Philippe Le Chancelier Et Son Oeuvre
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Université de Poitiers École doctorale SHES CESCM – UMR CNRS 6223 Anne-Zoé RILLON-MARNE PHILIPPE LE CHANCELIER ET SON ŒUVRE : ETUDE SUR L’ELABORATION D’UNE POETIQUE MUSICALE Volume I Thèse de Doctorat de Musicologie Sous la direction du Pr. Olivier CULLIN Poitiers 2008 2 Remerciements La thèse de doctorat est un travail long et solitaire mais il ne se fait pas dans la solitude. L’encadrement, les échanges dont j’ai pu profiter tout au long de ces années m’ont été d’un grand soutient intellectuel et moral. Mes premières pensées vont à Olivier Cullin, professeur à l’Université de Tours, qui a su, dans sa tâche de directeur de thèse, mêler exigence, confiance et encouragements. Par ses conseils, ses corrections et son écoute attentive, il a nettement contribué à faire exister ce travail. Il cultive et parvient à transmettre une curiosité qui fait de la recherche un véritable plaisir. J’adresse également ma reconnaissance à Nigel Wilkins qui encadra mes premiers pas à l’Université en dirigeant mes mémoires de maîtrise et DEA à la Sorbonne. Je remercie également très chaleureusement ceux qui m’ont aidée, écoutée ou lue malgré leurs emplois du temps bien remplis. Je pense principalement à Nicole Bériou et Gilbert Dahan. L’intérêt qu’ils ont porté à mon travail m’a permis de prendre confiance et donné l’occasion de présenter certains aspects de mes recherches à diverses occasions. L’entraide et la solidarité entre doctorants m’ont également été d’un grand soutien. Je me souviens des discussions avec mes amis, membres de l’ « équipe », docteurs ou futurs docteurs Séverine, Guillaume, Christelle ou encore Margaret. Je remercie également ceux qui ont mis la main à la pâte : Stéphane Itic, Sophie Delmas, Christophe Corbier. Je pense aussi à Nicolas Bell qui m’a simplifié l’accès à la British Library et à ses collections. J’exprime aussi toute ma reconnaissance à mes parents et amis, toujours confiants et patients à mes côtés. Ils ont contribué à leur manière à ce travail en assurant le soutien autour de la thèse. Enfin, je terminerai par remercier du fond du cœur Bertrand, mon mari, qui s’est pleinement investi dans la réalisation technique de cette thèse et m’a supportée avec amour et compréhension. 3 4 Introduction L’œuvre conséquente de Philippe le Chancelier nous laisse l’image d’un travailleur acharné : quel que soit le genre concerné, les proportions en sont impressionnantes, par le nombre, la taille et la qualité. La transmission manuscrite abondante témoigne de l’estime de ses contemporains pour cette œuvre « magistrale » : enseignant en théologie, prédicateur, il se fait la voix et l’esprit de son institution. Le chancelier de la cathédrale Notre-Dame est un personnage respecté, parfois envié. Il est un homme de pouvoir dont les prises de position ne sont pas sans effet. Parfois contesté, souvent contestataire, son engagement dans le siècle, dans la vie institutionnelle et intellectuelle parisienne laisse des traces que l’histoire a su reconnaître. Son œuvre est aussi porteuse d’une pensée plus originale et personnelle, profonde réflexion sur la foi, tissée d’une large culture. Dans sa somme de théologie, il est homme de synthèse, connaisseur et réconciliateur des autorités. De cette intelligence émergent des idées nouvelles qui participent à la construction de la pensée scolastique. Faire le lien entre cet homme d’action et de pensée et l’auteur d’un corpus de compositions lyriques ne semble pas aller de soi. Pourtant, cet ensemble d’œuvres est lui aussi conséquent grâce au nombre des attributions dans les manuscrits, fait assez rare 5 si l’on regarde l’ensemble de la production musicale médiévale. Pendant longtemps, deux personnages ont été distingués : Philippe le Chancelier, le théologien auteur de la Summa de bono et Philippe de Grève, poète et prédicateur, auteur d’une collection de sermons sur les psaumes. Cette erreur historique, rétablie depuis moins d’un siècle1, est peut-être significative du regard porté sur l’œuvre de Philippe le Chancelier dans les époques qui ont succédé au Moyen Âge. Elle témoigne d’une certaine difficulté à accepter des œuvres aussi différentes qu’une somme de théologie et des compositions musicales parfois d’une étonnante simplicité, sous l’égide d’un seul auteur, comme si ces deux pôles étaient perméables l’un à l’autre. On peut se demander quel est le véritable Philippe le Chancelier parmi les portraits contrastés que nous livrent les sources : est-il le jongleur de Dieu que nous décrit Henri d’Andeli ou encore l’ecclésiastique damné pour ses prises de position excessives que nous évoque Thomas de Cantimpré ? Où se situe la vraisemblance entre ces deux visions affabulatrices et subjectives ? La représentation d’un théologien qui, à ses heures perdues, s’adonne à la composition musicale comme à un divertissement est certainement trop simple ou trop romantique pour être acceptable. Les informations historiques permettant de retracer