Vie Oblate life

TOME SOIXANTE-SEPT / 3 VOLUME SIXTY-SEVEN / 3

2008

OTTAWA, CANADA Eugène et saint Paul Yvon Beaudoin, o.m.i.

SUMMARY – The Pauline Year 2008-2009 celebrates the second millennium of the birth of the great Apostle of the Nations. It is an occasion to recall Saint Eugene’s knowledge of, and devotion to Saint Paul. References to the Apostle’s writings date back to Eugene’s seminary days in Paris. His visits to , specially in 1825-1826 shortly after the destruction by fire of Saint Paul’s Basilica, and in 1854 for the dedication of the newly rebuilt church, were occasions for Saint Eugene to express his fervour towards the Apostle whom he considered as a particular model and protector of missionaries. The A. recalls how in 1850, after meeting with the Bishop of Marseilles, the Bishop of Tulle exclaimed before his clergy: “Gentlemen, I have just seen Paul!”

En cette année paulinienne voulue par le pape Benoît XVI pour commémorer le deuxième millénaire de la naissance de l’Apôtre des Nations, il nous paraît opportun de souligner la vénération que lui portait notre Fondateur et qui s’exprimait entre autres dans ses nombreuses citations des écrits de saint Paul, de même que dans la ferveur qui marquait ses visites aux lieux pauliniens lors de ses voyages à Rome. «J’ai vu Paul ...» Mgr Léonard Berteaud, évêque de Tulle de 1842 à 1878, a dit à ses vicaires généraux, après avoir rencontré l’évêque de Marseille les 15-17 août 1850: «Messieurs, j’ai vu Paul1». En le voyant pour la première fois, il a sans doute porté ce jugement suite à la bonne impression que lui laissa Mgr de Mazenod au cours de cette rencontre, mais aussi pour avoir entendu parler par quelques Oblats2 du zèle apostolique de ce prélat fondateur et supérieur général des Oblats de Marie Immaculée, missionnaires répandus sur quatre continents. S’il avait mieux connu Mgr de Mazenod, Mgr Berteaud aurait eu d’autres motifs pour dire: «J’ai vu Paul». En effet, le fondateur des Oblats connaissait bien les lettres de saint Paul qu’il citait souvent dans ses écrits; il avait également beaucoup de dévotion pour saint Paul, dévotion qui apparaît surtout lors de ses voyages à Rome.

I. Saint Eugène connaissait bien les lettres de saint Paul Saint Eugène a, semble-t-il, lu et médité souvent l’Écriture sainte et surtout les lettres de saint Paul. Dans ses écrits (correspondance, Journal et mandements), il cite d’une façon explicite ou implicite 45 extraits de l’Ancien Testament et 152 du Nouveau Testament, dont 127 provenant des lettres de saint Paul3. Alors que ces lettres forment quantitativement moins d’un tiers du Nouveau Testament (environ 130 pages contre 280),

1 H. Verkin, o.m.i., «Messieurs, j’ai vu Paul», dans Études oblates, 25 (1966), p. 250-255. 2 Mgr Berteaud connaissait déjà le séminariste Léon Delpeuch, futur Oblat, et les pères C.F. Gondrand, P.J. Nicolas, J.B. Louis Soullier, missionnaires à Limoges. 3 René Motte, o.m.i., Textes bibliques utilisés par le bx Eugène de Mazenod dans ses lettres et mandements, dans Vie Oblate Life, 48 (1989), pp. 335-404. 2 les deux tiers des citations du Fondateur sont prises dans saint Paul. Les allusions à ces extraits sont cependant beaucoup plus nombreuses. Par exemple, on trouve dans une cinquantaine de lettres une allusion à Mathieu 6, 25-34: confiance en la Providence; ou encore, dans une trentaine de lettres une allusion à la lettre aux Philippiens I, 3-11: il aime les Oblats comme Paul aime les chrétiens. Au Séminaire Est-ce comme séminariste à Paris en 1808-1812 que Eugène de Mazenod a appris à connaître et aimer saint Paul? On ne peut l’affirmer. On sait que le professeur d’Écriture sainte était alors M. Garnier que Renan (1823-1892) désigna comme «l’homme le plus versé de France dans l’exégèse biblique, telle qu’elle s’enseignait chez les catholiques il y a une centaine d’années4». On ne conserve qu’une centaine de pages des notes d’Écriture sainte prises par Eugène. Il s’agit de quelques «Notes sur les livres de l’Ancien Testament» et surtout d’un «Commentaire des Évangiles5». Il n’y a pas de notes sur saint Paul. Cependant, Eugène a proposé deux méditations aux séminaristes ou aux élèves du grand catéchisme de Saint-Sulpice, une sur «La Parole de Dieu» et l’autre sur «La Conversion de saint Paul6». Chacune de ces deux méditations comprend quatre pages manuscrites. Dans la première, l’auteur explique que la Parole de Dieu doit être écoutée avec respect et avec docilité. Dans la seconde sur la conversion de saint Paul, l’auteur annonce que cette conversion a trois caractères principaux, mais ne donne ensuite des explications que de l’un d’entre eux: la générosité, la promptitude, avec laquelle saint Paul correspond à la grâce. Il ajoute que cette conversion a procuré la gloire de Dieu, a été utile au prochain et à l’Église, et avantageuse à saint Paul lui-même. Missionnaire Si Eugène de Mazenod parle peu de saint Paul au cours de son séminaire, au cours de sa vie il a toujours trouvé du temps chaque jour pour méditer, faire une lecture spirituelle et étudier l’Écriture sainte. Dans sa retraite de mai 1818, il écrit dans son règlement: de 7 heures à 7 h.1/2, étude de l’Écriture sainte. Les Règles des Oblats en faisaient un devoir aux Oblats7. Dans la lettre pastorale du 25 décembre 1837 à l’occasion de son installation comme évêque de Marseille, il écrit: «Nous avions assez médité les divines Écritures et surtout les admirables épîtres des apôtres de Jésus-Christ sur les devoirs des évêques […] pour être persuadé qu’il n’y avait pas en ce monde de charges plus difficiles…» Voici quelques exemples de la façon dont Mgr de Mazenod cite des extraits de lettres de saint Paul, choisis parmi ceux qu’il semble préférer. Au début de la congrégation le Fondateur a eu des adversaires parmi les curés d’Aix. En 1817, il rencontra à Paris le nouvel archevêque, Mgr F. Bausset-Roquefort qui, prévenu par des prêtres d’Aix, dit qu’il

4 Jean LEFLON, Mgr de Mazenod…, vol. I (1782-1814). Paris, Plon, 1957, p. 352. 5 Orig.: AGR DM III, 2a et 2b, V, 5 et 7. 6 Orig.: AGR DM IV, 5 b. Ce sont des textes copiés avec soin de la main d’Eugène. Sont-ils composés par lui-même ou proviennent-ils d’un ouvrage imprimé? On n’a pas d’indices qui nous orientent vers une réponse sûre. Cela fait voir cependant que le séminariste s’intéressait déjà à saint Paul. 7 Règles de 1826, deuxième partie, chapitre 2, paragraphe 2; Retraite de mai 1818. Aut.: AGR DM IV, 2. 3 ne le nommera pas vicaire général et semble même peu intéressé par les missions paroissiales. Le père de Mazenod se demande alors s’il pourra continuer ses œuvres en Provence, mais il se reprend et écrit au père Tempier, le 22 octobre: «Courage, je vous dirai comme saint Paul aux Éphésiens, 3, 13: ‘Je vous prie de ne pas vous laisser décourager à cause des afflictions que j’endure pour vous, elles sont votre gloire.’» Le père Tempier répond au nom des missionnaires: Il faut avouer que Dieu nous traite avec bien de la bonté, puisqu’il nous fait part des dons qu’il a faits à son propre fils […] Plût à Dieu que la Providence nous traitât toujours ainsi et surtout que nous y correspondions! Notre pauvre famille bien humiliée, bien méprisée, deviendrait bientôt toute sainte, et alors quels fruits. Le 31 octobre, le père de Mazenod remercie le père Tempier et assure qu’il se montrera digne de ses collaborateurs. Il cite ensuite, à la suite l’un de l’autre sept extraits de la deuxième épître à Timothée: C’est pour Dieu que nous souffrons, nous ne nous laisserons point abattre («C’est aussi pour cette raison que j’endure les souffrances présentes. Mais je n’en ai point honte…» 2 Tm 1, 12). Le démon triompherait de notre faiblesse puisque les âmes rachetées par Notre Seigneur seraient abandonnées. Continuons donc de travailler comme de bons soldats de Jésus-Christ. («Prends ta part de la peine comme un brave soldat de Jésus-Christ» 2 Tm 2, 3). Qu’importe, après tout, que quelques individus se soient révoltés contre nous? L’apôtre saint Paul fut plus maltraité que nous, car non seulement il fut abandonné par Démas, mais il rencontra un Alexandre qui lui fit beaucoup de mal, et tous ceux qui étaient en Asie s’éloignèrent de lui («Démas m’a quitté par amour pour le siècle…» 2 Tm 4, 10, 14; 1, 15). Et quand il dut défendre sa cause devant l’Empereur, personne ne l’assista, mais tous l’abandonnèrent («Dans ma première défense…» 2 Tm 4, 16). Mais il ne perdit pas courage pour cela, et par le puissant secours de Dieu il acheva ce que son ministère lui prescrivait et il fut délivré de la gueule du lion «Cependant le Seigneur m’a assisté…» 2 Tm 4, 17). Ce serait, en effet, une folie de vouloir faire le bien et ne point éprouver de contradictions («Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ Jésus auront à souffrir persécution» 2 Tm 3, 12). Saint Paul en éprouva partout et n’en fut pas moins secouru par le Seigneur («…mes persécutions, mes souffrances…) Elles sont sans nombre…et chaque fois le Seigneur m’en a délivré» (2 Tm 3, 11)8. Même genre de réflexions en 1823. Le père de Mazenod est à Paris; il reçoit une lettre du père A.M. Sumien qui lui annonce la mort du père Jacques-Antoine Jourdan, décédé à l’âge de 25 ans, et dit qu’il prend part aux souffrances du Fondateur. Celui-ci répond le 2 mai: Tu me parles, mon cher ami, de toutes les traverses et des persécutions que j’ai éprouvées depuis le commencement de la société. Je serais bien fâché qu’il n’en eut pas été ainsi. Ne sais-tu pas que c’est le cachet de la main de Dieu sur nous […] Il faut lire à ce sujet les admirable épîtres de saint Paul, on y trouve bien des sujets de consolation, car il a passé par toutes les épreuves, comme les autres … 9 Évêque D’autres textes sont cités à propos de l’épiscopat. Dans le mandement de prise de possession du siège épiscopal de Marseille par Mgr Fortuné de Mazenod, le 10 août 1823, on trouve plusieurs citations de saint Paul sur les devoirs des évêques «si admirablement tracés par l’apôtre saint Paul à ses deux disciples Tite et Timothée». Il cite I Tm 6,20; I Cor

8 Écrits oblats (EO), 6, pp. 46-47. 9 EO, 6, p. 119. On trouve une réflexion semblable dans une lettre du 5 mars 1849 au p. Viala, supérieur des Oblats en Algérie, EO, 4, p. 170. 4

11,1; II Cor 2, 15; Rom 9, 310. En 1848, il encourage le père Bruno Guigues, nommé évêque de Bytown, et, en 1858, le père Vital Grandin, nommé à 28 ans auxiliaire de Mgr Taché à Saint-Boniface dans l’Ouest canadien. Au père Guigues, il écrit le 28 juillet 1848: Ne crains rien, cher ami, un évêque missionnaire qui veut être fidèle à sa vocation, en conserver l’esprit et même autant que possible les pratiques qui lui ont été si utiles dans le cours de sa vie apostolique, cet évêque est en possession du bonum opus qu’il n’a pas désiré mais dont il tirera tout le profit que surent en retirer les premiers évêques de l’Église à qui l’apôtre saint Paul donnait l’exemple et les conseils11… Au père Grandin, le 8 janvier 1858, il écrit dans le même sens: L’épiscopat est devenu pour vous la voie du salut, c’est par lui que vous vous sanctifierez et sanctifierez davantage; le fruit de votre ministère sera de plus en plus abondant; relevez-vous de votre abattement, et réjouissez-vous dans le Seigneur, car l’épiscopat arrivant à vous de la sorte est pour vous véritablement le bonum opus dont parle l’Apôtre dans ses admirables épîtres12. Amant de la croix L’évêque de Marseille écrit souvent qu’il est fort occupé. C’est alors qu’il cite saint Paul: «Ah! la belle parole de saint Paul: Pour nous, nous nous disons vos serviteurs, à cause de Jésus» (II Cor 4, 5)13. Eugène de Mazenod avait décidé de changer de vie et de devenir prêtre devant un crucifix un Vendredi saint. Ceci explique pourquoi il a souvent fait allusion à la première épître aux Corinthiens 12, 1-2: «Mes frères, lorsque je suis venu chez vous, ce n’est pas avec une supériorité de langage ou de sagesse […] car je n’ai pas jugé que je dusse savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié…» Des dizaines de fois dans ses lettres, Mgr de Mazenod parle de la croix, depuis l’invitation faite au père Tempier le 9 août 1815 de devenir missionnaire de Provence: «Lisez cette lettre au pied de votre crucifix14…», ou depuis le conseil donné à Forbin-Janson et aux Missionnaires de France, le 9 octobre 1816, «d’adopter le crucifix, au moins dans le cours de vos missions15», jusqu’à l’obligation faite aux Oblats du Canada, de Sri Lanka et du Texas «d’implanter l’étendard de la congrégation, qui est celui-là même de la croix, dans une autre partie du monde…», de porter toujours «la croix de leur oblation» «comme le diplôme de leur mission apostolique»16.

II. Dévotion de saint Eugène envers saint Paul Un premier signe de dévotion apparaît dans le fait que le Fondateur et le père Tempier ont

10 Mandement du 10 août 1823, p. 6, 10, 15 et 17. Les mandements de Mgr Fortuné ont habituellement été écrits en collaboration avec Eugène et quelquefois par celui-ci. 11 EO, 1, p. 206. I Tm 3,1: «Si quelqu’un aspire à un épiscopat, il désire une fonction excellente bonum opus». 12 Journal 28 août et 8 septembre 1838, (EO, 19, pp. 168, 195); lettres à Mgr Barnabò, 26 janvier 1855 (EO, 5, p. 83), et au père Vincens, 2 juin 1859 (EO, 12, p.143). 13 Journal 28 août et 8 septembre 1838, (EO, 19, pp. 168, 195); lettres à Mgr Barnabò, 26 janvier 1855 (EO, 5, p. 83), et au père Vincens, 2 juin 1859 (EO, 12, p.143). 14 EO, 6, p. 6. 15 EO, 6, p. 26-27. 16 Lettres au p. Lucien Lagier, 28 août 1841 (EO, 1, p. 8), au p. Étienne Semeria, 16 avril 1852 (EO, 4, pp. 94, 99 et 103), au p. Augustin Gaudet, 1er juin 1860 (EO, 2, p. 244). 5 commencé la vie commune dans l’ancien Carmel d’Aix à l’occasion de la fête de la conversion de saint Paul le 25 janvier 1816. Le père Tempier écrit dans ses Mémoires: Nous quittâmes définitivement, l’un et l’autre, la maison paternelle et nos familles pour prendre possession de notre humble demeure et ne plus la quitter. C’est un jour mémorable que je n’oublierai jamais tant que je vivrai17. Par la suite, la dévotion du Fondateur apparaît à Rome. Le 29 novembre 1825, il va visiter les catacombes de Saint-Calixte avec Mgr Luigi Ugolini, évêque de Fossombrone. Nous sommes descendus dans les catacombes, confie-t-il dans son Journal, saisis d’une respectueuse terreur à la vue de ces antres souterrains, où tant de martyrs ont vécu et ont été déposés après leur mort […] Les corps de saint Pierre et de saint Paul y ont été déposés quelque temps18… Le 21 décembre suivant, anniversaire de son sacerdotale, accompagné de l’abbé Bourdet, il célèbre la messe sur la confession de saint Pierre. Nous avons été servis sur-le-champ, écrit-il. On n’entre pas dans ce souterrain sans éprouver un saisissement de respect et de dévotion. J’ai dit la messe de saint Thomas sur les corps de saint Pierre et de saint Paul, dont la moitié repose sous cet autel, auprès de ceux des saints Pontifes romains des premiers siècles de l’Église19. Le 16 janvier 1826, il célèbre «la sainte messe une troisième fois sur la confession de Saint- Pierre, toujours avec une nouvelle consolation», confie-t-il. Il parle ensuite longuement de saint Pierre et ajoute: La première fois que j’irai, je m’occuperai davantage de saint Paul. Ce n’est pas qu’au confiteor, en nommant par deux fois saint Paul, aux oraisons, au canon, je ne me sois aussi bien recommandé à ce grand apôtre, mais je m’aperçois, dans ce moment que je me rends compte de mes sentiments, que sans intention exclusive pour saint Paul, et sans m’en douter, ma dévotion s’est principalement dirigée vers le prince des apôtres20. À la basilique Saint-Paul-hors-les-murs Le 29 janvier 1826, il va «faire la station de Saint-Paul-hors-les-murs. Quelle douleur de voir une si belle basilique devenue la proie des flammes [en 1823], gémit-t-il. L’incendie a été si violent que les colonnes mêmes qui soutenaient l’édifice, brisées par la chute de la charpente, ont éclaté en débris…» Il fait ensuite l’histoire de la basilique et une description de ce qu’elle était et conclut: Le pape Pie VII (1742-1823) avait été religieux dans cette maison […] On a eu l’attention de lui cacher dans ses derniers jour l’affreux événement qui l’aurait trop affligé […] En retournant à la ville, j’ai remarqué d’abord une petite chapelle dédiée à saint Pierre et à saint Paul, sur la place où l’on prétend que ces deux saints Apôtres se dirent le dernier adieu en allant au martyre21… De nouveau à Rome en 1854 à l’occasion de la définition du dogme de l’Immaculée Conception, Mgr de Mazenod va le 10 novembre faire une visite à la basilique Saint-Paul presque entièrement reconstruite.

17 T. RAMBERT, Vie de Mgr de Mazenod, Tours, 1883, I, p. 175. 18 EO, 17, pp. 30-31. 19 EO, 17, p. 58-59. Voir aussi la lettre au p. Tempier, le 22 décembre. EO, 6, p. 231. 20 EO, 17, pp. 81-82. 21 EO, 17, pp. 89-90. 6

La beauté de cette église est étourdissante, s’exclame-t-il. C’est à s’extasier devant la magnificence de ses colonnes, de ses marbres et de ses peintures […] J’ai vu avec bonheur certains préparatifs qui m’annoncent que le pape s’est arrêté à la pensée de consacrer cette église dans la circonstance unique qui se rencontre. Il avait bien voulu m’en parler dans l’audience du 30 octobre, comme d’un projet qui était combattu par ceux qui lui représentaient que la basilique n’était pas encore pavée; je me permis d’encourager Sa Sainteté à suivre cette pensée vraiment digne d’elle, sans s’arrêter aux étroites considérations de ces formalistes qui ne saisissent pas ce qu’il y a de grand dans une conception. Je fus jusqu’à placer ma main sur celle du pape, dans l’espèce d’enthousiasme que m’inspira cette communication, si conforme à ma manière d’envisager les choses. Une circonstance si heureuse ne se rencontrerait plus. Le pape s’entourant des évêques de toutes les parties du monde pour consacrer une basilique aussi célèbre, reconstruite par les dons de toute la chrétienté, c’est sublime! […] Je serais heureux, si j’avais pu contribuer par mes réflexions, à affermir le Saint-Père dans son beau dessein. Il daigna ajouter qu’il ferait graver sur une grande table de marbre le nom de tous les évêques qui auraient été présents à cette solennelle cérémonie22. Le dimanche 10 décembre, Mgr de Mazenod participe avec joie à la consécration de la basilique. Il fait dans son Journal la narration de la cérémonie: La cérémonie devait commencer à huit heures. À cinq heures, je dis la messe dans ma chapelle et j’entendis celle de mon grand-vicaire [Mgr Jeancard]. Dès sept heures et demie, j’étais rendu à la basilique. Quoique inachevée, elle avait été parfaitement disposée. Le pape avait désigné huit cardinaux pour concourir avec lui à la cérémonie, mais il s’en réserva la plus grande partie. Tout se fit d’une manière entièrement conforme au pontifical […] Le cardinal Riario Sforza, archevêque de , célébra la première messe sur l’autel consacré, après la cérémonie; le pape et tous les évêques assistèrent à cette messe. J’oubliais de dire que les saintes reliques furent portées sur les épaules par quatre archevêques de diverses nations […] Il était près de deux heures quand nous pûmes nous retirer23. Le 2 décembre précédent, Mgr de Mazenod avait écrit au pape pour lui demander d’établir dans toute l’Église la fête de la consécration de la basilique Saint-Paul24. Sollicitude de toutes les Églises Mgr de Mazenod ressentait toutes les douleurs de ceux qui souffrent (I Cor 12, 26). Il partageait les joies et les douleurs de tous les Oblats qu’il appelait affectueusement ses fils, mais il a aussi écrit des mandements et des lettres aux curés de Marseille pour demander des prières et des quêtes en faveur des familles appauvries par le tremblement de terre à la Martinique en 1839 et à la Guadeloupe en 184325, en faveur de l’Église d’Espagne persécutée et des prêtres espagnols immigrés à Marseille en 1840-184226, pour les victimes des inondations en France en 1846 et 185627, pour les Irlandais appauvris par la maladie de la patate en 184728, pour le clergé et les fidèles du Canada, ravagés par le typhus en 184729,

22 EO, 17, pp. 209-210. Le nom de Mgr de Mazenod figure sur cette plaque de marbre placée dans l’abside de la basilique. 23 EO, 17, pp. 250-251. 24 EO, 17, pp. 235-236. 25 Mandements du 15 avril 1839, imprimé, et lettre du 12 mars 1843. Copie auth.: Arch. archevêché de Marseille, Reg. des lettres administratives, vol. IV, n. 392. 26 Lettres du 6 août 1840 et du 21 juin 1841, AAM, Reg. lettres adm. Vol. IV, n. 137 et 196; Mandement 10 avril 1842, imprimé. 27 Lettres du 11 novembre 1846 et du 13 juin 1856, imprimées dans vol. des Mandements. 28 Mandement du 24 février 1847, imprimé. 29 Mandement du 6 septembre 1847, imprimé. 7 pour le pape chassé de ses États en 1848-184930, pour les chrétiens persécutés en Syrie31, etc. Comme saint Paul, il avait aussi «la sollicitude de toutes les Églises» (II Cor 11, 28). Il s’est intéressé à l’Église du Canada, à celles d’Angleterre-Irlande, de Sri Lanka, de l’Afrique du Sud, pays où il a envoyé environ 300 missionnaires32; il a aussi fait prier pour le retour de l’Angleterre au catholicisme33. C’est avec regret que, faute de missionnaires, il a dû refuser plusieurs territoires de missions offerts par la congrégation de la Propagation de la foi34. Le père Perbal observe dans un article sur les missions refusées avec ces mots: «Mgr de Mazenod a de l’audace et une audace qui va jusqu’à l’incroyable […] Il suffisait qu’on lui offrît des chrétiens délaissés, des païens non encore touchés par la Parole de Dieu pour que son cœur s’émût ...» * * * * * Bénissons Dieu de cet heureux accord de la libre volonté de Paul avec la toute-puissante grâce de Jésus Christ, et appliquons-nous à en reconnaître le résultat à jamais mémorable. Quelle gloire n’en revient-il pas à Dieu. Je ne parle pas de cette première conquête, chef-d’oeuvre de la grâce, qui fit du plus acharné persécuteur de l’Église, un vase d’élection, un apôtre intrépide, une des principales et plus fermes colonnes du mystique édifice que Jésus Christ était venu établir sur la terre et qu’il avait cimenté de son sang précieux. Mais comptez si vous le pouvez les nations innombrables qui furent engendrées par son ministère à Jésus Christ: Hébreux, Éphésiens, Galates, Thessaloniciens, Philippiens, Colossiens, Corinthiens, Parthes, Syriens, Romains, toutes les Nations en un mot, furent l’objet de son généreux zèle, et s’il n’adresse pas à chacune d’elles la parole de vie, il les porta toutes dans son coeur, et en assura la conquête à Jésus Christ par les nombreux disciples qu’il forma à la Sainte Milice du conquérant qui avait vaincu le monde en mourant pour lui sur une croix. (Extrait d’une méditation de saint Eugène de Mazenod sur la conversion de saint Paul – Rome, Archives de la Postulation)

30 Mandements du 29 novembre 1848 et du 12 mars 1849, imprimés. 31 Lettre aux curés, 29 juillet 1860, imprimée dans vol. des mandements. 32 A. PERBAL, o.m.i., Les missions acceptées par Mgr de Mazenod de 1841 à 1861, dans Études oblates, 22 (1963) pp. 227-284; 23 (1964), pp. 114-132. 33 Mandement du 21 décembre 1845, imprimé. 34 A. PERBAL, o.m.i., Missions directement refusées par le Fondateur, dans Études oblates, 23 (1964), p. 132-147. L’auteur énumère les pays suivants; Australie, Bengale, Mélanésie, Micronésie, Malabar, Iles Seychelles et Sénégambie. 8

Influences ignatiennes chez saint Eugène de Mazenod Bernard Dullier, o.m.i.

SUMMARY – The A. studies the influence of Ignatian spirituality on Saint Eugene de Mazenod. Starting from his early admiration for Saint Ignatius and his meeting with a few Jesuits who influenced him deeply, Saint Eugene usually followed the Spiritual Exercises during his retreats and recommended them to the formators of the Congregation. The early Oblate Constitutions (1818 and 1826) bear a strong Ignatian influence as well as a Liguorian one. Our Rule is deeply rooted in a personal attachment to Jesus Christ, obedience being fundamental as a result of the encounter with the obedient One, and a deep sense of community as an answer to Christ’s call to gather around him, modelled on the Apostles’ community with him. Le titre de cette étude pourra sembler provocateur à beaucoup d’Oblats. Le simple fait de poser la question va à l’encontre d’idées reçues chez nous depuis des dizaines d’années: «Nous appartenons à l’École française!». De plus, à côté de cette influence des Olier, Bérulle et Vincent de Paul, on reconnaît la place importante tenue par saint Alphonse de Liguori dans la pensée mazenodienne. Aussi, une autre idée reçue depuis longtemps est que nos Constitutions, pour l’essentiel, reproduisent celles des Rédemptoristes, ‘nos cousins’. Il est certes indiscutable qu’Eugène de Mazenod a beaucoup emprunté à saint Alphonse, en particulier en théologie morale. Il est évident aussi que beaucoup de nos pratiques viennent de la tradition bérullienne.1 Toutefois, il y a presque 50 ans, le père Giorgio Cosentino, dans la collection Archives d’Histoire Oblate2, a démontré que nos Constitutions devaient beaucoup moins à saint Alphonse et à Bérulle que ce que l’on affirmait jusqu’alors. Malheureusement cette étude magistrale, trop dérangeante sans doute, est restée sans suite. Depuis la canonisation de notre Fondateur, les recherches et les études se sont multipliées et force nous est de constater que la christologie de saint Eugène n’est pas celle de l’École française. De même, sa manière de regarder Marie n’a rien à voir avec le fameux «à Jésus par Marie» de Saint-Sulpice. Quant à sa missiologie, elle est commandée par la phrase ‘pour la gloire de Dieu, le service de l’Église et le salut des âmes’, qui apparaît dans ses écrits dès 1811 et qui ne doit rien à l’École française puisqu’elle est de saint Ignace.

