Corneliu Gheorghiu De la pianistique

© 2015. Les Editions musicales GRAFOART Tous droits réservés.

L’équipe de rédaction tient à remercier Madame Ileana Littera pour son expertise linguistique.

Descrierea CIP a Bibliotecii Naţionale a României GHEORGHIU, CORNELIU Despre pianistică / Corneliu Gheorghiu ; îngr.: Oana Rădulescu Velcovici ; ed.: Matei Bănică. - Bucureşti : Grafoart : Bucureşti, 2015 ISBN 978-606-747-026-0 I. Rădulescu-Velcovici, Oana (îngr.) II. Bănică, Matei (ed.) 786.2

Les Editions musicales GRAFOART 20, rue Braşov, Bucureşti, 6 Tel.: 0747 236 278 ; fax.: 0318 15 15 13 Commandes online: www.LIBRARIAMUZICALA.ro

Corneliu Gheorghiu

De la pianistique

Nouvelle édition réalisée grâce à Oana Rădulescu Velcovici et Corneliu Rădulescu pianistes et professeurs à l’Université Nationale de Musique de Bucarest

Editions Musicales GRAFOART

SOMMAIRE

Corneliu Gheorghiu, portrait du musicien ...... 7 I. Introduction ...... 13 II. L’Élément psychologique ...... 22 III. Sections anatomiques 1. La commande du cerveau...... 27 2. Le contrôle par l'oreille ...... 28 3. L'ensemble du bras 3.a. L’épaule ...... 29 3.b. Le bras ...... 33 3.c. Le problème du coude ...... 37 3.d. La main – l’indépendance des mains ...... 39 3.e. Les doigts – Point d'appui – Vélocité - « Antée » ...... 41 3.f. Le passage du pouce – Le doigté ...... 48 4. L’interdépendance des sections anatomiques ; Entrer dans le ; Le phénomène de feed-back ...... 51 5. Assise au piano ; Octaves – Accords – Vélocité ...... 57 IV. De la liberté, la souplesse et la légèreté ...... 59 V. Les sauts ...... 63 VI. Le corps face à l'instrument ...... 64 VII. La pédale ...... 69 VIII. Apprentissage 1. Phases du travail...... 71

2. Outils de travail ...... 72 IX. La théorie de la non-interférence entre les fonctions ...... 79 X. Une journée au piano ...... 81 XI. Style et interprétation ...... 85 XII. Bâtir un programme de récital ...... 89 XIII. Conclusions ...... 92 XIV. Mes étudiants du Conservatoire de Bucarest ...... 106 XV. Souvenirs impérissables 1. Comment je suis venu à la musique...... 115 2. Rencontre avec Georges Enesco ...... 122 3. Examen d'admission à l'académie royale de musique et d'art dramatique de Bucarest...... 124 4. Rencontre avec ...... 127 5. Rencontre avec Alfred Cortot ...... 132 6. Début comme soliste en public ...... 134 7. Début comme soliste avec la Philharmonie de Bucarest ...... 135 8. Souvenir d'un autre concert dirigé par Constantin Silvestri ...... 136 9. Concours Chopin à Varsovie ...... 137 10. Collaboration avec le célèbre chanteur Nicola Rossi Lemeni...... 139 11. Rencontre avec ...... 142 12. Rencontre avec Igor Markevitch ...... 147 Photographies de famille ...... 150 Extraits de presse...... 153 L’âme du piano ...... 157

Corneliu Gheorghiu

CORNELIU GHEORGHIU, PORTRAIT DU MUSICIEN

Ce livre a été écrit par un artiste ayant une riche formation professionnelle en tant que pianiste et pédagogue. Son talent inné, aidé par une imagination fertile et par une vaste érudition a été amplifié par son expérience de la scène et de l'enseignement. Corneliu Gheorghiu montre depuis sa plus tendre enfance des dons pour la musique. A l'âge de six ans, ses petites compositions qu'il jouait déjà sur scène – sont remarquées par Georges Enesco, qui recommande une carrière musicale basée sur de sérieuses études. Elles sont réalisées à Bucarest grâce à d’éminents professeurs: Florica Musicesco (piano, dans la classe de laquelle il se lie d'amitié avec le légendaire Dinu Lipatti et le virtuose Mândru Katz), Ion Nonna Otesco (Harmonie et Contrepoint), Mihaïl Jora (Composition) Dimitrie Cuclin (Fugue, Formes musicales, Esthétique), Constantin Brăiloiu (Histoire de la Musique et Folklore), Mihaïl Andrico (Musique de Chambre). Il obtient le Premier Prix de Piano étant le meilleur étudiant de toutes les classes de piano et le Premier Prix du Concours Aurelia Cionca de l’Académie Royale de Musique et d'Art Dramatique de Roumanie. En même temps, il obtient le Diplôme en Droit à l’Université de Bucarest. Il commence une carrière de pianiste, comme soliste avec les orchestres philharmoniques de la capitale roumaine et d'autres villes du pays. Il donne aussi de nombreux récitals et concerts de musique de chambre en Roumanie et à l’étranger.

7

Il réalise aussi des disques : Mozart, Debussy, Enesco, Moussorgski, compositeurs roumains. Il se produit dans des émissions de Radio et de Télévision roumaine, belge, suisse, allemande et grecque. Il est nommé Professeur et Chef de la Chaire de Piano au Conservatoire National Supérieur de Bucarest et forme de remarquables jeunes pianistes. En 1978 il s’établit à Bruxelles avec sa famille et continue son activité de professeur, ainsi que celle de concertiste, en jouant en Belgique, France, Suisse, Pays-Bas, Allemagne, Angleterre, Norvège, Espagne, Italie, Grèce, Liban, partout salué par des articles de presse élogieux. Membre des Jurys Internationaux Georges Enesco (Bucarest), Chopin (Varsovie), Montréal et Singapour. En tant que compositeur, il signe des œuvres pour piano, chant, violon, violoncelle, flûte, hautbois.

8

A mon épouse Florica, bonne fée protectrice, à laquelle je dois cinquante-six années de bonheur. Bruxelles, 2015.

De gauche à droite: Dinu Lipatti, Florica Musicesco, Corneliu Gheorghiu, en 1936.

A la mémoire de mon vénérable Maître Florica Musicesco, en témoignage de ma profonde gratitude.

I. INTRODUCTION

Florica Musicesco – appelée tout simplement « Mademoiselle » par le milieu musical roumain – professeur au Conservatoire de Bucarest pendant plus de soixante ans, a posé les fondements d’une remarquable école de piano dont le plus beau fleuron fut son élève, l’inoubliable Dinu Lipatti. Les principes de son enseignement, qu’elle-même n’a jamais mis par écrit, ont été adoptés tels quels ou bien adaptés selon leur personnalité par ses élèves, dont Maria Fotino, Mândru Katz, Madeleine Cantacuzène (par la suite épouse de Dinu Lipatti), Smaranda Georgesco, Manolica Eremie, et aussi par … le signataire de ces lignes. Le présent ouvrage rend compte de cette dernière adaptation. Lipatti lui-même a laissé au sujet des principes pianistiques quelques considérations plutôt psychologiques que techniques, datant de la période pendant laquelle il fut professeur d’une classe de perfectionnement au Conservatoire de Genève – période hélas trop brève, puisqu’il nous quitta à trente-trois ans, en plein essor de sa carrière pianistique. Quant aux autres disciples, je n’ai pas jusqu’à ce jour connaissance d’un quelconque texte qu’ils aient rédigé à ce sujet. La plus indiquée pour ce faire eût été à mon avis Maria Fotino, éminente interprète, esprit clairvoyant, analytique et objectif, et qui en plus avait travaillé le plus longtemps de nous tous – quelque quarante ans – avec « Mademoiselle ». J’ignore toutefois si, comme je l’ai fait moi-même, elle aurait pris de notes au sujet de l’enseignement qui lui était dispensé.

