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Le droit de suite et sa reconnaissance selon la Convention de La Haye sur les trusts : "tracing" en droit civil suisse

PANNATIER KESSLER, Delphine

Abstract

Aux frontières du droit des trusts, des droits réels, du droit des obligations, du droit bancaire et du droit international privé, cette thèse étudie la question très controversée de la reconnaissance en Suisse du droit de suite (tracing), selon la Convention de La Haye sur le droit applicable au trust et à sa reconnaissance. Elle démontre que le droit de suite, action du droit des trusts de nature réelle proche de la rei vindicatio, doit être reconnu en Suisse moyennant quelques adaptations, notamment dans les cas où des avoirs bancaires ou des titres intermédiés sont visés. En plus de l’examen des aspects dogmatiques, la thèse apporte aux praticiens des solutions concrètes de fond et de procédure en vue de faciliter la mise en œuvre du droit de suite en Suisse.

Reference

PANNATIER KESSLER, Delphine. Le droit de suite et sa reconnaissance selon la Convention de La Haye sur les trusts : "tracing" en droit civil suisse. Genève : Schulthess, 2011, 407 p.

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:97796

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1 / 1 Chapitre 3 : Le droit communautaire des placements collectifs de capitaux 5

Préface

学問に近道なし “Dans la recherche, pas de raccourcis” (proverbe japonais)

Pour ma recherche aux frontières de différents domaines du droit, sans guide sur le chemin escarpé, le passage du col n’aurait pas été possible. Je tiens d’abord à remercier mes deux directeurs de thèse, les Professeurs Luc Thévenoz et Bénédict Foëx de l’Université de Genève, de leur ap- pui, de leurs précieux conseils et des perspectives qu’ils m’ont ouvertes. Je remercie aussi les Professeurs Florence Guillaume et Nicolas Jeandin, membres du jury de thèse. J’exprime également ma gratitude à mon em- ployeur, l’Etude Bär & Karrer à Zurich par Me Nedim Peter Vogt, pour son soutien et sa compréhension des contraintes que m’a imposées ma thèse. Je remercie Me Catalyn Billy de sa relecture critique et attentive. Que le U.S. Fulbright Swiss Scholarship Program qui a contribué à financer mes études de LL.M. à Harvard School soit également remercié. Enfin, ma reconnaissance va à mes parents Françoise et Roger Pannatier et à mon mari Franz J. Kessler pour leur aide tout au long du chemin, pour le temps consacré à des échanges passionnants et pour leur soutien indéfectible dans ce projet passant parfois par des arêtes périlleuses et des gorges étroites avant qu’il n’arrive à son achèvement.

Delphine Pannatier Kessler 6 Delphine Pannatier Kessler Table des matières 7

Sommaire

Préface 5

Chapitre I Introduction 9 Chapitre II Le droit de suite des bénéficiaires d’un trust selon le droit anglais 15 Chapitre III La Convention de La Haye 75 Chapitre IV Le principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 87 Chapitre V La mention du rapport de trust (art. 149d LDIP) et ses effets 121 Chapitre VI Droit de suite et principes de droit suisse au regard de l’article 15 de la convention 205 Chapitre VII Droit de suite sur des avoirs bancaires 271 Chapitre VIII Aspects procéduraux 319 Chapitre IX Conclusion 355

Liste des abréviations 371 Bibliographie 375 Table des matières 395 8 Delphine Pannatier Kessler I. Introduction 9

Chapitre I Introduction

La Suisse a ratifié la Convention de La Haye sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance entrée en vigueur le 1er juillet 2007 (ci-après “la Convention” ou “la Convention de La Haye”). Cette Convention a pour effet d’unifier la question du droit applicable et d’obliger les Etats contrac- tants à reconnaître l’institution du trust en tant que telle, sans avoir re- cours à une requalification de l’institution selon les critères du for pour la faire entrer dans une catégorie de rattachement du droit international privé du for. Elle ne contient pas de règles matérielles sur les trusts mais uniquement des règles de conflit de lois. La Convention n’a pas non plus pour but d’introduire l’institution du trust dans le droit matériel des Etats contractant. Elle sert à créer des ponts entre les pays de tradition civiliste et ceux de tradition anglo-saxonne pour améliorer la compréhension mu- tuelle et renforcer la sécurité du droit. Depuis le 1er juillet 2007, un trust est reconnu en Suisse en tant que trust. Qu’est-ce que cela signifie pour notre ordre juridique et quelle est l’étendue de la reconnaissance découlant de l’adoption de la Convention ? Nous verrons que le principe de la reconnaissance des trusts est prévu par l’article 11 de la Convention mais que plusieurs limites à la reconnaissance sont posées par les articles 15, 16 et 18 de ladite Convention. Entre le prin- cipe de la reconnaissance et ses limites existe une zone aux contours im- précis, que nous nous efforcerons de définir dans cette étude. Le thème central de ce travail est la reconnaissance en Suisse selon la Convention d’un aspect du trust en particulier : le droit de suite. Cette question fait l’objet de nombreuses controverses. En droit anglais des trusts, le droit de suite est un droit de revendication de nature réelle des bénéficiaires d’un trust sur des biens ayant été détournés du patrimoine du trust par un déloyal en violation du trust (breach of trust). Il permet d’aller rechercher les biens du trust dans les mains du trustee dé- loyal qui les a confondus avec son patrimoine privé ou dans les mains de tiers ayant acquis du trustee des biens du trust, sauf si ce tiers a acquis le bien de bonne foi et à titre onéreux. Le droit de suite assure la restitution de ces biens au patrimoine du trust. Le droit de suite découle du droit de 10 Delphine Pannatier Kessler propriété équitable des bénéficiaires d’un trust sur les biens en trust, lequel continue de grever le bien en trust malgré l’aliénation en violation du trust. Cette coexistence de deux droits de propriété sur un même bien, celui ­legal du trustee ou de l’acquéreur et celui equitable des bénéficiaires, est typique en droit des trusts mais n’a pas d’équivalent en droit civil. Elle a pour origine le système anglais de juridictions parallèles entre et equity qui s’est développé pour des raisons historiques. La relation entre le droit de propriété équitable et le droit de propriété légal de droit anglais est difficilement compréhensible et n’entre pas facilement dans nos catégories aux frontières peu perméables et dans notre systématique découlant du droit romain, des Pandectes et du Code Napoléon. C’est en jetant des ponts entre ces conceptions juridiques différentes que nous entendons procéder pour appréhender le sujet de notre étude. La Convention prévoit à son article 11 al. 3 lit. d que la reconnaissance du trust implique notamment “que la revendication des biens du trust soit permise, dans les cas où le trustee, en violation des obligations résultant du trust, a confondu les biens du trust avec ses biens personnels ou en a disposé. Toutefois, les droits et obligations d’un tiers détenteur des biens du trust demeurent régis par la loi déterminée par les règles de conflit du for.” Cette disposition est le cœur de la reconnaissance du droit de suite dans les Etats contractants de la Convention de La Haye et constitue à notre avis la clé à la question qui nous occupe. Dès lors, nous nous attarderons sur cette disposition et en proposerons une interprétation conforme aux buts de la Convention. Néanmoins, la reconnaissance du tracing, ainsi que le droit de suite est souvent nommé dans la doctrine, demeure une question très contro- versée qui a déjà fait couler de l’encre au moment de la ratification de la Convention. Des opinions opposées ont été émises. Selon le Message du Conseil Fédéral 1, le droit de suite contre des tiers ne fait pas partie du champ d’application de la Convention alors que le droit de suite contre le trustee l’est. La doctrine suisse est divisée sur cette question, se ralliant tantôt à l’opinion du Message du Conseil Fédéral, la critiquant tantôt. La doctrine anglaise quant à elle considère généralement que le droit de suite contre des tiers est inclus dans la reconnaissance prévue par la Convention car le droit de suite est un élément indissociable du concept du trust et en

1 Message du Conseil Fédéral, 2 décembre 2005, 05.088 paru à la FF 2006, § 1.6.2.1, p. 582 et § 1.7.2.2, p. 587. I. Introduction 11 fait partie intégrante. Néanmoins, malgré les divers avis diamétralement opposés, aucune étude approfondie sur la question de la reconnaissance en Suisse du droit de suite n’a encore été entreprise à notre connaissance, la plupart des ouvrages se contentant de mentionner la controverse et les dif- ficultés liées à la reconnaissance sans entrer au cœur du sujet. Ainsi, il nous paraît nécessaire de revenir au point de départ en examinant la nature du droit de suite et en analysant l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention pour tenter de déterminer si le droit de suite fait partie de la reconnaissance des trusts telle que prescrite par la Convention et le cas échéant à quelles conditions. En relation avec la reconnaissance du droit de suite dans l’application de la Convention se pose également la question de la définition de la no- tion de . Souvent, la doctrine et la jurisprudence anglaises n’utilisent pas les concepts de manière systématique, ces derniers répon- dant à des définitions quelque peu floues, développées au gré de la juris- prudence. Selon une partie de la doctrine anglaise, le constructive trust est imposé sur des biens du trust aliénés de manière déloyale et permet l’exercice du droit de suite. Or, la reconnaissance du constructive trust ne fait pas partie du champ d’application de la Convention selon son article 3. Cela constitue-t-il un obstacle à la reconnaissance du droit de suite ? Pour y répondre, nous analyserons la nature du droit de suite et sa relation avec le constructive trust et nous nous attacherons à résoudre le problème séman- tique sous-jacent. Nous traiterons également les problèmes de définition en relation avec diverses controverses sur le droit de suite, notamment la distinction entre droit de suite et tracing, la distinction entre tracing et following ou encore la controverse sur la nature réelle ou obligationnelle du droit de suite. Nous tenterons ainsi de démêler l’écheveau des concepts du droit anglais pour nous permettre de comprendre la nature du droit de suite. Dans le même sillage que la Convention est entré en vigueur l’ar- ticle 149d LDIP, lequel crée une nouvelle possibilité en matière immobilière de faire inscrire au Registre foncier la mention du lien de trust pour un im- meuble appartenant au patrimoine d’un trust. Cette nouveauté existe éga- lement pour les bateaux, les aéronefs et les droits de propriété intellectuelle. Jusqu’à maintenant, le trustee était inscrit en tant que propriétaire sans que l’on ne puisse faire apparaître sa qualité de trustee dans le registre. Désormais, il est possible de rendre le lien de trust opposable aux tiers afin d’empêcher une acquisition de bonne foi. La doctrine a commenté 12 Delphine Pannatier Kessler cette nouvelle mention et ses implications, toutefois pour le moment de manière peu approfondie en ce qui concerne la relation entre la mention et le droit de suite. Il en est de même des obligations des notaires chargés d’instrumenter des actes portant sur un immeuble en trust. Dès lors, nous ferons le lien entre la mention du rapport de trust, le droit de suite et les obligations du notaire en présence d’une telle mention afin de présenter une analyse globale de cette question nouvelle aux conséquences pratiques pouvant s’avérer importantes dans le futur. Nous traiterons également de la question controversée des effets de cette mention dans le cadre d’une procédure en exécution forcée. Le droit de suite est polymorphe ; il apparaît sous de nombreuses fa- cettes. Il permet de revendiquer le bien aliéné déloyalement, son remploi, ses produits, ses revenus, au choix du bénéficiaire du trust. Il autorise la revendication des immeubles, des meubles, de la monnaie ou des titres sur un compte en banque. En résumé, il permet de suivre les biens en trust, de quelque manière qu’ils se transforment, où qu’ils soient, quelque forme qu’ils revêtent, sous réserve de la protection de l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux du droit anglais. Une telle polymorphie d’un droit de reven- dication est inconnue en droit suisse. Cela rend-il pour autant le droit de suite ou certains de ses aspects inconciliables avec l’ordre juridique suisse ? Pour répondre à cette question, il y aura lieu de passer à la deuxième partie de notre analyse : celle de la compatibilité de la reconnaissance du droit de suite avec le droit impératif suisse, selon l’article 15 de la Conven- tion. En effet, cet article réserve la priorité aux règles de la loi désignée par les règles de conflit du for, par hypothèse le droit suisse, “lorsqu’il ne peut être dérogé à ces dispositions par une manifestation de volonté”. Ainsi, il faudra encore vérifier si la reconnaissance du droit de suite dans ses divers aspects ne se heurte pas à des règles impératives de l’ordre juridique suisse. C’est ce que nous nous proposons d’entreprendre. Nous traiterons cette question en relation avec la protection de l’acquéreur de bonne foi du droit suisse et avec d’autres principes de droits réels tels que le numerus clausus, la prescription acquisitive ou le principe de la réunion des espèces. Nous examinerons également la compatibilité avec le droit impératif de certains aspects du droit de suite sous l’angle des règles sur les remplois et le traite- ment des produits et revenus d’un bien détenu sans droit. Nous termine- rons en analysant la question revêtant une grande importance pratique de la reconnaissance du droit de suite sur des avoirs bancaires, notamment des comptes monétaires et des compte de titres, constitués en particulier I. Introduction 13 de titres intermédiés. Dans l’hypothèse où la reconnaissance du droit de suite se heurterait à des règles impératives suisses pour certains cas, nous tenterons de trouver une autre solution en harmonie avec le droit suisse pour donner effet au trust en application de l’article 15 al. 2 de la Conven- tion, lequel prescrit que “lorsque les dispositions du paragraphe précédent font obstacle à la reconnaissance du trust, le juge s’efforcera de donner effet aux objectifs du trust par d’autres moyens juridiques”. Enfin, si l’on arrive à la conclusion que le droit de suite doit être reconnu dans notre ordre juridique, se pose encore la question de savoir comment les plaideurs pourront faire valoir le droit de suite en Suisse d’un point de vue procédural. En effet, cette question est d’un caractère complètement nouveau sous nos latitudes et n’a été traitée que de manière périphérique lors de la ratification de la Convention par l’introduction des articles 149a à 149e LDIP. Pour permettre la reconnaissance en Suisse du droit de suite dans la mesure que nous aurons déterminée dans le cadre de notre étude, nous proposerons des solutions procédurales concrètes, notamment pour la question du for, de la qualité pour agir et défendre, de la procédure, de la prescription et de la reconnaissance de jugements étrangers. Relevons que la question de la reconnaissance du droit de suite en Suisse n’est pas seulement intéressante du point de vue théorique mais revêt également une importance pratique cruciale d’un point de vue éco- nomique. En effet, de nombreuses valeurs sont placées en Suisse, en par- ticulier sous la forme de comptes et dépôts bancaires détenus auprès de banques suisse et d’objets d’art situés en Suisse. Même si souvent les juri- dictions off-shores telles que les Iles Vierges britanniques ou les Iles de la Manche sont le théâtre de procès importants en relation avec des breaches of trust, l’enjeu déterminant consiste à pouvoir aller rechercher les valeurs là où elles se trouvent. Ainsi, si nous parvenons à démontrer que le droit de suite peut et doit être reconnu en Suisse, certes selon les cas soumis à cer- taines conditions, il sera possible d’accéder aux valeurs situées dans notre juridiction. Ainsi, il est d’autant plus nécessaire de déterminer les contours de la reconnaissance du droit de suite en Suisse que de nombreux avoirs en trust se situent dans notre pays. D’un point de vue plus global, la reconnaissance du droit de suite a également des conséquences sur l’attractivité de la place financière helvé- tique. En effet, la décision de placer des valeurs auprès de banques suisses ou de choisir un trustee suisse dépend de la confiance du public dans la sé- curité du droit dans notre juridiction. Afin de préserver l’image de­sécurité 14 Delphine Pannatier Kessler dont notre pays jouit, lequel est néanmoins confronté à la rude concur- rence d’autres juridictions, la reconnaissance la plus large possible du droit de suite est nécessaire car celui-ci garantit la protection des droits des bé- néficiaires et contribue à assurer le respect de l’acte de trust. Ainsi, le sujet de cette étude dépasse le cadre purement juridique du sujet et comporte des implications économiques d’importance pour notre place financière. En conclusion, le but de cette étude est d’analyser à quelles conditions il est possible de reconnaître le droit de suite en Suisse et de proposer des solutions pratiques, notamment sur le plan procédural, pour faire valoir une action en droit de suite devant un juge suisse. Dans cette optique, il y aura tout d’abord lieu de présenter le trust de manière générale, en insistant sur la nature réelle des droits des bénéficiaires et sur le droit de suite (II.). Nous présenterons ensuite la Convention de la Haye sur les trusts et ses dispositions topiques (III.) et démontrerons que le droit de suite sur son principe peut être reconnu en Suisse (IV.). Ultérieurement, nous nous in- téresserons à l’article 149d LDIP, qui est une norme introduite dans l’ordre juridique suisse dans le cadre de la ratification de la Convention ; nous pré- senterons la mention au Registre foncier du rapport de trust pour un bien immobilier et en analyserons les effets (V.). Ensuite, nous examinerons la compatibilité de la reconnaissance du droit de suite avec les principes de droit impératif suisse au regard de l’article 15 de la Convention (VI.), puis traiterons spécifiquement de la question de la reconnaissance du droit de suite sur des avoirs bancaires (VII.). Enfin, nous nous attacherons à propo- ser des solutions pratiques et procédurales pour mettre en œuvre le droit de suite devant un juge suisse (VIII.). II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 15

Chapitre II le droit de suite des bénéficiaires d’un trust selon le droit anglais

Le trust est une institution typique des pays de droit anglo-saxons jouissant d’une longue tradition. Il est connu de nos juridictions civiles depuis la fin du XIXe siècle, époque à laquelle ont eu lieu les premiers contacts entre cette institution et l’ordre juridique suisse 1. Le droit suisse ne permet pas de constituer des trusts mais notre ordre juridique est néanmoins fami- lier de cette institution car il y est souvent confronté pour des question de reconnaissance d’une structure, du fait qu’un certain nombre de sont actifs en Suisse ou encore à cause du nombre important de comptes bancaires ou de valeurs mobilières en Suisse, en particulier d’œuvres d’art, détenues par des trusts. Nous présenterons dans ce chapitre l’institution du trust dans ses grandes lignes. Les juristes suisses ont déjà eu l’occasion à de multiples re­prises de se familiariser avec le trust, ce dernier ayant bénéficié de l’at- tention de la doctrine suisse depuis les années 50, laquelle a culminé au moment de la ratification de la Convention de La Haye sur les trusts en 2007. Nous en rappellerons tout de même les principes de base. Afin de préparer le terrain pour la suite de cette étude, nous traite- rons de la nature du droit du trustee et des bénéficiaires sur les biens en trust, ce qui constituera un prélude nécessaire à la compréhension de la nature du droit de suite. Nous présenterons également les pouvoirs et devoirs du trustee dans la gestion des biens en trust et les conséquences d’une violation de ces pouvoirs et devoirs, laquelle ouvre la voie à diverses actions pour remédier à la violation. Pour terminer, nous nous concen- trerons sur une action du droit des trusts en particulier, le droit de suite, dont la question de la reconnaissance en droit suisse constitue le cœur de cette étude.

1 Décision du 22 janvier 1874 d’un tribunal genevois, citée par David W. Wilson sur le site internet www.trusts.ch/index.php?page=1&lang=EN. 16 Delphine Pannatier Kessler

A. Présentation du trust

Le trust est une institution créée par l’equity anglaise au Moyen-âge, qui a évolué pour devenir un véhicule très répandu et susceptible de remplir de nombreux buts. La présente étude s’intéresse plus particulièrement aux private express trusts, c’est-à-dire aux trusts constitués dans des buts de planification patrimoniale et successorale pour des personnes privées. Il n’y a pas de définition incontestée du trust mais plutôt divers traits descriptifs. Il va de soi que l’institution du trust revêt des aspects différents selon la jurisprudence des diverses juridictions, selon les lois le régissant et selon la tradition juridique. Cela étant, l’article 2 de la Convention de La Haye sur la loi applicable au trust et à sa reconnaissance 2 met en exergue les traits saillants d’un trust communs aux diverses juridictions : il s’agit d’une relation juridique où le constituant (le ) place des biens sous le contrôle d’un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire ou dans un but déter- miné, où le patrimoine en trust fait l’objet d’une masse distincte séparée du patrimoine du trustee, où le titre de propriété est établi au nom du trustee et où le trustee a les obligations et les pouvoirs de gérer les biens dans les limites de l’acte de trust et de la loi applicable. La définition ci-dessus est celle d’un trust international idéalisé. En réalité, le trust est défini de manière différente selon les juridictions et comporte des aspects qui ne se recouvrent pas toujours. L’une des défi- nitions de droit anglais d’un trust est celle proposée par G. Thomas et A. Hudson consistant à dire que “the essence of a trust is the imposition of an equitable obligation on a person who is the legal owner of property (a trustee) which requires that person to act in good conscience when dealing with that property in favour of any person (the ) who has a bene- ficial interest recognized by equity in the property”3, [l’essence d’un trust est l’imposition d’une obligation équitable à une personne qui est le propriétaire légal d’un bien (un trustee) laquelle exige que cette personne agisse en son âme et conscience lorsqu’elle gère ce bien en faveur d’une autre personne (le bénéficiaire) lequel a un intérêt bénéficiaire dans le bien reconnu par les règles de l’équité].

2 RS 0.221.371. 3 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.01, p. 11. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 17

Nous présenterons ces concepts de manière détaillée ci-dessous. Il y a toutefois lieu de mentionner que la présente étude ne vise pas à présenter le trust de manière exhaustive mais se concentre sur quelques traits saillants de l’institution tels que les droits des bénéficiaires et les actions à leur dis- position en cas de violation du trust, en particulier le droit de suite. Nous analyserons ces aspects sous l’angle de la Convention de La Haye et de leur possible reconnaissance en Suisse. Dès lors, les concepts de base seront très rapidement abordés sans prétention d’exhaustivité pour permettre de nous concentrer sur certains aspects précis du trust.

1. Sources du droit

Etant donné que le droit anglais est à l’origine de l’institution du trust, nous nous référerons principalement à ce droit pour décrire le trust. Les contours du trust de droit anglais qui nous intéressent pour cette étude sont principalement définis par la jurisprudence à laquelle nous nous réfé- rerons. Dans certains cas, des lois complètent cette dernière, notamment le “Trustees Act” de 2000, le “Trusts of Land and Appointment of Trustees Act” de 1996, et le “Limitation Act” de 1980. De plus, nous citerons la doc- trine anglaise comme source secondaire du droit. En outre, nous nous référerons également au droit de Jersey, ce dernier ayant la particularité appréciable pour des juristes de droit civil d’être co- difié. Nous citerons les bases légales de la Trusts“ Jersey Law” de 1984 com- plétées par la jurisprudence et la doctrine développant les notions. Enfin, dans certains cas, nous nous référerons au trust américain. A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il n’y a pas de trust américain mais autant de trusts qu’il y a d’Etats aux Etats-Unis. Dès lors, nous nous référerons au “Restate- ment on Trusts” lequel constitue une cristallisation des règles créées par la jurisprudence des différents Etats, complété par des règles uniformes telles celles du “Uniform Trust Code” de 2000 et du “Uniform Trustees Powers Act” de 1964 ainsi que par la doctrine. 18 Delphine Pannatier Kessler

2. Les concepts de base

2.1 Les protagonistes

Dans un trust, trois acteurs principaux entrent en scène : le settlor trans- fère des biens à un trustee qui les détient pour le compte d’un ou plusieurs bénéficiaires 4 ; 5. Le trustee pouvant être également bénéficiaire 6, il faut en déduire qu’il s’agit de trois fonctions plutôt que de trois personnes diffé- rentes. Peut également entrer en jeu un protector du trust, lequel a généra- lement pour tâche de surveiller le trustee et parfois de consentir à certains actes importants. Cela dit, le settlor crée le trust par un acte unilatéral par lequel il dispose de ses biens en faveur du trustee mais une fois le trust créé, il sort de la scène, à moins qu’il ne soit également bénéficiaire ou trustee. La relation de trust lie ainsi les bénéficiaires au trustee, le settlor n’en fai- sant pas partie.

2.2 Le patrimoine séparé

Le trustee se voit transférer la propriété légale des biens en trust mais dé- tient ces biens de manière séparée de son patrimoine général privé 7. Dès lors, ses créanciers personnels n’y ont pas accès, ce qui garantit le droit des bénéficiaires sur ce patrimoine 8.

2.3 Le rôle du trustee et ses obligations

Le trustee a la charge de gérer les biens en trust dans l’intérêt des bénéfi- ciaires. Il est lié envers eux par des obligations fiduciaires (fiduciary duties)

4 A la place d’un bénéficiaire ou en addition selon les juridictions, les biens en trusts peuvent être détenus pour un but ; voir Trusts Jersey Law de 1984, art. 2 (b). 5 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.01, p. 11. 6 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (1), p. 2 ; Trusts Jersey Law de 1984, art. 10 (12). 7 Trusts Jersey Law de 1984, art. 54 (1)(b) ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.05, p. 13 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (1), p. 2. 8 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (2), p. 2. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 19 qui l’obligent à agir avec fidélité, loyauté et diligence, dans le respect des conditions imposées par l’acte de trust 9. En contrepartie, les bénéficiaires ont le droit d’exiger le respect des obligations fiduciaires, si nécessaire judiciairement 10.

2.4 Les concepts de legal title et d’equitable interest

Dans un trust anglais, l’on assiste à la coexistence de deux droits de pro- priété sur les biens du trust, le legal title appartenant au trustee et l’equi- table interest (ou beneficial interest) appartenant aux bénéficiaires 11. Cet aspect étonnant pour un juriste de droit civil est présenté ci-après. Un trust est une institution découlant du droit de la propriété ­anglais 12. Les biens sont transférés au trustee qui en acquiert le legal title, c’est-à- dire la propriété légale 13, laquelle lui donne tous les droits et prérogatives d’un propriétaire 14. Cependant, il détient les biens dans l’intérêt des béné- ficiaires, lesquels ont également un droit de propriété sur ces biens, appelé equitable interest ou equitable ownership 15. Cet equitable interest se super- pose au legal title du trustee. En cas d’aliénation déloyale par le trustee, l’equitable interest continue de grever les biens aliénés, ce qui permet aux bénéficiaires d’exercer leur droit de suite sur ces biens 16.

9 Trusts Jersey Law de 1984, art. 21 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (4) et (7), p. 3. 10 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (3), (4) et (7), p. 2-3. 11 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 97 ; Smith, in Breach of Trust, p. 123 ; Penner, The Law of Trusts, § 2.24, p. 26 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 30 ; Clarke / Kohler, Property Law, § 8.3.1.2, p. 312 ; McGhee, Snell’s Equity, § 19-02, p. 464. 12 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.07, p. 14. 13 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.10, p. 15 ; Hayton / Matthews / ­Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (5), p. 2-3 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 30 ; McGhee, Snell’s Equity, § 19-02, p. 464. 14 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 100 ; McGhee, Snell’s Equity, § 19-02, p. 464. 15 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.01, p. 11 et § 1.09, p. 15 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 97 ; Hayton, in Breach of Trust, p. 380 ; Penner, The Law of Trusts, § 2.1, p. 14 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 30-31 ; Clarke / Kohler, Property Law, § 8.3.1.2, p. 312 ; McGhee, Snell’s Equity, § 19-02, p. 464. 16 Hayton, in Breach of Trust, p. 380. 20 Delphine Pannatier Kessler

L’intérêt des bénéficiaires est appelé equitable“ ” car il est protégé par les règles de l’equity anglaise alors que le legal title du trustee est protégé par les règles de la common law, ces deux ensembles de règles composant des voies de juridiction parallèles en droit anglais qui se sont développées pour des raisons historiques 17. De manière pragmatique, l’on peut dire que l’on a affaire à deux droits de propriété parallèles mais d’une nature diffé- rente sur les biens du trust, celui du trustee et celui des bénéficiaires 18. Les auteurs parlent parfois de dédoublement de la propriété ou de division de la propriété pour décrire ce phénomène.

2.5 Le droit de suite

Le droit de suite, dont la reconnaissance en Suisse est le sujet central de cette étude, est un droit de revendication de nature réelle des bénéficiaires d’un trust sur des biens ayant été détournés du patrimoine du trust par un trustee déloyal en violation de l’acte de trust. Il permet également la resti- tution des produits et remplois des biens initialement en trust 19. Le droit de suite découle de l’intérêt équitable des bénéficiaires d’un trust continuant de grever les biens en trust malgré leur aliénation. Nous y reviendrons plus amplement au point II.C.2.4 et II.D.

3. La nature du droit de propriété du trustee

3.1 Nature du droit et pouvoir de disposition

Ayant le legal title, le trustee a tous les pouvoirs d’un propriétaire sur les biens 20. Il peut en disposer, les grever de charges et en a la maîtrise 21. En

17 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.05, p. 13 ; Smith, Property Law, p. 22 ss. 18 Smith, in Breach of Trust, p. 123 ; Clarke / Kohler, Property Law, § 6.1.2.4, p. 185. 19 Hayton / Matthews, in International Encyclopaedia of , vol. 1 Property and , § 182, p. 80 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.1, p. 1081-1082 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 539 ; Bogert / Oaks / Reese Hansen / Neeleman, Cases and Text on the Law of Trusts, p. 614 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 921, p. 427. 20 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (10), p. 5. § 1.2, p. 6, § 1.3, p. 7 et § 47.2, p. 614 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 100 ; Penner, The Law of Trusts, II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 21 apparence, le trustee est omnipotent. Cependant, en réalité, le trustee a bien plus de pouvoirs qu’il n’a de droits. En effet, il est limité par les termes de l’acte de trust, les lois et règles jurisprudentielles y applicables et les obligations fiduciaires qu’il a envers les bénéficiaires 22. Ce corpus de règles détermine de quelle manière et dans quelles limites le trustee peut et doit gérer les biens en trust. Dans la mesure où le trustee aliène un bien dans le respect du trust et des règles applicables, la propriété du bien passe à l’acquéreur sans ­restriction 23. En revanche, si le trustee aliène un bien en violation du trust, le legal title du bien passe à l’acquéreur mais le bien demeure grevé de l’equitable interest des bénéficiaires du trust 24. Cela permettra à ces der- niers d’exercer le droit de suite pour faire revenir le bien dans le patrimoine du trust 25. S’affrontent deux systèmes au sein du même ordre juridique : le trustee a tous les droits du propriétaire en common law mais il est li- mité par ses obligations envers les bénéficiaires selon l’equity 26. S’il passe outre et viole ses obligations, il commet une violation du trust (un breach of trust) 27. L’aliénation en soi valable selon les règles de la common law peut être anéantie par le droit de suite, lequel permet de faire triompher l’equity en faisant prévaloir à certaines conditions le droit équitable des bénéficiaires.

§ 2.15, p. 21 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-054, p. 661 ; McGhee, Snell’s Equity, § 19-02, p. 464. 21 Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.14, p. 17 s. ; Penner, The Law of Trusts, § 2.15, p. 21. 22 Trusts Jersey Law de 1984, art. 21 ; Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.14, p. 17 s., § 1.50, p. 39 et § 14.01-03, p. 451 ss ; Penner, The Law of Trusts, § 2.15, p. 21 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 47.2, p. 614 ; McGhee, Snell’s Equity, § 19-02, p. 464. 23 Smith, in Breach of Trust, p. 130. 24 Smith, in Breach of Trust, p. 130 ; Hayton, in Breach of Trust, p. 381 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 23 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22- 133, p. 914 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.97, p. 52. 25 Sauf si l’acquéreur est de bonne foi et a acquis à titre onéreux le bien ; pour de plus amples détails voir sous II.D.3.3, page 64. 26 Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.14, p. 17 s., § 1.47, p. 38 ; McGhee, Snell’s Equity, § 19-02, p. 464. 27 Dans le même sens : Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.10, p. 15 s. ; McGhee, Snell’s Equity, § 19-02, p. 464. 22 Delphine Pannatier Kessler

3.2 Qualification de la position du trustee et de ses pouvoirs selon les critères du droit suisse

N’ayant pas en droit suisse le double système de juridictions de l’equity et de la common law avec leurs règles de droit respectives, il est peu aisé de retranscrire la situation dans la perspective du droit civil. Cependant, il nous paraît possible de considérer que le trustee, même s’il a le pouvoir de disposition apparent sur les biens, est en réalité limité dans son pouvoir de disposer valablement et pleinement des biens selon les cas. C’est l’acte de trust et le droit y applicable qui déterminent l’étendue du pouvoir de disposition du trustee. En cas d’aliénation en violation du trust, c’est-à- dire sans pouvoir, le trustee transfère le bien en trust grevé de l’intérêt des bénéficiaires 28. Cette limitation de l’étendue du pouvoir de disposition du trustee est opposable aux tiers qui la connaissent ou auraient dû la connaître, ce qui a pour effet d’exclure une acquisition de bonne foi. En revanche, si un tiers de bonne foi se fie à l’apparence du plein pouvoir de disposition du trustee, il est protégé dans son acquisition, sa bonne foi guérissant le défaut de pouvoir de disposer pleinement du bien. La bonne foi du tiers a ainsi pour effet de rendre le tiers pleinement propriétaire du bien libéré de l’intérêt équitable des bénéficiaires le grevant préalablement. Ainsi, la question du pouvoir de disposer du trustee se pose dans les termes suivants : soit il a le pouvoir de disposer pleinement du bien soit il n’a le pouvoir d’en disposer que grevé de l’intérêt équitable des bénéficiaires. De plus, les bénéficiaires disposent d’un droit de suite réel, semblable à une action en revendication de l’article 641 CC, pour faire valoir leur droit de propriété équitable continuant à grever le bien du trust malgré l’alié- nation en violation du trust, soit en breach of trust. Nous reviendrons de manière plus détaillée sur ces aspects aux paragraphes suivants ainsi qu’au point V.D.2.3.3, page 144.

4. La nature des droits des bénéficiaires

Nous avons vu que le trustee détient les biens en trust dans l’intérêt des bénéficiaires. Cependant, ces derniers n’ont en principe ni possession, ni

28 Sauf acquisition par un tiers de bonne foi à titre onéreux. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 23 administration, ni jouissance des biens, mais tout au plus une expectative à obtenir des distributions du trust 29. Il y a néanmoins lieu de nuancer cette affirmation selon le type de trust. Dans un trust discrétionnaire, les béné- ficiaires n’ont qu’une expectative à bénéficier d’une distribution alors que dans un fixed trust, les bénéficiaires ont un droit à obtenir des distribu- tions régulières des revenus du trust, d’une manière similaire à un usufruit et sont aussi considérés comme ayant un intérêt en possession (interest in possession) sur la base du trust 30. Il est également possible de prévoir que les bénéficiaires ont un droit à obtenir la pleine propriété de certains biens du trust à une certaine échéance, le trustee détenant les biens dans l’inter- valle pour eux () 31. Quel que soit le type de trust, les bénéficiaires ont toujours le droit d’obtenir du trustee qu’il respecte les termes du trust et ses devoirs de fidélité, au besoin en faisant appel au juge 32. Nous présen- terons au point suivant la nature de l’equitable interest des bénéficiaires sur les biens du trust.