I. Saint Eugène et les Exercices spirituels

1. Grande considération d’Eugène de Mazenod pour Ignace de Loyola Pendant son séminaire

1 Encore serait-il bon de faire la différence entre les pratiques qui datent du Fondateur et celles qui furent ajoutées ensuite. 2 G. COSENTINO, Histoire de nos Règles. Ottawa, Éditions des Études oblates, 1955. 6 v. (Archives d’histoire oblate. 3-8). 9

Au séminaire Saint-Sulpice, Eugène de Mazenod tient saint Ignace en grande estime. En voici quelques exemples. Dès son entrée au séminaire, parmi les jours de jeûne qu’il s’impose pour préparer certaines fêtes, en plus des vigiles des apôtres et des fêtes de la T.S. Vierge, figure le 30 juillet la vigile de saint Ignace de Loyola3. Notons au passage que ne figurent dans cette liste ni saint François de Sales ni saint Philippe de Néri. Quand il est ennuyé de se remettre aux études à l’âge de 28 ans, il reprend courage en regardant saint Ignace: L’exemple de st Ignace qui se mit à apprendre le latin à 30 ans m’encourage d’autant plus que cela ne l’empêcha pas de faire dans la suite de très grandes choses pour le bon Dieu. Puissé-je l’imiter dans son dévouement pour la gloire de Dieu et le salut de mon âme4. Quand il fait son examen particulier pour arriver à une plus grande perfection, il cite saint Ignace à deux reprises à propos de l’obéissance «qui est la reine des vertus»5. À la fondation de la Congrégation Dès la fondation des Missionnaires de Provence, saint Ignace figure, avec d’autres il est vrai, parmi ceux qu’Eugène de Mazenod propose à l’imitation de ses premiers compagnons: Nous vivrons ensemble sous une règle que nous adopterons d’un commun accord et dont nous puiserons les éléments dans les Statuts de st Ignace, de st Charles pour les Oblats, de st Philippe de Néri, de st Vincent de Paul et du bienheureux Liguori6. Quelques années plus tard, il se prend à rêver: si seulement les premiers Oblats pouvaient être comme les premiers Jésuites ! Il l’écrit au p. Courtès: Tu es à même de juger de quelle eau je suis abreuvé dans mes rapports avec certains sujets, hommes sans cœur, sans honneur, sans délicatesse, sans sentiments, sans conscience, pour qui l’apostasie est un jeu, le parjure une chose de rien… Si st Ignace n’avait rencontré que de pareils hommes, son œuvre serait encore à faire. Mais quels athlètes parurent alors ! Chaque soldat valait à lui seul une armée ! Je ne pousse pas plus loin mes observations, elles me mèneraient au-delà de ce que je veux dire…7 Quand la colère le prend parce que l’évêque de Fréjus menace de déclarer nuls les vœux prononcés chez les Missionnaires de Provence, il évoque l’exemple de saint Ignace: Je serais curieux de savoir si nos casuistes fréjusiens décident que les vœux que st Ignace fit à Montmartre avec ses compagnons étaient nuls!8 Quand, en désespoir de cause, il s’en remet au pape pour sauver les Missionnaires de Provence, il éprouve en lui les sentiments qui étaient ceux d’Ignace:

3 Règlement personnel d’octobre ou décembre 1808, dans Écrits oblats (EO), 14, p. 80. 4 Lettre à sa mère du 23 mars 1809, EO, 14, p. 129. 5 Avis généraux pour arriver à la perfection 1809, EO, 14, p. 102. 6 Lettre au p. Tempier du 9 octobre 1815, EO, 6, pp. 6-7. 7 Lettre au p. Courtès du 25 septembre 1832, EO, 8, p. 64. 8 Lettre au p. Courtès du 10 octobre 1823, EO, 6, p. 131. 10

Il faut se souvenir de cette parole de st Ignace que dans les affaires, il faut agir comme si la réussite devait dépendre de notre adresse et mettre en Dieu toute sa confiance, comme si toutes nos démarches ne devaient rien produire9. Il redit la même chose quand le projet d’une fondation à Rome échoue en 1832: À Rome autant qu’ailleurs il faut préparer les voies quand on veut réussir, fondé sur ce passage de st Ignace qu’en toute chose il faut mettre sa confiance en Dieu comme si l’on ne pouvait rien par les hommes et agir avec tant de suite, en employant tous les moyens humains comme si Dieu ne devait pas s’en mêler10. Pendant ses séjours romains L’admiration de saint Eugène pour saint Ignace prend un relief particulier lors de son séjour romain de 1825-1826. Le jour même de son arrivée à Rome où il se rend pour la première fois de sa vie, sa première démarche de pèlerin est pour l’église du Gesù11 où il reçoit la bénédiction du Saint Sacrement12. Il se rend au Gesù à de nombreuses reprises. Citons les visites du 15 janvier 182613, du 1er février14, du dernier jour du carnaval, du 14 février15, le Vendredi saint16 … Le 7 février, puis le 4 mars 1826, il célèbre la messe dans la chambre où vécut et mourut saint Ignace: J’ai été droit au Gesù où j’ai offert le saint sacrifice sur le corps de saint Ignace17. J’ai eu cette consolation aujourd’hui… J’ai eu le bonheur de dire la messe sur l’autel où tous ces saints ont célébré avant moi et j’ai fait mon action de grâce à la place où il est dit que saint Ignace priait… Tous ces précieux souvenirs m’ont fait le plus grand plaisir et les localités sont trop à mon goût pour que je n’aie pas été grandement satisfait de rencontrer celles-ci18. C’est au Gesù qu’il réserve son dernier geste de pèlerin avant de quitter Rome le 23 avril 182619. Vingt-neuf ans plus tard, lors de son dernier voyage à Rome en 1854, la même émotion gagne saint Eugène quand il prie sur le tombeau de saint Ignace; il note sa joie d’avoir été invité à y célébrer pontificalement par le Général des Jésuites20. En d’autres circonstances Le 31 juillet 1830, saint Eugène vit une expérience spirituelle forte quand les Jésuites de Fribourg l’invitent à présider la fête de leur Fondateur:

9 Lettre au pape Léon XII, 28 décembre 1825. 10 Lettre au p. Tempier du 18 juin 1832, EO, 8, p. 58. 11 Cette église où saint Ignace est enterré jouxte ce qui était la Maison Généralice où il mourut. 12 Journal de Rome du 26 novembre 1825, EO, 17, p. 27. 13 Journal de Rome du 15 janvier 1826, EO, 17, 80. 14 Journal de Rome du 1er février 1826, EO, 17, 85. 15 Journal de Rome du 14 février 1826, EO, 17, p. 107. 16 Journal de Rome du 24 mars 1826, EO, 17, p. 134. 17 Journal de Rome du 7 février 1826, EO 17, p. 100. 18 Journal de Rome du 4 mars 1826, EO, 17, pp. 118-120. 19 Journal de Rome du 23 avril 1826, EO, 17, p. 157. 20 Journal de Rome du 29 décembre 1854, EO, 17, p. 264. 11

Hier la solennité et la longueur des offices auxquels on m’a fait présider en la fête de st Ignace... excitaient en moi plus de dévotion et de plus saints désirs… ! Combien de sentiments divers ! J’étais heureux à l’autel, j’offrais le saint sacrifice pour l’Ordre des Jésuites, sans oublier notre famille. Je félicitais leur saint fondateur des merveilles qu’il avait opérées21.

2. Rencontre avec quelques Jésuites Eugène de Mazenod a toujours été un grand admirateur des Jésuites. Dès 1804, il se réjouit quand son père lui apprend que la Compagnie vient d’être rétablie dans le Royaume des Deux-Siciles22. Un peu plus tard il s’informe de leur devenir et écrit à son père: «Donnez- moi des nouvelles des Jésuites. Je suis leur grand admirateur et encore plus ardent défenseur23.» Dans un cahier de 1806, il fait une rapide histoire du jansénisme et ne cache pas son admiration pour les Jésuites «qui ont su corriger les opinions erronées». Mais surtout, il faut parler des deux Jésuites qui se trouvèrent sur sa route et qui jouèrent un rôle très important dans sa vie: don Zinelli à Venise et le p. Magy à Marseille. À Venise (1794 – 1797): don Bartolo Zinelli Don Bartolo n’est pas Jésuite à strictement parler, puisque, la Compagnie étant interdite, il fit profession chez les ‘Pères de la Foi’, forme alors autorisée de la Compagnie. Le nécrologe des Jésuites précise: Don Bartolo Zinelli. Né le 12 avril 1766. Décédé au couvent Saint-Sylvestre au Quirinal le 3 juillet 1802. Enterré dans l’église de Saint-Sylvestre. Entré clandestinement dans la Compagnie le 5 mars 1798, il fit sa profession le 21 juin 1799 et prononça ses vœux simples le 31 juillet 1801. À Rome, il exerça le ministère de missionnaire paroissial, de confesseur et de préfet spirituel. Homme de Dieu et vrai fils de la Compagnie, il n’avait pas d’autre pensée que la gloire de Dieu et le salut des âmes24. Tous les Oblats savent l’influence que don Bartolo a exercée sur le jeune Eugène, lors de son exil à Venise. Il suffira de lire ce qu’écrit le chanoine Leflon25. Cette influence est telle que le Fondateur note dans son Journal: Si nous fussions restés à Venise une année de plus, j’aurais suivi ce saint prêtre et son frère, devenus membres de la Congrégation religieuse qu’ils choisirent. Eugène de Mazenod, conscient de tout ce qu’il doit à ce ‘Jésuite’, écrit la veille de son ordination presbytérale: J’ai parcouru les différentes positions où le Seigneur m’a placé, parmi lesquelles il s’en trouve qui me font voir clairement que sa conduite à mon égard est une conduite de prédilection, entre autres de m’avoir fait passer 3 ans sous la direction et dans la compagnie habituelle d’un saint prêtre, mort en odeur de sainteté, et auquel il avait donné pour moi un cœur de frère tant il m’aimait26. Il semble que don Bartolo, en faisant lire à son jeune élève les ‘Lettres édifiantes sur les missions étrangères écrites par les missionnaires de la Compagnie’ ait plus ouvert le jeune

21 Lettre au p. Tempier, 1er août 1830, EO, 7, p. 208. 22 La Compagnie, supprimée par Clément XIV en 1773, fut rétablie par Pie VII en 1814. 23 Lettre à son père le président Charles Antoine du 1er novembre 1805. Aix, Méjanes, B 69. 24 Notice sur don Zinelli recueillie auprès des Archives de la Compagnie de Jésus. 25 Eugène de Mazenod ... I, Paris, 1957, pp. 113-124. 26 Retraite de décembre 1811, EO, 14, p. 256. 12

Eugène à la dimension missionnaire de la Compagnie qu’à la spiritualité ignatienne. À Marseille (1807 - 1808): le père Barthélemy Magy Le nécrologe des Jésuites dit ceci: Barthélemy-Augustin Magy. Né à Constantinople le 21 mars 1756. Entré clandestinement dans la Compagnie en 1781. Il en est resté secrètement membre. Il a principalement exercé un ministère de direction et d’accompagnement spirituel à Marseille. Il meurt dans cette ville le 25 janvier 181427. Le chanoine Ricard, dans ses Souvenirs du clergé marseillais donne quelques précisions supplémentaires. Le p. Magy, arrivé à Marseille aux environs de 1804, s’est installé dans une petite chambre, au-dessus de la sacristie de l’église Saint-Férréol, sur le Vieux-Port. Il prêche des retraites et se consacre à développer la dévotion au Sacré-Cœur, particulièrement en honneur dans la Compagnie et que Mgr de Belzunce avait introduit dans le diocèse de Marseille au XVIIIe s. Il est entouré d’un cercle de pieuses personnes consacrées au Sacré-Cœur, dont Mlle de Glandèves, dernière descendante d’une famille parlementaire aixoise amie des Mazenod. Après son expérience du Vendredi saint, conseillé par Mlle de Glandèves, Eugène de Mazenod fait le voyage à Marseille pour y rencontrer le p. Magy. Le moment approchant où il convenait que je me décidasse, avant de me fixer résolument,... je fus exprès à Marseille pour découvrir tout mon intérieur à un saint et expérimenté personnage. J’eus plusieurs conférences de plusieurs heures avec cet ange de paix, après lesquelles il ne me fut plus possible de douter que Dieu me voulait dans l’état ecclésiastique28. Le dossier Magy, aux archives générales de la Compagnie de Jésus à Rome, conserve le double de deux lettres qu’il envoya à Eugène de Mazenod en 1807. Dans la première, il écrit: «Après tant de circonstances réunies, les raisonnements et les nouvelles recherches deviennent inutiles. Votre vocation est aussi lumineuse que le plein midi dans le plus beau jour.» Dans la seconde, il précise: «Vous avez dévotion à st Ignace. Ce grand saint a formé tant d’apôtres. Il vous obtiendra la grâce de l’être. Oui, vous le serez, j’en ai le pressentiment.»29 Donc, le p. Magy, comme don Zinelli, aurait bien vu le jeune Eugène devenir Jésuite !

3. Eugène de Mazenod a pratiqué et conseillé les Exercices À Saint-Sulpice, M. Émery, bien que sulpicien, n’avait pas hésité, pour relever son séminaire, à faire appel à tout un groupe d’anciens Jésuites, les pères Varin, de Broglie, Villèle et Sambucy, ceux-là mêmes qui fondèrent les Pères de la Foi. Tous ces hommes furent les professeurs d’Eugène de Mazenod. Inutile de préciser qu’ils le marquèrent aussi bien par leur enseignement que par leur spiritualité. Eugène de Mazenod et les A.a.

27 Notice sur le p. Magy recueillie auprès des Archives de la Compagnie. 28 Lettre à sa mère du 23 mars 1809, EO, 14, p. 130. 29 Nous savons qu’Eugène de Mazenod échangea par la suite plusieurs lettres avec le p. Magy. Le p. Rey eut cette correspondance entre les mains, mais, depuis, elle a hélas disparu. 13

À Saint-Sulpice, M. Emery favorise, l’établissement d’une association assez mystérieuse, les A.a.30, groupement de jeunesse typiquement ignatien auquel Eugène de Mazenod adhère dès 1810 et dont il devient rapidement secrétaire, puis président. Un document de la main même d’Eugène31, nous renseigne un peu sur ces A.a. Le règlement en était l’œuvre du père Barelle, ancien jésuite. Il voulait regrouper l’élite des séminaristes afin de les former à la vie spirituelle et de les orienter vers l’apostolat. Ces deux fins sont sur le même plan et étroitement fonction l’une de l’autre, exactement selon la conception qui est l’âme et la raison d’être de la Compagnie de Jésus32. Chaque groupe ne comporte que quelques membres, soigneusement sélectionnés, formant une ‘armée d’élite’ chargée d’encadrer, discrètement et sans qu’il y paraisse, le reste du séminaire. Tout cela respire l’inspiration ignatienne! Les membres s’attachent à gagner l’amitié et la confiance des personnes qui composent le séminaire afin de pouvoir, par leurs conseils et les sages avis qu’ils donneront avec prudence, les exciter à la piété et à la fidélité33. Dès son retour à Aix en 1812, l’abbé de Mazenod, qui exerce une charge de directeur spirituel auprès de certains séminaristes du diocèse, décide d’y créer une A.a. à la manière de celle de Saint-Sulpice et avec les mêmes buts: «Stimuler la piété et le zèle apostolique des meilleurs des sujets et aider les autres à devenir meilleurs»34. Eugène de Mazenod fait les Exercices de saint Ignace Décembre 1811: retraite de trente jours Le diacre Eugène de Mazenod, en décembre 1811, fait sa retraite d’ordination presbytérale selon la méthode des Exercices. C’est là sans doute qu’il entre en profondeur en contact avec la spiritualité de saint Ignace35. Souvenons-nous de l’importance que cette retraite a eu dans l’évolution spirituelle du Fondateur, le faisant passer de la vision d’un salut qui se mérite à celle d’un salut qui est donné par pure grâce. Elle achève sa découverte du sens de la Croix et le fait entrer définitivement dans la gratuité de l’amour de Dieu pour nous. Elle constitue le second tournant de son évolution spirituelle. Décembre 1814: retraite de 10 jours Eugène de Mazenod ouvre cette retraite de 10 jours, toujours selon les Exercices, en citant une phrase de saint Ignace: Grande maxime: faire toujours tout ce qui dépendra de moi pour réussir dans les entreprises que je crois bonnes, mais quand je n’aurai rien à me reprocher, quand j’aurai employé et Dieu et les hommes, quand je me serai servi de tous les moyens que la foi et mon esprit et ma position me fournissent, si le succès ne répond pas à mes vues, rentrer au plus tôt dans mon intérieur et ne pas perdre une once de cette paix précieuse qui est le plus grand des

30 Abréviation du nom complet: Associatio amantissimi Cordis Jesu. 31 Cinq pages in folio et intitulées ‘Associatio amantissimi Cordis Jesu, ad ascendendum spiritum Christi in nobis’ 32 R. ROUQUETTE, art. « Congrégations secrètes», dans Dictionnaire de Spiritualité, II, col. 1495. 33 Associatio amantissimi Cordis Jesu, ad ascendendum spiritum Christi in nobis. 34 Lettre à Forbin Janson , 12 mai 1813, EO, 15, 70. 35 Cette retraite a été étudiée par le p. T. RAMBERT, Vie de Mgr C.-J.-E. De Mazenod ..., I, pp. 87 à 92. 14

biens. Saint Ignace disait qu’un quart d’heure d’oraison lui suffisait pour se consoler de la destruction même de sa Société36. Au cinquième jour, avec la treizième méditation, il s’émerveille de: La parabole de st Ignace qui est admirable et s’applique merveilleusement à toute situation. J’ai été appelé comme les autres à combattre sous ce grand roi ses ennemis qui sont aussi les miens37. Au septième jour, il cite une nouvelle fois saint Ignace lors de la méditation capitale sur les deux étendards: Ce fut dans cette méditation que Dieu inspira à st Ignace le dessein d’instituer un ordre sous le nom de Compagnie de Jésus dont la fin fut de combattre sous l’étendard de J.–C. et de déclarer la guerre à ses ennemis38. Cette retraite fut décisive dans la décision de fonder les Missionnaires de Provence. Il explique à son ami Forbin Janson le chemin parcouru: il s’est vidé de sa volonté propre et il s’est laissé faire par l’Esprit Saint. Alors Dieu lui a montré le chemin en mettant fin à ses hésitations. Ce sont bien là les deux réalités ignatiennes de ‘discernement des esprits’ et ‘d’élection’ qui sont présentes39. Eugène de Mazenod recommande les Exercices En plus d’un usage personnel des Exercices, saint Eugène les recommande de nombreuses fois et d’abord aux jeunes Oblats en formation. C’est ainsi qu’il les conseille au jeune Guibert: «Il ne doit commencer ses fonctions qu’avec une nouvelle ère. Il faut que ce soit une époque de renouvellement et de réforme.»40 Il les recommande au Maître des novices pour l’usage de tous les novices: «Je vous recommande de faire faire une bonne retraite préparatoire pour le noviciat, huit jours d’exercices selon la méthode de st Ignace.»41 Il les conseille également aux Oblats qui remettent en cause leur vocation. Ainsi il les propose au p. Sicard qui pense quitter la Congrégation: «Il va se rendre à Aix, chez les Jésuites, pour y faire une retraite et une bonne confession.»42

4. Rapports ‘Amour – Haine’ avec la Compagnie de Jésus Les relations entre Eugène de Mazenod et les Jésuites furent beaucoup plus complexes que celles qu’il entretenait avec la pensée et le souvenir de saint Ignace. Il apprécie la Compagnie de Jésus et n’hésite pas à se compromettre en sa faveur. Mais en même temps il se permet de la critiquer, parfois très sévèrement, et de faire savoir à qui de droit qu’il n’est pas d’accord avec certaines de ses pratiques. Sans prétendre être exhaustifs, nous nous contenterons de prendre quelques exemples qui

36 Notes de retraite de décembre 1814, EO, 15, p. 97. 37 Ibid., EO, 15, p. 117. 38 Ibid., EO, 15, p. 127. 39 Lettre à Forbin Janson, 23 octobre 1815, EO, 6, pp. 8-11. 40 Lettre au p. Tempier, 27 février 1826, EO, 7, p. 48. 41 Lettre au p. Vincens, 23 novembre 1841, EO, 9, p. 175. 42 Journal du 6 juin 1838, EO, 19, p. 126. 15 nous paraissent significatifs de cette ambiguïté de relations. Elle apparaît dès novembre 1815 dans la lettre à l’abbé Aubert, écrite pour l’inviter à rejoindre les Missionnaires de Provence: Personne n’est plus attaché que moi à la très sainte Compagnie de Jésus. Son rétablissement a toujours fait l’objet de mes vœux et j’attache le plus grand prix à sa propagation. Cependant, je vous aimerais mieux ici que parmi les Jésuites. Le bien que nous nous proposons doit remédier à des maux plus pressants43. «Personne n’est plus attaché que moi à la très sainte Compagnie de Jésus…» Eugène de Mazenod répète souvent cette phrase et il montre son attachement par des actes. La venue des Jésuites à Marseille Dès 1833, Mgr de Mazenod écrit au Général de la Compagnie pour demander une fondation à Marseille. N’ayant pas reçu de réponse, il revient à la charge en 1838, malgré la répugnance du clergé marseillais à l’égard des Jésuites. La réponse est favorable et cinq Jésuites arrivent en mai 1839: «Leur établissement à Marseille marque un des plus beaux jours de mon épiscopat», notera-t-il dans son Journal44. L’évêque met à leur disposition les bâtiments de la rue du Tapis Vert avec chapelle45 et immeubles pour les cercles catholiques qu’ils vont animer dans la ville. Sous la direction des pères Valentin et Barelle qu’il a lui-même orienté vers la Compagnie, les œuvres prospèrent rapidement. Citons le ‘Cercle des hommes’ destiné aux bourgeois et le ‘Cercle Sainte Anne’ fondé à la demande de l’évêque pour les poissonnières et les prostituées. Mgr de Mazenod y préside les célébrations, y assure des retraites et y donne la confirmation. Il s’émerveille du travail accompli par la Compagnie: «La Compagnie de Jésus porte des fruits dans toutes les parties du monde et j’ai été si heureux de la transplanter au milieu de ma ville épiscopale. Je tiens à rendre à ces Pères un éclatant témoignage de ma satisfaction»46. La défense des Jésuites À plusieurs reprises, à Aix et à Marseille, Mgr de Mazenod prend la défense des Jésuites, tant auprès du gouvernement que des évêques, en 1844, 1845, 1847… Lorsque le gouvernement Thiers obtient des Chambres, le 5 mai 1845, l’autorisation d’expulsion des Jésuites, l’épiscopat français reste silencieux. Mgr de Mazenod prend l’initiative d’une protestation solennelle qu’il envoie à tous les évêques et qu’à peine la moitié d’entre eux accepte de signer. Puis il écrit une longue lettre ouverte au Garde des Sceaux, traitant cette mesure ‘d’inique et d’injuste’ et demandant ‘pourquoi en veut-on aux Jésuites? En quoi ont-ils démérité?’ Il fait savoir au préfet que, si les Jésuites sont expulsés de Marseille, il les logera dans son palais épiscopal. Enfin, il adresse une supplique à Louis- Philippe lui demandant d’user de son droit de veto pour empêcher l’application de la loi.

43 Lettre à l’abbé Aubert de novembre 1815, EO, 5, p. 1. 44 Journal du 17 mai 1839, EO, 20, p. 131. 45 Cette ancienne chapelle des Lazaristes servit aux Missionnaires de France. Mgr Fortuné y jeta l’interdit en 1823. Aujourd’hui, elle a été attribuée par la Municipalité à la Société sacerdotale saint Pie X. 46 L. de CHAZOURNES, Vie du R.P. Barrelle. Paris, 1870. T. I, Discours de Mgr Eugène de Mazenod du 12 juin 1845. 16

En mars 1847, quand la Compagnie est menacée de dissolution, il n’hésite pas à reprocher, respectueusement mais clairement, au Pape son étrange silence: Parmi les ouvriers évangéliques qui ont le plus secondé au milieu de nous par leurs travaux apostoliques les vues de votre piété et de votre charité, je dois placer au premier rang les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée et les Pères de la Compagnie de Jésus, établis en communauté dans la ville de Marseille. Ni les uns ni les autres ne pourraient en être éloignés sans y laisser un grand vide. Je suis pour le moment sans crainte à l’égard des Oblats. Mais je crains que les Jésuites n’aient à subir de nouvelles persécutions et j’oserais supplier Votre Sainteté de daigner les protéger contre de récentes attaques47. Lorsqu’éclate la Révolution de 1848 à Rome, Pie IX prévient les Jésuites qu’il n’est plus en mesure d’assurer leur sécurité. Le 29 mars, l’évêque de Marseille offre l’hospitalité au père Jan Philip Roothaan, Préposé général de la Compagnie. Le Conseil général y débarque le 5 avril 1848 et s’établit d’abord à l’évêché, puis dans un hôtel particulier de la rue Paradis, sous la protection d’Eugène de Mazenod. Il ne rejoindra Rome qu’en décembre 1849. ‘Cependant…’ Si Eugène de Mazenod voue un grand attachement aux Jésuites, à leur défense et à l’expansion de la Compagnie, son amour n’est pas aveugle. Il est souvent critique vis-à-vis de certaines pratiques des Jésuites et il sort les griffes quand il estime leur attitude inacceptable. Retenons trois exemples particulièrement significatifs. – Il n’apprécie pas leur politique de recrutement Quand son neveu Louis de Boisgelin décide, en 1837, d’entrer chez les Jésuites, il pense que sa vocation a été forcée; ce qui ne fait que confirmer ce qu’il a déjà observé dans son diocèse: Je considère qu’ils [les Jésuites] gardent pour eux tout ce qu’il y a de meilleur parmi leurs élèves et que, dans leurs maisons, la vocation à l’état religieux se résume à faire des Jésuites. Persuadés qu’il n’y a rien de plus parfait sur la terre que leur Ordre, ils influencent les bonnes dispositions des bons sujets qui leur passent par les mains… J’aime l’Église plus que les Jésuites, quoique j’estime beaucoup cet Ordre.48… L’Église doit se contenter des rebuts de la Compagnie49. – Il n’apprécie pas qu’ils passent par-dessus la tête de l’évêque En appelant les Jésuites à Marseille, il a le projet de leur faire ouvrir dans l’avenir un collège. Mais il lui faut aller doucement et tenir compte de l’opposition de son clergé. Aussi, au début, il leur demande de se limiter à l’animation de différents cercles catholiques. Mais, profitant de la loi Falloux qui offre de nombreux avantages aux collèges privés, les Jésuites décident de hâter l’ouverture du collège Saint-Ignace, font les démarches et recueillent les fonds nécessaires, le tout alors que l’évêque se trouve en Angleterre. On devine la fureur de Mgr de Mazenod quand il se trouve mis devant le fait accompli:

47 Lettre au pape Pie IX du 21 mars 1847, dans A. REY, Vie de Mgr C.-J.-E. de Mazenod ... Rome, 1929. T. II, p. 247. 48 Journal du 20 septembre 1837, EO, 18, p. 282. 49 Journal du 28 août 1838, EO, 19, p. 185. 17

Je vous ordonne de suspendre l’affaire car je ne supporte pas qu’on veuille me forcer la main. Quand je le jugerai opportun, je serai le premier à demander un collège à vos Pères50. Le collège n’ouvrira qu’après la mort de l’évêque et encore sera-t-on obligé de le fermer huit ans plus tard, face aux protestations du clergé diocésain. Mgr de Mazenod avait raison: les temps n’étaient pas opportuns! – Il n’apprécie pas qu’ils prennent la place des Oblats (affaire de Romans) Alors que les Oblats ont la charge du Grand Séminaire de Romans, quelques Jésuites manœuvrent auprès de l’évêque de Valence et de leur provincial de Lyon, si bien que les Oblats sont priés de se retirer au profit de la Compagnie. Notre Fondateur voit rouge et n’hésite pas à écrire ce qu’il pense au Général de la Compagnie: (c’est) une indigne initiative, d’hommes qui ont perdu tout sentiment de délicatesse et d’honneur. Il convient que vous soyez informé de la façon de traiter les affaires de vos Pères dans nos contrées51... Sa lettre au Provincial est plus dure encore: Il m’a été très pénible, à moi qui bien avant qu’aucun de vous ne fût au monde, aimais votre Société plus que vous ne l’aimez vous-mêmes et qui lui ai donné toute ma vie des preuves de mon estime et de mon affection jusqu’à me compromettre plusieurs fois pour elle, il m’a été pénible de vous découvrir capables d’une telle infamie52. À partir de ces faits, nous voyons que les rapports entre Eugène de Mazenod et la pensée ignatienne furent nombreux. Il ne devient pas Jésuite et il ne le regrette pas. Mais il aime saint Ignace, sa pensée et son zèle missionnaire ainsi que les premiers Jésuites. Il fut accompagné par des Jésuites et il s’est spirituellement construit grâce aux Exercices. Il apprécie le travail apostolique de la Compagnie. Tout en discernant les aspects trop humains de certaines manières de faire, il prend courageusement sa défense devant le roi, les évêques et le pape. Si saint Eugène de Mazenod fut tellement attiré par saint Ignace de Loyola, c’est probablement parce qu’il se retrouvait dans son itinéraire spirituel. C’est ce que nous allons regarder maintenant.

II. Ignace de Loyola et Eugène de Mazenod: des chemins parallèles

1. La vie de saint Ignace (1491 - 1556) Né en pays basque vers 1491, page d’un ministre de Castille, il est mêlé très jeune à la vie de la cour dont il partage les faiblesses et les dissolutions morales. Passé au service du vice-roi de Navarre, il est grièvement blessé lors du siège de Pampelune en 1521. Pendant sa longue convalescence, il connaît une première conversion à la lecture de la ‘Légende des Saints’ de Jacques de Voragine et de la ‘Vie du Christ’ de Ludolphe le Chartreux. Il y découvre ‘l’héroïsme de la sainteté’ qu’il conçoit comme une performance

50 Paroles rapportées par le p. Tissier, supérieur de la résidence des Jésuites de Marseille. 51 Lettre au p. Beckx, Supérieur général des Jésuites, du 12 octobre 1857. AGR DM X 2, pp. 127-129. 52 Lettre au p. Gautelet, Provincial des Jésuites de Lyon, du 20 octobre 1857. AGR, Reg. des lettres plus importantes 1855-1863, pp. 132-133. 18 chevaleresque à base de pénitence. Pour y parvenir, il quitte sa famille et, après avoir fait vœu privé de chasteté, il se consacre à Dieu au monastère de Montserrat. Il quitte Montserrat en 1522 pour se retirer quelques mois à Manrèse où il connaît sa seconde conversion à la suite d’une série d’expériences mystiques fortes. Il en note le résultat sur un cahier qui va constituer l’ossature des Exercices spirituels. Une nouvelle expérience mystique au bord du Cardoner l’invite à une re-création intérieure qui achève son cheminement. Désormais la contemplation et la pénitence ne seront plus recherchées pour elles-mêmes mais seront placées au service de l’apostolat. Il commence alors une longue ‘errance’: pèlerinage à Jérusalem en 1523, études à Salamanque en 1527 et à Paris en 1528. Découvrant que l’apostolat ne peut se réaliser seul, il regroupe six compagnons avec lesquels, à Montmartre, le 15 août 1534, il fait vœu de pauvreté et de chasteté. Puis il demande au Pape de lui fixer un champ d’apostolat. Avec ses compagnons, il est ordonné prêtre à Venise en 1537. Quelques missions à travers l’Italie du Nord dispersent l’équipe sans consistance institutionnelle. En 1539, les compagnons recherchent la volonté de Dieu dans la prière et la réflexion, à l’aide des Exercices. Ils reconnaissent alors que l’obéissance à un supérieur est le moyen voulu par Dieu pour donner à la communauté son efficacité apostolique. L’obéissance devient le moyen spirituel d’union à Dieu et de réalisation de sa volonté salvifique. La Compagnie de Jésus est née. Approuvée par Paul III le 27 septembre 1540, elle adopte pour devise “Ad majorem Dei gloriam”, se consacrant à la gloire de Dieu par la sanctification personnelle et par la mission apostolique. Ignace meurt à Rome le 31 juillet 1556.

