INTRODUCTION LE BUT. — LES MOYENS. — L’INTÉRÊT Je nie propose de rechercher quelles sont les formes les plus anciennes de notre versification et comment elles se sont déve- loppées en France et hors de France.

Les premiers attestés de nos mètres poétiques, l octosyllabe, le décasyllabe, l’alexandrin et quelques autres, se présentent

dès 1 abord sous une forme nettement arrêtée, qui témoigne d un long emploi antérieur. Sans doute, elle a encore évolué quelque peu à partir de l’instant où elle apparaît dans nos vieux manus- crits. A plus forte raison lui a-t-il fallu un temps assez consi- dérable pour s’ébaucher et se dégager des premiers essais, avant que les clercs aient jugé la « langue rustique », ou « vulgaire », (ligne de figurer sur leurs parchemins à côté de la langue savante, le latin. Il a existé en France pendant cette première période, il y a même lleuri vers la fin 1 une poésie orale, primitive, — chantée, naturellement, — qui s’est en partie conservée ou continuée sur les lèvres du « peuple », tandis qu’elle s’épanouissait dans la poésie « littéraire » en formes plus différenciées, plus riches2. C’est ainsi que se maintiennent également dans le peuple, en s’altérant plus ou moins, des façons de parler abandonnées par les « classes supérieures ». Il arrive aussi que des modèles français de vers, de style, de langage, de manières 011 de vêtement, une fois disparus ou trans- formés chez nous, se perpétuent et se développent dans nos colonies, comme chez les Normands d’Angleterre, ou même en pays complètement étranger. Ainsi, notre peinture gothique n’a

ÎS . B. — On trouvera à la lin du volume les notes qui répondent aux appels en chiffres. » INTRODUCTION guère laissé de traces en France, mais nous pouvons l’étudier dans les imitations qu’en onl gardées les églises de Suède \ C’est précisément dans l’adaptation de nos vers en d’autres langues que nous trouvons l’exemple sans doute le plus clair, le plus topique,

le plus frappant : alors que notre décasyllabe allait s effaçant dans notre littérature, il prenait un essor merveilleux dans l’épopée et le drame de l’Angleterre, comme heroic rhyme et blank verse, pour passer de là dans le drame et l’épopée de l’Allemagne, de la Hollande, du Danemark, de la Suède et de la Norvège. Le même phénomène s’est produit, avec moins d’éclat, pour d’autres mètres de notre poésie orale ou écrite, « populaire » ou « savante ». Certaines de ses formes ont également passé dans la poésie latine du moyen âge, par exemple dans les « proses » de l’Eglise *. On peut le constater dans les séquences et autres rhythmi du

Limousin ou d’Aquitaine (ix et x° siècles), ainsi que dans les poèmes d’Abélard (1079-1142), d’Adam de Saint-Victor (vers 1150) et de leurs disciples \ Abélard n’avait-W pas Iui-meme, tout comme saint Bernard (1090-1153), composé dans sa jeunesse des chansons d’amour en langue vulgaire "? Directe ou indirecte, enfin, l’imitation apparaît manifestement dans les rhythmi qui sont cons- truits en accentuant à la française, c’est-à-dire sur la dernière syllabe, le mot qui termine le vers ou l’hémistiche 7. Comme il y a eu influence réciproque entre les deux poésies, la latine et la française, il faut naturellement se garder, ici sur- tout, de conclusions hasardées8. Notre chanson populaire a conservé au moins les plus impor- tants de nos mètres primitifs. Nous les retrouvons dans les textes anciens sous une forme identique ou évoluée. Ils se reconnaissent dans les imitations ou adaptations étrangères. Ils transparaissent dans certaines innovations apportées en France aux rhythmi latins. Cette quadruple documentation suffit largement pour les définir et les étudier. J’esquisserai au fur et à mesure l’histoire de leurs variations jusqu’aux temps modernes. Sans doute, il faudrait plusieurs vies d’homme pour examiner à tous les points de vue ce que nous possédons de vieilles poésies et de chansons populaires, texte et musique, non seulement en français du nord et du midi, mais encore dans plusieurs autres langues européennes, sans oublier le latin du moyen âge. Heureu- sement, les formes principales de nos vers primitifs se dégagent nettement d’une lecture beaucoup moins étendue. Enfin, si nous en sommes réduits en bien des cas à des hypothèses plausibles ou même à de simples conjectures, que je donnerai toujours comme telles, il y a au moins pour l’essentiel des faits bien attestés et des inductions très sûres. INTRODUCTION 3 Müis à quoi bon ces recherches? Quel intérêt peuvent-elles bien présenter? Voilà une question que ne poseront certainement ni les linguistes, ni les philologues, ni les folkloristes, ni les philo- sophes étudiant la psychologie des peuples. Parmi nos littérateurs, au contraire, et parmi nos historiens de la littérature, il en est

qui accordent peu d attention à l’origine et à l’évolution des mètres poétiques en France. Ils ont tort. II n’jr a peut-être pas de pays en Europe où les poètes aient autant travaillé la technique du vers sans presque jamais s’inspirer de modèles étrangers : ne vaut-il pas la peine de regarder de près sur quelle matière traditionnelle s’est exercé leur art, comment ils l’ont reçue, maniée et peut-être transformée? J’entends bien : on croit plus digne de s’en tenir au fond, à la «pensée»; on juge futile de s’arrêter aux détails

matériels de la forme. Mais est-ce qu elle n’importe pas essentielle- ment en poésie? Est-ce qu’elle ne contribue pas à l’expression des sentiments? Et il ne suffit point de le constater et de chercher à l’expliquer dans chaque cas particulier. On risque de se fourvoyer en se laissant guider par de simples impressions. Les formes de notre poésie s’expliquent bien souvent par leur origine, par leur emploi dans la danse en chœur, par leur accommodation au rythme du chant, etc. Elles se sont conservées en cessant de servir à leurs fins primitives. On se trompe en leur attribuant des causes, des raisons d’être purement esthétiques. Qu’on n’ait aucune

crainte : leur beauté n en ressortira que mieux, — comme le fait en pareil cas celle du « bois apparent » et des colonnes, — quand on apercevra leur utilité première dans l’architecture du vers, de la strophe, du poème. Pour la bien faire voir et comprendre, mieux vaut procéder dans mon exposé en sens inverse de cette énumération, c’est-à-dire commencer par l’ensemble et entrer de plus en plus avant dans le détail. De là l’ordre que j’ai adopté : les poèmes, les strophes, les vers, ou mètres proprement dits Je traite aussi dans le t. I r des questions étrangères en appa-

rence à mon sujet proprement dit, mais importantes pour l histoire de notre versification. C’est ainsi que je consacre un certain nombre de pages aux divers aspects que présente la matière poétique, le fond lui-même, dans nos chansons de forme primitive. Il y a, d’autre part, des questions que je donne provisoirement comme résolues, en remettant au t. II ou au t. III une démonstration détaillée. Toutes les parties de mon livre s’éclairent, s’enchaînent, se complètent. 4 INTRODUCTION REMARQUES GÉNÉRALES A. — Citations Dans l’utilisation des matériaux que j’ai recueillis, matériaux de valeur très diverse, il eût certainement été plus correct de reproduire le texte manuscrit ou imprimé avec une exactitude absolue : en conser- vant, par exemple les graphies inconséquentes, les lapsus manifestes, les bévues inévitables des copistes et des « collecteurs » de chansons, les abréviations variables, le manque de ponctuation ou les ponctuations arbitraires, l’absence de division en vers et même en strophes, etc. Je m’en suis tenu le plus possible à cette méthode. Voici dans quelles circonstances et sous quelles formes je m’en écarte : 1° Je développe les abréviations. 2° Sauf lorsqu’il s’agit d’un vers qui prête à discussion, je normalise la graphie hétéroclite et presque illisible du Saint Léger et de la Passion, mais je cite en note le texte du manuscrit sans y rien changer 10. J’ajoute parfois des signes diacritiques : accents, tréma, etc. Dans nos vieux textes, comme on sait, il n’y a pas d’accents. Dans

ceux qui sont antérieurs au xv siècle, je* mets au besoin un accent aigu sur e en syllabe finale, e ouvert comme e fermé, soit pour indiquer que ce n’est pas un « e féminin », soit pour distinguer certaines monosyllabes de leurs homographes : chanté, chantés; mes = mais (cf. mes, adj. poss.). Dans les textes plus récents, j’emploie, suivant la prononciation, l’accent aigu ou l’accent grave. Conformément à l’usage, je mets un tréma sur Ve féminin quand il ne s’élide pas avant une voyelle; un point au-dessous, quand il ne se prononce pas avant une consonne ou une pause. Quand il n’y a pas de ponctuation dans le texte, j’v ajoute celle qu’exigent nos habitudes actuelles. 3° Je me permets rarement d’introduire une correction, la plus admis- sible, dans les passages évidemment corrompus. J’en avertis, d’ailleurs, et j’en donne les raisons. Je mets entre parenthèses ce qu’il faut retran- cher; entre crochets, ce qu’il faut ajouter, — parfois aussi une expli- cation que j’intercale dans le texte. 4° Dans l’impossibilité d’aligner toutes les versions de certaines chansons populaires, j’ai quelquefois cité les « restitutions » qui con- sistent en un choix de variantes (v., dans la Bibliographie, Doncieux, Danmarks Folkeviser, DF). 5U Pour la musique du moyen âge, qui est peu abordable au grand nombre, je renvoie en général aux transcriptions de MM. Jean Beck, Friedrich Gennrich et Hans Spanke Je cite en pareil cas le texte aussi d’après eux, en général du moins. V., du reste, la bibliographie. Paroles ou mélodie, je me suis autant que possible reporté au manuscrit, à une photographie ou à une édition diplomatique. 6U Afin de mettre en évidence les rapports des mètres poétiques entre eux ou avec la musique, je donne maintes fois aux vers cités une dispo- sition typographique en désaccord avec l’usage. Il n’y a de légitime, INTRODUCTION 5 naturellement, que celle choisie par le poète ou adoptée par la tradition: je l’indique par des tirets ou autrement, et l’on n’aura aucune peine à la reconnaître, à la rétablir. 7° Quand il y a dans un vers une coupe fixe, ou césure, je laisse 1111 blanc entre les hémistiches. 11 va sans dire, enfin, que mes arguments, mes conclusions ne se fondent que sur les textes bien et dûment attestés. B. — Français Ce n’est pas seulement au français commun, — académique, officiel, — que j’applique le nom de français, mais à toutes les formes du gallo- roman qui se parlent ou se sont parlées en France : en France d’oc (languedocien, gascon, auvergnat, limousin, provençal), aussi bien qu’en France d’oui (francien, normand, picard, champenois, bourguignon, lorrain, wallon, angevin, poitevin, saintongeais, etc.). C. — Abréviations, signes, etc. Inutile d’expliquer les abréviations usuelles. Mus. = avec musique. Ch. = chanson(s); f. = feuillet(s), recto ou verso; ms. = manuscrit(s).

Avant un nombre en chifi res, v. = (un ou plusieurs) vers; avant une

date, vers (= environ) est écrit en entier. Après l’indication d un vers, d’une ligne ou d’une page, s. = et suivant(s), et suivante(s). Dans les cas pareils aux précédents, — et suivant(s), etc., — il y a lieu de lire avec ou sans la partie du mot entre parenthèses. Quand je nomme de suite des notes de musique appartenant à deux octaves, l’ supérieure (toujours à partir de do) est signalée par un indice: sol sol sol do1 («Allons, enfants...). Les autres signes seront expliqués en temps et lieu. Noté = (air, rythme ou mètre) indiqué en notation musicale; (vers, refrain, poème) avec notation musicale. Les renvois tels que p. 20, n° 20, etc., se rapportent à l’ouvrage indiqué dans la même phrase, d’ordinaire en abrégé, quelquefois par le nom de l’auteur (v. Bibliographie). Quand il n’y en a pas d’indiqué, c’est de mon livre qu’il s’agit. D. — Notes Les appels en chiffres renvoient aux notes, assez abondantes, que j’ai reléguées à la fin de chaque volume : elles contiennent des réfé- rences, des explications complémentaires, des réponses aux objections et aux questions que pourra provoquer le texte, quelques discussions, etc. Les appels en astérisques renvoient aux notes très rares que j’ai mises au bas des pages pour donner le sens d’un mot archaïque ou quelque éclaircissement du même genre. INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIE des tomes I et II Les ouvrages sont classés par ordre alphabétique d’après les abré- viations dont je me sers dans mon livre. Je me contente, en principe, de signaler ceux que j’ai cités plusieurs fois dans le texte ou dans les notes. Cette « bibliographie » n’en est donc pas une au sens propre du mot : elle est bien loin d’épuiser le sujet, bien loin même de comprendre toutes mes sources, tous les imprimés et tous les manuscrits que j’ai dépouillés ou au moins consultés. Elle contient, d’autre part, quelques explications sur certaines œuvres assez peu connues. J’ai cru parfois plus pratique de renvoyer à de bons livres de vulgarisation : ils sont plus accessibles au grand nombre que les gros ouvrages d’érudition et île haute science.

C est pour moi un agréable devoir que de remercier cordialement mes collègues MM. Dédier et Jeanroy des renseignements précieux qu’ils m’ont donnés avec tant de complaisance, — et il ne s’agit pas seulement de bibliographie. Adam = Le Mystère d’Adam, éd. Karl Grass, Das Adamsspiel, Halle a. S., 1891. Adam le Bossu, appelé aussi Adam d’Arras et Adam de la Hal(l)e. V. Jeu de la Feuillée, Robin et Marion et Adam. Adler = (îuido Ailler, Handbuch der Musikgeschichte, Francfort- sur-le-Main, 1924 (p. 65-105, par Peter Wagner; p. 127-250, par Friedrich Ludwig). Alexis = Vie de saint Alexis (xr siècle), par Thetbald, de Yernon, chanoine à Houen. Citée d’après Fœrster-Koschwitz, col. 102 s. (ms. L

Ancona = Alessandro d Ancona, La poesia popolare italiana, 2* éd., Livourne. Arwidsson = A. I. Arwidsson, Svenska fornsànger, 3 vol., Stockholm, 1834-42. Attaignant = Vingt et neuf chansons, Paris, 1530. Audigier, publ. par Barbazan et Méon (Recueil de fabliaux et contes, Paris, 1808, t. IV, p. 217-“233). Ballard, Brunettes = Bruneltes recueillies par Ballard, Paris, I (1703), II (1704), III (1711). — Avec musique. Ballard, Bondes = Les Rondes, Chansons à danser, recueillies par Ballard, Paris, I et II, 1724. — Avec musique. Bamberg — Bamberg, Staatsbibliothek, Ms. Ed. IV-6. Motets du xni* siècle, etc., avec musique en notation proportionnelle. Le texte est INTRODUCTION 7 parfois emprunté, sans modification du rythme, à des chansons popu- laires françaises. — Publ. par Pierre Aubry : Cent motets du xm* siècle (I, Reproduction phototypique; II, Transcription en notation moderne; III, Etudes et Commentaires), Paris, 1UU8. Rartsch = Romances et françaises des xir et xm* siècles, publ. par Karl Rartsch, Leipzig, 1870. Rartsch, Chrest. fr. = Karl Rartsch, Chrestomathie de l’ancien fran-

çais, 4 éd., Heideberg, 1880. Rartsch, Chrest. prov. = Karl Rartsch, Chrestomathie provençale, 3* éd., Elberfeld, 1875. Haijenx = Le manuscrit de Baveux. Texte et musique d’un recueil de chansons du xv* siècle, publ. par Théodore Gérold, Strasbourg, 1921. — Contient, au milieu d’autres, quelques chansons « populaires ». Reaurepaire = E. de Reaurepaire, Etude sur la Poésie populaire en Normandie, spécialement dans l’Avranchin, Paris, 1856. Reck = Dr. J.-R. Reck, Die Melodien der , Strasbourg, 1908. — Travail très important, dont je me suis largement servi. Beck, Chansonniers = Les Chansons des Troubadours et des Trou- vères, publ. par Jean Beck, Paris, 1927 : t. I", Fac-similé du ms. Congé]; t. II, Transcription [id.]. — V. Introd., note 11. Reck, Mus. = Jean Reck, La Musique des Troubadours, Paris.

Recker = Ph. Aug. Recker, l ber den Ursprung der romanischen Versmasse. Strasbourg, 1890. Bédier, Légendes = Joseph Bédier, Les Légendes épiques. Paris, 1908 s. Bédier, lien. 1896 = Joseph Bédier, Revue des Deux-Mondes, 1896. Bédier, Rev. 1906 = J.-B., Rev. des Deux-Mondes, 1906 (t. 31), p. 398 s. Bédier-Aubry = Les Chansons de Croisade, publ. par Joseph Rédier et Pierre Aubry, Paris, 1909. — Avec la musique. Rédier-Hazard = Histoire de la Littérature française, publ. sous la direction de Joseph Rédier et Paul Hazard, Paris. Rodel = Jean Bodel, Le Jeu de saint Nicolas, éd. Alfred Jeanroy, Paris, 1925. Boèce (x* siècle), cité d’après Bartsch, Chrest. prov. Böhme (Franz M.), Altdeutsches Liederbuch, Leipzig, 1877. Böhme (Franz M.), Geschichte des Tanzes in Deutschland, 2 vol., Leipzig, 1880. Braune, Leseb. - Wilhelm Braune, Althochdeutsches Lesebuch,

5 éd., Halle 1902. Bujeaud = Jérôme Bujeaud, Chants et Chansons populaires des pro- vinces de l’Ouest, 2 vol., Niort, 1895. 8 INTRODUCTION Cangê = Bibl. Nat., ins. fr., n° 84G (PbB de Raynaud, O de Schwan). fin du xni° siècle. — Chansons avec musique, notation en général pro- portionnelle. Carm. Iiiir. = Carmina Burana: chansons et autres poèmes en latin, en allemand et en français, qui ont été composés aux xn" et xiii* siècles, en majorité par des clercs vagants. — Ed. Schmeller, Stuttgart, 1847. Carm. Fær. = Svend Grundtvig et Jórgen Bloch, Corpus Carminum Færoensium, 15 vol. ms. in-4°, Bibl. rov. de Copenhague. Champtleury-Weckerlin = Chansons populaires des provinces de France, Paris, 1860. Châtelaine de Saint-Gilles = O. Sclniltz-Gora, Zwei altfranzosische Dichtungen, 2* éd., Halle a. S., 1911. Chauvenci = Jacques Bretel, Lc(s) Tournoi(s) de Chauvenci (1285), publ. par Delmotte, Valenciennes, 1853, et par Hecq, Mons, 181)8, 1901. Child = J.-F. Child, The En^lish and Scottish popular Ballads, 10 vol. Boston, 1882-97. Cléomadcs, par Adenet le Roi (vers 1280), éd. A. van Hasselt, Bru- xelles, 1865. Coinci. éd. Poquet = Gautier de Coinci, Les Miracles de la Vierge, publ. par l’Abbé Poquet, Paris, 1857. Colin Muset = Les Chansons de Colin Muset, publ. par J. Bédier et J. Beck, Paris, 1912. Conon = Les Chansons de Conon de Bétluine, publ. par Axel Wal- lenskold, Paris, 1921. Coussemaker, .4. H. = E. de Coussemaker, L’Art harmonique aux xii* et xiir siècles, Paris, 1865. Coussemaker, Script. = Scriptores de música medii aevi novam seriem... edidit E. de Coussemaker, t. I-IV, Paris, 1864-76. Uanmarks Folkeviser i Udvalg, publ. par Svend Grundtvig, Copen- liague, 1882. — Le but de l’auteur est de « restituer » les vieilles Fol- keviser danoises en n’omettant rien de ce que contiennent les différentes versions. Cf. DF. Decombe = Lucien Decombe, Chansons populaires recueillies dans le département d’Ille-et-Vilaine, Paris, 1884. l)F = Danske Folkeviser i Udvalg, publ. par Axel Olrik et Ida Falbe-Hansen, Copenhague, I, 1922 (5* édition), II, 1909. — Cette « resti- tution » n’admet pour chaque Folkevise que les détails communs a la plupart au moins des versions 12. Laub a également essayé de « restituer » les mélodies «le quelques Folkeviser en se fondant sur les formes conservées dans le peuple : il y a réussi autant sans doute qu’il est possible (Danske Folkeviser med garnie Melodier, Copenhague, 1899-1904). DgF = Dan marks garnie Folkeviser: t. 1-5, publ. par Svend Grundvig (1853-90); t. 6-8, « Ridderviser », publ. Axel Olrik; continué par C.rüner- Nielsen. — Cette collection monumentale contient toutes les versions INTRODUCTION 9 connues de Folkeviser, les unes reproduites d’après des publications anciennes ou de vieux manuscrits, les autres recueillies de nos jours sur les lèvres du peuple. — Complément : JF. DL — 1*. Hansen, Illustreret dansk Litteraturhistorie, I. Bind, ved Carl S. Petersen, Copenhague. Doncieux = Georges Doncieux, Le Romancéro populaire de la France, Paris MDCCCCIV. — « Texte critique » de quarante-cinq chan- sons : cette restitution consiste en un choix de variantes, dont la prove- nance est toujours indiquée. Cf. Danmarks Folkeviser et UF. Doncieux-Tiersot = « Index musical » ajouté par J. Tiersot au Romancero de Doncieux. — Tiersot ne cherche pas à « restituer » la mélodie primitive par la méthode critique: il se contente de citer la meilleure version, la plus typique. Douce = Oxford, Bibliothèque bodléienne, ms. Douce 308 (O de Raynaud, 1 de Schwan). — Premier quart du xiv siècle. — Pièces ano- nymes, sans musique. La musique se trouve plus d’une fois dans Bamberg et Montp. Faral = Edmond Faral, Les Jongleurs en France au Moyen Age, Paris, 1910. Fleurv = Jean Fleurv, Littérature orale de la Basse Normandie, Paris, 1883. Foerster-Koschwitz = W. Foerster et E. Koschwitz, Altfranzösisches

Übungsbuch, 4 éd. revue par Wendelin Foerster, Leipzig, 1911. — Re- production exacte des plus anciens textes français. Fornkv. = Sv. Grundtvig et J. SigurÔsson, Îslenzk fornkvæôi. Copenhague, 1854-58. Gace Brûlé, Chansons, éd. Gédéon Huet, Paris, 1902. Gagnon, Chansons populaires du Canada, Québec, 1865, 1880, 1894. Gennrich = Friedrich Gennrich, Rondeaux, und Balladen aus dem Ende des XII., dem XIII. und dem ersten Drittel des XI\. Jahrhundert mit den überlieferten Melodien. T. Ir, Texte, Dresden, 1921. T. II, Materialien, Literaturnachweise, Refrainverzeichnis, Göttingen, 1927. — Recueil des plus utiles par sa riche documentation, ses nom- breuses références et la science aussi étendue que sûre de l’auteur (bien qu’on puisse quelquefois conserver quelque doute sur l’exactitude des restitutions, texte ou musique). — V. Introd. note 11. Gennrich, Musikio. = Friedrich Gennrich, Musikwissenschaft und romanische Philologie, Halle, 1918. Gennrich, Rotrouenge = Friedrich Gennrich, Die altfranzösische Rotrouenge, Halle, 1925. Gennrich, Vortrag = Friedrich Gennrich, Der musikalische Vortrag der altfranzösischen Chanson de geste, Halle, 1923. Gerbert, Script. = Scriptores ecclesiastici de musica sacra potissi- mum, 3 vol., 1784. 10 INTRODUCTION Gérold = Théodore Gérold, Chansons populaires des xv* et \vr siè- cles, avec leurs mélodies, Strasbourg (s. d.). Gérold XVII" = Théodore Gérold, L’Art du chant en France au xvii* siècle, Strasbourg, 1021. GnF = Sophus Bugge, Garnie norske Folkeviser, Kristiania. 1858. Gröbers Gr. = G. Gröber, Grundriss der romanischen Philologie, Strasbourg, 1889 s. Grouchy = Jean de Grouchy (en latin Johannes de Grocheo), fin du xni* siècle. Son traité de musique, à l’usage des laïcs et des clercs, a été publié par M. Johannes Wolf dans S.I.M., t. l,r. Renseignements précieux sur la chanson profane en langue vulgaire. Grüner-Nielsen = Vore æïdste Folkedanse, Copenhague, 1 i)l7. Guillaume de Dole, ou Roman de la Rose, par Jean Renart, originaire du Nord de l’Ile-de-France, ou, plus exactement peut-être, du Soissonnais. Publ. par J. Servois, Paris MDCCCXC1I1. — C’esl M. Rédier qui a décou- vert le nom de l’auteur. Servois se fonde sur différents indices pour faire remonter la composition du poème à 1200 environ. MM. Foulet et Ch.-Y. Langlois (La vie en France au Moyen Age, t. Ier, 2* éd., Paris, 11)20, p. 75) estiment qu’il y a plutôt lieu de ne pas aller au delà de 1210 ou même 1212. A cause d’autres poèmes, entre autres ceux qui ont imité Guillaume de I)ôle ou les « romances », il peut sembler préférable de s’en tenir à la date indiquée par Servois1-. Guillaume IX = Les Chansons de Guillaume IX, duc d’Aquitaine, publ. par A. Jeanroy, 2* éd., Paris, 1927. Haskins III = Haskins, The Life of the médiéval Students as illus- trated bv their Letters (American historical Review, t. III, 1898, p. 203 s.). Haskins X = Haskins, The University of Paris in the Sermons of the 13. Century (Ib., t. X, 1904, p. 1 s.). Haupt = Moritz Haupt, Französische Volkslieder (publ. par A. 4 o- bler), Leipzig, 1877. Hauréau = Hauréau, Notices et Extraits de quelques manuscri ts latins de la Bibliothèque Nationale, Paris, 1890-93. Havet = Louis Havet, Cours élémentaire de métrique grecque et

latine, 3 éd., Paris, 1893. Hilaire = Hilarii versus et Ludi, publ. par J.-J. Champollion-Figeac, Paris, MDCCCXXXVIH. Indy-Tiersot = V. d’Indy et J. Tiersot, Chansons populaires du Vivarais et du Vercors, Paris, 1912. Jeanroy = Alfred Jeanroy, Les Origines de la Poésie lyrique en France au Moyen Age, 3* éd., Paris, 1925. Jeanroy. Iiev. = Revue des Deux-Mondes, 1" février 1903, p. GG9-74. Jeanroy-Lângfors = Chansons satiriques et bachiques du xm* siècle, publ. par A. Jeanroy et A. Làngfors, Paris, 1921. INTRODUCTION 11 Jeu de la Fouillée [ou Jeu Adam], par Adam le Bossu, vers 1262, éd. Ernest Langlois, Paris. 1911. — Coussemaker, Les Œuvres complètes d’Adam de la Halle. — Gennrich II, p. 89.

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13 éd., Paris, 1916. Laub, v. DF. Leach = H. G. Leach, Angevin Britain and Scandinavia, Cambridge (Harvard University Press), 1921. Lecoy = Lecoy de la Marche, La Chaire française au Moyen Age, 2* éd., Paris, 1886. • Legrand (Emile), Chansons populaires recueillies en 1876 à Fon- tenay-le-Marmion, près de Caen, Romania, X, 1891, p. 364 s. Liederhort (Deutscher), publ. par Erk et Bohme, 3 vol. Leipzig, 1893-1894. Liest0l, Norske Trollv.= Knut Liest0l, Xorske Trollvisor og norr0ne sogor, Kristiania, 1915. Liest0l, Sammanhengen millom dei engelske og dei norderlendskc folkevisorne, dans Syn og Segn, 1909, p. 106-121. Ludwig (Friedrich), Repertorium organorum... T. I, Halle, 1910. M = Bibl. Nat. ms. fr. 844 (v. Boi). Mangeant = Le Recueil des plus belles chansons de dances de ce temps. A Caen, chez Jacques Mangeant, 1615. — 55 chansons, dont 41 branles (37 doubles, 3 simples, 1 de Bretagne). — Chansons en grande partie populaires. — Sainte Geneviève, Bés. Vm 1185, deuxième pièce. 12 INTRODUCTION Mangeant I = Recueil îles plus beaux airs... à Caen, chez Jacques Mangeant, 1(510. — Bibl. Sainte-Gencviève, Bés. Vm 1185, première pièce. Mangeant III = Recueil des plus belles chansons des comédiens français. A Caen, chez Jacques Mangeant, 1615. — Bibl. Sainte-Gene- viève, Rés. Vm 1185, troisième pièce. Martinen (Ph.), Les Strophes, Paris, 1911. Méraugis, roman d’aventure, par Raoul de Houdan, éd. Michelant. Meyer = Wilhelm Meyer, Gesammelte Abhandlungen zur mittel- alterlichen Rhythmik, Breslau, 1905. MF = Des Minnesangs Frühling, éd. F. Vogt, Leipzig, 1911. Milâ y Fontanals, Romancerillo catalan, 1882. Monaci = Facsimili di documenti per la storia delle lingue e delle letterature romanze, publ. par Ernesto Monaci, Rome, 1910. Monaci, S. Agnese = Il Mistero provenzale di S. Agnese, facsimile, Rome, 1880. Montp. = Montpellier, Bibl. universitaire (de l’Ecole de Médecine),

ms. H. 196. — Motets du xm siècle (notation au moins en partie proportionnelle), dont 50 publ. par Coussemaker, .4. H. (v. Fr. Ludwig dans S.I.M., 1903). — Deux parties : une ancienne, f. 1-269; une plus récente, f. 270-249, où le triplum se libère de la rythmique modale. — Texte souvent emprunté à chansons profanes dont le rythme n’est pas modifié. — Plusieurs motets communs avec Bamberg. Motets = G. Raynaud, Recueil de Motets français des xn" et mii* siècles, Paris, 1883. Ms. = Manuscrit. — V. Hamberg, Douce. K, M, Mont p., ¿V, Xoailles, f). Roi, Saint-Germain, T, U, X. — Cf. A. Jeanroy, Bibliographie som- maire des Chansonniers français du Moyen Age, Paris, 1918. X = Bibl. Nat., ms. fr. 845 (Pb11 de Raynaud), Chansons avec musique en notation carrée. Nef = Charles Nef, Histoire de la Musique, trad. par Mme Rockseth, Paris, 1925. Nigra = Costantino Nigra, Canti popolari dcl Piemonte, Turin, 1888. Xoailles = Bibl. Nat., ms. fr. 12.615 (Pb11 de Raynaud, T de Schwan), chansons avec musique en notation carrée (quelquefois pro- portionnelle). Xorske folkeviser fra middelalderen, publ. par Knut Liestpl et Moltke Moe, 2r éd., Kristania, 1919. Xorske folkevisor, publ. par Knut Liest0l et Moltke Moe, Oslo, t. I*r, 1920, et t. II, 1922. Paru depuis, t. III. O = Bibl. Nat., ms. fr. 846 (v. Cangé). INTRODUCTION 13 Orches. = Orchésographie (1589), par Thoinot Arbeau (anagramme

3 éd., Paris, 1905. Paris, AY" siècle = Chansons du xv* siècle, publ. par (iaston Paris, Paris 1875. -— A la fin du volume, transcription de la musique par Gevaert. Pauls (îr. = Hermann Paul, Grundriss der germanischen Philologie, 3 vol., Strasbourg, 1891-93. Pèlerinage = Pèlerinage, ou voyage, de Charlemagne à Jérusalem. Cité d’après Bartsch, Chrest. fr. Poésies pop(ulaires) de la France, recueillies de 1853 à 18G5 environ, sur l’initiative de J.-J. Ampère, par les soins du Ministère de l’Instruction publique : Bibl. Nat. ms. fr. 3338-3343, six vol. in-f°. Pohl = Gerhard Pohl, Der Strophenban im deutschen Volkslied, dans Palaestra, t. 130 (1921). Pound = Louise Pound, Poetic Origins and the Ballad, New York, 1921. Puy maigre (de), Folklore. Paris, 1885. Puymaigre, Pays Messin = De Puymaigre, chants populaires recueil- lis dans le Pays Messin, 2 vol., 2° édition, Paris, 1881. — Musique à la fin du t. II, avec reproduction plus exacte du texte. Raynaud = Gaston Raynaud, Bibliographie des Chansonniers fran-

çais des xiii* et xiv siècles, 2 vol., Paris, 1884. lien, le Xouv. = Renart le Nouvel (1288) par Jacquemart Gelée. Publ. par M. I). M. Méon : Le Roman du Renarl, t. IV, Paris, 1820. — Nombreux refrains. — Trois ms., de la Bibl. Nat., avec musique : a = fr. 25.500, f. 109-177; ß = fr.372, f. 1 s.; y = fr. 1593, f. 1-57. Le ms. a, avec notation proportionnelle, est de beaucoup le meilleur. C’est celui dont M. Beck a transcrit la musique dans die Melodien der Troubadours. Le ms. ß, aussi avec notation proportionnelle, est déjà moins bon. Dans le ms. v, la musique est plus ou moins corrompue et ramenée au rnodns imperfectus (genre égal, mesures binaires). Méon a mêlé les trois formes avec un éclectisme maladroit. M. Gennrich les reproduit séparément en notation moderne (II, p. 154 s.). Biemann (Dr. Hugo), Geschichte der Musiktheorie, Leipzig. 1898. Robin et Marion (le Jeu de), par Adam le Bossu, éd. Ernest Langlois, Paris, 1924. Pour la musique, V. Coussemaker, Œuvres d’Adam de la Halle (reproduction et transcription), et Gennrich I, p. 71-73, II, p. 85- 89 (transcription plus exacte). 1-1 INTRODUCTION Hoi = Bibi. Nat. ms. tr. 8-44 (Pb3 de Raynaud, M de Schwan). Chansons avec musique en notation carrée (parfois proportionnelle). Roland (Chanson de). Citée d’après le ms. d’Oxford, tel que le reproduit M. J. Bédier. Rolland = E. Rolland, Recueil de Chansons populaires, t. 1-6, Paris, 1883-1890. — V. Livre 111, note 19. Roman de la Violette ou de Gérard de Nevers (1225), par Gibert de Montreuil. Roman du Châtelain de Couci (vers 1280), par Jacques Bretel (d’après Ch. V. Langlois), éd. Crapelet. Rondel Adam (li), publiés par Coussemaker, avec reproduction et

transcription de la musique, dans Œuvres d Adam de la Halle, et par Gennrich, avec une meilleure transcription, I, p. 54-71 (cf. II, 73-85). Sainte loi = La Chanson de Sainte Foi d’Agen, publ. par Antoine Thomas, Paris, 1925. Sainte Foij = La Chanson de Sainte Fov, t. II, par P. Alfaric et E. Hoepfner, Paris, 1926. Saint-Germain = Bibi. Nat., ms. fr. 20.050 (Pb12 de Raynaud, IT de Schwan), xin siècle, avec additions du xiV. Chansons des xir et xiii* siècles, avec musique en neumes messins. — Reproduction photo- typique, publ. par P. Meyer et G. Raynaud, Paris, 1892. Saran. Fr. V. = Der Rhythmus des französischen Verses, Halle a. S., 1904. Schipper (I)r. J.), Englische Metrik, Bonn. t. I, 1882. Sehola Cantorum, Chansons de France, Paris (Rouart), 1907-1913. S.I.M. = Sammelbände der internationalem Musikgesellschaft. Spanke = Hans Spanke, Eine altfranzösische Liedersammlung, Halle. 1925. — La musique est citée d’après le ms. K (Arsenal, 5.198), dont la notation n’est pas proportionnelle. Exception : ch. XIX. d’après Saint. Germain (neumes messins). Spenz = Friedrich Spenz, Die syntaktische Behandlung des acht- silbischen Verses in der Passion Christi und im Leodegar-Liede, Marburg, 1887. süponsus = Le Mystère de l’Epoux (xr siècle). V. Monaci, pl. 39. Steenstrup = Johannes C. H. R. Steenstrup, Vore Folkeviser fra Middelalderen, Copenhague, 1891. Steffen = Richard Steffen, Enslrofig nordisk Folklyrik, Stockholm, 1898. Steffen II = Richard Steffen, Svenska lätar, ... I, Stockholm, 1898. Suehier et Birch-Hirschfeld, Geschichte der französischen Litteratur, Leipzig et Vienne, 1900. INTRODUCTION li> Svenaka folkvisor, publ. par E. G. Geijer et A. A. Afzel ins, 3 vol., Stockholm, 1814-1817; nouv. éd., augmentée, par H. Bergström et L. Höijer, ib., 1880. SvL = H. Schück et K. Marburg, Illustrerad Svensk Litteratur- historia, t. I (Schück), Stockholm, 2* éd., 1911, — 3* éd., 192G. 7’ = Bibi. Nat., ins. fr. 12.015 (v. AToailles). Tabourot, v. Orchés. ! Tarbé (R.), Romancero de Champagne, 5 vol., Reims, 1863-64. Tardi (D.), Fortunat, Paris, 1927. Tardi (D.), Virgile de Toulouse (les Epitomae de), Paris, 1928. Thibaut (IV), roi de Navarre, Chansons, publ. par P. Tarbé, Reims, 1851. Thuren = IIjalmar Thuren, Folkesangen paa Fær0erne, Copen- hague, 1908. Thuren et Grüner-Nielsen, Fær0iske Melodier til danske Kæmpeviser, Copenhague, 1923. Tiersot = Tiersot (Julien), Histoire de la Chanson populaire en France, Paris, 1889. Tiersot, Alpes. Tiersot (Julien), Chansons populaires recueillies dans les Alpes Françaises, Grenoble, 1903. Tobler (Adolf), Le Vers français, trad. Breul et Sudre, Paris, 1885, — Vom französischen Versbau, 4" éd. Leipzig, 1903. U = Bibi. Nat., ins. fr. 20.050 (v. Saint-Germain). Uhland (L.), Alle hoch- und niederdeutsche Volkslieder, Stuttgart et Tübingen, 2 vol., 1844-46 (2° éd., en un vol., 1881).

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dien, Leipzig, 1911-1912 (I®, II- ). Weck cri in (J.-B.), La Chanson populaire, Paris, 1886. Winterfeld = Paul von Winterfeld, Rhythmen- und Sequenzstudien, ZfdA, t. 45, p. 132 s. Wolf. Geschichte = Johannes Wolf, Geschichte der Mensurainotation von 1250-1460, I, Leipzig, 1904. 16 INTRODUCTION Wolf, Lais = Ferdinand Wolf, Über die Lais, Sequenzen und Lei- che, Heidelberg, 18-11. Wright = Specimens of Lyric , éd. by Thomas Wright, Londres, 1841. Wright (Thomas). Political Songs of England from the Reign of John... London, 183i). X = Ribl. Nat., ms. fr. n. a. 1.050 (Pb17 de Raynaud). Chansons avec musique en notation carrée.

Yver, Le Printemps d Yver, 1582, réédité par Paul L. Jacob dans Vieux conteurs français..., Paris, 1841. PREMIÈRE PARTIE LE POÈME LIVRE PREMIER LES ORIGINES. POÉSIE, CHANT ET DANSE CHAPITRE PREMIER La formation de nos mètres primitifs La poésie ancienne en langue nationale n’est pas représentée en France par des textes aussi vieux ni aussi abondants à l’ori-

gine qu en Angleterre, en Scandinavie et en Allemagne. Cela se comprend. Dans les pays germaniques, le latin s’opposait bien aussi comme « langue savante » à la « langue du peuple » (thiu- disk, etc.). Mais c’étaient là, en outre, deux langues essentielle- ment différentes : quand on voulait écrire dans l’idiome maternel, national, on se servait du franconien, de l’alémanique, du bava- rois, du saxon occidental, de l’anglien, du norrois; et dans plu- sieurs de ces dialectes, sans parler de brèves inscriptions runiques, il s’était conservé oralement des poèmes plus ou moins longs, que recueillirent en partie les clercs. Chez nous, au contraire, le latin n’était que la forme correcte, la forme écrite de « notre vulgaire >. Au début les différences n’étaient guère plus grandes qu’entre la « langue écrite » et la « langue parlée » dans la France ou l’Angleterre de nos jours. C’est donc en latin seulement qu’écrivaient ceux qui savaient écrire. Il est facile de s’imaginer combien il leur eût semblé horrible et ridicule, même à une époque avancée, d’orthographier tiede au lieu de tepidum, tcpidi, tcpido, tepide, tepidn, tepidae, ou bien de remplacer eqtius par cheval, crurcs par jambes, pour ne rien dire de termes plus rustiques encore, tels que teste P. Vekrier. — Le Vers français. — 1. 2 18 LE VERS FRANÇAIS (littéralement « pot de terre ») au lieu de caput : voit-on Lamar- tine, Hugo ou Leconte de Lisle écrivant aplé au lieu de appeler, appelez, appelai, appelé, appelés, appelée, appelées, — faisant rimer pu « pas » avec frwR « froid », — et employant dans leurs vers, au lieu du vocabulaire classique, les mots et expressions d’ar- got qui gagnent de plus en plus de terrain parmi nous, comme épatant, moche, gosse, (un sale) type, (un chic) bouquin, etc.? 11 s’est écoulé des siècles, en France, avant qu’on se permît d’écrire le « latin », — la lingua romana, — comme on le parlait généralement dans la conversation, dans la vie de tous les jours. Quand on l’osa enfin, ce fut d’abord notre poésie en langue vul- gaire qui en profita surtout, presque uniquement plutôt, pour des raisons faciles à concevoir : elle s’adressait à tout le monde, aux femmes comme aux hommes. Les gens d’église se mettaient aussi à la cultiver publiquement, tant par goût personnel, peut-on croire, que dans le pieux dessein de contre-balancer ou même de supplanter par des chants religieux les chansons profanes, d’un caractère en général peu édifiant : ce sont leurs œuvres qui appa- raissent les premières dans nos textes. Avant d’affleurer dans la littérature reconnue, écrite, cette poésie en langue vulgaire s’était développée sous forme orale. Elle existait depuis bien longtemps. Pour en trouver la source, la première source au moins de sa versification, il faut remonter jusque par delà les grandes invasions. D’un bout à l’autre de l’Empire romain, la prononciation classique du latin avait commencé de bonne heure à s’altérer sur les lèvres du peuple, surtout dans les provinces, comme la Gaule, où s’était parlée une autre langue. La plupart de ces modi-

fications ne manquèrent pas de s imposer aussi plus ou moins

vite dans les milieux instruits. A partir du ni siècle, sinon plus tôt, l’accent change partout de nature : désormais, la syllabe accentuée ne se distingue pas surtout par plus d’acuité, mais par plus de force, « plus sonat », comme s’expriment les gram- mairiens l. Il en résulta peu à peu un bouleversement quasi complet de la quantité : les voyelles longues s’abrègent bientôt en syllabe inaccentuée2; plus tard, les voyelles brèves s’al- longent quand elles terminent une syllabe accentuée. Ainsi, scolds « écoles » se transforme en scolds 3. Les poètes lettrés n’en continuaient pas moins, avec une cor- rection relative, à écrire des vers « mesurés », des metra, d’après les « règles » prosodiques et métriques de la défunte quantité LIVRE PREMIER 19 classique, qu’ils étudiaient déjà, tout comme nous, dans des manuels et dans les œuvres de leurs devanciers *. Les poctae vulgares, au contraire, qui se servaient plus ou moins de la langue faubourienne ou campagnarde, les poètes du peuple ignoraient pour la plupart toutes ces « règles » artificielles, ou en train de le devenir, — contraires même bientôt à la prononciation courante. Ils composaient bien leurs chansons sur les rythmes anciens, ceux des airs mis en vogue par le théâtre, mais uniquement d’après l’oreille, sans se préoccuper en appa- rence de rien d’autre que du nombre des syllabesc. En réalité, au moins à la fin du vers et de l’hémistiche, ils tenaient compte aussi de l’accent. Pour mieux marquer cette fin et l’orner, ils recouraient de plus en plus à la rime. Le peuple romain l’avait conservée de la poésie latine primitive, où elle est attestée dans le peu qui nous en reste, — charmes, par exemple, et autres formules magiques ou religieuses, — tandis que les poètes lettrés la lui abandonnaient comme vulgaire. C’est pour complaire à ce goût de la plèbe, sans aucun doute, que Plaute, plébéien lui-même, en a usé plus d’une fois et même abusé °. Dans les premiers exemples certains qui nous en soient par- venus, cette versification nouvelle est appliquée au rythme le plus souvent employé dans ces cantica de la tragédie et de la comédie latines, — de la comédie surtout, — que le peuple de Home et des provinces avait constamment l’occasion d’entendre chanter à la scène et ailleurs 7. C’est une chanson de danse guer- rière pour jeunes garçons et une chanson de marche, Tune et l’autre du ni* siècle, entre 270 et 275 * : Mille, mille, mille, mille, mille decollavimus; Tous homo mille, mille, mille decollavimus. Mille, mille, mille, mille, vivat! mille ôccidit. Tantum vini nemo habet quantum fudii sanguinis. Vopiscus, Aitrcliamis, c. G. Mille Franeos, mille simul Sarmatas occidimus : Mille, mille, mille, mille, mille Persas quærimus s. lb. Les vers de cette espèce, vers syllabiques, mi-accentuels et sou- vent rimes ou assonancés, reçurent le nom de rhythmi, ritmi * Il y a sur toute syllabe impaire un accent, — ou tout au moins un accent

secondaire, en général assez faible. Les voyelles en hiatus ne s élident pas. Le rythme correspond à notre G/8 (c’est celui du tétramétre trochaïque) : on appuie sur les syllabes impaires de chaque vers, alternativement avec plus et moins de

force. —* J indique la coupe fixe par un blanc (v. p. 5, 7°). LE VERS FRANÇAIS (> rime). Les poètes lettrés finirent eux-mèmes par en écrire aussi quelquefoisu : c’était quelque chose de plus facile que les metra, et de plus naturel,

ancienne, ils s astreignaient en certains cas à observer le sylla-

bisme et s’appliquaient de-ci de-là à n employer comme longues, aux temps marqués du chant, que des syllabes portant I accent ou au moins un accent secondaire. Les rhythmi littéraires sont d’abord attestés en Gaule cisalpine, vers la fin du iv siècle, dans les hymnes ambrosiennes : de même

qu ils se rapprochaient maintes fois du peuple dans leur langue, les écrivains religieux lui empruntaient ainsi à l’occasion, sans doute avec certains de ses airs favoris 10, — le principe même et les formes de sa versification. Puis, la poésie profane emboîta le pas. Tels, au v’ siècle ou plutôt au vi*, tous les vers gallo- romains cités par le grammairien Virgilius Maro, de Toulouse 11. Au début, c’est dans les pays celtiques, — en Gaule cisalpine,

d abord, et en Gaule transalpine, puis en Irlande, — qu’on a surtout cultivé la rime: elle règne dans les exemples que Virgilius Maro emprunte à ses compatriotes, et c’est là que nous la rencontrons pour la première fois sous forme féminine (fine.‘doctrine = doc-

tri nae, etc.)1- . Les rhythmi semblent donc avoir fleuri spécialement en Gaule. L’Italien Fortunat, une fois établi dans ce pays, se laisse gagner

par la contagion du milieu 13 : c’est en vers quantitatifs, mais en même temps syllabiques et accentuels, qu il compose l hymne Vexilla regis prodeunt; dans un poème sur son ami Léonce, évêque de Bordeaux, il respecte encore mieux le syllabisme et l’accentuation, il emploie la rime 14. La versification nouvelle était devenue, dit \V. Meyer, la versi- fication nationale de la Gaule 15. En bas comme en haut, ainsi qu’on s’exprime, bien plus même en bas qu’en haut. Les rhythmi littéraires, en # bon latin », y tiraient leur origine et leur appui des rhythmi populaires en lingua romana rustica, ceux dont pro- cèdent nos premières formes poétiques. A en juger par ces der- nières, les /)oet(ie vulgares avaient continué à employer leurs mètres d’instinct, par routine, d’après l’oreille, « en se laissant guider par le rythme » du chant1G. Quelle espèce de cantica ces poètes du « peuple » gallo-romain, mimes ou autres, composaient-ils pour lui ? C’est dans une chan- son à danser enfantine, je viens de le rappeler, que s’est conservé le premier exemple connu de rhythmi. Ce sont également des LIVRE PREMIER 21

chansons à danser qu on nous signale d’abord en France, à partir du siècle de Virgilius Maro, le vi". Les actes des conciles et les mandements des évêques en parlent pour les réprouver : elles chantaient « l’amour »”. Les chansons à danser de cette nature devaient tenir une grande place, sinon la plus grande, dans les réjouissances que provoquait le retour du printemps, ces prototypes des futures <* maieroles » ou « reverdies ». C’est là que Gaston Paris et avec lui M. Jeanroy voient le point de départ, la source première de notre poésie purement lyrique 18. Parmi les chansons à danser, néanmoins, la plupart apparte- naient à un autre genre que le genre purement lyrique, surtout peut-être dans le nord de la France, mais aussi dans le midi, comme plus tard cette chanson de « tresche » qui fournit à un clerc le sujet de Sainte Foi19 : c’étaient des chansons narratives, des « chansons d’histoire », en donnant à cette dernière expres- sion 1111 sens large. « Histoire » d’amour bien souvent, sans aucun doute, mais bien souvent aussi « histoire » d’aventures et d’ex- ploits, comme l’était déjà le rhijthnms enfantin du m* siècle sur

les soldats d’Aurélien. Que la fameuse cantilène de saint l aron soit ou non un faux de I’évêque Helgaire, il ressort du contexte (jne de son temps, vers le milieu du ix* siècle, il semblait naturel, ii était habituel par conséquent, de voir au moins les femmes chanter aux danses pareilles chansons d’histoire en battant des mains et en frappant du pied20. Ces ballades vraiment baliées peuvent atteindre des dimensions considérables : il y en a plus d’une aux Féroé, de nos jours encore, qui dépassent une centaine de vers, une centaine (le couplets. Nos chansons narratives s’allon- gèrent encore et de plus en plus, — en se séparant de la danse, mais non du chant, — entre les mains de clercs ou de demi-lettrés qui connaissaient peu ou prou, sinon les exemplaria graeca, du moins les latins. C’est à un degré intermédiaire de cette évolution, probablement, que se placent les chants composés en lingua romana rustica pour les funérailles d’un abbé de Corbie, décédé en 82t) aussi bien que les vulgaria carmina français dont parle un Allemand, entre 888 et 891, et qui célébraient les hauts faits de nos Charles, de nos Louis, etc.22 : oeuvres de jongleurs plus ou moins instruits, sans doute, mais d’inspiration tout de même populaire, à destination populaire aussi bien qu’aristocratique. La poésie narrative se développe en général la première : la poésie lyrique, cette expression directe des sentiments, cette sorte d’analyse psychologique, suppose une culture de l’esprit plus haute, plus délicate, aussi bien qu’une langue plus affinée, plus riche, plus souple. En certaines contrées, cependant, la poésie populaire est plutôt lyrique : ce peut être, comme dans l’Italie oo LE VERS FRANÇAIS péninsulaire, l’héritage d’une littérature savante; ce peut être quelque chose de réellement primitif, primitif aussi par le style. Si nos ancêtres, dans la France d’oui au moins, paraissent s’en être d’abord tenus à la chanson narrative, c’est qu’ils y étaient aussi portés par leur caractère, leur tempérament : goût de l’ac- tion ? pudeur du sentiment, qui préfère s’exprimer indirectement, sous forme de récit? peut-être l’un et l’autre? Constatons simple- ment le fait. Quoi qu’il en soit, c’est dans la danse chantée, avant tout, qu’ont dû se conserver et se développer en pays gallo-roman les mètres de la poésie en langue vulgaire. Ils y étaient consolidés, maintenus par le rythme du chant et de la danse. C’est là égale- ment que les ont pris les jongleurs, profanes ou religieux, pour en élargir, par exemple, les simples couplets en strophes de rotrouenge et en laisses de chansons de geste. Troubadours et trouvères ont renchéri sur ces perfectionnements et ces différen- ciations, non seulement dans leurs pastiches savants et spécialisés des chansons à danser, — romances, pastourelles, tensons, débats et le reste, — mais encore dans leurs cansos ou chançons cour- toises J3. On connaît tous ces genres, on les a étudiés. Ils se sont développés avec la enrôle, — en latin chorca, — ils sont nés directement ou indirectement de la carole primitive, dont les

formes ont persisté d’autre part jusqu à nos jours dans la chanson populaire, grâce encore surtout au rythme du chant et de la danse. Il y a donc lieu, — d’autant que nous ne pouvons guère remonter plus haut, — de rechercher avant tout comment et sous quelles formes s’est développée la carole. CHAPITRE II Histoire de la Carole Qu’est-ce que la carole ? Au sens exact, c’est une ronde chantée

qui a dû surgir en France au x siècle, sinon plus tôt, pour se répandre assez rapidement, grâce sans doute en bonne partie aux jongleurs, à travers tout le pays et dans tous les milieux -4. Auparavant, dans les classes supérieures au moins, on aban- donnait aux femmes la danse profane, sinon la danse sacrée, comme indigne d’un homme, surtout d’un « baron » 25. Mainte- nant, au contraire, dames et seigneurs, tout comme vilains et vilaines, carolent ensemble aussi bien que séparément20 : ils se prennent «main à main» et «s’en vont faisant le tor ». Celui ou celle qui mène la ronde, souvent une femme, « chante avant », et les autres lui « répondent » en répétant dans certains cas tel ou tel vers, toujours en entonnant en chœur après chaque couplet le refrain, ou responsorium 27. Il semble bien qu’à l’origine, et d’ordinaire aussi par la suite, on se soit contenté du chant pour guider les pas28. Plus tard, on eut recours en outre à divers instruments, du moins à l’occa- sion, pour mieux marquer le rythme et donner la mesure : au tambourin (ou tambour), tout indiqué pour jouer ce rôle, à la trompe ou au cornet, à la musette, au flageolet ou à la flûte, enfin à la « vielle », ou violon 29. Au lieu d’être fermée, comme dans la ronde, la chaîne des danseurs pouvait rester ouverte : c’était alors une tresche. Le nom est attesté, dans un poème en langue d’oc, dès le troisième quart du xi* siècle : Canczon audi ques bel la ’n tresca *. Sainte Foi (vers 1060), v. 14. Le nom de carole, qui désigne le chant comme la danse, n’ap- paraît qu’un peu plus tard, au début du xii* siècle, dans les textes conservés. Mais c’est dans deux textes d’un caractère littéraire, religieux, sacré, ce qui prouve bien que le mot avait déjà complè- tement acquis droit de cité dans la langue : El nurn del nostre Deu merrums charoles (Livre des Psaumes, Cam- * « J’entendis chanson qui est belle en tresche ». 24 LE VERS FRANÇAIS bridge, XIX, 5, éd. Fr. Michel) — el in nomme Dei nostri magniflca- bimus.

Dunne chantad l un al loenge ceslui, as charoles: Saul ocist mil. oh*. Rois. p. Si. éd. Ler. de Lincy) = et præcinebanl mulieres ludenles L « dansant »] atque dicentes, etc. Nous retrouvons le mot peu après, avec un couplet de carole, mais il est aiTublé en latin, — chorolla, — ainsi que les vers cités.

C est au milieu d’une légende rédigée dans cette langue, entre 1124 et 1142, par le moine normand Orderic Vital, grand ama-

teur d aventures merveilleuses, de traditions populaires et de poésie en langue vulgaire 30. Voici le couplet sous sa forme latine (le refrain est en italique) : Equilabat Bovo per silvam frondosam, Duce bal sibi Mersuinden formosam. Quid stamvs? Cur non imus? 31 Retraduisons ce fragment en français du temps, dans le dialecte du narrateur, et mot à mot : Boeve chevalchout par la fores! verte, Enmenout od sei Mersendain la bele. Qued estions? Pur quei n’alums? 32 Dans le couplet proprement dit commence une histoire

d amour. Puis vient le refrain, où le cha’iir s’exhorte à reprendre avec plus d’entrain la danse ralentie, comme d’ordinaire, pendant le solo du chante-avant 33. In peu plus récent, enfin, est ce couplet du même genre, que chante un « valet » à une carole dans le roman de Guillaume de Dole (1200) : Renaus et s’amie chevauche H pré, Tote nuil chevauche jusqu’au jour cler. Ja narrai més joie de vos amer31. v. 2380-82. Histoire d’amour, ici encore, dans le couplet proprement dit; mais expression purement lyrique d’un sentiment dans le refrain. Celui-ci, en outre, rime avec les autres vers; il ne faut pas y voir un caractère plus archaïque. Voilà sans doute les deux plus vieux exemples que nous possé- dions de l’ancienne « chanson de carole » : un couplet de deux grands vers qui raconte une histoire; un refrain qui contient une exhortation à la danse ou l’expression d’un sentiment. Ces deux courts fragments de forme antique ne sont attestés qu’au xif siècle. C’est merveille, d’ailleurs, qu’ait pu se conserver alors quelque chose d’aussi simple, d’aussi « populaire ». Mais nos manuscrits LIVRE PREMIER renferment maints poèmes chantés, de date antérieure, où il est impossible de méconnaître, au moins dans la forme, un pastiche ou un développement littéraire, complexe, de la primitive chanson de carole. Citons seulement : nos toutes premières romances (avant 1150); les strophes françaises ou latines, mais à refrain

toujours français, du Mystère de l’Epoux (lin du xr siècle); l aube, semhlablement mi-partie de latin et de français, qu’un clerc du x* siècle s’est amusé à intercaler d’une plume légère et line, paroles et musique, au beau milieu de notes de droit en caractères massifs,

imposants3 *. Voilà qui remonte assez haut. On peut supposer que la carole, — avec la tresche, — s’est for- mée ou au moins ébauchée dans les « maieroles » ou les « rever- dies », ces danses accompagnées de chansons, vieux restes sans doute du paganisme celtique, par lesquelles le peuple des campagnes fêtait au lrr mai le retour du printemps. C’est là probablement que l’ont empruntée jongleurs et nobles, mais pour la régulariser et l’embellir : s’ils ont conservé dans le langage et la narration quelque chose de la simplicité paysanne, surtout au début, ils n’en ont pas-moins affiné, enrichi le fond et la forme, aussi au point de vue de la musique et même de la danse. Quoi qu’il en soit, ronde et chanson gagnèrent bientôt la faveur générale. En voici une preuve : dès la fin du xr siècle, je viens de le rappeler, l’Eglise adoptait une forme déjà évoluée du couplet de carole, dans le Mystère de l’Epoux, pour le chant, sans doute accom- pagné de danse3G, des Vierges folles et des Vierges sages, aussi bien que pour celui de l’ange Gabriel, des Marchands et du Christ; le refrain, un refrain véritable, en décèle déjà à lui seul l’origine « populaire » et orchestique. Aux xnq et xnr siècles, surtout peut-être au xif, la carole jouissait d’une vogue étourdissante. On la dansait, on la chantait partout, maintes fois à grand bruit, comme les gentilhommes

dans l hôtel de Guillaume de Dole : « Ainz i sont si granz les karoles — c’on les oit de par tôt le bore » (Guillaume de Dole, v. 2355-6). On la chantait et on la dansait dans toutes les classes de la société. On carolait dans les salles des châteaux et sous des tentes, jonchées les unes et les autres de fleurs odorantes, — d’ « amour », par exemple, ou mélilot, — aussi bien que sur l’aire des granges; on carolait de préférence en plein air, « sous l’ormel » de la cour ou de la place, « en un pré vert », dans les

clairières des « bois », « sous la ramée », « autour d un pin », c sur la rive de mer»; mais on carolait également dans les villes, en particulier au Quartier Latin, sur les « ponts », sur les « places » et par les « rues »37 — un carrefour de Paris en fut baptisé « Carrefour de Notre-Dame de la Carole » 38. On carolait la nuit, au clair de lune ou torches en main39, aussi bien que le LE VERS FRANÇAIS jour à la lumière du soleil. Quant aux. occasions, elles ne man- quaient pas, et l’on n’avait aucune peine à en créer. On carolait avant tout aux maieroles : « Les puceles, dont i ot tant — viennent chantant et font caroles — si granz qu’onques aux maie- roles — ne vëistes greignors » (Méraugis, v. 2880 s.). On carolait aux « noces », avec ou sans jongleurs, on carolait aux fêtes de toutes sortes, fêtes des saints et autres, aux foires, autour des feux de la Saint Jean, etc. Et une fois que l’on s’v était mis, on ne s’arrêtait pas de sitôt : à peine un chante-avant avait-il

terminé sa chanson qu un autre en entonnait une nouvelle, — comme cela se fait encore aujourd’hui dans nos rondes villa- geoises 41. On y passait le jour, on y passait la nuit : « Tant ont chanté que jusqu’as liz — ont fetes durer les caroles » (Guillaume

s y mêlait d’ordinaire, il y dominait quelque chose de plus ou moins érotique, sinon lascif. Aussi évêques et conciles les ont-ils à plusieurs reprises interdites formellement : « Que l’on ne fasse aux vigiles des saints, dans les églises, ni danses théâtrales, ni mouvements obscènes, ni rondes, et qu’on ne chante ni chansons d’amour ni cantilènes » (Concile d’Avignon, en 1209)42. « Qu’on ne doive pas, aux fêtes des saints, donner son temps à des danses et à des chants autour des églises et des cimetières, mais bien aux offices divins, le concile de Tolède le déclare : Il est une cou- tume irréligieuse que le peuple a pris l’habitude de mettre en pratique aux fêtes des saints; au lieu d’assister aux offices divins, comme on le devrait, on s’adonne à des danses inconvenantes, et, non content de chanter des chants condamnables, on noie sous le bruit les prières des fidèles; le concile charge prêtres et juges d’y couper court dans toutes les provinces 43. » Quand une bande en gaieté se livrait à ces bruyants ébats autour de l’église pen- dant les offices, troublant ainsi la cérémonie sainte, il pouvait advenir qu’un des officiants sortît en personne pour les faire cesser. Sans doute afin d’en détourner lecteurs ou auditeurs, on racontait à ce sujet toutes sortes de miracles : tantôt, pour mettre fin à la ronde sacrilège, le curé arrache la coiffe de la femme qui chantait avant, et la chevelure lui reste dans la main avec le couvre-chef44; tantôt, il condamne les caroleurs à continuer une année entière, sans répit ni trêve, et les malheureux ne peuvent LIVRE PREMIER 27 en elîet ni se séparer ni s’arrêter tant que pèse sur eux cette malédiction4B. lTn saint homme, en passant au cours d’une pro- cession devant une ronde, aperçoit un diable par-dessus l’épaule de chaque danseur40. Une jeune fille qui se reposait sur le perron de la maison paternelle, après avoir balle fort avant dans la nuit, se voit attaquée par une troupe de démons, qui la rouent de coups et la brûlent Pour le courtois prélat Jacques de Vitry (t 1240), l’avant-chanteuse est une vache porte-sonnaille qui mène un trou- peau de danseurs tout droit en enfer47. Les prédicateurs fulmi- naient contre la folie giratoire qui entraînait ainsi tant de monde à la perdition — et que n’arrêtaient point ces empêcheurs de danser en rond. Le clergé n’était pourtant pas toujours aussi sévère. En vertu de droits féodaux ou coutumiers, certains curés, prieurs ou prieures exigeaient des nouveaux mariés, sous peine d’amende, qu’ils vinssent à jour fixe leur chanter et danser une chanson ou plusieurs, soit à l’issue de la grand’messe et près du cimetière,

soit devant ou dans le monastère. En tel endroit, jusqu à une date assez rapprochée, la nouvelle mariée devait en particulier « aller une courante d’aller et venir > avec le prieur en personne dans la grand’salle du prieuré48. En dehors de cette occasion spéciale, il arrivait plus d’une fois aux prêtres, même aux religieux, de se mêler aux rondes profanes, et on enrôlait jusque dans les cou- vents 40. Nous en relevons encore des exemples bien après le moyen âge : au bal solennel donné par Louis XII dans la ville de Milan, les cardinaux de Saint-Séverin et de Narbonne dansèrent avec seigneurs laïcs et hautes dames. Le premier des modernes qui ait écrit un livre détaillé sur la danse, en 1589, n’est autre qu’un chanoine de Langres, Jean Tabourot. Il nous y raconte qu’il a appris le triorij d’un Breton « lequel demeuroit avec moi escollier à Poictiers 50 ». Au moyen âge, à plus forte raison, où la carole entraînait toutes et tous dans son

irrésistible tourbillon, escoliers et jeunes clercs de Paris et d ail- leurs s’v livraient avec emportement51. Devenus prêtres, ils connaissaient encore si bien les chansons de carole qu’on voyait des prédicateurs y prendre le texte de leurs sermons : ici, vers 1214, la carole, — trijmdium, — « de la bele Aliz »52; là, vers la même date, un « virelay » semblable à tel des « rondeaux » que nous trouvons dans Guillaume de Dole (1200). Voici ce dernier : Sur la rive de la mer, — La pucele i veault aler — Fontenelle i sordeit cler, Viólete ai trouvée. — Je doig bien cotijei d’amer, Dame maul mariée 53. LE VERS FRANÇAIS La poésie religieuse, en latin ou en français, empruntait aux caroles leurs mélodies, leurs mètres, leurs images, leur style, .l’ai

déjà cité les strophes du Mystère de l Epoux. D’après la carole

d’Aélis, ci-dessus nommée, on a écrit au xiu siècle un Cantus de Domina (Notre-Dame) avec paraphrase en français sur le même air. Les exemples sont très nombreux5*. On voulait évidemment répandre ces calques édifiants, grâce à la vogue dont jouissait l’original profane. Les chansons de carole, en effet, avaient fini par inspirer 1111 tel engouement, aux xn et xin" siècles, qu’on les chantait aussi à tout propos hors de la danse : en déambulant par les salles d’un palais, en allant cueillir le « mai », en se promenant à travers champs et bois, en chevauchant, etc.55. Jusque vers le troisième quart du xir, « les dames et les roïnes » les chantaient sous leur forme primitive, ou dans des imitations littéraires, pour accom- pagner les travaux d’aiguille, — en cousant, en brodant, en filant50: de là, sans doute, le nom de « chansons à toile » ou « de toile » 5T. Au moment où a été écrit Guillaume de Dole, c’est-à-dire vers 1200, danse et chanson avaient évolué, s’étaient compliquées, du moins dans l’aristocratie, en prenant des formes « que vilains ne porroit savoir » (i7>., v. 15), mais qu’il finit cependant par apprendre en partie. Elles commencèrent sans doute peu après à perdre [»lus ou moins lentement du terrain. Les nombreux romans qui en ont parlé pendant tout le xnr siècle, à l’exemple de Guillaume de Dole, suffisent néanmoins à montrer qu’elles restaient bien vivantes, grâce peut-être en partie à la réclame que leur faisaient ces livres. Mais par la suite, la musique instrumentale empiète peu à peu sur le chant, au moins dans l’aristocratie58. Depuis bien longtemps déjà, ménestrels, trouvères et leurs successeurs ne composaient plus que des pastourelles et surtout des chançons, pour lesquelles chevaliers et dames délaissaient les vieilles romances, ou bien des rondeaux, des virelais, des ballades destinés au chant non accompagné de danse ou même à la simple lecture. Charles d’Orléans a bien écrit des « caroles », mais c’étaient des poésies qui ne se dansaient ni ne se chantaient. Comme danse, la carole n’était pas abandonnée au xvir siècle, mais elle tendait à passer au second plan. En 1519, le Miroir du Contentement nomme «des Bretons la drue carole»50: on dirait

qu il s’agit d’une danse purement provinciale. Dans le livre I\ de Pantagruel, c’est-à-dire en 1552, Rabelais nous montre, au chap. 52, des jeunes gens masqués qui sortent de leur école pour aller divertir une noce par leurs « petites caroles et pueriles esbate- mens » : les « petites caroles » étaient-elles déjà en train de devenir des «rondes enfantines»? Ronsard, vers la même date, s’adressait LIVRE PREMIER 29 pourtant en ces termes aux « divines sœurs », aux Muses, dans le sonnet qui sert de préface au Livre des Amours : Si lout ravy des saulls de vos cardes... Mais « carole », choisi à cause de sa jolie sonorité et de son archaïsme, aussi bien que pour la rime, n’a sans doute ici d’autre sens que celui de ronde, de danse. D’autres précisent, bien que plus tard encore, de manière à nous renseigner exactement sur le sens

du mot. Dans le Printemps d Yver (1582), nous voyons « une illustre compagnie de gentilshommes et damoiselles » du temps, sous les murs d’un château du Poitou, danser la « ronde carole » au chant de « branles » : c’étaient, d’après le contexte, des branles rustiques de leur province, et Yver prend la peine de nous les traduire en «français». Voilà qui commence à nous éclairer60. La carole, la « ronde carole », avait fini par recevoir, sous ce nom de branles, toutes sortes de formes plus ou moins variées. Dans son Orchésogmphie, en 1589, Jean Tahourot en décrit un assez grand nombre, mais sans jamais rappeler les termes de carole ou de tresche et sans jamais parler de chant, alors qu’il cite, au contraire, une chanson à quatre parties, — et avec batte- ments de tambour, — pour accompagner la pavane61. C’est ainsi que la « drue carole des Bretons », dont parle le Miroir du Conten- tement n’était sans doute rien d’autre que le branle de Bretagne appelé tri(h)orij par Rabelais et par Tabourot, branle plutôt rare en dehors de sa province natale Les branles, d ailleurs, semblent appartenir à ces danses que le vieux chanoine de Langres, âgé de soixante-neuf ans, regrette de voir négliger pour des « dances lascives et deshontées * c:i. Longtemps auparavant, en elTet, comme on finissait par se « lasser de danser en chapelet »°4, ils avaient commencé à céder le pas, si j’ose dire, à des danses plus vives et plus complexes, aux danses par couples, qui en dérivaient parfois, comme la gaillarde, la pavane et la gavotte, ou qui venaient de l’étranger, comme la sarabande espagnole. Dans six livres de Danccries publiés en 1547, 1550, 1555, 1556 et 1557, sans paroles d’ailleurs, les branles dominent encore de beaucoup65. Vers la fin du x\T siècle, s’ils n’avaient pas gardé la

place principale, ils étaient d un usage général en France. On les dansait et chantait sans doute beaucoup au commencement du xviic : dans Mangeant, Les plus belles chansons de dances de ce temps portent presque toutes le titre de branle, surtout de « branle double » 6a- Un assez grand nombre seulement dans la collection de Philidor, composée en 1690 à l’aide de traditions qui remontaient, affirme le compilateur, au temps de François I*r. Compan, dans son Dictionnaire de la danse (1787), a un article sur le branle : « C’est, dit-il, en copiant Furetière, une danse où 30 LE VERS FRANÇAIS plusieurs personnes dansent en rond en se tenant par la main et se donnant un branle continu et concerté avec des pas convenables selon la différence des airs qu’on joue alors. » Il ne parle pas de chant. Les chansons de Mangeant, paroles et musique, étaient déjà empruntées pour la plupart à la tradition populaire ou n’en étaient que des pastiches, des imitations. C’est presque uniquement à la même source que Ballard puisait un siècle plus tard ses Rondes (I et II, 1724). Dans la haute société, qui pouvait « payer les violons », la vieille ronde carole avait rejeté l’accompagnement de la poésie, comme absorbant une trop grande part d’attention, et maintenant, réduite à ses seuls moyens, elle se voyait délaissée pour des danses plus jeunes. Non qu’on ne lui rendît les égards dus à son âge : par une tradition antique et solennelle, on a continué jusqu’au xviir siècle à commencer tout « bal réglé », à la cour et sans doute ailleurs, par un branle aux instruments. Saint- Simon le rapporte de Louis XIV à la date de 1692 : « Il y eut grand bal réglé chez le roi, c’est-à-dire ouvert par un branle0T. » Du branle il est resté des expressions qui témoignent de sa vogue ancienne : mener, ouvrir, commencer le branle; fou comme un branle gai; danser un branle de sortie. Est-ce là tout ce qui en reste? Si la carole a peu à peu fini par disparaître des bals aristocra- tiques ou mondains, d’abord comme ronde aux chansons, puis comme ronde aux instruments, le peuple a continué de la danser et de la chanter jusqu’aux dernières années du siècle dernier, jusqu’à nos jours, — qu’il l’appelle d’ailleurs branle ou ronde, comme en Normandie, ou bien , comme dans la Belgique de langue française, ou encore rondèu, comme en Gascogne. On la danse et on la chante, tout de même qu’au moyen âge, non seule- ment « Là-bas dans la grand’prée — dessous quio grous ormiau »°8, mais jusque sur les pelouses du Ranelagh. Et qu’est-ce que nos rondes enfantines, sinon des restes de carole?

Dès le xii siècle, au plus tard, notre carole avait passé à

l’étranger, la chanson comme la danse, d’abord dans l aristocratie, et bientôt dans toutes les classes. Ce n’est pas seulement dans les autres contrées gallo-romanes, — Wallonie, Suisse romande et Suisse roumanche, Piémont, Catalogne (y compris la province de Valence), Galice et Portugal, — qui forment bloc à ce point de vue, comme à d’autres, avec la France d’oui et d’oc : c’est aussi dans le reste de l’Italie et de l’Espagne, dans la Gaule germanisée, en Hollande, en Angleterre, en Scandinavie, en Allemagne09. On a longtemps cru que la Castille n’avait eu que son romance, d’un LIVRE PREMIER 31 autre caractère : mais 011 a découvert récemment, — soit sur

place, soit dans l Amérique du Sud, soit chez les descendants des Juifs expulsés en 1492 et réfugiés au Maroc ou en Asie Mineure, — des caroles castillanes du genre français, transmises oralement depuis des siècles70. Ont-elles simplement pénétré de Catalogne en Castille par infiltration? Ont-elles été introduites par les princes bourguignons et leur cour? Ce sont peut-être également ces derniers qui les ont apportées au Portugal. Pour l’Angleterre, la conquête normande sut fit largement à tout expliquer. Rappelons seulement qu’on a beaucoup « carolé », d’après Froissart, aux fêtes données par Edouard III, à Eltham et ailleurs, pour recevoir Jean le Bon71. Quant aux autres pays de langue germanique, nous y reviendrons plus tard. Partout la carole a été importée directement de chez nous, —

bien qu il ait pu y avoir ensuite des emprunts à gauche ou à droite, — et partout sous des formes qui, pour la chanson au moins, dilTèrent peu ou prou d’un pays à l’autre, mais ont toutes leur point de départ dans les nôtres : comment, nous le verrons dans un autre chapitre. Partout aussi, et assez longtemps, elle a joui de la même vogue extraordinaire qu’en France. C’est vrai tout spécialement de la Scandinavie — depuis le Danemark, la Suède et la Norvège jus-

qu en Islande et aux Féroé : on peut leur appliquer exactement le tableau que je viens de tracer pour notre pays. L,a chanson de carole a en outre exercé une action considérable

sur plusieurs littératures. Dans celle de l Angleterre et de l’Ecosse, où elle semble avoir surtout ileuri une fois séparée de la danse, elle tient une place importante, sous le nom de carol et de ballad, et par ses qualités propres, et par son intluence directe ou indirecte, au point de vue du fond ou de la forme, sur nombre de poètes an- ciens ou récents. L’Allemagne n’a pas échappé non plus à la conta- gion: les traces s’en aperçoivent dans sa lyrique du moyen âge comme dans son volkslicd, et par suite dans les imitations qu’en ont faites en particulier ses romantiques, ceux même avant la lettre. Mais, à cet égard aussi, les pays scandinaves offrent un spec- tacle unique: du xnr‘ siècle, 011 avant, jusqu’à la fin du xv* environ, toute leur poésie en langue nationale, sauf pour 1 Islande, s’est ex- primée en chansons de carole, — folkeuiser, folkvisor, dansar, — œuvres surtout de la petite aristocratie. Elles constituent dans leur ensemble une des plus riches littératures qui soient, une des plus belles72. On en a mis beaucoup par écrit au xvi* et au xvii* siècle: beaucoup, enfin, ont pu être recueillies au siècle dernier sur les lèvres du peuple, qui les avait conservées, non sans les estropier plus ou moins, moins cependant qu’on n’aurait pu le craindre. C’est en Danemark surtout qu’a fleuri cette littérature. On y a rassemblé LE VERS FRANÇAIS environ six cents folkeuiser, comprenant jusqu’à trois mille variantes. Et la qualité vaut la quantité. Comme centres importants, il faut citer aussi la province norvégienne de Teleinarken et en particulier les Féroé. Ces iles présentent à ce point de vue un intérêt tout particulier. Par suite du monopole commercial que leur imposait le Danemark, elles sont demeurées jusqu’en 1856 complètement isolées du reste du monde : seuls, les navires danois avaient le droit d’v aborder, et personne, d’ailleurs, ne songeait à y aller. Non seulement, leurs chansons de carole, la plupart très anciennes, sont restées pendant tout ce temps leur unique littéra- ture, transmise oralement aux travaux des veillées et pure de toute influence étrangère, — malgré l’importation de folkeviser danoises, qui constituent un groupe à part, — mais elles ont continue à se chanter et à se danser jusqu’à nos jours, comme au moyen âge7’. Voilà qui peut nous être précieux, comme terme de comparaison et même comme pierre de touche, dans notre étude sur la carole de nos ancêtres. i CHAPITRE III La Ronde Carole Comment se dansait chez nous la carole? Les écrits du temps nous disent expressément que c’était une ronde chantée et nous pouvons ajouter, d’après leurs descriptions, une danse marchée, une danse où l’on « va »74. Une phrase de Jacques de Vitry, dans un sermon, nous apprend qu’on tournait de droite à gauche75. Le chante-avant, qui menait la danse, frappait du pied pour mar- quer le rythme, et il se « débrisait », en partie sans doute à cette même fin, il « chantoit de mains et de braz » 76. Ainsi que les autres danseurs, il s’appliquait aussi en temps voulu à « ferir l’un pié encontre l’aultre »77. A tous ces points de vue, il en était de même pour la tresche,

si ce n’est qu on formait, au lieu de ronde, une chaîne ouverte; mais, en outre, le chante-avant, qui allait naturellement en tète, tenait dans sa main Libre, par exemple, les gants de sa dame, — comme Robin ceux de Marion dans la pièce d’Adam le Bossu 78 —, et en d’autres cas, sans doute, soit une fleur ou un « chapelet » (guirlande ou couronne de fleurs), soit une coupe, soit une « ser- viette », etc. 70. Les chevaliers devaient aussi danser parfois autour des dames la danse des épées. On aimait se rendre à la carole, au moins en plein air, une couronne de lleurs sur la tète : « En son chief ot chapel — de roses très novel » (Guillaume de Dole, v. 3416-7). « On carole aux chansons, dit dans un sermon Gautier de Chàteau-Thierrv, des lleurs de rose et de violette en guirlande sur la tète et à la main. » « On danse, constate aussi dans un sermon Guiard de Laon, on danse avec thyrses et torches80.» Tous ces détails s’étaient con- servés dans les pays Scandinaves, particulièrement en Danemark 81. Nous les retrouverons plus tard en France. Mais quels étaient les pas de la carole? Là-dessus, ni les romans, ni les romances, ni les rondeaux, ni les « ballades », ni les pastourelles du moyen âge ne nous donnent la moindre indica- tion. Nous possédons en revanche dans VOrchésographie les rensei- P. Verrier. — Le Vers français. — I. 3 34 LE VERS FRANÇAIS gnements les plus précis sur les branles, les rondes de diverse forme auxquelles avait abouti en France la carole. II y en a par suite 1111 assez grand nombre. Mais Tabourot déclare expressément

qu ils dérivent tous du « branle double » et du « branle simple », par lesquels, de son temps, commençait toujours la danse82. D’abord donc venait le branle double, dont l’autre nom, « branle commun »83, atteste la vogue et l’ancienneté. Il comprenait alterna- tivement (I) quatre pas simples, ou deux pas doubles, à gauche, et (II) autant à droite : (I) 1. portez le pied gauche à gauche; 2. rapprochez le pied droit du pied gauche; 3. portez le pied gauche à gauche; 4. « joignez » le pied droit au pied gauche; (II) 5. portez le pied droit à droite; 6. rapprochez le pied gauche du pied droit; 7. portez le pied droit à droite; 8. « joignez » le pied gauche au pied droit8*. C’est évidemment en « joignant » les deux pieds, aux pas 4 et 8, qu’on avait l’occasion de les « ferir l’un encontre l’aultre »,

comme il est dit dans Lancelot du Lac1 . Remarquons, d’ailleurs, qu’il s’agit de pas marchés : ceux de la carole (v. p. 33). Quatre pas à gauche (I), puis quatre pas à droite (II) : ceux-ci étaient plus petits que ceux-là, « plus restraincts », sinon la ronde n’aurait pas tourné, elle se serait réduite à un va-et-vient sur place; ils se remplaçaient même quelquefois par une sorte de quadruple balancé s5. l’n siècle après VOrchésographie, en 1G90, le Dictionnaire de Furetière donne à peu près la même description : « Branle, en terme de musique, est un air ou une danse par où on commence tous les bals, où plusieurs personnes dansent en rond, et non pas en avant, en se tenant par la main, et se donnant un branle continuel et concerté avec des pas convenables, selon la différence des airs qu’on joue alors. Les branles consistent en trois pas et un pied-joint qui se font en quatre mesures ou coups d’archet. » Notre académicien dégommé, si j’ose dire, s’embrouille dans ses explications : il déclare que le branle comprend plusieurs variétés, mais il n’en définit qu’une seule, le branle double. C’est évidem- ment que cet ancêtre des branles était resté de beaucoup le plus commun et que dans tout « grand bal réglé », d’après saint Simon également, comme d’après Tabourot, il figurait par droit d’aînesse LIVRE PREMIER 35 avant toutes les autres danses. Par droit d’aînesse : « par respect de l’antiquaille », auraient plutôt dit sans doute les jeunes gens d’alors, s’ils connaissaient cette expression de Rabelais. On a remarqué dans l’article de Furetière que ce « branle continuel », c’est-à-dire ce va-et-vient, est « concerté avec des pas convenables, selon la différence des airs qu’on joue alors », car il s’agit d’instruments, de violons. « Sans la vertu rythmique de la musique, observe Tabourot, la dance seroit obscure et confuse »8C. Jean de Grouchy, dans les dernières années du xm* siècle, s’ex- prime encore plus nettement : « Les temps marqués du rythme, les ictus *, mesurent la musique ainsi que les mouvements, et ils incitent à se mouvoir avec art suivant les règles de la danse »8r. Dans la carole, par conséquent, le rythme de la chanson devait correspondre au rythme de la danse. Lequel des deux a servi de modèle à l’autre? « Qui fut premier, soif ou beuverie? » discutent dans Gargantua les convives de Grandgousier. Passons aux faits. « L’air du branble double », comme l’explique Tabourot, com- porte «deux temps de mesure binaire» U -) pour chacun des huit pas simples 88. Dans nombre de nos vieux mètres poétiques, la musique présente également huit mesures simples réparties de la même manière en deux grouj>es de quatre. Citons-en quelques exemples, en signalant par des caractères £ras (penchés) l’endroit du vers où tombe le « temps marqué » (principal) de la mélodie, c’est-à-dire où il y a dans le chant accroissement d’intensité et où dans la danse le pied « frappe le sol » ou bien « fiert encontre l’aultre pié » (avec chaque temps marqué commence une mesure simple) 8U : C’est lot la gieus el glaiolo/. — tenez moi. dame, tenez m©/**. Chanson de carole (Guillaume de Dôle. v. 320-330). — Même mètre poétique et musical (noté): Mangeant, f. 28. «Quand je pense à cet Allemand » (branle double). Toi la giei/? sor rive mev — conipaignon, or dou chanter. Carole (ibicL, v. 4154-4155). — Même mètre poétique ot musical (noté) : Mangeant, f. 36, « Faut-il avoir tant de mal... » (branle double).

,T amnoins par les dois m’am/e, — s en vois plus mignotement. Refrain passe-partout de carole (Bartscli, II. 27, 03; Cour de Paradis, Bibl. Nat., ras. fr. 25532, f. 333, mus.: Motels, I, 140). — Même mètre poétique et musical (noté) : Mangeant f. 1, yuand je vois... » (branle double). * Temps marqué, ici us : renforcement périodique du son, qui divise en

mesures et donne aux danseurs le signal d un frappement du pied. ** Quand je mets deux petits vers sur une môme ligne, je les sépare l’un de l’autre par un tiret. t 36 le vers français Main se leva la bien faite Aol/z, Bel se para et plus bel se vesli.

Première carole d Aélis (Bibl. Nat., ins. fr. 12G15, f. 50, avec notation carrée; Bartsch, I, 80 et I, 71).

J aim miex un chapelet de flors que mauvais mariage *. Carole de balerie (Châtelaine de Saint-Gilles, v. 25). — Même mètre poétique et musical (noté) : Mangeant, f. 3, « Durant la guerre... » (branle double). Por ce, se je ne vos vo/, ne vos obi/ ge mie. Refrain passe-partout de carole (Bartsch, I, 38, 53-55; Spanke, p. 37. — Même mètre poétique et musical (noté) : Mangeant, f. 35, «Il estoit trois mercerots... » (branle double). ,1e ne serai sans amour en toute ma vie Refrain passe-partout de carole (lien, le Noni\, p. 22G, noté, v. Beck, p. 115; Châtelaine de Saint-Gilles, v. 08-09). Ne \os repentez mie de loiaument amer (II)**. Refrain passe-partout de carole (Guillaume de Dôle, v. 2364- 2305; Bartsch, I. 7 t. v. 33, etc.). — Même mètre poétique et musical (noté): Mangeant, f. 34, «Cueillons la violette — là-bas dans ce vallon» (branle double); Orchés., f. 32 v°, «Belle qui liens ma vie — captive dans les yeux» (pavane, même rythme que le branle double); nombre de rondes populaires plus ou moins anciennes, telles que « Au jardin de mon père les lauriers sont fleuris », etc..90. A côté de ces mètres et de plusieurs autres, qui se divisent normalement en deux membres de quatre mesures simples, il en est qui se prêtent aussi aux pas du branle double, mais avec une rythmisation un peu plus complexe, quoique très chantante et très dansante :

Tendez luit nos mains a la llor d eslé ! <■ Vireli », refrain de carole (Guillaume de Dôle, v. 50001). — Même mètre poétique et musical (noté): «Que demandez vos...» (Guillaume de Dole. v. 5002, notation du xm* s., d’après Gennrich. n° 16, p. 0 ; attesté fréquemment dans nos vieilles rondes popu- laires, à partir du moment où on les a recueillies (xv* s.); cf.

Mangeant, f. G, « Ne m accuse point... » (branle double). Huit mesures simples et huit pas simples, groupés des deux côtés par quatre : la correspondance est parfaite à cet égard dans tous les exemples cités. Et le genre du rythme ? Nous n’avons pas * Dans les grands vers, j’indique par un blanc la place de la césure. ** Le (II) indique quo la syllabe précédente s’étend sur deux mesures simples, correspond à deux pas simples ”. t LIVRE PREMIER 37 à en tenir compte ici : binaire -) dans l’air du branle double, d’après la notation et les explications de VOrehesoyraphie, la mesure est ternaire dans sept des trente-sept chansons que Mangeant publiait pour cette danse vingt-six ans plus tard. Ce qui n’est là qu’une exception d’un cinquième, a pu être la règle à certaines époques : il ressort de maints exemples que le genre du rythme varie, dans les chansons comme dans les danses, d’un temps et d’un pays à l’autre91. Il va sans dire que cette remarque s’applique aussi au branle simple. Le branle simple venait dans les bals, suivant Tabourot, après le branle double. Il comprend alternativement quatre pas simples à gauche et deux à droite : autrement dit, les quatre premiers du branle double et les deux derniers, 7 et 8 92. Il a donc sur celui-ci un avantage appréciable : comme on ne fait que deux pas à droite, contre quatre à gauche, on n’a point à se préoccuper de les faire pliis petits, et la ronde n’en tourne pas moins plus vite. C’est plus agréable et plus animé. Il se peut donc qu’à certaines époques il ait eu plus de vogue93. L’apparition soudaine et fréquente de certains mètres s’expliquerait peut-être ainsi. « L’air du branle simple » comporte aussi deux temps de « mesure binaire » simple (± _), et par conséquent un temps marqué, pour chacun des six pas. Dans les mètres poétiques dont je viens de parler, tous attestés dès le xne siècle, les temps marqués correspondent à ces six pas aussi bien par leur nombre que par leur répartition (4 -}- 2):

Mignotement la voi venir, — cele que j a/rn. Refrain passe-partout de carole (Guillaume de Dole. v. 314-5 . — Même mèlre poétique et musical (noté): «Fins cuer no se doit repentir do bien amer» (Salut d’Amour, refrain, v. Gennrich, Ron- deaux, n° 331); «Jamais amours n’oublierai...» (Ren. le Xouv., p. 194, Beck, p. 119); etc.

Ne sui pas les mon anu . — ce poise mi. Refrain passe-partout de carole, noté {Ren. le Xouv., v. G926, Beck, p. 115 el 11G). — Même mètre poétique et musical (noté): Mangeant, f. 41, «Mon père m’a marié’ à un bossu» (branle simple). Trois seiors sor rivo mer — chaulent cler. Vers de carole, noté (Bartsch, I, 20; Beck, p. 172 . Souspris sui d’amouretes, souspris, souspris. Rcn. le Xouv., v. 2692, noté (Beck, p. 119). 38 LE VERS FRANÇAIS

loto nuit chevauche jusqu au jour cler. Chanson île enrôle. (Guillaume de Dole, v. 2381). Audigier d/sl llaiinherge, bouse vous dI.

