Université Paris III – Sorbonne Nouvelle

Institut du Monde Anglophone

Ecole Doctorale « Etudes Anglophones, Germanophones et Européennes » (EDEAGE)

Equipe d'accueil de civilisation britannique et nord-américaine : Center for Reasearch on the English-Speaking World (CREW)

Le Rock Indépendant : vers un nouveau modèle de création musicale

Représentations, images et perspectives d'avenir

LEMAIRE Clara

Mémoire présenté pour l'obtention du Master 2 Recherche « Langue, Littérature et Civilisation : Etudes Britanniques, Nord-Américaines et Post-Coloniales »

Directrice de recherche : Année universitaire : Professeur Divina Frau-MEIGS 2009-2010

1 Remerciements

Un grand merci à tous les groupes qui ont bien voulu prendre part à ce mémoire : merci à David et Olivier de GOS, Philippe d'Underground Sky Sound, Louis de You're Blues John, Jessica et Andy de She Keeps Bees et merci aux membres de The Melting Snow Quintet pour avoir répondu à mes questions. Vous m'avez permis de mieux comprendre le milieu du rock indépendant et ce que vous vivez au quotidien. Je vous souhaite à tous de réussir!

Merci à Pascal de m'avoir donné autant d'opportunités grâce au webzine Discordance, ma passion n'a fait que de s'amplifier au fil des live reports et des interviews!

Merci à ma mère qui m'a supportée tout au long de l'écriture de ce mémoire, et qui a passé du temps à le relire! Merci de me soutenir dans la voie que j'ai choisie...

Pour finir, merci à mes amis qui m'ont aidé dans les moments difficiles !

YOU ROCK !

2 SOMMAIRE

INTRODUCTION...... 6

I – Une nouvelle demande musicale

I.1. Le début d'une nouvelle ère…...... 13

I.1.1. La fin du support CD et la numérisation de la musique...... 13 I.1.2. La démocratisation de la musique...... 18

I.2. Le concept de la longue traîne...... 22

I.2.1. Un choix illimité...... 22 I.2.2. Les niches, avenir des indépendants...... 24 I.2.3. Atouts et réalités...... 28

I.3. Appartenir au milieu indépendant...... 30

I.3.1. Les amateurs...... 31 I.3.2. Réseaux et communautés...... 35

II – « La survie du plus fort »

II.1. Être indépendant...... 41

II.1.1 Qu'est-ce qu'être indépendant?...... 41 II.1.2 Se faire connaître, se faire écouter...... 45 a) Avoir un public...... 45 b) La notion de scène...... 47 c) Marquer les esprit...... 49 d) Se faire entendre grâce à la publicité...... 51 e) Se faire entendre grâce à Internet...... 52 f) S'exporter...... 53

II.2. Majeurs contre mineurs, la fin d'une musique de masse?...... 55

II.2.1. Le « Do it Yourself » et les labels indépendants...... 55 a) Le DIY...... 55 b) L'innovation et les points forts des labels indépendants...... 59

3 c) L'union fait la force...... 61

II.2.2. Le chaos des majors...... 63 a) La chute...... 63 b) L'érosion du « star-système »...... 64 c) La dictature des majors et la rébellion des artistes...... 65

II.3. La fin d'un modèle?...... 69

II.3.1. Une culture musicale fragmentée...... 69 II.3.2. Le modèle musical semble cassé...... 70

III – Le modèle indépendant

III.1. Approches de l'indépendance...... 72

III.1.1 En France...... 72 a) Se chercher pour se trouver...... 72 b) Le nerf de la guerre...... 74 c) « J'aurais voulu être un artiste »...... 77

III.1.2 Aux Etats-Unis...... 79 a) S'allier pour mieux régner...... 80 b) L'anticonformiste...... 82 c) La poule aux oeufs d'or est un vilain petit canard...... 85 d) La guerre des gangs...... 88 e) Être ou ne plus être, telle est la question...... 90

III.2. Une hybridation des modèles...... 92

III.2.1. Le rock indépendant comme action collective...... 92 III.2.2. La marge va-t-elle se transformer en norme?...... 94 III.2.3. Vers une co-existence des petits et des grands...... 97

CONCLUSION...... 100

BIBLIOGRAPHIE...... 107

WEBOGRAPHIE...... 111

DISCOGRAPHIE...... 116

4 Annexes......

5 Introduction

« La recherche sur le rock est faite par ceux qui aiment le rock » écrivent Patrick Mignon et

Antoine Hennion dans Rock. De l'histoire au mythe1. Pourtant ce sujet est encore très peu étudié car

« c'est pour l'essentiel une pratique culturelle où domine la spontanéité des acteurs, la débauche d'une énergie vitale non canalisée, et dans cette évidence le rock n'a jamais été qu'une sous culture, au sens détourné de pratique culturelle esthétiquement insignifiante. Le barreau inférieur de l'échelle de la Culture » écrit Jean Michel Lucas2. Mais bien loin d'être superficiel, le rock est avant tout l'esprit du temps incarné dans la musique qui à la base, se veut populaire. En effet, le rock est fait par qui veut, son public vient d'horizons les plus variés les uns que les autres, et il n'est pas réservé à une classe élitiste3. Petit à petit, ce courant musical devient le résultat d'une démarche personnelle énoncée, voire d'une recherche consciente d'un idéal :

Ainsi donc, vers la fin des années 60, des jeunes gens nourris de belles lettres, de politique, sur-informés, en âge de rock, ont recherché dans leur pratique une troisième voie à l'alternative poussiéreuse, étouffante élitisme/masse, à l'opposition caduque – ce dont ils étaient la preuve – populaire/savant. En bonne logique, ni le showbiz, ni la reconnaissance institutionnelle ne leur étaient à priori offerts. Il fallait tout inventer, y compris les festivals, les maisons de disques, les réseaux de distribution et de concerts, les fanzines...4

Représenté par des icônes populaires, le rock devient alors l'alternative au système mis en place par les dirigeants, une façon de se rebeller contre une politique mal menée. On se souvient notamment de l'hymne des États-unis saccagé par Jimmy Hendrix au festival de Woodstock en 1969, lorsque la jeunesse de l'époque prônait la paix et se battait contre la guerre au Vietnam. Mais ce premier mouvement rock est quelque part trop intellectuel, et dès les années 1970, on assiste à un véritable choc des cultures : la bourgeoisie s'approprie la musique dite pop rock et la rend inaccessible aux

1 Patrick Mignon et Antoine Hennion, Rock. De l'histoire au mythe (Paris : Anthropos, 1991) 263. 2 Jean Michel Lucas, « Du Rock à l'oeuvre », dans Mignon et Hennion Rock. De l'histoire au mythe, 78. 3 Marie Berthe Servier, « Pertinence et culture rock : les musiques nouvelles », dans Mignon et Hennion, Rock. De l'histoire au mythe, 177. 4 Servier, « Pertinence et culture rock : les musiques nouvelles », dans Mignon et Hennion, Rock. De l'histoire au mythe, 177.

6 classes populaires. Une grande illusion frappe alors les jeunes de France et d'Europe, qui décident de former un mouvement, le punk rock, pour lancer un nouveau message : la musique appartient à tout le monde. Les groupes décident alors de s'affranchir de toutes les multinationales en créant leurs propres labels et de donner libre cours à leur créativité en retrouvant l'esprit initial du rock, fait avant tout de contestation. Aux États-Unis, c'est seulement en 1988 que le grunge injecte un peu de punk dans la musique américaine grand public, avec des groupes tels que Nirvana, Pearl Jam ou encore Sonic Youth. Ils ne le savent pas encore, mais ils sont les précurseurs d'un mouvement qui apparaîtra dans le milieu des années 1990, le rock « indépendant ».

En effet, le rock indépendant est le digne héritier du punk et du grunge car ces mouvements ont tous la même éthique : faire de la musique par soi même, quelles que soient les conditions, et se faire entendre par un très large public sans jamais trahir ses valeurs artistiques et morales. Si aujourd'hui le rock s'appelle « indépendant » et non plus grunge ou punk, c'est que l'on assiste à un véritable foisonnement de la musique, un mélange des genres qui ne correspond plus à un seul genre de musique, mais qui regroupe plutôt tous les artistes ayant ces mêmes valeurs. Les indépendants sont par essence, opposés à tout système et s'auto-produisent dans la plupart des cas, rendant hommage au do it yourself (DIY) mis en place par le punk des années 1970. Cette démarche se veut avant tout humaine, vise à rapprocher les artistes des consommateurs de musique et à supprimer les intermédiaires incarnés par les maisons de disques. Depuis les années 1990, on assiste donc à l'émergence d'un véritable réseau autonome, associatif et communautaire, qui permet aux groupes de produire leur musique de la manière qu'ils veulent, sans avoir à subir de pressions de la part des majors.

Seulement en 1990, il était peu probable que les groupes indépendants réussissent une percée sur le marché de la musique, dominé en grande partie par les grandes maisons de disques. Il a fallu attendre les années 2000 et la crise du disque pour que ceux-ci puissent profiter du chaos général des majors et du perfectionnement des nouvelles technologies, pour pouvoir se faire

7 remarquer d'un plus grand public, jusqu'alors auditeur de la musique de masse. En effet, les années

2000 marquent la fin d'un cycle musical : le CD a atteint son pic et son remplacement est imminent.

Contre toute attente, Internet et la numérisation des informations deviennent le nouveau moyen de diffusion de la musique, un bouleversement qui fut loin d'être envisagé par les majors à l'époque.

Ainsi, avec l'évolution du haut-débit en 2002, qui permet le début du téléchargement illégal, l'industrie de la musique prend un tournant fatal, qui n'est pas sans rapport avec la crise du disque qu'elle subit actuellement5 (voir annexe n°1, « Graphique des conséquences du téléchargement illégal sur le marché de la musique »). En 2008, le marché de la musique était donc en régression pour la sixième année consécutive, perdant 53% de sa valeur, soit près de 700 millions d'euros6

(voir annexe n°2, « Tableau de l'évolution du marché de la musique entre 2002 et 2008 »).

Cette soudaine crise de l'industrie du disque fut une véritable aubaine pour les indépendants, qui profitèrent d'un changement de structure conséquent, et leur donna l'opportunité de se hisser au même niveau que les grandes majors. Ainsi, depuis 2007, les téléchargements deviennent le mode de procuration de la musique le plus en progression (voir annexe n°3, « Evolution des ventes numériques pour l'année 2009 »), avec une augmentation des ventes de 35,2% en volume, et 82,8% en valeur7 , laissant entrevoir de grands espoirs pour les artistes indépendants, qui sont présents sur

Internet et dans les niches, mais qui n'ont pas une grande visibilité à cause de l'étroitesse de ce marché. Les téléchargements sur Internet donnent en effet à l'internaute l'opportunité de quitter le courant mainstream proposé par les majors et de chercher de nouveaux artistes non rattachés aux maisons de disques, qui produisent leur musique seuls, en indépendants, et qui font partie du courant underground, présent dans les niches. Ce mouvement de l'Internaute vers les groupes, chercheur de nouveautés, et non plus des groupes vers le consommateur potentiel, est une véritable révolution qui pourrait bien tourner en faveur des artistes indépendants et leur donner autant de chances de percer sur le marché qu'un artiste sous contrat avec un label.

5 Chiffres tirés de « L'économie de la musique », SNEP, 2009. 6 Chiffres tirés de « L'économie de la musique », SNEP, 2009. 7 André Nicolas, « Les marchés de la musique enregistrée », Rapport de L'observatoire de la musique, 2009.

8 Dans son livre, Chris Anderson défend la théorie de la « longue traîne8 », soit l'économie des produits (souvent du ressort des amateurs) qui ont une faible demande, ou qui n'ont qu'un faible volume de vente, et qui peuvent, collectivement, représenter une part plus conséquente que celle des best-sellers, si la distribution est efficace et si le bouche-à-oreille marche. Cette théorie peut s'appliquer totalement aux très nombreux groupes indépendants, qui ont à la base, très peu de moyens pour se faire connaître, mais qui peuvent tout de même réussir dans le milieu de la musique. Une question apparaît alors : comment les groupes peuvent-ils s'en sortir seuls, et comment arrivent-ils à infiltrer la faille créée dans l'industrie du disque? Est-il vraiment possible d'y arriver en étant indépendant?

La numérisation de la musique provoque donc une valorisation de la nouveauté, qui n'est plus considérée comme indigne ou inintéressante d'écoute, et regroupe des millions d'amateurs qui ont la possibilité de mettre leur créativité à disposition de tous, sur des sites communautaires. Cette transformation du consommateur en consommateur-producteur, est vivement critiquée par Andrew

Keen, auteur de The Cult of the Amateur9, qui déplore l'arrivée massive des amateurs sur le marché, qui remet en cause l'autorité des professionnels des différents domaines. En se heurtant aux propos de Chris Anderson, il démontre que notre société est en train de brouiller les lignes entre les experts et les amateurs et que cette nouvelle ère menace la propriété intellectuelle. Pourtant, des centaines de groupes apparaissent chaque jour sur Myspace, donnant un large choix musical à l'Internaute, mais également aux labels indépendants, qui peuvent de ce fait, essayer de concurrencer les majors.

Celles-ci ont en effet, pris du retard dans leur développement à cause de l'évolution de la technologie qu'elles ne maîtrisent pas encore totalement. Les signatures se font donc de plus en plus rares dans les grandes maisons de disques, ne sommes-nous pas en train d'assister à la prise de pouvoir des labels indépendants qui jouissent de la restructuration progressive de l'industrie de la musique? En effet, les labels indépendants disposent aujourd'hui d'atouts indéniables face aux

8 Chris Anderson, The Longer Long Tail (London : Random House Business Books, 2009). 9 Andrew Keen, The Cult of the Amateur (New York : Double Day, 2008).

9 majors et sont dans la possibilité de développer les artistes plus facilement de part leur grande flexibilité. Les labels indépendants ne vont-ils pas peu à peu remplacer les majors, qui se trouvent actuellement dans une position difficile et qui pourraient souffrir de ce relâchement par la suite?

Pour cela, quelles sont donc les grandes différences qui pourraient donner la priorité aux labels indépendants sur le marché de la musique?

Les majors n'ont plus tout à fait bonne réputation dans le milieu musical. Elles sont de renom, assez strictes avec les groupes qu'elles signent et sont rigides dans leurs affaires. Dans The

Future of Music : Manifesto for the Digital Revolution10, David Kusek et Gerd Leonhard détaillent la mort de l'industrie du disque et l'engouement récent des musiciens et des professionnels qui utilisent Internet pour créer de nouveaux modèles de distribution et de promotion. Avec le développement de la technologie et la démocratisation de la musique, il est désormais plus aisé de se produire seul. Quels sont les exemples concrets qui démontrent que les indépendants ont toutes leurs chances de rivaliser avec les majors et que le modèle connu jusqu'alors est en train de s'ébranler? Dans Les musiciens underground, Jean-Marie Seca l'affirmait déjà en 2001 :

La star est vouée à disparaître peu à peu. Son icône sera de plus en plus vite délavée et les peintures qui la composent se désagrégeront plus tôt qu'on ne le pense : bien sûr, il faudra encore quelques temps avant que cette prédiction ne se réalise mais la route est tracée depuis longtemps par ces suites ininterrompues d'innovations stylistiques ou de démultiplications des courants underground11.

Si les stars et la domination des majors disparaissent, quel sera donc le modèle musical de demain?

Sera-t-il uniquement fait d'indépendants, qui grâce à leurs innovations arriveront toujours à se renouveler?

Dans cette étude nous aborderons donc trois grands points afin d'étudier le mouvement du rock indépendant, sa représentation dans l'industrie de la musique et son image à travers les exemples d'artistes impliqués. Nous définirons également si ces acteurs peuvent ou non apporter à

10 David Kusek et Gerd Leonhard, The Future of Music, Manifesto for the Digital Music Revolution (Boston : Berklee Press, 2005). 11 Jean Marie Seca, Les musiciens underground, (Paris : PUF, 2001) 35.

10 la musique une perspective d'avenir différente. Dans un premier temps, il semble intéressant d'analyser la nouvelle demande musicale générée par la crise du disque et l'arrivée d'Internet. En effet, nous entrons progressivement dans une « nouvelle ère » qui engendre des changements conséquents dans l'industrie de la musique et qui sont favorables aux indépendants. Nous verrons donc que la démocratisation de la musique permet aux groupes de s'auto-gérer et de produire leur musique seuls. Mais cette démocratisation accélérée est propice à la formation d'une multitude de groupes amateurs qui, de ce fait, se retrouvent tous dans la queue de la longue traîne. Nous

étudierons donc ce concept de plus près en relevant ses atouts mais aussi en pointant du doigt la réalité qui s'en dégage. Pour terminer ce chapitre, nous nous arrêterons sur le fait « d'appartenir à un milieu indépendant », un milieu qui est composé principalement d'amateurs qui partagent leurs créations grâces aux communautés en ligne et aux réseaux. Ces communautés sont pour la plupart vecteurs de publicité pour les groupes indépendants, et leur permettent d'exister à leur échelle.

Le deuxième point s'inspire des célèbres propos du philosophe Herbert Spencer « the survival of the fittest 12», qu'il utilisa pour décrire la « sélection naturelle » évoquée par Darwin dans

L'origine des espèces en 1859. En effet, « la survie du plus fort » est une métaphore qui convient tout particulièrement aux groupes indépendants, qui se battent dans un milieu hostile. Nous définirons donc ce qu'est « être indépendant », comment se faire connaître et se faire écouter, et nous verrons que, semblable aux dires de Darwin, seuls les groupes les mieux adaptés à l'environnement, s'en sortent et peuvent espérer exister. Dans un deuxième temps, nous comparerons la force des labels indépendants au chaos des majors qui subsiste depuis le milieu des années 2000, et nous verrons que les artistes sous contrat avec des majors tels que Nine Inch Nails ou Amanda Palmer se rebellent à leur manière, pour se retrouver indépendants à nouveau. Nous nous demanderons alors si le modèle musical imposé par le règne des majors n'est pas tout

12 Spencer écrivait dans son livre Principles of Biology, 1864 : « The survival of the fittest, which i have here sought to express in mechanical terms, is that which Mr Darwin has called « natural selection », or the preservation of favoured races in struggle for life ». Darwin utilisa pour la première fois cette expression dans la cinquième édition de L'origine des espèces en 1869, qu'il qualifia de synonyme de la « séléction naturelle ». (consulté le 26/05/10)

11 simplement cassé.

Le troisième chapitre s'ouvrira sur des approches de l'indépendance en France ainsi qu'aux

États-Unis grâce aux interviews de quatre groupes français, GOS, Underground Sky Sound (USS),

The Melting Snow Quintet et You're Blues John, ainsi que d'un groupe américain, She Keeps Bees.

Ces témoignages nous permettront d'avoir un point de vue précis sur le mode de fonctionnement d'un groupe indépendant, de comprendre ses craintes et ses perspectives d'avenir. Comme il fut plus difficile d'avoir des témoignages de groupes américains, nous nous appuierons également sur l'histoire de trois autres groupes établis depuis le milieu des années 1990, les Brian Jonestown

Massacre, les Dandy Warhols et les White Stripes, d'une part pour montrer la vision générale de l'indépendance aux États-Unis, et d'autre part pour illustrer les propos qui auront été avancés précédemment. En effet, les White Stripes, et plus particulièrement son leader, , issu de la scène de Detroit, est le digne représentant du do it yourself et de l'artiste indépendant qui auto- produit ses , ainsi que ceux de tous ses autres groupes. Quant aux Brian Jonestown

Massacre et aux Dandy Warhols, en plus de représenter également les valeurs du DIY, ils sont l'archétype même de la bataille entre les majors et les indépendants. Il aurait été impensable de ne pas parler de ces groupes dans cette recherche car ils sont nés lorsque le mouvement indépendant prit toute son ampleur aux États-Unis et en sont aujourd'hui les précurseurs.

Nous terminerons ce chapitre en montrant l'hybridation du modèle musical, la transformation du milieu du rock, qui grâce à son appellation « indépendant » agit finalement en tant qu' « action collective ». Ceci peut paraître paradoxal, mais le fait d'être indépendant appelle à la collectivité, à l'entraide et à la conjugaison des différents talents de chacun. De ce fait, nous verrons que les indépendants ont désormais une très grande place dans l'industrie de la musique, mais que leur talent ne pourra jamais exister seul. Avec les différentes approches que nous aurons eu sur l'indépendance, nous verrons que nous tendons désormais vers une coexistence des petits et des grands acteurs du milieu musical.

12 I – Une nouvelle demande musicale

I.1 – Le début d'une nouvelle ère

I.1.1 – La fin du support CD et la numérisation de la musique

Le début des années 2000 marque le commencement d'une nouvelle ère dans le domaine de la musique enregistrée. Mais ce changement n'est pas nouveau, il est le fruit d'une évolution technologique et sociale qui, au fur et à mesure des années, a pris une ampleur considérable. En effet, depuis les années 1970, le monde du disque est constamment remis en cause, non pas au sujet de la musique qui est produite – même si elle aussi, a subi bien des changements au niveau du style

– mais à propos du support sur lequel elle est enregistrée. Le support physique de la musique est presque aussi important que la musique elle même, il favorise en partie l'engouement de l'auditeur et l'incite à l'acheter. Ainsi lorsque la crise du vinyle apparaît à la fin des années 1970, la cassette audio est perçue comme une petite révolution : « (elle) provoque une éclosion de créations et d'échanges, locaux et internationaux, voire de créations communes à distance » explique Marie

Berthe Servier13. La cassette est donc le premier support qui permet aux amateurs de musique de copier et d' enregistrer la musique qu'ils désirent, directement sur leur chaîne audio. Elle qui fut à l'origine des premiers Walkman, ne restera pas très longtemps sur le marché contrairement au vinyle14 ou au compact disque qui vint la détrôner en 1983. Les années 1990 sont donc les « années

CD » et l'industrie du disque se porte plutôt bien. Les ventes de musique enregistrée ont doublé, et jusqu'en 2000 on assiste au taux de croissance le plus rapide de l'histoire de l'industrie15. Mais en

2001, le marché s'effondre, les ventes baissent de 2.5% puis de 6.8% l'année suivante : « Between

2001 and 2007, the music industry's total sales fell by a quarter but the number of hit albums fell by

13 Servier, « Pertinence et culture rock : les musiques nouvelles » dans Mignon et Hennion, Rock. de l'histoire au mythe, 177. 14 Le vinyle fut mis au point en 1887 par l'allemand Emile Berliner. 15 Anderson, The Longer Long Tail, 31.

13 more than 60 percent16» affirme Chris Anderson. Cette chute des ventes significative marque le passage suivant de l'industrie de la musique enregistrée, le passage du monde analogique au monde numérique.

Même si le support CD continue d'exister, le format audio mp3 prend doucement le relais et pousse l'industrie du disque vers des terrains qui sont encore inconnus. De son nom MPEG-1/2

Audio Layer 3, le mp3 permet de réduire la quantité de données nécessaires pour écouter une chanson, et cette compression a des avantages certains : gain de place, puisque le fichier est stocké sur ordinateur, coût de production moindre, car il n'y a pas de support à financer et son format est accessible par un grand nombre de personnes grâce à Internet, la plateforme idéale pour diffuser ce format. Petit à petit, la musique entre donc dans une nouvelle phase de transformation et son support se numérise, au grand dam des maisons de disques. En effet, la numérisation de la musique engendra en dix ans de temps des répercussions assez conséquentes sur les ventes de disques, puisque quasiment tous les fichiers musicaux furent mis à disposition sur la toile et furent ainsi accessibles très facilement. Il est désormais aisé de télécharger l' de son artiste préféré par le biais des nombreux sites destinés à cet effet, des sites qui ne cessent d'augmenter et qui progressivement, remplacent les magasins de disques dans les villes. On peut ainsi voir disparaître bon nombre de disquaires indépendants – qui sont passés de 3000 dans les années 1970 à 600 en

200717 – ainsi que la chaîne des magasins Virgin en avril 2009 pour des questions de loyer et de rentabilité :

La chaîne est victime du naufrage qui a déjà emporté ses concurrents britanniques aux États-Unis (Tower Records, HMV, WHSmith) (…) Les supports immatériels enterrent peu à peu le marché physique de la musique et du DVD. Les chiffres en attestent : les ventes de DVD au premier trimestre 2009 ont baissé de 15% aux États-Unis au profit de la vidéo à la demande et du streaming. Parallèlement, les ventes de disques ont diminué d'un tiers en 2008 selon l'IFPI (International Federation of the Phonographic Industry). Le CD succombe ainsi à la cannibalisation digitale galopante, alors que les ventes en ligne, en augmentation, ne suffisent pas encore à compenser ces pertes18.

16 Anderson, The Longer Long Tail, 32. 17 Françoise Benhamou, L'économie de la culture, (Paris : la Découverte, 2008) 78. 18 Clémentine Gallot, « CD, le début de la fin », Les Inrockuptibles, numéro 704, 26 mai 2009, 14.

14 Les sites de vente en ligne sont donc en plein essor. Combinant à la fois ventes analogiques et numériques, comme c'est le cas d'Amazon par exemple, ils permettent de répondre à une demande grossissante des consommateurs qui évoluent en même temps, et qui voient les avantages de la numérisation. Françoise Benhamou précise que : « les nouvelles technologies n'apportent pas seulement de nouveaux produits ; elles bouleversent processus et contenus (…) De ce point de vue, la dématérialisation de l'oeuvre (remplacée par des fichiers numériques) affecte le statut des auteurs, les modes de production et les modes d'utilisation et d'achat 19». En effet, une telle remise en question du support de la musique ne passe pas inaperçue et engendre des modifications conséquentes quant à la vie du titre. Les auteurs ne dépendent plus entièrement de la volonté d'une maison de disque, ils peuvent mettre leurs chansons sur des plateformes en ligne telles qu'iTunes par exemple, et il en est de même pour le consommateur : il n'est plus obligé de passer par un grand magasin pour s'approprier la musique.

Ainsi, le consommateur peut facilement la récupérer sans avoir à bouger de chez lui, par un simple clique de souris. Chris Anderson rappelle que : « Today, not only have listeners stopped buying as many CDs, they're also losing their taste for the blockbuster hits that used to make them throng those stores on release day 20». La sortie d'un album n'est plus attendue avec autant d'impatience puisqu'il est souvent disponible sur un bon nombre de plateformes de téléchargement et qu'il ne peut jamais être en soi sold-out. Il ajoute également que : « It's the ultimate on-demand market: because the goods are digital, they can be cloned and delivered as many times as needed, from zero to billions 21». Les consommateurs peuvent télécharger à l'infini et peuvent faire ce qu'ils veulent de leur téléchargement dans le domaine du légal : le copier sur une sauvegarde, le mettre dans leur mp3, faire une compilation... etc. Avec la numérisation, souffle un vent de gratuité sur la musique, une liberté dont les internautes profitent souvent au risque de fâcher les maisons de disques.

19 Benhamou, L'économie de la culture, 79. 20 Anderson, The Longer Long Tail, 33. 21 Anderson, The Longer Long Tail, 96.

15 En effet, celles-ci semblent être dépassées par les événements et semblent avoir du mal à régulariser le téléchargement qu'elles voient comme une menace :

À l'ère du numérique, l'industrie du disque a perdu le contrôle de la distribution (…) c'est un autre acteur de l'électronique grand public, Apple, qui a permis le décollage de la musique en ligne payante, à partir de 2003, en tirant parti de la synergie entre son baladeur numérique lancé en 2001, l'iPod et sa plate-forme créée en 2003, iTunes music store 22.

Cette prise de pouvoir par la force par le géant Apple est donc bien difficile à surmonter pour l'industrie du disque qui se voit presque engloutie par le nombre de CD qu'elle n'arrive pas à vendre, contrairement aux ventes numériques qui s'envolent.

Quels sont donc les facteurs invoqués pour expliquer la baisse des ventes des disques? Est- ce à cause de l'évolution du prix du CD? Des revenus des ménages qui sont de plus en plus faibles?

De la baisse de la qualité de la musique ou d'un intérêt moindre des consommateurs? Même si les maisons de disques clament haut et fort que les téléchargements pirates sont à l'origine de la crise avec plus de 10 millions d'utilisateurs partageant des fichiers chaque jour23, l'argument le plus recevable est la fin de cycle de vie du CD. Son véritable successeur n'est autre que le fichier numérique, un nouveau format qui « n'a pas été introduit par l'industrie du disque au moment qui lui semblait le plus opportun, comme c'était jusqu'ici l'usage, mais par les consommateurs eux- mêmes 24» , ce qui a amplifié la menace sous laquelle se sentait l'industrie du disque. La mutation de la nature économique de la musique enregistrée n'ayant pas été prévue par les maisons de disques, a créé cette faille qui a engendré les « pirates » , des personnes consommant les biens musicaux sans contribuer au financement.

Bien que l'industrie essaya de répliquer avec des éditions d'albums de luxe, collectors ou bien même en appliquant une chute des prix significative (25% aux USA et 15% en France), l'industrie du disque ne réussit pas à convaincre la plupart des consommateurs de stopper le

22 Nicolas Curien et François Moreau, L'industrie du disque (Paris : la Découverte, 2006) 80. 23 Anderson, The Longer Long Tail, 33. 24 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 68.

16 téléchargement et de retourner à un système où tout était sous contrôle, à part les quelques fans ou les nostalgiques d'un support matérialisé qui investissent dans l'objet culte25. Avec une augmentation de 56% en 2009, la musique numérique fait un chiffre d'affaire de plus de 60 millions d'euros26.

Même s'il est immatériel, le mp3 n'est pas qu'un simple fichier, il devient petit à petit un bien culturel et économique à part entière. La numérisation est en effet perçue comme un bien collectif, mais elle ne peut en aucun cas rivaliser avec le CD, qui, lorsque le fan l'achète, montre son attachement et son soutien à l'artiste. Le mp3 est un bien qui rend la musique accessible à un plus grand nombre, qu'il soit auteur, compositeur ou simplement amateur, mais il reste impersonnel.