2. Itinéraire spirituel d’Ignace53 À Manrèse, Ignace reçoit une vision globale de tout ce qui existe, de la réalité du monde et des hommes. Tout se met en place, de manière décisive dans son cœur et dans son esprit: tout vient de Dieu et Dieu est la fin de tout, dans et par le Christ. Pareille synthèse implique cinq lignes de force qui sous-tendent la découverte radicale faite par Ignace. 1er élément: la découverte d’un Dieu personnel Ignace passe d’un concept religieux, basé essentiellement sur l’habitude et la pratique, à la découverte d’un Dieu personnel, qui devient ‘Quelqu’un pour lui’. Dieu devient son unique raison d’être et son cœur se tourne totalement vers lui: ‘Le but de la vie d’Ignace devient alors essentiellement religieux. Désormais le service de Dieu domine à lui seul tout son esprit et toute son action’54. Rien d’étonnant alors qu’il songe peu après sa conversion à entrer dans un monastère pour y mener une vie entièrement consacrée à adorer et à servir Dieu, la vie monastique lui paraissant le seul engagement radical possible. La route qu’il va suivre relèvera de cette même radicalité, vécue non plus dans

53 Ce paragraphe est tiré du cours donné au Centre Sèvres par le père Jean-Claude Guy, s.j. sur la spiritualité de saint Ignace. 54 P. de CHASTONAY, Les Constitutions de l’Ordre des Jésuites, 1941. 19 une vie contemplative mais dans la vie quotidienne d’un apôtre plongé dans le monde des hommes. 2e élément: la découverte d’un Dieu qui agit et réalise le salut promis Le Dieu que contemple Ignace est un Dieu dont l’amour est agissant. Il est agissant pour l’homme et pour le bien de l’homme. Le monde entier est rempli par l’action divine, par l’amour passionné de la Trinité qui désire et accomplit le bonheur des hommes. Le Fils de Dieu est avant tout perçu comme celui qui réalise la volonté salvatrice du Père. Cette action divine se manifeste dans l’Incarnation, signe d’un Amour s’exprimant en actes. 3e élément: la Croix est le lieu où s’accomplit l’action de Dieu La Croix est l’acte par lequel la Parole de Dieu, le Verbe, agit et accomplit le plan de salut du Père. Par le ‘oui’ de la Croix, le Fils réalise ce que Dieu attend de l’homme. La contemplation de la Croix entraîne Ignace à agir à la manière des Apôtres. La Croix devient le modèle à suivre et à imiter. Elle n’a de sens et de valeur que comme accomplissement de la volonté du Père et comme acte créateur de Dieu par lequel il envoie l’Esprit. 4e élément: l’amour de Dieu, agissant par la Croix, est universel La méditation sur les deux étendards place le monde entier et chacun en particulier devant le Christ qui s’adresse à tous ses serviteurs et à tous ses amis, leur recommandant de vouloir bien aider tous les hommes à faire cette découverte. Là est l’origine de l’engagement apostolique d’Ignace. L’humanité tout entière étant sauvée par la Croix, pour suivre les pas du Sauveur, le doit nécessairement partager ce souci universel. 5e élément: lecture des signes des temps Devant l’échec du projet de se fixer à Jérusalem, Ignace réalise qu’il faut tenir compte des circonstances et des moments successifs. C’est dans les événements que la grâce révèle l’action du Sauveur dans la vie de chaque homme. Il lui faut apprendre à lire les signes des temps, d’abord dans sa propre vie, puis dans la vie des autres et du monde. C’est la vie qui l’entraîne dans ses projets missionnaires. Il invite ses compagnons à renforcer leur attention au message divin manifesté dans les événements et rappelle la vigilance nécessaire pour tirer parti des circonstances historiques qui révèlent le sens de l’action. Il faut replacer la ‘Compagnie de Jésus’ dans cette perspective. Le nom lui-même est éloquent. Ignace fait l’expérience du Christ réalisant le plan d’amour de Dieu dans l’Incarnation et sur la Croix. D’où son insistance sur le nom de Jésus. Il est aussi frappé par l’appel que le Seigneur adresse à ses disciples et il insiste sur la dimension apostolique de cette sequela Christi (suite du Christ).

3. Itinéraire spirituel d’Eugène Ignace connaît la vie mondaine de la cour royale d’Espagne, puis la solitude et la désillusion lors de sa longue période d’inactivité après la blessure du siège de Pampelune. Eugène connaît la vie facile de la cour royale de Palerme, puis la solitude et la désillusion lors de la longue période d’inactivité qui suit son retour d’exil en 1802.

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C’est au creux de son échec apparent qu’Ignace, âgé de 28 ans, fait l’expérience spirituelle de Montserrat. C’est au creux de son échec apparent qu’Eugène, âgé de 26 ans, fait l’expérience spirituelle du Vendredi saint55: J’ai cherché le bonheur hors de Dieu, et trop longtemps, pour mon malheur… Puis-je oublier ces larmes amères que la vue de la Croix fit couler de mes yeux un Vendredi saint. Ah ! elles partaient du cœur, rien ne put en arrêter le cours… J’étais en état de péché mortel et c’était précisément ce qui occasionnait ma douleur. Jamais mon âme ne fut plus satisfaite, jamais elle n’éprouva plus de bonheur, c’est qu’au milieu de ce torrent de larmes, malgré ma douleur, ou plutôt par le moyen de la douleur mon âme s’élançait vers sa fin dernière, vers Dieu mon unique bien dont elle sentait vivement la perte. À quoi bon en dire davantage56? Arrêtons-nous à ce texte pour en dégager cinq insistances. i. La rencontre du Dieu-Personne. Cette découverte n’a rien d’intellectuel. Dans ce texte, il est d’abord question d’une expérience ‘touchante’ au sens le plus charnel du mot. C’est le cœur qui se trouve satisfait, passant de la tristesse à la joie, des larmes de douleur aux larmes de bonheur. Auparavant Eugène ne parlait que de connaissance. Désormais, il parle d’amour: Quelle plus glorieuse occupation que de n’agir en tout et pour tout que pour Dieu, que de l’aimer par-dessus tout, que de l’aimer d’autant plus qu’on l’a aimé trop tard57. Eugène rejoint ainsi le 1er élément de l’itinéraire spirituel d’Ignace. ii. La rencontre du Dieu Sauveur. Parce que Dieu est une personne et parce que l’homme est sa créature, Dieu ne peut qu’éprouver des sentiments de tendresse et d’amour pour lui. Eugène a conscience de son malheur qui est d’avoir cherché le bonheur hors de Dieu, ce qu’il appelle son péché mortel. Mais en même temps, il éprouve un bonheur indicible en découvrant que Dieu donne gratuitement. Dieu devient sa fin dernière vers laquelle il peut s’élancer puisque Dieu, le premier, lui a tendu la main. Eugène développe cela lors de la retraite de 1811, dans la méditation sur la parabole de la brebis perdue. Mais c’est déjà contenu dans l’expérience du Vendredi saint. Vous n’êtes pas seulement mon Créateur et mon Rédempteur, comme vous l’êtes de tous les autres hommes. Mais vous êtes mon bienfaiteur particulier qui m’avez appliqué vos mérites d’une manière toute spéciale, mon ami généreux qui avez oublié toutes mes ingratitudes, mon tendre père qui m’avez porté sur vos épaules et réchauffé sur votre cœur…58 Eugène rejoint ainsi le 2e élément de l’itinéraire spirituel d’Ignace. iii. La rencontre du salut par la Croix Cette découverte se situe le jour du Vendredi saint, au moment où la croix dévoilée est solennellement présentée aux fidèles et offerte à leur vénération. La Croix signifie et réalise l’Amour de Dieu pour l’homme. Elle est le signe triomphal de l’amour plus fort que

55 Nous admettons l’opinion commune aujourd’hui qui place cette expérience du Vendredi saint en 1807. Voir J. PIELORZ, «Vendredi saint de 1807: mythe ou réalité?», dans Vie Oblate Life, 56 (1997), pp. 13-45. 56 Notes de retraite de décembre 1814, EO, 15, pp. 99-100. 57 Ibid., EO, 15, p. 100. 58 Notes de retraite de décembre 1811, EO, 14, p. 263. 21 le péché et la mort. Durant son Séminaire, il écrit: Être tout à tous et pour tous et ne chercher que la Croix de Jésus Christ59. La croix de missionnaire est commune aux prédicateurs de missions populaires. Pourtant, en l’adoptant, saint Eugène lui reconnaît une valeur particulière: Vous ne sauriez croire l’effet qu’elle (la croix) produit et combien elle est utile. Les peuples accoutumés à l’habit ecclésiastique en font peu de cas. Mais ce crucifix leur en impose… Il donne une grande autorité. Il distingue les missionnaires des autres prêtres et cela même est bon parce que le missionnaire doit être regardé comme un homme extraordinaire. Dans le tribunal il est utile au confesseur et, le jour de l’absolution, il aide le pénitent entre les mains duquel nous le plaçons à concevoir la douleur de ses péchés, à les détester et même à les pleurer60. (Refuser de porter la croix) c’est à mes yeux un acte de faiblesse… c’est craindre de participer à la folie de la croix… Je blâme cette prudence humaine61. Eugène rejoint ainsi le 3e élément de l’itinéraire spirituel d’Ignace. iv. Ouverture à la dimension universelle de ce Salut À son entrée au séminaire, Eugène de Mazenod est resté à une vision très intimiste du salut par la Croix et il court le risque de s’enfermer sur lui-même. Il faut attendre son ministère à Aix en 1813 pour le voir s’ouvrir pleinement à la dimension universelle du Salut: rencontre de ‘la Germaine’, une condamnée à mort que l’on mène à l’échafaud sans assistance spirituelle, rencontre des prisonniers de guerre autrichiens victimes du choléra, rencontre des jeunes désœuvrés et désorientés par les temps nouveaux, rencontre des pauvres de toute espèce abandonnés par l’Église. Cela le pousse à aller au terme de sa découverte du salut par la Croix: un salut universel, destiné à tous, en particulier aux plus abandonnés. Venez surtout, vous pauvres de Jésus Christ et plût à Dieu que je pusse faire entendre ma voix dans les quatre parties du monde pour réveiller tant d’insensés de l’assoupissement fatal qui les conduit à leur perte… Vous êtes les enfants de Dieu, les frères de Jésus Christ, les héritiers de son royaume éternel, la portion choisi de son héritage… Dieu seul est digne de votre âme62. À mes yeux il [le condamné à mort] était un objet d’admiration, un être privilégié, un prédestiné pour lequel le Christ a versé son sang63. C’est la vie qui le lance dans la fondation des Missionnaires de Provence, œuvre ‘apostolique’ par excellence: Nous voulons choisir des hommes qui aient la volonté et le courage de marcher sur la trace des apôtres64. Eugène rejoint ainsi le 4e élément de l’itinéraire spirituel d’Ignace. v. Relecture des ‘signes des temps’ Au fil des circonstances, Eugène de Mazenod s’imprègne de cette idée que rien de ce qui constitue l’homme n’est étranger à Dieu. Tout homme et tout l’homme porte la marque de Dieu. La destinée de l’homme est d’épouser autant que possible la dynamique de l’amour

59 Résolution générale de décembre 1809. 60 Lettre à Forbin Janson du 9 octobre 1816, EO, 6, pp. 26-27. 61 Ibid. 62 Sermon de La Madeleine du 3 mars 1813, EO, 15, p. 49. 63 Journal du 16 juillet 1837, EO, 18, p. 228. 64 Lettre au p. Tempier du 9 octobre 1815, EO, 6, p. 7. 22 de Dieu et donc d’en retrouver dans le quotidien la source et les énergies. C’est le Fils qui, en s’incarnant dans l’ordinaire de la vie des hommes, demande à l’homme sa collaboration, faisant de lui un co-rédempteur. Pour cela, l’homme est invité à mettre ses pas dans les pas du Fils. C’est en suivant et en imitant un tel Modèle que l’homme unit amour et action. Ce sont les événements, vécus en union au Christ qui provoquent l’action, lui dictent la façon de se comporter et lui permettent d’inventer des formes nouvelles de missions. Eugène rejoint ainsi le 5e élément de l’itinéraire spirituel d’Ignace. Une sorte de synthèse de tout cela se produit lors de l’expérience mystique du 15 août 1822. Dans sa prière devant la statue de Marie, Eugène de Mazenod trouve la réponse aux doutes qui l’assaillent encore quant au bien-fondé de son action. Il en sort avec la certitude qu’en se lançant dans l’œuvre des Missions et en créant son groupe de missionnaires, il a bien obéi à la volonté de Dieu: Il me semblait voir, toucher du doigt que notre Société renfermait en elle de très grandes vertus, qu’elle pourrait opérer un bien infini. Je la trouvais bonne, tout me plaisait en elle, je chérissais ses règles, ses statuts. Son ministère me semblait sublime, comme il l’est en effet. Je trouvais dans son sein des moyens de salut assurés, infaillibles même, de la manière qu’ils se présentaient à moi65. Alors, sans regarder en arrière, il se consacre tout entier au service de l’Église dans l’œuvre apostolique, pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Eugène rejoint ainsi saint Ignace et son expérience mystique du ‘Cardoner’. Nous ne pouvons qu’être frappés par la similitude des deux itinéraires: la découverte d’un Dieu personnel qui aime, qui se lie d’amour par l’acte unique de la Croix, qui renvoie aux hommes et au service des plus abandonnés dans la recherche «d’une connaissance intérieure du Seigneur qui, pour moi s’est fait homme, afin de le connaître, l’aimer et le suivre66.» Une phrase d’Ignace qu’Eugène de Mazenod fait sienne à la veille de son ordination: «Il me semble que je connais mieux notre Seigneur Jésus Christ. Que serait-ce si je le connaissais tel qu’il est67.» Ignace et Eugène ont exprimé leur découverte d’un Dieu personnel qu’ils veulent connaître toujours davantage et aimer jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui, dans leur commune dévotion du Sacré-Cœur68.

III. Relecture de deux textes de saint Eugène Deux textes saint Eugène sont fondamentaux pour l’histoire des Oblats: 1. La lettre adressée à l’abbé Tempier, le 9 octobre 181569, en vue de le convaincre de rejoindre les Missionnaires de Provence.

65 Lettre au p. Tempier du 15 août 1822, EO, 6, p. 99. 66 IGNACE DE LOYOLA, Exercices Spirituels , n° 101. 67 Lettre à M. Duclaux du 21 décembre 1811, EO, 14, p. 270. 68 Voir OMI Documents, no 45 (avril 2006); « Saint Eugène de Mazenod et le Sacré-Cœur», dans Vie Oblate Life, 66 (2007), pp. 43-77. 69 EO, 6, pp. 6-8. 23

2..Les notes de la retraite de mai 181870 à l’issue de laquelle la décision sera prise de faire passer le groupe des Missionnaires de Provence du statut d’une Société de prêtres à celui d’une Congrégation religieuse.

1. Lettre au p. Tempier, le 9 octobre 1815 Lisez cette lettre au pied de votre crucifix, dans la disposition de n’écouter que Dieu, ce que l’intérêt de sa gloire et le salut des âmes exigent d’un prêtre tel que vous. Imposez silence à la cupidité, à l’amour des aises et des commodités ; pénétrez-vous bien de la situation des habitants de nos campagnes, de l’état de la religion parmi eux. En premier lieu, nous trouvons la Croix qui seule justifie le projet d’Eugène de Mazenod et sa demande. La Croix révèle la parole de Dieu aux hommes et il s’agit avant tout de se mettre à l’écoute de Dieu. Car la seule chose qui compte est sa gloire et le salut des âmes qui en est la glorification. Ce n’est que dans de telles dispositions que l’on peut jeter un regard de vérité sur le monde et prendre les décisions qui s’imposent. Il s’agit donc bien de se laisser guider par Celui qui est le seul ‘Instituteur’. Cela posé, le père Tempier sera à même d’entendre l’appel: Je vous dis que vous êtes nécessaire pour l’œuvre que le Seigneur nous a inspiré d’entreprendre. Car il s’agit de prendre le chemin suivi par ceux que le Seigneur a appelés à sa suite: Nous voulons choisir des hommes qui aient la volonté et le courage de marcher sur les traces des apôtres. et cette vie ne peut pas être apostolique sans la communauté: Nous vivrons ensemble dans une maison que j’ai achetée, sous une règle que nous adopterons d’un commun accord. Il n’est donc pas question seulement de vivre sous un même toit, mais bien de vivre sous une même règle, condition nécessaire à la réalisation du but fixé. La vie commune sera le témoignage, au sens fort du mot, c’est-à-dire déjà la réalisation signifiante de l’œuvre projetée. Eugène de Mazenod ne se place pas sous l’angle du moyen rendant plus fort le groupe ou plus efficace la mission, mais bien sous l’angle du signe réalisant ce qu’il veut signifier: l’annonce de l’Évangile aux plus délaissés et la sanctification personnelle des missionnaires. Dans la recherche proposée à l’abbé Tempier, Eugène de Mazenod l’invite à discerner la présence et l’action de l’Esprit de Dieu (discernement des esprits des Exercices) et lui donne les moyens pour que ce soit une réponse à la volonté de Dieu (l’élection des Exercices). On ne peut proposer démarche plus ignatienne: 1. assis aux pieds du Seigneur 2. découvrant dans le cœur du Christ la volonté de servir la gloire du Père 3. persuadé que le service de cette gloire passe par le salut des hommes 4. appelé à cette mission unique comme les apôtres et à la manière des apôtres 5. vivant dans une communauté rassemblée par le Christ et autour du Christ

70 EO, 15, pp. 169-177. 24

6. rangé sous l’unique règle de la suite du Christ.

2. Les notes de retraite de mai 1818 Circonstances Le Fondateur est à bout, physiquement et moralement. Sa santé se dégrade et l’avenir de la Société des Missionnaires de Provence est bien sombre. Débordé par les occupations, il ne parvient pas à trouver l’équilibre entre service des autres et vie intérieure. Cela a de quoi m’alarmer. Il y a longtemps que je le sais sans avoir pu encore y remédier. Je vais aujourd’hui, avec le secours de Dieu, travailler soigneusement à mettre un tel ordre dans mes actions que chaque chose reprenne sa place. Analyse du texte Il commence en faisant référence à sa retraite de 1816, inscrivant sa recherche dans la continuité de sa rencontre avec le Seigneur: Je viens de relire les réflexions que j’avais faites en juillet 1816. J’ai été moi-même surpris de leur justesse, et j’ose dire édifié des sentiments qu’elles renferment. Cette relecture de vie va s’effectuer en quatre temps: 1er temps: ancré dans la certitude qu’il accomplit bien la volonté de Dieu dans ses activités missionnaires, le p. de Mazenod fait la douloureuse constatation de sa dispersion intérieure. Je n’agis plus que comme une machine dans tout ce qui me regarde personnellement. Il semble que je ne suis plus capable de penser dès qu’il faut m’occuper de moi-même. S’il en est ainsi, quel bien pourrais-je faire aux autres? 2e temps: il est donc grand temps de remédier à cet état de chose et de se reprendre, dans l’intérêt même de la mission entreprise depuis 1816. Je vais aujourd’hui, avec le secours de Dieu, travailler soigneusement à mettre un tel ordre dans mes actions que chaque chose reprenne sa place afin que la charité du prochain ne me fasse pas manquer à la charité que je me dois à moi-même. 3e temps: la seule manière pour y parvenir est de retrouver l’unité entre mission et vie intérieure. Sans cette unité, impossible d’aimer et de servir Dieu en vérité. Il semble que je n’aime plus Dieu que par boutade... Tous ces désordres viennent, je pense, de ce que je suis beaucoup trop livré aux œuvres extérieures, et aussi de ce que je n’ai pas assez de soin pour les faire avec une grande pureté de cœur… 4e temps: pour la première fois, il envisage l’adoption de la vie religieuse. Ainsi la mission sera le lieu où s’exerce la contemplation nécessaire à la vie intérieure. La pensée qui m’a occupé, qui m’a charmé tout le temps de mon action de grâce, c’est qu’il faut que je sois saint… Les moyens qu’il fallait prendre pour y parvenir, loin de m’effrayer, me confirmaient dans cette confiance tant ils étaient aisés… La vue de la perfection religieuse, l’observance des Conseils évangéliques se sont montrés à mon esprit dégagés des difficultés que j’y avais rencontrées jusqu’à présent. Ainsi, c’est en vue de la mission que la vie religieuse lui apparaît comme nécessaire. De plus, c’est toute la communauté qu’il engage avec lui. Il est parvenu à l’équilibre qu’il va insuffler à ses fils: unification de la communauté et de la mission par le moyen des conseils évangéliques.

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Pour en arriver là, il a suivi le même chemin que saint Ignace. Pour l’un comme pour l’autre, la conclusion de leur temps de retraite est claire: ils sont appelés non à se couler dans un modèle ancien mais à faire du neuf, non à se réfugier dans un cloître pour fuir le monde mais à se trouver aux avant-postes de la mission et à s’exposer au monde. Quelles conclusions en tirer? Le père Rey a fort bien perçu ce qui vient de se passer dans l’âme du Fondateur: L’étude de l’action de Dieu en lui-même unie à l’étude qu’il fait chaque jour de cette action dans l’âme de ses disciples l’amène à admettre la nécessité de la perfection religieuse, de la pratique des conseils évangéliques pour former des hommes véritablement apostoliques71. Même si cette retraite n’a pas été conduite selon les Exercices, la manière dont elle se déroule est typiquement ‘ignatienne’: recherche de la volonté de Dieu et recherche de sa propre sanctification. La réponse donnée permet à Eugène de Mazenod de trouver l’une et l’autre dans l’activité apostolique vécue comme une contemplation de chaque instant du salut de Dieu. Le moyen adopté pour vivre cela est celui de la vie religieuse apostolique. Le critère majeur de la recherche de cette volonté est sa passion pour la gloire de Dieu, au service de l’Eglise et en vue du salut des âmes. Une nouvelle fois, cette phrase très ignatienne revient sous la plume de saint Eugène. Elle devient définitivement, à l’issue de cette retraite, la ligne directrice de ce qu’il va entreprendre. Elle sera la raison d’être de toutes ses actions missionnaires futures.

IV. Influences ignatiennes dans la Règle de 1826 Eugène de Mazenod est donc personnellement marqué par une spiritualité qui se rapproche beaucoup de celle de saint Ignace. Mais nous sommes en droit de nous demander si cela va rejaillir sur la Congrégation qu’il a fondée.

1. Histoire de nos Constitutions Le texte de 1818 C’est au terme de sa retraite de mai 1818, qu’Eugène de Mazenod prend la décision de passer d’une Société de prêtres à une Société religieuse. L’occasion de franchir le pas lui en est fournie par l’acceptation du Sanctuaire de Notre-Dame du Laus. Pour rédiger la Règle, il se retire en septembre 1818 dans la propriété familiale de Saint-Laurent du Verdon. En fait, comme l’a démontré le p. J. Pielorz72, il est impossible qu’en à peine 14 jours, le Fondateur ait écrit ‘ex nihilo’ et en totalité, pratiquement sans rature, les 55 feuillets de format 34x22, surtout si nous nous souvenons qu’il est arrivé malade. Lui-même reconnaît qu’il y composa seulement «les principaux articles de la Règle qui nous régit encore aujourd’hui»73.

71 A. REY, Histoire de Mgr C.-J.-E. De Mazenod. Rome, 1928. I, pp. 227-228. 72 Voir J. PIELORZ, « Le séjour du Fondateur à St-Laurent et la rédaction de nos Règles (août-octobre 1818)», dans Missions O.M.I., 84 (1957), pp. 316-319. 73 T. RAMBERT, Vie de Mgr Charles-Joseph-Eugène de Mazenod. Tours, 1883, T. I, p. 278. 26

À Saint-Laurent, ayant pris avec lui différents documents pouvant servir de sources pour son travail, il réalise une première rédaction comprenant le plan et les principaux articles. Puis, de retour à Aix, il dispose de quatre semaines pour achever la rédaction du texte et le soumettre à la communauté fin octobre 1818. C’est ce document final, mis en forme à Aix que nous avons pris l’habitude d’appeler ‘Règle de Saint-Laurent’. Le texte de 1826 Le texte de 1818 va connaître des modifications importantes (par exemple, l’ajout du vœu de pauvreté ou l’ajout des articles sur les Frères). Cela conduit à un nouveau texte, calligraphié par le p. Honorat (le ‘manuscrit Honorat’) qui sert de base à la traduction latine, réalisée en partie par le p. Albini et emportée par le Fondateur à Rome en novembre 1825. Après quelques corrections secondaires demandées par les cardinaux, ce texte approuvé par le pape le 17 février 1826 devint le texte officiel de l’Institut des Missionnaires Oblats de la très Sainte et Immaculée Vierge Marie. Il est généralement admis chez les Oblats que ce texte est en grande partie copié d’Alphonse de Liguori (certains vont jusqu’à dire à 80 %). On prétend aussi que certains paragraphes viennent de saint Vincent de Paul. Mais, il y a quelques années, les pères Cosentino et Pielorz ont jeté un «pavé dans la mare du consensus» en affirmant que les choses ne sont pas aussi simples, que l’influence liguorienne est beaucoup moins prégnante qu’on ne le dit généralement, que l’influence vincentienne est quasi nulle et que, par contre, l’influence ignatienne est loin d’être négligeable.

2. Avant le texte de Saint-Laurent (1815) Avant 1818, Eugène de Mazenod semble subir des influences assez variées. Le 9 octobre 1815, dans sa première lettre au père Tempier, il écrit à propos des futurs statuts: Nous en puiserons les éléments dans les statuts de saint Ignace, de saint Charles, de saint Philippe de Néri, de saint Vincent de Paul et du bienheureux Liguori. Le 15 décembre 1816, il suggère au même père Tempier de relire saint Philippe de Néri: Occupez-vous de nos statuts. Donnez tous les jours deux heures à cette occupation… Relisez saint Philippe de Néri et la Supplique que nous avons présentée aux Vicaires Généraux.

3. La Règle de Saint-Laurent (1818) Une influence liguorienne incontestable ... Dès qu’il vise la vie religieuse, saint Eugène abandonne saint Philippe au profit du bienheureux Alphonse. Il demande à son père d’occuper ses loisirs à traduire une vie de Liguori et, sur les instances de son neveu, l’oncle Fortuné rapporte à Marseille le texte de la Règle des Rédemptoristes. Il est probable que le Fondateur emporta ce texte à Saint- Laurent car des passages entiers se retrouvent dans notre Règle de 1818. Nos auteurs ont donc raison de souligner l’influence liguorienne. ... mais des divergences tout aussi incontestables avec la Règle de saint Alphonse

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Eugène de Mazenod déborde les fins liguoriennes de l’évangélisation des campagnes et ajoute la direction de la jeunesse, le service des prisons, le ministère des moribonds. Surtout, il introduit d’une manière presque omniprésente le ministère auprès des âmes les plus abandonnées, trait absent de la règle des Rédemptoristes, mais par contre très présent chez les Jésuites. Le père de Mazenod aborde les vœux d’une tout autre manière que Liguori. Il ne parle pas du vœu de pauvreté. Comme Liguori, il introduit le vœu de persévérance, mais il le conçoit tout à fait différemment et avec une tout autre finalité. Mais essentiellement, pour le vœu d’obéissance, il se situe sur un tout autre registre, ne liant pas ce vœu à ‘l’exercice des vertus religieuses’, mais en en faisant l’émanation du rôle du groupe communautaire. Pour lui, il y a identification entre chaque missionnaire et la Société tout entière. Là où un missionnaire œuvre, la famille est présente. C’est à partir de ce type de communauté qu’il voit l’obéissance et pour la définir, il utilise une phrase des ‘Constitutiones Societatis Jesu’, pars VI cap. I par. I: “L’obéissance doit s’étendre à tout et même à ce qui n’oblige pas…”74 Enfin, une autre différence réside dans la différence de style. Les Statuts du bienheureux Alphonse sont juridiques: sobres, concis et précis. La Règle des Missionnaires de Provence est écrite avec le cœur, enrichie de considérations spirituelles ou ascétiques.