Vers d Audigier (xir siècle), noté. — Même mètre poétique et musical (noté) : 1" avec addition de deux syllabes et de doux- mesures, nombre de rondes populaires anciennes, telles que « A la

claire fontaine, m en allant promener) » sous sa forme la plus répandue; 2° sans déplacement du temps marqué au commencement des deux hémistiches, «< Il nous faut des tondeurs dans nos maisons» (Ballard, Rondes. î. I, p. 2(5, v. Rolland, 1. I, p. 311)04. • ** f Dans les enrôles qui nous restent du moyen âge, enrôles aristo- cratiques pour la plupart ou du moins artistiques, savantes, les mètres précédents et nutres de rythme nnnlogue ne se trouvent pas souvent employés seuls. La raison ? Ecoutons Tabourot : « De tous les branles cy-dessus, comme d’une source, sont derivez certains branles composez et entremeslez de doubles, de simples», etc.85. Dans benucoup des branles publiés au xvr siècle, le branle simple alterne ou se combine de manière plus complexe avec le double : c’est ce qui ressort nettement de la musique. Voici quelques exemples d’après le Troisième livre de danceries veu par Claude Gervnise (1556, Paris, chez la veuve Attaingnnnt : les branles I et VI se composent chacun d’un double (4 + 4 pns)

et d’un simple (4 —|— 2) ; le brnnle II, d’un simple et d un double interrompu par un simple (4 + 2, 4 + 4 + 2); le brnnle III, d’un double et de deux simples (4 + 4, 4 + 2, 4 + 2); etc. C’est nu dernier (III) que correspondent exactement pnr leur rythme de nombreux rondenux de enrôle. Il suffirn d’en citer un (ie refrain est en italique, le temps mnrqué est indiqué par un chan- gement de caractère) : [double] Main se leva bele Aëliz, — Mignotement la roi venir — [simple] Biau se para, miex se vesti... Desoz le raim. [simple] — Mignoterncnt la roi venir Celé que j’aim 9rt. Carole (Guillaitme de Dole, v. 310-15). Il y a déjà chez Guillaume IX d’Aquitaine (1087-1 127), par exemple dnns In chnnson IV, des strophes qui présentent les mêmes mètres dnns le même ordre. Qu’en fnut-il conclure ? LIVHE PREMIER 39 De tous les branles, — le double, le simple et ceux qui en dérivent, — le plus simple est peut-être le branle du Poitou : il se danse « en allant tousjours à main gauche »97. Il comporte deux ligures, ou séries de « mouvements » : « pied en l’air droict; pied en l’air gaulche, pied en l’air droict, pied en l’air gaulche >, mêmes mouvements et « souspir ». L’air en comprend deux membres de trois mesures ternaires (- w), c’est-à-dire de trois temps marqués. L’air du « branle de Bretagne » également, tel du moins qu’il est noté par Mangeant (f. 5), si ce n’est que les mesures sont binaires. Ce rythme se retrouve dans plusieurs de nos vieux mètres poétiques : Son très dous regars m’a mon cuer emblé. Refrain de rondeau, noté (Gennrieh, n° 44). — Même métro poé- tique et musical (noté): Mangeant, f. 5, «Pour estre amoureux — Je fus langoureux » (branle de Bretagne).

Vous n alés * m/e tout ensi coin je las. Refrain de carole, noté [Rcnarl le .Xouv., v. 2576. cf. v. 2546 et v. Bock, p. 119 s. — Même mètre poétique et musical (noté) : « Au pont do Nantes un bal est assigné», ronde (Rolland, n° CXLIII.

texte de musique de a); dans d autres versions, «Nantes» est remplacé par « Nord », qui forme alors deux mesures, à moins que la seconde ne soit reportée sur « un ». Malgré la césure, d’ailleurs, les vers cités dans ce paragraphe peuvent aussi se chanter au branle simple : mais, par suite de la différence de division, 3 -(- 3 dans les vers et 4 -f 2 dans le branle, la première figure de la danse enjambe sur le second membre du mètre poétique et musical. Ce chevauchement est attesté dans deux branles simples de Mangeant. Au refrain seule- ment dans l’un (f. 41) : Tu ne la voiras plus, polit | bossu tortu. Dans l’autre (f. 37), il a lieu également au refrain, mais en

outre chaque vers du couplet proprement dit s étend sans césure poétique ni musicale sur les deux figures du branle : Valel qui aime | par amour.

N’aimez pas fille d un seignour. Il est vrai que ce sont là deux « branles de village >, — branles de vilains98. Mais dans le refrain suivant, refrain du xiiT siècle, Ts. * « Allez », c est-à-dirc dansez. 40 LE VERS FRANÇAIS la coupe du premier vers ne s’accorde pas non plus avec le branle simple, qui semble exigé par celle du second : Amours ne se donne. mais | ele se vent :

Il n est nus qui soit a — més | s’il n’a arpent. H>‘n. lo youv. noté (Heck, p. 115).- Ms. Douce, bail. 18 (Gennrich, n° 107). 11 devait se produire des chevauchements analogues dans un certain nombre de refrains, par suite de leur longueur quelconque, à moins que la danse ne repartît à gauche avec plus d’entrain —

Qttid stamus ? Cur non imus ? — sans se préoccuper de rien

d autre que d aller en mesure. On avait alors tout simplement, dans ce dernier cas, un branle mixte réglé par le rythme du chant. De nos jours, d’ailleurs, là où l’on danse encore en France la vieille ronde, — campagnards de certaines provinces et enfants de partout, — on se contente en général de tourner en rond, « tousjours à main gaulche », et à raison d’un pas simple ordinaire par temps marqué. ** Mais l’antique et vivace carole a conservé en maints endroits l’une ou l’autre de ses formes variées, les plus vieilles au moins, celle du branle double ou du branle simple : en Normandie, par exemple, et en Bretagne. A la fin du siècle dernier, en 1896, un Suédois du nom d’An- holm était descendu à l’auberge de Vaucottes, petit village de pécheurs dans une valleuse du pays de Caux. Un jour, il fut attiré à la fenêtre par un bruit soudain de chant et de pas. « Des gens de la contrée avaient formé une ronde autour du grand arbre qui se dressait devant l’auberge au milieu d’une pelouse L’un d’eux chantait seul chaque vers, que les autres reprenaient en chœur. La danse allait sans arrêt pendant toutes les strophes : trois pas légers, alternativement à droite et à gauche, accompagnés d’un balancement rythmé des bras, — d’avant en arrière et d’ar- rière en avant, — le tout avec une merveilleuse précision. » C’est que dans le pays on a l’habitude : « Il arrive en janvier, au retour des Terre-Neuvas, que plus de cent caroleurs tournent gaîment autour du grand arbre. » Voici l’une des chansons que l’on chan- tait, et que l’habile chante-avant, au grand ébaudissement de la troupe, enrichissait de strophes nouvelles, dit M. Anholm, au gré

de l inspiration (les temps marqués du chant et de la danse, que je signale comme ci-dessus, coïncident presque tous avec une syllabe accentuée) : LIVRE PREMIER 41 Mon père veut rne marier,

— Trop tourtes sont les iiuits d été! — A un vieillard veut m’y donner...

Au fond d un bois, au pied d’un houx.

— Les umts d été .sont trop courtes Pour les tjens qui font l’amour". —

Qu est-ce que cette chanson à danser du xixc siècle, sans doute

i. ussi du xx ? Un rondeau de carole, tout pareil à celui du xm* que j’ai cité plus haut. La correspondance se retrouve même dans le dernier vers du chante-avant, qui rime ou assone avec le second du refrain. Il n’a rien à voir, malgré l’amusante incongruité du rapprochement, avec l’histoire racontée dans la chanson : « bele Aeliz » ne se « vesti » pas plus « desoz le raim » (= sous la ramée) que le père de l’autre belle ne veut la donner « à un vieillard au fond d’un bois, au pied d’un houx ». J’expliquerai plus tard ces additamenta, comme les appelait au xnr siècle Jean de Grouchy. Ce même auteur (p. 99) nous apprend que de son temps le rondeau se dansait particulièrement en Normandie. Nous voyons qu’il s’y danse encore. Revenons à nos deux exemples. Le rondeau « populaire » contemporain diffère par son rythme du vieux rondeau courtois : la mesure des vers se règle sur les pas, non d’un branle « com- posé », mais du branle double : quatre vers de huit syllabes et deux de sept, contenant chacun quatre temps marqués. L’ensemble comprend, comme dans les branles doubles de Mangeant, trois figures complètes de la danse, telle que la définit Tabourot (4 -f- 4). Par suite du changement de mètre, il y a une pause très brève entre le couplet proprement dit et le refrain final, et ce refrain reprend sur un temps marqué, c’est-à-dire, comme la danse elle- même, avec plus de vivacité, plus d’entrain. Notre Suédois n’a compté que trois pas dans chaque sens, au lieu de quatre : c’est que le quatrième n’en est pas forcément un au sens ordinaire du mot. Il consiste à « joindre » un pied à l’autre, sans forcément en frapper ni même toucher le sol. Aussi Furetière, qui connaissait bien cette danse, dit-il « trois pas et un pied-joint ». Mais ce pied-joint s’eflectue maintes fois par un mouvement léger, voire à peine esquissé, auquel ne prend pas toujours garde un spectateur de passage ni même un observateur attentif. Pareille erreur se relève dans certaines descriptions de la carole féroéienne 10°. Revenons à la Normandie, la Basse-Normandie cette fois. On y carole encore çà et là dans le Cotentin, dans le Bessin, dans 42 LE VERS FRANÇAIS le Bocage. Sur les vagues confins du Houlme, au temps lointain de mon enfance, j’ai vu danser et dansé moi-mèine la ronde sous la forme du branle double, au chant de vieilles chansons telles que la suivante (chacune des assonances en i forme deux mesures simples) : Au jardin «le mon père, les lilas sonl fleuris {bis); Tous les oiseaux du monde y vieiui’ faire leur nid.

— Auprès de nui blonde ipi il fait l>on. fuit bon. fait I,on,

Auprès de nui blonde qu il fait /»on dormi! — Ici encore, pour plus de vivacité, le refrain repart sur un temps marqué. C’est également sous la même forme et aux accents de cette même chanson que pendant l’été de 1897, sans doute aussi des années suivantes, une trentaine de personnes carolaient tous les dimanches sur la grande pelouse du Ranelagh — à Paris. Les paysans de la Cornouaille, comme je l’ai observé à Penmarc’h en 1927, dansent encore aujourd’hui le branle simple, — laiton laïta Ion /aire. /a/7ou /a/7a Ion la. (II), — avec balan- cement des bras et au rythme de chansons d’histoire ou autres, rien n’y manque. Branle double et branle simple, branle double surtout, c’est évidemment sous ces deux formes primitives que notre carole a dû s’importer au moyen âge en pays étranger. Dans le rythme des anciennes chansons à danser, des chansons narratives au moins, il n’y a trace que du double en Angleterre et en Alle- magne. Si nous n’avons pas le droit d’en inférer qu’il y était seul connu, c’est au moins une preuve que le simple ne devait pas y être fort répandu, qu’il n’a guère pu rayonner hors de France par l’intermédiaire de ces deux pays. Dans les ballades Scandi- naves, au contraire, si le mètre s’accorde généralement avec les pas du branle double (4 4-4), ¡1 correspond quelquefois à ceux du simple (4 -(- 2) : dans Tristan et Iseut (Islande), par exemple, et dans Ange et El se (Danemark), qui se rangent parmi les plus belles, les plus populaires. Est-ce en partie à cause de leur popu- larité, je ne sais, mais le fait est certain : bien que le branle simple ne soit ainsi représenté que par un petit nombre de chansons, conservées, attestées pour la plupart en danois, il n’en a pas moins empiété dans la danse même sur le branle double, — partout où l’on a continué de caroler, c’est-à-dire à la campagne, — au point de finir par l’évincer complètement. Aux Féroé, où les vers du couplet s’en tiennent ordinairement aux deux formes 4 4, 4 —{- 3 (il s’agit des mesures simples) et où le refrain admet LIVRE PREMIER 43 n’importe quelle longueur, toutes les ballades se dansent main- tenant et depuis longtemps comme notre branle simple : quatre pas simples à gauche et deux à droite, 4 -|- 2. à raison d’un pas simple par mesure simple, c’est-à-dire par temps marqué. Il en résulte que les temps marqués du chant se groupent continuelle- ment d’autre manière que les pas de la danse. Sans se laisser le moins du monde troubler par ces chevauchements, on continue de caroler en mesure : chaque temps marqué appelle un pas, un frappement du pied, et cela suffit l01. Voilà qui dépasse incom- parablement, comme indifférence au désaccord entre figure de la danse et mètre du chant, les « branles simples de village » conservés par Mangeant (v. ci-dessus, p. 39). La ronde n’en tourne pas moins avec autant d’ordre et de précision que d’emballement, de passion véritable, d’enthousiasme. C’est malgré tout une déformation populaire, « villageoise », que ce désaccord incessant. Sous leurs formes primitives, 4 -(- 4 et 4 -f 2, dont nous reparlerons en temps et lieu, les mètres des ballades Scan- dinaves montrent bien qu’à l’origine il y avait concordance au moins dans le couplet proprement dit et sans doute aussi dans le refrain. Le lecteur s’est peut-être demandé si les pas de l’antique carole se sont bien maintenus sans modification dans un branle qui n’est décrit chez nous qu’à partir du xvi* siècle. Us auraient pu se transformer aussi aux Féroé entre le xnr et le xix", — car certaines de leurs ballades remontent au xnf. Mais la coïnci- dence que nous relevons de part et d’autre, coïncidence absolu- ment exacte, ne saurait résulter d’un double changement non concerté : elle ne peut s’expliquer que par la conservation, tout aussi exacte, de la forme ancienne. Autre ressemblance : dans la danse des Féroé, comme dans le branle simple et le branle commun, les pas sont marchés, sont par conséquent des pas de carole 10J, et la chaîne, quoique ordinairement fermée (carole), peut aussi être ouverte (tresche). Quant au genre du rythme, la mesure est à peu près indifféremment binaire (2/4, ^ -) ou ternaire (3/8, ^ ^) dans les chansons à danser féroéiennes, — voire dans une seule et même chanson, — mais le plus souvent ternaire 103. Nous n’avons pas à rechercher, à propos de la ronde carole, si les Scandinaves ou autres nous ont parfois emprunté avec elle la mélodie de nos vieilles chansons. On sait, d’ailleurs,

qu il n’v a rien de plus instable : elle varie chez nous, pour une même chanson, aussi bien d’àge en âge que de province à pro- vince, d’un village au village voisin. Aussi est-ce merveille qu’on 44 LE VERS FRANÇAIS ait pu relever une ressemblance frappante entre l’air de la féroéienne la plus populaire, Sjürïïar Kvæôi, et celui de VHomme armé, cette chanson française qui remonte certainement au xiv* siècle, sinon plus haut, et dont la musique nous est en partie connue, la musique seulement, à cause de son emploi, comme timbre de messes polyphoniques, par un certain nombre de musiciens, entre autres Dufay (né vers 1400), Roland de Lassus

et Palestrina u 4. J’ai dit que la enrôle avait passé directement de France en « Scandinavie ». Si j’ai employé ce terme global, au lieu de désigner chaque pays à part, c’est qu’elle a pu arriver aux Féroé par la Norvège ou le Danemark, où elle devait se danser de la

même manière. Nous savons en tout cas que c était là aussi une danse marchée 108. Au Harsyssel (Jutland), elle se dansait encore à six pas, comme celle des Féroé, jusque dans la seconde moitié du siècle dernier105. Les Féroéiens ne dansent cependant pas de la même manière leurs propres ballades, composées dans leur

langue, et celles qu ils ont importées du Danemark, en danois, à partir du xvi* siècle ou du xvii* : il y a un pas simple par mesure dans le premier cas, par temps dans le second10C, ce qui ne peut être qu’une innovation danoise. Ce n’est donc pas au xvi* siècle, et encore moins plus tard, qu’ils ont appris de nous, directement ou indirectement, les six pas, — 4 2, — de notre branle simple, de notre carole, mais bien plus tôt, avec la technique des chansons de carole, qui sont attestées chez eux dès le xiii* siècle. Pour nous en tenir à la France, l’identité de la carole avec les branles, au moins avec le branle double et le branle simple, est aussi confirmée par l’identité des mètres poétiques et musicaux, au point de vue du nombre et du groupement des temps marqués. De là justement son importance pour l’histoire de ces mètres.

La carole n’était probablement à l’origine qu une simple ronde chantée, qu’on a d’abord régularisée sous la forme du branle double, ou commun, auquel s’est ajouté ensuite le branle simple, sans doute plus à la mode pendant quelque temps, et peu à peu toutes sortes de variétés suivant les provinces et suivant le caprice des «compositeurs et inventeurs»107, ou tout simplement des danseurs. Ainsi, on pouvait déjà donner plus d’animation au branle double et au branle simple, nous dit Tabourot, en « décou- pant » les quatre derniers temps «par trois pieds en l’air et un souspir » (silence, pendant lequel le pied gauche reste en 1 air). « Les jeusnes hommes, ajoute-t-il, qui ont une grande agilité, y LIVRE PREMIER 45 fonl des découpements à leur plaisir; mais je vous conseille de les (lancer poséement... On a tousjours estimé que le plus grave- ment et pesamment que l’on peult dancer le branle double, c’est le meilleur. »108 Si les « découpements » s’exagéraient en gambades, qui s’ac- cordaient mieux d’ailleurs avec le branle gay, si l’on « espringuait » avec énergie, la danse marchée se transformait plus ou moins en danse sautée : peut-être alors ne ressemblait-elle plus autant à la carole ou à la tresche du moyen âge qu’à Yespringale ancienne, dont le nom au moins était venu de Germanie (* springan « sauter, bondir ») et qui se déroulait sans doute en farandole comme le springar, ou springdans norvégien 10°. Tabourot, nous le voyons, n’admettait point ces cabrioles. « Ez bonnes compagnies », toujours d’après notre chanoine, on commençait le bal par le branle double et le branle simple. Puis on continuait par le branle gay et par le branle de Bourgogne, qui n’en sont que des variations plus vives, le premier dansé sur un rythme ternaire (- et « du cousté gaulche seulement ». Mais il y avait aussi des branles du Haut-Barrois, de Champagne, du Poitou, d’Auvergne, de Langres, du Hainaut, d’Avignon, d’Ecosse (Scotch rcel ?), etc. D’autres portaient le nom d’un « accessoire » qu’on y employait, comme au cotillon : branle du chapelet », ou couronne de fleurs, branle du « chandelier »110, branle de la « torche », branle de la « serviette (blanche de linge et delve comme de soie) »in, etc. Il y avait un « branle des boulions ou matachins », — sorte de « pirrichie », qui se dansait avec des épées112

et qui a longtemps survécu en Suède 113 —, ainsi qu un branle des lavandières », où l’on battait des mains, et un « branle des sabots » (la « sabotière » de plus tard), où l’on frappait du pied la terre. On en avait enfin baptisé plusieurs d’après une personne réelle ou imaginaire : « brarîle de Cassandre » (c’est sur l’air de Cassandre qu’a été écrit « Vive Henri quatre »), etc. Voilà qui nous rappelle diverses caroles, celles, par exemple, de la belle Aélis et de Robin, fort à la mode, l’une et l’autre, à la fin du xir siècle et au commencement du xiiT114. Il n’est pas douteux que vers le même temps, aux xiie et xiir siècles, on ait formé des scènes diverses, avec ou sans accessoires : ces caroles figurées, mimées, ces baleries dont M. Bédier a si ingénieusement et si agréablement évoqué le tableau 115. Il en subsiste des traces dans telles de nos rondes enfantines : la Marjolaine, « Ah ! mon beau château », etc. Dans plusieurs de ces rondes, la chanson ou le refrain se termine par un vers de ce genre : « Embrassez qui vous voudrez ! » On s’embrassait aussi parfois dans les branles 116,

et nous verrons plus loin qu il en était de même dans les caroles. I.E VERS FRANÇAIS Ces enrôles, nous savons maintenant comment elles se dan- saient sous leurs formes premières, celles du branle double et ensuite aussi du branle simple : nous en avons trouvé la preuve dans le mètre même »les vers et des strophes, aussi bien que dans la correspondance exacte des descriptions de Jean Tabourot avec la ronde importée de France aux Féroé dès le xm* siècle, au moins, et conservée depuis sur ces îles lointaines, isolées, avec autant de fidélité et plus de ténacité que dans leur pays d’origine. CHAPITRE IV La Chanson de Carole Pour la « chanson de carole », comme l’appelle le Roman de ht Violette, les documents abondent. Mais c’est une richesse qui au premier abord ne laisse pas d’embarrasser. Richesse dans tous les sens du mot : il s’agit de poèmes relativement tardifs, très divers et artistement travaillés, — aussi, surtout même parfois, au point de vue de la musique. Qu’ont-ils de commun, soit entre eux, soit avec la carole primitive, celle qui menait les rondes partout en France, depuis le x" siècle au moins, et qui n’a cessé de les mener dans nos campagnes ? Que reste-t-il de cette vieille ballade, , dans le poème à forme fixe qui en a conservé le nom ? Rondets, rondels, ou rondeaux, voilà ce qui règne presque uniquement dans les caroles de Guillaume de Dole. De caroles expressément dénommées caroles et simples en même temps de tournure, il ne nous est parvenu que deux fragments, l’un égale-

ment dans Guillaume de I)ôle et l autre dans une narration d’Orderic Vital, les deux que j’ai cités au commencement de ce livre. Ils suffisent néanmoins à nous mettre sur la voie. Nous y reconnaissons quelque chose dé semblable, sous plus d’un rapport, à nos chansons « populaires » comme aux ballades Scandinaves. Le pastiche de cette poésie apparaît visiblement, pastiche à la lois et développement littéraire, dans les « chansons d’histoire » ou « chansons de toile » du xii* siècle. Rien que par la présence du refrain et la structure de la strophe, ces productions d’un art déjà très avancé trahissent le point de départ orchestique et « populaire » du genre. Non seulement celles-là, mais d’autres encore, plus diffé- renciées et en partie plus évoluées. Sous le nom de romances ou de rotrouenges, — de pastourelles, de chansons dramatiques, de débats et de jeux-partis, — de rondeaux, de virelais et de ballades, cette lyrique variée peut se diviser en trois catégories distinctes, surgies parfois à des dates assez différentes et sous des aspects assez

dissemblables, bien que venant toutes à l’origine d une seule et même source première. Cette source, c’est l’ancienne chanson à danser : c’est, en prenant ce terme dans un sens étendu, la carole. Les primitives chansons de carole, d’où elles dérivent ainsi, personne n’a jugé à propos de les mettre par écrit, à part les deux fragments signalés plus haut. Pendant qu’elles subsistaient 48 LE VERS FRANÇAIS oralement, en particulier dans le peuple, les poètes lettrés y puisaient bien sujets et refrains, ils s’ingéniaient même quelquefois à en pasticher la simplicité de pensée et de forme : mais avec notre habitude nationale de rompre avec la littérature qui nous a précédés, pour en « créer » autant que possible une tout originale, surtout au point de vue de la technique, ils délaissaient ou modifiaient l’un après l’autre les genres anciens et en façonnaient de nouveaux. Il nous est pourtant assez facile de nous faire une idée exacte de nos enrôles primitives : nous en possédons au moins une image, au moins des traces dans les chansons que je viens d’énuinérer, depuis les romances jusqu’aux « ballades >, ainsi que dans quel- ques rhythnii; nous en discernons encore certains traits dans la lyrique nettement courtoise; nous en retrouvons la continuation dans nos chansons populaires à partir du moment où l’on a commencé à les recueillir, c’est-à-dire du XV siècle, jusqu’à nos jours.

La carole française, telle qu elle nous apparaît à travers cette triple et abondante documentation, a son pendant exact dans la ballade Scandinave la plus ancienne, qui en olFre à nos yeux une copie frappante au point de vue de la composition, de la tech- nique et du choix général des sujets, — copie, il est vrai, d’une incontestable, d une écrasante supériorité esthétique. Comme cette carole Scandinave est représentée par des centaines de chansons, dont beaucoup assez bien conservées, nous pouvons y puiser de nombreux exemples, nous pourrons même les prendre en certains cas comme point de départ de notre exposé. * • * Notre poésie lyrique, dit Gaston Paris, « semble être essentiel- lement sortie des chansons de danse qui accompagnaient les fêtes de mai » 117. Ces fêtes de mai, — nos « maieroles > ou « reverdies », — se sont plus ou moins célébrées dans tous les pays. Dans ceux d’Europe, d’Asie et d’Océanie on y dansait beaucoup, — jeunes filles seules ou jeunes filles et jeunes gens, — en chantant un couplet de danse. • Le « couplet de danse » se compose de deux « grands vers », c’est-à-dire de deux vers à césure, ou de quatre « petits vers » unis deux à deux : bref, dans un cas comme dans l’autre, de deux parties. Dans la première moitié, il contient la description d’un aspect de la nature, d’un phénomène, d’un événement; dans LIVRE PREMIER 49 la seconde, soit line invitation à la danse, au chant, à la joie de vivre, en particulier à l’amour, soit l’expression d’un sentiment, le plus souvent amoureux, érotique. C’est là ce que nous pouvons appeler, en empruntant des termes à la musique, un antécédent descriptif (épique, ou objectif) et un conséquent affectif (lyrique, ou subjectif).

( .’est de couplets de ce genre que se compose en grande partie l’un des « classiques » chinois, le vénérable Ché-King « Livre des Vers » (= chansons), recueil de poèmes antérieurs à Confucius, c’est-à-dire au v* siècle avant J.-C. : Le dolic pousse sur les buissons, — le liseron croît dans les plaines. Mon bien-aimé est loin d’ici. — Avec qui? Non, seule je reste121. Couplet malais : Les papillons jouent alentour sur leurs ailes; — ils volent vers la mer près de la chaîne de rochers. Mon cœur s’est senti malade dans ma poitrine, — depuis mes pre-

miers pas jusqu’à l heure présente 122. Couplet maori (Nouvelle-Zélande) : Tavera est la belle étoile — qui brille au matin. Tu n’es pas moins belle, loi, — Houla, qui tourmentes mon cœur123. Couplet polonais :

La feuille tombe de l’arbre, — l hiver approche.

Qu’un troisième intervienne, — l’amour s enfuit 124. Couplet français : Dans mon jardin j’ai un rosier, — qui porte fleur au mois de mai. Entrez en danse, et Ion Ion la, — et embrassez qui vous plaira. Couplet norvégien : Tout autour du champ, le renard trottine, — le lièvre bondit à travers le seigle. 11 ne tait pas bon courtiser la belle — qui en porte un autre au fond de son cœur l25. De tous ces exemples, c’est évidemment le français qui est le plus primitif, le plus « populaire », et le seul peut-être, avec le chinois, qui soit resté attaché à la danse. Peut-être y avait-il à l’origine parallélisme, analogie entre le phénomène décrit et le sentiment exprimé. Mais ce n’est là qu une simple conjecture : d’ordinaire, il semble même que ce soit la règle dans certaines contrées, il n’y a aucun lien de cette espèce. Il est permis de supposer qu’au début chaque partie était chantée par une moitié du chœur. C’était presque certainement le cas du pantouni malais. P. Verrier. — Le Vers français. — /. 4 50 LE VERS FRANÇAIS Quant aux exemples, ils abondent dans les poésies primitives ou populaires, dans les rondes que dansent encore de nos jours les gens du peuple et les enfants de toutes les classes : chez les Chinois, les Japonais, les Malais, les Maoris, — les Arabes (en Syrie et ailleurs), — les Espagnols, les Français, les Italiens, les Allemands (schnaderhiipfel), les Danois, les Suédois (ringdansvisa). les Norvégiens (le garnie slcv), les Islandais, les Hongrois, les Vendes, les Lettes, les Lituaniens, les Tchèques, les Polonais, les Russes, etc.lls. 11 semble assez difficile d’admettre la spontanéité universelle de pareilles « créations », même si peu complexes. Tout le monde, je veux le croire, aurait pu inventer le couplet de daiise aussi bien que la poudre, l’imprimerie, la boussole. Mais n’aurait-il pas été, comme elles, importé de Chine ? Par qui ? Par les Malais à l’est et par les Arabes à l’ouest, en France, d’où il a rayonné dans le reste de l’Europe. On sait combien de fables, de contes et de légendes — sans parler de la boussole et de la poudre — ont suivi cette seconde voie pour passer d’Orient en Occident, jusqu’à l’ultime Thulé u0. Ou bien faut-il regarder le couplet de danse comme quelque chose de plus vieux en Europe, beaucoup plus vieux? Y aurait-il été apporté d’Orient par les Indo-Européens et se serait-il conservé en Gaule tandis qu’il se perdait ailleurs, par exemple chez les Germains? Ou bien... Mais laissons de côté les conjectu res. Nous pouvons, pour notre objet, nous contenter des faits certains. Le couplet de danse Scandinave, comme en témoigne le mètre et le nom ancien, danz ou dans, a été importé de France avec la ronde marchée, et de très bonne heure, peut-être au xr siècle 120. Nous constatons de la même manière que l’Allemagne a reçu également le sien de chez nous : il y porte encore dans certaines régions le nom de rondà (pluriel : rondàs)’, au Tvrol et ailleurs, il l’a échangé contre celui de schnaderhiipfel, plus expressif pour une oreille germanique et tiré aussi de la danse — non plus la ronde, dans ce cas, mais une danse par couples relativement récente 118. Sur les dances, rounds et carols de la Grande-Bretagne, — carolau dans le Pays de Galles, — il ne peut subsister le moindre doute. C’est bien peu, évidemment, d’un seul couplet pour une danse. Il est vrai qu’on peut le répéter sans cesse, comme le font dans leurs rondes les primitifs et les enfants. Il y a là, malgié tout, une monotonie fastidieuse. On y remédie en apportant au texte, à LIVRE PREMIER 51 chaque répétition, quelque changement plus ou moins léger. Les poèmes du Ché-King avaient atteint ce stade — et y étaient restés : I. — Oh! Ips ailes de l’éphémère! — Oh! le beau, le beau vêtement! Dans le cœur que j’ai de tristesse! — Près de moi viens-t’en demeurer! II. — Oh! les ailes de l’éphémère! — Oh! le bel habit bigarré! Dans le cœur que j’ai de tristesse! — Près de inoi viens te reposer! III. — Il sort de terre, l’éphémère! — Robe en chanvre blanc comme neige! Dans le cœur que j’ai de tristesse! — Près de moi viens te réjouir!126 Les variations de ce genre ont pu être suggérées tout d’abord par les lapsus, les fautes de mémoire que commettaient les chan- teurs en répétant le « texte » original. Ici, où elles portent sur les rimes, il faut les regarder comme un « elTet de l’art », qui en tire parti pour raviver l’intérêt en mettant quelque diversité dans l’uni- formité. On en trouve de semblables ou d’analogues dans les sten norvégiens et leurs pendants suédois ou danois, aussi bien que dans nos rondes populaires ou enfantines (« Sur le Pont d’Avi- gnon », « Savez-vous planter les choux », « la Mistenlaire >, et, avec une application développée du principe, « Cadet Rousselle »). Nous pouvons aussi, jusqu’à un certain point, si parva licet..., les com- parer à ces laisses qui décrivent une même scène avec des asso- nances différentes. On introduit plus de variété dans la chanson à danser en alignant bout à bout, soit au hasard du souvenir ou de l’impro- visation, soit en les opposant d’avance avec art, des couplets qui n’ont aucun rapport entre eux, mais dont la juxtaposition amène parfois d’amusants coq-à-l’âne. C’est là quelque chose d assez rare

aujourd’hui en France, où je n en ai relevé qu’un ou deux exemples en Normandie, mais d’assez fréquent en Suède, en Danemark et en Norvège 127. Pour laisser quelque répit à la mémoire ou à l’imagi- nation, on se met souvent à deux, qui chantent tour à tour un couplet. C’est alors à qui en fournira le plus grand nombre, s’arrêtera le dernier. Cette espèce de tournoi, né dans la danse, se reproduit en d’autres occasions. Dans la province de Ferrare, « les paysannes, pendant qu’elles sont occupées aux travaux des champs, se défient i qui saura chanter le plus de romanellcs (c’est le nom local des stornclli), et la chanteuse qui se tait la première devient la risée de la troupe »l28. Dans les noces de villages, en certaines parties du Portugal, « la coutume veut qu’un gâteau de maïs appelé regueifa, soit donné en prix à celui qui chante les copias les meilleures et 52 LE VERS FRANÇAIS les plus nombreuses, dont il improvise les unes et dont ¡1 trouve les autres dans la tradition... Ces copias forment toujours un dialogue ou tournoi poétique où les adversaires sont un jeune homme et une jeune lille » 12°. Tout récemment encore, il se passait quelque chose d’analogue aux banquets de noces des Féroé : on faisait circuler un arrière-train de mouton couronné de fleurs, et, quand il arrivait clix. les convives beaux-esprits improvisaient des vers satiriques. Le nom féroéien du morceau en question est dunnur, qui vient du celtique ilnnn « train de derrière, partie du mouton qui échoit aux bardes»130. Il en résulte que chez les Irlandais, auxquels les Férociens ont certainement emprunté la coutume avec le mot, l’arrière-train du mouton revenait au barde qui triomphait aux noces dans ce concours, non par la quantité sans doute, mais par la qualité. Cette coutume, est-ce que les Milésiens de la verte Erin l’auraient apportée de 1 ’Ibérie, où le gâteau de maïs, qui ne peut être ancien, remplacerait ainsi un arrière-train de mouton? C’est peu vraisemblable. Ou bien Irlandais et Portugais l’ont-ils plutôt reçue au moyen âge d’un troisième pays? La lutte à qui chantera ou récitera le plus de couplets était jusque dans ces derniers temps une sorte d’institution nationale dans certaines parties de la Norvège (at stevjast) et en Islande (ai) kveôjast à), où les deux jouteurs s’imposent de se renvoyer des strophes de même forme m. Mais ce genre de passe-temps n’y est pas attesté avant le \V siècle, malgré l’abondance de la littérature norroise, et les strophes ressemblent au moins par le mètre aux couplets de danse, aux folkeviser et aux rimur. Il faut sans doute y voir, comme pour ces trois genres, une importation de France. Pareil usage y existait encore au xv* siècle, comme l’a montré M. de Puvmaigre, et il y a laissé des vestiges, jusqu’à une époque récente, dans quelques villages lorrains. « Les daillements, dit cet auteur, sont des espèces de colloques plus ou moins rimés ou assonances, d’inspiration en général satirique, qui se produisaient au retour des veillées ou quouairails, principalement le samedi, et finissaient avec elles. Ils étaient surtout débités par le beau sexe, dont l’esprit est plus subtil, mais les hommes à l’occasion y pre-

naient part. C est en frappant à la fenêtre de la pièce où se tenait la veillée que le demandeur entrait en scène en disant : Voleuv ve à aillé y On répondait de l’intérieur, puis les demandes et les réponses s’entrechoquaient... Ces daillements ont continué iusqu’en 1870 132. » J H «Voleuv ve daillé ! » C’est à peu près dans les mêmes termes

qu on se provoque aux tournois poétiques en Islande et en Norvège: « Viens donc dailler, — mon garçon, si tu peux! » — «Et si tu veux dailler, — je te répondrai. » Le daillement se retrouve en Italie sous le nom expressif de storncllo, diminutif du provençal LIVRE PREMIER 53 cstorn (français du Nord estor) « lutte, combat ». Voici comment on y invite dans les Marches (1) et en Toscane (2): (1) Kl qui veut avec moi — chanter des daillements, — (2) Si lu veux venir — dailler avec moi,1»8 Tandis que les stev norvégiens et les stornelli italiens conti- nuent à se chanter, les premiers sur un petit nombre de mélodies- nos daillements ont dégénéré en poésie récitée, puis en prose rimée. Mais en Norvège comme en France, la satire prend facilement, pour rire ou pour de bon, une tournure assez agressive et même assez grossière. Voici deux exemples, l’un de Maizeroy, l’autre du Sætes- dal : I ». — Je vous vends la feuille de persil sauvage, — qui est dans notre massage. H. — Il va autant de m... et de p... dans votre parentage, — que de feuilles de persil dans votre massage134. La gueule qui bâille comme ¿table vide et la voix qui beugle comme vache au pré, La gueule qui bâille et la voix qui beugle, tel tu as été et tel resteras 135. II y a, d’autre part, des couplets alternés qui n’ont rien de satirique : Je vous vends mon tour, mon joli tour; — les cordes sont d’or. Jamais mon tour n’a tant fait de tours — que j’aime mon amant par amour. (Maizeroy) 134. KL cette chanson ne finit jamais, car elle est venue au fil d’un ! uisseau;

Kl celle chanson s est faite elle-même, elle arrive à flol sur un ¡•Mut de planche130. Stev norvégien. * ** Dans tous ces cas, il s agit simplement de lutter à qui sait ou peut improviser le plus de couplets. Si les deux jouteurs s’imposent n outre d’y discuter un sujet donné, nous avons le pendant des •liants alternés, ou amébées, auxquels se livraient les bergers de I héocrite et de Virgile, comme le font encore en Sicile leurs descen- > ints 137. On s’y adonnait aussi dans nos campagnes au moyen e : c’est de ce débat en vers que nos poètes ont tiré leurs « ten- ons » et leurs «jeux partis»138. Souvent, on avait en présence, dans les rondes chantées, un iiomme et une femme qui se parlaient d’amour sous cette tonne de LE VERS FRANÇAIS couplets alternés. Ce « débat amoureux » a aussi passé à l’étranger, avec notre danse, et il avait si bien pris pied en Islande et en Norvège que les évêques de ces pays crurent nécessaire de l’inter- dire 1S0. Il se rencontre encore en Norvège M0. En France, c’est de là que dérive, — outre le débat érotique littéraire, modèle sans doute du contrasta italien, — un genre qui a eu autant de succès en dehors de nos frontières que chez nous : la 141. Le débat amoureux en couplets alternés, mais simplement récités, s’est maintenu assez longtemps en France dans les « jeux

à vendre », « ventes d amour », « chapelets d’amour » : Je vous vends la passe-rose, — belle, et dire ne vous ose Comment amour vers vous me tire : — si l’apercevrez tout sans dire. Christine de Pisan (vers 1363-1429), Jeux à vendre. Je vous vends (la: fueille d’espervanche, — la fueille, la fleur et la branche. Car la tleur et fueille appartient — a celuy qui jolys se tient. Les ditz et rentes d’amour 142. La dame : Do la soussie devisez, — par vostre fov, si vous sçavez. Nous la niellerons au chappeau — je crois qu’il en sera plus beau. L’amant :

I.a soussie a la couleur d or, — qui se garde sans empirer.

Gardez vos corps comme Irésor: — e’est ce qu elle peut figurer.

Le ehappelet d amour (environ 1525) 143. Par un jeu de mots suggestif. — comme dans ces vers du xv® siècle, El je trouvay le mien arny, qui dormoit sur la prée; El je Iuy feis ung oriller d’amours et de pensée —144, on a dû commencer par dire qu’on désirait acheter ou qu’on avait

a vendre de l amour, c’est-à-dire du mélilot. On se sera ensuite ingénié à remplacer « l’amour », le mélilot, par d’autres tleurs qui se prêtassent aussi ¡»lus ou moins à des questions ou à des décla- rations amoureuses, si bien que le nom de vente d’amour est resté à ces symboliques ventes de fleurs. Le nom de « chapelet d’amour », c’est-à-dire « petite couronne, petite guirlande de méli- lot >, confirme cette explication. Est-ce de couplets semblables que viennent les fleurs des stornelli italiens? J’en doute. La forme de la strophe est différente : Fior di menluccia ! Bealo chi li slringe e chi l’abbraccia, Chi te la bacierà quella boccuccia.145 au •• ehappelet d’amour ■> LIVRE PREMIER 55 Mais on reconnaît tout de suite dans ces « ventes d’amour » l’origine de nos daillements, où l’amour a fini par tenir beaucoup moins de place que la satire. S’ils substituent parfois n’importe quel objet aux fleurs, ils en trouvaient l’exemple dans leurs modèles :

Jo vous vens l aguille enfilée, — de fil blanc parrny compassée. Dieu doiut bonjour a mon amy — toutes foys que je pense en luy 1n la créa en France entre 800 et 1100, sans doute au ix* ou au \ siècle, en lui donnant pour corps une histoire d’amour ou d’aventure. Pourquoi ce prélude? On avait coutume de danser au chant du couplet de danse : on le conserva au commencement de la ronde, de la carole. exactement comme on a continué jusqu’au wni” siècle inclusivement à commencer tout bal « réglé » par la ¡dus vieille de nos danses connues, le branle double. En réalité, on allait même plus loin, et ce n’est pas seulement en tète de la chanson que l’on conservait ainsi le couplet de danse, mais encore jusqu’au bout, du moins en partie : un vers ou distique qui en ait refrait (refractas), c’est-à-dire «détaché», un fragment, se iï pétait en chœur après chaque couplet proprement dit de la ( : role, sous le nom, précisément, de refrait, plus tard refraint (par îalogie avec l’infinitif refraindre), refrain 147. Ce n’est pas tout : couplet de danse employé comme prélude servait de modèle aux .lires strophes pour le mètre et la mélodie. A ce double point de le. toute la chanson était coulée dans son moule et imprégnée de >n essence. Du commencement à la fin il ne cessait de mener la îse par son rythme. Le prélude a donc joué à l’origine un rôle ■ portant. A ne considérer que le texte, — les « paroles », — le prélude et ■ refrain forment pour ainsi dire l’encadrement de la carole, aussi n qu’ils en représentent la partie la plus ancienne. Nous les i;(lierons d’abord, avant de passer au corps même de la chanson.

LIVRE II L’ENCADREMENT DE LA CHANSON CHAPITRE V Le Prélude Le prélude est à l’origine un couplet de danse qui figure en tête de la chanson à danser et qui fournit aux autres strophes, — outre le refrain, — le inètre, le rythme et le contour mélodique L Par là il manifeste à la fois et provoque une certaine disposition d’esprit, un certain c état d’âme ». Il crée une atmosphère, dans laquelle se déroule l’histoire racontée. Il était probablement choisi int de vue du sentiment dominant. Ln France, comme nous le verrons tout à l’heure, les deux 1 trties, antécédent descriptif et conséquent affectif, se sont main- nues dans les préludes qui se sont conservés. Ailleurs, il en est même dans certains cas. Prenons d’abord nos exemples dans les llades scandinaves, dont le nombre et la qualité nous permettent suivre plus facilement l’évolution. 58 LE VERS FRANÇAIS « Prélude > (stcu) norvégien : Le salimon se nie au soin du rapide, remonte d’un Irait son lit de rocher. Mal vous prend d’aller donner votre amour il qui ne vous peut payer do relour8. Norske folkeviser, p. 5. Prélude danois : Hissez des voiles de soiel Cinglez incontinent! Il a rêvé, le chevalier, de lu damoiselle tou le la nuit * «> Le chevalier changé en cerf », HgF, n" 07. Prélude islandais :

Si joliment chante le cygne tout le long de l été. On a le cœur à s’ébaudir, ô mon beau lisî ** ■Si joliment chante le eyne! * Fornkr., n° 39, II, p. 55. Prélude féroéien :

Ici \a une danse pour Dunov... Xe m oublie pas! Ici dansent demoiselles et jeunes lllles. Xous earolons légèrement *. Thuren, p. 32. Dans deux au moins de ces préludes, le danois et le féroéien, le sentiment exprimé se rattache implicitement à la description. Les deux parties tendent déjà sous cette forme à se fondre par le

sens en un seul tout, ( /est ce qui est arrivé finalement dans la plupart des ballades scandinaves : Le corbeau vole au soir. au jour il ne le peut. Il aura maie chance, la bonne il ne saurait [avoir], «Le corbeau-loup». I>gF. n° 60. Cette morne allusion au corbeau met tout de suite les esprits au diapason convenable pour entendre le récit même, où sévit une sorte d’oiseau-vainpire, appelé « corbeau-loup 4 ». Voici un autre exemple, où se trouve dépeint, comme dans deux des précédents, un aspect de la vie humaine (je traduis dans le langage de nos romances du xir siècle) : I rois damoiselle.s en la chambre se siéent, deux filent a fil d’or; Plore des euls la tierce -on ami, .«nus noire terre il dort5. «Aage et El-e », DgF, n° 90. Ici, il ne v’^it pas seulement d’accorder l’âme au ton voulu, mais de préparer pour ainsi dire matériellement le récit : • on y

| Ü n y a aucun lion logique entre le prélude el le récit. Lis « jeune ülle, bien-aiioée ». LIVRE II raconte comment petite Else se fiance, perd son fiancé, le pleure et le voit « revenir » la nuit. Le prélude, purement « lyrique », n’a rien à faire avec son histoire *. C’était probablement le second hémistiche du second vers qui servait d’abord de refrain à la chanson : « Sous noire terre il dort ». Plus tard, sans doute parce qu’on le trouvait un peu trop lugubre pour une ronde, on le remplaça par celui-ci : « hlle s’est fiancée avec le chevalier. » Mais le prélude, qui avait fourni le mètre, assez rare (v. p. 42), en même temps cj 11e la musique, continuait a indiquer la mélodie. Le prélude, enfin, peut être incorporé à l’histoire, en représenter simplement le début, l’entrée en matière. Ce qui ne l’empêche pas 11e conserver un caractère général ou de peindre par exemple la ronde commencée par ceux qui le chantent : Lu carole va aux prés... Entrez bien en danse, seigneurs! De preux chevaliers y enrôlent. // faut être à la danse courtois 4-n vers les belles. « La dnmoiselle blessée », UF, I, n° 42. Dans une version norvégienne de la « Biche au Bois », le pré- lude sert plus directement encore d’introduction à l’histoire. Il a été développé en trois strophes, et dans le refrain, qui s’y ajoute,

s exprime l’intérêt pris au récit :

t. .l<* suis un bois magnifique au sud et à l est de la baie. Il y pousse des arbres magnifiques, les plus beaux qui croissent sur Iimto. Où le bachelier trouvera-t-il la damoiselle? Il II y pousse tant d’arbres magnifiques, le bouleau et le tilleul.

T uil de bétes magnifiques s y ébattent, le cerf et la biche.

III. S y ébattent tant do bêtes magnifiques, l’écureuil ot la palombe. i lit- vient d’un autre pays, la noble et flère damoiselle. Xnrske folkeviser, p. 40 s. Ailleurs, après un antécédent descriptif qui, avec le refrain,

v\ ", iie une image appropriée au récit, on nous présente le héros :

( V-quif est tiré à terre, ot l herbe pousse dessous. .i »ais on n’a cité aussi hardi garçon quo sire Jean Fils-Rem ars. iis ¡I en est tant que la mer enlève! Xorske folkeviser, p. 85. s Féroéiens chantent encore aux rondes la forme danoise, ] i i -e en 1591 par Vedel et à peu près identique a la variante iv i pionne. Seulement, ils la chantent aussi en tète d’autres his- t I que celle de Jean Fils-Remars, soit avec le même refrain, vec l’un des deux suivants, qui de leur côté sont empruntés •a la musique à des récits différents : « Mon noble seigneur, le jii ■ sire Marstig! » — « Ma belle, ma jeune vie, jamais je ne LE VERS FRANÇAIS vous oublierai.»7 Nous voyons ainsi transformé en prélude passe- partout un prélude composé spécialement pour une chanson bien déterminée, nettement adapté au sujet de la ballade. C’est une application extrême d’une coutume générale, qui s’explique par l’origine et le caractère du prélude. Le prélude n’est dans le principe qu’un simple couplet de danse dont les autres strophes de la chanson empruntent le mètre et la mélodie et qui sert par suite à indiquer cette mélodie. Ce n’est donc pas forcément une pièce fixe, rivée à une seule narration : telle une pièce mobile, au contraire, il peut s’employer dans plu- sieurs chansons, qui présentent ainsi le même mètre et la même mélodie, d’ordinaire aussi la même nuance de sentiment. Le prélude mobile, passe-partout, n’est pas inconnu en Danemark 8. il est la règle aux Féroé9.

Il en résulte que suivant l état d’âme du chante-avant, ou suivant les caprices de sa mémoire, une seule et même chanson peut aussi changer de prélude et par conséquent de mélodie °. Il ne s’ensuivait aucune gêne pour le chccur, qui n’avait qu’à répéter le refrain donné dans le prélude et généralement connu. On comprend, pour toutes ces raisons, que les collecteurs d’autrefois n’aient pas toujours pris la peine de noter un prélude en tète de chaque chanson. Mais ce n’est pas suffisant pour

expliquer, par exemple, qu’on n’ait trouvé qu une vingtaine de préludes dans les six cents folkcviscr du Danemark, avec leurs trois mille versions 10. C’est encore pis en Norvège : là, à très peu d’exceptions près, les préludes se sont complètement détachés des folkcviscr pour se chanter à part, entre autres et surtout dans les tournois poétiques dont j’ai parlé plus haut; mais qu’ils aient été employés jadis comme préludes, rien n’est plus certain, puisqu’ils en ont gardé le nom, stev(stamme) «(souche à) refrain », qui s’est étendu à tous les quatrains de petits vers, des chefs- d’œuvre parfois, composés sur le même modèle et destinés au même usage. Nous sommes donc bien forcés de conclure que dans la plupart «les cas en Danemark, dans presque tous en Norvège, on avait fini par supprimer le prélude. On s’est conduit à peu près de la même manière en France. Entendons-nous : seule a disparu ainsi la partie du prélude dont on pouvait se passer, parce qu’elle ne se rattachait au texte proprement dit que par un lien des plus ténus, insaisissable mainte fois au raisonnement, invisible. La partie qui servait de refrain et qui suffisait pour indiquer la mélodie, souvent aussi le sentiment du morceau, a persisté en tète de la chanson. En l’absence de LIVRE II 61 prélude, a-t-on coutume de dire, le chante-avant commence par le refrain : c’est ainsi que s’exprime M. Steenstrup à propos des folkrvisrr danoises (p. 29). M. Gennrich écrit qu’à partir du mii’ siècle l’habitude s’établit de chanter le refrain avant le ron- deau (Musikwp. 29). liien des auteurs, eniin, ont fait remarquer (|tic dans nos recueils de chansons du xv* siècle, en particulier celui qu’a publié Gaston Paris, le refrain figure en tète du morceau, paroles et musique. Naturellement : le refrain n’est que le reste <|u prélude, dont il a gardé la place et le rôle principal, celui

d indiquer la mélodie. A l’origine, le prélude servait aussi de modèle pour le mètre, la forme des autres couplets. Inutile de faire observer qu’on n’en eut bientôt plus besoin à ce point de vue : on apprenait suffisam- ment à versifier en écoutant, en chantant les vieilles caroles. Mais que s’était-il passé en France avant qu’on en vînt là? Il nous sera facile de le comprendre, maintenant que nous avons suivi de près une évolution analogue dans une littérature où le nombre tirs chansons conservées, et cela du xiir siècle jusqu’à nos jours, nous a mis à même d’en observer toutes les phases. Ce sont des caroles que nos chansons lyrico-épiques du xn* sucle, c’est-à-dire les dix-huit premières «romances» du recueil de Bartseh (excepté les n°‘ 11 et 17, qui n’ont pas de refrain) : caroles stylisées, littéraires, sans aucun doute, mais caroles tout de même. Elles nous ont été transmises sans prélude. 11 n’y en a pas moins un reste dans quelques-unes : s’il n’apparaît pas au premier coup d’œil, c’est que le poète en a fait avec plus ou moins «l’art le cadre même de son récit, l’introduction de son « histoire». C’est sous cette forme seulement qu’il pouvait en garder au moins le souvenir. Eclos et grandi au milieu des maieroles et des reverdies, le prélude devait chanter avant tout, comme je l’ai dit plus haut :

\.ns l’antécédent descriptif, le mai ou l avril nouveau, la verdure i naissante, « l’entrada del tems clar, eya! » les Heurs épanouies, !v concert des oiseaux, les divertissements printaniers; dans le

.nséquent alTectif, l’invitation à la danse, l amour, la joie de vivre, /us reconnaissons un écho de pareil antécédent, au moins un ho, dans le premiers vers de notre première romance conservée emière moitié du xn* siècle) : Quant vient en mai que l’on dit as Ions jors... Pourquoi ce mois? Parce que c’est alors que « Franc de France * « iennent de la « cour » annuelle que tient le roi au printemps 62 LE VERS FRANÇAIS (ou en automne)? La petite scène eût gagné en vraisemblance et en tragique si le poète avait tait revenir son Ikios de la guenc. Lest évidemment pour obéir a la tradition qu il a ( hoisi le mois de mai. Dans une romance du même siècle, mais moins vieille (Bartsch, I, n° 13), nous retrouvons l’antécédent descriptif développé en quatre décasyllabes et le conséquent alTectif allongé de deux vers qui amorcent le récit et dont le second, sans rime, sert ensuite de refrain : A. Or viennent pasques les beles en avril, Florissent bois, cil pré sont raverdi, Ces douces oves reiraient à lor 111, Cil oiseaux chantent au soir et au matin. C. Qui amors a nés doit inotre en oubli : Sovent i doit et a 1er et venir. Ja s’entramoiont Aigline et li quens Guis. Guis aime Aigline, Aigline aime Guion. L’histoire ne commence que dans la strophe suivante, et encore par des descriptions qui rappellent certains rondeaux de carole.

Quant à l’antécédent cité d’abord, on sait qu’il n a cessé de reparaître en tète de nos vieilles chansons, en particulier des pastourelles et autres poèmes du même genre : Co fut en très douz tons de mai, — que de cuer gai Vont cil oiseillon chantant... Bartsch, I, n" 29. Quant se vient en mai que rose est panie... U>., 1, n° 33 (cf. I, n° 30; II, n° 67, etc.). Mais il se montre aussi très souvent dans notre lyrique la plus haute, et dès le début, chez Guillaume IX d’Aquitaine. Sur ses quatre can.sos proprement dites, il y en a trois qui commencent par ce préambule (Ch. VII, VIII et X). De nos troubadours et de nos trouvères, comme on sait, cette tradition a passé aux Minne- sirujer. La canso en langue d’oc et sa copie la chançon en langue d’oui, est-ce rien d’autre que cet antécédent descriptif et le consé- quent alTectif prolongé de manière à tenir lieu du récit ? A moins que le tout ne soit un simple développement du couplet de danse. Ce qui revient au même. Le cliché quasi obligatoire du renouveau unit par sembler fastidieux. Tel trouvère déclare qu’il ne chantera ni le mois de mai, ni les fleurs, ni les oiseaux. Tel autre cherche un renouvellement dans la description de l’automne ou de l’hiver <\. Bartsch, II, n 23): c est la tout simplement une autre forme :i antécédent, le « négatif » au lieu du « positif », comme on dit en photographie. Mais revenons à nos vieilles romances. Nous y relevons plu- LIVRE II 63 sieurs (ois une entrée en matière dont j’ai cité plus haut un exemple danois (v. p. 58). Contrairement à cet exemple, le prélude

est incorporé au récit avec plus ou moins d adresse : I. Siet soi bele Aye as piez sa maie maistre, Soi* ses genouls un paile d’Engleterre; El a un lil i fet coustures beles... II. Aval la face li courent chaudes lermes... Guillaume de Dôlc, v. 1182 s. (Bartsch, I. n° 12). Ici, malgré tout, persiste clairement l’indépendance du prélude par rapport au récit. Bele Aye, qui pleure à « chaudes larmes », n’est certes pas en état de faire «coustures beles»: la suture entre prélude et récit saute aux yeux dans cette contradiction. L’auteur de « Bele Aiglentine > s’y est pris avec plus d’habileté (Guillaume de Dôlc, v. 2226 s.; Bartsch, I, n" 2) : I. Bele Aiglentine en roial chamberine Devant sa dame cousoit une chemise... II. Més ne coust mie si com coudre soloit: El s’entroublie, si se point en son doit. La soe mere mout tost s’en aperçoit... Et nous voilà ainsi en plein dans l’histoire *. C’est également en train de coudre qu’on nous présente Bele Yolanz (Bartsch , I, n" 6), une autre « belle » du même nom (ib., n° 7) et Bele Amelot (ib., n° 8). Le placage répété de ce début frappe tout de suite. On v a même vu, — à tort, sans doute, — l’origine du nom de « chan- son à toile », « », que les contemporains donnaient aussi aux « chansons d’histoire » (v. p. 28). Bref, sept au moins sur seize de ces antiques romances ouvrent en réalité par un vieux prélude soudé au récit. On ne ;iperçoit presque jamais de la soudure, parce qu’il sert, répé- ns-le, d’introduction «toute naturelle» aux événements racontés. Aussi ai-je à prévoir une objection — et je n’ai pas manqué de - la faire : à quoi bon vouloir expliquer de la sorte pourquoi ;i s poètes commencent une histoire d’amour par une description du printemps ou par le tableau de l’héroïne occupée à coudre 1 ms sa « chambre » ? N’est-ce pas là, pour reprendre la inème pression, quelque chose de tout naturel? Evidemment. Mais il Nt pas naturel qu’à une même époque, à une seulement, ils aient us et continuellement recours à l’une ou à l’autre de ces deux Urées en matière. Il n’a échappé à personne que dans nos vieilles . msons, romances ou autres, elles présentent manifestement le actère de clichés, de pièces toutes faites, de pièces de rapport, ’s d’une fois maladroitement ajustées, malgré l’art incontes-

Les vers ne sont féminins que dans la première strophe. 64 LE VEBS FRANÇAIS

table de l auteur. Cela n’avance à rien de dire que c’est une conven- tion: où et comment s est-elle formée ? pourquoi l’a-t-on adoptée ? Voilà, cette fois, quelque chose de peu naturel, de bien artificiel. Non, c’était un vieil héritage, légué naturellement de poète à poète, comme tant d’autres formes traditionnelles, et déjà recueilli par le premier des troubadours connus, Guillaume IX: il leur venait de notre poésie lyrique primitive, ces couplets de danse employés comme préludes de earole, où pareils clichés étaient non moins naturellement à leur place. N’est-ce pas là une explication au moins plausible, la seule plausible peut-être ? Nous avons constaté dans les ballades scandinaves comment les préludes de ce genre s’in- corporent peu à peu au récit. Mais en trouve-t-on aussi chez nous qui soient restés indépendants, qui se juxtaposent à la narration sans raccord ni apprêt ? Certes. Seulement ce n’est point dans les pastiches savants des chansons d’histoire « populaires » que nous pouvions compter en trouver des exemples : là on s’est ingénié à en conserver élégamment la trace en les fondant avec l’histoire, (l’est dans la simple chanson à danser, où ils sont nés et où ils continuent en partie à jouer leur rôle, c’est dans la carole caro- lante. dans les branles, dans les rondes. La première fois qu’on cite en français des chansons de carole sous ce nom, c’est-à-dire dans Guillaume de Dole (environ 1200), nous y trouvons des préludes impossibles à méconnaître. Préludes ou couplets de danse isolés? Ce sont, en elTet, ces derniers qu’on a parfois cru y voir : notre roman ne cite partout qu’une strophe,

qu il s’iigisse d’une romance, comme « Renaus et s’amie », ou d’un rondeau de carole. Mais la romance, la chanson d’histoire ne peut se contenter d’un seul couplet, et nous savons par maints exemples, comme par Jean de Grouchy, que le rondeau comporte plusieurs strophes. En outre, l’auteur prend la peine de signaler, — évidem- ment comme quelque chose de surprenant par sa brièveté, sa rapidité, — qu’un de ses rondeaux « n’a pas duré trois tours » (v. 527) : pour permettre à une ronde nombreuse de faire .trois tours et surtout davantage, trois tours de branle double, comme l’indique ici le mètre, il faut plus d’une strophe. Enfin, ces préludes se sont maintenus comme tels, sous des formes un peu différentes, dans notre chanson populaire. Ils appartiennent, en effet, à la catégorie des préludes passe- partout. Remarquons tout d’abord qu’elle comprend plusieurs espèces. I antôt ni le fond ni la forme ne subissent de modification: la mélodie reste également la même. Tantôt, au contraire, il y a quelque changement : nous avons affaire à des mélodies complè- LIVRE II 05 teinent ou partiellement différentes, à coup sûr quand ce change- ment affecte le mètre, en général aussi quand il ne porte que sur iiii détail de l’image évoquée, du sentiment exprimé ou tout simplement du vocabulaire. On pourrait réserver nu premier cas le nom «le prélude passe-partout et donner au second celui de prélude-cliché. Ce n’est pas tout. Tel couplet de danse ou prélude s’emploie tout entier, antécédent et conséquent, soit comme passe-partout,

soit comme cliché. Mais, d’autre part, qu ils soient ou non tirés de semblables préludes ou couplets de danse, il y a des antécédents et des conséquents, passe-partout ou clichés, qui s’accouplent les uns aux autres ou à des formes nouvelles, comme danseurs et danseuses changent de partenaire dans une chaîne anglaise : en pareil cas, la musique varie presque forcément. Nos chansons du moyen âge puisaient ainsi dans un répertoire commun, restreint pour les antécédents, très étendu pour les conséquents, qui four- nissaient presque toujours le refrain. Dans Guillaume

v. 521 s. (C’est la jus desoz l olive, — la fontaine i sort serie), Lai

d Aristote, par Henri d’Andeli, et Meliacin (v. fiennrich, n°* 25 et .■¡29); avec addition de deux syllabes, Bibl. Nat., mis. fr. 12.615 (C’est la jus par desouz l’olive, — fontenelle i couroit serie, v. ib.. n° 33); avec addition de trois syllabes, Motets, II. p. 101 (C’est tout la jus <’(iin d i : < t souz l’olive, — la fontanelle i sordoit série); cf. Bartsch, II. n° i4. pastourelle (S’est tout la jus c’on dist soz l’olive, — Blanche est la fleur et noire l’espine), etc. Pour varier la rime, — en même temps sans doute que la lodie, — on remplaçait « l’olive », c’est-à-dire l’olivier, par la ’.■ruée, etc. : La jus desoz la raime, — clere i sourt la fontaine. Ensi doit aler qui bele amie a **. V. 205 s. — « Aler » : dans la danse, qui était marchée. — Cf. :

unsi va qui amors maine (v. Gennrich, n° 27). ’ La jus (gleus) « là-bas ». — Seri « doux, agréable, joli, beau ». ‘ * Pour ramoner ce rondeau à la forme normale, M. Gennrich a modifié le i du ms. (n°* i et 6). P. Verrier. — Le Vers français. — /. Dans le conséquent du premier prélude, on donnait un conseil en matière d’amour. Ici, il s agit de la danse. Ailleuis, c est du chant : Tout la gieus soz rive mer, — dames i ont bauz levez *. Com ¡.mignon, or dou chauler en I onor de mai.

y ,i5K s. — Cf. : Sur la rive «le mer — un haut i ot levé (v. 251 i, 2516). Ailleurs, chose rare, il raconte un événement (E non Deu, Robins enmaine Bele Mariete, v. 521 s.1-), comme dans le prélude de certaines ballades Scandinaves et dans celui de la romance française citée plus haut (p. 02). Le moine-trouvère Gautier de Coinci (1177-1236) aimait à prendre la musique et par suite le mètre de ses cantiques dans toutes sortes de chansons profanes, populaires ou courtoises, par exemple dans des pastourelles, quitte à manifester son originalité par le maniérisme compliqué du style et des rimes. Il était déjà prieur de Vic-sur-Aisne quand il emprunta aux caroles, certaine- ment avec la mélodie, l’antécédent de la fontaine qui « sourt clere » ou « serie », en le réduisant à un seul petit vers. Il com- mence par là et termine par un refrain-cliché, d’un seul petit vers également, chacune des trois strophes qu’il a mises en tète d’une pieuse eantilène à l’usage des « nonnains ». Entre ces moitiés

d antécédent et de conséquent, il intercale deux autres petits vers, qui expriment, en calquant aussi tels refrains passe-partout, des sentiments d’amour — pour le Christ — en accord avec la suite du poème. Celui-ci débute donc par un triple prélude assez complexe, autant du moins que le prélude norvégien cité p. 59. Qu’on en juge: La fontenelle y sourt clere**. Bone aventure ait maniéré Qui si bien nous (y) maria : l)ire ¡jitcl bien telc y a 13. La fontaine y scurt serie***. Jhesucrist, le Filz Marie, Tout entier le cuer qui a : Dire puet bien tclc y a. La fontaine i sourt serie. Diex. Diex, mon cuer n’ai-je mie, Li doux Diex, li doux Diex l’a : Dire pnet bien tclc y a. Coinci. éd. Poquet, p. 731. * Baut n bal, danse ». - l fiibl. nat., ms. fr. 1*2.615), 1-9r» r°. avec musique, second vers d’anté- cédent dans un rondeau. •

= Guillaume de Dôle, v. 523. second vers d antécédent dans un rondeau. LIVRE II Ce qui nous importe ici, c’est de constater l’absence de rapport entre l’antécédent de la claire iontaine et le reste de la chanson, dont il indique simplement la mélodie sous une forme tradi- tionnelle, — tout comme dans les caroles de Guillaume

V. 5413. — Cf. : Ces! la jus c on dil es prés, — jeu et bal i sont criés (Bartseh, II, n° 90); C’est la jus en la roi prée, — la fontenelle i sort clere (Motet-rondeau, v. p. 66, note *’ . C’est la jus en la praële, — dras i gaoil ** Peronele. Y. 1N37. — Peronele et ses draps n’ont probablement pas plus de rapport avec l’histoire, s’il y en avait une, que Jean Fils-Remars dans les ballades dont il fournit le prélude aux Féroé (v. ci-dessus, p. 59). — Cf. : C’est la jus qu’on dit en la praielle (Bartseh, II, n° 93); La jus desouz les floretes — dras i gaoit meschinetc (Lai d’Aristate, v. Gennrich, p. fi ; C’est la jus a la fontaine, — bele

Do»* i ghée laine (»/>. ; C’est tout la jus en cel bosrhaire, — la pastourele i gardoit vache (Bartseh, II. n° 122); La jus en cel hoschages (Châtelaine de Saint-Gille, v. 35,, etc. lue fontaine qui sourd claire et belle sous l’olivier, parmi les hiieuls ou sous la ramée, — une carole qui va dans la prairie ou la rive de la mer, — un tableau champêtre aux prés, dans un au milieu des fleurs : jamais rien de plus. C’est joli, soit, st encore, mais figé, le cri de joie devant la nature renaissante ir lequel s’ouvrait aux fêtes de mai la chanson à danser. Réduit la sorte à quelques formules à peu près stéréotypées, desséché i • à peu comme une fleur qui a joué son rôle, l’antécédent scriptif devait tomber. Il a cependant tenu bon jusqu’à nos jours. Comme type du 1 imitif couplet de danse, j’ai déjà cité cette «ronde» que j’ai ’ Joer « danser ». ** « Draps y trempait. » rj* 68 LE VERS FRANÇAIS souvent entendu chanter et chantée moi-même dans mon enfance : Dans mon jardin j ai un rosier — qui porte fleur au mois do mai. Entrez en danse, et Ion Ion la, — et embrassez qui vous plaira14. Description — invitation à la danse et à une embrassade (pour désigner qui « v sera >) : c est bien I antecedent desci iptit et le conséquent affectif du prélude de carole, de l’antique couplet de danse. Et nous avons réellement affaire à un couplet de danse : à ma connaissance du moins, cette ronde se chante seule, comme le stev norvégien, — 011 se contente de la répéter jusqu à ce qu on en ait assez.

Ce n est, dans l’antécédent, qu’une variation d’un couplet de danse qui survit en France comme prélude, depuis des siècles, et dont voici la forme la plus répandue aujourd’hui (je cite la variante qui m’est familière) : Au jardin de mon père les lilas sont fleuris. Tous tes oiseaux du inonde y vienn’ faire leur nid. Auprès de ma blonde, qu’il fait bon, fait bon, fait bon,

Auprès de ma blonde, qu il fait bon dormi. Description — expression d’un sentiment, et d’un sentiment érotique : antécédent objectif et conséquent subjectif, c’est bien un prélude, l’n prélude élargi, il est vrai, comme le sont la plupart des préludes Scandinaves. Ce qui est arrivé, sinon dans ce cas spécial, du moins dans celui qui directement ou indirectement lui a servi de modèle, nous ne risquons guère de nous tromper en l’expliquant de la manière suivante. On compose une chanson en prenant comme prélude, c’est-à-dire comme première strophe et comme patron des autres, un couplet de danse tout entier, anté- cédent (A) et conséquent (C), et comme refrain (R) le conséquent, soit : A. Par dèrrièr’ chez mon père y a-t-un laurier fleuri. C. Tu ris. lu ris, bergère, ah! bergère, lu ris. H. Tu ris. tu ris. bergère, ah! bergère, tu ris. Il s’ensuit que dans la première strophe seulement le second vers est identique au refrain. Par analogie avec les suivantes, on le remplace par un autre, qui en conserve la mélodie, d’abord exactement, puis avec des modifications plus ou moins légères, étendues en même temps au reste de la chanson : Par derrièr’ chez rnon père y a-t-un laurier fleuri. Tous les oiseaux du monde y vont faire leur nid. Ta ris, tu ris, bergère, ah! bergère, tu ris. Branle double 15 (v. Rolland, t. Pr, p. 220). Si ■ ‘"ne on réduit au vers initial et au dernier, comme antécé- dent et conséquent primitifs, les deux variantes que je viens de LIVKE II 69 citer pour ce prélude, elles correspondent par le mètre, l’une au second (p. 65) et l’autre au premier (ib.) des exemples donnés plus haut pour le prélude le plus fréquent (les caroles aristocra- tiques dans les environs de l’an 1200 et plus tard. Correspondance toute naturelle : ce mètre est un mètre de branle double et par conséquent de carole. Quant au fond, c’est en réalité à peu près le même : « au jardin de mon père », au lieu de « la jus » (= là-bas); un arbuste en fleur nommé par son nom, «lilas» ou «laurier», au lieu de l’olivier, de «la raime » (= la ramée), du bocage, etc. La fontaine manque. Mais elle reparaît, « clere et serie », dans le prélude d’une autre chanson également très répan- due, au Canada comme en France, et composée aussi dans le même mètre : « A la claire fontaine... j’ai trouvé l’eau si belle... »lc C’est un lilas que ma variante de la première chanson fait fleurir « au jardin de mon père ». Cet arbre nous est familier, mais quand le poète populaire l’a introduit dans ses vers, c’était un nouveau venu dans nos pays, rare par conséquent, voire même un étranger connu seulement de réputation : il n’a été importé de Turquie à Vienne (Autriche) qu’à la fin du xvi* siècle, et la chanson où il apparaît ainsi remonte dans son ensemble au xvii*. Rolland cite deux versions (CXIV a et h), où au lieu des lilas nous avons un laurier : arbre de luxe également en pays de langue d’oui, arbre du midi, mais qui figure déjà, au xir siècle, dans le Pèleri- lunjc de Charlemagne à Jérusalem (v. 265). En tète d’une autre chanson, où il fournit un point de départ au récit, nous retrouvons le même prélude avec un autre arbre : Dans l’jardin de mon père un oranger l’y a. Rolland, n° CXXV1I, versions a, b, f. h, i. j et ni. Cf. Bujeaud, If, p. 350, et. I, p. 219, 251, etc. Il en était déjà ainsi au xvii* siècle, où ce vers ouvre un branle

¡ ■iible chez Mangeant, à la date de 1615 (f. 31, «Au jardin de ion père, y a un orenger »), — au xvi\ où il sert de timbre à un voël («Au jardin de mon père un orangier y a», v. Mélusine, :>4), — dès le xv*, enfin, sous la même forme que de nos jours ; Au jardin de mon père un oreingier y at. Barlsch, Altfranzôsitche Lieder, 1885. Remarquons bien que l’oranger était rare : il n’a été introduit

ns le nord de la France que sous François I r. Nous constatons que nos poètes « populaires », tout comme les uteurs des caroles aristocratiques aux xiT et xm" siècles avec leur olivier », aiment à mettre dans la description de leurs préludes >i arbre remarquable pour eux par son feuillage, ses fleurs ou es fruits, — ses fruits d’or, — et paré de la séduction des contrées 70 I.Ë VERS FRANÇAIS lointaines, des pays ensoleillés. Des chanteurs plus réalistes ou plus logiques ont pourtant dû se sentir gênés de plantei ainsi dans le jardin de leur père un oranger qui ne rimait a rien . ils ont tout simplement supprimé le prélude où il figurait, mais en conti- nuant de chanter 1 histoire cju on \ avait rattachee (Rolland, CXXVII, versions c, his belles chansons de court, Troyes et Paris, veuve Oudot. Dans l’jardin de mon père il y a un pommier d’août [sic/]. Rolland. n° CXCIII, b. La forme qui m’est familière se trouve dans le Romnncéro de Doncieux (p. 51-52) : Derrièr chez mon père y a un pommier doux. Ici, le mètre s’est abrégé dans la transmission orale : les deux hémistiches du grand vers n’ont plus que cinq syllabes, au lieu de six, comme c est le cas dans les vingt à trente autres variantes du même prélude qui me sont connues. Il en existe certainement un plus grand nombre, sans doute a\ec d autres arbres que le lilas, le laurier, l’oranger, le rosier ou le pommier *. Entre celles que j’ai citées, c’est la première qui est la plus ancienne (à condition d’y rétablir, par exemple, «les LIVRE II 71

lauriers »): l assonance continue en i a précédé dans notre chanson populaire, comme dans nos rondeaux de carole, l’assonance con- tinue en a, en c ou en ou. Au jardin de mon père Ips lauriers sont fleuris. Ce prélude est sans aucun doute très vieux. Non seulement il est très répandu : il est attesté dès le xv* siècle, et dans des chansons retouchées, « épurées », sortes de pastiches mi-littéraires, qui l’ont emprunté à de plus anciennes, de plus « populaires ». Sous sa forme primitive de couplet de danse, il a passé de très bonne heure en Scandinavie, où il a retrouvé à peu près la même popularité que dans nos campagnes et nos villes. StefTen en cite de nombreuses variantes 18. Dans treize suédoises, trois norvégiennes cl trois danoises, on dit simplement, — gaucherie qui trahit bien l imitation, — « un arbre ». Dans trois danoises, dans trois sué- doises, dont une provenant de l’ancienne province danoise de Scanie, dans une norvégienne et une féroéienne, on a pris la peine de choisir parmi les arbres du Nord celui qui a le plus de luxu- riance méridionale, avec ses feuilles et ses fleurs d’un vert jaune, ,r doré », celui qui se dressait souvent, — comme chez nous Formel, au milieu de la cour dans les manoirs du Danemark, voire même de la Suède : le tilleul. Citons deux exemples, un de Suède e! un de Danemark : bans la cour de mon père il y a un lilloul aux branches merveil- le M >(>S. Ht mieux vaut être deux que d’être toujours seul(e) 19. bans la cour de mon père il y a un tilleul, qui a de si jolies lu niches.

On couche bien mieux à deux qu on ne couche tout seul20. Rappelons encore la version française la plus répandue : Au jardin de mon père les lauriers sont flauris. Auprès de ma blonde qu’il fait bon dormir! Est-ce qu’on peut attribuer au simple hasard ce parfait accord ■■iiire les trois pays dans le choix de l’antécédent descriptif et du ‘uséquent alîectif, dont l’accouplement ne s’explique par aucun ¡ port logique ni sentimental? il en résulte, d’autre part, que la me française ne comprenait à l’origine que ces deux vers, ou

* : x tout semblables, comme je l’ai induit plus haut (p. 68). Traduit mot à mot, le conséquent danois ressemble encore •v intage au nôtre : « on dort bien mieux au lit à deux qu’on ne * t soi tout seul » (dans les langues scandinaves, on dit « dormir LE VFRS FRANÇAIS avec quelqu’un » pour «coucher avec quelqu un »). C est pour la rime que les Scandinaves ont remplacé les fleurs par les branches, (¡renar (: aliéna), grene ( : alene). Dans le premier recueil connu de chansons suédoises, celui de Harald Olulïson, en 1572, le tilleul est déjà transporté au bord d’une rivière, également pour la rime, mais il a conservé ses fleurs « si belles », et a la seconde strophe, le rossignol continue à y chanter comme dans les lilas ou les

lauriers de notre ronde- 1. Cette transplantation montre que notre couplet de danse était déjà familier en Suède à cette date et importé par suite depuis un certain temps.

Dans les versions scandinaves, il n apparaît seul que deux fois. Autrement, il figure dans une ronde populaire, presque toujours en tète, comme il sied, une fois à la fin, sept fois entre deux strophes. Citons un exemple de son emploi comme prélude indé- pendant. C’est dans une ronde mimée de Suède, dont je résume les paroles et l’action : une jeune fille tire une flèche et se désespère d’avoir tué son bon ami, qui est tombé en apparence évanoui, mais qui se relève vivant à la grande joie de la belle22. Cette flèche nous reporte aussi à un passé assez lointain. Au xvir siècle et au suivant, notre couplet de danse était popu- laire aux Féroé : lorsque un « fermier du roi » composa au xviii* une ballade sur le héros de l’archipel, Sigmundr Bresteson, il le choisit comme prélude d’après le texte recueilli par Sv. Grundtvig (Car/n. Fær., t. XV. p. 216), comme refrain d’après la forme chantée devant moi en 1927 par une troupe nombreuse de Féroéiens : « II y a un tilleul dans la cour de mon père ». Il est probable, sinon certain, que notre vieil antécédent passe-partout se retrouve déià, avec une heureuse adaptation, dans ce refrain d’une folkevise danoise: « ïl y a un tilleul dans la cour du comte, fun tilleul superbe-1 (DgF., n° 201). Nous touchons au moyen âge, nous v sommes. La copie de ce prélude, tout au moins de l’antécédent, dans des chansons littéraires ou mi-littéraires du xv® siècle, comme le n LXXXI du recueil de Paris, et son arrivée en Scandinavie à la

même époque, sinon bien avant, n’est-ce pas la preuve qu il était déjà populaire chez nous dans les environs de 1400. Remonte-t-il plus haut ! La forme qu’il a prise n’amène pas seulement l’auteur et par suite le chanteur à rattacher le récit au jardin de son père par un raccord presque toujours assez gauche, voire fantastique, extravagant : elle ne convient pas au caractère originairement objectif du prélude et. en général, de la chanson narrative. Faut-il x \oii une deformation d un texte plus ancien? J’ai rapproché plus haut c les lauriers au jardin de mon père » et « la claire fontaine » LIVRE II de l’antécédent commun à tant de rondeaux des xir et xm* siècles: « la jus desoz l’olive, fontaine i sourt serie », etc. La ressemblance est plus grande encore avec le début d’une romance écrite vers 12MI1220 dans le même mètre, ou à peu près, par Audefroi le Bâtard : Bele \doine se siet dessous la vciio olive En son pere vergier... Barlscli, I, n° 57. Mais dans cette romance Audefroi pastichait et délayait copieu- sement, selon son habitude, une « histoire » d’amour qui se retrouve, comme nous le verrons bientôt, et dans une « chanson de toile » antérieure, et dans notre chanson populaire. Il reproduit probablement dans son début le prélude de la carole primitive dont il ;i emprunté le récit. Il se peut que le même prélude ait aussi inspiré les premiers vers d’une romance un peu plus ancienne : En un vergier, lez une fonlenele. Don clere est l’onde et blanche la gravele24,

Saint-Germain, f. 65 v°, et Lai d’Aristotc, par Henri d Andeli, p. 15 (éd. Héron) = Bartsch, I, n° 9. Quoi qu’il en soit de ce dernier cas, il semble bien qu’il faut regarder comme dérivés d’un même prélude primitif dans le même mètre, prélude ou couplet de danse : et les lauriers lleuris « au jardin de mon père », aussi bien que la claire fontaine à l’eau si belle, de nos rondes populaires recueillies depuis le xv* siècle; et

l olivier de là-bas, où sourd une fontaine claire et belle, des ron- deaux aristocratiques ou savants du xn* au xiv*; et le vert olivier m us lequel est assise Ydoine, au xm\ dans le verger de son père. < >n dira peut-être que ce sont là tout bonnement des images, des expressions devenues et restées à la mode et que par suite il n’v .i pas lieu de leur attribuer une commune origine. Ne s’aperçoit-on

;>as qu en y voyant ainsi une mode persistante, et persistant pen- iant plusieurs siècles, on établit justement entre elles une filiation

1 (etc, qu’on les ramène forcément à un même point de départ?

l jusqu il s’agit, non de clichés employés n’importe où, mais de eliehés mis en tête de chansons comme antécédents de prélude, i ut au moins comme entrée en matière, ce point de départ ne peut être qu’un antécédent du même genre, plus semblable sans doute ; celui de nos rondes qu’à celui des rondeaux déjà raffinés de /uillnume de Dole, Le fait que dans l’antécédent le plus simple ces rondeaux à l’olivier, dans la romance d’Audefroi et presque i jours dans nos rondes ils revêtent le même mètre, — alexandrin hémistiches masculins ou féminins ou bien sa résolution plus tistique par la rime médiane, — n’est-ce pas là un indice de

t;s qu’ils remontent bien à une même forme primitive ? 74 LE VERS FRANÇAIS Si cotait un couplet de danse, rien n’empêche qu’il ait eu à peu près la forme attestée depuis quatre siècles dans nos chansons populaires, c’est-à-dire qu’il ait chanté déjà, et dans le même mètre, soit les imaginaires lauriers fleuris au jardin de mon père, soit l’orme réel planté au milieu de la cour, le grand arbre familier autour duquel «va» la carole, aussi bien devant Trumilli, vers 1200, que devant l’auberge de Vaucottes en l’an de grâce 1896 25. Rien ne l’empêche, — mais rien ne le prouve; ce n’est qu’une possibilité. Nous trouvons dans nos chansons, du xiii* siècle au moins jusqu’à nos jours, un autre antécédent de prélude, qui semble avoir été aussi importé en Scandinavie : Je me levai ier main malin... — si m’an anlrai an ung jardin. Bartscb, I, n° 53. — Cf. : ib., I, n°* 34, 35, 53 b, 54, 55, 61, 63, 64, 70. 77, — II, 56, 97, 105. — 111. 24, elc. — V. Jeanroy, p. 489. C’est par ce prélude, réduit souvent au premier petit vers, que commencent nombre de pastourelles. Mais dans ces chansons, aussi littéraires que les pastorales et les bergeries d’un autre âge, les auteurs l’ont incorporé tant bien que mal au récit, comme début de la première strophe. C’est le cas également dans la « ballade > 91 du manuscrit Douce, où il est en outre précédé du refrain, mais où il nous ramène au jardin de mon père : 1er matin, je me levai — droit au point dou jour; On vergier mon peire antrai, — ki iert plains de flours. Dans les chansons populaires, il forme encore souvent une strophe à part, avec le refrain, il conserve son caractère de simple prélude : Je m’y levai par un matin. — la fresche matinée, El men entray en ung jardrin — pour cuillir girofflée. Pari-, XV siècle, ch. CXXX. — Cf.: ib., VIII. LXXVI, LXXXII, X<,\ . (.I\ et CXXXI -6; Bayeux, ch. XL et LXXXI; Orlando di Lasso’s SanitIi• he \\ erke. Bd. 16, III, n° 14; Second livre dos Recueils com- s n (¡notre parties, Paris, 1564; Meslange de Chansons... Leroy el Bal lard, Paris, 15/2, f. 4; etc. — Cf.: «Sun levà-me la matin, — la matin bon de bunura. — Sun! andàit anl ël giardin — a côji la bianea fiura » (Nigra, p. 139). Je me levay par un matin — que jour il n’estoit mie; Jo m’en entray dans nos jardins -— pour cueillir la soucie. La fleur ou leslite de toutes les chansons amoureuses et airs de court. Rouen, 1602, p. 379. LIVRE II 75 T. Mo suis levé(e) par un matin, — m’en suis allé(e) dans mon jardin... II. M’en suis, etc. — pour y cueillir le romarin. Ballard, Rondes, I, p. I l, 1724. Dans des versions plus modernes de cette chanson (n° XVI de Holland), il ne reste que le premier petit vers du prélude (version b), ou le second (<7, h), ou aucun des deux (c, d, e, f. i, j, k). Ce matin je me suis levé’ plus matin que ma tante; J’ai descendu dans mon jardin cueillire la lavande. xix* siècle. — Rolland, n° CXYI a; lo prélude a disparu dans b. — Cf. : *£>., CXVII a, b, c, où seul reste le second grand vers; Bujeaud, I, p. 78, 80, 82. La célèbre carole d’Aélis, telle du moins que nous la connais- sons. n’est guère qu’un développement de ce prélude, — ou du couplet de danse primitif : Main se leva la bien faite Aëlis, Si s’en entra la bele en un jardin. Conservé dans une balerie-centon par Baude de la Quarière

(Bartsch, I, n° 71).

( .’est d une forme plus récente, comme le montre l’assonance, qu’un prédicateur a fait en 1214 le texte d’un sermon (v. p. 27) : Ile Aliz mainz se leva — ... en un vergier s’en entra, — cinc il restes i trova, — un chapelet fet en a ... (v. Gennrich, n° 22). (itte carole reparaît, comme cadre, dans une chanson du xv siècle: ... En noz jardrins suis entré, — trois tleurs d’amours * trouvay — ... un chapellet fet en ay ... (Paris, AT* siècle, VIII). Presque identique à cette chanson est l’une de celles , 1 ■ Jean Huguetan a recueillies et publiées à Lyon, en 1616, dans :> Trésor des chansons amoureuses, mais avec le premier vers., 1 vieux prélude: «Hier au matin m’y levav » 2T. Comme dans l’adaptation précédente et dans plusieurs ver- >ns de nos chansons populaires modernes (v. ci-dessus), ce remier vers a disparu dans les rondes suédoises et danoises : ntre dans mon jardin (StefTen, p. 65); Je m’en entrai au jardin mon père (i£>., p. 66); La damoiselle s’en va au jardin (ib., 02); Je m’en entrai dans mon jardin si beau (ib., p. 59). indis que dans les chansons françaises, c’est en général trois mboliques lleurs d’amour que cueille l’amoureuse ou l’amoureux, * Amour « mélilot ». 76 LE VERS FRANÇAIS c’est des orties dans les suédoises, mais pour les jeter par-dessus la clôture, non sans se brûler les mains pour son ami(e), et dans les danoises c’est une pomme, qui prend le même chemin. Quelques fragments de préludes ont survécu où apparaissent, comme dans les tout premiers exemples du genre, le mois de mai et la danse: Vecy le may, le joly inoys de may — qui nous demaine (Bayou*r, ch. LXXXil, cf. ch. I, LXXII, LXXX, LXXXI). Citons une chanson recueillie au xix* siècle (Rolland, n° XXII b) : Voici le mois de mai: — que don’rai-je à ma mie? Nous lui plant’rons un mai — à sa porte jolie. Parmi ceux de nos refrains où il est question de la danse, il y en a qui ne sont rien d’autre que d’anciens conséquents- affectifs : Au bois, au bois, madame, au joli bois m’en vois. Branle double, dans le Sixiesme livre de chansons, Leroy el Ballard, 1556, f. 5.

Las, je n’iray plus, je n iray pas jouer au bois. Orlaiulo di Lasso’s Siimtl. M’erkc, Bd. 1 G, III, n° 1-i. Il s’agit encore, qu’on s’en rende compte ou non, du bois où se joue le « Jeu du Bois d’Amour ». Quant aux antécédents descriptifs du même genre, il n’en a subsisté que très peu. En voici un qui sert d’introduction à l’histoire du « soulier déchiré » :

Al jor de behourdis des prés, — enter des abes j ai tant bal lé * Manuscrit picard de 1649 (Rolland, t. I, p. 166). (.es deux vers rappellent un cliché ancien : C’est tôt la jus en mi les prés, — dames i vont pour caroler. Evidemment, on peut hésiter à les regarder comme une variante de prélude. Voici qui est de nature à dissiper le doute : non seulement ils ont disparu dans d autres versions de la même chanson, mais encore ils se rangent parmi les adaptations locales d’un incontestable prélude passe-partout. L behourdis est à proprement parler une joule aux bouhourts, sorte de lanc- sans fer. Ce< tournois se combinaient avec des danses : Cez dumoiseles i vont poi carolcrv — Cil escuier i vont por bchorder (Guillaume de DOle, v. 5.186 s .), le;, dit Rolland, c est une fête qui se célébrait le premier dimanche de Carême, LIVRE II 77 Dans les villes, les hais du moyen âge avaient lieu de préférence mu les ponts. Les ponts qui s’y prêtaient étaient rares, rares également les fêtes qui s’y donnaient ainsi, rares et renommées : il n’est pas surprenant que le souvenir en apparaisse dans le prélude des chansons qu’on chantait aux caroles sur le lieu même ou aux environs. Il est, au contraire, étonnant que certains de ces préludes se soient conservés jusqu’à nos jours, alors que depuis longtemps ils ne peuvent plus guère se comprendre. Comme en témoigne la césure féminine, — dont la musique seule a gardé

la l orme dans certaines versions, — voici le plus vieux : Au(x) pont(s) de Nantes un bal est assigné. Ilonde bretonne (Holland, t. II, p. 167; p. 168 «annoncé», etc.). On a rattaché à ce prélude une histoire où à l’origine il n’était question ni de pont ni de bal. La chanson s’est repandue dans la plus grande partie de la France, et, chemin faisant, le pont a changé de domicile : en Normandie, à Paris, dans la Beauce, dans l’Orléanais, dans le Poitou, dans les Ardennes, etc., c’est le pont du Nord; à Metz, c’est le pont des Morts, — le prin- cipal pont de cette ville au moyen âge, celui qui était « souvent lo théâtre des fêtes de la république messine > 2H. Dans le Bas-Poitou, le même prélude sert aussi à introduire l’histoire du « soulier déchiré » kv. plus haut), mais le mètre >’cst modifié : Sur le pont de Nant’s il y a un bal dressé. Bujeaud, I, p. 03. En Angoumois et en Saintonge, ce n’est pas seulement le niètre qu’on a changé, mais encore le nom de la ville : Sur le pont de Maronnes, j’ai drame mes bas, maman * Ib., I, p. 144. En Bretagne même et dans le Loiret, peut-être ailleurs encore, premier hémistiche du vieux prélude, accommodé au mètre plus fréquent de nos rondes, précède une histoire de plus 1 ble origine, léguée quelle est sans doute par nos romans iventure, celle du prisonnier délivré par la fille de son geôlier : Dessus le pont de Nantes un prisonnier y a. Weckerlin, p. 19i. 11 devait sembler étrange de voir ainsi présenter un prisonnier

* d ramer, deramcr « user, érailler, déchirer ». 7S LE VERS FRANÇAIS sur le pont do Nantes. Aussi d’autres versions débutent-elles sous une forme dérivée, mais plus logique : Dans la prison de Nantes un prisonnier l’y a. Rolland, n° CXXXVII h. cf. a. Autre exemple du même prélude : C’est sur le pont Aie Nantes qu’il y a l’un coq qui chante. Rolland, n° CLXV c. Ce que chante ce coq, c’est ce qu’on trouve sans introduction de ce genre dans les versions a (1634) et b (1724) de la même chanson : Epousez une brune (Rolland, t. II, pp. 233 et s.). Si le pont de Nantes était célèbre, aussi par ses danses, celui

d’Avignon l’était au moins autant :

Sur le pont d’Avignon l on y danse. l on y danse.