4.1 Droit in rem

La nature de l’equitable interest des bénéficiaires fait l’objet de contro- verses doctrinales ; dans la doctrine anglaise, il est généralement qualifié de droit in rem, mais parfois de droit in personam, selon les juridictions et les auteurs 33. En droit anglais, un droit in rem (appelé également proprietary) est un droit opposable à tous : “The essence of a proprietary interest is that it is a right subsisting in relation to a thing, and not as against a particular indi- vidual. (…) In contrast, a personal right is a right which is only enforceable

29 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 5.1 (2), p. 85 ; Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.29, p. 22. 30 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 5.1, p. 84-85 ; Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.28, p. 22. 31 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 4.1 et 4.2, p. 76-77 ; Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.27, p. 22. 32 Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.45, p. 27 s. 33 Pour un apercu de l’évolution de la qualification du droit des bénéficiaires en droit anglais, commençant par être considéré généralement comme un droit personnel, puis comme un droit in rem, puis enfin dans la conception actuelle comme un droit in rem comportant certains aspects de droit personnel : Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 83 ss ; voir aussi Contaldi, p. 19 ss ; Bartoli, p. 91 ss. 24 Delphine Pannatier Kessler against a specific individual”34, [L’essence d’un intérêt in rem est qu’il s’agit d’un droit existant en relation avec une chose et non pas en tant que droit à l’encontre d’un individu. (…) Au contraire, un droit personnel est un droit dont on ne peut exiger l’exécution qu’à l’encontre d’une personne spécifique]. Le fait qu’un droit est opposable à tous sauf à un acquéreur de bonne foi ne lui enlève pas sa caractéristique consistant à être enforceable against anyone 35. De plus, un droit in rem donne en principe priorité en cas d’in- solvabilité du débiteur 36. La controverse sur la nature in rem ou in personam de l’intérêt équi- table des bénéficiaires dépend de la nature du trust duquel les bénéficiaires tirent leur intérêt 37. S’il s’agit d’un fixed trust, la doctrine est très facilement encline à admettre que l’intérêt des bénéficiaires estin rem dans la mesure où le bénéficiaire a un intérêt direct sur les biens du trust 38, dont il pourrait requérir en sa faveur le transfert de la propriété non grevée (absolute) selon la règle Saunders v. Vautier 39. Ce principe permet aux bénéficiaires d’un trust à l’unanimité de mettre fin à ce dernier et d’obtenir les biens en pleine propriété 40 à condition que les bénéficiaires soient adultes, au bénéfice de la capacité civile et qu’ils “has (or between them have) an absolute, vested, and indefeasible interest in the capital and income of trust property” (ait ou aient entre eux un intérêt absolu, acquis et indestructible dans le capital et les revenus des biens en trust) 41. L’existence d’une prétention immédiate des bénéficiaires sur les revenus des biens du trust 42 et le fait que les bénéfi- ciaires eux-mêmes sont taxés sur les revenus du trust dès que le trustee les

34 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 92 ; dans le même sens : Smith, in Breach of Trust, p. 113. 35 Smith, in Breach of Trust, p. 113. 36 Smith, in Breach of Trust, p. 113 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 95. 37 Pour un apercu de la discussion, voir Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.40-45, p. 26 ss et § 7.01-04, p. 159 s. 38 Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.46, p. 28, § 7.01, p. 159, § 7.05 ss, p. 161 ss. 39 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 2.13, p. 69 ; Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.46 ss, p. 28, § 7.05 ss, p. 161 ss. 40 Saunders v. Vautier, 41 ER 482, (1841) Cr. & Ph. 240 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 69.1 ss, p. 899. 41 Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 7.05, p. 161. 42 Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 7.16 s., p. 167. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 25 reçoit contribuent à renforcer l’opinion de la doctrine favorable à la nature in rem du droit des bénéficiaires 43. En revanche, dans un trust discrétionnaire, le droit des bénéficiaires sur les biens du trust est plus faible, ces derniers n’ayant qu’une expectative à recevoir une distribution44. La doctrine reconnaît dès lors qu’il est plus difficile d’admettre la nature in rem de leur droit mais arrive néanmoins à la conclusion que les bénéficiaires d’un trust discrétionnaire ont aussi un droit in rem car ils peuvent exercer le droit de suite sur les biens du trust pour les faire rentrer dans le patrimoine du trust 45. Ainsi, que l’on ait affaire à un fixed trust ou à un trust discrétionnaire, les bénéficiaires ont un droit in rem sur les biens en trust 46. La différence entre ces droitsin rem selon le type de trust se manifeste toutefois lorsque l’on considère les effets de l’exercice du droit de suite, ce que nous traiterons au point II.D.2.1, page 53. Ainsi, la doctrine anglaise actuelle majoritaire et la jurisprudence considèrent que l’equitable interest des bénéficiaires est un droit in rem (ou proprietary right) 47. Le droit de Jersey se rallie à cette conception in rem du droit des bénéficiaires 48 et a codifié dans sa loi que l’intérêt qu’un béné- ficiaire a en un trust est un droit de propriété mobilière 49, lequel peut en principe être vendu ou grevé de gages comme un droit réel 50.

43 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 2.13, p. 69. 44 Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.43 s., p. 27 s., § 7.29 ss, p. 172, § 7.48 et § 7.50, p. 180 s. 45 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 2.14, p. 70 ; Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 7.48 et § 7.50, p. 180 ss. 46 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 5.2, p. 85 a contrario, § 2.15, p. 70. 47 Westdeutsche Landesbank Girozentrale v. Islington LBC (1996) AC 669, (1996 2 All ER 961, 998) ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.09, p. 15 et § 1.40, p. 26 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (8), p. 4, § 2.12 à § 2.15, p. 69-71 ; Smith, in Breach of Trust, p. 123 ; Hayton, in Breach of Trust, p. 380 s. ; Penner, The Law of Trusts, § 2.30, § 2.32, § 2.33, p. 29 s. et § 2.49-2.50, p. 37 s. ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 1-30, p. 12 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 84 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 12 ; Smith, Property Law, p. 25 s. 48 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 1.20, p. 8 et § 8.4, p. 90. 49 Trusts Jersey Law de 1984, art. 10 (10). ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 8.4, p. 90. 50 Trusts Jersey Law de 1984, art. 10 (11). 26 Delphine Pannatier Kessler

Relevons toutefois que la conception anglaise de l’intérêt des bénéfi- ciaires décrite ci-dessus n’est pas la seule conception existante, même si le droit anglais demeure indubitablement la source de l’institution du trust. En effet, dans certains pays de tradition civiliste ayant accueilli l’institu- tion du trust, notamment l’Afrique du Sud, l’intérêt des bénéficiaires est considéré comme un droit personnel et non pas réel, la distinction entre legal et equitable ownership n’ayant pas cours 51.

4.2 Persistance du droit in rem malgré l’aliénation ou le changement de forme

D’après la doctrine et la jurisprudence anglaises, l’equitable interest des bénéficiaires grève les biens en trust de manière persistante. Si le ­trustee aliène un bien du trust dans le respect de ce dernier, le bien est libéré de l’equitable interest des bénéficiaires 52. En revanche, le bien acquis en échange se substitue et est grevé à la place du bien initial de l’equitable interest. Ce phénomène est appréhendé en droit anglais par la doctrine de l’overreaching 53. En revanche, si le trustee aliène un bien en violation du trust, l’equi- table interest des bénéficiaires continue de grever le bien54 (sauf si le bien parvient dans les mains d’un acquéreur de bonne foi à titre onéreux 55). Cette persistance du droit in rem des bénéficiaires leur permet d’exer- cer le droit de suite sur le bien aliéné en breach of trust ainsi que sur ses fruits, produits et remplois pour les revendiquer 56, au choix des bénéfi-

51 Gretton, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 31 ss ; De Waal, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 44, 50 et 53 ; voir également MCF, FF 2006, § 1.7.2.2, p. 587, contra : Gloag / Henderson, The Law of Scotland, § 47.04, p. 778 et § 47.15, p. 790. 52 Smith, in Breach of Trust, p. 130. 53 A cet égard, voir Fox, in Breach of Trust, p. 97 ss ; Hayton, in Breach of Trust, p. 390 ; Smith, Property Law, p. 48 s. 54 Smith, in Breach of Trust, p. 130 ; Hayton, in Breach of Trust, p. 381 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 23 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22- 133, p. 914 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.97, p. 52. 55 Nous traiterons ce cas au point II.D.3.3, page 64. 56 Trusts Jersey Law de 1984, art. 54 (3) ; Hudson / Thomas, The Law of Trusts, § 1.09, p. 15 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (8), p. 4 ; Penner, The Law of Trusts, § 2.33, p. 30 et § 2.46, p. 36 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 540. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 27 ciaires dans les limites de l’interdiction de double indemnisation que nous présenterons au point II.C.2.5, page 47. La persistance du droit in rem des bénéficiaires sur le bien en trust malgré ses changements de forme 57 découle de deux doctrines de droit anglais. La première doctrine consi- dère que “the change of form in a thing which is owned does not change the ownership”58, (le changement de forme d’une chose dont on est proprié- taire ne change pas la propriété). La seconde doctrine affirme que leowner “ of a thing is entitled to the product of that which is his”59, (le propriétaire d’un objet a droit au produit de ce qui est sien). Ainsi, le droit de propriété équitable des bénéficiaires s’attache aux produits du bien, à ses réinves- tissements, à ses remplois, bref à toutes les formes qu’il peut prendre 60, à condition que l’on puisse suivre ses différentes mutations, lesquelles sont l’objet des règles du tracing que nous présenterons plus loin de manière plus détaillée. Pour résumer la nature in rem du droit des bénéficiaires, sa subsis- tance et sa protection par le droit de suite, il y a lieu de citer cette phrase de Lord Browne-Wilkinson : “Once a trust is established, as from the date of its establishment the beneficiary has, in equity, a proprietary interest in the trust property, which proprietary interest will be enforceable in equity against any subsequent holder of the property (whether the original property or substitued property into which it can be traced) other than a purchaser for value of the legal interest without notice.”61, [dès qu’un trust est établi, dès la date de sa création, le bénéficiaire a en équité un droit réel sur les biens en trust, lequel pourra être exécuté en équité à l’encontre de n’importe quel détenteur subséquent (qu’il s’agisse du bien original ou d’un bien de substi- tution en lequel on peut identifier par les règles du tracing le bien original) à l’exception d’un acheteur d’un intérêt légal à titre onéreux n’ayant pas eu connaissance du trust].

57 Critique : Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.8 ss, p. 1085. 58 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 921, p. 428. 59 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 921, p. 428. 60 Voir l’arrêt Foskett v. McKeown (2000) 2 WLR 1299 ; Smith, in Breach of Trust, p. 130 s. ; Birks, in Breach of Trust, p. 216. 61 Westdeutsche Landesbank Girozentrale v. Islington LBC (1996) AC 669, (1996 2 All ER 961, 998. 28 Delphine Pannatier Kessler

4.3 Qualification du droit in rem selon les critères du droit suisse

En droit suisse, selon la doctrine traditionnelle 62, pour être qualifié de “réel” un droit doit posséder les deux caractéristiques suivantes : il doit conférer une maîtrise immédiate sur un objet et il doit être opposable erga omnes, permettant d’exclure tous tiers 63. De plus, les attributs typiques d’un droit réel selon le droit suisse sont d’une part le droit de suite, lequel est une prérogative permettant au titulaire du droit réel d’exercer ce droit contre toute personne en main de laquelle son bien se trouve (à l’exception de l’acquéreur de bonne foi) et d’autre part le droit de préférence, lequel lui permet de l’emporter sur ceux qui ne peuvent se prévaloir que d’un droit de créance personnel en relation avec l’objet de son droit 64. Nous avons vu que la doctrine majoritaire anglaise considère les droits des bénéficiaires d’un trust comme in rem, ce qui signifie que ces droits se rapportent à l’objet lui-même et que les bénéficiaires peuvent en exiger l’exécution contre tous les tiers. Le droit in rem des bénéficiaires d’un trust est-il un droit réel au sens du droit suisse ? La première condition exigée par le droit suisse est celle de la maîtrise immédiate sur le bien. A première vue, on pourrait dire que les bénéficiaires n’ont en aucune manière une maîtrise immédiate puisqu’ils n’ont ni possession, ni jouissance, ni usage du bien 65 ; 66. Cependant, il convient de ne pas perdre de vue qu’en droit suisse également la maîtrise immédiate du bien peut être partielle et se concrétiser par le droit à bénéficier de la garantie représentée par la valeur du bien67, tel que l’offrent les droits de gage 68. Or, les bénéficiaires du trust

62 Pour les théories s’éloignant de la doctrine traditionnelle : voir Rey, Die Grundla- gen des Sachenrechts und das Eigentum, T.1, § 220 à 223 ainsi que Meier-Hayoz, Syst. Teil, n. 248 ss, p.107. 63 Wiegand, in BSK ZGB II, Vor Art. 641 CC, n. 46 ; Rey, Die Grundlagen des Sachen- rechts und das Eigentum, T.1, § 200 ; Meier-Hayoz, Syst. Teil, n. 235 ss, p. 103 ; Steinauer, Les droits réels, T.1, § 4, p. 39 ; Haab / Zobl, ZK ZGB, Einleitung vor 641 ZGB, n. 53. 64 Steinauer, Les droits réels, T.1, § 23-27, p. 42 s. 65 Voir Wolf / Jordi, in Der Trust – Einführung und Rechtslage in der Schweiz, p. 67, lesquels considèrent que, pour cette raison, les bénéficiaires n’ont pas de de droit réel sur les biens en trust. 66 Relevons toutefois qu’en doctrine anglaise les bénéficiaires sont considérés avoir la jouissance des biens (benefit), voir Clarke / Kohler, Property Law, § 8.4.2, p. 333. 67 Steinauer, Les droits réels, T.1, § 34, p. 45 ; Meier-Hayoz, Syst. Teil, n. 238, p. 104. 68 Meier-Hayoz, Syst. Teil, n. 262, p. 111. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 29 ont également un droit sur la valeur des biens en trust, lequel s’exprime par le droit de suite. A cet égard il est intéressant de relever que des au- teurs français ont assimilé le droit de suite des trusts au droit de suite du créancier hypothécaire du droit français 69. Dans cette comparaison, ces auteurs relèvent que le droit de suite donne principalement droit à une garantie de la créance et donc un droit sur la valeur du bien grevé de trust. Par conséquent, il faut admettre que les bénéficiaires d’un trust ont aussi un droit de maîtrise immédiate partielle sur les biens, lequel consiste en un droit à la garantie sur la valeur de ce bien. La première condition du droit suisse est donc remplie 70. Quant à la deuxième condition consistant dans la possibilité d’exclure tout tiers (l’effet erga omnes), elle se recouvre avec la condition exigée par le droit anglais d’enforceability against any third party. Le droit des bénéficiaires est opposableerga omnes, sauf à l’encontre d’un “equity’s darling” qu’est un bona fide purchaser for value (voir plus loin au point II.D.3.3, page 64). Ainsi, le droit in rem des bénéficiaires rem- plit également la deuxième condition posée par le droit suisse. Par ailleurs, les attributs typiques des droits réels que sont le droit de suite et le droit de préférence se retrouvent également en droit anglais dans le droit in rem des bénéficiaires d’un trust : ceux-ci peuvent revendiquer leur proprietary right par l’exercice du droit de suite (ou tracing), lequel leur donne un droit de préférence sur les biens visés pour satisfaire leurs prétentions. Cela confirme que le droit des bénéficiaires peut être qualifié de droit réel au sens du droit suisse 71. En conclusion, l’equitable interest des bénéficiaires d’un trust remplit toutes les conditions requises par le droit suisse et peut donc être qualifié de droit réel au sens du droit suisse.

B. Les pouvoirs et devoirs du trustee

La violation d’un pouvoir ou d’un devoir par le trustee constitue un breach of trust. Nous allons présenter dans ce chapitre les pouvoirs et devoirs du trustee dont la violation peut ouvrir la voie à l’exercice du droit de suite.

69 Béraudo / Tirard, Les trusts anglo-saxons et les pays de droit civil, § 144, p. 143. 70 Contra : Wolf / Jordi, in Der Trust – Einführung und Rechtslage in der Schweiz, p. 67. 71 Contra : Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 59. 30 Delphine Pannatier Kessler

1. Les pouvoirs

En apparence, le trustee ayant le legal title sur les biens en trust peut se comporter en propriétaire et disposer des biens 72. Mais il doit respecter les pouvoirs dont il dispose. De manière générale, l’on peut dire de nos jours que les trustees ont “almost every conceivable power unless the terms of the trust or applicable law provide otherwise” 73 (presque tous les pouvoirs ima- ginables, à moins que les termes de l’acte de trust ou que la loi applicable ne prévoient le contraire). Cela n’a pas toujours été le cas puisque, tradition- nellement, les trustees n’avaient que les pouvoirs restreints qui leur étaient conférés par l’acte de trust 74. Les pouvoirs peuvent avoir diverses sources, lesquelles sont présentées ci-dessous.

1.1 Sources de pouvoir 1.1.1 L’acte de trust

Tout d’abord, l’acte de trust est la source primaire des pouvoirs du trustee ; en témoigne D. Hayton qui parle de la “suprématie de l’acte de trust” 75. Celui-ci peut autoriser ou interdire un acte de manière explicite 76. Un acte de trust bien rédigé contiendra en principe une description des actes que le trustee a le pouvoir de faire 77. L’acte de trust peut également contenir des pouvoirs implicites, lesquels sont définis par le deuxième Restatement on Trusts comme ceux “necessary or appropriate to carry out the purposes of the trust and are not forbidden by the terms of the trust” 78, (nécessaires et appropriés pour poursuivre les buts du trust et qui ne sont pas interdits par les termes de l’acte de trust). Dans ce cas, la démarche consiste à interpréter les buts du trust et les autres clauses de l’acte de trust pour déterminer s’ils incluent des pouvoirs implicites.

72 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-054, p. 661 ; McGhee, Snell’s Equity, § 19-02, p. 464. 73 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 18.1, p. 1270. 74 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 18.1, p. 1267. 75 Hayton, The Law of Trusts, p. 34. 76 Restatement on Trusts, 2nd, § 186 (a) ; Hayton, The Law of Trusts, p. 34 et p. 139. 77 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts,§ 18.1, p. 1268 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 140. 78 Restatement on Trusts, 2nd, § 186 (b). II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 31

1.1.2 La loi

En second lieu, la loi peut donner au trustee certains pouvoirs 79. C’est le cas de la deuxième partie du Trustee Act de 1925 anglais (articles 12 ss) lequel donne divers pouvoirs au trustee pour administrer les biens du trust 80. De plus, le Trustee Act de 2000 crée un pouvoir général d’investissement en faveur du trustee à son article 3(1), lequel l’autorise à faire tout investisse- ment qu’il serait en mesure de faire s’il était entièrement propriétaire des biens du trust. Il en est de même à Jersey où l’article 24(1) du Trusts (Jersey) Law donne au trustee des pouvoirs généraux l’autorisant à entreprendre tous les actes qu’un individu propriétaire du bien pourrait faire, dans la mesure où cela ne contredit pas l’acte de trust 81.

1.1.3 Le tribunal

Les tribunaux jouent un rôle important dans la définition des pouvoirs et obligations des trustees. Pendant sa période d’administration, le trustee n’est pas seul au moment de prendre des décisions : il bénéficie de la super- vision et de l’appui du tribunal compétent. En cas de doute, le trustee a la possibilité de s’adresser au tribunal pour clarifier ses pouvoirs 82. Le tribu- nal a le pouvoir d’autoriser ou d’interdire au trustee de faire un acte que la loi ou l’acte de trust interdisent ou prescrivent 83. Le pouvoir du tribunal est notamment régi par l’article 57(1) du Trustee Act de 1925 en Angleterre 84 et par l’article 47(3) à Jersey 85. En ce domaine, la latitude du tribunal est grande : si les juges consi- dèrent qu’il est dans le meilleur intérêt des bénéficiaires de conférer le

79 McGhee, Snell’s Equity, § 26-01, p. 611. 80 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-049 ss, p. 659 ; ­Hayton, The Law of Trusts, p. 156 ss. 81 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.29, p. 108. 82 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 499-501 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-122, p. 686. 83 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-124, p. 694 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 47.21 (1), p. 621. 84 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 47.108 ss, p. 651. 85 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.33, p. 109. 32 Delphine Pannatier Kessler pouvoir demandé 86, ils peuvent l’accorder non seulement si l’acte de trust ne le prévoit pas, mais également si l’acte de trust l’interdit 87. Un tribunal peut aussi interdire à un trustee d’exercer un pouvoir que l’acte de trust lui confère 88. Les trustees ont le droit d’obtenir des instructions du tribunal lorsque “there is a reasonable doubt about the powers or duties of the trusteeship or about the proper interpretation of the trust provisions”89, (il y a un doute raisonnable par rapport aux pouvoirs ou devoirs du trustee ou sur l’inter- prétation correcte des clauses du trust). Cependant, si le tribunal considère qu’il n’y a pas de doute raisonnable ou si le trustee demande à recevoir des instructions sur la manière dont il doit exercer ses pouvoirs discrétion- naires, le tribunal refusera de lui donner des instructions ou des ordres 90. La décision du tribunal lie le trustee et les bénéficiaires ; si le trustee respecte les instructions judiciaires, il est protégé contre une éventuelle action judiciaire des bénéficiaires arguant d’une violation du trust breach( of trust) 91. De même, les bénéficiaires ne peuvent pas attaquer les actions accomplies par le trustee à la suite d’un ordre judiciaire dans le respect de ce dernier 92. Les décisions judiciaires sont donc également une importante source de pouvoirs pour le trustee.

1.1.4 Hiérarchie

Lorsque l’on tente de déterminer si un trustee a le pouvoir de faire un acte spécifique, l’on doit tenir compte des diverses sources de pouvoirs men- tionnées ci-dessus. C’est tout d’abord l’acte de trust qui détermine les pou- voirs du trustee et, le cas échéant, lui interdit certains actes. Ensuite, les

86 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 16.4, p. 1035. 87 Restatement on Trusts, 2nd, § 167 ; ad § 186 p. 399 ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.33, p. 109. 88 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 18.1, p. 1272. 89 Restatement of Trusts, 3rd, § 71 (Tentative Draft No. 4, 2005). 90 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 16.8, p. 1072. 91 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.33, p. 109 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 87.2-87.4, p. 1027 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-25, p. 677. 92 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 16.8, p. 1074 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 87.9, p. 1028. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 33 pouvoirs octroyés par la loi complètent les pouvoirs prévus par l’acte de trust, à condition d’être compatibles avec ces derniers 93 ; en effet, l’acte de trust a la primauté. Enfin, le tribunal a la compétence finale pour modi- fier les pouvoirs du trustee, que ceux-ci proviennent de l’acte de trust ou de la loi. Il nous paraît que la méthode proposée par Scott et Ascher en droit américain mérite d’être présentée pour clarifier la hiérarchie des sources : “In determining whether a trustee has a certain power, the first step is to ex- amine the trust instrument. If the trust instrument unambiguously confers or denies the power, there is generally no dispute. If, however the governing instrument is silent or ambiguous, the next step is to consider the applicable law. Most states now have trustees’ power legislation. If, as is increasingly the case, applicable law unambiguously confers on the trustee the power in question, there again should be no dispute. Only if both the trust instrument and applicable law are silent or ambiguous should the trustee’s power re- main in doubt”94, (Pour déterminer si un trustee possède un certain pouvoir, la première étape consiste à examiner l’acte de trust. Si ce dernier confère ou dénie sans ambiguïté ce pouvoir, il n’y a en principe pas de contesta- tion. Si cependant l’acte de trust est silencieux sur ce point ou ambigu, il convient alors de prendre en compte le droit applicable. La plupart des Etats américains ont de nos jours des lois en matière de pouvoirs du trustee. Si le droit applicable confère au trustee de manière claire le pouvoir en question, comme c’est le cas de plus en plus souvent, il ne devrait à nouveau pas y avoir de contestation. Les pouvoirs du trustee ne demeureront en doute que si non seulement l’acte de trust mais aussi le droit applicable sont silencieux ou ambigus). C’est donc à ce moment qu’interviennent les tribunaux pour lever le doute ; le trustee pourra leur demander d’interpréter une clause ambiguë ou de lui accorder le pouvoir d’accomplir un acte déterminé. En résumé, les clauses de l’acte de trust, complétées par le droit ap- plicable, ont la priorité. Si un doute subsiste ou si une modification est nécessaire, le trustee peut demander au tribunal compétent de statuer sur ce point, étant précisé que le tribunal a la compétence finale pour trancher la question.

93 Trustee Act 1925, art. 69(2) ; Trust (Jersey) Act 1984 art. 24(1) ; Oakley, Parker and Mellows, The Modern Law of Trusts, § 14-049, p. 659. 94 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 18.1, p. 1271 s. 34 Delphine Pannatier Kessler

1.2 Quelques pouvoirs déterminants en matière de droit de suite

Il n’est pas possible de déterminer de manière générale si un trustee dis- pose ou non d’un pouvoir, dans la mesure où la réponse à cette question dépend de nombreux facteurs. Nous présenterons très brièvement les points essentiels à prendre en compte mais il va de soi que dans la pratique un examen au cas par cas, effectué en principe par des spécialistes du droit applicable, sera nécessaire.

1.2.1 Pouvoir de vendre

En général, les actes de trust contiennent un pouvoir de vendre explicite. Il est également possible qu’ils interdisent la vente de certains biens, de ma- nière expresse ou de manière implicite, par exemple en exigeant la remise d’un bien en nature à un bénéficiaire ou en prévoyant la mise à disposition de la demeure familiale pour l’usage de la famille 95. Une interprétation de l’acte de trust peut donc s’avérer nécessaire. De plus, la loi applicable donne généralement au trustee le pouvoir de vendre les biens en trust à condition que l’acte de trust ne s’y oppose pas 96. Tel est le cas de l’article 3(1) du Trustee Act de 2000 donnant au trustee un pouvoir général d’investir comme un propriétaire, de l’article 6 du Trust- ees of Land and Appointment of Trustees Act de 1996 donnant un pouvoir général de vendre les immeubles, de l’article 12(1) du Trustee Act de 1925 autorisant le trustee à vendre aux enchères ou de l’article 24(1) et (2) du Trusts Jersey Law donnant au trustee un pouvoir général d’agir comme un propriétaire dans les limites du trust. Enfin, une décision du tribunal compétent peut autoriser un trustee à vendre un objet 97. De manière générale, il nous paraît qu’un trustee aura presque toujours le pouvoir de vendre un bien sauf dans le cas où l’acte de trust le lui interdit expressément ou si un jugement le lui interdit dans un cas d’espèce.

95 Restatement on Trusts, 2nd, § 186 p. 401. 96 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-054, p. 661, § 14- 069, p. 666 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 62.1 (2), p. 870 ; McGhee, Snell’s Equity, § 26-03, p. 612. 97 Riddall, The Law of Trusts, p. 420. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 35

1.2.2 Pouvoir de grever de gages

L’acte de trust peut contenir une autorisation ou une interdiction de grever de gages. Si tel n’est pas le cas, le trustee peut avoir le pouvoir de grever de gages les biens du trust selon l’article 16 du Trustee Act de 1925 et l’article 6 du Trusts of Land and Appointment of Trustees Act de 1996 98. Il semble toute­- fois que ce pouvoir de grever de gages des biens immobiliers soit restreint aux cas où la mise en gage est nécessaire pour préserver les biens du trust 99.

1.2.3 Pouvoir d’effectuer d’autres actes de disposition

Si le trustee peut vendre le bien en trust, il peut aussi le grever d’une ser- vitude, d’un usufruit, ou le louer 100. Si l’acte de trust ne détermine pas la question ou ne l’interdit pas, la loi applicable donnera généralement au trustee ce pouvoir par l’intermédiaire des clauses générales de pouvoir susmentionnées 101. En conclusion, rappelons qu’un examen au cas par cas sera toujours nécessaire. Cet examen se fera en première ligne par interprétation de l’acte de trust, au besoin à la lumière du droit applicable et d’éventuelles décisions judiciaires.

2. Les devoirs

Le trustee n’est pas libre de gérer les biens en trust à sa guise. Son activité de trustee est régie par des devoirs à l’égard des bénéficiaires, à tel point que selon G. Thomas et A. Hudson “Trusteeship is primarily about duty and obligation. (…) Trustees are invariably required to discharge numerous duties and obligations, and failure to do so may result in serious liability”102, (La fonction de trustee consiste principalement en devoirs et obligations. Les

98 Voir à ce sujet : Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 62.3, p. 871. 99 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-051, p. 659 ; contra : Riddall, The Law of Trusts, p. 420. 100 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 463 ; Riddall, The Law of Trusts, p. 420. 101 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-049, p. 659, § 14-054, p. 661. 102 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 10.01, p. 282. 36 Delphine Pannatier Kessler trustees sont invariablement obligés de remplir de nombreux devoirs et obli- gations. A défaut, ils engagent de manière sérieuse leur responsabilité). Se- lon les droits des diverses juridictions connaissant l’institution du trust et même selon les auteurs au sein de la même juridiction, les devoirs du trustee ne sont pas toujours classés et présentés selon la même systéma- tique. Il existe de très nombreux devoirs du trustee, par exemple le devoir d’information à l’égard des bénéficiaires, le devoir d’impartialité et d’éga- lité envers les bénéficiaires, le devoir de sauvegarder les biens du trust, le devoir d’investir prudemment 103. En droit de Jersey, ces devoirs sont qua- lifiés de manière synthétique de devoir de diligence, prudence et d’agir au mieux de ses capacités et de devoir d’agir avec une bonne foi qualifiée 104. En ce qui concerne notre étude relative au droit de suite, les devoirs per- tinents du trustee sont le devoir de fidélité, le devoir de respecter l’acte de trust et le devoir de diligence. Ils seront présentés ci-après.

2.1 Le devoir de fidélité et loyauté

Un trustee a l’obligation de toujours agir dans le seul et meilleur intérêt des bénéficiaires 105 qu’il doit préserver et promouvoir en agissant comme un homme avisé traiterait ses propres affaires 106. Il n’est pas autorisé à entreprendre un acte dans son propre intérêt sans le consentement des ­bénéficiaires 107 et cela même si le trustee a le pouvoir d’accomplir l’acte en question selon l’acte de trust. Le devoir de loyauté requiert un “particularly high standard of conduct from any trustee whose personal interests conflict with those of the beneficiaries”108, (un niveau de conduite particulièrement élevé de tout trustee dont les intérêts personnels entrent en conflit avec ceux des bénéficiaires). Le devoir de loyauté interdit toute transaction du trustee

103 Pour un aperçu de cette matière complexe en droit anglais, voir Thomas / Hudson, chapitres 10 et 11. 104 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.40, p. 112. 105 Hayton / Matthews, in International Encyclopaedia of Laws, vol. 1 Property and Trust Law, § 227, p. 98 ; Penner, The Law of Trusts, § 2.10-2.11, p. 18 s., § 2.28, p. 27. 106 Swadling, in Breach of Trust, p. 337. 107 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 17.2, p. 1078 ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.42, p. 112 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 448 s. ; Penner, The Law of Trusts, § 12.60, p. 418 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 59.1, p. 804 s. 108 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 17.2, p. 1078. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 37 avec lui-même à titre personnel (self-dealing) 109 et toute transaction impli- quant ou créant un conflit d’intérêts 110. Pour décourager le trustee de traiter à titre personnel, le droit anglais a développé une règle drastique appelée “self-dealing rule” (ou dans la doc- trine américaine “no further inquiry rule”), selon laquelle un ­trustee qui a violé l’interdiction d’agir à titre personnel avec le trust est responsable (liable) sans que l’on ne se pose la question de sa bonne foi, des circons- tances, de l’équité de l’affaire ou du prix payé 111. Une transaction du ­trustee avec lui-même est donc toujours équivalente à une violation du trust et entraîne les conséquences que nous présenterons plus bas, telles que la condamnation au paiement des dommages, l’obligation de restituer les profits et le droit de suite 112. Ainsi, le trustee ne peut pas utiliser un pou- voir de vente existant et valable pour acheter à titre personnel un bien en trust 113. Même s’il agit de la sorte avec une bonne intention, que le prix payé est correct et qu’il est parfaitement de bonne foi, il commettra une violation du trust engageant sa responsabilité personnelle et rendant la transaction en question annulable 114. Il faut encore mentionner que la règle connue sous le nom de “self- dealing rule” est une règle par défaut qui peut être modifiée : les termes de

109 Penner, The Law of Trusts, § 12.60, p. 418 ss, p. 338 s. ; Hayton, The Law of Trusts, p. 141 et p. 150 s. ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.42, p. 112 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-083 ss, p. 375 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 59.1 (2), p. 804 et § 59.4 ss, p. 804 ss. 110 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 17.2, p. 1079 ; Hayton / Matthews, in International Encyclopaedia of Laws, vol. 1 Property and Trust Law, § 227, p. 98 ; Swadling, in Breach of Trust, p. 340 ; Penner, The Law of Trusts, § 2.11, p. 19 ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.42, p. 112 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 441 s. 111 Swadling, in Breach of Trust, p. 340 s. ; Hayton, The Law of Trusts, p. 141 ; Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, p. 1080 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 447 s. ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 59.1, p. 804. 112 Restatement on Trusts, 2nd, § 206. 113 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.42, p. 112 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 59.4, o, 806. 114 Hayton, The Law of Trusts, p. 142 et p. 151 s. ; Matthews / Sowdon, § 9.42, p. 112 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 59.1 et § 59.4, p. 804-806 ; considérant une telle transaction nulle (void) : Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-084, p. 375. 38 Delphine Pannatier Kessler l’acte de trust, une décision judiciaire ou le consentement des bénéficiaires peuvent autoriser une transaction du trustee avec lui-même 115. Dans ce cas-là, le trustee ne viole pas son devoir de fidélité et n’est pas responsable d’une violation du trust.