Pour lui donner la même envergure que le CD, certains artistes mettent par exemple des bonus à disposition de leur fans sur leur site internet, ou bien vendent leurs titres sur clé USB. Le mp3 devient alors, au même titre qu'un CD, un bien collector.

Aujourd'hui, pour les commerçants en ligne, le marché du mp3 semble intarissable car il donne l'impression d'être constamment renouvelé, contrairement au marché avec lequel fonctionnent les maisons de disques qui ne proposent qu'un catalogue limité. Ainsi , Zetner en 2006

« montre que les téléchargements auraient réduit de 30% la probabilité d'acheter de la musique, soit une baisse des ventes de 7.8 % 27». Une baisse importante qui ne semble pas inquiéter

Oberholzer et Strumpf, pour qui « l'impact du P2P (peer to peer) n'est pas significatif (puisque) plus de cinq mille téléchargements seraient nécessaires pour faire baisser les ventes d'une seule unité 28». Selon Chris Anderson, la transformation due à la numérisation engendrerait non pas une baisse des ventes de CD, mais tout simplement la fin des hits parade: « customers have shifted to less mainstream fare, fragmenting to a thousand different subgenres. For music at least, this looks like the end of the blockbuster era 29». Le mp3 apporte cette envie de recherche et cet engouement

25 On le voit avec l'exemple de l'intégrale des Beatles remasterisée : 600 000 exemplaires se sont vendus aux États- Unis quatre jours après sa sortie. « Face au téléchargement le CD continue de tourner », < http://largentdelamusique.wordpress.com/2010/03/19/face-au-telechargement-le-cd-continue-de-tourner/ > (consulté le 09/05/10). 26 Chiffres tirés de « L'économie de la musique », SNEP, 2009. 27 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 64. 28 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 65. 29 Anderson, The Longer Long Tail, 33.

17 pour la nouveauté musicale que le consommateur n'avait pas – ou peu – lorsque les maisons de disques planifiaient les artistes de demain. Aujourd'hui, il permet à bon nombre de groupes non signés par des labels et dits « indépendants », de diffuser leur musique à travers les nouveaux sites

Internet tels que Rhapsody, iTunes ou bien Youtube et Dailymotion pour ce qui est de la vidéo. Pour les artistes encore inconnus, les réseaux peer to peer sont une véritable chance : « dans une enquête menée aux États-unis en 2004 auprès de 2700 musiciens, auteurs et artistes interprètes, 21% d'entre eux déclaraient que les échanges sur les réseaux P2P avaient augmenté leurs ventes de CD alors que seuls 5% estimaient le contraire 30». Les réseaux peer to peer permettent à plusieurs ordinateurs de communiquer via un réseau et de partager simplement des fichiers. Même s'ils peuvent être utilisés pour un grand nombre d'activités (telle que la conversation en ligne via le logiciel Skype), ils sont référencés pour la musique de manière plus significative (Napster,

Edonkey, Kazaa ou Limewire, entre autres). Le réseau peer to peer est plus qu'un simple transfert de fichier quelconque, il est un véritable relais d'informations pour les groupes en devenir. Le mp3 devient alors le tremplin des groupes de demain et démocratise la musique de façon générale. Avec ce format, il est désormais aisé de composer ses chansons, de les enregistrer et de les diffuser, sans passer par une maison de disque.

I.1.2 – La démocratisation de la musique

La numérisation de la musique et les logiciels peer to peer facilitent considérablement la diffusion de la musique sur la toile. Dans le même esprit, la révolution Internet engendre de nouveaux outils simples et au coût abordable qui vont, en un mot, « démocratiser » la musique. Par l'intermédiaire de ceux-ci, le consommateur de musique devient « acteur » de sa musique. Il ne l'écoute plus simplement, il réussi également à la produire et à la diffuser lui même dans un effort

30 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 63.

18 moindre, sans avoir recours aux professionnels : on assiste alors au mouvement du consommateur passif vers le producteur actif. Chris Anderson dit d'ailleurs à ce propos : « The PC made everyone a producer or publisher, but it was the Internet that made everyone a distributor 31». Les outils professionnels se démocratisent et deviennent abordables pour les groupes indépendants désirant enregistrer sans avoir à payer des frais de studio : tout le monde peut désormais le faire chez soi.

Dans une interview mise en ligne sur le site web Discordance.fr en février 2010, Jessica Larrabee et

Andy LaPlant, membres du groupe américain She Keeps Bees avaient déclaré en parlant de l'atmosphère de leur album: « (…) on a tout enregistré à la maison, c'est elle qui a créé l'atmosphère. On ne voulait pas trop rajouter d'effets à nos chansons, on a enregistré dans la salle de bain, dans le salon (…) » Puis ils rajoutent plus loin dans l'interview : « On préfère vraiment enregistrer à la maison, on a essayé le studio une fois, mais tout est une question d'argent, il faut aller vite car ça coute cher (...) 32». Les groupes indépendants peuvent ainsi s'adonner à leur musique aisément, chez eux, espérer pouvoir sortir un disque et se lancer dans une carrière grâce à la facilité avec laquelle ils peuvent disposer de la musique maintenant.

Si autant de groupes osent se lancer dans la musique c'est bien grâce à la démocratisation des logiciels : « there is a democratization of the tools of production (…) Just as the electric and the garage democratized pop music forty years ago, desktop creation and production tools are democratizing the studio » (LT, p.63). Qu'ils soient peer to peer (pour la diffusion de leur travail) ou bien créatifs (Reason par exemple, qui aide à la composition), les nouveaux logiciels utilisés par les groupes indépendants alliés à l'augmentation du téléchargement illégal de la part du public, forment une combinaison explosive. Cette combinaison offre un choix sans précédent en terme de nouveautés musicales et favorise une demande de plus en plus marquée de la part du public. Plus le choix est ouvert et large, plus la demande de nouveauté augmente, et plus les logiciels se démocratisent.

31 Anderson, The Longer Long Tail, 55. 32 Clara Lemaire, « Interview : She Keeps Bees », 3 février 2010 (consulté le 26/04/10).

19 Un exemple simple mais flagrant est bien la démocratisation du baladeur mp3 et du boom de l'iPod qui n'a fait que répondre à la demande d'un marché en voie d'expansion. Au début presque inabordables car trop sophistiqués et trop chers, ils sont aujourd'hui indispensables à l'amateur de musique, et on trouve aujourd'hui des baladeurs mp3 à partir de vingt euros. Un prix une fois de plus abordable, qui permet à toutes les catégories sociales de créer leurs propres playlists de nouvelles musiques. L'iPod devient une bande son personnalisée, démocratisée pour, et en fonction du consommateur pour lui permettre d'aller vers la nouveauté musicale plus facilement. Sur lechoix.fr, Mlle Eddie a succombé à la playlistmania, qu'elle classe par lieu, par genre ou bien par année, et encourage ses lecteurs à collaborer à des playlists participatives pour partager les nouveaux noms de groupes. Elle dit à ce propos :

Trouver son chemin dans cette immensité, c’est très compliqué, on a besoin de gens qui proposent leur itinéraire musical, des gens qui nous prennent par la main et nous disent : « Ça ma p’tite dame, ça risque de te plaire et si ça te plaît, va écouter ça, ça et ça ». La plupart des gens n’ont pas le temps, même s’ils connaissent très bien leurs goûts musicaux, de creuser dans tout ce qui se fait de nouveau pour trouver des perles. C’est là que les journalistes, blogueurs et autres donneurs d’opinion occasionnels ont leur rôle à jouer pour offrir des pistes d’écoutes (ça c’est un jeu de mots que je copyrighte de suite). On a besoin de filtres, aussi subjectifs et potentiellement de mauvais goût soient-ils33.

Grâce aux playlists de chacun, les Internautes peuvent découvrir des groupes qu'ils n'auraient probablement jamais listés, et ceci à moindre frais. Aujourd'hui les maisons de disques encouragent ce mode d'écoute, qui est peut-être la solution au téléchargement illégal.

La démocratisation de la musique passe également par des activités plus ou moins ludiques, telles que les jeux vidéos par exemple. Les jeux Rock Band ou Guitar Hero, démocratisent les instruments de musique et les mettent à la portée de tous, y compris à la portée de ceux qui n'ont jamais touché à un instrument de leur vie. Le témoignage de Julien (voir annexe n°4,

« Questionnaire de Julien, amteur du jeu video Rock Band Beatles »), 17 ans est très révélateur :

33 Julia Bource, « La playlist de mes rêves », 7 mai 2010, (consulté le 09/05)

20 Tout me plaît dans ce jeu, notamment jouer à plusieurs, les clips sont très bien réussis, le gameplay permet au joueur de profiter d'un large choix de chansons, et encore plus avec la boutique en ligne. La batterie est un instrument très intéressant dans le jeu, on se dépense bien et on apprécie cette approche de cet instrument qui est assez bien réussie. Le chant est aussi attrayant et permet de bien connaître les paroles des chansons. La guitare/basse est assez éloignée du vrai instrument mais en garde la joie procurée. Tout instrument peut être exploité et il est difficile pour moi d'avoir une préférence.

À en lire ses propos, Julien a la faculté de maîtriser plusieurs instruments, du chant à la guitare, quelque chose qui est rarement possible dans la vie de tous les jours, à moins bien sûr d'être musicien confirmé. À travers un simple jeu, la musique est démocratisée et arrive dans le salon de

Mr Tout le monde, ce n'est plus une activité réservée à l'élite : « it is putting the sort of tools into the average home (producer) that were once reserved for professionals alone 34» explicite Chris

Anderson. Il n'y a plus besoin d'apprendre le solfège, de posséder une guitare ou de trouver un endroit de répétition, il est possible de devenir musicien sans le moindre effort et en toute indépendance. Une indépendance qui est vécue comme une sorte d'émancipation tant au niveau de la consommation que de l'information ou de la culture.

Mais la démocratisation de la musique n'est pas au goût de tout le monde et il est nécessaire de le préciser. En effet, le terme « démocratiser » peut rimer avec « mauvaise qualité », et peut ainsi effrayer le public. Car si un logiciel est bon, il devrait être populaire, et donc il serait normal de payer pour avoir cette qualité. Mais plus que tout, la démocratisation de la musique n'est tout simplement pas bien vue par l'industrie du disque : « The thought that you and I, the consumers, will be involved in this process reads like a blasphemy to a lot of the decision-makers in the music business 35». Pourtant, cette étape par laquelle passe la musique semble inévitable. Aujourd'hui de plus en plus de fans et de consommateurs s'indignent de l'état actuel de la musique et de son prix, c'est pourquoi on assiste à sa démocratisation car selon David Kusek et Gerd Leonhard : « Access to music will replace ownership of it 36». La musique n'est plus perçue comme un produit, mais comme

34 Anderson, The Longer Long Tail, p.63. 35 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 13. 36 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 38.

21 un partage d'information , d'écoute et d'apprentissage : « the fifty million or more people who share music over the internet want to acquire music cheaply, get connected to other people, share with them, learn about new music, and have instant access to what they want and where they want it 37».

La démocratisation de la musique semble donc être la suite logique de la numérisation, deux facteurs qui ont permis une restructuration au niveau des maisons de disques qui ont dû innover et s'adapter, et qui ont ainsi pu donner de nouvelles opportunités aux groupes indépendants.

I.2 – Le concept de la « Longue Traîne »

I.2.1 – Un choix illimité

Depuis le passage à la numérisation de la musique, le public doit faire face à un choix conséquent dans sa consommation de musique, un choix qui semble parfois presque illimité. En effet, d'après Chris Anderson : « Now with online distribution and retail, we are entering a world of abundance 38». C'est la fin d'un monde de rareté « in which there wasn't just enough room to carry everything for everybody 39». Internet a permis d'offrir un catalogue personnalisé pour chaque consommateur, lui offrant ainsi un choix illimité et un marché qui ne semble jamais s'arrêter, d'évoluer et de grandir. Dans cette optique, iTunes Store proposé par Apple en 2003 aux États-Unis, et Rhapsody son concurrent lancé en 2001 par Real Networks, sont parmi les sites de musique en ligne qui rassemblent le plus d'artistes, qu'ils soient signés par une maison de disque ou indépendants.

Ce choix donné au public et qui permet de laisser une chance d'évoluer aux artistes qui ne sont pas ou très peu connus, forme la queue de ce que Chris Anderson appelle la « longue traîne ».

Elle est constituée de chansons qui ne sont pas populaires mais qui réussissent à trouver un public, même s'il n'est composé que d'une poignée de personnes. Cela paraît difficile à croire, mais le

37 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 42. 38 Anderson, The Longer Long Tail, 18. 39 Anderson, The Longer Long Tail, 18.

22 marché est bien là : « because there are so many of these non-hits, their sales, while individually small, quickly add up (…) (it) accounts for some 22 million downloads a month, nearly a quarter of

Rhapsody's total business 40». La véritable nature de la demande est révélée lorsque le public est face à un choix illimité. Dans ce cas, la puissance du choix sur Internet est très forte, il donne une sensation d'empowerment41 au consommateur et devient un atout économique majeur pour l'augmentation des ventes : « The internet simply makes it cheaper to reach more people, effectively increasing the market in the tail. That, in turn, translates to more consumption, effectively raising the sales lines and increasing the area under the curve 42».

Le choix de la longue traîne offre donc trois atouts majeurs à un groupe indépendant qui est en voie de percer : une démocratisation de la production et de la diffusion ainsi qu'une amplification du bouche-à-oreille. Grâce à celui-ci, il va pouvoir essayer de rivaliser avec les hits, car comme le précise Chris Anderson : « A very big number (the products in the tail) multiplied by a relatively small number (the sales of each) is still equal to a very, very big number 43». De même, le choix que l'on trouve dans la longue traîne et la liberté de décision qu'elle engendre, permettent au consommateur d'acheter uniquement les chansons qu'il désire sans avoir à acheter le CD en entier si celui-ci n'en vaut pas la peine. De ce fait une simple chanson de la longue traîne peut devenir un hit alors que l'album sur lequel elle est, pourra être un échec : « En 2000, en Grande-Bretagne, sur un marché entièrement physique, il se vendait plus de deux albums pour un single ; en 2009, en digital, il s'est téléchargé plus de dix singles pour un album... 44».

Mais ce choix donné au public peut parfois être aliénant et il n'est pas toujours facile de se retrouver dans cette longue traîne qui offre, il ne faut pas se le cacher, du bon comme du mauvais.

Car dans cette optique d'un choix illimité, tout peut être à la portée du public. Les questions que l'ont pourrait se poser sont : a-t-on vraiment besoin d'un tel choix musical et pouvons-nous y faire

40 Anderson, The Longer Long Tail, 20. 41 Terme que l'on pourrait traduire en français à la fois par « autonomisation et responsabilisation ». C'est la capacité de se débrouiller seul avec l'assistance de la nouvelle technologie. 42 Anderson, The Longer Long Tail, 55. 43 Anderson, The Longer Long Tail, 24. 44 Jean-Baptiste Dupin, « Gros Bonus, petit son », Les Inrockuptibless, numéro 747, 24 mars 2010, 91.

23 face? Il est tentant de dire que, plus il y a de choix, mieux c'est, car le public a le droit de choisir ce qui lui correspond vraiment, ce qui amène également à une plus grande diversité musicale et plus d'opportunités pour les artistes. Mais d'après Barry Shwartz dans The Paradox of choice publié en

2004 : « Too much choice is not just confusing but is downward oppressing (…) Choice no longer liberates, but debilitates. It might even be said to tyrannize 45». Dans ce cas, le choix trouvé dans la longue traîne peut-il aider à trouver des nouvelles musiques, ou faut-il abandonner directement la perspective de découvrir des talents cachés? Selon Schwartz, la solution n'est pas de limiter le choix, mais de l'ordonner. Si on l'ordonne mal, le choix devient oppressant pour le fan qui a l'impression de tourner en rond. Si on l'ordonne bien, il est libérateur car vecteur d'auto- satisfaction : le fan peut se vanter d'avoir trouvé seul, hors du courant mainstream, un groupe qui est potentiellement commercialisable et qui peut devenir le succès de demain. Pour éviter de se perdre dans la longue traîne, il n'y a qu'une seule chose à faire : se promener à travers les différentes niches qui la compose.

I.2.2 – Les niches, avenir des indépendants

« Until now, music was only sold in « Pellegrino » bottles, but customers are starting to discover the unstoppable « tap water » music that seems to be flowing freely on the Internet (…) Is it surprising that people are looking for an « online music faucet » rather than continuing to buy overpriced bottled music? 46» écrivent les auteurs de The Future of Music. Cette « eau courante » de la musique – dont le mouvement indépendant fait partie – est toutefois canalisée et aménagée le mieux possible pour ne pas noyer le consommateur. Avec l'arrivée de la numérisation et de la démocratisation de la musique, les groupes de rock indépendants furent les premiers touchés par ce qu'on appelle la stratégie de niche, un segment de marché où il y a peu de concurrence mais qui

45 Anderson, The Longer Long Tail, 170-171. 46 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 11.

24 permet de développer un nouveau créneau commercial. Là où la niche est délaissée par les grandes maisons de disques car cette stratégie est peu rentable et a un potentiel faible de clientèle, elle est un véritable atout pour les labels indépendants qui peuvent cibler leur public et mettre en place des techniques pour rivaliser avec les majors : « Niche marketing allows labels to focus their efforts and approach on a smaller number of fans, and lets them hone their marketing messages to address the needs of a defined group of people 47». Si le 20ème siècle était le siècle des tubes et le règne des majors, le 21ème siècle lui, est bel et bien celui des niches et d'un changement de direction musicale vers ce que l'on peu nommer le mouvement de la musique indépendante.

Souvent qualifiée indie music ou indie rock par les spécialistes du genre, cette appellation permet de la distinguer des musiques signées sous des labels plus commerciaux et plus populaires auprès du public (EMI ou Sony BMG par exemple). Les niches permettent aux groupes de les catégoriser, de leur donner une appartenance à un milieu. Ainsi, il existe des centaines de genres de rock indépendant – la pop, le folk ou le métal par exemple – et parfois même des genres à l'intérieur des genres – la folk-pop, le néo-métal, l'électro-rock...etc – mais qui trouvent tous leur place grâce aux niches. De plus, en catégorisant les nouvelles musiques, la niche permet au consommateur d'orienter ses choix vers le type de nouveauté musicale qu'il a envie d'écouter et l'aide dans les possibilités infinies de la longue traîne : « when consumers talk among themselves, they discover that, collectively, their tastes are far more diverse than the marketing plans being fired at them suggest. Their interests splinter into narrower and narrower communities of affinity, going deeper and deeper into their chosen subject matter, as is always the case when minds gather 48». De ce fait, la participation accrue des consommateurs de musique dans la recherche de nouvelles niches, transforme ainsi ce choix qui paraissait illimité et difficile à maîtriser sans une certaine connaissance du milieu musical, en une force économique et culturelle inattendue. Chris Anderson affirme d'ailleurs que la culture musicale de chacun est passée de « suiveuse de tendances » à un

47 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 68. 48 Anderson, The Longer Long Tail, 57.

25 style bien personnel : « Culture has shifted from following the crowd up to the top of the charts to finding your own style and exploring far out beyond the broadcast mainstream, into both relative obscurity and back through time to the classics 49». Ainsi les consommateurs iraient chercher des nouvelles musiques dans les niches, mais aussi les classiques passés qui peuvent être difficiles à trouver en soi sur le marché. Nous pouvons donc déduire de ces propos que les niches sont utiles à la fois au marché indépendant, vecteur de nouveauté indisponible sur le marché mainstream, et au marché « ancien » de la musique, qui a besoin de ces niches pour continuer d'exister.

Mais les niches ne sont signifiantes que lorsque les gens les veulent vraiment. Ainsi une niche peut être amenée à disparaître si elle ne trouve pas son public aussi réduit soit-il. Car même si tout est minimisé dans la stratégie de la niche, on peut également parler de succès, au même titre qu'une stratégie plus commerciale. Chris Anderson parle du concept de « micro-hit » qui met sur le devant de la scène indépendante des « micro-stars »50. S'il y avait un top 40 des chansons les plus populaires pour toutes les niches existantes, il y aurait forcément des tubes dans chaque top, donnant naissance à une multitude de tubes. C'est un peu le concept du site web français, Noomiz.fr, une « passerelle indépendante entre Artistes et professionnels de la musique 51», qui permet aux artistes indépendants de synchroniser leur contenu d'information sur les différents réseaux sociaux existants, offrant des outils de promotion efficaces et chaque mois, dix artistes ou groupes ont l'opportunité de rencontrer des professionnels de la musique partenaires du site. De plus cette passerelle propose ce que Chris Anderson avait supposé en 2006 : un top 200 des artistes indépendants les plus écoutés sur le web52, propulsant Yules en haut du podium, Dar-K en deuxième et Cheval Blanc en troisième position53. Ce classement s'appuierait sur un algorithme qui tient compte de nombreux critères, classés en quatre catégories : Audience (volume / comportement),

Réseaux / Amis, Partage / Widgets et Activité scénique. Les cent premiers de chaque mois intègrent

49 Anderson, The Longer Long Tail, 37. 50 Anderson, The Longer Long Tail, 35. 51 Phrase de présentation du site Internet. 52 Un top « genre » et « région » est à venir. 53 (consulté le 15/04/10).

26 la sélection d'artistes parmi lesquels les professionnels choisissent les dix lauréats qu'ils sont prêts à rencontrer. Malgré tout, ce site n'offre pas la clé du succès aux indépendants. Il précise bien que :

« les artistes et les pros se rencontrent librement et sans engagement et Noomiz n'intervient pas dans leurs discussions. Bien évidemment les pros ne sont pas tenus de signer les artistes qu'ils rencontrent, et les artistes ne sont pas tenus d'accepter les propositions qui pourraient leur être faites 54». Pas de concours donc, ni de course au contrat, mais bien une passerelle qui aide à l'organisation d'une niche et permet ainsi aux professionnels de remarquer les talents plus facilement.

Tout comme les playlists de Melle Eddie, ce site web agit comme une sorte de filtre, qui aide

à trouver la qualité dans la longue traîne, mais qui aide aussi les gens à quitter le monde qu'ils connaissent bien, celui des hits, pour se diriger vers celui qu'ils connaissent mal, les niches55. Les bons filtres ont le pouvoir d'augmenter la demande de la part du consommateur car ils désignent sans effort les produits qui lui conviennent et suppriment tous les autres : « there's so much stuff here (in the tail) that what you're looking for is over-shadowed by all the things you aren't looking for » rappelle Chris Anderson56. Il y a donc un besoin de spécialisation qui est nécessaire au marché de la niche, car celles-ci trop abondantes, forment une véritable communauté, mais qui reste toutefois propre aux indépendants. Les niches font partie de la fin de la longue traîne, mais elles sont tellement nombreuses que Chris Anderson parle de « traînes dans la traîne » : « music is made up of thousands of niche micromarkets, miniature ecosystems that, when smooshed together into an overall ranking, look like a long tail. But look closer and each has its own head and tail 57». Grâce à cette composition dense, les indépendants vont pouvoir essayer de se mesurer aux majors car le hit d'aujourd'hui se retrouvera forcément dans la niche de demain58. Les hits ont une durée de vie limitée alors que la longue traîne trouve sa force dans le temps.

54 (consulté le 15/04/10). 55 Anderson, The Longer Long Tail, 109. 56 Anderson, The Longer Long Tail, 119. 57 Anderson, The Longer Long Tail, 139. 58 Anderson, The Longer Long Tail, 142.

27 I.2.3 – Atouts et réalités

« The Long tail is about abundance, abundant shelf space, abundant distribution, abundant choice 59» écrit Chris Anderson. Dans cette perspective, la longue traîne est un atout pour les indépendants qui ont enfin une chance de s'opposer aux majors. En effet, nous avons vu que, la longue traîne était le meilleur moyen pour les indépendants de se faire connaître, notamment grâce au système des niches, et qu'il était désormais possible pour le consommateur de s'orienter dans le choix illimité qu'offre cette longue traîne. Celle-ci a un avantage économique certain pour les groupes indépendants. En effet, les coûts de production et de distribution sont réduits de façon conséquente : si l'on prend l'exemple d'une plateforme telle que iTunes Store, considéré comme un des agrégateurs principaux de la longue traîne de la musique60, il n'y a pas de coût de fabrication puisque la musique est digitale, et presque aucun frais de distribution comparé aux grandes majors61 : « A niche product sold is just another sale, with the same (or better) margins as a hit 62 ».

Le site met donc les artistes indépendants au même niveau que les artistes signés par des maisons de disques : niches et hits sont désormais sur un pied d'égalité grâce à l'évolution d'Internet et à la démocratisation de la musique.

Mais ce géant de la musique accaparant 90% du marché est loin de faire l'unanimité auprès des maisons de disques qui l'accusent d'être à l'origine de la crise du disque, mais aussi de vendre les titres à des coûts bien trop faibles. Ainsi, iTunes serait imbattable quant aux frais de distribution, mais lorsque le titre est vendu 0.99$, cela baisse considérablement la marge de l'artiste, déjà durement touché par le téléchargement illégal. Mais snober ce genre de marché en ligne n'est absolument pas possible pour les artistes indépendants qui ne peuvent pas compter sur la vente de

59 Anderson, The Longer Long Tail, 143. 60 Selon Anderson, « a single blog that collects all the news and information that it can about a topic is an aggregator » , The Longer Long Tail, 89. Ainsi pour citer quelques exemples, Google est un des principaux agrégateurs de la longue traîne de la publicité et de l'information, Amazon et Ebay ceux des objets physiques et Netflix celui du cinéma. 61 Seulement 30% du prix de la chanson selon le site streetblogger.fr, « Comment agir devant la puissance iTunes? » < http://www.streetblogger.fr/2008/09/03/comment-agir-devant-la-puissance-itunes/ > (consulté le 16/04/10). 62 Anderson, The Longer Long Tail, 24.

28 leur album physique dans les magasins spécialisés, comme ce fut le cas de Kid Rock qui préféra rester sur les réseaux traditionnels et écoula 1,6 millions d'albums en faisant jouer de sa notoriété63.

Le mécanisme de la longue traîne est donc controversé car : « down in the tail : distribution and production costs are low (thanks to the democratizing power of digital technologies) so business considerations are often secondary. Instead, people create for a variety of other reasons – expression, fun, experimentation, and so on 64». En effet, la perspective d'argent et de rétribution pour les indépendants n'est que secondaire. S'il y a quelconque profit au bout, il n'est pas toujours récurrent et n'est surtout pas viable. De ce fait, les groupes indépendants doivent avant tout jouer pour se forger une réputation solide et stable auprès d'un public, qui une fois établie sera aussi motivante que le fait de gagner de l'argent grâce à leur activité. Les plateformes de niches telles qu'iTunes Store ou Rhapsody sont donc un véritable atout pour les indépendants qui en plus d'acquérir une certaine réputation peuvent récupérer quelques profits, aussi minimes soit-ils. Chris

Anderson résume l'économie de la longue traîne par ces propos : « you can think of the Long Tail starting as a traditionnal monetary economy at the head and ending in a non-monetary economy in the tail 65», ce qui donne une vision somme toute assez laborieuse et difficilement rentable du concept.

Grâce aux plateformes de téléchargement, le marché est repensé, c'est d'ailleurs un des slogans d'iTunes Store lorsque l'on visite le site Internet : « iTunes Store repensé. Le premier service en ligne de musique a été repensé dans ses moindres détails. Vous pourrez désormais parcourir encore plus facilement tout ce que vous aimez (…) Et savourer ainsi le plaisir de faire des découvertes 66». De ce fait, même si la plupart de ce qui compose la longue traîne n'a pas de but lucratif, et a donc un avenir flou dans le milieu de la musique, le système est en train d'évoluer. Les professionnels accordent de plus en plus d'importance aux groupes indépendants qui deviennent des

63 « Comment agir devant la puissance iTunes? » < http://www.streetblogger.fr/2008/09/03/comment-agir-devant-la- puissance-itunes/> (consulté le16/04/10). 64 Anderson, The Longer Long Tail, 74. 65 Anderson, The Longer Long Tail, 73. 66 Site d'iTunes < http://www.apple.com/fr/itunes/what-is/store.html > (consulté le16/04/10).

29 acteurs précieux d'une nouvelle forme de musique. Mais pour cela, ils doivent réussir à capter leur attention grâce aux outils de communication d'Internet, l'endroit où ils seront les plus visibles et les plus susceptibles d'être entendus.

I.3 – Appartenir au milieu Indépendant

La notion d' « appartenance » est très importante dans le milieu du rock. L'être humain a besoin d'appartenir à un groupe ou une communauté, de sentir qu'il est rattaché à un réseau relationnel, car c'est ce qui va lui permettre d'exister à travers une certaine reconnaissance sociale.

Selon Mucchielli, le sentiment d'appartenance c'est le fait de se sentir faire partie d'un groupe qui :

(…) englobe un ensemble d’attitudes individuelles et de sentiments (…) L’appartenance n’est pas le fait de se « trouver avec ou dans ce groupe » puisqu’on peut s’y trouver sans le vouloir; elle implique une identification personnelle par référence au groupe (identité sociale), des attaches affectives, l’adoption de ses valeurs, de ses normes, de ses habitudes, le sentiment de solidarité avec ceux qui en font aussi partie, leur considération sympathique67.

Le rock de type indépendant fait partie de ces groupes dont Mucchielli parle, il englobe une attitude et un mode de pensée adoptée par bon nombre de musiciens amateurs, et leur permet d'exister dans un milieu somme toute assez fermé. De même, il est à l'origine de l'émergence des nombreuses communautés en ligne telles que Myspace, où des fans, des groupes et des amateurs de musique se revendiquent être « indie » dans leur profils et partagent une même passion. Le sentiment d'appartenance est très fort et aide à véhiculer l'image d'un milieu underground, mais qui soudé et en perpétuelle croissance.

