L'année des lettres 1989

Le Monde des livres

L'année des lettres 1989 Sous la direction de Pierre Lepape Préface de François Bott

LA DÉCOUVERTE/LE MONDE Ce livre est la seconde livraison de L'Année des lettres, dont la première est parue en 1988, co-éditée par les Éditions La Découverte et le ministère de la Culture et de la Communication.

Si vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit d'envoyer vos nom et adresse aux Éditions La Découverte, 1, place Paul-Painlevé, 75005 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel A La Découverte. © Éditions La Découverte et journal Le Monde, Paris, 1989. ISBN 2-7071-1856-7 Avant-propos

par François Bott

Chaque semaine, « Le Monde des livres » s'efforce de guider ses lecteurs dans le maquis des parutions les plus diverses ; et de discerner les œuvres marquantes d'une époque confuse, trop vite oublieuse. Dans cette Année des lettres, coéditée par La Décou- verte et Le Monde, nous avons reproduit les articles du « Monde des livres » qui avaient, précisément, fait découvrir, ou reconnaî- tre, les œuvres les plus significatives, publiées entre le printemps 1988 et le printemps 1989. Ces articles ont été complétés, prolongés par des textes de synthèse sur l'évolution du roman français, la percée des littéra- tures étrangères, les travaux et les jours de la philosophie, la trans- formation du sociologue devenu « l'ethnologue de son temps », l'histoire et son obsession du Bicentenaire, les sciences, les docu- ments, la mode des dictionnaires ou des encyclopédies, les inquié- tudes des libraires... Le paradoxe des livres, à notre époque, c'est qu'ils « se démo- dent » aussi rapidement que les autres « marchandises », tandis que leur action sur les esprits reste lente et souterraine. L'ambi- tion de cette Année des lettres a été de faire ressortir les œuvres, les mouvements, les débats qui, peut-être, auront changé les façons de sentir, de rêver ou de penser. Dans une époque incertaine de sa propre image, qui ne voit même plus s'enfuir le temps et qui passe d'un événement à l'autre, avec une terrible ingratitude, il importe de s'arrêter quelquefois, afin de considérer les saisons que l'on a vécues d'une manière si hâtive.