2.2 Le devoir de respecter l’acte de trust

Le trustee a également le devoir de respecter l’acte de trust 116, c’est-à-dire d’obéir aux instructions contenues dans l’acte de trust et de les exécuter fidèlement, à moins qu’il ne soit autorisé par l’acte de trust lui-même, par la loi ou par une décision du tribunal à passer outre les règles contenues dans l’acte de trust 117. Rappelons que l’acte de trust a la suprématie 118. De surcroît, le trustee doit respecter l’acte de trust même s’il considère qu’une violation de celui-ci serait dans l’intérêt des bénéficiaires 119. En droit de Jersey, le devoir de respecter l’acte de trust découle de l’article 21(2) du Trusts (Jersey) Law 120.

2.3 Le devoir de diligence

Le trustee doit toujours agir avec diligence et soin (duty of care) ; il doit veiller aux affaires du trust comme s’il s’agissait des siennes 121. S’il est trustee professionnel rémunéré, il a l’obligation d’agir avec un degré de soin et de diligence que l’on peut raisonnablement attendre d’un profes-

115 Hayton, The Law of Trusts, p. 151 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 449 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-088, p. 377 s. 116 Penner, The Law of Trusts, § 2.10, p. 18 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 512 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 47.1 et § 47.2, p. 613 s. ; McGhee, Snell’s Equity, § 27-04, p. 641. 117 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 10.08, p. 283. 118 Hayton, The Law of Trusts, p. 36. 119 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 10.08, p. 283. 120 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.43, p. 113. 121 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 10.36, p. 293 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 399 s. ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-003, p. 639 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relat- ing to Trusts and Trustees, § 52.3, p. 709 ; McGhee, Snell’s Equity, § 27-02, p. 637 s. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 39 sionnel agissant en tant que spécialiste dans son domaine d’expertise 122. Ces exigences découlent de la jurisprudence et de la Section 1 du Trustee Act anglais de 2000 et de l’article 21(1) du Trusts (Jersey) Law de 1984.

C. Conséquences de la violation des devoirs et pouvoirs

Nous définirons ce qu’est un breach of trust et présenterons les actions ­disponibles pour y remédier : les actions à caractère provisionnel, la res- ponsabilité personnelle et le droit de suite.

1. Le breach of trust

Tout manquement qu’un trustee commet dans l’exercice de sa mission est une violation du trust, appelée en droit anglais un breach of trust, dont il doit répondre envers les bénéficiaires 123. Selon l’arrêt Green v. Russell, “any act or neglect on the part of a trustee which is not authorised or excused by the terms of the trust instrument, or by law, is called a breach of trust”124, (Tout acte ou défaut d’agir du trustee qui n’est pas autorisé ou excusé par l’acte de trust ou par la loi est une violation du trust). La notion est la même en droit de Jersey où la loi définit qu’unbreach of trust est une violation de n’importe quelle obligation imposée au trustee par la loi ou par les termes du trust 125. Un breach of trust peut consister en un acte positif du trustee violant ses pouvoirs ou devoirs ou en une omission d’agir 126. Nous avons vu que

122 Hayton, The Law of Trusts, p. 153 ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 10.35 ss, p. 292 ss ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 14-005, p. 640 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 52.4, p. 709 ; McGhee, Snell’s Equity, § 27-03, p. 639. 123 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-001, p. 864 ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 14.1, p. 169 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-01, p. 665. 124 Green v. Russell (1959) 2 QB 226, p. 241 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 1.1 (3), p. 2. 125 Trusts Jersey Law de 1984, art. 1 (1) ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 9.40, p. 112 et § 14.1, p. 169. 126 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-001, p. 864. 40 Delphine Pannatier Kessler c’est en première ligne l’acte de trust qui définit ces pouvoirs et devoirs, complété des dispositions légales pertinentes ainsi que d’éventuelles dé- cisions judiciaires 127. Par exemple, si le trustee fait un acte de disposition sur un bien alors qu’il n’y était pas autorisé, aliénant une œuvre d’art d’un trust alors que l’acte de trust exigeait qu’il la garde pour la distribuer plus tard à un bénéficiaire, il commet unbreach of trust. De même, si le trustee achète pour lui-même un bien du trust, il commet un breach of trust car son devoir de fidélité lui interdit tout conflit d’intérêt.

2. Remèdes légaux

En cas de violation du trust, le droit anglais prévoit divers mécanismes pour y remédier. Il y a tout d’abord diverses actions à caractère provi- sionnel que nous présenterons brièvement mais qui ne constituent pas l’objet de cette étude. Ensuite, il existe des actions personnelles contre le trustee et contre des tiers. Enfin entre en scène l’action qui nous intéresse : le droit de suite réel des bénéficiaires, lequel fera l’objet de plus amples développements.

2.1 Les sources légales

Les remèdes légaux en droit anglais sont définis principalement par la ju- risprudence, notamment dans les arrêts Target Holdings v. Redferns 128, El Ajou v. Dollar Land Holdings 129, Royal Brunei Airlines v. Tan 130, Foskett v. McKeown 131 et Re Diplock’s Estate 132. En droit de Jersey, la loi définit la responsabilité personnelle du trustee à l’article 30 du Trusts Jersey Act de 1984, la responsabilité personnelle du tiers en tant que constructive trustee à l’article 33 et enfin le droit de suite à l’article 54 (3) de cette même loi.

127 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 594. 128 Target Holdings v. Redferns, (1996) 1 AC 421, (1995) 3 WLR 352, (1995) 3 All ER 785. 129 El Ajou v. Dollar Land Holdings, (1993) 3 All ER 717 et (1994) 2 All ER 685. 130 Royal Brunei Airlines v. Tan, (1995) 2 AC 378. 131 Foskett v. McKeown, (2000) 3 All ER 97. 132 Re Diplock, (1948) Ch. 465, p. 539. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 41

2.2 Les actions à caractère provisionnel

En cas de violation de trust effective ou imminente, les bénéficiaires peu- vent obtenir diverses mesures selon les cas et les circonstances, lesquelles peuvent être cumulées si besoin est 133. Par exemple, ils peuvent requérir le tribunal compétent de contraindre le trustee à fournir des informations ou à rendre des comptes, de statuer sur les droits et devoirs du trustee 134, d’en- joindre au trustee d’agir d’une certaine manière ou de lui interdire de faire un acte 135. Ils peuvent aussi requérir le tribunal d’ordonner au trustee de fournir une caution afin de garantir une exécution fidèle dans le futur 136, de demander le remplacement du trustee s’il a commis une violation sé- rieuse du trust 137 ou encore d’interdire à un tiers d’aliéner un bien du trust acquis en violation de ce dernier et sur lequel les bénéficiaires ont l’inten- tion d’exercer le droit de suite 138. Ces mesures provisionnelles ne concer- nant pas directement le droit de suite, nous ne nous y attarderons pas.

2.3 Responsabilité personnelle

En cas de violation du trust, les bénéficiaires peuvent tenir le trustee ou des tiers ayant participé à la violation pour responsables et engager contre eux une action personnelle. Cette action est dirigée contre leur patrimoine privé, d’une manière similaire à une action en responsabilité du droit suisse tendant au paiement de dommages-intérêts. L’action peut également tendre à la restitution personnelle (et non pas réelle) de certains actifs. Le désavantage d’une condamnation au paiement de dommages-­ intérêts réside dans le fait que les bénéficiaires n’ont pas une créance privi- légiée et sont traités de la même façon que les autres créanciers du trustee

133 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 93.1 ss, p. 1105.Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 861, p. 33 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 36 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-08, p. 668. 134 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 861, p. 9 et p. 12 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 485 s. 135 McGhee, Snell’s Equity, § 28-08, p. 668 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 861, p. 12 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 622 s. 136 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 861, p. 15. 137 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 861, p. 15 s. ; § 747, p. 507 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 385. 138 Hayton, The Law of Trusts, p. 169. 42 Delphine Pannatier Kessler ou du tiers 139. Si le débiteur est insolvable, les bénéficiaires n’obtiendront qu’une partie de leur dû 140. Cela étant, si de la monnaie ou d’autres valeurs provenant de la violation du trust se trouvent dans les mains du débiteur et sont grevés du beneficial interest, les bénéficiaires peuvent également obte- nir sur ces valeurs un “equitable lien” ou “equitable charge”, c’est-à-dire un droit de gage créé par l’equity, lequel leur donnera priorité afin d’obtenir le règlement de leur prétention en dommages-intérêts 141. Il s’agit d’un droit de gage réel venant renforcer l’action personnelle.

2.3.1 Responsabilité personnelle du trustee

Si le trustee dispose de biens en violation du trust ou ne respecte pas d’autres devoirs, il en est personnellement responsable envers les bénéficiaires. Ces derniers peuvent exiger que le trustee soit contraint à rembourser le trust de ses propres deniers, c’est-à-dire sur son patrimoine privé, pour rétablir la situation qui aurait dû prévaloir sans breach of trust 142. En droit anglais, ce remède est appelé “liability to take accounts” et est décrit comme une modification fictive des comptes du trustsurcharge ( the accounts) par la- quelle sont recréés comptablement les biens du trust, à charge du trustee de rembourser la différence entre la valeur comptable fictive et la valeur ­effective 143. Il y a lieu de relever que les auteurs anglais décrivent ce remède

139 Hayton, The Law of Trusts, p. 169 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 862, p. 41. 140 Hayton, The Law of Trusts, p. 169 : Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 12-02, p. 799 ; Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 24.6, p. 1681. 141 Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 12-01, p. 799 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 862, p. 41 s. et § 865, p. 90 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-36, p. 686. 142 Re Dawson in (1966) 2 NSWR 211, 215 cité par Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 744 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 514 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 29 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 89.1, p. 1047 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-09, p. 668. 143 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-010, p. 867 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 28 et p. 164 s. ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 10-01 ss, p. 704 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 89.2, p. 1049 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-10, p. 669. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 43 de multiples façons, le qualifiant tantôt de remède compensatoire 144, tan- tôt de restitution145. Par ce remède, les bénéficiaires peuvent exiger le rem- boursement de la valeur perdue, des pertes et des gains manqués. Le tribu- nal peut également contraindre le trustee à restituer des actifs détournés du trust sur la base d’une “equitable compensation” de nature personnelle et non pas réelle 146. En droit de Jersey, le trustee est redevable des pertes et dépréciations d’un objet du trust résultant de la violation et des gains qui auraient augmenté le patrimoine du trust si la violation n’avait pas eu lieu 147.

2.3.2 Responsabilité personnelle du tiers

Une prétention personnelle en compensation de la perte subie par le trust peut être élevée contre un tiers qui a participé au breach of trust 148. Cette responsabilité personnelle des tiers peut survenir dans les cas suivants : en tant que trustee de son tort, en cas de knowing receipt et en cas de knowing assistance 149. Le tiers est responsable en tant que trustee de son tort s’il s’immisce dans les affaires du trust en agissant comme un trustee 150 ; cette responsa- bilité découle de l’arrêt Mara v. Browne en droit anglais 151. Le tiers est aussi responsable personnellement s’il reçoit des biens du trust en sachant que

144 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 744 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-009, p. 867 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 514. 145 Target Holdings Ltd v. Redferns (1994) 2 All ER 337, commenté par Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 744. 146 Clements / Abass, Equity & Trusts, p. 418. 147 Trusts Jersey Law 1984, art. 30(2). 148 Hayton, The Law of Trusts, p. 23 ; En droit américain : Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 868, p. 104 ; Restatement on Trust, 2nd, § 295. 149 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 100.1, p. 1167 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Ob- ligations, p. 823 ; voir également : Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-161 ss, p. 408 ss ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 151 ss ; ­McGhee, Snell’s Equity, § 28-46, p. 691 s. 150 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 152 s. ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 100.1 (1), p. 1167. 151 (1896) 1 Ch 199, p. 209 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 100.2, p. 1168 s. 44 Delphine Pannatier Kessler ceux-ci proviennent d’une violation du trust 152 ; ce cas est nommé knowing receipt 153 et est illustré par le cas Re Montagu’s Settlement Trust 154. Enfin, la troisième situation est celle où le tiers a participé avec le trustee à une vio- lation du trust et est appelée knowing assistance 155 ; 156. Ces responsabilités personnelles des tiers doivent être distinguées du droit de suite, lequel peut être invoqué de manière indépendante. Il y a lieu de relever que cette responsabilité personnelle a été appe- lée pendant longtemps “liability to account as a constructive trustee”157, ce qui laisse sous-entendre un aspect réel de la prétention, vu la référence au constructive trust, alors qu’il n’en est rien158. Dès lors, la doctrine critique cette appellation qui découle de la tradition et considère généralement qu’il serait opportun de qualifier cette responsabilité de “liability to account in equity” ou simplement “liability to account” afin de ne pas confondre les remèdes personnels et réels 159. Il est renvoyé au point II.C.3, page 49, sur le problème sémantique lié à la notion de constructive trust.

2.4 Action in rem : le droit de suite

L’autre type de remède au fond à disposition des bénéficiaires est celui des proprietary ou in rem remedies. Le principal moyen est le droit de suite, lequel est une action en revendication par laquelle les bénéficiaires du trust font valoir leur beneficial interest qui continue de grever un bien en trust malgré son aliénation déloyale. Dès lors, par l’exercice du droit de suite, les bénéficiaires font valoir leur droit réel et revendiquent le bien contre toute personne le détenant 160. Ce principe découle de l’arrêt Re Diplock’s

152 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 153 s. ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 100.1 (4). 153 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 837 ss. 154 Re Montagu’s settlement trust, (1987) Ch 264. 155 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 158 ss ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 100.1 (3) ; En droit américain : Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 747, p. 510. 156 Pour un aperçu de ces responsabilités en droit de Jersey : Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 7.17 ss, p. 86. 157 Pour un exemple : Hayton, The Law of Trusts, p. 159 s. 158 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 823 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 69 s., p. 152 s. 159 Hayton, in Breach of Trust, p. 392 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 153. 160 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 539. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 45

Estate 161 ; 162. Sont visés non seulement les biens ayant appartenu originai- rement au patrimoine du trust, mais aussi les biens acquis en remplace- ment (les remplois), les revenus de ces biens, les plus-values, soit toutes les transformations que ces biens ont subies 163 et dont l’appartenance au patrimoine du trust est identifiée sur la base des règles dutracing que nous présenterons plus bas. Mentionnons au passage un autre moyen de droit faisant partie de cette catégorie de remèdes réels, celui consistant à obte- nir du juge la reconnaissance d’un droit de gage, appelé equitable lien, sur certains biens ayant un lien avec le trust, afin de garantir le paiement de prétentions personnelles 164. Le droit de suite permet d’avoir la priorité par rapport aux autres créanciers du défendeur 165, puisqu’il ne s’agit pas d’une créance mais bien d’un droit de propriété sur l’objet visé. Il sera particulièrement intéressant en cas d’insolvabilité du trustee ou du tiers 166, lorsque la responsabilité personnelle du défendeur ne permet pas de satisfaire les bénéficiaires 167. Il permet aussi aux bénéficiaires de profiter de l’augmentation de valeur d’un bien et de se l’approprier 168. Le droit de suite doit être distingué d’une ac- tion personnelle : par le droit de suite, les bénéficiaires font annuler un acte illicite, font valoir leur droit sur le bien ou son remploi en tant que proprié- taire à titre équitable (equitable interest) 169 et recouvrent le bien en nature en faveur du trust. Au contraire, dans l’hypothèse d’une action person- nelle, les bénéficiaires ont une prétention pécuniaire contre le patrimoine personnel du trustee ou du tiers, accompagnée cas échéant d’un droit de gage réel (equitable lien) sur le bien en trust afin de garantir le paiement 170. Cependant, en cas d’action personnelle, les bénéficiaires reconnaissent

161 Re Diplock, (1948) Ch. 465, p. 539. 162 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 544. 163 Hayton, The Law of Trusts, p. 169 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 539 s. 164 McGhee, Snell’s Equity, § 28-36, p. 686. 165 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 865 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 23 et p. 169. 166 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 95 et 865 ; Penner, The Law of Trusts, § 11.3, p. 302 et § 11.94, p. 340 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 541 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-020, p. 345. 167 Hayton, The Law of Trusts, p. 23. 168 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 865 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 540. 169 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 866, p. 96. 170 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 862, p. 42. 46 Delphine Pannatier Kessler

­implicitement que le bien précédemment en trust est désormais la pro- priété du seul défendeur 171. Relevons au passage que la possibilité d’exercer le droit de suite de na- ture réelle n’existe pas dans tous les ordres juridiques connaissant le trust. Par exemple en droit sud-africain seuls des remèdes personnels sont à disposition pour remédier à une violation du trust, principalement une action en responsabilité contre le trustee et une action en enrichissement illégitime contre les tiers 172.

2.4.1 Contre le trustee

Le droit de suite peut être exercé contre le trustee en revendication de biens dont il a acquis la propriété en violation du trust 173. Précisons que le trustee doit détenir les biens du trust dans un patrimoine séparé et n’est pas au- torisé à mélanger les biens du trust avec ses biens personnels. Le transfert de biens du patrimoine séparé du trust détenu par le trustee au patrimoine personnel du trustee, ou plus fréquemment la confusion par le trustee entre ces deux patrimoines, constitue une violation du trust ouvrant la voie au droit de suite. Le trustee ne peut jamais invoquer la bona fide purchaser rule pour être protégé dans son acquisition à titre privé d’un bien du trust puisqu’il connaît forcément l’existence du trust ainsi que les obligations et devoirs prévus par l’acte de trust et les autres sources du droit. De plus, le trustee sait ou devrait savoir que son obligation de loyauté lui interdit d’acquérir des biens du trust vu le conflit d’intérêts patent qui existe 174. Même en cas d’erreur dans l’interprétation de l’acte de trust faite par le trustee et donc même en cas de bonne foi du trustee dans son for intérieur, le trustee ne peut pas invoquer la bona fide purchaser rule pour empêcher l’exercice du droit de suite à son encontre, puisque dans le doute il aurait dû demander la permission du tribunal compétent 175. En revanche, si les bénéficiaires,

171 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 865, p. 92. 172 De Waal, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 53. 173 Voir Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.1, p. 1081 s. 174 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 29.75, p. 864 et § 29.77, p. 864, p. 942 ; Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 17.2, p. 1077 ss. 175 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 29.82, p. 866. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 47 l’acte de trust ou le tribunal compétent autorisent expressément le trustee à acquérir un bien du trust à titre personnel en dérogation à l’interdiction des conflits d’intérêts, une telle acquisition est permise et ne constitue pas une violation du trust, de sorte que la question de la protection de la bonne foi ne se pose pas. Ainsi, le moyen de défense de la bona fide purchase rule ne peut être invoqué que par des tiers au trust 176. Comme conséquence de l’exercice du droit de suite contre le trustee, ce dernier est obligé de res­ tituer au patrimoine séparé du trust, voire à un nouveau trustee 177, les biens du trust qu’il a confondus avec ses biens personnels, qu’il s’agisse du bien initial ou du bien après divers changements de forme, selon les règles du tracing que nous présenterons sous II.D.3.2, page 62.

2.4.2 Contre un tiers

Le droit de suite peut également être exercé contre tout tiers qui a acquis des biens du trust en violation de ce dernier 178, sauf s’il est un acquéreur de bonne foi à titre onéreux ou s’il bénéficie du moyen de défense du change“ of position”. Le succès du droit de suite est soumis à la condition que les règles en matière de tracing permettent l’identification des biens 179 (voir II.D.3.2, page 62).

2.5 Interdiction de la double indemnisation et choix du moyen de droit

Même si les bénéficiaires ont à disposition divers remèdes personnels et réels contre le trustee et/ou contre des tiers pour obtenir un rembour- sement ou la restitution de biens en trust, de leurs produits ou de leurs remplois, le principe cardinal est toujours que la prétention des bénéfi- ciaires ne doit être satisfaite qu’une seule fois 180. L’idée sous-jacente est de replacer les bénéficiaires dans la situation qui aurait été la leur en l’absence

176 Voir notamment le Restatement on Trusts, 2nd, § 201, lit. a) et § 284. 177 Dans l’hypothèse où le trustee déloyal a été remplacé par un nouveau trustee. 178 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 886. 179 Hayton, The Law of Trusts, p. 169. 180 Penner, The Law of Trusts, § 11.21, p. 310 et § 11.137, p. 360 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 540. 48 Delphine Pannatier Kessler de ­violation du trust mais pas dans une situation plus favorable 181. Cela signifie que les bénéficiaires ne peuvent pas réclamer un remboursement en argent pour les biens perdus et en même temps obtenir la restitution en nature de ces biens au trust. En présence de plusieurs actions à leur dispo- sition ils ­doivent opérer un choix 182. De même, ils ne peuvent pas revendi- quer par le droit de suite tant l’objet aliéné en violation du trust (following the trust assets) que le produit de sa vente (tracing the proceeds) 183. Nous reviendrons sur ces notions au point II.D.2.3, page 55. Il convient de rele- ver que les bénéficiaires sont libres dans leur choix d’engager tout d’abord l’une ou l’autre action, le droit anglais n’instituant aucune hiérarchie entre les différentes voies de droit 184. Il est cependant permis aux bénéficiaires d’invoquer plusieurs moyens si un seul ne permet pas de satisfaire la totalité de leur prétention. Par exemple, si l’on ne peut recouvrer grâce au droit de suite que la moitié des biens aliénés de manière illicite, il demeure possible d’obtenir une compensation pour la part manquante sur la base de la responsabilité per- sonnelle du défendeur, aussi longtemps qu’il n’y a pas de “duplication of recovery”185. Bien évidemment, de manière générale, les bénéficiaires choisiront le remède légal qui est le plus favorable pour eux 186 selon les circonstances 187. Si par exemple le bien a connu une très grande augmentation de valeur, les bénéficiaires auront intérêt à faire valoir leur droit réel sur l’objet ; si celui-ci a massivement perdu de la valeur, ils préféreront faire valoir la res- ponsabilité personnelle du trustee 188. Ou encore, “if a breach of trust has turned out well, as when gains have resulted from the breach, the beneficia-

181 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 867, p. 100. 182 Penner, The Law of Trusts, § 11.137, p. 360 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 865, p.92 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 867, p. 97 ; Restatement on Trusts, 2nd, § 202 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trust, § 10-022, p. 346 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-36, p. 686. 183 McGhee, Snell’s Equity, § 28-36, p. 686. 184 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.48, p. 1225. 185 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 867, p. 97 ; dans le même sens : McGhee, Snell’s Equity, § 28-09, p. 668 s. 186 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-015 à § 10-024, p. 342 ss ; Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 24.9, p. 1687. 187 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 540 s. 188 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-018, p. 344. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 49 ries will ordinarily choose to hold the trustee accountable for the gains.”189 (si la violation du trust s’est révélée profitable, comme lorsqu’il en découle un gain, les bénéficiaires choisiront en général de ratifier la transaction et de tenir le trustee redevable des gains). Enfin, si le trustee est insolvable, ils auront intérêt à faire valoir leur droit réel afin d’obtenir une satisfaction privilégiée 190. En conclusion, les bénéficiaires ont divers moyens à leur disposition pour obtenir la réparation d’un breach of trust, lesquels peuvent être de nature réelle ou personnelle. Ces moyens permettent notamment de ré- cupérer le bien en trust en nature, le produit de sa vente ou son remploi. Ils permettent aussi d’obtenir une compensation provenant du patrimoine personnel du trustee ou d’un tiers pour la valeur du bien, la perte encourue ou encore pour le gain manqué 191. Ces moyens de droit sont disponibles en parallèle, parfois cumulativement selon les cas, chaque moyen répondant à des conditions différentes. Les bénéficiaires choisiront le ou les moyens les plus adaptés et favorables selon les circonstances 192 mais ils ne peuvent être satisfaits qu’une seule fois. L’un de ces moyens est le droit de suite, sur lequel nous nous concentrerons dans la suite de cette étude.

3. Constructive trust et sémantique

Avant de nous tourner vers le droit de suite de manière détaillée, il convient encore d’aborder brièvement la notion de constructive trust, laquelle est parfois utilisée en relation avec le droit de suite. Le terme de constructive trust peut prêter à confusion. En effet, la no- tion de constructive trust est très large, varie fortement selon les auteurs et est utilisée pour régir des situations très différentes193. Dans la définition de D. Hayton, un constructive trust est un trust imposé par la loi à l’encontre d’une personne propriétaire légale d’un bien (T), qui se voit contrainte ­désormais de détenir ledit bien en faveur d’un bénéficiaire (X), car il serait

189 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 24.9, p. 1687. 190 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-019 et § 10-020, p. 345 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 541. 191 Restatement on Trusts, 2nd, § 205, p. 458. 192 Restatement on Trusts, 2nd, § 214, p. 497 s. 193 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 268 ; Smith, in Breach of Trust, p. 137 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-002, p. 337. 50 Delphine Pannatier Kessler inadmissible que T garde le bien pour son propre bénéfice. Cela peut être le cas soit parce que la volonté initiale des parties consistait à ce que X reçoive le bien et que le changement d’opinion de T ou le fait que T n’ait pas accom- pli les formalités nécessaires mettraient en échec cette intention, ou parce que le bien est constitué des bénéfices provenant de méfaits contre X, ou encore parce que le bien est constitutif d’un enrichissement illégitimement obtenu au détriment de X 194. Ainsi, un constructive trust est imposé notam- ment a) lorsqu’un trustee ou un fiduciaire tire profit de son office sans y être autorisé ; b) lorsqu’un tiers reçoit un bien d’un trust aliéné en violation de ce dernier et qu’il n’est lui-même pas protégé par les règles sur l’acquisition de bonne foi ou par celles de l’overreaching 195. Pour leur part, G. ­Thomas et A. Hudson définissent le constructive trust comme un trust créé de par la loi et rendant le défendeur responsable comme un trustee lorsque les cir- constances sont telles que le défendeur a connaissance de facteurs affectant sa conscience et justifiant l’imposition d’une telle ­responsabilité 196. Il aura pour effet que le constructive trustee devra détenir le bien pour le bénéfice du demandeur ou qu’il devra dédommager ce dernier en argent pour la perte causée s’il n’a plus le bien en sa ­propriété 197. Il s’agit selon ces auteurs d’un remède tant réel que personnel 198. A titre d’illustration plus concrète, un constructive trust est considéré exister notamment dans les cas sui- vants : pour renforcer les droits d’une partie à un contrat notamment en cas d’achat d’immeuble entre la conclusion du contrat et son ­exécution199, en cas d’enrichissement illégitime, pour contraindre à restituer un profit, en cas de paiement par un tiers, ou encore en cas de logement acquis dans le cadre d’un ­concubinage 200. De cette énumération non exhaustive apparaît de manière évidente la polymorphie de l’institution et ses contours flous. Dans la présente étude, nous nous intéressons au droit de suite, remède in rem protégeant les bénéficiaires d’un trust, mais nous avons aussi briè-

194 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 28.1(1)(c), p. 390 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-001 ss, p. 337 ; Penner, The Law of Trusts, § 5.1, p. 113. 195 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 28.1(3), p. 391. 196 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 25.38, p. 715. 197 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.22, p. 20. 198 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 25.38, p. 715. 199 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 69. 200 Penner, The Law of Trusts, § 5.7, p. 118 ; voir également Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 1.23, p. 20 s. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 51 vement examiné les actions personnelles contre le trustee ou des tiers en cas de breach of trust. Un problème sémantique doit être relevé. Dans le cas des actions personnelles, le concept du constructive trust est parfois utilisé de manière abusive, plus par tradition juridique que de manière logique et systématique 201. Par exemple, il est intéressant de noter que la doctrine et la jurisprudence qualifient parfois la responsabilité personnelle des tiers comme une “liability to account as a constructive trustee”202 même si elle n’est pas de nature in rem 203, alors que d’autres auteurs refusent ce mot et utilisent à sa place celui de “liability to account in equity”204. On constate donc que le concept de constructive trust n’a pas une nature claire 205 ni un rôle précis à jouer et évolue au gré de la jurisprudence, rendant son appré- hension difficile dans le cadre de la Convention de La Haye sur les trusts. En matière de droit de suite c’est-à-dire d’action réelle, on constate également que la doctrine et la jurisprudence utilisent parfois inutilement le concept de constructive trust pour expliquer l’aspect réel du droit de suite 206. Comme déjà présenté plus haut, les droits in rem des ­bénéficiaires

201 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 28.1(4), p. 391 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Ob- ligations, p. 268-272 ; dans le même sens : Swadling, in Breach of Trust, p. 341 s. ; Hayton, in Breach of Trust, p. 392 ; Penner, The Law of Trusts, § 5.4, p. 116 ; ­Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-006 et § 10-007, p. 339 s. ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 7.10, p. 83 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 25 ; McGhee, Snell’s Equity, § 24-03, p. 589. 202 Trusts (Jersey) Law 1984, art.33(1) ; Swadling, in Breach of Trust, p. 342 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 159 s. ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 30.01 ss, p. 871 ss. 203 Smith, in Breach of Trust, p. 138 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 70. 204 Hayton, in Breach of Trust, p. 392 ; Penner, The Law of Trusts, § 5.5, p. 117 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 10-007, p. 339 s. ; § 10-024, p. 347 ; § 10-164, p.409 s. ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 6-02, p. 348, § 11-05 et §11-06, p. 760 s. ; Hayton, The Law of Trusts, p. 173 ; McGhee, Snell’s Equity, § 24-03, p. 589. 205 Smith, in Breach of Trust, p. 137. 206 Relevant le problème : Smith, in Breach of Trust, p. 111 et 136-138 ; dans le même sens : Penner, The Law of Trusts, § 5.4, p. 116 et § 11.123, p. 353 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-134, p. 915 ; pour des exemples de cette utilisation du concept du constructive trust : Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.1 (1), p. 1208 ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 6-05, p. 350 et § 12-107 ss, p. 828 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 21, lequel parle de “constructive trust dependent upon and ancillary to a valid ” ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 69. 52 Delphine Pannatier Kessler continuent de grever le bien aliéné en breach of trust ainsi que ses change- ments de forme (remplois, produits) 207. Un constructive trust n’est techni- quement pas nécessaire pour justifier le droit in rem mais, par un abus de langage ou pour mettre en lumière l’aspect in rem, certains arrêts ou au- teurs y font néanmoins référence 208. Il s’agit à notre avis d’une pure ques- tion sémantique qui ne touche pas à la substance du droit de suite. Nous nous tiendrons dans notre étude à l’avis que le droit de suite ne se base pas sur le constructive trust mais sur la continuité de l’equitable interest des bénéficiaires sur un objet. Cette question sémantique a toutefois son importance car elle a des conséquences sur l’interprétation de la Convention de La Haye sur les trusts, laquelle en effet ne couvre pas les constructive trusts selon son article 3, sauf déclaration expresse de l’Etat contractant au sens de l’ar- ticle 20. Rappelons que la Suisse n’a pas émis de déclaration expresse dans ce sens. Nous argumenterons plus loin que le droit de suite est couvert par la Convention et que l’exclusion du constructive trust de son champ d’ap- plication ne touche pas le droit de suite, celui-ci n’étant pas à proprement parler basé sur un constructive trust.

D. Le droit de suite

1. Introduction

Nous avons vu que l’equitable interest des bénéficiaires continue de grever des biens du trust aliénés en violation de ce dernier. Le moyen à disposi- tion des bénéficiaires pour faire valoir ce droit in rem consiste à invoquer le droit de suite. Nous présenterons en premier lieu la nature du droit de

207 Smith, in Breach of Trust, p. 111 s. ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 7.11, p. 84 ; Penner, The Law of Trusts, § 2.46, p. 36 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-133 et § 22-134, p. 914 s. ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.73, p. 1252. 208 Dans le même sens : Smith, in Breach of Trust, p. 111 et p. 136-138 ; Penner, The Law of Trusts, § 5.4, p. 116 et § 11.123, p. 353 ; Clarke / Kohler, Property Law, p. 318 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.73, p. 1252 ; Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 16, note 67 ; pour un exemple : Hayton, The Law of Trusts, p. 33. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 53 suite de manière détaillée ainsi que les controverses à son sujet, puis les conditions nécessaires à son exercice, l’existence d’un proprietary interest et la possibilité d’identifier les biens. Nous exposerons enfin les limites au droit de suite que sont la bona fide purchaser rule, le moyen de défense du change of position et le consentement des bénéficiaires.

2. Nature du droit de suite

2.1 Exercice par les bénéficiaires ou le trustee en faveur du trust

Le droit de suite peut être exercé par le trustee ou par les bénéficiaires en faveur du trust. L’action vise la restitution du bien au patrimoine séparé du trustee et non pas au bénéficiaire, même si ce dernier est demandeur à ­l’action209. Un seul bénéficiaire a la qualité pour agir pour la totalité des biens soustraits au trust ; il n’est pas limité par sa quote-part 210. Relevons toutefois qu’il convient de nuancer cette affirmation selon la nature du trust 211. Si le trust est discrétionnaire, les bénéficiaires ne peuvent qu’exiger la restitution du bien au patrimoine du trust et nourrir l’espoir de bénéficier un jour d’une distribution discrétionnaire des biens restitués ou de leurs revenus 212. En revanche, les bénéficiaires d’un fixed trust ­peuvent réclamer la restitution des revenus des biens du trust directement à eux- mêmes en pleine propriété, car ils bénéficient d’un droit immédiat sur ces revenus de manière comparable à un usufruitier 213. En ce qui concerne le capital du trust, les bénéficiaires d’un fixed trust sont dans la même si- tuation que ceux d’un trust discrétionnaire et ne peuvent que réclamer la restitution des biens au patrimoine du trust, donc au trustee 214. Dans la présente étude, nous mentionnons principalement le cas d’un ou de plusieurs bénéficiaires engageant l’action en droit de suite mais il

209 Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 10-08, p. 706 s. 210 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of trusts, § 14.17 et § 14.18, p. 174. 211 Pour la distinction entre et fixed trust, voir ci-dessus II.A.4, page 23. 212 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 2.15, p. 70. 213 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 2.15, p. 70. 214 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 2.15, p. 70. 54 Delphine Pannatier Kessler est également possible que le trustee de remplacement exerce le droit de suite contre son prédécesseur en faveur des bénéficiaires. Ce trustee de remplacement est celui qui remplace le trustee déloyal jugé indigne d’oc- cuper la position de trustee par le Tribunal compétent, lequel l’aura démis de ses fonctions. Dans ce cas, les principes restent identiques et le but du droit de suite demeure le même, protéger les droits des bénéficiaires. De plus, nous traiterons dans la suite de cette étude principalement du cas des bénéficiaires d’un trust discrétionnaire exerçant le droit de suite en vue de la restitution des biens ou de leurs revenus au patrimoine du trust, donc formellement au trustee.