67 Roger Mucchielli, Le travail en groupe (Paris : ESF, 1980) 99.

30 I.3.1 – Les amateurs

Tout d'abord il est nécessaire de faire une première différence entre être « amateur de musique » et « musicien amateur ». Le mot « amateur » vient du Latin « amatore », celui qui aime, et a plusieurs sens dans le langage courant. Dans le premier cas, l'amateur est une personne qui a une préférence marquée pour quelque chose, tandis que dans le deuxième cas, la personne s'adonne

à une activité pour son plaisir, sans chercher à vouloir se professionnaliser dans celle-ci. Les gens qui soutiennent les groupes indépendants, qui vont à leurs concerts, qui recherchent constamment de nouvelles musiques dans les niches sont considérés comme des amateurs de musique. Les groupes de rock indépendants, eux, sont des musiciens amateurs, des « hobbyist(s) (...) someone who does not make a living from his or her field of interest, a layperson, lacking credentials, a dabbler 68». Le public qui compose la longue traîne est donc, d'après ces définitions, principalement amateur.

Le mot « amateur » peut également avoir une connotation péjorative, et peut désigner une personne qui manque de compétence dans ce qu'elle fait. Si les consommateurs sont maintenant capables de tout faire eux-mêmes et qu'ils disposent d'une grande liberté grâce à la démocratisation de la musique, c'est le reproche que toute major pourrait faire à un groupe cherchant à se professionnaliser. Cependant, on peut noter une différence entre les groupes indépendants et les groupes amateurs. En effet, le groupe amateur ne me semble pas profondément attiré par l’idée de vivre de la musique, donc de chercher des moyens financiers (qu’il s’agisse de production, de vente, ou de tout le reste). Il reste dans le plaisir simple de faire de la musique pour le plaisir, en cherchant

à exister, et éventuellement, en cherchant une opportunité. Mais paradoxalement, même si l'on commence à se détourner de la consommation passive et que l'on tend vers la production active, les amateurs ne sont pas forcément les artistes dits « indépendants ».

Quelle est donc la différence entre les amateurs et les artistes indépendants? Même si

68 Keen, The Cult of the Amateur, 36.

31 amateurs et indépendants font tous les deux partie de la longue traîne, il semble que la finalité de l'activité qu'ils font ne soit pas du tout le même. Pour Olivier, guitariste dans le groupe parisien

GOS :

L’indépendant est dans une démarche de réalisation, de finalisation, et d’aboutissement. L’amateur est quant à lui au stade de la production, c'est-à-dire le moment où le projet germe dans l’esprit. L’indépendant envisage la musique dans un esprit professionnel, avec un investissement temps énorme, il espère que sa musique soit une source de revenus. L’amateur lui, consacre une part de son temps en fonction de ses obligations et joue pour se faire plaisir (voir annexe n°5, « Questionnaire d'Olivier, GOS »).

David, le guitariste-chanteur rajoute : « Être indépendant, c’est s’offrir les moyens, à tout niveau, d’exister au-delà de sa cave, de son local. Ça demande un dévouement assez total. Une partie du plaisir disparaît faute aux réalités, l’insouciance aussi » (voir annexe n°6, « Questionnaire de

David, GOS ») . Il semble donc y avoir une vraie différence entre amateur et indépendant : la motivation d'une reconnaissance du milieu musical.

Chris Anderson l'écrit, « this is the world of « peer production », the extraordinary Internet- enabled phenomenon of mass volunteerism and amateurism 69». L'amateur a effectivement, au même titre que l'indépendant, sa place dans la société culturelle, même si le dessein est différent.

Celui-ci est très présent sur la toile et il suffit de voir la popularité des sites Youtube ou

Dailymotion, l'équivalent français, pour constater que cette tendance est un marché florissant. Les amateurs n'hésitent pas à prendre plus de risques pour s'exposer car ils ont beaucoup moins à perdre que les indépendants qui doivent avant tout utiliser Internet pour se forger une réputation à des fins professionnels. Déjà en 2006, Youtube était considéré comme le site web à la croissance la plus rapide du moment : « Youtube, is a portal of amateur videos that, at the time of writing, was the world's fastest growing site , attracting sixty-five thousand new videos daily and boasting wisty million clips being watched every day; that adds up to over twenty-five million new videos a year, and some twenty-five billion hits 70». Les utilisateurs peuvent ainsi générer leur propre contenu sur

69 Anderson, The Longer Long Tail, 73. 70 Keen, The Cult of the Amateur, 5.

32 la toile (musiques, recettes de cuisines, conseils...etc.) ou bien devenir acteur d'un jour en proposant leurs propres vidéos amateur. Pourtant, une ambiguïté persiste : en effet, Youtube ne fait pas la différence entre ces vidéos amateurs et les vidéos professionnelles, que cela soit des clips, des bandes annonces de films ou des sketchs issus de DVD disponibles à la vente. Les vidéos professionnelles sont un message payé pour inciter les gens à acheter alors que les autres sont juste l'expression de la création d'un art ou de l'information71. Sur cette plateforme, les amateurs sont une fois de plus sont mis au même niveau que les professionnels (comme c'est le cas des niches et des hits) même si, la finalité de cet exercice n'est pour l'amateur que purement personnelle.

Mais cette passion pour l'amateurisme en ligne se révèle être controversé, notamment pour

Andrew Keen, auteur de The Cult of the Amateur. Celui-ci défend un point de vue très différent de

Chris Anderson et remet en cause sa vision peut-être trop idéalisée et trop lisse d'une longue traîne d'amateurs qui est en train de brouiller les lignes entre le public traditionnel et l'auteur, le créateur et le consommateur, l'expert et l'amateur72. Il affirme que : « As traditional mainstream media is replaced by a personalized one, the Internet has become a mirror to ourselves. Rather than using it to seek news, information, or culture, we use it to actually BE the news, the information, the culture 73». De ce fait, cette nouvelle ère de démocratisation de l'Internet serait en train d'ébranler les valeurs de notre société culturelle en donnant de l'importance à des personnes qui manquent de qualification pour apporter la vérité. Ici, c'est la définition péjorative du terme « amateur » qui est mise en avant, à la notion de manque de compétence que Keen dénonce en donnant l'exemple du site de l'Encyclopédie gratuite Wikipédia qui serait selon lui le déclin de la qualité et de la fiabilité de l'information que l'on reçoit, et que Chris Anderson qualifie d'ailleurs de : « collective wisdom of amateurs experts, semi-experts and just regular folks who thought they knew something 74». Peut-on dire que c'est le prix à payer de la démocratisation? Le revers de la médaille? C'est la thèse que

71 Keen, The Cult of the Amateur, 91. 72 Keen, The Cult of the Amateur, 2. 73 Keen, The Cult of the Amateur, 7. 74 Anderson, The Longer Long Tail, 65.

33 Chris Anderson défend, car même si des sites comme Wikipédia encouragent le plagiat et volent la propriété intellectuelle, les talents sont bien présents quelque part, la longue traîne étant la preuve absolue que la création de contenu personnel permet un marché illimité. Keen a une vision bien plus pessimiste :

Talent, as ever, is a limited ressource, the needle in today's digital haystack. You won't find the talented trained individual shipwrecked in his pajamas behind a computer, churning out inane blog postings or anonymous movie reviews. Nurturing talent requires work, capital, expertise, investment. It requires the complex infrastructure of traditional media – the scouts, the agents, the editors, the publicists, the technicians, the marketers. Talent is built by the intermediaries. If you « desintermediate » these layers, then you do away with the development of talent, too75.

Keen parle même de « blogs and wikis (which) are decimating the publishing, music and news gathering industries (…) our culture is cannibalizing its young, destroying the very sources of the content they crave 76». Des propos qui semblent exagérés mais qui démontrent la fin d'un système où l'autorité n'est jamais remise en cause par la société, et le début d'une nouvelle ère, celle qualifié par Tim O'Reilly dans son livre The New Architecture of Participation77 et par William

Gibson, journaliste au magasine Wired, de « participating audience » : « our culture no longer bothers to use words like appropriation or borrowing to describe those very activities. Today's audience isn't listening at all – it's participating 78». Rien ne peut arrêter le processus, les consommateurs de musique sont désormais producteurs, certains produisent tout depuis le début, certains réinventent le travail d'autres, et finalement on assiste à ce que l'on appelle un « recyclage culturel » perpétuel dans le monde des amateurs, ou bien « la reprise permanente, échantillonnée et réitérée des musiques d'autrui par d'autres individus tout aussi inconnus (qui) dessine une vision du monde où chacun devient son propre musicien 79». Pour montrer le renouveau de la culture musicale

75 Keen, The Cult of the Amateur, 30. 76 Keen, The Cult of the Amateur, 27. 77 Anderson, The Longer Long Tail, 84. 78 Gibson, Wired Magazine, 2005 dans Keen, The Cult of the Amateur, 24. 79 Seca, Les musiciens underground, 58.

34 et les projets des amateurs et des indépendants, les réseaux sociaux et communautés en ligne deviennent des vecteurs de diffusion importants pour les groupes, qui fondent en eux l'espoir d'être

écoutés par un large public.

I.3.2 – Réseaux et communautés

Le rock indépendant peut être considéré comme une communauté à part entière, comme un ensemble de personnes regroupé par des caractères communs, impliquant une logique affective.

Mais depuis les années 1970, le terme « communauté » a beaucoup évolué, notamment grâce aux recherches sur les réseaux et grâce au développement des nouveaux moyens de communication. Les chercheurs Lionel Sitz et Abdelamajid Amine, ajoutent la dimension « non-géographique » à la définition de communauté :

Aujourd'hui (le terme communauté) fait d'avantage référence à un groupe non- géographiquement marqué d'individus ; la localisation du groupe ayant perdu en grande partie son importance. Dès lors le point central de la communauté devient un sentiment d'appartenance à la communauté et l'identification de chaque membre, tant au groupe qu'à chacun des autres membres de ce groupe80.

Aujourd'hui il n'est plus obligé d'être regroupé sur un même lieu pour former une communauté, il suffit d'être « connecté », une notion qui implique la distance. Ses acteurs sont dispersés partout dans le monde, et malgré l'éloignement, la communauté qu'ils forment grandit de jour en jour.

Les premières formes de communautés musicales apparurent sous l'aspect des fanzines, qui furent le meilleur mode d'expression pour faire connaître la « sous-culture » d'une communauté : selon Becker, « dans la mesure où ces cultures existent à l'intérieur de la culture de la société globale, mais en se distinguant d'elle, on les appelle souvent sous cultures 81». La sous-culture

80 Lionel Sitz et Amine Abdelamajid, « Consommation et groupes de consommateurs, de la tribu postmoderne aux communautés de marque : Pour une clarification des concepts », Colloque Société et consommation, Rouen, 11 et 12 mars 2004. 81 Howard Becker, Outsiders, Etudes de sociologie de la déviance (Paris : Métailié, 1985) 105.

35 implique donc des valeurs qui manifestent un écart par rapport à la culture dominante, une caractéristique qui sied totalement à la culture musicale indépendante de part sa forte présence dans la longue traîne. Parfois les sous-cultures s'opposent à la culture dominante avant d'être reconnues et légitimées : bien avant le rock indépendant des années 1990 et 2000, ce fut le cas du rock'n'roll, longtemps mis de côté par les grandes maisons de disques, qui considéraient cette musique bien trop marginale pour l'époque.

Les fanzines connurent donc leur apogée en soutenant le mouvement punk des années 1970, qui étaient déjà pour la plupart, déprofessionnalisés et décapitalisés pour montrer leur engagement à la communauté à laquelle ils appartenaient. Ils étaient « un forum pour les fans d'un genre (ou d'un artiste) qui est généralement ignoré ou bien marginalisé dans la presse musicale classique. Il conforte une forme musicale émergente (appartenant à l'underground) qui n'a pas encore rencontré un public plus large, ou qui doit encore produire ses premiers disques 82». Tout comme le fanzine, le webzine qui est sa version digitalisée, tient une place importante sur la toile car il permet de regrouper sur Internet les communautés underground (opposées au mainstream) et les sous-cultures musicales caractérisées par les indépendants. Le webzine agit donc comme une plateforme tournante de ces sous-cultures, les présente à un public averti sous une forme d'édition amateur, animée avant tout par l'enthousiasme de ses chroniqueurs que par la perspective d'un quelconque profit. Tout comme le fanzine des années 1970, il propose souvent un contre discours qui est alternatif au courant dominant et qui tente d'occuper les espaces laissés vacants par la culture mainstream83.

Dans le monde des amateurs, il ne peut pas y avoir d'experts. Pourtant, cette tendance grandit avec la croissance des webzines et blogs musicaux sur Internet. Les chroniqueurs-amateurs n'ont souvent pas beaucoup d'expertise mais pourtant, ils donnent leur opinion aussi bien qu'un

82 Volume – Autour des Musiques populaires. « La presse musicale alternative au XXIème siècle » (Bordeaux : Mélanie Seteun, 2006) 11. 83 Volume – Autour des Musiques populaires. « La presse musicale alternative au XXIème siècle », 9.

36 journaliste diplômé84. Andrew Keen décrit cette tendance par le biais de l'expression citizen journalist, un reporter-écrivain amateur qui, grâce à la démocratisation des médias, fini par devenir un critique lui même85. Ce nouveau journalisme est très utile aux groupes indépendants qui peuvent ainsi rentrer dans une communauté et se faire connaître par le biais de plumes qui cherchent à donner leur avis sur les nouveautés qui apparaissent constamment sur Internet. Keen parle de

« narcissime digital » ou comment des communautés entières de pseudos-journalistes se regardent

écrire à travers les blogs. Mais n'est-ce pas le meilleur moyen de faire découvrir les nouvelles niches aux amateurs de musique? En effet, on peut considérer que le chroniqueur-amateur agit

également comme un filtre et aide ses lecteurs à se diriger vers les nouveautés qu'il a écoutées pour eux. De ce fait, les webzines et les blogs amateurs deviennent au même titre que les journaux musicaux de renom, des références pour des milliers d'internautes : « amateur blogs are sharing attention with mainstream media, small-time bands are releasing music online without a and fellow consumers dominate online reviewing 86» écrit Chris Anderson.

Les blogs et webzines musicaux sont l'avenir des groupes indépendants : ils leur donnent les moyens de se faire écouter sur une échelle plus large que le cercle familial, peuvent les aider dans leur réputation en publiant de bonnes critiques ou en annonçant leurs dates de concerts, et les groupes eux, sont une ressource inépuisable pour les blogs, qui peuvent chaque jour se renouveler.

Souvent, les journaux réputés n'accordent que trop peu de chroniques d'artistes indépendants aux profit des artistes signés sous des majors et qui on fait leurs preuves. Les blogs musicaux sont donc le remède contre l'enfermement et participent au nouveau modèle musical mis en place par la démocratisation de la musique.

Les webzines et blogs musicaux participent à une logique promotionnelle des artistes indépendants qui a changée avec l'arrivée de la numérisation de la musique. Le principe a dû être

84 Nicholas Lemann, « Amateur Hour : Journalism Without Journalists », The New Yorker, 7 août 2006, (consulté le 20/04/10). 85 Keen, The Cult of the Amateur, 46. 86 Anderson, The Longer Long Tail, 63.

37 remis en cause, mais il s'est avéré bien plus intéressant que le modèle précédent, basé sur la promotion sclérosée des majors:

À des artistes non signés par une maison de disque, la distribution numérique offre en outre l'opportunité d'une diffusion mondiale. Une telle opportunité serait cependant dépourvue d'intérêt si elle n'était pas associée à la possibilité de se faire connaître; or c'est précisément ce que permet le passage du modèle traditionnel de promotion centralisée fondée sur les médias, au modèle novateur de promotion et de prescription décentralisées, de consommateur à consommateur, fondé sur une logique communautaire 87.

Ainsi, grâce à la numérisation et à l'accès facilité des données, il est beaucoup plus simple pour les groupes indépendants de diffuser leur musique à travers le monde et surtout, sans l'aide de majors.

C'est par le boom des sites communautaires tels que Myspace ou Skyblog, que les groupes indépendants peuvent faire une promotion à la fois ultra-personnalisée et communautaire puisque qu'ils vont viser l'internaute qui est seul devant son écran, mais aussi la communauté entière dans laquelle ils évoluent. On peut ainsi remarquer que les groupes indépendants jouent également le rôle d'éditeur, au même titre que les chroniqueurs-amateurs des blogs, et vont faire leur auto-promotion par le biais de ces réseaux. Chris Anderson appuie d'ailleurs ces propos en disant : « It is blogging that has really sparked the renaissance of the amateur publisher 88». La liberté qu'implique l'édition et l'auto-publication sur Internet grâce aux réseaux sociaux et aux communautés en ligne donnent aux groupes indépendants la clé pour devenir eux-mêmes la source de leur réussite ou de leur popularité.

Les communautés en ligne telles que Myspace, et de plus en plus Facebook, le premier réseau social mondial, attirent les milliers de groupes indépendants pour organiser leur promotion en ligne, et le succès est total car il y a une combinaison de communauté et de contenu qui n'est pas expérimentable dans le monde physique : « the strong social ties between the tens of millions of fans there help guide them to obscure music that they otherwise wouldn't find it, while the content

87 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 99. 88 Anderson The Longer Long Tail, 63.

38 gives them a reason to keep visiting 89». Sur les sites communautaires, les groupes ont la possibilité de mettre des titres en streaming, ou peuvent même y proposer un téléchargement gratuit. Certaines fonctions permettent également aux artistes et aux fans de « déportaliser » les contenus, c'est-à-dire

« de stocker des fichiers musicaux sur une plate-forme et d'embarquer un lecteur pour une écoute en streaming sur des blogs, des sites personnels ou des réseaux sociaux 90». Cela aide l'utilisateur à naviguer comme il l'entend, car beaucoup ne veulent plus qu'on leur dise ce qu'ils doivent écouter, ils veulent contrôler leurs médias et non plus être contrôlés par eux91.

Myspace est un bon compromis pour essayer de percer dans la musique : les groupes mettent leur musique en streaming à disposition des visiteurs du site (qui choisissent d'écouter ou non leur travail), et des maisons de disques, qui peuvent ainsi vérifier la popularité du groupe avant de le signer. L'accès aux groupes est saisissant, le fan peut devenir leur « ami », leur envoyer des messages privés92, laisser des commentaires sur leur profil, et ainsi avoir un contact direct avec eux.

C'est un avantage à la fois pour le fan qui peut découvrir de nouvelles musiques, mais surtout pour le groupe. En effet, il peut obtenir des propositions de concerts ou des opportunités professionnelles grâce à l'image véhiculée sur le site qui agit en véritable carte d'identité du groupe. Ce nouvel outil promotionnel permet aux artistes de se hisser au sommet pour être ensuite découverts par les labels, et favorise « l'économie de l'attention » ou « l'intermédiation entre une "offre" surabondante, diverse, mondiale et une demande de plus en plus individualisée et mobile », évoquée par Jean-

Michel Salaün sur son blog93. L'offre est abondante, et l'attention des consommateurs est de plus en plus réduite, mais grâce à la personnalisation de l'offre et de la demande que l'on trouve sur les réseaux et les communautés en ligne, tous les chemins sont possibles, il y a une grande mobilité d'action. La diversité de la création et son approche sont facilitées : aujourd'hui c'est l'accès à la

89 Anderson, The Longer Long Tail, 149. 90 « L'économie de la musique », SNEP 2009, 25. 91 Rupert Murdoch, discours de 2005 dans Anderson, The Longer Long Tail, 37. 92 Le chat a même été mis en place en 2009, mais ne semble pas avoir le succès escompté. 93 Jean-Michel Salaün, « Musique : impasse ou eldorado? », 19 avril 2007, (consulté le 27/05/10).

39 musique qui prime sur la possession de celle-ci. Pourtant, même avec une certaine visibilité et de la popularité sur Internet, il n'est pas toujours facile pour un groupe d'exister en tant qu'indépendant, et beaucoup d'entre eux tentent de « survivre » dans un milieu qui leur est souvent hostile.

40 II - « La survie du plus fort»

II.1 – Être indépendant

II.1.1 – Qu'est-ce qu'être indépendant?

Les indépendants se distinguent des musiciens amateurs par le but qu'ils se sont fixés en pratiquant leur activité. Ce sont des musiciens qui souhaitent se professionnaliser et vivre de leur passion mais en étant libres de choix et sans avoir à subir la pression des majors : « dans l'industrie du disque, un acteur indépendant se définit par défaut, c'est à dire par sa non-intégration au sein d'une des quatre majors 94» rappellent Curien et Moreau. Mais il y a une certaine complémentarité, beaucoup d’indépendants ont d’abord été des amateurs. L’amateur c’est celui qui aime faire quelque chose, il peut donc créer une musique qui ne correspond pas aux critères de la musique commerciale formatée. De ce point de vue sa démarche est totalement indépendante même s'il ne recherche pas à vendre sa musique.

Le rock indépendant a un statut bien particulier, il ne fait pas partie du rock mainstream et est souvent considéré comme une sous-culture bien particulière : « If a culture is truly a group of people working and living together, independant artists have traditionnally embraced the value of networking, making connections, and striving toward doing their art, their way 95» explique Kenya

Oakes, auteur de Slanted and Enchanted, the Evolution of Indie Culture. Ainsi l'artiste indépendant se caractérise par la volonté de faire les choses à sa manière, sans l'aide d'acteurs dits

« professionnels » tels que les majors, mais en ayant l'appui d'une communauté qui va le soutenir dans son projet. Avoir le statut d' « indépendant » permet au groupe d'exister dans tous les domaines du milieu musical de la conception de l'œuvre à la distribution : « il ne s'agit plus seulement de faire de la musique de façon indépendante, mais de créer, produire, communiquer et distribuer de

94 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 16. 95 Kaya Oakes, Slanted and Enchanted, the Evolution of the Indie Culture, (New York : Holt Paperbacks, 2009) 11.

41 manière indépendante » dit David de GOS. La notion de liberté et d'autonomie sur la création de leur disque revient souvent dans les propos des groupes : « L’indépendance, c’est par définition ne pas dépendre de, dans le cas qui nous concerne, c’est plutôt dépendre de structures choisies en pleine liberté, la liberté en matière musicale » déclare le groupe français USS (voir annexe n°7,

« Questionnaire d'Underground Sky Sound »). Mais cette liberté dite « choisie » est aujourd'hui devenue presque obligatoire pour la majorité des groupes qui veulent exister. Le statut d'indépendant est donc ambivalent, il repose à la fois sur une utopie et un supplice : « ma vision de l’indépendance dans le milieu musical est double et paradoxale. Elle se situe entre la liberté et la contrainte. La liberté dans le sens artistique du terme, celle du choix, de l’authenticité, de l’énergie. Et je situerai la contrainte au niveau de la production artistique. Celle de produire du contenu dans un environnement instable, fragile, complexe et multiple 96». Il y a donc une alchimie un peu savante entre un accomplissement personnel et une contrainte collective partagée entre les membres du groupe indépendant, où les forces entre l'individu et le social se concilient97.

L'équilibre d'un groupe de rock indépendant est donc souvent instable car incessamment balancé entre deux énergies complètement différentes l'une de l'autre. Pour les indépendants, le monde est toujours en mouvement : il est par exemple possible de quitter un groupe et d'en reformer un presque sur le champ ou d'en avoir plusieurs, comme c'est le cas de José Réis Fontado, leader des Stuck in the Sound en France, qui partage aussi un groupe avec son frère, I Am Un Chien et chante également dans You!. La mobilité des groupes indépendants est flagrante, ils se font et se défont, le meilleur exemple étant celui du groupe indépendant phare des États-Unis, les Brian

Jonestown Massacre qui a vu passer plus de soixante membres différents depuis sa formation au début des année 1990. Véritable chaman du rock, Anton Newcombe, le leader, est à l'origine de ce groupe vraiment pas comme les autres, qui est l'emblème même de l'Amérique indépendante, à la tête de pas moins de seize albums auto-produits et respecté par toute une nation de musiciens. S'il

96 Propos issus du questionnaire d'Olivier, GOS. 97 Catherine Doublé-Dutheil, « Les groupes de rock Nantais », dans Mignon et Hennion, Rock. De l'histoire au mythe, 154.

42 est aussi facile d'aller d'un groupe à un autre ou de cumuler les expériences, c'est parce que les indépendants comptent énormément sur les réseaux « d'auto-formation et de sociabilité qui reposent presque exclusivement sur les relations amicales 98». En effet, les réseaux des indépendants sont pour eux commune une deuxième famille car ils sont bien souvent constitués d'autres groupes qui sont devenus des amis à la suite d'un concert partagé dans un même lieu, ou des amis d'amis, des « connections » comme elles sont appellées, qui leur permettent d'établir des contacts et de tenter d'avancer dans le milieu musical. Ainsi, les réseaux sont très importants dans le monde de l'indépendance car c'est eux qui favorisent les rencontres et qui peuvent faire bouger les choses pour les groupes, d'où cette notion de « mobilité » constante qui est presque exclusive aux indépendants.

Être indépendant, c'est une lutte de tous les jours. Dans une société de consommation comme la nôtre, le public a tendance à aimer les choses qu'il connait déjà : « le consommateur est amené à apprécier la qualité en fonction d'autres signaux : la marque, la notoriété de l'auteur ou de l'un des participants, les informations auxquelles il a accès » explique Françoise Benhamou dans

L'économie de la culture99. Le public favorise les marques, les valeurs sûres au profit de la nouveauté. Même si les indépendants aiment prendre des risques car ils n'ont rien à perdre, il n'en est pas toujours de même pour le public ou pour un éventuel label qui pourrait les signer. Difficile donc pour les indépendants de trouver les moyens pour rivaliser avec un système qui contrôle tout et qui ne laisse pas entrevoir au public les possibilités qu'ils pourraient leur offrir. Le but est donc de réussir à innover, de réussir à « captiver et capturer l'attention du public » et de « communiquer à

200% sans jamais faiblir 100». Internet paraît donc l'outil indispensable pour mettre en valeur son travail et son statut d'indépendant, même si cette affluence de communautés, de blogs et de réseaux sociaux saturent le marché. En effet, le développement de l'artiste indépendant n'est plus le même : il est devenu une rentabilité à court terme comme l'explique Olivier :

98 Doublé-Dutheil, « Les groupes de rock Nantais », dans Mignon et Hennion, Rock. De l'histoire au mythe, 152. 99 Benhamou, L'économie de la culture, 66. 100 Selon Olivier, GOS.

43 Le monde réfléchit à court terme. Il n'y a plus de carrière. À l'époque, les groupes en France pouvaient s'exprimer sur plusieurs albums avant même de trouver son public. Bashung ou Gainsbourg en sont le parfait exemple. Ils pouvaient produire pas mal d'albums avant d'avoir une fan base. Alors qu'aujourd'hui, face à cette multitude de choix, le public est devenu exigeant. Il réclame de l'or en barre tout de suite. Il lui faut de l'instantané, et les groupes indés sont soumis à cette règle. Pour exister, ils sont obligés de faire mention Très Bien dès le premier EP ou album, généralement auto-produit, avec toutes les contraintes que peuvent rencontrer les indépendants.

Internet procure donc une certaine immédiateté, une intéraction directe avec le public qui peut avoir un effet boule de neige renversant à cause de ce nouveau modèle économique « à court terme ». Mais dans un monde musical où il n'y a plus vraiment de repères, le chemin est tumultueux et les indépendants doivent sans cesse renouveler leurs méthodes pour se faire entendre et imposer leur nom. Olivier parle même de « musique réalité », où les groupes doivent se battre pour avoir une exposition médiatique et exister. « Le plus dur, » dit David, « c'est de créer des solutions pour exister artistiquement, sortir de l'anonymat en même temps, et ne pas tomber dans la recherche absolue du « buzz » ou des conneries visant à trahir ta sincérité artistique ». Car être indépendant c'est aussi l'attrait de valeurs qui sont défendues par la communauté « indie » :

I am attracted to the unpredictability of independant culture. The mainstream, in contrast, is never going to surprise me because everyone is simply trying to please as many people as they can in order to make a profit. Independant culture is less concerned with what will appeal to the majority of people, so artists are free to make the art they enjoy making101.

Pourtant, aujourd'hui le courant mainstream essaye de surfer sur la tendance de « l'indie » et forme la vague des « hipsters », une communauté où des pseudos-rockeurs sont influencés par la mode ou les groupes dits « underground », mais qui n'ont en fait rien à voir avec l'esprit indépendant évoqué plus haut. Kaya Oakes définit les « hipsters » de la manière suivante : « they take whatever they can from creative communities, but instead of being inspired to do creative work of their own, they simply turn other people's original ideas into trends and passively follow along with whatever's in

101 Carey, jeune musicien indépendant cité dans Oakes, Slanted and Enchanted, The evolution of Indie Culture, 15.

44 style 102». Cette forme de pensée et d'attitude n'est tout simplement pas envisageable pour les indépendants qui se démarquent par une volonté d'authenticité dans ce qu'ils entreprennent.

II.1.2 – Se faire connaître, se faire entendre

a) Avoir un public

Les groupes indépendants ont donc pour mission de se faire connaître et de se faire entendre coûte que coûte dans un univers qui leur est souvent hostile. Bien souvent, c'est le concept du

« bouche à oreille » qui donne au groupe indépendant ses premiers fans. Avec cette nouvelle période de la démocratisation de la musique et d'un choix presque illimité, ce concept remplace progressivement le marketing traditionnel dans la création de la demande car comme l'affirme Chris

Anderson : « we're entering an era of radical changes for marketers. Faith in advertising and the institutions that pay for it is waning, while faith in individuals is on the rise 103». En effet, nous assistons à la fin du message « top-down 104» tandis que le message « bottom-up » prend toute son ampleur. Les groupes indépendants sont donc les premiers touchés par ce changement des mentalités et leur donne un espoir quant aux possibilités pour se faire écouter.