13

En 1940, Georges Enesco lui a dédié aussi une photo : « A Mademoiselle Florica Musicesco, avec le respect qu'inspire sa piété envers l'Art et pour la manière dont elle conçoit l'amitié ». De même, Igor Markéwitch avait noté sur un exemplaire de ses Variations pour deux : « A ma chère Florica, pour qui le

17

piano n’a plus de secrets, ces modestes essais ». Et Dinu Lipatti a écrit en roumain, sur le premier exemplaire d’auteur du Concertino en style classique pour piano et orchestre de chambre : « A mon Maître, avec tout mon amour et ma reconnaissance, ce premier né ». J'ai en ma possession et je conserve précieusement ces deux derniers exemplaires ; j'ai aussi enregistré et joué dans beaucoup d'endroits en Europe le Concertino pour piano et orchestre et le Concerto pour Orgue et Piano et aussi le Nocturne sur un thème Moldave (dédié à M. Jora) de Dinu Lipatti.

18

II. L'ÉLÉMENT PSYCHOLOGIQUE

Jouer du piano signifie, pour la plupart des pianistes, voir des notes sur une partition et établir une liaison directe avec les touches à enfoncer sur le clavier. C'est ce que font en général les accompagnateurs qui ont la réputation de déchiffrer vite et de jouer n'importe quel morceau « a prima vista ». D'après notre méthode, le procédé correct et artistique suppose un ordre donné par le cerveau, ordre investi de tous les attributs des sons qui s'ensuivront – durée, nuance, expressivité – à la suite de la perception visuelle des notes lues ou mémorisées, et adressé aux centres moteurs. Pour résumer : les doigts ne doivent pas jouer machinalement sans ordre d'en haut. Les mouvements doivent émaner de l'âme: crescendo et diminuendo doivent correspondre à des nécessités d'expression, être des gonflements et dégonflements dynamiques, ne consistant en aucune manière en contractions et décrispations musculaires. Lorsque je dis à l'un de mes élèves « ne bouge pas seulement les doigts, mais produis des sons », c'est la finalité de l'action que j'envisage ; il s'agit là d'un élément intentionnel intégré au processus mécanique. On ne saurait jamais trop répéter que la technique relève du psychique. Le flux d'énergie doit parcourir le bras de haut en bas sans rencontrer d'obstruction ; joue directement avec l'âme ! C'était l'une des caractéristiques essentielles du jeu de Lipatti. La tension suivie de relâchement – les deux inhérents à toute manifestation d'art en mouvement et à chaque interprétation – ne se réduiront jamais à crispation et détente musculaire.

22

III. SECTIONS ANATOMIQUES

1. LA COMMANDE DU CERVEAU

Le cerveau doit exiger des sons pourvus des qualités nécessaires à la pièce proposée à l'étude ; la pensée doit toujours devancer l'action. Il est très important d'avoir l'intention de produire des sons, pas des mouvements, et encore des sons revêtus d'un ensemble d'attributs, ce qui implique l'émission d'un ordre très précis. Quant au mouvement, il doit être direct ; allez d'un seul geste tout droit à la note que vous voulez jouer. « De la décision ! » (Mademoiselle, le 23 février 1953). Le mouvement n'est qu'un moyen de produire des sons. Considérez la touche comme un être vivant ; ainsi vous n'arriverez jamais à cogner dessus. Ne pas cogner (battre) signifie s'adresser uniquement à la substance élastique, à la chair de la touche, qui est l'intervalle, la course entre la surface et le fond de la touche, et ne pas se ficher comme une hache dans le bois du fond. Le système central doit émettre sans interruption, il ne faut pas laisser faire, mais participer activement à ce que font les doigts ; chaque action doit être volontaire. On ne saurait trop répéter que l'imagination joue là un rôle essentiel ; figurez-vous que vous avez une main énorme, couvrant tout le clavier sans être déplacée !

27

3. b. LE BRAS

Le bras doit être toujours surélevé, prêt à être déplacé dans n'importe quelle direction, prêt à bondir, s'il le faut. La liberté du bras est incontestablement admise surtout lorsqu'il est transporté et reste passif ; toutefois, s'agissant d'un travail musculaire quand les doigts s'articulent, on pourrait objecter que sa liberté est plus ou moins relative. Dès lors, on pourrait parler plutôt de l'élasticité du bras, puisque toute action doit se produire en souplesse. Les bras tranquilles, libres, mous.

Mademoiselle, le 5 mars 1951. « Le bras libre et flexible porte la main ; elle ne se précipite pas mais reste passive, tout en faisant corps avec le bras. » Le mouvement est bien exécuté quand on ne sent pas son bras. Toujours partir vers l'avant. Transmettre l'énergie par l'axe du bras (je dirais même : par le conduit du bras, un conduit vide donnant mieux l'idée de liberté). Le quadrilogue du bras : 1. Libre, léger, passif. 2. La force au bout des doigts, fermes. 3. Savoir avec précision où tu vas (voir § III.1. Commande du cerveau) 4. Aller avec le bras d'une seule pièce ; la main ne doit pas se précipiter vers les touches convoitées. Ceci est un problème d'initiative, qui doit appartenir aux centres nerveux qui commandent toute activité motrice depuis le cerveau.

33

3. c. LE PROBLÈME DU COUDE

Dans les années trente et quarante on pouvait aisément reconnaître un élève de Mademoiselle Musicesco parce qu'en jouant du piano il tenait les coudes écartés du corps et en plus il effectuait tout le temps un mouvement de rotation (qui entraînait aussi le poignet) et qui faisait penser aux ailes d'un oiseau. Ces mouvements étaient censés chasser l'ombre même d'une contraction de cette jointure très importante dans la transmission du flux de force qui, partant des régions supérieures, devait aller vers le bout des doigts. Il fallait donc montrer au professeur que le coude n'est pas alourdi comme par du plomb qui serait resté là pour entraver l'action des doigts. Il en résultait une assise haute devant le piano, pour que le coude soit au-dessus du niveau du poignet. Lipatti lui-même s'asseyait sur une très haute chaise devant le clavier. Le coude bloqué – je l'ai remarqué par la suite quand je suis devenu professeur à mon tour – empêche le jeu naturel et l'égalité des sons, faisant évoluer le bras en saccades et amenant la fatigue. Je n'arrivais pas pour autant à demander à mes élèves de « battre des ailes continuellement » ! D'ailleurs, Mademoiselle ne demandait pas expressément cela, elle nous amenait à le faire par des voies indirectes ; ne pas alourdir le coude, le coude léger, ne pas sentir du plomb dans le coude… Ensuite elle demandait l'arrêt sur une note, prenait mon coude et l'écartait vers l'extérieur, puis le lâchait tout d'un coup. Le coude devait revenir à la position normale avec un balancement qui montrait sa liberté. Le mouvement de rotation doit s'effectuer de temps à autre (pendant l'étude seulement) à la demande du professeur ou sur l'initiative de l'exécutant, en s'arrêtant sur une note et en faisant le contrôle rotatif et encore celui d'arrière en avant, qui amène le poignet très haut puis revient en

37

4. L’INTERDEPENDANCE DES SECTIONS ANATOMIQUES ; ENTRER DANS LE PIANO ; LE PHÉNOMÈNE DE FEED-BACK

Aux déplacements, le bras entier doit aller à droite et à gauche avec une parfaite coordination. Ne pas pousser, ne pas tirer. Déplacement du bras : ni à la suite, ni précédant les doigts, mais absolument ensemble, obéissant aux même ordres, émanant de la même source.

La difficulté principale et en même temps la condition de base pour toute activité pianistique est la dualité apparemment paradoxale : bras libre ↔ main active.

Le bout d'en haut (du levier) doit faire corps avec le bout d'en bas ; ils doivent jouer et se déplacer simultanément ; pas de séparation possible.

Les diverses parties du bras doivent avoir des mouvements coordonnés, étant d'une seule pièce et se déplaçant comme une seule unité. Comme suggestion : marcher sur chaque touche ! On n'aurait pas l'idée de marcher sur terre en déplaçant uniquement les pieds et en bloquant le reste du corps. Ainsi, vous serez libre et totalement dégagé dans l'épaule et le reste du bras, coude, poignet, main.

La plus grande aide que puisse donner le bras est de ne pas aider du tout (par intervention dans les affaires des doigts). Ne pas s'opposer bien sûr à l'activité de ceux-ci, mais collaborer dans une parfaite coordination!