2.2 Problème sémantique : tracing et droit de suite

A titre préliminaire, il nous paraît nécessaire de relever le problème sé- mantique qui existe en matière de tracing et de droit de suite et de clarifier les concepts. La doctrine et la jurisprudence ont tendance à mélanger les concepts de tracing et de droit de suite. Stricto sensu, le tracing n’est qu’un moyen procédural servant à identifier les valeurs alors que le droit de suite (proprietary remedy) est le moyen de droit au fond permettant de revendi- quer les biens 215. Cependant, la doctrine et la jurisprudence appellent sou- vent le moyen au fond “tracing”, sans le distinguer du moyen procédural 216. Afin de clarifier la distinction, il y a lieu de citer A.Oakley , lequel ex- plique que “before any proprietary claim can be brought, the claimant must identify his property in the hands of the defendant. The terminology which is at present fashionable is to describe this process of identification as ‘ fol- lowing and tracing’ and to distinguish both from the proprietary claim itself. However, until relatively recently, the expression ‘tracing’ was utilised to des- cribe both the process of identification and the proprietary claim itself ”217, (avant de pouvoir faire valoir une action réelle, le demandeur doit identifier le bien lui appartenant dans les mains du défendeur. La terminologie ac- tuellement à la mode est de décrire le processus d’identification comme “ fol-

215 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.3, p. 1083 et § 101.31 ss, p. 1219 ss ; voir également : McGhee, Snell’s Equity, § 28-32, p. 683. 216 Pour une explication : Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-115 à § 22-118, p. 907 s. ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 540. 217 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-115, p. 907. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 55 lowing et tracing” et de distinguer ces deux concepts de la prétention réelle au fond. Cependant, jusqu’à récemment, le mot “tracing” était utilisé pour désigner tant le processus d’identification que la prétention réelle au fond). Dans la littérature suisse et internationale parue en relation avec la Convention de La Haye sur les trusts, il est tantôt fait appel à la notion de “tracing” tantôt à celle de “droit de suite” indifféremment. Il conviendra de ne pas perdre de vue ce problème sémantique. Pour notre part, nous utiliserons en principe le mot “droit de suite” pour qualifier l’action réelle au fond et réserverons le mot tracing“ ” pour désigner le processus technique d’identification des biens. Cela étant, vu la confusion dans la jurisprudence et la doctrine, nous serons parfois contraints d’utiliser le mot “tracing” pour désigner tant le droit de fond que le processus d’identification des biens, ce que nous ne manquerons pas de signaler lorsqu’il y a lieu.

2.3 Tracing et following en équité et en common law

Jusqu’à présent, nous avons défini le droit de suite comme une action per- mettant de suivre les biens du trust et de les récupérer en nature ou de récupérer leurs remplois ou leur valeur. Pour être précis, il convient de relever que la doctrine anglaise distingue l’opération de tracing de celle de following. Toutes deux relèvent du droit de suite et sont de nature réelle. Cependant, le following (following the trust assets) consiste à récupérer le bien en trust en nature et se borne à suivre ce bien alors que le tracing (trac- ing the proceeds) consiste à identifier la valeur provenant du bien en trust au fil des ses changements de forme, par exemple en cas de vente et d’ac- quisition d’un bien en remploi ou en cas de mélange dans un fonds appar- tenant en partie au trustee à titre privé 218. Rappelons que les bénéficiaires ne peuvent pas en même temps revendiquer le bien du trust en nature par following et son remploi par tracing car ils seraient indemnisés doublement et doivent donc opérer un choix. Cela étant, il y a lieu de relever que la doctrine utilise souvent le mot “tracing” dans un sens général, couvrant à

218 Harris, in British Yearbook of international law 2002, p. 67 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.33, p.1220 ; Panagopoulos, in Restitution Law Review 6 (1998), p. 74 ; Penner, The Law of Trusts, § 11.96 ss, p. 341 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 539 s. ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-32, p. 683. 56 Delphine Pannatier Kessler la fois le droit de suite, la technique procédurale d’identification des biens (le tracing stricto sensu) et le following 219. Vu que la distinction n’a pas de portée pratique dans le cadre de la Convention de La Haye, nous utilise- rons le mot “droit de suite” lequel inclut tant les biens visés par le following que ceux par le tracing. De plus, la doctrine anglo-américaine fait une distinction entre le trac- ing en équité et le tracing en common law 220. Le tracing en équité n’est pos- sible que s’il y a une relation fiduciaire préexistante 221 et concerne le cas de celui qui veut faire valoir son droit de propriété équitable, alors que le trac- ing en common law peut être invoqué par le propriétaire légal du bien222. Le tracing en équité est plus généreux que celui en common law car il auto- rise le tracing en cas de substitution et de mélange 223. Dans notre exposé, nous nous limiterons au tracing en équité du fait que lui seul concerne les bénéficiaires d’un trust et que la distinction n’a plus lieu d’être faite 224, en particulier en matière de droit international privé 225.

2.4 Controverse sur la nature réelle ou obligationnelle du droit de suite et qualification du droit de suite du point de vue du droit international privé

La doctrine traditionnelle justifie le droit de suite comme découlant du droit de propriété équitable des bénéficiaires 226 (ou parfois, par un abus de langage comme présenté sous II.C.3, page 49, du constructive trust en faveur

219 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-118, p. 908 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 539 s. 220 Pour un exposé sur cette distinction : Murr, in Australian Bar Review 27 (2006), p. 174 ss ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.48 et § 92.50, p. 1098 s. ; Panagopoulos, in Restitution Law Review 6 (1998), p. 75 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-33, p. 683 s. 221 Panagopoulos, in Restitution Law Review 6 (1998), p. 76. 222 Harris, in British Yearbook of international law 2002, p. 66. 223 Harris, in British Yearbook of international law 2002, p. 66. 224 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.50, p. 1099. 225 Harris, in British Yearbook of international law 2002, p. 67. 226 Hayton / Matthews / Mitchell,Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.5 et § 92.6, p. 1084 ; Matthews, in Trust Law International 2007, vol. 21(1), p. 20 ; Thorens in RNRF 68 (1987), p. 352 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 540 s., p. 544. 227 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 921, p. 427. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 57 de ces derniers227). Rappelons qu’en droit anglais le droit de propriété légale du trustee coexiste avec le droit de propriété équitable des bénéficiaires sur les biens du trust, ce que la doctrine a qualifié de dédoublement du droit de propriété ou de dual ownership 228. Ainsi le droit des bénéficiaires est un proprietary right grevant les biens du trust opposable erga omnes, sauf contre un acquéreur de bonne foi 229, que l’on fait valoir par le droit de suite. Parallèlement, les bénéficiaires ont également des droits personnels contre le trustee s’ajoutant à leurs droits réels sur les biens du trust 230. Ainsi, selon la doctrine majoritaire, le droit de suite est de nature réelle 231. Cela étant, une partie très minoritaire de la doctrine, principalement de tradition civiliste, considère que cette construction est incorrecte, met en doute l’idée du dédoublement de la propriété et affirme que le trust est basé uniquement sur des obligations personnelles et non réelles 232.

228 Dyer, in Vanderbilt Journal of Transnational Law 32 (1999), p. 989 ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 83 et 315 ; Smith, in Breach of Trust, p. 123 ; Revillard, p. 321 qui parle de “démembrement” ; Jauffret-Spinosi, p. 25 ; Piccoli, in Rivista del notariato 1984, p. 852 ; Contaldi, p. 22-s. et note 45 pour un aperçu de la doctrine ; Thorens, in RNRF 68 (1987), p. 346 et 352 ; Cashin Ritaine, in Le trust en droit inter- national privé, 2005, p. 20 ; Guillaume, in RSDIE/SZIER, 2000, p.4 ; Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 35 ; Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 92 ; Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 120 ; Necker, in RNRF 52 (1971), p. 169. 229 Hayton / Matthews, in International Encyclopaedia of Laws, vol. 1 Property and Trust Law, § 181, p. 79 ; Matthews, in Trust Law International 2007, vol. 21(1), p. 20. 230 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 7.01, p. 160. 231 Pour une liste, voir Contaldi, note 41, p. 19 et Bartoli, p. 92 ; qualifiant le droit de suite de réel : Matthews, in Trusts and Trustees, June-July 1995, p. 27 ; Waters, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye 252 (1995), p. 440 ; Smith, in Breach of Trust, p. 131 ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 1-34, p. 15, § 12-01 et §12-02, p. 799 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 179 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 120 ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.01 ss, p. 980 s ; Moosmann, Der angelsächsische Trust, p. 152, Solarski, in FS-Siehr, p. 202 ; Cashin Ritaine, in Le trust en droit international privé, 2005, p. 20 ; Guillaume, in RSDIE/SZIER 2000, p.4 ; Guillaume, in RNRF 90 (2009), p. 4 ; Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 35 et 44 ; Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 77, p. 1154 ; Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 127 ; Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 347, p. 151. 232 Pour un aperçu doctrinal, voir Contaldi, note 40, p. 19, Bartoli, p. 92 et Ricca, in I Trusts in Italia oggi, p. 103 ; en faveur de la nature obligationnelle : Bartoli, p. 98, Lupoi, in Trust Law International 2007, vol. 21(2), p. 82 ; Lupoi, in Vanderbilt Journal of Transnational Law 32 (1999), p. 967 ss ; Eichner, Die Rechtsstellung von Treuge- bern und Begünstigten, § 355, p. 154 ; Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 158 ; Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 59-61 ; argumentant contre la nature obligation- nelle : Smith, in Breach of Trust, p. 131. 58 Delphine Pannatier Kessler

A notre avis, la position consistant à nier aux bénéficiaires un droit réel et donc à considérer le droit de suite comme un remède obligationnel n’est pas soutenable lorsque l’on a affaire à un trust de droit anglais ou dé- rivé de ce dernier. Tout d’abord, cette position est en contradiction avec la majorité de la doctrine anglaise et avec une longue tradition de décisions judiciaires 233. Ensuite, étant donné que le dédoublement de propriété et la nature réelle du droit de suite ont été traditionnellement invoqués pour considérer l’institution du trust comme incompatible avec nos droits réels, en particulier avec le principe du numerus clausus 234, il nous semble que la thèse de la nature purement obligationelle du trust développée dans les juridictions de droit civil a été adoptée dans le but de pallier cette critique contre les trusts. Du fait de la ratification de la Convention de La Haye et vu l’évolution de la doctrine et des décisions judiciaires 235, cette bataille ne nous paraît plus nécessaire, du moins pas en Suisse. Dès lors, nous nous en tiendrons à l’approche traditionnelle de la question et admettrons la nature réelle du droit de suite, permettant aux bénéficiaires de faire valoir leur equitable interest grevant les biens en trust. Néanmoins, il convient de garder à l’esprit que le droit de suite de na- ture réelle n’existe pas dans tous les ordres juridiques connaissant le trust. En effet, en particulier dans les juridictions de tradition civiliste ayant adopté le trust, seuls des remèdes obligationnels sont à la disposition des plaideurs puisque la distinction anglaise entre legal et equitable ownership n’existe pas. Tel est le cas en Afrique du Sud par exemple, où les bénéficiaires ont principalement une action en responsabilité contre le trustee et une action en enrichissement illégitime contre des tiers ayant acquis des biens

233 Matthews, in Trusts and Trustees, June-July 1995, p. 27 ; Waters, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye 252 (1995), p. 440 ; Smith, in Breach of Trust, p. 131 ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 1-34, p. 15, § 12-01 et §12-02, p. 799 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 179 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 120 ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.01 ss, p. 980 s. 234 Bartoli, p. 97 ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 315 ; Paton / Grosso, in International and Comparative Law Quarterly 43 (1994), p. 656 ; Gambaro, in Rivista di diritto civile, 1984, p. 106 ; Bolgar, in American Journal of Comparative Law 2 (1953), p. 210 ; De Waal, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 45 ; Cashin Ritaine, in Le trust en droit international privé, 2005, p. 23. 235 Von Overbeck, Trusts in , in Yearbook of Private International Law 2002, vol. 4, p. 218 ; Arrêt du Tribunal fédéral 5C.169/2001 du 19 novembre 2001, consi- dérant 6b)cc). II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 59 du trust 236. Tel ne semble par contre pas être le cas de l’Ecosse qui connaît le droit de suite de nature réelle, malgré les affirmations contraires conte- nues dans le Message du Conseil fédéral du 5 décembre 2005 237. Rappelons également qu’en droit anglais, parallèlement à la possibilité d’exercer le droit de suite, il est possible de requérir du juge qu’il ordonne au trustee de restituer des biens du trust de manière personnelle en equitable compen- sation en tant que variante de son obligation de payer des ­dommages 238. Certes le droit des bénéficiaires peut être de nature personnelle dans cer- tains cas précis mais nous demeurons de l’avis que, dans le cas général d’un trust anglais, le droit des bénéficiaires et donc le droit de suite sont de nature réelle. Comme nous avons admis que le droit équitable des bénéficiaires d’un trust anglais sur les biens en trust pouvait être qualifié de droit réel du point de vue du droit suisse (voir sous II.A.4.3, page 28), nous sommes d’avis qu’il y a logiquement également lieu de qualifier le droit de suite d’action de nature réelle selon les critères du droit suisse au sens des ar- ticles 97 ss LDIP, puisque le droit de suite découle directement des droits réels des bénéficiaires sur les biens en trust et permet de les faire valoir.

2.5 Controverse sur la nature procédurale du tracing et le droit applicable

Nous avons vu que la doctrine anglaise, faisant quelque peu preuve de manque de rigueur et de systématique inhérent aux systèmes juridiques ne disposant pas d’un droit codifié, utilisait le mot tracing“ ” pour désigner tant le processus d’identification de la valeur (que nous appelons dans cette étude “tracing”) que l’action réelle au fond (que nous appelons ici “droit de suite”). Ce problème sémantique a abouti à une controverse sur la na- ture procédurale ou de fond du tracing, laquelle mérite d’être mentionnée puis résolue dans le cadre restreint de l’interprétation de la Convention de La Haye. Une partie de la doctrine anglaise propose une distinction entre le moyen procédural permettant l’identification des biens à revendiquer et le

236 De Waal, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 53. 237 MCF, FF 2006, § 1.7.2.2, p. 587, contra : Gloag / Henderson, The Law of Scotland, § 47.04, p. 778 et § 47.15, p. 790. 238 Clements / Abass, Equity & Trusts, p. 418. 60 Delphine Pannatier Kessler droit de fond autorisant la revendication. Selon les partisans de cette théo- rie, le tracing n’est qu’un moyen procédural distinct du droit de fond 239. Selon nous, il s’agit plus d’un problème sémantique par rapport à la défini- tion du mot “tracing” que d’une controverse de fond, comme nous l’avons démontré au point II.C.3, page 49. En réalité, cette controverse devrait plutôt être posée dans les termes suivants : si le tracing est considéré comme purement procédural en droit anglais, quelle est sa relation avec le droit de suite et par quel droit est-il régi dans le cadre de la Convention de La Haye ? Comme traditionnellement la procédure est régie par le droit du for (à cet égard voir sous VIII.D, page 339) alors que le remède de fond peut être régi par un droit étranger désigné par les règles de conflit du for, se pose la question de savoir par quel droit est régi le tracing stricto sensu (en tant que moyen procédural d’identification des biens) dans le cadre de la Convention240. Si l’on admettait la nature purement procédurale du tracing, il ne serait pas régi par le droit applicable désigné par l’article 8 de la Convention de la Haye 241 et ne serait pas inclus dans la reconnaissance requise par l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention242. Une telle distinction ne nous paraît pas applicable sur le plan interna- tional. En effet, les tribunaux suisses saisis par hypothèse procéderaient à une qualification lege fori 243 de la nature procédurale ou de fond du trac- ing, laquelle aboutirait à notre avis à intégrer la question de la possibilité d’identifier les biens (letracing ) à l’exercice du droit de fond, soit le droit de suite, et non pas à le qualifier de question procédurale. Cela signifierait que tant le tracing que le droit de suite seraient régis par le même droit. Cette approche correspond au point de vue de J. Harris 244, lequel préconise

239 Sheehan, in Restitution Law Review 13 (2005), p. 88 ; Foskett v. McKeown, 2001, 1 AC 102, p. 129 s. ; Panagopoulos, in Restitution Law Review 6 (1998), p. 74 ; Lupoi, in Trust Law International 2007, vol. 21(2), p. 82. 240 D’un même avis d’une manière plus générale : Oakley, Parker and Mellows : The Mod- ern Law of Trusts, § 23-020, p. 957. 241 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 253. 242 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 324 ; pour un aperçu de la controverse, ­Harris, in British Yearbook of International law 2002, p. 68 s. 243 Bucher / Bonomi, Droit international privé, § 528, p. 142 ; Knoepfler / Schweizer / Othenin-Girard, Droit international privé suisse, § 298, p. 150 et § 635, p. 369. 244 Du même avis : Rose, Restitution and the , 1995, p. 86 ; Panago­ poulos, in Restitution Law Review 6 (1998), p. 78 et 83. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 61 dans le cadre de la Convention de La Haye de considérer le tracing comme une entité englobant le droit de fond de revendiquer et la pré-condition procédurale d’identification des biens 245. Ainsi, il propose de considérer que le tracing est entièrement régi par le droit désigné conformément à l’ar- ticle 8 de la Convention et que la globalité du tracing doit faire l’objet de la reconnaissance prévue par l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention246. Nous nous rallions à cette thèse et la développerons au long de cette étude.

3. Conditions de l’exercice du droit de suite

Nous présenterons ci-après les conditions applicables pour pouvoir exercer le droit de suite en droit anglais ainsi que les limites à l’exercice du droit de suite pouvant être invoquées.

3.1 L’existence d’un proprietary interest et d’une relation fiduciaire

La première condition pour pouvoir exercer le droit de suite requiert que le bien visé soit grevé d’un proprietary interest 247. Tel est le cas si un bien a appartenu au patrimoine d’un trust et a été aliéné en breach of trust. Nous renvoyons à nos explications au point II.A.4.2, page 26. La possibilité d’exercer le droit de suite est également subordonnée à l’existence d’une relation fiduciaire 248. Cette condition ne pose pas problème en matière de trust car il y a relation fiduciaire si le bien est ou a été détenu par un trustee, qu’il se trouve actuellement en mains de ce dernier ou en mains d’un tiers 249.

245 Dans le même sens de manière plus générale : Oakley, Parker and Mellows : The Mod- ern Law of Trusts, § 23-020, p. 957. 246 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 254 et 324 ; du même avis : Panagopoulos, in Restitution Law Review 6 (1998), p. 83. 247 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-137, p. 917 ; McGhee parle à ce propos d’un equitable title : McGhee, Snell’s Equity, § 28-35, p. 685. 248 Agip (Africa) v. Jackson (1990) Ch. 265 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-138 ss, p. 917 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 544.545. 249 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-147, p. 920 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 544 s. 62 Delphine Pannatier Kessler

3.2 Le tracing stricto sensu ayant trait à l’identification des biens

La deuxième condition à l’exercice du droit de suite consiste en la possi- bilité d’identifier un bien comme étant grevé du proprietary interest 250. Ce processus d’identification est appelé letracing, lequel est régi par des règles et des présomptions servant à déterminer si un bien précis peut être re- couvré par le droit de suite 251. Il s’agit de règles très précises et techniques, développées au fur et à mesure par la jurisprudence, dont le manque de systématique et la complexité laissent perplexe le juriste continental. Les bénéficiaires ne peuvent obtenir la restitution d’un bien au trust que si ledit bien, se trouvant actuellement dans les mains du trustee ou d’un tiers, peut être identifié comme étant le bien original qui se trouvait en trust 252, comme son produit ou son remploi 253, sur lequel l’equitable in- terest des bénéficiaires a subsisté et cela même lorsque de la monnaie s’est substituée au bien254. Le droit de suite exercé sur de la monnaie répond à des règles particu- lièrement complexes faites de présomptions 255, lesquelles visent à identifier l’existence continue de la monnaie dans un fonds séparé, dans un fonds mélangé ou dans un bien acquis en remploi avec cette somme d’argent 256. Il permet au bénéficiaire d’identifier un intérêt équitable sur la monnaie ou

250 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 540, p. 551 ; Riddall, The Law of Trusts, p. 442 s. 251 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 863 s. ; Penner, The Law of Trusts, § 12.93 ss, p. 340. 252 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-160, p. 927 ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 12-05, p. 799 s. ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 539, p. 541. 253 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 863, p. 890 ; ­Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-161 à § 22-164, p. 927 ss ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 866, p. 96 ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 12-05, p. 800 ; ­Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 540 s. ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-36, p. 686. 254 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-165 à § 22-166, p. 929 s. ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 546 ss ; Hayton / Mitchell, ­Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 12-16 à § 12-26, p. 804-807 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-37 à § 28-40, p. 686-689. 255 Pour un aperçu : voir Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 546 ss ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-165 à § 22-190, p. 927 à 941 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-37 à § 28-40, p. 686 à 689. 256 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 549 ; Oakley, Parker and Mellows : The Mod- ern Law of Trusts, § 22-165 et § 22-166, p. 929 s. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 63 sur une quote-part du fonds mélangé, voire de son remploi, correspondant à la proportion à laquelle les biens en trust ont contribué 257. Ainsi, les règles du tracing servent à prouver que le bien visé est grevé du trust malgré d’éventuelles transformations, afin de permettre l’exercice du droit de suite. Dans la pratique, il s’agit de prouver “not only that the trustee once had the trust property or its product, but that he still holds the trust property, or property which is in whole or in part the product of the trust property”258, (non seulement que le trustee autrefois détenait le bien en trust ou son produit, mais qu’il détient toujours le bien en trust ou un autre bien qui est en totalité ou en partie le produit du bien en trust). Pour prouver qu’un bien est le produit (ou le remploi) d’un bien en trust, il doit “have been produced by the original trust res through sale, exchange, rein- vestment, the receipt of income or profits or some other process”259, (avoir été produit par le bien original en trust par vente, échange, réinvestissement, ré- ception de revenus ou profits ou par quelque autre procédé). Un changement de forme peut avoir eu lieu plusieurs fois mais il n’empêche pas le tracing aussi longtemps que le bénéficiaire peut prouver chaque étape du chan- gement de forme 260. En matière de biens immobiliers ou d’objets d’art, il est facile de suivre le bien en trust lui-même en nature dans la mesure où il est facilement identifiable, à condition bien sûr que l’acheteur ne soit pas un acquéreur de bonne foi protégé par la bona fide purchaser rule. En revanche, si les bénéficiaires veulent mettre la main sur les produits de la vente d’un immeuble ou d’un objet d’art, ils devront prouver chaque étape de la piste de transactions entre l’ancien bien en trust et la somme d’argent découverte sur un compte en banque, respectivement le bien immobilier ou d’art acheté en remploi du bien en trust. Cependant, si le trustee ou le tiers a gaspillé et disséminé les produits de la vente d’un bien en trust, les bénéficiaires ne sont pas en mesure d’iden- tifier les produits ou leur remploi dans les mains du trustee ou du tiers. Par conséquent, ils ne peuvent pas exercer le droit de suite 261. Dans cette

257 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-165 et § 22-166, p. 929 s. ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 548 s. 258 Restatement on Trusts, 2nd, § 202, p. 454. 259 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 921, p. 430. 260 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 921, p. 435. 261 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-191, p. 941 ; Restate- ment on Trusts, 2nd, § 202, p. 454 ; Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 12-27, p. 808 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 551 s. ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-41, p. 689. 64 Delphine Pannatier Kessler hypothèse, ils n’auront d’autre choix que d’engager une action personnelle contre le trustee ou le tiers en dédommagement, mais sans bénéficier d’au- cune priorité par rapport aux autres créanciers.

3.3 Le moyen de défense du bona fide purchaser

Le moyen de défense du bona fide purchaser peut être invoqué pour em- pêcher l’exercice du droit de suite contre un tiers ayant acquis de bonne foi un bien et qui en a payé le prix 262. Cette doctrine crée une immunité pour le tiers de bonne foi, que l’on appelle parfois dans la doctrine “equity’s ­darling”263. Ce moyen de défense est présenté en détail ci-après.

3.3.1 Principes et sources légales

Lorsqu’un trustee aliène un bien en violation du trust, la transaction est annulable et le bien doit être rendu au patrimoine du trust, à moins que le bien n’ait été transféré à un acquéreur de bonne foi à titre onéreux le- quel est protégé dans son acquisition264. En effet, si un acquéreur de bonne foi achète à titre onéreux le bien en trust directement du trustee ou d’un autre cessionnaire intermédiaire de mauvaise foi 265, les droits de propriété équitables (equitable interests) des bénéficiaires sur le bien sont anéantis et l’acquéreur de bonne foi obtient le bien libre de trust (free and clear of the trust) 266. Par conséquent, les bénéficiaires ne peuvent plus exercer le droit

262 Hayton, in Breach of Trust, p. 381 ; : Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.1 (1), p. 1208 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-192 et § 22-193, p. 942 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 13 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 103 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-42, p. 689. 263 Penner, The Law of Trusts, § 2.34, p. 30 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 12 ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.111, p. 1023. 264 Re Diplock, (1948) Ch. 465, p. 539 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 26 s. ; ­Hayton / Mitchell, Hayton & Marshall The Law of Trusts and Equitable Remedies, § 12-67, p. 817, § 12-77, p. 819, § 12-101, p. 825 ; Restatement on Trusts, 2nd, § 284. 265 Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 287, p. 62. 266 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 105 ; Penner, The Law of Trusts, § 2.35, p. 30 s. ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 881, p. 204 ; Bogert / Oaks / Rees Hausen / Neleman, Cases and Text on the Law of Trusts, p. 638. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 65 de suite contre le bien et ils doivent se contenter des autres remèdes, tels qu’une action personnelle en responsabilité contre le trustee. Ainsi, la bona fide purchaser rule est un moyen de défense ou une exception contre la ten- tative de revendiquer le bien267. Sa ratio vise la protection des tiers s’enga- geant dans des relations commerciales qui n’ont aucune connaissance des défauts d’une transaction268. Son but plus général est de protéger la bonne foi du public et de maintenir la valeur marchande ainsi que la possibilité de commercialiser (marketability) les biens détenus en trust 269.

3.3.2 Les conditions de la protection

Pour qu’un acheteur puisse se prévaloir de cette protection en droit anglais des trusts, il doit remplir les deux conditions cumulatives suivantes : a) ne pas avoir eu connaissance des intérêts équitables grevant le bien et b) en avoir payé la valeur 270. Ces conditions sont présentées ci-dessous.

3.3.3 La connaissance (notice)

Afin de bénéficier de la protection de la bona fide purchaser rule, l’acqué- reur doit être innocent au moment où il acquiert le bien. Il doit être de bonne foi 271. S’il paie un prix correct mais a connaissance de la violation du trust, il n’est pas protégé 272. Pour être considéré comme innocent, l’ac- quéreur ne doit pas savoir ni n’avoir dû savoir que le trustee commettait une violation273. Plus précisément, il ne doit pas avoir eu connaissance de

267 Thomas / Hudson, § 33.111, p. 1023. 268 Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 298.5, p. 146. 269 Hayton, in International and Comparative Law Quarterly 36 (1987), p. 276 ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.111, p. 1023. 270 Penner, The Law of Trusts, § 2.35-2.36, p. 30 s. ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.111, p. 1023 ; en droit américain : Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 881, p. 206 ; Bogert / Neeleman, Cases and Text on the Law of Trusts, p. 640. 271 Smith, Property Law, p. 208 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 104. 272 Restatment on Trusts, 2nd, § 288. 273 Hayton, The Law of Trusts, p. 13 et p. 27 ; Riddall, The Law of Trusts, p. 440 ; Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 297, p. 110 ; Restatement on Trusts, 2nd, § 296. 66 Delphine Pannatier Kessler

­l’existence du trust ou de l’étendue des pouvoirs du trustee 274, tant au mo- ment où il a acquis la propriété qu’au moment où il a payé le prix de vente 275. Un tiers a une connaissance effective actual( notice) de la violation du trust quand il sait que cette dernière a lieu 276. Même s’il ne sait pas effec- tivement qu’une violation du trust a eu lieu, il peut être traité comme s’il le savait par le biais de la théorie de la constructive notice (ou connais- sance fictive imputée) 277. Tel est le cas lorsque “he knows facts that under the circumstances would lead a reasonably intelligent and diligent person to inquire whether the person with whom he is dealing is a trustee and, if he is, whether he is commiting a breach of trust, and if such inquiry when pursued with reasonable intelligence and diligence would give him knowledge or rea- son to know that the trustee is commiting a breach of trust.”278, (il connaît des faits qui selon les circonstances induiraient une personne raisonnable- ment intelligente et diligente à se renseigner si la personne avec laquelle il traite est un trustee et, si tel est le cas, si ce dernier est en train de commettre une violation du trust et si une telle enquête faite avec une intelligence et une diligence raisonnable lui aurait donné connaissance ou une raison de savoir que le trustee était en train de commettre une violation du trust).

3.3.4 Le caractère onéreux

La deuxième condition pour bénéficier de la protection de l’acquéreur de bonne foi est que l’acquisition doit être faite moyennant paiement 279. Cela signifie que l’acquéreur doit avoir payé le prix de vente ou avoir donné un autre bien en échange 280. Un donataire, un légataire ou un héritier ne

274 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 891, p. 265. 275 Bogert / Neeleman, Cases and Text on the Law of Trusts, p. 644. 276 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.16 et § 101.17, p. 1214 s. 277 Hayton, The Law of Trusts, p. 13 et p. 27 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 891, p. 265-268 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law re- lating to Trusts and Trustees, § 101.18, p. 1215. 278 Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 297, p. 110, Restatement on Trusts, 2nd, § 297, p. 74 ; voir aussi Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 893, p. 281 ss. 279 Smith, Property Law, p. 208 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.30, p. 1219 ; Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 104. 280 Hayton, The Law of Trusts, p. 27 ; Riddall, The Law of Trusts, p. 441 ; Restatement on Trusts, 2nd, § 298. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 67 sont pas protégés car ils n’ont pas acquis le bien à titre onéreux 281. Dans l’hypothèse où le prix payé est inférieur à la valeur du bien en trust, cela ne signifie pas en soi que l’acquisition n’a pas été faite à titre onéreux mais cela peut laisser penser que le tiers savait ou aurait dû savoir qu’une vio- lation du trust était commise dans l’affaire 282. Toutefois, si le prix payé est insignifiant par rapport à la valeur du bien en trust, le transfert sera consi- déré comme une donation et le donataire acquiert le bien toujours grevé du trust 283. Un donataire n’est jamais protégé et acquiert le bien grevé de trust indépendamment de son innocence ou de sa connaissance de la vio- lation du trust 284. Cela étant, un donataire innocent ne sera responsable que dans la mesure où il se trouve injustement enrichi au détriment du trust ; dans ce cas il ne doit retransférer le bien au trust que s’il en a encore la ­possession285, alors qu’un donataire de mauvaise foi devra également rendre les profits qu’il en a tirés ou rembourser les pertes 286.

3.3.5 Conséquence sur les transferts subséquents

Une fois que le bien a été acquis par un acquéreur de bonne foi, le bien est dégrevé de tous les droits de propriété équitables dont il est grevé en faveur des bénéficiaires du trust 287. Dès que l’acquéreur remplit les deux condi- tions mentionnées ci-dessus, peu importe ce qui s’est passé précédemment dans la chaîne d’acquisition (chain of title)288. L’acquéreur de bonne foi peut faire une donation du bien autrefois en trust ou peut même le vendre à un

281 Hayton, The Law of Trusts, p. 27 ; Bogert / Neeleman, Cases and Text on the Law of Trusts., p. 642. 282 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 298.4, p. 145 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 895 p. 291. 283 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 298.4, p. 146. 284 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.30, p. 1219 ; Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 289, p. 67 ; Restatement on Trusts, 2nd, § 289. 285 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 292, p. 88 ; Restatement on Trusts, 2nd, § 292(2). 286 Scott / Fratcher / Ascher, Scott and Ascher on Trusts, § 292, p. 90 ; Restatement on Trusts, 2nd, § 292(3). 287 Pearce / Stevens, The Law of Trusts and Equitable Obligations, p. 105 ; Bogert / Neeleman, Cases and Text on the Law of Trusts, p. 642. 288 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 881, p. 209 ; see also Restatement on Trusts, 2nd, § 287. 68 Delphine Pannatier Kessler acheteur qui connaissait la violation initiale, lequel acquerra néanmoins le bien tout à fait libre de trust 289. Une exception à ce principe survient lorsque l’acquéreur de bonne foi retransfère la propriété au trustee déloyal ou à un précédent acquéreur de mauvaise foi. Dans ce cas-là, le lien du trust ressurgira et le trustee ou l’acquéreur de mauvaise foi détiendra le bien grevé du droit des bénéficiaires du trust 290.