Pourtant il est très dur pour les groupes indépendants de trouver un public, même si avec la crise du disque, le marché musical est revenu à son essence même : le concert. En effet, faute de pouvoir vendre des centaines d'albums, les groupes doivent compter sur leurs performances live, mais à cause de la profusion des groupes, il est très difficile de captiver le public qui ne va plus

« voir un concert » mais qui « sort », et qui ne prête pas forcément attention au groupe qui joue :

« Y a une telle prolifération de lieux de concerts, tellement de choix pour ta sortie que finalement,

102 Oakes, Slanted and Enchanted, The evolution of Indie Culture, 203. 103 Anderson, The Longer Long Tail, 98. 104 Terme que l'on pourrait traduire par « du haut vers le bas », ici on pourrait l'expliquer par « des majors vers l'individu », tandis que « bottom-up » donne le pouvoir à l'individu qui est en bas de l'échelle et qui fait remonter son message personnel.

45 c'est un peu le rock à la carte. On est devenu les boites de nuit de 2010 pour un public revendiquant son côté rebelle » déclare David de GOS. Même avec la meilleure volonté du monde, difficile donc de faire écouter sa musique à un public qui n'est pas vraiment attentif à 100 % et qui cherche plus à passer du temps avec ses amis plutôt que de chercher la nouveauté musicale. Aller à un concert est donc devenu banal pour la plupart des jeunes qui n'ont pas envie de payer un droit d'entrée trop cher pour un groupe qu'ils ne connaissent pas. La volonté première est de se distraire, qu'importe le groupe qui joue : « dans ce magma de diversité un nom chasse l'autre. Les groupes doivent créer un

événement, un rendez-vous et pour être suivi, il faut créer un buzz ou proposer un contenu, un univers artistique fort et identifiable » admet Olivier de GOS. Le travail est donc double pour un artiste indépendant : pour se faire entendre, il doit non seulement faire et produire sa musique, mais il doit aussi se vendre et pour appâter un public qui ne sera peut-être même pas là au rendez-vous suivant.

Le nouveau modèle économique doit placer le fan au cœur de sa stratégie. Ainsi, on voit apparaître depuis quelques années le modèle D2F (Direct to Fan) ou A2F (Artist to Fan), qui place la relation artiste/fan au centre des stratégies marketing. L'attention du public étant de plus en plus courte et de plus en plus dispersée à cause des nombreuses niches, l'artiste se doit d'être en contact constant avec ses fans. L'américain Mike Masnick, PDG de Floor 64 et créateur du blog Techdirt, est le gourou du marketing D2F. Lors d'une présentation au Midem 2009, il démontra que le CWF

(« Connect With Fans ») et le RTB (« Reason To Buy ») étaient les clés d'un modèle économique efficace dans l'industrie de la musique105 . Pour cela, il prit l'exemple de Trent Reznor, le leader de

Nine Inch Nails, qui, sans maison de disques, réussi à impliquer ses fans en communiquant avec eux et en développant des offres exclusives autour de ses albums106.

105 Vidéo disponible sur Youtube < http://www.youtube.com/watch? v=Njuo1puB1lg&feature=player_embedded> (consulté le 09/05/10). 106 Parmi ses coups marketing les plus connus, on note la création d'un jeu virtuel sur Internet que les fans purent trouver grâce au T. Shirt de sa tournée en 2007, où certaines lettres des villes de la tournée étaient surlignées. En reformant ces lettres, les fans trouvèrent « I am trying to believe » et en allant sur Internet, ils se rendirent compte qu'ils avaient accès à ce jeu, spécialement crée par Trent Reznor pour promouvoir son album suivant. De même, il dispersa des clés USB au contenu exclusif dans les toilettes des salles de concerts, ce qui permit aux fans de se les partager sur Internet. Il fit également gagner des places de concerts qui étaient cachées sur son site Internet, et

46 Trent Reznor parle de sa stratégie marketing :

The reason no record label knows how to market anything to new media is they don’t live there. They don’t get it because they don’t use it. What you’ve seen happen with the marketing and presentation of NIN over the last years is a direct result of living next to you, listening to you, consuming with you and interacting with you. Directly. There’s no handlers or PR people here, it’s me and my guys – that’s it. There’s no real plan, even – it’s just trying to do the right thing that respects you the fan, the music, and me the artist. That’s the goal – a mutual and shared respect107.

L'enjeu majeur est donc de réussir à se connecter au public et de se faire une fanbase. Une fois

établie, ce genre de stratégie stimule littéralement le fan, le fidélise, l'incite à suivre l'artiste dans ses projets et le relie à lui au delà de la musique : l'interaction est complète.

b) La notion de Scène

La notion du choix de la scène est très important dans ce processus de « se faire entendre ».

David l'explique :

Aimer écouter de la musique, c'est pas la même chose que se déplacer pour aller à un concert. On peut aimer trois groupes dans son iPod, mais on ira pas forcément au concert des trois. La clef, c'est de savoir de quelle locomotive tu te rapproches le plus parce que d'un coup, une association judicieuse prendra son sens, et que le public présent répondra bien plus à ta musique.

Avoir une scène « locale » en tant qu'indépendant est donc primordial, car elle est constituée d'un public ayant les mêmes origines géographiques que le groupe, peut être plus facilement présent pour celui-ci à chaque concert et peut le soutenir financièrement en achetant les singles ou le merchandising. La scène locale peut également regrouper plusieurs groupes qui jouent un style de musique similaire ; on note ainsi par exemple, la scène New Wave de New York, la scène Grunge de

Seattle ou la scène Indie de Portland qui est considérée comme le foyer de la musique indépendante

récemment, son projet « This one is on us, an other version of the truth» permit la réalisation d'un film avec les vidéos des fans enregistrées lors de sa dernière tournée. Ce film est disponible en téléchargement gratuit sur le site web < http://thisoneisonus.org/ > 107 Propos recueillis sur (consulté le 13/05/10).

47 depuis ces dix dernières années. En 2007, sur le site Internet Slate, Taylor Clark écrivait :

(…) That noise actually belonged to Modest Mouse, the hugely popular indie rock group whose latest album, We Were Dead Before the Ship Even Sank, debuted at No. 1 on the Billboard 200 in March. This was where band frontman Isaac Brock lived. I shrugged, and kept running – not because I dislike Modest Mouse, but because here in Portland, this sort of thing happens all the time. Our drizzly city is home to so many of these celebrated rockers that it's sometimes difficult to breathe, what with all of the indie cred saturating the air. Somehow, Portland has become America's indie rock theme park108.

Les États-Unis compteraient ainsi environ huit grandes scènes indépendantes, situées dans huit villes différentes : Athens en Georgie ; Los Angeles et San Fransisco en Californie ; New York, notamment grâce à la scène de Brooklyn qui s'est vraiment développée après les années 2000 ;

Baltimore dans le Maryland ; Seattle dans l'état de Washington, qui a fait découvrir au monde entier le groupe de Kurt Cobain, Nirvana ; Portland en Oregon, et Omaha dans le Nebraska. Angus Drew du groupe Liars parle de ces scènes dans une interview pour Pitchfork, un célèbre webzine américain focalisé sur les nouvelles musiques :

Well, being outside of any scene has been kind of cool. In New York, I think we felt a little claustrophobic. It's weird how small their music community can actually be. It's been great to be out in what I see as a kind of country town, Berlin, where there's no real proper scene for me to be in. I am excited about what's going on in L.A. right now. I hate the word "scene," but it's a good community of artists making interesting music109.

La scène indépendante est donc au delà d'une zone géographique, une communauté de musiciens qui partagent leur musique avec des fans qui sont à l'écoute et qui sont plus intéressés par l'univers et le projet artistique des groupes plutôt que de la répercussion du succès sur un public de masse. La scène indépendante préfère le « public frère 110» au public de masse, puisqu'il est pour lui synonyme de soutien. Un public fidèle qui cherche à entendre et qui n'attend pas que la musique

108 Taylor Clark, « The Indie City, Why Portland is America's Indie Rock Mecca », Slate, Sept, 11th 2007, < http://www.slate.com/id/2173729/ > (consulté le 20/04/10). 109 Interview réalisée par Marc Masters, 24 septembre 2007, (consulté le 20/04/10). 110 Seca, Les musiciens underground, 53.

48 vienne à lui en masse. De même, d'après les propos d'Angus Drew, la notion de « scène » paraît bien plus importante aux États-Unis qu'en Europe, mais c'est tout simplement à cause de la grandeur du pays. À part Paris, la France n'a que très peu de scènes référencées car les groupes indépendants ont très peu de retombées en dehors de leur ville. Ils ont pour la plupart l'envie de « monter à la capitale » pour pouvoir se faire connaître, car la médiatisation est beaucoup plus forte à Paris. On ne peut pas en dire autant pour les États-Unis, qui eux, offrent des véritables pôles musicaux aux quatre coins du pays, où l'avenir de chaque groupe peut se jouer.

c) Marquer les esprits

Lorsque les groupes indépendants commencent leur carrière, ils ne sont aidés par personne.

Il n'y a pas de majors derrière eux pour les aider dans le marketing, et il n'y a pas d'argent mis à leur disposition pour la promotion de leur album. C'est pourquoi ils ont tout intérêt à marquer les esprits de leurs futurs fans pour espérer se faire connaître un minimum et remplir les salles de concerts.

Pour la sortie de leur premier album Red Mess (and many nights), le groupe GOS a misé sur un concept original pour attirer l'œil du public :

On a fait cinq sculptures assez massives, des boxes dans lesquels on a placé des objets qu'on a recouvert de peinture rouge, illustrant le nom de notre album, que l'on compte placer chez les disquaires de Paris, en pressant CD et Vinyles et en proposant plus qu'un album, mais une démarche artistique (ce qui nous vaut souvent d'être pris pour un groupe prise de tête d'ailleurs … comme si vouloir faire plus aujourd'hui était mal vu). On va même tenter les Fnacs avec la plus grosse (1m20 sur 60cm quand même) histoire de leur montrer qu'on ne chôme pas non plus, et qu'on est prêt à assurer des moyens de promotion concrets111.

De telles démarches illustrent tout à fait l'esprit indépendant évoqué précédemment. Les

GOS cherchent à se faire connaître tout en restant fidèles à leurs valeurs et en proposant quelque chose en retour de la visibilité qu'ils obtiendront chez les disquaires. En plus de la musique, GOS

111 Propos de David, GOS.

49 propose son univers et donne le choix au public de le suivre ou pas. C'est un pari risqué mais dans cette jungle des groupes indépendants et dans ces fontaines débordantes de musiques, c'est peut-être la solution pour se faire connaître plus facilement.

Mais l'exposition des groupes indépendants n'est pas toujours du goût de tout le monde et peut faire valoir quelques critiques de la part des fans. Le groupe américain de rock alternatif Sonic

Youth, avait reçu une vague d'indignation de la part de ses fans lorsqu'ils sortirent un album de compilation grâce au label Hear Music de la compagnie de café Starbuks112. Ils expliquèrent par la suite que c'était pour eux un moyen comme un autre de faire voir leur CD et de faire accéder les gens à leur musique. Ils déclarèrent au magasine Relix :

At the time we did it, Starbucks was the only company in America that had figured out how to sell records when all the other labels were falling on the floor (…) It turned out to be a joke because we got all this press about how Sonic Youth was doing this CD for Starbucks and how they could work with that corporation, I felt that they were no better or worse than working with a corporation like Universal113.

Ce fut contre toute attente le plus gros coût marketing de Sonic Youth puisque tous les albums furent sold-out et qu'il n'est plus possible aujourd'hui de s'en procurer. Hits are for square, le nom de la compilation, est désormais un objet collector que les fans s'arrachent à prix d'or. Le fait de « marquer l'esprit » des gens est donc une force qui permet aux groupes d'accaparer plus facilement et plus rapidement un public qui va être séduit, intrigué ou outré, ce qui va ainsi amplifier les ventes ou la côte de popularité du groupe indépendant. Des concepts bien menés vont engendrer par la suite la reconnaissance sociale de pairs et la fierté du groupe qui aura accompli son ascension seul : « Lorsque tu fais ça tout seul, que tu ne fais plus que des « maquettes » ou des concerts dans des caves, mais que tu accèdes progressivement à des belles scènes, à une reconnaissance du publique, à une existence concrète, tu peux clamer, assez fièrement, « on l’a fait

112 Le label de Starbucks a vendu 4.4 millions d'albums en 2007, en partenariat avec la maison de disque Concord Music Group. Il a également produit Paul Mac Cartney qui avait quitté EMI après 43 ans de collaboration. 113 Interview réalisée par Jeffrey Hyatt, 30 juin 2009 (consulté le 20/04/10).

50 seul, on est un groupe indé 114».

d) Se faire entendre grâce à la publicité

Lorsque les groupes ont déjà un certain statut et qu'ils ont réussi à convaincre un public de les suivre, ils peuvent accéder à des opportunités à travers la publicité. C'est un des meilleurs moyens pour se faire entendre et faire connaître sa musique à un plus large panel, qui touche non seulement un public écoutant le même style de musique mais aussi des gens qui ont simplement un

« coup de cœur ». C'est également un bon moyen pour la marque de mettre en valeur son produit avec une musique qui n'a jamais été entendue sur les ondes. Ainsi Apple a su profiter du boom de son site iTunes Music Store pour travailler avec des groupes comme Jet, les Ting Tings, Asteroid

Galaxy Tour, bien encore CSS, pour augmenter les ventes de son produit phare, le baladeur mp3 iPod. Le message est clair : avec un iPod, le consommateur a accès à la nouvelle scène rock et peut

écouter de nouvelles musiques. C'est ce que l'on appelle « the association of bands and brands » ou l'association des groupes et des marques : « Labels are targeting particular demographics by using music from artists and songs most likely to appeal. The hit show, product, or movie then becomes the tastemaker, and the songs grow popular by association 115». Cette technique permet de donner une grande exposition aux artistes sur le marché, mais parfois, l'association avec la marque est tellement ancrée chez le consommateur que le titre perd son identité : on va alors l'appeler « la chanson d'iPod ». Fort heureusement ce sont les artistes qui sont pour la plupart du temps méritants, car ce n'est pas la promotion de l'objet qui amène le consommateur à choisir la marque, mais bien l'association avec la nouvelle musique116.

Les groupes indépendants trouvent également du soutien à travers la publicité qu'ils reçoivent lorsqu'ils sont présents sur les CD compilations des magazines. Si une partie du public est

114 Propos de David, GOS. 115 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 64. 116 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 66.

51 réticente à chercher la nouvelle musique en ligne, par manque de temps ou tout simplement de patience, la presse écrite peut en revanche, lui offrir sur un plateau. En France, c'est les

Inrockuptibles, le magazine culturel, qui domine. En effet, il propose un CD de nouveautés toutes les trois semaines environ et accorde aux groupes une mini-présentation sur une des pages du numéro. C'est une publicité hors-paire pour certains groupes qui ne sortent leur album qu'en numérique, et qui grâce à cette compilation, peuvent se targuer d'être sortis sur un format analogique.

e) Se faire entendre grâce à Internet

Mais le moyen le plus efficace pour se faire connaître est tout de même Internet. Il favorise un accès immédiat à la nouvelle musique et peut propulser un groupe sur le devant de la scène, comme c'est le cas pour le groupe GOS. Grâce au clip de leur titre « Make it Short, Make it dance » qu'ils avaient posté sur Dailymotion, ils ont pu se faire remarquer par l'émission Taratata et jouer leur titre à la télévision, un véritable tremplin pour un groupe indépendant. Malgré tout, ils gardent les pieds sur terre : « On ne s’enflamme jamais, il n’y a pas de grands coups d’éclat qui nous feraient nous prendre la tête. Taratata va nous apporter beaucoup au moment de la diffusion c’est

évident, mais on veut avant tout travailler les chansons et les live. Si la télé peut nous aider un peu,

ça ne pourra être que bénéfique » dit David lors d'une interview117.

Le groupe indépendant, pour se faire entendre, a lui aussi le droit au « choix » d'héberger sa musique sur une multitude de plateformes. Car si Myspace et Facebook sont aujourd'hui les plus connues parmi les utilisateurs, il reste des sites tels que CFQD (Ceux Qu'il Faut Découvrir), un site mis en place par les Inrockuptibles, où les groupes peuvent tenter leur chance à un concours pour

117 Clara Lemaire, « Interview : GOS », 20 mars 2009, (consulté le 21/04/10). Au moment où ces lignes sont écrites les GOS ont réussi à faire programmer leur dernier clip « Back in Town » sur Virgin 17 et MCM pop. La nouvelle est annoncée sur la page de leur Facebook.

52 gagner une semaine d'enregistrement à New York aux côtés d'un producteur de renom ainsi que la chance de jouer dans le festival des Inrocks ; SFR music, où une section « Jeunes Talents » est consacrée aux groupes indépendants ; Wat (We Are Talented) TV, une plateforme vidéo ou bien encore Deezer et toutes les radios Internet, offrent une multitude d'exposition au groupes.

Malheureusement, la musique devient du « prêt-à-consommer », écoutée puis oubliée, car l'exposition ne dure jamais assez longtemps pour permettre au groupe une percée médiatique flagrante. Tous les groupes sont inscrits sur au moins quatre de ces plateformes pour avoir plus de visibilité, mais ils créent un certain encombrement, et se marchent dessus. Le public devient « fan » sur Facebook en un clic puis oublie après coup le groupe qu'il vient de découvrir car un autre l'a déjà remplacé, les indépendants deviennent alors le fast-food de la musique : « imagine que pour devenir fan d'un groupe sur Facebook ou Myspace, il faille s'inscrire avec son nom, prénom et son mail, je pense que rien que ça limiterait la fanbase à ¼ de celle qu'on a. Très dur de savoir si tout

ça est bien concret » déclare David. Mais la rapidité avec laquelle le groupe peut proposer son contenu, faire sa promotion et diffuser sa musique en masse, surpasse tout de même les autres moyens de communication. Même si les majors se sentent menacées par cet outil, Internet et le partage des fichier aident les artistes à bien des niveaux pour qu'ils arrivent à se faire entendre:

File sharing is something that has really helped us as a band in getting established. When we played a gig in New York for the first time, a lot of people there already knew our songs and were along. For us it has been global word of mouth that has helped our progress, not hindered it. I don't think it is damaging musicians at all. Downloading music is as revolutionary an invention as the gramophone and I'm all for it118.

f) S'exporter

Exporter sa musique est le summum de la réussite pour un groupe indépendant, puisqu'il peut alors se faire connaître par un public qui dépasse leur scène locale. Ce fut le cas des

118 Propos d'Alex Ferdinand du groupe Franz Ferdinand, tiré du magasine NME, dans Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 95.

53 Plasticines, groupe féminin français, qui grâce à une apparition live dans la série populaire Gossip

Girl, ont pu exporter leur musique vers les États-Unis. Cette « French Touch » comme les

Américains l'appellent, est très populaire sur le continent qui voit apparaître des festivals dédiés à la nouvelle musique française. C'est le cas notamment du festival OOH LA-L.A à Los Angeles, qui célèbre la scène indépendante française en accueillant nos artistes du moment. Mis en place par

Sylvain Teillet, directeur artistique du label Barclay et David Martinon, consul de France à Los

Angeles, ils expliquent que « la France a toujours été vue comme le pays de l'art, de la littérature, de la mode ou d'un certain cinéma, mais jamais comme celui du rock. Nous avons eu envie de montrer cette scène, active et talentueuse 119». Une bonne occasion pour les artistes sélectionnés de se confronter à un public et une culture différente dans une démarche qui reste indépendante. Cela veut dire repartir à zéro dans un pays différent, retourner à l'état « inconnu du public » et reprendre la même bataille. Mais la plupart des groupes qui y participent aiment justement ce concept pour cela : « Nous n'avons pas vraiment de recette miracle avec The Dø, de titres qui fonctionnent d'emblée : il nous faut aller conquérir le public, faire en sorte qu'il reste attentif. On a l'impression de débuter à nouveau, d'être de la poussière (...) Là, c'est comme si on rejouait à la Flèche d'Or, c'est très excitant 120».

Dans un même esprit, le festival des Inrocks qui tourne dans toute la France et donne sa chance aux groupes indépendants, invite également des artistes aux diverses nationalités souvent méconnus du public français. Exporter la musique indépendante est donc avant tout un échange et aide les groupes à se faire entendre. Ici encore, la notion de « communauté » indépendante est fortement présente, c'est elle qui va pousser le public à se réunir pour écouter des nouveaux talents quelque soit l'endroit. L'exportation de la musique est de plus le seul marché qui ne semble pas souffrir de la crise d'industrie : en 2007 (derniers chiffres connues), 47 millions de phonogrammes produits en France étaient vendus à l'export (hors France et DOM-TOM), 26 millions en vente

119 Johanna Seban, « Frenchie goes to Hollywood », Les Inrockuptibles, numéro 725, 20 octobre 2009. 120 Seban, « Frenchie goes to Hollywood ».

54 analogique et 21 millions en vente numérique121.

II.2 – Majeurs contre mineurs, la fin d'une musique de masse?

II.2-1 – Le « Do it yourself way » et les labels indépendants

L'industrie du disque est avant tout « une coexistence de firmes multinationales, les majors, et d'une multitude de petites entités parvenant à survivre et parfois à se développer, les labels indépendants 122». Malgré le côté « précaire » des labels indépendants, ceux-ci ont bel et bien leur place dans l'industrie du disque et occupent une grande place sur le marché. En effet, selon l'IFPI, en 2004, ils contrôlaient déjà plus de la moitié de l'offre musicale enregistrée123 avec 28,3% des parts de marché contre 25,5% pour Universal. Grâce à la numérisation de la musique et de son développement sur Internet, il est devenu plus facile pour les labels indépendants de toucher un public et de le fidéliser avec une musique dite « en marge » du système, car ne faisant pas partie du circuit traditionnel instauré par les majors. Afin d'exister, ces labels doivent adopter une stratégie de différenciation et occuper des niches que les majors estiment trop restreintes pour mériter un investissement124. Même si ce marché est aléatoire et que le succès n'est pas toujours au rendez- vous, cette stratégie fait la force des labels indépendants et leur donne un atout précieux : l'innovation.

a) Le DIY

La notion de DIY ou « do it yourself » est très présente dans le rock indépendant. Les

121 Chiffres tirés de « L'économie de la musique », SNEP 2009. 122 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 23. 123 Curien et Moreau, L'Industrie de la musique, 24. 124 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 30.

55 groupes qui se disent DIY tentent de faire tout eux-mêmes, depuis la production de l'album jusqu'aux concerts, en passant par la communication et la distribution de leur travail. Même si ce genre de méthode est souvent imposée, dû au manque de budget, le DIY est pour les artistes une véritable volonté de marquer leur indépendance et de s'opposer face aux majors et à l'industrie du disque en général. Il y a dans ce concept une notion de « self-reliance 125», où le groupe dépend uniquement de sa musique et de ce qu'il produit car il est le seul à pouvoir faire avancer son travail comme il l'entend. « Do or die » chante le groupe Robots In Disguise dans leur chanson « DIY »

(voir annexe n°8, « Robots in Disguise – DIY »), entièrement consacrée à ce concept. Elles parlent d'un « art amateur » qui n'est pas à prendre à la légère et qui épouse la philosophie du DIY, c'est-à- dire de ne plus être consommateur ou spectateur, mais de faire quelque chose grâce à l'art, de créer

« why don't you sing, paint, make? », de recycler « don't break my cut and paste art », mais surtout, de faire sa propre révolution à travers le DIY « dress up and kill the television ».

Si le DIY paraît marginal, c'est qu'il vient du mouvement punk des années 1970 et qu'il est lié à sa vision anti-consumériste. Ce mode de pensée permit la création des premiers labels indépendants et fut la réponse donnée par les punks à l'exploitation des majors qui avaient le contrôle suprême sur les groupes. Kenya Oakes explique :

The label controls the band's image and artwork, has the ability to censor its lyrics, and retains the legal rights to its music even if the band somehow manages to extricate himself from its contract. When punks in the eighties decided to start forming their own record labels in answer to this inherently exploitative scenario, their main motivation was control. If you were signed on an independant label, you had control over how you sounded in the studio, how your album art came out (…) where you would play shows, and what lyrics you could sing126.

À l'époque, la copie des albums ne dérangeait généralement pas les groupes punks si le public était présent aux concerts. C'est la même chose pour les groupes indépendants d'aujourd'hui, qui préfèrent que leur musique soit écoutée et diffusée à grande échelle. Le mouvement DIY est donc

125 Terme que l'on pourrait traduire en français par « compter sur soi-même ». 126 Oakes, Slanted and Enchanted : The Evolution of the Indie Culture, 45.

56 aujourd'hui encore très présent dans la culture rock, et ne s'étend plus seulement au punk. En rejoignant les labels indépendants qui commencent à affluer dans le milieu musical, les groupes font leur révolution et montrent aux majors qu'elles n'ont plus le monopole.

Le DIY est donc synonyme d'auto-production, un phénomène qui est de plus en plus courant chez les groupes indépendants. À cause de la faiblesse des capitaux au démarrage du projet, et du coût élevé de l'enregistrement en studio, les groupes doivent souvent se financer eux-mêmes pour s'octroyer la chance de percer un jour. Parfois, cela passe par la création de son propre label indépendant, qui permet d'avoir un statut plus important vis-à-vis des professionnels, permet de démarcher les distributeurs et permet tout simplement d'avoir plus de crédibilité. Certains groupes qui ont déjà acquis un certain statut dans le milieu musical préfèrent, par un souci de liberté, monter leur propre label pour avoir un total contrôle sur leur musique.

C'est le cas d'Anton Newcombe, le leader des Brian Jonestown Massacre, qui a préféré créer son label The Committee to Keep the Music Evil, plutôt que de signer avec n'importe qui : « the plan was to release BJM music not available through other channels, and to record new bands which we will be producing from time to time, while pursuing the goal of making the world unsafe for rock and roll 127». Anton Newcombe est l'incarnation de tout ce que l'industrie de la musique n'est pas : les vrais artistes et la révolution représentée par le DIY : « You know, what’s confusing too with 'career' and my relationship with the business? I do make money from it and I do own a record company and all the nuts and bolts of that but I don’t think of it as a career but I do think of it as art 128». Car le plus important pour Newcombe est bien de faire sa musique, et pas de signer avec un label. Longtemps considéré comme quelqu'un d'incontrôlable à cause des nombreuses altercations sur scène avec ses musiciens s'ils jouaient mal, et dans le public avec les personnes qui ne respectaient pas sa musique, Anton Newcombe a involontairement saboté sa carrière de

« poulain de label » au profit de ses valeurs artistiques. La création de son propre label fut donc

127 (consulté le 25/04/10). 128 Interview réalisée par Julian Marszalek, 9 février 2010 (consulté le 25/04/10).

57 l'issue logique qui lui permit d'exprimer toute sa créativité, entouré des gens qu'il voulait. Ses musiciens étant pour la plupart du temps les petits soldats de son génie créatif, Anton reste en total contrôle de son art. Si ses méthodes ou son exigence ne conviennent pas aux autres membres du groupe, ils partent. Difficile donc de faire accepter ce mode de fonctionnement à n'importe quel label.

Dans un cas extrême, certains groupes se voient rompre leur contrat avec leur maison de disque par insuffisance de ventes d'albums, et se retrouvent dans l'obligation de monter leur propre label s'il ne trouvent pas d'autre opportunité. C'est le cas récent de Marilyn Manson, figure emblématique du rock américain qui, à cause des ventes décevantes de son dernier album The High

End Of Low (2009) avec 121 000 copies vendues aux Etats-Unis s'est fait renvoyer de son label

Interscope, et se retrouve maintenant avec un statut d'artiste indépendant, à son plus grand bonheur :

We've just been released from our record contract with Interscope, so I think a lot of the creative control on which my hands were tied on a lot of choices - the music videos - things like that, has been regained. I was so restrained from the music that I wanted to make - what they would allow, they would put out, what ideas they would allow to be conveyed in these videos. At least half of my creative output has been squashed, so now I think people can expect a whole lot more129.

Les notions de DIY et de créativité riment avec l'éthique des labels indépendants et attirent de plus en plus d'artistes qu'ils soient débutants ou extrêmement connus, comme c'est le cas de Marilyn

Manson. Désormais, les groupes préfèrent l'expression de leur créativité et de leur univers au profit d'un contrat majeur dans une grande maison de disque qui brimerait leur inventivité.

Les artistes qui montent leur propre label, peuvent donc avoir leur propre « écurie » de groupes qu'ils défendent et peuvent ainsi obtenir une crédibilité plus grande auprès du public, qui ira plus facilement écouter leur musique. Les Dandy Warhols, un groupe de rock psychédélique de

Portland et amis des Brian Jonestown Massacre, ont eux aussi décidé de monter leur label, Beat

The World Records, après avoir quitté la major Capitol Records, une filiale de EMI. Ils ont pu de

129 (consulté le 25/04/10).

58 cette manière prendre quatre groupes sous leur aile130, leur permettant des avantages tels que les premières parties de leurs concerts ou bien une promotion continuelle à leurs côtés. Dans le même esprit, The Committee to Keep the Music Evil produit cinq groupes aux côtés des Brian Jonestown massacre depuis 2001131. Avec ce label, Anton Newcombe a voulu « battre L'Homme à son propre jeu » et recruter l'armée « that will fight for the right to bring real music into the world. (They) use the principles of cooperation and networking to show that no one needs the major labels to get their careers going and build a solid fan base 132». Les labels indépendants sont donc, en partie, la réponse pour perpétuer le mode de pensée du « do it yourself », que de plus en plus de groupes connus du grand public sont prêts à défendre. Ces labels possèdent des qualités considérables pour les jeunes artistes auxquelles les majors ne peuvent pas prétendre.

b) L'innovation et les points forts des labels indépendants

Les labels indépendants ont des qualités très prisées par les artistes, qui généralement, leur donnent la réputation d'être innovants, flexibles, et proches des groupes qu'ils produisent. En effet, la recherche constante de nouveaux talents est un des atouts majeurs des labels indépendants, et occupe 60% de leurs moyens contre 20% chez les majors133. Leur capacité à prendre des risques avec les artistes qu'ils signent leur permet d'innover et de renouveler souvent leur catalogue musical contrairement aux majors qui sont « often too large and ponderous to be in a position to discover and nurture great musicians during the early phases of their careers. Independants worldwide have been and will continue to be the lifeblood of the music industry, and most significant musical trends have had their origins in small independant music labels 134». Ainsi des artistes tels que Beck, Jeff

130 Les groupes signés chez Beat The World Records sont 1776, The Upsidedown, Logan Lynn et Spindrift (consulté le 25/04/10). 131 Les groupes signés chez The Committee to Keep the Music Evil sont The Lovestones, The Telescopes, Floorian, The Asteroid #4 et The Quarter After (consulté le 25/04/10) 132 (consulté le 25/04/10) 133 Benhamou, L'économie de la culture, 75. 134 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 111.

