur titres de courts ou moyens métrages fictionnels ou disque, que l'on dit au music-hall; faite de chansons à documentaires, c'est pour mieux faire sentir la vogue accent, chansons de films ou d'opérettes que le pays du film méridional. Il n'est pas jusqu'à Jean Epstein sait bientôt par cœur; si les scènes parisiennes sont qui n'ait sacrifié à cette mode! L'anecdote vaut la envahies d'opérettes et de revues, on se rend compte peine. En 1935, Cinémonde décide de produire un qu'en France entière, il n'est bruit que de Marseille et film marseillais Marius et Olive à Paris dont le scénario qu'une fois de plus les Latins ont conquis la Gaule. était du Narbonnais Jean-Michel Pagès - directeur de Un survol rapide des différents secteurs donnera la revue. Ce film, que l'on commence à tourner en une meilleure idée. Toutes les marques de disques se janvier 1935 aux studios Photosonor de Courbevoie et disputent monologues, sketches, et chansons à ac- dont on réalisera les extérieurs en février à Marseille et cent. Chez Pathé enregistre M. Boissier, comique Aix, groupe l'acteur Barencey (Marius), René Sarvil marseillais qui livre Le Marseillais malin d'Agathon et (Olive), Micheline Cheirel, Laurette Clody, Lilian La Poule couveuse, monologue composé par Henri Constantini; Barth et Agostini en étaient les opéra- Poupon, La Noce à Piedalouette et Le Cocher mar- teurs; Epstein le metteur en scène. Reprenant le célè- seillais. Pathé donne sa chance à Tichadel et Rous- bre tandem de la Canebière, le film se voulait cepen- seau avant que ces derniers ne fondent leur propre dant «une fantaisie cinégraphique où la charge n'a marque, les disques Tichadey. Columbia enregistre pas le temps d'appuyer puisqu'elle rebondit déjà», Marius et Fanny qui ont un succès colossal, les bla- une comédie à la manière des Marx brothers. La gues de Doumel. Gramophone accueille Terris, le rédaction du magazine ne passe bientôt plus les «Tartarin marseillais» et René Sarvil. Odéon lâche la bride à Tramel qui raconte Léon de Gonfaron de Duval- le Midi, Andrex multiplie les chansons méridionales, lès et Poupon, Mme Pinatel au dancing, Marius au celles des films Paris-Soleil, Toine, des opérettes Au harem et bien d'autres monologues salaces. S'agis- pays du soleil et Zou, le Midi bouge, ou des chansons sant de ces maisons de disques, nous ne connaissons isolées : Thérésine et Téréson, Dans les faubourgs de que des exemples isolés car seule la marque Polydor a Marseille. On note aussi la présence de Tréki, Aquis- bénéficié d'une enquête systématique. tapace (les chansons de L'Illustre Maurin figurent au Il semblerait qu'il y ait pléthore partout mais l'écu- catalogue de 1934), de Mireille Ponsard (avec les rie Polydor est de bonne race. Dès juillet 1930, Fernan- chansons marseillaises de la revue du Casino de del est présent au catalogue avec des sketches en Paris, dès novembre 1934), de Germaine Roger, Ser- patois marseillais : Ce Sacré Paris (de Berardy) et gelys. Entre 1936 et 1938, Josselin chante Les Gars Sian proprié lei sorda. A partir d'avril 1931, il enregis- du Midi, A l'ombre des grands platanes, Le Pont tre au moins un disque par mois de chansons grivoi- transbordeur, La Fille du pescadou (de la revue Ca, ses et militaires, de sketches en duo avec Riandrès, le c'est Marseille), Une java, Au soleil de Marseille, Avi- titi parisien de l'Empire et Robert Loir. Tout n'est pas gnon, Toulon, Marseille... Berval enfin enregistre en méridional mais on peut relever Olive et le Parisien 1937 les chansons de Notre-Dame d'Amour, des enregistré avec Riandrès. A partir de juillet-août 1932, Gangsters du château d'If, le Noël des petits santons Fernandel et Andrex livrent plus d'une vingtaine d'en- (de la revue marseillaise Le Soleil dans la lune), C'est registrements, de sketches écrits souvent par Jean moi, Tonin. Polydor va jusqu'à mettre en vente la Manse, Marafiotti, Garnier et autres et qui ont noms : chanson officielle de réception créée à l'occasion de Les Deux Chasseurs, Antoine et Gustave, A la pois- la visite en Avignon du Président Lebrun : Notre Vin du sonnerie, Une Bonne Blague, Les Deux Malins, Les Midi (septembre 1938) chantée par Marcel's. On Deux Cancannières. Fernandel prend aussi pour reste confondu devant une telle inflation... compère Valroy avec lequel il enregistre d'autres La plupart de ces enregistrements sont aussi l'ob- sketches de Jean Manse. La marque Polydor offre jet de