3.3.6 Application de la bona fide purchaser rule en matière immobilière

Nous allons maintenant aborder la bona fide purchaser rule en relation avec des biens immobiliers. Comme déjà expliqué, le trustee peut avoir ou ne pas avoir le pouvoir de vendre des biens immobiliers en trust. Au moment où un tiers entre en pourparlers avec un trustee dans le but de lui acheter un bien immobilier, à quelles conditions peut-il se prévaloir de sa bonne foi ? Le droit anglais et le droit américain ne prévoient pas les mêmes solutions. En droit anglais, la jurisprudence et la loi exigent dans tous les cas diverses vérifications de routine en matière d’achat immobilier, notam- ment la vérification de l’immeuble et des actes y afférents des 15 dernières ­années 291. Cependant, le Land Property Act de 1925 simplifie la situation en matière de trust pour les immeubles enregistrés selon le Land Registration Act : si l’acheteur d’un bien immobilier paie le prix de vente à deux trustees ou à une trust corporation, il est protégé dans son acquisition sans que l’on n’examine sa bonne foi 292. L’intérêt des bénéficiaires cesse alors de grever le bien immobilier et s’attache au produit de la vente, permettant aux bénéfi-

289 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 881, p. 211 ; Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 316, p. 218 ; Restatement on Trusts, 2nd, § 316 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.57, p. 1227. 290 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.57, p. 1227 ; Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 317, p. 220 and § 318, p. 221 ; Bogert / Neeleman, Cases and Text on the Law of Trusts, 7th ed., p. 642 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 881, p. 210 s. ; Restatement on Trusts, 2nd, § 317 and § 318. 291 Smith, Property Law, p. 206 et 210 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 34.4, p. 508. 292 Hayton, The Law of Trusts, p. 13 ; Smith, Property Law, p. 48 s. ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.68, p. 1231 ; de manière plus détaillée : Smith, Property Law, p. 328 ss. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 69 ciaires de le revendiquer 293. La solution proposée par le droit anglais a pour but d’améliorer la sécurité des transactions immobilières et tient compte du fait que les immeubles sont de nos jours devenus un investissement dans la mesure où ils ne constituent plus la source principale de subsis- tance des familles. Dès lors, les bénéficiaires sont suffisamment protégés s’ils bénéficient d’un droit in rem sur le prix de vente de l’immeuble. En droit américain, il existe un registre des actes (Land Registry ou Registry of deeds) dont la connaissance fictive imputable au public est dé- terminée par les lois étatiques américaines sur l’enregistrement foncier. En règle générale, il ne s’agit pas d’un Registre foncier comparable à l’insti- tution du droit suisse mais plutôt d’une compilation chronologique des actes passés dans un territoire donné. Selon les Etats, la présomption de connaissance du contenu du registre peut être réfragable ou irréfragable. Cette imputation de la connaissance du registre a une influence sur l’éten- due et la profondeur de l’enquête qui est attendue de l’acheteur (appelée title search). D’une manière schématique, l’acheteur est réputé connaître ce qui apparaît dans le registre des actes à l’intérieur de la chaîne de pro- priété pertinente 294. Si le vendeur apparaît quelque part dans le registre “en tant que trustee”, l’acheteur ne peut pas ignorer cette qualité et doit se renseigner sur l’existence d’un trust et, le cas échéant, sur la capacité du trustee de vendre 295. L’acheteur ne peut pas se contenter de demander au trustee s’il est autorisé à vendre car ce dernier n’est pas impartial 296. Si cela est raisonnable selon les circonstances, l’acheteur doit essayer de trou- ver les bénéficiaires et les questionner à propos des pouvoirs du trustee 297. Si l’acheteur, après une enquête adéquate, est raisonnablement convaincu que le trustee a le pouvoir de lui vendre, alors il bénéficie de la protection de l’acquéreur de bonne foi 298. S’il existe un acte de trust écrit et a fortiori si ce dernier est enregis- tré dans le registre des actes, l’acheteur doit examiner l’acte de trust pour

293 Hayton, The Law of Trusts, p. 27 ; Smith, Property Law, p. 48 s. 294 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 893, p. 272 ; en droit anglais : Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.24 et § 101.18, p. 1215-1217 et § 101.68, p. 1231. 295 Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 297.3, p. 118. 296 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 894, p. 284 ; Bogert / Neeleman, Cases and Text on the Law of Trusts, 7th ed., p. 647. 297 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 894, p. 285. 298 Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 297.3, p. 120. 70 Delphine Pannatier Kessler déterminer si le trustee dispose du pouvoir de vendre 299. Il a également l’obligation de s’enquérir plus avant si les informations disponibles ne sont pas suffisantes pour résoudre cette question300. L’acheteur est réputé avoir eu connaissance de tous les faits apparaissant dans la chaîne de ­propriété 301. En cas d’ambiguïté, l’acheteur ne peut pas se contenter d’interpréter le texte à sa manière même si un juriste compétent lui a fourni un avis de droit dans ce sens 302. Si un tribunal juge plus tard que le trustee n’avait pas le pouvoir de vendre, l’acheteur n’est pas protégé par la bona fide purchaser rule 303. Dans ce cas, l’acheteur devrait exiger du trustee qu’il demande au tribunal une décision l’autorisant à vendre le bien. De plus, si quelqu’un d’autre que le trustee-vendeur détient la pos- session effective de l’immeuble objet de la vente, l’acheteur a l’obligation de s’informer à ce sujet. En effet, il est réputé avoir connaissance du fait qu’une autre personne possédait le bien étant donné que l’on considère en droit américain que les immeubles sont ouverts à la libre inspection du public 304. L’acheteur doit s’informer du titre auquel le tiers détient la possession de l’immeuble, lequel peut demeurer grevé de cet intérêt 305 si le tiers néglige de s’informer et que l’intérêt du possesseur a priorité. Par exemple, si le possesseur actuel est en réalité un bénéficiaire à vie du trust, l’acheteur doit s’informer à ce sujet et ne peut pas prétendre avoir ignoré l’existence de cet intérêt 306. En résumé, le droit anglais propose une solution simplifiée pour l’ac- quéreur d’un bien immobilier traitant avec un trustee. Celle-ci consiste à admettre que le transfert de la propriété est valable indépendamment de la connaissance du trust et de la bonne foi de l’acquéreur aussi longtemps que le prix de vente a été correctement payé. En revanche, le droit américain continue à exiger la bonne foi de l’acquéreur pour le protéger et force ce dernier à vérifier les pouvoirs du trustee avec lequel il traite, ceci au risque d’alourdir les transactions.

299 Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 297.4, p. 121 ; Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 894, p. 284. 300 Bogert / Neeleman, Cases and Text on the Law of Trusts, p. 645 s. 301 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 893, p. 272. 302 Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 297.4, p. 123. 303 Restatement on Trusts, § 297, p. 78. 304 Pour la même notion en droit anglais Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.25, p. 1218. 305 Bogert, The Law of Trusts and Trustees, § 896, p. 292-298. 306 Bogert / Neeleman, Cases and Text on the Law of Trusts, p. 646. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 71

3.3.7 Application de la bona fide purchaser rule en matière mobilière

Le droit anglais part du principe que les biens mobiliers doivent pouvoir être commercialisés librement pour favoriser les échanges 307. Tout comme le droit suisse, il se base sur le principe que le possesseur d’un bien mobi- lier est présumé en être le propriétaire et donc que les tiers peuvent sans prendre de risque en déduire que le possesseur peut en disposer 308. Dès lors, les tribunaux sont peu enclins à imposer aux acheteurs de biens mo- biliers des obligations de vérification comme en matière immobilière et privilégient des règles claires et pratiques 309. Ainsi, en cas d’acquisition d’un bien mobilier, il n’y a pas d’obligation de routine de se renseigner et d’investiguer sur la provenance des choses mobilières 310. Cela étant, il faut tout de même relever que plus la chose a de la valeur, plus les acquéreurs sont censés s’informer sur sa provenance et ne pas s’arrêter à l’apparence de la possession311. Tel est le cas en particulier dans le domaine du com- merce d’œuvres d’art et d’antiquités où il est de nos jours devenu normal de vérifier la provenance de l’objet 312. Appliqués au cas de biens mobiliers en trust, ces principes signifient que les tiers acquérant un bien d’un trustee n’ont en principe pas à s’en- quérir de sa provenance et à vérifier que ledit bien n’est pas grevé d’intérêts de bénéficiaires. Ainsi, dans la pratique, le fait de savoir que l’aliénateur d’un bien mobilier est un trustee ne crée pas d’obligation de vérification. Ce n’est qu’en cas de circonstances suspectes ou insolites que l’acquéreur ne sera pas considéré comme étant de bonne foi s’il renonce délibérément à vérifier plus avant le pouvoir du trustee alors qu’un homme raisonnable et honnête le ferait 313. Ainsi, la simple connaissance de l’existence du trust ne rend pas le tiers de mauvaise foi ; il faut encore qu’il sache ou qu’il ait dû savoir que la transaction viole le trust 314. Dès lors, en cas d’aliénation de

307 Smith, Property Law, p. 44 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 34.4, p. 508. 308 Clarke / Kohler, Property Law, § 10.4.2, p. 389 s. 309 Smith, Property Law, p. 44 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 34.4, p. 508. 310 Penner, The Law of Trusts, § 2.44, p. 35. 311 Clarke / Kohler, Property Law, § 10.4.3, p. 390. 312 Clarke / Kohler, Property Law, § 10.4.3, p. 391. 313 Hayton, The Law of Trusts, p. 13 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 34.4, p. 508. 314 Penner, The Law of Trusts, § 2.44, p. 35. 72 Delphine Pannatier Kessler biens mobiliers, le tiers sera en principe protégé par la bona fide purchaser rule à moins d’une connaissance effective ou imputée de la violation du trust 315.

3.4 Le moyen de défense du change of position

Le droit de suite peut également être mis en échec par le moyen de dé- fense du change of position, lequel consiste à invoquer le fait que la resti- tution serait injuste vu que la position du détenteur a changé de manière ­drastique 316. Cela étant, ce moyen de défense a traditionnellement été re- fusé en droit anglais 317 et ce n’est que très récemment que la Chambre des Lords l’a admis dans l’arrêt Lipkin Gorman v. Karpnale Ltd 318. Il s’agissait du cas d’un avocat joueur compulsif ayant détourné des fonds de son étude pour faire des paris, ce dont ses associés se sont rendus compte et ont at- taqué l’établissement de jeu en restitution. La Chambre des Lords a admis que le casino pouvait invoquer le moyen de défense de change of position du fait que de gros montants avaient déjà été payés au joueur, de sorte que l’obligation de restitution de toutes les sommes détournées serait injuste. Ainsi, ce moyen de défense pourrait être invoqué pour contrer une action en droit de suite.

3.5 Le consentement des bénéficiaires

Le consentement des bénéficiaires au transfert constitue un barrage contre l’exercice du droit de suite à l’encontre de biens du trust dans les mains d’acquéreurs 319. Si un bénéficiaire a consenti de manière valable à l’aliéna-

315 Penner, The Law of Trusts, § 2.45, p. 35. 316 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-195, p. 943 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 101.40 ss, p. 1223 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-44, p. 690. 317 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-194, p. 943. 318 Lipkin Gorman v. Karpnale Ltd., (1991) 2 AC 548 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-194, p. 943 ; Penner, The Law of Trusts, § 11-186, p. 381. 319 Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 525 ; Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 14.42, p. 182 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 97.1, p. 1141 ; voir également Oakley, Parker and Mel- lows : The Modern Law of Trusts, § 22-092 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-29, p. 680. II. Droit de suite des bénéficiaires selon le droit anglais 73 tion du bien, il ne peut plus invoquer le droit de suite ultérieurement même si l’acquéreur avait connaissance d’une violation du trust ou s’il n’a pas payé un prix adéquat. Pour que le consentement soit valable, le bénéficiaire doit être majeur, capable de discernement et son consentement ne doit pas avoir été induit par le trustee 320. De plus, le bénéficiaire doit avoir connu les faits et ses droits en rapport avec la transaction321. En résumé, le consen- tement éclairé du bénéficiaire lui interdit de faire valoir le droit de suite, même si toutes les autres conditions sont parfaitement remplies.

E. Conclusion

Après ce tour d’horizon du trust et du droit de suite en particulier, nous allons nous tourner à présent vers la Convention de La Haye sur les trusts et analyserons la question de la reconnaissance du droit de suite en Suisse selon la Convention.

320 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 97.1, p. 1141 ; McGhee, Snell’s Equity, § 28-29, p. 680. 321 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 97.14-§97.15, p. 1146 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 525 ; Scott / Fratcher, The Law of Trusts, § 315, p. 217. 74 Delphine Pannatier Kessler III. Convention de La Haye 75

Chapitre III La Convention de La Haye

La Conférence de La Haye sur le droit international privé a abouti à la “Convention du 1er juillet 1985 sur la loi applicable aux trusts et à sa recon- naissance”1 (ci-après : la Convention ou la Convention de La Haye). Des représentants des pays de droit anglo-saxon et de droit civil ont participé à sa négociation, de telle sorte que les intérêts divergents des deux groupes ont été pris en compte. Un rapport explicatif 2 préparé par A. von Overbeck accompagne le texte de la Convention, relate les négociations et commente chacune de ses dispositions. La Convention a été ratifiée par l’Australie, le Royaume-Uni, l’Italie, le Canada, Malte, les Pays-Bas, le , le ainsi que par la Suisse et . Les Etats-Unis ont signé la Convention mais ne l’ont pas encore ratifiée à ce jour. Nous présenterons dans ce chapitre la Convention, son but et un aperçu des règles principales qu’elle contient, en nous concentrant sur les dispositions de la Convention pertinentes pour la suite de notre étude.

A. But

La Convention a pour but de créer des règles de conflit uniformes pour les trusts afin d’assurer leur reconnaissance sur le plan international 3. Comme le titre officiel de la Convention l’indique, les règles centrales de cette dernière concernent la désignation du droit applicable aux trusts et le principe de la reconnaissance des trusts dans les pays signataires. En

1 RS 0.221.371. 2 Disponible sur le site internet www.hcch.net/index_fr.php?act=publications.details &pid=2949&dtid=3. 3 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, Allg. Einleitung, n. 49 ; Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 5. 76 Delphine Pannatier Kessler revanche, la Convention ne vise pas à introduire l’institution du trust dans le droit national des pays signataires 4. Le but poursuivi par cette clarification des règles de droit internatio- nal privé applicables au trust est celui de la sécurité et de la prévisibilité du droit. Pour les pays de droit civil, il est utile de disposer de règles de conflit claires pour appréhender les trusts, lesquels ne se coulent pas fa- cilement dans les catégories de rattachement traditionnelles 5. Quant aux pays de common law et d’equity, l’unification des règles de conflit apporte une amélioration en terme de clarté et d’harmonisation de leurs règles de droit international privé et leur garantit la reconnaissance à l’étranger de leurs trusts, diminuant ainsi le risque d’une application aléatoire d’un droit étranger 6. Relevons que le but de reconnaissance des trusts poursuivi par la Convention ne doit pas être compris dans son acception juridique tra- ditionnelle, c’est-à-dire la reconnaissance d’un jugement étranger pour ­exequatur, mais dans un sens plus large comme la reconnaissance de l’ins- titution en tant que telle et l’acceptation de ses traits caractéristiques et de ses effets dans les Etats signataires 7. Ainsi, la Convention crée des règles de droit international privé appli- cables aux trusts et pose le fondement de la reconnaissance des trusts dans les Etats contractants. Elle ne vise pas à intégrer l’institution du trust dans le droit national des Etats signataires.

B. Ratification par la Suisse

La Suisse a ratifié la Convention de La Haye en décembre 2006 avec entrée en vigueur au 1er juillet 2007. Le document déterminant relatif à cette ad- hésion est le Message du Conseil Fédéral du 2 décembre 2005 8, lequel ex-

4 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 5 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internati- onales Trustrecht, Allg. Einleitung, n. 51. 5 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, Allg. Einleitung, n. 51-52 ; Von Overbeck, Rapport explicatif, § 14, p. 373. 6 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, Allg. Einleitung, n. 50 ; Von Overbeck, Rapport explicatif, § 14, p. 373. 7 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton on Trusts, § 102.50, p. 1245. 8 Message du Conseil Fédéral, 2 décembre 2005, 05.088. III. Convention de La Haye 77 plique les enjeux de l’adhésion à la Convention et l’interprétation de cette dernière par le Gouvernement suisse. A l’occasion de la ratification, des nouvelles règles de droit national ont été introduites pour accompagner et compléter la Convention ; ces règles se situent aux articles 21 LDIP, aux articles 149a à 149e LDIP et aux articles 284a et 284b de la LP. Nous y re- viendrons au point V.A, page 121.

C. Aperçu des règles de la Convention

La Convention se compose de cinq chapitres : champ d’application, loi applicable, reconnaissance, dispositions générales et clauses finales. Les règles principales seront présentées ci-après.

1. Champ d’application

1.1 Article 2

L’article 2 de la Convention définit les caractéristiques essentielles que doit présenter un trust pour entrer dans le champ d’application de la Conven- tion. Il définit le trust au sens de la Convention comme une relation tri­ partite où la propriété de biens du constituant passe à un trustee chargé de les gérer selon les termes du trust et de la loi applicable, étant précisé que le trustee est propriétaire des biens en trust mais que ces derniers forment un patrimoine séparé de son patrimoine personnel 9.

1.2 Article 3

L’article 3 de la Convention restreint le champ d’application de la Conven- tion aux trusts créés volontairement et dont la preuve est apportée par écrit. Relevons toutefois que la Suisse a renoncé à l’exigence de la preuve par écrit à l’article 149a LDIP. Un trust est créé volontairement s’il n’est pas

9 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 6 ; voir également Gutzwiller, Schweize- risches Internationales Trustrecht, ad art. 2, n. 2-1 ss. 78 Delphine Pannatier Kessler créé par une décision judiciaire selon l’article 20 de la Convention a contra- rio. D’après la doctrine, à moins qu’une extension du champ d’application ne soit introduite par un Etat au sens de l’article 20 de la Convention, les resulting trusts et les constructive trusts ne sont en principe pas couverts par la Convention10. Cela étant, la question est controversée 11 et plusieurs exceptions sont admises par la doctrine 12. Nous reviendrons sur la ques- tion du traitement du constructive trust au point IV.B.3, page 93.

1.3 Application erga omnes

La Convention est applicable erga omnes, sans exigence de réciprocité 13. Cela signifie que les Etats contractants à la Convention doivent non seu- lement reconnaître les trusts des autres Etats contractants, mais aussi les trusts d’Etat non contractants dans la mesure où ils rentrent dans le champ d’application de la Convention, prévu par les articles 2 et 3 de cette ­dernière 14. Ainsi, la Convention demeure applicable même si la loi régis- sant le trust est celle d’un Etat non contractant. Ainsi, tombent typiquement dans le champ d’application de la Conven- tion les private express trusts créés selon le droit anglais et les droits dé- rivant de ce dernier. Mais d’autres trusts ou institutions juridiques sans personnalité juridique de droit civil pourraient également remplir les conditions requises 15.

2. Exclusion des questions préliminaires (article 4)

Selon l’article 4 de la Convention, les questions préliminaires concernant la validité du transfert de la propriété d’un bien à un trustee ou la validité

10 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 49-51, p. 380. 11 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 3, n. 3-6 ss, p. 42 s. 12 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton on Trusts, § 102.66-67, p. 1250, § 102.72-73, p. 1252 ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 125 et p. 128-133. 13 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton on Trusts, § 102.48, p. 1244 ; Von Overbeck, Rapport explicatif, § 35, p. 378. 14 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 11 ; Gutzwiller, Schweizerisches Interna- tionales Trustrecht, Allg. Einl., n. 73-74 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.48, p. 1244. 15 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton on Trusts, § 102.52, p. 1245. III. Convention de La Haye 79 d’un testament sont exclues du champ d’application de la Convention. Dès lors, les règles habituelles de droit international privé régissent la question et non pas les règles des articles 6 et 7 de la Convention. L’article 4 distingue entre la constitution du trust et la vie du trust. Schématiquement, il nous paraît possible de dire que tous les événements se passant avant la constitution valable du trust sortent du champ d’appli- cation de la Convention mais que dès qu’un bien a été valablement mis en trust, la Convention s’applique. La doctrine a utilisé à cet égard la méta- phore de la fusée, le trust, et du lanceur de fusée, soit tous les événements menant à la constitution du trust 16. L’article 4 a des conséquences très importantes dans la pratique. En effet, de nombreux litiges ont trait à l’aliénation de biens à un trustee lors de la constitution d’un trust dans une situation conflictuelle de divorce, en matière successorale ou en cas d’insolvabilité. Par exemple, un époux en instance de divorce peut être tenté de se dépouiller de son patrimoine pour diminuer les biens à partager dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial. Ou encore, un testateur désireux de déshériter ses héritiers réservataires peut transférer tous ses biens en trust pour diminuer la masse successorale. La validité de ces transferts n’est pas régie par la Convention mais doit être analysée selon les règles du droit désigné par les règles de conflit habituelles, soit celles en matière matrimoniale, réelle, successorale ou encore de poursuite et faillite.

3. Droit applicable

3.1 Articles 6 et 7

L’article 6 permet au constituant de choisir le droit applicable au trust au moment de sa constitution. Ce choix a la priorité. Ce n’est que si aucune élection de droit n’a été faite que l’article 7 entre en jeu et détermine le droit applicable au trust comme étant celui avec lequel le trust présente les liens les plus étroits. Quatre critères sont mentionnés de manière exemplative : le lieu d’administration du trust désigné par le settlor, le lieu de situation des biens du trust, la résidence ou l’établissement du trustee et les objectifs

16 Von Overbeck, Rapport explicatif, n. 53, p. 381 ; Gutzwiller, Schweizerisches Inter- nationales Trustrecht, ad art. 4, n. 4-2. 80 Delphine Pannatier Kessler du trust. Il s’agit de déterminer où se trouve le centre de gravité du trust à l’aide d’indices. La doctrine considère généralement que les critères ont tous le même poids et ne sont pas organisés de manière hiérarchique 17 ; cette question demeure toutefois controversée en doctrine, en particulier dans les juridictions de droit civil habituées à des hiérarchies de critères ou à des raisonnements en cascade 18. La Suisse a introduit l’article 149c LDIP déterminant le droit applicable aux trusts, lequel renvoie aux dispositions de la Convention19.

3.2 Article 8

L’article 8 de la Convention énumère de manière détaillée mais non ex- haustive les questions soumises à la loi régissant le trust selon les articles 6 et 7 de la Convention20. Le premier alinéa de cet article énonce de manière générale que la loi applicable au trust régit la validité du trust, son inter- prétation, ses effets ainsi que l’administration du trust. Le deuxième alinéa contient une liste exemplative des aspects du trust régis par cette loi. La doctrine considère que les principes de l’alinéa 1 et la liste exemplative de l’alinéa 2 ont un but pédagogique de clarification de l’institution pour le juriste civiliste 21. En relation avec notre étude, relevons que les pouvoirs du trustee d’ad- ministrer et de disposer des biens du trust, de les mettre en garantie et d’acquérir des biens nouveaux (lit. d) ainsi que les relations entre le trustee et les bénéficiaires, y compris la responsabilité personnelle du trustee en- vers les bénéficiaires (lit. g), sont régis par le droit applicable au trust. Nous reviendrons plus loin sur le fait que le droit applicable au trust régit les effets du trust et en tirerons des conséquences en relation avec le droit de suite (chapitre IV.F.1.1.1, page 105).

17 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton on Trusts, § 102.151, p. 1273. 18 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 7, n. 7-20 ss ; Von Overbeck, Rapport explicatif, n. 77, p. 387. 19 Voir à cet égard Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149c, n. 149c-1 ss. 20 Von Overbeck, Rapport explicatif, n. 81, p. 387. 21 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 8, n. 8-1 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.165, p. 1279. III. Convention de La Haye 81

3.3 Article 9

L’article 9 permet de séparer certains aspects du trust, en particulier son administration, pour les soumettre à un droit différent. Cette figure est appelée “dépeçage”22.

4. Reconnaissance

4.1 Article 11

L’article 11 est le cœur de la reconnaissance des trusts. Il établit le principe qu’un trust doit être reconnu dans les pays signataires en tant que trust, sans passer par la méthode de l’adaptation23. A son deuxième alinéa, il exige une reconnaissance d’éléments essentiels de tout trust : le patrimoine séparé de celui du trustee pour les biens en trust et la qualité de partie du trustee dans une procédure judiciaire ou devant un notaire. A son troi- sième alinéa, l’article 11 exige la reconnaissance de certaines conséquences du trust, à condition que celles-ci existent selon la loi applicable 24. Celles-ci concernent la reconnaissance du patrimoine séparé du trust par rapport au patrimoine personnel du trustee et la reconnaissance du droit de suite, aspect nous intéressant particulièrement dans le cadre de cette étude. La lettre d) du troisième alinéa requiert la reconnaissance du fait que “la revendication des biens du trust soit permise, dans les cas où le ­trustee, en violation des obligations résultant du trust, a confondu les biens du trust avec ses biens personnels ou en a disposé”, mais réserve les droits et obli- gations de tiers détenteurs des biens, lesquels demeurent régis par la loi déterminée selon les règles de conflit du for. Nous proposerons une in- terprétation de cette lettre d) de l’article 11 dans la suite de cette étude (au point IV.F.1.1.2, page 106).

22 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.159, p. 1276 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trust- recht, ad art. 9, n. 9-1. 23 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 11, n. 11-12 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.211, p. 1295. 24 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 111, p. 394. 82 Delphine Pannatier Kessler

4.2 Article 12

Selon l’article 12 de la Convention, la reconnaissance des trusts implique également que le trustee puisse être inscrit en tant que propriétaire mais en qualité de trustee dans les registres publics, si cela est permis par le droit national 25. La Suisse a introduit l’article 149d LDIP pour donner effet à cet aspect de la reconnaissance.

4.3 Article 13

L’article 13 de la Convention prévoit une clause de sauvegarde par laquelle les pays contractants ne sont pas obligés de reconnaître un trust plus étroi- tement lié à un pays ne connaissant pas l’institution du trust, donc un pays de droit civil. Cet article vise les trusts dits “internes”, c’est-à-dire qui n’ont d’international que le choix du droit applicable au trust, la résidence du trustee et le lieu d’administration du trust 26. La Suisse a renoncé à faire valoir cette clause de sauvegarde à l’article 149c al. 2 LDIP, de sorte qu’un trust créé par un settlor suisse domicilié en Suisse sur des biens sis en Suisse pour des bénéficiaires suisses doit être reconnu, dans la mesure où les autres conditions prévues par la Convention sont remplies 27.

5. Limites à l’application des règles de la Convention

La Convention prévoit trois limites principales à l’application du droit du trust et à la reconnaissance des trusts dans les Etats contractants, lesquelles se trouvent aux articles 15, 16 et 18 de la Convention.

5.1 Article 15

L’article 15 contient une réserve générale en faveur des règles impératives de la loi désignée par les règles de conflit du for, lesquelles ont la priorité

25 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 12, n. 12-1 et 12-2. 26 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 122 ss, p. 397. 27 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149c, n. 149c-13. III. Convention de La Haye 83 sur les règles régissant le trust ou sa reconnaissance 28. Précisons que sont visées les règles impératives applicables selon les règles de conflit du for et non pas les règles impératives du for 29. Certaines règles impératives qua- lifiées du for qui constituent des lois d’application immédiate sont visées spécifiquement par l’article 16 de la Convention30. Les règles impératives visées à l’article 15 sont notamment celles en matière de tutelle (lit. a), de droit matrimonial (lit. b) et successoral (lit. c), en matière de transfert de propriété et de sûretés réelles (lit. d), de protec- tion des créanciers (lit. e) ainsi que de protection des tiers de bonne foi (lit. f). L’énumération des domaines est exemplative 31. Le deuxième alinéa contient un appel au juge de donner effet aux ob- jectifs du trust par d’autres moyens juridiques si l’article 15 fait obstacle à la reconnaissance. Il vise à atténuer les effets du premier alinéa 32. Le juge pourra “traduire” le trust en une institution analogue du droit national pour lui donner effet 33.

5.2 Article 16

L’article 16 réserve les lois d’application immédiate du for, c’est-à-dire des “règles qui entendent s’appliquer à certaines situations juridiques, de préfé- rence à la loi applicable selon le jeu normal des conflits de loi.”34 Les auteurs de la Convention ont en particulier pensé aux lois visant à protéger le pa- trimoine culturel, la santé publique, certains intérêts économiques vitaux, la protection des travailleurs ou de la partie faible dans un autre contrat 35. Ces lois d’application immédiate ont la priorité sur les dispositions de la

28 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 136-137, p. 400 s. ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.189, p. 1287. 29 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-2. 30 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 149, p. 404. 31 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.190, p. 1287. 32 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 136, p. 400 et § 147, p. 403. 33 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.201, p. 1291. 34 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 149, p. 404 ; voir également Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 16, n. 16-2. 35 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 149, p. 404. 84 Delphine Pannatier Kessler

Convention. Selon le deuxième alinéa de cet article, il peut exceptionnel- lement être donné effet aux lois d’application immédiate d’un autre Etat présentant un lien étroit avec l’objet du litige 36.

5.3 Article 18

L’article 18 exclut l’application des règles de la Convention qui contrevien- draient à l’ordre public. Il s’agit d’une clause standard des Conventions de La Haye 37. La doctrine s’accorde pour dire qu’il y a lieu d’interpréter l’ar- ticle 18 de manière restrictive et de ne l’appliquer qu’en dernier ressort en cas d’incompatibilité manifeste 38. Sont visées par là les règles discrimina- toires violant les droits de l’homme ou contrevenant au noyau irréductible de la propriété 39.

6. Sujets hors du champ d’application de la Convention

6.1 Aspect fiscal

Selon l’article 19, la Convention ne porte pas atteinte à la compétence des Etats en matière fiscale. L’Administration fédérale des contributions a fait usage de cette compétence en édictant la circulaire no 20 du 27 mars 2008 sur l’imposition des trusts.

6.2 Procédure

La Convention ne contient pas de règles de compétence internationale des tribunaux ni de règles de procédure 40. La Suisse a pallié au défaut de règles définissant la compétence des tribunaux en matière de trusts en les

36 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 16, n. 16-7 ss. 37 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 164, p. 407. 38 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 18, n. 18-4 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.205, p. 1292. 39 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.205, p. 1292. 40 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 9. III. Convention de La Haye 85 introduisant à l’article 149b LDIP. La Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale peut également être applicable.

6.3 Reconnaissance des jugements

La Convention ne traite pas de la reconnaissance des jugements étran- gers en matière de trusts 41. Ceux-ci sont reconnus selon les règles habi- tuelles en la matière, notamment selon la Convention de Lugano si elle est ­applicable 42. La Suisse a introduit des règles à ce sujet à l’article 149e LDIP.

41 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 9. 42 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.211, p. 1295 et § 102.222 ss, p. 1300. 86 Delphine Pannatier Kessler IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 87

Chapitre IV le principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse

Nous avons démontré que le droit de suite prévu par le statut du trust est un moyen de droit très efficace à disposition des bénéficiaires. Dans -cer tains cas, notamment lorsque le trustee est insolvable ou si les bénéficiaires tiennent à recouvrer un bien en nature, le droit de suite est la seule voie qui leur donnera satisfaction. Les bénéficiaires peuvent exercer le droit de suite sur un bien car ils en sont les propriétaires équitables (equitable ou beneficial owners). Leur prétention n’est pas basée sur des droits obliga- tionnels ou in personam mais sur des proprietary rights ou droits in rem, lesquels correspondent à des droits réels dans notre ordre juridique. Cette coexistence du droit in rem des bénéficiaires avec le droit de propriété du trustee a longtemps été considérée comme incompatible avec l’ordre juri- dique des pays de droit civil. La ratification de la Convention de La Haye sur les trusts impose-t-elle la reconnaissance du droit de suite aux pays de droit civil signataires et si oui, dans quelle ampleur ? Le cœur de la reconnaissance du droit de suite se situe à l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention, lequel s’énonce comme suit : “cette reconnaissance implique notamment : (…) d) que la revendication des biens du trust soit permise, dans les cas où le trustee, en violation des obligations résultant du trust, a confondu les biens du trust avec ses biens personnels ou en a disposé. Toutefois, les droits et obligations d’un tiers détenteur des biens du trust demeurent régis par la loi déterminée par les règles de conflit du for”. Par ailleurs, l’article 15 de la Convention réserve l’application des règles impé- ratives de la notamment en matière de transfert de propriété, de sûretés réelles et de protection des tiers de bonne foi. L’interprétation de ces dispositions fait l’objet de controverses doctri- nales que nous présenterons dans ce chapitre. Nous distinguerons la re- connaissance du droit de suite exercé à l’encontre du trustee de celui exercé à l’encontre de tiers. Ensuite, nous traiterons du Message du Conseil Fé- déral prenant position sur le sujet et proposerons une interprétation de la Convention favorisant la reconnaissance du droit de suite en Suisse. 88 Delphine Pannatier Kessler

A. Unanimité sur la reconnaissance du droit de suite contre le trustee

Les auteurs s’accordent généralement pour dire qu’il faut reconnaître dans les juridictions de droit civil le droit de suite des trusts lorsqu’il est exercé contre le trustee 1. Précisons ce que nous entendons par l’exercice du droit de suite contre un trustee. Dans la mesure où le trustee doit détenir les biens en trust dans un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, ce n’est que si le trustee confond les biens du trust avec son patrimoine per- sonnel, se les appropriant indûment, qu’il y a lieu d’exercer le droit de suite à son encontre afin d’obtenir le retour des biens du patrimoine personnel du trustee au patrimoine séparé du trust. Entre temps, le trustee déloyal aura très probablement été remplacé par un nouveau trustee. Ainsi, lorsque nous traiterons du droit de suite contre le trustee, nous entendrons par là le droit de suite contre un trustee déloyal ayant transféré indûment des biens du trust à son patrimoine personnel, ce trustee déloyal n’occupant plus forcément la fonction de trustee au moment de l’exercice du droit de suite. La reconnaissance du droit de suite contre le trustee est argumentée de la manière suivante. La relation entre le trustee et les bénéficiaires est régie par le droit du trust selon l’article 8 al. 2 lit. g de la Convention de La Haye sur les trusts. Cela englobe la question du droit de suite contre le trustee et la responsabilité personnelle de ce dernier. De plus, l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention requiert de reconnaître le droit de suite. Quant à la restric- tion contenue dans la deuxième phrase de l’article susmentionné, celle-ci ne concerne pas le droit de suite contre le trustee mais uniquement celui exercé contre un tiers. Ainsi, le droit de suite contre le trustee est couvert par la Convention et doit en principe être reconnu. De plus, la doctrine semble admettre, parfois sans examen approfondi 2, que le droit de suite contre le trustee ne viole pas de règles impératives désignées par les règles de conflit du for selon l’article 15 de la Convention3.

1 Jauffret-Spinosi, in Journal du droit international Clunet 1987, p. 57 s. ; Waters, in Re- cueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1995, vol. 252, p. 440 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.74, p. 1253 ; Gonzales-Beilfuss, § 153, p. 137 ; Bartoli, p. 560. 2 Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 481, p. 210. 3 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-47 ; ­Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 481, p. 210. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 89

B. La doctrine en faveur de la reconnaissance du droit de suite contre les tiers

Examinons maintenant le cas du droit de suite exercé contre des tiers.

