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Guts Of Darkness

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avril 2015

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Un sommaire de ce document est disponible à la fin. Page 2/183 Les chroniques

Page 3/183 Thunder Way : The Order Executors

Chronique réalisée par Rastignac

Je parcourais du regard les pays présents sur guts of darkness. On en est à 126, pas mal non ? Et puis, par curiosité, je suis allé voir la liste des États souverains sur wikimerdia : eh, il nous en manque plus de septante ! "L'encyclopédie" en ligne nous dit 197 États pour l'ONU, sans rentrer dans les détails politiques des pays pas reconnus, juste un peu, ou juste par machin et pas par truc... Parmi les absents par chez nous, l'Albanie (ben oui, j'ai commencé par la lettre A, mais, rassurez-vous, je vais pas pousser le vice à combler le vide jusqu'à Z...). Bon, on sait que le pays a vécu pendant des décennies un ostracisme permettant une imperméabilité aux solos de Dave Mustaine, mais, comme toutes les bonnes choses ont une fin, la chute du "rideau de fer" a permis, même là-bas, l'émergence du tout puissant metal - enfin, juste d'une tête, parce que les groupes de ce genre se comptent encore aujourd'hui sur les dix doigts, quelques groupes récents de death à noter, enfin, pas grand chose quoi, contrairement à ses voisins. Premier sur la liste du pays : Thunder Way, fondé dit mon oreillette par un des premiers rockeurs albanais sous l'ancien régime. Le groupe est souvent catalogué comme power metal / speed metal. Comme une bonne partie de cette scène collée derrière cette étiquette non-gutsienne a tendance à m'endormir sérieux j'ai joué la carte méfiance, mais je me suis laissé aller à trainer une oreille après avoir longuement regardé l'illustration bien coloriageocrado de cette cassette introuvable, "rééditée" en Albanie par je ne sais qui sous format CDr patche inclus. Regardez moi cette pochette : si ça ne respire pas la désolation version stalinisme en fin de course ! Je me suis dit qu'il y aurait forcément un fond de croute malfaisant. A l'écoute, les influences, évidemment, sont à choper vers le heavy metal dérivé de Maiden, bien mixé avec un esprit speed teuton frisé à la Helloween ou Rage mais sans trop tomber dans une vulgarité laque et paillettes (bon, j'ai pas vu les clips passés sur la télé albanaise, ça doit valoir son pesant de Diamond Darrell). En fait, voilà pourquoi je vous parle de ce disque ici : cet dégage une aura bien tristounette, grâce à ces shreds en modes mineur, des envolées de riffs heavy et speed lorgnant vers le thrash plus glauque, ou vers un power metal mais toujours une larmichette à l’œil. Vous ajoutez à cela cette impression que le chanteur est au bord de la dépression nerveuse, et pète de temps en temps des câbles en grognant entre deux envolées ultra-lyriques à la Bruce... et puis ce "Devil's Rules" presque entièrement instrumental, assez doom dans l'esprit d'un Candlemass. A lire ensuite les paroles, ça parle moyennement des gardiens du Metal qui se battent contre les gobelins de la mort, mais de trucs plus terre à terre comme la vie de bidasse qui transpire et qui flippe, et qui cauchemarde la nuit, en gros cet album parle de souffrance mentale et physique... pas étonnant venant de la part de mecs ayant grandi au pays des bunkers. On n'est donc pas dans la ripaille totale que l'on peut subir en écoutant Helloween grâce surtout au fabuleux guitariste ici aux manettes, et à un moral général semblant vraiment en berne. En 1993, l'heure n'était donc pas encore au metal qui fait rire en Albanie, malgré cette forme a priori bondissante comme un Gollum goulu tout droit sorti de la scène du Wacken en milieu d'après-midi. Thunder Way en sont donc arrivés à faire d'un sous-genre ultra-sucré une musique cafardée, un speed / heavy / power metal plombé par la fatalité et la souffrance. L'histoire nous dit que ce disque fut financé par un homme d'affaires albano-américain (je voudrais bien savoir qui) et que le groupe splitta ensuite, le guitariste gratouillant des délires pop dans les shows télévisés me dit-on encore du fond de l'internet. Drôle d'archive de la lose quand même, à offrir aux fous de guitare à solos, et aux amateurs de rêves

Page 4/183 perdus.

Note : 4/6

Page 5/183 Geto Boys : Till Death Do Us Part

Chronique réalisée par Raven

Un homme qui s'y connaissait très bien en laideur a un jour demandé : après tout, pourquoi n'y a-t-il pas autant d'art possible dans la laideur que dans la beauté ? Le hip-hop répond très bien à cette question : musique laide d'âme, musique d'ego, musique à qui certains ont tant reproché d'être pauvre, stupide, et plus digne de babouins que d'hommes, mais bon, après tout, le premier noir qui a soufflé dans une trompette a inspiré ce genre de réflexions aux individus de cette engeance. Geto Boys m'inspirent, comme bien d'autres, cette idée d'un art de la laideur. Avec eux le hip-hop avait les ongles crasseux, les survêtements et la casquette n'avaient pas l'air de sortir de la machine comme maintenant, avec tous ces putains d'esclaves content d'être propres, qui ont l'air photoshopés même en vrai et qui croient faire de l'esprit parce qu'ils gèrent la punchline. Putains de bouffons moyens, avez-vous oublié les Geto Boys ? Leurs pochettes comme celle-ci, déjà, sont en plein dans le thème. Laideur, assumée, limite sacerdoce. Ensuite y a le son, qui sent bien la misère, et la prise de drogues affaiblissantes. Bien funky-crapoteux, ce Till Death Do Us Apart, même dans ces moments plus groovy ("No nuts no glory"), jusqu'à descendre dans des beats de console game-boy ("Straight Gangstaism", mouhahahah). Et puis les paroles, qui comme d'habitude suintent l'imagination du pauvre, déblatérant toutes sortes de dégueulasseries, soit pour se faire mousser soit pour expurger le trop plein de merde dans la tête. Peut-être bien les deux. Et surtout ce côté parodique évident, par exemple sur ce "Cereal Killer" (qui a dit Blackout! ?) joyeusement débile où Scarface se tape un délire qui n'est pas sans évoquer le MM Food de MF Doom à venir. Ah ouais, Willie D. a été remplacé par un certain Big Mike, de la Nouvelle-Orléans, quelque chose de sérieux, apparemment ; je croyais sentir une odeur juvénile, aussi, mais il est bon le con... Ici, le style Geto Boys commence pourtant à montrer ses limites, moins flamboyant que sur leurs deux classiques précédents. Ils rappent dans les vestiaires de leur style, pour le meilleur comme pour le pire. Les délires psycho-gangsta laissent un peu plus de place au graveleux fainéant. L'effet southern, cette saveur texane, est bien là, mais des molleries comme "Murder Avenue", où l'inspiration psychopathe est encore là mais le son ne suit pas, donnent plus envie de réécouter ce qui s'est fait avant. Faut dire que ce rythme qui est globalement devenu plan-plan, glandouille-style, pâteux ("This dick's for you"), fout moins de funky-claques dans la gueule, c'est plus ensuqué, parfois indigent ; ça peut donner un charme toxicomane, je dis pas... Il y a bien ce marathon de flows de huit minutes à la fin, "Bring it on", procession de toute la clique Rap-a-lot, et surtout deux couplets cramés, l'un du non moins cramé Ganksta N-I-P, l'autre d'un Scarface halluciné... Ce Geto Boys m'est sympathique, mais j'en skippe le gras. Hormis le titre-marathon, on peut très facilement l'oublier ou l'éviter, d'ailleurs c'est visiblement ce que la plupart des gens font depuis sa sortie et ça ne change pas grand chose : la merde reste dans le caniveau. Bienheureux sont les diptères, en vérité je vous le dis.

Note : 3/6

Page 6/183 Geto Boys : We Can't Be Stopped

Chronique réalisée par Raven

L'anecdote du nain borgne est connue : un soir comme les autres, Bushwick Bill, le MC miniature des Geto Boys, en pleine crise suicidaire, demande à sa femme de lui tirer dessus ; elle refuse, il la bastonne, et, jeu de nain jeu de vilain, une balle part du flingue et arrache l'oeil droit du rappeur, qui, décidé à crever, avait réussi à se placer juste en face du canon. A peine arrivé à l'hôpital, il est accompagné par ses potes, qui savent déjà qu'ils tiennent la pochette de leur prochain album. Voilà pour situer l'esprit Geto Boys, et pourquoi ils sont sur notre site. La pochette déjà culte avant la sortie, ne restait plus à nos daltons gangstas qu'à chier une quinzaine de morceaux dans la même mentalité que le précédent, quoiqu'encore plus sociopathe (le borgne est inspiré et ses deux potes pas moins), avec un style un peu moins brutalement funky peut-être, absence de Rubin au mix oblige, mais ce qui est perdu en sévérité funk est gagné en glauque : les prods, cheap, sentent les chiottes turques. Intro cultissime (ce sample de Scarface aaaah, ce son... peuvent aller se rhabiller), hits qui défouraillent sur la face A, avec une préférence personnelle pour le titre éponyme, le bizarre-cheap "Chuckie", très proche du style d', et, bien sûr LE classique parmi les classiques, "Mind playing tricks on me" (seul moment de smooth avec la sex track "Quickie" et le, hum, paradisiaque "The Other Level") comme une halte rafraîchissante dans le lait de coco, et pourtant, le texte est pas du genre relax, c'est plutôt l'introspection paranoïde. Hélas sur son dernier tiers l'album devient un tantinet emmerdant, voire pénible. Je vois pas trop quoi rajouter, en fait. Ce Geto Boys, c'est simplement de la bonne viande hip-hop bien sale, un truc de clochard vengeur, avec tout plein de projets pour équarrir la racaille.

Note : 4/6

Page 7/183 & DJ Polo : Road To The Riches

Chronique réalisée par Raven

Intro mythique, puis le MC plus rapide que son flow - disciple de Just-Ice selon certains, LL Cool J psychopathe pour d'autres - entre dans le saloon. Ses mots crachés comme des balles d'une gatling, fument tous les ivrognes du beat, pendant que les filles de joie restent médusées en haut de l'escalier, de tous les hommes seul le pianiste survit, stressé, pour servir de sample. Plus loin, un harmonica annoncera une grosse tuerie (*). Western hip-hop ? Kool G Rap vient juste après Rakim, de la même façon que pour certains Slayer vient juste après Metallica. Comprenez-le comme ça vous arrange. Tradition de l'egotrip vieille école, la personnalité du 'G' est encore dans un carcan orthodoxe, mais elle déborde déjà. Blase à l'ancienne, caboche de taulard, vilaine cicatrice d'acné mal soignée à la joue, ou d'éraflure datant du jour où il s'est fait plaquer face contre crépit par la flicaille, on sait pas trop. Rime, rythme, capacité de gérer le débit d'adrénaline : le taulier d'un style se reconnaît assez vite. Gare au moteur le plus traître du Juice Crew. Car Kool G Rap, plus encore qu'une fine gâchette du mic, c'est un peu le camion de Duel, réincarné en rappeur. Au début comme ce couillon de Dennis Weaver, tu l'trouves pataud, moche et polluard, tu t'dis "bouais, juste un rappeur des années 80, un suiveur un peu crade de Rakim et Chuck D". Pas de peur, pas d'inquiétude outre mesure. Et tu veux le doubler. Fatale erreur : y a un gros turbo de tonton sous ce capot perché à trois mètres, et c'est après le cul de ta chaîne hi-fi qu'il en a désormais. Pare-choc contre pare-choc, flow contre baffle. Une fois repassé devant toi, il ralenti un chouia, et comme il est taquin ses rimes te font des signes de la main dans les virages au moment où une bagnole arrive à fond d'en face. Technique de crevard, principe du gangsta rappeur des bas-fonds. Kool G il s'acharne, presque citoyen pour l'oreille profane, mais il s'acharne, on lui change le micro tout grillé par les postillons à chaque titre. Peu importe de quoi il cause d'ailleurs, bien que ses lyrics bêtes et méchantes soient évidemment pas négligeables : tout est dans le charisme dégagé, comme une émanation hydrocarbure. Pourquoi Kool G est-il différent ? Pourquoi l'eau ne sent rien, alors que l'essence qui a le même aspect m'étourdit ? Le mauvais goût, le grivois, la non-gonflette, l'authenticité ? Même voler Gary Numan est le genre d'opération de mauvais goût qu'il revendique, mais il arrive à transcender le larcin. L'originale de "Cars" en devient même assez fade quand on l'écoute après, c'est sans doute la magie du hip-hop quand le tunning pillard fonctionne. En 1989, le hip-hop carbure encore à une forme puérile et bon enfant d'egotrip, genre "moi je rime le mieux, moi les filles tombent toutes à mes baskets, gnagnagna, bisque bisque rage !"... Et Kool G Rap avec lui c'est un peu moins poli, le mec entérine l'appelation "bad boy" majeur tendu, mais c'est aussi un spirituel à ses heures, il pourrait être du genre à souhaiter le sida à une ex pour un anniversaire manqué, mais l'étrange ballade "She loves me she loves me not" nous prouve qu'il sait aussi rapper la peine du juste et sonder l'âme sous la testostérone ("You move too quick / You become seasick / And a one-night stand is for the one-track mind man / The kind of guy you kick like a can"). Et puis bien sûr il y a le son Marley Marl, une évidence pour ceux qui pensent Eric B. quand il pensent Rakim... car DJ Polo est sur l'affiche mais c'est pas son Eric B., lui c'est juste pour le scratch. Le vrai artisan du son c'est Marley. Un son entre deux âges, à la fois rudimentaire et auquel y a rien à rajouter. "It's a Demo", "Men at Work", "(*)Trilogy of Terror", "Rhymes I Express" avec sa greffe fatale de Kraftwerk, "Poison" (pure puissance !) : les classiques sont là, implacables, mis en valeur par une ou deux pistes en mousse (une chiure laid back et une instru house inutile avec le scratching sympathique de Polo) mais il faudrait être un sacré pisse-froid pour ne pas voir dans Road To The

Page 8/183 Riches la suite directe d'un Paid In Full, d'un Follow The Leader. Même si je préfère sans hésiter Wanted Dead Or Alive et Live & Let Die, ce qui justifie le 4/6 au verdict. Les plus jeunes trouveront probablement un tel album désuet comparé à leurs daubes "hardcore" en vogue à base de sons de rave party et de flow syncopé, mais bon... on peut aussi trouver Jean Gabin désuet par rapport à Vin Diesel, mais je crois bien savoir lequel des deux tirerait l'oreille à l'autre pour lui faire terminer sa soupe.

Note : 4/6

Page 9/183 Kool G Rap & DJ Polo : Wanted Dead Or Alive

Chronique réalisée par Raven

C.A.R.R.É., p'tit con. Kool G Rap ça rostre. En ces temps reculés, les "bitch" étaient encore volontiers des "honey", mais le rap se pratiquait sans chichis ou tai chi. Les arts martiaux qui sentent le riz chaud et le pyjama, pas trop le genre de la maison, non, plutôt boxe poings-poings : un salut pour le gladiateur, un tombeau pour les neurones. Même si question intellect, l'un des pionniers de la lignée des bons gros rappeurs bien cons et bas du front se défend, le bragadoccio est axé outrance et excès. Un tel flow suffit a avoir assez de panache, et si tu ne saisis pas les versets à cause de la barrière de la langue, retourne la sept fois pour mieux apprécier le magnétisme du son. Le hip-hop de Kool G Rap a comme une odeur de nubuck - snfffff, hmmm - authentique ! S'il faut te buter, le vétéran Kool G aura toujours la rime la plus négligente, la plus instinctive. Il s'est armé du son absolu pour motoriser tout ça : Eric B. et Large Professor. Le poing et le talon. On grimpe d'un cran en puissance par rapport à Road To The Riches. C'est pas le Bomb Squad au sommet, mais ça tabasse avec ferveur. Des morceaux surpuissants comme "Death Wish" ou "Talk Like Sex" parlent d'eux-mêmes. Ce son, c'est de l'ébène grossièrement sculptée qui te fait des bosses. Chaque piste un container pour passage à tabac. Kool G Rap est à la vague hip-hop dite "hardcore" ce que Celtic Frost est au black-metal. Un genre d'ancêtre totémique contre lequel ne vient pas l'idée de trop se frotter. Si on excepte les variations de tempo, son péché mignon (avec Kool G le beat s'adapte au flow, pas l'inverse), on est sur du pur artisanat dans le machisme délinquant. Un vrai salopard de compète le Kool G, le genre de type pour qui la nature aurait inventé le poil avant la peau. J'en veux pour preuve l'enchaînement hold-upesque du morceau-titre (ah, ce beat de caisse claire !) et de "Money in the Bank", ou encore le morceau gangster avec Large Professor au micro ou celui, plus posé, avec Big Daddy Kane et Biz Markie (ah, ces blases de maquereaux qu'on aime tant citer !) où l'antiracisme est plus prétexte à une démonstration de cool bien bitumeuse. Et puis, une coudée au-dessus, le surpuissant "Talk Like Sex" dont j'ai déjà parlé, étalage graveleux digne d'un Gainsbarre sous stéroïdes dans lequel il fait étalage de ses capacités pour la bagatelle, jusqu'à certifier que popaul mérite une cape de super-héros. Le hip-hop confine déjà au grotesque, le côté exagéré c'est dans sa nature profonde. Kool G a compris qu'avec ce style clownesque dead-serious, il pourrait comme les Geto Boys hisser le rap à un niveau supérieur d'immoralité. Les grands frères école Kurtis Blow ou LL Cool J, braves soudards du micro, se targuaient de pouvoir séduire en bob kangol dans des poses trisomico-félines, princes de Bel-air ou rois des blaireaux, selon l'angle. Kool G Rap entre garni de colliers d'or lourd dans la prison des femmes, façon Mutunus Tutunus. Il repartira en sueur, et sans promesses. Ce disque, comme Iceberg de Ice-T, c'est un peu ce moment fatidique pour le hip-hop, le moment où le retour n'est plus possible, ce moment où le rap a embrassé sa condition de musique de salaud, et a vraiment commencé à devenir ce genre qui rend physiquement malades ses détracteurs, leur faisant vociférer toute sortes d'imprécations fébriles. Disque d'homme.

Note : 5/6

Page 10/183 Kool G Rap & DJ Polo : Live And Let Die

Chronique réalisée par Raven

Là on est pas sur du hip-hop de pédale les enfants ; ou alors de pédale de droite, vu la capacité d'accélération bestiale dont est capable Kool G Rap. Live and Let Die est pour moi l'album hip-hop matinal par excellence, le meilleur pour entamer la journée. Même s'il s'accommode très bien aux nuits et aux sonos des tires, c'est dans sa turne qu'il faut l'écouter, aux premières lueurs de l'aube, avec le double café noir et en peignoir. Et un bon havane de compète pour finir - et que le smicard ne vienne pas me rétorquer que c'est du luxe quand il a les moyens de claquer sept jetons par jour dans un paquet de blondes ! Kool G lui, il s'est donné les moyens, pour créer ce qui passe pour le premier album véritable de mafioso rap, alors qu'il était loin d'avoir le train de vie du mafieux tel qu'on l'imagine chez Coppola ou Scorcese. Dans le sillage des Geto Boys et Ice Cube pour mieux les doubler, il a mis la gomme sur le style gangster excessif déjà tâté sur Wanted Dead or Alive, et en même temps ses productions sont devenues plus matures, plus ciselées. On passe de l'egotrip au storytelling : invitation à la cavale criminelle. Bien que cette pochette d'une grande élégance renvoie plus au style albanais ou chicanos (on devine presque la tronçonneuse et l'acide, hors-champ), Live and Let Die est clairement réalisé avec l'idée de toucher au crime à l'italienne, sample de Nino Rota et références lyricales à l'appui. Mythomanie mafieuse, et, en même temps, le vécu urbain du MC suinte de partout, dans ses fulgurances, dans son adrénaline, y a un truc pas joué, vrai. Pour la production, du travail d'orfèvre, souvent porté par un groove énorme ("Ill Street Blues", le titre épo... tous en fait !). Un album construit comme un polar, où chaque piste fait office de scène culte. Ici nous avons en quelque sorte la version brutale et granuleuse du futur classique de Raekwon. L'origine, loin des intérieurs cossus, même si le MC en chef est déjà porteur d'écharpe fine. Après l'intro Godfather, quand s'évapore le sublime "On The Run" et son sample de soul glacé, tout semble limpide, évident, sublime. C'est de la popote du cartel, du hip-hop de daron, massif et putain de groovy. On flirte aussi avec le nauséeux, comme sur "Straight Jacket". Chaud-glaçant, à la fois cafardeux et galvanisant, Kool G assume pleinement le combo cagoule-costard trois pièces. Ses fantasmes de meurtre et d'argent facile se mélangent à une description quasiment bukowskienne du quotidien ghettoïsé. Il étale volontiers des angoisses de mort (le glaçant "Edge Of Sanity") à côté desquelles la très grande majorité des rappeurs actuels font figure de geignards. Kool G cherche l'issue, par cavale mentale. Il se paye encore de grosses accélérations, comme son si son flow était traqué, cherchant à survivre ("Go for your guns", boucherie, très proche du style Death Certificate, ou "Nuff Said", avec en embuscade ce sample sinistre qu'on retrouvera dans un certain "Mezzanine") en stoppant de temps en temps pour tirer deux-trois bastos ("Train Robbery", noir et massif), ou méditer sur sa condition d'ordure sociale prisonnière du béton, imaginer un genre de lupara bianca parfaite pour quelque flic qui l'aurait un peu trop contrarié. Le style de production, clé de cette qualité supérieure et secret de Sir Jinx, est nettement plus élaboré que sur les deux précédents, limite avant-gardiste par moments : on sent les origines de toute une frange du rap qui doit des billes à Kool G, et en même temps c'est quelquefois d'une bizarrerie dans les effets qui n'a pas à rougir de la comparaison avec les futurs MF Doom. Brillant et underground. Tout en gardant ce côté viril et direct, asphalte-à-asphalte, typique de Kool G Rap. Chaque titre a son feeling mais tout se tient d'un bloc, jusqu'au final "Two to the Head", ultime pépite d'un album qui en est gavé, où Nathaniel s'adjoint les services de la peste et du choléra (Ice Cube et les Geto Boys) pour un featuring d'anthologie, réunion menaçante de L'Ouest et du Sud sur les terrains gris de L'Est, qui, tandis qu'elle gronde

Page 11/183 dans mes baffles, me pousse à sceller un six sur six incontestable. L'album new-yorkais par excellence de l'ère pré-Wu Tang. L'Instinct de Mort du hip-hop, sort of.

Note : 6/6

Page 12/183 Kool G Rap : 4,5,6

Chronique réalisée par Raven

Succint, raffiné et nocturne, ce "premier solo" de Kool G Rap est resté méconnu, presque oublié. Normal : en 1995 c'était le genre d'album qui fleurissait en masse à New York. Kool G était comme qui dirait incognito dans ce costume street-sombre, tomber le polo était une bonne idée mais aussi la meilleure façon de passer inaperçu. Pourtant c'est très loin d'être de la merde, le Kool G en mode urbain intégral. Faut dire qu'au moment de l'enregistrement ça se bouscule de plus en plus dans le secteur, certains qui étaient encore puceaux du temps de sa gloire sont désormais les caïds. Des petits, des gros. Samples de piano, de synthés façon polar, ambiance urbaine-crépusculaire qui colle au cerveau, à la King Of New York, refrains choraux façon "mon crew me soutient dans l'ombre" : Kool G va un peu faire tâter de sa lame aux Wu-Tang, Onyx et autres Black Moon, en pratiquant l'infiltration. Les petits frères c'est mignon, mais faut pas trop les laisser faire sinon ils te bouffent tout le terrain. Bien sûr, 'G' rappe toujours comme un fugitif dangereux : son flow a toujours l'air d'être contenu dans des couplets trop courts, il déborde, quand on entend un morceau comme "Executioner Style", avec ce contraste saisissant entre la vivacité du flow et le calme menaçant de l'instru, on se demande bien ce que les jeunes s'emmerdent à comparer Eminem avec Busta Rhymes ou Twista pour savoir qui dégomme le plus de syllabes, alors qu'on peut admirer le style fugitif pur gangster d'un authentique parrain. Enfin tout ça ce sont des histoires de branlette sportive en réalité : Kool G a toujours tué au micro d'abord parce qu'il savait allier son style vétéran à des sons impeccables. Sur 4,5,6 il évolue donc dans ce décor nettement plus grisâtre, plus sombre, new-yorkais by night, un style moins personnel que sur Live and Let Die mais épais comme le drame. L'enfant prodige est invité sur le seul morceau pop de l'album, qui d'ailleurs irait très bien sur It Was Written ; une instru datée, comme celle du final avec la légende underground MF Grimm, et qui arrive à sonner à la fois FM et underground, à cause de ou grâce à cette prod dégueu. Sur le suivant Kool G fera exclusivement dans le cheap, fauché, mais ici il a du répondant, du grain. Le jazzy-smooth ("For da brothaz") lui va très bien aussi, mais c'est sur des pistes plus troubles, typiques de cette période bénie du rap new-yorkais, qu'on tient ses moments les plus gutsiens, et en la matière j'avoue que je bloque toujours sur "Blowin' Up in the World", une des plus belles prods de Buckwild. Il y a une sinistrose qui part pas au lavage là dedans, un écrin de smog pour un flow impossible à dompter... Essai de costume trois-pièces transformé.

Note : 5/6

Page 13/183 Goodie Mob : Soul Food

Chronique réalisée par Raven

Le second manifeste Dirty South dans le sillage - voire l'ombre - du premier , chargé de soul, blindé de flows rivalisant en gravité (dans les trois sens du terme). Sa puissance contenue tient dans l'esprit politique parfois bien aiguisé autant que dans cet egotrippin' chaloupé à quatre flows, et dans les sons de Organized Noise, pas futuristes comme chez Outkast, plus concentrés, dans le boisé et le groove, entre l'ambiance urbaine nocturne et le bon gospel de la campagne. Un hip-hop à la fois sobre et finement ciselé, qui rivalise sans problème avec toute la génération de gros groupes new-yorkais. La profondeur de cet album, rare dans le genre, autorise de nombreuses écoutes au fil des années, pendant lesquelles on a à chaque fois l'impression de le redécouvrir. Soul Food a une âme, une âme qui suinte du style soulful, mais autant des productions, par exemple dans cette instru qui tient sur un sifflement de grillon ("Fighting"). Ambiance champ de coton, la nuit, pendant que les maîtres dorment, complot, évasion... L'ajout de vocalises féminines tout à fait harmonieuses n'empêche pas la noirceur concrète, on est pas dans le r'n'b de chiotte que ceux de ma génération ont subi dans les radios des bus scolaires ou les fast-foods : on est dans la vraie soul, épaisse, religieuse, l'âme des enchaînés émancipés (le logo du groupe). Mais toutes ces considérations, c'est un peu de l'épice pour le néophyte : si Goodie Mob sont si efficaces, c'est d'abord parce que question rap, leur album envoie du flow et du beat de calibre robusto, sans relâche. N'importe quel groupe de rap à l'époque aurait tué pour être capable de claquer un enchaînement comme "Cell Therapy" - "Sesame Street" - "Guess Who". J'ai une nette préférence personnelle, question , pour Outkast, plus flamboyants et expérimentaux - et peut-être aussi plus tape-à-l'oeil - mais en étant parfaitement scientifique (hélas je suis un littéraire), Soul Food peut très bien tenir la dragée haute à n'importe lequel des solos Wu-Tang. Il est unique. "Born into these crooked ways / I never even ask to come so now / I'm living in the days / I struggle and fight to stay alive / Hoping that one day

I'd earn the chance to die".

Note : 5/6

Page 14/183 Vas Deferens Organization : Drug Bubbles

Chronique réalisée par dariev stands

So… Come up to the lab… And see what’s on the slab. Aujourd’hui, le guide Michelin des bouis-bouis psychotropes vous présente un de ses chefs les plus étoilés : Vad Deferens Organization. Des texans qui ont toujours été under the radar hormis une unique sortie sur le culte label Charnel Music (qui oscille entre expé-indus et groupes psyché noise japonais, dont le 1er EP de Melt Banana !). Beaucoup les ont découverts via le blog de l’un des membres, l’illustre Mutant Sounds. D’autres, plus tard, quand Ariel Pink choisit de les placer en intro de son album le plus connu – geste héroïque passé inaperçu dans le brouhaha indie, bien sur hermétique à tout ce qui rime avec expérimental. La sortie la plus aboutie et la plus appréciée des grands toqués VDO – même si à ce niveau d’anonymat, ça ne veut plus dire grand-chose – est donc ce Drug Bubbles, dont le titre ne rend pas vraiment justice à son contenu : l’un des trips les plus carbonisés du bulbe jamais couché sur bande. Si vous êtes arrivées ici par Ariel Pink, préparez vous à passer la porte d’où sort la mamie fluo pour pénétrer dans une arrière-boutique aux gris-gris gigotants et aux murs ruisselant d’une folie liquide et purulente. Précisément. L’idée qui tue, ici, c’est d’avoir groupé ce qui n’est au final qu’une succession de courtes vignettes disparates et totalement en roue libre, en 3 agglomérats de 6 ou 7 pièces, formant ainsi 3 "suites" décrites comme le menu d’un restaurant cajun hanté, tenu par le Baron Samedi en personne. Ces types sont peut-être incapables de créer un développement d’un même tenant sur plus de 2 minutes ; mais en bons crate-diggers obscurivores, ils savent très bien comment agencer leurs délires pour leur donner une forme captivante. Drug Bubbles, derrière son air improvisé – ce qu’il est surement en grande partie, comme toute l’œuvre de VDO – se pose fièrement comme le plus fascinant des disques expérimental, ou mieux encore, comme le plus expérimental des disques fascinants. D’une densité fabuleuse, chaque seconde y participe du kid-napping spatio-temporel orchestré ici par Matt Castille, Eric Lumbleau et leurs potes. Comble de l’ironie, la production et le son sont beaucoup plus clairs et avec relief que chez Ariel Pink ! Les "V.D.O. Studios" (probablement le garage de l’un des zigomars) se contentent de capter sur bande la bargerie cérémonielle qui se trame entre ces non-musiciens, les manipulations électroniques succédant aux transes hypnotiques, toujours nervurées par une basse lancinante. En de nombreux endroits (Rosewater fountains for the seratonin starved, par exemple), celle-ci semble donner la cadence – non pas pour fauter dans les bois dans les prés bande de petits polissons – mais bien pour une procession vaudou entre bric et broc et sommet du bad trip décadent. Avec une approche aussi iconoclaste, pas étonant qu’ils aient collaboré avec l’intrépide Brad Laner, dont les frappadingues Steaming Coils sont l’un des rares points de comparaisons tentables avec Vas Deferens Organization. Pour le commun des mortels, cantonnons nous à avancer que Drug Bubbles est un genre de Saint-Graal fait de détritus – de ceux qu’on a jamais osé chercher, ignorant tout de la possibilité de leur existence. Un Graal, donc, pour ceux qui aiment leur expérimental à l’amerloque : bordélique, anti-sérieux, claudicante et sauvage. Quelque part entre les premiers Beck, Harry Partch et Red Crayola. Avec un son moderne, généreux en basses et aigus ! Halléluïa, ou plutôt Halleluwah, œuf corse.

Note : 5/6

Page 15/183 Shit And Giggles : Trick Or Treat

Chronique réalisée par dariev stands

Caca et rires nerveux. C’est ce que conjugue avec brio ce faux groupe, en réalité émanation putride d’Ariel Pink collaborant avec les mecs de Vas Deferens Organization, accompagnés de deux membres du groupe de grind/thrash expé Akkolyte. Comme la plupart des de ces fracassés du bulbe de V.D.O., le son est plutôt bon, loin du lo-fi trop souvent synonyme d’expérimentations hasardeuses. Non, ici, on a droit à des expérimentations hasardeuses, totalement fumeuses même, mais avec un super son. Un peu ce qu’auraient fait les Butthole Surfers avec les moyens d’aujourd’hui, et donc sans l’influence de la scène hardcore. Puisqu’on parle de son, un sommet a été atteint avec Eye Peels & Brain Picks, album de 2011 de V.D.O., bien plus abouti et arraché que ce EP pour le moins désinvolte. Pas la peine de le nier : c’est un one-shot, les mecs s’amusent, prennent des drogues, jouent avec les boutons, et ça s’entend. La patte d’Ariel Pink s’entend au détour de quelques plans trempés de reverb, mais à vrai dire le gros de l’EP consiste en une joute de cuivres égarés sur lit de rafistolage miteux, avec quelques incursions tantot vers un Dub hébété (Corduroy Kiss), tantot vers un instantané de sons de jouets et de soubresauts minimal-wave à la Residents (Spellcaster, parfait), et pour finir une jam maladive, tordue au dernier degré (Junkanooga Booga, produits de cerveaux malades et esseulés). Inexplicablement, le tout s’écoute avec grand plaisir. Très explicablement, on n’en retiendra pas grand-chose, si ce n’est l’impression de liberté (trop ?) dégagée.

Note : 3/6

Page 16/183 Ariel Pink's Haunted Graffiti : Before Today

Chronique réalisée par dariev stands

Le dénommé Ariel Rose183erg, chantre d’une affreuse « pop » défigurée et lo-fi insortable sauf à Halloween, a passé une bonne partie des années 2000 à tourner dans le monde entier sur la foi de ses disques invraisemblables, sortis sous le nom de Ariel Pink’s Haunted Graffiti, au succès comment dire… surprenant. Le nom de Haunted Graffiti sonnait comme si ce grand sociopathe avait fantasmé un groupe imaginaire, idée aux antipodes de sa démarche réèlle, qui était de produire une musique autiste et grinçante dans sa chambre. Et pourtant, un beau jour, le groupe de ses rêves advint, et alors qu’une nouvelle décennie commençait, déboulait ce disque. Et derrière une énième hype, la voix de ce type, qui avait enfin décidé de chanter et de céder à ses ambitions pop, apparaissait comme un improbable oasis de sincérité. Ariel Pink est certes un gros malin doublé d’un mélodiste pop bien rodé, il est surtout... touchant. Entre machisme disco-fm de pacotille typiquement L.A. et poses de slacker-travelo – un genre de mutant en soi – Pink fait dans le charisme subtil, mais avec des ingrédients grossiers. Même sur les titres les plus disco, voire FM californiens, (Fright Night, Can’t Hear My Eyes) ses mélodies un peu sottes ne s’aperçoivent qu’à travers un filtre hantologique… Oui, « Hauntology », ce terme emprunté à Jacques Derrida, et lançé par la presse intello anglaise dans le domaine musical. L’art d’évoquer le passé sous sa forme distordue, fantomatique, comme à travers les distorsions d’une vieille bande magnétique usée. Cela n’a rien d’une connerie de critique d’art, puisque dans ce bien nommé Before Today, tout semble surgir d’un maëlstrom nostalgique et inquiétant. De la pochette au grain si délavé et imprécis (mi-cheap, mi-envoûtante) jusqu’à ces nombreuses et soudaines incursions dans des sons non-identifiés, en particulier au début et à la fin du disque. Et puis, bien sûr, il y a ces 3 « reprises », qui explorent chacune un degré différent du recyclage musical, toutes à partir d’une source glorieusement obscure. D’emblée, il y a ce Hot Body Rub, intro fumeuse tout simplement issue d’un disque sorti en même temps, le EP « Ariel Pink & Added Pizzazzz », collaboration expé avec Vas Deferens Organization, à des années-lumières de la jolie notoriété indie de Pink ! Puis débarque en trombe un Bright Lit Blue Skies, reprise fidèle mais génialement boostée des Rockin’ Ramrods, dont l’original est impardonnablement absent du coffret Nuggets… Plus subtil, Beverly Kills n’est pas une reprise mais est entièrement basée sur la rythmique de For You, de Ago, un single d’Italo-disco parfaitement oublié. Et il y a ce Reminiscences, reprise étonamment reconnaissable et über-estivale (sur un album qui EST l’été) d’une pop song éthiopienne… Sans parler des multiples emprunts, motifs de basse ou de synthés repiqués aux années 70/80, déjà évoqués dans la chro de l’énormissime Round and Round. Dans ce grand cimetière des éléphants roses en plastique, les références à l’inconscient collectif de la culture pop se ramassent au tractopel... Et visiblement, les déchets les moins biodégradables après 20, 30 ans, se révèlent être les lignes de basses et les rythmiques… Tant d’emprunts pourraient friser l’indécence, s’ils n’étaient pas envoyés comme une bonne blague bien potache adressée en clin d’œil par ce Freak Next Door qu’est Ariel Pink. En fait, Before Today fait aussi bien du neuf avec du vieux que pouvaient le faire des albums de rap comme Paul’s Boutique ou 3 Feet High en 89. Bien sûr, au risque de se la jouer vieux con (on a forcément un côté vieux con si on aime Ariel Pink), il faut avoir le recul nécessaire pour comprendre la jouissance que peut représenter le fait d’annoner tel un zombie « rape me, caaaaaastrate me, make me gayyyyy » sur une section rythmique 50% Billie Jean et 50% And the cradle will rock de Van Halen ! Comme disait T.S. Eliot : « Le talentueux emprunte, mais le génie vole ». (et non pas sample, triste sire

Page 17/183 Gonjasufi). Tout ceci ne vaut que par l’évidence dégagée par la pop du groupe, ces mélodies et rythmiques qui restent en tête comme le meilleur des Blondie ou des Cars. Hors champ, on trouve l’étrange "L’Estat", morceau le moins évident placé ici en 3ème, qui semble peindre le destin de la vieille dame fluorescente de la pochette, retranchée dans sa villa défraîchie, et exsudant tout le baroque d’une époque passée dans sa démarche et ses atours… Ce qui se trame dans cette chanson accidentée est tellement moins évident et tellement plus mystérieux que le reste de l’album, déjà succulent... Que cela ne peut que laisser rêveur quant au potentiel de l’animal. Ariel le laisse échapper à la fin du lo-filisé Little Wig, bien que son groupe soit un des meilleurs actuels, il n’est pas fait pour rentrer dans le rang de la hype ou devenir une « valeur sûre indé » : « I have opportunities, I’ll miss them all / The road to glory is just down the hall ». Il y a trop de rafistolage en plastique dans ce Frankenstein des années 70/80 pour espérer avoir le label Bio, et bon dieu, ça fait du bien.

Note : 5/6

Page 18/183 Stolearm : Glasslight Schwarzfaçade

Chronique réalisée par dariev stands

Il faut avoir la foi, quelque part, pour encore écouter de la musique inspirée par les années 80 en 2015 (ou en 2013, donc, puisque c’est là que je découvrai Stolearm). Avoir vu Stolearm sur scène peut aider un peu, aussi. Le gars Lühje Dell Eglio annonce direct Yello et Young Gods en influences, ce qui montre qu’en restant dans le fromage suisse on peut déjà la jouer double tranchant, cumuler agressivité et ivresse des synthés qui débloquent. Malin, il rajoute même "fœtal pop" dans sa description, ce qui en plus de décrire la prod (mastoc, multiple... et maternelle) renvoie à Fœtus, référence ô combien dangereuse mais dont il se montre digne, et c’est bien là tout le sel de Stolearm : le chant a une personnalité, une vraie, et dieu que ça change tout ! La chose est en voie de disparition, apparemment à Montpellier il y en a qui tiennent le coup sous stéroïdes, entre futurepop et EBM, avec quelques effluves dark-wave. D’entrée, Glasslight Schwarzfaçade impose le respect : Depuis quand au juste un début d’album n’avait pas chopé aux reins avec autant de classe ? L’intro "Le Immeuble" qui ferait presque bailler, l’air de jouer les pompeux goth-wave insipides trop surs de leurs effets, c’est en fait une montée absolument imparable vers le monstrueux tube qu’est "Tronade Wave", ebm mélodieux et sévèrement classe figé dans un mille-couches verglacé, balayé et érodé par un blizzard mentholé de tous les diables… Depeche Mode buteraient leur mère pour pondre un machin pareil aujourd’hui, quant à Trenty Reznor, c’est pire : il en vendrait sa collec de Jim Thirwell… Tout y est : binaire pressé, basse saccadée, manque, sueurs froides, adrénaline rock qui coule dans les veines cold wave, si bleues et si saillantes. J’ai l’air d’en faire trop, en fait non, ce truc met au sol, souffle court, et va vous faire découvrir fissa que même le monde bisounours de bandcamp vous réclame de la thune si vous appuyez trop sur la fonction repeat. Stolearm vous initie aux nouvelles fonctionnalités du ouaibe, c’est pas beau ça ? En plus ce coup-ci les capitalistes ont raison, faut descendre de sa planche de surf et choper tout l’album, parce que juste après, sans transition, que voit-on pas arriver en plage 3 ? "Jimpse". Et là, le constat s’impose : y’a combien de chansons de new wave sur la planète qui sont plus puissantes que ça ? Pas beaucoup. Oui, c’est vertigineux, et pourtant, pourtant, voilà le travelling ; réveil en retard, anxiété, café clope, métro, bruit de freins, yeux révulsés, suées encore, anxiété, grincement des dents en silence, mp3 trop fort, boulot, journée qui passe en un éclair, micro-ondes, anxiété, heure de pointe, retour, lexo, frigo, dodo, insomnie, réveil, mâchoire toujours serrée, tête contre la machine à laver, plaisir du cerveau qui se reformate au rythme du tambour plein de mousse… Non, toujours pas ? Bon, je vais pas y aller par quatre chemins : Stolearm ont le truc. Les autres cherchent. Bien qu’ultra consistant et toujours impressionnant, le reste du disque n’atteint pas le niveau de ces fulgurances (évidemment j’ai envie de dire, ces deux tubes sont des flashes comme balancés au réveil, les neurones éteints mais le rêve encore frais). Volontiers étrange et coupé du monde réèl, Stolearm enchaîne les titres assez variés, truffés de clin d’œil épars et géniaux : "1000 Knives" de YMO, la b.o. de Donkey Kong Country I, parmi ceux que j’ai pu capter, le tout envoyé – sans les mettre à l’amende cette fois - avec la débauche de new wave dark de Depeche Mode période "Everything Counts" et la classe vocale de Nine Inch Nails dans ses meilleurs jours. Et encore, en plus viril et moins énervant que trentoune. A vrai dire s’il y a un vocaliste auquel Lucien Dall’Aglio (c’est même pas un pseudo) fait penser, c’est plutôt… Dick Witts, de The Passage ! Un type maniéré typique du nord de l’Angleterre, à l’éloquence littéraire et aux textes vitriolés. Donc pas d’accent français approximatif ici : Stolearm c’est du rôdé, ça pourrait chanter n’importe quoi que ça passerait, avec une diction et prosodie aussi

Page 19/183 classe… (écoutez moi ce "Factice", c’est du Mark Hollis qui aurait bouffé du Mark Lanegan, le tout sur une vigoureuse raclée Trevor Hornienne, mécanique et urbaine). Et en prime il y a le petit côté fougueux-méditerranéen-échevelé, le bonus EBM qui vient transcender les références pointues comme une arrête d’immeuble. Cherchez pas un truc de machin-wave plus classe ces dernières années, à part The Knife, y’a pas. Malgré tout, un certain creux subsiste après les deux tubes du début, du moins jusqu’au défoncé et maniaque "Deterre Unwomb" et surtout "Heat in the Basement", bombe europop entre Tubeway Army et Dave Gahan… On restera donc sur un gros 5 aussi mastoc que cet immeuble, illustration parfaite pour ce disque, d’ailleurs. Pour la prochaine fois, espérons un chant plus en avant, et que Stolearm hésite pas à à lâcher les chiens de traîneau sur le côté dreampop discordant.

Note : 5/6

Page 20/183 OutKast : Southernplayalisticadillacmuzik

Chronique réalisée par Raven

Le hip-hop du Sud, en cadillac eldorado, dans la ville du plus grand aquarium du monde. Albedo encore faible, bédo déjà fort... Ce hip-hop bitumeux et juteux, envoûtant... OutKast ! Dans leur fraîche majorité ils exultaient d'un groove déjà unique. Et le son Organized Noise avec les arragements fignolés à mort faisait toute la différence. Le flow du plus habile des deux MC's est déjà cette contorsion stressée. Les deux émanations lyricales André Benjamin et Patton, le mÂlpha et l'Omega-speedmaster, le fluide et la masse, s'entre-lovent comme deux najas libres de toute entrave. Les instrus, une perfection en 1994, sont déjà bigarré par le funk et la soul. Et puis, y a comme qui dirait du Miami à Atlanta, quand les pimps se détendent. Les pistes les plus ensoleillées tempèrent un excès d'enthousiasme qui serait gutsiennement mensonge : que ce soit le titre éponyme, parfait pour la plage, mais aussi ces sex slows bien monoï comme "Funky Ride" (jusqu'à ce solo de guitare dégorgé à la façon d'un Eddie Van Halen qui se ferait faire une turlute sous opiacés - George Clinton est pas loin) ou encore tubes pas du tout gutsiens mais imparables, qui annoncent leurs futures sauteries pop ("Player's Ball"). La partie street m'inspire des métaphores majestueuses, dès le doublé fatal "Myintrotoletuknow" / "Ain't No Thang", jusqu'aux petits détails des beats qui font la différence (par exemple l'apparition géniale du beat-batterie Black Sabbath au milieu de "Hootie Hoo") comment oser nier que ce groupe ne puisse pas avoir sa place dans nos pages mes chérubins ? Soyons sérieux. Pareil pour ceux qui y verraient un brouillon où je sais pas quoi ; Southernplayalisticadillacmusik n'est pas Outkast dans sa forme rudimentaire : il est OutKast dans sa forme hip-hop. Il est OutKast qui met la branlée à New York. Ce skeud c'est un peu comme quand Pete Rock & CL Smooth sont arrivés avec Mecca. En mieux. Les new-yorkais ont bien sûr leur part d'influence ("Hootie Hoo"), tout autant que le style funk de Los Angeles j'imagine. Mais il y a transcendance des deux secteurs. Pas de trucs de jazzeux ici : Organized Noise sont le laboratoire funky-soul armé de synthétiseurs et de toutes sortes de samples organico-organoleptiques. Ici on parle séduction, magnétisme de félin, mufle humide de MC, reflet de Lune dans baffles laquées. Hip-hop marginal. "You wanna go deep ? I take you deep". Je subodore déjà ATLanta la belle, les nuits de moelleux, je m'avachis dans un hip-hop où le béton se fond en liqueur, porté par le méta-egotrip à supra-punchlines. Rien de très gutsien dans la partie diurne de l'album, la guimauve comme je le disais est inévitable, mais avec Outkast c'est jamais de la guimauve de forain, on est sur de la supra-qualité. Cette sensibilité mélodique qui a fait qu'on a un peu vite étiquetté Outkast "hip-hop de gonzesse" est à double tranchant, finalement, n'est pas grand chose à côté du featuring avec Goodie Mob, "Git Up, Git Out", sept minutes de pur jus de Lune urbain. Les deux albums suivants, moins hip-hop mais plus envoûtants, vont porter cette dope nouvelle à un niveau de qualité heise183ergien. Sur Southernplayalisticadillacmuzik, OutKast sont afro-terriens, ils n'ont pas encore appareillé pour le monde afro-futuriste... Ceux qui préfèrent le métissage érotico-mystico-cosmique du dyptique ATLiens-, ou l'explosion pop mégalomane de et The Love Below, trouveront donc cet album un peu basique. Les puristes hip-hop y reviendront systématiquement. Entre les deux il y a des gens très bien aussi.

Note : 5/6

Page 21/183 OutKast : ATLiens

Chronique réalisée par Raven

Les verres de mes lunettes sont en ouraline. Dans cette fluorescente perspective, je vois Outkast, et je contemple ATLiens, leur album raëlien, l'album de rap à mystique et galactique par excellence. C'est p't'être mon côté nostalgique-mélancolique qui s'exprime, aussi, quand il s'agit de cet album, mais j'adore ce son, ce parfum de soul-rap funky du "futur", qui me rend un peu tout drôle, à chaque fois, quand j'ai cette "odeur" chimique-mentholée des années 90 qui me remonte aux neurones. L'afro-futur ? Quand nous serons tous désintégrés depuis des siècles, et que le peu d'humanité éventuellement concernée par les musiques sombrexes lira Guts Of Darkness depuis une base extraterrestre regroupant les archives internet ayant survécu, pourquoi pas martienne, quand l'épave d'Opportunity sera perçue comme la statue antique construite en des temps obscurs par une civilisation mystérieuse... quand il ne restera de notre mélomanie que quelques amas de pixels perdus sur leurs écrans géants... les derniers humains sensibles, quand ils se prendront trop le cosmo-chou à propos de cette atmosphère irrespirable obligeant le port de combinaisons semblables à de gros harnois en polymères lourds qui entravent leurs sens, penseront à se faire plaisir de temps à autre avec du rap de nébuleuse pour se changer les idées. ATLiens arrivera à point nommé. Les beats sont plus légers, plus pop et féminins, que sur Southernplayalisticadillacmuzik, mais les instru-mentaux ont évolué vers le raffinement cosmique, un truc de végétarien illuminé qui traîne dans son sillage son sidekick gangster... Sens-tu ces vibrations positives, cette mélancolie afro-descandante, transcendant sa négritude pour lécher les étoiles ? Phase 1 : spleen et envol onirique, intro soul avec un sens mélodique digne de Neil Young + "Two Dope Boys" et ses petits aliens à l'hélium qui font nah nah dans la stéréo. Organized Noise a fourni le convecteur temporel et la propulsion chimique, la cadillac décolle... C'est bon, ta ceinture est attachée... Phase 2 : "ATLiens" / "Wheelz Of Steel". High kick mental, hip-hop onirique et fruité. Là on touche esthétiquement à la silhouette de Pam Grier, visage inclus ; l'envie d'en bouffer, le fluide chocol'A.T., s'insinuent en toi jusqu'à saturer tes corps caverneux. Phase 3 : tout va devenir plus vaporeux, façon bunga bunga en apesanteur... laisse-toi aller... je ne vais pas te raconter le scénar en entier mais c'est beau. Bien sûr tu me diras qu'il y a de la grosse baisse de régime, et tu me demanderas pourquoi je lui mets une boule de moins qu'à Aquemini... donc il faut que je te parle du coeur-léthargique de ATLiens, de son ventre mou tout doux ? Sa plénitude vegan me ravit, mais il manque peut-être que le soupçon de menace urbaine : le suivant comblera. On causera plutôt de "Jazzy Belle", la belle pas vraiment jazzy mais joliment jaretellée par ce beat et ses soupirs qui feraient aimer le r'n'b à un death-métalleux intégriste (alors que le gospelien "Babylon" devrait plutôt le convaincre de continuer dans la voix de la haiiiiine)... Ouais... si les anneaux de Saturne circulent pas un peu dans ces multiples styles outkastiens qui sondent le groove, j'veux bien sucer Alf... Et qu'on me crucifie à Foxy Brown en 69 si je dis vrai.

Out of this wooooorld - Are you alieeeeen ???

Note : 5/6

Page 22/183 Besieged : Victims Beyond All Help

Chronique réalisée par saïmone

Je remarque que tu n'as rien dis ? Qu'y aurait-il à dire, de plus ? Un lâche au vocabulaire si fourni s'est certainement retrouvé tout nu face à cet album de Besieged, je me trompe ? Pas de place pour les gnagna ici, c'est les phalanges en travers du visage, cash. Le meilleur album de thrash de ces cinq ou dix dernières années ; ce thrash du début des années 90, hyper brutal et incarné, déjà éloigné de celui des prolos du milieu des années 80, celui qui a copulé sans vergogne avec le death metal alors florissant. Besieged, comme tu l'as vite compris avec sa pochette de Repka, joue dans une cour que la mort de a déserté, prenant cette place laissé vacante à jamais : celle des riffs qui ressemblent à du hardcore joué beaucoup trop vite, du chant de camionneur polonais en fin de bagarre, d'une batterie en miette, celle d'une bande-son virile du remake de mad max, cartouchière compris. La recommandation Beneath the remains n'est pas volée, on parle même d'usurpation à ce niveau là. Mais la grande force de Besieged, c'est d'avoir réussi à tuer le père, avec cette tuerie presque parfaite (ce qui n'était pas le cas du Sepultura, n'en déplaise à notre chroniqueur), sans temps mort, sans mauvais morceaux, qui tourne en boucle sans jamais lasser, grâce sans doute à cette furie héritée de l'unique album intéressant (mais quel album !) de Morbid Saint – ça vous situe le niveau. J'aurais pu laisser mon précédent coup de gueule tel quel, tellement ça se passe de commentaire, ce genre de boucherie. Faut croire que j'avais mauvaise conscience de ne pas lui avoir donné ses six boules. Problem solved.

Note : 6/6

Page 23/183 Batterie:Acid : Complete Works 1993-1996

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Il y a encore des surprises dans la vie pour nous rappeler que l'époque bénie des joies non feintes ne se noie pas toujours dans les flots du quotidien. Alors que Batterie:Acid – le seul groupe pouvant rivaliser avec Crash Worship sur le terrain du pilonnage percussif massif – semblait être lui aussi enseveli dans l'immense majorité des groupes oubliés pour de bon, le voilà ressuscité dans une complète qui nous tombe dessus l'air de rien comme si une de ces machines attrape-couillons de fête foraine non seulement fonctionnait, mais attraperait de surcroît juste la peluche que vous lorgniez. Alors ces types, dans le son comme dans l'attitude, sonnent tellement hors du temps qu'ils pourraient avoir été enregistrés l'an passé, en 1980 ou dans une cave du Paléolithique que ca n'y changerait pas grand chose. Il s'avère qu'ils viennent du Detroit des années 90, bien différent d'aujourd'hui. Cinq percussionistes (!) ou bien quatre lorsque Pardike s'empare de la basse (exploitée facon post-punk, aussi hargneusement que vous pouvez l'imaginer) enveloppent le seul Scott Weldon chargé des beuglements de chef de guerre et des samples, souvent utilisés avec parcimonie et à très bon escient (le gusse a tout de même enregistré pour Today Is The Day, à la même époque) et nous emmênent cavaler à travers une première partie plus ””musicale””, dans le sens où les compositions sont orientées et souvent accompagnés de stances intelligibles. À la mi-chemin, un primitivisme des plus vivifiants prend les rennes de la musique qui ne survit au chaos que par une technique de jeu remarquable (un détail qui les éloignent de Test Dept), le long de cette basse s'obstinant sur quelques notes, feignant de ne pas entendre les appels à la guerre du reste des instruments (l'espèce de cor de chasse sur 'Novelty/Entropy' en dit long). Les titres s'enchaînent sans s'excuser, envoient souvent toute la sauce de la première à la dernière seconde ('Five'!, 'Now-Here'!!), assument les fractures rythmique les plus osées le long de trames métalliques s'invectivant sur les toms dont les peaux torturées n'en finissent plus de secouer la salle. Bien vite les souvenirs des premiers titres plus structurés s'effacent sous des nuées de grognements – humains ou autre ; les pièces de métal volent et cognent sans retenue mais paradoxalement toujours en orbite autour de ces trames percussives dont la répétition forcée pousse parfois à l'anéantissement ('Transcend'). On retrouve même le petit 7” que j'avais chroniqué tantôt, dans toute sa gloire et tension intrinsèque. Votre cédéthèque sotériologique passe donc à deux avec cette compile ; quant à l'autre vous l'avez déjà ; sinon, voir ci-dessous.

Note : 6/6

Page 24/183 Otzir Godot : In-

Chronique réalisée par Wotzenknecht

Dans les percussions comme ailleurs, il y a toujours des petits miracles. Le finnois Otzir Godot au pseudonyme évocateur ne rentre dans aucune case en particulier lorsqu'il s'agit de définir son approche stylistique : il se déclare simplement poète. Spécialisé dans l'improvisation, il m'avait fait grand effet lors de sa performance avec le chamane-violoniste Tuomas Rounakari (l'article est sur ce site même), manifestement apte à s'adapter à toutes les situations. D'autres performances m'ont permis de saisir l'étendue de son vocabulaire musical, capable des mouvement les plus lestes à des accélérations frénétiques en un clin d'oeil sans perdre une once de souplesse et de musicalité. Il se livre ici à l'entreprise difficile du disque solo, monté en une seule pièce de quarante-quatre minutes. D'emblée cela parait fastidieux mais les mouvements sont séparés en douze plages ; l'autre qualité étant qu'Otzir, plutôt versé dans les musiques orientales, sait très bien manier le silence pour laisser chaque instrument s'exprimer librement. Et ceux-ci sont légion : toms, cymbales, marimbas, clochettes et jouets divers ainsi qu'un étonnant gong résonant qui sera la voix principale du martelant septième titre où il est mis à rude épreuve dans un combat de toms sorti tout droit de chez Crash Worship. Ces mêmes toms ouvrent ce In-, percant le silence fermement mais avec bienveillance. Nous passons tour à tour près des cloches de vache voire dans des nuées aériennes ; parfois à l'écoute du microcosme et ailleurs serrant les dents sur un grincement métallique déchirant les espaces silencieux. Le très impressionnant dernier titre a des airs de Halo Manash (groupe qu'il avouait ignorer mais dont l'écoute l'a, sans surprise, immédiatement enchanté) avec qui il partage le sens de l'équilibre son/silence et l'attention portée aux textures des instruments convoqués. On peut échapper à l'esbrouffe technique en apprivoisant sa créativité et en l'invitant à l'écoute intérieure, profonde, du corps et de l'esprit ; ce disque en est un parfait exemple.

