SE RETIRER DU MONDE Hélène Cussac, Odile Richard-Pauchet
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SE RETIRER DU MONDE Hélène Cussac, Odile Richard-Pauchet To cite this version: Hélène Cussac, Odile Richard-Pauchet. SE RETIRER DU MONDE : LES DISCOURS SUR LA RETRAITE AU XVIIIe SIECLE. SFEDS. France. 2016 (48), La Découverte, pp.1-335, 2016, SE RETIRER DU MONDE, 978 2 7071 9066 6. hal-01337239 HAL Id: hal-01337239 https://hal-unilim.archives-ouvertes.fr/hal-01337239 Submitted on 20 Apr 2020 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. SE RETIRER DU MONDE LES DISCOURS SUR LA RETRAITE AU XVIIIe SIECLE DHS n°48, 2016 Dossier dirigé par Hélène Cussac et Odile Richard-Pauchet AVANT-PROPOS LA RETRAITE AU 18e SIÈCLE : DÉSIR OU CHIMÈRE ? « Hélas ! que sont devenus ces jours, où des mères chrétiennes ne recommandaient à leurs filles que l’amour de la retraite et de la pénitence … » Carraccioli, 17671. « L’homme est né pour la société. La raison, la réflexion, l’inclination, le besoin, le plaisir, tout prouve qu’il est dans l’essence de l’homme de vivre avec ses semblables. Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; cela n’est même pas possible. » Dom Philippe Gourdin, 17672. Le ton est donné : en ces années 1760, nombre de voix se font entendre dans un long débat au premier rang duquel se trouvent les philosophes, pour proclamer la sociabilité comme première vertu de l’homme et s’élever contre les retraites religieuses et la recherche de la solitude. Après des siècles de perception positive du retrait du monde, les constantes anthropologiques se voient ainsi bouleversées. Celui qui se met à l’écart est vu désormais comme un marginal, un extravagant, un irrationnel ; on sait combien Rousseau souffrit suite à sa décision prise en 1751 de « marcher seul dans une route toute nouvelle3 ». Tout être humain, qu’il soit homme du peuple, prêtre, ou philosophe, a le devoir de renoncer, si jamais il en avait l’idée, à sa recherche de repos et de participer à la marche du monde, bref, de se rendre utile4. Si nous devions raviver le souvenir de ce qui devient un principe, lisons ces quelques lignes du pasteur Jean Dumas datant de 1773 : La principale occupation du sage n’est pas de se concentrer, pour ainsi dire, au fond de son âme, et de s’efforcer d’être mort durant sa vie, comme on le prétend, mais bien de sortir hors de soi pour s’occuper des autres, de travailler à leur bonheur, comme au sien propre, et de se conserver pour eux comme pour lui-même. Sa vie doit être plus active que contemplative, plus communicative que cachée5. 1 Louis-Antoine Caraccioli, Le chrétien du temps confondu par les premiers chrétiens, Paris, chez Nyon, 1767, p. 113. 2 Dom Philippe Gourdin, L’Homme sociable ou réflexions sur l’esprit de société, À Amsterdam, chez Mercus & Arckstée, 1767, 1e partie, I, « Origine et nécessité de la société », p. 3-4. 3 Les Confessions, Œuvres complètes, dir. Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1959, vol. I, L. 8, p. 362. 4 Voir bien sûr l’article PHILOSOPHE de l’Encyclopédie. 5 Jean Dumas, Traité du suicide ou Du meurtre volontaire de soi-même, À Amsterdam, Chez D. J. Changuion, 1773, chap. VI, p. 353. La mise en italique est de l’auteur. C’est volontairement que nous ne donnons pas de citations, en général bien connues, des auteurs les plus attendus. 1 Cette brève introduction rappelle l’opposition fondamentale, dont la problématique de la retraite est une des catégories essentielles, entre les philosophes du 18e siècle et les apologistes de la religion chrétienne, mais amorce aussi le sujet de la solitude, incompréhensible à l’esprit des Lumières, sur lequel Pierre Naudin nous a donné naguère une belle somme, souvent rappelée dans ce volume. Était-il par conséquent nécessaire de consacrer aujourd’hui un numéro thématique à l’idée de se retirer du monde ? Sociabilité versus Solitude dans la retraite : de ces termes a priori antinomiques qui ont préoccupé les esprits du temps, nous avons davantage conservé le lien des Lumières avec les concepts d’extériorisation, d’énergie, d’action, de conversation, de recherche de bonheur au milieu de ses semblables, de vie en société. Sans remettre aucunement en cause cet héritage qui a fondé notre propre façon de vivre mais surtout de penser la collectivité, il a semblé primordial que la Revue Dix-Huitième Siècle, miroir des grands sujets de l’époque et ouvrage de synthèse des grandes catégories de l’histoire des idées, présente un numéro sur ce qui peut sembler finalement un paradoxe : la retraite. Récemment