Sur le pont d Avignon l’on y danse toul en rond. Cette bribe de prélude se répète avant chaque figure dans la ronde enfantine bien connue, débris également de quelque antique balerie. « Sur le pont d’Avignon » : c’est encore ainsi que commen- çait une vieille chanson dont le recueil de Petrucci, en 1503, cite la musique et ces quelques mots29. La mélodie a servi de timbre à une chanson spirituelle de Marguerite de Navarre, « Sur l’arbre de la Croix », ainsi qu’à un cantique huguenot du même temps30. On la retrouve encore, passablement altérée, dans une chanson de Normandie et du Hurepoix (arrondissement de Mantes) :

Sur le pont d Avignon j’ai oui chanter la belle, Qui dans son chant »lisait une chanson nouvelle. Cette : chanson nouvelle » n’est autre qu’une chanson de mariée, qui n’a rien à voir avec le pont d’Avignon31. Il n’est pas moins surprenant, — pour m’exprimer avec modération, — de le voir figurer comme scène dans le début d’une ronde publiée en 1711 par Ballard : Sur le pont d’Avignon, j’ay ouy chanter la Belle qui dans son chant disait: « Et baise-moy tandis que tu me tiens, tu ne me tiendras plus guère », etc. (Hrunettes, III, p. 304). Notons encore une fois que dans tous ces exemples, ce reste

de prélude a conservé à peu près les mêmes notes : sol (la),

sibdo1 ré1 (mi1 rô do1 ré ). C’est ainsi d’ailleurs ou à peu près que commencent plusieurs de nos chansons, et depuis le moyen âge, par exemple une chanson à refrain de Gontier de Soignies (fin du xii siècle). «Quant oi tentir... » (Beck, Chansonniers, II. n# 279). LIVRE II 79 Pour en finir avec la danse, rappelons ce prélude passe-partout du xir siècle : Sor la rive de nier — i ot un haut * levé. Toi la gieus sur rive mer. — dames i onl liauz levez. (iuHlavme de Dole, \. 251 -4 s., 4154 s. Avait-on coutume de caroler sur la plage ? Je crains que ce ne soil de la pure fantaisie, comme l’olivier. Mais ce vieil anté- cédent a été rattaché vers le même temps à une « histoire », en laissant la danse de côté, et de la manière la plus simple du monde, celle que nous avons déjà rencontrée avec le pont de Nantes et le pont d’Avignon : Trois sereurs seur rive mer — chantent cler : Barlsch, I, n° 20.

Cette forme s’est conservée au moins jusqu au xvf siècle, pour introduire une oaristys à la hussarde : Dessus la rive dr* la mer y a trois belles filles. Pierre Cerveau, Airs (Paris, 1599).

L’aventure aurait tout aussi bien pu se passer ailleurs qu au bord de la mer. Est-ce pour expliquer ce reste de prélude que le héros a été transformé en « marinier » ? C’est encore plus étrangement que ce vieux prélude sert aujourd’hui d’entrée en matière, dans le Gard et au Piémont, ■ une chanson dont je traduis le commencement : « Dessus la n\e (ribettn, riviera) de la mer, y avait une bergère qui gardait s v moutons. » Ce début a sans doute été suggéré par le fait que ms d’autres versions la bergère garde ses moutons « le long <1 t;ne rivière». «Rivière», d’ailleurs, remplace probablement lisière » (d’un bois), que donne une version et à quoi corres- pond, dans une refonte mi-littéraire, «à l’orée d’ung vert boys » 3-. * -* * La partie du prélude qui ne servait pas de refrain, c’est-à-dire esque toujours l’antécédent, ne se rattachait que très rarement ir le sens à 1 histoire. Aussi l’a-t-on supprimée, et c’est le cas plus fréquent, en France comme en Scandinavie, ou bien on reliée d’une manière ou d’une autre au reste de la chanson. * Haut « bat ». LE VERS FRANÇAIS Voilà pourquoi personne ne s’est aperçu jus

rien d autre qu’une dilïérence de nom ? ht les exemples, que j’ai

cités en grand nombre, d antécédents-clichés variant de forme avec la mélodie dans le passage d’une chanson à l’autre, n’est-ce pas la preuve qu’il s’agit bien de préludes au sens où je l’entends, de pièces rapportées qui jouent un rôle tout spécial ? Ces mor- ceaux à part, — et voilà qui en prouve aussi l’existence indépen- dante, — nous verrons qu’on en met parfois une kyrielle bout à bout, à la queue leu leu, pour en faire une chanson à danser aussi bigarrée et plus disparate qu’un habit d’Arlequin (v. p. 51, « On introduit » etc.). Telle autre chanson n’est que le développe- ment d’un couplet de danse. Voici enfin un fait qui suffirait à prouver l’existence du pré- lude, à en montrer le caractère particulier. Quelquefois, pour indiquer la mélodie, on met un antécédent, sans rapport aucun avec l’histoire, en tète d’une chanson déjà composée en entier sur une assonance ou une rime différentes : Mon pèro a fait bâtir château, — il est pot il, niais il est beau. Brunette, niions, gai. oh! gai, —. brunette, allons gai[e]mcnt! « Le Canard Blanc », pays messin (Rolland, n° CXXVI g). Seul, le premier vers du second couplet assone en eau (« car- reaux >) : les dix autres vers du corps de la chanson assonent en un, comme le refrain. Dans une chanson imprimée plusieurs fois au xvr siècle (1535, etc.), nous trouvons déjà ce même antécédent : Mon père a faict faire un chasteau, — il est petit, mais il est beau. Gaiement, ma mignonne, allons, allons gag. gaiement, vous et moy. La Couronne et Fleur des Chansons ii troys, Anthoine de Abbate,

Venise, 1536 (d après Gérold, p. 13). Sur les dix autres vers des couplets, les cinq premiers riment avec l’antécédent (eau), les cinq derniers avec le conséquent, ou refrain (é, — moy se prononçait moue) : il y a eu sans doute contamination de deux textes. Le même antécédent se rencontre maintes fois dans nos chansons populaires, que le « château » persiste, ou qu’il soit remplacé par une « maison » (Rolland, t. I, p. 145; t. Il, p. 101), par un « étang » (th., t. I, p. 252, 254) ou par un « bois » (ib., t. I , p. 117, 118; t. II, p. 189), — toujours à cause de l’assonance, LIVRE II 81 qui dans tous ces exemples, excepté le dernier, est d’un bout à l’autre commune au couplet proprement dit et au refrain. Et !m mélodie change avec l’assonance : on n’a donc pas, afin de

l indiquer, mis en tète de toutes ces chansons le commencement d’une chanson modèle. Nous avons bien affaire à de véritables préludes. Pour servir de patron aux autres strophes, sous le rapport du mètre et de la mélodie, il n’est aucunement besoin que la première contienne une description, une déclaration ou une effu- sion étrangères à l’histoire, au sujet de la chanson. Si l’on veut montrer que la mélodie est empruntée à une chanson connue, il suffit d’en emprunter aussi le refrain. L’emploi du prélude, c’est-à-dire en pratique de l’antécédent, ne pouvait donc manquer de passer bientôt pour une coutume inutile, inexplicable, sau-

grenue. Aussi n est-il pas surprenant que le prélude, c’est-à-dire l’antécédent, ait disparu dans la majorité des cas. Ce qui est surprenant, au contraire, c’est qu’il en reste encore tant de traces, que quelques antécédents passe-partout ou clichés aient même persisté dans un si grand nombre de chansons : I. La jus desouz l’olive, — fontaine i sourt serie. Au jardin de mon père, les lauriers sont fleuris. A la claire fontaine... j’ai trouvé l’eau si belle... i. Je me levay par un matin que jour il n’estoit mie. Je m’en eut ray dans mon jardin pour cueillir la soucie. (i. Au pont de Nantes (un bal est annoncé). 7. Sur le pont d’Avignon (j’ai oui chanter la belle). s. Mon père a fait bâtir château, — il est petit, mais il est beau. Etc., etc. Excepté dans deux ou trois rondes, qui ne sont qu’un déve- loppement du quatrième ou du cinquième, ces préludes ne se r ttachent nulle part au reste de la chanson comme quelque chose ■I indispensable, voire même de naturel : c’étaient bien à l’origine • les couplets de danse, tout au moins des imitations de couplets de danse. On remarquera, d’ailleurs, qu’ils en sont restés, même dans ît s earoles aristocratiques du xir siècle, à une forme réellement impie et primitive. Dans nos vieilles chansons d’histoire ou de i le, il y en a trois, mais trois seulement, qui sont une ou deux is développés avec un certain art : celui du renouveau, celui la belle qui coud dans sa chambre ou qui rêve au « vergier * son père. Le premier s’est épanoui, mais un peu trop souvent, ns la canso des troubadours et par imitation dans la chançon s trouvères : elles commencent, elles aussi, par une descrip- 11 du printemps, plus rarement de l’hiver, et elles continuent ir l’expression d’un sentiment, sans qu’il soit toujours facile. P. Verrier. — Le Vers français. — /. G s? LE VERS FRANÇAIS

ni même possible d’apercevoir une liaison entre l’une et l autre. C’est ce qu’ont imité les Minnesinger. Cette forme s’est perpétuée dans la chanson allemande, et les poètes romantiques d’outre- Rhin n’ont pas manqué de l’v cueillir pour l’implanter de nouveau dans la littérature allemande. Tel lied de Heine n’est par la forme qu’un couplet de danse ou prélude isolé, antécédent descriptif et conséquent affectif, mais d’une si admirable qualité artistique et sentimentale que le rapprochement peut sembler sacrilège. Je songe en particulier au n° 25 de VIntermezzo, à chacune de ses deux strophes, dont la première commence ainsi : Le tilleul fleurissait, lo rossignol chantait. Pour en revenir aux caroles du moyen âge, le prélude est développé dans les scandinaves avec beaucoup moins d’abondance, sans doute, que le corps même de la chanson, mais pourtant avec une certaine variété et quelquefois avec beaucoup d’art. D’où vient cette supériorité sur les nôtres? Nous aurons l’occasion d’en parler. CHAPITRE VI Le Refrain Le refrain n’est dans le principe qu’un fragment, un morceau refrail, refraint, c’est-à-dire détaché du prélude, et répété par le

chœur en réponse au solo du chante-avant>a. Suivant qu il est tiré est resté fidèle à la forme primitive. Une fois le reste du prélude disparu, comme désormais inutile et difficile à expliquer, le refrain reste seul en tète de la chanson pour en indiquer la mélodie : nous le constatons dans les rondeaux, virelais, etc., à partir du xiir siècle, comme dans nos premiers recueils de chansons plus ou moins populaires. Il en est de même dans le seul vieux texte de ballade Scandinave (|ui contienne certainement la première strophe34. La chanson commence donc et se termine par le refrain : « Responsorium, dit Grouchy, quo omnis cantilena incipit et terminatur > (p. 95). (irace à sa place en tète de la chanson et à sa répétition après •haque couplet, le refrain, ce reste du prélude, continuait à enve- opper et pénétrer le texte, à y préparer les esprits dans un ci ; tain sens, bref à créer une atmosphère. Ne servait-il pas »i 1 leurs, aussi bien par les paroles que par la musique, à < 1 itjuer la mélodie du couplet35?

C’était avant tout la partie de la chanson qui accompagnait

lanse : non seulement à cause de son origine, par tradition, iis aussi parce que la danse se ralentissait d’ordinaire pour mettre de mieux écouter le récit, tandis qu’elle reprenait de s belle au refrain (v. Livre I"r, note 33). Le refrain s’est formé is la danse et pour la danse. Il est né avec la carole. On pré- 1 quelquefois qu’il existait auparavant. Erreur ! l’ne excla-

ion ou une portion de texte suivi qu’on répète36, ce n’est pas, * sens propre, un refrain. lTn refrain véritable, c’est une phrase, et je prends ce mot dans son acception la plus large, — c’est 84 LE VERS FRANÇAIS une phrase indépendante, isolée, une pièce rapportée qui se chante en chœur après chaque couplet d’une chanson ,7. C’est si bien une pièce rapportée que dans nos premières chansons, et souvent encore par la suite, il n est rattaché au couplet ni par le mètre ni par la rime. Voyons, à ce second égard, ce qui sest passé au début. Les deux grands vers du prélude, dont l’un ou l’autre fournissait le refrain, avaient des rimes finales ou des rimes léonines, c’est-à-dire entre le premier et le second hémistiche. Les deux petits vers du refrain rimaient ensemble dans le dernier cas. Dans l’autre, le second rimait avec le couplet quand celui-ci conservait partout la rime du prélude, quand la chanson était monorime; sinon, il n’y avait pas de rime au refrain. Par la suite, soit qu’on choisît comme refrain un frag- ment de couplet quelconque, soit qu’on en forgeât un de toutes pièces, ces trois types persistent à travers les modifications de la strophe : 1° deux (petits) vers qui riment ensemble; 2° un vers, soit précédé d’un vers blanc, soit isolé, qui rime avec le couplet; 3° un refrain sans rime. Cette dernière forme est peut- être la plus fréquente. Dans la carole, donc, le refrain indiquait la mélodie, permettait à tous les danseurs de prendre part au chant et animait la danse. Il avait encore un autre avantage : il laissait au chante-avant le temps de se remémorer la suite de la chanson, et, si ce n’était pas suffisant, on le bissait, on le trissait38. Fragment de prélude, le refrain pouvait présenter, non seule- ment toute sorte de sens, mais encore toute espèce de forme.

Pour bien indiquer la mélodie, il est vrai, mieux valait qu il conservât le même mètre que les vers du couplet, mais ce n’était pas nécessaire : pour rappeler un air, il suffit de quelques notes,

d un bout de motif. Nous en voyons un exemple probant dans les chansons à danser féroéiennes : M. Thuren insiste sur ce fait que la mélodie est indiquée par le refrain, et le refrain, dont la longueur varie de quatre mesures à vingt-six, diffère presque toujours par le mètre des vers du couplet. Il en est de même dans les ballades des autres pays Scandinaves. Mais point n’est besoin d’aller si loin : nous sommes tout de suite renseignés sur l’air

d une chanson quand on nous apprend qu’elle a pour refrain « à la façon de Barbari, mon ami ». Dans le fond comme dans la forme, par conséquent, les refrains peuvent présenter la plus grande variété. A côté de ceux qui venaient de réels préludes, et sur le même patron, on en créa bientôt une quantité. Le peuple y a sans doute contribué : il a surtout conservé un fonds de vieux refrains et de vieux couplets LIVRE II 85 de danse, où pouvaient puiser grands et petits poètes. Les refrains de nos premières chansons connues, quand on y regarde de près, semblent bien porter pour la plupart une estampille littéraire, très souvent même courtoise :,w. C’est avant tout l’œuvre indivi- duelle de nobles ou de clercs, qui ne laissaient pas, d’ailleurs, de se copier les uns les autres, et largement. De même que le prélude des premières caroles était un simple couplet de danse, qui fournissait le refrain, le refrain est souvent emprunté par la suite au texte même d’une carole, en particulier de celles à forme de balerie, comme Aélis, Robin et Marion, le

Jeu «lu Chapelet, le Bois d Amour, etc., dont nos chansons popu- laires modernes ont gardé plus d’une trace. 11 en est surtout ainsi dans la pastourelle, issue elle-même d’une danse de ce nom. Ces refrains offraient l’avantage d’être connus, musique aussi bien que paroles. Ils formaient un véritable répertoire, où tout le monde trouvait quelque chose à prendre, ils se rencontraient un peu partout. Il y a eu, en eiTet. et de bonne heure, des refrains mobiles, des K trains passe-partout. Il arrive fréquemment en France, à partir du xnr siècle, voire du xn\ que le même refrain sert à plusieurs chansons, qui expriment le même état d’âme, qui se chantent au moins sur le incme air. C’est plus rare dans les ballades danoises. Il y a encore dans nos chansons populaires des refrains passe- partout, qui comportent pour tout le morceau une mélodie donnée. I ai cité plus haut : A la façon de Barbari, — mon ami! » Voici «rentres exemples : « J’entends le rossignolet » (Bujeaud, I, p. 199, Doncieux-Tiersot, p. 503); «Tu ris, tu ris, bergère, ah! bergère, ni ris» (Rolland, t. I, p. 220, et t. II, p. 180); «Vogue, marinier, 411e » («Le Plongeur noyé > et « La Fille aux chansons », Don- icux-Tiersot, p. 499-502); «Sur le bord de l’Ile» (ifc.); etc., etc. Inversement, à côté des chansons à refrain fixe, il y en a qui

angent de refrain et par suite, peut-être, de nuance sentimentale, rtainement de mélodie. Il en est ainsi, dit Thuren (p. 30-31), de ■ esque toutes les ballades féroéiennes. Le cas n’est pas rare dans >s chansons populaires actuelles. Rien que dans les environs de

-lient, « Marie-toi, car il est temps » se chante sur trois mélodies lîérentes suivant qu’on y adapte l un ou l autre de ces trois trains : « La point’ du jour arrive, arriv’, ce joli jour arrivera » •volland, t. I, p. 229); « Belle rose, belle rose du printemps! » (ib., 230); « Brunette, allons, gai, gai, gai, ma mie, allons gaîment / p. 231). Le dernier de ces refrains, au moins, est un refrain (sse-partout ou cliché : nous le rencontrons dans nos textes dès 80 LE VERS FRANÇAIS la première moitié du xvi* siècle (v. ci-dessus, p. 80). toujours dans les environs de Lorient, on emploie quatre refrains et par suite quatre airs différents pour « La Beauté, à quoi sert-elle » (Rolland, t. I, p. 244 s.). Il y en a cinq, rien que dans Rolland (t. I, p. 249 s.), pour le « Canard blanc ». Le nombre en est encore plus grand pour « Au jardin de mon père » et « A la claire fon- taine41». Le phénomène apparaît dans nos chansons du moyen âge, et dès le xii* siècle au moins. Dans Guillaume de Dole, une même version de la carole d’Aélis se chante deux lois de suite en changeant de refrain : « Mignotement la voi venir, — cele que j’aim » (v. 314-5); « Dormez, jalous [ge vous en pri,] — et ge in’envoiserai » (v. 322). 11 y a dans le même roman une autre carole pour laquelle l’auteur ou le copiste nous donne un refrain de rechange : « Vos ne vendrez mie caroler es prez, — que vos

n amez mie »; « J’i doi bien aler et bien caroler, — car j’ai bele amie * (v. 5417 s.)42. Il se peut, d’ailleurs, que le second refrain appartienne au deuxième couplet, dont le scribe aurait alors oublié de copier le texte. Nous aurions ainsi une chanson à refrain variable, une « chanson avec des refrains ». Disons plutôt : avec deux refrains, que chantaient alternativement un demi-choeur de femmes et un demi-chœur d’hommes. Le refrain variable doit se regarder comme une transformation artistique du refrain primitif et populaire, du refrain proprement dit. Entre des mains adroites, il se prête à toutes sortes d’eilets, il tient l’attention en éveil, il avive l’intérêt. Mais au fur et à

mesure qu il admet plus de changement, il perd l’une après l’autre les attributions du refrain : tout d’abord, celle d’assurer la par-

ticipation d un chœur au chant. La variation peut être plus ou moins légère et limitée en outre à un seul couplet, par exemple au dernier, comme dans « Bele Yolanz », « Rele Aiglentine » et « Bele Amelot » : aux cinq premiers couplets, « Chastoi vos en, bele Yolanz ’ », mais au dernier, « Covegne t’en, bele Yolanz * » (Bartsch, I, n° 6); aux premiers couplets, « Or orrez ja — comment la bele Aiglentine esploita », mais au dernier, « Grant joie en a — li quens Henris quant bele Aiglentine a » (ib., n° 2). Le refrain alternant de Guillaume de Dole ne varie pas davantage. La variation peut être plus grande et s’étendre à tous les couplets. Dans une chanson de malmariée, recueillie au xix* siècle, les quatre premiers couplets ont comme refrain : « Viv’ le rossi- gnol (1 été iRolland, t. I, p. 83). Aux six autres, « d’été » est rem- ’ Sans rime. LIVRE II 87 placé par « mignon » (V), « gai, gai » (VI), « joli » (VII), « gail- lard » (VIII, X), «chantant» (IX). C’est là un refrain intérieur, dont le dernier mot varie pour rimer avec le vers précédent : Inire (juestion de forme. Dans les deux exemples suivants, c’est de la pensée même qu’il s’agit : I et III. Dex, si bel œil, si bel œil, si bel œil Me font amer cent tans plus que ne suel. II. Deus si m’en duel, si m’en duel, si m’en duel, Ouant perdu ai la rien que je plus vuel. IV et V. Dex, tant la voil, tant la voil, tant la voil Por son solaz et por son bel acoil ! CtONtibr de Soignies (Spanke, ch. CVIII). L’auteur, l’un des premiers qui aient admis le refrain dans la chançon, avait coutume de composer les siens en les adaptant au sens de chaque strophe. I. Fors qu’a ma dame et a dé. II. Que nus ne le set fors dé. III. Un pou de merci por dé. IV. De li fors moi et fors dé. Spanke, ch. CVII. Dans cette chançon, le refrain conserve malgré tout quelque chose d’identique, le mot dé « Dieu », dans toutes les strophes, et la musique reste aussi la même. Dans les véritables chansons avec des refrains, au contraire, où il semble emprunté à des baleries, le refrain change complète- ment de strophe en strophe et perd tout à fait son caractère de c t rain. Elles n’apparaissent que plus tard. Il nous en reste du îoyen âge environ quatre-vingts, dont trente sont des pastou- relles41. Dans une «aube», une «chanson dramatique», peut-être » ne balerie, qui était célèbre au moyen âge et qui est attribuée ns les manuscrits à plusieurs auteurs, les refrains suffisent à peindre la situation et résument le «dialogue des amants»:

I (la dame): Amis, vous m’avés perdue, — li jalos m a mis en mue. TI (le chevalier): Ja ne puis je durer sanz vos, — et sanz moi comment durez vos? * • Cf.: adressé à Jésus dans un rondeau pieux « Je ne puis durer sens vous ->

■ nnrich, n° 37); «Je ne puis sans vos durer ! — comment durez vos sans

I » (Salut l amour, éd. Jubinal, p. 240). Cité d’aprés Spanke, p. 341. 88 LE VERS FRANÇAIS III (la dame): Pour ce, se je ne vous voi *, ne vous oubli je mie. IV (le chevalier): Si deu plesl, li jalos morra *, si ravrai ma mie. V (la dame): Cornent garira dame senz ami * cui amors mehaigne ? VI (le chevalier): A deu cornent mes amors* qui les me garl **. Spanke, p. 35 s. = Bartsch, I, n° 38. Tout le drame se trouve condensé dans ces quelques vers. Ce ne sont pourtant que des refrains passe-partout, à coup sur dans

les strophes II et VI, probablement dans les autres. C est même pour cette raison que nous pouvons continuer à les appeler refrains dans cette chanson, où ils cessent de l’être, au sens ordi- naire. en n’apparaissant qu’une seule fois au lieu de se répéter. Si le poète s’était servi, à leur place, de vers créés par lui de toutes pièces et rattachés ou non au couplet par le sens, il n’y aurait plus que des strophes de dimension augmentée et sans refrain. C’est ce qui n’a pas tardé à se produire : les refrains variables ont contribué à la disparition du refrain. En Danemark, d’après M. Steenstrup (p. 81-84), la chanson à refrain variable et surtout la chanson avec des refrains ne remon- teraient pas au delà du xvi* siècle. C’est peut-être qu’à cette variation piquante de refrains plus ou moins familiers, qui unit

l attrait du nouveau au charme du connu, on y préférait pour chaque chanson le refrain unique, qui lui donne son atmosphère spéciale, et pour l’ensemble des chansons une plus grande variété de refrains. Mais surtout, comme il s’agit presque toujours de caroles, on tenait à conserver au refrain son rôle principal dans la danse, celui d’assurer la participation du choeur au chant, rôle incompatible avec la variation. Le refrain primitif était tiré du prélude. En Scandinavie,

comme on l a vu par les citations de la page 58, il était pris dans l’antécédent descriptif aussi bien, quoique plus rarement, que dans le conséquent affectif : de là une variété qui n’a fait que s’accroître. Il en était certainement de même en France : ce double caractère du refrain, descriptif ou alTectif, objectif ou sub- jectif, a persisté dans notre chanson populaire sous des formes très diverses. Mais nous sommes une race raisonneuse : pour la raison raciotinante, l’antécédent et le refrain descriptifs vont

dans la chanson, si j ose dire, comme des cheveux sur la soupe. * Sans rime. ” Même refrain, Spanke, ch. XI, str. iv, - Rartsch, III, n° 28, v. 49-50. LIVRE II 89 Voilà pourquoi sans doute les poètes « conscients >, les poètes lettrés les ont de bonne heure rejetés l’un et l’autre. Dans ce qui nous reste de nos vieilles romances, le refrain est purement alTectif : il ne parle que d’amour. Sauf dans la si*uU* primitive, où il invite à la danse : « Quid stamus? Cur non ¡mus ? » Non seulement les autres n’emploient que le refrain sentimental : toujours par besoin de logique, de clarté, les auteurs le rattachent expressément au récit, ils vont jusqu’à le mettre dans la bouche de leurs personnages. Exemples: « E Ray- naut amis * ! * (Hartsch, I, n° 1); « Et or en ai dol * » (ib., n° 3, vers passe-partout, v. Hilaire, p. 29); c Dex, tant est douz li nons d’ainors : — ja n’en cuidai sentir dolors > (ib., n° 7); « Aé, euens Guis amis ! — La vostre amors me tout solaz et ris » (ib., n" 9); etc. Il y a pourtant trois exceptions, trois refrains vans lien direct avec «l’histoire» : «Je n’avrai més joie de vos amer» (ib., nu 18); « Deus, tant par vient sa joie lente a celui cui ele atalente » (ib., n° 10); « Vante Tore et li raim crollent : — ki s’entrairnent soweif dorment » (ib., n° 5). Quant aux chansons où se plaignent les mal mariées et les n».n mariées, on sait que le refrain exprime, et quelquefois assez crûment, les sentiments de l’héroïne : « Dame qui a mal mari, - sel fet ami, — N’en fet pas a blasmer » (pastourelle de Richard di Semilli, Hartsch, I, n° 64, cf. Spanke, ch. LXVIII, str. ni); Je sens les douls mais leis ma senturete, — Malois soit de Di*u ki me fist nonnete » (Bartsch, I, n° 33); «Vos avrez la sei- gnorie, — Amis, de moi, ce que mes maris n’a mie » (Spanke, eh. XI, str. ni, et Iienart le Nouvel, v. 0828); «Je doig bien eonjei d’amer — dame maulmariée » (cité dans un sermon, \ers 1214, v. p. 27). Il n’est pas surprenant qu’un autre prédi- ;iour, Etienne de Bourbon (t 1261), ait jugé à propos de mettre s jeunes filles en garde contre la danse, « où l’on répète des ? :Vains <|iii enseignent sur tous les tons que la femmee mariée i doit pas renoncer à se faire un ami » **. Dans les caroles citées comme telles et autres chansons du 1 me genre, les refrains présentent plus de variété, bien qu’ils ssent très souvent de l’une à l’autre, et ils restent sans lien ! ¡que, sans lien direct avec le texte des couplets. Il y en a i sont purement descriptifs : « Par ici passe li bruns li biaus !>ins : — Encor en est li herbages plus douz > (Guillaume Dole, v. 545 s., cf. ib., v. 525 s.). Mais il s’agit presque toujours m sentiment ou d’une invitation à la joie de vivre. Voici, tiré îs doute d’une balerie, un cri d’exultation : « Tendez tuit vos ns a la flor d’esté, — A la flor de lis, por Deu, tendez i »

•ans rime. LE VERS FRANÇAIS (ib., v. 5100 s.). Ailleurs, c’est une exhortation au chant : « Com- pagnon, or dou chanter — en I onor de mai » {ib., v. 41.)8 s.) Ou

bien à la danse : « Alez mignotement » (/ />., v. 2518); « Par chi va la mignotise, par chi ou je vois » (Chnuvcnci, v. 1302, liobin et Marion, v. 874-5, Motets d’Adam, p. 258); « Espringiez legierement, que li soliers ne fonde ». (cité dans Bédier-Hazard, p. 491). Mais on n’y admet que ceux qui aiment : « Vos ne vendrez mie caroler es prez — que vos n’amez mie » (Guillaume de Dole, v. 5417 s., cf. 5419 s.); « Por Dé, trahcz vos en la — vos qui n’amez mie » (sermon); «Vos qui amcz traiez en ça, en la qui n’amez mie » (Cour de Paradis, v. 380); « Alavi’, alavia, jelos, — laissaz nos, laissaz nos — ballar entre nos, entre nos » (Bartsch, Chrest. prov.} col. 109 s.). « Espringuiez et balez liement, — vous qui par a mors amez loiaument » (Châtelaine de Saint-Gille, v. 243, et Spanke, ch. XVIII, str. i). C’est pourtant l’amour qui occupe, et de beaucoup, la plus grande place : « Mignotement la voi venir — cele que j’aim » {Guillaume de Dole, v. 314 s.); « Cui lairai ge mes amors, — amis, s’a vos non » (ib., v. 535 s., et, avec « donrai je », Bartsch, II, n°* 57 et 58, deux pastourelles, Spanke, ch. XXVIII, str. iv); «Ne vos repentez mie — de loiaument amer » (ib., v. 2364 s., v. ci-dessus, p. 36. et ajouter : « Fins cuers ne se doit repentir — de bien

amer», Salut d amour, — d’après Gennrich, n° 331, — et Spanke, ch. LX, str. i); « J’ai amors à ma volenté teles coin je voel » (ib., v. 5430 s.); «Bon jor ait qui mon cuer a, — n’est pas o moi » {ib., v. 1576 s., cf. Spanke, ch. XCI, str. v, et Motets, I, 73,

20; 47, 12; II, 9); « Nus ne set qu est douce dolors — s’il n’a amé

par amors » (Salut d amour, Gennrich, n° 339); « Silz a cui je suis amie — est cointe et gais, — Por s’amor serai jolie — tant com vivrai» (Douce, hall. 98); «Si biele boucete par un très

dous ris — A mon cuer en sa prison mis » (Prison d amour, Genn- rich, n 304); « Dieus! vez les ci les braz m’amie : ja li vilains ne s’i dormira» (Motets, II, p. 101); «Je sent les maus d’amer por vos’ — et vos por moi sentes les vos?» (Spanke, ch. CXLI1, cf. Salut (l amour, p. 154, et Motets, II, 27, 10); « Dieus! trop demeure, quand vendra ? — Sa demourée m’ocira » (Tournois de Chauvenci, l\cn. le I\ouv., v. 23/, et pastourelle de Huitaces de Fontaines, Bartsch, III, n° 28); etc. N oici un refrain (fui fait partie de l’histoire racontée dans les couplets: « Il n’est mie jors, — saverouze au cors gent: — Si m’ait amors, — l’alouette nos mant » (Bartsch, I, n° 31, et, avec « ple- sant » au lieu de «au cors gent», Spanke, ch. XVIII, str. n). Il s agit <1 une «aube». Comme le fait remarquer M. Jeanroy < p. 08-70), ce i eirain, déjà connu au xir siecle, se retrouve déve- LIVRE II 91 loppé dans plusieurs chansons populaires actuelles — et dans Romeo et Juliette. Dans la première aube connue, dont le couplet esl en latin et le refrain en provençal, celui-ci n’est rien d’autre que le chant du veilleur au matin : « L’aube paraît, l’humide mer attire le soleil *; puis il émerge, et le veilleur voit partir les ténèbres >4’. Trois siècles plus tard, Raimond de la Sale reprenait aussi comme refrain de son aube « Deus aidatz > ce même chant de veilleur, qui avait sans doute survécu dans la transmission orale 4,î. La lyrique courtoise proprement dite dédaigna longtemps le refrain : il n’a été admis, sans parler des troubadours, par « aucun des poètes les plus illustres du xir siècle, dont on conserva les oeuvres avec tant de soin, tels que Gace Brûlé, Blondel de Nesle, le Châtelain de Couci, Gautier de Dargies » (Jeanrov, p. 118). Mais on s’en est servi dans quelques chansons de croisade, où l’on se proposait d’émouvoir les auditeurs par cette participation collec- tive au chant. C’est ainsi que dans la plus ancienne (1146), — la plus vieille en même temps de toutes les chançons conservées, — i! y a un refrain de quatre petits vers : « Ki ore irat od Loovis — ja mar d’enfern n’avrat pouur, — Char s’aime en iert en parëis — od les angles nostre segnor » (Bédier-Aubry, ch. I). C’est une rotrouenge, il est vrai, non une vraie chançon à l’imitation de la poésie provençale *7. Dans une chanson de croisade plus récente (entre 1189 et 1191), «dont la versification, très simple, reste trangère à l’art des troubadours», le refrain reparaît: «Jéru- salem plaint et ploure — lou secors ke trop demoure » (ib., p. 78). Nous le retrouvons encore dans la chanson X du même recueil. Knlin, il laisse parfois une trace dans la forme du dernier vers : dans la chançon connue du Châtelain de Couci, « Li nouviauz tans I mais et violete », les huit vers de la strophe ont dix syllabes,

tiH le dernier, qui n’en a que six (entre 1188 et 1191, v. ib., I-. ’.12); dans une autre, d’âge et de provenance indéterminés, les >is strophes se terminent respectivement par « mal traire », :>ien faire », « mal faire » (ib., ch. XXVIII). Le refrain avait d’ailleurs pénétré jusque dans la poésie reli- •use, et de bonne heure, comme en témoigne le Slystère de

¡ .poux, où il apparaît en français, même dans des strophes en .in. Nous le retrouvons, aussi en français d’oc ou d’oui, dans poésies latines plus vieilles encore : témoin l’aube dont je

i<‘ns de parler et qui remonte au x* siècle — ou même, d’après

• oerster, à une date antérieure. Qu’on ait employé le refrain Hu fond de l’ablme inconnu où il plonge le soir. LE VERS FRANÇAIS dans le midi dès avant le xii* siècle, nous en verrons aussi la preuve dans certaines formes de strophe qui en supposent l’exis- tence et qui se rencontrent chez les premiers troubadours. Inspiré par la danse, fait pour la danse, il n’avait naturelle- ment plus aucune raison d’ètre dans les chansons qui ne conti- nuaient pas à se danser ou qui ne devaient ni se danser ni se

chanter avec « réponse » d un chœur. Aussi comprend-on que dans un certain nombre il ait disparu ou n’ait jamais figuré. Mais il s’était si bien imposé par la force de l’habitude, il avait tant de vitalité, qu’il n’a jamais cessé de fleurir dans nos chansons de tout genre, en langue d’oc aussi bien qu’en langue d’oui, surtout dans nos chansons populaires. Pour celles-ci, comme on sait, nos premiers recueils ne datent que du xv* siècle, et ils en contiennent surtout des pastiches, des imitations mi-littéraires. Voici quelques-uns des refrains qu’on y relève : « Vecy le may, le jolly mois de may, — Qui nous demeine » (liaycn.r, ch. LXXXII); « Si je suis trouuée — avecques mon amy,

En doy je estre blasmée — pour parler ù luv » (Paris, À Ve siècle, ch. Y, cf. ci-dessus); «Crainte et désir m’eveillent tant que ne pu y s dormir » (ib., ch. XCVII); « Trop penser me font amours, dormir ne puis » (ib., ch. XXX); « Je ne vous obliré jamais » (ib., ch. XX); «Autant en emporte le vent» (ib., ch. CXXVII); «Laissez jouer les jeunes gens» (ib., ch. CXIII); «A Dieu, mes amours, a Dieu vous commant, — A Dieu, mes amours jusques au printemps ! » (Baijcux, ch. LXXXIII). Ce dernier refrain appartient à « une chanson de soldat qui était très répandue dans les diverses provinces de France » (Nef, p. 46). Sur le même mètre et sur la même mélodie, qu’ont aussi empruntée pour son charme de grands compositeurs (ib.), on a écrit une satire, dépour- vue d’aménité, contre ceux qui font les élégants : « Hz sont bien pelez et d’argent vuidez » (Paris, XVe siècle, ch. CXXIX). Tous ces refrains riment et se rapportent plus ou moins au texte. Dans les chansons vraiment populaires, la variété est beaucoup plus giande, et le refrain na bien souvent ni lien ni rapport avec le récit, pas plus qu il ne s’v rattache par la rime. En voici quelques-uns, que j’ai cueillis dans le t. YT de Rolland : N. H. . s. I. (<7.) = sans lien (direct) avec le texte même de la chanson. LIVRE II 93 Refrains descriptifs : « C’est le vent qui vole, qui frivole *, — C’est le vent qui va frivolant » (s. /., p. 252 **); « La point’ du jour arrive, arriv’ *, — ce joli jour arrivera » (s. I. d., p. 229); « Belle r(,se du printemps» (s. /., p. 230); «Les canards de mon père dans les prairi’s s’en vont » (s. I., p. 7); « Sur l’eau, sur le bord de

l’eau * » ls.

le suivant : « Pilons l orge, pilons l’orge pilons l’orge, pilons-la » l.s. Second livre contenant XX’VII chansons nouvelles... Attai- gnant et Jallet, 1540). Il est tiré d’une chanson à travailler ou plutôt d’une ronde mimée dans le genre de celle-ci, qui se retrouve aussi (Lins les pays Scandinaves : « Savez-vous semer l’avoine? — Savez- vous couper l’avoine ? — Savez-vous vanner l’avoine? » — etc. La •hanson de la gerbe » ne se chante plus en Normandie, mais le

¡■et rain s’en est conservé comme tel dans une chanson d’amour : Ho! batteux, battons la gerbe, battons-la joyeusement!»40. Danse : « dansons là, joliette, — dansons là sur l’herbette » p. 211); «Ah! ah! ah! ah! guenillon *, — sautons la gue- niile » (s. /., p. 296). On sait que nombre de rondes ont pour i rain : « Entrez dans la danse », etc. Sentiments autres que l’amour : « Vive la rose *, Vive la se et le lilas * » (s. t., p. 50); «Tant dormir, tant dormir, belle, tant dormir n’est pas bon» (s. L, p. 14); «Non, je n’irai plus (dette au bois *, — j’ai trop grand’peur du loup » (s. /. d., p. 231); ivent les marins soldats de la marine *, — Vivent les marins iux mariniers » (s. I. d., p. 297).

Sans rime. " Cf. Les deux refrains suivants : «La feuille s’envole, vole, — la feuille vole au vent » {s. I., Doncieux, p. * 19) ; « 11 vente, — C’est le vent de la mer nous tourmente ». (« Il *Hait trois marins de Croix... »). 94 LE VERS FRANÇAIS Amour : « Que dit-on de l’amour * ? » (s. I.

l amour * ! » (p. 11); « Vole, mon cœur, vole * ! » (s. l.} p. 204); «Vole, mon cœur, vole*... Mon coeur a volé... — Gai, gai! » (s. I. (/., p. 25); « Donne ton cœur, ma mignonne *, — donne ton cœur joli ** » (s. /., p. 52); « 11 faut connaître avant d’aimer » (s. I.

mieux*, — je l’aimais mieux mort qu’en vi » (p. 94); «Ah! que j’suis malheureuse *! — Gai! je m’en consolerai! » (p. 177); « Je

n’regrett’ que ma jeunesse, car ell s’en va * » (s. p. 246). Terminons par le refrain de « la Claire Fontaine » dans la version du Canada, refrain dont nous avons déjà rencontré la seconde moitié dans les chansons du xne siècle et du xv* : « Lui y a longtemps que je t’aime *, jamais je ne t’oublierai » (Gagnon, p. 2). La forme originelle était certainement : « Lva longtemps que je t’aime, jamais ne t’oublierai ». Cf. : « Jamès ne l’ou- bliray » (Paris, ArV* siècle, ch. XCI)4S. Le refrain s’est réduit dans bien des cas à des flonflons qui n’ont plus aucun sens, mais qui n’en sont pas moins aptes, — en particulier par les timbres concordants ou opposés des voyelles, à traduire et à susciter certains « états d’àine », généralement dépourvus de mélancolie. Ce n’est souvent qu’une déformation, involontaire ou voulue, de certains mots. Mais c’est aussi plus d’une fois une imitation des coups de langue ou des roulades sur musettes, chalumeaux, flûtes champêtres, etc. Dans les méthodes de flûte, par exemple, on recommande de prononcer en soufflant

dans l instrument : pour le coup de langue simple, tu tu tu...; pour le coup de langue louré, du du du...; pour le coup de langue * Sans rime. ** L’expression « cœur joli •> remonte au xir siècle. On en trouvera de nombreux exemples dans Spanke, p. 335 Cour d’amour, Romania, 524, chansons et motels divers), entre autres : <■ Cele que j’ai m’amor donnée tient mon euer joli u. Joli » signifiait d’abord <■ gai ».

LIVRE II ‘J5 double, lu que tu que tu que... Suivant Bujeaud (II. p. 263), « tour- loure, turelure, tirelyre, turlututu étaient au xv* et au xvi* siècle les noms de différentes espèces de flûtes ». Dans une chanson publiée c*n 1615, « Il estoit un bonhomme jouant de... » (Mangeant, III, f. 1 v"), nous voyons quelles onomatopées on employait dans l’imitation de divers instruments : pour « la temboure », di be di be di be di be don; pour la trompette, fran fran fran; pour la « my-Huste », tu te lu tu tu re lu tu tu; pour la cimbale, drin relin dindin telin dindin; pour la vielle, yon yon yon; pour «la rebecque », tire li tyty relityty; pour la viole, torelo to tio relo totio; pour la musette, toure loure loure lou; pour la mandore, tire lire lire lire la. Le refrain est une variation sur les noms des notes : jouant] « et de la mi fa sol la, — Fa ré larirette (bis), — et de la mi fa sol la, — Fa ré larirette li ron fa ». Mots déformés ou imitation de divers instruments, voici quel- ques exemples de flonflons : « la pibole, pibolon », d’un cfTet très drôle dans la chanson (Rolland, t. I, p. 172, Bujeaud, II, p. 261, — la pibole, d’après celui-ci, « est la musette poitevine »); Verduron. oh! verdurette; mironton, mironton, mirontaine; ture lure lure; turlututu, chapeau pointu; lanturlurette, lanturluron; sautedelari tra la la; tra la la, la; la faridondon, la faridondaine; don don fari- laridone, — don, don farilaridon (xvi* siècle, Gérold, p. 51); friston, fristondène, fristondiau; et Ion Ion la; laïtou laïta lonlaire, — laiton laïta lonla. De ces flonflons à de simples interjections il n’y avait qu’un pus, mais dans nos chansons ces dernières font seulement partie du refrain, elles n’en tiennent pas lieu : «Oh, oh, oh, oh! ah!, ah, :>h, ah! — Quel bon petit roi c’était là, — la la ! » — « Sautez, mignonne et Cécilia, — Ah! ah! ah! ah! ah! ah! Cécilia! » — Abïe, aliïe, ahïe, ahïe, Margoton!» — «Ohé! ohé! — si la

1 i iuette est bonne, — amis, buvons toujours », etc. Les flonflons modernes ont été au moins inspirés, directement indirectement, par les formes semblables ou analogues du 1 en âge : celles-ci ne se rencontrent (¡ue relativement assez î et seulement, d’abord, dans les pastourelles. C’est, en effet, pastourelles, aux pastoureaux qu’on les a empruntées, « paroles musique ». Dans leur bouche, elles existaient par elles-mêmes, i elles-mêmes, et non comme flonflons plus ou moins décora- : nées de la nécessité, elles avaient un but pratique. Nos pâtres, une ceux des autres pays, ont coutume de « hucher » leurs s. pour les appeler et les rassembler, pour les mener au pacage urtout pour les rentrer à la tombée de la nuit. Quand le « hu- LE VERS FRANÇAIS chement » comporte une assez longue suite de notes, simples voca- lises, en général, sur des syllabes dénuées de sens, il prend le nom de « briolage ». C’est le pendant du ranz (des vaches) suisse et du jodcln tyrolien, davantage encore du lok norvégien et du vall(are)- lat suédois. On en joue aussi les notes, avec variations et fioritures, sur les chalumeaux, les flageolets, les llùtes, les trompes ou la musette, dont il cherche de son côté à reproduire par des onoma- topées telles bribes de mélodie avec leurs coups de langue simples, doubles, staccato ou lourés, leurs coulés, leurs trilles, leurs rou- lades : il y a là, en outre, des souvenirs de danses champêtres, de pas marchés et surtout sautés sur ces airs. Huchement ou briolage, bergers et bergères s’en servent aussi pour s’appeler et en quelque sorte converser, — de « buron * à « buron », comme on dit en Auvergne, de « chalet à chalet », comme on dit en Suisse, — dans la vaste et verte solitude des pâtis en plaine et surtout en montagne. Toutes ces associations contribuent à empreindre les « paroles » étranges et la mélodie si caractéristique d’un charme tout particulier. Tel, dans VArlèsienne, ce la qui se répète, se prolonge sur « trois notes soutenues et du plus singulier elTet » (Tiersot, p. 152). Dans nos vieilles pastourelles, nous le trouvons répété aussi, presque toujours en compagnie de « ci », « va », etc. : ci et la et la (Bartsch, III, n° 30); ci va la la duri duriaus, — ci va la la duréte (ib., II, n" 58, texte et musique dans Spanke, ch. XXIII); chivalela dori doreaus, — chivalela dourié (ib., III, n° 21); chiberala chi- bele, douz amis, — chiberala chibele, soiez jolis (ib., II, r»° 03, texte et musique dans Spanke, ch. LVII). Il s’ajoute aussi bien souvent a « vez », « vés », ou « vé » = voyez, vois (comme on a ailleurs « veci, vela, vez ci, vez la, vez le ci, vez le la », par exemple dans Chauvenci, v. 002, 1704, etc.): ves la ci, ves la la — ves la ci [la] belle (ib., II, n° 30). Cf.: « Quand la bergère va aux chams, — sa quenouillette va filant, — o vé (ter), o vé la quy vé la lay... » (Cin- quième livre de chansons nouvelles, Leroy et Ballard, 1550); « Je file ma quenouille, o vov » (Second livre des recueils composé à quatre parties, Paris, 1504). Ailleurs, c’est

durer (Spanke, ch. LII); Hé dorelot (Bartsch, III, n° 47)* Hé o dorelo dorelo dorelodo (ib., II, n° 81); dorelot vadi vadoie (ib., III, LIVRE II 97 n 49); dorenlo (ibIII, n° 7); dorenlot aé (ib., III, n° 40); dorenlot, dons or hacs *, — je l’aim si [ib., III, n° 29); va deurelidele, va deurelidot (ib., II, n° 77); sadera liduriau durelet, — sadera liduré (Motels, I, p. 101); etc. « Dorenlot » était si commun que « chanter

et noter (un) dorenlot » s employait comme synonyme de chanter et jouer un refrain, une chanson (Bartsch, III, n" 20). Le mot a survécu au moyen âge, « La bergère après va chantant — le ilesrelo en cheminant » (Cinquième livre de chansons nouvelles, Leroy et Ballard, 1556). Dans iAdolescence de Jacques de Fouil- loii.v (1561), l’auteur parle du «chant et huchement > des bergers de son pays, le Poitou: « Comme les bergiers crodent leurs brebis..., comme les bergières respondent à leurs compaignes ». En fait de huchement, il cite : « Et o lou valet, o lou valet, lou valet, derelo. » Bouviers et charretiers à attelage de bœufs, aussi bien que de chevaux, ont encore aujourd’hui coutume de crier à leurs bêtes pour les mener, en particulier pour les arrêter ou pour modérer leur allure : drrru ho, drrruhau, hé drrru là! Se mêle-t-il un souvenir de ce huchement dans les « dorelot > et surtout dans les . duriau > des pastourelles49? Deux exemples encore de ces der- niers : saderala duriaux duron, — saderala duriaux durete (Spanke, ch. I, str. ni, cf. Motets, I, 74, 9 et 134, 7); « ainz se levèrent por meux noter ceste pastorele — «va li duriau — li duriau lairele » (pastourelle de Richard de Semilli, v. Bartsch, III, n 11). D’après ce passage, le mot «pastourelle» aurait d’abord signifié tout simplement huchement ou briolage. Pour terminer et résumer cette énumération, rappelons le lu h>lage si connu qui sert de refrain à une pastourelle dans le Jeu

,/. iobin et Marion, par le poète et musicien Adam le Bossu : Hé! Trairire deluriau deluriau delurele ! Trairire deluriau deluriau delurot ! V. 99-100 (musique dans Coussemaker, p. 356 s., et dans Tiersot, |>. 1.j3). os charretiers crient à leurs chevaux et les bouviers à leurs 1 aux: «hue», pour les faire avancer; « hau », «huhau», : hau ».horihau », pour les faire avancer ou tourner à droite; (lia», pour les faire avancer ou tourner à gauche; «haïe» i liaye » [hay’j, pour les animer; «haha»; etc. C’est à des i ments de cette forme que des chansons plus récentes ont sans > emprunté « hau vay » ou « hau voy » = hau va! ou peut-être i ! 0 — plutôt que = hau voi(s)! simple pendant des « o voy », vé » cités plus haut, p. 96, — « anné hau voy », « enné f.: Iiuhé [haé] «cri pour arrêter les chiens qui prennent le change ou t<■ nt trop », Dict. Hatzfeld-Darmesteter-Thomas. i‘. Vehrieh. — Le Vers français. — /. 93 LE VERS FRANÇAIS hau voy », « et lioye », « et hye ». Cela ressort également de la musique ,l : elle attribue en général a chaque syllabe de « hau voy » une note longue et accentuée; pour « enné hau voy », elle com- mence comme par un appel de trompe et se continue par une sorte de jodcln à la tyrolienne. Là. c’est bien un huchement; ici, un brio- lage. Il y a comme un souvenir de cette origine dans les vers suivants : Pastoureau je doviendray, hauvoy ! Et mer rai mes brebiettes — aux champs paistre, Ma panetière chaindray, lt.auroy ! Bayeux, ch. LXV (branle ?; Dans une autre chanson, le huchement s’adresse ironiquement à un cheval mort et semble lui crier « hue » pour le taire marcher: Ho hu hayne, ha huriha ! hé hauvoy 152 /&., ch. LXXXY. Dans nos pastourelles, en général du moins, les imitations de huchements ou de briolages ne remplacent pas le refrain: elles s’y ajoutent tout simplement. C’est toujours le cas pour les inter- jections ordinaires, où s’oppose souvent une voyelle grave (o, a) à une voyelle aiguë (é, i) ï et dit « é, aé! o, or aé! — bien m’ont amors desfié » (Bartsch, I, n° 01); Si chante et note « dorenlot! — eo, eo, aé, aé! oo dorenlot! — d’amors me doint dex joie » (i6., III, n 20); ele redit « o! aé! o! » — et Robins el bois « dorenlot! »

(ib., n 39), où le berger se sert du « huchement » pour « res- pondre à sa compaigne ».

C est dans les mêmes conditions qu’apparaît « eia », vénérable héritage de l’antiquité, où l’emploient, entre autres, les bergers de Théocrite et de Virgile, aussi bien que les personnages de Plante et de Térence. Cette exclamation se répète, comme une explosion de joie impossible à contenir, comme une acclamation, après chacun des trois premiers vers de la strophe dans la célè!>re ballade de la « regin’ aurillosa », c’est-à-dire « reine d’avril » : elle n’y joue aucunement le rôle de refrain, puisqu’il y en a un, et assez long (v. p. 90, « Alavi’ », etc.). Dans nos caroles proprement dites, d’ailleurs, comme dans leurs dérivés littéraires, le refrain n’a rien qui rappelle le huche- ment ou le briolage, rien qui ressemble aux flonflons, et les inter- jections n’y tiennent que la place qui leur revient dans toute sorte de poésie 53. Flonflons et simples interjections, soit en compagnie ou en remplacement du refrain, passèrent à l’étranger avec l’imitation LIVRE II 99 de nos chansons. Les flonflons abondent dans la poésie populaire anglaise, (fans les nursery rhymes. Ils se rencontrent aussi, mais moins souvent et avec moins de variété, dans les lieder allemands. Ceux-ci, au contraire, font assez» souvent usage des interjections au lieu du refrain. Ce n’est jamais le cas dans les folkeviser ou /olkvisor de la bonne époque, c’est-à-dire les plus anciennes, qui ignorent également les flonflons : elles s’accordent ainsi avec nos chansons d’histoire ou de toile et avec nos chansons lyrico-drama- tiques, comme avec nos rondeaux, virelais ou ballades de carole. Quant au refrain véritable, il est de règle en France dans toutes les chansons de ce genre. En Angleterre, il y est relative- ment rare et moins développé, il n’y parle jamais de la danse54. Il y est plus rare encore en Allemagne. Dans les pays Scandinaves, au contraire, il n’y manque presque jamais et seulement sur le lard. On peut même dire qu’il a fleuri dans leurs ballades, surtout en Danemark, avec un vif éclat. Il ne sera pas inutile d’en citer quelques exemples, comme terme de comparaison : N. B. — 1° s. I. ( (Linden); « La forêt s. déploie verdoyante et splendide *... La prairie et l’été s’accordent bien ensemble * > (s. /., Esbern Snare); « Le feuillage se fane, il tombe dans toutes les vertes forêts * > (s. /., Klosierjomfruen) ; \u pied de la colline... Le jour point, et partout s’épand la rosée iiik » (s. I. Torbens dntter **); «Au bois... Qui porte en ses flancs or de choix » (Jomfru i Hindeham = la Biche au Bois); « Dans la I, rèt verte * (s. /.)... Allons à cheval chez la damoiselle * » (Jomfru

y H linge)’, «Aussi loin que s’ouvrent les feuilles*» (s. Val- n og Dankongen * * *); «Mais sous le vent du nord la vague : i. rie sur le sable blanc * » (s. Angelfyr og Hjelmer Kamp); s oiseaux chantent dans les bois * {s. I.)... C’était une vierge si

e » (Moen paa Baalet); « Pendant que poussent lis et roses * », !-à-dire les jeunes filles (s. Hr. Karl pan Ligbare); « La petite iileuvre *» (Mtfen i Ormeham); «Parce qu’ils s’amusaient et Sans rime. Cf. (également s. I.) : 1° » Au pied de la colline... ■» (Tovelille, Rlak og tic.) ; »Sous une oolline si verte...» (Erik Emuns Prab); — 2° «Le jour ■ vc au pied de la colline » {Hr. Tidemans Htiner). " Cf. (également s. I.) : «Les fouilles s’ouvrent dans les bois, au loin, au ’ ■* (TovvlUlc) ; « Si vert se déploie le feuillage * » (Mge Hr. Pâlies Dryllup). 100 IÆ VERS FRANÇAIS jouaient aux dés d’or*» (Terningspillet); «C’est pourquoi Ebbon Escamel court sans fin les sentiers perdus *» (Ebbe Skammelspn); « Le sol gronde sous les vaillants, les vaillants valets qui chevau-

chent * » (De var syv og syvsindstyve) , « Le soleil à Trondhjem brille comme l’or rouge* (s. I. d., Hcllig Oluf og Iroldene); «Et ils jouaient un jeu, un jeu tout de colère*» (Nilus og Hillelille); « Aux armes, mes gens... Lacez vos heaumes d’or et suivez sire Jean » (Lave og Jon)\ « Mais le roi commande au château * » (s. /.

le tilleul * et attendez-moi là * » (s. /., Svar soin Tiltale); « Belles paroles réjouissent bien des cœurs * » (s. /. d., Moder under Mulde); «Je risque ma vie * ... Je risque ma vie pour une damoi- selle * » (Ridder i Fugleham); «Je ne connais point sa pareille * » (s. I. d., Rnnetvangen) ; «Tant elle avait mis son cœur en con- trainte » ( Konges0nnens Raner). Sentiments divers : « Eia, chagrin, que tu es lourd * ! (s. /. d., DgF, n° 37); «Bien lourd est le chagrin à qui le porte seul * » (s. I. d., ib.. n° 83); «Nul que Dieu ne sait mon chagrin *... Il ne vivra jamais personne à qui confier mon chagrin *» (Hillelillcs Sorg)\ «Celui seul en est cause que je porte en mon cœur *» (s. /.. Falk og SmaafugI); « A quoi nous sert-il de gémir * ! (s. /. d., Elverskud, DF, II, 5); «Car je me languis encore*... Et je me languirai jusqu’à mes derniers jours * » (s. I. d., Hr. B0smer i Elverhjem ***); « Tourne bien tes paroles * ! » (s. I. d., Ungen Svejdal). Danse : « Et légèrement va la danse au bois * (Elverskud); « Il * Sans rime. Au milieu de la cour ou de la place, il y avait, non un orme, comme

d ordinaire en France, mais un tilleul : c’est autour de cet arbre qu on dansait bi. n souvent, et à l’abri de son feuillage se rencontraient « valets » et suivantes, par 1> s soirs d’été, pour deviser d’amour. Cf. (.s. I. d.) : « Et maintenant je me languis * » (Stalt Ellensborg). LIVRE II 101 tombe une rosée si belle * ! (s. /.)... Si bien alors s’en va la danse * ! (IhjF, n° 180); « Allez mignotement * !... Allez et demandez, si vous vouiez* ! (s. /., Pedcr og Malmfred **); «Entrez bien en danse, seigneurs * !... Il faut être à la danse courtois envers les dames * ! »

(s. I.

( LIVRE III LE CORPS DE LA CHANSON CHAPITRE VII Les romances du moyen âge Il nous est donc parvenu, de nos vieilles caroles, quelques formules de prélude, fréquemment employées, d’ailleurs, et jusqu’à nos jours, ainsi qu’un nombre assez considérable de refrains, relativement récents, il est vrai, souvent même de forme courtoise. Quant au reste, il ne s’est réellement conservé que peu de chose par écrit. Il n’y a de véritablement primitif dans la forme que les deux strophes citées au début du Livre premier : l’une sur Bovon et Mersent, l’autre sur Kenaut et son amie. Mais il faut certainement ajouter à ces deux vénérables frag- ments les « chansons d’histoire », ou « de toile ». En tout, nous en possédons quinze, presque toutes du xii* siècle, quelques-unes m me antérieures peut-être à 1150 : ce sont, — en retranchant le n 11, qui, comme le n° 17, est de forme plus complexe et n’a pas de refrain, — les seize premières « romances » de Bartsch 1. De deux romances encore il nous reste le premier vers, pour l’une, i! .us le Jeu de la Feuillèe (xnr siècle), et les deux premiers, pour

utre, dans le Mystère provençal de Sainte Agnès (xiv* siècle)2. 1 iute cette poésie s’affirme bien, par le style soigné et surtout pii- la mélodie savante, comme l’œuvre de poètes exercés dans " i art et experts en musique. Rien de plus naturel : c’est en rinçant qu’on devient forgeron, et nous voyons là tout simplement preuve du progrès accompli à cet égard dans le milieu où se mposaient depuis longtemps pareilles chansons, les plus an- imes en langue d’oui, c’est-à-dire parmi les nobles grands ou ! lits, leurs ménestrels, les jongleurs instruits et autres clercs, nui les premiers trouvères. Et puis, on n’a sûrement recueilli e les plus récentes, les mieux tournées, les plus artistiques. Ont-elles servi aux danses? Pourquoi pas? Evidemment, celles nt nous avons la musique exigeaient un chante-avant « qui de nter avoit le los », comme le «valiez le comte de Los » qui mte à une carole, dans Guillaume de I)ôle, le couplet sur Kenaus et s’amie » (v. 2377 s.). Et il devait être encore plus facile 104 LE VERS FRANÇAIS do chanter les chansons d’histoire à une ronde qu’en chevauchant « la grande chaude » (= chaussée) ou même qu’en « ouvrant... une estole », en cousant et filant, comme l’auteur du même roman trouve naturel que le fassent, d’un côté, « ung baohelers de Nor- mendie » pour « Bele Aiglentine », et « un niés l’euvesque dou Liège » pour « (iui et Aigline », — de l’autre, la mère et la sœur de

Guillaume pour « Bele Aude », « Bele Aye » et « Bele Doe »■ . Il est donc possible que nos quinze romances littéraires se soient dansées. Mais est-ce probable? Les romans ne le disent point de

celles qu ils citent, et les autres se sont conservées dans le réper- toire d’un ménestrel ou d’un jongleur savant, le chansonnier de Saint-Germain, au milieu de chançons et autres poésies courtoises.

Trois, enfin (Bartsch, I, n° 2, 0. 8), ont un refrain variable, qui convient peu à une ronde. Les chansons Jvrico-dramatiques représentent, avec une certaine déviation, un autre développement de la carole. Il en est de même des pastourelles. Nous en trouvons un quatrième, beaucoup plus direct, dans les rondets, rondels, ou rondeaux de carole. La forme primitive, enfin, s’est conservée jusqu’à nos jours, malgré des altérations plus ou moins grandes, dans nombre de

chansons populaires : cela ressort déjà du fait qu en s’inspirant de ces dernières, en les reproduisant même parfois tout simplement, les chansons léguées par les xve et xvr siècles ont acquis un air de famille, — bien des traits communs, — avec l’art poétique et musical des xn* et xiir. En comparant ensemble vieux fragments, romances anciennes, premiers rondeaux et chansons populaires de tous les temps, rien n’est plus facile que de définir la chanson de carole. Et nous avons comme moyen de contrôle les imitations étrangères de ce type tout particulier, surtout les folkeviscr ou folkvisor scandinaves, dont il existe des centaines, avec des milliers de variantes, et qui remontent dans certains cas au xm* siècle. Ln 1" rance doui. la poésie est primitivement et foncièrement narrative. Telle nous la représentent les premiers témoignages (v. p. 21 s.). Telle nous la trouvons dans la séquence d’Eulalie, comme dans le Saint Léger et la Passion. Du XIe siècle au xiv’, elle s épanouit avec une merveilleuse luxuriance en chansons de geste. Elle s’épanouit : ces épopées ne sont en elTet qu’un développement de Li cantilène qui se chantait depuis des siècles et qui apparaît par écrit sous une forme affinée dans les romances du xnc, petits récits en vers, lyriques de forme et souvent dramatiques d’allure. A côté fleurissent d’autres chansons, encore plus nettement épico- 1 LIVRE III 105 dramatiques, qui prennent aussi vers la même époque la forme savante et spécialisée du débat amoureux et de la pastourelle. Ce sont là précisément les genres, — « romans », du moins, « rotrouenges » (forme ordinaire des romances) et « pastourelles », (¡ne le Provençal Raimon Vidal reconnaît comme l’apanage de la France d’oui *. Quant à notre chanson populaire, elle est restée essentiellement narrative. Les mêmes remarques s’appliquent aux autres pays gallo- romans : Wallonie, Suisse romande et roumanche, France d’oc, Piémont, Catalogne (y compris la province de Valence), la Galice et le Portugal. Tandis qu’au sud du Rubicon, dans l’Italie de race non celtique, le peuple chante des strambotti et des stornclli, purement lyriques, c’est la canzone lyrico-épique qui règne comme produit indigène au nord du petit fleuve historique. Cette assimilation soulèvera peut-être une objection en appa- rence décisive : au centre même du domaine gallo-roman, dans la France d’oc, c’est au contraire la canso lyrique qui a prévalu au moyen âge. Mais il faut y voir une seconde lloraison poétique, en avance à bien des égards sur celle de la France septentrionale, tout comme la première. Celle-ci présentait un caractère narratif : le plus vieux poème qui nous reste en langue d’oc, le Hoèce, du \ siècle, est une chanson de geste5; la plus vieille chanson à danser dont il soit fait mention dans le midi de la France, c’est une tresche du xi", où l’on chantait la vie de sainte Foi6; comme l’a démontré M. Jeanroy7, la pastourelle, le débat, la chanson dramatique viennent de ce même midi; on y cultivait la romance, puisqu’un planctum de Sainte Agnès se chante sur la mélodie d’une chanson d’histoire bien caractérisée2; mieux encore, si nous regardons de près l’œuvre de Guillaume IX, cet ancêtre des trou- oadours connus, nous constatons que l’une de ses premières poésies, la plus ancienne en tout cas de ses chansons en forme de Itranle composé, la chanson V, est bel et bien une chanson d’his- ¡o:re, — qui n’a certes rien de courtois 8, — et deux autres (I et II) s rapprochent du genre narratif. C’est plus tard seulement que ) i canso purement lyrique l’emporte sans conteste en pays d’oc, t’ ins la poésie savante, et se répand de là au nord et au midi : la iiançon de nos trouvères n’en est guère, dans sa forme, que la < pie ; le soneto, le stornello et le strambotto de l’Italie péninsu- ire tiennent au moins leur nom de poèmes provençaux, le son. storn, les vers estramps, — à moins que le dernier ne vienne, ir la Sicile, de Vestra(in)bot normand. C’est de la France d’oui, au contraire, qu’ont été importées ns le reste du domaine gallo-roman la plupart des chansons irratives qu’on y a recueillies9. Elles y trouvaient un sol préparé les recevoir : sans alléguer la communauté de race, rappelons

l on y parlait ,— qu’on y parle encore dans le peuple, — d’autres 106 LE VEIIS FRANÇAIS

dialectes de la même langue, du gallo-roman, et qu il suffisait d’une légère transposition pour y faire passer à peu près intactes nos vieilles cantilènes. C’est, par conséquent, dans la France d’oui qu’a du se développer surtout la chanson narrative de la Gallo- Romania 10. Faut-il y voir une influence germanique? De même (jue les autres Germains, si l’on en croit Tacite, de même que les Scandinaves dans YEdda en vers, les Francs et les Burgondes composaient des chants sur leurs dieux et sur leurs héros. Mais

tandis que notre séquence d Eulalie est narrative, les séquences latines des pays de langue allemande, celles de Notker et autres, sont au contraire purement lyriques. Lyriques également, en majorité, les chansons populaires allemandes. Voilà qui ne permet guère d’attrihuer à un apport de nos ancêtres germains le caractère épique de notre vieille poésie en langue d’oui. D’autant plus qu’elle le partage avec la poésie primitive et populaire en langue d’oc. Le doivent-elles toutes deux, celle du nord et celle du midi, à ce que les Français étaient restés plus Celtes que les autres Gallo-Romans? Ont-elles conservé là un héritage celtique? Pures suppositions. 11 faut nous contenter, répétons-le, d’enregistrer le fait qu’elles présentent ce caractère. Il y en a un autre qu’il importe de constater : romance, débat et pastourelle sont au moins à l’origine des chansons à danser et même, comme l’attestent les vestiges de prélude et le refrain, des chansons de carole. Nos chansons de geste, avec leurs laisses primitivement terminées par une sorte de refrain variable, sortent également de la même source, si modeste soit-elle, comme celle de tel grand fleuve, de tel grand lac. Le long poème épique de Sainte Foi, en forme « française » de chanson de geste, n’est-il pas, de l’aveu même de l’auteur, le développement direct d’une chanson de tresche? C’est là, évidemment, un cas tout spécial. Quand je dis que la chanson de geste est l’épanouissement de la chanson d’his- toire. cette affirmation n’a rien de commun avec la « théorie des cantilènes » : il s’agit uniquement de la forme en général. Et la poésie des troubadours? Remonte-t-elle aussi à la carole? Il ne semble guère possible de regarder comme un simple hasard l’identité de forme que présentent telles strophes de Guillaume IX avec maints rondeaux des xiT et xm* siècles et avec certains branles composés du xvr (v. p. 38). Quant à nos chansons populaires modernes, elles se divisent bien en chansons à danser, avec refrain, et en chansons sans refrain, les complaintes, qui se chantent solo aux veillées, aux noces, aux travaux de femme, au labour, pour mendier, etc. Mais LIVRE III 107 la complainte n’est autre chose qu’une chanson narrative dans le genre «le nos romances et de nos caroles du moyen âge, de nos vieilles chansons à danser. C est une chanson à danser privée ,1e son rel’rain, comme tant de chansons à danser ne sont que des complaintes avec refrain. Nous avons en général quelque peine à croire qu’on ait réellement composé pour la danse et réellement dansé telles chansons au sujet heroïque, triste, tragique ou sacré. On en danse encore de toutes semblables aux Feroé : les plus populaires sont d’abord la lutte de « Sigurd avec le Dragon » et ensuite la «Bataille de Roncevaux»; d autres chantent la «Pas- sion». Faut-il rappeler de nouveau la tresche de «Sainte Foi»? C est qu’il ne s’agit pas de valse, encore moins de tango : la danse chantée des caroles correspond à un drame, — dont les danseurs, nous le verrons, traduisent les sentiments par les nuances du chant, au refrain, comme par les jeux de physionomie et le rythme des mouvements, — un drame qui comporte « le sévère » aussi bien que « le plaisant », sinon davantage, comme la vie elle-même. Qu’on songe, d’autre part, aux chœurs des tragédies grecques et aux ballets historiques du Danemark. Il n’y a guère d’histoire plus tragique, plus farouche que «les Anneaux de Marianson »n, et c’est là une « complainte » sans refrain et en « strophes de complainte», comme «le Boi Renaud» et la Passion (x* siècle): dans ses Antiquités poétiques, publiées en 1799, Bouchaud la cite parmi « nos vieilles chansons à danser en rond »l2. Ajoutons que le Roi Renaud », comme la plupart des complaintes en strophes ih même forme, se chante sur un rythme de danse bien carac- térisé. Toutes nos chansons, aussi loin que nous pouvons remonter, < it bien leur point de départ dans la chanson à danser, dans la carole. Et c’est grâce à la carole, avec la carole, qu’elles se sont

< ibord répandues, non seulement dans les autres pays gallo- mnians, mais encore dans le reste de l’Europe méridionale, occi-

Dans ces deux caroles, il s agit sans doute d’un enlèvement, comme dans la romance de « Gerairs et Gaiete » (Bartsch, I, n° 5), qui remonte à peu près au même temps, aussi bien que dans plusieurs des ballades scandinaves anciennes et de nos chansons populaires encore vivantes. Sans doute aussi faut-il voir dans le second refrain une plainte de femme, sur le même ton à peu près que celle de « Bele Yolanz »: « Dex, tant est douz li nons d’amors : — ja n’en cuidai sentir dolors » (Bartsch, I, n° 7). Dans toutes ces vieilles chansons, en effet, l’amour qui parle ou qu’on peint ne ressemble guère à l’amour courtois. De même que dans nos chansons de geste, ce

n est pas l’homme qui s’enflamme soudain, qui supplie, et c sert ». et languit : c’est la femme. « La fougueuse humilité des amantes

n a d’égale que la superbe indifférence des amants » (Jeanroy, ]». 220). En amour comme au combat, le héros vient, voit, vainc — et passe. Non point qu’au fond du cœur il soit toujours et tout à fait insensible, — car si « Ajgline aime Gui », « Gui aime Ai- gline », si Gaiette suit Gérard sans se faire prier, Gérard risque sa vie en l’enlevant, et si Renaud, Henri. Garin ou Hélier a quitté son amie pour partir en guerre ou autrement, il finit bien par lui revenir 14, — mais son honneur de « baron », qu’il met au- dessus de tout, lui impose un certain calme et au moins un air d’orgueilleuse indifférence. LIVRE III llelle Aiglentine, clans sa passion ardente et soumise, se donne à un « cortois soudoier, le preu Henri », sans « onques » lui demander s’il la « prendra » pour femme. Elle est enceinte. « Sa dame », — sa reine, sans doute, en même temps que sa mère. — s’en aperçoit. Après avoir reçu les confidences de la belle éplorée, elle l’envoie poser enfin la question : « Oil, dit Henri» onc joie n’oi rués tel. » Si enporta la bele en son païs Et l’espousa, riche confesse on flst. Grant joie en a Li (/tiens Henris (/uant bele Aiglentine a. Voilà « l’histoire ». Comme d’ordinaire, la romance nous jette in médias res, sans préparation aucune et même avec un certain art de la mise en scène : I. Bele Aiglentine en roinl chamberine

Devant sa dame cousoit une chemise *.

Aine n en sot mot quant bone arnor l afise. Or orrez jà Comment la bele Aiglentine esploita. II. Devant sa dame cousoit et si lailloif; Més ne coust mie si corn coudre soloit : El s’entroublie, si se point en son doit. La soe mere mout tost s’en aperçoil. H **. — Guillaume de Dôle, v. 2226 s. (Bartsch, I, n° 2). C’est sous la même forme, mais avec bien plus de relief, que i 11ute une ballade Scandinave du moyen âge : La peine de Petite Hille 1S. I. Hille est assise en chambre haute — \vl i/ue Dieu ne connaît ma peine. — El elle coud hors de tout sens. — Jamais il ne vivra personne A qui me plaindre de ma peine. II. Elle coud avec de la soie

Ce qu en or il faudrait ouvrer. ’ Le copiste a sauté le troisième vers. * R. : avec refrain. 110 LE VERS FRANÇAIS

III. El elle coud avec de l or Quand de la soie il y faudrait. IV. Un envoya dire à la reine : « Petite Mille coud bien mal! » V. La reine ceint son chef d’hermine El monte au solier * trouver H i Me. VI. « Ecoute bien, petite Mille, Pourquoi couds-tu hors de toul sens? VII. « Tu couds voirement tes coutures Comme une qui sa joie oublie. » • Là-dessus, Hille raconte elle-même son histoire, — jusqu’à ce que nous la voyions, dans les deux dernières strophes, rester morte entre les bras de la reine. Histoire bien différente de celle d’Aiglen- tine, bien autrement tragique : Hille s’est laissé séduire et enlever par Hildebrand, seigneur étranger (comme le Henri d’Aiglentine) ; ses sept frères, avec son père et onze autres parents, les pour- suivent et les rejoignent; ils attaquent le ravisseur, et lui, après avoir recommandé à sa compagne de ne point le nommer par son nom, abat les assaillants l’un après l’autre; Hille, effrayée, le conjure, en le nommant, d’épargner son plus jeune frère; mais Hildebrand, qu’abandonne sa force surnaturelle une fois son nom prononcé, tombe immédiatement transpercé de dix-huit blessures; Hille est emmenée par le seul de ses frères qui survive, le plus jeune, et vendue pour une cloche. Il n’est pas conforme à la technique des folkeuiser, à leur carac- tère objectif, (pie l’héroïne raconte ainsi elle-même son histoire. Aussi n’est-ce point le cas dans les autres récits d’enlèvement avec rencontre sanglante entre le ravisseur et les parents de la belle, par exemple dans « Hibold et Guldborg », où le combat ne se livre pas seulement point pour point comme dans « Petite Hille », — sauf que Ribold ne meurt pas sur le champ de ses blessures, — mais est encore narré à peu près mot pour mot dans les mêmes termes. Autre déviation : contrairement à la règle, observée aussi dans « Ribold et Guldborg », Hille ne meurt pas tout de suite après son ami, — elle lui survit misérablement, par une étrange incon- séquence, jusqu’au jour où elle a enfin la consolation de trouver une aine compatissante, une reine, à qui confier son chagrin. (-ette double infraction a été commise afin d’encadrer le récit, afin de l’introduire en nous montrant la malheureuse Hille en train de coudre tout de travers « en roial chamberine ». Mais ce cadre n est ici qu’un hors-d’œuvre, qui ne pouvait guère se pré- * <■ Etage supérieur d’une maison »

iées, nous ne pourrions guère nous expliquer l’engouement que s chansons d’histoire ont inspiré à l’étranger et les imitations

.»’elles y ont provoquées. On ne les a recueillies qu’assez tard, et les seulement qui par la musique et le style correspondaient rs au goût plus courtois, plus affiné de l’aristocratie et des • tcs. On avait cessé d’en composer dans ces mêmes milieux : les 1 mes littéraires changent vite et souvent en France, et, malgré s apparences, il en était déjà ainsi au moyen âge, — d’autant

■ ie, faute d’être mises par écrit, les poésies ancienne^ s’oubliaient pidement. Lorsque a été éciit Guillaume de Dole, c’est-à-dire

s 1200, il y avait longtemps que reines et dames ne chantaient us les «chansons d’histoire» comme «chansons de toile» 112 IÆ VERS FRANÇAIS

(v. 1147 s.), ( e genre avait vieilli de plus en plus à partir du der- nier quart, sans doute, du xn* siècle. Il est de moins en moins représenté dans les romans qui admettent des fragments lyriques : sept fois dans Guillaume de l)ôle, vers 1200, une seule fois dans

le Roman de la Violette, en 1222. ( /est en vain que vers le même temps Audefroi le Bâtard essaya de le faire revivre dans la litté- rature savante, la littérature écrite, en copiant sous une forme délayée les romances conservées du siècle précédent, les ro- mances d’un caractère lettré, celles que nous connaissons ou de toutes semblables. Mais il s’inspirait probablement aussi des chansons primitives, des primitives chansons de carole, qui avaient survécu dans la transmission orale, tout au moins sur les lèvres du peuple. CHAPITRE VIII La chanson populaire On appelle chansons populaires, sans tenir compte de l’ori- gine, les chansons qu’aime et chante le peuple et qui ont vécu longtemps sur ses lèvres soit qu’il les ait conservées à peu près intactes, soit qu’il les ait recréées peu à peu et diversement par les modifications involontaires et multiples d’une suite de chan- teurs ou par la refonte consciente et voulue d’un seul. Nous n’y comprenons donc pas celles qui ont joui d’une vogue passagère, non plus que celles qui se sont perpétuées dans le peuple grâce au livre ou par l’enseignement de l’école. Les véritables chansons populaires ont quelque chose de primitif, non pas comme on l’entend quand on applique ce terme aux productions les plus rudimentaires de peuplades encore sauvages, mais par comparai- son avec un art plus évolué, avec la poésie savante, écrite, lettrée, * littéraire ». Ce caractère primitif ou populaire se reconnaît sans peine, se sent plutôt, mais il n’est pas facile à préciser, à définir. Il se retrouve plus ou moins dans les imitations simili-populaires ou mi-littéraires, très littéraires parfois, de petits ou de grands poètes : « Il pleut, il peut, bergère » (Fabre d’Eglantine), « Com- bien j’ai douce souvenance » (Chateaubriand), « La Fiancée du Timbalier », « Gastilbelza » (Hugo), — «Erlkönig» (Goethe), «Lo- relei » (Heine). Pour devenir vraiment populaires, il faut que semblables pastiches, après oubli du point de départ livresque, soient pour ainsi dire filtrés par une longue transmission orale : icst rare. Nos chansons réellement populaires ont longtemps circulé ainsi de bouche en bouche, presque toujours anonymes, et elles remontent presque toutes assez loin dans le passé, très I* i parfois, voire même aux caroles du moyen âge. * ** Ce qui attirait dans la carole primitive, c’était la chanson aussi

I n que la danse, et, dans la chanson, « l’histoire » autant que

musique, sinon davantage. On carolait tant qu on avait de ines jambes, et, l’âge passé de ces jeux, la vieille y envoyait fille ou sa nièce, pour leur demander à leur retour de lui répéter chansons qu’elles avaient entendues sur les places ou dans caroles 1T. « Sur les places », devant l’église, c’était quelque leur ambulant qui chantait chansons de geste, chansons de h constance, — par exemple pour les croisades, -— mais surtout, 1 ins aucun doute, chansons de carole. De nos jours encore, ne I*. Verhif.r. — Le Vers français. — /. 8 114 LE VERS FRANÇAIS voyons-nous pas les gens du peuple, et même d’autres, s’attrouper autour du chanteur des rues et chanter peu à peu avec lui pour apprendre ainsi ses chansons ? Et cela, non seulement dans les campagnes et aux foires des bourgades, mais aussi dans la ban- lieue des grandes villes, au cœur même de Paris. On juge du succès que devait avoir jadis le jongleur ambulant, alors que si peu savaient lire et possédaient des livres, alors qu’il n’y avait pas de journaux pour apprendre les derniers événements, pas de théâtres permanents, pas de cafés-concerts, — pas de cinémas. Ce n’étaient pourtant pas uniquement des chansons nouvelles que chantait ainsi le jongleur, mais encore « chansons antives » (= antiques), nous dit un roman du xiiT siècle, des chansons déjà vieilles en ces temps reculés et par suite, en général, des chansons primitives 1S. Avec ou sans l’aide des jongleurs, ces vieilles chansons et les nouvelles du même genre se propageaient par les caroles de ville en ville, de village en village, de province en province, — à travers toute la Gallo-Romania. Elles ne tardaient guère à s’v chanter et à s’y danser à peu près partout, — celles du moins qui étaient viables. Longtemps il en a été ainsi. Et c’est ainsi que les chansons d’histoire, depuis les plus anciennes jusqu’aux plus récentes, se sont transmises oralement dans le peuple. Il s’en est beaucoup perdu en route, évidemment, et les autres se sont plus ou moins transformées. Sans parler des changements qu’il subit forcément en passant de bouche en bouche, de contrée en contrée, de géné- ration en génération, le texte évolue non moins forcément avec la langue elle-même, bien qu’il y reste incrustés çà et là, comme fossiles en terre, un mot ou une tournure archaïques. Les allu- sions historiques et géographiques, locales surtout, se défigurent ou se remplacent. Mais les paroles et la mélodie se modifient aussi pour d’autres raisons, souvent à leur détriment, mais pas toujours : témoin l’air de la Marseillaise tel (pie nous le chantons, par comparaison avec l’original de Rouget de l’Isle.

Il n y a pas eu que des déformations involontaires, incon- scientes : les poètes populaires modernes, — demi-lettrés, clercs dévoyés, jongleurs de bas étage, chanteurs ambulants avec ou sans tableau colorié et aussi chanteurs de village, — ont travaillé au cours des siècles sur ce fond traditionnel pour le rajeunir, le déve- lopper, l’accroître. Il y en a eu certainement qui ne manquaient pas de talent primesautier ni d’entraînement, — il y en a encore. Presque toujours, cependant, comme on le constate chez ces der- niers, le souffle est court, l’horizon étroit et bas, l’imagination soumise à un bon sens terre à terre, le langage pauvre et gauche, en même temps parfois que prétentieux, le style informe : tout art exige une éducation, générale aussi bien que particulière. Bref, qu’il s’agisse d’altérations machinales ou de remaniements LIVRE III 115 réfléchis, il est à craindre que M. Jeanroy n’ait raison quand il écrit : « Les personnages de notre ancienne lyrique sont peut-être aussi défigurés dans nos chansons actuelles que les héros des chansons de geste dans la Bibliothèque bleue ou sur une image d’Epinal » (p. 444). Moins valent encore les chansons « popu- laires » composées de notre temps, en particulier sur les événe- ments et les hommes du jour : « Les crimes de Landru », « Lind- bergh est arrivé », etc. Aussi n’ont-elles pas la vie longue. 11 ne faut pas oublier, malgré tout, qu’il y a eu dans le peuple des poètes remarquables, comme le perruquier Jasmin, et même de grands poètes, comme le petit paysan Burns. Parmi nos vieilles chansons populaires, enfin, il y en a qui ne manquent pas non plus de grandeur ni de beauté. Et nous ne savons ni qui les a composées ni quelle part la transmission orale peut avoir à leurs formes actuellement connues. Malgré l’époque tardive où l’on a commencé à les recueillir, le xv* siècle, nous possédons un nombre respectable de chansons populaires 10. De même que les ballades scandinaves, comme je l’ai expliqué plus haut, elles embrassent les sujets les plus divers, des plus graves au plus gais, des plus tragiques aux plus comiques, des plus réalistes aux plus fantaisistes, des plus reli- gieux aux plus profanes, — et elles ont d’abord été composées pour la danse. C’est en se séparant de la danse que plusieurs ont subi certains changements au point de vue de la forme, tels que la suppression du prélude et même du refrain. La langue et le style, nous l’avons dit, n’ont pu laisser de s’altérer. Le mètre, au < (traire, s’est mieux maintenu que le reste : c’est ce qu’il y a d- plus fixe. Quant aux causes, aux agents qui ont contribué à modifier le t a l, point n’est besoin de les énumérer et de les expliquer. Signa- I us au moins le gros bon sens populaire et notre penchant ; mit raisonneurs, rationalistes, à rejeter ou à corriger ce qui ■st pas rationnel, disons plutôt : raisonnable, clair, logique, pie, vraisemblable. Certes, nos chansons populaires ont pu laisser emporter par la folle du logis : elles se meuvent plus ne fois dans le merveilleux, si l’on entend par là le fantaisiste,

i range, le fantastique, l’irréel. Mais, sans compter que la fan- l. >ie a sa logique, c’est dans la réalité que sont pris les éléments d i-*s visions, qu’on ne donne point, d’ailleurs, pour autre chose pour des rêves : l a mâture est en ivoire. les pouli’s en diamant,

l a prrand’ voile est en dentelle, la misaine en satin blanc.

La feuille s enrôle, vole, la feuille s envole au vent. 11(’> LE VERS FRANÇAIS

Les cordages du navire sont de fil d’or et d’argent.

L équipage du navire, c est tout filles de quinze ans. La feuille, etc. « Le Merveilleux Navire » (Doneieux, p. 410). Cf. Paris, A V» siècle, ch. XCIX. L’imagination populaire ne dépasse guère chez nous les bornes du concevable, elle ne reste guère fourvoyée dans l’extravagance, et je ne crois pas qu’on trouve dans nos chansons populaires ou enfantines le pendant de cette nursery rhyme anglaise : Si tout l’univers était du papier et toutes les mers de l’encre, Et tous les arbres des tartines de fromage, comment nous y prendre pour boire? Quant au surnaturel, nous ne rencontrons qu’assez rarement celui du christianisme, presque toujours sous une forme très simple, et nous constatons une tendance à éliminer celui de la mythologie primitive avec ses fées ou autres esprits familiers à nos contes. Aux changements qu’il a subis de ce chef, c’est-à-dire par suite de notre goût pour la vraisemblance et la clarté, le fond a pu gagner aussi bien que perdre. La plus belle, sans doute, de nos chansons populaires, et l’une des plus connues, est celle du « Roi Renaud * : I. Le roi Renaud de guerre vint, — portant ses tripes dans sa main. Sa mère était sur le créneau, — qui vit venir son fils Renaud. II. « Renaud, Renaud, réjouis-toi! — ta femme est accouché’ d’un roi. » « Ni de la femme, ni du fils, — je ne saurais me réjouir. III. « Allez, ma mère, allez devant, — faites-moi faire un beau lit blanc :

Guère dp temps n’y demorrai, — à la minuit trépasserai.

IV. <■ Mais faites-1 moi faire ici bas — que l’accouché’ n entende pas. » Et quand ce vint sur la minuit, — le roi Renaud rendit l’esprit.

V. Il no fut pas le matin joui , — que les valets ploraient tretous . Il ne fut temps de déjeuner, — que les servantes ont ploré. VI. « Dites-moi. ma mère m’arni’, — que pleurent nos valets ici? » « Ma fille, en baignant nos chevaux, — ont laissé noyer lo plus beau. » * Si je mets deux octosyllabes par ligne, ce n’est pas seulement pour gagner

de la place : c est surtout pour- faire mieux ressortir qu’ils sont réunis en un seul tout par le sens et par la rime, comme par la mélodie. LIVRE III 117 VIII. " Dites-moi, ma mère m’anii’, — quf pleurent nos servantes ci ? » « Ma fille, r*n lavant nos linceuls, — ont laissé aller le plus neuf. » X. Dites-moi, ma mère m’ami’, — pourquoi j’entends cogner ici? » Ma lill’, ce sont If*.« charpentiers — qui raccommodent le plan- chier. >» XI. 1 )ites-moi, ma mère m’ami’, — pourquoi les seins* sonnent ici?» « Ma fill\ c’est la procession — qui sort pour les Rogations. » XII. « Dites-moi, ma mère m’ami’, — que chantent les prêtres ici? » « Ma 1111, c est la procession — qui fait le tour de la maison. » XIII. Or quand ce fut pour relever, — à la messe el’ voulut aller; Or quand ce fut passé huit jours, — el 1’ voulut faire ses atours. \IV. « Dites-moi, ma mère m’ami’, — quel hahit prendrai-je aujour- d’hui. » « Prenez lo vert, prenez le gris, — prenez le noir pour mieux choisir. » XV. Dites-moi, ma mère m’ami’, — ce que ce noir-là signifi? » « Femme qui relève d’enfant, — le noir lui est bien plus séant. » WIII. Quand el’ fut dans l’église entré’, — le cierge on lui a présenté.

Aperçut en s agenouillant — la terre fraîche sous son banc. MX. <> Diles-moi, ma mère m’ami’, — pourquoi la terre est rafraî- chi’ ? » « Ma fi 11’, ne I’ vous puis plus celer. — Renaud est mort Pt enterré. »

XX. « Puisque le roi Renaud est mort, — voici Ips clefs de mon t résor. Prenez mes bagues ot joyaux, — nourrissez bien le fils Renaud.

XXI. << Terre, ouvre-toi, terre fends-toi, — que j aille avec Renaud, mon roi ! » Terre s’ouvrit, terre fendit. -— et si fut la belle englouti’. Doncieux, p. 87 s. (d’après 55 versions). Ici, c’est-à-dire dans la chanson actuelle, qui remonte au mi- “u environ du xvf siècle, le remanieur a tout bonnement sup- I> i nié la première moitié de l’original, à cause, en partie au moins. son caractère mythique, ou plutôt il l’a remplacée par cette * - ve explication rationaliste que Renaud revenait de guerre blessé

mort. Cette première partie subsiste encore dans une version ven- •nne, où le héros s’appelle « fils Louis ».