Lettres françaises

Halte au pessimisme

par Josyane Savigneau

Depuis trop longtemps déjà les intellectuels français emboîtent le pas aux journalistes pour pratiquer, à l'excès, l'autoflagellation à propos de la littérature actuelle. Un rejet quasi systématique, venu de gens dont les jugements semblent souvent hâtifs et approximatifs : certains journalistes lisent vite et mal les écrivains contemporains ; certains intellectuels les lisent peu, voire pas du tout. Leur dénigrement de la littérature de leur pays est aussi désa- gréable que le ridicule chauvinisme français dans d'autres domai- nes. Bref, un lieu commun. Cela dit, le « grand public », lui, continue d'assurer la réussite de beaucoup d'ouvrages, dont, en effet, la pérennité littéraire n'est pas évidente (certains ne la visent même pas, du moins aimerait- on le croire) : outre les livres-produits (SAS et autres Harlequin) que nous ne prendrons pas ici en compte, les sagas continuent de faire recette, par exemple La Sans Pareille de Françoise Chander- nagor, aux éditions De Fallois, les 700 premières pages d'un récit qui doit en compter 2 000. On note aussi le retour des « romans- feuilletons », mis au goût du jour, comme la très agréable Dame de Berlin de Dan Franck et Jean Vautrin (Balland et Fayard), ainsi que la bonne tenue des « romans-romans » écrits par des profes- sionnels du succès : en 1988, il y eut notamment Benoîte Groult, Les Vaisseaux du Cœur (Grasset) ; Philippe Labro pour Un été dans l'Ouest (Gallimard), la suite de VEtudiant étranger qui lui avait valu le prix Interallié ; Nicole Avril (Sur la peau du Diable, Flammarion) ; Marie Cardinal (Les Grands Désordres, Grasset). Les « triomphes », plus ou moins provisoires, sont, eux aussi, tou- jours au rendez-vous. Cette année, ce fut d'abord Richard Boh- ringer, au printemps, avec C'est beau une ville la nuit (Denoël). On peut espérer que ce livre, poétique, tendre et fou, d'un amou- reux des mots, aura converti plus d'un jeune fasciné par Bohrin- ger, l'acteur, à la lecture d'autre chose que de petits romans faits à la va-vite et aussi vite oubliés. C'est plutôt dans cette catégorie-là que se place le gros succès de l'automne, celui d'un charmant jeune homme, Alexandre Jardin, avec Le Zèbre, un roman « vif et enlevé » ou « facile et bâclé » selon qu'on aime ou pas, récom- pensé par un incompréhensible prix Fémina. Dans ce domaine des fortes ventes, on notera qu'en 1988 Françoise Mallet-Joris, avec l'un de ses meilleurs livres, La Tristesse du cerf-volant (Flamma- rion), n'a pas tout à fait retrouvé l'ensemble de son large public habituel. Elle l'expliquait elle-même par un apparent paradoxe : les louanges recueillies dans la presse. Son public populaire aurait été effrayé des qualités littéraires qu'on reconnaissait à son livre, de la subtilité de la construction sur laquelle on insistait, du qua- lificatif « polyphonique » qu'on appliquait à ce roman. C'est sans doute vrai, dans un pays où se propage l'idée que la littérature romanesque se doit d'être « facile » et de n'avoir d'autre but que la pure distraction. On entend ou on lit même, ici ou là, des exhor- tations au comique, à la gaieté, accompagnées de plaintes sur « la tristesse des sujets », la « noirceur » des romans français... Ce qu'on n'oserait même pas faire remarquer pour le cinéma... C'est dire à quel point les Français, qui vivent sur une illusion de cul- ture venue de leur brillant passé, n'ont plus aucune idée sur ce que doit être la littérature, ne se demandent plus ce que le roman a — ou non — à dire sur le monde. Les mêmes critiques qui affirment la mort du roman français, victime de son nombrilisme, de la pauvreté d'imagination de ses auteurs, du « syndrome du sixième arrondissement de Paris » où se cantonnerait actuellement « l'inspiration », se pâment devant certaines jeunes romancières et nouvellistes américaines — dites pompeusement « minimalistes », droit sorties des écoles de crea- tive writing et reproduisant tous leurs tics — ou devant des Ita- liens qu'on traduit à tour de bras et qui ne sont pas tous des génies, loin s'en faut. La production de 1988, pourtant, devrait leur donner à réflé- chir. D'abord, les « très grands » sont toujours là, ce qui mani- feste une belle longévité créatrice : Michel Leiris, A cor et à cri (Gallimard), Claude Simon avec son premier texte depuis qu'il a reçu le prix Nobel en 1986, L'Invitation (Minuit), Julien Green et la suite de son journal, L'Arc-en-ciel (Seuil). Au printemps, on a découvert l'émouvant recueil de poèmes posthume d'un des deux grands disparus de l'année, René Char, Eloge d'une soupçonnée (Gallimard) (l'autre grand disparu de 1988 est aussi un poète, Francis Ponge). Dans la génération suivante, Alain Robbe-Grillet, qui fait régu- lièrement le tour du monde, ou presque, pour être le propre com- mentateur de son œuvre, n'en continue pas moins d'écrire. Après Le Miroir qui revient, 1988 a vu paraître Angélique ou l'enchan- tement (Minuit). A ce propos, Bertrand Poirot-Delpech a fait remarquer dans Le Monde que l'un des personnages revenant dans la plupart des livres de Robbe-Grillet, Henri de Corinte était l'anagramme presque parfaite de « rien de cohérent ». A bon entendeur... Claude Ollier, lui, poursuit son parcours solitaire et méconnu (Déconnection, Flammarion), tout comme, dans un genre tout à fait différent, Louis Calaferte, redécouvert avec la réédition de Septentrion [Memento Mori (L'Arpenteur), troisième volet du triptyque commencé avec Ébauche d'un autoportrait, et Promenade dans un parc (Denoël)]. Le retour de Béatrix Beck avec Stella Corfou (Grasset) a été salué par Bertrand Poirot-Delpech — « une petite merveille » — pour une fois rejoint, dans L'Express, par Angelo Rinaldi. Chris- tiane Rochefort elle aussi est revenue, avec « un Rochefort » de la grande veine, qu'on croyait