Note : 5/6

Page 25/183 Ars Nova : Biogenesis Project

Chronique réalisée par (N°6)

À un moment donné dans sa vie il faut choisir. Soit on écoute du prog symphonique japonais et on prend un abonnement à NoLife, soit on écoute du funk et on baise. D'accord, ok, intro pas cool. En plus il paraît que Milka Manson était une geekette. Bon, ça commence portnawak cette chro. Non mais cette pochette aussi, elles cherchent la verge pour se faire battre quand même. Enfin, comme promis et puisque vous avez été bien gentils, voici la suite des aventures de Keiko Kumagai, seule nana au monde capable de porter un pull-over Tarkus tant en jouant les parties de clavier de Keith Emerson sans se casser un ongle. Bon je vous passe "le concept", ça fera baisser les chances d'AVC. On glose avec force ironie sur la puérilité des histoires des "concept albums" progueux, mais bon zut quoi. Et en plus y a des paroles. C'est un vrai problème. D'autant qu'il y a un rital qui se prend pour une castra quand il monte dans les aigus, c'est gênant. Pas aussi dégueulasse que la dénommée Mika quand elle essaye de chanter en anglais, mais gênant tout de même. Concept embarrassant, chanteurs merdiques, paroles neuneus, du coup faut se rabattre sur la musique. Et y a de quoi faire vu la pléthore d'invités qui se bousculent derrière la claviériste nippone, et avec des signatures s'il vous plait. Bon, des gars de la scène prog sympho japonaise forcément, dont le très bon, pour autant que je puisse en juger ici, Masuhiro Goto de Gerard (la simple idée qu'un groupe de prog symphonique japonais s'appelant Gerard existe me réjouit au plus au point). Mais surtout Claudio Simonetti (Goblin) et Gianni Leone (Il Balletto di Bronzo), invités strictement pour jouer des *soli*. Ouais, faut savoir ce qu'on veut dans la vie, et Keiko elle veut que deux de ses idoles lui jouent des soli de synthés. Et puis un membre de PFM et son violon les doigts dans la prise, le zigoto d'Ayreon pour les gros riffs métal emphatiques. Lachées un peu les ambiances de giallo sado-maso, ici ça envoi plus clairement du bois, le côté orgie prog avec chaque protagoniste qui vient (littéralement) lâcher son gros son sur fond de roulement de tonnerre fait son petit effet dès l'intro. Mis à part les problèmes de chanteurs qui foutent la honte, la sauce prend d'ailleurs assez bien tellement Keiko et son supergroupe balancent du space-opéra horrrrrrrifique (ben ouais quand même, on ne se refait pas, la montée hystérique de Gianni di Bronzo vient évacuer cette joliesse cosplay un peu moche qui émerge parfois), avec juste ce qu'il faut de touche sympho craignos relevée à la sauce synthés-tunés qui passent plus le contrôle technique. On notera une petite appropriation classique avec effet de flottaison cosmique sur "Humanoid's Breakfast", c'est du super connu (pour la référence vous vous démerderez, y a pas marqué Sheer-Khan). Y a même un soupçon d'humour là dedans, quand le morceau part en vrille dans une adorable débilité perchée que ne renierait pas des gens bien de chez nous comme, au hasard, Pryapisme. Mais c'est avant tout quand dégorge des gerbes de claviers que ça fait la culbute, d'autant que les renforts en section rythmique pallient largement ce qui faisait la faiblesse du groupe jusque là. Cette Keiko est quand même une guerrière du tripotage de synthé, avec ce que ça comporte de branlage et de kitsch inévitable, mais quand elle décide de rentrer dans le tas, sur l'impeccable "Metamorphosis" par exemple, tu comprends ta douleur, toi et ta Méthode Bleue. Une odyssée spatiale qui prend quelques détours inattendus, la ligne de basse-synthé de "Against the Meteors" qui évoque aux bonnes âmes le Planet Claire des B52's, une étrange rythmique qui d'un coup sonne comme une sorte de zouk martien avant que n'enchaine un piano très caliente latino (si, ça se tente) sur l'exponentiel "Trust to the Future", sorte de pochette surprise prog-merdier dont il faut ignorer les premières minutes gâchées par quelques séquences horribles avant de faire office de bouquet

Page 26/183 final d'éjac de soli protéiformes. En bref, y a à boire et à manger (voire même à vomir), mais en poussant le bouchon trop loin (merde, concept album de sci-fi horrrrrifique avec assemblage de mercenaires historiques du prog italien + prog japonais qui s'appelle Gerard + métal sympho hollandais, tu la sens bien l'internationale du bon goût ?), Keiko a finalement pondu une sorte d'alien progressif dans tout ce que ça peut constituer de repoussant mais aussi d'irrésistiblement fun. Oui, je dis fun, parce que malgré la pochette, y a quand même rien de moins sexuel. Un pur attrape-couillon pour geeks morts de faim cette pochette. Du coup, en attendant de vous parler du meilleur album d'Ars Nova l'année prochaine, où la preuve sera faite que même dans le prog sympho à claviers, rien ne vaut un truc bien cadré, je vais me réécouter un peu Kelis et Betty Davis (oui ben je tiens à ma vie sexuelle moi).

Note : 4/6

Page 27/183 Benümb : Withering Strands of Hope

Chronique réalisée par Rastignac

Voici un album colérique, et, pour ma pomme, le plus efficace de la courte discographie de Benümb. Comme un faux jumeau de mais plus porté sur la violence sociale que celle du psychopathe qui découpe des petites filles, Benümb est un groupe issu plutôt de la scène hardcore, mais qui au gré des personnels saura ultra-métalliser son son (ducanon), pour fournir un paquet de splits comme il est d'usage dans cette scène, et trois albums "longue durée" avec peu de minutes mais beaucoup de pistes dedans, remplis jusqu'à la gueule de frustration et de haine. Surtout celui-là, le premier étant un peu moins punchy, et le troisième révélant un autre aspect de la voix de Pete Benümb un peu plus, euh... goret, et faut savoir se l'enquiller. Voilà, stylistiquement, j'espère que vous voyez le topo, grind powerviolenté avec des riffs de death metal ou de hardcore, avec morceaux entre quelques secondes et quelques petites minutes, et c'est fou, chaotique, mais ça passe, et ça te donne juste envie d'en prendre un pour cogner sur l'autre, foutremerde ! Au niveau des lyriczzzzz, comme on dit en américain, ben regardez la pochette, lisez deux trois titres... voilà... y a pas les paroles dans le livret, désolé, faut faire travailler son esprit de déduction (ou essayer de comprendre ce que hurle le Pete, alors, hein, bonjour). Si vous voulez un équivalent filmique, regardez The Wire (bon, c'est moins grind, mais le message me semble pas très éloigné)... en tout cas, le propos est résumé sur une page du inlaey (comme diraient les irlandais) : "Combien d'amis, et de membres de nos familles nous avons perdus à cause de l'addiction ?". Comme un boy-scout braillard au milieu du donjon de la désolation, témoin du fracas du néant entre deux supermarchés bio, Benümb vous veut donc du bien, même s'il ne donne pas cher de votre peau quand même. "Aaaaarrgggh... monde de merde !" comme dirait l'autre, en somme...

Note : 5/6

Page 28/183 France Sauvage : Couper Les Tchou Tchou

Chronique réalisée par Dioneo

Cette fois-ci c’est le Baroque qui fera gris élimé, indéfini ; bruit parasite, fantôme statique, craquement faible. Et les frottements de choses – l’aiguille qui dérape – et les chocs d’objets, les résonances de bouts de métaux tordus, qui feront matière épaisse, grain, leur présence plaisir qui plonge et qui érupte, excitation de neurone et chair qui fouille. Les voix triviales, aussi, qui feront rire et se demander, qui viendront colorer les bégaiements de lamelles et roulements d’on ne sait quel bassine ou coque. France Sauvage, sur ce premier disque, est déjà une machine formidable ; à convoler et faire des émulsions – car tout ne peut se fondre, se combiner, et l’allergie mutuelle des fluides et poudres et blocs de solides est parfois un jouissant spectacle – avec les morceaux de cent réalités découpées, soudée, trafiquées, changées de plans ; à tordre les perspectives ; à courber les carrures et anguler les perspectives. Ils sont là encore quatre – Simon Poligne n’en sera bientôt plus. Et la méthode, il me semble, doit différer un peu. Je crois – question de définition du son, de morphologie visible de la mécanique. On a l’impression, ici, que des matériaux ont été collectés plus soigneusement qu’ailleurs ; que jetés crus dans le processus, ils ne sont pas pris seulement, toutefois – comme donnent à croire d’autres sorties, ensuite, d’autres objets étranges rendus après publiques – à l’atmosphère des lieux où ils sonnent, jouant avec leur acoustique, leur peuplement. Tout simplement, il appert que Couper Les Tchou Tchou est un travail de studio, là où nombre ceux d’après – si ce n'est tous à ce jour ? – seront des enregistrements de concerts. Cela n’exclue, n’entame nullement la spontanéité, la liberté totale et réjouissante du jeu ; peut-être la question de "l’improvisation ou non" est-elle même, pour cette fois, presque secondaire ; il y a là aussi celle de la… Préparation. À vrai dire c’est l’impression que me fait cette musique, assez exactement : celle d’entendre une pièce "préparée". Au sens le plus ouvert du terme ; c’est à dire : comme on parle, ailleurs, d’instruments préparés, leur lutherie modifiée, des tenseurs, des résonateurs, des ponts fixés, glissés entre des surfaces vibrantes ainsi mises en sympathie quand leur fabrication première les destinait à l’isolement, à l’isolation ; mais aussi : une reconnaissance, un inventaire des outils ayant déblayé pour l’œil et pour les gestes les points d’assaut possible, les ruptures jouables et saillances où accrocher. Rien d’incompatible avec le goût de l’accident, à vrai dire, de sa répétition, l’attention l’ayant saisi, pour en faire une forme fugitive, une forme à poursuivre un instant, quelques mesures – non écrites, non congrues, quelques battements ou le temps d’une plus obsessive mise en boucle – à dissoudre, à renverser, pulvériser. Ça ne fige rien, j’insiste. Les titres des pistes sonnent déjà comme des programmes instables – processus et inventaires où l’on n’est pas certain de trouver le lien à mesure qu’on aligne, qu’on dispose ; la Piste Douze est en sixième index. Mais "c’est autre chose" ; une autre course, une autre partie, que ce qu’ils feront bientôt : arriver quelque part sans avoir rien prévu, à peine plus au fait que le chaland, que le public, de ce qui va survenir ; un peu tout de même : parce que malgré tout, les mécaniques à bruits sont des corps familiers aux leurs, à leurs sens, à leurs allures, à ceux qui s’en font membres – il est bien possible, on aime à penser, que "l’avantage" soit si maigre, déterminant seulement comme ça. Toujours est-il, trêve de théories et de supputations… Que cet album à nul autre – des leurs, aussi, avant tout – pareil me fait l’effet d’un formidable assemblage. Fou, imprévisible, franc-tireur. Qui porte des voix, s’amuse avec leur statut, se moque de leur autorité ; mais n’est pas du mot d'ordre, ne milite pas ; qui les articule autrement mais ne les manipule pas pour leur "faire dire" : les rabrouements d’un quelconque pion d’internat, les commentaires avinés ou beaufs ou juvéniles-viriles mais

Page 29/183 pas foncièrement antipathiques en tout cas après le chant collégial pas fin… Rien n’est tourné – serait-ce par mise en inverse – en idéologie. Si politique il y a – si tout l’est en quelque manière – c’est en "faisant", pas en dictant, pas en brodant du discours. Rien n’est neutre mais rien n’est dicté. On ne vous expliquera pas ce qui n’est pas pareil… Pas plus pourquoi il y trouve si bien son rythme, ce clavecin poussiéreux en bribes – disque baroque disais-je, qui craque, le spectre nasillard, étroit – qui ouvre en premier le sillon et ressurgi ça et là ; avant que la guitare cisaille et broie ; avant que l’orgue déborde et gronde-effervescence dans les ornières que la batterie taille ; qui ne fait pas collage plus que le reste, puisque ça fait chimie, substances, mutées mais entières. Ce n’est pas nulle part mais ni eux ni moi ne sommes là pour vous le situer au cadastre. C’est broussailleux et plein d’indices et bruissements, exclamations d’animaux, on croirait parfois, comme laisserait entendre le nom du groupe – pris si je ne me trompe à une série de documentaire faune-et flore, justement. Autant le tourner autrement qu’en lénifiante culture. Autant s’attarder et revenir, souvent, sur ce territoire là ; qui n’est aucun des autres, une dernière fois, où ceux-là fricheront et défricheront plus tard ; ce qui n’est pas une raison pour ne pas s’y enfoncer.

Note : 5/6

Page 30/183 Benümb / Pig Destroyer : Benümb / Pig Destroyer

Chronique réalisée par Rastignac

J'aime ce slip. Non, je voulais dire : j'aime ce split. Pourquoi ? Déjà, parce que je l'ai écouté des centaines de fois, mais aussi parce qu'il regroupe deux de mes groupes préférés en violence metal. Allez, d'un côté Benümb cuvée 2002, donc avec la voix "breeeeuh eeeeeeuh" du bout de la gorge estampillée dernière vague du groupe, trois morceaux, on va dire un morceau avec deux extensions, comme sur les RPG, le premier contenant un des fameux simili-scats râlés par notre Pete Inter-Armées, la suite balançant intro doomée pour mieux conclure deux secondes après - faut le faire, ils le font bien. Deux minutes plus tard, Pig Destroyer - vous les différencierez très rapidement, le son n'a rien à voir, tout plat et cru pour Benümb, avec une trop grosse saturation sur quelques explosions infra-basses (intentionnelles ? ou non ? moi j'kiffe). Tout rond et tout mignon pour Pig Destroyer qui jouera à peine plus de trois minutes sur ce disque, mais qui jouera plus de morceaux avec au milieu une super reprise des Dwarves, vous savez, les Dwarves, le sang, le sperme, la drogue, le rock and roll ! Défoncez vous ! Tout cela embourbé dans un cauchemar de trucs gluants et noirs sortant de la conscience ô combien tourmentée de JR Hayes, héraut des héros grindeux death hardcore sludge horrifiques épaulé par le non-moins fabuleux Musclor de la six cordes Scott Hull... ces pistes ont été en fait écrites et enregistrées en 2000, entre la sortie du premier "Explosions in Ward 6" et l'enregistrement du funeste "Prowler in the Yard", au moment où le groupe ne sortait que des splits et, si je suis bien, ces morceaux (c'est le cas de le dire) de Pig Destroyer seront regroupés et remasterisés en 2004 avec d'autres bouts d'autres splits et vieux trucs par le label Robotic Empire dans la compilation intitulée "Painter of Dead Girls" ; donc bon. Si vous préférez Pig Destroyer, achetez plutôt cette compilation, mais si vous avez un penchant pour le Benümb, surtout pour ses capacités ragga violence, laissez-vous charmer par ce mini CD, aujourd'hui gentiment réédité sous format numérique - quelques minutes de violence sublimée pour éviter de cogner votre prochain, ça se tente ?

Note : 5/6

Page 31/183 KRISIUN : AssassiNation

Chronique réalisée par Rastignac

AssassiNation (assassin de la Nation ?) est le sixième album longue durée de Krisiun, et ce n'est pas peu dire que celui-ci est bourrin, mais, comme on dit dans le Bouchonnois, "Y a le bon bourrin, et y a le mauvais bourrin !". Oui, cet album est tellement bas du front et concentré sur la virtuosité du frangin batteur qu'on se demande si ce n'est pas lui qui a tout écrit autour de ses propres plans de batterie, que ça soit les riffs, la voix, les solos. On voit de loin qui tient la baguette dans la fratrie ! En fait, j'ai l'impression que le groupe a voulu reproduire des rafales de fusils automatiques, ce qui veut dire peu de variations tonales, un peu comme dans les refrains de néo-metal tous cons, les solos ne servant qu'à enrober les pétarades de guitare... tin tin tin... Alors, je sais pas pour vous, mais si je veux des trucs patauds death metal, il faut qu'il y ait un minimum de groove et le besoin de faire passer un message un peu défoncé ... ici, je crois que le seul message c'est "bleuargh, prend ça dans ta trooonche !!" version uzis accrochés aux bretelles comme Chuck Norris. Oui, vous aurez droit à un gros son de chez gros son, du bon grunt juste comme il faut, des silences millimétrés pour mimer cette "rafale" de riffs, mais c'est d'une linéarité... indigestion dès le troisième morceau, et la troisième répétition de ces riffs saccadés, qui se répéteront jusqu'au terme du disque, seulement entrecoupés à la fin de deux instrumentaux anecdotiques, dont un complètement percussif version djembé le soir dans le jardin... tout cela conclu par une reprise du Sweet Revenge de Motörhead, purgeant tout le côté ultra-def de ce morceau lent et stupéfié en le sursaturant, en le surbourrinant. Lattage de Lemmy. Si le son vous plaît quand même, vous pourrez également regarder des extraits d'un autre DVD live ("Hatred Inherit" extrait de "Conquerors of Armaggedon", et "Murderer" extrait de "Works of Carnage"), un peu comme de la promo pour un DVD mais dans un autre album... À quoi ça sert à part faire de la pub, et remplir tout l'espace disponible ? Au final, malgré le besoin visible du groupe d'occuper la place en sortant plein d'albums tout le temps avec le plus de soin et de concentration possible, je ne peux hisser celui-ci au-dessus de la moyenne, mon baromètre personnel étant la capacité à écouter un objet musical en entier sans que le stress me submerge, et là, c'est vraiment difficile, il fait beau dehors, j'ai soif, et j'ai le dos qui me gratte, cela fait déjà trois raisons de faire autre chose...

Note : 2/6

Page 32/183 Alio Die & Lorenzo Montanà : Holographic Codex

Chronique réalisée par Phaedream

Une lointaine ligne sonique amplifie sa présence à mesure que les premières secondes de "Muns de Etrah" courtisent sa première minute. La ligne est musicale. Elle étend un voile, comme une ombre, qui ondule sous le poids de sa densité. Ça devient un maillage de souffles qui ourlent en boucle, échappant au passage un mince filet de brises spectrales. Les bruits blancs arrivent en même temps que les percussions. Leurs frappes sobres façonnent un splendide down-tempo qui se déhanche dans un univers sonique qui accroît sa richesse à mesure que les secondes fuient "Muns de Etrah". Alors que les percussions tambourinent un rythme abstrait, échappant des claquements éparses ici et là, de fragiles notes tintent et fragilisent la mélodie spectrale qui embaume l'univers de "Muns de Etrah" dont le voile surnaturel est délicatement secoué par des percussions un peu plus vivantes. C'est avec un séduisant down-tempo enveloppé dans une enveloppe psybient que Alio Die et Lorenzo Montanà nous convient dans l'univers de “Holographic Codex”. Pour cette première collaboration, le duo très éclectique mélange à ravir leurs visions musicales et spirituelles, donnant un album qui croise toutes les sphères d'une MÉ qui honnie les frontières. Que ce soit de la transe psychédélique aux longs moments d'ambiances sédatives, en passant par les délicats rythmes de la Pacific School, “Holographic Codex” propose une musique où les vents, les longs drones gutturaux de Alio Die épousent les rythmes ambiants et instinctifs de Lorenzo Montanà. Les premiers accords de "Hydra e Vers" tombent avec un voile d'émotions hybrides . La mélancolie se mélange avec l'ésotérisme avec une étrange prière narrée sur une structure morte qu'un discret piano maintient sur un respirateur. C'est très spectral, à la limite éthéré! On reste dans des sphères ambiantes avec "Akvil" et son essaim de prismes, de carillons qui tinte dans des longs gémissements spectraux. Le titre évolue vers une phase plus onirique un peu après la deuxième minute avec des ondes synthétisées qui emmitouflent les chants des ectoplasmes et assourdissent les bruits des carillons. C'est un titre très méditatif où les ténèbres et la clarté viennent titiller le subliminal. "Egetora" est nettement plus ambiant, plus sombre. Mais entre les deux, il y a "Silent Rumon" et ses étranges voix spectrales qui soufflent et se lamentent dans un tollé de brises sibyllines. Même si très ambiante, l'introduction de "Silent Rumon" reste très enveloppante, très envahissante. De fins tambourinements amènent le titre à un autre niveau dès que la barre des quatre minutes est franchie. Le rythme qui vient alors est délicat. Sculpté dans le modèle Roach et de la Pacific School, il bouge comme des froissements de pieds, comme un ballet spirituel sur un tapis de lécanore. Ce sont plus les éléments qui l'entourent qui le mue, le transporte. Des riffs tonnent comme les colères des dieux sur des murmures, des chants et parfois même des cris d'angoisse, alors qu'une panoplie d'éléments ésotériques instaure un enveloppant climat de transe spirituelle. C'est très intense et les effets qui entourent ce titre nous transporte littéralement ailleurs. J'ai bien aimé! Mon salon s'illumine d'un étrange aura lorsque je le fais jouer. Après le très noir et ambiant "Egetora", "Cinta della Breccia Divina" assaille nos oreilles avec des bruits d'une faune boréale, des tintements et des drones dans une introduction riche en couleurs soniques. C'est très méditatif, à la limite bouddhiste avec ces tintements qui pétillent dans des vents astraux et des drones vocaux. La faune sonique est riche et très versatile avec des teintes et des nuances qui font que l'on ne trouve pas vraiment le temps long dans ce long parcours où les éléments sont la force d'une structure qui bouge, qui évolue comme une tempête perturbe la course des nuages. Phénomène que l'on observe aussi sur le très ambiant "Eternal Wisdom" et

Page 33/183 dont les souffles des vents qui échappent des filets de voix me rappellent les indiscrétions de Steve Roach sur les structures du silence. C'est un très beau titre ambiant. Introspectif et méditatif comme on aime ! J'ai bien aimé cette collaboration entre Alio Die et Lorenzo Montanà. J'aime ces rythmes ambiants et intuitifs qui serpentent malicieusement cet univers sibyllin tissé dans ces envoûtants drones soniques et ces vents astraux pétillant de mille prismes. La force de cet album repose sur cet habile mélange des titres. “Holographic Codex” ouvre avec force et se termine dans la quiétude tout en nous faisant vivre une gamme de riches émotions entre les 50 minutes qui séparent les deux extrêmes, la pierre angulaire, le summum étant "Silent Rumon". Mais tout autour gravitent ses ombres et ses influences qui ont ce don de nous entraîner constamment vers des niveaux où la contemplativité prend des formes holographiques.

Note : 5/6

Page 34/183 Thought Guild : Third Voyage

Chronique réalisée par Phaedream

Pour ceux qui ne connaissent pas l'univers de Thought Guild, disons que leur musique se situe au cœur des années analogues où l'improvisation en studio s'appuyait par de fins rythmes séquencés. La force du duo américain, composé de Christopher Cameron, qui est décédé en Aôut 2011, et de Gregory Kyryluk, l'homme derrière Alpha Wave Movement, Open Canvas ainsi que Within Reason, est le son. Un son chaleureux où on sent vraiment une emprise cosmique et céleste sur nos sens. Initialement réalisé en 2012, “Third Voyage” est la 3ième et dernière collaboration entre Cameron et Kyryluk. L'album était prévu pour l'année 2006 mais divers problèmes et un mauvais alignement des planètes ont repoussé le projet en tout début de 2012 avec une édition maison, produite en 50 copies numérotées. C'était le point final d'une trilogie amorcée en 2002 avec l'album Context. Le label Harmonic Resonance Recordings a décidé de ré-éditer cette œuvre en CD et en format téléchargeable avec un titre en prime, "Ki", qui était perdu dans les voûtes du studio depuis 10 ans. Des nuages de prismes et une chorale angélique s'extirpent d'une assourdissante onde sonique, un peu comme les réacteurs d'une navette spatiale, qui ouvrent les premiers instants de "The Ebbing Universe". Déjà la sérénité de Thought Guild s'empare de nos oreilles avec de belles nappes de synthé très éthérées qui bercent le mouvement de fines séquences dont les ions arpentent les cimes d'une montagne astrale. Ces ions sont fins. Pincés comme une harpe, ils posent témérairement le pas dans un aphrodisiaque mélange de voix séraphiques, de tintements célestes et de nappes de synthé aux couleurs de la Pacific School ainsi qu'aux saveurs très Steve Roach où de sourdes impulsions et de fines permutations dans le jeu des séquences déjouent la passivité de l'auditeur et ajoutent des éléments émotifs, des éléments de charmes à une structure déjà très riche en séduction. "Iridescent Resonance" est un superbe titre ambiant avec des larmes de synthé et de guitare qui pleurent comme Steve Howe faisait pleurer sa Lap Steel Guitar dans Soon. Des influences cosmiques et futuristes de Vangelis farcissent aussi ce superbe titre qui parfumera aussi l'introduction de "VCO VS. DCO". "Last Train to Lyon" est un clin d'œil aux rumbas cosmiques de Jean Michel Jarre. Le rythme est délicat et respecte en tout point les charmes de ces rythmes emprisonnés dans les vieux orgues, alors que les effets soniques des années analogues et les nuages cosmiques balaient nos oreilles avec des délicats poussières d'étoiles qui flottent dans des parfums de guitare cosmique. C'est le genre de musique qui accroche à la première écoute. Après une intro sombre, huilée par des vents caverneux, caressée par des drones lointains et irisée de chants sibyllins, "Retropolis" émerge avec une structure de rythme bondissante qui se métamorphose en un bon rock cosmique. Les vents d'Orion, les chants des étoiles et de belles nappes astrales caressent la force tranquille d'un rythme qui éclate toujours un peu plus avec l'ajout de séquences, tant rythmiques qu'organiques, tantôt paisibles et tantôt chevrotantes, modifiant constamment un parcours qui accepte le support de très bons solos de synthé. Du bon vieux rock cosmique à son meilleur ! De l'eau, des tintements et de fins arpèges qui scintillent dans des larmes de synthé, "Moon Blossom Meditation" est une brève berceuse astrale aux parfums Bouddhistes. En ce qui me concerne, "VCO VS. DCO" est la pierre angulaire de “Third Voyage”. Un morceau de génie échappé par Christopher Cameron et Gregory Kyryluk. C'est avec plaisir que l'on renoue avec les larmoiements de "Iridescent Resonance" qui fleurissent dans une intro ambiante, délicatement cisaillée par des serpentins et leurs courses folles. Des nappes de

Page 35/183 synthé viennent s'y recueillir, faisant ressortir encore plus les empreintes futuristes de Vangelis et de son magnifique Blade Runner. C'est trop court ? On en veut plus ? Il reste toujours "Iridescent Resonance" ! Sauf qu'ici, il y a un rythme qui émerge de cette beauté astrale. Des percussions halètent avec des coups sourds. Des séquences vives volètent en papillonnant tout autour des percussions. Et d'autres séquences bourrées de gaz échappent des tonalités de Tangerine Dream dans Poland. Tout un micmac rythmique qui répond de ses trois structures entrecroisées dont les courses effrénées et les directions opposées sont accompagnées par des solos de synthé aux tonalités hybrides. Splendide ! "Titanium Ashram" nous amène dans le cœur d'une grotte à ciel ouvert où l'on peut voir les étoiles déchirer la noirceur des nuits cosmiques et entendre les murs suinter les chants des gouttes soniques. Nous restons toujours dans des sphères de la contemplativité avec une nuée de lignes astrales qui dessinent les aurores boréales soniques de "Celestial Glossolalia". La musique ambiante peut-être très belle. Aussi belle que méditative. Et Thought Guild en fait la démonstration avec des voix séraphiques, des nappes de synthé larmoyant et d'autres imbibées d'une brume éthérée. Le mélange devient autant sibyllin qu'angélique, surtout lorsqu'un délicat rythme ambiant est tambouriné sous ce dense voile dont les chants sont aussi attirants que ceux des sirènes des voyages d'Ulysse. Les tam-tams éclatent de nouveau dans "Ki". Ils sculptent une fascinante danse païenne et tambourinent sous des chants de flûtes. Improvisé en studio, un peu comme la plupart du matériel de Thought Guild (un truc que j'ignorais), le rythme, comme les ambiances, deviennent plus soutenu et plus précis. Une ligne de séquences fait palpiter ses ions, jouant ainsi dans l'ombre des tam-tams et subdivisant harmonieusement l'approche rythmique, alors que les chants de flûtes deviennent moins tribaux, plus éthérés. Tout est en progression dans l'univers de Thought Guild et "Ki" n'échappe pas à cette règle en épousant un rythme plus frénétique. Un rythme plus près du rock et du progressif alors que les chants de flûte se mêlent aux harmonies d'un clavier très genre Rick Wright et que le synthé revêt des habits de Mellotron en éparpillant ses chants flûtés dans des brumes et des orchestrations astrales. Et dire que ça dormi 10 ans dans des voûtes! Définitivement, le petit monde Gregory Kyryluk respire de fraîcheur. Que cela soit en solo, en duo. Que ce soit des œuvres nouvelles, dans les habits d'Alpha Wave Movement, ou encore dans des vieux trucs qui ont échappé à notre attention ; sa musique est une énorme corne d'abondance sonique où la diversité et les sons restent aussi charmants que les émotions qu'ils transportent. Nous avons ici de la très belle musique. Poétique et cosmique avec des influences qui varient entre Kitaro, il y en a énormément surtout de la période Ki, Steve Roach, Vangelis et Jean Michel Jarre. Un cocktail d'harmonies, de rythmes et d'ambiances qui font de “Third

Voyage” un splendide voyage dans le temps. J'ai adoré et il y a de belles petites perles là-dedans !

Note : 5/6

Page 36/183 Gert Blokzijl : Interaction

Chronique réalisée par Phaedream

Qu'est-ce qu'un classique ? Je dirais que c'est un album qui laisse résolument ses empreintes, ses influences sur le temps et ainsi que sur beaucoup d'artistes qui continuent de s'en imprégner bien des années plus tard. Mirage de Klaus Schulze! Son long mouvement minimaliste porteur d'harmonies électroniques rêveuses sur une structure en délicate permutation est ce genre d'album. Et c'est l'essence même des charmes de ce dernier album de Gert Blokzijl. Synthésiste Hollandais autodidacte qui a découvert les nombreuses possibilités de la musique électronique minimaliste dès l'âge de 4 ans après avoir fait la découverte d'un harmonium brisé dans une grange familiale. Depuis il n'a cessé d'élaborer une MÉ inspirée par l'art visuel ; les films, les photos et la peinture. Des années 90 à aujourd'hui, Gert Blokzijl a composé et produit près de 20 albums qui se sont bousculés sur les plateformes de téléchargement depuis 2011. Son style s'accroche aux influences de la Berlin School avec les repères de Klaus Schulze et Tangerine Dream, alors que pour les moments d'ambiances ses influences vont de Steve Roach à Biosphere. Klaus Schulze et Biosphere sont au cœur de “Interaction”; un très bel album qui simplifie à l'extrême le mouvement minimaliste et où la photo de la Pendule de Newton sur la pochette est plus que significative. Une brise sibylline, maquillée de délicats tintements, de crépitements et amplifiée par de sourdes implosions, flotte sur les deux premières minutes de "Interaction I". Une première ligne de séquences émerge de cette brève et nébuleuse phase astrale. Les ions sont limpides. Ils sautillent et se poussent dans le dos, serpentant en file indienne un parcours minimaliste qui dessine un longiligne mouvement sphéroïdal. Une délicate ligne de basse pulse en retrait. Son pouls ajoute un autre tracé rythmique parallèle qui rappelle un mouvement de Tubular Bells. D'autres séquences s'ajoutent. Cette fois-ci les ions papillonnent comme des feux-follets trappés dans l'œil d'une tornade. La basse accélère la cadence et les ombres de feux-follets s'excitent tout autant. Magnétisant, le mouvement simpliste et très charmeur de "Interaction I" s'enveloppe d'une lourde et ondoyante nappe de synthé dont les arômes de vieil orgue tracent des harmonies vampiriques aussi angoissantes que séduisantes. Les charmes de ces harmonies flottent à contre-courant sur le mouvement alors que les percussions qui tombent ajoutent juste un peu plus de vélocité à "Interaction I" qui continue son ballet giratoire minimaliste jusqu'à ce que les séquences manquent de souffle et que le mouvement se réfugie dans les ambiances de son intro. Cinq minutes d'ambiance pour douze minutes de rythmes ambiant et minimaliste ; "Interaction I" est le genre de truc qui accroche et obsède les sens. C'est aussi le même pattern pour "Interaction II" qui offre 4 superbes phases de rythme embourbées dans du magma sonique et les sombres ambiances à la Biosphere. Le tout débute par une ligne de basse qui palpite sournoisement, éparpillant ses pulsations qui dessinent un imparfait mouvement ascendant. Des séquences tintent tout au côté du mouvement. Elles scintillent et volettent alors que le 1iere phase de "Interaction II" prend de l'ampleur. Mais le tout reste statique. Si les ions font des cabrioles harmoniques en dessinant des figures rotatoires un brin saccadées, le mouvement reste paisible. C'est comme entendre une nuée de balles de caoutchouc pétiller dans un bocal trop petit. Des lignes de synthé libèrent de furtives mélodies qui peinent à s'imposer. Elles rappellent Klaus Schulze avec des lignes nasillardes au doux parfum arabique. Peu à peu, cette 1ier phase se voit enterrée par de lourdes lignes bourdonnantes et

Page 37/183 des brises creuses qui garnissent les ambiances pour un petit 3 minutes. On y entend des claquements et des tintements, amplifiant un sentiment d'angoisse, de claustrophobie qui plane tout autour des phases atones de “Interaction”. Si le premier mouvement a tracé la voie de la curiosité, celui qui émerge vers la dix-septième minute nous amène tout droit dans les meilleurs moments de l'union Klaus Schulze et Pete Namlook dans le The Dark Side of the Moog IX. Le rythme est lent. Il chevrote avec une batterie dont les coups se répercutent dans un écho maquillé de souffles et de cliquetis fantomatiques. Le mouvement est hypnotisant et nous entraîne sur une douce pente soporifique où l'art minimaliste affiche un ornement sonique absolument envahissant. C'est pas trop long, pas trop court. Un beau 7 minutes où Gert Blokzijl nous amène aux portes de l'audiophilisme. Une violente tempête de vents, de wiish et de whoosh s'abat sur nos oreilles à la barre des 25 minutes. Nous avons là le plus long passage d'ambiances de “Interaction”. Les vents hurlent et crissent avec des tonalités parfois creuses et parfois acuités dans des teintes tantôt sombres et tantôt diaphanes sur une longue période de 8 minutes avant qu'une structure de rythme un peu plus fluide que la phase 1 envahisse nos sens. Plus vif et plus dynamique, voire un peu funky, le rythme sautille avec un mélange de délicatesse et de dureté dans les tintements de serpentins séquencés dont les tonalités de verre éparpillent un rythme limitrophe aux percussions et aux croassements organiques plus sautillants. C'est un peu comme un angelot qui jouerait du xylophone afin de calmer un troupeau de crapauds et dompter les sauts des sauterelles dans une zone de sécheresse. Eh oui, nous avons toujours cette sensation d'entendre les spectres de TDSOTM IX rôder autour de nos oreilles. En tout cas, moi ça m'a donné le goût de l'entendre. C'est un très beau passage qui s'étend jusqu'au-delà des 42 minutes. Là où nous attend une chorale séraphique et ses chants sibyllins. Un bref moment assez intense qui précède le dernier chapitre de "Interaction II" et son délicat rythme ambiant. Les séquences sautillent dans l'ombre de la dernière, forgeant un superbe mouvement sériel harmonique qui roule en boucle par son écho. C'est hypnotique et ça envahit l'oreille. Cette phase s'intensifie avec des sauts et des séquences plus vives ainsi que les percussions qui les guident vers les chants des synthés toujours un brin nasillards, toujours un brin séraphiques. Des synthé toujours aussi présents mais dont on oublie si facilement le rôle dans tous ces charmes des séquences et des rythmes minimalistes dont ils ont les plans. Des séquences et des rythmes qui ne cessent de bonifier leurs parures avec un impressionnant amalgame de nuances tant dans les tonalités que les teintes et leurs agiles sauts quasiment oniriques. Oui mes amis,

“Interaction” est un très grand album qui s'insère très bien entre Mirage et The Dark Side of the Moog IX.

Note : 5/6

Page 38/183 Klaus Hoffmann-Hoock & Bernhard Wostheinrich : Conundrum

Chronique réalisée par Phaedream

Suite à la parution de ma chronique sur l'album Trance'n'Dance de Mind Over Matter, j'ai reçu un courriel de mon bon ami Bernhard Wöstheinrich afin de me demander si je voulais bien parler de sa collaboration avec Klaus Hoffmann-Hoock pour l'album “Conundrum”. Le titre me rappelait vaguement quelque chose. Après avoir fouillé dans mes archives j'ai finalement constaté que j'avais parlé de cet album il y a très longtemps. Voici de quoi il en retournait. Résurrection d'une chronique et d'une musique que j'avais oubliées dans les corridors du temps. Avec les multiples carillons qui résonnent, on s'attend à un moment très éthéré, même pieux, alors qu'une ligne de basse nerveuse et d'agiles séquences bondissantes forgent une structure de rythme aussi insaisissable que les murmures qui volètent tout autour. Fluide et bien arqué sur ces éléments un brin funky, tout en étant bien pilonné par des percussions souples, "Virupaksha" sautille dans son plumage psychédélique sur un beat provocant, sur un genre de musique de danse. Entre du techno morphique et du disco spatial, le tempo est aromatisé d'éléments de psybient et d'innombrables strates de synthés, de guitares et de sitars électriques dont les harmonies évanescentes se lovent au-dessus des percussions et des séquences qui alourdissent graduellement la cadence. Bien que relativement discrète, les crissements de la guitare obsèdent les sens. Et ce, ça sera tout au long de “Conundrum”. Bien que l'album ne soit pas tout autant explosif, le duo Hoffmann-Hoock/ Wöstheinrich, flanqué de Markus Reuter et Ian Boddy aux percussions électroniques et aux séquenceurs, plonge au cœur de casse-tête ethnique du Sri Lanka en exploitant les flottantes, célestes et quasiment vampiriques nappes de guitares et sitars sur des mouvements aux rythmes progressifs et tempérés. L'amalgame amène l'auditeur aux frontières d'une œuvre psychédélique avec des éléments ambiosphériques qui se rapprochent des essences tribales Indiennes. C'est d'ailleurs une larmoyante strate de guitare qui ouvre les ambiances assez célestes de "Bowed Visions". La strate multiplie ses ombres. Ceux-ci font miroiter de denses lignes stridentes, et d'autres plus feutrées, qui s'entrecroisent dans un magma sonique ambiant. Une structure rythmique émerge un peu après la 3ième minute. Délicate, elle trottine comme une douce ballade sans histoires. La pièce-titre exploite un peu la même vision avec une intro où les larmes des instruments à cordes se mêlent dans le brouhaha des nappes de synthé aux couleurs du néant et les murmures d'une voix astrale aux souffles ethniques. Une belle intro très ambiosphérique qui sert d'entrée à un très beau rythme qui explose un peu après la 4ième minute. Vif et un brin saccadé, il galope un peu plus qu'il trottine avec un beau maillage de séquences basses et de percussions dont la subtile vélocité nous bouffe carrément l'écoute. C'est très beau, très envahissant et la guitare de Hoffmann-Hoock mâchouille son rythme et ses ambiances, alors que "Conundrum" devient de plus en plus fluide. Je sens à travers ce titre des éléments qui auraient influencé la folie de Thorsten Quaeschning et sa guitare dans le superbe Utopia de Bernd Kistenmacher. C'est un très beau titre. "Phased Realities" nous mord les oreilles avec une ligne de basse aux tonalités gargouillantes. Le rythme est suspendu et sournois. Il se fait happer par des percussions et chatouiller par les élytres des cymbales. On entre dans les terres de l'électronica avec des percussions électroniques qui cliquètent et virevoltent autour d'un mouvement de Groove orné d'un mélange de strates de synthé et guitare dont les lentes harmonies tissent des paysages d'ambiances. De chaleureuses nappes de synthé (ou guitares?) farcissent l'intro très ambiante de "Swarmandel". On entend des pulsations fomenter une rébellion, de même que des éclaircies électroniques qui laissent paraître les

Page 39/183 harmonies célestes d'une guitare ésotérique. Le rythme sommeille et ronfle. Il se rebelle un peu après la barre des 3 minutes, soit après les derniers chatouillements de la six-cordes à Hoffmann-Hoock. Il pétille et sautille avec nervosité, guidant la cadence d'un up-beat sans pesanteur qui va, quitte et revient dans les oscillations d'une ligne de basse et les serpentins disloquées d'une guitare éthérée. Cette structure de rythme rabouté entre des phases semi-ambiantes trouve sa niche aussi sur "Flavia's Paradise" avec des mouvements de basse qui ondule avec force avant de se faufiler sous les nuages d'ambiances dessinées par une six-cordes et des synthés aux parfums sibyllins. Il y a un tapage incessant sur ce titre ainsi que des beaux passages plus éthérés. Des moments ornés de pépiements et de pleurs d'une six-cordes qui nous rappellent l'essence psychédélique de “Conundrum”. "Moonlit" conclût cet accord éclectique entre les deux univers de Klaus Hoffmann-Hoock et Bernhard Wöstheinrich avec un titre ambiant où la guitare de KHH laisse flotter de pleureuses harmonies dans les vents bourrés de particules soniques du synthé de Wöstheinrich. “Conundrum” est dans l'esprit du label DiN. C'est un album aux savoureuses essences hétéroclites et expérimentales bien servies par des rythmes qui touchent du bout de leurs séquences, des lignes de basse et des percussions les terres de l'électronica. De ce fait, il y a un beau mélange entre ces rythmes et de riches ambiances cousues avec une fascinante obsession pour rendre le tout très difficile à apprivoiser. C'est exactement le principe d'une énigme. Ça pique la curiosité. Ça devient obsédant. Et on fini par trouver des réponses. Ici les réponses trouvent la forme d'une musique dont les frontières se définissent toujours un peu mieux à chaque nouvelle écoute. Il ne faut pas oublier que nous sommes en 2007. Je souligne ce fait car nous entendons ici et là des éléments qui nous semble familiers, notamment dans l'univers du psybient et du tribal ambiant, démontrant l'approche assez avant-gardiste de ce duo, en fait de ce quatuor, plutôt éclectique.

Note : 4/6

Page 40/183 Blahzay Blahzay : Blah Blah Blah

Chronique réalisée par Raven

Blah Blah Blah c'est le rap de New York, comme le plus anonyme des buildings peut être symbole de cette ville monolithique qu'est New York. En avançant la date de sortie de trois ou quatre ans ce serait l'album-étalon. Une connaissance veut savoir ce que c'est que du rap new-yorkais ? Tu lui envoies ce disque. Second rôle discret d'une ère aussi consanguine que fertile dont on a bien plus retenu les albums du Wu, de Gangstarr ou de , Blah Blah Blah, le petit frère du premier Jeru the Damaja, est un album qui a le charme tranquille des parpaings, le torve du molosse placidement posté à l'entrée, avec ses flows aussi fantasques qu'un docker travaillant dans son dock, et ses beats aussi opérationnels que des marines au sortir du camp d'entraînement. Monotone-savoureux. "Danger - Part 2" ou "Pain I Feel" déboîtent salement dans le genre straight, inspiration KRS-One/Gangstarr. Aucune originalité donc, ni d'efficacité grisante : juste une sérieuse, posée, et pleine efficacité, un feeling cool-sinistre pile dans le créneau jazzy-moellon du beat. Came non-coupée, 13 pistes, scratches, et l'affaire est pliée. Classiquement N.Y.C., sans rien de new-yorkement impoli qui dépasse (à part peut être le sample-éclair du tube de Dre et Snoop sur un skit), pro, artisanal, standard, j'en passe et des plus casual. On tique juste un peu quand on voit la date de sortie, comme je le sous-entendais plus haut, surtout que Mobb Deep étaient en train de retourner les cimetières environnants au même moment et le Wu d'achever un plan suprémaciste monstrueux avec leur solos, mais cette sortie un chouia anachronique confirme qu'on a affaire à deux purs matons de Brooklyn. De paisibles crate-diggers ne se souçiant guère de sophistication, plutôt de rapprocher le hip-hop de son noyau dur : egotrip + gros son compact, le reste étant fariboles. Du hip-hop new-yorkais en new-yorkais, c'est à dire carré comme les districts et terne comme les immeubles, traversé par le vent atlantique, berçé par la grise et rocheuse atmosphère d'une ville qui a inspiré les albums les plus asphaltés du genre.

Note : 4/6

Page 41/183 The Notorious B.I.G. : Ready To Die

Chronique réalisée par Raven

On va dire que j'insiste, que je perds mes repères. Que nenni mon loulou. Déjà, le jeune Biggie était assez niqué de la tête pour coller sa photo de bambin au-dessus d'un titre aussi explicite que du Robert Smith entre deux âges. Façade peu vendeuse, nous en conviendrons. Autant que cette intro-vie (de l'accouchement à l'adulte devenu caïd) est l'une des plus grotesques et obscène possibles. Mais, soit : le thème majoritaire dans Ready to Die, c'est le sport en chambre, et en la matière il est certain que Notorious B.I.G. causait gras (dans le genre Ron Jeremy du mic, le skit où il bourre Lil' Kim pour lui faire crier son nom est un des grands moments de débilité du hip-hop, autant qu'un hiroshima dans l'histoire de la literie). Mais je vois aussi "Prêt à crever", "Pensées Suicidaires". Voilà en fait la nature d'une bonne moitié de cet album bien sûr abusivement mythifié comparé à tout un tas d'albums de rap moins populaires sortis dans cette période, mais qui, en ce qui concerne sa vilainie intime, ne permet guère de doute : le gros bébé mafioso était capable d'avoir autant de retour que le Wu-Tang ou Dälek en matière de noirceur urbaine. Il était juste un peu plus terre-à-terre, et il coupait son goudron avec de la plume d'oie. Et niveau flow, il était le suiveur patibulaire et graveleux de KRS-One ("Gimme the Loot"). Plus célébré, moins cérébré. Parfait chroniqueur de son flow au moment même où il l'immortalisait, m'évitant l'emploi de mes coliques métaphoriques habituelles, ce qui devrait déjà suffir à rendre nos lecteurs reconnaissants envers lui ("Excuse me, flows just grow through me - like trees to branches, cliffs to avalanches" -extrait du feat-battle arride et nonchalant "The What" avec Method Man, le seul membre du Wu qui avait envie d'aller se frotter à l'obèse, pour au final se confondre avec lui dans un egotrip rugueux). Cruel et flamboyant sur "Things Gone Changed". Rappeur pragmatique sur "Warning", parfaite pour fendre les baffles comme des bûches. Salopard au style racé sur "Machine Gun Funk" et le titre éponyme. Les pistes radiophoniques de Ready to Die ? Les trois singles que le producteur exécutif lui a conseillé pour mieux fourguer sa came, sinon Ready To Die aurait été bien moins connu de tout public, c'est certain. La sex track principale avec son refrain r'n'b d'abord, "One More Chance", qui cite et sample Geto Boys, et dont les couplets sont du sauciflard pour l'amateur de rap dominateur. Puis "Juicy" et "Big Poppa", le bubble gum du pimp. Biggie augmentera la dose de ce genre de titres putasses sur le suivant, mais ici, il tartine serré. Pourtant je préfère sans hésiter ces deux titres lèche-putes aux deux qui sont entre, et qui me font systématiquement bâiller. Pas bien grave, car le nounours lubrique réveille ses instincts létaux sur le ragga funky-béton "Respect". Bruit de succion d'origine femelle certifiée, et on enchaîne en beauté avec "Friend of Mine". Qui a dit que la pornographie était réservée aux racailles de Los Angeles ? Avec Biggie le centre de gravité du rap porno était déplacé à New York, ville plus propice aux errances sinistres. Et en parlant de sinistre (enchaînement, sans les mains), on bifurque direct sur la seule instru signée DJ Premier. Minimale shit. Je vais pas faire de littérature sur de la chimie, tendez juste la langue pour accueillir le cacheton de l'alchimiste aux platines. Bien. Mais Premier ne surpasse pas les excellentes instrus souvent signées Easy Mo Bee (qui est pourtant, pas d'erreur, ce rappeur moisi qui a servi de fossoyeur artistique au grand Miles deux ans plus tôt). Quant à elles - et bien qu'elles laissent une impression finale différente d'avec la conclusion suicidaire-léthargique d'origine - les deux faces B en bonus sur la réédition sont rigoureusement indispensables, surtout "Who shot ya ?", provocation narquoise et menaçante, le son d'un hiver qui vient pour nettoyer les faibles. Avec Ready To Die malgré le superflu, on est sur du serré, du dodu, un genre de paris-brest new-yorkais avec de bon gros éclats

Page 42/183 de mise à l'amende dans la crème. Quant à Puff Daddy a.k.a. P. Diddy, on s'en fout, à peu près autant que de savoir que Deftones ont été signés par Madonna. 2 Pac, on s'en branle aussi : en dehors d'une histoire n'ayant pas le moindre rapport avec la musique, j'ai jamais vu le moindre lien entre les deux - et de toute façon pour moi la vie c'est comme dans les ascenseurs : un gros vaut deux minces. L'avantage quand on est gros, aussi, c'est que la peau est bien tendue... Hélas, ça n'arrête pas tout. Cinq balles pour Shakur, quatre pour Biggie.

Quatre ½ pour Ready to Die.

Note : 4/6

Page 43/183 Esham : Suspended Animation

Chronique réalisée par Raven

Plus il s'aprochait de son cul-de-sac chimique DMT Sessions, plus Esham s'habituait à son nouveau costume de producteur electro, voire dark electro, s'essayant à des effets skinny-puppiens. La première moitié de Suspended Animation est bien dans cet esprit droïdesque-chimique (l'intérieur du livret dépliant avec les couveuses-biostase du futur et l'ambiance aseptisée-immaculée façon THX-1138 est fort à propos). La seconde moitié délaye une mixture plus façon Judgement Day dépoussiéré. Voire indie-rock-rap, comme si notre Esham voulait alpaguer de la groupie mineure aux concerts d', ou nous faisait un genre de mutation à la deuxième période... Pas sûr que ce soit la panacée mais bon. Quasiment impossible à noter, comme Tongues, et peut-être encore plus incohérent, Suspended Animation est gavé ras-la-gueule de pistes-pilules qui puent Detroit, s'autorisant, comme d'habitude, de la diss track contre toute la génération "horrorcore" et les petits cons qui ne l'écoutent qu'en le téléchargeant ("But No Thanx"), deux engeances envers lesquelles il garde toujours un chien de sa chienne. Un peu de tout comme d'habitude, pour l'inspiration : ce type rappe sur n'importe quoi, et sur des beats qui n'en sont pas vraiment : g-funk périmé, titres cluby, bidules eshamiens plus basiquement glauques (Esham, probablement après avoir entendu Sole faire de même, rappe sur le générique de Faites entrer l'accusé. Cela lui va très bien), un riff grunge, de la dream pop country, j'en passe... Quand Esham pousse la chansonnette il a un côté indé, vite fait, y a sûrement moyen de pouvoir en refourguer en douce à des lecteurs de Pitchfork. Et il roxe. Avec à la clé des tubes certains ("Horrible", "U can die"), à ce niveau rock rap, je sens Esham plus dans l'esprit de Run DMC et EPMD que la majorité de ses contemporains, sans faire dans le capillotracté critique, du tout... même quand il fait du Kid Rock on a une petite saveur malade. Le mec maîtrise pleinement son style depuis un moment, il enchaîne les pistes en uzi mais c'est pas K-Rino, lui on le suit dans ses délires, même si on décroche sur la durée... Parce que c'est ultra-long, évidemment, et niveau consistance c'est plus le pain-surprise avec pas mal de mie en guise de surprise, et quelques cafards bien planqués dans la mie... 29 pistes quand même... et une indigestion qui peut arriver rapidement, vers le milieu... Mais il y a toujours les micro-trous noirs eshamiens, les titres qui vous collent une sale cafardose au cervelet. Ici, c'est "Poultry", berceuse chimique de son cru. Ou comment comprendre que les petits sophistos lysergiques comme A$AP Rocky ne sont que les fistons jetables du papa de Detroit, aussi bouleversants que la sortie d'un nouvel i-phone. Je n'ai toujours pas esgourdé le Subatomic Jetpack (disque bonus de faces B), pour cette version simple disque ce sera donc la moyenne. Putain de drogué prolifique.

Note : 3/6

Page 44/183 Accept : Objection overruled

Chronique réalisée par Nicko

Comme je vous le disais sur la chronique du live "posthume" "Satying a life", Accept s'est reformé suite aux retours de ce double-live pour le moins excellent. La période "Eat the heat" ne sera donc au final qu'une "petite" parenthèse dans la carrière du groupe, même si les conséquences sur la poursuite de leur carrière seront dommageables. Le succès de la formation allemande sera quand moindre que ce qu'il aurait pu être sans ce hiatus. Entre temps, le quintette est devenu provisoirement un quatuor. Il s'agit du line-up de "Russian roulette", sans Jörg Fischer, Wolf Hoffmann se chargeant de toutes les parties de guitares sur ce disque. Assez rapidement, le groupe écrit de nouveaux titres et dès le début de l'année 1992, on voit débouler ce "Objection overruled", 9ème album des teutons. Le premier constat est clair, on retrouve bien le Accept qu'on aime, celui du bon heavy metal teutons, teinté de mélodie, avec un Udo vraiment ien en forme, très éraillé et brut. Franchement, pour un album de retour, le groupe ne s'est pas planté. Le résultat, même s'il n'est pas aussi fabuleux que "Balls to the wall" ou "Metal heart", est dans la droite continuité de "Russian roulette" et n'a pas du tout à rougir de la comparaison. "All or nothing" ou "Bulletproof" sont des exemples de titres valant largement les hits des années 80. L'album est fidèle au glorieux passé et tout aussi inspiré. On nage en plein dans le style des années 80. On n'est pas encore dans ce style des années 90 plus lourd et pesant, Accept continue là où ils n'auraient jamais dû dévier de route au milieu des années 80. L'album est agressif, incisif, puissant, avec toujours cette dose de mélodie et cette touche de lyrisme issues de Wolf Hoffmann dont les parties de guitares sont toujours aussi bonnes. On reconnaît toujours ce côté très AC/DC, mais en version metal, c'est impressionnant de voir cette similarité ("Donation" par exemple), dans un autre style et totalement bien intégré à leur heavy metal. "Objection overruled" n'est pas l'album dont on va parler en premier quand on aborde le sujet d'Accept et pourtant son importance est capitale dans l'évolution du groupe. Le fait que plus de 20 ans plus tard le groupe soit toujours actif est directement conditionné par la réussite de cet album. Voilà clairement un disque trop oublié. Certes il n'est pas parfait, mais son écoute est facile, directe, et la qualité de ce disque est indiscutable avec une diversité et une inspiration constante sur tout l'album. On a aussi bien des morceaux speed ("Sick, dirty and mean", "This one's for you"), des ballades ("Amamos la vida"), des morceaux à faire chanter le public ("All or nothing"). Bref, voilà un album que je vous conseille de rechercher (il est malheureusement difficile à se procurer), il vaut vraiment le coup.

Note : 4/6

Page 45/183 OFERMOD : Serpents dance

Chronique réalisée par Nicko

Mine de rien, cela faisait plus de deux ans qu'Ofermod n'avait rien sorti. "Thaumiel" avait proposé une musique plus originale et mystique qur sur "Tiamtü" qui m'avait un peu déçu. Là, le groupe revient avec un petit EP 2-titres (la version CD contient un titre bonus, une version alternative, datant de 2005, de "Tiamtü" que l'on trouve dans une autre version dans l'album du même nom). Il faut véritablement prendre cet EP pour ce qu'il est, 2 titres nouveaux qui donnent vaguement une idée de l'orientation du groupe à l'avenir. Une chose frappe, l'atmosphère est vraiment bien mystique et trippante. Le changement de chanteur y est pour beaucoup. Johannes, leader du groupe Mortuus, est totalement imprégné d'une aura ici, son chant n'est pas spécialement puissant (en fait, pas du tout), mais il est vraiment ample et profond, il ne ressemble à rien d'autre de ce qu'on peut trouver. Son interprétation de "A million serpents dance" est vraiment unique. Je note en tout cas une réelle amélioration du chant en comparaison avec sa performance sur "Thaumiel". Musicalement, j'ai eu un peu de mal à rentrer dedans, mais au final, je trouve cet EP vraiment réussi avec des ambiances vraiment prenantes. L'album n'est pas spécialement noir, mais il est dérangeant. Les et enchaînements sont bien réalisés, le rythme est plutôt bien soutenu sur ces deux titres. On ressent vraiment une portée mystique avec ce groupe. Leur musique est vraiment intéressante de ce point de vue-là. Je reste quand même un peu frustré et sur ma faim. Il y a du potentiel pour un bon album, mais cela dure moins de 10 minutes donc il est difficile de se faire une idée précise de ce que cela peut donner sur la longueur. Par contre, je n'arrive pas à retrouver la magie, l'aura, la puissance et la folie de leur tout premier EP. Le titre bonus du CD n'apporte pas grand chose. Certes le son est différent. Ce qu'il perd en puissance, il le gagne en profondeur. Mais honnêtement, je ne vois pas trop l'intérêt de la chose, il reste trop proche de la version de l'album, sorti 3 ans après l'enregistrement de cette version. Comme souvent, on peut prendre cet EP comme une manière de patienter avant le prochain album qui, je l'espère, ne tardera pas trop.

Note : 4/6

Page 46/183 Der Weg Einer Freiheit : Unstille

Chronique réalisée par Nicko

Franchement, depuis le temps que je vous parle de ce groupe allemand... Vraiment, plus je l'écoute plus je trouve qu'on a affaire à une formation ultra-talentueuse. Tout est si limpide et direct. On a vraiment l'impression que c'est facile pour eux d'écrire une telle musique prenante. "Unstille" représente le deuxième album de Der Weg Einer Freiheit. On ne peut pas noter de réellement évolution depuis leur début, mais ils ont un style tellement personnel qu'il y a matière à défricher dans le genre. Certes, on peut trouver des influences, Dark Funeral, Dissection, Drudkh et d'autres, mais on ne peut pas dire que cela sonne comme l'un d'eux. Petit à petit, Der Weg Einer Freiheit construit son style, entre black metal brutal, post-metal moderne, metal atmosphérique et mélodique, post-rock (il y a tellement de parties aériennes directement lié à ce genre). Le résultat est grandiose, toujours très bien inspiré, prenant et diversifié. Il n'y a pas de mauvais morceaux, c'est impressionnant de voir une telle qualité sur tout le disque. Le chant de Tobias, entièrement en allemand, est super convainquant, la rythmique de plomb est d'une brutalité hallucinante, les riffs de Nikita s'enchaînent à merveille, quelque soit le style. Et c'est là que se situe la réussite de l'album. La qualité est constante, quel que soit le registre. Les parties calmes sont très travaillées et donnent énormément de rythme à la musique du groupe. Ceux qui trouvent que le black metal brutal est stérile feraient mieux de jeter une oreille à ce groupe tellement la construction des morceaux est judicieuse et que le rendu est cohérent. C'est rare de voir un groupe aussi convainquant et musicalement ouvert avec une base complètement encrée dans le black metal le plus brutal. Der Weg Einer Freiheit peaufine son art, son style. "Unstille" nous montre un groupe ayant trouvé sa personnalité, s'affranchissant complètement de ses influences. Avec ce deuxième album, les allemands ont réussi à trouver le chemin vers leur liberté...

