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32 | 2003 Catholicisme et bourgeoisie. Bernard Groethuysen

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ccrh/261 DOI : 10.4000/ccrh.261 ISSN : 1760-7906

Éditeur Centre de recherches historiques - EHESS

Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2003 ISSN : 0990-9141

Référence électronique Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 32 | 2003, « Catholicisme et bourgeoisie. Bernard Groethuysen » [En ligne], mis en ligne le 28 avril 2009, consulté le 22 octobre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/ccrh/261 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccrh.261

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SOMMAIRE

Catholicisme et bourgeoisie. Retour sur les Origines de l'esprit bourgeois en France de Bernard Groethuysen Catherine Maire et Bernard Hours

Aux origines de l’esprit bourgeois en France. Pour une relecture de Bernard Groethuysen Catherine Maire

Réception et fortune historiographique des origines de l’esprit bourgeois Bernard Hours

Autour de Groethuysen et de Weber. Religion et esprit moderne Yves Krumenacker

Le dévot. Nouvelles perspectives sur une réalité perçue par Groethuysen Louis Châtellier

Bernard Groethuysen et la « crise du péché » dans la France du XVIIIe siècle Philippe Boutry

Le « Jansénisme » selon Bernard Groethuysen Catherine Maire

« Les économies de la providence ». L’impossible économie politique chrétienne selon Groethuysen Alain Guery

Avènement de l’esprit bourgeois ou naissance de l’idéologie ? Marcel Gauchet

Les sources dans Les Origines de l'esprit bourgeois Dominique Julia

Bibliographie restituée des Origines de l’esprit bourgeois Stéphane Baciocchi

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Catholicisme et bourgeoisie. Retour sur les Origines de l'esprit bourgeois en France de Bernard Groethuysen

Catherine Maire et Bernard Hours

1 Dans le cadre du GDR 2342 « l'esprit moderne en religion (XVIe-XXe siècle) », le Centre d'anthropologie religieuse européenne (CARE) avec Catherine Maire et l'Institut d'histoire du christianisme avec Bernard Hours, ont organisé à Lyon, dans les locaux de l'université Jean-Moulin, une table ronde autour du livre de Bernard Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois en France (1927), avec la participation de Philippe Boutry, Louis Châtellier, François Chaubet, Marcel Gauchet, Alain Guéry, Bernard Hours, Dominique Julia, Yves Krumenacker et Catherine Maire.

2 L'objectif initial, né de la discussion qui avait eu lieu sous l'égide de Michel Lagrée pour définir avec le plus d'adéquation possible le titre du nouveau GDR (l'adjectif « moderne » avait été préféré, malgré son ambiguïté, à celui de « bourgeois » primitivement retenu) consistait à opérer la relecture systématique d'un « classique » de l'historiographie religieuse, l'un des premiers à s'être efforcé de reconstituer le processus interne par lequel la modernité avait transformé les attitudes des croyants en France et l'un de ceux qui ont le plus contribué à accréditer l'interprétation « bourgeoise » de cette transformation. 3 Il fallait relire le livre paru dans la « Bibliothèque des idées » en 1927 que nous avions gardé tous plus ou moins confusément en tête, certains depuis sa première réédition en 1956, dans le sillage du Dieu caché de Lucien Goldmann, d'autres depuis sa seconde réédition dans la collection « Tel » en 1977, au plus fort de l'histoire des mentalités. Il s'agissait de le confronter rétrospectivement aux enrichissements apportés depuis trente ans par l'histoire et la sociologie. 4 Que de surprises nous attendaient ! Ce livre apparemment traversé et exploité en tous sens se révélait être de ces monuments familiers que l'on ne connaît pas vraiment. Sa réception avait été tardive et son succès plus ambigu que l'on ne le croyait. La version française était en réalité un abrégé de la version allemande, tronqué non seulement de

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l'appareillage bibliographique mais des deux parties introductives, de certains chapitres, de paragraphes théoriques et de toutes les références au philosophe allemand Wilhelm Dilthey, le véritable maître de l'auteur. Médiateur culturel influent entre la France et l'Allemagne, Groethuysen avait pourtant offert délibérément deux adaptations différentes du même livre à ses deux patries, plaçant ainsi une frontière invisible entre elles. 5 Tous les participants se sont livrés avec plus ou moins de sévérité à une évaluation des sources, des méthodes et des thèses de l'ouvrage à l'aune des débats historiographiques actuels. Hors des catégories traditionnelles de laïcisation, de sécularisation ou de déchristianisation l'ouvrage continue d'offrir une interprétation originale du catholicisme français au XVIIe et au XVIIIe siècles comme moteur paradoxal de changement, avec ses deux formes contradictoires de sensibilité religieuse – les jansénistes et les jésuites – et cela malgré ses faiblesses méthodologiques, son traitement impressionniste des sources et ses nombreuses lacunes. Avec un indéniable flair historique, Groethuysen a mis en lumière l'émergence d'un discours social qui se dégage du discours religieux à partir du milieu du XVIIIe siècle : une nouvelle auto- compréhension du monde humain en voie d'autonomisation, marquée notamment par l'apparition de la catégorie d'économie. S'il n'est plus possible aujourd'hui d'attribuer ce basculement aux caractéristiques et aux intérêts du groupe social dénommé « bourgeoisie », le « bourgeois » – l'homme du travail éclairé par opposition au « dévot » – l'homme de la soumission à la Providence reste l'expression de cette métamorphose à défaut d'être son géniteur exclusif. 6 La publication des actes dans les Cahiers du Centre de recherches historiques a été facilitée par la compétence et la bonne humeur de Mickaël Wilmart et de Stéphane Baciocchi, ingénieurs d'études au CARE, qui en ont assuré la préparation de copie, la relecture et la mise en page sous la direction vigilante de Nicole Fouché. Qu'ils en soient vivement remerciés.

AUTEURS

CATHERINE MAIRE

CNRS / CRH-Care

BERNARD HOURS

Université Lyon-III / Institut d’Histoire du Christianisme

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Aux origines de l’esprit bourgeois en France. Pour une relecture de Bernard Groethuysen

Catherine Maire

1 Republiées en 1977 et tirées à 10 000 exemplaires dans la collection « Tel » chez Gallimard, cinquante ans après leur parution dans la « Bibliothèque des idées » fondée à cette occasion1, les Origines de l'esprit bourgeois en France de Bernard Groethuysen, philosophe allemand de formation et historien français d'adoption, ont connu leur véritable notoriété au moment de l'apogée de l'histoire dite des mentalités2. A l'époque, ce livre a été considéré comme un important travail précurseur des études sur les attitudes religieuses face à la mort, la vie, le péché ou la pauvreté3. Ironie de l'histoire, à sa sortie, il avait fortement déplu à Lucien Febvre qui, en 1929, avait refusé la proposition de Marc Bloch de prendre Groethuysen comme collaborateur aux Annales :

2 Le seigneur de la Gruithuyse ? alias Bernhard Groethuysen. Vieille connaissance à moi. Je l'ai beaucoup fréquenté au temps de ma jeunesse – qui n'était certes pas folle, ni folâtre quand précisément je le fréquentais. Non, non, non ! Je l'ai vu arriver, jeune privat berlinois, tout chaud sorti de l'épaisseur berlinoise (sa mère est slave). Mais il s'est énormément tassé. Le bouquin qu'il a pondu finalement, c'est l'histoire de la montagne qui accouche d'une souris – car Dieu sait s'il me rasait déjà, aux alentours de 1910-1912, avec ses histoires ! Et ce bouquin est illisible, absolument et totalement illisible, sans portée, sans vie, sans accent, comme ce pauvre de la Gruithuyse lui-même, que je n'ai plus revu depuis la guerre, et qui du reste s'est retiré d'à peu près tous ceux qu'il fréquentait alors. Non. Il ne peut nous servir à rien, je vous assure, je le connais bien4. 3 Si l'ouvrage est en passe d'être oublié chez les étudiants, s'il est peu cité aujourd'hui, il n'en continue pas moins de marquer les historiens du religieux. La meilleure preuve en est la discussion qui a eu lieu en mars 2003 dans le cadre de la préparation d'un projet d'enquête collective pour le CNRS5, à propos du terme « bourgeois » pour caractériser la modernité en religion. Le titre du groupe de recherche devait-il être « l'esprit bourgeois en religion » ou « l'esprit moderne en religion » ? Après discussion,

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l'assemblée des historiens a choisi de ne pas indexer trop explicitement le projet sur le social et l'économique et s'est ralliée au second concept, plus neutre, mais tout aussi problématique de « modernité ». 4 C'est à cette occasion que le projet de remonter aux origines des Origines de l'esprit bourgeois a pris une première forme6. Quel sens exact le terme de « bourgeois » avait-il dans un ouvrage qui constituait voici peu encore l'horizon des historiens modernistes ? Cette excursion s'est révélée pleine de surprises et d'intérêt. En premier lieu, notre discussion n'avait rien d'original. Parmi les comptes rendus de l'ouvrage parus à l'occasion de sa sortie en 1927, Henri Mazel dans le Mercure de France avait déjà proposé de remplacer le terme de « bourgeois » par celui de « moderne ». Sa critique mérite d'être citée in extenso tant elle garde de pertinence : L'ouvrage de M. Groethuysen est en réalité une étude très neuve de la société française au XVIIIe siècle, et, pour un premier terme, de l'action du clergé sur cette société. On a tendance à croire que le siècle de Voltaire et de Rousseau, de l'Encyclopédie et de la Révolution a été tout à fait étranger, sinon hostile, à la religion chrétienne et à la prédication catholique. Un livre comme celui-ci montre combien cette vue est inexacte. De très nombreux théologiens ou moralistes ont joué un rôle important pendant tout le XVIIIe siècle. Mais le flux et reflux de l'esprit religieux à cette époque n'a rien de spécifiquement bourgeois, et il semble que l'auteur aurait mieux fait d'intituler son livre « Origines de l'esprit français moderne » ce qui l'aurait dispensé de se battre les flancs pour faire revenir toutes les cinq ou six pages le mot bourgeois. Dans sa préface, écrite sous forme de lettre à M. Jean Paulhan, bon esprit philosophique qui tient de famille, il se défend d'avoir inventé le bourgeois et dit seulement l'avoir mis un peu de force en pleine lumière. « Le bourgeois, dit-il, n'aime pas qu'on l'appelle par son nom, alors que le roi s'appelle volontiers roi, et le prêtre, etc ». C'est un peu jouer sur les mots. Le mot bourgeois a pris un sens très défavorable, de philistin pour les artistes, de parasite pour les ouvriers, de vulgaire pour les aristocrates, de paresseux pour tout le monde, qui lui fait tort. « J'appelle bourgeois, disait Flaubert : quiconque pense bassement ». On comprend qu'on n'aime pas à être alors traité de bourgeois. Au XVIIIe siècle, le bourgeois était l'homme de classe moyenne entre le « grand » et le « pauvre » et c'est bien en ce sens que M. Groethuysen le prend ; mais tout ce qu'il dit à son sujet de l'église et de la religion ne se limite pas à lui ; son sujet est, heureusement d'ailleurs, traité d'une façon plus large, comme je l'ai dit, et c'est pour cela que je persiste à regretter qu'il ait introduit dans son titre ce mot bourgeois qui lui a été plus nuisible qu'utile. Pris comme simple étude de l'élément religieux dans la société prérévolutionnaire, son ouvrage est tout à fait neuf et précieux7. 5 En second lieu, la version française en un volume que la plupart d'entre nous a lue est, en réalité, un abrégé assez mal ficelé de la version allemande dont la conception générale en deux volumes semble être antérieure. Dès le départ, selon notre hypothèse, Groethuysen a songé à une édition scientifique en deux volumes qui paraîtront en allemand, le premier simultanément en 1927 puis le second en 19308. L'édition française ne contient pas les notes bibliographiques et les très nombreuses citations qui constituent les appendices des volumes allemands. Elle est également amputée des préfaces introductives aux deux grandes parties, des petites introductions théoriques ou des conclusions synthétiques à l'intérieur des chapitres, et même de chapitres entiers, notamment ceux qui concernent les jansénistes et les jésuites, ainsi que du chapitre final sur le « nouveau type d'homme ». Cas de figure original, c'est l'auteur lui- même, sans doute aidé de sa compagne, la traductrice Alix Guillain, qui a « censuré » la version qu'il destinait à la France, sa patrie d'adoption. Ce travail de réduction a un

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sens, il ne saurait être imputé à la seule nécessité éditoriale d'alléger la version proposée à l'usage du public français, de s'adapter en quelque sorte au goût littéraire et essayiste français. Ce qui a été systématiquement effacé, passé sous silence, c'est notamment tout ce qui pouvait rappeler la dette envers le philosophe allemand Wilhelm Dilthey. De plus, la thèse du livre semble avoir été volontairement émoussée par le retranchement de la plupart des passages théoriques9.

6 Enfin, en troisième lieu, le livre n'est qu'une partie d'un projet universitaire plus vaste qui aurait dû compter dix volumes et qui s'inscrivait dès le départ dans une recherche générale des origines culturelles de la Révolution française. Nous ne disposons ainsi que de quelques morceaux de ce qui est resté à l'état de puzzle, sans doute à cause de la situation difficile d'exilé de l'auteur : la Philosophie de la Révolution française, quelques fragments sur et sur Jean-Jacques Rousseau, études qui témoignent d'une démarche plus classique d'histoire des idées, un article synthétique et programmatique sur « Les origines de l'incrédulité en France », quelques articles parus dans l'Encyclopaedia of the Social Sciences : « mysticisme », « », « renaissance », « rationalism », « secularism »10.

L'élève de Dilthey

7 Bernard Groethuysen, homme de dialogue, personnage à multiples facettes, philosophe, sociologue, historien des idées politiques, religieuses ou artistiques, psychologue, critique littéraire, essayiste, a laissé une multitude de souvenirs chez ses amis et ses connaissances11. Avec le temps, leur collecte orale est devenue malheureusement impossible, de sorte que nous ne disposons plus aujourd'hui que de deux biographie intellectuelle et d'une anthologie de textes inédits ou devenus introuvables12.

8 Bernard Groethuysen est né le 9 janvier 1880 à Berlin dans l'Allemagne conçue par le « chancelier de fer » Bismarck. Il meurt d'un cancer, le 17 septembre 1946 à , ville de l'exil définitif qu'il a choisi en 1932. Le témoignage ambigu de son ami Jean Paulhan a accrédité l'image du marxisme fanatique de Groethuysen13. Pourtant, le marxiste Georg Lukács a gardé un silence étrange sur son ancien compagnon d'études à Berlin. 9 Groethuysen est un allemand qui, toute sa vie, a essayé de se comprendre dans le rapport, la comparaison à la France dont il apprécie « l'esprit de finesse ». En contrepoint il avait du reste projeté d'écrire un livre sur l'« esprit de système des Allemands ». Il apprend le français très jeune au travers de sa gouvernante qui l'élève en réalité. Sa mère née Goloff est une émigrée russe. Son père, originaire de la bourgeoisie aisée du Bas-Rhin et non de Hollande ainsi que le prétend Paulhan14 psychiquement malade, est interné dans une maison de santé près de Baden Baden. Il meurt alors que Groethuysen n'a que neuf ans. Rétrospectivement, c'est dans ce choc qu'il perçoit l'origine de sa peur de devenir fou et de son intérêt pour la métaphysique, sa vocation. À quinze ans, Groethuysen fait sa confirmation dans une église évangélique de la ville alors que ses parents l'ont baptisé selon la confession catholique. 10 Sa formation universitaire se déroule au bon moment et dans les bonnes universités, de 1898 à 1907, à Vienne et surtout à Berlin, pépinière d'esprits éminents. Ses centres d'intérêt sont déjà très variés : histoire de l'art, économie, philosophie, psychologie. Il présente une thèse de psychologie sous la direction du professeur Stumpf sur la sympathie, das Mitgefühl15. Certains de ses maîtres sont des célébrités : l'historien d'art

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Wölfflin, le sociologue Georg Simmel. Dans le salon de ce dernier se tenait une sorte de séminaire privé16. On y rencontrait presque tous les allemands d'origine juive qui devront quitter l'Allemagne nazifiée : Martin Buber, futur professeur de philosophie et de religion juive, Ernst Bloch, futur auteur de l'Esprit de l'utopie, Walter Benjamin, esthéticien, futur pilier de l'« école de Francfort ». Ces fréquentations vaudront à Groethuysen le soupçon d'être israélite. 11 Déjà à cette époque, vers 1904, il rencontre des Français : le critique littéraire et le germaniste alsacien Charles Andler (ami du bibliothécaire de l'École normale supérieure Lucien Herr) qui prépare sa biographie de Nietzsche en six volumes. 12 C'est sans doute chez Simmel, qui a mis en lumière le rôle de la sociabilité et de la conversation, que Groethuysen développe son goût pour le XVIIIe siècle. Mais son véritable maître, celui qui est à l'origine de la pensée et de sa démarche est sans aucun doute le philosophe Wilhelm Dilthey. Groethuysen sera du reste l'éditeur de plusieurs volumes des Gesammelte Schriften du maître. 13 Dilthey, auteur notamment d'une monumentale biographie de Schleiermacher parue à Berlin en 1870, commence à sortir du purgatoire où l'avait jeté Georg Lukács au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans le second volume de sa Destruction de la Raison avec son sous-titre en forme de condamnation : l'irrationalisme moderne de Dilthey à Toynbee17. C'est tout le courant de l'idéalisme allemand qu'il accusait en quelque sorte d'être à l'origine du phénomène fasciste. Ce procès du sociologue marxiste va durablement nuire à la réputation de Dilthey et de ses élèves. Raymond Aron18 avait pourtant, le premier en France, souligné l'intérêt de celui que nous pouvons considérer comme le fondateur des sciences humaines en Allemagne, des « sciences morales » disait-on alors. Depuis quelques années, ce grand penseur de l'historicité est traduit systématiquement grâce aux efforts de Sylvie Mesure19. 14 Groethuysen a consacré lui-même deux petits textes introductifs à la pensée de son maître20. Dilthey est un philosophe doublé d'un historien, Groethuysen le sera aussi sur le même modèle : Le philosophe qui développe sa philosophie en approfondissant la réalité historique et l'historien qui ne peut saisir les données humaines qu'en se posant les questions d'une façon générale et en cherchant des solutions philosophiques aux problèmes qui se sont posés lors de ses études historiques21. 15 Groethuysen présente Dilthey tout à la fois comme l'héritier d'une tradition allemande, celle de l'idéalisme mais également comme un penseur conscient de la nécessité d'une intégration de la modernité de la science. Ce qu'il souligne, c'est sa tentative de concilier le positivisme, la pensée scientifique avec la tradition idéaliste, la pensée métaphysique. En dehors des sciences naturelles, Dilthey suppose en effet un autre ordre d'idées dont dépendent d'autres sciences, les « sciences morales », les « sciences de l'esprit », notamment l'histoire et les sciences humaines.

16 La méthode historique de Dilthey consiste à ne pas se contenter de l'idée considérée en elle-même mais d'essayer de la saisir comme une partie d'un tout vivant, lui rendre en quelque sorte ce caractère de vie qu'elle avait perdu en devenant quelque chose d'abstrait. Diltlhey participe du vitalisme, il a été lui-même très marqué par le philosophe antihégélien Friedrich Adolf Trendelenburg (1802-1872). De cette influence, Groethuysen gardera toujours une profonde méfiance envers les concepts abstraits et les théories de l'histoire. Le point de départ de ce vitalisme, de cette idée d'une

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interprétation qui ressusciterait en quelque sorte la pensée en lui rendant le caractère de vitalité qu'elle avait à son époque, Groethuysen en fait remonter l'origine chez Luther, dans cette volonté de se pénétrer de l'histoire sainte, par conséquent de chercher une interprétation exacte des textes bibliques. Tous ces efforts d'interprétation aboutissent selon lui à l'herméneutique, celle d'un Schleiermacher mais aussi à la critique biblique au XVIIIe siècle et aux travaux de Christian Baur.

17 Ce que Dilthey recherche c'est l'ensemble d'une période donnée, « l'esprit du temps », la « Weltanschauung », terme intraduisible en français et qui est du reste admis dans les dictionnaires à partir de 1924. Il est apparu pour la première fois dans la Critique du jugement de Kant en 1790, il va marquer toute le courant philosophique et poétique du romantisme allemand, Fichte, Klopstock, Novalis, Schlegel, Schelling, Schleiermacher, Goethe, Hegel22. Laissons Groethuysen caractériser la méthode de Dilthey : Rechercher l'ensemble d'une période donnée, l'esprit du temps, si on veut, pour interpréter les données individuelles de cette même période. Il se sert de toutes les données d'une époque pour les interpréter l'une par l'autre ; le philosophe lui fait comprendre le poète, et vice versa, le génie religieux se reflète dans l'artiste, l'art et la religion s'expliquent mutuellement, la politique ne se conçoit qu'an moyen des idées que nous trouvons dans la science, la science ne peut être envisagée qu'en tenant compte des données sociales. La synthèse historique seule peut nous faire connaître ce qui fait le fond même des diverses productions de la même époque23. Il s'agit de rendre l'individu à l'esprit général. 18 Dilthey est lui-même l'héritier de la grande école historique et philologique berlinoise de la première moitié du XIXe siècle, ainsi qu'il le reconnaît dans un discours prononcé à l'occasion de son soixante-dixième anniversaire : C'est précisément à Berlin que s'étaient rencontrés les grands historiens qui relièrent l'une à l'autre la philologie et la science historique, et qui saisirent, en partant de la langue, la totalité des manifestations vitales d'une Nation24. 19 Niebuhr auteur d'une nouvelle Histoire de Rome, August Boeckh, le grand philologue, auteur de l'Enzyklopädie und Methodologie der philologischen Wissenschaften, parue en 1877, lui-même élève de Wolf et de Schleiermacher, Jakob Grimm fondateur de la philologie allemande avec son frère Wilhelm, Carl Ritter, le géographe qui a pensé les rapports entre géographie et histoire, enfin Leopold von Ranke, l'historien qui a introduit la méthode critique de l'exploitation des sources. Célèbre par sa formule, « wie es eigentlich gewesen ist », il prétendait retrouver l'objectivité des faits, comme ils se sont vraiment passés. Preuve de l'insertion de Groethuysen dans le cercle des disciples préférés de Dilthey, il apporte dès 1911 sa contribution, « Das Leben und die Weltanschauung », au volume collectif dirigé par son maître et intitulé Weltanschauung. Philosophie und Religion au milieu d'auteurs prestigieux comme Simmel ou Troeltsch25.

20 Dès 1904, Groethuysen se met à voyager à Paris dans le cadre de ses activités de chercheur pour la commission Leibniz de l'Académie prussienne des sciences. C'est au cours de ses séjours de recherches qu'il conçoit le projet d'une habilitation sur le débat constitutionnel au début de la Révolution : Le droit naturel comme fondement du droit privé et du droit étatique au début de la Révolution. Il la soutiendra à Berlin au cours du semestre de l'hiver 1907-1908 avec succès. Avant la première guerre, il est en contact avec le milieu de la NRF, il a déjà fait la connaissance de Gide et de Paulhan. Pendant l'hiver 1910-1911, il donne même un cours sur la philosophie contemporaine en Allemagne à l'École des hautes études sociales. Il a l'intention de s'établir à Paris pour écrire son histoire de la Révolution française mais il ne néglige pas les archives provinciales en

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particulier la bibliothèque municipale de Rouen où il dépouille une collection de brochures, de mémoires et de sermons26. Sans doute, la rencontre de sa compagne, la traductrice Alix Guillain, disciple de l'anarchiste Élisée Reclus, puis militante communiste (elle devient membre du PCF en 1920), n'est-elle pas étrangère à cette décision27. La guerre en décidera autrement. 21 Dès février 1915 Groethuysen, qui n'a pas réussi à rentrer en Allemagne, est interné à Bitray près de Châteauroux dans l'Indre-et-Loire. Ses amis Charles Du Bos et Charles Andler, peut-être même , tentent d'améliorer ses conditions de détention. Les autorités finissent par lui accorder la liberté de résider en ville chez des particuliers, où il semble avoir pu travailler à la première partie de son livre28. À sa libération, il reprend des cours comme privat-dozent à l'université de Berlin durant les semestres d'été mais revient à Paris le reste du temps. Au Romanisches Seminar il invite Alain, Malraux, Gide. À partir de 1924, il participe aux entretiens de Pontigny, centre de rencontres intellectuelles animé par Paul Desjardins29. Bien que laïc, ce centre a été qualifié ironiquement de « Port-Royal thomiste » par Cocteau30 Il a réuni, en effet beaucoup d'intellectuels marqués ou intéressés par le catholicisme, Maritain, Claudel, Du Bos, Gide, Jacques Rivière (auteur de l'Allemand en 1918). Il s'y tient des cycles de conférences, « les Décades ». Relevons quelques titres : La muse et la grâce (mystique et poésie), L'autobiographie et la fiction (Groethuysen fait une communication sur l'Augustinus), L'humanisme, son essence, un nouvel humanisme est-il possible ? L'empreinte chrétienne. Groethuysen mène cette double vie entre la France et l'Allemagne jusqu'en juillet 1932. En 1931, il a été nommé professeur ordinaire à l'université de Berlin mais il est accusé quelques mois plus tard d'avoir dénigré l'Allemagne. Il choisit l'exil et prend la peine d'écrire une lettre où il se justifie d'aimer son pays. Il sera définitivement rayé des listes de professeurs en 1938. La vie matérielle est alors assez difficile en France. Il est rédacteur de la revue Mesures et lecteur chez Gallimard. Il s'occupe de la Bibliothèque des idées qu'il a fondée avec Paulhan en 1927 précisément à l'occasion de la publication des Origines de l'esprit bourgeois en France. Alix Guillain semble avoir pris beaucoup d'ascendance sur son compagnon, c'est une militante communiste active. Il semblerait que ce sont ces années trente qui sont décrites par Paulhan à propos du marxisme fanatique de Groethuysen. Il est pourtant très difficile d'en trouver la trace dans ses œuvres à l'exception d'un article où il exprime la croyance à la possibilité d'une société sans classe : « Dialectique de la démocratie » paru en 1932, dernier ouvrage d'une collection intitulée « Demokratie und Partei », dirigée par un collègue de Groethuysen à Berlin31. On peut cependant se demander si ce credo marxiste ne l'a pas empêché de traduire Dilthey en français.

Un livre dans l’esprit du temps

22 Quelle motivation a poussé Groethuysen à s'intéresser aux origines de la Révolution française ? Sa recherche s'inscrit tout à la fois dans l'esprit du temps mais elle reste originale à bien des égards.

23 En premier lieu, le sujet des Origines de l'esprit bourgeois en France participe à un champ problématique en pleine effervescence en Allemagne au début du XXe siècle : l'émergence de la modernité économique, morale et intellectuelle et ses rapports avec la religion. Max Weber l'explique très bien dans les premières pages de son livre : Die

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protestantische Ethik und, der Geist des Kapitalismus, un livre tout à fait typique de l'esprit du temps qui paraît dans Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik en 1904 et 1905 : Tous ceux qui, élevés dans la civilisation européenne d'aujourd'hui, étudient les problèmes de l'histoire universelle, sont tôt ou tard amenés à se poser, et avec raison, la question suivante : à quel enchaînement de circonstances doit-on imputer l'apparition, dans la civilisation occidentale et uniquement dans celle-ci, de phénomènes culturels qui – du moins nous aimons à le penser – ont revêtu une signification et une valeur universelle32 ? Weber fait mention de vives discussions qui ont lieu dans la presse à propos de la prospérité comparée des nations catholiques et des nations protestantes au tournant du siècle et donne même quelques éléments bibliographiques33. La question à l'ordre du jour est de comprendre comment certaines croyances religieuses, en l'occurrence le protestantisme, ont pu ou non favoriser l'apparition d'une mentalité économique, le capitalisme. Weber est donc loin d'être le seul à répondre. La bibliographie des dix premières années du XXe siècle est éloquente34.

24 À son tour, le livre de Weber suscitera une vive controverse35. Fait intéressant, un des adversaires de Weber, Robertson utilisera le livre de Groethuysen pour y trouver des contre-exemples à la thèse de la modernité protestante et puritaine36. Notons que Groethuysen ne cite jamais ni Weber ni Troeltsch, moins encore Sombart, même s'il est très vraisemblable qu'il les a lus. Il privilégie un pays que ces auteurs ont précisément négligé : la France, qui offre un modèle de développement particulier. Mentionnons enfin que l'étude de Groethuysen paraît dans le contexte de l'éclosion de toute une série d'ouvrages sur la genèse du capitalisme moderne : Henri Sée, Les Origines du capitalisme moderne et Richard Henry Tawney, Religion and the Rise of Capitalism en 1926, Henri Hauser, Les Débuts du capitalisme l'année suivante.

25 La thèse de Klaus Grosse Kracht resitue l'enjeu du livre dans un autre contexte intellectuel allemand : les débats des historiens allemands du droit contre Rousseau et les révolutionnaires français, en particulier Otto von Gierke et Georg Jellinek37. Contre les théories rousseauistes jugées destructices de l'État, Gierke remonte à Althusius pour retrouver les germes du droit naturel dans la tradition allemande38. Tandis que Jellinek va chercher l'origine de 1789 dans les principes de 1776 et dans le combat pour l'indépendance des colonies anglaises39. Lui aussi retrouve l'idée d'une vieille liberté germanique dans le principe de la Réforme et de ses combats qui sont, selon lui, la véritable origine religieuse de la Révolution. Bien que Groethuysen ne se soit pas prononcé explicitement sur ces controverses nationalistes, son livre témoigne qu'il est un admirateur de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle est une invention qui appartient à la France selon lui. Dans les deux grands débats de son temps : la Réforme et la modernité, le droit des individus et le droit de l'Etat, Groethuysen a fait ainsi entendre une voix singulière.

Le sens des coupures

26 La version française n'est pas simplement ce qu'on appelle un abrégé, elle est plus exactement amputée de certaines de ses parties. C'est ce qui rend certains chapitres si abrupts : il leur manque simplement la partie introductive et théorique et souvent même les conclusions synthétiques !

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27 Groethuysen est le premier auteur allemand à s'intéresser aux rapports entre religion et modernité en France. Pour lui il y a un rapport étroit entre la formation de l'esprit bourgeois et le développement de l'incrédulité. Ce qui le fascine dans ce pays, c'est l'opposition tranchée entre monde de la modernité et monde religieux ainsi que la réalisation, la concrétisation, la matérialisation de la nouvelle Weltanschauung pendant la Révolution française : des idées qui ne restent pas abstraites. Comme il le dit très tôt dans une lettre à son maître Dilthey, il veut suivre dans l'histoire la montée de ces forces agissantes, leur constitution en une forme dans laquelle les hommes puissent se reconnaître40. Ce qui l'intéresse avant tout, c'est de comprendre comment ces idées ont pu agir dans l'histoire. Le projet initial était ambitieux, une histoire des origines de la Révolution française en une dizaine de volumes : aux deux premiers – l'Église et la bourgeoisie – devaient succéder les affaires parlementaires, les mouvements sociaux et économiques, et les grands penseurs. 28 L'objet du livre est difficile à cerner si l'on s'en tient uniquement à la version française : Groethuysen a effacé toutes les références à Dilthey ainsi que la plupart des considérations théoriques : les grandes introductions méthodologiques aux deux parties sont ainsi passées à la trappe ainsi que tous les passages où la thèse de l'opposition entre l'Église et la bourgeoisie était trop clairement affirmée41. Des chapitres entiers ont également disparu : celui sur les jansénistes et la défense du Dieu ancien, celui sur les éducateurs jansénistes et jésuites (trois chapitres contractés en un), enfin de grands morceaux du dernier chapitre sur le « nouveau type d'homme »42. On peut émettre une première hypothèse. Peut-être l'auteur a-t-il cherché à relativiser ce que le bourgeois devait à ses éducateurs religieux. En minimisant sa dette, il a voulu le rendre plus autonome. Il a également tenté de le réindexer sur le social. En plus d'avoir supprimé les conclusions finales sur le nouveau type d'homme, « Der neue Menschentypus » pour laisser le dernier mot au bourgeois émancipé, il a sociologisé les acteurs dans la traduction française : « Bürgertum » devient le « bourgeois » d'une manière lancinante, « der schlichte Glaube » devient le « simple fidèle », « Glauben und Wissen » : les « gens éclairés ». 29 On peut émettre une seconde hypothèse : peut-être, à partir de 1924, (date à laquelle il en train de mettre au point le manuscrit français), années tourmentées, années de la montée du communisme, Groethuysen a-t-il eu peur d'être taxé d'idéaliste allemand. Sa lettre à Paulhan qui sert de préface à l'édition française (à la place de la véritable préface) témoigne qu'il est sur la défensive : « Mais non je n'ai pas inventé le bourgeois »43. Dans la version allemande il n'hésitait pas à définir son entreprise comme un « essai d'histoire des idées anonymes »44 et à donner une définition du bourgeois : C'est sous cet angle que je voudrais essayer ici de comprendre le bourgeois, comme une espèce d'homme, comme notre façon d'être homme, de penser et d'agir. Il n'est pas question ici de porter sur lui un jugement de valeur ni d'exprimer le sens de ce qu'il a apporté à l'histoire. Je veux partir d'autres prémisses que celle-ci : il est autre que l'homme du passé et de même, autre que l'homme de l'avenir. Nous devons le comprendre, lui aussi, comme un phénomène historique dont le caractère ne peut être que relatif, vu que, soumis aux conditions de l'histoire, il n'est ici que de passage45. 30 Dans la version allemande, Groethuysen penche clairement pour une définition du bourgeois comme type d'humanité. Il rejoint tout à fait Sombart sur ce point46. Dans la version française, Groethuysen semble jouer sur l'ambiguïté des deux registres du

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bourgeois : type humain, vision du monde et représentant d'une classe sociale déterminée. Il a beau affirmer à Paulhan que son bourgeois est vivant et qu'il est l'homme du « Je suis », sa définition est toujours négative dans la suite de la démonstration. Le bourgeois se constitue toujours en face d'une autre puissance collective : l'Église. C'est sans doute également pour cette raison que Groethuysen a délibérément coupé tous les chapitres et les passages où il avait théorisé cette opposition, pour tenter de faire exister son bourgeois d'une manière plus indépendante. Le dernier chapitre de l'introduction a même été censuré une deuxième fois par Alix Guillain dans sa traduction de la préface de la première partie, tant il est explicite : C'est donc toujours dans son combat contre l'Église que la bourgeoisie développe sa conscience de classe. Se libérer du passé implique toujours pour elle de se mesurer avec la vision du monde de l'Église. C'est dans son rapport à l'Église que la formation de la bourgeoisie a été déterminée de façon décisive47 31 Bien que Groethuysen ait cherché à amoindrir cette thèse clairement théorisée dans la version allemande, toute sa démonstration, toute la structure du livre reste organisée autour de cette confrontation de la bourgeoisie avec le catholicisme, libération qui prend tout d'abord la forme d'une émancipation intérieure. Il n'est besoin que de piquer ça et là quelques citations significatives dans la version française : « Pour être bourgeois, il faut ne pas croire »48. L'incrédulité se confond avec l'idée du bourgeois, elle est en quelque sorte « la marque distinctive d'une classe »49. En devenant une manifestation de la vie collective, l'incrédulité devient légitime, elle est « la conscience de classe » de la bourgeoisie50. Il ne faut pas de Dieu pour expliquer le bourgeois en tant que bourgeois. La bourgeoisie est sans mystère. C'est un phénomène social d'ordre essentiellement profane, régi uniquement par les lois de ce monde, sans qu'il soit nécessaire pour l'expliquer de remonter plus haut et de faire appel aux conseils de la divine Providence.51

La question des sources

32 Pour atteindre la conscience du bourgeois, Groethuysen s'est adressé à ceux qui s'en sont précisément occupés : les curés, les directeurs de conscience, les prédicateurs qui ont tenté de répondre aux inquiétudes, aux questions, aux nouveaux problèmes, aux nouvelles attitudes de leurs dirigés et de leurs fidèles. Car l'Église n'est pas restée inactive face au changement des temps. Ses représentants ont cherché à répondre, de différentes manières, ils ont tenté de s'adapter ou au contraire ils ont refusé les compromis. L'opposition entre bourgeoisie et catholicisme prend toutes sorte de formes et ouvre un éventail qui va de la franche hostilité, voire de l'incompatibilité, jusqu'à différentes tentatives de compromis.

33 Groethuysen ne s'est pas assez expliqué sur le traitement de ses sources qui constitue tout à la fois l'originalité mais aussi l'ambiguïté de sa démarche. Il suppose en effet l'existence d'un dialogue permanent entre les représentants de l'Église et la bourgeoisie. Mais il n'a pas les questions du bourgeois, il n'a que les réponses supposées des curés aux nouvelles attentes et aux nouvelles conduites : des compromis ou des reproches. On pourrait ainsi lui objecter qu'il ne possède en quelque sorte qu'une partie de la correspondance. Ce sont en quelque sorte les curés et les prédicateurs qui font

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exister le personnage central du livre en le critiquant, en s'opposant à lui, ou au contraire en dialoguant et en essayant de composer avec lui. 34 Sur une bonne centaine d'auteurs différents, on compte relativement peu de noms notoires : Bossuet, Bourdaloue, Massillon, Arnauld, Pascal. Pour l'essentiel il s'agit de prédicateurs de base, de curés de province, de petits moralistes et d'anonymes. De même on rencontre peu d'évêques, et peu de philosophes des Lumières très connus. Groethuysen n'a consulté presque aucune archives ni sources manuscrites. La masse des documents est constituée de recueil de sermons, des prédications, des traités sur la manière de prêcher ou de diriger, des traités de dévotions, des manuels de piété, des traités de morale, des catéchismes, des apologies de la religion, des traités d'éducation, des arts de se préparer à la mort, beaucoup de dictionnaires, enfin des ouvrages relatifs à la polémique autour de la question du prêt à intérêt et de l'usure. 35 Groethuysen s'est beaucoup appuyé sur des compilations déjà existantes à l'époque : La Voix du Pasteur ou discours familiers d'un curé à ses paroissiens pour tous les dimanches de l'années de François-Léon Réguis52, curé successivement d'Auxerre, de Gap et de Lisieux, la Bibliothèque des prédicateurs qui contient les principaux sujets de la morale chrétienne, du père Vincent Houdry53, ou les Discours prononcés en différentes solennités de piété de l'abbé Le Cousturier54. Il a également utilisé quelques collections du début du XIXe siècle, comme Les avocats des pauvres55, ainsi que quelques études de son époque sur les sermons et la politesse mondaine56. 36 Le nombre des auteurs jansénistes et jésuites est à peu près équivalent, ils sont bien représentés. Pour le jansénisme surtout, Groethuysen mélange allégrement le dix- septième et le dix-huitième siècle comme si le mouvement n'avait ni histoire, ni évolution, ni tensions internes. De même il ne tient pas compte du contexte polémique de la querelle janséniste ni du combat contre la bulle . Les Hexaples57, manifeste de la résistance, sont traités comme un simple livre de piété, Les Nouvelles ecclésiastiques (1728-1803) journal à grand écho social, machine de guerre du parti janséniste, première forme de propagande, sont considérées comme une simple gazette janséniste. Les jésuites ne sont jamais étudiés comme ordre religieux, le fonctionnement de leurs collèges n'est simplement pas pris en considération. Comme troisième groupe d'auteurs, Groethuysen a privilégié les chrétiens éclairés mais il ne les constitue pas en tiers parti. Il fait peu usage de la littérature antiphilosophique58. Autre lacune notable, il a exclu toute la polémique autour de la Constitution civile du clergé. La période révolutionnaire est, du reste, très peu traitée. D'une manière plus générale, Groethuysen n'a pas abordé la dimension politique des affaires religieuses, en particulier l'intervention des dans l'affaire des refus de sacrements. Sans doute avait-il projeté d'y consacrer un autre volume.

Émancipation intérieure du bourgeois ou création extérieure du curé ?

37 L'émancipation intérieure va conduire la bourgeoisie à sortir complètement du cadre social du catholicisme. Le livre est composé de deux parties principales, (deux volumes différents dans la version allemande) qui traitent de cette échappée sous deux points de vue : 1) la croyance (les conceptions de la mort, de Dieu et du péché) ; 2) les

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conséquences sociales de cette émancipation sur les statuts sociaux (riches et pauvres) et sur certaines pratiques sociales, (l'aumône, la morale chrétienne, le capitalisme).

38 Groethuysen part du constat que l'Église catholique reste une réalité sociale au XVIIIe siècle. Elle détermine dans une très large mesure la pensée et l'expérience de toute une couche de la population. La plupart des fidèles ne peuvent même pas s'imaginer vivre en dehors de cette communauté. Elle structure toute la société. Mais c'est précisément à cette même époque59 que le bourgeois va se distinguer du simple fidèle par son attitude questionneuse. Croire devient pour lui un problème alors que le peuple continue de croire simplement et spontanément. Il demande le sens précis des mots et des définitions, il veut une doctrine que l'on puisse connaître et diffuser en dehors de l'Église, il exige un langage que l'on puisse apprendre. Ainsi, peu à peu, la foi se désagrège, car l'église se met à parler deux langues, un patois pour les simples et les dévots et une parole châtiée qui change le sens des mots et des pratiques pour les élites et les gens éclairés. Ce qui distingue la bourgeoisie, c'est qu'elle n'est plus superstitieuse. Groethuysen reprend une thèse de Lamennais émise dans ses Réflexions sur l'état de l'Église de France (1844) : [...] bien des prédicateurs, […] pour condescendre aux gens éclairés, sous prétexte de rendre la religion plus spirituelle, la dépouillent peu à peu de ce qu'elle a de sensible et vont jusqu'à abolir les dévotions autorisées par l'Église et consacrées par la piété des peuples60. Derrière les humbles ce sont en réalité les dévots que le bourgeois attaque : [...] s'il ne veut pas qu'on mêle trop Dieu aux affaires du monde, c'est qu'il ne croit plus que la divinité y soit pour beaucoup. Le bourgeois a perdu la foi des simples, son monde coexiste avec le monde ancien mais pour lui l'Église a cessé d'être cette grande communauté dans laquelle on vit et on meurt61. La foi était un fait d'ordre collectif, il en sera de même de l'incrédulité. Dans « Prêtre et laïc » qui clôt l'introduction, Groethuysen développe l'idée d'une lutte de classe contre les prêtres, une sorte de premier combat que le bourgeois engage pour établir sa supériorité. « Les gens d'une certaine façon » ne concèdent plus aux curés une supériorité que le peuple leur accorde aisément. Ils se permettent même de les railler, de les traiter de cagots ou de bigots. Parti d'une interrogation des ministres de l'Église pour savoir comment il pourrait croire encore, le bourgeois va se forger lui-même à côté et en dehors de l'Église une autre puissance morale. 39 Dans la première partie, Groethuysen approfondit la crise de croyance, la transformation des idées religieuses, sous trois points de vue : Dieu, le péché et la mort. Le bourgeois croira moins, il croira moins de choses. L'épuration s'accompagne d'une diminution par rapport à la foi. Et la crise de croyance se double d'une crise de doctrine. On peut croire en effet à la façon des jésuites ou à la façon des jansénistes qui ne sont pas d'accord entre eux. Dans ses débuts, le bourgeois prendra souvent le parti des théologiens les plus intransigeants qui gardent l'héritage augustinien d'un Dieu tout puissant et prônent une imitation héroïque des saints : les jansénistes. Il les préférera à ceux qui sont prêts à toutes sortes de concessions. Les jésuites, dont la morale des petits devoirs est plus en accord avec la modernité, lui ont pourtant beaucoup appris, mais il n'éprouve pas de grande sympathie à leur égard. Toutes les concessions que les pères jésuites pourront lui faire lui paraîtront insuffisantes et ce sont les philosophes qu'il considérera comme ses véritables guides62.

40 L'Église sentant la bourgeoisie lui échapper, a bien cherché à créer des formes de vie qui pouvaient permettre au bourgeois d'être bourgeois, tout en restant chrétien. Mais

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elle n'a pas réussi à consacrer les aspirations de la bourgeoisie nouvelle, à leur donner un fondement religieux, à christianiser le nouvel état. C'est précisément dans cette discordance entre la vie chrétienne et la vie bourgeoise, entre le vieil homme et le nouveau, qu'il faut chercher la cause de l'incrédulité. Dans une perspective téléologique, celle de la montée de l'esprit révolutionnaire, Groethuysen considère que toutes ces discussions de doctrine témoignent de la confrontation entre l'ancien monde et l'esprit nouveau, celui de la Révolution française. 41 Il poursuit sa démonstration à propos de la conception de la mort, celle de Dieu et celle du péché. L'argument de la mort perd de son importance pour le bourgeois, elle devient un fait, elle cesse d'être un mystère. Le bourgeois n'a plus peur de l'enfer ni du purgatoire. L'honnête homme est surtout soucieux de mettre ses affaires en ordre, en terminant sa vie par une mort chrétienne, c'est à dire en se repentant de ses péchés et en recevant l'extrême onction, de la même façon qu'il a mis au net sa comptabilité et réglé sa succession. Mais il ne met plus en place le dispositif lourd et compliqué qui obligeait les survivants à assurer son salut après sa mort par des services religieux, des legs qui les finançaient, des clauses testamentaires, des élections de sépulture, des fondations de messe, des aumônes. 42 Curieusement c'est à propos des conceptions de Dieu que Groethuysen a le plus affaibli sa thèse en supprimant entièrement le chapitre subtil consacré à la défense du Dieu ancien par les jansénistes. Ce chapitre est pourtant la pierre de touche de la démonstration comme l'auteur s'en explique dans la version allemande : L'attitude janséniste, dans son opposition aux temps nouveaux, est pour nous d'un grand enseignement, car elle nous sert en quelque sorte de pierre de touche pour juger du nouveau type d'homme en formation au XVIIIe siècle, c'est à dire du bourgeois63. 43 On sait que Groethuysen est fasciné par la manière ostensible et véhémente avec laquelle l'esprit ancien et l'esprit nouveau sont entrés en conflit en France. D'un côté il a stylisé les jansénistes dans la posture de dénonciateurs des concessions des jésuites, de pourfendeurs des temps qui se détournent de la foi et de défenseurs de la cause de Dieu. Il est l'un des premiers à avoir affirmé l'importance du « parti », comme il le nomme justement, au XVIIIe siècle. De l'autre, il a bien senti la tragédie d'un Dieu que les jansénistes cherchent à sauver et qu'ils vont contribuer à perdre. Reprenant une idée développée par l'abbé Yvon dans son Accord de la Philosophie et de la Religion, publié en 1776, c'est aux divisions entre théologiens jésuites et théologiens jansénistes et aux luttes autour de la bulle Unigenitus qu'il fait remonter l'origine de l'incrédulité. Les jésuites [...] croyant […] tenir le vrai Dieu qui est bon pour tout le monde, […] cessèrent de plus en plus d'être chrétiens et finirent par perdre la foi. Les jansénistes, voyant l'idole souriante et affable qu'on avait mise à la place de leur Dieu s'en émurent. […] Mais tentant de détruire l'idole, et voulant rappeler aux enfants du siècle la foi dans toute sa pureté, ils ne réussirent qu'à faire des incrédules, qui dans cette lutte entre deux divinités, prennent le parti de ne croire à aucune des deux et de s'en tenir à ce que disent les philosophes64. Ne pouvant aimer le Dieu cruel des jansénistes et sachant se passer de celui des jésuites, l'honnête homme trouvera dans une morale bien fondée et dans une vie parfaitement réglée ce qu'il ne savait plus puiser dans ce monde mystérieux que les deux divinités s'étaient disputées.

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44 La discussion continue à propos du « péché » que Groethuysen oppose à la nouvelle notion plus limitée de « délit ». Pour les jansénistes, le péché originel est la clé de toute religion. Ils sont convaincus de la laideur profonde et irrémédiable de l'homme. Le crime n'est qu'une manifestation de la maladie inhérente à la race humaine depuis Adam. Ils accusent les jésuites – les casuistes – de donner à l'homme une meilleure opinion de lui-même et de s'adapter à ses faiblesses. Dans leur monde terrible, le bourgeois n'a pas d'autre alternative que d'être un saint ou un pécheur tandis que les jésuites admettent qu'un chrétien ne soit pas toujours obligé d'agir en chrétien. Le chrétien pourra être homme, simplement homme, « honnête homme ». Dieu ne saurait lui en vouloir si en suivant une morale que Pascal appelle « toute païenne », il remplit ses devoirs sans penser en tremblant à la divinité. Progressivement, l'enfant d'Adam se transformera en « honnête homme ». On ne pourra plus connaître de pécheur qui le soit par ses origines et sa nature, mais seulement par des péchés actuels et bien définis : « des délits ».

45 Groethuysen n'approfondit jamais les raisons de ce qu'il présente toujours comme l'échec des jésuites. Jusqu'à un certain degré, ils ont préparé la voie à une morale profane, mais d'autre part, ils se sont souvent aliénés l'esprit de la bourgeoisie, en excusant des faits que les honnêtes gens ne pouvaient avouer. Mais Groethuysen ne donne aucun exemple concret, de sorte qu'il est difficile de comprendre pourquoi l'homme nouveau va se constituer un domaine dans lequel il ne sera plus question entre lui et Dieu ni de péchés, ni de bonnes œuvres. 46 Dans la deuxième partie, Groethuysen aborde ce qu'il appelle « les conceptions sociales » de l'Église. En réalité, selon son propre traitement, elles correspondent beaucoup plus à des conceptions « symboliques ». L'Église a donné en effet un statut symbolique, un caractère religieux aux grands et aux pauvres, aux riches et aux mendiants, mais elle va se trouver embarrassée pour interpréter, à sa manière, le phénomène social que représente la bourgeoisie. Elle ne saura pas sacrer le bourgeois, lui conférer la dignité de symbole religieux. 47 Dans l'économie du salut et sa pratique, l'aumône, les riches et les pauvres forment un couple indissociable. Les grands ont leurs richesses et une vie d'amusements, ils doivent donc se faire pardonner, effectuer un geste de renoncement. Par la charité, ils peuvent ainsi se rattacher aux valeurs de l'autre monde. Les riches doivent « acheter leur place au ciel par l'aumône » comme le dit l'abbé Le Chapelain. Figure christique, les pauvres sont déjà un mystère, le Christ est caché en eux. Le bourgeois, « der Mittelstand », est dans une position inconfortable : il condamne la pauvreté, il n'y voit rien de positif et de plus, il n'a rien à se faire pardonner. Dans un premier temps, pour donner forme à sa vie, il va chercher appui auprès de ses éducateurs, tant du côté des jansénistes que du côté des jésuites65. Dans un second temps, il va trouver sa propre voie, sa propre morale profane : l'honnêteté. Malheureusement dans la version française, les trois chapitres consacrés aux éducateurs jansénistes et jésuites sont réduits à un chapitre : « Vie chrétienne et vie bourgeoise ». Le janséniste propose au bourgeois une conduite héroïque et une morale rigoriste : régler sa vie sur le modèle christique, imiter les saints, porter les marques de l'élection divine en suivant les vertus chrétiennes, incarner dans sa vie quotidienne les vertus chrétiennes. Le jésuite a des ambitions plus modestes, il prône l'accomplissement de petits devoirs : l'ordre, la hiérarchie, le respect des conventions sociales. Groethuysen se risque à des considérations de psychologie sociale : l'éducation janséniste serait ainsi un

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encouragement à la singularité voire à l'esprit frondeur tandis que les collèges jésuites développeraient la docilité de l'esprit et un certain conformisme social. 48 Peu à peu le bourgeois va se forger sa propre morale qui va le situer à mi-chemin entre les grands et les pauvres. Travailler, être économe, remplir consciencieusement ses devoirs professionnels, éviter la pauvreté et les excès. Jusque là, vie bourgeoise et vie chrétienne semblaient s'accorder. La bourgeoisie à laquelle s'adresse l'Église paraît être composée de gens sérieux qui se complaisent dans une certaine médiocrité. Mais de graves antagonismes entre l'Église et la bourgeoisie vont remettre en question ce bel équilibre. Sur le plan du travail en premier lieu : l'Église conserve une vision des choses à laquelle la bourgeoisie ne peut qu'infliger un démenti. Elle ne voit en effet dans tout travail que le côté négatif : elle prêche la vanité de l'effort humain ; quant au travail, il est peine, labeur. La pente naturelle du bourgeois n'est pas de se confiner dans une vie rythmée par le travail, mais de se dilater et d'acquérir par son effort puissance et richesse. Le bourgeois tend à mettre sa confiance en ses propres forces. C'est précisément contre les nouveaux riches que l'Église dirige ses attaques, contre ceux qui se sont enrichis sans en avoir demandé la permission à la divine Providence. 49 Le malentendu éclate aussi sur la question du prêt à intérêt, « l'usure », et déclenche une très vaste polémique. Le capitaliste en voudra aux théologiens qui traitent les honnêtes gens comme de vulgaires criminels, les accusant d'être d'ignobles « usuriers ». 50 Ainsi, le bourgeois va devenir « honnête homme » sans être chrétien. Ce qu'il est, il le doit à lui-même, il s'est fait sa propre Providence, c'est pourquoi il ne voudra pas en reconnaître d'autre. Ce n'est pas que le bourgeois juge la religion fausse. Elle lui est devenue étrangère, éloignée de ses préoccupations économiques et sociales. Au lieu d'une vertu chrétienne, il a développé une vertu morale. Le bourgeois n'est pas un type religieux que l'on peut classer dans le monde chrétien et catholique. Pour sa détermination, il n'importe pas qu'il soit catholique. Il vit désormais en dehors du cercle des représentations de l'Église. 51 À nouveau, Groethuysen a considérablement réduit les derniers chapitres sur « le monde des laïcs », « Die Welt der Laien » qu'il rebaptise significativement « L'ordre bourgeois ». Notons également les traductions qui réorientent la lecture : « der emanzipierte bourgeois » : le « bourgeois justifié », « der neue Menschentypus » : « le triomphe de l'honnête homme ». Surtout, Groethuysen a expurgé les chapitres de toutes les considérations théoriques qui se trouvaient dans la version allemande, en particulier celles qui concernent la confrontation permanente du bourgeois avec les conceptions de la religion catholique. Dans les volumes allemands, Groethuysen insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une opposition fondamentale mais de la formation progressive d'une conscience collective qui s'autonomise et se différencie de celle de l'Église : une émancipation intérieure. Il dit très clairement qu'il a l'impression d'avoir assisté à une longue discussion entre le bourgeois et l'ecclésiastique. Dans aucun autre pays, selon lui, la différence entre l'ancienne vision du monde et la nouvelle n'a trouvé à s'exprimer aussi pleinement et aussi clairement qu'en France. C'est précisément ce qui le fascine mais c'est aussi ce qu'il a cherché à masquer dans la version française comme s'il avait eu honte de cette dette du bourgeois envers les représentants du vieux monde.

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La réception du livre

52 Le livre a été bien reçu à l'exception de réserves provenant de milieux marxistes. Dans l'ensemble, il ressort que les critiques ont éprouvé des difficultés à résumer le propos du livre. Deux lectures principales se dégagent. Il y a ceux qui considèrent le clergé comme l'acteur principal du livre et il y a ceux qui, à l'inverse, placent la bourgeoisie au premier plan.

53 Parmi les premiers citons à nouveau Henri Mazel dans le Mercure de France du 15 décembre 1927 : le sujet c'est l'action du clergé sur la société, le flux et le reflux de l'esprit religieux. Le bourgeois n'est qu'une métaphore de l'esprit français moderne. Pour la Revue de métaphysique et de morale en 1933 66, le livre raconte comment l'Église catholique a réagi devant la montée triomphale de l'idéologie bourgeoise, par un jeu de concessions et de compromis qui n'aboutira pas cependant à une réconciliation. La même année, cette lecture est poussée à l'extrême par l'historien anglais Robertson pour réfuter la thèse de Max Weber et de son école sur le lien entre protestantisme et capitalisme67. C'est précisément dans le livre de Groethuysen que Robertson va chercher des citations d'auteurs catholiques, des exemples de propos favorables à une rationalisation méthodique de la vie. D'après cette lecture, l'Église catholique aurait vu « l'honnête homme » d'un très bon œil. Dans la Nouvelle Revue française68, Daniel Halévy a très bien repéré l'originalité du traitement des sources : les sermonnaires qui relèguent Rousseau et Voltaire à la cantonade et permettent ainsi un étonnant ensemble de confrontations. Mais selon lui, « l'homme augustinien, a dominé l'humanité plutôt qu'il ne l'a convertie : La disposition à croire est restée faible, l'incroyance plus pernicieuse que la rébellion, a toujours été proche »69. 54 D'autres critiques n'ont pas fait la même analyse et mettent l'accent, à l'inverse, sur l'autonomisation de la bourgeoisie. Jean Prévost dans la revue Europe, reproche précisément ce parti pris : Il a tout d'abord admis que la bourgeoisie s'était créé seule son état d'esprit, sans imitations, sans influences extérieures, et il a cru ensuite qu'il allait trouver, dans les œuvres des curés du temps, une observation directe de cette génération spontanée et des réactions personnelles contre elle70. Celui de La Revue de l'Institut de sociologie 71 montre qu'il s'est formé, à côté de l'Église, une autre puissance morale qui, peu à peu, en opposant ses façons de vivre, ses manières de penser et de sentir à celles qui sont tirées de la tradition religieuse, défend son droit. Cette formation de la conscience bourgeoise est d'abord une libération intérieure. Le bourgeois lutte contre lui-même avant de lutter contre les autres. Pour Bernard Fäy dans la Revue européenne de 1929, il s'agit d'un véritable détournement du christianisme ramené à des préceptes utilitaires : M. Groethuysen montre fort bien, et avec une grande surabondance de preuves, que la bourgeoisie, en attirant à elle le christianisme, et en le mutilant de tout ce qui était d'ordre surnaturel, suprasensible et idéal, pour ne plus y voir qu'une méthode de vie, un moyen d'arriver au bonheur et au succès terrestre, prépara plus encore que toute école philosophique ou que toute grande polémique, le triomphe de l'esprit philosophique et l'avènement d'un matérialisme tempéré72. 55 Bernard Faÿ ne peut s'empêcher d'ironiser sur cette préparation au marxisme. Dès 1928 dans la Deutsche Literaturzeitung73, Benedetto Croce critique la confusion entretenue par Groethuysen et Sombart dans leur emploi du terme de bourgeois, tantôt comme totalité spirituelle, type d'humanité, tantôt comme représentant d'une classe sociale. D'une

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manière encore plus forte, Emile Coornaert dans la Revue de synthèse critique le « manque de netteté » de la définition et se demande si la formation du monde moderne peut être l'œuvre exclusive d'une classe sociale.74

56 Les marxistes en revanche trouvent que le livre n'est pas écrit d'un point de vue marxiste. Ainsi Jean Bruhat dans le premier numéro de la Revue marxiste, en 1929, souligne le vocabulaire romantique75. Le livre raconte le divorce entre l'Église et la bourgeoisie, la mentalité bourgeoise. La nouvelle classe est obligée de rompre avec le Dieu ancien pour dresser un Dieu nouveau : un Dieu « bourgeois ». En réalité, la lutte entre l'Église et la bourgeoisie n'est qu'un aspect d'une lutte plus générale entre féodalité et capitalisme. 57 Alors qu'il avait très bien connu Groethuysen à Berlin, Georg Lukács ne dira jamais un mot sur son ancien camarade. Les critiques les plus intéressantes viennent de marxistes moins orthodoxes. En 1932, Adorno, futur pilier de l'école de Francfort consacre un assez long article à la version allemande du livre dans Zeitschrift fur Rechtsphilosophie76. Il souligne la dette à l'égard de Dilthey et à ses concepts de « Leben » et « Erlebnis ». Il perçoit bien le dessein d'écrire une histoire de l'esprit anonyme, du développement d'une conscience, indépendamment de l'être social ou d'une étude des rapports économiques de production. Il se demande comment il est possible d'analyser une conscience en refusant de prendre en considération ses représentations rationnelles (les grands philosophes des Lumières) ou d'indexer l'analyse sur les conditions matérielles. Il reproche à Groethuysen le manque de documents sur l'émancipation de la bourgeoisie qui n'est abordée qu'en négatif dans un dialogue supposé avec l'Église. Prenant l'auteur à son propre jeu historiciste, il lui reproche enfin de juger la réalité à l'aune de notre psychologie. Son bourgeois serait une construction rétrospective. Même remarque à propos de l'absolutisation du jansénisme comme phénomène religieux typique de la croyance ancienne alors que ce mouvement est lui-même inscrit dans l'histoire. Jansénisme-jésuitisme et Lumières sont considérés comme des blocs homogènes alors que tous ces phénomènes obéissent à une dynamique historique et sont traversés par des contradictions. 58 Quant au bourgeois, lui non plus ne semble pas avoir de problème dans son rapport aux marchandises puisque les rapports de production ne sont pas pris en considération. Adorno semble suggérer que l'auteur n'a pas tenu son programme de retrouver le vécu qui est plein de contradictions dans la réalité. En conclusion il annonce la sortie du livre de Franz Borkenau, Der Übergang vom feudalen zum bürgerlichen Weltbild. Studien zur Geschichte der Philosophie der Manufakturperiode77, démarche plus conforme en effet à la « théorie du reflet » ainsi que le titre le suggère. 59 Il est un marxiste, toutefois, pour revendiquer l'héritage de Groethuysen : Lucien Goldmann, l'auteur du Dieu caché, paru en 1955. Dans Structures mentales et création culturelle, Goldmann consacre un long chapitre à la bourgeoisie chrétienne et aux Lumières dans lequel il rend compte de « l'étude remarquable » de Groethuysen selon son qualificatif. Il la situe dans le cadre d'une histoire des relations entre Lumières, christianisme et rationalisme français. À l'exception des jansénistes qui rejettent le monde moderne, le dialogue entre christianisme et Lumières s'est poursuivi sur une base commune, à savoir les catégories mentales propres à la bourgeoisie, dont la seule acceptation décidait déjà de l'issue du combat. Ce qui se joue, c'est la place de la foi à l'intérieur d'une vision du monde et d'une praxis fondée sur la raison. Autrefois l'incroyance était individuelle et la foi collective, aujourd'hui l'incroyance est un

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phénomène social tandis que la foi est un acte individuel. C'est ce tournant qui est étudié par Groethuysen. Comme Robertson, Goldmann pense que les Origines de l'esprit bourgeois prouvent qu'il existe des équivalences catholiques aux croyances puritaines. Dans le Dieu caché, il va s'intéresser précisément au maillon faible de la démonstration de Groethuysen : le jansénisme au XVIIe siècle. Mais au lieu d'historiser le mouvement, de le considérer dans son développement, sa dynamique historique, de le replacer dans le contexte de la querelle religieuse et politique, il va simplement l'indexer sur le social en considérant la vision tragique du Dieu caché comme le reflet des aspirations économiques contrariées de la classe des robins, sorte de bourgeoisie avortée. Roland Mousnier a objecté à Goldmann que les robins se partagent équitablement dans les milieux jésuites et jansénistes78.

Pour une relecture

60 Le point aveugle de la démonstration réside dans les sources privilégiées : les sermons et les prédications. Dans le dialogue supposé par Groethuysen entre les représentants de l'Église et la bourgeoisie, ils ne constituent pourtant qu'un pôle. C'est un peu comme si l'historien ne disposait que des lettres reçues pour reconstituer le contenu et l'enjeu de l'échange épistolaire. Il en découle une ambiguïté qui donne raison aux deux lectures que les critiques ont faites dès la sortie de l'ouvrage en 1927. On peut se demander en effet si ce que décrit Groethuysen est bien, dans les faits, l'émancipation de plus en plus consciente du bourgeois hors du cadre du catholicisme ou si, à l'inverse, le nouveau type d'homme que la documentation fait apparaître, n'est pas, en réalité, la propre création de curés, le miroir de l'évolution de leurs mentalités ?

61 Aujourd'hui, il n'est plus possible de laisser la question de la réception des sources sans réponse. Il est évident que le public à qui s'adressent tous ces textes normatifs est beaucoup plus large que la bourgeoisie. Comment ont-il été entendus, pratiqués, voire détournés ou même rejetés ? Il conviendrait de confronter le livre avec les apports de l'histoire des mentalités religieuses sur le péché, la vie, la mort. 62 À l'hypothèse d'une demande formulée à la base par une classe sociale, on pourrait objecter l'existence d'une dynamique interne à l'église catholique depuis le concile de Trente qui conduit en effet à une piété éclairée et épurée des traditions populaires. 63 Groethuysen a stylisé d'un côté les jansénistes comme défenseurs du Dieu ancien et de l'autre côté les jésuites comme partisans d'une adaptation à la modernité. Il a durci ces deux mouvements sous forme de deux blocs monolithiques qui ne comporteraient ni évolution ni tensions internes du XVIIe au XVIIIe siècle. Qu'en est-il au juste du tiers parti ? Il y a sans doute beaucoup de curés qui ne sont ni jansénistes ni jésuites, sont-ils pour autant éclairés ? Existe-t-il un courant de curés éclairés en France ? 64 Dans cette recherche des origines religieuses de la Révolution française, Groethuysen a curieusement fait abstraction de l'épisode révolutionnaire, en particulier de la Constitution civile du clergé. Or, la Révolution n'est pas seulement l'histoire de l'émancipation des individus, c'est aussi le grand moment de la redéfinition des rapports entre l'Église et l'État. Quelles sont les origines de ces réformes radicales qui ne tombent pas du ciel comme un coup de tonnerre dans un ciel serein ? 65 Groethuysen met sur le même plan idéologie religieuse et idéologie bourgeoise. On peut se demander si l'idéologie comme système de croyances quant à l'organisation sociale

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n'a pas, elle aussi, une histoire. Elle est précisément à contraster avec la religion qui n'a pas toujours été une opinion parmi d'autres opinions. 66 Il faut relire le « bourgeois » comme une métaphore, un symbole du changement social et symbolique profond qui va effectivement enlever à l'Église son caractère de structure globale de la société et cantonner la croyance dans l'individualité. C'est le début de ce tournant que Groethuysen a tenté de décrire sous différents aspects. Il implique des tensions entre les anciennes prétentions de l'Église à l'organisation sociale, fondées sur la dépendance envers l'au-delà et la dette envers le passé et les nouvelles aspirations de la société à l'organisation collective, déterminées en vue du changement et réorientées vers l'avenir. 67 Les Origines de l'esprit bourgeois en France méritent d'être relues parce qu'elles posent de bonnes questions : la genèse religieuse de la Révolution française, les relations entre christianisme et Lumières, les deux modèles théologiques qui ont marqué l'éducation en France : les jansénistes et les jésuites, les rapports entre modernité et religion. Le livre a l'intérêt de mettre en évidence la singularité de l'évolution française, marquée par une rivalité entre la croyance religieuse et l'idéologie politique. Mais, s'il faut le relire, c'est aussi afin de mesurer ce qui nous sépare désormais de ce type d'analyse et de nous rendre mieux conscients des impératifs de méthode que requiert aujourd'hui une réinterprétation du XVIIIe siècle religieux et politique.

NOTES

1. Bernard Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois en France, vol. I, L'Église et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, 1927, XIII-298 p. Cette édition s'est vendue à un peu plus de 3 000 exemplaires. Il existe une réédition intermédiaire en 1956, dont il est intéressant de constater qu'elle coïncide à peu près avec la sortie du Dieu caché de Lucien Goldmann l'année précédente. 2. Sur les ambiguïtés de l'histoire des mentalités voir l'article de Jacques Revel dans le Dictionnaire des sciences historiques, édité par André Burguière, Paris, PUF, 1986, 693 p., p. 450-456. 3. La filiation a été remarquée notamment dans deux études allemandes : Aloïs Hahn, « Bernard Groethuysen. Die Enstehung der bürgerlichen Welt und Lebensanschauung in Frankreich », Soziologische Revue, 3, 1980, p. 1-10 et Klaus Treuheit, Soziologie als Theorie der Veränderung gesellschaftlicher Wirklichkeit. Überlegungen zu Bernhard Groethuysen, Frankfurt/M, Campus Forschung, 1985, 149 p. Voir encore Michael Ermarth, « Intellectual History as Philosophical Anthropology : Bernard Groethuysen's Transformation of Traditional Geistesgeschichte », The Journal of Modern History, 65 (4), dec. 1993, p. 673-705. 4. Marc Bloch, Lucien Febvre, Correspondance, t. I, 1928-1933, édition établie, présentée et annotée par Bertrand Müller, Paris, Fayard, 1994, 550 p., p. 224-225, lettre non datée, probablement de la dernière semaine d'octobre 1929. 5. GDR 2342 : L'esprit moderne en religion. 6. Catherine Maire, « Aux origines de l'Esprit bourgeois en France : pour une relecture de Bernard Groethuysen », Chrétiens et sociétés XVIe-XXe siècle, no 8, 2001, p. 33-51. Le présent article est une version légèrement remaniée de la conférence donnée dans le cadre du séminaire de DEA animé par Bernard Hours à l'université de Lyon-III, en fonction des apports d'une importante

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étude parue entre-temps : Klaus Große Kracht, Zwischen Berlin und Paris : Bernhard Groethuysen (1880-1946). Eine intellektuelle Biographie, Tübingen, Max Niemeyer, 2002, 336 p. 7. Mercure de France, 200, 1927, p. 650-651. 8. Die Entstehung der bürgerlichen Welt und Lebensanschauung in Frankreich, Bd I, das Bürgertum und die katholische Weltanschuung, Halle, 1927, 348 p. ; Bd II, Die Soziallehren der katholischen Kirche und das Bürgertum, Halle, 1930, 315 p. Nous ne partageons pas la thèse de Klaus Große Kracht, Zwischen Berlin und Paris, op. cit, p. 141, qui accorde l'antériorité à la conception française du livre sur la base d'une lettre de Groethuysen à l'éditeur allemand Eric Rothacker datée du 27 juin 1925. À notre sens, dans cette lettre, Groethuysen doit en quelque sorte s'excuser diplomatiquement auprès de son éditeur allemand d'avoir livré le manuscrit français avant la version allemande. Il précise bien que l'édition allemande ne sera pas une simple traduction et qu'il tient à ce que figure la mention « deutsche Ausgabe ». Par ailleurs, il annonce la suite en plusieurs volumes, preuve qu'il considère l'édition allemande comme l'édition scientifique de son travail. Voir les précisions éclairantes apportées sur cette question par Dominique Julia dans sa contribution, sur la base du fonds Jean Paulhan à l'I.M.E.C., infra p. 157-183. 9. En tous les cas de figure, même si ces préfaces et ces parties théoriques ont été ajoutées à la version allemande selon l'hypothèse de Klaus Große Kracht, (ce qui est peu vraisemblable étant donné le caractère abrupt des passages censurés dans la version française), il est significatif que Groethuysen a délibérément choisi de ne pas mentionner son maître Dilthey dans la version française. 10. Bernard Groethuysen, Montesquieu, 1689-1755, Paris-Genève, Éd. Trois collines, 1947 ; « L'homme civil chez Rousseau », trad. Alix Guillain, Cahiers du Sud, no 283, 1947, p. 388-428 ; Jean- Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, 1949, 340 p. ; Philosophie de la Révolution française, précédée de Montesquieu, Paris, Gallimard, 1956, 302 p. ; « Les origines sociales de l'incrédulité bourgeoise en France », Studies in Philosophy and Social Science (New York), 8, 1939, p. 362-393 ; « Le libéralisme de Montesquieu et la liberté telle que l'entendent les républicains », Europe, Paris, 27 e année, 1947, p. 2-188 ; Encyclopaedia of the Social Sciences, E. R. A. Seligman ed., New York, 15 vol., 1932-1934. 11. Voir la liste bibliographique des écrits et souvenirs sur Bernard Groethuysen donnée par Bernard Dandois dans Philosophie et Histoire, op. cit., p. 354-359. 12. Hannes Böhringer, Bernhard Groethuysen, vom Zusammenhang seiner Schriften. Mit einer ausführlichen Bibliographie, Berlin, Agora 1978, 228 p. ; Bernard Dandois, éd., Bernard Groethuysen. Philosophie et histoire, Paris, A. Michel, 1995, 359 p. ; Klaus Große Kracht, op. cit. Tous les détails biographiques qui suivent sont tirés de ces trois ouvrages. 13. Jean Paulhan, préface à Mythes et portraits, Paris, Gallimard, 1947 et Mort de Groethuysen à Luxembourg, La Nouvelle Revue française, 1969, repris en plaquette par les éditions Fata Morgana, 1976, 72 p. 14. Rectification apportée par Klaus Große Kracht, Zwischen Berlin und Paris, op. cit., p. 22. 15. Bernhard Groethuysen, « Das Mitgefühl », Zeitschrift für Psychologie und Physiologie der Sinnesorgane, Leipzig, Hambourg, 34, 1904, p. 161-270. 16. Pour plus de détails voir les souvenirs de Margarete Susman, une élève de Simmel : Ich habe viele Leben gelebt, Stuttgart, Leo Baeck Institut, 1964, 187 p. 17. Georg Lukács, La Destruction de la raison, Paris, L'Arche, 1958-1959, 2 vol., 351 et 383 p. 18. Raymond Aron, La Philosophie critique de l'histoire : essai sur une théorie allemande de l'histoire, nouvelle éd., revue et commentée par Sylvie Mesure, Paris, Julliard, 1987, 377 p. 19. Voir les traductions et les éditions commentées de Sylvie Mesure : L'Édification du monde historique dans les sciences de l'esprit, Paris, Cerf, 1988, 138 p. ; Critique de la raison historique : introduction aux sciences de l'esprit et autres textes, Paris, Cerf, 1992, 373 p. ; Dilthey et la fondation des sciences historiques, Paris, PUF, 1995, 275 p. ; Conception du monde et analyse de l'homme depuis la Renaissance et la Réforme, Paris, Cerf, 1999, 471 p.