1 C’est le conte de fils Louis — qui se promène en ses prairi s. En son chemin a rencontré — la mort qui lui a demandé : * Seins « cloches ». 118 LE VERS FRANÇAIS III. « Aimes-tu mieux mourir oeil’ nuit — que d’être sept ans à

languir? »

IV. « J aime mieux mourir celle nuit — que d être sept ans à languir. Poésies populaires de lu France, I. III, f. II8 20. Dans cette rédaction perce pourtant déjà la tendance à l’ex-

plication réaliste. La légende primitive s est conservée dans une chanson en bas-breton, dont la Yillemarqué, Luzel, M. J. Loth et bien d’autres ont recueilli des variantes en divers endroits et à des dates diverses : « Le Comte Nann », — Nann est le diminutif de Ronan, Renan, auquel ressemble étonnamment Renaud, — « Le Comte Nann et la Fée». Ce n’est pas la mort, en elTet, que ren- contre Nann, mais une fée : elle lui demande de la prendre pour femme, et, comme il refuse, elle lui donne à choisir entre une mort rapide, dans trois jours, et une mort lente, au bout de sept ans passés à languir -1. Voilà comme la légende a dû se chanter d’abord en français aux rondes caroles. C’est sous cette forme que notre chanson d’histoire a passé au moyen âge du nord de la France en Danemark, pour s’v épanouir en l’une des plus belles folkeviser, une des plus répandues en Scandinavie, celle dont j’ai cité plus haut le joli refrain : El légèrement va la danse au bois. Ce vers s’applique naturellement à la carole que mènent, en chantant la chanson, * bachelers et puceles », dames et gentil- hommes. Mais il doit s’entendre en même temps de la ronde des elfes, ou sylphes et sylphides, comme l’a interprété Leconte de Lisle dans son adaptation abrégée de la ballade Scandinave. C’est au milieu de cette ronde que tombe le chevalier Olaf. C’est la fdle du roi des sylphes qui l’invite à danser avec elle, — c’est-à-dire à rester pour toujours auprès d’elle comme son mari forcé, — et qui, sur son refus, lui impose la terrible alternative : « Aimes-tu mieux mourir ce soir ou gésir malade sept ans? » Ms. danois de 1550, etc.22. Nous reconnaissons le choix que propose la fée à Nann dans la ballade bas-bretonne, et la mort à « fils Louis » dans la ballade vendéenne. Et plus loin, nous retrouvons également la prière que Renaud adresse d’abord à sa mère : « Ma chère mère, faites mon lit! — Ma chère sœur, suivez-moi ! « Couchez-moi sur les coiles bleues, — je vais m’y étendre et mourir » 23. On voit que même jusqu’aux détails la folkevise a tout repro- duit du récit français, celtique sans doute à l’origine, mais en

LIVRE III l’enveloppant de poésie Or, si Elverskud « Frappé par les

Sylphes » *5 est l’une des plus belles folkeviser, c’est aussi l’une des plus anciennes : elle remonte au xiii* siècle, et plutôt, croit-on, au commencement qu’à la fin. Voilà qui prouve l’antiquité de notre chanson. La strophe de « Frappé par les Sylphes », comme celle de « Fils Louis » et de nombreuses chansons populaires françaises, com- prend deux petits vers de quatre temps marqués et à rime mas- culine. Mais dans la ballade vendéenne le refrain primitif a été remplacé par la répétition du couplet proprement dit. En outre, le premier vers a certainement été défiguré dans la transmission orale. « C’est le conte de fils Louis », surtout quand on songe au vers suivant, ne peut guère se regarder que comme une déforma- tion populaire de cette forme intermédiaire : « C’est le comte le (ils Louis », où le nom du héros, Renaud sans aucun doute, a disparu comme tenant trop de place et faisant en apparence double emploi avec « le fils Louis » (= le fils de Louis) compris de la même manière que « le fils Dubois » (== Dubois fils). Quant au second vers, je ne sache pas que les héros de nos chansons d’his- toire aient eu l’habitude de « se promener dans leurs prairies », et au moyen âge « praërie » n’était pas seulement trop long pour la mesure, mais ne pouvait aucunement s’employer comme rime masculine. Dans la chanson bas-bretonne, le comte Nann, ou Henan, va à la chasse. Sans prétendre le moins du monde re- construire exactement l’original de la version vendéenne, voici approximativement la forme qu’il pouvait avoir : Li cuens Renauz, filz Loôlis, — a loi t chaejant en ses garris *. Si le refrain a été remplacé par la répétition du couplet, c’est

qu il n’avait sans doute aucun rapport avec l’histoire. Montrait-il,

c .mme tant d’autres du temps, la danse qui au bois, « à la rever-

d e, au bois!» au «bois d’amour», «au boschage », ou ailleurs, \ t v mignotement », « cointement », « liéëment », « legierement » ? \ t renient dit, l’emprunt de la ballade française par le Danemark s lendrait-il jusqu’au refrain? Mais par quelle voie s’est fait l’emprunt ? Par la plus naturelle >!■ monde. Au moyen âge, en particulier aux xn* et xiii* siècles, ; mbre de Danois sont venus achever leurs études à Paris, à léans, à Chartres, à Angers, au Bec, à Fécamp, à Montpel- i’. etc., mais surtout à Paris. Aux caroles ou autrement, ils ont >!endu chanter la ballade de Renan ou Renaud par leurs cama- les de Normandie ou plutôt de Haute-Bretagne. Les Bretons ne .tiquaient pas au Quartier Latin, il y en avait même de célèbres, • larris <• garrigue, terre inculte >• (mais non sans végétation, puisque "ïno y cueille de l’herbe clans Aucasshi et \ ¡Colette). 120 LE VERS FRANÇAIS Abélard par exemple et Adam de Saint-Victor, tous deux grands poètes en latin, le premier aussi en français, au moins dans sa jeunesse. Ces étudiants ou clercs bretons, ceux en tout cas de Haute-Bretagne, ne pouvaient ignorer les caroles françaises de leur pays. Notre chanson remonte-t-elle donc aussi haut ? Les formes qui nous en sont parvenues n’en sont que des remaniements assez modernes, en particulier la version la plus répandue, celle du « Roi Renaud », avec sa suppression complète du mythe au début. Pourquoi cette suppression ? Même en faisant abstraction d’une attitude négative 011 indécise à l’endroit du merveilleux, il est facile de se rendre compte pourquoi il a disparu de cette antique romance. Elle comprenait en réalité deux histoires distinctes, dont la première, bien (pie probablement la plus ancienne, ne servait plus guère que d’introduction à la seconde : la fantastique ren- contre avec la fée, — la tragédie réaliste du retour. Le peuple de France, — et j’entends par là, cela va sans dire, nos poètes popu- laires. — le peuple de France a dans l’esprit, comme en germe, le goût de nos bons écrivains pour l’unité, la logique, la simplicité de la composition : il a senti que peu importait où et quand Renaud avait été frappé à mort, que cette explication nuisait même au récit en partageant l’attention, non seulement entre deux ordres d’événements, mais encore entre deux mondes, le monde surnaturel et le monde sensible. Quoi qu’il en soit des facteurs qui ont contribué à la rédaction encore vivante du « Roi Renaud », on y retrouve conservés l’un et l’autre, à travers les adaptations successives, et le drame gran- diose dégagé de l’introduction mythique, et sans doute le mètre même de l’original, de « l’archétvpe », la strophe de quatre octo- syllabes masculins à rimes suivies et à accent médian presque absolument fixe, c’est-à-dire la première forme sûrement attestée de notre versification :0. Dans quelques-unes de nos chansons, néanmoins, le vieux fond surnaturel a résisté, persisté. C’est le cas de « Marguerite, ou la Blanche Biche » (Doncieux, ch. XVI) : Celles qui vont au bois, c’est la mère et la fille. La mère va ohantanl. et la fille, soupire. « Qu’av’ous à soupirer, ma fille Marguerite ? »

C est que la fille est changée la nuit en « blanche biche » : La chasse est après moi, les barons et les princes, El mon frère Renaud, qui est encor le pire. LIVRE III 121 La mère intervient auprès du fils ; Où sont los chions, Renaud, et ta chasse gentille ? » «. Ils sont dedans le bois à courre blanche biche. » « Arrôte-les, Renaud, arrête, jr* t’en prie ! » Elle ne lui en dit pas davantage. Renaud prend la blanche biche :

Celui qui la dépouill dit: «Je ne sai que dire:

Elle a les cheveux blonds et le sein d une fille. » Si le texte de la chanson est plutôt récent, il en a remplacé un beaucoup plus ancien : celui-ci, en efTet, a servi de modèle à une ballade Scandinave du moyen âge, « La damoiselle changée en biche » (v. l)F, I, n" 12). Citons-en aussi trois strophes : I. La mère enseigne son fils : — Au bois ! — « Ne lire point sur la blanche biche! » — (fui porte l’or eu ses flancs. —

VII. A la nuque il la dépouilla — de sa sœur il trouva les boucles. \ III. Il la dépouilla au poitrail : — de sa sœur il trouva les bagues27. Il n’y a pas de doute sur le sens de l’emprunt : sans parler des raisons d’une portée générale, sur lesquelles nous reviendrons en temps et lieu, signalons seulement que la légende est très répandue en France, indépendamment de la chanson, par exemple dans la Biche au Bois, et que ce n’est point le cas dans les pays Scandinaves. Je l’ai entendu raconter sous une autre forme, dans mon enfance, au fond du Bocage normand : un seigneur tire à la chasse sur une biche et l’atteint à la cuisse, mais elle lui échappe, elle disparaît; quand il rentre, il trouve sa fille ou sa femme couchée, il s’aperçoit bientôt qu’elle a une blessure à la jambe, au même endroit que la biche, il l’amène à avouer sa métamorphose périodique et il l’en fait délivrer par un exorcisme la prêtre, à la Chandeleur, sur le parvis de l’église. En général, d’ailleurs, ces métamorphoses d’animaux sont em- antées aux Celtes. C’est ainsi que les noms scandinaves qui s’y ipportent semblent calqués sur l’irlandais, et que dans nos « lais retons » les chevaliers tantôt « se transforment en autours ou a loups-garous >, tantôt « blessent des biches à voix hu- itaine », etc. (Lanson, p. 52). Notre ballade de la « Blanche iche » nous vient probablement de la Bretagne28. Le surnaturel se manifeste encore dans nos chansons sous une 122 IÆ VERS FRANÇAIS forme beaucoup plus touchante. « Helle Ise » est morte, laissant trois enfants en bas âge. Le veuf se remarie : A la première nuit qu’ sa femm’ couche avec lui, Le plus polit des trois la telle il lui d’mandit. Elle se retournit, un soufllet lui donnit. Elle continue à malmener les malheureux petits. Ils vont se plaindre sur la tombe de leur mère. Elle leur recommande de se

montrer malgré tout soumis, prévenants, affectueux :

Et si eh’ le demand qui t a si bien appris : « C’était ma pauvre mèr’ qu’elle est en terr’ pourri’ » La mère est ressuscitée par Jésus-Christ, saint Pierre ou saint Jean, qui lui « donne» quinze ans pour soigner ses enfants, quinze ou sept. Mais, d’après une version, elle ne peut les aller voir que « de nuit » et doit revenir le jour dans sa tombe. Passé le terme fixé, elle y retourne pour n’en plus sortir. Cette chanson est très répandue en France et connue aussi au Piémont30. Elle a également son pendant à peu près exact dans une ballade danoise (v. DgF, II, n 89). Lorsqu’on amène au manoir la nouvelle femme de sire Björn, les enfants vont à sa rencontre et la caressent : elle les repousse du pied. La mère les entend pleurer de sa tombe et elle en sort « de nuit », — après en avoir obtenu la permission de Jésus-Christ, — non seulement pour les consoler et les soigner, les choyer, mais aussi pour ramener la marâtre, par des menaces, à de meilleurs sentiments. Elle dit a Björn : S’il me faut encor revenir chez toi, Blidelil mourra d’une mort cruelle. Quand tu entendras les ehi“ns clabauder... Belles /xiroles réjouissent ;Aus d’un cœur. Quand tu entendras les chiens clabauder, Tu pourras dans l’estre * attendre la morte. Mais voici chanter lo coq noir [: adieu]. Belles paroles réjouissent plus d’un cœur. Il y a plus d’imagination, plus de richesse dans la chanson danoise. Le n est pas la première fois que cette différence nous apparaît : elle est à peu près générale, pour ce genre de poésie, entre les deux littératures. Etant donné que la Scandinave s’est inspirée en mainte circonstance de la française, l’emprunt peut se regarder ici comme certain : il est beaucoup plus admissible qu’une rencontre fortuite entre les deux auteurs dans la conception et le traitement du sujet 31. * Estre (v, fr.) <• galerie couverte ■>. LIVRE III 123 Autres exemples de merveilleux dans nos chansons populaires : uh rival ayant tué le mari et épousé la veuve, le mort apparaît aux deux coupables, le soir même de leurs noces, — pour leur recommander de vivre en parfait accord 32; une jeune fille enlevée prie Dieu de la changer en oiseau, pour échapper à son ravisseur, et elle s’envole à tire-d’aile sous la figure d’une cane blanche S3; une autre, dans les mêmes circonstances, fait la morte et se laisse enterrer « pour son honneur garder », — mais elle « ressuscite » iiu bout de trois jours f4. Dans une ballade Scandinave, une jeune fille fait aussi la morte pour se soustraire aux poursuites du roi 35 : cette ressemblance qui ne porte que sur un seul point, — si impor- tant qu’il soit, — ne nous permet pas de conclure à un emprunt Sans doute en va-t-il autrement d’une autre chanson, « Renaud le tueur de femmes », avec laquelle nous rentrons dans le domaine du réel : Renaud a de si grands appas — qu’il a charmé la fille au roi — et qu’il l’enlève. Chemin faisant, il s’arrête : Il y a là-bas un vivier — où treize dames sont noyé’s. Treize dames y sont noyé’s, — la quatorzième vous serez. Pour la noyer, il lui ordonne de se déshabiller. Elle, au nom de la pudeur, le prie de mettre son épée « dessous ses pieds » et son « manteau devant son nez»; puis elle le saisit et le jette lui- méme dans le vivier. Cette chanson est très répandue dans la France d’oui30. Elle se retrouve sous la même forme en Scandinavie, en Ecosse et en Hongrie 37. Il y a toutefois une différence : contrairement au réalisme relatif des versions françaises, la jeune fille a recours i un moyen surnaturel pour se débarrasser du tueur de femmes. Ainsi, dans la version danoise, par persuasion amoureuse et par !:i magie des runes, elle l’amène à poser la tète sur ses genoux, sous prétexte de l’épouiller pour la première fois, elle le plonge (’ mis un profond sommeil, lui lie pieds et mains, et après l’avoir veillé, — car elle ne veut pas le prendre en traître, — elle lui nlève son épée et le tue. Il arrive souvent dans les contes popu- laires scandinaves, surtout dans les norvégiens, qu’une princesse 1 une autre femme prend ainsi sur ses genoux la tète de son ami u d’un ravisseur, afin de l’épouiller, et qu’il s’endort dans cette osition. Pendant longtemps, d’autre part, les Scandinaves ont ntinué à croire au pouvoir magique des runes. Il n’y avait donc 124 LE VERS FRANÇAIS pour eux rien que de très vraisemblable, aux deux points de vue, dans les détails étranges de leur ballade3S. Est-ce eux qui ont donné cette forme familière à l’épisode réaliste mais peu plausible de la française ? Ou bien celle-ci n’est-elle pas bien plutôt, comme le « Roi Renaud », un remaniement rationaliste d’une chanson plus ancienne, soit française, soit Scandinave ? Entre ces deux points de départ, c’est le premier qu’indique au moins la direction ordinaire de l’emprunt en pareille matière. Mais en outre, à en juger par la ressemblance de la légende avec celle de Barbe-Bleue, qui est bien antérieure chez nous aux crimes du sire de Rais, nous avons tout lieu de croire que l’original a été composé dans notre pays. Ajoutons que Barbe-Bleue a sans doute commencé par être un ogre, ainsi que son avatar Renaud, le tueur de femmes. La ballade française est dans le même mètre ancien que le « Roi Renaud »30. Dans tous les pays, on a célébré en vers le pouvoir du chant. 11 existait en vieux français un Lai d’Orphée, dont parle Marie de France dans le Lai de Graelent et dans le Lai de l’Epine 40. Il s’est perdu. Mais il s’en est conservé une traduction ou adap- tation anglaise, et il y a une ballade Scandinave qui en dérive, directement ou indirectement, et dont on a trouvé des versions en Danemark, en Norvège, en Suède, en Islande, aux Féroé : « Le pouvoir de la Harpe >41. Nous avons encore en France des chan- sons populaires sur le pouvoir du chant, mais elles ne dépassent pas dans leurs descriptions les limites du possible. Dans l’une d’entre elles, qui est attestée en Haute-Bretagne, en Vendée, au Piémont, en Catalogne, en Castille et au Portugal, des prisonniers sont délivrés par le chant qu’entonne le plus jeune et qu’il continue, tantôt seul, tantôt avec les autres *2. Cet effet tout spécial du chant se retrouve dans une ballade danoise très répandue, qui a dû l’emprunter à la française 43. Dans une variante recueillie au siècle dernier en Jutland, il est question d’arbalète

et de carreau, ce qui témoigne d une antiquité au moins relative. La chanson gallo-romane, française ou non d’origine, est donc plus ancienne encore. Le pouvoir du chant s’affirme de plus tragique façon dans une chanson dont les versions abondent dans l’ouest de la France et ont rayonné à travers tout le pays, pénétré même dans le Pié- mont **. Une belle se promène sur la plage. Elle entend chanter dans une barque le capitaine ou le plus jeune des mariniers. Elle monte à bord pour apprendre la chanson. Le chanteur « pousse au large », et elle se tue pour garder son honneur, — à moins qu elle ne se réconcilie avec son sort en apprenant que son ravisseur LIVKE III 125 est le fils du roi d Angleterre ou quelque autre grand personnage,

( ette chanson a aussi été importée de France en Danemark, en Norvège et en Suède 4\ Nous avons déjà vu deux ou trois exemples de merveilleux chrétien, de miracles. Plusieurs de nos chansons populaires ra- content des histoires bibliques ou pieuses. Quelques-unes ont pris leur sujet dans l’Ancien Testament (« Joseph vendu par ses frères», «Judith et Holopherne », etc.); un plus grand nombre dans le Nouveau (« L’enfant prodigue », « La légende de Jésus- Christ », « Le mauvais riche », « Marie-Madeleine », « la Pas- sion », etc.). L’une des chansons de Marie-Madeleine, la plus populaire en France, s’est répandue avec les mêmes détails caractéristiques dans les pays voisins et dans de plus éloignés, eti Danemark, en Suède et dans les Féroé, aussi bien qu’en Angleterre46. Nous pou- vons donc la considérer comme assez vieille. Elle est composée dans le mètre le plus fréquent de nos rondes. Marie-Madeleine rencontre le Christ, et quand il lui demande si elle « a bien des pochés », elle répond : « Lji terre qui me porte ne m’y pout plus porter;47 Les arbres qui me r’gardent ne font que d’y trembler. » « Marie Madeleine, tu es en grand péché. Sept ans au bois des fées, sept ans pour y pleurer.49 Elle y vivra des « racines de ces bois », « de l’eau de ces rochers » 48. Au bout de la septième année, « Jésus-Christ la r’vient \oir » : « Marië-Madeleine, alloz au Paradis. » 47 Notre chanson de « la Passion », contrairement aux précé- dentes, ne semble avoir pénétré hors de France que dans le Pié- nont40. Mais elle se chante en Normandie comme en Savoie, dans 1 s Vosges comme dans le Limousin, dans toutes nos provinces. Me n’a été publiée pour la première fois qu’au xvnr siècle : il ions en reste une réimpression de 1748. Mais elle était déjà vieille u temps de César de Nostredame (né en 1555) : « Quel plaisir st-ce, dit-il, d’ouïr réciter aux pauvres demandant l’aumône aux •ortes la Passion du fils de Dieu,... et mille autres belles et vieilles hoses de diverse taille et mesure de vers ! » (Histoire et (Mro- >i

du vers, qui n’est plus employée depuis le xiii siècle dans notre poésie littéraire. Bien plus encore que la mort du Christ, nos chansons, popu- laires ou autres, chantent sa naissance. Est-ce en France qu’ont d’abord retenti les nocls en langue vulgaire? Ils y remontent sans doute plus haut qu’ailleurs. En 1198, révoque de Paris, Eudes de Sully, publia une ordonnance qui prescrivait de chanter dans les églises, à Noël, des chansons en français sur l’événement cé- lébré ce jour-là. Il nous en reste de Gautier de Coinci (1 177-1236) : «Chanter Noël par grant amour» (Arsenal, ms. fr. 3517, f. 147); « Hui enfantés — fu li lilz Diu. — Gantés, cantés — alléluia. » {ib., f. 1(11, et Bibl. Nat. ms. fr. 2163, f. 224). On en a composé un nombre considérable, et sur tous les tons. Les saints ont aussi leurs chansons, comme sainte Foi dans la tresche du xr siècle. Il y en a même une que nous pouvons regarder comme un des joyaux de notre poésie populaire : celle des enfants ressuscites par saint Nicolas. Gérard de Nerval a publié en 1855 la version du Valois (Ile-de-France): Il était trois pelits enfants — qui s’en allaient glaner aux champs. I. S’en vont un soir chez un boucher: — « Boucher, voudrais-tu nous loger ? » « Entrez, entrez, pelils enfants, — il y a d’ la place assurément. » II. Ils n’étaient pas sitôt entrés — que le boucher les a lués, Les a coupés en p’tits morceaux, — mis au saloir comme pour- ceaux. III. Saint Nicolas, au bout d1 sept ans, — saint Nicolas vint dans ce champ. Il s en alla chez le boucher: — «Boucher, voudrais-tu me loger ? » IV. «. Entrez, entrez, saint Nicolas, — il y a d’ la place, il n’en manqu’ pas. V. « Voulez-vous un morceau d’ jambon ?» — « Je n’en veux pas, il n’est pas bon. » « Voulez-vous un morceau de veau ?» — « Je n’en veux pas, il

n est pas beau. livre: ni 127 VI. « Du p’Iit salé je veux avoir — qu’il y a sept ans qu’est dans

l saloir. »> Quand le boucher entendit ça, — hors de sa porte il s’enfuya.

VIII. “ Moucher, boucher, ne t enfuis pas, — repens-toi, Dieu te par-

donn ra. » Saint Nicolas posa trois doigts — dessus le bord de ce saloir. t\. Le premier dit : «J’ai bien dormi ! » — Le second dit : «Et moi aussi. » El le troisième répondit : — «Je croyais être au paradis.»51 Dans la version du Valois, pour simplifier le drame, on a sup- primé la femme du boucher. Dans les autres, il refuse d’abord de loger les enfants : Sa femme, qu’était derrièr’ lui, — bien vitement le conseillit : « Ils ont, dit-elle, de l’argent, — nous en serons riches marchands. » « Entrez, entrez, mes beaux enfants, — y a d’ia place assurément 52. » Vers quelle date cette chanson a-t-elle été composée ? Telle

qu elle nous est parvenue, elle ne remonte peut-être pas au delà du m u siècle. Mais il s’agit là d’un remaniement. Disons plutôt : elle a subi à ce moment des retouches qui portaient sur la langue, le style, et non sur le fond. Ainsi qu’en témoignent les rédactions différentes et plus brèves des Ardennes et des environs de Reims, elle a conservé le mètre original, celui de « Renaud » et de notre première Passion (xc siècle) 53. Sous sa forme primitive, elle était fort ancienne. Seule, elle réunit des traits qui figurent isolément dans les autres récits du miracle: par exemple, le rôle de la femme et la salaison. Ces récits !«*s ont donc empruntés à la chanson, dont l’auteur, « poète popu-

laire », surtout s il avait vécu au xvn* siècle, n’aurait pu avoir ni l’idée ni les moyens d’aller les ramasser dans des documents si divers et en partie si peu abordables pour lui. Ce sont, en elTet, ■s suivants : d’abord, dix octosyllabes, — au milieu de la Vie de - iint Xicolas par Wace (t 1175), — où l’histoire est racontée sans •ii-un détail54; puis, un petit mystère latin du xiir siècle, Secun- in miraculum SH Xicolai, qui ne parle pas de salaison, mais i saint Nicolas demande, au contraire, de la chair fraîche”:

suite, du même siècle, quelques lignes d’un sermon attribué à

int Bonaventure (t 1274), où il n y a plus que deux victimes d’où la femme du meurtrier est absente 56. Au xiir siècle, enfin, verrier s’est inspiré de la chanson pour représenter le miracle ns un vitrail de la cathédrale de Bourges : à gauche, trois ado-

M ents imberbes, trois enfants dorment dans un lit, un homme indit sur eux une hache énorme, une femme l’excite d’une main et nt de l’autre une corbeille, destinée sans doute à recevoir 1 argent lé (plutôt que les chairs dépecées); à droite, les trois entants

•paraissent debout dans une sorte de huche, et saint Nicolas les 128 LE VERS FRANÇAIS bénit5T. La chanson primitive peut être postérieure à Wace, mais non aux autres documents manuscrits ou iconographiques. Elle doit donc remonter au xnr siècle, sinon encore plus haut. D’autre part, elle a passé au même siècle, ou avant, dans les pays scandinaves. Elle ne s’y est conservée qu’aux îles Féroé, où elle se chante encore souvent aux rondes avec un prélude et l’un des refrains suivants : « Dieu m’assiste, et le puissant seigneur saint Nicolas! » — « Dieu nous assiste, et monseigneur saint Ni- colas! » Une des versions qu’on a recueillies 08 débute ainsi :

Il y avait trois clercs qui s en allaient par le pays, — pour expier leurs péchés et le dam de leur ùme. Ils logèrent une nuit chez un riche paysan : — il leur Ota la vie tout subitement. It les sala dans un vaisseau — qui était profond et long et extrême- ment large.so La chanson de saint Nicolas a sans doute été bannie du Dane- mark par la Réforme. Nul doute qu’on ne l’y ait chantée au moyen âge. l’n cantique à saint Nicolas, antérieur au protestantisme, contient ces deux vers : « Tu as rendu la vie à trois clercs — qui étaient depuis trois jours morts comme pierrec0. » Il y a dans l’église d’Aal, en Jutland, une fresque, peinte vers 120(1, qui repré- sente la légende en quatre scènes : le paysan, ou le boucher, et sa femme; une marmite; le paysan, ou le boucher, en train de tuer dans leur lit les trois clercs (reconnaissables comme tels à leur tonsure), pendant que la femme soupèse leur bourse; saint Nicolas les ressuscitant dans leur lit ou dans le saloir. Dans une autre église, celle de Vigersted (Sjælland), une fresque plus récente (1450-1475) nous montre trois jeunes gens, non tonsurés, debout dans une sorte de cuvier (le saloir), d’où le premier sort déjà une jambe, et le saint qui les bénit61. Ces deux fresques danoises n’ont guère pu être copiées sur le vitrail de Bourges : la première est au moins aussi vieille. D’ailleurs, les auteurs de fresques ou de vitraux prennent leurs sujets dans des histoires ou des légendes connues autour d’eux. Si notre ballade est résumée et quelque peu modifiée dans l’imitation féroéienne. elle se retrouve délayée avec tous ses détails, — en quatre-vingt-seize septénaires, — dans un poème moyen anglais de date assez tardive, Seint Nicolas the bischop62, où les autres miracles du saint sont racontés auparavant, sans doute d après la Légende dorée ou le sermon de saint Bonaventure, plutôt le dernier. Citons les premiers vers * : On a tyme thre clerkis com. wandring in a sirote <)f hungred and fui sore athirst. fut wery and fui wete So h y com lo a hocheres hous. for non olhor Hier nas. La césure est indiquée dans tous les vers par un poiril.

LIVRE III m

Notre chanson parlait certainement aussi à l origine de trois « écoliers », c est-à-dire de trois jeunes clercs, encore étudiants, que le remanieur a pris pour trois enfants. Il a pu être confirmé dans son erreur par leur aspect juvénile dans les fresques ou les vitraux, comme ceux de Bourges, peut-être aussi par l’analogie avec l’histoire du Petit Poucet et de ses frères63. Dans le sermon di* saint Bonaventure et dans le poème anglais, ils sont appelés écoliers » (scolares) ou « clercs », mais aussi « enfants » (pucri, chcldrcn). C’est d’ailleurs à un âge peu avancé qu’on avait l’habi- 111 de, au moyen âge, de débuter comme étudiant : quatorze ans, treize ans. Si jeunes que fussent dans notre chanson primitive les adolescents ressuscités par saint Nicolas, il s’agissait bien de clercs. C’est ainsi que nous les présente dès le premier vers le plus vieux de nos textes, c’est-à-dire le passage du poème de Wace : « Trei clerc aloënt a escole. » Mais ce fragment est suivi (I une remarque plus instructive encore :

INu ceo qu as clercs fist liel honor, — font li clerc feste a icol jor Dr bien lirre, de bien chantier, — el do miracles recitier. C’est donc par ce miracle, semble-t-il, qu’on expliquait au temps de Wace le choix de saint Nicolas comme patron des étudiants. ( minent ne l’auraient-ils pas « recitié » et « chantié » à la fête du saint, qui était aussi leur fête à eux, l’une de leurs trois plus grandes à Paris ? Ce jour-Ià, clercs et jeunes filles jouaient un mystère ou leur protecteur figurait avec ses miracles, en parti- culier ce Secundum miraculum; puis venaient un banquet, une beuverie, des jeux, des danses, c’est-à-dire des caroles64. A ces r i rôles, on chantait certainement aussi, avant tout, saint Nicolas et les clercs au saloir65. C’est ainsi (pie les étudiants danois de nos écoles ont entendu cette ballade et l’ont introduite en Scan- dinavie. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de voir les

l iToéiens, après les Danois, chanter aux rondes saint Nicolas et s clercs au saloir, tout comme la victoire d’Ogier sur Brunamont, pas plus que de trouver sur les murs d’églises danoises ou v K-doises des peintures du moyen âge représentant l’une ou l’autre ces deux légendes66. S’étonnera-t-on davantage de constater >r là que notre chanson remonte aussi à ces temps lointains? L’amour tient une grande place dans notre poésie populaire,

ii lout l’amour malheureux. L’ « histoire », comme dans nos tra- ■ lies classiques, se trouve en général condensée en une crise, i se dénoue plus d’une fois par la mort. Après sept ans d’amour en secret, le « galant » rompt avec maîtresse en lui portant un bouquet d’orties : sur l’ordre de

P. Verrier. — Le Vers français. — 1. 9 130 LE VERS FRANÇAIS son père, il va en épouser une autre, « pas si jolie,... mais bien plus riche ». Il n’en invite pas moins l’abandonnée à ses noces. « La belle * y vient dans ses plus beaux atours de fille noble : Du plus loin qu’on la voil : « Voici la mariée ! » « La marié’ ne suis, je suis la délaissée. >> « L’amant » la prend par sa main blanche pour faire un tour de danse : au premier tour, elle tombe morte, et lui se plante « son couteau entre les côtes ». Les gens s’en vont disant : « Grand Dieu, quels tristes nueces ! 0 les pauvres enfants, tous deux morts d’amourettes ! » u7 Une version normande et deux bretonnes se terminent à peu près comme le roman de Tristan et Iseut, c’est-à-dire par une forme spéciale du joli symbole qu’on appelle assez pédantesque- ment le motif des «arbres sympathiques»: Sur la tomb’ du garçon on y mit une épine. Sur la tomb’ de la belle on y mit une olive. L’épine crût si haut qu’elle embrassa l’olive08. Cette romance se chante dans toute la France, mais surtout dans l’Est, depuis la Méditerranée jusqu’aux Vosges, et elle a franchi les Alpes. Sous une des formes normandes, elle a passé en Grande-Bretagne 09 et en Scandinavie70: l’invitation aux noces, la superbe toilette de la délaissée, l’impression qu’elle fait sur tout le monde à son arrivée, le coup de poignard ou d’épée (les « arbres sympathiques », en Ecosse seulement), tous ces détails suffisent à prouver l’emprunt, et c’est la chanson française qui présente les traits les plus primitifs, tel, par exemple, le bouquet de rupture *. Dans la chanson précédente nous assistons à deux véritables scènes de drame, où les personnages agissent, et ce drame est esquissé tout entier. C’est au contraire avec une pureté classique, peut-on dire, qu’une autre se trouve réduite à une seule scène, à un bref dialogue, à la simple expression d’un sentiment, et nous laisse le soin d’imaginer le reste : la fille du roi se lamente au pied de la tour où vient d’être enfermé son «ami»; comme elle

s obstine à ne pas vouloir d’autre époux, son père lui déclare qu’il le fera pendre le lendemain matin, et elle demande à être enterrée auprès de lui, soit qu’on la pende également, comme elle en ex- prime le souhait dans les versions du Midi, soit plutôt qu’elle pense mourir de douleur, comme on peut le supposer d’après les * Pour permettre de mieux suivre l’histoire, j’ai omis le refrain (« Chante, rossignol* t! »). ("est ce que je ferai presque toujours dans ce livre. • LIVRE III 131 versions normandes, les plus anciennes et les plus nombreuses. Ce sont elles qui se rapprochent certainement le plus de l’arché- typc 7I. 11 se peut, cependant, que celle du Forez ait mieux con- servé la fin7*: « Au chemin de saint Jacques enterrez-nous tous deux. Couvrez Pierre de roses et moi de millefleurs * ! Les pèlerins qui passent pu cueilleront un peu,

Diront : Que Dieu ait l Ame des pauvres amoureux! L’un par amour de l’autre, ils sont morts tous les deux. » Cette chanson est l’une des plus vieilles et des plus répandues en France. Dans bien des versions, non normandes, l’héroïne a cessé d’être princesse : elle s’appelle tout simplement Pernette, Pierrette, etc., d’après son « ami Pierre », nom emprunté lui- mème à d’autres chansons**. Il n’y a pas que cette correspon- dance qui soit un indice d’innovation : étant données les habi- tudes de notre chanson populaire, on ne peut douter un instant (¡lie la belle au pied de la tour ait bien été la « fille du roi ». D’ail- leurs, il n’appartient pas à un père quelconque d’arrêter l’ami de sa tille ou de le remettre en liberté, encore moins de le faire pendre. Partout, naturellement, le texte s’est plus ou moins modifié au cours des siècles. Mais dans la transmission orale, au midi comme au nord, la forme du vers s’est conservée intacte à travers toutes les altérations. Il n’en est pas ainsi, tant s’en faut, dans les copies manuscrites (-il imprimées qui se sont succédé du xv* siècle au xviT. La plus \ieille a été écrite et notée vers 1450 par le greffier Taillefer, — non dans un manuel de droit, comme notre « aube » du x siècle, • iis mieux encore, — sur une page des Registres aux transports d ■ la Haute Cour de Namur 7S: La belle se siet au piet de la tour Qui pleure et sospire et maine grant dolour. Son père li demande : « Fille, que voleis-vous ? « Voleis-vous marit ou voleis-vous seingnour ? » « .le ne vuelhe marit, je ne vuelhe seingnour, « Je vuelhe le mien ami, qui pourrist en la tour. » «« Par Deu, ma belle tille, a celi faureis vous, « Car il sera pendut demain au point du jour. » «< Père, s’on le peut. si m’enfouyeis dessous : « Ensi .diront les gens, ce sont lovais amours. » L’assonance en ou (venant de o) est respectée dans tous les * ■ Millellor = *• boule-de-neige » (espèce de viorne à fleurs blanches .

* V. « la Claire Fontaine », dans les lirunettes ou petits airs tendres, t. II illard, 1704), p. 284, etc. 132 LE VERS FRANÇAIS vers. Mais la césure féminine a disparu, sauf dans un seul cas, attesté par la musique («demande*). Sur vingt hémistiches, quatorze ont bien conservé six syllahles; mais cinq, dont les trois premiers, n’en ont plus que cinq, et un en a jusqu a sept. Ajou- tons, en passant, que le remanieur a supprimé la prière de planter des fleurs sur les tombes, prière qui a fait donner à la transcription piémontaise de la forme normande le nom de « Fior di Tomba ». Le mètre primitif est encore plus dénaturé dans un manuscrit du même siècle, le « Manuscrit de Bayeux », et c’est de nouveau le commencement qui a le plus soulTert : La belle se siet au pié de la tour, Qui pleure el souspire, Maine grant martire, Aussi grant doulour, El grant doulour (bis). Bayeux, n" XC. Au lieu de deux grands vers ‘assonant en ou et composés de deux hémistiches de six syllabes, dont le premier féminin, nous trouvons un grand vers divisé en deux hémistiches masculins de cinq syllabes, puis trois vers de cinq syllabes également, dont deux rimant en -ire. Plus loin, nous tombons sur deux octosyllabes rimant en -y. « Je ne veulx point avoir mary, Je veulx avoir le mien amy. » Ces déformations viennent sans aucun doute de ce qu’on a étiré ou comprimé les vers, comprimé surtout, pour les faire entrer dans des compositions musicales à plusieurs voix, comme celles de Dufav (.t 1474) et autres74. Car la mélodie n’a pas eu moins de succès que les paroles. Le texte imprimé de divers côtés en 1536, 1553, 1561, 1573, 1600 et 1613, texte également d’origine normande, s’est moins écarté de la forme régulière, et il présente un refrain, un refrain véritable, ainsi qu’il convient à une chanson de danse : C’est la tille du rov qui-est au pied de la tour.

Qui pleure H [qui] soupire et moine grand doulour.

ffi-l is! ¡1 n a mil mal qui n a le mal il amour. La Finir (les Chansons amoureuses, Rouen, A. de Launay, 1G00. Il y a aussi un refrain, mais différent, dans la version recueillie en 1876 à Fontenay-le-Marmion (Calvados) : Tandis que nous somm’s jeunes, ali ! divertissons-nous ! Roman ia, t. X, p. 384 (Legrand). De même que les vers du couplet, ce refrain a conservé la césure féminine. Notons que l’héroïne de la chanson est bien restée, LIVRE III 133 comme il sied, fille de roi, et qu’on précise même : « la fille au roi d’Espagne *• Notons surtout que le motif des Heurs sur les tombes, si sottement supprimé par les musiciens, a du moins persisté en partie : On mettra sur ma tombe un blanc rosier d’amour. Il a survécu également, je l’ai dit, dans les versions piémon- laises, et dans plusieurs il a valu à l’héroïne le nom de Rosina ou Kosinetta. Dans celle de Carbonara (Nigra, P.), il a même attiré, comme complément tout naturel, le motif des arbres ou plantes sympathiques, sous la forme altérée qui se rencontre dans deux versions bretonnes des «Tristes noces» et dans « Le due Tombe 67 ». Ce développement semble si bien indiqué ici qu’on peut se deman- der si la version de Carbonara n’a pas tout simplement gardé un trait original de la chanson française. Les Normands Font-ils trans- féré de la « Relie à la Tour » aux « Tristes noces », qui en dérivent, comme les Piémontais l’ont transféré ensuite de « Dan/e e Fune- rali » (= « Les Tristes noces ») à la variation de cette canzone intitulée par Nigra «Le due Tombe»? C’est peu probable : il en resterait des traces ailleurs que dans une version piémontaise. Contentons-nous de noter que dans celle-ci le motif des arbustes en tienr sur les tombes s’est développé en motif des arbres sympa- I hiques. Ce qui s’est conservé indéniablement depuis cinq siècles dans la chanson populaire, au Piémont comme en France, c’est le fond

même de l histoire et le mètre. La régularité de la versification, qui s’affirme ainsi dans la transmission orale, n’est certainement pas due à une suite de corrections apportées peu à peu et de tous côtés par les générations successives de nos campagnards : elle remonte * l’origine. Nous voyons par là, et il y en a d’autres exemples, avec .¡iielle fidélité les mètres se maintiennent dans le peuple. Cette romance, si populaire dans notre pays, n’a pas seulement passé au Piémont et en Catalogne, mais plus loin encore, jusque liez les Wendes de Lusace 75. Elle est pourtant bien simple, cette courte scène. Nous recon- naissons là, comme dans le « Roi Renaud », le goût de notre ample pour l’unité, la concentration, le pur sentiment. Qu’est-ce 111 i nous touche dans «l’histoire?» L’expression d’un amour plus <>rt que la mort. Qu’importe comment il s’est formé, développé! Et ne serait-ce pas risquer d’afTaiblir l’impression que de raconter omment la princesse a suivi son « ami » dans la mort? Il nous suffit de savoir qu’elle y est décidée, qu’elle en est sûre, comme attestent les versions normandes, où elle demande seulement à tre enterrée près de lui. Y a-t-il eu d’abord, comme pour le « Roi Renaud », une ballade 134 LE VERS FRANÇAIS qui narrait le drame tout entier? Ou bien la scène de « la Belle au pied de la Tour » est-elle au contraire entrée après coup dans une ballade de ce genre, soit comme noyau même du récit, soit

comme simple péripétie? C’est peut-être le cas dans l admirable folkcui.se norvégienne « Bendik et Aurolilia 7,1 ». Tout en restant bien original, tant par le détail que dans l’ensemble, l’auteur a pris son bien où il le trouvait : dans le Tristan de Thomas et en général dans notre poésie courtoise; dans la vieille chanson épique et la ballade danoises de Hagbard et Signe77; dans le mythe norrois de Baldr ou dans une légende sur le Christ7S; peut-être, enfin, dans « la Belle au pied de la Tour ». Comme on le sait, un nombre considérable de nos chansons de geste, de nos romans d’aventure et de nos « lais » ont été traduits en norvégien au xiiT siècle, le Tristan de Thomas en 1220 par un moine Robert, Français proba- blement comme son nom 7t>, et le roman de Clarus vers 1290, sans doute à Paris même, par le futur évêque Jôn Halldôrsson, qui était venu étudier dans cette ville, comme tant de ses compatriotes aux xii" et xm" siècles, et dont la langue s’était même francisée au milieu de nous80. Ce détail et le choix du roman suffiraient à prouver que ces étudiants Scandinaves s’intéressaient à notre litté- rature profane et même courtoise. Quant au roman de Tristan, il a été mis en ballade par un Islandais et par un Féroéien, qui en avaient lu la traduction norvégienne ou plutôt sans doute en avaient entendu raconter « l’histoire »81. Dans « Bendik et Auro- lilia », l’auteur s’est purement et simplement inspiré de Tristan. De même que Tristan, Bendik vient de l’étranger se mettre au service du roi. De même que Tristan, il chasse le jour au bois, et « la nuit il couche sous le lin blanc » — non avec la reine, il est vrai, mais — « avec la damoiselle », damoiselle Aurolilia, tille de son maître s2 : « Comme ils sont beaux tes blonds cheveux, tels que pommes qui pendent aux branches ! « Bienheureux qui t’aura pour femme ! Dieu assiste qui doit te perdre ! » Pourquoi, Aurolilia. sommeiller si longtemps ? « Il me semble auprès de toi être assise au clair soleil. Quand il faut nous séparer, cœur et ùme se déchirent. » Pourquoi. Aurolilia, sommeiller si longtemps83. Ah! qu’en style « courtois » ces choses-là sont mises! Elles n’en sont pas moins belles. C’est par un page du roi, — comme Tristan et Iseut par « quatre félons de la cour », — que sont trahis Bendik et Aurolilia. Le roi fait arrêter le coupable, — et nous avons main- tenant la scène de la « Belle au pied de la Tour ». Aurolilia « se jette aux genoux de son père » et le supplie de lui « donner le LIVRE III 135 prisonnier » 84. Vaine prière : le roi fait exécuter Bendik, et au môme instant Aurolilia tombe morte : On enterra Bendik au nord de la chapelle. Aurolilia au sud. IH* leurs tombes poussèrent deux belles fleurs do lis. Pourquoi, Aurolilia, sommeiller si longtemps. I)<* leurs tombes poussèrent deux belles fleurs de lis. Sur le porche ellos s’enlacèrent. Contre le roi ellos témoignent. Pourquoi, Aurolilia, sommeiller si longtemps85. Comparons avec les dernières lignes de Tristan dans la traduc- tion norroise : « Et on dit qu’Isodd, la femme de Tristram, fit enterrer Tristram et Isônd chacun d’un côté différent de l’église, a lin qu’ils ne fussent pas l’un près de l’autre après leur mort. Mais il advint qu’un chêne poussa sur chacune des tombes et que les branches s’enlacèrent au-dessus du chevet de l’église. D’où l’on voit combien leur amour était grand. »80 De même que dans une des versions piémontaises de « Fior di Tomba », l’emprunt de ce motif des arbres sympathiques a pu être suggéré par la prière, que la Belle au pied de la Tour adresse à son père, de planter des fleurs sur les deux tombes, et par la raison qu’elle en donne : Les pèlerins qui passent en cueilleront un peu, Diront : Que Dieu ait l’âme des pauvres amoureux ! L’un par amour de l’autre, ils sont morts tous les deux. Cette conclusion, pareille à celle du Tristan norrois, a été con- crvée dans le texte mutilé de Taillefer : Ensi, diront les gens: Ce sont lovais amours87. Y a-t-il assez de traits communs entre « la Belle au pied de l i Tour » et « Bendik et Aurolilia » pour que nous puissions regarder un emprunt comme probable? Dans ce cas, puisque la ullade norvégienne remonte au xiv* siècle, vraisemblablement à la première moitié88, la chanson française, qui était adoptée et -laptée dans des compositions polyphoniques dès 1450 environ, urait déjà été à cette date vieille d’au moins cent ans. Mais la ssemblance entre les deux poèmes ne va peut-être pas assez loin pour qu’on ait le droit d’en faire état. Dans une autre de nos chansons, l’amoureuse ne se résigne •as à pleurer, en invoquant la mort, au pied de la tour où est « nfermé son ami : elle se déguise en valet, pour y pénétrer, sous prétexte de « parler à son maître », change de costume avec le prisonnier, qui s’échappe, tandis qu’elle reste à sa place; prise

136 LE VEllS FRANÇAIS pour lui, elle se voit «jugée à pendre», mais elle proteste qu’elle est femme, femme innocente, et obtient d’être relâchée *•. Nous trouvons le pendant dans une ballade Scandinave, mais c’est une sœur qui se risque ainsi pour délivrer son frère90. Par le courage d’une femme, dans les deux cas, tout finit bien. Il en advient de même, sous la forme primitive, dans une his- toire inverse des deux précédentes : « la Fille du roi Louis », — « Belle Ydoine » chez Audefroi le Bâtard,Jl. Ici c’est la princesse elle-même que son père fait « serrer eus en la tor autaine », — comme dit au xme siècle Audefroi le Bâtard, — ou « dans la plus haute de ses tours », — ainsi que s’expriment des variantes encore chantées, — parce qu’elle refuse « fil de roi, riche et de haut parage », pour un simple comte ou « pour un pauvre chevalier », Déon, « qui n’a pas vaillant six deniers ». Le nom de Déon, Dëon, plus anciennement Doon, se rencontre déjà au xir siècle dans une romance dont il ne reste que deux strophes, mais dont le sujet est évidemment semblable, sinon identique, comme le montre cet ordre de « la mère » à la fille » : « L’amor Doon vos covient oublier Dans l’amplification d’Audefroi, le roi donne un tour- noi, dont la main de sa fille est le prix, et c’est l’ami de la belle qui le remporte. Dans la version moderne, la princesse fait la morte, et, comme on la porte à Saint-Denis, son père en pleurs derrière le cercueil, voilà que « le beau Déon » survient, tire un couteau d’or et découd «le drap de lin»:

En l embrassant fil 1111 soupir, — la belle lui fit un souris. c< Ah! voyez quelle trahison — de ma fille et du beau Déon !

« Il l<" faut pourtant marier, — et qu il n’en soit jamais parlé ! « Sonnez. Irompotte et violons! — Ma fille aura le beau Déon. <« Fillotte qu’a envi’ d’aimer. — père ne peut l’en empêcher. » (, est sous cette deuxième forme, ancienne par conséquent, que notre chanson a passé en Grande-Bretagne et en Scandinavieo:;. Dans plusieurs autres de nos versions encore vivantes, le « Flam- beau d Amour », etc., qui ont aussi inspiré de nombreuses imita- tions à 1 étranger, nous trouvons une troisième conclusion, mal- heureuse cette fois, et empruntée, directement ou indirectement, à la légende de Héro et Léandre94. Le Roman de Troie (1165)

signale l existence d’un poème français sur cette légende, et un autre roman, celui de Flamenca (vers 1235), nous apprend que nos jongleurs la chantaient. Cette chanson est née et s’est transformée à deux reprises dans notre pays. Elle y est attestée dès le xii* siècle : sans parler du fragment conservé avec le nom de Doon 9S, il est bien certain qu Audefroi le Bâtard n’a fait que développer avec un art labo- rieux, suivant son habitude, une romance plus ancienne, plus simple. LIVRE III 137 A propos de Héro et Léandre, citons une autre chanson au sujet antique, « Pyrame et Ihisbé», composée en France d’après le roman en vers Piramus et Tisbé (vers 117«) et passée de là en Grande-Bretagne, comme en témoigne la Complaynt of Scotlande

(1549), dont l’auteur la nomme, et le Midsummer-Xight s Drev.in (1598), où Shakespeare en cite plusieurs strophes. Cette légende était très répandue en France dans la seconde moitié du xir siècle05. La séparation, non plus des amoureux, mais des époux, a inspiré en France beaucoup de chansons. Il y en a de nombreuses sur le « retour du mari » qui trouve sa femme, soit fidèle et mal- traitée par sa belle-famille, — soit remariée: Germine, Jousseaume, la Porcheronne, etc., — la Femme du Soldat, la Femme du Marin, etc.00. La dernière très touchante dans sa simplicité,

raconte la même histoire qu Enoch Arden, de Tennyson. Qu’ils aient lieu par persuasion, par ruse ou à main-forte, les enlèvements sont aussi fréquents dans nos chansons narratives

jusqu’au xvir. Que ce fût une chanson à danser, nous n en pou- ns douter : elle figure parmi les danses que Rabelais ou un ¡nterpolateur énumère dans le cinquième Livre de Pantagruel « hap. 33 bis). Elle s’est même conservée jusqu’à nos jours sous une forme un peu difTérente : la « Fille et les Dragons » 9T. C’est une belle chanson que « l’Escrivette », d’origine langue- ixienne, qui remonte sans doute aussi loin, sinon plus, et qui depuis n’a jamais cessé de se chanter dans le midi de la France, ! 10-: les ménages mal assortis ou désunis ont inspiré quantité de chansons à partir des temps les plus reculés. C’est dans le midi de la France, où elle est populaire, qu’on a dù composer « La Mal mariée vengée par ses frères >103: trois frères marient leur sœur au loin, mais comme son mari l’accable

d injures et de coups, à en faire couler le sang, ils accourent la venger, et le plus jeune tue le brutal d’un coup d’épée. Ainsi que le montre la confrontation des textes 104, il semble bien que cette ballade ait indirectement pour origine l’histoire de Clotilde, fille de Clovis, telle que la racontent les chroniqueurs, à partir de Grégoire de Tours, et qu’elle s’était répandue par les clercs à travers les populations du Languedoc et de la Provence : catho- lique mariée par ses trois frères à un arien, le roi visigoth de Narbonne, Clotilde subit de sa part un traitement aussi cruel et fut vengée par eux de la même manière. La ballade a rayonné dans le centre de la France et au Piémont. Est-ce directement du midi de la France ou en passant par le nord qu’elle est par- venue jusqu’en Scandinavie ? Nous l’y trouvons, avec adaptation aux croyances locales, par exemple l’opposition entre le paganisme norrois ou la magie et le christianisme de forme catholique. L’emprunt est donc très ancien, et plus ancienne encore notre chanson 105. Il en est une autre qui nous reporte également au moyen âge, qu elle vienne originairement des Mille et une Nuits ou qu’elle ait été inspirée par un drame réel dans la famille des Talvas, par LIVRE III 139 exemple, voire dans celle d’« Kbroïn, roi de Neustrie * : «les Anneaux de Marianson ». Le sujet est le même que dans le Cijrn- bcline »le Shakespeare, mais le dénouement est atroce : attachée à la queue d’un cheval, l’innocente Marianson est traînée à travers brousse » et « buisson ». Malgré l’horreur de cette lin, malgré .aussi la forme de la strophe, celle des complaintes, du « Roi Renaud » comme de la lJassion (x siècle), c’est une chanson à danser (v. p. 107). Il en existe une imitation en vieux hollandais, que les lolkloristes ont admise comme authentique et même prise pour l’original de la romance française — jusqu’au jour où le poète allemand HoITmann von Fallersleben a révélé qu’il était

l auteur de cette mystification à la Guzlci10°. L’amour, dans nos chansons populaires, ne tourne pas tou- jours à la tragédie. Tant s’en faut ! Les rapports entre les deux sexes y apparaissent maintefois sous une forme comique, badine, voire rabelaisienne. Comme exemple du genre léger, citons-en une qui se chante depuis des siècles dans toute la France et qui a passé de chez nous dans le Piémont et au delà du Rhin, « la Brebis sauvée du Loup»: la bergère garde ses moutons; le loup lui enlève une brebis; elle crie au secours, oITrant son cœur à qui la lui rapportera; « le fils du roi, par là passant, dégaine son épée » et accomplit cet exploit; la belle lui promet en guerdon la laine de la brebis, et, comme il réclame un baiser, elle récon- duit 10T. Telle que le peuple l’a conservée, cette chanson présente encore, malgré des altérations diverses, tous les caractères d’une < arole ancienne : forme objective du récit108; langage familier, voire populaire; simple couplet de deux grands vers féminins dont le premier hémistiche compte huit syllabes et le second six,

l ordinaire avec répétition de l’hémistiche initial; refrain109, qu’on n’a pas toujours recueilli; assonance continue en é-e (provençal et piémontais e-n); antécédent variable de prélude passe-partout omme entrée en matière (« derrièr’ chez nous l’y a-t-un pré », entre Paris et Saint-Denis », « a la ribetta de la mer », « an sü la riviera dël mar », etc.)110. Prenons comme exemples la pre- ‘ dère strophe d’une version (d de Rolland) qui est restée fidèle :tu fond, mais dont la langue a été «épurée», peut-être par le ! mnscripteur, et le commencement de celle (a) qui a le moins trié au point de vue du style, mais qui transporte le récit, comme deux autres (b, j), dans la bouche de la bergère : Entre Paris et Saint-Denis (bis) z’y avait une bergère

Qui faisait paîlre son troupeau le long d une lisière *. Le grand loup du bois a sorti (bis) qu’avait la goul’ baillée. La plus belle de mes brebis (bis) il me l’a z’emportée. * <■ Lisière » d’une forêt, évidemment. 140 IX V EH S FRANÇAIS

Dans une adaptation semi-littéraire recueillie au xv siècle, mais certainement plus ancienne dans le gros du texte et en partie dans le mètre, le récit a pris la forme subjective, plus récente que

l objective, — le héros contant lui-mème l’aventure, — le prélude a fait place à un début de pastourelle (« l’autrier quand je che- vauchoys a l’orée d’ung vert boys »), les hémistiches de huit syllabes sont réduits à sept, ce qui est aussi une innovation, et le premier de la strophe est doublé avec rime, au lieu d’être simple- ment bissé (Paris, XV* siècle, ch. XXIX):

II. Tandis que l araisonnoys, ung granl lou saillit du boys o la goulle baée : La plus belle des brebiz il en a emportée. n. Ceci, comme dit Hugo, vient de cela — ou plutôt d’un original commun, mais bien plus près de la forme conservée dans le peuple. L’autre forme existait pourtant déjà au xiii* siècle, ou même au xir, puisqu’elle a été mise en latin à cette époque, peut-être par un des étudiants allemands de Paris, par un clerc vagant, mais avec de nouvelles modifications dans le fond et dans le mètre : I. Lucis orto sidi*re, exit virgo propere facie vernali, Oves jussa iegere baculo pastorali.

V. B orle lupus aderat quem faînes expulerat gutluris avari; (Jve rapt a properat cupiens saturari *. Carmina bu ran a, n° 119.

Le délayage de l entrée en matière et surtout le style sentent à plein nez la traduction. L’histoire est racontée par le héros lui- mème, comme dans la pastourelle. Mais elle a perdu sa pointe : la requête d’amour en récompense du service rendu et le refus de la bergère, — ce n’est pas, tant s’en faut ! que le latin des Carmina burana craigne de braver l’honnêteté. Le refrain a dis- paru. Quant au mètre, les trois petits vers de sept syllabes, non plus seulement les deux premiers, riment entre eux; en outre, le primitit hémistiche pair du premier grand vers a perdu aussi une syllabe et n’en a plus que cinq, tandis que celui du second grand vers en a toujours six. Nous avons là quelque chose d’analogue à ce qui s’est produit pour « la Relie au pied de la Tour » : au xiii* siècle, peut-être avant, on chantait et dansait en France une carole de forme primitive sur «la Brebis sauvée du Loup»; au xiii“ siècle, sinon au pré- cédent, elle a été mise en pastourelle avec enrichissement de la Correction de Nigra : Schmeller lisait « sulurari » LIVRE III 141 strophe et abrègement des hémistiches impairs, et cette pastou- relle a été traduite en latin avec de nouvelles modifications dans le même sens; mais la forme primitive, au point de vue du mètre, de la strophe et du récit objectif, s’est conservée jusqu’à nos jours dans la transmission orale, sur les lèvres du peuple in. Parmi nos chansons narratives les plus belles ou les plus répandues, il faut encore ranger : « lin passant par la Lorraine », qui est attestée, au moins en partie, dès 1554 112; «Joli Tam- bour»11“; «les Trois Princesses»114; «le Canard Blanc»115; celle si drôle de 1’ « Ajasson » (jeune pie)116; en fait de compositions relativement récentes, « 11 était un petit navire » (non la parodie trop connue) et « Malbrou(k) », qui ont été adoptées l’une et

l autre par toute la Scandinavie, y compris l’Islande et les Féroé m. Cette longue énumération, si incomplète qu’elle soit, n’en sutlit j>as moins à montrer, non seulement que nos chansons narratives encore vivantes sont aussi variées que nombreuses, mais en outre qu’elles datent souvent de loin, voire même de très loin, tant pour le tond de l’histoire que pour la forme du mètre. Nous en trouvons une preuve, entre autres, dans les adaptations ou imitations Scan- dinaves qui remontent au xm* ou au xiv* siècle. De combien l’ori- ginal français leur est antérieur, on ne saurait le dire, mais ce peut être quelquefois de beaucoup.

Dans la transmission orale, populaire, il n a pas laissé de subir diverses déformations, voire même de passer par des remaniements plus ou moins heureux. Mais il ressort de la comparaison avec les ranscriptions, arrangements ou refontes littéraires, comme nous en possédons à partir du xv* siècle pour « la Belle au pied de la

l our » (v. p. 130 s.) et dès le xm pour « la Brebis sauvée du Loup » (p. 139), il ressort que la tradition populaire a bien mieux especté le mètre primitif, la forme primitive des vers : elle n’v apporte en général aucun changement. Nous en verrons d’autres exemples. A quoi tient cette fidélité ? A la routine du peuple, à son incapacité ordinaire d’innover, de créer ? Peut-être, du moins dans une certaine mesure. D’autre part, quand on est plusieurs à se rappeler un texte, ce qui arrive presque toujours, les mémoires se servent à la fois de critique et d’aide. Niais il y a d’autres causes. Notre versification syllabique, c’est-à-dire l’adaptation sylla- 142 LE VERS FRANÇAIS bique des paroles au rythme musical, nous rend choquante l’addi- tion ou la suppression d’une syllabe. Encore faut-il, pour en être affecté ainsi, qu’on ait le sentiment, le sens du rythme : les bons chanteurs le possèdent. Il a été longtemps entretenu dans le peuple par la danse. Car nos chansons narratives ont d’abord été com- posées pour la danse et réellement dansées, comme celles des Féroé, quel qu’en soit le sujet, se dansent encore de nos jours. Les nôtres aussi, d’ailleurs, quelquefois du moins et dans cer- taines régions, en Normandie, en Bretagne, dans les Landes, etc., voire à Paris. Or la carole ou le branle, dont elles guident les pas, exige presque toujours du chant un rythme précis, invariable. Cette précision a été remarquée à Vaucottes, en 1896, par le Suédois Anholm (v. p. 40), et j’ai pu la constater moi-mème. Le rythme reste donc empreint dans la mélodie et par suite dans le mètre. Le contour de la mélodie peut également aider à maintenir la forme du rythme et des vers, soit qu’il reste exactement le même, comme celui de «la Fille au Cresson» depuis 1711 jusqu’en 1865 et au delà 11S, soit qu’au moins la charpente de notes fortes ait tenu bon. Mais la ligne mélodique oscille presque toujours peu ou prou, elle varie insensiblement d’une personne à l’autre, elle se transforme en circulant dans l’espace et dans le temps : elle le cède même en solidité aux paroles. Texte et musique, cepen- dant, maintes chansons attestées des xv* et xvi* siècles se sont conservées dans nos chansons populaires ou leur ont servi de modèle. Elles se rattachent elles-mêmes bien souvent à celles du xir ou du xiii*, au point de vue du rythme, de la mélodie et du sujet, non point sans doute par imitation directe, mais pour s’être inspirées des chansons populaires du temps, dans lesquelles sur- vivaient en partie ou étaient copiées les plus anciennes de notre littérature 119. Routine, contrôle des chanteurs entre eux et de leur public, versification syllabique, rythme de la danse, mélodie, voilà les facteurs qui ont contribué au maintien du mètre dans nos chansons populaires. Attestée comme elle l’est dans certains cas depuis cinq et même sept siècles, malgré l’abandon graduel de la danse chantée et les atteintes portées de plus en plus à la tradition par toutes sortes de progrès, cette continuité doit s’admettre et s’explique mieux encore pour les siècles précédents, où tels des facteurs en question jouaient un plus grand rôle. A d’autres égards que le mètre et le fond de l’histoire, nos chansons populaires peuvent différer autant de la première rédac- tion, pour reprendre encore cette comparaison de M. Jeanroy, qu’une image d’Epinal d’une belle fresque ancienne. On ne les a pas recueillies assez tôt: dans l’intervalle, toutes se sont plus ou LIVKE III 14.‘i moins défigurées, plusieurs ont été reconstruites, beaucoup se sont perdues, tel « l’Homme Armé », si populaire autrefois et si célèbre, il dont il ne reste rien que le titre et un motif mélodique. Non seulement on s’y est pris trop tard pour les mettre par écrit, c’est-

à-dire au xv siècle, mais en outre il est probable que les collecteurs nt* s’intéressaient guère à celles du genre narratif, à moins qu’elles n’eussent un caractère sentimental, érotique plutôt, ou un tour piquant, spirituel : comme l’a déjà fait remarquer Gaston Paris elles brillent en général par leur absence dans les recueils

du xv siècle et du xvi\ Dans le choix de chansons populaires, d’ailleurs, on s’est bien souvent laissé guider avant tout par la mélodie : nombre de ces recueils, et des plus anciens, ne donnent que la musique avec les premiers mots du texte. D’autres, enfin, (oinme le manuscrit publié par Gaston Paris et celui de Baveux, ne contiennent guère que des imitations plus ou moins littéraires et de valeur très diverse. Images d’Epinal, peut-être, que les chansons populaires si longtemps délaissées : mais la naïveté des bonnes images d’Epinal ;i plus de charme (pie l’art, le faux art, de tels tableaux, et l’on peut préférer la chanson du Misanthrope au sonnet d’Oronte. Que dire (le véritables petits chefs-d’œuvre, tels que le « Roi Renaud », Saint Nicolas et les enfants au saloir », « la Relie au pied de la Tour », « les Trois Princesses », « En passant par la Lor- raine», «Joli Tambour», et tant d’autres! Mais il ne s’agit pas ici d’esthétique. CHAPITRE IX Les baleries des XII et XIII“ siècles A part les quelques pastiches littéraires chantés encore par les ménestrels, surtout peut-être à cause de la mélodie, la chanson lyrico-épique semble à peu près complètement abandonnée au peuple avant la lin du xii siècle. Comme poésie lyrique, elle s’était elTacée devant la chançon courtoise. Comme poésie narrative, elle ne pouvait rivaliser avec la chanson de geste, le roman <1 aventure, le lai à la Marie de France, le fabliau. Comme embryon cle drame, elle était éclipsée par les mystères et les « jeux » de diverse nature. Comme chanson de carole, enfin, elle devait finir par lasser : d’abord, elle était souvent un peu bien sérieuse pour accompagner de joyeux ébats; et puis, elle se rattachait si peu à la danse que l’attention se trouvait tiraillée entre les deux, qu’on ne pouvait goûter l’une entièrement sans renoncer à jouir pleinement de

l’autre. Certes, la part qu on prenait au récit se traduisait en général dans les mouvements, au moins dans leur rythme. Il en est ainsi aux Féroé, où se danse encore*la carole : au chant des exploits de Sigurd, les tètes se redressent, les voix s’enflent, la ronde tourne avec entrain, les pieds frappent le sol avec force, les mains, qui se tiennent en principe à la hauteur de la poitrine, vont et viennent avec énergie, montent et descendent; si c’est la mort de la bonne reine Dagmar que raconte la ballade, on prend une mine grave, on baisse le ton, on laisse pendre les bras, on avance à pas lents et étouffés. A nos caroles de jadis, également, on se « débrisait » suivant le caractère et les péripéties du récit, on « chantait des mains et des bras », 011 s’appliquait à « férir » plus ou moins fort le sol du pied ou « un pié encontre Faultre » (v. p. 33). On ne mimait pourtant pas la chanson, on y était seulement porté : comment représenter par des gestes, en carolant, I histoire de Relie Aiglentine, la tragédie du Roi Renaud, la Riche au Rois, le Miracle des Enfants au saloir, la Relie au pied de la Tour, et le reste ? Fringants « bachelers » et sémillantes « puceles » s’avisèrent de remplacer aux caroles ces graves et longues narrations par de brèves et légères historiettes, qui, loin d’absorber l’esprit, pou- vaient se jouer dans la danse, en faire partie, et la rendre ainsi plus vivante, plus variée, plus attrayante. De là, toutes ces gra- cieuses « baleries », — scènes mimées et chantées par deux ou trois personnages au milieu de la ronde, — que M. Rédier s’est ingénié LIVRE III 145 si heureusement à reconstituer : la Belle Aélis, la Balerie de la Heine du Printemps, le Jeu du Chapelet (= couronne de lleurs), le Bois d’Amour, la Belle enlevée, la Balerie des Jaloux, la Danse Robardoise 121, le Jeu du Guetteur122, le Moulin123, etc. Entre les caroles favorites de la vieille France, dans la seconde moitié du xir siècle et par la suite, plusieurs avaient adopté comme héros « le beau Robin » (Guillaume de Dole, v. 542). Leur vogue était si grande que nous trouvons employée à peu près

dans le sens de « caroler » l expression « chanter de Robin et d’Aélis » (ib., v. 547-9). Aussi n’ont-elles pas laissé de passer en Angleterre, sous forme française dans les classes supérieures, du moins au début et pour un temps, puis sous forme anglaise dans le peuple des campagnes et finalement partout. Chaucer y fait allusion : « Joly Robin >124. Shakespeare en cite des bribes : « Hey Robin, jolly Robin >...125 « Bonny (Sweet) Robin » était encore une « ballade » fort goûtée et très populaire à la fin du xvr siècle et au delà : Ophélie en chante un vers dans Hamlet126, et la fille du geôlier, dans The Two Xoble Kinsmen, dit qu’elle sait la chanter127. La mélodie s’en est conservée dans le Virginal Book de la reine Elisabeth et dans le Lute Book d’un certain William Ballet. Elle figure deux fois dans le dernier recueil, la seconde sous ce titre : « Robin Hood is to the greenwood gone ». Ainsi donc se confondent Bonnv Robin et Robin Hood 128. Dans les chansons anglaises, comme dans les françaises, on s’était habitué à appeler le « berger » ou le paysan Robin, et cette coutume s’était introduite dans la poésie semi-populaire et dans les pastiches littéraires, chez Spenser aussi bien (¡lie chez l’Ecossais Robert Henryson. De celui-ci, nous trouvons dans The Bannatijne Manuscript (1568) une églogue en « vers de ballade » qui a pour personnages un berger et une bergère, Robene and Makyne, c’est- t-dire Robin et Marion ,2°. Marion, traduit ici, est tout simplement conservé ailleurs. Dans la carole, la balerie si répandue en France, à partir de 1200 au plus tard, d’où Adam le Bossu a tiré vers la fin du mit siècle son joli vaudeville, — le Jeu de Hobin et Marion, — !;i bergère Marion est enlevée par un chevalier et délivrée sans doute par son ami, le berger Robin 13°. Cette scène de révolte contre la tyrannie seigneuriale, scène mimée et chantée dans la ronde, ne pouvait manquer de plaire aux campagnards anglo- saxons, opprimés qu’ils étaient par les barons normands. Us l’ont ndaptée en anglais et développée : comme on ne peut voir quelque P. Verrier. — Le Vers français. — 1. 14f> le vers français chose de purement fortuit dans l’identité des noms, qui sont fran- çais, dans la correspondance du rang social et dans la similitude de l’action, il ne semble pas douteux que la balerie de Robin et Marion ait servi de point de départ aux ballades sur Robin (Hood) et (Maid) Marian. On a réuni dans ces chansons et dans la Gest of Robin Hood (xiv’-xv* siècles) toutes sortes de traits et d’aventures souvent empruntés, directement ou plutôt indirectement, à certains romans anglo-français Foulke Fitz Warin, Eustache le Moine et autres, voire à la légende de Hereward, mais se rapportant toujours à la lutte du peuple anglais contre les vexations des seigneurs nor- mands 1S1. Quelle que soit l’origine du nom Hood « capuchon », ceux de Robin et de Marian remontent à une carole importée de France, à une ronde chantée et mimée, à une balerie. Nul doute que certaines ballades appartenant au cycle de Robin Hood n’aient aussi été ballées et mimées 132. Non seulement au temps jadis, non seulement dans le petit peuple des campagnes. On a continué jusqu’à nos jours d’en mimer quelques-unes, d’en jouer l’histoire aux Christmas mummeries. Il y en a qu’on a longtemps chantées. La transformation de Robin et Marion en Robin Hood et Maid Marian n’est pas plus surprenante que celle d’Ogier l’Ardenois, devenu Ogier le Danois, Holger Danske, en héros national du Danemark. Oubliés depuis longtemps, eux et lui, dans le pays

où ils sont nés, ils ont survécu jusqu à nos jours dans leur nou- velle patrie. — comme tant de mots français complètement dis- parus chez nous et conservés outre-Manche. Des chansons de ‘carole qu’on chantait en France dans les baleries, il ne nous est guère parvenu que des fragments. Pour celle d’Aélis, nous possédons une vingtaine de formes, la plupart incomplètes. Abstraction faite du prélude et du refrain, dont il ne reste aucune trace, la plus ancienne se compose au moins de cinq décasyllabes assonancés en i, que le trouvère Raude de la Quarière a intercalés ultérieurement, un par un, dans une balerie plus complexe et plus longue 133 : Main se leva la bien faite Aëlis, Bel se para et plus bel se vesti. Si prist de l’aigue en un doré baein, Lava sa bouche et ses oex et son vis. Si s’en entra la bele en un gardin. LIVRE III 147 Afin de les chanter sur un autre air, que nous indique le Te- rrain 134, on raccourcit les vers en octosyllabes : Main se leva bele Aëliz, Bien se para, mieus se vesti. Guillaume de Uôle, v. 310 et 312. Puis, toujours pour avoir un nouveau refrain, c’est-à-dire une nouvelle mélodie, on remplaça l’assonance en i, la plus vieille dans nos chansons et par suite dans notre poésie populaire, par l’assonance en a : Brie Aaliz main se leva, Bel se vesti, mieus se para, Lava ses ueuz, son vis lava, En un jardin si s’en entra. Motels, II, p. 103. Plus tard encore, ainsi qu’en témoigne déjà le mètre, on passa pour la même raison du vers de huit syllabes à celui de sept terminé en a. C’est sous cette forme qu’un prédicateur a cité la carole dans un sermon prêché en 1214 : Bele Aliz mainz se leva, Vesti son cors et para; En un vergier s’en entra, Cinc floretes i trova: Un chapelet fet en a. V. Gennrich, n° 22. M. Bédier pense que la chanson d’Aélis se terminait là et servait simplement d’introduction au jeu du Chapelet ou bien à toute autre balerie où figurait comme « accessoire » une couronne de tleurs. * ** Parmi les baleries du moyen âge il y avait ce qu’on peut appeler la requête d’amour : En riant, ruer dous, Jointes mains vous pri Qu’aie votre amour. Motets, II, 25. A jointes mains vous proi, Douche dame, merchi. Rondel Adam, X (refrain); Roman du Fauvel; etc. 148 LE VERS FRANÇAIS La dame repoussait quelquefois le suppliant avec indignation : Ostés le moi Ostés cel vilain, ostés ! Cest vilain la. Se vilains atouche a moi, Se plus le voi, Nis del cloi *, Je morrai ja. Je morrai. Châtelaine de Saint-Gilles, v. 8 s.

D ordinaire, sans doute, non sans y mettre les tonnes de quel- que «débat amoureux », — Sire, que dex vous saut, Mes de nous ne me chaut. Traiez vous arrier. .Yatouehiez pas a mon chainse, sire chevalier. Refrain emprunté au Jeu du Bois d’Amour (v. Bédier, I. c., et cf. Spanke, n° LXVIII, str. n, Bartsch, II, n° 99, etc.), — la belle finissait par se laisser fléchir — et embrasser : « Que demandez vos,

Quant vos m avez ? Que demandez vos ? Dont ne m’avez vos ? » «• Ge ne déniant rien, Se vos m’amez bien. » Guillaume de Dôle, v. 5092 s. Est-ce cette requête d’amour, cette quête au baiser, qu’on a importée en Allemagne et en Scandinavie sous le nom de Bet-

tlertanz, Bederdans 135 ? Le refrain double d une ballade danoise semble bien l’indiquer : « Allez mignotement... Allez et demandez, si vous voulez ! » Ou : « Entrez en danse ! demandez, si vous voulez ! » (DgF, n” 278). Le nom même de cette danse revient souvent dans les folkeviser. Voici, par exemple, comment débute un prélude : « Si joliment va la danse aux requêtes sur la verte prée ! » {DgF, n° 240). On allait parfois jusqu’à des requêtes ou des situations si osées, en Allemagne comme sans doute ailleurs, que cette danse fut interdite en 1580, par une ordon- nance, dans la Saxe électorale 136. Il y avait certainement beaucoup d’autres danses mimées avec chansons appropriées en forme de rondets, rondels ou rondeaux, virelays, ballettes ou «ballades». Ces morceeaux ont dû se con- * Rien que du doigt. LIVRE III 149 server au moins quelque temps. En tout cas, les baleries où ils se chantaient n’ont pas disparu tout de suite. Ainsi, on connais- sait encore le Jeu du Bois d’Amour au xvn* siècle, comme en témoigne ce branle double de Mangeant (f. 38) : Je m’en iray au bois d’amour, où personne n’y entre. C’est probablement cette balerie du Bois d’Amour qui figure dans la liste de danses donnée au Livre V, chap. 33 bis, de Panta- gruel sous le nom de « Joly Bois ». Cf. dans des recueils du même temps environ : Au bois, au bois, madame au joli bois m’en vois.

Leroy et Ballard, Sixiesme Livre de Chansons, 1556, f. 5.

Au joly bois m’en vois, au joly bois j irav. Refrain. — Tessier, Airs et VHanelles. 1597, etc. Que nous reste-t-il aujourd’hui des vieilles baleries aristocra- tiques de jadis ? Les rondes que chantent et dansent les enfants : «le Chevalier du Roi» (ou «Compagnons de la Marjolaine»); « A mon beau château » ; « Sur le Pont d’Avignon » ; « Girofle Girofla » ; «la Tour, prends garde»; etc. C’est probablement aussi à ces danses mimées par deux per- sonnes au milieu de la ronde, ou par tous les danseurs, que se rattachent « la Chanson des Métamorphoses »137, « les Noces du Papillon», «les Noces du Pinson et de l’Alouette», «les Noces de la Bécasse et de la Perdrix » (où la fête finit par un bal de rats), etc. Ces noces d’oiseaux, ou autres animaux, se retrouvent en Angleterre, en Scandinavie, en Allemagne et en pays slaves138. Y a-t-il eu emprunt ? Quelques-unes des chansons énumérées ci-dessus rentrent aussi dans la catégorie de celles qui doivent au moins en partie leur développement au prélude. CHAPITRE X

Le prélude et l histoire Le prélude, légué par une antique tradition en tète de récits auxquels il ne se rattachait point par le sens, ou si peu ! devait finir par surprendre à la réflexion, par déconcerter, par embar- rasser. Sans doute, il créait, au moins dans certains cas, une sorte d’atmosphère : mais continuait-on à en sentir le besoin ou même à en avoir conscience ? Sans doute, il avait servi à fournir la mélodie, tout au moins le mètre : mais combien y avait-il de chanteurs à s’en rendre compte et quel intérêt pouvaient-ils y [»rendre ? Xe devait-on pas le trouver inutile et souvent déplacé ? Ne suffisait-il pas, aussi pour indiquer la mélodie, d’en garder le fragment qui se répétait en chœur après chaque couplet pour entraîner la ronde, c’est-à-dire le refrain ? L’autre partie, en géné- ral l’antécédent descriptif, a cependant persisté par habitude au moins, dans un grand nombre de chansons, sous l’une ou l’autre des formes passe-partout énumérées au chapitre V : là-bas sous l’olivier sourd la fontaine claire et belle; au jardin de mon père les lauriers sont fleuris; je me levai de bon matin et m’en allai dans un jardin; au pont de Nantes un bal est assigné, etc. Il y avait certes lieu de se demander, pour les gens « rai- sonnables », ce que cet olivier, arbre du midi, cette fontaine claire et belle, ces lauriers au jardin de mon père, cette prome- nade matinale dans un jardin quelconque ou ce pont pouvaient bien avoir à faire avec les aventures de Pierre ou de Paul, de Pierre et de Pernette. Rien de plus naturel, par suite, que de s’ingénier à imaginer un raccord. Nous avons vu qu’on y avait souvent réussi avec assez d’art dans nos romances et autres chan- sons du moyen âge, pour des préludes, il est vrai, plus faciles à caser dans le récit, mais aussi pour l’olivier et la fontaine ou pour le jardin de mon père, voire même pour le tout ensemble. C’est dans ce décor qu’on nous y présentait le héros ou l’héroïne : Bele Ydoine se siet desous la verde olive En son pere vergier, a soi tence et estrive, De vrai cuer souspirant se plaint : «< Lasse, chaitive ! Audefroi lf* Batard, Bartsch, I, n° 57. Bele Ydoine, cela va sans dire, est fille de roi; c’est elle, nous le savons, que son père fait « serrer ens en la tor autaine » après LIVRE III 151 l’avoir battue sans merci, dans l’espoir de la contraindre à renon- cer à son amour pour le comte Garsile. S’il n’y avait aucune nécessité de faire commencer l’histoire sous un olivier du jardin paternel, du moins n’y avait-il d’invraisemblance que dans le choix de l’arbre. La liaison, en tout cas, ne se remarque point. Dans les chansons conservées par le peuple, on s’est en général montré moins habile à trouver le joint. Peut-être ne s’en est-on guère donné la peine. Le rapport qu’on établit entre l’ancien antécédent de prélude et le récit est quelquefois tiré par les che- veux, franchement absurde : Dans la cour à ma tante n’v a un pommier doux. La fille au roi d’Espagne est qui pleure dessous. Son pèr’ qui va la voir : « 0 ma AIT, qu’avez-vous? » « Je pleur’ mon ami Pierr’, qu’est là-haut dans la tour... Legrand, p. 384. C’est, on l’a reconnue, « l’histoire » de la Belle au pied de la Tour. D’après les autres variantes de la même province, de Nor- mandie, nous pouvons reconstruire à peu près à coup sur le texte primitif : Dans la cour à mon père, i y a un pommier doux. La fdle au roi d’Espagne pleure au pied de la tour. Afin de relier ensemble prélude et récit, quelqu’un s’est avisé de remplacer le second hémistiche du deuxième vers par « est qui pleure dessous ». On croirait volontiers que c’est la cocasserie,

l inattendu de la situation qui a poussé à transporter ainsi la fille du roi d’Espagne sous un pommier dans la cour d’une paysanne normande, la tante du chanteur. Mais il n’en est probablement rien : nous ne devons voir là qu’une gaucherie, car le ton reste sérieux dans tout le reste de la chanson. 11 l’est aussi dans une autre, une des plus gracieuses, où le récit n’en est pas moins rattaché au prélude par une liaison à peu près aussi fantastique, mais, cette fois, d’une étrange et poétique fantaisie : I. Derrièr’ chez mon père, Vole, mon cœur, vole ! Derrièr’ chez mon père, y a un pommier doux. Tout doux! Et you! Y a un pommier doux (bis). II. Trois belles princesses sont couché’s dessous. III. Ce dit la première : <« C’est le point du jour! » 15? LE VERS FRANÇAIS IV. Ce dit la seconde : « J’entends le tambour. »

V. Ce «lit la troisième: «C est mon ami doux.» VI. « Il s’en va en guerre combattre pour nous. »

VII. « S il gagne bataille, aura mes amours. » VIII. « Qu’il gagne ou non gagne, les aura toujours 13°. » Comme dans « le Roi Renaud », comme dans « la Relie au pied de la Tour », ce qui importe ici, c’est l’expression d’un senti- ment profond, — du véritable amour chez l’une des trois prin- cesses, par opposition aux deux autres, — un mot tout simple, mais qui dit tout. Et si le paradoxal ajustage de la petite scène au banal antécédent de prélude nous transporte dans un monde imaginaire, il n’y a pas lieu, ô Hnmlet! d’en tirer une conclusion pessimiste. Plus logique, sans doute, mais combien moins poétique, ce troisième exemple de raccord dans une chanson du xv" siècle, chanson littéraire, d’ailleurs, qui a simplement emprunté au vieux fonds populaire le prélude passe-partout et le nombre « trois » : Au jardrin de mon père il y croist un rousier. Troys jeunes darnoiselles sy s’i vont umbraiger. Paris, XV* siècle, n° LXXXI. Et le poète prie la plus belle « d’amer » : elle l’envoie demander sa main à son père.

Dans une quatrième chanson, populaire déjà au xv siècle et conservée sous une forme à peu près identique dans certaines versions encore vivantes, nous descendons encore plus avant dans le prosaïque bon sens, mais le prélude est si intimement lié au

récit qu’il l a au moins en partie suggéré :

Au jardin de mon père un oranger i y a,

Il porte tant d oranges, je crois qu il en rompra. E1P demande à son père quand on les cueillera.

La bell prend une échelle, un panier à son bras. EU’ cueillit les plus mûres, les vertes ell’ laissa. EU s’en alla les vendre sur le marché d’Arras. Rolland, n° CXXVII f. Elle rencontre « en chemin » ou au marché le fils du roi ou le fils d’un avocat. Sur quoi commence, avec l’un ou l’autre des dénouements connus, suivant les versions, une pastourelle rédigée sous forme objective et transportée de la campagne à la ville 1<0. Le prélude subjectif n’en est pas moins rattaché au récit objectif d’une manière assez peu compréhensible. Aussi a-t-il com- plètement disparu dans plusieurs versions, mais non les oranges LIVRE III 153 dont ¡1 avait suggéré l’idée et que « la belle » continue à porter au marché avec le même résultat Ul. C’est avec plus d’adresse et de poésie que s’est effectuée la soudure pour une forme du même prélude dont l’assonance en i présente un cachet d’ancienneté. Sur l’arbre, que ce soit un lau- rier ou un lilas, les lleurs s’épanouissent et les oiseaux gazouillent, comme dans les vieux couplets de danse qui se chantaient aux maieroles, aux reverdies : Au jardin de mon père les lauriers son fleuris. Tous les oiseaux du monde y vienn’ faire leur nid. Auprès de ma blonde qu’il fait bon dormi. Comme je l’ai expliqué (p. 68) s.), le second vers n’est sans doute qu’un développement de l’antécédent primitif. Et le déve- loppement s’est poursuivi, sinon dans toutes les versions, du moins dans celle qui m’est familière et que je crois la plus répandue : deux couplets additionnels énumèrent la grive, la fauvette, le rossignol, la colombe l42. Si le raccord se trouve ainsi retardé, on recule pour mieux sauter : la fissure qu’il doit combler n’en apparaît (pie mieux à des yeux attentifs. Le voici : Ils chantent pour les fil les qui n’ont point de mari. C’n’est pas pour moi qu’ils chantent, car j’en ai un joli. • Là-dessus vient « l’histoire ». Elle remplit les cinq dernières strophes, où il n’est pas dit un mot des oiseaux, ni des lauriers, ni du «jardin de mon père». Fatigué sans doute de toujours voir fleurir ces lauriers dans le jardin de mon père », un poète populaire les a transplantés au bois, — où leur présence pourrait nous sembler encore plus I range, s’il ne s’agissait probablement à l’origine du Bois d’Amour, et ce n’est point pour les y faire fleurir, mais pour les couper. Aussi la chanson commence-t-elle à peu près comme le refrain du xvr siècle que j’ai cité plus haut : « Las, je n’irav plus, je l irai pas jouer au bois » (v. p. 76). C’est une de nos plus jolies rondes : Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés. La belle que voilà ira les ramasser. Si la cigale y dort, ne faut pas la blesser. Le chant du rossignol la viendra réveiller. Et aussi la fauvette avec son doux gosier. Et Jeanne la bergère, avec son blanc panier, Allant cueillir la fraise et la fleur d’églantier : Cigale, ma cigale, allons, il faut chanter, Car les lauriers du bois sont déjà repoussés. Ici, il n’y a pas lieu de chercher le raccord entre le prélude Ib4 LE VERS FRANÇAIS et le récit : le prélude, l’antécédent du moins, s’est tout simple- ment développé en récit. Nous avons constaté quelque chose d’ana- logue, pour un autre prélude, dans la carole de la belle Aélis et les nombreuses chansons qui en sont sorties au cours des siècles. Le prélude des « lauriers » dans le « jardin de mon père » s’est différencié en de nombreuses variantes, très éloignées parfois de l’original, mais les oiseaux continuent en général à y chanter, au moins le rossignol. Telle la suivante, du Canada, qui introduit la même histoire que la forme primitive et ordinaire : Par derrièr’ chez ma tante lui y a-t-un bois joli. Le rossignol y chante et le jour et la nuit. Gai Ion la, gai le rosier du joli mois

et l Angoumois : Rossignolet du bois joli, Toi qui chant’ le jour et la nuit —

Ah ! le joli chant ! Ah ! qu il est charmant ! Mon fidèle amant !

Suis-je pas heureuse d aimer jusqu’à présent ? Bujeaud, I, p. 191. Isolé, ai-je dit, ou détaché. Il figure bien comme prélude en tète d’une chanson qu’on a imprimée en 1547 et plusieurs fois au cours du même siècle. Il y est relié au récit par une transition des plus simples : Rossignolet du bois, Qui chante au vert bocage, As-tu ouv la voix D’un garson de village Qui s’est voulu marier, Mais il n’entend pas l’usage

Comme c’est qu il faut aimer ? Garson de village... \ ingt-deuxième livre de chansons, Attaignant, Paris, 1547. C est, dit M. Gérold, à qui j’emprunte ma citation, « c’est une LIVRE III 155

II. Le samedi au soir, l amant n’a pas manqué... Rolland, n° IV s (t. II, p. 40). Suit une variante du récit que Rolland intitule « L’occasion munquée (ou saisie) », la dix-neuvième de celles qu’il a recueillies, et la seule qui ait ce prélude. Généralement, c’est pour lui demander de porter un message que les amoureux s’adressent dans les chansons au « rossinholet salvatge », comme l’appelle déjà au xn* siècle le Gau- celm Faidit (1180-1216)144. C’est également chez un troubadour du xn siècle, Pierre d’Auvergne (1150-1200), qu’apparait pour la première fois dans nos textes le prélude du rossignol messager

d amour : Rossinhol, en son repaire M’iras ma domna vezer, E diguas lil meu afaire145. Nous le retrouvons dans nos chansons populaires dès qu’on les recueille, c’est-à-dire au xv* siècle : Rossignolet sauvaige Qui chante de cueur gay, Va inoy faire un messaige, Je t’en prie par ta foy, Paris, XV* siècle, ch. LXXII. Roussignolet du boys joly, Va a mon amy et luy dy. //>., ch. LXXVII. Dans ces deux chansons, le prélude a été par étourderie relégué >out à la lin : on voit par là combien peu il se rattache au reste • lu texte, comment il n’est conservé que par tradition, par rou- tine, Dans une chanson du xvi* siècle il a repris sa place : Rossignoille sauvage, — prince des amoureux. Va-t’en faire messaige — a la belle a la fleur. Pourtant je suis breunette, viverai ge en langueur. Zs. f. roman, phil. V, 1881, p. 522 (Bartsch . 156 LE VERS FRANÇAIS Il en est de même dans les chansons actuelles : Rossignolet sauvage, rossignolet charmant Voudris-tu ben me portér ine lettre A moun amant... Rolland, n° XV (Saintonge), t. l*r, p. 44. Rossignol, beau rossignol, messager des amoureux, Va me porter cette lettre à ma mi(e) qui-est là seulette Sur son lit de blancs rideaux. n>.. n° CXXI1 (environs de Lorient), t. Ier, p. 241. J’ai un grand voyage ù faire, je ne sais qui le fera. Rossignol au beau plumage, fais-moi donc ce plaisir-là.