perdue, La Porte du fond (Gras- set). Plus inattendu encore, le livre d'un écrivain trop rare et quasi inconnu du public : Irène Schavelzon (La Fin des choses, Actes Sud). « Depuis 1960, où elle fit paraître son premier livre, elle n'a publié que quatre récits, aussi denses que laconiques, dont le moins bref n'atteint pas les cent cinquante pages, mais ils ont de tels loin- tains... », écrivait Hector Bianciotti dans un très élogieux article du Monde (le 2 septembre). Pour Claude Faraggi, qui, après une carrière prometteuse, un prix Fémina remarqué en 1975, un livre assez mal accueilli en 1978, avait disparu pour dix ans de silence et de « galères », La Saison des oracles (Flammarion) a été moins un retour qu'une renaissance dont on guette déjà les suites. Philippe Sollers, lui, ne revient pas, il est toujours là, et cela ennuie beaucoup ses nombreux détracteurs, qui ne le lisent pas, même s'ils ouvrent ses livres et en rapportent, parfois, la surface, l'« écume », à laquelle ils concèdent, au mieux, le « brillant ». Sol- lers ou comment s'en débarrasser ! Faute de pouvoir le condam- ner au silence, on le condamne au malentendu, ce qui ne devrait pas tarder à lui devenir pesant. D'aucuns ont vu, par exemple, dans le court récit Les Folies françaises, paru cette année (Galli- mard), « quelque chose de léger comme du champagne ». On peut au contraire y voir un texte grave, un écrit testamentaire, sorte de précis d'une fiction absente qui porte en lui l'émotion des textes de transmission, des rites de passage. Une manière de montrer, en des temps volontiers amnésiques ou sinistrement ratiocineurs, quel usage on peut faire du patrimoine (à condition bien sûr, contrai- rement à certains contempteurs de Sollers, de ne pas mépriser ce patrimoine en croyant le défendre). Les femmes de la quarantaine ne cèdent pas leur place, chère- ment acquise. Danièle Sallenave est présente avec un court récit, lucide et froid, bien dans sa manière, Adieu (POL). Annie Ernaux, qui avait touché un large public avec La Place, un récit autour de son père, a écrit, avec Une femme (Gallimard), le destin de sa mère, un texte plus nu encore. Elle a peut-être ainsi conquis sa liberté, celle de parler d'autre chose que des blessures, de la pesan- teur des origines. Celle de surprendre. On l'attend impatiemment. Annie Leclerc, après quelques années de tâtonnements, a proposé, avec Origines (Grasset), un livre intelligent, beau et excitant pour l'esprit, hommage intellectuel et quasi passionnel à Jean-Jacques Rousseau. Son peu d'écho dans la presse et son échec commer- cial sont exemplaires de la situation actuelle. Quand un écrivain a déçu ou déplu, on ne lui laisse guère la possibilité de revenir. Finie la curiosité. Chez les hommes, les habitués sont fidèles au rendez-vous. On a presque envie de les qualifier de « vieux routiers », eux qu'on peut citer chaque année, voire deux fois par an : Henri Troyat (Toute ma vie sera mensonge, Flammarion), Daniel Boulanger (Jules Bouc, Gallimard), Claude Mauriac (L'Oncle Marcel, Gras- set). Autour d'eux, plus jeunes, d'autres « habitués », ou en voie de l'être, et qui ne dérangent plus personne : des charmants comme Patrick Modiano, passé provisoirement au Seuil pour un mince récit autobiographique (avec les qualités et les défauts de tout Modiano), Remise de peine ; des falots comme Didier Van Cau- welaert, qui produit régulièrement des romans plus ou moins bien ficelés (en 1988 L'Orange amère, au Seuil) qu'on peut trouver attrayants ou gentiment ennuyeux, les deux faces d'une même indifférence ; des « prometteurs » qui se répètent comme , quoi qu'il en pense (L'Atelier du peintre, Seuil). D'autres qui dérangent encore, comme Régis Debray dont Les Masques (Gallimard) a été considéré tantôt comme le roman d'une sincérité courageuse, tantôt comme un monument d'autocomplai- sance. D'autres encore, dont le talent s'affirme et se voit récom- pensé: Erik Orsenna (LExposition coloniale, Seuil), François- Olivier Rousseau (La Gare de Wannsee, Grasset). « Dès qu'elle s'éloigne de la région du nombril, la géographie du roman fran- çais décrit des espaces plutôt pauvres et sommaires », écrivait Pierre Lepape dans Le Monde. Rousseau prouve le contraire et c'est justement pour le dire que Lepape écrivait cela. Mais il est loin d'être seul. Citons Philippe Djian qui suscite déjà des discus- sions vives entre ses adeptes et ses détracteurs et qui, dans son sixième roman, Échine (Bernard Barrault), raconte son avenir ; Emmanuel Carrère que l'on savait brillant, virtuose, pétri de dons, mais qui, avec Hors d'atteinte (POL), se dépouille volontairement de ses séductions pour un livre plus fort. Michel Braudeau tente une gageure avec L'Objet perdu de l'amour, où l'on retrouve, en enfer, Axel Balliceaux, le héros de Naissance d'une passion, prix Médicis 1985. Jean-Marc Roberts donne son meilleur livre, Mon père américain (Seuil). Ceux à qui il manque encore « un rien » pour trouver leur public ne renoncent pas et ils ont raison, du moins pour ce qui concerne Hubert Haddad (Le Visiteur aux gants de soie, Albin Michel) ; Jean-Noël Pancrazi avec un livre, selon Pierre Lepape « d'une rigueur janséniste », Le Passage des princes (Ramsay) ; Jean-Daniel Baltassat avec son troisième livre, La Peau de l'autre (Bernard Barrault), après La Falaise et un recueil de nouvelles, L'Orage des chiens ; René de Ceccatty, qui a écrit un de ses meil- leurs livres avec La Sentinelle du rêve (Michel de Maule), où il fait défiler ses mythologies, de Barthes à Violette Leduc, en passant par Foucault, Pasolini et quelques autres, sans essayer de bâtir un roman trop traditionnel ou trop compliqué dans sa construction comme l'était son précédent Babel des mers (Gallimard). S'il faut donner au tableau quelques touches de couleur supplé- mentaires, on ne saurait oublier les éternels