137 Cata Réel 2007
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Histoire(s) allemande(s) en partenariat avec le Goethe Institut avec le soutien de Defa-Stiftung German Films ARTE avec Les 3 Luxembourg et MK2 Beaubourg Geschwindigkeit, Edgar Reitz, 1963 Le cinéma allemand, si l’on regarde au-delà des classiques et de quelques grands auteurs contemporains, n’est sans doute pas assez connu du public français. Et dans son histoire – pendant plus de 40 ans littéralement « coupée en deux » – le documentaire, dans la diversité de ses formes, a été partir intégrante, sinon le signe même, de ses renouveaux. Cette rétrospective, ni « échantillonnage » ni « best of », tente de raconter quelques histoires (qui commencent au début des années 60) du documentaire allemand, d’en indiquer quelques lignes, d’en dégager quelques liens avec l’histoire du cinéma en général, et avec ce cinéma allemand qui témoigne aujourd’hui d’une énergique créativité. On y verra – c’est en tout cas ce qui en est espéré – de fructueuses transgressions des « genres », ou de joyeuses indifférences aux définitions normatives, de radicales revendications du cinéma direct, des expérimentations et des essais, une vision critique des représentations (et du cinéma) et du langage, et enfin, une réflexion constante et engagée sur l’Histoire. Ces histoires-là ne sont pas finies, et elles s’adressent au spectateur avec une passionnante et généreuse absence de complaisance, un profond désir d’échange, une devise qui pourrait être « je vois donc je pense » sans jamais négliger ni la sensibilité ni l’humour, un sens aigu de la capacité du documentaire à faire surgir de nouvelles histoires dans l’esprit d’un spectateur libre. (MP) 66 Histoire(s) allemande(s) Bernard Eisenschitz 1961. Ferdinand Khittl termine son long métrage filmographies passent aisément de l’un à l’autre. Die Parallelstrasse (la Route parallèle), au disposi- Moins riche que la française, la vague allemande tif borgésien construit autour d’images enregis- fait en tout cas ressurgir des interrogations trées dans le monde entier pour des films de com- anciennes portées par des émigrés : Herbert mande. Notizen aus dem Altmühltal de Strobel et Marcuse, Theodor W. Adorno, Bertolt Brecht. Tichawsky, film ironique sur une poche de sous- Inédit en France à ce jour, Theory of Film de développement économique dans la RFA du mira- Siegfried Kracauer, compagnon de route de cle économique, se voit refuser le certificat, l’école de Francfort, sort en allemand en 1964. nécessaire de fait à une sortie en salles, « pour rai- Ulrich Gregor et Enno Patalas ont publié en 1960 sons d’injure au tact et à l’humanité ». Brutalität leur Histoire du cinéma, qui rappelle l’existence in Stein (Brutalité dans la pierre), premier court d’un passé antérieur à 1933. Certains iront le métrage d’Alexander Kluge, coréalisé par Peter découvrir à la Cinémathèque française ou ailleurs, Schamoni, sur l’architecture nazie, est présenté en même temps que le nouveau cinéma, le son au festival d’Oberhausen. Peter Nestler tourne direct, la voix des acteurs américains. Dans la non- son premier film, un des plus beaux : Am Siel (Au fiction, les constellations qui se définissent ont bord du chenal). Au début de l’année suivante, peu à voir avec une idéologie stricte du documen- au festival d’Oberhausen, vingt-six cinéastes et taire, et celui-ci sera fréquemment un lieu de écrivains signent une déclaration, proclamant (de polémiques. manière très anticipée) la mort du vieux cinéma Les techniques de falsification du Kulturfilm se et leur foi en le nouveau. Ce « manifeste manifestaient d’abord par la mise en scène et la d’Oberhausen » très souvent évoqué est autant postsynchronisation. Alors que ses collègues cher- point d’arrivée que de départ. Suscité par un fes- chent à s’en détacher progressivement (plusieurs tival du court métrage, il englobe en tout cas les signataires d’Oberhausen sont des « documenta- formes les plus diverses de cinéma, compte non ristes » établis), Peter Nestler est le premier à tenu de la durée ou du mode, fiction ou non. rompre, simplement et sans provocation : avec Pendant les vingt ans qui suivent, quelques cho- des plans contemplatifs et remplis de tension à la ses bougeront dans le cinéma ouest-allemand, et fois exprimant l’essence des lieux, des blocs for- dans sa production documentaire. mant une composition simple et complexe où Il n’y avait pas de cinéma de la réalité en image, son direct, musique et commentaire se Allemagne depuis le début des années 1930. relaient, sans que jamais les sons ne se superpo- L’Ouest héritait du Kulturfilm (désignation pom- sent (si Nestler innove par la prise de son en peuse du documentaire depuis les années 1920), direct, celui-ci est utilisé avec parcimonie dans les l’Est s’efforçait d’émuler l’esthétique soviétique films terminés). La voix incarne une réflexion baptisée par antiphrase réalisme socialiste (on y (dans Am