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Séquences La revue de cinéma

Kagemusha d’ Kagemusha, Japon, 1980, 179 minutes Maurice Elia

L’État du cinéma en salles au Québec Number 179, July–August 1995

URI: https://id.erudit.org/iderudit/49648ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this review Elia, M. (1995). Review of [Kagemusha d’Akira Kurosawa / Kagemusha, Japon, 1980, 179 minutes]. Séquences, (179), 39–39.

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la veille de sa mort, Shingen Takeda, Œuvre capitale où les cris et la fureur des soucieux de l'avenir de son clan, sou­ fresques historiques se mêlent à une médita­ A haite en dernière volonté que son tion sur l'ambition, le pouvoir et les arcanes décès ne soit pas révélé avant trois ans. Les de ce qu'on appelle plus communément seigneurs les plus puissants du clan Takeda se l'identité. serviront alors du double de Shingen pour D'autres y ont trouvé des élans shakes­ obéir à ses dernières paroles. Les vassaux de peariens. Il est vrai que dans Kagemusha, Shingen seront soumis à de dures épreuves tout évoque l'auteur du cycle tumultueux des au cours de leur combat désespéré pour la «Henry» et des «Richard». Le grand cinéaste Au centre, Tatsuya Yamazaki survie du clan Takeda. Quant à l'homme japonais parvient à faire sourdre son huma­ destiné à agir comme l'ombre du grand Shingen, son théose funèbre d'une merveilleuse puissance. La nuit, nisme tragique avec une pudeur et une subtilité dé­ existence ne sera pas de tout repos: c'est un voleur de sur une plaine jonchée de cadavres, il y a, couchés chirantes, assez proches de certains drames de Shakes­ grands chemins qui a échappé au supplice en raison dans l'herbe, ceux, cuirassés de noir, qui combattaient peare. de sa ressemblance physique avec le chef de la puis­ sous le signe du vent; ceux, habillés de vert, qui ap­ C'est que Kurosawa a réussi à aborder avec son sante famille guerrière. partenaient aux cohortes de la forêt; enfin ceux, vêtus film différents thèmes: l'identification du Même et de D'une splendeur thématique et esthétique con­ de tuniques rouges, qui étaient les soldats du feu. De l'Autre, la nécessaire complémentarité du peuple et de fondante, le film d'Akira Kurosawa nous plonge dans temps à autre, on voit un blessé se relever, brandir son l'aristocratie, la fidélité à l'idée qu'on se fait de soi- les guerres interminables et sanglantes que se livraient oriflamme, faire quelques pas, puis s'effondrer. Sur le même et dont le sacrifice suprême constitue la garan­ jadis les seigneurs japonais pour la conquête du pou­ ciel pourpre, les pattes de chevaux abattus dessinent tie. Le film, en outre, est d'une beauté et d'une voir absolu, et cela au travers d'une histoire tout à fait d'étranges arabesques. Et soudain, à travers les ro­ rigueur étonnantes, avec d'incessantes péripéties, une curieuse. Le sosie du chef jouera si parfaitement son seaux, un homme hagard contemple le désastre. Puis, comptéhension toute intérieure des personnages et ce rôle qu'il éprouvera peu à peu une attirance intime saisissant sa lance, se rue vers l'ennemi. Il est alors sens du tragique propre à Kurosawa qui démontre pour son illustre modèle, ce qui le conduira à le re­ mortellement atteint et se laisse glisser dans les eaux encore une fois qu'il est l'un des rares grands réalisa­ trouver dans la mort, au terme de péripéties d'une du lac. C'est le sosie du chef, dont l'âme retrouvera teurs à avoir conservé avec son passé national des richesse telle qu'il serait présomptueux de vouloir les celle de celui qui fut son seigneur, et dont il fut, rapports vivants et pleinement créateurs. Shingen résumer. pendant trois ans, le «kagemusha», le guerrier-ombre. Takeda et le Kagemusha, a-t-il d'ailleurs lui-même Par bien des aspects, Kagemusha fait songer aux Akira Kurosawa a soixante-dix ans en 1980, lors­ déclaré, seraient d'excellents exemples pour «les hom­ romans de la Table Ronde. C'est une sorte de conte que Kagemusha est présenté au Festival de Cannes. mes politiques hypocrites du Japon d'aujourd'hui.» héroïque et picaresque, empreint d'une truculente C'est son vingt-septième film, le premier qu'il ait Maurice Elia ironie qui débouche à plusieurs reprises (au cours de tourné au Japon depuis Dodes Kaden dix ans plus ses trois heures de projection) sur de fabuleux mo­ tôt. L'ampleur et le coût de production ont nécessité KAGEMUSHA ments de poésie. l'apport de capitaux américains, l'amitié agissante de Rial.: Akira Kurosawa — Sein.: Akira Kurosawa, Masato Ide — Phot: Takao Saito, — Mus.: Shinichiro Ikebe — et de . Le film a L'extraordinaire stylisation de la bataille finale Décors: Yoshiro Muraki — Int.: (Shingen (tout en demeurant essentiellement japonaise) rap­ été tourné dans des châteaux historiques avec des Takeda et son double, le Kagemusha), (le frère pelle, comme l'ont souligné plus d'un critique, les pièces de musée. Plusieurs centaines de figurants et cadet de Shingen Takeda), Kenichi Hagiwara (le fils de Shingen beaux moments d'Alexandre Nevsky (1938) d'Eisens­ deux cents cavaliers ont été choisis parmi quinze mille Takeda), Hideji Otaki (le chef des armées du clan Takeda), (le seigneur des territoires de l'ouest), Tetsuo tein, ou quelques séquences du plus récent Lancelot candidats. Il fallait tout mettre en œuvre pour donner Yamashita (son aide de camp) — Prod.: Co. Ltd. et Ku­ du Lac (1974) de Robert Bresson. C'est une apo- à cette œuvre le souffle épique dont elle avait besoin. rosawa Productions — Japon — 1980 — 179 minutes.

No 179—Juillet/août 1995 39