dilettantes de charme, les nonchalants élégants, les singuliers, les provocateurs, les étran- ges. 1988 n'a pas déçu. Dans la moisson on remarquait Gabriel Matzneff, styliste impénitent (Harrison Plaza, La Table ronde). Le charme du talent à facettes s'illustrait avec Daniel Rondeau (L'Enthousiasme, Quai Voltaire). Celui des « nouveaux dandys » avec Frédéric Berthet (Daimler s'en va, Gallimard). Hervé Gui- bert, le « pervers polymorphe » encouragé depuis ses débuts par Bertrand Poirot-Delpech, et dont la particularité s'affirme de livre en livre, en a donné deux en 1988, Les Gangsters (Minuit) et des nouvelles, Mauve la vierge (Gallimard). Et la relève ? la fameuse relève, prétendument absente, selon les pessimistes, qui, eux, tiennent le haut du pavé ? Eh bien, là encore, cela ne va pas mal. Patrick Deville tient, avec Longue vue (Minuit), les promesses de son premier roman Cordon bleu, tout comme Annie Cohen avec L'Édifice invisible (Des Femmes), neuf ans après son premier livre, La Dentelle du cygne. Denis Belloc, soutenu par Marguerite Duras, a donné, après Néons, Suzanne (Lieu commun), un texte sobre et froid. On pourra objecter qu'il n'a peut-être rien de plus à dire que sa vie difficile. Attendons. Dans la veine de l'écriture sèche, de l'humour noir, le petit récit de Claire Devarrieux, Innocentes (Mercure de ), est encou- rageant, tout comme celui de Brigitte Chardin, Juste un détour (Gallimard) — très apprécié par Alberto Moravia —, aussi vigou- reux et rapide que celui de Claire Devarrieux est lent et minutieux. Quant aux vrais débutants, les auteurs de premier roman, il fau- drait presque les citer tous, tant la cuvée 1988 semble de qualité. Marie Didier, un médecin, a débuté avec un récit bouleversant (Contre-visite, Gallimard). S'il fallait donner un « couple » de tête, bien que l'on répugne à des classements hâtifs, ce serait sans doute Nadine Diamant avec un livre étrange et violent, qui ne recule pas devant le sordide (Désordres, Flammarion « Rue Racine », Prix du premier roman), et Luc Lang ( Voyage sur la ligne d'horizon, Gallimard). Luc Lang exprime assez bien les désirs de cette géné- ration montante de romanciers, lorsqu'il souhaite « en finir tant avec la culpabilité des années soixante-dix face à la fiction qu'avec le prétendu "retour à la fiction" du début des années quatre-vingt ; la littérature a quelque chose à dire sur le monde. La littérature a un rôle à jouer. Ce n'est pas de la philosophie, ce n'est pas de la pâtisserie non plus. Elle a à dire le monde dans son registre à elle. Ce n'est pas une pure distraction ». Mais on s'en voudrait de ne pas prendre date et de ne pas mentionner aussi l'univers sub- til, tout en sensations et en réminiscences, de Martine Robier (Le Veilleur du marais, Flammarion « Rue Racine »), de ne pas encou- rager Jean Colombier (Les Matins céladon, Calmann-Lévy), Jean Guerreschi (Montée en première ligne, Julliard), François Sureau (La Corruption du siècle, Gallimard), Nicolas Morel (Lutteurs, Seuil), Philippe Hadengue, jeune écrivain même s'il n'est pas un jeune homme (Petite chronique des gens de la nuit dans un port de l'Atlantique nord, Maren Sell), Sophie Avon, une toute jeune Bordelaise (Le Silence de Gabrielle, Arléa), et Eugène Nicole avec le roman très inattendu de Saint-Pierre et Miquelon (L 'Œuvre des mers, François Bourin). Pour mieux défendre ces débutants, Flammarion a eu la bonne idée de créer « Rue Racine », une collection destinée à les réunir — Français et étrangers confondus. A Nadine Diamant et Mar- tine Robier, déjà citées, il faut ajouter Pierre Pelot qui, s'il a déjà beaucoup écrit — « des livres un peu alimentaires », dit-il —, donne, avec Si loin de Caïn, un texte qui laisse bien augurer de son avenir. « Rue Racine » est un pari courageux, mais il semble que la collection ait quelque mal à s'imposer, peut-être en raison d'une maquette plutôt « bas de gamme » qui n'est pas du tout dans l'air du temps. Plus élégante est la toute nouvelle « Petite bibliothèque européenne » des éditions Maren Sell, qui veut pré- parer à sa manière, littéraire, les enjeux de décembre 1992. Bernard-Henri Lévy a fait revivre Charles Baudelaire dans un roman (Les Derniers Jours de Charles Baudelaire, Grasset) beau- coup moins mauvais que ne l'ont dit ses ennemis, et Patrick Bes- son, Pouchkine (Albin Michel), dans un roman beaucoup moins bon que ne l'ont dit les zélateurs du plus talentueux — à défaut d'être le moins antipathique — des « nouveaux hussards ». On n'oserait parler du Voyage au bout de la nuit de Céline, relu par le dessinateur Tardi (Gallimard-Futuropolis), comme d'une redé- couverte, bien sûr : c'est une rencontre aussi étonnante que fruc- tueuse ; une preuve de plus, s'il en fallait encore, de la force de ce texte. Enfin, Marguerite Yourcenar, morte en décembre 1987, s'offre, un an après, un joli succès posthume avec le dernier volume de sa trilogie familiale, Quoi ? l'Éternité. Elle que l'on disait, pour cause de « ringardise », promise au purgatoire dès sa mort, avait vendu, au 31 décembre, plus de cent mille exemplaires. Et, en par- courant les listes des meilleures ventes, on se disait que beaucoup de ceux qui la devançaient sur lesdites listes ne vaudraient, morts, « pas un clou »... Moral, non? S'il fallait tirer une leçon de cette année littéraire, qui, contrai- rement aux prévisions, s'annonce financièrement bonne, on aurait envie qu'elle soit d'optimisme. Comme naguère celle de la presse écrite, on a annoncé la mort du livre un peu vite et la fin de la littérature un peu plus vite encore. Alors, en détournant le mot d'un écrivain qui publiait du temps où la France ne se battait pas la coulpe inutilement, André Malraux, prenons le pari que le xxie siècle « sera littéraire ou ne sera pas ». Rendez-vous en 2001... Un portrait sociologique des romanciers de la rentrée*