1. Reconnaissance sur son principe

Une partie majoritaire de la doctrine admet que l’institution du droit de suite contre des tiers est régie par le droit du trust et est incluse dans la reconnaissance des trusts prévue par la Convention4. En effet, le droit de suite est un élément essentiel et indissociable du trust 5 et dès lors le constructive trust (apparaissant automatiquement en cas de droit de suite selon une partie de la doctrine 6) sur les biens qu’un tiers a acquis en viola- tion du trust est également couvert par la Convention7. Rappelons briève- ment le problème sémantique existant autour de la notion de constructive trust. Selon certains auteurs, le droit de suite est possible contre un tiers

4 Waters, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1995, vol. 252., p. 440 ; Reymond, in Revue de droit international et de droit comparé 68 (1991), p.17 ; Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 78 ; Matthews, in Trusts and Trustees, June-July 1995, p.30 s. ; Von Overbeck, in Trusts and Trustees, April 1996, p. 7 ; Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 98 et 109 ; Foëx, in Das Haager Trust-­ Übereinkommen und die Schweiz, N. 3, p. 32 ; Wach, in Trusts and Trustees, April 2002, p. 16 ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 129 et p. 324 ; Harris, in Essays in honour of Sir Peter North, p. 196 ; Harris, in British Yearbook of Interna- tional Law 2002, p. 89 ; Hayton, in International and Comparative Law Quarterly 36 (1987), p. 266 ; Bartoli, p. 560 ; Kötz, in Rabels Zeitschrift 50 (1986), p. 580 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 11, n. 11-30 ; Piotet, in ­Not@lex 2008, p. 9. 5 Hayton, in International and Comparative Law Quarterly 36 (1987), p. 266 ; ­Gonzales-Beilfuss, § 152-153, p. 137 s. ; Waters, in Bulletin for International Fiscal Documentation, 1999, p. 120 ; Waters, in Recueil des Cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1995, p. 229 s. ; Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 78. 6 Koppenol-Laforce, in Notarius International, vol. 3, 1998, p. 34. 7 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.73 ; Hayton, in International and Comparative Law Quarterly 36 (1987), p. 266 ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 129 et p.327 ; Harris, in British Yearbook of International Law 2002, p. 98 ; Matthews, in Trusts and Trustees, June-July 1995, p. 30. 90 Delphine Pannatier Kessler du fait qu’il devient constructive trustee de ce bien, alors que pour d’autres auteurs le droit de suite s’exerce sur le beneficial interest du bénéficiaire, lequel persiste sur le bien détenu par le tiers, sans qu’il ne soit nécessaire d’utiliser la notion de constructive trust. A cet égard, il est renvoyé à nos explications et citations du chapitre II.C.3, page 52. Nous nous rallions à la conception consistant à considérer que le droit de suite découle du benefi- cial interest persistant sur le bien aliéné, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la notion de constructive trust pour construire le droit de suite. Quant à la délimitation entre la loi du trust et la loi désignée par d’autres règles de conflit du for, celle-ci dépend de l’interprétation que l’on fait de la deuxième phrase de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention. En effet, si l’on considère que cette restriction vise tous les tiers, y compris ceux ayant acquis des biens du trust en violation de ce dernier, alors la “defence” invo- quée par le tiers de bonne foi ayant acquis un bien du trust est régie par le droit déclaré applicable selon les règles de conflit du for d’après l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention8. Dans ce cas, la loi régissant le droit de suite (c’est-à-dire la loi applicable au trust) est différente de la loi invoquée pour la “defence”9. En revanche, si l’on se rallie à l’interprétation historique de A. von Overbeck selon laquelle les “droits et obligations des tiers détenteurs”10 ne concernent pas les tiers acquéreurs de bien du trust mais seulement les dépositaires de ceux-ci, tels les banques 11, alors la déli- mitation entre la loi du trust et la lex causae est placée encore plus loin en faveur de la loi du trust. C’est la position défendue par L. Thévenoz qui considère que la loi du trust régit le remède du droit de suite, y compris la détermination de la bonne foi du tiers et sa protection, et que seule la question de l’étendue et des conditions de la restitution des produits et des remplois du bien en trust est régie par le droit désigné par les règles de conflit du for 12.

8 Harris, in British Yearbook of International Law 2002, p. 96 ; contra : Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 109. 9 Harris, in British Yearbook of International Law 2002, p. 91 s. et 96 ; Kötz, in Rabels Zeitschrift 50 (1986), p. 580 ; Panagopoulos, in Restitution Law Review 6 (1998), p. 82. 10 Article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. 11 Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 115-117 ; Von Overbeck, Rapport explicatif, § 113, p. 395 et § 115, p. 395 ; Von Overbeck, in Trusts and Trustees, April 1996, p. 7. 12 Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 109. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 91

De plus, il existe une autre opinion doctrinale isolée qui considère que l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention est une norme de droit matériel international uniforme qui crée le droit de récupérer les biens du trust des mains du trustee ou de tiers 13. Cette qualification, bien que différente, aboutit au même résultat consistant à admettre le principe de la reconnais- sance du droit de suite dans les juridictions de droit civil.

2. Compatibilité du droit de suite avec le droit impératif

Une fois admis le principe de la reconnaissance du droit de suite sur la base de la Convention se pose la question de sa compatibilité avec les règles impératives du droit désigné par les règles de conflit du for. La doctrine a développé divers arguments pour traiter cette question, lesquels sont pré- sentés ci-après. Tout d’abord, P. M. Gutzwiller considère que l’article 15 al. 1 lit. d et f de la Convention de La Haye sur les trusts n’a pas à s’appliquer en ma- tière de droit de suite contre des tiers, étant donné que l’article 11 al. 3 lit. d prévoit que le droit du trust régit déjà ladite question exhaustivement 14. Ainsi, selon lui, les règles impératives de la loi désignée par les règles de conflit du for en matière de transfert de propriété et de protection des tiers de bonne foi n’ont pas à être prises en compte en matière de droit de suite contre des tiers et l’on peut se contenter d’appliquer l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention. Pour leur part, M. Lupoi et J. Harris considèrent que l’article 11 al. 3 lit. d devrait être interprété d’après les critères usuels tout en tenant compte de l’obligation de reconnaître les trusts découlant de la Convention et par conséquent de l’obligation d’appliquer le droit étranger du trust dans ce but 15, afin de permettre la récupération des biens en trust se trouvant en mains de tiers 16. Le juge devrait donc ne pas être trop strict lorsqu’il exa- mine si un effet du droit des trusts viole des règles impératives de droit

13 Contaldi, Il trust nel diritto internazionale privato italiano, p. 367 s. 14 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-39 et n. 15-50. 15 Lupoi, Legittimità dei trusts “interni”, in Trusts in Italia oggi, p. 36. 16 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 378 ; Harris, in Essays in honour of Sir Peter North, p. 197 ; Harris, in British Yearbook of International Law 2002, p. 99. 92 Delphine Pannatier Kessler interne, n’invoquer les règles impératives qu’avec retenue 17 et interpréter les exceptions à la reconnaissance de manière restrictive 18. En effet, la ra- tification de la Convention impose aux pays de droit civil une obligation de reconnaître les trusts, laquelle nécessite une approche flexible des règles impératives visées par l’article 15 de la Convention. D’autres auteurs affirment que le droit de suite ne viole pas nécessaire- ment les règles impératives du droit désigné par les règles de conflit du for et ne devrait donc pas être écarté par le bais de l’article 15 de la Conven- tion. Par exemple, P. Breitschmid semble admettre que le droit de suite contre un acheteur de mauvaise foi en cas de violation du trust est possible et ne viole pas le droit suisse 19. En droit allemand, H. Kötz considère que les règles en matière de droits réels sont généralement considérées comme impératives (et ont donc la priorité sur les règles de droit des trusts par le biais de l’article 15 de la Convention) mais qu’il reste une marge d’inter- prétation sur cette question. Il met en doute les idées reçues, ouvre le débat et relève que les règles sur l’acquisition de bonne foi d’un bien ne sont pas nécessairement impératives 20. D’autres auteurs enfin, même s’ils admettent la reconnaissance du droit de suite, font généralement valoir qu’il faut être prudent et que le droit de suite ne pourra pas être exécuté contre des tiers dans tous les cas. Par exemple, D. M. W. Waters admet la reconnaissance à l’étranger du droit de suite contre un trustee qui retient des biens du trust ou qui les a mélangés avec ses biens propres ; il relève toutefois que l’exécution du droit de suite contre des tiers implique des considérations différentes et que si le droit applicable protège les tiers, alors le droit du trust ne peut pas permettre de récupérer les biens 21. D. J. Hayton fait valoir une opinion similaire : il considère que la reconnaissance du droit de suite contre le trustee et contre les tiers est couverte par la Convention. Selon cet auteur, le droit de suite contre un tiers sera possible dans d’autres juridictions de common law mais si l’on cherche à exécuter le droit de suite dans une ju-

17 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 363 et 378 ; Harris, in British Yearbook of International Law, 2002, p. 99. 18 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 379. 19 Breitschmid, Trusts und Nachlassplanung, in Rechtskollisionen, FS-Heini, 1995, n. 41, p. 57 20 Kötz, in Rabels Zeitschrift 50 (1986), p. 580. 21 Waters, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1995, vol. 252, p. 440. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 93 ridiction ne connaissant pas les trusts, ses tribunaux n’admettront vrai- semblablement pas qu’il y ait un constructive trust (lequel justifie le droit de suite selon le courant doctrinal dont il fait partie 22) car ces tribunaux ne connaissent pas le concept d’intérêts de propriété équitables (equitable proprietary interests) typiques du trust 23. Cela risque alors de rendre le droit de suite “meaningless”24, (vain). Il ajoute cependant que “although the lex situs may not have equitable tracing rules, it may have less-refined pro- prietary subrogation principles”25, (même si la loi du lieu de situation des biens peut ne pas contenir de règles équitables de tracing, elle peut avoir des principes de subrogation réelle moins élaborés). Dans le même ordre d’idées, C. ­Jauffret-Spinosi affirme que le droit de suite contre le trustee peut être reconnu et construit en droit français par le biais de l’action en revendication également en cas de confusion de biens mais que le droit de suite contre des tiers est plus problématique en raison de la protection de la bonne foi des tiers 26.

3. Reconnaissance de l’effet réel des droits des bénéficiaires

Certains auteurs admettent que la reconnaissance des trusts selon la Convention de La Haye permet d’attribuer un effet réel aux droits équi- tables (equitable rights) des bénéficiaires 27 vu que certains constructive trusts peuvent tomber dans le champ d’application de la Convention mal- gré leur exclusion selon l’article 3 (et selon l’article 21 a contrario) 28. En effet,J. Harris et D. Hayton considèrent que le constructive trust imposé par jugement lorsqu’un tiers de mauvaise foi détient des biens d’un express

22 Voir sous II.C.3, page 51. 23 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.74 and 102.75, p. 1253 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 7. 24 Hayton, in International and Comparative Law Quarterly 36 (1987), p. 276 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 7. 25 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.215, p. 1297. 26 Jauffret-Spinosi, in Journal du droit international Clunet 1987, p. 57 s. 27 Reymond, in Revue de Droit international et de Droit comparé 68 (1991), p. 17 ; Waters, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1995, vol. 252, p. 440. 28 Harris, in British Yearbook of International Law 2002, p.98 s. ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 128 s. 94 Delphine Pannatier Kessler trust aliénés en violation de ce dernier doit être inclus dans le champ d’ap- plication de la Convention29. A cet égard, nous renvoyons à nos explica- tions sémantiques sur le constructive trust (voir sous II.C.3, page 49) et relevons que, dans le vocabulaire adopté dans cette étude, les biens du trust détenus par un tiers de mauvaise foi sont toujours détenus dans le cadre de l’express trust originel et non pas sur la base d’un constructive trust, de sorte que l’exclusion de l’article 3 de la Convention ne crée pas d’obs- tacle à la reconnaissance de la relation de trust sur ces biens. Selon nous, l’obligation de reconnaître le constructive trust dont font état D. Hayton et J. Harris dans le cas d’espèce correspond selon le vocabulaire de cette étude à l’obligation de reconnaître les equitable interests des bénéficiaires persistant sur les biens du trust. Le renforcement de la protection des bé- néficiaires est un argument en faveur de la reconnaissance d’un effet réel du droit de suite dans les Etats de droit civil 30. J. Harris, favorable à la reconnaissance d’un effet réel des droits des bénéficiaires, rejette l’opinion défendue par M. Koppenol-Laforce consistant à dire que les bénéficiaires n’ont que des droits personnels et non réels sur les biens en trust, étant donné que le constructive trust ne peut pas être reconnu dans les pays de droit civil 31. Il considère que cette argumentation viole la Convention car les Etats contractants n’ont pas le droit de refuser de reconnaître une catégorie de trusts du fait qu’ils ne la connaissent pas dans leur système juridique 32. Selon lui, la seule raison permettant de refuser un effet réel au droit de suite serait celle de la viola- tion de règles impératives du for en matière de protection d’un acquéreur de bonne foi 33. Il conclut que la Convention couvre le constructive trust, que ce dernier doit en principe être reconnu dans les pays de droit civil et qu’il serait indésirable et contraire à l’esprit de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention d’utiliser l’article 15 pour dénier l’effectivité de toute une caté- gorie de trusts 34.

29 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 129 ; Hayton, in International and Com- parative Law Quarterly 36 (1987), p. 266. 30 Koppenol-Laforce, Het Haagse Trustverdrag, p. 273. 31 Koppenol-Laforce, in Notarius International, vol. 3, 1998, p. 34. 32 Harris, in Essays in honour of Sir Peter North, p. 197 ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 328. 33 Harris, in British Yearbook of International Law 2002, p. 99 ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 328. 34 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 329. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 95

En droit suisse, seul D. Piotet s’exprime clairement en faveur de la qualification réelle des droits des bénéficiaires d’un trust et de sa recon- naissance 35. Cela étant, le reste de la doctrine majoritaire, de manière ex- plicite ou implicite, se rallie à cette qualification36. Toujours selon cet au- teur, seul un droit réel des bénéficiaires permet d’expliquer la restriction au pouvoir de disposition du trustee, laquelle est révélée par la mention du lien de trust au Registre foncier prévue par l’article 149d al. 3 LDIP 37.

C. La doctrine opposée à la reconnaissance du droit de suite contre les tiers

Pour une partie minoritaire de la doctrine, le droit de suite ne doit pas être reconnu dans les pays de droit civil dans le cadre de la Convention. Cette position est justifiée de différentes manières. Tout d’abord, certains auteurs considèrent que la possibilité de re- vendiquer les biens du trust contre des tiers n’est pas régie par le droit du trust car il s’agit en réalité d’une question du droit de l’enrichissement il- légitime ou des actes illicites 38. Ainsi, la question du droit de suite contre les tiers se trouve hors du champ d’application de la Convention mais il peut éventuellement être mis en œuvre selon les règles en matière d’acte illicite et d’enrichissement illégitime désignées par le droit international privé y relatif 39. C’est la position défendue par le Message du Conseil Fé- déral émis dans le cadre de la ratification de la Convention de La Haye 40. D’autres auteurs considèrent que le droit de suite contre les tiers n’est pas régi par le droit du trust mais par le droit désigné par les règles de conflit du for, en l’espèce dans le cas d’immeubles le droit du lieu de si- tuation des immeubles 41 (par l’intermédiaire de l’article 11 al. 3 lit. d de la ­Convention). De plus, les auteurs prenant ce parti sont généralement d’avis

35 Piotet, in Not@lex 2008, p. 14 et 16. 36 Piotet, in Not@lex 2008, p. 14, notes 60 et 61. 37 Piotet, in Not@lex 2008, p. 16. 38 Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 370-371, p. 160. 39 Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 371, p. 160. 40 Message du Conseil Fédéral, 2 décembre 2005, §1.6.2.1 et § 1.6.2.2, p. 582 s. 41 Mayer, in L’expert comptable suisse 2006, p. 670 ; Gaillard, in Revue juridique et politique indépendance et coopération 44 (1990), p. 315. 96 Delphine Pannatier Kessler que le constructive trust permettant le droit de suite n’est pas couvert par la Convention42. D’autres opposants à la reconnaissance du droit de suite contre les tiers considèrent que ce dernier est inclus dans la reconnaissance prévue par la Convention mais n’est pas conciliable avec les règles impératives de droit réel des juridictions de droit civil et ne doit donc pas être reconnu en vertu de l’article 15 de la Convention43. S’il l’on considère que le droit de suite n’est pas couvert ou est exclu par l’article 15 de la Convention, cela signifie que les bénéficiaires n’ont que des droits personnels sur les biens situés dans des pays de droit civil et non plus des droits réels (proprietary rights) tels que le leur garantit le droit des trusts 44. Pour pallier ce problème et offrir aux bénéficiaires une autre protection, certains auteurs proposent d’utiliser d’autres institutions du droit telles que tort law (action délictuelle, responsabilité pour acte illicite), fraud (fraude constituant un acte illicite) ou unjust enrichment (enrichis- sement illégitime) 45.

D. Résumé des positions doctrinales

La reconnaissance du droit de suite contre le trustee selon la Convention de La Haye est admise par la doctrine mais les avis sont plus partagés sur

42 Rose, Restitution and the conflict of laws, 1995, p. 216 s. ; Eichner, Die Rechtsstel- lung von Treugebern und Begünstigten, § 413, p. 181 et § 416, p. 182 ; MCF, FF 2006, § 1.5, p. 568 et § 1.8.3, p. 584. 43 Koppenol-Laforce, in Notarius International, vol. 3/1998, p. 34 ; Jauffret-Spinosi, in Journal du droit international Clunet 1987, p. 58 ; (très nuancé) : Waters, The In- stitution of the trust in civil and common law, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1995, vol. 252, p. 440. 44 Koppenol-Laforce, in Notarius International, vol. 3/1998, p. 34, Hayton, Trusts Under Civil Law , International , 1995, § 8.05 ; Waters, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1995, vol. 252, p. 344 ; Piccoli, in Rivista del notariato 1984, p. 864 s. 45 Hayton, Trusts Under Civil Law Jurisdiction, 1995, § 8.05 ; Mayer, in L’expert comptable suisse 2006, p. 674 ; Jauffret-Spinosi, in Journal du droit international ­ Clunet 1987, p. 58 ; Hayton, in International and Comparative Law Quarterly 36 (1987), p. 276 ; Waters, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye 252 (1995), p. 344 ; Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begün- stigten, § 475, p. 208. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 97 le droit de suite contre des tiers. Certains auteurs refusent cette reconnais- sance parce qu’ils considèrent que le droit de suite contre les tiers n’est pas couvert par la Convention et que la matière n’est pas régie par le droit du trust mais par le droit désigné par les règles de conflit du for. D’autres auteurs refusent sa reconnaissance car ils pensent que cela induirait une violation de règles impératives du droit désigné par les règles de conflit du for. Quant aux auteurs qui se prononcent en faveur de la reconnaissance du droit de suite contre les tiers, ils admettent que ce remède juridique fait partie du trust et doit être reconnu à ce titre. Parmi eux, certains auteurs considèrent que le droit de suite ne viole pas de règles impératives. D’autres enfin, tout en admettant le principe de la reconnaissance du droit de suite contre des tiers, restent prudents et soulignent le fait que ce remède ne peut pas toujours être mis en œuvre dans les juridictions de droit civil. Le pro- chain point présente la position adoptée par le Message du Conseil Fédéral sur cette question.

E. Le Message du Conseil Fédéral

Dans le cadre de la ratification par la Suisse de la Convention de La Haye sur les trusts, le gouvernement a dû présenter, parmi de nombreuses autres questions soulevées par la ratification, sa vision de la question de la recon- naissance du droit de suite. Nous présenterons tout d’abord la conception du Message du Conseil Fédéral sur la reconnaissance du droit de suite, puis introduirons l’avis de la doctrine suisse et enfin proposerons une cri- tique de la position retenue par le Conseil Fédéral.

1. Interprétation de la Convention par le Conseil Fédéral

Pendant la procédure de ratification de la Convention de La Haye sur les trusts, le Conseil Fédéral a émis un message explicatif 46 (ci-après “Message du Conseil Fédéral” ou “Message”) concernant les problèmes soulevés par la ratification de la Convention et donnant ses vues en la matière.

46 Message du Conseil Fédéral, 2 décembre 2005, 05.088 paru à la FF 2006, p. 561 (abrégé MCF). 98 Delphine Pannatier Kessler

Selon le Message du Conseil Fédéral, les bénéficiaires d’un trust n’ont pas de droit réel sur les biens en trust mais seulement des droits person- nels car il n’existerait en réalité pas de dédoublement de propriété en droit anglo-saxon47. De plus, le remède du tracing (dans notre termino- logie : droit de suite) contre des tiers ne ferait pas partie du droit du trust mais serait plutôt “fondé(s) sur la faute ou découle(nt) d’un enrichissement ­illégitime” 48. Le Message ajoute que le constructive trust, lequel renforce le droit des bénéficiaires, n’est pas couvert par la Convention49. De plus, selon le Message, la deuxième phrase de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention ne concerne pas seulement les biens détenus par des banques mais s’applique aussi aux biens en trusts aliénés à des tiers en violation du trust. Il prend en cela position contre l’avis d’une partie de la doctrine 50. Le Message re- lève que, même si le tracing contre des tiers était inclus dans la reconnais- sance obligatoire de l’article 11, il serait tout de même exclu par l’article 15 de la Convention car “il s’agit d’une question ne relevant pas du droit des trusts”51. Par ailleurs, le Message du Conseil Fédéral considère que c’est le droit du lieu de situation du bien, en l’espèce le droit suisse pour des immeubles situés en Suisse (selon les articles 99 et 110 LDIP), qui régit l’ac- quisition par un tiers de la propriété d’un bien appartenant au patrimoine d’un trust 52. Ainsi, le Message du Conseil Fédéral considère que le droit de suite contre le trustee doit être reconnu sous l’empire de la Convention53 mais que le droit de suite contre les tiers est expressément exclu 54 et ne doit donc pas être reconnu en Suisse 55. Dans ce cas, le Message, fidèle à la conception selon laquelle le droit de suite ne fait pas partie du droit du trust mais se rattache à d’autres règles juridiques relatives notamment aux concepts de tort ou fraud, préconise d’appliquer les règles générales du droit interna-

47 MCF, FF 2006, § 1.3.3.6, p. 571-572 et § 1.7.2.2, p. 587 ; du même avis : Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 406, p. 177. 48 MCF, FF 2006, § 1.4.2.3, p. 578 ; du même avis : Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 481, p. 210. 49 MCF, FF 2006, § 1.5, p. 579 ; § 1.6.1.2, p. 581. 50 MCF, FF 2006, § 1.6.2.2, p. 582. 51 MCF, FF 2006, § 1.6.2.2, p. 583. 52 MCF, FF 2006, § 2.2 ad art. 149d LDIP, p. 606-607. 53 MCF, FF 2006, § 1.6.2.1, p. 582. 54 MCF, FF 2006, § 1.6.2.1, p. 582. 55 MCF, FF 2006, § 1.7.2.2, p. 587 ; Noseda, in Trust Law International 2006, vol. 20(1), p. 5 ; Noseda, in Trusts and Trustees 2006, vol. 12 no 10, p. 12. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 99 tional privé suisse en matière d’actes illicites (articles 132 ss LDIP) ou d’en- richissement illégitime (articles 128 ss LDIP) 56.

2. Avis de la doctrine suisse sur le Message

Une partie minoritaire de la doctrine se rallie à la position défendue par le Message du Conseil Fédéral et refuse la reconnaissance en Suisse du droit de suite contre les tiers pour les mêmes raisons que celles invoquées dans le Message 57. Quant à la doctrine majoritaire, elle adopte une conception opposée à celle choisie par le Message du Conseil Fédéral : elle admet la nature réelle des droits des bénéficiaires et reconnaît le fait que le droit de suite est régi par le droit du trust et qu’il doit en principe être reconnu en vertu de la Convention. Cela étant, les avis divergent quant aux modalités de la reconnaissance du droit de suite à l’encontre de tiers. Tout d’abord, P. Noseda critique la position adoptée par le Message. Il la considère en effet comme étant en contradiction avec la première phrase de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention et relève que cette interprétation ne lie heureusement pas les tribunaux 58. Pour D. Piotet, le droit de suite dans son principe est de nature réelle 59 et est régi par le droit du trust mais son efficacité à l’égard des tiers dépend de la loi impérative désignée au for60. Selon cet auteur, la mise en œuvre du droit de suite dépendra de la loi désignée par les règles de conflit du for et nécessite en Suisse l’applica- tion des articles 933, 935 et 973 CC 61. A cet avis se rallie N. P. Vogt, lequel admet le principe de la reconnaissance avec effet réel du droit de suite en Suisse mais réserve les règles suisses en matière de protection de l’acqué- reur de bonne foi contenues aux articles 714 et 933 CC 62. S’y rallie égale- ment F. Guillaume, laquelle considère que la protection de ­l’acquéreur

56 MCF, FF 2006, § 1.6.2.1, p. 582. 57 Mayer, in L’expert comptable suisse 2006, p. 670 et 674 ; Mayer, Neue IPRG-Bes- timmungen zum Trust, p. 54-56 ; Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 481, p. 210, § 492, p. 213 et § 495, p. 214 ; Wolf / Jordi, in Der Trust – Einführung und Rechtslage in der Schweiz, p. 66. 58 Noseda, in Trust Law International 2006, vol. 20(1), p. 5. 59 Piotet, in Not@lex 2008, p. 20. 60 Piotet, in Not@lex 2008, p. 9. 61 Piotet, in Not@lex 2008, p. 16 s. ; pour une critique de cette position : Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 61 ss. 62 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 78 et 79. 100 Delphine Pannatier Kessler de bonne foi selon le droit suisse a priorité sur le droit de suite et donc que le droit de suite ne peut pas être exercé contre un acquéreur de bonne foi 63. Quant à P. M. Gutzwiller, il considère que les Etats signataires ont l’obligation de par la Convention de prévoir la possibilité matérielle et procédurale de faire valoir le droit de suite de manière réelle 64. Rappelons finalement l’avis de L. Thévenoz dans son rapport de 2001 qui s’exprime en faveur de la reconnaissance du droit de suite contre les tiers également et considère que le droit du trust régit la plus grande partie du droit de suite, y compris la détermination de la bonne foi 65. Sa vision est dès lors à l’opposé de celle choisie par le Message. En résumé, la doctrine majoritaire suisse refuse l’interprétation proposée par le Message du Conseil Fédéral et considère que le droit de suite est régi par le droit du trust, est couvert par la Convention et doit être reconnu en Suisse non seulement contre le trustee mais également contre des tiers, tout en admettant néanmoins qu’il y a lieu de tenir compte des règles désignées au for en matière de protection des tiers.

3. Critique du Message

Le Message du Conseil Fédéral publié à l’occasion de la ratification de la Convention de La Haye a une dimension politique : il vise à ne pas effrayer le Parlement. C’est pourquoi le Message tente de gommer les différences du droit du trust par rapport au droit suisse en considérant que l’on n’assiste pas à un dédoublement de propriété dans un trust, que les bénéficiaires n’ont pas de droit réel sur les biens en trust et que le remède du droit de suite ne fait pas partie du droit du trust mais d’un autre domaine du droit. Ainsi, le trust est réduit à des relations purement contractuelles politique- ment acceptables en droit suisse. Avant de procéder à la critique du Mes- sage, il convient de relever que l’interprétation préconisée par celui-ci ne lie pas les tribunaux et que seules les décisions de ces derniers seront déci- sives en la matière 66. La conception du trust dépourvu d’aspects réels n’est pas celle gé- néralement acceptée par la doctrine. En effet, comme présenté au cha-

63 Guillaume, in RNRF 90 (2009), p. 14 ; Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 35 et 44. 64 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 11, n. 11-30. 65 Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 109. 66 Noseda, in Trust Law International 2006, vol. 20(1), p. 5. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 101 pitre II.A.4, page 22, auquel nous renvoyons, la doctrine et la jurisprudence anglaises, auxquelles se greffent les autres trust d’influence anglaise, considèrent que les bénéficiaires ont des equitable interests sur les biens en trust qui sont des proprietary rights de nature réelle contre les tiers acquéreurs de biens du trust, dont le respect peut être exigé par le droit de suite. Le Message du Conseil Fédéral fait donc complètement abs- traction de la conception traditionnelle et majoritaire de la nature du droit de suite et adopte un point de vue minoritaire, qu’il justifie en donnant l’exemple du droit écossais 67. Or, l’exemple du droit écossais ne nous paraît pas idoine à justifier la nature purement contractuelle du trust puisqu’en droit écossais la doctrine s’interroge sur la question de savoir si l’intérêt d’un bénéficiaire d’un trust est plutôt un droit “heritable” (un droit réel immobilier) ou bien alors un droit “moveable” (un droit réel mobilier) 68, lesquels sont tous deux des droits réels et non pas contractuels. De plus, le droit de suite écossais permet de suivre les biens du trust malgré leur changement de forme, lesquels demeurent grevés du trust, sauf à l’encontre d’un acquéreur de bonne foi à titre onéreux 69, ce qui signifie que le droit de suite écossais doit être qualifié comme étant de nature réelle. Ainsi, selon nous, la position adoptée par le Message est en opposition avec la vision majoritaire faisant autorité en matière de trust, privilégie de manière par- tiale – à notre avis à tort– la conception du trust écossais par rapport à la conception anglaise ou américaine largement plus répandues et constitue une tentative artificielle de réconcilier le trust avec les traditions de droit civil en l’édulcorant et en l’amputant de ses aspects caractéristiques. De plus, le Message du Conseil Fédéral considère que le remède du droit de suite ne fait pas partie du statut du trust mais relève d’un droit dif- férent, notamment celui de l’enrichissement illégitime et celui de la faute. A nouveau, cette conception du droit de suite est à notre avis partielle. En effet, il est vrai qu’en droit des trusts les bénéficiaires ont à disposition des actions personnelles contre le trustee ou les tiers que l’on peut rattacher au domaine de l’enrichissement illégitime et de la faute. Nous avons décrit ces actions au point II.C.2.3, page 41. Il s’agit par exemple de l’action per- sonnelle en liability contre le trustee ou de l’action personnelle contre un

67 Le droit sud-africain en serait un meilleur exemple ; voir De Waal, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 44 et 53. 68 Gloag / Henderson, The Law of Scotland, § 47.04, p. 778. 69 Gloag / Henderson, The Law of Scotland, § 47.15, p. 790 ; Ashton et al., Funda- mentals of Scots Law, § 11-65, p. 406. 102 Delphine Pannatier Kessler tiers pour “knowing assistance” ou “knowing receipt” d’un bien du trust 70. Cependant, le droit de suite est une action distincte de ces dernières, dé- coulant directement du droit de propriété équitable (equitable interest) des bénéficiaires. Le droit de suite est un aspect indissociable du trust 71 qui fait partie intégrante de la structure de ce dernier et est régi par le droit du trust. Ainsi, le rattachement du droit de suite au droit de l’enrichissement illégitime et de la faute tel que représenté par le Message ne correspond pas à la réalité du droit anglais. De plus, la distinction faite par le Message du Conseil Fédéral entre statut du trust, droit réel, droit de l’enrichissement illégitime et droit de la faute est artificielle car il n’y a pas de limite claire entre ces domaines en droit anglais. Ces divers domaines du droit se re- trouvent imbriqués de manière inextricable au fur et à mesure du case law anglais, sans qu’un vrai effort de systématisation ou de classification n’ait lieu. Ainsi, la vision du Message du Conseil Fédéral consistant à considérer que le droit de suite ne relève pas du droit du trust mais du droit de l’enri- chissement illégitime ou de la faute ne nous semble pas soutenable. Par ailleurs, le Message du Conseil Fédéral élimine de la reconnais- sance le constructive trust en général 72. Certes, le constructive trust usuel, c’est-à-dire celui qui se crée sans volonté des parties, n’est clairement pas couvert par la Convention selon son article 3. Cela étant, il y a lieu de re- venir sur la controverse sémantique concernant le constructive trust que nous avons présentée sous II.C.3, page 49. Nous avons vu que certains auteurs considèrent que le tiers ou le trustee détenant des biens du trust aliénés en violation de ce dernier en deviennent constructive trustee, ce qui permet aux bénéficiaires d’exercer contre eux le droit de suite. Nous avons également exposé que d’autres auteurs considèrent qu’en réalité l’equitable interest des bénéficiaires sur le bien demeure et qu’il n’est techniquement pas nécessaire d’avoir recours à un constructive trust pour permettre

70 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 254 s. ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 100.1 (4), p. 1167 s. ; Matthews, in Trusts and Trustees, June-July 1995, p. 27. 71 Waters, in Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1995, p. 229 s. ; Hayton, in International and Comparative Law Quarterly 36 (1987), p. 266 ; Gonzales-Beilfuss, § 152-153, p. 137 s. ; Waters, in Bulletin for International Fiscal Documentation, 1999, p. 120 ; Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 78 ; contra : Lupoi, in Vanderbilt Journal of Transnational Law 32 (1999), p. 967 ss. 72 Approuvant : Guillaume, in RNRF 90 (2009), p. 4 ; Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 35. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 103 l’exercice du droit de suite. Il est intéressant de remarquer que les auteurs qui appartiennent au courant doctrinal utilisant le concept du constructive trust pour justifier le droit de suite font la distinction entre le construc- tive trust usuel et le constructive trust qui naît en cas d’aliénation déloyale d’un bien du trust à un tiers. Ces auteurs considèrent que ce dernier est un cas particulier et est couvert par la Convention nonobstant l’article 3 de cette dernière 73. Quant aux auteurs n’utilisant pas le constructive trust pour construire le droit de suite, ils s’en tiennent à l’interprétation littérale de l’article 3 de la Convention sans avoir à effectuer la distinction susmen- tionnée. Ainsi, la position du Message du Conseil Fédéral excluant pure- ment et simplement tout constructive trust sans distinction est contraire à la position d’une partie importante de la doctrine. De plus, si l’on se place du point de vue de la doctrine qui n’a pas recours à la notion de constructive trust pour justifier le droit de suite 74, le raisonnement du Mes- sage consistant à refuser la reconnaissance du droit de suite parce que le constructive trust n’est pas couvert par la Convention n’est pas pertinent. En outre, le Message du Conseil Fédéral admet que le droit de suite contre un trustee est couvert par la Convention et est reconnu en Suisse 75. Nous pouvons partager ce point de vue. Cependant, on relèvera l’absence de cohérence du raisonnement du Message du Conseil Fédéral, étant donné qu’en admettant le droit de suite contre le trustee, l’on admet implicite- ment le droit réel des bénéficiaires, le dédoublement de propriété et le fait que le droit de suite est un aspect indissociable du trust. Quant au droit de suite contre un tiers dont la reconnaissance est refusée par le Message du Conseil Fédéral 76 pour les raisons susmentionnées, il nous paraît que cette interprétation est en contradiction avec la doctrine dominante 77, laquelle admet la reconnaissance du droit de suite selon l’article 11 de la Convention mais émet des réserves en ce qui concerne sa compatibilité avec les règles impératives selon l’article 15 de la Convention. Ainsi, il nous semble que le raisonnement du Message du Conseil Fédéral tente de “couper le mal à

73 Hayton, in International and Comparative Law Quarterly 36 (1987), p. 266 ; Harris, in The Hague Trusts Convention, p. 129 ; Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 80 et ad art. 149a LDIP, n. 2 ; dans le même sens : Piotet, in Not@lex 2008, p. 3 s. 74 Il est renvoyé au point II.C.3, page 52. 75 MCF, FF 2006, § 1.6.2.1, p. 582. 76 MCF, FF 2006, § 1.6.2.1, p. 582 et § 1.7.2.2, p. 587. 77 Du même avis : Noseda, in Trust Law International 2006, vol. 20(1), p. 5 s. ; Noseda, in Trusts and Trustees 2006, vol. 12, no 10 p. 12. 104 Delphine Pannatier Kessler la racine” en excluant de la reconnaissance le droit de suite contre les tiers alors qu’il aurait dû l’admettre dans une première étape puis procéder à l’analyse de sa compatibilité avec les règles impératives du droit désigné par les règles de conflit du for. Enfin, de manière générale, il nous paraît que l’interprétation préco- nisée par le Message du Conseil Fédéral est en contradiction avec l’enga- gement international que le Conseil Fédéral recommandait à la Suisse de prendre en ratifiant la Convention, lequel consiste à reconnaître les trusts dans la mesure la plus large possible, en écartant seulement les aspects inconciliables avec les règles impératives et l’ordre public. Cette reconnais- sance des trusts inclut celle du mécanisme du droit de suite, élément in- dissociable du trust. Les interprétations littérale, historique et téléologique que nous présenterons plus loin confirmeront également que la conception du Message du Conseil Fédéral n’est pas soutenable. Une reconnaissance du droit de suite la plus large possible mais dans les limites du droit im- pératif est nécessaire afin que la prévisibilité et la sécurité du droit soient garantis, en particulier pour les bénéficiaires.