La violett’ se double, double, la violctt se doublera. II). n° CLXX b (Meuse), t. II. p. 243. Là-dessus, « rossignol prend sa volée » et va porter le message. 11 est parfois remplacé par l’alouette ou par l’hirondelle, mais rarement. C’est que le rossignol tient une grande place dans notre poésie depuis le temps des caroles printanières. Dans la poésie narrative du moyen âge, le dieu d’amour le prend lui- mème pour messager (Roman de la Poire), — sans aucun doute à l’image de ses poètes. Plusieurs « sons d’amour » lui assignent un rôle important. N’est-il pas, d’après l’un des plus connus et des plus beaux, le père de la chanson française ? Li rossignox est mon pere, La seraine elle est ma mere, Qui chante sor la ramée Qui chante en la mer salée El plus haut boscage. El plus haut rivage. Barlsch, I, n° 28. Le prélude du rossignol messager d’amour a passé de la chanson française dans la chanson allemande et dans la Scandi- nave 14C. Dans Paris, A Ve siècle, la chanson CIV ne contient rien d’autre que le prélude du matin où l’on va au jardin et le prélude du rossignol messager d’amour :

M y levay par ung matin plus matin que ne souloye,

M en entray en no jardin pour cuillir la girouflade. Rencontrav le rousignou qui estoit dessoubz l’ombrade. « Rousignou, beau rousignou, va moy faire un messaige. « Au plus gentil compaignon qui soit en toute l’armade. « Porte pourpoint de veloux et la chausse d’escarlate. » Et c’est tout. Encore l’auteur a-t-il au moins rattaché les deux préludes par un faible lien. Dans bien des chansons de danse, en Scandinavie surtout, on se contente d’en mettre bout à bout un certain nombre, où figure souvent celui du rossignol (v. StelTen, p. 180 s.). LIVRE III 157 Passons de l’olivier ou des lauriers, et de leurs oiseaux, à la fontaine qui sourd claire et belle. Nous arrivons ainsi à la plus populaire peut-être de nos chansons, dans la Nouvelle France comme dans la vieille. Il semble pourtant assez difficile de prendre ce fragment d’un antique antécédent comme point de départ d’une « histoire » : que peut-on bien faire d’une fontaine ? Mais s’y laver les mains (Bretagne, Vendée, etc.) — ou les pieds (Paris, 1704, Sancerrois, etc.), s’y laver purement et simplement (Ardennes, etc.), voire même s’y baigner (Somme, Basse-Auvergne, Canada, etc.)147. Citons la version du Canada : A la claire fontaine, m’en allant promener, J’ai trouvé l’eau si belle que je m’y suis baigné(e).

Lui g a longtemps que je t aime, jamais je ne t’oublierai. Cette idée, cette envie de prendre ainsi un bain de but en blanc dans une fontaine, pour la seule raison que l’eau était claire et belle, ne pouvait laisser de paraître plus ou moins baroque à pas mal de monde, surtout peut-être dans le peuple, à la campagne. Aussi quelques esprits positifs se sont-ils employés à trouver une

explication, la fatigue, et à expliquer l explication : En revenant de noces j’étais bien fatigué’ : A la claire fontaine je me suis reposé’. Environs de Lorient, Vendée, Somme, confins de la Touraine et du Poitou, Basse-Auvergne 14S. Le prélude se trouve ainsi développé, si j’ose dire, antérieure- ment. Ce qui ne l’empêche pas de se développer ultérieurement. Mais ici, les versions restent presque toutes entièrement d’accord. La fontaine sourd naturellement au pied d’un arbre, non pas d’un olivier, heureusement, mais d’un chêne : A la feuille du chêne je me suis essuyé’. De même que les lauriers du jardin de mon père, ce chêne appelle les oiseaux, un du moins, et nous retrouvons ce joli vers, connu d’ailleurs : Sur la plus haute branche le rossignol chantait 149. C’est là ce qui sert de raccord : Chante, rossignol, chante, toi qui as le cœur gai. Tu as le cœur à rire. moi, je l ai à pleurer. Maintenant vient l’histoire, si l’on peut appeler ainsi la brève, mais décisive explication de ce chagrin. Il y a une version qui n’a rien ajouté au prélude, ni avant

158 l.i: VERS FRANÇAIS ni après, et qui peut-être n’en vaut que mieux aux yeux du simple bon sens : Au bord de la fontaine, au joli mois de mai. Sur la branche du chêne le rossignol chantait. Bretagne (Rolland, version b).

Telle, pourtant, qu elle se chante d’ordinaire, cette vieille chanson française n’est pas seulement la plus populaire de toutes, mais encore l’une des plus jolies comme texte, — quand on se laisse aller à son charme naïf, au lieu de la disséquer comme je viens de le faire, — et l’une aussi des plus belles au point de vue de la musique 15°. Ce qui doit contribuer à nous la rendre chère, c’est qu’elle est au Canada français une sorte de chant national. Dans la version du Sancerrois (Rolland, CVI g), ce n’est pas en revenant de noces que le personnage du récit, — un homme, cette fois, — se trouve fatigué et se repose au bord d’une fon- taine, c’est « en revenant de Nantes » : sans doute en revenant de danser sur le pont de cette ville, où nous savons qu’étaient « dressés » des bals. Cela nous ramène au prélude où l’on parle de ces danses sur un pont. Comme nous l’avons déjà vu, tantôt

il n a absolument rien à faire avec la chanson proprement dite, tantôt il y a été rattaché par un lien si fragile, si faible, qu’il peut s’échanger contre un autre ou même disparaître complètement (v. p. 76 s.). II y a pourtant une exception extrêmement intéres- sante : dans une ronde qui est répandue à travers presque toute la 1*rance, il n’a pas seulement été incorporé à un récit objectif, il a même contribué à le transformer. Je cite la version que j’ai apprise, dans mon enfance, en Basse-Normandie (la strophe se compose d’un seul vers, que le chœur répète après le soliste et à peu près sur le même air) :

I. Su l’pont du Nord un bal y est donné. II. Adèl’ demand’ à sa mèr* d’y aller. Iir. « Non, non, ma filI’, lu n’iras pas danser. » IA . Eli monte en haul et se met à pleurer. V Son frère arriv’ dans un bateau doré. "NI. « Ma sœur, ma sœur, qu’as-tu donc à pleurer ? » \II. « Maman n’veut pas que j’aille au bal danser. » "N III. « Mets ta rob" blanch’ et la ceintur’ doré’. »> IX. Les v’ià partis dans le bateau doré. X. Ils font Irois tours et les voilà noyés.

XI. Leur mèr demand’ qu ont les cloch’ à tinter. XII. « C’est pour vot’ filP et votre fds aîné. » XIII. Voilà le sort des enfants ostinés. Pays du Houlme (Orne). LIVRE III A part quelques légères divergences dans la forme, — telles cIut* « monte à sa chambre » au lieu de « ell’ monte en haut », — c’est le même texte que Legrand (p. 366) a recueilli dans la plaine de Caen. Quelle que soit la région, à deux ou trois exceptions près, le* fond de l’histoire ne varie pas. La version bas-normande a sans doute perdu quelques vers, mais dans le reste elle correspond en général presque mot pour mot à celles qui proviennent du centre de la France, en y comprenant Paris, du Poitou, des Ardennes, de Genève, etc.1B1. Nous possédons en outre huit versions quelque peu différentes (en comptant celle importée dans les Rouches-du- Rliône) pour la Haute-Bretagne : c’est « à Nantes », « au(x) pont(s) de Nantes» que le bal est «annoncé», «assigné», «en- seigné », et la jeune fille a nom Hélène 152, à quoi correspond en Champagne Aline, avec le pont de Londres153. En Franche- Comté153 comme en Lorraine, elle s’appelle Annette, et dans la seconde de ces provinces on danse sur le « pont des Morts », pont

principal du Vieux Metz1 *4. Dans le «bal» cité par Bujeaud (I, j>. 154) pour la Saintonge, l’Aunis et l’Angoumois, c’est « à la Rochelle » qu’ « il y a-t-un bal dressé », et ce n’est plus Annette, mais Jeannette qui se voit refuser le « congé » d’aller danser : « Non, non, ma fille, tu n’iras pas danser :

« J ai fait un rêve qui pourrait arriver, « C’est que ton frère dans la mer est tombé. » Jeannette n’en part p>as moins avec son frère, mais il ne leur arrive » rien de fâcheux. Les vers sont réunis deux à deux en couplet, et il y a un refrain-cliché (« Celui que j’aime, je n’ saurais l’oublier »), dont la mélodie se retrouve intégralement dans le •second vers, en partie dans le premier. Si cette forme de strophe peut remonter à l’original, le dénouement est à coup sur une innovation. Le nom de la ville également. Nulle part ailleurs dans nos chansons populaires, ou presque nulle part, nous ne rencontrons comme entrée en matière « à la Rochelle », et encore moins « le pont du Nord, des Morts ou de Londres ». Dans « au pont de Nantes », au contraire, nous re- onnaissons un cliché familier, un antécédent de prélude passe- partout : c’est donc cette variante qu’il faut regarder comme originelle. Dans la moitié au moins des versions, tous les vers ont une osure épique, c’est-à-dire une césure féminine sans amuïssement le IV, que cet e soit « correct » (IV « El monte en chambre », VII «Hélas ! mon frère», IX «Les v’Ià qui partent», etc.) ou fju’il se soit développé, suivant une habitude fréquente après un r VI « ma sœur, ma so*ure » — comme «fille du roi, donne-moi. va, ton cœure », dans « Joli Tambour », etc, — X « Ils font trois 100 LE VERS FRANÇAIS toures»1*5). Cette forme de césure, qui s’accorde avec «au pont

de Nantes >, ne s est assurément pas introduite dans le texte après coup, — d’autant que partout ailleurs, sauf dans un cas analogue, elle a disparu depuis des siècles de notre décasyllabe populaire, comme du décasyllabe littéraire, et que le peuple n’a pu s’aviser de la ressusciter pour l’imposer à une chanson déjà existante. Dans les autres versions, la moitié environ des vers n’ont une césure masculine que par amuïssement de Ye féminin, je ne dis pas élision, car l’élision n’est pas de règle dans la chanson populaire et n’a lieu ailleurs qu’avant une voyelle. Dans ces versions, enfin, la forme de la mélodie au milieu du vers peut et doit dériver d’une forme composée pour une césure féminine, épique, tandis que l’inverse n’est guère admissible. Le mètre ori- ginel de la rédaction attestée est donc bien celui du vieil anté- cédent de prélude : Au pont de Nantes un bal esl assigné. Ce mètre, disparu ailleurs, remonte évidemment à « des temps très anciens ». On ne saurait en dire autant des paroles. Au point de vue de la langue, il est vrai, nous n’avons pas à faire entrer en ligne de compte la fréquente syncope de Ye féminin : elle apparaît à peine dans certaines versions, et elle peut résulter dans toutes d’une réadaptation ultérieure du texte à la pronon- ciation nouvelle; d’autre part, la danse sur les ponts et la cein- ture dorée n’appartiennent pas aux temps modernes. Mais nos vieilles chansons à danser ou autres n’ont pas coutume de se terminer par une « morale », comme les fables d’Esope ou de La Fontaine. Le plus curieux, peut-être, c’est que ni la morale ni l’histoire elle-même ne conviennent guère à une ronde ; si la morale a été ajoutée sur le tard, l’histoire a dû être aussi trans- formée, et en même temps. Et puis, pourquoi est-ce par eau, en bateau, qu’arrive tout à coup le frère d’Adèle, Annette, Jeannette ou Hélène ? Pourquoi surtout est-ce encore par eau, en bateau,

qu il l’emmène danser sur un pont ? Pour expliquer la noyade ?

Non : elle ne survient qu après « trois tours » de ronde, « quat’ pas » de danse sur le pont. Aussi le bateau a-t-il été supprimé dans la plupart des versions : on ne nous dit pas comment le frère paraît soudain, ou on le fait revenir « de la chasse ». Et la noyade, comment se produit-elle ? Des remanieurs, amis de la logique et de la clarté, ont jugé utile d’en rendre compte. Tantôt, « le pont s’est effondré », « le pont s’écroule », mieux encore « les ponts défoncent, et tous deux sont noyés » : châtiment un peu bien radical, qui, pour punir deux « enfants ostinés », englobe tous les danseurs, tous ceux qui se trouvent sur les ponts. Tantôt ! accident arrive quand l’héroïne va traverser le pont pour se LIVRE III 161 rendre au bal, qui, malgré le prélude, semble avoir lieu ailleurs : « Monte en carrosse, et moi j’irai à pied. » La mer est haute, tous les ponts sont cachés. La belle Hélène dans la mer a tombé. Ilolland, t. rr, p. 300 (environs de Lorient). Où peuvent bien être ces ponts que cache ainsi la mer ? Indé- pendamment de toutes ces incohérences ou invraisemblances, il est difficile de concilier entre elles les diverses variantes. Tout s’éclaircit, au contraire, dès qu’on a reconnu dans notre ronde, — un peu comme dans le « Roi Renaud », — une adap- tation mi-rationaliste, mi-chrétienne, et en tout cas moralisante,

d une vieille chanson à fond mythique. Ce fond mythique s’est conservé jusqu’à nos jours dans une ballade danoise : Agnète et l’Ondin 15°. I. Agnète s’en va trouver sa marâtre : « Et puis-je sortir un peu sur la plage ? » Ho ! ho ! ho I « Et puis-je sortir un peu sur la plage ? » II. « Non, non, vraiment, tu n’iras point ! » III. Agnète se tenait sur le balcon là-haut : Elle voit arriver un ondin en bateau 157. IV. Et ses cheveux étaient comme l’or le plus pur. V. « Ecoute, Agnète, si belle, si jolie, « Veux-tu être ma bonne amie ? » VI. « Oui, certes, bien je le veux, « Si tu m’emportes sous les Ilots bleus. » VII...... Et il l’emmena au fond de la mer. X...... Elle entendit sonner les cloches d’Angleterre. DgF, t. III, p. 816, etc. Agnète, dont le nom ressemble fort à Annette, demande à sa belle-mère de sortir un peu sur la plage, — est-ce pour aller danser sur rive mer » ? — mais elle n’obtient pour réponse que « non, non,... tu n’iras point ». « Elle monte en haut » sur l’estre *, — transformé dans telles de nos versions en « chambre », — d’où elle voit « arriver en bateau » un ondin aux cheveux « dorés ». 11 l’emmène au fond de la mer « et — dans un sens — la voilà noyée ». C’est elle, sans doute, non sa mère ou sa belle-mère, qui ’ Ce vieux mot désignait au Moyen Age, ainsi que le danois » h0jeloftst»ro », la paierie de l’étage supérieur, de la « chambre », comme on dit en Basse- Nonnandie. (V. Guillaume de Dôle, v. 2.063, 2.520, 4.163). P. Verrier. — Le Vers français. — I. 11 162 LE VERS FRANÇAIS entend « sonner les cloches », mais l’un a pu suggérer l’autre. Nous devons admettre pour l’original de notre ronde une forme semblable à celle de la ballade danoise. Le prélude du pont où l’on danse, ici comme dans les autres cas (v. p. 77 s.), ne servait au début qu’à fournir le mètre et peut-être la mélodie, sans avoir rien à faire avec l’histoire : l’ondin vient de la mer. Mais une bonne âme s’est avisée de fondre ce prélude avec le vieux conte mythique, adapté en conséquence, pour en tirer une leçon de morale par l’exemple. Dés le moyen âge, ces bals publics, sur les ponts ou ailleurs, ne disaient aux parents rien qui vaille : C’est la jus e’on dit es près, — jeu et bal i sont criés. Enmelos i veut aler, — a sa mere en acquiert gré. « Par Dieu, fille, vous n’irés : — trop y a de bachelers ». Bartsch, II. n° 90 (cf. Gennrich, n° 21). Dans une miniature qui sert d’illustration à ces vers, nous voyons jeunes gens et jeunes filles s’attrouper, pour danser, autour d’un jongleur qui joue du flageolet et du tambourin, — comme le « tutu-panpan » de Daudet; — dans ce groupe se trouve Emmelot, et sa mère cherche à la retenir, à l’emmener158.

C est dans le même sentiment, pour éloigner de ces divertisse- ments dangereux, qu’à une date beaucoup plus récente on a re- manié notre ntique chanson. Il fallait une fête à la fois attrayante et pleine de tentations, comme l’étaient justement ces bals sur les ponts d’une grande ville, dont le prélude suggérait l’idée, mais qui obligeaient à remplacer la mer par un fleuve. Il fallait, pour la jeune indocile, un châtiment de nature à effrayer par sa vrai- semblance comme par sa grandeur. L’enlèvement par l’ondin n’avait peut-être rien de terrible : Agnète le suit sans se faire prier. Peut-être aussi pensait-on que la croyance en ce genre d’êtres mythologiques s’était par trop affaiblie, effacée. Mais il y avait, au moins dans la tradition, des exemples de noyades, de ponts qui s’effondrent, de voitures qui s’embourbent ou s’englou- tissent dans un fleuve débordé : ne pouvait-on y voir une inter- vention de Dieu pour frapper le coupable ? ou simplement une conséquence fatale de la faute ? Nulle part l’événement n’est représenté en termes explicites comme surnaturel. C’est vrai sur- tout de la version qui, après avoir remplacé comme les autres la mer par un fleuve, à cause du pont, et supprimé ensuite la danse sur le pont, sans doute comme peu vraisemblable à l’époque, n’en a pas moins conservé le souvenir et de la mer et du pont au moment de la punition : « La mer est haute, tous les ponts sont cachés, — La belle Hélène [qui arrive en carrosse] dans la mer a tombé. » Dans la version de « la Rochelle », ainsi que je l’ai dit. la catastrophe a disparu, tout comme le bateau et le pont; LIVRE III 163 mais il en reste une trace, ainsi que de la mer, dans ce rêve maternel où le frère de Jeannette «dans la mer est tombé*. Pas de morale non plus, naturellement : il n’y a pas lieu. Et sous cette forme l’histoire convient mieux à une ronde. On le voit : toutes les variantes s’expliquent sans peine dès

qu on reconnaît dans notre chanson le remaniement d’une plus vieille dont la rédaction originale se retrouve dans une ballade danoise 1&8. Mais cette ballade elle-même porte des marques d’importation. Ainsi, dans les versions recueillies le plus anciennement, il y a au lieu de refrain une interjection, « (h)aaja * ou « ho ho ho » : étrangères aux folkeviser de fabrication danoise, Scandinave, les substitutions de ce genre se rencontrent souvent en Allemagne. C’est de ce dernier pays, suivant Sv. Grundtvig et M. Steenstrup, que serait originaire la chanson d’Agnète et l’Ondin. Elle y existe, en etTet, comme dans les pays slaves, avec un ondin fluvial et quelques autres divergences, mais aussi avec des correspondances frappantes dans le détail, par exemple le nom d’Agnète100. Admettrons-nous donc qu’elle est venue d’Allemagne en France par la Lorraine avec ce nom d’Agnète francisé sous la forme d’Annette ? Annette s’est conservé en Franche-Comté comme en Lorraine et a pu aboutir dans l’ouest à Jeannette, etc. Le « pont des Morts » du prélude lorrain, familier seulement a Metz et dans les environs, se serait transformé dans le centre en « pont du Nord », qu’on aurait ensuite remplacé en Bretagne par « le pont de Nantes », en Saintonge, Aunis et Angoumois par « à la Bo- clielle ». Cette hypothèse se heurte à des difficultés insurmontables. Je ne veux pas faire état du fait que la chanson française et la danoise sont malgré tout plus proches l’une de l’autre que de l’allemande : le caractère marin de l’ondin, par exemple, n’a laissé de trace qu’en Danemark et dans nos provinces maritimes au nord et au sud de la Loire, c’est-à-dire, aux deux extrémités du domaine de la légende, tandis qu’en Allemagne, comme dans l’est et le centre de la France, c’est d’un fleuve qu’il s’agit. Il n’v a là rien de probant. Mais la chanson n’est attestée en Allemagne que dans l’est. Mais elle s’est propagée en France de l’ouest à l’est, non de l’est à l’ouest : la forme de la mélodie et même celle des vers montrent que le prélude originel avait une césure fémi- nine, comme « Au pont de Nantes », et non une masculine, comme « Au pont des Morts ». Il n’est pas question de pont dans la ballade danoise 101. Il y en a un. au contraire, dans la plupart des versions allemandes ou slaves : il est construit par un prétendant à la main de la jeune fille, tantôt un chevalier, tantôt l’ondin lui-même, et,

que le pont s effondre ou non lorsque enfin elle y passe, c’est à ce 164 LE VERS FRANÇAIS

moment qu elle est enlevée par « l’homme des eaux ». Cette intro- duction d’un pont dans l’histoire, par contamination avec une autre légende bien connue, a pu à la rigueur être suggérée par le prélude français, mais l’inverse est inadmissible 102. Annette, enfin, n’est pas venu dans notre chanson de l’allemand Agnete. C’est l’inverse. Jusque vers 1600, Annette s’est prononcé avec un a nasalisé (comme on) et sans amuïssement de l’c final [ünéto, ânèto]. Dans certaines versions danoises, nous trouvons la tran- scription exacte de la manière dont Allemands et Danois imitaient cette prononciation, c’est-à-dire Angnete, développé ailleurs en Angenete, mais simplifié plus souvent en Agnete. C’est Agnete également qui apparaît en Allemagne, à côté d’adaptations telles qu’Agnese « Agnès », Angnina, etc., mais aussi de véritables tra- ductions d’Annette, comme Annerle, Hannale, Hannele, « petite Anne, petite Hanna, Annette ». C’est la ballade danoise qui semble avoir gardé le plus fidèle- ment les traits primordiaux. C’est elle aussi qui nous aide le mieux à comprendre les variantes de notre ronde, « la Danseuse noyée ». Mais ce n’est pas elle qui a servi de modèle à l’archétype assez récent dont elles dérivent : c’est une chanson française beaucoup plus ancienne, dont il a conservé le prélude et la versification archaïque en décasyllabes masculins à césure féminine, épique. Ce mètre n’a pu être emprunté ni aux versions étrangères ni à d’autres poèmes français connus : il ne se rencontre pas ailleurs comme forme unique 103. On ne saurait pas davantage y voir une innova- tion populaire, une création du remanieur bien intentionné, mais plutôt maladroit, qui a métamorphosé, dans l’archétype des ver- sions actuelles, le vieux conte mythologique en plate leçon de morale. Si c’est la version du nord et du centre de la France qui dans l’ensemble en a le moins altéré la rédaction, comme il ressort des correspondances avec la ballade danoise, si c’est d’autre part celle de Lorraine qui. sous la forme Annette, a probablement le mieux préservé le nom de tout changement, comme on peut l’inférer des variantes étrangères, ce sont au contraire celles de Bretagne qui seules ont conservé intacte la versification primitive, c’est-à-dire la césure féminine, épique, attachée dans le prélude ancien au mot Nantes : Au pont de Nantes un bal est assigné. Nous pouvons sans doute en conclure que la chanson a été composée et transposée en Bretagne. Et cela s’explique : tandis que les enlèvements de jeunes filles par un « homme de la mer » sont inconnus dans les pays Scandinaves et aussi, autant que je sache, en Allemagne, il y en a des exemples, restes de la vieille mytho- logie celtique, dans les traditions populaires de la Bretagne bre- LIVRE III 165 tonnante. Traduite en français, comme le « Boi Benaud », et la « Blanche Biche », la chanson a passé sous sa forme primitive en Allemagne et en Danemark, aussi bien que dans les pays slaves. Par quelle voie ? Par les clercs ? Par les marins des « villes wendes » ou autres villes hanséaliques? Peu importe comment. Du Danemark elle s’est répandue dans toute la Scandinavie 1G4. Il faut toutefois noter (pie dans la version islandaise l’héroïne porte le nom d’Hélène, comme dans plusieurs des françaises : notre an- cienne ballade aurait-elle été importée directement en Islande ? Quoi qu’il en soit, c’est en Danemark qu’elle a conservé avec le plus de fidélité sa forme primitive. Il n’y a là rien d’étonnant : nous connaissons des cas analogues, en Danemark ou en Norvège et en Islande, non seulement pour de simples chansons, telles que le « Boi Benaud », mais encore pour de longs poèmes, comme le

ï ristan de Thomas, dont une grande partie n’existe plus que dans une traduction norroise. * ** Malgré l’étrangeté de leur présence, plusieurs antécédents de prélude se sont donc maintenus jusqu’à nos jours, soit indépen- damment, soit en s’incorporant au récit. Ce n’est pas seulement par la force de l’habitude : ils continuaient à servir de modèle pour le rythme, aussi bien au point de vue du vers que de la musique, du vers surtout. C’est ainsi que se sont perpétués les mètres suivants, le premier dans tant de nos chansons populaires, le deuxième dans un certain nombre, le dernier dans une seule : Au jardin de mon père les lauriers sont fleuris. Je me levai par un matin que jour il n’était mie. Au pont de Nantes un bal est assigné.

LIVRE IV LA STROPHE CHAPITRE XI La strophe La chanson de carole, ce prototype de nos autres chansons, se composait dans le principe de strophes racontant une « his- toire » et construites, pour le mètre et la mélodie, sur le modèle d’un prélude, dont elles empruntaient en outre un fragment comme refrain. Au moment où les poètes ont commencé à mettre par écrit leurs compositions lyriques, ces strophes avaient évolué dans plus d’un sens : les formes primitives, abandonnées alors ou déjà ou- bliées par les lettrés, ne peuvent bien souvent se retrouver que dans la tradition populaire, qu’on n’a songé à recueillir que bien plus tard. Mais il est fort douteux qu’elles s’y soient toutes con- servées. 11 n’est pas sur, d’autre part, que toutes les formes sim- ples qu’on y rencontre soient des formes anciennes, primitives : 011 peut avoir affaire dans plus d’un cas à une simplification ulté- rieure de formes complexes et par conséquent tardives, qu’il y ait là tout bonnement eiïet de l’usure, manque de mémoire, dé- gradation due à la maladresse populaire, ou suppression amenée par une exécution différente, telle que le chant sans danse, sans intervention d’un chœur, etc. Quand il n’y a pas de refrain, par exemple, est-ce parce que la strophe n’en comportait pas à l’ori- gine? Est-ce parce qu’elle en a été allégée plus tard, qu’elle l’a remplacé par des vers où se continue l’histoire (cf. p. 88 s.)? Même si toutes les formes primitives s’étaient conservées in- tactes dans la chanson populaire et qu’il n’y eût pas de doute sur leur antiquité, nous n’en serions pas moins incapables d’éta- blir à coup sùr leur ordre chronologique et par conséquent leur filiation. Les simples ont du précéder les complexes, nous pouvons le croire. Mais l’évolution ne s’est pas accomplie en ligne droite : 168 LE VEIIS FRANÇAIS elle s’est produite dans plusieurs directions, qui n’ont pas laissé de se croiser, sans compter qu’on a pu quelquefois arriver à une même forme par des voies différentes. * ** Nous sommes tentés de voir dans les transformations succes- sives d’une strophe une série de tâtonnements, qui a fini par aboutir à quelque chose de régulier, d’achevé. C’est là une illu- sion : elle vient de ce que nous connaissons le dernier chaînon, la structure finale, dont les autres ne nous apparaissent que comme des ébauches. Nous aurions tort de nous représenter les poètes en train d’errer, incertains, à la poursuite d’un type idéal : au gré de l’inspiration, parfois même au cours d’une danse, ils modifiaient les formes connues sans viser ni voir plus loin. Aussi ne faut-il pas regarder toujours comme fautes du copiste les irrégularités que présentent certaines strophes par rapport à d’autres : peut-être ne sont-elles qu’un reste, une continuation ou une modification moins heureuse, moins viable, du « modèle » ancien.

N oublions pas, d’ailleurs, que « the survival of the fittest » a pu être déterminé par un facteur étranger au texte, par la musique. La musique et la danse ont joué un rôle important, prépondérant même, dans la création et l’évolution des strophes. Malheureusement, — bien que nous soyons mieux partagés à cet égard que tant d’autres nations, — la mélodie de beaucoup de nos vieilles chansons ne nous est pas parvenue avec les pa- roles, et dans les autres cas elle n’a été que rarement publiée. Pour les chansons conservées dans le peuple, les collecteurs ont bien pris soin de la noter, en général du moins, mais trop sou- vent avec peu d’exactitude, surtout peut-être au point de vue du rythme. Il s’en faut donc, et de beaucoup, que nous Trouvions de ce côté toute l’aide désirable, tous les éclaircissements néces- saires. Ajoutons que la ligne de la mélodie s’altère facilement dans la transmission orale. On peut essayer d’en reconstruire le contour original par la comparaison critique de plusieurs variantes. Mais, pour établir mes schémas, je serai presque tou- jours forcé de m’en rapporter à une seule version, peut-être défectueuse et plus ou moins exactement recueillie. Dans bien des cas, on ne peut retrouver un air populaire sous sa forme ancienne qu’en le dégageant d’une œuvre polyphonique, où l’on a tout lieu de craindre que le compositeur ne lui ait imposé, en particulier au point de vue du rythme, des variations parfois LIVRE IV assez difficiles à reconnaître et surtout à éliminer. C’est extrait purement et simplement de pareils morceaux, dénaturé par suite, <|ue plus d’un nous a été conservé dans les recueils tels que le manuscrit de Bayeux ou le manuscrit du même siècle, (1 u xv , publié par Gaston Paris1. J’en ai cité un autre exemple : la transcription de la « Belle au pied de la Tour » par le notaire Taillefer (p. 131). Les changements apportés à l’exécution, je l’ai dit, ont aussi entraîné des modifications importantes dans la forme des strophes. Au début, nous avons aiTaire à des chansons de danse : celui ou celle qui mène la carole chante le prélude et l’histoire, les autres danseurs se bornant à reprendre en chœur le refrain cl quelquefois un fragment de chaque couplet. De là, on le com- prend, la faveur, la popularité dont jouissent les chante-avant, — comme dame Lyesse dans le Roman de la Rose (v. 731 s.), — qui ont de l’entrain et qui savent par cœur beaucoup de chan- sons intéressantes ou, mieux encore, sont en état d’en composer eux-mêmes. Aussi garde-t-on dans certaines familles, aux Féroé par exemple, des chansons qu’on se transmet de père en fils et qu’on ne chante pas trop souvent en public, de peur que d’autres ne les apprennent ainsi. Il y en a, malgré tout, qui deviennent peu à peu la propriété commune d’un milieu, d’une contrée, d’un pays. Tous ceux qui les savent, et c’est bientôt tout le monde, les chantent tout entières en chœur, soit aux danses, soit aux veillées, soit en d’autres occasions, au lieu de s’en tenir, comme avant, au refrain et à diverses répétitions. Refrain et répétitions perdent alors leur raison d’être : comme, d’autre part, ils interrompent le cours du récit, la suite des idées, ils tendent à disparaître, à moins qu’ils ne s’imposent par la beauté, le piquant, le brio, l’agrément des paroles et sur- tout peut-être de la musique. Cette tendance se renforce encore, cela va sans dire, quand les vieilles caroles sont chantées, en dehors de la danse, par une seule personne. Refrain et répéti- tions se maintiennent pourtant d’ordinaire, parce que, du fait de leur disparition, la mélodie et le mètre traditionnels se trou- veraient écourtés, mutilés. Mais lorsqu’un poète compose une nouvelle chanson sur cette mélodie ou au moins dans ce mètre, il peut éviter de les défi- gurer ainsi et donner en même temps plus de consistance à son poème, plus d’unité, en remplaçant refrain et répétitions par des vers qui en conservent tout simplement la forme, rien que la forme, tandis que par le sens ils s’incorporent au texte même, à l’histoire, au développement du thème choisi. Cette évolution 170 LE VERS FRANÇAIS se produit souvent peu à peu, dans une suite de chansons, et nous pourrons alors la suivre pas à pas, quand il ne nous man- quera aucun des chaînons. Mais qu’elle s’efTectue ainsi par degrés ou qu’elle apparaisse tout d’un coup, c’est presque tou- jours de l’effet que nous sommes forcés d’induire la cause, au lieu de descendre avec sûreté de la cause à l’effet. En tenant compte des considérations précédentes, on peut essayer d’établir dans ses grandes lignes la généalogie de nos strophes. Les faits sont nombreux, trop nombreux même et trop éparpillés pour qu’il soit dès à présent possible de les embrasser tous. Mais pour les classer dans le temps, faute de dates ou indices chronologiques suffisants, on en est souvent réduit à des hypothèses, et c’est toujours uniquement par des hypothèses qu’on peut les expliquer. Heureusement, si certaines de ces hypo- thèses ne sont que plus ou moins plausibles, il y en a qui s’im- posent.

Ici, d’ailleurs, il ne s’agit aucunement d une histoire de nos vieilles strophes, mais d’aperçus destinés à éclairer leurs rapports entre elles et avec celles de poésies étrangères. Nous n’avons pas non plus à nous occuper des strophes com- plexes. des strophes savantes, personnelles et presque toujours sans viabilité, où troubadours et trouvères se plaisaient à dé- ployer leur ingéniosité « créatrice ». Mais, comme je l’ai déjà rappelé, elles ont toujours comme base, comme point de départ, une des strophes primitives et durables, qui seules nous inté- ressent. Souvent même, elles les reproduisent telles quelles, ou à peu près, dans leur première ou leur seconde partie, dans leur première surtout. Nous y trouvons donc des renseignements utiles pour notre étude des premiers vers français. Avant d’entrer dans le détail, il ne sera pas inutile de rappeler brièvement certains aspects de notre versification et d’indiquer en deux mots comment je les nomme et les représente. Un poème se divise en strophes quand les vers se répar- tissent en groupes de forme semblable. Il y a des strophes tra- ditionnelles, qui se reconnaissent comme telles même quand elles

s emploient isolément. Les vers français se distinguent d’abord les uns des autres par le nombre des syllabes, abstraction faite de l’inaccentuée par laquelle ils peuvent se terminer. Suivant la présence ou l’absence de cette inaccentuée finale, ils s’appellent féminins LIVRE IV 171 ou masculins. Je désignerai les rimes masculines par des con- sonnes et les féminines par des voyelles, en réservant x et y aux formes sans rime, x aux masculines, y aux féminines. Je note en chiffres le nombre des syllabes « qui comptent dans la mesure »: S (octosyllabe), 8b (octosyllabe masculin avec rime), 8x (octo- syllabe masculin sans rime), 8a.8a ou simplement 8aa (deux octosyllabes féminins de même rime), 8a.8e ou simplement 8ae (deux octosyllabes féminins de rime différente). Far rime j’entendrai dans les définitions générales la rime complète, qui comprend toute la terminaison à partir (au moins) de la voyelle de la dernière syllabe accentuée, et la rime pure- ment vocalique, ou assonance, qui ne porte que sur les voyelles à partir du même endroit. Quand on cite deux mots comme rimant ensemble, on les unit par « deux points » : rivages:àges, retour: jour. Certains vers sont partagés par une coupe fixe, une césure, en deux membres égaux ou inégaux : 6 -j- 6 (alexandrin), 4 + 6, C> _(_ 4, 5 -f- 5, etc. On leur donne le nom de vers composés, longs vers, grands vers; aux autres, celui de vers simples, vers courts, petits vers. Je dirai ; grands vers, petits vers2. Quand il s’agit de grands vers, on ne compte pas non plus dans le nombre des syllabes l’inaccentuée par laquelle peut se terminer le premier membre. Ainsi, les vers suivants sont des vers de quatorze syllabes à césure féminine, c’est-à-dire 7 -f 7, plus exactement 7y -|- 7b : Tous les jours il faut que j’aille mener paître les moutons. Et quand je suis revenue, l’on me dit celte chanson : Ballard, Iirxineites. II, p. 290. Tout grand vers peut se résoudre en deux petits par l’intro- duction d’une rime à la césure : Suis-je pas bien misérable de passer ainsi mon temps? Soit aux champs, soit à l’étable, on me dit incessamment : Ib. Ainsi, le 7y + 7b se trouve résolu en 7a7b, ou 7ab. Dans la chanson citée, la résolution est exceptionnelle : elle n’a lieu i|iie dans une seule strophe. Il ne s’agit donc pas d’un nouveau mètre, mais d’un simple ornement, fortuit ou recherché, à l’in- érieur de l’ancien. Il y en a des exemples dans notre vieille .oésie aussi bien que dans notre chanson populaire : Bele Aiglentine en roial chamberine... Romance du xn* siècle (Bartsch, I, n° 2). Melz voeill mûrir que huntage me venget. I»or ben ferir lYmperere nus aimet 3. Roland, v. 1091-92. LE VERS FRANÇAIS La rime à la césure s’appelle léonine ou brisée suivant que riment ensemble les deux hémistiches d’un même vers, comme dans le premier exemple, ou les hémistiches impairs de vers consécutifs, comme dans le second. Le nom de la rime brisée lui vient de ce que les deux rimes à la césure sont séparées par la rime finale du premier vers. Tant que la résolution est sporadique, le mètre du morceau ou des passages considérés, dans la responsion par exemple, est toujours bien un grand vers et non deux petits. Il va sans dire que le grand vers est antérieur à sa résolution. Même une fois résolu régulièrement, il continue plus ou moins longtemps à former une véritable unité au point de vue du sens et de la mélodie. La rime brisée régulière, qui transforme deux grands vers à rimes suivies en quatre petits vers à rimes croi- sées, n’apparaît pas dans notre littérature avant le xir siècle. Je rappelle que dans cette étude les grands vers non résolus sont imprimés sur une seule ligne, avec un blanc entre les hémis- tiches, et les grands vers résolus sur une seule ligne également, du moins autant que possible, mais avec un tiret entre les deux petits vers. Que chaque membre soit ou non sur une ligne à part, je ne mets de majuscule qu’au premier, même en cas de résolu- tion. toutes les fois, du moins, qu’il vaut la peine de signaler que le reste est (originairement) la fin d’un grand vers. Puisque la mélodie a joué un rôle considérable dans l’évo- lution de nos strophes, il importe quelquefois d’en indiquer les formes. 11 suffit en général de représenter par des lettres grecques, — a (alpha), $ (bêta), v (gamma), 5 (delta), etc., — les motifs mélodiques de quelque étendue, période ou phrase, qui correspondent, par exemple, à un grand vers : (a) Au clair do la lune. — mon ami Pierrot, (a) Prête-moi la plume — pour écrire un mot. Quant aux subdivisions, nous pouvons les faire suivre de carac- tères grecs à partir de o (omikron): o,t: (pi), p (rho), * (sigma), ? (tau), etc. : a Au clair de la lune (o), — mon ami Pierrot (rc), a Prête-moi ta plume (o) — pour écrire un mot (s). Dans chacun de ces deux vers, la même phrase musicale a se divise donc en deux demi-phrases, o et t.: % = o + n, ou, plus sim- plement, 1 = Ott. LIVRE IV 173 Quand un motif varie légèrement, on le représente encore par la même lettre grecque, mais en la flanquant d’un indice : (a) Il pleut, il pleut, bergère,...

(a3) Voici, voici l orage... Dans le second vers, il n’y a de changé que les deux dernières notes. La modification est quelquefois plus considérable. Au lieu de donner ces indications au fur et à mesure, il m’a semblé préférable de les rassembler ici, afin qu’on sache au besoin où les retrouver. Avant de passer enfin à l’étude de la strophe sous ses diverses formes primitives, rappelons encore que dans celle de nos chan- sons il faut distinguer entre le corps de la strophe, appelé en général couplet, et le refrain. Le couplet, comme l’implique l’étymologie, c’est à l’origine une couple de vers qui se suivent et riment ensemble, c’est deux vers accouplés par la rime. Ce premier sens, le mot l’a encore on français, au moins d’après les dictionnaires, et il n’en a pas

d autre en anglais, où il n’a pourtant été importé de chez nous que relativement tard. S’il en est venu dans notre langue à dési- gner le corps de la strophe dans les chansons, c’est justement que toujours au début, en règle générale par la suite, le corps de la strophe se composait de deux vers dans nos chansons populaires, et que le nom de couplet lui est resté alors que ce nombre s’élevait à trois, quatre et même davantage. Je prendrai toujours couplet dans son sens premier, celui de deux vers accouplés par la rime, mais en l’appliquant uniquement, sauf indication contraire, aux vers ainsi accouplés dans le corps de la strophe ou dans un poème non strophique. CHAPITRE XII Le couplet I. — Le couplet simple Les plus simples des premières strophes attestées dans nos enrôles, dans nos chansons « populaires », comprennent un cou- plet de grands vers assonancés et un refrain : Boeve chevalchout par la forest verte, Enmenout od sei Mersendain la bele. Qued estums? — Pur quei n’alunis7 Relraduction. Le couplet a la môme forme en latin (v. p. 24).

Ronaus e( s amie chevauche el pré, Tote nuit chevauche jusqu’au jour cler. Ja n’arrai mrs joie de vos amer. C’est également le couplet de grands vers assonancés que nous trouvons dans nos plus vieux poèmes littéraires : sans résolution dans Eulalie (ix* siècle)1, avec résolution dans la Passion (\r siècle); dans le Saint Léger Cx* siècle), le couplet s’est élargi en triplet, peut-être en remplacement du refrain. Si nous tenons compte des imitations probables do notre versification sous forme latine, c’est le couplet de grands vers qui apparaît

aussi, malgré l’assonance continue, dans la cantilène de saint

Faron (ix siècle) et dans les séquences de Limoges (x -xm* siècles). Dans les autres cas, seuls indiscutables, l’assonance ou la rime varie de couplet en couplet. Cette forme remonte sans doute aux origines : les rhythmi les plus anciens, — antérieurs aux imitations religieuses ou profanes des lettrés, — étaient déjà composés en couplets de grands vers (v., par exemple, p. 19). Comme, en outre, le refrain devait figurer dans les premiers modèles français des strophes qui ont survécu chez nous, c’est-à- dire dans nos anciennes chansons à danser, nos caroles primi- tives. nous avons lieu de penser que dans notre pays le point de départ accessible de l’évolution est représenté par les exemples cités en tête de ce chapitre, savoir : deux grands vers unis en couplet par l’assonance, qui varie, et un troisième, semblable ou différent, pour le refrain. Avec sa division en trois unités de même espèce, la strophe est matériellement tripartie; mais, comme les deux premières de ces unités forment par le sens LIVRE IV 175 et dans l’exécution un tout bien distinct, le couplet, on peut aussi la regarder comme bipartie. Nos troubadours et surtout nos trouvères, ainsi que leurs imitateurs allemands, ont conservé cette structure dans beaucoup de leurs strophes, en employant comme base ou pedes le couplet avec ses deux parties, telles quelles ou augmentées, et en substituant presque toujours au refrain, en son rôle de cauda, un ou plusieurs vers variables et rattachés au contexte. Puisque nous avons dès le commencement du x° siècle au plus tard un exemple de refrain, et de refrain complexe, il se peut, comme je viens de le dire, que l’auteur du Suint I.écfer ait déjà procédé ainsi : x Domine Dieu devems loder — et a sos sanz honor porter, a Km sue amor cantoms dots sanz — qui por lui avrent granz’aanz. i El or est temps et si est biens — que nos cantoms de sant Ledgipr *. V. 1-6 (cf. Bartsch, I, n° 42, etc.). i L’autrier quant je chevauchoie desouz I’onbre d’un praël, a Trouvai gentil pastorele, les euz verz, le chief blondel, Vestue d’un bliaudel, La color fresche et vermeille, de roses fet un chapel5. Bartsch, I, n° 69, et Spanke, ch. XCV (musique, p. 427). Dans la lyrique courtoise, comme on sait, la tripartition a passé de la strophe à la chanson entière. Quant à la tripartition de la strophe primitive et restée popu- laire, elle s’accorde avec celle de la danse : dans les rondeaux de, carole et dans les chansons à danser de Mangeant, la strophe correspond à trois figures de branle double ou de branle simple, deux pour le couplet (avec ou sans insertions), une pour le refrain. Quelle était à l’origine la forme mélodique de cette strophe ? La plus simple consiste à chanter chacun des deux grands vers et le refrain sur les mêmes notes. C’est celle que présente en réalité, si l’on tient compte de < l’exécution », ce couplet de danse ou prélude plusieurs fois cité : i Dans mon jardin j’ai un rosier — qui porte fleur au mois de mai. a Entrez en danse, et Ion Ion la, — et embrassez qui vous plaira. i Entrez en danse, et Ion Ion la. — et embrassez qui vous plaira. * « Restitution » de Gaston Paris. — Ms. : Domine deu douemps j lauder. et asos sancz | honor porter, insuamor cantonips 1 delsanz quae por lui augrent irranz aanz. etorestemps ctsi est biens. quaenos cantumps | do sant lelhgier. Foerster-Koschwitz, cot. 77). 170 LE VERS FRANÇAIS Mieux vaut prendre comme exemple ce prélude restitué : (a) Au jardrin de mon père il y croist un rousier. ^a1 Aymez moy, ma mignonne, aymez moy sans danger. la1 Aymez moy, ma mignonne, aymez moy sans danger *. Ce prélude impose sa forme aux autres strophes : deux grands vers de même assonance après lesquels on répète le refrain, ce qui donne pour l’assonance, selon qu’elle est, dans les couplets, variable ou continue, la forme bbx ou bbb, et pour la mélodie la forme axa. Comme le second vers du couplet n’est pas le même dans les autres strophes que celui du refrain, on est amené par

l analogie à le changer dans le prélude, à y mettre des paroles nouvelles :

Troys jeunes damoiselles sy s i vont umbraiger. Revenons à la mélodie. Elle peut évoluer dans trois sens. Premier type La forme aaa ne saurait en général se maintenir longtemps : tandis que la cadence est d’ordinaire suspensive dans les vers du couplet, il faut qu’elle soit conclusive dans le refrain. On a ainsi aaa... Cette différence ne peut guère laisser de s’étendre, de s’accroître, soit par suite d’une reproduction imparfaite, soit afin de mettre dans le chant quelque variété, soit par l’emploi de refrains pris à d’autres chansons, de refrains passe-partout. De là la forme aa£ : (a) Au jardrin de mon père il y croist un rousier. • al Troys jeunes damoiselles sy s’i vont umbraiger. Aymez moy, ma mignonne, aymez moy sans danger. Paris, XV* siècle, ch. LXXXI. • La période musicale aa^ recherchée d’ailleurs pour elle-même, a servi de base pendant tout le moyen âge à de nombreuses formes mélodiques, à de nombreuses formes de mètres, de stro- phes (v. Nef, p. 37). C’est probablement celle que présentaient nos deux plus vieilles strophes de carole (v. p. 174). Elle se retrouve dans les ballades Scandinaves®, souvent avec les traces d’une ressemblance, d’une identité primitive entre a et 37. Elle n’y peut guère dériver du plain-chant, où elle n’apparaît que rarement et sous une forme plus développée, par exemple dans quelques séquences8, qui la tiennent sans doute à l’origine de notre chanson « populaire ». Chez nous, en tout cas, elle est * Sans danger « sans (faire de) difficulté » LIVRE IV 177 le point de départ de la rotrouenge, que nous trouvons dans la plupart de nos vieilles romances et dans un assez grand nombre d’autres chansons du xir siècle; elle sert très souvent de base à la strophe complexe de nos trouvères (v. p. 175). Nous pouvons la regarder comme la forme primitive de la strophe dans notre poésie. Deuxième type Le second vers du couplet, puisque le sens s’y termine, peut déjà différer du premier dans le prélude par sa cadence, une cadence conclusive, finale, qu’il garde par suite en servant de refrain. La strophe entière reçoit ainsi une mélodie de la forme aa,x0. Dans une version de la c Danseuse noyée », par exemple, comme il ressort d’une comparaison avec la variante la plus répandue, — le motif musical d’abord commun aux trois vers n’a été conservé que par le premier, tandis que pour les deux autres il a évolué en adoptant une cadence plus nettement conclusive : (a) A la Rochelle (o) il y a-t-un bal dressé (oj, (a ) Tonies les fdles (o) y vont le soir danser (s).

(a.) Celui que j aime (o), je n’saurais l’oublier (^). « Bal de Saintonge * » (Bujeaud, I. p. 154). On passe facilement de là, pour les raisons énumérées dans le cas du premier type, à la forme a#P : (a) M’amye est tant belle, si bonne façon,

(£j Blanche comme neige, droit o comme un jon.

(p) Eu baisant m amye, j ay ruilly la fleur. Paris, XV* siècle, ch. CXLII. Troisième type

Si nous partons d’un prélude dont l antécédent a fourni le refrain, la mélodie de la strophe peut présenter, par une diffé- renciation du deuxième vers, la forme »¡te, « qui paraît être

l une des plus naturelles en musique », et qui est « l’une des plus employées dans les temps modernes» (Nef9): I

(a) Il s en est allé Nicolas, mais il est revenu Jean.

ip Quand il est à la taverne, c est toujours pour quelque temps, a) Il s’en est allé .Y¡colas, mais il est rerenu Jean. Bal lard, Rondes, I, p. 66. — Tous les couplais commencent par

le mf me vers. * Danse « vive, très populaire en Angoumois, dans l’Aunis et dans certaines • ontrées du Poitou ■> iBujeaud, 1, p. 136). P. Verrier. — Le Vers français. — /. 178 LE VERS FRANÇAIS (a) Lorsque son amant va la voir, il la trouve endormie; (p) Il lui d’manda un doux baiser, la bolI’ se mit à rire (

(a) J’aime la malonderira. j aime le mot à vire. Rolland, n° CLXYI1 c (I. Il, p. 239). Ici, comme dans plusieurs autres chansons, l’exclamation « voyez-vous ! » s’ajoute en coda à la fin du couplet pour « donner la répliqué », comme on dit au théâtre, pour donner le signal du refrain, que le chœur entonne immédiatement sur la formule mélodique par où le chante-avant vient de terminer (sol sol sol fa), mais avec plus d’élan, en la haussant d’un ton (la la la sol...). « Voyez-vous > se rattache bien au couplet par la mélodie, qu’il conclut suspensivement sur la médiante, et il est en dehors du système d’assonance continue qui relie d’autre part le couplet au refrain. C’est avec ce dernier qu’on a fini par le confondre, parce que, comme lui, il se répète périodique- ment et que par suite il ne s’en distingue pas quand la chanson est chantée tout entière solo ou par « tout le monde ». Aussi a-t-il cessé à la longue de répondre à son but : il n’a plus été conservé ou imité (pie comme ornement, sans qu’on en soup- çonne même l’origine. C’est ainsi, — je m’excuse de cette com- paraison quelque peu terre à terre, — c’est ainsi que la redin- gote a aussi gardé, comme simple parure aux yeux de presque tout le monde, les deux boutons qu’on a mis au bas du dos pour y accrocher les basques, alors qu’elle se portait vraiment, en conformité avec son nom, riding-coat, pour monter à cheval. Mais, pas plus que sur le rôle primitif de ces boutons, il ne saurait y avoir de doute sur la nature du mot-signal, du vers- signal. Nous en retrouverons plusieurs fois des exemples et de mieux caractérisés. Je les désignerai, comme ci-dessus, par des caractères gras. Le mot-signal est aussi en dehors de la formule mélodique, qui appartient bien dans la strophe citée au type ajîx. Je ne la cite, naturellement, que pour montrer par un exemple concret à quelle forme a pu aboutir jadis l’évolution dont il s’agit ici. Il va sans dire que dans ce cas particulier et récent, la mélodie a pu être imposée au premier vers par le refrain, non inversement, ou simplement empruntée à une autre chanson. Il va sans dire, également, que le premier vers et le refrain en viennent facilement dans ce troisième type aà différer par la cadence et que cette différence peut s’étendre aux notes pré- cédentes. Voici une strophe dont le premier vers et le refrain présentent dans leur seconde moitié les mêmes formes mélo- LIVRE IV 170 diques <1 ne ceux de l’exemple, — « Bal de Saintonge », — cité pour le deuxième type. (a) Derrière chez mon père (o2) il y a-t-un étang (o2).

(3) Trois jeunes demoiselles (ç>) s’en vont s’y promenant fa).

(a2) Vous qui menez la ronilc (o0 , menez-la rondement (r0 . Bujeaud, I, p. 131. Conclusion aa{}, voilà donc les trois formes musicales, les trois types mélodiques qui ont dû s’imposer le plus naturellement à nos strophes primitives, composées d’un couplet de grands vers et d’un refrain. Dans la reprise de a ou de comme je l’ai signalé, il s’est d’ordinaire introduit peu à peu des variations diverses, surtout aux cadences, et ces variations ont souvent fini par en modifier complètement la ligne, par transformer indistinctement les trois types en : (a.) Mon père ol ma mère leur fov ont juré

({î i Que dans six semaines je me marieray. (y) Au joly bois m’en vois, au joly bois j’iray.

Fessier, Le premier livre de chansons et airs de court. Londres. 1597 (Rolland, t. II, p. S4), et Airs et Vilanelles, 1597 (Gérold, ch. XXV). Les grands vers du couplet peuvent être résolus sporadi- quement ou sans exception. Il n’y a vraiment résolution, chan- gement de mètre, que dans le dernier cas. C’est sous cette forme qu’apparaît dans nos textes le premier exemple de strophe simple régulière : (a. Oie vos di veire raizon — de Jesu Christi passion : iji) Les sos ahanz voil remembrer, — per que cest mund tôt at salvet. La Passion (x* siècle), restitution de Lücking *. Cette strophe n’a pas de refrain. Il en existait certainement de semblables dans la poésie populaire des Romains, des Gallo- Romains, et elles se sont non moins certainement conservées dans la nôtre pour accompagner la danse, d’abord sans refrain, comme couplets de danse, puis avec refrain. De très bonne heure, elles ont passé de là dans la poésie littéraire, celle des lettrés, * Manuscrit : Hora uos die uera raizun de iesuxpi | passiun. Ios?os. affan z. uni remembrai- | per qug cest mund tôt asaluad. — Les strophes sont séparées : elles commencent par une majuscule. 180 LE VERS FRANÇAIS mais en reperdant le refrain, comme dans la Passion, ou en le

remplaçant par un grand vers rattaché à l histoire, comme peut- être dans le Saint Léger. On a donné le nom de complaintes aux chansons populaires rédigées dans la même strophe que la Passion : « le Roi Re- naud », « la Fille du Roi Louis », « Renaud le Tueur de Femmes », « Saint Nicolas et les Enfants au saloir », etc. A cause de la forme, en particulier l’absence de refrain, et surtout peut- être à cause du fond, une aventure tragique, on croit que les complaintes n’ont pas été composées pour la danse. Entendons-

nous : qu’il s’agisse de complaintes ou de ce qu on leur oppose en général sous le nom de « chansons à danser », nombre de nos chansons populaires, pour ne rien dire des autres, n’ont jamais eu pour but de mener les rondes. Mais la complainte est aussi il l’origine une chanson à danser (v. p. 107). Les quatre ci-dessus nommées ont passé à ce titre en Scandinavie et s’y sont longtemps dansées, s’y dansent encore en partie de nos jours. Toutes les quatre, elles ont conservé en France un même rythme d’origine évidemment orchestique. On a fini chez nous par préférer dans les rondes les baleries gaies, les chansons amu- santes, et par réserver les « complaintes » à des occasions mieux appropriées que le divertissement de la danse. Ce sont elles également que psalmodiaient encore au siècle dernier les chan- teurs ambulants, les « chanteurs de complaintes », sur les places des bourgs et des villages, aux jours de foire ou de marché, en montrant avec une baguette, sur un tableau peinturluré, les scènes touchantes ou tragiques de « l’histoire ». Et le public, j’en ai été témoin, écoutait dans un silence attentif. Nous voilà bien loin des rondes au refrain chanté en chœur. Les com- plaintes n’en représentent pas moins le type authentique de l’an- cienne carole, de la carole primitive. Quant à la forme, remarquons d’abord que l’absence de refrain s’explique par les mêmes circonstances. 11 tend à dis- paraître dans les chansons quand elles viennent à être chantées solo hors de la danse : il perd alors toute son utilité, il ne fait que gêner en interrompant l’histoire à chaque instant, quand histoire il y a et histoire captivante. Le couplet lui-même des complaintes, c’est-à-dire le vieux couplet résolu de la Passion (x® siècle), nous le retrouvons non seulement dédoublé, et dans les ballades Scandinaves, qui leur ont plus d’une fois emprunté leur sujet, et dans nombre de nos chansons à danser populaires, mais encore tel quel dans « Marianson », qui tout récemment encore se chantait aux rondes (v. p. 107), dans « Saint Nicolas et les Enfants au saloir », qui a conservé son refrain, dans « Renaud le Tueur de Femmes », qui l’a remplacé par la répé- LIVRE IV 181 tition des deux derniers octosyllabes, et dans le couplet de danse, encore dansé aujourd’hui, que j’ai cité plusieurs fois (« Dans mon jardin j’ai un rosier », v. p. 175). Le refrain, d’ailleurs, ne s’est-il pas perdu aussi dans des chansons, d un autre mètre, qui sont dûment attestées et géné- ralement reconnues comme chansons de danse ? Nommons seu- lement «la Péronnelle» et «la Belle Barbière de Paris». Il est vrai (pie le refrain a d’abord été remplacé par la répétition du second hémistiche de chaque grand vers, mais cette répétition a disparu elle-même dans la plupart des versions, dès le xv* siècle pour « la Péronnelle »,0. * ** \ y Il y a des chansons à danser plus vieilles encore, des caroles, des baleries, qui nous ont été transmises sans refrain. Il serait hasardé de prétendre qu’elles n’en ont jamais eu. Dans le « Jeu du Chapelet », où il y a deux chante-avant, un chevalier et une dame, les couplets devaient être accompagnés par le chœur d’un refrain plus ou moins long, que Jacques Brétel ne nous a pas conservé dans sa description de cette balerie : Sire, qu’en afiert il a vos? Ne vos voi pas bien saige. J’ai fait mon chapelet jolif la jus en cel boscaige. Chauvcnci, v. 4395 s. Naië. Se je ne l’ai très bon, j’i avroië darnaige. J’aim miex mon chapelet de Hors que malvais mariaige. Ibv. 4411 s. Biau sire, et car le m’amenez la jus en cel boscaige. Ja m’en vois; vos m’i troverez sëante sor l’erbaige. /&., v. 4417. Dans le dernier couplet les deux grands vers sont résolus en quatre petits par la rime brisée. Cette résolution est encore plus nette dans un autre passage. Elle apparaît dès le xn* siècle dans le même mètre, chez Gace Brûlé par exemple : (a) Quand je voi le douz lens venir, — que faut nois et gelée,

^a) El j oi ces oisellons tentir, — el bois souz la ramée, Spanke, n° XCVI, et Beck, p. 118. Ce n’est point par la rime brisée qu’a été d’abord résolu ce grand vers, le 8x-f6a, c’est par une autre. Il ne s’agit pas de la rime léonine, qui est impossible dans ce mètre à membres de genre opposé, mais d’une rime à la quatrième et à la huitième syllabe. Cette résolution a été de bonne heure populaire : Hilaire, disciple d’Abélard, l’imitait déjà en latin, et les trouvères du 182 LE VERS FRANÇAIS même siècle ne l’admettaient plus qu’enrichie en outre de la

rime brisée. Voici la première partie d une strophe de pastourelle:

(a Par le temps bel — d un mai nouvel — l’autre jor chevauchoie; (a) Joste un bosquel — truis pastorel, — soz un arbre s’onbroie. Bartsch, II, n° 58. e( Spanke, n° XXII. J’ai proposé de donner à cette rime intérieure le nom de rime baielèe n. Le pendant germanique de notre couplet de 8-j-6 non résolus (8x-f-6a) se rencontre dans un très grand nombre de vieilles ballades anglaises, Scandinaves et allemandes : en Angleterre, on l’appelle même bnllad metre. La résolution par la rime brisée (8b-|-6a) est très rare et relativement très tardive en Scandinavie, mais assez fréquente en Angleterre et en Allemagne. La résolu- tion par la rime batelée (4b-f4b-|-6a) a fleuri en Angleterre dans les ballades, et les Allemands s’en sont beaucoup servis au moyen âge; les Scandinaves ne l’ont pas introduite dans leurs folkeviser, ou folkvisor. Il m’a semblé utile de montrer, par cet exemple particulier, comment se résolvent nos couplets. Quels sont les mètres divers qu’on y emploie et de quelle manière, nous le verrons dans les Livres VI-VIII. Je me contente d’ajouter ici une remarque géné- rale. La plupart de nos couplets contiennent des grands vers de huit temps marqués, à raison de quatre par membre : ils correspondent ainsi à deux figures de branle double. C’est à deux figures de branle simple que correspondent plusieurs autres, par le nombre et la répartition des temps marqués, 44-2 dans chaque vers. Dès le commencement du xn° siècle, nous en trouvons des exemples dans notre poésie littéraire, et déjà sous forme résolue : c’est chez Guillaume IX (1087-1127), à la fin des chansons V, VI et \’II. La sixième se termine par un couplet de ce genre, que suit, comme en remplacement du refrain, un grand vers isolé de même rythme : IX. El quanl laie levât lo taulier, — empois los datz. E.ill duy foron cairavallier — e.l terz plombatz. X. E fi.ls fort ferir al taulier, — e fon joguatz. On ne dira pas, je l’espère, que je prends les cansos de Guil- laume IX pour des chansons à danser. Je constate simplement

qu on a carolé au chant de vers pareils aux précédents. II. — Répétition eY doublement Dans les chansons populaires, le « couplet s’augmente sou- vent par la répétition d’un vers ou d’une partie de vers. D’où LIVRE IV 183 viennent ces additions, il est facile de nous en rendre compte en observant ce qui se passe ailleurs. En Finlande, on se met d’ordinaire à deux pour chanter les « runot » du Kalévala : celui qui sait le poème par cœur chante à part chaque strophe, et son second la reprend, non sans y changer quelques mots. Ces modifications, qui provenaient sim- plement, à l’origine, d’une reproduction défectueuse, ont été par la suite érigées en règle. Dans ce cas, la répétition avait d’abord polir but unique de laisser au rhapsode le temps de se rappeler la strophe suivante. En d’autres pays et pour une autre sorte de poésie, le second au moins des chanteurs est remplacé par un chœur : dans ces conditions, la répétition a en outre et peut-être surtout pour but la participation de tous les assistants ou d’un grand nombre de personnes. Quand elle a lieu sans préparation ou bien avec une préparation insuffisante, elle ne doit guère s’étendre à plus d’un vers ou deux, sous peine de devenir impossible. Même ainsi limitée, elle ne saurait laisser d’être souvent fautive, d’altérer le texte. Mais ici encore, ces modifications peuvent s’imiter, sous une forme plus évoluée, comme principe de composition poétique, et donner naissance au parallélisme que nous trou- vons, par exemple, dans les psaumes. Chez nous également, il arrive plus d’une fois que le couplet est répété par le chœur. Dans une version du « Roi Renaud », dans « le conte de fils Louis », la répétition comporte même

des variations pour trois strophes sur dix-neuf, la 2 , la 3* et la 4* : II. En son chemin a rencontré — la mort qui lui a demandé : — A rencontré dans son chemin — la mort, qui lui dit pour certain : III. « Aimes-tu mieux mourir cett’ nuit — que d’être sept ans à languir? » — « Ai-m’s-tu mieux mourir à présent — que d’être sept ans lan- guissant? » V. p. 117 et 119. Ce genre de répétition, avec ou sans variation, remplace en pareil cas le refrain. C’est par le refrain, en effet, qu’est assurée dans nos chan- sons, depuis la carole, la participation du chœur au chant. On n’en a pas moins cherché à la multiplier par la répétition de certains vers ou fragments de vers. Cette répétition peut cepen- dant avoir pour cause première un manque de mémoire de la part du chante-avant : aux Féroé, quand il s aperçoit qu il va rester court, il répète le dernier vers chanté, une fois, deux fois au besoin, ou il le laisse répéter par le chœur. Ici encore, ce qui 184 LE VERS FRANÇAIS est d’abord une faute peut s’ériger en règle, — soit pour venir en aide à la mémoire ou à l’improvisation du soliste, soit pour donner aux autres danseurs l’occasion de prendre au chant part plus grande, soit plutôt pour les deux raisons, — et la répétition, qu’elle incombe au chante-avant ou au chœur, fait désormais partie de la strophe. Klle s’v intercale et en complique le dessin. Il en est de même des insertions que le chante-avant y intro- duit, incidemment d’abord et de prime saut, quand il en sent la nécessité, puis de propos délibéré et normalement, soit pour donner au chœur le signal du refrain, — « ALIons, tretous ! » ou « Voyez-vous ! », etc., — soit pour guider les évolutions de la danse, pour rappeler la figure 011 le mouvement à exécuter. La forme simple, originelle, n’en transparaît pas moins très nettement, comme le fond primitif, essentiel, à travers la bro- derie de ces complications secondaires. Celles-ci persistent en général quand le chant se réduit à un solo : elles font ainsi partie intégrante de la strophe et elles en déterminent le développement ultérieur. Dans ce chapitre, il suffira de signaler les répétitions les plus simples sans nous occuper pour l’instant ni du refrain ni des vers-signaux, qu’on est en général porté, hors de la danse, à y rattacher. Dans ces répétitions, la mélodie reste d’abord la même, mais elle peut varier ensuite plus ou moins légèrement. On bisse en bien des cas l’un des deux grands vers, à peu près exclusivement le premier : (1 Au jardin de mon père les lila^ sont fleuris, 1 Au jardin de mon père les lilas sonl fleuris. Tous les oiseaux du monde y vienn’ faire leur nid.

y Auprès de ma blonde, qu il fait bon, fait bon. fait bon. (y.,) Auprès rie ma blonrie, qu’il fait bon dormi! Il arrive mainte fois qu’on répète seulement l’hémistiche impair du grand vers, ou le premier petit vers. Nous en verrons

tout à l heure un exemple. Mais l’hémistiche pair se répète également tout seul, celui par exemple du second grand vers ou de tous les deux : a Dans Paris y a une barbière qui est plus belle que le jour, qui est plus belle que le jour.

3 Ce sonl trois jeunes gentilshommes, qui voudraient lui faire l amour, qui voudraient lui faire l amour. Doncieux, p. 254 et 492. Ce genre de répétition, qui incombe d’abord au chœur, lui LIVRE IV 185 donne l’occasion d’intervenir dans le chant : aussi le refrain disparaît-il souvent, en pareil cas, comme superflu. Il a, d’ail- leurs, l’inconvénient d’être asymétrique, de ne revenir qu’après l’une des répétitions, et l’on peut avoir quelque peine à se rap- peler laquelle. Si on le conserve, on l’intercale d’ordinaire après ou plutôt encore avant l’une et l’autre : (a) Trois jeun’s tambours s’en revenant de guerre, (£) — et ri et raii, rnn pataplan, — s’en revenant de guerre. (a) La AU’ du roi était à sa fenêtre, (¡3) — et ri et ran, ran pataplan, — était à sa fenêtre. Cf. Doncieux, p. 431 et 510, et, pour une autre chanson, Rolland, t. IV, p. 70 (n° CCVIa). Dans certaines versions de «Joli Tambour*, on bisse d’abord chaque grand vers tout entier (xxJJ xxJJ). On se contente parfois de répéter un fragment de quelques syllabes, qui se termine en général par une forte, à l’intérieur de l’hémistiche. Du second, par exemple, dans ce grand vers non résolu de seize syllabes (8y-(-8b) : fa 11 était un petit navire (©), il était un petit navire (o), 3 Dessus la mer, — ma Ion Ion la (z)! — dessus la mer s’en est allé (w2 . « La Courte Paille * » (Doncieux, p. 245 et 492). La répétition du premier hémistiche revenait sans doute d’abord au chœur. Dans l’exemple suivant, nous avons des paroles mises après coup sur un air de danse : Tremp’ ton pain, Marie ibis), tremp’ ton pain dans la sauce, Tremp’ ton pain, Marie (bis), tremp’ ton pain dans le vin. Ronde 12. Que ces diverses répétitions remontent dans le principe à l’une ou à l’autre des causes indiquées au paragraphe précédent, elles ont revêtu pour nous, grâce à l’habitude, un certain caractère esthétique et s’emploient sans doute en plus d’un cas pour cette seule raison. Mais, comme elles reviennent machinalement dans toutes les strophes et portent ainsi sur un fragment quelconque, — « sans jamais la (terre aborder) >, « les vivres vin-(rent à manquer) », — l’effet qui en résulte est d’une tout autre espèce que l’impression produite par ces vers de Musset : .T’ai dit h mon cœur, à mon faible cceur : N’est-ce point assez d’aimer sa maîtresse, Il m’a répondu : Ce n’est point assez. Ce n’est point assez d’aimer sa maîtresse. * V. p. lil et Livre III, note 117. 180 LE VERS FRANÇAIS Il est bon d’étudier toutes ces formes de répétition pour com- prendre l’évolution de la strophe. Ainsi, l’une des innovations les plus fréquentes consiste à remplacer la répétition par de nouvelles paroles, soit d’abord seulement en partie, ce qui peut provenir à l’origine d’une imitation défectueuse et être adopté ensuite comme variation voulue, soit complètement. La répétition peut incomber au soliste ou au chœur. Si c’est au chœur, il y a des chances pour qu’il s’en acquitte dans bien des cas assez mal, car tout le monde ne retient pas exactement du premier coup un lambeau de texte, à plus forte raison un grand vers, et afin de couper court à la cacophonie qui peut en résulter, le chante-avant n’a rien de mieux à faire que de re- prendre une autre fois la parole à ses compagnons en introduisant quelque chose de nouveau au lieu de la répétition. Si c’est le soliste qui doit bisser, il peut trouver plus intéressant de s’en dispenser pour continuer l’histoire. Dans les deux cas, afin de ne rien changer à la mélodie, il double le vers ou fragment de vers au lieu de le répéter. Ce genre de remplacement s’imposait en général dans les imitations plus ou moins littéraires qui em- pruntaient le mètre de la chanson à danser, mais qui n’étaient plus chantées que par une seule personne, en dehors de la danse, ou qui étaient destinées à la simple lecture. Dans les strophes en 8+6, résolus ou non, on répète assez souvent le premier hémistiche du premier grand vers. Il en est ainsi, d’après les versions conservées par le peuple, dans celles de la « Brebis sauvée du loup » :

(a) Derrièr’ chez nous l y a-t-un pré, (a) derrièr’ chez nous l’y a-t-un pré, (£) une joli’ bergère. (y) Avait ses moulons à garder (?,) le long de la rivière *. Fleury, p. 288. Dans la pastourelle mi-littéraire qu’on a recueillie au xv* siè- cle, mais qui remonte plus haut, la répétition a été remplacée par un nouveau petit vers, qui rime, avec changement complet de mélodie. Comme la pastourelle en question était à son tour de- venue populaire et se chantait sans doute aux rondes, le petit Primitivement : « la lisière » (d’un bois,. V. p. 139. — La rime des deux hémistiches masculins est accidentelle et n’apparaît plus que dans la strophe II. LIVRE IV 1K7 vers initial n’a pas tardé à se répéter de nouveau et sur un air presque entièrement différent : I. (a) L’autrier quand je chevauchoys, (a2) l’autrier quand je chevauchoys

(P = on^ à l orée d’un vert boys, (y) trouvay gave bergère : (JJ = oit) De lant loin qu’ouy sa voix (a3) je l’ay araisonnée, (y) Tanderelo ! * (3 = yit) «-Dieu vous adjust, bergère! (aa) Dieu vous adjust, bergère! >» II. Tandis que l’araisonoys {bis), ung grant lou saillit du boys o la goulle baée. La plus belle des brebiz il en a emportée. Paris, XV* siècle, ch. XXIX. Dans les strophes I, III, V et VI, le premier hémistiche du second grand vers assone aussi : comme le montre le style en ces endroits, c’est une innovation du poète qui a transformé la primitive et objective « chanson d’histoire » en une sorte de pas- tourelle. Il s’en est abstenu, et pour cause, dans les strophes II et IV, où il a conservé intact le second grand vers de l’original (cf. p. 139). Dans le pastiche latin, tous les petits vers sont pour- vus de la rime (v. p. 140). L’hémistiche initial du couplet de 8-j-6 est également doublé, et avec rime, dans cette strophe, qui appartient au « Jeu du Chapelet * : Dame, vez ci le bacheler; de proesce ne sai son per : tenez, jp vos le baille ! Et a millor de lui trover fauriez vos bien sans faille. Chauvenci, v. 445-4 s. (cf. p. 181). Mais ce doublement est bien plus vieux : dans une chanson attribuée à Gace Brûlé (xne siècle), la strophe comprend deux couplets résolus de 8 —j— 6, sur les mêmes rimes, le premier sans * Mot-signal, ou imitation de mot-signal, ainsi que l’indiquent les notes (s ol, sol, fa, sol) sur lesquelles il se chante et sur lesquelles reprend le refrain, comme pour répondre à un appel. 1S8 LE VERS FRANÇAIS é et le second avec doublement. J’ai cité (p. 181) un exemple du premier. En voici un du second : (i Lors me fait ma dame sentir un mal dont ja ne quier garir

ne ja n en avrai mée, (v Entresqu’il li viengne a plaisir qu’el m’ait joie donée. (Spanke et Heck, /. c.) : — Mélodie : ¡à = (oro) y = (po). Cette strophe complexe se retrouve, au xv* siècle, dans la chanson CXXXIX du recueil de Paris, mais avec, pour base, le couplet de 8 -)- 4. ce vers du branle simple : (a) La nuit, le jour je suis en painne et grant tourment; (a J’av pis que la fièvre cartainne ou mal de dent : (^) Voulez savoir qui me demaine? (y hélas! ce sont amours certainne : quand Dieu plaira, (a) Avec la plus belle qui vive mon cueur sera. Dans cette chanson, comme deux fois dans la « pastourelle > recueillie aussi au xvr siècle, le premier hémistiche du dernier grand vers est resté sans rime. Mais en outre, il en est de même dans la plupart des strophes pour les deux grands vers qui vien- nent en tète. La. « pastourelle » en question commence dans la mélodie par trois « vers > fortement différenciés. La musique invitait donc, sans parler d’autres raisons, à mettre en pareil cas cette variété dans le texte, c’est-à-dire à doubler le premier petit vers au lieu de le répéter. On aboutit ainsi à la forme suivante, qui a pour base le couplet de 8-f-4 et qui s’accorde avec le branle composé dont j’ai parlé p. 38 : En Alvernhe, part Lemozi. m’en aniey toiz sols a tapi : trobei la mol 1er d’en Gari

e d en Bernart; Saluderon mi simplamenlz per san Launart. Guillaume IX, ch. V, str. iii. Ici, comme dans deux strophes de la pastourelle et dans la chanson du xv" siècle, le premier hémistiche du dernier grand

LIVRE IV 189 vers est resté sans rime. Il en est ainsi dans onze strophes sur (juatorze. Cette forme existait aussi en langue d’oui dans la première

moitité du xii siècle. Hilaire, le disciple d’Abélard, l’a en effet reproduite en latin (p. 56) : Danielem nos vidimus pronun suis nurninibus : esca detur leonibus quia sprevit Quod Babilonis Darius rex decrevit. Mais il faut regarder ici le cinquième petit vers comme rimant avec les trois premiers. C’est le cas pour les trois strophes qui font exception, à cet égard, dans la chanson V de Guillaume IX. Pour toutes les strophes dans les chansons IV et VII du même auteur : il s’en targue dans la dernière (strophe V), preuve que c’était là une nouveauté ou tout au moins une rareté, aussi bien sans doute que la rime continue à la fin des 8-(-413. Il est vrai, d’autre part, et cela pourrait expliquer le choix d’une forme plus simple, il est vrai que la chanson V, avec son chat roux et le reste, est bien plutôt une « chanson d’histoire » burlesque et gri- voise qu’une véritable canso. Quoi qu’il en soit à cet égard, on ne peut douter que la strophe des trois chansons ait pour base le couplet de 8-(-4 : il reparaît tout seul à la fin de la Ve et de la VU" (v. ci-dessus p. 182). C’est en couplets de 8-(-6 avec triplement de l’hémistiche ini- tial, — et non en alexandrins, comme Gautier de Coinci, — qu’un poète anglais bien postérieur à Guillaume IX a chanté au moyen âge les cinq joies de Marie (Wright, p. 94). Ce cantique, comme c’est l’usage, a dû emprunter le mètre et peut-être la mélodie

d une chanson « populaire », française ou anglaise. Le peuple anglais, en tout cas, a sans doute adopté d’assez bonne heure cette strophe d’apparence savante. Aussi Burns s’en est-il servi, sous la forme qui se fonde sur le couplet de 8 -(- 4, dans nombre de ses chansons, dans nombre de ses poèmes : Ail hail! my own inspired bard! Iii nie thv native nurse regard; Nor longer mourn thv fatc is bard. Thus poorly low! I come to give Ihee such reward As we bestow u. Nous reconnaissons la strophe employée dans trois de ses chansons par le premier poète connu dont il reste des vers en français, en français du midi : Guillaume IX. Le petit paysan d’Ecosse se rattache ainsi, jusque dans le détail de la forme, au 190 LE VERS FRANÇAIS tout-puissant duc d’Aquitaine, l’aïeul de cette Aliénor qui a régné sur la France et sur l’Angleterre et donné le jour à Richard Cceur-de-Lion. * ** Le doublement et le triplement de l’hémistiche initial, ainsi que je l’ai expliqué, ont dû avoir comme point de départ le rem- placement d’une répétition par de nouvelles paroles. Mais, de même que la répétition, ils ont pu être imposés d’abord par une modification de la ronde carole, aussi bien qu’en être l’occasion. Le triplement de l’hémistiche initial dans le couplet de 8-|-4 a sans doute marché de pair avec l’adoption du branle composé : Quatre heures sonnant à la tour, la belle finissait ses jours, La belle finissait ses jours d’un cœur joyeux. Et les Anglais y pleuraient tous

d un cœur piteux. Mais on peut tout aussi bien se demander si la première de ces deux formes n’est pas une altération populaire de la seconde, celle de Guillaume IX. En réalité, elle ne provient sans doute pas plus de cette dernière qu’elle ne lui a donné naissance. Il faut plutôt la regarder comme une adaptation parallèle, indépendante, LIVKE IV 191 à la même variété de carole. Dans les versions du « Mariage anglais > et du « Rendez-vous » que cite Rolland (t. V, p. 63 s., et t. IV, j>. 43 s.), elle met et omet les rimes à peu près au hasard et se rencontre ainsi une fois par hasard avec la strophe de Guil- laume IX. Ce n’est pas cette strophe qu’elle a comme développe- ment normal, mais bien celle où les 8—}—4 sont résolus sans rimer avec les octosyllabes : A peine ensemble j’nou.s trouvions.

qTalouett’ fit entend’ sa chanson.

« Vilaine alouett’, v ià [ben] d tes tours, mais tu mentis : Tu nous chantes le point du jour, il est minuit. » « Le Rendez-vous », version du Berry (Rathery, Cit. pop. de

l Italie, p. 27). Sous cette forme, la strophe est ancienne. Jodelle en a imité la variété fondée sur le 7-|-5 : Si ces amants enduraient tant de maux, et s’ils pleuraient

Vraiment du cœur et de l œil, non par plainte folle. On leur verrait plus de deuil et moins de parole. Ed. van Bever, p. 119. Mais Hilaire, dès la première moitié du xir siècle, s’en est déjà inspiré dans ses poésies latines (« Propter vaticinium > etc., p. 50). Si dans la forme primitive, la première citée page 190, le cou- plet de 8-f-4 adopte la rime suivie par imitation des octosyllabes, on aboutit à la strophe régulière du « Mariage anglais > : Et quand ce vint pour épouser, dedans Paris fallut passer; Il n’y a dame de Paris qui ne plorlt De voir partir la fille au roi o un Anglois. Doncieux, p. 305. La strophe variable du « Mariage anglais > et du « Rendez- vous » n’otîre de ressemblance avec celle de Guillaume IX que dans le choix et l’agencement des mètres (8. 8. 8. 4. 8. 4), qui cor- respondent au même branle composé. Les chansons de l’aristo- cratique troubadour, faut-il que je le répète ? ne se dansaient évi- demment pas plus que les romances ou les pastourelles littéraires: mais elles reproduisent sous une forme perfectionnée, et perfec- LE VERS FRANÇAIS tionnée de plus en plus, des strophes nées dans la carole et adaptées à un branle composé (8.8. 8. 4. 8.4) ou à un branle simple (8. 4.8. 4, à la fin des chansons V, VI et VII). De quelque manière, enfin, qu’aient pu se produire le double- ment et le triplement de l’hémistiche initial, on devait être tenté de continuer à enrichir la strophe, en le quadruplant, d’un petit vers de plus et d’une rime une fois de plus répétée. C’est ce qu’a fait Guillaume IX dans la chanson VI (8 b b b b 4 c 8 1)4 c): leu conosc ben son e folhor, e conosc anla et lionor, e ai ardimen e paor; <* si.ni partetz un juec d’amor 110 suy tan fatz No.n sapclia triar lo melhor

d entre.ls malvatz. Ajoutons que les seconds hémistiches anciens ont la même rime dans tout le poème, et les premiers hémistiches, simples ou quadruplés, dans chaque couple de strophes. Ici, encore, comme pour attester le point de départ de cette strophe si riche, l’auteur a terminé par trois 8-f-4 résolus, sur les mêmes rimes, les deux premiers formant couplet et le dernier tenant pour ainsi dire lieu de refrain (v. p. 182). Dans le couplet de grands vers, 8-f6, 8+4, 7-f7, etc., on a aussi doublé, triplé, quadruplé le premier hémistiche du second, soit également pour remplacer une répétition, soit tout simplement par analogie avec l’hémistiche initial, afin de rendre à la strophe sa symétrie primitive, son équilibre. Ces strophes à rimes « couées » sont bien connues, et elles ont passé de bonne heure en Angleterre. Il suffira, pour en montrer l’ancienneté en France, de citer la chanson XI de Guillaume IX : elle est écrite en couplets résolus de vers de seize syllabes avec triplement du premier hémistiche (8 b b b c b b b c), sur la même rime comme sur la même mélodie, et avec rime commune à tous les seconds du poème (c). Voici la première demi-strophe : (a Pos de chanlar m’es près lalentz, (a) farai un vers, don sui dolenz : (al mais non serai obedienz (pi en Peitau ni en Lemozi 15. • La chanson se termine, toujours comme pour indiquer l’ori- LIVRE IV 193 % gine de la strophe, par un grand vers isolé à premier hémistiche simple (8h-{-8c). Les strophes de ce genre, d’ordinaire en grands vers à hémistiches inégaux, étaient si populaires dans la première moitié du xir siècle qu’Hilaire les a imitées en latin, avec dou- blement du premier hémistiche (p. 26 et 52), triplement (p. 32, 34 et 39) et une fois quadruplement (p. 29, couplet 7a-j-7b) : Supplicare mihi noli, Ne sis ultra quod fuisti, Irater, iniino deo soli : soluin laudes nomen Christi; ipse namque factor poli, sol i Deo credas isti tact or maris atque soli per quern tua recepisti : restauravit perditum. mihi nullum meritum. Ces strophes, malgré leur richesse, n’ont guère été admises

par les trouvères qu en combinaison avec d’autres (Colin Muset, Thibaut, etc.). Mais elles ont continué à s’employer à part dans nos chansons populaires, telles « la Belle Bourbonnaise », encore très chantée au commencement du xix* siècle (6 a a a b a a a b), et beaucoup d’autres, plus vieilles ou plus récentes. C’est là que Ronsard et Victor Hugo, pour ne citer qu’eux, en ont trouvé le modèle. Dans certaines versions de « la Brebis sauvée du loup », on répète séparément chacun des deux hémistiches, le second avec une ritournelle, un flonflon : (a) Le grand loup du bois a sorti, (a) le grand loup du bois a sorti, (P) qu’avait la goul’ baillée, (y) dondaine et dondon, ({ij qu’avait la goul’ baillée, (vj et la don! Ronde d’11 le-et-Vilaine (Rolland, t. Ier, p. 19). Si l’on double au lieu de répéter, en supprimant le flonflon, on a la strophe 8 b b 6 a a. La répétition du second hémistiche dans des couplets pareils à celui de « la Belle Barbière » (v. p. 184) a pu servir de point de départ à des strophes telles que 12a 6a 12b 6b ou 12a 6b 12a 6b. Bref, comme il s’est produit au cours de la danse et ailleurs toutes sortes de répétitions, on voit combien il a pu en sortir de strophes différentes. Beaucoup se sont maintenues telles quelles, d’autres n’ont survécu que sous des formes plus évoluées. Les seules répétitions que nous ayons envisagées comme ori- gine du doublement se bornent à un hémistiche, ou petit vers. Celles qui portent sur un grand vers tout entier (v. p. 184), et elles sont fréquentes, ont donné lieu au dédoublement ou à l’élar- gissement du couplet, qui méritent d’ètre étudiés dans un chapitre a part. P. Verrier. — Le Vers français. — I. 13 CHAPITRE XIII Le dédoublement du couplet 1. — Le dédoublement Dans la chanson populaire, on dédouble souvent le couplet. Le corps de la strophe se compose alors d’un seul grand vers (A) ou de deux petits (B).

A. l n seul grand vers Ce dédoublement du couplet ne peut se produire que dans les chansons à rime continue et à strophes du type mélodique ïiiRi: dans les autres, les vers restent toujours unis deux à deux, accouplés par la rime ou la mélodie. C’est donc à tort que cer- tains divisent en strophes d’un vers des chansons telles que « la Péronnelle » (Paris, XV* siècle, ch. XXXIX, et Doncieux, ch. II), «la Maumariée vengée par ses frères» (Doncieux, ch. XII) ou «Joli Tambour» (Doncieux, ch. XXXIX). Dans «la Péronnelle», le couplet de grands vers est maintenu par la musique :

(i Av’ous point veu la Perronnelle, que les gendarm’ ont emmené’ ?

(¡ï IIz l’ont abillé comme un paige : c est pour passer le Dauphiné16. Dans les deux autres chansons, qui appartiennent au type (R), c’est par la rime: maridar:mar, païs:bouis, talons Ma- ton, etc. («la Maumariée» etc., Doncieux, j>. 187 et 489); guerre: fenêtre, roserrose, cceure (cuere?) :père, fille :riche, jolie :pierreries, mie : fi I le, remercie :jolies («Joli Tambour», cf. Doncieux, p. 431 et 510). Il faut reconnaître que dans bien des versions, par le bouleversement ou l’altération des rimes, la strophe est réelle- ment réduite en général à un seul vers, un vers « blanc » (v. Rol- land. n (.XXXIX et CXXVIII). C’est donc là un dédoublement irrégulier, fautif. Le dédoublement normal est amené par l’insertion du refrain ou par une répétition entraînant la suppression du refrain. Nous sa\ons pourquoi s introduisent ces insertions et ces répétitions : poui donner plus souvent au chœur l’occasion d’intervenir et au LIVRE IV 195 chante-avant le temps de se remémorer la suite, mais surtout pour la première raison. Il s’est créé ainsi de nouvelles formes de stro- phe, qu’on a imitées par la suite. Il n’est pas toujours facile d’en établir l’origine. Mais dans bien des cas elle est évidente, patente. En 1704, Ballard publiait dans le tome II de ses Brunettes ou petits airs tendres la plus vieille version connue de la chanson que Rolland intitule « Achetez-moi ma femme » (p. 292) : I. En revenant de Versailles, en passant dedans Saint-Cloud,

Je trouvai un p tit bonhomme qu’avait sa femme à son cou. Je suis sou (te ma femme, l’achèterez-vous? Dans une version recueillie vers la fin du siècle dernier, le refrain, — un refrain de même mètre, — se chante aussi après le premier grand vers du couplet, qui se trouve ainsi dédoublé : I. Je mèn’ ma femme au marché, hé! Monsieur, l’achèt’rez-vous? Hé ¡ou hou hou! Je suis saoul de ma femme. l’aurai-je toujours? II *. De cinq .sous venons à quatre et de quatre à rien du tout. Rolland, t. II, p. 92. C’est de la même manière que le couplet a dû se dédoubler dans la chanson suivante, — à moins qu’elle n’ait copié sa forme sur de plus anciennes : I. (a) Lourdault, lourdault, lourdault, garde que tu feras. (a) Lourdault. lourdault. lourdault. garde que tu feras. II. (P) Car sy tu te maries, tu t’en repentiras, lit. (fi) Si tu prends une vieille, el te rechygnera. Paris, XV* siècle, ch. LXXI (19 strophes*. Si l’on se reporte à la musique (p. 39), on voit que le chante- avant se sert du mot « lourdault », ajouté en coda au grand vers <1 ili lui revient, pour donner au chœur le signal du refrain, et le chœur reprend « lourdault » comme un écho, aussi au point de vue musical, mais, suivant l’habitude en pareil cas, avec plus d’entrain (do fa au lieu de ré fa). D’ailleurs, la mélodie du refrain est marquée, chantante, tandis que celle du texte, tout en y cor- respondant quelque peu, dégringole lourdement à deux reprises, pour ne se relever que dans l’appel moqueur du mot-signal. Passons à un autre cas d’insertion. Dans les plus anciennes * Ici et ailleurs, je ne cite le refrain que dans la première strophe. 1% LE VERS FRANÇAIS versions «le la « Marchande d’oranges », la strophe présente la forme ordinaire : Au jardin de mon père ung oreingier y at,

Si 1res chargé d oreinge que tout y tombe a bas. La la. Dictes, ma damoysclle, ne vous ou ray-je pas ? xv* siècle. — Bartsch, Altfr. Volkslieder 1T. Au jardin de mon père un orenger il y a, Qu(i est si chargé d’orenges, je crois qu’il en rompra. Mignonne, (tant) je vous ayme, mais vous ne m’aymez pas.

xvi* siècle. — O’Sullivan, dans Chefs-d œuvre de Shakespeare..., Paris, 1837, p. -473 18. D’après Champfleury-Weckerlin, Chansons populaires des pro- vinces de France (préface), c’est exactement ainsi, à part le « tant v incorrect, que se chantait encore cette première strophe en Basse-Nonnandie dans la seconde moitié du siècle dernier. Dans plusieurs autres versions contemporaines, il n’y a de diffé- rent que le refrain, non pas en mieux :

Au jardin de mon père un oranger l y a, Il porte tant d’oranges, je crois qu’il en rompra. Oustat, tornat. La digue, di dougne, gigougnc, oustat, tornat. Angoumois (Bujeaud, t. 1, p. 251 j. Dans cette version, le refrain se compose de deux parties. Dans la suivante également, mais la première partie se chante aussi après le premier grand vers du « couplet » : Dans I jaidin de mon père un oranger l’y a. Liona !