59 Buckley ou bien des groupes comme Oasis et Nirvana ont tous débuté chez les indépendants avant d'être signés sur des majors.

Les labels indépendants sont souvent « défricheurs de talents » tandis que les majors ont plutôt la facilité de racheter les actes musicaux qui ont du succès auprès du public. Les liens de proximité que les labels indépendants réussissent à tisser avec les milieux musicaux leur donnent une connaissance indéniable sur ces milieux, et ils se voient de ce fait, octroyer cette fonction de découvreurs de talent : « les indépendants de niches compensent l'étroitesse de leur marché par une connaissance fine de ses caractéristiques : tant au niveau de la demande, en termes d'identification des goûts des consommateurs, qu'à celui de l'offre, en termes de repérage des groupes et des artistes talentueux 135». Les labels indépendants vont donc privilégier une spécificité musicale, chacun dans une catégorie, pour être les meilleurs sur le marché et trouver les meilleurs artistes issus des niches. Le fait de privilégier la recherche de talents, les relations de confiance, mais aussi de prendre en compte les goûts des consommateurs est un tout nouveau modèle de l'industrie musicale. Mais ce modèle est bel et bien plus attractif pour des artistes qui généralement, signent avec une major uniquement pour la garantie de distribution et de promotion136. Aujourd'hui, les labels indépendants peuvent rivaliser avec les majors grâce à ces atouts qui compensent cet appât de la distribution et de la promotion.

Le système hiérarchique mis en place, beaucoup plus léger que chez les majors, permet

également des décisions plus rapides et des restructurations, sans que le label ne fasse faillite :

« their smaller size also will help them to remain flexible, as they will be able to adapt and re-tool their business models when necessary 137». Le marketing est également plus simple avec les labels indépendants, puisqu'en général 50% des ventes s'effectuent via Internet contre 10% pour les majors138. Il est désormais possible pour les labels indépendants de toucher un public directement

135 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 30. 136 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 106. 137 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 111. 138 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 112.

60 sur Internet grâce aux services de distribution qui apparaissent chaque jour en ligne. Il est donc très important pour le label de développer une fan base en ligne, puisqu'elle permet d'assurer ces ventes, et que dans tous les cas, la musique est de plus en plus commercialisée en version numérique :

« The accelerating trend is putting much more control in the hands of the public, and much less control in the hands of the tastemakers and gatekeepers 139».

Ainsi, si iTunes est le leader incontestable du téléchargement payant avec 67% de parts de marché, toutes catégories confondues, c'est finalement eMusic qui est son concurrent principal en

2006, avec 11% des parts de marché (contre 3% pour Rhapsody et 4% pour Napster) grâce à plus d'un million de titres fournis par les labels indépendants140. Moitié moins cher qu'iTunes, eMusic est depuis quelques temps une référence pour les utilisateurs qui peuvent rechercher les nouveaux artistes indépendants promus par leur label favori, mais aussi pour les labels eux-mêmes qui ont la possibilité de lancer leurs derniers talents découverts sur le devant de la scène grâce à cette plateforme. Aujourd'hui eMusic a élargi son catalogue et propose plus de sept millions de titres, tous genres confondus et iTunes a dû se plier à ce contenu de niche pour pouvoir maintenir sa première place. Les labels indépendants collaborent donc avec ces plateformes musicales pour promouvoir leurs artistes, mais ce n'est pas le seul partenariat sur lequel ils reposent. En effet, pour pouvoir subsister et acquérir un certain statut, les labels indépendants doivent souvent s'associer à d'autres partis pour mettre plus de chances de leur côté.

c) L'union fait la force

Les labels indépendants vivent bien souvent plus facilement grâce aux partenariats qu'ils ont

établis avec un tiers. En effet, dans les circuits en marge comme les labels indépendants, « on acquiert une expérience professionnelle mais l'argent est souvent investi sans retour de bénéfices

139 Propos de Davitt Sigerson, précédent président d'Island Record, dans Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 113. 140 (consulté le 25/04/10).

61 substantiels et même à perte 141». De ce fait, des collaborations entre labels indépendants sont très courantes, comme c'est le cas du Committee to Keep the Music Evil qui fut approché en 2007 par un label anglais, Cargo Records, pour redistribuer les albums des Brian Jonestown Massacre sur support vinyle et pour leur permettre d'agrandir leur catalogue en leur amenant de nouveaux artistes

à produire. De même, le « comité » a établi un partenariat avec Apollo Audio, une entreprise de promotion en ligne établie à Philadelphie, pour permettre aux fans d'écouter en streaming les albums disponibles sur le catalogue.

Parfois, les labels indépendants s'associent aux majors car ils ne peuvent pas supporter le financement de la distribution et par conséquent, la frontière entre les deux n'est pas nettement tranchée : « Certains labels adoptent un mode de fonctionnement d'indépendant, tout en étant contrôlés par une major ; d'autres indépendants sont détenus à 50% par une major (…) Dans ce cas, la major fournit des ressources financières, ainsi que sa puissance de marketing et de distribution, tandis que l'indépendant apporte son expertise en matière de recherche de talents 142».

Les labels indépendants font donc une sorte de compromis, le financement contre l'innovation, ce qui leur permet de subsister et de continuer les recherches pour leur propre profit. Paradoxalement, certains labels indépendants sont également actifs à la distribution et gèrent tout du début à la fin sans passer par les majors. En France, c'est le cas de Pias, Wagram ou Naive, qui se retrouvent en position de force et peuvent imposer aux tiers leurs tarifs et leurs conditions. De ce fait, ils peuvent

être amenés à être les distributeurs d'autres labels indépendants, mais leur part de marché individuelle n'excède jamais les 3%143.

141 Seca, Les musiciens underground, 89. 142 Curien et Morean, L'industrie du disque, 16. 143 Curien et Morean, L'industrie du disque, 16.

62 II.2.2 – Le chaos des majors a) La chute

Par rapport aux labels indépendants, les quatre majors dominantes de la musique, Vivendi

Universal, Time Warner, Sony BMG et EMI, sont plutôt perçues comme les « machines » de l'industrie du disque. Elles ont le contrôle de la distribution et de la promotion, ce qui leur donne un avantage coût et un avantage produit sans précédent. David Kusek et Gerd Leonhard associent les majors à des distributeurs de films Hollywoodiens : « majors today seem to act more like film distributors than production houses. They have organization, the capital, and the clout to take new music to the broad public, but little ability to develop the next hot artists, themselves 144». Leur organisation est quasiment sans faille, mais leur incapacité à prévoir les tendances les rend vulnérables. La crise du disque et la numérisation de la musique n'ont pas aidé l'industrie et l'ont conduite vers des années plutôt noires. Ainsi, le nombre d'albums commercialisés en France par les majors a baissé de 36% entre 2002 et 2005 et les nouvelles signatures ont été divisées par deux145.

En 2008, on estimait une chute de 60% des nouveaux contrats, ainsi que 12% de contrats arrêtés, soit un déficit de 15 signatures d'artistes146 (voir annexe n°9, « Graphique du déficit de nouveaux artistes en 2008 »).

Ainsi, même si les majors possèdent 80% de la production mondiale, la chute est dure et elle n'en finit pas : en 2008, le marché du single a perdu de sa valeur, il est passé de 132 millions d'euros de chiffre d'affaire en 2002 contre 10 millions en 2008, soit une baisse de 92%. Avec seulement 4 millions de copies vendues en 2008 (contre 39 millions en 2002), ce support a quasiment disparu. Il en est de même pour le marché des albums qui a été divisé par deux : en 2002, il rapportait aux majors 1096 millions d'euros, et en 2008, le chiffre ne s'élevait qu'à 484 millions soit 56% de

144 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 112. 145 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 44. 146 Chiffres tirés de « L'économie de la musique », SNEP 2009.

63 baisse147 (voir annexe n°10, « Les albums et les singles ne font plus recette », et annexe n°10bis,

« Graphiques de la chute de la production d'albums et de singles entre 2002 et 2008 »). En tout et pour tout, les CD et DVD ont perdu 53% de leur valeur et 64% de leur volume, laissant les majors dans une position très difficile et avec un déficit qui permit aux labels indépendants de s'infiltrer dans la brèche, chose qu'elles n'avaient pas prévue. Alors que les ventes numériques ne cessent d'augmenter148 (voir annexe n°11, « L'évolution des revenus numériques de 2004 à 2008 »), les majors doivent faire face à une érosion d'un modèle à cause de la révolution Internet.

b) L'érosion du « star-système »

Il est indéniable que les majors se retrouvent face à une nouvelle demande et qu'elles ont du mal à y faire face. En effet, le modèle dominant de l'industrie du disque a longtemps été celui du star-système « qui consiste à produire un grand nombre d'artistes mais à n'en promouvoir que quelques-uns, ceux paraissant le mieux répondre à la demande 149». La chance de faire un album à succès est complètement aléatoire et portée par une vision qui est élitiste : sur des milliers d'artistes potentiels adressant leurs maquettes, seuls quelques centaines se verront offrir un contrat par une major, une dizaine feront l'objet d'une promotion, et seulement quelques-uns deviendront des

« stars »150. Un tel système ne peut plus être le modèle dominant avec tous les artistes indépendants qui prennent petit à petit le dessus en s'auto-produisant, et en évitant les intermédiaires véreux.

En effet, l'érosion du star-système est bel et bien en marche : Gopal en 2006 et Blackpurn en

2004 ont démontré que les réseaux peer to peer déclenchent la percée des nouveaux artistes et donc de leur ventes, au détriment des artistes établis151. Le marché de masse de la musique est en train

147 Chiffres tirés de « L'économie de la musique », SNEP 2009. 148 12.5% du marché en 2008 selon le rapport SNEP 2009. 149 Propos de Robert Burnett, The Global Jukebox (Londres : Routledge, 1996) dans Curien et Moreau, L'industrie du disque, 38. 150 Curien et Morean, L'industrie du disque, 23. 151 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 100.

64 d'arriver à sa fin, car selon David Kusek et Gerd Leonhard, le public quitte petit à petit le système imposé par les majors pour se tourner vers le nouveau modèle d'abondance et de choix qui est en marche depuis 2002 : « consumers are starting to leave the narrow confines of the turf that the purveyors of media wanted them to stay in, and diversity is ruining the plan that worked so well for so many years 152». Le public est attiré par les groupes indépendants car ils symbolisent la nouveauté et la liberté qu'il n'a pas pu avoir pendant bien des années quant aux choix des artistes, des styles de musique qu'il désirait écouter. Face à de tels arguments, il est de plus en plus difficile pour les majors de rivaliser, et de devoir côtoyer de si près ses concurrents.

c) La dictature des majors et la rébellion des artistes

Le modèle des majors a longtemps été celui du « star-système ». Par conséquent, le financement d'un artiste et ce qu'il rapporte étaient – et sont toujours – les motivations premières pour une nouvelle signature. Malheureusement quand celui-ci ne rapporte plus, ou pas assez, il se fait littéralement éjecter du système comme ce fut le cas des Dandy Warhols et de Marilyn Manson.

Les coûts de production élevés et le marché désormais très aléatoire, mettent la pression aux artistes et les forcent non pas à gagner, mais à gagner beaucoup. Mais ill n'y a pas qu'avec les artistes que les majors se montrent intransigeantes. Le public lui aussi, se retrouve comme soumis à l'industrie du disque : « we will sue you into submission, either buy the product at the prices we dictate or go to jail 153» résument ironiquement Kusek et Leonhard. Les consommateurs sont obligés de suivre les directives des majors, de subir leurs prix pour pallier à tout prix à la crise. Le problème est que l'industrie du disque est effectivement en train de chuter, mais pas l'industrie de la musique. En effet, l'industrie du disque n'est juste qu'une toute petite partie de l'industrie de la musique en général, qui comprend également en plus des ventes analogiques et numériques, le merchandising,

152 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 37. 153 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 40.

65 les concerts, ainsi que les tournées. Tout cela rapporte énormément aux majors, qui de ce fait, perdent les faveurs du public, celui-ci préférant un mode de fonctionnement de type indépendant plutôt que la dictature du profit menée par les grosses maisons de disques. C'est un point faible que les majors tentent d'ailleurs de résoudre en essayant de s'attirer l'innovation sur elles, généralement en rachetant les contrats des artistes, en intimidant les indépendants et en rachetant des labels indépendants performants.

Ainsi, si les majors ont la possibilité de renvoyer les artistes qui ne vendent pas assez, certains artistes qui vendent beaucoup, prennent la décision de quitter leur maison de disque, prônant la fin du modèle de base et la redéfinition des rapports entre artistes, producteurs et fans. Ce fut le choix, entre autre, de Saul Williams, Nine Inch Nails, Radiohead, ou bien de Manu Chao en

France, qui déclare désormais vouloir utiliser sa musique comme une radio sur son site Internet154.

Ces artistes furent dans les premiers à prendre une décision perçue comme marginale par les acteurs de l'industrie du disque, et à contester le modèle musical des majors. À titre d'exemple, en octobre

2007, après seulement dix jours de travail, le groupe Radiohead a permis de télécharger son album

« In Rainbows » avec la liberté pour l'internaute de le télécharger gratuitement ou de payer le prix de son choix : « 62% des téléchargements on été gratuits et 38% on été payants avec un prix moyen de 6 dollars. Le prix moyen acquitté par l'ensemble des internautes (incluant le téléchargement gratuit) s'élève donc à 2.26 dollars 155». Grâce à ce mode de distribution, l'album eut un fort succès commercial et permit une bonne vente des albums sur support analogique lorsque l'opération de distribution numérique fut arrêtée au bout de deux mois, en décembre 2007. Saul

Williams sortit son album « The Inevitable Rise and Liberation of Niggytardust » en novembre

2007, en suivant le même procédé que Radiohead avec la possibilité de le télécharger gratuitement ou bien de verser cinq dollars en soutient. Pour lui, c'est le début d'une rébellion contre les majors :

154 < http://www.courrierinternational.com/article/2007/07/26/je-parie-sur-l- ethique-du-public> (consulté le 26/04/10) 155 « L'économie de la musique », SNEP 2009, 26.

66 La plupart des gens n’ont pas conscience du monde de l’art et du commerce où l’exploitation dépouille chaque artiste comme un nègre. Chaque label, à l’instar de l’apartheid, nous divise par nos différences et nous bat jusqu’à ce que nous acceptions les plus petits chiffres. Ce qui tombe entre les mailles du filet, c’est une pile de disques empilés sur la montagne de talents qui ne sont pas mis en lumière156.

Saul Williams dénonce ici les méthodes des majors qui sont perçues comme capitalistes à souhait et abusives, et renforce l'appel à l'indépendance des artistes qui ne sont pas respectés par les maisons de disques et qui sont utilisés comme appâts pour voir si le public mord à l'hameçon. Trent

Reznor, le leader de Nine Inch Nails, participa à la co-production et à la co-écriture de l'album de

Saul Williams et ne tarda pas à se libérer de sa maison de disque également pour sortir son album

« Ghosts I-IV » en 2008157, sous la licence Creative Commons BY-NC-CA158. Cet album, tourné uniquement vers la distribution directe et en ligne, donne également le choix à l'internaute quant au prix à verser pour la possession de l'album. Profitant d'un bon bouche à oreille, d'une bonne critique, et d'un public réceptif à cette méthode quatre mois après le succès de Radiohead, « Ghosts

I-IV » rapporta 1.6 millions de dollars en une semaine159 et fut numéro un des ventes sur Amazon.

Contrairement à Radiohead qui décida d'arrêter ce type de distribution après « In Rainbows », Nine

Inch Nails continua de délivrer ses albums via Internet, dont « The Slip », que le groupe mit en ligne deux mois seulement après « Ghosts I-IV », pour remercier les fans de leur soutien. La fin de la musique en tant que produit, l'impact d'Internet sur les artistes signifient-t-ils donc la fin des labels tels que nous les connaissons? Les majors ne sont plus dominantes dans le circuit dit

« normal » de l'industrie du disque, et elles perdent leur pouvoir de négociation vis-à-vis d'autres acteurs, qui pourraient menacer leur position, tel que les labels indépendants.

156 « Maison de disques et Indépendants : une guerre ouverte » le 16 août 2008, (consulté le 26/04/10). 157 La rupture de contrat avec Interscope se fit en novembre 2007. 158 Cette licence permet de « tordre, et de construire sur un travail non commercial aussi longtemps qu'il est crédité et permet de nouvelles créations dans des conditions identiques. D'autres peuvent télécharger et redistribuer le travail, mais ils peuvent également traduire, faire des remixes, et produire de nouvelles histoires basées sur ce travail. Tous les nouveaux travaux basés sur celui-ci porteront la même licence, de sorte que tout dérivé sera également de nature non commerciale » (consulté le 26/04/10). 159 Astrid Girardeau, « Nine Inch Nails, Gratuit et Best-seller », le 6 janvier 2009, (Consulté le 26/04/10).

67 Dans un autre registre, les fans peuvent également aider les artistes dans leur volonté d'indépendance, comme c'est le cas d'Amanda Palmer, qui après avoir signé sous la major

RoadRunner Records avec son groupe les Dresden Dolls, s'est lancée en solo en 2008 avec son album « Who Killed Amanda Palmer », toujours sous le même label. Lorsque pour son clip « Leeds

United », son label lui demande de retirer certaines séquences où elle expose son ventre, car « elle a l'air grosse », ses fans forment immédiatement une coalition contre Roadrunner, appelée « Fans

ReBellyon » et envoient des milliers de photos de leurs propres ventres au label en soutien à l'artiste. Grâce à la popularité d'Amanda Palmer – probablement acquise en grande partie grâce à son blog –, son public appela à boycotter les ventes de son album sur les plateformes générales et à passer directement par l'artiste elle-même pour obtenir sa musique : « If you're a fan of Amanda

Palmer, please buy direct from HER website, or in person at one of her shows. The record company is withholding all profits if you buy anywhere other than directly from her. Please repost this review anywhere her products are for sale 160». Avec le soutien de son public, elle pu littéralement faire pression sur son label pour qu'il la libère de tout contrat. Relâchée le 6 avril 2010, Amanda Palmer célébra son indépendance totale en mettant à disposition de ses fans un titre téléchargeable à volonté sur son site Internet (voir annexe n°12, « Extrait du blog d'Amanda Palmer »). L'aventure d'Amanda Palmer montre que, les artistes indépendants sont ainsi, redevables au public, car c'est lui qui lui permet d'être. Si Amanda Palmer n'avait pas eu ce soutien de la part du public, elle aurait peut-être plus difficilement gagné son statut d'indépendante auprès de son label et aurait également plus de difficultés à vivre de cette position : lors de sa dernière tournée européenne, désormais seule

à la financer, elle demanda à ses fans de l'héberger chez eux dans chacune des villes où elle passerait.

160 (consulté le 29/04/10)

68 II.3 – La fin d'un modèle?

II.3.1 – Une culture musicale fragmentée

Avec l'affrontement des labels, le soulèvement des artistes, et la montée de l'indépendance, on assiste à la fragmentation de la culture musicale. En effet, la fin de la culture musicale de masse approchant, c'est la formation des « micro-cultures » qui prennent le relais : « the resulting rise of niche culture will reshape the social landscape. People are re-forming into thousands of cultural tribes of interest connected less by geographic proximity and workplace chatter than by shared interests 161». Petit à petit, nous quittons l'ère où le monde s'informait et se cultivait grâce la même source, principalement composée d'un seul et unique courant. Les niches permettent maintenant à la population de se regrouper par centres d'intérêts et non plus par centres géographiques, éradiquant l'unique culture musicale imposée jusqu'à aujourd'hui, et donnent naissance à une multitude de micro-cultures dont le rock indépendant est issu. S'il est une sous-culture musicale du rock, il est

également une micro-culture, soit la culture d'un petit groupe de personnes à l'intérieur de cette sous-culture. Cette fragmentation de la culture musicale permet au public de s'exprimer plus librement, et de trouver ce qui lui correspond vraiment. Grâce aux micro-cultures, il est possible de tendre vers un mode de pensée plus large, et faire ainsi évoluer le milieu musical sans être stoppé par le pouvoir des majors. La culture musicale de masse et le courant mainstream représenté par les grandes maisons de disques, ne servent uniquement qu'à cimenter notre société162 et les nombreuses micro-cultures qui s'y rattachent petit-à-petit.

Le danger des micro-cultures pourrait-être la poursuite d'un individualisme grandissant, la quête incessante d'un plaisir personnel au risque de faire défaut aux autres cultures qui entourent le consommateur et de l'enfermer dans sa propre micro-culture. Mais paradoxalement, « rather than being loosely connected with people thanks to superficial mass-culture overlaps, we have the ability

161 Anderson, The Longer Long Tail, 184. 162 Anderson, The Longer Long Tail, 189.

69 to be more strongly tied to just as many if not more people with a shared affinity for a niche culture 163» explique Chris Anderson. Il démontre bien que, même si la culture musicale est de plus en plus fragmentée, les relations entre les personnes qui composent la niche sont bien plus fortes que dans une culture de masse. Les notions de communauté, de famille et de proximité sont de nouveau présentes. Les indépendants sont dispersés dans le monde mais ils sont connectés grâce aux nouvelles formes de micro-cultures et aux affinités qui sont créées à travers elles, et détruisent petit à petit l'ancien modèle qui apparaît comme obsolète.

II.3-2 – Le modèle musical semble cassé

Une question cruciale se pose alors, les indépendants sont-ils donc en train de prendre le relais dans le modèle musical du 21ème siècle? Il semblerait que la fragmentation des cultures musicales soit bien reçue par le public qui, de ce fait, se sent plus libre que sous la directive des majors. Faut-il donc que celles-ci aient peur des indépendants? En effet, « The power has shifted from music executives to fans 164» dit Chris Anderson. Le modèle musical qui a fait la force des majors dans les années 1990 est désormais cassé, et nous assistons à un échange des rôles où ce sont désormais les indépendants, les personnes considérées comme non-influentes dans le milieu musical, qui font les tendances de demain. Ce changement, indépendant de la volonté des majors, est le résultat d'une incertitude qui s'est fait ressentir dès le début de la numérisation de la musique :

« During the first decade of online music, the incumbent music companies were not sure how to handle the many issues associated with music online (…) the labels wanted to keep control of all pieces of this puzzle at all times, simply because they felt that it was, after all, « their recordings » that were being downloaded and used as the prime force in this business 165» expliquent Kusek et

Leonhard.

163 Anderson, The Longer Long Tail, 191. 164 Anderson, The Longer Long Tail, 99. 165 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 109.

70 La réticence des majors vis-à-vis d'une transformation qu'elles n'avaient pas prévue et qu'elles ont eu du mal à gérer car trop centrées sur elles-mêmes, a conduit à l'ébranlement de la figure d'autorité qu'elles avaient sur le public et a engendré la chute du modèle musical. Depuis les années 2000, les indépendants ont donc opéré stratégiquement et ont obtenu leur propre marché, qui fait maintenant concurrence aux grandes majors. Avec leur nombreux atouts, les labels indépendants imposent leur mode de fonctionnement aux majors qui sont obligées de suivre ceux qu'elles considéraient comme marginaux. Ce sont finalement eux qui ont les idées et qui innovent dans cette nouvelle ère musicale. Amanda Palmer résumait la situation de cette manière en 2008 :

Je me demande à quel point on sous-estime, encore à l’heure actuelle, l’immense impact d’Internet. Avec Brian, nous avons commencé notre propre promo des Dresden Dolls en 2001, alors que nous n’avons ni manager, ni attaché de presse ; la seule chose que nous avions c’était Internet, c’était notre seul moyen de tenter de nous faire connaître, en mettant nos morceaux en ligne, en créant des mailing lists. Et en 2003, 2004, des dirigeants de grandes maisons de disques commencent à organiser des réunions, ils s’assoient tous autour d’une table et commencent à se dire que, peut-être qu’il y a quelque chose à faire avec cet Internet dont tout le monde parle. Et là, on est nombreux à vouloir leur dire qu’ils sont déjà passés à côté d’énormément de choses, que tout s’est déjà développé alors qu’ils n’en ont même pas eu conscience, qu’ils se réveillent, brusquement, des années trop tard !166

166 « Amanda Fucking Palmer », le 15 février 2009, (consulté le 28/04/10)

71 III – Le modèle indépendant

III.1 – Approches de l'indépendance

Il semble maintenant intéressant de prendre des exemples concrets de groupes qui se disent indépendants pour mieux visualiser ce mouvement ainsi que l'ampleur qu'il prend en France et aux

États-Unis. Le modèle est-il le même? Comment les artistes voient-ils ce mouvement et comment le vivent-ils? Autant de questions auxquelles il paraît pertinent de répondre et qui vont tenter de mettre au grand jour ceux qui ont du mal à attirer la lumière sur eux.

III.1.1 En France a) Se chercher pour se trouver

La France possède une scène indépendante importante, mais qui, contrairement aux États-

Unis, a du mal à développer ses artistes et les enferme dans un système qui leur permet d'avoir des espoirs restreints. Il est bien sûr impossible de rivaliser avec les États-Unis puisqu'elle est la véritable plaque tournante du rock indépendant et que c'est de là bas que les tendances arrivent.

D'ailleurs, il sera forcément plus dur pour un groupe français de s'exporter et de viser des tournées mondiales s'il ne chante pas en anglais, mais pour être diffusé en France, la langue française est bel est bien de rigueur : « Depuis le début on a composé une trentaine voire une quarantaine de morceaux, tous en anglais, sur une base de quatre à cinq minutes, et on a souvent eu des remarques de gens qui nous ont dit « faites du français, faites du trois minutes trente si vous voulez être diffusés 167» confie Pierre-Franck, bassiste dans le groupe GOS. La langue est donc le premier problème posé à un groupe indépendant qui doit choisir entre conquérir les radios françaises ou viser une célébrité internationale. Pierre-Franck rajoute : « c’est légendaire, le rock est né dans les

167 Lemaire, « Interview : GOS », (consulté le 02/05/10).

72 pays anglophones, c’est une attitude. On a grandi avec des Nirvana, des Rage Against The

Machine ou des Clash, donc par rapport à la composition, on a forcément envie d’aller vers des choses qu’on a toujours aimées et qu’on a envie de reproduire 168». Les États-Unis font donc partie du modèle musical des groupes indépendants français et c'est tout naturellement qu'ils se tournent de plus en plus vers cette langue pour pouvoir s'exporter, mais également conquérir les amateurs français de rock américain.

Dans les groupes indépendants interviewés, aucun ne semble avoir réussi à créer sa propre scène, car il est très difficile de trouver un public et qu'ils sont des « groupes en devenir »: « Nous sommes en phase de professionnalisation, le public nous suit et nous attend, mais nous ne pouvons pas encore vivre de ce métier. Les critères pour y arriver sont d'abord une musique qui rencontre son public, cela est essentiel. D'autre part, il faut également une structure pour encadrer notre projet musical » déclare le groupe USS. Pour réussir à créer sa scène il faut donc réussir à être entouré des nombreux professionnels de l'indépendance qui aident les groupes à s'accrocher à leur rêves. S'ils n'ont pas ce soutien, il devient alors plus difficile pour les groupes de se faire connaître et de créer une scène bien à eux.

C'est le travail de Bénédicte Perrin qui a monté l'association French Pop Mission, dont elle s'occupe seule avec son mari, et qui lui prend tout son temps : « French Pop Mission demande une disponibilité totale. Entre la préparation de concerts, la recherche de nouveaux groupes, les

écoutes et les réponses à donner aux sollicitations, la communication sur le net, la réalisation de flyers… sans parler de la partie administrative ! 169». En effet French Pop Mission a pour but de faire découvrir au public des jeunes groupes français qui chantent en anglais, par le biais de concerts organisés sur Paris170. Bénédicte Perrin voit en ces soirées de découvertes musicales une alternative au système qui se veut plus humaine, mais aussi le lancement d'un nouveau mouvement

168 Lemaire, « Interview : GOS », (consulté le 02/05/10). 169 « French Pop Mission », 22 janvier 2010, (consulté le 26/04/10). 170 Des concerts ont également été organisés sur d'autres scènes françaises telles que Lille et Nancy. L'association vise aussi les villes de Lyon et Rennes.

73 national : le live spirit. Tout comme les labels indépendants qui prennent soin de leurs artistes, les professionnels mettent du cœur dans ce qu'ils entreprennent et vivent leur métier comme une passion car ils se sentent investis d'une mission. Le nom de l'association de Bénédicte Perrin n'est donc pas surprenant : évoluer dans le milieu indépendant n'est pas une tâche facile et chaque réussite est une bataille de gagnée, que ça soit pour les groupes, qui réussissent à avoir un peu de visibilité grâce aux soirées, soit pour l'organisatrice, qui défend le groupe qu'elle considère gagnant

à être connu. Bénédicte Perrin se qualifie d'ailleurs à la fois en tant que tourneuse des groupes qui participent aux concerts de French Pop Mission et en tant que mère. Elle a une responsabilité vis-à- vis d'eux, les protège, et leur fait prendre leur envol grâce à ses soirées.