la biographie du Chancelier ne mentionnent à aucun moment une quelconque forme d’activité liée à la lyrique. Pourtant les œuvres sont là, réparties dans trois collections portant le nom de Philippe, souvent concordantes avec les plus célèbres manuscrits musicaux de la période, soit un ensemble de plus de soixante-dix compositions2 : sept motets, huit prosules, neuf conduits polyphoniques et quarante-sept conduits monodiques. L’historiographie de ce corpus musical fait apparaître que Philippe le Chancelier est plus généralement considéré comme un poète que comme un compositeur. Est-il concevable qu’un théologien invente des mélodies alors même qu’il n’est pas chantre ou professionnellement lié à une activité musicale ? Plusieurs éléments confortent la thèse d’un Chancelier auteur des poèmes mais aussi de leur mise en musique. Tout d’abord, il faut signaler que la très grande majorité de l’œuvre poétique qui lui est attribuée nous est rapportée dans des sources musicales ou concordantes avec celles-ci. Il n’existe que sept textes attribués à Philippe dans les 1 Henri MEYLAN, « Les « Questiones » de Philippe le Chancelier », Positions de thèses de l’École des chartes, Paris, 1927. 2 Ce total ne comprend que les compositions attribuées par les sources ainsi que quelques attributions modernes s’appuyant sur des données textuelles solides (intertextualité, allusion). 6 manuscrits et qui ne sont pas, par ailleurs, connus dans les manuscrits notés3. Les deux collections poétiques existantes sont intégralement concordantes avec les compositions e musicales des sources principales de la musique parisienne confectionnées au XIII siècle. L’existence de collections rassemblant des textes ou des mélodies sous le nom de Philippe le Chancelier est également un fait assez exceptionnel. Peu nombreux sont les compositeurs médiévaux qui bénéficient d’une telle attention de la part des collecteurs ce qui témoigne du caractère exceptionnel du personnage et de l’œuvre telle qu’elle nous est transmise. Les capacités musicales d’un personnage tel que Philippe le Chancelier peuvent poser question. On l’imagine aisément occupé à bien d’autres affaires qu’à la composition musicale. Que sait-il faire et comment l’aurait-il appris ? On ne sait pratiquement rien de la manière dont sont acquises les connaissances musicales dans les e écoles du XII siècle, au moment où Philippe fait ses études. Ce n’est qu’à partir de l’émergence de l’Université que les informations à ce sujet deviennent plus précises4. Les statuts de l’Université de Paris, commandés par le Pape à son légat Robert de Courçon en 1215, délèguent l’étude des sciences du quadrivium aux jours fériés. Bien qu’importants par leur nombre, ces jours sont consacrés à des activités considérées comme marginales. Le contenu de cet enseignement musical semble avoir été essentiellement théorique. La pratique, quant à elle, s’apprend très certainement au contact de la liturgie côtoyée depuis l’enfance par les futurs maîtres dans le chœur. Philippe le Chancelier est le fils illégitime de l’archidiacre de Paris, lui aussi prénommé Philippe. Né dans le milieu ecclésiastique parisien, il ne le quittera presque jamais, ce qui peut expliquer son aisance à modeler la mélodie, notamment la monodie tant de fois entendue dans la liturgie. À Paris, le nombre exceptionnel des paroisses laisse augurer de la quantité de chantres et enfants de chœur qui peuplent la ville et emplissent son espace sonore bien au-delà de la liturgie. Cette imprégnation qui accompagne Philippe depuis son enfance est un terrain propice que viennent compléter les connaissances 3 Deux textes dans Florence, Laurenziana Plut. XXV.3 : Missus Gabriel de celis et Virgo templum trinitatis ; deux autres dans le manuscrit W88 de la Walters Art Gallery de Baltimore : Que est ista que ascendit et Thronus tuus Christe Ihesu. Un troisième texte de Philippe le Chancelier, Ave gloriosa virginum regina, se trouve dans ce même manuscrit. Cette pièce est notée comme conduit monodique dans Florence, Pluteus 29.1. D’autres séquences lui sont attribuées : Ave dei genitrix et immaculata (dans Munich, lat. 14940), Phebus per dyametrum luna fugiente (Wroclaw, Biblioteka Uniwersytecka, I. Q. 102) ou encore Venite exultemus regnante (Basel, Universitätsbibliothek, B XI 8). D’une manière générale, ces attributions sont mises en doute par des propositions contradictoires dans d’autres sources. 4 Olga WEIJERS, « La place de la musique à la Faculté des arts de Paris », La musica nel pensiero medievale, éd. L. MAURO, Ravenne, 2001, p. 245-261. 7 théoriques acquises dans le cadre du quadrivium et les compétences rhétoriques des sciences du trivium. Il n’y a donc rien d’improbable à ce qu’un théologien apprécie la musique et possède les compétences nécessaires à la composition, bien au contraire. Le sermon sur le thème Quomodo cantabimus, publié dans le volume d’annexes, est extrait des Distinctiones super Psalterium, recueil de matière destinée à la prédication et confectionné par Philippe le Chancelier.