Il porte tant d’oranges, je crois qu il en rompra! Liona ! Ah! panada. panada, Lionette, Godia, Maria, Ventura, Liona. Vendée (Rolland, 1. I*r, p. 255). Qu on supprime la partie non répétée du refrain, ou bien qu’on répète le refrain tout entier, en bloc ou par fragments, on aura en réalité, si le couplet est de la forme mélodique a a, deux stro- phes au lieu d’une. C’est ce qui est arrivé dans bien des versions : I. Au jardin de mon père. Vive la rose! un oranger il y a. Vive ci. vive là! un oranger il y a. Vive la rose et le damas *!

li. Qu’est si chai gé d’oranges, etc. Doncieux, p. 261. Damas — viola damascena espèce de giroflée très odorante). — Variante (moins ancienne) : lilas. LIVRE IV 197

I. Au jardin de mon père, Vive l amour! au jardin de mon père, Vive l’amour! un oranger il y a, Vive la rose! un oranger il y a. Vive la rose et le damas! II. EU’ demande à son père, etc. Paris (Rolland, t. I,r, p. 200). Dans certaines chansons, il ne reste du refrain bi-parti que la partie intercalée après l’hémistiche initial, et le reste est rem- placé par le triplement du second : Malbrouk s’en va-t-en guerre (o), mironton, mironton, mirontaine (r.,, Malbrouk s’en va-t-en-guerre (o) : Ne sais quand reviendrai (p), ne sais quand reviendrai (a), ne sais quand reviendrai (a). C’est ainsi que se chantent également, dans certaines versions, « la Pernette » (Doncieux, p. 17), « le Prisonnier de Nantes » {ib., ]). 322), « l’Escrivette » (ib., p. 127). Dans d’autres versions, en particulier de « l’Escrivette », la partie intercalée du refrain a aussi disparu, sans doute à cause de la répétition de l’hémistiche initial, et la strophe ne se compose plus que d’un seul grand vers avec répétition des deux hémistiches, un a un ou ensemble. * ** L’évolution s’est peut-être produite de la même manière dans les versions de « la Belle Barbière » où le couplet en était resté au type mélodique primitif a a, au lieu de se différencier en a ¡i, comme dans l’exemple cité p. 184. Mais ce n’est pas sùr. Puisqu’il s’agit d’une chanson à danser, nous devons admettre qu’il y avait

à l origine un refrain. Il y en a encore un dans les versions pié- montaises : «Vive le roi! Vive l’amour»10. Il a pu nous être em- prunté avec la chanson : il rime avec les couplets; il n’est pas inconnu de notre poésie populaire (v. supra). Mais était-ce un refrain final ou la partie intercalée d’un refrain bi-parti ? Rien ne l’indique. Tout ce que nous pouvons constater, c’est que le refrain, de quelque forme qu’il fût, a été évincé, remplacé par le doublement, le triplement des seconds hémistiches : (a) Dedans Paris l’y.a un’ barbière (o) qu’ell’ fait la barbe par amour (o), qu’ell’ fait la barbe par amour («), qu’ell’ fait la barbe par amour (r).

(a) «< Adieu bonjour, la bell’ barbière (o), ma joli barb’ la feriez- vous (o) ? » etc., etc. Richelieu, en Touraine (Rolland, t. Ier, p. 212). 198 LE VERS FRANÇAIS Dans une version de la « Danseuse noyée >, la strophe com- prend deux grands vers et un refrain de même mètre, qui avaient aussi à l’origine la même mélodie (v. p. 177). Il est probable que la rédaction originelle des versions modernes avait conservé cette forme primitive et qu’on a chanté aussi en Basse-Norinandie :

(a) Su’ l pont de Nantes un bal y ost donné. {%} Adèl’ demande il sa mèr’ d’y aller. (a) R. Dans les rondes de ce genre, on répète souvent le premier grand vers de chaque strophe. D’après une version des environs de Lorient, à couplet différencié en a 3 (Rolland, t. I, p. 299), il est permis de croire que cette coutume s’est également intro- duite dans la forme * » de notre chanson. Par symétrie, on aura ensuite répété aussi le second grand vers au lieu du refrain, qui

avait la même mélodie; c est ainsi que se chante aujourd’hui « la Danseuse noyée » dans la plus grande partie de la France. On ne saurait alléguer contre cette explication que chaque grand vers forme un tout complet au point de vue du sens: il en est de même dans nombre de chansons dont le couplet n’a jamais été dédoublé. Au contraire, si les grands vers sont unis deux à deux par le sens, on doit en conclure que dans l’intention de l’auteur ils forment bien couplet. C’est le cas de « la Passion de Jésus-Christ >, dont les grands vers (8-j-O) sont accouplés par la mélodie dans la plupart des versions, mais se chantent tous sur les mêmes notes en Basse-Normandie : Or approchez, petits et grands et venez pour entendre La Passion de Jésus-Christ qui fut triste et sanglante. Il a jeûné quarante jours sans prendre soutenance *, Mais après ces quarante jours il en voulut bien prendre. Cf. Fleurv, p. 219. Que le type mélodique bas-normand soit la forme originelle ou une déformation, il 11’y a pas dédoublement, il ne peut pas y en avoir. L’unité du couplet est attestée et maintenue par l’unité du sens. Il est vrai que cette unité du sens n’existe que pour l’esprit : comme les vers se chantent sans arrêt, à la queue leu leu et sur le même air, elle échappe complètement à qui ne comprend pas notre langue et en grande partie aux autres. Elle ne constitue pas une forme sensible, tombant sous les sens, comme le font les véritables caractéristiques, les véritables facteurs de la strophe : la mélodie, le dessin rythmique, la rime, le refrain. Elle n’est » Nourriture, ¡ilimenls. » Cette signification s’est conservée en normand — et en anglais [sustenanre). I LIVRE IV 199 (ju un résultat, une trace d’un au moins de ces facteurs, telle

l empreinte d’un coquillage sur le sable ou dans la craie. Quel facteur dans notre cas ? Ce n’est pas la rime, qui est continue. La mélodie non plus, si elle était dans la rédaction primitive, comme dans la version bas-normande, commune aussi à tous les vers. Quant au mètre, il reste le même d’un vers à l’autre. Heste le refrain ? Faut-il conclure qu’il y en avait un ? Il serait naturel

qu il eut disparu : depuis longtemps cette complainte ne se chante plus que solo, comme l’indique le début de ma version, et presque uniquement pour mendier (v. p. 125). Mais la forme du couplet a pu être simplement empruntée à nos vieilles caroles en 8+6, dont « le Jeu du Chapelet » a aussi adopté le mètre (v. p. 181) 20. B. — Le petit couplet Le couplet se dédouble facilement quand il est résolu en petits vers par la rime léonine : chaque moitié comprend une couple de petits vers qui riment ensemble et qui sont réunis entre eux par le sens, si bien qu’ils ont dû passer de bonne heure, non pour la monnaie d’un grand vers, mais pour le pendant de deux grands vers, autrement dit pour un véritable couplet. Ce couplet (le petits vers, nous l’appellerons petit couplet, par opposition au couplet primitif de grands vers, ou grand couplet. Le premier couplet régulier attesté dans notre poésie consiste en deux vers résolus de seize syllabes, autrement dit en quatre octosyllabes masculins unis deux à deux par le sens et en général par la mélodie. Le dédoublement n’en est pas seulement le plus fréquent de nos petits couplets : il vient presque en première ligne parmi les plus employés de nos couplets, grands ou petits. Il s’est produit par l’insertion du refrain entre deux grands vers du type mélodique a a. Ce qui a pu y contribuer, c’est peut-être qu’on en est venu à considérer le conséquent du prélude comme servant déjà «le refrain, soit qu’on le chantât tout de suite avec le soliste, au lieu de le répéter après lui (v. p. 169), soit qu’on ne le chantât qu’après les deux petits vers suivants. Dans les deux cas, la strophe prenait cette forme : (a) Dans mon jardin j’ai un rosier Qui porte fleur au mois de mai. (a) Entres en danse, et Ion Ion la, Et embrassez qui vous plaira. Cet exemple, nous le savons, n’est qu’un simple couplet de danse, de date relativement récente. Mais plus d’un prélude véri- table a aussi pour antécédent un petit couplet du même mètre. 200 LE VERS FRANÇAIS Il y en a encore aujourd’hui, qui sont attestés dès le xvi* siècle : (a) Mon pire a fait bâtir ch&teau, (¡i) Il est petit, mais il est beau. La couronne et fleur des chansons il troys, Venise, 1536, etc. Il y en avait au xn* :

C est tôt la gieus en mi les prés, Dames i vont por caroler. Guillaume de Dôle, v. 513 et 515. C’est tôt la gieus el glaioloi, Une fontaine i sordoit. H)., v. 329 et 331. Plus ancienne encore sans doute que ces deux préludes, comme l’indiquent aussi le mètre et l’assonance en i, la variante de la earole d’Aélis qui a pour corps de la strophe ce petit couplet était l’une des plus populaires dans les environs de 1200 : Main se leva bele Aëliz, Biau se para, miex se vesti. th. v. 310 el 312, 318 et 320. Bele Aaliz main se leva, Bel se vesti, mieus se para Motets, II, p. 103. Le couplet d’octosyllabes servait déjà de modèle à ceux d’autres petits vers qu’Hilaire a imités, avant 1150, dans telles de ses strophes latines à refrain français (v. Hilaire, p. 29, 37, 38, etc.). C’est avec notre earole, enfin, que le pendant de ce couplet, 8 bb, a été de bonne heure naturalisé en Angleterre et en Scandi- navie, où il dispute la prépondérance, dans les ballades, au pen- dant de notre grand couplet en 8-(-6. Nous devons regarder comme primitive en France la forme régulière 8bbcc, qui s’est conservée dans le couplet de danse cité plus haut. Elle correspond exactement et naturellement à deux figures complètes de branle double, une pour le texte, une pour le refrain. Mais le refrain, je l’ai expliqué, revêt toutes sortes de formes. Bien qu’il ne nous intéresse pas spécialement ici, j’en donne quelques exemples, afin de préparer la suite de mon exposé : (a = oie Derrièr’ chez nous y a rhamp de pois; ) (H )

(|J = o,p j’en cueillis deux, j’en mangeai trois. (

(y = Pi7) Fendez le bois, chauffez le four. I (h‘ }

(fi2 = ■> ■?) Dansez la belle, il n est point jour. }

Gagnon. p. 112 (Rolland, t. H. p. 96). — Il se peut que l avant- dernier vers soit un ancien vers-signal: la sol fa sol, mi mi mi sol. LIVRE IV 201 (a) Quand j’entray en condition, (bis) (p) Je n’avais qu’un vieux colteron. (y) Y allons, y allons, y allons!

(8) Serviray-je, madame serviray-je donc < Bal lard, ¡{ondes, I, p. 36 (Rolland, t. I", p. 123). D’après la musique et h* sens, le refrain ne comprend que le dernier vers. La mélodie de I avant-dernier convient à un vers-signal: mi mi mi, mi mi mi, ré do ré. Dans une aulre ronde de Ballard, nous retrouvons le même vers-signal avec la môme mélodie, mais suivi d’un refrain différent (Ballard, I, p. 38; Rolland, t. I", p. 132) «. Dans beaucoup de nos chansons, il n’y a que la seconde partie du refrain qui rime (cf. p. 84): (a=oo) Valet qui aime par amour (P) N’aimez pas fille d’un seignour (y = o) Cheminez, fillettes, (8) Cheminez toujours. « Branle simple de village .» (Mangeant, f. 37). C’est plus rarement la première. Mainte fois, aucune des deux: Derrièr’ chez nous y a-t-un étang, (bis) Où les canards s’en vont baignant. J’entends le loup, le renard et le lièvre, J’entends le loup, le renard chanter. «Le Canard blanc», environs de Lorient (Rolland, t. I#r, p. 240 . La réduction du refrain à un seul petit vers, avec ou sans rime, ne se rencontre guère dans nos chansons, du moins à la suite d’un seul grand vers ou de deux petits : Dessus la mer il m’embarqua, (bis) Le batelier qui me mena. Sautez, mignonne et Cécilia. Vendée (Rolland, t. I", p. 40 . Le refrain de deux petits vers est donc la règle avec un petit couplet. A ce propos, on peut se poser une question. La « strophe des complaintes » continue certainement. — avec, à l’origine, un

refrain en plus, — celle que nous trouvons adoptée dès le x siècle, dans la Passion, par la poésie littéraire : deux grands vers résolus de seize syllabes, ou quatre petits vers de huit. Mais dans cer- taines de ces complaintes n’y a-t-il pas eu dédoublement, réduc- tion à un petit couplet suivi d’un refrain de même forme, comme dans quelques-unes des strophes citées plus haut, dans les deux premières ? Nous en avons en fait un exemple dans la forme la LE VERS FRANÇAIS plus ancienne du « Roi Renaud », dans « le Conte de Fils Louis », où le refrain est en outre remplacé par la répétition du petit couplet, avec ou sans variation (v. p. 117 et 183). Dans le chant solo et à plus forte raison dans la simple récitation, le refrain ou la répétition du petit couplet risquaient fort de disparaître, et le petit couplet suivant pouvait en prendre la place en en conservant la mélodie : le quatrain primitif a pu se reformer ainsi. Est-ce là ce qui s’est passé pour «le Roi Renaud»? S’il y a purement et simplement suppression du refrain ou de la répétition qui en tenait lieu, les petits couplets gardant tous la même mélodie, le dédoublement persiste : c’est ce qui est arrivé dans une version lorraine de la forme remaniée, de la forme réduite au drame du retour (v. Puymaigre, Pays messin, t. II, musique). Dans un cas

comme dans l autre, il est évidemment impossible d’établir si le dédoublement est antérieur 011 postérieur à ce remaniement, (pii

nous est parvenu presque sans exception en quatrains d octo- syllabes. C’est bien en petits couplets du mètre correspondant (pie ladite carole a été au moyen âge transplantée dans les pays du Nord, mais nous n’en pouvons rien conclure de certain sur la strophe de l’original français. Supposons que c’était le quatrain de petits vers: comme il était à peu près inusité dans les ballades Scandinaves, il ne pouvait guère laisser de se transformer, par dédoublement, en « petit couplet ». Nous avons tout au plus le droit de regarder comme probable que ce dédoublement existait déjà dans le modèle français. Outre le vers de huit syllabes, il n’v a guère que celui de sept qui s’emploie dans notre poésie en « petits couplets ». Par suite de l’instabilité originaire des syllabes faibles dans les mètres germaniques, les deux formes correspondantes voisinent plus ou moins indistinctement dans les chansons populaires anglaises, scandinaves et allemandes. Dans nos textes français l’heptasyllabe apparaît plus tard que l’octosyllabe, Quelquefois, par exemple dans la carole d’Aélis, il le remplace et semble même en dériver : Bele Aliz mainz se leva, Vesti son cors et para. Dans un sermon, vers 1215 (v. p. 147). Citons un exemple moderne : (a) A Paris, à la Rochelle, (p) Où l’y a trois demoiselles, — xj Galant (bis), tu perdras trs pein’ :

x,, Tu n’auras pas la filV que ton cœur aim\ Version des environs de Lorient (Rolland, t. I*r, p. 247). LIVRE IV 203 II. — Répétition et doublement Le dédoublement du couplet, grand ou petit, s’agrémente en

général de répétitions, d entrelacements avec le refrain, de vers- signaux ou autres insertions. En cas de répétition, les collecteurs omettent presque toujours de noter si elle revient au soliste ou au chœur. Voici une exception : Solo (a) I’ a un navire à Couéron *, Chœur (

par l’accommodation à une même ronde carole.

* Nous n avons birn là qu un seul vers, un grand vers. Hilaire rime, et rich e- ment : or. <• morz >■ n’assone mime pas exactement avec « dolor » et « plor «. Cf.: Luse chatlve! — Des que mis frère est morz, porque sui vive? (ib., p. 27). CHAPITRE XIV L’élargissement du couplet I. — La Rotrouenge I, Le développement le plus simple du couplet, et sans doute le plus ancien, a consisté à y ajouter un troisième vers, un qua- trième, un cinquième, voire davantage encore, toujours dans le même mètre et sur la même rime. On jugera peut-être inutile, oiseux, de rechercher comment s’est produit cet accroissement graduel : ne se présente-t-il pas de soi-même à l’esprit ? C’est possible, mais ce n’est ni certain ni même probable. Au début, du moins, où nous avons alîaire aux poètes « populaires ». Quoi qu’il en semble après coup, surtout quand on ne songe qu’au texte, non à la musique, on risque de se tromper en ne voyant dans les additions artistiques de ce genre rien d’autre qu’une opération d’arithmétique, une construction du pur raisonnement. Voyons si elles peuvent s’expliquer autrement dans notre cas. Il arrive souvent dans les rondes chantées que le premier vers est bissé par le chœur : 1° (a) Au jardrin de mon père, il y croist un rousi er : (a) Au jardrin de mon père, il y croist un rousier23. (a) Troys jeunes dnmoiselles sy s’i vont umbraiger. (p) Aymez-moy, ma mignonne, aymez-moy sans danger. Paris, XVe siècle, ch. LXXXI. 2° (a) Au jardin de mon père, les lauriers sont fle uris. (a) Au jardin de mon père, les lauriers sont fleuris. (p) Tous les oiseaux du monde y vont faire leur nid. (y) Auprès de ma blonde. qu’il fait bon, fait bon, fait bon.

(v2) Auprès de ma blonde, qu il fait bon dormi! Cette répétition du premier vers se conserve d’ordinaire quand le poème se chante tout entier en chœur ou solo. Mais elle a dû être quelquefois remplacée, la mélodie restant la même, par un vers complètement nouveau. De là des triplets dont les suivants peuvent être, directement ou indirectement, des imitations litté- raires : 3° (a) Phebi claro nondum orfo iubare, (a) Fert Aurora lumen terris tenue. (a) Spiculator pigris clamat : Surgite! (P) L’ par. umet mar atra sol, (y) /‘o.v y pass’ e vigil mir’andar tenebras. (Trois triplets, deux sur l’assonance e, un sur l’assonance o.) LE VERS FRANÇAIS

C’est l’aube bilingue qu’un clerc du x siècle a insérée dans un manuscrit de droit (v. p. 91 et cf. p. 25). Appel matinal aux sentiments religieux, — malgré la mention de Phébus et d’Aurora, ou plus simplement à la vigilance d’amants endormis, ______malgré le langage un peu bien « dus », — elle tient au moins sa forme de quelque aube française, provençale, celle probable- ment où elle a pris son refrain. -i° (a) Eu * fo batut, gabet e laidenjet, (a) Sus e la crot levet e clauflget, i|3) Eu’* monumen desoentre pauset. (y) (¡aire noi dormel ***.

Sponsus, xi -xu* siècles (quatre (riplets sur les rimes om, et, et. i). Si a a a (3°) dérive de a a (1°), il est moins sûr que a a 3 (4°) vienne de a £ (2°), forme moins simple que a a et sans doute plus tardive. Examinons la musique du triplet a a ¡ï (4U). Le motif mélodique du troisième vers se distingue d’une manière frappante par la répétition d’une même note, la « tonique », sur six syl- labes consécutives (cf. mi mi mi, etc., p. 201). Il se termine en outre par une montée, que le refrain reprend à peu près en écho (cf. « Lourdault », p. 105). Ces deux particularités donnent bien

l’impression d un signal mélodique, d’un appel au refrain. Elles se retrouvent plus tard, — la première sous une autre forme, — dans cette romance d’« Oriolanz » dont la facture est d’autre part très savante (le grand vers est résolu en deux petits, sur lesquels s’étend par suite la phrase musicale répétée): (a) Oriolanz en haut solier («) sospirant prist a lermoier (~) (%) El regrale son dru Helier (o) :

« Amis, trop vos font esloignier (- , (S de moi félon e losengier. » (y Dctis, tant par rient su joie lente (?) a relui oui ele at aient e (o*). Saint-Germain, f. 65. Bartsch, I, n° 10 (neuf strophes, cinq en ier, quatre en is). Les deux premières notes et les deux dernières sont les mêmes dans ¡i ({lie dans - et rattachent ainsi les deux motifs. Le refrain commence, sur l’exclamation « Deus », par les six notes sur les- quelles se termine mais avec plus de vivacité, en abrégeant de • <• il ». •* = el « dans lo ». Texte d’après Koschwilz, Mon. — Ms.: Eu fo batut — gab lot — elai denict — , sus eia crot — batut — eclau flget Deumonumen — deso entre — pau — | set Oaire noi — \ dormet. moitié les « valeurs »-4. Ici, il n’y a plus de doute : il présente bien le caractère d’un « motif-signal ». La seconde partie du re- frain, d’autre part, répète à peu près exactement le dessin mélo- dique du premier petit vers (o). Tous ces détails, nous le verrons, sont empruntés à la chanson de carole. Entendons-nous : pastiche littéraire de la vieille « chanson d’histoire » à danser, cette artis- tique « chanson d’histoire » en reproduit simplement la forme avec un raffinement savant, comme le font aussi quelques chan- sons de trouvères connus. Mais c’est bien une forme née de la ronde et tixée par les poètes, les jongleurs « populaires ». On n’en resta point au triplet : soit en ajoutant un vers-signal à la strophe a a a, soit en remplaçant la simple répétition du pre- mier vers par le doublement dans i r on s’éleva de bonne heure du triplet au quatrain a a a ¡J : 5° (ai Damnas gentils, no vos covent ester, (*) Ni lojamen aici a demorer. (a) Cosel queret, non vos poem doner; ((3 Queret lo Deu, qui vos pot coseler. (y) « Dolentas, chaitivas, trop i avem dormit » *. Sponsus (deux strophes sur rimes différentes, et. on outre, dans la bouche des Vierges folios, quatre strophes on latin sur les rimes u.s. is, us. us et avec le même refrain français). La mélodie 3 aligne sept fois de suite la « tonique » (?) et commence par les trois mêmes notes que le refrain : ru>us avons encore là un motif-signal. Il n’y a que le premier pas qui coûte : les jongleurs ont-ils poussé l’addition de vers semblables au delà du quatrain ïïi^? C’est probable. Les trouvères, en tout cas, n’y ont pas manqué, — lorsqu’ils daignaient adopter une forme si simple, si « populaire ». Dans telle de nos vieilles romances, ces pastiches anonymes, mais savants du xif siècle, le corps de la strophe comprend cinq vers (« Bele Erembors », Saint-Germain, f. G9 r°, sans musique, = Bartsch, I, nu 1); dans telle autre, si elle est bien conservée, il varie de quatre à cinq (« En un vergier », Saint-Germain, f. 65 v°, avec musique, = Bartsch, I, n° 9). Ainsi donc, ces élargissements du couplet en triplet, quatrain, quintil et au delà, ad libitum, se caractérisent par le retour pério- dique d’une même phrase musicale, avec même mètre et même rime, sur des paroles différentes. On leur a donné par suite le nom de * retroentia, attesté sous les formes retro(w)enge ou ro- * Texte d’après Koschwitz, Mon. — Ms. : Domnas gentils — nouos — couent [ester — nilo ianien — aici a demo — | rer — cosel — queret — nouuos — |,oem — [doner — queret — lo deu — chi uos — 1 pot — [coseler. — Refrain : dolentas — chaitiuas — trop i auem dormit *, 208 LE VEHS FRANÇAIS

Iroucnge (en langue d’oc retrancha et plus tard retroenza), d où l’allemand rotwange ou ridcwanz, et l’anglais rotcwange 26. Revenons à l’origine de la rotrouenge. .l’ai proposé de la voir dans une répétition remplacée plus tard par le doublement. Ne pourrait-on admettre plutôt que l’abondance de la matière, — |a longueur d’une phrase, — ait amené le poète à allonger çà et là un couplet en triplet, comme nous en avons des exemples en Allemagne au ix* siècle (Ludwigslied, etc.), et que l’idée soit ainsi

venue d employer sans exception le triplet, le quatrain, etc.? L’ir- régularité supposée comme point de départ, c’est-à-dire le mélange irrégulier de couplets et de triplets, ne saurait convenir à la danse. Il semble donc que nous devons écarter cette hypothèse. La rotrouenge était à l’origine une chanson à danser, où se racontait une histoire. Rien de surprenant, donc, à ce que nous en retrouvions la forme dans les « chansons d’histoire » du xii* siècle. C’est, avec le roman et la pastourelle, un des trois genres poétiques où, d’après le Provençal Rai mon Vidal, on excel- lait en langue d’oui. Sa vogue coïncide avec la floraison de la chanson de geste, de l’épopée nationale. Elle appartenait à cet art

des jongleurs qui a précédé l influence du lyrisme méridional et (pie dédaignèrent les poètes courtois, tels que Gace Brûlé, le Châ- telain de Couci, Conon de Béthune, Thibaut de Champagne2T. Gontier de Soignies, « dont les gracieuses chansons ont une alllure libre et vive, parfois presque populaire » (Gaston Paris28) est à peu près le seul d’entre eux qui emploie encore la rotrouenge, à la fin du xii* siècle, et il s’en vante, pour ainsi dire, en la désignant

nommément dans cinq d entre elles comme le mètre adopté. Dans Joufroi ligure aussi « un ineneistrés de grant afaire, — qui bien soit rotroenches faire » (v. 790-1) : c’est peut-être un archaïsme voulu dans ce roman, qui raconte sans doute les aventures de Guillaume IX. Voici, en tout cas, qui est topique : sur les deux mille cent chansons enregistrées par Raynaud, il n’v en a que sept, dont deux anonymes, qui se donnent pour des rotrouenges. Bref, ce fut assez tôt, en dehors des pastiches de romances, un genre démodé dans les milieux aristocratiques ou lettrés. Mais les jon- gleurs populaires continuaient à chanter la rotrouenge, et le peuple à la danser. Voici comment s’exprime, au commencement du xi11° siècle, un ennemi acharné des jongleurs profanes, l’auteur, sans doute wallon, du Poème moral : Ceux qui sevent les jambes encontromont jeter. Qui sevent lote nuit mtruenges eanfeir. Ki la mainie font of sallir et danceir Doit hom a iteil gent lo bien Deu aloweir? 20 LIVRE IV Il est assez curieux que les quatrains de ce Poème moral res- semblent à des strophes de rotrouenge privées de refrain. Le relrain a tout naturellement sa place dans la rotrouenge, qui est (1 abord une chanson a danser, et c’est évidemment du relrain qu il s agit quand on nous parle, pour ces poésies, de chant collectif : Très or vueil ma rotrouvenge defenir; Gontier pri moult k il la chant el face olr. Ou pascor quant 011 verra le bruel llorir, Chevalier la chanteront por esbaudir. Or aimi ma vie,

Car üel tout m a afié mu douce amie30. llaynaud, 1411 (Spanke, p. 296). Même avec la forme ordinaire et connue du simple couplet, — nous l’avons constaté à plusieurs reprises, — le chante-avant don- nait parfois au chœur le signal du refrain à l’aide d’un mot ou d’un vers distinct du contexte par le sens, par la musique. C’était à peu près nécessaire dans la rotrouenge. Là, des vers semblables de mètre, de rime et de mélodie s’alignaient dans le corps de la strophe en nombre variable d’une chanson à l’autre : pour que les

choristes n eussent pas à les compter, au lieu de s’attacher à suivre 1’ « histoire > ou le développement des idées, des sentiments, il fallait un signal de ce genre. C’était encore une précaution utile dans les monodies quand le refrain ne se rattachait point par le sens au reste de la strophe et qu’il importait, pour ne pas l’y confondre, de l’en séparer nettement pour l’oreille. Le signal pouvait consister simplement en une variation mu- sicale dans le second hémistiche, sur les dernières syllabes du vers qui précédait le refrain :

a) En un vergier (0) lez une fontenelle (-), (a) Dont clere est l’onde (0, et blanche la gravelle (“), (a Siet tille a roi (0), sa main a sa maxele fît) : x2) En sospirant (0), son douz ami apele (p). £ Aé, cuens Guis amis! y) La rostre amors me tout sotaz et ris. Saint-Germain, f. 65 v° (Bartsch, I, n° 9). Ici, la variation ne porte que sur le second hémistiche. Dans Oriolanz» (v. ci-dessus), le signal se détache plus nettement: les deux grands vers du « couplet » sont résolus chacun en deux petits, qui se partagent la phrase musicale répétée, et c’est un cinquième octosyllabe de même rime, mais de mélodie autre, qui appelle ou plutôt annonce le refrain. Ailleurs, c’est un grand vers, P. Verrier. — l.c Vers français. — /. 11 210 LE VEIIS FRANÇAIS

soit non résolu, comme clans le Mystère de l Epoux, soit résolu, comme dans cette rotrouenge de Gontier de Soignies : (a) Quant oi lonlir et bas et haut (<»} le rossignol parmi l<> gnu! (*), (a) .lo l’cscout, las, mes moi n’en chaut (o|, car la joie du cuer me faut ( ~) ; |3) Chascun jor ai nouvel assaut (?),

d amors no sai se riens nu» vaut (jt*).

(vI Grant ttolor et grief paine (v)

trait Ven d amours loigtaine (“). Spanke, ch. C (p. 183-5 et 438 . La seconde moitié du refrain se chante îi peu près comme celle du grand vers-signal, exactement comme celle des deux grands vers du couplet (cf. « Oriolanz »). Dans notre plus vieille « chanson de croisade », composée entre 1145 et 1147, sinon plus tôt, nous avons une forme analogue, mais la résolution des grands vers, à l’aide de rimes brisées, croisées, a quelque chose de moins primitif, de moins « populaire » : («) Chevalier, mult estes guariz, quand Deu a vus fait sa clamur (a.) Des Turs e des Amoravi/., ki li uni feit tels deshenors. (a) Cher a tort uni ses fieuz saisiz; bien en devions avoir dolur, (3 Cher la fud Deu primes servi o reconnu pur segnuuur. (¡3j ki ore irai od Loovis

ja mar d enfern avrat pouur.

((S Char s aime en iert en pareïs od les angles nostre Segnor. Bédier-Aubry, n° I. p. 7 s. et 303. Les deux moitiés du refrain suivent le même dessin mélodique que le vers-signal, la première avec, la seconde sans variation. Voici enfin lin exemple oii après huit grands vers il y a aussi bien changement de rime que de mélodie, dans un neuvième, pour annoncer le refrain : (a) L’aulrier chevauehoie deles Paris, (a., trouvai pastorele gardant berbis. (a Descendi a terre, les li m’assis, (a2) et ses amoretes jo li requis. (a F,1 me dist: «Biau siro. par saint Donis, (a4 j’aim plus biau «le* vos et meus apris.

(a2) Je ferai chanson jolie (o), — puis qu ele l’otroie ("«)• (a3) Puis (pie ma dame a mon cuei (ot), — droiz esl qu’a li soie (~) ; S’el ne me veut recevoir (o,), — james n’avrai joie ("*)• (pl Bien est fox qui contre amor (p) — par force mestroie (n): (P2) Amors n’ont point de seigneur (p*), — je le vous otroie (*«). Jacques de Dosti (Spanke, p. 156, 385 et 425). La musique est dans bien des cas plus conservatrice que la poésie. Aussi nous renseigne-t-elle souvent sur l’évolution des mètres. Je ne poursuis pas davantage celle de la rotrouenge. Je signale seulement encore que dans le poème de Dosti, afin de marquer la tripartition, les deux premières strophes riment en oie, les deux suivantes en ie, la cinquième et dernière en ni-e. Au début, la rime était variable (v. exemples ci-dessus). Nos vieilles romances, mais surtout les strophes françaises ou

latines de notre première aube, du Mystère de l Epoux et du poète Hilaire sont plus simples que ces poésies raffinées des trouvères : elles se rapprochent davantage de la rotrouenge primitive, celle

des x et xi* siècles, et par suite du simple couplet. Malheureu- sement, la musique manque souvent, et nous ne pouvons constater en pareil cas que la répétition du mètre et de la rime (quelle que soit la forme du refrain, je le représente par H) : 10 bbbR dans « Belle Yzabel » (Bartseh, I, n° 4), « Bele Aude» (ib., n° 14); 10 a a a R dans Bele Ave (ib., n" 12), « Gaiete et Oriour » (ib., n° 5, dernière strophe bbbR); 10 b bbbR dans « Belle Amelot » (ib.,

n 8), « Bele Aiglentine > (ib., n" 2, première strophe a a a a R), « Tort a vers nos lt mestres » (Hilaire, p. 14), « Tort a qui ne li done » (ib., p. 41); 10 b b b b b R dans c Bele Erembors > (Bartseh, I, n° 1). Toujours faute de musique, nous ignorons s’il faut voir des strophes de rotrouenge, sans refrain, dans les assez nombreux quatrains monorimes de décasyllabes ou d’alexandrins qui se rencontrent çà et là au moyen âge, — depuis la cantilène de saint

Faron, que ce soit ou non un faux, jusqu’au Mystère d Adam, au 212 LE VERS FRANÇAIS Jeu de saint Nicolas cl au Miracle de Théophile, — ainsi que clans les quintils de décasyllabes du Saint Alexis (xr siècle) et les quin-

tils d alexandrins de Guerne de Punt-Sainte-Maxence dans la Vie (/<■ Thomas Becket (1174). Dans le cas de ces poèmes et des ro- mances. nous pouvons le regarder comme probable. Mais ce n’est pas sûr : le trouvère a pu dilTérencier la mélodie d’un vers à l’autre, soit par de simples variations, soit par un changement complet. Citons-en deux exemples : (a) Bele Docile as fenestres se siet,

Lil «*m un livre. mais au cuer no l en lienl : (ai De son ami Doon li ressovient, £ ü’en autres terres est alez tornoier. iv E or en ai dol. Saint-Germain, f. 66 v° (= Bartsch, I, n° 3). Cette structure mélodique, assez simple encore, semble copiée sur celle des quatrains «le petits vers, où elle est à sa place (cf. Oriolanz. p. 206). La suivante est déjà plus complexe : a Bele Yolanz en ses chambres sëoit, (a) D’un boen samiz une robe cosoit, A son ami tramettre la voloit. iv En sospirant reste chançon chantoit. Uex. tant est

(v ) Jii /t en cuidai sentir dolors. Saint-Germain, f. 6 4 v° (= Bartsch, I, n° 1\. Encore ¡i2 et surtout sont-ils fortement différenciés de ^ et y. Dans « El bosc d’Ardena », la mélodie présente à peu près la même forme : * pour un refrain de quatre syllabes (v.

Monaci, À . Agnese, pl. VI, col. II). Nous voilà bien loin de la véritable rotrouenge avec ses répétitions exactes de la même mélodie. La structure mélodique est plutôt celle du double couplet. II. — La laisse Abstraction faite du vers-signal, qui n’apparaît pas au début et qui manque quelquefois par la suite, il y a un rapport évident entre la strophe des rotrouenges et la laisse des chansons de geste : dans la laisse également, la même mélodie se répète de vers en vers, quand ce sont des grands vers, et de deux en deux quand ce sont des résolutions de grands vers, des petits vers. Jean de Grouchy l’affirme expressément de la chanson de geste, ou cantus gestualis: « Idem etiam cantus debet in omnibus versibus reiterari » (p. 94). Cette mo- notonie nous semble à peine admissible. On s’en contente quelquefois

aujourd hui encore: « Aujourd’hui encore en Russie et en Roumanie, LIVRE IV 213 «lit M. 1 itus (lalino, on voit souvent une petite mélodie répétée pour des centaines de vers ». Sans aller si loin, dans plusieurs sens, est-ce (jue les Bas-Normands ne chantent pas tous les vers de la « Passion » exactement sur le même air, tout à fait comme une laisse de chanson de geste? Mais la chanson de geste se chantait-elle? Il n’y a pas à en douter. Outre le témoignage de Jean de Grouchy, nous en trouvons nn autre dans Guillaume de Dole, tout aussi catégorique, et il y en a ailleurs 3S. Quant à l’interprétation que j’ai donnée plus haut de la règle transmise par Jean de Grouchy, elle ne se fonde pas seulement

sur l analogie des rotrouenges, mais encore et avant tout sur les deux seules mélodies connues de chanson de geste : celle d’Audi- gier (xn siècle), qui embrasse un vers tout entier, un grand vers,

(’>-(-4; celle d Aucassin et Xicolette (xnr siècle), qui s’étend sur deux vers, deux petits vers de sept syllabes. Pour la première, il n’y a pas de contestation possible : elle nous a été conservée en notation mensurale sous deux formes, une simple et une plus savante, dans deux manuscrits du Jeu de Robin et Marion (v. 82.‘l)34. Dans Aucassin et Xicolette, la mélodie n’est indiquée que pour les deux premiers heptasyllabes de chaque laisse : on peut en induire qu’elle se répète de « petit couplet »en « petit couplet », et cette conclusion est confirmée par le fait que dans la dernière laisse le scribe a recommencé à la noter sous la même forme pour le troisième petit vers 35. Autre ressemblance avec la strophe de rotrouenge : dans Au- cassin et Xicolette, la laisse se termine par un vers plus court et sans rime, dont la mélodie est différente, une sorte de coda, qui ressemble fort à une transformation du refrain. Ce n’est pas là un cas isolé : « In aliquo tamen cantu, dit encore Jean de Grouchy, clauditur per versum ab aliis consonantia discordantem, sicut in Girardo de Viana30 » (p. 94). A Girard de Vienne nous pouvons ajouter : Aimeri de Xarbonne, Ami et A mile, Jourdain de Blaie,

la Prise de Cordres, Guibert d Andrenas (en décasyllabes); Enfances Garin de Montglane, Garin de Montglane, Siège de Barbastre,

Bovon de Comarcis, remaniement d Ami et A mile et de Jour-

dain de Blaie (en alexandrins); Chanson d Antioche, Histoire de la Guerre de Xavarrc, Chanson de la Croisade des Albigeois (en décasyllabes, langue d’oc); enfin, d’après une partie des ma- nuscrits, Aliscans, Enfances Vivien, Covenant Vivien, Bataille Loquifier, Moniage Rainouart, Foulque de Candie, Moniage Guil- laume (en décasyllabes)37. Ce n’est pas seulement une coutume répandue, mais ancienne, aussi ancienne peut-être que la laisse. Elle disparaît quand la chanson de geste cesse de se chanter, par exemple dans nombre de remaniements. Le petit vers qui s’ajoute LE VERS FRANÇAIS en coda compte partout dans un même poème le même nombre de syllabes, presque toujours six. Excepté à ce point de vue et sous le rapport de la mélodie, il change de laisse en laisse, (.’est là, avec plus de régularité dans la forme, l’analogue de ce qui a lieu dans les rotrouenges ou autres chansons «avec des refrains », sauf que ces refrains sont en général empruntés à des caroles connues. Du refrain, d’ailleurs, ce vers-coda n’a conservé que le rôle modeste de marquer la fin de la division rythmique, de mettre une séparation audible entre les laisses, dont les vers se rattachaient autrement de l’une à l’autre par une même mélodie. Dans le Roland, il est remplacé par l’exclamation aoi (v. L. II, note 52). La laisse ressemble donc bien à la strophe de rotrouenge, à cette exception près qu’elle n’a pas dans chaque poème un nombre fixe de vers. Plus longue, beaucoup plus longue d’ordinaire, — elle atteint une fois, dans Huon de Bordeaux, jusqu’à mille cent quarante décasyllabes, — beaucoup plus variable aussi, en est-elle le développement? Dans le premier poème connu qui l’emploie, le Boèce, elle ne dépasse point des dimensions modestes, toutes proches de cette strophe. Ou bien, au contraire, en a-t-elle donné l’idée? S’y reproduit-elle sous une forme régularisée, limitée? Cette seconde hypothèse, à laquelle on a songé 38, semble assez difficile à admettre. Faut-il s’en tenir à la première? Il semble bien plus probable que la laisse et la rotrouenge ne viennent pas l’une de l’autre, mais qu’elles dérivent toutes deux du simple couplet dont se servait la « carole » primitive pour raconter, comme elles, une « histoire ». La chanson de geste ne se chantait pas, comme la rotrouenge, pour mener les rondes: rien n’empêche de voir dans la laisse un libre développement du couplet « suivant l’abondance de la matière et la volonté de l’auteur » (Grouchv, p. 94). Le refrain ou le petit vers isolé qui en avait pris la place, nous savons comment (v. p. 169 s.), a souvent disparu dans la laisse, parfois dans la strophe de rotrouenge. Mais n’existait-il pas avant la création du refrain certaines formes de strophe avec retour périodique d’une phrase musicale? Cette question se pose surtout

pour celle du Saint Léger (seconde moitié du x siècle), qui com- prend trois grands vers masculins résolus en octosyllabes. Mais il ne faut pas oublier que nous trouvons déjà au commencement du même siècle, dans l’aube bilingue, et au siècle suivant, dans le

Mystère de l Epoux, la strophe de trois grands vers égaux avec relrain. Celle du Saint Léger (v. p. 175) représente-t-elle donc une strophe de rotrouenge dépourvue de refrain ou un couplet suivi d’un grand vers en remplacement du refrain? Au point de vue musical, en tout cas, elle a conservé une forme très primitive si l’on a raison de regarder comme s’appliquant à tous les petits vers LIVRE IV 215

la notation en neumes donnée pour la lin du 106 et le commen- cement du suivant ü. La mélodie répétée ne s’étendrait donc qu’à une moitié de grand vers, sans distinction entre cadence suspensive et cadence conclusive, comme aujourd’hui encore dans certaines de nos chansons populaires (v. p. 203). Nous savons comment la mélodie de nos poèmes s’est déve- loppée ensuite de manière à embrasser, non seulement un grand vers, mais deux. L’enrichissement de la mélodie ne s’est pas arrêté la : si l’on se reporte au schéma musical des rotrouenges citées pi us haut, on constatera qu’elle ne se répète pas toujours exacte- ment. Elle a fini par varier au point de former un tout continu, sans périodicité, d’un bout à l’autre de la strophe. * ** Il n’y a rien dans les ballades Scandinaves qui ressemble à notre rotrouenge : la rime n’y est jamais redoublée, et le corps de la strophe n’y contient jamais trois vers, excepté dans le cas, tout différent, dont nous traiterons au chapitre suivant. En Angleterre et en Allemagne, au contraire, nous trouvons des rotrouenges. C’est sous la forme primitive de ce genre, bbR, bbbR, bbbbR, c’est-à-dire celle de nos vieilles romances, que la chanson narrative à danser a été introduite en Angleterre par les Normands, en français, bien entendu, et qu’elle s’est conservée plus tard dans la ballade en anglais. Faute de musique, je ne sais si l’on peut y rattacher La strophe suivante : Skoltes out of Berwik and of Abirdene, At pe Bannokburn war 3e lo kene : J>are slogh 3e manv sakles, als il was sene, And now lias king Edward wroken it, 1 wene : Il es irrokin, / wene, wele tcurth ]>e while; War with \>e Skottes, for fai er fui of yile. Laurence Minot (1352). Le refrain est variable : il n’y a guère que le sens général et les deux mots à la rime qui reviennent régulièrement. C’est la même forme que présente la célèbre et artistique ballade « The Nut-Brown Maid », mais dans cette dernière il y a deux refrains variables qui alternent, et les grands vers sont résolus par la rime « batelée » comme dans la pastourelle citée p. 182. Nous revien- drons plus tard sur ces formes exportées. La laisse n’a pris pied ni en Scandinavie, ni en Angleterre, ni en Allemagne. Un fait suffit peut-être à l’expliquer : contrairement au français, les langues germaniques ne possèdent qu’en petit

nombre des mots d assonance et surtout de rime semblables. La strophe à vers doublés, triplés, etc., et la laisse ont passé le vers français de France dans les autres pays de langue romane. J1 faut surtout citer le romance espagnol, qui correspond pour la forme à notre laisse. Elle a aussi été adoptée par les Gallois Revenons à la France, non plus à celle du moyen âge, mais à celle des temps modernes. Qu’est-ce que notre chanson populaire a conservé de ces vieilles formes? De la laisse, rien. De la rotrouenge, il lui reste la forme qui a servi de base il toutes les autres, le triplet. Avec refrain, il est très rare : (a) Voici la Toussaint. le temps dos veillées, la) où tous les amants vont à la soirée;

(3 Le mien n y est pas (o . j’en suis assurée (*).

(y) Va. mon ami. ru (p;, l i lune est levée (ay,

Y2) \ h. mon ami. va (" . lu lune ell s’en va (7 ). Rolland, t. V, p. 22. Nous trouvons la forme primitive de cette chanson dans une autre variante, de style plus simple et de sens plus naturel, qu’on a recueillie « également sur le bord de la Vilaine » (ib., p. 23). Cette variante est en couplets, tous sur la même rime. Ils se sont facile- ment développés en triplets par un nouvel arrangement des vers et par l’addition d’une demi-phrase musicale, qui contient dans 0 un motif-signal, cinq si de suite (cf. p. 201 et 206). Sans refrain, comme dans le Saint Léger, le triplet se rencontre, par exemple, dans « les Ecoliers pendus » et dans deux chansons de mal mariée (XVIII e et XXX g de Rolland, t. Ier, p. 54 et 84): C’était trois enfants d’école, qui revenaient de Paris. Rencontrent trois jeunes dames, en ont fait à leur plaisir. Les trois dames so sont plaintes. prisonniers ont été pris. « Los Ecoliers pendus » (Doncieux, p. 208). On n’a pas recueilli la mélodie de ces trois chansons (du moins pour la forme citée). Dans d’autres chansons en triplets, la mu- sique varie d’un vers à l’autre, comme dans une version moderne du « Départ » (Rolland, t. II, p. 157), où le troisième remplace le refrain de la forme publiée en 1597 par Caries Tessier (ib., p. 156). Ailleurs, il y a parfois en outre d’autres changements :

r Dessou le rosier blanc la belle se promène, 3 Blanche comme l;i neige, belle comme le jour; v Trois jeunes capitaines lui vont faire l’amour. « Celle qui fait la moite.... (Doncieux, p. 272 el 495). 1 andis que les deux derniers vers ont la forme usuelle, termi- naison masculine avec césure féminine, et riment entre eux en LIVRE IV 217 changeant de rime a chaque strophe, le premier renverse le genre des hémistiches et ne rime pas. Dans plusieurs versions de l’Est, le deuxième vers est réduit à dix syllabes par l’abrègement du premier membre. Dans les versions piémontaises, il le perd tout entier. Dans la « 1-emme du Roulier », c’est le premier vers qui s’abrège : I. (a) I l iste et dolente, la femme du roulier (fi) S’en va dans le pays de taverne en taverne, (y) Pour chercher son mari avec une lanterne *. Doncieux, p. 438 et 51t. La version de Bain (Ille-et-Vilaine), fort irrégulière d’ailleurs, lui conserve çà et là ses douze syllabes : V. La femm(e), la bonne femme s’en retourne en pleurant. Eli’ dit h ses enfants: «Vous n’avez plus de père, Il est à s’diverti avec une bergère.» Rolland, t. V, p. 72 (sans musique). Dans toutes ces strophes, la césure et la fin du vers sont de genre opposé. Leur irrégularité à d’autres égards, ou plutôt leur variabilité, semble montrer (¡ue la rotrouenge n’est pas restée familière au peuple, et nous venons de voir que les poètes lettrés y ont renoncé de très bonne heure, sauf dans les pastiches de romances ou sous des formes raffinées. Nous avons bien quelques poèmes modernes en tercets monorimes : mais ils ne se rattachent aucunement à la rotrouenge. III. — Le double couplet Le couplet peut lui-même se doubler tout entier : à l imitation, sans doute, du quatrain de la Passion et des complaintes, qui semblait formé de deux (petits) couplets, on a réuni deux (grands) couplets en un quatrain à rimes plates, en un double couplet. Ces rimes plates, non redoublées, donnent bien l’impression d’une forme primitive, populaire. D’autant plus qu’elles varient de strophe en strophe, comme dans le primitif couplet simple et dans la rotrouenge primitive. Aussi le double couplet a-t-il été encore plus complètement abandonné au peuple que la rotrouenge, où la répétition de la rime, quand elle remplace l’assonance, donne à la strophe un certain éclat et met en évidence l’habileté du poète, surtout quand elle est à la fois finale et brisée. Il n’est donc pas * Comme assez souvent, lorsque le refrain final est remplacé par un nouveau vers, un bref refrain intérieur a persisté (entre les hémistiches du troisième

vers : hilira! dans cette version, noni fie nom! dans celle de Bain. 018 LU VERS FRANÇAIS surprenant que nos manuscrits du moyen âge, réservés qu’ils sont

à la poésie courtoise, lettrée, ne nous aient conservé qu un seul exemple du double couplet primitif. C’est un long cantique à la Vierge, dont l’auteur a emprunté cette forme simple à la chanson populaire, non sans la relever, pensait-il, en enrichissant ses rimes avec une prodigalité capable de faire pâlir d’envie les «rhétori- queurs » de tous les pays et de tous les temps : i Ave! se lu ne fussez, tous li mons fust dampnez. a Mais Diox t oit pourvëue ainz que fust Adanz nez. ¡¡j Pour saner la grief plaie dont Eve nous navra.

(£., Qui ne l aimme el tionneure ja l’amour Dieu n’avra H. (quatre petits vers). Gautier de Coinci 40.

Au xv siècle, le double couplet reparaît dans nos textes avec la chanson populaire : x Tel parle de la guerre qui ne scol pas que c’est; ({$ .1»* \ous jure mon ame que c’est un piteux fait, (y Et que maint homme d’armes et gentil eompaignon (o Y ont perdu la vie el robbe et chaperon. Paris, XV siècle, ch. CXXXV1II. Mais notre chanson populaire, afin de multiplier l’intervention du chœur, tendait déjà de plus en plus, non à doubler le couplet, mais, au contraire, à le dédoubler. Le double couplet risquait donc de disparaître assez vite et pour toujours. Il a pourtant survécu. Nous le trouvons sous sa forme primitive dans une des rares chansons en langue d’oui que les collecteurs du siècle dernier ont transcrites sans en normaliser le patois, ici celui de la Bresse : x) Du temps que la Benayta allov’ en champ lo heu, x) Fêlant sa colonietta, drumive a son gueu gueu, 3 < >n zor per aventura la rovis en drumant : (a) Xe li contai mé peinno et ella ses torments. Rolland, t. I*r, p. 280. Conformément aux habitudes de notre poésie populaire, la rime brisée apparaît sporadiquement dans le double couplet. Dans une chanson très goûtée aux xv et xvi* siècles, le n" XCI de Gaston Paris, deux strophes sur trois l’admettent entre les deux premiers grands vers : x En douleur et tristesse languirav je tous jours, * Sy je pers ma maistrosse, ma dame par amours. 3 M’amour luy ai donnée : jamès ne l’oubliray : Y En parle qui qu’en groigne. tousjours la serviray **. Dans une chanson recueillie vers 1855, « Si j’étais-t-hirondelle », deux strophes sur trois sont entièrement résolues à l’aide de la LIVRE IV 219 rime brisée. Sous cette forme, le double couplet a été emprunté à la chanson populaire anonyme, non seulement par des chansonniers connus, mais encore par des poètes renommés, tel Ronsard : (a) Il pleut, il pleut, bergère, — presse tes blancs moutons. (¡}) Allons sous ma chaumière, — bergère, vite, allons. (y) J’entends sur le fouillagt* — l’eau qui tombe à grand bruit : (o) Voici, voici l’orage, — voici l’éclair qui lui *. Fabre d’Eglantine. Pour en revenir à la chanson populaire anonyme, l’une des deux strophes signalées dans « Si j’étais-t-hirondelle », la deuxième du morceau, présente encore une autre particularité : « Si j’élais-t-un arbuste, — tout émaillé d’couleurs, Sous vol’ nez, comm’ de juste, — j’irais porter mes fleurs ». « Mon nez n’est point /.’un’ serro — pour y fourrer vos fleurs; J’ai ben d’aut’ chos’ à faire — qu’à flairer vos odeurs. » Rolland, t. II. p. î3 (sans musique). Nous avons là, du moins dans les paroles, une strophe de rotrouenge : quatre fois même mètre et même rime finale. Il faut l’attribuer surtout au hasard, comme les quatrains monorimes de

la Passion du x siècle (str. 12, 13, 16, 28, 29, 30, etc.). C’est peut-être aussi du double couplet, mais par recherche consciente et voulue, que dérivent les strophes de rotrouenge employées avec ce mètre par les trouvères du xii* siècle, et non des moindres : (a) Qui voit sa crine bloie, — ki semble ko soit d’or, (a) Et son col qui blançoie — deseur son bel chief sor, (a) C’est ma darne, ma joie, — e mon rice trésor; (a) Certes je ne vauroie — sans li valoir Hector. Gautier de Dargies, dans un « » (Lais et Descorts. p. 5 et 80 s.). La même disposition se trouve dans les strophes à refrain d’une chanson de Gace Brûlé, dont nous ne possédons pas la mélodie (ch. XXVI). Dans les deux cas, les quatre grands vers de la strophe ont aussi la même rimé brisée. Mais les deux rimes, la finale et la brisée, varient de strophe en strophe dans la chanson de Gace Brillé, qui seule en a plusieurs du même mètre. Qu’elles repré- sentent un développement du double couplet ou du couplet simple, ces strophes de rotrouenge appartiennent à un art raffiné. Nombreux sont les doubles couplets de grands vers, ceux en particulier de seize syllabes et surtout de douze, qui se trouvent résolus en huitains de petits vers par l’emploi régulier de la rime brisée. Mais cette régularité n’a guère été recherchée, presque * o commence comme % ot finit ii peu prt>s comme f}. LE VERS FRANÇAIS jamais plutôt, par notre poésie primitive, qui s est maintenue dans le peuple. Aussi les huitains en question sont-ils presque tous un développement littéraire, tels les exemples précédents, ou bien, comme le décèle entre autres la présence du refrain, un pastiche plus ou moins artistique de la chanson populaire : « les Deux Gendarmes » île Nadaud, « les Hirondelles » de Béranger, « la Fauvette» de Millevoye; «les Bœufs» et «la Chanson du Blé» de P. Dupont (sans refrain). Y. Hugo s’est essayé lui-même dans ce genre, et tout le monde connaît ce refrain : « Enfants, voici les bœufs

double couplet s est conservé dans la chanson populaire. Dans l’exemple le plus connu, nous trouvons la rime brisée, mais elle est de forme populaire dans les deux premiers grands vers : (a) Au clair de la lune, — mon ami Pierrot, %\ Prèle-moi la plume — pour écrire un mot.

(3; Ma chandelle est morte, — je n ai plus de feu : (»/ Ouvre-moi (a porte — polir l’amour de Dieu. Dans une chanson en décasyllabes ordinaires, celle des save- tiers,

C est seulement dans la première et la sixième strophe que le second vers du refrain se trouve rimer. Les deux derniers du double couplet riment partout en « eu ». Autrement, les rimes varient régulièrement de strophe en strophe, comme ailleurs. C’était la règle à l’origine pour le couplet simple : elle reste appliquée dans les premières adaptations savantes, dans Eulalie, dans le Sainl Léger et dans la Passion. Elle persiste au début, jusqu’à nos jours dans le peuple, quand il y a doublement, soit de l’hémistiche, comme dans la chanson Y de Guillaume IX, soit d’un grand vers, comme dans la rotrouenge et la laisse, soit du couplet tout entier, comme dans le cantique de Gautier de Coinci. CHAPITRE XV L’enchaînement des couplets Dans un assez grand nombre de nos chansons populaires, sur- tout de nos rondes, le second vers de chaque couplet se répète comme premier vers du couplet suivant, si bien que la rime ou l’assonance reste partout la même, est «continue»: 1" Grand couplet I. (a; Au jardrin de mon père il y croist un rousier. (a) Trois jeunes damoiselles sy s’i vont umbraiger. (ß) Aymcz moy, ma mignonne, aymez moy sans danger. II. (a) Trois jeunes damoiselles sy s’i vont umbraiger; (a) Trois jeunes gentil/hommes sy les vont regarder. (?) IL III. (a) Trois jeunes gentilzhommes sy les vont regarder;

(a) Je choysi la plus belle, el la priay d amer. (ß) H- IV. (a) Je choysy la plus belle et la priai d’amer. (a) «Mon père est en sa chambre, allez luy demander.» (ß) IL Paris, XV* siècle, ch. LXXXI. 2° Petit couplet I. (a) Hier au matin m’y levay, (a) En nostre jardin entray, (ß) R- II. (a) En nostre jardin entray, (a) Trois tleurs d’amour * j’y trouvay.

(ß R- Orlando di Lasso’s Sämtliche Werlte, Bd. 16, III, n° 14. Pour désigner ce genre de répétition, nous pouvons emprunter à la logique le mot « concaténation », que définit ainsi le diction- naire Hatzfeld-Darmesteter : « Suite de propositions qui s’en- chaînent, le dernier terme de l’une devenant le premier terme de la suivante. » Nous dirons donc « chansons à concaténation », ou plutôt, autant pour l’euphonie que pour la clarté, « chansons à couplets concaténés », «chansons à couplets enchaînés4-». ■ Amour =« mélllot ». LE VEllS FRANÇAIS Dans les exemples ci-dessus, la répétition se fait sur la même mélodie. Ailleurs, la musique varie ou change même complètement:

I. toO Je m y levay par ung matin (o), la fresche matinée (-) — Et ltmirée! (p) — Kl m’en entray on un jardrin (o) pour cuillir girofflée (3); — Et hauvée! ("«) — II. (a El m’en entray on ung jardrin (0) pour cuillir girofllée r), — Et Itauvéc ! (?) — (£i El j(» Irouvay le myen amy (0), qui dormoit sur la prée (?), — El hauvée ! (jü). III. (a El jt* Irouvay le myen amy (0 . qui dormoit sur la prée (-s), — Et liauvée! (p) — (p El je luy feis ung oriller (0) d’amours ol de pensée (7); — El hauvée! ("») —

Paris, XV siècle, ch. CXXX. Dans beaucoup de chansons à couplets concatenés, le chu*ur répète après le chante-avant, et sur la même mélodie, le premier vers de chaque strophe : I. (a) Au jardin de mon père les lauriers sont fleuris. (ai Au jardin de mon père les lauriers sont lleuris. (¡3) Tous les oiseaux du monde y vienn’ faire leur nid. (y) h. II. (a) Tous les oiseaux «lu monde y vienn’ faire leur nid : (a) Tous les oiseaux du monde y vienn’ faire leur nid : ffl l.a grive, la fauvelte, le rossignol aussi, (Y) h. Le premier vers de la strophe est facile à répéter : dans la première, c’est en général un cliché connu de prélude; dans les autres, c’est un vers que le chante-avant vient de chanter deux fois, la seconde au moins sur la mélodie à reprendre. La répétition n’en risque pas moins de se faire plus ou moins imparfaitement, à moins que tous les danseurs 11e sachent à peu près la chanson par c

goûter l enchaînement du récit. C’est là un double avantage. D’autre part, cette répétition, pour ainsi dire rythmée, otTre en soi un certain charme, un peu comme en musique le retour des motifs mélodiques. Il s’y ajoute l’agrément de la rime ou de l’assonance répétée de strophe en strophe, agrément auquel étaient si sensibles de leur côté nos poètes lettrés du moyen âge, trouba- dours et trouvères, qu’ils ont fini par s’en faire une règle dans la lyrique courtoise. C’est probablement avec la concaténation, par la concaténation, que l’assonance continue s’est introduite dans nos chansons popu- laires. Elle donne à la chanson plus de cohésion, plus d’unité : tous les vers se tiennent, comme dans une strophe parfaite. C’est évidemment une des raisons qui l’ont fait adopter, malgré la diffi- culté qu’elle comporte. Dans le chant séparé de la danse, la concaténation perd de son utilité pratique et peut tendre à disparaître. Voilà peut-être pour- quoi elle ne figure plus dans certaines versions de quelques chan- sons, où le couplet se trouve par suite réduit à un seul (grand) vers, par exemple dans la version contemporaine de « Achetez-moi ma femme » (v. p. 195). Mais il est probable qu’en général l’absence de concaténation dans les chansons monoassonaneées, telles qu’on les a transcrites, n’est due qu’à une reproduction incomplète : comme la concaténation allait de soi en pareil cas, on ne prenait pas la peine de l’indiquer. Nous en trouvons un exemple, une preuve dans les chansons XXXIX (la Péronnelle), XCYII, LXXXVIII et CXLIII du recueil publié par Gaston Paris : les vers, monoassonancés, sont unis en couplets par la mélodie, et, comme ils sont en nombre impair, on ne peut les accoupler ainsi jusqu’au bout qu’à l’aide de la concaténation. ** Dans la chanson à couplets enchaînés, comme dans la strophe de rotrouenge et la laisse, tous les vers riment ou assonent en- semble. Il y a donc ainsi, malgré les différences, une certaine parenté entre ces trois formes. Toutes trois, d’ailleurs, elles ont une même origine, le simple couplet de danse, et si elles en viennent par des voies divergentes, elles n’en ont pas moins été inspirées par le même désir, conscient ou non, de rattacher tous les vers du morceau, strophe, laisse ou chanson, en une manifeste et indissoluble unité. LE VERS FRANÇAIS La chanson à strophes concaténées remonte probablement au xi r siècle. Sous la forme relativement si ni j>le que je viens de décrire nous n’en trouvons pas d’exemple certain avant le x\" siècle, où l’on a commencé à recueillir nos chansons « populaires ». Je dis : certain. Car l’unique strophe qui nous reste de « Renaus et s’amie » porte dans sa forme les marques du genre : Henaus H s’amie chevauche el pré, Toto nuit chevauche jusqu’au jour cler.

Ja n a r rai mes joie de vos amer. Seule, dans nos romances conservées du xn* siècle, cette strophe ne contient que deux vers et un refrain qui assone avec eux. Il cesserait d’assoner dans les strophes suivantes si la chanson n’était pas monoassonancée. Voilà qui donne I impression d’une chanson à couplets enchaînés. Ce n’est là toutefois qu’une impression. Il se peut que la romance de « Renaus et s’amie » soit comme les autres du même siècle une chanson à assonance variable et qu’on ait remplacé dans la strophe citée le refrain primitif par un plus moderne, un {»lus courtois, en le faisant assoner. Ici, par consé- quent, la concaténation n’est rien moins que sûre. Mais nous la retrouverons bientôt comme élément constitutif dans des chansons de forme plus compliquée, plus tardive par conséquent, qui sont attestées dès le xn* siècle : elles supposent donc, comme point de départ, comme base, l’existence antérieure de strophes simplement concaténées pareilles à celles que j’ai citées dans ce chapitre. La concaténation n’a pourtant pas dû prendre une place importante dans nos chansons narratives danser, « populaires » ou non, avant que notre carole se fût implantée en Scandinavie sous une forme plus simple, le couplet de grands ou de petits vers à assonance variable. Cette forme une fois adoptée, familière, les Scandinaves s’y sont tenus dans leurs ballades. On ne rencontre chez eux «jne quelques essais isolés de concaténation. Par suite, d’ailleurs, de leur pauvreté relative en rimes ou assonances sem- blables, pauvreté dont j’ai parlé à propos de la laisse, ils ont eu recours en pareil cas à deux systèmes qui dispensaient de la rime ou assonance continue. 11 bbc R, ccd R, ddf R, etc. Chaque strophe contient deux vers qui riment et un troisième LIVRE IV 225 qui ne rime pas; ce dernier devient le premier de la strophe sui- vante, où il rime : XXXI (a = 0«) Men skal jpg tiere hjern til dig gaa, (a) Saa haard en D0d skal Blidelil faa. (p = rp) Naar du h0rer de Hunde bange... (y) Favre Ord fryder saa mangt et Hjerte. XXXII. (a=o") Naar du Ii0rer de Hunde bange, (a) Da maa du vente den d0de paa Gange. (p=r> Xu galer üanen den sorte. (y) • R- 7)

Mulde »). Cf. DgF, n° 64 (Bd. 10 = DF II, n° il, et DgF, n° 140

(Bd. III) = DF II, n° lî), etc. — Cf. ( •gaiement Fomkv., n° 38 et 44 B, où la forme est exactement la même, tandis que dans les variantes 38 A (B, C, D) et 44 A on ne répète que la fin du vers, à partir de l’avant-demier temps marqué nu de la faible précédente inclusivement. Cet arrangement peut plaire de la même manière à peu près que la résolution d’une dissonance par une consonance : si le dernier vers du corps de la strophe manque de rime, il en trouve une à la strophe suivante. Mais le manque de rime dans le premier cas devait passer pour une irrégularité. C’est sans doute pour y remédier qu’on a songé au second mode de répétition. 2° bbR, ~ bccR, etc. On répète la lin de l’avant-dernier vers et le dernier tout entier : I. (a) Hr. Luno ban lader bygge et Skib, (£) Der kom ret aldrig paa Yandet slig. (Y) h. II. (aj Lader bygge et Skib, (8) Der kom ret aldrig paa Yandet slig. (a) Del var forgyldt mellem begge Stavn, ({J) Der staar skrevet Jomfru Maris Navn. (Y) H- DgF, n° 43 (Bd. II), d’après DF II, n° 2 (Hr. Luno og Havfruen). Cf. DgF, n° 50 (Bd. II), et Fomkv., n° 54 A et B. Ces deux formes de concaténation, si elles sont plus faciles à manier que la nôtre, présentent en revanche un inconvénient : il n’y a rien qui rattache aux autres vers de la strophe le vers à répéter (1") ou les vers répétés (2°). La chanson, d’autre part, gagne en variété par le changement de rime, mais elle y perd en * Je cite les deux strophes traduiles p. 122. P. Verrier. — Le Vers français. — I. 15 LE VERS FRANÇAIS

consistance, en unité. Quant aux avantages pratiques dont j ai parlé plus haut, au point tic vue de la danse et de la continuité du récit, ils subsistent. Il en est de même, naturellement, du charme de la répétition rythmée. C’est pour cette dernière raison, sans doute, que la seconde des deux formes a été reprise au siècle dernier par le grand poète danois Oehlenschlager, qui a su en tirer d’heureux elTets dans une des romances du poème épique Hclge (« Julerejsen »). Si donc 011 l’a abandonnée au moyen âge, ainsi que la première, après quelques tentatives isolées, ce n’est pas à cause des défauts ou de la difficulté qu’on aurait pu y trouver, mais plutôt, comme je l’ai dit, parce qu’on s’était habitué pour la ballade au simple couplet à rime variable. Chez nous, au contraire, la concaténation est très fréquente dans nos chansons populaires. Si j’en ai cité des exemples qui se ressemblent, c’est pour rappeler la continuité de cette tradition. Mais pour en trouver d’autres, et en quantité, il suffit d’ouvrir n’importe quel recueil de ces chansons. CHAPITRE XVI Couplets à insertion Le refrain présente en français toutes sortes de formes et s’entrelace de toutes les manières avec les vers du couplet. Rien que pour passer en revue toutes ces combinaisons, il faudrait un volume entier. Il suffira pour notre objet d’en choisir une seule et (1 en suivre le développement. Prenons comme point de départ une strophe des plus simples et des plus fréquentes : le couplet de petits vers avec refrain double, c’est-à-dire comprenant aussi deux vers43. Par exemple, ces trois couplets de danse, que j’ai déjà cités et dont les deux derniers servent de prélude : (a) Dans mon jardin j’ai un rosier (?) Qui porte Heur au mois de mai. (a) Entrez en danse, et Ion Ion la l (?) Et embrassez f/ui vous plaira. (V. p. 199.) (a) Mon père a faict faire ung cliasteau, (?) Il est petit, mais il est beau. (y) Gaiement, ma mignonne, (8) Allons, allons gay, gaiement vous et moy. I53G (v. p. 200). — Couplets concaténés. (a) Hier au matin m’y levay, (a) En nostre jardin entray. (?) Las. je n’iray plus,

(y) Je n iray pas jouer au bois. XYP siècle (v. p. 221). — Couplets concaténés. Cette forme a été de bonne heure abandonnée par les poètes lettrés pour de plus complexes, et il n’en reste aucun exemple dans nos textes du moyen âge. Elle s’est conservée dans la chanson populaire. Mais là même, comme nous le savons, elle est assez rare: d’ordinaire, elle se complique de répétitions et d’insertions diverses dans la première partie, aussi bien que de variations diverses dans le refrain. L’évolution dont je vais parler a dû passer aussi par toutes ces formes. Si je voulais en tenir compte, j’embrouillerais mon exposé. Force m’est de simplifier. Ainsi que nous venons de le voir encore au chapitre précédent, il arrive souvent dans nos rondes que le premier vers de chaque ‘228 LE VERS FRANÇAIS strophe, grand ou petit, se reprend en chœur (p. 201 s.). Connue il change chaque fois, cette reprise collective ne va pas toujours sans accroc : il n’est pas donné à tout le inonde de répéter correcte- ment un texte, même court, après l’avoir entendu line fois seule- ment ou deux. 11 y faut un effort d’attention, de mémoire et de reproduction : quand il revient sans cesse dans le chant d’une longue romance, d’une longue chanson narrative, il ne peut laisser de fatiguer et d’entraîner par suite des erreurs de plus en plus nombreuses. Effort et fatigue, d’ailleurs, courent grand risque, en pareil cas, de gâter pour plus d’un l’intérêt du récit et le plaisir de la danse. On a eu recours à deux procédés, au moins, pour obvier à ces inconvénients sans porter atteinte au redoublement de la mélodie. Nous en connaissons déjà un : au lieu de la répé- tition du premier vers par le chœur, l’addition d’un vers en partie ou entièrement nouveau, que le soliste chante sur les mêmes notes (v. p. 169 s., 183 s., 205, etc., etc.). La continuité, l’aisance du récit peuvent y gagner. Mais, dans la danse ou simplement dans le chant collectif, l’animation y perd, l’intervention du chœur deve- nant ainsi moins fréquente. Cette intervention, l’autre procédé la facilite, au contraire, sans la réduire : au lieu de répéter le premier vers du couplet, le chœur chante tout de suite après, et séparément, le premier vers du refrain. Le refrain se trouve ainsi biparti :

(a) Dans 1 jardin de ma tante, (JJ) — Vive l’amour, adieu le bonjour ! — (a) Un oranger y a. (y) Vive la pipe, aussi le tabac!** Bujeaud, I, p. 240. Le refrain, que le chante-avant commençait par apprendre aux autres danseurs, soit comme lin du prélude, soit isolément, se retenait de mieux en mieux à chaque reprise et n’imposait aucun effort d’attention ni de mémoire, — à plus forte raison quand c’était un de ces refrains passe-partout que connaissait à peu près tout le monde. Cette insertion du premier vers du refrain entre les deux vers du couplet devait déjà être très populaire dans la première moitié du xir siècle : Hilaire l’a imitée dans plusieurs de ses poésies latines, mais avec refrain en français, preuve qu’il s’agit bien d’un emprunt à la chanson en langue vulgaire. En voici trois exemples : Si venisses primitus, — bol en ai — Non esset hic gemitus. Bais frere, perdu vos ai. P. 29-30 (trois strophes). — Le petit vers intercalé figure à peu près textuellement, comme unique refrain, dans une chanson d’his- toire du même siècle, « Bele Doette » : « E or en ai dol ». Nous le retrouvons plus lard, comme vers-signal, dans un rondeau de Guillaume de Dôle (v. 2374). Nisi visus fallitur, — Jo en ai — Tesaurus hic cernitur. De si grant mervegle en ai. I*. 37-38 (Irois strophes). Supplex ad te venio, Nicholas, Nam per te recipio Tut icei que tu gardas. I*. 38 (trois strophes). Dans la dernière de ces trois chansons le refrain a été rattaché directement au contexte et varie par suite légèrement à la troisième strophe : Nihil enim defuit — de tut cei que tu gardas. Dans les vieilles ballades scandinaves, le premiers vers du refrain double s’insérait aussi très souvent entre les deux vers du couplet; presque toujours quand c’étaient deux petits vers, à peu près jamais quand c’étaient deux grands vers *5. Voici deux exemples du premier cas : (a = o"; Moder lærte hun S0nnen sin : (y) — 1 Skove ! — (£ = P”) Du skydo ikke den liden Hind ! (S) Som Guldet bær under Bove DgF, n° 58, texte d’après DF, I, n° 12. Leden var lang, og Vejen var Irang, — Med Raade! — selv gik Yaldemar under Baarestang. Konning Yaldemar lover dem baade.

DgF. n° 121 (Bd. III), texte d après DF, I, n° 17. L’insertion a lieu dans la version de cette ballade qui s’est con- servée en Islande. Dans une plus récente, les deux vers du refrain sont réunis à la suite du couplet: c’est le seul cas de cette dispo- sition dans le recueil d’A. Olrik (DF, I, n° 18). * Que le refrain double soit biparti ou non, le premier vers est en général plus court que le second, jamais plus long, dans les * Strophe traduite p. 121. 230 LE VEHS FRANÇAIS

ballades danoises comme dans les poèmes d Hilaire. Il en est de même dans nos seize vieilles romances, dont quelques-unes sont contemporaines d’Hilaire, ou peu s’en faut : E amis ! Por medissans sous fors de mon pais. .« Belle Yzabel»; Bartsch, I, \ (xir siècle}. Or orrez ja Comment la bele Aiglentine esploila. Guillaume de Dôle; Bartsch, I. 2. Aé, (’uens Guis amis ! La vostre amors me tout solaz et ris. Bartsch, I. 0. — Cf. ib., n°* 12 et 1 i. Pour Hilaire, j’ai déjà cité des refrains bipartis. En voici qui ne le sont pas et dont le second vers est un décasyllabe de la forme G -}- -1 : Lase, cait ive ! Dos que mis frere est morz, porque sui vive ? P. 27 (quatre strophes). — « Hor ai dolor! », etc., p. 25 (quatre strophes); «Des, quel damage!», etc., p. 35 (trois strophes); «Ha! Nicholax ! », etc., p. 35 (deux strophes); « Hore t’ enci », etc., p. 36 (deux strophes). Le tableau suivant permet de comparer entre elles les formes que présente le refrain dans nos vieilles romances, dans les poésies d’Hilaire et dans les 83 ballades danoises du recueil d’Olrik (quand il y a deux vers ou davantage, ils riment toujours dans les deux premiers cas, une fois sur trois dans le dernier) : Refrain: 16 ti 83*

romances chaos d Hilaire bail, danoises 1 vers : sans rime ...... 5 2 53 avec rime ...... 1 0 ft 2 vers égaux ...... 3 0 3 *6 3 vers : égaux ...... l o 0 2 courts, 1 long.... 0 0 1 «t 2 vers : 1 court, 1 long.... 5 0 23 I long, 1 court...... 1 0 0 Dans nos romances anciennes, il n’y a qu’un exemple de refrain dont le premier vers soit plus long que le second : « Dens, doneis

2 sans refrain; 1 avec l interjection « llaa, haa, haa » au lieu de refrain. LIVRE IV 231 m’a marit Garin, — mon dous amin > (Bartsch, I, n° 8). C’est là une des très rares exceptions qui confirment vraiment la règle. Elle se rencontre dans une romance qui « est probablement d’Aude- t’roi le Bâtard, c’est-à-dire beaucoup plus moderne que les autres >. M. Jeanroy, qui s’exprime ainsi (p. 217), appuie cette opinion sur des raisons, de forme et de fond, aussi nombreuses que convain- cantes. Si nous nous reportons aux cinq romances-pastiches que Bartsch donne comme étant certainement d’Audefroi (I, n" 56-60), nous y trouvons deux refrains d’un vers sans rime (56, 60), deux refrains de deux vers égaux (58, 59) et un refrain de deux vers dont le premier est plus long que le second (57). C’est cette troisième forme, avec quelques cas de la deuxième (deux vers égaux), que présente dans Guillaume de Dole, c’est-à-dire vers 1200, la chanson de danse alors à la mode dans l’aristocratie, le rondeau, et elle y restera aussi la règle par la suite. Nous pouvons en conclure que dans les refrains doubles de nos chansons le premier vers avait commencé à se différencier du second en s’abrégeant, comme dans nos romances du xii* siècle, dans les imitations latines d’Hilaire et dans les caroles qui ont servi de modèle aux ballades scandinaves4*, mais que vers le commen- cement du xiii* siècle on a renversé les rôles en abrégeant au contraire le second vers, comme dans les rondeaux et dans les romances d’Audefroi le Bâtard. Est-ce dû, tout au moins dans le principe, à certaines modifications de la danse, par exemple à une vogue soudaine du branle simple? Si les trois premières catégories de chansons se ressemblent à cet égard, vers court -}- vers long dans le refrain double, elles n’en présentent pas moins des différences, qui sont intéressantes au point de vue chronologique. Dans nos vieilles romances, pdus archaïsantes que vraiment archaïques, la strophe se compose de deux à neuf vers semblables et monorimes, une seule fois de deux et en majorité de trois (5) ou de quatre (7), tous des grands vers sauf dans trois cas (n°‘ 15, 6 et 10), avec refrain purement final d’un ou deux vers, qui sont en général d’un autre mètre.

Dans les chansons à refrain d Hilaire, — première moitié du

xn siècle, — nous retrouvons la même forme huit fois sur onze : deux fois des strophes de quatre grands vers, des décasyllabes, avec refrain d’un vers plus court et sans rime; six lois des strophes de trois petits vers avec refrain final de deux vers inégaux, un court et un long. Dans les trois autres cas, la strophe se compose de deux j>etits vers et d’un refrain biparti. ‘232 LE VERS FRANÇAIS Dans les ballades scandinaves, ces deux types figurent aussi : le refrain seulement final 54 fois et le refrain biparti 26, — dans le recueil d’Olrik, — c’est-à-dire avec un léger changement de proportion en faveur de la seconde forme. Nous y rencontrons en outre, mais rarement, deux combinaisons plus récentes : d’une part la concaténation, dont j’ai déjà parlé; de l’autre, le refrain biparti avec répétition du vers intercalaire avant le second. Ex. : Hr. Peder og Hr. Oluf de sad over Bord. üpvnder den Lind De snakked saa mangt et Skæmtens Ord. Opunder den Lind

Drr vaaguer Ailerlüt resten min. DgF, n° 73 (Bd. II), texlp d’après I)F II, 9. Ce genre de répétition figurait certainement déjà dans telles des caroles qu’ont prises pour modèle les Folkeviser. C’est lui, en effet, avec la concaténation, qui sert de base au rondeau, et il existait par suite auparavant. Mais il apparaît dans le rondeau avec une modification de l’ancien type que n’ont pas importée les Folkeviser : la supériorité en longueur du premier vers sur le second, dans le refrain, quand ils ne sont pas égaux. Les Scandi- naves nous ont donc emprunté la carole sous la forme qu’elle devait présenter couramment vers la lin du xii* siècle ou le com- mencement du xnr. Non plus que la concaténation, l’insertion du premier vers du refrain ne se trouve dans nos textes français du moyen âge sans autre addition à la strophe primitive. Contrairement à la conca- ténation. elle est. dans les mêmes conditions, à peu près inconnue à notre chanson populaire40. En revanche, l’insertion sans plus du second vers n’y est pas rare : (xj Mon père a fait faire un étang; (x) C’est le vent qui va fri volant. (P) Il est petit, il n’est pas grand. ljï2) C’est le vent qui vole, qui frivole, (x2) C’est le vent qui va frivolant. <■ Le Canard Blanc », version de Bretagne (avec concaténation). — Rolland, t. I", p. 252. Le vers intercalé a imposé sa mélodie au premier du couplet, ou inversement : c’est utile pour la rappeler au choeur. La strophe présente donc la forme originairement sans doute ax(ifix, comme dans le n° CXLII a de Rolland (t. Pr, p. 297, « La Fille dans la Barque »), etc. Voilà qui nous aide à comprendre pourquoi

l insertion du second vers du refrain l’a emporté dans notre chanson LIVRE IV 233 populaire sur celle du premier. Comme exemple de ce dernier cas, je puis citer la version des « Trois Canards » que j’ai entendu chanter plus d’une fois, dans mon enfance, en Hasse-Normandie : soliste (a) Dorrièr’ chez nous y a un étang : chœur r,° (a) En roulant, ma boule roulant. soliste (a) Trois beaux canards y vont nageant, chœur (a) En roulant, mu boule roulant, (?) En routant ma boule. aaaa? : cette disposition mélodique présente plus de monotonie que et vient moins en aide au chœur. Aussi ne l’a-t-on conservée, en général, qu’en y ajoutant d’autres variations, sous forme de répétition ou d’addition. On pourrait en citer de nom- breuses. Je m’en tiendrai à une seulement, qui ne saurait manquer d’intéresser par son développement ultérieur, le rondeau. Pour bien rendre compte de cette évolution, il faudrait sans doute envi- sager toutes les formes de refrain d’où l’on a pu partir pour aboutir par degrés à ce genre de poème. Mais ce serait là un écheveau d’hypothèses malaisé à débrouiller. Simplifions. Je choisis l’exemple qui se prête le plus naturellement à cette explication. Je ne prétends pas que dans ce cas particulier les choses se soient passées exactement comme je vais l’exposer : mon but est simple- ment de montrer quelques-unes des formes intermédiaires que la strophe a dû revêtir à divers moments, dans l’ensemble des faits, avant de recevoir celle du rondeau. Je pars d’un refrain passe-partout dont les deux vers, un long et un court, riment ou plutôt assonent ensemble : l a] E non Deu, Itobins enmaine [?] Bele Mariete. Guillaume de Dole, v. 525-6. Dans ce poème, ils s’ajoutent comme conséquent à un antécé- dent passe-partout de prélude :

[a] C’est la jus desoz l olive, [a] La fontaine i sort serie. Nous ne possédons pas la musique de cette strophe, mais nous savons, par celle de tous les morceaux plus évolués du même genre, les rondeaux, que le premier vers du conséquent, destiné à devenir refrain, empruntait dans le principe sa mélodie aux deux vers de l’antécédent, au temps où il s’agissait vraiment d’un prélude, et que par la suite il leur imposait la sienne propre51. On a pu commencer par l’intercaler entre eux sans le modifier, d’abord 234 LE VERS FRANÇAIS comme clans les strophes analogues d’Hilaire (1"), puis, en le répétant après le couplet, comme dans la variante des « Trois Canards » citée p. 233 (2°) : 1° [a] .C’est la jus desoz l’olive, [aj — E non beu, Hobtus enmaine — [a] La fontaine i soit serie. [3] Bele Mariete. 2° [a] C’est la jus desoz l’olive, [a] — E non Deu, Hobins enmaine — [a] La fontaine i sort serie. [i] E non ben, Hobins enmaine [£] Bele Mariete. Mais afin de parfaire la ressemblance entre les trois premiers vers, qui se chantaient sur la même mélodie, on ne tarda pas, sans doute, à donner au vers intercalé la même rime qu’aux deux autres.

C est ainsi qu’il se présente dans Guillaume de Dole : C’est la jus desoz l’olive,

— Hobins enmaine s amie. — La fontaine i sort serie. E non Den. Hobins enmaine Bele Mariete. V. 521-3, 525-6. On ne pouvait laisser d’en venir bientôt à conserver la même forme au premier vers du refrain dans la répétition après le cou- plet, ce qui laissait le dernier vers sans rime :

Hobins enmaine s amie, Bele Mariete. C’était encore un pas, l’avant-dernier, pour atteindre la forme « correcte > du rondeau. Il n’a pas été franchi dans cet exemple particulier, si nous nous en rapportons à notre manuscrit52, pas plus que dans le rondeau populaire chanté en 1896 à Vaucottes (v. p. 41). Mais il l’a été, presque partout dans Guillaume de Dole : (a) La jus desouz l’olive, (a) — S’e vos repentez mie l — fa) Fontaine i sourt serie. (aj Ne vos repentez mie (£) De loiaument amer. V. 2360 s. — Mélodie d’après Gennrich, n° 11. Le second vers du refrain reste donc sans rime dans le rondeau encore en évolution, et ce manque de rime a pu contribuer à » LIVRE IV 235 inspirer l’innovation dont je vais parler. On a dû aussi chercher à éviter cette répétition ininterrompue de la même mélodie, quatre a, dont la monotonie a fuit abandonner dans nos chansons populaires l’insertion pure et simple du premier vers du refrain. Enfin, certains rythmes connus ont pu suggérer ou imposer un cadre, que ce soit le mètre musical de la strophe commune à Guillaume IX et à Hilaire (v. p. 188), ou plutôt encore, puisqu’il s’agit de chansons à danser, les airs du branle double à trois figures, du branle composé cité au chap. III (p. 38), etc. Mais c’est ailleurs, probablement, qu’il faut chercher la cause principale, prépondérante. Le corps de la strophe n’était pas le même dans toutes les rondes, et la répétition de la même mélodie dans le couplet du rondeau pouvait laisser supposer qu’elle se continuerait sur de nouveaux vers, comme dans la rotrouenge : il n’était pas inutile, surtout au début, de donner aux chanteurs le signal du refrain. A quel degré de l’évolution du rondeau a-t-on songé à y insérer un mot-signal, un vers-signal comme partie intégrante de la strophe? De bonne heure, il est certainement arrivé plus d’une fois au chante-avant de crier aux danseurs : « Allons, tous en- semble! » — « Allons, chantez! > — « Chantez donc! » — « Chantez et dansez! » — « Dansez! » — « En avant !> (on sait qu’avec le refrain la danse reprenait de plus belle, tournait avec plus d’entrain). Bien de plus naturel que d’intercaler dans la strophe pareille invite. Nous en trouvons des exemples dans nos chansons populaires : (a) C’était pour me donner mari, (a) C’était pour me donner mari, (?) M’en a donné un à choisir. (y) Allons, allons, allons, tretous! (a2) Quand je ne puis courir, je vole, (aj Quand je ne puis voler, je cours. Rolland, t. I*r, p. 77. Le vers-signal, qui reprend avec plus de vivacité la mélodie du vers précédent, — fa sib la sol (bis), au lieu de fa sol la sol (bis), — présente bien, plus net encore par suite de cette opposition, le caractère d’un appel, d’une exhortation. Sous cette forme, cependant, c’est-à-dire comme insertion indé- pendante du contexte, le vers-signal n’a dù entrer dans la strophe de nos chansons, populaires ou autres, que vers la fin du xii* siècle. Dans les rotrouenges, le signal du refrain est donné d’une manière plus discrète par un simple changement de mélodie et parfois de rime. Le vers-signal proprement dit n’apparaît nulle part dans nos textes certainement antérieurs à 1200 53, non plus que dans les ballades Scandinaves, qui s’en tiennent aux formes employées couramment par nos caroles ordinaires aux environs de cette >36 LE VERS FRANÇAIS date Mais nous le trouvons, et plusieurs fois sous sa forme primitive d’exhortation à chanter ou à danser, dans les enrôles aristocratiques de Guillaume île l)ôlc et les semblables, bref dans les rondeaux : La jus desouz l’olive, — Se vos repentez miel — Fontaine i sourt serie. Puceles, enrôlez! Ar

(a) C est la jus par desous l’olive (a) — Je me)irai ma très douce amie — fa) Fontenelle i couroit serie. ({J) Or charolésî » (a) Je menrai ma 1res douce amie fpi Aval les prés. Xoaitles (Gennrich, n° 33). La mélodie du vers-signal «or c-harolés! » a aussi le carac-

tère d un appel, — voire d’un signal de trompette : fa sol la do! La strophe de rondeau est maintenant complète : un (petit) couplet, un refrain double et deux insertions, c’est-à-dire celle du premier vers du refrain entre ceux du couplet et celle du vers-signal, insertions qui ont la même forme et la même mélo- die (pie le refrain. En outre, les deux vers du couplet et le premier du refrain se chantent sur les mêmes notes : a x i {i a £ 55. Cette strophe se rencontre donc pour la première fois dans les caroles de Guillaume de Détle, c’est-à-dire vers 1200. Elles l’ont toutes adoptée, à trois exceptions près, dont l’une, « Renaus et s’amie », présente le mètre ancien et populaire, — délaissé alors dans les milieux courtois, — de la « chanson d’histoire », de la romance. Celles à forme de rondeau ne se conforment ce- pendant pas encore toutes exactement au modèle ci-dessus, — nous en avons vu plus haut un exemple, — et il n’est pas sûr, malgré la négligence avérée du scribe, qu’il faille toujours attri- buer la divergence à une faute de copie. Les refrains cités à part dans le poème se composent de deux vers qui riment ou assonent ensemble, tout comme celui de l’exemple en question (« enmaine : Mariete ») : E non Deu sire, se ne l’ai, L’amor de lui, mar l’acointai. V. 291-2. — Cf. : Je l’avrai, ou je morrai, — L’amor de li, mar lacoinlai. Baude do la Quarière (Bartsch. III, n° 46).

Si mes amis m a guerpie, Por ce ne morrai-je mie. V. 304-5. LIVRE IV 237 A (juel genre de « chansonetes » ces deux refrains passe- partout pouvaient-ils bien être empruntés, si ce n’est à des chan- sons de même type que les autres de la joyeuse bande de dames et de chevaliers, c’est-à-dire à des rondeaux (v. 295-99, 310-15, 318-22, 329-32)? Mais l’évolution a-t-elle bien suivi la voie que j’ai essayé de repérer et que M. .leanroy avait déjà au moins entrevue (j). 406 s.)? A-t-elle pris un autre chemin, d’autres chemins peut- étre, qui ont pu ou non se croiser avec le premier? C’est possible. La strophe suivante ne diffère de formes à la fois primitives et fréquentes que par l’insertion d’un vers-signal : (a) En passant par un échalier, (a) En passant par un échalier, (a) J’ai laissé tomber mon panier. ((J) Vous m’amusez toujours!

