Écossais #Élections #Brexit #Nationalisme
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EUROPE DÉMOCRATIQUE ET CITOYENNE LES RESSORTS DE L’INDÉPENDANTISME DÉCRYPTAGE 19 MAI 2021 #ÉCOSSE ÉCOSSAIS #ÉLECTIONS #BREXIT #NATIONALISME © Adobe Stock ▪ AZILIZ GOUEZ INTRODUCTION ▪ Chercheuse associée, identité européenne et symbolisme Le 6 mai 2021, les indépendantistes du SNP la demande adressée aux électeurs en préambule politique, Institut Jacques 1 Delors, Paris. [Scottish National Party] sont arrivés largement de son manifeste de campagne , à savoir l’octroi en tête des élections législatives écossaises. de leur « permission » à la tenue d’un référendum En remportant 64 sièges sur les 129 que compte sur l’indépendance, une fois passée la pandémie le Parlement de Holyrood, à un doigt de la majo- de Covid 19. Dans ses premières allocutions au rité absolue de 65 sièges, le SNP s’est assuré lendemain du scrutin, Nicola Sturgeon a pris soin une quatrième législature à la tête de l’Écosse. d’affirmer que ce référendum était « la volonté Avec l’appoint des huit sièges gagnés par les du peuple écossais » et non un simple dessein écologistes écossais, également favorables à la partisan, voire personnel. C’est donc forte de séparation d’avec le Royaume-Uni, le « camp indé- ce mandat démocratique que la première dame pendantiste » se trouve dans une position de force écossaise aborde la mission historique que s’est inédite face à Londres. Ces résultats ont immé- donnée son parti : celle de mettre fin à l’union diatement été interprétés par Nicola Sturgeon entre l’Angleterre et l’Écosse, scellée il y a plus de – leader du SNP et Première Ministre de l’Écosse trois siècles, en 1707. depuis 2014 – comme un « oui » retentissant à 1. Scotland’s Future, Manifeste du SNP, 2021. THINKING EUROPE • PENSER L’EUROPE • EUROPA DENKEN 1 ▪ 15 Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer référendum sur l’indépendance en 2014, perdu cette divergence de trajectoires entre l’Écosse à 45 % contre 55 % des voix. La défaite de 2014 et l’Angleterre ? Car c’est bien dans une atmos- n’a pourtant pas enrayé la séduction de l’idée phère de croisée des chemins entre deux ordres indépendantiste : galvanisé par le Brexit, le natio- de valeurs irréconciliables que se sont dérou- nalisme est devenu, pour la première fois dans lées les élections de mai. Les indépendantistes l’histoire de l’Écosse, un mouvement de masse, ont déployé une grammaire quasi-manichéenne qui mobilise des cohortes de militants et d’asso- pour enjoindre les Écossais à choisir la société ciations, alimente une myriade de forums et de dans laquelle ils aspirent à vivre – soit une communautés « en ligne » et bénéficie désormais Écosse social-démocrate et européenne soit la d’une audience suffisante pour disposer de son Grande-Bretagne néo-libérale du Brexit. Brexit propre quotidien, The National. dont il faut rappeler qu’il avait été rejeté par 62 % des votants écossais lors du référendum de Ce papier propose un décryptage de cette version 2016 sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE. « séparatiste » du nationalisme écossais, portée L’hégémonie acquise par le SNP peut sembler par le SNP depuis sa création en 1934. Nous y confondante, dans le bastion travailliste qu’était précisons les principaux ressorts du projet natio- encore l’Écosse jusqu’au début des années 2000, naliste contemporain tout en nous attachant et alors même que la dévolution mise en œuvre à à éclairer les développements historiques et partir de 1999 par le gouvernement de Tony Blair intellectuels qui ont présidé à l’avancement de était sensée offrir un débouché pacificateur aux ce projet. La montée en puissance du SNP en revendications des nationalistes, en transférant l’espace de quelques décennies est en effet indis- d’importants pouvoirs décisionnels du Parlement sociable du riche travail d’élaboration idéologique de Westminster à une assemblée écossaise élue accompli par un petit nombre d’intellectuels « ral- au suffrage universel. Et cette hégémonie est d’au- liés à la cause ». Leur critique virulente de l’État tant plus spectaculaire que l’indépendantisme est britannique et de la place de l’Écosse en son un phénomène récent en Écosse. Contrairement sein a largement contribué à façonner l’agenda à l’Irlande voisine, qui gagna son indépendance à nationaliste du SNP comme un projet politique la force des armes en 1921, l’Écosse s’est long- « progressiste », arrimé à un horizon émancipa- temps satisfaite de sa position avantageuse dans teur de justice sociale, plutôt qu’à une entreprise la grande entreprise impérialiste britannique. de réparation historique et culturelle. Nous nous La cause autonomiste y est certes ancienne pencherons donc successivement sur les deux mais, jusqu’au milieu du XXe siècle, elle a plutôt piliers de ce que certains commentateurs ont été pensée dans le cadre d’un maintien de l’union qualifié