Le groupe The Melting Snow Quintet rajoute : « L'ingrédient principal serait sans doute plus de communication, ainsi qu'une augmentation des prestations scéniques, le bouche à oreille jouant beaucoup » (voir annexe n°13, « Questionnaire de The Melting Snow Quintet »). Même si

Internet est le facteur essentiel pour déclencher la mini-célébrité d'un groupe indépendant, il n'est pas toujours facile pour lui de faire son auto-promotion comme l'explique David de GOS :

Pas de label = pas de distributeurs = pas de tourneurs. Tu te retrouves à devoir créer ton propre label, qui s'incarne uniquement dans le nom de ton groupe. Tu es ta propre image de marque, dans une sincérité extrêmement difficile à doser. Je veux dire par là qu’être sincère dans sa manière de composer et d’écrire, c’est facile, mais être sincère dans ta démarche de « communicant », dès que tu y introduis cette dose de marketing, ça devient très compliqué.

b) Le nerf de la guerre

Si le groupe ne fait pas partie d'un label indépendant et qu'il s'auto-produit, ses moyens de communication restent très restreints, c'est pourquoi des structures telles que 1D Zik sont absolument indispensables pour les groupes indépendants car elles leur tendent la main :

74 Aujourd’hui, l’auto-production est la seule tendance qui permettra à la musique de perdurer. Pour que ces projets soient menés à bien, il est nécessaire d’avoir un accompagnement sous toutes ces formes (juridique, administratif, rédactionnel, et relationnel) au niveau national et international. C’est ce que nous proposons à nos artistes171.

Mis en place en 2009 par Valérie Suder, présente sur le réseau indépendant depuis quinze ans, la structure 1D Zik se veut être le « manager de demain ». Olivier Chesneau, chargé de production et de promotion explique : « Valérie Suder est partie d'un constat : le métier change, la musique est toujours là. Il y a toujours des talents à soutenir et à accompagner dans le développement de leur carrière 172». 1D Zik collabore ainsi avec trois groupes173, effectue leur promotion, les aiguille, les informe et les développe : « 1D Zik Connection se propose d'aider des artistes talentueux en leur apportant une aide extérieure afin de se structurer pour sortir un disque,

être promotionné en radio et faire des concerts » informe le Myspace. Un festival itinérant 1D Zik est également au programme174 pour lancer les artistes qu'ils défendent et continuer de les promouvoir à long terme et à grande échelle, hors des scènes attendues.

Mais des structures telles qu'1D Zik restent encore très rares en France, et elles ne peuvent, bien évidemment, pas encadrer tous les groupes indépendants du pays. Ils peuvent alors compter sur d'autres plateformes comme AKA music, un label dit « participatif » qui propose aux groupes de tous horizons et à d'éventuels producteurs amateurs, de se rencontrer :

Les artistes proposent leurs titres en écoute et choisissent de produire soit un single (coût 15 000 euros), soit un album (coût 50 000 euros). Les internautes peuvent par la suite investir en achetant des parts dans la production de l'œuvre, par tranche successive de 5 euros chacune. Si la somme nécessaire est réunie, alors le processus de création et d’enregistrement s’enclenche et les producteurs pourront se partager 40% des ventes de disques des artistes qu’ils auront produits175.

171 Mickael Tardu, 29 avril 2010, « 1D Zik tend la mains aux artistes de demain » (consulté le 03/05/10). 172 Guillaume Joubert, « Rencontre avec 1D Zik Connection », 13 avril 2010, (consulté le 26/04/10). 173 Les groupes sont Slencha, découverte lors d'un concert, Yules, fruit d'une collaboration en 2007 avec Valérie Suder, et Fabien Mettay découvert sur Myspace. 174 Les dates du festival sont en cours de validation au moment où ces lignes sont écrites. 175 « AKA Music, une révolution en marche? » 4 septembre 2008,

75 Avec 2287 producteurs, 995 artistes et 270 000 euros investis en six mois, le concept paraît intéressant mais à la fois très utopique. David de GOS n'adhère d'ailleurs pas à ce concept qu'il qualifie de « foire aux financements des internautes ». La tendance des groupes indépendants français est véritablement de tout faire par soi même, même si cela doit engendrer des sacrifices, car les aides apportées par des structures fiables sont rares, et réservées aux « coups de cœur » des dirigeants. David continue :

On a jamais trouvé de label pour nous produire, donc on a sorti depuis le début plus de 5000 euros chacun pour autofinancer notre aventure. Idem pour la diffusion. (On se bat) à coups de coup de fil, de batailles incessantes pour se produire sur scène, pour avoir une mise en avant sur tel ou tel site, un article ici ou là, etc. Sans jouer les Cosettes, on n'est pas aidé du tout... Comme si après cinq ans, deux EP, un single, un Taratata, deux clips primés sur Dailymotion, on restait le même groupe qu'à nos débuts. C'est d'ailleurs devenu une blague entre nous … qui veut de GOS?

Le financement du groupe pose donc un autre problème pour les artistes indépendants français. Si les groupes en voie de développement comme USS parviennent à économiser de l'argent pour produire des « démos », il n'en est pas de même pour GOS qui voit plus grand et qui cherche au-delà de la sphère musicale : « Pour financer cette opération, (enregistrement de l'album ainsi que le marketing) nous avons choisi d'avoir recours à un financement privé hors milieu musical.

Nous recherchons des fonds auprès des entreprises en contrepartie de prestations du groupe » explique Olivier de GOS. Cette démarche pourrait être qualifiée « de survie », puisque les rémunérations des concerts ne sont pas fréquentes et non-négociables, ou alors basées sur un pourcentage de 10 à 20% sur la soirée, et qu'elle va peut-être leur permettre de finaliser leur projet qui les conduira vers le succès. Car selon GOS, la France n'offre pas assez d'opportunités aux indépendants : les labels placent leurs têtes d'affiche dans les festivals, ainsi que leurs trois ou quatre groupes en développement, et les concours destinés aux artistes en devenir offrent finalement leurs prix à des groupes déjà signés, très avancés dans leur carrière ou financés par une tierce

revolution-en-marche-745> (consulté le 03/05/10).

76 personne, au lieu de primer les groupes « home made ». Olivier de GOS explique :

La France a toujours prôné l'exception culturelle, et nous sommes inondés à la radio et à la télé de « têtes d'affiches », éclipsant les artistes indépendants par leur taille, leurs moyens et leur notoriété. Les budgets sont de plus en plus établis en fonction des retombées économiques de l'artiste, il devient urgent de faire du chiffre, donc de miser sur des « valeurs sûres. »

Cela signifie donc une prise de risques très minime sur les découvertes musicales et empêche les groupes prêts, de percer au grand jour. Car finalement, très peu de véritables amateurs de musique surfent sur des sites participatifs comme AKA music, Buzz My Band ou My Major Company, et ce sont les artistes dits « lisses » et « consensuels », susceptibles de plaire à n'importe qui, qui

émergent de ces plateformes176. Certains artistes indépendants, trop marginaux musicalement ne pourront jamais espérer percer grâce à ces sites.

c) « J'aurais voulu être un artiste »

Malgré tout, si les indépendants restent aussi passionnés, c'est qu'ils espèrent vivre un jour de leur musique, sans avoir à travailler à côté. Absolument tous les groupes interrogés ont une occupation qui leur permet de gagner un salaire fixe ou bien sont encore en études, ce qui leur permet d'assurer un autre avenir, si celui dans la musique se révèle incertain. Pourtant, même si tous espèrent percer un jour, il est facile de perdre l'espoir quant à un futur propice dans la musique, quand le résultat n'est pas aussi rapide que l'on espère. Ainsi pour David de GOS, vivre de la musique « est un but qui s'amenuise chaque jour un peu plus... mais le rêve persiste », pour Olivier

« le milieu est dur et complexe (…) et il devient difficile d'en vivre correctement en tant qu'indépendant », et pour Louis, chanteur-guitariste de You're Blues John « C'était le grand rêve de l'adolescence et de la post-adolescence, mais je commence à réviser les plans. Je voudrais

176 Damien Sargue, ex-Roméo de la comédie musicale Roméo et Juliette, est un des artistes le plus soutenu sur AKA Music au moment de la parution de l'article en 2008. De même, le chanteur populaire Grégoire, auteur de la chanson « Toi + Moi », a été révélé par le site My Major Company en 2008, avec 347 producteurs le soutenant (consulté le 03/05/10).

77 travailler autour de la musique et avoir le luxe de pouvoir produire en indépendant ma propre musique et la diffuser. Le but ne sera plus de devenir connu mais plutôt reconnu, par un milieu de gens passionnés » (voir annexe n°14, « Questionnaire de You're Blues John »).

Deux membres sur trois utilisent le mot « rêve » dans leurs propos, ainsi l'espoir et la foi que les groupes indépendant mettent dans la réussite de leur groupe, ne sont-ils pas tout simplement que le rêve, l'utopie créée par Internet et la démocratisation de la musique qui certifie que tout le monde peut devenir artiste? De ce fait les groupes indépendants ne sont-ils pas en train de se voiler la face en espérant un quelconque succès, tout aussi doués soient-ils? David de GOS ne cache pas sa vision de la réussite :

La réussite du groupe passera par la sortie d'un certain anonymat, et l'extension de notre succès à au moins quelques milliers de personnes. En gros le rêve reste de jouer devant 10 000 personnes chantant l'un de tes titres. C'est sûrement l'émotion que je recherche. Trouver la composition universelle, le titre qui donne envie aux gens de chanter, de danser.

Au final, tous les groupes expriment leur vision de la réussite par le fait d'être reconnus par une tierce personne, que ce soit par le milieu professionnel ou par un public, mais la réussite est avant tout pouvoir vivre de leur passion : « être musicien, c'est LA réussite » déclare USS, « cela signifie se réaliser dans sa passion, être aimé des autres, arriver à en vivre est la plus magnifique des réussites! ». Malgré tout, les indépendants sont pour la plupart, conscients des difficultés d'une telle voie et qu'il est très difficile d'en vivre. Persister dans cette direction ne veut donc pas forcément dire « se voiler la face » et espérer que le jack pot tombe un jour. En effet, les indépendants se fixent plutôt des challenges qu'ils réussiront ou non à accomplir au cours de la vie de leur groupe. Grâce aux nombreux artistes indépendants confirmés, les groupes en devenir ont le droit légitime de prétendre à la même place qu'eux, sur le devant de la scène, et peuvent y arriver d'une manière ou d'une autre : les possibilités sont infinies et elles n'ont pas de règles établies, rien n'est figé.

« L'indépendance, au final, je la vois comme le renouveau nécessaire et imposé de la musique » affirme David de GOS. Il est clair qu'il s'agit ici de la réponse des artistes donnée aux

78 majors qui ne se contentent maintenant que d'entretenir des catalogues. Selon USS, c'est « le secteur des indépendants (qui est) un pourvoyeur de nouveautés. Parmi celles-là se trouvent les vedettes de demain ». Ces propos reflètent sans doute l'espoir caché d'être cette vedette, et c'est bien ce qui anime les groupes indépendants, à la différence des groupes amateurs qui ne prétendent pas à ce succès commercial. Mais le fait est qu' « il n'y a plus de règles aujourd'hui, tout le monde peut rivaliser avec tout le monde » dit Olivier, et c'est peut-être ce qui donne tant de possibilité quant au futur de la musique et aux groupes indépendants. Les labels communautaires donnent une alternative aux majors même si elles restent influentes dans ce milieu, et que ce nouveau mode de fonctionnement semble partager l'opinion des différents acteurs de l'indépendance. Des opportunités semblent donc être offertes en masse aux groupes indépendants, mais elles sont encore mal utilisées, car mal connues. Même s'il est difficile d'être un artiste indépendant en France, les groupes sentent l'évolution du milieu musical qui tourne en leur faveur, malgré les hésitations.

Olivier affirme :

Nous sommes vraiment à l'aube d'une révolution, le marché se cherche encore, la démocratisation d'Internet, le téléchargement sont des enjeux qui ne sont pas totalement résolus. Indés ou majors, la guerre du disque reste ouverte. À part les tourneurs qui eux sont les grands vainqueurs de cette crise, les labels sont encore dans un brouillard de contradictions, où l'innovation est la seule arme pour sortir vainqueur d'un combat perdu d'avance.

III.1.2 – Aux États-Unis

Aux États-Unis, le statut « être indépendant », semble plus facile à porter pour un groupe. Il est plus aisé d'acquérir une bonne réputation de part la grandeur du pays qui offre un espace assez large à conquérir. Grâce à la multitude des scènes indépendantes éparpillées aux quatre coins, les

États-Unis ne donnent pas une vision claustrophobique où les groupes se marchent dessus comme en France, mais une vision aérée et moins oppressante. Pourtant, même si la célébrité paraît arriver

79 plus vite, elle n'est pas synonyme de facilité et remet toujours en question la nature des groupes indépendants.

a) S'allier pour mieux régner

Contrairement à la France, beaucoup d'artistes réputés montent leur propres labels indépendants dans un souci d'authenticité, ce qui permet aux groupes de s'auto-gérer. Cette approche de l'indépendance semble moins facile en France, car la plupart des artistes établis sont signés par une major et ne se donnent pas la peine de monter leur propre label. Les américains, eux, sont beaucoup plus influencés par le « do-it-yourself » qui rappelle le rêve américain et la volonté d'y arriver par soi même. C'est le cas de Jack White, le leader des White Stripes, qui fonde en 2001 son propre label indépendant, , pour lui permettre de produire ses deux autres groupes, et aux côté des White Stripes, ainsi que d'autres groupes indépendants177. Ce qui le différencie des labels de Newcombe (The Committee to Keep the

Music Evil) ou des Dandy Warhols (Beat The World Records), c'est qu'en 2009, il décide de concrétiser son label en l'installant à Nashville, Tennessee dans le but d'aider les artistes indépendants locaux. Third Man Records n'est pas un label comme les autres, puisqu'il fait office à la fois de magasin de disques, de maison de production avec un studio d'enregistrement, un studio de répétition, un studio photo avec sa chambre noire, des bureaux de production et son propre centre de distribution : « With our unique set-up we can have an artist recorded and photographed in one day and have records for sale in our store within weeks. In this way we are bringing a spontaneous and immediate aesthetic back into the record business 178» argumente le label sur son site.

Jack White est mondialement connu et ses albums se vendent très bien, mais les méthodes

177 Les autres groupes signés chez Third Man Records aux côtés des Dead Weather et des Raconteurs sont Mildred and the Mice, Rachelle Garniez, Whirlwind Heat, Transit, Dan Sartain et Dex Romweber Duo (Consulté le 26/04/10). 178 (Consulté le 26/04/10).

80 de son label épousent totalement l'esprit du DIY, une valeur qui reste chère à l'artiste, qui auto- produit les albums de tous ses groupes179. Même si Third Man Records est notamment associé à la major Warner Bros180 pour des questions de promotion et de distribution mondiale, la production reste entièrement indépendante. D'ailleurs, en 2008, Jack White avait provoqué un véritable « coup d'état » en sortant le deuxième album des Raconteurs « Consolers of the Lonely », sans en avoir informé personne. L'album fut annoncé une semaine avant sa sortie, sans distribution d'album promotion pour la presse, dans un souci d'écoute « égalitaire » entre les médias et le public : « they wanted the sudden release so that everyone, fans and media, got the record at the same time so that no one has an upper hand on anyone else regarding it's availability, reception or perception » explicite le journal musical NME181. Grâce à sa liberté d'action au sein de son label indépendant,

Jack White a pu sortir l'album des Raconteurs comme il l'entendait, sans avoir à subir les conditions des majors. Même s'il doit collaborer avec elles pour une partie de son travail, sa démarche reste entièrement indépendante car il a le contrôle absolu de sa musique et de la façon dont elle doit sortir, selon lui.

Des labels comme celui de Jack White sont vraiment importants pour les artistes indépendants, car ils leur donnent la chance d'exister. En effet, d'après Jessica Larrabee de She

Keeps Bees, les États-Unis n'offrent pas assez d'opportunités aux indépendants car l'argent prévaut sur les valeurs artistiques représentées par le DIY : « The US has a low opinion of musicans and artists. Money is king and if you are a struggling musician, they have no sympathy for you. They hardly take care of the arts. Under Bush, they cut tons of music and arts programs from schools. It’s heartbreaking. They should do better by the people » (voir annexe n°15, « Questionnaire de She

Keeps Bees »). C'est pourquoi se faire repérer en tant qu'indépendant est souvent un coup de chance, à force de concerts dans les bars, ou comme pour les She Keeps Bees, lorsqu'un représentant

179 Les albums de Jack White furent produits au départ par le label indépendant Sympathy For the Record Industry de 1999 à 2001. Puis l'album « Elephant » et son très populaire single « Seven Nation Army » offrent aux White Stripes l'accès aux majors en 2003. 180 Depuis 2007 seulement, après la fermeture de V2 Records en 2006, et uniquement pour un contrat d'un album « Icky Thump » (consulté le 28/04/10). 181 (consulté le 29/04/10).

81 de label tombe par inadvertance sur l'album du groupe dans un petit magasin de disques indépendant.

Paradoxalement, ce n'est pas un label américain qui signa le groupe, mais un label anglais,

Names. Celui-ci s'occupe désormais de leur promotion, les aide à avoir des concerts, leur présente des contacts, mais uniquement sur le territoire Européen. Ainsi, lorsqu'ils sont aux États-Unis, les

She Keeps Bees, doivent absolument tout faire par eux-mêmes. Il semble difficile de croire que le groupe ne soit même pas représenté dans son propre pays, pourtant c'est bien le cas, et le contraste est saisissant : grâce au label Names, les She Keeps Bees bénéficient d'une couverture médiatique en

Angleterre allant de NME magazine, l'équivalent des Inrockuptibles français, au journal populaire

The Guardian, et jouent dans des endroits réputés. « Music will be free one day... along with books and movies… if you want the true connection.. you see the band live. The power of music is coming back to the people and the artists not corporations. These old systems are crumbling and i am happy to see them go » avoue Jessica. Les artistes ne semblent donc plus autant attirés par le pouvoir des majors, qui pouvaient jusqu'alors leur faire miroiter la gloire. Ils prennent désormais les choses en mains pour avancer comme ils l'entendent : c'est maintenant sur eux que repose le succès, et plus sur un tiers. Ce changement des mentalités n'est pas nouveau, les Brian Jonestown Massacre de Seattle et les Dandy Warhols de Portland en sont l'exemple même.

b) L'anticonformiste

Anton Newcombe des Brian Jonestown Massacre avait compris ce principe depuis les débuts de son groupe dans les années 1990. Considéré comme le génie musical de ces quinze dernières années, il est celui qui représente le mieux la notion de rock indépendant et de DIY : il est le symbole même de l'artiste qui crée pour vivre, mais qui a déjà compris le système corrompu dans lequel il évolue. Aucun autre artiste ne pourrait mieux incarner la notion d'indépendance en

82 musique. Sa première requête en tant qu'artiste indépendant est, comme beaucoup d'autres, la liberté absolue dans sa création: « si quelqu'un sort nos disques et nous laisse libres, je veux bien qu'il fasse du fric. Mais c'est une Mafia. Tant qu'ils ne savent pas écrire, eux sont les facteurs et c'est moi qui écris le courrier 182» dit-il dès les premières images du documentaire Dig! réalisé par Ondi

Timoner. Anton Newcombe a, en quelque sorte, réussi à créer un mouvement révolutionnaire dans le milieu indépendant américain, qui inspira beaucoup de gens.

En 1996, les Brian Jonestown Massacre étaient l'attraction du moment : avec trois albums auto-produits à leur actif rien que pour cette année là, une réputation sulfureuse et un leader survivant grâce au LSD, ils étaient le groupe que l'on adore détester et que l'on déteste adorer183.

Musicalement très en avance sur leur époque, avec une habileté hors du commun à retranscrire le passé et à le projeter dans le futur, les Brian Jonestown Massacre ont lancé un regain d'intérêt pour les années soixante, la musique folk le psychédélisme, à l'époque où les boys bands envahissaient le marché du disque. Anton Newcombe donna donc une vision très différente de la musique underground à la mode des années 1990, qui était plutôt portée sur le grunge avec des groupes tels que Nirvana ou Pearl Jam.

Les Brian Jonestown Massacre, sont avant tout un retour aux sources et l'expression d'un art qui reste fidèle à ses valeurs. Anton Newcombe le dit lui-même : il n'est pas à vendre et veut privilégier sa créativité à quelconque signature avec un label. Lui qui joue de plus de quatre-vingt instruments de musique et qui produit tout, tout seul, croit en la « liberté de la musique » qui permettrait de rendre les choses meilleures et surtout, de les rendre vraies184. Malheureusement, à cause des nombreuses disputes entre les membres du groupe, et des bagarres provoquées par le chanteur lors de ses concerts, Anton Newcombe sabote toutes les opportunités qui s'offrent à lui et son groupe : « il veut être un rebelle, il ne veut pas se conformer, il veut réussir, mais il ne veut pas le reconnaitre , alors il a complètement saboté ce concert. Il connaissait l'enjeu, un contrat d'un

182 Anton Newcombe dans le documentaire Dig! Réalisé par Ondi Timoner en 2004. 183 Propos d'un fan venu assister à un concert des Brian Jonestown Massacre, Dig! 184 Propos d'Anton Newcombe dans Dig!

83 million de dollars s'il avait bien joué» dit la représentante d'Elektra records185, à propos de

Newcombe lors d'un concert qui fut organisé spécialement pour le label et leur permettre de se faire une opinion sur le groupe. Il en fut de même avec l'opportunité chez Capitol Records : Anton

Newcombe gâcha le rendez-vous en moins d'une heure. « Il ne dit pas vouloir signer avec un grand label, il veut essayer de les entuber, il ne veut pas être exploité. Mais pour ne pas être exploité, il veut exploiter tout le monde, du coup, il est aussi corrompu qu'eux » dit le groupe à l'égard de son leader186, qui ne nie d'ailleurs pas les faits.

Les gens, ses musiciens y compris, n'ont pas de rôle à proprement parler dans le groupe, ils sont à la disposition du chanteur et ne font que l'aider vers sa quête personnelle d' « artiste ultime », qui est sur le point de conquérir le monde grâce à la révolution de sa musique. La seule opportunité qu'Anton Newcombe accepta, fut de signer avec TVT Records, le plus gros label indépendant des

États-Unis, qui lui garantit une liberté totale sur sa musique187. Grâce au label, les Brian Jonestown

Massacre purent alors partir en tournée dans toute l'Europe et au Japon, et à leur retour TVT

Records décida de payer un studio à Anton Newcombe qu'il installa chez lui : « au lieu de louer un studio et d'embaucher un producteur, on a acheté un studio à Anton pour qu'il fasse tout lui-même, et puisse faire de la musique tout seul en continu 188», explique Adam Shore, le représentant de TVT

Records qui a signé les Brian Jonestown Massacre. Même s'il est financé par son label, Anton

Newcombe incarne toujours les valeurs du do it yourself du début à la fin, en créant tout par lui même ; il peut faire toutes les parties d'une chanson à lui tout seul, de la guitare à la voix, en passant par la cithare et en enregistrant sans ingénieur son : « aujourd'hui j'ai mixé 13 chansons, de 7h du mat' à 1h du mat', j'ai trouvé un batteur, lui ai appris tous les morceaux, et rien fait d'autre pour mon anniversaire » explique-t-il dans le documentaire Dig!. Il n'est pas qu'un simple musicien, ou un simple leader d'un groupe, c'est un artiste à part entière. En effet, une différence existe entre ces

185 Elektra Records est un label de la major Warner Music. 186 Propos partagés par les membres des Brian Jonestown Massacre, Dig! 187 Anton Newcombe ne fut pas présent personnellement au moment de la signature, il envoya un de ses musiciens, Joel Gion, pour finaliser le contrat par peur d'un nouveau coup d'éclat entre l'artiste et des représentants de label. 188 Propos entendus dans Dig!

84 deux appellations : le musicien veut toucher un maximum de monde, l'artiste, lui, veut marquer son

époque. Greg Shaw de Bomp! Records189, l'assimile même à un prophète : il doit concilier ses visions mystiques et sa personnalité perturbée d'artiste torturé. Malheureusement pour lui, Anton

Newcombe est son pire ennemi, car il croit le succès et la crédibilité incompatibles pour réussir en musique. Est-il donc impossible d'allier ces deux termes sans perdre ses valeurs d'artiste indépendant?

c) La poule aux oeufs d'or est un vilain petit canard

On pourrait dire que les Dandy Warhols est le « contre-groupe » des Brian Jonestown

Massacre. En effet, issus de la même scène de la côte ouest des État-Unis, les deux groupes, qui au départ étaient amis, se sont littéralement livrés en duel lorsque les Dandy Warhols furent signés chez Capitol Records en 1996. Au départ très contents de leur contrat, les Dandy Warhols ont vite déchanté, lorsque la première version de leur album fut refusée pour manque de contenu. Courtney

Taylor, le chanteur du groupe le raconte : « ils ont eu le culot de nous dire qu'il n'y avait « pas de chansons » dans notre album, j'ai répondu : « vous êtes qui pour me dire ça, vous qui avez écrit tant de chansons? Combien? Aucune? Jamais? Il suffit que j'éternue pour cracher des tubes ! » et

Perry190 a dit : « Eh bien si c'est le cas, Capitol paiera vos mouchoirs sans problème! ». Cet exemple, incarne la véritable « dictature » menée par les majors à l'époque où l'album avait encore tout son pesant d'or et où les dirigeants des maisons de disques s'imposaient face aux artistes : « je n'ai aucun respect pour quiconque travaille pour une major. Ce sont tous des menteurs, des médiocres sans talent. Ils ne savent pas ce qu'est le talent et n'aiment pas la musique » s'exclame

Genesis P'Orridge, un artiste, écrivain, parolier et chanteur britannique qui a pris part dans le documentaire d'Ondi Timoner et a donné son avis sur la nouvelle scène américaine représentée par

189 Label indépendant qui signa les Brian Jonestown Massacre de 1995 à 1997. 190 Courtney Taylor parle de Perry Watts-Russell de Capitol Records, Dig!

85 les Dandy Warhols et les Brian Jonestown Massacre.

Ce désaccord entre la major et le groupe à propos du contenu de l'album fut le premier d'une longue série. En effet le premier clip des Dandy Warhols « Not if You Were the Last Junkie on

Earth », qui coûta 400 000 dollars à Capitol Records et réalisé par le renommé David LaChapelle, connu dans le domaine de la mode, de la publicité et de la photographie d'art, fut un véritable désastre. Très loin de l'univers des Dandy Warhols, le clip n'eut aucun rapport avec le message que le groupe voulut faire passer et ne fut que le fantasme exubérant d'un homme payé par Capitol pour attirer un jeune public et vendre le single plus facilement. Les désaccords sur le clip entraîna un retard de sa diffusion et n'aida pas les Dandy Warhols à vendre beaucoup d'unités. Capitol Records décida donc de ne pas sortir le deuxième single du groupe, celui-ci n'ayant pas réussi à rentrer dans le top 20 des classements américains. A ce stade là, même si un groupe est signé chez une major, il reste entièrement indépendant. Il ne gagne presque rien des ventes de son album et n'est pas reconnu par la maison de disque en tant que star. Tant qu'il n'a pas percé dans les classements musicaux et vendu plusieurs milliers d'albums, il a encore toute ses preuves à faire. Ainsi, chez Capitol, personne ne prit sa responsabilité, et Courtney Taylor comprit alors que son groupe n'était que la marionnette de la major :

Quand tu signes, ils disent que c'est la carrière qui les intéresse, pas les tubes, et tu trouves que ça sonne bien. Mais si tu ne fais pas de tube, ils s'en tapent de ta carrière! Le rock indé est né à cause de ça, d'expériences comme les nôtres avec les majors. Tout ce qu'ils disent n'arrive pas. C'est juste de la mauvaise pub pour le groupe. C'est des clowns. Si seulement j'avais été un tout petit peu plus malin...191

L'album des Dandy Warhols « Come Down192 » s'est vendu à moins de 3 000 exemplaires aux États-Unis la première semaine et n'a pas arrêté de chuter les semaines suivantes, de quoi leur faire regretter leur signature avec la major qui ne se révéla pas vraiment être un soutien pour le

191 Propos de Courtney Taylor, entendus dans Dig! 192 Come Down est le deuxième album des Dandy Warhols, le premier étant The Dandys Rule OK? produit en 1995 par le label indépendant Kerr Records et fut très influent dans la décision de Capitol de signer le groupe.

86 groupe. Car, contrairement aux labels indépendants qui croient aux talents avec lesquels ils signent, les majors décident d'une carrière par rapport au chiffre rapporté par le groupe et s'il a réussi à rentabiliser les investissements apportés par le label : « 85 à 90 % des disques ne couvrent par leur frais. Je ne parle pas de faire un tabac, juste de couvrir les frais. Il est donc probable que les

Dandy Warhols échoueront comme les autres » explique Perry Watts-Russell dans le documentaire d'Ondi Timoner.

Ce qui sauva les Dandy Warhols de l'échec commercial fut leur percée inattendue en Europe.

Tout comme les She Keeps Bees évoqués plus haut, ils furent accueillis et acclamés par le public

Européen qui diffusèrent leur single en boucle sur les radios, et leur permit de vendre 40 000 albums en deux semaines. Même si cette opportunité aida les Dandy Warhols à jouer à guichet fermé en Europe et à faire son troisième album, Thirteen Tales From Urban Bohemia, qu'ils réalisèrent au dessus d'un garage dans un studio de fortune, le label les ignora totalement car ils n'étaient pas dans la vague musicale du moment. L'Europe fut donc la porte de sortie, la deuxième chance que les Dandy Warhols saisirent au moment où le label était prêt à les lâcher. Mais Perry

Watts-Russell se défend : « ça ne sert à rien de blâmer la maison de disques, même si elle peut ruiner la carrière d'un groupe. Ceux qui, ayant signé, se croient à l'abri se gourent. Les maisons de disques bousillent tout ce qu'elles peuvent, pas volontairement, mais de par leur nature même d'entreprises 193». Les artistes ne peuvent donc pas être déchus de leur statut d'indépendant rien qu'à cause d'une signature avec une major, car celle-ci peut les renvoyer plus vite que prévu s'il ne remplissent pas leur contrat correctement.