certes, elle a offert un volume au titre d’ « Individus et communautés6 » dans lequel quelques articles font le lien avec la notion du retirement7. Si la communauté va de pair avec la sociabilité, l’individuation naissante au 18e siècle - et très vite sa dénonciation - finit par mettre malgré lui l’être humain à l’écart. Souvenons de la définition donnée par Volney à la fin du siècle8 : D - Qu’est-ce que la vertu selon la loi naturelle ? R - C’est la pratique des actions utiles à l’individu et à la société D - Que signifie ce mot individu ? R - Il signifie un homme considéré isolément de tout autre. Aussi ce processus peut-il aller jusqu’à la rupture d’avec ses pairs. Nouveau paradoxe donc de l’époque des Lumières qui prône la sociabilité de manière, on doit le reconnaître, assez dogmatique. Se pencher sur la question, n’est-ce pas aussi mieux entendre notre temps ? Comprendre davantage par exemple d’où est venu le goût de la résidence secondaire, dans un lieu (campagne, montagne, bord de mer) que la main de l’homme n’aurait pas trop dénaturé ? Le désir d’habitats intimes, isolés et insolites, nous installant au plus près de la nature : cabane dans les arbres, roulotte, yourte jusqu’à l’invention récente, venue des États-Unis, des tiny houses ? N’est-ce pas l’occasion de réfléchir aussi, comme l’avait fait Voltaire, à nos maisons communautaires dites de retraite9 ? Sans faire de lien outrancier avec ces problématiques de nos 20e et 21e siècles, les diverses contributions, du fait de leur variété même, nous permettent d’entendre cet héritage. Autre raison : l’avantage que présente justement grâce à cette diversité l’originalité des approches. Chercheurs reconnus de longue date, qui ont été nos maîtres et/ou nos références (P. Chartier, D. Masseau, J.-M. Racault, J.-N. Pascal, H. Krief, P. Pelckmans) mais aussi jeunes (G. Farrugia, A.-F. Grenon, C. Ollagnier, A. Mirlo, F. Moulin, I. Riocreux), voire très jeunes chercheurs (A. Roger), d’horizons disciplinaires variés (Lettres, Histoire, Histoire de l’art spécialité architecture), malgré nos regrets de ne pas pouvoir offrir 6 Il s’agit du n° 41 de 2009, en forme de dictionnaire, dirigé par Yves Citton et Laurent Loty. 7 Voir notamment les articles ISOLEMENT d’Erik Leborgne, p. 155-167, SOLITAIRES d’Antoine Hatzenberger, p. 283-301, et COMMUNION (REPUBLICAINE) de Pierre Hartmann, p. 43-59. 8 Volney, La loi naturelle, ou Catéchisme du citoyen français, Paris, Chez Sallior, 1793, chap. III, p. 33. Souligné par l’auteur. 9 « Il faut qu’il y ait des maisons de retraite pour la vieillesse, pour l’infirmité, pour la difformité … » (L’Homme aux quarante écus 1768, dans Romans et contes de Voltaire, éd. René Pomeau, Paris, GF-Flammarion, 1966, p. 421.) 2 de contribution observant la thématique dans la peinture et dans la musique, enrichissent ainsi le sujet de façon singulière mais dans un écho affirmé à l’ensemble des contributions. Enfin, comme le rappelle Bernard Beugnot dans la préface dont il a bien voulu honorer notre volume, hormis l’ouvrage de Pierre Naudin et des travaux monographiques10, assez peu d’études se sont intéressées à l’idée de s’éloigner du monde au 18e siècle. La pluralité des contributions permet par conséquent de nuancer la question et d’affiner l’évolution de la pensée et du mouvement de la retraite par rapport au siècle précédent pour lequel se retirer « loin du monde et du bruit », comme l’a démontré B. Beugnot, représentait une ascèse bienvenue, qu’elle s’effectue dans un cloître ou quelque lieu profane. Qu’allaient faire les hommes des Lumières d’un tel acquis socio-culturel ? L’histoire de la retraite, qui est d’abord celle des premiers anachorètes, avant celle du monachisme, est longue avant de devenir un objet de polémique au 18e siècle. Depuis la fin du 16e siècle, plusieurs styles de retraite dialoguent et s’opposent sans cesse : la retraite religieuse austère du chrétien, la retraite mélancolique ou chagrine du désabusé, et la retraite qui se nourrit d’un épicurisme souvent joyeux. La vie monacale, notamment sous l’influence janséniste, connaît tout au long du 17e siècle un redressement d’une grande vigueur. Tout un renouveau spirituel imprègne donc la pensée classique, et à l’aube du siècle suivant, sont prisées les retraites spirituelles, qui ne sont plus réservées aux seuls résidents des communautés religieuses. Se retirer du monde correspond toutefois non seulement à un mouvement physique, mais aussi et surtout à la recherche d’une solitude intérieure, la plus difficile, permettant de ne penser qu’au divin.