4. La Règle de 182675 Arrêtons-nous sur le texte reconnu par le Saint-Siège, s’appuyant sur celui de 1818 mais lui apportant aussi des changements notables. À propos de ce texte, le p. Yenveux notait: Parmi toutes les sociétés, celle que le Fondateur eut en la plus grande estime, ce fut la Compagnie de Jésus, aux Règles de laquelle il s’inspira souvent dans la rédaction de la Règle des Oblats76. Cette affirmation repose sur l’étude du texte et de son esprit. Les citations explicites de saint Ignace Alors que le bienheureux Alphonse n’est cité qu’une fois, saint Ignace l’est cinq fois. - à propos de la confession (une fois) Pour la confession, on se pénétrera de cette vérité, si bien sentie par st Ignace, et tant d’autres saints, que ce n’est que dans le tribunal qu’on perfectionnera ce qui n’a été qu’ébauché par les discours77. - à propos de la pauvreté (deux fois) La pauvreté volontaire est regardée par tous les instituteurs des ordres religieux comme le fondement et la base de toute perfection, comme le mur de défense inexpugnable de la religion, comme la vertu qui nous dispose mieux à en acquérir d’autres et à opérer le bien78. Après une citation des Constitutions de la Compagnie de Jésus, Eugène de Mazenod

74 Règle de Saint-Laurent, 2e partie, chapitre 1 paragraphe 3. 75 Voir «Texte français définitif (1824 ou 1825) sur lequel a été faite la version latine - Manuscrit IV), dans M. LESAGE, o.m.i., William H. WOESTMAN, o.m.i., La Règle de saint Eugène de Mazenod ... Ottawa, 1997, pp. 12-119. 76 A. YENVEUX, Les saintes Règles ... Paris, 1903. 8 v. I , p. 27. 77 Règle de 1826: partie I – chapitre III § 2 - article 1. 78 Règle de 1826: partie II – chapitre I § 1. 28 ajoute: La réflexion de st Grégoire et de st Ignace qui peut si naturellement être appliquée à des ouvriers évangéliques qui sont appelés à combattre le démon ajouterait un degré de plus à la conviction où nous sommes que la pauvreté est nécessaire, dans une lutte si dangereuse, pour ne donner aucune prise à l’ennemi79. - à propos des sacrements et de la direction (deux fois) Une fois par mois, chaque sujet se présentera devant le supérieur pour lui faire connaître son intérieur, recevoir de lui la direction et les conseils que la sagesse lui dictera pour le plus grand bien de chacun et son avancement dans la piété et dans les voies de la perfection80. Cette règle, regardée comme des plus importantes par st Ignace, oblige à se faire connaître au Supérieur comme l’on se connaît soi-même81. Après une citation des Constitutions de la Compagnie de Jésus, Eugène de Mazenod ajoute: Il faut pour cela, comme dit encore saint Ignace, et il est très important, non solum refert sed summopere, que le supérieur ait une entière connaissance des instincts et des tentations de tous ceux qui sont sous sa conduite, qu’il sache à quels défauts ou à quels péchés ils sont plus sujets, afin qu’il ne commande rien à qui que se soit au- dessus de ses forces et qu’il ne donne à personne une charge plus pesante qu’il ne pourrait porter82. Les emprunts faits à saint Ignace sans qu’il soit nommé Dans son étude de 195583, le p. Cosentino dénombre une cinquantaine d’emprunts faits aux ‘Constitutiones’ des Jésuites. L’énumération qui va suivre pourra paraître lassante. Elle semble pourtant indispensable pour faire ressortir l’influence exercée par la pensée ignatienne sur la rédaction définitive de notre Règle. ministère de la prédication84: 13 des 26 articles sont tirés de saint Ignace. ministère de la confession85: 8 des 12 articles sont tirés de saint Ignace chasteté86: au cœur de 5 articles tirés de la règle liguorienne, Eugène de Mazenod insère une expression ne se trouvant que chez Ignace87: (la chasteté) n’a pas besoin d’explication. Il suffit de dire que nous devons imiter la pureté même des anges par la pureté de nos cœurs, de nos corps et de notre esprit. obéissance88: avec trois parties: un préambule sur l’importance de l’obéissance, 5 articles (1 à 5) sur le sens l’obéissance et 14 articles (6 à 19) sur des cas pratiques de l’exercice de ce vœu. Les articles 1, 2, 4 et 5 qui donnent l’essence même de l’obéissance selon Eugène de Mazenod sont textuellement tirés de la Règle ignatienne.

79 Règle de 1826: partie II – chapitre I § 1. 80 Règle de 1826: partie II – chapitre III § 2 art 9. 81 Règle de 1826: partie II – chapitre III § 2 art 10. 82 Règle de 1826: partie II – chapitre III § 2, article 12. 83 G. COSENTINO, Histoires de nos Règles, Ottawa, 1955. (Archives d’Histoire Oblate, 4). 84 Règle de 1826: partie I – chapitre III § 1, articles 1 à 26. 85 Règle de 1826: partie I – chapitre III § 2, articles 1 à 12. 86 Règle de 1826: partie II – chapitre I § 2, article 5. 87 Constitutions des Jésuites: partie VI – chapitre I § 1. 88 Règle de 1826: partie II – chapitre I § 3. 29 confesseurs des Oblats89: l’obligation de se confesser à un prêtre de la Société est une particularité se trouvant uniquement dans la Règle de saint Ignace90. direction spirituelle91: si la Règle liguorienne parle de la nécessité de la visite au supérieur, c’est à saint Ignace qu’Eugène de Mazenod emprunte in extenso l’article 9. l’obligation d’ouverture et de manifestation de conscience92: Eugène de Mazenod revient trois fois sur cette disposition essentielle à ses yeux. À l’article 13, il cite intégralement saint Ignace: [il y a] obligation de dire au supérieur les fautes, manquements et imperfections des autres membres de l’Institut dont on aurait eu connaissance, hors confession93. À propos des novices94, il cite à nouveau textuellement saint Ignace95. célébration eucharistique96: plusieurs articles sont directement repris de saint Ignace (règlement particulier pour les prêtres97 ou Constitutions98). mortification et pénitences corporelles99: contrairement à ce qu’il trouve chez Liguori, Eugène de Mazenod ne prescrit aucune austérité et même les interdit sans l’autorisation du supérieur. Même chose dans les mêmes termes chez saint Ignace100. rapports avec le prochain101: les prescriptions des articles 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 18 sont tirées telles quelles de la Règle de saint Ignace. autres principales observances: quelques observances secondaires telles que l’interdiction de manger hors de la maison102, l’obligation de loger dans la maison103, la visite aux malades104 sont tirées de saint Ignace. chapitre général105: la Règle liguorienne ne comporte aucun paragraphe sur le Chapitre général. Notre Règle ne comporte pas moins de 66 articles sur le sujet, 10 d’entre eux étant des citations textuelles d’Ignace.

89 Règle de 1826: partie II – chapitre III § 2, article 2. 90 Constitutions des Jésuites: partie III – chapitre I §11.

91 Règle de 1826: partie II – chapitre III § 2. 92 Regulae Societatis Jesu: § 40-41. 93 Règle de 1826: partie II – chapitre III § 2. 94 Règle de 1826: partie III – chapitre II § 2, article 5. 95 Constitutions des Jésuites: Summarium Constitutionum § 9. 96 Règle de 1826 : partie II – chapitre III § 2. 97 Saint Ignace, Regulae Sacerdotum, § 4. 98 Constitutions des Jésuites: partie VI – chapitre III § 4 et 6. 99 Règle de 1826: partie II – chapitre II § 3. 100 Constitutions des Jésuites: examen général, chapitre I. 101 Règle de 1826 : partie II – chapitre III § 4. 102 Règle de 1826: partie II – chapitre III § 3, article 14 / Regulae Societatis Jesu, chapitre VII § 74. 103 Règle de 1826: partie II – chapitre III § 5, article 9 / Regulae communes § 48. 104 Règle de 1826: partie II – chapitre IV § 1, article 5 / Regulae communes § 29. 105 Règle de 1826: partie III – chapitre I § 1. 30 supérieur général106: après avoir repris sur ce sujet le texte liguorien, saint Eugène ajoute quelques articles sur les qualités de gouvernement dont le Supérieur général doit faire preuve. Le sens de ces ajouts, absents chez les Rédemptoristes, est le même que celui de la Règle des Jésuites107. charges secondaires de la communauté108: elles sont absentes chez les Rédemptoristes. Eugène de Mazenod en prend l’idée chez Ignace puisqu’il conserve les mêmes noms: ‘préfet de la sacristie’, ‘procureur particulier’, ‘ministre de la lingerie’, ‘infirmier’, ‘bibliothécaire’. Toutefois les prescriptions concernant chacune de ces fonctions sont différentes des prescriptions ignatiennes. rituel d’oblation: si la formule de vœux ressemble à celle des Rédemptoristes, le rituel d’oblation est totalement différent et suit, point par point, celui des Jésuites. Cette longue énumération était nécessaire pour nous convaincre que le texte de 1826, à côté d’une influence liguorienne indiscutable, est marqué, et souvent dans des parties essentielles, par les textes de saint Ignace. Reprenons maintenant ces points communs et essayons de les organiser pour voir s’ils permettent de dégager des insistances majeures qui rejoindraient les grandes insistances des textes des Jésuites.

V. Insistances ignatiennes présentes chez Eugène de Mazenod Le père Guy, s.j., notait ce qu’il appelle ‘les quatre caractéristiques spécifiques de la Compagnie de Jésus telle que l’a voulue Ignace de Loyola.’ 1) la primauté donnée à l’expérience de la rencontre personnelle du Christ: On n’entre pas dans la Compagnie pour y chercher Dieu, mais c’est parce qu’on a trouvé Dieu qu’on entre dans la Compagnie. 2) la place première accordée au vœu de chasteté: Pour Ignace, ce vœu exprime à lui seul l’entrée sur les pas du Christ dans un Institut. 3) le rôle de l’obéissance, liée à la réalisation des projets ecclésiaux: C’est dans cette obéissance que doit s’épanouir l’expérience de Dieu préalablement réalisée. 4) la manière inédite d’envisager la communauté: La communauté primordiale n’est pas la communauté locale mais le corps universel de la Compagnie. Munis de ces quatre points, regardons de près ce qui pourrait caractériser la pensée mazenodienne exprimée dans les Règles de 1818, de 1826, et même de celles de 1853.

106 Règle de 1826: partie III – chapitre I § 2. 107 Constitutions des Jésuites: partie IX – chapitre II. 108 Règle de 1826: partie III – chapitre I. 31

1. Dans la Règle de 1826, primauté de la rencontre personnelle avec le Christ La découverte du Christ fonde la spiritualité d’Eugène de Mazenod. C’est dans le ‘Nota bene’ de l’article 3 de la Règle de 1818, devenu la Préface du texte de 1826, qu’il exprime avec le plus de clarté la primauté de la rencontre avec le Christ Sauveur. Quelle fin plus sublime que celle de leur Institut? Leur instituteur, c’est Jésus Christ, le Fils de Dieu lui- même… Que fit notre Seigneur Jésus Christ? La finalité des membres de cette Société est donc le Christ et lui seul. C’est devant le crucifix qu’il invite Tempier à discerner sa vocation en octobre 1815. C’est devant la croix qu’il écrit la première ébauche de la Règle en septembre 1818. C’est la croix du Christ qu’il donne comme unique signe de reconnaissance pour ses missionnaires. Ignace disait que le plus important n’est pas la loi écrite mais la loi intérieure de l’amour du Christ que seul l’Esprit peut écrire dans les cœurs. C’est de cette unique loi d’amour que jaillit le texte des Constitutions des Jésuites. Il en est de même pour Eugène de Mazenod. Quand il parle de l’Esprit Saint, c’est pour dire qu’il est le seul auteur de la Règle et il rend grâces pour le caractère sublime de cette Règle: Celui dont Dieu s’est servi pour les rédiger (les Règles) disparaît. Il est certain aujourd’hui qu’il n’était que l’instrument mécanique que l’Esprit de Dieu mettait en jeu pour manifester la voie qu’il voulait être suivie par ceux qu’il avait prédestinés et préordonnés à l’œuvre de sa miséricorde.»109… «Ces Règles qui nous sont données par l’Église, Dieu en est l’auteur ! Oui, Dieu seul en est incontestablement l’auteur. Celui qui les a écrites n’y reconnaît rien du sien110. Dès 1814, il enracine son projet dans l’expérience de la rencontre avec le Christ, faisant référence à la méditation sur les deux étendards: Ce fut dans cette méditation que Dieu inspira à st Ignace le dessein d’instituer un ordre sous le nom de Compagnie de Jésus dont la fin fut de combattre sous l’étendard de Jésus Christ… Après avoir conçu le désir d’imiter les vertus de la vie cachée de Jésus, il faut à son exemple sortir de la retraite pour faire profession publique de le suivre en se déclarant sans crainte pour lui111. C’est l’amour du Christ n’ayant pour toute finalité que l’accomplissement de la volonté du Père qui est la source unique de la Congrégation. Il faut comprendre l’excellence de la fin de notre Institut, incontestablement la plus parfaite que l’on puisse se proposer ici-bas, puisque sa fin est la même que la fin qu’a eue le Fils de Dieu en venant sur la terre: la gloire du Père et le salut des âmes112. Comme Ignace, il précise que ne pourront être reçus dans la Congrégation que ceux qui «ont déjà un grand amour pour Jésus Christ et pour son Église113». Le p. Guy note: «Cette expérience de la rencontre du Christ, unique Sauveur du monde permet de comprendre chez Ignace l’ampleur des projets ecclésiaux. Cela explique qu’il

109 Lettre au p. Tempier du 18 février 1826 où il annonce la reconnaissance papale, EO, 7, p. 41. 110 Notes de retraite d’octobre 1831, EO, 15, p. 215. 111 Notes de la retraite de décembre 1814, EO, 15, p. 127. 112 Notes de retraite d’octobre 1831, EO, 15, p. 127. 113 Règle de 1826: partie III – chapitre II § 1: «Des qualités requises pour être reçus». 32 n’y ait chez lui aucune particularisation dans une quelconque activité spécifique.» Nous pouvons dire la même chose d’Eugène. À cause de la disponibilité aux appels provoqués par l’union avec le Christ rencontré dans l’ordinaire de la vie, il ne veut pas que les Missionnaires de Provence s’installent dans ‘des œuvres’. Les missions naîtront au fur et à mesure de la rencontre du Christ dans l’ordinaire de la vie. Ainsi, en 1816, il ne prévoit que l’évangélisation de la Provence. Pourtant, devant l’urgence d’un diocèse pauvre, il accepte le pèlerinage du Laus. La Règle de 1818 ne prévoit que le travail auprès des campagnes, mais le dénuement des grandes villes entraîne les missions de Marseille et d’Aix dès 1820. La prise en charge des séminaires n’était pas prévue. Mais la pauvreté de la Corse le pousse à accepter le Grand Séminaire d’Ajaccio. Et nous pourrions multiplier les exemples. Le seul critère de discernement est, comme pour Ignace, ce qui peut aider les âmes à faire cette rencontre personnelle avec le Seigneur.

2. La Règle de 1826 donne une place originale au vœu de chasteté Dans nos recherches dans ce domaine, nous avons tendance à confondre chasteté et continence sexuelle. Le père Hans Trümper, dans l’article ‘chasteté’ du Dictionnaire des Valeurs Oblates, nous semble tomber dans ce piège en se contentant de citer ce que le Fondateur écrit, avant son ordination, sur ses relations avec ‘le sexe’, s’en tenant à la phrase du président Charles-Antoine à propos de son fils: «Il est ferme comme le roc et pur comme le lys114.» Pourtant, dès son séminaire, Eugène de Mazenod va au-delà de cette vision réductrice et déborde le strict cadre du célibat ecclésiastique: Le vœu de chasteté, il me semble bien facile d’en faire sentir les grands avantages115. Dans la Règle de 1818, texte repris mot pour mot en 1826, le vœu de chasteté est traité assez brièvement. Mais le texte n’en est pas moins très dense et très circonstancié: Cette vertu [la chasteté] étant si chère au Fils de Dieu et si nécessaire à un ouvrier évangélique, les sujets de notre Société seront très attentifs à la conserver précieusement116. Le texte latin qui sera présenté à l’approbation papale emploie l’expression ‘apostolico viro’ (l’homme apostolique). L’utilisation ici de ce mot est essentielle car le fondement de la chasteté pour Eugène est à rechercher dans la suite du Christ à la manière apostolique. C’est le Christ formant ses apôtres qui est au centre. Il les invite à pratiquer la chasteté à sa manière en aimant l’autre tout en le respectant, en l’aidant à devenir libre, en ne l’accaparant pas. Puis vient la conclusion: Cet article [la chasteté] n’a pas besoin d’explication. Il suffit de dire que nous devons imiter la pureté des anges par la pureté de nos cœurs, de nos corps et de nos esprits. Ne nous trompons pas sur le sens à donner à ce mot ‘anges’. Ce n’est pas une vie

114 Lettre du président Charles-Antoine de Mazenod, 6 mai 1814. 115 Lettre à sa mère du 29 novembre 1809, EO, 14, p.171. 116 Partie II – chapitre I § 2, article 1. 33

évanescente et asexuée, mais bien une vie à la manière des anges, envoyés et témoins de Dieu, accomplissant sa volonté en faveur des hommes. La vie religieuse est ‘vita angelica’ en ce sens qu’elle témoigne, par son être même, de la nature miséricordieuse de Dieu. Alors la chasteté, nommée ici pureté pour déborder le cadre sexuel, récapitule à elle seule le sens de la vie religieuse apostolique. Le p. Cosentino a parfaitement noté que le texte latin de cet alinéa est pris mot pour mot dans les ‘Constitutiones’ de saint Ignace. Malheureusement, dans la réforme de 1928, l’article sur la chasteté deviendra une pieuse considération sur la sexualité.

3. L’obéissance, clef de voûte de la Règle de 1826 Le p. Francis Demers, rédacteur de l’article ‘obéissance’ du Dictionnaire des Valeurs Oblates, note dès le début avec une grande pertinence: La pensée du Fondateur sur le vœu d’obéissance s’inspire de la doctrine communément répandue à son époque. Elle s’appuie sur l’enseignement de saints tels que Thomas d’Aquin, , Thérèse d’Avila et surtout sur la doctrine de l’obéissance aveugle de saint Ignace de Loyola. Cette pensée est demeurée constante et presque inflexible jusqu’à la fin de sa vie. Dans la Règle de 1826117, le Fondateur développe le sens de l’obéissance, considérée ‘comme le [vœu] principal et le plus essentiel de tous’. Après avoir cité saint Thomas d’Aquin, il revient sur ce qui en constitue à ses yeux la justification fondamentale: Plus une chose nous rapproche de la fin pour laquelle elle a été instituée, plus elle est parfaite. Or l’obéissance étant ce qui unit davantage les religieux avec la fin de leur Institut, elle est aussi la plus parfaite. La fin ultime de l’Institut est l’imitation de Jésus Christ accomplissant la volonté du Père. Aussi la justification de l’obéissance est la participation à l’œuvre du Christ obéissant au Père jusqu’à la mort et la mort sur la Croix. À l’image de celle du Christ, notre obéissance doit être prompte, humble et entière. Elle ne doit pas être seulement d’exécution, mais elle doit soumettre la volonté et même l’intellect. Sans cela l’obéissance serait imparfaite118. Chez saint Eugène: «oboedientia sit prompta, humilis et universalis.» Chez saint Ignace: «oboedientia prompta, universalis et cum humilitate debita. » Cette identité de vocabulaire ne peut pas être une simple coïncidence, d’autant plus que ces termes ne se trouvent ni chez Alphonse de Liguori, ni chez Philippe de Néri, ni chez Vincent de Paul. De plus, le p. Cosentino qui s’est livré à une comparaison minutieuse de la suite du développement d’Eugène de Mazenod, constate qu’une dizaine de phrases sont tirées, mot pour mot des ‘Constitutiones’ d’Ignace. Citons, en français, les trois plus importantes: L’obéissance doit s’étendre à tout. L’obéissance ne doit pas être seulement d’exécution, mais doit soumettre la volonté. On fait plus la volonté de Dieu en obéissant qu’en faisant toute autre chose de son propre choix.

117 Règle de 1826: partie II – chapitre I § 3. 118 «Elle doit s’étendre à tout, hors ce qui serait péché, même à ce qui n’oblige pas, comme serait un simple signe qui ferait présumer la volonté de celui qui a le pouvoir d’ordonner au nom du Seigneur» (texte de 1826). 34

L’obéissance ne trouve sa justification ni dans une simple disponibilité aux différentes missions qui peuvent être confiées ni dans le souci d’efficacité. Elle est demandée pour deux raisons qui ont l’une et l’autre leur fondement dans le Christ Jésus. la participation à l’œuvre du Seigneur obéissant au Père On fait plus la volonté de Dieu en obéissant qu’en faisant toute autre chose de son propre choix119. L’unique modèle est le Christ ‘obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la Croix’. Celui qui a rencontré le Christ et l’a, en quelque sorte, expérimenté, ne peut avoir en son cœur d’autre sentiment que la passion pour le Père qui est dans le cœur du Christ Jésus. Tout est là: qu’ils [les Oblats] s’efforcent d’imiter les vertus et les exemples de notre Sauveur Jésus Christ120. la vocation de coopérer au salut en Jésus Christ par l’unité du groupe. Cette unité ne peut être réalisée que dans le vœu d’obéissance qui établit entre les membres du groupe une unité signifiant le Corps du Christ tourné vers son Père. Notre Seigneur veut que ses enfants se conduisent par la voie de l’autorité et de l’obéissance. C’est ainsi qu’il manifeste sa très sainte volonté121. De plus les membres sont au service les uns des autres pour leur propre sanctification: L’obéissance est le lien de l’union dans toute société bien ordonnée122. Alors l’obéissance sera un épanouissement permettant à la communauté de signifier la réalisation du monde nouveau. La fidélité aux Règles, l’exacte discipline, la charité, le support mutuel, la bonne volonté pour faire promptement et volontiers tout ce que l’obéissance commande, ce sont là des vertus dont la pratique fait de la religion un vrai paradis terrestre. Je sais que vous l’avez compris dès votre entrée dans la Société123. Vécue selon ces deux axes, l’obéissance produit deux fruits d’un grand prix: la joie Bonheur que j’éprouve pendant ces jours de retraite, ne vivant qu’avec mes frères dans la pratique de l’obéissance124. la charité Ils (les Missionnaires de Provence) seront tous unis par les liens de la plus intime charité et dans la parfaite subordination aux supérieurs sous la dépendance desquels ils vivront la pratique exacte de la sainte obéissance125. Nous retrouvons saint Ignace écrivant que l’obéissance, si elle est accomplie cum magna celeritate, produit ‘la joie spirituelle, la persévérance et la charité par le lien de la paix.’

119 Règle de 1818: partie II – chapitre I § 3. 120 Notes de retraite d’octobre 1831, EO, 15, p. 220. 121 Lettre au p. Jourdan , 30 mars 1823, EO, 6, p. 115. 122 Règle de 1818. Nous citons selon l’édition critique publiée dans Missions O.M.I., 78 (1951). 123 Lettre au p. Dandurand, 11 août 1843, EO, 1, p. 57. 124 Notes de retraite d’octobre 1821, EO, 15, p. 220. 125 Règle de 1818: partie II – chapitre I § 4: «Des autres principales observances». 35

Dans la pensée des deux Fondateurs, l’obéissance est la condition nécessaire et absolue pour la réalisation personnelle et communautaire de la coopération à l’œuvre du Sauveur. Elle vise la sanctification de chaque membre du groupe et du groupe tout entier par sa fidélité à l’appel de l’Esprit. Ainsi elle devient l’instrument nécessaire pour la mission.

4. La Règle de 1826 suppose une nouvelle manière de voir la communauté Si la Règle de 1818 n’a pas d’article consacré à la communauté, cette dernière est citée ici plus de cent fois126. Rappelons que saint Eugène envisage la communauté comme une ‘communauté apostolique’. Son unique raison d’être et sa seule finalité est le Christ, Envoyé du Père, Missionnaire du Père, appelant les apôtres et les ‘instituant douze pour être avec lui et pour les envoyer prêcher’ (Marc 3,13-15). Ainsi, les apôtres sont faits ‘communauté apostolique’, qu’ils soient rassemblés, deux par deux ou même seuls. La Règle de 1826 parle de la communauté dans 120 des 798 articles et toujours en vue de la finalité de l’Institut qui est la mission du Christ dont le groupe est coopérateur. Aussi la communauté locale n’est que l’instrument, temporaire, au service de la Communauté unique qu’est la Société des Missionnaires de Provence. Entre nous, missionnaires, nous sommes ce que nous devons être, c’est-à-dire que nous n’avons qu’un cœur, qu’une âme, qu’une pensée ; c’est admirable ! Nos consolations sont comme nos fatigues, sans égales127. C’est pendant l’oraison que l’on se sent le plus appartenir à la communauté formée par toute la Congrégation, quelle que soit la communauté particulière à laquelle on appartient. C’est le seul moyen de rapprocher les distances, … c’est se rencontrer pour ainsi dire côte à côte. On ne se voit pas, mais on se sent, on s’entend, on se confond dans un même centre128. Vous méritez bien tout l’amour que je vous porte. Vous ne faites qu’un entre vous et vous ne faites qu’un avec moi. C’est là ce que le Christ demande de nous puisqu’il est le principe et le lien de notre union129. «Là où est un Jésuite, là se trouve toute la Compagnie», écrivait Ignace. Eugène adopte ce point de vue. Ainsi, quand les pères Soullier et Conrard sont envoyés seuls sur la colline de Sion pour résorber le schisme des frères Baillard, c’est tout le groupe qui est envoyé. Il en est de même quand les compagnons du p. Honorat partent seuls, dans les territoires du Saguenay ou quand le p. Semeria s’enfonce seul au cœur du Sri Lanka. Le p. Guy écrit: «Pour Ignace, le Jésuite ne se définit pas par la résidence dans laquelle il se trouve momentanément mais par la mission reçue dans l’obéissance, confiée à la communauté et dont il est l’agent et l’instrument.» Il en est de même pour saint Eugène. Avec lui, les personnes bougent, la composition des communautés n’est pas clairement définie et varie au rythme des ouvertures ou des fermetures de maisons. Il est heureux que le chapitre de 1982 ait retrouvé l’intuition mazenodienne en refaisant l’unité entre la communauté et la mission.

126 Pour une étude plus approfondie, voir Documentation OMI, nov. 1999. 127 Lettre au p. Tempier, 24 février 1816, EO, 6, p. 20. 128 Lettre au p. de l’Hermite, 10 janvier 1852, EO, 11, p. 71. 129 Lettre au p. Semeria, 15 décembre 1843, EO, 10, p. 45. 36

5. Quelques autres points Terminons en notant quelques autres points ‘ignatiens’ des Règles de 1818 et 1826. La ‘manifestation de conscience’ Ignace et Eugène veulent que leurs frères participent à la sainteté de Dieu. La coopération à la mission du Christ, le Saint de Dieu, n’est possible que si les missionnaires cherchent eux-mêmes à devenir des saints. Saint Eugène l’écrit dès 1816: [Les Missionnaires de Provence] ont décidé de former une communauté régulière pour tâcher de se rendre utiles au diocèse en même temps qu’ils travailleront à l’œuvre de leur propre sanctification130. Que devons-nous faire pour réussir à reconquérir à Jésus Christ tant d’âmes qui ont secoué son joug ? Travailler sérieusement à devenir des saints131. C’est dans ce but qu’il faut placer ‘l’obligation de la manifestation de conscience au supérieur’132, et surtout ‘l’obligation de la manifestation au supérieur des défauts des frères’. Non seulement on est tenu de se faire connaître au Supérieur, mais on est encore très expressément obligé de lui manifester toutes les fautes, manquement et imperfections des autres membres de l’Institut dont on aurait eu connaissance hors de la confession133. Cette disposition n’a de sens que parce que le Christ nous invite à devenir parfaits comme lui-même est parfait. Pour cela il faut éradiquer ce qui entrave la marche du groupe vers cette sainteté. Cette prescription posa problème à la commission cardinalice en février 1826. Mais saint Eugène refusa de la supprimer, arguant qu’elle se trouve chez saint Ignace à l’article 309 des ‘Constitutiones’. La communication comme moyen de cohésion du corps Nous débordons les Règles pour en venir à la pratique du Fondateur. Il considérait comme fondamentale la communication au sein du groupe de ce que chacun vit en mission. Que pourrais-je ajouter aux réflexions que j’ai déjà répétées plusieurs fois pour vous déterminer à m’écrire plus souvent? Vous ne les avez pas apparemment pas appréciées et vous n’en sentez pas la convenance. Il est pourtant singulier que je reste trois mois sans nouvelles d’une communauté134. La cohésion du groupe nécessite donc une communication très développée: Croiriez-vous que sa lettre [du p. Telmon] m’a impatienté. Moi qui suis si avide de tous les détails qui concernent votre communauté, vos personnes et vos œuvres, j’ai été obligé de contenir mon empressement et de mordre mon frein pendant la lecture de deux mortelles pages où il n’était question que des religieuses de Jésus et Marie135. Ignace exigeait que chaque Jésuite envoie, tous les quatre mois, un compte rendu détaillé qui était ensuite répercuté à toute la Compagnie, sous forme des ‘lettres édifiantes’. Ainsi

130 Lettre des Missionnaires de Provence aux Vicaires Capitulaires d’Aix en Provence, 25 janvier 1816. 131 Règle de 1818: partie II – Chapitre I § 3, article 3 – Nota bene. 132 Règle de 1826 – article 305 133 Règle de 1826 – article 307 134 Lettre au p. Honorat, 10 mars 1843, EO, 1, p. 38. 135 Lettre au p. Honorat, 31 mai 1843, EO, 1, p. 46. 37 la mission de chacun devient la mission de tous. Eugène veut la même chose: Je n’ai pas besoin de vous dire combien je bénis le Seigneur de tout ce qu’il opère par votre ministère. Nous en sommes tous transportés de joie, comme si c’était nouveau pour nous. J’ai lu votre lettre en communauté136.