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20. Bernard Groethuysen, « Dilthey et son école », La Philosophie allemande au XIXe siècle, Paris, F. Alcan, 1912, 255 p. et Introduction à la pensée philosophique allemande depuis Nietzsche, conférence présentée à l'Union pour la vérité animée par Paul Desjardins, Paris, Stock, 1926, 126 p. Les deux textes font partie de l'anthologie Philosophie et histoire éditée par Bernard Dandois, Paris, A. Michel, 1995, 360 p. 21. Bernard Groethuysen, « Dilthey et son école », Philosophie et histoire, op. cit., p. 55. 22. Voir la thèse de Helmut Günter Meier, Weltanschauung. Studien zu einer Geschiche und Theorie des Begriffs, Diss. Phil., Munster (West.), 1968, 390 p. 23. Bernard Groethuysen, « Dilthey et son école », Philosophie et histoire, op. cit., p. 63. 24. Wilhelm Dilthey, « Discours du 70 e anniversaire », L'Édification du monde historique dans les sciences de l'esprit, op. cit., p. 34. 25. Wilhelm Dilthey, Bernhard Groethuysen, Georg Misch, Karl Joel, Eduard Spranger, Julius von Wiener, Hans Driesch, Erich Adickes, Hermann Schwarz, Hermann Graf Keyserling, Paul Natorp, Georg Simmel, Georg Wobbermin, Paul Deussen, Carl Güttler, Arthur Bonus, Bruno Wille, Ernst Troeltsch, Julius Kaftan, Max Frischeisen-Köhler, Weltanschauung, Philosophie und Religion, Berlin, Reichl und Co, 1911, 485 p. 26. Klaus Große Kracht, Zwischen Berlin und Paris, op. cit., p. 76. 27. Sur Alix Guillain, voir le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. 31, sous la direction de Jean Maitron, Paris, Éd. ouvrières, 1985, 36 vol. 28. Klaus Große Kracht, Zwischen Berlin und Paris, op. cit., p. 80. 29. Anne Heurgon-Desjardins, Paul Desjardins et les Décades de Pontigny, Paris, PUF, 1964, 416 p. et François Chaubet, Paul Desjardins et les Décades de Pontigny, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2000, 327 p. 30. Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la petite dame, 1918-1919, Paris, Gallimard 1973, 461 p., p. 405. 31. Texte traduit dans l'anthologie de Bernard Dandois, Philosophie et histoire, op. cit., p. 175-217. 32. Max Weber, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, trad. Jacques Chavy, Paris, Plon, 2e éd corrigée, 1967, 341 p., avant-propos, p. 11. L'édition scientifique de L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme suivi d'autres essais proposée entre-temps par Jean-Pierre Grossein, Paris, Gallimard, 2003, 531 p., est désormais l'outil indispensable pour restituer le livre dans le champs problématique de son époque. 33. Max Weber, op. cit., trad. J. Chavy, p. 31-43 ; trad. J.-P. Grossein, p. 1-20. 34. Citons parmi d'autres : Ernst Troeltsch, Die Bedeutung des Protestantismus für die Entstehung der modernen Welt, München, R. Oldenbourg, 1911, 103 p., d.m., Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1912, 994 p., Werner Sombart, Der Bourgeois. Zur Geistesgeschichte des modernen Wirtschaftsmenschen, München, Duncker und Humblot, 1913, VII-540 p., Rachfahl, « Kalvinismus und Kapitalismus », Internationale Wochenschrift für Wissenschaft, Kunst und Technik, 3, 1909 et 4, 1910. Voir la bibliographie des ouvrages cités par Max Weber dans l'édition scientifique de Max Weber, L'Éthique protestante, op. cit., éd. Jean-Pierre Grossein, p. 481-493. 35. Voir l'anthologie de Philippe Besnard, Protestantisme et capitalisme, Paris, Armand Colin, 1970, 426 p. 36. Hector Meinteith Robertson, Aspects of the Rise of Economic Individualism. A Criticism of Max Weber and his School, London, Cambridge University Press, 1933, 223 p. 37. Klaus Große Kracht, Zwischen Berlin und Paris, op. cit., p. 46 ss. 38. Otto von Gierke, Johannes Althusius une die Entwicklung der naturrechtlichen Staatstheorien. Breslau, W. Koebner, 1880, 322 p. 39. Georg Jellinek, Die Erklärung der Menschen und Bürgerrechte. Ein Beitrag zur modernen Verfassungsfgeschichte, Leipzig, Duncker und Humblot, 1895, 53 p.

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40. Lettre de Groethuysen datée de 1904 à Dilthey citée in extenso par Hannes Böhringer, Bernard Groethuysen, op. cit., p. 42-43. 41. Vorwort, Die Entstehung, op. cit., I, p. 7-19 ; Einleitung, Die Entstehung, op. cit., II, p. 7-15 ; Das jansenistische Gottesbewusstssein und die Neuzeit, Die Entstehung, op. cit., I, p. 176-182 ; Die Theologen als Erzieher des Bürgertums, Die Entstehung, op. cit., II, p. 48-74 ; Der neue Menschentypus, Die Entstehung, op. cit., II, p. 210-217. Nous citons l'édition Suhrkamp en deux volumes : Die Entstehung der bürgerlichen Welt – und Lebensanchauung, Bd. I, Das Bürgertum und die katholische Kirche, Bd. II, Die Soziallehren der katholischen Kirche und das Bürgertum, Frankfurt-sur-le- Main, 1978, 356 et 321 p. Alix Guillain a traduit la première introduction (à l'exception du dernier paragraphe) et le chapitre sur le jansénisme. Ces deux textes ont été publiés, le premier sous le titre « Expérience sociale et idéologie, fragment inédit sur l'esprit bourgeois », dans la revue Arguments dirigée par Kostas Axelos et Edgar Morin, 4 (20), 1960, p. 55-58, et le second sous le titre « Lutte suprême des jansénistes pour sauver le Dieu ancien » dans les Cahiers du Sud, 305, 1951, p. 41-61. 42. « Der neue Menschen Typus », Die Entstehung, op. cit., II, p. 210-217. 43. Lettre à Jean Paulhan en guise de nouvelle préface à la traduction française, Origines, op. cit., p. VII. 44. Vorwort, Die Entstehung, op. cit., I, p. 15 45. « So bildet sich das bürgerliche Klassenbewusstsein. Der neue Wirtschaftstypus, wie er sich in den alten Lebensformen nicht entwickeln konnte, erhält seine geistige Bedeutung und Umgrenzung ; er wird zu dem Vertreter einer besonderen in sich charakterisierten und immer wieder im Gegensatz zu anderen, religiös bedingten Vorstellungsweisen erlebten Einstellung gegenüber Welt und Leben, einer selbständigen bürgerlichen Ideologie, für deren Gestaltung und Ausbildung das Verhältnis des Bürgertums zur Kirche von entscheidender Bedeutung gewesen ist. », I, p. 17-18. « Expérience sociale et idéologie », (traduction d'Alix Guillain), Arguments, 4, 1960, p. 56-59. 46. « Autrement dit, le bourgeois est pour moi un type humain, plutôt que le représentant d'une classe sociale », Sombart, Der Bourgeois, op. cit., p. 11. 47. Origines, op. cit., p. 31 48. Id., p. 31 49. Id., p. 32 50. Id., p. 32 51. Id., p. 190 52. François-Léon Réguis, La Voix du Pasteur, Paris, Claude Blevel, 1766, 2 vol. (multiples éditions jusqu'à la fin du XIXe siècle). 53. Le P. Vincent Houdry, La Bibliothèque des prédicateurs, Lyon, 1712-1724, 8 vol. (multiples éditions jusqu'au XIXe siècle). 54. Abbé Nicolas-Jérôme Le Cousturier, Discours prononcés en différentes solennités de piété, Paris, Brocas et Humblot, 1764, 313 p. 55. Les Avocats des pauvres, Paris, Francart, 1814, 2 vol. 56. Jules Candel, Les Prédicateurs français dans la première moitié du XVIIIe siècle, Paris, 1904, ou Maurice Magendie, La Politesse mondaine et les théories de l'honnêteté en France au XVIIe siècle, de 1600 à 1660, Paris, A. Picard et fils, 1904, 694 p. 57. Il en existe plusieurs éditions différentes de 1714 à 1721. 58. Sur ce point, voir le livre récent de Didier Masseau, Les Ennemis des philosophes : l'antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, A. Michel, 2000, 451 p. 59. Groethuysen reste flou sur la date du tournant : son XVIIIe siècle est très étendu. 60. Félicité-Robert de Lamennais, Œuvres complètes, 1836-1837, t. V, p. 46. 61. Bernard Groethuysen, Origines, op. cit., p. 35.

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62. Ce point épineux de l'échec des jésuites n'est malheureusement pas autrement analysé. Les développements sur les jésuites sont du reste considérablement abrégés dans la version française. 63. Chapitre traduit par Alix Guillain : « Lutte suprême des jansénistes pour sauver le Dieu ancien », Cahiers du Sud, 305, 1951, p. 47. 64. Groethuysen, Origines, op. cit., p. 128. 65. « Die Theologen als Erzieher des Bürgertums », Die Entstehung, op. cit., t. II, p. 48-84. 66. Supplément de la Revue de métaphysique et de morale, 40, 1933, p. 8. 67. Hector Menteith Robertson, Aspect of the Rise of Economic Individualism, op. cit. 68. Nouvelle Revue française, 29, juillet/décembre 1927, p. 534-540. 69. Id., p. 539. 70. Europe, 14, 15 juin 1927, p. 286. 71. Revue de l'Institut de sociologie, 7, juillet/septembre 1927, p. 601. 72. La Revue européenne, 1929, p. 1413. 73. Deutsche Literaturzeitung, 9, 1928, p. 427-431, repris dans Etica e politica, Milano, Adelphi, 1994, 486 p. 74. Revue de synthèse, 51, juin 1931, p. 267-269. 75. Revue marxiste, 1, 1929, p. 115-117. 76. Zeitschrift für Rechtphilosophie in Lehre und Praxis, 6, 1932, p. 95-99. 77. Franz Borkenau, Der Übergang vom feudalen zum bürgerlichen Weltbild. Studien zur Geschichte der Philosophie der Manufakturperiode, Paris, F. Alcan, 1934, xxx-559 p. 78. Les critiques sont intégrées dans Le Dieu caché, Paris, Gallimard, 1955, 454 p. Voir également de Roland Mousnier, La Plume, la faucille et le marteau : institutions et société en France du Moyen Âge à la Révolution, Paris, PUF, 1970, 404 p. La thèse de Ritchey Newton, La Sociologie de la communauté de Port-Royal, histoire, économie, Paris, Klinsieck 1999, 248 p., confirme la prédominance de familles robines gravitant autour du monastère de Port-Royal.

AUTEUR

CATHERINE MAIRE

CNRS / CRH-Care

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Réception et fortune historiographique des origines de l’esprit bourgeois

Bernard Hours

1 Il est banal de rappeler que les « années folles » révélèrent une crise profonde de la civilisation bourgeoise, préparée dès la « belle époque », précipitée par l'absurdité monstrueuse du premier conflit mondial et alimentée par l'impact de la révolution bolchevique. Au cours de cette période, le débat intellectuel en France fit un large écho à ce qui fut dès avant-guerre « une des préoccupations majeures du mouvement des idées en Allemagne » : « le problème de la naissance de l'homme moderne, du bourgeois »1. On s'interrogeait donc sur l'identité du bourgeois : provocation réactionnaire sous la plume d'un René Johannet en 19242, spéculation plus libre dans l'atmosphère unique de Pontigny en 1929, sous les auspices de Paul Desjardins3. À la même époque, comme l'a déjà rappelé Catherine Maire, paraissaient « toute une série d'ouvrages sur la genèse du capitalisme moderne : Henri Sée, Les Origines du capitalisme moderne, et Richard Henry Tawney, Religion and the Rise of capitalism en 1926, Henri Hauser, Les Débuts du capitalisme, l'année suivante 4 ». C'est dans ce contexte que Groethuysen publia en 1927 les Origines de l'esprit bourgeois. Même s'il ne les citait jamais dans son livre, il n'ignorait certainement pas les travaux plus anciens de Weber ou de Sombart. Mais s'il avait écrit à une autre époque, il n'aurait sans doute pas abusé à ce point du terme de « bourgeois » qui a indisposé plus d'un lecteur, à l'instar de Henri Mazel : Je persiste à regretter qu'il ait introduit dans son titre ce mot bourgeois qui lui a été plus nuisible qu'utile5. 2 La version française dont il sera question ici, demeure une œuvre tronquée par les soins de l'auteur lui-même, par rapport à l'édition allemande en deux volumes6 ; du moins le deuxième volume auquel Groethuysen travaillait pour l'édition française n'a-t-il jamais vu le jour. Il n'en était pas moins légitime de consacrer une journée d'étude à cet ouvrage, principalement dans sa version française, et ce pour deux raisons au moins. Écrite il y a trois quarts de siècle dans un contexte très différent du nôtre, il demeure

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une référence, un « classique », quelles que soient les nombreuses critiques que l'on peut lui objecter à juste titre. Enfin, c'est à partir de cette version française que semblent avoir été publiées la plupart des traductions : en espagnol (Mexico, 1943), en italien (Turin, 1949).

3 Cette forme tronquée contribue à lui conférer un caractère déroutant par son introduction démesurée et une apparence inachevée par l'absence de toute conclusion. L'impression de déséquilibre s'étend à l'écriture elle-même qui s'efface souvent derrière l'abondance de citations, que Raymond P. Hawes, dans sa recension impartiale et objective de la Philosophical Review, jugea néanmoins excessive et redondante 7. De la même manière, Bernard Faÿ estima que « vouloir multiplier les exemples, c'est se vouer à n'en donner aucun qui soit probant. C'est de plus tuer un livre en le rendant illisible » 8. Et pourtant, cette version ayant été voulue par son auteur, on ne peut douter qu'il lui ait conféré une cohérence. Et c'est bien ainsi qu'il est devenu un classique de l'historiographie française ; rarissimes ceux qui l'ont lu dans sa version allemande en deux volumes : aucun historien ne la cite dans sa bibliographie9. 4 À y regarder d'un peu plus près, c'est un classique qu'on ne connaît pas toujours très bien. N'est ce pas le propre des « classiques » ? Il n'en demeure pas moins que la fréquence de la mention des Origines dans les bibliographies demeure tout à fait disproportionnée par rapport à son exploitation réelle par les auteurs. Mais il est vrai que ce livre transcende les champs disciplinaires précis et que le philosophe, comme l'historien, le sociologue ou le littéraire peuvent y trouver du grain à moudre. Autre caractéristique du « classique » : depuis sa publication en 1927, chaque génération a éprouvé le besoin de le rééditer : la première fois en 1956, la deuxième en 1977. Et, des dix-mille exemplaires de cette dernière édition – nombre déjà remarquable – plus des trois quarts ont été vendus10. Ces deux dates correspondent d'ailleurs en gros au renouvellement des générations aux Annales : au retrait de Lucien Febvre d'abord, à celui de Fernand Braudel ensuite. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Origines avaient acquis droit de cité parmi les historiens, mais l'ouvrage était épuisé et difficile à trouver : la réédition de 1956 répondait à une attente. À la fin des années soixante-dix, la deuxième réédition apparaissait plutôt comme un hommage de l'anthropologie historique religieuse au précurseur trop longtemps méconnu. Le temps serait-il venu pour la génération actuelle de s'acquitter d'un devoir pieux ?

La réception des Origines à la fin des années vingt

5 La fortune historiographique des Origines, même si elle n'en dépend pas complètement, a sans doute été tributaire de l'accueil que le livre a reçu à la fin des années vingt. Ce ne sont pas les historiens qui, alors, lui ont prêté le plus d'attention11. D'après les repérages de Hannes Böhringer12, complétés par mes soins, la version française a fait l'objet d'une dizaine de recensions, dont une en allemand dans le Litterarischer Handweiser. Le chiffre peut paraître tout à fait honorable, même pour un ouvrage destiné à devenir un « classique ». Trois de ces recensions paraissent dans des revues destinées à un public cultivé mais non spécialisé, au sens universitaire du terme : le Mercure de France, dans sa livraison du 15 décembre 1927, six semaines après la Nouvelle Revue française qui se devait d'ouvrir le bal… L'année suivante, la très catholique Revue des lectures le classe comme un livre « convenant à tous », et en 1929, dans la Revue européenne, Bernard Faÿ malgré ses réserves sur la forme, en recommande la lecture,

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non sans détourner le propos général de Groethuysen, puisqu'il fait de « l'esprit bourgeois […] l'annonce et la préparation du marxisme, du matérialisme historique et de toutes les théories qui alimentent aujourd'hui les diverses formes du socialisme » !

6 Faut-il ranger dans cette même catégorie la Revue marxiste dans le premier numéro de laquelle Jean Bruhat regrette la timidité et l'insuffisance des analyses de Groethuysen ? Celui-ci, en effet, n'a pas vu que l'opposition Église / Bourgeoisie en masquait une autre plus fondamentale : l'opposition entre féodalisme et capitalisme. Il se condamnait à cet aveuglement dès lors qu'il ne donnait aucune définition précise du concept de « bourgeois », hésitant perpétuellement entre la bourgeoisie comme classe sociale précisément identifiable et la bourgeoisie comme notion morale (que Bruhat réduit très abusivement à l'esprit du « philistin » ou du « petit boutiquier garde national »). Du moins ce compte rendu est-il un des plus longs qui ait été consacré au livre avec celui de Daniel Halévy dans la NRF13. 7 Ce sont ensuite les philosophes et les sociologues qui se sont intéressés à l'ouvrage. En premier, la Revue de l'Institut de sociologie de Bruxelles, dans sa livraison du troisième trimestre de l'année 1927. La recension est longue et reprend méticuleusement la démonstration de Groethuysen. Le processus interne qui produit le bourgeois est clairement mis en évidence à la fois comme rupture puisque le bourgeois était peuple avant de devenir bourgeois, et comme émancipation intérieure réalisée au terme d'une double évolution : une diminution de la foi et un rétrécissement du champ d'application de la foi. Deux ans plus tard, dans la Philosophical Review, Raymond P. Hawes émet encore deux réserves en plus de celle que j'ai déjà mentionnée : d'abord sur l'absence de toute référence aux philosophes des Lumières (ce qui n'est pas tout à fait exact), ensuite sur le flou conceptuel dans lequel Groethuysen laisse la notion de bourgeoisie. Il est vrai qu'il pouvait paraître bien audacieux d'aller chercher la définition de l'esprit bourgeois dans le reflet qu'en transmettent les prédicateurs et les moralistes catholiques, alors même qu'il paraissait convenu, en particulier sous l'influence du marxisme, que la philosophie des Lumières traduisait justement au niveau des superstructures la montée en puissance de la bourgeoisie comme classe. 8 Plus subtilement, le reproche affleure aussi dans la superbe recension donnée par Daniel Halévy à la Nouvelle Revue française dans sa livraison du 1 er octobre 1927. L'hommage rendu à l'auteur est chaleureux : Un écrivain, un véritable écrivain, né allemand, nourri de la France, a mêlé la sève des deux cultures, des deux races ; de cette double sève, il produit une pensée, une œuvre. Il y a là-dedans quelque magie… Tout être est capable d'une certaine vibration qui lui est propre : celle de M. Bernard Groethuysen produit une sorte de joie, qui est liée à un exercice très intense des facultés analytiques. Assurément il y a un secret dans une destinée si singulière14. 9 Mais la critique amicale ne tarde pas à percer le vernis de l'admiration. Halévy « soupçonne ce bourgeois qui conteste avec son curé, d'avoir lu et de réciter » Voltaire et Rousseau. Plus historien que Groethuysen, il lui rappelle, avec certes quelque approximation qu'il n'y a pas lieu d'examiner ici, que l'« honnête homme » est d'abord né de la littérature de cour et des traités de civilité aristocratiques. Nous verrons plus loin que la pierre d'achoppement demeure la définition même du bourgeois dont Groethuysen évacue, à tort selon Halévy, toute dimension de mystère. Au fond, c'est bien la méthode elle-même que Halévy suspecte : même s'il prend plaisir à « s'asseoir au prêche » aux côtés du « Français moyen », et même s'il prophétise avec justesse qu'après Groethuysen « plus d'un historien ira lire les sermons de ce curieux M.

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Réguis », il ne peut s'empêcher de suggérer que Groethuysen, moraliste qui « s'apparente aux grands Allemands attentifs à nos écrivains classiques, les Schopenhauer et les Nietzsche », est passé à côté d'une réalité sociologique, la pénétration de la philosophie des Lumières dans la bourgeoisie, dans une certaine bourgeoisie. La méthode pourtant ne choque pas la Revue de métaphysique et de morale qui, en 1933, non seulement en souligne l'originalité mais n'hésite pas à la considérer comme « des plus sûres ». L'auteur du compte-rendu est particulièrement sensible aux concessions de l'Église à l'esprit bourgeois par la réhabilitation de l'honnête aisance.

10 À ce point de notre enquête, les historiens n'ont pas encore pris la parole. En fait, ils semblent s'être cantonnés dans une prudente réserve. Je n'ai repéré que deux recensions émanant de la corporation : celle de Roger Picard, professeur à la faculté de droit de Lille, et celle d'Émile Coornaert dans la Revue de synthèse en 1931 : « Peut-être n'est-il pas trop tard, écrit-il en guise d'excuse, pour parler du livre de M. Groethuysen »15. Tous deux s'accordent à souligner la finesse et le caractère pénétrant du livre. Mais tandis que Picard, dans sa notice brève16, l'inscrit dans la continuité de Sombart, Coornaert se sent « assez loin des traits parfois aventurés, mais toujours incisifs » de l'économiste allemand : « l'impression d'ensemble manque de netteté ». À son tour, il s'avoue gêné par l'absence d'une véritable définition du bourgeois. Dans une rafale d'interrogations, il relève avec acuité les points faibles des Origines, en particulier l'idée que la naissance du monde nouveau serait l'œuvre exclusive de la bourgeoisie et que l'opposition jansénistes/jésuites refléterait ce conflit entre tradition et modernité. Mais Coornaert isole bien l'objet central du livre dont il relève tout l'intérêt : l'analyse de la transformation de « l'ancienne société, pénétrée de religion, en une société laïque ». Le silence des autres revues historiques demeure assourdissant. Rien, pas même l'indication de la publication du livre ni sa mention parmi les livres reçus, dans les grandes revues de l'époque : Revue historique, Revue des questions historiques, Revue des études historiques, Revue d'histoire moderne, Annales historiques de la Révolution française, Revue historique de droit français et étranger. Et l'intérêt ne semble pas beaucoup plus grand chez les historiens de la littérature : Daniel Mornet qui publiera en 1933 les Origines intellectuelles de la Révolution française n'éprouve pas même le besoin de signaler le livre dans la Revue d'histoire littéraire de la France dont il est pourtant un critique très productif durant cette période. 11 Tout aussi tonitruant, le silence des revues d'histoire religieuse. La Revue d'histoire de l'Église de France se contente de signaler la publication dans le troisième numéro de l'année 1927, tandis que la Revue d'histoire de l'Église le cite dans son bulletin bibliographique en 1928. Elle ne prend pas grand risque en indiquant également les recensions parues dans le Historische Zeitchrift et dans la Deutsche Litteratur zeitung, d'autant plus qu'il s'agit très probablement dans ce cas de la version allemande et plus complète du tome I. Rien dans la Revue des sciences religieuses, dans la Revue d'histoire et de philosophie religieuse, dans la Revue d'histoire des religions, dans la Revue d'ascétique et de mystique. Aussi remarque-t-on avec intérêt les quelques lignes qu'Émile Poulat consacre à la première réédition du livre dans les Archives de sociologie des religions en 1957, trente ans plus tard ! Il rend grâce à Gallimard d'avoir « redonné cette oeuvre d'anthropologie sociale désormais classique et depuis longtemps introuvable »17. Même les revues à plus large public semblent ignorer superbement l'ouvrage : aussi bien le Correspondant que les Études, ce qui ne signifie pas que les Jésuites ne l'ont pas lu, ainsi que nous le verrons plus loin.

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Un livre original ?

12 Ainsi, la dizaine de recensions cache mal un certain scepticisme à l'égard d'une œuvre appelée cependant à devenir une référence dans l'historiographie religieuse contemporaine. Rendre compte de ce paradoxe relève un peu de la gageure. Sans doute le propos tranchait-il par son originalité sur l'ensemble de la production historique d'alors, tout particulièrement en matière d'histoire religieuse. D'emblée Groethuysen se situe en dehors de toute perspective cléricale. Les thèmes et la manière de les aborder sont neufs : le sentiment de la mort, le péché, la représentation de Dieu, l'attitude face à l'argent et au profit, etc… Certes, à la même époque, Henri Bremond achève son Histoire littéraire du sentiment religieux. Comme Groethuysen, il use sans retenue de la citation, mais la ressemblance entre les deux ouvrages ne va pas au-delà de cette apparence formelle. Bremond analyse des auteurs spirituels, et même dans le neuvième et antépénultième volume consacré à la Vie chrétienne, il n'adopte pas du tout le même point de vue puisqu'il se livre à une étude littéraire des dévotions majeures de la Réforme catholique. D'ailleurs les deux auteurs s'ignorent superbement, du moins dans leurs références explicites. Mais le plus surprenant n'est pas la faible audience apparente des Origines dans les milieux de l'histoire religieuse. À cette époque l'histoire du catholicisme demeure encore une citadelle cléricale que les bataillons de l'université laïque contournent sans l'investir, laissant seulement quelques sentinelles aux points stratégiques pour justifier qu'elles ne dédaignent aucun domaine de la connaissance historique. La Revue de l'histoire de France créée à la veille de la Grande Guerre rassemble clercs et chanoines érudits. Dans cette histoire du clergé par le clergé, les Origines ne pouvaient guère trouver leur place.

13 Bernard Groethuysen était un philosophe allemand sans lien avec les milieux cléricaux. S'il avait reçu dans sa jeunesse une formation religieuse dont témoigne sa confirmation en 189518, il n'était évidemment pas un auteur catholique et, même sans dévoiler ses options personnelles, son écriture manifestait une totale indifférence à toute perspective confessionnelle. Très proche de la NRF, lié à Gide, Baruzi ou Paulhan, en contact avec le parti communiste ne serait-ce que par l'intermédiaire de sa compagne Alix Guillain, connu pour communiste « de pensée et de cœur »19 par ses proches, Groethuysen n'avait guère de quoi se recommander à cette époque auprès des revues religieuses de spiritualité ou d'histoire. Et sa fréquentation des Décades de Pontigny ne pouvait pas non plus amadouer un clergé peu enclin à tant de liberté intellectuelle, après la liquidation du modernisme et au moment de la condamnation de l'Action française. C'est aussi pourquoi certains silences demeurent plus surprenants, comme celui de la Revue d'histoire des religions, au point de vue délibérément non confessionnel. 14 La démarche de Groethuysen recelait également une nouveauté radicale au niveau du discours historique, et même une méthode éminemment contestable à l'aune de la formation universitaire. En effet, Groethuysen place un miroir devant l'œil du prédicateur pour y capter l'image du bourgeois qui s'est dessinée sur sa rétine : le livre est ainsi fondé sur un double jeu de reflets qui n'est pas sans rappeler à la fois le mythe de la caverne et l'ironie socratique. D'autre part, tout en analysant le processus par lequel le bourgeois s'affirme autonome par rapport à l'Église, il n'a pas le souci d'en identifier les étapes ni d'en établir une chronologie. Au contraire, il jongle avec les époques, n'hésitant pas à enfiler les unes aux autres des citations issues de périodes

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relativement éloignées et surtout produites dans des contextes différents. Enfin, tout en cherchant à définir cet « esprit bourgeois », il n'en clarifie pas l'ancrage sociologique à une époque où la sociologie entre dans le champ de l'histoire universitaire en France : les Annales sont fondées par Marc Bloch et Lucien Febvre deux ans après la publication des Origines. Comme l'écrira trente ans plus tard Émile Poulat, Groethuysen réalise plutôt une « oeuvre d'anthropologie sociale »20, mais l'anthropologie historique n'est pas encore née en France, en cette fin des années vingt. Bien des circonstances concourent donc à expliciter le silence des historiens lors de la publication des Origines. 15 Il n'en reste pas moins que le projet de Groethuysen était bien de nature historique. En premier lieu, il posait la question des origines, non pas dans une perspective métaphysique, mais bel et bien historique puisqu'il les situait dans un très large dix- huitième siècle. Que ce dernier soit assez vaguement déterminé et que de nombreux auteurs du dix-septième siècle soient appelés à la rescousse, ne modifie rien à cette perspective : un changement décisif s'est produit au dix-huitième siècle et Groethuysen veut produire au grand jour ce processus tel qu'il s'est déroulé dans la conscience même du bourgeois. Cette enquête n'était qu'une première étape d'une entreprise beaucoup plus vaste et beaucoup plus ambitieuse : ces origines devaient permettre d'en comprendre d'autres, celles de la Révolution française qui retenait l'attention de Groethuysen depuis 1904. L'association d'un questionnement historique et d'une démarche philosophique n'avait évidemment rien de surprenant de la part d'un universitaire allemand lui même formé à l'école d'un Dilthey qui avait prôné la complémentarité des deux disciplines. Elle était incontestablement beaucoup plus déroutante pour les historiens français. 16 Cette étrangeté radicale résultait aussi probablement, comme l'a très justement souligné Bernard Dandois, de l'influence de la phénoménologie bien que Groethuysen n'en utilisât pas les concepts ni le vocabulaire. Sa méthode repose sur un aveu d'impuissance qui résonne en fait comme un postulat, voire comme une revendication qui va l'autoriser à ériger la prédication religieuse en miroir d'un sujet qu'il ne veut pas entendre directement comme s'il craignait d'être piégé par son discours. Ce postulat est simple : on ne peut accéder directement à ce que pense le bourgeois, car celui-ci est d'abord préoccupé de vivre et d'agir : primum vivere. Manière élégante d'évacuer tout le discours philosophique des Lumières comme expression de l'ascension bourgeoise. Le bourgeois de Groethuysen est un existentialiste qui s'ignore, ce qui justifie le détour méthodologique des Origines : il faudra le saisir par sa seule apparence encore accessible à l'historien, le reflet que les discours produits à son sujet veulent bien nous transmettre. Le bourgeois est donc bien appréhendé comme un phénomène, mais d'une manière qui semble exprimer le désir de se libérer de représentations trop convenues, de répondre au sentiment d'insuffisance d'un système explicatif. 17 On ne peut échapper ici à la question de l'influence de Dilthey sur Groethuysen. La méthode de Dilthey, écrit Catherine Maire, consiste à ne pas se contenter de l'idée considérée en elle-même mais d'essayer de la saisir comme partie d'un tout vivant, lui rendre en quelque sorte ce caractère de vie qu'elle avait perdu en devenant quelque chose d'abstrait…cette idée d'une interprétation qui ressusciterait en quelque sorte la pensée en lui rendant le caractère de vitalité qu'elle avait à son époque, Groethuysen en fait remonter l'origine chez Luther, dans cette volonté de se pénétrer de l'histoire sainte, par conséquent de chercher une interprétation exacte des textes bibliques.21

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18 Mais est-ce bien la méthode de Groethuysen dans les Origines ? Son bourgeois n'est pas une idée réinvestie de la dynamique du vivant. Si tel avait été le cas, Groethuysen aurait mis en rapport la vitalité bourgeoise avec une philosophie exprimant ses aspirations, de la même manière qu'il avait pu souligner chez Luther la volonté de se « pénétrer de l'histoire sainte ». Or, il l'affirme avec force dans sa lettre-préface à Jean Paulhan : Les philosophes nous ont dit bien des choses sur les origines de l'univers et sur la destinée de l'homme, et rien ne semble d'abord nous empêcher d'y rechercher l'expression de l'esprit bourgeois, mais je me méfie un peu de leurs systèmes. J'y vois des mondes de toutes sortes, bien différents entre eux. Le bourgeois ne vit dans aucun de ces mondes. Il a son chez-soi et s'y est installé. C'est lui qui se l'est aménagé ; c'est son œuvre. Les philosophes ensuite l'ont interprété à leur manière, et leurs interprétations, certes, sont fort instructives pour nous le faire connaître, mais c'est toujours à l'œuvre même qu'il faut remonter, ne fût-ce que pour bien comprendre les philosophies22. 19 Comme il l'écrit encore, Groethuysen entend « renverser l'ordre des questions », à l'image même de son bourgeois. C'est de la dynamique du vivant qu'il partira, et en cela les Origines participent de ce vitalisme évoqué par Catherine Maire : Commençons toujours par le « je vis », ainsi seulement nous saisirons la vraie gradation des valeurs bourgeoises, et la marche de la pensée moderne. 20 Mais dans les Origines c'est bien seulement aux manifestations de ce « je vis » bourgeois, que Groethuysen s'arrête comme porteuses en elles-mêmes de valeurs existentielles cohérentes et autonomes avant même leur transposition en concepts et en systèmes. Et c'est l'ensemble de ces valeurs implicites que Groethuysen constitue en « idéologie » bourgeoise, valeurs revendiquées par les actes que pose le bourgeois tout au long d'une existence faite d'assurance, de confiance en soi et de prévoyance. Cette idéologie n'est pas faite d'idées. Dans cette perspective, la foi ne peut plus être pour le bourgeois que « quelque chose qui s'ajoute à la vie, qui ne modifie pas son acquis profane »23. Alors que pour le « peuple », elle demeure sans doute idéologie et ciment de la collectivité, les valeurs portées par l'existence du bourgeois lui permettent de prendre conscience de son appartenance à un groupe spécifique et distinct.

21 En d'autres termes, c'est bien à pénétrer la conscience du bourgeois que s'attache Groethuysen et c'est en cela que sa démarche n'est pas sans parenté avec la méthode phénoménologique, à commencer par son rejet des systèmes philosophiques qui exprimeraient l'idéologie bourgeoise, pour s'attacher d'abord à voir, décrire et comprendre le bourgeois lui-même. N'est-ce pas revendiquer cette « radicale probité de pensée » à laquelle Husserl entendait « former la jeunesse » ? Plus profondément, Groethuysen se livre à une tentative de saisie de l'intérieur, qui rappelle fortement l'Einfühlung qui était au cœur des préoccupations de l'école phénoménologique allemande, cette démarche de connaissance rationnelle, et non pas affective ou émotionnelle, par laquelle j'acquiers « l'expérience de la conscience d'autrui ». Par sa formation, Groethuysen a connu ces débats. Quand Edith Stein, pour sa thèse sur l'Einfühlung, eut à reprendre toute la littérature antérieure sur ce sujet, il lui fallut justement remonter à Dilthey dont Groethuysen avait été l'élève à Berlin. Les Origines s'enracinent aussi, pour leur démarche cognitive, dans la participation de Groethuysen aux séminaires de psychologie de cette université en 1901-1903 ; elles font écho sans doute à son premier article paru en 1904 et qui avait pour sujet un concept proche : « Das Mitgefühl »24. Il n'est pas indifférent non plus qu'un an après la publication des Origines, il donne une notice sur Max Scheler à la Nouvelle Revue française.

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Une intégration tardive dans la culture historique

22 À regarder de plus près, l'écho réel du livre dans l'historiographie religieuse contemporaine ne semble pas proportionnel à sa réputation de « classique ». Bien souvent, il n'apparaît qu'en référence bibliographique. À dire vrai, c'est même le cas le plus fréquent. En témoigne notamment la « Nouvelle Clio » consacré par Jean Delumeau au Catholicisme entre Luther et Voltaire, ou, mieux encore, le quatrième volume de la Nouvelle Histoire de l'Église qui cite l'édition allemande en deux volumes 25. On utilise également les Origines comme réserve de citations, ce qui ne signifie pas une approbation implicite de la problématique mise en oeuvre par Groethuysen, mais témoigne de la reconnaissance de bien des historiens contemporains pour la manière dont il a débroussaillé certains sujets et posé d'emblée les questions fondamentales qu'ils suscitent. Ainsi Marc Venard, dans le chapitre du tome IX de l' Histoire du christianisme intitulé « La morale chrétienne et l'ordre social », lui emprunte une citation du P. Houdry sur la morale des états de vie qui comportent tous leur chemin vers la sainteté26, et un propos de Vauvenargues sur le bonheur27, révélateur du long processus d'émancipation de la morale vis-à-vis du christianisme : deux brèves références certes, mais qui évoquent la préoccupation centrale de Groethuysen.

23 Plus exemplaire encore, le cas de Jean Delumeau qui a travaillé à partir de la réédition de 1956. Dans Le Péché et la peur, il lui emprunte une dizaine de citations, principalement des auteurs jansénistes ou rigoristes, à commencer par Arnauld et Nicole, mais surtout, il renvoie explicitement à une vingtaine de pages des Origines, consacrées à l'exploitation terroriste de la pastorale de la mort. On ne sera guère surpris qu'il ait été particulièrement sensible à des lignes telles que celles-ci : S'inspirant de la vision de la mort, les prédicateurs voudraient faire trembler leurs auditeurs, ils renchériront l'un sur l'autre pour anticiper sur les horreurs qui attendent les damnés dans l'enfer, et quand ils auront donné à leur imagination tout son essor, ils diront que ce n'est pas encore assez, que leur peinture n'est qu'une faible image de la réalité28. Comme Groethuysen, Jean Delumeau à son tour a été vivement impressionné par la violence des images développées par les prédicateurs de la Réforme catholique Mais l'insistance avec laquelle tous deux la soulignent ne s'inscrit pas dans la même perspective. Groethuysen rebondit aussitôt sur la réaction de scepticisme qu'une telle outrance aurait immanquablement provoquée : ce qui est exagéré est insignifiant, du moins le discours devient-il moins convaincant ; l'enfer « devient de la littérature », pur exercice rhétorique ou véritable jeu avec leurs règles obligées : « on saura jouir des terreurs mêmes, […] s'amuser aux dépens de Dieu et du diable ». À leur insu, les prédicateurs auront opéré une véritable catharsis : ils auront « délivré [les cœurs] de certaines angoisses, précisément en voulant les réveiller trop inconsidérément ». Au contraire, Jean Delumeau reste dans la perspective d'une pastorale globale : d'une part elle amène le fidèle au degré d'effroi indispensable pour qu'il intègre la nécessité d'accomplir les devoirs du chrétien, d'autre part elle promet aussi des consolations auxquelles il a consacré les derniers volumes de son vaste polyptyque, à partir de Rassurer et protéger. 24 L'appropriation explicite et éventuellement la discussion des hypothèses de Groethuysen demeurent donc moins fréquentes. Dès avant la guerre, pionnier ici comme en d'autres domaines, le Père de Dainville avait lu et exploité les Origines qu'il

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avait probablement trouvées dans les bibliothèques de la Compagnie où il avait travaillé pour préparer sa thèse. Mais les pages dans lesquelles il empruntait à Groethuysen sa vision du bourgeois, homme du « je suis », conscient de « la supériorité de son temps sur les siècles qui ont précédé », ces pages n'ont jamais été publiées29. Du moins leur existence éclaire-t-elle de façon intéressante la divergence entre l'indifférence apparente du milieu clérical à l'égard des Origines, et la connaissance bien réelle qu'il pouvait néanmoins en avoir.

25 C'est donc à un ouvrage désormais déclassé que revient, semble-t-il, le mérite d'avoir été l'un des premiers à faire une assez large place aux Origines, et d'avoir accueilli le livre de plain pied dans la bibliothèque de l'historien. Edmond Préclin, dans le premier volume des Luttes politiques et doctrinales au XVIIe et au XVIIIe siècles paru un an avant la première réédition des Origines en 1956, reprend à son compte les analyses de Groethuysen sur la désaffection de la bourgeoisie à l'égard de la morale janséniste sur le prêt à intérêt : Le bourgeois du XVIIIe siècle qui travaille pour gagner de l'argent et s'élever dans la société, ne répond pas à l'idéal du bourgeois selon l'Église et selon les jansénistes, qui travaille par esprit de régularité30. En revanche, dans Jansénisme et prêt à intérêt, René Taveneaux attendra sa conclusion pour emprunter à Groethuysen une simple citation de Quesnel célébrant « l'heureuse impuissance [de l'homme] qui nous force d'attendre tout de Celui sans qui nous ne pouvons rien »31. Préclin réutilise également la démonstration selon laquelle la morale de l'ordre et de la régularité prônée par les jésuites a finalement séduit le bourgeois et l'a conduit à se détourner de la morale janséniste de la probité et de l'honnêteté sur laquelle il aurait aussi bien pu fonder sa grandeur. 26 Mais au fond, cette référence à Groethuysen ressemble beaucoup à une récupération voire un détournement. En effet, dans l'alinéa Prédication et prédicateurs du chapitre sur « La vie chrétienne aux XVIIe et XVIIIe siècles », il puise abondamment dans les citations de Réguis, Fleury ou Cambacérès qui opposent la foi ignorante et solide du peuple au bourgeois raisonneur, stigmatisent l'esprit fort de celui-ci, condamnent l'influence détestable des colporteurs qui diffusent de « misérables brochures ». Certes, il admet la célèbre conclusion de Groethuysen sur la « bourgeoisie sans mystère » qu'il reprend dans ses termes mêmes : C'est un phénomène social d'ordre essentiellement profane, régi uniquement par les lois de ce monde, sans qu'il soit nécessaire pour l'expliquer de remonter plus haut et de faire appel aux conseils de la divine Providence32. Mais il en souligne de manière ambiguë « l'outrance qui n'est pas sans vérité foncière » 33, comme s'il devait en admettre à contrecœur la justesse. La raison de cette réserve apparaît dans le deuxième volume, dans le chapitre que Préclin consacre à La lutte contre l'incrédulité. S'appuyant sur les Origines, il fait de celle-ci la philosophie par excellence du bourgeois : « ses thèses maîtresses, celles de Voltaire, La Mettrie, d'Holbach, se sont vulgarisées, grâce à l'action de brochures et de pamphlets adaptés au goût et aux aptitudes d'un public dont la pensée s'accommode mal des exigences chrétiennes. »34 Si bien que Groethuysen se trouve récupéré pour donner raison à l'apologétique des Lumières qui devinait dans cette évolution une « menace de stérilité pour l'action des prêtres ». Cherchant le bourgeois ou l'incrédule à travers ceux qui le dénoncent, il semble, pour qui se contente d'une lecture superficielle et orientée, donner du crédit au mythe du complot contre la religion, alors même qu'il s'attache à

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décrire un processus interne de sortie insensible de la religion, processus qui s'opère dans la conscience même du bourgeois croyant. 27 Le débat sur la déchristianisation semble avoir oublié les Origines, du moins si l'on s'en tient aux références explicites produites au cours des débats entre historiens dans les années 1960/1970. Dans son rapport fondateur au colloque de Lyon en 1963, René Rémond, tout en centrant son propos sur le dix-neuvième siècle, mettait en avant son souci de « reconstituer l'évolution sur une longue période »35. Son objectif avoué était de « déceler sous la permanence des pratiques, l'érosion des croyances » : n'était-ce pas cette étape précise de la désaffection à l'égard du religieux dont Groethuysen avait voulu mettre en évidence les mécanismes mentaux ? Ces « gens d'une certaine façon » dénoncés par les prédicateurs ne sont pas encore des agnostiques ou des athées militants, ils sont encore dans le giron de l'Église, mais ils revendiquent leur autonomie et ne croient plus de la même manière, ne mettent plus Dieu – du moins le sacré – partout dans leur vie ni dans leur activité. Mais à aucun moment il n'évoque les Origines, pas plus que Jean Delumeau dans la synthèse qu'il a consacré à la problématique de la déchristianisation dans chacune des éditions du Catholicisme entre Luther et Voltaire. Au moment où le débat historiographique sur la déchristianisation a tenté de préciser cette notion, cherchant à la préciser par – ou à lui substituer – les concepts de laïcisation ou de sécularisation, afin de cerner au plus près les divers phénomènes qui entraient en connivence sans revêtir la même signification, il semble pourtant que l'analyse de Groethuysen aurait pu se révéler précieuse. Il avait en effet dessiné avec subtilité le mécanisme qui avait commandé une étape décisive de la « sortie du religieux » : celle qui, alors que l'État n'en finissait pas d'affirmer son autonomie, se jouait désormais à la fois sur le plan collectif d'un groupe social, et sur le plan individuel de l'intériorité des consciences.

Dans les sillages des origines : Goldmann et Namer

28 Il convient de constater le très faible écho donné aux Origines dans l'historiographie du Jansénisme. La raison est sans doute à rechercher pour une part dans l'amputation que Groethuysen lui-même a fait subir à son livre pour l'édition française. Mais Catherine Maire a fait remarquer très justement que si Groethuysen décrivait très bien la manière dont l'augustinisme du XVIIe siècle avait creusé le fossé entre l'homme et Dieu en exacerbant le sentiment du tragique, il ne montrait guère comment les port-royalistes, les figuristes et les convulsionnaires du siècle suivant avaient tenté désespérément de le combler. Aussi, tout en étant bien connues, les analyses de Groethuysen ne se révèlent-elles pas très souvent opératoires pour l'étude du jansénisme.

29 Une place spécifique revient à l'historiographie marxiste, plus accueillante. Lucien Goldmann n'évoque pas une seule fois les Origines dans Le Dieu caché, publié en 1955, un an avant la réédition de Groethuysen. Il en connaît pourtant l'édition allemande et les deux auteurs partagent une même représentation du tragique de la vision janséniste du monde. Dans la monographie qu'il lui consacre, Mitchell Cohen souligne la dette de Goldmann à l'égard de Dilthey, mais curieusement ne mentionne pas Groethuysen dont il indique pourtant la traduction américaine des Origines (1968) dans sa bibliographie 36. Pourtant, Goldmann reconnaît explicitement sa dette à l'égard de Groethuysen, dans un chapitre rédigé en 1960 et repris dans le volume intitulé Structures mentales et création culturelles37. Non seulement il salue cette « étude remarquable » comme une « analyse

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sociologique et phénoménologique », mais il en reprend les étapes principales à l'appui de sa démonstration sur l'individualisme paradoxal des Lumières, doté d'un fort contenu (« la lutte contre l'ancien système social et politique avec ses privilèges périmés, ainsi que la lutte contre l'Église »), mais « pas conscient de sa nature ». Il adhère sans réserve au modèle d'une rupture entre le bourgeois qui a « rationalisé la majeure partie de son existence » et la foi traditionnelle comme élément constitutif des « relations qualitatives entre les hommes et leur environnement social et naturel », foi rejetée par le bourgeois parce qu'elle apparaît pure superstition et obscurantisme au regard de la foi spiritualisée et rationnelle qui tend à se présenter de plus en plus comme une affaire purement individuelle. Rejet du dogme du péché originel, alliance objective des Jésuites et des Lumières contre le pessimisme augustinien des jansénistes qui refusent le monde moderne, mutation du sentiment de la mort, transformation du regard sur la pauvreté et de la conception du devoir charitable, refus de la doctrine économique de l'Église à propos du débat sur le prêt à intérêt : Goldmann utilise les Origines d'autant plus facilement qu'il peut intégrer sans difficulté dans le schéma marxiste qui sous-tend son propos, la définition pour le moins « globale » que Groethuysen donne du bourgeois. 30 En même temps il infléchit le propos général de celui-ci ou plus exactement il l'explicite en partant non pas des prédicateurs hostiles aux « gens d'une certaine façon », mais des philosophes eux-mêmes comme adversaires du christianisme, religion révélée et dogmatique. Il souligne la proximité structurelle entre la philosophie des Lumières et cette nouvelle forme du « croire » bourgeois. Elle résulte d'un [...] processus social qui favorise d'une part le développement d'une pensée laïque et antichrétienne, mais d'autre part aussi celle d'une foi structurellement transformée mais qui garde les formes extérieures du dogme et de la révélation.38 Cette foi est celle du bourgeois qui croit « globalement », et dont les catégories mentales sont identiques à celles des philosophes, de telle sorte que « la seule acceptation de cette base commune décidait déjà de l'issue du combat ». C'est justement sur ce point que Goldmann déplace sensiblement la perspective de Groethuysen : celui-ci prenait en compte le dialogue entre la foi moderne du bourgeois et la foi traditionnelle de l'Église, tandis que Goldmann tend à confondre, bien qu'il s'attache à rendre compte scrupuleusement des Origines, la foi du bourgeois et la philosophie des Lumières qu'il oppose au christianisme : alors même qu'il intitule le premier chapitre de son opuscule « la bourgeoisie chrétienne et les Lumières », il introduit paradoxalement Groethuysen dans le second, sous le titre « La philosophie des Lumières et la foi chrétienne » et finit par escamoter la confrontation analysée par Groethuysen au profit de la deuxième, plus classique et plus assimilable au schéma marxiste. Il conclut sur l'athéisme de Diderot, quand Groethuysen n'avait pas dépassé l'étape de la foi moderne du bourgeois. L'aurait-il dépassée ? Devait-elle absolument, dans le modèle qu'il construisait, aboutir à la sortie totale de la religion, même entendue au sens d'une simple foi individuelle ? L'inachèvement de la gigantesque entreprise à laquelle Groethuysen s'était attelé, laisse la porte ouverte à d'autres modèles : sur cette figure du bourgeois qui croit mais « d'une certaine façon », on peut greffer un courant désormais un peu mieux connu, celui des Lumières chrétiennes ; on peut aussi concevoir la permanence de cette attitude sous la forme d'un anticléricalisme croyant et éclairé. Mais pour cela, il faut élargir l'horizon strictement hexagonal des Origines : le cas français est peut-être spécifique et non pas exemplaire

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d'une évolution du christianisme plus aisément repérable – à ce jour – dans l'espace germanique, anglo-saxon ou même italien. 31 Gérard Namer, élève de Goldmann, a affiné l'analyse de l'ancrage sociologique du jansénisme, que ce dernier affirmait tenir à une bourgeoisie robine souffrant d'un sentiment de « perte d'influence dans l'appareil d'État ». Namer voit dans le second jansénisme qui court de l'affaire de la régale jusqu'à la constitution civile du clergé, [...] l'expression de l'alliance de fractions de la noblesse d'Église et du petit peuple, d'artisans et de paysans à la fois, contre le pouvoir politique royal et contre le pouvoir économique de la bourgeoisie. L'intérêt de Namer est justement de combler cette lacune de l'analyse de Groethuysen à propos du jansénisme du XVIIe siècle, mais il le fait en lui donnant une signification purement socio-économique capable de rendre compte de l'affrontement de classe exprimé par la Révolution française : [...] idéologie de petits curés représentants les artisans et les paysans ruinés à la fois par la noblesse et par la bourgeoisie. Il emprunte cependant à Groethuysen la définition d'une composante essentielle de cette idéologie : le rejet du monde économique nouveau à travers « le refus véhément du prêt à intérêt » ; rejet qui prolonge celui de la rente foncière et celui de la centralisation monarchique « au nom de la liberté chrétienne ». Si l'on prolonge un peu plus la lecture de Namer, l'impression l'emporte qu'il utilise en fait Groethuysen pour articuler son interprétation du second jansénisme à celle que Goldmann avait donnée du premier : ce refus, écrit-il, « retrouve une structure assez analogue au paradoxe économico-politique de la noblesse de robe au début du XVIIe siècle »39. Néanmoins Namer entrevoit des prolongements de ce second jansénisme qui n'entrent guère dans le modèle interprétatif construit par Groethuysen : le « double refus du présent politique et du devenir économique » s'exprimerait à travers « l'individualisme et l'esprit de libre discussion », il conduirait à exalter « la présence de Dieu dans le monde jusqu'en ses aspects d'harmonie sensible dans la nature », ce qui rapprocherait ce mouvement du déisme. Or, Groethuysen martèle avec conviction cette idée que le bourgeois est celui qui n'a plus besoin de Dieu ni de l'idée de Dieu dans sa vie, puisque le monde du bourgeois est le résultat de sa propre création. Certes « l'enfant du siècle » s'accommode fort bien du déisme qui laisse Dieu à sa place et le monde au bourgeois. Mais ce déisme n'est pas une religion naturelle, accessible au sentiment. C'est un partage raisonnable et contractuel entre le bourgeois et Dieu.

Un malentendu sur fond de religion populaire

32 Certains silences ne laissent pas d'étonner, à commencer par celui de la jeune école des Annales. Il s'explique évidemment lorsque l'on connaît la lettre écrite à la fin octobre 1929 par Lucien Febvre à Marc Bloch, citée par François Chaubet dans sa communication : « ce bouquin est illisible, absolument et totalement illisible, sans portée, sans vie, sans accent… »40 et pourtant, qu'une condamnation aussi définitive que sans nuance vienne justement de Lucien Febvre pose problème. Au fond, l'objectif de l'historien de Luther et de Rabelais, que la mort empêcha de mener à terme l'Introduction à la France moderne, était-il si différent de celui de Groethuysen ? Le destin de Martin Luther que retrace Febvre, c'est d'abord le récit pathétique et admirable – peut-être discutable – d'une conscience inquiète. Certes il procède avec toute la rigueur historique, ce qui le conduit par la suite à préciser sa méthode : la

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reconstitution de l'outillage mental et de la perception des choses qui pouvaient être ceux des hommes du seizième siècle. Les démonstrations de Groethuysen, assénées à coups de citations répétitives, sans aucune mise en perspective dans le contexte historique, faisant fi de toute chronologie et de toute dynamique inscrite dans le temps, prétendant camper un type social sans aucune analyse sociologique, pouvaient légitimement apparaître comme une provocation à un homme qui s'était attelé au gigantesque chantier du renouvellement de la démarche historienne. Quel accueil réserverait-on à un chercheur qui traiterait d'un groupe social sans prendre en compte les sources qui en émanent directement ? Il n'en reste pas moins, nous semble-t-il, que ce processus de détachement par rapport à l'Église, interne à la conscience bourgeoise, et fondé sur la conscience d'une existence sociale autonome et productrice de ses propres valeurs, constituait un modèle interprétatif qui aurait légitimement pu retenir l'attention de l'historien, quand bien même la démonstration qui l'avait produit n'avait pas mis en œuvre les mêmes règles et méthodes disciplinaires. Quand Febvre consacrait un chapitre entier du Problème de l'incroyance aux « Prises de la religion sur la vie », était-il si éloigné des pages où Groethuysen décrivait la religion du peuple comme un fait collectif, encadrant et imprégnant naturellement de son évidence aussi bien la vie quotidienne que les temps exceptionnels ? On peut affirmer avec une certaine légitimité qu'à partir de deux approches différentes, Febvre et Groethuysen ont puissamment contribué à la naissance de l'anthropologie historique.

33 Dans le fil du chapitre III des Origines, sur « La Bourgeoisie et le Peuple », apparaît une remarque fugitive, et pourtant fondatrice de toute l'analyse de la religion populaire, religion commune à l'ensemble de la collectivité avant que le bourgeois ne commence à sentir et à penser « d'une certaine façon », si étrange dans un premier temps que ses détracteurs ne peuvent guère qu'en souligner l'altérité et exprimer leur crainte de voir se développer ce ferment qui pourrait bien être subversif pour l'ordre social dans son intégralité. « Le peuple, écrit Groethuysen, […] croit pour ainsi dire à la présence réelle des objets de sa croyance »41. Cette définition de la religion populaire peut constituer le point d'ancrage sur lequel articuler une anthropologie historique de la religion populaire, dans ses croyances, dans ses gestes et dans ses rites. Cette problématique de la « présence réelle des objets de la croyance » se situe au cœur même des travaux récents sur les mouvements iconoclastes du seizième siècle : Bouleverser radicalement les frontières du sacré, démontrer que le bois n'est que bois, la pierre que pierre, prouver au grand jour qu'aucune puissance divine n'habite l'image, les os des morts, la pâte, l'eau, le vin : tel semble bien être le but que se proposent, explicitement ou non, les iconoclastes.42 Mais Groethuysen ne développe pas une étude du geste religieux à laquelle s'est consacrée depuis l'anthropologie historique. 34 Son approche n'est cependant pas restée sans écho. C'est à elle que se réfère explicitement Émile Poulat, sous l'expression de « christianisme intégral », dans Église contre bourgeoisie : un christianisme qui « s'identifie à l'existence » et dans lequel ce n'est pas l'individu mais la communauté qui croit. L'objectif de Poulat n'est pourtant pas d'étudier la religion populaire, mais le rapport entre l'Église et la bourgeoisie. S'il opère le détour par l'analyse de la dichotomie religion populaire / religion bourgeoise, c'est parce qu'au rebours de Groethuysen selon qui la première avait effectivement la préférence du clergé, il affirme au contraire que ce dernier entend se maintenir à égale distance des deux, ce qui est certainement plus conforme à la réalité historique. Aux

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« deux classes sociales, toutes deux censées croire ce que l'Église enseigne, mais qui ne se comprennent plus », il substitue [...] trois religions : celle du peuple et des gens du commun, qui « croient trop » selon l'expression d'un prédicateur, mais n'en savent pas assez ; celle de la bourgeoisie et des gens du monde, qui en savent plus long mais ne croient plus assez. [On reste jusque-là dans le modèle construit par Groethuysen, qui introduisait la notion de foi implicite destinée à cimenter la cohérence de l'ensemble mais qui allait devenir la pierre d'achoppement de la conscience bourgeoise éclairée] ; celle du clergé, gens d'Église qui, au moins, savent comment il faut croire […] Il n'y a pas seulement deux déviations religieuses, par excès ou par défaut : de part et d'autre d'une religion cléricale, c'est bien une religion populaire et une religion bourgeoise qui se développent. Pourquoi n'auraient-elles pas les complexités que nous reconnaissons volonté à la première, la seule véritablement étudiée ?43 35 Mais au colloque organisé par le CNRS sur le thème de la religion populaire à la même époque, en octobre 1977, alors que s'achevait l'impression de la troisième réédition des Origines, Groethuysen, ne fut mentionné que par André Rousseau qui abordait le sujet en sociologue plus qu'en historien. Pour lui, la religion populaire n'existe qu'à partir du moment où peut se tenir un autre langage, celui des gens éclairés : cet autre langage fonctionne dès lors comme un marqueur, celui qui atteste d'une élévation dans la hiérarchie sociale. C'est au sein de ce processus que s'impose l'idée reprise ici dans les termes même où Groethuysen l'exprima, que « pour être bourgeois, il faut ne pas croire »44. Ainsi, pour André Rousseau, le concept de religion populaire ne devient effectivement opératoire qu'à partir du moment où l'avènement de la bourgeoisie opère « un déplacement de la religion » : les classes sociales entretenant entre elles des « rapports symboliques de distinction » et la bourgeoise entretenant « le meilleur rapport aux institutions qui contrôlent les significations » générées par ces rapports, c'est elle qui définit désormais les règles du jeu, la religion étant d'une certaine manière instrumentalisée au bénéfice d'un ostracisme social45. Cette perspective ignore complètement l'approche anthropologique de la religion populaire à partir de ses gestes et de ses traces matérielles, qui au contraire vise à dégager une cohérence et une signification autonomes par rapport aux hiérarchies socio-économiques même si elles n'en sont pas déconnectées. Elle systématise l'analyse de Groethuysen, la durcit en accentuant paradoxalement son orientation sociologique, alors même que la plupart des critiques se sont concentrées justement sur ce point-là.

Un héritage tardif : l’histoire des mentalités

36 Groethuysen ne pouvait éviter la question religieuse par excellence des attitudes devant la vie et la mort. Et il faut bien reconnaître que, même s'il ne l'a pas abordée avec les méthodes de l'historien, il l'a effectivement située dans une perspective historique et non pas ethnographique, et qu'il est sans doute l'un des premiers à l'avoir fait46. C'est au début des années cinquante que Tenenti publie son travail pionnier sur La Vie et la mort à travers l'art du XVe siècle47, une dizaine d'années plus tard que Philippe Ariès publie son premier article sur le sujet48. La poursuite des recherches de ce dernier, les publications de Michel Vovelle49 et enfin les thèses de François Lebrun50 et de Robert Favre51 feront du sentiment de la mort l'un des domaines les mieux défrichés par la recherche historique ou littéraire en France durant les années soixante-dix,

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contribuant puissamment à assurer le succès de l'histoire des mentalités : ce n'est pas tout à fait un hasard si la dernière édition des Origines est parue justement en 1977.

37 Le livre, nous l'avons vu, envisageait la mort principalement en fonction de la place que lui accordaient les prédicateurs dans leurs sermons, brandie comme une arme imparable afin d'exciter les pécheurs à la conversion en les faisant frémir devant les lamentations qui montent de l'enfer. Le premier paragraphe du chapitre sur la mort (« Le triomphe de la mort ») préfigure les analyses de Philippe Ariès sur « la mort de soi ». Comme ce dernier, Groethuysen montre comment la prédication a provoqué à la fois l'intériorisation et l'individualisation du sentiment de la mort. Et l'on est frappé de la proximité des expressions employées par l'un et l'autre pour décrire cette prise de conscience de l'individu confronté au spectacle de sa propre fin. Il faut que […] le chrétien, dans un univers où tout passe, soit toujours ramené à lui- même, que devant l'anéantissement de toutes choses, il ne perde pas de vue ce qui touche son salut. Il faut que ce soit sa mort, son éternité qui lui soient toujours présentes ; que la vision de la mort et de l'éternité ne lui fasse jamais oublier le je meurs ; qu'il ne perde jamais de vue l'heure terrible où il se sentira mourir.52 38 Par les prédicateurs, Groethuysen arrive à la même conclusion que Philippe Ariès par les représentations iconographiques, en particulier celle de l'ars moriendi : [...] la mort est devenue le lieu où l'homme a pris le mieux conscience de lui- même53. Mais c'est encore une piste qu'il ouvre sans vraiment l'exploiter car son objectif est plutôt de montrer comment la prédication « terroriste », diffusant la peur de l'enfer, a préparé le terrain à une désaffection de la foi, ou plus exactement comment elle a conduit le bourgeois à n'être plus qu'un « croyant honteux », retenu par la crainte : « Il n'aime pas devoir se l'avouer. Quand il dit : « je crois », il exprime par là qu'il a peur. La foi le diminue à ses propres yeux »54. L'heure ne va pas tarder pour lui de détourner simplement son regard d'une mort dont la contemplation lui est devenue inutile et encombrante, incompatible avec sa conception positive et volontariste d'une vie et d'un bonheur qu'il lui revient de construire. 39 Dans ce domaine de l'histoire des mentalités, où les frontières disciplinaires tendent à s'estomper faute de réelle pertinence, on ne sera pas surpris enfin de retrouver Groethuysen en première ligne lorsque Robert Mauzi étudie l'idée du bonheur au XVIIIe siècle, citant les Origines plus fréquemment que Paul Bénichou ou Ernest Cassirer. Mauzi est sans doute, avec Lucien Goldmann, l'auteur qui suit le plus fidèlement les analyses de Groethuysen, parce qu'il y trouve une « évocation magistrale » du bourgeois, assis sur une aisance qui lui assure l'être plutôt que le paraître, porteur d'un « certain style de bonheur » qu'il a construit par son propre labeur « sans l'aide du christianisme » : « c'est le bourgeois qui se sent le plus étranger à l'univers chrétien, où nulle place ne lui est réservée »55. Il est clair que Mauzi adhère sans réserve au portrait du bourgeois que Groethuysen a tracé et particulièrement dans ses rapports avec la religion. Mais il tend à assimiler le bourgeois au mondain, comme les deux bénéficiaires de la morale nouvelle que proposent les philosophes, morale faite pour le bonheur ici et maintenant. Le dieu des déistes lui paraît le plus apte à répondre aux attentes du bourgeois qui a « besoin de prévoyance et de stabilité », qui n'est pas joueur et veut « être heureux sans trop de risque » : ce dieu lui garantit au moins qu'il existe un ordre du monde et de la société et que cet ordre est fait pour qu'il y trouve sa place. Il est intéressant de voir comment sur ce point, tout en revendiquant l'héritage de Groethuysen, Goldmann et Mauzi construisent une image quelque peu décalée du

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bourgeois. Au rebours de ce dernier, Goldmann voyait justement dans le bourgeois un homme du pari, donc du risque, mais d'un pari pascalien inversé : le bourgeois est celui qui choisi de construire son univers en pariant sur l'inutilité de l'idée de Dieu dans sa propre existence. Il semble en fait que lorsqu'on s'inspire des Origines, on leur emprunte un vidéotype du bourgeois qui a déjà dépassé le stade où l'avait figé un instant, pour son analyse, Groethuysen. Autrement dit, on considère plutôt le bourgeois qui déjà ne croit plus mais professe la philosophie et la morale nouvelles, alors même que toute la fécondité du livre de Groethuysen, tient dans la subtilité de son analyse : son bourgeois ne croit plus autant ni aussi fortement, mais il croit encore globalement. Les prédicateurs le critiquent en s'adressant à lui directement parce qu'il est encore là sous leur chaire, mais il ne courbe plus la tête et son regard interroge. Certains sortiront de l'église, mais d'autres y resteront sans changer d'attitude.

Un mauvais titre ?

40 Les décalages et les déplacements que nous avons constatés par rapport au bourgeois de Groethuysen ne sont pas sans rapport avec les critiques qui avaient été faites au livre, si l'on veut bien ne pas prendre en compte celles qui se focalisaient sur l'excès de citations. L'obstacle auquel bon nombre de lecteurs se sont heurtés, était d'importance. Il ne s'agissait pas moins que du mot « bourgeois » lui-même. Catherine Maire a déjà remarqué que, dans son compte rendu du Mercure de France, Henri Mazel suggérait qu'il aurait été préférable de parler d'esprit « moderne » plutôt que « bourgeois »56. Plusieurs relevèrent à juste titre que le bourgeois de Groethuysen manquait singulièrement de précision sociologique. Certains observèrent également qu'il existait une bourgeoisie fidèle à l'Église et que Groethuysen s'était un peu simplifié la tâche en l'ignorant de la sorte, dans la mesure où son propos visait effectivement à situer le rôle de la bourgeoisie comme classe dans l'évolution sociale du fait religieux. Il faut ici revenir aux pages magnifiques que Daniel Halévy consacra aux Origines dans la Nouvelle Revue française. Avec beaucoup de finesse, il remarquait un oubli majeur qui avait peut- être empêché Groethuysen de comprendre tout à fait « l'esprit bourgeois » : celui du patrimoine. Le patrimoine n'est pas la somme des biens accumulés par le bourgeois, il est d'abord l'héritage reçu et qu'il transmettra après l'avoir accru, le labeur des générations lui ayant conféré un caractère sacré et intouchable. La bourgeoisie meurt quand le patrimoine se dilapide et cette vie qui s'en va, c'est « le mystère de la bourgeoisie ». Il faut laisser la parole à Daniel Halévy : La fortune, c'est une accumulation de biens, fugace et sans valeur propre, sans autorité, sans mystère. Le patrimoine, dont il [Groethuysen] ne parle pas, c'est tout autre chose. Le bourgeois peut s'intéresser, comme tout homme, à sa fortune, mais sa raison d'être, son mystère, c'est son patrimoine. Il y a donc un sentiment religieux du patrimoine qui explique la permanence d'une bourgeoisie catholique : pour Daniel Halévy, le sens de ce mystère s'apparente à celui des mystères de la religion catholique, il y prépare même. C'est pourquoi il recommandait [...] à M. Groethuysen d'aller se promener à Lyon. A travers les fenêtres closes, par- dessus les hauts murs, il devinera l'âme d'une bourgeoisie chrétienne, catholique, exemplairement patrimoniale, exemplairement eucharistique57. 41 Dès le début, le point sensible se trouvait souligné, et la critique sera depuis renouvelée à plusieurs reprises. Sans prétendre à l'exhaustivité, on s'arrêtera à quelques exemples

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significatifs. Il était naturel qu'étudiant la satire antibourgeoise en France, Jean Alter rencontrât Groethuysen58. Fondant son analyse sur un corpus très différent, les fictions littéraires et le théâtre, il corrigeait complètement ses positions dans l'intervalle des deux publications. Dans un premier temps, à propos du Moyen Âge, il avait souscrit explicitement à l'idée que malgré tous les efforts de l'Église, l'incrédulité deviendrait tôt ou tard l'apanage de la bourgeoisie. En revanche en abordant l'Ancien Régime dans le second volume, il était devenu très critique à l'égard des Origines. Il reprochait d'abord à Groethuysen de n'avoir pas utilisé les bonnes sources : elles [...] ne constituent pas un échantillon valable pour l'époque et ses citations représentent rarement le sentiment de ses contemporains Autrement dit, il soulignait l'originalité du discours des prédicateurs dans l'ensemble de la production littéraire. Ensuite, il l'accusait d'abuser de la généralisation et de n'avoir pas vu qu'une large partie de la bourgeoisie n'avait pas quitté l'Église, faisant d'ailleurs le même grief à Paul Hazard : Il conviendrait mieux de dire qu'une certaine attitude d'une certaine partie de la bourgeoisie s'impose en effet à un certain caractère d'une certaine religion, mais que d'autres attitudes s'accordent en effet avec d'autres caractères59. 42 Quelques années plus tard, Michel Vovelle, tout en citant les Origines dans la bibliographie de Piété baroque et déchristianisation, développait une vision beaucoup plus nuancée du bourgeois. D'un côté, il retraçait une évolution conforme au modèle général de Groethuysen, celle des négociants chez lesquels la désaffection à l'égard du geste religieux (en l'occurrence les demandes de messes) précédait les autres catégories sociales et les dépassait par son ampleur, alors même que le cérémonial des pompes funèbres devait perdurer chez eux plus longtemps que chez les nobles ou les robins. De l'autre côté, les robins et les élites municipales, « cadres nés de la sociabilité méridionale », allaient demeurer plus durablement attachés à ces marqueurs de l'adhésion religieuse. L'existence d'une bourgeoisie d'ancienne extraction, souvent issue de l'office et demeurée profondément catholique, a été montrée depuis par bien des chercheurs. Elle constitue le vivier qui garantit le recrutement des ordres religieux, particulièrement féminins, au XVIIe et encore durant une bonne partie du XVIIIe siècle, comme l'a montré en particulier Dominique Dinet60. Mais Louis Châtellier a montré qu'elle assure aussi le recrutement des congrégations mariales établies par les Jésuites afin de garder le contact avec leurs anciens élèves et de disposer ainsi de relais en direction de la société civile61. Groethuysen est bien loin et l'on ne sera guère surpris que Michel Vovelle ou Louis Châtellier, tout en le saluant avec révérence, n'aient pas eu à se situer explicitement par rapport à un modèle qui n'avait guère de pertinence dans leur perspective.

43 Au terme de ce parcours qui paraîtra superficiel et aléatoire, la place des Origines dans l'historiographie religieuse se dessine. Classique universellement respecté quand bien même il suscite quelques réserves, sa lecture entre en écho avec de nombreux développements de l'histoire religieuse dans les trente dernières années. Sa réception par les historiens est cependant demeurée tardive, après la guerre, et c'est probablement sa réédition en 1956 qui a le plus contribué à lui conférer ce statut de classique, touchant d'ailleurs littéraires et philosophes avant d'apprivoiser les fils de Clio. Lorsqu'il est édité pour la troisième fois, en 1977, il n'a jamais été aussi célèbre, alors même que les développements de l'historiographie tendent à le déclasser sur de nombreux points. Son succès demeure ambigu : beaucoup lu, assez fréquemment pillé pour ses citations, il est plus rarement utilisé ou discuté. Il fournit pourtant un modèle

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interprétatif puissant et fécond : à travers chacune de ses analyses, sur la mort, le péché, le prêt à intérêt ou l'aumône, il décrit par quel processus une distance se creuse entre le croyant et l'Église, porte ouverte à une possible « sortie de la religion » dont le Désenchantement du monde a montré le lent cheminement sur la très longue durée et dont Groethuysen montre la germination à moyen terme, en insistant sur ses facteurs internes plutôt que sur les contraintes extérieures. Au moment où il appréhende le bourgeois, celui-ci demeure encore dans l'Église et la distance se crée à la fois dans sa propre conscience et dans celle des clercs qui s'interrogent sur le devenir de ces « gens d'une certaine façon ». On a jusqu'à présent trop considéré sans doute le livre de Groethuysen en fonction des Lumières et de l'abandon effectif de la foi et de la pratique, bref de la déchristianisation, comme si cette dernière constituait inéluctablement la suite de l'histoire racontée par les Origines. Mais il est une autre évolution possible sur laquelle se penche attentivement l'historiographie religieuse contemporaine : celle de cet homme qui « continue d'aller à l'église » mais qui devient « un étranger dans le sein même de l'Église »62. L'enquête en cours sur « l'anticléricalisme croyant »63 répond en écho aux Origines : trois quarts de siècle après, ce n'est pas le moindre mérite de ce livre que de nourrir encore nos propres interrogations d'historiens.

NOTES

1. Bernard Dandois, Philosophie et histoire, Paris, A. Michel, 1995, 359 p., p. 18. Il poursuit : « Ernst Cassirer comme Bernard Groethuysen, Max Weber comme Werner Sombart, analysent de façon diverse ce problème considéré comme primordial pour comprendre notre époque ». 2. Éloge du bourgeois français, Paris, Grasset, 1924, 348 p. 3. François Chaubet, Paul Desjardins et les Décades de Pontigny, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2000, 327 p. 4. Catherine Maire, « Aux origines de l'esprit bourgeois en France : pour une relecture de Bernard Groethuysen », Chrétiens et sociétés XVIe-XXe siècle, no 8, 2001, p. 42. 5. Ibid., p. 34. 6. Bernhard Groethuysen, Die Entstehung der bürgerlichen Welt – und Lebensanschauung in Frankreich, Bd 1, Das Bürgertum und die katholische Weltanschauung, Halle/Saale, Max Niemeyer, « Philosophie und Geisteswissenschaften », 1927, XVIII-348 p. suivi de Die Entstehung der bürgerlichen Welt – und Lebensanschauung in Frankreich, Bd 2, Die Soziallehren der katholischen Kirche und das Bürgertum, Halle/Saale, Max Niemeyer, « Philosophie und Geisteswissenschaften », 1930, VI-315 p. L'ouvrage a été réédité sous le même titre en 1978 par les éditions Suhrkamp de Francfort-sur-le-Main. 7. « The autor's method of letting the bourgeoisie and their opponents speak for themselves, while having its obvious advantages, sometimes leads to an over-abundance of citation and to repetition of thought », Philosophical Review, vol. XVIII no 4, 1929, p. 406. 8. La Revue européenne, 1929, p. 1414. 9. Sauf Ludovicus Jacobus Rogier dans le t. IV de la Nouvelle Histoire de l'Église, Paris, Seuil, 1966, 587 p. mais il s'agit justement d'un historien néerlandais.