par Pierre Lepape

Les historiens et les sociologues de la littérature nous ont appris beaucoup de choses sur la manière dont s'exerçait le métier d'écri- vain aux XVIIIe et xixe siècles et dans la première moitié du xxe siè- cle. Curieusement, nous en savons moins sur les écrivains de notre époque, selon les critères scientifiques qui désignent de nos jours un savoir assuré. Il existe certes des études économiques et statis- tiques tout à fait sérieuses : celle de Michèle Vessilier, chercheuse au CNRS, sur Le Métier d'auteur (Dunod, 1982) demeure la plus fiable des références. Mais ces enquêtes prennent en compte, pour des raisons de méthode autant que d'objet, la réalité économique d'une profession davantage que sa réalité littéraire. En d'autres termes, on interroge les créateurs qui relèvent du régime de pro- tection sociale créé à leur intention en 1977, et qui touchent donc des droits d'auteur au moins égaux au plafond de la Sécurité sociale; soit 112 200 F en 1987. Cela permet de bien connaître le profil des écrivains profession- nels — qui peuvent être des « nègres » mensualisés par des mai- sons d'édition, des auteurs quasi anonymes de romans de gare ou des rédacteurs de guides touristiques ou de guides de cuisine —, mais pas d'appréhender le monde de ces romanciers qui, en sep- tembre, occupent l'essentiel des vitrines des librairies et des pages littéraires des journaux. Sans doute n'est-elle pas sociologiquement construite, mais la base que nous avons choisie pour présenter une photographie du roman français est à la fois concrète et simple : elle prend en charge 202 des 208 écrivains francophones qui ont publié un roman entre le 20 août et le 10 novembre 1988 (pour les six autres, nous n'avons pas réussi à obtenir de réponse à nos questions). Première donnée massive de cette enquête : 75 % des romanciers publiés sont des hommes (149 contre 53 femmes). Ce résultat * Article publié dans « Le Monde des livres », 23 septembre 1988. Enquête de Valérie Cadet, Yves Jaeglé et Sandrine Treiner. contredit brutalement l'impression d'une féminisation de la litté- rature romanesque, qui avait provoqué ces dernières années maints articles de presse, alarmistes ou triomphants. Les femmes, qui représentent 57 % de la population active en France et qui — tous les sondages l'attestent — lisent davantage que les hommes, n'écri- vent qu'un petit quart des romans publiés. Faut-il y voir un effet de la misogynie des éditeurs (beaucoup plus nombreux que les éditrices)? Si c'était le cas, ce sexisme s'accompagnerait d'une bien mauvaise appréciation économique : les romancières figurent plus souvent que leurs collègues mascu- lins sur les listes de best-sellers et la majorité des plus gros succès romanesques des dix dernières années leur sont dus. Jeanne Bourin ou Irène Frain, Kenize Mourade ou Françoise Chandernagor, Mar- guerite Duras ou Françoise Dorin devraient faire fondre toutes les réticences à ce sujet. On constate que la tendance ne se modifie pas avec les généra- tions : sur les 48 premiers romans publiés, 12 seulement, exacte- ment un quart, sont signés par des femmes. Peut-on en conclure que l'évolution de la condition féminine n'a pas été à ce point effective — même dans les milieux dits « intellectuels » — qu'elle offre aux femmes la disponibilité matérielle et psychologique de se lancer dans la création romanesque ? Un rapide sondage auprès des éditeurs confirme en tout cas qu'ils reçoivent beaucoup moins de manuscrits féminins que de manuscrits masculins. Seconde remarque: 115 (57 %) des romans publiés sont écrits par des auteurs habitant Paris ou sa banlieue. 29 écrivains (14 %) résident à l'étranger, 59 (29 %) vivent en province. Cette lourde suprématie de la capitale (20 % seulement de la population active vit dans la région parisienne) souligne un phé- nomène de déséquilibre qu'accentue encore la concentration à Paris des maisons d'édition. Pour parvenir à être publié, il est, en effet, presque indispensable d'appartenir à l'un des réseaux qui, par des voies directes ou détournées, vous mettra en contact avec un éditeur. La proportion de manuscrits publiés après avoir été envoyés par la poste sans la moindre recommandation est infime. Habiter la province, c'est diminuer sensiblement ses chances de pénétrer ces réseaux péri-éditoriaux. L'écart des chances entre