51

IV. DE LA LIBERTÉ, LA SOUPLESSE ET LA LÉGÈRETÉ

Quand vous commencez la préparation d'un sujet, ignorez pour le moment l'efficacité des doigts en faveur de la relaxation, qui est la condition № 1, la feuille blanche sur laquelle on va écrire le discours musical (j'étais tenté d'écrire « son rêve » – mais il y a un long parcours jusque-là). Si l'appareil transmetteur (bras, main) est impropre (lisez « n'est pas libre »), les meilleurs ordres du cerveau n'arriveront pas à atteindre leur but ! Aussitôt le son produit, le surplus d'effort doit disparaître et vous devez retrouver la condition première (la « feuille blanche »). Mademoiselle, janvier 1951 : contrôle de la liberté du bras Le bras assis sur un doigt qui fait fonction de pilier, le poignet surélevé. 1. Mouvement rond dans le sens des aiguilles d'une montre, à l'initiative du coude, le bras passif étant déplacé d'une pièce. 2. Le même mouvement de rotation, dans l'autre sens. 3. Changer de pilier (autre doigt). Mouvements de rotation, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. Tout ce temps, le bras libre. Rien ne doit s'opposer aux mouvements. Pensez à ce que disait Francis Planté : « Je travaille lentement en veillant tout le temps que le démon de la contraction ne me touche de son aile ».

59

V. LES SAUTS

Tous les déplacements se feront en mouvements ronds, comme sur la surface d'une boule. Ceci est valable pour tous les déplacements, pas seulement pour les sauts. Bien viser les cibles et se jeter intégralement et courageusement à distance (Liszt : Concerto en mi bémol, début). Les sauts n'existent pas ! Le bras étant léger, quand il n'a pas d'appui dans le piano, l'épaule (« ceux d'en haut ») se charge du transport. Travailler de la manière suivante : 1. Réduire la distance à une octave. Reprendre plusieurs fois dans de bonnes conditions (bras relâché), aller directement au but, ayant la conscience mentale du mouvement, se dire à soi-même que « tout est facile » (ce qui est vrai, pour une octave !), bouts des doigts fermes, intervalles de temps réguliers. 2. Augmenter progressivement la distance. Reprendre plusieurs fois chaque augmentation, dans de bonnes conditions. 3. Tous les déplacements se feront sur une surface courbe (imaginaire). 4. Commander d'en haut; pas d'initiative en bas (« la main ne bouge pas! »). (Voir § VIII.2., Outils de travail et aussi § III.3.d., Main).

63

VI. LE CORPS FACE À L'INSTRUMENT

Se placer devant le clavier, bien au milieu. Distance : une longueur de bras, depuis l'épaule jusqu'à la paroi d'en face. Hauteur : le poignet et le coude doivent se trouver sur la même ligne horizontale lorsque la main est assise sur le clavier par l'intermédiaire des cinq doigts arrondis. Ceci est important pour la circulation du flux de puissance: les courants d'énergie doivent couler vers les bouts des doigts, sans entrave aucune. L'assise haute est favorable pour les octaves et les accords; la position basse, pour les passages des doigts. Depuis le bassin nous réglons la hauteur en cours de performance selon les besoins du moment.

Essayez les accords en étant debout devant le clavier (un peu courbé pour atteindre les touches) et constatez combien la sonorité devient généreuse et puissante ; ensuite asseyez-vous lentement en continuant les accords, en maintenant « les bonnes conditions », pour que le flux de puissance ne soit pas interrompu.

Mademoiselle nous disait souvent : « Ne frappe pas », « Ne cogne pas », « Ne pas battre » (le clavier). J'explique : « frapper » veut dire ne pas s'adresser à la substance élastique de la touche, c'est-à-dire à la distance d'enfoncement entre la touche et le fond, qu'elle appelait « bois » (« ne te fiche pas dans le bois comme une hache », disait-elle).

64

VII. LA PÉDALE

La pédale droite, notée parfois en dessous de la portée par « 3 cordes », peut être : 1. De renforcement (augmentation du volume sonore) ; 2. De prolongement (du son) ; 3. De superposition (ou harmonique) ; 4. De liaison (ou mélodique). Elle ne doit pas être le rideau de fumée derrière lequel on cache les fautes (nommé « cache-misère » dans les Conservatoires). La pédale mise sur le temps (par exemple dans les valses) se distingue de celle mise après le temps et aussi de la pédale de substitution par laquelle on remplace la pédale précédente, sur le premier temps de la gauche. De cette manière on a la pédale tout le temps. Il faut faire attention à la dernière note de la mesure précédente, qui appartient le plus souvent à une autre harmonie, et ne pas la mélanger à la nouvelle harmonie, comme c'est souvent le cas pour les débutants. La pédale est, le plus souvent, affaire d'oreille, et les enfants doués n'ont pas à en apprendre l'usage. Plus tard, on leur enseigne à distinguer les différentes manières de s'en servir. Pédale harmonique: Étude No.1 du Second Cahier de Chopin. Pédale de renforcement: Étude No.1 du Premier Cahier de Chopin. Pédale mélodique: Étude No. 3 du Premier Cahier de Chopin. Pédale harmonique: Étude « Un Sospiro » de Liszt. Pédale de prolongement: Finale d'une pièce romantique.

69

VIII. APPRENTISSAGE

1. PHASES DU TRAVAIL

– Lecture sans piano (jouer mentalement). – Établir la conception sur base d'une réalisation idéale. – Déchiffrage au piano, sans pédale. – Assimilation du texte par épisodes. – Analyse de la structure de la composition. En même temps, mémorisation. Chercher à retenir les points de bifurcation, où la reprise prend une autre tournure ou change de tonalité. – Hausser le tempo, par épisodes, car certaines portions appartiennent à différentes phases de travail. – Introduction de la pédale (en fonction du style). – Mémorisation en entier, tempo lent. – Hausser le tempo. – Soudure des épisodes. Travailler aussi les transitions d'un épisode à l'autre. – Regard général, en jouant la pièce d'un bout à l'autre. Marquer les passages qui ne sont pas à la hauteur. Condition générale pendant toutes les phases : la concentration de l'attention. Sans cela, pas de progrès possible.

71

2. OUTILS DE TRAVAIL

Les deux premiers outils de travail sont : la répétition et le tempo lent. Reprendre un fragment plusieurs fois dans de bonnes conditions (liberté, bras léger, point d'appui etc.) et en même temps le mémoriser. Gardez le même tempo pendant l'étude d'un passage. S'il est correct et si le tempo final le permet, augmentez-le. Maintenez ce tempo pendant tout le passage. Ce n'est qu'en tempo lent qu'on peut tout observer et agencer (corriger), pas seulement les notes, mais aussi (intérieurement) les conditions de travail (liberté, souplesse, main passive liée au bras, etc.). On ne peut pas assimiler quelque chose qui n'a pas été compris. C'est pour cela qu'on doit étudier lentement pour détecter la mélodie, l'harmonie, le rythme et surtout « le pourquoi des choses ». Il est plus difficile de jouer piano que forte. Etudiez plutôt mezza- voce. Travaillez en nuance piano les passages en forte, comme si on voulait ne pas réveiller quelqu'un qui dort (alors on marche sur la pointe des pieds ; de même, on doit poser un poids plus léger du bras sur le bout des doigts). Même dans la nuance piano il faut enfoncer les touches (« goûter », « mordre » la touche) et le bras doit se reposer sur chacune. Attention au déchiffrage (lecture à première vue) : ayant peur (ce qu'il ne faut pas) d'un terrain inconnu, le doigt va seul vers la touche à attraper et le bras ne vient pas avec le doigt (« mauvaises