Note : 5/6

Page 47/183 COMPILATIONS - LABELS : Crusade from the North

Chronique réalisée par Rastignac

Moonfog est un label que vous connaissez si vous êtes déjà une encyclopédie ambulante et que vous écoutez du black metal au p'tit déj. Fondé en 1993 par Satyr, le vocaliste et guitariste de Satyricon, ce label a réussi à mettre en boite les albums de quelques uns des acteurs phares de la scène norvégienne, du début des années 90 à la fin des années 2000 : , Satyricon, Gehenna, Dødheimsgard en tête de gondole, mais aussi, entre autres, les projets folk et ambient de et de Satyr (Storm, Neptune Towers, Isengard, Wongraven) - catalogue dont les droits ont été depuis acquis par Peaceville. Vous retrouverez donc sur cette compilation le vent frais du Nord propre à cette époque-là, époque qui par hasard fut celle de mon premier séjour en Norvège, découvrant à ce moment même que l'on pouvait dire "Emperor c'est cool" dans un cours d'anglais dont le niveau surpassait de trois têtes mes pauvres "connaissances et compétences linguistiques" en LV1. Bref, ici, vous aurez votre dose de folk nationaliste (Storm et ses vocalises sur la forêt éternelle bien d'chez nous, Isengard et ses vocalises sur la forêt éternelle bien d'chez nous, ainsi que Wongraven et ses synthés. Sur la forêt. Bien d'chez nous.), du black metal bien dur avec des Darkthrone période Panzerfaust / Goatlord et du Satyricon période The Shadowthrone / Dark Medieval Times, tout cela ponctué des nappes atmosphériques de Neptune Towers. Alors, pourquoi écouter cette compilation ? Déjà, si vous ne pouvez pas piffrer Fenriz et Satyr, passez vot'chemin, parce qu'on les retrouve tout le long des deux cds - mais bon, je me dis que si vous lisez ça, vous avez au moins un peu d'affection pour la musique de ces deux gusses. Ensuite, plusieurs titres sont des versions ou des titres que vous n'entendrez que sur cet objet, avec remix et mastering inédits. Enfin, elle donne un bon aperçu de la scène d'Oslo à une époque (1995/1996) où ces groupes commençaient à conquérir une certaine notoriété, pour des raisons plus ou moins musicales d'ailleurs, et qui souligne bien que les piliers de cette scène étaient particulièrement intéressés par la musique électronique et la folk, tentant comme ils pouvaient de faire ressusciter une certaine norvégitude qui évidemment, vu de chez moi, ressemble à un désir désespéré de réanimer des expressions culturelles mortes et enterrées depuis longtemps, un peu comme dans le revival occitan, mais sûrement pas avec les mêmes cogites politiques derrière, l'anti-christianisme et la xénophobie suintant clairement des chansons de Storm par exemple. Voilà, ceci-dit, musicalement c'est quand même très riche, ça montre les talents multi-instrumentistes de ces mecs, et ça laisse songeur sur l'apparition de cette génération spontanée de musiciens formés par l’État norvégien qui reviendront tout péter quand ils seront devenus grands, nostalgiques d'une culture pré-chrétienne et amoureux de gros riffs, de gros synthés, et de la forêt bien sûr.

Note : 4/6

Page 48/183 Ballistic Kisses : Total Access

Chronique réalisée par sergent_BUCK

Et Paf, bien visé. C’est Ballistic Kisses qui débarque aujourd’hui sur le site. Les pères fondateurs de la future omniprésente new-wave, à savoir Talking Heads, Devo, Oingo Boingo, B-52’s, Wall of Voodoo, Ultravox ou encore les Cars, pour en piocher comme ça à la volée quelque uns qui flottent sur le haut du panier, surent façonner une esthétique musicale nouvelle durant la fin des 70’s qui entama un véritable bouillonnement dans le monde de la pop américaine. À base de rythmes rigides comme une rangée de bureaux, et capables d’exploiter de manière intéressante le nouveau matériel que les avancées technologiques permettaient à l’époque (les synthés quoi…), c’est à cette époque que le grand public a failli comprendre qu’un look de geek valait aussi bien qu’un chapeau de cowboy et une fossette au menton. Et Ballistic Kisses alors ? Oui, ces derniers sont un peu restés planqués dans le fond de la scène, rangés parmi une armée de seconds couteaux que l’on devine prêts à ressurgir dès qu’une oreille curieuse ira remuer un peu. En tout cas, Total Access est un disque qui a tout pour plaire : un foisonnement de sons synthétiquement grotesques ou mignonnement agencés, des rythmiques binaires mais pas trop, les voix tout aussi attardées que les paroles qui vont avec. Et ça ne rate pas, les tubes sont de la partie. J’en veux pour preuve le single ‘Five‘o’Clock World’ qui n’aurait pas déparié sur le premier Oingo Boingo, ‘Black and Broke’ et ses imparables claviers séquencés dans une cavalcade à couper le souffle, et jusqu’à ce ‘Samurai Toys’ qui clot l’album, il y a tout ce qu'il faut chez nos gaillards pour divertir les oreilles à l’affût de ce genre de sonorités. Hélas, le groupe à la carrière éclair n’a pas dépassé la paire d’albums (le deuxième, à la manière des Devo tardifs, sera bien plus sage et demandera à l’auditeur un "certificat d’amateur de bonne soupelette pop" pour être apprécié à sa juste valeur.), mais bon... faut pas trop en demander non plus.

Note : 4/6

Page 49/183 Vermapyre / Vehrmöedr : Vermapyre / Vehrmöedr

Chronique réalisée par Rastignac

Holy Terror, le label de Dwid Hellion (Integrity), entre deux fournées de T Shirts et de mugs nous sort ces temps-ci toute une tripotée de 45 tours de groupes plus ou moins connus (Leviathan, Integrity bien sûr, Gehenna...) mais aussi de projets passant sous le radar de la célébrité. Deux groupes ici, qui font de la musique vraiment pas facile, bruyante, sans espoir... Face A, Vermapyre, groupe belge classé dans le raw black metal, nous donne ici à écouter de la musique répétitive, assez atmosphérique, toute faite de chaines et de clous, plein de brume asphyxiante... très bruitiste, mais sachant bien créer une sensation d'hypnose, Vermapyre est (sont ?) la preuve qu'on peut charmer les foules en vomissant bruyamment. Face B : Vehrmöedr. Je n'ai malheureusement pas trouvé grand chose sur ce groupe, je devine qu'ils sont aussi basés en Belgique (où le Dwid s'est installé depuis un moment déjà). Peut-être est-ce juste Vermapyre sous un autre nom tellement les deux faces se ressemblent, car c'est reparti pour quelques minutes de cris, de sons compressés, de prises sur cassette tremblotante et de fracas bordélique, sauf que la sauce me semble moins relevée ici, l'impression d'improvisation à l'arrache ne me quittant pas lors de l'écoute de ces quelques minutes bruyantes. Hmm... pour résumer, la musique de ces deux groupes se veut dérangeante, mais elle peut aussi être un peu pénible, compte tenu de la composition hasardeuse, surtout du côté Vehrmöedr. Une curiosité qui pourrait peut-être plus plaire aux amateurs de noise que de heavy metal au bout du compte...

Note : 3/6

Page 50/183 (Kool G Rap x ) : Once Upon A Crime

Chronique réalisée par Raven

Il arrive que vermine n'aie pas d'odeur. Un album de rap qui a Lemmy Kilmister en sample ne peut pas être totalement inodore, j'en conviens, mais quel navet. Inviter l'un des poids lourds du rap rentre-dedans pour faire du sur-place une heure durant, c'est même assez moche... à peu près autant que Ron Braunstein, dit Necro, producteur amateur au flow porcin et aux paroles potentiellement jouissives dont je n'attends plus que miasmes fainéants depuis longtemps, charisme de fesse nordique, allure pontifiante et aussi digne de confiance que la méchante truie laiteuse Biraben, mais pas d'inquiétude, je vais parler musique, je me mets juste au niveau du gonze. Et je vais commencer par ce constat sans appel à l'issue : cet album, dont la sortie était devenue une arlésienne, n'a qu'une utilité : donner envie de réécouter Live and Let Die, ou, si on s'assume dans ses goûts de chiotte, ressortir les vieux Necro ou le Non-Phixion. C'est pas que le vétéran de Queensbridge soit mauvais, à quarante-cinq berges il a du retour et s'autorise quelques versets de feu, mais il n'est pas à sa place sur ses beats de mendiant. La collaboration part un peu d'un déséquilibre qualitatif cocasse, faut avouer. La faute au fan imberbe. C'est un peu comme si Nabe invitait Céline pour écrire la suite des 50 nuances de Grey. T'es pas gêné Braunstein ? S'pèce de cancre las. En même temps t'as jamais été capable de dépasser le stade de l'adolescent death-métalleux fan de films d'horreur, ma sacoche. Soit. Niveau instru on est donc sur du Necro de série, un peu de piano par-ci, un peu de western et de giallo par-là, un bout de hard rock vintage pour faire joli, rien de folichon, ça accroche sympathiquement, comme sur "The Pain", le déjà plus rugueux "American Sickos", ou "We'll Kill You" quand Necro flowe en mitraillette pour impressionner son maître. Mais en fait non, ce disque vaut peau d'balle. "Gangsta" ? C'est quoi ce caca mou qu'a même pas le bon goût de coller aux parois, Braunstein ? Et toi Kool G, pourquoi avoir accepté une collab' d'album aussi foireuse ? Tu as des enfants à nourrir, je comprends, et puis tu rappes sur de la merde depuis si longtemps que tu prends ce qui vient... C'est de bonne guerre, et j'imagine qu'il fallait pas s'attendre à être surpris. Mais prout blasé, quoi. Faire venir Kool G Rap pour un simple nouvel album de Necro ? Oui, ceci mérite de sceller deux boules punitives. Seuls les fans hardcore de Necro trouveront vraiment leur compte dans ce sous-bock, mais cette engance pustuleuse grouille si bas sous les pieds de tout adulte amateur de hip-hop qu'il ne peut qu'en avoir rien à branler, même en forçant l'indulgence à son maximum. "My death-rap style's the best shit you ever heard in your life". Pfff ouais, ok... et moi je suis le maître absolu de la chronique de navet lue par dix péquins sur internet, youpi !

Note : 2/6

Page 51/183 The Shallow Graves : Smoke screen for your broken dream

Chronique réalisée par Twilight

‘Bon clone de Rosetta Stone’, se dit-on des Allemands de Shallow Graves à première écoute…Et durant les suivantes aussi d’ailleurs. Si ce n’est leur look assez peu en accord avec les canons goths traditionnels, nos deux amis nous proposent un gothic rock de la seconde génération des plus conventionnels. Une fois la chose admise, force est d’admettre qu’ils sont plutôt doués pour écrire des mélodies fortes et que c’est franchement un plaisir frais de s’envoyer ce disque d’une traite dans les oreilles. Bien dans leurs baskets et leur époque, The Shallow Graves ne craignent pas l’usage de l’électronique pour la rythmique et cela s’entend mais juste pas trop (tant mieux). La guitare, elle, assure et propose même de beaux thèmes (celui de l’intro, ‘Broken dreams’, notamment), quant au chanteur, il est bon, si ce n’est que son timbre grave est des plus interchangeables dans le style mais voilà longtemps que le corbeau avide ne se casse plus le bec sur ce genre de considérations devenues lambda. ‘Smoke screen for your broken dreams’ sonne comme un album de gens qui se sont fait plaisir à jouer ce qu’ils aiment plus que comme un brûlot révolutionnaire et c’est pas grave parce que des titres comme ‘Field of love’, ‘Times are changing’, ‘Cold night’ ou Led by lust’ dégagent quelque chose d’addictif; nos deux lascars se fendent même d’une reprise étonnante et plutôt réussie du ‘The sequel’ des Fields of the Nephilim. On zappera une fois encore les remixes fournis en bonus (mais à quoi bon ? ! ? Personne n’en a rien à secouer) pour en arriver à la conclusion, un ‘Brickbats & higheels’ gothic dancefloor pur jus dans ton mascara ! Sans personnalité spécialement marquée, ce disque tient pourtant la route de par la qualité de ses chansons, certes consommables assez aisément mais qui pourraient conserver leur saveur au fil des années. L’opposé d’un chewing-gum en fait et puis, bon, dans l’infinie nébuleuse des groupes du genre, The Shallow Graves assurent très honnêtement leur contrat. Il faut dire que Christian Roßbach, le compositeur n’est pas un débutant vu son passé au sein de Chassala, Madre del Vizio, Moribund Thirteen A.D. ou Jessica’s ascension…

Note : 4/6

Page 52/183 France Sauvage : Live Series Vol. 6

Chronique réalisée par Dioneo

C’est une musique immédiate. Non qu’elle cherche, "facilement", à jouer sur le familier. Pas qu’elle flatte une quelconque attente. Mais parce qu’elle est… "Sans préalables". Pas seulement sans préambule – ce qu’elle est certes également, là, qui déboule sur une syncope comme si elle en tombait, en coulait, qui clamerait qu’elle en naît ; et pas non-plus qu’elle se prétende sans mémoire, prise à zéro quant à l’histoire, aux années qui s’additionnent, de ceux qui la jouent ; non qu’elle se déclare sans savoir. Mais simplement : tout est improvisé, sans planification, découvert également par tous au moment du concert – les hommes aux instruments en même temps que le public. Pas de limite de style. Peut-être même pas de longueurs de vitesses décidées par avance. France Sauvage – passé de quintet à quatuor puis, comme ici, trio (ce qu’ils sont encore à ce jour) – avaient déjà décidé, à ce moment de leur parcours, de ne jamais répéter. Pas de répertoire. Des savoirs mouvants, confrontés, qui jouent à se glisser, à se poursuivre. Ce n’est pas de l’art pour l’art : c’est poussé plus loin, du cran qu’il faut pour que ça vive : le jeu se réalise lui-même, ne s’illustre pas, ne se fige pas ; il prend lieu là où il pousse, fore, louvoie, et l’assistance fait une part, sans doute, de sa densité – on appellera cela "l’ambiance" si l’on pense que ça suffit, en n’oubliant pas que ça veut alors dire un peu plus ; c’est quelque chose qui fait corps avec et parmi les corps… Il serait certainement hors sujet, aussi, de chercher ici – ou ailleurs, sur d’autres enregistrements des mêmes – à décréter un style qui nommerait la musique, se définirait par des traits, des synchronies ou ruptures invariablement remis, repérables, mémorisables, qui d’un disque à l’autre n’articuleraient que les variations d’une même voix, d’une parole, d’une forme continué mais une-fois-pour-toute. À la rigueur les titres font indices. Ils seraient comme de curieux programmes. Ils sont longs, ici ; on pourrait presque les confondre avec ces descriptifs de pièces folkloriques lus sur les disques Ocora, qui posent des peuplades, des effectifs, des circonstances, des instrumentaires ; on croirait y trouver du Dada, de la pataphysique, de l’ironie libre en écriture automatique… Les plages de cette cassette, elles – à les comparer à celles d’autres de leurs disques – sont toutes relativement courtes, d’un peu plus de deux minutes à un peu moins de sept minutes trente. Le rythme y est marqué, aussi, syncopé, disais-je. Physique, presque machinique, l’abstraction de son motif seulement à une reprise volatile, flottant, alors qu’autours il scande, enfonce, crénelle l’espace, séquence la ligne du temps. Ces morceaux en sont, en effet : des machines. Elles portent, conduisent, sont des charges. Machines d’existences humaines. Connexions ouvertes, pulsations de substances sonores. Ce qu’habituellement, en un sens plus réduit, conscrit, on appelle "machines" – générateurs électroniques, boîtiers câblés entre eux ou sur eux-mêmes avec des déviations qui déroutent leurs cris, effets, appareils de mixages – ne diffère pas, ici, des instruments censément plus classiques : claviers, guitare et basse, peut-être, batterie… Tout produit un champs en mouvement, le peuple, le parcoure, le modifie à mesure. C’est cela que j’appelle machine : indistincte de l’idée qu’à chaque fois ils saisissent, tracent, à quoi ils acquiescent. Ça semble geste très brut, à l’instant de le recevoir, distinct de toutes théories, arguties, pas distancié par eux. Une complexité, oui, mais sensible et rude. Quelque chose qui passe et qu’on traverse, où l’on se prend – à remuer, aussi – comme on se plonge dans une matière ; celle-ci est dense et magnétique mais n’englue pas, n’enveloppe pas les sens, l’écoute, d’une gaze d’engourdissement. On est frappé, on roule avec, mais pas du tout sonné. Ce qui rend ces cinq titres prenants, ce qui fait que cet objet n’est pas simple témoignage, document, c’est que leur imprévisible ne tourne jamais, là, à l’errance, à la vide

Page 53/183 dérive, à l’assemblage de hasard qui chercherait en vain comment lancer ou maintenir son mouvement.

Note : 4/6

Page 54/183 France Sauvage : On S'Regarde, On S'Écoute

Chronique réalisée par Dioneo

Cette fois-ci les intitulés sont courts. Toujours étranges, comme d’une logique tordue, décalée, déplacée plutôt qu’innocemment, intégralement absurde. On y lira ce qu’on voudra… Pour ma part j’y entends un jeu de bizarres dérisions – champ de décombres historique tourné colifichet, décoration ; culte supposé exogène, implanté, soudé à une vieille notion d'idéologie nationaliste du cru… Guirlande Zéro, Islam Réel. Deux plages seulement, sur cette cassette, tirées de deux concerts. Deux improvisations qui pour ce coup s’étendent, envahissent, investissent deux laps successifs, chacun autours des vingt minutes. L’humour de ces titres – ou alors c’est autre chose… c’est au fond secondaire, ce flou, cet incertain, voire mieux comme ça – peut donc grincer à certaines oreilles. C'est tout à fait adéquat. Leur matière non-plus ne rassure pas. Rien n’est lisse. Tout sature. Le rythme cogné sur les éléments de la batterie brise les nappes d’électronique enharmonique, perce, démolit l’étale aux bords qui de toute façon filent trop vite, passent toutes lignes, perdent le regard qui veut les suivre, le point d’écoute. La frappe disparaît parfois, engloutie ou simplement interrompue, suspendue, tranchée nette ou écroulée. Les attaques ne cessent guère. Simplement l’assaut s’épaissit ou s’aiguise, l’abrasion se pulvérise en nuage ou se concentre en pointes, se densifie en blocs. Bruits électriques qui débordent, encore ; coups acoustiques qui crachent pour ne pas que le courant, que la tension, que les flots de particules vomis par les machines les effacent, les recouvrent. Une séquence d’applaudissements, de cris – pris aux moments de relâche d'un autre concert ? stockés dans, joués sur un ordinateur, lus sur une bande ? – est mise en boucle, précipitée, envoyée comme en contre à ceux qui font face, se massent autours du trio. "On s’regarde on s’écoute". Oui, sans doute aucun, Bruil, Masé, Duval, s’observent, se tracent, s’anticipent. Ce sont cette fois des tactiques de lutte, d’empoigne. "On se piège, on se déglingue" aurait aussi bien pu faire titre – peut-être eut-il été seulement un peu trop littéral. Le disque tient – ô combien – le long de ces deux tronçons, dans ces deux volumes qu'il excave et remplis, sa substance compacte. Parce qu'il y a bien tactiques de guerre, disais-je, en interne – mais que la stratégie vise les gens autours, qu'il faut entrer dans le vif, exactement ; pour que ceux-là renvoient du tumulte, poussent, remuent, se campent quand ça déferle. On suppose en tout cas qu’il était difficile ce jour là, ce soir ci, de rester immobile, insensible, froid, dans l'espace où tout ça tournait, chutait, se dressait. Cette fois encore je n’entends rien de lâche, d'hésitant, dans ces champs qui grésillent et sifflent ; ces charges électroniques qui se magnétisent, se collent, se repoussent ; les flottements mêmes sont affaire de densités qui basculent, ouvrent des vides en quoi tout de suite elles s’engouffrent. C’est un plaisir fort – vibration pleine, morsure qui tonifie, grondement qui fait crier en même temps que lui de joie, rire au revers de ce qui serait un effroi, entendu au mauvais volume. Tout craque, explose sans fin, échappe, rien ne reste un instant en place – au point que le concept d’instant en perde sa pertinence, dissout dans le remous sans cesse. On entend et on voit, on n'a le temps que de ça. On espère que France Sauvage continuera de ne jamais tracer des figures identiques sur un plan répété. On se dit qu’ils passeront bien tôt ou tard, tous les trois, dans nos parages divers aux bâtisses occupées légalement ou non, diversement chauffées, aux proportions et dimensions de toutes sortes.

Note : 5/6

Page 55/183 Virgin in Veil : Virgin in Veil

Chronique réalisée par Twilight

Il en a toujours été ainsi avec Saph, c’est un boulimique de travail, toujours dans l’urgence créative…Déjà à l’époque de Sleeping Children, il s’était senti le besoin de lancer en parallèle un projet plus dur, Gay Worms Invasion (pas d’enregistrements malheureusement), afin d’étancher sa soif de punk. Rien d’étonnant aujourd’hui, alors que Secular Plague est en train de se faire un nom dans la scène anarcho-punk élargie, que l’envie l’ait titillé de lancer quelque chose de plus orienté deathrock. Le nouveau bébé s’appelle Virgin in Veil et voici déjà une première démo trois titres. Je ne suis pas toujours très à l’aise avec l’appellation ‘démo’ car elle suggère souvent une idée d’incomplet, ce qui n’est pas le cas ici. L’enregistrement est de bonne qualité et les fans de deathrock y trouveront tout ce qu’ils aiment. Le Français installé en Finlande travaille vite et juste; pas question d’arrangements alambiqués, de transitions, il s’agit de trouver les accords qui marquent, de ceux qui provoquent une émotion directe et indélébile et ceux-là, Saph sait les dénicher. On retrouve dans ces trois compositions, l’énergie purement punk qui caractérisait les débuts du style (en cela, l’expérience Secular Plague a certainement aidé, d’ailleurs les paroles restent engagées socialement et spirituellement) avec la touche sombre et torturée en plus, dans ce cas renforcée par les choeurs fort bien placés de l’épouse de monsieur qui n’est autre que Suzi Sabotage, la talentueuse vocaliste de Masquerade. Alors voilà, tout ça est très prometteur et on se réjouit déjà d’en entendre plus. 4,5/6

Note : 4/6

Page 56/183 RUSH : 2112

Chronique réalisée par (N°6)

Le rock progressif, c'est plutôt un truc de droite. Ou du moins un truc de bourgeois. Évidemment aujourd'hui le rock en général est devenu un truc de bourgeois, mais dans les années soixante-dix, cette constatation était un peu difficile à avaler après les révolutionnaires sixties psychédéliques. C'est un cliché, mais le rock s'étalait alors dans des spectacles pour stades, et le progressif devenu gigantesque tiroir-caisse à grand coup de pompe était le symbole d'une décadence digne de la Rome antique. En soixante-seize, très bonne année par ailleurs, l'explosion punk était au tournant de la rue, et il fallait bien un groupe comme Rush (Led Zeppelin-like canadien arrivé sur le tard) pour continuer à foncer tête baissée dans ce qui se faisait alors de plus conchiable, une "suite rock" de vingt minutes. Et comme si ça ne suffisait pas, de dédier la susdite à Ayn Rand, romancière et "philosophe" à l'origine du mouvement objectiviste, gloubi-boulga mêlant éloge de l'individualisme et du laissez-faire (en gros du néo-capitalisme à venir), technophilie et haine des religions (même si vu de loin, le mouvement a un chouïa la gueule d'une secte, mais enfin ça ou la Scientologie après tout). Il n'en fallait pas plus pour que le groupe soit voué aux gémonies de la part d'une critique musicale rock forcément de gauche. Si, forcément, dans les seventies. C'est un peu comme quand Darkthrone colle une étiquette Norsk Arisk Black Metal sur le livret de "Transilvanian Hunger" en fait, c'est vraiment chercher à se faire démonter alors qu'il y avait déjà de quoi faire à la base (et tout comme les joyeux Norvégiens effaceront finalement cette bourde, Neil Peart, parolier "intello" de Rush, tempérera plus tard son goût pour les œuvres de Rand). Et c'est d'autant plus dommage que très franchement, l'histoire un peu, comment dire, neuneu, narrée dans le morceau titre ne déborde pas exactement d'une exaltation littérale pour les concepts Randiens. On nage même un peu dans une sci-fi gentiment culcul la praline, jusqu'à ce que le protagoniste principal, déprimé de ne pas pouvoir éveiller les conscience grâce à la beauuuuté de sa musique, interdite par les tyranniques prêtres qui règnent sur une société très orwellienne, se suicide ou se laisse mourir, j'ai pas bien tout compris. Bon au moins c'est les méchants qui gagnent. Mais enfin, voyez le niveau du machin. Intellectuel qu'on disait à l'époque. Le revers positif de la médaille, c'est que musicalement, ça se pose là, solide et grandiose comme un de ces temples futuristes qu'on imagine dès l'intro toute synthétique. Comme Rush est avant tout un power trio qui fait un peu le pont entre structures complexes et classicisme hard-rock (basse, batterie, guitare, rien de superflu), la fameuse "suite" se tient d'un bout à l'autre sans dégueuler du solo intempestif, mais faisant globalement le grand huit entre passages électriques tempétueux et délicatesse acoustique, selon les scènes et les personnages incarnés par le groupe, à la façon d'un Pierre et le Loup de sci-fi hardos. Bon ok j'exagère, mais ça passe vraiment bien d'autant que, et c'est là où le groupe trouve sa puissance, ce sont trois instrumentistes assez uniques en leur genre et pour peu qu'on supporte de chant de Geddy Lee, sorte de Robert Plant sans sex-appeal, et l'emphase propre au genre, ces vingt minutes se déroulent avec une aise déconcertante, réservant leur lot de séquences de riffs-éclairs torturés et contre-allées rythmiques ainsi que de très belles accalmies réellement envoûtantes. Une synthèse parfaite entre hard du début de la décennie et ambition progressive mais jamais bêtement démonstrative. Pour couronner le tout, comme tout bon vrai groupe de prog, Rush foire un peu la face B de son album. Alors qu'il y a objectivement des bons titres comme "The Twilight Zone", son beau refrain grisâtre et un solo de guitare final bien crève-cœur, ou le magnifique "Tears" qui prouve une fois de plus que la ballade acoustique est un exercice dans lequel les gars de Rush sont

Page 57/183 particulièrement doués (entre un vieux Crimson pour le lyrisme et disons, Scorpions, pour la voix). À côté de ça, "Lessons" évoque plus les débuts du groupe, en très acceptable pis-aller Zeppelinien, mais le gimmick chinetok (j'ai pas d'autre mot), de "A Passage to Bangkok" aurait dû rester dans les cartons. Reste le dernier titre, sec, tranchant, juste tordu ce qu'il faut pour ne pas constituer un obstacle à un barrage de riffs et dont la thématique cette fois très clairement Randienne (un truc sur la vertu de l'individualisme) nous ramène à l'affirmation du début. À savoir que le prog est un genre de droite. Mais que le rock reste un truc anglo-saxon. Parce que quand Rush sortait cet album aux sommets impressionnants malgré des thématiques plutôt douteuses pour tout punk qui se respecte, en France on se tapait Michel Sardou qui chantait "Je suis pour".

Putain d'année, 1976.

Note : 4/6

Page 58/183 SIDA : SIDA (K7)

Chronique réalisée par Dioneo

Lo-fi, lo-fi… Comment ça, comme "basse fidélité" ? Fidélité à quoi, d’abord ? Vous pensiez que ça promettait du propre, avec un nom pareil ? Du sain ? Que ça vous devait quelque chose ? Vous croyez que ça peut dire autre chose que "tu vas douiller et puis crever" ? En fait… Ça ne dit même pas ça. SIDA, en ses débuts, n’articule rien – hormis cette agression patente et froide, ces quatre lettres frappées sur la pochette, les flyers, infiltrées dans les annonces de concerts. Tout y hurle, tout est bruit. Ce n’est pas d’ailleurs que Maïssa et les autres poliront vraiment le son, par la suite, ni qu’ils baisseront d’un ton. Mais ici c’est envoyé encore plus brut, pas ébarbé, dégueulasse. Elle s’égosille et se fait des chœurs de crissements, les doigts crispés sur le clavier. Ces nappes de crasse métal et celles que lâche la guitare de Luca ne sont pas forcément distinctes. Quentin martèle aussi primaire que possible, et le fracas des ses trucs – cymbales, fûts, éléments – sature autant que les décharges sans forme des deux autres. Il tape, à la rigueur, si on tient aux comparaisons, comme Ikue Mori du temps de DNA – à ceci près qu’ici ça pousse parfois le défonçage jusqu’autours de huit minutes plutôt que dans les trente secondes serrées. Et puis d’ailleurs… D’ailleurs si : tout ça est très "fidèle", au contraire, adéquat, logiquement combiné. Parfait pour cette intention manifeste, forcenée : vous faire la peau ou au moins que vous repartiez avec ce poison dans le sang. Encore une fois, tout est déjà dans le nom : ce ne sera que déficience, ça saisira et ça broiera les anticorps avant qu’ils aient le temps même de bouger, de voire venir ; une effraction qui imprimera la défaillance dans votre santé, votre sécurité mentale. Peut-être qu’au fond ces jeunes-là – quel âge pouvaient-ils avoir, en 2010, ces deux types et cette fille ? – voulaient simplement se défouler sans précaution, vider la rage. Il n’empêche. Je me rappelle parfaitement les avoir vus, deux ans plus tard ou à peine, quand ils jouaient une mouture, une souche encore très proche de celle entendue là, de leur brouet infectieux. Je me souviens très bien des visages verrouillés, de l’œil brillant mais fixe, coupant. Je n’ai pas oublié la méchante jubilation de leur bordel sans structure, prolifération anarchique, la raideur des arrêtes, pourtant, des segments – blam et tchack et maniaque, disais-je, insistait sans fin la batterie. Quelque chose de fermé, d’hostile, une sorte – je maintiens – de "c’est ça, approchez, on va vous saigner". Et puis bien entendu : je n’ai pas oublié comme c’était attirant. Parce que c’est attirant, les gueules de bêtes ou de machines en tessons ; que c’est réjouissant d’être assez con pour embarquer avec des inconscients qui sans prévenir éjectent le pilote et s’emparent des commandes ; tout simplement – restons lucide, ce n’est que de la musique, ou autre chose qui la démonte, déboîte, déglingue, éviscère mais bref… – parce que c’est excitant, ce chaos qui vous fond sur les cervicales depuis l’estrade. Ou depuis les enceintes, chez vous, si vous prend l’envie de faire cailler l’air entre vos murs en même temps que d’y creuser des plaies. SIDA, disais-je, ne se sont depuis pas calmé. Simplement ils ont appris – à contrôler leur bordel, à varier les attaques en angles, longueurs, amplitudes. On comprend mieux désormais ce qui y était déjà : une espèce de garage – au sens du rock du même nom, qui s’est toujours joué plutôt dans des caves que dans des garages véritables, d’ailleurs – dans les hoquets soudainement suraigus et brefs ; la torsion et l’oubli de tout ce qui aurait pu faire base solide, qu’on appellera no-wave si on veut – mais ce n’est pas le nom d’un genre ; c’est ce qui fait que ce n’est pas du twist mais du spasme. De là, disais-je, ils allaient continuer. Et nous, à mesure, nous prendre au jeu de les danser, leurs bastons, algarades, leur raids – pleine face et viande et os, pas moins déterminés, en les épousant ou en les esquivant, leurs flexions et cassures vicieuses. J’aime ce qu’ils sont maintenant, quand ça ne vous fout

Page 59/183 toujours pas la paix. Je ne trouve pas affaiblie cette première dose massive, excessive, surcharge juvénile qui sans doute ne voulait même pas entendre si elle pouvait ou non épuiser leurs propres forces.

Note : 4/6

Page 60/183 SOLITUDE AETURNUS : Alone

Chronique réalisée par Rastignac

Solitude Aeturnus est un groupe texan, d'où ce latin on va dire... américain utilisé pour décrire le nom du groupe. Vous pouvez déjà lire dans la chronique du premier album ce qui est important à retenir quant au style pratiqué ici : ceci est un groupe de doom pré-internet ancré dans les années 80 et le lyrisme scandinave propre à Mr. Marcolin, grosse touffe de cheveux frisés, vestes à franges sous les bras, strobo pendant la double grosse-caisse à deux de tension - et cela n'a pas beaucoup changé en 2006 sur "Alone". Pourquoi donc chroniquer cet album en particulier ? Parce que : c'est le dernier en date, la boucle est fourchée Obiwan, et parce que c'est celui que j'ai le plus écouté. Moilà. Donc, si vous suivez bien, et que vous écoutez du doom au dîner, entre deux enterrements et trois messes noires, vous saurez que des groupes comme Solitude Aeturnus ne feront jamais dans la réforme de la tradition... c'est un peu comme si on demandait à Glen Benton de faire du néo-metal. Non ? Hem, euh... c'est comme si on demandait à Rastignac de finir ses chroniques ? Bien, donc une heure (remplissage de gueule du CD à FOND), de riffs lents et tristes, de chants désespérés qui partent dans les trémolos type moine hanté par l'orient mystérieux et l'envie de se tirer une balle, tout cela arrangé au poil : c'est carré, et beau, et lent, avec des solos sous la pluie de la déchéance. Alors, oui, le propos n'est pas jouasse, y a qu'à regarder la pochette, mais en fait, ce fut un argument publicitaire pour moi quand je cherchais à me déprimer à tout prix lors d'un lundi de Pâques il y a quelques années de cela : un mec qui se pend ça rentre dans le cahier des charges d'un achat xanaxophobe ! Je pensais même, sans connaitre le groupe, qu'il s'agissait d'un truc plus funeral à la Skepticism. Que nenni ! Vous êtes ici en terre Heavy Metal héritière des rois Ronnie, Ozzy et Bobby, version pas gutturale du tout, très mélodieuse, et pas complètement suicidaire non plus - tristoune, mais juste un poil, avec beaucoup, beaucoup de lyrisme, et en même temps un talent à lâcher la bride pour laisser l'auditeur contempler le vide de l'existence entre deux headbangs au bord de la falaise. Un gars disait ailleurs que l'écoute idéale doit se faire la nuit avec de la gnôle - évitez donc de vous mettre ça dans les oreilles à 14H au bord de la plage au mois de juillet - à part si vous êtes un snobinard postmoderne bien sûr. Idéal pour chanter comme un troll de Notre Dame, superbe album si vous vous sentez vraiment comme un paria, mais de l'Opéra, ce disque, ce groupe est idéal pour vos introspections caverneuses, mais attention ! Il parlera bien sûr plus aux goulus de heavy metal.

Note : 5/6

Page 61/183 Haiku D'Etat : Haiku D'Etat

Chronique réalisée par Raven

Haiku d'Etat, supergroupe du rap alternatif de la fin des années 90, déborde de bonnes vibes, de sarcasmes feutrés, d'intelligence. Leur son incrusté d'une finesse jazz-rock parlera aux plus raffinés et pinailleurs d'entre vous, ceux qui reprochent trop souvent au hip-hop d'être une musique binaire pour bourrins. Dans l'esprit, on est entre The Roots, les tous premiers MC Solaar, et Latyrx. Comme un Freestyle Fellowship en plus feutré... Et rien d'étonnant, quand on voit quels sont les MC's au casting. Ces rappeurs de la côte Ouest qui sont les ancêtres, confidentiels et occultes, de toute une frange abstract du hip-hop. Haiku d'Etat, c'est donc, sans surprise, du boom bap intégralement organique, chaud, envoûtant et étrange, tissé d'élucubrations lugubres au creux de l'oreille. Avec, hélas, un ou deux refrains qui sonnent un peu trop péniblement jazzy-couillons à mes oreilles, comme sur le morceau-titre d'intro, et quelques flows pas toujours marquants, même s'ils savent se faire complexes et avant-gardistes ("Pro-Tools Robots"). Mais vraiment rien de rédhibitoire de ce côté. Je préfère focaliser sur le diaphragme... car progressivement, Haiku d'Etat augmentent leur énergie, réveillant le beat qui dans leur âme est tapi. Un beat de caisse claire, des lignes de basse moelleuses, coussins sonores douillets pour échapée hip-hop subtile, des détails finement ciselés... Un son nocturne strié d'abstractions sublimes ("S.O.S.", "Studio Street Stage", "Firecracker", "Kaya") et de boom bap bien dry à la , donc de haute qualité ("Wants vs. Needs"). Haiku D'Etat sont bien capables de se vautrer dans une ambiance sudiste-cool à la Lynyrd Skynyrd ("Still Rappin'") mais aussi, à l'occasion, de craquer des moments flippés (le morceau avorté "West Slide Slip'n'Side" qui vire à l'altercation ordurière sur une instru glaciale). Un album faussement tiède, pour lequel j'ai dû tourner mes tympans sept fois dans mes oreilles avant de juger opportun de ramener ma fraise. Car son plein effet n'est pas immédiat. C'est un hip-hop qu'il faut laisser s'ouvrir patiemment, pour qu'il embaume de ses parfums boisés, de ses vapeurs étranges. Du rap 100% cousu main, qui a dû faire grand bien à quelques-uns en 1999. Pour l'ambiance adéquate, allumez juste une bougie et un bâton d'encens.

Note : 5/6

Page 62/183 ACEYALONE : A Book of Human Language

Chronique réalisée par Raven

« When they come they come, like a thief in the night...» Hip-hop trouble et nocturne ? Vous y êtes. Oui-ja ? Oui-da... Hip-hop spectral, même, quand le flow, que certains esprits chagrins trouveront parasite, s'éclipse pour laisser s'épanouir la musique de Mumbles dans toute sa délicate et versatile beauté, à travers ses boucles-volutes. On savait Aceyalone rompu dans l'exercice, mais ce sophomore (je trouve dommage de ne pas avoir de traduction en français pour ce mot que je trouve superbe, je l'utilise donc tel quel) prouve qu'il est capable de se plonger sur un album entier dans des ambiances des plus feutrées, voire profondément oniriques, les meilleures passages évoquant quelque cauchemar cotonneux d'opiomane. Hormis des interludes comme "The Reason", qui rompent un peu le charme le temps d'une minute, tout dans cet album n'est que sublime fugue jazz rap, dans une pénombre intemporelle... Le flow métaphorico-occulto-technico-intello-tiède de Aceyalone, qui est du genre à utiliser un skit pour annoncer la tracklist dans un écho d'une solitude pathétique, évoquer halluciné le souvenir du tic-toc de l'horloge de son grand-père, ou réciter un poème de Lewis Caroll en voix trafiquée, se fond parfaitement dans ces instrus intimes, petit chat anonyme rampant dans le gris de la nuit, sur des beats comme autant de toits et de gouttières, miaulant ses contes à quelque oreille badaude... Ce hip-hop est vivant, il respire, il est à la lisière de deux mondes... C'est une nuit vaporeuse, une cavale bavarde et fantôme... « The walls have ears, the windows have eyes, and a wise man tells no lies. The walls have ears, the windows have eyes, and a dead man tells no lies »... Aceyalone nous prend par la main et nous invite dans ses ruelles secrètes, loin de la violence de la banlieue, là où les chats deviennent ombres... Là où tout n'est que menace et murmures... Là où les brèches dans le béton laissent passer le vent, les regards... Lâchez un peu les Roots, si vous y êtes encore collés, et tempérez vos ardeurs sur les sorties les plus envoûtantes de chez Anticon : c'est par ici que ça se passe, dans la brume, dans les bas-fonds... Hip-hop de minuit...

Note : 5/6

Page 63/183 LOWBROW : Sex. Violence. Death.

Chronique réalisée par Rastignac

Qu'est-ce qui fait la différence entre la bonne musique et la mauvaise musique ? Ben, tu vois, la bonne musique, elle vise, elle touche, alors que la mauvaise, elle vise, elle touche mais bon, c'est pas forcément pareil. Alors, peut-être que le critère discriminant restera l'ennui, ou l'impression que la musique vient marcher sur les pieds. Deux exemples : il fait nuit, vous arrivez enfin à vous endormir, lorsque tout à coup une voiture passe dans la rue avec du Booba à fond la caisse. Deuxième exemple : certains disques de metal pénibles. Ces deux critères de pénibilité et d'ennui peuvent être liés à tout un tas de facteurs : répétabilité, mauvaise copie, fainéantise dans la composition un peu trop évidente, fatigue générale dûe à la vieillesse prématurée des neurones sous le coup de toxiques divers et variés... L'avis semblait unanime par ici sur le premier album de Lowbrow. Pour remettre un peu le contexte en route, Lowbrow fut constitué par Allen West, guitariste stupéfiant, après le split d'Obituary, puis son vidage de Six Feet Under. Monté avec des routiers de la scène locale (mais quelle scène ! on se trouve à Tampa rimèmbeurre ?), avec entre autres des ex de Nasty Savage, Death, Agent Steel, selon les line-up successifs, Lowbrow restera strictement confidentiel, avec une durée de vie très courte, étant donné j'imagine le retour de West dans Obituary dès 2003 - certaines sources disent que c'est à l'issue d'une tournée catastrophe que tout s'arrêta, mais cela ne nous regarde pas. J'ai donc entre les mains le deuxième et dernier album du groupe... ça me titillait trop d'écouter ça, la chronique du premier album "Victims at Play" semblait si définitive (premier album sorti le jour de la tuerie de Columbine s’enorgueillit encore la bio du groupe qu'on peut lire sur leur site web 0.0 toujours en ligne. Ah ah.). Alors ? Toujours chiant ? Toujours pénible ? Ben un peu, mais pas trop, on va dire dans le baromètre de l'ennui, un cran de plus vers "tempête" par rapport à ma réception des premiers Six Feet Under par exemple. Lowbrow joue du bon death d'ambiance, idéal pour que ça tourne en fond là, avec j'imagine peu d'illusions, le groupe restant celui d'une bande de potes tapant le boeuf vu de loin... Quels sont donc les points négatifs ? Déjà, la voix du roadie d'Obituary ayant monté ce groupe avec West... oui, c'est bien une espèce de clone fatigué de Barnes, trop mis en évidence dans la production, et dont les paroles se veulent d'un glauque absolu mais tellement over the top qu'elles font un peu sourire, genre le refrain beuglé dans "The Hatred you Create" : "your father hates you, your mother hates you, we all hate you, why don't you just diiiiiieeee!". Mais pourquoi tant de haine ? Ben il suffit de regarder le livret, et l'ambiance bien white trash, la bobine anti-héros du chanteur, le batteur posant avec ses fusils automatiques, Allen West les yeux rouge bo183on sur toutes les tof, le bassiste tisant à la bouteille la gnôle locale, sous les feuilles de bananier... arf. Ensuite oui, la production est trop plate, il faut vraiment pousser le volume à fond, donc on entend encore plus le chanteur, donc c'est encore moins death de salon. C'est tellement con que la guitare ne soit pas assez grosse ici, car c'est quand même le principal intérêt de l'album : je n'arrive pas à me lasser de ces riffs tellement bloqués, patauds, gras et ces solos liant l'efficacité avec la branlitude la plus totale... et donc voilà les points positifs, les riffs de gratte, englouti sous la voix du gros roadie ! Dommage. Ce disque est donc bien carré, bien exécuté - à part la voix qui est parfois vraiment rebutante -, mais vraiment mal produit, avec des morceaux qui sont parfois trop longs. Ce Sex. Violence. Death. aurait pu être bon si de meilleurs choix avait été effectués, dans l'écriture, dans la production... on n'est pas loin d'une possibilité, mais avec des Si ma bonne dame... Je serai donc un peu moins dur qu'el grande Pokemonslaughter et je m'empresse d'ajouter une bouboule à la mémoire de cet album ci car il ne me casse

Page 64/183 pas les pieds à 100 %, ne m'ennuie pas trop, mais ne saurait être un bon exemple canon du genre death metal à l'ancienne, simple et efficace, faute à cette production et à une envie de bien ficeler tout cela qui a dû échapper aux séances douilles et tequila...

Note : 3/6

Page 65/183 Double X : Ruff, Rugged & Raw

Chronique réalisée par Raven

Haha, ces poses super concernées... Touchant, vraiment ; mais les groupes de hip-hop agressifs et peu portés sur le spitiruel - entendez hardcore - du milieu des années 90 avaient quand même une autre gueule, même quand ils étaient de purs seconds couteaux sans la moindre originalité. Là je parle du son, bien sûr, traduction hip-hop des couleurs et de l'esthétique de cette pochette. Le Double XX Posse, reconverti en Double X (parce que plus de posse, et que "Double XX" = "XXXX", ce qui sonnait redondant), exactement comme ses voisins Lords Of The Underground, était rigoureusement east-coast, jusqu'au bout des samples de cuivres. Le son de Ruff, Rugged & Raw est totalement dans ce style organique, mi-racaille mi-jazzy, mi-nocturne mi-énervé. Il n'y a ici aucun titre possédant un break aussi cramé que celui de leur excellent tube "Not Gonna Be Able To Do It", mais ce deuxième disque de l'ombre, fauché mais pas cheesy, est comme le premier, avec un son peut-être plus dark. Le côté gueulard et onomatopéo-débile des Double X me saoûle, c'est un peu le même sentiment qu'avec le premier LOTUG, notamment sur des morceaux comme "Wreckin' It" ou "Wicked & Wild", mais pour le reste, ce boom bap bien sec et brut de flow de Jersey fait bien le taff', je ne vois pas quoi demander de plus à ce genre d'album, même s'il lui manque quelque chose, quelque originalité, pour être au niveau du premier Onyx. Les deux MC's flowent en soudards, bramant comme des hooligans, et bricolent eux-mêmes leurs instrus, pas du tout dégueu, totalement inspirées par la vague boom bap jazzy-sombre du moment, comme une énième variante racaille et anonyme de 93 'Til Infinity ou Enta Da Stage. On oscille entre gueulantes bassement thug ("Money Talks") et gros trips urbains bien boisés et rocailleux ("Make Some Noise", "8 Bars of Terror") voire mobb-deepiens ("Stop That Playin'"). Ceux qui ne jurent que par M.O.P. ou Onyx savent déjà sur quoi poser leur diamant.

Note : 3/6

Page 66/183 Władysław Komendarek : Deformator

Chronique réalisée par Phaedream

Décidément, l'univers sonique de Władysław Komendarek est tissé dans l'originalité! On serait porté à croire que le sorcier des sons Polonais, puisqu'il niche sur le label Ricochet Dream, ferait un style de MÉ portée sur le modèle de la Berlin School. Il n'en n'est rien! “Deformator” poursuit là où Chronowizor s'était arrêté, soit dans les terres de la musique sans frontières. Une MÉ insoumise où le très expérimental, le techno, le Ska, le Drum'n'Bass, le Hip-Hop et l'IDM épicés de sauce psybient envahit nos oreilles et fait crier les voisins. Certes il y a des parfums de la Berlin School, notamment pour les rythmes séquencés et les innombrables et très bons solos de synthé. Mais pour le reste, ce dernier album de Władysław Komendarek porte admirablement bien son nom avec des rythmes décousus, et des mélodies qui le sont tout autant, qui nichent dans un impressionnant collages de percussions, de voix aussi agaçantes que séduisantes et de denses orchestrations qui freinent la fureur des rythmes. C'est un album avec un Komendarek encore plus décapant, plus mordant et incisif. Un Komendarek qui aime vêtir des habits de Frank Zappa pour déformer ses visions satiriques de la société et de son actualité planétaire avec une musique totalement agressive et déjantée où les structures se perdent et se déforment dans des allégories qui refusent toute forme d'esthétique. Des percussions, des basses pulsations aussi agiles que les séquences. Le mouvement de "Consciousness Mill" est pilonnée de manière vive et fluide. Il saute d'une oreille à l'autre avec une série de 5 pas qui trébuchent par moments. C'est du gros up-beat, quasiment du speed-beat, avec des coups secs et feutrés où les murmures en arrière-plan et les cliquetis des tsitt-tsitt halètent dans nos oreilles. Si le rythme bat de son pattern minimaliste, les mélodies qui vont et viennent affichent une belle diversité et font contraste dans cette pluie d'effets sonores et de balbutiements iconoclastes qui nourrie le côté très psybient de “Deformator”. On aime ces structures de rythmes effrénés où le souffle nous manque après avoir danser et sauter en fou? On va aimer le très vite et vorace "Nude Lips", qui est véritable marathon rythmique pour les oreilles. La voix agace un peu, mais elle va parfaitement dans ce décor où la démesure est de mise. "Slaves of Mythology" est un peu plus nuancé et son approche up-beat est noyé dans une forme de jazz-blues unique au monde de Frank Zappa. C'est un titre que les voisins détestent! Après une intro ambiosonique teintée de nappes de voix angéliques, certaines plus belliqueuses, "Guards of Silence" matraque nos oreilles avec des pulsations saccadées qui font symbiose avec d'autres plus organiques. Divisé entre ses ambiances et son rythme qui devient technoïde, "Guards of Silence" embrasse une approche qui me rappelle celle de Prodigy dans Music for the Jilted Generation, notamment sur Break & Enter. Władysław Komendarek est comme un cheval fou et rue dans ses structures avec une totale absence de filtre commercial. Les effets soniques sont envahissants et perturbateurs avec des grosses torsades peintent de réverbérations et de grosses régurgitations soniques. Ici comme partout autour des rythmes fous de “Deformator”, Komendarek utilise à escient des nappes de synthé gorgées de prismes et d'orchestrations, donnant un sentiment éthéré à ses structures indomptables. Des rythmes qui parfois nous paraissent un peu plus du style lounge, un peu plus tranquilles, comme dans les charmes arabiques de "Love Daughters" et ses échantillonnages de percussions, de flûtes et de chants claniques qui aromatisent une structure qui saute comme lorsqu'un microsillon sautant sur notre table tournante. Ça peut être agaçant, mais ça reste attrayant. Surtout si on veut faire flipper la visite. Un beat lourd qui martèle nos oreilles avec des accords de sitar dans une structure aussi insaisissable qu'un cochon huilé,

Page 67/183 "Totalitarian Engineering" amène une approche de techno (trsitt-tsitt) noyé dans d'innombrables collages de voix déformées et de bruits hétéroclites. C'est assez indigeste, mais les amateurs de psybient défoncé à coups de martèlements et d'effets de break-dance seront ravis. La flûte Perse, les percussions tablas apportent une dimension tribale très éclectique à ce titre qui démontre que Władysław Komendarek n'a aucune frontière et réussit à injecter des effets et arrangements qui captiveront votre curiosité sonique. Déjanté et disjoncté! "World Great Slogans" est, et de loin, le titre le plus accessible dans “Deformator”. L'approche est très Berlin School avec une belle ligne de séquences hypnotiques qui tourne en boucle dans des nuages de radioactivité sonique. Le titre plonge dans un moment d'ambiances ectoplasmiques avant de revenir avec une structure plus musicale. Il y a de bons solos de synthé, assez discrets. J'ai bien aimé. On accroche à la première écoute. "Wife-Beater" fait dans du techno zombiesque avec des pulsations matraquées avec la régularité d'un métronome, enfin pour ce qui est de sa première partie, avant que le rythme devienne un peu plus instable en seconde moitié. Des riffs, des voix, des cris et d'autres éléments soniques sont au menu de ce titre qui est sans doute le moins créatif dans “Deformator”. Ça vous donne une idée de quoi le reste à l'air! La pièce-titre offre une panoplie de bruits insolites, de grésillements, de voix d'outre-tombe et d'effets soniques psychédéliques sur un rythme mou. Sur des pulsations qui palpitent timidement afin de laisser toute la place à ces nuées d'échantillonnages qui parfument la vision artistique très avant-gardiste, bizarroïde et déjanté de Władysław Komendarek. Si vous aborder “Deformator” en une seule écoute, il se pourrait que vous vous poussiez en courant et laisser votre ombre toute perplexe en arrière. Il en faut plus afin d'apprivoiser cette toile sonique imprégnée d'audace qu'est ce dernier album de Władysław Komendarek. Le techno-trash ou l'IDM moulé dans du psybient de haut niveau! Nous sommes bien loin du Berlin School et même de ses dérivés. Pourtant les séquences, les arrangements et les solos de synthé ne peuvent nier les chemins déterrés par Komendarek pour se rendre où il est rendu. Il faut juste oser. Habituer ses oreilles à quelque chose de déjanté. Et des fois, ça fait du bien. “Deformator” est à déguster à petites doses. Même si des fois on juge que l'on peut passer au travers sans trop de difficultés. Un gros A pour l'originalité.

Note : 4/6

Page 68/183 Forrest Fang : Letters to the Farthest Star

Chronique réalisée par Phaedream

Bien que très loin du style de musique ambiante usuelle, la musique de Forrest Fang revêt un cachet unique avec cette fusion de Folk ambiant à des parfums d'Orient. Autant à l'aise avec une panoplie d'instruments acoustiques orientales (sur "The Unreachable Lands" la Luth Turc, les violons chinois et les percussions Indonésiennes dominent ambiances, rythmes et harmonies) qu'avec des instruments électroniques, le musicien et synthésiste sino-américain aime dessiner ces brises et ces vents des synthés afin de tisser des paysages harmoniques et soniques qui donnent encore plus de couleurs, plus de reliefs à une musique ambiante délicatement secouée par des approches de ballade ancrées dans le Folk américain. Le résultat est toujours assez séduisant. Scindé en deux parties, “Letters to the Farthest Star” reste un album méditatif et mélancolique. Si "The Unreachable Lands" propose des rythmes de la musique du monde à des ambiances tétanisantes ponctuées d'interludes harmonieuses et entraînantes, le reste de l'album nous plonge dans le sombre univers de Forest Fang où de ténébreuses ambiances avalent des rythmes aussi évanescents que les mélodies qui les ornent. Au final, il en résulte à un album très poétique où les deux pôles de Forrest Fang se côtoient sans jamais vraiment se fusionner. Ça débute tranquillement. Une onde de vents s'élève pour balayer les horizons de couleurs irisées où les chants d'un bleu brillant se perd dans de sourdes et sombres réverbérations. La quadrilogie de "The Unreachable Lands" détache sa première partie avec des notes d'une guitare pensive qui sort des vents de "Unsail". Forrest Fang nous conduit dès lors vers un rythme lent. Vers la ballade d'un genre Bayou de "Song of the Camel". On roule du cou. C'est délicatement entraînant. Les percussions moulent un délicat mouvement de transe spirituelle alors que la ligne de basse sculpte un genre de blues très tribale et que les flûtes dégagent des harmonies festives nappées d'un parfum d'Orient. Les sombres vents reviennent pour orner les ambiances de "Water Village" d'un étanche voile sibyllin. Les deux premières minutes sont ténébreuses. Elles sont le sombre prélude à une structure de rythme aussi suave et lascive que dans "Song of the Camel", la ligne de basse et vicieusement entraînante, qu'un violon chinois recouvre d'un linceul ambiant. C'est du pur Folk ambiant à la Loggins&Messina. C'est un point de référence qui me vient comme ça et que je trouve assez pertinent. D'ailleurs la musique de Forrest Fang est un sublime mélange de Folk américain et de Folk oriental que des parfums de MÉ embaument d'une reposante aura méditative. "Hermitage" conclut la saga "The Unreachable Lands" avec une approche pensive où le violon, on dirait une harmonica, pleure dans les sanglots d'un piano. C'est tendre et très mélancolique. C'est un petit fil qui nous conduit à l'autre versant de “Letters to the Farthest Star”. "Burnt Offerings" échange son introduction nouée dans des vents creux pour un rythme toujours aussi lent et folklorique. Une ballade ambiante qui se perd dans les vents de son intro et fragmente ses accords acoustiques dans la turbulence des vents synthétisés. "Veldt Hypnosis" nous amène dans les territoires un peu plus électronique de Forrest Fang. Une nuée d'ondes de synthé aux lignes ondoyantes et aux chants sibyllins forgent une étrange mélodie ambiante dont le chant spectral secoue des cordes remplies de clochettes. Le rythme qui éclot provient de deux lignes de percussions. Une est fluide avec de coups vifs qui sculptent la marche électronique d'un iule avec des castagnettes à la place des pieds. Et l'autre est lourde et pesante avec

Page 69/183 des tonnerres de tambourinements qui forgent un ciel rageur et tapageur. Les deux lignes réduisent dans un état de quasi absence une délicate mélodie puisée dans les multiples clochettes. Une mélodie qui perce cette orage de tam-tams, dont seuls les coups fluides et vifs ont su résister à l'usure des 8 minutes de "Veldt Hypnosis". L'effet dans un salon est tout simplement renversant. Les ambiances sont lourdes et toujours menaçantes, comme le très ambiant "Fossils" et ses accords de six-cordes qui cherchent ses harmonies dans des vents hurleurs. Une discrète ligne de séquences sculpte le rythme ambiant de "Seven Coronas" qui ascensionne des paysages soniques très méditatifs avec des larmes de violons qui coulent sur les harmonies des carillons. C'est triste et le violon est assez poignant. "Lorenz" propose une nuit d'étoiles filantes dont les sillons dans le noir firmament tissent des harmonies égarées dans d'obscurs et denses vents aussi noirs que creux. Nous sommes dans de l'ambiant sombre et très enveloppant, comme le gant d'une nuit noire. Et c'est encore plus vrai avec "Lines to Infinity" et ses accords de guitare qui grattent une mélodie qui cherche toujours sa forme dans d'épaisses strates de synthé aux couleurs aussi obscures que ces longs passages à travers les grottes sans lumières des déserts américains. Nous avons droit à 3 titres en bonus si on achète la version téléchargeable de “Letters to the Farthest Star”. Et je dois dire que ce n'est pas juste du remplissage. Le remix en version ambiante de "Water Village" est très bonne. On dirait plus que nous sommes dans des déserts californiens du temps des cowboys avec un rythme nettement plus lascif. Nous percevons encore mieux les très discrètes harmonies de l'harmonica ici et ça donne au titre une belle approche de western lugubre, quasiment apocalyptique. Je préfère mieux cette version de "Burnt Offerings" où tout est nettement mieux nuancé, notamment le jeu des percussions qui sont plus lourdes et plus détaillées. On plonge littéralement dans les œuvres des déserts californiens de Steve Roach. Très bon! Par contre, j'aime mieux la version originale de "Song of the Camel". Ici, dans sa version déconstruction, on peine à retrouver son essence. J'ai bien aimé “Letters to the Farthest Star”. Forrest Fang y est résolument moins arythmique que sur U183ound, même que parfois il fait preuve d'une bonne dose de violence sauvage qui équivaut à une horde de chevaux piétinant des nids de fourmis. Il y a beaucoup d'ambiances et de profondeurs, tant dans les phases ambiantes que les rythmes. Et ces petites interludes mélodieuses qui vont et viennent ajoutent encore plus de charmes à un album qui malgré tout demande une bonne dose de curiosité à ceux qui ne connaissent ni ne s'intéressent au genre. Pour les autres, vous allez adorer. Mais en tout temps, la découverte de Forrest Fang devrait rester à votre agenda.