C'est en 2007 que les Dandy Warhols quittent Capitol Records. Certains disent que c'est à cause des ventes insuffisantes de leur cinquième album « Odditorium or Warlord of Mars » mais

Courtney Taylor, le chanteur, affirme que le groupe se devait de partir :

193 Suite des propos de Perry Watts-Russell dans Dig!

87 It was something we had to do sooner or later, especially when everyone tells you how easy it is to cut out the middle man now that you can pretty much do it all on the Internet. I guess the kind of promo which a major label can give you is something I would hate to do as a brand new band, but with us we could afford to leave 194.

À travers ces propos, il est clair que les Dandy Warhols avait bel et bien signé avec une major afin d'assurer leur promotion et leur diffusion à une large échelle, car en 1996 les groupes indépendants

étaient incapables de le faire seuls et avaient besoin d'un intermédiaire. Aujourd'hui, grâce à la démocratisation de la musique, les groupes peuvent se permettre de partir des majors et de revenir à leur éthique première : être indépendant et faire tout à leur façon sans rendre de comptes.

Finalement cette rupture fut donc bénéfique pour le groupe puisqu'elle lui permit de retrouver ses racines et de monter le label indépendant Beat The World Records, et de sortir leur sixième album

« Earth To The Dandy Warhols » en 2008. Courtney Taylor raconte : « We didn't have an $11 million mixing room, since we did this one in our own studio, so instead what we went for was time.

You always have to pick any two out of the three: time, genius, and money. We always have genius, so this time we went with time instead of money 195». Cet album fut donc le retour aux sources des

Dandy Warhols, privilégiant les valeurs au business.

d) La guerre des gangs

Signer avec une major peut donc être à double tranchant pour un groupe indépendant. Il peut lui apporter la gloire et lui donner un statut différent, celui de star. S'il ne réussit pas, une signature avec un label peut endommager sa réputation auprès de la communauté des groupes indépendants :

« on a pas acquis notre réputation en signant, en faisant des clips à la noix, on y arrive tout seul, on fait les couvertures sans l'appui des mecs en costard. On est arrivé là tout seul. Et c'est ce qui nous fait exister » affirme Joel Gion un des membres des Brian Jonestown Massacre dans Dig!. Les

194 Alvin Chan, août 2008, (consulté le 02/05/10). 195 Chan, (consulté le 02/05/10)

88 Dandy Warhols, comme beaucoup d'autres groupes indépendants ont été signés par une major car ils avaient un univers bien à eux et que celui-ci aurait pu rapporter des millions à Capitol Records :

« for major labels in the current decade, indie bands remain commodities to be bought and sold 196» dit Kaya Oakes. Ces propos pourraient tout à fait être associés à l'expérience des Dandy Warhols avec Capitol Records, qui les a pris et les a jetés ensuite. Elle continue en citant les propos d'un représentant d'Universal Records : « We rely on the indies to be the minor leagues for our major league teams. The indies find markets we didn't even know existed, and we can take the band and make them huge 197».

Généralement, les signatures sont donc des « coups de poker » qui risquent de détruire l'éthique du groupe si cela ne marche pas. Paradoxalement, les maisons de disques ne semblent pas souffrir de l'échec des groupes qu'elles signent : « les grands labels perdent de l'argent sur neuf disques sur dix. et un disque sur dix rapporte de quoi couvrir tout. Je crois qu'il n'y a pas d'autre business au monde où on peut, avec un taux d'échec de 90% quand même se vanter de réussir. C'est dingue. » explique Adam Shore de TVT Records dans le documentaire d'Ondi Timoner. Tout comme les Dandy Warhols, les Brian Jonestown Massacre ont fait perdre de l'argent à TVT

Records, malgré un bon départ des ventes. À l'époque, les gens ne venaient pas à leurs concerts parce qu'ils avaient aimé l'album, mais juste pour voir si Anton Newcombe allait insulter son bassiste ou se battre avec quelqu'un du public. Mais quelques années après, même avec l'exposition de son groupe à travers le documentaire Dig!, le chanteur ne semble pas profiter des retombées du succès puisqu'il continue de faire ce qu'il faisait avant : des albums à la limite de l'expérimental parfois, pas toujours abordables par le grand public, ce qui lui permet de rester dans la catégorie

« indépendant » : « Basically I just enjoy being creative. I just want to stay true to myself. I talk in sound. » explique-t-il lors d'une interview198. De même, il préfère mettre sa musique gratuitement

196 Oakes, Slanted and Enchanted : The Evolution of the Indie Culture, 151. 197 Charles Duhigg « Indie, Major Labels Tune into New Act, Los Angeles Times, 14 Août 2005, dans Oakes, Slanted and Enchanted : The Evolution of the Indie Culture, 151. 198 Interview réalisée par Rachel Clegg, (consulté le 02/05/10).

89 sur son site Internet, à disposition de son public : « I really believe in the power of egalitarianism

(…) (Music) it's art, it's supposed to be heard and I'm not a communist, I'm not a socialist. It's just art 199» déclare-t-il en 2008. Les Dandy Warhols eux, ont annoncé fin avril 2010 une tournée intitulée « 2001-2007 The Capitol Years », une façon peut-être ironique de se faire de l'argent sur le nom du label qui s'est servi d'eux pendant de nombreuses années, mais qui leur permit également de percer en Europe et de faire cette tournée aujourd'hui.

e) Être ou ne plus être, telle est la question.

Une question se pose alors : où s'arrête le statut d'indépendant lorsque les groupes sont financièrement soutenus par des labels? Grâce à TVT Records, Anton Newcombe a le matériel nécessaire pour enregistrer ses albums. Grâce à Capitol Records, les Dandy Warhols percent commercialement en Europe. Ces groupes peuvent-ils encore être indépendants? Kaya Oakes affirme :

We arrive at the point where indie is simultaneously reaching a stage of oversaturation and corporatization, and it's debatable whether we should just stop using the term « indie » altogether (…) Etymologically, since the term « indie » connotates independance, when it's applied to rock bands recording for major labels (…) it really has lost its meaning200.

Avoir un contrat avec une major signifie automatiquement être dépendant d'elle, puisque c'est elle qui a le pouvoir sur le groupe et le finance. Mais si les majors utilisent les groupes indépendants pour des succès commerciaux potentiels, les groupes se servent également d'elles. Souvent, signer avec un label est une étape par laquelle le groupe doit passer, une sorte de transition qui va le faire mûrir. De même signer avec une major ne veut pas dire, perdre son esprit d'indépendant. Ainsi

Anton Newcombe se voit offrir un studio d'enregistrement par le label indépendant TVT Records, mais c'est pour mieux créer et faire sa musique à sa façon. Les Dandy Warhols ont percé en Europe

199 Interview réalisée par Jo Valence, 15 Février 2008, (consulté le 02/05/10). 200 Oakes, Slanted and Enchanted : The Evolution of the Indie Culture, 207.

90 grâce à Capitol Records, mais ils ont maintenant les moyens de s'assumer en tant qu'indépendants et de monter leur propre label, tout en ayant une connaissance fine du milieu qui va leur permettre de durer plus longtemps que tout autre groupe indépendant.

Ici, c'est avant tout la créativité, l'originalité, et la démarcation du courant mainstream, qui rend les Brian Jonestown Massacre et les Dandy Warhols « indépendants ». Dans leur cas, être indépendant est bel et bien un état d'esprit plus qu'un quelconque financement de la part d'un tiers.

Ils ont su créer un nouveau mouvement qui a réussi à dépasser la tendance grunge post-Nirvana, et qui est très identifiable chez les nouveaux groupes indépendants. Ceux-ci les citent désormais souvent comme influence première de leur musique, comme c'est le cas du groupe français You're

Blues John :

La scène indé de ces dernières années me plaît bien car il y a un retour au vintage depuis le début des années 2000. On se passionne pour la scène américaine avec des groupes comme les Warlocks, les BRMC (Black Rebel Motorcycle Club) ou les Dandy Warhols, qui gravitent autour du « pilier » Brian Jonestown Massacre. Ce groupe nous a montré qu'on pouvait faire de la musique différemment, la produire différemment, ne pas passer par les circuits normaux, enregistrer chez nous, mais avoir une musique franche et brute.

Ces propos sont d'autant plus intéressants, car les Warlocks et les BRMC possèdent tous deux un de leur membre ayant appartenu aux Brian Jonestown Massacre à un moment donné de leur carrière201.

Les Brian Jonestown Massacre et les Dandy Warhols sont donc à l'origine d'un mouvement que peu de groupes sont parvenus à créer ces quinze dernières années. Anton Newcombe a participé à la révolution du rock indépendant à sa manière : lorsque les Brian Jonestown Massacre sont arrivés dans le milieu, Pearl Jam était à la mode et tous les jeunes voulaient ressembler à ce groupe.

Aujourd'hui, plus personne n'en entend parler, et les Brian Jonestown Massacre eux, sont devenus la référence de la nouvelle scène indépendante.

201 Peter Hayes des BRMC et Bobby Hecksher des Warlocks sont tous les deux désormais chanteurs-guitaristes dans leur propre groupe.

91 III.2 – Une hybridation des modèles

III.2.1 – Le rock indépendant comme action collective

En France tout comme aux États-Unis, les groupes ne sont pas totalement « sereins » face à la conception d'une carrière dans le milieu de la musique. Cette réaction est normale, puisque ce milieu est en pleine hybridation et que les éléments qui leur sont donnés pour se faire remarquer sont souvent incertains et peuvent se retourner contre eux. Pourtant, il est indéniable que le modèle musical se transforme et que le rock indépendant prend une place considérable dans le futur de la musique. Grâce à l'unité de sa communauté, de la volonté et de l'authenticité de ses acteurs, ce nouveau mouvement ressemble à une action collective pour un renouveau de la musique, longtemps attendu par le public. Aujourd'hui, ce n'est plus un seul modèle qui domine, et nous assistons plutôt

à une collaboration des musiciens, des fans et des professionnels, qui défendent le rock indépendant en tant qu'expression des sous-cultures mais surtout en tant que valeur d'un groupe social. Relayé par des réseaux tels que les webzines, les blogs, les sites communautaires ou les festivals, le rock indépendant trouve son existence grâce à l'action collective des représentants du mouvement.

Les labels associatifs font partie de cette action collective et sont représentants des groupes indépendants. Ils favorisent la confiance du public et permettent de donner du crédit au groupe qui est soutenu grâce à lui. C'est le cas de GOS, dont le manager gère Drop The Match, leur structure associative, et « recherche chaque jour des solutions alternatives afin de ne pas subir une certaine forme de dictature artistique, imposée par des délais, par des budgets et par des labels de plus en plus frileux 202». Cette association leur permet de ne pas attendre d'être connus pour proposer des contenus originaux au public qui les suit et ouvre les possibilités203. Drop The Match les accompagne dans l'auto-production de leur musique ainsi que dans la production de leurs clips.

202 Extrait de la présentation du projet de GOS, issue du questionnaire de David. 203 La musique de GOS est disponible sous divers formats : Vinyle, CD et Clef USB pour le format mp3, qui comprend également les fichiers PDF des paroles des chansons, des photos et artworks.

92 C'est grâce à leur association qu'ils ont pu tourner « Make it short, make it dance » avec des figurants soutenant les groupes indépendants :

C’est compliqué d’exister en tant que petit groupe indé, mais c’est là que tu te rends compte qu’il y a beaucoup de gens prêts à t’aider quand tu fais les choses toi même. Ça fait quatre ans qu’on se débrouille seul et qu’on s’entoure au fur et à mesure de personnes qui souhaitent participer, mais qui ne sont absolument pas payées, qui sont juste là parce qu’elles aiment le projet. C’est une des particularités des groupes indépendants actuels : tout le monde se débrouille comme il peut204.

Amanda Palmer dit d'ailleurs à ce propos : « Everything is possible when you ask for help ». La communauté des artistes indépendants montre une évolution qui part de la culture de masse, et qui tend vers une culture parallèle – massive –205. Nous assistons donc à la formation de « mini-tribus » culturelles et collectives, qui se démarquent du courant mainstream, et qui permettent à des mouvements comme le rock indépendant d'exister et de prendre de l'ampleur d'année en année.

Le terme « tribu » renvoie à une connotation primitive et décrit un groupe d'individus rassemblés par un lien de parenté et le partage d'un territoire206. Selon l'auteur Michel Maffesoli, qui a redéfini la tribu de « postmoderne », le tribalisme conjugue la dynamique des groupes restreints et le statique de la communauté en déterminant de nouvelles règles de solidarité. De ce fait, les tribus auraient la fonction de revivifier la société dans son efficacité, et formeraient de nouvelles formes sociales207. Les tribus expérimentent des sentiments et des émotions en commun, que

Maffesoli assimile à des « totems de rassemblement », et qui peuvent être l'imaginaire propre à une communauté qui partage une passion. Ces micro-groupes sont fondés sur la notion d'être ensemble et de partage d'un même sentiment. Les acteurs du mouvement rock indépendant peuvent alors être considérés comme une tribu postmoderne, un micro-groupe, qui se rassemble (lors de concerts par exemple, mais aussi lors de l'entraide dans les associations), et qui partage la même passion, celle

204 Lemaire, « Interview : GOS », (consulté le 05/05/10). 205 Anderson, The Longer Long Tail, 184. 206 Sitz et Abdelmajid, « Consommation et groupes de consommateurs, de la tribu postmoderne aux communautés de marque : pour une clarification des concepts ». 207 Michel Maffesoli, Le temps des tribus, le déclin de l'individualisme dans les sociétés de masse, coll. Livre de Poche (Paris : Librairie générale française, 1991).

93 de la découverte de nouvelles musiques et du soutient aux groupes indépendants. Chaque personne a un rôle défini dans la tribu, et n'a plus la simple fonction de « fan » ou de « manager », le rock indépendant est participatif et collectif, chacun est concerné, de la manière dont il le souhaite. La notion de « tribu » n'est pas un concept précis, et fait plus référence à une image mentale pour animer et distinguer les petits groupes qui se forment dans les sous-cultures. Ainsi, il est plus facile de visualiser et de comprendre son mode de fonctionnement. Une telle évolution dans le milieu musical n'est pas anodin et il est fort probable que ce mode d'action prenne de l'importance dans les années à venir. Serait-il donc possible que le rock indépendant, les musiques de niches et les artistes auto-produits, deviennent le principal courant musical au détriment des artistes signés chez les majors?

III.2.2 – La marge va-t-elle se transformer en norme?

Le rapport annuel de la musique enregistrée de 2009 montre une croissance de la part des distributeurs indépendants, qui totalisent 26,4% du marché en volume et 24.7% en valeur, soit une augmentation de 10,3% en volume et 23,8% en valeur depuis 2003208 (voir annexe n°16,

« Progression des distributeurs indépendants de 2003 à 2008 »). Le marché est donc en évolution et montre une mutation de plus en plus importante des sensibilités musicales et culturelles hors du courant mainstream des majors. De même, le public s'ouvre sur un nouveau mode de distribution, les téléchargements via Internet et la téléphonie mobile, qui sont très propices aux artistes indépendants. Même si les téléchargements (tout artiste confondu) ont du mal à combler les pertes des ventes analogiques209, les ventes numériques représentaient en 2008, 76.2 millions d'euros et

12.5% du marché français, contre 1% en 2004210 (voir annexe n°17, « Les ventes numériques en

208 Nicolas , « Les marchés de la musique enregistrée », rapport annuel de l'observatoire de la musique 2009. 209 Selon le rapport SNEP de 2009, le marché français connaît le taux de substituabilité physique/numérique le plus faible, les ventes ont comblé seulement 19% de la chute du marché physique (2002/2008) contre 23% pour l'Allemagne, 38% pour la Grande-Bretagne, 42% pour les Etats-Unis et 75% pour le Japon. 210 « L'économie de la musique », SNEP 2009.

94 2004 et 2008 »). Ainsi on assiste à une hybridation du marché, qui tend petit à petit vers le numérique, ainsi qu'à une transformation des goûts musicaux des consommateurs qui délaissent les hits et se tournent de plus en plus vers les nouveaux marchés de niches et les indépendants. Nicolas

Curien et François Moreau imaginent :

(…) une trajectoire industrielle qui conduirait à la mutation des majors en un conglomérat de labels indépendants, auxquels serait rendue la pleine autonomie des décisions artistiques et des stratégies promotionnelles. La logique du star-système s'effacerait au profit de la recherche et du développement des talents susceptibles de répondre le mieux aux attentes du public et dont la promotion serait essentiellement assurée de manière décentralisée, via Internet211.

Ce mode de fonctionnement pourrait bel et bien avoir toutes ses chances. En effet, suite à la crise du disque et à l'abandon graduel du star-système, le pouvoir des marchés de niches, actuellement entre les mains des dirigeants des labels indépendants, est en train de prendre une importance considérable et gagne la confiance du public. Même si aujourd'hui encore, la plupart des gens se contentent du marché mainstream, la diversité proposée par les niches devrait rapidement prendre le dessus et mettre les majors dans une position inconfortable, si celles-ci continuent d'être réfractaires

à l'hybridation de la musique. Le musicien Moby dit à juste titre :

How can a 14-year-old who has an allowance of $5 a week feel bad about downloading music produced by multimillionaire-musicians and greedy record companies? The record company should approach that 14-year-old and say : « Hey, it's great that you love music. Instead of downloading music for free, why don't you try this very inexpensive service that will enable you to listen to a lot of music and have access to unreleased tracks and ticket discounts and free merchandise?212

Les majors doivent réagir intelligemment face à cette transformation et ne pas incriminer l'amateur de musique, qui se dirige naturellement vers un mode de pensée plus libertaire, inspiré des labels indépendants, plus flexibles. Le téléchargement est considéré comme menaçant alors qu'il donne lieu à la découverte des nouveaux artistes et offre un choix que les majors sont incapables de donner

211 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 109. 212 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for the Digital Music Revolution, 104.

95 au public. Il serait donc censé que ce système qui semble « cassé » et considéré comme

« marginal », devienne la « norme », et qu'il soit dédramatisé. Le processus d'hybridation est bel et bien en place, et le mouvement binaire major/public, est dépassé. Les réseaux informatisés et numériques évoluent, se mêlent à l'industrie de la musique, et amènent les sous-cultures musicales dans la lumière. Cette association débouche sur une nouvelle configuration qui est encore en voie de développement à ce jour, mais qui est sans aucun doute, l'avenir de la musique.

Toutefois, même si les indépendants sont aujourd'hui les premiers compétiteurs des majors, cette évolution du générique vers le spécifique, ne signifie pas la fin totale de la structure existante ou d'un changement radical vers la culture amateur et indépendante : « it is simply a rebalancing of the equation, an evolution from an « Or » era of hits or niches (mainstream culture vs. subcultures) to an « And » era 213» affirme Chris Anderson. Ainsi grâce à l'hybridation qui est en train de se produire, les indépendants auront une place de plus en plus importante sur la scène musicale, mais ne pourront jamais tout à fait remplacer les majors. Notre culture musicale sera alors un mélange entre la tête et la queue de la longue traîne, les hits et les niches, les institutions et les individus, les professionnels et les amateurs214. La transformation de notre identité musicale vers les artistes indépendants, va permettre à celle-ci de perdre un peu de la culture de masse imposée par les majors jusqu'à présent, et de gagner en culture de niche, la rendant moins obscure aux yeux du public. Mais un problème risque d'apparaître chez les indépendants « puristes », comme Kaya Oakes l'expose :

On the one hand, artists are more in control of how their work gets distributed and promoted than they've ever been before, with the proliferation of cheap and easy technologies for doing so. On the other hand, the urban outfitters215 conundrum rears its ugly head. The more overexposed indie music, comics, publications and design get, the more those art forms can be co-opted by the mainstream and its masters216.

213 Anderson, The Longer Long Tail, 182. 214 Anderson, The Longer Long Tail, 182. 215 Urban Outfitters est une chaîne de magasins à la mode dans les pays Anglo-saxons, qui tire l'originalité de ses vêtements et de ses objets de décoration des sous-cultures musicales et autres, ainsi que de l'esprit DIY inspiré par les groupes indépendants. Urban Outfitters propose d'ailleurs un site spécialement conçu pour l'écoute de musiques nouvelles « UO Music » et qui offre tous les lundis cinq titres à télécharger (consulté le 05/05/10) 216 Oakes, Slanted and Enchanted, The Evolution of the Indie Culture, 200.

96 Le rock indépendant risque de perdre en signification s'il a le même degré d'exposition que les hits.

C'est donc aux artistes et aux acteurs du mouvement de ne pas laisser la culture mainstream s'emparer du rock indépendant en tant que produit. Il doit rester un état d'esprit, une façon de créer mais aussi une expérience de la musique, tout comme Anton Newcombe le conçoit. En ce sens, si le téléchargement et les musiques de niches sont en phase de devenir la norme du marché musical grâce aux opportunités qu'ils offrent, avoir le statut d'indépendant, lui, restera en marge, car ce mode de fonctionnement est bien trop compliqué pour la plupart des artistes qui sont en état de

« survie » permanente pour se faire une réputation. Même si ce statut est honorifique, peu de groupes réussissent une carrière tout en restant indépendants longtemps. Il paraît donc inévitable qu'indépendants et majors finissent par coexister pour développer de nouveaux moyens ensemble et ainsi achever le processus d'hybridation qui est en train de se produire.

III.2.3 – Vers une coexistence des petits et des grands

Désormais, les majors doivent partager la scène musicale avec des millions de produits issus des niches, ce qui amène un marché très différent de celui qui existait jusqu'à présent. En effet, au traditionnel hit « top-down » se succède une nouvelle forme de hit, celui du « bottom-up » qui est né et qui existe grâce à Internet. Les groupes de rock indépendant ont la possibilité de se faire remarquer internationalement, au même titre qu'un artiste signé sous une des quatre grandes majors.

Alors que celles-ci sont vues comme des « vautours » « eager to take the lead from the indies, and when major labels start taking bands away, there's nothing left to support the indie network 217», il devient nécessaire pour eux de cohabiter et de partager les atouts des uns et des autres. Finalement ils ne peuvent pas exister l'un sans l'autre : la recherche constante de la nouveauté des labels indépendants manquerait aux majors, et sans le développement exceptionnel des majors, certains labels indépendants iraient droit à la faillite. « I still think the major labels will betray a band for a

217 Oakes, Slanted and Enchanted, The Evolution of the Indie Culture, 141.

97 dollar, but today, everything has changed. Matador needs the major labels. We'd never have a best- selling album if we didn't have this partnership 218» affirme le co-fondateur du label Matador, Chris

Lombardi. On voit alors souvent apparaître des alliances entre les petits et les grands : les majors ont la possibilité de s'agrandir en rachetant les indépendants, ce qui constitue un moyen rapide et efficace pour elles d'être sur des marchés porteurs de succès et qu'elles maîtrisent mal219, mais cela leur permet également d'empêcher les labels indépendants performants de se regrouper et de s'allier contre les majors en proposant une alternative de distribution plus crédible. Les labels indépendants ont également besoin des majors dans la plupart des cas, car ils ne peuvent pas se passer de la distribution et de la promotion qui assurent la mise en valeur de leurs artistes, et aucune coalition n'a encore été recensée à ce jour. Bien au contraire, les majors et les labels indépendants sont plutôt engagés dans ce que Branden-Burger et Nalebuff appellent la « coopétition220 », une relation hybride associant concurrence et coopération221. La coopétition est donc une collaboration opportuniste entre deux acteurs économiques, ici représentés par les majors et les labels indépendants, et qui sont par ailleurs en compétition. Les auteurs décrivent la coopétition de cette manière :

You can do your job extremely well, work hard, and still find your efforts aren't rewarded. When that happens, your problem isn't that you're playing the game poorly. The problem is that you're playing the wrong game. The answer in such cases is to change the game. That doesn't mean giving up what you're doing. But it probably means going about it differently. Real success in any business comes from making the game you want, not taking the game you find222.

La coopétition entre les labels indépendants et les majors est donc un moyen d'hybridation concret qui permet à l'industrie de la musique de se transformer, et d'épouser les nouvelles tendances du marché, sans prendre de gros risques financiers. Elle a des avantages indéniables, puisqu'elle permet entre autre une certaine transparence sur les intentions de chacun des acteurs, et fait avancer leurs connaissances à un degré plus élevé lorsque des informations inconnues sont révélées et partagées 218 Oakes, Slanted and Enchanted, The Evolution of the Indie Culture, 150. 219 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 28. 220 Adam Branden-Burger et Barry Nalebuff, la coopétition (Paris: village mondial, 1996). 221 Curien et Moreau, L'industrie du disque, 31. 222 (consulté le 06/05/10).

98 par l'une des parties. De ce fait, les mentalités de ces deux parties deviennent collectives, et s'unissent économiquement parlant, pour se donner plus de chances et pour créer la diversité attendue par le public : « diversity ultimately creates a larger and more balanced market. Diversity marks the end of any monopoly 223». Malheureusement, certains labels refusent encore de mettre leur musique à disposition du public sur les sites de téléchargement légal ou d'écoute en streaming, et restreignent le vrai pouvoir de diversité que l'industrie de la musique essaye de mettre en place.

Aujourd'hui, le monopole musical est toujours présent et fige la musique dans sa transformation. La coopétition entre labels indépendants et majors est donc le premier pas vers une hybridation de la musique de masse à une musique libre de choix caractérisée par les niches et les indépendants, mais un long chemin reste à faire.

Dans la même optique, nous assistons à une collaboration des artistes non-signés qui sont présents sur Internet, et des artistes signés qui commencent à transférer ce qu'ils avaient construit dans le monde réel vers le monde virtuel. À titre d'exemple, en 2004, la star mondiale George

Michael a annoncé qu'il ne vendrait plus ses albums sous format physique et que ses fans pourraient se procurer sa musique sur son site web uniquement. Si les artistes établis adoptent le même raisonnement que George Michael dans les années à venir, il devient alors pensable que les artistes indépendants puissent vivre de leur musique plus facilement qu'aujourd'hui. En effet, le mode de procuration de la musique étant le même pour tous les artistes, il est probable que les consommateurs aillent plus facilement vers des artistes indépendants. Cette nouvelle trajectoire industrielle amène vers une mutation qui est maintenant inévitable et qui devrait accorder plus de crédit aux indépendants. Ceux-ci offrent la nouveauté et le choix qui étaient attendus par les amateurs de musique, et beaucoup d'entre eux aimeraient les voir à la tête de l'industrie de la musique. Cependant leur structure reste vulnérable, c'est pourquoi les majors ont encore un rôle important à jouer.

223 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for Digital Music Revolution, 164.

99 Conclusion

Le modèle indépendant est-il donc le modèle à suivre pour relancer l'industrie de la musique? Les groupes indépendants sont-ils le renouveau de celle-ci? Il est indéniable que les goûts du public ont changé et qu'il est désormais plus excitant de faire un buzz autour d'un nouvel artiste encore inconnu plutôt que sur des artistes qui dominent la scène depuis vingt ans. Cette soif de nouveauté et cette démarcation de la ligne mainstream imposée par les majors, caractérisent les années 2000 qui sont synonymes de liberté et de choix en matière de musique. Pourtant, David

Kusek et Gerd Leonhard soulèvent l'idée suivante : « while in the days before digital networks, a major problem was considerable lack of true diversity, choice and variety, tomorrow's problem will be the reverse 224». En effet, plus il y a de diversité, plus le choix proposé par les artistes risque de devenir un problème pour le consommateur. C'est en quelque sorte, le revers de la médaille de la disparition du CD, il n'y a plus de limites. Chacun peut mettre sa musique à disposition, quand il veut, où il veut, au prix qu'il veut, ce qui provoque une véritable désorganisation de l'industrie du disque qui a du mal à se restructurer.

Cependant, cette crise du disque n'est pas inédite, c'est sa longueur et sa difficulté d'accommodation qui la rendent atypique. L'industrie du disque est en pleine révolution, mais subir une mutation ne veut pas forcément dire disparaître : « Le disque reste très structurant dans les pratiques, y compris dans les pratiques en ligne. L’album produit est moins un moyen de gagner de l’argent que d’accéder à une certaine notoriété, mais il reste une étape incontournable de la professionnalisation des groupes 225», analyse Emilie Da Lage, membre de l'observatoire des mutations des industries culturelles (OMIC). En effet, pour la plupart des groupes indépendants, faire un album sous format CD est un moyen de concrétiser leur activité et de la rendre crédible aux

224 Kusek et Leonhard, The Future of Music : Manifesto for Digital Music Revolution, 161. 225 Violaine Jaussent, « Le disque reste très structurant dans les pratiques », 19 mars 2010, (consulté le 12/05/10).

100 yeux des professionnels du milieu. Même s'il n'est plus le moyen de diffusion principal, le CD n'est donc pas totalement mort, et a encore de beaux jours devant lui en tant qu'objet collector ou objet à offrir, ce que le téléchargement ne peut pas permettre. Le consommateur est prêt à dépenser de l'argent sur la valeur ajoutée, c'est pourquoi les 2500 exemplaires de l'album « GhostI-IV » de Nine

Inch Nails à $300 se sont aussi bien vendus et en aussi peu de temps. La crise n'a pas fait disparaître le CD, elle a seulement diminué son espérance de vie, comme ce fut le cas avec le vinyle et la cassette. Les supports musicaux ne disparaissent jamais totalement, et trouvent souvent un second souffle grâce aux amoureux de la musique. Ainsi, le vinyle est un objet très prisé par les DJ (qui s'en servent comme instrument de travail), et par les collectionneurs, qui depuis 2007 peuvent participer

à « La fête des disquaires », une initiative permettant de « réconcilier les fans de musique et leurs disquaires, en mettant sur le marché, pour une journée seulement, des vinyles en séries très limitées 226». De même, aux États-Unis, il existe encore des labels de cassettes, dont 101 sont répertoriés sur le site rhizome.org227. Le CD est donc en passe de suivre la même voie et de devenir le vinyle de demain. Pascal Nègre, patron d'Universal Music, explique : « Chaque produit a un cycle de vie comme vous et moi, le CD a atteint le point culminant il y a trois ou quatre ans mais il représente encore des centaines de millions d’exemplaires. Au rythme où baissent les ventes, je ne serai plus dans l’industrie quand le CD aura disparu 228».