F. Proposition d’interprétation de la Convention

Après avoir présenté les avis doctrinaux sur la reconnaissance du droit de suite ainsi que la position adoptée par le Message du Conseil Fédéral, nous procéderons à une interprétation abstraite des articles 8, 11, 15 de la Convention puis utiliserons les résultats de l’interprétation abstraite pour proposer une argumentation en faveur de la reconnaissance du droit de suite en Suisse (IV.F.2, pages 111 ss).

1. Interprétation des articles 8, 11 et 15 de la Convention

Nous allons en premier lieu proposer une interprétation abstraite des ar- ticles 8, 11 et 15 de la Convention, c’est-à-dire une interprétation générale de la Convention, sans nous référer à la situation particulière suisse. Nous uti- liserons tout d’abord la méthode de l’interprétation littérale et historique, puis celle de l’interprétation téléologique et enfin celle de l’interprétation systématique. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 105

1.1 Interprétation littérale et historique 1.1.1 Article 8

Selon l’alinéa premier de cet article, la loi applicable au trust, telle que dé- finie selon les articles 6 et 7 de la Convention, régit notamment les effets du trust. Certains des effets du trust sont mentionnés de manière exem- plative au deuxième alinéa de l’article 8. Par exemple, selon les lettres d) et g) de cet article, la loi applicable au trust régit les pouvoirs du trustee et les relations entre ce dernier et les bénéficiaires, y compris la respon- sabilité du trustee. Il convient dès lors d’analyser sous l’angle du droit du trust la question de savoir si un trustee a le pouvoir d’aliéner des biens en trust, même si ces biens sont situés à l’étranger, par exemple dans un pays ayant ratifié la Convention. Le droit du trust régit également les relations entre le trustee et les bénéficiaires y compris la responsabilité personnelle du trustee envers les bénéficiaires et à notre avis également le droit de suite découlant de cette relation. En effet, revenons à la règle générale de l’alinéa premier, laquelle pré- voit que les effets du trust sont régis par le droit désigné aux articles 6 et 7 de la Convention, soit par le droit régissant le trust. Quels effets du trust sont-ils visés par cette règle ? Selon J. Harris et D. Hayton, les effets du trust régis par le droit du trust sont principalement ceux mentionnés à l’article 8 mais également ceux apparaissant à l’article 11 de la Convention78. P. M. Gutzwiller se rallie à cet avis et considère que le droit applicable au trust régit les effets du trust, lesquels sont notamment les conséquences du trust listées à l’ar- ticle 11 de la Convention79. Cette analyse nous paraît pertinente puisque les traits caractéristiques du trust de l’article 11 de la Convention, dont on a voulu rendre la reconnaissance obligatoire, sont forcément des effets du trust qui ont été considérés comme fondamentaux et dignes de reconnais- sance. Parmi ces effets du trust l’on compte l’existence d’un patrimoine séparé et le droit de suite. Dès lors, le droit de suite est un effet du trust qui est visé par l’article 8 de la Convention, sous réserve des limites prévues à l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention80.

78 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 234 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.166, p. 1280. 79 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 8, n. 8-26. 80 Arrivant à la même conclusion : Harris, The Hague Trusts Convention, p. 234. 106 Delphine Pannatier Kessler

Cette interprétation est à notre avis confirmée par les opinions doc- trinale et jurisprudentielle selon lesquelles le droit applicable au trust régit la nature même des intérêts des bénéficiaires 81. Or, les intérêts des béné- ficiaires d’un trust, que ce dernier soit discrétionnaire ou fixe, sont des intérêts in rem qui grèvent les biens en trust malgré une éventuelle aliéna- tion déloyale. De la nature même des intérêts des bénéficiaires découle le droit de suite, qui est le bras armé de la nature réelle de ces intérêts. Dès lors, si le droit du trust s’applique à la nature même des intérêts des bénéfi- ciaires, il doit également s’appliquer à leur conséquence directe qu’est le droit de suite. Ainsi le droit applicable au trust tel que défini par les articles 6 et 7 de la Convention régit notamment les pouvoirs du trustee, les relations des bénéficiaires avec le trustee mais aussi le droit de suite sur son principe, sous réserve des exceptions prévues par l’article 11 al. 3 lit. d de la Conven- tion, que nous traiterons ci-après.

1.1.2 Article 11

L’article 11 al. 3 lit. d de la Convention prévoit que la reconnaissance du trust implique la reconnaissance de la possibilité de récupérer les biens lorsque le trustee, en violation du trust, a confondu les biens du trust avec les siens ou en a disposés. A première vue, cet article impose la reconnais- sance du remède du droit de suite par les Etats signataires, à condition que le droit régissant le trust le prévoie. Tel sera le cas dans la plupart des ordres juridiques connaissant le trust, tels le droit anglais et les droits basés sur ce dernier. Il y aura toutefois des cas où le droit applicable ne connaît pas le droit de suite, par exemple le droit sud-africain82 ; 83. Cela étant, la phrase suivante de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention contient une restriction au principe de la reconnaissance en prévoyant que “les droits et obligations d’un tiers détenteur des biens du trust demeurent

81 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 23-058 et § 23-059, p. 973 s. ; pour un arrêt arrivant à la même conclusion : Chellaram v. Chellaram (2002) EWHC 632 (Ch). 82 De Waal, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 53. 83 En ce qui concerne le droit écossais cité à cet égard par le Message (MCF, FF 2006, § 1.7.2.2, p. 587 s.), cette affirmation ne nous paraît pas exacte. Il est renvoyé au point IV.E.3, page 101. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 107 régis par la loi déterminée par les règles de conflit du for”. La portée et la signification de cette phrase sont controversées. Interprété littéralement, l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention fait une différence entre le droit de suite contre un trustee et celui exercé contre un tiers. Si le droit de suite est dirigé contre le trustee, il doit être reconnu (“la revendication est permise”). Si en revanche il est dirigé contre un tiers, les droits et obligations du tiers ne sont pas régis par le droit du trust mais par le droit désigné par les règles de conflit du for. Par exemple, en matière de biens immobiliers, il s’agira généralement du droit du pays dans lequel l’immeuble est situé. Le texte de la Convention analysé de manière littérale ne dit en aucune manière que le droit de suite contre des tiers ne fait pas l’objet de la reconnaissance, mais seulement que les droits et obligations des tiers sont régis par les règles ordinaires désignées par le for. De plus, le texte de la Convention parle de “droits et obligations” des tiers, visant ces aspects précis de la situation des tiers et non pas la totalité de la procédure en droit de suite. Par ailleurs, il y a lieu d’analyser cette deuxième phrase de l’ar- ticle 11 al. 3 lit. d de la Convention en nous référant à son histoire. A. von Overbeck rapporte à ce sujet que “les rapports du trustee et du bénéfi- ciaire avec un tiers qui détient des biens du trust ne sont pas régis par la loi applicable au trust mais par la loi désignée par les règles de conflit du for. Cette disposition concerne, par exemple, les rapports entre un trustee et une banque dans un pays ne connaissant pas le trust ; cette banque n’en- courra alors pas la responsabilité – à vrai dire assez restreinte – que la loi du trust peut imposer aux banques en cas de violation de ses obligations par le trustee”84. Le rapport explicatif précise que cette deuxième phrase “était surtout destinée à assurer que la responsabilité des banquiers échappe à la loi applicable au trust”85. Si l’on accepte l’interprétation historique propo- sée, cela signifie que la reconnaissance du droit de suite régi par le droit du trust contre le trustee ou contre un tiers s’impose, sous réserve d’exception restreinte pour les banques ou les tiers détenant un bien du trust à titre contractuel. Cela étant, la doctrine est réticente à admettre, au vu de la formula- tion, que cette restriction ne concerne que les tiers détenteurs sur la base d’un rapport contractuel, soit en pratique les banquiers, et non pas des

84 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 113, p. 395. 85 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 115, p. 395 ; Von Overbeck, in Trusts & Trust- ees, April 1996, p. 7. 108 Delphine Pannatier Kessler tiers ayant acquis des biens en violation du trust 86. Nous y reviendrons au point IV.F.2.1, page 112. Même si l’on refuse l’interprétation historique susmentionnée et que l’on considère que la restriction contenue dans la deuxième phrase de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention s’applique à tout tiers, y compris ceux ayant acquis un bien du trust en violation de ce dernier, l’interprétation historique demeure en filigrane et permet de déduire que la restriction de la deuxième phrase de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention a une portée limitée 87, qu’elle doit être interprétée restricti- vement et qu’elle n’empêche pas la reconnaissance du droit de suite 88. En conclusion, les interprétations littérale et historique de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention démontrent que la reconnaissance du droit de suite constitue la règle et qu’il convient d’interpréter restrictivement et lit- téralement la restriction contenue dans la deuxième phrase de la lettre d).

1.1.3 Article 15

Pour déterminer la place du droit de suite dans la Convention, il faut éga- lement prendre en compte l’article 15 de la Convention. Cet article prévoit que les règles impératives désignées par les règles de conflit du for restent applicables et ont la priorité par rapport au droit du trust, notamment les règles concernant le transfert de propriété ou les règles sur la protection des tiers de bonne foi. Etant donné que l’article 11 al. 3 lit. d et l’article 15 de la Convention semblent traiter de problèmes similaires, il s’agit de déter- miner quelle est la relation entre ces deux règles. Le rapport explicatif de la Convention de A. von Overbeck explique que “l’intention claire de la Conférence a, au contraire, été que l’effet de l’article 11 tout entier soit limité par l’article 15”89. Au sujet de la différence entre l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase et l’article 15 de la Convention, A. von Overbeck explique que les deux règles ont pour but de préserver l’application du droit désigné par les règles de conflit du for mais que l’ar- ticle 15 de la Convention ne concerne que les règles impératives du droit

86 Harris, The Hague Trust Convention, p. 322 ss ; MCF, FF 2006, § 1.6.2.2, p. 572 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 11, n. 11-33 ss. 87 Du même avis : Koppenol-Laforce, Het Haagse Trustverdrag, p. 268 ; Koppenol-­ Laforce, in Notarius International, vol. 3, 1998, p. 35. 88 Von Overbeck, in Trusts & Trustees, April 1996, p. 7. 89 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 105, p. 393. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 109 alors que l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention se réfère à l’ensemble de cette loi 90. Au vu de ces explications historiques, nous pouvons conclure que l’article 15 de la Convention peut déroger à l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention91, et donc que l’on ne peut pas interpréter a contrario l’ar- ticle 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention comme une exception à l’article 15 de la Convention. De plus, la portée de l’article 15 est plus étroite que celle de l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention dans la mesure où l’article 15 n’exclut l’application du droit du trust que s’il viole des règles impératives du droit désigné par les règles de conflit du for. L’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention pour sa part concerne tous les droits et obligations des tiers, et non pas seulement les règles impératives 92. Finalement, l’article 15 al. 2 de la Convention exige que les juges tentent de donner effet aux buts du trust par d’autres moyens si la reconnaissance n’est pas possible. Cette phrase est un appel à la bonne volonté des juges 93. La doctrine considère que cet alinéa interdit aux juges d’être trop rigides et stricts dans leur application des règles impératives de leur droit national 94. Si l’on ne peut pas reconnaître tels quels les effets du trust, il convient de tenter de leur donner effet au moins partiellement en utilisant les moyens de droit à disposition dans l’ordre juridique du pays où l’on cherche à obtenir la reconnaissance 95.

1.2 Interprétation téléologique

Nous en arrivons maintenant à l’interprétation téléologique des articles susmentionnés. L’un des buts principaux de la Convention de La Haye sur les trusts est d’assurer la reconnaissance des trusts dans les pays de droit ­civil 96 afin d’améliorer la sécurité, la clarté et la prévisibilité du

90 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 138, p. 401 ; Harris, The Hague Trusts Con- vention, p. 360 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-6. 91 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 315. 92 Du même avis : Harris, The Hague Trusts Convention, p. 375 ; Gutzwiller, Schwei- zerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-7. 93 Von Overbeck, Rapport explicatif, § 147, p. 403. 94 Gaillard / Trautman, in American Journal of Comparative Law 35 (1987), p. 332. 95 Kötz, in Rabels Zeitschrift 50 (1986), p. 582. 96 Von Overbeck, in Trusts & Trustees, April 1996, p. 5. 110 Delphine Pannatier Kessler droit 97. L’idée générale qui en découle est de reconnaître les trusts tels qu’ils sont, sans essayer de les adapter ou de les forcer à entrer dans le moule des catégories du droit national 98. Le but de la reconnaissance des trusts avec tous leurs effets est si important qu’il est mentionné dans le titre de la Convention. Selon C. Jauffret-Spinosi, reconnaître un trust c’est “to consent to give full effect to a foreign institution because of the confidence one can have in the legal system (…) that created the trust”99, (consentir à donner plein effet à une institution étrangère en raison de la confiance que l’on peut avoir dans le système juridique qui a créé le trust). Les pays signataires s’engagent ainsi à modifier leur droit interne, sans que cela im- plique forcément une modification législative formelle, afin de reconnaître le trust et de lui donner la priorité sur le droit national 100. L’article 11 de la Convention est la pierre angulaire de la reconnais- sance des trusts dans les pays de droit civil ; il vise à ce que les intérêts des bénéficiaires soient correctement sauvegardés 101 et il inclut le droit de suite, mentionné à sa lettre d) 102. Son but de permettre la récupération des biens du trust des mains de tiers est raisonnablement clair 103. Cependant, la deuxième phrase de la lettre d) contient une restriction pour les droits et obligations de tiers, lesquels sont néanmoins régis par le droit désigné par les règles de conflit du for. Cette limitation ainsi que celle de l’article 15 de la Convention en faveur des règles impératives du for doivent être interpré- tées restrictivement afin de respecter le but de l’article 11 qui tend à sauve- garder les intérêts des bénéficiaires et le but général de la Convention qui est de favoriser la reconnaissance des trusts avec tous leurs effets, parmi lesquels figure le droit de suite 104.

97 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.50, p. 1245 ; Von Overbeck, in Trusts & Trustees, April 1996, p. 9. 98 Jauffret-Spinosi, in Journal du droit international (Clunet) 1987, p. 54 ; Von ­Overbeck, Rapport explicatif, § 108, p. 394 ; Hayton / Matthews / Mitchell, ­Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.47 p. 1244 ; Von Overbeck, in Trusts & Trustees, April 1996, p. 7. 99 Jauffret-Spinosi, in Journal du droit international (Clunet) 1987, p. 54. 100 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 11, n. 11-8 d). 101 Hayton, in International and Comparative Law Quarterly 36 (1987), p. 275. 102 Von Overbeck, in Trusts & Trustees, April 1996, p.7. 103 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 378. 104 Du même avis : Harris, The Hague Trusts Convention, p. 378 s. ; dans le même sens au sujet de l’article 15 de la Convention : Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 40. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 111

1.3 Interprétation systématique

L’interprétation systématique de ces articles nous mène à la même conclu- sion. En ratifiant une convention internationale, l’Etat accepte de se sou- mettre à des règles supérieures. Ainsi pour le juge suisse le droit national se trouve placé à un niveau hiérarchiquement inférieur par rapport aux règles de droit international que l’Etat a acceptées. L’on peut aussi dire qu’en ra- tifiant la Convention, l’Etat en a inséré les règles dans son droit interne et a donc implicitement exclu de considérer l’institution du trust comme étant contraire à ses règles internes 105. Il faut en conclure que l’engagement international pris par l’Etat signataire et la hiérarchie des normes seraient contredits si l’on interprétait largement les exceptions à la reconnaissance de l’article 15 de la Convention ou les “droits et obligations” de l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. Seule une interprétation étroite et restrictive de ces dispositions est conciliable avec le but de la Convention et avec les engagements découlant de sa ratification. Les résultats de l’interprétation littérale, historique, téléologique et systématique des articles 8, 11 et 15 de la Convention serviront à émettre une proposition en faveur de la reconnaissance du droit de suite en Suisse que nous formulerons au point suivant.

2. Proposition en faveur de la reconnaissance du droit de suite en Suisse

Comme nous l’avons présenté ci-dessus, les avis doctrinaux et les interpré- tations au sujet de la reconnaissance du droit de suite sont très divers et abou- tissent à des résultats différents. Au point précédent (IV.F.1, page 104), nous avons proposé une interprétation des articles 8, 11 et 15 de la Convention de manière abstraite. Il s’agit maintenant d’appliquer les résultats obtenus à la question concrète de la reconnaissance en Suisse du droit de suite.

2.1 Sur son principe

Tout d’abord, il nous paraît nécessaire de revenir une nouvelle fois au texte de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention, celui-ci étant déterminant en

105 Bartoli, p. 587 et 765. 112 Delphine Pannatier Kessler matière de droit de suite, et de souligner l’idée de base contenue dans cette disposition : “the trust assets may be recovered when the trustee, in breach of trust, has mingled trust assets with his own property or has alienated trust assets”, (que la revendication des biens du trust soit permise, dans les cas où le trustee, en violation des obligations résultant du trust, a confondu les biens du trust avec ses biens personnels ou en a disposé). Cet énoncé est on ne peut plus clair : le droit de suite contre le trustee et contre un tiers en cas d’aliénation doit être reconnu dans les pays signataires de la Convention puisque le texte de la Convention prévoit expressément que les biens du trust peuvent être récupérés dans les deux cas mentionnés. Cela étant, nous avons déjà vu que la deuxième phrase du même article 11 al. 3 lit. d de la Convention apporte une restriction en ce qui concerne les “droits et obligations d’un tiers détenteur des biens du trust”, lesquels sont régis par le droit désigné par les règles de conflit du for. Cette restriction ne concerne que le droit de suite contre des tiers et non contre un trustee. La portée de cette restriction est controversée en doctrine en ce qui concerne la question de savoir si elle s’applique à tous les tiers y compris ceux ayant acquis des biens du trust ou aux seuls tiers détenteurs selon un rapport contractuel. Il nous paraît que la formulation “any third party holder of the assets” est générale et ne contient pas explicitement d’exclusion de son application aux tiers ayant acquis des biens du trust en violation de ce ­dernier 106. La seule interprétation historique préconisée par A. von Overbeck (voir sous IV.F.1.1.2, page 107) ne nous paraît pas suffisante pour faire échec à la lecture littérale de cet article. Ainsi nous sommes d’avis que la restriction de la deuxième phrase de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention s’applique à tout tiers qui détient des biens du trust, qu’il les ait acquis du trustee en violation du trust ou qu’il les détienne à un autre titre, notamment contractuel. De plus, il nous paraît qu’il convient d’interpréter littéralement et restrictivement les termes “droits et obligations” et donc qu’il y a lieu de considérer que seuls les droits et obligations des tiers et non le moyen du droit de suite dans sa totalité sont l’objet de la restriction107. En effet, l’in- terprétation historique confirme la nécessité d’interpréter restrictivement la deuxième phrase de l’article 11 al. 3 lit. d dans la mesure où, lors de

106 Du même avis : Harris, The Hague Trusts Convention, p. 322. 107 D’un avis similaire par interprétation historique : Von Overbeck, in Trusts & Trustees, April 1996, p. 7 ; Koppenol-Laforce, in Notarius International, 1998, p. 35 ; Du même avis : Harris, in International Yearbook of International Law 2002, p. 96. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 113 l’élaboration de la Convention, seuls les banquiers détenant des biens en trust pouvaient échapper à la loi du trust et au droit de suite (voir pour le surplus le point IV.F.1.1.2, page 107). Par ailleurs, les interprétations té- léologique et systématique confirment également cette interprétation res- trictive, puisqu’il y a lieu de prendre en compte le but de reconnaissance des trusts avec tous leurs effets, le but de garantir la protection des bénéfi- ciaires et l’engagement pris sur le plan international (voir pour le surplus IV.F.1.2, page 109 et IV.F.1.3, page 111). Ainsi, d’une part, la Convention force les Etats signataires à recon- naître le droit de suite contre le trustee. Le droit de suite est régi par le droit du trust selon l’article 8, à moins que cela ne viole des règles impéra- tives du droit désigné par les règles de conflit du for selon l’article 15 de la Convention. D’autre part, en ce qui concerne le droit de suite contre des tiers, cette action est régie par le droit du trust et doit être reconnue dans les pays si- gnataires selon l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention. Cependant, les droits et obligations stricto sensu des tiers seront examinés à l’aune des règles du droit désigné par les règles de conflit du for. Pour les immeubles, il s’agira généralement du droit du lieu de situation de l’immeuble 108. Pour les meubles, il peut s’agir du droit du lieu de situation actuelle du bien meuble ou du droit du lieu de situation au moment de l’acquisition ou de la perte, voire du droit de l’Etat de destination pour les biens en transit, selon le cas d’espèce 109. Relevons que tous les droits et obligations sont régis par cette loi et non pas seulement ceux qui résultent de dispositions impératives. Avant de présenter la portée de ces droits et obligations des tiers régis par un droit autre que celui du trust, rappelons que même si le droit de suite contre les tiers doit être reconnu dans son principe, il conviendra encore de vérifier si sa reconnaissance ne viole pas des règles impératives du droit désigné par les règles de conflit du for selon l’article 15 de la Convention.

2.2 Interprétation du terme “droits de tiers”

Selon nous, il convient d’interpréter restrictivement les “droits de tiers” au sens de l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention, comme

108 Cf. article 99 LDIP. 109 Cf. articles 100 ss LDIP. 114 Delphine Pannatier Kessler nous l’avons présenté ci-dessus. Les droits des tiers doivent être régis par le droit désigné par les règles de conflit du for afin que lesdits tiers soient placés dans la même situation et disposent des mêmes droits que n’im- porte quel autre acquéreur, sans que le droit du trust n’influence leur si- tuation. En particulier, il nous paraîtrait justifié qu’un acquéreur d’un bien immobilier en Suisse bénéficie des mêmes droits que tout autre acquéreur selon le droit suisse, notamment le droit de se fier au contenu du Registre foncier dont découle le droit d’être protégé en cas d’acquisition de bonne foi (art. 973 al. 1 CC). De même, en matière mobilière, le tiers devrait avoir le droit de se fier à la présomption de propriété du possesseur selon l’ar- ticle 930 CC lorsque le droit suisse a vocation à s’appliquer selon les règles de conflit. De plus, les droits des tiers visés par une action en droit de suite sont également ceux découlant des règles en matière de responsabilité du pos- sesseur sans droit selon les articles 938 à 940 CC, notamment le droit pour le possesseur de bonne foi d’obtenir le remboursement de ses impenses nécessaires et utiles, de ne devoir aucune indemnité pour la jouissance de bonne foi, de ne pas répondre des pertes et détériorations. En effet, le tiers visé par une action en droit de suite qui succombe se trouve dans la situation d’un possesseur sans droit des biens du trust. Il serait iné- quitable de le soumettre aux aléas du droit du trust alors qu’il peut avoir ignoré l’appartenance du bien au patrimoine d’un trust. Relevons que la détermination de sa bonne ou mauvaise foi sera aussi régie par le droit suisse puisqu’elle dépend du respect des obligations incombant au tiers, comme nous le verrons au paragraphe suivant. Ainsi, par l’interpréta- tion proposée, le tiers acquéreur d’un bien du trust bénéficiera des mêmes droits que tout acquéreur en Suisse et n’est en aucune manière désavan- tagé d’avoir eu affaire à un trustee. Cette proposition d’interprétation nous paraît conforme aux buts poursuivis par la Convention et aux garde-fous qu’elle impose.

2.3 Interprétation du terme “obligations de tiers”

En ce qui concerne le deuxième terme de l’expression “droits et obliga- tions d’un tiers”, nous proposons également de le comprendre de manière littérale et restrictive. Selon nous, cela signifie que le tiers acquérant un IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 115 droit sur un bien du trust est soumis aux obligations imposées par le droit désigné par les règles de conflit du for 110. Concrètement en matière mobilière, cela signifie que l’acquéreur d’un droit réel sur un bien mobilier a les mêmes obligations que n’importe quel acquéreur en Suisse 111. En d’autres termes, il n’a quasiment pas d’obliga- tions, sauf s’il s’agit d’une transaction insolite, d’un bien suspect ou d’un bien culturel au sens de la Loi sur le transfert des biens culturels 112 (LTBC) ou enfin si le tiers acquéreur d’un droit de gage est une banque. Nous y reviendrons aux chiffres VI.A.2, pages 216 ss et VI.A.3, pages 224 ss. A ce stade, on peut dire que le tiers acquérant un bien d’un trustee n’a pas d’obli- gations différentes de celles imposées à n’importe quel autre acquéreur. Sa bonne foi sera également déterminée selon le droit suisse puisqu’elle dé- pend directement du respect des obligations lui incombant. En matière immobilière, il y a lieu de nuancer notre réponse. Selon nous, les obligations du tiers consistant à devoir signer devant notaire un acte authentique et à devoir respecter les formalités liées au transfert im- mobilier sont les mêmes que celles de n’importe quel acquéreur d’un droit réel sur un bien immobilier. Cela étant, l’existence ou non d’une mention du lien de trust au Registre foncier au sens de l’article 149d LDIP aura une grande influence sur les obligations du tiers et du notaire. En effet, s’il n’y a pas de mention au Registre foncier, le trust n’est pas opposable aux tiers de bonne foi 113 et les tiers acquéreurs de bonne foi d’un bien en trust n’ont ainsi pas d’obligations plus étendues qu’un autre acquéreur selon le droit suisse. En revanche, s’il y a une mention au Registre foncier, elle a pour effet de rendre opposable l’existence du trust à tous les tiers, même s’ils sont de bonne foi 114. Ceux-ci ont donc l’obligation de s’informer et de vérifier le pouvoir de disposition du trustee 115 lequel est déterminé par le droit du trust selon l’article 8 al. 2 lit. d de la Convention. Nous pensons par exemple au cas où une banque acquiert un droit de gage en se faisant

110 Du même avis : Harris, in British Yearbook of International Law 2002, p. 97 ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 324 ; contra : Piotet, in Not@lex 2008, p. 16, qui considère que le principe du droit de suite est régi par le droit du trust mais que toute sa mise en œuvre est régie par le droit suisse. 111 Du même avis : Harris, in British Yearbook of International Law 2002, p. 97 ; Harris, The Hague Trusts Convention, p. 324. 112 RS 444.1. 113 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149d, n. 149d-3. 114 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149d, n. 149d-5. 115 Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 119. 116 Delphine Pannatier Kessler remettre une cédule hypothécaire déjà constituée portant sur un bien im- mobilier au feuillet duquel figure une mention du lien de trust. Dans cette constellation n’entre pas nécessairement en jeu un notaire. Néanmoins, la banque doit à notre avis vérifier le pouvoir de disposer du trustee. Lorsque le ministère d’un notaire est requis pour la passation de l’acte, l’obliga- tion de vérification incombe également au notaire chargé d’instrumenter l’acte (il est renvoyé au point V.H, pages 190 ss). Dans un tel cas, les obli- gations de vérification du pouvoir de disposer du trustee sont certes plus étendues qu’en cas d’acquisition habituelle d’un bien immobilier et sont régies par le droit suisse, en particulier par l’article 149d al. 3 LDIP, confor- mément à l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. Par conséquent, la notion de bonne foi sera elle aussi déterminée selon le droit suisse 116, puisqu’elle dépend de l’étendue de l’obligation de vérification pré- alable ainsi que des effets du Registre foncier et de la mention du lien de trust 117. Nous reviendrons sur ces questions de manière plus détaillée au chapitre suivant. De plus, les obligations du tiers qui succombe lors d’un procès en droit de suite sont également celles découlant des articles 938 à 940 CC puisqu’il se trouve alors dans la situation d’un possesseur sans droit. Ces obligations incluent notamment l’obligation pour le possesseur de mauvaise foi d’in- demniser de tout dommage résultant de la détention indue et des fruits et de répondre du dommage causé par sa faute. En effet, le tiers qui acquiert un bien du trust doit être soumis aux mêmes obligations que tout acqué- reur d’un bien en Suisse et doit subir les mêmes conséquences que n’im- porte quel possesseur sans droit. Cette interprétation respecte à notre avis les buts de la Convention.

2.4 Conclusion intermédiaire

Le droit de suite contre le trustee est régi par le droit du trust déterminé par l’article 8 de la Convention et doit être reconnu en Suisse selon l’ar- ticle 11 al. 3 lit. d de la Convention. Le droit de suite contre des tiers est

116 Du même avis : Gassmann, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 149d LDIP, n. 6 ; contra : Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 109, qui considère que la bonne foi du “bona fide purchaser” est déterminée par le droit du trust. 117 Du même avis : Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 127. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 117

également régi par le droit du trust et doit être reconnu en Suisse mais les droits et obligations des tiers dans le processus d’acquisition du bien et les conséquences de leur possession en violation du trust sont régis par le droit suisse 118 pour des biens immobiliers situés en Suisse ou pour des biens mo- biliers auxquels s’applique le droit suisse selon les règles de conflit. L’on assiste donc à une dissociation entre le droit applicable à l’action au fond et le droit applicable au processus d’acquisition et à la possession du bien, lequel détermine également la question de la bonne foi 119. De plus, que le droit de suite soit dirigé contre le trustee ou contre un tiers, il faut encore qu’il respecte le droit impératif désigné par les règles de conflit du for pour pouvoir être reconnu. Cette question sera traitée de manière gé- nérale au point suivant et en détails au chapitre VI, pages 205 ss.

3. Limite selon l’article 15 de la Convention

L’article 15 de la Convention réserve les dispositions de la loi désignée par les règles de conflit du for auxquelles il ne peut être dérogé par une mani- festation de volonté et qui sont donc impératives. Il s’agit notamment des règles relatives au transfert de propriété (art. 15 al. 1 lit. d de la Convention) et à la protection des tiers de bonne foi (art. 15 al. 1 lit. f de la Convention). En matière immobilière, l’article 99 al. 1 LDIP déclare le droit suisse ap- plicable pour des immeubles situés en Suisse. En matière mobilière, l’ar- ticle 100 al. 1 LDIP désigne le droit du lieu de situation du meuble au mo- ment des faits sur lesquels se fonde l’acquisition ou la perte, par hypothèse également le droit suisse. Il va de soi que les règles de conflit suisses pour- raient désigner un autre droit, si par hypothèse l’objet mobilier se trouvait à l’étranger au moment de la perte ou de l’acquisition des droits réels au sens de l’article 100 al. 1 LDIP. Il sera procédé à l’analyse de la compatibilité de la reconnaissance du droit de suite avec les règles impératives suisses au chapitre VI, pages 205 ss.