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10. Chiffres communiqués par Catherine Maire, lors de sa conférence au séminaire du DEA d'Histoire religieuse, à Lyon, le 18 avril 2001. 11. Il convient de se reporter également à l'analyse que Catherine Maire a consacré à « La réception du livre » dans Chrétiens et Sociétés, art. cit., p. 53-56. J'en profite pour la remercier de m'avoir communiqué la photocopie de plusieurs recensions. 12. Hannes Böhringer, Bernhard Groethuysen vom Zusammenhang seiner Schriften, Berlin, Agora Verlag, 1978, 228 p. 13. Nouvelle Revue française, 1er octobre 1927, p. 534. 14. Nouvelle Revue française, 1er octobre 1927, p. 534. 15. Revue de synthèse, 51 (2), juin 1931, p. 267-269. 16. Revue d'Histoire économique et sociale, XV, 1927, p. 392. 17. Archives de sociologie des religions, no 3, janvier-juin 1957, p. 183-184. 18. D'après la chronologie établie par B. Dandois op. cit., p. 343. 19. D'après le très beau portrait de Groethuysen dans M. Saint-Clair [pseud. de Maria Van Rysselberghe], Il y a quarante ans, Paris, Gallimard, 1936, 101 p. Je remercie Marcel Gauchet de m'avoir fait connaître ce texte rédigé à l'époque où Groethuysen préparait les Origines de l'esprit bourgeois. 20. Compte rendu dans les Archives de sociologie des religions, no 3, janvier-juin 1957, p. 184. 21. Influence brillamment exposée par Catherine Maire, art. cit., p. 35-39. 22. Bernard Groethuysen, Origines…, p. X-XI. 23. Bernard Groethuysen, Origines…, p. 34. 24. Cité par B. Dandois, in Philosophie et histoire, op. cit., p. 347. 25. Siècle des Lumières, Révolutions, Restaurations, Paris, Seuil, 1966. La bibliographie dans laquelle l'ouvrage de Groethuysen est cité, correspond à la partie rédigée par L.-J. Rogier. 26. Marc Venard (et alii), Histoire du christianisme, t. IX, L'Âge de raison (1620/30-1750), Paris, Desclée, 1997, 1214 p., p. 1005. 27. Ibid., p. 1022. 28. Origines…, p. 87. 29. Je remercie chaleureusement Dominique Julia de m'avoir informé de leur existence. Il s'agit de la suite en deux volumes que le Père de Dainville avait d'abord prévu de donner à La Naissance de l'humanisme moderne. C'est dans le volume intitulé La Crise de l'humanisme, que le Père de Dainville utilisait à plusieurs reprises les Origines… Dominique Julia souligne qu'il a été « sans doute l'un des premiers et des rares à [l']avoir lu, tant la réception de l'ouvrage a été lente en France », confirmant ainsi la conviction que je me suis forgée en préparant ce travail (cf. « Le Père de Dainville dans l'historiographie contemporaine », communication au colloque sur le Père de Dainville dont Dominique Julia m'a très aimablement fourni le texte avant sa publication). 30. Edmond Préclin et Eugène Jarry, Les Luttes politiques et doctrinales aux XVIIe et XVIIIe siècles, t. 1, Paris, Blood et Gay, 1955, 384-VII p., p. 257. 31. René Taveneaux, Jansénisme et prêt à intérêt, Paris, J. Vrin, 1977, 240 p., p. 90. 32. Origines…, p. 190. 33. E. Préclin, op. cit., p. 300. 34. E. Préclin, op. cit., t. II, p. 728, n. 4 : l'auteur y renvoie au chapitre III des Origines. 35. Colloque d'histoire religieuse, Lyon 1963, Grenoble, Impr. Allier, 1963, 157 p., p. 133. 36. Mitchell Cohen, The Wager of Lucien Goldmann. Tragedy, Dialectics and a Hidden God, Princeton, Princeton University Press, 1994, XI-351 p., p. 73-74 : « Despite his frequent – though rarely developped – criticism of Dilthey, Goldmann's debt to Dilthey's endeavor will became increasingly manifest. For the moment, I will only point on several crucial, common Diltheyan themes (most with very strong Hegelian echoes) that were transformated, elaborated on, and reinvented by Goldmann in Marxist and « genetic structuralist » guise : the distinction between

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the human and the national sciences ; antipositivism and anticartesianism ; the dialectical emphasis on totality expressed in the hermeneutic circle ; the use of the notion of worldwiew to grasp a commonality of coherence in literature, philosophy and religion ; and the refusal of the fact / value dichotomy ». 37. Lucien Goldmann, « Der Christliche Bürger und die Aufklärung », Neuwied und Berlin, 1968, repris en traduction française dans Structures mentales et création culturelle, Paris, Anthropos, 1970, XXII-494 p., p. 1-134. Catherine Maire en a résumé le propos, art. cit., p. 55. 38. Lucien Goldmann, art. cit., p. 79. 39. Gérard Namer, L'abbé Le Roy et ses amis. Essai sur le jansénisme extrémiste intramondain, Paris, S.E.V.P.E.N., 1964, 208 p., p. 165. 40. Voir infra, François Chaubet, p. 57-71. 41. Origines…, p. 21-22, citant Philipon de la Madeleine. 42. Olivier Christin, Une révolution symbolique. L'iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1991, 350 p., p. 145. 43. Émile Poulat, Église contre bourgeoisie. Introduction au devenir du catholicisme social, Tournai, Castermann, 1977, 290 p., p. 112-113. 44. Origines…, p. 31. 45. André Rousseau, « Sur la religion populaire. Une perspective sociologique », La Religion populaire, Paris, Éd. du CNRS 1979, p. 358. 46. L'Automne du Moyen Âge de Huizinga, publié en néerlandais en 1919, ne fut traduit en français qu'en 1932, cinq ans après les Origines. Groethuysen le connaissait-il ? Il ne le cite pas, mais ce n'est pas significatif, puisqu'il a pris le parti de n'indiquer que les références aux auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles qu'il étudie. 47. Paris, A. Colin, 1952, 123 p. ; son deuxième ouvrage, Il Senso della morte e l'amore delle vita nel Rinascimento, Turin, Einaudi, 512 p., date de 1957. 48. « Contribution à l'étude du culte des morts à l'époque contemporaine », Revue des travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, 119, 1 er semestre 1966, p. 25-34. Il avait déjà abordé l'histoire de la mort dans son Histoire des populations françaises et de leur attitude devant la vie publiée en 1948, mais elle ne devint le sujet central de ses recherches qu'à partir de la fin des années cinquante et c'est en 1974 que parurent les Western Attitudes toward Death : From the Middle Age to the Present (Baltimore et Londres), préliminaire à l'oeuvre monumentale : L'Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, 641 p. 49. Vision de la mort et de l'au-delà en Provence du XVe au XXe siècle d'après les autels des âmes du Purgatoire, Paris, A. Colin, 1970, 101 p. ; Piété baroque et déchristianisation. Les attitudes devant la mort en Provence au XVIIIe siècle, Paris, Plon, 1973, 697 p. ; Mourir autrefois : attitudes collectives devant la mort aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Gallimard-Julliard, 1974, 250 p. ; une somme couronne toutes ces années de travail : La Mort et l'Occident de 1300 à nos jours, Paris, Seuil, 1983, 641 p. 50. Les Hommes et la mort en Anjou aux XVIIe et XVIIIe siècles. Essai de démographie historique et de psychologie historique, Paris-La Haye, Mouton, 1971, VI-562 p. 51. La Mort dans la littérature et la pensée française au siècle des Lumières, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1978, 640 p. De tous ces auteurs, R. Favre est celui qui emprunte le plus volontiers à Groethuysen. 52. Origines…, p. 63. 53. Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 1975, 222 p., p. 46 54. Origines…, p. 86. 55. Robert Mauzi, L'Idée de bonheur dans la littérature et la pensée française au XVIIIe siècle, Paris, A. Colin, 1960, 727 p., p. 207. 56. Mercure de France, 15 décembre 1927, p. 650-651, cité par Catherine Maire, « Pour une relecture… », art. cit., p. 34.

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57. Nouvelle Revue française, 1er octobre 1927, p. 537-538. 58. Jean V. Alter, Les Origines de la satire antibourgeoise en France. I. Moyen Âge- XVIe siècle ; II. L'Esprit antibourgeois sous l'Ancien Régime, Genève, Droz, 1966, 233 p. et 1970, 206 p. 59. Ibid., II, p. 91, n. 392. 60. Dominique Dinet, Vocation et fidélité. Le recrutement des réguliers dans les diocèses d'Auxerre, Langres et Dijon (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, Economica, 1988, 340 p. 61. Louis Châtellier, L'Europe des dévots, Paris, Flammarion, 1987, 315 p. Après avoir évoqué la thèse de Groethuysen comme celle de la constitution d'un ordre bourgeois en dehors de, voire contre l'Église, l'auteur pose d'emblée la nécessité d'élargir les perspectives : « il ne suffisait plus de s'interroger sur la bourgeoisie, mais sur l'ensemble du corps social », p. 10. 62. Origines…, p. 35. 63. Dans le cadre du GDR 2342 « L'esprit moderne en religion (XVIe-XVIIIe siècles) ».

AUTEUR

BERNARD HOURS

Université Lyon-III / Institut d’Histoire du Christianisme

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Autour de Groethuysen et de Weber. Religion et esprit moderne

Yves Krumenacker

1 Il peut sembler surprenant de rapprocher, dans un même exposé, Max Weber et Bernard Groethuysen. Les deux hommes ne sont pas contemporains, presque une génération les sépare. Le premier est né en 1864, il a seize ans quand naît le second. Mais il meurt en 1920, vingt-six ans avant Groethuysen. L'un a fait toute sa carrière en Allemagne, l'autre se rend régulièrement en France à partir de 1904, avant de s'y fixer et d'acquérir, en 1937, la nationalité française. Tous deux, cependant, ont été influencés par Dilthey. Ils ont entretenu des rapports complexes avec la pensée de Marx. Ils se sont intéressés à la religion, non pour elle-même, mais pour ses rapports avec la société.

2 Ceci pourrait ne pas suffire à justifier le rapprochement. En effet, Groethuysen, Allemand vivant en France, médiateur entre les deux pays, auteur de nombreuses traductions, aurait pu faire connaître les idées de Weber en France. Plus que cela, même : l'Allemagne du début du siècle est agitée par des débats sur le rapport entre religion et modernité. Outre les œuvres de Weber, il faudrait citer au moins celles de Troeltsch1 et de Sombart (non seulement Der Bourgeois, qui est une critique de Weber, mais ses livres sur le capitalisme et sur les Juifs et la vie économique2). Or Groethuysen semble les ignorer, ne les citant jamais dans ses Origines de l'esprit bourgeois. Il aurait pu les lire en allemand, voire en français pour Sombart, Les Juifs et la vie économique étant paru chez Payot en 1923, un an avant l'achèvement du manuscrit de l'esprit bourgeois. On sait que Troeltsch n'a été connu en France que très tardivement. La thèse de Weber sur protestantisme et capitalisme n'a été présentée au public français qu'en 1925, dans un article de Maurice Halbwachs3 et L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme n'a été traduit en français qu'en 19644. Pour être exact, il faut indiquer que Groethuysen cite Weber, tout comme Troeltsch, dans l'article « Secularism » qu'il a donné en 1934 à l'Encyclopœdia of the Social Sciences5. Mais la lecture de l'article montre qu'il ne tient aucun compte des idées de Weber. On peut même aller plus loin : aucun des auteurs participant à la controverse sur les idées de Weber ne cite Groethuysen, à l'exception de Robertson – ce qu'on lui a violemment reproché, considérant qu'il utilisait l'esprit

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bourgeois en dénaturant complètement son sens6. Autrement dit, les œuvres de Weber et de Groethuysen seraient parfaitement étrangères l'une à l'autre et les rapprocher ne serait qu'un contresens. 3 Un lien peut néanmoins être fait, à condition de prendre de la distance par rapport aux thèses des deux auteurs. Pour soutenir ce point de vue, nous partirons de l'analyse faite par Heinz Schilling de l'avènement du concept de confessionnalisation. L'historien allemand montre la volonté, vers le milieu des années 70, de rompre avec le réductionnisme socio-économique éliminant tout modèle d'explication religieuse ou culturelle, comme avec l'idéalisme suspectant a priori toute interprétation socio- historique des phénomènes ecclésiaux et religieux. Or une approche théorique des systèmes montre aisément que la religion et l'Église sont, au Moyen Âge, les axes culturels centraux de la société, ceux qui font fonctionner la vie économique et sociale. Par conséquent, l'Europe de la première modernité ne peut pas être analysée sans considérer la religion comme une catégorie fondamentale de la société. Schilling souligne alors l'importance de la réception des thèses de Max Weber : le sociologue allemand permet de penser la religion comme le moteur du changement, et non comme un obstacle. Schilling considère que cela ne concerne pas que le calvinisme, mais aussi l'ensemble des transformations religieuses de l'Europe occidentale, ce qu'il appelle la confessionnalisation ; elle apparaît comme un processus de modernisation et non comme un retour à un stade d'État prémoderne anachronique7. On le voit, son désaccord de fond avec l'interprétation de Weber ne l'empêche pas de reconnaître l'importance de l'œuvre, qui permet une avancée théorique par sa vision du rôle de la religion. Or, à ce niveau, Groethuysen rejoint Weber. Il a le projet de comprendre la Révolution, en cherchant comment les idées se réalisent dans l'histoire. C'est ainsi qu'il s'intéresse à Montesquieu, à Diderot, à Rousseau. La Révolution apparaissant, dans l'historiographie de l'époque, comme l'avènement de la bourgeoisie, il étudie tout naturellement l'esprit bourgeois. Mais en même temps il est conscient que l'Église structure toute la société au moment où apparaît le bourgeois. Trop fin pour opposer brutalement l'idéologie bourgeoise à l'idéologie religieuse, il se demande comment le discours de l'Église peut faire prendre conscience à la bourgeoisie de ce qu'elle est, comment il peut faire naître l'idéologie bourgeoise. On pourrait dire, en ce sens, que pour Groethuysen, sans l'Église, il ne peut y avoir de bourgeoisie, ou au moins d'esprit bourgeois. Comme chez Weber, comme chez Schilling, la religion apparaît ainsi moteur de changement, moteur paradoxal certes, puisqu'il mène à sa propre contestation, mais indispensable tout de même. Weber et Groethuysen présentent donc deux manières de réfléchir aux liens entre religion et modernité.

La place de la religion dan l’avènement de la modernité

4 Ce trop long préambule, nécessaire pour justifier notre sujet, indique déjà quel va être le premier point à examiner : quelle place les deux auteurs font-ils à la religion dans l'avènement de la modernité. En réalité, l'un parle de capitalisme, l'autre de bourgeoisie. Mais la différence est secondaire car, dans les deux cas, c'est l'« esprit » qui est évoqué. Le point de départ de la réflexion de Weber est sans doute la constatation de l'avance économique de l'Angleterre sur une Allemagne à bien des égards encore archaïque, avance corrélée avec l'accession au pouvoir de la bourgeoisie et l'existence d'un régime impérial mondial ; il se demande alors comment l'Angleterre

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a pu se moderniser et il trouve une explication dans la religion, plus précisément dans le puritanisme, ce qui l'amène à une théorie plus vaste des rapports entre éthique et capitalisme. Groethuysen, lui aussi, en étudiant le bourgeois, étudie la modernité : le bourgeois, c'est l'« homme des temps modernes », c'est « une manière d'être homme, la nôtre »8. Mais il parle aussi de « type économique » (Wirtschaftstypus) alors que, de son côté, Weber n'hésite pas à dire qu'il étudie le bourgeois : Le problème central […] sera […] le développement du capitalisme d'entreprise bourgeois, avec son organisation rationnelle du travail libre. Ou, pour nous exprimer en termes d'histoire des civilisations, notre problème sera celui de la naissance de la classe bourgeoise occidentale avec ses traits distinctifs9. 5 Dans un premier temps, on pourrait dire qu'on assiste à une réhabilitation de la religion. Une réhabilitation qui n'est pas apologétique. Sans doute agnostique lui- même, Weber ne s'intéresse pas à la pertinence actuelle de la religion, mais à son rôle passé : Aujourd'hui, l'esprit de l'ascétisme religieux s'est échappé de la cage – définitivement ? qui saurait le dire… Quoi qu'il en soit, le capitalisme vainqueur n'a plus besoin de ce soutien depuis qu'il repose sur une base mécanique10. Ce qui compte, c'est que, à l'époque moderne, la religion ait pu informer toute la vie sociale et économique et qu'elle ait joué un rôle fondamental dans le processus de changement menant à la période contemporaine. Sur le plan théorique, Weber est désireux de réhabiliter les recherches de sociologie religieuse, contre la tendance de son époque à négliger ou à déprécier le phénomène religieux. Groethuysen ne nie pas l'importance de la religion. Pour lui aussi, il y a un lien fondamental entre la foi et la vie profane, au point qu'une certaine pratique subsiste même quand la croyance en Dieu a disparu. Il l'affirme à propos du janséniste : Et que lui restera-t-il alors de cette foi, qui lui faisait entrevoir la grande tragédie universelle et rechercher les biens infinis ? Quelque chose de très important, et qui ne saurait s'effacer : une manière d'être, une attitude qu'il conservera envers toutes choses, certaines façons d'agir et de sentir qui donneront à sa vie un caractère particulier, un style de vie, si on veut11. 6 On pourrait penser que le bourgeois qui n'a pas acquis cette manière d'être, ou celle que lui ont donné les jésuites, peu importe, ne saurait vraiment être bourgeois. La religion est un passage obligé vers la modernité, même si, pour Groethuysen, l'Église ne répond pas à toutes les aspirations de la bourgeoisie naissante et est de ce fait finalement rejetée.

7 Pourtant la réhabilitation est ambiguë. En effet, Groethuysen n'est pas toujours très clair dans son raisonnement. Il s'oppose à une lecture idéaliste de l'avènement de la bourgeoisie : Le bourgeois aurait commencé, suppose-t-on, par discuter les fantômes et voyant qu'il n'y en avait point, il aurait tranquillement joui de la lumière du jour. Ce sont donc les connaissances du bourgeois qui l'auraient formé, et comme ses connaissances ne lui sont pas venues de lui-même, il attribue généreusement le mérite de sa formation aux philosophes et aux hommes de sciences, qui lui auraient appris à voir les choses comme elles sont. Mais les sciences ne lui ont pas appris à vivre ; tout au plus lui ont-elles fourni des arguments […]. Il a renversé l'ordre des questions, concevant le monde en fonction de la vie, au lieu de chercher à se comprendre lui-même en fonction d'un tout12. 8 Dans cette interprétation matérialiste, la philosophie, comme la religion, sont secondes. Car si Groethuysen vise ici les auteurs qui expliquent la bourgeoisie par la

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philosophie des Lumières, on voit bien que sa réfutation concerne aussi l'idéologie religieuse. Mais précisément il est ici question d'idées, alors que dans le passage cité auparavant, la religion structurait toute la vie. Elle n'était pas simplement une réponse à des questions, une vision explicative du monde, elle était aussi une façon de vivre. Or, pour Groethuysen, le bourgeois conçoit le monde en fonction de sa manière de vivre. La logique veut que l'imprégnation religieuse qu'il a reçue joue un rôle dans ce processus.

9 Si l'on accepte cette interprétation des Origines de l'esprit bourgeois, et sur laquelle nous allons revenir, on doit convenir que le catholicisme français a une grande importance dans l'avènement de la modernité. Mais elle n'est pas identique à celle que détient le puritanisme dans l'analyse weberienne. 10 Il faut en effet définir plus précisément ce qu'on entend par religion. Le lieu commun, au début du XXe siècle, est de considérer que le protestantisme est lié à l'essor de l'économie, au contraire du catholicisme. Sombart attribuait plutôt la naissance du capitalisme au judaïsme13. On a depuis cherché des affinités entre religion et développement économique dans l'Islam ou dans l'éthique samouraï14. Il n'en reste pas moins que c'est plutôt autour du protestantisme que tourne la discussion. 11 Tout n'est pas très clair chez Weber. Une grande partie de son étude porte sur la notion de Beruf chez Luther, mais c'est ensuite la seconde Réformation, calviniste, qui l'intéresse ; et même, plus précisément, le puritanisme, le piétisme (mais spécialement le piétisme réformé de Hollande et de la basse vallée du Rhin, non le piétisme luthérien bien mieux connu), le méthodisme, les sectes baptistes. On lui a opposé le retard économique de la Hongrie ou de l'Écosse presbytérienne, on a insisté sur l'industrialisation de la Belgique catholique, on a montré qu'aux Provinces-Unies ce sont les arminiens, en lutte contre le calvinisme orthodoxe, qui jouent un rôle décisif dans le développement économique. Plusieurs auteurs font remonter l'essor du capitalisme commercial aux villes médiévales d'Italie et des Flandres et en concluent, soit que la religion n'y est pas pour grand chose, soit que la scolastique fournit un bon cadre mental pour le développement économique. Herbert Lüthy préfère voir dans le déplacement des activités du Sud au Nord-Ouest de l'Europe au cours des XVIe et XVIIe siècles la conséquence du mouvement réactionnaire que serait la Contre-Réforme, la Réforme n'étant qu'un moindre obstacle à l'émancipation du capitalisme. Trevor-Roper va dans le même sens, mais attribuant un rôle décisif au libéralisme érasmien15. 12 Tout le problème tient dans la manière dont on analyse l'importance de la religion. Une première approche, la plus simple et la moins convaincante, consiste à remarquer la coïncidence entre développement économique et présence d'une religion à un moment donné. Cela peut servir aussi bien à étayer la thèse de Weber (remarquer que, globalement, les pays du Nord, protestants, sont plus développés que ceux du Sud, catholiques) qu'à la réfuter, à l'aide de contre-exemples (des pays catholiques développés ou des pays protestants arriérés). Mais ce n'est guère probant, car on ne peut jamais savoir s'il s'agit de simples coïncidences, ou s'il y a effectivement un lien de cause à effet. 13 Il nous semble que Weber et Groethuysen, chacun de leur côté, présentent deux autres manières de concevoir la relation entre religion et économie. La méthode de Weber n'est pas simple, et ses commentateurs hésitent entre plusieurs interprétations. La première est de dire qu'il établit un lien de causalité entre l'éthique protestante et l'esprit de capitalisme. Il le fait de manière extrêmement prudente, contrairement à certains de ses disciples :

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Resterait à étudier la façon dont l'ascétisme protestant a été à son tour influencé, dans son caractère et son devenir, par l'ensemble des conditions sociales, en particulier par les conditions économiques […]. Est-il nécessaire de protester que notre dessein n'est nullement de substituer à une interprétation causale exclusivement « matérialiste », une interprétation spiritualiste de la civilisation et de l'histoire qui ne serait pas moins unilatérale ? Toutes deux appartiennent au domaine du possible16. 14 Le lien qu'il met en évidence n'est qu'un des liens possibles et il ne s'agit en aucun cas d'une relation univoque. D'autres interprètes de Weber présentent une version encore plus modérée de sa thèse. Considérant la prudence extrême de l'analyse, limitée à une forme particulière de capitalisme occidental, ne cherchant qu'à déterminer une cause parmi bien d'autres, ils soutiennent que Weber ne vise qu'à dégager une affinité entre éthique protestante et esprit du capitalisme, une « homologie de structure ». Le capitalisme est « expliqué », non par la mise en évidence d'un faisceau de causes et circonstances historiques, mais par la mise en évidence d'un parallélisme entre deux « structures », celle du comportement de l'entrepreneur capitaliste, d'une part, celle de la mentalité puritaine de l'autre17. 15 Mais, quelle que soit l'interprétation choisie, on voit qu'il est indispensable d'accorder une grande importance aux textes, et plus particulièrement aux textes normatifs, ceux qui cherchent à modeler les fidèles, à dicter leur comportement. Resterait à savoir, dans le cas de l'hypothèse d'un lien causal, dans quelle mesure la manière de vivre est effectivement transformée. Or il est rare qu'on puisse démontrer avec certitude que tel écrit pastoral a engendré telle motivation psychologique. La thèse weberienne, dans ce cas, a une très grande force de suggestion, elle se prête mal à la vérification par les faits. Dans la deuxième hypothèse, celle d'une simple affinité, il serait nécessaire de décrire la structure mentale des entrepreneurs capitalistes. Ce que Weber fait en partie en citant longuement deux textes de Benjamin Franklin18 ; mais ce n'est qu'un exemple parmi bien d'autres, dont rien ne nous dit qu'il est représentatif. Il le fait aussi en précisant ce qu'il entend par « esprit du capitalisme », en en donnant le « type idéal ». C'est peut-être là que le bât blesse, dans la mesure où une construction intellectuelle est mise en relation avec des discours. Si l'on cherche une affinité, il serait sans doute préférable de le faire en recourant aux écrits des capitalistes eux-mêmes.

16 Un autre problème de cette méthode est qu'on peut mettre en évidence d'autres affinités possibles. On l'a remarqué depuis longtemps, la condamnation de la pauvreté est aussi grande dans le catholicisme du XVIIIe siècle, et l'exaltation du travail méthodique et probe n'est pas moins importante que dans le protestantisme. Sur ces points, Groethuysen fournit une moisson de textes parfaitement convaincants, repris par Robertson quelques années plus tard, relevés également par Fanfani19. Il y a plus, Daniel Vidal a attiré l'attention, il y a une dizaine d'années, sur l'importance des financiers dans le monde mystique, autour du couvent de Louviers comme chez les proches de Madame Acarie ; il a montré une affinité de pensée, une conjonction des rationalités entre la mystique abstraite et la pensée financière20. D'autres travaux, notamment ceux de Daniel Dessert et de François Bayard, confirment la foi catholique profonde de nombreux financiers. 17 D'autres part, même si des affinités peuvent être montrées, il est également possible de mettre en évidence des incompatibilités. Weber l'a bien senti et il ne dissimule pas le caractère anti-capitaliste des textes puritains mais il estime que l'individualisme et l'appel à la vocation qui s'y trouvent animent concrètement la vie pratique des

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croyants vers une recherche de l'enrichissement. Il considère que ces aspects fondent une morale plus que les dénonciations de la richesse. Mais cela suppose qu'il y a plusieurs lectures de ces textes, ce qui explique les controverses suscitées par L'Éthique protestante. Un auteur qui n'est habituellement pas cité dans ce débat, Leszek Kolakowski, va jusqu'à soutenir que c'est le catholicisme qui est le plus à même d'accompagner la modernité : Dans sa vision de la vie temporelle, le calvinisme représente une sorte de totalitarisme théocratique, où les devoirs deviennent pareils pour tous et la vie ramenée à l'universelle médiocrité. En revanche, le caractère non démocratique flagrant de l'Église romaine l'a paradoxalement rendue capable, parfois, de tolérer certaines idées implicitement démocratiques, dans la mesure où elles ne dépassaient pas certaines limites ; car justement ce caractère non démocratique la dotait d'une sorte de polymorphisme et d'universalisme social, grâce à quoi le catholicisme était capable d'absorber et de maintenir une notable diversité de formes de la vie humaine et également de formes religieuses, en en neutralisant les aspects risqués. Ce polymorphisme a été particulièrement développé à l'époque de la Contre-Réforme ; celle-ci, dans les pays occidentaux, adaptait l'Église aux conditions de la société capitaliste naissante et la libérait d'un lien univoque avec les structures féodales21. 18 La manière qu'a Groethuysen d'aborder les rapports entre religion et modernité nous semble assez différente. En réalité, comme pour Weber, ses Origines de l'esprit bourgeois peuvent être interprétées de plusieurs manières. Dans la lettre à Jean Paulhan qui sert de préface à l'édition française, Groethuysen affirme qu'il cherche à faire parler le bourgeois pour mieux comprendre son idéologie et qu'il utilise pour cela les arguments que lui prêtent les curés afin de les réfuter. Mais il insiste aussi, et plus encore dans la préface allemande, sur l'importance de l'attitude dans la vie pratique : « Ce n'est pas par des arguments qu'il a réfuté ses adversaires, mais bien par des actes »22. Curieusement, cependant, il ne dit pas grand chose des activités du bourgeois, en restant au niveau des discours. Or c'est là l'essentiel, selon lui, puisque ce serait la pratique qui expliquerait « la formation de ces attitudes spirituelles particulières qui caractérisent le type du bourgeois, et sans lesquelles il n'aurait pas pu entamer la discussion avec ses adversaires »23. Mais y aurait-il eu, au XVIIIe siècle, des transformations dans l'activité même du bourgeois qui expliqueraient l'avènement de la bourgeoisie ? Groethuysen est muet là-dessus. En réalité, le véritable sujet de son livre est non la formation de la conscience bourgeoise, de son esprit, mais sa formulation : comment le discours de l'Église révèle au bourgeois qu'il n'est finalement pas fait pour lui et le pousse à faire des objections, peut-être moins puissantes que les faits, mais indispensables pour que le bourgeois ait conscience de ce qu'il est. C'est l'apparition de la conscience de classe du bourgeois que vise Groethuysen.

19 Le discours religieux acquiert de ce fait une importance considérable. La préface allemande le dit, même si elle affirme en même temps que ce n'est pas l'essentiel : Nous verrons, dans le cours de ce livre, combien [le bourgeois] aimait au XVIIIe siècle à discuter avec les représentants de l'idéologie ecclésiastique, et le rôle important que jouèrent ces discussions dans le développement de la conscience bourgeoise24. 20 Ce que décrit Groethuysen ce sont, d'une certaine manière, les effets pervers de l'enseignement reçu. Le bourgeois a fréquenté le collège, il a écouté les sermons. Ceux- ci s'adressent à certaines personnes, délivrent une morale, parlent de la mort, du péché, de Dieu et de questions plus pratiques comme l'aumône, le travail, le prêt à intérêt, etc. Groethuysen nous donne une abondance de textes sur ces sujets, pour

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conclure à chaque fois qu'on est très proche des préoccupations bourgeoises, que ce soit dans l'idéal élevé que proposent les jansénistes ou dans l'accommodement aux valeurs mondaines qu'accordent les jésuites, mais que, finalement, on reste en dehors de ce qui fait l'essentiel de la vie bourgeoise. Parce qu'il connaît l'enseignement de l'Église, le bourgeois découvre que la religion qu'on lui propose n'est pas pour lui et, même, qu'il n'a pas besoin de religion du tout car il n'est pas indispensable, pour ses affaires, d'avoir des réponses à toutes les grandes questions que révèle le christianisme.

21 Cette démonstration est-elle pleinement convaincante ? Nous avons déjà signalé certaines de ses faiblesses, comme l'absence de toute étude réelle de l'activité bourgeoise. Ce n'est pas la seule. En réalité, Groethuysen ne décrit pas l'enseignement janséniste, mais sa morale telle qu'on peut la découvrir en lisant Arnauld, Pascal, Nicole ou Les Nouvelles ecclésiastiques. Il fait de même pour les jésuites, puisant dans les sermons et les livres de piété. Mais, concrètement, comment sont éduqués les bourgeois, quelles sont les influences déterminantes ? Groethuysen ne nous le dit pas. Est-on si sûr que ceux qui fréquentent les collèges jésuites en sortent avec une morale adaptée aux états « médiocres », ni celle des grands, ni celle des pauvres, une morale sanctifiant les valeurs moyennes ? Ce n'est pas l'avis de Savary, qui, dans son Parfait négociant, se plaint du mépris qu'ils en reçoivent pour les professions mercantiles et des mauvaises habitudes qu'ils contractent au contact des enfants de la noblesse25. Et que sait-on de l'éducation dispensée par des précepteurs ? Quelles sont les lectures des bourgeois, des négociants ?

Pour une approche très prosaïque

22 Toutes ces interrogations mettent en évidence que Groethuysen, comme Weber, partent de présupposés qui sont moins évidents qu'ils ne le pensent. Le rapport entre protestantisme et capitalisme, par exemple, était une évidence au début du siècle, et il avait déjà été invoqué au XVIIe siècle. Est-ce pour autant une vérité ? Sans même entrer dans la question de savoir de quelle manière l'un a pu favoriser l'autre, on a trouvé depuis bien d'autres explications à l'avancée économique des pays du Nord, on a fait remarquer qu'elle méconnaît le dynamisme économique de régions catholiques comme l'Italie du Nord au XVIe et jusqu'assez loin dans le XVIIe siècle, on a critiqué aussi bien l'interprétation weberienne du protestantisme que du capitalisme. Pour sa part, Weber ne s'est pas posé ces questions ou, du moins, n'a pas estimé que les objections remettaient en cause le point de départ de son analyse. Celui-ci lui paraît si évident qu'il ne prend pas la peine de le prouver. Il se contente de quelques observations contemporaines sur les comportements dans le pays de Bade pour illustrer son propos et il n'hésite pas à se livrer à des raccourcis historiques surprenants, comme ceux-ci : L'autorité du calvinisme, telle qu'elle sévit au XVIe siècle à Genève et en Écosse, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle dans la plus grande partie des Pays-Bas, au XVIIe siècle en Nouvelle-Angleterre et, pour un temps, en Angleterre, représenterait pour nous la forme la plus absolument insupportable de contrôle ecclésiastique sur l'individu […]. Et ce dont les réformateurs se plaignaient dans ces pays économiquement les plus évolués…26. 23 À cette date, il est difficile de considérer que les pays cités sont à la pointe du développement économique.

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24 De son côté, Groethuysen considère que le bourgeois est détaché de la religion, mais sans le démontrer. C'est pour lui une évidence, reposant sur la réalité de son époque, même si on peut la nuancer quelque peu. L'opposition entre Église et bourgeoisie n'est pas remise en cause et tout son travail est d'en trouver les origines au XVIIIe siècle. Mais est-ce bien une réalité de cette époque, ou ne se développe-t-elle pas plutôt au XIXe siècle, après la Révolution ? De même, en analysant les rapprochements et les oppositions entre le discours de l'Église et les aspirations de la bourgeoisie, Groethuysen finit par conclure que « l'Église a contribué à former un type de bourgeoisie moyenne et à peupler les bureaux », échouant au contraire à baptiser le bourgeois conquérant des temps modernes27. Mais est-on bien sûr que la grande bourgeoisie a été rapidement plus déchristianisée que le milieu des employés, des bureaucrates, de la petite bourgeoisie ? Il faudrait pouvoir le montrer, et déjà pour le XVIIIe et le tout début du XIXe siècle, pour que la démonstration soit pleinement convaincante. Autrement dit, une chronologie fine des attitudes religieuses des différentes classes sociales serait nécessaire. Les études sur les testaments, les confréries, la franc-maçonnerie, etc., permettent d'aller en ce sens. Ils ne sont pas toujours simples à interpréter. Ainsi les négociants provençaux donnent-ils peu d'enfants aux ordres religieux et boudent-ils les confréries, mais ils apprécient particulièrement le cérémonial baroque des obsèques et ils demandent massivement des messes dans leurs testaments28. La logique du raisonnement de Groethuysen voudrait que les négociants protestants se détachent, eux aussi, de leur Église, dans la mesure où c'est l'ensemble des questions religieuses qui serait devenue étrangère à l'esprit bourgeois. Il cite pourtant plusieurs fois Necker et son livre sur l'Importance des opinions religieuses (1788) ; il s'agit de montrer que le bourgeois reconnaît l'utilité de la religion pour les autres, pour le peuple, afin qu'il accepte sa condition. C'est là une présentation réductrice de la pensée de Necker pour qui la religion s'adresse au cœur de chaque homme et peut donc, mieux que les institutions ou le souverain, assurer le bonheur universel ; que ce discours ne soit pas celui du calvinisme traditionnel, on en conviendra sans peine, il n'en montre pas moins un attachement à une forme de christianisme. D'autre part, en étudiant les protestants lyonnais de l'époque des Lumières, nous avons pu montrer que les négociants, même ceux qui sont engagés dans la franc-maçonnerie, restent attachés au culte et à leurs pasteurs29. La question du détachement réel de la bourgeoisie par rapport à l'Église ou à la religion nous semble donc encore ouverte, au moins pour le XVIIIe siècle.

25 Cela nous amène à insister sur un autre champ d'étude, déjà effleuré dans les remarques précédentes : quelle est la religion des bourgeois du XVIIIe siècle ? Groethuysen cite de très nombreux auteurs, mais sans trop se soucier de la chronologie. Bien des théologiens jansénistes appartiennent au XVIIe siècle, les textes jésuites sont souvent plus récents, mais pas tous. N'y aurait-il pas d'évolution dans le discours ? De ce point de vue, Weber apparaît plus historien, au sens où il ne confond pas le calvinisme traditionnel et « la forme qu'il a revêtue dans les principales contrées de l'Europe occidentale qui ont subi son influence, en particulier au cours du XVIIe siècle »30 et il s'intéresse surtout au développement tardif de l'éthique protestante dans les sectes. Groethuysen, malgré ces nombreuses citations, présente un christianisme plus intemporel, qu'il oppose à l'esprit bourgeois. 26 Il fait remarquer fort justement que la pratique bourgeoise (celle, en fait, des négociants, des entrepreneurs, des banquiers), oblige à calculer, à prévoir, à ne faire

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confiance qu'en soi-même. Cela aboutirait, affirme-t-il en se fondant comme toujours sur de nombreux textes de prédicateurs, à nier la Providence, à glisser dans l'indifférence, à refuser toute place à Dieu dans les affaires de cette vie ; non à rejeter Dieu formellement, mais à ne plus lui laisser de place31. Que bien des hommes d'Église l'aient compris ainsi, on ne peut le nier. Mais s'agit-il d'un glissement de la foi vers l'incroyance ? N'assisterait-on pas, parallèlement, à une mutation du religieux ? Sans doute faudrait-il prêter beaucoup plus d'attention à un catholicisme éclairé, dialoguant avec les Lumières, voulant laisser toute sa place à la raison. On découvre aujourd'hui de plus en plus son importance, notamment dans les loges maçonniques, précisément bien fréquentées par la bourgeoisie. Que ce christianisme n'ait pas réussi à réellement s'implanter, au moins en France, n'est pas niable. Encore faudrait-il en mieux connaître les raisons, et, pour cela, l'étudier sérieusement afin de mieux le caractériser32. Mais il se pourrait bien qu'une partie de la bourgeoisie, loin de se détacher du catholicisme, ait adhéré à cette nouvelle forme de religion, avant de l'abandonner, pour diverses raisons, parmi lesquelles sans doute les événements révolutionnaires et la réaction de l'Église à ceux-ci ont dû jouer un grand rôle. À cet égard, il n'est pas inintéressant de constater que le passionnant débat sur l'usure retracé par Groethuysen33 oppose non des bourgeois négociants à des hommes d'Église, comme on pourrait le croire, mais, en grande partie, des hommes d'Église entre eux. Il s'agit avant tout d'un débat théologique, aujourd'hui assez bien connu34. 27 Curieusement, Groethuysen avait avancé, plusieurs pages auparavant, une autre interprétation, dont il ne semble pas voir qu'elle peut être contradictoire avec celle du détachement pur et simple. Il explique, en effet : Si le bourgeois continue à aller à l'église, est-il encore de l'Église ? C'est évidemment son Église, il est resté catholique, mais il est plutôt bourgeois et catholique, qu'il n'est bourgeois catholique. Il a sa vie en dehors de l'Église, une vie qui dans une large mesure se suffit à elle-même35. Un passage de la préface à l'édition allemande va dans le même sens : C'est pourquoi la conception philosophique ou religieuse pour laquelle il se décide, a au fond si peu d'importance. Qu'il soit athée ou déiste, son attitude dans la vie pratique n'en sera guère différente. Et même si, partant de conceptions déjà existantes, il voulait admettre que c'est la puissance de Dieu qui règle les événements, toute son énergie, fondée sur une légalité immanente, continuerait à s'efforcer d'organiser sa vie de plus en plus de façon à ce qu'en réalité tout y soit calculable et à ce que ne puissent plus se produire de miracles36. 28 Groethuysen pense peut-être qu'il s'agit d'une exclusion de facto de Dieu, même si le bourgeois n'en est pas conscient. Mais ce qu'il essaie de décrire ainsi peut également être interprété comme une privatisation du religieux, ce qui ne mène pas forcément à une opposition ou à un rejet de l'Église On en reviendrait ainsi à la question d'une mutation du fait religieux au cours du XVIIIe siècle, mutation à laquelle participerait le bourgeois. On peut aussi songer à ce qu'on appelle aujourd'hui un « bricolage » du religieux, l'acceptation de certains principes et la mise à l'écart des autres. L'interprétation apparaît singulièrement plus complexe que ce qui pouvait apparaître à l'époque de Groethuysen. Pour s'y retrouver, il serait nécessaire de mieux comprendre ce christianisme des Lumières, ce qui implique de renoncer à la problématique trop simple de la déchristianisation, pour s'intéresser aux transformations du rapport à Dieu, à l'Église, à la vie et à la mort, thèmes dont Groethuysen a souligné à juste titre l'importance. Ceci ne saurait être fait sans nuances, dans la mesure où l'on se rend compte aujourd'hui que les grandes catégories (jansénistes, Lumières, anti-Lumières)

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sont simplificatrices et que des liens multiples unissent tous les acteurs de la vie intellectuelle, même s'ils s'opposent sur de nombreux points37. Il faut aussi toujours se demander dans quelle mesure la bourgeoisie participe à ces transformations. L'examen des pratiques religieuses des négociants, l'inventaire de leurs bibliothèques, la lecture de leur correspondance autre que financière, sont pour cela indispensables. Cela suppose un rapprochement entre deux disciplines qui s'ignorent trop souvent, l'histoire économique et l'histoire religieuse, au sens large.

29 À partir de là, de cette vision très concrète de la croyance, de la vision du monde du bourgeois (au sens de Groethuysen, incluant toute sa vie sociale et ses pratiques), on peut tenter d'établir un lien avec des idées religieuses mieux connues, fût-ce un lien négatif. Mais il faut rester attentif à ne pas se laisser fasciner par une vision trop théorique du religieux. Weber nous donne de bons conseils : « Il faut distinguer exactement l'idéal religieux qu'une tendance religieuse s'efforce d'atteindre de l'influence réelle qu'elle exerce sur le comportement des fidèles »38. Il s'agit là d'une incitation à une véritable anthropologie religieuse, qu'on ne peut qu'approuver. 30 Il serait facile, pour conclure, de considérer que Weber et Groethuysen nous donnent deux approches plus complémentaires qu'opposées d'une analyse du lien entre la religion et la modernité. Ce serait aboutir à une synthèse faisant fi du désintérêt apparent de l'un pour l'autre, de la profonde divergence de méthode entre eux, de la particularité de leurs projets respectifs et de l'extrême différence de leurs sujets. Et pourtant, Groethuysen nous montre la fécondité d'une interrogation sur l'origine de la modernité à partir des rapports entre une classe sociale et l'idéologie religieuse dans laquelle elle est née. Même si cette manière de présenter la question peut apparaître datée, voire simpliste, il n'empêche qu'elle nous mène sur la voie, pas si fréquentée, du rapprochement entre le religieux, le culturel, le social et l'économique ; et qu'elle oblige à étudier de près les effets sociaux des discours religieux, démarche relativement peu courante dans le monde francophone. De son côté, Weber et la controverse qu'ont suscitée ses essais sur le protestantisme et le capitalisme invitent à une analyse complexe des phénomènes religieux, où la notion d'affinité joue un rôle essentiel pour éviter une vision trop mécaniste de l'influence des idées religieuses sur les pratiques sociales. 31 Reste, une fois élucidées ces questions de méthode sur le lien entre religion et modernité, à se demander quel champ d'études privilégier. Les rapports complexes entre le catholicisme français et l'Église sont-ils les plus pertinents pour comprendre l'avènement du monde contemporain ? Faut-il s'intéresser plutôt à l'éthique protestante des négociants anglais ou américains ? N'y aurait-il d'ailleurs pas d'autres pistes ? Weber passe bien rapidement sur le piétisme luthérien. Halle est pourtant un des lieux privilégiés où se forge l'Aufklärung et, de manière générale, le piétisme a joué un rôle considérable dans la formation de l'Allemagne contemporaine. Plus paradoxalement, on pourrait songer aux différents mouvements « enthousiastes », en Angleterre comme en France, avec les convulsionnaires jansénistes ; leur conservatisme en bien des points va de pair avec une promotion de l'individu, du moment qu'il est inspiré. Les quakers sont d'ailleurs fréquemment évoqués dans les discussions sur la thèse weberienne ; mais il n'est sans doute pas indifférent non plus que d'éminents esprits des Lumières, comme Newton, aient été sensibles à ces mouvements prophétiques. On pourrait en conclure, en définitive, qu'il n'y a pas un mode d'accès à la modernité, lié à un type d'éthique religieuse, mais des voies

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différentes, apparemment contradictoires, et forgeant pourtant le monde contemporain, dans sa complexité.

NOTES

1. Ernst Troeltsch, Gesammelte Schrifter, I, Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1912, 994 p. 2. Werner Sombart, Der Moderne Kapitalismus, Leipzig-München, Duncker und Humblot, 1902-1927, 3 vol. ; Die Juden und das Wirtschaftsleben, Leipzig, Duncker und Humblot, 1911, XXVI-476 p. ; Der Bourgeois. Zur Geistesgeschichte des modernen Wirtschaftsmenschen, München, Duncker und Humblot, 1913, VII-540 p. 3. Maurice Halbwachs, « Les origines puritaines du capitalisme », Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 5, mars-avril 1925, p. 132-154. 4. Par Jacques Chavy, chez Plon dans la collection « Recherches en sciences humaines », 325 p. 5. Edwin Robert Anderson Seligman (dir.), Encyclopœdia of the Social Sciences, vol. XVIII, New York, july 1934, p. 631-635. 6. Hector Meinteith Robertson, Aspects of the Rise of Economic Individualism. A Criticism of Max Weber and his School, London, Cambridge University Press, 1933, XIV-223 p. et la critique de Philippe Besnard, Protestantisme et Capitalisme. La controverse post-wéberienne, Paris, Armand Colin, 1970, 426 p. 7. Heinz Schilling, « Confession religieuse et identité politique en Europe. Vers les temps modernes (XVe-XVIIIe siècle) », Concilium, 1995, no 262, p. 13-23. 8. Origines de l'esprit bourgeois en France, Paris, Gallimard, 1927, p. VII et XI. 9. L'Éthique protestante…, p. 21. C'est Weber qui souligne. 10. Ibid., p. 250. 11. Origines de l'esprit bourgeois…, p. 196. 12. Origines de l'esprit bourgeois…, p. IX-X 13. Thèse reprise récemment par Jacques Attali, Les Juifs, le monde et l'argent. Histoire économique du peuple juif, Paris, Fayard, 2002, 638 p. 14. Philippe Besnard, Protestantisme et capitalisme, op. cit., p. 97. 15. Toute cette controverse est retracée commodément dans la longue introduction du livre de Philippe Besnard, Protestantisme et capitalisme, op. cit. ; voir aussi Hugh Redwald Trevor-Roper, De la Réforme aux Lumières, Paris, Gallimard, 1972, 301 p. 16. L'Éthique protestante…, p. 252. C'est Weber qui souligne. 17. Raymond Boudon, Les Méthodes en sociologie, Paris, PUF, 1969, p. 102, cité par de Philippe Besnard, Protestantisme et capitalisme…, op. cit., p. 21-22. 18. L'Éthique protestante…, p. 46-48. 19. Hector Meinteith Robertson, Aspects of the Rise of Economic Individualisme, op. cit. ; Amintore Fanfani, Cattolicesimo e Protestantesimo nella formazione storica del capitalismo, Milan, Società editrice Vita e pensiero, 1934, VIII – 160 p. 20. Daniel Vidal, « Mystique abstraite et intrigue financière. Benoît de Canfield et la raison comptable au XVIIe siècle », Revue Historique, 1992, p. 33-60. 21. Leszek. Kolakowski, Chrétiens sans Église. La Conscience religieuse et le lien confessionnel au XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1969, 827 p., p. 58.

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22. Préface publiée partiellement dans la revue Arguments, 4 (20), 1960 : « Expérience sociale et idéologie. Fragment inédit sur l'esprit bourgeois », p. 55-58. La citation est à la page 56. 23. Ibid. 24. Ibid. 25. Jacques Savary, Le Parfait négociant, Livre 1, chap. 4 (édit. 1773). 26. L'Éthique protestante…, p. 33. C'est nous qui soulignons. 27. Origines de l'esprit bourgeois…, p. 219. 28. Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle (édition abrégée), Paris, Seuil, 1978, 346 p., p. 291-293. 29. Yves Krumenacker, Des Protestants au siècle des Lumières. Le modèle lyonnais, Paris, H. Champion, 2002, 358 p. 30. L'Éthique protestante…, p. 110. 31. Origines de l'esprit bourgeois…, p. 221-228. 32. Il commence à être mieux connu. En témoignent, entre autres, la place qui lui est faite dans le tome 10, « Les défis de la modernité », in Histoire du Christianisme, Paris, Desclée, 1997, 1002 p., sous la dir. de Bernard Plongeron, ou le colloque Christianisme et Lumières tenu à l'E.N.S. Lettres et Sciences Humaines (Lyon, 30 nov.-2 déc. 2000), paru dans la revue XVIIIe siècle, no 34, 2002. En sens inverse, on peut relever le livre récent de Darin M. McMahon, Enemies of the Enlightenment : the French counter-Enlightment and the Making of Modernity, New York, Oxford University Press, 2001, XII-262 p. 33. Origines de l'esprit bourgeois…, p. 248-279. 34. On ne peut que renvoyer à Robert Taveneaux, Jansénisme et prêt à intérêt, Paris, J. Vrin, 1977, 240 p. et, plus récemment, à Claude Langlois, « La morale économique en procès dans la seconde moitié du dix-huitième siècle : De l'usure de Jean-Joseph Rossignol (1787-1804) », Religions en transition dans la seconde moitié du XVIII e siècle, textes présentés par Louis Châtellier, Oxford, Voltaire Foundation, 2000, 300 p., p. 45-57. 35. Origines de l'esprit bourgeois…, p. 35. 36. « Expérience sociale et idéologie… », art. cit., p. 57. 37. À titre d'exemple, Monique Cottret, Jansénismes et Lumières : pour un autre XVIIIe siècle, Paris, A. Michel, 1998, 418 p. ou Didier Masseau, Les Ennemis des philosophes : l'antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, A. Michel, 2000, 451 p. 38. L'Éthique protestante…, p. 43, note.

AUTEUR

YVES KRUMENACKER

Université-Lyon III / Institut d’Histoire du Christianisme

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Le dévot. Nouvelles perspectives sur une réalité perçue par Groethuysen

Louis Châtellier

1 Le lecteur moderne ne peut aborder les Origines de l'esprit bourgeois en France sans connaître la place réelle occupée par Bernard Groethuysen dans la vie intellectuelle de l'entre-deux-guerres. Il ne fut pas un historien, et encore moins un spécialiste des problèmes de spiritualité. Mais, philosophe de formation, il fut un essayiste de grand talent, dont la vie s'est passée à tenter de rapprocher les intellectuels allemands et français. Il fut l'un des animateurs des Décades de Pontigny et, surtout peut-être, des rencontres de Colpach, au Grand-duché de Luxembourg où, d'ailleurs, il mourut et fut enterré1.

2 Il ne convient donc pas de s'étonner de l'absence de références concernant tel ou tel ouvrage de l'époque, comme, par exemple, la célèbre Histoire littéraire du sentiment religieux en France de l'abbé Henri Bremond, nulle part citée 2. Ce type d'information n'entrait pas dans les préoccupations de l'auteur des Origines de l'esprit bourgeois. C'était, beaucoup plus, le grand débat d'idées qui partageait les intellectuels allemands des années vingt qui lui tenait à cœur. Celui-ci portait, depuis la publication des articles de Max Weber au début du siècle, sur le rôle de la religion dans la naissance de « l'esprit bourgeois ». Était-ce « l'éthique protestante » – principalement calviniste – comme le pensait Max Weber ?3. Ne convenait-il pas plutôt de remonter plus haut dans le temps, jusqu'au thomisme, voire au judaïsme, ce qui était la thèse défendue par Werner Sombart dans Le Bourgeois (1913)4 ? Établi en France, Groethuysen découvrait un pays où « l'esprit bourgeois » était bien présent, même si c'était sous des formes différentes de celles des États-Unis ou des villes de la Hanse. Après la surprise, était venu le projet de recherche. Le catholicisme – comme le pensait finalement Werner Sombart – était-il conciliable avec l'idéologie bourgeoise, et sous quelle forme ? À moins qu'elle fût née d'une révolte contre le catholicisme du XVIIIe siècle ? Ainsi se trouvait formulée la double question à l'origine de l'ouvrage du philosophe allemand.

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L'esprit du catholicisme est-il bourgeois ?

3 Pour les lecteurs français qui, dans leur immense majorité, n'étaient pas encore au courant de la nouvelle sociologie allemande, la problématique de l'auteur des Origines de l'esprit bourgeois devait apparaître bien difficile à suivre en 1927 5. Pour celui-ci, au contraire, il était passionnant de tester, dans une grande nation catholique, la valeur des intuitions de Werner Sombart. Il n'est, d'ailleurs, pas inutile de relever que l'ouvrage de Groethuysen fut écrit en pleine époque de renaissance du thomisme en France. Si les travaux d'Etienne Gilson s'adressaient aux spécialistes, ceux de Jacques Maritain, diffusés, en partie, dans les grandes revues de l'époque, touchaient un large public. Qu'il se soit senti conforté par cette littérature ou non, le philosophe allemand reconnaissait, dans son ouvrage, que l'« Église a contribué à former un type de bourgeoisie moyenne »6. Il admettait même que « l'Église comprend certains côtés de la bourgeoisie »7. Que voulait-il dire par ces mots ? La lecture assidue des recueils de sermons du XVIIIe siècle en était venue à le persuader que la morale prêchée par l'Église avait, pour le moins, contribué à la naissance des « vertus bourgeoises ». Chez Vincent Houdry, par exemple, il relevait ce principe : Quand tout est réglé et qu'on fait chaque chose en son temps, on agit en Chrétien8. 4 Un curé du diocèse du Mans rappelait à ses ouailles cette vérité d'expérience : Je vous l'ai dit autrefois, la pauvreté est la principale cause des chagrins des ménages comme les nôtres. Mais la pauvreté est toujours la suite de la fainéantise et du mauvais ordre dans les affaires de sa maison9. 5 Toutefois, Groethuysen n'expliquait pas clairement comment la théologie morale était à l'origine des « vertus bourgeoises ». Car l'inverse était également possible. Rien n'empêchait, qu'avec le temps, celles-ci se fussent insinuées dans l'enseignement de l'Église. Cette hypothèse était d'autant moins à rejeter que les règles imposées par le droit canon, depuis le concile de Trente, pour l'accès aux ordres sacrés revenaient pratiquement à exclure les pauvres du sacerdoce. L'obligation imposée au candidat au sous-diaconat de justifier d'un titre clérical qui lui assurerait, en cas de besoin, une rente annuelle de 100 livres tournois conduisait à interdire la carrière ecclésiastique à ceux dont la famille n'avait pas les moyens d'immobiliser un capital de 2 000 livres environ10. Par conséquent, au XVIIIe siècle, l'Église, c'était la bourgeoisie quand elle n'était pas l'aristocratie11. Aussi, la présentation que fit l'auteur des Origines de l'esprit bourgeois, dans la première partie de son livre, d'une bourgeoisie en opposition avec l'Eglise ne peut être admise qu'avec prudence et nuances12. Car le système bénéficial unissait étroitement l'une à l'autre13.

6 Ne pouvait-on pas aller plus loin et considérer que, sous l'Ancien Régime, la société tout entière était d'Église. C'était ce que le père Bourdaloue s. j. voulait faire comprendre lorsqu'il écrivait : Ce ne sont point deux choses qu'on soit en pouvoir de séparer : le chrétien d'avec le négociant, le chrétien d'avec l'ouvrier et l'artisan… parce que tout cela et tout autre état, si j'ose m'exprimer ainsi, doit être christianisé dans nos personnes14.

L'Église catholique, un obstacle à l’esprit bourgeois ?

7 Toutefois, ce jugement du père Bourdaloue révélait aussi les limites du rôle de l'Église dans la formation de l'esprit bourgeois. Celle-là, en effet, selon le prédicateur jésuite,

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considérait le fait de pratiquer le négoce comme un « état », stable par nature, qui procurait de justes rétributions mais non point la richesse à son titulaire. Groethuysen a fort bien perçu la différence entre le bourgeois catholique et celui qui était formé selon « l'éthique protestante », c'est-à-dire calviniste. Alors que celui-ci voyait dans la prospérité de ses affaires et son enrichissement sans limite, un signe encourageant du Tout-Puissant, le premier n'était pas invité à sortir de son état15. À son propos, l'auteur utilisait l'expression de « bourgeoisie moyenne » et il laissait bien entendre ainsi que les vertus qui étaient attribuées à cette catégorie sociale (économie, travail, ordre) n'étaient pas destinées à sa promotion sur terre mais à gagner le ciel16. Son modèle devait être le bon père de famille de l'Évangile. De même qu'il tenait une exacte comptabilité de ses recettes comme de ses dettes, il devait tenir registre de ses bonnes et de ses mauvaises actions. Le soir, sur son prie-Dieu, ses comptes terminés, il passait à son examen de conscience. À la fin de la semaine ou de la quinzaine, il allait présenter le bilan de ses œuvres, bonnes et moins bonnes à son directeur de conscience. Ainsi, insensiblement et sans changer d'activité, le bourgeois devenait-il dévot17. Son « état » appelait, en quelque sorte, une règle de vie qui, peu à peu, le changeait, le disciplinait aussi18.

8 Il arriva un temps, cependant, où cet équilibre se rompit. Les effets de cette sage économie furent récompensés et le bourgeois devint riche. Plus simplement encore, la société majoritairement rurale qui était celle du XVIIe siècle se trouva, peu à peu, transformée par la mise en place d'une économie pré-capitaliste, au siècle suivant. Les conditions du travail furent changées. Les qualités d'ordre, d'économie étaient moins nécessaires que les capitaux et les placements rentables. Ce fut sur cette époque, le XVIIIe siècle, que l'auteur des Origines de l'esprit bourgeois concentra son intérêt. Il releva le mécontentement de la bourgeoisie face à la rigueur de l'Église concernant les problèmes de l'argent. « Marchands, banquiers, traitants et gens d'affaires » étaient, déjà sur cette terre, promis au feu de l'enfer, déclarait un auteur du début du XVIIIe siècle qui écrivait sur ces questions19. Mais, négociants et entrepreneurs ne pouvaient quand même pas adopter l'absolu désintéressement d'un Isaac Le Maître de Saci qui alors qu'on lui proposait un placement avantageux, répondait : « Je ne veux pas être si riche20 ». Il est vrai que ceci se passait en 1660 et que Monsieur de Saci était janséniste. 9 Un siècle plus tard, une telle opinion chez un chef d'entreprise apparaîtrait non seulement déraisonnable mais suicidaire et criminelle à la fois. Dans une lettre à l'archevêque de Lyon, un négociant écrivait : Sans intérêt, point de prêt à jour. Sans prêt à jour point d'argent ; sans argent, point de commerce, point d'affaires ; mais tout est mort, tout est perdu ; et il évoquait : Cent mille ouvriers sans pain, parce qu'ils seront sans travail ; des enfants exposés de toutes parts21. Certes, tous les ecclésiastiques n'étaient pas insensibles aux effets d'une application à la rigueur des canons contre l'usure. Le père Croiset s. j. prêchait le bon sens. L'Évangile vous défend-il de veiller à la conservation de vos biens, et de travailler même à les accroître, par des voies permises ? demandait-il. L'Évangile condamne- t-il le soin de pourvoir à votre famille, de placer vos enfants, de recueillir les fruits de vos terres… Nullement, il condamne seulement l'excès, la cupidité et le trop grand empressement22.

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Il n'empêche que ceux qui défendaient la voie de la fermeté dans l'application de la loi de l'Église contre l'usure restaient nombreux tant en France qu'en Italie à la fin du XVIIIe siècle23. 10 L'esprit bourgeois n'étant plus en harmonie avec la dévotion, ceux qui pratiquaient cette dernière devaient donc rechercher, par eux-mêmes, des voies nouvelles soit auprès d'ecclésiastiques de leur choix prêts à les conseiller, soit seuls avec l'appui de lectures appropriées. La Révolution française allait encore accentuer cet isolement. Le temps des dévots était révolu, venait celui de l'homme d'œuvre ou de l'intellectuel chrétien.

11 Ainsi, le grand ouvrage de Bernard Groethuysen, écrit à l'époque où, en Allemagne, les thèses weberiennes étaient âprement discutées, n'a-t-il pas fini de porter ses fruits24. Il offre une approche plus française du concept nouveau de confessionnalisation et, permet, surtout, de le prolonger par celui de « déconfessionnalisation » pour lequel, me semble-t-il, il constitue la meilleure des introductions.

NOTES

1. Voir la communication de François Chaubet ; sur les rencontres de Colbach, Tony Bourg et Jean-Claude Muller, « Un ami allemand d'André Gide : Bernard Groethuysen (1880-1946) », in André Gide und Deutschland / André Gide et l'Allemagne, Herausgegeben von Hans T. Siepe und Raimund Theis, Düsseldorf, Droste Verlag, 1992, 313 p., p. 181-193. 2. Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Paris, Bloud et Gay, 1916-1932, 11 vol. 3. Max Weber, « Die Protestantische Ethik und der ‘Geist’ des Kapitalismus », Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, 20, 1904, p. 1-54 ; 1905, p. 1-110 ; repris et traduit en français dans Max Weber, L'Éthique protestante et l'esprit du protestantisme, trad. Jacques Chavy, Paris, Plon 1964. 4. Werner Sombart, Der Bourgeois. Zur Geistesgeschichte des modernen Wirtschaftsmenschen, München, Duncker und Humblot, 1913, VII-540 p., traduit en français par Samuel Jankélévitch, Le Bourgeois : contribution à l'histoire morale et intellectuelle de l'homme économique moderne, Paris, Payot, 1926, 483 p. 5. La première traduction du Bourgeois fut publiée en France en 1926. Ce fut, semble-t-il, Raymond Aron qui révéla aux intellectuels français ce débat dans son ouvrage, paru en 1936, La Sociologie allemande contemporaine, Paris, Alcan ; 178 p. après, il est vrai, l'article de Maurice Halbwachs, « Les origines puritaines du capitalisme », Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 5 (2), mars-avril 1925, p. 132-154 ; voir Philippe Besnard, Protestantisme et capitalisme. La controverse post-weberienne, Paris, Armand Colin, 1970, p. 410-411. 6. Bernard Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois en France, vol. I, L'Église et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, 1927, p. 219. 7. Id., p. 210. 8. Id., p. 205. 9. Id. p. 208.

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10. Louis Châtellier, « Société et bénéfices ecclésiastiques. Le cas alsacien (1670-1730) », Revue Historique, vol. 495, juillet-septembre 1970, p. 75-98. 11. Un bon exemple est donné par Dominique Julia, « Le clergé paroissial dans le diocèse de Reims à la fin du XVIIIe siècle », Revue d'histoire moderne et contemporaine, XIII, 1966, p. 195-216. 12. Bernard Groethuysen, op. cit., p. 33-43, en particulier. 13. Louis Châtellier, art. cit., p. 90-98. 14. Bourdaloue, cité par Bernard Groethuysen, op. cit., p. 288. 15. Max Weber, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, op. cit., p. 113-181. 16. Bernard Groethuysen, op. cit., p. 219. 17. Louis Châtellier, L'Europe des dévots, Paris, Flammarion, 1987, 315 p. 18. Paolo Prodi (éd.) Disciplina dell'anima, disciplina del corpo e disciplina della società tra medioevo ed moderna, Bologne, il Mulino 1994, 963 p. 19. Bernard Groethuysen, op. cit., p. 237. 20. René Taveneaux, Jansénisme et prêt à intérêt, Paris, J. Vrin, 1977, 240 p., p. 111. 21. Bernard Groethuysen, op. cit., p. 263-264. 22. Bernard Groethuysen, op. cit., p. 259-260 ; également, Claude Langlois, « La morale économique en procès dans la seconde moitié du dix-huitième siècle : De l'usure de Jean-Joseph Rossignol (1787-1804) », in Louis Châtellier (éd), Religions en transition dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 2000, 300 p., p. 45-57. 23. Paola Vismara, « L'Église et l'argent 1750-1850 », Conférence comme professeur invité, séminaires de Jean-Robert Armogathe et Louis Châtellier, Annuaire de l'École pratique des hautes études. Section des sciences religieuses, t. 110, 2001-2002, p. 429-430. 24. Wolfgang Reinhard und Heinz Schilling (éd.), Die Katholische Konfessionalisierung : wissenschaftliches Symposium der Gesellsachft zur Heransgabe des Corpus Catholicorum und des Vereins für Reformationsgeschichte, Gütersloh, Verlag Aschendorff, 1995, XIII-472 p.

AUTEUR

LOUIS CHÂTELLIER

Université Nancy-II

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Bernard Groethuysen et la « crise du péché » dans la France du XVIIIe siècle

Philippe Boutry

Théorie de la vraie civilisation. Elle n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes, elle est dans la diminution des traces du péché originel. Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, XXXII, 58 1 Dans cette même année 1927 où Bernard Groethuysen fait paraître chez Gallimard la première édition française des Origines de l'esprit bourgeois en France1, Paul Claudel rédige au château de Brantes la seconde de ses Conversations dans le Loir-et-Cher dont un bref passage intéresse directement l'histoire de l'idée de péché, qui sera l'objet de cette brève contribution : – FLAMINIUS : Et quelle est, je vous prie, la brique et l'ouvrier de cet étroit cachot où râle notre séquestré, ce mur construit de par dedans qui le sépare des autres hommes, sinon ce blême et fade doublet que nous voyons grouiller un moment le dimanche parmi les autres vermisseaux de la rhétorique dans le sermon de notre curé et qu'il appelle le Péché Mortel ? L'une des sept espèces dont nous avons appris le nom au catéchisme. Que ce soit l'Orgueil qui nous roidit ou l'Envie qui nous ronge ou la Colère qui nous défigure ou la Luxure qui nous corrompt ou la Gourmandise qui nous abrutit ou l'Avarice qui nous ferme ou la Paresse qui nous paralyse, est-ce que ce n'est pas le même effet toujours qui est de nous séparer non pas seulement de Dieu mais des hommes ? de nous interdire ? de faire de nous quelque chose d'inutile et d'incarcéré ? Qu'en pensez-vous ? Ai-je décrit des maux de l'âme, ou des vices de l'esprit, ou des tares du corps ? Tout cela est la même chose. – CIVILIS : Voilà ce qui faisait rire l'agréable Renan quand à la fin de sa vie il disait aux jeunes gens : Le péché n'existe pas2. 2 En prenant le risque de rapprocher d'entrée de jeu Groethuysen de Claudel, on n'entend certes pas tirer argument d'une rencontre chronologique aux fins de minimiser ce qui sépare les deux écrivains, qui n'est rien d'autre que le christianisme, mais souligner une opinion partagée : pour « l'honnête homme » du XVIIIe siècle selon Groethuysen comme pour « l'agréable Renan » selon Claudel, le péché n'existe plus, le

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péché n'existe pas. « Il n'y aura plus de péché » ; « le pécheur se meurt » ; « le péché se meurt », répète avec insistance Groethuysen dans les Origines 3. Il est advenu dans le cours du XVIIIe siècle, soutient-il textes à l'appui, une crise du péché 4 : ce sera l'objet même de ce propos.

3 Tel est bien le sens en effet de la démonstration contenue dans les trente-quatre pages du quatrième chapitre, consacré à « L'idée de péché », de la première partie des Origines, intitulée « Dieu, le péché, la mort »5. Fidèle à son dessein de retracer « ce qu'on pourrait appeler l'aspect social de l'émancipation religieuse du XVIIIe siècle »6, Groethuysen s'emploie à comprendre selon quelles voies, afin de « pouvoir s'installer dans un monde qui fût le sien », ce personnage aux contours sociologiques et culturels bien mal définis qu'il appelle « le bourgeois », [...] avait dû, dans un long et continuel effort, modifier graduellement les sentiments et les idées que le passé lui avait léguées […], les manières de sentir qui lui étaient communes avec tous les fidèles, [à travers] une sorte d'émancipation intérieure qui devra s'accomplir en lui, avant qu'il puisse lancer le défi aux ministres de l'Église et suivre sa propre voie7. Le chapitre sur l'idée de péché prend ainsi place dans une démonstration plus générale tout en s'efforçant d'appréhender les mutations des sensibilités religieuses dans un domaine essentiel, qui touche à la fois aux fondements anthropologiques du christianisme (la doctrine du péché originel), au terrain privilégié des controverses théologiques de l'âge classique (le débat sur la nature et la grâce), à la genèse du processus de dissociation de la religion et de la morale et au plus intime du cœur de l'homme (la conscience du mal, la perception de la faute et le sentiment de culpabilité). 4 Aussi ces brèves considérations tenteront-elles tour à tour de prendre la mesure de la méthode de travail de Groethuysen, de son schéma interprétatif et de la portée de son livre dans l'historiographie du XXe siècle. On traitera ainsi successivement, en premier lieu, de la question des sources ; en second lieu, de l'argumentation et de la mise en œuvre de la thèse groethuysienne de transmutation du péché en délit et de la religion en morale ; enfin on s'interrogera sur la fécondité et les limites de la notion groethuysienne de crise du péché au regard de la réflexion actuelle sur l'histoire religieuse, culturelle et intellectuelle du XVIIIe siècle.

Les sources de Groethuysen

5 L'examen des sources mises en œuvre par Bernard Groethuysen pour traiter des modifications de « l'idée de péché » soulève un premier et délicat problème : celui de l'appauvrissement considérable, effectué par l'auteur lui-même, de l'édition française de son livre chez Gallimard par rapport à l'édition allemande, parue successivement en 1927 et 1930, en deux volumes, à Halle sous le titre Die Entstehung der bürgerlichen Welt- und Lebensanschauung in Frankreich8. Ce sont les trois quarts des notes qui ont été sacrifiées dans le chapitre qui nous intéresse9, réduisant l'exposé à une simple épure et posant le problème des critères de sélection qui ont dicté les choix de l'auteur.

6 Parmi les cent-quatre références qu'on relève dans les notes de l'édition française, c'est le groupe janséniste qui apparaît le mieux représenté, avec soixante et une occurrences10. On compte ainsi treize références aux Nouvelles ecclésiastiques 11, dont il convient de noter, avec Catherine Maire, que ce « journal à grand écho social, machine de guerre du parti janséniste, première forme de propagande » est considéré par

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Groethuysen « comme une simple gazette janséniste »12. Le même « détournement de source » est effectué sur la somme apologétique du « parti » janséniste contre la bulle Unigenitus, Les Hexaples, ou les Six Colonnes sur la Constitution Unigenitus (1721) d'Étemare et de ses collaborateurs, citées à onze reprises : ce « manifeste de la résistance » contre la bulle est traité par Groethuysen « comme un simple livre de piété »13. Parmi les auteurs jansénistes, on relève encore huit citations d'Antoine Arnauld (dont six extraites de la Seconde Apologie de Jansénius et deux de l'Apologie pour les Saints Pères), cinq citations de Pascal (dont quatre extraites des Pensées, citées dans l'édition de Léon Brunschvicg14, et la cinquième des Provinciales), quatre citations des Œuvres de Pierre Nicole, deux citations de Jacques-Joseph Duguet (extraites de son Explication du livre de la Genèse et de ses Lettres sur divers sujets de Morale et de Piété), deux citations de Pasquier Quesnel, et une référence au Traité philosophique et théologique sur l'Amour de Dieu d'Ellies Dupin et à la Lettre du théologien Bon-François Pelvert où l'on examine la doctrine de quelques écrivains modernes contre les Incrédules (1776). Sont encore représentés des évêques proches du « parti », comme Mgr Charles-Joachim Colbert de Croissy, évêque de Montpellier, avec trois citations tirées de ses Œuvres, ou encore, beaucoup plus avant dans le XVIIIe siècle, Mgr Jean-Félix de Fumel, évêque de Lodève, avec un extrait de son Instruction pastorale sur les Sources de l'Incrédulité du Siècle (1765), et Mgr Antoine Malvin de Montazet, archevêque de Lyon, avec deux citations extraites de son Instruction pastorale sur les Sources de l'Incrédulité et les Fondements de la Religion (1776). On relèvera encore quelques emprunts à des écrits du « parti », La Religion Chrétienne méditée dans le véritable Esprit de ses Maximes, le Parallèle de la Doctrine des Païens avec celle des Jésuites (1726), Le Vrai Sens des Cent Une Propositions (1742), le trentième Discours sur les Nouvelles ecclésiastiques (1759), cités à deux reprises en complément des Hexaples, qui leur sont pourtant bien antérieures, ou encore la Réponse de M** à M. l'Évêque de** sur cette question : Y a-t-il quelque Remède aux Maux de l'Église de France (1778), évoquée trois fois. 7 Un second groupe de citations vient encore étayer le camp de la « corruption originelle »15 de vingt et une références supplémentaires : ce sont des auteurs « classiques » qui expriment, essentiellement à travers la prédication, la théologie traditionnelle de l'Église du Grand Siècle. On relève ainsi en ce sens huit références à Bossuet, extraites d'ouvrages aussi divers que l'Élévation sur les Mystères (trois citations), le Sermon sur le Respect dû à la Vérité (deux citations), la Défense de la Tradition et des Saints Pères, l'Oraison funèbre de Nicolas Cornet ou le Traité de la Concupiscence, et cinq références aux Examens particuliers sur divers Sujets propres aux Ecclésiastiques (1690) du sulpicien Louis Tronson, présenté, bien à tort, comme « l'évêque Tronson »16. Massillon est dans le même sens également attesté à deux reprises, à travers son Sermon sur la Samaritaine et son Sermon sur l'Évidence de la Loi. Groethuysen utilise encore trois brefs passages contre les casuistes extraits du septième Entretien sur les sciences (1683) du P. Lamy, du Discours sur l'Histoire Ecclésiastique de Claude Fleury et des Lettres à un Évêque sur divers Points de Morale de Mgr Jean-Georges Lefranc de Pompignan, évêque du Puy ; à ces trois textes, il faut ajouter, utilisé à contre-emploi contre les partisans de la « morale relâchée », un long et éloquent extrait de l'article « Loyola » du Dictionnaire philosophique de Bayle. Groethuysen fait encore figurer parmi les tenants des thèses traditionnelles quelques prédicateurs passablement obscurs en citant à deux reprises les Discours de piété sur les plus importants Objets de la Religion de Pacaud, Sur la Fête de la Purification et Sur la Toussaint.

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8 Que reste-t-il dès lors pour illustrer la position des casuistes ainsi que la « crise du péché » qui est au cœur de la démonstration groethuysienne ? Les jésuites sont les parents pauvres d'une argumentation qui fait la part belle (80 % des références) aux textes d'origine janséniste ou « classique » : six références seulement, dont trois extraites des Mémoires de Trévoux des années 1754, 1759 et 1762, une des Sentiments des Jésuites touchant la Piété philosophique (1694) du père Dominique Bouhours, l'adversaire de Nicole et du Grand Arnauld, une de l'Apologie de Cartouche, ou le Scélérat justifié par la grâce du sieur Quesnel, du père Louis Patouillet, figure de proue de l'antijansénisme du XVIIIe siècle ; une enfin, en tête du chapitre, des Sermons du jésuite Charles Frey de Neuville. En fait, ce sont les auteurs et les ouvrages de la seconde moitié du XVIIIe siècle, exprimant « la morale chère aux enfants du siècle »17, qui sont privilégiés en fin de chapitre, à travers dix-sept références extrêmement disparates. On relève ainsi cinq extraits de la Nouvelle Défense de la Constitution de N. S. P. le Pape portant condamnation du Nouveau Testament du Père Quesnel, publiée à Liège en 1714 par l'abbé Claude Le Pelletier, polémiste antijanséniste18 ; trois citations tirées des Mœurs (1749) et des Éclaircissement sur les mœurs (1762) de François-Vincent Toussaint 19 ; deux emprunts à l'article Homme de L'Alambic Moral, ou Analyse raisonnée de tout ce qui a rapport à l'Homme (1773), au traité Du Bonheur (1767) d'Alphonse de Serres de La Tour 20 et aux Maximes de Droit naturel sur le Bonheur (1791) de Jean Meyniel, obscur avocat en à Caumont qui sera élu en 1789 député du tiers-état de la sénéchaussée de Condom aux États Généraux21 ; sont encore utilisés pêle-mêle le Plan d'Éducation civique (1770) de l'abbé Coyer22, la Seconde Lettre à M. de Necker de Rivarol et, en guise de conclusion un bref passage des Pensées et Fragments inédits de Montesquieu, seule grande figure intellectuelle parmi toute cette « petite monnaie des Lumières ». 9 Que conclure de cette longue énumération ? L'écrasante suprématie du corpus janséniste laisse tout d'abord transparaître chez Bernard Groethuysen une véritable fascination pour le discours sur la « corruption de l'homme ». Ce sont les plus grands auteurs de Port-Royal qui sont convoqués, Arnauld, Pascal, Nicole, mais aussi les protagonistes majeurs du « parti » au XVIIIe siècle, à travers ses expressions collectives comme les Nouvelles ecclésiastiques ou les Hexaples, ou ses principaux porte-parole comme Pasquier Quesnel, Jacques-Joseph Duguet, Ellies Dupin ou Bon-François Pelvert, sans oublier les évêques proches du « parti », Colbert, Fumel ou Montazet. La lecture des notes du texte original rendrait plus sensible encore cette prédilection, cette délectation des affirmations les plus radicales de la misère du cœur humain : c'est le Dictionnaire théologique portatif, où l'on peut lire (en français dans l'appareil de notes allemand) qu'« Adam a communiqué nécessairement à ses enfants un corps corrompu, et les âmes jointes à ces corps ont contracté ces inclinations corrompues »23 ; c'est l'Oraison funèbre de Marie Thérèse d'Autriche de Bossuet où il est dit : Dilecta quis intelligit ? Qui peut connaître ses péchés ? Que je hais donc ta vaine science et ta mauvaise subtilité, âme téméraire, qui prononces si hardiment : ce péché que je commets sans crainte est véniel. L'âme vraiment pure n'est pas si savante24. 10 C'est Quesnel qui affirme que « l'homme défiguré par le péché n'est plus reconnaissable »25 et que « la connaissance de la corruption de la nature et de la nécessité d'être renouvelé par Jésus-Christ sont les premiers éléments de la religion chrétienne »26 ; c'est Pascal enfin qui évoque dans les Pensées « le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près »27.