Avec la crise du disque, les majors sont donc dans une position inconfortable et essayent de rester en compétition face aux labels indépendants grâce à des stratégies qui sont supposées combler leurs lacunes. La stratégie 360° en fait partie et consiste à vendre l'univers d'un artiste plutôt que de se contenter de sa musique uniquement. La technique des majors est de diversifier au maximum leurs activités pour générer différentes sources de revenus, avec les concerts, les produits dérivés, les vidéos exclusives, les partenariats marques-artistes, et faire des fans des véritables

226 JD Beauvallet, « God save the disquaires », 21 avril 2010, Les Inrockuptibles, numéro 751. 227 Ceci Moss « 101 cassette labels », 19 août 2009, (consulté le 12/05/10). 228 Andy David, « Le CD n'est pas déCD » , 19 mars 2010 (consulté le 12/05/10).

101 consommateurs de musique. Les maisons de disques deviennent alors des maisons de musique, proposant une gamme plus large que le simple CD. Les artistes ne génèrent plus seulement leur musique, mais également un contenu pour attirer le consommateur, ce qui est d'autant plus difficile pour un groupe indépendant, qui n'a pas forcément les moyens de faire cela sans soutien.

Malgré les diverses stratégies, les majors ne peuvent plus avancer seules, les indépendants font désormais partie intégrante du système et elles doivent compter sur eux pour leur procurer des nouvelles musiques. Nous assistons donc à un travail « main dans la main » entre les majors et les agrégateurs indépendants, comme l'explique Olivier Hascoat, le directeur général de Myspace

France : « Elles viennent nous voir pour mettre du contenu en avant, faire des exclusivités. Nous avons un échange amical, et chacun fait son métier 229». Tout le monde trouve donc un avantage dans une telle alliance : il y a du contenu pour le site et de la promotion pour les artistes d'un label.

Mais ce n'est pas forcément du goût des artistes indépendants de la longue traîne qui ne profitent pas vraiment de cette association. Ainsi, sur 20 000 écoutes en streaming sur Deezer, le groupe français Marcel et son Orchestre aurait gagné 10€40 à se partager entre les membres du groupe, composé de sept personnes, soit un revenu arrondi à 1€50 par personne230! Le groupe USS dit à juste titre à propos d'Internet : « c'est une arme à double tranchant. Internet permet indéniablement de se faire connaître, maintenant la pub qui passe sur Myspace, Facebook et

Youtube ne nous apporte rien, on sert de panneau d'affichage. Cela veut dire que le système est malin et que nous le remboursons généreusement de la célébrité qu'il nous apporte ». L'alliance des majors aux agrégateurs indépendants ne serait donc favorable qu'aux artistes de la tête de la traîne, qui ont pourtant moins besoin d'attirer le public. Dans un sens, cela desservirait les indépendants, qui sont eux, obligés de passer par ces sites pour mettre en marche leur plan de communication.

Malheureusement, celui-ci ne fonctionne pas forcément, principalement à cause des artistes signés

229 Isabelle Hanne et Nolwenn Le Blevennec, « Enquête sur l'industrie de la musique : le réveil des majors» 17 janvier 2009, (consulté le 12/05/10). 230 Rémi Ink, 19 mars 2010, (consulté le 12/05/10).

102 qui sont mis en valeur plus que les autres. La longue traîne n'offre donc pas beaucoup d'opportunités commerciales aux artistes indépendants, et rajoute une concurrence massive entre les groupes ainsi qu'une pression infinie quant à la baisse des prix de la musique produite.

Les groupes indépendants de la longue traîne doivent donc compter sur autre chose pour se promouvoir : le public. Selon la théorie des 1000 fans développée par Kevin Kelly, 1000 Vrais Fans suffisent à faire vivre un artiste indépendant de sa passion, car les Vrais Fans sont prêts à payer pour soutenir leur artiste préféré et avoir un contenu exclusif. L'artiste doit alors savoir valoriser ses fans et entretenir leur flamme, comme c'est le cas de Trent Reznor ou bien d'Amanda Palmer qui a vendu sur Twitter $320 une bouteille de vin qu'elle venait de boire. Ses fans voulaient l'aider à payer son loyer pour qu'elle continue de faire de la musique. Kevin Kelly décrit le « Vrai Fan » de la manière suivante :

Un Vrai Fan est défini comme quelqu’un qui achètera tout et n’importe quoi qu’on produise. Ils conduiront plus de 300 kilomètres pour vous voir chanter. Ils achèteront la série de coffrets de luxe réédités haute résolution de vos trucs même s’ils ont la version basse résolution. Ils ont une alerte Google pour votre nom. Ils marquent la page eBay où vos éditions épuisées apparaissent. Ils viennent à vos premières. Ils vous font dédicacer leurs exemplaires. Ils achètent le T-shirt, le mug et la casquette. Ils sont impatients que vous publiiez votre prochaine œuvre. Ils sont de vrais fans231.

Ces 1000 vrais fans vont permettre aux groupes indépendants de pouvoir vivre, et de les placer un peu avant la queue de la longue traîne (voir annexe n°18, « La Longue Traîne et les 1000 fans »). La voie visée n'est donc plus la tête de la traîne – ou la starification – mais le milieu de celle-ci. Les groupes indépendants peuvent ainsi espérer gagner leur vie correctement, et être connectés avec les fans qui les entourent. Kevin Kelly met tout de même quelques mises en garde, car les 1000 fans sont estimés pour un artiste solo, et explique : « les fans supplémentaires dont on aura besoin sont en proportion géométrique directe de l’augmentation du groupe créatif. En d’autres termes, si on augmente la taille du groupe de 33%, on ne doit ajouter que 33% de fans en plus232 ». Il sera donc

231 (consulté le 13/05/10). 232 (consulté le 13/05/10).

103 toujours plus dur pour un groupe indépendant de vivre de sa musique correctement, car il aura besoin de plus de fans, proportionnellement au nombre des membres de son groupe.

En effet, si Trent Reznor et Amanda Palmer arrivent à produire leur musique indépendamment d'un label, et à faire des opérations promotionnelles qui fonctionnent auprès de leur public, c'est qu'ils avaient déjà acquis leur réputation au sein de Nine Inch Nails et des Dresden

Dolls alors qu'ils étaient encore signés sous une major. Le do it yourself est alors vu comme un mythe et devient une représentation idéalisée autour de l'industrie de la musique et de la démocratisation qui est soudainement apparue sur le marché. Avoir le contrôle sur sa musique ne veut pas forcément dire faire tout le travail tout seul, beaucoup d'acteurs rentrent en jeu, comme c'est le cas avec les groupes de Jack White qui profitent d'une distribution à grande échelle grâce aux majors, mais dont la production reste indépendante. De la même manière, les Brian Jonestown

Massacre sont un mythe du rock indépendant. Le documentaire d'Ondi Timoner a idéalisé leur bataille quotidienne de façon remarquable. Le manque d'argent, les contrats qui leur échappent sous le nez, la drogue, rien ne semble être plus beau que le do it yourself et le « I am not for sale » d'Anton Newcombe, des valeurs qui vont être suivies par toute une génération de groupes indépendants après lui. Qualifié de « génie », il semble être un sur-homme, qui réussit à produire de l'excellente musique, tout en étant aliéné par les drogues et en vivant dans un squat. Le mythe est fondé, grâce au documentaire, beaucoup de jeunes vont essayer de vivre l'épopée de Newcombe, sans forcément obtenir une quelconque réussite, mais avec l'idée et la croyance sincère qu'il est possible d'y arriver seul, par ses propres moyens. Seulement à chaque production d'albums, Anton

Newcombe est épaulé par un label indépendant, que ça soit Bomp! Records, TVT Records ou bien son propre label. Ces acteurs l'aident à financer ses projets.

Il y a bien une nouvelle industrie musicale, mais elle repose en partie sur l'ancienne, il n'y a pas un groupe indépendant qui refuserait de signer un contrat aujourd'hui, sauf si bien sûr celui-ci va à l'encontre de son éthique. Les Dandy Warhols sont la preuve même qu'être signés par une

104 major n'est pas forcément un atout en tant qu'indépendant, mais cette longue relation leur a aujourd'hui donné un statut, ainsi qu'une notoriété qui leur permettent d'en vivre sereinement. Le modèle indépendant apporte un progrès quant à la façon de produire la musique, mais il n'est tout simplement pas viable. Les témoignages des groupes interrogés en sont la preuve concrète, qu'ils soient français ou américains. Leurs pays ne semblent pas leur offrir les opportunités qu'ils souhaitent, mais chacun propose certains avantages : aux États-Unis, il est plus facile de vivre en tant qu'indépendant quand on a acquis une solide réputation comme Jack White, mais les groupes sont extrêmement peu valorisés, il n'y a aucune structure qui les aide, c'est pour cela que la plupart perce en Europe comme c'est le cas des Dandy Warhols, des Brian Jonestown Massacre ou plus récemment des She Keeps Bees. En France, des compagnies comme 1D Zik ou Noomiz essayent de se mettre en place pour soutenir les groupes indépendants, mais il est très difficile d'en vivre concrètement, même avec une petite réputation, comme celle que s'est forgée GOS. Les indépendants ne sont donc jamais fixés sur leur sort, et leur carrière est souvent remise en question.

Ils sont bien souvent en recherche constante d'argent et de mécènes pour les épauler et pour les aider à se réaliser, c'est pourquoi les subventions obtenues grâce aux labels associatifs sont très importantes au démarrage d'un groupe. Lorsqu'ils s'allient aux majors ou à un soutien puissant, ils se créent des opportunités car leur futur est aléatoire, et ils doivent saisir chaque occasion qui se présente, quitte à prendre des risques. En attendant ces opportunités la communauté, représentée par les fans, les nouvelles structures indépendantes et les professionnels passionnés, est un support nécéssaire qui leur permet de ne pas abandonner leurs espoirs.

La musique devient de plus en plus difficile à produire, promouvoir et distribuer de façon rentable, mais elle est toutefois plus facile à trouver et à apprécier. Petit à petit, le public apprend à filtrer la longue traine musicale, et ce geste devient quotidien. Même si le public s'ouvre progressivement aux nouveautés et soutient les groupes qui ne sont pas signés, la plupart des gens ont encore besoin de références sûres. Les majors les ont acquises depuis plusieurs années déjà, et

105 en font maintenant profiter les indépendants qui s'allient avec elles. De cette alliance naîtront les artistes de milieu de traîne, où les nouveaux groupes auront peut-être plus facilement leur chance en visant une micro-célébrité. Si les indépendants s'associent avec les majors, il y aura forcément, plus d'opportunités pour les artistes et les groupes, plus de contrats à signer, et une plus grande diversité sur le marché. Les majors pourraient se remettre de la crise progressivement, ce qui permettrait de relancer l'économie de la musique, si le consommateur s'aperçoit que l'industrie est de nouveau sous contrôle. Le téléchargement illégal qui est issu en partie de la désorganisation des grands labels pourrait diminuer si ceux-ci s'allient aux indépendants et à leurs nouvelles méthodes de distribution en ligne. Mais ces théories restent aléatoires et il impossible de prédire le futur de la musique. Il se peut en effet que le système évolue encore d'ici quelques années et remette tout en question une fois de plus. Ce qui est sûr, c'est que le rock indépendant, les labels indépendants, les professionnels de l'indépendance sont des atouts majeurs de l'industrie. Ils permettent un renouvellement de la musique et offrent une vision différente, plus moderne, d'un système qui était jusqu'alors réservé à l'élite et paraissait inaccessible. Aujourd'hui tout le monde a sa chance, et l'activité incessante qui

émane de ce mouvement permet de dire qu'il a encore de beaux jours devant lui.

106 BIBLIOGRAPHIE

SOURCES PRIMAIRES

Livres

ANDERSON, C. The Longer Long Tail. London : Random House Business Books, 2009.

KEEN, A. The Cult of the Amateur. New York : Double Day, 2008.

KUSEK, D. et GERD L. The Future of Music, Manifesto for the Digital Music Revolution. Boston : Berklee Press, 2005.

SOURCES SECONDAIRES

Livres

AZERRAD, M. Our Band could be your Life : Scenes from the American Indie Underground, 1981-1991. Boston : Little Brown, 2001.

BECKER, H. Outsiders, Etudes de sociologie de la déviance. Paris : Métailié, 1985.

BENHAMOU, F. L'économie de la culture. Coll. Repères, 6ème éd., Paris : la Découverte, 2008.

BOUQUILLION, P. et COMBES, Y. (dir) Les industries de la culture et de la communication en mutation. Coll. « Questions contemporaines », Paris : L'Harmattan, 2007.

BOURREAU, M. et GENSOLLEN M. L'impact d'Internet et des technologies de l'information et de la communication sur l'industrie de la musique enregistrée. Paris : Mimeo, ENST, 2006.

BRANDENBURGER, A. et NALEBUFF, B. La Coopétition. Paris : Village Mondial, 1996.

BRANDLE, E. et PEQUINOT, B (dir) L'ambivalance du Rock: entre Subversion et Subvention, série Sociologie des arts. Coll. « Logiques Sociales », Paris : L'harmattan, 2009.

BURNETT, R. The Global Jukebox. Londres : Routledge, 1996.

BUXTON, D. Le Rock, Star Système et Société de Consommation. Grenoble: la pensée sauvage, 1985.

CHASTAGNER, C. La loi du Rock: ambivalence et sacrifice dans la musique populaire anglo- américaine. Castelnau : Climats, 1998.

107 CURIEN, N et MOREAU, F. The music industry in the digital era : towards a new contractual ? Paris : Mimeo, Cnam, 2005.

CURIEN, N. et MOREAU, F. L'industrie du disque. Coll. Repères, Paris : la Découverte, 2006.

DAUNCEY, H. LE GUERN, P. Stéréo, Sociologie Comparée des Musiques Populaires en France et en Grande-Bretagne. Paris : Irma Editions, 2008.

DONNAT, O. Les amateurs. Enquête sur les activités artistiques des Français. Le Ministère de la Culture, Dag, DEP, Paris : La documentation Française, 1996.

DUNCOMBE, S. Notes from Underground : Zines and the Politics of Alternative Culture. New York : Verso, 1997.

FRITH, S. The Sociology Of Rock. Londres : Constable, 1978.

GOURDON, A.-M. Le Rock. Aspects Esthétiques, Culturels et Sociaux. Paris : CNRS éditions, 1994.

GUIBERT, G. La production de la culture. Le cas des musiques amplifiées en France, genèse, structurations, industries, alternatives. Irma Editions, 2006.

HAROUEL, J.L. Culture et contre-cultures. Coll. Quadrige, Paris : PUF, 1998.

HEBDIGE, D. Subcultures : the Meaning of style. London : Methuen, 1979.

HEIN, F. Le Monde Du Rock, Ethnographies du réel. Paris : Irma Editions, 2006.

LINDERBERG, L. GUDMUNDSSON, G. MICHELSEN, M. et WEISEHAUNET, H. Rock criticism from the beginning. Oxford : Peter Lang, 2005

MAFFESOLI, Michel, Le temps des tribus, le déclin de l'individualisme dans les sociétés de masse. coll. Livre de Poche, Paris : Librairie générale française, 1991.

MANSIER, Thomas. Identité du Rock et Presse Spécialisée. Évolution d'une culture et de son discours critique dans les magazines français des années 90. Thèse de science de l'information et de communication, Dir. de recherches : Jean-François Tetu, Université Lumière Lyon 2, Icom, école doctorale ECLIPS, Soutenue le 3 décembre 2004.

MIGNON, P. et HENNION, A. Rock. de l'histoire au mythe. coll. « Vibrations », Paris : Anthropos, 1991.

MUCCHIELLI, R. Le travail en groupe. Paris : ESF, 1980.

OAKES, K. Slanted and Enchanted, the Evolution of the Indie Culture. New York : Holt Paperbacks, 2009.

REBILLARD, F. Le Web 2.0 en perspective, une analyse socio-économique de l'Internet. Coll. Questions Contemporaines, Paris : L'Harmattan, 2007.

108 SECA, J.M. Les Musiciens Underground. coll. « Psychologie Sociale », Paris : PUF, 2001.

SHANB, B. Dissonant identities: the rock'n'roll scene in Austin, Texas. Hanover: Wesleyan university press, 1994.

Volume – Autour des Musiques populaires. « La presse musicale alternative au XXIème siècle ». Vol.5 n°1, Bordeaux : Mélanie Seteun, 2006.

WICKE, P. : Culture, Aesthetics and Sociology. Cambridge : UP, 1990.

WHITELEY, S. The Space between the Notes: Rock and the Counter Culture. Londres : Routledge, 1992.

Articles de recherche

BEAUDOIN, V. et LICOPPE, C. « La construction électronique du social: les sites personnels. L'exemple de la musique », Réseaux, N° 116, Hermès Science Publications, 2002.

BLACKBURN, D. « On-line piracy and recorded music sales », Mimeo, Harvard University, Cambridge, 2004.

DOUBLÉ-DUTHEIL, C. « Les groupes de rock Nantais », dans MIGNON, P. et HENNION, A. Rock. De l'histoire au mythe, coll. Vibrations, Paris : Anthropos, 1991.

GOPAL, R.D., BHATTACHARJEE, S. et SANDERS, G.L. « Do artists benefit from online music sharing? », Journal of business, vol. 79, n°3, p. 1503-1534.

HUYGENS, M., BADEN-FULLER, C., VAN DEN BOSCH, F.A.J. Et VOLBERDA, H.V. « Co- evolution of firm capabilities and industrial competition: investigating the music industry 1877- 1997 », Organization Studies, Vol. 22, N°1, 2002.

LUCAS, J.M. « Du Rock à l'oeuvre », dans MIGNON, P. et HENNION, A. Rock. De l'histoire au mythe, coll. Vibrations, Paris : Anthropos, 1991.

MADDEN, M. « Artists, musicians and the Internet », Pew Internet and American Life Project, Washington, 2004.

MCGUIRE, M. et SLATER, D. « Consumer taste sharing is driving the online music business and democratizing culture », The Berkman Center for Internet & Society, Harvard Law School, 2005.

NEVEU, E. « Won't get fooled again? Pop musique et idéologie de la génération abusée », dans MIGNON, P. et HENNION, A. Rock. De l'histoire au mythe, coll. Vibrations, Paris : Anthropos, 1991.

NICOLAS, A. « Enquête sur les disquaires indépendants », Observatoire de la Musique, Paris, 2004.

109 ______. « Les marchés de la musique enregistrée », Observatoire de la Musique, Paris, 2009.

OBERHOLZER, F. et STRUMPF, K. « The Effect of File Sharing on Record sales. An Empirical Analysis », Working Paper, Harvard Business School, 2004.

PICHEVIN, A. « L'artiste producteur en France en 2008 », Les études de l'Adami, Paris, janvier 2009.

Rapport SNEP. « L'économie de la production musicale 2009 », Paris, 2009.

REBILLARD, F. Webzines, e-zines: quels nouveaux médias? », Médiamorphoses, N°4, 2002.

SERVIER, M.B. « Pertinence et culture rock : les musiques nouvelles », dans MIGNON, P. et HENNION, A. Rock. de l'histoire au mythe, coll. « Vibrations », Paris : Anthropos, 1991.

SITZ L. et ABDELAMAJID A. « Consommation et groupes de consommateurs, de la tribu postmoderne aux communautés de marque : Pour une clarification des concepts » Colloque Société et consommation, Rouen, 11 et 12 mars 2004.

WILLEY, M. « Le rock à travers la presse spécialisée » dans GOURDON, A.-M. Le Rock. Aspects Esthétiques, Culturels et Sociaux. Paris: CNRS, 1994.

Articles de journaux, magasines musicaux et culturels

BEAUVALLET, J.D. « God save the disquaires », Les Inrockuptibles, numéro 751, 21 avril 2010.

BROWNE, D. « The Independants see Vultures Circling Overhead », New York Times, 27 octobre 1991.

DUHIGG, C. « Indie Major Labels Tune into new act », Los Angeles Time, 14 août 2005.

DUPIN, J.B. « Gros Bonus, petit son », Les Inrockuptibless, numéro 747, 24 mars 2010.

GALLOT, C. « CD, le début de la fin », Les Inrockuptibles, numéro 704, 26 mai 2009.

SEBAN, J. « Frenchie goes to Hollywood », Les Inrockuptibles, numéro 725, 20 octobre 2009.

110 WEBOGRAPHIE

Groupes Sources Primaires

Brian Jonestown Massacre

Dandy Warhols

GOS

She Keeps Bees

The Melting Snow Quintet

USS

White Stripes

You're Blues John

Sites de Téléchargement/ Labels Participatifs et communautaires

Aka Music

Apple iTunes

Buzz my Band eMusic

My Major Company

111 Rhapsody < http://www.rhapsody.com/welcome.html >

Sites de découvertes musicales/ Plateformes Indépendantes

1D Zik Connection

Appollo Audio

CQFD (Ceux Qu'il Faut Découvrir)

Les Vrais Indépendants

Myspace

Noomiz < http://www.noomiz.com/home >

SFR Musique

Urban Outfitters Music

Labels indépendants

Beat The World Records

Cargo Records

Nine Inch Nails / The Null Corporation

Third Man Records

The Committee to Keep the Music Evil

Articles

« Aka Music : une révolution en marche? », discordance.fr, 4 septembre 2008,

« Amanda Fucking Palmer », discordance.fr, le 15 février 2009,

« Comment agir devant la puissance iTunes? », streetblogger.fr, < http://www.streetblogger.fr/2008/09/03/comment-agir-devant-la-puissance-itunes/ >

112 « Face au téléchargement, le CD continue de tourner », largentdelamusique.wordpress.com, 19 mars 2010,

« French Pop Mission », discordance.fr, 22 janvier 2010,

« Maisons de disque et artistes indépendants : une guerre est ouverte », agoravox.fr, 16 août 2008,

« Marilyn Manson Dropped by Record Label », nme.com, 5 décembre 2009,

« The Raconteurs to rush release new album next week », nme.com, 18 mars 2008,

ADAMS, S. « Why there's no such thing as the Music Industry », drownedinsound.com, 16 février 2010,

ASTOR, P. « eMusic.com, le vrai challenger d'iTunes, ouvre son catalogue en Europe », zdnet.fr, 21 août 2006,

BAUFILS, C. « Grégoire : un artiste produit par les internautes », chartsinfrance.net, 21 août 2008,

BOURCE, J. « La playlist de mes rêves », discordance.fr, 7 mai 2010,

BRANDENBURGER, A.M et NALEBUFF, B.J. « Coopetition interactive »,

CHAN, A. « Interview : The Dandy Warhols », musicomh.com, août 2008,

CLARK, T. « The Indie City : Why Portland is Indie Rock Mecca », slate.com, 11 septembre 2007,

CLEGG, R. « Brian Jonestown Massacre Interview », caughtincrossfire.com,

DAVID, A. « Le CD n'est pas déCD », largentdelamusique.wordpress.com, 19 mars 2010,

GIRARDEAU, A. « Nine Inch Nails : gratuit et best-seller », ecrans.fr, 6 janvier 2009,

HANNE, I. et LE BLEVENNEC, N. « Enquête sur l'industrie de la musique : le réveil des majors », lesinrocks.com, 17 janvier 2009,

113 %5D=1&tx_ttnews%5Btt_content%5D=138&cHash=57b0a28d47 >

HYATT, J. « Sonic Youth reflects on Starbucks Music Deal », beatcrave.com, 30 juin 2009,

INK, R. « Sur 20 000 écoutes sur Deezer, Marcel et son Orchestre a touché 10,40 euros », largentdelamusique.wordpress.com, 19 mars 2010,

JAUSSENT Violaine, « Le disque reste très structurant dans les pratiques », largentdelamusique.wordpress.com, 19 mars 2010,

JOUBERT, G. « Rencontre avec 1D Zik », contre-culture.info, 13 avril 2010,

KELLY, K. « 1000 Vrais Fans », mars 2008,

LEMAIRE, C. « Interview : GOS », discordance.fr, 20 mars 2009,

______« Interview : She Keeps Bees », discordance.fr, 3 février 2010,

LEMANN, N. « Amateur Hour : Journalism Without Journalists », newyorker.com, 7 août 2006,

LONG, A. « The Road Less Travelled », Nylon, juin-juillet 2007,

MARSZALEK, J. « The Brian Jonestown Massacre : an Anton Newcombe Interview », thequietus.com, 9 février 2010,

MASTERS, M. « Interview : Liars », pitchfork.com, 24 septembre 2007,

MILLECAM, C. « The Committe to Keep the Music Evil : Interview de Rob Campanella », rock-times.com, 12 avril 2010,

MOSS, C. « 101 Cassette Labels », rhizome.org, 19 août 2009,

NITSUH, A. « Twee as Fuck : the Story of Indie Pop », Pitchfork.com, 24 octobre 2005,

114 PALMER, A. « Free at last, Free at last », amandapalmer.net, 6 avril 2010,

SALAÜN, J.M. « Musique : impasse ou eldorado? », 19 avril 2007,

TARDU, M. « 1D Zik tend la main aux artistes de demain », carrefourdescultures.com, 29 avril 2010,

VALLANCE, J. « Interview with Anton Newcombe », Room Thirteen, 15 février 2008,

Vidéos Youtube

MASNICK, M. « The Trent Reznor Case Study », Midem 2009,

115 DISCOGRAPHIE

Sources Primaires

1) Artistes Américains

She Keeps Bees

Nests, Names Records, 2009.

The Brian Jonestown Massacre

Space Girl & Other Favorites (LP), Candy Floss, 1993. Methrodone, Bomp! Records, 1995. Their Satanic Majesties' Second Request, Bomp! Records/ Tangible Records, 1996. Take it From the Man, Bomp! Records/ Tangible Records/ Tee Pee Records, 1996. Thank God for Mental Illness, Bomp! Records/ Tangible Records, 1996. Give it Back!, Bomp! Records/ Tangible Records, 1997. Strung out in Heaven, TVT Records, 1998. Bringing it all Back Home – Again, Which Records, 1999. Bravery Repetition and Noise, Tee Pee Records/ A Records, 2001. … And This is Our Music, Tee Pee Records, 2003. Space Girl and Other Favorites (Réissue), Bomp! Records, 2003. Teppid Peppermint Wonderland : A Retrospective, Tee Pee Records, 2004. We are the Radio (EP), Tee Pee Records, 2005. My Bloody Underground, A Records, 2008. Just Like Kicking Jesus (EP), A Records / Tonar, 2008. Smocking Acid (EP), A Records/ Toner/ Cargo Records, 2009. Who Killed Sgt Pepper ?, A Records, 2010.

The Dandy Warhols

Dandys Rule, OK?, Tim/ Kerr, 1995.

116 … The Dandy Warhols Come Down, Capitol Records, 1996. Little Drummer Boy (EP), Capitol Records, 1997. Thirteen Tales From Urban Bohemia, Capitol Records, 2000. Tales From Slabtown (EP) Vol. 1&2, Capitol Records, 2000. Bohemian Like You Australian Tour (EP), Capitol Recods, 2000. Welcome to the Monkey House, Capitol Records, 2003. The Black Album, Beat the World Records, 2004. Come on Feel the Dandy Warhols, Beat the World Records, 2004. Odditorium or Warlords of Mars, Capitol Records, 2005. … Earth to the Dandy Warhols..., Beat the World Records, 2008. The Dandy Warhols are Sound, Beat the World Records, 2009.

The White Stripes

The White Stripes Album, Sympathy for the Record Industry, 1999. De Stijl, Sympathy for the Record Industry, 2000. White Blood Cells, Sympathy for the Record Industry, 2001. Elephant, Third Man Records/ V2, 2003. Get Behind Me Satan, Third Man Records/ V2, 2005. Icky Thump, Third Man Records/ Warner Bros. Records, 2007.

2) Artistes Français

GOS

Albums Extended pledge, Home made GOS, 2007. You're better than us, Home Made GOS, 2008. Red Mess, Drop the Match, 2010.

Singles Make it Short Make it dance, Drop the Match, 2008.

117 NYPD, Drop the Match, 2009. Back in town, Drop the Match, 2010

The Melting Snow Quintet

The Melting Snow Quinter, Home Made, 2009.

Groupes sans EP ni albums

Underground Sky Sound. You're Blues John.

Sources Secondaires

Amanda Palmer, Who Killed Amanda Palmer?, Roadrunner, 2008. Marilyn Manson, The High End of Low, Interscope, 2009. Nine Inch Nails, Ghosts I-IV, The Slip, The Null Corporation / Halo 26, 2008. Robots in Disguise, Disguises, President, 2006. The Dead Weather, Horehound, Third Man Records, 2009. ______, Sea of Cowards, Third Man Records, 2010. The Raconteurs, , Third Man Records / V2 & Warner Bros. Records, 2006. ______, Consolers of the Lonely, Third Man Records / V2 & Warner Bros. Records, 2008.

Documentaires musicaux

Dig!, Produit, réalisé, écrit et édité par Ondi Timoner, Palm Pictures, 107 min, 2004. Prix du Jury du meilleur documentaire au festival du film Sundance, prix du Jury pour meilleure réalisatrice au festival du film Bend. Avec les Brian Jonestown Massacre et les Dandy Warhols. Lieu du tournage : États-Unis.

118