Note : 4/6

Page 70/183 Faber : Stories

Chronique réalisée par Phaedream

Voici une petite découverte que j'ai faite dernièrement qui s'adresse à ceux qui n'aiment pas vraiment la MÉ compliquée. Faber n'est pourtant pas un nouveau venu dans la sphère de la MÉ allemande. Ce projet du musicien/synthésiste Allemand Ronald Schmidt est sur pied depuis près de 15 ans avec un premier album, paru aussi sur MellowJet Records, intitulé Spacefish. Son histoire d'amour pour la MÉ débute au début des 70 avec la découverte d'artistes qui affectionnaient un genre plus classique, soit Wendy Carlos et Tomita. En fouillant un peu plus sur Internet, j'ai lu que ses influences variaient de Tangerine Dream à Klaus Schulze, en passant par Mike Oldfield et Wendy Carlos. “Stories” est son 10ième album. Il comprend une dizaine de titres où la musique tourne autour des rythmes et des mélodies d'un genre plus accessible, comme Tangerine Dream, mais surtout Kraftwerk pour le style synth-pop très Teutonique et Robert Schroeder pour le style groove lascif. Ce qui étonne est la richesse du son. La profondeur des arrangements. Ronald Schmidt ne laisse rien au hasard en multipliant des orchestrations et des lignes de synthé aux couleurs très harmoniques avec une approche structurelle dans les mélodies qui me rappellent vaguement la musique de Vladimir Cosma. Voilà une belle surprise et un beau rendez-vous musical où chacun des 10 titres de “Stories” vous laissera le doux parfum sonique d'un agréable ver d'oreille. Et c'est tout en douceur que débute ce petit recueil musical de Faber. Des lignes de synthé chatoyantes caressent de leurs chauds rayonnements des doux arpèges dont les ombres qui se détachent tintent comme dans ces mélodies du Dream, période Underwater Sunlight. Une ligne de basse rampe autour de ce mini carrousel sonique, forgeant un mouvement ascensionnel minimaliste qui cherche son appui sur de sourdes pulsations. L'enveloppe sonique est très riche. On entend un synthé siffloter un air spectral, alors que les sobres percussions accélère à peine la cadence de "Summer Breeze" dont l'enveloppe musicale et les ambiances portent admirablement son nom. Le rythme est doux, un peu comme une ballade ambiante. Des arpèges déboulent comme les notes d'une harpe que l'on caresse du revers de la main, alors que d'autres se détachent pour forger une mélodie romanesque avec de délicats tintements, comme un xylophone éthéré. "Summer Breeze" tombe alors dans un bref passage ambiant avant de renouer avec son rythme doux où les brises et les vents unissent leurs douceurs afin de siffloter cette mélodie spectrale que l'on retrouvera à plusieurs endroits dans “Stories”. "Summer Breeze" donne le coup d'envoie à un album où chaque structure génère des similitudes sans pour autant se ressembler étroitement. Je pense entre autre au très beau "L'air Part I" et ses ambiances cosmiques sur un rythme sautillant délicatement. La mélodie sifflotée au synthé est tout simplement envahissante. Je vous mets au défi de ne pas craquer pour cet air spectral qui nous ronge les oreilles pour longtemps. Un phénomène que l'on observe sur les 10 titres de “Stories”."Lonely Heart" est à peu près dans le même genre, mais avec une belle approche à la Food For Fantasy. Idem pour le slow tempo qu'est "Bon Voyage" qui est bien arrosé d'un synthé aux parfums de saxophone. Un synthé tout de même assez électronique qui lance aussi de bons solos. "Happy in Berlin" est mon premier coup de cœur sur “Stories”. La structure de rythme accroche tout de go avec des pulsations et leurs ombres résonnantes qui accueillent un superbe solo à la mélodie aussi enjôleuse, et même plus, que dans "Summer Breeze". C'est très Teutonique. Près d'un bon synth-pop avec de beaux

Page 71/183 arrangements. À la limite même près de Kraftwerk, surtout avec les refrains chantés sur un vocodeur. Le rythme est entraînant. Sec et saccadé, mais en même temps fluide et bien alimenté par cette multitude de pulsations qui résonnent dans des percussions très robotiques, créant une oblongue forme ondulante et saccadée. Comme un gros boa sur acide qui grimpe un mur de rocaille. Loin d`être agaçants, les refrains du vocodeur sont aussi ensorcelants que les harmonies sifflotées par un synthé très accrocheur. "Tangerine Lights" démarre avec des grosses pulsations organiques qui résonnent dans les échos de percussions aux tonalités métalliques, genre Reggae. Des nuages de brume allégorique envahissent cette intro alors qu'une mélodie très New Age en orne sa parure. Le rythme bascule vers du synth-pop alimenté par des pulsations organiques stroboscopiques qui tournoient en symbiose avec une série d'arpèges séquencés. C'est mignon et assez commercial. La mélodie qui en sort me rappelle les légèretés de Vladimir Cosma. "Miami Race" offre un rythme endiablé avec un bon maillage de pulsations, de séquences, d'arpèges vifs et de percussions. La piano est divin et suit la vitesse d'un rythme sec et bondissant. Du bon up-beat enveloppé dans des nuances qui font contrastes avec un rythme infernal, notamment ces longs et lents solos qui sillonnent la violence. Et du rythme et du piano. "New Elements" nous plonge littéralement dans les ambiances de Kraftwerk et de Man-Machine. On est vite séduit par deux structures de rythmes qui se croisent dans des vélocités contraires. Et ce Vocodeur...Que de souvenirs ici! On va craquer aussi pour le rythme ondulant de "Night Flight" alors que "Fairy Tales" est plus vivant. Plus musical aussi avec ce synthé rempli des parfums d'une flûte de Pan et ces séquences qui sautillent dans leurs ombres avec des tonalités mixtes. Ça m'a pris du temps avant de vous parler de “Stories”. Je l'ai écouté sous toutes ses coutures afin de me faire une idée plus subjective; le synth-pop ou la MÉ accessible n'étant pas vraiment ma tasse de thé. Mais je me suis fait prendre à mon piège. À force d'écouter, mes oreilles furent inonder d'une nuée de ver d'oreille. Des airs qui obsèdent encore. Et surtout un style que Kraftwerk avait jeté à la poubelle après The Man Machine. Et peu importe les angles, j'ai bien aimé cette première expérience avec la musique de Faber. Assez en tout cas pour plonger dans Ways que mon bon ami Nick me décrit comme étant très bon. L'univers de Faber est très mélodieux. Et même si l'ensemble reste très accessible, rien n'est fait dans la facilité. Les rythmes sont aussi riches que très diversifiés, débordant même du cadre de la synth-pop pour caresser le Groove, le Chill-out. Les synthés exultent les couleurs de l'imagination tout en lançant ici et là de très bons solos. L'union donne un genre de synth-pop très progressive avec de solides arrangements qui sont aussi obsédants que les mélodies qu'ils encadrent. C'est la belle musique. Bien faite et bien écrite. Le genre que Robert Schroeder affectionne depuis quelques années, mais avec une approche un peu plus convaincante. Bref, je vous le recommande sans hésitations. Et ce même si nous sommes hors des terres de la Berlin School

Note : 4/6

Page 72/183 Sayer : Sounds of Atoms

Chronique réalisée par Phaedream

Oh boy! “Sounds of Atoms” est une véritable bombe qui s'adresse à ceux qui aiment le genre de MÉ intensément séquencée. Une musique qui regorge de rythmes endiablés et de mélodies accrocheuses. Sayer est un musicien/synthésiste américain qui est dans le domaine de la MÉ depuis près de 25 ans en tant que producteur et, à ses heures, compositeur. Sa vaste expérience l'a amené à côtoyer tous les courants musicaux et à en saisir toutes les nuances. Ce faisant, sa musique est étonnement bien structurée pour un nouveau nom dans le milieu. Un nouveau nom? Pas vraiment. “Sounds of Atoms” est son 3ième album après un silence de 12 ans. Soit après la sortie de Past-Present-Phuture en 2001. En tout, Sayer a produit une dizaine d'albums qui ont effleurés toutes les sphères de la MÉ moderne. Réalisé en Janvier 2014, “Sounds of Atoms” est une véritable mine d'or pour ceux qui aiment une MÉ énergique, lourde, sombre et énergisante qui ne délaissera en aucun moment une approche mélodieuse brodée dans les corridors du cosmos. C'est lourd, c'est puissant! Il y a un mélange des périodes de Tangerine Dream, notamment au niveau des séquences et des ambiances, et de Jean Michel Jarre, pour les rythmes, les percussions, les ambiances cosmiques, les mélodies et les solos de synthé sur cet album qui étonne à chaque titre. La pièce-titre démarre avec une suite de séquences oscillatrices qui défilent en tournoyant. Des percussions claquent et résonnent, redéfinissant ainsi le rythme ambiant de "Sounds of Atoms" en un doux down-tempo morphique. Agréable et entraînant, le rythme gambade légèrement dans une averse de gazouillis organiques, de tonalités cosmiques ainsi que d'ondoyantes nappes de synthé qui le caressent avec une tendresse harmonique. La structure "Sounds of Atoms" suit une douce courbe évolutive initiée par une succession d'ions sauteurs qui s'accrochent aux ombres des autres. Le rythme devient ainsi plus lourd, plus sautillant avec des frappes de percussions plus accentuées, alors des séquences se détachent, certaines avec des tonalités d'un Vocodeur aux effets organiques, afin de forger un mouvement contigüe qui dessine de longilignes lassos stroboscopiques. Les oppositions des phases sont bien balancées et représentent l'un des charmes de “Sounds of Atoms”. L'autre étant les mélodies. Comme sur "Subatomic Particles" qui attaque nos oreilles avec des séquences lourdes, sombres et vives. Un titre tissé sur de multiples enchevêtrements des séquences et de bonnes percussions sourdes, "Subatomic Particles" nous balance une superbe mélodie cosmique qui va nourrir les Giga-octets de mon i Phone. Deux phases harmoniques sont présentes sur ce titre qui bouillonne de ses séquences hyperactives. L'une provient du synthé qui est tout simplement superbe, tant dans les solos que la mélodie, et l'autre des séquences qui isolent un segment avec des arpèges qui tintent comme des coups sur une enclume finement cogné sur une structure de rythme très enlevant. C'est très bon! Et plus on avance et plus on croule sous le poids des rythmes lourds et très entraînants de Sayer. "Kinetic Energies" va nous mordre les tympans avec ce maillage de séquences, de percussions et de pulsations qui font trembler les murs depuis que la pièce-titre s'est détaché de mes haut-parleurs. Le rythme ici est vif. Battu avec fureur, il change aussi de peau alors que le synthé, ses solos et sa mélodie, est tout autant efficace que dans "Subatomic Particles". Sayer y multiplie des lignes de rythmes avec des mouvements de séquences aussi lourds qu'agiles. Les rythmes changent constamment de peau, arborant de beaux paysages soniques cosmiques. On reste dans le domaine du lourd rock électronique, ou on embrasse un genre de musique de danse

Page 73/183 collective, avec "Cyclotron" et ses multiples changements de rythme qui permutent sans jamais atteindre un seuil de musique ambiante. Le jeu des séquences est assez impressionnant. Il y en a qui volètent, d'autres qui papillonnent, certaines qui hoquètent alors que d'autres se déguisent en sournoises pulsations, tissant une structure de rythme qui s'éclate sous les charmes d'un synthé aux solos très accrocheurs. Certes, les rythmes peuvent épouser des formes stationnaires par moments, comme ici, mais ils restent vifs et lapidaires. "Oscillating Fields" tempère les ambiances avec une ritournelle de séquences limpides qui dansottent et oscillent avec une fascinante délicatesse. Certes, les percussions gazées, les effets cosmiques, les pépiements des séquences et les réverbérations organiques restent toujours présents dans le décor sonique “Sounds of Atoms”, conférant à chaque titre une profondeur qui hypertrophie sa conception initiale. On tombe un peu dans le synth-pop avec "Retrospection", qui fait très Jean Michel Jarre, pas autant que le très surprenant "Particle Beams" qui lui fait un Jarre plus près de London Kid, avec des bons solos de synthé sur un rythme bondissant comme une nuée de ruades. Le rythme fini par assouplir sa cadence pour donner un beau galop éthéré très harmonieux à la TD. "Cosmic Rays" est lourd et nerveux. C'est un solide titre forgé dans ce dynamisme des séquences et percussions qui tiraillent les rythmes de “Sounds of Atoms”. "Angular Momentum" belle ballade ambiante avec des arpèges séquencés dont le pas hésitant dessinent une ascension vers un cosmos orné de filaments lumineux qui sont parfumés des tonalités analogues cosmiques vintage. C'est très beau, quasiment onirique, et, évidement, la structure augmente sensiblement sa cadence mais conserve tout de son charme innocent. Après la structure assez dance de "Particle Beams", "Atomic Age" clôture ce 3ième album de Sayer depuis son retour en 2013 avec une structure qui se rapproche de "Angular Momentum", mais avec plus de fébrilité dans ces demi élans rotatoires. Lourd et puissant avec des structures de rythmes en demi teintes et des mélodies qui accrocheront un sourire à votre banque de souvenirs, “Sounds of Atoms” est une très belle découverte. Je ne me souviens pas d'avoir entendu une MÉ aussi vorace dans une enveloppe de 77 minutes qui ne connaît aucun répit et qui ne tape pas sur les nerfs. Les rythmes sont puissants et ne portent pas ombrage aux très belles mélodies cosmiques qui ornent un décor sonique très interstellaire. Jean Michel Jarre, Faber et Tangerine Dream! Des points de références et de nuances qui expliquent un peu mieux pourquoi j'ai été autant charmé par cet album de Sayer. J'ajouterais même du Synergy pour les rythmes noirs de la période Cords. Tout un cocktail qui explose savoureusement dans votre salle d'écoute.

Note : 5/6

Page 74/183 Givens & Padilla : Life Flows Water

Chronique réalisée par Phaedream

Un souffle creux, noir et très réverbérant assiège nos oreilles. Des cloches, genre Tibétaines, résonnent dans ces vents sombres alors qu'une autre ligne de synthé, un peu plus translucide, fait le contrepoids à cette introduction assez ténébreuse de “Life Flows Water”. D'autres lignes de synthé dessinent des nuages de brumes qui volent très lentement autour de cette dense nappe opaque, alors que d'autres étendent des filaments de prisme qu'on dirait échappé d'un lourd et lent vaisseau intergalactique paqueté d'oracles cosmiques. Immersif et très flottant, "Opening to New Perspectives" multiplie ses couleurs sibyllines comme on regarde médusé cette eau qui ondule tout en étant prisonnière de son rectangle. J'ai peine à croire que “Life Flows Water” fut enregistré en direct, tant la richesse et la couleurs des sons forment une symbiose avec le léger crescendo de rythmes ambiants qui envahissent nos enceintes acoustiques, notamment avec les superbes "Awakened Conciousness" et "A Step Achieved". Craig Padilla n'a plus vraiment besoin de présentation. Ceux qui connaissent ses œuvres savent à quel point il aime sculpter des paysages soniques ambiants ornés de délicates structures de rythmes ascensionnels. Pour “Life Flows Water”, il fait équipe avec le fondateur du label américain de musique d'ambiances Spotted Peccary Howard Givens que l'on défini aussi comme étant un gourou créatif. Il en résulte en un album ambiant très sombre avec une multitude de lignes réverbérantes qui s'empilent afin de dresser un genre de décor apocalyptique. Avec ces 7 titres qui s'entrelacent en une longue saga ambiosphérique de 70 minutes, le duo Givens/Padilla vise à créer une ambiance Zen ici, mais les ténébreuses vagues de synthés qui s'entortillent inlassablement amènent l'ouvre au bord d'une histoire spirituelle Méphistophélique. Les ambiances sont intenses, atteignant même des sommets par moments avec de superbes crescendos rythmiques qui déroutent à merveille cette enveloppe très obscure de “Life Flows Water”. Les longues vagues de synthé noires s'entremêlent comme des amants métaphysiques. Elles flottent et décorent le nébuleux paysage sonique de "Opening to New Perspectives", sifflant des chants amorphes avec de lentes lignes gonflées de réverbérations. À l'orée de cette noirceur, de fins arpèges hoquetant forgent une série de tambourinements qui palpitent et pétillent dans un ciel sonique aux couleurs de Morphée. Le crescendo ambiant se déverse dans "Awakened Conciousness". Ces séquences gambadent maintenant. Elles voltigent maladroitement dans des vents sombres alors que d'autres séquences palpitent dans une envahissante trame sonore qui se vêt d'un manteau dramatique. Et les percussions tombent. Elles tonnent momentanément sur cette spirale de séquences disloquées qui ornent sa ligne de rythme ambiant de fines ruades avant que les lourdes ambiances de “Life Flows Water” ne taisent la tumulte. De longs lassos de réverbérations flottent comme une odeur de menace au-dessus des chants d'oiseaux qui ouvrent "A Step Achieved". Un délicat mouvement de rythme hypnotique fait tinter des séquences, plongeant l'auditeur dans ses souvenirs Michael Stearns dans M'Ocean. C'est un superbe morceau que nous offre le tandem Givens/Padilla avec des arpèges limpides qui tintent sur un savoureux mouvement ascensionnel toujours maquillé de ces longues torsades bourrées de résonances. Superbe! "Reflection and Metamorphosis" nous amène dans le cœur des abysses de “Life Flows Water” avec des stridents chants de sirènes. C'est lourd et sombre. Sauf qu'une éclaircie se pointe à l'horizon avec l'arrivée de "Tide of the Opposition Moon" où de fins arpèges tintent dans un autre mouvement de séquences avec des ions qui tissent une turbulence rythmique

Page 75/183 intermittente. La pièce-titre est le nirvana de “Life Flows Water” avec un rythme ambiant qui serpente des nappes d'eau suspendues comme un lac entre le cosmos et la terre. Les lentes impulsions qui poussent le rythme ambiant, dessiné par une série de séquences qui tintent comme le squelette d'un serpent rampant sur un lit de roche, créent de bons moments d'intensité qui séduit l'écoute. Moment le plus serein de l'album, "Shavasana" nous amène vers cette zone Zen visée par Howard Givens et Craig Padilla. Certes, les souffles rauques sont toujours envahissants. Mais les lignes de synthé plus radieuses en maquillent l'approche rébarbative que ces longs boas aux amples et lents serpentins ocrés de soufre dessinent un peu partout autour des 68 minutes de “Life Flows Water” qui boucle sa boucle avec ce dernier titre. Et même si fortement teinté de ce voile obscur, ce dernier album de Givens et Padilla demeure une œuvre assez poétique. Une œuvre majoritairement ambiante qui est nouée autour de belles gradations dans ses rythmes dont les tintements et les tambourinnements sont le secret de ses charmes.

Note : 4/6

Page 76/183 Ultra ( & ) : Big Time

Chronique réalisée par Raven

Le Docteur Octagon ne s'exprime pas encore explicitement, mais, croyez-en ma nausée et mon flair : il est là, tapi dans le halo de ce g-funk asbtract entrecoupé de gémissements féminins lascifs. A moins qu'il ne s'agisse d'un de ses patients ? Kool Keith déroule ses trips axés sexe sale, zoophilie et anti-rap mainstream. Son sulfureux sidekick tartine encore un peu plus de sa fameuse cire à la penicilline. Kut Masta Kurt leur dessine des corridors et des néons. Cet album a un son très aéré, pour pas dire simplement cold-minimal, qui parlera à ceux pour qui Dr Dooom ou Octagon sont un peu trop conceptuels. Mais Big Time est un des albums les plus flippés de Kool Keith, ne vous y trompez surtout pas. Vu de loin, c'est le parfait petit disque de gangsta rap underground. Vu de près, plutôt le genre d'album de hip-hop qui passerait dans une station-essence vide à deux heures du mat'. Ou dans un asile psychiatrique. Les deux rappeurs dissidents, internés pour schizophrénie avancée, zonent dans des couloirs longs et vides, à la Shining, se tapant des délires lowrider avec les lits à roues, piquant tout ce qu'ils trouvent dans le caddie à cachets en suivant l'ordre alphabétique des étiquettes, entrant dans les chambres pour tripoter les mamans bipolaires pendant leur sommeil chimique... L'infirmière de nuit est séquestrée quelque part, dans un placard, les MC's lui ont fait avaler tout le tercian... Et puis ils se sont déguisés avec des draps, comme Michael Myers, continuant leur cavale dans on ne sait quelle dimension mentale... Il fait un froid de canard, ici...

Note : 5/6

Page 77/183 Tim Dog : Penicillin On Wax

Chronique réalisée par Raven

Dans l'Hexagone on a eu MC Jean Gab'1, avec "J't'emmerde", branlée en panoramique sortie de nulle part. Les ricains, dans le même genre de coup de pute totalement cool, ont eu en 1991 Tim Dog, le MC gangsta-bourrin du Bronx proche des Ultramagnetic MC's qui a sorti un diss-album avec comme optique principale d'insulter copieusement N.W.A. En ce temps-là, c'était comme si un banal cureton de campagne s'attaquait au Saint-Siège. Sauf que Tim Dog est tout sauf un banal MC, et que son premier solo rivalise sans problème avec les deux premiers Ice Cube dans ses moments les plus brutaux. Pour cette hérésie, prouvant que la déglingue dans le hip-hop n'était pas forcément du côté géographique qu'on croit, il a fait dans la qualité, le salaud. Car l'efficacité de Penicillin On Wax (quel titre !) ne se résume pas à sa dimension comique ou au charisme brut de décoffrage du très prosaïque Tim Dog. Ce skeud bourré de gouaille et de groove est doté de beats gravement pétés dans le style boom bap funky. Et Tim Dog commet un viol microphonique là-dessus. Le molosse provocateur est parfaitement dans son élément, et il se déchaîne, sans perdre ses gourmettes, qui ne font pas deux kilos chacune pour rien. La branlée intégrale, ou pas loin. Faut dire qu'il est difficile de pas capter l'attention en rappant aussi crûment sur "Across 110th Street" de Bobby Womack. "I ain't taking no shorts" a un des sons les plus crades qui soient pour le hip-hop de l'époque. "I'll wax anybody" exhale un style brut de fût, avec un son hypnotique ("Nautilus", encore toi !) et un emceeing de gros barracuda qui sectionne des hameçons en titane. Tim Dog distribue les pains avec ferveur et sauvagerie sur "Dogs Gonna Getcha", un des raps les plus violents que j'ai jamais entendu, à faire rentrer Joeystarr de trouille dans la cage de son singe... Je pourrais en citer d'autres, comme ce final romantico-libidineux dans l'esprit pornographique de Kool Keith et son groupe culte, mais franchement, autant compter les balles après un hold-up. Pur skeud, aussi efficace que l'entrée du Terminator dans le bar des motards. Du gros sel pour déneiger la racaille. Un hip-hop qui pue la méchanceté gratuite et le goudron chaud.

Note : 5/6

Page 78/183 Jeremiah Cymerman : Pale Horse

Chronique réalisée par saïmone

Jeremiah Cymerman aurait pu s'appeler Klarinetthor, et pas seulement pour son physique. Amis des Kayo Dot, et donc de la scène consanguine New Yorkaise qui se la raconte (il a signé deux albums chez John « MazelTov » Zorn), l'homme est l'auteur d'un très bon album de drone acoustique à base de clarinette (on salue l'exploit), de violoncelle et de batterie, et qui porte le nom de Cheval Pâle. Si l'archet de Christopher Hoffman ne vous est peut être pas inconnu (discographie longue comme le bras, BO de films et tout le toutim performance), Brian Chase lui doit vous être carrément familier puisqu'il s'agit du batteur des , comme qui dirait à contre-emploi ici – enfin, seulement en apparence, puisqu'il est l'homme derrière « Drums and Drones », une diarrhée postmoderne qui a trente ans de retard. Trois tempéraments différents, donc (un branleur + un ingénieur du son + un violoncelliste génial) pour un album que je me dois de qualifier d'homogène. Tout en retenue, la clarinette de Cymerman n'a rien à envier au saxophone d'un Evan Parker, accompagnée bien souvent par des nappes de cordes frottées avec finesse, tandis que Brian Chase semble jouer avec un bâillon sur la bouche. Avec délicatesse, et même si je n'irais pas jusqu'à parler de « paysage sonore », le travail sur les textures, le timbre, donne à l'album (improvisé ou non, ça on ne le sait pas) une drôle de couleur ambrée, celle du soleil couchant, des portes qui se ferment, du vent qui se lève à la faveur de la nuit froide, du crépuscule de la fin du monde, ce moment qui suit l'explosion. Je parle de ce silence un peu sourd, qui laisse place à la panique et l'angoisse. « Pale Horse » est un très bon album, dans sa modestie (c'était pas gagné) malgré la virtuosité, dans sa précision malgré les élans (mixé par James Plotkin donc quand je parle de précision, je ne déconne pas), avare en mélodie sauf quand il se décide à accompagner la lecture d'un conte fantastique ; qui plaira aux fans de Kayo Dot (mêmes ambiances qu'on peut retrouver sur Coyote par exemple, bien que le style soit très différent) comme aux amateurs de nouvelle musique contemporaine prétentieuse et aux fumisteries improvisées. Un disque de réconciliation, en somme.

Note : 5/6

Page 79/183 Esham : Tongues

Chronique réalisée par Raven

Tongues commence presque comme l'album d'un rappeur pro, sur "Walkin On Da Flatline" : mélancolie très new millenium, flow emo, style Sage Francis avant l'heure par un gangsta, beat presque propre... Puis un titre gangsta-arabisant, et puis... oui, petit à petit, ça part en couille, un peu comme dans un épisode malsain de South Park. Combien de titres d'Esham indispensables ? Comme toujours avec ce prolifique toxo, il faut trier les classiques acides dans l'amas disgracieux, mais on arrive à en trouver. Ici ce sera d'abord "I'm dead", donc, et puis le très psycho "Everyone", où Esham nous digge un style de prod oriental-malsain pas piqué des hannetons, ou encore "So Selfish" avec son groove simili-eminem, version prolétaire imaginatif. Et des titres electro-bizarres comme "Devilshit" (avec Kool fuckin' Keith), axés glitch, assurément pas les plus faciles d'accès de son répertoire. Même le titre avec la Dayton Family, plus basiquement gangsta, lui inspire de sortir une des instrus les plus logicielles-chelou de son répertoire. De là à dire que ça colle... C'est difforme. Tongues a un côté plus labyrinthique, tendance album-patchwork, que la plupart des disques eshamiens des années 90. La présence de Kool Keith n'y est sûrement pas étrangère, d'ailleurs vraiment dommage que ces deux là n'aient jamais sorti d'album entier ensembles, ils sont à leur manière aussi cramés l'un que l'autre. Tout décousu-destructuré, avec quelques passages electro-flippés, d'autres bien cheesy-muzak ("Envy The Sunshine", ambiance exotico-sarcastique façon OSS 117 - Rio ne répond plus), ou les slows toxo-g-funk habituels de Esham ("Pill Me"), Tongues est peut-être l'album le plus gutsien de Esham avec DMT Sessions. Et puis en même temps... je sais plus trop... Il peut faire mal au crâne, déstabiliser, avec toutes ses saveurs, ses morceaux chelous... C'est son album expérimental à la , voilà. Je le ressors assez peu, donc, pourtant je lui trouve un charme à part, même dans la disco du Black Hitler. C'est du rap de drogué, pas du concept-album léché, donc ça vrille et se prélasse au gré des bad trips, faut pas chercher plus loin. Impossible

à noter.

Note : 3/6

Page 80/183 Tech N9ne : Anghellic

Chronique réalisée par Raven

Tech N9ne... Comment résumer, en quelques mots simples qui ne soient pas trop tarabiscotés comme lui, ce que je pense de ce rappeur du Kansas, culte pour on ne sait trop quelle raison, et qui aurait dû se cantonner aux freestyles et aux battles ?... mmmh... disons, prosaïquement, que c'est de la grosse daube over-the-top. Et stérilisée. Il faudrait que j'écoute ça après avoir subi un clip de Dosseh au kebab du coin, pour relativiser... Mais Tech N9ne c'est la colique de rap hardcore du pauvre, avec autant de pistes sur chacun de ses albums que d'ablutions nécessaires après écoute. Même si accidentellement, comme Insane Clown Posse dans un style proche (moisi), il lui arrive de chier un ou deux titres qui font illusion (le robotico-hystérico-halluciné "Einstein"), tout ce sur quoi ce mec a rappé de catchy, a été mimé sur DMX, et tout ce qu'il a de malsain n'est qu'une version tuning des styles hardcore ou horrorcore, simili-glauque tout au plus. Je n'oublierai jamais que c'est ce mec qui a mis en place l'immondice Krizz Kaliko, et, si on tend un peu l'oreille, on y entend déjà les germes chiasseux ici. Techniquement, puisque c'est visiblement à peu près tout ce qui intéresse Tech N9ne depuis 1991 - eh oui, ça fait un bail qu'il est actif - le MC gère, hein, je dis pas, il peut même être objectivement impressionnant j'imagine : flow rapide, voire ulta-rapide, plus un côté déjanté évident dans l'attitude, une inspiration morbide-gothique-satanique-etc certaine dans les paroles... Mais c'est là où y a tout un gouffre, voire un monde, entre ce blaireau et un Ol' Dirty Bastard. Tech N9ne c'est du sport, de la pure pose stérile de gymnaste dopé, c'est fait pour les demeurés qui voient le hip-hop comme une compète de vitesse et de technique, où toute la dimension créatrice et la folie se résument en gros à être capable de faire des expressions faciales de ouf-malade digne des mimiques de Ruby Rhod dans le Cinquième Elément. Faut qu'ce soit GREEN ok ?? OK??? Eh bah non, pas OK !!! Foutue engeance de sous-produits péraves de Busta Rhymes... Et qui n'aura même pas eu la possibilité de pouvoir poser un album 90's correct à l'instar d'un Twista, autre turbo-rappeur devenu mythique dans des cercles de fans heureusement aussi restreints que ceux des amateurs de visual kei. Après, il faut lui reconnaître que dans le genre abomination visuelle, Tech N9ne dit déjà tout. Ses instrus étant aussi péraves, miasmes electro/techno cheesy sans bénéficier de l'aura malsaine de celles d'un Esham, ou simple ersatz FM, pas la peine de vous faire un plan détaillé. Pour ce genre de laideurs, j'ai mon Mystikal, merci bien. Tech N9ne m'est juste imbuvable, et pourtant croyez-moi, j'en ai bouffé, de la série Z... De son style, à ses pochettes, à son blase, à sa tronche : tout dans ce rappeur m'inspire un rictus de dégoût. Je crois que je trouve Cyril Hanouna encore plus supportable, pour tout vous dire.

Note : 1/6

Page 81/183 MEGADETH : Countdown to extinction - live

Chronique réalisée par Nicko

C'est la mode en ces années 2010 de fêter des albums et de réaliser des concerts en interprétant de A à Z un disque mythique de sa discographie. Ce concept peut être intéressant dans le cas où des nouvelles générations de fans n'avaient pas pu participer à un concert de cette période. Ça leur permet finalement de voir certains titres en live, même 20-25 ans plus tard alors qu'au mieux seuls les hits de ces périodes sont généralement joués en concert par la suite. Et faut bien avouer, les années 80 et 90 commencent à dater maintenant... Tout cela ne rajeunit pas les plus anciens. Certains détracteurs vont dire que faire des tournée de ce type montre une chose : que le groupe n'a pas de créativité et cherche à faire fructifier un passé. Chacun son opinion... Là, pour le coup, Megadeth n'en est pas à son coup d'essai quand il décide de sortir un live "hommage" à son album de 1992, "Countdown to extinction". En effet, ils avaient déjà fait la même chose pour l'album précédent, "Rust in peace" (tournée + sortie CD/DVD/Blu-Ray). Ils vont p'tet continuer avec le reste de la discographie. En même temps, j'en connais qui préféreraient cela à de nouveaux albums. Au programme de ce live plein à craquer (d'ailleurs, il s'agit de la première fois où je vois un CD pressé indiquant une durée supérieure à 80 minutes), une petite intro avec 3 titres d'autres albums du groupe, avant de commencer le plat principal et de finir avec un dessert de 3 titres issus d'autres albums. Niveau production, c'est propre, mais vraiment ! Le son est vraiment bien clean, mais alors le mix des instruments est totalement à revoir. Un peu comme avec le live "Rude awakening", la batterie est trop mise en avant, les toms sont affreusement forts, les guitares, surtout la lead, manquent de consistance et de puissance et elle est trop en retrait. La basse est comme la batterie, beaucoup trop forte. Pour le reste, sérieux, c'est du pilotage automatique du début à la fin. Quand démarre "Skin o' my teeth", il n'y a aucun temps mort. Je suspecte la production d'avoir supprimé 90% des temps entre chaque titre pour que tout tienne sur un disque. Ca donne vraiment une impression de best of en concert, fade, sans passion. En fait, on n'a pas affaire à un concert du groupe. Le rythme n'est pas celui d'un concert. L'impression générale est très spéciale et ne joue pas en faveur de ce live. Ça joue à peu près bien mais ça ne fait pas tout. Ça me rappelle un peu la dernière fois où je les ai vu au Hellfest. C'est pro et carré, mais alors, il n'y a aucune émotion. On a du gros son, mais c'est super mécanique. Dave Mustaine est plutôt discret, on le sent bien fatigué. Alors, c'est sûr que "Foreclosure of a dream" ou "This was my life" font plaisir à entendre. C'est rare d'entendre en live la plupart des morceaux de cet album et puis finir sur "Peace sells" et "Holy wars", ça le fait toujours parce que ces morceaux sont excellents. Mais franchement, Megadeth, on sent bien depuis quelques années que ce n'est pas la passion qui les fait continuer. Et c'est bien cela qui est dommage... Vraiment pas le live que j'ai envie d'écouter de leur part.

Note : 3/6

Page 82/183 : Ritual Of Battle

Chronique réalisée par Raven

Dans le panthéon-guantánamo des rappeurs pour lesquels je ressens une plus ou moins vague nausée mâtinée d'indifférence snob, se pose là, avec son gros cul de gros laid, bien avachi dans le couffin de la médiocrité déguisée en efficacité. En dehors du premier , ce MC plus pyrite - voire pyrex - que pyramide n'a brillé qu'à de très rares occasions. Et Army of the Pharaohs est presque l'une d'elles, si j'arrivais à vraiment différencier ce projet de tous les autres disques signés Jedi Mind Tricks ou Vinnie Paz (ou ) après le premier. C'est ce gros son, qui pille autant Bruno Coulais que les Goblin, mais qui est très vite éventé, surtout quand il se complait dans la boucle piano-cliché, ce style qui a été tellement dévoyé depuis Mobb Deep. Ce son gros cul, donc, et ces protagonistes inter-changeables comme autant de gros culs américains alignés dans un fast-food. J'avais acheté ce second AOTP par un espoir très roulette russe, l'espoir d'avoir au moins quelques beats bien veaux et bien connement accrocheurs qui soient pas du tout funky, plutôt dark-stéroïdés. De ce côté-ci j'ai été plutôt exaucé, même si ça s'est oxydé dès la première écoute. Niveau rap, bof, bof bof... boeuf ? Boeuf. Boeuf pour le style, boeuf et beauf pour l'esprit, bof pour l'effet : c'est un gros agencement de battles entre potes à gros flows et gros culs, une armada de raps tous plus rentre-dedans les uns que les autres, avec un final social-orienté à sample soul dont on se demande un peu ce qu'il fout là. se détache un peu par une certaine sauvagerie, à la Onyx, mais c'est intégralement de la bourrinade tape-à-l'oeil. Rien de très badass dans les cabasse, donc : on est vraiment dans le disque hardcore ambitieux mais à usage unique. Les instrus sont parfois bien accrocheuses, dans le genre dark-puissant, série B pétée d'effets spéciaux qui en jettent au premier regard ("Dump The Clip" avec son petit côté Wu-Tang impérieux ou l'épique autant que facile "Frontline", la meilleure restant peut-être "Through Blood By Thunder" avec sa petite ambiance façon traque du huitième passager dans le Nostromo), les flows-camions n'ont rien de honteux, mais dans l'ensemble, ce disque apparaît bien comme ce qu'il est : du rap hardcore tel que pratiqué en 2007 par des types comme Ill Bill, des gros new-yorkais à casquette gavés de big mac et de mauvais films pornos. Sombre, mais hollywoodien. Et encore, plus La Momie ou le Retour de La Momie... Vraiment, ces gros culs du mic tournent bien en rond. Si vous êtes encore cet adolescent attardé qui joue à Tekken ou s'éclate devant des matchs de catch, ce skeud vous parlera sûrement.

Note : 3/6

Page 83/183 Esham : Maggot Brain Theory

Chronique réalisée par Raven

J'ai une question, lecteur : as-tu déjà possédé un furby, et, si oui, as-tu déjà songé à parler avec lui, à lui offrir un verre, une cigarette (il a pas besoin de spliff, il est déjà pété au taquet avec une chatouille), à zoner dans la banlieue de nuit avec lui sous ta casquette, ou, une fois toutes ces présentations que la bienséance oblige faites et devenues complicité et plus encore, à frotter ton sexe contre ce petit mogwaï du pauvre au doux duvet synthétique, au petit bec jaune si mignon et aux grand yeux si...... expressifs ? Si la réponse est oui, Esham est un rappeur qui te parlera. Si tu as joui, Esham est un rappeur qui te comblera. Esham, c'est le Jean-Pierre Mocky du hip-hop. Un paquet de nanars et de navets, une mythomanie absolue mâtinée d'imagination gag-esque et de capacités créatrices admirables avec trois clous et deux bouts de carton - si on est basiquement objectif - mais quand l'artiste est bon, il est bon, et même un mélomane sourcilleux admettra que c'est quand même autre chose que du gangsta rap consensuel. Maggot Brain Theory, simple petit E.P. coincé entre KKKill The Fetus et Closed Casket (il servira de complément à l'un ou à l'autre selon votre accointance), est pourtant avec Boomin Words From Hell la meilleure introduction pour le néophyte, car pour une de ses rares occasions Esham est obligé de faire dans le succint. On est en 1994 et ce déchet cite le frais suicide du jeune Cobain, qui, entre autres morts de rock stars et politiques, lui inspire un de ses plus crapoteux hits ("Traces of my Bloodtype"). Quasiment un chef d'oeuvre underground, dans le texte. Pour les amateurs déjà convaincus, Maggot Brain Theory contient aussi du Esham tendance clavecin en plastique, façon Adams family gangsta (titre sur lequel il funkadelise en bon petit crevard carnivore), et ce qui reste une de ses plus réussies tentatives g-funk, subtilement malade. Un disque aussi riquiqui-chétif que pété, où Esham crache son flow-vinaigre dans son petit micro avec ses petits synthétiseurs playskool ridicules, avec un de ses "tubes" les plus rigoureusement indispensable en outro. Laid, con, minable et glauque... acide, avec cette pointe acidulée.

En un mot : Esham.

Note : 4/6

Page 84/183 Dr. Octagon : Dr. Octagonecologyst

Chronique réalisée par Raven

Le Docteur va vous recevoir, messieurs-dames. Prenez place dans la salle d'attente, je vous prie. Pas sûr que vous puissiez en sortir. Ce sera comme un cauchemar moite dans un manoir, quand les mouvements sont ralentis et qu'on devient pâte à modeler humaine. Vous connaissez cette sensation onirique. Celle d'être coincé dans un lieu où vous vous sentez confortablement loti comme une blatte pacha dans la mie, et en même temps profondément mal à l'aise ? Le ficus et le papier peint changent de couleurs, et commencent à se mouvoir. Les magazines sur la table basse deviennent gluants... des ondes radios et des rayons X passent à travers les murs, qui soudain ont des oreilles... Keith qui s'passe ???!!! L'air se charge d'une odeur de grenier, genre vieux papier journal et champignons amers. Le Docteur est comme Egon Spengler : il collectionne spores, moisissures et amanites. Les femmes en ont peur. Elles ont raison. Il les trouve... hum... intéressantes. D'ailleurs le voici, qui élugubre... vous l'avez déjà reconnu sous son masque hygénique entaché de liquides douteux. Il est si cool, si hip-hop, ce bon vieux Docteur. Tout le monde lui rend hommage depuis des années pour l'originalité de ses chirurgies et ses collections animalières dignes du docteur Moreau. Vous pourriez trouver que sa réputation est surfaite... Vous aurez tort. Attendez un peu de passer sur le billard pour avoir les boules, et comprendre. Car le Docteur s'est spécialisé dans les recherches dermato-procto-gynéco-psycho-futuristes. Il mutantifie, ou il tue. Et vétérinaire à ses heures, avec ça. Un rat dans le vagin, c'est son style. Une tumeur conservée dans le formol à qui on donne un nom comme à un bébé, aussi. Frottis écologique et anthropomorphisme oncologique, rien de plus. Le Docteur est un sentimental praticien. Cet amour de l'anatomie féminine, et ces encens qui laissent les muqueuses sèches dans le bloc opératoire, ne l'empêchent pas de mettre ses doigts dans les intimités de tout un chacun, ceci dit. Et, faussement inconscient de sa totale aliénitude, de balancer des "keep it simple" aussi glaçés que glaçants. Sacré Docteur ! Mais le Docteur n'est pas l'architecte, moelleux bipèdes, et sachez que cet hôpital sépia-fluo a été bâti par un certain Nakamura, peut-être inspiré par Otto Wagner. Un lieu à la fois coquet et asphyxiant, entre vieille science-fiction, film noir, porno des années 70 et épouvante... un film hip-hop dont l'équivalent visuel reste encore à inventer. Hitchockien ? Lynchien ? Mmmh, encore autre part... Ailleurs... Ces instrus asphyxiantes, faussement cheaps, et incrustées de petits effets invisibles aux premières écoutes, évoquent-elles une toile d'araignée épaisse dans laquelle l'auditeur serait englué, lentement, méthodiquement... ou bien un hôtel abandonné rempli de machines steampunk secrètes et autres bobines de Tesla ??? Le nippon a aussi construit quelques pièges, genre trous noirs menant à une dimension parallèle ("Real Raw"). Il y a bien sûr "Earth People", avec cette technologie froide et rudimentaire, et ce style de flow qui évoque un Wesley Willis doué de concept. Un des grands moments, mais pas le seul. Juste une scène parmi d'autres aussi déstabilisantes, jusqu'à ce final purement old school, shoutouts de MC avec écho antique. Un des très rares albums de pur hip-hop qui vous plonge dans une ambiance vraiment à part, à la fois raffinée et... malsaine, oui, pas de doute. En tout cas cette pochette, aussi culte soit-elle, ne lui va pas du tout : j'aurais vu quelque chose de beaucoup plus flou, de beaucoup moins graphiquement acceptable comme écrin idéal à cet album rampant et vicieux, au grain intemporel (ça sonne volontiers comme un hip-hop anachronique, qui aurait été enregistré dans les années 30, mis en cryogénisation, et puis retrouvé comme hibernatus dans un futur parallèle)...

Page 85/183 Indescriptible, même si j'aurais essayé...

Note : 5/6

Page 86/183 Dr. Dooom : First Come, First Served

Chronique réalisée par Raven

Certains trouvent Keith cool. Pour eux, c'est le mec qui rappe sur "Diesel Power". Mais pour ceux qui se sont frottés d'un peu plus près aux projets parallèles du MC, passé le plaisir radicalement ghetto blaster d'écouter les Ultramagnetiques, Kool Keith c'est plutôt l'un des rappeurs les plus malsains, dans ce milieu très pauvre en authentiques marginaux. Remarquez que c'est pas antinomique : on peut être cool et malsain, et Keith a été l'un avant d'être l'autre, puis les deux. La pochette, amalgame brut de dégénéré américain zoophile, vous dit déjà à qui on a affaire. On est en 1999, et Keith ne ressemble à rien dans le rap. On est en 1999, et Keith a un sérieux grain. Même si comme mon collègue Wotzenknecht j'avais à mon palmarès mélomane toutes sortes de musiques dark-pédophiles, j'hésiterais à lui confier des mômes. Hormis ses épanchements libidineux assez classiques pour un MC porté sur la chose (je parle de la teneur en sexuel hein, pas des fantasmes en eux-mêmes, ça c'est autre chose), on ne peut pas dire qu'il respire la santé mentale. Rien que sa tronche, déjà, entre Many de Scarface et un Michael Jackson avec l'appendice nasal intact et sans la décoloration... mais avec son immonde coiffure simili-gomina en plastique qu'on voyait dans le clip de "Plastic World" (et qu'il utilisera la même année pour Black Elvis, le faux jumeau cosmique de ce Dr. Dooom), sans parler de sa moustache de Clark Gable puceau... Ses a.k.a., ses tenues, ses egotrips anthropophages : tout est malsain chez ce mec. Et ce Dr. Dooom est probablement l'album idéalement malsain de Kool Keith, comme le prolongement malade du Octagonecologyst qui était déjà très très spécial. Les news viennent de tomber : Docteur Octagon est mort. Tout ça est au début de l'album, c'est explicite. Octagon s'est fait buter par un de ses patients, docteur lui aussi. Mais encore plus cintré, du genre fétichiste de la nourriture entre autres délires moins avouables qui lui font imaginer des gens morts découpés sous son plumard. Kool Keith passe du corps défunt au corps du tueur : transfert mental, hop ! Magie du MC aux multiples alter-egos. Cet alias reste le plus malade de son hôte, même si ça se joue à des punchlines cryptiques et autres métaphores répétées ad libitum en fausset. Pour le reste, le rap reste aux premières écoutes ce même babil linéaire, ce flow anti-défoulatoire, souvent off-beat, purement MC mais, aussi, autiste, et truffé de pirouettes, d'embryons soul et funky, avec un vice et une fluidité totaux. Kool Keith se complait dans sa gluante merde mentale, se laisse porter par une kyrielle de visions sociopathes complexes, enchevêtrées comme ses neurones, lierres et ronces de son cerveau. A part le Kool Keith de Black Elvis dans ses moments les plus flippés, et Esham, je vois pas trop qui peut s'approcher de Dr. Dooom... Sauf qu'Esham n'a jamais été capable de concocter ce boom bap paranormal. Beaucoup plus minimal que à première vue, le son Diesel Truckers, hein ? Oui, eh ben non. Le plein effet n'est pas immédiat, mais une fois le bulbe assez décontracté, ce son vous cible, vous traque et vous hante. C'est le hip-hop des couloirs vides, des cagibis. Ce son est maniaque, hallucinogène. Et psychiatrique. Ouais... Je pourrais très bien vous parler de comment je pensais parfois à ce disque, alors dans le lieu idoine, à griller clope sur clope sur une terrasse grise, et enchaîner plat de purée fade sur plat de nouilles fades dans une cantine puant le désinfectant et la vieillesse incontinente qu'on abandonne aux blouses blanches. Mais je suis un pudique, alors je dirais juste que ce hip-hop est celui d'un mec qui est très certainement passé par là. Ou qui a juste une imagination très puissante... Wu-Tang d'outre-espace ("I Run Rap") ou tentative de tube magnétique ("Dr. Dooom's in the house"), quel que soit le titre, le choix que nous laisse Dr. Dooom, c'est cacheton ou sismo. Premier arrivé, premier servi. L'album labellisé horrorcore de Kool Keith - genre qu'il élimine au passage

Page 87/183 intégralement sur "Mental Case" - mais aussi cet album de hip-hop unique, qui pue l'anti-matière, les néons grésillants, la peur de l'autre. Le rap de la solitude paranoïde absolue.

Note : 5/6

Page 88/183 Esham : Boomin Words From Hell

Chronique réalisée par Raven

Il doit y avoir à peu près autant d'albums d'Esham que d'années depuis qu'il a décidé de rater sa vie. C'était à l'âge de 13 ans, quand il commença le hip-hop, et puis à l'âge de 16 ans quand il créa avec le présent album le sous-genre "acid rap", terme abstrait qui se rattache dans la réalité - une dimension dans laquelle Esham n'a jamais vraiment vécu - à un genre de gangsta rap satanique, usant de synthétiseurs low-cost, et axé sur des paroles qui décrivent toutes les abominations possibles dont est capable l'humain... Déjà à ses débuts sur ce Boomin Words From Hell de 1989 où il avait globalement les moyens techniques qu'avait Grandmaster Flash au début de la décennie, tout ce qui fera sa "wicket shit" était déjà en place, dans l'ambiance pas du tout douillette d'un hip-hop cheesy et maladif, version morbide du Radio de LL Cool J. Ces effets de mix, difformes et aigus, ces samples extra-terrestres, ce flow pas encore mûr de puceau sans thunes qui met pourtant la branlée à bon nombre de rappeurs nettement plus âgés et diffusés que lui : tout est déjà infiniment plus insalubre, malsain, et inconfortable que tout ce qui se fait alors en rap, c'est indéniable. Esham est l'un des rappeurs les plus originaux et acharnés qui aient jamais existé et, encore mineur, sa bizarrerie est déjà plus qu'évidente, elle suinte de partout. Après, en ce qui me concerne, et même en sachant très bien qu'Esham, comme Alan Vega, Jandek ou Wesley Willis, se situe au-delà de considérations telles que "médiocre" ou "inconsistant", ce premier jet peut évidemment être vu comme un genre de brouillon de ses futurs albums cultes. Son style ne s'est par encore pleinement épanoui... Et pourtant... Je ne peux mettre une note moyenne à un disque de hip-hop qui contient des titres comme "4 all the suicidalist", "Amen another sin" et son ambiance digne de Bad Taste (ou Met the Feebles), "Cross My Heart" avec ses dernières secondes qui sonnent comme ce que serait le rap du chef des gremlins (celui à la mèche blanche), le final "Devil's in the soup" issu d'une dimension parallèle, ou encore mieux "Devil's Groove", ce titre génial, desséché, psychotique, doté d'un des beats les plus malades du hip-hop sur le meilleur sample jamais utilisé du "Halloween theme" de John Carpenter (dix ans avant celui de Dr. Dre sur "Murder Ink", qui a d'ailleurs accéléré sa version au même rythme qu'Esham, mais on dira que c'est une pure coïncidence !!!) mixé avec la bande-son de Vendredi 13, où le rappeur est comme nu dans sa crasse mentale, avec son flow androgyne à cause d'une voix qui n'a pas encore mué (à chaque fois je me fais avoir, je crois que c'est une gonzesse). Déchet-luciole magnifique... Un peu de remplissage mou à côté de ça, sans surprise, comme ce sera de coutume, mais moins que sur pas mal de ses futurs albums. Des embryons recroquevillés sur eux-mêmes, pathétiques avortons entrecoupés de mines antipersonnelles en chewing-gum. Mental wicket shit... Circa 89-90, ce skeud était certainement ce qui se faisait de plus glauque en hip-hop, rien que lyricalement parlant... S'il y a un initiateur de toute une frange gangsta-glauque du hip-hop ? Oui, plus encore que les Geto Boys, c'est ce type seul et minable, leur cousin quasi-clochard de Detroit... Mais contrairement aux Geto Boys, Esham sonne riquiqui, insecte. Son funk est maigrelet, son rap se faufile sous les plinthes, telle une scutigère véloce... On tue ce genre de bestioles d'un bon coup de balai, en général... Mais Esham survivra sur une vingtaine de disques. Les losers sont de coriaces et fascinantes créatures.

Note : 4/6

Page 89/183 Esham : Judgment Day (Vol. 1 - Day)

Chronique réalisée par Raven

Esham aurait pu être classé dans les rappeurs parodiques... Mais était-ce pour rire ? Non. Ou alors de la galéjade nauséeuse. C'était pas du second degré, c'était serious as cancer comme dirait Turbo B. Le volume I de Judgement Day, collection des plus variées pour notre très jeune gangsta satanique, se complaît aussi bien dans le flow cartoonesque acidulé que dans le psycho-pimpin' moelleux à travers les multiples trips d'Esham. Plusieurs approches pour un même venin, toxique et pénétrant. Ce volume I est un album très généreux en micro-hits crapuleux et sales, l'air de pas trop y toucher. Et le saut qualitatif (mwhahaha) entre Boomin Words From Hell est évident, même si le mix (pfffuhuhuh) est complètement aléatoire. Encore acnéique, Esham fait déjà un peu de tout ce qui est en vogue dans le gangsta rap et le rap hardcore circa '92, à sa façon souterraine, acide... Si titres qualifiables de merveilles il faut chercher, ce seront des merveilles lilliputiennes, variolées... Et il y en a, quelques-unes. Pas mal de rock 70's aussi. Il fera rarement mieux dans cet esprit patchworkesque-organique que cet album. Je pourrais vous parler de tout plein de détails sous ce son de démo, des mini-scratches-sulfateuses, des rap-rocks pétés comme l'intro "Nine dead homies", des titres plus laid back qui puent les bas-fonds, ou d'un "Devilish Mood"... Esham greffe ses samples claudiquants et vilains, assimilant ses influences glorieuses (ici Ice Cube, principalement) comme un enfant qui grignote ses croûtes. Incrustant mine de rien ou d'crayon des tas de petits effets expérimentaux-aliens dans ses morceaux (par exemple dans "Acid" qui à première vue n'est juste une tentative de tube rap rock à la Run DMC)... Esham déforme aussi sa voix fluette-aigrelette pour lui donner un effet babylon zoo MC bien cool ("The Boogieman"). Le groove??? Esham en est capable aussi, ça s'appelle "Mama was a junkie" et les paroles sont suffisament explicites. Il craque aussi un petit egotrip minimal façon mid-80's ("Hit & run"), à l'ancienne mais éthylique, et, bien sûr, la déjà traditionnelle sex track, pas très très saine mais inutile de vous le préciser ("I met this little girlie, I met somebody's moma - I met this little girlie, only in the day in the life of me..."). Cette partie diurne du dyptique apocalyptique se révèlera finalement la plus consistante des deux... Un jour que je l'écoutais tout ensuqué après pas loin de trois tours de cadran sans dormir, abruti de sueur et les cils collés de pus, "Fallen Angel" m'est apparue, dans toute sa beauté de tube eshamien puant 1992... et j'ai eu comme une révélation, envoûté, la nuit tombait, moite, et ce titre résonnait dans ma piaule et puis m'est resté dans la tête, puis il a fallu que je le réécoute, encore et encore, et encore, comme ce jour où j'ai bloqué comme un malade sur moi-seul-sait-quel-titre de Tricky... Ajouté à toutes ces miniatures confites dans le jus de la misère et le suc des fantasmes criminels, que dire... Esham aurait-il donc sorti le meilleur album de hip-hop de 1992 ??? Il y a eu du très lourd cette année là, du bien mieux réalisé et efficace... et pourtant, je ne suis pas loin de le penser... et pourtant, qu'est-ce qu'on s'en tamponne le coquillard de le savoir.. « I was an unplanned pregnant, brought forth by a mistake, gone into a world, filled up with lust and hate »... Culte !

Note : 5/6

Page 90/183 Esham : Judgment Day (Vol. 2 - Night)

Chronique réalisée par Raven

« Tu fais le gars vachement à l'aise dans ses godasses... T'es toujours super cool, hein ? Juste une fois, j'ai envie de t'endendre hurler... de douleur » ... « Mets-moi un rap, connard ». Désolé pour la citation gratuite, mais on a ses chefs-d'œuvre, et quand le millésime est raccord avec l'enregistrement de ce skeud... Aaaaah 1991, 1992... années de caractère. Je déconseillerais fortement ce disque au détective Halle183eck, évidemment, il risque pas de danser une gigue dessus. Ce pet d'esprit sous-culturel lâché, il est assez évident que le double-album Judgment Day est, de tout ce qu'à jamais sorti Esham, le disque le plus ambitieux. Ambitieux comme vouloir transformer ses chiottes en salon, s'entend. A son niveau technique bien sûr ! C'est pas une orgie à la Caligula dans un gobelet, mais pas loin... Prolétariat oblige, eh ! On est dans l'autoproduction, le fait-main ! C'est la boutique du mercredi, et Esham a son gibolin, et son gibolin c'est l'acid rap, cette invention fantastique. Quand on sait que ce double était initialement prévu pour faire comme le double Love Symbol de Prince, versant hip-hop, et même si l'intéressé n'en a probablement jamais entendu parler (encore que, avec cet énergumène...), on comprend un peu mieux pourquoi Esham a gavé son album de tout plein de samples organiques, façon "moi aussi je suis un multi-instrumentiste, hop, sans les mains !" C'est vrai qu'on imagine pas qu'Esham a bouffé du solfège comme Rakim, quand on le découvre. C'est peut-être ce qui lui permet d'avoir cet aspect... compositeur... On constate, un peu déçu, que ce volume "Nuit" est sans différence marquée d'ambiance comme pouvaient le laisser sous-entendre les intitulés 'jour'/'nuit' respectifs. Dans ce volume II, un cran en dessous du premier - mais c'est évidemment bien subjectif - le côté rap-rock est augmenté, répondant à la fois au style d'un Ice-T (samples bien crades de Black Sabbath et Led Zep') et aux ondes sismiques encore palpables dans le hip-hop (du Public Enemy sans le budget militaire mais avec la même volonté de fureur). Répondant aussi au premier Natas sorti deux mois plus tôt, et lorgnant par moments vers le psychédélique... Les instrus à base principale de synthétiseur ne sont plus trop d'actualité : Esham est ici dans le sillage d'Ice Cube, de Kool G Rap et des Geto Boys. Le style Geto Boys est d'ailleurs évident sur "13 Ways", excellent morceau. Mais il y a aussi du Divine Styler dans cet album. Si si si... Esham s'autorise de ces bizarreries ("Linving in Incest", "Finger in the c-c-c-c-cake", "Wake the Dead") pour lesquelles j'ai toujours voulu voire son nom inscrit dans nos archives. Et ses rap rocks à l'ancienne, versions crades du style new school, telle la miniature "U wanna know somethin'", sont des moments aussi réjouissants que du Run DMC qui serait joué dans le monde de Street Trash... Hélas ce Judgment Day est un des Esham que j'écoute le moins, les titres sont succulents pris isolément mais l'album eniter m'est assez poussif, d'où ma note plus timorée que pour le volume I... Mais il est difficile de nier qu'il est aussi l'un des disques de hip-hop les plus atypiques de 1993, et l'un des plus rabougris-expérimentaux sortis par Esham. Avec plus de moyens, ce double-album serait-il devenu mythique ? Il est juste culte. Le ciel est bleu, l'eau mouille, les femmes ont des secrets, et Esham fait du rap acide.