72

IX. LA THÉORIE DE LA NON-INTERFÉRENCE ENTRE LES FONCTIONS

C’est là la pierre angulaire de tout le système. Nous sommes au cœur du problème technique : comment arriver à jouer facilement du piano et à exprimer des pensées musicales ? Nous avons deux fonctions : 1. Celle qui fait enfoncer les touches. 2. Celle qui fait transporter les bras au-dessus du lieu où va s'exercer la première fonction. Ne confondez pas ces deux fonctions ou ne les laissez pas empiéter l'une sur l'autre. Nous en avons une qui fait jouer (se rapportant aux doigts) Nous en avons une autre pour le transport initié par l'épaule et les omoplates et qui entraîne le bras tout entier. Il est très important de constater que : 1. Les doigts ne peuvent pas déplacer le bras. 2. L'épaule (les omoplates non plus) ne peut pas enfoncer les touches. Cela peut sembler être une vérité de La Palice, mais il arrive en fait souvent que les doigts soient dépassés par ce qu'on leur demande et, ne pouvant effectuer des traits trop rapides, ils en appellent instinctivement au bras, ce dernier poussant alors les doigts dans le piano. La confusion des fonctions se transforme en confusion tout court, en débâcle. Il se produit parfois l'inverse : l'épaule est fainéante et reste immobile, les doigts essaient de cumuler les deux fonctions : enfoncer les touches et déplacer le

79

X. UNE JOURNÉE AU PIANO

Commencez par faire « page blanche » à l'appareil musculaire pour pouvoir ensuite « écrire » dessus les pièces que vous avez l'intention de travailler. 1. Assis devant le clavier, pliez la taille en avant, puis revenez à votre position de départ sans plier le buste et en regardant droit devant vous, bras ballants comme fil à plomb ; reprenez plusieurs fois. Répétez tout l'exercice en vous inclinant vers l'arrière. Vous assurerez ainsi la liberté des épaules. 2. Le couvercle du clavier est fermé, les bras reposent sur les genoux. Les muscles des omoplates les déposent sur le couvercle du clavier. Maintenant, les bras reposent sur ce couvercle ; ils resteront passifs tout le temps. Mouvement inverse du couvercle vers les genoux ; même exercice en partant des bras qui pendent le long du corps. Mouvements lents, les doigts allongés en position naturelle. 3. Ouvrez le couvercle. Déposez vos bras passifs, doigts arrondis, sur les surfaces de cinq touches prises au hasard, pas nécessairement les mêmes pour les deux mains, pourvu que les bras soient perpendiculaires au clavier. Le poids des bras est suspendu aux épaules. Laissez ensuite les bras enfoncer les touches, lentement, sans produire de son. Cette fois-ci le poids sera posé sur le bout des doigts. Soyez bien conscients du fait que l'épaule et avec lui le bras tout entier parcourent simultanément la même distance que le bout des doigts, soit environ un centimètre. Le poignet va fléchir légèrement sous le poids du bras. Répétez cet exercice plusieurs fois. Ceci vous prendra quinze minutes.

81

XI. STYLE ET INTERPRÉTATION

« Comment fait-il, ce pianiste, pour jouer comme s'il chantait, comme s'il parlait? » Il faut parvenir à ce qu'on dise ceci de votre jeu, à faire parler votre piano. Préparez le matériel longtemps à l'avance, de même que la façon de jouer, l'interprétation. La conception de celle-ci commence au moment de la lecture sans instrument, parce qu'alors la réalisation dans votre tête est idéale ! Au moment de jouer sur scène, faites sortir votre musicalité, votre expression, le contenu que vous attribuez au texte du compositeur. Ceci équivaut à mettre votre âme, vos pensées à nu, devant le public ! C'est encore plus difficile que de mettre son corps à nu. Bien sûr, vos pensées musicales, si elles sont d'une haute qualité, vont émouvoir le public par leur sensibilité. Il faut beaucoup d'expérience scénique pour garder son calme, construire l'œuvre devant le public et s'il y a lieu présenter un tempérament fougueux, tout en se dominant soi-même ! En début de carrière, on pense le plus souvent à achever le concert le plus vite possible pour en finir avec ce trac, pour sortir de ses griffes ! Pourtant, on s'habitue à la scène comme à tant d'autres choses dans la vie, et déjà à la seconde parution sur scène et en plus après l'entracte, on se sent déjà plus à l'aise (voir aussi § II - L’Elément psychologique). Il est souhaitable de chanter la mélodie pour se rendre compte de la juste accentuation ; s'il s'agit d'une personne avec une bonne musicalité, la voix ne se trompe jamais quant au phrasé.

85

XII. BÂTIR UN PROGRAMME DE RÉCITAL

« En vue d'un récital, apprenez des pièces apparentées, et non pas des pièces isolées » (Muza Ciomac)16. S'il s'agit de pièces courtes, constituez des groupes (« numéros » de 20 minutes chacun). Les pièces seront assemblées selon le style, l'époque, la tonalité, qui doivent être voisines, et leur mouvement. Faire alterner pièces vives et lentes ; jamais deux pièces lentes de suite. Au centre du programme, une pièce de poids, une Sonate ou quelque chose d’intérêt, comme par exemple la Phantaisie en do majeur op.17 de Schumann, de toute façon, une pièce d’un grand auteur (Lipatti préférait Beethoven). Le spirituel Georges Moscou disait : « Est-ce que dans un grand repas, un rôti consistent peut manquer au milieu d’un menu ?! ». Ensuite, ne promouvez que la musique de qualité – écrivait Schumann dans ses Conseils aux jeunes musiciens. J’ose ajouter : Evitez les originalités à tout prix ! Vous me demanderez : Qui va établir la vraie valeur ? Je vous répondrai : Nous le savons tous dans notre for intérieur ! Il faut savoir qu'au début le mot « récital » désignait un programme de pièces d'un seul compositeur. Vous pourriez encore de nos jours vous en tenir à cette tradition, mais il faudrait que vous jouissiez d'une certaine notoriété, faute de quoi le public pourrait

16 Muza Ghermani Ciomac (1890 – 1970), pianiste et professeur au Conservatoire de Bucarest de 1921 à 1949. Licenciée du Conservatoire de Leipzig en 1911, élève de Robert Teichmüller. Premier prix des Concours Beethoven et Helbing de Leipzig.

89

XIII. CONCLUSIONS

L'acquisition de notre système peut se faire par tradition ou par enseignement, soit : de professeur à élève ou bien du pianiste envers soi-même. Il faut arriver à sentir quand « c'est bien » et que les conditions sont remplies. Puis, chaque élève – pédagogiquement doué – devenu professeur à son tour, va mener la méthode-système plus loin dans le temps et le nombre, et du point de vue qualité, par ses corrections et perfectionnements. La réponse à la question concernant le professeur de piano, s'il peut être excellent, même s'il n'est pas un praticien du même niveau, peut être affirmatif. Le manque de tempérament scénique, une insuffisance de la conformation manuelle, cardiaque, etc., peuvent justifier la non- compétition en concert, mais il doit avoir joué dans le passé suffisamment bien pour pouvoir montrer à l'élève comment s'y prendre pour résoudre tel problème technique et exemplifier au moins un adagio ou un passage en tempo modéré. Evidemment, l'idéal serait un professeur qui puisse jouer n'importe quelle pièce et éblouir l'élève par ses capacités (surtout de virtuosité !). Mais ceci n'est pas possible parce que le répertoire pianistique est immense et que le choix des pièces que le professeur joue et peut donc illustrer devant les élèves est restreint et l'amènerait à ne distribuer dans le répertoire des élèves que des pièces qu'il connaît. L'élève serait alors tenté de copier sa façon de jouer et de comprendre la pièce ; or, il doit développer sa propre personnalité (bien entendu, dans le cadre des époques et des styles).

92

À l’Athénée roumain, le 15 mai 1963, L'intégrale des concertos pour 1, 2, 3 et 4 pianos de Bach: Mircea Brucăr, Constantin Ionescu Vovu, Sanda Bobescu, Alexandru Hrisanide, Liana Şerbescu, Corneliu Gheorghiu, Florina Cozighian, Ştefan Niculescu (en haut), le chef d’orchestre Constantin Bugeanu, Smaranda Atanasoff, Maria Fotino, Silvia Şerbescu, Ecaterina Fotino Negru.

94

Après le Concerto no. 2 de Saint-Saëns, en 1957, à l’Athénée roumain, le maître de concert Mircea Săulescu, Corneliu Gheorghiu et le chef d’orchestre Nicolae Boboc.

En 1963, après le Concerto KV 537 de Mozart avec l’orchestre de Bratislava.

