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Déchoucaj’ 16 (Haïti, Port-au-Prince). 2004-2006, tirage argentique contrecollé sur acier, 90 x 60 cm. Collection Frac Réunion. Courtesy de l’artiste et de la galerie Maïa Muller. Myriam Mihindou l’être et l’image Entretien avec Philippe Piguet

Myriam Mihindou est représentée par la galerie Maïa Muller, . Le Monologue des anges (Haïti, Port-au-Prince). 2004-2006, tirage argentique contrecollé sur acier, 120 x 92 cm. Collection Frac Alsace. Courtesy Sanaa galerie. 80 Artistes besoin parce que j’étaisnganga… de protection maisilmedisaitquejen’en avaispas demandais à mon pèredememettredes amulettes directement liéàmaculture. Quandj’étaisenfant,je fait, ces mains protègent le corps et l’âme; cela est puiser desressourcespour pouvoirseprotéger.En manifestation d’un corps qui a eu peur et qui va de pouvoir, desgardiennes de seuil. Elles sont la s’agisse deviolence,douceuroumystique. On vit,ongranditavectoutçaetl’intègre,qu’il peutique : lessoins,lapharmacopée,danses,etc. extrêmement puissantsdansleurdimensionthéra- Mais ilyaaussitoutunéventaild’élémentsquisont enlevée, d’êtredévorée,estunsentimentterrible. traumatisée. Quandonestenfant,lacrainted’être peur demaculture.J’enaimêmeétéeffrayée,voire reuses. Quelleenétaitdonclamotivation? contraignants àdestensionssensoriellesdoulou- des mainstalquées,soumisesparlejeud’élastiques intitulée de photographies que vous réalisez en 1999-2000, tions, commeentémoigneunedespremièresséries l’image etducorpsestaucentredevospréoccupa- graphie, àlavidéoetperformance.Laquestionde avant devousconsacrerpourl’essentielàlaphoto- traversez un certain nombre d’expériences plastiques de l’École des beaux-arts de en 1993, vous plètement constituée… de sacrifices animaux, voire humains. Cela m’a com- tiques decroyances,d’envoûtements,d’initiations, cela. Ilyaencoreaujourd’huidenombreusespra- vivants, aussitoutelavieest-ellerégieautourde damental. Lesmortssontplusimportantsqueles Chez nous,parexemple,leritueldelamortestfon- Tout celaconstitueunemémoiretrèsprégnante. peurs, des participations à différents types de rituels. culturel qui s’appuie sur des codes, des tabous, des MM PP MM PP Myriam Mihindou Philippe Piguet l’image etlaquestiondel’êtreentreforcestraditionmondecontemporain.Rencontre. Gabonaise d’origine, Myriam Mihindou développe une œuvre d’une extrême profondeur qui interroge le statut de (2004), réaliséeenHaïti,ellesprocèdentd’uneexpérienceinitiatiquevécueparl’artisteàl’occasionrésidence. Dans l’exposition plaçaient leregardeurdansunvis-à-visexistentieldontilnesortaitpasindemne.Extraitesdelasérie de Myriam Mihindou ne manquèrent pas de retenir l’attention. T cela a-t-ilmarquévotretravail? servé toutessortesdetraditionsancestrales.Enquoi estundespaysafricainsquiontlepluspré- | |

| | Venue en à la fin des années 1980, diplômée Venue en Franceàlafin des années 1980, diplômée

De quellefaçon,positivementounégativement? Les Pendant denombreusesannées,j’aieutrès Sculptures dechairsontpourmoidesobjets Sculptures dechair. Celles-ci offrent à voir |

| Par-delà leseffetsdelacolonisation,le

J’ai étéélevéedansunenvironnement Les Maîtres du désordre du Maîtres Les , présentée au musée du quai Branly l’an passé, les images photographiques , présentéeau musée du quai Branly l’anpassé,lesimagesphotographiques particulier? l’obligation defairedesphotospouractermontravail. siner etàproduiredesœuvres,jemesuistrouvéedans Comme jepassaistoutmontempsàl’extérieurdes- povera et c’est ce qui m’a amenée à la photographie. moment-là, jemesuisintéresséeaulandartetàl’arte comme artisteauregarddemapropreculture.Àce damentale quiseposaitàmoiétaitdoncdemedéfinir est unecréationpourlacollectivité.Laquestionfon- former uneimage.AuGabon,toutecréationd’œuvre de déconstructionetconstructionavantpouvoir J’ai compris que je devais passer par tout un processus j’avais à vouloir travailler sur des objets archaïques. était prodiguéetj’ailaissétomberlatendanceque retrouvée trèsvitetirailléeparl’enseignementquiy formelle. Aussi,àl’Écoledesbeaux-arts,jemesuis parce que,enfant,j’aireçuuneculturerituelleetnon bien pluscequiletraversaitquesaformeesthétique puis j’aicherchéàinterrogerlemasqueenretenant tures. Jefaisaisuntravailsurdespoupéesdeterreet soigner. C’estunpeucommechaman… MM PP MM PP MM PP MM PP ciation plastiquequiestl’utilisationdelaphotographie. mémorable devotreculture,maisdanscettedifféren- lat mêmedufaitdecréation.Ceci,àl’aunelaforce choisi defairecettefonctionprotectionlepostu- l’éducation quej’aireçue. au Gabon.Celafaitqueçaajouéénormémentsur estundesplusmystiquesquisoientles étoiles – Mi NzambavientdeNzambi,quidésigneleciel, relation trèsforte.Notrenomdefamillecomplet – miroir de l’espace dans lequel nous sommes inscrits. miroir de l’espace dans lequel nous sommes inscrits. tout à la fois l’infiniment grand et l’infiniment petit. Un une manière pour moideparlerdupaysage. C’était j’ai photographiéaussibeaucoup deflaques;c’était c’est undomaineprivilégié chez moi.Àcetteépoque, confortée danslapossibilité defairedesimages? la naturemêmedephotographie vousa-t-elle | | | |