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11 Les principaux écrivains ecclésiastiques du Grand Siècle, au premier rang desquels Bossuet, Massillon ou Tronson, sont en second lieu rangés dans l'argumentation aux côtés des jansénistes, tout comme d'ailleurs les adversaires des casuistes de tout bord (de l'historien Claude Fleury au philosophe Pierre Bayle). Sans le savoir, ou en le sachant peut-être (en tout cas, il n'en fait pas état), Groethuysen retrouve le « front uni » des gallicans et des jansénistes qui a fait la victoire définitive, pour plus d'un siècle, des thèses rigoristes dans le champ de la théologie morale à l'Assemblée du Clergé de 1700 et qui obtiendra en 1762, avec l'aide des philosophes, l'interdiction de la Compagnie de Jésus par le Parlement de Paris28. 12 Ce déséquilibre entraîne en troisième lieu une certaine dévalorisation, quantitative au premier chef, mais aussi qualitative, de la casuistique jésuite ou du discours présenté comme « bourgeois » de la fin du XVIIIe siècle : quelques citations éparses, des protagonistes parfois obscurs, qui laissent entier le mystère de cette victoire sans combat, par épuisement ou par effacement progressif, remportée sur le discours chrétien, classique ou tragique, relatif au péché et à la corruption du cœur de l'homme. 13 Le choix des citations, même en acceptant l'a priori groethuysien de ne citer que des auteurs chrétiens, et en particulier de ne pas citer les philosophes, laisse enfin apparaître des vides un peu étonnants. On en retiendra deux exemples. Excellent connaisseur de l'œuvre de Rousseau29, Groethuysen n'ignorait certainement pas l'existence de la grande thèse de Masson, publiée en 1916, La Religion de J.-J. Rousseau 30. Or ce dernier avait consacré une partie importante de son travail aux sources de l'idée de la bonté naturelle de l'homme et de la critique rousseauiste de la doctrine du péché originel : en particulier le Traité du vrai mérite de l'homme, considéré dans tous les âges et dans toutes les conditions, avec des principes d'éducation propres à former les jeunes gens à la vertu (1734) de Le Maître de Claville, président au Bureau des finances de Rouen, « un des livres de morale qui eurent le plus de lecteurs durant tout le siècle », note Robert Mauzi31, mais aussi le Cleveland (1732) de l'abbé Prévost, ou encore le Traité de la vérité de la religion chrétienne (1748) du pasteur genevois Turretin. L'analyse de ces ouvrages et leur influence sur Rousseau permettait à Masson d'argumenter la thèse selon laquelle les principaux thèmes systématisés et radicalisés dans l'Émile en 1762, étaient déjà prégnants dans la production littéraire française des années trente et quarante du XVIIIe siècle ; en les omettant, Groethuysen se prive à la fois d'une chronologie et d'une étape importante de la « crise du péché ». De la même manière, on s'étonne un peu de ne pas voir citer dans ce chapitre, alors qu'il l'est souvent ailleurs, l'œuvre du théologien comtois Nicolas-Sylvestre Bergier qui fait figure à partir des années 1760 de porte- parole officieux de l'épiscopat français dans sa lutte contre les Lumières, qu'il s'agisse du Déisme réfuté par lui-même, rédigé et publié directement contre l'Émile de Rousseau, ou du Dictionnaire de théologie publié en 1788-1790 dans l'Encyclopédie méthodique de Panckoucke. Il y aurait trouvé, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, à la fois une réaffirmation ferme et nette de la doctrine classique de l'Église catholique sur le péché originel et une prise de distance sensible envers le jansénisme ou le rigorisme, traités sous forme d'articles très critiques dans la Théologie. Mais cela rentrait mal, sans doute dans le schéma groethuysien en préfigurant le « tournant intransigeant » de la fin du XVIIIe siècle et du XIXe siècle32, que Groethuysen ignore, implicitement ou délibérément, on ne sait.

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De la transmutation du péché en délit et de la religion en morale

14 « L'idée de derrière », pour parler comme Pascal, de la démonstration groethuysienne, ce pourrait bien être, en effet, à travers la négation philosophique de l'idée de péché, la transformation graduelle, dans le cours du XVIIIe siècle, de la religion en morale : ce que Michel de Certeau analysera, un demi siècle plus tard en un texte essentiel et difficile d'accès, comme le passage « du système religieux à l'éthique des Lumières »33.

15 Elle s'affirme tout d'abord à travers la thèse générale d'une « crise de croyance », au sein de laquelle s'inscrit à son tour la « crise du péché ». C'est ce qu'affirme avec force le premier chapitre de la seconde partie des Origines, intitulé « La transformation des idées religieuses », qui analyse comme un « phénomène historique » ce que Groethuysen définit comme « l'émancipation bourgeoise » – émancipation, de mancipium, troupeau d'esclaves, mot clé du lexique politique des Lumières, du libéralisme et du premier socialisme. Il s'agit à ses yeux, non d'un événement, mais d'un processus : Il serait erroné de vouloir, dans l'émancipation bourgeoise, tout réduire à la formule du : « je crois » ou « je ne crois pas ». L'on parlerait plus justement d'un mouvement continu […]. Il s'agit souvent, bien plutôt de tensions et de conflits dans la conscience même de celui qui s'émancipe peu à peu, et de transformations qui s'accomplissent dans les esprits, sans que l'individu en soit toujours conscient et puisse en préciser le caractère et les circonstances […]. Il y aura chez les profanes, oubli, sélection, réduction, transformations de toutes sortes concernant l'étendue ou la qualité de ce qu'on croit […]. Si le bourgeois a éliminé certaines vérités, ou plutôt si souvent il les a laissé dépérir en lui, il en a gardé d'autres, en les transformant, c'est-à-dire en leur enlevant ce qu'elles avaient de particulièrement religieux, en les sécularisant pour ainsi dire, en les intégrant dans son monde profane34. 16 Le mot essentiel est lâché : sécularisation, dont il est donné une saisissante description et qui renvoie inévitablement aujourd'hui à la sociologie wébérienne, même si Weber n'est jamais explicitement cité35 : Groethuysen ne parle-t-il pas, à plusieurs reprises, des « enfants du siècle »36 pour qualifier ses « bourgeois émancipés » ? Ce schéma, à la fois linéaire, progressif et cumulatif, le conduit à distinguer, on le sait, deux « types de catholiques », le premier défini par une « émancipation par réduction de la foi, qui permet au profane de rester un « croyant » tout en se conformant, dans les menus détails de la vie, exclusivement aux règles de la prudence et du bon sens »37 et qu'il situe plutôt dans le premier XVIIIe siècle, le second inséré dans le « monde nouveau », qui conserve « sentiment religieux » et émotivité religieuse », mais manifeste désormais sa « répugnance » envers le « fanatisme » et la « superstition » et son éloignement pratique vis-à-vis des prescriptions de l'Église catholique : Le catholique de la fin du siècle – conclut le sociologue – ne croira pas seulement autre chose, et autrement que ses ancêtres, il sera lui-même devenu autre ; c'est un homme nouveau, qui aime parfois se parer d'un titre ancien38. 17 La « crise du péché », telle que la décrit Bernard Groethuysen dans ses différentes étapes sur la base des textes qu'il a privilégiés, est l'une des voies essentielles de l'avènement de cet « homme nouveau »39. Aussi comprend-on mieux pourquoi il accumule en début de chapitre les textes sombres sur la condition de l'homme pécheur, extraits à la fois, on l'a dit, de la production janséniste et des auteurs classiques du

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Grand Siècle, comme Bossuet. Enfants « criminels d'un père criminel », pour parler avec le Grand Arnauld40, « tous les descendants d'Adam », poursuivent les Hexaples, « sont des malades, mais malades d'une maladie qui conduit infailliblement à la mort éternelle »41. Si Groethuysen ne s'attarde pas sur le problème de la liberté et de la responsabilité, qui l'obligerait à étudier de plus près la querelle des casuistes et bouleverserait sa chronologie quelque peu sommaire, il met en évidence un processus de « réhabilitation » de l'homme qui s'intègre mieux à sa perspective d'ensemble comme aux datations proposées : « ainsi », écrit-il en une formule bien frappée, « le pécheur se meurt – je parle du pécheur classique, du pécheur intégral – et nous semblons devenir meilleurs et moins repoussants aux yeux de la divinité à mesure que le temps avance »42.

18 La « réhabilitation » de l'homme passe ainsi par un processus de dissociation (Auflösung ) du péché. C'est à ce point du raisonnement qu'on retrouve les casuistes, saisis le plus souvent à travers les dénonciations véhémentes de leurs adversaires contre la « morale relâchée ». La polémique janséniste, ou plus généralement rigoriste43, est ainsi utilisée à contre emploi, pour mieux faire ressortir un processus que les textes exagèrent souvent pour mieux l'accabler : ce qui rendrait compte peut-être du déséquilibre des sources indiqué plus haut. Et Groethuysen de citer pêle-mêle Pascal dans ses réfutations de la « morale païenne » des Provinciales, ou encore les sarcasmes du Grand Arnauld : « ils veulent trouver un milieu imaginaire entre la Cupidité et la Charité »44. Cependant c'est moins la disparition programmée du péché que sa transformation en catégorie éthique et juridique qui intéresse le sociologue : « il y aura des délits, des crimes, il n'y aura plus de péché » ; « le délinquant […] a remplacé l'ancien pécheur » ; « le moraliste aura tué le péché »45. « À homme nouveau, Dieu nouveau » : les morales du bonheur et de l'utilité ont remplacé à ses yeux dès la seconde moitié du XVIIIe siècle les déplorations de la corruption du cœur de l'homme. La conclusion est pourtant désabusée, désenchantée, ce qui ne saurait étonner de la part d'un lecteur conséquent de Marx – et d'un tempérament qu'on devine plus à l'unisson des tragédies raciniennes que des pastorales de Greuze : Quel est cet honnête homme qui semble avoir vaincu une fois pour toutes les épouvantes dont autrefois était rempli le cœur des fidèles ? C'est le bourgeois, le bourgeois, maître d'un monde nouveau, que Dieu et le démon semblent avoir également déserté, et qui n'ayant ni pécheurs ni saints, ne connaîtra plus ni les angoisses, ni les extases de jadis46. 19 La démonstration groethuysienne apparaît ainsi plus sociologique qu'historique (même si une perception globale de la chronologie du XVIIIe siècle est parfois esquissée), fondée sur une utilisation paradoxale des sources (où la littérature janséniste ou rigoriste sert de faire-valoir à l'avènement du « bourgeois ») et très faiblement contextualisée, que ce soit temporellement, spatialement et même, ce qui est un comble, socialement.

20 Surtout, elle conserve un « point obscur » en esquivant le moment fondamental de la critique rousseauiste du dogme du péché originel dans les années 1762-1765. Certes, on pourrait objecter que Groethuysen s'est déterminé, à propos de l'idée « bourgeoise » du péché comme à propos de l'idée « bourgeoise » de Dieu ou de la mort, de ne pas opposer terme à terme l'enseignement de l'Église catholique et la critique des Lumières, mais de confronter les conceptions traditionnelles, très largement identifiées avec le jansénisme, du péché originel et de la condition de l'homme pécheur avec les conceptions nouvelles issues de la prédication religieuse du XVIIIe siècle, à l'origine de « l'homme nouveau ». Il aurait pu pourtant trouver dans Émile, ou de l'Éducation (1762)

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comme dans le célèbre mandement de Mgr Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, en date du 20 août 1762 ou dans la non moins célèbre Lettre à Mgr de Beaumont de Rousseau (Genève, mars 1763), ou encore dans le traité que rédige contre l'Émile et publie en 1765 l'abbé Bergier, Le Déisme réfuté par lui-même, ou Examen en forme de lettres des principes d'incrédulité répandus dans les divers ouvrages de M. Rousseau, plus d'une affirmation en son sens, à l'intérieur d'une séquence fondamentale de l'histoire religieuse et philosophique du XVIIIe siècle.

21 Rousseau n'y affirme-t-il pas d'emblée que « tout est bien sortant des mains de l'Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme »47 ? Ne prend-il pas Hobbes à partie pour avancer que, « quand Hobbes appelait le méchant un enfant robuste, il disait une chose absolument contradictoire. Toute méchanceté vient de faiblesse ; l'enfant n'est méchant que parce qu'il est faible ; rendez-le fort, il sera bon : celui qui pourrait tout ne ferait jamais de mal »48 ? Ne soutient-il pas la capacité de l'être raisonnable à concevoir seul les normes de la vie morale : « La raison seule nous apprend à connaître le bien et le mal. La conscience qui nous fait aimer l'un et haïr l'autre, quoique indépendant de la raison, ne peut donc se développer sans elle »49 ? Ne vient-il pas enfin contester de front le dogme chrétien du péché originel : Posons pour maxime incontestable que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n'y a point de perversité originelle dans le cœur humain ; il ne s'y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment et par où il est entré. La seule passion naturelle à l'homme est l'amour de soi-même, ou l'amour-propre pris dans un sens étendu. Cet amour-propre en soi ou relativement à nous est bon et utile ; et, comme il n'a point de rapport nécessaire à autrui, il est à cet égard naturellement indifférent ; il ne devient bon ou mauvais que par l'application qu'on en fait et les relations qu'on lui donne50. 22 N'assène-t-il pas enfin les principes les plus contraires à l'enseignement traditionnel du christianisme : que « l'homme est naturellement bon » et que c'est « la société [qui] déprave et pervertit les hommes »51 ; que « nul enfant mort avant l'âge de raison ne sera privé du bonheur éternel »52 ; que « le mal général ne peut être que dans le désordre » et que « le mal particulier n'est que dans le sentiment de l'être qui souffre : […] ôtez nos funestes progrès, ôtez nos erreurs et nos vices, ôtez l'ouvrage de l'homme, et tout est bien »53.

23 Aussi Groethuysen se prive-t-il également de citer la réplique de Mgr de Beaumont, qui rentrait mal, il est vrai, par son intransigeance, dans le schéma évolutif de la mutation du péché en délit : Sous le vain prétexte de rendre l'homme à lui-même et de faire de son élève l'élève de la nature, écrit l'archevêque de Paris, il met en principe une assertion démentie, non seulement par la religion, mais encore par l'expérience de tous les peuples et de tous les temps. Posons, dit-il, pour maxime incontestable que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n'y a point de perversité originelle dans le cœur humain. À ce langage, on ne reconnaît point la doctrine des saintes Écritures et de l'Église touchant la révolution qui s'est faite dans notre nature ; on perd de vue le rayon de lumière qui nous fait connaître le mystère de notre propre cœur. Oui, M.T.C.F., il se trouve en nous un mélange frappant de grandeur et de bassesse, d'ardeur pour la vérité et de goût pour l'erreur, d'inclination pour la vertu et de penchant pour le vice. Étonnant contraste qui, en déconcertant la philosophie païenne, la laisse errer dans de vaines spéculations ! contraste dont la révélation nous découvre la source dans la chute déplorable de notre premier père54. 24 La réplique de Rousseau dans sa fameuse Lettre à Monseigneur de Beaumont n'en aurait pas moins été instructive. Le philosophe genevois a en effet très bien perçu le caractère

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déterminant de sa remise en cause du dogme du péché originel dans sa philosophie de l'éducation : si le péché originel existe, le gouverneur d'Émile doit renoncer à faire agir la « nature »55. Le principe fondamental de toute morale, sur lequel j'ai raisonné dans tous mes écrits et que j'ai développé dans ce dernier avec toute la clarté dont j'étais capable est que l'homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l'ordre ; qu'il n'y a point de perversité naturelle dans le cœur humain, et que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits […] J'ai fait voir comment, par l'altération successive de leur bonté originelle, les hommes deviennent enfin ce qu'ils sont56. 25 Il oppose surtout à la doctrine chrétienne un démenti qui est à la fois d'ordre exégétique, rationnel, mais aussi spirituel et éthique – c'est-à-dire qui se situe au cœur même de la thèse groethuysienne de la mutation de la religion en morale : Vous dites que mon plan d'éducation, loin de s'accorder avec le christianisme, n'est pas même propre à faire des citoyens et des hommes ; et votre unique preuve est de m'opposer le péché originel […] Il s'en faut bien, selon moi, que cette doctrine du péché originel, sujette à des difficultés si terribles, ne soit contenue dans l'Écriture ni si clairement ni si durement qu'il a plu au rhéteur Augustin et à nos théologiens de la bâtir […] Nous sommes, dites-vous, pécheurs à cause du péché de notre premier père. Mais notre premier père, pourquoi fut-il pécheur lui-même ? Pourquoi la même raison par laquelle vous expliquerez son péché ne serait-elle pas applicable à ses descendants sans le péché originel ? Et pourquoi faut-il que nous imputions à Dieu une injustice en nous rendant pécheurs et punissables par le vice de notre naissance ; tandis que notre premier père fut pécheur et puni comme nous sans cela. Le péché originel explique tout, excepté son principe ; et c'est ce principe qu'il s'agit d'expliquer […] Le sang du Christ n'est-il donc pas encore assez fort pour effacer entièrement la tache ? ou bien serait-elle un effet de la corruption naturelle de notre chair ? comme si même indépendamment du péché originel, Dieu nous eût créé corrompus, tout exprès pour avoir le plaisir de nous punir ! […] Et le moyen de concevoir que Dieu crée tant d'âmes innocentes et pures, tout exprès pour les joindre à des corps coupables, pour leur y faire contracter la corruption morale, et pour les condamner toutes à l'enfer, sans autre crime que cette union qui est son ouvrage ? […] Vous obscurcissez beaucoup la justice et la bonté de l'Être suprême57. 26 Plus perspicace – ou moins sociologue – que Bernard Groethuysen, l'abbé Bergier avait bien senti que le cœur du débat se situait dans cette articulation fondamentale de l'essence et de l'agir humain : « si la révélation du péché originel est fausse, toute la croyance chrétienne est nulle », écrit-il sans ambages58. Et de porter le débat sur le plan exégétique59 et théologique, mais aussi sacramentel, autour de la question du baptême, qui fonde une anthropologie chrétienne : « le baptême », écrit-il, « en effaçant les traces du péché […] ne nous affranchit pas de la concupiscence ni de la nécessité de mourir, qui sont les peines du péché. Il nous rend l'innocence et le droit à la béatitude éternelle »60. Au reste l'antijansénisme et l'antirigorisme de l'abbé Bergier, même s'ils troublaient un peu la chronologie de l'argumentation, auraient pu aisément s'intégrer à la démonstration groethuysienne61 : bien plus que d'un refus délibéré d'entrer dans le débat théologique et philosophique, c'est d'un refus d'examiner les liens entre Lumières et Réforme catholique dont témoignent les troublants silences des Origines…

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Le « moment Groethuysen »

27 On voudrait enfin s'interroger sur la fécondité et les limites de la notion groethuysienne de crise du péché au regard de la réflexion actuelle sur l'histoire religieuse, culturelle et intellectuelle du XVIIIe siècle. Y a-t-il un « moment Groethuysen » ? Pourquoi ce singulier ouvrage, tronqué, a-t-il poursuivi sa course éditoriale durant un demi-siècle et davantage et a-t-il continué à trouver des lecteurs ? Quelles sont ses lignes de force et ses faiblesses dans le champ intellectuel ? Quelle est sa place dans l'historiographie ?

28 On discerne aisément – et c'est une critique un peu facile, trois quarts de siècle plus tard, avec ce que Maurice Agulhon avait coutume d'appeler « la lucidité un peu facile de l'a posteriori » – ce que Groethuysen a manqué. En premier lieu, le débat théologique sur le rigorisme. Nulle trace, dans son livre, du triomphe des thèses rigoristes dans l'Assemblée du clergé de France en 1700, qui singularise la France dans l'Europe catholique et se prolonge jusqu'à la difficile introduction de la théologie liguorienne en France dans les années trente et quarante du XIXe siècle. S'il est fasciné par la vision tragique de la corruption du cœur humain que développe la spiritualité janséniste, Groethuysen évacue le débat théologique, il est vrai passablement technique, mais lourd de sens et de conséquences, entre laxistes et tutioristes, probabilistes et probabilioristes. Il le comprend d'ailleurs fort mal : dans le chapitre sur le Dieu des jansénistes, traduit ultérieurement par Alix Guillain, n'écrit-il pas : « Désigner les Jansénistes tout simplement comme des « rigoristes » est une façon pour le moins très superficielle de décrire leur nature et leur manière d'être »62, ce qui est assurément confondre les divers plans de l'analyse. Groethuysen appartient à l'évidence à cette lignée de sociologues ou de philosophes qui entreprennent de penser l'histoire du catholicisme en faisant l'économie de sa théologie dogmatique et morale. C'est là se couper, historiographiquement, de toute une veine de travaux qui ont depuis trois décennies renouvelé en profondeur l'intelligence de ce moment de l'esprit humain63. 29 Groethuysen n'est pas davantage un historien de la confession, c'est-à-dire de la pratique sacramentelle à travers laquelle l'Église tridentine s'efforce de répondre à l'angoisse et au sentiment de culpabilité des fidèles. Le choix de privilégier les sources documentaires issues de la prédication constitue assurément la première et principale raison objective de ce silence sur les voies offertes par l'autorité ecclésiastique à la réconciliation des fidèles avec Dieu et ses commandements. Mais on ne saurait omettre l'impression que Groethuysen répugne à entrer dans l'univers sacramentel du catholicisme post-tridentin et dans une analyse à la fois normative, spirituelle, sociale et culturelle de la confession auriculaire dont les travaux de Jean Delumeau – qui mentionne parfois Groethuysen, il est vrai : mais appropriation n'implique pas convergence – et de ses successeurs ont montré toute la richesse64. Les XVIIe et XVIIIe siècles de Groethuysen, ce sont certes « les péchés sans le pécheur », mais aussi « les péchés sans la confession ». 30 Groethuysen n'est pas enfin, à strictement et proprement parler, un historien de la « déchristianisation » alors même que le mot et les problématiques qu'il induit (« déchristianisation active » comme politique, « déchristianisation passive » comme processus) sont présents depuis plusieurs décennies dans le débat français et que, quatre années seulement après la publication des Origines, Gabriel Le Bras s'apprête à

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lancer, en 1931 dans les colonnes de la Revue d'histoire de l'Église de France, le vaste programme de ce qui va devenir la « sociologie religieuse »65, dont les perspectives d'inventaires et quantification sont, il convient de le souligner, complètement étrangères à l'approche textuelle, sociologique et philosophique de Groethuysen. Mais si celui-ci n'est pas un historien de la « déchristianisation », c'est assurément pour des raisons plus profondes, et qui relèvent de la dynamique intellectuelle et de l'outillage conceptuel de sa pensée. En d'autres termes, les Origines ne décrivent pas une croyance qui se retire ; elles analysent, côté Dilthey, la mutation d'une Weltanschauung, et côté Marx, l'appropriation, voire la domestication par une classe sociale plus ou moins bien déterminée, la « bourgeoise », du discours chrétien sur le péché. La religion est un champ d'application ou un enjeu de pouvoir : elle ne constitue en aucun cas un acteur historique. 31 Aussi est-ce à travers d'autres considérations qu'il convient d'observer la fécondité de l'œuvre de Groethuysen dans le domaine qu'on a voulu tenter ici d'approfondir. Bernard Groethuysen s'inscrit tout d'abord au cœur d'une histoire littéraire et philosophique du sentiment religieux, pour faire écho à l'œuvre de l'abbé Bremond, l'Histoire littéraire du sentiment religieux dont les douze volumes paraissent de 1916 à 1933, dont le retentissement fut immense dans le monde intellectuel, bien au-delà des limites de l'histoire du catholicisme du Grand Siècle et dont les sources, les méthodes, les formes d'analyse ne sont à l'évidence nullement étrangères aux Origines, quoique Bremond soit le grand absent de la bibliographie proprement dite de Groethuysen, à vrai dire fort peu généreux puis qu'il ne cite guère que Monod66 et Magendie 67. Sa postérité est à cet égard évidente sur les grandes thèses d'histoire intellectuelle (Geistgeschichte) sur le XVIIIe siècle, où il situait d'ailleurs son propre projet, par-delà ses orientations sociologiques. Pour n'en citer qu'une, la thèse d'un Robert Mauzi, L'Idée de bonheur dans la littérature et la pensée françaises au XVIIIe siècle, publiée en 1960, revendique explicitement sa dette envers Groethuysen, dont la bibliographie est presque entièrement retranscrite en fin de volume et n'est pas cité moins de sept fois dans le corps du texte : il est à ce titre l'auteur contemporain le plus fréquemment invoqué, et souvent avec éloge. Bien qu'on ne puisse guère imputer à l'auteur d'affinités avec la pensée de Dilthey ou de Marx, Robert Mauzi écrit : « il faut considérer à part une zone ou la pensée chrétienne la pensée philosophique pénètrent l'une et l'autre, mais sans en détruire l'autonomie : c'est ce domaine bourgeois [le mot est tout de même en italique], que Groethuysen a magistralement évoqué »68 ; ou encore, un peu plus loin : Groethuysen l'a établi de façon admirable : la bourgeoisie, tout au long du XVIIIe siècle, se constitue sans l'aide du christianisme, c'est-à-dire contre lui. Aux yeux d'une stricte morale religieuse, le mondain et le bourgeois devraient paraître également futiles, également coupables. En réalité, c'est le bourgeois qui se sent le plus étranger à l'univers chrétien, où nulle place ne lui est réservée69. 32 Et un chapitre entier, le chapitre VII, s'intitule « Le bonheur bourgeois », qui reprend dans ses grandes lignes le schéma groethuysien : « tel est le bourgeois chrétien au début du siècle […] Tout au long du siècle le bourgeois évolue. Il est de moins en moins chrétien et se croit de plus en plus le maître du monde […] De bourgeois dévot, il devient bourgeois patriote. »70. Venu d'Allemagne et de tout autres horizons théoriques, Bernard Groethuysen sait ainsi inscrire son projet dans une tradition historiographique que son livre vient à son tour féconder : contemporain d'un Paul Hazard, d'un Paul Van Tieghem ou d'un Daniel Mornet tout autant que de Weber et de Sombart, il vient à son tour précéder et influencer de quelque manière les travaux d'un Jean Erhard ou d'un

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René Pomeau, mais aussi d'un Lucien Goldman et d'un Robert Mauzi, déjà cité, ce qui est à la fois un indice d'acculturation réussie et de plasticité intellectuelle dont témoigne éloquemment le destin éditorial des Origines entre version allemande et version française. Au reste, ne peut-on pas suggérer que cette plasticité même, et les équivoques qu'elle contient en germe, a pu, dans une certaine mesure, favoriser la réception de l'œuvre dans la durée : en 1927, c'est l'histoire des idées qui a fasciné ; dans les années 1970, c'est la perspective marxiste ; et aujourd'hui sans doute, l'héritage retrouvé de Dilthey… Heureux les transfuges, car ils vivront vieux !

33 Ce serait pourtant offrir une vision réductrice de la fécondité intellectuelle de l'œuvre de Groethuysen que de s'arrêter à ces quelques réflexions équivoques et désabusées. Le second apport du livre tient à l'histoire de la sécularisation, qu'on l'appelle « désenchantement du monde », « laïcisation de la pensée » ou « sortie de la religion ». On peut assurément souligner le caractère passablement descriptif de concepts tels que ceux de Zeitgeist (« esprit du temps ») ou de Weltanschauung (« conception du monde »), ou ironiser sur le flou sociologique qui entoure dans le texte les termes de bourgeoisie et de bourgeois. Il n'en demeure pas moins que, par-delà le jeu des masques successifs derrière lesquels il construit puis dissimule ou recouvre sa pensée, Groethuysen offre un schéma général d'analyse et d'interprétation des changements religieux et culturels en cours dans un long XVIIIe siècle qui prend en compte des modifications internes aux discours religieux en établissant entre l'autorité ecclésiastique en charge de la prédication et l'une des classes sociales qui en est la réceptrice un rapport éminemment dialectique de réajustement et de reformulation d'un côté, de réappropriation et de déconstruction de l'autre. « Il y a sélection dans les sermons comme il y a sélection dans les consciences », écrit-il. « Si le fidèle dit : « Je ne crois pas tout », le prédicateur devra avouer qu'il ne prêche pas tout71 » Groethuysen manifeste ici un sens très moderne de l'analyse de la production et de la réception du discours et ouvre des perspectives très riches à une histoire socialement différenciée de la « religion prescrite » et de la « religion vécue ». Car « la religion », disait Pascal, « est proportionnée à toutes sortes d'esprits »72. 34 Un dernier point enfin paraît ancré dans la modernité historiographique : c'est le renversement progressif analysé par Groethuysen du rapport entre droit et religion d'une part, morale et religion d'autre part. La sécularisation du droit, l'expulsion des « crimes imaginaires », pour reprendre l'expression de Le Peletier de Saint-Fargeau hors de la réflexion de Beccaria dans Des délits et des peines et bientôt hors du premier Code pénal révolutionnaire est tout entière inscrite dans la distinction introduite entre péché et délit que Groethuysen place, par une intuition remarquable, au cœur de la « crise du péché » : car le péché renvoyait au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, au Dieu des chrétiens, c'est-à-dire, pour reprendre encore Pascal, à « un Dieu d'amour et de consolation »73 ; le délit renvoie à la société et à sa justice. De même, lorsqu'il évoque la mutation progressive de la religion en morale, Groethuysen retrouve-t-il l'une des idées fondamentales exprimées par Michel de Certeau : qu'au XVIIe siècle la religion était universelle et les morales, particulières, tandis qu'au XVIIIe siècle, c'est la morale qui devient universelle parce que fondée sur la nature, quand la religion devient particulière74. Groethuysen le relève aussi dans son langage : « Il n'y a pas de morale de l'Évangile, dans le sens où l'entend le bourgeois du XVIIIe siècle, et le besoin qu'il éprouve de faire de l'Évangile un livre de morale montre précisément qu'il comprend

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mal la religion. »75 La crise du péché en régime de chrétienté, c'est bien, fondamentalement, sa sécularisation dans le droit et la morale. 35 C'est à conclure sur l'homme Groethuysen, sur le mystère Groethuysen que nous conduit enfin ce bref excursus76 : que retenir de cette pluralité d'héritages, de lectures, d'influences, d'emprunts et de détournements ? Qui est en définitive l'auteur des Origines de l'esprit bourgeois en France ? Dans le Journal de Gide où la silhouette, toute d'affabilité et d'intelligence, de Groethuysen apparaît fréquemment à partir de 1929, aux côtés de celle d'Alix Guillain, sa compagne et traductrice, on relève ce passage elliptique : Groethuysen, dans le livre qu'il préparait dès avant la guerre sur le caractère allemand, cherchait à montrer que l'Allemand, composé de deux extrêmes : une âme et un automate, ne parvient presque jamais à remplir l'espace intermédiaire, communément et simplement humain. « De Parsifal au « pas de l'oie », tel devait être le titre de cet ouvrage. C'est Parsifal qui parlait77. 36 Remplaçons « l'Allemand » en général par le non moins mythique « bourgeois » des Origines : « une âme et un automate », tels sont bien les deux bornes entre lesquelles oscillent la conscience pécheresse de notre héros entre les profondeurs de la conscience de sa corruption et sa tranquillité d'âme d'« honnête homme » du XVIIIe siècle finissant. Le sens du processus est donné, sans que Dilthey n'ait jamais été complètement sacrifié à Marx ni inversement : Groethuysen – Parsifal a conservé jusqu'au bout, jusque dans l'ellipse des textes et de leurs successives versions, la liberté de ses intuitions. Et c'est peut-être le mérite essentiel des Origines et la raison de leur durée, que d'avoir su maintenir ouverte cette double approche sans réduire entièrement l'abîme de finitude et d'inquiétude que Pascal et les siens avaient découvert au plus profond du cœur humain, fût-il celui d'un bourgeois.

NOTES

1. Bernard Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois en France, I, L'Église et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées » 1927, XIII-299 p. (édition de référence : Paris, Gallimard, « Tel », 1977). Cité désormais comme Origines. 2. Paul Claudel, « Dimanche [Brangues, 31 juillet 1927] », in Conversations dans le Loir-et-Cher, Paris, Gallimard, 1934 (Paris, Gallimard, « Tel », 1984), 178 p., p. 47-48. 3. Origines, p. 157 et p. 141. 4. Origines, p. 144. 5. Origines, p. 130-163. 6. Origines, p. 44. 7. Origines, p. 44. 8. Bernhard Groethuysen, Die Entstehung der bürgerlichen Welt-und Lebensanschauung in Frankreich, Bd 1, Das Bürgertum und die katholische Weltanschauung, Halle/Saale, Max Niemeyer, « Philosophie und Geisteswissenschaften », 1927, XVIII-348 p. suivi de Die Entstehung der bürgerlichen Welt-und Lebensanschauung in Frankreich, Bd 2, Die Soziallehren der katholischen Kirche und das Bürgertum,

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Halle/Saale, Max Niemeyer, « Philosophie und Geisteswissenschaften », 1930, VI-315 p. L'ouvrage a été réédité sous le même titre en 1978 par les éditions Suhrkamp de Francfort-sur-le-Main. 9. Soient 26 pages de notes composées de textes parfois assez longs et étendus dans l'édition allemande, contre de simples références d'origine en bas de page dans l'édition française. 10. Sur la production janséniste du XVIIIe siècle, on renverra, à titre de référence, à Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la nation. Le jansénisme au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1998, 710 p. 11. Sont successivement cités, à une ou plusieurs reprises, les livraisons suivantes : 23 octobre 1745 ; 11 décembre 1745 ; janvier 1747 ; janvier 1752 ; 17 avril 1757 ; 2 mai 1763, Mandement de l'Archevêque de Lyon, portant condamnation des trois parties de l'« Histoire du Peuple de Dieu » ; 11 avril 1774, Lettres d'un Laïc à MM. les docteurs de la Faculté de Théologie de Nantes ; 25 avril 1774 ; 10 juillet 1779 ; 6 février 1783 ; 24 avril 1786. 12. Catherine Maire, « Aux origines de l'esprit bourgeois en France : pour une relecture de Bernard Groethuysen », Chrétiens et sociétés, XVIe-XXe siècles, no 8, 2001, p. 33-57, citation p. 46. 13. Ibid, p. 46. 14. L'édition des Opuscules et Pensées, publiés avec une introduction, des notices et des notes par Léon Brunschvicg est publiée à la librairie Hachette en 1897 ; Groethuysen utilise l'édition de 1923. 15. Origines, p. 138. 16. Origines, p. 148. 17. Origines, p. 157. 18. Claude Lepelletier, Nouvelle défense de la constitution de N.S.P. le Pape, portant condamnation du Nouveau Testament du P. Quesnel où l'on démontre l'héréticité de plusieurs, et la fausseté de toutes les cent et une propositions extraites du même N. Testament et condamnées par N. S. P. le pape Clément XI, le 8 septembre 1713, et ensuite par toutes les églises, par un prêtre du clergé, docteur en théologie, Lyon, chez Nicolas De Ville, 1715 [1re éd. 1714], 417 p. 19. François-Vincent Toussaint, Les Mœurs, Amsterdam, au dépens de la Compagnie, 1748, in-8 o, XL-391 p. (nombreuses rééditions) ; Éclaircissement sur les mœurs, par l'auteur des « Mœurs »…, Amsterdam, chez Marc-Michel Rey, 1762, in-12, LX-333 p. 20. Alphonse de Serres de La Tour, Du Bonheur, par M. Desserres de La Tour, ancien officier au régiment de Navarre, Londres et Paris, Dufour, 1767, in-12, 368 p. 21. Jean Meyniel, Maximes du droit naturel du bonheur…, Paris, Bossange, 1791, in-8 o, VIII-224 p. Il s'agit d'un « recueil de recettes moralisantes, avec des références aux auteurs anciens et modernes, tels que Mably et Rousseau », résume Edna Lemay, Dictionnaire des constituants 1789-1791, Paris, Universitas, 1791, 2 volumes, II, p. 664-665. Né en 1734, Jean Meyniel a encore publié une Opinion… sur le veto et la sanction royale sur la permanence et périodicité de l'Assemblée nationale, et sur sa réunion en une chambre ou sa division en deux, qu'il n'a pu faire connaître dans la séance du 7 septembre 1789, Paris, Baudouin, 1789, 12 p., dans lequel il combat le système bicaméral à l'anglaise. 22. Abbé Gabriel-François Coyer, Plan d'éducation politique, Paris, veuve Duchesne, 1770, in-12, XVI-360 p. 23. Bernard Groethuysen, Die Entstehung der bürgerlichen Welt- und Lebensanschauung in Frankreich, Bd. I, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1978, p. 326, n. 26. 24. Ibid., I, p. 333, n. 56. 25. Ibid., I, p. 342, n. 82. 26. Ibid., I, p. 343, p. 83. 27. Ibid., I, p. 343, p. 83. Sur ce contexte polémique, voir les réflexions incisives de Paul Valadier, Éloge de la conscience, Paris, Seuil, 1994, 266 p.

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28. Dale Van Kley, The Jansenists and the Expulsion of the Jesuits from France, 1757-1765, New Haven- Londres, Yale University Press, 1975, X-270 p. 29. Bernard Groethuysen, Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, 1949, 340 p. 30. Pierre-Maurice Masson, La Religion de J.-J. Rousseau, Paris, Hachette, 1916, 3 volumes. 31. Robert Mauzi, L'Idée de bonheur dans la littérature et la pensée françaises au XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1979 ; réédition, Paris, A. Michel, 1994, 725 p., p. 189. 32. Daniele Menozzi, « Tra riforma e restaurazione. Dalla crisi della società cristiana al mito della cristianità medievale (1758-1848) », Storia d'Italie, Annali, n o 9. La Chiesa e il potere politico dal Medioevo all'età contemporanea, a cura di Giorgio Chittolini e Giovanni Miccoli, Torino, Einaudi, 1986, XXV-1042 p., p. 767-806. 33. Michel de Certeau, « La formalité des pratiques. Du système religieux à l'éthique des Lumières (XVIIe-XVIIIe siècles) », La Società religiosa nell'età moderna, Naples, Guida, 1973, p. 447-509, repris dans L'Écriture de l'histoire, Paris, Gallimard, 1975, 358 p., p. 153-212. Sur la place de Michel de Certeau dans l'histoire intellectuelle du second XXe siècle, François Dosse, Michel de Certeau. Le marcheur blessé, Paris, La Découverte, 2002, 655 p. 34. Origines, p. 48-49. 35. En dernier lieu, Danièle Hervieu-Léger, Françoise Champion, « Religion, modernité, sécularisation », in Vers un nouveau christianisme ? Introduction à la sociologie du christianisme occidental, Paris, Le Cerf, 1986, 395 p., p. 187-227 ; Olivier Tschannen, Les Théories de la sécularisation, Genève, Droz, 1992, 407 p. Groethuysen avance également l'expression radicale de « dissolution de la foi », Origines, op. cit., p. 51. 36. Origines, p. 152, p. 155, p. 157. 37. Origines, p. 50. 38. Origines, p. 53. 39. On renverra sur ce point à Mona Ozouf, L'Homme régénéré. Essai sur la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989, 239 p. 116-157, « La Révolution française et la formation de l'homme nouveau ». 40. Origines, p. 131. 41. Origines, p. 133. 42. Origines, p. 141 43. Jean-Louis Quantin, Le Rigorisme chrétien, Paris, Cerf, 2001, 168 p. 44. Origines, p. 155. 45. Origines, p. 157. 46. Origines, p. 163. 47. On citera ici l'Émile dans l'édition Garnier-Flammarion, 1966. Livre I, p. 35. 48. Émile, loc. cit., Livre I, p. 76-77. 49. Émile, loc. cit., Livre I, p. 77. 50. Émile, loc. cit., Livre II, p. 111. 51. Émile, loc. cit., Livre IV, p. 308. 52. Émile, loc. cit., Livre IV, p. 337. 53. Émile, loc. cit., Livre IV, p. 366. 54. Mandement de Mgr l'archevêque de Paris portant condamnation d'un livre qui a pour titre Émile ou de l'Éducation par Jean-Jacques Rousseau, citoyen de Genève (20 août 1762), repris intégralement dans Jean-Jacques Rousseau, Lettre à Monseigneur de Beaumont, précédée du Mandement de Monseigneur l'Archevêque de Paris, préface de Nicolas Bonhôte, Lausanne, L'Âge d'Homme, 1993, 156 p., p. 23-42, citation § III, p. 25-26. 55. À propos d'un émule de Rousseau, on renverra aux remarquables analyses de Dominique Julia, « Gilbert Romme, gouverneur (1779-1790) », in Gilbert Romme (1750-1795). Actes du colloque de Riom (19 et 20 mai 1995). Textes réunis et présentés par Jean Erhard, Paris, Société des études

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robespierristes, et Clermont-Ferrand, Société des Amis du Centre de recherches révolutionnaires et romantiques, 1996, 277 p., p. 43-78. 56. Lettre à Monseigneur de Beaumont, loc. cit., p. 53-54. 57. Lettre à Monseigneur de Beaumont, loc. cit., p. 56-58. 58. Le Déisme réfuté par lui-même, ou Examen en forme de lettres des principes d'incrédulité répandus dans les divers ouvrages de M. Rousseau, Paris, 1765, Lettre VII, Sur la création et la chute de l'homme, p. 19. 59. Bergier oppose successivement à Rousseau le verset 7 du psaume 50, « J'ai été conçu dans l'iniquité, et formé en péché dans le sein de ma mère » ; Romains 5, 12, « Comme le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, de même la mort a passé chez tous les hommes par celui en qui tous ont péché » ; et Éphésiens 2, 3, « Nous étions par nature enfants de colère ». 60. Le Déisme réfuté par lui-même, op. cit., Lettre VII, p. 25. 61. On renverra ici à l'admirable recueil Un théologien au siècle des Lumières : Bergier. Correspondance, éditée par Ambroise Jobert, préface de Jean Delumeau, Lyon, Centre André Latreille, 1987, 406 p. 62. Bernard Groethuysen, « Lutte suprême des jansénistes pour sauver le Dieu ancien », Cahiers du Sud, 1951, p. 41-61, citation p. 43. Je remercie vivement Mme Catherine Maire de m'avoir fait connaître ce texte. 63. Jean Guerber, Le Ralliement du clergé français à la morale liguorienne. L'abbé Gousset et ses précurseurs (1785-1832), Rome, Università Gregoriana Editrice, 1973, xx-378 p. ; John Bossy, « The Social History of Confession in the Age of Reformation », dans Transactions of the Royal Historical Society, 5 o s., XXV, 1975, p. 21-38 ; Heinz Schilling, « Geschichte der Sünde oder Geschichte des Verbrechens ? Überlegungen zur Gesellschaftsgeschichte der frühneuzeitlichen Kirchenzucht », in Annali dell'Istituto italo-germanico in Trento, XII, 1986, p. 169-192 ; Philippe Boutry, « Au cœur de la vie religieuse : la confession », dans Prêtres et paroisses au pays du curé d'Ars, Paris, Cerf, 1986, 706 p., p. 377-451 ; Dominique Lebrun, « Le curé d'Ars et les praenotanda du Rituel de Belley », in La Maison-Dieu, 166, 1987, p. 141-157 ; Ralph Gibson, « Rigorisme et liguorisme dans le diocèse de Périgueux, XVIIe-XIXe siècles », in Revue d'histoire de l'Église de France, LXXV/2, 1989, p. 315-342 ; Claude Langlois, « La difficile conjoncture liguorienne de 1832 », in Penser la foi. Recherches en théologie aujourd'hui. Mélanges offerts à Joseph Moingt, sous la direction de Joseph Doré et Christophe Theobald, Paris, Le Cerf et Assas Éditions, 1993, 1096 p., p. 645-661 ; Philippe Boutry, « Une théologie morale en transition : rigorisme et liguorisme dans la formation du curé d'Ars », in Religions en transition dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, textes présentés par Louis Châtellier, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, Oxford, Voltaire Foundation, 2000/2, 300 p., p. 155-170 ; Jean-Louis Quantin, Le Rigorisme chrétien, op. cit. 64. Jean Delumeau, Le Péché et la peur. La culpabilisation en Occident (XIIe-XVIIIe siècles), Paris, Fayard, 1983 ; 741 p. ; Groupe de La Bussière, Pratiques de la confession. Des Pères du Désert à Vatican II. Quinze études d'histoire, Paris, Cerf, 1983 ; 298 p. ; Jean Delumeau, L'Aveu et le pardon. Les difficultés de la confession, XIIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1990 ; 194 p. ; Miriam Turrini, « Culpa theologica e culpa iuridica : il foro interno all'inizio dell'età moderna », in Annali dell'Istituto italo-germanico in Trento, XII, 1986, p. 147-168, et, plus généralement, La Coscienza e le leggi. Morale e diritto nei testi per la confessione della prima età moderna, Bologne, Il Mulino, 1991, 567 p. ; dans un registre plus politique : Georges Minois, Le Confesseur du roi. Les directeurs de conscience sous la monarchie française, Paris, Fayard, 1988, 556 p. 65. Gabriel Le Bras, « Introduction à l'enquête sur la pratique et la vitalité religieuse du catholicisme en France », in Revue d'histoire de l'Église de France, XVII, 1931, p. 425-449. 66. Albert Monod, De Pascal à Chateaubriand. Les défenseurs français du christianisme de 1670 à 1802, Paris, Alcan, 1916, 608 p.

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67. Maurice Magendie, La Politesse mondaine et les théories de l'honnêteté en France au XVIIe siècle, de 1600 à 1660, Paris, PUF, 1925, XL-944 p. 68. Robert Mauzi, L'Idée de bonheur, op. cit., p. 45. 69. Ibid., p. 207. 70. Ibid., p. 284. 71. Origines, p. 54. 72. Pensées, éd. Chevalier, § 836. 73. Pensées, éd. Chevalier, § 602. 74. Michel de Certeau, La Formalité des pratiques, art. cit. 75. Origines, p. 53. 76. On renverra à Hannes Böhringer, Bernhard Groethuysen : vom Zusammenhang seiner Schriften, mit einer ausführlichen Bibliographie, Berlin, Agora Verlag, 1978, 228 p et à Bernard Groethuysen, Philosophie et histoire, textes édités et présentés par Bernard Dandois, Paris, A. Michel, 1995, 359 p. 77. André Gide, Journal, 1889-1939, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1941, 1356 p., p. 712-713.

AUTEUR

PHILIPPE BOUTRY

EHESS / Care / Université de Créteil-Paris-XII

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Le « Jansénisme » selon Bernard Groethuysen

Catherine Maire

1 Parmi toutes les coupures effectuées par l'auteur pour la version française, notamment les deux introductions théoriques et les références à Wilhelm Ditlhey, c'est la partie consacrée au jansénisme dans le premier volume qui a subi la réduction la plus drastique1. Des deux chapitres allemands intitulés « Das jansenistische Gottesbewusstsein und die Neuzeit » et « Der moderne Mensch und sein Verhältnis zu Gott » ne subsiste plus que moins du tiers réduit sous le titre dépréciatif de « Lamentations des jansénistes ». Traduits par Alix Guillain à la veille de sa mort, ils ne seront publiés que confidentiellement dans les Cahiers du Sud en 1951 sous le titre de « Lutte suprême des jansénistes pour sauver le Dieu ancien »2.

2 L'élimination est d'autant plus étrange que Groethuysen précise bien dans la vision allemande combien ces chapitres jouent un rôle clé dans la démonstration générale : L'attitude janséniste, dans son opposition aux temps nouveaux, est pour nous d'un grand enseignement, car elle nous sert en quelque sorte de pierre de touche pour juger du nouveau type d'homme en formation au XVIIIe siècle, c'est à dire du bourgeois3. 3 Groethuysen a donc volontairement cherché à faire disparaître le faire valoir de son bourgeois, sans doute par souci de donner à ce dernier plus d'autonomie et de consistance intrinsèque, de tenter de le sociologiser un peu plus en quelque sorte. Le personnage du bourgeois ne joue en effet presque aucun rôle dans ces deux chapitres tout entiers consacrés au Dieu janséniste et à l'origine de l'incrédulité4.

4 Ces chapitres cachés développent pourtant le plus explicitement la thèse principale du livre : Il n'est guère de pays où le conflit inévitable, né au XVIIIe siècle, entre le nouvel et l'ancien esprit se soit exprimé d'une façon aussi véhémente et ostensible qu'en France5. 5 Le jansénisme en est le meilleur révélateur. Beaucoup plus qu'une lutte dogmatique ou philosophique entre l'Église et les philosophes, la rupture se produit entre les nouvelles valeurs bourgeoises et l'irréductibilité d'une vision religieuse du monde dont les

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jansénistes seraient les représentants par excellence. C'est par le biais du jansénisme que l'antinomie entre l'ancien et le nouveau se découvre dans toute sa profondeur : Deux expériences s'affrontent. Deux hommes se font face6. 6 Groethuysen est sans doute le premier, deux ans avant Edmond Préclin, à trouver un sens aux disputes théologiques tant décriées par les philosophes des Lumières et à réhabiliter le jansénisme du XVIIIe siècle. Sa définition du mouvement est très allemande, très marquée par la philosophie de l'histoire de son maître Dilthey7. Elle correspond à une vision du monde : il s'agit d'une expérience religieuse « Erlebnis » qui engage la foi et un « type d'homme ». Groethuysen ne fait pas de coupure entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Bien plus, il remet en cause le préjugé devenu si puissant depuis le Port-Royal de Sainte-Beuve, que les jansénistes du XVIIIe siècle ne sont que des épigones dégénérés qui se bornent à répéter d'anciennes formules. C'est même précisément au XVIIIe siècle, selon lui, que le mouvement acquiert toute son importance historique et même sa grandeur du point de vue de la doctrine. Jamais sa cohérence n'aurait été aussi forte qu'au XVIIIe siècle. Groethuysen est frappé par l'identité d'esprit qui règne dans les Nouvelles ecclésiastiques, du début à la fin. Il assume et revendique même le qualificatif de « parti », qu'il préfère à celui de secte. C'est au XVIIIe siècle que le jansénisme devient en effet un grand parti d'opposition, le parti de l'Église ancienne : [...] un parti qui s'appuyant sur une conception du monde bien affermie et cohérente par elle-même, s'érige par principe contre le bouleversement contemporain des valeurs et qui exprime de la façon la plus nette et la plus décisive son hostilité sans réserve au monde nouveau8. 7 Groethuysen refuse de réduire le jansénisme à un courant de la mystique, à une doctrine théologique particulière, au caractère national français ou à une morale rigoriste. En historiciste conséquent, il est sensible à l'importance des mots et se demande s'il ne vaudrait pas mieux remplacer le terme de « janséniste » par celui d'« augustinien » ainsi qu'Arnauld et de nombreux observateurs, à sa suite, le suggéraient déjà, de Bayle à Bergier, en passant par Voltaire. L'augustinisme a une histoire, c'est pourquoi il lui importe en même temps de différencier le type augustinien du type janséniste. Les jansénistes appartiennent à un autre temps que celui de saint Augustin qui croyait proche le règne de Dieu : la conscience de la distance à l'au-delà est devenue beaucoup plus grande encore. Le janséniste éprouve dans toute sa puissance « le tragique de la vie et la damnation qui en fait partie »9 dans un monde où précisément le sentiment de la vie gagne en importance. Sans doute peut-on apercevoir ici les germes de la fameuse « vision tragique » développée dans Le Dieu caché10. Lucien Goldmann se revendiquera explicitement comme l'héritier spirituel de Groethuysen11. Il reprendra en effet l'idée et la retraitera d'une manière plus conforme à une sociologie marxisante pour l'appliquer à une classe sociale, celle des robins entravés dans leur ascension économique.

8 Contre l'esprit moderne les jansénistes opposent une attitude négative et une résistance farouche. Cela explique, selon Groethuysen, leur lutte à l'intérieur de l'Église pour la défense de ce qu'ils considèrent comme la vraie foi. C'est aussi ce qui leur donne le courage de s'opposer à la plupart des dignitaires ecclésiastiques. Groethuysen explique également pourquoi les jansénistes combattent indifféremment les philosophes et les jésuites, qui sont selon eux « deux variétés d'hommes nouveaux »12.

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9 Les uns comme les autres affirment en effet une position indépendante de l'homme à côté de Dieu. Pour cette raison, les jansénistes accusent les jésuites d'avoir ouvert la voie à la nouvelle philosophie. 10 Pour autant, les jansénistes ne sont pas rejetés simplement du côté de l'archaïsme. À leur manière, ils sont aussi des hommes « modernes » qui ont perdu la simplicité de la foi. En discutant des dogmes comme des questions indépendantes, ils se sont séparés du peuple naïvement religieux. Groethuysen remarque, chez les jansénistes, la perte de l'immédiateté avec le monde de la foi, la dissociation de l'image et de la pensée, du sens symbolique et de la figure, de l'expérience religieuse et de la doctrine. Il voit un drame dans leur incapacité à faire disparaître le contraste entre un monde profane existant par lui-même et le monde religieux, dans leur impuissance à ressusciter, dans son unité vivante, l'image catholique du monde qui embrassait l'homme tout entier. Contre ceux qui séparent la religion de la vie, qui partagent son pouvoir avec d'autres valeurs, qui humanisent la divinité en quelque sorte, les jansénistes veulent que Dieu garde toute sa puissance, sa distance et son mystère. Le Dieu des jansénistes ne s'éprouve qu'à travers une infinie nostalgie et toujours en lutte contre tout amour terrestre. Pour les jansénistes, la foi signifie combat, combat contre soi-même13. 11 Mais l'ironie du sort a voulu que « leur ardeur à lutter pour la cause de Dieu fut précisément ce qui contribua à la perdre »14 ainsi que plusieurs critiques aussi bien chez les jésuites que chez les philosophes des Lumières le dirent explicitement à l'époque. Les laïcs éclairés ne virent dans toutes ses polémiques que des querelles sans intérêt et les impies furent encouragés à abjurer leur croyance dans un Dieu trop dur et trop cruel. C'est ainsi que l'incrédulité est née de l'abus qu'on a fait de la théologie15. selon la formule de l'abbé éclairé Yvon. 12 Cette conception originale et globalisante du jansénisme, cette épure mérite d'être confrontée aux nombreux apports de l'historiographie du XXe siècle sur le sujet. Significativement, Groethuysen ne parle jamais de Port-Royal ni de la vie des religieuses ou des solitaires. Il ignore superbement le monument littéraire de Saint- Beuve16 même si l'on peut supposer qu'il l'a lu. En ceci il participe pleinement au mouvement historiographique du XXe siècle qui va réhabiliter le « jansénisme » comme sujet digne d'étude. Il a délibérément refusé d'aborder la spiritualité janséniste. Il ignore aussi bien Bérulle que Saint-Cyran et toute l'école française de spiritualité qui a été si bien revisitée par Yves Krumenacker après Henri Bremond17. Les premiers volumes de l'Histoire littéraire du sentiment religieux en France ne sont, du reste, pas cités une seule fois : L'Humanisme dévot (1916), L'Invasion mystique (1916), La Conquête mystique, l'école française (1923), La Conquête mystique, l'école de Port-Royal (1920). Ce qui a peut-être constitué l'influence la plus forte et la plus durable du « jansénisme » – la traduction et la diffusion de la liturgie et des Écritures en français – n'est simplement pas pris en considération. Groethuysen n'a selon toute vraisemblance pas eu connaissance du tome II des Institutions liturgiques de dom Guéranger 18 qui aurait pourtant conforté sa thèse des origines jansénistes de l'incrédulité. Les travaux de Bernard Chédozeau19 ont depuis lors considérablement nuancé cette interprétation ainsi que ceux de Jean-Louis Quantin20. Groethuysen a également balayé d'un revers de main toute la dimension de la dispute dogmatique, fidèle en cela au mépris affiché des philosophes des Lumières pour ces débats théologiques vains et futiles. Depuis lors, les nombreuses études du père Ceyssens sur le couple indissociable du jansénisme et de l'antijansénisme ainsi que

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sur la bulle Unigenitus21 ou, du côté romain, le livre de Bruno Neveu, L'Erreur et son Juge22, ont montré combien le jansénisme est avant tout une querelle à répétition qui a ses modèles antérieurs, la condamnation de Baïus, les controverses de Auxiliis gratiae et sa dynamique formaliste à partir de la question des cinq propositions, la distinction du Fait et du Droit, le Formulaire, le cas de conscience. Plus modestement, j'ai tenté de montrer que loin d'être futiles, les néologismes de « janséniste » et de « jansénisme » témoignent dès le départ de la référence polémique au « calvinisme » et sont l'enjeu d'une longue bataille historiographique23. Un renversement du rapport de forces va s'opérer au cours du XVIIIe siècle lorsque les forces jansénistes vont s'emparer à leur tour des armes de l'histoire pour les retourner contre les jésuites et construire la mémoire de Port-Royal.

13 Autre oubli de taille, Groethuysen n'a abordé ni la question des origines de la Constitution civile du clergé, ni les conflits parlementaires relatifs aux refus de sacrements et à l'expulsion des jésuites. La dimension politique est totalement absente du livre ainsi que la Révolution française. Initialement, il est vrai, Groethuysen avait prévu de consacrer une dizaine de volumes à son vaste projet d'enquête sur les origines de la Révolution française. C'est un autre livre, Les jansénistes et la Constitution civile du clergé, d'Edmond Préclin24, paru deux ans après les Origines de l'esprit bourgeois en France, qui va faire le lit des études sur le jansénisme politique. Comme Groethuysen, Préclin a contribué à réhabiliter le jansénisme du XVIIIe siècle mais lui aussi n'en a retenu qu'un seul aspect : le « richérisme » c'est à dire selon sa définition une conception démocratisante de l'Église qui attribue un certain pouvoir aux curés dans la tradition conciliaire réactivée par Edmond Richer, le syndic de la Sorbonne, au début du XVIIe siècle. Cette interprétation a trouvé un grand écho dans l'historiographie anglo- saxonne familiarisée par tradition aux questions conciliaires et constitutionnelles25. L'aspect ecclésiologique du richérisme aurait été en quelque sorte transposé dans le domaine de l'État au XVIIIe siècle sous la forme du « constitutionnalisme »26 parlementaire, conçu comme une forme de contre-pouvoir à la monarchie absolue. 14 Groethuysen a enfin délibérément laissé de côté la dynamique sectaire du jansénisme et l'on peut se demander si ce n'est pas en réaction au modèle troeltschien27. D'une part il refuse de considérer le mouvement comme une secte et d'autre part il ignore complètement les convulsionnaires. Ces derniers auraient perturbé son modèle social fixiste car ils amplifient d'une manière spectaculaire les contradictions internes au mouvement. Comme les jansénistes, les convulsionnaires veulent être des saints en leur humanité, des porte-Christ, des médiateurs mais en plus, ils entendent en apporter la démonstration corporelle qu'ils répètent inlassablement sous toutes sortes de scènes figurées accompagnées de discours. Leur sainteté ne parvient précisément plus à s'exprimer dans la société, elle est tout à la fois spectaculaire, et discursive mais privée, retirée du monde dans de petits cercles de plus en plus fermés28. 15 Groethuysen a défini le jansénisme comme un parti, un « parti d'opposition conservatrice »29 mais il ne s'est jamais intéressé à son organisation pratique et sociale ni même à la nature de ce « parti ». Récemment, deux études sont venues confirmer son intuition. Le livre de Ritchney Newton30 consacré à la sociologie de Port-Royal (point aveugle de la thèse de Lucien Goldmann) décrit avec beaucoup de précision l'assise robine des port-royalistes et leurs différents cercles de sociabilité autour du monastère. Il a mis en évidence notamment l'intrication financière de ces familles qui investissaient les unes dans les autres. Ce système complexe de rentes permet de

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comprendre comment les port-royalistes on pu consacrer de si grosses sommes en œuvres de charité, notamment pour les pauvres de la Fronde ainsi que Jacques Depauw31 l'a montré. Dans la préface, Bruno Neveu voit dans la démonstration de Newton une réfutation de la thèse de Lucien Goldmann : loin de s'appauvrir, les familles robines prospéraient autour de Port-Royal ! À mon sens, Newton reconduit encore la thèse de Goldmann dans la mesure où il la transpose dans le domaine politique. Il tente en effet de faire coïncider ce qu'il appelle l'émergence du « jansénisme » avec les aspirations politiques contrariées des robins après la Fronde. Cette forte présence robine au sein des cercles port-royalistes reste en tous les cas une énigme à éclaircir. 16 À la fin du XVIIe siècle, cette organisation financière va s'institutionnaliser par la création d'un ingénieux système de legs et de rentes. Il existe bel et bien une caisse noire du parti janséniste au XVIIIe siècle : la fameuse « boîte à Perrette ». Ce n'est pas une légende de la petite histoire ou un relent du mythe du complot, elle existe avec plus d'évidence encore que je n'avais pu l'établir dans mon livre. C'est à un jeune chartiste, Nicolas Lyon-Caen32, que le mérite revient d'avoir découvert une série de dossiers notariés inédits relatifs à ces fonds secrets. Ces papiers conservés aux Archives nationales lui ont permis d'étudier l'assise sociale de la caisse et d'établir ainsi une estimation sans doute assez précise des finances du « parti ». Pierre Nicole, le premier, semble avoir conçu le projet de léguer ses biens sous forme de fidéicommis, disposition par laquelle une personne gratifie une autre personne d'un bien afin qu'elle le remette à un tiers, généralement à son décès. La somme initiale (40 000 livres) n'a rien à voir avec les fonds qui vont prospérer sous la direction de Louis-Armand Fouquet, le propre fils du surintendant, supérieur au séminaire de Saint-Magloire, alors épicentre de la résistance contre la bulle Unigenitus. Vers 1780, à la suite d'un procès qui oppose les membres de la boite aux héritiers naturels, il est possible de tirer le bilan : la caisse se monte à 2,5 millions de livres avec 120 000 livres de rentes, ce qui est plus élevé que l'estimation du jésuite Patouillet vers 1753 qui évaluait les rentes à 90 000 livres, tout cela sans compter les aumônes libres. Cela correspond aux revenus d'un fermier général selon la comparaison de Nicolas Lyon-Caen, c'est aussi le budget (à peu de chose près) de la plus riche compagnie paroissiale de charité, celle de Saint-Sulpice, aimerions-nous ajouter. L'idée m'est venue de comparer la boîte à Perrette à une compagnie de charité invisible afin d'éviter l'anachronisme que peut laisser sous- entendre le terme de « parti ». 17 La boîte est composée presque exclusivement de rentes. Une personne emprunte à une autre personne une somme d'argent et lui sert des intérêts tant qu'il n'a pas remboursé sa dette. Elle est composée pour un tiers de fonds d'État et d'institutions diverses et pour moitié, elle concerne des particuliers. La grande majorité des emprunteurs, 150 noms, est liée au parti. Par rapport à Port-Royal, l'assise s'est plutôt embourgeoisée. On y trouve certes quelques représentants de la noblesse d'épée et de nombreux robins, mais également bon nombre de financiers, d'avocats et de membres de la bourgeoisie aisée. Comme au XVIIe siècle, le réseau financier est une affaire de familles. Quelques descendants comme Dugué de Bagnols, le fils du solitaire si généreux envers les pauvres, ou Fouquet, le fils du surintendant, font le lien avec Port-Royal. Au centre les Clément de Feillet, magistrats, ecclésiastiques et conseillers à la Chambre des comptes. En arrière fond, les Brochand, marchands en gros, fournisseurs à la Cour, alliés aux Lecoulteux, grands financiers. Plusieurs magistrats qui participent à la campagne contre les jésuites sont impliqués dans la caisse. Il faut souligner néanmoins la présence

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de quelques familles de Grands : les Orléans, le fils aîné du Régent et sa sœur, les Rohan, les Noailles, les Colbert, les d'Aguesseau. Le propre père du chancelier, l'intendant Henri d'Aguesseau était déjà redevable d'une rente de 100 livres envers l'abbé Duguet. Notons que plus les fonds se concentrent entre quelques mains et plus l'assise sociale du parti diminue. 18 Faut-il conclure de ces dernières découvertes que Groethuysen a raison de considérer le jansénisme comme un bloc homogène et cohérent, un singulier qui englobe aussi bien le XVIIe que le XVIIIe siècle ? Il a été frappé par ce qu'il appelle la cohérence du jansénisme. Cette remarque n'est pas dénuée de fondement si l'on considère les sources privilégiées par l'auteur : les Nouvelles ecclésiastiques, les Discours sur les Nouvelles ecclésiastiques, les Hexaples, la Vérité rendue sensible, les Trois États de l'homme des jansénistes convulsionnaires lyonnais, les frères Desfours de La Genetière, la Lettre à un ami sur la destruction des jésuites qui est en réalité de l'avocat janséniste et convulsionnaire Louis-Adrien Lepaige33. Tous ces textes émanent de figuristes qui se considèrent comme les derniers témoins de la vérité dans l'Église, la dernière branche sur laquelle viendront se greffer les juifs lors de leur conversion. Les figuristes ont précisément lié la cause de Port-Royal à la nouvelle cause de l'Appel au concile dans le cadre théologique plus large d'une défense de la cause de Dieu contre tous ses détracteurs, en dernier lieu les jésuites puis les philosophes. L'impression de l'existence d'un bloc homogène est également renforcée par le recours à la littérature des adversaires jésuites, Patouillet, Le Pelletier, Berruyer ou philosophes, Bergier, ou Voltaire. 19 Groethuysen n'a tenu aucun compte des querelles doctrinales internes au parti janséniste : sur la théologie des figures, sur les convulsions, sur la crainte et la confiance, sur la tolérance, sur l'usure, sur le sacrifice de la messe et finalement sur la Constitution civile du clergé. Il y a certes « des » jansénismes comme le souligne fortement Monique Cottret34 mais il y a surtout une polémique permanente à l'intérieur du parti janséniste. Elle concerne des sujets différents mais sa trajectoire révèle un sens. Elle tend en effet à s'expliciter : elle fait éclater la doctrine en deux doctrines radicalement opposées, l'une se rapprochant plutôt des positions de la Réforme protestante et l'autre des principes de la Réforme catholique. Réforme ou Contre Réforme se demandait Orcibal dans un célèbre article35. La polémique qui est à l'origine même de la création des néologismes « janséniste » et « jansénisme » – partisans de Jansénius, calvinistes rebouillis ou à l'inverse fidèles défenseurs de saint Augustin et de l'esprit du concile de Trente – en vient à s'incarner de plus en plus clairement en deux tendances antagoniques à l'intérieur du même réseau janséniste. Cela est particulièrement évident au moment de la Constitution civile du clergé entre ses partisans et ses détracteurs, les frères ennemis Maultrot et Larrière ! Mais cela était déjà vrai au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles lorsque le quesnellisme rompt avec l'héritage ligueur et dévot de Port-Royal pour entrer dans le camp du gallicanisme royal. Groethuysen n'a pas vu que cette apparente cohésion du parti janséniste fédéré autour de la mémoire de Port-Royal et soudé contre leurs emblèmes opposés, la Compagnie de Jésus et les Lumières, était en réalité minée par de fortes tensions et de vives dissensions doctrinales internes. Elles allaient contribuer à le dissoudre comme force sociale agissante dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Il n'y aura plus dès lors que des « jansénistes » dont l'identité est difficile à reconstituer tant elle est faite d'influences différentes36.

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20 De plus, en assimilant le Dieu tout puissant des jansénistes au Dieu ancien, Groethuysen s'est interdit de penser la logique subversive, déliaisante et autonomisante du droit divin dans tous les domaines où il est à l'œuvre, aussi bien dans l'Église, à tous les échelons de sa hiérarchie, évêques, curés et laïcs que dans la monarchie, à ses différents niveaux, l'État, ceux qui se veulent ses défenseurs, voire ses « représentants » comme les parlements et la tête, la personne royale. 21 À leur corps défendant, les jansénistes participent de l'esprit moderne, pas moins et pas plus que les jésuites, leurs frères ennemis, mais avec une autre sensibilité. On pourrait objecter à Groethuysen d'avoir adopté les critiques des jansénistes à l'égard des jésuites et les accusations des jésuites à l'encontre des jansénistes. C'est pourquoi il en a déduit que les jésuites étaient un peu plus modernes que les jansénistes tout en étant fort embarrassé pour expliquer les raisons de leur échec. C'est à la signification de ce jeu de reproches mutuels qu'il convient de réfléchir désormais37. Les jansénistes ou les jésuites ne sont pas plus coupables d'être à l'origine de l'incrédulité les uns que les autres. Tous ont essayé de surmonter le fossé qui se creusait entre l'ici-bas et l'au-delà, les uns fixés sur la défense de la conception d'un Dieu absolu et d'une spiritualité héroïque de l'imitation des saints, les autres tournés vers la promotion d'une morale plus souple et d'une religion des petits devoirs quotidiens. Tous ont participé à la prise de conscience que la société religieuse n'allait plus de soi.

NOTES

1. Pour la version française, Bernard Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois en France, I, L'Église et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées » 1927, XIII-299 p. (édition de référence : Paris, Gallimard, « Tel », 1977). et pour la version allemande Bernhard Groethuysen, Die Entstehung der bürgerlichen Welt-und Lebensanschauung in Frankreich, Bd 1, Das Bürgertum und die katholische Weltanschauung, Halle/Saale, Max Niemeyer, « Philosophie und Geisteswissenschaften », 1927, XVIII-348 p. suivi de Die Entstehung der bürgerlichen Welt-und Lebensanschauung in Frankreich, Bd 2, Die Soziallehren der katholischen Kirche und das Bürgertum, Halle/Saale, Max Niemeyer, « Philosophie und Geisteswissenschaften », 1930, VI-315 p. L'ouvrage a été réédité sous le même titre en 1978 par les éditions Suhrkamp de Francfort-sur-le-Main (édition de référence). 2. Alix Guillain, « Lutte suprême des jansénistes pour sauver le Dieu ancien », Cahiers du Sud, 305, 1951, p. 40-61. 3. Alix Guillain, « Lutte suprême », art. cit., p. 47. 4. L'étude de Groethuysen sur les « Origines sociales de l'incrédulité bourgeoise en France » parue dans la revue Studies in Philosophy and Social Sciences en 1940 à New York développe également cette thèse de l'origine de l'incrédulité. Elle est reprise dans l'anthologie que Bernard Dandois a consacrée à Groethuysen : Philosophie et histoire, Paris, A. Michel, 1995, 360 p., p. 299-328. 5. Alix Guillain, « Lutte suprême », art. cit., p. 41. 6. Id., p. 42.

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7. Sur les années berlinoises de formation de Groethuysen, voir Hannes Böhringer, Bernhard Groethuysen. Vom Zusammenhang seiner Schriften, Berlin, Agora, 1978, 228 p. et la préface de l'anthologie éditée par Bernard Dandois, Philosophie et Histoire, op. cit. Cette anthologie contient deux articles très intéressants que Groethuysen a consacré à son maître Dilthey : « Dilthey et son école » paru dans La Philosophie allemande au XIXe siècle, Paris, Alcan, 1912, 255 p. et Introduction à la pensée philosophie allemande depuis Nietzsche, Paris, Stock, 1926, 126 p. Grâce aux efforts de Raymond Aron et aux traductions de Sylvie Mesure, Wilhelm Dillthey commence à sortir du purgatoire où l'avait jeté le philosophe marxiste Georg Lukàcs dans son livre, La Destruction de la raison, Paris, L'Arche 1958-1959, 2 vol, 351 p. et 383 p. 8. Alix Guillain, « Lutte suprême des jansénistes », art. cit., p. 42. 9. Id., p. 45. 10. Lucien Goldmann, Le Dieu caché. Étude sur la vision tragique dans les pensées de Pascal et dans le théâtre de Racine, Paris, Gallimard, 1955, 454 p. 11. Dans Structures mentales et création culturelle, Paris, Anthropos, 1970, 494 p., Goldmann rend largement compte du livre de Groethuysen qu'il juge « remarquable ». 12. Alix Guillain, « Lutte suprême des jansénistes », art. cit., p. 46. 13. Alix Guillain, « Lutte suprême des jansénistes », art. cit., p. 59 14. Id., p. 66. 15. Abbé Claude Yvon, L'Accord de la philosophie avec la religion, Paris, Moutard, 1776. Cité dans les Nouvelles ecclésiastiques du 27 février 1777, voir Bernard Groethuysen, Origines, op. cit., p. 129. 16. Charles-Augustin Sainte-Beuve, Port-Royal, Paris, E. Renduel, 1840-1859, 5 vol. Voir les actes du colloque Pour ou contre Sainte-Beuve : Le Port-Royal, Chroniques de Port-Royal, Genève, Labor et Fides, 1993, 308 p. 17. Yves Krumenacker, L'École française de spiritualité, des mystiques, des fondateurs, des courants et de leurs interprètes, Paris, Cerf, 1998, 660 p. 18. Dom Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Le Mans, Fleuriot, 1840-1851, 3 vol., t. II. 19. Bernard Chédozeau, La Bible et la liturgie en français : l'Église tridentine et les traductions bibliques et liturgiques (1600-1789), Paris, Cerf, 1990, 296 p. 20. Jean-Louis Quantin, Le Catholicisme classique et les pères de l'Église : un retour aux sources (1669-1713), Paris, Institut d'études augustiennes, 1999, 672 p. 21. Lucien Ceyssens, Autour de l'Unigenitus, Louvain, Presses Universitaires, 1987, 845 p. et Le Sort de la bulle Unigenitus, Louvain, Presse Universitaires, 1991, 641 p. 22. Bruno Neveu, L'Erreur et son juge : remarques sur les censures doctrinales à l'époque moderne, Napoli, Bibliopolis, 1993, 758 p. 23. Nous renvoyons aux pages 25-48 de notre livre, De la cause de Dieu à la cause de la nation. Le jansénisme au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1998, 710 p. 24. Edmond Préclin, Les Jansénistes du XVIIIe siècle et la Constitution civile du clergé. Le développement du richérisme. Sa propagation dans le bas clergé, 1713-1791, Paris, Les Presses modernes, 1929, 578 p. 25. Il s'agit principalement du côté américain des nombreuses études de l'éminent spécialiste Dale Van Kley dont on ne citera que le dernier livre traduit en français, Les Origines religieuses de la Révolution française, 1560-1791, Paris, Seuil, 2002, 572 p. et pour l'école anglaise de Peter Cambell, Power and Politics in Old Regime France, 1720-1745, de Julian Swann, Politics and the Parlement of Paris under Louis XV, 1754-1774, Cambridge, University Press, 1995, 390 p. et de John Rogister, Louis XV and the Parlement of Paris, 1737-1755, Cambridge, University Press, 1995, 288 p. Sur les divergences entre l'école américaine et l'école anglaise, voir l'article très éclairant de Dale Van Kley, « The English Angle on the Political History of Prerevolutionary France », Journal of Modern History, 69, décembre 1997, p. 754-784. Pour une présentation d'ensemble des grandes questions historiographiques du jansénisme au XVIIIe siècle, nous nous permettons de renvoyer à notre article, « De Port-Royal au Jansénisme du XVIIIe siècle », Port-Royal au miroir du XXe siècle. Chroniques de Port-Royal, Paris, 2001, p. 135-152.