publications : c'est le cas des chansons, mono- encore de multiples chansons : celles de Perchicot logues et histoires marseillaises créés par René Sar- (Ca, c'est tout le Midi, Le Sang du Midi) dès avril et vil, de sketches de Jean Manse, d'André Hugon, de juin 1930. Priolet chante La Légende d'Olivier et Mon toutes les chansons publiées par Salabert. Des textes Cabanon, Valroy Elle était du Nord, Pourquoi j'adore seront écrits pour la T.S.F. par Daniel Mendaille. Nous avons déjà signalé la naissance de l'hebdomadaire humoristique Marius. Les publications Georges Ven- tillard qui éditent cette revue proposent aussi une série d'almanachs annuels, du début des années 30 aux années d'Occupation. Au choix : l'almanach de Ma- rius, d'Olive, de Tartarin, d'Escartefigue, de César, de Titin. Les règles en sont les mêmes : quelques textes signés de noms connus (Maurice Donnay, Claude Farrère, M. Dekobra, S.A. Steeman, Georges Sim par exemple), nouvelles ou scènes de théâtre entrelar- dées de récits comiques, d'histoires marseillaises gé- néralement signées et de dessins humoristiques. Il est difficile d'apprécier l'impact de ce genre de publica- tions - si Marius existe encore, son existence signifie- t-elle son succès? - mais le plus significatif est sans doute le nombre de références. Il faut encore faire un sort aux spectacles qui se multiplient sur les scènes françaises et parisiennes en particulier. Des opérettes sont directement impor- tées de Marseille : Té... mon bon d'Antonin et Albert La vague méridionale... Ion dès le 19 décembre 1933 (Théâtre du Nouvel Ambigu dirigé par Fernand Rivers), Zou le Midi bouge ou Arènes joyeuses consacre la Camargue sur la scène de l'Alcazar en 1934. Puis ce sera Un de la Canebière aux Variétés en avril 1936, Les Gangsters du château d'If, en février 1937, Le Roi des galéjeurs en septembre 1938, toujours aux Variétés. Alibert participe en outre à des émissions de radio, animant le «Club des galéjeurs» tous les dimanches matin. Malgré ce que l'on a pu affirmer, la carrière d'Ali- bert n'est pas interrompue par l'Occupation. Il s'est, comme tous les artistes, d'abord replié dans le Midi et les scènes de Toulouse, Toulon, Marseille connaissent à nouveau les spectacles d'avant la guerre et même d'avant le cinéma. Les salles en effet se retransforment souvent en théâtres et music-halls puisqu'il n'y a guère de films inédits mais pléthore de vedettes repliées. Citons Le Port du Soleil, Voilà Marseille et surtout C'est tout le Midi, revue de Ray- mond Vincy, Carlo Rim, Paul Olivier, musique de Vincent Scotto et Georges Sellers, représentée au

... Marseille chante... Bossy représentée à partir du 16 décembre 1932 au Théâtre de la Gaieté - Montparnasse; en 1937, à l'Alcazar de Paris triomphe la revue, Ca, c'est Mar- seille d'Antonin Bossy et César Labite, avec Raimu, Fortuné aîné, Marguerite Chabert, Dréan. Mais c'est surtout Alibert qui orchestrera le mouvement, multi- pliant les opérettes, faisant de Doumel et Gorlett des têtes d'affiches et les rois de l'histoire marseillaise à Paris. Alibert construit un empire important puisqu'il dirige, co-dirige ou contrôle plus ou moins directement différentes salles de spectacles : le Moulin de la chan- son, la Lune rousse, les Noctambules, le Théâtre des Variétés, le Petit Casino, le Théâtre des deux ânes, ce qui ne l'empêche pas de passer dans d'autres salles et de multiplier les tournées en province, promenant revues et opérettes. En octobre 1932, on l'a dit, est créé Au pays du Soleil au Moulin de la chanson avec Alibert, J. Hélia, Gorlett, H. Vilbert, Marthe Marty, Gerlata, Delmont, Marguett Villy, Jean Rioldo, Fla- mant et d'autres qu'on retrouvera souvent dans les génériques. Trois de la marine détache un instant les spectateurs de Marseille pour les promener dans Tou- ... Marseille galèje. Capitole de Marseille en décembre 1940. Raimu y science-fiction. Ce travail participe sans doute de ce joue entre autres le rôle d'un huissier du Maréchal, réseau de fascinations mais voudrait aussi étudier ces ancien combattant de Verdun (dans le sketch signé films autrement qu'en s'y complaisant. En n'étant ni de Carlo Rim et intitulé M. Le Maréchal), Alibert et hagiographe du para-cinéma ni du cinéma popu Rellys sous différents travestissements font une ré- comme on peut l'être de la para-littérature; ni analyste trospective des vieilles chansons de 1900 à 1940. condescendant de ces produits de