96

Le 8 juin 1961, Corneliu Gheorghiu et Mircea Basarab, lors de la première apparition publique dans le Concerto KV 246 de Mozart avec l’Orchestre philharmonique Georges Enesco de Bucarest.

97

Beyrouth, Liban, en 1969.

100

Le 8 décembre 1970, à l’Athénée roumain; répétition pour le concert - commémoration 20 ans depuis la mort de Dinu Lipatti. Première audition du Concerto pour piano et orgue de Dinu Lipatti. Corneliu Gheorghiu et Horst Gehann.

101

Répétition pour le concert dans la Grande Salle du Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, en 1974.

102

Répétition pour la Symphonie concertante pour deux pianos et orchestre de cordes de Dinu Lipatti avec le chef d’orchestre Dumitru Pop et la pianiste Sofia Cosma, à l’Athénée roumain.

104

Vladimir Orlov et Corneliu Gheorghiu, meilleurs amis depuis toujours… Conservatoire royal de Bruxelles, en 1989.

105

XIV. MES ÉTUDIANTS DU CONSERVATOIRE DE BUCAREST

J’ai présenté en concert les meilleurs étudiants de ma classe, comme solistes avec l’Orchestre du Conservatoire, comme suit : Cristian Alunaru (Liszt – Conceto en mi bémole majeur), Sorina Dobrescu (Tchaïkovski), Mircea Stancu (Lipatti – Concertino en style classique, comme Lauréat du Concours Dinu Lipatti pour les étudiants, institué par moi au Conservatoire en 1975, avec des fonds envoyés par Madame Madeleine Lipatti depuis Genève). En 1977, c’est Oana Velcovici qui a remporté ce prix : elle a joué en public accompagnée par l’Orchestre du Conservatoire avec Grigore Iosub comme chef d’orchestre. Elle est devenue professeur à l’Université Nationale de Musique de Bucarest, remarquable talent qui construit une riche et belle carrière de concertiste et pédagogique. Pareillement, Cornelia Manu (Mozart – Concerto en ré mineur), Mioara Pandele (Mozart - Concerto en la majeur), Arta Teodorescu (Grieg - Concerto en la mineur) ont joué avec orchestre. Sorin Melinte a présenté ma Sonate monopartite avec laquelle j’ai obtenu le Premier Prix au Concours de Composition des Professeurs du Conservatoire. J’ai joué en concert les quatre Ballades de Chopin (commentées par moi) avec trois étudiants des trois classes de piano. Aux auditions de sélection pour participations au concours internationaux, je donnais toujours des avis favorables, et si le Recteur me demandait « est-ce que vous croyez qu’il va obtenir un

106

prix ? » je répondais : « il est capable mais, vous savez, il y a une part de hasard dans tous les concours ! ». Le japonais Murakami, venu de Tokyo pour travailler avec moi, a remporté un grand succès comme soliste de la Philharmonie Roumaine avec le troisième Concerto de Beethoven et le Concerto de Liviu Glodeanu. Le chilien Mirò Cortez nous charmait avec Allende et le pasteur norvégien Magne Kølvik avec Grieg et Svendsen. Parmi mes étudiants brillants ont été : Dan Grigore, lauréat des Concours Internationaux Georges Enesco (1961 et 1967) et Montréal (1968), virtuose consacré de mondiale renommée ; Crimhilda Cristescu, lauréate à Genève et Varsovie ; Cristian Mandeal, aussi consacré comme célèbre chef d’orchestre ; Alexandru Hrisanide, compositeur et Professeur de Piano aux U.S.A. et Hollande ; Sorin Melinte, pianiste et concert-manager en Espagne. Ensuite : Ina Macarie – talent Schumannien, Eva Rădăcineanu – talent chopinien, Mircea Stancu, Cristian Alunaru, Alexandrina Zorleanu, Cornelia Manu, Ovidiu Cucu, Arta Teodorescu, Marica Şerban-Mendelsohn, Corina Sângiorzan, Mihai Vârtosu, Ştefania Vasiliu, Lucia Teodorescu, Antonio Eghizi, Adriana Fiederer, Anca Rachmuth, Stela Antonovici, Anca Boboc, Mioara Pandele, Sorina Dobrescu, Yvonne Dumitrescu- Frankenfeld, Ghisela Tulvan, Craiţa Nanu, Mihai Teodoru, Lia Dobric et Alexandru Pancu. Mes étudiants avaient beaucoup d’humour : le jeune et prometteur chef d’orchestre Ţurcanu devenait Ţurcanini ; Ovidiu Drimba17, notre vénérable chef de la Chaire Piano, sévère, grand et ascétique, dans son manteau long et sombre comme une soutane

17 Ovidiu Drimba (?-1975), pianiste et professeur au Conservatoire Ciprian Porumbescu de Bucarest.

107

de jésuite, était... Savonarola ; le petit chef d’orchestre Dumitru Pop était anagrammé comme... Pupitre Dop (bouchon !). Quelques-uns étaient invités par mon épouse à déjeuner chez nous, dans l’unique chambre où nous habitions, pour changer de cantine ... Quelque fois, des chefs d’orchestre aussi, comme le polonais Bohdan Wodiczko ou le libanais Raïf Abillama. Ce dernier nous a apporté en cadeau un parchemin avec la mention : « Plus la maison est petite, plus le bonheur est grand ! ».

Dans la salle de classe de Corneliu Gheorghiu au Conservatoire, le 29 mai 1970, Cristian Mandeal, Yvonne Dumitrescu Frankenfeld, Eva Rădăcineanu, Ghizela Tulvan, le maître Corneliu Gheorghiu, Sorina Dobrescu, Mioara Pandele, Ovidiu Cucu.

108

Au Jardin de Cişmigiu, le 29 mai 1970 Anca Rachmuth, Yvonne Dumitrescu Frankenfeld, le maître Corneliu Gheorghiu, Dan Grigore, Mioara Pandele, Sorina Dobrescu, Ghizela Tulvan, Cristian Mandeal.

Dans la cour du Conservatoire, le 29 mai 1970 Ghizela Tulvan, Eva Rădăcineanu, Yvonne Dumitrescu Frankenfeld, Sorina Dobrescu, le maître Corneliu Gheorghiu, Ovidiu Cucu, Mioara Pandele, Cristian Mandeal, Dan Grigore.

109

Le maître Corneliu Gheorghiu, Mioara Pandele, Cristian Alunaru, Mircea Stancu, Arta Teodorescu, Sorina Dobrescu (en haut), Cornelia Manu et Ghizela Tulvan (en bas), en mai 1972.

Au Jardin de Cişmigiu, après l’examen: Mioara Pandele, le maître Corneliu Gheorghiu, Sorina Dobrescu et Ghizela Tulvan, en mai 1972.

111

Le maître Corneliu Gheorghiu, Sorin Melinte, Ina Macarie, Oana Velcovici, Lia Dobric, Alexandru Pancu, Mihai Theodoru. Au piano: Corina Sîngiorzan, 1977.

Oana Rădulescu Velcovici avec le maître Corneliu Gheorghiu discutent sur la version roumaine du livre, le 23 juillet 2012.

113

Oana Rădulescu Velcovici (Photographie réalisée par Corneliu Rădulescu)

114

XV. SOUVENIRS IMPÉRISSABLES

1. COMMENT JE SUIS VENU À LA MUSIQUE

Mes parents m'ont raconté que je chantais souvent, alors que j'avais trois ans, la même mélodie avec les mêmes mots : « Vive le Roi Michel ! », et qu'elle était de ma composition. On m'avait certainement raconté que nous avions un petit roi, de quatre ans mon aîné, régnant en l'absence de son père, le Roi Carol II. Pour l'instant, ma composition ne variait pas, je la chantais à tue-tête en m'accompagnant de deux morceaux de bois comme violon et archet. J'assistais à cette époque aux leçons de violon que prenait de mon frère aîné : son professeur, Monsieur Poch, était âgé. Lorsqu'il sortait sa montre de son gousset, je singeais son mouvement avec une montre imaginaire, mais surtout, assis un peu à l'écart sur un petit tabouret, je suivais la leçon en travaillant avec mes deux instruments en bois. Ce que voyant ma mère commença par m'enseigner les touches du piano du salon, ensuite à me faire jouer d'une main et de l'autre, tout en me familiarisant avec l'écriture des notes. Je commençai par jouer à mains séparées une composition dont seul le titre m'est resté, « Sac à bonbons ». Tandis que ma mère s'était demandé comment elle allait me faire franchir l'écueil de tous les jeunes pianistes, le jeu à deux mains, je n'y éprouvai pas la moindre difficulté. Elle put donc m'enseigner d'autres pièces, et après quelques mois elle confia mon instruction à un vrai professeur de piano, Mademoiselle Mariţa Goïlav. J'apprenais très vite les pièces que me proposait ce professeur et aussi, lorsque le soir mon père jouait du violon, j'accompagnais sa mélodie au piano, d'après l'oreille, en trouvant toujours les harmonies justes, même lorsqu'il modulait en changeant de tonalité.