(a) Aon, j’n irai plus sculette au bois, (fi) J’ai trop grand’ peur du loup. Version de Vendée, avec concaténation (Bibl. Nat., Poésies popu- laires de la France, t. VI, f. 5, et Holland, t. I*r, p. 231). Cette strophe est toute proche du rondeau : elle en a la struc- ture métrique et mélodique, aussi bien que le vers-signal assonant avec le second vers du refrain. 11 n’y a plus qu’à faire rimer le premier vers du refrain avec ceux du couplet et à le substituer à la répétition du premier de la strophe. Est-ce là l’ordre des transformations qui ont abouti au rondeau? Celui que j’ai exposé d’abord me semble plus naturel et repose sur des formes attes- tées au xii* siècle. Mais il a pu y avoir des tentatives dans les deux sens il a pu y avoir croisement. La strophe « En passant par un échalier »... n’est-elle pas sans doute elle-même une conta- mination inverse de la forme du rondeau avec de plus simples? Quoi qu’il en soit, le rondet, rondel, plus tard rondeau, n’a pu se dégager que peu à peu d’essais divers, dont l’un a fini par l’emporter pour les raisons données plus haut, et cette évolution a dû se produire vers la fin du xii* siècle. ** Le vers-signal du rondeau avait donc pour but d’annoncer le refrain ou plutôt d’inviter à le chanter et à reprendre en même temps la danse avec plus d’entrain. Dans certains cas, il indiquait aussi aux danseurs la figure, le mouvement à exécuter. Nous en *238 LE VERS FRANÇAIS trouvons également des exemples dans nos chansons populaires : (a = ) Pilons l’orge, pilons l’orge,

([} = ?» ) Pilons l orge, pilous la! (a = or ) Mon père my maria,

(y = *»?«) — Pilons l orge, pilons la! —

(y„ = ~?j A ung vilain my donna. (8 = pipi) Tirez vous cy, tirez vous la!

(a = or ) Pilons l’orge, pilons l orge,

(3 =: pu ) Pilons l orge, pilons la! Second livre... P. Atteignant, 1510, f. XIII. Le chante-avant rappelle aux danseurs les mouvements qu’ils doivent exécuter en « pilant l’orge ». Le refrain, qui est pris dans une « chanson à travailler », a fourni le fond de la musique. La mélodie du vers-signal, ré1 do1 si la (bis), convient parfaitement à une injonction. D’autre part, elle reproduit exactement les der- nières notes du vers précédent, et, un ton plus haut, les premières du second vers du refrain. Naturellement, l’injonction se renou- velait à chaque strophe, tout aussi bien que lorsqu’elle figurait dans le refrain, comme dans celui-ci : Vous qui amez, traiez en ça, En la, qui n’amez mie. Cours de Paradis, 380 (v. Bartsch, p. 376). L’indication d’un mouvement, qu’elle se donne dans un vers- signal ou dans un refrain, semble parfois s’adresser seulement à une partie des danseurs : C’est la jus en la roi prée

— Cele m a s’amour donnée — La fontenelle i sort clere. Faus vilains, traiés en la!

Cele m a s’amour donnée Ki mon euer et mon cors a. Moailles (Gennrich, n° 35). Por Dé. trahez vos en la.

Qui n amez mie. Carole citée dans un sermon (refrain). Comme elle n’alterne pas avec l’invitation inverse, — « vous qui amez, trahez en ça! » — c’est là sans doute une intimation aux « faus vilains »#■ à ceux qui n’aiment pas, quels qu’ils soient, de ne point prendre part à la figure de la balerie — ou tout sim- plement à la danse. Faut-il regarder aussi « Remirez vos bras » (Guillaume de l)ôle, v. 516) comme une indication chorégraphique? Non seulement il aurait été assez monotone de toujours an- I LIVRE IV 239 noncer le refrain par l’invitation pure et simple à « chanter », « caroler », etc. : ç aurait été fort incommode pour la rime. On a donc recouru bien vite à des formules purement convention- nelles, qui justement par leur apparition brusque et non motivée, aussi bien (pie par le brusque changement de mélodie, ne pou- vaient manquer de s’imposer à l’attention des danseurs. Dans l’un des premiers exemples que j’ai cités de ces signaux, le chante-avant amorce pour ainsi dire le refrain en en lançant le premier mot, « lourdault », comme un appel auquel le chœur répond en écho (p. 195). Voici quelque chose d’analogue, toujours dans une chanson populaire : Mon père a fait planter z’un bois — Ü Regnault, réveille-toi! — Dedans ce bois il vient des noix. Regnault! 0 liegnault, réveille, réveille, 0 Regnault, réveille-toi! «Les Noix» (version des Ardennes), Rolland, t. I*r, p. 118.

En réponse à l’appel du mot-signal « Regnault », — ré mi +ré , avec un point d’orgue sur le mi, — «O Regnault» se chante un ton et demi plus bas dans le premier vers du refrain (si do1 si), deux tons et demi dans le second (la si la). Dans une autre chanson, un rondeau, ce sont les paroles du vers-signal qui détonnent soudain avec fracas : (a) As tu point veu rouge nez, (P) Le maistre des ivrognes? (a2) Mon père m’y veut marier, (aJ — As-tu i>oint veu rouge nez? — (a) En un vieillard m’y veut donner. (P2) H pleut, il vente, il tonne! la) As tu point veu rouge nez, (p) Le maistre des ivrognes? Mangeant III (1615); Rolland, t. II, p. 85. Tandis que la mélodie du second vers du refrain tombe par degrés conjoints sur un fa, celle du vers-signal, — et c’est la seule

différence, — rebondit de cette note par une quinte, fa do , sur le mot « tonne ». Avec l’étrangeté des paroles, c’est plus que suffisant comme signal. Ailleurs, on se contente, toujours comme signal, d’un mot ou d’un bout de phrase quelconque : (a) J’ai tant dansé, j’ai tant sauté, (p) — Dansons, ma bergère, oh! gai! — (y) J’en ai décousu mon soulier. (8) A l’ombre. ‘240 LE VEKS FRANÇAIS (xj Dansons, ma bergère, joliment, (yj Que le plancher en rompe! <- Le Soulier déchiré », version du Canada (Rolland, t. II, p. joq d’après tîagnon).

« A l’ombre » se chante sur l’accord parfait de la dominante,

ré ré si sol, avec le seul glissé de la mélodie. Ce mot-signal n’olîre nulle part le moindre sens. Mais comme il n’est pas séparé du vers précédent par une pause, il peut amener dans le texte des rencontres cocasses ou à double entente : Faut aller trouver le curé à l’ombre; — Faut m’attendre encore une année à l’ombre. Comparez le vers-signal du rondeau chanté encore en 1896 à Vaucottes (p. 41). Remarquons en passant que nous avons dans les deux cas un rondeau irrégulier, par suite du changement apporté, en vue de la rime, à la lin du vers du refrain intercalé entre ceux du couplet : cf. « s’amie » au lieu de « enmaine » dans le rondeau choisi plus haut, comme point de départ, pour

l histoire de ce poème (v. p. 234). Voici une chanson populaire de forme différente : (a) Je descends dans mon jardin, (aj Je descends dans mon jardin, fa5) Par un escalier d’argent. (¡i) Belle rose!

(ag) Par un escalier d argent. ia4) Belle rose du printemps. « Marie-toi, car il est temps », version des environs de Lorient (Rolland, t. I", p. 230). Le refrain a pour premier vers le second du couplet. Le soliste chante donc avant le chœur tout le commencement du refrain en s’arrêtant sur « Belle rose! » qui se distingue du contexte par une mélodie différente, la sol fa do, et peut ainsi très bien servir de signal. Il n’est pas le moins du monde question de « roses » dans « l’histoire » de la chanson. Comme le vers-signal revient à chaque strophe et que nos chansons ne se chantent plus guère que solo, il semble faire partie du refrain. Dans les rondeaux de carole, au contraire, où il a fini par

s incorporer au texte du chante-avant, il passe aux yeux de beau- coup pour en avoir toujours fait partie. Un instant de réflexion suffit pour se convaincre qu’il n’y présente pas plus de sens que dans nos chansons populaires actuelles : Aaliz main se leva; — Bon jor ait qui mon ruer a! — Biau se vesti et para. Desoz l’aunoi! LIVRE IV 241 Bonjour ail qui mon cuer a, N’est pas o moi. Guillaume (te Dôlc, v. 1572-77. Il est bien certain qu’Aaliz avant de sortir dans son jardin, comme nous l’apprend la suite de la carole, n’est pas allée, au saut du lit, s’habiller et se parer « desoz l’aunoi ». Pas davan- tage, évidemment, « desoz le raim » (ib., v. 213) et encore moins « soz la Roche Guion » (ib., v. 534), qu’il s’agisse du château ou des coteaux crayeux, — s’il s’agit de quelque chose d’autre que d’un nom rimant avec le second vers de ce refrain passe- partout : Cui tairai ge mes amors, Amie, s’a vos non? En réalité, tous ces vers-signaux jouaient d’autant mieux leur rôle qu’ils surprenaient davantage par leur manque de sens ou par un heurt d’images incongrues. Quelle signification peut-on bien donner à celui de la strophe suivante? C’est la gieus enmi les prez,

—J ai amors a ma volonté. — Dames i ont bauz levez. Gari m’ont mi oel.

J ai amors a ma volonté, Tolcs coin je vocl. Guillaume (le Dole, v. 5426-31. Dans les rondeaux, on ne s’en est pas tenu aux petits vers, on en a aussi composé en grands vers non résolus : Main se leva la bien felc Aeliz, — Par ci passe li bruns, li biaus Bobins. Biau se para e plus biau se vesti. Marchez la foille, et g: qieudrai la flor. Par ci passe Bobins li amorous, Encor en est li licrbuges plus douz. Ib., v. 5 S1-6. Le vers-signal ne se rattache aucunement par le sens à l’his- toire d’Aélis. Faut-il supposer dans ce rondeau une faute du copiste? Il est irrégulier, — encore imparfait? — de la même manière que celui par lequel j’ai commencé mon exposé :

C’est la jus desoz l olive,

— Bobins onmaine s amie. — La fontaine i sort serie. Desoz l’olivete. E non Dcu, Bobins enmaine Bole Mariete. Ib., v. 521-6. P. Verrier. — Le Vers français. — L 242 LK VKRS FRANÇAIS Ici, le vers-signal semble offrir un sens, mais il fait en réalité double emploi avec le premier vers, ce n’est qu’un pléonasme, et dans les autres strophes il ne pouvait laisser de perdre toute signification. Au fur et à mesure que la forme du rondeau se fixait et devenait familière, le vers-signal perdait sans doute plus ou moins de son utilité pratique; peut-être ne se conservait-il plus guère, à la fin, que comme partie constituante de la strophe, ______c’est-à-dire pour le mètre, la mélodie et la rime, — et comme ornement. C’est à cela qu’il se réduisait, évidemment, quand le poème était chanté d’un bout à l’autre par une seule personne ou par plusieurs, comme dans les motets, à plus forte raison quand on le lisait simplement à haute voix ou des yeux. Mais le

vers-signal, quel qu’en fût le rôle, n en est pas moins resté

longtemps, — jusqu à nos jours dans la chanson populaire, — une pièce détachée, indépendante, sans liaison avec le contexte, corps de la strophe ou refrain. Il serait facile d’en multiplier les exemples. Mais passons. Jusqu’ici nous n’avons considéré que la strophe de rondeau, non le poème tout entier. Celui-ci n’avait pas encore atteint dans (¡uillaume de Dole le développement qui lui a valu ce nom de « rondeau » ou de « ronde » : « Rotunda vel rotundellus ...dicitur eo quod ad inodum circuli in se ipsam rellectitur et incipit et terminâtur in eodem (Jean de Grouchy, p. 92), c’est-à-dire parce qu’il tourne en cercle, en rond, et revient en finissant à son com-

mencement. ( .’est encore ainsi que Sibilet, dans son Art portique fronçais (l.")7(»>, explique le nom du «rondeau». Dans (¡uillaume

de I)ôle, l auteur ne cite jamais à la fois plus d’une strophe de

rondeau : c est presque toujours un prélude à antécédent passe- partout. cliché; ailleurs, l’antécédent est remplacé par un autre cliché, le premier couplet de la balerie d’Aélis. En chantant cette strophe tout seul, le chante-avant apprenait le refrain aux autres danseurs, et la chanson se continuait ensuite avec la carole, comme nous le savons par d’autres témoignages pour celle d’Aélis (v. 147). Mais plus tard, quand le prélude eut perdu son anté- cédent, le refrain figurait seul en tète du rondel, avant la pre- mière strophe, par conséquent, aussi bien qu’à la fin de la der- nière : la chanson se terminait bien en revenant à son commen- cement. Le rondeau n’était pas seul dans ce cas : seul, pourtant, il en a tiré son nom.

C est en réalité par la structure de la strophe, texte et mélodie, qu’il se distingue. C’est bien, d’autre part, le premier de nos . LIVRE IV 243 poèmes connus qui emploie certainement la concaténation, et cela toutes les fois qu’il nous en est parvenu plus d’une strophe50. Mais ce genre de répétition ne s’en est pas moins développé d’abord, nous devons le croire, dans des chansons de forme plus simple, de tonne « populaire », comme on n’en a recueilli qu’à partir du xv* siècle (v. cliap. XV). Il ne nous reste en entier, avec vers-signal et refrain, qu’un seul rondeau du xir siècle ou du commencement du xiii* : celui (Iui a servi de texte à un sermon, vers 1214, et qui nous a été transmis dans trois manuscrits, — Paris, Londres et Poitiers, — avec les commentaires du prédicateur5T. Il va sans dire que le digne ecclésiastique s’est contenté de réciter tout d’une suite les couplets, c’est-à-dire les vers contenant « l’histoire », l’histoire de Hele Aëlis, en terminant par le vers-signal et le refrain. Dans l’un des trois manuscrits, celui de Poitiers, le scribe, qui savait sans doute la carole par cœur, a machinalement écrit après le premier vers de son texte, comme le comporte la règle du genre, le premier vers du refrain. Voilà, — sans parler du reste —, qui achève de nous renseigner sur le caractère du morceau. Nous pouvons le reproduire tel qu’il s’est chanté : Por Dé. trahez vos en la.

Qui n amez mie. 1. Mele Aalis main leva, — Por Dr, trahez vos en la! — Vesti son cors et para. Rose florie! Por Dr, trahez vos en la,

Qui n amez mie. II. Vesti son cors et para, — Por Dé, trahez vos en la! -- En un verpier s’en entra. Rose florie! Por Dr, trahez vos en la. Qui n’amez mie. III. En un vergier s’en entra, — Por Dr, trahez vos en la! — Ci ne flores! es i trova. Rose florie! Por Dé, etc. IV. Cinc flores!es i trOva, — Por Dé, trahez vos en la! — Un chapelet fel en a. Rose florie! Por Dé, etc. 244 LE VEHS FRANÇAIS * * « Rose fleurie » : nous avons trouvé le pendant, t belle rose! > dans une chanson moderne (p. 240). On a dû employer comme signal le nom d’autres lleurs. Puisque notre carole avait aussi gagné la faveur des Italiens, ainsi que nos chansons à danser ou autres, c’est peut-être la fin de strophes semblables qu’ils ont imitée dans le storncllo, dont le nom vient également de France (fr. cstorn, estor). Cf., au point de vue de la forme : Rose llorie! Por Dé, trahez vos on la, Qui n’amez mie. Fior de lo pôru!

Chi ve ne mettirà d’un beU anèllu, Ar oollu na culanha tütta d’ôru? Nigra, p. 582. — «< Fleur du poireau! — Qui vous mettra [au doigt] un bel anneau, au cou un collier tout en or?» Ix1 premier vers du slornello, tout à fait isolé par le sens, se rattache au troisième par la rime (v. Livre I", note 145). N’était-ce pas dans le principe un appel que l’un des jouteurs lançait à l’autre, pour l’inviter à répondre par deux vers sur la rime fixée à l’aide d’un nom de fleur? Voilà qui rappellerait aussi le vers- signal et le refrain du rondeau. C’est le manuscrit de Paris que j’ai préféré suivre pour déve- lopper ci-dessus le rondeau d’Aélis cité en abrégé par un prédi- cateur 68. Le manuscrit de Poitiers n’a conservé du refrain que le vers intercalé et il ajoute une syllabe au vers-signal : « de rose tlorie ». Le manuscrit de Londres en ajoute deux, aussi au second vers du refrain : « de bel rose llurie » — « vus ki ne amez mie >. Le refrain revêt ainsi une forme plus courante. C’était un refrain passe-partout. 11 se retrouve sous une forme encore plus à la mode du temps, mais aussi avec plus de gau- cherie dans le style, aux str. ni et iv d’un cantique dont nous possédons la musique : Pour Dieu, traez vos en la, car voz n’amez mie (Gautier de Coinci, Bibl. Nat. ms. fr. 25.532, f. 109). La musique, — oii il manque une note avec cette rédaction, — peut s’appliquer à notre carole dans la variante de Paris 50. Le vers-signal et le refrain n’étaient cités qu’une seule fois dans le sermon, tout à la fin du texte. On peut se demander si le prédicateur ou plutôt le copiste anglo-normand, celui également du manuscrit de Poitiers, n’a pas rattaché dans sa pensée le vers- signal au vers précédent : « ung chapelet fet en a de (bel) rose ilurie ». Ou bien l’auteur aurait-il songé lui-même à pareil rat- tachement dans tout le morceau? Qu’Aélis entre dans un jardin de (belle) rose fleurie, qu’elle y trouve cinq fleurettes de (belle) rose fleurie, c’est tout naturel, malgré le pléonasme de la dernière phrase. Il l’est beaucoup moins qu’elle vête et pare son corps de (belle) rose fleurie, surtout avant d’être allée en cueillir. C’est pourtant beaucoup moins incongru, bien certainement, que de sembler nous la montrer qui se vêt et se pare dessous l’aunol, ou la ramée, ou la Roche-Guyon, et nous savons qu’on n’évitait point ces coq-à-l’âne plus ou moins saugrenus, qui attiraient l’attention sur le vers-signal et pouvaient en outre amuser les danseurs. J’avoue, néanmoins, que « Rose fleurie! » tout seuL, comme « Relie rose! » dans la chanson moderne, me paraît au moins aussi clair, en tant que signal, et plus élégant. C’est évi- demment ce que pensait aussi le scribe du manuscrit de Paris, — sinon l’auteur lui-même. Il est bien certain, d’autre part, que peu à peu les auteurs ont cherché à incorporer le vers-signal au texte même de la chanson, à « l’histoire » ou à ce qui en tient lieu. C’est ainsi qu’a dù commencer la transformation du rondeau, qui s’est ensuite éten- due, par le même procédé, aux deux vers du refrain. Dans bien des cas, on peut se demander si le poète en a vraiment eu l’intention. Mais le rattachement est parfois très net. Même alors, malgré la difficulté, on s’est efforcé de conserver partout intacte la forme du vers-signal : I. (a) N’en puis ma grant joie celer, (xj — En Egipte m’en vveil nier. — (»’) Enfant, or m’aidiés a chanter (£) Par joie avoir. (a#) En Egiptc m’en vveil alcr (p) Joseph vëoir. II, IV et V. Por joie avoir. HT. Sans joie avoir. Bibl. Nat. f. fr. nouv. acq. 1O036, d’après Gennrich, n° 40. Nous en trouvons des exemples jusque dans le manuscrit de Rayeux (xv* siècle) : (a) Vecy le may, le joli y moys de may (3) Qui nous demeine. LE VERS FRANÇAIS

1. cO jai tlin do mon père ont ray (al Yecy /«? le jolly moys de may — a’ Trois fleurs d’amour* y trouvay (*• (P? (P.) En la bonne estraine. Yecy le may. le jolly moys de may Qui nous domaine, Qui nous demaine. 11.** l’n chapelet en feray En la bonne estraine. 111. A m’amye l’en\oy(e)rai A la bonne estraine. IV. Si le pieni, bon gré luy sçay A la* bonne est raine. V. Ou sinon, renvoy(e) le may A la bonne estraine. VI. Ine aulire atnve en feray A la bonne estraine. Bnyeux, eli. LXXXII. p. 98. La phase suivante dans l’évolution du rondeau a consisté à rattacher au contexte par le sens le vers intercalé du refrain biparti, puis à le remplacer par un vers différent. Dans la strophe que voici, le vers substitué rentre peut-être dans le cadre du récit, tout comme le vers-signal, mais ils restent encore l’un et l’autre indépendants du contexte : Manberjon s’est main levée — Huer i viy diorée*** — A la fontaine est alée. Or en ai dol. Dieu s, Dicus, or est demourée A reve trop. Guillaume de Dole, v. 2370-76 (avec les corrections de Genn- ric-h, n° 12). Ailleurs, et plus tard, le vers substitué est complètement in- corporé au couplet : fa) Amors m’ait an sa baillie (a) Qui me tient cointe et jolie;

(a) J amerai sans vilonie (¡3) Teil ke ne sai. ele.

Douce, Ballelle 98 (d après Gennricb, 11” 235). * = « mélilot ». ** Je ne cite plus que le second vers de chaque couplet et le vers-signal. *" « Heureusement y vins parée. » LIVRE IV 247 Malgré les modifications du texte, la musique, ici encore plus conservatrice, n’a pas changé de forme. Cependant, comme c’était le premier vers du refrain qui, en s intercalant entre ceux du couplet, continuait à leur conserver sa propre mélodie, son remplacement par de nouvelles paroles devait finir par entraîner des changements à cet égard. Le rondeau est ainsi en train de se muer en . Voici une forme intermé- diaire : (%) Por coi me bait men maris? (fi) Laisette! I. (y) Je ne li ai rionz méfiait (aj Ne riens ne li ai mesdit (a) Fors c’ aocolleir mon amin (P) Soulete. R. II. Et s’il ne mi lait durcir Ne hono vie menoir, Je lou ferai cous clameir, A certes. R. III. Or sai bien que je ferai Et cornent m an vangerai : Avec mon amin geirai Nuete. l*or coi mi hait mes maris} Laisette! Douce, Pastourelle G (d’après Gennrich, n° 151 ; Bartsch, I, ir 23. Les vers substitués au vers-signal et au vers intercalé varient à chaque strophe. C’est probablement par une erreur du copiste que le premier vers de la première strophe ne rime pas. Mais c’cst du fait de l’auteur lui-même que le premier vers du refrain ne rime pas dans les strophes ii et m. Cette irrégularité se re- trouve dans certains rondeaux populaires — ou primitifs. Il en est de même également dans le « Rondel Willamme d’Amiens paignour » : (a) C est la fins, koi que nus die, (ft) J’amerai. (y) C’est la jus en mi les prés, (Y) — c’est la fins, je veut amer. — (a) Jus et baus i a levés, (p) Bele amie ai. (a) C’est la fins, koi que nus die, (P) J’amerai. Gennrich, n° 49 (refrain passe-partout). 2-IS LE VERS FRANÇAIS 11 ne subsiste plus rien de la mélodie du refrain dans les deux premiers vers de la strophe : bien que les paroles soient restées assez près de l’ancienne forme par l’indépendance relative des vers substitués au vers intercalé et au vers-signal, le rondeau s’est ici pour la première fois, — 11 notre connaissance, — méta- morphosé en virelai. Déjà dans le rondeau, le refrain s’incorporait quelquefois par le sens au reste de la strophe : on en trouve plus d’un exemple dans Li Rondel Adam, dans les ballettes du Ms. Douce, etc. Qu’il se soude de la même manière avec le contexte dans un virelai semblable au plus ancien, à celui de Guillaume d’Amiens, nous avons la strophe de Guillaume IX dans la chanson narrative où ligure le chat roux (v. ci-dessus, p. 188). Il y en a plusieurs chez Hilaire, soit en latin et en français, soit seulement en latin, (jui présentent la même structure avec des mètres dilTérents, et, sauf dans une (que je vais citer), avec une coupe bien marquée avant le quatrième vers, où commence le refrain (v. p. 204): Ad honorem lui, Dari, Quia deçet [nosj letari, Omnes ergo mente pari Gaudeamus, Laudes tili débitas referam us. P. 51-2 (quatre strophes). On pourrait prendre « gaudeamus » pour un vers-signal. Comme je l’ai dit à propos de la ronde carole, une forme de rondeau fréquente dès le début, depuis Guillaume de Dole, cor- respond aussi par le choix des mètres et l’ordre des rimes, 8 bbb 4 c 8 b 4 c, etc., à la strophe de Guillaume IX dans les chansons IV et VII, strophe dérivée de celle du chat roux par l’addition d’une rime à l’avant-dernier petit vers. Cf. : (») Main se leva bele Aéliz, (a) — Mignotement la roi venir — {%) Bien se para, mieus se vesti. ¡ï Desoz le raim! (a Mignotcment la voi venir,

(£) Cele que j ai ni. (V. p. 38 pI note.) Pus vezem de novelh llorir Pratz e vergiers reverdezir, Hius e fonlanas esclarzir, Auras e vens, Ben deu quascus lo joy jauzir Don os jauzens. Guillaume IX, ch. VII, str. i. LIVRE IV 249 On a donc pu arriver à cette strophe par une voie autre que celles indiquées précédemment (v. ci-dessus, p. 188 s. et 203 s.). Sans laire intervenir, bien qu’elle soit possible, une influence ultérieure des rythmes poétiques et musicaux adoptés par Guil- laume IX, ces correspondances s’expliquent facilement : dans tous les cas; nous devons regarder comme point de départ une accommodation forcément semblable, quoique obtenue diverse- ment, à une même variété de la ronde carole, à un branle comprenant une ligure de branle double et deux de branle simple (v. 38). Quant aux ressemblances de détail, elles résultent natu- rellement de l’évolution exposée plus haut pour chacun des cas en question. Mais, s’il n’y a pas eu influence de l’un sur l’autre, elles n’en restent pas moins surprenantes. Non moins surprenante, cependant, est la conservation au moins sept fois séculaire du vieux rondeau par le peuple de France. Elle s’explique également par la persistance de la ronde carole, en particulier, cette fois, sous la forme de trois figures de branle double par strophe. C’est un rondeau de ce genre qu’un Suédois a vu danser à Vaucottes en 1896 (v. p. 40 s.). Mais on en a recueilli bien d’autres, paroles et musique : (a) Mon père aussi m’a marié’, (a) — Gai Ion la, je m’en rais rouler. (a,) i:n incivil il m’a donné. ({}) Je me roul(e), je me roule. (aj Gai Ion la, je n’en rais rouler. (£J En filant ma quenouille. Version du Canada, à concaténation (Gagnon, p. 214). La forme du rondeau est mieux respectée ici que dans la va- riante publiée par Ballard, en 1711 (Brunettes, III, p. 279, aussi avec concaténation) : (a) Mon père aussi m’a marié’,

(a) J entends le moulin taqueter. (¡i) A un vieillard il m’a donné’. (y Hélas, mon Dieu, est-ce ce qu’il me faut? (a,) J’entends le moulin tique tique taque, (zj J’entends le moulin ta/jucter. (Rolland, t. Ier, p. 79.) 00 Nous pouvons faire la même remarque à propos d’autres chansons : (z) Me suis levé’ de grand matin

(

(a ) Amour, tu n entends rien.

(PJ Au pied d(e) l épine, l herbe y vient. Version de la Vendée, avec concaténation (Rolland, t. l*r, p. iG.) 250 LE VEUS FRANÇAIS I/ancien vers-signal a encore une mélodie caractéristique, fréquente au xv" siècle : fa mi ré do ré mi fa, — descente et montée par degrés conjoints. Cette mélodie se retrouve à peu près, et plus haut, — ré* do1 si la sol fa sol la la, — dans la variante de Ballard (Mondes, I, p. 24). Mais il n’v a chez lui que t roi s a (iflaviy,,). Il est vrai que les quatre a ne se ressem- blent plus guère dans la version vendéenne du siècle dernier. Dans certains cas, le « peuple » a intercalé le second vers du refrain, au lieu du premier, mais en lui en donnant la mélo- die, la même que celle du vers précédent : (a) Mon père m’a marié’, (a) — Voilà la jambe de mou pied —

({ï) l n vieillard il m’a donné. (a.) Voilà le pied, voilà la jamb’! *

(a. Voilà le pied de mou aul(re) jamb , (yï Voilà I» jambe de mon pied. Version du Finistère, danse mimée (Rolland, t. II, p. 87). Même version, à peu près, dans la Seine-Inférieure (ib., p. 87), où les vers i H 5 ont aussi exactement la même mélodie. Voici enfin deux exemples plus réguliers : (a) A Paris, à la Rochelle i — Je u regrett’ que ma jeûneuse. — (a 11 y a trois demoiselles...

(¡3 Ma lur Ion Iir’ ma lur’ Ion la!

(a) Je u regrett’ que ma jeunesse, (a, Car elV s’en va. Version, il concaténation, des environs de Lorient (Rolland, t. I", p. 246). Le vers-signal présente la même forme injonctive que dans « Pilons l’orge » (p. 238) : si la sol fa, si la sol fa. Celle du der- nier vers comprend les deux premières notes de a et les deux dernières**. - Cf. p. 202 la même chanson avec un autre refrain, c’est-à-dire avec une autre mélodie, et sans insertion. (i) Derrièr’ « liez nous y a-l-un étang, (a —La marié’ s’en va devant. (a. Où les canards s’en vont baignant. 3 Nous n’êt’ plus demoiselle.

(x La marié’ s en va devant, (3 Son mari qui la mène. « Le Canard blanc », version, à concaténation, «les environs de Lorient (Rolland, t. Ier, p. 252). — La mélodie du vers-signal se

compose d’une montée et d’une descente: mi sol la do si la sol. Sol la la sol, sol la la sol. * Mime dessin métrique et mCmc disposition mélodique: Rolland, ib., p. 86,

d après Rallard, Rondes, 1, p. 54. LIVRE IV 251 Malgré sa longueur, ce chapitre ne prétend pas exposer l’his- loire complète du rondeau, encore moins de ses dérivés61. Je ne me suis proposé que de montrer : 1 comment la strophe primitive, celle du couplet de danse, s’est développée en formes de plus en plus complexes et de plus en plus logiquement construites, tant par des insertions, etc., qu’en remplaçant ces additions d’abord indépendantes du texte et les simples répétitions par des vers incorporés à « l’histoire *, à la matière même de la chanson; 2 comment il a été possible d’aboutir à une même forme par des voies différentes; 3° comment le peuple a conservé pendant des siècles une strophe aussi complexe (pie celle du rondeau. Four remonter au moyen âge, il est bon de signaler que les ballades Scandinaves n’ont pas adopté le vers-signal, géné- rateur du rondeau. C’est donc sans doute avant le triomphe de cette innovation que notre carole a passé dans les pays Nord, c’est-à-dire avant la fin du xii* siècle. Voilà qui confirme nos inductions précédentes. Il ne s’ensuit nullement que les folkeviser ou folküisor conservées remontent aussi loin. C’est là une autre question. Disons plutôt: un ensemble complexe de questions distinctes. Il en est une, d’ordre plus général, que j’ai signalée au début (Introduction, note 13), mais que je crois utile de rappeler en terminant. Afin de ne pas me lancer en de longues et infructueuses discussions sur l’àge exact de nos vieilles romances, des pastiches qu’on en a faits, des rondeaux, des romans à parties lyriques, etc., j’ai admis avec Servois et Gaston Faris que Guillaume de Dole a été écrit dans les environs de 1200. S’il y a vraiment lieu d’en reporter la composition entre 1210 et 1220, comme beaucoup l’estiment aujourd’hui, il faut ajouter un certain nombre d’années aux dates approximatives que j’ai données pour les poèmes énu- mérés ci-dessus et pour les imitations étrangères. La chronologie

n en restera pas moins flottante. Environs de 1200, d’ailleurs, ou environs de 1210. voilà qui importe peu ici. Ce qui importe, puis- qu’il s’agit d’écarts si peu considérables, ce n’est pas d’établir les dates absolues, c’est de montrer dans quel ordre les formes poé- tiques se sont succédé et par quelle évolution elles dérivent l’une de l’autre. Je l’ai essayé.

NOTES* INTRODUCTION 1. — V. Jeanroy**, passim, et, pour le xi* siècle, Bédier-Hazard, j). 1 et 8 (Faral). 2. — Aussi a-t-on distingué de très bonne heure entre les rhythmi rulgares, vers ou strophes, et les mètres courtois, savants, littéraires. .Nous en trouvons un exemple dans la vieille biographie latine du trou- badour Grégoire Bechada, qui a écrit au commencement du xir siècle un long poème narratif, une chanson de geste, sur la première croisade : « Materna, ut ita dixerim, lingua, rytmo vülgari, ut populus pleniter intelligeret, ingens volumen decenter composuit » (sur ce texte, v. Ho mania, t. X, 1881, p. 459, au bas). Le poème est perdu. 3. — Y. Lindblom (Andreas), La peinture gothique en Suède et en Norvège, Stockholm, MCMXVI, particulièrement p. 233. 4. — Cf. Wolf, Lais, p. 109-111, 128-129, Anm. 93; Dreves, Analecta hymniea, XX, 24 («Es scheint daher, als seien die Lieder auf Singweisen altfranzösischer Lieder gedichtet worden »); Gröbers Gr., p. 75 (Stengel) et C8G (Gröber); Gennrich, Musikw., p. 4-20 (« Besonders geistliche Lieder pllegen sich an weltliche, bekannte Lieder anzulehnen », etc.); Spanke, Z. f. fr. Spr. u. Litt., t. 51, p. 73-117. Citons au moins deux exemples : Philippe de Grève (t 1235) a copié le rythme et la mélodie du « Lai d’Hermin » dans sa séquence « Ave, gloriosa virginum regina » (v. Beck, p. 75 s., et Gennrich, Alusiku., p. 19); dans le mystère provençal de Sainte Agnès, huit pieux cantica ont emprunté mètre et musique à des

chansons profanes, l une du rien moins que pieux Guillaume IX d’Aqui- taine (v. Monaci, S. Agnese, p. 6). — Pour assurer le succès de leurs œuvres édifiantes, les auteurs de cantiques et autres morceaux religieux ont ainsi l’habitude, dans tous les pays, de les écrire sur I air de chan- sons en vogue. Ils ont continué après le moyen âge. Deux exemples

encore: nombre de musiciens connus, entre autres Dufay (né vers 1400 . Hol and de Lassus (Orlando di Lasso) et Palestrina ont pris pour timbre * Mieux vaut lire d’abord chaque chapitre en entier avant de consulter les notes qui s’y rapportent : autrement elles risqueraient de faire perdre le fll des idées et de nuire ainsi à la clarté de l’exposé. ** Sur les abréviations dont je me sers pour citer certains auteurs, certains ouvrages, p. ex. Jeanroy, v. Bibliographie, p. 6 s. *254 LE VERS FRANÇAIS

de messes polyphoniques la mélodie de « l Homme Armé », dont nous ne connaissons rien que par leurs compositions; c’est sur la mélodie

de la romance populaire française « lirùlant d amour » (xviii* siècle) qu’a été composé le cantique « Il n e>l pour moi qu un seul bien sur la terre », — el, soit dit en passant, 1111 chant patriotique, guerrier

d outre-Hhin «< \Yo Kraft iind Mut in deulscher Seele flammen » (Isiô A propos de rAllemagne, rappelons Bobine donne dans son Altdeutsehes Liederbiick (p. 810-820, une longue liste de cantiques écrits sur la mélodie de chansons jirofanes. 5. — Pour Abélard el Adam, cf. Meyer, p. 2 4G-7. — Le témoignage

de W. Meyer, comme celui de F. Wolf (v. note i). a d autant plus de poids que ces deux auteurs sont portés à voir dans la versification latine religieuse la source des vers romans, fiançais. — D’après M. Peter W agner, Adam n’a emprunté que peu de se> mélodies aux jubili allé- luiatiques. mai> il en doit probablement une bonne partie au chant populaire : « Darin mag ilir starker Erlolg begründet liegen » (Adler, jt. 77). Or, avec la mélodie, il copiait le rythme, le mètre des chansons populaires. 0. — « Mabillon cite plusieurs poètes du onzième siècle qui avaient composé des chansons érotiques en langue vulgaire; ou appelait cela de:* chansons badines... Saint Bernard el Aheilard ont fait des chansons

badines dans leur jeunesse, d après Bérenger de Poitiers, disciple

d Abeilard. » Weckerlin, p. 7 et s. <• — Dans le décasyllabe suivant, j’indique par des caractères gras l’endroit où tombe dans le chant le temps marqué, ou ictus, d’après les explications des théoriciens el la notation proportionnelle (3* mode

rythmique . que confirme encore l assonance intérieure (<• : Eximie pater et regie. trançon de Cologne, Ars tanins mensurabilis, — Coussemaker, Script. I, jt. 1^0, — et motets notés de Muni p., — Coussemaker, A. H.,

Monumenla, n° XVIII, p. XLIII . Cf. Robert de Sabillon, Discantu* positio

eulyaris Cou^emaker, Script., I, p. JG , Robert de Handlo (ib., p. 401. ,

etc. etc. Le> quantités de tous ces vers montrent bien qu’il ne s agit pas de nu l m chantés ntclricv, mais de décasyllabes a la française. — C’est sur ce même rythme que se chantaient déjà les décasyllabes latins du Sponsus, ou Mystère de l’Epoux (xr s. : .Nos virgines, quae ad vos venimus. — ut ad îllas quibus nos credimus (Cf. Fr. Ludwig, dans Adler, I». 140;. — Voici, d’autre part, un « rithymus decasillabis iambicus » :

Diri patris infausta pignora \. Beck, p. loi . C est à la césure qu’ap-

parait ici l accentuation à la française, comme dans cel alexandrin : Ad sua lever i quia eonfunditur iDu Méril. Poésies latines populaires, p. 323).

8. — Il faut e garder aussi d’exagérer, comme le fait \V. Meyer, ! influence du chant ecclésiastique sur nos mètres et notre chanson popu- laire : « Observai ex Ihomasii antiphonalibus, p. 12, Mabillonius in suo Museo Italien ...ecclesiam Romanam anliquitus non admisisse hvmnos in « 11 \ iui" officiis » Gerberl, De cantu et musica sacra, I. p. 254 ; Jean

Beleth (xir iecle nous apprend que les tropes, séquences et kyrie avec neumes étaient chantés « maxime quidem a monaehis » (Exposiiio div. officii. cap. LIX, dans Gerberl, tb., p. 342 ; les hymnes 11e se sont non NOTES. ---- INTRODUCTION 255 plus chantées pendant longtemps que dans certains monastères, très tard seulement, vers le xu* siècle, dans les églises séculières (Gastoné, L’Art Grégorien, Paris, 1011, p. 13 et 14). — Je sais bien que nombre de nos troubadours et môme de nos trouvères ont reçu leur éducation musicale dans des abbayes. Mais les mètres dont il s’agit leur sont antérieurs. 9. — <« Le public [pour plagier Musset] est prié de ne pas se mé- prendre » : comme je parlerai souvent de danse, je crains qu’on ne me reproche d’attribuer aux mètres français, à la poésie une origine exclu-

sivement, principalement orchestique. J’espère qu on ne tardera pas à se détromper si l’on veut bien lire avec attention le présent ouvrage et se reporter, pour les questions d’ordre général, à ma Métrique anglaise {MA., II, p. G9-103, surtout 93-103). — Je prie également de remarquer le sens dans lequel j’emploie les termes techniques : ou bien il est défini aux endroits appropriés, ou bien il ressort du contexte. Ce qui rend la poétique et la métrique si confuses et en apparence si complexes, c’est ni grande partie les changements de signification qu’ont subis bien des noms, par suite de l’évolution des genres littéraires ou de la différence

des versifications: lai, ballade, arsis, etc. J ai tâché de parer à cette diffi- culté. Il y a des mots, malheureusement, qu’on est bien forcé de prendre dans plusieurs sens : notre poésie primitive, p. ex., c. à. d. celle qui a

précédé notre littérature écrite et qui a survécu oralement, au moins

dans le peuple, ne doit pas se confondre avec ce qu on appelle d ordinaire

« poésie primitive»: les premiers chants de l humanité ou les chants les

plus simples de peuplades restées à l’état sauvage. C est là tout autre chose. Ceux qui ont composé notre «poésie primitive» n’étaient ni des indigènes des îles Andaman, ni des Botocudos. ni même des Sioux: ils avaient pour frères les «tailleurs de pierre» qui ont travaillé à Notre- Dame la Grande de Poitiers et à l’Abbaye aux Hommes de Caen. aux cathédrales de Saint-Denis, de Paris, de Chartres et de Reims. 10. — En fait de normalisation, j’ai adopté la « restitution » de Gaston Paris et celle de Lücking. Je sais bien qu’elles ne sont plus « à la hauteur de la science»: mais combien de temps faudrait-il à de plus récentes pour vieillir aussi ? 11. — C’est seulement une huitaine avant de remettre mon manuscrit à l’éditeur que j’ai pu avoir à ma disposition les Chansonniers, I et II. de M. Jean Beck et le t. II des Rondeaux de M. Gennrich. Je le regrette vive- ment. : ils m’auraient épargné bien des recherches et fourni un plus grand nombre de références. 12. — C’est d’après les mêmes principes à peu près, mais en les appli- quant différemment, que M. Ernst von der Recke a cherché à établir le

texte dans ses Dan marks Fomviser. Copenhague, 1927 s. Je n ai pas pu m’en servir.

13 ._Si le lecteur est. d’un autre avis, il n aura aucune peine à effec-

tuer lui-même les transpositions qui en résultent, c est-à-dire à reporter

un peu plus tard la création, l emploi, le développement ou l’abandon de telles formes poétiques. — romance, pastiche de romance, rondeau, vire- lai, roman à parties lyriques, etc., — ainsi que l imitation de ces formes à l étranger. 256 LE VERS FRANÇAIS LIVRE PREMIER 1. — Déjà traditionnelle au v* siècle, comme le dit expressément le premier des auteurs cités plus bas, cette formule était passée depuis

longtemps sans doute dans l enseignement des écoles : elle se rencontre

chez Servius, Pompeius, etc. (v. Keil, IV, 426, 16; V, 126, 31; 127, 1;

Suppl. XLV; < f. V, 31-32). Ce|a n a pas empôché les grammairiens dé

répéter, sans les comprendre, les vieilles définitions de «l accent», quii

s appliquaient à l accent musical, au ton. — Dès le nr siècle, d après les

recherches d’un élève roumain de l Ecole des Hautes Etudes, M. Nicolau, les clausules des phrases, dans les documents officiels, se changent de quantitatives en accentuelles. — Les Gaulois avaient un accent (d’inten- sité) très marqué : ils l’ont sans doute substitué au ton du latin quand ils se sont mis à parler cette langue (cf. Meyer-Lübke, Einführung in das

Studiuni drr romanischen Sprachu issensehaft, Heidelberg, 1901, § 189Ï. 2. — V., p. ex., S‘ Augustin (351-430), De niusiea, II, 2. L’élève n’entend aucune différence de quantité entre primus et primis, il ne trouve rien à

redire à l hexamètre suivant : « Arma virumque cano Trojae qui primis at oris ». 3. — Cet allongement ressort des mots empruntés au latin par les langues germaniques et celtiques: scola, p. ex., a donné en v. h. ail. seuola,

en v. angl. scôl, en v. norrois, skôli. — V. Meyer-Lübke, Einführung, § 87.

Il ne l admet qu à partir du vi* siècle. Comment expliquer alors la versi- Jication de Commodien? V. Umberto Ronca, Metrica et Ritmica latina

net nii dio Eco, Rome, 1890, — et. d’autre part, Yiggo Br0ndal, Suhstrater og Laun. Copenhague, 1917, p. 138-9.

*• — ^ • S Augustin /. c. (v. note 2): l’élève confesse qu’il ne sait aucunement par le témoignage de l’oreille quelle syllabe est longue, quelle syllabe est brève, « quod in auctoritate situm est.» — Le gram- mairien Servius n’est pas plus avancé : «Quod perlinet ad naturam pri- mae >yllabae confirmamus excmplis; médias vero in latino sermone ac- »enlii » 1 iscernimusj ultimas autem arle colligimus {De ratione ultiniarum syllaharu m). 5. — Sur les poetac vvlgares et leur versification, les rhythmi, v. : Marins Yictorinus, Keil VI, p. 206-7; Diomède, ih. I, p. 473;’ Bède, De nrtc met rira. .Migne Pat roi. lat., t. 90, col. J 7 4, etc. Voici les passag es principaux des deux premiers : « Rhythmus est versus imago modulata «rythmée»], servans rmmerum syllabarum. posilionem [«temps mar-

veluti sunt cantica poetarum vulgarium » (Marius Viclorinus).______Je r *-

viendrai plus loin sur toutes ces questions d origine. NOTES. — LIVRE PREMIER 257 G- - V., !*• ex-> Pseud. G7 s., 683, 695. Dans VAululaire, v. 509 s., il y a jusqu’à dix rimes en -arii, cinq finales et cinq médianes. — Cf. Verrier, MA, II, [>. 191-5 et 223, et pour plus de détail, Bücheler, Rhein. Mus. N. F., XXXIV (1879) p. 345 s., et Otto Dingeldein, Der Reim bei dru Grieclten und Humera, Leipzig, 1892. 7. — Les septénaires trochaïques et les octonaires iambiques de la tragédie et de la comédie étaient certainement chanté*. Pour les témoi- gnages des anciens et autres preuves, v., p. ex., Klotz, Grundzüge der altrôniischen Mctrik, Leipzig, 1890, p. 385 s. 8. — Le dernier vers de la chanson à danser doit au sens d’avoir été conservé intact et il nous renseigne exactement sur le mètre. Pour les deux premiers, je suis la correction qu’une troisième main P*) a insérée dans le ms. de Heidelberg (P) d’après un rns. de la famille S, et, par là même, le texte que donne l’édition princeps (Milan, 1475) d’après le ms. du Vatican et sans doute un autre ms. disparu aujourd’hui (v. Scriptores Historiée Augustse, éd. Peter, Leipzig, 1884, p. 152 et cf. p. vm, xvm s.). Le troisième vers ne nous est parvenu que sous une forme corrompue :

«Mille vivat qui mille occidit (avec «ôccidit» pour « occidit » c est-à- dire «a tombé» pour «a fait tomber, a abattu, tué»). — Il en est de même du premier vers de la marche : « Mille Francos, mille Sarmatas semet occidimus » (/. e., p. 153). — Faut-il regarder comme un exemple encore plus ancien les vers que, d’après Suétone (Cæsar, 49i, les soldats chantaient au triomphe de César: « Ecce Caesar nunc triumphat, qui subegit (.¡rallias, — Nieomedes non triumphat, qui subegit Caesarem »> ? La versification est aussi bien quantitative que syllabique et ac-centuelle, comme dans bon nombre d’hymnes de l’Eglise à partir du iv* siècle. Ce

n’est point le cas des deux chansons du temps d Aurélien. 9. — Cf. Bède : « docti faciant docte » (l. c., v. note 5 . — C’est à ce moment, et la coïncidence n’est pas fortuite, que les grammairiens pré- viennent contre l’abus de l’homoeoteleuton: Charisius (Keil, p. 282, 8), Diomède (ib., p. 447, 5 s. . Donal (¿6., p. 398. 24;, Pompée ib. 304, 1). 10. — V. Adler, p. 70 : « Andererseits kann Ambrosius... auch damais beliebte Volksxveisen benutzt haben» (Peler Wagner). — La versification,

en tout cas, ne vient pas plus d Orient que le mètre lui-même. V. Verrier, MA, II, p. 223 (17). 11. — V. : Tardi, Virgilius Maro, p. 46-51 et notes; Lejay, Revue de Philologie, 1895, t. XIX, p. 45 s.; Meyer, I, p. 200 s. 12. — V. Meyer, p. 191 et 203. — Ce Virgilius Maro. comme les autres auteurs gallo-romains, a exercé au moins quelque influence sur les Irlan- dais et par leur intermédiaire, aussi bien que directement, sur les Anglo- Saxons et sur les Allemands. — Il y avait entre la Gaule et l’Irlande des relations commerciales et intellectuelles, les premières surtout peut-être par Nantes (sel de Bourgneuf, vin, etc.). C’est dans cette ville que saint Columban s’embarque en 610 sur un navire irlandais pour retourner dans son île. Au même siècle, c’est un navire irlandais qui approvisionne le monastère de Noirmoutiers. Sur les relations intellectuelles, v.: Roger,

L’enseignement des lettres classiques d Ausone à Alcuin. Paris. 1905. p. 126; Tardi, Virgilius Maro, p. 27 s.; Marstrander, Om Ru même. Oslo, 1928, P. Verrier. — Le Vers français. — /. 17 •258 LE VERS FRANÇAIS p. 143 s. — Sur les relations de toute sorte : Vogel, \ordische Sccfahrten im frithcrai Mittelalter, p. 5; H. Zimmer, Hamlclsverbindungen West- Galliens mil Irland, I. 13. — V. Tardi, Forlunat, p. 217. 1 i. _ y. ib. p. 268-269. 15.__ « Xaeh dem neuen nationalen Gesetze der rhythmischen Dicht- weise » (I, p. 200), — il propos des vers cités par Yirgilius Maro. 10. _ « Sono et ipsa modulatione ducente » (Marius Victorinus, /. e., v. note 5>. — Au contraire, le grammairien Yirgilius Maro décompose faussement les vers de ses compatriotes lettrés en « spondées » et en « dactyles », non d’après la quantité, mais, sans en prévenir, d’après la division en mots et la place de l’accent: c’est que pour les scander, il les lisait simplement, au lieu de les chanter. Si les auteurs eux-mômes pro- cédaient consciemment il son exemple, ce qui est probable, la facture de leurs rhythmi en mètres simples, populaires, suffit à montrer qu’ils les rythmaient instinctivement à la manière des poetae vulgares. 17. — Quam multi rustici. quam mullae rusticae mulieres cantica diabolica, amatoria et turpia ore decantant (Césaire d’Arles, t 542). — Non licet in ecclesia choros saecularium vel puellarum cantica exercero (Concile d’Auxerre, entre 573 et 603, ohap. 9). — ...ne per dedicaliones basilicarum aut festivitales martyrum ad ipsa solemnia coniluenles obsce- na et turpea cantica... cum choris foemineis decantare videantur (Concile de Châlons, entre 659 et 664. chap. 19). — De... obscoenis turpibusque can- ticis observandum est ut summopere ab hisce cuncti christiani se fortiter cavere debeant (Concile de Paris, 829). — Ilias vero balaiiones et salta- tiones canticaque turpia ac luxuriosa et ilia lusa diabolica non faciant nec in plaleis, nec in domibus, neque in ullo loco (Capitulaires de Louis

le Pieux, dans Pertz, Mon. Genn. hist., Leges, t. II. 2 partie, p. 83). — Y. Grôbers Gr., t. II. p. 444 s. (Grôber), et Faral, p. 90, note 3. — Y. aussi F. M. Warren. The Romance Lyric from the Standpoint of anteeedcnl Latin Documents. Publ. of Ilie Mod. Lang. Assoc. of Amer. XXV, 1911. 18. — Gaston Paris, Les Origines de la poésie lyrique en France Journal des Savants, nov. et déc. 1891, mars et juillet 1892). — Jeanroy, Les Origines et Revue des Langues romanes, XLV. — V. Bédier, Rev. 1896 et 1906. 19. — Sainte Foi. v. 14. 20. — Y. le texte, p. ex., dans Foerster-Koschwitz, col. 249-250. 21. — V. Diez, La Poésie des Troubadours, p. IL 22. — Poelae Saxonis Vita Caroli magni (v. Foerster-Koschwitz, col. 247-248). 23. — Les jongleurs professionnels étaient d’abord à peu près les seuls «trouveurs», et trouveurs ils restèrent ensuite à côté des nobles, des clercs en place et des bourgeois qui se mêlaient de versifier (v. Faral). Si je conserve la distinction entre jongleurs et troubadours ou trouvères, comme brève et commode, je l’applique h la différence d’activité litté-

raire bien plutôt qu à la différence de classe sociale. 24. — Que la carole se soit dansée aux chansons, c’est non seulement NOTES. --- LIVRE PREMIER 259 attesté par la signification de ce mot, qui désigne la « chanson de carole » Ho man de la \ iolette, p. 7, 8, 13) aussi bien que la « ronde carole >> (Yver, éd. .lacoh, p. 574), mais encore par de nombreux passages de nos vieux romans en vers et en prose : Guillaume de Dôle (par Jean Renaît, vers 1200, v. Bibliographie et note), v. 500-512, 2355-59, etc.; Méraugis (par Raoul de Houdan), v. 2886 s., 3674 s., 3717 s.; (Le Livre de Lancelot du Lac, IIP partie, éd. H. Oskar Sommer, Washington, 1912, p. 123-4 et 149; Roman de là Violette (par Gibert de Montreuil, en 1225), p. 38 etc.; Roman de la Rose (par Guillaume de Lorris, vers 1237), v. 748-50; (Tournois de) Chauvenei (par Jacques Bretel, en 1285), v. 3086 s.; Roman du Châtelain de Couci (par le môme, vers 1280-1290), p. 33, 128-9; Renarl le Nouvel (par Jacquemart Gelée, en 1288j, éd. Méon, v. 2546-95. — La carole est représentée dans de nombreuses miniatures du temps : v. Bé- dier-Hazard, I, p. 50-51, Suchier-Birch-Hirschfeld, p. 81; etc. — Sur le rôle des jongleurs, v. Farai, en particulier p. 100 et 32. Les jongleurs mènent souvent la danse comme musiciens, plus rarement comme cory- phées. Deux passages de poèmes du xnr siècle nous les montrent encore, d’après M. Farai, comme professeurs de danse. Mais dans le premier (iGuillaume de Dole, v. 3402 s.), ce que le ménestrel apprend à l’empereur,

co n est point « des pas nouveaux », mais une nouvelle chanson de danse. Dans le second (Chauvenei, 4375), c’est un ménestrel qui danse « le tor du chapelet » avec une dame. 25. — V. noie 17 et Jeanroy p. 388-9 : on ne parle guère que de femmes, surtout de jeunes filles. — Sur les danses sacrées, x.Orchés., f. 3,

cl surtout Dom L. Gourgaud, Les danses dans les églises (Revue d Uistoire ecclésiastique, t. XV, 1914), Dict. d’Archéol. chrétienne, art. «Danse». 26. — V. les miniatures du temps (note 24) et Guillaume de Dôle, v. 504 s. (femmes et hommes, quatre caroles), v. 2403 s. (femmes seules), v. 2350 s. (hommes seuls, trois caroles). 27. — « Se prennent main à main » : Guillaume de Dôle, v. 506; Tour- noia de Chauvenei, V. 3094; Roman du Châtelain de Couci, p. 129. —

« S en vont faisant le tor » : Chauvenei, v. 3098. — « Chante avant » : Méraugis, p. 156, 157, 158, 159. — «Répondent»: Chauvenei, v. 2370; Roman du Châtelain de Couci, p. 128; Bartsch, II, 11, v. 8; Roman de la Violette, v. 38; Cléomadés, par Adenet le Roi (vers 1280). « Li roi dist

qu il respondera et il et tout cil qui sont la»; etc. — Rcsponsorium: Grouchy, p. 94. — En langue d’oc, le refrain («refranh ») s’appelle aussi « respos ». — Dans Guillaume de Dôle, c’est une femme qui chante avant dans trois caroles (v. 510, 537 et 2403), un homme dans cinq (v. 519, 527, 2357, 2367, 2377). 28. — Les romans cités plus haut ne parlent en général que du chant.

Il s agit naturellement de la carole proprement dite et de la tresche. L’es- tampie, la ductia, la note, etc. se dansaient uniquement ou surtout au son des instruments (v. Grouchy, p. 93 s.). Nous possédons pour le xiii* siècle quelques échantillons de cette musique instrumentale dans le ms. fr. 84 i

de la Bibl. Nat. (f. 5, 103 et 104). Nous avons la musique d une Chanson de Rambaud de Vaqueiras (1 150-1207), « Kalenda maia »,

sur un air d estampie. V. aussi Wooldridge, Early English Harmony. LE VERS FRANÇAIS 29 ._ « Les laboureurs... étaient les maîtres des danses et ils avaient la faveur des jeunes gens. Les ménestrels redoutaient leur concurrence,

et l un d’eux, affligé de voir qu’on le délaissait pour venir au bal, exhala sa rancune dans le Dit des laboureurs » (Faral, p. 90). — « Le tâbourin accompagné de la Hutte longue entre autres instruments, estoit du temps ,1e nos peres emploié » (Orchés., t. 24, cf. ib., lntr., p. x). ¡Sous voyons dans le même livre qu’au x\T siècle encore on avait recours au tambou- rin, au tambour, pour marquer le rythme et la mesure de presque toutes les danses. Dans une miniature du moyen Age (Jubinal, Nouveau recueil de Contes, dits et fabliaux, II, 297), un jongleur joue du flageolet et bat du tambourin, un peu comme de nos jours les « tutu-panpan » de Pro- vence. ___ Pour la musette et autres instruments (cornemuse, flageolet et tambourin), v. Robin et Manon, v. 753-0, Bartsch, II, 58, etc., et les miniatures signalées note 24. — Dans une fresque ancienne de l’église

danoise d ôrslev, qui représente une earole, un chien sonne de la trom- pe t te.

30. — «. Dans son amour du merveilleux il ne négligeait pas les tra- ditions populaires... Il n es! pas jusqu aux poèmes de chevalerie dont l’écho n’ait pénétré dans le cloîlre de Saint-Evroul. Orderic fait des allusions formelles au roman de Guillaume au Court-nez, aux chansons satiriques de Luc de la Barre et ù la fable du géant Boémond ». Léopold

Delisle Biographie universelle, Orderic Vital). D après ce savant mé- diéviste, le manuscrit est bien de la main d’Orderic Vital et dans son style Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t. XXXIV, p. 271). 31. — siI»i : car. secum. — D’après la copie publiée par M. Edward Scludder dans la Zeitsehrift fur Kirchengesehiehte, t. XVIII, 18‘»7. — Je reviendrai plus tard sur l’histoire de cette chorolla. 32. -— Il est évidemment impossible de discerner exactement à travers le latin le texte français que le narrateur a traduit, adapté ou simplement imité. Ainsi, il est probable que « lormosam » ou « frondosam », choisi pour la rime, remplace un mot de sens peut-être assez différent: « s’amie » qui assone mieux avec «foillie». etc., ou « selve) ramée» qui rend mieux « (silvam) frondosam ». Il n’en est pas moins intéressant de cons- tater qu’une retraduction littérale donne dés vers français d’une forme

attestée plus d une fois au xir siècle. — Tous les mots de ma retraduction se trouvent dans le Roland, excepté « forest » et «« Mersendain », « Mer- sent -> ou « Marsent ». «Verte» et « bele » assonent dès avant le milieu du xir >iècle v. Brendan, etc., et cf. Nyrop, Gramm. fr., I, 1" éd., p. 141). — - Quefd) » a trois fois le sens de pourquoi dans le Roland. Dans deux cas. dont je ne puis guère me réclamer ici, c’esl avec la négation (v. 1697 et 2723 . Dans le troisième, «qu’en parlement ». l’hémistiche est incom-

plet \ 603;, et Muller corrige ainsi, d’après Venise VII : « qu en parlerai

jo mais » Cf.: «■ Que parlez-vous ici d Albe et de sa victoire? (Corneille, Horace, IV. il 24 . Cet emploi de « que(d> » remonte loin : « Maior forsfait que i querem?» Passion, v. 183 . Il n’a pas disparu: «Que tardez-vous » peut encore se dire aujourd’hui, aussi bien que du temps de Hacine (v. Britannicus, II, n, 102). « Que tardons-nous?» C’est en réalité le sens de « quid stamus» ? Si ces références ne paraissent pas suffisantes, on peut lire : « Purquei estums? Que nen alums ? » — Quand il ne s’agira NOTES. --- LIVRE PREMIER 261 que des caractères généraux, qu’elle a conservés, je citerai cette retra- duction au lieu du texte latin. 33. — « Quelquefois les Féroé iens dansent à peu près sur place pendant que se chante le couplet, mais au refrain ils repartent de I*Ius belle » (Thuren, p. 7). Si les danseurs ralentissent ainsi leur allure ou cessent même d’avancer, c’est afin de mieux écouter le chante-avant : l’histoire les intéresse autant que la danse. « On a le loisir do faire plus attention à ce qui se chante quand la ronde danse sur place a chaque couplet et ne repart que lorsque vient le refrain » (Sverri Palursson, Nôkur orO uni hin f0royska dansin, Tôrshavn 1908, p. 10,. Il en est de même ailleurs qu’aux Féroé. Aux Andaman, par exemple : « The solo is sung amid général silence, and the dance commences with the refrain» (Pound, p. 23). Aux Féroé, c’est parfois seulement que les choses se passent encore ainsi : en général, tous les danseurs savent la chanson tout entière, et ils la chantent d’un bout à l’autre, si bien que la danse ne change pas, pour celte raison, de tempo ni de rapidité. 34. — Ms.: « Renaus et s’amie chevauche par un pré ». Les deux vers du couplet, ii cause de la musique, devaient avoir le même nombre de syllabes. L’unique manuscrit du roman est très incorrect. — Le refrain est sans doute un refrain passe-partout. Cf.: «J’ai recovré joie par bien amer» (Roman de la Violette, v. 2G7). M. Gennrich (n° 13) résout la strophe en six petits vers pour la transformer en une sorte de virelai. Mais c’est lii une forme tardive, avec laquelle jure l’absence de rime dans le couplet ainsi qu’entre le couplet et le premier vers du refrain. — Faut-il répéter que si je me permets quelquefois de corriger un texte défeclueux, je me garde bien de rien fonder sur le vers ainsi rétabli. 33. — Mystère de l’Epoux, ou Spousus, v. Monaci, pl. 30, et Foerster- Koschwitz, col. 91-98. — Aube, v. Monaci, pl 11, ou Suchier-Birch- Hirschfeld, p. 14. Cf. Foerster-Koschwitz, col. 257-9. 30.— « En l’église primitive la couslume continuée jusques en nostre temps, a esté de chanter les hymnes de nostre eglise en dansant et ballant, et y est encor en plusieurs lieux observée » (Orehés., f. 3). Cf. note 25. 37. — V., p. ex., Guillaume de Dole, v. 2351 s., 4163 s.; 210; 3404 et 3415 (cf. « la treske menoit Ysabians... soz un ormel », Bartsch. II, n° 58, et l’expression «danser sous l’orme»); 141, 507. 2505; 513, 5-413, 5426; 2514, 4154; etc. — Autour d’un pin. Méraugis, p. 156 (v. 3674), et Le Livre de Laneelot du Lac, p. 149. — « Choreas per vicos et plateas » (Pierre de Bar-sur-Aube, v. Hauréau, VI. p. 243-4); « choree cum cantilenis » etc. (Gautier de Chôteau-Thierry, v. Haskins, X, 26-7). — «Sur la pont a Pontoize : lai karole borjoize » (Bartsch, II, 44, v. 47-8); «sur le Pont des Morts » à Metz (v. Puymaigre, Pays Messin, I, p. 102), « sur le Pont d’Avignon» et «sur le Pont de Nantes» (v. chansons populaires). — Sur « amour » = mélilot et son emploi, v. Verrier, Romania, t. 50, 1924, p. 591-92, et cf. Bartsch. I. 38, 1. 16: Paris, XV siècle, ch. IV, 1. 9, ch. VIII, 1. 14, ch. CXXX, 1. 11-12, Bayeux, ch. LXXXI1; etc. 38. — V. Edouard Fournier, Variétés historiques et littéraires, Paris, 1835, t. IT, p. 16. 39. — «Choreas et circuitus per vicos etiam de nocte... cum cereis » 262 LE VERS FRANÇAIS (Gautier de Château-Thierry). — « Cutn tirsis et facibus candelarum » (Guiard de Laon). V. Haskins, X, p. 20, notes 8 et 5. io. — « lu nuptiis » (Gautier de Château-Thierry, v. Haskins, X,

p. 26. . — V. FaraI, p. 87, etc. — Cf. note 17. — Pour la veillée de Noël, la nuit de Noël, v. aussi Sermo in eigilia nativitatis, par Guiard de Laon (Haskins, X, p. 20, note). 4L — V. Guillaume de Dole, v. 508-550, 2355-2405, etc. Î2. — V. Alfaric, dans Sainte Foj/. p. 74-75 et 70. 43. — Giraut de Barri (Giraldus Cambrensis, xir-xm* siècles). Gemma Eeclesiastica, Dist. 1, Cap. XLIII, Itolls Sériés 11, Eondon 1862, p. 119-20. 44. — Bibl. Nat. ms. lat. 15070 f. 515-0. C’était à Vennenton, pendant La messe, et le curé s’appelait Etienne de Cudot, v. Lecoy, p. 446. V. aussi Etienne de Bourbon, Anecdotes historiques, éd. Lecoy de la Marche, p. 168-9, 161, 226, 398-9, 397, et Faral, p. 91-92. 45. — C’est la légende racontée par Orderic Vital (v. p. 24 et notes 30-31 . Cf. la carole enchantée dans Lancelot du Lac, p. 150 : « tout lor vivant ne seront travelliet de caroler et caroleront en este et en yver, » etc., etc. Cf. aussi Hârgadansen (Folkeminncn och folketankar, L XVI, 1929, p. 51 s.). 46. — Hauréau, IV, p. 161. — Cf. Thomas de Cantimpré (vers 1250), Miraeula, II. 49, 19 (v. Faral, p. 28). 47. — The Exempta of Jacques de Vitry, éd. by Crâne, Londres, 1890, CCCXIY, p. 131. — Cf. Lecoy, p. 447. — En. Islande on racontait qu’une troupe qui dansait la nuit de Noël dans un cimetière avait réellement été engloutie soudain en enfer. 48. — V. Decombe, p. xvi-xxil — La courante, nommée dans un document de 1674, était alors à la mode et remplaçait probablement une danse plus ancienne. 49. — A la Saint-Nicolas (6 décembre) les clercs, les vicaires et le curé de Sainl-Yldevert dansaient la carole dans les rues : v. liegestrum visitationum archicpiscopi rothomagensis [Odon Rigaud], publié par Tli. Bonnin /Rouen 1852), au 22 août 1263. — Les nonnes du prieuré de Villarceaux y dansaient aussi la carole avec des invités laïcs des deux sexes : ib., au 9 juillet 1249. 50. — Orchés., f. 81. 51. — Je donnerai des détails et citerai mes sources dans un autre éhapitre. 52. — « Canticum de la bele Aliz... Cum dico bele Aliz, scitis quod tripudium primo ad vanitatem fuit (Bibl. Nat., ms. lat. 16497, f. 74, et

British Muséum, ms. Arundel 292). J en citerai le texte plus tard. On a

attribué le sermon au eélèbi e Etienne de Langton, trouvère et prêtre, qui fui nommé archevêque de Cantorbéry en 1207 et mourut en 1228. S’il en est l’auteur, il l a d abord prononcé à Paris, où il a été étudiant, puis magister, et où il a vécu plus tard en exil. V. Lecoy, p. 91-94. 53. — Bibl. Nat. m.s. lat. 16497. — D’après Lecoy de la Marche NOTES. --- LIVRE PREMIER 263 íp. 10< ¡, le sermon serait du môme auteur que le précédent. — Le ms. ;i interverti 1 ordre des vers 2 et 3. V. Gennrich, Rondeaux, n° 23. 54. — V. Introduction, note 4. 55. — V. Guillaume de Dôle : v. 5413-20 et 5426-31; 4154-59- 294-92, 295-99, 304-5, 310-15, 318-22, 329-32; 1572-77, 1837-42, 2505-9, 2514-18. 56. — V. Guillaume de Dôle, v. 1145-50.

■ — Roman de la Violette, v. 114 («à toile»); Lai d Aristote

(Héron, Œuvres de Henri d Andeli, p. 68: «à toile» dans un ms., « de toile » dans trois autres). — Notons que «< zaldreiche Melodien, sowohl Romanzen-und Pastorellenmelodien al9 anch Einzelstimmen aus mehrstimmigen Kompositionen ursprünglich textlose oder gesungene Tanzmelodien waren » (Beck, p. 162, en note). 58. — Cf., vers 1860, dans les Ardennes : « Il nous faut danser en

rond, — C’est par faut’ de violon, — Car les garçons de Daigny — N avont p;is pour les payer» (Rolland, II, p. 185). 59. — P. 16, dans la réédition de ce poème par Edouard Fournier t. II de ses Varietés historiques et littéraires, Paris, 1855). 60. — Y ver, p. 521, 522, 573 et 574. 61. — Orchés., f. 30. 62. — Rabelais, Pantagruel, L. V, ch. XXXIII bis. — Orehés., f. 81 s. — Mmr de Sévigné et Chateaubriand ont encore vu danser le triory, ou passe- pied breton, par la noblesse de Bretagne (v. Mémoires d’Outre-Tombe). 63. — F. 29 v°. 61. — Y ver, p. 576 : « lassés de chanter en chapelet ».

65. — Bibl. Nat., Rés. Vm 376 (en un seul volume). 66. — 41 branles, dont 37 doubles, sur 55 chansons. 67. — Ed. des Grands Ecrivains, t. I. p. 75. 68. — Bujeaud, I. p. 141. — Cf. ci-dessus, p. 25. 69. — Sur la GaHo-Romania, v. Nigra, Introduction, p. XXVI-XXXVIII. — Pour l’Italie péninsulaire, v. Boceace, Deamcrone, Giorno II, nov. 10. («menando Emilia la carola, la seguente canzone da Pampinea, rispon- dendo l’altre, fù cantata») cl Giorno VI, nov. 10 (« trovarono le dorme che facevano una carola ad un verso che facea la FianYmetta ». Cité d’après Wolf, Lais. 70. — V. Ramón Menéndez Pidal, El Romancero Español, New-York, 1910. 71. — Froissart, éd. Kervvn de Leblenhove, Bruxelles, 1870-77, t. VI, p. 392. 72. — M. Léon Pineau en a traduit un certain nombre dans son Romancero Scandinave, Paris; mais il a eu le tort de le faire dans une langue vulgaire, avec les élisions et les à peu près de nos chansons popu- laires les moins soignées. 73 — j,i consacrerai tout un chapitre à l’adoption de la carole dans les pays de langue germanique. — Sur les Féroé, v. Thuren. 74. Refrains de carole : « Mignotement alez » (Guillaume de Dôle, LE VEllS FRANÇAIS

v. 2515 ; <■ Einsi doit alor qui aime» {ib., 2506); « Vous n alés mio tout ensi con jo fas, — Ne vous, ne n ous n’i sariés aler » (Ren. le ¿Wouv. v. 2580, p. 226j ; etc., etc. 75. — „ choira enim circulus est cujus centrum est diabolus, et omnes vergunt in sinistrum » Bibl. Nat., mis. lat. 17509, f. 146). — Inutile de faire remarquer le double sens de « in sinistrum ». 7ü. — «< Il chante avant et ftert du pié » {Aïéraugis, p. 159. — Darne Lyesse, qui mono la carole dans le Roman de lu Rime. « Très bien se sçavoit debriser, — ferir du pied et renvoisier » (v. 757-8). — « Je ne lerai ja nies gieus — pour los envieus, — ainz ferrai, — quand voudrai,

— du pied, si m envoiserai — jolivemeut » — etc. (Spanke, ch. LV, p. 110-11 . — Qui ehantoit de mains et de braz (Guillaume de Dôle, v. 326). 77. — Lancelot du Lac, p. 123. 78. — Robin et Murion, v. 773-776. 79. — « Berengier ot le chapelet» (Cltau vcnci. v. 4341). Cf. Bédier, Rer. 1906, p. 402-6. — V. aussi les miniatures citées noies 24 ot 29. — Dans un ms. do Renaud de Montauban, une miniature représente Ilenaud et Clarisse dansant la carole de la serviette (Orehés., Intr., p. XXVIII). 80. — a Fiunt enim choree cum cantilenis et floribus rosarum et violarum in capellis capitis ot in manibus » (v. Haskins, X, p. 26). Cf. Jacques de Vitry dans Elienne de Bourbon (éd. Lecoy do la Marche, p. 162, note . — « Cum tirsis et facibus candelarum » (Seraio in Vigilia

\ativitatis ; cf. <■ cum cereis », Gautier de Chàteau-Thierry (v. Haskins, X. p. 26-27 et notes . — Cf. aussi : <* I Lunden gaar don Ridderdans — med Blus os Rosenkrans » « Stolt Elselille », DgF, n° 220). 81. —- V. Steenstrup.

82. — Ce n est pas seulement du branle double et du branle simple que los autres branles « sont derivez, comme d’une source », c’est aussi du branle gai et du branle de Bourgogne (Orehés., f. 73 v°) : mais ces deux derniers ne sont eux-mêmes que des modifications des deux pre- miers. Sur la suite des branles au bal, v. Orehés., f. 69. 83. — Orehés., f. 69. 84. — Orehés., f. 68 v° et 69. 85. — Orehés., f. 70. 86. — Orehés., f. 5. 87. — <« Cum recta percussione : eo quod ictus eam [la musique] mensurant et motum facienlis et excitant animum hominis ad ornate movendum secundum artem quam bal lare vocant » (Grouchy, p. 97). — \ver fait observer qu’en traduisant les branles poitevins il «garde le même nombre mesuré aux cadences des neuf pas » (p. 573). 88. — Orehés., f. 68 v° et 69 (la musique est au verso). 89. — Pour la musique antérieure au xvu* siècle et même au xviii*, la distinction entre temps marqué secondaire et temps marqué principal ne se fonde que sur des inductions : valeur des notes, place de l’ac- cent, etc. On pourra trouver étrange la rvthmisation de certaines termi- NOTES. --- LIVKE PREMIER 265 liaisons féminines : elle ressort, enlre aulres indices H témoignages, de la durée considérable attribuée à Ve féminin (v. p. ex. Mangeant, f. 3 v°. surtout le refrain). Je reviendrai sur ces questions à propos des divers mètres. 90. — M. Gennrich n’accorde à « (a)mer » qu’une mesure seulement (Rondeaux, n° II;. C’est en désaccord avec les exemples clairement notés ipie je cite. Celle réduction peut avoir lieu en dehors de la danse : ce n’est pourtant point le cas dans nos chansons modernes. 9 t. — Même dans les dance ri es parues au temps de Tabourot, les lourdions et le branle d’Ecosse ne présentent pas toujours, d’après la musique, celui qu’il leur assigne (v. Henry Expert, Danceries, I,r vol., 1908, Avertissement). C’est le cas également du branle du Poitou dans les exemples de Philidor (1G90) et de nos jours (d’après Bujeaud). 92. — Orchés., f. 71. 93. — Dans certains livres de danse du xvi* siècle, le branle simple

iigurf plus souvent que le branle double sous sa forme primitive.

94. — Lp vers 521 d Audigier, avec substitution de « Raimherge » à « Grinberge », est cité et noté mensuralement dans le Jeu de Iiobin et Marion (v. 823), par Adam le Bossu (environ 1280). Je donne le rythme d’après le ms. d’Aix; j’en expliquerai plus tard la notation (Livre VII, note 51). J’aurais dû citer dans le Ipxte le premier d^s Rondel Adam : il est écrit tout entier sur le rythme du branle simple. Refrain (noté): «Jemulr, je muir d’amourete, — las! aimi! » etc. 95. — Orchés., f. 73 v°. 96. — Dans le ms., il y a eu par mégarde échange au deuxième vers entre deux rondeaux semblables (v. Guillaume de Dôle, v. 318-22). Cf. Gennrich n° 2 (avec musique). J’aurais pu choisir un des nombreux rondeaux conservés sous la forme correcte: mais j’avais mes raisons pour citer celui-ci. Quant au recueil de Gervaise, il figure parmi les six livres de Dan- ceries dont j’ai parlé ci-dessus (p. 29 et note 65). Comme les cinq autres, il donne des airs de danse pour quatre instruments. 11 contient plusieurs

suites de branles avec numérotage semblable. Celle dont il s agit com-

mence au 1 . XXIX v°. Dans le n° III (f. XXX v" et XXXI r°), on répète

chacune des trois ligures (4 + i, 4 + 2, 4 -f 2). C est là un développement secondaire, pour musique instrumentale. La reprise n’avait pas lieu dans le rondeau. 97. — Orchés., f. 79. 08. —- C’est un raffinement, au contraire, quand le « soprano » ou le premier violon enjambe, par la prolongation d’une note, sur la seconde demi-phrase musicale des autres parties, aussi bien que sur la seconde ligure de la danse, dans le « branle simple I » du Sixième livre de dan- ccries... par Claude Gervaise (Paris, 1555). 99. — M. Anholm, Normandie och dess nordiska minnen, Lund, 1898, p. iG8 s. — M. Anholm écrit «< mi » pour « m’y », et « au pied d’un ou ». Autrement cette première strophe est bien reproduite. Les autres sont déformées et incomplètes. — La chanson se chante aussi, mais avec 266 LE VERS FRANÇAIS

d autres refrains, en Saintonge et Aunis (v. Bujeaud, II, p. 92), à Arzon dans le Morbihan (v. Holland, t. II, p. 86) et au Canada (v. Gagnon, p. 214) — Pour en revenir à M. Anholin, notons qu’il s’est fait copier ou dicter les paroles après coup. Connue il ne les saisissait pas bien pendant qu’on

les chantait, il s est figuré ù tort que les danseurs répétaient en chœur chaque vers du chanle-avant : ils ne chantaient, naturellement, que le refrain intercalé et llnal. 100. — V. Thuren, p. 21 (H. C. Lyngbye), 22 (J. A. Holm), etc. 101. — Je l’ai constaté en voyant danser plus de vingt caroles par une cinquantaine de Féroéiens et de Féroéiennes (Copenhague, 27-30 no- vembre 1027 . — Cf.: Thuren, p. 153-158; ; Raymond Pilet, Rapport sur une Mission en Islande et aux îles Féroé. .Xourcllcs archives des Missions scient, et litt.. VII, Paris, 1897 (ce rapport est d’ailleurs plein d’erreurs au point de vue de la musique, rythme et mélodie); Knud Kannik. «. Den danske .Middelalders Kvaddans », dans Danske Studier, 1925, p. 84-89. H»2. — Cf. les refrains cités par Thuren : troffiô (p. 12),troOur i vxl (p. 13. car troôum su lættlig (p. 32 , etc. — Il en était de même dans le reste de la Scandinavie: trsede Dansai (Steenstrup, p. 11, etc.), etc. 103. — V. Thuren, p. 159 et 173. 104. — V. ib. p. 207, et, pour l’Homme Armé, Weckerlin, p. 69-71 et

li»7-t I i. — J avoue que la ressemblance me frappe moins que M. Thuren. 105. — V. Grüner-Nielsen, p. 10. V. aussi, du môme auteur, « Folke- visedans pâ .Manp », dans Danske Sludier, 1917, p. 14 s. 106. — V. Thuren et Grüner-Nielsen, p. xvii et xxii. — Cette seconde

forme s est étendue à quelques ballades en féroéien (v. Thuren, p. 158). 1 <»7. — Orchés., f. 73 v°. 108. — Ib., f. 70, v°, et 71. — Les Féroéiens font aussi* des « décou- peinents» dans leurs rondes un peu animées. M. Thuren pense que leur danse rappelle en pareil cas le «> branle gay». 11 s’agit à mon avis d’un développement tout naturel et tout spontané. 109. — « Les caroles, les espringales » (Roman de la Violette, v. 6588 . Dans certains cas, il semble qu’en les juxtaposant on oppose « caroler » et « danser » : «> de ça karolent et cis dansent » Chauvenci,

I. 2i i7 . D’autre part, la carole a été importée en Allemagne et en Sc an- dinavie sous le nom français de tanz, dans, par opposition au reihen, reigen ou springdans. Il"- — Cf.. en Suède, le domaredans : à l’intérieur de la ronde, une personne fait le tour en éclairant avec une chandelle le visage des dan- seurs et en essayant de les faire rire, cependant que l’on chante : ...... « et "i tu . couché avec ton (ta) bon(ne) ami(e), tu riras à la chandelle»; celui ou celle qui rit donne un gage. V. Arwidsson, III, p. 376. III. — Y. Orchés., et. sur le branle de la serviette, Gauchet, Les plai- sirs (1rs champs, 1583 et 1604, dans le morceau intitulé ««La fesle et dance du village. » — Cf. note 79. 11-• — Orchés., f. 4 v° et 97. Est-ce l’origine du Bacchu-Ber qui se danse encore dans les Alpes françaises ? (v. Tiersot, dans Revue d’histoire rt de critique musicales, t. I, 1901, p. 385 s., et Chansons des Alpes, p. 193 s.). NOTES. --- LIVRE PREMIER 267

113. — V. SvL, 3 éd., I, p. 304, avec gravure. 11 i. — « Que de Robins, que d’Aaliz — tant ont chanté que jusquas lis — ont fetes durer les caroles » (Guillaume de Üôle, v. 567-9). 115. — Iiev. i(J06. 116. — Orchés., f. 3; et Intr., p. xxxi. 117. — Journal des Savants. • 18. — V. G. Meyer, Essays und Studien, 1885, p. 377 s., et surtout StelTen. Le couplet de danse, comme on le voit, se désigne par différents

termes: nous y trouvons le témoignage des changements de rôle qu il a >ubis. Dans les Alpes austro-bavaroises, par exemple, il a pris le nom et

le rythme d une danse par couples, le sehnaderhüpfel, qui est apparue

dans ces régions au xvi* siècle, tandis qu avec son rythme ancien il continue à mener les rondes, aussi bien dans ces mêmes contrées que dans le reste de l’Allemagne (v. Curt Rotter, Der Schnaderhüpfel-Rhyth- mus, l’alaestra XC, Berlin, 1912). — Le norvégien stev signifie refrain: nous verrons au chapitre suivant d’où vient cette appellation. — Rien de plus clair que le suédois ringdansvisa «air, chanson de ronde». — A quelque exercice qu’il serve, le couplet de danse n’en conserve pas moins dans sa forme strophique une trace de son origine, une marque d’identité. 119. — Un des cas les plus curieux est celui de cette histoire qui, venue d’Arabie en France, nous a donné Flaire et Blancheflcur, Aueassin et X¡colette, etc. et est allée inspirer aux Islandais la Saya de Fritiof. Y. Chester Nathan Gould, The FriÔpjôfssaya an Oriental Taie, dans Scan-

dinarian Studies and Xotcs, VIII, 1923, p. 219 s. — V. aussi l histoire de

« Kaiser und Abt », telle que la résume M. Liestpl d après le travail de M. Walter Andersen (The oriyin of the Ieelandic Family Sayas, Oslo, 1930, p. 107 s.). 120. — Cf. Xorske Folkeviser et Xorske Folkevisor, introduction (Kn. Liest0l). 121. — Granet. Fêtes et Chansons anciennes de la-Chine, Paris, 1919, j). 69. V. ib., «Conclusion» et «Appendice III». Il laut regarder les <• couplets » du Ché-King comme une poésie populaire et composée pour les danses du printemps, etc. Les lettrés y ont vu par la suite une poésie savante et symbolique, ils en ont fait un manuel de morale, 122. — Strophe du pantoum cité par V. Hugo dans les notes des Orientales. 123. — G. Meyer, l. c., p. 379. 12 4. — StelTen, p. 10. 125. — Xorske folkevisor, II, p. 181, 11. 126. ___ Granet, I. c„ p. 59. — Cf. p. 19, etc. — V. aussi Xorske Folke- viser, p. 3______s., n°* 21, 22, 23, etc. — Quan t à la répétition d’un même cou- plet sans modification, cf. Ballard, Rondes, I, p. 9 : «Dans cette chanson 011 repette le premier Couplet autant de fois qu’il y a de personnes, et on ne dit le second, que pour finir. » 127. — V. Steffen, 44 s. et 151 s.

128. _ Ferraro, Ri v. di fil-ol. roman., II. 195 (cité d après Jeanroy, p. 261). LE VERS FRANÇAIS 129. — Mi là, l{om.. VI, p. 74 (cité d’après Jeanroy, p. 323 s.). 130. — Thuren, p. 227-8. 131. — En Islande, cette forme de tournoi s’appelle sOpur; dans la ÿkandjering, chaque strophe doit en outre commencer par la dernière lettre de la strophe précédente.

132. — De Puymaigre, Pays Messin, II, p. 201 s. — Cf. /

dans l Esl, on les appelle duyries (v. Veillées du Village, almanach publié tour à tour à Epinal, Troyes, Montbéliard, d’après Charles Nisard, IJistoire des Livres populaires, I. p. 246 . On les connaît aussi en Sologne, etc.

133. — « E ehi vuù fà cou me a cantà stornelli... — Se vuoi con meco a stornellare » (Migra, p. xv et xiv). 134. — M. de Puymaigre cite dix-huit daillements envoyés par M. Vaillant. — Il dit quelque part (ib.) que M. F. Bonnardot en a publié une cinquantaine «dans Mélusine, p. 510». Je n’ai pas réussi à les trouver. 135. — J0rgen Moe, Sainlede Skrifter, Hundredaarsudgave, II, p. 185. 136. — Cath. Elling, Xorsk folkemusik, Kra, 1921, p. 34. Cf. Eskeland,

Lesebok for Ungdomsskulcn, 2 éd., Kra., 1915, p. 49. 137. — G. Pitré, Canti popolari italiani, Païenne, 1870-71, IL p. 396. 138. — V. Jeanroy, p. 45 s. 139. — En Islande, p. ex.. Jôn, évêque de Hôlar (1106-1121). 140. — J0rgen Moe, /. e. (v. ci-dessus noie 135), II, 187 s. 141. — Jeanroy, l. e. 142. — Recueil de poésies françaises des XV* et XVI* siècles, réunies par A. de Montaiglon, t. V, Paris 1856, p. 204 s. 143. — Anatole de Montaiglon et James de Rothschild, Poésies fran- çaises des XV* et XVi siècles, t. XIII. Paris 1878, p. 145. 144. — Paris, XV’* siècle, p. 131. 145. — Suivant la règle, il y a rime féminine (-uccia) entre le premier vers et le troisième, consonance féminine (-aceia : -uccia) entre le deuxième et les deux autres. — Je cite de mémoire sans pouvoir me rappeler ma source. 146. — L. e. (note 142), p. 211. 1 i<. — « Responsorii vel refractus » (Grouchy, p. 92, etc.). « Refrac- torium vel responsorium » (id., p. 94): « refractorium » est sans doute une contamination de «refractus» et «responsorium». Cf.: « Inter- jectarn quandam cantilenae particulam ad quam saepius redire consue- verant, quam refectoriam seu refractoriam vocant » (Giraut de Barri, I, c.. v. ci-dessus note 43 ; «Cantilenae regressus » (Orderic Vital, v. ci- dessus notes 30 et 31). — « Refrait » a passé en anglais : « Refrain, the refret, burthen, or downe of a ballad » (Cotgrave). NOTES. ---- LIVRE II 260 LIVRE II I • — Pour les ballades féroéiennes, v. Tliuren, p. 31; pour le? danoises, v. la musique dans la reslilution de Laub. Nous reparlerons plus tard des françaises. 2. — V. Gennrioh, n° 32. 3. — Dans mes traductions, ni le rythme ni la rime (quand elle se

présente par hasard d’elle-même) ne se règlent sur l original. 4. — Val ram, qui vient par dissimilation de vargravn. V. M. Kris- tensen, Danske Studier, 1904, p. 216 s. (cf., d’autre part, Vilh. Andersen, Dania, I. p. 216 s.). 5. — Cf. Bartsch, I, n°* 14, 12, 5, elc. — Errata: lire deus, a. 6. — V. 1JF, I, p. 112. 7. — Tliuren et Griiner Nielsen, p. XVI. 8. — Steenstrup, p. 149 ç. 9. — Tliuren, p. 31 s. 10. — Steenstrup, p. 28.

11. — D après Grouchv (p. 94), toute strophe de cantilena comprend versus, refractus, additamenta. 12. — C’est peut-être la forme ancienne du rondeau. Pour la nor- maliser, M. Gennrich corrige : « Robins enmaine s’amie » (n° 6;.

13. — Cf.: « por l amer a tel y a » {l\>rn. le Xouv..x. 4460, Méon. p. 310);

<■ et pour amour a te] y a » {Cour d’Amour, f. 62 a . — C est moi qui ai mis dans le vers précédent ««y» en parenthèse. Autrement, je reproduis

telle quelle l édition de Poquet. Elle est très défectueuse, mais le manuscrit est inaccessible. 1 i. — Cf. Bujeaud. I, p. 53, et Gagnon. p. 148, dans les deux cas avec les mêmes paroles à peu près, mais avec une mélodie différente.

15. — Le rythme est noté tout de travers par Rolland : comme l in- diquent les valeurs, qu’il vaut mieux doubler, nous avons affaire au rythme que présentaient souvent les branles doubles du même mètre v. Mangeant, f. 2 et 31; Sixicsme livre de Chansons... Leroy et Ballard. 1556. f. 5). — Il va sans dire que dans celte chanson d’origine relati-

vement récente, nous avons l’imitation machinale d un procédé ancien et

non l évolution même dont il est l’aboutissement. 10. — Rolland, n° CVI (douze versions); Gagnon. p. 2. V. aussi Srhola Cantorum, I. p. 145-154.

17. — Parmi les variantes, il y en a d assez fortement différenciées, p. ex.: « Au jardin de mon père, un nid d’oyseaux y a » (Ballard. Rondes.

I, p. 114); « Là-haut, parmi ces bois, y a-t-une épine noire — j entends le rossignolct » (Bujeaud, I. p. 199). v! parmi les chansons littéraires ou

mi-littéraires, dont le prélude est d ordinaire rattaché au récit : Bayeux, XCII, XCVIII. XLI et CI, Paris, XV sidcle. IX, CXVI, XVIII. 270 LE VERS FRANÇAIS 1S. — Steffen p. 46 s; et Steffen II, p. 61 s.