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26. Sur les concepts de « constitution » et de « constitutionalism » dont la synthèse de William Church, Constitutional Thought in Sixteenth Century France, Cambridge, Harvard University Press, 1941, 360 p., fait figure de proue, voir la présentation historiographique très éclairante de Robert Descimon et de Fanny Cosandey, L'Absolutisme en France. Histoire et historiographie, Paris, Seuil, 2002, 316 p., p. 73. 27. Sur Ernst Troeltsch voir la thèse de Camille Froidevaux, Ernst Troeltsch, La Religion chrétienne et le monde moderne, Paris, PUF, 1999, 296 p. 28. Dans notre livre, De la cause de Dieu à la cause de la nation, op. cit., nous avons essayé de redonner à l'épisode des convulsionnaires sa place centrale de révélateur symbolique des tensions internes du jansénisme. Voir également notre étude plus ancienne, Les Convulsionnaires de Saint-Médard, miracles, convulsions et prophéties à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1985, 267 p. 29. Alix Guillain, « Lutte suprême », art cit., p. 50. 30. Il s'agit en réalité d'une thèse assez ancienne qui a été publiée récemment : William Ritchey Newton, Sociologie de la communauté de Port-Royal, histoire, économie, Paris, Klincksieck, 1999, 248 p. 31. Jacques Depauw, Spiritualité et pauvreté à Paris au XVIIe siècle, Paris, La Boutique de l'histoire, 1999, 360 p. 32. Nicolas Lyon-Caen, La Boîte à Perrette. Approche des finances du mouvement janséniste au XVIIIe siècle, thèse pour le diplôme d'archiviste paléographe de l'École des Chartes, 2002. 33. Nouvelles ecclésiastiques, ou Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique… années 1728-1798, 71 vol., abbé Nicolas Legros, Discours sur les Nouvelles ecclésiastiques, s. 1., 1759, 551 p. ; abbé Jean- Baptiste Le Sesne Des Ménilles d'Étemare, Les Hexaples ou les Six colonnes sur la constitution Unigenitus, Amsterdam, N. Potgieter, 1721, 6 tomes en 7 vol. in-4o ; abbé Goy et abbé Dussaussoy, La Vérité rendue sensible à tout le monde, contre les défenseurs de la constitution Unigenitus, s. 1., 1719 ; Charles-François Desfours de La Genetière, Les Trois états de l'homme par rapport à la justice, s. 1., 1784, 294 p. ; Louis-Adrien Le Paige, Lettre à un ami sur un écrit intitulé : Sur la destruction des jésuites en France par un auteur désintéressé, s. 1. n. d., 1765, 57 p. 34. Monique Cottret, Jansénismes et Lumières : pour un autre XVIIIe siècle, Paris, A. Michel, 1998, 418 p. 35. Jean Orcibal, « Le premier Port-Royal : Réforme ou Contre-Réforme ? », Nouvelle Clio, n o 5-6, 1950, p. 39-53. 36. Le cas de l'abbé Grégoire illustre bien ce point. Les historiens se divisent entre ceux qui le rangent au nombre des jansénistes et ceux qui l'inscrivent dans la tradition gallicane, érudite et éclairée. Voir notamment Rita Hermon-Belot, L'Abbé Grégoire, la politique et la vérité, Paris, Seuil, 2000, 506 p. pour les premiers et l'abbé Bernard Plongeron, L'Abbé Grégoire ou l'arche de la fraternité, Paris, Letouzey, 1989, 109 p. et L'Abbé Grégoire et la République des savants, Paris, éd. du C.T.H.S., 2001, 302 p. pour les seconds. Sur la question des sources « figuristes » chez Grégoire, nous nous permettons de renvoyer à notre article ; « La date du retour du peuple d'Israël : un enjeu polémique pour les figuristes au XVIIIe siècle », Chroniques de Port-Royal, n o 53, 2004, à paraître. 37. Deux colloques organisés par le CARE sur les « Antijésuitismes de l'époque moderne » ont eu lieu à l'EHESS les 28 et 29 mars 2003 et à l'École française de Rome les 30 et 31 mai 2003. Les actes sont à paraître.

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AUTEUR

CATHERINE MAIRE

CNRS / CRH-Care

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« Les économies de la providence ». L’impossible économie politique chrétienne selon Groethuysen

Alain Guery

1 Si l'on s'en tient à sa forme et à son contenu, l'œuvre de Bernard Groethuysen : les Origines de l'esprit bourgeois en France, est tout sauf une œuvre d'histoire économique, d'histoire de la pensée économique pas plus que d'histoire des faits économiques. On pourrait presque dire, jusqu'à la caricature, tant son auteur veut ignorer les grands protagonistes de cette histoire et ses grands textes comme ses grands corpus de documents. Ainsi, quand il lui arrive de citer Colbert, sans autre précision de prénom, de fonction et d'œuvre, il doit aller de soi pour son lecteur qu'il ne peut s'agir que de Charles Joachim Colbert de Croissy (1667-1738), neveu du célèbre contrôleur général des finances de Louis XIV, sans que jamais cela ne soit précisé pour présenter cet évêque de Montpellier, janséniste et figuriste1. Ce titre et cette adhésion, pourtant discutée, à un mouvement religieux fondamental pour comprendre toutes les composantes du discours de l'Église sur la modernité qu'incarne le bourgeois sont eux- mêmes passés sous silence, tout juste évoqués par le contexte, ou suggérés par la citation. Groethuysen s'adresse d'abord à un public de spécialistes d'histoire religieuse. Au-delà, les autres lecteurs ne peuvent percevoir toutes les variantes dans sa manière d'approcher le bourgeois moderne, selon les écoles de pensées qui divisent alors l'Église. Ce n'est sans doute pas le but recherché par l'auteur pour le public plus large qu'il vise. En témoigne le retrait de plusieurs chapitres de l'édition allemande de son livre, première de rédaction sinon de parution, pour la traduction française. Ces chapitres concernent des problèmes d'ordre plus spécifiquement théologique2. Pour ce public plus large, le sujet du livre est bien le bourgeois, pris au moment de son émancipation morale, qui en change la définition et le fait passer d'un statut privilégié, de fait sinon de droit, au statut « d'honnête homme », en lui permettant de donner une assise intellectuelle nouvelle à ses projets et à la place qu'il occupe déjà dans la société.

2 Si ce que Groethuysen fait dire à son Colbert n'a que peu de rapport avec le ton et les préoccupations de l'illustre oncle de celui-ci, peut-on dire pour autant que l'économie,

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ou une forme de l'économie, est absente de son oeuvre ? Le livre s'achève sur un ordre bourgeois, conclusion dont l'antichambre est le capitalisme, seul concession apparente à une historiographie marxisante, à laquelle Groethuysen était réputé adhérer3. Selon les canons de l'histoire économique de son temps, qu'elle soit française ou anglaise, américaine ou allemande, le livre ne peut aucunement se ranger dans cette catégorie. Groethuysen, malgré certaines expressions qui pourraient le laisser entendre de manière ambiguë, ne cherche en aucun cas à montrer l'émergence d'une nouvelle classe sociale dominante, promise au destin que l'on sait, à travers la dialectique complexe des forces de production et la maîtrise de nouveaux types d'échanges. Le livre ne s'inscrit en rien dans les débuts d'un courant d'histoire économique et sociale – on ne séparait jamais les deux alors – qui ne deviendra réellement dominant qu'après la seconde guerre mondiale, durant les « Trente Glorieuses ». Il n'envisage le capitalisme que vu sous l'angle de l'Église, tout comme son bourgeois, avec une grande fidélité de méthode. Il cherche à mettre en lumière l'apparition concomitante de ce dernier, mais comme premiers développements d'un type nouveau d'humanité, en quoi, malgré les défauts et les limites de son approche, il est plus près des préoccupations de nombres d'historiens d'aujourd'hui que de celles de son époque. La manière dont son héros, toujours vu à travers le prisme révélateur, mais déformant aussi, des discours catholiques sur son comportement religieux, se forge un outillage mental lui permettant d'exister, avant de s'imposer, dans un monde moral qui ne l'a pas prévu, et ceci à partir des possibilités mêmes d'évolution et de transformation des croyances et des pratiques de l'institution gardienne de ce monde moral, l'Église, est le véritable grand problème historique développé tout au long de l'ouvrage. 3 Ce problème rencontre une des questions principales de l'histoire économique d'aujourd'hui, plus soucieuse des développements récents de la sociologie économique, et qui cherche à mieux comprendre l'émergence et les contours de la catégorie économique en tant que telle, au XVIIIe siècle, dans l'histoire de la pensée comme dans l'histoire politique. Groethuysen semble aborder parfois cette question, mais toujours indirectement, tant il demeure fidèle à ses sources et à son approche. Plus exactement, il la frôle sans la voir vraiment, son attention étant plus monopolisée par le face à face de l'Église avec un capitalisme au moins aussi vieux qu'elle, selon une vue de l'histoire de ce système économique déjà dépassée en son temps, où le marxisme n'a en l'occurrence nullement sa part. Adhère-t-il pour autant aux conclusions des grands travaux de ceux qui l'ont précédé dans l'étude des rapports entre religion et économie ? Il ne cite aucun d'entre eux, même les plus célèbres : Max Weber, Ernst Troeltsch, Werner Sombart. Au moment où il publie son livre, ce dernier a déjà publié un ouvrage dont le sujet, envisagé de manière plus vaste et synthétique à la fois, recoupe celui de Groethuysen. L'émancipation morale et religieuse du bourgeois moderne en est également le thème, mais rien n'indique que Groethuysen s'en soit inspiré, ni dans son approche, ni dans ses résultats : il ne s'y réfère jamais4. Sans doute n'ignore-t-il pas ces auteurs, mais il ne s'inscrit pas dans leur perspective. De ce point de vue, il faut insister sur le choix de son terrain d'étude, la France, qui est aussi celui qui résiste le plus, ou le mieux selon l'école de pensée à laquelle on appartient, aux analyses de ses illustres prédécesseurs, et que, sans doute pour cette raison, ils avaient écarté ou négligé. Groethuysen a une autre perspective que ses devanciers quant à l'économie, incontournable dès que l'on parle du bourgeois comme type nouveau d'humanité. Pour lui, l'Église a effectivement son mot à dire en ce domaine, qu'elle ne peut ni ne veut voir se constituer selon des règles morales propres autres que les

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siennes sans réagir ni les discuter. Car elle est porteuse d'un modèle d'économie chrétienne qui n'est pas ce que la modernité de l'homme nouveau, qu'incarne le bourgeois, développe au XVIIIe siècle.

4 Qu'il s'agisse de croyance ou de doctrine, les symptômes de cet écart montrent une accentuation au cours du siècle. L'opposition entre le « Dieu ancien » et le « Dieu nouveau », entre le Dieu « infiniment incompréhensible » (Pascal) des jansénistes et le Dieu à la portée de tous des jésuites, n'a pas ramené l'homme moderne à une meilleure compréhension du Dieu authentique des chrétiens, loin s'en faut ; elle l'a seulement incité à la prudence intellectuelle. La crainte de la mort comme « anéantissement en Dieu » (Pascal), la nécessaire solitude pour s'y préparer de son vivant (Nicole), pas plus que les images terrifiantes de l'enfer que décrivent les Jésuites, ne trouvent réellement prise sur lui ; elles le ramènent plutôt à une reconsidération toute profane de sa vie d'ici bas, jardin qu'il cultive loin d'une foi exigeante. à la prudence intellectuelle, cet homme moderne va ajouter le calcul, que lui permet cette prudence dans son principe même. « si le bourgeois continue à aller à l'église, est-il encore de l'Église ? »5, s'interroge Groethuysen à partir des exemples qu'il donne du discours ecclésiastique dans ses variations et ses interrogations, et même jusque dans ses conciliations. Et il ajoute : L'Église, sentant la bourgeoisie lui échapper, a bien cherché à créer des formes de vie qui pourraient permettre au bourgeois d'être bourgeois, tout en restant chrétien, c'est-à-dire à remplir son rôle économique et social tout en conservant les caractères d'un enfant de l'Église. Mais elle n'a pas réussi à consacrer, en quelque sorte, les aspirations de la bourgeoisie nouvelle, en leur donnant un fondement religieux, et à christianiser ainsi le nouvel état6. 5 Le problème, pour Groethuysen, est bien celui d'un écart croissant entre le genre de vie qu'implique la fonction économique dévolue au bourgeois dans la société, et la morale qu'implique sa foi chrétienne, qui n'est plus, et ne peut plus être, le guide de cette fonction.

6 De ceci, la lecture attentive des citations réunies par Groethuysen montre que théologiens et prédicateurs catholiques sont finalement bien persuadés. Mais en bonne doctrine, peuvent-ils laisser de côté les principes de charité et de grâce qui doivent guider tout bon chrétien tant dans sa relation à Dieu que dans son rapport à ses semblables ? Dès le Moyen Âge, cette tension entre ce qui devrait conduire à une économie d'inspiration chrétienne, commandée par la charité et la grâce, et l'économie qui se développe effectivement, à partir de la sphère marchande et des villes, est à l'œuvre dans l'histoire européenne. Concrètement, la première devrait se décliner en termes de dons et d'aumônes, les uns comme les autres commandés par un principe strict de gratuité. La seconde progresse au contraire inexorablement sur la base du profit calculé et de l'intérêt bien compris. La première a l'inconvénient de se rapprocher, dans ses mécanismes effectifs, d'une gestion de la libéralité des grands de ce monde, qui utilisent leurs dons pour faire reconnaître leur pouvoir et se constituer des fidélités7. La seconde a l'avantage, au contraire, de promouvoir la liberté de l'échange et la liberté dans l'échange, mais au prix de l'exclusion de ses investissements, aussi bien de la libéralité contraignante que de la générosité sans espoir de retour. Économie de la faveur et économie marchande sont les deux écueils que doit éviter, au plan des principes, une économie d'inspiration chrétienne.

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L'impensable et impossible économie politique chrétienne

7 L'histoire économique a longtemps été inattentive à ces « économies » multiples en concurrence dans les sociétés traditionnelles, parce qu'elle a été inattentive aux liens étroits entre l'histoire des idées économiques et l'histoire des faits économiques, développées comme des domaines parallèles mais séparées par des spécialistes s'ignorant mutuellement. De plus, une vision rétrospective y a longtemps présidé, à partir de notre conception de la catégorie économique, telle que nous l'isolons dans le champ des sciences sociales encore aujourd'hui8. La réaction contre ces effets négatifs de l'organisation institutionnelle de la recherche est venue d'une autre manière, plus proprement historienne, d'envisager plus directement le rapport entre les faits économiques et l'observation qui en était faite par les penseurs du temps9. Nécessairement portée par le discours des premiers économistes, elle a, de ce fait même, négligé la prégnance d'une économie théorique chrétienne sur les acteurs de l'économie marchande. Celle-ci constitue les racines mêmes du bourgeois selon Groethuysen, ce qui ne sera pas confirmé par l'historiographie ultérieure10. Celle-là, au contraire fait obstacle à son épanouissement. C'est le mérite du livre de Bartolomé Clavero : Antidora, d'avoir mis en valeur l'existence et la prégnance de cette économie théorique chrétienne, par les mesures mêmes qu'elle inspire, sur l'attitude des acteurs de l'économie réelle. Malgré ses erreurs et sa démarche trop assurée, cet ouvrage souligne l'influence déterminante du cadre intellectuel et mental chrétien sur la vie économique et sociale de l'Ancien Régime11. Le bourgeois ne pouvait ni l'éviter, ni l'ignorer. Mais il pouvait aussi en observer l'impact sur le développement ainsi rendu difficile de ses affaires. La distribution des biens de ce monde, selon qu'elle s'opère par la vente, par la libéralité ou par la charité, détermine des échanges totalement différents, et donc des effets dans l'ordre de la richesse et dans l'ordre du pouvoir qui ne sont pas tous conciliables avec la doctrine et le dogme ecclésiastiques, sans même parler du message évangélique.

8 Le problème est alors d'accommoder l'idéal de la société chrétienne au monde des affaires. Pour la plupart des prédicateurs du XVIIIe siècle, l'essentiel, s'agissant de la distribution des biens de ce monde, est que la charité y trouve son compte, puisqu'elle ne peut en être l'inspiratrice. L'aumône, de ce point de vue, sera toujours bienvenue. Elle permet de régler un problème de théologie par la pratique, en répartissant chrétiennement des richesses créées selon des règles non chrétiennes. Le pauvre, « autre Christ », ne sera pas délaissé par le système économique qui se met en place ; par ce biais de l'aumône, le riche devient : « un simple dispensateur des biens de Dieu ». Nicole se fait ici le plus accommodant des Jansénistes. Quesnel, plus intransigeant, n'y croit pas : « C'est l'inclination corrompue du cœur de l'homme de chercher dans ses bonnes œuvres et dans sa propre volonté quelque chose qui ne soit point de Dieu, et qu'il ne doive qu'à lui-même. Le chrétien, au contraire, fait sa joie de lui devoir tout par Jésus-Christ »12. Massillon, s'adressant aux grands de ce monde, les avait élevés vers le divin à partir des mêmes préceptes ; parlant des pauvres il leur dit : « Vous leur tenez donc ici bas la place de Dieu même : vous êtes, pour ainsi dire, leur providence visible… vos biens sont leurs biens, et vos largesses le seul patrimoine que Dieu leur ait assigné sur la terre »13. Le bourgeois, plus prosaïquement, se voit assigner une autre place, moins prestigieuse, plus indirectement en liaison avec le divin. Il fera partie de la

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cohorte des « économes de la Providence ». En les désignant ainsi, le père jésuite Henri Griffet emprunte le mot économe au vocabulaire ecclésiastique où il a désigné, dès la fin du Moyen Âge, l'administrateur des dépenses d'un couvent, avant d'être utilisé pour parler d'autres institutions et maisons, religieuses ou nobles14. En reprenant plusieurs fois l'expression, Groethuysen prend soin de la maintenir à ce niveau de contact précis entre deux mondes qui, pour le reste, c'est-à-dire la totalité de leurs règles, s'ignorent désormais. L'économe ne se tourne vers l'économie que pour faire vivre l'institution religieuse dont il a la charge dans ses aspects matériels. Mais cette institution a d'autres buts et d'autres règles pour les accomplir que celles de l'économie. L'économiste, mot qui commence à désigner au même moment celui qui, précisément, cherche à décrypter les règles propres à cet univers des échanges humains fondés sur l'intérêt, sans aucunement y impliquer Dieu, peut être un économe, mais seulement dans la mesure où il accepte de régler sa vie en la divisant en sphères qui s'ignorent, voire s'opposent. 9 Des théologiens du Moyen Âge aux évêques administrateurs des Lumières, cette difficulté née de l'inadéquation entre des règles conformes à la vie chrétienne et celles qui président à la vie économique n'a pas cessée d'être soulevée, au sein même de l'Église. Le thème du prêt à intérêt et de l'usure en est le mieux connu et Groethuysen revient dessus dans son chapitre sur « L'Église et le capitalisme ». C'est alors un passage historiographique obligé que la recherche la plus récente tente de renouveler, en particulier à travers l'examen des querelles d'interprétation entre Franciscains et Dominicains à propos des contrats qui règlent la vie économique. Dès le Moyen Âge, la prise en considération du risque financier n'a pas été absente de la théologie chrétienne ; certains de ses auteurs légitiment ainsi le profit qui découle des investissements. D'autres, ou parfois les mêmes, plaquent le mécanisme de la récompense pour service rendu, très prisé des grands et de leur économie de la faveur et du pouvoir, sur ce problème du risque et de l'intérêt. D'autres encore, comme Olivi, font valoir qu'aucune loi, humaine ou divine, n'interdisant à un homme de donner ses biens à un autre, tout transfert de propriété est juridiquement légitime dès lors qu'il a été librement décidé. Pour autant, il semble déjà inacceptable à beaucoup qu'une formulation du contrat aléatoire en termes théologiques vienne chrétiennement conforter les premiers grands développements des échanges marchands, de la banque et des investissements financiers de la fin du Moyen Âge. C'est à l'occasion de ces débats théologiques qu'apparaissent les premières formulations du capital économique et de la création de valeur15. 10 Faut-il incriminer seulement l'insuffisance de nos recherches, la désaffection pour les sujets demandant des compétences doubles, la rigidité des cloisonnements universitaires excluant des sujets jugés « transversaux », dans ce repérage tardif d'une tentative pour penser une économie capitaliste alors naissante sans sortir d'un cadre théologique ? S'agit-il d'isolats intellectuels, liés à la personnalité hors du commun de leurs créateurs, telle celle d'Olivi, dont les travaux furent condamnés par ses pairs à l'oubli ? S'agit-il au contraire de buttes témoins de l'histoire longue du capitalisme, telle que veulent la reconstituer certains historiens économistes des dernières générations au-delà même parfois du cadre chronologique que lui avait fixé Fernand Braudel16 ? L'enjeu de tels travaux n'est rien moins que de comprendre comment des domaines aussi fondamentaux pour l'existence humaine que la production et les échanges des biens et des services, soit se sont dégagés des règles religieuses et coutumières qui les conditionnaient en en limitant l'extension, soit ont toujours formé

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un domaine de la vie sociale ayant ses règles propres. Polanyi ou Braudel ? Ou plutôt, comment sort-on du modèle Polanyien, vers l'aval de l'histoire, en tentant de comprendre l'émergence d'une catégorie de pensée économique qui en s'autonomisant dépasse ses prétentions analytiques en fournissant un cadre normatif nouveau au lien social ; et comment sort-on du modèle braudélien, vers l'amont de l'histoire, en tentant de comprendre comment un secteur aussi important de la vie sociale que l'a été celui de la production et des échanges économiques, au sens où nous l'entendons, a pu rester sinon l'impensé des sociétés, du moins un domaine inséparable de la morale et du droit, donc du religieux en définitive ? N'est-ce pas dans l'entre-deux, temporel et de méthode, de ces deux histoires économiques, nécessairement focalisées sur leurs objets identifiables d'analyses, donc sur des corpus de sources constitués en fonction d'eux, que doit se porter désormais le regard de l'historien ? 11 Cette démarche l'amènerait à considérer ce qui agite la société traditionnelle, jusqu'à la révolte et à la guerre, en même temps que ce qui en fait une société socialement stable, au prix d'une inégalité sociale entretenue ; comme elle l'amènerait à considérer le mouvement perpétuel de la société moderne, jusqu'à la promotion de l'économiquement stérile et du socialement et culturellement destructeur, en même temps que les abandons de principe jusqu'alors jugés fondateurs de cette modernité, au prix de la remise en cause de la solidarité sociale. Agitation de la société traditionnelle, qualifiée de politique et d'économique par nombre d'historiens, quand aucune autonomie n'était alors reconnue à ces sphères d'activité humaine par les pouvoirs du temps ; mouvement de la société moderne confondu par nombre de ses observateurs avec son inéluctable progrès quand une récusation économiquement intéressée de la politique ruine tout développement démocratique véritable17. Balancement dans lequel l'histoire trouve toujours sa voie et que l'historien, homme de l'étude des temps et des mouvements des sociétés, doit affronter. Quitte à ressusciter les cadavres, trop vite déclarés tels par les « évolutionnistes », de la conjoncture et de la structure, qui bougent pourtant encore beaucoup dans notre présent historique. Quitte à reformuler la question du religieux dans les sociétés de manière plus anthropologique que théologique en posant directement le problème de la collusion historique du christianisme avec le pouvoir, au risque de la violence à justifier, à assumer, quand le dogme chrétien récuse l'un comme l'autre. Quitte aussi à poser directement le problème de la dégradation des valeurs chrétiennes qui en découle et rend improbable tout retour du religieux dans un monde permis par cette dégradation, voire fondé sur elle. 12 L'existence repérable d'une pensée économique chrétienne entre pleinement dans le cadre de tels débats, qui rebutent peut-être les historiens précisément parce qu'ils sont des débats actuels, trop actuels pour qu'ils puissent se dégager facilement des partis pris qui les animent. Mais peuvent-ils véritablement y échapper, sans prendre le risque de se présenter comme les croque-morts de la société18 ? Le temps des sociétés est leur domaine, autant que celui des leçons du passé. Ainsi, au moment où Groethuysen saisit son bourgeois, la réponse à la question de l'existence possible, ou non, d'une économie politique chrétienne, c'est-à-dire d'une économie pensée comme telle mais d'inspiration chrétienne tout en étant efficace, est déjà donnée. Elle est négative mais non ouvertement avouée. Aucun père fondateur de la pensée économique, stricto sensu, c'est-à-dire de la pensée qui a isolé, dans la vie sociale, les échanges et les actions fondés sur le seul intérêt matériel, ne fait référence à Dieu, aux Évangiles, au dogme et aux principes du christianisme, autrement qu'incidemment et pour des raisons qui

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demeurent toujours hors du raisonnement. Beaucoup se disent chrétiens, qui ne le sont nullement dès lors que les investissements et la monnaie, la liberté du commerce et le contrat de travail, le salaire et la rente sont en jeu pour être optimisés dans le sens de l'enrichissement par la création de valeur. On pourrait, quelle que soit l'intensité de leur foi, les prendre en défaut d'obéissance aux règles qu'implique celle-ci à chaque page, aussi bien dans leurs analyses que par les conseils qu'ils donnent. Dans ses travaux, l'économiste est aussi un économe, mais un économe de la prévoyance, voire de la prévision, aucunement de la Providence. 13 Pour Bernard Groethuysen, la prévision est un des caractères fondamentaux de « l'esprit bourgeois ». Dès la préface de son livre, il écrit : « Je travaille, je prévois, il faut prévoir. L'honnête homme prévoit. Nous pouvons nous arrêter là. C'est d'ailleurs ce que fait souvent le bourgeois quand il déclare que seule la morale importe »19. La prévision élevée au rang d'impératif moral, telle est donc l'idée que les nouvelles classes dominantes, qu'on regroupe sous le nom de « bourgeoisie » au XIXe siècle, vont prendre pour principe de leurs actes. Elle remplace l'intention, dans les jugements qui sont faits de ceux-ci, pour déterminer un échec ou une réussite, et non plus un péché ou une faute. Les économistes du XIXe siècle l'intègrent à leur raisonnement en la mathématisant, sur le modèle des calculs économiques et financiers de Condorcet d'abord20, puis, à partir de 1838, sur celui de la première mathématisation générale de l'économie que propose Cournot, en y intégrant un projet de régulation sociale21. Au même moment, des penseurs chrétiens reprennent la question de l'aumône, de la charité et de la vie économique. Ils accusent la mise en pratique de la théorie économique de favoriser la misère mais se bornent à y intégrer des préoccupations sociales inspirées du message chrétien. Aucun de ces auteurs ne réussit vraiment à modifier la théorie économique dans un sens chrétien, de Charles de Coux avec ses Essais d'économie politique de 1832 au vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, auteur d'une Économie politique chrétienne qui paraît en 1834 et dont l'œuvre, de fait, sonne la fin ultime des tentatives de conciliation entre idéal et message chrétien d'une part et théorie économique de l'autre. Au sein du christianisme social, mouvement auquel appartiennent leurs auteurs, ces ouvrages jouent plus un rôle de référence critique que de référence théorique, et fondent ce qu'on appellera par la suite l'économie charitable22. 14 À travers les discours opposés des théologiens du XVIIIe siècle, Groethuysen décrit l'impossibilité morale de concilier foi catholique et recherche de l'intérêt individuel qu'implique l'activité économique moderne. Pourtant, la première ne s'est pas totalement éteinte avec la montée en puissance de la seconde. Des passerelles existent, telle l'aumône comme pratique d'une charité dont le sens profond s'estompe néanmoins peu à peu derrière les gestes qu'elle implique. S'interrogeant sur la transformation des idées religieuses sous l'angle d'une crise de croyance, Groethuysen met en évidence les débuts d'une attitude qui est devenue très commune dans la France d'aujourd'hui. Si la plupart des Français se déclarent chrétiens et majoritairement chrétiens catholiques, ils font cependant un tri, une sélection, entre les principes et les dogmes de leur religion, selon qu'ils estiment pouvoir y croire ou non, au mieux, selon qu'ils les dérangent ou non, au pire. En fait, ils se disent toujours de religion chrétienne, mais en « bricolant » une religion chrétienne à eux. À leurs yeux, ils demeurent chrétiens parce que les éléments de religion qu'ils interprètent à leur gré et qu'ils réorganisent à leur convenance proviennent du christianisme. Groethuysen laisse entendre qu'il en a toujours été ainsi, par ignorance ou par convenance. Mais au risque

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de l'hérésie qu'entraînaient ces défauts depuis le Moyen Âge, succède au XVIIIe siècle ceux d'une « diminution » et d'un « rétrécissement » de la foi :« la bourgeoisie croira moins et croira moins de choses », écrit-il. Son catholicisme assez réduit, assez incolore, abstrait et sec, lui permet, en concentrant sa foi sur un seul point, ou sur un nombre limité de vérités, de s'en tenir dans la vie de tous les jours à des conceptions entièrement profanes23. 15 La nouveauté pour l'homme moderne qu'incarne le bourgeois est qu'ignorant ou non des fondements de sa foi, la civilisation économique moderne est à ce prix spirituel.

Le bourgeois, héros schélérien ?

16 Depuis la parution du livre de Bernard Groethuysen, le thème de l'émancipation morale et religieuse du bourgeois a été repris sous d'autres angles, selon d'autres approches. En France, comme en Allemagne, les travaux se sont orientés vers une histoire socio- culturelle du XVIIIe siècle, à partir de la mise en question des attitudes intellectuelles des élites bourgeoises, en essayant de mesurer leur participation au mouvement des Lumières. En se référant à une définition sociale qui part de l'identité statutaire de la bourgeoisie d'Ancien Régime, comme en se référant à celle, plus large et plus vague, plus datée aussi historiographiquement, qui, de fait, est celle de Groethuysen, cette participation n'apparaît pas d'une extrême importance. Elle ne concerne que la partie de la bourgeoisie, qu'en suivant les historiens allemands, on pourrait nommer la bourgeoisie des talents (Bildungsbürgertum) et que Paul Bénichou appelait « haut Tiers état », « patriciat bourgeois » ou encore « aristocratie bourgeoise »24. En France, cette dernière est plus nombreuse dans la bourgeoisie des officiers, même dans celle des officiers « moyens »25, que dans la bourgeoisie marchande. Mais les Lumières, par leur influence sur les esprits, dépassent le cadre, alors socialement plus étroit qu'aujourd'hui, de la bourgeoisie. « L'honnête homme » éclairé se trouve tant dans l'aristocratie que dans la bourgeoisie, et aussi bien dans le clergé, dont la présence avouée aurait posé des problèmes quasi-insolubles à Groethuysen, quant à sa méthode. Qu'aurait renvoyé le miroir tendu par ses théologiens ? L'expression même d'honnête homme, utilisée depuis la seconde moitié du XVIe siècle, désigne sous l'Ancien Régime l'homme attentif aux choses de l'esprit et ouvert à la culture de son temps, tout en conservant le sens plus ancien encore du mot honneste, synonyme de courtois, de civil, dans les rapports humains. En 1630, Nicolas Faret utilise l'expression pour exprimer l'idéal du courtisan, gentilhomme qui joint toutes ces qualités à celles inhérentes à sa « naissance ». Il y ajoute la probité et la pratique des vertus chrétiennes26. C'est cette dernière composante de l'honnesteté qui est remise en cause au XVIIIe siècle. Mais l'identification entre « honnête homme » et bourgeois ne s'opère véritablement qu'au XIXe siècle, quand le mot bourgeois prend son sens actuel, plus large et plus vague, plus culturel que juridique ; comme celle qui la suit, entre bourgeoisie et « classes moyennes » ne se fait qu'au XXe siècle, quand la critique sociale a fait tomber le mot bourgeoisie dans la déconsidération. Groethuysen est resté prisonnier de ces identifications postérieures à la Révolution, qui s'expliquent en partie par le régime socio-économique et politique nouveau qui en découle, et qu'il utilise de manière rétrospective.

17 En partie seulement car il demeure que, pour cette période qui va du XVIIIe siècle aux XIXe et XXe siècles, l'histoire sociale de la culture, qui sans doute a laissé le bourgeois tel

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que le voit Groethuysen à l'écart de sa route du fait même de son indétermination sociologique, toujours source d'un risque d'anachronisme, butte sur ces identifications nouvelles. Comment la classe sociale désormais dominante dans les sociétés industrielles s'est-elle adjugée un corpus d'idées certes neuves, mais pourtant venues d'horizons sociaux divers, de recherches intellectuelles qui, pour une part non négligeable, échappaient à ses domaines de compétences, à sa culture, à ses intérêts même ? Et ceci au point d'occulter toute une partie de sa véritable histoire culturelle, encore imprégnée des luttes religieuses qui marquent et scandent, au XVIIIe siècle, l'histoire même de la monarchie française27. Les jansénistes du XVIIIe siècle ne se recrutaient-ils pas dans les mêmes groupes sociaux que les hommes et les femmes séduits par les idées des Lumières ? Le discours qui associe une bourgeoisie, ouverte tant au dynamisme économique qu'au monde du savoir, à un « programme » des Lumières, en s'appuyant sur la participation de ses membres à l'élaboration intellectuelle et savante d'un tel « programme, » est un discours construit postérieurement à la période révolutionnaire. Il sert de masque à une histoire intellectuelle et culturelle de la bourgeoisie à la fois différente et plus complexe, que veulent retrouver les historiens d'aujourd'hui. Et il sert de justification à la domination économique, politique et sociale qu'une partie seulement de la bourgeoisie moderne, celle qui s'estime la plus « éclairée » selon ce discours, exerce sur les autres. Estimant exprimer les pensées, les sentiments et les intérêts de ses autres composantes, intermédiaires obligés entre elle et les autres catégories sociales, elle en fait de simples auxiliaires de ses intérêts particuliers, auxiliaires idéologiquement autant que socialement utiles. 18 L'anthropologie historique, en effet, ne retrouve pas tous les caractères par lesquels les sociologues allemands tels Max Weber ou Werner Sombart définissent le bourgeois moderne. De ce point de vue, l'approche microhistorique de l'AlltagGeschichte (l'histoire de la vie quotidienne) révèle des discordances assez fortes entre le système de valeurs affiché par la bourgeoisie, entre XVIIIe et XIXe siècle, et les modes de vie qu'elle pratique. Les changements dans le temps, comme les différences avec les autres catégories de la société, n'apparaissent plus si importantes, que ce soit à propos de la part croissante des sentiments dans la vie familiale, observée par les biais des relations amoureuses, des stratégies matrimoniales, et des relations entre parents et enfants, ou à propos de l'éthique du travail accompli et performant (la Leistung) 28. La bourgeoisie moderne hérite non seulement de celle qui l'a précédée, dont les croyances, les sources d'enrichissement, les modes de vie ont marqué les siens, mais aussi des modèles culturels fournis par les classes dominantes anciennes, plus particulièrement de ceux de l'aristocratie, qu'elle a repris autant au moins qu'elle a rompu avec eux. Là encore, elle a fait un tri, une sélection, parmi les principes économiques et sociaux, les règles et les croyances sociales du monde ancien, pour se constituer une boite à outils conceptuels et normatifs lui permettant d'assurer sa prééminence, après les bouleversements révolutionnaires qu'elle avait contribué à préparer, auxquels elle avait participé ensuite, sans qu'à aucun moment elle ne s'y trouve seule, à agir et à réfléchir. 19 Ce mouvement des classes bourgeoises est-il nouveau ? La comparaison du bourgeois de Groethuysen, au moment où il le saisit, avant qu'il n'entre en Révolution, avec le bourgeois en situation d'activisme « révolutionnaire » au moment de la Ligue radicale parisienne de la fin du XVIe siècle, montre le chemin parcouru par la bourgeoisie sous

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l'Ancien Régime, mais aussi son mode d'approche de la contestation du pouvoir qui lui échappe. Au XVIe siècle, la bourgeoisie puise la thématique de ses attitudes politiques et la justification de ses privilèges sociaux dans les interprétations théologiques diverses qui opposent les sujets du roi de France avec la violence que l'on sait29. Au XVIIIe siècle, pour une part, mais une part seulement, elle en est toujours là. Ce que Groethuysen met en valeur par sa méthode, c'est, à travers les oppositions d'ordre théologique du XVIIIe siècle, toujours vives, un changement perceptible dans le discours même que tiennent les prédicateurs : le bourgeois certes, mais pas seulement lui très certainement, leur échappe. Si le portrait de cet « honnête homme » en devenir, que dresse ainsi Groethuysen dans le miroir que tendent ses prédicateurs, à l'inconvénient d'un dessin moins net que celui dressé par les spécialistes d'histoire sociale de la culture qui l'ont suivi sans s'en inspirer, il a l'avantage, par contre, de nous montrer une culture religieuse qui s'en va, qui s'effrite. Réduite à une morale du quotidien, la religion n'est plus et ne peut plus être l'arsenal argumentaire permettant d'assurer et de justifier une place décisive dans la société. Derrière la vitalité, bien réelle, des oppositions et des discussions théologiques, comme derrière les engagements et les participations à des mouvements religieux30, se joue rien moins au XVIIIe siècle, pour des pans entiers de la société, que la sortie de la religion. 20 Groethuysen la décrit d'une manière qui semble bien différente de celle qui prévalait, en Allemagne comme en France, au moment de la publication de son ouvrage. Plus particulièrement, il n'aborde pas cette sortie de la religion sous l'angle du bouleversement moral et émotionnel qu'elle ne peut que provoquer et auquel on aurait pu s'attendre compte tenu de sa familiarité avec la pensée de Max Scheler. Celui-ci avait lui-même publié dès 1913 – l'année de la publication du Bourgeois de Sombart – deux articles dont les titres : Der Bourgeois et Die Zukunft des Kapitalismus (l'avenir du capitalisme) ont pu inspirer son sujet à Groethuysen. Quoi qu'il en soit, après avoir rencontré Max Scheler en 1926, il devient un proche et fait connaître au public français la pensée de son ami31. Après la mort prématurée de Scheler en 1928, il poursuit le projet de ce dernier d'une « anthropologie philosophique »32 en publiant dès 1931, l'année même de la parution de son second volume de Die Entstehung der bürgerlichen Welt… en Allemagne, un recueil de travaux personnels sous ce même titre d'Anthropologie philosophique, qu'on ne peut comprendre autrement que comme un hommage et la marque d'une filiation assumée sinon avouée33. Les deux ouvrages – les Origines et l'Anthropologie – de Groethuysen sont ainsi liés chronologiquement mais aussi par l'inspiration schélérienne qui les éloigne de l'influence de Dilthey, premier maître de leur auteur34. Qu'il s'agisse du renversement des valeurs, qui n'est pas traité ici à la manière de Nietzsche, des rapports entre spiritualisme religieux et valeurs morales, ou encore de l'opposition entre sympathie et volonté de puissance, il est facile de percevoir la thématique schélérienne sous nombre de développements des Origines de l'esprit bourgeois, alors que celle de Dilthey se résume à une philosophie de la compréhension, label sous lequel Groethuysen place le livre dans son ensemble. La faible réception de l'œuvre de Max Scheler en France, malgré la traduction d'une partie de celle-ci, trouve une compensation relative dans l'usage qu'en fait Groethuysen. 21 Pour autant, cette thématique schélérienne ne peut être totalement déployée dans les Origines. Là est peut-être la raison du silence de Groethuysen sur l'influence de l'œuvre de Max Scheler sur sa pensée. Montrer comment ce qui a été jusqu'alors considéré comme supérieur – l'Église – est en fait devenu impuissant cadre fort bien avec la

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méthode : c'est l'Église qui s'exprime. Mais montrer que ce qui était jusqu'alors inférieur – la « bourgeoisie » – était en fait douée de puissance propre est impossible du fait de la même méthode : le bourgeois ne donne pas sa réponse, il n'est que dans le miroir de l'Église. Aussi Groethuysen remplace-t-il le silence du bourgeois par son œuvre : le capitalisme, dont la puissance n'est plus à démontrer, quel que soit le jugement qu'il porte sur ce régime économique. À ce point de l'ouvrage, il peut abandonner le détail de la thématique schélérienne sans en déplacer l'axe. C'est moins la disparition du sacré, de l'héroïsme, du goût pour la pensée jaillissante35 qui l'intéresse que ce que va permettre ce retrait relatif, sinon de la religion, du moins de sa cohérence et de son importance dans la vie sociale : le développement du capitalisme. Comme Scheler, Groethuysen ne tient pas un discours de la perte, mais celui d'un remplacement. Et c'est pourquoi, en reprenant la problématique du contre36, que Pierre Clastres découvre dans la société primitive, on pourrait dire que pour Groethuysen, l'économie moderne qu'impulse le capitalisme et la société qu'elle bâtit sont une économie et une société contre la religion, et donc contre l'économie et la société que construisent les principes chrétiens de la charité. La société chrétienne n'ignore pas l'échange, mais elle ne veut pas, ne peut pas selon le cœur même de son principe d'amour, de caritas, le vivre selon les règles de l'intérêt particulier bien compris. La société moderne n'ignore pas l'échange désintéressé, gratuit, mais elle ne peut l'intégrer dans les principes de son économie et tout élargissement des normes de celle-ci aux échanges humains réduit le champ du désintéressement et de la gratuité qu'implique la caritas. La croyance religieuse signifie en principe le rejet de tout calcul social, mais l'inverse, malgré les tentatives théologiques pour constituer une économie politique chrétienne ou les accommodements d'économistes croyants, est également vrai. L'échec même de ces tentatives et de ces accommodements en témoigne. Au carrefour de la foi chrétienne et de l'économie capitaliste, il ne reste bien qu'une seule attitude possible : se faire « l'économe de la Providence », mais parce qu'elle est très réductrice des principes de la première et des normes de la seconde, pour ne pas dire en dehors de l'une comme de l'autre.

Dégradation des valeurs religieuses chrétiennes et développement d’une économie moderne

22 Le livre de Bernard Groethuysen fait partie des ouvrages de science sociale auxquels il est toujours intéressant de revenir. Historiographiquement, il cherche à combler le relatif vide explicatif qui existait alors pour rendre compréhensible le passage du bourgeois d'Ancien Régime à celui du XIXe siècle, au prix d'une absence de définition que ne comble pas la description de l'esprit religieux déclinant du bourgeois du XVIIIe siècle. Son approche a le mérite de ne pas être construite en termes d'institution, idée qui est largement étrangère tant aux réalités qu'aux savoirs économiques, sociaux et politiques de l'Ancien Régime et donc aux attitudes, justificatrices ou contestataires qui en découlent37. Mais elle évite tout autant une construction en termes de statut, notion qui fonde la société encore au XVIIIe siècle. Groethuysen lui préfère l'approche par les croyances, que des fluctuations historiques d'un autre ordre ne permettent pas d'agréger à des institutions ; que ces croyances soient de l'ordre de la routine ou de l'usage, ne change rien à la pertinence de cette démarche. Le livre est intéressant aussi pour tout ce qu'il décrit en filigrane, comme tout grand livre, même et surtout peut-

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être quand son auteur ne pouvait pas, au moment où il l'a écrit, en soupçonner l'intérêt ou l'importance. L'impensable et l'impossible économie politique chrétienne, qui traverse le discours des prédicateurs, en fait partie. On en a surtout retenu – et Groethuysen y revient – les débats religieux sur l'usure et le prêt à intérêt38, partie émergeante d'un discours en creux, mais que l'on peut suivre malgré tout au fil des citations retenues tout au long de l'ouvrage. Le désenclavement de l'économie du reste des composantes, savoirs comme pratiques, de la société traditionnelle, passe par l'autonomisation de la catégorie économique, donc par la sélection d'un type d'échanges, opéré parmi tous ceux qui font la vie de cette société. Le bourgeois-honnête homme de Groethuysen est l'acteur de ce désenclavement, il est l'auteur de cette sélection, il est le promoteur de l'extension de ce type d'échanges qu'il pense selon ses règles propres qui sont celles de l'intérêt particulier de tout un chacun dans l'analyse, de son intérêt personnel dans ses extensions normatives, où l'économie politique se distingue mal, parfois, des justifications de politique économique. Groethuysen nous montre que ce mouvement n'a sans doute été rendu possible que par l'affaiblissement, l'affaissement, l'effacement relatifs de ce qui était jusqu'alors l'armature de cette société : la religion.

23 Pour ce que nous pouvons en juger à partir d'une œuvre inachevée, les Origines de l'esprit bourgeois de Bernard Groethuysen aurait dû se révéler selon deux axes, formant les deux parties prévues de l'étude. La première, seule publiée sous le titre : L'Église et la bourgeoisie, prend en charge le monde des anciennes idées, dont le bourgeois se dégage entre les sermons des Jansénistes sur le « Dieu ancien »39, à la recherche d'un ensemble de valeurs plus authentiquement chrétiennes, et ceux des Jésuites sur le « Dieu nouveau », plus accommodant avec le monde comme il va. La seconde aurait sans doute été une exploration du bourgeois au miroir des idées nouvelles, celles des Lumières, dont les travaux de Groethuysen sur Montesquieu, Rousseau, et Diderot apparaissent comme des études préparatoires40. La Philosophie de la Révolution française 41 peut être considérée comme l'amorce de la conclusion de l'ensemble. Le bourgeois se déplace dans le monde des idées et des principes, des idées anciennes qui ne le retiennent plus, aux idées nouvelles qui l'arrêtent mais avec retardement. Il finit par trouver dans cette histoire mouvementée ce qui lui est le plus nécessaire et le plus utile : un droit, mais que cette fois il doit partager avec l'ensemble de ses semblables. Son itinéraire va donc dans le sens de l'histoire, dans la plus mauvaise occurrence de l'expression, trop souvent retenue, celle d'une direction, qui ramène l'histoire à un destin42. Groethuysen, par l'agencement de certains développements de son livre, n'échappe pas à un tel schéma de pensée. Par d'autres, au contraire, il semble plutôt rechercher la signification de l'histoire de son bourgeois, donnant implicitement un contenu plus juste à l'expression : sens de l'histoire, le seul qu'elle devrait avoir. Mais dans l'un comme dans l'autre cas, le cheminement est le même : de la théologie à la philosophie, de la philosophie au droit, et du droit à l'économie. Tel semble bien être la ligne de construction de l'œuvre telle qu'elle devait être, dont le bourgeois comme type nouveau d'humanité forme l'axe, à partir du constat de ce qu'il est devenu par la suite, en ouvrant la porte – malgré lui ou avec conscience, c'est un autre débat – à la modernité. 24 Pour Groethuysen, cette modernité est économique. Si le bourgeois ne peut encore véritablement se fixer des buts, il occupe déjà une place dans la vie sociale qui ne correspond plus à celle plus limitée que son statut et son nom même lui assignent. Elle

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les déborde largement. Pour autant, si Groethuysen accrédite implicitement ainsi une irrésistible montée de la bourgeoisie dès le XVIIIe siècle, il n'en fait pas une marche triomphante dont le mérite reviendrait au bourgeois. Celui-ci n'est pas conquérant. Il profite plutôt de l'incapacité de la religion catholique à lui fixer des buts qui transcenderaient ses intérêts et même à lui donner une place en rapport avec celle qu'il occupe effectivement dans une société qui se veut encore fondée sur le dogme religieux du christianisme. Il en résulte que son itinéraire religieux, en effet, est loin de suivre une ligne droite. C'est un personnage nouveau qui émerge, après hésitations et compromis, tant avec les idées anciennes qu'avec les idées nouvelles, où il conserve sa mauvaise habitude de puiser ce qui l'arrange en délaissant le reste, attitude qui vient jusqu'à nous et qui place l'Église dans l'embarras au XIXe siècle. Celle-ci part à sa reconquête, entre « réveil naïf du vieux catholicisme » appuyé sur le « besoin de foi et d'illusion » et un « néo-catholicisme fin de siècle », du XIXe siècle, qu'Émile Zola – c'est lui qui les qualifie ainsi – dépeint bien dans les deux premiers romans de sa trilogie des trois villes : Lourdes, Rome, en attendant la « religion nouvelle » du socialisme, entre charité chrétienne laïcisée et violence anarchiste : Paris. Elle use toujours de la tactique de l'opposition des idées anciennes, mais rabaissées cette fois au merveilleux et à la superstition, et des idées neuves, dont le tentative de réconciliation de l'Église avec la société moderne du pape Léon XIII, dans son encyclique Rerum Novarum du 15 mai 1891 donne le ton. Une fois de plus, le bourgeois est rappelé à son rôle « d'économe de la Providence ». Dans les romans de Zola, trois mots reviennent plus souvent que les autres : « superstition », « mensonges », « illusion ». L'Église ne mène plus le combat du « Dieu ancien » ni même celui du « Dieu nouveau » ; elle ne fait plus que lutter pour son maintien dans une société qui ne vit plus selon ses règles. Ce n'est plus la religion qui fonde le système de valeurs d'une société déchristianisée en profondeur, sinon dans l'apparence de gestes et de rites dont plus grand monde ne sait ce qu'ils signifient véritablement. 25 Bernard Groethuysen décrit les débuts d'un processus double : celui de la déchristianisation au XVIIIe siècle, mais aussi, celui d'une certaine dégradation des valeurs religieuses qui l'accompagne et qui est source de conflits au sein même de l'Église. Il passe à côté du grand problème des origines religieuses de la Révolution française, dont il aurait pu trouver l'écho chez les prédicateurs qu'il cite. La dichotomie qu'il établit entre les deux théologies protagonistes auxquelles ces derniers font référence, à partir d'une recherche de valeurs anciennes pour les Jansénistes, et de valeurs nouvelles pour les Jésuites en est sans doute la cause. Elle ne sonne plus très juste aujourd'hui. Déjà Paul Bénichou, dans ses Morales du grand siècle, publiées une vingtaine d'années plus tard, est plus prudent et nuancé à ce propos : ce qui sépare Jansénistes et Jésuites si fortement, n'est pas de l'ordre d'un conflit entre « réactionnaires » et « progressistes » en matière de théologie pas plus que pour ce qui concerne la société. Les Jansénistes sont hostiles tant au vieil esprit féodal tel qu'il subsiste encore dans les mentalités du XVIIe siècle qu'à l'absolutisme dont le modèle, selon eux, vient du pape. Ce qui les oppose aux Jésuites est bien moins un refus de la modernité qu'une autre vision de celle-ci. Leur intransigeance théologique, leur rigueur morale, ne vont pas de pair avec l'idée d'un ordre politique et social rétrograde, au contraire. Ce n'est d'ailleurs pas dans l'ordre moral qu'ils sont condamnés par les pouvoirs, ecclésiastique et monarchique43. Mais pour ceux-ci, les Jansénistes avaient pour tort principal, dans leur exigence d'un retour à un christianisme authentique, d'approcher de trop près la question du pouvoir dans une société chrétienne, en

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prenant le risque de mettre en cause des justifications qui avaient été construites par des siècles de théologie contre l'évidence du message évangélique. Et comment ce point pourrait-il leur échapper, ne serait-ce qu'à travers leur théorie radicale de la grâce efficace, qui donnait à l'élection divine une toute autre signification que celle que contenaient tant les rituels du sacre que le principe d'un roi de droit divin ? 26 La faiblesse du Jansénisme, son impuissance et sa timidité dans l'ordre social, politique, économique, dans l'ordre du monde donc, vont de pair avec sa force et sa puissance dans l'ordre des idées et des questions, que Paul Benichou attribue à leur « intranquillité » même. En refusant tout compromis de la religion avec le monde, de la grâce avec la nature, il semble déprécier finalement la vie réelle, la vie dans la société et dans l'histoire, ce qui le distingue fortement du calvinisme et du puritanisme et explique sans doute que, malgré ce qui les rapproche, il n'ait pu jouer en France le rôle que ces derniers ont joué dans les pays voisins. C'est d'une toute autre manière que Groethuysen pose la grande question des rapports entre capitalisme et religion. Elle est au cœur de grands travaux célèbres de la sociologie allemande et recèle plus d'un paradoxe. Leurs auteurs n'ont pas cherché à comprendre d'abord comment la catégorie même de l'économique a pu se dégager d'un univers d'échanges sociaux empreints de morale religieuse, mais en quoi cette morale, dans ses variations, a pu favoriser, à un moment déterminé, l'émergence d'un nouveau système économique : le capitalisme. Ce moment a été identifié par eux avec celui de l'apparition du protestantisme. Bernard Groethuysen s'est posé la même question en pays demeuré catholique. Son ouvrage prend dès lors, par rapport à ceux de ses prédécesseurs, un chemin de traverse. S'il est tenté parfois de faire du Janséniste ou du Jésuite, celui qui apporte les principes d'ordre, de probité, d'honnêteté, nécessaires à l'établissement d'une moralité professionnelle, s'il rattache le travail comme obligation morale du chrétien au développement du monde des affaires, il montre pour l'essentiel un bourgeois qui transige beaucoup avec la religion : il l'évite autant qu'il y adhère, il la cantonne dans une sphère intime, n'en fait pas le guide de ses actions professionnelles. Le capitalisme n'apparaît plus lié à un changement dans le dogme chrétien, mais à son affaiblissement, permettant au bourgeois entreprenant de choisir dans la religion les principes moraux qui favorisent ses affaires et d'écarter les autres. Le livre, au-delà de l'impossible émergence d'une économie politique chrétienne qui y apparaît en filigrane, laisse son lecteur devant deux grandes questions historiques autant que philosophiques : la religion est-elle compatible avec la liberté ? L'économie est-elle compatible avec la morale ?

NOTES

1. Bernard Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois en France, Paris, Gallimard, 1927, 299 p. Voir par exemple p. 131. La seule mention du prénom de ce neveu de Colbert, Joachim, apparaît à la première référence d'une citation de la p. 103, en note 4. 2. Bernhard Groethuysen, Die Entstehung der bürgerlichen Welt- und Lebensanschauung in Frankreich, Bd 1, Das Bürgertum und die katholische Weltanschauung, Halle/Saale, Max Niemeyer, « Philosophie

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und Geisteswissenschaften », 1927, XVIII-348 p. suivi de Die Entstehung der bürgerlichen Welt- und Lebensanschauung in Frankreich, Bd 2, Die Soziallehren der katholischen Kirche und das Bürgertum, Halle/Saale, Max Niemeyer, « Philosophie und Geisteswissenschaften », 1930, VI-315 p. L'ensemble était achevé en 1924. Cet ouvrage a été réédité à New York, chez G. Olms, en 1973, et à Francfort, chez Suhrkamp, en 1978. Sur les changements de la version allemande à la version française de l'oeuvre, voir Catherine Maire, « Aux origines de l'esprit bourgeois en France : pour une relecture de Bernard Groethuysen », Chrétiens et sociétés XVIe-XXe siècle, no 8, 2001, p. 33-57. 3. Dans le passage qu'elle lui consacre dans Galerie privée, Maria Van Rysselberghe fait de Groethuysen un « communiste de pensée et de coeur », cf. M. Saint-Clair (pseudonyme de Maria Van Rysselberghe), Il y a quarante ans, suivi de Strophes pour un rossignol et de Galerie privée, Paris, Gallimard, 1968, 204 p., p. 131. Mais rien n'indique dans l'oeuvre une obédience de parti. Un article de Bernard Groethuysen favorable à Marx et Engels a pu contribuer à cette réputation d'auteur marxiste : « Les Jeunes Hégéliens et les origines du socialisme contemporain en Allemagne ». Bernard Dandois oublie de le recenser dans la bibliographie des écrits de Groethuysen qu'il a placée à la fin du beau recueil d'articles de cet auteur qu'il a réédités, alors qu'il le cite dans une note de son introduction, cf. Bernard Groethuysen, Philosophie et histoire, Paris, A. Michel, 1995, 360 p., p. 347-360 et p. 336 note 85. Publié initialement dans la Revue philosophique, volume 25, 1913, p. 400-423, cet article a été réédité par Carl Slienger dans le volume 16 de ses Histories of Marxism Series, London, Swift printers, 1977, 26 p. Groethuysen y oppose la cohérence de l'œuvre et de l'engagement de Marx et Engels à l'absence de cohésion du mouvement des Jeunes Hégéliens due à leur attitude ambiguë vis-à-vis du communisme. Il insiste sur la rupture des premiers avec toute forme d'hégélianisme, rupture qui entraîne celle de leur oeuvre avec leur passé philosophique. Le corps de l'article développe une recherche généalogique selon les principes développés par Nietzsche dans sa philosophie plutôt qu'une apologie du marxisme proprement dite. On peut apprécier et admirer la cohérence de l'œuvre et de l'engagement de Marx et Engels sans adhérer pour autant au marxisme dont Groethuysen rend compte ici dans les mêmes termes et selon les mêmes principes de méthode que de n'importe quelle philosophie d'autres auteurs. Au passage, il soulève la question de la rupture dans l'œuvre de Marx, sur laquelle reviendra, en la situant au même endroit, mais par un autre chemin, celui d'une « coupure épistémologique », Louis Althusser, Pour Marx, Paris, F. Maspero, 1965, 263 p. ; et avec Etienne Balibar, Pierre Macherey et Jacques Rancière, Lire « Le Capital », Paris, F. Maspero, 1968, 2 vol., 188 p. et 232 p. Groethuysen inspirateur d'Althusser ? 4. Werner Sombart, Der Bourgeois. Zur Geistesgeschichte des modernen Wirtschaftsmenschen, München, Duncker und Humblot, 1913, VII-540 p. La traduction paraît en français en 1926, à Paris, aux éditions Payot, soit un an avant la parution de la version française de l'ouvrage de Bernard Groethuysen. Envisageant une période bien plus longue, Le Bourgeois de Sombart se veut une : Contribution à l'histoire morale et intellectuelle de l'homme économique moderne (c'est son sous-titre en français). 5. Bernard Groethuysen, Origines … p. 35. 6. Idem, p. 59. 7. Alain Guéry, « Le Roi dépensier : le don, la contrainte et l'origine du système financier de la monarchie française d'Ancien Régime », Annales, ESC, 39e année, no 6, nov-déc, 1984, p. 1241-1269 ; « La Crise politique des dons royaux au XVIe siècle », L'histoire grande ouverte – Hommages à Emmanuel Le Roy Ladurie, réunis sous la dir. d'André Burguière, Joseph Goy et Marie-Jeanne Tits- Dieuaide, Paris, Fayard, 1997, 575 p., p. 154-162. 8. Pierre Vilar : « Pour une meilleure compréhension entre économistes et historiens ; histoire quantitative ou économie rétrospective ? » Revue historique, avril 1965, p. 293-312, repris dans : Une histoire en construction, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1982, 428 p., p. 295-313.

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9. Jean-Claude Perrot, Une histoire intellectuelle de l'économie politique ( XVIIe-XVIIIe siècle), Paris, Éditions de l'EHESS, 1992, 496 p. ; Jean-Yves Grenier, L'Économie d'Ancien Régime. Un monde de l'échange et de l'incertitude, Paris, A. Michel, 1996, 489 p. 10. Parmi une abondante bibliographie, voir les travaux de Robert Descimon, en particulier : « La vénalité des offices et la construction de l'État dans la France moderne. Des problèmes de la représentation symbolique aux problèmes du coût social du pouvoir » in Robert Descimon, Jean- Frédéric Schaub, Bernard Vincent (dir.), Les Figures de l'administrateur. Institutions, réseaux, pouvoirs en Espagne, en France et au Portugal (XVIe-XIXe siècle), Paris, Éd. de l'EHESS, 1997, 242 p., p. 77-93 ; de David Bien, en particulier : « Offices, Corps and a System of State Credit : the Uses of Privilege under the Ancien Regime », in Keith Michael Baker (ed.), The Political Culture of the Old Regime, Oxford / New York, Pergamon Press, 1987, 559 p., p. 89-114. L'État et les privilèges qui accompagnent son service attirent plus la grande bourgeoisie que la marchandise, qui apparaît alors comme une sorte « d'accumulation primitive » pour l'ascension sociale, dont les ressorts sont ailleurs. 11. Bartolomé Clavero, Antidora – Anthropología católica de la économía moderna, Milan, A. Guiffre, 1991, 259 p.. Le titre de la traduction française : La Grâce du don, Paris, Albin Michel, 1996, 287 p., porte à la confusion du régime de la grâce, divine ou royale, et de celui du don, qui est effectivement une de celles qu'entraîne la lecture de l'ouvrage, parmi d'autres. 12. Pasquier Quesnel, Abrégé de la morale de l'Évangile.., Paris, A. Pralard, 2e éd., 1674, 560 p., p. 70. 13. Jean-Baptiste Massillon, « Sermon sur l'humanité des grands envers le peuple », Sermons de M. Massillon, évêque de Clermont, Paris, Renouard et Didot, 1745-1748, 15 vol., t. 1 – Petit Carême, 1745. 14. Henri Griffet, Sermons pour l'Avent, le Carême et les principales fêtes de l'année…, Liège, J. F. Bassompière, 1766, 4 vol., t. II, p. 398. 15. Le personnage autour duquel s'est renouvelé l'ensemble de ce problème est le moine franciscain Pierre de Jean Olivi, ou Olieu (vers 1248-1298), dont Raymond de Roover avait relevé la « valeur exceptionnelle » des analyses économiques, il y a une trentaine d'années. La Pensée économique des scolastiques. Doctrines et méthodes, Montréal, Institut d'Études Médiévales / Paris, J. Vrin, 1971, 105 p., p. 27. Pour le renouvellement actuel des études oliviennes, voir David Burr, L'Histoire de Pierre Olivi, Franciscain persécuté, Fribourg, Éd. Universitaires / Paris, Cerf, 1997, 195 p. ; Alain Boureau et Sylvain Piron (dir.), Pierre de Jean Olivi (1248-1298). Pensée scolastique, dissidence spirituelle et société, Paris, Vrin, 1999, 412 p. (Publication des actes du colloque tenu à Narbonne, sous le même titre, en mars 1998). Concernant plus spécifiquement notre sujet, voir, dans ce livre la contribution de Giovanni Ceccarelli, « Le jeu comme contrat et le risicum chez Olivi », p. 139-250. Quelques textes de Olivi sont aisément accessibles en italien : voir P. de G. Olivi, « Trattato sulle compere et sulle vendite », « Trattato sulle usure », « Trattato sulle restituzioni », publiés sous le titre : Usure, Compere et Vendite. La scienza economica del XIII secolo, et réunis par Amleto Spicciani, Paolo Vian et Giancarlo Andenna. Milano, Europia, 1990, 175 p. De Sylvain Piron, on attend la publication de sa thèse magistrale sur Olivi et l'édition et la traduction du « Traité des contrats » de son héros. 16. Sur l'appréciation de l'œuvre de Braudel, le cadre chronologique et les temporalités qu'il assigne au capitalisme, voir le recueil présenté par Jacques Revel, Fernand Braudel et l'histoire, Paris, Hachette, « coll. Pluriel », 1999, 215 p. Sur les extensions historiques données à ce cadre, voir par exemple les débats qui animent les historiens économistes de l'Antiquité : Alain Bresson, La Cité marchande. Bordeaux, Ausonius, 2000, 343 p. Pour Rome, Jean Andreau, Banking and Business in the Roman World, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, 176 p. Sur l'opposition entre « archaïques » et « modernistes » : Id., « Introduction », in Michel Rostovtsefv Histoire économique et sociale de l'empire romain, Paris, R. Laffont, 1988, 780 p., p. I-LXXXIV ; Id., « Échanges antiques et modernes (du présent faisons table rase ?) », Les Temps modernes, 35, 1980, p. 412-428. Cette opposition, déclarée et assumée par les historiens de l'Antiquité, devrait, en toute logique

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historiographique, s'étendre aux historiens médiévistes et modernistes, et peut-être un peu au- delà. 17. Sur l'actualité de ce problème du mouvement pour le mouvement, de la réforme pour la réforme, qui ne sont donc plus de l'ordre de l'idée de progrès mais de sa dégradation, voir l'essai de Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme. Démocratie forte contre mondialisation techno- marchande, Paris, Mille et une nuits, 2001, 202 p. Sur celles de la mise en cause des fondements même de la démocratie par les thèses économiques aujourd'hui dominantes, voir l'ouvrage de Jacques Sapir, Les Économistes contre la démocratie – Pouvoir, mondialisation et démocratie, Paris, A. Michel 2002, 202 p. Différemment documentés et partant d'arguments différemment construits, ces livres retrouvent une même inquiétude et tentent de l'exprimer ouvertement, quand elle reste sourde dans le tissu social, sauf au moment des élections, si on voulait bien en analyser les résultats en profondeur… 18. Alain Guéry, « L'Historien, la crise et l'État », Annales, HSS, 52 e année, no 2, mars-avril 1997, p. 233-256. 19. Bernard Groethuysen, Origines… p. XI. 20. Pierre Crepel : « Les calculs économiques et financiers de Condorcet pendant la Révolution » et François Etner : « Le calcul économique, 1789-1815 », in Gilbert Faccarelo et Philippe Steiner (dir.), La Pensée économique pendant la Révolution française, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1991, 656 p., p. 339-361. 21. Antoine Augustin Cournot, Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses, Paris, Hachette, 1838, 300 p. ; rééd. Paris, J. Vrin, 1980, 193 p. ; voir sur cet ouvrage fondamental : Claude Ménard, La Formation d'une rationalité économique : A. A. Cournot, Paris, Flammarion, 1978, 327 p. 22. Sur ces auteurs et ces tentatives, voir Léon Epsztein, L'Économie et la morale aux débuts du capitalisme industriel en France et en Grande-Bretagne, Paris, A. Colin, 1966, 355 p. Villeneuve- Bargemont est en fait le seul qui ait véritablement tenté une approche critique chrétienne d'une économie politique telle que la concevaient les grands auteurs de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Son originalité est de le faire par l'histoire, en remontant jusqu'au péché originel ! Vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, Histoire de l'économie politique ou études historiques, philosophiques et religieuses sur l'économie politique des peuples anciens et modernes, Paris, Guillaumin, 1841, 2 vol. Sur l'échec de la tentative en terme de doctrine, voir le compte rendu d'Eugène Daire, Journal des économistes. t. 1, 1841-1842, p. 452 qui félicite Villeneuve-Bargemont, au terme d'une si longue étude, d'avoir retrouvé la physiocratie ! Sur l'économie charitable, voir Jean-Baptiste Firmin Marbeau, Du paupérisme en France et des moyens d'y remédier, ou principes d'économie charitable, Paris, Comptoir des imprimeurs unis, 1847, 195 p. Tout ce discours de lutte contre le paupérisme, transporte, de fait, la nostalgie politique des plus saines valeurs de la société traditionnelle, rurale et chrétienne. 23. Bernard Groethuysen, Origines… p. 50. 24. Pour la France, le grand livre de Daniel Roche, Le Siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris / La Haye, Mouton, 1978, 2 vol., 394 et 520 p., est celui qui fournit encore les plus utiles informations sur les fondements socio-culturels de cette émancipation morale et religieuse. D'une approche un peu différente et de moindre ampleur, pour l'Allemagne, Richard von Dülmen, Die Geseleschaft der Aufklärer – Studien zur bürgerlichen Emanzipation und aufklärerischen Kultur in Deutschland, Francfort, Fischer, 1986, 205 p., va dans le même sens néanmoins. Paul Benichou, Morales du grand siècle, Paris, Gallimard, 1948, 383 p., fait remarquer qu'au XVIIe siècle, c'est dans cette frange de la bourgeoisie que se recrutaient principalement les jansénistes (cf. p. 184-185). Déjà, Sainte-Beuve avait souligné ce point : Sainte- Beuve, Port-Royal, Paris, Gallimard, « La Pléiade », t. 1, 1955, « Discours préliminaire ».

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25. Sur cette partie des officiers d'Ancien Régime, voir : Christophe Blanquie, Michel Cassan et Robert Descimon (dir.), Officiers « moyens », Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n o 23, octobre 1999 et no 27, octobre 2001. 26. Nicolas Faret, L'Honneste Homme ou l'art de plaire à la cour, Paris, T. du Bray, 1630, 268 p. 27. Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la nation. Le jansénisme au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1998, 710 p. 28. Rebekka Habermas, Frauen und Männer des Bürgertums. Eine Familiengeschichte (1750-1850), Göttingen, Vandenhoek und Ruprecht, 2000, 460 p. Étude de deux familles de Nuremberg, à partir de leurs documents propres (journaux personnels, livres de compte, correspondance, etc…) croisés avec des documents plus généraux permettant de retracer le contexte normatif de leur vie (manuels de savoir-vivre, livres de cuisine, livres professionnels, etc…). 29. Robert Descimon, « Qui étaient les Seize ? Étude sociale de deux cent vingt-cinq cadres laïcs de la Ligue radicale parisienne (1585-1594) », Paris et Ile-de-France, Mémoires, t. 34, 1983, p. 7-300. 30. En témoignent tant ce qu'on a appelé le « Jansénisme parlementaire » que les événements malheureux provoqués par les « convultionnaires de Saint-Médard ». in Catherine Maire, op. cit. 31. Max Scheler, « Der Bourgeois » ; « Die Zukunft des Kapitalismus », Die Weissen Blätter, Jahr. 1, no 3, nov. 1913, p. 580-602, et 932-948. Bernard Groethuysen, Introduction à la pensée philosophique allemande depuis Nietzsche, Paris, Stock, 1926, 127 p. La seconde partie de ce petit livre « Les possibilités d'une philosophie nouvelle », est marquée par la pensée de Max Scheler (p. 105-124), qui est cité p. 108 comme continuateur critique de Husserl et en bibliographie comme auteur impulsant cette nouvelle philosophie allemande. Ce texte est plus révélateur que celui du même Groethuysen, allant apparemment dans le même sens : « Max Scheler », La Nouvelle Revue française, vol. 31, 1928, p. 593-595, qui dit anecdotiquement une admiration évidente, mais sans rien révéler de l'intérêt de la pensée de Max Scheler. 32. Max Scheler, Die Stellung des Menschen im Kosmos, Darmstadt, O. Reichl, 1928, 113 p. ; trad. fr. La Situation de l'homme dans le monde, Paris, Aubier-Montaigne, 1951, 126 p. 33. Bernhard Groethuysen, Philosophische Anthropologie, Berlin/Munich, R. Oldenburg, 1931, 207 p. ; trad. fr. Anthropologie philosophique, Paris, Gallimard, 1953, 285 p. 34. Bernard Groethuysen, « Dilthey et son école » in Charles Andler, La Philosophie allemande au XIXe siècle, Paris, Alcan, 1912, p. 1-23, repris dans Bernard Groethuysen, Philosophie et Histoire, Paris, Albin Michel, 1995, 360 p., p. 55-71. Dans l'introduction de ce recueil, Bernard Dandois hésite à ce propos. Marquant une influence, il ne fait pas pour autant de Groethuysen le continuateur de Dilthey, p. 19-25, mais sans signaler l'interférence qu'a pu jouer de ce point de vue la pensée de Max Scheler. 35. Max Scheler, Le Saint, le génie, le héros, Fribourg, Egloff, 1944, 198 p. 36. Pierre Clastres, La Société contre l'État. Recherches d'anthropologie politique, Paris, Minuit, 1974, 187 p. 37. Alain Guéry, « Institution – Histoire d'une notion et de ses utilisations dans l'histoire avant les institutionnalismes », Cahiers d'économie politique, no 44, 2003. 38. René Taveneaux, Jansénisme et prêt à intérêt, Paris, J. Vrin, 1977, 240 p. 39. Bernard Groethuysen, « Lutte suprême des Jansénistes pour sauver le Dieu ancien », Cahiers du Sud, no 305, 1951, p. 41-61, est la traduction d'un chapitre de Die Enststehung… qui ne se trouve pas dans l'édition française des Origines… ce texte éclaire sur l'ensemble du projet initial de Groethuysen. 40. Bernard Groethuysen, Montesquieu : 1689-1755, (Introduction de Groethuysen suivie d'un choix de textes de Montesquieu), Paris/Genève, Les Trois Collines, 1947, 156 p. ; « Le libéralisme de Montesquieu et la liberté telle que l'entendent les républicains », Europe, 1949, p. 2-18 ; Jean- Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, 1949, 338 p. ; « La pensée de Diderot », La Grande Revue, vol. 6, 1913, p. 322-341 repris dans Philosophie et histoire, Paris, Albin Michel, 1995, 360 p., p. 73-89.

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41. Bernard Groethuysen, Philosophie de la Révolution française, Précédé de Montesquieu, Paris, Gallimard, 1956, 306 p. 42. Sur l'histoire comprise comme destin : Alain Guéry : « L'historien, la crise, l'État », op. cit., p. 237-244. 43. Paul Benichou, op. cit., p. 196-197 et 203-207.

AUTEUR

ALAIN GUERY

CNRS / CRH

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Avènement de l’esprit bourgeois ou naissance de l’idéologie ?

Marcel Gauchet

1 Ce n'est pas la moindre des bizarreries des Origines de l'esprit bourgeois en France que d'invoquer, dans son titre et dans sa démarche, une sociologie dont l'auteur ne nous dit rien. Car enfin ce « bourgeois » dont Groethuysen ne cesse de postuler l'auto- affirmation et la puissance inventive, il ne cherche à aucun moment à le cerner concrètement, à en approcher l'existence effective.

2 Grâce au travail de Catherine Maire1, nous savons que cette bizarrerie est en bonne partie le résultat du singulier travail d'adaptation effectué par l'auteur sur la version allemande initiale de son livre, en vue de sa publication en français. Coupures et rectifications de langage, si elles n'ont pas créé ce sociologisme tout programmatique – puisque le programme théorique reste sans le moindre commencement d'exécution – l'ont fortement accentué. Groethuysen, en faisant passer son livre de l'allemand en français, l'a rendu d'une intention bien plus « sociale » qu'il n'était à l'origine. 3 Cette inflexion ou cette réorientation – toutes verbales, il faut le souligner encore une fois – n'ont certainement pas été étrangères au succès d'estime dont les Origines de l'esprit bourgeois ont bénéficié lors de leur republication à la fin des années 1970 2. L'ouvrage tombait à pic dans la transition d'une histoire sociale à une histoire des mentalités qui continuait d'être centralement préoccupée par l'inscription des idées et des sensibilités dans l'épaisseur des groupes sociaux. C'est ainsi que le livre de Groethuysen a pu servir de drapeau ou de caution à des travaux d'une orientation très différente, en fait, de celle qui est réellement pratiquée dans l'ouvrage. 4 Sans doute ce reprofilage s'explique-t-il largement par la rencontre de Groethuysen avec le marxisme militant dans le contexte français. Mais je suis tenté de lui prêter en outre une source interne. Il vient répondre, suis-je porté à penser, à un problème que la démarche de Groethuysen ne peut pas manquer de soulever. Il donne une base au changement dans les idées que Groethuysen met en lumière sans l'expliquer. Le marxisme, vague à souhait, de cette sociologie présumée du bourgeois asseoit son entreprise sur un socle, tout en conjurant le reproche d'idéalisme.