115

Corneliu Gheorghiu à l’âge de 9 ans dans le jardin de l’enfance de Botoşani, avec son premier professeur de piano, Madame Mariţa Goilav.

118

Lorsque nous avions nous-même des invités, je m'approchais de Mamaïka et lui chuchotais « est-ce que je peux leur jouer l'une de mes compositions, ou autre chose ? », et sa réponse invariable était « Attends qu'on t'en prie ! ». Á cette époque, toute la petite ville de Botoşani savait qu'il y avait dans la famille Gheorghiu un enfant prodigue de six ans qui non seulement jouait du piano, mais composait lui-même pour cet instrument.

Botoşani, l’été de 1936, dans l’aula du lycée Laurian. Corneliu Gheorghiu travaille au Concerto en Ré majeur de Mozart. Photographie réalisée par sa sœur, Constanţa Gheorghiu.

Début en public. En 1930, âgé de six ans, j'ai joué au Théâtre Mihail Eminescu de Botoşani le Menuet de Boccherini, un Galop de Streabogg et deux Valses de mes compositions. Je reçus un splendide bouquet de fleurs et des ovations interminables. Par la suite, quand j'allais au

121

cinéma, je considérais ne plus devoir payer de billet pour accéder à la salle où j'avais remporté un tel succès ; mon père devait donc se plier à cette obligation sans que je le voie.

2. RENCONTRE AVEC GEORGES ENESCO

Ce grand musicien roumain, à la fois compositeur, violoniste, pianiste, chef d'orchestre et pédagogue, dont les tournées internationales étaient triomphales, ne négligeait pas son pays et y venait aussi en tournée, surtout en violoniste. Lors de ses séjours à Botoşani il était l'hôte des Ciomac, riches propriétaires terriens, dans leur belle demeure style 1900 – escalier d'honneur et colonnade classique – située juste en face de notre petite maison familiale. Mon professeur de piano, Mariţa Goïlav avait été, comme étudiante au Conservatoire de Vienne, collègue d’Enesco. Ainsi, lors du récital qu'il vint donner en 1931 dans notre ville, elle lui parla de moi comme d'un enfant prodigue, jouant du piano avec beaucoup de facilité et ayant même composé de petites pièces. Enesco répondit qu'il en avait par-dessus la tête d'enfants prodigues, mais Mariţa répliqua « c'est bien possible, mais celui-ci compose sans avoir jamais entendu de musique ». En effet, à cette époque, il n'y avait pas de radio dans les logements. Enesco, occupé à travailler à l'orchestration de son opéra Œdipe, se laissa amadouer : « Soit, seulement pour dix minutes et seulement ses propres compositions ». Je traversai donc ma rue en compagnie de Mariţa et devant le grand et beau Enesco – cinquante ans à l'époque – je jouai pendant une heure et demie toutes mes compositions: neuf Valses, deux Fantaisies, un Andante cantabile, et ainsi de suite. Enesco ne cessait pas de s'étonner quant à la forme de Lied de mes pièces :

122

personne ne me l'avait enseigné ; pourtant, après un interlude dans une tonalité voisine ou homonyme, comme ré majeur – ré mineur, je reprenais d'instinct la mélodie du début.

Georges Enesco (1881 - 1955) « Il faut l'envoyer à Paris pour des études sérieuses et développer son beau talent de compositeur. Mais ses parents en ont-ils les moyens ? ». « Non » – répondit Mariţa. « Alors qu'ils

123

l'emmènent au moins à Bucarest ». Et voilà comment se décida mon voyage vers la capitale.

3. EXAMEN D'ADMISSION À L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE ET D'ART DRAMATIQUE DE BUCAREST

Pour pouvoir se présenter à cet examen, il fallait avoir au moins huit ans et avoir achevé les premières quatre années de l'enseignement primaire. D'ailleurs, l'enseignement primaire débutait normalement à sept ans, et cette dernière condition supposait déjà un effort exceptionnel de la part des candidats très jeunes. Tout ceci ne découragea pas mon père, qui savait que je lisais tout ce qui me tombait sous la main ; il me fit étudier en privé les manuels respectifs et obtint pour moi l'autorisation du Ministère de l'Éducation Nationale pour me présenter devant un jury pour les deux premières années. C'est ainsi qu'en juin 1932 je franchis avec distinction ce premier écueil. J'ai préparé ensuite de la même façon et avec le même succès la troisième et quatrième année et me suis trouvé ainsi en Juin 1933 titulaire du brevet d'études primaires. Pour avoir quand même un peu de contact avec les enfants de mon âge, j'avais aussi fréquenté, pendant environ deux mois, l'école primaire située sur notre rue, les cours de troisième année. Je me souviens à ce propos que je faisais de très belles rédactions, dites « compositions littéraires », ayant des thèmes tels que « Les héros de la patrie » ou bien « La journée des héros », cette dernière se fêtant le jour de l'Ascension. Entre temps j'avais évidemment préparé bien de morceaux, comme la Sonatine de Kuhlau en la majeur, d'autres petites pièces

124

Corneliu Gheorghiu et Florica Musicesco, devant l’Université de Bucarest, en 1940.

126

Pour le violon, Madame Chérica Costin me présenta à Madame Cecilia Nitzulescu-Lupu, qui m'accepta comme auditeur dans sa classe. Elle me confia à l'un de ses assistants, Garabet Avakian, pour me faire travailler deux fois par semaine. Les années qui suivirent furent consacrées à de doubles études : Lycée, étudié à la maison, examens deux fois par an devant une commission d’examen, leçons de piano dispensées par Mademoiselle Musicesco soit chez elle, soit en classe au Conservatoire, soit chez nous (nous disposions maintenant d'un appartement que maman et moi partagions avec ma sœur et mon frère, tous deux étudiants à Bucarest). J'achevai mes études de piano en 1943, comme le meilleur diplômé des classes de piano, et derechef on m'attribua le prix « Marioara Voiculescu », de 5 000 lei. Il y eut ensuite le concours « Aurelia Cionca », comportant une pièce choisie par le concurrent (Bach, Fantaisie et fugue en sol mineur), une pièce imposée par le jury (Beethoven, Largo, con gran espressione) et une lecture à vue (pièce de Vincent d'Indy). Une fois encore j'eus le premier prix, cette fois-ci de 10 000 Lei.

4. RENCONTRE AVEC DINU LIPATTI

Mon professeur voulait me présenter en tant que nouvel élève à l'étoile montante qui était sa fierté, Dinu Lipatti. En 1933 il avait déjà remporté un second prix au Concours International de Vienne, bien que d'après l'avis d'Alfred Cortot, membre du jury, il eut, et de loin, mérité le premier. Maintenant, en 1936, après avoir encore étudié, avec Cortot, Nadia Boulanger et Charles Munch, il était la vedette du public parisien.

127

Dinu Lipatti et Corneliu Gheorghiu en 1936.

128

À Bucarest, dans la maison de la famille Lipatti (en 1936). Dinu Lipatti, Corneliu Gheorghiu, Florica Musicesco, Ana Lipatti (la mère de Dinu), Ecaterina Eufrosina Gheorghiu (la mère de Corneliu), Theodor Lipatti (le père de Dinu) et Valentin Lipatti (le frère de Dinu).