VI. Conclusion: qu’en est-il aujourd’hui ? En conclusion, il n’est pas question de nier l’originalité de ce que Eugène de Mazenod a voulu faire. S’il avait voulu devenir Jésuite, il le pouvait, puisque l’offre lui avait été faite à plusieurs reprises. Il a voulu une Congrégation originale, avec une spiritualité et une identité propres. Si les Oblats ne sont pas des Jésuites, il apparaît pourtant évident qu’il a exprimé notre spécificité à l’aide de nombreux éléments de la spiritualité ignatienne. Nous ne sommes pas une Congrégation ignatienne. Mais Eugène se retrouve dans certaines des insistances d’Ignace telles que la manière d’envisager l’obéissance, la chasteté, la communauté. Il veut que ces éléments soient inscrits dans nos Règles pour nous permettre de vivre et faire vivre de la suite de Jésus Christ telle qu’il l’envisage. Qu’y a-t-il aujourd’hui dans nos Constitutions? Au fil des années, le texte original du Fondateur a été couvert de surcharges jusqu’à en estomper les axes originaux. Le Chapitre de 1982 adopta un texte qui tenait compte de l’apport de Vatican II et orientait la Congrégation vers l’avenir tout en voulant s’enraciner dans la tradition mazenodienne. Au terme de cette étude, nous pouvons nous demander si ce texte qui, a peu de choses près, est celui de nos Constitutions et Règles actuelles, a bien conservé les quatre axes ‘ignatiens’ voulus par saint Eugène de Mazenod. Les articles 1 à 10137, avec leur titre La Mission de la Congrégation, forment le fondement de l’ensemble et, au cœur même de cette introduction, les quatre premiers articles occupent une place à part; ils sont comme les piliers de l’édifice. Regardons-les de près138.

1. L’attachement à Jésus Christ Nos Constitutions de 1982 s’ouvrent ainsi: C’est l’appel de Jésus Christ… qui réunit les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée… (article 1) Puis notre texte continue: Les Oblats abandonnent tout à la suite de Jésus Christ. Pour être ses coopérateurs, ils se doivent de le connaître plus intimement, de s’identifier à lui, de le laisser vivre en eux… (article 2) Et encore: La croix de Jésus est au cœur de notre mission. (article 4) La première place est bien donnée à Jésus Christ qui nous appelle et nous réunit. Le Christ dont il est question n’est pas un concept intellectuel mais une Personne de chair et de sang

136 Lettre au p. Guibert, 20 mars 1827, EO, 7, p. 134. 137 Chapitre premier de la première partie intitulée Le charisme oblat. 138 Pour une étude plus complète, voir F. Jetté, OMI, Homme apostolique. Commentaire des Constitutions et Règles oblates de 1982. Rome, 1992. 550 p. 38 dont nous percevons la présence « à travers le besoin de salut des hommes». Il nous invite à l’imiter pour devenir ses coopérateurs, en nous identifiant à lui. Dans ces quatre articles, le nom de la seconde Personne de la Trinité revient 11 fois, sous des titres divers: Jésus Christ, Jésus, Christ Sauveur, Sauveur ou Seigneur. En outre il est évoqué neuf fois par l’article possessif (son sang, sa croix, …), deux fois par le pronom sujet (‘il’) et sept fois par le pronom complément d’objet (le suivre, le reproduire, …). La première intuition ignatienne reprise par saint Eugène est donc bien omniprésente.

2. Le sens de l’obéissance Le vœu d’obéissance est traité avec les vœux de religion (articles 24 à 28). Cette partie s’ouvre par deux citations de l’Écriture qui sous-tendent toute la pensée d’Eugène de Mazenod. Mais le mot et l’idée d’obéissance sont présents dès les quatre premiers articles: S’efforçant de reproduire le Christ dans leur vie, ils [les Oblats] se veulent obéissants au Père, même jusqu’à la mort … (article 2) L’appel et la présence du Seigneur au milieu des Oblats aujourd’hui les unissent dans la charité et l’obéissance pour leur faire revivre l’unité des Apôtres avec lui…. (article 3) Citée dès le début et liée à la suite du Christ obéissant à son Père, l’obéissance est présentée selon les deux caractéristiques ignatiennes que le Fondateur voulait lui donner: 1ère - L’obéissance est fondamentale à cause de notre rencontre du Christ obéissant. Pour le laisser vivre en nous, nous devons développer notre obéissance au Père et notre désir d’accomplir en tout la volonté du Père. 2e - L’obéissance est liée au fait que nous formons une communauté apostolique à la suite des Apôtres. Cette obéissance que nous avons les uns pour les autres, à l’image de celle des Apôtres nos premiers pères, fera de nous les coopérateurs du Christ. La seconde intuition ignatienne reprise par saint Eugène est donc bien présente.

3. Le sens de la chasteté Le vœu de chasteté est traité avec les vœux de religion (articles 14 à 18), mais d’une manière très moralisante, en confondant chasteté et célibat (article 14). Mais elle est aussi évoquée très positivement dans les quatre premiers articles, même si le mot est toujours absent! À l’article 2, l’idée y est présentée sous l’angle positif de l’amour: S’efforçant de reproduire le Christ dans leur vie…. ils (les Oblats) se mettent au service du peuple de Dieu avec un amour désintéressé. (article 2) À l’article 3, l’idée de la chasteté est suggérée à partir de la communauté. Elle devient non pas un vœu qui met à part mais une vertu qui unit: L’appel et la présence du Seigneur au milieu des Oblats aujourd’hui les unissent dans la charité et l’obéissance pour leur faire revivre l’unité des Apôtres avec lui ainsi que leur mission commune dans l’Esprit. À l’article 4, la chasteté est suggérée à partir du regard chaste que le Sauveur pose sur le monde: À travers le regard du Sauveur crucifié, nous voyons le monde racheté de son sang.

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Nous retrouvons ce qu’Eugène de Mazenod voulait dire: la chasteté s’origine dans le Christ formant ses apôtres, les invitant à respecter l’autre, en l’aimant sans l’accaparer, en le rendant libre. Toutefois, on aurait pu souhaiter que cela soit dit beaucoup plus explicitement. Aurait-on peur, encore aujourd’hui, de parler de la chasteté? La troisième intuition ignatienne reprise par saint Eugène est donc bien présente.

4. Le sens de la communauté Présente au long des Constitutions et Règles, la communauté est fortement évoquée dans chacun de nos quatre premiers articles. Elle a pour sujet et pour origine Jésus Christ: C’est l’appel de Jésus Christ, … qui réunit les Missionnaires Oblats… (article 1) C’est lui qui appelle chacun et qui nous réunit tous: L’appel et la présence du Seigneur au milieu des Oblats aujourd’hui les unissent… (article 3) Cette communauté est donc apostolique: La Congrégation groupe en communauté apostolique des prêtres et des frères qui se lient à Dieu par les vœux de religion… (article 1) Le texte reprend l’intuition du Fondateur et la développe en disant que notre modèle est le Christ faisant corps avec la communauté apostolique: La communauté des Apôtres avec Jésus Christ est le modèle de leur vie. (article 3) À cause de cela, communauté et mission ne font qu’un: L’appel et la présence du Seigneur les unissent pour leur faire revivre l’unité des Apôtres avec lui ainsi que leur mission commune dans son Esprit. (article 3) L’article 4 invite la Congrégation à participer à la Croix du Christ. Mais alors que les trois premiers articles parlent du groupe en restant à l’extérieur (‘les Missionnaires Oblats font telle ou telle chose…’ ‘Ils sont’ ceci ou cela…’), le texte passe au pronom ‘nous’: À travers le regard du Sauveur crucifié, nous voyons le monde racheté de son sang dans le désir que les hommes en qui se poursuit la passion connaissent eux aussi la puissance de sa résurrection. La quatrième intuition ignatienne reprise par saint Eugène est donc bien présente. La communauté nous identifie, en tant que groupe, au Christ regardant amoureusement le monde. Elle nous fait participer à son œuvre de salut. Cette œuvre n’est pas liée à telle ou telle mission ou encore à telle ou telle communauté locale. Elle est la nature même de la communauté oblate primordiale. À la suite de sa rencontre personnelle du Christ Sauveur de tous les hommes, Eugène de Mazenod a été passionné de la gloire de Dieu et toute sa vie a été une oblation en vue de cette glorification du Père. Il a engagé ses fils sur ce chemin et, pour cela, il a voulu utiliser trois moyens qu’il avait trouvés chez Ignace et qui constituent, aujourd’hui encore, les moyens que nos Constitutions nous proposent pour ce service de l’Eglise: la chasteté et l’obéissance vécues à la manière du Christ en communauté apostolique. Mais Eugène de Mazenod développera ensuite cela selon son génie et sa spiritualité propre, qui font que nous ne sommes pas des Jésuites, ni des ignatiens, mais des Oblats et

40 des «mazenodiens». Cela devrait faire l’objet d’une autre étude. Paris, mai 2005

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Saint Eugène de Mazenod et quelques contemporains béatifiés ou canonisés Yvon Beaudoin, o.m.i.

Summary –The A. draws up a list of contemporaries of Saint Eugene who received the honours of or , and with whom the Founder and the Oblates had a special relationship: eight were French, four Italian, two Canadian and one American from the USA. Mention is made of Pius IX, of bishops and priests Barberi, Del Bufalo, Eymard, Gérard, Laval, Moreau, Neumann, Rosmini, and foundresses Barat, Couderc, Durocher, Pelletier, Rivier and Vialar. En 1982, le cardinal Paul Poupard a publié une livre intitulé XIXe siècle, siècle de grâces. Il écrit dans l’Avant-propos: À l’heure où les cloches retrouvées sonnent à toute volée pour la signature du Concordat [de 1801] qui réconcilie la fille aînée de l’Église avec le pape de Rome, le christianisme se fait de nouveau respecter pour sa valeur esthétique, morale et sociale, et son rayonnement missionnaire. Mûs par un sens apostolique généreux, de vigoureux témoins, hommes et femmes, se lèvent tout au long du XIXe siècle. À leur initiative courageuse, des institutions nouvelles surgissent pour annoncer l’Évangile…1 Siècle de grâces, siècle de bienheureux et de saints. On peut compter dans l’Index Causarum de la Congrégation des Causes des Saints2 environ 150 serviteurs de Dieu, vénérables, bienheureux ou bienheureuses, saintes ou saints, nés en France entre 1780 et 1880, et autant en Italie. Saint Eugène de Mazenod et les Oblats ont eu des relations avec une quinzaine de celles et ceux (environ 50) qui ont été béatifiés ou canonisés, surtout ceux qui ont vécu ou ont eu affaire avec l’Église de Marseille et les missions étrangères. Nous n’examinerons que ceux-ci dans cet article. Mgr de Mazenod ne nomme pas les plus connus ou les plus célèbres d’entre eux, tels Jean Bosco, Antoine Chevrier, Catherine Labouré, Frédéric Ozanam, Jean Marie Vianney, etc. Il a certes entendu parler de ceux-ci et de beaucoup d’autres sans avoir l’occasion de les mentionner dans ses écrits, surtout dans son Journal dont on a perdu 20 des 31 cahiers, surtout ceux qui vont de 1840 à 1860. Voici brièvement ce qu’on connaît de ces relations avec huit Français, quatre Italiens, deux Canadiens et un Américain des États-Unis: BARAT, Madeleine-Sophie, fondatrice des Dames du Sacré-Cœur (Joigny, 13 décembre 1779 – Paris, 25 mai 1865), béatifiée le 24 mai 1908, canonisée le 24 mai 1925. Mgr de Mazenod a rencontré quelques fois sainte Madeleine-Sophie Barat; il a aussi fait des visites aux Dames du Sacré-Cœur à Amiens, à Paris, en Suisse, à Rome et surtout à Marseille3. Madeleine-Sophie reçut une forte éducation humaniste et religieuse sous la direction de son frère aîné Louis, prêtre en 1795, qu’elle accompagna à Paris. En 1800, ceux-ci firent connaissance des Pères de la Foi du père Joseph Varin. Encouragée par celui-ci, Madeleine

1 P. POUPARD, XIXe siècle, siècle de grâces. Paris, 1982, p. 10. 2 Index Causarum, éditions de 1999 et de 2007. 3 Voir Missions O.M.I. 69 (1935), pp. 128-148, 398-412, 635-650. 42 fonda la Société du Sacré-Cœur et ouvrit la maison d’Amiens en octobre 1801. Elle fut ensuite nommée supérieure générale de l’institut. En 1807, Napoléon approuva la société par décret, mais dispersa les Pères de la Foi. Les Constitutions furent approuvées par Léon XII en 18264. Première messe de l’abbé de Mazenod au couvent des Dames du Sacré-Cœur à Amiens En 1811, Eugène de Mazenod ne veut pas être ordonné prêtre à Paris par le cardinal Maury, nommé par Napoléon mais non confirmé par le pape Pie VII. Il s’adresse donc à Mgr de Demandolx, évêque d’Amiens, aixois et ami des Mazenod, et résidera au séminaire, dirigé par les Lazaristes, pendant les quelques semaines de son séjour à Amiens en décembre. Ordonné prêtre dans la cathédrale le 21 décembre, il célèbre ses trois premières messes à Noël dans la chapelle du pensionnat des Dames du Sacré-Cœur dont M. de Sambucy, secrétaire de l’évêque, est l’aumônier. Il est accueilli par Mme Baudémont en absence de Mme Barat en visite à Grenoble. On lit dans le «Journal de la maîtresse des classes» que les pensionnaires ont assisté à la messe de 9 heures et reçu l’imposition des mains du nouveau prêtre qui les a félicitées pour leur chant et a demandé congé pour les chanteuses5. Deux nièces du Fondateur chez les Dames du Sacré-Cœur En 1823-1824, Eugénie de Boisgelin, encouragée par son frère Eugène et le cousin Roze- Joannis, envoie ses deux filles, Nathalie (1810-1829) et Caroline (l813-1825) chez les Dames du Sacré-Cœur à Grenoble où se trouve Mme de Coriolis (1799-1859), leur cousine germaine. Dès le printemps 1824, elles suivent celle-ci à Paris. Mme de Mazenod les accompagne en mai-juin. Eugène leur recommande d’être polies avec Mme Barat, supérieure générale, Mme de Gramont, supérieure locale et Joséphine de Coriolis, spécialement chargée des malades6. Au mois de mai 1825, le père de Mazenod accompagne son oncle Mgr Fortuné à Paris pour assister au sacre du roi Charles X. Ils demeurent près du pensionnat, rue de Varennes, et chaque jour ils vont célébrer la messe au pensionnat et voir Caroline, gravement malade. Elle meurt le 25 juin et, le 28, Eugène, Eugénie et leur mère accompagnent le corps au Calvaire du Mont-Valérien. Le père de Mazenod ne semble pas avoir rencontré Mme Barat, mais demande au père Tempier, le 4 juin, de chercher un local pour ouvrir à Marseille une maison d’éducation des Dames du Sacré-Cœur7. Le père de Mazenod et Mme Barat en Suisse en 1830 En juillet 1830, le père de Mazenod va se reposer en Suisse. À Fribourg, il apprend la nouvelle de la Révolution de Juillet (à Paris, le 27). En septembre-octobre, il appelle à lui les novices et les scolastiques pour lesquels il achète un petit château à Billens sur la route de Lausanne à Fribourg. Mme Barat arrive elle aussi à Fribourg au mois d’octobre et

4 Voir É. BAUNARD, Histoire de Madame Barat. Paris, 1876, 2 vol. 5 Voir A. REY, Histoire de Mgr de Mazenod... , Rome, 1928, I, pp.126-132; Missions O.M.I., 69 (1935), pp. 129-132. 6 Eugène de Mazenod à sa mère, 6 et 26 juin 1824. Rome, Arch. gén. O.M.I., Fonds Boisgelin, MJ I,1. 7 Voir A. REY, op.cit., I, p. 343, et lettres d’Eugène de Mazenod en 1824-1825. 43 achète, pour y placer ses novices, le château de Montet, à l’ouest de Fribourg. Les Oblats quittèrent Billens en 1832. En juin 1837, Mgr de Mazenod et le père Tempier revinrent en Suisse pour vendre la maison de Billens et s’arrêtèrent à Montet le 19 juin pour proposer aux Dames du Sacré-Cœur de l’acheter. Ils furent reçus par Mme Henriette, la supérieure, qui alla visiter Billens. Elle en parla à Mme Barat qui, au mois d’août 1838, fit répondre que «son intention n’est point de faire un nouvel établissement en Suisse8». Les Dames du Sacré-Cœur à Rome Comme le Fondateur des Oblats, Mme Barat a fait six voyages à Rome. Lorsque le père de Mazenod y fit un second voyage en 1832 à l’occasion de sa nomination à l’évêché d’Icosie, les Dames du Sacré-Cœur s’y trouvaient depuis 1828, à la Trinité-des-Monts. Mme de Coriolis y fut présente aussitôt d’abord comme maîtresse générale des congréganistes, puis, semble-t-il, comme supérieure. Mme Barat y fit une visite en 1832. Elle arriva le 25 octobre alors que Mgr de Mazenod en repartait le 4 novembre. Il n’a pas tenu son Journal et la chronique du couvent ne parle pas d’une visite du nouvel évêque. De nouveau à Rome du 16 août au début décembre 1833 pour l’affaire d’Icosie, Mgr de Mazenod alla à la Trinité-des-Monts le 19 août et le 9 octobre. Il est de nouveau à Rome en 1845 pour le mariage de sa nièce Césarie de Boisgelin. Dès son arrivée le 14 juillet, il célébre la messe à la Trinité-des-Monts9. Mgr de Mazenod et le père Tempier furent à Rome du début janvier au début avril 1851 pour demander une nouvelle approbation des Règles. Pour sa part, Mme Barat y fut du 16 novembre 1850 au 14 juin 1851. D’après les circulaires des Dames du Sacré-Cœur, les deux visiteurs célébrèrent habituellement la messe au couvent de la Trinité-des-Monts et, est-il écrit, «notre révérende Mère générale retrouva en lui [Mazenod] un ami dévoué de la société». Lors du voyage à Rome de Mgr de Mazenod en 1854 pour la définition du dogme de l’Immaculée Conception, Mme de Coriolis n’y était plus. D’après le registre des messes du couvent, l’évêque de Marseille y célébra la messe le 28 octobre. Les Dames du Sacré-Cœur à Marseille en 1835 De Paris en 1825, le père de Mazenod avait demandé au père Tempier de chercher un local à Marseille afin d’ouvrir une maison d’éducation des Dames du Sacré-Cœur. Les Dames de Saint-Pierre y eurent un pensionnat à partir de 1828, mais elles fusionnèrent en 1834- 1835 avec les Dames du Sacré-Cœur. En 1839, Mgr de Mazenod acheta une maison de campagne à Saint-Louis, propriété voisine du pensionnat Saint-Joseph. Son Journal et les chroniques du pensionnat mentionnent ses nombreuses visites, surtout à l’occasion de la confirmation des filles ou de la distribution des prix. En 1845, Mme Barat passa huit jours à Marseille, et le 17 janvier eut un entretien de deux heures avec l’évêque. Ils se rencontrèrent encore à Marseille le 7 novembre 1850 et le 20 juin 1851. Le 2 août 1851, Mgr de Mazenod accompagna Mgr Allard au pensionnat, et Mgr Taché le 7 décembre suivant10.

8 Journal, 25 août 1838, dans Écrits oblats (EO) 19, p. 183. 9 Journal, juillet-août 1845, dans EO 17, p. 177. 10 Missions O.M.I. 69 (1935), pp. 148, 398-412. 44

Les chroniques racontent plusieurs anecdotes où l’on voit que l’évêque y est très à l’aise. Souvent, comme le 7 novembre 1850, avant de quitter la maison, il accorde congé aux pensionnaires pour le reste de la journée. Le 27 décembre 1857, il célèbre la messe pour la communauté. Pendant le dîner des pensionnaires, la supérieure lui fait visiter les cellules et les coins et recoins de la maison. Il dit alors: «Chez vous, je sais qu’on peut aller partout, parce que tout est en ordre; chez les hommes, il n’en est pas de même…» Mgr de Mazenod et Mme Barat ne semblent donc s’être rencontrés que quelques fois, à Rome en 1851, et à Marseille en 1845, 1850 et 1851. Il a reçu une lettre d’elle en 1843. L’institut des Dames du Sacré-Coeur a été approuvé par Rome le 22 juillet 1826 selon la procédure suivie pour l’approbation des Oblats. En 1839, le conseil général des religieuses réuni à Rome avait cru devoir modifier les Règles et les assimiler à celles des Jésuites. Ces changements comprenaient la translation de la maison générale de Paris à Rome. Les maisons de France s’y opposèrent, et les évêques intéressés, dont Mgr de Mazenod, partagèrent leurs vues. D’ailleurs le gouvernement menaça de retirer l’autorisation légale accordée à la société. Le 3 mars 1843, Rome abolit les décisions du chapitre de 1839 et la société fut replacée «sous l’empire des constitutions de Léon XII». Le 19 mars, par lettre de Mme Barat, Mgr de Mazenod apprit avec plaisir cette nouvelle11. BARBERI, Dominique (Dominique de la Mère de Dieu), Passionniste (Viterbo, Italie, 22 juin 1792 – Reading, Angleterre, 27 août 1849), béatifié le 27 octobre 1963. Dominique Barberi naît à Viterbe le 22 juin 1792 et entre chez les Passionnistes en 1814. Après son ordination sacerdotale le 1er mars 1818, il est professeur de philosophie et de théologie, missionnaire puis provincial du Lazio méridional. En 1840, il est envoyé à Era en Belgique pour fonder la première maison des Passionnistes hors de l’Italie; en 1841, il ira en Angleterre. En route avec quelques confrères en mai 1840, il reçoit à Marseille l’hospitalité de Mgr de Mazenod. Celui-ci paie le billet des voyageurs sur la diligence qui les conduira à Lyon. Le 21 juin 1841, le père Dominique écrira à son père Général pour lui conseiller de faire passer par Marseille le second groupe de missionnaires. Il ajoute: «L’évêque nous est très affectionné ... Il a dit: ‘Je n’ai pas besoin qu’on me fasse des recommandations pour les Passionnistes. C’est moi qui doit les recommander aux autres’». Le père Dominique ne sait sans doute pas d’où vient cette «affection» de Mgr de Mazenod pour les Passionnistes. À Rome pour l’approbation des Règles, celui-ci est allé le 12 février 1826, à l’occasion des Quarante-Heures, visiter l’église des saints Jean-et-Paul confiée à cet institut religieux. L’affluence des fidèles l’empêcha d’entrer dans l’église. Il alla frapper à la porte du couvent. Le frère ouvrit, l’accompagna à la tribune, lui fit ensuite visiter la maison, lui offrit un café et le présenta au père Général et au supérieur. Celui-ci lui proposa de venir célébrer sur la tombe de saint Paul de la Croix, leur fondateur, et ensuite de rester à dîner. C’est ce que fit le père de Mazenod le 20 avril 1826 et de nouveau en 185412.

11 Voir A. REY, op. cit., II, 151-152. 12 Voir Journal 12 février et 20 avril 1826, dans EO 17, pp. 105-107, 154-155; 1er décembre 1854, dans EO 17, p. 234. 45

D’autres Passionnistes s’arrêtèrent au grand séminaire ou au Calvaire à Marseille en 1841, 1845 et 1846. L’évêque rappelle au père Général, en avril 1845, qu’il tient à ce que tous les Passionnistes qui passent par Marseille logent chez les Oblats. Pour sa part, il ne rencontra qu’une fois le père Dominique de la Mère de Dieu, mais il s’intéressa à l’activité apostolique de celui-ci et de ses confrères en Angleterre. Plusieurs fois il les donna en exemple aux Oblats, en particulier pour leur esprit de pauvreté et de sacrifice13. COUDERC, Thérèse (Marie-Victoire), fondatrice de la congrégation de N.-D. du Cénacle (Mas de Sablières, 1er février 1805 - Fourvières, 26 septembre 1885), béatifiée le 4 novembre 1951, canonisée le 10 mai 1970. Mgr de Mazenod n’a pas rencontré Thérèse Couderc, mais il en a entendu parler par Mgr Hippolyte Guibert, o.m.i., évêque de Viviers, qui a sauvé l’unité de sa congrégation. Le père Terme, missionnaire diocésain de Viviers, avait fondé à Aps où il avait été curé une congrégation de religieuses enseignantes appelées Sœurs de Saint-Régis. Thérèse Couderc y était jeune religieuse lorsque, en 1827, il la fit venir à La Louvesc avec deux compagnes pour y ouvrir une maison d’accueil des pèlerins à la tombe de saint François Régis. En 1828, la mère Thérèse fut nommée supérieure de la maison qui bientôt ne recevra plus que des retraitantes, d’où le nom de la congrégation des Dames de la Retraite ou de Notre-Dame du Cénacle. À la mort du père Terme en 1834, la mère Thérèse demanda l’aide du père François Renault, provincial des Jésuites. Il obligea aussitôt les Dames de la Retraite à se séparer des Sœurs enseignantes de Saint-Régis. En 1838, le père Renault destitua la Mère et fit nommer par Mgr Bonnel, alors évêque de Viviers, la comtesse de Lavilleurnoy, encore postulante, supérieure avec le titre de fondatrice. En quelques mois celle-ci conduisit l’œuvre vers la ruine et fut contrainte de se retirer. En 1839, le chapitre général élut supérieure générale la mère Contenet qui fut une excellente supérieure jusqu’à sa mort en 1852, mais il n’eut aucune considération pour mère Thérèse. La mère Larochenégly succéda à la défunte. On fut déçu de ce choix du chapitre à la maison de Paris où quelques religieuses et leur conseiller jésuite espéraient faire nommer Mme Anaïs, jeune religieuse, maîtresse des novices et peu soumise à la mère Contenet. Mgr Guibert, évêque de Viviers et supérieur ecclésiastique de l’institut, confirma cette élection sans accepter la condition proposée par le père Fouillot, s.j., et acceptée par les supérieures, à savoir que l’élection valait pour trois ans au lieu des dix prévues par les constitutions. Après trois années, en 1855, les religieuses de Paris invitèrent la supérieure générale à donner sa démission. Mgr Guibert intervint. Il convoqua une réunion des supérieures, interrogea chacune et constata que quatorze contre cinq voulaient garder la mère Larochenégly. Après avoir consulté les archevêques de Paris et de Lyon, il annonça aux religieuses qu’il n’acceptait pas la démission de la supérieure générale qui sera maintenue dans sa charge jusqu’à l’expiration des dix années. En second lieu, il transféra le noviciat

13 P. Federico DELL’ADDOLORATA, C.P., Il beato Domenico della Madre di Dio. Roma, 1963, 268 p.; Y. BEAUDOIN, Mgr de Mazenod et quelques contemporains récemment béatifiés, dans Études oblates, 25 (1966), pp. 159-161. 46 de Paris à Fourvières mais laissa Mme Anaïs supérieure à Paris. Il comptait sur l’obéissance de toutes pour respecter ses volontés, mais ajoutait: «Si on se permettait de les enfreindre, ce que je ne puis nullement supposer, j’aviserais au moyen d’empêcher ce désordre; je ne crois pas avoir la réputation d’être sévère et je me sens plutôt disposé à la douceur; cependant je veux vous prévenir que j’ai celle d’être ferme et, en effet, lorsque je suis appuyé sur le devoir et sur les droits de Dieu, je ne fléchis jamais14.» Mme Anaïs refusa pratiquement d’obéir. Mgr Guibert apprit, le 15 mai, d’un vicaire général de Paris, qu’on se proposait de séparer les maisons de Paris du reste de l’institut. Il décida aussitôt d’adopter la manière forte. Il partit pour Paris. Le 3 juin, à huit heures du matin, il se présenta au n. 15 de la rue du Regard et nomma mère Thérèse supérieure de la maison. Le 16, les religieuses fidèles renouvelèrent leurs vœux entre les mains de la nouvelle supérieure. Cinq dissidentes quittèrent l’institut. Le 22 juin, Mgr Guibert présida à Fourvières une profession et deux prises d’habit et prononça les paroles suivantes: Ce qui fait les bonnes religieuses – puissiez-vous ne jamais l’oublier après la triste expérience que nous faisons aujourd’hui – c’est l’esprit d’obéissance, d’humilité, d’abnégation. Voilà ce qui constitue la vie religieuse, ce qui maintient la vigueur des ordres religieux, ce qui est le vrai rempart des constitutions. Cet esprit d’humilité et d’obéissance n’était pas fortement établi chez vous… Dans la biographie de la bienheureuse Thérèse, l’abbé Combes écrit que le danger d’une scission avait été «dénoncé avec une pénétration singulière et une clairvoyance quasi prophétique, par l’évêque qui a fait plus que personne – après mère Thérèse – pour en préserver les Dames de la Retraite15».