11». — « Lilja » (Julboken 1865), d après Steffen, p. 54. C’est une variante de Scanie. J’y ai rétabli au second vers underliya yrenar «brandies étranges, merveilleuses» d’après les autres versions suédoises

et danoises. Pour rattacher au moins par le mot « deux » l antécédent et le conséquent, quelque Scanien né malin a substitué ù la forme primi- tive « deux branches dorées » (cf., dans la folkcvise danoise « Le Tilleul » : <• dorées sont toutes les feuilles que lu portes »). 20. — Grundtvig (Sv.), collection inédite, d’après Steffen p. 60. Ici encore, j’ai rétabli «qui a de si jolies branches» (d’après Kristensen, JFm, XI, n° 69, etc.) : il y a dans cette variante, non plus «deux branches », mais « tant de branches ». 21. — V. Steffen, p. 61. — Comme certaines de nos versions (v. ci-

dessus, p. 70 , il y en a une en Danemark qui transfère l arbre dans «h* jardin de ma tante» (Sv. Grundtvig, Garnie danske Miuder... II, p. 149).

— Je n ai pas compté ces diverses déformations dans les chiffres donnés plus haut, p. 71. — V. aussi I)yF, 110 205, ABCEFG. 22. — Arwidsson, III, Pant-Lekar, n° 16 B, p. 214-215. — Le prélude

a pu être ajouté après coup (cf. A). Mais c est peu probable.

23. — C est ainsi que le poète danois Ploug écrivait en 1840 une chanson d’étudiants, « Il y avait un arbre dans la cour de la Régence » (collège, au sens anglais du mot, de l’Université de Copenhague) sur la mélodie de « Der staar et Træ i min Faders Gaard » (Studenterfore- ninyeus Viseboy 1848, p. 164). C’est sur cette mélodie également que le liérus de la pièce chante une de ses chansons, « Jeg stod i Trængsel », dans un vaudeville de J. L. Heiberg, Heecnsenten uy Dyret, joué pour la première fois en 1826 et représenté encore de nos jours, 24. — Cf. : « En haut bos, près de fontenele — courant sur maillie («scintillante» gravele ». Jeu de la Feuillée, v. 66-7. — Adam raconte ici en style de romance la romance de ses amours, pour mieux faire ressortir le contraste avec leur suite.

25. — « Une dance — Que firent puceles de France — A l ormel devant Iremeilli » (Guillaume de Dole, I. 3i<>2). — V. ci-dessus, p. 40 s.

26. — Dans LXXYI, comme l indique le sens, le prélude est transporté par erreur a la deuxième strophe. — Dans XCY, il est intercalé par une bévue au beau milieu de la chanson : il interrompt ainsi le cours des idées, au lieu de lui servir de point de départ. Gaston Paris a signalé dan> son recueil des déplacements erronés du même genre. 27. — V Gérold, XV et XVI* s., p. xxvîi s. — Je lui dois aussi

plusieurs des exemples précédents ou suivants.

28. — Raillard, Mémoires de l Académie [sic !] 1864 (d après Puymaigre, ( luilisons du Pays messin, I, p. 102). 29. — Canti cctilo cimjuuula. Pelrucci, Venise, 1503, p. 61. — Gérold, p. 83. 30. — Psautier flamand, n° LXXXI. — V. Gérold, p. xi, note., et p. 83-i. 31. — Rolland, 110 CCVa; Tiersot, Intr., p. 210 et 383; Gerold, p. 84. NOTES. — LIVRE II 271 32. — « Ribetta » : Rolland, n° III k. — <• Riviera » Nigra, n° 60 C, E. — « Rivière » : Rolland, ib., g, h, i. — « Riviera » = rivière : Nigra, ib., A, H. — « Lisière >» : Rolland, ib., d. 33. — V. Livre I", noies 27 el 147. 34. — Codex de Linkôping, vers 1450.

35. — V.: Jeanroy, p. 113 s. («C est la mélodie du refrain qui règle celle du couplet», etc.); Steenstrup; Thuren, p. 22 el 76; Gennrich, Musilcw.; Gérold, p. XXXVIII, el Bayeux, p. XXX («quelquefois seule la mélodie du refrain est notée »). 36. — Hymen, o Hymenae! — Alléluia! — Kyrie cloison! — Eva! — Hourra! — « Geyr nü garmr miok » (Vçluspû). — Stev des scaldes. — Otfrid, I, 6. I. 16 et 17, II, 1, I. 13 s., V, 10 et 25. — Gf. Samuel, I, xvm, 7, Psaume 135 (Vulgate), litanies, etc.

37. — Pour l Allemagne, v. Paul’s Grundriss, II, 1, p. 076 (H. Paul). — Avec le refrain, les Anglais nous en ont emprunté le nom sous la forme première, refrait, rcfrct(te), qu’ils ont traduit ensuite par burthen, doicn. lohcrl, etc. 38. — Pour les Féroé, v. Steenstrup, p. 80. 30. — Sortent-ils en général des motets, comme l’esîime M. Gennrich? Je ne le pense pas : le motet est né bien longtemps après le refrain, et, il emprunte maintefois texte el mélodie à de simples chansons, voire aux « cris de Paris » (Montp., 368 v°). Qu’il y ait eu dans certains cas emprunt on sens inverse, c’est possible. Seulement, il ne faut pas en faire une règle. On se demande même comment les refrains pouvaient se tirer des motels, ces compositions polyphoniques sur autant de textes différents que de « parties » : non seulement les auditeurs ne saisissaient guère les paroles, mais plus d’une fois ils se demandaient si c’était du prec, du latin ou de l’hébreu. C’est ce que déclare Jérôme de Moravie (Coussemaker, Script. II. p. 432). Ajoutons que les exemples de M. Gennrich ne sont pas non plus très bien choisis. 40. — Beau repaire, p. 24. 4L — C’est donc dans la chanson à danser, dans la chanson populaire que b* refrain est un morceau rapporté, et c’est la chanson artistique qui l’a rattaché au texte. Mn* Pound pense le contraire (p. 77). 42. — Il s’agit bien d’un refrain de rechange et non. comme le pense M. Jeanroy (p. 422-3), d’une continuation de la chanson, car elle entraî- nerait aussi une continuation de l’histoire. —Je vois que M. Gennrich (p. 0 !, sans en donner la raison, est du même avis. 43. — V. Spanke, p. 315. 44. — Cité par Lecoy, p. 446-7, d’après Bibl. Xat. ms. lat. 15070, f. 515. 45. — « L’alba par, umet mar atra sol. pos y pas«’, e rigil mir’ âdar tenebras» (v. Monaci, pl. 11, avec la musique, et cf. Foerster-Koschwitz, col. 257-260). 46 .__ « L’alba par — delonc la mar, — e l’alba e.l jorns par » (Barlsch, C lires t. pror.). — V. Camille Chabaneau, Varia provincialia, Paris, 1889, p. 68. 272 LE VERS FRANÇAIS 17. — V. Gennrich, Rotrourngc, p. 38, H Bédier-Aubry, p. 3, 48. — Dans no< chansons populaires (\. Bujeaud, I, p. 135, etc.), «il y a » s’abrège souvent en « lya » (une syllabe) : on a ensuite prononcé « liia» (deux syllabes , d’où « lui y a (cf. Rolland, t. 4, p. 39), par correc- tion faulivi», à cause d<> «j‘li dirai» pour «je lui dirai». Puis on a ajouté « je » dans le second hémistiche, aulant pour empêcher le vers de boiter que pour avoir un pronom sujet. 49. — Cf. « plro vall) », môme sens, dans Arwidsson, III, p. 478 ot 509

50. — Bartsch donne « vai » comme une des formes de l impératif ( lirest. f/■.. p. 500). « Vai », forme provençale el peul-ôtre centrale, a pu

se remplacer dans le centre et le nord par « voi » et « vée » (cf. 3 por«

«vai », ib., 12.3, 18.15, 20.11, et 2 pers. «voi», ib., 05.37, «vois», IM.3) 51. — V. Paris, xv* siècle, ch. I (musique p. 1 el ch. L (musique p. 28)

où «allez hauvay » vient de « anne hauvay » — ù moins qu il ne faille admettre l’inverse; Baxjrux, ch. XXI et I XV. XLIII, LXIX et CIII XI XXV et XXX, XXXVII, XXXIX, LXXXV. 52. — Wolf Luis, p. 181» s.) et M. Gennrich (Vortragp. 20 s.) voient dans « (»Mme) hauvov », « avoi », comme dans le « aoi » du Roland, une reproduction défigurée, — n, u}, o, i — des voyelles dp «(in sEc-VIA) sEcVlorVm. AmEn ». sur lesquelles on aurait vocalisé à l’instar du chant ecclésiastique. Celte notation, EVOVAE, était en oiïel de règle dans los

livres de plain-chant et dans les manuels ou traités de musique. Mais je ne croi- pas que le peuple ait pratiqué ce genre d’ouvrages, et ceux qui le< lisaient savaient ce que signifiait l’abréviation. Car, et c’est décisif, on ne chantait pas plus « évovaé » qu’en d’autres cas « ele ». Remarquons enfin que « hauvay», « hauvoy», « hoye », « liyt* » ne sont pas attestés avant le xv* siècle : ii cette époque, c’était le chant ecclésiastique qui1 em- pruntait à la chanson profane, non inversement. « Enne hauvoy» est bien plutôt une simple interjection du même genre et. de la môme forme que « ho hu havne » dans notre dernier exemple : « ho hu (h)ayne hauvoi ! -> M. Gennrich Vortrag, p. 28) fait aussi venir « aé » de « AmEn » et «y a» friiillatnnr de Dole. \. 331 et 298 de « alleluIA ». Ce sont des possibilités, évidemment. Restent «oé», « eo », « oo », « e », etc. Vien- draient-ils également de vocalises religieuses? Il semble plus naturel de regarder toutes ces interjections ou exclamations — comme des inter- jections. Aus>i bien isolées et dans le corps ou ù la fin du refrain qu’au commencement, — « aé, cuens Guis amis ! » (Bartsch, I, n° 9), cf. « Ahi, cul vert ! » Roland, v. 703,. — où elles ne sauraient venir de « AmEn ».etc.

Lp> mêmes remarques s appliquent aux autres exclamations chantées, «oi», « aei », «ai», etc., qui remplacent le refrain dans telles cansos, tensons, etc. - Dans le rondeau IX d’Adam le Bossu « hure», qui s’intercale au beau milieu du refrain et de la strophe, n’est qu’une rime-écho, aussi au point de vue mélodique : « Or esl Baiars en la pasture — hure ! » —... ave- l**s mêmes noies sur «hure» que sur « Jure» (v. Gennrich, n° 74). 54. «Ot 1250 versions of lh<* Engljsh bal lads, about 300, i.-e. a fourth have refrains» Pound, p. 72). — V. Livre IX, note 250. NOTES. — LIVRE H1 273 LIVRE III I- — Sont du xir s. celles que cite Jaen Renaît dans Guillaume de Dole (v. ci-dessus Bibliographie et Introduction note 13». Les 11" 1 et 5 de Bartsch leur sont antérieurs et remontent peut-être avant 1150. La lorme des vers et des strophes aide à établir la chronologie. — Le style

est-il plus soigné que dans l Alexis? — Il y a une différence considérable, a tous les points de vue, entre ces quinze romances et celles d’Audefroi le Bâtard. 2. — « Aye se siet en haute tour » (Jeu de la Feuillée, v. 1025). — IManclum beate Agnetis in sonu « El bosc d’Ardena, justal palais ausor [lus. palasih amfos], — A la fenestra de la plus auta tor » (Monaci, S. Aynese, pl. VI; Bartsch, Sancta Agnes, 1869, 1. 520-3;. 3. — Guillaume de Dole, v. 2226 s. (Bartsch, I, n° 2,, v. 5174 s. (Bartsch, I, il" 13); v. 1158 s. (Bartsch, I, n° 14); v. 1182 s. (Bartsch, I, n° 12); v. 1202 s. (Bartsch, I, n° 15). 4. Las rasos de Irobar, 2* éd., de Guessard, p. 71 et note. 5. — D’après Grouchy (p. 90), la chanson de geste («cantus gestua- 1 is » ) chante: « gesla heroum et antiquorum patrum [les pères de l’Eglise], vita et martyria sanctorurn... sicut vita beati Stephani... et historia régis Karoli. 0. — Sainte Fog, v. 14 s. (v. ci-dessus, p. 23). 7. _ p. t-30, 45-8, 75-83, 84-91.

8. — C est la chanson où figure un chat roux. — Il y a dans la strophe un «< orphelin », un vers sans rime, dernière trace d’origine primitive, populaire, qu’on a dû lui reprocher comme une irrégularité, une inélé- gance, et qu’il se vante, en tout cas, d’avoir effacée dans les autres poèmes de même forme (v. chanson VIL str. vu). — Sur le branle com- posé (mi question, v. ci-dessus, p. 38). 9. — V. Nigra, p. xxxi et xxxv. C’est du xi* siècle au xiv* que la

France d’oc et d’oui a exercé le plus d’intluence sur l Italie (v. ib^ p. xxxiv). 10. — D’après M. Nigra, elle y serait même née (p. xxxv s.). 11. — V. Doncieux, p. 215, et cf. Nigra, p. 64 s. 12. — P. 277 (cité d’après Nigra, p. 64). 13. — cf. : D’amors et d’armes et de joie (Cliauvenci, v. 6). 14. _ v. Bartsch, I, n°‘ 13, 5, 1, 2, 8, 10 et 7. P. Verrier. — Le Vers français. — /. 18

‘274 LE VERS FRANÇAIS 15. — « Hillelilles Sorg », d’après le lexle danois (v. IujF n° 83 B (str. î-iv), A (str. v-vii), etc., cf. DF, I, n° 15; texte suédois, Svenska folkvisor 1880, n° 26, p. 147 s.). — Alln de suivre le texte d’aussi1 près que possible, je n’ai pas cherché à rimer. Mais je conserve le rythme — en le francisant. 10. — Cf. Pound, p. 202, 233 s., etc. Il faudrait évidemment définir en outre ce qu’on entend par « peuple » : cela dépend en grande partie du

pays < i de l’époque. — Y. Nijrra, p. xi-xxxvm, e| Liesl0|, The (Jrigin <>[ the icelandic Fiim il y Sagas, Oslo, 1930, p. lü| s. 17. — Bibl. Nat., ni", lat. 16515 f. 204 (cité par L. Gautier, Epopées, t. II, p. 203, et, d’après lui, par M. Faral, p. 91, note). 18. — « Li autres [ménestrels] chant chançons antives >» (J ouf roi, éd. Hofmann et .Muncker, v. 1160) : c’est ù un tournoi, et l’auteur entend sans doute par «chançons antives» les romances littéraires et les chan- çons courtoises du xir siècle, pareilles il celles que contiennent le chan- sonnier « 1«‘ Suint-Germain et autres répertoires de ménestrels. Mais les vieilles chansons que chantaient les jongleurs ambulants sur les places des villes et surtout dans les villages, étaient certainement quelque chose de plus primitif, dans tous les sens du mot. Ces chansons populaires, les musiciens des xn* et xur siècles en ont inséré des bribes dans leurs motets. Au xiv" et par la suite, d’autres les ont adoptées, par exemple « l’Homme Armé», comme timbre de leurs messes. Grouchy, avant 1300, distingue entre la chanson courtoise (p. 91) et la chanson populaire (p.91 et 107). Celle-ci comprend pour lui la chanson de geste (devenue alors «- populaire » , la carole (ehorea, duetia, rotondeUus « rondeau ») l’es- tampie, etc. 19. — Parmi les recueils anciens, les meilleurs sont peut-être ceux où Mangeant et Ballard ont réuni un nombre assez considérable de chan-

son a danser : Mangeant, Le Recueil des /dus belles chansons de dances de ce temps, Rouen, 1615; Ballard, Brunettes, Paris, t. I, 1703 (p. 265-293), t. II. 1704 (p. 272-296 . t. III, 1711 (p. 277-311); Ballard, Les Rondes, t. I et II, Paris, 1724. Comme ces petits volumes sont très rares, je renvoie presque toujours en même temps aux reproductions de Rolland : elles >ont d’ordinaire exactes (bien que les références soient incomplètes et parfois erronées . Pour les xv* et xvT siècles, v. Paris, XVe siècle, et Baycux sur d’autres ms. ou imprimés, consulter Gérold, p. xlvii s.). Yers le milieu du siècle dernier (1853-1865), sur l’initiative de J.-J. Am-

père, le Ministère de l Instruction publique a fait recueillir nos chansons populaires: six ms. in-folio de la Bibliothèque Nationale (ms. fr, n°* 3338-43 . Parmi les recueils imprimés, citons (pour le détail, v. la Bibliographie : Champfleury-Weokerlin; \Ye(c)kerlin, Tiersol; d’Indy et Tiersot; Blanchet et Plantadis; Schol-a Cantorum; — Arbaud, Beaurepaire, Bladé, Bujeaud, Decombe, Doncieux, Fleury, Gagnon, Haupt, Rolland. — Les six volumes de Rolland (1883-90) contiennent des chansons de toutes nos provinces, surtout celles de l’ouest, depuis le xv* siècle. Ils sont donc

u!iles malgré leurs défauts, et je m en suis largement servi — avec critique. NOTES. — LIVRE III 275 N. B. Lu plupart des recueils sont plus ou moins défectueux au point de vue des paroles et de la musique. — Le texte est presque tou- jours transcrit en français commun. C’est surtout gênant et trompeur par rapport au syllabisme : tantôt, p. ex., les syncopes de Ye féminin ne sunt. indiquées nulle part, et l’on ne peut s’en rendre compte qu’en voyant par hasard deux syllabes pour une seule note; tantôt, Ye n’est supprimé que dans les vers mis sous la musique, si bien qu’il reparaît immédia- tement après dans la première strophe, quand elle est répétée en tête des autres. — Dans la musique, il arrive plus d’une fois que la barre • l(> mesure est mise de travers, qu’un mode ancien est remplacé par notre majeur ou notre mineur, etc, etc. Le recueil de la Schola Cantorum et ceux de Vincent d’Indy ou de ses élèves sont meilleurs, mais ils n’en sont pas moins gâtés par des préoccupations théoriques. Il nous manque l’équivalent du Licdcrkort allemand. 20. — Chaque couplet de deux octosyllabes est hissé, et celte répé- I il ion tient lieu de refrain. Elle comporte des variations pour trois co

u-

plots sur dix-neuf : le 2 , le 3e et le 4 — La division en strophes est mal reproduite par Rolland (t. III, p. 40-41). 21. — Barzaz Breiz, Gicerziou, p. 17; Annales de Bretagne, t. XXVII, novembre 1911, p. 199-209. 22. — V. JF, p. 113-11G, str. 8, et DgF, n° 47, O str. 4, Q str. 2, S str. 8, etc. 23. — V. JF, l. e., str. 17, et DyF, n° 47, F str. 10. — Cf. D

Mou ou bleu chiné de blanc, comme aujourd hui encore. — On trouvera sans doute ailleurs la menace d’une mort lente après sept ans de langueur, ailleurs encore la prière de préparer le lit où le héros veut s’étendre pour mourir : mais la réunion de pareils détails suffirait à en prouver

l emprunt, s’il n’était pas déjà atteslé par la ressemblance des deux « histoires ». 24. — La ressemblance est si frappante qu’on s’en est tout de suite aperçu : v. DgF. n° 47, t. II et IV (surtout p. 867-874), — DF, I, p. G9, —

ou (lu nord de la France, tandis que pour Doncieux c’est l inverse

(p. 112-124). Qu il ait tort, nous en verrons plus tard des preuves indis-

cutables. La ballade écossaise ou anglaise qu il regarde comme intermé- diaire entre la danoise et la française, Clerk Colvill, ne ressemble qu’à

la première partie, la partie mythique, et d assez loin. 25 .__ M. à m. « le coup (tiré par un) des sylphes», d’abord une flèche invisible. La sylphide frappe Olaf sur le plat de l’épaule.

LE VERS FRANÇAIS 26. — Comme en d’autres chansons aux strophes de môme forme, la

mélodie présente un caractère archaïque : nous y retrouvons d ordinaire le premier d«‘s huit modes du moyen Age. 27. — Ce que reproduit Axel Olrik dans ces passages, c’est en réalité une version suédoise (Arwidsson, II, n° 136), et c’est elle que j’aurais dû citer; mais elle présente des complications. Cf. DgF, n°* 58 et 56.

28. — Ker pense également que cette ballade, — dont on n a pas trouvé de version en Grande-Bretagne, — a passé de France en Scandi- navie (v. Dan. Ball., I, p. 367 s., et H ist. Hall., p. 5). Cf. DgF, n° 89. — Ici encore, Doncieux est d’un avis opposé. L’histoire de Björn et Bera,

qu il allègue d’après la tardive Hrôlfssaga, n’a guère de rapport avec «. la Biche au Bois», surtout avec la forme Scandinave^— 11 aurait pu trouver dans les Eddas, dans la Volsunga saga, dans les Islenzkar f>jö6sö- gur, eie. des exemples de dieux et d’humains changés en loup, en ours, en renard, en cheval, en loutre, en corbeau, en corneille, en aigle, etc., mais non en cerf ou en biche.

29. — Puymaigre, Revue de l Est, Metz, l V. 1868, p. 25. et Folklore, p. 117. 3<>. — V.; Puymaigre, /. c. (Wallonie); Rolland, n° CLXXVIIIa (Paris el environs), b (Bengy sur Craon, Cher , c (= Puymaigre); Arbaud, I, p. 73; Decombe, p. 286; Coussemaker, Chansons i>op. des Flamands de France, p. 211; — Nigra, n° 39, p. 212. — Cf. Tiersot, p. 23 s. 31. — Cf.: Ker, Dan. Bail, 1. p. 366-7, et Bist. Bail., p. 5; DgF, n° 58. —

Il n y a pas trace do cette ballade en Grande-Bretagne. 32. — V. Tiersot, p. 22 s. 33. — V. ib., p. 22. C’est une variante de cette chanson que chantait à Sainl-Malo la mère de Chateaubriant. II en cite une strophe dans ses

Mémoires d Outre-Tombe. 34. — V. Tiersot, p. 21 s., et Rolland, n° CLXXXV ab cd (dans a, « la belle se réveille au milieu du convoi »). Cf. Doncieux, p. 269 s. — DgF, n* 235. 35. — DgF, n° 235. 36. — V. Doncieux, n° XXX. p. 351 s. et p. 358 (Piémont, etc.). 37. — DgF. IV, n° 183; — Norske folkevisor, I, n° 31; — Svenska folkvisor, 1880, n®1 66 et 67, ou, mieux encore, Arwidsson, I, n° 44; — Child, n° 4 («Lady Isabel and Ihe Elf-Knight »); etc. La chanson existe dans presque toute l’Europe: v. Doncieux, p. 358, DgF, l. e., Svenska folkvisor l. c. et Liederhort, n° 42. 38. — Telle n’est pas l’opinion de Doncieux (p. 362): c’est faute de bien connaître la littérature populaire Scandinave. 39. — V. note 26. — Sophus Bugge et Doncieux font dériver toutes les versions de cette ballade, françaises ou autres, d’une chanson hollandaise NOTES. ---- LIVRE III 277 dont elles diffèrent vraiment trop: c’est une déformation de l’histoire de Judith et Holopherne. 40. — Poésies de Marie de France, éd. Roquefort, p. 4Nf, et 556. il. — V. Sophus Bugge, dans Arkiv for nordisk filologi, t. 7, 1891, p. 9 / — I i I. — Dans la «Chanson d’Orphée» qui se chantait encore aux Shetland vers la fin du siècle dernier, le corps de la strophe est (traduit ?) (>n anglais, le refrain est en norvégien (v. Jakoh Jakobsen, Det norrpne Spray pua Shetland, Copenhague, 1897, p. 152). 42. — Decombe, p. 319; Rolland, n° CXXVI b; — Rolland, id. a; — Nigra, p. 284; Mi là, p. 164; — une partie de « Conde Arnaldos », v. Wolf- Hoffmann, Primavera, II, p. 153; :— Almeida Garnet, II. p. 164; Th. Braga, C. pop. du Archip. Açor., p. 253-7. 43. — JFm. II, n° 6; DyF. n°* 384, 292, et VI, I, p. 467. — Dans aucune des ballades en anglais le pouvoir du chant ne se manifeste sous cette forme (v. Ker, Dan. Bail., I, p. 369g.

44. — V. Doncieux, p. 445 s., et Nigra, p. 106 s. (cf. p. 275 s. ,. 45. — V. DyF, nJ 241. — Rien de semblable non plus dans les ballades en anglais (cf. Ker, Dan, Bail., I, p. 369). 46. — V. Rolland, n° CCXXXV1I (t. VI) versions o-z, aa-ah. Cf. Don- cieux, p. 144 s., Arwidsson, I, n° 60, DyF, n° 98, et Norske folkevisor I. n° 2. — Pour Doncieux, la chanson est d’origine catalane et a passé direc - lemenl de la Catalogne dans les autres pays. La Catalogne n’avait pas de

rapports aussi directs que la France avec le Nord de l Europe (je pense en particulier aux étudiants). 47. — Rolland, ib., version o (t. VI, p. 23-24). 48. — Rolland, ib., version q (t. VI, p. 26-27). — Il y a précisément dans ces passages des détails qui se retrouvent dans les versions étran- gères. 49. — V. Doncieux, p. 61-62. — Elle peut avoir inspiré les « Passions » Scandinaves. 50. — V. Fleury, p. 219. — Le titre sous lequel Nostredame cite la chanson correspond au premier hémistiche du deuxième vers dans la version de l’Albret: «La Passion du joli Dieu...» (Dardy, Anthologie populaire de l’Albret, I, 1891).

51. — La Bohème Galante, Paris 1855. — D après Rolland, n° CLXXVII b. Cf. Doncieux, p. 378 et 506. — Les deux premiers vers servent de refrain: c’est ce qui ressort de la place à part que leur assigne Gérard de Nerval et qu’il est impossible de changer, mais aussi de la

musique que Gouzien a notée d après lui (v. Rolland, t. III, p. i. et Don- cieux-Tiersot, p. 506). — C’est à Saint-Nicolas-de-Port, en pays de langue française, en Lorraine, que le culte de saint Nicolas apparaît d’abord dans le Nord de l’Europe, vers la lin du xi* siècle et qu’il attire un grand concours de pèlerins. 11 s’est répandu rapidement en France et dans les pays voisins.

‘278 IÆ VERS FRANÇAIS 52. — V. Rolland, t. III. p. I, et Doncieux, p. 378. 53. — „ Trois garçons, dedans un tonneau, — coupés et meurtris par morceaux, — par la Saint’ Croix que vous portez — vous les avez ressus-

cites » (Tarbé, Romancero de ( humpagne, 1863, I). Dans le cantique des

environs de Reims (ib.), les rimes sont croisées. — D après Doncieux. p. 381. — V. ci-dessus, note 26.

51. — Maistre Wace s St. Mcholas, publ. par Nicolaus Delius, Bonn.

185«, v. 216-225. « N’en ferai mie grant parole » (v. 217): il sait que l his- toire est connue.

55. — Publié par Monmerqué « I Bouderie à la suite du Jus Sancti fricotai de Bodel, Paris, 1834, p. 103-107. 56. — Soudi Bonarenturæ Opéra omuia, Mayenne, 1609, t. III, p. 120^ — Citons encore une chanson composée en latin à Paris, vers 1240, avec Le refrain « Nicholaus est cleri protectio»: elle parle de trois miracles, non de celui des trois clercs (Florence, Bibl. Laurent. PIul. XXIX, i, f. -47 1 v°). — Le /Aldus d’Hilaire roule aussi sur un autre (Hilaire, p. 3 4-39 . — V.. enfin. Moue, Lut. Hymnen, t. III, *450-65. 57. — Arthur Martin et Charles Cahier, Vitraux peints de Saint- Etienne (te Bourges, Paris-Leipzig, 1841, pl. XIII. — La dernière scène apparaît sur d’autres vitraux, plus récents. Y. Doncieux, p. 384, note. 58. — Carm. Fier., t. XIV, p. 109 (A, « Sankti Niklas»), et p. 111 B, «< Sankta NLklas »). — 59. — B (skeiô <• vaisseau » désigne certainement ici un «vaisseau de buis», une huche, un saloir». — La chanson féroéiemie ne parle pas de

la femme du meurtrier, et l une des versions s’en tient à deux clercs, au lieu de trois: bis deux traits se retrouvent dans le sermon attribué il saint Bonaventure. Mais ce sermon était-il connu aux Féroé? Quelques œuvres de cet auteur ont bien été traduites du latin en suédois et du suédois en danois, mais seulement au xv* siècle, et d’ailleurs elles ne contiennent pas le récit de ce miracle. 60. — Helveg og Brandt, Den danske Psalmedigtning, I. Del, Copenhague 1846, Helgenviser, S. IX, Nr. 1. — Il existe aussi-une saga islandaise sur saint Nicolas, dans un ms. du x\" siècle (Copenhague, AM 640, 4° : Sikulàssaga biskups, par Borg Sokkason. Le ms. contient en

outre l office du saint, en latin, et un cantique islandais au même en vers de quatre temps marqués et il rimes plates, comme les octosyllabes de notre complainte, mais suivis d’un petit vers («af vosi og vanda») peut-être pu remplacement du refrain. Quarante églises d’Islande étaient consacrées à saint Nicolas.

61. — C’est en passant par Vigersted, en 1904, que j ai découvert cette fresque. Le pasteur protestait contre mon interprétation: il s’agissait à son avis, non de trois jeunes gens dans un cuvier, mais de trois matelots

dans unf1 barque, qu un saint sauvait du naufrage. Le savant directeur du Musée National de Copenhague, M. Mackeprang, qui a fait photographier Ut peinture, m’a confirmé dans mon opinion. C’est lui qui m’a signalé NOTES. — LIVRE III 279

l;iutre fresque et indiqué pour toutes les deux l àge probable de l’exé- cution. 62. — Publie, par Delius à la suite du poème de Wace (v. note 54), d après un ms. qui était resté jusque-là « enterré » parmi ceux de la Bodléienne. 03. — V. Doncieux, p. 385. 64. — Y. Haskins, X, p. 26. — Cf. ci-dessus, Livre I*r, note 49. 65. — Ce qui a pu suggérer cette légende, dit Doncieux. « c’est la créance courante au moyen ùge que des personnes étaient parfois tuées, et leurs chairs apprôtées en guise de comestibles par des hôteliers, bou- cliers ou pâtissiers, créance, à ce qu’il semble, en partie fondée sur des faits réels de cannibalisme », — comme il s’en est découvert même de nos jours en Allemagne (le boucher Naumann). 66. — La victoire d’Ogier le Danois sur Brunamont a été peinte vers 1 480-1500 sur la voûte de l’église de Floda (Suède). Au-dessous ligure en exergue le refrain de la ballade danoise : « Ogier le Danois remporta victoire sur Brunamont». C’est avec ce refrain que j’ai entendu clianler ladite ballade aux rondes des Féroéiens, en 1927. — Aux xvii* et xvin* s. les paysans norvégiens sculptaient encore ce même combat sur leurs poires à poudre (v. Krist. Visted, Vor garnie bondekultur, 2* éd., Kristiania, 1923, p. 130. — Pour « Saint-Nicolas et les Enfants au saloir», on dira peut-être: Ce qui est vieux en France et à l’étranger, c’est tout simplement la légende, qu’on a plus tard mise en carole dans les différents pays. D’après tout ce qui précède, cette explication semble bien difficile à admettre. 67. — Doncieux, «Les Tristes noces», p. 340 s. Cf. Nigra, n° 20, « Danze e funerali » (avec le prélude du jardin, v. ci-dessus, p. 74). —

La ressemblance est si grande que pour certains vers elle va jusqu à l’identité. Cf. aussi les refrains «Chante, rossignolet » et « Kossignolin d’amor». Cf. en outre Nigra, n° 18, «Le due Tombe». 68. — Beaurepaire, p. 51. — L’imitation écossaise a conservé cette fin (Child. ABEFG). Dans la version des environs de Lorient, l’olive « a tant poussé qu’elle a couvert la ville » (Rolland, t. Pr, p. 248). Cf. la chanson piémontaise «Le due tombe», où les deux arbres font l’ombre «sur la ville », « sur trois villes » (Nigra, n° 18, p. 125 s.). — Les « arbres sympa- thiques » se retrouvent dans toutes les littératures populaires (v. Child,

t. I, p. 88-99), mais il est plus rare qu ils s’enlacent sur les tombes de deux amoureux morts l’un pour l’autre. Ici, d ailleurs, puisque les autres détails ont été empruntés, celui-ci ne saurait faire exception. Dans «Tristes Noces», déjà, nous retrouvons* sans doute la ronce de Tristan changée en épine à cause de la rime. G9. _ Child, n° 73, t. III et IX: «Lord Thomas and fair Ellinor (Annet) ». 70.____DgF, t. IV; JF, t. I; Landstad; Svenska folkvisor, t. I; Arwidsson, t. I, 280 LI- VERS FRANÇAIS

71. — C e>t également ce que pense Nigra: les correspondances des versions piemontai^es avec h*s normandes et en particulier l’emploi »lu mot «tour» de- ilcux côtés, sans parler d’autres détails, montrent qu’il a raison contre Doncieux. Les arguments que tire ce dernier des asso- mme» s en o-on |». 2.") n’ont aucune valeur. Sans compter que Scignour peut être la forme originale, les Normands ont longtemps prononcé banni>i. Y. Nigra, p. 129-35), «‘I Doncieux, p. 1-42. 72. — Tran-eril en français normal d après le texte patois de Don- cieux. p. il». Il ma semblé préférable de remplacer «Dieu ave» par « que Dieu ait ». 73. — Fac-similé dans le Messager des Sciences historiques, Gand, 1851. 71. — La mélodie employée par Dufav est la même que celle citée par Taillefer. On la retrouve avec quelques variations chez Josquin des Prés, Dujardin de Orto . Ockeghem, Ghiselyn, Févin, etc. Pour les réfé- rences. v. Gérold. p. 85, et Baycux, p. 106 s. 75. — Y. Doncieux, p. 27 s., Nigra, p. 133-9. 76. — « Bendik og Aarolilia » : 1° .Xorske folkeviser, p. 53-6*4; 2° Xorske folkevisor, I. p. 111-119; 3° Lars og Severin Eskeland, Lescbok for Ungdomsskul*n, 2e éd., Kristiania 1915, p. 45 s.; 4° Xorske Folke- skriffer, nr. 19 Xorske Folkevisor II) 4* éd., Oslo 1917, p. 3 s. (avec musique . Y. Landstad, n° 60 (p. 527, 531, 848) et DgF III, 792 (Bugge) La ballade a passé en féroéien et en danois. — Y. DgF, n° 474, t. VIII, p. 79 s. (Axel Olrik). 77. — Chanson épique: Saxo Grammalicus, Livre VII. — Ballade:

*< Havbor og Signelil », DgF., n° 20 (t. I r), DF. p. 97 s., etc. 78. — Snorra Edda. Gylfaginn., chap. 49: tous les êtres de la création, animés ou inanimés, pleurent Baldr. Ce mythe est emprunté à la descrip- tion, dans un poème anglo-saxon, du deuil de toute la nature à la mort du Christ v. Sophus Bugge. Studier, I. p. 279 . C’est à l’une ou à l’autre

de ces deux sources que l auteur de la ballade norvégienne aurait puisé l’idée de faire solliciter par tous les êtres la grâce de Bendik (ib.). — Au moment où l’on exécute Bendik, « der sprakk hass vene viv » ; de même, quand on porte au bûcher le cadavre de Baldr, « sü kona hans sprakk af harmi ». 79. — Saga af Tristram ok Isôad, Copenhague, 1878. — Je rappelle que le texte fiançais est en grande partie perdu.

80. — Y. l introduction de G. Cederschiôld à Clari Saga, Halle, 1907 (t. X.YYI s. . — Il ne reste rien de l’original français. 81. — « Tristrams kvæôi» (Fornkv., n° 23). — « Tistrams kvæôi » (Carm. Fxr. . — Sur la composition des ballades d’après les sagas, v. Knut Liest01, Xorske trollvisor og norr0ne sogor, Kristiania, 4915, p. 238 s. — Il existe aussi deux ballades danoises de Tristan. 82. — « B. og Aar. », 4°, str. 5. 83. — « B. og Aar. », 1°. str. 10 et 11. 8i. — « B. og Aar. », -i°, str. 12. NOTES. ---- LIVRE III 281 85. — « B. og Aar. », 2", sir. 56 et 58. — Littéralement : « elles se courbèrent ensemble au-dessus de la galerie couverte [qui se trouve sur la façade ou autour] de l’église [en rondins], au-dessus du porche de l’église: elles se tiennent là en jugement contre le roi ». — Est-ce à ces lis qu’Aurolilia doit son nom, « Olrun (belle comme uni lis», de même que la Rosina ou Roseüina des versions piémontaises de «la Belle au pied de la Tour » doit sûrement le sien aux roses de sa tombe? Ou bien est-ce plutôt l’inverse? N6. — Voici qui rend l’emprunt incontestable: Isodd (= Iseut aux Blanches Mains) avait d’excellentes raisons pour faire enterrer Tristram

et Isônd à droite et à gauche de l église, afin de les séparer; il n’en étaii pas de même du père d’Aurolilia, que la mort de sa fille avait bouleversé et qui se repentait amèrement de sa conduite envers les deux amants

(la remarque est de M. Liesl0l . — J ai traduit « eik » par «chêne» qui est. le sens propre du mot: « arbre » conviendrait peut-être mieux, comme pour les <> lundar » de la ballade islandaise.

87. — La musique de « Bendik et Aurolilia » dans 4°, musique d ail- leurs très caractéristique, commence comme beaucoup de nos airs popu- laires, p. ex. « la Belle au pied de la Tour» (1450 , sur sol la si b ré2, et presque exactement par- le même motif, non seulement que le vieux prélude « Sur le pont d’Avignon » dans les Canti Cento cinquanta de Petrucci (1503) et dans la version normande de nos jours (v. Gérold. p. 83-4), mais enc*re que la chanson de Gontier de Soignies (fin du xii* siècle) signalée plus haut. p. 78. Il est vrai que les débuts de ce genre se rencontrent plus ou moins dans les chansons de divers pays. Aussi, bien que la coïncidence enlre l’air norvégien et le français s’étende assez loin, il faut qu’il y en ait une aussi entre les textes pour nous permettre de conclure à un emprunt. Dans la légende danoise dont j’ai parlé (v. note 77;, le Norvégien

Hagbard s habille en femme pour se faire admettre comme suivante par Signe, fille du roi danois Sigar, et grâce à son déguisement couche avec elle dès la première nuit; mais dès la première nuit, contrairement à Bendik, il est dénoncé par une suivante, non par un page ou autre cour- tisan. D’autre part, on ne réussit à le lier qu’avec un cheveu de Signe, que pour rien au monde il ne voudrait briser, et ce trait est reproduit dans la ballade norvégienne. Mais Signe, la « fière » Signe, ne demande pas à son père de lui «donner le prisonnier», elle ne meurt pas de

douleur après l’avoir vu exécuter, elle se brûle avec ses femmes dans le gynécée, et il n’est pas question de fleurs sur les deux tombes. 88. — M. Liest0l dans Xorske folkeviser, p. 53.

80. — Legrand, p. 371 s.: « Amont les ru’s de Nantes» j’ai été m’v

prom ner, je rencontre une fille, j’ai voulu l embrasser; — mais les messieurs de Nantes m’ont rendu prisonnier», etc. 00. — Svenska folkvisor, 1880, n° 45. 01.*— V. Doncieux, p. 71 s., Rolland, n° CXXXVIII a, b, etc.; — et Bartsch, I, n° 57. — Cf. ci-dessus, p. 73. 02. — Guillaume de Dôle, v. 1158-1165; Bartsch, I. n° 14. 28? LE VERS FRANÇAIS 93. — V. Child, n° 96, IV, « The Gny Gosliawk ». ««Les coïncidences verbales... impliquent une parenté directe entre les poèmes» (Doncieux, p. sj . — «Mr. Karl paa Ligbare (danois), Mr. Cari eller Klosterrovet»

(suédois). Ici la parenté n apparaît pas avec autant de certitude, parce que les rôles sont en partie intervertis: la jeune ilIle est mise au couvent, (>l c’est l’amoureux qui fait le mort; il est transporté dans la chapelle du couvent et il enlève son amie, qui le veillait avec les autres nonnes.

— Il se peut, d’autre part, que le motif de l amante qui fait la morte ait pas-é en Italie ou au contraire en vienne: v. Roméo et Juliette (cf. Don- cieux, p. SI S.). 94. — V. Rolland, n° CLXXXVII, a-d (t. 3) et e-k (t. 4); Bujeaud, II, p. 192; Doncieux, p. 280 s. — Pour Doncieux (p. 287), le Flambeau il Amour est d’origine néerlandaise: « Het waren twe Konincskinderen... » (v. Rolland, t. -4. p. 2-4, et Liederhort, n° 84). 95. — V. éd. de Piramus et Tisbé, par C. de Boer, Paris, 1921, p. $ï. 96. — V. Doncieux, p. 196 s., Bujeaud, II, p. 220, etc. — Doncieux,

p. ü 7 s., Bujeaud, II, p. 93. 97. — Y. Gérold, p. 82. 98. — Y. Doncieux, p. 124 s. 99. — Xorske folkevisor, I, n° 33, p. 162 s. (cf. Landstad, n° 5ü). — Arwidsson, n” 25. — t>gF. n° 468. t. VIII, p. 14 s. (Axel Olrik). 100. — J’ai résumé la ballade Scandinave d’après la version norvé- gienne Xorske folkevisor). C’est sous cette forme qu’elle ressemble le plus à notre chanson. Elle présente surtout ailleurs des traits qui se retrouvent en particulier dans un conte serbe. Est-ce de là qu’ils viennent? Il existe en Russie une légende à peu près semblable: elle est attestée

dès Je xvi s. et semble empruntée aux Slaves du sud, qui la tiendraient eux-mêmes des Byzantins. Chez les derniers, elle remonterait au xii* siècle (?). De Byzance elle aurait rayonné en Russie et de là en Scandinavie, aussi bien qu’en Allemagne, en France et au Portugal. Child et M. Schück, Sophus Bugge, Axel Olrik et M. Liest0l pensent qu’elle a sa racine dans la légende hébraïque sur le roi Salomon et Aschmedai, roi des démons (v. Sophus Brugge, Kong David og Solfager, dans Danske ïhuiler, Copenhague, 1908, p. 1-34, DgF, n° 468, et Xorske folkevisor, I, p. -44 . — Ce serait là. comme le reconnaît Bugge, une origine exception- nelle parmi les ballades Scandinaves. « L’Escrivette » semble plus

indiquée. L’histoire n a rien que de très naturel dans une chanson langue-

docienne: les rapts d** femmes par les « Mores » d Espagne ou d’Afrique n’étaient pas rares en France d’oc, et ils ont pu donner naissance à la

légende, à la ballade de l Escrivette. C’est une légende semblable que racontent une chanson de geste du xii* siècle, Aye d’Avignon (première partie, seule ancienne et une nouvelle du xiii*, la Comtesse de Ponthieu Doncieux, p. 135 s., et Nigra, p. 2I9-25G, << Il Moro saracino »). Si la

ballade a bien été composée en langue d oc, rappelons que les étrangers venaient aussi faire des études à Toulouse et surtout à Montpellier. Par cette voie du par d’autres, la chanson a pu se répandre dans le sud et dans le nord de l Europe, aussi bien que dans l’est, par exemple dans NOTES. ---- LIVRE III 283 l’Empire latin de Constanlinople. — Le ravisseur s’appelle le « More sarrasin », le « roi des Mores », « le Roi More ». Y a-t-il en norvégien métalhèse de Morekongjen en Ormekongjen ? Le nom Orrnr, plus lard Orm e en norvégien, était fréquent en Scandinavie. La métattièse n’est pas plus surprenante que celle de Thorst(a)in en Storin, Sostrin chez les scribes de Normandie ou celle de Lincoln en Nicole dans la bouche des Normands d’Angleterre. Le peuple a finit par comprendre Ormekonge dans le sens de Roi des Serpents et par ajouter à la ballade une strophe dans laquelle ce « Iroll » éclate de colère en morceaux de silex : « denne slutning er vist nok ikke oprindelig » (Sophus Bugge, /. e.). — Quelques détails des ballades Scandinaves n’en viennent pas moins, sans doute, de la byline russe. Il y a eu contamination. 101. — Y. Nigra, n° 12 (bibliographie, p. 89, ajouter : Rolland, t. III, I». 55), DgF, n° 345, et Ker, Dan. Bail., I, p. 370. — L’histoire se rencontre aussi, mais sous une forme différente, dans une autre ballade danoise (DgF, n° 338) et dans une écossaise (Child, n° 14). 102. — Y. Rolland, n° CLXII, t. II, p. 208-219, et Nigra, n° 85, où l’on trouvera des références pour les formes en langue d’oui et en langue d’oc (y compris le catalan). — Cf., à certains égards, Fomkv., n° 34. 103. — Doncieux, n° XII; Rolland, n° CXXIX; Nigra, n° 2. 104. — Y. Nigra, p. 38, et cf. Doncieux, p. 193 s. 105. — En Norvège, c’est « Olaf og Kari » (GnF. n° XIII, Norske folke- viser, p. 49); en Danemark « Blak og Itavn hin brune» (DgF, n° 62); en Suède, « Herren Bâld » (Svcnska folkvisr, n° 15);‘en Islande, « Hilde- brandskvæCi » Fomkv., n° 7); aux Féroé, « Blanka kvæôi » (Carm. Fær., n° 116). — L’emprunt a été reconnu par M. Liest0l (Norske folkevisër, I, p. 49 s. et .Yorske folkevisor, p. 242 s.), Ker (Dan. Bail, I. p. 368, et Hist. Bail., p. 5), etc. — Il n’y a pas de trace de cette ballade en Grande- Bretagne. 106. — Y. Doncieux, n° XV, et Nigra, n° 6. 107. — V. Rolland, n° III a-m, et Nigra, n° 69, A-H. 108. — Rolland, versions c, d, g. h, i, k, I, m; Nigra, A-H. 109. — Rolland, versions a, b, i, j.

110. — Seul ce dernier prélude — «sur la rive de la mer» — n est pas moderne. Mais, comme les précédents, il en remplace ici un plus ancien. V. p. 79. 111. — h est absolument impossible, à mon avis, de croire à la fdiation inverse, c.-à-d. chanson latine > pastourelle > chanson populaire actuelle: ce serait admettre une évolution des mètres au rebours de celle qui a eu lieu dans notre versification et reconnaître aux poètes populaires une initiative qui est rare même chez les grands poètes. 112. — V. Gérold, ch. XL. 113. — Y. Doncieux, p. 428. 284 LE VEHS FRANÇAIS 114. — V. ib., p. 48. 115. — V. Rolland, n° CXXVh 110. — V. ib., h’ LXXXV, a-c. 117. — «La Courte Paille» (pour la bibliographie, v. Doncieux, h’ XVII : Sv. Grundtvig, Acta comparai ¡ou is liltcr. u ni versa ru m, 1880 Danemark, etc. ; GnF, n" XVII el .Xorske folkevisor, 11. n° SS; Fornkr., n» — ,« Malbrou k » v. Doncieux, n° XLIY) ; JF (Danemark); \oritk Folkekultur. I. XV. 1929. p. 15; Tlniren, p. 52-3 (Féroé, au vieux « Ban-

dadans ». . En Danemark la chanson élail si connue que J. L. Heiberg, dans un vaudeville joué depuis son apparition jusqu’à nos jours. Recen- senten og Dyret, fait chanter une chanson sur la mélodie de « Malebrok i Leding drager», la même mélodie qu’en France. La forme danoise ne peut venir que de Malbrouk el montre que nous prononcions ainsi à la date assez lointaine de l’emprunt. 118. — 1711 : Ballard, Brunettes III. p. 296 (Rolland, t. l*r, p. 1). 1865:

version de la Meuse, dans les Mémoires de la Société d Archéologie lor- raine, 1805, p. 72 (v. Rolland, I. II, p. 1). 119. — V. Gérold, p. XIV s., el cf. p. VII el IX. — Les chansons, surtout les chansons à danser, ne pouvaient laisser de se conserver mieux encore, dans la transmission orale, que il** simples récits en prose. Sur ces der- niers v. Knut Liest0l, .Xorske Ættesogor. Kristiania, 1922, et, sur les chansons, id.. The Origin of the Icelandic Family Sagas. Oslo, 1930, p. 114-110. 208, <*tc. 12<>. — Journal des Sarants. 1889. p. 6G8. 121. — Bédier. Berne. 1906, p. 398 s. C’est probablement au Jeu du

Chapelet que s applique le « cant us in sert um » de Grouchy (p. 94). — Cf. les Kranzlieder allemands (v. Böhme, Altdeutsches Liederbuch. p. 279-317;. 122. — Jeanroy, Romania, XXXIII, p. 610. 123. — Spanke, p. 313. 124. — Troilus, V, sir. 168. 125. — Twelfth Sight, IV, ir, 78. 126. — IV, v, 187. 127. — I\, i. |os. La pièce esl de Shakespeare et Fletcher. 128- — V. Chappell, Popular Music of the Olden Time, p. 234, et A at tonal English Airs, II. p. 176. — V. au>si sii Thomas Wyatt the elder (» d. Dr. Xott, p. 188 . The Cithern Schoole, par Anthony Holborne, 1597, el les Reliques de Percy, I, p. 194 (éd. 1794). 1-9. — Makyne = anglais du sud Malkin, Mawkin. Cf. Mally (écossais). Molly, etc. \. The Bannatyne Manuscript, publ. par le Hunterian Club, 1873-1902, p. 779-82. - 130. — Le Jeu de Robin et Marion esl bâti sur des chansons anté- rieures : caroles ou baleries citées dans Guillaume de üôle (v. 525-6) et NOTES. --- LIVRE III 285 déjà utilisées dans les refrains de pastourelles par Perrin d’Angicourt (Bartsch, III, ii" 12) et autres ib.r II, n° 71). Cf. aussi ce refrain d»; Mont p. : « Hé! réveille toi Robin, car on enmaine Marot » (v. Gerinrich m" 57 ; = Robin et Marion, v. 358-60. Dans la pièce, Robin va chercher des camarades pour I aider à chasser le chevalier, si ce dernier se permet de revenir, mais il fuit devant lui : Marion se délivre elle-même. — Adam le Bossu alla en Angleterre, à la Pentecôte de 1306, montrer son art à

l adoubement du prince Edouard (Faral, p. 95). 131. — Sur les deux romans cités, v. Paris, Litt^ § 69; sur Hereward, v. Chronique de Geffrei Gaimar environ 1150 ; sur les emprunts, v. Alois Brandi, Pauls Gr., II, i, p. 8-14. 132. — « There were many Robin Hood dances, and they are not to be identitîed with the Robin Hood ballads» (Pound, p. 82). Pourquoi ? 133. — V. Bartsch, I, n* 71 : la enrôle d’Aélis a fourni aux cinq strophes leur premier vers. Le ms. (Bibl. Nat., ms. fr. 12645, f. 50) donne la musique de tout le morceau. — Cf. R. Meyer, J. Bédier et Aubry, La Chanson de Bele Aclis, Paris, 1904 (musique mal rythmée). 134. — Dans un cas seulement, car il y en a plusieurs, nous avons

la musique, mais d après une autre chanson (v. Gennrich, n° 2). 135. — V. Steenstrup, p. 16 s., et A. Olrik, DF, II. p. 58. 136. — Bôhme, Tanz, p. 57, 103, 116. 137. — V. Rolland CXCI a (Canada — d. La forme provençale a été adaptée par Mistral dans la Chanson de Magali («O Magali, ma tant amado » etc.). 138. — The Marriage of Cock Robin and Jennv Wren; Vogelhochzeit (Liederhort, I. n° 163 abedefu), kaferhochzeit (ib., n* 164 abcd); Le Mariage des Corbeaux au Bois-aux-Corneilles (.Yorske folkevisor, I. n° 35), Jean Escarbot et la Mouche {ib., n° 34), etc. 139. — Version apprise en Touraine. II se peut que «seconde» «bataille» et «non gagne» aient remplacé indûment «deuxième», «la guerre » et « qu’il perde », qui assonent avec le premier hémistiche des str. i, H, iii, v et vi. Mais ce n’est pas sûr. — Cf. Doncieux, p. 50-1, et Rolland, n° CXCI11 a-b (t. 4). — La chanson a été publiée pour la pre- mière fois en 1715, chez la veuve Oudot, Troyes et Paris, dans le Recueil des ¡)lus belles chansons et Airs de court. 140. — V. Rolland, n° CXXVIIa, b, h, i, j, k et m; Bujeaud, I. p. 250. 251. et II, p. 350, où le raccord est long et pénible; Doncieux, p. 261 s. 267 s. — Pour les premiers textes connus, v. plus haut, p. 69 s., et plus bas, p. 196 s. 141. — Rolland, versions c, d, e, g, l. 142. — Dans la version b de Rolland (n8 CXIV), le rossignol est rem- placé par la perdrix; dans la version a. les oiseaux ne sont pas nommés. — Cf.. avec variation dans le prélude e» «histoire» différente, Bujeaud, I, p. 199. 286 LE VEI\S FRANÇAIS 1 -43. — Gérold, p. 95. — Cf. Bujeaud, I. p. 96; Ii, p. 4 et 26. 144. — Bartsch, Chrest. prov., col. 139. 145. — //>.. col. 75. 1 iO. — Y., p. ex., Licdcrhort, ch. 412, 413, 492; StelTen, p. ISO et sup- plément; .Xorske folkevisor, où, faute de rossignol, c’est un « petit oiseau » (I. n° 17) ou bien un « corbeau » (ib., n° 30). 147. — Rolland. n° CVI, c, d, i, k. — a (= Ballard, Brunettes II, p. 284), ;/. — {• — c. et Gagnon, p. 2. I 48. — Rolland, n° CVI, j, d. e, h. I. Cf. Bujeaud, I, p. 225, 228, 229, 230. — En Vendée (Rolland, d). le héros de l’histoire se coupe la main en voulant prendre son couteau et il se la lave dans l’eau de la fontaine. I 49. — C’est ce que chante la belle qu’on débarque dans une version

de « l occasion manquée » : Au jardin »le mon père un oranger il y a; — Sur la plus haute branche le rossignol chantait (Rolland, n° IV d, Suisse romande . Cf. Malbrouk, etc. — On aimerait croire que le vers appartient en propre à <« la Claire Fontaine». 150. — V. la bibliographie dans Doncieux, p. 465-7, et sur la musiq ue, ib., p. 516. 151. — Legrand, p. 366, — Champfleury et Weckerlin, p. 120, — Revue des Traditions populaires, Paris, 1894 (Léon Pineau), — Doncieux, p. 399 s. 152. — Rolland, t. I", p. 299. et t. IL p. 167 et 168; Decombe, p. 224 s. (¡a chanson esl mimée); Doncieux, p. 397. 153. — Doncieux, p. 399. 154. — Puymaigre, Pays Messin. I. p. 102. — Cf. ci-dessus, p. 77.

155. — V. Doncieux. p. 399 s., et cf. ib., p. xxx : «< s il [en] est besoin à la rime ou à la césure .... les vocables ... finissant en r ou en / peuvent recevoir un e muet additionnel ... : prononciation où du reste conduil naturellement l’articulation accusée de la consonne finale. » — Cet n adventice, que les Anglais el les Allemands entendent toujours dans notre prononciation après un I, un /•. un n finals, ne se développe qu’avant une pause. — Remarquons, d’ailleurs, que le texte primitif a pu avoir: VI « Adèle, Adèle » ; A’ <• trois tours de ronde », ou « trois pas de danse » ; etc. 15g. — « Agnete og Havmanden », DgF. n° 38 (t. II, III et IV); JF. n° 3 (I. III ; Xorske Folkeviser, n° 10; Svenska folkvisor, 1880, n° 33; etc. Cf. DgF, n°* 37 et 39. — J’ai choisi entre les nombreuses variantes da- noises DgF celles dont se rapproche le plus notre chanson : Refrain = D. . str. I — III = H (I — III ; IV = A XVI), etc.; V = An (II . et<^ VI = A (IV . etc.; X = H (VIII), A (VI), etc. 157. — Il peut sembler étrange que rondin arrive en bateau, et l’on esl tenté de traduire « komme sejlende frein» par «arriver à toute vi- tesse ». Mais la version norvégienne lui fait dire à son nautonier: « Dirige mon bateau vers le pays chrétien » (¿Xorske folheriser, n" 10). NOTES. ---- LIVRE III 287 158- V A. Jubinal, Nouveau Iiecueil de contes, dits, fabliaux, II, p. 297. 159. — Ces ressemblances, qui sautent aux yeux, ont également frappé M. Léon Pineau (lievue des Traditions populaires, Paris, 1894, elc., mais les conclusions qu’il en tire me paraissent bien improbables.

100. — Sur l’ensemble de la question, v. : DgF, t. I r, p. 39 s. et 6G1, t. III, p. 813 s., t. IV, p. 804-14 (Sv. Grundtvig); Steenstrup, p. 89 s., 195 s .;

DF, l. I r, p. G9 (Axel Olrik); DL, t. I*r, p. 159 (Cari S. Petersen); Bôhme, Altdeutsclies Liederbuch, n° 90; Liederhort, t. I,r, 1 a — g et 2 a—f, mais surtout 1 a — g, qui proviennent de pays slaves plus ou moins récemment germanisés (Cf. ib., p. 17, où les auteurs opinent qu’il ne faut pas attacher d’importance à ce fait, — contrairement d’ailleurs à l’opi- nion exprimée auparavant par Bohme dans son Altdeutsehes IJederbucl,, p. 185), etc. — Doncieux pense que la ballade s’est formée pii Norvège et en Suède, où la jeune lllle est enlevée par un génie des montagnes, qu’elle a passé de là en Danemark, pays insulaire, maritime, où cet <■ esprit » est devenu un ondin, un « homme de la mer »>, et ensuite, sous celle nouvelle forme, en Bretagne aussi bien qu’en Allemagne et dans les pays slaves (p. 402 s. . Mais en dehors do cette ballade, qui existe aussi dans la péninsule Scandinave, les enlèvements par un « homme de la ruer » sont tout aussi inconnus en Danemark qu’en Suède et en Norvège. Indé- pendamment de celte erreur, Doncieux n’a pas réfuté les arguments des savants danois nommés ci-dessus. 161. — A l’origine, du moins. Dans le texte primitif, si Agnète voit

venir rondin, c est qu’elle s’est réfugiée en haut sur le H0jeloftsbro « l’estre » ou « la loge », comme on le nommait en vieux français, c. à. d. le «pont» (couvert), la galerie du H0jeloft, du «solier», ou étage supérieur. Dans la bouche de chanteurs campagnards, qui ne le com- prenaient plus, le mot Hojeloftsbro s’est métamorphosé en H0jelands-Bro « pont du Haut-Pays. — C’est par une méprise du même genre que M. Pineau et Doncieux (/. c.) traduisent Hojeloftsbro par « le pont d’Hœjeloft ». 162. — Le pont de la chanson allemande est-il emprunté à une autre ballade Scandinave, le « Pouvoir de la Harpe » (v. ci-dessus, p. 124 ? J’en doute. — Quant à la construction d’un pont, d’un château, etc. par le diable ou par un être surnaturel quelconque, c’est un motif courant du folklore allemand. 163. — Il n’y en a qu’un autre exemple, mais incertain : une autre enanson populaire, dont les assez nombreuses césures féminines, — épi-

ques, — sont réduites en masculines par l omission de IV féminin. — Il ne faut pas confondre le décasyllabe de la «Danseuse noyée», commun à tous les vers et attesté comme primitif par la forme du prélude, avec celui qui résulte de l’abrègement d’un dodécasyllabe sur trois dans cer- taines variantes de quelques chansons (nous en verrons plus loin des exemples, p. 217). 164. — Suède: Srenska folkvisor, n°* 11 et 89; — Norvège: GnF. n° Xii; — Islande : Fornkv, t. I", n° 2; — Féroé : Carm. fier., n° 153 (Nikursvisa). — Dans la plupart de ces versions, la jeune fille est enlevée

LE VERS FRANÇAIS de force par rondin et lui échappe, soit en le nommant et en lui enlevant ainsi son pouvoir surnaturel (Islande, Féroé), soit en le tuant d’un coup de rouleau (Norvège). Il y a un point sur lequel je ne me suis pas expliqué nettement: c’est qu’il ne me semble pas éclairci. Avant l’introduction de noire ballade dans le nord-est de l’Allemagne, en pays slave et en Danemark, le nom Agnete (Angnete. etc.) se rencontrait probablement déjà dans ces contrées comme forme secondaire et sporadique d’Agnes, forme calquée sur les cas obliques du latin Agnete ni, Agnetis, etc.) ou plutôt sur le barbarisme Agnetam et ceux auxquels il a donné lieu (Agneta, Agnetae, etc.) : dans le t. I,r des Scriptorcs rcrum danicantm, Agnès de Brandebourg, femme du roi de Danemark Erik Klipping (1259-KG . est appelée une fois Agne- tam, mais sept fois Agnetem 011 Agnem (p. 371; — p. 30, 125, 187, 189, 255. 194. 372 : dans lo f. III. au contraire, nous ne trouvons qu’Agneta,

d après un ms. de Ralzeburg, pour la mère de saint Ansver (p. 381, 389, 392 . — Je fais remarquer en passant qu’il ne faut pas s’en rapporter aveuglément à l’Index de cet ouvrage: au mot Rosi;¡ldia figure la rubrique <• monasterium 8. \gnetae monialium », mais dans les passages auxquels on renvoie il y a S. Agnetis (t. III, 271 q; t. VI, p. 175, 593: t. VII, p. G8). — Enfin, le latiir Agneta (ae, etc.) peu! être une traduction fautive d’< Agnes » et ne suffit pas à prouver l’exislence ancienne d’Agnete en allemand ou en danois. Plus probants sans doute, pour l’Allemagne, sont Agnetenherg, h* monastère de Thomas à Kenipis, ol Agnelendorf, ville d’eaux silésienne, où habite Gerhard Hauptmann. Je n’ai pas sous la main les ressources nécessaires pour étudier la question. Pour notre objet, d ailleurs, peu importe qu’Annette se soit assimilé à Agnete, si ce nom existait auparavant en Allemagne et en Danemark, ou bien ait pris spon- tanément. cette forme. — Agnese «Agnès» a probablement été emprunté

par l’allemand à l italien. Sur Agnina, Angnina. v. Fôrstemann. .Xotc additionnelle au cliap. X. — En général, afin de mieux faire ressortir le raccord du prélude avec l’histoire, je n’ai pas tenu compte de

l’ancien conséquent, c. à. d. du refrain. Je m’aperçois après coup de l in- convénient qui en résulte quelquefois à 1111 autre point de vue. Dans la première chanson citée p. 151. la première strophe ne devait comprendre à l’origine que le prélude, et l’histoire commençait avec la seconde : I. Dans la cour de mon père. y a un pommier doux. Tandis «|ue nous somm’jeunes, ah! divertissons-nous !

Tandis ¡ne nous somm’ jeunes, ah! divertissons-nous !

H. La fille au roi d Espagne pleure au pied de la tour

Son pèr’ qui va la voire : » 0 ma filI’. qu avez-vous? »

Tawlis que nous somm jeunes, ah! divertissons-nous ! Sous celte forme, le point de départ de l’évolution apparaît plus net- tement : afin de donner au premier couplet la même forme qu’aux autres, c. à. d. un second vers différent du refrain. 011 y a remplacé l’ancien consé- quent par le premier vers de l’histoire. NOTES. — LIVIIE IV 289 LIVRE IV 1- — «Les syncopes, les llorilures, les heurts entre le rythme de la musique et celui du vers, les répétitions de paroles et môme les erreurs du copiste en tout suffisamment foi » (Gérold, dans Bagous, p. xxxvm). 2. — -lai longtemps hésité entre ces expressions et «long vers»,

« vers court », qui ont l’avantage, entre autres, de correspondre à l alle- mand « Langvers », « Kurzvers ». Par habitude et pour des raisons d’ordre pratique, je m’en tiens aux vieilles désignations «grand vers », «pelit vers». Je sais bien que chez nos classiques le premier nom était réservé à l’alexandrin, mais il n’y a aucun inconvénient à en élargir le sens. Quant à une confusion possible entre « petits vers» et « petits verres», j’avoue que je ne m’en serais jamais douté de moi-même. 3. — Le ms. a une syllabe de trop dans le second vers : l’emperere plus nos aimet. Ce qui nous importe ici, c’est que les deux hémistiches impairs riment ensemble. 4. — Je n’ignore pas que c’est une séquence, calquée sans doute sur une séquence latine. 5. — Les termes pcdes (allemand Stollcn, Aufgosang) et cauda sivo sgrma (allem. Abgosang) sont empruntés au traité Dr vulgari eloquentia, de Dante (Opère minori di Dante Alighieri, éd. Pietro Fraticelli, Florence, 1858, t. H, p. 146 s.). D’après sa définition, qui ne s’applique pas au pre- mier de mes deux exemples, les deux pedes se chantent sur la même mélodie, mais la cauda sur une autre. 6. — Laub, n°‘ 1, 12 (cf. Abrahamsen (Erik), Eléments romans et alle- mands dans le chant grégorien et dans la chanson populaire en Danemark. Copenhague, 1923, p. 172), 15 (v. ib., p. 177), 22 (v. ib.). 7. — V. Abrahamsen, l. c., p. 175. 8. — V. ib., p. 173. 9. — P. 21, cf. p. 37. 10. — V. : Paris, XV* s., ch. XXXIX; Rabelais, Pantagruel, L. V, cliap. 33 bis; Phalèse, Dancerics, 1583 (la « Péronnelle » est donnée comme «gaillarde»); Doncieux, p. 44 et 478; — Rolland, n° CX1 a. b; Nigra, n° 33; Doncieux, p. 254 et 492 s. 11. __ Verrier, MA., I, p. 238. Ce nom fait autrement double emploi avec celui de rime entée. 12. __ Ces élégantes paroles se chantent sur un air de danse, très vif, (pie les Suédois ont adopté pour une de leurs danses nationales (gotlândska). 13. — « Que.l mot son fag tug per egau — cominalmens ». 1/,. _ The Vision (Duan second). Cf. The Elegy, Elegy on the Death of Robert Ruisseaux, Death of Dr. Hornbook, The T\%o Herds, Hol> P. Verrier. — Le Vers français. — /. 19

LE VERS FRANÇAIS

\N i 11 i« > Prayer, To a Mo use, Address lo Ihc Doil, A Wintor Night, Scotch Drink, etc., etc. 15. - La musique mui> est parvenue avec une chanson pieuse qui l’a empruntée nommément au « comte de Peylieu » et qui se trouve dans le Mystère

par la mélodie et par le mètre. C’est d ailleurs la règle après une voyelle dans la chanson populaire. I T. — Cf. Zs. f. roman, phil., t. V, 1881, p. 52. 18. — « Dans un album qui appartenait en 1598 à une dame hollan- daise. nommée Théodora van Wassenaer, il y a une jolie ballade fran- çaise. (pii lui est adressée.» C’est notre chanson. O’Sullivan la cite à propos de celle que chante Ophélie sur la saint Valentin (,üamlet, IV, v, 48-66). 19. — Nigra, p. 104. 20. — C’est bien comme un dédoublement du couplet qu’il faut regar- der lu strophe composée d’un seul grand vers avec ou sans refrain. Elle ne peut d’ailleurs se rencontrer que dans les poèmes sans rime ou à rime continue, unique: autrement, les vers sont rattachés en «couplet» par la rime. 1° L’absence de rime est contraire à l’esprit de notre poésie, et cela

depuis les débuts jusqu’à nos jours. Il n y en a pas d’exemple dans nos textes anciens. Ce qu’on prend chez les trouvères pour un vers sans rime, un «orphelin», n’est en réalité que le premier membre d’un grand vers non résolu. Il s’agit, d’ailleurs, dans notre cas, non d’un vers isolé, mais de tous les vers du poème. Je n’en connais que deux ou trois exemples dans noire chanson populaire : c’est dans certaines versions de chansons bel et bien limées à l’origine, mais altérées au cours des siècles en pas- sant d’une province dans l’autre, surtout du nord dans le midi ou inver- sement, comme les versions de « la Brebis sauvée du loup » qu’on a re- cueillies au siècle dernier dans la Lozère et dans le Languedoc (Rolland, t. I", p. 20, t. II, p. 25; cf. les autres versions, ib. n° III a, c, d. dans le t. I*r, c, f, g, k, i. j. k, l, m, dans le t. II), ou encore une version française de «la Dame Lombarde », chanson piémontaise (Rolland, n° CLXXIX a, t. III. p. 10). Dans quelques autres chansons, la rime a disparu çà et là par suite des altérations du texte (première strophe de «Malbrouk», la plupart de «J’entends le Rossignolet », Bujeaud. I, p. 199, etc., etc.). 2° Quant aux chansons à rime continue, s’il ne s’en rencontre pas dans nos premiers textes (Eulalie, Saint Léger, la Passion, le Mystère de

l Epoux . il y en a en revanche un grand nombre dans nos chansons popu-

laires, nombre qui s’est accru, semble-t-il, depuis qu on a commencé à les recueillir. Faut-il voir là une versification primitive, d’origine celtique, qu’auraient dédaignée les auteurs de nos premiers poèmes connus, mais que le peuple aurait conservée? On pourrait citer à l’appuit de cette NOTES. LIVRE IV 291 théorie les strophes monorimes, en et surtout, du grammairien Virgilius Maro, qui vivait à loulouse vers 600, la cantilène de saint Faron, donné«*, a loi! ou à raison, comme traduction de vers français, les sequences latines de Limoges, imitées peut-être à ce point de vue de nos chansons populaires en langue d’oc, l’assonance continue des chan- sons populaires du Piémont et des romances espagnols, les laisses, enfin, de la poésie galloise. Mais ces laisses ne sont que des strophes, comme celles de nos chansons de geste, ou même des parties de strophe non des poèmes entiers. Elles n’atteignent une longueur notable que dans la seconde moitié du xii* siècle (J. Loth, Métrique galloise, t. III.

p. 175), et l authenticité des plus anciennes, sous la forme qui nous est parvenue, n’a pas encore été établie. La laisse, d’ailleurs, n’est pas quelque chose de pan-celtique, mais de purement gallois, un dévelop- pement de la rime suivie, que les Gallois ont empruntée à la poésie latine, comme les autres Celtes des lies britanniques, sans doute par l’intermédiaire des hymnes ambrosiennes et de la poésie gallo- romane : c’est seulement au vur siècle que la poésie irlandaise,

d abord «rythmique et allitérante », devient «syllabique et rimée » (bollin. Les Littératures celtiques, Paris, 1924, p. 131; cf. ci-dessus, Livre l r, note 12 . Ce développement de la rime suivie en laisse, pareil à celui du tétramèlre grec en « système », se rencontre déjà chez Com- modien, Cyprien, saint Augustin, — et Tlans l’Antiphonaire de Bangor. Et puis, si la laisse n’est attestée chez les Gallois qu’au xi* siècle, ils onl pu l’emprunter à nos premières chansons de geste : la plupart au moins d«*s plus vieux poèmes gallois conservés semblent être des xi* et xii* siè- cles. époque où il y a eu dans le Pays de Galles une Renaissance due à l’influence de notre poésie par l’intermédiaire des moines cisterciens, et l’on a lieu de croire que cette influence est bien plus ancienne (v. Loth, I. c., et Dottin, I. c.. p. 31 et 48); je rappelle que la carole y a été importée , sous le nom de carolau. Enfin, il est peu vraisemblable que les Gaulois romanisés depuis des siècles aient gardé dans leurs chansons latines une versification celtique. Les strophes monorimes citées par Virgilius Maro ne sont pas non plus la même chose que nos chansons à rime continue, et elles ont leur pendant, çà et là. dans les hymnes latines.

D ailleurs, 011 rencontre aussi chez ce grammairien des rimes variables : surgit : scandit, elaret : paret, — fine : doctrine, tyrannos : annos (Epi- toma IV. De met ris). Quant aux séquences latines de Limoges, si elles doivent la rime à notre poésie en langue vulgaire, elles ont pu être amenées à l’employer sous une forme unique, -a, afin que les vers ri- massent avec Vulleluia dont ils étaient suivis. Reste la cantilène de

« Saint Faron»: elle 11e saurait être d un grand poids, et. d’ailleurs, nous n’en possédons que deux strophes, la première et la dernière, qui peuvent avoir la même rime sans quelle se trouve dans le reste du poème. D’autre part, sans doute, on est tenté de conclure que la rime continue est un héritage commun aux peuples romans quand on songe aux tirades ou poèmes monorimes des auteurs lalins cités plus haut. Mais, sans compter que les tirades monorimes de Commodien et de Cyprien, p. ex., ne sont pas des poèmes entiers a rime continue, pas plus que nos laisses, le fait reste que dans nos plus vieux textes trançais. comme dans les premiers rhythmi, la rime est variable, \ariable aussi 19

1.1 VEHS 1 H A NCA1S dans l«*s plus vieux romances espagnols et les plus vieilles poésies ita- I iennes (v. Monaei, Crestomazia ; variable encore dans les chansons popu- laires du Piémont, avec tendance à se répéter dans une courte suite de vers. Des deux côtés, la rime ou assonance continue est une innovation, spontanée peut-être, mais plutôt due à l’inlluenee de nos laisses et de nos chansons populaires. Ni chez nous, ni chez nos voisins, ce n’est un héri-

tage roman, pas plus qu un héritage celtique, conservé par le peuple et abandonné par nos poètes lettrés à cause de son caractère populaire,

si, d’ailleurs, ils l’avaient dédaignée d’abord pour celle raison, comment

se fait-il qu ils l adoptent ensuite peu à peu, Guillaume IX dans plusieurs de se* chansons, les troubadours postérieurs et les trouvères sous forme de rimes répétées dans deux ou trois strophes, voire dans tout le poème, excepté précisément dans les pastiches de chansons primitives, popu- laires, tels que les romances? Nous la trouvons, au contraire, dans ces aristocratiques rondeaux dont est « brodez » Guillaume de Uôle et qui le rendent <• des autres si divers que vilains nel poroit savoir ». Etranges contradictions! Dira-t-on qu’il y avait dans notre vieille poésie, orale ou écrite, comme aujourd’hui encore dans notre littérature populaire, des chansons mono-assonancées pour la danse et des chansons à rimes

variées pour le chant pur et simple? C est inexact : par le fond, un récit, comme par la forme, strophes de rotrouenge, nos romances des xir et xiii* siècles, à rime variable, pastichent des chansons â danser, tandis que cansos et c-hançons courtoises, à rimes au moins souvent répétées s’en séparent; parmi nos chansons populaires, « Marianson » est une ronde malgré ses strophes à rime variable, celles de la Passion (x* siècle), et la « Passion de Jésus-Christ », malgré sa rime continue, ne s’est probablement jamais dansée, du moins sous sa forme actuelle. — Com-

ment la rime continue s est introduite dans nos chansons, nous le verrons au chapitre suivant. 21. — On trouvera peut-être que «< y allons » est plutôt le commen- cement du refrain : une exclamation dont le choeur accompagne la reprise de la danse, dans le genre de « quid stamus? cur non imus? » (v. ci-

dessus, p. 24). Mais cette exclamation s explique bien mieux dans la bouche du chante-avant : « allons-v! » continue le « carolez! » des ron- deaux du moyen âge. Par le sens, d’ailleurs, elle ne se relie guère au vers suivant dans la première ronde, pas du tout dans la seconde (Un jour Nanette et Madelon — travaillaient dessus la chanson, — Y allons, y allons, y allons; — \e voulez-vous pas mettre à mon corbillon?). Dans la musique, enfin, elle se rattache immédiatement au couplet et se termine, au contraire, par une note de grande valeur, qui la délache •lu refrain. — Dans la première ronde et dans une autre du même recueil p. 2ft.i, Ballard a écrit Refrain après le vers («y allons», ter)

ou l’interjection « a a » qui présentent le caractère d un signal. Mais nous n en pouvons rien conclure de certain : dans la ronde où figure également .« y allons! » (ib., p. 381, i! a mis Refrain avant. 22. — Exactement dans les deux premières chansons. Dans les trois autres, les vers du triplet ont la forme 5a plutôt que 6b. 23. — Répétition non attestée, mais plus que probable (cf. 2°). NOTES. — LIVRE IV 293 24. — V. ms. et cf. Beck, Musique, p. 102. 25. Lire auet : refrain clianlé en chœur par les marchands. 20. V. Genniich, Rotrouengc, p. 83 s. Inutile de dire que je d ois beaucoup à cette remarquable étude. 27- — Gennrich, Rotrouenge, p. 75. Il n’est cependant pas exact de dire «pie Gace Brûlé ne connaissait pas la rotrouenge. Sa chanson XXVI, «•quant le tons renverdoie», est bien une rotrouenge avec refrain el rimes variables, mais en vers résolus. Il est vrai que nous n’en possédons pas la musique. — Pour Gaulier de Dargies, v. Lais et Descorts, II, p. 5 28. — Lit t., § 128. 29. — Ed. Cloetla, Roman. Forsch., III, 1887, p. 231 (cité d’après Genn- rich, Rotrouenge, p. 12). 30. — Cité d’après M. Spanke, p. 296. — Je dois également beaucoup au chapitre de cet ouvrage « Zur Metrik der Lieder » (p. 290-350). 31. — V. Gennrich, Rotrouenge, p. 37. 32. — Titus Galino, Musique et Versification française au moyen âge, Leipzig, 1891 («dissertation»), p. IL 33. — Guillaume de Dôle, v. 1330. — V. Gennrich, Vortrag, p. 19 s. 34. — Aix-en-Provence, Bibl. Méjanes 572 (499), et Bibl. Nat., ms. fr. 25.566. 35. — Mais le poète n’a pas toujours accordé le sens avec la musique: quelquefois la phrase linguistique enjambe sur la phrase musicale, ou inversement. Ce n’est pas tout : dans douze laisses sur vingt-et-une, les heptasyllabes s’alignent en nombre impair. Ces irrégularités sont trop nombreuses pour s’expliquer par des omissions du copiste. Admettrons- nous donc, avec M. Gennrich (Vortrag. p. 18 s.), que dans ces douze laisses on répétait simplement la seconde demi-phrase de la mélodie sur le petit vers isolé à la fin, le petit vers dépareillé? Il faudrait en con- clure. aussi bien que des chevauchements entre sens et mélodie, que le grand vers résolu de quatorze syllabes tendait à se disjoindre dans la laisse en deux petits vers indépendants, à l’image des décasyllabes et alexandrins. — Pour la musique, v. éd. Roques, Bourdillon, etc. 36. — Ms.: Giraldo de Maria, corrigé par M. Jean Bock, Comptes rendus

de t Acad. des Inscr. et Belles-Lettres, 1911, p. 40. 37. — V. Gennrich, Vortrag. — Cf. le vers de six syllabes qui rem-

place l< refrain dans la chanson du Châtelain de Couci dont je parle p. 91. 38. — V., p. ex., Pound, p. 143-4. — Le texte de mon t. I*r était

entièrement composé et corrigé en seconde épreuve quand j ai pu prendre connaissance des deux études suivantes : Friedrich Gennrich, Zur l r- sprungsfrage des Minnesangs (Deutsche Vierteljahrsschrift fur Litera- turu issenchaft und Geistesgeschichte, t. VIL Halle. 1929, p. 18<-228): Wolfgang Storost, Gesehichte der altfranzosischen und attprovenzalischen Romanzcnstrophe, Halle, 1930). Je ne puis en dire ici que deux mots. — Pour M. Gennrich, la laisse est une imitation de la litanie, et elle a donné naissance à la strophe de rotrouenge. Je ne le pense pas. On a Li: VERS FRANÇAIS

l»ion, dans la laisse comme dans la litanie, la répétition, sans limite

imposée, d une seule et même mélodie, d une seule et même mélopée, mais sous des formes bien différentes : dans la litanie, il n’y a aucun lien entre les versets, et ils sont séparés l’un de l’autre par 1’ « ora pro nobis » du chour; la litanie n’a pas de rimes; elle constitue un tout complet, tandis que la laisse, très courte au début (Boècej, n’est qu’une

petite partie d un tout. — Pour M. Storosl, la laisse est le point de départ de toutes nos strophes, en premier lieu de la rotrouenge : la laisse est la forme primitive «le tout chant, commune ù tous les primitifs. Faut-il répéter que les GallOrRomans n’étaient ni des Botoeudos, ni des indigènes des île- Andaman. ni même des sioux? Malgré le ravage «les invasions germaniques, ils axaient conservé dans leurs chansons, comme dans leurs arts, quelque chose au moins »le la civilisation antique. V. Introd., note 9, fin. 39. — V. Gennrich, Yortrag. p. 38 s. — Pour le Saint Léger, il y a sur d’autres syllabes des traces de neunies, «pii ne semblent pas fous semblables ii ceux des v«*rs 106-7. — Quant au remplacement du refrain par un vers rattaché à « l’histoire ». cf. p. ex., ci-«l<»ssous, p. 216, I. 9 «lu bas. 40. — J’aurai l’occasion de donner des renseignements sur cette strophe. 41. _ y. -Gérold, p. 87, ch. V (note). 42. — M. Jeanroy a proposé « chanson il répétition » : mais il y a

d autres sortes de répétition. — Dans certaines poésies galloises, le pre-

mier mot «le chaque strophe « st le dernier «le la précédente : on n’ira pas en conclure, j** l’espère, «pie la concaténation est d’origine celtique. 43. — Fri l’absence «le rimes, il est presque toujours difficile de recon-

naître s’il s agit d’un grand vers ou «le deux petits. La musique y aide parfois. 44. — Ici, le corps de la strophe ne consisle pas en un « petit couplet », mais en un grand vers isolé. Je n’ai pas trouvé de meilleur exemple : on verra pourquoi. — Dans hF I et II), il y a 27 refrains doubles, c. à. d. de deux vers : refrain grand couplet petit couplet biparti ...... 1 (I. 50)...... 25 non biparti ...... 0...... 1 (I. 18) Je ne regarde ici le refrain final comme double que lorsqu’il se com- pose de deux parties rimant entre elles. Certains autres sont si longs et si nettement coupés en deux qu’il y aurait peut-être lieu de les regarder comme doubles, surtout quand ils viennent après un couplet de petits vers (p. ex. I. 7. 47, et II, 7). 46. — Nombre égal de temps marqués : DF. I, 10; II, 26; II, 31. — ’i en a-t-il d autres exemples? Faute de musique, — «le musique authen- tique, — le compte n’est pas toujours sûr.

NOTES. ---- LIVRE IV 47. Dh, I, dos trois vers riment entre eux). — Comment clasSer L, .10! Api es le second vers, qui rime, il y a une coda ajoutée sans dou te plus tard. J’ai compté un vers court et un long. 4«. — Les ballades scandinaves ne tiennent pas celle habitude de

l ancienne strophe norroise «des incantations» (Ijôôahâttr) : celle-ci se termine par un petit vers précédé d’un grand. 49. La chanson

; i la fin. Voilà qui rend moins probable encore de sa part une substitution

étourdie de cette forme à celle de 1°, même si l on prend en considé-

ration qu’il s’agit d un refrain passe-partout. Ce refrain passe-partout a été employé tel quel, sauf dans la répétition intercalaire du premier vers. — M. Gennrich lui-même, qui est porté à corriger radicalement

toutes les « irrégularités », comme fautes du copiste, n en a pas moins conservé dans un rondel un premier vers de refrain sans rime aucune (n° 7, cf. n° 13) et un vers intercalaire plus long que ceux du couplet (0° 18).

53. — Il y a deux pastourelles qu on pourrait alléguer ici, à la rigueur, si elles n’étaient pas très probablement postérieures aux premiers ron-

deaux. Dans l une (Bartsch, II. n° 11), le chanteur interpelle en ces termes son public, au beau milieu de son récit et juste avant le refrain : « Chanteis et respondeis toz — ke bien fust-elle née ». Mais le refrain répond en chantant tout autre chose. C’est là un vers signal bien indirect, presque autant que dans l’autre pastourelle, où. juste encore avant le refrain, la « touze » dit au poète : «Si vos pri — ke vos chantés avec mi, — et disons si c’on l’oie » (Bartsch. Iî, n° 10 . li; vehs français

54. — Il n’y a pas trace, dans ces ballades, d insertions comparables à « carolez! », « chantez! » Allons, tretous! », etc. Aussi est-il fort douteux qu’on puisse regarder comme représentants d’un ancien vers- signal les très rares insertions en tòte (de la seconde partie) du refrain (biparti), dans le genre de >• I gj0ken i gAl&r *> (.DyF. t. IV, p. 801, Nr. 37. b.) ou de <« Min liljan friô » (Fornkv., n° 39). Cf. l)F, I, n° 30, où le refrain comprend un vers intercalé (« Sloltet det er vundet ») et proba- blement deux vers à la suite du couplet, le premier assonant avec l’in- sertion (« for Erik li in unge — Med den saa vare de »), exactement comme dans la strophe islandaise. V. aussi Norske Follcevisor, II, n° 80, « Den varslande lindi-», où le refrain e.st ordonné de la même manière, mais sans rime. — Cette disposition se rencontre aussi dans nos chansons populaires. Bien qu’elle ressemble à celle du virelai, elle n’est proba- blement ancienne ni en France ni en Scandinavie. 55. — Cf. : versus «* couplet », refractorium vel responsorium « re- frain », addi ta menta «insertions» (Jean de Grouehy, p. 04). Ces trois parties peuvent aussi se rencontrer dans les autres sortes de « cantus » ou « de cantilena »; mais dans le rondeau, en outre, les additamenta « consonati! et concordant in dictamine cum responsorio » c. à. d. ont la même rime et la même mélodie (ib., p. 05). 50. — V., pour les premiers temps, Gennrieh, — pour la fin du xiv* s., Stickney, dans Romania, VIII, 73-02, etc. 57. — Bibl. Nat., ms. lat. 10407, f. 74. — British Muséum, ms. Arundel 202. — Poitiers, Bibl. pubi., 07 (271). — Quand j’ai écrit ces lignes, je ne connaissais pas les deux manuscrits de Cambridge signalés d’abord par Paul Meyer Romania, XXXII, p. 22, et XXXVI, p. 501 s. : I". Gonville and Caius Collège, 130, p. 235; 2°, Trinity Collega, B. 14. 30, f. 34 b (v. Gennrieh, II, p. 14). 58. — A l’exception du premier vers. Cf.: Belle Aalis mainz s’en leva (Paris); Aidiz ben se leva (Poitiers); Bele Aliz matin leva (Londres). La forme adoptée, avec «leva» = se leva, est celle qui explique le mieux ies diverses variantes. — Cf. Cambridge: 1°. Bele Aliz meyn se leva; 2°, Bele AI i s malyn se leva. — A première vue, on est tenté de pré- férer Cambridge 1° (v. aussi Livre 1er, note 52). Mais cf. Gennrieh, n°* 2 et 7 (paroles et musique). 50. — C’est sur « vos » qu’il manque une note. Le notateur songeait-il à un texte où manquait aussi cette syllabe («car n’amez mie,» «qui n’amez mie »)? Ou bien a-t-il simplement passé une note, en copiant son original, comme il l’a fait dans le premier vers du cantique (sur «ne»)? Dans le premier cas, nous aurions comme mélodie de notre carole (aaa^-x^ : NOTES. — LIVRE IV ?i)7 Dans le second cas, nous*pouvons rétablir la note qui manque dans (J, — avec le texte de Poitiers et de Cambridge 1*, — on nous inspirant d u

vers 380 de la Cour de Paradis (« en la qui n arnez mie », mi fa mi -f ré

mi fa sol -f l a -f- mi fa) : vos qui n’a - mez ini - e de pò - se fio - ri - e Là, on a un branle mixte (v. p. 38); ici, un branle double, avec une mélodie plus agréable. 60. — Rolland manque de précision dans ses références. Celle qu’il donne ici est en outre erronée : Ballard, Rondes, 1724. Il y a chez lui d’aulres inexactitudes, que je n’ai pas cru devoir signaler. Si je relève colle-ci, c’est qu’elle se complique d’une plus grave : comme insertion, il a remplacé le second vers du refrain par le premier, en supprimant la répétition de « lique » et en élidant l’e de «< taque » avant le vers suivant, que chante, non le chœur, mais le soliste. 61. — On la trouvera dans Gennrich, Musikw. Je dois beaucoup éga- lement à celle brochure (bien que je ne partage pas sur tous les points

l avis de l’auteur), et je ne saurais Irop la recommander. <

TABLE DES MATIÈRES Introduction ...... 1

Le but, les moyens, l intérét, p. i. Remarques générales, p. 4. BUjliograptiie des tomes I et II, p. G. PREMIÈRE PARTIE. — LE POÈME. LIVRE PREMIER. — Les origines. Poésie, chant et danse. Chapitre premier. — La formation de nos mètres primitifs...... 17 Chapitre II. — Histoire de la carole...... 23 Chapitre III. — La ronde carole...... 33 Chapitre IV. — La chanson de carole...... 47 LIVRE II. — L’encadrement de la chanson. Chapitre V. — Le prélude...... 57 Chapitre VI. — Le refrain...... 83 LIVRE III. — Le corps de la chanson. Chapitre VII. — Les romances du moyen âge...... 103 Chapitre VIII. — La chanson populaire...... 113 Chapitre IX. — Les baleries des xii* et xm* siècles...... 141

Chapitre X. — Le prélude et l histoire...... 150 Livre IV. — La strophe. Chapitre XI. — La strophe...... Chapitre XII. — Le couplet...... Le couplet simple, p. 174. Répétition et doublement, p. 182. ( .hapitre Mil. Le dédoublement du couplet Le dédoublement, p. 194. Hépétltion et doublement, p. 203. Chapitre XIV. — L’élargissement du couplet.. La rotrouenge, p. 203. La laisse, p. 212. Le iluuhlo couplet, p. 217. Chapitre XV. — L’enchaînement des couplets. Chapitre XVI. — Couplets à insertion...... Notes ...... Introduction, p. 253. Livre premier, p. 250. Livre il, p. 269. Livre 111, p. 273. Livre IV, p. 289. In>p. I Union Typoyra/iliii/uf, VilUneuve-Saint-Georgr«