consommation po- Cette même revue sera exploitée à Paris, aux Varié- pulaire où «l'idéologie» serait la plus facile à débusquer, tés, dès octobre 1941. En fait, la veine méridionale fabriquée qu'elle est «ad usum cretinorum». ne se tarit pas et il serait vain de multiplier encore les Restait à se forger un outil méthodologique. En exemples. L'important était de prendre la mesure du fait, si l'on dispose d'apports divers, il est plus difficile phénomène pour apprécier la vague de fond dont les de se bâtir un système cohérent qui ne soit pas en films méridionaux ne constituent peut-être que même temps stérile, constituant à lui seul sa propre l'écume. Et, pour nous, cinquante ans plus tard, les fin. On est d'ailleurs tenté de croire que la difficulté de seuls objets palpables avec les disques - le reste se voir les films et surtout de les revoir en détail, de trouvant embaumé dans des articles de journaux, pouvoir travailler sur un ensemble, a multiplié les pres- quelques partitions illustrées, quelques revues, quel- tations théoriques, les analyses très myopes de sé- ques souvenirs... quences. L'inflation livresque et théorique de ces vingt Quelques moyens d'exploration dernières années est assurément liée aux difficultés mêmes de disposer de l'objet film comme l'on dispose Doit-on parler des auteurs de ces films? Cela pa- du livre, du tableau ou de l'élément architectural. En raît d'autant moins important que les œuvres que somme, on échafaude sur l'objet absent, on explore nous avons retenues sont intégrées à une série (for- sa fascination dans cette interrogation en spirale qui cément en relation avec une attente du public) et, bien n'est pas sans rappeler la quête psychanalytique. souvent, produits de série au sens courant du terme, C'est l'essentiel de la démarche metzienne, vis sans même s'ils sont manifestement fabriqués avec des fin, enchâssement de miroirs, aventure de l'écriture, moyens artisanaux. En fait, on allait voir un film avec vertiges. Et prolégomènes nécessaires à toute re- Raimu ou Fernandel, pas un film de Pierre Colombier cherche moderne sur le fait filmique. ou André Hugon, ni peut-être un film de Grémillon ou de . Un film sans auteur et même Des études thématiques ont vu le jour et se sont n'importe quel film, celui qui passait. En consé- attachées à des représentations de personnages, de quence, il est permis d'étudier en bloc un ensemble professions. C'est le cas du professeur dont on a collectif devenu presque anonyme où les films consi- essayé de traquer l'image entre 1945 et 1970, en dérés comme des chefs-d'œuvre - et que retiennent répertoriant jusqu'à épuisement les traits typiques. Ce généralement les histoires du cinéma particulièrement genre d'étude, sans doute utile, lié à des conceptions élitistes - fraient avec cette piétaille d'obscurs et de sémiologiques très datées, laisse le lecteur sur sa faim : à quoi bon ce catalogue têtu, cette addition de sans-grade où grouillent les Saturnin, les Adémaï, tous traits spécifiques si l'on ne doit tirer aucune conclusion les dégourdis des bataillons et tous les rois des galé- sur la raison de cette image systématique ou de ses jeurs, les pousseurs de romances au soleil de Marseille variations, sur son impact affectif ou social? Ce type ou dans la nuit brune et au son des guitares... d'étude en outre nous paraît procéder d'un vice plus On assiste depuis quelques années à la prise en grave : à aucun moment le personnage analysé ne compte de films appartenant à la production courante, l'est en termes dynamiques comme si le film se rédui- surtout celle du passé. Tel cinéphile se délecte de sait à une photographie, un instantané suspendu dans «nanars» et boude les films contemporains en se com- le vide. Quel rôle joue le professeur dans la dramatur- plaisant dans une régression activée par la mode qui, gie, comment, quand et où apparaît-il, pourquoi, quel- naguère, exhumait et surestimait les films des années les valeurs ou contre-valeurs propose-t-il, quelle im- 30. Nombreuses sont aussi les études idéologiques de portance lui donnent le plan, le montage, l'enchaîne- matériaux réputés faciles : bandes dessinées, feuille- ment même des images? Sans la prise en compte de tons télévisés, romans des quais de gare, polars, ces éléments, une telle étude paraît vaine. Dans les bas-fonds de la ville, la prostituée Florence (B. Poupon), Louis le mauvais garçon (Andrex) et Angèle déchue (O. Demazis). Faciles