Note : 4/6

Page 91/183 Dance Naked : Point of Change

Chronique réalisée par Twilight

1969, Woodstock, tu sors et tu t’éclates à poil ! 1986, en Angleterre, l’idée de danser en tenue d’Adam a quelque chose de moins fun…Il fait humide et le punk est passé par là quand un ex-Stress et une ex-Garden of Delight (pas le groupe allemand) créent ‘Danse naked’, une formation souvent décrite comme ‘synthétique’. Effectivement, synthétiseurs et programmation figurent en bonne place parmi les instruments mais dès les premières secondes de ‘Bronze contempt’, on réalise que la démarche est beaucoup plus menaçante que ce qu’une telle étiquette présuppose. Les rythmiques dégagent quelque chose de conquérant et rituel, les sonorités des claviers n’ont rien de confortable et le chant de Roger Foyster, proche de celui de Peter Murphy (l’inquiétant ‘Mark upon the brow’), ajoute à la touche sombre. Dance Naked est une formation gothique dans la plus pure tradition post punk britannique, avec thématiques mystiques, mélodies en béton et atmosphères nobles; quatre ans d’existence ponctuées par la sortie de deux cassettes ici réunies sous forme d’un cd enrichi d’inédits. Les débuts sont fracassants, ‘Bronze contempt’, ‘Jezebel’, ‘Legion’, trois compositions géniales qui annoncent la couleur post-punk goth de la musique, une musique qui nous dévoile rapidement un éventail plus varié de possibilités, avec le rampant et hanté ‘Mark upon the brow’, la reprise envoûtante et synthétique du ‘Venus in Furs’…Puis retour plus spécifiquement goth avec ‘Dance naked’, ‘Thrust !’, ‘Az’…La programmations des percussions frappe par son côté puissant et roulant, secondée par une basse bien glauque; il n’en faut parfois guère plus, pour définir la base du morceau sur lequel le se pose le chant, bien habité lui aussi. Dance Naked privilégie des structures simples et travaille ses ambiances, urgentes, simples, mais imparables. ‘Point of change’ n’est rien d’autre qu’une succession de tubes en puissance, rien à jeter, jusqu’à ‘Orgasmatron’ où le combo nous dévoile tout soudain son aspect le plus expérimental avec une structure à base d’un beat répétitif, de superpositions vocales, comme une forme d’incantation entre magie et sexualité sur plus de quatre minutes. Quel groupe passionnant, voilà ce que l’on se dit après écoute. Les rééditions, c’est fantastique, Dance Naked fait partie de ces groupes qu’il convient de (re)découvrir urgemment, témoin d’une époque d’intense créativité rarement égalée depuis. A noter encore deux versions démo (dont un 'Legion' très batcave) et un titre live en bonus.

Note : 5/6

Page 92/183 RUSH : Fly by Night

Chronique réalisée par (N°6)

Suffit de tomber sur la bonne personne, et hop. Manquait juste le bon batteur pour que Rush, simili-Zeppelin canadien avec quelques années de retard, ne devienne cette étrange créature moitié-hardos moitié-progueuse, promise à un avenir rutillant. D'autant que Neil Peart ne frappe pas seulement avec ses baguettes à l'envers, il a aussi la prétention d'écrire des paroles qui se veulent un peu plus intelligentes ou profondes que la moyenne. Pour un groupe de hard s'entend. Enfin pour un groupe de rock quoi. Il a aussi des idées bien arrêtées sur la vertu de l'individualisme voire de l'égoïsme (spéciale dédicace à Ayn Rand dans le livret du magnum opus à venir) qu'il n'hésite pas à mettre en exergue dès le premier morceau de l'album qui résonne comme une déclaration d'intention à la fois musicale et thématique. Le nouveau Rush frappe fort, sait où il va, guidé par les mains de velours dans un gant d'acier de Peart, à grand coup de riffs secs et de rythmiques louvoyantes. "Anthem", tout est dit en quatre grosses minutes, la bête est posée là dans toute sa splendeur, seule la voix disons, égosillante, de Geddy Lee, ramène vraiment le groupe à ses origines, un très honnête tribute band au hard-blues britannique du début des seventies. Les structures sont déjà bien ancrées dans une visée progressive, mais sans gras ni fioriture. Avec une production qui sonne déjà largement plus froide, voire clinique, que les concurrents hard de l'époque, préfigurant déjà ce que sera l'avenir de Rush : un power-trio machinique prêt à se plonger sans scrupule dans la technologie de l'époque pour en tirer la substantifique moelle du succès. Car Rush vise haut, Rush n'est pas là pour rigoler, Rush de l'ambition et n'a pas honte de l'affirmer. Rush en met plein la gueule pour qui veut essayer de suivre les roulements de Peart et les impossibles trajectoires de Lee, désormais la section rythmique la plus impressionnante qui soit, portant en elle toute l'étrangeté prog de la formation, laissant à Alex Lifeson, moins guitar-hero qu'artisan soigneux, le soin d'apporter une touche plus franc du collier, ce son de hard classique évident, avec cette capacité à sortir des solos bien griffus quand il veut, sans jamais la note de trop. S'éloignant petit à petit de ses origines, il subsiste bien sûr des traces du son du dirigeable, notamment sur "Beneath, Between & Behind" qui ne ferait absolument pas honte comme un morceau chelou sur Physical Graffiti par exemple (le pont instru très Yes en bonus), ou le très bel acoustique tolkienien "Rivendell", où l'absence d'accent anglais de Lee, au chant délicat alors du plus bel effet, apporte une essence étrange, comme si l'américanité du groupe ressortait de façon inopiné dans le monde des Elfes, si anglais de nature. D'Amérique il est d'ailleurs question aussi dans la musique qui, disjonctage personnel (mais possible) à part, prend ici ou là un arrière goût de rock sudiste par toutes petites touches (le pont de "Fly by Night" ou les riffs de "In the End", un peu skynyrdiens sur les bords). Et déjà aussi une sorte de rudesse sous la complexité qui sent bon le gros rock qui sert à faire passer le goût des miles sur la route. Rush, c'est un peu comme le Pygargue du drapeau américain, c'est glorieux et hautain mais ça fait le salut à tous les prolos. Sauf qu'il sont canadiens, alors ils collent un Harfang sur la pochette, mais l'impression demeure la même. Mais fi des considérations patriotico-ornithologiques, Rush c'est simplement un groupe qui prend son envol vers des cimes futures. Et celles à venir sont définitivement progressives, comme le démontre avec brio le complexe "By-Tor & The Snow Dog", passé une partie hard aux vocaux pas toujours très heureux (Geddy Lee reste un chanteur difficilement aimable, spécialement quand il vrille dans les aïgus), le morceau prend un détour instrumental inattendu, où Lifeson lâche enfin la bride et vient survoler de ses riffs tempétueux ses deux compères dans leur épopée prog jusqu'à atteindre à une phase

Page 93/183 suspendue dans l'éther où les percussions de Peart ne sont que tintinabulements sourdement ponctués de quelques grondements de basse, avant le relâchement de tension final. Une certaine idée du rock progressif, ambitieux mais toujours un peu graisseux, moins dans la pompe que dans le bidon d'huile. Du prog de hardos donc, qui donnera bien des idées à d'autres dans l'avenir, Rush passant ainsi de suiveur à inspirateur. Comme quoi, la bonne personne, et hop.

Note : 4/6

Page 94/183 Ka : The Night's Gambit

Chronique réalisée par Raven

Être un solitaire, parce que seul, dans les années 2010. Être un rappeur léthargique et fan de des 2010's. Vouloir rivaliser avec Mobb Deep, quand on est seul dans son studio de 25m², armé d'un ordinateur et en manque de shit. En manque de libido. En manque d'argent. Avoir compris que les années 2010 sont la décennie où ceux qui sont considérés vainqueurs sont ceux qu'on peut voir vitrifiés dans un décor fashion-glacial de canal+, dans un bâtiment politique hautement sécurisé, dans une salle de marchés, ou dans une page de réseau social suivie par la population d'un pays moyen. Ce présent pue l'hosto, il est froid, et il ment. Mentir demain, c'est dire la vérité aujourd'hui. Et cette céramique est plus coriace que toute la colère. Beaucoup d'adolescents et autant d'adultes n'aiment pas ce présent, parce qu'ils sont nostalgiques. Ils devraient ne pas l'aimer parce qu'être nostalgique y est tendance, et presque obligation. Nuit est jour : l'insomnie est devenue tendance elle aussi. On vit de nuit même de jour, on se sent comme avortés. On est au milieu du béton, avec un smartphone dans la main. Avec un salaire. Avec de l'aide qu'on nous a fabriqué, car c'est plus simple comme ça. Les femmes prennent du lexomil, les hommes encore plus. C'est accepté. Avoir compris que les années 2010 n'avaient rien d'un groove. Qu'elles et leur proche futur ne sont qu'une glace impalpable, ne charriant dans son sillage que tristes moraines comme ce genre de disque, exsangue, où le beat est démantelé voire anéanti, où toute puissance est rentrée, intériorisée, muselée, camouflée, où tout n'est que potentiel de mort recroquevillé en boule dans son coin comme un enfant puni. Où la mélancolie d'un temps révolu tente de renaître, fragile, semblable à ces faons nouveaux-nés tremblant sur leurs pattes fébriles. L'organique et le synthétique se confondent. Ne plus rapper : monologuer. Saisir la matière de cette nuit-jour. Contenir son flow dans un container mental, en rituel vaudou. Pour mieux infiltrer ce présent qu'on nous reflète comme un harem et qui n'est qu'une chambre froide en fin de compte. Murmurer avec soi-même, vivre en mauvaise graine apathique, tendance autistique. Qui accepte, jusqu'à l'achromatopsie mentale. Pleine lune.

Impuissance. Internet. Ka.

Note : 5/6

Page 95/183 Hassaan Mackey & Apollo Brown : Daily Bread

Chronique réalisée par Raven

Percy Sledge n'est pas encore sous terre au moment où j'écris ses lignes, et je suis plus James Carr ou Barry White, mais j'avais envie de rendre un petit hommage feutré à ce daron du slow sur lequel nos parents (et grands-parents ?) se sont forcément un soir ou l'autre serrés, et dont le tube-que-vous-savez est samplé au début de cet assez confidentiel album d'Apollo Brown, rappé par l'encore plus confidentiel Hassaan Mackey, dont je n'avais jamais entendu parler avant 2011. Hassaan Mackey n'est pas mauvais comme MC, dans le genre flow de regular thug, un peu à la Prodigy de Mobb Deep, en un peu plus rectiligne et un peu empoté. Ses rimes sont parfaitement génériques, mais on s'en fout un peu. Apollo Brown fait quant à lui du Apollo Brown, c'est à dire la même chose depuis Gas Mask : gros samples soul bien appuyés avec le gras du pouce, beats organiques sans être mémorables. Deux-trois crépitements de vinyle (ça c'est archi-usé mais toujours appréciable) et un passage avec voix remixées façon hélium (ça l'est moins, et je crois que je n'aime ça que quand RZA le faisait avant que ça ne devienne une tendance assez irritante et grotesque). Le style très soulful-musclé et accrocheur de Brown aux beats est toujours aussi basique et limité, mais agréable, très cuivré et frontal. Bien new-yorkais dans l'esprit, comme un Pete Rock sans le génie ou la finesse (on en oublie de quelle milieu ça vient, comme quoi les étiquettes géographiques...) Apollo est clairement surrestimé, mais au royaume des producteurs à un doigt, celui qui en a deux est roi. On sent surtout qu'il a une belle collection de classiques soul à transformer en gros son pour grosses hi-fi, et qu'il veut en tartiner partout, un peu comme l'Alchemist avec ses disques de progressif. De toute façon les écoutent-ils vraiment ? Je ne vais pas répéter le cliché tenace selon lequel les producteurs de hip-hop, les purs crate-diggers s'entend, ne s'intéressent pas aux 33 tours pour les écouter en entier, mais juste pour y trouver la bonne boucle qui va claquer... Et des boucles qui claquent, 'Pain Quotidien' en contient quelques-unes, c'est indéniable. Dans le genre groove pour 4X4 noir avec intérieur en bois laqué, c'est pas mal. Une affaire de logiciel et de mixage plié en quelques heures j'imagine, mais je ne suis pas producteur, Rakim m'en préserve. Tout ce que j'entends là est juste ce qui peut se faire de plus sympathique en boom bap moderne conçu avec des ordinateurs, et c'est toujours plus consistant que du cloud rap : c'est du rap pour les nostalgiques de la génération golden age qui écoutent encore du hip-hop en arrivant sur leur quarantaine, tout simplement. Ce hip-hop n'a rien de putassier, mais en même temps rien de très élégant ; il est juste assez racé, et assez brut, avec la pointe de mélancolie soul comme une larmiche coulant sur des pectoraux un peu douteux... et si "Mackey's Lament" évoque un bon morceau post-millenium du Wu-Tang, cet album ne devient sombre que sur son ultime morceau, le torve "Like a Diamond". Quant à savoir s'il y a une différence entre Daily Bread et les futures albums-collabs d'Apollo Brown avec O.C., Guilty Simpson ou , eh bien... hormis la différence entre les MC's, je n'en vois rigoureusement aucune. Mais je réécoute plus volontiers ceux-là.

Note : 3/6

Page 96/183 Kool Keith : Spankmaster

Chronique réalisée par Raven

Blackula - Spectacula ! - Blackula ! Ahahah... Culotté ? Si vous étiez plus kools et kultivés, et si vos curseurs visaient aussi bien que Cupidon pour dénicher les bons scuds, vous culpabiliseriez moins de culbuter les bons boules luisants avec Kool Keith, et sauriez que sa cuvée 2001 est comme une belle petite déculottée, a.ku.a le très synthétique et tongue-in-cheek Spankmaster : un des points culminants de sa prolifique currière (hum), car derrière (HUM) ses airs de pantalonnade (rohlala) ce skeud fesse (pffff...) ! Un pur son pour lécher des cuisses, intro r'n'b... mais... bizarre, bizarre... trèèès bizarre... Quels sont ces cui-cuis en fond ? Qu'est-ce que ces samples incurvés... ? C'est du Keith ! Vile ordure de MC, dis-nous tout, quel est ce son recourbé-chelou comme des culebras, et chimique à en faire mouiller Marie Curie dans son cercueil ? Qu'est-ce que cette cuisine cunnilingusico-cubique ??? Curry ? Curare ? WTF ??? Un son au goût de cuivre, pour culturisme sans musculation ! Minimal horizontal, petit et mesquin... même si le cigare cubain, le cubitus entrejambal, rôde sous la cuette (comme le dirait Smet). R'n'b en intro ? Quel culot ! "Mack Trucks" encule tous les tubes tuning avec un gros bruit de culasse cuite, mais passera mieux dans un cuistax que dans une cumionette. "Jewelry Shine", "Dark Vadar", le glitchesque "Drugs" : succulents hits ! Par-dessus ça, les élucubrations habituelles de Keith, axées Q ... et Jacky Jasper, son sidekick kéké. Et deux apparitions magiques d'Esham dans le néant atomique, le cure-dent au coin du bec, dans une veste trois-quarts cuir de gestapo. Le skeud ne culmine jamais, cumulant les cumulus, les flows cucullaires, incubant dans le cortex, hypnose monotone de pervers sexuel dégustant de la biatch' à la petite cuiller. Assez de culs, assez de beats ? Pfff, ne soyez pas si bêtement cucurbitacés, tas de curés culpabilisateurs : ce Kool Keith est culte ! Alors hop, glouglou au cubi !

Note : 4/6

Page 97/183 Kool Keith : Black Elvis/Lost In Space

Chronique réalisée par Raven

Keith a souvent été axé trip d'anticipation paranoïaque, mais Black Elvis/Lost in Space, avec son faux jumeau gore Dr. Dooom, est assurément son meilleur album dans le genre. Une ambiance digne des scènes nocturnes de la Soupe aux choux, avec des gangstas drogués dans une grosse berline à la place du Bombé et du Glaude. EH L'GLAUDE ! Y A UNE SOUCOUPE DANS TON CHAMP !!! C'est pas une soucoupe, con d'Bombé ! C'est une Pontiac GTO super équipée ! Alors détends-toi, bois frais, et écoute plutôt cette introduction, où Keith, entre sarcasme, menace et paranoïa, sabre tous les MC's se la jouant urbain dans leurs clips à cent patates. Elle est déjà à elle seule un grand moment, imposant Kool Keith comme le patron du secteur, dans la reverb de sa dimension dans laquelle aucun de ces rappeurs en heavy rotation n'a une chance de venir le chatouiller. La denrée de Kool Keith était foutrement bonne entre 1996 et 2001. Foutrement bonne. Quand je pense qu'on se pignolait tous ici sur Anticon et Dälek au milieu des années 2000, alors qu'on aurait aussi très bien pu faire le bilan de la meilleure période de Kool Keith, la période radioactive... Mais Progmonster n'avait pas six bras (encore que, avec ce fou furieux stakhanoviste). Rien à jeter dans cette phase millenium de Keith, tous les albums de cette période se ressemblent pas mal, mais en posséder un, c'est finir par les posséder tous, avec leurs spécificités délicieusement ovniesques. On sera d'accord pour dire que le meilleur son sur lequel il a jamais rappé, d'un point de vue historico-scientifique, reste cette prod' indéfinissable du Octagon-Ecolo-Gyst. Mais le son de Kool Keith en solo à l'époque où il était épaulé par Kut Masta Kurt n'a pas du tout à verdir de la comparaison avec Nakamura, en termes de sombre et expérimental. Oh que non. C'est juste plus synthétique, rectiligne... Peut-être un peu plus toxique aussi... Et j'avoue tripper méchamment sur cette saloperie. 'Black Elvis' n'a rien de Presley, hormis la coiffure : on retiendra surtout du double-titre 'Lost in Space'. Et c'est ce qu'on comprend dès que Kool Keith spitte ses versets, égal à lui même. Keith voit des robots, voit des robots, passer, tous les jours... Et ça lui inspire des fantasmes de hip-hop abstrait, tendance malsain, à la lisière du Dr. Dooom. Des morceaux comme "Lost in space", "Rockets on the battlefield", "I'm seeing robots", "Keith Turbo", "Fine Girls", "Clifton" ou "I don't play" sont juste géniaux. Mattez le clip de "Livin' Astro" plus haut : ce flip improbable que c'était quand ça passait sur MTV... c'est exactement l'ambiance et la matière de cet album. Ces instrus minimales avec ces sons de synthétiseurs d'origine inconnue, ce flow se foutant du beat tellement il exulte la maîtrise désinvolte, ces effets electro-glitch à la Venetian Snares au ralenti, qu'on hésite indéfiniment à qualifier de cheesy ou de raffinés... C'est génial, ça pourrait sortir aujourd'hui que ça serait tout aussi atypique. Même son featuring r'n'b à biatches "All the time" est tout sauf salubre, ressemblant aux moments sombres du premier Outkast, en psycho et en solo. Et "Supergalactic Lover", en dehors des arrangements, n'a rien à envier aux ballades crémeuses de ces derniers. Le hip-hop de ce mec n'est pas quelque chose de glorieux, de galvanisant. C'est un rap de laboratoire, un rap halluciné, moqueur, totalement marginal, avec des paroles qui semblent parfois lui sortir de la bouche avant qu'il les pense, fantasmes sexo-futuristes, fétichisme technologique et egotrips pseudo-scientifiques aux multiples ramifications mentales. Kool Keith m'a toujours semblé être issu d'une dimension parallèle, un monde qui ressemblerait au futur comme il est par exemple présenté dans Retour vers le futur II, avec des tenues complètement improbables et des bars "retro" où deux présentateurs parlant en même temps dans un poste télé servant de barman te proposent du pepsi. Kool Keith n'est pas vraiment de ce monde, c'est certain... Et Black Elvis développe une des ambiances les plus originales

Page 98/183 jamais entendues dans le rap depuis Divine Styler, entre residus de boom bap urbain et écho de silo nucléaire... En fait (brrr, ça caille)... c'est pas la Soupe aux choux, ni Back to the future II, nan... C'est le hip-hop dans le monde du premier Half-Life. Prenez tous vos pieds de biche les enfants, et restez attentifs au MC qui vous guide dans les corridors du complexe de Black Elvis Mesa... Les headcrabs sont cachés dans les coins sombres des beats, les bullsquids prêts à vous cracher leur merdasse fluo à la gueule. Esquivez ! Bieeeen...

Vous sentez ce frisson ? Suivez le flow.

Note : 6/6

Page 99/183 Geometric Vision : Virtual analog tears

Chronique réalisée par Twilight

Cette fois, ce n’est pas une citation de Baudelaire mais un bruit de vent qui amorce le premier titre du second album de Geometric Vision, un titre qui laisse à croire que nos Italiens sont passés du côté obscur de la force. ‘Black heaven’, s’il ne surprend pas par rapport aux impressions laissées par ‘Dream’, se montre plus ouvertement sombre notamment dans le chant très désespéré. Fausse piste ? Pas vraiment, si ‘Think’ revient à quelque chose de plus froid, ce n’est que pour prouver une chose, Geometric Vision savent gérer un disque sur sa durée. On ne s’ennuie jamais, les chansons se complètent, se renforcent, s’unissent dans la diversité. On note cependant sur l'ensemble une tonalité légèrement plus dure, un peu à l’image de l’artwork jouant sur les flous et un aspect torturé. Ceux qui avaient aimé le premier opus retrouveront ce qui satisfera leurs goûts mais avec une patte, à mon sens, plus assurée encore (et pourtant ‘Dream’ témoignait d’une belle maturité). Nocturne plus qu’hivernal, ‘Virtual analog tears’ navigue entre cold wave pure et des touches gothic rock notamment au niveau du grain de certaines parties de guitare. L’aspect électrique l’ayant emporté, l’impression organique s’en trouve renforcée, avec toujours ce sens inné de la mélodie qui s’impose immédiatement mais sans facilité malvenue. On pourrait tracer des parallèles avec le Clan of Xymox des débuts mais ce serait négliger le côté plus obscur et passionné, tant du chant que des harmonies. La musique de Geometric Vision n’étouffe pas, elle dégage beaucoup d’espace entre ses lignes mais elle demeure étonnamment terre à terre et proche du coeur. Pas une faiblesse, le trio signe une belle collection de morceaux soigneusement écrits à la fois directs mais dont la saveur amère et jouissive demeure longtemps après écoute. Quelques choeurs féminins supplémentaires achèvent de conférer du corps sur quelques compositions (‘Hills’, Stupid songs for dreamers’) confirmant la volonté de se diversifier dans la continuité. Du rêve, nous passons aux larmes, lesquelles, contrairement à ce que pourrait suggérer le titre, n’ont rien de virtuel; la dark wave a de beaux jours devant elle.

Note : 5/6

Page 100/183 Kool Keith : Sex Style

Chronique réalisée par Raven

Se matter le clip de "Pop that Pussy" pour la centième fois ça va bien un temps, mais on a des priorités gutsiennes... Là pour me mettre dans l'esprit je bouffe du poulpe. C'est du poulpe en gros morceaux, mélangés à des mini-poulpes, un peu moins goûtus mais qui te donnent cette impression d'être dans une scène d'eXistenZ, tu vois... C'est reuch mais ça a plus de gueule que les seiches. En même temps pour ce Kool Keith j'aurais aussi bien pu bouffer des moules, seulement y en avait pas bézef aux étals. Et comme je suis puceaaaaauuuuuu (reverb old school) et que j'ai jamais vu de ma vie la mer, ben je ne sais pas tout ça, alors je suis obligé de demander à Kool Keith eheh... Et il m'en donne une vision plutôt charmante, pas du tout macho, des femmes. Si si... Vous me croyez pas ? Bon ok, j'arrête les conneries, et puis en même temps, sur ce premier album solo, il est surtout dans un esprit de pure diss, et pour le cas qui nous intéresse faire passer l'intégralité des gangsta-rappeurs du moment pour ce qu'ils sont en vérité : des blaireaux. Le Sex Style ne sera donc pas juste l'occasion de mettre en avant ses exploits lubriques, mais surtout de tartiner toute la scène mainstream de son foutre flowistique unique, parce que Kool Keith en a marre de toute la merde molle qui squatte les charts, lui c'est un rappeur de la seconde génération 80's, un vrai de vrai, il veut que le hip-hop ça bounce, que ça roxe, que ça cause cru et que ça sente fort. Et que ça déconne à pleins tubes, aussi, parce qu'y en a marre du social-sérieux. La pochette style miami bass décomplexé est donc un foutage de gueule assez explicite, ça me semble évident, pourtant je ne serais pas étonné que beaucoup soient tombés direct dans le panneau. Mais si on s'attache juste à l'aspect technique, Kool Keith aborde le rap de façon très sérieuse : son flow directement sorti de l'alambic massif des années 80 distribue les fessées, de la côte est à la côte ouest, à tous les nouveaux venus, et en toute désinvolture. La façon acharnée qu'il a de décrire les autres rappeurs en transsexuels inoffensifs, ou de dédier un morceau plus laid-back à la défense de ses glaouis («Don't crush it when you sit up on it»), est souvent digne des envolées scabreuses du Professeur Choron. Cet enfoiré a le style et la cruauté, et il soigne la concurrence. Et pour le son, on est pas dans le r'n'b contrairement à ce qu'on pourrait croire naïvement - et c'est là que Keith est un finaud : il administre grâce à Kut Masta Kurt un bon skeud de boom bap organique "à l'ancienne" en 1997, dans le plus pur style new-yorkais (DITC et consort) en vogue trois-quatre ans plus tôt mais tombé en désuétude avec les gros produits estampillés Puff Daddy. "Sly we fly" fait même penser à du Lifestyle of da Poor & Dangerous... avec la touche paranormale qui est déjà sa marque de fabrique, et qui est très palpable sur d'autres titres (la funky-détraquée "Make up your mind" parodiant le style west coast, ou la très moche "Get off my elevator", egotrip génial). "Keep it real...Represent" (« Represent what ? My nuts ! » hahahahaha!) est à la fois une parodie et une mise à l'amende sans appel, les skills du MC lui permettent de conduire son flow à une main tout en se branlant. "In your face" est un boom bap aussi féroce que basique : un beat brut, quelques voix flippées en arrière-plan et c'est tout. Quant à "Plastic World" on ne la présente plus... « Is the wooorld made of plaaastic ? 'cause that's the way it seeems... » Génial ce morceau, et un disque pas loin de l'être, un Kool Keith efficace et l'album estampillé Keith le plus 'roots' en dehors des

Ultramagnetic MC's... Et puis cette pochette, quoi, merde...

Note : 5/6

Page 101/183 Swollen Members : Bad Dreams

Chronique réalisée par Raven

Putain de merde... alors là, sans hésiter : CHEF D'OEUVRE ABSOLU DU RAP GOTHIQUE GLAUQUE A EN CREVER... flows possédés, beats suintant l'odeur malsaine des catacombes, parfum de profanation occulte à coups de bombes de graffiti sur les squelettes par des rappeurs dégageant un charisme incroyable et et... mmmh attendez... non, j'ai rien dit. Même si Swollen Members ont ce cachet goth-rap à piano sinistre, ils ne sont pas du tout armés pour inquiéter Hell on Earth. Petit récapitulatif historico-chiant : Le hip-hop dans années 2000, et principalement pendant leur première moitié, a subi tous les outrages. On avait déjà transformé le gros son 808 funky et froid en son jazzy-funky circa 1990-91, puis en urbain-sérieux aux alentours de 1993-94... Ces trois périodes ont donné lieu à une pléiade d'albums excellents voire monstrueux. Et puis dans la seconde moitié des années 1990 on a lentement mais sûrement transformé le style urbain-sérieux, qui était déjà un dévoiement pour les purs et durs, en style hollywoodien et bling bling, avec des beats informatiques et des productions aussi léchées que des films de Ron Howard. Du synthétique electro-funk génial à l'organique puis pour finir un retour au synthétique, mais sans saveur... Je pose mes lunettes et ma craie, mais c'est bien comme ça que je vois cette évolution, même si je bouffe sans problème du DMX et qu'un de mes premiers trips a été le second Eminem. Le rap a perdu tout son vice et sa brutalité pendant la transition du nouveau millénaire, pour devenir cette musique sans aucun danger, et il a fallu se rabattre sur l'underground hormis rares exceptions. Et tournant 2001, un groupe comme Swollen Members était un peu ce qui pouvait se faire de mieux avec les armes du moment, capables de dégainer des titres bien catchy comme "Ventilate", "Anthrax Island" et "Dark Riders", du nocturne comme ce titre épo assez crémeux produit par The Alchemist, de la darkwave hip-hop ("Deep End") ou de sonner comme des Mobb Deep de seconde main très corrects ("High Road") ou des Onyx sans le côté cartoon, alors que les originaux étaient au point mort. Mais le seul titre qualifiable de grand moment reste le rampant et minimal "Camouflage". Leurs beats sur Bad Dreams sont mi-envoûtants mi-inoffensifs, leurs flows n'ont rien de honteux ni de très mémorable, mais ils tartinent bien leur son de scratches et exultent d'une volonté de puissance appréciable dans le genre wannabe badass, avec un feeling horrorcore sinistre-mélancolique bien sympathique (les claviers aident)... à condition d'être resté cet adolescent laid dans sa tête qui aime regarder des slashers et qui peut prendre son pied devant Saw ou The Sixth Sense sans tousser devant des effets honteux. Sinon, vous verrez ce disque tel qu'il est, objectivement et techniquement : une succession d'instrus moyennes-bonnes au mieux, un son aseptisé et du rap hardcore générique, ne se gênant pas pour lâcher de la tentative de tube bien moisie ("Fuel Injected") au niveau de ce que faisait Cypress Hill a la même époque. Ah oui j'oubliais, Swollen Members sont de Vancouver. Le Roi Heenok c'est rigolo, mais on oublie rarement que le Canada a un climat rude, et que leur scène pourrait plus souvent en retirer un rap froid et puissant. Note généreuse, j'aime bien ce petit teint d'érable.

Note : 4/6

Page 102/183 Saints Of Ruin : Elevatis Velum

Chronique réalisée par Twilight

Plein l'intestin grêle de ces prétendus foutus goths qui ressortent habillés Lip Service des pieds à la tête, chaussent leurs New Rock et téléchargent de l’electro ou du metal à fond, arborent leurs piercings et leurs théories à deux balles sur la spiritualité… Je sais, j’ai l’air d’un vieux con réactionnaire et c'est pas la première fois ; après tout un mouvement qui ne se renouvelle pas meurt, non ? Disons que comme ça doit gonfler un skinhead originel de voir des boneheads avec leurs idéologies nauséabondes, je suis toujours scotché de croiser des ‘goths' incapables de me citer une seule formation à la base du mouvement. Je ne demande pas Mighty Sphincter (continuation de l’intestin grêle) mais au moins Sisters of Mercy, The Cure, Siouxsie… Surtout pas Indochine, Rammstein, Marilyn Manson ou Eisbrecher, sans parler de toute forme d’agrotekk (ah ah ah)… J’ai souvent pris les membres de Saints of Ruin pour ce genre de guignols, un peu à tort visiblement. On m’avait vendu le truc ‘gothic rock avec chanteuse à voix de Siouxsie’, gna gna gna. Mon souci est surtout venu de ce que je trouvais leur musique un peu trop rock lambda, avec d’indéniables qualités, notamment un chant très correct même si Siouxsie n’a rien à craindre pour son trône. Toujours est-il qu’un de leurs albums a fini par suffisamment capter mon attention pour que je risque l’achat. ‘Elevatis velum’ est tout sauf excellent mais il n’est pas mauvais. Oui, c’est très rock, pas si gothique que ça au final, légèrement pompier parfois mais pas au delà des limites du mauvais goût. Trop banal comme je le disais, plus proche de The Gathering que des Banshees, mais avec quelques pièces bien senties, notamment ‘The thirst’, à mon sens la meilleur écrite par le groupe et également la plus clairement goth. Harmonies pesantes, carillons, refrain prenant…Pas complètement à l’image de l’entier du disque qui renoue vite avec ses tics rock lambda, par exemple le début calme au piano de ‘Boundless’ ou la partie vocale ouvrant ‘Never’ et je ne parle pas du jeu de guitare, très (trop ?) ancré dans son époque. Restons beau joueur, Rubby Ruin détient un timbre dépourvu d’originalité mais assure derrière son micro; certaines chansons de ce disque restent plaisantes : ‘Riding on the sun’, ‘The thirst’ (celle-là, waow), ‘Your ruin’… Les plus réellement toxiques et sombres finalement. Et puis, ils reprennent (mal) Morrissey, The Cult ou Concrete Blonde, c’est preuve de goût pour un mec aussi objectif que moi. Trop de formations revendiquent cette étiquette gothique à une époque où le genre ayant perdu un certain éclairage public se replie sur sa sincérité et ses convictions, c’est dire si les faux disciples ne trompent pas l’oreille avertie (hélas pas toujours majoritaire dans ce même milieu). Saints of ruin évitent l’écueil avec suffisamment d’ambiguïté pour leur laisser le bénéfice de l’honnêteté. Le reste, c'est du domaine de la subjectivité, il manque selon moi quelques mélodies fortes de plus pour assurer un statut solide au groupe. Honnête de bout en bout, voilà ce qu’est ce disque et c’est déjà ça ; certains monteront la note à 4. 3,5/6

Note : 3/6

Page 103/183 Danger Doom : The Mouse and The Mask

Chronique réalisée par Raven

Tout ça me remue plus que ça ne me secoue... mais ce swag un peu mystérieux me parle sur ses 40 petites minutes, et vu le genre il faut dire que la durée compte pour les macarons en fin de chro, quand elle est si raisonnable. Finalement, à y regarder avec le recul d'une décennie - ce qui est plus aisé pour ceux qui comme votre serviteur n'en ont jamais fait tout un culte du Metal Face - ce petit album de collab' rigolo avec le tout aussi indie-acceptable Danger Mouse, tient très bien la distance, comme un bon Tarantino. Je n'aurais pas parié grand chose sur la longévité de The Mouse & The Mask à l'époque de sa sortie, et il me semblait juste un album-gadget du rap alternatif, mais il a bel et bien tous les airs de ce que les collectionneurs sans poésie appellent un classic, l'air de pas y toucher. Pas comme Madvillainy quoi, qui s'impose massivement en surlignant bien sa haute noblesse. Plutôt comme un MM Food invité à manger dans un palace et à sociabiliser un peu, m'voyez... même s'il pourra pas s'empêcher de jouer avec la nourriture et de lire ses bandes dessinées sous la nappe, insensible aux courbes des serveuses. Il y a ici forcément cette étrangeté geek-autiste-fétichiste typique du stoïque Metal Face, et cette sensation "poussiéreux-velu-anachronique on wax", façon RZA en mode espion. C'est très ludique (les skits aussi cons que du Infectious Grooves) et surtout c'est aidé par la mise en scène et le décor pimpants-fringuants de Danger Mouse. Et puis aussi par quelques invités, hein, parce que moi j'aime bien Talib Kwah-li, et je kiffe le titre g-funk avec le gros de Goodie Mob, mais il faut aussi dire que le père Starks fume royalement Doom dès son apparition sur "The Mask" (un de ses meilleurs titres) en polarisant l'attention sur son habituel et si délicieusement unique semi-ouin-ouin de pimp hanté, auquel se marie on ne peut mieux la boucle funky-royale concoctée par la Souris... du pur Jackie Brown dans l'esprit. Non, décidément, il est vraiment top moumoute ce petit Danger Doom, il lui manque quelque chose pour être plus que destiné à des écoutes récréatives mais...hey, c'est son but, aussi ! Un bon petit album de hip-hop malin pour le farniente en peignoir voilà c'que c'est, avec cette touche retro et luxueuse des prods de Danger Mouse qui lui donne une saveur muchacha exquisita, très tongue-in-cheek, entre blaxploitation, vieux cartoon, film d'espionnage des années 60 ou manigances de canailles audiaresques. Tout à fait moelleux. Outre le crypticisme habituel des lyrics de MF et son flow aussi opaque que l'ébène qui me sont assez accessoires (comme un antihéros singulier mais peu attachant), je retiens surtout ce parfum de parodie classieuse, un peu comme du OSS 117 si vous voyez où je veux en venir, a.k.a. le truc totalement blague-entre-potesque dans le texte, mais cousu fin et gominé et super bien réalisé, comme dans les vrais bons films à papa... Derrière la désinvolture et la smartitude de la chose, on tient un album récréatif mais très racé. Et les élucubrations non-sensesques habituelles du MF, on s'en tamponne un peu comme un gros chicanos gavé de tacos dans son hamac, tellement on est juste ravi par ce clinquant soigneusement confectionné, dans lequel il n'a même pas le bon goût de se vautrer en pacha comme le ferait un bon membre du Wu (suivez mon regard) alors que la souris l'y invite sans cesse en lui pomponnant son masque avec amour. Mais ça tient évidemment à sa personnalité-carcan, sa prison mentale qu'il décore de stickers et de coupures de comics comme un casier de vestiaire. "Sofa King" et le sublime "Basket Case" me pousseraient presque à lui metre une note déraisonnable... Mais je suis si raisonnable... Garçon ! Vodka-martini je vous prie.

Page 104/183 Note : 4/6

Page 105/183 Fun Boy Three : Waiting

Chronique réalisée par Twilight

Encore une carrière météorique… Un an seulement après leur premier essai, les Fun Boy Three signent déjà leur ultime album. Aussi insaisissable même si moins sombre que son prédécesseur, il se présente comme une boîte de Pandore, un kaléidoscope où pop des années folles, new wave, ska, côtoient des textes sociaux déclinés avec un humour pince-sans-rire typiquement british. Avec David Byrne aux commandes de la production, on pouvait s’attendre à un résultat déjanté. Les cuivres d’abord, en folie mais aussi plus tristes de temps à autre (‘Going home’), couplés avec des rythmiques plus groovy que sur le premier LP (privilégiant quelque chose de plus tribal et moite) et toujours cette dualité splendide entre le chant de Terry Hall et les interventions plus graves de ses deux collègues, Neville Staple et Lynval Golding. Inutile de mentir, ‘Waiting’ est lumineux. Lumineux mais tordu. Outre ses orchestrations exigeantes, originales, variées, faussement primesautières, ce qui le place dans les pages de Guts, c’est une forme de détachement dandy niveau vocal. Écoutez ‘Tunnel of love’, Kurt Weil composant de la pop, ‘Our lips are sealed’ nettement plus new wave (dommage, la version en houdou sur le best of est plus jouissive), l’ironique ‘Farmyrad connection’ dont les paroles contrastent avec l’aspect faussement enjoué de la musique… Mais Fun Boy Three, comme l'indique leur nom, c’est aussi le fun, l’hédonisme sur fond de crise sociale comme sur ‘The pressure of life’ où l’on trouve cette ironie présente chez The Jam époque ‘A town called Malice’. À l’image de ces derniers, Fun Boy Three puise dans l’héritage mod pour se positionner dans un contexte nettement moins coloré. Ce que rappelle fort à propos ‘Things we do’, plus sérieux dans ses tonalités et ses harmonies jazz hispanique jamais totalement entraînantes ou la valse cabaret de ‘Well fancy that !’ que goûteront les fans de Marc Almond. Si je dois bien confesser une préférence pour le premier opus, ce second jet ne démérite pas et confirme la qualité et l’originalité d’une pop offrant plusieurs niveaux de lecture sous une apparente et trompeuse frivolité, un peu

à l’image du regard pensif de Terry sur la pochette.

Note : 4/6

Page 106/183 CHROMATICS : Running from the Sun

Chronique réalisée par (N°6)

These streets will never look the same. Indeed. Parfois, la topographie de la ville change d'orientation, les rues vous tirent alors vers l'Est, de ce côté où vous n'alliez jamais par plaisir, et qui maintenant vous fait battre le coeur. Et puis d'un coup les rues se vident de ce sens neuf qu'elles avaient prise, démagnétisées par une nouvelle absence. Et puis les nouveaux souvenirs, devenus tendres, se teintent d'une tristesse inédite, plus profonde. Des rues partout dans le monde qui ne ressembleront plus à ce qu'elles étaient, parcourues en tenant une main évaporée, les signes partout sur les façades, les parcs et les terrasses plus lourds de sens en attendant de les recouvrir à nouveau, qui sait. Chromatics est vraiment un groupe déprimant. Comme l'est cette version de cette longue dérive solitaire post-amour, peu importe comment et pourquoi tout s'est arrêté brusquement, déshabillée de ses beats pour la rendre encore plus flottante, dans cet état second où le renoncement abasourdi se mêle aux larmes qui montent d'un coup. Et ce stupide vocoder trop sentimental, qu'on entend aussi ailleurs, sans trop savoir si il est magnifiquement brisé comme un coeur, ou simplement laid comme un artifice, comme une expression futile. Shallow on dit en anglais, pour ce sentiment de rester à la surface des choses. Chromatics pourrait paraître l'être, dans toute sa splendeur rétromaniaque post-moderne tournée vers des années quatre-vingt médusées d'une mélancolie souvent facile, voire factice. Mais non, décidément non, Chromatics est vraiment un truc à vous faire gober des calmants chaque soir, mélange lexo/whisky, cette fois à peine effleuré par la présence érotique et spectrale de Ruth Radeleth, n'intervenant vraiment (mise à part une version "beatless", elle aussi, du morceau éponyme de l'album précédent) qu'à la toute fin dans une interprétation noctambule du standard "Blue Moon" agissant presque comme une dernière caresse avant d'embarquer dans une nuit peuplée de rêves incertains. Mais avec l'assurance que la divine créature, telle la blonde hitchcockienne de Lost Highway, vous susurrera finalement "You'll never have me.", alors que vous touchiez le bonheur du doigt. Ca ne pouvait pas se terminer autrement, tellement Chromatics avait déjà mis les points sur les i, comme dans trIste, l'intro "Dreaming in Color" ressemble déjà à une musique de fin, la voix de Ruth n'exprime rien sinon un souffle sinistre au dessus de ces guitares à se foutre par la fenêtre. C'est plié d'avance, la menace flotte dans chaque beat de l'oppressant "Red Car", son ivresse synthétique maladive un peu grotesque, dans chaque nappe synthétique du quasi-ambient "Last Wish", parfait pour arpenter après fermeture légale des bars les trottoirs de rues désertées par toute tendresse, toute empathie. T'es tout seul garçon, vraiment tout seul cette fois. Oublie un peu ces vocodeurs à la mélancolie un peu cheap, un peu racoleuse, écoute simplement le chant de ton cerveau qui doucement, tout doucement se désintègre, c'est presque serein, c'est un abandon à la nuit, à la solitude, au vide. C'est presque grandiose et c'est quand même quasiment rien, à peine trois notes de piano en fin de parcours pour donner une forme à ta pauvre détresse. Et juste le temps de se dire qu'en effet, ces rues ne ressembleront plus jamais à ce qu'elles

étaient avant. Juste un conseil : tu ne devrais pas prendre tout ça trop au sérieux.

Note : 4/6

Page 107/183 Warcloud : Nightmares That Surface From Shallow Sleep

Chronique réalisée par Raven

Voilà un album que j'avais eu un peu de mal à m'acheter, purement à l'aveugle, dans ma phase d'empilage névrotique fétichiste de tout ce qui était lié au Wu-Tang de près ou de loin... Il faut dire que les retours étaient très très confidentiels sur cette abeille tueuse atypique de Los Angeles, alors qu'au final je l'ai paradoxalement autant écouté d'un bout à l'autre que mes Killarmy, bien qu'ils soient beaucoup mieux foutus. J'avais longtemps fantasmé un disque obscur et maudit de la galaxie Wu-Tang, un genre de L.A. The Darkman, pour vous situer... Ma déception fut sèche, je dois l'avouer, même si je découvrais du même coup Holocaust, ce rappeur qui avait été l'occasion pour RZA de poser ce fascinant ver à soie sur son premier solo. Ce Warcloud - uniquement dispo en CD-R - est une bûchette au son tout pérave de démo, hélas, même si on est dans le genre des créatures un peu maladives et étranges laissées dans le sillage de la monstrueuse suprématie Wu-Tang, le long des caniveaux... Rap abstrait-hardcore à la wannabe Wu-Tang certes, ou à la wannabe Eminem ("Something Is Going to Make Me Smack This Bitch") mais avec un petit cachet manoir et bricolé main que la pochette de la réédition décrit très bien, et un fétichisme des spiritueux assez coquet. Les productions - entendez comme d'habitude : les instrus - sont tout à fait rudimentaires et gauches, boucles amatrices un peu occultes mais ennuyeuses à en mourir quand elles ne sont pas les plus péraves que vous aurez l'occasion d'entendre ("Channel Warcloud") : ça veut jouer dans la cour des Shaolin, mais ça reste au niveau du dojo réservé aux ceintures blanches. Manque de thunes évident. Avec l'oeil mauvais, hein, car Warcloud/Holocaust a un flow bien rentre-dedans, qui mérite qu'on s'y arrête. Il y a tout de même un ou deux titres sympathiques dans cet album qui m'empêchent de m'en séparer, entre les refrains ridicules et les tentatives piteuses ("Strawberry Cream Champaign", du MF Doom lubrique dans le texte mais l'instru ne suit) on peut par exemple déguster un petit "The Beer Song", techniquement pourri mais louche comme du Kool Keith, ou le hip-hop puant le caveau de "The Renaissance". Et puis, plus anecdotiquement, Warcloud pose un rap en intro à base de sample de la musique des Visiteurs (pas Era, non), faut quand même oser... et ça lui va bien, à ce gros jacqouille wu-tangien, pas encore nommé au grade de tueur chez Blue Sky Black Death. Objet réservé aux purs fétichistes-collectionneurs exhaustifs des Wu-affiliés, donc, pour qui ce sera une curiosité vite abandonnée à la poussière.

Note : 2/6

Page 108/183 The Holocaust : Blue Sky Black Death Presents : The Holocaust

Chronique réalisée par Raven

Gros, gros album de capuchard. Du hip-hop de trafiquant d'armes, avec une ambiance limite russkoff, zéro feat, zéro groove. Vu l'origine abstract-hip-hop du MC chauve et antipathique qui opère ici, on aurait pas trop pu se douter que ça allait virer négociations au fusil à pompe filmé en Imax et aux belles instrus Michael Mann qui beurrent la raie ; et ça en jette pas mal, avouons. Qui se souvient du Bobby Digital de RZA ? Ce skeud sublime qui fût l'occasion de découvrir dans ses featurings The Holocaust, rappeur brutal et frontal originaire de la west coast, portant son blase comme une balafre outrancière en travers de la gueule, et qui donnait pour l'occasion son nom à l'un des titres les plus magnétiques et soyeux jamais apparus dans l'univers du Wu-Tang. A la fois lié au monde du Wu, donc, au style froidement contrôlé d'un GZA par exemple, mais aussi au style full coup de boule microphonique, ruant dru dans un style bourrin bas du onfr à la Necro ou Ill Bill, sans le suif ingrat. Si RiZzA est le parrain pété de cash et hautement respecté des bas-fonds jusqu'au show-biz, se vautrant dans ces gaudrioles et ses fantasmes de septième art avec le magot, The Holocaust est clairement l'homme de main à qui on laisse porter les fagots. Et pourtant il a rappé sur un des skeuds les plus "septième art" du genre, en MC rude et terre-à-ter-ter, à la hardcore pas pécore, même assez lunatique pour tout dire, tendance ourson, mais en bien plus ursin (et qui appelle pas les flics quand on kidnappe la mifa). Monochrome comme un corbak dans la nuit, The Holocaust rappe camion. Mais camion du genre gros mack au pare-choc défoncé, roulant phares éteints au milieu des docks. On le suit dans sa nuit. Dans son gros bahut noir, avec les corps transhabutés à l'arrière qu'il faudra mettre en sac sans broncher. Et on a pas envie de le lâcher, parce qu'il nous raconte ses anecdotes de porte-flingue qui a jamais pu passé le cap du fantasme de grandeur, resté au grade du nettoyeur. En gueulant non-stop qu'il faut pas le faire chier... mais rien n'empêche de baisser la fenêtre pour respirer, tant cette nuit est belle, aussi. Ciel bleu-noir... hip-hop luxueux dans le style symphonique-mélancolique, ou simplement froid et sinistre. Cette production façon "grand thriller tragique" par les très attentionnés Blue Sky Black Death a de la gueule, c'est indéniable. Ma découverte deux ans après la sortie fût un moment assez mémorable, et j'avais même brièvement pensé dégainer cette chro dans la foulée de celles de Mobb Deep avec une note maximale, dites-vous... Avec le recul je tempère, car il manquera toujours quelque chose à cet album pour être le grand disque de hip-hop tragique et mortifère qu'il aurait pu être. De la crasse, du bitume, des effets moins Jedi Mind Tricks et plus Havoc, j'en sais rien... Le son est inattaquable, pourtant, malgré son effet hollywoodien... Les beats de Blue Sky Black Death sont nickel-chrome, avec leurs vastes samples symphoniques se déployant majestueusement, passée cette introduction très Wu-Tang. Aucun moment, à part ce final plus serré et intime, ne viendra nous sortir de cette ténébreuse armada de violons et de pianos. C'est un peu comme la première fois où j'ai vu Collateral si vous voulez : des défauts évidents, mais quelle putain d'ambiance, cette nuit. "No Image", une des instrus les plus douces et subtiles de l'album, est pourtant celle où Holocaust attaque le plus en gros forcené, comme un Method Man qui se ferait cramer les burnes au chalumeau par des albanais dans un cachot. Gros couteau de combat dans un écrin duveteux. Et un rappeur pas trop du genre à fumer la marijuana... Disque réservé aux brutes sensibles, qui versent leur larmiche devant la dernière scène de Rambo quand tous les autres se fendent la gueule.

Page 109/183 Note : 5/6

Page 110/183 Hecq : Mare Nostrum

Chronique réalisée par Ntnmrn

Il n’est pas anodin que Hecq ait sorti, l’année dernière, un album de remixes intitulé "Conversions". On pensera ce qu’on veut de ce disque — peu importe : c’est la conversion qui nous intéresse, et si elle n’était alors qu’un simple jeu de mot pour désigner le remaniement des titres originaux, elle prend au contraire sur "Mare Nostrum" toute la charge symbolique du mot au singulier. À vrai dire, il y avait eu déjà eu des changements, des métamorphoses, Ben Lukas Boysen s’étant permis de voguer de l'IDM alambiquée de ses débuts vers une dubstep originale, en passant par toutes sortes d’expérimentations tirant tantôt vers l’ambiant hors-sol, tantôt vers l'electro superrythymique ("0000" !). Mais rien qui laissât augurer une conversion si radicale. Ici, foin de l’attirail percussif qui battait les mesures parfois éreintantes des plus tortueux disques de Boysen. Foin du glitch à tout bout de champ, foin du rafistolage électronique de chaque parcelle sonore, qui venaient ajouter leurs détails et leurs inflexions à cette rythmique labyrinthique. Soudain, la musique se fait d’un abord plus accueillant, et se montre d’autant plus chaleureuse qu’elle enveloppe dans un cocon de froid, comme ces terriers de neige où rêvent les chiens de traîneaux, à l’abri du blizzard. "Mare nostrum" est comme un voyage en mer : sans horizon visible, traversé par les grands vents, filant de bonaces en orages, de ressacs en courants — et sa musique est terriblement familière. Ce n’est pas pour rien qu’elle est issue de la rencontre de Boysen et d’un énorme supercomputer, éponyme du disque : en vérité, elle est l’illustration même de cette ère de communion de plus en plus étroite entre homme et machine, pour laquelle l’un prête son lyrisme, sa quête de sens, son inventivité, et l’autre sa puissance de calcul froide, son immensité industrielle, ses vibrations et bourdonnements. Et devinez où est situé cet ordinateur gigantesque ? À Barcelone : dans une ancienne église. Cette conversion, Dieu y a mis sa patte, c’est certain. Sous perfusion divine et informatique, Boysen nous rappelle qu’il n’est pas seulement compositeur de musique électronique, mais aussi "sound-designer", et qu'il sait accorder ses créations musicales aux visuels de ses clients — toutefois, ici, il réalise la prouesse d’un sound-design qui génère en toute autonomie ses impressions visuelles. Les nappes éthérées s'éraillent au filtre de la saturation et se résolvent en des accalmies salutaires. Les soubresauts de météores électroniques dessinent des formes dans un espace sonore infini. Les machines incessamment grognent, moulinent, grincent leurs rouages, vrillent leurs bras mécaniques ; l’homme les imprègne de sa tristesse, immense, et de son inquiétude, mystique.

Note : 6/6

Page 111/183 Orations : Orations

Chronique réalisée par Twilight

Buffalo Bill, Buffalo Grill…Pas terrible…Ah, Buffalo City aux USA…Je ne sais pas trop comment se porte la scène rock là-bas mais toujours est-il que selon Jason Draper de Orations, ‘nous sommes pas beaucoup à jouer du post punk sombre par là-bas’, ce qui aura valu, pour notre plus grand plaisir, au groupe d’être signé sous nos latitudes, chez Swiss Dark Nights. Le morceau ouvrant, ‘Anhedonic moan’, laissera à penser que le deathrock made in L.A. est une influence: batterie combattante, guitares torturées, basses de plomb et vocaux féminins post-Siouxsie…Voilà qui présage du meilleur pour l’écoute. Effectivement mais Orations prouvent assez rapidement qu’ils ont plusieurs cordes à leur arc car les chansons suivantes dégagent des atmosphères dont les fans de la scène goth britannique des débuts vont raffoler. Les musiciens flirtent même ouvertement avec le post punk (‘Early spring’), toujours avec le même talent et une semblable cohérence. Jess Collins chante bien et son timbre lui permet aisément de glisser du plus hanté au plus charmeur (‘Deviation’), avec toujours en fond cette rythmique qui assure et ses guitares efficaces. Un bon truc deathrock en final pour enfoncer le clou et c’est avec effroi que le clic final, pour celles et ceux qui n’ont pas une platine remettant automatiquement le cd au début, retentit. Courage, les gars ! Je ne sais pas trop à Buffalo mais ici, il y a des gens qui vous aiment et qui attendent un album.

Note : 5/6

Page 112/183 Thomas Ankersmit : Live in Utrecht

Chronique réalisée par saïmone

La réalité est-elle si pourrie qu'il faille la contempler à travers la lucarne d'un fil d'actualité Facebook ou Twitter ? La réalité est-elle si triste qu'il faille s'en échapper dans les promesses de la virtualité ? La réalité est-elle si pauvre qu'il faille s'en éloigner comme on éloigne notre prochain, le regard fixé sur son portable, les écouteurs au fond des cavités, en étant sourd aux appels qu'il lance à travers son profil Facebook ou Twitter ? Virtualité interposée. Si la musique est politique (elle l'est), Ankersmit est activiste. Un activiste de la réalité forcée. Armé d'un saxophone et d'un vieux synthétiseur modulaire analogique (ce bon vieux cherge), épaulé par le truand Valerio Tricoli (ils seront l'auteur d'une salve chroniquée par VL), Thomas déroule un souffle continu samplé sur lui-même, bouclé, répété, aliéné à lui-même, secondé, doublé sur lui-même par les manipulations d'un Serge qui n'avait rien demandé. Ou comment créer l'illusion numérique par le foisonnement d'idées et de diverses traitements analogiques d'une source acoustique. Dans une vidéo d'Ankersmit, sur Youtube bien entendu, un commentateur (comme toujours sur ce site, une trace de pneu dans la nuit noire de l'ignorance) invectivait le musicien en lui demandant pourquoi, mais bon sang pourquoi est-ce qu'il se faisait autant chier à inventer des sons qu'il lui faudrait 5 min à produire sur un logiciel (de merde) comme AudioMulch. Et oui : pourquoi y'a-t-il encore des connards pour s'abonner à la version papier du Monde Diplomatique plutôt que de suivre le fil Twitter de BFM TV ? La réponse est dans la question : c'est politique. Ankersmit, qui a en plus l'excellente idée de ne pas vouloir nous offrir des œuvres qui dépassent (à peine) la demi-heure, refuse la facilité de l'absence de pensée. Très accessible (il a tout pour lui ce garçon), son approche pourtant très technique de la musique se situe à l'ombre des courants, dans des lieux oubliés, chauds malgré l'austérité, confortables malgré la rudesse. Je ne crois pas que ce soit ça qu'on appelle le « sound design » (ça c'est autrement plus ambitieux/prétentieux) ; Ankersmit navigue dans les plis solide des choses concrètes qui nous sont impalpables – ça en sonnerait presque Lovecraftien, dis comme ça. Au vu de l'altération du temps qui frappe l'auditeur, ce n'est pas volé ; tout comme la note, déjà annoncée par VL dans sa chronique de Forma II : 6/6, sans concession, sans discussion.

Note : 6/6

Page 113/183 Jus Allah : All Fates Have Changed

Chronique réalisée par Raven

Jus Allah, le MC qui a intégré et quitté Jedi Mind Tricks au moment où ils devenaient obsolètes (Violent by Design) avant d'y revenir, est un bon dans le genre bourrin, même si on est plus sur du flow au douk-douk que du rap à épée. Rien que l'intro couchée sur ce gros sample de synthés-deltoïdes à la Rocky donne le ton : "To all my enemies, I know you hear this : fuck you ! I hope your son's retarded and your daughter is buck-toothed, hope your Mom's hit by a truck too - But I don't have to hope, 'cause Allah guarantees you your just due". On l'a vite grillé même si la sentence est du vu et revu (il faut plutôt entendre la conviction avec laquelle il la beugle), Jus Allah n'est pas 50 Cent - ou alors encore plus bas dans l'esprit - mais plutôt un petit salaud masqué du genre qui pète des mako-moulages à la massue et renverse du coca-cola sur les hadiths, et ses punchlines mégalomanes tendance débiles confinent souvent au rôle du méchant surjoué dans un nanar, type Commando. Les beats sont pas du genre tout puissant et miséricordieux, car il faut bien dire qu'ils suivent pas toujours et piquent parfois les oreilles (sombre mais souvent cheesy, comme ce featuring avec GZA, qui aurait pu être bien meilleur - ils l'ont sous-mixé comme des gorets - bien que rien ne soit vraiment honteux en dehors du très moisi "Tomorrow" et des synthés ridicules de "Can't Sleep") Mais on peut apprécier le feeling bien brutasse et basique de Jus Allah, dans le genre lavage de cerveau streetwear, nettement plus efficace que Vinnie Paz auquel je n'ai jamais accroché (plus qu'au jeu d'acteur de Ben Affleck, s'entend). Jus Allah c'est un peu l'un des rares rappeurs hardcore des années 2000 qui pouvait inspirer un sentiment de puissance authentique, de sauvagerie, cette odeur qui avait bien déserté le rap depuis la chute d'Onyx et Mash Out Posse. All Fates Have Changed est très inégal, enchaînement rollercoaster de titres pourris tels que ceux cités plus haut et de purs bangers brutasses-putasses ("Hell Razors", "Porno Flick Bitches", le Black God's Remix de "Supreme" ou le single "White Nightmare" dans les bonus, meilleur titre du pépère haut la main). Mais je regrette pas d'avoir acheté cette correcte semi-claquasse, réservée aux amateurs de rappeurs musulmans avec un feeling plus wahhabite à cagoule que Tariq Ramadan.