un jeune romancier de province et son équivalent parisien est, d'ailleurs, plus net encore que ne le lais- sent apparaître les chiffres globaux ; parmi les 59 romanciers habi- tant la province, plus de la moitié — 31 exactement — sont des auteurs confirmés qui ont déjà publié trois romans ou plus. On peut vivre loin de Paris lorsqu'on s'appelle Claude Michelet, Jean Raspail, Christian Combaz ou Hervé Bazin. C'est beaucoup plus risqué lorsque l'on débute. Mais cette difficulté pour les auteurs est également une perte de substance pour l'édition et pour la création dans son ensemble. Combien de créateurs potentiels sont-ils réduits au silence pour la seule raison qu'ils sont éloignés des centres de décision ? Réussite dans d'autres domaines, la décentralisation culturelle est un échec dans le secteur de la littérature romanesque. La foison des promesses, peu de confirmations Troisième constat : il y a beaucoup de romans, mais beaucoup moins de vrais romanciers. 48 des 202 romans de cette rentrée (24 %) sont des premiers livres de fiction, 38 (19 %) des seconds. Dès que l'on passe au troisième ou au quatrième roman publié, on tombe à 15 auteurs (7 % de l'ensemble). On peut certes inter- préter ces chiffres de manière optimiste. Ils montrent en effet que les éditeurs, malgré les risques économiques, n'hésitent pas à publier des auteurs nouveaux et à donner leur chance à des talents débutants. C'est d'autant plus méritoire que les possibilités de s'imposer d'un premier ou d'un second livre, dans la grande mêlée de la rentrée, sont faibles et que les ventes de ces premiers bour- geons ne dépasseront pas, sauf exception, le millier d'exemplai- res. Mais l'écart entre la foison des promesses et la maigreur des confirmations peut aussi se lire en termes de déperdition et d'échec. Soit que nombre d'auteurs aient épuisé en un ou deux ouvrages l'essentiel de ce qu'ils avaient à dire ; soit que l'échec du premier ou du second roman et le silence dans lesquels ils sont tombés aient découragé les auteurs — ou leurs éditeurs — de poursuivre l'aventure. La chute brutale — de 19 % à 7 % — entre le second et le troi- sième livre publié désigne un seuil fatidique : on tente assez faci- lement — trop facilement ? — sa chance avec un premier livre, mais, si la critique et le public n'ont pas manifesté de frémisse- ment à la parution du second, le romancier aura toutes les peines du monde à faire accepter un troisième ouvrage. En revanche, s'il y parvient, une place, même modeste, lui sera promise, sinon assu- rée, dans la petite cohorte des producteurs réguliers de romans. Une vingtaine (10 %) d'auteurs ont publié dix romans et plus, 9 en sont à ne plus les compter et répondent simplement « plus de vingt ». Des carrières tardives Parvenir à « percer » demande, plus que des dons éclatants, de la patience et de l'obstination. Sans doute est-ce l'une des raisons de la moyenne d'âge relativement élevée — près de quarante-cinq ans — des romanciers de cette rentrée, malgré la part qu'y pren- nent les premiers et seconds romans. Deux écrivains seulement ont moins de vingt-cinq ans : le benjamin, Alexandre Jardin (vingt- trois ans), et Régine Détambel, qui publie deux romans en un seul volume aux éditions Michel de Maule. Treize romanciers seulement (6 %) ont moins de trente ans. En revanche, 34 auteurs (16,5 %) ont plus de soixante ans, la palme revenant à Claude-Henry Leconte qui publie, à quatre-vingt-deux ans, un second roman aux éditions du Rocher. Un examen rapide de la courbe des âges indi- que une forte proportion de romanciers entre trente-quatre et qua- rante ans (58, soit 28 %), une chute entre quarante-deux et cin- quante ans (35, soit 16 %), et une remontée autour de la cinquantaine. Même si l'on tient compte du fait que la littérature romanes- que ne connaît pas d'âge de la retraite, on découvre que la popu- lation des écrivains est sensiblement plus âgée que la population active. Si l'entrée dans la carrière romanesque se fait tardivement, la réussite lorsqu'elle vient ne se hâte pas : 78 % des auteurs ayant publié trois romans et plus ont dépassé quarante-cinq ans. Le phé- nomène ne concerne probablement pas que la France — et il n'est pas nouveau —, mais on assiste depuis quelques années à un sen- sible rajeunissement des auteurs dans plusieurs pays et notamment aux États-Unis.