critiques. Moins aisé de trouver son angle non parti de la situation. Otée l'aura dramatique, la d'attaque. Ce travail voudrait s'inscrire dans la mou- fatalité glauque qui nimbe les héros incarnés par le- vance d'études d'inspiration historique et sociologi- Gabin du Quai des brumes ou du Jour se lève, on que de S. Kracauer, Marc Ferro, Pierre Sorlin et Lu- s'aperçoit que le film élimine les gêneurs (parias ou cien Goldmann, de certains apports spécifiques du ouvriers) pour recomposer un monde socialement en cinéma dans le sillage metzien et de maintes analyses ordre. On a bien souvent loué l'entreprise d'un Carné, sémiologiques du récit littéraire. un des seuls à mettre en scène des ouvriers au ci- Ces dernières distinguent par exemple les forces néma, noté la noirceur de ses films en l'imputant à l'air antagonistes à l'œuvre dans tout récit et dans tout du temps, voire au souci de réaccommoder la tragédie film. De ce conflit, l'une sort victorieuse, tout change- classique. C'est occulter l'échec d'un certain type de ment d'équilibre intervenant dans la durée même du personnage que le récit nous invite à admettre dans film. Eteinte la lampe sur les derniers éléments du sa chronologie qui est aussi sa logique. générique, il n'y a plus de si, ni de mais : Toni est mort, C'est dire aussi que le seul classement dramatur- Marius et Fanny sont séparés ou réunis, Gaspard de gique est insuffisant. Qui est ce personnage aimé ou Besse a succombé à la méprise; autour d'eux, per- détesté, ou ce groupe vainqueur ou vaincu? Pour sonnages et groupes ont œuvré diversement, tiré ou notre sujet, présente-t-il des traits méridionaux, à quelle catégorie socio-professionnelle appartient-il, passer des bras du premier à ceux du second et à ses de quelles valeurs éthiques et politiques est-il soli- valeurs. Un certain nombre de personnages jouent le daire? Quel type d'action se trouve valorisé à travers rôle d'aides ou d'opposants mais seul le résultat de son succès (tentative de promotion, intégration à un leur action importe : en effet leur gratification ou leur lieu ou une classe, modification du milieu, etc...), bri- non gratification définit bien les valeurs finales du film. sée à travers son échec. En somme, quel était l'enjeu Récompense optimale pour le père Clarius. Celui-ci dont il était partie prenante et qui s'est nourri de ses tient sa fille cloîtrée et peut faire figure d'opposant à dépouilles? Albin. Il l'est effectivement puisqu'il retarde la rencon- tre et même la compromet. Mais ses valeurs sont L'exemple du film de Pagnol, Angèle (1934) largement celles du jeune homme et, s'il enterre sa pourra éclairer notre propos. Les scènes initiales pré- fille ou la cache, ce sera pour la donner avec sa sentent un équilibre : le monde stable de la ferme de la nouvelle virginité acquise très chrétiennement par la Douloire avec ses valeurs patriarcales, sa moralité. souffrance. Au nombre des bénéficiaires effectifs, le Lors du repas, la sexualité est présentée en termes nouveau couple porteur du futur. Si la gratification est antagonistes à travers la truie du voisin («une encore importante pour les autres habitants de la cochonne») et le verrat de la Douloire, modèle d'effi- Douloire, Saturnin (Fernandel) et la mère qui retrou- cacité et de vertu conjointes. C'est offrir sous une vent leur monde équilibré, elle est nulle pour Amédée forme symbolique et alternative le choix d'Angèle (O. (Delmont). Pourquoi? Malgré la sympathie qu'il sé- Demazis) et l'enjeu du film : la jeune fille va-t-elle crète, cet ouvrier agricole, toujours nomade, a des perpétuer les valeurs de la Douloire ou les nier? Deux relations coupables avec une femme mariée. Tant sur principes vont s'affronter au long du film représentés le plan social que moral, dans le système du film, ce par deux personnages : Louis (Andrex), le mauvais personnage n'est pas valorisé et ne peut être qu'un garçon de la ville, lié à la prostitution, parasite et ami sans prime. Enfin, le seul personnage châtié est nomade (il est ouvrier saisonnier puis maquereau à celui de Louis : dans le scénario et dans certaines Marseille); et Albin (Jean Servais) dont le prénom versions du film, Saturnin le tue; dans les copies les même connote la pureté, l'homme des hautes plaines, travailleur, ouvrier saisonnier sans doute mais enra- plus courantes, il disparaît avec ses valeurs négatives. ciné dans un terroir. L'itinéraire d'Angèle