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De par le fait qu’elle permet de garder en mémoire, Nganga? À considérer votre travail, il semble que vous ayez À considérervotretravail,ilsemblequevousayez Qu’est-ce quifaisaitquevousaviezcestatut La photographie est de l’ordre de la révélation. Or La photographieestdel’ordre delarévélation.Or Je nesaispas.J’entretenaisavecmonpèreune Au toutdébut,j’aicommencéparfairedessculp- Un nganga,c’estquelqu’unquiestcapablede out à la fois inquiétantes et fascinantes, elles Déchoucaj’ Déchoucaj’ 2004-2006, tirageargentique (Haïti, Port-au-Prince). Collection del’artiste. contrecollé suracier, 90 x60cm. La situation

81 Artistes 82 Artistes ce travailfaitàHaïti? corrélation existe-t-ilentrelesSculpturesdechairet sionnantes, au titre générique de Déchoucaj’. Quelle y avezréalisétoutunensembled’imagesimpres- dence à Haïti, juste après la chute d’Aristide. Vous lement qu’ilsontaussichezeuxdesritessimilaires. pour communiqueraveclesgens,d’autantplusfaci- des morts.ÀHaïti,cettevidéoaétélepointderelation dent d’unritueld’accompagnementetdeprotection gestes, onlesappelledesgestes« un arsenaldegestes.Cenesontpasn’importequels socle vide,effectuantentournantsurmoi-mêmetout La Colonne vide, oùjemesuisfilmée,grimpéesurun entre-temps, j’airéaliséunevidéoensonhommage, Je suisalléeàHaïtiunmoisaprèssondécèsmais, ché àexprimerdanscesmainstoutesasouffrance. comme lesien.Jemedemandesijen’aipascher- nelle etc’estcommesimoncorpsavaitétéfrappé C’était quelqu’unavecquij’avaisunerelationfusion- frait d’uncanceretquiestdécédéecetteannée-là. MM PP et levisage,çaatoujoursétéextrêmementviolent. pris sontempsparceque,dansmontravail,lecorps Une façondoncdefaireadvenirlecorps.Maiscelaa |

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Vous avezeul’occasionen2004defaireunerési- Les mains ont un rapport avec ma sœur, qui souf- kongo ». Ilsprocè- théâtre aveclaquellej’avaisdéjàbeaucouppartagé. on m’aproposéd’êtrelamarrained’unetroupede dans l’espace et, dans le contexte de cette initiation, essentiellement la capacité de pouvoir se projeter été décidéquel’onm’initieraitauvévé.Levévé,c’est sion duvaudouenHaïti.Aveclesunsetautres,ila depuis plus de vingt ans etquis’intéresse àladimen - aidée àfairemondeuil,uneFrançaisequivitlà-bas j’ai étépriseenchargeparunechamanequim’a qu’il fallaittoutd’abordqu’ilsm’initient. Par ailleurs, travail de mémoire profonde du corps et m’ont dit j’avais faits,ilsontestiméquej’étaisaussidansun avec quijevoulaistravaillerontvulestravauxque j’étais endeuil,jen’avaispeurderien.Quandceux la dérivetotale.Lesgensavaientpeurdetoutetmoi, milices armées, plus aucun pouvoir politique. C’était situation étaitparticulièrementtendue.Ilyavaitdes c’est-à-dire uneœuvreartistique? hommage àvotresœurenréalisantcettevidéo, de Comment enêtes-vousarrivéeàréalisercettesérie l’identité caribéenneetsondéracinementafricain. double, notammentpréoccupéeparlaquestionde de travail autour de la question du miroir et de son contres pourlequelvousavezélaboréunprojet MM PP MM PP MM PP MM PP l’incarnation àl’immatériel. là maréponse.Àcemoment-là,jesuispasséede graver surunestèleunpsaumededouceur.C’était quelque chose.Aussi,jemesuisditqu’ilfallait images. J’ai très vite éprouvé le besoin de faire charge etonestalorsdouédecettecapacitévision. Après, onvous remet unvévé qui agit comme une concentration qu’onvous explique pour y parvenir. posants dans un autre. Il y a toute une technique de un lieupuisd’enprojetermentalementtouslescom- déplacement etdemémoire.Ils’agitmémoriser ler mais, dansle fond, il est question de territoire, de les photographiesdeDéchoucaj’ ? pris consciencequ’entant quephotographe,jene compte quejenevoyaisplus avecmesyeuxetj’avais périence quej’avaiseuedemon deuil,jem’étaisrendu d’explorer avec eux la question de l’image. Dans l’ex troupe de théâtre pour travailler. J’avais très envie contrecollage Diasec, tirageissudelasérie« Rhizome (ÎledelaRéunion). 1999-2000,cybachromecouleur 110 x76cm.Courtesy del’artisteetlaSanaagalerie. | | | |

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Déchoucaj’?