DEL BUFALO, Gaspar, fondateur des Missionnaires du Précieux-Sang (Rome, 6 janvier 1786 – Rome, 28 décembre 1837), béatifié le 18 décembre 1904, canonisé le 12 juin 1954. À la fin de ses études au Collège romain, est ordonné prêtre le 31 juillet 1808. Après la déportation de Pie VII en 1809, le jeune prêtre refuse de prêter serment de fidélité à Napoléon et, de 1810 à 1814, il est exilé dans le nord de l’Italie, puis en Corse. En 1814, Pie VII lui demande de se consacrer aux missions paroissiales. Pour avoir des collaborateurs, il fonde le 15 août 1815, un institut sous le vocable du Précieux-Sang. Saint Vincent Strambi disait que ses sermons étaient «des tremblements de terre spirituels». Il prêche beaucoup: 11 missions au cours de l’été 1817, 15 en 1818, 14 en 1820, une dizaine chaque année de 1821 à 1829. Il ouvre au cours de cette période une dizaine de maisons au centre de l’Italie. Il prêche sa dernière mission en 1837 et meurt à Rome le 28 décembre de la même année16. Relations avec saint Eugène de Mazenod Lors de son voyage à Rome en 1825-1826, le père de Mazenod entend parler du chanoine Del Bufalo et lui fait une visite «pour connaître l’institut des Missionnaires du Sang

14 A. COMBES, La bienheureuse Thérèse Couderc, fondatrice du Cénacle. Paris, 1956, p. 222. 15 Ibid., pp. 194 et 229. 16 G. de LIBERO, S. Gaspare Del Bufalo, romano. Roma, 1954; V. Sardi, Vita del b. Gaspare Del Bufalo. Roma, 1904. 47

Précieux de Notre Seigneur» (Journal, 11 avril 1826). En 1832, au cours de son deuxième voyage à Rome à l’occasion de sa nomination à l’évêché d’Icosie, Mgr de Mazenod rencontre de nouveau le chanoine. Ils parlent d’une possibilité de «fusion» entre les deux groupes de missionnaires, fondés presque en même temps et qui ont le même but: la prédication de la Parole de Dieu par le ministère des missions au peuple. Le chanoine fait appeler son premier collaborateur, Giovanni Merlini, pour examiner de près l’affaire. On ne réussit pas à s’entendre sur un point: Mgr de Mazenod tient absolument à garder les vœux pendant que les Missionnaires du Précieux-Sang sont et veulent demeurer «une œuvre du clergé séculier sans vœux». Mgr de Mazenod écrit alors une lettre au chanoine pour rappeler les avantages de la fusion et pour dire son regret de l’insuccès de la tractation: «Je pense encore la même chose, conclut-il, laissant à Dieu de faire connaître à tous ces très dignes prêtres qui forment la pieuse union et l’archiconfrérie du Très Précieux-Sang, la grande vertu des vœux qui, à tort, en effraie quelques-uns» (octobre 1832)17. DUROCHER, Eulalie (Mère Marie-Rose), fondatrice des Sœurs des SS. Noms de Jésus et de Marie (Saint-Antoine-sur-Richelieu, Canada, 6 octobre 1811 - Longueuil, 6 octobre 1849), béatifiée le 23 mai 1982. Née dans une famille nombreuse, Eulalie Durocher eut une sœur religieuse de la congrégation de Notre-Dame et trois frères prêtres, dont Eusèbe et Flavien, Oblats de Marie Immaculée. Après avoir étudié chez les Sœurs de la congrégation de Notre-Dame, elle demeure de 1831 à 1843 au service de son frère Théophile, curé de Beloeil. Dès l’arrivée des Oblats au Canada en 1841, elle collabore avec eux, en particulier avec les pères Telmon et Lagier qui l’aident dans la fondation d’une association pour jeunes filles appelée «Enfants de Marie». Encouragée par Mgr Ignace Bourget, évêque de Montréal, elle songe à ouvrir des écoles. Elle s’entend avec le père Telmon pour demander quelques religieuses des Saints Noms de Jésus et de Marie de Marseille, fondées par la mère Ruel (1801-1874) et approuvées par Mgr Fortuné de Mazenod le 24 novembre 1823. Cette congrégation dont Mgr Eugène de Mazenod allait devenir «le premier père» et le père Tempier le supérieur ecclésiastique, a déjà en 1843 plusieurs écoles très appréciées dans le diocèse de Marseille. Appelé en France pour participer au chapitre général de l’été 1843, le père Telmon expose ses projets au Fondateur. Celui-ci demande quelques religieuses pour le Canada, mais la mère Ruel refuse par crainte de briser l’unité de sa congrégation. C’est alors que Mgr de Mazenod propose de fonder une congrégation du même nom au Canada: «Si vous avez des personnes capables, vertueuses et de bonne volonté, qu’est-ce qui empêche qu’elles se réunissent et commencent elles-mêmes l’œuvre18…». Il envoie par le retour du père Telmon le père Allard qui sera maître des novices des Oblats et pourra «diriger les religieuses.»

17 F. Ciardi, Un projet de fusion avec les Missionnaires du Précieux-Sang, dans Vie Oblate Life, 37 (1978), p. 65-71. 18 Mgr de Mazenod à Mgr Bourget, 10 août 1843, dans EO 1, p. 53-54. 48

La communauté commence avec trois pionnières à Longueuil, le 28 octobre 1843, dans l’école située en face de l’église paroissiale. En venant au Canada en 1844, le père Garin apporte les règles des Sœurs de Marseille et une figurine de leur habit. La congrégation se développe rapidement au Canada et dans plusieurs pays à la suite des Oblats. En 1965- 1970, elle comptait 4200 religieuses et 220 maisons. Dans la Chronique de l’institut on lit ceci: «Nous voudrions inscrire en traits indélébiles dans nos Annales, les noms des pères Telmon, Honorat, Guigues, Allard, ainsi que ceux du R.P. Tempier, l’auteur de notre règle, et de Mgr de Mazenod qui a confié à ses fils religieux le soin de fonder notre communauté et de l’établir sur des bases solides. Un des trésors le plus précieux que nous lèguent les Pères Oblats, c’est la dévotion à Marie19». Mgr de Mazenod, les pères Telmon et Honorat sont donc les initiateurs de la congrégation: le père Tempier en a composé la règle avec la mère Ruel; en 1844, le père Guigues a été nommé par Mgr Bourget supérieur ecclésiastique des religieuses; le père Allard a formé intellectuellement et spirituellement les sœurs de 1843 à 1849, depuis son arrivée au Canada jusqu’à son départ pour Ottawa. On lit encore dans les Chroniques: «Ni les froids rigoureux, ni les tempêtes de neige ne l’empêchaient d’arriver à l’heure marquée des exercices. Pendant près de six ans, il nous donna des leçons de grammaire, d’histoire, de géographie, de littérature, d’arithmétique, de géométrie, de chant […]. C’est surtout comme maître des novices qu’il a rendu à notre communauté les plus éminents services20». Les liens avec les Oblats ont continué après les années de fondation. Pendant plus de cent ans la retraite annuelle des Sœurs a été prêchée par un Oblat en alternance avec un Jésuite. Les Oblats ont été chapelains de la maison-mère d’Outremont pendant 70 ans. Ce sont des Oblats qui ont toujours été procureurs de l’institut auprès du Saint-Siège et postulateurs de la cause de Mère Marie-Rose. Le père Angelo Mitri a mené celle-ci à terme par la béatification du 23 mai 1982. EYMARD, Pierre-Julien, fondateur de la Congrégation du Saint-Sacrement (La Mure, 4 février 1811 - La Mure, 1er août 1868), béatifié le 12 juillet 1925, canonisé le 9 décembre 1962. Né à La Mure d’Isère, Pierre-Julien Eymard manifeste dès sa première communion le désir d’être prêtre. De 1821 à 1824, il fait plusieurs pèlerinages à N.-D. du Laus, sanctuaire dirigé par les Oblats; il se confesse au père Touche. En mai 1829, les Oblats prêchent une mission à La Mure. Pierre-Julien se confie au père Guibert lequel, bon recruteur, l’envoie au noviciat oblat de St-Just près de Marseille où il demeure de juin à novembre sous la direction du père Guigues. Il poursuit ses études classiques tout en suivant les exercices du noviciat. Il travaille trop, tombe malade et doit quitter. C’était peu après un vol sacrilège dans l’église Saint-Théodore en mars. Le père de Mazenod, vicaire général, fait faire des expiations solennelles et la dévotion à l’eucharistie est alors très vive à Marseille. Le père Eymard dira plus tard: «Il me fallait Marseille pour me donner l’amour exclusif de

19 P. DUCHAUSSOIS, Rose du Canada… Paris, 1932, p. 244. 20 Ibid., p. 148. 49 l’eucharistie et en faire le centre de ma vie.» Après deux années de repos et le décès de son père qui s’était opposé à sa vocation, Pierre- Julien veut entrer au séminaire de Grenoble, mais son curé fait de lui une recommandation très négative. Pierre-Julien préfère entrer sans cette recommandation lorsque par hasard il rencontre le père de Mazenod, de retour de Billens, qui va personnellement le présenter au supérieur. Le jeune homme est accepté sur-le-champ. Il est ordonné prêtre le 20 juillet 1834 et va célébrer sa première messe, le 22 juillet, au sanctuaire de N.-D. de l’Osier dirigé par les Oblats et où le père Guigues vient d’être nommé supérieur. Le père Dassy, compagnon de noviciat, lui propose de rester avec la communauté, mais après un mois de séjour à l’Osier, le jeune abbé devient vicaire puis curé dans le diocèse de Grenoble. Il entre ensuite chez les Maristes en 1839 et y demeure jusqu’en 1856, année de la fondation à Paris de la congrégation du Saint-Sacrement. Maison de Marseille en 1859 Une seconde maison fut ouverte à Marseille en 1859. L’abbé de Cuers, ordonné prêtre dans cette ville le 24 juin 1855 et premier associé du père Eymard, prépara les voies à cette fondation, sachant que Mgr de Mazenod désirait une maison de la société pour lui permettre l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement dans le diocèse. Il acheta la maison des Minimes sur la rue Nau. Par lettre du 2 janvier 1859, Mgr de Mazenod écrivait au père Eymard: Je verrais avec bonheur votre précieuse société s’établir dans mon diocèse et y faire pour cela l’acquisition de la maison qui était occupée par le Minimes qui se retirent. Avec le secours que votre Société nous donnerait, nous pourrions sans délai établir à Marseille l’adoration perpétuelle du T.S. Sacrement après laquelle je soupire depuis tant d’années. Pour payer en partie le coût de l’acquisition et des réparations, Mgr de Mazenod permit au père Eymard de prêcher un sermon de charité auquel il donna toute la publication possible. Le père Joseph Fabre, o.m.i., vicaire général, publia le 24 mai 1859 dans La Semaine religieuse de Marseille une lettre d’invitation adressée à tous les prêtres et fidèles de la ville. Le père prêcha dans l’église de la Trinité le 3 juin et la quête fut abondante. La maison de Marseille fut inaugurée par l’évêque le 9 novembre 1859 qui, le 21 décembre suivant, publia le mandement par lequel il établissait à partir du 1er janvier 1860 l’exposition solennelle et perpétuelle du Saint-Sacrement dans le diocèse. Le père Eymard ne fit pas partie de la maison de Marseille, mais il y résida quelque temps, fin 1859 et début 1860. En 1864, il fonda à Angers la congrégation des Servantes du Saint-Sacrement, et mourut à La Mure le 1er août 186821. GÉRARD, Joseph, o.m.i., missionnaire en Afrique du Sud (Bouxières-aux-Chênes, 12 mars 1831 - Roma, Lesotho, 29 mai 1914), béatifié à Maseru, Lesotho, le 15 septembre 1988. Joseph Gérard fait son noviciat à N.-D. de l’Osier en 1851-1852 et son scolasticat à Marseille en 1852-1853. Envoyé au Natal en mai 1853, après avoir reçu le diaconat le 3 avril des mains de Mgr de Mazenod, il arrive à Durban le 21 janvier 1854, est ordonné prêtre à

21 Voir F. TROCHU, Le bx Pierre-Julien Eymard. Lyon-Paris, 1949. 50

Pietermaritzburg par Mgr Allard le 19 février suivant. Il apprend l’anglais et le zoulou, puis fait trois fondations parmi les Zoulous en 1855-1856, 1858-1860, 1860-1861. Devant le refus de la grâce chez les Zoulous, encouragé par Mgr de Mazenod, il va avec Mgr Allard fonder une mission au Basutoland où le roi Moshoeshoe les accueille et leur donne un terrain pour construire une chapelle. C’est là que le père Gérard passera sa vie: au village de la Mère de Dieu (Roma) de 1862 à 1875, à Sainte-Monique de 1876 à 1897, et de nouveau à Roma de 1897 à 1914. Il a été l’homme providentiel, patient et tenace, qui a entrepris la conversion des Zoulous puis des Basotho, tâche qui s’est avérée lente, pénible et souvent désespérante. À sa mort, on comptait cependant 15 000 catholiques au Lesotho et 4 000 catéchumènes. Le père Gérard a toujours été apprécié par les Oblats et reconnu comme un saint. Le père Gustave Richard, son maître des novices, ne cessa de dire du bien de lui: «Ange de modestie et de candeur... je crois que la sainte Vierge veut faire de lui un petit saint... l’humilité profonde accompagne toutes ses autres vertus... c’est le modèle du noviciat... Quelle belle âme»! Le père Mouchel, modérateur des scolastiques, écrit en juillet 1852: «Le frère Gérard est un ange de pureté, de charité, d’obéissance. Je ne doute pas qu’il ne devienne un apôtre dévoué et capable des plus grands sacrifices.» Le 8 avril 1853, le Fondateur annonce qu’il envoie au Natal «un véritable saint diacre22». Missionnaire au Natal et au Lesotho En arrivant au Natal, le père Gérard a immédiatement conquis la confiance de Mgr Allard. Celui-ci voyagea avec lui en 1861-1862 pour visiter le vicariat et aller au Basutoland. Il en avait besoin comme interprète, mais l’appréciait aussi pour sa vie religieuse. Il écrit au père Fabre, le 29 août 1862: «Je n’ai qu’à me féliciter de la conduite du père Gérard et comme missionnaire et comme religieux. Il est toujours plein de zèle pour la mission des Cafres et il ne se décourage jamais23». Les divers visiteurs canoniques du Lesotho louèrent l’activité apostolique des missionnaires et surtout du père Gérard24. En 1881, le père Porte a été initié à la vie missionnaire par le père Gérard à la mission Sainte-Monique. Dans ses Réminiscences, ce père dit son admiration pour le zèle du père Gérard: À mon arrivée, écrit-il, il y avait 14 années qu’il arrosait ce champ de ses sueurs […] quand il partit pour établir cette mission de Sainte-Monique où je le trouvai. Dire ce que cet homme de Dieu, cet apôtre a souffert, serait difficile. Pendant toute une nuit, un Cafre lui a tenu une sagaie sur la poitrine, attendant le moment où le sommeil le gagnerait pour le percer. Une rivière l’emporta au Natal et le rendit sur la grève sain et sauf. Des rebelles, durant la guerre des fusils, lui tirèrent sept coups de fusil à bout portant, mais pas un ne l’atteignit […] On dit qu’il a le don des larmes pour pleurer sur les péchés d’autrui; ce que je puis assurer, c’est que jamais, pour lui, les prières et les cérémonies du culte ne sont assez longues et que tous, païens ou catholiques, blancs et noirs, voir même les protestants, le respectent plus que jamais évêque de Cantorbéry25. Les pères Cassien Augier et Marcel Deltour ont fait l’éloge de ses mérites à l’occasion de

22 Y. BEAUDOIN, Le Bx joseph Gérard, o.m.i., l’apôtre des Basotho (1831-1914)... Rome, 1988, pp. 19-21. 23 Ibid., p. 39. 24 Ibid., pp. 58-60, 86, 88. 25 Missions O.M.I. 34 (1896), pp. 208-210 51 son jubilé d’or de vie religieuse en 1902 et de son jubilé d’or de sacerdoce en 190426. En annonçant à Mgr Dontenwill la mort du père Gérard, le 1er juin 1914, le père Pierre Pennerath a écrit: Notre bon et vénéré père Gérard est mort. Il nous a quittés le vendredi 29 mai, à 9 heures et ¼ du soir. Sa mort fut calme, comme sa vie a été douceur et sainteté. Nous avons perdu la règle vivante de la vie religieuse telle que notre vénéré fondateur la désirait […] Ses funérailles ont eut lieu aujourd’hui. Ce fut un triomphe. Jamais je n’avais vu un pareil spectacle à la mort d’un homme27… Le père Gérard est considéré par les Basotho comme leur père dans la foi. Il a eu une influence profonde sur ce peuple grâce aux trois piliers de sa méthode missionnaire: visites à domicile pour vivre près du peuple, ce qu’il appelait «l’apostolat de plain-pied», solennité des moments importants de la vie chrétienne, formation longue et solide des catéchistes et des néophytes. Au-delà de toute méthode, l’amour: «Que faire pour convertir les Basotho, s’était-il demandé en 1886? La réponse est dans toutes les pages de l’Évangile: il faut les aimer, les aimer quand même, les aimer toujours28». Par sa méthode missionnaire, par son amour et surtout par l’exemple de sa vie de prière incessante et d’union à Dieu, les Basotho ont vu en lui un témoin vivant de l’amour de Dieu. Son rayonnement s’est étendu sur les Basotho mais aussi sur la congrégation. Dans la plupart des numéros de la revue Missions O.M.I. de 1862 à 1914, on parle du père Gérard. Par la suite, les Oblats en ont écrit quelques biographies29 et une dizaine d’articles sur lui dans la revue Vie Oblate Life33. Sur cette terre alors païenne d’Afrique, le père Gérard a été l’envoyé de Dieu et de l’Église. C’est au nom du Christ, du pape et de la congrégation qu’il a implanté l’Église. Il a mis toutes ses forces, toutes ses ressources au succès de cette mission. Il s’y est sanctifié et a illustré la congrégation, car les «fils les plus illustres de la famille ce sont ceux qui ont brillé par la sainteté de la vie. C’est en eux que la congrégation reconnaît son vrai visage, l’expression la mieux réussie de l’idéal qui lui a été assigné dès sa naissance»34. LAVAL, Jacques-Désiré, de la congrégation du Saint-Esprit (Croth, France, 18 septembre 1803 - Port-Louis, Île Maurice, 9 septembre 1864), béatifié le 29 avril 1979. Après ses études au collège Stanislas à Paris, Jacques-Désiré Laval obtint un doctorat en médecine qu’il exerça pendant quelques années. Il entra au séminaire Saint-Sulpice en 1835 et fut ordonné prêtre le 2 décembre 1838. Il entra dans la congrégation du Sacré-Cœur de Marie, fondée en 1835-1840 par le père François Libermann (1802-1852). Cette congrégation fusionna en 1848 avec la congrégation du Saint-Esprit, fondée en 1703 par Claude-François Poullart des Places. Autorisée par l’État, celle-ci gardait le privilège accordé par le roi de l’exclusivité des missions dans la plupart des territoires français

26 Y. BEAUDOIN, op. cit., pp. 112-114. 27 Ibid., p. 119. 28 Ibid., p. 135. 29 En particulier, celles de A. Roche, J. Morabito, M. Ferragne, J.C. Brossard, G. O’Hara, Y. Beaudoin. 33 Certains articles sont remarquables, v.g. J.C. Zeltner en 1948, É. Lamirande en 1956, B. Albers en 1982, J.L. Richard, M. Zago, D. Dancause, Buti Tlhagale, E. Risi, J. Skhakhane en 1989-1990. 34 É. LAMIRANDE, « Introduction de la cause du père Gérard», dans Études oblates, 15 (1956), pp. 71-72. 52 d’outre-mer. Envoyé à l’Île Maurice en 1841, le père Laval fut pendant six années seul missionnaire du Sacré-Cœur de Marie, vicaire à la cathédrale, mais spécialement chargé de l’apostolat auprès des Noirs, affranchis en 1835-1839. (La population était mêlée: blancs, indiens et noirs). L’Île avait été colonie de la France de 1712 à 1810 et portait alors le nom de l’Île de France. Le père Laval fut très aimé des habitants et y laissa le souvenir d’un saint extraordinaire auquel les Mauriciens, même ceux de l’Afrique du Sud, restent attachés. En route pour l’Afrique du Sud en mai 1853, le navire qui portait trois Oblats, le père Justin Barret, le scolastique Joseph Gérard et le frère Pierre Bernard, les laissa à l’Île Maurice où ils demeurèrent plus de deux mois chez les Pères Spiritains. Le père Laval les initia à la vie apostolique et à sa méthode missionnaire très efficace que le père Gérard n’oublia pas auprès des Zoulous et surtout auprès des Basotho. D’ailleurs, Mgr Collier, évêque de l’Île et le père Laval furent reconnaissants des services rendus par les «deux bons religieux», le père Barret qui «a confessé» et le frère Gérard qui a «baptisé et enterré»35. Le père se distinguait par sa vie de prière et de mortification et par sa méthode missionnaire: il privilégiait l’éducation poussée de petits groupes de néophytes qui devenaient catéchistes et animateurs de pastorale dans leurs villages. Une seule fois dans sa correspondance, le père Gérard fait allusion à son séjour à l’Île Maurice36, mais au Lesotho, il a imité le père Laval dans sa vie de prière, de mortification et de formation chrétienne des Basotho parmi lesquels il a laissé une grande renommée de sainteté. MOREAU, Louis-Zéphirin, évêque de Saint-Hyacinthe (Bécancour, Canada, 1er avril 1824 - Saint-Hyacinthe, 24 mars 1901), béatifié le 10 mai 1987. Louis-Zéphirin Moreau a étudié au séminaire de Nicolet de 1839 à 1842, puis auprès de son curé à Bécancour jusqu’à son ordination sacerdotale le 19 décembre 1846. D’une santé délicate, il a été secrétaire de Mgr Ignace Bourget à Montréal de 1846 à 1856, puis de Mgr Jean-Charles Prince et des évêques de Saint-Hyacinthe jusqu’à sa nomination comme évêque de ce diocèse en 1875. Il fut pasteur vigilant et zélé jusqu’à sa mort en 1901. Les Oblats n’avaient pas de maison et d’œuvres dans ce diocèse. Ils eurent cependant la visite de Mgr Moreau dans quatre circonstances solennelles: d’abord, à l’ouverture de l’université pontificale d’Ottawa le 9 octobre 1889. À l’inauguration du Collège canadien de Rome la même année, les quatre évêques canadiens, dont Mgr Moreau, présents à Rome pour l’occasion, furent reçus au scolasticat international des Oblats. Ensuite, à la bénédiction de treize cloches à l’église Saint-Pierre-Apôtre de Montréal le 9 novembre 1890. Enfin, le 8 décembre 1891, sept évêques, dont Mgr Moreau, furent présents à Montréal aux fêtes jubilaires du cinquantième anniversaire de l’arrivée des Oblats au Canada37.

35 Y. BEAUDOIN, op. cit,, p. 25. 36 P. Gérard à Mgr de Mazenod, 29 septembre 1856, dans Écrits oblats II, vol. 4, p. 16. 37 Missions O.M.I. 27 (1889), p.528 ; 28 (1890), pp. 499 et 513; 30 (1892), p. 65. 53

La cause de béatification de Mgr Moreau, commencée en 1928, s’est terminée par la béatification à Rome, le 10 mai 1987. Le père Angelo Mitri, o.m.i., nommé postulateur par Mgr Albert Sanschagrin, o.m.i., évêque de Saint-Hyacinthe, a été l’avant-dernier postulateur de la cause, de 1970 à sa mort le 20 décembre 1984. En septembre 1983, il avait fait le voyage à North Bay pour l’enquête canonique d’une guérison reconnue ensuite comme miracle. NEUMANN, Jean-Népomucène, c.ss.r., évêque de Philadelphie (Prachatitz en Bohème, 28 mars 1811 - Philadelphie, USA, 5 janvier 1860), béatifié le 13 octobre 1963, canonisé le 19 juin 1977. Alors qu’il était séminariste à Budweis, Jean-Népomucène Neumann lut des lettres de Frédéric Baraga, apôtre des Chippewas autour du lac Michigan, et décida de partir pour les États-Unis en 1836. Mgr J. Dubois, évêque de New York, l’ordonna prêtre le 25 juin et l’envoya aux confins du diocèse, auprès des immigrés d’origine allemande du district de Buffalo. En 1840, Jean Neumann entra chez les Rédemptoristes. Il travailla à Baltimore en 1842-1844, à Pittsburgh en 1844-1847, prêcha des missions paroissiales, puis fut curé de la paroisse Saint-Alphonse de Baltimore en 1851. Nommé évêque de Philadelphie en 1852, il fut un pasteur zélé dans un diocèse où la population catholique croissait rapidement, passant par exemple de 170 000 en 1852 à 200 000 en 1855. Il fit construire des églises, ouvrit des écoles, visita souvent son diocèse, veilla à la formation du clergé en fondant un petit et un grand séminaire. C’est à ce propos que Mgr Neumann entre en relation avec les Oblats38. En novembre 1856, Mgr Neumann, sur conseil du père Édouard Chevalier, o.m.i., écrit à Mgr de Mazenod et lui propose de confier son grand séminaire aux Oblats. On lui répond de s’adresser à Mgr Guigues, provincial des Oblats du Canada. Celui-ci est favorable au projet mais il ne peut pas lui fournir de sujets. En juillet 1857, il demande à Mgr Neumann d’attendre une année dans l’espoir de pouvoir lui trouver le personnel requis. Dès l’automne de 1857, le père Chevalier fait une visite à Philadelphie et écrit au Fondateur: Le séminaire «est une vaste et très confortable maison séparée de la cathédrale par une cour de récréation. Il y a 29 élèves en philosophie et théologie […] Il faudrait quatre pères pour bien diriger ce séminaire […] Ce sont des séculiers, docteurs en théologie, bons professeurs qui dirigent actuellement ce séminaire, mais l’Évêque ne paraît pas satisfait de la discipline. C’est principalement pour maintenir la régularité, donner le bon exemple et inspirer l’esprit ecclésiastique que les pères sont demandés… À la réunion du conseil général, le 7 janvier 1858, on vote en faveur de l’acceptation et on désigne le personnel. Mais pendant son séjour à Paris en janvier-février pour les séances du Sénat, Mgr de Mazenod change d’idée. Il en donne les motifs au père Casimir Aubert: Je me demande si nous ferons bien de nous engager avec un évêque qui étant rédemptoriste n’appelle pas les siens pour diriger ce séminaire, qui sans doute n’a pas pu s’entendre avec les Lazaristes qui en étaient chargés, qui n’y appelle pas les Jésuites qui ont pourtant le talent de s’emparer de ce qui est avantageux… Ce jugement de Mgr de Mazenod est plutôt sévère envers Mgr Neumann qu’il n’avait

38 Voir G. CARRIÈRE, Histoire documentaire de la Congrégation... Ottawa, 1962, tome 4, pp. 148-154; Y. BEAUDOIN, «Mgr de Mazenod et quelques contemporains récemment béatifiés», dans Études oblates, 25 (1966), pp.154-159. 54 jamais rencontré, puisque celui-ci ne passa qu’une fois à Marseille en l’absence du Fondateur. Ceci se passait peu de temps après le renvoi des Oblats de deux séminaires, celui de Quimper et celui de Roman, où les Oblats furent aussitôt remplacés par les Jésuites: d’où la réflexion amère du Fondateur contre eux. Les Rédemptoristes n’ont jamais dirigé de grands séminaires, les Lazaristes avaient quitté par manque de sujets. Ils avaient fourni depuis peu cinq évêques à l’épiscopat américain dont le père Th. Amat, dernier supérieur du séminaire, nommé en 1853 au diocèse de Monterey en Californie. Un seul Lazariste était demeuré à Philadelphie comme curé de la paroisse Saint Vincent de Paul; il sera lui aussi nommé évêque de Pittsburgh en 1860. Par lettre du 5 avril 1858, le père Aubert demanda au père Chevalier d’avertir Mgr Neumann de la décision négative des Oblats. PELLETIER, Rose-Virginie (Marie de Sainte-Euphrasie), fondatrice des Sœurs du Bon- Pasteur d’Angers (Noirmoutier, 31 juillet 1796 - Angers, 24 avril 1868), béatifiée le 30 avril 1933, canonisée le 2 mai 1940. Rose-Virginie Pelletier entra en 1814 au monastère des Sœurs de Notre-Dame de la Charité du Refuge, à Tours, institut fondé à Caen en 1641 par saint Jean Eudes. Elle fit profession en 1817 sous le nom de Marie de Sainte-Euphrasie. En 1829, on l’envoya à Angers pour fonder un monastère dont elle fut nommée supérieure en 1831. Les monastères de l’institut étaient indépendants. Mère Marie de Sainte-Euphrasie fit de la maison d’Angers une maison-mère, dont elle devint supérieure générale. Le pape Grégoire XVI approuva en 1835 cette modification canonique. Sous le gouvernement de la mère Pelletier, l’Institut appelé du Bon-Pasteur se développa rapidement. À la mort de la sainte en 1868, il comptait 111 maisons, 2 376 religieuses et 15 000 filles qu’il fallait conduire ou raffermir dans la bonne voie. En 1964, il comptait 475 maisons, 10 000 religieuses et 90 000 élèves39. Les Oblats s’établirent à Angers en 1860 dans la maison de l’abbé Jean-Baptiste Loewenbruck, ami de Mgr de Mazenod. Il avait prêché des missions dans toute la France et voulait assurer la continuation de son apostolat en offrant sa propriété pour y accueillir une communauté de missionnaires. Cette maison, dite La Chaussée, était située à peu de distance du monastère des religieuses du Bon-Pasteur. La mère Pelletier se mit en relation avec les Oblats dès leur arrivée et elle choisit pour confesseur et directeur spirituel le père Marius Roux, supérieur de la communauté. Les pères Joseph Fabre et Achille Rey, son secrétaire, allaient la saluer lors de leurs visites aux Oblats. Elle aida les missions canadiennes de NN.SS. Grandin et Faraud qui lui firent une visite en passant à Angers. Plusieurs Oblats prêchèrent au Bon-Pasteur et pendant quelques années le père Keul fut aumônier de la maison Nazareth qui comptait 50 religieuses et 300 élèves40. La mère Pelletier, en route pour Rome, fit une visite à Mgr de Mazenod le 1er juin 1838. Le cardinal Odescalchi, protecteur des Sœurs du Bon-Pasteur, avait écrit au Fondateur pour