de « populisme de gauche », à savoir 1) politique avec l’Angleterre. Ce n’est qu’à partir un programme de réforme social-démocrate qui des années 1960-70 – et, surtout, sous l’aiguillon plonge ses racines dans le traumatisme infligé du thatchérisme pendant la décennie 1980 – à l’Écosse industrielle par les gouvernements de qu’une forme plus radicale de nationalisme Margaret Thatcher ; et 2) une vision de la démo- s’est épanouie en Écosse, visant explicitement cratie et de la souveraineté populaire qui puise à la création d’un État indépendant. Le mouve- aux sources des spécificités de la tradition consti- ment a pris un véritable essor depuis quinze ans, tutionnelle écossaise. jusqu’à obtenir de Londres la tenue d’un premier THINKING EUROPE • PENSER L’EUROPE • EUROPA DENKEN 2 ▪ 15 1 ▪ L’économie politique du SNP qu’apparaît le visage de Nicola Sturgeon, dupliqué sur une multitude d’écrans de télévision. Suit une Le programme présenté par le SNP aux législa- série d’allusions au « travail acharné » du gouver- tives écossaises du printemps 2021, sur fond nement écossais pour nos frères et nos sœurs, de crise sanitaire, se distingue par un souci des nos pères et nos mères, nos grands-pères et nos besoins fondamentaux de la population écos- « mamies », avant l’injonction finale à voter pour saise en matière de santé et de soins, d’éducation, l’indépendance – à faire « les premiers pas vers de logement, d’alimentation, mais aussi par une une nation juste » – et la dernière image : celle ambition transversale d’égalité, tant sociale que d’un petit enfant se lançant sur ses jambes, chan- territoriale, ainsi que par l’affichage d’une inflexion celant, mais avec une jubilation manifeste. résolue vers l’écologie, le féminisme et l’hospi- talité envers les réfugiés. Nous présentons ici Il est intéressant de relever que le mot le plus quelques-unes des mesures emblématiques du prononcé par Neila Stephens dans cette vidéo projet politique porté par le SNP, avant d’examiner – après celui d’ « Écosse » – est le mot « care ». Dif- les racines idéologiques de cette « grammaire ficilement traduisible en français, ce terme mêle de gauche » devenue la langue vernaculaire des en anglais des connotations d’attention, de soin, nationalistes écossais en ce début du XXIe siècle. et de souci bienveillant. Dire du gouvernement de Boris Johnson – « they don’t care » – dénote à la fois une indifférence aux intérêts spécifiques 1.1▪ Plaidoyer pour une de l’Écosse, mais aussi une incapacité chronique « société bonne » fondée sur de sollicitude empathique. À ce défaut éthique, la bienveillance, l’empathie et l’équité sont opposées les vertus politiques de Nicola Sturgeon, dont le profil public a été construit dans La vidéo promotionnelle diffusée par le SNP en cette campagne autour des notions de com- amont du scrutin de mai, intitulée « Scotland’s passion et de bienveillance. Ce style politique Future is Scotland’s Choice »,2 offre une parfaite n’est pas sans rappeler celui d’autres Premières mise en abyme de l’atmosphère de la campagne. ministres de petits pays zélés en matière sociale, On y voit l’actrice Neila Stephens – longs cheveux telles Jacinda Ardern en Nouvelle Zélande, auburn et sobre tenue de chemise en jean rose Katrín Jakobsdóttir en Islande, ou encore Sanna pâle sur pantalon gris – assise dans une pièce Marin en Finlande. Il est d’ailleurs significatif que sombre. Sur fond de musique angoissante, elle l’Écosse anime avec ces trois pays le réseau des évoque l’épreuve de la pandémie et les attaques « Gouvernements de l’économie du bien-être » du gouvernement conservateur : « Ça a été dur, [« Wellbeing Economy Governments »]3. Les rela- cette année. La pandémie de Covid. L’inquiétude, tions entre cette nouvelle génération de femmes la peur… Alors, une question : le gouvernement de pouvoir et l’émergence du « care » comme britannique se soucie-t-il de vous ? Ce gouverne- catégorie politique est un sujet passionnant, ment pour lequel l’Écosse n’a pas voté, dont nous mais qui déborde le cadre de notre papier. Pour ne pouvons qu’abhorrer la philosophie et les poli- ce qui concerne Nicola Sturgeon, il est certain tiques. La réduction des aides aux handicapés. que ce registre du « care » a résonné puissam- La pauvreté alimentaire. La baisse des impôts ment avec un électorat écossais en prise avec la pour les riches. Et pour nous autres ? L’austérité. » pandémie de Covid 19. La santé est une « compé- Viennent ensuite l’évocation du Brexit, la trahison tence dévolue » en Écosse. Nicola Sturgeon, qui a des générations futures, l’abandon des pêcheurs. été Ministre écossaise de la santé entre 2007 et Puis soudain, après la question – « qui prendra 2012, a fait de la réponse à la crise sanitaire une soin de nous ? » – l’ambiance sonore change, fai- affaire personnelle, donnant plus de 200 briefings sant affleurer des notes d’espoir en même temps télévisés au fil des mois.