Ainsi donc, mon professeur, ma mère et moi-même priment une calèche à deux chevaux pour la maison Lipatti, merveilleux immeuble rose aux allures de bonbonnière, situé boulevard Lascăr Catargiu coin rue Vissarïon. Au salon, sur un excellent Bechstein à queue placé sur estrade, je jouai le Concerto en ré majeur (du Couronnement) de Mozart, en faisant aussi les entractes de l'orchestre. Toute la famille Lipatti, mère, père et frère inclus, me firent des éloges. Ensuite, à l'injonction de Mademoiselle Musicesco, Lipatti nous joua un Caprice de Dohnányi, d'une virtuosité

129

Depuis Paris, il demandait dans ses lettres à Mademoiselle Musicesco : « Comment va le petit Gheorghiu ? J'imagine qu'il ne néglige pas le côté composition. Que le bon Dieu le garde en bonne santé, puisqu'à sa dotation artistique il ne manque rien ! ». Pour réaliser l’inoubliable impression laissée dans la mémoire des auditeurs, il suffit de vous signaler ce que mes amis belges – qui avaient écouté Lipatti soixante ans avant mon arrivée à Bruxelles – m’ont rappelé : une grande émotion artistique. Après un concert du célèbre pianiste Alexis Weissenberg, je lui ai parlé en prononçant le nom de Dinu Lipatti ; tout de suite, il s’est levé debout ! À son tour, l’immense écrit : « Quand je ne travaille pas, j’écoute des enregistrements de Walter Gieseking et de Dinu Lipatti ».

5. RENCOTRE AVEC ALFRED CORTOT

En 1935, à l’Hôtel Athénée Palace, Mademoiselle m’a présenté au célèbre pianiste et professeur Alfred Cortot. Après que je lui ai joué la Sonate op. 13 Pathétique de Beethoven, il lui a dit : « Votre élève a une sensibilité appart, toucher rond et un phrasé précis. Bien sûr, le sens du drame beethovénien viendra avec l’âge. Je lui prédis une belle carrière. »

132

Alfred Cortot (à droite), avec ses amis: Florica Musicesco, Muza Ghermani Ciomac, Ion Nonna Otescu.

133

6. DÉBUT COMME SOLISTE EN PUBLIC

C’était le Concerto en ré majeur, K 537 (du Couronnement) de Mozart. Le concert eu lieu en 1942, à la Salle Dalles de Bucarest, salle réputée pour une excellente acoustique, due autant à sa forme elliptique qu’au revêtement en bois de ses murs. , Recteur du Conservatoire de Bucarest, dirigeait l'orchestre des étudiants du Conservatoire de Bucarest et m'avait fait l'honneur de me désigner comme soliste. Le maître fût satisfait et le public me demanda des encore. Le lendemain, dans le journal Cortina (Le Rideau), Mihail Moroianu signait ces lignes : « Corneliu Gheorghiu, un nom dont on entendra parler dans un avenir prochain ».

La Salle Dalles, comme elle était entre les années 1932 - 1958

134

7. DÉBUT COMME SOLISTE AVEC LA PHILHARMONIE DE BUCAREST

Ceci s’est passé en 1949, dans la même Salle Dalles, à l'occasion d'un Festival Bach sous la baguette de Constantin Silvestri. J’ai joué le Concerto en fa mineur. L'autre soliste, le violoniste Mihai Constantinescu, a joué le Concerto en la mineur. En outre, comme j'avais étudié le violon jusqu'à l'âge de quatorze ans, et la dernière œuvre que j'avais étudiée était justement ce Concerto, j'aurais pu le jouer moi-même ! C’est ce qui a remarqué Mihai Constantinescu lui-même. Mes études de violon ont pris fin brusquement le jour où Mademoiselle Musicesco est venue à l’improviste chez nous et m'avait trouvé travaillant avec mon professeur de violon, Garabet Avakian. Elle l’a mis à la porte en lui interdisant de revenir : « Corneliu ne peut pas partager son temps d'étude entre deux instruments, ce serait excessif. »

A cette même époque j'étudiais, entre autres, le 2ième Concerto de Rachmaninov, que j'aimais beaucoup depuis quelques années, et que j'allais donner, en première pour moi, en Novembre 1949 à Brasov, sous la baguette de Ion Ghiga et aussi trois jours plus tard à Arad, sous la baguette de Nicole Boboc.

L’Athénée roumain, bâtiment inauguré en 1888.

135

8. SOUVENIR D'UN AUTRE CONCERT DIRIGÉ PAR CONSTANTIN SILVESTRI

Ce concert donné en 1950 à Bucarest, dans la belle salle de l'Athénée Roumain, est ancré dans ma mémoire à cause de la pédale droite du piano qui a cassé pendant la cadence de la première partie d'un Concerto de Mozart ! Ma première pensée fut d'en avertir le Chef, mais comment faire ? Serein et patient, baguette sous le bras, il attendait comme il se doit que j'achève la cadence. Force me fut de jouer la deuxième, puis la troisième partie du Concerto, tout en appuyant sur la pédale morte. Enfin, dans la chambre des artistes, je pus conter ma mésaventure au chef. Tout joyeux, il se prit à rire : « C'est bien fait pour toi ! Mozart n'a pas tant que ça besoin de pédale, ce n'est pas un romantique; il faut le jouer pur et limpide, comme l’eau de source ! ».

Constantin Silvestri (1913 – 1969)

136

9. CONCOURS CHOPIN À VARSOVIE

C'était en Février 1965 : un froid de canard, beaucoup de neige, épidémie de grippe ; sur les quais de la gare, les vendeurs de sandwiches portaient des bâillons (depuis, le concours a lieu en Septembre). Arrivé le soir, comme j'attendais en gare quelqu'un pour me conduire à mon hôtel, une femme me pria par gestes de lui tenir son bébé en attendant son retour, ce que j'acceptai. Sur ce, le guide arriva et m'apostropha en bon français : « Et si cette femme ne revient pas? Si elle cherche tout simplement de se débarrasser de l'enfant? ! » Heureusement il n'en fut rien et je reçus des remerciements en polonais (« Gienkuie barzo »). D'emblée, une très forte présence s'imposa au Jury comme au public : Martha Argerich. Elle entama la première étape, dont le programme comportait les six premiers Préludes, par le Prélude le plus difficile, le № 19, avec des sauts de mains en sens opposé, et joua tout le programme, ainsi d'ailleurs que les autres épreuves, d'une façon éblouissante. En dehors de l’impression charismatique, je remarquai qu'à toutes les épreuves elle portait la même robe rouge à petits pois blancs, à l'opposé des autres candidates qui par coquetterie changeaient de tenue. Je compris qu'elle le faisait par superstition, estimant que cette robe-ci lui portait bonheur.

137

10. COLLABORATION AVEC LE CÉLÈBRE CHANTEUR NICOLA ROSSI LEMENI18

La fameuse basse ayant chanté sur les plus importantes scènes du monde désirait enregistrer sur disque les Chants et danses de la mort, œuvre de Moussorgski. Pour ce faire, il porta son choix sur la Roumanie, pays natal de son épouse Virginia Zeani, cantatrice presque aussi célèbre que lui et femme d'une remarquable beauté. Je fus sélectionné par la maison de disques, « Electrecord », pour l'accompagner en ma qualité de pianiste– concertiste, la partie de piano de cette pièce dépassant, et de loin, l'importance d'un simple accompagnement. Je demandai qu'on me donnât les partitions à étudier avant l'arrivée du maître, ce qui fut fait par les soins du directeur, Théodore Cartis. Elle était en si mineur, et pour les passages les plus ardus je mis les doigtés, évidemment en conséquence. Il faut bien se dire que toutes les pièces étaient du niveau d'un solo de piano avec des parties, rapides et comportant beaucoup de doubles coches, qu'il fallait très bien connaître puisqu'on devait pouvoir ensuite les estomper afin de laisser la primauté à la voix. Lorsque le maître apparut enfin avec ses propres partitions… surprise de taille : il chantait non pas dans la tonalité que j'avais travaillé d'arrache-pied mais en sol dièse mineur ; tous les passages rapides en prenaient d'autres positions sur le clavier, donc… d'autres doigtés ! Il me fallut rattraper tout ceci et surtout effacer de ma mémoire les techniques récemment acquises pour en acquérir de nouvelles, le tout dans un temps (Elect)record et en plus, calme et serein, puisqu'il s'agissait de faire bonne figure aux répétitions et de réussir l'enregistrement.