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5 Si je souligne cette incertitude, c'est afin de faire ressortir par contraste le parti que je voudrais adopter. Il est inverse. Le livre de Groethuysen, me semble-t-il, nous place aujourd'hui devant un défi de fond : le défi de lever l'ambiguïté d'une démarche qui décrit une transformation intellectuelle d'une manière purement interne à la sphère des idées, tout en se croyant obligée de référer cette transformation à un substrat extérieur, sous les traits d'un avènement social du bourgeois qui en rendrait hypothétiquement raison. Lever l'ambiguïté suppose de renverser la démarche. Cela veut dire suivre le parti principal de Groethuysen jusqu'au bout, donner son développement complet à ce que son intuition a de fécond, en laissant tomber cet improbable enracinement en forme d'incantation. Cela veut dire tout miser, en un mot, sur la logique de l'idée, en la délivrant de cette généalogie sans consistance qui ne fonctionne que comme un remords ou comme une protection. Cela n'implique nullement, dans l'autre sens de se désintéresser de l'inscription de cette transformation intellectuelle dans la société où elle prend corps, en s'abandonnant à un idéalisme sans rivages, bien au contraire. Mais ce n'est que de l'intérieur du changement dans les idées qu'on a une chance de saisir le changement de forme sociale dont il est corrélatif. 6 Lever l'ambiguïté si frappante de l'entreprise de Groethuysen nous met dans l'obligation, en d'autres termes, de reprendre à nouveaux frais le problème de l'articulation entre fonctionnement social et mode de pensée. Aucune sociologie du bourgeois n'est jamais parvenue à rendre compte de la façon de penser de la bourgeoisie (ou des bourgeoisies). Mais il n'en est pas moins vrai que le monde où il y a des bourgeois, où des milieux et des professions que l'on peut rapporter à la bourgeoisie avec quelque rigueur gagnent en importance et en influence, est un monde où l'on pense autrement – et tout spécialement sur le terrain religieux. Comment expliquer, dès lors, l'émergence de cet esprit du monde bourgeois qui ne se réduit pas aux caractéristiques et aux intérêts du groupe social dénommé bourgeoisie, mais qui renvoie, bien plus largement, à la logique d'ensemble d'une forme sociale inséparable de l'existence et de la prépondérance d'une bourgeoisie ? Telle est la grande question que nous a léguée Groethuysen, au bout du compte, et que la fidélité à son inspiration, à distance, nous demande d'affronter.

De la religion à l’idéologie

7 Ce que Groethuysen pointe comnme avènement de l'esprit bourgeois se décrit et se comprend mieux comme naissance de l'idéologie : telle est la thèse que je me propose de développer, en réponse à cette question. Ce terme d'« idéologie » n'est pas inconnu de Groethuysen. Il en fait, à l'opposé, un usage aussi multiplié que peu défini. Il parle naturellement d'« idéologie bourgeoise »3, mais il parle aussi bien d'« idéologie ecclésiastique »4, ou encore d'« idéologie cosmique »5. Il évoque à un moment donné une « autre idéologie », « profane », que la religion, tacitement enrôlée, ainsi, dans le cortège. Le concept d'idéologie que je voudrais introduire comme catégorie descriptive et explicative n'a rien à voir avec ces emplois vagues et triviaux, où la notion s'applique à tout agencement un tant soit peu systématique d'« idées », quelles que soient celles- ci. J'ai en vue l'idéologie tout court, sans qualificatif annexe pour la préciser, l'idéologie comme genre spécifique de discours social contrasté avec le discours religieux. Voilà ce qui naît à proprement parler au XVIIIesiècle. Ce qui émerge, c'est l'idéologie entendue comme le discours de justification d'une société qui s'autonomise, qui se dégage du

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cadre religieux dans la légitimation de ses rouages et dans la compréhension de l'activité de ses membres. L'avènement que nous avons à cerner est celui d'un univers des hommes qui tend à s'expliquer par lui-même, sur la base de l'action des hommes, pour autant que celle-ci commence à se concevoir comme transformatrice et créatrice, c'est-à-dire porteuse de futur. « Idéologie », dans la rigueur du terme, désigne cet ordre nouveau des pensées associé à la réorientation de la pratique sociale6.

8 Groethuysen tourne autour de ce nœud. Il en a le discernement, sans parvenir à le circonscrire précisément. C'est pour ce motif que, conduit par une juste intuition, il dépeint ce changement de direction des esprits de façon purement intellectuelle, en réalité. Il devine bien qu'il s'agit d'abord d'en saisir la consistance intrinsèque, et qu'il ne servirait de rien de le réduire à l'obéissance à une contrainte sociologique externe. C'est pour la même raison, toujours, me semble-t-il, en fonction du même flair historique indépendant de ses options philosophiques, qu'il s'attache à déchiffrer les expressions du changement sur le terrain de la religion, du dedans de la conscience religieuse, dans le regard des pasteurs sur ce qui en vient, de la sorte, à leur échapper chez leurs ouailles. Il sent bien qu'il faut partir du cadre de pensée installé, que c'est en lui et par rapport à lui que les choses se jouent, et que les seules données concrètes de l'expérience du groupe social émergent ne mèneraient pas loin. Car il s'agit d'une « émancipation intérieure », selon son expression, comme, du reste, la version allemande le marque avec plus de netteté que la version française7. Le détachement de la religion s'opère du dedans dureligieux. D'où le flou du passage, que Groethuysen perçoit et souligne avec finesse. Son bourgeois ne se rend pas toujours compte qu'il n'est plus un vraicatholique,comme les pasteurs, eux, le discernent et le déplorent. Il ne se sait pas sorti de la religion. 9 C'est cette transformation interne du cadre religieux dont sort un « type d'homme » dans une certaine mesure émancipé de lui, que nous avons à approfondir. Ma conviction est que nous pouvons mener ce travail d'approfondissement en étant plus fidèles à la démarche engagée par Groethuysen qu'il ne l'est lui-même, sans avoir à en appeler pour finir d'une sociologie incertaine, afin de retrouver le réel. Le concret du changement social se livre dans le changement intellectuel correctement et complètement compris. Ce que nous avons à clarifier, ce sont les caractéristiques originales de cet esprit que Groethuysen appelle « bourgeois », par rapport aux caractéristiques de l'esprit de religion – esprit de religion avec lequel l'esprit « bourgeois » rompt, mais dont cependant il sort, d'une certaine manière. C'est une fois convenablement circonscrite cette transformation intellectuelle et mentale – qu'il me paraît préférable, donc, de désigner comme « naissance de l'idéologie » – que son enracinement social devient pleinement lisible. Ses tenants et ses aboutissants en matière d'organisation collective, de hiérarchie des groupes, d'évolution des activités, des valeurs et des forces, s'éclairent à partir de son contenu. L'ordre des pensées a directement à voir, ici, avec la dynamique de l'état social. La société qui en arrive à se concevoir en fonction de son travail d'avenir s'ordonne autrement que la société de religion. Il est possible, dans cette perspective, on le verra, de comprendre la place que conquièrent les bourgeois dans la société de l'idéologie sans succomber à la fiction de « l'idéologie bourgeoise ».

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Métaphysique et société

10 La pénétration intuitive de Groethuysen se juge aux deux entrées qu'il se ménage successivement dans le sujet et qui correspondent aux deux parties de son livre. La première partie s'intitule « Dieu, le péché, la mort » ; son chapitre introductif précise l'objet en parlant de « La transformation des idées religieuses ». La seconde partie s'intitule « La bourgeoisie et les conceptions sociales de l'Église ». D'un côté, donc, la condition métaphysique de la créature et son destin individuel ; de l'autre côté, les hiérarchies sociales et les orientations de l'existence collective. La répartition des matières paraît au premier abord plus thématique qu'historique, d'autant que Groethuysen ne date ni ne périodise guère. Il situe la transformation des idées religieuses et des conceptions sociales qu'il étudie dans le cadre d'un large XVIIIe siècle dont les contours restent flous. En fait, il y a derrière cette organisation d'allure abstraite un ordre chronologique, plus intuitivement suivi que rationnellement traité, mais efficace. Ce que Groethuysen dégage, de la sorte, ce sont les deux étapes d'un même basculement, la première regardant la métaphysique, le rapport de Dieu et du monde, les horizons existentiels des personnes, la seconde traduisant, après 1750, la réarticulation de l'au-delà et de l'ici-bas dans l'épaisseur concrète de la vie sociale et de l'activité collective8. C'est à expliciter l'enchaînement de ces deux étapes que je voudrais m'employer, au-delà des indications de Groethuysen, mais, je crois, dans leur ligne. C'est à l'éclaircissement historique de cette consécution qu'est suspendue l'intelligence de ce que cache notre prétendu « esprit bourgeois ».

Le tournant de la déhiérarchisation

11 Ce que Groethuysen a pressenti, sous cet intitulé enchaînant « Dieu, le péché, la mort », c'est ce que les historiens des idées, des mentalités et des sensibilités ont établi depuis lors, diversement, comme « réhabilitation de la nature humaine », « avènement du bonheur » ou changement des attitudes devant la vie. Soit ce que nous pouvons comprendre, si nous rapportons le phénomène à sa racine métaphysique, comme le tournant de la déhiérarchisation de l'être, dont l'épicentre se situe autour de 1 700.

12 On me permettra ici de résumer à grands traits une analyse de la révolution religieuse moderne que j'ai développée ailleurs9. Ce tournant de la déhiérarchisation représente la troisième et dernière phase d'une redéfinition en règle des rapports de la terre et du ciel dont on peut condenser le principe dans le concept unificateur de « révolution de l'altérité de Dieu ». Tel me semble être le fond de la révolution religieuse moderne, qu'on ne saurait limiter à ses expressions étroitement confessionnelles, sous l'aspect des deux Réformes, protestante et catholique. Elle engage un remaniement général de l'articulation entre l'ici-bas et de l'au-delà, et partant de la structuration religieuse de l'établissement humain. La Réformation de Luther et de Calvin en marque le coup d'envoi, avec la remise en question de l'institution médiatrice faisant le pont entre les hommes et Dieu, au nom d'un sens inédit de l'éloignement de celui-ci et de son inscrutable puissance. La Réforme catholique intègre cette distance nouvelle de Dieu dans la définition même de l'Église et en tire le ressort d'une réaffirmation de son autorité pastorale. On reste, durant cette première phase sur le terrain de la foi et de ses institutions.

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13 La deuxième phase élargit le mouvement, à partir de la fin du XVIe siècle, en matérialisant la dissociation d'avec le divin dans le lien entre les hommes et dans leur mode de pensée. Elle se présente sous deux figures principales. Le réaménagement du domaine terrestre en fonction de la séparation de Dieu prend d'abord la figure d'un réaménagement politique : il se traduit dans l'élévation de l'État à la suprématie « absolue », la notion même d'État apparaissant grâce à cette promotion métaphysique10. Il prend ensuite la figure d'un réaménagement intellectuel : il se concrétise dans la formation de la science objective de la nature, saisissant les choses hors de toute participation à l'invisible. Il n'y va pas seulement d'une nouvelle idée du monde physique ; il y va d'un nouveau mode de production des idées, d'un renouvellement des conditions de la connaissance. 14 Cette révolution de la définition du monde humain, en fonction de la reconsidération de la nature et de la place du divin, débouche, enfin, dans une troisième phase, lors de la « crise de conscience européenne » des années 1680-1715, sur la dissolution de la hiérarchie métaphysique entre ici-bas et au-delà, ultime conséquence de la séparation divine. Quelques précisions supplémentaires sont indispensables pour éviter les confusions à propos de ce point capital. La vision hiérarchique dont il est question implique l'intégration du monde divin et du monde humain au sein d'un seul et même être structuré selon des degrés, allant précisément de la perfection divine à la corruption humaine et, plus bas encore, à l'imperfection de la matière. C'est justement cet axe intégrateur de l'être qui disparaît. L'unité fait place à la dualité. La perfection divine échappe, en sa transcendance infinie, à l'échelle des supériorités, et cesse du même coup de contraindre la compréhension du séjour humain. Le pessimisme augustinien du second XVIIe siècle avait montré comment l'étrangeté de Dieu au monde pouvait se conjuguer avec une conception noire de l'iniquité de la créature pécheresse et de la souillure sans remède de cette vallée de larmes. C'est lui qui se trouve mis sur la sellette, par un renversement remarquable, dès lors que cette absence de Dieu en vient à être perçue et conçue sous le signe d'une altérité ontologique. 15 La déhiérarchisation procède très exactement de cette dissociation. Le monde humain n'en devient pas l'égal du monde divin, lequel s'épanouit, au contraire, loin de lui, en son incommensurable grandeur, mais il cesse d'être compris par opposition à une perfection qui accuse son infériorité écrasante et sa misère sans appel. Les suites de l'événement sont encore bien plus pratiques que théoriques. Elles n'ont besoin d'être explicitées pour se traduire en attentes et en conduites. Le séjour terrestre n'est marqué d'aucune carence constitutive. Il représente un domaine auto-suffisant, susceptible de plénitude dans son ordre, un ordre inférieur, à n'en pas douter, mais n'en demandant pas moins à être appréhendé pour lui-même. Il est possible, par conséquent, de s'accomplir en ce monde, indépendamment du salut dans l'autre monde. En un mot, il y a du sens à y chercher le bonheur, et il est imaginable de l'y trouver, sans contredire pour autant aux espoirs de béatitude éternelle. 16 Les déplacements repérés par Groethuysen dans la première partie de son livre s'ordonnent autour de ce foyer. Le « Dieu ancien », le « Dieu au secret terrible de la prédestination » que les Jansénismes s'acharneront à sauver contre la pente du siècle, s'efface au profit d'un Dieu bienveillant et clément11. L'épouvante de la mort, en laquelle se concentraient à la fois le tragique de la vie et la terreur de la damnation, recule. Semblablement, « le pécheur se meurt » – » le pécheur classique, le pécheur intégral », précise Groethuysen. « Nous semblons devenir meilleurs et moins

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repoussants aux yeux de la divinité à mesure que le temps avance »12. Il y aurait à montrer comment la perspective d'interprétation proposée permet d'affiner l'analyse, par rapport à la description globalement pertinente, mais floue, que donne Groethuysen. Je me bornerai à faire ressortir le point où cette incertitude sur les contours du phénomène tourne à la méconnaissance. Groethuysen mésestime le caractère religieux que conserve cette réévaluation de la condition métaphysique de la créature. S'il est juste qu'elle lève l'assimilation de l'ici-bas à un « lieu d'exil », il n'est pas exact pour autant qu'elle ne laisse subsister qu'un seul monde13. L'articulation des deux mondes s'est transformée en rendant compatible le bonheur terrestre et le salut céleste, mais elle demeure. Le point est essentiel pour rendre compte de l'énergie qu'un christianisme éclairé investira dans les affaires du siècle, et notamment des redéfinitions de la morale auxquelles il procèdera.

La foi dans le progrès

17 Mais l'accomplissement éthique en cette vie, l'accord avec soi-même et ses semblables, le « bonheur », en un mot, au sein de ce qui cesse de faire figure d'abîme de perdition, ne constituent qu'un premier volet de l'immense renversement engagé avec le tournant de la déhiérarchisation, et pas forcément le plus important. Il en est un autre, qui nous tourne vers l'action, et qui plus est, vers l'action collective.

18 Ce qui est mal en ce monde ne relève pas d'une irrémédiable carence ontologique devant laquelle il n'y aurait qu'à se résigner, mais d'une imperfection susceptible d'être corrigée, ou d'une infirmité à surmonter. Ce monde tel que nous le trouvons n'est pas bon, mais il est à rendre moins mauvais qu'il n'est. Dieu n'a pu nous le donner que pour que nous y manifestions l'efficacité des facultés dont il nous a pourvus. L'infériorité du domaine humain n'est pas douteuse, mais la relation au domaine divin nous invite à nous employer à son élévation. Où l'on mesure l'importance opératoire de la redéfinition de la foi. Cette légitimation religieuse diffuse, mais puissante, de l'application de l'humanité à l'amélioration du séjour terrestre et de sa propre condition est le phénomène capital, dont les effets traversent le siècle en vagues de plus en plus amples. 19 L'avancement des connaissances apporte un nom et un modèle à ce travail de l'humanité sur elle-même. En 1707, Fontenelle fait le premier pas en parlant des « progrès de l'esprit humain »14. Ce ne sont pas seulement les sciences qui progressent, mais aussi l'esprit collectif qui les porte et où elles se diffusent. En les engendrant, il s'en trouve transformé. 20 La prise en compte de la racine religieuse du phénomène permet de comprendre qu'il regarde autant et davantage les sensibilités et les comportements que les « idées ». Il n'a nul besoin de s'expliciter en doctrine pour fonctionner. Il agit au niveau des présupposés. Il est affaire de direction spontanée des attitudes et des conduites avant que d'être un dessein philosophiquement argumenté. La réorientation des pratiques qu'il induit se diffuse lentement partout. Cette pénétration effectuante et généralisée du point de vue du progrès au cours du premier XVIIIe siècle reste à retracer. La force du point de vue est de s'appliquer virtuellement à tout. L'inventivité débridée d'un abbé de Saint-Pierre en matière de moyens de le multiplier en fournit le plus éloquent témoignage15. Ce changement, on ne peut plus concret, des manières d'être et de faire dans les domaines les plus divers, agit au retour sur les représentations. La philosophie

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du progrès va finir par amener au jour et rassembler dans une vue synthétique ces cheminements souterrains. Le moment crucial, à cet égard, se situe autour de 1750. L'idée de progrès y fait une percée fulgurante. Turgot lui procure sa pleine extension ; le projet encyclopédique lui apporte l'instrument de son exemplification et de sa popularisation ; Rousseau ancre la « perfectibilité » dans la nature humaine en même temps qu'il en tire un pessimisme historique inédit. Cette intronisation s'effectue sur la base d'un double enrichissement de l'idée. Il regarde d'un côté son acception, et de l'autre côté ses applications16. 21 D'une part, ces efforts innombrables nés de l'aspiration au mieux prennent les proportions d'un fait global. Les progrès de l'esprit humain ne concernent pas que la sphère de la connaissance. Ils s'étendent à l'ensemble des activités où l'esprit a sa part, depuis les moyens de subsistance jusqu'aux mœurs, en passant par les lois. Le mouvement du progrès touche les sociétés dans leur totalité. Il fournit un fil conducteur pour raconter l'aventure humaine depuis ses origines. La philosophie de l'histoire peut prendre son essor grâce à lui. La notion de civilisation va exprimer cette marche cohérente. 22 D'autre part, le progrès s'empare des pouvoirs en devenant un programme. Son accès à l'idée claire en fait un impératif. Il ne suffit pas de constater qu'il y a progrès. Maintenant qu'on sait qu'il existe, il faut le vouloir. Il faut se le proposer comme un but. L'autorité en charge du bien commun est naturellement désignée pour cette tâche, ce qui ne dispense pas les particuliers d'y pourvoir au titre de la « bienfaisance » et de la « philanthropie ». Mais ce n'est qu'à la puissance publique qu'il peut appartenir de systématiser, grâce à la législation, les bienfaits dus à l'initiative des « grands hommes », les vrais, ceux qui se préoccupent d'améliorer le sort de leurs semblables. L'État est sommé de se faire État de progrès, une injonction dont on ne saurait trop souligner l'importance pour sa définition moderne. Il est investi de la responsabilité de l'avenir collectif17. 23 C'est avec ce double phénomène de l'extension de la notion de progrès à l'ensemble social et de la redéfinition du pouvoir à la lumière des exigences pratiques du progrès que l'on est fondé à parler de la naissance de l'idéologie. C'est-à-dire d'un nouveau discours de la société sur elle-même, d'un nouveau système de représentations et de croyances de la collectivité à son sujet, détachés du cadre religieux, sans être frontalement en rupture avec lui pour autant. Ils en sortent sans heurt. 24 Cette nouvelle idée d'elle-même de la communauté humaine repose, à la base, sur un schème très simple, de provenance religieuse, on l'a vu : l'orientation effectuante des activités vers un mieux futur. Mais ce schème possède, en sa simplicité, une puissance hors du commun. Il est gros de plusieurs développements concentriques. 25 Il est, pour commencer, religieusement autonomisant, pourrait-on dire. Il introduit une divergence radicale par rapport à la compréhension religieuse de toujours de l'ordre humain, foncièrement tournée vers le passé et la dévotion envers le don des origines. Mais cela tout en demeurant parfaitement compatible avec le christianisme, le progrès de la créature étant compris comme l'accomplissement du dessein du créateur. Il est la source d'un clivage à l'intérieur du christianisme qui ne sera pas moins important que celui de la Réforme, à ceci près qu'il traverse les différentes confessions et ne prend pas l'aspect d'une opposition des obédiences. Le véritable clivage, dans son sillage, sera celui d'un christianisme optimiste et informel des personnes éclairées et du christianisme passéiste, pessimiste et formel des appareils ecclésiaux.

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26 Développement supplémentaire, au-delà de l'esprit de religion, ce schème du meilleur dans le temps est intellectuellement autonomisant. L'action qu'il valorise peut aisément être entendue comme possédant sa raison en elle-même, indépendamment de sa source religieuse, puisqu'elle n'engage que le travail des hommes et repose toute sur la mobilisation de leurs seules ressources. Nul besoin d'en appeler à une justification extérieure. La tension des hommes vers le perfectionnement est pourvue de son évidence intrinsèque et ne demande pas à être étayée sur une motivation transcendante. Elle est « indépendante », comme dirait Groethuysen. 27 D'autant plus, enfin, cette autonomisation va-t-elle être efficace que le schème du mieux futur emporte avec lui, en pratique, une recomposition d'ensemble de l'existence en commun. Il entraîne un basculement vers l'avenir en vue du perfectionnement de ce qui est, qui concerne potentiellement la totalité des secteurs de la vie sociale. Il modifie, de plus, l'idée que les acteurs se forment des devoirs du pouvoir, et, au travers d'elle, de proche en proche, les termes de la légitimité politique. Il finit par induire, autrement dit, une redéfinition complète des données de l'existence collective, de la manière de penser celle-ci et des conditions de son gouvernement. C'est en ce point d'élargissement et de systématisation qu'apparaît l'idéologie à proprement parler, dès lors qu'on dispose d'un discours rendant compte de l'être et du devoir-être collectif selon l'immanence. L'idéologie définit et justifie la direction de l'œuvre commune, en même temps qu'elle énonce les obligations des individus et des gouvernants. Elle unifie la compréhension séculière du mouvement de la société et la légitimation utilitaire du rôle de l'État. Émerge avec elle un discours alternatif au discours religieux sur l'ordre humain. Mais un discours, il faut y insister, qui n'entre pas forcément en contradiction directe avec le discours religieux, à ce stade initial de coagulation, même s'il se détourne du christianisme traditionnel. 28 Il est vrai qu'il y aura une version anti-religieuse, voire matérialiste, de la pensée du progrès. Elle est un des possibles du dispositif. Il ne faut pas, toutefois, en exagérer la portée. Elle ne sera jamais qu'une option parmi d'autres, vouée à demeurer minoritaire. Dans sa version majoritaire, l'idéologie du progrès se voudra conciliable avec une entente religieuse de la destinée humaine, si critique qu'elle soit à l'égard de la superstition des peuples et de l'usurpation des prêtres. Il faudra les circonstances révolutionnaires et un motif politique pour que son potentiel anti-religieux révèle sa vigueur. Elle émancipe l'intelligence de l'action collective sans l'élever aux dimensions d'une compréhension totale de la condition de la créature. Ce n'est qu'un peu plus tard encore, au terme de la Révolution française, vers 1800, qu'on en arrivera à pareille promotion métaphysique de la durée, avec le passage de l'idée de progrès à l'idée d'histoire proprement dite. L'humanité ne se contente pas de se perfectionner, elle se fait elle-même de part en part dans le temps, de telle sorte que le devenir est le vecteur de son autonomie, tendu vers sa ressaisie et son entier gouvernement d'elle-même. Avec cette maximisation de l'enjeu, l'idéologie va trouver les conditions d'un essor sans précédent. Encore seront-elles longues, de nouveau, à manifester leurs effets. Car cet approfondissement de la perspective du progrès en perspective d'une historicité créatrice sera loin d'être univoque sur le terrain religieux. Il tendra à se traduire plutôt par un retour de religiosité que par un évidement supplémentaire de son emprise. L'autonomie héroïque dont il fait surgir l'horizon sera généralement entendu comme le déploiement immanent d'un dessein transcendant, un déploiement haussant, certes, le parcours humain à la hauteur de l'esprit divin, mais le maintenant dans son orbite. Ce

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n'est que dans un second temps, à compter des années 1840, que l'immanence matérielle du devenir prendra le dessus sur la transcendance spirituelle supposée présider à son effectuation, et que l'entente de l'auto-institution de l'humanité dans l'histoire se dégagera systématiquement d'une interprétation religieuse. La sortie de la religion n'est à aucun moment un processus simple, opérant sur un seul plan. Cette sommaire esquisse n'avait d'autre but que de le faire ressortir à propos d'un nœud spécialement embrouillé. Il a fallu un siècle, 1750-1850, pour que s'accomplisse le basculement de la dette religieuse envers le passé à la foi séculière dans le futur, et pour que s'épanouisse le mode de discours et de croyance permettant aux acteurs de s'expliquer leur action au sein de ce devenir dont ils se conçoivent comme les producteurs. On ne peut parler valablement de « naissance de l'idéologie », à la mi- XVIIIe siècle, qu'à la condition d'en marquer les limites et de préciser les perspectives de croissance du nouveau-né. Mais ces restrictions nécessaires n'enlèvent rien à la signification de la percée de la thématique du progrès, à sa date. Une nouvelle auto- compréhension d'un monde humain en voie d'autonomisation y est en germe. 29 S'il est une absence étonnante sous la plume de Groethuysen, c'est celle du progrès. Il n'en fait pour ainsi dire pas mention. Pourtant, c'est la notion qui unifie et organise beaucoup des traits de son bourgeois. Peut-être est-ce que ce sont les limites de sa démarche qui se montrent ici. À trop traquer le bourgeois dans le regard de l'Église dont il est le fidèle indocile, ses raisonnements propres échappent au champ de vision. Encore n'est-il pas sûr que d'autres sources de la même veine n'auraient pas permis d'identifier ce foyer. Car enfin, si « le bourgeois est l'être qui naît sans providence », si son existence est « sans mystère »18, c'est parce qu'il est porté par la dynamique de l'ordre profane, laquelle s'explique du dedans d'elle-même, « sans qu'il soit nécessaire de remonter plus haut ». Il se définit par son activité pour le même motif : il sait ce dont elle participe et où elle doit mener, insérée qu'elle est dans un travail collectif19. Elle lui offre la perspective de « s'élever par ses propres forces »20. L'élément générateur et cumulatif où il évolue tourne sa pensée en avant, vers l'accroissement de la puissance et de la richesse. Il est l'homme de la prévision raisonnée. Son problème est d'éliminer l'inconnu21. Bref, ces conceptions sociales qui écartent inexorablement le bourgeois des leçons de ses pasteurs tiennent fondamentalement à l'orientation temporelle où s'inscrivent spontanément son labeur prosaïque et sa confiance calculatrice dans ses moyens. C'est elle qui le soustrait au monde de la fixité des rangs et de la dépendance envers la Providence que l'Église s'obstine à prêcher. Groethuysen rend avec finesse le malentendu qui se creuse et la distance croissante du bourgeois vis- à-vis d'un enseignement qu'il peut de moins en moins comprendre, à mesure que le monde qu'il crée témoigne davantage en sa faveur22. Mais le ressort de ce divorce lui échappe. Il tourne autour sans le saisir. Il ne discerne pas à quelle source s'alimente cet « esprit bourgeois » qui devient peu à peu l'esprit d'un monde nouveau. Il aperçoit bien pourtant qu'au travers du bourgeois et au-delà de lui, c'est l'organisation entière de la société qui bascule.

Le bourgeois et sa société

30 Il fallait cette vue d'ensemble de la transformation que représente la naissance de l'idéologie, même ramenée à son squelette, pour pouvoir répondre au « problème Groethuysen ». Il est possible, une fois ce cadre posé, de faire droit à la pertinence de

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ses intuitions, tout en écartant les faux semblants de la sociologie en pointillé à laquelle il croit devoir se raccrocher. Son bourgeois prend place à l'intérieur de cette métamorphose globale de l'ordre des pensées et de l'orientation des activités. Il en est l'acteur privilégié. Le bourgeois est l'homme du progrès par excellence. La moins mauvaise façon de le définir serait peut-être : l'homme du travail éclairé. Il gagne en puissance avec les avancées de la capacité de l'homme à améliorer sa condition par son activité, une activité rendue toujours plus efficace grâce à ce qu'elle incorpore d'éducation et de raison. Le bourgeois est celui par lequel la connaissance et son avancement se convertit en perfectionnement de l'existence, selon diverses voies et modalités. Il y aurait en outre à éclaircir ici les liens qui rattachent la perspective du progrès et le processus d'individualisation. L'amélioration du sort commun requiert l'initiative des particuliers ; et sa réalisation ne peut tendre qu'à la liberté des consciences et des personnes. Par l'amont comme par l'aval, ainsi, en fait, et en droit, le progrès pousse à l'indépendance des êtres. De cette individualisation au présent et au futur, le bourgeois, de nouveau, est l'agent phare et le grand bénéficiaire. Il est celui qui a le plus les moyens de l'exercer et le plus d'intérêt à en user. Aussi acquiert-il une place toujours plus en relief à mesure que la société du progrès et de l'idéologie se déploie. Elle conforte sa position de partout.

31 Rien ne serait plus trompeur, cependant, que d'en faire l'auteur de cette société dont il va devenir une manière de roi. Elle n'est pas sa société, contrairement à ce que la manière dont il s'y épanouit le donne à croire. Il ne serait pas moins abusif, du reste, de lui prêter de s'être fait tout seul. Il a été intronisé, à un moment donné, comme le pivot d'une transformation qui, en réalité, le déborde de toutes parts. C'est la réorientation générale de l'activité collective qui l'a installé au centre et qui a assuré l'élargissement de sa position. Mais cette redéfinition futuriste était destinée à tout transformer à terme, la fonction des grands, la répartition des pouvoirs et le sort des humbles. Ce n'est pas le bourgeois qui a produit ce bouleversement. Il n'a fait qu'y tenir le premier rôle. Il a été son vecteur de concrétisation, son relais démultiplicateur. Il a été la force sociale particulière par laquelle est passée une métamorphose globale, mais il est lui- même une expression de cette métamorphose, au même titre que ses autres composantes, et non son géniteur exclusif. L'esprit bourgeois n'a de consistance spécifique, comme Groethuysen l'a senti, qu'en regard de l'ancien esprit de religion auquel il tourne le dos. Pour le reste, il n'est, au mieux, qu'un segment particulier de l'esprit général d'une société qui se tourne vers la production d'elle-même et qui enjoint à ses acteurs de se pourvoir des instruments de pensée et de discours appropriés à ce nouvel horizon. L'esprit bourgeois se confond, en ce sens, avec l'idéologie. Il n'est pas illégitime, par conséquent d'appeler cette dernière « bourgeoise », à la condition de considérer la fonction qu'elle remplit, au-delà des intérêts étroitement entendus du groupe social que nous pouvons repérer comme « bourgeoisie ». 32 La marque des grands livres n'est pas nécessairement de nous apporter des réponses, elle peut être aussi de nous léguer des questions. C'est en ce sens que je parlais d'un « problème Groethuysen ». Nous devons lui être reconnaissants de l'avoir posé d'une manière qui nous interdit de nous satisfaire de la solution qu'il lui apporte – ou plutôt ne lui apporte pas.

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NOTES

1. Catherine Maire, « Aux origines de l'esprit bourgeois en France. Pour une relecture de Bernard Groethuysen », Chrétiens et sociétés, no 8, 2001, p. 33-57. 2. La réédition, rappelons-le, est intervenue en 1977, l'année de L'Homme devant la mort, de Philippe Ariès, Paris, Seuil, 1977, 641 p. Paraîtront l'année suivante Les Trois Ordres ou l'imaginaire du féodalisme de Georges Duby, Gallimard, 1978, 425 p. et La Peur en Occident, de Jean Delumeau, Paris, Fayard, 1978, 486 p. 3. Origines de l'esprit bourgeois en France, (citée désormais Origines), Paris, Gallimard, 1977, Préface, p. X. 4. Préface de l'édition allemande, partiellement traduite dans Arguments, 4, 1960, p. 55-58, p. 56.. 5. Ibid. 6. Pour une mise en place plus étoffée du concept d'idéologie, je me permets de renvoyer à mon article « Croyances religieuses, croyances politiques », maintenant dans La Démocratie contre elle- même, Paris, Gallimard, 2002, 385 p., p. 91-108. 7. Origines, op. cit.,p. 44. 8. Groethuysen est plus net dans l'édition allemande. Le chapitre retranché sur le jansénisme dont Alix Guillain a publié la traduction dans Les Cahiers du Sud, sous le titre « Lutte suprême des jansénistes pour sauver le Dieu ancien » (no 305, 1951) situe clairement, par exemple, l'estrangement bourgeois dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, voir p. 57 et p. 60. 9. Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985, 306 p. 10. Je me permets de renvoyer à l'analyse de cette cristallisation conceptuelle que j'ai donnée dans « L'État au miroir de la raison d'État », in Raison et déraison d'État, sous la direction de Yves Charles Zarka, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, 436 p., p. 193-244. 11. Origines, op. cit., p. 123-125, ainsi que le chapitre sur le jansénisme retranché de l'édition française. 12. Origines, op. cit., p. 141. 13. Origines, op. cit., p. 163. 14. L'expression se trouve dans l'Éloge de M. l'abbé Galois. Elle est signalée par Jean Dagen, L'Histoire de l'esprit humain dans la pensée française de Fontenelle à Condorcet, Paris, Klinsieck, 1977, 717 p., p. 18. 15. Sur l'abbé de Saint-Pierre, voir en dernier lieu Frédéric Rouvillois, L'Invention du progrès. Aux origines de la pensée totalitaire, 1680-1730, Paris, Kimé, 1996, 487 p., qui apporte un éclairage suggestif, en dépit de sa perspective militante. 16. Dans une bibliographie récente abondante, signalons en particulier l'introduction d'Alain Pons à son édition de l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain de Condorcet, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1988, p. 17-72 ; et Pierre-André Taguieff, Du progrès. Biographie d'une utopie moderne, Paris, Librio, 2001, 186 p., ainsi que L'idée de progrès. Une approche historique et philosophique, Cahiers du CEVIPOF, no 32, 2002. 17. Sur ces développements multidirectionnels de l'idée de progrès, voir le remarquable tableau synthétique de Krzysztof Pomian, « L'Europe entre religion et philosophie », in Thomas W. Gaehtgens et Krzysztof Pomian, Le XVIIIe siècle. Histoire artistique de l'Europe, Paris, Seuil, 1998, 394 p. 18. Origines, op. cit., p. 190. 19. Origines, op. cit., p. 202-203. 20. Origines, op. cit., p. 214 et p. 222. 21. Origines, op. cit., p. 222-225. 22. Origines, op. cit., p. 294.

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AUTEUR

MARCEL GAUCHET

EHESS / Centre Raymond Aron

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Les sources dans Les Origines de l'esprit bourgeois

Dominique Julia

NOTE DE L'AUTEUR

Je remercie vivement M. Stéphane Baciocchi, ingénieur d'études au CARE, qui m'a considérablement aidé dans la collecte de la bibliographie et qui a construit, pour l'analyse des citations utilisées par Bernard Groethuysen, la base de données informatique, à partir de laquelle tous les comptages ici présentés ont été établis.

1 Au temps où je faisais mes études d'histoire à la Sorbonne, le livre de Bernard Groethuysen était encore un « classique ». Je me souviens d'avoir pris contact avec ce livre lors de l'année où je préparais un diplôme d'études supérieures, en 1962-1963 – il y a donc quarante ans. J'étudiais alors les réponses des curés à une enquête administrative de l'archevêque de Reims en 1774 et m'efforçais de recomposer, à partir d'une analyse lexicale, le paysage de leurs représentations. Les textes cités par Bernard Groethuysen constituaient une mine où j'ai largement puisé, tout particulièrement les recueils de sermons de François-Léon Réguis, intitulés La Voix du pasteur qui m'avaient servi d'utile contrepoint à cette étude. Je dois avouer pourtant que, depuis lors, je n'avais guère repris la lecture de cet ouvrage, sans doute parce que j'éprouvais inconsciemment une certaine gêne devant ce type d'histoire que je qualifierais de « philosophique ». Ce qui posait question, en effet, était l'omniprésence d'un « bourgeois » ou d'un « enfant du siècle » dans les dénominations adoptées par l'auteur, sans que celui-ci soit défini d'une manière plus précise. En réalité, dès le chapitre II des Origines de l'esprit bourgeois en France, Bernard Groethuysen oppose à deux catégories de catholiques – les simples croyants (die schlichten Gläubigen) d'une part, les théologiens « gardiens qualifiés pour conserver la foi » (die Theologen denen es zukomemt, den Glauben, rein zu erhalten) – [...] des hommes nouveaux qui, tout en n'ayant aucune qualité pour participer au gouvernement de l'Église, pour être des « maîtres », ont perdu le caractère de

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simples croyants. Ce sont gens qui raisonnent et veulent examiner avant de croire. Ils entrent « en contestation avec Dieu » dit Massillon ; ils interrogent, ils demandent des comptes. Des questionneurs pourrait-on les appeler, des esprits curieux qui interrompent les maîtres à tout moment, pour leur proposer telle question et soulever des problèmes. Qui sont-ils et d'où viennent-ils ? On ne les trouve certainement pas d'abord parmi le peuple. Ce sont des personnes instruites, qui savent lire et écrire ; ce sont des esprits éclairés qui aiment à discuter ; ce sont des gens qui jouissent d'une certaine considération et qui, sachant ce qui leur est dû, traitent d'égal à égal avec leur curé1. Un peu plus loin, Bernard Groethuysen définit, en suivant l'un de ses auteurs préférés, l'abbé François-Léon Réguis, « ceux qui raisonnent ainsi sur le pourquoi et le comment, » comme des « gens d'une certaine façon », des « honnêtes gens » auxquels on donne du « Monsieur ». Nous n'en saurons guère plus sur le profil social de ce bourgeois « qui a pris conscience de lui-même, qui sait ce qu'il se doit »2. C'est que pour l'auteur, celui-ci est d'abord et avant tout un « type d'humanité » dont il entend retracer l'idéologie non pas à partir de la spéculation mais à partir de son expérience vitale, telle qu'elle pouvait être perçue en creux à travers les sermons des curés3. 2 Il me semble qu'après 1970, le livre de Bernard Groethuysen a très rapidement cessé d'être un classique chez les historiens du fait des transformations profondes qu'a subies l'histoire socioculturelle : d'une part les historiens ont largement emprunté concepts et méthodes aux sociologues du contemporain ; d'autre part, les phénomènes culturels ou religieux ont fait l'objet d'analyses quantitatives systématiques qui ont développé une histoire immédiatement qualifiée d'« histoire sérielle au troisième niveau » par Pierre Chaunu. De l'étude des testaments à celle de l'inégale distribution des signatures et de leur qualité de trait, de l'histoire du livre à celle de la réception des textes et de leur appropriation différenciée selon les communautés d'appartenance et les individus, cette historiographie a cherché à saisir de la manière la plus concrète les configurations instables selon lesquelles se regroupent différents types de lecteurs, les évolutions que l'on peut repérer dans l'appropriation d'un même texte qui n'est pas lu de la même manière au début du XVIIe siècle ou à la fin de l'Ancien Régime. Cette historiographie s'est aussi appuyée sur une très grande variété de sources qui permettent d'approcher au plus près les représentations des acteurs sociaux dans leur contexte spécifique : journaux, livres de raison, recueils de textes spirituels recopiés par des moniales ou des laïcs, recueil d'extraits ou de « lieux communs » rédigés par d'anciens collégiens, mémoires, testaments, inventaires après décès, etc. Autant d'éléments qui sont venus compliquer les schémas d'explication, nous éloignant d'un idéal-type du bourgeois pour nous enraciner dans des figures concrètes de la société des XVIIe et XVIIIe siècles. Or, toute la démarche de Bernard Groethuysen est à l'exact opposé de cette orientation historiographique : élève de Dilthey, il entend rendre l'individu à l'esprit du temps, il vise à construire une sorte d'anonyme Geistesgeschichte de la bourgeoisie, déployant l'émergence d'une Weltanschauung qui s'éloigne de celle du fidèle médiéval et se trouve d'emblée confrontée aux admonestations des hommes d'Église4.

3 Le problème qui se pose dès lors à l'auteur est de découvrir des sources susceptibles de répondre au projet qu'il s'est fixé : comme il l'écrit dans l'avant-propos de l'annexe des notes, par rapport à la manière dont il pose les problèmes : Aucune formule synthétique, aucune description d'ensemble ne peut remplacer l'impression immédiate que donnent les documents contemporains.

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Bernard Groethuysen demeure en effet extrêmement attentif à la « variété des formes de propos », au caractère, « en un certain sens, accidentel et occasionnel de l'expression particulière telle qu'elle surgit d'une situation particulière », du « degré de culture des individus », des « différentes étapes de la formation de leur conscience de soi »5. Cette extrême attention à un matériel concret capable de rendre compte de l'expérience de la vie (Lebenserfahrung) qu'a le bourgeois6 découle directement de la volonté délibérée, chez Bernard Groethuysen, non pas de construire à partir d'axiomes généraux une simple histoire des idées dans leurs rapports intellectuels ni d'envisager l'homme comme un pur penseur, mais de partir de l'homme vivant qui ne se laisse pas enfermer dans des catégories définies une fois pour toutes. L'homme d'action qu'est le bourgeois n'est pas réductible à un principe théorique7. De ce point de vue, la familiarité que Bernard Groethuysen entretient depuis très longtemps avec les sources imprimées du XVIIIe siècle le pousse très certainement à respecter la diversité des expériences. Dans une lettre non datée (mais datant vraisemblablement de juillet 1914) et adressée à Margarete Susman il écrit en effet : Depuis quatorze jours, je suis à Rouen. Je demeure ici prisonnier. On m'a conduit dans une bibliothèque encore complètement inconnue jusqu'ici. Là, j'ai trié tout ce que je voulais lire et laisser gardé de côté. Que dois-je faire ? Il y a là des milliers de brochures, mémoires, sermons. Je ne puis pas maintenant les abandonner tous. Il est très bon pour moi que je puisse enfin une fois sans aucune entrave fouiller dans des vieux papiers, sans être obligé de commander chaque pièce une par une8. Or nous pouvons tout à fait contrôler ces indications par le registre des lecteurs de la bibliothèque municipale de Rouen. Bernard Groethuysen fréquente en effet du 7 au 22 juillet 1914 – soit deux jours avant l'ultimatum de l'Autriche à la Serbie à la suite de l'attentat de Sarajevo – cette bibliothèque et il consulte avidement les brochures de l'époque de la Révolution conservées dans le fonds légué par Coquebert de Montbret auquel il lui a été visiblement donné libre accès. Alors que les autres lecteurs, pour la plupart professeurs ou instituteurs, se contentent d'emprunter des ouvrages pour quelques jours ou quelques mois9, Bernard Groethuysen reste sur place et consulte en moyenne dix-huit brochures différentes par jour, soit en treize jours ouvrables deux cent trente-cinq unités bibliographiques distinctes. Il s'agit, pour l'essentiel, d'« opinions », « discours », « rapports », « réflexions », « lettres » écrites entre 1789 et 1791 par des parlementaires, des élus des districts ou des municipalités, des « citoyens » ou « citoyennes ». Bernard Groethuysen se comporte ici comme un lecteur « intensif », soucieux de rentabiliser au maximum le séjour qu'il fait dans la capitale normande où il est descendu à l'Hôtel des Carmes, situé aux alentours de la bibliothèque. Si nous ne rencontrons pas, à cette occasion, des lectures ayant servi à l'ouvrage publié treize ans plus tard, on saisit bien en revanche ici l'aspect central que revêt l'analyse de la Révolution française chez cet auteur, qui envisageait à cet égard une œuvre d'une toute autre ampleur, et le souci de chercher des témoignages qui ne sont pas seulement des grands auteurs. D'une certaine façon, cette manière de travailler est en parfaite consonance avec ce qu'écrit Bernard Groethuysen à son ami l'écrivain Georges Navel en 1935 : Je voudrais faire parler tout le monde. C'est ce que j'appellerais faire de l'histoire. Je ne peux me persuader que ceux qui n'ont pas écrit des livres n'ont jamais rien pensé, comme le pensent les historiens classiques, qui réduisent toute la pensée humaine à quelques noms. Mais comment connaître la pensée de ceux qui sont restés muets pour vous ? J'ai voulu dans mon œuvre d'historien découvrir la pensée anonyme, les idées de ceux qui n'ont pas laissé de nom. Mais où les trouver ?10

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4 Quelles sources trouver, en effet, pour restituer « l'intimité » du processus historique et la dynamique de l'esprit bourgeois ? Dans la préface de l'édition allemande, Bernard Groethuysen s'explique clairement sur le choix qu'il a fait des sermons du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle qui sont pour lui « une source première » : Le laïc cultivé éprouve, à partir d'un certain moment, de plus en plus fortement le besoin de justifier sa vie, de confronter sa manière particulière de penser et d'agir aux modes de conception plus anciens, et nommément de discuter avec les représentants de la vision du monde (Weltanschauung) ecclésiastique. Les discussions ont souvent quelque chose d'immédiatement vivant. Elles atteignent la vie même et non telle ou telle théorie. Certes, on trouve ici aussi maints éléments que le bourgeois ne connaît que par lecture ou par ouï-dire. Il argumente en philosophe. Mais, en général, la « littérature » et la vie se laissent bien distinguer l'une de l'autre. Quand le bourgeois parle de son « travail », de ses succès, du soin de la famille, quand il montre son honnêteté, quand il manifeste une confiance croissante en sa propre force, il parle alors de la propre expérience qu'il a de la vie et n'a besoin pour cela d'aucun système philosophique. S'il exprime, somme toute de telles convictions, s'il se voit contraint de réfléchir sur ses valeurs c'est qu'il s'oppose aux représentants de visions du monde plus anciennes, en France avant tout, aux représentants de l'Église catholique. Les ecclésiastiques l'accompagnent toute sa vie ; ils cherchent à déterminer dans quelle mesure il se laisse encore justifier selon les normes chrétiennes. Ils s'adressent à chaque individu : il s'agit de sa vie, de son salut. Cette manière immédiate de poser des questions donne certainement à ces discussions leur vivacité particulière et nous donne un aperçu sur l'esprit de la quotidienneté et la dynamique de la formation des valeurs, telle qu'elle résulte immédiatement de l'expérience de la vie. Le bourgeois prend ici lui- même la parole. Les prédicateurs nous rapportent ses objections et ses réponses. De ce point de vue, ce qu'ils exposent acquiert encore une valeur particulière du fait que ce qu'ils disent sera contrôlé par la paroisse et que le bourgeois doit d'un manière quelconque se reconnaître dans le portrait qu'ils tracent de lui, de telle sorte que leurs exposés puissent exercer sur lui l'effet souhaité11. 5 Cette longue citation nous permet de comprendre la préférence que Bernard Groethuysen a accordée aux sermons : ils lui permettent de lire en creux l'émergence et la montée en puissance de ce nouveau type d'humanité qu'est le bourgeois grâce à l'analyse des arguments que réfutent les prédicateurs12. L'originalité de la méthode a été immédiatement saluée par les recenseurs de l'ouvrage. Ainsi Daniel Halévy rend-il hommage à la « ruse » de l'auteur : Voilà donc le détour. Ce n'est pas Voltaire ni Rousseau dont M. Bernard Groethuysen est curieux, c'est du Français moyen, et pour se rapprocher de lui, il s'assied au prêche avec lui. Soupçonnait-on qu'après tant de travaux, une source considérable pour les connaissances du XVIIIe siècle restait négligée ? Il y avait les sermonnaires que personne n'avait lus. C'est une exploration bien curieuse que M. Bernard Groethuysen nous fait faire à travers ces textes inconnus, souvent étonnants de verdeur, de force. Je gage qu'après lui, plus d'un historien ira lire les sermons de ce curieux M. Réguis, curé de Gap, toujours en querelle avec ses paroissiens13. Daniel Halévy a bien repéré les prédilections que l'auteur marque à l'égard de l'abbé François-Léon Réguis, auteur de La Voix du pasteur. Discours familiers d'un curé à ses paroissiens pour tous les jours de l'année (Paris, six volumes en deux séries, 1766-1773), qui est le prédicateur le plus cité dans les deux éditions. Dans l'édition allemande, Bernard Groethuysen consacre à la collection des sermons de ce curé qu'il juge « une source précieuse pour comprendre le développement de l'esprit bourgeois dans les décennies qui précèdent la Révolution française », une longue note où il publie des extraits des

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introductions des deux séries. Ce qui intéresse au premier chef l'auteur dans les sermons de l'abbé Réguis, c'est que celui-ci affirme les offrir « tels que » ses « paroissiens les ont entendus », « excepté néanmoins » qu'il a « ajouté, surtout dans ce second volume, beaucoup de détails qui auraient été inutiles et par conséquent déplacés dans » sa « paroisse mais qui ne le seraient pas dans d'autres et qui pourront rendre la lecture de ces instructions moins ennuyeuse, plus intéressante et utile à un plus grand nombre de personnes ». Cette attention de l'abbé Réguis aux conditions concrètes de son message – les « petits prônes » de sa première série sont, dit-il, faits « pour la campagne et les petites villes de province » – le « style simple proportionné aux personnes confiées à ses soins » qu'a d'ailleurs relevé dans son avis le censeur royal dans son permis d'imprimer, sont autant de qualités qui rejoignent le souci affirmé de l'auteur de se situer au plus près de la vie14. 6 Mais les sermons ne sont pas la seule source où a puisé Bernard Groethuysen. Il éprouve, dans l'avant-propos qui précède l'annotation dans l'édition allemande, le besoin de justifier « la prise en considération minutieuse des controverses contemporaines entre janséniste et jésuites », d'autant plus que les uns et les autres « défendent un ‘système’ » et que l'on pourrait croire de prime abord qu'il s'agit d'un « développement d'idées purement ‘théologiques’ ». Pour l'auteur, ces querelles vont en réalité « bien au delà des débats dogmatiques » ; elles se rapportent à « la conception profane du monde et de la vie qui est en train de se former à l'intérieur de la bourgeoisie » et fournissent un aperçu sur le « devenir de l'homme nouveau » non pas dans des formulations générales mais dans des formes particulières d'expression concrètes15. L'auteur cite également des traités d'éducation qui « particulièrement en France sont très nombreux dans la seconde moitié du XVIIIe siècle » et dans lesquels le bourgeois voulait transmettre à ses enfants sa sagesse de vie ». Mais il ne veut pas passer en revue, une par une, les sources qui ont servi à édifier son œuvre, et il s'en explique : Mon point de vue directeur étant de revenir à l'expérience directe de la vie (Lebenserfahrung), de saisir le vécu avant toute autoconscience philosophique élaborée. Car c'est seulement ainsi que l'on peut espérer comprendre les expériences vécues (Erlebnisse) de toute une classe. Le sujet anonyme de ces expériences est le bourgeois. Il apparaît facilement comme l'homme spécifiquement non-intellectuel (ungeistige) ; il agit, il ne pense point. Il vaut la peine, face à cette affirmation de libérer en quelque sorte le bourgeois de son immobilité intellectuelle et de le saisir lui-même comme créateur de son propre monde16. 7 Il reste que la collecte des sources ici mise en œuvre est au service d'une question philosophique : il s'agit de repérer à travers les prédications – et pas seulement elles – l'émergence d'un type nouveau d'humanité. L'auteur part du postulat que les objections qui s'y lisent et les plaintes exprimées par les prédicateurs traduisent directement la montée en puissance d'un esprit « bourgeois » selon une expérience immédiate. Il ne s'interroge jamais ni sur le genre littéraire auquel ces sources appartiennent, ni sur le contexte précis dans lequel ils ont été prononcés ou publiés, ni sur le public réel auquel ils étaient destinés tant dans leur forme initiale orale que dans leur écriture définitive, bref sur l'horizon de réception envisagé par les prédicateurs qui ont donné à lire leurs recueils de sermons. On peut ici noter tout à la fois l'extrême distance et la proximité de Bernard Groethuysen avec Max Weber dans son Éthique protestante et esprit du capitalisme. À la différence de Max Weber, Bernard Groethuysen ne s'intéresse pas au contenu dogmatique des écrits qu'il utilise. Certes, il ne nie pas le

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rôle des discussions qui ont eu lieu entre les représentants de l'idéologie ecclésiastique et le bourgeois. « Mais », ajoute-t-il, [...] là n'est pas l'essentiel. L'essentiel, c'est la formation de ces attitudes spirituelles particulières qui caractérisent le type du bourgeois et sans lesquelles il n'aurait pu entamer la discussion avec ses adversaires et la mener à bien. Ce n'est pas par des arguments qu'il a réfuté ses adversaires, mais bien par des actes. La vision du monde du bourgeois « n'est pas déterminée par une prise de conscience de l'univers, obtenue à force de réfléchir » mais par sa confiance dans « l'expérience qu'il a de la vie » : C'est pourquoi la conception philosophique ou religieuse pour laquelle il se décide, a au fond si peu d'importance17. 8 Le point de départ de Max Weber est en réalité rigoureusement inverse. Soulignant que « les phénomènes, importants pour nous, de la conduite de vie morale se retrouvent sous des modes similaires chez les adeptes des dénominations les plus diverses » et que « des maximes éthiques semblables peuvent se rattacher à des fondements dogmatiques différents », il ajoute : Il semblerait presque, dès lors, que le mieux serait d'ignorer totalement tant les fondements dogmatiques que la doctrine éthique et de nous en tenir uniquement à la pratique éthique, dans les limites de l'observable. Pourtant, il n'en est rien. De fait, les racines dogmatiques [diverses] de la moralité ascétique ont dépéri au terme de terribles affrontements. Cependant, non seulement l'ancrage originel dans ces dogmes a laissé des traces puissantes dans l'éthique ultérieure « non dogmatique », mais seule la connaissance du contenu de pensée originel donne à comprendre comment cette moralité était reliée à l'idée de l'au-delà, qui exerçait une emprise absolue sur les hommes les plus intériorisés de cette époque, emprise toute- puissante sans laquelle aucun renouveau moral capable d'influencer sérieusement la pratique de vie n'aurait été mis en œuvre18. On ne peut donc pas imaginer point de départ plus opposés que ceux de Max Weber et de Bernard Groethuysen. 9 En revanche, il convient de reconnaître leur proximité dans le choix des sources utilisées. « Afin de mettre au jour les relations existant entre les idées religieuses fondamentales du protestantisme ascétique et les maximes de la vie économique quotidienne », Max Weber estime nécessaire [...] de se reporter avant tout aux écrits théologiques qui procèdent manifestement de la pratique de la cure d'âmes. En effet, à une époque où l'au-delà était tout, où la position sociale du chrétien dépendait de son admission à la communion, où l'action déployée par les ecclésiastiques – à travers la cure d'âmes, la discipline ecclésiastique et la prédication – exerçait une influence – comme le montre un simple coup d'œil sur les recueils de consilia, de casus conscientiae, etc. – dont nous autres modernes ne pouvons tout simplement pas nous faire la moindre idée, les puissances religieuses qui sont à l'œuvre dans cette praxis ont façonné d'une manière décisive le « caractère national ».19 10 Il s'agit donc bien, pour Bernard Groethuysen comme pour Max Weber, de privilégier, dans le choix des sources susceptibles d'étayer leurs thèses philosophiques et sociologiques, des textes fortement inspirés de la pratique, parce qu'ils réfléchissent des situations concrètes. L'intérêt du dernier pour Richard Baxter, théologien anglais presbytérien du XVIIe siècle qui « s'était détaché graduellement – comme tant des meilleurs esprits de son époque –, au plan dogmatique, du calvinisme ancien » tient à ce que l'essentiel de son œuvre vise à « l'encouragement pratique de la vie morale et religieuse » et qu'elle est « traversée par la prédication incessante, presque passionnée

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parfois, en faveur d'un travail dur et sans relâche, qu'il soit manuel ou intellectuel » 20. C'est en effet par ce type de sources que le sociologue peut opérer la démonstration, à première vue paradoxale, selon laquelle « malgré la doctrine « antimamoniste » [de la théologie morale puritaine], l'esprit de cette religiosité ascétique n'en a pas moins, tout à fait à l'instar de celle qui régnait dans les économies conventuelles, engendré le rationalisme économique, parce qu'elle attachait des récompenses à ce qui est décisif : les incitations rationnelles, déterminées selon un mode ascétique »21. Dans la polémique qui a immédiatement suivi la parution de L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme et qui a opposé H. Karl Fischer, vraisemblablement jeune doctorant, à Max Weber dans une série d'articles parus dans l'Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik de Tübingen, ce dernier est revenu avec agacement vis-à-vis de son contradicteur sur le problème des sources : Il ne connaît tout simplement rien de « notre » matériau qui nous occupe ici, il ne connaît pas même les caractéristiques littéraires les plus générales des sources en question. Dans ses développements prétendument méthodologiques, il parle à leur propos de « livres religieux d'édification » avant de les confondre avec des « systèmes dogmatiques ». On a affaire ici à un manque de compétence. Il ne sait tout simplement pas que les sources qui ont été décisives pour une analyse de l'influence exercée sur la conduite de vie sont issues de collections de réponses qui renvoient directement à des questions tout à fait concrètes adressées à un ecclésiastique (qui constituait alors le conseiller le plus universel qu'aucune époque historique ait jamais connu), et ces sources n'ont rien à voir avec des fins d'« édification » ou « dogmatiques » mais d'autant plus, en revanche, avec des problèmes de façonnement de la vie quotidienne, qu'elles nous illustrent ainsi comme peu de sources22. La proximité repérée ici entre Bernard Groethuysen et Max Weber n'est certainement pas fortuite, même si, comme nous l'avons indiqué, leurs modes d'approche de ces sources divergent considérablement. 11 S'il fallait à tout prix chercher une inspiration de départ aux Origines de l'esprit bourgeois de Groethuysen, ce serait d'ailleurs moins du côté de Max Weber qu'il conviendrait de la trouver que du côté de son collègue et ami Ernst Troeltsch. Alors que Max Weber souligne le « rapport de parenté interne » entre « l'ascèse et la piété religieuse pratiquante (kirchlich) » et « la participation à la vie lucrative capitaliste »23, Ernest Troeltsch choisit de mettre l'accent sur les ruptures qui séparent une ancienne culture religieuse de l'unité, médiévale, et celle qui commence avec le monde moderne et qui ne repose plus sur un principe unitaire : à ses yeux [...] le monde moderne est une grave crise de religion, cela ne peut être contesté. À une époque essentiellement déterminée par les idées religieuses en a succédé, dans un battement de pendule du temps, une autre, essentiellement tournée vers le siècle et faible au plan religieux, et la suppression de l'ancienne autorité objective tout comme les mille motifs de critique ont fait surgir, au sein de l'authentique vie religieuse qui existait encore, les désordres les plus bigarrés. C'est d'abord au plan de la religion que le système a été rompu et c'est en elle que l'emprise [de cette rupture] a été la plus profonde24. Tout se passe comme si Bernard Groethuysen, qui a lu Troeltsch et qui reconnaît que le volume d'où est extrait cette citation l'a « beaucoup aidé »25, avait voulu mettre à l'épreuve, sur un matériau empirique, les hypothèses formulées par Ernst Troeltsch. 12 Avant d'envisager le corpus des citations utilisées par Bernard Groethuysen, il convient de s'interroger sur l'étonnante différence qui sépare les deux éditions française et allemande d'un même ouvrage. Dans la première, publiée en un seul volume, les notes

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ont été réduites au minimum ; dans la seconde, au contraire, celles-ci constituent une annexe précédée d'une remarque préliminaire qui en explicite l'importance et le sens qu'il convient d'attribuer à cette accumulation d'extraits de textes des XVIIe et XVIIIe siècles. Pour autant qu'on puisse reconstituer la genèse des Origines de l'esprit bourgeois en France, le premier manuscrit, dans la version française, a été remis à la maison d'édition Gallimard en juin 1924 comme en fait foi une lettre de l'auteur à son amie Margarete Susman (qui fut, ainsi que lui-même, auditrice du séminaire privé que Georg Simmel tenait dans sa villa berlinoise) : J'ai remis il y a huit jours lundi le manuscrit du premier volume ou des deux premiers volumes (titre : Les Origines de l'esprit bourgeois en France. Sous-titre : L'Église et la formation de la conscience bourgeoise. Le tout évalué sur environ dix volumes) à l'éditeur26. Le livre est donc conçu comme le premier d'un ensemble beaucoup plus vaste : à Erich Rothacker qui dirige chez Niemeyer à Halle la série « Philosophie et Sciences Humaines » où paraît l'édition allemande des Origines, Bernard Groethuysen annonce que [...] dans les volumes suivants, à côté du problème proprement religieux, seront traités la philosophie et le droit en relation avec la formation de la conception bourgeoise du monde et de la vie en France27. En réalité, pour comprendre la différence des deux éditions, il faut considérer les deux formules éditoriales choisies par l'auteur qui renvoient elles-mêmes au rôle social distinct que remplit dans chacun des deux pays l'auteur. En France, Bernard Groethuysen a joué délibérément la carte d'une insertion dans le monde littéraire et intellectuel : sa position de lecteur chez Gallimard, ses liens d'amitié avec Jean Paulhan, le rédacteur en chef de la Nouvelle Revue française, sa collaboration régulière aux Décades de Pontigny de Paul Desjardins font de lui une figure essentielle de passeur entre les cultures allemandes et françaises après le conflit de 1914-1918, comme en témoignent des chroniques régulières intitulées « Lettres d'Allemagne » à la NRF, ou ses traductions de Maître Eckhart, Hölderlin ou Georg Büchner pour la revue Commerce 28. En revanche, les relations avec les professeurs de l'université française paraissent assez distendues, à l'exception peut-être de Lucien Herr, directeur de la bibliothèque de l'École normale dont il est un lecteur assidu29. C'est en Allemagne qu'il poursuit une carrière académique, enseignant chaque année au cours du semestre d'été à l'université de Berlin : pourvu d'abord du simple titre de Privatdozent non salarié, il obtient en 1929 une charge de cours rémunérée puis est nommé professeur extraordinaire en 1931. S'il paraît s'être désintéressé progressivement de l'édition des œuvres de son maître Dithley, il participe à celle des œuvres de Leibniz sous l'égide de l'Académie prussienne des sciences30. Cette double activité de Bernard Groethuysen, littéraire en France et universitaire en Allemagne, qui, à la longue, lui a sans doute pesé 31, explique sans nul doute les choix éditoriaux résolument distincts qui ont été faits. Les Origines de l'esprit bourgeois ouvrent chez Gallimard la nouvelle collection « Bibliothèque des idées » qui se veut un lieu de rencontre entre savants et écrivains32 et vise un large public cultivé ; comme l'explicite la quatrième de couverture Les idées sont libres mais toute expression est subordonnée : chez le savant, au service des faits ; chez le romancier, l'auteur dramatique, à l'ordre du récit ou du drame ; chez le critique lui-même, à plus d'une restriction. L'objet de cette bibliothèque est d'offrir à la pensée, délivrée d'une servitude volontaire, un lieu où elle soit chez elle. L'auteur a donc écrit, puis remanié son manuscrit en fonction de l'horizon d'attente visé par son éditeur33. En témoigne, en guise d'introduction, le choix de faire précéder

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l'étude par une lettre de l'auteur à Jean Paulhan qui se présente sous le mode d'une conversation continuée : « Mais non, cher ami, je n'ai pas inventé le bourgeois »34. C'est en août 1926 que Bernard Groethuysen a retravaillé l'introduction de l'édition française « pour lui donner plus de poids et y faire entrer les idées principales de l'Einleitung » de la version allemande. Alix Guillain, la compagne de l'auteur, porte un jugement positif sur cette nouvelle mouture : Moi je trouve que c'est bien maintenant qu'à côté de la silhouette du bourgeois tel que le voit Groet, on comprend à quoi tend ce livre35. En témoignent les coupes qui ont été faites à la demande de l'éditeur : « Le Bourgeois se tasse », écrit significativement Bernard Groethuysen à Jean Paulhan, « mais comment réduire les jésuites. Nous en reparlerons »36. Nous avons d'ailleurs un bon exemple des coupes effectuées lorsqu'on compare la première version de la lettre-préface à Jean Paulhan parue dans la Nouvelle Revue française en 1926 et le texte définitif publié dans les Origines en 1927. Toute une partie de la démonstration se fonde sur les Pensées de Pascal ; elle vise à démontrer que le bourgeois est davantage l'homme du « je suis », du « moi qui se réveille et qui agit, qui demeure dans un moment présent et se circonscrit dans l'espace », que l'homme « abîmé dans l'infinie immensité des espaces » ; or elle a disparu dans l'édition définitive, et cette coupe rend d'ailleurs difficilement compréhensible l'épigraphe de Hamlet « Perchance to dream », précédant la préface37. À l'inverse, la version allemande de l'ouvrage, qui a été en partie rédigée après la française, est d'emblée pensée comme différente : elle est publiée chez l'éditeur universitaire Niemeyer à Halle dans la collection « Philosophie et sciences humaines » dirigée par Erich Rothacker et où a déjà paru la correspondance échangée entre Dilthey et le comte Yorck von Wartenburg. Groethuysen choisit donc délibérément de s'inscrire en Allemagne, dans la continuité d'une tradition philosophique, celle de Dilthey, et ce n'est sans doute pas par hasard qu'il le cite dès les premiers mots de l'avant-propos de l'édition allemande : « L'homme se reconnaît seulement dans l'histoire jamais dans l'introspection »38. Dans cette perspective, « il ne peut en aucun cas s'agir d'une simple traduction »39 ; Bernard Groethuysen souhaite que l'on inscrive sur la page de titre « édition allemande » et veille à ce que l'édition française ne soit pas connue du cercle de ses amis et connaissances en Allemagne. La préoccupation est d'abord éditoriale, afin de ne pas léser par une concurrence déloyale l'éditeur allemand40, mais elle n'est sans doute pas totalement dépourvue d'arrières pensées de stratégie universitaire. Quoi qu'il en soit, c'est à cet écart entre les horizons d'attente français et allemand que nous devons deux livres différents, car l'édition allemande se caractérise par un appareil de notes impressionnant, certaines de ces notes pouvant atteindre plusieurs pages, et constituant en elles-mêmes de véritables démonstrations41. 13 Une dernière remarque préliminaire doit être faite sur la méthode d'exposition choisie par Bernard Groethuysen : il procède délibérément par accumulation de citations et c'est sans doute ce choix qui, aux yeux de Lucien Febvre, rendait « son bouquin […] illisible, sans portée, sans vie, sans accent »42. C'est en fait méconnaître complètement la manière dont Bernard Groethuysen conçoit la rédaction d'une œuvre historique. La mise en correspondance des documents – qu'il s'agisse de faire ressortir leur proximité ou au contraire leur opposition – vise à dégager les rapports structurels d'ensemble qui caractérisent une époque. C'est à travers les relations établies entre les textes qu'émergent les significations : la reconstruction de l'esprit d'une époque passe fondamentalement, selon l'auteur, par ce type d'exploitation des sources43. De ce point de vue, Bernard Groethuysen reste fidèle à la conception de l'histoire de son maître

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Dilthey, telle qu'il l'a d'ailleurs présentée dès 1912 dans un recueil dirigé par Charles Andler : Sa méthode à lui consisterait à rechercher l'ensemble d'une période donnée, l'esprit du temps, si on veut, pour interpréter les données individuelles de cette même période. Il se sert de toutes les données d'une époque pour les interpréter l'une par l'autre ; le philosophe lui fait comprendre le poète, et vice versa, le génie religieux se reflète dans l'artiste, l'art et la religion s'expliquent mutuellement ; la politique ne se conçoit qu'au moyen des idées que nous trouvons dans la science, la science ne peut être envisagée qu'en tenant compte des données sociales. La synthèse historique seule peut nous faire connaître ce qui fait le fond même des diverses productions de la même époque. Sans doute, il y a là comme un cercle vicieux, puisque l'esprit d'un temps ne peut se concevoir qu'au moyen de l'analyse des productions individuelles ; mais ce cercle se résout, dans la pratique, par les efforts continuels que fait l'historien en remontant de l'individu à l'esprit général, pour revenir ensuite à l'individu et pour interpréter son caractère particulier par des vues d'ensemble ; ce sont ces efforts toujours renouvelés qui constituent comme l'essence de la méthode de M. Dilthey44. 14 Là où Bernard Groethuysen se différencie de Dilthey, c'est dans le choix des sources retenues : il ne se satisfait pas que cette histoire de l'esprit soit écrite à partir des seuls « créateurs intellectuels » ou des « représentants de certains cercles littéraires ou artistiques cultivés, par définition restreints, qui semblent incarner l'homme « moderne » dans divers changements », alors que ceux qui forment « la masse » « semblent du point de vue d'une histoire de l'esprit considérés comme « anhistoriques » ; ils se trouvent hors du devenir historique, du développement d'une histoire de l'esprit »45. Dans cette perspective le choix de la France et d'une période, celle qui précède la Révolution française, est tout autre que fortuit : c'est en effet en France que « l'esprit bourgeois s'est imposé et a transformé de lui-même avec une personne souveraine les rapports politiques et sociaux » ; surtout [...] il n'existe pour aucune autre époque que justement celle de la Révolution d'aussi nombreux documents dans lesquels ceux qui ordinairement ne portent pas à l'expression leurs pensées dans une quelconque forme déterminée se soient manifestés. Ici, plus que jamais ailleurs, la masse ordinairement muette est venue à la parole et ce qu'elle exprime nous sert ensuite de nouveau à comprendre aussi le passé46. Voilà donc justifiés épistémologiquement le temps et l'espace retenus pour l'enquête : ceux-ci sont particulièrement opportuns pour l'élaboration d'une histoire « anonyme » de l'esprit telle que la souhaite Bernard Groethuysen. C'est d'ailleurs cette mise côte à côte de témoignages issus non seulement de grands écrivains mais aussi de plus modestes curés de campagne qui a été immédiatement soulignée par les commentateurs parce qu'elle tranchait, dans sa recherche de la source « banale », avec l'histoire philosophique ou littéraire47.

Le corpus des sources de Bernard Groethuysen

15 Si l'on examine plus précisément le corpus où puise l'auteur, force est de reconnaître qu'il n'utilise qu'exceptionnellement des sources d'archives : trois mentions seulement des papiers du Comité ecclésiastique de la Constituante conservés aux Archives nationales, ainsi que, dans l'édition allemande, une référence à un manuscrit de la bibliothèque municipale de Caen48. Ces éléments renvoient sans doute à des dépouillements faits dès avant la guerre de 1914-1918, au moment où la Révolution

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française était effectivement au centre des recherches de Bernard Groethuysen mais il est vrai que les brochures, les discours ou les pamphlets révolutionnaires n'avaient guère leur place dans le volume précis que constitue les Origines de l'esprit bourgeois. Une autre absence remarquable est la faible représentation de la bibliographie contemporaine de son sujet, à peine davantage citée dans l'édition allemande que dans l'édition française. L'auteur utilise la thèse, parue en 1874, d'Anatole Feugère sur Bourdaloue (cinq mentions dans chacune des éditions)49, celle de Jules Candel sur Les Prédicateurs français dans la première moitié du XVIIIe siècle, publiée en 1904 et celle d'Antoine Bernard sur Le Sermon au XVIIIe siècle : étude historique et critique sur la prédication en France de 1715 à 1789 éditée en 1901. Ces deux dernières lui ont fourni une ample moisson de sermonnaires, précieux répertoire de sources imprimées où il est allé directement puiser50. Mais l'optique choisie par Jules Candel était radicalement différente de celle de Bernard Groethuysen. Il s'agissait pour lui de faire « une étude littéraire de l'éloquence religieuse au commencement du XVIIIe siècle » : en conséquence il décide de comprendre dans celle-ci « des prêcheurs, même mondains, qui ne furent pas dépourvus de talent » mais d'exclure des sermonnaires, même pieux, qui ont trop dédaigné ou trop méconnu « l'art », ainsi les missionnaires qui « en général ne se mettaient pas en frais de littérature ou d'élégance », car « ils avaient de plus pressants devoirs et de plus graves soucis »51. La thèse de Jules Candel se veut donc d'abord une analyse des prédicateurs érigés au statut d'écrivains et classés par catégories (oratoriens, religieux, séculiers, jésuites) ; elle condamne en revanche sans appel des auteurs repérés et cités par Bernard Groethuysen, ainsi l'abbé Poulle, prédicateur du roi, ou le carme Élisée désignés comme de [...] pauvres théologiens qui mèneront ou qui mènent déjà grand bruit dans les chaires, ont abusé de ces outrances, et il faut lire dans La Harpe la critique judicieuse de leurs excès52. Un jugement basé sur la qualité « littéraire » des écrits préside ici au tri des auteurs retenus ou rejetés. Ce n'est évidemment pas la logique adoptée par Bernard Groethuysen, même si ce dernier a pu acquiescer aux hypothèses de son prédécesseur sur l'évolution de la prédication depuis Massillon lorsqu'il estime que [...] l'habitude de « moraliser » à tout propos, de faire de la morale l'essentiel de la prédication préparera la suppression du dogme, matière non moins essentielle cependant de l'éloquence religieuse et l'habitude de « raisonner » sur la morale, conduira par degrés à la morale « indépendante »53. La quasi-absence de références à des ouvrages contemporains ne veut pas dire que Bernard Groethuysen ne les connaît pas : mais ceux-ci lui ont surtout servi de répertoires où constituer son corpus ou puiser des citations. 16 Dresser un arbre chronologique de celles-ci est une entreprise hasardeuse pour une double raison. La première est que l'auteur se préoccupe peu du statut de l'édition qu'il utilise et emprunte, sans état d'âme particulier, les extraits qu'il cite à des éditions fort différents d'un même auteur : le cas est patent pour l'un des auteurs les plus fréquemment invoqués, Nicole, pour lequel il se réfère à au moins cinq éditions54, mais on pourrait faire des remarques analogues à propos de Pasquier Quesnel ou de l'abbé Duguet. L'auteur ne se soucie à aucun moment de choisir une première édition ou de retracer l'histoire d'un texte dans ses versions successives comme il aurait pu le faire à propos du Nouveau Testament en françois avec des réflexions morales du Père Quesnel 55. Tel n'est pas son propos. Au delà du fait que les disparités repérées dans les éditions utilisées renvoient peut-être tout simplement aux exemplaires disponibles dans les

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bibliothèques où l'auteur a travaillé, cette indifférence tient aussi au fait que l'auteur prend l'ensemble de la période considérée (deuxième moitié du XVIIe et XVIIIe siècle) comme un bloc : la réédition des mêmes textes, traduisant la persistance du succès, lui paraît sans doute renforcer cette hypothèse de départ56. De surcroît – et c'est la seconde raison que nous voudrions souligner – Bernard Groethuysen privilégie dans ses sources les encyclopédies ou les répertoires de sermons destinés à aider curés, vicaires et desservants dans leur tâche. Ces recueils de lieux communs qui évitent à leurs lecteurs d'être obligés d'aller directement chercher les sources de leur prône représentent, par définition, une fixation des sermons prononcés au cours des décennies précédentes et ne représentent pas, à la date où ils paraissent, une innovation dans le genre littéraire auquel ils se dédient.