Note : 3/6

Page 114/183 SAGE FRANCIS : Li(f)e

Chronique réalisée par Raven

Alors comme ça Francis, maintenant tu fumes le cigarillo, et tu nous proposes ton album acoustique, mh, petit brigand ?... OK Francis, pas de problème, mais tu vas un peu boom-baper, dis ? Même pas, oh... ? Tu vas la jouer façon MC Will Oldham ou quoi ? Moins de rage mélo, plus de ballades au spleen, du vague-à-l'âme de garçon vacher... Ah, OK. Si si, je suis pas contre, j'adore les albums de rap sans samples, c'est comme le vin rouge bio si c'est bien fait, ça sent le sous-bois et la moisissure noble... Moi jveux bien mais... tes trips pur country tu sais Francis, en dehors de la fin de ton chef d'oeuvre en hommage au man in black... Que dire ? Mais oui je sens bien que t'as fait ça avec amour, avec sincérité et passion, c'est pas c'que je dis Francis, sois pas si susceptible à prendre des trémolos dans la voix comme ça gros, tu sais que je te respecte comme on respecte son ami bipolaire au physique ingrat... C'est joliment composé, les arrangements ohlala, superbe, c'est quand même d'une autre classe que la daube antiraciste de LL Cool J avec son redneck country ! C'est pas du mensonge ce disque, c'est ta vie, t'avais pas besoin des parenthèses esthétiques. Tu vois ?... Il y a des choses étonnantes, sur "Polterzeitgeist" par exemple quand tu transformes subtilement une ritournelle un peu nase en morceau flippé de ton cru, sur "I Was Zero" ou "Slow Man" quand tu me fais penser que hors l'or moelleux j'en ai jamais rien eu à cirer de Beck et que c'est peut-être un tort mais que dans le fond j'ai des priorités, ou "Diamonds And Pearls" et "16 Years" qui sont facilement deux de tes plus beaux morceaux sans hésiter... Belles guitares aussi, Francis, si si, très belles... c'est du bois de quoi ? Très cajou ce cajun, god'dèèème gouwde, mais cette folk des cageots me parle moins que ton hip-hop Francis, inutile de te braquer, je suis très client des solitaires dans les cordes pourtant... Serais-tu devenu sage, Francis ? Je comprends que c'est ta récréation, (tu aurais pu garder "London Bridge" dans tes démos à ce sujet et "Love the Lie" aussi, ça servait à rien d'appeler un suicidaire pour si peu), ton instant détente au coin de la cheminée, et que c'est le moment idéal pour raconter des histoires pour les enfants, et oui, bien sûr que tu arrives à nous captiver, scout toujours, avec ta mystique de cérébral émotif... Et, oui, Francis, c'est très cool d'avoir l'impression d'entendre un album de rap enregistré dans les années 70 pour des vieux campagnards mélancoliques dans leurs chemises à carreaux... Et ton intro et ta finale sont comme d'habitude très belles, bien sûr, oui à tout ça et oui à tes crescendos de gros emo... Cette intro pur storytelling américain tragique c'est loin d'être au niveau de puissance de "La Cosca" au début de Métèque et Mat même si dans un esprit proche, mais tu y mets du tiens et j'apprécie ; et cette fin, si gauche et si sincère, oh oui c'est du Francis tout craché ça, quelle sincérité de , tu devrais contacter Arnaud Michniak tu sais... Mais tout de même, tu me fais un peu chier sur ce coup-là, mon Francis... Moui... Tu vois nous sommes un peu pareils Francis, je peux pas m'empêcher de vouloir être honnête avec moi-même. Mais tu peux faire le fier avec ton stetson relevé : tu as réussi le seul disque de rap que je pourrais réalistement conseiller à mon paternel, et ça c'est quand même assez fort, je l'admets. (Par contre rêve pas trop pour la note, gros, ça ne vaut de loin pas tes trois albums précédents, et tu le sais.

Choupinou.)

Note : 3/6

Page 115/183 Primitive Man : Home Is Where The Hatred Is

Chronique réalisée par Ntnmrn

Je ne vous le cache pas, ces mecs me l’avaient souvent laissée mi-molle. Que ça soit chez Clinging to the Trees of a Forest Fire, ex-groupe du guitariste, et son "funeral grind" qui peinait un peu sur le split avec Nesseria ; ou encore le premier skeud des primitifs à proprement parler, "Scorn", nettement meilleur, mais qui avait beaucoup de gueule pour trop peu de couilles réelles — je veux dire, d’originalité, compte tenu que la subversion morale, le tempo d'éléphant et l’agression à la dissonance c’est à peu près la norme dans l’ultra sick blackened doom qu’ils revendiquent —, et surtout des longueurs, des longueurs. Le format EP, par contre, leur va comme un gant — et y a de quoi grailler, rassurez-vous, car on caresse les 10 minutes de moyenne pour chaque morceau, sauf le dernier. Cloisonné dans ce semi-format, Primitive Man va à l’essentiel et taille le surgras du gras pour ne laisser qu’un coeur de graisse solidifié, gélifié, un coeur substantiel de dégoulinance. Depuis que Celeste s’était mis à tourner en rond dans sa propre lie, que Black Sheep Wall avait trahi pour le camp des émos, que Admiral Angry était mort né avec un album glorieux, et même si Lord Mantis avait tant bien que mal maintenu le level, il manquait un bon gros cochon à la scène, un cochon vorace, dévastateur, et d'une couleur originale. Si c’est sur ce 3ème point que pèche Primitive Man, il n’empêche qu’ils envoient la patate primitive avec une certaine classe. Cette classe tient à la production, alourdie par un son de batterie plus lointain et plus organique, et un couple guitare-basse comme deux grosses fesses cellulitées, dont la superficie assise étouffe la totalité du spectre sonore. Et en parlant de Celeste, si leur tournée avec Primitive Man succédant la sortie du skeud peut mettre a posteriori sur la voie d’un rapprochement, on dirait que ce "Home Is Where The Hatred Is" les a phagocytés. Symphonie de dissonances sur fond abyssal de powerchords, intenses séances d’écrasage à la double pédale ("Bag Man"), riffs constricteurs qui s’embobinent malicieusement autour des aires émotives du cerveau, déluges glaiseux et cascades de boue dans les accélérations ("Downfall"), arpèges blutausnord-ien répétés ad libitum (sur la très belle fin de "Loathe"), accalmies parasitées par des larsens porcins qui ne font qu’ajouter en lourdeur et en tension… Bref, rien de nouveau sous le soleil goudronneux du plus vilain sludge, mais ce skeud a l’avantage jouissif de faire grimper tous les poncifs du genre à la puissance 10. Le son, il faut le dire, est absolument écrasant, et rarement une prod a été si réussie, maximisée et hypertrophiée, un peu comme les gros pleins de soupe qui en sont à l’origine ou les BBW à effigie américaine qui trônent sur une table symbolique de manigances peu morales. Pour enfoncer le clou de cette évidence, ne reste qu’à citer "A Marriage with Nothingness" : "interlude" conclusif quasi classique dans le genre, qui voit s’affronter un crescendo de guitares bruitistes et un sample de scène SM, de viol, de femme démente, de ce que vous voulez tant que ça vous rappelle "(S)" de Celeste, et son sympathique sample d’Irréversible. Et dire que "Primitive Man", c’est aussi un sympathique album de synthpop d’Icehouse. "Home Is

Where The Hatred Is", à son opposé, est une réussite : de la musique à faire trembler saïmone. 4,5/6

Note : 5/6

Page 116/183 Sarah Davachi : Barons Court

Chronique réalisée par saïmone

Sarah Davachi est une jolie fille. Une jolie fille qui aime les Serge ou les Bulcha, ça court pas les rues. Une jolie fille qui aime utiliser des instruments relativement peu usuels (hautbois, flûte, quelqu'un?) dans cette saloperie fourre tout qu'on appelle le drone (mais quel nom lui donner, quand tout s'oriente vers cette espèce de singularité atone de la note ?), qui entretien une certaine forme d'amitié avec James Plotkin (ici à la production), avouez que ça fait rêver. J'ignore si tout cela joue à influencer ma perception des choses, mais je considère « Barons Court » comme un disque hautement romantique. Ce fleuve de cordes, gentiment caressé par le doux susurrement des synthétiseurs modulaires de la dame ; cette fragilité acoustique qui semble pouvoir se briser n'importe quand sur un assaut de la réalité (et qui n'arrive jamais) ; la langueur interminable des harmonies changeantes qui se superposent avec doigté et respect ; je ne vous le cache pas je suis sous le charme. Je lui trouve des défauts, à ce disque. Il est un peu précieux, un peu facile, un peu convenu, gnian gnian, sympa, ce qui est à peu près tout ce que je ne cherche pas dans cette musique. Pourtant ça fonctionne sur moi, comme fonctionne Jeremiah Cymerman dont je vous ai parlé l'autre jour : il y a une saveur porcelaine à ces fausses expérimentations (proche de ce que peut donner un Szczepanik quand il s'y met), un truc un peu chiant comme un thé chez mamie, mais qui a « aussi » le goût des gâteaux sablés, la peur de voir mourir sa grand mère quand il faut la laisser seule alors que le soleil se couche – un truc hyper cliché mais imparable, qui ferait une super BO d'un film mumblecore. Le genre de disque parfait pour faire l'amour bizarrement, même si on aurait aimé que Sarah se laisse aller du côté d'une Scarlett dans Under The Skin (= Mica Levi), plutôt qu'une Kirsten Dunst chez Coppola. Note généreuse, pour l'envie.

Note : 5/6

Page 117/183 Weekend Nachos : WN

Chronique réalisée par Rastignac

Sorties anecdotiques, ce ne serait pas l'anagramme de "Record store day" ? Hmmm, allez, presque. Après le regain d'intérêt pour la cause vinylesque pour une raison qui m'échappe encore, en réaction au streaming finissant de bouffer leurs restes laissés par piratebay, les disquaires dits indépendants se retrouvent chaque troisième samedi d'avril à vendre des rééditions Nuniversal valant un quart du premier EP des ou des singles pas très intéressants sur éditions "limitées" 7 pouces tous moches - cf. cette année Slayer et son single tout moche. Comme un 1J du disque ce jour du disquaire, avec toujours des petits trucs pour collectionneurs, petits machins qu'on peut souvent retrouver quelques temps plus tard dans les bacs des mêmes disquaires malchanceux... L'opération commerciale, étant pensée à la base comme une opération "à la rescousse des indés" a bien sûr été partiellement récupérée par les grosses machines du zic bizness, yakavoir ces coffrets de singles du Marc Bolan, ou ces rééditions chéros des Byrds ou du Purple. Vu de ma lorgnette, cette grande opération mondiale montre, comme toutes les autres soldes et opérations spéciales un besoin d'attirer le nez des foules dans les rayons sous n'importe quel prétexte (supporter X ou Y cause socio-culturelle par exemple). Alors, quoi ? Y a bien quelque chose qui pourrait être rigolo non dans cet océan de euh... marketing ? Ben oui, mais rigolo c'est pas dark, c'est pas guts. Alors, quand j'ai vu que Weekend Nachos avait sorti son record day disque, je me suis dis : "TIENS". En plus, c'est un single qui reprend du Weezer. Avec un cadavre (?) sur la pochette, en noir et blanc, avec du grain comme une vieille photocopie ! Alors, du Guts ? De la Dark ? Ben je dirais plutôt une blague expérimentale, comme si le groupe de grindcore / sludge / metallo-fou poinçonnait un poisson dans le dos des cachalots de discogs (ou de gutsofdarkness, hem...). Oui, deux reprises de mégatubes de Weezer, mais dupliqués consciencieusement, le genre d'approche qui fait bailler sur les tributes ! Même les intonations de voix sont mimées... je m'attendais à quelque chose de plus bizarre, mais non, pas de piste à la "You Suffer...", pas de ralentissements grotesques, pas de changements de paroles, pas de growls ni de gruiks, pas d'accélérations non plus ! Juste un copié / collé avec un peu plus de distorsion, surtout sur la basse. Rigoureusement inutile, destiné aux collectionneurs, ce WN est une espèce de pied de nez sans fin quand on voit ce groupe américain voulant dégager beaucoup de violence et un point de vue cool sur le néant nous sortir un single avec une pochette bien glauque et "indé", et des chansons ado-déprimes toutes sucrées dans les sillons du même disque, lunettes carrées suspendues au-dessus de la guitare, en dessous du poster de Kiss. J'espère en tout cas que vous avez trouvé votre bonheur chez les disquaires, moi, maintenant, je suis embêté, j'ai "in the garage" dans la tête, en boucle... et l'illustration de ce disque de Poison Idea, je vous laisse retrouver le titre !

Note : 3/6

Page 118/183 Corrupted : Loss

Chronique réalisée par Rastignac

Alors, comment ça va depuis la dernière fois chez Corrupted ? Ben ça va mal, ne vous inquiétez pas. Quelques membres du groupe ont quitté le rafiot, et c'est aujourd'hui une autre vocaliste, alias Mother Sii, venue elle aussi du monde crusty du Japon qui va hurler et grogner sur ce single... que dire de plus depuis le dernier album de 2011 ? Et bien vous ne vivrez pas l'hallucination d'une heure de déprime à deux heures du matin, parce que c'est un single, tant pis. Par contre, les deux faces peuvent vraiment s'écouter de manière indépendante. Sur la face A, les rythmes sont enlevés, pour dire qu'on est un peu plus proche du post-hardcore que du doom cosmique... on a quand même une intro dark ambient, avec une nana enfermée dans la cave de l'enfer, posée là à bailler version "esprit affamé". Le son de cette entame sur la face A introduisant une bourrinade très énergique sera à peu près le même sur la face B, sauf que là ben... y a pas de bourrinade derrière. Entièrement plongés dans de la dark ambient with ze hurlements d'la fille, nous verrons sur la conclusion du single (merci la synesthésie) encore plus de pétarades au loin, comme dans un paysage campagnard en lointaine banlieue d'Hambourg, vous savez quand... Très claustrophobe, cette face reste ma préférée, très goûtue pour ma conscience avide d'illusions dantesques... L'illustration du single elle fait la part belle aux poils et au giron, et au trou au milieu des poils, et au milieu du giron, tout cela sans tête... ah, les femmes. Ah, le doom. Ah, et puis quoi ? Ce disque parle de quoi en fait ? De mythologie grecque. Et ouais, la vie, la mort de Méduse, dans une version s'attardant sur son désir d'être la plus belle, désir qui lui fera pousser des serpents sur la tête, laquelle sera coupée par un homme après que notre Gorgone en ait pétrifié un paquet par le simple pouvoir de son regard, notre pov'fille finissant comme simple accessoire de la Maman toute puissante dont elle avait osé dire que sa beauté était moindre que la sienne... Au final, nous avons ici quelques minutes d'anxiété bien alléchantes, mais le format aidant, trop courtes : je préfère le groupe sur longue distance, plutôt que dans le jukebox en fait, parce que ça laisse le temps de trop réfléchir... mais bon, c'est quand même un challenge de sortir des 45 tours quand on joue du funeral doom... donc, oui, je suis un peu frustré, parce que maintenant j'attends qu'ils nous sortent une nouvelle monstruosité d'une heure, qui, s'ils restent sur l'esprit de cette envolée, sera d'une humeur étouffante, d'une mystique portée sur des problématiques puisées dans les traditions les plus lointaines, avec une approche esthétique plus proche des sensations d'enfermement que celles plus explosives de la dépression nerveuse, le doigt sur la gâchette à chialer devant la tombe de pépé, fourmillements pleins de suie dans les tripes que l'on pouvait tantôt écouter sur leur précédent "Garten Der U183ewusstheit".

Note : 4/6

Page 119/183 EL-P : Cancer 4 Cure

Chronique réalisée par Raven

Rien que pour sa marionnette à la Meet The Feebles qu'il a sortie pour le clip de "The Full Retard", je ne peux pas penser du mal de ce rouquin. El-P est un nerd du rap pour lequel j'éprouve encore de la sympathie, teintée d'irritation quand je réalise que je me suis enflammé sur son nouveau disque, pour au final ne plus avoir envie de le ressortir. Cancer 4 Cure, ultime précipitation chimique post-Can' Ox à l'inspiration electro-éthylico-morbide, m'a gentiment tabassé à sa sortie, bien plus abordable que l'amas ingrat Fantastic Damage, et plus stéroïdé que les futurs Run the Jewels... Et... Cancer 4 Cure me plait encore ! Gadget ? Gadget efficace alors. Je me prends de vigoureux coups de rotules droïdesques dans ma carapace de corbo-robot, mes boulons sont déshuilés et re-huilés. Ce genre de disque n'est appréciable qu'en étant écouté FORT. Très electro ouais, voire big beat quand il gonfle les pecs. C'est un skeud que je vois bien plus comme un délire des années 90, dans l'esprit, qu'un produit clinquant des années 2010 qui se veut avant-gardiste alors qu'il est juste vide (nota bene : ça aura toujours plus de gueule que dans le genre hip-hop expé in-your-face ; je préfère un nerd surarmé à des drogués sans épaisseur, word). El-P est certes toujours cette quiche froide au micro, technique, rapide, avec quinze ans de culture rap derrière et sa période wannabe Nas du temps de Funcrusher Plus, ce qu'on veut, mais il ne m'inspire toujours rien de plus que de la froide maîtrise de nerd à timbre fade. Un producteur qui rappe quoi. Mais c'est pas comme si son blase était El-R... L'humour et le référentiel, comme un Cage ou un Sage Francis sans le charisme et la flamboyance, ou un TTC buvable, juste avec ce contrôle de new-yorkais cynique proto et post-Anticon, et cette capacité de faire passer des titres graves pour des chansons débiles de fin de soirée ("For my upstairs neighbor"). Voilà mon petit El-P à moi. Pourtant, ce style de flow fusionne parfaitement avec ce contrôle d'armada technologique expé-DJ, c'est indéniable, et ses invités s'ils épicent un peu n'étaient pas indispensables, même si, foutre de xénomorphe, "Oh Hail No", est un hit aussi pétant d'efficacité qu'un "Dusted" ou un "Diesel Power"... même si El-P peut toujours pas s'empêcher de faire dans le bancal ("The Jig Is Up", le final en eau de boulon), c'est sa nature... Cancer 4 Cure est un des rares albums de hip-hop expé réellement cool et pas prise de tête que les années 2010 nous ont pour le moment refourgué. Son intérêt est peut-être plus techno ou rock que hip-hop, même si El-P a la subtilité de greffer du Boards of Canada dans la matière technologique vulgos-nerd et des passages plus intimes à la I'll Sleep When You're Dead, mais on s'en fout au final : il y a de purs moments - qui auraient dû être encore plus nombreux - où ça tabasse la calebasse et les cabasses, un peu comme Stephen Hawking qui serait greffé sur un ED-209 suréquipé. Un album qui en jette comme une grosse console next gen, ou une hayabusa. A vous de voir s'il sera jetable après une poignée d'écoutes, ou s'il tiendra le coup, révélant les nuances qu'El-P a comme d'habitude incrustées entre les grosses armatures... Ostentatoirement abstract, mais pas du tout prise de tête.

Note : 4/6

Page 120/183 La Caution : Asphalte Hurlante

Chronique réalisée par Raven

La Caution, L'Armée des 12, Klub des Loosers, L'Atelier des 7... Toutes mes années d'études éthylico-branlatoires, bordel... Et, hem, je croyais pas dire ça un jour avec mon dégoût radical du canal pute post-Gildas, mais... merci pour le coup de main donné à ces petits gars, Mouloud. Allez, file va, brave motte, avant que je ne vomisse... La Caution c'était plus le versant urbain, street-cred et en même temps ce duo capable d'être aussi original que de l'abstract américain... Eh ouais. Les flows sont certes plus ceux de deux potes qui s'amusent, et surtout bien plus du Sage Poètes de la Rue, que du Latyrx ou du Freestyle Fellowship, les paroles sont approximatives et mal dégrossies, sortant comme elles viennent de ces deux têtes grillées qui n'ont pas de chrome à faire briller. Mais Asphale Hurlante dégage un charisme bien personnel. Urbain et unique. Les ricains ont eu Anticon et Def Jux, et nous avec notre maigre scène alternative et son porte-étendard involontaire La Caution, on avait pas à rougir. Au moins ce groupe-là ne rendait pas une version copier-coller de la musique U.S., ils tentaient leur mixture, parfois indigeste, parfois maladroite, parfois grisante... Toujours singulière. Les beats d'Asphalte Hurlante fonctionnent comme l'électricité statique et le bragadoccio de smicards arrimés à la sous-culture prolétaire à son petit charme. Deux arabes gavés aux jeux vidéos Atari, à Fight Club ("je suis la colère de Jack"), et en même temps à la culture hip-hop la plus farouche ("Culimant"). Je n'ai jamais été vraiment emballé par les flows de Nikkfurie et Hi-Tekk - je préfère toujours le second au premier soit dit en passant - et l'intro d'Asphalte Hurlante est l'un des trucs les plus approximativement adolescents qui peuvent être écrits en hip-hop... Mais comme le premier Stupeflip, même si moins férocement différent, cet album, malgré une tentative piteuse de rap'n'b pour radios ("Changer d'air"), ne ressemblait à rien en rap français. Et peut-être même en rap tout court, sans trop exagérer. Une fusion du hip-hop de rue, à l'ancienne, avec la culture geek et les sons electro. Beats SF de fin des années 90, feeling rue nocturne dans un futur parallèle où Paname est vu comme un bac à sable de survival. La Caution opérait en marge de la génération Booba naissante, tout en adpotant le vocabulaire racaille ils rôdaient dans le hip-hop du pays du saucisson en maigres capuchards armés de gadgets cyberpunks. Même si certains passages sont un peu limite ("Entre l'index et l'annulaire", même si j'aime toujours celle-ci avec son côté Rocky c'est assez cheesy)... Beaucoup de sympathie pour ces gusses, plus que pour TTC, mais album caduque depuis que la réédition double l'a enterré, car c'est celle-ci qu'il faut posséder. "Asphalte hurlante - Asphalte hurlante - mon mic est androïde - hexagonale est notre orbite."

Note : 3/6

Page 121/183 La Caution : Asphalte Hurlante Ultime Edition

Chronique réalisée par Raven

Science Fiction à la Fallout dans le décor de la Seine Saint Denis + descendants de marocains zonant entre les épaves de métal et de béton... Et une pochette de réédition qui colle plus à l'ambiance de cet album que celle de la version originale, très cool ceci dit, avec ses couleurs très Hot Wheels. Cas complexe, fusion disgracieuse ? En hip-hop français, je vois NTM comme le squat dédié aux battles, IAM comme le dojo adjacent à bibliothèque municipale, Assassin comme la MJC tenue par un fils à papa ayant raté sa carrière politique... et La Caution comme la casse automobile. Surveillée par deux bronzés bouffeurs de kebabs végétariens qui balancent leurs vannes cryptico-sociales le cure-dent au bec. Big macs et boulons. Des carcasses d'intrus mutantes axées sur les multiples torsions de beats electroniques, assez spécial pour un produit hip-hop du terroir, pour le moins. Album à la fois atypique et totalement accessible (presque pop) Asphalte Hurlante a été réédité dans un double digipack en 2002 avec des titres inédits souvent excellents, et l'intégralité des instrumentaux sur le deuxième disque. L'édition originale devient obsolète : celle-ci, gavée ras-le-capot, nous permet de savourer quelques inédites que les possesseurs du simple album auraient tort de louper car elles surpassent souvent en qualité les pistes d'origine : les excellentes "20000 Lieues sous la merde" et "Almanach", la ténébreuse "Metropolis", et j'en oublie sûrement. Pas loin d'être aussi recommandable que le premier Cannibal Ox, en ce qui me concerne... Mais c'est de chez nous, alors faut pas le dire.

Note : 4/6

Page 122/183 La Caution : Peines de Maures / Arc-en-Ciel pour Daltoniens

Chronique réalisée par Raven

Minimal-marginal. Culte mais surchargé. 31 titres quand même... Donc quelques débris inévitables, comme dans tous les double-albums de hip-hop (Judgment Day, Ombre est Lumière, Wu-Tang Forever, Life After Death...) mais Peine de Maures/Arc-en-Ciel contient tellement de petites perles enfilées avec la méticulosité d'un rouleur rompu à l'art du blunt confectionné avec amour, qu'il serait criminel de le snober. En 2005 Nikk Furie et Hi-Tekk étaient probablement dans un esprit très proche de celui d'Outkast pour Speakerboxxx/The Love Below, même s'ils ne partagent pas aussi radicalement leurs deux disques comme un terrain de jeu à deux facettes, et si l'album de La Caution est incontestablement le plus sombre et expérimental des deux. Cette pochette sublime avec ces faux vairons, dans un esprit totalement hip-hop, à la , désigne subtilement la différence entre La Caution et le commun du rap français. Les beats sont encore plus electro que ceux d'Asphalte Hurlante qui avait encore une odeur d'années 90 assez évidente. Les flows plus percutants. L'inspiration plus politique, tendance musulman réprimé qui réplique par l'algèbre (al-jabr) verbale et les visions synthétiques. Ici le son claque souvent comme du Neptunes cousu hexagonal, on pense en effet à Clipse pour cette grosse hypnose de racaille ("Boîte de Macs") mais aussi pêle-mêle à Dead Prez, à Dr. Dre circa 2001, à El-P, à Swizz Beatz, à Cuizinier, à DJ Premier, à Mantronix... et à La Caution surtout, avec leur mystique de petits joueurs tentant la grande oeuvre, en semi-extra-terrestres du ter-ter. Futur prisonnier du présent, "Monde libre"... Difficile de départager les deux disques, ils sonnent aussi bons à mes oreilles, même si on pourrait croire un peu vite que Peines de Maures est le plus pop des deux à cause de morceaux basiquement putasses-claquasses comme "Ligne de mire". Peines de Maures, c'est simplement ce que les radios auraient dû diffuser à la place de nos kékés post-NTM et post-IAM, si ce monde tournait rond. Mais La Caution étaient trop marginaux. Il y a même de l'autotune, qui ne sonne pas du tout déplacée, dans un des titres les plus troubles, salve anti-américaine froide et rampante. Approximatif, comme souvent avec La Caution, avec des lyrics entre pure pose d'esthète limité et sincérité brute et voyoue... Mais trouble, oui... "Glamour Sur Le Globe" est doté d'une boucle génialement atypique axée sur un écho paranormal que Kool Keith aurait volontiers baisé, et "Thé à la menthe" eheh : ce tube qui est lié à toute la bande du fils Cassel (qui a d'ailleurs, reconnaissons-le, eu le petit mérite de faire passer La Caution en plein milieu d'un film médiocre avec Brad Pitt et Georges fuckin' Clooney) et qui en même temps m'est aussi singulièrement imparable qu'on peut l'être, demandez plutôt à mon collègue Saïmone vu que c'est cette petite ordure qui m'a sans le savoir ramené à ce skeud via une de ses compilations de hip-hop, alors que j'avais relégué La Caution au souvenir de mes soirées estudiantines passées. Truc de bâtards insensibles ! Très difficile de chroniquer ça, finalement, au moins autant que du Anticon au pinacle, sans se saccader et claudiquer soi-même comme ce son à glitches et à pitches : essayez plutôt d'écouter si vous n'êtes pas rebuté par le flow, je me contente d'en saisir le feeling minimal-trafiqué, clopin-clopant. Et achève cette chronique sur un deuxième disque en miroir synth-pop expérimental et difforme, gavé de hits purement récréatifs comme de beautés : "Livre de Vie", ce morceau-titre fabuleux avec son sample stroboscopique de Joe Hisaichi... ou la boucherie pour club radicalement et froidement hip-hop "Code Barre". Le final "Poltergheist", un de leurs plus étranges morceaux, me laisse sur cette sensation : et si La Caution étaient aussi les Hubert-Félix Thiéfaine du hip-hop ? On s'arrêtera sur cette évocation imprévue autant qu'approximative, qui ne parlera pas à tout le monde mais qu'importe, La Caution ne

Page 123/183 parle qu'à un cercle très restreint d'amateurs, comme la cuisine macrobiotique.

Note : 4/6

Page 124/183 : Heavy Mental

Chronique réalisée par Raven

Pardonnez-moi, mon père, car j’ai péché. "Que le Seigneur vous inspire les paroles justes et les senti•ments vrais pour confesser vos péchés, mon fils". Mon père, il m'est arrivé de douter de l'utilité des chroniques de hip-hop dans les pages de Guts Of Darkness. Il y a de cela quelques mois, en proie au doute, perdant la foi - que Progmonster me pardonne - je me suis même demandé si ce choix était le bon. Je dois vous avouer que ma propre existence elle-même me semblait caduque, et que j'ai été hanté par les pensées les plus noires ; alors la musique... Ce n'était plus qu'un détail sans aucune saveur ni importance. Et puis savez-vous ce qui s'est passé, mon père ? Dans un de ces moments de silence total, éloigné du chemin de la vie, un sifflement a commencé à résonner dans ma tête, comme une lumière me guidant dans la nuit... J'ai siffloté, comme l'homme à l'harmonica, et... qu'est-ce que je sifflotais ? Oui, ça m'est revenu lentement... "From then till now"... l'obscure Marion... ce morceau qui résonnait dans la plus belle scène de Ghost Dog et qui n'a pourtant pas fini sur la bande originale compilée... Un signe, mon père ! Une lanterne dans le brouillard, guidant les bretteurs égarés, et le plus mystérieux passage d'un disque au moins à sa hauteur, signé Killah Priest, ce rappeur israélite des dont on a pu constater la lente ascension au fil de ses apparitions sur des albums qui... eh bien des albums qui sont pas trop de la merde quand même - pardonnez mon langage mon père mais c'est ainsi - notez donc : Six Feet Deep de Gravediggaz, Return to the 36th Chamber de Ol' Dirty Bastard, et puis enfin Liquid Swords de GZA, et son titre final, l'étrange "B.I.B.L.E.", qui n'était pas bien à sa place dans ce disque froid et sec comme un cou de trique, tellement il embaumait d'une toute autre mystique... Et qui est nettement plus dans son élément sur Heavy Mental. Car tout le monde sait que GZA ne pose strictement aucun vers dessus, même les pauvres agneaux perdus dans les religions orientales et les pugilismes de bridés ! Pur placement de prophète du mic, mon père, magique et magnétique, comme "One Step" et ce chorus r'n'b qui ne minaude pourtant pas des bagatelles : "tes bras sont trops courts pour boxer avec Dieu". Basic Instructions Before Leaving Earth est bien un des titres auxquels je pense en premier quand je pense aux années 90, mon père. Ce rire d'enfant, quelle glu mentale, Dieu m'en soit témoin : ça m'a collé au cortex comme le refrain alien de ce tube de Babyloon Zoo... mais le rap qui opère dessus est d'un autre musc évidemment. Killah Priest n'est pas un MC très commun, il ne cite pas les capuchards du quartier, ni Rakim, mais Le Seigneur lui-même, et ça sera ma façon la plus évocatrice de résumer la mentalité de ce rappeur, mon père. Esotérique-théologique et totalement dévoué aux saintes écritures qu'il confronte à l'univers immoral du gangsta rap. Mais s'il est sombre et austère à souhait, Heavy Mental est un album d'une incroyable fraîcheur enrobée d'une étrangeté certaine. Ce boom bap parle à mon âme, mon cœur et mes cervicales, comme la ligne de basse onctueuse de "Atoms to Adam". Frais, et mystique, autant que crépusculaire, noir même, et d'une densité rare qui en fait un album se redécouvrant au fil des années. Placé à la suite des prestigieux premiers solos du Wu-Tang auxquels il n'a rien à envier, tout en déployant un son tout à fait singulier : 4th Disciple et Y-Kim étirent des boucles différentes du style sec et revêche de RZA mais savent aussi être de parfaits substituts à son style - à la fois radicalement boom bap, et amples, parfois évanescentes... Rampantes ou en lévitation. Killah Priest même s'il ne rechigne pas à se laisser aller à la violence la plus primaire en duo avec le crasseux drogué ODB, est très axé spiritualisme hébreu ; assez cocasse mon père, mais c'était très atypique chez les rappeurs, comme une frange parallèle aux MC's musulmans en supériorité numérique logique. Heavy Mental embaume de cette aura

Page 125/183 religieuse, l'ambiance est nettement plus Pentateuque que Shaolin ou Black Power malgré les beats art-martial souvent en combat rapproché et des invités massifs dont on ne présente plus les faits d'armes : le son envoûtant d'une puissance compactée en statue d'ébène au sommet d'un temple érigé sous les étoiles, le flow d'un dixième membre du Wu-Tang qui aurait pu y avoir toute sa place au lieu de Cappadona... Heavy Mental égale au moins Liquid Swords, même s'il se situe à un autre niveau que le dojo et que son but est différent, malgré son dernier tiers plus générique (excepté le ténébreux "Science Project"), malgré sa longueur... Et certains de ces titres le transcendent même, sans hésitation, et en toute subjectivité bien sûr... Heavy Mental est, comme Soul On Ice de Ras Kass, un de ces album cultes dont on se chuchote le nom à l'oreille entre initiés. Comme un goût de prophécie murmurée dans les coussinets des gros casques audio... Alors mon père, pardonnez-moi : car j'ai péché d'attendre si longtemps pour archiver dûment Heavy Mental dans les pages sombres et expérimentales de mes maîtres, alors que le titre éponyme placé en son milieu est un des trucs les plus gutsiens jamais enregistrés dans le sillage du Wu. Et pardonnez-moi, enfin, car je sous-note cet album, le châtiant de son embonpoint de roi repu, qui rend son écoute intégrale un peu laborieuse... Je ne suis que disciple, je m'agenouille respectueusement à l'écoute de "Tai Chi", comme un guerrier en recueillement... et j'implore le pardon de notre Seigneur. "Mon fils, que Dieu notre Père vous montre sa miséricorde, et qu’il vous accorde la paix. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, je vous pardonne."

Note : 5/6

Page 126/183 Killah Priest : Priesthood

Chronique réalisée par Raven

L'intro acoustique / chopped & screwed de ce troisième Killah Priest est l'un des débuts d'album les plus laids que j'ai eu l'occasion d'entendre dans ma vie. Signe évident de l'apparition imminente d'une jolie bouse, comme un fumet bovin prévenant les narines que les pieds doivent faire attention. Je ne vous ai point parlé de son second album, chute vertigineuse depuis l'autel cosmique de Heavy Mental, mais finalement j'aurais pu... Priesthood est une douce et crémeuse daube, dans le genre g-funk à la new-yorkaise, mais sans le funk, juste la matière synthétique pondue par des thugs amateurs. Et pourtant... j'ai un petit faible pour cette daube, un titre comme "Horsemen Talk" m'empêche de lui mettre la note minimale, le son est à chier mais j'aime ce feeling bassement catchy et un peu nauséeux, et il y a quelques samples louches que j'affectionne ("The One") et du rap'n'b avec des effets John Carpenter ("Thug Revelations")... Un tout petit faible, donc. Dans le fond, c'est juste un View from Masada en un peu plus moelleux... On sent pas mal que Killah Priest a voulu surfer sur la vague du rap contemplatif, l'album a des airs de ballade dans les quartiers, où le MC se pose des questions existentielles. Mais ce son mélo-synth de contrefaçon est décidément trop naze, ça sent le pécu rose neuf. Et franchement ce titre bonus concoure au titre la sex track la plus pourrie de tous les temps. Killah Priest a réellement tout fait foirer en très peu de temps, et la soupe un peu sombre qu'on a ici est à des lieues de Heavy Mental... Ne restent que des invités prestigieux pour certains, comme George Clinton, dont il ne subsiste qu'un maigre mais assez malade refrain murmuré sur "Come with me". Purge !

Note : 2/6

Page 127/183 Killah Priest : The Offering

Chronique réalisée par Raven

L'introduction nous inquète avec son beat fatigué, mais c'est un leurre car le titre se déploie enfin et nos craintes s'évanouissent, pour un moment du moins : Killah Priest est linéaire, mais compact. Déterminé car prêcheur, malgré des productions qui ne suivent pas toujours. Il a le flow appuyé du vétéran, sévère et discipliné, avec cette pointe d'âpreté si particulière, et ces textes assez limpides à l'oreille rompue qui se permettent quelques rappels sur la motivation prophético-surjouée du lascar. Cette instru mystico-wu-tangienne nous laisse espérer un album possiblement grand. Mais The Offering, sous sa pochette à l'artwork involontairement parodique et parfaitement grotesque, sera juste du Killah Priest de croisière, un peu bling-bling, pour amateurs confirmés : un album bancal mais assez solide, dans le plus pur style mystico-Wu-Tang du nouveau millénaire, parfois assez comparable en qualité aux titres moyens que le collectif de la 36ème chambre sortait dans les années 2000, avec un Killah Priest qui s'essaie à plusieurs approches, saturé de producteurs (du n'importe quoi à ce niveau, presque un par titre), toujours axés mélodiques et souvent catchy. Même s'il ne retrouvera certainement jamais la subtilité et la singularité de Heavy Mental, on s'en contente, blasé. Rien ne dépasse dans ce gros rap austère et politiquement orienté, avec ce qu'il faut de puissance, même si je regrette cette touche stéroïdée à la Jedi Mind Tricks (qui a influencé beaucoup de rappeurs vieillissants), ce côté rap camion et symphonique qui bourrine ici et là, comme un embonpoint ingrat. Mais Killah Priest n'est pas Vinnie Paz, il a un charisme un peu plus épais. Le titre produit par 4th Disciple avec entre autre invité Ras Kass est sans surprise assez costaud. Sur le succint mais puissant "Truth B Told", Killah Priest rappelle qui il est et quelles sont ces vues sur l'industrie du disque, en indépendant féroce. Comme Professor Griff en marge des autres membres de Public Enemy, le Prêtre Tueur est un MC parfaitement lucide, et son austérité un peu lâchement taxable d'intégrisme lui permet d'aligner des sentences telles que suit : "I read Judas' scriptures, only warned me to be true to my niggas, and getting corrupt, like Catholic church, and child nudity pictures. That's like the Virgin Mary performing Kama Sutra with Hitler." Killah Priest est plus que jamais ce rappeur qui nous rappelle davantage l'archevêque Richard Williamson que Malcolm X. MC à l'austérité religieuse toujours atypique. Et puis il y a Nas sur ce disque, accessoirement... Le featuring n'est pas très mémorable, mais Nas est en forme, ce qui suffit amplement à contenter son homme. L'album s'essoufle un peu sur la durée et les deux titres laid back "The PJ’s"/"Happy" sont parfaitement superflus et aussi banals et plats que possible (désolé pour la dédicade à ta grand-mère Killah, que ses confitures soient bénites sur la terre comme au ciel), mais rien de honteux tout de même. Il n'y a rien de très intéressant à raconter sur The Offering finalement, et cette chronique laborieusement journalistique reflète le manque d'excentricité purement artisane de la chose : c'est un disque de rap hardcore/conscient plutôt respectable des années 2000, ce qui fût somme toute assez rare... A conserver sans en attendre plus que quelques frissons épars.

Note : 3/6

Page 128/183 Killah Priest : Behind The Stained Glass

Chronique réalisée par Raven

J'avais pas mal accroché à ce Killah Priest à sa sortie, acheté à l'aveugle sur la foi de quelques extraits rapidement entendus (tel le magnétique "God's Time" ou le final prophético-dark "The End Is Coming"), alors qu'il n'était sur le papier qu'une compilation de chutes studio de The Offering un peu augmentée. Depuis, j'avoue ne l'avoir pratiquement jamais ressorti... Alors qu'il est plutôt bon. Amateur, mais valide, et peut-être même un chouia meilleur que The Offering malgré - ou grâce à - ses productions moins clinquantes et surtout plus homogènes (un seul producteur plus deux-trois guests). La pochette arrive pourtant à être encore plus moche que celle de The Offering, ce qui est un exploit, dans le genre collage d'apprenti vitrailliste bourré. Et le son y est en effet nettement plus underground, parfois bien dégueulasse, voire pathétique (les beats souvent indigents comme sur "Profits of Man" ou "Jeshurun"), quand il ne propose pas simplement des beats synthétiques qui semblent dater de l'underground west coast circa 1994 ("Looking Glass"). Les samples un peu triomphaux le font pas toujours (cuivres, cuivres !), car il faut dire que DJ Woool est tout sauf un producteur marquant, juste un de ces innombrables RZA de poche, mais Behind the Stained Glass a un feeling bien plus mélancolique qu'avant ("4 Tomorrow"), moins bourrin, même franchement triste par moments, qui, combiné au flow pas du tout plaintif du Killah, donne un petit charme à cet album et me le rend attachant malgré ses airs d'épave. Serait-ce finalement son meilleur album depuis Heavy Mental ? Tout ça ne veut pas dire grand chose tant les attentes ont été orphelines. Mais le MC porte toujours ses couilles, rappant avec force même quand la prod est à la ramasse, ne relâchant jamais la pression mentale qu'il s'inflige depuis des années, même pour une berceuse étrange ayant des airs de Esham sur violons ("Hood Nursery") et quelques refrains chantés limite mielleux. Killah Priest est un excellent MC et je regretterai toujours qu'il n'aie pas été mieux entouré... Après celui-ci, Killah Priest va encore plus galérer et ne sortir que des albums de plus en plus confidentiels et inégaux (jusqu'à un certain point d'explosion), oublié comme le dernier des curés déblatérant ses sermons dans une église coincée entre un stade olympique et un centre commercial gigantesques. Behind the Stained Glass est cet album de survivant, usé, sans appui de poids, mais toujours sur le qui-vive, accroché à ses saintes-écritures dans un monde technologiquement à son climax et moralement en ruines. Déprimant.

Note : 3/6

Page 129/183 : Renaissance Child

Chronique réalisée par Raven

Protégé de Killah Priest et intronisé sur son monolithique Heavy Mental en 1998, Hell Razah (futur Heaven Razah, après avoir frôlé la rupture d'anévrisme) opère comme lui : du gros hip-hop de mystique noir en colère contre ce monde immoral, pas avare de contradictions - comme tout rappeur - mais exalhant une austérité et une puissance de flow dont je me délecte. Ce troisième Hell Razah est probablement meilleur que tout ce qu'à sorti Killah Priest lui-même dans les années 2000. Quelques beats pas terribles, un peu trop symphonico-foireux si je puis me permettre cette laide combinaison, mais une puissance frontale de boom bap mystique qui m'a fait beaucoup de bien en 2008. C'est un album auquel j'ai adhéré directement à sa sortie et auquel j'accroche toujours, dans la foulée d'un 8 Diagrams par exemple même si le niveau est un cran en dessous... Oui, je ne suis pas difficile. Mais il y a des bons bangers ici, comme diraient les chroniqueurs de hip-hop professionnels. J'aurais pu le surnoter, mais je me contenterai de le conseiller aux purs amateurs de rap east coast pas frileux avec les gros flows austères, du genre qui veulent t'apprendre la vie en te mettant des coups de latte dans la tronche. Un bon, ce Hell Razah, un bon... et des invités pas trop dégueux non plus, constatez par vous même... Le "Musical Murdah" en duo avec le féroce Ras Kass, par exemple, a un beat fait avec une batterie de cuisine, mais il claque le museau en beauté. Album mineur, mais solide.

Note : 4/6

Page 130/183 Thomas Ankersmit : Figueroa Terrace

Chronique réalisée par saïmone

Bien entendu, la première chose qui chagrine à la lecture du petit carton, c'est l'abandon total (temporaire ?) de ce qui faisait la singularité d'Ankersmit, à savoir l'utilisation conjointe d'un instrument acoustique et d'un synthétiseur modulaire en symbiose avec les boucles-temps-réels du premier. Figueroa Terrace est un album cent pour cent pur Serge, avec tout ce que ça signifie. À savoir un disque de pur électronique, et donc de quelque chose d'un peu moins personnel que par le passé (en témoigne certains patterns un peu trop attendu, le coup du bip extraterrestre fondu dans la masse grouillante des interférences, ou ce que j'appelle les scratchs intempestifs de noise dont mon idole Otomo Yoshihide est certainement celui qui en a le plus abusé dans sa carrière). Mais Ankersmit n'est pas né de la dernière pluie, et les moments de grâce de ce court album (la trentaine, comme toujours) se trouvent encore et toujours dans ces drones démultipliés, tendus comme un pylône du Japon, bourré d'émissions parasites lourdes et circulaires, d'ondes téléphoniques percutant les bugs de l'opérateur débordé ; quelque chose qui rejoint, assez bizarrement à l'heure où j'écris ces lignes, l'hallucinant dernier album de Hecq (Mare Nostrum chroniqué il y a quelques jours par Ntnmrn) et son fields recording d'un mega-ordinateur. C'est là, encore, toute la force d'Ankersmit : faire passer pour un fields urbain un travail minutieux d'horloger-orfèvre-mécanique au chevet de son ami Serge, riche de potentialités infinies. Un accompagnement parfait pour un livre de SF à la Greg Egan : grosse artillerie minimaliste pour un vertige quantique maximal ; il rejoint ici la démarche d'un premier Tsukamoto : faire fusionner l'homme et la machine (analogique !) en utilisant l'image par image. J'ignore si c'est le but de Figueroa Terrace, de vouloir construire un vaisseau spatial supraluminique dans son garage (avec le côté sculpture sonore, c'est pas si con) ; la préparation au voyage est en tout cas déjà suffisamment passionnante pour qu'on se laisse rêver à un futur déclenchement de puits de gravité (ça c'est plutôt pour le Hecq, d'ailleurs).

Note : 5/6

Page 131/183 Becuzzi/Lyke Wake/Noisedelik/Sshe Retina Stimulants/ Uncodified : A poisonous black & white iridescence across dangerously amorphous urban landscapes

Chronique réalisée par Twilight

Il n’est jamais aisé de parler d’un disque de dark ambiant; on en revient à tenter de résumer un film avec plusieurs synopsis. Le musicien/scénariste met en musique sa trame visuelle en espérant que l’auditeur/spectateur le suivra, prêt à admettre pourtant que ce dernier pourrait fort bien réécrire le scénario selon son ressenti. En l’occurrence, la pochette évoque assez bien mon sentiment quant à ce projet qui a tout du ‘super groupe’ dans le genre. Voyez plutôt: Gianluca Becuzzi, Sshe Retina Stimulants, Noisedelik…Le ton est assurément sombre et nocturne, pas forcément angoissant mais déstabilisant, comme de déambuler de nuit dans les couloirs et les chambres d’un vieil hôtel abandonné. Du moment qu’on ne croit guère aux fantômes, nulle raison d’avoir peur et pourtant…L’obscurité joue souvent un rôle de miroir pour nos réflexions, nos doutes, nos craintes. Nappes tristes, presque trop artificielles pour y croire dans un premier temps, sauf qu’elles sont vite complétées puis remplacées par des bruits, crissements, sons de cordes pincées, quelque chose de plus organique plus à même d’installer un malaise. Belle entrée en matière. Davantage rampant et sournois, la seconde pièce se dilue rapidement dans des nappes synthétiques plus cheap (nous sommes loin de la profondeur abyssale de Raison d’être) mais une fois encore, c’est pour mieux tromper. Des frottements, larsens retenus en arrière-fond, tremblements de vagues et autres, instaurent un climat plus terre à terre et nettement plus dérangeant, avec un final d’ondes saturées. Il faut bien reconnaître qu’en termes de composition et de méthode, les musiciens ne sont pas des débutants, idem pour les sources sonores et leur agencement. Bien que ‘A dream without light’ soit plaisant, évoquant à mes sens un trou dans la toiture en ruines par lequel perce un bout de ciel étoilé, une pointe d'incertitude montre le bout de son nez. Pourtant, les artistes ont vite fait de déstabiliser cette brève impression de quiétude par des sonorités légèrement plus grinçantes au relents de cuivres spectraux, cliquetis métalliques, montées lointaines inquiétantes mais jamais en premier plan, en sachant doser les silences pour laisser l’angoisse s’installer seule dans l’esprit de l’auditeur. C’est toute l’efficacité climatique de l’album de Noisedelik que l’on retrouve ici. Impression confirmée dès le début de ‘Black dawn rising’ avec ses cordes désaccordées pincées sur fond de nappes basses et nocturnes; la peur supplante le malaise, à écouter fort dans l’obscurité de son foyer pour en apprécier la saveur âcre. L’ultime morceau, qu’évoque-t-il ? Hé bien, le sous-sol de l’hôtel abrite en fait une clinique où des scientifiques nazis testaient leurs théories psychiatriques sur des ‘patients’ juifs. Les murs mangés par l’humidité bruissent encore des cris des malheureux, des bruits sinistres des diverses machines, réseaux électriques, et l’esprit s’emballant, on croirait bien entendre des pas s’approcher…Est-ce d’ailleurs réellement une illusion ? Le noir devient dense, patibulaire, comme une entité qui se mettrait elle-même en mouvement. La saturation n’est jamais totale, toujours retenue mais elle vrille efficacement le cerveau malgré tout. Voici arrivé le moment de tourner les talons et de s’enfuir à toutes jambes, l’explorateur paralysé par les fréquences se répandant dans les sous-terrains risque de le payer très cher; à ne jamais utiliser comme fond sonore durant une expédition d'UrbEx !

Note : 4/6

Page 132/183 Benümb : Soul of the Martyr

Chronique réalisée par Rastignac

Comment bien faire rentrer une trentaine de morceaux différents sur le même support sans que tout cela ait l'air décousu ? Je ne sais pas. Benümb non plus sur ce premier album, j'en ai bien peur, d'autant plus que là, on a un album, plus deux splits, un live et un EP collés bout à bout donc même le son va changer au long de cet album ! En fait, j'ai l'impression qu'ils n'ont pas chopé le mojo qu'ils purent faire mousser sur "Withering Strands of Hope" pour constituer un tout, avec ses silences, ses larsens, ses moments fastcore / grindcore, hardcore, noisecore, et ses moments sludge, ses samples, et les déluges de mots de Pete Ponitkoff au micro. Sur Soul of the Martyr ça fait plouf : les morceaux n'ont pas le même tempo et recèlent des thèmes et mesures vraiment pas équilibrés entre les morceaux. Les coupures sont donc abruptes entre les pistes, mais tout cela est ici scotché avec du ruban adhésif de mauvaise qualité, ça baille, contrairement à ce qu'ils sauront faire par la suite. Résultat : on entend bien les moments où le batteur lève la fesse gauche pour choper une binouze, on pense que ça va repartir, mais non, ça ralentit, puis ça larsen, puis ça s'arrête, puis rien, puis ah oui kekchose... y a bien de la colère, mais comme étouffée par toutes ces intros qu'ils auraient pu couper faites à base de coups de baguettes sur les cymbales et de distortion larsenée, voire même des morceaux entiers, comme cet étirement sludge à base de deux riffs et de texte lu vraiment trop long ("Stood Up and Sold Out" ou "Deprivation") ! Très hoquetant cet album, et en plus pas très inspiré au niveau guitare, la simplicité du jeu de Paul Ponitkoff (lou frangin ?) ressemblant bien plus à des approches basica noisecore à la Anal Cunt qu'à du Napalm Death ambidextre - le changement de personnel sur le deuxième album faisant bien le point là-dessus dans le jeu des sept différences. Un disque donc un peu moyen, pas très original, qui pourrait devenir un joujou pour les collectionneurs, peut-être. (Encore ?)

Note : 3/6

Page 133/183 Benümb : By Means of Upheaval

Chronique réalisée par Rastignac

2003. Las, je traînais comme un vieux lamantin quand je tombai sur un DVD Relapse s'intitulant "Recollection" : une compilation de clips des groupes de leur "roster". Au milieu de joyeusetés Neurosis ou Alabama Thunderpussy (tonnerre ! quelle chatte !), un clip tourné sur scène, le plus cru possible, avec un gus au milieu pestant comme jamais, au milieu de gros chevelus, dans une salle ressemblant à un squat. Benümb, c'est ça ? Ah, cette voix ! On dirait moi, quand je reprenais du Suicidal Tendencies à 17 ans, je ne savais pas beugler, je forçais mal, et ma voix restait au même ton... Ben voilà, le Benümb dernière cuvée... la dernière, parce que Pete le chanteur, réserviste dans l'armée de terre embarquera plus tard pour l'Irak afin de démocratiser les méchants détenteurs d'armes de destruction massive et donc contribuer au bordel que nous vivons aujourd'hui grâce au leadership lumineux de son beau pays étoilé... Du monde s'est retrouvé la mâchoire pendante en lisant cette niouze à l'époque : on s'imagine mal un chanteur de grindcore pestant contre toute l'oppression possible avec des galons de sergent ! Alors, ce disque ? Et bien, départ de Rob Koperski et retour de l'aut' Ponitkoff, on retrouve donc les agencements de guitares simplistes du premier album, mais sans cet aspect décousu qui m'avait un peu rebuté, tout est bien empaqueté ici, mon désir de Kohërenz est satisfait. Par contre, par contre... la voix du Pete, faut vraiment se la taper pendant tout le disque, et elle est d'une linéarité, ses espèces de scats deviennent très nombreux... ce qui passait bien sur le split avec Pig Destroyer devient ici usant sur la longueur, vraiment. Regardez donc le clip là, et multipliez cette ligne de chant par 22. Voilà. L'histoire dira que Pete Benümb, revenu vivant de la baston dans le sable formera Agenda of Swine, et retrouvera son style premier bien plus hardcore, et plus efficace aussi. Par contre, sur ce dernier album on restera sur une moyenne moyennée, l'excentricité du bouzin n'étant pas forcément très bien dosée en mettant tout le paquet sur cette voix vraiment crispante.

Note : 3/6

Page 134/183 Faith No More : Songs to make love to

Chronique réalisée par Rastignac

Faith No More sort un album en cette année 2015, vous le savez hein ? Et Faith No More va jouer plusieurs concerts avec le line-up Mike Patton - Bill Gould - Roddy Bottum - Mike Bordin - et Jon Hudson, le guitariste sur "Album of the Year". Alors j'lui dis : "ben je vais écrire sur Faith No More". Et là y m'répond : "Mais tout est déjà chroniqué sur guts, même le truc à monter soi même là!". Donc là j'lui dis : "Pff, t'y connais rien à FNM. Moi j'écoutais ça tout p'tit, je comprenais à moitié les paroles mais j'avais l'affiche dans ma chambre avec Jim Martin et ses trois paires de lunettes, et puis le t-shirt avé l’œil dans l'hexagramme baveux, donc, hein, regarde c'que j'ai là, c'est pas chroniqué!". "Mais si" qui m'souffle, "regarde, c'est le machin à monter tout seul !" Eeeet non, c'est bien la même image de Yann Arthus-Bertrand (brrr...), mais ce n'est pas le même titre ! C'est un disque à jouer pour faire l'amour ! Les connoisseurs des membres du groupe doivent déjà connaitre leur esprit taquin, j'imagine donc qu'ils n'ont pas commis l'erreur de faire jouer cet EP lors de leur coïts hivernaux au bord de l'âtre sur la peau de tigre. OK, on entend la célébrissime reprise de "Easy" en première piste, qui peut faire l'affaire si la votre d'affaire ne dure pas plus de trois minutes car ensuite on aura droit à une pattonnerie vraiment, vraiment conne, une espèce de polka à boire chantée dans un yahourt allemand incompréhensible où il est question apparemment de queues, et de clébards (re-brrr...). On redescend ensuite avec l'autre sublime reprise concluant Angel Dust, celle du thème du non moins sublime film Midnight Cowboy, triste à souhait, avec un des meilleurs combos synthés / guitare de cette période angeldustienne des "jamais plus d'espoir". Mais, las, on retombe dans le nawak avec la reprise des Dead Kennedys "Let's Lynch the Landlord" que vous pouvez écouter sur l'autre indispensable tribute d'Alternative Tentacles : complètement débile, celle-ci consistant en de l'accordéon rural soutenu à la voix par un Patton qui fait le crooner rockabilly. Alors, oui, si vous voulez vraiment rater votre coup, allumez les bougies et jouez ce disque. Si par contre, tout roule quand vous faites crac-crac en écoutant cela avec votre partenaire : mariez-vous sur le champ ! Pour ma part, les morceaux intéressants existent déjà ailleurs, et la polka est vraiment, vraiment débile, je ne vais donc pas trop en faire niveau bouboule, hein.

Note : 3/6

Page 135/183 Septic Tank : The Slaughter

Chronique réalisée par Rastignac

Voici Septic Tank ! Fondé en 1994, ceci est un faux supergroupe, car, apparemment, ce side-project vieux crust vieux metal Cathedralo-Repulsionnesque n'a existé que pour s'amuser deux minutes, les protagonistes officiant ici n'ayant donné qu'un concert il y a deux ans, et ne donnant point trop de nouvelles suite à la publication de cet EP. Enregistré en une après-midi, dégageant une sonorité bien crue dûe à cet enregistrement à l'arrache (bien voulu je pense), l'objet chroniqué oscillera entre parties lentes et moments rapides un peu grind à la Repulsion (fracas et son qui grésille), avec un clin d’œil appuyé à Discharge sur ce "Grotesque Cavalry of Mankind", morceau rappelant très fort "The Nightmare Continues" si vous voyez c'que j'veux dire. Le tout est superbement soutenu par notre Lee Dorrian du-vortex-violet-de-la-sorcière-de-la-montagne-de-minuit qui abusera de ses célèbres onomatopées rock and roll demon. Le disque se termine sur un morceau mini-doom avec encore de beaux "BWWOUUU" exprimés par Dorrian : ce "The Slaughter" sera le morceau le plus fond du caniveau de la doomitude punkoïde le nez dans les déchets, un peu comme le "Graveyard Slut" l'était pour ces autres vieux de la vieille de Darkthrone. Conclusion : cet EP est jouissif malgré sa petite durée et donne à revoir aujourd'hui le côté grind / crust de Lee Dorrian dont la voix me semble joliment poncée par le temps et la belle vie. Ce petit disque donne aussi envie de boire et de se coudre des patches. Et ça, c'est important.