Sept énarques Les auteurs de roman appartiennent, par leur éducation et par leur profession, à des catégories privilégiées. Ce n'est pas vraiment une surprise, même si aucun diplôme n'est réclamé pour publier un roman. Une vingtaine seulement (10 %) des auteurs de la ren- trée n'ont pas fait d'études supérieures, et seuls six d'entre eux revendiquent une formation d'autodidacte. En revanche, on trouve 42 (20,5 %) licenciés de lettres et de philosophie, une bonne quin- zaine d'agrégés et de docteurs et sept énarques : Françoise Chan- dernagor, Marc Lambon, François Sureau, Pierre-Jean Rémy, Jean-François Griblin, Jean Saint-Geours, Henri Chenevières. Sans oublier un saint-cyrien, le général Georges Buis, qui publie, à soixante-seize ans, son troisième roman. Cette large participation des auteurs aux privilèges de la culture universitaire se traduit évidemment dans l'éventail des professions qu'ils exercent. Quarante (20 %) sont professeurs dans le secon- daire, à l'université ou dans des instituts d'études supérieures ; 28 (14 %) sont journalistes ; 20 (10 %) vivent de travaux liés à l'exer- cice de la littérature — employés de maisons d'édition, traducteurs, scénaristes, dialoguistes, lecteurs —, 36 enfin (18 %) se consi- dèrent comme des écrivains professionnels. Cette revendication souligne le prestige qui continue à s'attacher à la profession d'écri- vain davantage qu'elle ne rend compte d'une situation réelle. Les écrivains qui vivent, comme on dit encore, de leur plume sont très peu nombreux. La plupart de ceux qui se présentent comme exer- çant le métier d'écrivain pratiquent en fait, de manière plus ou moins régulière, des métiers para-littéraires ; d'autres ont pris une ou deux années de congé sabbatique pendant lesquelles ils subsis- tent en profitant du salaire du conjoint ou d'un parent ; d'autres encore jouissent d'une fortune personnelle qui leur permet d'atten- dre sans angoisse excessive leurs éventuels droits d'auteur. Sur les 36 écrivains déclarés, nous n'en avons guère relevé qu'une dizaine dont on peut dire qu'ils gagnent leur vie — parfois bien mal — avec les romans qu'ils publient. Il n'en reste pas moins qu'enseignants et « gens de lettres » en tout genre représentent deux auteurs sur trois. La création roma- nesque appartient aux lettrés. On est bien loin chez nous de la tra- dition américaine ou italienne qui veut que les romanciers vien- nent de tous les milieux et fassent les métiers les plus divers, de l'ingénieur au fermier et du garçon de café au chercheur de pétrole. Tout juste si, dans notre inventaire, nous trouvons quelques comé- diennes, un agriculteur (Claude Michelet), un chauffeur de voi- ture de maître (Didier Martin), un conducteur de train à la SNCF (Walter Prévost), un directeur de compagnie financière (Jean Saint-Geours), un mannequin (Calixte Beyala), un égyptologue (Christian Jacq), un veilleur de nuit dans un hôtel (François Val- let) et une spécialiste de rénovation immobilière (Bernadette Szapiro). L'absence des notables Et revanche, pas de trace ou presque chez les auteurs de cette rentrée de ces métiers de notables qui fournissaient autrefois l'essentiel des contingents littéraires : deux médecins (mais pas d'avocat, pas de magistrat, pas d'homme politique), trois diplo- mates, un conseiller d'État. Pas de chirurgien, mais deux psycha- nalystes ; pas d'industriel, mais deux cadres de banque. Lorsqu'ils se veulent encore « hommes de lettres », les notables d'aujourd'hui préfèrent l'essai, l'histoire ou même la poésie au roman. Moins exhaustive — elle ne porte que sur la moitié des 202 auteurs —, l'enquête menée sur la vie familiale des écrivains français de cette rentrée montre que 40 % d'entre eux vivent seuls, qu'ils soient célibataires, veufs ou divorcés, alors que 51 % sont mariés. Ce qui laisse une place assez mince (9 %) pour les cou- ples « irréguliers ». Ces résultats sont à mettre en parallèle avec les moyennes correspondantes pour l'ensemble de la population active française : 24 %, 71 % et 5 %. On pourra en conclure que l'exercice de l'activité romanesque n'est guère favorable à la vie de famille. Ce que confirme le faible nombre des enfants des romanciers interrogés. Sur 100: 28 n'en ont aucun, 42 en ont 1, 17 en ont 2, 8 en ont 3, 5 plus de 3 — ce qui donne une moyenne de 1,1, à rapprocher des 1,8 de la moyenne nationale. Il faut cependant se souvenir que les auteurs habitent très majo- ritairement Paris et la région parisienne, où l'on se marie moins, où l'on divorce davantage et où l'on fait moins d'enfants que dans les provinces. Cette correction faite, on conclura néanmoins que les écrivains de roman, peut-être parce qu'ils exercent déjà un autre métier et que leurs livres occupent le reste de leurs heures dispo- nibles, ne sont guère doués pour les joies de la famille. Écrire un roman est une activité de coureur de fond, avec la solitude que cela comporte. COQUETTERIES Le célèbre débat qui opposa Proust à Sainte-Beuve, sur la néces- sité de connaître ou non la biographie d'un auteur pour apprécier sa création, suscite encore aujourd'hui des réactions passionnées. On pourrait supposer que les romanciers qui ne souhaitent pas divulguer tel détail de leur existence sont des écrivains nostalgiques d'un temps où le « tout-médiatique » ne venait pas forcer la porte de leur identité. On les imagine volontiers romantiques, cultivant le mystère de leur personne, ou bien encore discrets et retirés, davantage sou- cieux de l'accueil fait à leur œuvre qu'à leur image. Le doute sur- git lorsque l'on en vient à la nature précise des réticences. Deux lignes se dégagent alors très nettement : ces dames — près de 20 % d'entre elles — ont la coquetterie du sablier, et répugnent à com- muniquer leur date de naissance ; quant à ces messieurs, ils sont quelques-uns à se dérober dès qu'il s'agit de décliner le parcours de leurs études. Il semble bien que les susceptibilités aient la vie dure... Comme si le temps qui passe et l'absence de cursus univer- sitaire faisaient injure à l'écriture ! Val. C. Breton en Pléiade*