17 Tel est le cas par exemple de la Bibliothèque des prédicateurs du Père jésuite Vincent Houdry, parue en vingt volumes in quarto de 1712 à 1724, le tome XVI « contenant trois tables pour faciliter l'usage de tout l'ouvrage et les tomes XVII à XX étant constitués d'additions et de suppléments. L'ambition du livre est de permettre à un possesseur de « se passer de tous les autres » et il est d'ailleurs un bon témoignage de la prépondérance des sujets de morale dans la prédication puisque les huit premiers volumes de la collection y sont consacrés. Pour faciliter l'utilisation, les sujets sont classés par ordre alphabétique et, pour chaque sujet, le prédicateur, en mal de sermon à prononcer, trouvera 1o) […] un grand nombre de desseins sur les sujets qu'on aura à traiter : et il est bien difficile que dans cette multitude, on n'en trouve quelqu'un qui accommode ; outre qu'on pourra se servir des autres comme de preuves, de raisons, et de divisions pour remplir celui qu'on aura choisi ou que ceux qu'on suggère auront fait naître. 2o) Comme l'Écriture est le principal fondement sur lequel un prédicateur doit établir les vérités qu'il avance, on lui en fournit les passages les plus formels et les plus précis, les exemples de l'Ancien Testament, les applications de quelques autres passages pour servir d'ornement ou d'amplification à un discours qui doit être tout chrétien. 3o) Il y trouve les pensées et les passages des Pères, pour autoriser ce qu'il aura avancé, on lui indique même les autres livres et les auteurs qui ont traité ce même sujet afin qu'il les puisse consulter. 4o) On lui donne en abrégé le sentiment des théologiens, parce qu'un discours ne peut manquer d'être solide, quand il est soutenu par un raisonnement tiré de la théologie, mais traité en orateur. 5o) On lui propose enfin à imiter les endroits choisis des livres spirituels et des prédicateurs modernes dans une juste étendue. Voilà, me semble-t-il, tout le secours que peut souhaiter un prédicateur qui veut prêcher à la manière de ce temps57. 18 Ce guide du parfait prédicateur se présente donc comme un vaste choix de textes antécédents, de l'Écriture aux prédicateurs contemporains, qui sont autant de ressources où l'orateur peut puiser à son gré. L'auteur reconnaît que, dans les extraits d'auteurs spirituels ou de prédicateurs cités, il n'a pas hésité à ajouter quelques mots ou quelques lignes, à changer les expressions : il s'agissait de disposer, polir et ajuster ces textes « pour les accommoder au sujet dont il s'agit ». Par ailleurs, il emprunte à des prédicateurs ou à des auteurs janséniste mais il avoue avoir [...] supprimé à dessein le nom de quelques uns, dont les ouvrages étant décriés n'auraient servi qu'à décrier le mien. Que si l'on m'objecte la même raison que je ne devais pas en extraire des endroits qui pourraient faire naître l'envie de les connaître et de les lire, avec danger de passer de l'estime des auteurs à l'estime de

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leur doctrine. Qui peut trouver mauvais que j'aie tâché d'orner le tabernacle des dépouilles d'Égypte ? Et pour précaution d'être infecté du danger de leurs erreurs, n'en est-ce pas assez une assez bonne que de les laisser inconnus ?58 19 La vieille pratique de la censure jésuite – s'emparer des « dépouilles d'Égypte »59, tout en en cachant l'origine au lecteur, débouche ici sur un anonymat qui ne pouvait que séduire Bernard Groethuysen dans son propre propos. La Bibliothèque des prédicateurs n'est évidemment pas la seule collection ou encyclopédie où il puise. Le Dictionnaire apostolique à l'usage de MM. Les curés des villes et de la campagne qui se destinent à la Chaire, publié en treize volumes de 1752 à 1758 par le Père Hyacinthe de Montargon, augustin du couvent de la place des Victoires à Paris, répond exactement aux mêmes objectifs : Un curé éloigné des villes, réduit à la portion congrue, est totalement hors d'état de se procurer les livres qui lui seraient nécessaires pour l'aider à la composition des prônes et des instructions qu'il doit faire au troupeau qui lui est confié. De toute façon, les ecclésiastiques, même pourvus de livres, ont, aux yeux de l'auteur de ce nouveau recueil, un « temps trop partagé entre la visite des malades, l'instruction des enfants, le tribunal de la pénitence et l'administration des sacrements » pour se livrer à la recherche des sources destinées à nourrir leurs prônes. Tout en se fondant sur la connaissance « des meilleurs ascétiques et de presque tous les sermonnaires tant anciens que modernes », sur « un bon fonds de sermons manuscrits de plusieurs grands prédicateurs, qui ont fait l'ornement du siècle passé », sur une bonne partie de ses propres sermons, l'auteur affirme vouloir puiser dans les « nouvelles sources » : Ce que j'aurai recueilli sera toujours trouvé bon ; avantage que j'aurai sur ceux qui, avant moi, ont travaillé en ce genre, et dont les recueils, quoiqu'instructifs, bons et édifiants d'eux-mêmes, ne sont plus guère du goût de notre siècle. Le recueil du Père de Montargon, qui ne vise à aucune originalité par rapport à celui du Père Houdry, entend seulement, à travers les plans raisonnés de sermons qu'il propose, ajuster les modèles à l'air du temps60, de telle sorte que son lecteur puisse se les approprier et les adapter à son propre usage pour produire « des beautés du goût de notre siècle »61. La prédilection de Bernard Groethuysen pour ce type de collection – nous aurions pu aussi bien citer le recueil de l'ex-oratorien Pons-Augustin Alletz62 – n'est pas fortuite : plus encore que les œuvres individuelles, elles expriment bien, dans le rassemblement qu'elles opèrent, l'expérience « anonyme » qu'il s'agit de dégager. 20 Les mêmes remarques pourraient être étendues aux dictionnaires et aux encyclopédies du XVIIIe siècle que Bernard Groethuysen a consultés : l'utilisation et la comparaison systématiques d'articles concernant les mêmes notions permet à l'auteur d'atteindre, là aussi, à une certaine expérience « anonyme », les définitions recueillies concentrant en quelque sorte dans leurs formules ramassées un Zeitgeist spécifique. C'est ainsi que, si l'on se base, cette fois, sur l'édition allemande, il recourt pour l'article « Foi » au Dictionnaire théologique portatif Pons-Augustin Alletz (1756), au Dictionnaire de théologie de l'abbé Nicolas Sylvestre Bergier (1789-1792) et au Dictionnaire antiphilosophique de dom Louis Mayeul Chaudon et François Coget ; pour les articles « Hommes », « Richesses » et « Superstition » au Dictionnaire philosophique de Voltaire et à l'Alambic moral de Augustin Rouillé d'Orfeuil. La présence de Voltaire doit d'ailleurs être ici relevée : alors qu'il est totalement absent de l'édition française, Bernard Groethuysen emprunte des extraits à vingt-et-un articles différents du Dictionnaire philosophique dans l'édition allemande. Il s'agit, là encore, de saisir à travers l'œuvre du philosophe un « air du temps », plutôt que d'aller y chercher une argumentation : pour toutes les raisons théoriques que l'auteur a indiquées dans l'avant-propos de l'édition allemande – le monde du bourgeois n'est pas le monde des philosophes – les textes extraits des philosophes du

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XVIIIe siècle ont été, par principe, quasiment exclus de cet ouvrage. On ne compte dans l'édition française qu'une seule citation de Montesquieu et une autre de Vauvenargues alors que Bernard Groethuysen a consacré ailleurs aux philosophes français du XVIIIe siècle de très nombreuses pages et que leur réflexion constitue en réalité la toile de fond sur laquelle le livre est construit63.

21 Dans les comptages qui vont être présentés maintenant sur l'édition française, nous avons délibérément retenu la première édition de l'ouvrage afin de le replacer dans son contexte historique précis. Nous avons en même temps opéré des coupes chronologiques au sein du corpus retenu par Bernard Groethuysen. Toute date charnière est par définition arbitraire mais il nous a semblé que la date de la bulle Unigenitus (1713) d'une part, l'expulsion des jésuites du royaume (1764) constituaient l'une et l'autre, étant donné les intérêts manifestés par l'auteur dans son étude, de bons repères. L'entier corpus des textes cités se trouve ainsi distribué en trois périodes : avant 1713, 1714-1763, à partir de 1764, la littérature secondaire contemporaine en étant exclue sauf s'il s'agissait de citations faites de seconde main64. Au total, Bernard Groethuysen travaille à partir de cent vingt-huit auteurs différents dont il fait huit cent dix-sept citations. La quasi totalité d'entre eux – cent vingt-et-un – sont des auteurs individuels, mais le petit nombre des ouvrages collectifs (parmi lesquels les Nouvelles ecclésiastiques, les Mémoires pour servir à l'histoire des sciences et des arts plus communément désignés sous le nom de Mémoires de Trévoux, les Hexaples) fournit cependant 9,3 % du corpus des citations65. L'une des premières surprises de ces comptages globaux est de découvrir que les prédicateurs ne forment que 17 % des auteurs utilisés (vingt-deux auteurs) et que les citations de leurs sermons ne constituent qu'un tiers de l'ensemble des textes. Il est vrai que ce corpus est sans doute le plus cohérent et le plus visible parmi les citations de Bernard Groethuysen : il est donc normal qu'il ait frappé la plupart des recenseurs du livre. Il n'en reste pas moins qu'il est globalement minoritaire. Lorsqu'on examine la distribution des citations entre les périodes, on constate que la période la plus proche de la Révolution française (à partir de 1764) est celle qui recueille le plus grand nombre de citations (trois cent deux soit 37 %) alors que la période antérieure à 1714 n'en rassemble qu'un peu plus du quart (deux cent vingt-trois soit 27 %). En revanche, les prédicateurs sont plus également répartis entre les trois périodes (autour d'un tiers pour chacune) : il est vrai que le seul abbé Réguis compte pour plus de la moitié des citations de la dernière période (quarante-neuf citations sur quatre-vingt-dix au total). Cette distribution plus égale des sermons (qui représentent même 36,5 % de l'ensemble avant 1714) explique qu'ils pèsent beaucoup plus lourd dans l'ensemble des citations antérieures à 1714 – 44 % soit près de la moitié – alors qu'ils se trouvent réduits à moins de 30 % au cours des deux autres périodes. 22 Ces résultats globaux se nuancent dès lors que l'analyse descend au niveau de chaque chapitre, même s'il convient de souligner d'emblée que les citations sont très inégalement réparties selon les chapitres : celui sur « La mort » en comporte cent quarante et une, celui sur « L'Église et le capitalisme » cent trente-deux ; à l'inverse la quatrième partie de l'introduction intitulée « Prêtres et laïcs » n'en contient que dix- neuf et le chapitre sur « L'Église et les classes sociales » vingt-huit seulement66. De la distribution que l'on peut établir entre les diverses citations, plusieurs enseignements se dégagent. Le premier est que l'argumentation de Bernard Groethuysen puise à une chronologie extrêmement variable, alors que nous avons constaté au niveau global un

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certain équilibre entre les périodes. Sans doute des chapitres comme celui sur « L'aumône » et, dans une moindre mesure, celui sur « La mort » puisent-ils de manière quasi équivalente leurs citations à des auteurs de chacune des trois périodes que nous avons délimitées. À l'inverse, le chapitre consacré à « L'Église et aux classes sociales » comporte douze citations de Bossuet et six de Massillon sur un total de vingt-huit citations ce qui laisse peu de place aux textes postérieurs à l'expulsion des jésuites. En revanche, quatre chapitres sont majoritairement fondés sur des auteurs de la fin du XVIIIe siècle : les troisième et quatrième parties de l'introduction (« La bourgeoisie et le pape », « Prêtres et laïcs) et dans la seconde partie les chapitres sur « L'Église et le capitalisme » et sur « L'ordre bourgeois » : le chapitre sur « L'Église et le capitalisme » comporte à peine plus de 10 % de citations antérieures à 1714. Enfin deux chapitres empruntent significativement l'essentiel de leurs citations à la période la plus marquée par les vifs débats entre janséniste et jésuites : ceux sur « L'idée de Dieu » (59,8 % de textes empruntés à la période 1714-1763) et sur « L'idée de péché » (44,8 %). Les moyennes globales masquent donc des disparités fondamentales et Bernard Groethuysen a visiblement abordé chaque thème ou sujet selon une chronologie spécifique, sans que cette variabilité lui pose problème. 23 Un second enseignement peut être tiré de la distribution des citations : les sources mobilisées sont extrêmement différentes selon le sujet étudié. Globalement, nous l'avons vu, les sermons ne représentent qu'un tiers des citations : ils sont cependant majoritairement appelés en renfort dès qu'il s'agit de la mort ou de l'aumône ou lorsque l'auteur traite de « L'ordre bourgeois » ; en revanche ils sont quasiment absents des chapitres sur « L'idée de Dieu », « L'idée du péché », ou sur « L'Église et le capitalisme ». C'est que ces chapitres empruntent leurs arguments ailleurs : le chapitre sur « L'idée de Dieu » puise majoritairement son inspiration dans la littérature théologique et spirituelle mais aussi polémique issue de la controverse qu'a suscitée la promulgation de la constitution Unigenitus. On y dénombre vingt-quatre citations des Hexaples, ce volume rédigé collectivement dans l'académie théologique qu'est alors le séminaire oratorien de Saint-Magloire à Paris, pour défendre par des passages des Pères et des Écritures les cent une propositions du Nouveau Testament en françois avec des réflexions morales du Père Quesnel condamnés par la bulle papale 67 ; on y compte également quatorze citations (sur dix-sept au total dans l'ouvrage) tirées des œuvres de Charles-Joachim Colbert, l'évêque janséniste de Montpellier, neuf de Pasquier Quesnel sans oublier celles, moins nombreuses, d'Antoine Arnauld, Jean Soanen, François Philippe Mesenguy. C'est à cette même littérature que le chapitre suivant sur « L'idée de péché » emprunte son arsenal de citations tirées de trente-sept auteurs différents : onze tirées des Hexaples, onze encore extraites des Nouvelles ecclésiastiques le journal janséniste, auxquelles on peut en ajouter deux autres tirées des Discours sur les « Nouvelles ecclésiastiques » de l'abbé Jacques Fontaine de La Roche, huit d'Antoine Arnauld, cependant que Nicole, l'abbé Duguet, Pasquier Quesnel, Charles-Joachim Colbert fournissent, eux aussi, leur lot de textes ; mais cette fois sont bien présents aussi les représentants du camp opposé, c'est-à-dire au premier chef les jésuites avec le Père Dominique Bouhours, l'Apologie de Cartouche ou le Scélérat justifié par la grâce du Père Quesnel du Père Louis Patouillet édité en 1731, ou bien encore la Nouvelle défense de la constitution de N.S.P. le Pape portant condamnation du « nouveau Testament du P. Quesnel » due à l'abbé Claude Le Pelletier, docteur en théologie et parue dès 1715 : avec ces textes, c'est toute la controverse entre janséniste et jésuites qui est mise à contribution68. Quant au chapitre sur « L'Église et le capitalisme », il prend l'essentiel de son

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information dans les ouvrages de théologie morale ; aussi bien les Réflexions chrétiennes sur divers sujets de morale (1708) du Père jésuite Jean Croiset et son Parallèle des mœurs de ce siècle et de la morale de Jésus-Christ (1727) – au total vingt citations de cet auteur sur les vingt-sept que contient l'ensemble de l'ouvrage – ou encore L'Usure démasquée (1766) du capucin Hyacinthe de Gasquet qui dans ses missions marseillaises condamnait violemment le prêt à intérêt (dix-neuf citations), que les réflexions des théologiens janséniste comme le Traité de l'usure de Dom Louis Bulteau réédité en 1720, la Théorie de l'intérêt de l'argent de l'abbé Pierre Rulié (1780) ou la réfutation de cet ouvrage faire par l'abbé Jean-Baptiste Barthélémy de La Porte et Gabriel Nicolas Maultrot et parue en 1781, Le Défenseur de l'usure confondu69. Mieux que ne l'exposait l'avant-propos de l'édition allemande, les comptages nous découvrent donc une typologie extrêmement variée de sources. 24 Un troisième enseignement peut être tiré de ces dénombrements. Outre le fait que le nombre des auteurs mobilisés à l'appui de la démonstration est extrêmement différent selon les chapitres70, le nombre de citations qui leur sont empruntées varie considérablement : si la présence des sermons a tant frappé les recenseurs du livre, c'est que les prédicateurs sont en moyenne dans de très nombreux chapitres cités de trois à quatre fois et parfois beaucoup plus : dans le chapitre sur « La mort », on compte dix citations de Bossuet, huit de Massillon, sans compter dix-sept du recueil du Père Houdry et huit de celui du Père Hyacinthe de Montargon qui, il est vrai, sont empruntées à des prédicateurs différents71. Il y a là un effet de masse immédiatement repérable. Du côté des autres genres littéraires utilisés par l'auteur, on ne rencontre ce type de citation – que l'on pourrait qualifier d'« intensive » – que dans les parties de l'introduction sur « Le simple fidèle » et « Les gens éclairés » qui s'appuient très largement sur Le Spectacle de la Nature de l'abbé Pluche (1732, au total treize citations)72, dans le chapitre sur « L'Église et le capitalisme » où les ouvrages de théologie morale sur l'usure sont abondement cités (en moyenne près de six citations par auteurs), ou dans celui sur « L'idée de Dieu » où, on l'a vu, les ouvrages théologiques nés de la controverse autour de la Constitution Unigenitus ont été fortement mis à contribution. Dans tous les autres cas, les citations de chaque auteur excèdent rarement la paire. Nous sommes donc en présence de deux régimes de citation assez différents, et c'est ce qui explique aisément que dans le « palmarès » des auteurs les plus cités que l'on peut dresser, les orateurs viennent au premier rang ; parmi les onze auteurs qui recueillent chacun plus de vingt citations et en rassemblent au total trois cent quarante-six, cinq prédicateurs – François-Léon Réguis, Jacques Bénigne Bossuet, Jean-Baptiste Massillon, Louis Bourdaloue et la Bibliothèque du Père Vincent Houdry – en réunissent à eux seuls cent soixante-dix soit à peu près la moitié. Significativement, les autres auteurs privilégiés par Bernard Groethuysen appartiennent à la littérature spirituelle ou polémique née de la querelle janséniste : les Essais de morale de Nicole, les Hexaples du groupe des théologiens du séminaire Saint-Magloire, les Nouvelles ecclésiastiques, ou à l'inverse les ouvrages du jésuite Jean Croiset, et L'Usure démasquée du fougueux capucin Hyacinthe de Gasquet. 25 Il reste à s'interroger sur les différences qui séparent les deux éditions de l'ouvrage : le texte germanique ne serait-il qu'une version légèrement amplifiée de l'édition française parue dans la « Bibliothèque des idées » ? Plusieurs éléments invitent à répondre à cette question par la négative. Tout d'abord un certain nombre d'auteurs, totalement absents de la publication française apparaissent de manière substantielle dans l'édition parue à Halle. On a évoqué plus haut la présence de Voltaire (vingt-sept

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citations) ; mais il faut mentionner aussi celle du Précis de l'organisation ou Mémoire sur les Etats provinciaux du marquis de Mirabeau et François Quesnay (1750), de la Noblesse commerçante (1756) et du Plan d'éducation publique (1770) de l'abbé Coyer ou l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux-Indes de Guillaume-Thomas-François Raynal (1783). Il y a là le recours à toute une littérature philosophico-politique, compagne habituelle des travaux de l'auteur. Il convient également de citer les Mémoires de Saint-Simon (vingt-et-une citations), source inépuisable dès lors qu'il s'agit d'analyser la morale du gentilhomme courtisan73 : on ne saurait à cet égard oublier que la recherche de Bernard Groethuysen est pratiquement contemporaine des premiers travaux de Norbert Elias sur la société de cour et la civilisation des mœurs. On pourrait encore y joindre l'apparition des Caractères de La Bruyère (dix citations), appelé à la rescousse à propos de la cour et des grands seigneurs, mais aussi pour ses réflexions sur la chaire, les esprits forts ou libertins, les biens de fortune74. Mais ce qui frappe le plus est l'émergence d'auteurs janséniste, comme le prieur de Palaiseau Joseph Lambert, dont les Instructions courtes et familières enseignent une morale aux pauvres de la compagnie : leur ton direct et sans emphase a dû séduire Bernard Groethuysen à la recherche de documents les plus proches d'une expérience vécue (neuf citations)75. 26 Cette montée des auteurs janséniste est encore plus nette lorsque l'on compare le nombre des citations utilisées dans les deux éditions. Pierre Nicole, cité vingt-neuf fois dans l'édition française, voit son score plus que quadrupler dans le texte allemand ; il en va de même pour Pasquier Quesnel qui passe de seize à soixante-douze citations, pour l'abbé Jean-Joseph Duguet dont les extraits montent de cinq à vingt-quatre ou pour les Nouvelles ecclésiastiques qui doublent leur score initial (de vingt-neuf à soixante- quatre)76. Dans le camp des adversaires des janséniste, le jésuite Louis Bourdaloue reçoit semblable hommage puisque ses sermons cités vingt et une fois dans l'édition française le sont soixante-quinze fois dans le texte germanique. À leur échelle, les comptages globaux indiquent une modification majeure dans l'axe de l'œuvre. Alors que le conflit entre janséniste et jésuites, bien présent dans l'édition française, a cependant été réduit considérablement, il constitue le cœur de la démonstration de l'édition allemande. En font foi au moins trois éléments. Dans le chapitre III du tome I, on compte cent dix-sept citations d'auteurs janséniste sur cent quatre-vingt-quinze extraits, soit 60 %. Ensuite, dans le tome II, le troisième chapitre « Les théologiens comme éducateurs de la bourgeoisie » (p. 48-83) n'existe que par bribes infimes dans l'édition française : or, c'est celui qui oppose terme à terme les visions janséniste et jésuites de la conduite morale de l'homme. Sur les cent vingt-sept citations qu'il comporte, soixante-cinq (soit 51,2 %) proviennent d'auteurs janséniste, au tout premier chef Nicole (cinquante-deux citations soit à peu près 40 % des extraits de cet auteur dans tout l'ouvrage) et Quesnel (dix citations), trente-deux soit le quart d'auteurs jésuites où la part prépondérante revient à Bourdaloue (vingt-trois citations) : plus des trois quarts des citations reposent donc ici sur une scénographie qui met face à face les protagonistes de la querelle qui traverse l'entier XVIIIe siècle. En témoignent également les très longues notes qui explicitent les enjeux des débats entre janséniste et jésuites. Il y a là un déplacement d'accent essentiel qui codifie en profondeur la signification de l'ouvrage. Le propos de Bernard Groethuysen, ce faisant, n'est pas de présenter les janséniste comme de simples opposants et les jésuites comme de fidèles promoteurs de la casuistique et du probabilisme. Ce qui l'intéresse c'est, par exemple, la manière dont les jésuites mettent en lumière une morale sociale positivement orientée et donnant un

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sens à la vie économique moderne. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ses auteurs préférés sont d'un côté le jésuite Bourdaloue, de l'autre Nicole qui à ses yeux offrent « de vigoureux éléments d'une morale de la classe moyenne urbaine »77. 27 La réception du livre de part et d'autre du Rhin marque que ces différences ont bien été perçues. À part celle de Jean Bruhat78, les recensions parues dans les revues françaises sont quasi-muettes sur l'opposition entre janséniste et jésuites. À l'inverse, les comptes-rendus allemands ont bien perçu l'aspect central du débat qui oppose les visions du monde janséniste et jésuite dans la démonstration de Bernard Groethuysen79. On a bien là le témoignage que ce sont deux livres différents offerts à deux publics distincts. 28 Il est temps de revenir à l'un des auteurs préférés de Groethuysen, François-Léon Réguis. Celui-ci est cité quarante-neuf fois dans l'édition française et cent fois dans l'édition allemande. C'est chez François-Léon Réguis que Bernard Groethuysen a trouvé l'expression la plus fortement structurée de cette opposition entre le peuple, « les humbles fidèles qui savent croire sans comprendre » et les « hommes nouveaux […] qui ont perdu le caractère de simples croyants […], qui raisonnent et veulent examiner avant de croire »80. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les citations les plus nombreuses de cet auteur se trouvent (par ordre décroissant) dans les chapitres « La bourgeoisie et le peuple », « Vie chrétienne et vie bourgeoise », « L'ordre bourgeois », « Prêtres et laïcs ». Pour François-Léon Réguis, en effet, Où la trouve-t-on, la belle et précieuse simplicité de la foi ? N'est-ce pas communément chez le peuple ? Il croit sans raisonner ce que ses pères ont cru, ce que ses pasteurs lui enseignent. Il ne dispute point sur le pourquoi et le comment ; il s'en tient à son catéchisme […]. Au lieu que vous, Monsieur, vous raisonnez à tort sur la religion et sur ses mystères81. Il n'est peut-être pas inutile d'esquisser la figure de ce pasteur dont nous ne savons malheureusement pas grand chose. Né à Barret-le-Bas dans le diocèse de Gap, il est ordonné prêtre sous l'épiscopat de Jacques-Marie de Caritat de Condorcet, évêque résolument antijanséniste qui passe sur le siège d'Auxerre à la mort de Mgr Charles de Thubières de Caylus en 1754 et va mener dans son nouveau diocèse un combat sans merci contre les janséniste, ses visites pastorales suscitant de véritables émeutes82, ce qui contraint Louis XV à l'exiler temporairement puis à le déplacer en 1761 sur le siège de Lisieux. Or c'est cet évêque qui a visiblement repéré le jeune Réguis, licencié en théologie, comme l'un des espoirs de son diocèse et l'appelle à la cure de Bonny-sur- Loire où il exerce de 1758 à 1765. Ce dernier revient alors dans sa paroisse natale où il a été nommé curé et où il exerce jusqu'en 1773 mais il devient ensuite curé de Notre- Dame du Hamel dans le diocèse de Lisieux, et l'on est en droit de penser une fois de plus que Mgr de Condorcet n'est pas étranger à cette nomination83. L'expérience auxerroise de ce curé est toute autre qu'ordinaire. Dans ce diocèse s'effectue, au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, une mutation essentielle où l'unanimité des comportements de l'ancienne chrétienté rurale se brise en une série de conflits à propos de l'administration des sacrements : la religion du terroir s'effrite et l'on voit émerger dans les paroisses la constitution de partis antagonistes. Ce schéma, que Philippe Boutry a bien décrit pour la fin du XIXe siècle dans le diocèse de Belley84, est déjà présent mutatis mutandis dans l'espace auxerrois un siècle plus tôt : lieu de migrations temporaires rurales comme aussi de migrations vers la capitale, l'Auxerrois est un espace où non seulement circulent intensément les rumeurs orales mais aussi des écrits et tout particulièrement les livrets de la « Bibliothèque bleue » et les

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brochures janséniste par l'intermédiaire de colporteurs et de marchands roulants forains. Les migrations vers la ville ont, semble-t-il, distendu les liens de dépendance, qu'ils soient familiaux ou religieux, et le passage à la ville a individualisé les conduites. C'est de cela d'abord que l'abbé Réguis est témoin depuis l'observatoire de sa cure. Parce que le débat se déroule à la fois sur trois plans ecclésiastique – le diocèse d'Auxerre voit se développer un jansénisme presbytéral favorable à la pratique du délai d'absolution face à des missionnaires jésuites exerçant leur activité aux frontières de celui-ci – politique et pratique, l'ancienne doctrine se fragmente alors en opinions plurielles : le conflit théologique s'est ici démocratisé et l'autorité publique du curé, son magistère s'en trouvent discrédités85. C'est à une modification du statut du religieux qu'assiste l'abbé Réguis, et il est bon témoin de cette évolution lorsqu'il dénonce « la liberté de penser, de raisonner, même d'écrire en matière de morale et de religion qui est portée aujourd'hui à un tel excès qu'il y a presque autant de religions que de consciences » et lorsqu'il s'indigne qu'on puisse dire désormais « froidement que chacun a sa façon de penser »86. C'est tout le fonctionnement du langage qui a changé et l'abbé Réguis observe d'ailleurs que « le langage de la religion ne se trouve presque plus que dans les sermons, dans nos prières et dans les livres de piété »87. Sans doute le curé de la petite ville de Bonny-sur-Loire a-t-il été tout simplement sensible au fort écart qui sépare la « simplicité » religieuse de son ancienne paroisse rurale dans le diocèse alpin de Gap par rapport aux conflits qui traversent son nouveau lieu d'exercice, où son autorité a bien du mal à s'imposer. Bernard Groethuysen a bien perçu intuitivement la tonalité originale des sermons de l'abbé Réguis mais les conditions particulières de production des textes qu'il cite lui importent, au fond, fort peu, puisqu'il s'agit de mettre au jour l'idéal-type d'un esprit bourgeois anonyme. C'est peut-être cette cécité délibérée – située au cœur d'une méthode dont nous avons, par ailleurs, souligné la fécondité – qui nous éloigne aujourd'hui de lui.

NOTES

1. Bernard Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois en France, vol. I, L'Église et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, 1927, p. 8. 2. Ibid., p. 9. C'est justement le reproche que lui adresse Theodor W. Adorno dans le compte rendu qu'il fait, en 1932, de l'édition allemande : « L'analyse « anonyme » se tient encore complètement dans le cadre de la conscience, sans prendre l'être social – c'est-à-dire ici avant tout les rapports économiques de production – dans le contenu de l'analyse » (Theodor W. Adorno, Gesammelte Schriften, t. 20, Vermischte Schriften, Francfort, Suhrkamp, 4, 1986, 881 p., p. 205-211). Le compte rendu est d'abord paru en 1932 dans la Zeitschrift für Rechtsphilosophie in Lehre und Praxis, 6, p. 95-99. 3. C'est le sens de la préface de l'édition française qui prend la forme d'une lettre à son éditeur Jean Paulhan, p. VII-XIII. 4. Voir supra la contribution de Catherine Maire, « Aux origines de l'esprit bourgeois. Pour une relecture de Bernard Groethuysen », p. 9-32.

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5. Bernhard Groethuysen, Die Entstehung der bürgerlichen Welt – und Lebensanschauung in Frankreich, Bd. I, Das Bürgertum und die katholische Weltanschuung, Max Niemeyer, Tübingen, 1978, p. 241. 6. Ibid., p. 9-10. Traduction française par Alix Guillain « Expérience sociale et idéologie. Fragment inédit sur l'esprit bourgeois », Arguments, 4, no 20, 4e trimestre 1960, p. 55-58, p. 56. 7. Voir sur ce point Hans-Martin Lohmann, « Geschichten und Geschichte. Zu Bernhard Groethuysens ideologischen Frankreich-Studien », in Jürgen Sieß (dir.), Vermittler, Francfort-sur- le-Main, 1981 ; traduction française « Histoires et histoire. À propos des études de Bernard Groethuysen sur l'histoire des idéologies en France », Raison présente, n o 68, Figures de médiateurs. De l'Allemagne de Weimar à la France de la Ve, 1983, p. 27-41. 8. Hannes Böhringer, Bernhard Groethuysen. Vom Zusammenhang seiner Schriften. Mit einer ausführlichen Bibliographie, Berlin, Agora Verlag, 1978, 228 p., p. 76 9. Le registre B des lecteurs de la bibliothèque municipale de Rouen fournit une liste des lecteurs qui ont reçu l'autorisation d'emprunter des ouvrages. Au total, quinze lecteurs différents sont passés à la bibliothèque lors du séjour de Bernard Groethuysen. Sur onze professions indiquées, on compte six professeurs ou instituteurs, un lieutenant des douanes, un bibliothécaire, un avocat général et le secrétaire général de la mairie. Nous remercions Madame Marie-Dominique Nobecourt-Mutarelli, conservatrice à la Bibliothèque municipale de Rouen, qui a bien voulu nous indiquer l'existence de ce registre. 10. Georges Navel, Sable et limon [Paris, Gallimard, 1952], nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Gallimard, 1989, lettre de Bernard Groethuysen, à « cher Navel », Châtenay-Malabry, 26 avril 1935, p. 27-28. 11. Bernhard Groethuysen, Die Entstehung, op. cit., t. I, p. 13-14. 12. Id., Origines de l'esprit bourgeois, p. XII. 13. Compte rendu, par Daniel Halévy, des Origines de l'esprit bourgeois, vol. I, L'Église et la bourgeoisie, Nouvelle Revue française, t. XXIX, juillet-décembre 1927, p. 534-540, citation p. 536. Le recenseur (anonyme) du Supplément de la Revue de métaphysique et de morale, t. 40, avril-juin 1933, p. 8 reconnaît que le livre « est extrêmement curieux par l'ensemble des documents qu'il utilise et original par sa méthode ». 14. Groethuysen, Die Entstehung, op. cit., t. I, p. 243-244. 15. Ibid., t. I, p. 241-242. 16. Groethuysen, Die Entstehung, op. cit., t. I, p. 14. 17. Ibid., t. I, p. 8-10 ; traduction française par Alix Guillain, Arguments, t. 4, n o 20, 4e trimestre 1960, p. 56. 18. Max Weber, « Les fondements religieux de l'ascèse intramondaine », L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, suivi d'autres essais, édité, traduit et présenté par Jean-Pierre Grossein avec la collaboration de Fernand Cambon, Paris, Gallimard, 2003, LXV-531 p., citation p. 94-95. 19. Max Weber, « Ascèse et [esprit capitaliste] », op. cit., p. 197 20. Ibid, p. 198 et p. 204-205 21. Max Weber, « Ascèse et [esprit capitaliste] », op. cit., p. 199 note 199. 22. H. Karl Fischer, Max Weber, « La première controverse autour de L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme. Présenté et traduit de l'allemand par Jean-Pierre Grossein », Enquête, n o 5, Débats et controverses, 1997, p. 163-190, citation p. 182-183. 23. Max Weber, « Confession et stratification sociale », op. cit., p. 14. 24. Ernst Troeltsch, Gesammelte Schriften, t. IV, Aufsätze zur Geistesgeschichte und Religionssoziologie, Tübingen, J. C. B. Mohr, 1925, p. 329. Cette citation est extraite du texte « Das Wesen des modernen Geistes », paru en 1907, p. 297-338. 25. Lettre à G. Mayer, 20 novembre 1925 citée par Klaus Große Kracht, Zwischen Berlin und Paris : Bernhard Groethuysen (1880-1946). Eine intellektuelle Biographie, Tübingen, Niemeyer, 2002, p. 177.

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Bernard Groethuysen fait explicitement référence au quatrième volume des Gesammelte Schriften, « récemment paru ». 26. Hannes Böhringer, Bernhard Groethuysen, op. cit., p. 161, note 7 : lettre à Margerete Susman en date du 24 juin 1924. 27. Klaus Große Kracht, op. cit., p. 197-198, lettre datée du 27 juin 1925. La mère de l'auteur, dans une lettre, non datée, à une parente écrit : « C'est un grand ouvrage qui aura sept ou huit volumes et pour lesquels il est en train de continuer des recherches dans les bibliothèques et archives de France », ibid., p. 198, note 165. 28. Klaus Große Kracht, op. cit., p. 103-135. Voir supra l'article de François Chaubet, p. 57-71. 29. Ibid., p. 127. En 1920, Bernard Groethuysen se charge de la commande de livres allemands pour la bibliothèque de l'École normale. 30. Klaus Große Kracht, op. cit., p. 136-148. 31. « Il est tout de même terrible de changer de monde une fois par an » écrit de Berlin- Schöreberg Bernard Groethuysen à Jean Paulhan le 24 juin 1931 (Archives Jean Paulhan/I.M.E.C.). 32. Voir la lettre de Bernard Groethuysen à Jean Paulhan en date du 14 avril 1927 (Archives Jean Paulhan/I.M.E.C.) citée ibid., p. 130, note 158 ; il y présente un projet de prospectus pour la collection : « Le savant rejoint l'homme de lettres et réciproquement. Vive l'idée ! Vivent tous les braves gens qui ont des idées ! Quelque chose dans le genre. […] La B[ibliothèque] d[es] I[dées] atteindra les milieux sur lesquels la NRF n'a pas encore de prise. L'« achevé d'imprimer » des Origines de l'esprit bourgeois date du 8 mars 1927. En même temps que le livre de Bernard Groethuysen paraît dans la « Bibliothèque des idées », le Journal métaphysique de . 33. Dans une lettre à Erich Rothacker du 27 juin 1925, Bernard Groethuysen estime le manuscrit de la version française prêt à l'impression, ibid., p. 141. En réalité, Bernard Groethuysen a dû remanier son ouvrage jusqu'en janvier 1927. Le lancement initial du livre était prévu chez Gallimard pour le 5 novembre 1926. Dès septembre, l'auteur a demandé à Jean Paulhan de pouvoir faire paraître dans le numéro de novembre de la Nouvelle Revue française (lettre de Bernard Groethuysen à Jean Paulhan, datée de Pontigny, 4 septembre 1926, Archives Jean Paulhan/I.M.E.C). En janvier 1927, alors qu'il réside à Bornes dans le Var, Bernard Groethuysen s'inquiète régulièrement de la date de parution (lettres des 11 et 17 janvier 1927, ibid.). Dans une lettre datée du 31 janvier 1927, San Peire le Rouret (Alpes-Maritimes), il déclare, sans plus de précision, avoir « encore fait des corrections d'une importance toute relative, par souci d'exactitude » (ibid.). Il pourrait s'agir ici des épreuves du livre, puisque, dans la phrase suivante, Bernard Groethuysen interroge son correspondant sur les annonces du livre qui seront faites dans la N.R.F. comme « devant paraître ». 34. Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois, op. cit., p. VII. 35. Lettre non datée (mais vraisemblablement d'août 1926) de Alix Guillain à Jean Paulhan, Archives Jean Paulhan/I.M.E.C. 36. Klaus Große Kracht, op. cit., p. 198, note 166. Lettre non datée, que nous n'avons pas retrouvée dans la liasse Bernard Groethuysen du fonds Jean Paulhan de l'I.M.E.C. 37. Bernard Groethuysen, « Introduction à la vie bourgeoise », Nouvelle Revue française, t. 15, juillet-décembre 1926, p. 645-656. 38. Bernard Groethuysen, Die Enststekung…, op. cit., p. 7 ; voir Klaus Große Kracht, op. cit., p. 140-141. 39. Lettre à Erich Rothacker, 27 juin 1925, citée par Klaus Große Kracht, p. 141, note 225. 40. Lettre de Bernard Groethuysen à sa mère, 25 mars 1928, ibid., p. 141. L'édition française a paru en avril 1927, comme en témoigne une lettre du même à la même en date du 26 mars 1927. 41. Voir par exemple aux pages 315-319 du tome I de l'édition allemande la note 105 consacrée au jansénisme et à la définition de la conception augustinienne de la grâce.

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42. Lettre de Lucien Febvre, première semaine d'octobre 1929, dans Marc Bloch, Lucien Febvre, Correspondance, édition établie, présentée et annotée par Bertrand Müller, t. I, La Naissance des Annales 1928-1933, Paris, Fayard, 1994, 550 p., p. 225. 43. Voir à ce propos Klaus Treuheit, « Kultursoziologische Erforschung der Welt – und Lebensanschauung. Groethuysens Rekonstruktion des Bürgers als Paradigma qualitativer Sozialwissenschaft », Archives européennes de sociologie, 25, 1985, p. 291-300. 44. Bernard Groethuysen, « Dilthey et son école », Philosophie et histoire, édité par Bernard Dandois, Paris, Albin Michel, 1995, p. 63. Ce texte a d'abord paru dans le volume dirigé par Charles Andler, La Philosophie allemande au XIXe siècle, Paris, Félix Alcan, 1912. 45. Bernard Groethuysen, Die Entstehung, op. cit., p. 14-15. 46. Ibid., p. 15-16. 47. Voir à ce propos le compte-rendu du premier tome de l'édition allemande par Peter Richard Rohden dans la Historische Zeitschrift, t. 139, 1929, p. 376-380, particulièrement p. 377. 48. Il s'agit du ms n o 159 de la collection de Quens (aujourd'hui ms no 551) intitulé Mélanges ecclésiastiques et cité aux notes 305, 319 et 353 du tome II. On mesure tout l'intérêt que Bernard Groethuysen a pu porter à cette collection lorsqu'on sait qu'elle comporte des recueils de notes et extraits relatifs aux jésuites, à l'histoire du jansénisme, à la Révolution française. Charles de Quens, avocat, né à Caen en 1725, avait été éduqué par le Père jésuite Yves-Marie André. Il avait hérité des papiers de celui-ci (en particulier de ses sermons) et a poursuivi la constitution d'une collection documentaire très riche sur les premières années de la Révolution française. Nous ne savons pas la date à laquelle Bernard Groethuysen a consulté cette collection, les archives propres de la bibliothèque de Caen ayant intégralement disparu lors de l'incendie de celle-ci consécutif aux bombardements de 1944. Nous remercions Madame Laure Jestaz, conservateur du fonds ancien de la bibliothèque municipale de Caen, qui a bien voulu répondre à notre demande d'information. 49. Anatole Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temps, Paris, Perrin, 1ère édition, 1874. 50. Abbé Jules Candel, Les Prédicateurs français dans la première moitié du XVIIIe siècle, de la Régence à l'Encyclopédie, 1715-1750, Paris, Alphonse Picard et fils, 1904, XLV-694 p., p. XI-XIX ; Antoine Bernard, Le Sermon au XVIIIe siècle : étude historique et critique sur la prédication en France de 1715 à 1789, Paris, Albert Fontemoing, 1901, 608 p., p. 555-585. 51. Jules Candel, op. cit., p. 5. 52. Ibid., p. 617. 53. Jules Candel, op. cit., p. XXXV. 54. Cent vingt-quatre citations dans l'édition allemande. Voir infra la bibliographie publiée par Stéphane Baciocchi, p. 183-214. 55. Voir à ce propos, Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la nation. Le jansénisme au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1998, p. 54-63. Notons, toutefois, dans l'édition allemande une exception tout à fait suggestive à cette règle générale : l'intérêt que porte Bernard Groethuysen à la transformation de la définition de l'avarice entre l'édition de 1704 et l'édition de 1771 du Dictionnaire universel françois et latin dit de Trévoux ; en 1704 « l'avarice contient en soi tous les vices, comme la justice toutes les vertus », mais l'édition de 1771 ajoute à cette définition « l'amour des richesses n'est vice que par son excès ; corrigé par une sage modération, il redeviendrait une affection innocente », Bernhard Groethuysen, Die Entstehung…, op. cit., bd. II, note 207, p. 292. 56. Sur les trente prédicateurs dont Bernard Groethuysen utilise les sermons, treize, soit plus de 40 %, sont cités dans un Directoire évangélique [s. l. n. d., vers 1770], conservé aujourd'hui dans la collection Le Senne de la BNF., qui contient une table « des sermonnaires les plus usités aujourd'hui », ce qui indique une possible utilisation par les curés et vicaires alors en exercice.

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57. [Vincent Houdry], La Bibliothèque des prédicateurs, t. I, Lyon, chez Antoine Bouchet, 1712, Préface, p. III-IV. 58. Ibid., p. IX. 59. Pierre-Antoine Fabre, « Dépouilles d'Égypte. L'expurgation des auteurs latins dans les collèges jésuites », in Luce Giard (dir.), Les Jésuites à la Renaissance. Système éducatif et production du savoir, Paris, Presses Universitaires de France, 1995, 336 p., p. 55-76. 60. Robert-Louis de Montargon dit le Père Hyacinthe de l'Assomption, Dictionnaire apostolique, à l'usage de MM. les curés des villes et de la campagne et de tous ceux qui se destinent à la chaire, t. I, Paris, Vve de P.-N. Lottin et J.-H. Butard, 1752, p. X-XI. 61. Ibid., p. XVII. 62. Pons-Augustin Alletz, L'Art de toucher le cœur dans le ministère de la chaire ou choix des morceaux les plus pathétiques des sermonnaires célèbres du dernier siècle sur les sujets les plus intéressants de la religion, Lyon, chez Jean-Marie Bruyset, 1783, 3 volumes. 63. Bernard Groethuysen, « Le savant et l'île inconnue. Réflexions sur l'Encyclopédie de Diderot », Mesures, 3, 1935, p. 69-82 ; Montesquieu 1689-1755, Paris-Genève, Les Trois Collines, 1946, 156 p. ; Jean-Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, 1949, 340 p. ; Philosophie de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1956, 307 p. 64. Bien que la collection du Père Houdry La Bibliothèque des prédicateurs soit publiée entre 1712 et 1724, nous l'avons classée dans la période antérieure à 1713, la majeure partie des textes cités relevant de cette période. 65. Il est vrai que nous aurions pu classer le Père Vincent Houdry et le Père Hyacinthe de Montargon parmi les auteurs collectifs, leurs ouvrages étant des centres de citations. 66. Le chapitre sur « La mort » rassemble ainsi 17,2 % des citations tandis que celui sur « L'Église et les classes sociales » n'en réunit que 3,4 %. 67. Voir Catherine Maire, De la Cause de Dieu à la cause de la nation, op. cit., p. 98-101. Les auteurs en sont Laurent François Boursier, l'abbé Jean-Baptiste Le Sesne des Ménilles d'Etemare, Pierre Gervais, Lefèvre d'Eaubonne, Jean-Baptiste Boullenois, Léonard Dilhe et Louis Laniez. 68. Voir supra l'analyse de Philippe Boutry, p. 93-111. 69. Sur les textes utilisés par Bernard Groethuysen dans le chapitre « L'Église et le capitalisme », on se reportera avec profit au livre de René Taveneaux, Jansénisme et prêt à intérêt, Paris, J. Vrin, 1977, 240 p. 70. Plus de trente auteurs pour les chapitre sur « La mort » (48), « L'idée du péché » (37), « Vie chrétienne et vie bourgeoise » (37) ; moins de vingt pour trois des quatre parties de l'introduction, pour les chapitres sur « L'Église et les classes sociales » (9), « L'aumône » (19), « L'ordre bourgeois » (15). 71. On retrouve la même modalité intensive de citation dans le chapitre sur « L'Église et les classes sociales » : douze citations de Bossuet, six de Massillon. 72. Bernard Groethuysen souligne que ce savant abbé du XVIIIe siècle « qui souvent nous donne de très intéressants aperçus de l'esprit du simple fidèle », attache « moins d'importance aux arguments théologiques » et « pose souvent les questions en sociologue », Origines de l'esprit bourgeois, op. cit., p. 2 et 5. 73. Les Mémoires de Saint-Simon sont cités aux notes 14, 17, 21 et 233 du tome II de Die Entstehung…, op. cit., p. 221-223, 226-228, 281. 74. Ibid., t. I, notes 57, p. 273 et 100, p. 291 ; t. II, notes 18, 19, 167, 22, 223, 225, 232, p. 224, 225, 262-263, 276, 277, 278, 280. 75. Joseph Lambert, Instructions courtes et familiales pour tous les dimanches et les principales fêtes de l'année, et particulièrement des gens de la campagne, Paris, 1721. 76. On pourrait encore citer les Discours sur les « Nouvelles ecclésiastiques » des abbés Jacques Fontaine de La Roche, et Nicolas Legros (Paris, 1748) qui passent de quatre à dix-sept citations.

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77. Bernard Groethuysen, « Jansenism », in Edwin R. A. Seligman (ed.), Encyclopœdia of the Social Sciences, vol. 8, 1935, p. 371-373. 78. Compte-rendu de Jean Bruhat dans la Revue marxiste, n o 1, 1929, p. 115-117 : « Groethuysen nous donne un aperçu nouveau sur la lutte molinistes-janséniste. Les jésuites ont deviné dans la bourgeoisie une classe puissante dont les exigences intellectuelles étaient autres que celles des autres classes décadentes et leur but fut d'adapter la religion au monde moderne. Les Nouvelles ecclésiastiques n'avaient pas tort quand elles disaient que « Molinisme et Déisme sont deux frères jumeaux qui ne diffèrent guère entre eux que par le nom et la figure, mais qui ont à peu près la même origine, la même nature, les mêmes principes, les mêmes effets ». La même origine ? oui, le besoin pour une classe nouvelle de se créer une conception du monde nouvelle », p. 115-116. 79. Voir par exemple le compte rendu de Ernst von Aster, Logos, t. XVII, 1928, p. 218-219 ; ceux de Peter Richard Rohden, Historische Zeitschrift, t. 139, 1929, p. 378-379 et t. 145, p. 419 ; ou celui de Theodor W. Adorno, Gesammelte Schriften, t. 20, Vermischte Schriften, Francfort-sur-le-Main, 1986, p. 209-210. Pour ce dernier, le jansénisme est « le problème principal » (Hauptproblem) du premier volume. 80. Bernard Groethuysen, Origines, p. 8. 81. Texte cité ibid., p. 10 et tiré de François Léon Réguis, La Voix du pasteur. Discours familier d'un curé à ses paroissiens pour tous les dimanches de l'année, 2e dominicale, t. I, Paris, Claude Bleuet, 1773, p. 297. 82. Voir en particulier Relation de la visite générale faite par M. de Condorcet, évêque d'Auxerre, dans son diocèse (immédiatement avant sa translation à Lisieux, s. l. n. d. [1761]. 83. Sur François-Léon Réguis (1725-1789), on pourra se reporter à Guy Besse, « La représentation du « peuple » chez un prédicateur : François-Léon Réguis (1725-1789) », Images du peuple au XVIIIe siècle. Colloque d'Aix-en-Provence 25 et 26 octobre 1969, Paris-Aix-en-Provence, 1973, p. 159-176, qui reconstitue précisément sa carrière ; Timothy Tackett, Priest and Parish in Eighteenth-Century France, Princeton, Princeton University Press, 1997, 350 p., p. 87. 84. Philippe Boutry, Prêtres et paroisses au pays du curé d'Ars, Paris, Cerf, 1986, 706 p. 85. Sur ce point, voir Dominique Julia, « Déchristianisation ou mutation culturelle ? L'exemple du Bassin Parisien au XVIIIe siècle », in Michel Cassan, Jean Boutier, Nicole Lemaître, Croyances, pouvoirs et société. Des Limousins aux Français. Études offertes à Louis Pérouas, Treignac, Les Monédières, 1988, 344 p., p. 185-239. 86. Abbé Réguis, La Voix du pasteur, op. cit., t. II, Paris, 1766, deuxième pagination, p. 277. 87. Ibid., t. I, p. 10..

AUTEUR

DOMINIQUE JULIA

CNRS / CRH-Care

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Bibliographie restituée des Origines de l’esprit bourgeois

Stéphane Baciocchi

Avertissement

1 Restituée depuis les références disséminées en note des éditions française et allemande des Origines de l'esprit bourgeois en France (1927 et 1927-1930), la présente bibliographie décrit l'ensemble des ouvrages cités dans l'une et l'autre version originale du texte de Bernard Groethuysen. Publiée ici, dans le prolongement des réflexions historiographiques réunies par Catherine Maire et Bernard Hours, cette bibliographie vaut non seulement comme instrument de travail mais aussi comme document. Comme instrument, elle permet en premier lieu de circonscrire de manière précise le corpus de sources imprimées avec lesquelles Groethusyen a travaillé et devrait ainsi faciliter l'examen conjoint des phases documentaire et scripturaire de son analyse historique. En effet, dans son cas, les différents moments de l'« opération historiographique » – « du rassemblement des documents à la rédaction du livre »1, sont singulièrement imbriqués dans un mode de narration paratactique2. En permettant d'identifier et de recenser les quelque 2527 citations dont s'émaillent l'une et l'autre version des Origines3, cette bibliographie restituée vaut encore comme document. Elle atteste – s'il le fallait, de la diversité des lectures et de l'importance des recherches documentaires entreprises dans les bibliothèques françaises par le privat-dozent berlinois. Récolés dans le Catalogue collectif de France, les nombreux ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècles qui s'y trouvent recensés témoignent aussi et surtout de l'attachement du disciple de Dilthey à une exigence de recherche historique qu'il explicita au début des années 1910 : « Ce qui constitue les matériaux sur lesquels travaille l'historien, c'est un nombre de documents »4. Encore faut-il souligner que cette formule de facture méthodique – » l'histoire se fait avec des documents »5 – n'a pas conduit Groethuysen à établir la liste de ses sources. Comme lui-même s'en explique, plutôt que de produire une « pièce justificative » (Beweismittel)6 réduite à de « simples références » bibliographiques, il a préféré regrouper ses notes, ses références ainsi que de larges extraits des textes cités

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en une annexe documentaire qui, placée en fin d'ouvrage, constitue « une sorte de manuel (Art Textbuch), une collection de documents des XVIIe et XVIIIe siècles à partir de laquelle le lecteur peut se faire lui-même une idée de l'extension et de la signification des problèmes historiques discutés »7. En composant ainsi sur plus de deux cents pages l'imposant appareil documentaire de la version allemande de son ouvrage, Groethuysen en appelle, à la suite de Léopold von Ranke, à « des lecteurs qui [seraient] partie prenante du travail »8, à des lecteurs compétents et disposés à lire de manière croisée la prose de l'historien et celle des documents avec lesquels il a travaillé : « Il aurait été de ce fait vain de ne donner que de simples références »9. Ainsi, à la différence des travaux universitaires publiés par les historiens français auxquels Groethuysen se réfère10, si chacune des éditions de son ouvrage comporte un important appareil de notes, aucune ne fait place à une bibliographie des sources citées qui, placée au « commencement » ou « en tête de volume »11, aurait permis, suivant la tradition méthodique, de donner prise à la critique et au travail collectifs. De manière à bien marquer cette différence d'avec le style d'annotation et de composition érudite propre à cette tradition méthodique à laquelle ressortit notre bibliographie restituée, il convenait de publier, en tête de celle- ci, la traduction de l'« Avant-propos » qui ouvre l'annexe documentaire de l'édition allemande des Origines.

2 Pour servir comme instrument de travail, la bibliographie restituée a fait l'objet de mises en forme raisonnées et d'enrichissements touchant à la fois son organisation d'ensemble et l'énoncé (le classement, la description et l'indexation) des notices dont elle se compose12. Nous avons ainsi distingué deux parties (études littéraires et travaux universitaires, sources imprimées proprement dites) à l'intérieur desquelles les notices ont été classées suivant l'ordre alphabétique du premier nom d'auteur puis, pour un même auteur, l'ordre chronologique des différentes éditions citées. Les ouvrages anonymes ou collectifs (plus de quatre auteurs) sont insérés dans le classement alphabétique au premier mot de leur titre, l'article étant ignoré. De manière à faire aussi de cette bibliographie un index nominatif, nous avons réintroduit, dans l'ordre alphabétique, les auteurs d'ouvrages collectifs qui ne figurent pas en première place tout en renvoyant systématiquement (« voir ») à l'édition de l'ouvrage dont ils sont co- signataires. 3 Les éditions recensées sont celles effectivement citées par Groethuysen. Nous avons cependant cherché à rétablir, entre crochets, la date de leur première édition. Lorsque aucune mention de ce type ne figure, c'est qu'il s'agit, sinon de l'édition originale, du moins de la plus ancienne des éditions conservées à la Bibliothèque nationale de F0 France. Nous avons en outre indiqué par une flèche « AE » les éditions citées de seconde main et auxquelles renvoie tel ou tel ouvrage.

Bibliographie des ouvrages cités par Bernard Groethuysen

Avant-Propos*

4 « L'annexe qui suit13 doit être une sorte de manuel, une collection de documents des XVIIe et XVIIe siècles à partir de laquelle le lecteur peut se faire lui-même une idée de l'extension et de la signification des problèmes historiques discutés précédemment. Nombre des documents imprimés ici ne sont que difficilement accessibles,

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particulièrement pour le lecteur allemand. Il aurait de ce fait été vain de ne donner que de simples références. Si l'on veut que de tels documents soient arrachés à l'oubli et que leur contenu entre dans la conscience historique actuelle14, il ne reste rien d'autre à faire que de les imprimer à nouveau. De même, il semble bien que par rapport à la problématique ici abordée, aucune formule synthétique, aucune description d'ensemble ne puisse remplacer l'impression immédiate des documents d'époque. Il s'agit ici de phénomènes sociaux, de certaines formes collectives qui sont aussi constamment, de quelque façon que ce soit, individuellement variables, et non d'un exposé d'idées à détacher en tant que telles, et à déterminer d'après leur signification. La variété des formes de propos, le caractère, en un certain sens, accidentel et occasionnel de l'expression particulière telle qu'elle surgit, par exemple, d'une situation particulière, des nécessités d'une discussion à conduire, du degré de culture des individus, des phases différentes de la formation de leur conscience de soi conservent de ce fait leur teneur (Gehalt). C'est pourquoi il faut donner le plus possible la parole aux hommes de ce temps eux-mêmes pour que la cohérence (Zusammenhang) entre leur façon de penser et de sentir et leur vie sociale et individuelle parvienne constamment à la conscience et qu'on échappe au danger de vouloir ramener l'aspect variable et ambigu d'un phénomène de masse à la fois intellectuel et social (gestig- sozialen) à une suite schématique d'idées que l'on saisirait objectivement15.

5 On a déjà parlé ailleurs de l'importance des sermons pour la compréhension du développement intellectuel de la bourgeoisie16. En revanche la prise en considération minutieuse des controverses contemporaines entre jansénistes et jésuites nécessite encore une justification. En soi, le cas semble être en effet assez différent de celui de la majorité des documents imprimés ici. Jansénistes et jésuites partent d'un certain nombre de convictions fondamentales et défendent tous deux un « système ». Il semble donc qu'il s'agisse ici tout d'abord d'un développement d'idées purement « théologiques ». Cependant, la valeur des conflits entre jansénistes et jésuites tient pour nous à leur rapport à quelque chose d'autre, qui va bien au-delà des débats dogmatiques : la conception profane du monde et de la vie qui est en train de se former à l'intérieur de la bourgeoisie17. Dans les formes de réaction, par nature différentes, des jésuites et des jansénistes apparaissent des moments qui nous accordent un aperçu sur le devenir de l'homme nouveau. Là encore, c'est avant tout la forme particulière d'expression concrète et non la formulation générale qui peut nous fournir un éclaircissement. Du fait qu'effectivement de tels documents sont souvent difficiles à trouver, il paraissait souhaitable d'en imprimer plus d'un, de sorte que l'un des processus les plus significatifs de l'histoire de l'esprit (geistesgeschichtlichen) de l'époque moderne parvienne à une représentation vivante. En revanche ce ne pouvait être notre tâche de revenir sur l'origine des différentes conceptions théologiques elles-mêmes. C'aurait été au contraire reléguer à l'arrière-plan la signification réactualisée de ces conceptions [anciennes] exprimées dans leur teneur particulière et contemporaine. L'essentiel ici n'est pas d'établir d'où naît telle ou telle conception, mais de comprendre leur signification à l'intérieur de l'évolution bourgeoise moderne, et de connaître le sens particulier que telle ou telle expérience vécue (Erlebnis) apparue plus tôt revêt dans une réalité postérieure conditionnée par de nouvelles circonstances. »

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Études littéraires et travaux universitaires

BERNARD, Antoine, Le Sermon au XVIIIe siècle : étude historique et critique sur la prédication en France, de 1715 à 1789, Paris, Albert Fontemoing, 1901, in-8o, 608 p. CANDEL, abbé Jules, Les Prédicateurs français dans la première moitié du XVIIIe siècle, de la Régence à l'Encyclopédie, 1715-1750, thèse présentée à la faculté des lettres de l'université de Montpellier, Paris, Alphonse Picard et fils, 1904, in-8o, XLV-694 p. CARRÉ, Henri, La Noblesse de France et l'opinion publique au XVIIIe siècle, Paris, E. Champion, 1920, in-8o, 650 p. FEUGÈRE, Anatole, Bourdaloue, sa prédication et son temps,… Nouvelle édition, précédée d'une Notice sur Anatole Feugère, par M. Gaston Feugère, Paris, Perrin, 1889, [1re éd. 1874], in-16, XXVIII-514 p. FONTAINE, Léon, Le Théâtre et la philosophie au XVIIIe siècle, thèse présentée à la faculté des lettres de Paris, Versailles, imp. de Cerf et fils, 1878, in-8o, 262 p. LA HARPE, Jean-François de, Lycée, ou Cours de littérature ancienne et moderne, tome XIV, XVIIIe siècle : Éloquence, histoire, roman, littérature, Paris, chez H. Agasse, an VII-an XIII. MAGENDIE, Maurice, La Politesse mondaine et les théories de l'honnêteté en France, au XVIIe siècle, de 1600 à 1660, thèse pour le doctorat ès-lettres présentée à la faculté des lettres de l'université de Paris, Paris, Presses universitaires de France, 1925, in-8o, XL-944 p. MONOD, Albert, De Pascal à Chateaubriand : les défenseurs français du christianisme de 1670 à 1802, thèse principale de doctorat es-lettres présentée à la faculté des lettres de l'université de Paris, Paris, Félix Alcan, 1916, 608 p. QUÉRARD, Joseph-Marie, Les Supercheries littéraires dévoilées, galerie des auteurs apocryphes, supposés, déguisés, plagiaires et des éditeurs infidèles de la littérature française pendant les quatre derniers siècles : ensemble les industriels littéraires et les lettrés qui se sont anoblis à notre époque, Paris, l'éditeur, 1847-1853, 5 vol. SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin, Les Grands Écrivains français, par Sainte-Beuve. Études des Lundis et des Portraits, classés selon un ordre nouveau et annotées par Maurice Allem. XVIIe siècle. Écrivains et orateurs religieux : Saint-François de Sales, Bossuet, Fléchier, Bourdaloue, Fénelon, Massillon, Paris, Garnier frères, 1928, in-16, VIII-495 p. SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin, Les Grands Écrivains français, par Sainte-Beuve. Études des Lundis et des Portraits, classés selon un ordre nouveau et annotées par Maurice Allem. XVIIe siècle. Philosophe et Moralistes : Descartes, Saint-Evremont, La Rochefoucauld, Pascal, La Bruyère, Pierre Bayle, Paris, Garnier frères, 1928, in-16, VIII-391 p.

Sources imprimées (corpus documentaire)

ALEMBERT, Jean Le Rond (1717-1783), DIDEROT, Denis, Mélanges de littérature, d'histoire et de philosophie, Berlin [Paris], Briasson, 1753, 2 vol., in-12. ALLETZ, Pons-Augustin (1703-1785), Dictionnaire théologique portatif contenant l'exposition des preuves de la révélation, de tous les dogmes de la Foi et de la morale, les points de controverses, les hérésies les plus célèbres, les opinions différentes des principaux théologiens scholastiques, et de leurs plus fameuses écoles… Ouvrage utile à tous les jeunes théologiens et généralement pour toutes les personnes qui désirent avoir une idée juste exacte et précise de ce

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que la théologie renferme de plus important, Paris, chez Didot, Nyon, Savoye et Damonneville [imprimeurs], 1756, in-8o, VIII-677 p. ALLETZ, Pons-Augustin, Encyclopédie de pensées, de maximes et de réflexions sur toutes sortes de sujets…, Paris, Guillyn, 1761, in-8o. ALLETZ, Pons-Augustin, L'Art de toucher le cœur dans le ministère de la chaire, ou Choix des morceaux les plus pathétiques des sermonnaires célèbres du dernier siècle sur les sujets les plus intéressans de la religion… Par l'auteur de l'Art d'instruire & de toucher les âmes dans le tribunal de la pénitence, Lyon, chez Jean-Marie Bruyset père & fils, 1783, 3 vol., in-12. ARNAULD, Antoine (1612-1694), De la Fréquente Communion où les Sentimens des Pères, des Papes et des Conciles, touchant l'usage des sacremens de Pénitence & d'Eucharistie, sont fidèlement exposez : pour servir d'adresse aux personnes qui pensent sérieusement se convertir à Dieu ; & aux pasteurs & confesseurs zélés pour le bien des âmes… Onzième édition, Lyon, chez Claude Plaignard, 1739, [1re éd. 1643], in-8o. ARNAULD, Antoine, Œuvres de messire Antoine Arnauld, Docteur de la Maison et Société de Sorbonne, publiées par Gabriel Du Pac de Bellegarde et Jean Hautefage, avec la vie de messire Antoine Arnauld, par Noël de Larrière, Paris et Lausanne, chez Sigismond d'Arnay, 1775-1783, 43 tomes en 38 vol. in-4o. ASFELD, Jacques-Vincent Bidal (1664-1745), voir Duguet (1732) AUGUSTIN (354-430), « De Gratia christi et de peccato originali » in Migne, Patrologie latine, 44, col. 359-416. AUGUSTIN, « De Natura et gratia » in Migne, Patrologie latine, 44, col. 247-290. AUGUSTIN, « De Praedestinatione sanctorum » in Migne, Patrologie latine, 44, col. 959-992. AUGUSTIN, « Enarrationes in Psalmos » in Migne, Patrologie latine, 36-37. Avertissement du clergé de France assemblé à Paris, par permission du Roi, aux fidèles du royaume sur les dangers de l'incrédulité, Paris, imp. de Guillaume Desprez, 1770, in-4o, 76 p. Les Avocats des pauvres, ou Sermons de Bossuet, Bourdaloue, Massillon, Fléchier, La Colombière, La Rue, Neuville, Le Chapelain, Elisée et de Beauvais, évêque de Senez. Sur les richesses, sur l'avarice et sur l'aumône, Paris, chez Francart, 1814, 2 vol. in-12, 610 et 597 p. F0 AE Copel (1785), Fléchier (1741), Le Chapelain (1768), La Colombière (1757) et La Rue (1719) BALZAC, Jean-Louis Guez de (1594-1654), Les Œuvres diverses du sieur de Balzac, augmentées en cette édition de plusieurs pièces nouvelles, Leide, Jean Elsevier, 1658, [1re éd. 1644], in-12, 388 p. BALZAC, Jean-Louis Guez de, Les Œuvres de Monsieur de Balzac, divisées en deux tomes (publiées par Valentin Conrart), Paris, Thomas Jolly, 1665, 2 vol. in-fol. BARBEU DU BOURG, Jacques (1709-1779), Petit Code de la raison humaine, ou Exposition succincte de ce que la raison dicte à tous les hommes pour éclairer leur conduite et assurer leur bonheur, par M.B.D., s.l., 1789, [1re éd. 1774], in-12, XXIV-114 p. BARRUEL, Le p. Augustin (1741-1820), Collection ecclésiastique, ou Recueil complet des ouvrages faits, depuis l'ouverture des États Généraux, relativement au clergé, à sa constitution civile décrétée par l'Assemblée nationale, sanctionnée par le Roi, Paris, Crapart, 1791-1793, 14 vol. in-8o. BAYLE, Pierre (1647-1706), Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, Reinier Leers, 1697, 2 tomes en 4 vol. in-fol. BAYLE, Pierre, Œuvres diverses de M. Pierre Bayle… contenant tout ce que cet Auteur a publié sur des matières de Théologie, de Philosophie, de Critique, d'Histoire et de Littérature, etc.,

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excepté son Dictionnaire historique et critique, La Haye, chez p. Husson, 1725-1727, 4 vol. in- fol. BEAUVAIS, Jean-Baptiste-Charles-Marie de (1731-1790), Sermons de messire J-B.C.M. de Beauvais, évêque de Senez, publiés par l'abbé Gallard, précédés d'une Notice sur la vie et les sermons de M. de Beauvais par Mgr Etienne-Antoine de Boulogne, évêque de Troyes, Paris, Adrien Le Clerc, 1807, 4 vol. in-12. BEAUVAIS, Jean-Baptiste-Charles-Marie, voir Les Avocats des pauvres (1814) BERGIER, abbé Nicolas-Sylvestre (1718-1790), La Certitude des preuves du christianisme, ou Réfutation de l'« Examen critique des apologistes de la religion chrétienne »… Seconde édition revue et corrigée, Paris, chez Humblot, 1768, [1 re éd. 1767], 2 parties en 1 vol. in-12, [4]-211 p. BERGIER, abbé Nicolas-Sylvestre, Dictionnaire de théologie… Extrait de l'« Encyclopédie méthodique »…, Liège, à la Société typographique, 1789-1792, 8 vol. in-8o. BERRUYER, Le p. Isaac Joseph (1681-1758), Histoire du peuple de Dieu depuis son origine jusqu'à la naissance du Messie jusqu'à la fin de la Synagogue, tirée des seuls Livres Saints ou le Texte sacré du Nouveau Testament réduit en un corps d'Histoire, La Haye, chez Neaulme et Cie, 1755-1757, [1re éd. 1728-1734], 4 vol. in 4o. BERTHIER, Le p. Guillaume François (1704-1782), voir Griffet (1762) BEURIER, Vincent-Toussaint (1715-1782), Conférences, ou Discours contre les ennemis de notre sainte religion, savoir les athées, les déistes, les tolérants, les juifs, les payens, les mahométans, les hérétiques, les schismatiques, les matérialistes et les antiprêtres, Paris, chez p.-P. Berton, 1779, in-8o, XVI-619 p. BILLOT, abbé Jean (1709-1767), Prônes réduits en pratiques, pour tous les dimanches et fêtes principales de l'année, tirés des sujets de l'Évangile qu'on lit à la messe, avec une table de sermons choisis propres à donner une mission ou retraite…, Lyon, Benoît-Michel Mauteville, 1771, [1re éd. 1768], 4 vol. in-12. BOILEAU, abbé Charles (1640-1704), Pensées choisies de M. l'abbé Boileau prédicateur ordinaire du Roi, sur différens sujets de morale… Nouvelle édition… – Suite des Pensées choisies, Paris, A. Cailleau, 1718, [1re éd. 1707], 2 tomes en 1 vol. in-12. BONNAIRE, Louis de (1680-1752), La Règle des devoirs que la nature inspire à tous les hommes…, Paris, Briasson, 1758, 4 vol. in-12. BONNAIRE, Louis de, JARD, abbé François, La Religion chrétienne, méditée dans le véritable esprit de ses maximes, ou Cours complet et suivi de réflexions ou de sujets de méditations, pour chaque jour de l'année…, Paris, chez Pierre Prault père, 1763, [1re éd. 1745], 6 vol. in-12. BONZÈLE, J.-B. de, La Guerre aux vices…, Paris, G. Josse, 1675, in-12, 405 p. BOSSUET, Jacques-Bénigne (1627-1704), Œuvres complètes de Bossuet, publiées par les prêtres de l'Immaculée-Conception de Saint-Dizier, précédées de l'Histoire de Bossuet, par le cardinal de Bausset, Tours et Bar-le-Duc, Cattier et L. Guérin, 1862, 12 vol. in-8o. BOSSUET, Jacques-Bénigne, voir Les Avocats des pauvres (1814) BOUDON, Henry-Marie (1624-1702), La Science sacrée du catéchisme, ou l'Obligation qu'ont les pasteurs de l'enseigner et les peuples de s'en faire instruire, par feu M. H. M. Boudon…, Paris, Jean-Thomas Hérissant, 1749, in-12, 190 p. BOUDON, Henry-Marie, De la Sainteté de l'état ecclésiastique, Paris, J.-T. Hérissant fils, 1765, [1re éd. 1693], in-12, XIII-368 p. BOUHOURS, Le p. Dominique (1628-1702), LE TELLIER, Le p. Michel (1643-1719), MUSNIER, Le p. François (1642-1711), Sentiments des jésuites touchant le péché philosophique. Troisième

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lettre : A un homme de la Cour (approbation du 10 avril 1690), Paris, p. Ballard, 1694, [1 re éd. 1668], in-12, 20 p. BOULOGNE, Etienne-Antoine de (1747-1825), Sermons et Discours inédits de M. de Boulogne,… précédés d'une notice historique sur ce prélat par Michel Joseph Pierre Picot, Paris, Adrien Le Clerc et cie, 1826, 3 vol. in-8o. BOULLENOIS, Jean Baptiste (1681-1757), voir Les Hexaples (1721) BOURDALOUE, Le p. Louis (1632-1704), Exhortations et instructions chrestiennes, par le p. Bourdaloue [publiées par le p. François Bretonneau], Paris, aux dépens de Rigaud, 1721, 2 vol. in-12. BOURDALOUE, Le p. Louis, Retraite spirituelle à l'usage des communautés religieuses, par le p. Bourdaloue,… publiée par le p. François Bretonneau, Paris, aux dépens de Rigaud, 1721, in-8o, XX-368 p. BOURDALOUE, Le p. Louis, Pensées du Père Bourdaloue de la Compagnie de Jésus sur divers sujets de religion et de morale [publiées par le p. François Bretonneau], Paris, chez Cailleau, Prault, Rolin fils et Bordelet (de l'imprimerie de Gissey), 1734, 2 vol. in-8o. BOURDALOUE, Le p. Louis, Choix de sermons de Bourdaloue précédés de la préface du p. Bretonneau, des lettres du p. Martineau, de M. C.-F. de Lamoignon, Président à mortier du Parlement de Paris et d'une étude littéraire par M. D. Nisard, de l'Académie Française, Paris, Firmin-Didot, 1881, in-18, XVI-545 p. BOURDALOUE, Le p. Louis, voir Les Avocats des pauvres (1814) BOURSIER, abbé Laurent François (1679-1749), voir Les Hexaples (1721) BOUTAULD, Le p. Michel (1604-1689), Les Conseils de la sagesse, ou le Recueil des maximes de Salomon les plus nécessaires à l'homme pour se conduire sagement, avec des réflexions sur ces maximes. Troisième édition augmentée par l'auteur, Paris, chez Sébastien Mabre-Cramoisy, 1680, [1re éd.1677], in-12, 371 p. BOYER, R. p. Pierre (1677-1755), Parallèle de la doctrine des païens avec celle des jésuites, et de la constitution du pape Clément XI qui commence par ces mots : « Unigenitus Dei filius », Amsterdam, Jean Roman, 1726, in-8o, 239 p. BOYER, R. p. Pierre, Principes des jésuites sur la probabilité réfutés par les payens, et conformité des jésuites modernes avec leurs premiers Pères, pour servir de preuves au « Parallèle »…, s.l., 1727, in-8o, 120 p. BRÉMONT, abbé Etienne (1714-1793), Représentations adressées à M. N*** [Necker] à l'occasion de son ouvrage « De l'importance des opinions religieuses », suivies d'un supplément contenant l'exposition sommaire et la réfutation succincte de la doctrine des philosophes économistes, Paris, Varin, 1788, in-8o, 320 p. BRETONNEAU, Le p. François de Paule (1660-1741), voir Bourdaloue (1721, 1734, 1881) BUFFIER, Le p. Claude (1661-1737), Traité de la société civile, et du moyen de se rendre heureux, en contribuant au bonheur des personnes avec qui l'on vit. Avec des Observations sur divers ouvrages renommés de Morale, par le Père Buffier, de la Compagnie de Jésus, Paris, chez Pierre-François Giffart et Briasson, 1726, 2 part. en 1 vol. in-12, 272 et 201 p. BULTEAU, Louis (1625-1693), Traité de l'usure, ouvrage très utile à tous les chrétiens, mais principalement aux marchands et aux négociants. La question du faux dépôt y est traitée à fond, et on y trouve la réfutation de quelques erreurs communes et populaires touchant l'usure. Par feu M. Nicole, Paris, François Babuty, 1720, [1re éd.1674], in-12, 220 p. CAMBACÉRÈS, abbé Etienne François de (1721-1802), Sermons de M. l'abbé de Cambacérès, prédicateur du Roi, chanoine et archidiacre de l'Eglise de Montpellier, Paris, J.-G. Mérigot, 1781, 2 vol. in-12.