Siel, c’est l’eau même qui parle), sans revient un peu plus loin). En 1962, le rejet du prétendre à l’objectivité ni à l’omniscience. Elle cinéma traditionnel n’était qu’un cas particulier est nourrie par le rythme lent, le souffle du com- d’un refus de tout ce que la société ouest-alle- mentateur (généralement le réalisateur), voire mande avait conservé d’idéologie et de personnel par l’accent – autre tabou du cinéma allemand, national-socialistes. L’émergence de jeunes fondé sur une dramaturgie héritée ou plutôt cinéastes coïncide avec un sentiment de ne plus dévoyée du théâtre, et qui sera un peu plus tard pouvoir continuer comme au « bon vieux temps », (avec le son direct) un des motifs du scandale sus- un sentiment de non-réconciliation, selon le titre cité par Non réconciliés, de Straub-Huillet. du film fondateur du Jeune cinéma allemand. Comme beaucoup de ceux qui se sont préoccupés Histoire, mémoire et cinéma sont étroitement de la « rédemption de la réalité physique » (selon entremêlés dans leur préoccupations. Tourné vers le sous-titre du livre de Kracauer), Nestler est des- l’indépendance et le réel, dans le droit fil de la tiné à rester un outsider ; il finira en 1968 par Nouvelle Vague française, ce cinéma ne s’impose quitter la RFA pour poursuivre son travail. pas de barrières entre les genres, et la plupart des Le devant de la scène du Jeune cinéma ouest- 67 allemand sera occupé, pendant plus de vingt ans, premier Wenders, Manfred Blank, le groupe de par le Dr Alexander Kluge, son porte-parole et Filmkritik…) militant institutionnel. Membre du groupe d’écri- Dans ces premières années, le documentaire de vains Gruppe 47, avocat et disciple d’Adorno, il se RFA a échappé aux limites du genre et exploré place au centre des débats, lançant avec un opti- des possibilités multiples : les portraits, premier misme et un tonus inentamables des idées, des mouvement d’un retour sur l’histoire qui passe pistes et des initiatives : manifestes, institutions par la volonté d’écouter les parents ou les voisins ; (il crée la Hochschule für Gestaltung d’Ulm, est le collage ; la voix (et son timbre ; selon les actif au Kuratorium, instance de suventionne- auteurs charnelle, littéraire, parlée, supérieure) ; ment du jeune cinéma), films à plusieurs mains l’essai ; le dispositif (la Route parallèle, grand (l’Allemagne en automne), plus tard programmes pionnier sans successeurs) ; voire l’histoire réin- de télévision. Son travail au cinéma se développe ventée (Protokoll einer Revolution [Procès-verbal parallèlement à ses premiers écrits : roman de d’une révolution], Kluge 1963). L’intensité du tra- montage sur Stalingrad (Description d’une vail documentaire amène nombre de cinéastes à bataille) et recueil de courtes biographies métisser les genres. Beaucoup – Herzog, (Lebensläufe), dont un récit est à l’origine de son Syberberg, Werner Schroeter, Wim Wenders, ont premier long métrage, Abschied von gestern commencé par le documentaire et y voient par- (Anita G.). Il évolue entre les genres et les formes fois (comme Herzog) la clé de tout leur travail. avec une grande liberté, portant la narration par L’irrigation par la littérature, par Adorno ou le charme de sa voix chuchotant des paradoxes, Brecht, a peut-être plus pesé que l’héritage du de musiques entraînantes, de jeux de mots pris à cinéma. Peut-être y a-t-il déjà une barrière entre la lettre (pour fouiller l’histoire allemande, l’hé- les jeux de l’esprit et le besoin de témoignage, roïne de la fiction-essai Die Patriotin [la Patriote] une démarcation entre les mélancoliques et les se promène avec une pelle sur l’épaule), de per- optimistes (comme le suggère Barton Byg, qui sonnages réels piégés par ses questions en porte- range Straub-Huillet parmi les seconds). à-faux. Après ses premiers films, portraits de per- Avec 1968, même si la politique semble désormais, sonnages excentriques et représentatifs, conser- pour plusieurs années, « au poste de commande- vant « une patience et une ouverture devant les ment », le cinéma retrouve pleinement ses droits. êtres complètement absente de ses fictions ulté- Les films des élèves virés collectivement de la DFFB rieures » (Patalas), d’autres chercheront une aui- (école de cinéma de Berlin) sont contemporains tre forme de cinéma où les images ne soient pas des cinétracts français et anticipent sur le groupe « des signes détachés de toute réalité » (Hartmut Dziga Vertov. Le mouvement étudiant va irriguer Bitomsky). le cinéma, avec la richesse de techniques légères, Un seul film de Straub-Huillet (le « petit de questions sur l’image et la représentation. Schönberg ») peut être qualifié de stricte non-fic- Harun Farocki et Hartmut Bitomsky filment, rédi- tion, mais la présence des deux cinéastes français gent des numéros spéciaux de leur revue, en exil est essentielle pour le Jeune cinéma alle- Filmkritik, interrogent des penseurs comme Villém mand, sans qu’ils s’y intègrent jamais.