Note : 4/6

Page 136/183 L'Effondras (☉) : L'Effondras

Chronique réalisée par Dioneo

Qu’on la prenne comme science, hérésie, égarement de l’esprit ; comme on voudra ; je veux dire : l’Alchimie. Je l'entends, ici, comme une trame. Ses termes comme des bouts d’indices, surtout pas faits pour être résolus. L’image – ce Lion Vert, dit aussi VITRIOL, qui pour le groupe, sur cette pochette, se découpe en blanc sur bleu – non pas décorum, enseigne de billevesée new-age, l’escroquerie fût-elle prise par son revers ténèbres. Elle est une porte. Passons le porche. Retenons que dans le Grand Œuvre elle marque, paraît-il, "l’union du haut et du bas"… Cette musique, disais-je, ne se déchiffre pas comme un froid tableau de chiffres. Elle connaît, pourtant, les masses des particules du son ; elle sait le poids et l’envol ; ces trois types-là, en effet, ont trouvé leur voix propres pour les transmutations. De matières simples, ils font des étendues. D’arpèges, ils font des principes moteurs, cycles qui semblent générer leurs dimensions. Des fûts, caisses, bords de caisses, cymbales, frappes aux baguettes ou aux mailloches – cela se vérifie en concert, quand c’est joué à pleine puissance – ils font d’autres chants sans mots, d’autres voix en plus de celles des deux guitares, qui sonnent dans ces déserts, ces vastitudes qui en même temps semblent naître, couler, rouler directement depuis la musique. Désert, vastitude, mais rien n’est mort, ici – il y a toujours quelque chose qui habite, se déplace, fouis, survole, nomadise, sème, pollinise. J’aime ces espaces qui flottent – où ça flotte ; j’aime ces plénitudes poussées, grandies, soufflées depuis des presque-riens : quelques accords, un motif, les balais qui tournent et enflent une densité. J’aime cette tension qui s’instille, s’infiltre lentement, exhale en vagues des cercles du Grand Calme, où il semblait le plus immobile. J’aime que cette absence de toute explication ne soit pas un Mystère qui se donnerait comme raison à quoi souscrire, règle à saisir, secte à quoi adhérer ; qu’elle soit plutôt l’aura d’un être musical, d’êtres, de leur alliance. Ça pourrait sembler presque trop simple : trois hommes jouent ensemble, cordes, mécaniques, micros, machine de bois, de métal, de peaux ; doigts, muscles, idées, charpentes, touchers, intention ou intuitions, qui sait, savoirs, gestes. Ils se trouvent. Ils nous trouvent et prennent un nom. Pour l’unicode, ce point dans un cercle désigne paraît-il le soleil ou bien, plus spécifiquement – on y revient – sa masse. Pour tout le monde, ce sera L’Effondras. Qui pour les cartes, les plans, semble un lieu-dit, quelque part dans l’Ain. Il appert que s’y lient Têtes de Corbeaux, Aures Célestes en fulgurances… Je vous l’ai dit : je ne sais rien, ou si peu de l’Alchimie. Je me fous pour cette fois qu’ils en maîtrisent, ces trois, plus ou moins que moi les chartes, codes, tenants. Me revoilà dans les places, les lieux d’égarement, sous les cieux et dans les terres qu’ils en font. Voilà qu’il y grince, crie, murmure, tinte. Voici qu’on y rencontre un Astre dans une Gueule.

Note : 5/6

Page 137/183 Rendez-Vous : Rendez-Vous EP

Chronique réalisée par Twilight

A ma gauche, Partenaires Particuliers, à ma droite, Rendez-Vous. Quel rapport ? Partir de bases en apparence similaires soit des beats synthétiques, des claviers cristallins, un goût pour la new wave et fournir le pire pour les premiers et le meilleur pour les seconds. Car si certains esquissent un sourire condescendent quand on mentionne le mot ‘new wave’, ils risquent de déchanter à l’écoute de ce premier EP car franchement, Rendez-Vous, c’est d’la balle comme on dit…Rythmée, tonique, limite martiale, leur new wave est surtout très cold et bien ficelée. Les synthés et les beats sont en effet complétés par une basse puissante et des parties de guitares hivernales à souhait, sans compter les vocaux convaincus, denses, dont les tonalités parfois colériques nous poussent bien plus vers Joy Division qu’Indochine (inutile d’aborder les textes pas franchement joyeux). Les Parisiens évitent la tendance minimale très en vogue actuellement optant pour une écriture riche et fouillée (on comprend mieux pourquoi quand on voit le matériel qu’ils amènent sur scène), pop à l’accroche mais menaçante dans le feeling. Les départs sont souvent trompeurs, ainsi ‘Donna’ dont les premiers instants évoqueront Indochine à une oreille peu attentive, laquelle oreille risque de frémir au fur et à mesure de l’évolution de la chanson, de plus en plus appuyée, voire légèrement expérimentale dans les traitement des claviers. Ma favorite demeure ‘The others’, un vrai tube en puissance avec sa rythmique dansante, ses vocaux graves mais aucune faiblesse n’est à relever dans ces cinq morceaux aux mélodies plus excitantes les unes que les autres. Ca va faire mal sur le dancefloor !

Note : 5/6

Page 138/183 AT THE GATES : With Fear I Kiss the Burning Darkness

Chronique réalisée par Rastignac

Deuxième album d'At the Gates. Je les vois comme des corbeaux les yeux cernés de noir ces mecs, plutôt qu'habillés avec vestes à patches et jeans moulants / baskets montantes tellement ce disque regorge de noirceur et de tristesse... Oui, les étiquettes sont traditionnellement posées de manière définitive, ici, on dirait que c'est du death technique, du death "mélodique" (tag pompon, aussi parlant que si je disais que la corneille était un oiseau de l'école des "plumés") - et même encore plus, les gusses nous reprenant "The Nightmare Continues" de Discharge en fin d'album sur une piste à peine cachée. Dès les premières secondes de l'album, j'ai quand même l'impression d'écouter quelque chose de gothique, d'un romantisme incroyablement triste, même si les paroles ne nous parlent pas de la fiancée morte dans la rivière mais plutôt d'une espèce de voyage luciférien plein de détresse, chant sioux inclus ("Primal Breath"), même si, bien sûr, on retrouve des plans bien dans les clous du death ("The Architects" entre autres...), tout cela tenu par des poutres gigantesques faites de guitare sachant nous mener dans le chemin tortueux de l'esprit des guitaristes. L'album est évidement aussi porté haut par un chant plaintif, aigu mais râlé en même temps, comme un mélange entre le style dans la phrasé et celui black metal dans le raclage de corde vocale... sans oublier les plans de batterie d'une complexité qui ne fait pas vomir, tout cela peut-être desservi par une production qui bizarrement depuis mes oreilles semble faire des acrobaties au niveau de la mise en relief des guitares et de la batterie, un peu comme si de temps en temps je mettais la tête sous l'eau, avec ce disque qui tourne dans la salle de bains. Quoi qu'il en soit, ayant découvert un peu tard ce qu'était At the Gates, je me rends compte peu à peu, achats après écoutes après trucs qui grattent dans le ventre en écoutant les riffs de "Non-Divine" ou les hoquets d'agonie de "Stardrowned", qu'il y a vraiment peu à jeter dans la discographie de ce groupe. 5 étoiles donc pour cet album, dont l'esprit peut concorder avec n'importe quelle sensibilité chagrine et fatiguée - j'en suis, faites-moi confiance, c'est votre came chers lecteurs.

Note : 5/6

Page 139/183 Zoroaster : Zoroaster

Chronique réalisée par Rastignac

Zoroaster est un groupe de stoner doom originaire de Géorgie d'Amérique, et non le nom du fondateur du zoroastrisme dans sa forme anglaise ! Enfin ! Le doute dissipé, écoutons donc ce premier album, démo autoproduite puis rééditée, j'imagine grâce au mini-succès du groupe à venir. Nous sommes en terre stoner doom sludge, c'est à dire nous sommes dans des lieux créés par Saint Vitus ou Sleep, et on va bien l'entendre ici, mais en moins bien... Pourquoi ? parce qu'il n'y a pas Matt Pike à la guitare, et qu'il n'y a pas Wino au micro. Mais aussi parce que ce n'est pas parce qu'on fait un morceau avec trois accords très graves très lentement qu'on dégage du danger, de la morbidité, de l'envie de vomir : il faut créer une espèce de magie grise qui tape l'auditeur, qui lui montre un miroir mal poli lui renvoyant en pleine face sa vie de merde, ou au contraire l'assomme pour pouvoir mieux le transporter au doux pays de la Nazareth cannabistique... et là, et bien, les petits solis dopesmokeriens qu'on entend sur le premier morceau, copiés/collés, mais pas trop longtemps parce que ça fatigue, enchainé par un autre copié collé d'accélération vitusienne commencent à m'agacer. Cela sera sans compter la suite, et le très pénible Bullwhip, interminable, dont l'ultra linéarité confine vraiment à la défonce bien trop épaisse pour jouer bien et beau (ou assez mal pour que ça soit beau, voyez ?). Mais, allez, encore un effort pour s'envoyer Honey and Salt et Defile : sur ces titres, la simplicité du groupe s'étale au grand jour, on est fatigué, on va plus maintenant se forcer pour jouer plus de trois notes. On finit sur un petit live très bruyant, morceau "caché" et anonyme... Mais alors, quoi ? Ben alors, je me suis dit qu'y avait problème en pensant tout cela, en écrivant cela. Parce que à la deuxième écoute j'ai commencé à me laisser bercer. A la troisième, j'ai voulu l'écouter une quatrième fois ! Ben oui Mr. Rastignac, c'est linéaire, c'est bateau, mais c'est NORMAL. Et ça fait du BIEN. Bon, Monsieur le directeur de la DDCDPCEOSWPPTT (Direction Déconcentrée pour la Centralisation des Données Personnelles des Citoyens Effrayés d'Ouvrir un Site Web Parce qu'on Pourrait les Taxer de Terroriste), et bien, Madame la Secrétaire d'Etat, ne faites pas la même erreur que moi. Relisez ce bouquin de Neil Young là, écoutez ses interviews à ce propos. Oui, Michel, prenez un stylo, et notez bien, et tâchez enfin d'appliquer les procédures bon sang ! Alors, avant toute écoute, "achetez la weed la plus bon marché possible, pire que celle que vous trouvez dans la rue. Broyez bien et répartissez tout cela sur une poêle. Faites chauffer à feu doux jusqu'à ce que l'herbe commence juste à fumer, et là, avant que ça brule, prenez un demi-verre de miel. Chauffez le miel jusqu'à qu'il devienne plus coulant, et mélangez l'herbe avec.

Puis bouffez moi ça." Et bon appétit bien sûr.

Note : 4/6

Page 140/183 Grief : Torso

Chronique réalisée par Rastignac

Grief. Des disques faits pour serrer les dents, produits sur une petite vingtaine d'années, le groupe ayant splitté deux fois, dont une lors d'une tournée européenne qui passa par la banlieue de Lyon (ou plutôt la banlieue de l'aéroport de Lyon...), se reformant encore une fois il y a peu sous le nom "Come to Grief". Quoi que soit la chronologie, de toute façon Grief fait partie des groupes qui, il y a un moment, me faisait peur. J'avais peur de m'enquiller tant de haine et de dépression... Je préférais rester sur Eyehategod dans le genre, plus "FM" (ahah), enfin, plus accessible quoi... Grief fait aussi partie des groupes qui faut se tuer pour les acheter leurs disques. Plus de rééditions, à part petites exceptions, donc bonjour, mais, hein, la vie moderne, le internet, le police de le internet, les lolcats, soulseek, Hadopi, fusillades parisiennes, surveillance policière, Grief dans les oreilles, la colère monte dans le nez, "c'est quoi le problème hein ?" grogna André, marchant péniblement sous ce mois d'avril mi figue mi ta gueule, le pauvre est tellement fatigué que tout le monde lui klaxonne dessus quand il veut traverser, il se fait traiter de toutes sortes de mots homophobes, il serre les poings, enfin, comme il peut, et il a en tête un torse qui tombe au fond de n'importe quoi, n'importe où ! Avoir Grief dans les oreilles, c'est accepter que l'expression de la misère doit être longue, la plus longue et étirée possible - enfin, plus de sept minutes quoi ! Chant étiré, résonnances des accords étirés presque systématiquement jusqu'au larsen, cymbales étirées, roulements étirés, peine étirée, vie étriquée, saloperie. Ce qui est triste quand j'écoute ce groupe au line-up fluctuat formé par d'ex-crustillants de Disrupt (tiens, y a même Tim Morse d'AxCx qui s'est retrouvé dans le groupe quand je lis le listing), c'est que ça marche trop bien, tout le temps, notamment sur ce Torso qui sait varier assez suffisamment lentement et surtout sans pain et faute de rythme ses riffs pour raconter ces histoires d'abandon, de dégoût des gens, ces histoires de maman crackhead torturant sa fille parce qu'elle croyait que c'était une poupée de chiffon... merde. Et si j'écoute Grief, et si ça me plait maintenant, est-ce que Je Suis Grief ? Est-ce que je suis aussi un peu ce corps sans jambes, sans bras, sans plus rien d'autre qu'un réservoir de haine qui brûle pour toujours ? Vraiment ?

Note : 5/6

Page 141/183 Grief : ...And Man Will Become the Hunted

Chronique réalisée par Rastignac

"Vous m'entendez ? Un jour je reviendrai sur Terre sous la forme d'un minotaure géant et vous, les humains, vous deviendrez mes proies. J'engagerai mes amis les bestiaux et on vous fera la peau, bande de raclures". Manifeste vegan et misanthrope - rappelons encore que plusieurs protagonistes du groupe viennent d'une scène qui ne rigole pas avec les mocassins en daim - ce dernier album de Grief est une apothéose presque positive, au tempo légèrement plus rapide, et des paroles plus offensives. Fini de rigoler ! [kwweuf, kgghreuf, raaaahggr, 'scusez moi, c'est quand je crie trop fort, je tousse]. Oui! Fini de rigoler ! Maintenant, nos amis les bêtes elles boufferont vos restes dans des big-man, comme des big mac mais avec du man dedans. Formellement, l'album est bien plus groovy que d'habitude (mis à part le dernier "When Rotten Ideas Break Free" très, ben... "griefien"), comme l'impression que le compositeur parolier s'est levé un jour en se disant "merde, ça suffit". Cet album est donc beaucoup moins plaintif que Torso, mais très attrapant ("catchy" en espagnol), sans ce côté abîme sans fond qui enlèverait presque une bouboule, tout cela se terminant avec une petite surprise acoustique en fin de course (bâton de pluie et piano et percubabas, tranquille au bord de la mare). On reste quand même dans le haut du panier de la scène "hurlements + riffs lents et méchants + breaks hardcore + répétitivité sabbathienne + vive Iron Monkey", qui va tellement bien avec la lutte individuelle. Quelque part, le sludge, le doom, c'est une musique révolutionnaire, un peu comme les chants de guerre, les rengaines ouvrières mais à un niveau individualisé à l'extrême, quand il faut se battre chaque seconde contre la nausée, les poignets qui démangent, l'envie de foutre des coups de genoux à tout le monde, l'envie de se lacérer la gueule. La révolution par les synapses oui, de celles qui jouent des trompettes triomphantes quand tous ces démons humains se réveillent autour de moi pour me ruiner la vie, j'en ai des cornes qui poussent, et un appétit grandissant pour les foies de ces petits mecs. Mweeeeeeuuuuuuuuh !

Note : 5/6

Page 142/183 Matthew Stringer : The Second Sun

Chronique réalisée par Phaedream

Le moins que l'on puisse dire est que Matthew Stringer est à Perge ce que Johannes Schmoelling était à Tangerine Dream. Et la corrélation ne s'arrête pas là! Véritable fenêtre sonique sur une œuvre entreprise en 2009 avec Your World is but One, “The Second Sun” est un superbe album où la MÉ se défait de son étiquette afin de nous intoxiquer avec de mélodieux parfums de mélancolie. Un album où les synthés cisaillent des solos très harmonieux, où les séquences tissent des rythmes toujours puisés dans les influences du Dream et où le piano de Stringer flirte avec celui de Schmoelling avec une fascinante complicité pour créer deux univers parallèles qui finissent toujours par se rejoindre. Une longiligne ligne de synthé, parfumée par les radiances obscures de drone, flotte au-dessus de l'introduction de "Riposte". Des voix, des murmures et des clapotis ornent les ambiances de cette fresque sonique où Matthew Stringer nous ramène au Meadow de Your World is but One. D'ailleurs, toute l'histoire de “The Second Sun” tourne autour de ce premier essai musical de Stringer. Si les dialogues éparpillés ici et là tout autour de “The Second Sun” aident notre navigation, l'auteur prend bien soin de souligner, et à juste titre, que ce voyage correspond tout aussi bien à une odyssée introspective. Déjà nous sentons dès les premières secondes de "Riposte" un niveau d'intensité qui meublera les ambiances de ce fascinant album où Matthew Stringer chamboulera nos émotions à mesure qu'il étendra son combat afin de nous guider dans son Meadow. Les lignes de synthé flottent comme les murmures des ténèbres, par moment on jurerait entendre du Rick Wright () tellement c'est intense, et comme des caresses nous guidant vers un suave down-tempo. Le lent rythme arqué sur de bonnes percussions sobres et nourri de fins arpèges cristallins dont les tintements forgent une mélodie quasiment abstraite tellement elle est fragile. Les murmures sont toujours présents. Ils instaurent ce délicieux mélange de séduction et de paranoïa qui imbrique les 7 chapitres de “The Second Sun” tout en nourrissant sa profondeur. Ces voix, on peut même dire des dialogues, résonnent à travers un microphone en ouverture de "Dreique" qui peu à peu étend un ruisselet d'arpèges et de séquences teintés de prisme. Ces carillons ruissèlent comme une eau tranquille dans les souffles d'un séduisant synthé bourré de torsades hyper mélodieuses et parfois stridentes. Un ruisseau qui peu à peu se déverse en torrent, donnant à la deuxième partie de "Dreique" un rythme plus entraînant orné d'une belle approche harmonique dessiné à l'ombre d'un clavier dont les accords s'évaporent dans des solos de synthé toujours très harmonieux. "Fortress" est plus sombre. Les souffles noirs de son intro se fondent dans une superbe structure de rythme qui rappelleront à certains les essences de Tangram ou encore Firestarter. Inattendu et surtout très bon! "Glimpse" est aussi lugubre et qu'intense. Ça me fait penser aux sombres ambiances, tout de même assez mélodieuses, de Walter Christian Rothe dans son Let the Night Last Forever. Le rythme coule avec de belles séquences qui sautillent et alternent les ombres de la cadence des autres avant d'exploser avec plus de vélocité. Les arrangements sont très bons et on peut même entendre quelques accords de guitare errer alors que le rythme disperse ses séquences dans une longue finale ambiosphérique. "Conduit" enchaîne avec les mêmes ambiances, mais encore plus profond et plus intense. Les vents hurlent comme ces sirènes apocalyptiques que l'on entendait dans Silent Hill. Les cliquetis et les halètements nourrissent un lourd climat de terreur. Un climat qui s'estompe graduellement alors qu'aussi invraisemblable

Page 143/183 qu'inespéré une douce ballade s'extirpe de ces cliquetis. Une belle ballade ambiante, quasiment spectrale, où le cliquetis du temps danse avec les délicats arpèges de la sérénité. "Window" est un beau petit titre très romantique et mélancolique avec un beau piano qui colle sa mélodie dans le fond de notre âme. Des sifflements de synthé et des larmes de voix accordent leurs ombres avec l'intensité des émotions sculptées par le piano, donnant une approche spectrale à un titre qui rappellera à quelques uns d'entre vous le jeu de Schmoelling dans ses œuvres en solo. "Air" présente une très belle intro sombre et mélancolique où un piano intensément nostalgique étend sa peine sur les trottoirs de la vie lavés par une pluie qui endort toujours les bruits d'une ville tout près. Point de référence oblige afin de mieux définir la très grande versatilité de Stringer: Vangelis et ses ambiances et son piano tellement sombre dans Blade Runner. "Air" est un superbe titre qui exploite à merveille ses 19 minutes afin de nous amener aux frontières du Dream avec un rythme sautillant et des harmonies sculptées dans des arpèges qui sonneront vaguement comme un Stratosfear acoustique. Renversant! Le rythme accentue sa force en même temps que le synthé souffle de ces solos plus harmoniques qu'aléatoires qui jalonnent les sombres et cabalistiques facettes de “The Second Sun”. Un titre vient en prime si vous vous procurez la version téléchargeable de “The Second Sun”. Il s'agit de "Retrospect" qui parvient à nos oreilles avec une autre belle mélodie pianotée et dont les airs se perdent dans les filaments des souffles d'une nature où tout semble briller comme par un beau dimanche à la campagne. L'approche ne détonne pas tant que ça des ambiances de “The Second Sun”, car le miroir de "Retrospect" laisse filtrer des reflets noirâtres avec des accords sombres qui s'accrochent au bonheur de cette mélodie qui tournoie avec cette agilité des doigts sur un piano que l'on dompte par une ambiance ensoleillée. Encore là, les influences de Schmoelling transpirent lorsque les doigts nerveux de Stringer amènent le piano vers une ballade plus entraînante où percussions et arrangements transportent "Retrospect" là où “The Second Sun” n'était pas encore aller. J'ai déjà entendu des titres en prime qui n'avaient pas la moitié des charmes de "Retrospect"! Autant il est impossible de taire les similitudes entre Perge et Tangerine Dream, autant il est difficile d'ignorer les parallèles entre la musique de Matthew Stringer et de Johannes Schmoelling. Et là je ne dis pas que l'un copie l'autre! Si Perge est littéralement fondu dans le Dream, Stringer possède une identité qui lui est propre où les influences de Schmoelling, comme de celles Vangelis de Pink Floyd et même de Tony Banks (Genesis), servent de base à des approches mélodieuses qui se fondent dans des décors soniques absolument enivrants. La force de “The Second Sun” est ses mélodies, autant dans les claviers et les synthés, propulsées par des rythmes vivants mais aussi nappées d'une lourde enveloppe ambiosphérique qui tisse des ambiances qui peuvent devenir aussi intimistes que les visions de son auteur. C'est très bon et ça sera sans doute un des incontournables en 2015.

Note : 5/6

Page 144/183 Xan Alexander : Elektro-Technology

Chronique réalisée par Phaedream

Avec ses titres courts et son approche très rock électronique, “Elektro-Technology” possède tous les ingrédients pour plaire aux amateurs d'une MÉ vivante, lourde et surtout très Anglaise. Alors que l'aventure de Tangerine Dream s'essoufflait dans les campagnes de Seattle, un mouvement Anglais de MÉ émergeait avec des pionniers, reconnus aujourd'hui comme tel, en les personnes de Mark Shreeve, Ian Boddy Andy Pickford et John Dyson. La musique était lourde, surtout celle de Shreeve et Pickford, et très énergique avec une utilisation massive de séquences et de percussions, donnant ainsi un son très rock, moins rock cosmique, à une MÉ toujours inspirée par les belles années de Tangerine Dream. C'est exactement le menu que nous sert Xan Alexander avec ce percutant “Elektro-Technology” qui vous fera bondir de votre chaise plus d'une fois. Xan Alexander est un personnage très connu dans le milieu underground de la MÉ Anglaise. Il est la moitié du très prisé duo de Yorkshire, The Omega Syndicate, en plus d'œuvrer avec son bon ami, et éternel fan de la musique de OS, Steven Humphries dans le projet Magnetron. Parallèlement, cette vrai bibitte de studio a produit une dizaine albums en solo qu'il a mis sur Bandcamp en Juillet 2013. “Elektro-Technology” est son dernier album solo, son 10ième en fait, et comprend une collection de titres composés entre 2010 et 2015. C'est une MÉ vivante, claquée sur les modèles de Mark Shreeve et Andy Pickford, avec des solos de synthé, des effets électroniques et des rythmes qui nous font regretter ces années d'or de la MÉ Anglaise. Et ça débute avec une étrange onde nasillarde qui s'étire en une sirène apocalyptique en manque de souffle. Une lamentation de 30 secondes avant qu'un mouvement de basse séquences s'échappent entre les pales d'une hélice pour faire bondir ses ions qui s'agglutinent dans leurs ombres. Des effets électroniques pimentent le rythme de "Perelandra" où les séquences bondissent et alternent dans un parfait désordre synchronisé. Le mouvement est vif, noir et lourd! Les élytres des cymbales pépient alors qu'un synthé étend un voile de voix brumeuse qui flotte comme un chant errant sur une structure qui s'anoblit avec des nappes flottantes et de sobre percussions électroniques. Des nappes de synthé plus lumineuses injectent ces doux parfums de nostalgie qui éveilleront des souvenirs de Mark Shreeve dans son album Assassin. Un synthé qui se fait plus musical avec des nappes qui échangent leurs teintes pour des solos tissés avec harmonie, alors que le mouvement des percussions et séquences empruntent les voies rythmiques de Chris Franke. Et là, les riffs de claviers et les nappes de synthé qui tombent éveillent les souvenirs du Dream, périodes de White Eagle à Hyperborea. IL est impossible de dépeindre la musique de Xan Alexander, à tout le moins celle sur “Elektro-Technology”, sans faire de liens avec celle des artistes précités plus haut. La majorité des titres, sauf pour le très ambiant "Total Eclipse of the Sun (200315)" sont calquées sur le modèle "Perelandra". Certes il y a des approches d'un genre très synth-pop Anglais avec les arômes parallèles de "Vectorsonic (Theme)" et sa sœur "Vectorscope". Mais pour le reste, Xan Alexander dévisse nos bouchons de cérumen et délie nos doigts, parfois nos orteils, avec des rythmes énergiques arqués sur de bonnes séquences basses ainsi que de juteuses percussions électroniques. Les rythmes sont ornés de synthé aux solos charmeurs, de mélodies accrochantes et d'effets électroniques qui lient toutes les frontières. J'accroche tout de suite à "Escape Sequence" qui nous plonge dans les années Flashpoint avec une nuée de séquences qui gambadent et scintillent dans de noirs ronflements. Entre le synth-pop et la MÉ de style England School, "Dr. Brain Freeze" offre un rythme plus souple, plus harmonique avec de superbes solos de synthé. C'est le genre de truc qui

Page 145/183 accroche dès la première écoute. Après cela, on tombe dans du complexe! "Dark is Rising (Sequence)" propose une intro très lugubre, très genre film de peur, avant de tomber sur une structure de mutation rythmique. Il y a des séquences vives, avec leurs ombres métalliques qui papillonnent dans le vide, et d'autres plus sournoises qui ondulent dans les réverbérations des lourds riffs de guitare et de clavier. Les percussions qui viennent chamboulent une structure de rythme qui devient hachuré, stroboscopique alors que les nappes de synthé et les solos de guitare étendent une aura de folie gargantuesque qui fait déraper la raison. C'est du grand Shreeve au sommet de son Legion. Et ce n'est pas terminé! "Terradyne" poursuit dans la même veine en offrant du rythme complexe, inspirant et inspiré. Le synthé et le clavier dessinent des harmonies diaboliques qui tombent avec autant de fracas que les caresses morbides des voix feutrées par un voile sibyllin. C'est du bon rock électronique. Juste assez complexe pour éviter l'ennui, avec des bonnes séquences, des bonnes percussions et des bons synthés. Idem pour la pièce-titre qui borde un peu les territoires technoïdes dans un univers cinématographique. C'est assez musical et ça me fait penser à du Paul Lawler, tout comme "Hail to the Kings" qui est le titre le moins sombre de “Elektro-Technology”. C'est très orchestral avec des nappes de synthé aux saveurs de violons qui mélangent le miel des flûtes dans de suaves mélodies éthérés sur un rythme nourri de séquences nerveuses, de pulsations laconiques et de tsitt-tsitt métalliques. Xan Alexander amène l'auditeur à un autre niveau avec une MÉ lourde, très vivante et tout de même assez mélodieuse. L'univers de “Elektro-Technology” est nourri de rythmes énergiques qui sont truffés de nuances, de séquences aux tonalités hybrides et aux bonds aussi aléatoires que symétriques ainsi que de superbe solos de synthé avec des incursions de guitare qui donnent un aspect très rock à une musique déjà enflammée. J'ai adoré cette sensation de me replonger dans les années 90 où la scène Anglaise ajoutait une approche de rock sans compromis à du rock cosmique qui s'écartait un peu de sa Voie Lactée. Très bon!

Note : 5/6

Page 146/183 Accept : Death Row

Chronique réalisée par Nicko

Accept continue comme s'il ne s'était jamais arrêté ! Suite au succès d'"Objection overruled" et de la tournée qui a suivi, les teutons enchaînent ! Moins de deux ans plus tard déboule déjà le successeur, "Death row". L'équipe ne change presque pas. Le batteur Stefan Kaufmann souffre du dos et alors qu'il lui reste deux morceaux à enregistrer, il doit laisser sa place à un autre Stefan, Schwarzmann, pour terminer le travail. Kaufmann ne reviendra hélas plus derrière un kit de batterie. Il deviendra par la suite guitariste... pour la carrière solo d'Udo !! Au programme de ce "Death row", un album long, plus de 70 minutes, dans un style une nouvelle fois bien différent de ce que le groupe nous avait habitués jusque là !! Et oui, encore des changements ! Pas de glam rock ce coup-ci, mais du heavy metal sombre, lourd, agressif, très moderne. Accept rentre de pleins pieds dans les années 90 avec même quelques touches alternatives. L'ambiance générale est noire, vraiment pesante avec des guitares plus graves. Exit les envolées lyriques et mélodiques (à part une petite réinterprétation de la "Danse du sabre" de Katchatourian), l'ensemble sonne bien plus militaire et carré, vraiment inquiétant. Il faut bien se remettre dans le contexte. Là, Accept jouait en 1994 un heavy metal méchant, très loin de ses succès. Udo a un chant bien plus agressif qu'à l'accoutumée, Wolff enchaîne les riffs lourds avec des solos bien moins traditionnels. On ne retrouve finalement plus grand chose du style qui a fait les grandes heures de la formation, et le contraste avec "Objection overruled" est fort. Je dois vous avouer être très déçu par ce disque. L'album est long, sans grand génie, les morceaux tirent souvent en longueur avec de fortes redondances et c'en devient long, mais long... ultra-poussif, sans morceau véritablement bon. Je veux bien comprendre que le groupe ait voulu, une nouvelle fois, évoluer, qu'ils veulent défricher de nouveaux horizons musicaux, mais là, je trouve que c'est plutôt loupé. La production n'est pas adapté, trop plate et sombre, pour un résultat poussif. Franchement, l'album traîne en longueur, à la fin, on n'a qu'une envie, c'est que ça s'arrête tant il n'y a que trop peu de variations avec une qualité trop basse. En plus, ils ont regroupés à la fin la ballade et les titres instrumentaux ! S'ils les avaient disséminés dans l'album, cela aurait permis de donner un minimum de rythme et de variation au disque ! Pour moi, il s'agit de la plus mauvaise période de la formation.

Note : 2/6

Page 147/183 Frore & Shane Morris : Blood Moon

Chronique réalisée par Phaedream

Un peu comme les reflets d'une lune qui enveloppent une trop tranquille soirée dans une jungle jurassique, l'introduction de "Lichen Patterns" s'élève entre nos oreilles avec une lamentation ocrée qui est sur le point de dévoiler les intenses activités nocturnes de “Blood Moon”. Un mélange d'ondes de synthé opalescentes et charbonnées, où s'insèrent de rauques râles shamaniques, l'ouverture de "Lichen Patterns" propose un linceul sonique très sibyllin avant de se faire délicatement secouée par un maillage de percussions manuelles. Et on plonge dans les charmes de cette première collaboration entre le designer par excellence des suffocantes ambiances préhistoriques, Shane Morris, et Frore; un musicien que je ne connais pas vraiment et qui se nomme en réalité Paul Casper. Les tam-tams aborigènes et les coups de percussions basses très métronomiques sculptent un genre de lente danse transique alors que la multiplicité des lignes de synthé, et leurs tonalités autant pleine de particules de prismes que de parfums de graphites, exhalent des ambiances où les spectres fredonnent dans une faune sonique aux milles délices ambiosphériques. Partagé entre des rythmes de transe spirituelle, sculptés par un large éventail de percussions ancestrales, et de riches ambiances méditatives, nourries par une impressionnante palette de sons, “Blood Moon” offre un intéressant voyage sonique où les comparaisons entre certains pèlerinages de Steve Roach en terres aborigènes ne peuvent être évitées. Si les percussions séduisent, les décors soniques des synthés ne sont pas en reste avec une multitude lignes aux couleurs du pavoisement auditif et des effets qui plongent ce même auditeur dans des territoires aux apparences virginales. Organiques ou psychiques, électroniques ou acoustiques, ésotériques ou exotériques; ces effets donnent plus de rayonnements aux percussions qui picorent nerveusement les 5 paysages soniques de “Blood Moon”. Si "Lichen Patterns" offre une structure assez relaxe, "Ritual Sequence" hausse le niveau d'intensité avec des percussions plus agitées. Des percussions qui labourent des ambiances païennes nourries par les râles de Didge, les chants sourds des spectres et ceux des flûtes de type sarbacane. La structure me fait penser énormément à du Steve Roach, surtout avec les lignes de synthé flottant comme de longs lassos sans proies à coffrer, dans sa quête des déserts Australiens avec des tonalités et des pulsations organiques qui sont étouffées par de denses nappes de synthé aux arômes très ancestraux. "Orison" se démarque du style de Morris avec une approche nettement plus tribale. On dirait une danse rituelle du Moyen Orient avec des percussions vives et des airs de flûtes arméniennes; les Duduks. Si les percussions jouent un rôle prépondérant dans “Blood Moon”, les rythmes auxquelles elles donnent naissance n'en sont pas moins très pacifiques. "Unfolding" est encore plus près de l'univers de Steve Roach que "Ritual Sequence". En fait les deux titres sont intimement liés par les mêmes ambiances, flûtes aborigènes en moins. Si les percussions sont aussi nourries, elles sont moins vigoureuses et laissent miroiter des tintements de carillons qui jettent un aura de mysticisme incantatoire sur le titre le plus ambiant, le plus serein de “Blood Moon”. J'aime bien! Et l'enveloppe sonique est rempli de petits plaisirs auditifs qui vont ravir les amateurs de sons. "Night Rapture" est le summum de “Blood Moon”! L'intro part lentement avec des percussions qui tracent une pénible ascension. Peu à peu la cadence accentue sa mesure sous les sourds grognements, qui s'étirent en réverbérations, et des ondes de synthés dont certaines s'échappent comme des ombres qui flotteront comme des chants éthérés. C'est noir, lourd et insistant, comme du trance ambiant. Le subtil crescendo est très

Page 148/183 enveloppant. Entre l'inconfortable noirceur des nuits d'agitation et l'hypnose des continuelles percussions ascensionnelles, "Night Rapture" infiltre nos sens avec une implacable volonté d'envoûtement. L'ambiant rythme entêté escalade toujours ces escaliers intemporelles alors que de riches lignes de synthé déferlent maintenant comme de lentes vagues sur les harmonies toujours un peu embrouillées qui injectent des ambiances autant éthérées que sibyllines. C'est incroyablement envoûtant, nos tympans tremblent sous les percussions. La sauvage approche de "Night Rapture" s'évapore un peu après la 12ième minute dans des tremblements et des stridulations, concluant ainsi un voyage au bout des intrigantes et fascinantes ambiances de “Blood Moon”; un album dans la même lignée que Proof Positive et Spiral Meditation par Steve Roach. Un très bel album qui ouvre de nouvelles perspectives au genre tribal ambiant, de par la richesse de ses rythmes et de ses paysages soniques aux évolutions aussi audacieuses que l'ingéniosité derrière la multiplicité des patterns de percussions manuelles.

Note : 5/6

Page 149/183 Sequentia Legenda : Blue Dream

Chronique réalisée par Phaedream

Finalement! Près de deux mois après la parution du E.P. "Fly Over Me", Sequentia Legenda présente son tout premier album intitulé “Blue Dream”. Une attente qui en valait la peine, amis et amateurs de MÉ ornée de ces boucles de rythmes répétitives, car Sequentia Legenda surf sur les prémices de son superbe E.P. qui m'a redonné ce goût de replonger dans les charmes inconditionnels de la New Berlin School minimaliste, tel que proposé par Klaus DSchulze avec son intemporel Mirage. Et si on a aimé "Fly Over Me", on va dévorer ses miettes! Quand à moi, je suis en conflit de passion. J'avais tout simplement craqué pour ce très bel E.P., et je suis de go tombé sous les immenses charmes de “Blue Dream”. Un long woosh métallique balaie les horizons, libérant des particules prismiques qui scintillent dans une montée de whoosh et de whiish dont les lignes et ondes entrecroisent leurs parfums sibyllin. Les premières pulsations basses frétillent en arrière-plan, se chamaillant avec des cliquetis métallique qui tintent dans cette envoûtante fusion des multiples lignes aromatiques de "The Approach". Sequentia Legenda étend graduellement sa structure minimaliste. Le rythme sautille et palpite avec un léger écart entre ses lignes les parallèles, créant une fascinante horde d'ions sauteurs qui harmonisent leurs cabrioles sous des lignes de synthé aux subtiles gradations, et dans les couleurs et les tons. Très familière avec les essences de "Fly Over Me", la structure de "The Approach" est cependant plus vive et plus fluide. C'est l'art minimaliste dans ce qu'il y a de plus musical. Les percussions électroniques, qui restent toujours très présentes, redirigent la vélocité et la forme du rythme un peu après la 9ième minute, élaborant les plans d'une subtil crescendo. Leurs frappes et leurs roulements mettent en second plan ce rythme brodé autour de saccades des séquences, mais mettent aussi en relief ces nappes de voix qui, unifiées avec d'autres nappes aux rayonnements irisés et d'autres nappes nappées de brume cosmique, étendent une délicieux parfum d'hypnose. C'est aussi beau que "Fly Over Me", même si en quelque part c'est assez similaire. Avec une nette propension pour l'approche des mouvements de séquences limpides et minimalistes de Klaus Schulze dans Mirage, il est évident que Sequentia Legenda finirait par empiéter avec plus d'exactitude dans les souliers du grand maître. On se souvient de ces délicats arpèges qui tintaient en ouverture de Crystal Lake? On se souvient de cette deuxième mouture de Mirage sur Big in Japan? L'introduction de "Vibrations" nous plonge en plein cœur de ces deux univers. On pourrait carrément parler de plagiat si le titre ne se faufilait pas entre les deux variations de "Fly Over Me" et de "The Approach". L'exécution est la même, seul les ambiances diffèrent. Ici les nappes de synthé caressent toujours aussi chaleureusement ce fin staccato électronique qui amplifie sa mesure avec autant de subtilité que de délicatesse, alors que des pépiements électroniques des belles années analogues de Schulze viennent picorer nos oreilles et éveiller des doux souvenirs d'une époque qui restera toujours dans le firmament des charmes inconditionnels de la MÉ. La preuve? Cette merveilleuse obsession qui entoure le phénomène de Sequentia Legenda qui, avec une approche si candide, réussit à mettre entre nos oreilles un truc que l'on aurait jamais espéré. Trois monuments de MÉ avec des variations sur un même thème, “Blue Dream” est aux années 2010 ce que Mirage était aux années 80. Si plusieurs vont parler de plagiat, moi j'y vois une audacieuse extension de l'œuvre de Schulze, au même titre que ce que font Redshift, Node, Arc et tant d'autres artistes pour la musique de

Page 150/183 Tangerine Dream. Il est évident que ces séquences limpides qui pétillent, sautillent et s'entrecroisent pour dérouler un ambitieux pattern minimaliste est un objet de passion pour tous ceux qui vénèrent ce genre musical. Mais au-delà de cette similitude avec l'œuvre de Klaus Schulze, Sequentia Legenda se dresse en un très bon architecte de ses structures en les ornant de milles subtilités qui envahissent les oreilles avec un implacable goût de recommencer chaque écoute. C'est envahissant et subjugant. Et, il faut bien le dire, il n'y a pas de mal à se faire plaisir. Alors, lâchez-vous lousse car ce “Blue Dream” vous obsédera sans relâche. Très bon . Je suis certains que d'ores et déjà, il sera en tête de liste des meilleurs albums de 2015. 5 boules et demi!

Note : 5/6

Page 151/183 MOONBOOTER : Still Alive

Chronique réalisée par Phaedream

On évolue! Je ne sais pas si c'est le coup de foudre que j'ai eu pour les productions du label Lyonnais Ultimae Records, mais j'ai paisiblement migré vers le psybient et vers un genre de MÉ peu trance. Le IDM diront certains, le trash électronique diront d'autres ou tout simplement de l'Électronica. Je ne suis pas un grand connaisseur dans le domaine. Je taguerais le style dans le New Berlin School IDM. Mais peu importe, je sais juste que c'est aussi énergisant que beau! Le lien avec Moo183ooter? Eh bien, l'alias de Bernd Scholl fait dans un genre musical qui délie les frontières en unifiant tous les styles en une mosaïque de rythmes délicieusement reposée par de beaux moments d'ambiances. Dédié à la mémoire de sa mère, “Still Alive” est un album concept sur le douloureux passage vers l'au-delà. Si il y a des moments assez éthérés, voire attendrissant, la musique nous amène là où Moo183ooter est aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau avec ce mélange de up-beat, de danse, de psybient et même de synth-pop nouée dans les nébulosités du Berlin School et/ou de ses dérivés. Et j'y ai entendu de superbes petits bijoux... "Until Eternity" débute cette aventure sonique au pays des rythmes variés avec une approche aussi nébuleuse qu'ambiante. Des lignes de synthé entrecroisent leurs passives énergies en un paysage cosmique teinté de couleurs métalliques où tintent des étoiles. Les lignes de synthé s'agglutinent en une immense mosaïque ambiante. Un mouvement de rythme en ressort. Il fait scintiller ses ions sauteurs en un oblong filament stroboscopique qui se faufile parmi les lentes caresses d'une ligne de basse. Des nappes plus sombres dessinent une approche morose alors que l'on sent des pulsations muettes tenter de réveiller les ambiances. Il y a une bonne dose d'intensité dans ce titre qui s'éveille avec des échantillonnages de percussions manuelles et des gémissements électroniques que l'on pourrait confondre avec une guitare qui crache de longs riffs assez éthérés. Bien que taloché par ces percussions, la structure de rythme de "Until Eternity" fragmente son approche entre des soubresauts évanescents et des ambiances méditatives, juste avant d'étreindre ses 3 dernières minutes avec ce maillage de percussions et de pulsations nuancées qui se font fouetter par des claquements métalliques et accueillent une douce mélodie fredonnée par un piano rêveur. Ce qui frappe dans la musique de Moo183ooter, et notamment dans “Still Alive”, est ce souci du détail. La sonorité est riche et ornée de milles tonalités qui accrochent le plaisir de l'ouïe. Le passage entre les rythmes endiablés et les ambiances morphiques apaisent l'anxiété provoqué par ces battements frénétiques et redonnent le goût de les entendre. Comme un bon chef, Bernd Scholl sait doser ses recettes. Et ce même si parfois nous plongeons carrément dans l'Électronica, comme dans le rythme pulsatoire de "Dont Move" et de ses lignes stroboscopiques qui ceinturent un tempo sec et vif où rôde une mélodie frappée sur une enclume de verre. C'est très genre Orbital dans In Sides, sauf que les lignes de synthé et les filaments de séquences qui tourbillonnent tout autour rappellent constamment les sources de la Berlin School. Berlin School qui est fortement présente sur le superbe "Eternized in Crystal" et son magnétisant mouvement minimaliste qui envahit les sens. L'introduction offre deux lignes de séquences, l'une qui serpente de ses touches limpides et l'autre qui gazouille de ses tonalités électriques, qui s'entrecroisent en un ballet cosmique qui est chatouillé par une suave voix spectrale. La ligne de séquences limpides se détache pour dessiner une lente spirale hypnotique dont on sent continuellement la menace d'un crescendo exploser à tout moment. Les arrangements et les orchestrations accrocheront une larme à votre âme. Et, après un délicat moment onirique, les séquences papillonnent avec

Page 152/183 force, entraînant le superbe "Eternized in Crystal" dans un solide up-tempo où les pulsations se répercutent sur de sobres percussions technoïdes, et d'autres qui rendraient jaloux un serpent à sonnettes, alors que les nappes de synthé flottent comme des caresses éthérées et dont la tendresse et les arrangements accentuent la profondeur d'une finale que l'on ne souhaite plus. Un très beau morceau qui a trouvé la route de mon Ipod; catégorie pièces de musique de l'année! Moo183ooter exploite aussi les approches purement ambiantes. Comme dans l'introduction très ambiosphérique de "Number 43" où un violoncelle et un piano échangent des parcelles de mélodies qui flânent dans des parois soniques ruisselant de gouttelettes. Si le rythme s'installe peu à peu, il en est tout autrement avec le très sombre mais serein "Transition" et son chœur ectoplasmique. Cette ambiance se retrouve aussi dans l'intro de "Impact of Mind". Un titre à plus ou moins statique avec sa nuée de séquences argentées qui sautillent ardemment tout en raillant d'une tonalité très métallique. Ces ions montent et descendent dans de gros effets soniques qui placent le titre dans une intense enveloppe d'émotivité alors que le tempo, teinté de nuances, tente de percer une approche rythmique qui s'emmitoufle, tout comme la mélodie pianotée, dans de denses nappes de voix brumeuses. La pièce-titre est de la dynamite concassée. Si "Dont Move" faisait preuve de retenue, "Still Alive" est plus du genre à faire éclater un plancher de danse dans un party Rave. Mes oreilles saignent toujours! Sautant d'un genre à un autre sans trop de difficulté, Bernd Scholl maîtrise à merveille les destinées de “Still Alive”. Après la puissante et explosive pièce-titre, qui est remplie d'effets sonores à faire trembler les planchers de danse, "Automode" apaise un peu les ambiances avec un beau down-tempo, quoiqu'assez enlevant, teinté par une sonorité très TD des années Miramar. Le rythme est délicieusement cahoteux et offre à nos oreilles ces percussions dérobées dans la queue d'un crotale ainsi qu'une douce mélodie cosmique sifflotée par un synthé rêveur. Disons que ça fait du bien après le rythme acharné de "Still Alive". Sauf que "Born" remet cela avec un rythme tout autant endiablé. "Tranquility" porte assez bien son nom en offrant une belle structure paisible où les séquences chevauchent comme des riffs dans un désert inondé d'ambiances de Far Ouest où le ciel étouffe de chaleur et les crotales attendent les repas. Et finalement "Adieu!"! Quel beau titre. Jamais la musique de danse n'aura été aussi attirante à mes oreilles. Les percussions sont splendides. Les crotales resplendissent dans un rythme cahoteux imbibé d'une approche cosmique où les séquences finissent par forger une mélodie, mais pas aussi accrocheuse que ces violons qui mouleront un superbe vers d'oreille dans vos tympans. La gradation est savoureuse et les arrangements sont enivrant. Ça pulse, ça bouge et on y sent une tendre mélancolie y flotter. Ça aussi c'est déjà dans mon Ipod! Et je ne sais pas si c'est parce que mes oreilles sont encore imbibées des cendres de "Adieu!", mais j'ai adoré ce dernier album de Moo183ooter où tous les genres se fondent avec une étonnante symbiose pour toutes ces antipodes. Très bon!

Note : 5/6

Page 153/183 John Williams : Jaws Soundtrack

Chronique réalisée par Nicko

Soyons honnêtes, qui d'ente nous n'a jamais frémi lors du visionnage du film "Les dents de la mer" ? Et qui ne reconnaît pas instantanément la BO de ce film dès que retentissent les deux notes graves jouées successivement et de plus en plus fort ? Rarement une musique de film n'aura été autant marquante. On peut à la rigueur citer la scène de la douche dans "Psychose" pour le même effet. Mais pour le coup, la composition de John Williams pour le troisième film de Steven Spielberg (son premier véritable succès) fait mouche ! "Les dents de la mer" ("Jaws" en version originale) a connu un succès retentissant dès sa sortie et le film a même eu des conséquences sur les fréquentations de stations balnéaires aux États-Unis au milieu des années 70 ! Et la musique n'y est pas pour rien. Les compositions retranscrivent totalement l'univers marin, subaquatique, cotonneux, ainsi que les angoisses qu'il peut engendrer notamment ses menaces, représentées ici par le requin, dont l'arrivée, lointaine puis se rapprochant dangereusement, inexorablement, est annoncée à la fois par ce cor inquiétant et ce tuba totalement angoissant, soutenus par des violons et violoncelles stridents. Mettez cette musique à un enfant ayant vu le film et le résultat est saisissant ! Et au-delà même de ce thème principal, le reste de la BO est très réussi. Toutes les étapes du film sont admirablement bien secondées par ces compositions, aussi bien sur terre que dans le bateau lors de la chasse au requin. Comme souvent dans les musiques de film d'horreur, le contraste entre les parties de furie et les parties plus calmes est très important. John Williams a réalisé une prouesse de ce plan-là avec une musique la plupart du temps en retrait, douce, mais qui sait se faire prenante, forte et imposante lors de l'arrivée menaçante du squale. On a ici une BO de film absolument magistrale, qui sait à la fois servir totalement le film et s'écouter parfaitement bien seule. L'effet a été plus que réussit en étant devenu un véritable classique des musiques de film. Rarement on aura réussi à personnifier une menace qu'avec ce thème, devenu universel.

Note : 6/6

Page 154/183 Paris : The Devil Made Me Do It

Chronique réalisée par Raven

Public Enemy dans le corps de Rakim... ou pas loin. Un seul rappeur de San Fransisco, seul aux lyrics, quasiment seul aux prods, absolument seul au micro, pour incarner la panthère noire pendant que d'autres la jouent plus native tongue ou étalage de funk au bling-bling. La pochette est assez explicite : le contenu sera un hybride de rap conscient à la KRS-One mais bien plus tendu du mic, et d'egotrip traditionnel de MC musulman. Revenir à Paris quand on est amateur de rap politique c'est presque l'évidence, et ça permet aussi une voie parallèle par rapport au plus écrasant et encyclopédique groupe de Chuck D et Terminator X, pour aller dans le versant plus solitaire et intime, avec à la place du chaos funk des beats certes bien plus modestes, mais électrisants et atypiques. Paris aurait eu grand besoin du Bomb Squad pour l'appuyer, il n'aura au final que des beats maison. Consolation underground, car les samples sont souvent difformes, funky-âpres, parfois presque abstract avant l'heure. Il y a aussi du smooth plus enveloppant, comme "Ebony", ou la superbe "Mellow Madness" avec son saxophone de film de boules sur lequel Paris développe son egotrip de félin aux pattes glacées. Une odeur de nuit très late 80's, avec un grain magnétique... Et le flow reste tendu tout du long, juvénile mais accroché au micro avec sa colère froide incompressible. Le skit instrumental où une sirène de l'intro de It Takes A Nation mélangée avec un rugissement de gros félin (qu'on entend déjà sur "Panther Power"), est un des grands moments cachés dans cet album faussement minimal. Paris n'a de toute façon pas besoin de s'étaler, comme le prouve la minute de "The Hate That Hade Made" dans laquelle il aligne un constat froid sans autre forme de procès ni refrain. Le titre épo avec son sample reverse-twisté chelou et son ricanement flippé à la cartoon psychopathe n'est qu'une preuve parmi d'autres, comme la reverb du sinistre "This Is a Test", ou "Escape From Babylon" avec ses nappes de synthé insalubres et ses verses adressés à ses frères. Tout est compact. Monotone comme un speech politique, au premier contact... Puis on saisit que le skeud date de 1989 et que le MC n'hésite déjà pas à envoyer chier les rappeurs faisant le taf pour les hit-parades... Akhenaton fera plus fort quelques années plus tard avec "J'ai pas de face", mais c'est dans le même esprit. Sans parler de la muzz-attitude : les deux prennent ça très au sérieux, bien que Paris soit beaucoup plus dans la menace glaciale que dans la finesse poétique. Renvoyer l'amateur juvénile de gangsta rap actuel qui y voit souvent abusivement un "messâge", vers MC Paris, c'est presque comme refourguer du Bakounine à un néo-anar revendiquant sur son sac-à-dos et greffé à sa cannette de 8.6. Y a 86% de chances pour que ça ne serve à rien, mais il faut avoir foi en l'homme. Même si les ambitions de Paris sont aussi naïves que celles de Zack de la Rocha et qu'en dehors de la musique le rap politique est toujours une voie de garage... la colère est crue, dans les deux sens du terme. Paris n'a que des influences attendues pour un rappeur de son secteur : Islam, Black Panther Party, Malcolm X... Mais on est dans les années où les rappeurs sont encore assez peu nombreux, et il est un des rares à les avoir insufflées dans un album aussi compact et solide. Dead Prez ne seront guère plus qu'un accessoire après ça, et It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back et Fear of a Black Planet seront comme deux buildings captant les regards, et gardant dans leur ombre monolithique cette petite pépite. Rappeur austère, seul dans la nuit...

Note : 5/6

Page 155/183 Paris : Sleeping With The Enemy

Chronique réalisée par Raven

Oh, les saligauds ! Un veilleur de nuit noir ! Si c'est pas un coup dans le dos... Hélas le noir dans la nuit n'est pas mort, Rémy, alors planquez tous vos culs de craie, car il a une arme : son micro, à travers lequel passe un flow aussi austère que Malcolm X, jusqu'à nos enceintes, pour finir dans les oreilles, et enfin retranscrit en mots de geek... Des beats plus organiques, évolution plus qu'étrange en cette époque, même si quelques sons ont curieusement moins bien vieilli que sur le premier album, sonnant un peu désuets (le titre à saxophone, "Assasta's Song", est sympathique, si j'ose dire, mais nettement moins trippant que "Mellow Madness"). Si internet n'avait pas existé, il y avait fort peu de chances pour que je découvre Paris. L'intérieur du livret original, avec cette photo du MC posté en tireur assassin derrière un platane à quelques pas de George Bush père, résume assez bien l'état d'esprit de Paris sur cet album. Le petit frère west coast de Public Enemy, le MC de l'ombre, opérant en solo, et qui pour la sortie de ce second n'aura pas eu l'aval de Tommy Boy. Refusé par la major Warner à la suite de pressions des lobbies alors que la campagne présidentielle battait son plein, Sleeping With The Enemy aura un impact beaucoup plus limité que Death Certificate ou The Chronic mais n'a aucun mal à leur taquiner la crosse. Malgré deux-trois incartades ensoleillées, il est encore plus énervé que The Devil Made Me Do It, et armé de sons plus travaillés (le tout jeunôt DJ Shadow opère dans l'ombre avec ses samples façon 'frankenstein d'enregistrements médiatiques' déjà reconnaissable) et de sonorités plus ouvertement west coast, qui, même dans le plus pur style californien ("Think 'bout it", ou la très veloutée "The Days of Old") ne lui font pas vraiment donner dans la légèreté textuelle. "Coffee, Donuts & Death" est à la fois un titre purement funky-cool si on en reste au son, et une pure narration urbaine, belliqueuse au possible. "Make way for a panther" avec son sample nauséeux et son funk écartelé à la Bomb Squad, donne le la : Sleeping With The Enemy est un album tendu, comme le précédent, mais ici Paris rajoute des samples, flowe plus vite, plus à la Ice Cube qu'à la Ice-T même si les deux sont des influences combinées (avec Chuck D et Rakim). "Bush Killa" est l'une des balles qui atteignent leur cible, d'autres seront perdues... Ce sera son attaque sur l'Amérique, moins impressionante qu'un Fear of a Black Planet ou un Death Certificate, mais inspirée par le même venin libérateur de colère. J'avoue avoir un faible pour The Devil Made Me Do It, plus compact, mais ce second album varie davantage les approches pour faire passer la pilule au cyanure, et il serait parfaitement stupide de le zapper... Premier implosif, second explosif. Et expérimental... Comme rajouter une lunette de visée, s'entend.

Note : 4/6

Page 156/183 Widowmaker : Stand By for the Pain

Chronique réalisée par Rastignac

Vous devez bien vous souvenir de Dee Snider, non ? Même les plus jeunes de l'audience hein ? Bon, pour les autres, un petit résumé : Dee Snider fut le chanteur peinturluré d'un des groupes de glam metal le plus outrancier ayant sévi dans ces malheureuses années 80, à savoir Twisted Sister, qui ont quand même bien fait marcher la bombe à laque et pété les scores de ventes de spandex rose et noir - et de disques. Alors évidemment, vous vous dites, mais Dee Snider, c'est pas gutsien. Alors, oui, en effet, c'est quand même bien putassier et plein d'humour les Twisted Sister, mais il fut un (court) temps où le Dee voulut se la jouer torturé après le split de son groupe à millions de dollars, à un moment où les plaintes de Cobain, Vedder et Cornell retentissaient dans les radios à toute blinde avec des grosses guitares derrière. La presse à l'époque n'avait pas forcément accueilli avec beaucoup de bienveillance cette tentative de noircissement du propos de notre blondinet, mais elle est bien là : le gusse garde un registre très hard blues mais plus du tout humoristique au niveau de l'intention, des paroles, des mélodies, on parle ici de douleur, de solitude, on parle de perte de foi dans les forces de l'ordre (bleeeeuarrrghgg!!!), avec des grosses guitares unisson avec la basse, enregistrée bien ronde à la Pantera ou Rollins Band (on est en 1994 les dudes !), avec une grosse batterie texane pour tenir ça comme un gros catcheur, le tout nous donnant un résultat hybride et étrange, comme une espèce de Pearl Jam ultra burné et bourrin - et un peu bourratif, faut le dire. Étrangement, ce disque vient donc se caler dans votre collection de vieilleries ultra rayées, juste à côté d'une des multiples grungeries de l'époque, dans le lecteur multi-CD de votre Golf GTI. Bien englué dans son espace-temps c'est sûr, ce disque rentre-dedans s'écoute aujourd'hui comme une curiosité, pas très finaude mais baignant dans une ambiance grincheuse... en somme, le seul rayon de lune dans la carrière toute orange et paillettes de cet animal heavy metal. Dee Snider reviendra ensuite à ses amours lyriques, à savoir la fiesta, les nanas et le rock and roll dans un groupe cette fois à son nom, tout en faisant de la téloche, notamment dans une série de télé-réalité où la femme de notre peroxydé préféré devait prendre la place de la nana de Flavor Flav (!) et vice versa. On imagine que ce fut un grand moment de n'importe quoi, mais, hein, c'est ça aussi le rock !