18 Nicola Rossi Lemeni (1920-1991), était une basse italienne, l'une des principales figures de la scène lyrique de l'après-guerre.

139

Le disque fut remarquable et les éloges se mirent à pleuvoir de tous côtés ; pourtant, l'argent, lui, manquât de ruisseler, et il n'y eut pas de droits d'interprète. Toutefois, le maître invita l'équipe entière, techniciens compris, à dîner au restaurant de l'un de ces hôtels où à l'époque seuls les citoyens étrangers étaient admis.

Nicola Rossi Lemeni et Virginia Zeani

140

Modeste Moussorgski – vinyle disque ST-ETE 01409: Chants et danses de la mort : 1. Berceuse 2. Sérénade 3. Trèpak 4. Le Chef d'armée. Chansons : 1. Où es-tu, petite Etoile ? 2. Les feuilles bruissaient tristement 3. Les chants du vieux mendiant 4. Méphistophélès la chanson dans la cave d'Auerbach – Autrefois une puce. 5. Le séminariste

141

11. RENCONTRE AVEC NADIA BOULANGER

Cela se passait en 1967 à Bucarest, au concours Georges Enesco, section Piano. Nous étions, Ştefan Niculescu19 et moi-même, les plus jeunes membres du jury, dont la présidente était mon maître Florica Musicesco ; figuraient aussi dans ce jury – dont Grigore Bargauanu, biographe de Dinu Lipatti, était le secrétaire – Nadia Boulanger, le Marquis de Gontaut-Biron, le compositeur danois Vagn Holmboe, la pianiste et professeur russe Nina Emelianova, le professeur italien Guido Agosti, le compositeur roumain Sigismund Toduţă, un professeur allemand et encore d'autres personnes.

Nadia Boulanger (1887 - 1979)

19 Ştefan Niculescu compositeur, pianiste, musicologue et professeur universitaire. Membre de l’Académie roumaine.

142

Corneliu Gheorghiu et Nadia Boulanger, au Musée Georges Enesco, en septembre 1967.

143

Au cours de la réunion de constitution du jury, Mademoiselle Musicesco me présenta à sa grande amie Nadia Boulanger. Je fus d'emblée impressionné par la forte personnalité de cette frêle femme, dont la volonté puissante s'enveloppait d'une aura de bonté. Je lui fis visiter le Musée Georges Enesco ; j'ai encore la photo rappelant notre conversation portant sur la musique de son grand ami, musique qu'elle me prouva si bien connaître. Je me permis de lui offrir le disque avec la troisième Sonate du Maître, que j'avais enregistrée dans la perspective de ce même Concours. Mon épouse, elle aussi pianiste, se fit un plaisir de la faire profiter des périodes de répit du Concours pour lui faire connaître ce qui nous semblait le plus digne d'intérêt parmi les environs de Bucarest. Elle-même m'offrit, relevé d'une charmante dédicace, une partition de la Deuxième Sonate pour violoncelle et piano de son Maître Gabriel Fauré.

144

En plus, elle fit parvenir aux autorités roumaines une lettre de recommandation à mon égard, leur demandant pour moi l'autorisation de me rendre à Paris pour y étudier certains aspects de la musique française.

145

Effectivement, je pus effectuer l'année suivante ce voyage, accompagné par mon épouse. Douze années après le Concours, alors que j'étais déjà établi à Bruxelles, j'allai la voir à Paris rue Ballu (aujourd'hui Place Lili et Nadia Boulanger). Nous fîmes des projets pour un master class que je pourrais donner au Conservatoire Américain de Fontainebleau et aussi pour un concert à la mémoire de son inoubliable élève Dinu Lipatti, où je jouerais le Concertino en style classique. Ces sujets avaient déjà été évoqués dans une lettre qu'elle m'avait envoyée à Bruxelles (évidemment dictée à Mademoiselle Dieudonné), lettre commençant par une exclamation d'agréable surprise de me voir établi en Europe de l'ouest. Hélas, elle était déjà souffrante, et sa fin était proche.

146

12. RENCONTRE AVEC IGOR MARKEVITCH20

Le peintre Jaques Courtens et sa femme nous invitèrent à venir les voir dans leur superbe maison, située près de Grasse, sur une colline verdoyante, dans un site merveilleux. Ils organisèrent pour moi un récital dans cette même ville, dans une salle où, dans le foyer, une exposition des œuvres du peintre était présentée.

Igor Markevitch (1912 - 1983)

20 Igor Markevitch (1912 – 1983), chef d'orchestre et compositeur, né à Kiev, naturalisé italien en 1947 et français en 1982.

147

Corneliu et Florica Gheorghiu, le 30 juin 1957.

151

Le 30 juin 1957. Parrains Florica Musicesco et le docteur Nicolae Diaconescu.

Ilinca, Florica et Corneliu Gheorghiu, le 30 juin 2007.

152

EXTRAITS DE PRESSE

Au Théâtre des Champs Élysées, Corneliu Gheorghiu nous a offert une charmante version du Concertino de Dinu Lipatti. Combat, Paris

Un virtuose et un poète du piano. Dans la grande salle du Ruhrfestspielhaus, Corneliu Gheorghiu nous est apparu comme un distingué ambassadeur culturel de sa patrie. Sa sonorité, limpide et cristalline, souverain différenciée au plus haut niveau, le suprême goût stylistique, vont directement vers l'essence des pièces interprétées. Il est un virtuose dans la plus pure acception du mot, loin de toute pose extérieure, un musicien noble et un vrai poète. Friedrich Böhmer. Reeklinghäuser Zeitung, Allemagne

« Son jeu est proche de son illustre compatriote, Dinu Lipatti, comme il nous a montré hier soir dans son excellente interprétation de Chopin : élégance dans l’esprit, toucher colorié, Corneliu Gheorghiu a offert une image du plus haut niveau. » Gheorghiu a fasciné son public. « La Sonate d’Enesco, d’une structure à part, nous a été présentée dans une fascinante intensité. » Dr. E. Pflüger. Lüdinghäuser Zeitung

« Corneliu Gheorghiu nous a offert une version sobre du Concerto de Grieg. » Le soir, Bruxelles

153

L’ÂME DU PIANO

Lorsque, toute petite fille, je revenais avec ma mère de la promenade du matin, j’allais retrouver mon père, qui travaillait son clavier avec délectation. Je l’embrassais en lui disant : « Papa, tu sens le piano ! » L’impression qu’il était imprégné de musique était si évidente… Depuis son plus jeune âge – comme enfant prodige – jusqu’à son épanouissement comme pianiste confirmé, ce feu sacré l’a toujours habité. Et sa façon d’aborder l’interprétation pianistique voit sa concrétisation dans ses écrits réunis dans ce livre – la quintessence d’une vie dédiée à la musique. Ce qui est précieux dans sa démarche est le fait qu’il ait traversé tous les stades dans son rapport au piano : - d’abord une approche intuitive, empirique, d’un enfant ébloui par le miracle de la musique - ensuite, l’élève studieux, appliqué, avec des maîtres de légende tels Florica Musicesco, Mihail Jora, Constantin Brăiloiu etc. - puis le collègue attentif, admirant le céleste Dinu Lipatti, qui le guide et le protège tel un frère en musique - après, le jeune pianiste talentueux, adoré du public, à la carrière internationale, aux succès éclatants - et le compositeur inspiré par l’inépuisable filon du folklore roumain - mais aussi l’enseignant généreux et attentif, désireux de transmettre le flambeau à ses étudiants du Conservatoire - et enfin, l’ambassadeur rayonnant de la musique roumaine.

157

Ilinca Gheorghiu, Corneliu Gheorghiu et Oana Rădulescu Velcovici à l’anniversaire de 90 ans du Maître, Bruxelles, le 14 septembre 2014, photographie de Pierre-Emmanuel Danan.

159

160

161

162

163

164