39 Ch. PORTAIS, La vénérable mère Marie de Sainte-Euphrasie Pelletier. Paris-Angers, 1893. 40 L. ROYER, Les Oblats de M.I. et la bienheureuse Marie de Sainte-Euphrasie Pelletier, dans Missions O.M.I., 67 (1933), pp. 146-155. Voir aussi Rapports sur la maison d’Angers dans Missions O.M.I. 1 (1862), pp. 570- 577; 27 (1889), pp. 300-342; 30 (1892), pp. 473-489. 55 l’inviter à former un établissement de ces dames à Marseille, mais celui-ci avait déjà pris des engagements avec la communauté indépendante de Tours41. PIE IX (Jean-Marie Mastai-Ferretti), pape (Senigallia, 13 mai 1792 – Rome, 7 février 1878), béatifié le 3 septembre 2000. Jean-Marie Mastai-Ferretti étudia au collège des Scolopes de Volterra, puis au Collège romain. Ordonné prêtre en 1819, il accompagna au Chili de 1823 à 1825 le délégué pontifical Muzi. Évêque de Spolète en 1827, il est transféré à Imola en 1832. Créé cardinal en 1840, il est élu pape en 1846. Par suite d’un soulèvement populaire à Rome en 1848- 1850, il se réfugie à Gaète, territoire napolitain. Plus tard, pour défendre les États pontificaux, il s’oppose à l’unité de l’Italie et se constitue prisonnier au Vatican lors de la prise de Rome en 1870. Comme pape il a travaillé à la restauration religieuse, a défini le dogme de l’Immaculée Conception en 1854 et a convoqué le concile Vatican qui a défini l’infaillibilité pontificale et la primauté de juridiction du Pape. Mgr de Mazenod connut et aima Pie IX qui le reçut cinq fois en audience. Il lui écrivit plus de cinquante lettres et en reçut seize. Il le nomma dans près de trois cent lettres ou entrées de son Journal. Leurs relations furent intenses en quelques occasions. D’abord, lors de la révolution romaine de 1848 et de l’exil du pape à Gaète. Le gouvernement français invita alors le pape à venir se réfugier en France. Le Fondateur écrivit dans un Mandement, le 29 novembre: «Avec quel bonheur, nous en particulier, nous le posséderions dans notre demeure.» Les évêques français écrivirent tous au pape; la première réponse de celui-ci est adressée à l’évêque de Marseille42. À l’occasion du voyage à Rome avec le père Tempier en 1851, pour demander l’approbation des changements à la Règle, le Fondateur fut reçu trois fois en audience. C’est alors que le pape lui accorda le pallium pour lui et ses successeurs. À Rome, du 27 octobre au 31 décembre 1854 pour la définition du dogme de l’Immaculée Conception, Mgr de Mazenod fut invité à loger au Quirinal avec quelques autres évêques. Il fut reçu deux fois en audience (30 octobre et 26 décembre) et écrivit plusieurs lettres au pape l’invitant à ne pas se préoccuper des doutes et de l’opposition de quelques prélats à la définition du dogme. Les relations épistolaires entre Mgr de Mazenod et Pie IX furent fréquentes surtout en 1859-1860 à l’occasion des guerres d’Italie et de l’affaire du cardinalat. Le 15 août 1859, le Fondateur reçut une lettre du Ministre des Cultes lui annonçant que l’Empereur Napoléon III le proposait au Saint-Père «pour le chapeau de cardinal, vacant dans l’ordre de désignation de la France.» Pie IX ne souleva aucune objection contre la personne proposée, mais des problèmes d’ordre général ne lui permirent pas de répondre au désir de l’Empereur. Victor-Emmanuel, roi du Piémont, et son ministre Cavour, appuyant les mouvements révolutionnaires des divers petits États italiens, avaient commencé le mouvement qui allait aboutir à l’unité de l’Italie en 1870. Malgré les promesses en faveur

41 A. REY, op. cit., II, p. 22. 42 Voir P. FERNESSOLE, Pie IX, pape (1792-1878). Paris, 1960, t. I, p. 214. 56 du maintien des États pontificaux, Napoléon III ne s’opposa pas à leur disparition et fit savoir que plus «l’État pontifical sera petit, plus le pape sera grand.» Le pape ne créa pas de cardinaux au consistoire du 26 septembre 1859. Mgr de Mazenod fut déçu et humilié parce qu’en France on s’attendait à ce qu’il soit créé cardinal à cette occasion. Le cardinal Antonelli, secrétaire d’État, dira que vu l’affligeante situation où se trouvait le Saint-Siège, il ne paraissait pas opportun à sa Sainteté de créer de nouveaux cardinaux, car il s’agissait d’un événement joyeux et l’Église était au contraire en deuil. L’année 1860 ne changea rien à la situation générale. Le pape écrivit cependant à Mgr de Mazenod, le 28 janvier, en disant: «Nous vous réitérons l’expression de la résolution formée par notre affection toute particulière pour vous qui est, dès que les temps seront plus opportuns, de conférer à vos mérites la plus grande récompense qu’il nous soit possible de donner.» Mgr de Mazenod tomba malade au début de l’année 1861 et mourut le 21 mai sans recevoir cette «plus haute récompense.» Mgr Jeancard annonça cette nouvelle à Pie IX qui répondit, propria manu: «Nous sommes profondément affligé de la mort de ce prélat qui, distingué par son rare amour pour la religion, sa piété et son zèle sacerdotal, s’honorait encore au plus haut degré par sa fidélité, son attachement et sa respectueuse obéissance pour nous et cette chaire de Pierre…» De 1861 à 1878, Pie IX reçut en audience le père Fabre et la plupart des évêques Oblats43. RIVIER, Anne-Marie, fondatrice des Sœurs de la Présentation de Marie (Monpezat-sous- Bauzon, 19 décembre 1768 - Bourg-Saint-Andéol, 3 février 1838), béatifiée le 23 mai 1982. Anne-Marie Rivier étudia au pensionnat des Sœurs de Notre-Dame de Pradelles (Haute- Loire). Avant la Révolution, elle ouvrit une école à Montpezat, puis à Thueyts. Elle fonda en 1796 l’institut des Sœurs de la Présentation. Celui-ci se développa rapidement après le concordat de 1801. En 1815, la fondatrice acheta l’ancien couvent des Visitandines à Bourg- Saint-Andéol, au diocèse de Viviers, où elle fixa le centre de ses œuvres. Elle mourut le 3 février 1838 et Mgr Guibert, nommé évêque de Viviers en 1841, célébra de 1842 à 1846 le procès informatif de la cause de béatification. Il publia deux lettres pastorales à ce sujet et le 24 septembre 1846 Mgr de Mazenod envoya au pape une lettre postulatoire, disant entre autres que «dans les divers voyages que j’ai fait à Viviers, j’ai recueilli de la bouche de ceux qui avaient personnellement connu la Sœur Rivier le témoignage de la sainteté de sa vie44». Comme évêque de Viviers de 1841 à 1857, Mgr Guibert visita souvent la maison-mère des Sœurs. Dans ses lettres circulaires, la supérieure générale parle toujours de ces visites et de l’intérêt que le prélat porte à la communauté. En septembre 1845, il visita la maison générale avec Mgr de Mazenod. Les 24-25 novembre 1851, à l’occasion du sacre de Mgr Taché à Viviers, Mgr Guibert accompagna au couvent Mgr de Mazenod, Mgr Taché et Mgr Prince, coadjuteur de Montréal. La supérieure écrivit: «Il n’était pas nouveau pour nous d’entendre le bon évêque de Marseille et celui de Viviers nous répéter l’assurance de leur bienveillance, mais qu’il nous fut agréable de voir l’attendrissement d’un évêque

43 H. VERKIN, « Le bx Eugène de Mazenod et Pie IX», dans Vie Oblate Life, 35 (1976), pp. 3-20, 121-152. 44 [J. HAMON], Vie de mère Rivier. Avignon, 1842. 57 canadien… nous assurer qu’il n’oublierait jamais la congrégation dans ses prières.» Il annonça qu’il désirait avoir des Sœurs de la Présentation en Amérique. L’année après sa nomination comme premier évêque de Saint-Hyacinthe en 1852, Mgr Prince, grâce à l’intermédiaire de Mgr Guibert, obtint pour son diocèse huit Sœurs de la Présentation. Déjà en 1867, celles-ci avaient huit maisons au Canada45. ROSMINI, Antonio, fondateur de l’Institut de la Charité (Rovereto, 24 mars 1797 - Stresa, 1 juillet 1855), béatifié le 18 novembre 2007. Antonio Rosmini-Serbati étudia à Padoue et fut ordonné prêtre le 21 avril 1821. Il fonda en 1828 l’Institut de la Charité. Il est connu surtout comme écrivain, philosophe, théologien, pédagogue et «politologue». Mgr de Mazenod en a entendu parler surtout par M. Loewenbruck, ancien Missionnaire de France connu en 1820, puis membre de l’Institut de la Charité. En 1838, celui-ci quitta l’Institut de la Charité et l’abbaye de Tamié au Piémont où il avait été supérieur de 1835 à 1838. En passant à Marseille il proposa aux Oblats de s’établir à Tamié. La proposition intéressa le Fondateur qui, en octobre, envoya Loewenbruck et aussi le père Tempier pour négocier l’affaire avec Mgr Martinet, archevêque de Chambéry, qui, semble-t-il, refusa de confier l’abbaye à des Français46. Mgr de Mazenod nomme Rosmini pour la première fois dans son Journal le 30 avril 183947, lorsqu’il est encore question de Tamié, puis il le rencontre en juin 1842. Lors de son voyage en Italie avec sa sœur, Mme de Boisgelin, après le décès de Louis, il vit Rosmini à Stresa sur les bords du lac Majeur. Il écrit dans son Journal le 3 juin: «C’est ici que j’ai fait connaissance avec le célèbre abbé Rosmini, un des hommes les plus instruits de l’Italie [… Il] joint une grande piété à une haute intelligence; son zèle égale son talent. Déjà sa congrégation commence à se répandre en Angleterre, où elle fait du bien48». Le 11 juin, le Fondateur consacre l’autel du noviciat de l’Institut à Stresa et, le 13, Rosmini l’accompagne au collège Mellerino de Domodossola où, au cours d’une séance académique des élèves, le père G. Toscani lut une brillante poésie en l’honneur du visiteur49. de VIALAR, Émilie, fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition (Gaillac, 12 septembre 1797 - Marseille, 24 août 1856), Béatifiée le 18 juin 1939, canonisée le 24 juin 1951. Émilie de Vialar fonda la congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition le 19 mars 1833 à Gaillac, sa ville natale. Elle voulut comme but de la congrégation le dévouement à toutes les œuvres de charité. Celle-ci se développa rapidement et, entre autres, ouvrit quelques maisons en Algérie dès 1835. En 1843, les religieuses quittèrent l’Algérie à cause de mésentente avec Mgr Dupuch au sujet des constitutions. Après

45 Voir Missions O.M.I., 6 (1867), p. 272; Lettres de Mgr Guibert, de 1846 à 1861, passim, Archives générales, Rome; Circulaires de Sœur Marie-Arsène, 2 décembre 1842, 8 décembre 1845, 1846, 1848, 1849… 46 Voir Journal 6, 8, 21, 22 septembre, 16 octobre 1838, dans EO 19, pp. 15, 188, 193, 195, 201-202, 222. 47 EO 20, pp. 114-115. 48 EO 21, p.46. 49 [J.B. PAGANI], La vita di A. Rosmini. Rovereto, 1959, vol. II, p. 26. Texte de la poésie dans Missions O.M.I. ,70 (1936), pp.140-143; 76 ((1949), p. 362. 58 quelques années les Sœurs quittèrent aussi Gaillac, suite aux dettes accumulées par la supérieure locale. La maison-mère fut placée pour un certain temps à Toulouse où l’évêque voulut également modifier les constitutions. Finalement, la mère de Vialar fut accueillie à Marseille en 1852. Mgr de Mazenod approuva les constitutions le 6 décembre 1853 et recommanda l’approbation légale, obtenue le 17 octobre 1855. Le père Picard, biographe de la sainte, écrit: Mme Vialar rencontra à Marseille un saint évêque, Mgr de Mazenod, qui la reçut de tout son cœur et qui la comprit […Il] ne cessa de la soutenir dans toutes ses pieuses entreprises. Mgr de Mazenod, par son intelligence des choses de Dieu et par son exquise charité, apaisa tellement les dernières année de la mère Vialar que nous tenons à lui donner une place de choix parmi les portraits des protecteurs insignes de Mme de Vialar. Elle demeura à Marseille de 1852 à sa mort en 1856. Le père Dassy, o.m.i., écrivit à cette occasion un article dans la Gazette du Midi (28 août 1856) dans lequel il disait: «Éducation, fortune, énergie de caractère, piété solide, esprit de détachement, rien ne lui manquait50…». Mgr de Mazenod visita souvent la maison de Marseille, située au 35 de la rue Marengo. La mère écrivait à Sœur C. Peyre, le 28 mars 1854: Monseigneur est venu célébrer et donner la confirmation à quelques-unes; puis il a parlé de nos chères missionnaires avec un grand zèle et a donné lui-même l’habit. Il est pour nous un véritable père. Comme nous avons une postulante qui fait des portraits à la daguerréotypie, il a bien voulu céder à nos instances et nous laisser prendre son portrait. Mgr de Mazenod demanda ensuite à la postulante de faire les portraits des pères qui partaient en missions et dont il voulait avoir l’image sous les yeux «pour l’avoir davantage dans le cœur». En échange des portraits exécutés, les missionnaires célébraient quelques messes au couvent avant leur départ51. * * * * *

Conclusion Dans ce qui précède, les bienheureux et les saints français sont particulièrement nombreux et éminents, de la même nationalité que saint Eugène. Le pape Paul VI, qui aimait beaucoup la France, a quelquefois souligné cette particularité. Voici, à titre d’exemple, un extrait de son homélie donnée le 29 octobre 1969 lors de la canonisation du Frère Bénilde (Pierre Romançon), Frère des Écoles chrétiennes: La France qui, une fois encore, montre sa prodigieuse fécondité, la France qui engendre toujours pour l’Église et pour le monde de nouvelles et originales figures d’hommes, vivantes personnifications de ses vertus humaines et de ses vertus chrétiennes, dignes d’être proposées à la vénération et à l’imitation de l’Église universelle: la France qui, à travers les plus dramatiques vicissitudes historiques et les plus radicales évolutions spirituelles, sait sauvegarder un patrimoine stable de vertus religieuses et morales, un trésor de traditions ancestrales, Nous dirions volontiers un instinct de fidélité à elle-même, à sa vocation chrétienne, à sa mission civilisatrice; la

50 L. PICARD, Émilie de Vialar. Paris, 1924, p. 155; J. PIETSCH, o.m.i., «Notre Fondateur et les communautés religieuses de Marseille», dans Études oblates 7 (1948), pp. 224-226; Journal, oct.-nov. 1842, dans EO 21, p. 75. 51 X, Émilie de Vialar… Paris, 1987, pp. 217, 230-231, 244. 59

France qui dans l’exaltation [du Frère Bénilde] voit célébrer les simples, les saines, les authentiques vertus sociales et civiles de son peuple. Oui, que la France exulte avec nous 52. Rome, juin 2008

52 Cité par T. Lelièvre dans l’ouvrage Cent nouveaux saints et bienheureux de 1963 à 1984. Paris, 1985, pp. 27-28. On trouve des réflexions semblables lors de la béatification de Jacques Berthieu, le 17 octobre 1965, ibid., p. 100. 60

Healing Through Language and Culture: Securing the Availability of Publications on Canadian Aboriginal Peoples, Authored by Oblate Missionaries Camille Piché, O.M.I1.

Sommaire – Suite à la fusion de cinq provinces oblates canadiennes, une quantité de livres et de manuscrits, dont plusieurs ont des Oblats comme auteurs, furent recueillis et laissés en attente d’une location définitive. Il s’agissait particulièrement d’écrits en langues aborigènes ou en anglais traitant de l’histoire canadienne de l’Ouest et du Nord et de l’histoire oblate, ouvrages sérieux et de grande valeur, des dictionnaires et des grammaires des plus précieux, des instructions catéchétiques et autres, des livres liturgiques, dont certains remontent à plus de 150 ans. En partenariat avec l’Université de l’Alberta, l’Université Saint-Paul à Ottawa, le Conseil canadien pour la recherche en sciences sociales et en humanités, et d’autres institutions concernées, des programmes et des services ont été établis pour favoriser «la guérison par la langue et la culture» des aborigènes victimes, sur le plan social et culturel, du système d’écoles résidentielles récemment remis en question et sujet à d’intenses négociations des Premières Nations avec le gouvernement fédéral et les Églises.

Presentation, by the Editor This article could be considered an illustration of what can be done to implement the suggestions in Fr. Pierre Hurtubise’s article in the last issue of Vie Oblate Life on the necessity of guaranteeing the existence and the proper maintenance of Oblate archives all over the world (see P. HURTUBISE, O.M.I., “Lest We Forget”: The Urgent Task of Securing Our Archives Before It Is Too Late,” 67 (2008), pp. 191-207). With the unification of five former Canadian Oblate Provinces into one, OMI Lacombe Province, Fr. Camille Piché, O.M.I., who had been provincial of one of them, was left with a great quantity of books and manuscripts, many of them written by Oblates. They consisted of works in and on Aboriginal languages and in English about Canadian Northern discoveries, explorations, history, anthropology, ethnology, psychology and a collection of books on Oblate and Canadian history, etc., some of them rare books. The author’s article is about how he managed to secure the conservation of these books and put them in a situation where they could be consulted by all those interested. However Fr. Piché’s purpose was not just to preserve the books or have them available for the public. He hoped they would become a means to assist the Canadian Aboriginal peoples’ seeking to revitalize their language and culture as well as serve in the healing process after the trauma of former students of the Indigenous Residential Schools: thus “healing through language and culture”, as he puts it in the title. * * * * *

1 A former Provincial of Grandin Province, Fr. Camille Piché is presently Director of the Justice, Peace and Integrity of Creation Committee in Rome. 61

A Significant Book Collection During the past two years I have been repatriating many boxes of books that were originally stored in the former Grandin Provincial Residence in Edmonton, Alberta. Many books collected by the late Oblates Fr. Éméric Drouin, Archivist, Fr. Raphaël Lessard and others were also temporarily housed at “Faculté Saint-Jean de l’Université d’Alberta” since 1986. In 2003, I received a call from a librarian informing me that there were 350 boxes of book doubles and asking me to claim them. They also had a number of shelves with OMI books they had not had time to catalogue. Upon inspection, I noticed a number of books written in Aboriginal languages. I also saw books in English about Northern discoveries, explorations, books about aboriginal history, anthropology, ethnology, psychology, Canadian history, Alberta and Oblate history, and some rare books which I also repatriated. I gave about 100 boxes of books in French to “La Société généalogique et historique de Donnelly”, and sent 35 boxes of older books to Saint Paul University, Ottawa. I began to classify and organize hundreds of boxes of books kept in the garage and basement of our Residence: Canadian history; Alberta history; British Colombia history; Northern explorations and discoveries; an extensive collection of books about Aboriginals dealing with history, anthropology, ethnology, psychology; collections such as the Beaver Magazine put out by the Hudson Bay Company; collections from the Smithsonian Institute, etc. There were also many boxes of books written by or about Oblates, some in multiple copies, kept at St. Albert, some in the archives, some in the garage at Foyer Grandin. I got in touch with Fr. André Dubois, O.M.I., Director of Archives Deschâtelets Ottawa, for advice concerning these books.

Books in Aboriginal languages I became quite interested in the Aboriginal language books (from Faculté Saint-Jean and from St. Albert Archives) which Rowan Doran, a student, entered in a data base. I then classified the books together according to language: Cree, Dene, Blackfoot, Ojibway, Inuktitut and Inuvialuit. This helped me recognize a number of Oblates who had done serious work on those languages and published dictionaries, grammars, gospels, instructions on the Christian faith, liturgical Mass books and hymnals, over a period of 150 years. Some of this work was quite amazing, such as the Grammar and Dictionary of Fr. Albert Lacombe, the 1120-page Cree/French dictionary written by Fr. Leo Balter, the 1460- page Cree/French Dictionary written by Fr. Victor Le Calvez, as well as a 500-page Cree correspondence course developed by Fr. Roger Vandersteene and an astounding number of publications in Cree by Fr. Gérard Beaudet, all written and published in calligraphy.

An Encounter with Dr. Cora Weber-Pillwax, Director of Native Studies at the University of Alberta Quite impressed with this amazing and monumental work, I approached an acquaintance,

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Dr. Cora Weber-Pillwax, a Cree woman who is Director of Native Studies and teaches at the University of Alberta, who, as I already knew, had a passion for Aboriginal/Cree language and culture. An option was simply placing these books in the archives where they would rarely or never be consulted, I said. However, I knew that there was a very strong movement among the Aboriginal peoples to revitalize their language. I then told the Professor of the impressive work of Frs. Albert Lacombe, Leo Balter, Victor Le Calvez, all Oblates, and others who had worked seriously at developing dictionaries, grammars, prayer books, gospels, hymnals in syllabics as well as in modern orthography. I suggested that words contained in these books and manuscripts were handed down by the elders at a time when the language was more formal and more pure, and could perhaps lead to insights into the language that had been lost over time. We also discussed the meaning given to these words by the missionaries and how it could lead to an interesting dialogue. For example, under the word “superstition” Fr. Lacombe had placed all the Cree rituals. I mentioned that today we would today speak differently about these rituals but that the interpretations given then formed the basis of the understanding between the Aboriginal peoples and the Church and Canadians, that they had been introduced into the curriculum and still carried the day. In that sense, they are ‘foundational’. I said that to change school curricula and the understanding of Canadians, they needed to be rectified at the source.

A Shared Vision These thoughts were expressed, jelled in our minds and became the framework for a possible partnership between the Oblates, the University of Alberta through its Native Studies program, and possibly many First Nations. We then checked this with other people either on staff at the University of Alberta (teachers and research students) and Aboriginal people, mainly from the communities and areas where the dictionaries were made. Lan Chan-Marples became our administrative link with the University of Alberta, and Dr. Cora Weber-Pillwax the main researcher, sharing the vision with Aboriginal and University contacts.

Saint Paul University As Archives Deschâtelets already had a good collection of “Oblate Aboriginal Books”, the suggestion was made that Saint Paul University, Ottawa, become the Centre for a National Oblate Collection. Fr. Camille Piché and Dr. Weber-Pillwax attended meetings in Ottawa to discuss this idea with interested Administrators and Professors of the University with the participation of OMI Lacombe representatives. Discussing at first the idea of a “Chair of Aboriginal Spirituality”, it became clear that a project centred on “research of language and culture” would be the way to go.

A Letter of Intent In December 2004, Camille Piché wrote a letter of intent entitled “Healing through Language and Culture: Research with Aboriginal Peoples of Northwestern Canada”. The letter was addressed to the Community University Research Alliance Program (CURA,

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University of Alberta), Strategic Programs and Joint Initiatives Division, Social Sciences and Humanities Research Council in Ottawa. As they dealt with the Indigenous Residential Schools2 in Canada, it became clear that through separation from their families and their communities in residential schools, students suffered loss of language and culture. Healing efforts offered by the Government fell short of addressing loss of identity and belonging seen at the root of family and social breakdown. John Crier, a Cree teacher/elder, Dean of Cultural Studies at the Maskwachees Cultural College from Hobbema and member of the Steering Committee, expressed this eloquently in his submission to CURA. Oblate cooperation and participation in this project expressed our desire for a “renewed relationship with the Aboriginal Peoples, in the spirit of our founder, Saint Eugene de Mazenod and of the many dedicated missionaries who laboured among Aboriginal communities in the course of this last century and a half”. Asked to present relevant work experience for this project I said: I am aware that the extent and depth of social transformation taking place in Aboriginal communities is profound. I believe that my colleagues and I who have lived with the people in Aboriginal communities sharing their lives, their difficulties, their hopes and their dreams have something significant and irreplaceable to offer in the on-going dialogue with the Church and the people of Canada.

A Partnership Develops In September 2005, Grandin/OMI Lacombe Province applied for a CURA grant as a partner, pledging access of relevant archival materials to researchers, with Oblate elders and University Professors to guide research. The services of Fr. Camille Piché and Mr. Greg Bounds, CMA, who sat on the Research Steering Committee, and “In kind” contributions of up to $75,000.00 per year, were offered for a five year project. Other partnerships and alliances besides the Missionary Oblates, University of Alberta, University of Manitoba and St. Paul University, included among others Maskwachees Cultural College (Hobbema), University College of the North (Le Pas), Nechi Training Research and Health Promotions Institute, North Peace Tribal Council, Lesser Slave Lake Indian Regional Council and IAAW (Institute for the Advancement of Aboriginal Women).

Approval of Grant Summer 2006 saw the approval of our application for a grant of $1 000 000 to be disbursed over a period of five years. A detailed description of the project was prepared by Dr. Pillwax. Saint Paul University received approval for three research assistants while

2 The Indigenous Residential School Litigation is in the process of being settled. It is about the contentious claims which resulted from the establishment by the Canadian government of Indigenous Residential Schools from about the year 1870 to 1970. These schools were entrusted to the Churches and different religious congregations, to the Oblates in particular. The system is accused, among other contentions, of having deprived school children of their mother tongues and cultures. This resulted in very serious psychological traumata. For the whole story about the Litigation, I refer to the Report of the Royal Commission on Aboriginal Peoples of November 1996. 64

Camille Piché prepared an initial transfer of five (5) boxes of books that included major works by Oblates in the Cree language. As the project develops this will eventually be followed by books, manuscripts or unpublished material in Dene, Blackfoot, Inuktitut, Inuvialuit, Ojibway and other Aboriginal languages. Here are some quotations from Cora Pillwax’s paper describing the project: This project proposes research and analysis of how culture and language are integrally connected and how language and culture are the basis of health and vitality of individuals and communities. The research will be conducted in a three-member colloquium including the Grandin Missionary Oblates, Indigenous and non- Indigenous scholars, and Aboriginal leaders of communities and representative of self- government organisations. The Oblates are an order of priests who came as missionaries and worked in the north and western parts of Canada with the Aboriginal peoples of these areas. [...] In the past two decades, the legacy and impact of the residential schools on the lives of Aboriginal peoples in Canada has become a topic of public debate. The research process that is being initiated here will permit those people who were/represent the vulnerable ones to sit with those who were/represent the ones in power and authority. This proposal contains no preconceived research question; its impetus is the extraordinary opportunity for scholars and Elders to sit together in analysis of existing documents written by the missionaries in the 1800’s and then to act together in followup action. The documents are the journals and books written by the priests about their observations, thoughts and experiences in relationships with the Aboriginal peoples, particularly the Cree and Metis people of the plains and the woodlands/bush. The writings will offer descriptions and valuable insights into the foundations of the first relationships between the Europeans and the Aboriginal peoples of northwestern Canada. They will reflect an interpretation of Aboriginal life as it was seen through the eyes of the Oblate missionaries. However, they will also serve as a mirror into which the researchers can look to make their own interpretations about that history of contact. For the research participants, the records will open a doorway to the past and permit analyses and interpretations of non-Aboriginal perspectives through Indigenous lenses and perspectives, lenses which in some cases might be real persons present and engaged in the process. The collaboration between Oblate missionaries and Aboriginal peoples to review and recollect the history of their relationship through research focussed on data stored in Oblates archives is the first important step to an unravelling of hidden influences and impacts. The research will contribute to scholarly understanding of the relationship between language and culture and the healthy development of individual and social identities, especially as these pertain to Aboriginal peoples. This knowledge offers hope for the thousands of Aboriginal children and youth as they progress through contemporary schooling situations where their teachers have had an opportunity to understand that the Aboriginal ways of being and seeing the world are different but as intellectually stimulating as any other.