Qu’est-ce qui vous avait conduite à vouloir rendre Qu’est-ce quivousavaitconduiteàvouloirrendre Mais dans quel contexte précis avez-vous réalisé Mais dansquelcontexteprécisavez-vousréalisé En quoiconsistecetteinitiationauvévé? De façon tout à fait imprévue. Il faut savoir que la De façontoutàfaitimprévue.Ilfautsavoirquela À Haïti,vousparticipiezàunforumderen- Dans lapratique, il n’estpaspossibledeledévoi- Une foisinitiée,j’avaisrendez-vousaveccette Ma sœurécrivait.Àelle,lesmots;àmoi, Sculptures dechair », - Déchoucaj’ 19(Haïti,Port-au-Prince) contrecollé suracier,90x60cm. 2004-2006, tirageargentique et galerieMaïaMuller. Courtesy del’artiste

83 Artistes photographiais pas ce que je voyais mais que l’image obtenue était d’une autre nature. Le seul moyen pour moi était donc de mettre en place des connexions pour laisser émerger l’image d’elle-même. En nous rendant sur le lieu de travail, nous avons été pris dans une embuscade de miliciens qui pillaient un magasin. Face aux armes dirigées contre nous, les gens de théâtre avec qui j’étais ont répondu par des psalmodies poétiques, créant ainsi une situa- tion totalement irréelle mais qui nous a sauvé la vie. Arrivés en état de choc où nous allions, nous avons abandonné toute idée de travail et nous avons cherché à sublimer notre peur. On s’est retrouvés tous dans un espace complètement flottant. On a décidé de se laisser traverser sans retenue par notre angoisse mais de la canaliser pour qu’elle puisse se révéler. Comme j’avais un appareil photo avec moi, je me suis dit que j’allais faire des images. Je leur ai proposé de venir vers moi dès qu’ils sentaient que ça montait en eux, et qu’alors je prendrais ou non une image. À aucun moment, je n’ai cherché à cadrer. Je cliquais, je cliquais, tout simplement. Ces photos, en quelque sorte, ce sont des dépositions.

PP | Vous n’aviez aucunement conscience que vous étiez en train de faire une œuvre? MM | À aucun moment. Pour moi, c’était essentielle- ment faire trace suite à cette prise de contact. J’avais besoin de l’écrire pour l’étudier, pour évaluer ce que je pouvais faire. En fait, c’est toujours comme ça que je travaille. Je mets en place des conditions et je laisse venir le moment opportun sans chercher à l’anticiper.

PP | Ce qui fait aussi la force de Déchoucaj’, c’est le choix que vous avez fait de tirages en négatif. Cela excède la dimension surréelle de la situation et en accentue le mystère, le caractère apparemment rituel. MM | Il m’a semblé qu’il ne pouvait pas en être autrement sinon à céder à une image de type documentaire. Or ce travail n’a rien à voir avec ce genre-là. Il a une autre visée et s’inquiète surtout de la question de l’être.

La Colonne vide (place des Invalides, Paris) 2004, vidéo de 6 minutes et 20 secondes. Collection de l’artiste.

2004 2005 2006 2007 2009 2011 2012 2013 Expositions (sélectiondepuis2004) : Née en1964àLibreville,Gabon.VitettravailleParis Myriam Mihindou en quelques dates 2004-2006, tirageargentiquecontrecollésuracier,65,5x80cm.Courtesydel’artiste etdelagalerieMaïaMuller. Déchoucaj’ 3(Haïti,Port-au-Prince).

> > > > > > > > > > >          Lille 2004Capitale européenne,fortdeDunes deLeffrinckoucke Africa Remix,CentreGeorges Pompidou,Paris Trilogie dudétachement , galerieleCube, Rabat Matériel, immatériel,muséeDapper,Paris Le passageestunpasdedanse, Woman’sbuilding,SanFrancisco Sortilèges, Fondationpourl’artcontemporain ClaudineetJean-MarcSalomon,Alex(France) La Géographiedurêve : lebonet/oumauvaisrêve,galerieTrafic,Paris Souffle La Robeenvolée – Tracesoftransition,galerieSanaa,Utrecht La Caixa,Madrid;AustellunghallederBundesrespublik Deutschland,Bonn Les Maîtresdudésordre,muséequaiBranly,Paris; Viens, lamort,onvadanser,galerieMaïaMuller,Paris performance, espaceKosmopolis, Utrecht

85 Artistes