consistera à Le mode de stabilisation du conflit a, lui aussi, son importance. Nous pouvons en distinguer diverses for- mes. L'élimination (par meurtre, mort, rejet, départ volontaire), l'intégration d'éléments extérieurs trans- formés ou transformant le milieu d'accueil, le retour d'éléments transfuges, la stabilisation d'éléments sé- dentaires, etc... Il se peut d'ailleurs que ces divers modes se combinent ou se fassent plus ambigus. Dans Angèle, le monde se stabilise avec des élimina- tions (Louis et même Amédée), par le départ d'élé- ments internes et externes (Angèle, Albin), porteurs de valeurs comparables à celles du milieu initial, et par la stabilisation d'éléments sédentaires. Nous avons soumis chacun des films à la grille citée en annexe, à laquelle nous renvoyons pour ne pas alourdir notre propos. Précisons encore que les personnages, les lieux, les milieux, le traitement de l'espace et du temps, la bande-son ont été pris en compte. Ces grilles ont l'avantage de mettre à jour des procédés répétitifs à l'intérieur de chaque film et de Aux champs, Amédée (Delmont) et Albin (J. Servais). film en film. Il est sûr que la plupart des œuvres sont sous le signe de la répétition. Beaucoup de films méri- ne sont pas simple répétition d'éléments codifiés. Il y dionaux fonctionnent comme les romans de Guy des a, dans la série, des produits de série et des produits Cars : une idée par page, constamment reprise, telle hors-série, d'étranges monstres dont on reconnaît les est la règle d'écriture de ce romancier populaire. On contours mais dont certains aspects sont originaux. sait que le service cinématographique du Ministère de Après avoir examiné tous les films comme s'ils étaient l'agriculture demandait des films lents, sans ellipses ni strictement équivalents, il fallait aussi les prendre un sous-entendus, avec, autrement dit, un nombre fini par un pour définir par exemple leur appartenance à d'informations. La plupart des films méridionaux sont un genre spécifique à l'intérieur de la série, ou leur de ce genre et l'on peut se consoler de les mettre en originalité. Certains films ne jouent pas le jeu et quel- cartes! (7) quefois d'une manière rédhibitoire : c'est le cas de Toni. Après avoir examiné la série méridionale au Ainsi avons-nous peu à peu fait surgir les clichés contenu banalisé, il faudra restituer à certaines œu- de la représentation méridionale. Mais tous les films vres leur originalité.

Saturnin (Fernandel) et Amédée. Sonorisés par la voix coléreuse de Raimu, le rire chevalin de Fernandel, les roulades de Tino Rossi, les rythmes entraînants d Alibert ou de Vincent Scotto, des images ensoleillées apparaissent... Expression d "un Sud mythique, d hin Midi d '«il était une fois et qui exerce toujours une étrange fascination, le cinéma méridional est un miroir complaisant dans lequel les Français aiment à se reconnaître. Alors que l'an réédite Jean de Florette et Manon des Sources, Marcel Pagnol paraît dominer le répertoire d'hier. Il traîne dans son sillage de telles figures, acteurs et personnages, mythes et réalités confondus, Raimu et Fernandel, Marius et Olive, Rellys et Ugolin, Tartarin, Honorine et Milly Mathis... Et pourtant, il ne fut pas le seul à polir l'image méridionale qui reflète la Provence, de manière privilégiée certes, mais aussi les autres régions du Midi, du Pays basque aux Alpes et de Bordeaux à Ajaccio. Sur 150 films environ, Pagnol participe à moins d hine dizaine de créations méridionales. Qui sont ces créateurs? Ils ont nom Fernand Méric à Marseille, Couzinet à Bordeaux, René Pujol de l'Atlantique à la Méditerranée, Roger Richebé, , Maurice Tourneur, Jean Grémillon parfois, et tant d'autres. Tout en mettant en valeur l'œuvre inestimable de Pagnol en étudiant les sources de son art et les origines de son petit monde, l'auteur définit plus globalement la veine méridionale du cinéma français qui plonge ses racines dans les spectacles populaires locaux du théâtre et de music-hall et, en interprétant la leçon des films, les raisons profondes de son succès. Certains feuilletteront l'ouvrage comme un album de souriantes images familwms, mais il s'adresse aussi aux historiens du cinéma, attentifs aux analyses du récit filmique, aux sociologues et historiens qui considèrent le cinéma comme le reflet d'une époque, d hxne société et de ses mythes.

ISBN: 2 86513 053 3 120 Francs

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