Note : 3/6

Page 157/183 Saturnalia Temple : Aion of Drakon

Chronique réalisée par Rastignac

Saturnalia Temple c'est d'abord, pour moi, un art gracieux du crescendo, et de l'envoutement. Attendez la nuit, un moment où vous êtes détendu et ouvert à toute influence externe. Ecoutez l'entame de l'album : on ne fait pas attention comme ça, mais cette mélodie répétée, tous ces échos, et cette voix au bout du bout du moment qui, après avoir introduit son propos de groupe de metal magique invoque en fondu son "Aion of Drakon" en vingt minutes, me ficelle à chaque fois comme un agneau sur le bûcher... de la musique douce pour attendrir la viande ! C'est à peu près à ce moment là que je commence à avoir les paupières qui se baissent doucement... ce n'est pas de l'endormissement, c'est autre chose, une espèce de possession tranquille, de toute façon si ce disque était semblable au cube des enfers de Clive Barker, je ne serais plus là pour vous en parler (ou alors juste dans votre tête, ou derrière vous dans le miroir, furtivement...) (à moins que je ne sois déjà mort, et que je ne m'en rende pas compte) (euh...). L’enchaînement avec les deux prochains morceaux est magnifique, on comprend que le disque se suffit à lui-même, doit s'écouter d'une traite, sinon, non, mais si, mais si ces deux riffs tous bêtes, ils me font pencher la tête, ils ne me font pas headbanguer, nuance... comme une envie de donner mon âme contre rien, faut dire que le triangle avec l’œil de serpent rouge qui flotte à la place de l'ampoule de ma lampe de bureau est persuasif... Vous voyez le topo ? Bon, donc, ce disque est pour vous si vous aimez les effets type écho et le doom et si vous aimez les rituels à base de divinités inconnues : le chanteur est occultiste pour de vrai, il écrit là-dessus, il est aussi membre d'un ordre qui a comme objectif officiel de devenir un dieu... Par contre, ceci n'est pas pour vous si vous avez trop peur de vous-même : je vous le dis, on n'est jamais trop prudent, et on est surtout capable de faire tout ce qu'on veut, n'est-ce pas ? Le pire, comme le meilleur... Saturnalia Temple n'a pas choisi le meilleur, désolé ; Saturnalia Temple ne m'a pas l'air non plus d'être un Grand Menteur comme Anton Lavey ou Boyd Rice, Saturnalia Temple est trop radical pour faire des canulars, trop metal... Le rituel finira donc son enchantement sur moi parce que je le veux bien, définitivement à partir des effets de voix sur la paire Sitra Ahra Ruled Solitary Before the Creation / Fall... il ne reste plus qu'à faire autre chose ensuite, mais avec un bout étranger qui palpite sous la peau... Très peu headbanguant, comme une sorte d'Electric Wizard qui aurait un peu plus potassé son Grand Albert, ce disque de musique psychédélique ne donne pas comme indication un besoin de libérer qui que soit de quoi que soit, mais plutôt de vous enchaîner à elle. Pour ma part, ce drame s'est passé il y a déjà quelques années, et j'en suis même arrivé au point de ne pas vouloir écouter autre chose de ce groupe pour rester dans mes petits clous. [Lucifeeeeeer]. Gnark !

Note : 5/6

Page 158/183 KRS-One : I Got Next

Chronique réalisée par Raven

Que tous les trous de balle qui la ramènent hip-hop aux feux rouges avec leurs sons techno-moisis doublés de flows générés par logiciel foutent ce disque dans la sono de leur bagnole, par pitié ! On peut rêver... N'importe qui a croisé KRS-One en live, ou l'a simplement écouté ou vu sur enregistrement, sait que ce MC est aussi authentique qu'on peut l'être en faisant du rap. Qu'il EST le boom bap, avec un mental d'acier. Il prêche, il réunit, et il élimine tous les miasmes extra-musicaux que peut charrier le hip-hop, dans un mouvement magnétique. Efficace comme un artisan au sommet de sa technique. Même quand il se branle sur son style, c'est comme s'il fabriquait du bon pain. La mie est moelleuse (le flow), la croûte croustille (les prods - post scriptum : on achète pas son pain mal cuit, ça m'a toujours révolté). On traite souvent les rappeurs d'escrocs, mais le plus grand défenseur du hip-hop, le professeur, le gardien, le puriste, a toujours fait le maximum pour rester irréprochable. KRS-One n'a pas d'équivalent en rap : il est le dominateur commun. Le sommet de la chaîne alimentaire, avec un grand sourire d'amour pour tous ses enfants même quand il les sermonne ou leur met une fessée honteuse. Et le début de I Got Next, avec cet extrait de concert explicite mutant sans prévenir en morceau, est une incarnation comme une autre de ce qu'est ce mec, de son feeling hautement communicatif. KRS-One n'a plus depuis longtemps l'originalité du son, qu'importe : il sera KRS-One dans l'écrin très mid-90's. Ambiance urbaine prégnante, rappeur sérieux, qui en rajoute toujours un peu ("I'm the first and last MC"), mais quand on le compare avec ce que propose Rakim au même moment, y a pas photo une seconde : KRS n'a pas flétri en vieillissant. Même si les beats de ce troisième solo sont un peu plus inégaux que ceux des deux précédents (et encore pas si sûr, malgré l'absence de DJ Premier !), l'objectivité est balayée par l'aura et la manière : KRS-One ne lâche pas le mic, même quand il est gluant. Il rappe dru et dégage un charisme de grand frère de cent kilos qu'on écoute, même quand il sourit de toutes ces dents pour nous coller une grande claque dans le dos. I Got Next est un pur concentré de hip-hop organique, les vocalises féminines ici et là ne sont pas du tout r'n'b pour vendre : elles sont angéliques ! La soupe, c'est pas par ici, désolé. Mélange surprenant et pas du tout ridicule, qui donne l'effet d'un religieuse estime portée au flow du MC. Si le hip-hop était un seul morceau, ce serait "H.I.P.H.O.P." C'est pratique. Un titre comme "Step Into a World (Rapture's Delight)" me fait réaliser que ce I Got Next n'a vraiment pas grand chose à envier au Black on Both Sides de Mos Def. Et que je le ressors plus souvent que ce dernier. "Blowe", bordel de boom et putain de bap ! KRS est quand même le seul rappeur qui puisse faire appel à Redman juste pour lui demander de gueuler un mot sur le refrain. Et l'appeler "fiston", sans que ça sonne ridicule... KRS-One, c'est aussi le mec qui arrive à faire un duo avec Puff Daddy sur un final, et sonner classe malgré tout : respectez, bande de médiocres, respectez le MC ! Hahahahahaha! De-de-de-da-de-de-de-da-di-day! Et son rap-rock (alternatif) sur "Just to Prove a Point" a quand même une autre gueule que les multiples daubes que nous proposeront Cypress Hill. Le gros KRS rappe sur la guitare qui a servi pour les vieux Helmet, hein, on parle tout de suite d'autre chose que Limp Bizkit là... 1997 fût l'année boom-bap de l'Ecole du Micro d'Argent et de I Got Next, point. Un album souvent injustement considéré comme le début de son déclin, succès à sa sortie puis tombé dans l'oubli, mais en réalité : excellent. Extrêmement fluide, et sans aucun accroc. Pur boom bap de compète. WHO AM I ? THE M.C.

Page 159/183 Note : 5/6

Page 160/183 Voïvod / At the Gates : We are Connected / Language of the Dead

Chronique réalisée par Rastignac

Comment cet objet a-t-il pu voir le jour ? Par déduction un peu facile, j'imagine que Century Media a demandé à (ahah) At the Gates : "hé, les punks à l'époque, quand ils n'avaient pas une thune, ils sortaient des splits sur cassette ou vinyle, c'était moins cher, mais aujourd'hui ça se vend bien ! Allez, faites un split. Alleeeez ! - Bleuaarrgh, mais on n'a pas de nouveaux morceaux ! - C'est pas grave, on va mettre une chute de sessions d'At War With Reality. - Ah bon. OK, on fait comme ça, mais juste avec Voïvod ! On adore Voïvod !!". Non ? Allez, peut-être que ça s'est passé comme ceci. Alors, au menu, du Voïvod avec un morceau galactique, croustillant, moelleux, psychédélique, entraînant, avec une mélodie en sucre nucléaire, le hit de l'espace, dansant, groovy et mystérieux, tu claques des doigts à califourchon sur ton bolide intergalactique, et on va loin, et on va haut, allez tous avec moi ! LOIN ! HAUT ! De l'autre côté, un morceau donc issu des enregistrements derniers d'At the Gates, morceau que l'on peut retrouver comme bonus sur certaines éditions du dernier album, dont la composition ressemble beaucoup à "At War with Reality", sauf que ce "Language of the Dead" se termine avec de la guitare acoustique choupinette. Pourquoi pas ? J'aurais bien voulu entendre quelque chose de neuf quand même... On a donc d'un côté un morceau megalactix de haute facture, qui annonce du miam pour la suite de la carrière déjà bien riche des Voïvod, et de l'autre quelque chose de pas très surprenant, et que l'on peut déjà écouter ailleurs... Cela fait du 5 d'un côté, du 3 de l'autre, allez, quatre, on va être gentil, c'est Noël.

(Non ? ah bon.).

Note : 4/6

Page 161/183 BOOGIE DOWN PRODUCTIONS : Criminal Minded

Chronique réalisée par Raven

L'obsolescence, quelle plaie. On me taxera si on le souhaite de petit i-con-oclaste, mais cet album mythique issu du Bronx a mal vieilli. Pourtant ce n'est pas ce que je ressens à ce point en écoutant Paid In Full. Ou même le premier Run-DMC... Mais il faut dire, aussi, que KRS-1 n'a rien à voir avec Rakim, qui est dans le contrôle total et glacial de la rime, alors que KRS est un pur enjoué qui donne dans l'onomatopée façon scat et les effets ragga dancehall. Deux marques de fabrique parmi d'autres. Un feeling cool, qui cache des choses moins cool. Pourtant, malgré l'attention avec laquelle j'ai suivi l'évolution du KRS au fil des albums, et le respect qu'il m'inspire, quand je ressors Criminal Minded, j'ai à chaque fois cette même sensation que quand je réécoute certains disques mythiques de funk à moumoute, classés avec des surnotations évidentes et des chroniques qui s'attachent aux textes et au background plus qu'à l'efficacité de la musique (qui devrait toujours être l'essentiel) : une sensation de déception et d'incompréhension. Il faudrait être d'une mauvaise foi assez évidente pour ne pas reconnaître que c'est désuet. Ou fonctionner par pur mimétisme, comme ces listeurs de classics aux arguments et notations robotiques qui pululent sur le net, aussi communicatifs de passion que des comptables. Quand le son ne me soumet ou ne me fascine pas, je laisse l'histoire aux historiens. Le titre et la pochette sont donc sensés être la fondation du style gangsta rap, mais on voit bien aux têtes de KRS et Scott La Rock qu'on est plus dans la provoc' ambivalente : jeu de grand gamin, humour subtil, ou simple esthétique vendeuse du noir menaçant qui a tant servi à remplir les poches de gros entrepreneurs cyniques ? Pourquoi pas les trois, dans le fond. Désuet, même si ce genre de combines ont encore la santé. "Dope Beat" est cool, mais me donne surtout envie de tèj l'album et de réécouter Back in Black. Le sample de riff hard rock pour faire un beat n'a jamais été de mon point de vue l'idée du siècle, surtout si le titre original claque. C'est le risque de sonner timide... Réentendre "9mm Goes Bang" c'est comme revoir un vieil épisode de Magnum : après tout, pourquoi pas ? Il n'y a pas dans Criminal Minded la froideur des deux premiers Eric B. & Rakim ou du premier LL Cool J, il n'y a pas la densité de Public Enemy. Donc je décroche... pour ne me sentir pleinement repu que sur le titre final, incontestable climax, seul titre réellement indispensable de Criminal Minded, et matrice évidente de bien des titres de Esham... et de cent autres rappeurs underground. Mais la poussière s'est bien incrustée dans la wax, à part ça. En même temps c'est pas comme si on avait affaire à une ambulance : Boogie Down Productions, tout le monde ou presque sait que c'est la base, comme Paid In Full justement, ou Yo! Bum Rush the Show. Ou Straight Outta Compton, sorti la même année mais qui fait passer Criminal Minded pour un album de timorés... Ce qui est quand même cool dans cet album, plus que le flow du jeune KRS avec son bagou déjà bien baloo qui s'épanouiera pleinement en solo, c'est ce style de beats qui appuient sur les basses, et ces samples sèchement découpés qui fusent dans la stéréo, l'effet Scott La Rock. Il faut l'écouter fort, comme la plupart des gros albums de hip-hop, et saisir la puissance crétine de "Elementary", ma préférée avec l'épo, un titre dont les scratches jaillissent comme des glapissements d'alien, où les paroles de KRS semblent même s'amuser de mon relatif emmerdement à l'écoute de son album : "Please don't sleep I hope you are awoken"... Ahah, sacré KRS ! Minimal, réverbé, et volontiers funky-bizarroïde, c'est aussi ça Criminal Minded. Expérimental ? Un peu, mon n'veu, malgré sa quasi-obsolescence évidente. "Curieuse musique quand même, ce son syncopé et ce jeune parasite social qui parle par-dessus... comment ça s'appelle déjà ? Du hip-hop ? Ah..." (scène sûrement vécue des centaines de fois au milieu des années 80). Boogie Down Productions, c'est

Page 162/183 Run DMC avec une conscience plus affirmée, un flow plus consistant, des visées nettement moins pop, mais aussi un funk nettement moins cold. Cet album me broute, j'y peux rien : malgré ses qualités évidentes, il est mineur. La street-cred est pliée, mais la subjectivité est sauve. Ah et il paraît qu'il est de bon ton de parler du meurtre de Scott La Rock qui surviendra juste après cet album, aussi... mais aucun rapport avec la musique, du moins pour le moment, car il y aura riposte consciente du côté de KRS-One. Ce sera cet évenement brutal qui déclenchera la maturation de KRS, sa transformation en maître des MC's. Pour l'instant, la jeunesse est bancale et insouciante, elle tente d'émerger des codes établis pour créer les siens. Et Criminal Minded est la photo jaunie et délavée de cette période, encore regardée avec beaucoup trop de fantasme.

Note : 3/6

Page 163/183 BOOGIE DOWN PRODUCTIONS : By All Means Necessary

Chronique réalisée par Raven

Scott La Rock ayant quitté le duo contre son gré après Criminal Minded, je dois avouer qu'il n'y a guère de différence qui saute à l'oreille sur By All Means Necessary... sinon qu'il est incontestablement meilleur ! Le corps de son ex-accolyte à peine froid, KRS-One ré-enclenche la machine BDP, et par tous les moyens nécessaires il va s'ingénier à surpasser, seul aux manettes, tout ce qu'ils ont pu faire auparavant. KRS est devenu adulte en quelques mois à peine, et il a radicalement durci son style. Les mutations aussi rapides sont rarissimes, mais c'est pourtant ce qui est arrivé. KRS-One fait plus ciselé et expérimente des sons différents. Il parle différemment. Rappe avec plus de dureté, de clarté, d'intelligence. Même si, comme Criminal Minded, ce second skeud a pris un coup de vieux, déjà c'est bien moins dépréciatif, ensuite, celui-ci est un grower : il est plus dense qu'il ne le laisse croire aux premières écoutes. Et blindé de scratches et de samples divers. Pas si minimal que ça, le hip-hop de 1988, si vous comparez avec beaucoup de skeuds des années 90. Le côté linéaire cache des greffes malsaines, c'est net. Et on se prend dans le gras des baffles un flow qui a passé l'étape supérieure, et décidé de causer sérieux : KRS est choqué, mais il ne répond ni par le spleen ni par la surenchère de violence. Les rappeurs de cette époque étaient pas des mielleux, ils faisaient pas de la pleurniche sur leur vécu de déclassés : ils étaient juste froidement efficaces. Il n'y a aucune résurrection non plus : KRS débarque quelques mois après l'homicide, gonflé à bloc d'idées compactes et d'ambitions sans précédent pour sa musique. Si son album est solide, c'est aussi grâce à sa voix - et ça c'est pas moi qui le dit, c'est lui. Mais je suis d'accord. La pochette a une dimension supplémentaire qui résume ce changement d'attitude : la dimension politique. Ça, c'est KRS-One qui commence à devenir KRS-One : il aime bien montrer qu'il n'est pas là pour zouker, ou amuser la galerie en faisant du moonwalk. Il va aussi nous montrer qu'il est là pour appeler à la paix, mais ça c'est moins évident vu de l'extérieur... La paix, ça lui travaillera le cervelet pendant des années... Défensive pure, pourtant, et inquiétude vissée au corps. On sait jamais, une balle pourrait facilement fuser d'en bas, ou des côtés, après tout il n'y croyait pas un an plus tôt. Vigileance, conscience. KRS-One, c'est aussi ce MC saoûlant qui pose des intros comme celles de "Stop the Violence"... avant de dégainer des samples flippés et des couplets sans ambigüité. Ses paroles post-homicide sont incontestablement plus dures, plus limpides, mais aussi un appel positif à élever le rap à un autre niveau... En un mot : politiques. KRS est un pur pacifiste, et même un végétarien, ce qui ne l'empêche pas de mordre dans la couenne de l'ennemi avec férocité. "T'Cha - T'Cha" est un de ses morceaux les plus durs et charismatiques : une pure leçon. Criminal Minded avait "Dope Beat", By All Means Necessary a "Ya Slippin'" : on passe d'AC/DC à Deep Purple, mais surtout d'un sample très basiquement Run-DMC à une instru ici nettement plus difforme, dans laquelle KRS s'amuse à défigurer le riff, le triturer et le transformer en miettes ingrates. Le titre aurait pu être direct et catchy, il devient saccadé et fait du sur-place... En ce temps là on ne dissociait pas le hip-hop des charts du hip-hop expérimental : il était les deux en un seul. Un album sérieux comme cancer, l'un des premiers du hip-hop, à des lieues de la déglingue des Beastie Boys. Et pourtant : "Nervous" est un des titres les plus jouissifs des années 80, sans hésitation. KRS-One n'y est quasiment plus dans le flow, mais dans le speech, avec une intonation et un esprit très Ice-T. Le rythme et l'instru mutent sans cesse, désamorçés par ce refrain imparaaaaaaaaaaaaaa-BLE, avant de ré-enclencher le stress du beat... Génial ! Un album pas loin de l'être aussi, qui se bonifie clairement avec les écoutes, bien plus varié qu'il en a l'air au premier contact. Et, comme je

Page 164/183 le disais en entame de cette chronique : incontestablement supérieur à Criminal Minded, brouillon de jeunesse honorable mais obsolète. N'est-il pas évident, rien qu'à l'écoute de ce speech final sinistre - dont chacun d'entre nous doit écouter (ou lire) attentivement les paroles sans appel prononcées par KRS-One - qu'on est face à un album d'un tout autre niveau ? "Whether peace by war, or peace by peace, the reality of peace is scary".

Note : 5/6

Page 165/183 Run-D.M.C. : Run-D.M.C.

Chronique réalisée par Raven

Je perds la boule ? J'y peux rien : ce son me fait la tête au carré. ☐ C'est différent. ☐ <- le carré là. Juste là -> ☐ Tu le vois pas le carré ? Tiens, prends-en trois en + pour la peine : ☐☐☐ "Est-ce que ça a vieilli ?" Je sais pas... est-ce que le carré a vieilli ? Essaie pas de clasher Mondrian, homie. En général ceux qui parlent des vieux Run-DMC nous font tout un cinéma sur l'influence historique et tout le tintouin, je n'éviterai du reste pas totalement cet écueil, mais je me concentre surtout sur le son, dont cette pochette résume assez bien la matière brute (on sera accessoirement libre de relever le signe de la main fait par D.M.C.) Ceux qui risquent de tiquer sur la présence dans nos pages des célèbres noirs à chapeaux de même couleur sont probablement restés sur leur médiocre tube MTV avec les glamouzes éphébophiles hystériques, ou leur promo totalitaire pour la marque à trois bandes. Foin de tout ça ici : on cause musique pure, tas de pixels. Les trois bandes c'est deux MC's plus un DJ, OK? Et elles te transforment en chaussure humaine. En brique tetris d'homme. On va à la source brute pour comprendre l'évolution du moteur à explosion, et je peux t'aider si tu le souhaites : [D] pour Définition, [M] pour Mécanique, [C] pour Contrôle. Do you Me Comprends ? Run, maintenant : le beat est ton bitume. Inutile de parler des albums qui viendront après, pures variations FM de ce primordial et minimal assaut : tout est là. L'electro-funk, qui était cool au sens de sympa, devient le hip-hop, cool au sens de froid. Ecoutez ou réécoutez le premier Run DMC, et, si vous n'êtes pas de mauvaise foi avec le pixel qui gronde en vous, vous admettrez que ce hip-hop ultra-basique et froidement rythmique du premier album purement hip-hop jamais créé (1984 !) est autant à sa place dans nos pages que n'importe quel album de vieille EBM. En tout cas plus qu'un paquet de disques bien chaleureux de jazz ou de funk qui sont passés sans hoquet ! Run-D.M.C. ça n'est pas du tout chaleureux : c'est la machine hybride qui a plongé le funk dans un bain d'azote, l'a figé en micro-bloc. Run-D.M.C. c'était un son FROID, jamais compacté de la sorte avant dans le funk, ni même dans l'electro-funk. Rythmiques solides, reverb de cave en hiver, scratches radicaux, samples de respirateur artificiel, couplets croisés qui sont pure matrice des Beastie Boys... et de tout ce qui suivra. La datation par carbone 14 révèle une date qui tourne plus ou moins autour de Tchernobyl. Grandmaster Flash ? Bambaataa ? Hybrides brouillons. Run DMC = la cold wave du funk. Qu'on se le tienne pour brique. La machine glaciale à beats frigidaires de Jam-Master Jay faisait toute la différence. Les flows des deux MC's, évidemment très rudimentaires avec le recul, n'avaient qu'un intérêt purement secondaire, comme un insert humain dans la machine. L'intérêt venait des beats du DJ Master Jay : descentes de toms et frappes de droïde forgeron, final purement turntablism qui reprend des bouts de l'album, greffés-déformés. Le sampling hard rock ne servira plus à rien après "Rock Box" où la guitare n'est pas samplée d'un tube de chevelus mais jouée live : tout est là. Même si c'est cheap. Une puissance binaire-cheap, voilà, et souvent magnétique, m'en soit témoin le flippé "Wake Up" et son arrière-goût de tube pour abri nucléaire. Le hip-hop en 1984, avec ce son nouveau, était une des musiques les plus expérimentales qu'il soit possible d'entendre sur les ondes. Un genre de disco qui fait pas danser. On est à l'opposé du hard FM ou de la new wave qui n'a alors plus rien à voir avec ce qu'elle désignait à l'origine : ce premier Run DMC, c'est un son de container portable, a.k.a. ghettoblaster, le gros appareil à musique que les déclassés portaient sur leurs épaules comme des bûcherons leur tronc. Un feeling Casio. Ultra-minimal. C'est comme ça, et c'est comme ça. Zéro couleur : le hip-hop en noir et blanc. Binaire. Terminatoresque. "Sarah Connor ?" BEAT ! Hors "Rock Box", Run DMC n'étaient pas pop lors de leur

Page 166/183 entrée sur wax : juste le hip-hop de manufacture vide des années 80, le hip-hop qui pue le vieil ordinateur Atari, la disquette de jeu, le Minitel carré. Le hip-hop nouvelle école, enterrant les résidus retro-futuristes du funk à gonzesses des beaux gosses afros dans le son du Futur devenu Présent. Aussi rudimentairement cold en matière de rap que ce skeud, à part peut-être Radio de LL Cool J, je vois pas... Le jeu vidéo a Tétris, le rap a le premier Run DMC. Et le premier qui vient me dire que Tetris c'est pas sombre et expérimental, je le marave avec une brique !!! (note : ■■■■■☐)

Note : 5/6

Page 167/183 Rakim : The 18th Letter

Chronique réalisée par Raven

Album hautement surrestimé, et amère déception personnelle. On voit souvent Rakim comme un genre d'équivalent des Beatles pour le flow. C'est plus subtil que ça... évidemment historique, monolithiquement objectif, mais surtout : religieux. Je ferais bien une analogie avec le Coran, si j'étais taquin. Rakim c'est le saint bouquin, le reste c'est du hadîth. La botanique primordiale surpasse l'aneth. Tout les egotrips apparus dans le hip-hop après 1987 ne sont que des variations de ses versets. On a le droit d'être athée, évidemment. Tout comme on a le droit de cracher sur les infidèles pervers et traîtres qui ont plus de considération pour ce solo décevant d'un Rakim revenant dans le sillage de Nas et Biggie Smalls en mode mystique, que pour le massif triptyque avec Eric B... Parce que ça existe, hein, des blasphémateurs de cet acabit... Si son flow est ici effectivement une démonstration aussi évidente que le jeu d'acteur de Pacino dans L'Impasse, Rakim a trouvé la sienne : il semble fondu dans la masse du style new-yorkais alors en vogue. Smooth-banal. Comparé aux deux grands Mobb Deep ou n'importe lequel des premiers solos du Wu, ce disque est nain. Mille fois copié, Rakim copie a son tour, et, s'il ne sonnera jamais anonyme, son écrin l'est. Pourtant il y a Premier là-dessus. Mais ses prods ne sont pas les plus mémorables de sa carrière : même s'il est Primo, s'est-il senti intimidé par le MC qu'il devait habiller, comme un tailleur présidentiel tremblant des ciseaux ? Peut-être, vu comment Rakim honore le mic sur "It's been a long time" ou "New York (Ya Out There)"... la prod de la première est bien penaude, celle de la seconde, menaçante-style, vaut surtout pour les samples greffés dessus avec maestria. Pete Rock est le seul a dégoupiller de l'instru de très haut niveau, au nombre de ses apparitions : "The Saga Begins" et "When I'm Flowin'". Qui restent, avec le catchy "Guess who's Back" signé d'un des DJ's attitrés de Biggie, les seuls morceaux pleinement efficaces dans cette pantalonnade. Mais difficile de prendre Pete Rock en défaut, voire impossible dans cette période. Les autres instrus, qui seraient un costume sonore tout à fait convenable pour un MC fraîchement débarqué en 1997, sonnent souvent bien trop génériques pour faire honneur à Rakim. Comme cette pochette très moche où sa tête est retouchée au logiciel photo pour un rendu pathétique (bel artwork en fond, par contre). Ces prods c'est du maquillage sur une idole, de la modernité pour une statue brute. En plus c'est souvent jazzy-mou-FM-générique... Non, ça ne lui va pas des masses, en plus son titre mystique ("The Mystery"), fait grise mine comparé au premier Killah Priest qui sortir un an après. Il est tout de même très rassurant qu'une fatwa parallèle menée par les intégristes du hip-hop 80's, même si peu fournie, se soit chargée de remettre un peu de lucidité au milieu des louanges sans arguments de poids : cet album est écoutable, voire agréable, oui ! Mais il est comme non-avenu. Et pourtant, malgré tous ces défauts, Rakim parvient à incarner 90% de l'intérêt de cet album, m'obligeant à une note centriste. Grâce à quoi ? Euh... au flow ? Moui ce doit être ça. Le maître du mic revient dans le club pour rappeler qui est le papa, et chopper de la chagasse en mode prêche au passage. Et on ne pourrait nier qu'il en impose, même sur ce pur aimant à biatches aussi facile que surchargé de basses qu'est "Stay a While". Mais est-ce utile de le préciser ? Rakimou akbar !

Note : 3/6

Page 168/183 The Roots : Do You Want More?!!!??!

Chronique réalisée par Raven

Si vous êtes de ceux qui considèrent le son avant l'ambiance, commencez par ce Roots, la version Haute Définition du jazz rap. Vous en voulez encore?!!!??! Aucun problème : les philadelphiens vous rajoutent une bonne louche de leur hip-hop aristocrate, 100% biologique. Ce son qui chaloupe, taboule de moelleux, cette vibe positive, créative avec les moyens du bord, organique, yin... Du hip-hop tricoté à fleur de baffle avec l'amour d'une aïeule attentionnée. Bip bop ch'pop! Cliquetis cliquetis basse... Cette pochette, également, oui ! Qui résisterait à ce bleu profond digne de Speak No Evil ? J'ai d'ailleurs acheté ces deux albums uniquement parce que leurs pochettes m'aguichaient, pure thalassothérapie visuelle n'est-ce pas ? The Roots, nous l'aurons compris derrière nos lunettes en écaille de croco, ne sont sur Guts of Darkness que parce que leur approche du rap est fondamentalement expé et originale. Et sur cet album classieux, elle s'épanouit comme un jardin de sons sans lissage de studio comme ça sera souvent le cas dans les suivants. Ultra-naturel. Même si dans un genre proche Freestyle Fellowship me semblent plus jouissifs, The Roots avaient sur Do You Want More une profondeur et une précision incroyable. Leur présence y est telle qu'elle efface souvent les enceintes entre eux et nous. Si vous ne vous maintenez pas proche de la hi-fi, The Roots vont vous glisser dessus. Il faut saisir leur grain, leur point de croix subtil, qui ne charme l'oreille que dans un secteur restreint. Chambre, salon... Il y a également sur ce second album pas mal de ce que je désigne comme leurs tics quand ils sont au pinacle de leur jazzitude jazzeuse : cette façon à la fois géniale et irritante d'utiliser les voix comme éléments rythmiques, ces intonations volontiers joviales-décérébrées pas toujours heureuses. Finesse et doigté absolus avec la pointe débiloïde et une singularité manifeste, qui en font en quelque sorte les Fugazi du hip-hop (puisque je ne suis jamais à court d'équivalences tape-à-l'oeil). Certaines instrus sont de pures pépites, telle "Lazy Afternoon" et sa multitude de petites sonorités insectes, à la microcosmos hip-hop. Ou "? vs. Rahzel", pur boeuf rythmique, qui, passé à volume noble, vous donnera la sensation exquise, en fermant les yeux, d'être au milieu du groupe. Une sensation typique des Roots, seul groupe de rap capable de créer cet effet "on joue dans ton salon, bouge pas de ton canapé". Une mystique palpable sur un titre aérien et relaxant comme "Silent Treatment". Toute la délicatesse des Roots est là : leurs variations sont innombrables, leurs vibrations relief de parchemin, leur son tissu végétal, leur bienveillance naturelle épousant un son de crépuscule panoramique. "What Goes On Pt. 7" est l'un des boom baps les plus finement ciselés qu'il soit possible de créer. Si une telle idée saugrenue que de créer un rap pour jazzmen audiophiles devait alors germer, ces types l'ont eue. "The Lesson Pt.1" en est effectivement bien une, dans le domaine du boom bap 100% créé avec le corps humain : beatbox sans positillon superflu, flow efficacement hardcore de Black Thought et Dice Raw, hululements en arrière-plan : impeccable. Excellentissime, d'un strict point de vue instrumental. Plus d'une fois magique, même. Pourtant cet album, aussi subtil, raffiné et organique soit-il, m'a toujours un peu irrité, vocalement parlant, la faute à certains refrains ou intonations des MC's, surtout quand ils virent dans des effets rhythm'n'blues ou scat, ces passages sont un peu leurs fèces... Et puis est-ce que je suis plus ?uestlove que Black Thought, dans le fond ?... toujours pas sûr... Il n'empêche qu'un morceau comme "Datskat" m'agace proprement (mais "Proceed" n'est pas loin). Heureusement l'album, passés ces premiers titres pas toujours amènes, s'ouvre lentement, comme un bon malt. Pas leur meilleur, contrairement à ce que vous pourrez lire ici et là, mais assurément l'un des plus beaux instrumentalement parlant, et sans nul doute le plus organique. Les

Page 169/183 jeunes Racines me font un effet bien plus jazz que hip-hop, c'est ainsi - et ça ne s'explique guère plus que ma relative circonspection devant une jolie boîte de speculoos et un thé darjeeling préparé avec amour... Et pourtant, mh, *croque shronk*, ça se déguste, *fff-slrp* c'est même bigrement bon - mmmh... Subtilement charmeur...

Note : 4/6

Page 170/183 KILL THE VULTURES : Kill The Vultures

Chronique réalisée par Raven

Tue les Vautours avec un son de charogne jazz rap empoisonnée. Le prélude au cauchemar moite et sexuel de fumées opiacées et chop suey que sera The Careless Flame est déjà une foutue fanfare flinguée à flow fugueur, collant au cortex, un album de prime abord profondément antipathique, qui devient obsessionnel par contact répété. Car autant vous le dire : depuis ma découverte de Kill the Vultures imposée en 2007 par la plume phallique du collègue Saïmone, j'en ai bavé, avant d'aimer ce disque, et ce malgré sa durée ridicule pour un album de hip-hop. Il a pris la poussière comme un Tom Waits excessif. La faute aux deux-trois premiers titres, qui sont rigoureusement laids et insupportables autant qu'authentiquement déglingos : j'ai par exemple dû m'y reprendre à plusieurs fois pour passer ce refrain du titre épo qui me fait penser au plus gros tube des Troggs. Horrible. Pourtant, la suite, plus nuancée, nous démoule un KTV tel qu'il sera sur les deux suivants : créature organique, ronflante, unique. Et un rappeur qui n'a rien à voir avec les petits blancs malingres de chez Anticon, non : Crescent Moon est un vrai MC, école Freestyle Fellowship / Mos Def ou KRS-One, en plus âpre, genre halluciné. Un MC avec le rythme dans le gosier, qui fusionne avec cette cocotante défecation jazz. L'évidence s'impose plus dans ses interprétations en concert que sur album, mais ce gusse a un feu en lui. Il gave autant qu'il agave, son flow too much brut de fût à la soul rugueuse épouse la matière hautement boisée-cuivrée du difforme bousin. Hip-hop organique tendance havane, crari purin de la tête au pied. A chaque fois que j'écoute Kill The Vultures je ne peux pas croire que tout ça ce sont des samples... Ce ne sont que des samples, mais l'odeur de la console est impossible à capter, tout effet logiciel est étouffé. Car le premier Kill The Vultures est étouffant, malgré ces quelques pauses ambiance film noir très sofa-bloody-mary. Comme des Roots en plus organique et surtout en plus crade, sans vrai instrument qui joue pour de vrai. Et aussi pesant que Dälek, sans apocalypse en seize-neuvième ni chaos industriel. Juste dans un salon moite saturé de volutes. Un son comme une peau de loutre rêche et collante. Ne serait-ce que pour l'énorme "Beasts of Burden", ce sera cinq sur six

(pas de chiffres mais des lettres, ça fait plus organique).

Note : 5/6

Page 171/183 Chino XL :

Chronique réalisée par Raven

"I spread new rap styles like prostitutes spread chlamydia [...] The term Chino goes synonymous with corpses flipped / but never celebrated, like Hanukkah in Auschwitz" (#3 "No Complex"). Son blase est craignos, mais le portoricain Chino XL, qui est souvent décrit comme un proto-Eminem de l'underground, est descriptible comme tel sans exagération, en tout cas bien plus qu'Esham. L'avant-garde du flow de Slim Shady ou un pur hasard ? Je pense que ça tient surtout aux timbres assez similaires des deux intéressés en réalité, car Chino est beaucoup moins pop, et sa personnalité moins extravaguante (et droguée) est plus axée egotrip pur. Mais de l'egotrip de salaud, attention. Son flow est, comme celui du blondin, le signe de longues années de battles, d'entraînement maniaque et d'hectolitres de sueur versés sur le mic. Un peu comme les golgoths sur pattes de coq qui font du street-workout et se suspendent aux réverbères à l'horizontale à la seule force de leur bras, ce genre de résultat quasiment inhumain me divertit plus qu'il ne me fascine, mais tout de même : Chino XL exhale une technique et un charisme assez extraordinaires dans le rap pour figurer dans la sélection haute de Guts of Darkness. Si vous êtes intrigués par ce que pourrait donner un hybride dont l'ADN se situe entre Kool Keith, Ras Kass et Eminem, ce premier album sombre et torturé du MC latino halluciné me semble un mets de choix incontestable. D'ailleurs deux de ces trois références de poids sont logiquement en featuring, et un titre est produit par Kut Masta Kurt ("Deliver", excellent), ce qui me confirme que je ne divaguais pas quand mes premières sensations m'ont direct renvoyé au tarin l'odeur paranormale de Soul on Ice, ou du Big Time d'Ultra. Les instrus sont assez cheesy - underground, plutôt - mais souvent très magnétiques ("It's All Bad", tuerie, ou le beat évolutif chelou de "Ghetto Vampire"), des rythmiques organiques souterraines et des samples hypnotico-téné183reux, un peu ce que Eminem aurait dû avoir sous son flow à la place du boom bap jazzy générique quand il a démarré sur la démo officieuse Infinite. Chino XL déroule son rap de mercure à l'état liquide sans aucun entracte : un charisme rare dans le rap à voix claire, des rimes à la fluidité métaphysique qui se lovent à la perfection dans les beats dark-étranges de B-Wiz. Here To Save You All (ce titre, tout de même...) a vraiment toute sa place sur fond sombre et orange, et sa pochette acupunctrice-SF à la Hellraiser reflète très bien le contenu et le feeling du Chino. Comme pour le premier Big L, j'aurais presque quelques scrupules à ne pas faire claquer la note maximale, mais je décroche toujours un peu sur la longueur, et on est plus sur l'excellence homogène que devant un coup de maître intégral. On mettra aussi ça sur le compte de mes passions ambivalentes pour les records sportifs des insulaires, ou pour le rhum d'appelation ron.

Note : 5/6

Page 172/183 Sensational meets Kouhei : Sensational meets Kouhei

Chronique réalisée par Raven

Un rappeur-autiste + un artiste electro/noise japonais en lieu et place de beatmaker. Je prends. Voici peut-être, pour l'anecdote, et présence d'Autechre à l'appui, le premier disque de hip-hop que mon collègue Wotzenknecht aurait dû chroniquer. Mais comme ce finlandais sans finnois préfère se griller les arbouses dans les saunas avec des valkyrires ingénues, je m'y colle. Sauf que - c'est pratique - ce skeud m'a déjà collé à lui. Nattō-style. Wakarimasu ka ? Kouhei, proche de Merzbow, m'était inconnu avant que j'achète ce disque, contrairement à l'inénarrable Sensational - a.k.a. "MC-Je-rappe-depuis-un-coin-de-mur-de-mes-chiottes-et-je-suis-mon-seul-public" - mais je me suis fié à sa nipponitude, autant qu'au conseil avisé du lascar qui m'a fait découvrir Octavius. Malgré tous les artistes escrocs-prolifiques charriant des hectotonnes de déchets dans leur sillage, le japonais a cette fiabilité technique, supérieure à presque toute autre culture. Ma moto et ma chaîne hi-fi m'en soient témoins. Clichés ? La grande majorité des clichés ont une base solide dans le réel, ce qui est aussi un cliché, mais la majorité des... Voilà, vous avez compris. Et Sensational Meets Kouhei s'imprime dans le réel, façon feng shui de loft brisé en morceaux de cristal, de métal et de plastique. Et Kouhei a ben travaillé : ses dossiers glitch ont été rangés avec attention. Pas de karō-jisatsu à la clé: aucune saturation traître, juste le contrôle audio chirurgical et la tempérance vicieuse. Ecouté à volume ceinture noire, son album avec Sensational fait l'effet des bons disques de noise : les sons sont physiques, miettes et insectes stéréophoniques, brèves mais tranchantes hallucinations acidulées. Kouhei n'opte à aucun moment pour l'attaque brutale, préférant la finesse de l'aiguillon et du scalpel. Un truc de jap', ça aussi. Pensez à Audition de Miike. Ce qui ne l'empêche pas de poser des trames plus electro, rythmiquement accrocheuses. Des beats rectilignes et quelques nodules de samples, ce sera tout pour le côté purement hip-hop des instrus. Du point de vue d'un amateur de noise pure, je me demande tout de même comment ça doit sonner, et si le rappeur n'est pas parasite... De mon point de vue quasi-profane, le mélange me paraît fonctionner aussi bien qu'avec l'album en recommandation ci-dessous : car Sensational est tout sauf un rappeur chaleureux et tout public. Il est même plus expérimental que Kouhei, à sa manière. Le flow, me demanderez-vous donc... 主題からずれて. Sensational est égal à lui même : MC juste un peu plus abordable musicalement que Wesley Willis, autiste absolu, Kool Keith SDF, il magnétise par indigence, capte par asthmatisme. Ecoutez "The Purple People for Future Earth" ou "What It Be?"... Qu'est-ce que ce mec a dans la tête ? Je ne veux pas le savoir, et vous non plus. Son costume soft-noise-electro lui va comme un masque anti-pollution à Fukushima. Conseil de mélomane pour finir : mettez-vous devant des clips de hip-hop FM lambda bien bling-bling, coupez le son, et écoutez cet album devant. Effet gutsien garanti. C'est là qu'on réalise le gouffre artistique dans lequel se situe Sensational... Seul, absolument seul. Même avec un japonais.

Note : 5/6

Page 173/183 Death Grips : Exmilitary

Chronique réalisée par Raven

Je dois l'avouer, je n'ai jamais compris où voulait vraiment en venir la manie du haro sur le hipster, d'autant plus quand on est soi-même porté sur les écoutes multiples et névrotiques de sorties récentes... Le bashing du hipster serait donc aussi hipster que le hipster lui-même??? "Paradoxe", comme dirait le Gordon qui lévite dans Inception. In fine, on devrait s'en foutre comme de savoir qu'il existe des gens qui votent EELV, mais je crois que le jour où j'ai découvert Death Grips via cette mixtape (officieusement présentée comme leur premier album), après moult conseils glanés ici et là, j'ai compris à quoi ce terme se référait. J'ai compris, comme ce jour où j'ai été obligé de quitter une soirée où s'étaient imposés des fans de Buckethead et de John Zorn, du temps où je rôdais encore dans des repères estudiantins hautement saturés de ce genre de bestioles. Anecdote d'autant plus croustillante qu'à cette même époque j'avais sans le vouloir collé du Hella aux mêmes en leur passant une des radios mp3 de notre inénarrable Progmonster, et qu'un des coreligionnaires, batteur, avait bien sûr jeté son dévolu sur le poulpe des fûts ... dont on aurait davantage dû ressentir la patte sur ce skeud, m'est avis. En découvrant Death Grips sur disque - et non en concert comme il semblerait que ça se fasse pour aimer - j'ai regretté intensément cette période où Anticon et Def Jux étaient les labels les plus en vue pour l'amateur de hip-hop expérimental, des labels dont les albums ne tablaient pas uniquement sur un mix saturé pour impressionner les geeks, des albums qui ne faisaient pas parler le chroniqueur comme un producteur. Death Grips, comment dire... c'est des fous. Leur intro est un speech de Charles Manson. Ils sont de Sacramento comme Brotha Lynch Hung, mais ils veulent sonner beaucoup plus freak, les gars, attention. Des fous furieux, punks et noisy et syncopés, un truc de dingue ! C'est déjanté, c'est abrupt, c'est glacialement logiciel, c'est éthylique, mix de hip-hop et d'effets techno/glitch/rock saturés qu'on entend pas habituellement dans le hip-hop (quand on cherche pas), avec des spits pleins d'écho dignes d'Alan Vega. Mais... c'est aussi vain et vilain que du Lars Von Trier en roue libre. Ou du cloud rap générique. Cool sur deux-trois minutes, chiant sur dix. Dans le genre disque de rap indé dédié à la partie purement vendeuse de Noise Magazine, et ce genre de gadgets ne durent qu'un temps. Facile avec le recul, je sais... Pourtant beaucoup l'ont senti comme ça dès la sortie, et n'auraient pas troqué un seul titre de Dälek contre tout Ex-Military. A part "Klink" et le tube "I want it I need it" (et à la rigueur "5D", car une minute de vaut mieux que trois quarts d'heure de Death Grips), je ne retiens rien qui aie un quelconque poids ici. C'est timide : on sent que les gars ne poussent pas l'effet au maximum, ou plutôt qu'ils poussent au max dans leur carcan récréatif, leur gabarit créatif étant similaire à celui de Kanye West : gnomesque... Pour l'originalité c'est objectivement valide, j'imagine, mais subjectivement, ça fascine autant que du Merzbow générique. Chacun prendra ça pour du snobisme si ça lui chante, hein, mais tympan qui ne bande pas a toute sa conscience. Messieurs, vous n'êtes pas trippants, vous n'êtes pas cools, vous n'êtes certainement pas hypnotiques, vous êtes aussi crades et empruntés qu'un banal groupe de hardcore punk formé par des étudiants en arts graphiques, votre musique n'a aucune profondeur, aucune longueur en oreille, aucune empreinte mentale, et vous n'avez strictement rien à raconter... Alors vous nous sortez cette mixtape pour quoi ? Et est-ce que ça valait vraiment la peine de l'enregistrer, ce petit délire éthylique entre potes ? On vous a déjà parlé du mouton mystique qui boit du thé électrique, mmmh ?... Rhabillez-vous et rangez vos bières, bande d'onanistes safe-sex dégénérés. Et allez vous raser, vous n'êtes pas

Page 174/183 dignes du poil.

Note : 2/6

Page 175/183 Death Grips : The Money Store

Chronique réalisée par Raven

Death Grips, le groupe idéal pour révéler les étudiants en marketing qui s'ignorent. 2012 : année de l'élection de Hollande, wack-MC le plus incontestable de l'Elysée. Et année où Death Grips en ont profité pour franchir une étape supplémentaire sur ce premier (vrai) album, logiquement plus travaillé qu'Ex-Military. "Get Got" et "Hacker" bien EBM-rave avec son armature cool (plus à la "Testarossa remix" de Kavinsky qu'à la The Hacker ceci dit) sont deux titres très sympas, comme "No Love" pour le suivant quoi, me poussant presque à passer d'une note négative à une moyenne qui serait bien trop coupablement généreuse... La preuve, soi dit en passant, que si on se fiait à la sacro-sainte objectivité des pujadas du webzinat, c'est album objectivement parfait dans nos archives sombres et expérimentales se prendrait 5 sur 6, alors que son potentiel de réécoute parle autant de lui-même qu'un essai d'Eve Angeli. Le son est puissant - enfin... puissant de la même façon que l'est la série Spartacus, avec ses effets gores ralentis informatiques et ses gonzesses qui se font baiser par des gladiateurs ensanglantés de CGI. Et puis certains samples et certains effets aussi dangereux que du Gesaffelstein ont de la gueule, oui. Cela passerait presque pour un délire cyberpunk de qualité par moments... Enfin ça, c'est avant qu'on grille qu'on est dans un logiciel dédié, ce qui prend pas longtemps. Je me sens aussi galvanisé par cet album que devant une télé diffusant la dernière pole-dance sous stroboscopes des Ch'tis à Ibiza, ou dans un studio avec des jeunes zicos tout excités de leurs trouvailles devant leurs trois écrans pro-tools. Ô tempura, ô morilles, comme dirait mon pépé goth. Disque qui te fait sentir vieux con à même pas trente ans, voilà. Faut dire que moi, quand je veux une musique freaky qui tabasse, je veux juste que ça tabasse. J'ai pas besoin d'avoir cette impression désagréable que les musiciens me tapotent sans arrêt sur l'épaule en me hurlant dans l'oreille "PUTAIN ÇA TABASSE HEIN ? HEIN ? TROP FORT HEIN ?!!!". Autant directement écouter de l'egotrip! J'm'en bats les reins que tu sois un ouf malade sûrement fan de boulards gonzos et de teen facefucking : tu tables juste sur ton hypothétique effet lobotomisant pour exister dans un casque audio, "MC", t'es le Eugene Robinson des youtubers, aussi magnétique qu'un pierre-antoine garni de coke aux Bains Douches ; alors te la joue pas badass, et pense à la femme de ménage sous-payée qui nettoie tes gros postillons de kébab sur l'anti-pop. La coke c'est fait pour les Tony Montana - mais comme beaucoup faut que t'en prenne juste pour faire ton intéressant... Alors tu fais des moulinets dans l'air, vas-y amuse-toi. T'es le mec le plus ouf de la soirée, comment les filles te regardent toutes rolalah... roooh, t'as bu toute la vodka-redbull de la bouteille putain, t'es juste un malade tu le sais ça ??? Oui : Mac Ride prouve toujours que l'effet David Yow dans le hip-hop, c'est très loin d'être à la portée du premier venu... En tout cas moi ça m'invite nettement plus à réécouter du ODB ou un "Tricky Kid" des familles (le but est pas le même ? je m'en bats la rate, homie), voire si j'ai rien d'autre à portée un des amas testuo-esques d'El-P... ou juste du crunk bien putassier et sans aucun foutu esprit pseudo-punk derrière. Plutôt qu'à m'extasier comme une lycéenne hymenifère devant la dernière coque à smartphone ornée d'une tête de mort... Mais bon, si ça passe pour plus que ce que c'est, je voudrais surtout pas en dégoûter quiconque hein, même si à mon avis les suiveurs sont certainement passés à autre chose depuis un moment. Casser du sucre sur le dos d'une capture instagram n'a rien de glorieux, j'en conviens, mais on archive pas à la légère ici. Peace.

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Page 177/183 Dälek : Deadverse Massive Vol. 1 : Dälek Rarities 1999-2006

Chronique réalisée par Raven

Les barbus qui rêvent de baleines de chez Hydrahead ont eu le nez creux en sortant cette compilation de titres introuvables sur album. Faut dire que Dälek, c'est un mégaptère du hip-hop. Même si je le vois plus comme épaulard que jubarte. Pensez donc : aucun groupe de hip-hop actuel ne peut espérer atteindre ce gabarit et cette dentition prédatrice. Dälek a pris la place que Mobb Deep ont laissée vacante après Hell on Earth. Et puisqu'elle n'intéressait plus les rappeurs de la surface, c'est des abysses qu'a surgi le neo imperator. Cette compilation, inutile à ceux qui ont déjà grapillé les inédits en question ici et là, est un condensé du style Oktopus. Quasiment pas de voix, la plupart des titres sont des instrumentaux. Les seuls titres parlés sont du niveau de From Fithy Tongue ou Absence, donc massifs. Un gros son granuleux pour un gros Dälek pataud dictant la fin des temps. Quasiment pas de scratches de Still de mémoire (hélas). Des miasmes jetables, aussi, presque logiquement, mais assez peu : "Angst" d'abord, instrumental sympathique (justement) et un peu générique pour du Oktopus, et le remix fadasse d'Enon, et un ou deux autres passages qui sentent la chute de studio passable. Ce qui coûte deux boules. Pour mettre en valeur les quatre survivantes tout de même : le Deadverse remix de "Megaton" en introduction est juste un des titres les plus lourds qu'aie jamais sorti Dälek, avec la pointe d'angoisse mélancolique palpable qui affleure à la surface. Beauté vénéneuse. La première partie du morceau, somme toute presque classique (pour un amateur de hip-hop alternatif), se déploie petit à petit et se compacte dans un gros beat de batterie digne d'un Rage Against The Machine, puis se résorbe enfin pour laisser coi. Coït pur avec les baffles. Le reste de cette compilation est un fourre-tout aux saveurs entremêlées d'années 90 et 2000 : pas mal d'ambient, du grain shoegaze, des pics d'adrénaline, et du trip-hop cicatriciel digne du Tricky des grandes nuits (le remix de Velma par Oktopus)... et toujours cette odeur de mort latente qui serre comme un étau. Je ressors toujours de cette compilation avec des souvenirs très flous, mais surtout l'envie de réécouter Abandoned Language.

Note : 4/6

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Page 179/183 Table des matières

Les chroniques ...... 3

Thunder Way : The Order Executors ...... 4

Geto Boys : Till Death Do Us Part...... 6

Geto Boys : We Can't Be Stopped ...... 7

Kool G Rap & DJ Polo : Road To The Riches...... 8

Kool G Rap & DJ Polo : Wanted Dead Or Alive...... 10

Kool G Rap & DJ Polo : Live And Let Die ...... 11

Kool G Rap : 4,5,6...... 13

Goodie Mob : Soul Food...... 14

Vas Deferens Organization : Drug Bubbles...... 15

Shit And Giggles : Trick Or Treat...... 16

Ariel Pink's Haunted Graffiti : Before Today ...... 17

Stolearm : Glasslight Schwarzfaçade...... 19

OutKast : Southernplayalisticadillacmuzik...... 21

OutKast : ATLiens ...... 22

Besieged : Victims Beyond All Help ...... 23

Batterie:Acid : Complete Works 1993-1996...... 24

Otzir Godot : In-...... 25

Ars Nova : Biogenesis Project...... 26

Benümb : Withering Strands of Hope ...... 28

France Sauvage : Couper Les Tchou Tchou ...... 29

Benümb / Pig Destroyer : Benümb / Pig Destroyer ...... 31

KRISIUN : AssassiNation...... 32

Alio Die & Lorenzo Montanà : Holographic Codex...... 33

Thought Guild : Third Voyage...... 35

Gert Blokzijl : Interaction...... 37

Klaus Hoffmann-Hoock & Bernhard Wostheinrich : Conundrum ...... 39

Blahzay Blahzay : Blah Blah Blah...... 41

The Notorious B.I.G. : Ready To Die ...... 42

Esham : Suspended Animation...... 44

Accept : Objection overruled ...... 45

OFERMOD : Serpents dance ...... 46

Der Weg Einer Freiheit : Unstille...... 47

Page 180/183 COMPILATIONS - LABELS : Crusade from the North...... 48

Ballistic Kisses : Total Access ...... 49

Vermapyre / Vehrmöedr : Vermapyre / Vehrmöedr ...... 50

The Godfathers (Kool G Rap x Necro) : Once Upon A Crime...... 51

The Shallow Graves : Smoke screen for your broken dream...... 52

France Sauvage : Live Series Vol. 6 ...... 53

France Sauvage : On S'Regarde, On S'Écoute ...... 55

Virgin in Veil : Virgin in Veil...... 56

RUSH : 2112 ...... 57

SIDA : SIDA (K7)...... 59

SOLITUDE AETURNUS : Alone ...... 61

Haiku D'Etat : Haiku D'Etat ...... 62

ACEYALONE : A Book of Human Language...... 63

LOWBROW : Sex. Violence. Death...... 64

Double X : Ruff, Rugged & Raw...... 66

Władysław Komendarek : Deformator ...... 67

Forrest Fang : Letters to the Farthest Star ...... 69

Faber : Stories...... 71

Sayer : Sounds of Atoms...... 73

Givens & Padilla : Life Flows Water ...... 75

Ultra (Kool Keith & Tim Dog) : Big Time ...... 77

Tim Dog : Penicillin On Wax...... 78

Jeremiah Cymerman : Pale Horse ...... 79

Esham : Tongues ...... 80

Tech N9ne : Anghellic ...... 81

MEGADETH : Countdown to extinction - live ...... 82

Army Of The Pharaohs : Ritual Of Battle...... 83

Esham : Maggot Brain Theory ...... 84

Dr. Octagon : Dr. Octagonecologyst...... 85

Dr. Dooom : First Come, First Served ...... 87

Esham : Boomin Words From Hell...... 89

Esham : Judgment Day (Vol. 1 - Day) ...... 90

Esham : Judgment Day (Vol. 2 - Night)...... 91

Dance Naked : Point of Change ...... 92

RUSH : Fly by Night...... 93

Page 181/183 Ka : The Night's Gambit...... 95

Hassaan Mackey & Apollo Brown : Daily Bread ...... 96

Kool Keith : Spankmaster ...... 97

Kool Keith : Black Elvis/Lost In Space ...... 98

Geometric Vision : Virtual analog tears...... 100

Kool Keith : Sex Style...... 101

Swollen Members : Bad Dreams...... 102

Saints Of Ruin : Elevatis Velum ...... 103

Danger Doom : The Mouse and The Mask ...... 104

Fun Boy Three : Waiting...... 106

CHROMATICS : Running from the Sun...... 107

Warcloud : Nightmares That Surface From Shallow Sleep ...... 108

The Holocaust : Blue Sky Black Death Presents : The Holocaust...... 109

Hecq : Mare Nostrum...... 111

Orations : Orations ...... 112

Thomas Ankersmit : Live in Utrecht...... 113

Jus Allah : All Fates Have Changed...... 114

SAGE FRANCIS : Li(f)e ...... 115

Primitive Man : Home Is Where The Hatred Is ...... 116

Sarah Davachi : Barons Court...... 117

Weekend Nachos : WN ...... 118

Corrupted : Loss ...... 119

EL-P : Cancer 4 Cure ...... 120

La Caution : Asphalte Hurlante...... 121

La Caution : Asphalte Hurlante Ultime Edition...... 122

La Caution : Peines de Maures / Arc-en-Ciel pour Daltoniens...... 123

Killah Priest : Heavy Mental...... 125

Killah Priest : Priesthood...... 127

Killah Priest : The Offering...... 128

Killah Priest : Behind The Stained Glass ...... 129

Hell Razah : Renaissance Child ...... 130

Thomas Ankersmit : Figueroa Terrace...... 131

Becuzzi/Lyke Wake/Noisedelik/Sshe Retina Stimulants/ Uncodified : A poisonous black & white iridescence across 132dangerously amorphous urban landscapes

Benümb : Soul of the Martyr...... 133

Benümb : By Means of Upheaval ...... 134

Page 182/183 Faith No More : Songs to make love to...... 135

Septic Tank : The Slaughter ...... 136

L'Effondras (☉) : L'Effondras ...... 137

Rendez-Vous : Rendez-Vous EP...... 138

AT THE GATES : With Fear I Kiss the Burning Darkness ...... 139

Zoroaster : Zoroaster ...... 140

Grief : Torso ...... 141

Grief : ...And Man Will Become the Hunted ...... 142

Matthew Stringer : The Second Sun...... 143

Xan Alexander : Elektro-Technology ...... 145

Accept : Death Row ...... 147

Frore & Shane Morris : Blood Moon ...... 148

Sequentia Legenda : Blue Dream...... 150

MOONBOOTER : Still Alive ...... 152

John Williams : Jaws Soundtrack...... 154

Paris : The Devil Made Me Do It...... 155

Paris : Sleeping With The Enemy ...... 156

Widowmaker : Stand By for the Pain...... 157

Saturnalia Temple : Aion of Drakon ...... 158

KRS-One : I Got Next...... 159

Voïvod / At the Gates : We are Connected / Language of the Dead...... 161

BOOGIE DOWN PRODUCTIONS : Criminal Minded...... 162

BOOGIE DOWN PRODUCTIONS : By All Means Necessary ...... 164

Run-D.M.C. : Run-D.M.C...... 166

Rakim : The 18th Letter ...... 168

The Roots : Do You Want More?!!!??!...... 169

KILL THE VULTURES : Kill The Vultures...... 171

Chino XL : Here To Save You All...... 172

Sensational meets Kouhei : Sensational meets Kouhei...... 173

Death Grips : Exmilitary ...... 174

Death Grips : The Money Store ...... 176

Dälek : Deadverse Massive Vol. 1 : Dälek Rarities 1999-2006...... 178

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