par Pierre Drachline

« A quoi pensez-vous en le livrant aux littérateurs, aux porcs ? Ne vous suffit-il pas de voir ce qu'ils ont fait de Rimbaud ? » C'est ainsi, sans plus de détour, qu'André Breton répondit, en 1925, à la revue Le Disque vert, qui sollicitait sa participation à une enquête sur « le cas Lautréamont ». Comment ne pas évoquer cette réponse alors que, aujourd'hui plus encore qu'hier, la vie et l'œuvre du poète risquent, à l'occasion de la parution du premier volume de ses Œuvres complètes1 dans la « Bibliothèque de la Pléiade », d'être ensevelies sous les poncifs et les platitudes? André Breton n'avait, selon son ami Jean Schuster, « ni l'orgueil de dompter la tempête ni l'humilité de la subir2 ». Il sut néanmoins la susciter en se faisant le servant d'une liberté qu'il voulait sœur de l'amour et de la révolution. La générosité de Bre- ton était telle qu'il put transformer ses rêves en offrandes et demeurer à jamais rebelle aux appels d'offres de l'institution lit- téraire. Faut-il rappeler qu'il fit plus pour les œuvres de ceux qu'il aimait — fussent-ils d'un autre siècle — que pour les siennes propres ! « Ce dont je ne me console pas, c'est de vivre pour quelques- uns sur une réputation. Comment peut-on vivre sur une réputa- tion? », notait-il en 1921, alors que, déjà, il avait compris que son destin serait celui d'un réfractaire et qu'il aurait à en payer le prix en incompréhension et en solitude. On a suffisamment ergoté sur les ruptures que sa droiture lui imposa avec quelques-uns de ses compagnons pour qu'il soit utile de revenir sur ces faits. Mais a- t-on seulement essayé de mesurer ce que chacun de ces « aban- dons » lui coûta, humainement parlant ? S'il fut certainement blessé par les trahisons des uns et choqué * Cet ensemble d'articles concernant André Breton est paru dans « Le Monde des livres », 20 mai 1988. 1. André BRETON, Œuvres complètes, t. I, édition établie par Marguerite Bonnet avec la collaboration de Philippe Bernier, Étienne-Alain Hubert et José Pierre, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1978, 390 F. 2. In 17 sans 13 (Les Fruits de la passion, L'instant, 1988). par les redditions sociales ou politiques des autres, André Breton ne se laissa jamais gouverner par l'amertume et il ne succomba pas à l'indifférence, qui, comme il le soulignait, « demeure le rem- part le plus solide des multitudes ». Cette hauteur de vue offensa d'autant plus les sectaires et les parasites qu'elle s'accompagna sou- vent d'une remise en cause permanente de « réponses » que cer- tains croyaient acquises pour longtemps. André Breton, plus que tout autre créateur de son temps, fut l'ennemi du « confort intel- lectuel ». Même sa célèbre formule : « Transformer le monde, a dit Marx ; Changer la vie, a dit Rimbaud : ces deux mots d'ordre pour nous n'en font qu'un », représente une invite à se dépasser, à se poser des questions. « La jeunesse est une ivresse continuelle : c'est la fièvre de la raison », prétendait La Rochefoucauld. Jusqu'au dernier de ses jours, en septembre 1966, André Breton appartint de toutes ses émotions à ce « sentiment », qui n'a pas grand-chose à voir avec l'état civil, et chacun de ses âges fut un âge d'or. L'édition établie avec autant de minutie que de passion par Mar- guerite Bonnet apparaît immédiatement comme un acte d'amour. Mais pouvait-il en être autrement s'agissant d'André Breton ? Cette « Pléiade » d'un auteur « plus célèbre que connu », comme le sou- ligne justement Marguerite Bonnet, permet de revenir à l'essen- tiel, c'est-à-dire à une œuvre dont les arcanes n'ont pas fini de nous étourdir. Il est d'ailleurs heureux que tant de poèmes de Bre- ton gardent toujours leurs énigmes intactes car, ainsi, à chaque lecture nouvelle correspond une interpellation autre. Marguerite Bonnet a divisé en trois périodes (1911-1919; 1920-1924; 1925-1930) ce volume dans lequel elle a rassemblé: Mont de piété (1913-1919), Clair de terre (1923), Les Pas perdus (1924), Manifeste du surréalisme (1924), Poisson soluble (1924), Nadja (1928), Second Manifeste du surréalisme (1930) ; les textes écrits en collaboration avec Philippe Soupault: Les Champs magnétiques (1920), S'il vous plaît (1920), Vous m'oublierez (1920); L'Immaculée Conception (1930), qu'il écrivit avec Paul Eluard ; et Ralentir travaux (1930), dû à sa plume et à celles de Paul Éluard et de René Char. Ses rencontres et ses émois Sous le titre Alentours, Marguerite Bonnet a regroupé, pour chacune des trois périodes, les textes publiés par André Breton dans des journaux et des revues. Les tracts surréalistes et les décla- rations collectives3 comprenant plus de trois signataires n'ont pas 3. Les Tracts surréalistes ont été réunis en deux volumes par José Pierre, aux éditions Losfeld. L'année des lettres - 1989 sous la direction de Pierre Lepape

Plus de treize mille livres sont publiés chaque année en France : comment s'y retrouver dans ce foisonnement ? Comment discerner les tendances qui traversent la production littéraire ? Quels sont les auteurs et les ouvrages à ne pas ignorer ? La librairie française est- elle menacée ? C'est à ces questions que s'efforce de répondre cette seconde livraison de L'année des lettres, désormais réalisée par l'équipe du Monde des livres. On y trouvera un bilan de la production éditoriale de l'automne 1987 au printemps 1989, pour les domaines les plus importants : lettres françaises, littératures étrangères, philosophie, sciences sociales, histoire, sciences, enquêtes et documents, dic- tionnaires et encyclopédies. Pour chaque domaine, tendances et auteurs phares sont présen- tés par un article inédit, complété le cas échéant par des articles thématiques publiés dans Le Monde des livres. Cet ensemble est suivi d'un éphéméride détaillé sur la vie du livre et de l'édition. Auteurs : Valérie Cadet, Bernard Cazes, Roger-Pol Droit, Thomas Ferenczi, Michèle Gazier, Pierre Lepape, Michel de Pracontal, Jean-Pierre Rioux, Josyane Savigneau.

Maquette de couverture : Jean-Pierre Reissner. Éditions La Découverte, 1, place Paul-Painlevé, 75005 Paris Le Monde, 7, rue des Italiens, 75009 Paris ISBN 2-7071-1856-7 05-89 95 F Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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