Saint Paul University plays a major role I have had on-going dialogue with Saint Paul University and much appreciated the cooperation of Colin Levangie, then Vice Rector for Administration, with whom I have been in close contact since the beginning of this project. We both saw the project as very worthwhile and saw as well possibilities for in-kind contributions Grandin/OMI Lacombe are committed to. Two meetings held at Saint Paul University facilitated by Colin Levangie confirmed this, as well as the presence of Perrin, O.M.I., (Professor), Chantal Beauvais (University Bursar), Peter Pandimakil (Mission Studies) and Colin Levangie on the Steering Committee, and the visits to St. Albert of André Paris (head librarian) and Achiel Peelman, O.M.I., (Vice Rector for Academics). Colin Levangie added a covering letter to André Paris’s report which he sent to OMI Lacombe:

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St. Paul University with its historical links to the Oblates, he said, were open to receive research and historical books, manuscripts and documents in one central location; bringing together books of religious, historical, linguistic, anthropological, ethnological significance” and making them accessible to researchers. Colin Levangie met with OMI Lacombe members to explore the possibility of a new partnership with the Oblates for their collection with the possibility of attracting other groups (Dioceses, Religious Communities, etc) to join in the project. A decision to bring together pertinent books, manuscripts and documents will help resolve the problem of storage of such materials and the responsibility to make them available for those who wish to refer to the materials for historical, research and teaching purposes. Such a decision would also provide an ideal environment for the long term protection of the material. Colin recommended that Oblates retain ownership of the materials which would be held in trust by Saint Paul University. For the moment, November 2008, the project is at the following stage. All the material has been transferred to the Saint Paul’s University Library and are in the process of being catalogued. A good number of the books are already available for research.3

New Wineskins for Good Old Wine As this project develops, it offers an opportunity to honour the partnership developed by the first Oblate Missionaries who spent a lifetime in Aboriginal communities, shared their lives and the Gospel with them in their own native languages and on which we continue to build a new relationship. At the same time the opportunity was taken of insuring the preservation of an important collection of books and manuscripts of which a good number were written by Oblates missionaries serving the Aboriginal peoples of Canada during the last 150 years. Edmonton, November 2008

3 The project is called Ponenindig, an Algonquin word which means reconciliation. On about 5000 titles, 1500 are already entered in the catalogue which can be consulted on the Saint Paul University Web Site. 66

International Oblate Youth Encounter, Australia, July 2008 Christian Fini, O.M.I.1

SOMMAIRE – Suite à l’annonce de la tenue de l’Assemblée mondiale des Jeunes à Sydney en 2008, le Bureau de la Province oblate d’Australie chargé du ministère auprès des Jeunes a mis sur pied un comité pour l’organisation d’une rencontre internationale oblate de jeunes (IOYE) au De Mazenod College de Melbourne du 9 au 12 juillet 2008. Autour du Supérieur général des Oblats de M.I. et du Provincial d’Australie, se trouvèrent réunis 22 groupes internationaux représentant 31 pays. Cet «happening» se transforma en festival marqué par la culture australienne et le charisme oblat, qui créèrent l’atmosphère où baignèrent subséquemment les participants pendant les 12 heures du voyage en autocar de Melbourne à Sydney, et tout au long de l’Assemblée mondiale du 14 au 20 juillet dont la clôture sera présidée par le pape Benoît XVI.

From Cologne 2005 to Sydney 2008 Thirty-four young people returned from the Oblate gathering in Hünfeld and World Youth Days (WYD) in Cologne in July 2005, excited and inspired to take up the challenge of hosting a similar event in Australia three years later. Our presence in Germany was an important learning experience to prepare to host the International Oblate Youth Encounter (IOYE) in Australia immediately before the World Youth Assembly to be held in Sydney in July 2008. Youth Ministry has been an important part of the Australian Province from its inception. The Australian Province has had a long and rich history of working with young people through parish life, education and movements, most notably Rosies and Oblate Youth Australia. The IOYE was by far the most significant initiative and indeed the largest event held in the Australian Province. In recent years, since the beginning of 2005, the Australian Province has dedicated significant resources to Youth Ministry through the appointment of a National Youth Co- ordinator and the establishment of the Oblate Youth Ministries Office, following the founding and subsequent growth of the national youth ministry, Oblate Youth Australia (OYA). OYA has a strong tradition of hosting national gatherings, placing the Province in a strong position to take up this exciting challenge. We dreamt big dreams and as a team, made up of Oblate Youth, Oblates and the extended Oblate Family, we made those dreams become a reality. The IOYE Team was made up of young people from all over Australia and representing a variety of ministries. One cannot imagine having the privilege of working with such a highly motivated, talented, faith filled and generous group of people! It should be clearly noted that many young people travelled regularly at their own expense and all paid IOYE registration to keep costs down and subsidise international guests. The IOYE team left

1 National Youth Ministry and Vocations Co-ordinator for the Australian Province. 67 nothing undared and lived out the theme to “witness to the world.”

Pivotal Choices It is important to understand some simple but significant underpinning decisions and commitments made by the IOYE Committee that were maintained throughout the journey to July 2008. ‘Witness to the World’ was chosen as the theme for IOYE, which was inspired by the official WYD theme, “You will receive power when the Holy Spirit has come upon you; and you will be my witnesses.” (Acts 1:8) However, this verse concludes with “to the ends of the earth.” As a missionary congregation, it is appropriate that if we were to witness it must be to the entire world. IOYE was an event for young people; therefore it should be developed, prepared and hosted by young people. Oblate youth were to be in charge and the role of the Oblates and extended Oblate Family was to support and facilitate young people lead this event. The lead up to IOYE was as significant an opportunity to participate in faith and leadership formation as the event itself. The IOYE would unashamedly be an Oblate celebration, celebrating our common experience of the Oblate charism and our founder, St. Eugene de Mazenod. The event must be an ‘encounter’ which implies more than simply attending an event. The IOYE would be an opportunity for encounter amongst ourselves as part of the Oblate family and with God. These key aspects were developed into a set of principles for the entire group almost by chance. The Liturgy Portfolio engaged an Australian Liturgist for a formation weekend. She facilitated a process of naming Oblate identity for the Team and Australian and international pilgrims and desired outcomes. This was then developed into key principles for liturgy preparation. The process was later repeated with the IOYE Team and the following principles were adopted. The International Oblate Youth Encounter in July 2008 will… – Welcome young people gathered from around the world to build a global Oblate community based on interaction, friendship and charity. – Foster awareness and acceptance of those whom society abandons by means of compassionate outreach. – Allow the Way of the Cross, to challenge and inspire us to recognise the fragility of humanity. – Provide an opportunity for young people to actively participate in a uniquely Australian experience of Catholic Christian faith. – Dare us to be zealous, energetic and passionate witnesses through a commitment to faith and mission.

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These key goals and visions ultimately gave IOYE its particular and unique flavour.

Planning and Structure In November 2005, the Provincial and Council accepted the proposal for the IOYE and appointed the IOYE Committee, made up of two Oblates, the Vice Principal of Mazenod College, two young people from Oblate Youth Australia and the Co-ordinator of Rosies Victoria who was also employed two days a week to work on IOYE. The IOYE committee chose to develop a structure of leadership and divided the project up into nine key Portfolios. Ten young people volunteered to take up the position of Head of Portfolio (HOPs) and forty young people volunteered to be members of different portfolios. The IOYE Team was commissioned at the official launch of IOYE, at the Pentecost Vigil, 2006. To ensure that this project was developed successfully a project management model was adopted. Each of the HOPs and their team members were trained in project management concepts and leadership. Each HOP was given a clear brief of what the IOYE Committee expected of them. The HOPs were given a period of time to further develop their particular brief, clearly outlining what they would do in terms of deliverables and outline the steps and resources required to achieve their Portfolio’s brief. This took place over two stages and took approximately 18 months. During the final stage, the implementation period, a tracking system was developed where each HOP developed detailed tasks and time lines. Each week the HOP was contacted to give an indication of tasks that they had accomplished and an overall progress report based on their brief. Whilst the model was heavily bureaucratic and sometimes tedious, it proved to be very effective. The process of developing briefs gave the IOYE Committee an objective insight into the support that each individual HOP would require to successfully complete the task. This allowed the Committee to provide adequate training, support, supervision and resources. Two providential things occurred that facilitated the successful use of this model. The model adopted was similar to that used by the Australian Province during the Immense Hope Project, and the Committee was mentored by a project management firm, PSA Project, who offered their services free of charge.

Leave Nothing Undared Hosting an international event in a nation the size of Europe, located at the end of the world is not without its challenges. Inviting the world to Australia is the easy part, but, would anyone come? We were glad that 22 groups and 9 individual Oblates travelled to Australia to represent 31 nations at the gathering. It was exciting to see the response from the Asian Region, Bangladesh, China (Mainland & Hong Kong), India, Indonesia, Laos, Philippines, Sri Lanka (Colombo 69

& Jaffna Provinces), Thailand, Turkmenistan and Vietnam. Travel from Europe or North America was indeed a long flight but not necessarily more expensive. The reality of the Asian region means that travel is expensive and many people made great sacrifices to participate. While a willingness to participate as well as sufficient finances was important, many pilgrims had challenges obtaining visas. Thanks to a contact in the Australian Immigration Department almost all problems were overcome. Travelling from warm climates in Asia and Africa and summer in the northern hemisphere to a Melbourne winter was a shock for many. Unfortunately, weather was out of our control. It was unfortunate that the week of the IOYE was the coldest and wettest of that month, so changes to the program were required, but fortunately the rain held off for activities for which there was no indoor alternative. Moving to Sydney from Melbourne (900km) was not a simple logistical task. With a small population in Australia there are limited coaches, trains and flights. Almost thirty thousand people were expected to travel from Melbourne to Sydney in a 24hr period, and so resources were stretched to the limit. This problem was overcome by organising the transport centrally and 15 coaches were booked two and a half years in advance! Apart from a few minor difficulties and challenges to overcome, the IOYE ran without any significant disruption and when all else failed someone would remind us that we were ‘pilgrims not tourists’ and that as Oblate Pilgrims we were to ‘leave nothing undared’.

Key Moments on the Journey The journey to IOYE, for the Team and the Province, was just as important as the event itself. It presented numerous opportunities for young people to gather and share their faith and talents with each other and the Oblate Family. Each Pentecost (2006-2008), an important IOYE symbol was blessed and commissioned. At the official launch the IOYE Candle, the following year a large Oblate Cross and finally an Icon of Mary. The Icon of Mary was a gift from the parents of Oblate Youth Australia. On Saturday 17 November, the Australian Oblates were privileged to welcome the World Youth Day (WYD) Cross and Icon into the Province. The reception of these great symbols started at St Pius X Parish, Dernancourt, South Australia (SA) on Saturday morning with a handover ceremony and veneration. Provincial Fr. Harry Dyer presided and was joined by fellow Oblates, South Australian families and Oblate Youth not only from SA, but also Victoria, Queen’s Land, New South Wales and Western Australia. Following the reception ceremony, approximately 70 young people aged around 14 to 30 gathered at St David’s Parish, Tea Tree Gully for a retreat. They had an opportunity for personal prayer and reflection, to receive the sacrament of reconciliation, and to venerate the Cross and Icon. As well as these activities, the group shared a barbecue lunch and prepared the music and liturgy for the Vigil Mass. The Mass was a joyful celebration of the opportunity to spend some time with the Cross and Icon and finally, to farewell the symbols as they embarked on the next leg of their

70 journey. Following the Mass, there was a short ceremony in the church foyer, then a Dinner and Music Extravaganza at a nearby hall. This event was a huge success; with over 250 parishioners, friends and visitors gathered to enjoy a delicious buffet, musical performances by members of Oblate Youth Australia, and a night of dancing. The WYD Cross and Icon were also hosted in Oblate parishes and schools throughout the Province, (Western Australia May 21, 2008; Victoria, January 19, May 7, 2007; New South Wales, March 25, 2008. The IOYE Preparation Weekend (January 17–20) saw a team of over sixty young people gathered at Mazenod College, Victoria. It was truly inspiring to see so much enthusiasm and talent coming together from across the country. The attendance of around ten Oblates, including the Provincial, Fr. Harry Dyer, was also an encouraging witness of the Province’s support of our endeavours. This preparation time was a great chance for the HOPs to put some of their plans into action and complete practical tasks alongside their teams. It was a chance to further strengthen our community of committed and spirit-filled team-members.

IOYE Program Overview The IOYE was held at Mazenod College, Victoria from the 9-12 July, 2008. Mazenod College is a regional College with a close relationship with the five local parishes, one being an Oblate parish. With it’s outstanding facilities Mazenod College was seen as the ideal location for the IOYE. The four-day program was developed by the IOYE committee. The Welcome Inaugural had a truly electric atmosphere, with pilgrims nearly beating down the doors with excitement to enter the Gym. Although many were no doubt jet- lagged, the pilgrims summoned all their energy to belt out national chants, sing, dance and cheer as they ultimately helped provide the pre-ceremony entertainment! The Opening Ceremony, held on Wednesday July 9, consisted of presentations, prayers, songs, a procession of flags, an Indigenous ‘Welcome to Country’, and official welcomes from Fr. Harry Dyer, Provincial, and Fr. Wilhelm Steckling, Superior General of the Oblates. With trumpet blast, spectacular lighting and moving music, the Opening Ceremony was a memorable way to start an unforgettable week! Peace by Piece The following morning, July 10, pilgrims gathered at Federation Square for Peace by Piece, an inter-faith peace ceremony hosted by the Oblates. Together with De La Salle pilgrims, who were gathered in Melbourne for their own pre-World Youth Day event, young people from many other religions and some of our own Oblate parishioners and friends, the IOYE Team and participants witnessed to their unified desire for a peaceful world. A dove release marked the start of the ceremony; then young people from the Hindu, Buddhist, Jewish, Islamic, Sikh, and Christian faiths spoke about how their religions can contribute to world peace. An Indigenous Smoking Ceremony and the sounds and symbols of major world religions were a delight for the senses. It was fantastic to see so many people gathered in such a serene atmosphere in the heart of Melbourne. As a momento of the 71 event, a Peace Pole was presented to the City of Melbourne on behalf of the International Oblate Youth Encounter and the Oblates of Mary Immaculate. There are over 200,000 of these planted around the world, all displaying the message ‘May Peace Prevail on Earth.’ Following some free time to explore the city, pilgrims returned to Mazenod College for the Festival of Culture, a colourful concert in which each pilgrim group showcased something of their culture. The performances were diverse, from captivating Chinese dancing, to patriotic French pilgrims donning berets and singing ‘Champs Elysées’, to a comedic sketch by Californian pilgrims about Hollywood filmmaking. The Festival was a fantastic display of talent and with so many diverse cultures on show, we got a taste of the world in only a few hours! Despite a change in venue from St Mary’s Seminary to Mazenod College due to inclement weather, Born For This, a dramatic presentation of the Stations of the Cross, provided an inspirational start to Day Three of the IOYE. With only a small cast and crew of young Australians, the story of Jesus’ Passion and Resurrection came to life, through emotional and entertaining songs and movement. Many in the audience were moved to tears at the realistic portrayal of Mary’s grief and Jesus’ suffering during His final hours. Witness to the World Following the stations, Fr. Wilhelm Steckling delivered his keynote address, aptly titled ‘Witness to the World’, exploring the theme of the IOYE. He encouraged the young people to listen to God and be empowered by the Holy Spirit, the same Spirit they received through the Sacrament of Confirmation. He urged them to bravely face the magnitude of the world’s problems head-on, armed with three simple virtues – faith, hope and love, and to build up a community of witnesses around them in order to work together to strive for God’s Kingdom. Festival of Charism After the Superior General’s inspirational address, the atmosphere at Mazenod was transformed for a ‘festival’-type exposition of Australian culture and the Oblate Charism, called the Festival of Charism. Pilgrims were entertained by bands, had the chance to look at and hold native Australian animals, watch snake-handling, boomerang-throwing demonstrations, a football match and much more. The Festival of Charism was also an opportunity for the various pilgrim groups to set up a stall showcasing their cultures and the work the Oblates do in their countries. To conclude the Festival of Charism, the Briagalong Bush Band provided the musical accompaniment for an Australian Bush Dance, and many pilgrims (and Oblates too!) from all over the world took up the invitation to join in the dancing! The following day, pilgrims had a late start at Mazenod College after spending the morning in their host parishes where they shared Morning Prayer and refreshments with their host families and other parishioners. They assembled in the Gym once more to listen to five young people (representing the Oblate regions of the world ) responding in their native tongue to Fr Steckling’s keynote address. Then all the young people were encouraged to discuss these and the General’s talk in language groups. Some groups

72 experienced such a fruitful sharing of ideas and thoughts that they nearly missed the final meal of the IOYE! A Celebration of Our Common Oblate Identity The liturgical highlights of the IOYE were the Night Prayer services held on the Thursday and Friday of the event, and of course, the Final Mass. The Night Prayers focused on the themes of brokenness in the world and healing. Through prayer, symbol, scripture and song they consolidated these action-packed days and provided time and space for all to reflect on how we can better ‘witness to the world’. The Final Mass celebrated much, thanksgiving for the time spent together, the generosity of so many people who made the IOYE a reality, commissioning to go forth and be ‘witnesses to the world’ at World Youth Day and beyond, and also the inevitable hint of sadness as the various pilgrim groups, Oblates, host families and volunteers parted ways. Overall though, this Eucharist really was a celebration of our common Oblate identity, youth and friendship. One of the highlights and indeed, celebratory aspects of the Mass was the Final Vows of June (Ongart) Khaeser. Before the Superior General, the Superior of the Thai Delegation and an assembly of pilgrims, brother Oblates, family and friends, June declared his wish to commit himself fully to the Oblates of Mary Immaculate and the people they serve. His brave missionary witness warmed the hearts of those gathered, even the many visiting pilgrims who didn’t know him; and his vows were followed by a roar of applause. The music provided by talented Australian Oblate youth musicians and singers was a highlight not only of the Mass, but of all the liturgies throughout the IOYE, and it was fantastic to see the pilgrims singing along. The event finished up with some international pilgrim groups remaining in the Gym joining the Aussies for a song and dance after the Mass - not one of them wanting it to end!

Pilgrimage to Sydney The story of the IOYE would not be complete without reference to the pilgrimage to Sydney for WYD (14-20 July) that followed, the ultimate reason for all the effort. Early Sunday morning all the pilgrims boarded buses for a 12-hour trip to Sydney. Once there we were in the hands of the Sydney planning committee and like any event on such a large scale it was challenging at times. Logistical challenges aside, Sydney WYD was a true encounter of the universal Church and its great unity in diversity. For the Australian pilgrims there was the added privilege of Pope Benedict XVI’s first visit to their land dedicated to young people. His presence and powerful messages of hope for humanity spoke to the hearts of those gathered at WYD. While the IOYE was a relatively small and personal encounter, WYD was a wonderful reminder of the larger family that we are part of. It was also a reminder that part of “Witnessing to World” is sharing our charisms and gifts with the whole Church. It was fortunate that the majority of international pilgrim groups chose English as their preferred catechesis, so the majority were accommodated in the two Oblate parishes, Immaculate Heart of Mary, Sefton and Mary Immaculate, Eagle Vale. On Wednesday 16 July, all the groups gathered at Mary Immaculate Parish to celebrate an Oblate evening of 73 prayer. For many the final Mass at Randwick marked the time to start to think about home, for 50 Oblates and a number of young people it marked the beginning of another week of meetings and celebration of our Oblate Identity. With the renewed emphasis on Youth Ministry since the last General Chapter, the General Administration took the initiative, with the practical support of the Australian Province, to host the first International Oblate Congress on Mission with Youth. The Congress not only highlighted the challenges faced by youth as a result of secularism, individualism and consumerism, it also affirmed the enormous capacity of youth to transform the situation.

Conclusion: Building the Kingdom With Young People Now that everyone is home safely, I feel I can confidently and indeed proudly say that the International Oblate Youth Encounter (IOYE), World Youth Day (WYD) Pilgrimage and the International Oblate Congress on Mission with Youth (IOCM) were a great success. World Youth Day in Sydney presented our Province with a unique opportunity to continue building the Kingdom with young people. As a Province we grasped this opportunity by choosing to seriously invest in the IOYE through the empowerment and training of young people, Oblate resources and finances. On a personal note, the journey to IOYE will be one I will never forget. Through this experience I witnessed the best of humanity and was privileged enough to witness what young people are capable of when given a chance. They remind us in a profound way what it really means to ‘leave nothing undared.’ Melbourne, October 2008

Appendix

Countries Represented at IOYE (in alphabetical order) NB: A total of 22 international groups participated and 31 countries were represented. (* = Countries represented by an individual Oblate but no young pilgrims) Australia, Bangladesh*, Cameroun*, Canada, China, Democratic Republic of the Congo*, England, France, Germany, Haiti*, India*, Indonesia, Ireland, Kenya, Laos, Lesotho*, Pakistan*, Paraguay, Philippines, Poland*, South Africa, Spain, Sri Lanka, Turkmenistan, Ukraine, USA, Vietnam, Zimbabwe*.

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Le visage de la Congrégation change: quelques considérations à partir de statistiques Laurent Roy, o.m.i.

SUMMARY – Recent statistics on the Congregation lead us to ask ourselves, in the northern hemisphere, what lies ahead of us in the future. Merging of provinces and grouping of communities, sale of properties, handing back parishes to dioceses, important Oblate infirmaries and houses of retirement, and a call to Oblates of the south to help staff regional or local missions, are signs of a gradual change of face of the Congregation in our parts. On the other hand, in most areas of the southern hemisphere vocations are rowing and tell us that the charism of Saint Eugene is alive and well. The next General Chapter inevitably will have to take this change into account in its mission statements as well as in the choice of the members of the future General council.

Disparition de Provinces? Il y a quelque temps, je lisais dans le bulletin de nouvelles de septembre 2008 d’une province oblate d’Europe une communication du conseil provincial affirmant: «Il est clair que notre province est en voie de disparition» . Affirmation brutale qui, à première vue, m’a fait sursauter, mais qui ensuite, jetant un coup d’oeil sur les statistiques de cette unité oblate, m’a paru tout à fait réaliste. Une province ou l’autre d’Europe ou d’Amérique du Nord où il est peut-être difficile de vivre une grande espérance pourrait sans doute faire la même réflexion. Le rédacteur de la revue Notre-Dame du Cap, parlant des communautés religieuses qui ont marqué l’histoire du Québec, posait dernièrement la question suivante à Mgr Hermann Giguère, Supérieur général du Séminaire de Québec: «Nous regardons aujourd’hui ces institutions et nous constatons que plusieurs d’entre elles sont à la veille de disparaître. Qu’en pensez-vous?» Et Mgr Giguère de répondre: «Je m’excuse de le dire, mais ces institutions vivent une phase terminale.» (Revue Notre-Dame du Cap, juillet-août 2008, p. 12). Autre affirmation brutale qui m’a forcé à réfléchir, à réagir. Je devinais bien depuis quelques années que ce changement s’amorçait, mais cette fois j’ai voulu le chiffrer. Je me suis donc mis à étudier les statistiques de la Congrégation de ces trois dernières années et me suis arrêté à celles des oblations perpétuelles; comme on le sait, l’oblation perpétuelle marque l’agrégation officielle et définitive à notre Famille. Ces statistiques, on les trouve chaque année dans Acta Administrationis Generalis O.M.I. (AAGO); elles sont d’ailleurs publiées auparavant, chaque année également, dans le nº de février d’Informations OMI.

Situation préoccupante dans l’hémisphère nord Si les vocations se sont pratiquement taries dans plusieurs provinces d’Europe (sauf en Pologne) et d’Amérique du Nord, on ne peut certes en dire autant des régions d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Pour les années 2005, 2006 et 2007, ces trois régions comptent respectivement 53, 52 et 28 oblations perpétuelles (cf. AAGO, 2005, pp. 163-164; 2006, pp. 166-167: 2007, pp. 140-141). Disons immédiatement que, pour le même laps de temps, 75 l’Europe n’en compte que 38 en tout, dont 32 en Pologne, 3 en Italie, 2 en France (dont un Laotien) et 1 en Espagne. On remarquera qu’il n’y en a aucune dans les pays suivants: Allemagne, Anglo-Irish, Autriche, Belgique et Pays-Bas, Scandinavie... L’Amérique du Nord n’en compte que 12: 8 aux États- Unis (dont la moitié sont des Latinos), 2 dans la province Assumption- Canada (tous les deux originaires de Pologne), Notre- Dame-du- Cap 1, et 1 de Lacombe-Canada, ce dernier étant d’origine péruvienne. J’ajouterai qu’en ce qui concerne ma province (N.-D.- du-Cap), nous ne pouvons nous empêcher de nous demander ce que nous réserve l’avenir. Regroupement de communautés, ventes de propriétés, remises de paroisses aux diocèses, etc. font que plusieurs se posent cette question. Notre plus grande communauté, celle de Richelieu, est celle qui regroupe nos retraités et nos malades. Notre Provincial a fait appel dernièrement à des Oblats africains pour nos missions auprès des Autochtones. Solution désespérée ou solution prometteuse? Remarquons déjà qu’en Europe et en Amérique du Nord les vocations nous viennent en bonne partie d’ailleurs, la Pologne faisant notablement exception, représentant à elle seule 78% de toutes les oblations perpétuelles de ces deux régions.

Situation pleine de promesses dans l’hémisphère sud Le nouveau visage de la Congrégation, c’est décidément en Afrique, en Asie et en Amérique latine que nous le trouvons. Voyons plutôt, toujours pour les trois dernières années auxquelles se limite notre étude, ce qu’il en est exactement. (Pour plus de clarté et de brièveté, nous nous en tenons aux noms des pays et laissons de côté les dénominations de provinces, délégations ou missions.) Commençons donc par l’Afrique-Madagascar qui, pour la période indiquée, a donné 53 nouveaux Oblats perpétuels, soit 11 au Lesotho, 9 au Congo, 8 au Cameroun, 6 au Nigéria, 5 chacun à Madagascar et au Natal, 4 au Sénégal et 1 pour chacun des trois pays suivants: Namibie, Niger et Zimbabwe. Une autre région prometteuse est l’Asie-Océanie: 52 oblations perpétuelles pour les trois années en question. Voyons en détail: 18 nouveaux Oblats au Sri Lanka (9 pour la province de Colombo et autant pour celle de Jaffna), 17 en Inde, 6 au Pakistan, 3 au Bangladesh et 3 autres en Thaïlande, 2 aux Philippines et 1 dans chacun des pays suivants: Corée, Japon et Australie. L’Oblat de cette dernière province est chinois; il appartient d’ailleurs à la délégation de Chine. Et qu’en est-il de l’Amérique latine? Disons tout de suite que dans les dernières statistiques cette région comptait 471 membres, dont 65% sont d’origine latino-américaine, i.e. plus de 300... Le détail pour les 28 oblations perpétuelles des trois dernières années: Haïti, 14; Brésil, 5; Paraguay, 3; Bolivie, 2; et 1 pour chacun des quatre pays suivants: Argentine, Chili, Guatemala et Mexique.

Nouveau visage À la vue de ces statistiques, il me semble que les conclusions sautent aux yeux, elles sont claires: la Congrégation change de visage. Des 183 oblations perpétuelles de ces trois dernières années, 133 nous viennent de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine, i.e.

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73%. Il faut rendre grâce à Dieu pour cette manne qui assure la relève, la pérennité du charisme de saint Eugène. Ces régions nous permettent de vivre en vérité une immense espérance.

La prière pour le 35e Chapitre général Je ne doute pas que le prochain Chapitre général saura tenir compte de cet état de fait, tant dans ses énoncés de mission et ses orientations que dans le choix du Supérieur général et des membres de son conseil. Dans la prière proposée pour le Chapitre nous disons: «Dieu notre Père ... nous voulons te demander la grâce de retrouver en ton Fils Jésus-Christ, le centre de notre vie et de notre mission ... Aide-nous à ... trouver un nouveau style de vie qui nous permettra d’annoncer au monde d’aujourd’hui les valeurs de ton Royaume.» Cette conversion, il ne faut pas en douter, est la condition sine qua non qui attirera chez nous de nouveaux Oblats. * * * * Pour les férus de statistiques – Le dernier nº d’oblation, celui attribué au scolastique Serge Denis d’Haïti, le 8 septembre 2007, est 14193; le Jeudi saint 11 avril 1816, les pp. de Mazenod et Tempier prononçaient leurs premiers voeux; c’est par après qu’on leur a attribué les numéros d’oblation 1 et 2. Rappelons que le nº d’oblation déterminait autrefois l’ordre de préséance... Ajoutons enfin qu’à chaque Oblat décédé dans la Congrégation est attribué également un nº de décès. Le dernier est le nº 8040, donné au p. Bruno Dicaire décédé à Richelieu le 31 décembre 2007 (cf AAGO, 2007, p. 166). Le nº 1, celui du 1er Oblat décédé dans la Congrégation, est celui du p. Jacques-Antoine Jourdan, mort à Aix le 20 avril 1823, juste trois mois après son oblation (cf. Dictionnaire Historique des Missionnaires O.M.I., vol. I, p. 351). Mgr de Mazenod est le 69e Oblat décédé dans la Congrégation (cf. Missions de la Congrégation des Missionnaires O.M.I., tome 5, 1866, p. 669). Ottawa, octobre 2008

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