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CARACCIOLI, Louis-Antoine de (1719-1803), Le Tableau de la mort, par l'auteur de « La jouissance de soi-même », à Francfort, en foire et à Liège, chez J.-Fr. Bassompierre, 1760, in-12, XVIII-354 p. CARACCIOLI, Louis-Antoine de, La Religion de l'honnête homme, par le Marquis Caraccioli…., Paris, Nyon, 1766, in-12, 190 p. CARACCIOLI, Louis-Antoine de, Voyage de la raison en Europe, par l'auteur des Lettres récréatives et morales, Compiègne, L. Bertrand, 1772, in-12, VIII-428 p. CASTEL DE SAINT-PIERRE, abbé Charles de (1658-1743), Projet pour perfectionner l'éducation, avec un discours sur la grandeur et la sainteté des hommes, Paris, chez Briasson, 1728, in-12, 317 p. CERVEAU, abbé René (1700-1780), L'Esprit de M. Nicole, ou Instructions sur les vérités de la religion tirées des ouvrages de ce grand théologien tant sur les dogmes de la foi et les mystères que sur la morale, et distribuées selon l'ordre des matières de la doctrine chrétienne…, Paris, Guillaume Desprez, 1765, in-12, XXIV-624 p. CHAMPION DE PONTALIER, Le p. François (1731-1812), Le Trésor du chrétien, ou Principes et sentiments propres à renouveller et consommer le christianisme dans les âmes, par M. l'abbé Champion de Pontalier. Nouvelle édition revue, corrigée et considérablement augmentée, Paris, chez Charles-Pierre Berton, 1785, [1re éd. 1778], 3 vol. in-12. CHAMPION DE PONTALIER, Le p. François, Le théologien philosophe, Paris, chez Guillot, 1786, 2 vol. in-8o, VIII-363 et 391 p. CHAUDON, dom Louis-Mayeul (1737-1817), COGET, François-Marie, Dictionnaire anti- philosophique pour servir de commentaire & de correctif au Dictionnaire Philosophique, & aux autres livres qui ont paru de nos jours contre le christianisme : ouvrage dans lequel on donne en abrégé les preuves de la religion, & la réponse aux objections de ses adversaires, avec la notice des principaux auteurs qui l'ont attaquée, & l'apologie des grands hommes qui l'ont défendue…, Avignon, veuve Girard et F. Seguin, 1769, [1re éd.1767], 2 tomes en 1 vol. in-8o. COGET, François-Marie (1723-1800), voir Chaudon (1769) COLBERT DE CROISSY, Charles-Joachim (1667-1738), Les Œuvres de messire Charles-Joachim Colbert, évêque de Montpellier, éditées par l'abbé Jean-Baptiste Gaultier, Cologne [Amsterdam ou Utrecht], aux dépens de la Compagnie, 1740, 3 vol. in-4o. COLLET, abbé Pierre (1693-1770), Traité des devoirs d'un pasteur qui veut se sauver en sauvant son peuple. Ouvrage qui peut servir à tous ceux qui sont dans le Saint Ministère, Avignon, chez Louis Chambeau, 1757, in-12, VIII-532 p. COLLET, abbé Pierre, Traité des devoirs des gens du monde et surtout des chefs de famille, Paris, J. Debure l'aîné, 1763, in-12, XXXVI-442 p. Consultation sur la défense de lire le livre des Réflexions morales du Père Quesnel et les Nouvelles ecclésiastiques (16 octobre 1757), Paris, s.n., 1783, in-12, 58 p. COPEL, Jean-François dit Elisée (1726-1783), Sermons du R.P. Elisée, carme déchaussé, prédicateur du Roi. Publiés par le p. Césaire, Paris, J.-G. Mérigot le jeune, 1785, 4 vol. in-12. COPEL, Jean-François, voir Les Avocats des pauvres (1814) CORBIN, le p., Traité d'éducation civile, morale et religieuse de l'homme, à l'usage du collège royal de la Flèche, Angers, Pavie, 1787, in-12, VIII-351 p. CORDIER, Philibert-Louis, Éclaircissements sur la prédestinations, par le R.P. Cordier, Pont-à- Mousson, p. Maret, 1746, in-12, 150 p. COYER, abbé Gabriel-François (1707-1782), La Noblesse commerçante, Londres / Paris, chez G. Fletcher-Gyles / Nicolas-Bonaventure Duchesne, 1756, in-12, 216 p.

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COYER, abbé Gabriel-François, Plan d'éducation publique, Paris, veuve Duchesne, 1770, in-12, XVI-360 p. COYER, abbé Gabriel-François, Œuvres complètes, Paris, veuve Duchesne, 1782-1783, 7 vol. in-12. CRASSET, Le p. Jean (1618-1692), Considérations sur les principales actions du chrétien…, Paris, chez Charles-Jean-Baptiste Delespine fils, 1732, [1re éd.1675], in-12, 244 p. CROISET, Le p. Jean (1656-1738), Parallèle des mœurs de ce siècle et de la morale de Jésus-Christ, par le R.P. Jean Croiset, de la Compagnie de Jésus [édition corrigée], Lyon, chez les frères Bruyset, 1743, [1re éd. 1727], 2 vol. in-12, 472 et 470 p. CROISET, Le p. Jean, Réflexions chrétiennes sur divers sujets de morale, utiles à toutes sortes de personnes et particulièrement à celles qui font la retraite spirituelle un jour de chaque mois. Par le Père Jean Croiset, de la Compagnie de Jésus. Nouvelle édition augmentée de diverses Prières et Instructions et d'un Abrégé de la créance, Paris, chez Antoine Boudet, 1752, [1 re éd.1708], 2 vol. in-12, 427 et 435 p. CUPPÉ, Pierre (1664 ?-1748 ?), Le ciel ouvert à tous les hommes, ou Traité théologique, s.l., s.n., 1768, [4]-115-[1] p. DANIEL de Paris, Conférences théologiques et morales, par demandes et réponses, sur les commandements du Décalogue et de l'Église avec des résolutions de cas de conscience sur chaque matière, à l'usage des missionnaires. Nouvelle édition, augmentée de dix huit conférences…, Paris, Claude Hérissant, 1742, [1re éd.1741], 4 vol. in-12. DE LAN, François-Hyacinthe (1772-1754), L'usure condamnée par le droit naturel, réponse à M. Formey, Paris, imp. de p.-G. Le Mercier, 1753, in-12, 199 p. DÉMEUNIER, Jean-Nicolas (1751-1814), Avis aux députés qui doivent représenter la nation dans l'assemblée des Etats-généraux, s.l., 1789, in-8o, 74 p. DESFOURS DE LA GENETIÈRE, Claude-François (c.1757-1819), Les trois états de l'homme par rapport à la justice, ou l'homme considéré avant la loi, sous la loi et sous la Grâce, s.l., 1784, [1re éd.1756], in-12, 294 p. Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux : contenant la signification et la définition tant des mots de l'une & l'autre langue, avec leurs différents usages, que des termes propres de chaque état & de chaque profession ; la description de toutes les choses naturelles & artificielles, leurs figures, leurs espèces, leurs usages, & leurs propriétés ; l'explication de tout ce que renferment les sciences et les arts, soit libéraux ou mécaniques avec des remarques d'érudition et de critique ; le tout tiré des plus exellens auteurs, des meilleurs lexicographes, étymologistes & glossaires qui ont paru jusqu'ici en différentes langues, Paris, par la Compagnie des libraires associés, éditions de 1704, 1732, 1743, 1752 et 1771, 8 tomes in-fol. DIDEROT, Denis (1713-1784), Suite de l'apologie de Monsieur l'abbé de Prades, contenant les réflexions sur le mandement de M. l'évêque de Montauban, et la réponse à l'Instruction pastorale de M. l'évêque d'Auxerre… Troisième partie, Amsterdam [-Berlin], 1752, in-8o, 72 p. DIDEROT, Denis, voir Alembert (1753) DIHLE, Léonard (1687-1769), voir Les Hexaples (1721) Discours philosophique sur l'importance du ministère pastoral dans les états catholiques, et sur les avantages politiques que les gouvernements en retirent, suivi de réflexions sur les moyens d'exciter dans un État l'émulation pour le bien d'autrui par l'auteur de la « Religion chrétienne justifiée au tribunal de la philosophie », Liège, F. Lemarie, an XIV-1805, [pièce]

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DUCLOS, Charles Pinot (1704-1772), Œuvres complètes de Duclos… recueillies pour la première fois, revues et corrigées sur les manuscrits de l'auteur, précédées d'une notice historique et littéraire ornée de six portraits, Paris, Colnet, 1806, 10 vol. in-8o. DUGUET, R. p. Jacques-Joseph (1649-1733), Traittez sur la prière publique et sur les dispositions pour offrir les SS. mystères et y participer avec fruit, Paris, chez Jacques Estienne, 1707, [3e édition], in-12. DUGUET, R. p. Jacques-Joseph, Lettres sur divers sujets de morale et de piété, par l'auteur du Traité sur la prière publique, Paris, chez Jacques Estienne et la veuve d'Houry, 1719-1738, [début 1re éd.1708 ?], 9 vol. in-12. DUGUET, R. p. Jacques-Joseph, Recueil de quatre opuscules fort importants de feu M. l'abbé Duguet, Utrecht, aux dépens de la Compagnie, 1737, 3 vol. en 1 in-8o. DUGUET, R. p. Jacques-Joseph, Traité des principes de la foi chrétienne, avec un avertissement par le p. Philibert-Bernard Lenet, Paris, Hippolyte Louis Gérin, 1737, [1 re éd.1736], 3 vol. in-12. DUGUET, R. p. Jacques-Joseph, Institution d'un prince, ou Traité des qualités, des vertus et des devoirs d'un souverain, soit par rapport au gouvernement temporel de ses États, ou comme chef d'une société chrétienne qui est nécessairement liée avec la religion…, Leyde, chez Jean & Herman Verbeek, 1739, 4 vol. in-12. DUGUET, R. p. Jacques-Joseph, ASFELD, Jacques-Vincent Bidal de, Explication du livre de la Genèse, où selon la méthode des saints Pères, l'on s'attache à découvrir les Mystères de Jésus- Christ et les Règles des mœurs renfermés dans la Lettre même de l'Écriture, Paris, chez François Babuty, 1732, 6 vol. in-12. DUPIN, Louis Ellies (1657-1719), Traité philosophique et théologique sur l'amour de Dieu, dans lequel on établit et l'on explique les vérités catholiques contre les erreurs de quelques nouveaux théologiens, Paris, chez Jacques Vincent, 1717, in-8o, 722 p. DUPIN, Louis Ellies, Histoire ecclésiastique du dix-septième siècle, Paris, chez A. Pralard, 1727, [1re éd.1713-1714], 4 vol. in-8o. DUSSAUSSOY, abbé (curé d'Haucourt), La vérité rendue sensible à tout le monde, contre les défenseurs de la constitution « Unigenitus »…, s.l., s.n., 1724, [1re éd.1720], 2 partie en 1 vol. in-12. ELIE = Harel, le p. Marie Maximilien ELISÉE = Copel, Jean-François L'Encyclopédie, Paris puis Paris et Neuchâtel, Le Breton, David, Briasson et Durand, 1751-1772, 17 vol. in-folio et 11 vol. de planches. ÉRASME, Didier (1469-1536), Colloquiorum Desiderii Erasmi Roterodami familiarium opus aureum : cum scholiis quibusdam antehac non editis, quae difficiliora passim loca cum sholiis quibusdam antehac non editis, quae difficiliora passim loca diligenter explicant, Londoni, in aedibus Milonis Flescher, 1639, [8]-466-[18] p. ETEMARE, abbé Jean-Baptiste Le Sesne des Ménilles d'(1682-1771), Quatrième gémissement d'une âme vivement touchée de la constitution de N.S.P. le pape Clément XI du 8 septembre 1713, s.l., 1714. EUSÈBE, Jean pseud., Lettre d'un Laïque à MM. les docteurs de la Faculté de théologie de Nantes, au sujet du Panégyrique de la bienheureuse Angèle Merici, prêché dans l'église des dames Ursulines de Nantes, par le sieur Matisse, prêtre, chanoine de l'église collégiale de Nantes, en cette présente année 1772, Nantes, chez la veuve Vatar, 1772. Examen impartial des principales religions du monde, s.l., s.n., n.d., [IV]-XII--204 p.

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FARET, Nicolas (1596 ?-1646), L'Honneste homme, ou l'Art de plaire à la court, Paris, par la Compagnie des libraires du Palais, 1665, [1re éd.1630]. FÉNELON, François de Salignac de La Mothe (1651-1715), Œuvres choisies de Fénelon, précédées de l'Éloge de Fénelon, par Jean-François de La Harpe, Paris, Le Dentu, 1837, in-8 o, 747 p. FLÉCHIER, Valentin-Esprit (1632-1710), Panégyriques des saints et quelques sermons de morale, prêchés par Messire Esprit Fléchier, Paris, G. Martin, J.B. Coignard et les frères Guérin, 1741, [1re éd. 1695], 3 vol. in-12. FLÉCHIER, Valentin-Esprit, voir Les Avocats des pauvres (1814) FLEURY, abbé Claude (1640-1723), Les Mœurs des israélites, Paris, Veuve G. Clazier, 1681, in-8o, VIII-348 p. FLEURY, abbé Claude, Catéchisme historique, contenant en abrégé l'histoire sainte et la doctrine chrétienne, tome 2, Grand catéchisme, Paris, Veuve G. Clouzier, 1683, in-12. FLEURY, abbé Claude, Discours sur l'histoire ecclésiastique, Paris, p. Emery, 1763, [1 re éd. 1708], in-12, XII-384 p. FLEURY, abbé Claude, Œuvres de l'abbé Fleury, contenant : Traité du choix et de la méthode des études, Mœurs des Israélites et des Chrétiens, Grand catéchisme historique, Histoire du droit français, etc., pour faire suite aux oeuvres de Fénelon ; précédées d'un Essai sur la vie et les ouvrages de l'abbé Fleury, par M. Aimé-Martin, Paris, Auguste Desrez, « Panthéon littéraire », 1837, in-4o, XLIV-630 p. FONTAINE DE LA ROCHE, abbé Jacques (1688-1761), LEGROS, abbé Nicolas, Discours sur les « Nouvelles ecclésiastiques ». Depuis leur origine jusqu'à présent, s.l., 1759, [1 re éd.1748], in-12, 551 p. FONTANGES, François de (1744-1806), Considérations sur les limites de la puissance spirituelle et de la puissance civile, par M. l'archevêque de Toulouse…, Paris, Brille, 1790, in-8o, 33 p. FOUILLOU, abbé Jacques (1670-1736), Traité de l'équilibre de la volonté, contre M. l'évêque de Soissons et les autres molinistes, au sujet des propositions condamnées dans la bulle « Unigenitus » sur cette matière, Utrecht, C.G. Le Febvre, 1729, in-4o, XXIII-[II]-530 p. FRANÇOIS, abbé Laurent (1698-1782), Preuves de la religion de Jésus-Christ contre les spinosistes et les déistes par M. L. F., Paris, Veuve Estienne et fils, 1751-1755, 4 vol. in-12. FROGER (curé de Mayet, diocèse du Mans), Instructions de morale, d'agriculture et d'économie pour les habitants de la Campagne, ou Avis d'un homme de campagne à son fils. Ouvrage destiné à servir pour enseigner à lire aux Enfants de la Campagne, Paris, chez Lacombe, 1769, in-8o, VIII-304 p. FUMEL, Jean-Félix-Henri de (1717-1790), Instruction pastorale de Monseigneur l'évêque de Lodève sur les sources de l'incrédulité du siècle, Paris, s.n., 1765, in-12, 383 p. FUMEL, Jean-Félix-Henri de, Le Culte de l'amour divin ou la dévotion au Sacré Cœur de Jésus, par M. Jean-Félix de Fumel, évêque de Lodève… [suivi de :] Feria Sexta post octavam Corporis Christi, … [suivi de :] Mandement de l'évêque de Lodève portant institution de la Fête et dévotion du Sacré-Cœur de Jésus, Toulouse, imp. Veuve Bernard Pijon, 1767, in-12, [8]-181- [1]-52 p. GASQUET, Hyacinthe de, L'Usure démasquée, ou Exposition et réfutation des erreurs opposées à la doctrine catholique sur l'intérêt du prêt à jour et de commerce artificieusement enseignées dans quelques ouvrages modernes et plus particulièrement dans une lettre à M. l'archevêque de Lyon… Ouvrage polémique et moral divisé en trois partie par le R.P. Hyacinthe de Gasquet, C. de Largues, ancien Lecteur en théologie, Avignon, chez les libraires associés, 1766, in-12, 478 p.

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GAULTIER, Jean-Baptiste (1685-1755), Le Pöeme de [Alexander] Pope, intitulé « Essai sur l'homme » [s.l. 1736], convaincu d'impiété. Lettres pour prévenir les fidèles contre l'irréligion, La Haye, 1746, in-12, 152 p. GAUTHIER, abbé François-Louis (Curé de Savigny), Traité contre l'amour des parures, et le luxe des habits, par l'auteur du Traité contre les danses et les mauvaises chansons, Paris, chez Augustin-Martin Lottin, 1779, in-12, XII-228 p. GAUVIN, Jean Antoine dit Gallois (1761-1828), GENSONNÉ, Armand, Rapport de MM. Gallois et Gensonné, commissaires civils, envoyés dans les départements de la Vendée et des Deux-Sèvres. En vertu des décrets de l'Assemblée nationale des 16 juillet et 8 août 1791, fait à l'Assemblée nationale, le 9 octobre 1791, et imprimé par son ordre, Paris, Imp. nationale, s.d. [1791], in-8o, 23 p. Gazette du commerce, Paris, Knapen, 1764. GENSONNÉ, Armand (1758-1793), voir Gauvain (1791) GENNES, R. p. Henri-Anne-Daniel de (1684-1768), Lettres à M. l'Évêque d'Angers sur son mandement portant condamnation d'une thèse soutenue dans la maison de Notre-Dame des Ardilliers de Saumur le 23 et le 29 du mois d'aoust 1718. – Thèses sur la grâce soutenues dans la maison de Notre-Dame des Ardilliers, le 23 et le 29 du mois d'aoust 1718, s.l., 1718-1719, 2 vol. in-12. GIRARD, abbé N. (ancien curé de Saint-Loup), Les Petits prônes, ou Instructions familières principalement pour les peuples des campagnes, Bruxelles, s.n., 1769, [1re éd.1753]. GOUTTES, abbé Jean-Louis (1740-1794), voir Rulié (1780) GRASSE, Jacques de (1720-1782), Mandement de Mgr l'Évêque d'Angers pour la mission qui doit commencer le dimanche 2 mai 1762 [18 avril 1762], Angers, p.-L. Dubé, 1762. GRIFFET, Le p. Henri (1698-1771), L'Année du chrétien contenant les instructions sur les mystère et les fêtes, l'explication des Épîtres et des Évangiles. Avec l'abrégé de la vie d'un saint pour chaque jour de l'année…, Paris, chez Hippolyte Louis Guérin, 1747, 18 vol. in-12. GRIFFET, Le p. Henri, Sermons pour l'Avent, le Carême et les principales fêtes de l'année, prêchés par le R.P.H. Griffet, prédicateur ordinaire de Sa Majesté très-Chrétienne, Liège, chez J.F. Bassompierre, 1766, 4 vol. in-8o. GRIFFET, Le p. Henri, BERTHIER, Le p. Guillaume François, LA TOUR, Le p. Simon de, Mémoire concernant l'institut, la doctrine et l'établissement des jésuites en France. Nouvelle édition revue, très-correcte et très-complète, Rennes, chez Nicolas-Paul Vatar, 1762, [1re éd.1761], in-12, 414 p. GRIVEL, Guillaume (1735-1810), Théorie de l'éducation, ouvrage utile aux pères de famille et aux instituteurs. Seconde édition, Paris, Moutard, 1783, [1re éd.1775], 3 vol. in-12. GROS DE BESPLAS, abbé Joseph-Marie-Anne (1734-1783), Des causes du bonheur public, Paris, Vve Laurent Prault, 1774, [1re éd.1768], 2 vol. in-12. GUÉNET, Paul-Alexandre (1688-1769), Mémoire sur un ouvrage ayant pour titre : Ordonnance et instruction pastorale de Mgr l'évêque de Soissons, au sujet des assertions extraites par le Parlement des livres, thèse, cahiers composés, publiés et dictés par les jésuites, en date du 27 décembre 1762, et sur un mandement du 21 mars 1757 ayant pour titre : Mandement de Mgr l'évêque de Soissons qui ordonne qu'on chantera dans toutes les églises de son diocèse une messe solennelle et le Te Deum en action de grâce de la protection qu'il a plu à Dieu d'accorder à ce royaume en préservant le roi du danger qu'a couru sa personne sacrée, s.l., s.n., 1763, in-12, XVI-246 p. HAREL, Marie Maximilien dit le p. Elie (1749-1823), La Vraie philosophie, par le R. p. Elie Harel…, Strasbourg, Paris et Rouen, Guillot et Yeury, 1783, in-8o, VIII-275 p.

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HAUCHECORNE, abbé Frédéric Guillaume (1753-), Abrégé latin de philosophie, avec une introduction et des notes françaises…, Paris, chez l'auteur, 1784, 2 vol. in-12. HERVIEU DE LA BOISSIÈRE, abbé Simon (1707-1777), De la Vérité et des devoirs qu'elle nous impose, s.l., s.d., in-12, XXVIII-382 p. Les Hexaples ou les Six colonnes sur la constitution « Unigenitus ». La I. contient les propositions condamnées. La II. le texte de ces mêmes propositions, tirées du p. Quesnel. La III. le jugement de l'Écriture Sainte et des SS. Pères sur chacune des propositions condamnées. La IV. des remarques sur les différentes matières traitées dans la constitution. La V. la justification du p. Quesnel par lui-même. La VI. La doctrine des Jésuites opposée à celle des SS. PP. et du p.Q., avec l'histoire du livre des Réflexions morales du p. Quesnel, et de ce qui s'est passé au sujet de la constitution jusqu'à présent…, Amsterdam, Nicolas Potgieter, 1721, [1 re éd.1714], 6 tomes en 7 vol., in-4o. HOLBACH, Pierre Henri Dietrich de pseud. Boulanger (1723-1789), Œuvres de Boulanger, tome 7, Le Christianisme dévoilé, ou Examen des principes et des effets de la religion chrétienne, par feu Boulanger…, En Suisse, de l'Imprimerie philosophique, 1791, [1re éd.1767], in-12, 362 p. HOUDRY, Le p. Vincent (1631-1729), La Bibliothèque des Prédicateurs, qui contient les principaux sujets de la morale chrétienne. Mis par ordre alphabétique par le R. Père *** de la Compagnie de Jésus, Lyon, chez Antoine Bouchet, 1712-1724, 8 vol. in-4o. F0 AE La Colombière (1757) HUBERT, R. p. Mathieu (c.1640-1717), Sermons du Père Hubert, pour le Carême, pour l'Avent, sur quelques mystères,… et sur différents sujets panégyriques. Édités par le p. de Montreuil, Paris, la veuve Roulland, 1725, 5 tomes en 6 vol. in-12. HYACINTHE = Montargon, Robert-François Instructions et maximes pour les personnes qui veulent vivre très chrétiennement dans le monde, et principalement pour les femmes et filles. Avec des sentiments choisis des Pères de l'Église, par rapport aux même sujets, Paris, Jacques Estienne, 1719, in-12, 270 p. JACQUIN, abbé Armand-Pierre (1721-C.1780), Les Préjugés, Paris, Didot l'aîné, 1760, in-12, XXIV-372 p. JARD, abbé François (1675-1768), voir Bonnaire (1763) JAUFFRET, abbé Gaspard-Jean-André-Joseph (1759-1823), De la Religion à l'Assemblée nationale, discours philosophique et politique, où l'on établit les principaux caractères qu'il importe d'assigner au système religieux pour le réunir au système politique dans une même constitution et où l'on examine si ces caractères peuvent également convenir à la religion catholique…, Paris, Le Clère, 1790, in-8o, VIII-152 p. JOANNET, abbé Jean-Baptiste (1716-1789), Lettres sur quelques ouvrages de piété, ou Journal Chrétien, dédié à la Reine, Paris, M. Lambert et C. J. Panckoucke, 1754-1764, 40 vol. in-12. JOLY DE CHOIN, Louis-Albert (1702-1759), Instructions sur le rituel, contenant la théorie et la pratique des sacrements et de la morale et tous les principes et décisions nécessaires aux curés, confesseurs, bénéficiers, prêtres ou simples clercs, par feu Mgr Louis-Albert Joly de Choin, évêque de Toulon, Lyon, chez les frères Périsse, 1780, [1re éd.1749], 3 vol. in-4o. LA BRUYÈRE, Jean de (1645-1696), Les Caractères de Théophraste, traduits du grec : Avec les Caractères ou mœurs de ce siècle, Paris, chez Estienne Michallet, 1688, in-12, 360 p. LA CHALOTAIS, Louis-René de Caradeuc de (1701-1785), Essai d'éducation nationale, ou Plan d'études pour la jeunesse, par Messire Louis René de Caradeuc de La Chalotais, procureur Général du Roi au parlement de Bretagne, s.l. [Genève], s.n. [Ant. Philibert], 1763, IV-145 p.

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LA COLOMBIÈRE, Le p. Claude de (1641-1682), Sermons prêchés devant son altesse royale Madame la duchesse d'Yorck par le R.P. Claude La Colombière… Nouvelle édition mise en meilleur françois, Lyon, J. M. Bruyset, 1757, 6 vol. in-12. LA COLOMBIÈRE, Le p. Claude, voir Houdry (1712-1724) ; Les Avocats des pauvres (1814) LA GIBONNAIS, Jean Arthur de (1648-1728), De l'Usure, intérest et profit qu'on tire du prest, ou l'Ancienne doctrine sur le prest usuraire opposée aux nouvelles opinions, Paris, Florentin Delaulne, 1710, in-12. LA LUZERNE, César-Guillaume de (1738-1821), Instruction pastorale de Mgr l'Évêque-Duc de Langres sur l'excellence de la religion, Paris, G. Desprez, 1786, in-12, 192-292 p. LAMBERT, Bernard de la Plaigne (1738-1813), Réflexions sur l'état actuel de l'Église, s.l., s.n., 1787, in-4o, 8 p. LAMBERT, Bernard de la Plaigne, voir Montazet (1776) LAMBERT, Joseph (1654-1722), Instructions courtes et familières pour tous les dimanches et les principales fêtes de l'année en faveur des pauvres, et particulièrement des gens de la campagne. Par messire Joseph Lambert, docteur en théologie, de la maison & société de Sorbonne, prieur de Saint-Martin de Palaiseau. Première année, sur les Évangiles. Troisième édition, tome I, Paris, chez Philippe-Nicolas Lottin, 1723, [1re éd.1721], [6]-371 p. LAMENNAIS, Hugues-Félicité Robert de (1782-1854), Œuvres complètes de F. de La Mennais, tome 5, Réflexions sur l'état de l'Église en France pendant le XVIIIe siècle et sur sa situation actuelle, Paris, p. Daubrée et Cailleux, 1836-1837, in-8o LAMOURETTE, abbé Antoine-Adrien (1742-1794), Considérations sur l'esprit et les devoirs de la vie religieuse…, Paris, Berton, 1785, in-12, XII-302 p. LAMOURETTE, abbé Antoine-Adrien, Les Délices de la religion, ou le Pouvoir de l'Évangile pour nous rendre heureux, Paris, Mérigot jeune, 1789, [1re éd.1788], in-12, LIX-372 p. LAMY, R. p. Bernard (1640-1715), Entretiens sur les sciences, dans lesquels, outre la méthode d'étudier, on apprend comme l'on doit se servir des sciences, pour se faire l'esprit juste et le cœur droit et pour se rendre utile à l'Église. On y donne des avis importans à ceux qui vivent dans des maisons ecclésiastiques, Grenoble, chez A. Fremon, 1683. LANIEZ, abbé Louis (1686-1762), voir Les Hexaples (1721) LA PORTE, abbé Jean-Baptiste-Barthelemy de (1699- ?), Principes théologiques, canoniques et civils, sur l'usure, appliqués aux prêts de commerce entre les négocians… Avec six lettres à un Ami, en réponse à un ouvrage publié sous ce titre : Traité des prêts du commerce et de l'intérêt légitime et illégitime de l'argent, Paris, Delévacque, 1769-1772, 3 vol. in-12. LA PORTE, abbé Jean-Baptiste-Barthelemy de, MAULTROT, Gabriel-Nicolas (1714-1803), Le Défenseur de l'usure confondu, ou Réfutation de l'ouvrage intitulé : Théorie de l'intérêt de l'argent. On y a joint un recueil chronologique des ordonnances et arrêts qui condamnent toute usure indistinctement, Paris, B. Morin, 1781, 407 p. LASNE D'AIGUEBELLE, La religion du cœur exposée dans les sentiments qu'une tendre piété inspire… à l'usage des personnes du monde, par M. le chevalier de ***, Paris, Delalain, 1768, in-12, X-405 p. LA TOUR, Le p. Simon de (1697-1766), voir Griffet (1762) LA ROCHEFOUCAULD, François de (1613-1680), Réflexions, ou Sentences et maximes morales. Avec un discours sur les Réflexions par Jean Regnauld, sieur de Segrais, Paris, chez Claude Barbin, 1665, in-12, 150 p. LA RUE, Le p. Charles de (1643-1725), Sermons du p. de la Rue, de la Compagnie de Jésus, pour l'Avent et le Carême, Paris / Lyon, aux dépens de Rigaud / Anisson et Pasuel, 1719, 4 vol. in-8o.

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LA RUE, Le p. Charles, voir Les Avocats des pauvres (1814) LA VILLE, François de, Préjugés légitimes contre le Jansénisme. Avec une histoire abrégée de cette erreur depuis le commencement des troubles que Jansénius et M. Arnaud ont causés dans le monde jusque à leur pacification. Par un Docteur de Sorbonne, Cologne, chez Abraham Du Bois, 1686, in-12, 289 p. LE CHAPELAIN, Le p. Charles-Jean-Baptiste (1710-1779), Sermons ou discours sur différents sujets de piété et de religion, publiés par le p. Théophile-Ignace Ansquer de Londres, Paris, p.-G. Le Mercier, 1768, 6 vol. in-12. LE CHAPELAIN, Le p. Charles-Jean-Baptiste, voir Les Avocats des pauvres (1814) LE COMTE, Le p. Louis (1655-1728), Nouveaux mémoires sur l'état présent de la Chine. Par le p. Louis Le Comte, de la Compagnie de Jésus, mathématicien du Roy, Paris, J. Anisson, 1696, 2 vol. in-8o. LE COUSTURIER, abbé Nicolas-Jérôme (1712-1778), Discours prononcés en différentes solennités de piété, Paris, Brocas et Humblot, 1764, in-8o, 313 p. LEFEVRE D'EAUBONNE, voir Les Hexaples (1721) LE FRANC DE POMPIGNAN, Jean-Georges (1715-1790), Lettres à un évêque sur divers points de morale et de discipline, concernant l'épiscopat, par M. de Pompignan, Archevêque de Vienne. Ouvrage posthume, imprimé sur le manuscrit autographe… Précédé d'une notice de la vie et des écrits de l'auteur par l'abbé J.-A. Emery, Paris, Librairie de la Société typographique, an X (1802), 2 vol. in-8o. LE FRANC DE POMPIGNAN, Jean-Georges, Défense des actes du clergé de France concernant la religion, publiée en l'assemblée de 1765 par M. l'évêque du Puy, Louvain, 1769, in-4o, VIII-479 p. LEGRAND, abbé Louis (1711-1780), Censure de la Faculté de théologie de Paris contre le livre qui a pour titre « Émile ou De l'éducation », Paris, Pierre-Alexandre Le Prieur, 1762, in-4o, 215 p. LEGROS, abbé Nicolas (1675-1751), Entretiens du prêtre Eusèbe et de l'avocat Théophile, sur la part que les laïques doivent prendre à l'affaire de la constitution « Unigenitus » et de l'appel qui en a été interjeté, s.l., 1724, in-12, 101 p. LEGROS, abbé Nicolas, voir Fontaine de la Roche (1759) LE MAÎTRE DE CLAVILLE, Charles-François-Nicolas (1670-1740), Traité du vrai mérite de l'homme considéré dans tous les âges et dans toutes les conditions, avec des principes d'éducation propres à former les jeunes gens à la vertu, Amsterdam, aux dépens de la compagnie des imprimeurs-libraires, 1764, [1re éd.1734], 2 tomes en 1 vol. in-12. LE PAIGE, Louis-Adrien (1712-1802), Lettre à un ami sur un écrit intitulé : « Sur la destruction des Jésuites en France, par un auteur désintéressé », s.l., s.n., 1765, in-12. LE PELLETIER, abbé Claude (c.1670-1743), Nouvelle défense de la constitution de N.S.P. le Pape, portant condamnation du « Nouveau Testament du p. Quesnel » où l'on démontre l'héréticité de plusieurs, et la fausseté de toutes les cent et une propositions extraites du même N. Testament et condamnées par N.S.P. le pape Clément XI, le 8 septembre 1713, et ensuite par toutes les églises, par un prêtre du clergé, docteur en théologie, Lyon, chez Nicolas De Ville, 1715, [1re éd.1714], in-12, 417 p. LE SEMELIER, R. p. Jean-Laurent (? – 1725), Conférences ecclésiastiques de Paris, sur l'usure et la restitution où l'on concilie la discipline de l'Église avec la jurisprudence du Royaume de France. Établies et imprimées par ordre de S. E. Mgr le Cardinal de Noailles…, Paris, chez les frères Estienne, 1773, [1re éd. 1718], 4 vol. in-12. LE TELLIER, Le p. Michel, voir Bouhours (1694)

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Lettre à M. Rousseau, citoyen de Genève, par M. M…, citoyen de Paris, Paris, s.n., 1756, in-8o. Lettres à un ami sur la destruction des jésuites, s.l., s.n., 1774, in-12. LIGER, abbé René, Lettres critiques et dissertation sur le prêt de commerce par M. Liger, prêtre, Caen, imp. de J.-C. Pyron, 1774, in-12, 234 p. LIGER, abbé René, Triomphe de la religion chrétienne sur toutes les sectes philosophiques, Paris, Charles-Pierre Berton, 1785, in-12, XXIV – 456 p. LOMBARD, Le p. Théodore, Réponse à un libelle intitulé : Idée générale des vices principaux de l'Institut des Jésuites, tirés de leurs constitutions et autres titres de leur société. [suivi de :] Lettres d'un ami de la vérité à ceux qui ne haïssent pas la lumière, ou réflexions critiques sur les reproches faits à la Société de Jésus, relativement à la Doctrine…, Avignon, chez Louis Chambeau, 1761, in-12, 220 p. LOUIS, Dom (ex-bénédictin du couvent de Saint-Denis [d'après Barbier]), Le Ciel ouvert à tout l'univers, par… J.J., s.l., s.n., 1782, in-8o, VIII-168 p. MAILLE, R. p. Joseph-Auguste (1707-1762), Le Père Berruyer convaincu d'obstination dans l'arianisme, le pélagianisme, le nestorisme, etc., ou Confrontation de la doctrine de la troisième partie de l'« Histoire du peuple de Dieu », composée par ce jésuite, avec celle des dissertations latines qu'il avait données pour servir de clé à l'intelligence de la seconde partie de cette histoire. Nouvelle édition, s.l. [La Haye], [Néaulme], 1758, [1re éd. 1755], in-12, XIV – 356 p. MALEVILLE, abbé Guillaume de (1699 – ?), Examen approfondi des difficultés de M. Rousseau, de Genève, contre le christianisme catholique, Paris, s.n., 1769, in-12, IV – 379 p. MANGIN, abbé de (? – c. 1782), Introduction au saint ministère, ou la Manière de s'acquitter dignement de toutes les fonctions de l'état ecclésiastique, tant pour le spirituel que pour le temporel, Paris, Joseph Bullot, 1750, 3 vol. in-12. MARBEUF, Yves Alexandre de (1734-1798), Lettre pastorale de Mgr l'archevêque de Lyon, pour exhorter les fidèles à secourir les pauvres ouvriers qui manquent de travail. Du 22 novembre 1788, Lyon, Aime de la Roche, 1788. MASSILLON, R. p. Jean-Baptiste (1663-1742), Œuvres de Massillon évêque de Clermont, Paris, Lefèvre et Pourrat frères, 1838, 3 vol. in-8o. MASSILLON, R. p. Joseph (1705-1780), Réponse de M*** à M. l'évêque de*** sur cette question : Y a-t-il quelque remède aux maux de l'Église de France ?, s.l., s.n., 1778, in-12, 474 p. MASSILLON, R. p. Joseph, voir Les Avocats des pauvres (1814) MAULTROT, Gabriel-Nicolas (1714-1803), voir La Porte (1781) MAURY, Jean-Siffrein (1746-1817), Essai sur l'éloquence de la chaire, panégyriques, éloges et discours, par Mgr le Cardinal Maury. Nouvelle édition considérablement augmentée, Paris, Gabriel Warée, 1810, [1re éd. 1804], 2 vol. in-8o. MÉGANCK, abbé François Dominique (1684-1775), Défense des contrats de rentes rachetables des deux côtés, communément usités en Hollande, ou Réflexions sur la lettre de Mr***, docteur en Sorbonne, du 25 mars 1730, à M. Van Erckel … touchant la matière de l'usure par rapport à ces contrats, Amsterdam, Nicolas Potgieter, 1730-1731, 2 vol. en 1 in-4o. MÉGANCK, abbé François Dominique, Suite de la défense des contrats de rentes rachetables des deux côtés…, Amsterdam, Nicolas Potgieter, 1731, in-4o, 120 p. MELON, Jean-François (1675-1738), Essai politique sur le commerce, par M. M***, s.l., s.n., 1736, [1re éd. 1734], IV – 399 p. Mémoires pour servir à l'histoire des sciences et des arts (communément appelés Mémoires ou Journal de Trévoux), Paris et Trévoux, 1701-1767, 265 vol. in-12. MÉSENGUY, abbé François-Philippe (1677-1763), Abrégé de l'histoire de l'Ancien Testament, où l'on a conservé autant qu'il a été possible, les propres paroles de l'écriture sainte, avec des

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éclaircissements et des réflexions, Paris, chez Desaint et Saillant, 1747-1753, [1re éd. 1737], 10 vol. in-12. MÉSENGUY, abbé François-Philippe, Mémoire justificatif du livre intitulé « Exposition de la doctrine chrétienne, ou Instructions sur les principales vérités de la religion », ouvrage posthume de l'abbé Mésenguy… édité par Claude Lequeux, s.l. [Cologne], s.n., 1763, [1re éd. 1744], in-8o, CXXXVIII – 240 p. MESGRIGNY, Joseph-Ignace-Jean-Baptiste de (1653-1726), PAUL DE LYON, Lettres instructives Sur les erreurs du temps. I. Lettre où l'on explique les véritez que l'Église nous oblige de croire… II. Lettre, où se fait… le parallèle de la doctrine de Jansénius avec celle de S. Augustin et de Calvin. III. Lettre, où l'on explique les passages de S. Augustin qui paroissent opposez aux décisions de l'Eglise. IV. Lettre, où l'on répond aux questions et aux difficultés qu'on propose communément touchant la Constitution « Unigenitus », portant condamnation du Nouveau Testament du p. Quesnel. Troisième édition, Lyon, les frères Bruyset, 1722, [1re éd. 1715], 2 vol. in-12. MESPOLIÉ, père François, Trois sortes d'examens très-utiles pour faire une confession générale et particulière, Paris, E. Couterot, 1706, in-12, 113 p. MEYNIEL, Jean (1734- ?), Maximes du droit naturel sur le bonheur…, Paris, Bossange, 1791, in-8o, VIII – 224 p. MIGNOT, abbé Etienne (1698-1771), Traité des Prêts de commerce, où l'on compare la doctrine des Scholastiques sur ces Prêts, avec celle de l'Écriture sainte et des Saints Pères ; par M***, docteur de la Faculté de théologie de Paris, Lille, chez Pierre Mathon, 1738, in-4o, XVI – 411 p. MIRABEAU, Victor Riqueti de (1715-1789), QUESNAY, François, Précis de l'organisation, ou Mémoire sur les Etats provinciaux, s.l., Claude Jean-Baptiste Hérissant, 1758, [1re éd. 1750], in-4o, [8]-278-81 p. MOLINIER, R. p. Jean-Baptiste (1675-1745), Sermons choisis sur les mystères, la vérité de la religion, différents sujets de la morale chrétienne, etc., Paris, chez Claude-Jean-Baptiste Hérissant, Philippe-Nicolas. Lottin et p. – G. Lemercier, 1730, 8 vol. in-12. MONTAIGNE, Michel Eyquem de (1533-1592), Les Essais de Michel de Montaigne publiés d'après l'exemplaire de Bordeaux par Fortunat Strowoski, François Gebelin et Pierre Willey, Bordeaux, imp. de S. Millanges, 1906-1920, [1re éd. 1580], 4 vol. MONTARGON, Robert-François de dit le père Hyacinthe de l'Assomption (1703-1770), Dictionnaire apostolique, à l'usage de MM. les curés des villes et de la campagne et de tous ceux qui se destinent à la chaire, par le p. Hyacinthe de Montargon…, Paris, Veuve de Philippe- Nicolas Lottin et J.-H. Butard, 1752-1758, 13 vol. in-8o. MONTARGON, Robert-François de, Table générale alphabétique et raisonnée de toutes les matières traitées dans les XII volumes du Dictionnaire apostolique du p. Hyacinthe de Montargon…, Paris, Augustin-Martin Lottin l'aîné, 1768, [1re éd. 1765], in-12. MONTAZET, Antoine de Malvin de (1713-1788), Mandement et instruction pastorale de Mgr l'Archevêque de Lyon portant condamnation des trois parties de l'Histoire du peuple de Dieu, composée par le F. Berruyer de la Compagnie de Jésus, des Écrits imprimés pour la défense de ladite histoire et du Commentaire latin du p. Hardouin, de la même Compagnie, sur le Nouveau Testament. Du 24 décembre 1762, Lyon, chez Aimé Delaroche et chez Claude Cizeron, 1763, in-4o, 124 p. MONTAZET, Antoine de Malvin de, LAMBERT, Bernard de la Plaigne, Instruction pastorale de Mgr l'archevêque de Lyon [Antoine Malvin de Montazet], sur les sources de l'incrédulité et les

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fondements de la religion, Paris / Lyon, p.-Guillaume Simon / Aimé de la Roche, 1776, in-12, 476 p. MONTESQUIEU, Charles-Louis de Secondat (1689-1755), Pensées et fragments inédits de Montesquieu, publiés par la baron Gaston de Montesquieu, Bordeaux, Publication de la société des bibliophiles de Guyenne, 1901, in-8o, 657 p. MUSNIER, Le p. François, voir Bouhours (1694) NECKER, Jacques (1732-1804), De l'Importance des opinions religieuses, par M. Necker, Londres / Paris, Hôtel de Thou, 1788, in-8o, IV – 544 p. NEUVILLE, Didier-Pierre Chicaneau de (1720-1781), Dictionnaire philosophique portatif, ou Introduction à la connaissance de l'homme. Seconde édition, revue, corrigée et augmentée considérablement, Lyon, chez Jean-Marie Bruyset, 1756, [1re éd. 1751], in-8o, VII-[1]-276- [3] p. NEUVILLE, Le p. Charles Frey de (1693-1774), Sermons du Père Charles Frey de Neuville. Edités par les PP. Yves Mathurin Marie Tréaudet de Querbeuf et Matt, Paris, chez Mérigot le jeune, 1776, 8 vol., in-12. NEUVILLE, Le p. Charles Frey de, voir Les Avocats des pauvres (1814) NICOLAS, de Dijon, Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés, tome 17, Œuvres complètes de Maboul, de Mascaron, de La Chambre ; les oeuvres choisies de Nicolas de Dijon ; la première partie des œuvres complètes de Richard (l'avocat), Petit-Montrouge, Ateliers catholiques, 1845, 1282 col. NICOLE, Pierre (1625-1695), Essais de morale. Quatrième volume, contenant deux traittez : le I. sur les Quatre dernières fins de l'homme, le II. sur la Pratique de vigilance chrestienne. Paris, Guillaume Desprez, 1682, [1re éd.1678], in-12, 463 p. NICOLE, Pierre, Essais de morale, contenus en divers traités sur plusieurs devoirs importants [- Continuation des Essais de morale contenant des Réflexions morales sur les Épîtres et Évangiles], Paris, G. Desprez, 1713, [éd. commencée en 1671], 10 vol. in-12. NICOLE, Pierre, Essais de morale contenus en divers traittés sur plusieurs devoirs importans. Premier [-sixième] volume : Essais de morale, ou Lettres écrites par feu Monsieur Nicole, tome septième [-huitième] : Continuation des Essais de morale, tome neuvième [-treizième] contenant des Réflexions morales sur les Épîtres et Évangiles… Nouvelle édition, augmentée des Épîtres et Évangiles en leur entier…, Paris, Guillaume Desprez, 1725, [1re éd.1714-1715], 13 vol. in-18. NICOLE, Pierre, Instructions théologiques et morales sur le premier commandement du Décalogue, où il est traité de la foi, de l'espérance et de la charité, par feu M. Nicole, Paris, Guillaume Desprez, 1725-1727, [1re éd.1710], 2 vol. in-18. NICOLE, Pierre, Essais de morale contenus en divers traittés sur plusieurs devoirs importans. Premier [-sixième] volume. – Essais de morale, ou Lettres écrites par feu Monsieur Nicole, tome septième [-huitième]. – Continuation des Essais de morale, tome neuvième [-treizième] contenant des Réflexions morales sur les Épîtres et Évangiles… Nouvelle édition, augmentée des Epîtres et Evangiles en leur entier…, Paris, Guillaume Desprez, 1733-1741, [1re éd.1714-1715], 13 vol. in-12. NIVELLE, abbé Gabriel-Nicolas (1686-1761), voir Les Hexaples (1721) NONNEY DE FONTENAY, Claude de, Lettres sur l'éducation des princes, avec une lettre de Milton où il propose une nouvelle manière d'élever la jeunesse d'Angleterre, par l'abbé Le Blanc, Edimbourg, J. True-Man, 1746, in-12, XCV-176 p. Nouvelles ecclésiastiques, ou Mémoires pour servir à l'histoire de la Constitution Unigenitus, années 1728-1798, 71 vol. in-4o.

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F0 AE Avertissement du clergé de France… (1770), Consultation sur la défense de lire le livre des Réflexions morales… (1783), Cordier (1746), Eusèbe (1772), Fumel (1767), Gauthier (1779), Grasse (1762), Griffet (1747), Hauchecorne (1784), Maleville (1769), Marbeuf (1788), Montazet (1763), Pinault (1770), Raynaud (1770), Séguier (1771) et Yvon (1776) Objections et réponses au sujet de la constitution « Unigenitus », [c.1715], 2 parties en 1 vol. in-12, 302 p. PACAUD, R. p. Pierre (1682-1760), Discours de piété sur les plus importants objets de la religion, ou Sermons pour l'Avent, le Caresme et les principaux mystères, Paris, Desaint et Saillant, 1745, [1re éd.1744], 3 vol. in-12. PASCAL, Blaise (1623-1662), Original des « Pensées » de Pascal : fac-similé du manuscrit 9202 (fonds français) de la Bibliothèque nationale… Texte imprimé en regard et notes, par Léon Brunschvicg… Paris, Hachette & Cie, 1905, in-fol, VIII-495-6 p. PASCAL, Blaise, Œuvres de Blaise Pascal publiées suivant l'ordre chronologique, avec documents complémentaires, introductions et notes… par MM. Léon Brunschvicg, Pierre Boutroux et Félix Gazier, Paris, Hachette, 1908-1925, 8 et 3 vol. in-8o. PATOUILLET, Le p. Pierre-Louis (1699-1779), Apologie de Cartouche, ou le Scélérat justifié par la grâce du Père Quesnel. En forme de Dialogue, Avignon, chez Pierre Fidèle, 1733, [1 re éd. 1731], in-12, 88 p. PAUL DE LYON, voir Mesgrigny (1722) PELVERT, abbé Bon-François Rivière (1714-1781), Dénonciation de la doctrine des ci-devant soi-disant Jésuites, tant sur le dogme que sur la morale, à Nosseigneurs les archevêques et évêques de l'Église de France, s.l., s.n., 1767, in-12, 354[-10] p. PELVERT, abbé Bon-François Rivière, Lettres d'un théologien à M***, où l'on examine la doctrine de quelques écrivains modernes contre les incrédules, s.l., 1776, [1re éd.1769], in-12, 446 p. PETITPIED, Nicolas (1665-1747), Lettres touchant la matière de l'usure par rapport aux contrats de rentes rachetables des deux côtés, Lille [Utrecht], chez Pierre Mathon, 1731, in-4o, [II], 175, [1] p. PEY, abbé Jean (?-1797), Le Philosophe catéchiste, ou Entretiens sur la religion entre le comte de *** et le chevalier de ***, Paris, Humblot et Volland, 1779, in-12, XXIV-455 p. PEYSSONEL, Charles de (1700-1757), L'Anti-radoteur, ou le Petit philosophe moderne, Londres, Emsley, 1785, in-12, VIII-288 p. PHILIPON DE LA MADELAINE, Louis (1734-1818), Vues patriotiques sur l'éducation du peuple, tant des villes que de la campagne, avec beaucoup de notes intéressantes…, Lyon, p. Bruyset- Ponthus, 1783, 344 p. PINAULT, Pierre-Olivier dit frère Pierre (?-1790), La Nouvelle philosophie dévoilée et pleinement convaincue de lèse-majestée divine et humaine au premier chef, En France, 1770, in-12, 113 p. PLUCHE, abbé Noël-Antoine (1688-1761), Le Spectacle de la nature, ou Entretiens sur les particularités de l'histoire naturelle qui ont paru les plus propres à rendre les jeunes gens curieux et à leur former l'esprit, tome 7, Ce qui regarde l'homme en société, Paris, chez la veuve Estienne, 1746, [1re éd.1732], in-12. PONCELET, Le p. Polycarpe (1720-1780), Principes généraux pour servir à l'éducation des enfans particulièrement de la noblesse française. Tome premier, Paris, p.-G. Le Mercier, 1763, in-8o, XXIII-[5]-268 p. PONCET DE LA RIVIÈRE, Mathias (1707-1780), Oraison funèbre de très-haut, très-puissant et très- excellent prince Louis XV, roi de France et de Navarre, prononcée dans la chapelle de l'école

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royale militaire, le 27 septembre 1774, par messire Mathias Poncet de la Rivière, évêque de Troyes, Paris, imp. de Guillaume Desprez, 1774, in-12, 70 p. POULLE, abbé Nicolas-Louis (1703-1781), Sermons de M. l'abbé Poulle, prédicateur du Roi, abbé commendataire de Notre-Dame de Nogent, Paris, Mérigot le jeune, 1781, [1re éd.1778], 2 vol. in-8o. PRIGENT, abbé, Observations sur le prêt à intérêt dans le commerce, par M. l'abbé P***, docteur de la faculté de théologie de Paris, et chanoine du pénitencier de ***, Paris, C. Berton, 1783, in-12, 456 p. PROST DE ROYER, Antoine-François (1729-1784), Lettre à Monseigneur l'archevêque de Lyon [Antoine Malvin de Montazet] dans laquelle on traite du prêt à intérêt à Lyon, appelé dépôt de l'argent suivant ses rapports : 1o Le droit naturel. 2o L'état des choses et les conséquences. 3o Le droit divin. 4o Les opinions humaines en la doctrine de l'église. 5o Le droit civil. 6o Le droit civil particulier au commerce de Lyon, Avignon [Lyon], s.n., 1763, in-8o, 93 p. QUESNAY, François (1694-1774), voir Mirabeau (1758) QUESNEL, R. p. Pasquier (1634-1719), Abrégé de la morale des Actes des Apôtres et des Epitres de S. Paul, ou Pensées chrétienne sur le texte de ces livres sacrés, Paris, chez André Pralard, 1697, [1re éd.1687], 2 tomes en 1 vol. in-12. QUESNEL, R. p. Pasquier, Le Nouveau testament en françois, avec des réflexions morales sur chaque verset, pour en rendre la lecture plus utile, & la méditation plus aisée. Nouvelle édition augmentée… Tome premier [-quatrième], Paris, chez André Pralard, 1705, [1re éd. 1693], 4 tomes en 8 vol. in-8o. QUESNEL, R. p. Pasquier, Le Nouveau testament en françois, avec des Réflexions morales sur chaque verset, pour en rendre la lecture plus utile, et la méditation plus aisée… Nouvelle édition corrigée et augmentée par l'auteur, Amsterdam, aux dépens de Joseph Nicolai, 1736, [1re éd.1727], 8 vol. in-12. QUESNEL, R. p. Pasquier, Pensées de Quesnel, lettres et fragments de ses écrits de piété, Paris, L.-R. Delay, 1842, in-8o, IV-296 p. RAYNAL, Guillaume-Thomas-François (1711-1796), Recueil de diverses pièces, servant de supplément à l'Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes, Genève, chez Jean-Léonard Pellet, 1783, in-8o, 430 p. RAYNAUD, abbé Marc-Antoine (1717-1796), Traité de la foi des simples, dans lequel on fait une analyse de cette foi, l'on prouve qu'elle est raisonnable et l'on répond aux objections des incrédules, s.l. [Paris], s.n. [chez les Associés], 1770, in-12, 371-[9] p. Recueil des pièces de poésie et d'éloquence présentées à l'Académie des Belles-Lettres de Marseille, Marseille, p. Boy et Sibié, 1727-1760, in-8o. RÉGUIS, abbé François-Léon (1725-1770), La Voix du pasteur, discours familiers d'un curé à ses paroissiens, pour tous les dimanches de l'année, par M. Réguis,… 1er dominicale…, Paris, Claude Bleuet, an XI (1803), 2 vol. in-8o. RÉGUIS, abbé François-Léon, La Voix du pasteur, discours familiers d'un curé à ses paroissiens, pour tous les dimanches de l'année…, Paris, Claude Bleuet, 1766, 2 vol. in-8o. RÉGUIS, abbé François-Léon, La Voix du pasteur, discours familiers d'un curé à ses paroissiens, pour tous les dimanches de l'année… 2e dominicale…, Paris, chez Claude Bleuet, 1773, 4 vol. in-12. RÉGUIS, abbé François-Léon, La Voix du pasteur, ou Instructions familières pour tous les dimanches de l'année… Nouvelle édition, Lyon, imp. Giard et Josserand, 1855, 2 vol. in-16. RICHARD, Jean, Collection intégrale et universelle des orateurs sacrés, tome 17, Œuvres complètes de Maboul, de Mascaron, de La Chambre ; les œuvres choisies de Nicolas de Dijon ; la première

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partie des œuvres complètes de Richard (l'avocat), Petit-Montrouge, Ateliers catholiques, 1845, 1282 col. RIGOLEY DE JUVIGNY, Jean Antoine (?-1788), De la Décadence des lettres et des mœurs, depuis les Grecs et les Romains jusqu'à nos jours, Paris, chez Mérigot le jeune, 1787, in-8o, 511 p. RIVAROL, Antoine de (1753-1801), Seconde lettre à M. Necker sur la morale, Berlin, s.n., 1788, in-8o, 44 p. RIVAROL, Antoine de, Œuvres complètes de Rivarol, précédées d'une notice sur sa vie par Charles Julien Liout de Chênedollé et François Joseph Marie Fayolle, Paris, Léop. Collin, 1808, 5 vol. in-16. ROUAULT, abbé Laurent (1681-1750), Les Quatre fins de l'homme, avec des réflexions capables de toucher les pécheurs les plus endurcis et de les ramener dans la voie du salut, Avranches, chez Jean Baptiste Bernard, 1737, [1re éd. 1734], in-12, XVI-336 p. ROUGANE, abbé Claude (1724-1794), Les Nouveaux patrons de l'usure réfutés, y compris le dernier défenseur de Calvin sur le même sujet. Ouvrage dédié aux États-Généraux, Paris, Veuve Hérissant, 1789, in-12, XLVI-606 p. ROUILLÉ D'ORFEUIL, Augustin [d'après Barbier et Quérard], L'Alambic moral, ou Analyse raisonnée de tout ce qui a rapport à l'homme, par l'ami des François, à Maroc [Paris, d'après Weller], 1773, in-8o, XII-570-[2] p. RULIÉ, Pierre, TURGOT, Anne-Robert-Jacques, GOUTTES, abbé Jean-Louis, Théorie de l'intérêt de l'argent, tirée des principes du droit naturel, de la théologie et de la politique, contre l'abus d'imputation d'usure, Paris, chez Barrois l'aîné, 1780, in-12, XXIII-309 p. SAINT-LAMBERT, Jean-François de (1716-1803), Les Saisons, poême. L'Abenaki, Sara Th., Ziméo, contes. Fables orientales. Cinquième édition, revue et corrigée, Amsterdam, s.n., 1773, [1re éd. 1769], in-8o. SAINT-SIMON, Louis de Rouvroy de (1675-1755), Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV et la Régence. Collationnés sur le manuscrit original par M. Chéruel, et précédés d'une notice biographique par M. Sainte-Beuve, Paris, L. Hachette, 1907, [1re éd. 1871], in-16. SEDAINE, Michel-Jean (1719-1797), Le Philosophe sans le savoir, comédie en prose et en cinq actes, représentée par les comédiens français ordinaires du Roi, le 2 novembre 1765, Paris, chez Claude Hérissant, 1766, in-8o, II-96-16 p. SÉGUIER, Antoine Louis (1726-1792), Réquisitoire sur lequel est intervenu l'arrêt du Parlement du 18 août 1770, qui condamne a être brûlés différents livres ou brochures, intitulés, 1o La Contagion sacrée, ou l'histoire naturelle de la superstition. 2o Dieu et les hommes. 3o Discours sur les miracles de Jésus-Christ. 4o Examen critique des apologistes de la religion chrétienne. 5o Examen impartial des principales religions du monde. 6o Le Christianisme dévoilé… 7o Système de la nature…, Paris, Imprimerie royale, 1770, in-4o, 35 p. SÉNAC DE MEILHAN, Gabriel (1736-1803), Considérations sur l'esprit et les mœurs. Réédition choisie et commentée par Fernand Caussy, Paris, E. Sansot & Cie, 1905, [1re éd. 1787], 19 cm, 282 p. SERRES DE LA TOUR, Alphonse de, Du Bonheur, par M. Desserres de La Tour, ancien officier au régiment de Navarre, Londres et Paris, Dufour, 1767, in-12, 368 p. SOANEN, R. p. Jean (1647-1740), Lettres de messire Jean Soanen, évêque de Senez, Cologne, aux dépens de la Compagnie, 1750, 7 vol. in-8o. SOANEN, R. p. Jean, Sermons sur différents sujets prêchés devant le Roi, Lyon, Benoit Duplain, 1767, 2 vol. in-12.

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Le Socrate marseillais, ou Particularités instructives et intéressantes pour l'humanité au sujet du fameux Annibal Camoux, décédé il y a environ 12 ans à l'âge de 122, Marseille, chez J. Mossy, 1773, XII-151 p. SOUCHET, Etienne, Traité de l'usure servant de réponse à une lettre sur ce sujet, publiée en 1770, sous le nom de M. Prost de Royer,… et au traité anonyme sur le même sujet, imprimé à Cologne en 1769… Suivi de l'encyclique du pape Benoît XIV sur l'usure, datée du 1er novembre 1745, avec la traduction française, Paris, Bastien, 1776, in-12, XII-252 p. Supplément aux ordonnances ou instructions pastorales de quelques uns de nosseigneurs les Évêques, contre le père Pichon, En France, s.n., 1755, 3 part, en 1 vol. in-12, 6- VIII-335-116[-2] p. TERRASSON, R. p. Gaspard (1680-1752), Sermons de M. Gaspard Terrasson, ci-devant Prêtre de l'Oratoire, Paris, Didot, 1749, 4 vol. in-12. THOMASSIN, R. p. Louis (1619-1695), Traité du Négoce et de l'Usure, divisé en deux parties, par le R.P. Louis Thomassin. Traités historique et dogmatiques sur divers points de la discipline de l'Eglise et de la morale chrétienne, Paris, Louis Roulland, 1697, in-8o, 504 p. TOURON, le p. Antoine (1686-1775), De la Providence, traité historique, dogmatique et moral, avec un discours préliminaire contre l'incrédulité et l'irréligion…, Paris, Babuty père, 1754, in-12, XVI-548 p. TOUSSAINT, François-Vincent (1715-1772), Les Mœurs, Amsterdam, au dépens de la Compagnie, 1749, in-8o, XL-391 p. TOUSSAINT, François-Vincent, Éclaircissement sur les mœurs, par l'auteur des « Mœurs »…, Amsterdam, chez Marc-Michel Rey, 1762, in-12, LX-333 p. TRONCHAY, Michel (1668-1735), Vie de M. Lenain de Tillemont, avec des réflexions sur divers sujets de morale, et quelques lettres de piété, Cologne, s.n., 1711, in-12. TRONSON, Louis (1622-1700), Examens particuliers sur divers sujets propres à toutes les personnes qui veulent s'avancer dans la perfection, par feu M. Tronson… Nouvelle édition par J.-E.-A. Emery, Marseille, J. Mossy, 1811, [1re éd.1690], in-12, 515 p. TRUBLET, abbé Nicolas-Charles-Joseph (1697-1770), Essais sur divers sujets de littérature et de morale. Deuxième édition, Paris, chez Briasson, 1737, [1re éd. 1735], in-12, IV-460 p. TURGOT, Anne-Robert-Jacques (1727-1781), Œuvres de Turgot. Nouvelle édition classée par ordre des matières, avec les notes de Dupont de Nemours, augmentée de lettres inédites, des « Questions sur le commerce » et d'observations et de notes nouvelles par MM. Eugène Daire et Hippolyte Dussard, et précédée d'une notice sur la vie et les ouvrages de Turgot par Eugène Daire …, Paris, Guillaumin, « Collection des principaux économistes », 1844, 2 vol. in-8o. TURGOT, Anne-Robert-Jacques, voir Rulié (1780) Université de Paris, Faculté de théologie, Determinatio sacrae Facultatis parisiensis super libro cui titulus De l'Esprit – Censure de la faculté de théologie de Paris contre le livre qui a pour titre « De l'Esprit » [de Helvetius], Paris, chez Jean-Baptiste Garnier, 1759, in-4o, 79 p. VAUVENARGUES, Luc de Clapier de (1715-1747), Œuvres complètes de Vauvenargues, précédées d'une notice sur sa vie et ses ouvrages et accompagnées des notes de Voltaire, Morellet, Fortia et Suard, Paris, J.-L.-J. Brière, 1823, 3 vol. in-18. VERDIER, Jean (1735-1820), Cours d'éducation à l'usage des élèves destinés aux premières professions et aux grands emplois de l'État, contenant les plans d'éducation littéraire, physique, morale et chrétienne de l'enfance, de l'adolescence et de la première jeunesse ; le plan encyclopédique des études, et des règlements généraux d'éducation, Paris, l'auteur, chez Moutard et chez Colas, 1777, in-12, VIII-400 p.

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VOLTAIRE, François Marie Arouet dit (1694-1778), Dictionnaire philosophique portatif, Londres, 1764, VIII-344 p. VOLTAIRE, François Marie Arouet dit, Œuvres complètes de Voltaire…, Kehl, de l'imprimerie de la Société littéraire-typographique, 1785-1789, 70 vol. Le Vrai Sens des cent une propositions condamnées par la bulle Unigenitus, adressé par un théologien à Madame l'abbesse de ***, s.l., 1742, in-12, 8 et 70 p. YVON, abbé Claude (1714-1790), L'Accord de la philosophie avec la religion, prouvé par une suite de discours historiques et critiques relatifs à treize époques, Paris, chez Moutard, 1776, in-12.

Index des index des trois principaux groupes de sources mobilisées Groethuysen

« écrits des Jansénistes » : Arnauld (1739, 1775-1783), Bonnaire (1758), Bonnaire et Jard (1763), Boyer (1726, 1727), Bulteau (1720), Cerveau (1765), Colbert de Croissy (1740), de Lan (1753), Desfours de la Genetière (1784), Duguet (1707, 1719-1738, 1737, 1737, 1739), Duguet et Asfeld (1732), Etemare (1714), Fontaine de la Roche et Legros (1759), Fouillou (1729), Gaultier (1746), Gennes (1718-1719), Grivel (1783), Hervieu de la Boissière (s.d.), Les Hexaples… (1721), La Chalotais (1763), Lambert (1787), Le Paige (1765), Legros (1724), Maille (1758), Massillon (1778), Méganck (1730-1731, 1731), Mésenguy (1747-1753, 1763), Montazet (1763), Montazet et Lambert (1776), Nicole (1682, 1713, 1725, 1725-1727, 1733-1741), Nouvelles ecclésiastiques… (1728-1798), Pelvert (1767, 1776), Petitpied (1731), Pinault (1770), Pluche (1746), Quesnel (1697, 1736, 1842), Soanen (1750, 1767), Terrasson (1749) et Tronchay (1711). « écrits des Jésuites » : Barruel (1791-1793), Berruyer (1755-1757), Bouhours, Le Tellier et Musnier (1694), Bourdaloue (1721, 1721, 1734, 1881), Boutauld (1680), Buffier (1726), Champion de Pontalier (1785, 1786), Crasset (1732), Croiset (1743, 1752), Dictionnaire de Trévoux… (1704, 1732, 1743, 1752 et 1771), Griffet (1747, 1766), Griffet, Berthier et La Tour (1762), Houdry (1712-1724), Journal de Trévoux… (1701-1767), La Colombière (1757), La Rue (1719), Le Chapelain (1768), Le Comte (1696), Lombard (1761), C. Neuville (1776) et Patouillet (1733). Sermonnaires : Alletz (1783), Beauvais (1807), Billot (1771), Bossuet (1862), Boulogne (1826), Bourdaloue (1721, 1881), Cambacérès (1781), Copel (1785), Fléchier (1741), Girard (1769), Griffet (1747, 1766), Houdry (1712-1724), Hubert (1725), La Colombière (1757), La Rue (1719), Lambert (1723), Le Chapelain (1768), Le Cousturier (1764), Massillon (1838), Molinier (1730), Montargon (1752-1758, 1768), C. Neuville (1776), Nicolas (1845), Pacaud (1745), Poncet de La Rivière (1774), Poulle (1781), Réguis (1766, 1773, 1803, 1855), Richard (1845), Soanen (1767) et Terrasson (1749).

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NOTES

1. Michel de Certeau, « L'opération historiographique », L'Écriture de l'histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 63-120, p. 75, repris par Paul Ricoeur, « Phase documentaire : la mémoire archivée », La Mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, III-675 p, p. 211. 2. Hans-Martin Lohmann, « Geschichten und Geschichte : Zu Bernhard Groethuysens ideologischen Frankreich-Studien », in Jürgen Sieß (dir.), Vermittler, Francfort-sur-le-Main, Syndikat, 1981, traduction française « Histoires et histoire. À propos des études de Bernard Groethuysen sur l'histoire des idéologies en France », Raison présente, 68, 1983, p. 27-41, p. 68 et Michael Ermath, « Intellectual History as Philosophical Anthropology : Bernard Groethuysen's Transformation of Traditional Geistesgeschichte », The Journal of Modern History, 65 (4), décembre 1993, p. 673-705, p. 704, qui parle de « paratactic stream of narration ». Déjà, dans son compte rendu de la version française des Origines, Daniel Halévy soulignait que : « M. Bernard Groethuysen manie, cite une multitude de textes, et sa prose, mêlée dans ce tissu serré, n'y est jamais dépaysée », voir « Notes – Littérature générale », La Nouvelle Revue française, 29, juillet- décembre 1927, p. 534-540, citation p. 540. 3. Il s'agit ici du nombre total de citations référencées en notes. Toutes ne le sont pas, et cela recouvre parfois des aspects cruciaux quant à l'interprétation historique ou génétique du travail de Groethuysen. Il en va ainsi, par exemple, de la citation de Wilhem Dilthey par laquelle s'ouvre l'introduction au tome premier de la version allemande des Origines – « L'homme ne se connaît que dans l'histoire ; il n'arrive jamais à se connaître dans l'introspection » (trad. Alix Guillain). Extraite du « Plan der Fortsetzung zum Aufbau der Geschitlichen Welt in den Geiteswissenschaften » dont Groethuysen vient tout juste d'achever l'édition critique – son introduction à ce volume est datée de « Berlin, l'été 1926 », cette citation non référencée se retrouve incise, sans guillemets et sous une forme il est vrai remaniée, dans le corps du texte publié au mois de décembre suivant qui a servi de préface à l'édition française des Origines : « Connais-toi toi-même : par l'histoire ». Cf. « Introduction à la vie bourgeoise », La Nouvelle Revue française, 14 (15), 1 er décembre 1926, p. 654 et page XI de la préface de l'édition française des Origines. N'ayant pas systématiquement cherché à identifier les citations non référencées non plus que les références implicites ou allusives – telle la seconde phrase de la préface française où il est question du type d'humanité comme d'un « phénomène que bien d'autres avant moi ont décrit » (je souligne) et qui renvoie assurément à Werner Sombart et à Max Weber, notre travail s'est borné à restituer les références bibliographiques données dans les appareils de notes. 4. Bernard Groethuysen, « Dilthey et son école [1912] », in Philosophie et histoire, textes édités et présentés par Bernard Dandois, Paris, A. Michel, 1995, 359 p. citation p. 62. Apparemment trivial, cet énoncé visait alors à démarquer un segment de la philosophie allemande, une « tendance à faire des recherches historiques en se servant des méthodes qu'a développées Dilthey » (p. 70) dont Groethuysen se réclame. 5. Charles Victor Langlois, « La recherche des documents (heuristique) », in Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques [1898], Paris, Kimé, 1992, 281 p., p. 29 6. Lettre de Groethuysen à Gustav Mayer, professeur d'histoire à l'université de Berlin, 13 décembre 1926, citée par Klauss Große Kracht, Zwischen Berlin und Paris : Bernhard Groethuysen (1880-1946), eine intellektuelle Biographie, Tübingen, Niemeyer, 2002, VIII-336 p. citation p. 141. 7. Bernhard Groethuysen, « Vorbemerkung », Die Entstehung der bürgerlichen Welt– und Lebensanschauung in Frankreich, Bd. I, Das Bürgertum und dir katholische Weltschauung, Franckfort- sur-le-Main, Suhrkamp, 1978 [1927], p. 241

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8. Léopold von Ranke, introduction à la Deutsche Geschichte… citée par Anthony Grafton, « Ranke : une note en bas de page sur l'histoire comme science », Les Origines tragiques de l'histoire. Une histoire de la note en bas de page, trad. par Pierre-Antoine Fabre, Paris, Seuil, 1998, 214 p. citation p. 50-51. 9. Groethuysen, « Vorbemerkung », op. cit., p. 241. 10. Voir les thèses contemporaines de Gabriel Monod (1916), Jules Candel (1925) et Maurice Magendie (1925) recensées en bibliographie. 11. Voir respectivement Charles Seignobos, « Exposition », in Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, op. cit., p. 246 et Marc Bloch, « La critique », Apologie pour l'histoire ou métier d'historien [1944], Paris, A. Colin, 1997, 159 p. p. 92. 12. Les références bibliographiques données en notes de l'une et l'autre version des Origines sont généralement réduites au minimum. De nombreux enrichissements (titres complets, date des premières éditions, formats et paginations) ont été rendus possibles par suite du récolement successif de ces références dans le Catalogue des imprimés de la Bibliothèque nationale puis dans le Catalogue collectif de France. *. Bernard Groethuysen, « Vorbemerkung », Die Entstehung der bürgerlichen Welt – und Lebensanschauung in Frankreich, Band 1, Die Soziallehren der katholischen Kirche und das Bürgertum, Frankfurt-sur-le-Main, Suhrkamp, « Taschenbücher Wissenschaft » – 256, 1978 [1re éd. 1927], p. 241-242. La traduction de ce texte par Dominique Julia a été révisée par Albrecht Burkardt et Valentin Mandelkow. 13. L'auteur désigne ici l'annexe documentaire qui, placée en fin du volume de l'édition allemande, regroupe ses notes érudites. À la différence de l'édition française, ces notes ne se composent pas seulement de simples références bibliographiques, mais aussi de longs extraits de documents reproduits in extenso. 14. Voir sur ce point, B. Groethuysen, « De quelques aspects du temps. Notes pour une phénoménologie du récit », Recherches philosophiques, vol. 5, 1935, p. 139-195, repris dans Philosophie et histoire, textes édités par Bernard Dandois, Paris, Albin Michel, 1995, 359 p., p. 217-259. 15. Sur cette manière « diltheyienne » d'aborder les « documents humains », voir Groethuysen, « Dilthey et son école [1912] », in Philosophie et histoire…, op. cit., p. 62-63. 16. Groethuysen s'est longuement expliqué dans l'introduction de son ouvrage sur le choix des sermons comme « source première » de ses analyses historiques, voir Die Entstehung der bürgerlichen Welt-und Lebensanschauung in Frankreich, Band 1, op. cit., p. 13-14. 17. Sur ce point, voir aussi la notice « Jansenism » rédigée par Groethuysen pour l'Encyclopaedia of the Social Sciences, Edwin R.A. Seligman (éd.), vol. 8, 1935, p. 371-373. Après avoir explicité les motifs théologiques de la controverse entre jésuites et jansénistes, souligné l'aspect public de cette controverse, Groethuysen ajoute : « It would, however, be erroneous to see in the Jansenists simply the opponents and in the Jesuits the adherents of casuistry and probabilism. The Jesuits too often brought to light a positively oriented social morality significant for modern economic life. The most outstanding Jesuit representative of this tendency was the preacher Bourdaloue, whose counterpart on the Jansenist side was Nicole, the author of the Essais de morale. In both we can found vigorous elements of an urban middle class morality. Nicole maintained that the mode of life of this class lent itself better to Christian ideals than did that of courtiers. » p. 371-372.

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AUTEUR

STÉPHANE BACIOCCHI

EHESS / CRH-Care

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