118 Contra : Piotet, in Not@lex 2008, p. 16. 119 Du même avis quant à la dissociation des droits applicables, mais considérant le droit suisse applicable à toute la mise en œuvre du tracing : Piotet, in Not@lex 2008, p. 16 ; du même avis : Harris, The Hague Trusts Convention, p. 324. 118 Delphine Pannatier Kessler

4. Limites selon les articles 16 et 18 de la Convention

Pour analyser la question de la reconnaissance du droit de suite, il faut en- core tenir compte des articles 16 et 18 de la Convention, lesquels réservent les lois d’application immédiate (art. 16) et l’ordre public du for (art. 18). L’article 16 de la Convention réserve les lois d’application immédiate du for et leur donne la priorité 120. Les lois d’application immédiate sont des lois internes qui ont vocation à s’appliquer directement et impérati- vement à des situations internationales sans tenir compte de la règle de conflit 121. En Suisse, les lois visées par l’article 16 de la Convention, par une interprétation par analogie de la doctrine et de la jurisprudence concer- nant l’article 18 LDIP 122, ont un caractère marqué de droit public 123. Selon P. ­Supino, les lois visées en matière de trust sont celles réglant le commerce de certaines marchandises, la protection de l’héritage culturel d’une na- tion, de la santé publique, le commerce des devises ou la protection de la partie faible en matière contractuelle 124. A notre avis, les lois d’application immédiate suisses pertinentes en l’espèce sont, en matière immobilière, la Loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (LFAIE) 125, la Loi sur le droit foncier rural (LDFR) 126 et, en matière mo- bilière, la Loi sur le transfert des biens culturels (LTBC), lesquelles s’ap-

120 Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 221. 121 Vischer / von Planta, Internationales Privatrecht, p. 25 ; Bucher, Droit internatio- nal privé suisse, T. I/2, § 447, p. 179. 122 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 16, n. 16-3 ; à cet égard voir Vischer, in ZK IPRG, ad art. 18 LDIP, n. 1 ss. 123 Vischer, in ZK IPRG, ad art. 18 LDIP, n. 2 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internatio- nales Trustrecht, ad art. 16, n. 16-3 ; Schnyder, in FS-Riemer, 2007, p. 339. 124 Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 221 s. ; Vischer, in ZK IPRG, ad art. 18 LDIP, n. 5 ; pour d’autres exemples, voir : Schnyder, in FS-Riemer, 2007, p. 341. 125 RS 211.412.41 ; dans le même sens : Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 42 ; Zen-Ruffi- nen, in AJP/PJA 2009, p. 1126 ; voir également Vischer, in ZK IPRG, ad art. 18 LDIP, n. 13. Relevons également les décisions des autorités LFAIE refusant l’inscription de biens immobiliers au patrimoine d’un trust au motif que la LFAIE est une loi d’application immédiate réservée par l’article 16 de la Convention, décisions présentées par Zen- Ruffinen, in AJP/PJA 2009, p. 1131 ss et par Jakob / Schweizer / Studen, Verein- Stiftung-Trust 2008, p. 141. 126 RS 211.412.11 ; Lignes directrices de l’Office fédéral de la justice du 28 juin 2007, p. 2 ; Piotet, in Not@lex 2008, p. 12. IV. Principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 119 pliquent nonobstant la ratification de la Convention. Il nous paraît que la reconnaissance du droit de suite dans l’ordre juridique suisse dans son principe relève du droit privé et n’entre généralement pas en conflit avec des lois d’application immédiate suisses. En revanche, dans certains cas, le droit de suite ne pourra pas être mis en œuvre s’il entre en conflit avec des règles de la LFAIE, de la LDFR, ou de la LTBC, lesquelles ont la priorité de par l’article 16 de la Convention. Quant à la réserve de l’ordre public du for prévue à l’article 18 de la Convention, elle concerne les dispositions de droit étranger dont l’appli- cation “entraînerait un résultat qui serait en contradiction grave avec nos conceptions juridiques et morales”127. Il convient tout d’abord de relever que la réserve de l’ordre public de l’article 18 de la Convention constitue une clause de réserve pour les cas extrêmes 128, qui s’ajoute à la réserve plus générale en faveur des règles impératives du for prévue par l’article 15 de la Convention. De plus, la formulation de l’article 18 de la Convention est plus stricte que celle de l’article 17 LDIP 129. Il nous semble que la recon- naissance du droit de suite n’entre pas en contradiction avec la conception suisse du droit et de la morale 130. En effet, il nous paraît que des règles “techniques” délimitant la possibilité et l’étendue de la restitution ne ­peuvent pas mettre en péril l’ordre public suisse tel que défini de manière particulièrement restrictive par l’article 18 de la Convention. Cela étant, l’ordre public suisse au sens large (c’est-à-dire les règles impératives du for) est également visé par l’article 15 de la Convention ; les règles sur le droit de suite devront donc respecter ledit article pour bénéficier de la reconnais- sance. Relevons enfin que le Tribunal fédéral a jugé que la reconnaissance en Suisse du constructive trust (sur lequel se base le droit de suite selon une partie de la doctrine anglo-américaine) ne viole pas l’ordre public 131. En conclusion, ni l’article 16 ni l’article 18 de la Convention ne constituent à

127 Message du Conseil Fédéral, 2 décembre 2005, p. 580 ; voir également Vischer / von- Planta, Internationales Privatrecht, p. 21 ss. 128 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 18, n. 18-4. 129 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 18, n. 18-3 ; pour l’analyse de l’article 17 LDIP voir Vischer, in ZK IPRG, ad art. 17 LDIP, n. 1 ss. 130 Du même avis, d’un point de vue général : Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 222. 131 Arrêt du Tribunal fédéral 5C.169/2001 du 19 novembre 2001, considérant 6b)dd) cité par Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 340, p. 148 ; cri- tique : Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstigten, § 367, p. 159. 120 Delphine Pannatier Kessler notre avis un obstacle de principe à la reconnaissance du droit de suite. Il y aura lieu de se concentrer sur l’analyse de la compatibilité du droit de suite avec l’article 15 de la Convention, laquelle nous paraît plus problématique.

5. Conclusion intermédiaire

Le droit de suite est couvert par la Convention, est régi par le droit appli- cable au trust et doit être reconnu en Suisse. Si le droit de suite est dirigé contre un tiers, les droits et obligations de ce dernier devront être jugés à l’aune du droit applicable dans le cas d’espèce selon les règles de conflit de for, lequel déterminera également la bonne ou mauvaise foi des tiers. Ainsi, l’action au fond et les droits et obligations des tiers dans le processus d’acquisition du bien ne sont pas régis par le même droit. En principe, la reconnaissance du droit de suite ne viole pas de lois d’application immé- diate ni n’entre en conflit avec l’ordre public suisse. Enfin, que le droit de suite vise le trustee ou le tiers, il y a encore lieu de vérifier qu’aucune règle impérative suisse n’est violée par la mise en œuvre du droit de suite. C’est cette dernière étape du raisonnement que nous nous proposons d’accom- plir dans la suite de cette étude. Cependant, avant de passer à cette étape, il nous paraît nécessaire d’examiner le concept de la mention au Registre foncier du rapport de trust au sens de l’article 149d de la Loi sur le droit international privé (LDIP). Cette nouvelle mention a été introduite à la suite de la ratification de la Convention de La Haye. Elle ne concerne que les immeubles et les biens soumis à la publicité tabulaire et crée un régime spécial de publicité pour ces catégories de biens. Nous présenterons dans un premier temps cette mention ainsi que son intégration dans le système de publicité du Registre foncier afin de pouvoir en tirer les conséquences qui s’imposent en matière de droit de suite portant sur des immeubles. V. Mention du rapport de trust et ses effets 121

Chapitre V la mention du rapport de trust (art. 149d LDIP) et ses effets

La ratification de la Convention de La Haye a amené une grande nou- veauté : un immeuble situé en Suisse peut désormais faire partie du patri- moine d’un trust. L’introduction de l’article 149d LDIP a concrétisé cette évolution. Il prévoit que les biens en trust peuvent être inscrits au nom du trustee au Registre foncier et que le “lien de trust” peut faire l’objet d’une mention. Cette mention a une grande importance en matière de droit de suite sur des biens immobiliers puisqu’elle aura une influence sur la bonne foi d’un acquéreur comme nous le démontrerons. En relation avec notre étude sur la reconnaissance du droit de suite en Suisse sur des biens immo- biliers, il nous est nécessaire d’analyser la nature et l’effet de cette mention, en particulier la question de savoir si elle rend opposable aux tiers l’exis- tence du trust. Nous présenterons tout d’abord les normes introduites à la suite de la ratification de la Convention puis le système du Registre foncier en général et en particulier la mention. Ensuite, nous analyserons la mention du lien de trust de l’article 149d LDIP de manière générale, puis traiterons de ses effets dans le cadre d’une procédure en exécution forcée. Une comparai- son de cette mention avec d’autres écritures présentant des similitudes sera proposée. Enfin, nous étudierons les conséquences de cette mention pour les notaires qui y seront confrontés.

A. Normes introduites à la suite de la ratification de la Convention

1. Le titre 9a de la LDIP, les articles 284a et 284b LP

Tout le titre 9a de la LDIP comprenant les articles 149a à 149e LDIP a été in- troduit au moment de la ratification de la Convention de La Haye. Comme la Convention requiert la reconnaissance du trust en tant que tel et non pas 122 Delphine Pannatier Kessler en le requalifiant selon les règles du for ou en l’adaptant, il y avait lieu de créer de nouvelles règles spécifiques pour le trust 1. De plus, le législateur a introduit les articles 284a et 284b de la Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) 2 afin d’ancrer la reconnaissance du patrimoine séparé du trustee dans la procédure d’exécution forcée. Ces articles seront traités en même temps que les effets de la mention en exécution forcée dans la cin- quième partie (V.E, pages 147 ss) de ce chapitre.

2. L’article 149d LDIP en relation avec l’article 12 de la Convention

L’article 149d LDIP contient des dispositions spéciales en matière de pu- blicité pour certaines catégories de biens : les immeubles, les bateaux, les aéronefs ainsi que les droits de propriété intellectuelle. La particularité de ces biens réside dans le fait qu’ils sont inscrits dans un registre, lequel a des effets sur l’opposabilité de leur propriété. En réalité, l’article 149d LDIP n’est pas à proprement parler une norme de droit international privé mais plutôt une norme à caractère matériel, laquelle aurait parfaitement pu être intégrée dans le Code Civil, par exemple avec les règles sur l’effet du Re- gistre foncier. L’article 149d LDIP doit être lu en relation avec l’article 12 de la Conven- tion lequel exige que le trustee puisse être inscrit en tant que trustee ou de façon à ce que l’existence du trust apparaisse dans les registres relatifs à la propriété des biens, ce pour autant que la loi de l’Etat où le registre est tenu le permette. L’article 149d LDIP est ainsi la concrétisation en Suisse de l’article 12 de la Convention. Cela étant, l’article 149d LDIP va plus loin que l’article 12 de la Convention puisque son alinéa 3 prévoit qu’une relation de trust qui n’a pas été inscrite ou mentionnée n’est pas opposable aux tiers de bonne foi 3. Cet effet sera l’objet de l’analyse présentée ci-après. Précisons encore que notre analyse sera dans un premier temps ex- clusivement faite sous l’angle de la mention du lien de trust au Registre foncier. Dans la suite de cette étude nous nous intéresserons également à la situation de biens mobiliers. En revanche, même si l’article 149d LDIP concerne également les bateaux, aéronefs et droits de propriété intellec-

1 Dans le même sens : Gutzwziller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149a, n. 149a-1. 2 RS 281.1. 3 Gutzwziller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149d, n. 149d-1. V. Mention du rapport de trust et ses effets 123 tuelle, nous ne traiterons pas spécifiquement la situation juridique appli- cable à ces biens. Toutefois, les considérations faites en matière de biens immobiliers inscrits au Registre foncier et de mention du lien de trust se- ront applicables mutatis mutandis à ces biens, étant donné que ces derniers sont soumis à un système de publicité tabulaire calqué sur le système du Registre foncier.

3. L’insertion de l’article 149d LDIP dans le système du Registre foncier

L’inscription au Registre foncier du trustee et la mention du rapport de trust s’insèrent dans le système régissant les droits réels immobiliers en Suisse, le Registre foncier, lequel détermine d’une part les rapports de pro- priété sur chaque bien-fonds et le contenu de cette propriété et a d’autre part pour but d’assurer la sécurité juridique des biens immobiliers. Le Re- gistre foncier bénéficie de la foi publique et son contenu est opposable au public, concepts que nous présenterons ci-après. L’article 149d al. 3 LDIP contient une règle matérielle sur la non-opposabilité aux tiers de bonne foi d’une relation de trust n’ayant pas fait l’objet d’une mention au Registre foncier. Pour en comprendre la portée, il nous paraît nécessaire d’analyser l’article 149d LDIP et en particulier de son troisième alinéa dans le contexte du système du Registre foncier.

B. Concepts clé en matière de publicité foncière

1. Le Registre foncier

Le Registre foncier est la clé de voûte du système des droits réels immobi- liers. Le but du Registre foncier est de réaliser le principe de publicité afin de procurer clarté et sécurité dans les transactions juridiques ­immobilières 4. En effet, celui qui acquiert des droits réels sur un immeuble doit pouvoir

4 Schmid, in BSK ZGB II, Vor Art. 942-977 ZGB, n. 12 ; Fasel, in Komm. GBV, Ein- leitung, n. 74 et n. 121-122 ; Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachen- recht, T. 1, § 1-3, p. 168 s. ; Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 526, p. 194 ; Pfäffli, Der Ausweis für die Eigentumseintragung, p. 8. 124 Delphine Pannatier Kessler

être assuré qu’il acquiert ce bien du véritable propriétaire et il doit pou- voir connaître les restrictions qui grèvent le bien-fonds acquis, servitudes, droits de gage, mentions ou annotations par exemple 5. Le droit suisse a choisi de se doter d’un registre ayant un effet de pu- blicité opposable à tous et répertoriant les informations nécessaires rela- tives aux bien-fonds, notamment la qualité de propriétaire, l’objet de la propriété, l’existence de gages, de servitudes ou d’autres charges. Pour garantir la sécurité juridique, il est nécessaire que le tiers qui s’est fié de bonne foi aux informations du Registre foncier soit maintenu dans son ac- quisition, même si l’aliénateur n’avait pas le pouvoir de disposer de la chose ou si ledit registre était erroné 6. Le Registre foncier fait foi de l’état foncier. De manière imagée, l’extrait de Registre foncier peut être qualifié de carte d’identité du bien immobilier, à laquelle le public peut se fier.

2. Les concepts

2.1 Effet constitutif et effet déclaratif

Une écriture au Registre foncier est dite constitutive lorsqu’elle est néces- saire à l’acquisition, à la constitution, au transfert du droit ou pour que l’effet se produise 7. Une écriture au Registre foncier est par opposition dite déclarative lorsqu’elle n’est pas nécessaire à l’acquisition du droit réel considéré ou pour que l’effet existe, mais joue un rôle pour le maintien ou l’exercice du droit, notamment en légitimant son titulaire pour disposer de son droit 8 et en rendant le droit opposable aux tiers de bonne foi 9.

2.2 Foi publique

Le principe de la foi publique applicable au Registre foncier signifie que “celui qui acquiert la propriété ou d’autres droits réels en se fondant de

5 Schmid, in BSK ZGB II, Vor Art. 942-977 ZGB, n. 25 ; Fasel, Komm. GBV, Einleitung, n. 74 ; Pfäffli, Der Ausweis für die Eigentumseintragung, p. 6. 6 Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 291, p. 76 ; Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 128, p. 67 et § 538, p. 196. 7 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 690 et § 697, p. 249-251. 8 ATF 109 II 99/101 = JdT 1984 I 89. 9 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 699, p. 252. V. Mention du rapport de trust et ses effets 125 bonne foi sur une inscription du registre est maintenu dans son acquisition” (art. 973 al. 1 CC).

2.3 Publicité du Registre foncier

Selon l’article 970 al. 4 CC, “Nul ne peut se prévaloir de ce qu’il n’a pas connu une inscription portée au registre foncier.” La fiction de la connaissance des écritures au Registre foncier a pour conséquence que l’on ne peut admettre la bonne foi de celui qui prétendrait ignorer une inscription au Registre 10. Il s’agit d’une présomption irréfragable de connaissance opposable à tous. La publicité positive est la fiction de la connaissance des inscriptions du Registre foncier prévue par l’article 970 al. 4 CC 11. Quant à la publi- cité négative 12, elle n’a lieu qu’en cas d’inscription constitutive. Elle signifie qu’un fait juridique dont l’inscription est requise n’a d’effet entre les parties et à l’égard des tiers que moyennant inscription (art. 971 CC) et donc qu’un tel fait est considéré comme inexistant s’il n’est pas inscrit. En cas d’inscription déclarative, il n’y a pas de publicité négative car le droit existe sans inscription. En revanche, le principe de publicité positive est applicable à une inscription déclarative car l’inscription fait présumer le droit, donne le pouvoir formel de disposer et empêche qu’un tiers de bonne foi n’acquière l’immeuble libre de la charge 13.

3. Les écritures

3.1 Les inscriptions

Les inscriptions sont les écritures fondamentales du Registre foncier. Elles énoncent les données essentielles relatives à un immeuble, définissant qui en est le propriétaire, quelles servitudes et charges foncières limitent la propriété et quels droits de gage le grèvent. Les inscriptions sont régies par l’article 958 CC, lequel énonce “Le Registre foncier est destiné à ­l’inscription

10 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 590, p. 221. 11 Deschenaux, TDPS II/2, p. 148 ; Wiegand, in BSK ZGB II, Vor Art. 641CC ss, n. 55. 12 Deschenaux, TDPS II/2, p. 148, note 67 ; Wiegand, in BSK ZGB II, Vor Art. 641CC ss, n. 55 ; Pfäffli, Der Ausweis für die Eigentumseintragung, p. 12. 13 Deschenaux, TDPS II/2, p. 517. 126 Delphine Pannatier Kessler des droits immobiliers suivants : 1. La propriété ; 2. Les servitudes et les charges foncières ; 3. Les droits de gage.” L’article 958 CC concerne les inscriptions stricto sensu, c’est-à-dire le fait d’inscrire sur le feuillet de l’immeuble le nom du propriétaire ou l’existence d’un droit réel limité. De cette inscription dépend la création du droit ou son transfert. L’on parle alors d’effet constitutif de l’inscription. Les inscriptions peuvent également dans certains cas d’acquisition hors registre avoir un effet seulement déclaratif, c’est-à-dire qu’elles permettent de mettre le registre en accord avec la réalité juridique. Les inscriptions jouissent de la foi publique, ce qui signifie qu’elles sont censées être correctes et exhaustives. Par conséquent, les tiers qui acquer- raient de bonne foi des droits en se basant sur les inscriptions ou sur l’ab- sence d’inscriptions sont maintenus dans leur acquisition (art. 973 CC).

3.2 Les annotations

Les annotations sont des écritures au Registre foncier qui rendent publics des rapports de droit de différentes sortes, sans pour autant qu’elles créent ou constatent des droits réels. Le but de l’annotation est de renforcer le rapport de droit annoté 14. Les annotations sont si diverses qu’il est peu aisé des les définir 15. Cela étant, deux effets peuvent être distingués 16 : – l’effet typique qui consiste à restreindre le pouvoir de disposition sur l’immeuble en rendant le droit ou la restriction annotés “opposables à tout droit postérieurement acquis sur l’immeuble” (art. 959 al. 2, 960 al. 2 et 961 al. 2 CC). – l’effet propter rem qui a pour effet de rattacher certains droits annotés propter rem à l’immeuble auquel ils se rapportent. Les articles 959, 960 et 961 CC définissent les cas dans lesquels une anno- tation est possible. Vu le principe du numerus clausus de droits réels, les cas indiqués sont exhaustifs et il n’est pas possible de faire une annotation dans des cas autres que ceux prévus par la loi 17. Les cas de figure où une

14 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 10, p. 226 ; Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 765, p. 272. 15 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 10, p. 226. 16 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 794 ss, p. 280 s. 17 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 16, p. 229 ; ­Deschenaux, TDPS II/2, p. 281. V. Mention du rapport de trust et ses effets 127 annotation peut être prise sont énumérés ci-après. L’article 959 CC per- met l’annotation des droits de préemption, d’emption et de réméré, des baux à ferme et à loyer. L’article 960 CC prévoit : “Les restrictions apportées au droit d’aliéner certains immeubles peuvent être annotées, lorsqu’elles ré­ sultent : 1. D’une décision officielle, rendue pour la conservation de droits litigieux ou de prétentions exécutoires ; 2. D’une saisie ; 3. D’actes juridiques dont la loi autorise l’annotation, tels que la substitution fidéicommissaire. (…)” Enfin l’article 961 CC prévoit que “des inscriptions provisoires peuvent être prises : 1. Par celui qui allègue un droit réel ; 2. Par celui que la loi auto- rise à compléter sa légitimation. (…)” Les annotations peuvent avoir un effet constitutif 18, c’est-à-dire faire naître l’effet juridique prévu, tel notamment la restriction au pouvoir de disposer ou le rattachement propter rem d’un rapport de droit. Elles deviennent opposables aux tiers acquérant des droits ultérieurement à l’annotation. Elles peuvent aussi, selon les cas, avoir un effet déclaratif ; leur but est alors de protéger un droit réel ayant déjà une existence en détruisant la bonne foi du tiers qui acquerrait des droits sur l’immeuble 19. L’annotation a pour effet de rendre opposable aux tiers de bonne foi une restriction pré- existante, notamment une condition résolutoire ou suspensive 20 affectant la propriété ou une restriction d’aliéner. Le droit protégé devient oppo- sable erga omnes grâce à l’annotation21. Cependant, l’annotation n’exerce aucun effet sur le contenu du rapport juridique annoté, lequel est défini uniquement par le droit de fond 22. Pour le surplus, les cas d’application des annotations sont si variés que nous nous limiterons à examiner unique- ment quelques cas spécifiques présentant des similarités avec la mention du rapport de trust.

18 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 13, p. 227. 19 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 13, p. 227 ; Deschenaux, TDPS II/2, p. 280, Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 783, p. 277. 20 Par exemple l’annotation de la substitution fidéicommissaire ou d’un droit de retour en matière de donation d’immeuble (art. 247 al. 2 CO) sont des conditions affectant la propriété ; pour une analyse plus détaillée voir sous chapitre V.F.2.2, page 178 et V.F.3.2, page 181. 21 Deschenaux, TDPS II/2, p. 551 ; Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 783, p. 277, § 795, p. 280 et § 801-808, p. 282 ; Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliar- sachenrecht, T. 1, § 13, p. 227. 22 Deschenaux, TDPS II/2, p. 557. 128 Delphine Pannatier Kessler

3.3 Les mentions

Les mentions constituent le troisième type d’écritures pouvant être por- tées au Registre foncier. Etant donné que la mention du lien de trust au sens de l’article 149d LDIP en fait partie, nous analyserons cette écriture en détail ci-dessous. Citons encore les observations au sens de l’article 83 de l’Ordonnance sur le Registre foncier 23 (ORF) qui ont un caractère technique et ne concer- nent que les droits de gage 24. Nous ne les traiterons pas dans notre étude.

C. Les mentions

1. Définition

La mention au Registre foncier est une écriture qui révèle des rapports juri- diques de nature privée ou publique concernant un immeuble qui existent indépendamment du Registre foncier 25. Le Code Civil définit l’annotation et l’inscription mais ne définit pas la mention26. Le Code Civil et les lois spéciales indiquent les cas dans lesquels une mention peut figurer au Re- gistre foncier. Les articles 78 à 81 de l’ORF traitent des mentions mais ne les définissent pas non plus. Les mentions n’ont pas d’effet constitutif car la mention au Registre foncier ne crée pas le droit, lequel existe indépendamment de la mention. La question de savoir si une mention a un effet déclaratif est controver- sée. Les différentes positions doctrinales seront exposées ci-après et seront prises en compte pour déterminer l’effet de la mention de trust de l’ar- ticle 149d LDIP.

23 RS 211.432.1. 24 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 41, p. 243. 25 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 29, p. 239 ; Deschenaux, TDPS II/2, p. 578 ; Zobl, Grundbuchrecht, p. 139, § 338 ; Fasel, Komm. GBV, ad art. 79 ORF, n. 7. 26 Fasel, Komm. GBV, ad art. 79 ORF, n. 7. V. Mention du rapport de trust et ses effets 129

2. La controverse de l’effet des mentions

Deux théories s’affrontent en ce qui concerne l’effet des mentions. Selon la théorie développée par H. Deschenaux, les mentions n’ont pas d’effet déclaratif mais ont seulement un effet informatif. Selon l’autre théorie dé- veloppée par les auteurs P. Simonius et T. Sutter, les mentions peuvent avoir un effet déclaratif et sont assimilables dans certains cas à des anno- tations déclaratives. Nous examinerons successivement ces deux théories. Nous décrirons ensuite la position de D. Zobl, lequel développe une posi- tion pragmatique conciliant les deux théories.

2.1 La théorie de l’effet informatif des mentions

Selon les auteurs partisans de la théorie de l’effet informatif des men- tions, dont le chef de file est H. Deschenaux, la mention n’a pas d’effet ­déclaratif 27 ; elle n’a qu’un effet informatif 28. Cette théorie de la mention informative a été suivie notamment par P.-H. Steinauer, J. Schmid dans le Commentaire Bâlois et B. Foëx 29. Elle se retrouve aussi de manière plus restreinte dans les écrits de F. Ostertag dans le Commentaire Zurichois, lequel affirme qu’aucun effet de publicité ne s’attache aux mentions 30. En- fin, P. Liver semble également adhérer à ce courant 31. Selon ce courant doctrinal, la mention renseigne sur l’existence pos- sible et généralement vraisemblable de rapports juridiques de droit privé ou public impliquant la plupart du temps une restriction de la propriété foncière 32. Mais l’opération au registre n’ajoute en principe rien, du point de vue réel, à la situation de droit qui existe déjà ou s’est déjà produite hors registre 33. Ainsi, “la mention n’est pas nécessaire pour rendre le rapport juri- dique mentionné opposable aux tiers de bonne foi, en particulier aux ayants

27 Deschenaux, TDPS II/2, p. 582. 28 Deschenaux, TDPS II/2, p. 578 ss ; Schmid, in BSK ZGB II., ad art. 946 CC, n. 71 ; Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 85. 29 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 839 s., p. 293 ; Schmid, in BSK ZGB II., ad art. 946 CC, n. 71 ; Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 85. 30 Ostertag, ZK ZGB, ad art. 946 CC, n. 24. 31 Liver, Die Anmerkungen, in RNRF 50 (1969) p. 10-34. 32 Deschenaux, TDPS II/2, p. 586. 33 Deschenaux, TDPS II/2, p. 337 ; Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 85. 130 Delphine Pannatier Kessler cause du propriétaire concerné ; elle n’a ainsi pas d’effet conservatoire”34. Dès lors, la mention sert à renseigner les tiers sur des rapports juridiques intéressant l’immeuble qui ne sont pas d’emblée apparents 35 ; elle est éga- lement un moyen de prouver le rapport 36. De plus, la mention ne protège pas les tiers de bonne foi 37 et n’est pas en soi destructrice de la bonne foi 38 ; elle ne crée même pas une présomption que le droit mentionné existe vrai- ment 39. Enfin, les mentions ne jouissent pas de la foi publique au sens de l’article 973 CC 40. L’effet informatif s’oppose à l’effet déclaratif, lequel rend un droit op- posable aux tiers de bonne foi. Au vu de l’absence d’effet déclaratif des mentions, il en résulte pour ces auteurs qu’un rapport de droit objet d’une mention n’est pas rendu opposable aux tiers de bonne foi par la mention. Dès lors, les tiers de bonne foi ne peuvent pas se fier à l’absence d’une men- tion pour prétendre qu’un rapport juridique n’existe pas et, inversement, ils ne peuvent pas attacher foi à une mention d’un rapport juridique pour en tirer avantage 41. Dans l’hypothèse où il est fait mention d’un rapport de droit inexistant ou éteint, la mention subsistant à tort n’a aucune influence sur la survivance du rapport 42, celle-ci n’ayant pas d’effet “heilend” (effet réparateur) 43. Dans l’hypothèse inverse, soit celle où une mention aurait dû être faite mais ne l’a pas été, H. Deschenaux considère que “l’omission de la mention n’a pas d’effet sur le rapport juridique de droit privé ou de droit public que cette écriture aurait révélé, puisque la mention n’a de portée ni constitutive ni déclarative (conservatoire)”44. Cela étant, l’omission de requérir la mention prive les intéressés d’une information et peut engager la responsabilité de celui qui devait la requérir45. Pour illustrer l’effet informatif des mentions, nous pouvons citer tout d’abord, entre autres exemples, la mention du règlement de copropriété

34 Deschenaux, TDPS II/2, p. 582 ; Schmid, in BSK ZGB II, ad art. 946 CC, n. 72. 35 Deschenaux, TDPS II/2, p. 337. 36 Deschenaux, TDPS II/2, p. 586. 37 Deschenaux, TDPS II/2, p. 582. 38 Meister, p. 132. 39 Deschenaux, TDPS II/2, p. 337. 40 Ibid. 41 Deschenaux, TDPS II/2, p. 583 et 617 ; Delafontaine p. 29. 42 Deschenaux, TDPS II/2, p. 587 ss. 43 Schmid, in BSK ZGB II, ad art. 946 CC, n. 71 ; ATF 103 Ib 76 C. 3 in fine. 44 Deschenaux, TDPS II/2, p. 587. 45 Deschenaux, TDPS II/2, p. 588 ; Schmid, in BSK ZGB II, ad art. 946 CC, n. 73. V. Mention du rapport de trust et ses effets 131 ou de propriété par étages, lequel est de toute façon opposable aux tiers acquéreurs même s’il n’est pas mentionné au Registre foncier46 (art. 649a CC). Un autre exemple est celui de la mention de la faillite : le prononcé de la faillite interdit au failli de disposer de ses biens (art. 204 LP) et cette in- terdiction est opposable à tous même sans mention. Ainsi, le tiers de bonne foi qui acquerrait un bien immobilier d’un failli avant que la mention ne soit portée au Registre foncier n’est pas protégé dans sa bonne foi par l’ab- sence de mention, la faillite, et donc la restriction du pouvoir de dispo- sition du failli en découlant, lui étant en tout état de cause ­opposables 47. Nous citerons également la mention d’accessoires au sens de l’article 644 CC ; les objets qualifiés d’accessoires possèdent cette qualité indépendam- ment d’une mention48 à condition qu’ils respectent les conditions des ar- ticles 644 et 645 CC. De même, un tiers de bonne foi, par exemple un créancier chirographaire dans la poursuite, ne peut rien tirer de l’absence au Registre foncier de la mention d’accessoires 49. Enfin, nous citerons le Message du Conseil fédéral du 27 juin 2007 concernant la modification du Code Civil suisse lequel énonce dans di- vers cas de rapports légaux de représentation impliquant une restriction du pouvoir de disposer du propriétaire (faillite, tutelle, désignation d’un représentant de la communauté héréditaire, d’un administrateur officiel de la succession, etc.) “étant donné que la restriction du pouvoir de disposer prend effet déjà au moment de la décision de l’autorité, le rapport de repré- sentation ne doit être exprimé que par une mention déclarative”50. Bien que le législateur utilise le terme “mention déclarative”, à notre avis par erreur, il décrit les effets d’une mention “informative” qui exprime l’existence d’un rapport de représentation prenant effet déjà au moment de la décision de l’autorité et crée une restriction du pouvoir de disposer opposable même avant la mention dudit rapport. Ainsi, une telle mention informe le public d’un rapport de droit déjà opposable même en l’absence de mention. La conséquence d’une mention informative est illustrée par l’exemple de Ch. P. Meister : dans l’hypothèse où un blocage du Registre foncier a fait l’objet d’une mention51 et où le Conservateur a donné suite par erreur

46 Deschenaux, TDPS II/2, p. 582. 47 Van de Sandt, L’acte de disposition, § 627, p. 216. 48 ATF 104 III 28 = JDT 1980 II 50. 49 Deschenaux, TDPS II/2, p. 337. 50 FF 2007, p. 5066. 51 Il s’agit des cas visés par l’article 80 al. 6 ORF. 132 Delphine Pannatier Kessler

à une réquisition en violation du blocage, le tiers acquéreur ne peut pas se voir opposer sa mauvaise foi du fait de sa présumée connaissance de la mention. Cela découle du fait qu’une mention n’est pas en soi destructrice de la bonne foi 52, selon la théorie de l’effet informatif des mentions. A la mention informative s’oppose l’institution proche de l’annotation déclarative. La différence d’effet de ces deux écritures est expliquée par H. Deschenaux de la manière suivante : “une annotation déclarative ne s’assimile nullement à une mention, dont la fonction normale est uniquement de manifester certains rapports juridiques qui existent à l’égard des tiers – de bonne foi comme de mauvaise foi – de façon indépendante de l’écriture au Registre Foncier. Un tiers ne peut rien déduire, sur le plan des droits réels, de ce qu’il a ignoré un rapport juridique susceptible d’une mention, mais qui n’en a pas été l’objet. Seule l’annotation déclarative de la faillite ou du sursis concordataire peut être assimilée à une mention, car ces mesures pro- duisent leurs effets de plein droit, sans opération au Registre foncier, même à l’égard des tiers de bonne foi.”53 Ainsi, la grande différence entre ces deux écritures réside dans le fait que, selon les auteurs préconisant la théorie de l’effet informatif des mentions, le rapport de droit objet de l’annotation déclarative est rendu opposable aux tiers de bonne foi grâce à l’annota- tion, alors qu’il n’est pas opposable aux tiers de bonne foi sans annotation. Dans le cas de la mention, le rapport de droit est de toute façon opposable aux tiers même de bonne foi, qu’il ait ou non fait l’objet d’une mention. En résumé, selon cette théorie, l’effet informatif de la mention consiste à informer le public de l’existence possible d’un rapport de droit men- tionné, sans que le public ne puisse s’y fier. La mention n’a pas pour effet de détruire la bonne foi des tiers qui la connaissent. En effet, selon cette théorie, les rapports juridiques mentionnés sont de toute façon opposables aux tiers, qu’ils les connaissent ou non, de bonne comme de mauvaise foi. La mention est dès lors une simple information permettant aux tiers d’ac- quérir des droits de manière éclairée.

2.2 La théorie de l’effet déclaratif des mentions

Les auteurs P. Simonius et T. Sutter considèrent pour leur part que les mentions servent à publier des faits juridiquement relevants en rapport

52 Meister, p. 132. 53 Deschenaux, TDPS II/2, p. 280, note 5. V. Mention du rapport de trust et ses effets 133 avec un immeuble et ont souvent pour but de détruire la bonne foi de tiers qui acquerraient cet immeuble 54. Selon ces auteurs, l’effet juridique de la mention est différencié selon que la règle de droit ou le fait juridiquement relevant mentionné n’ont d’ef- fet à l’égard des tiers acquérant la propriété ou des droits réels limités que s’ils les connaissent ou s’ils ont également de l’effet même s’ils ne sont pas connus. Dans le premier cas, la mention a pour but la destruction de la bonne foi et par là-même la protection des personnes auxquelles le droit ou le fait mentionné est utile ; dans le second cas, la mention sert simplement à la mise en garde et à la protection d’éventuels acquéreurs 55. Cela signifie que, dans le premier cas, la mention a un effet déclaratif, soit celui de rendre opposable aux tiers de bonne foi un rapport juridique qui ne serait pas opposable s’il était inconnu des tiers. Dans le second cas, la mention a pour effet d’informer le public de l’existence d’un rapport juridique qui est de toute façon opposable aux tiers, même à ceux qui ­l’ignorent de bonne foi. En réalité, pour ces auteurs, l’effet de la mention dépend intrinsèquement de l’effet du rapport juridique sous-jacent. Soit le rapport juridique n’est pas opposable s’il n’est pas connu et donc la men- tion a pour but de détruire la bonne foi des tiers, soit le rapport juridique est de toute façon opposable et donc la mention ne fait qu’informer le pu- blic sans avoir d’autre effet. Il faut dès lors examiner au cas par cas les rapports juridiques ou les états de fait objets d’une mention pour classer les mentions dans l’une ou l’autre de ces catégories. Toujours selon cette théorie, l’institution de la mention se recoupe avec celle de l’annotation déclarative, laquelle signale des droits ayant des effets à l’égard de chacun en vue de mettre en garde le public 56. Une annotation déclarative a une fonction que l’on attribue généralement aux mentions, soit celle de rendre opposable un rapport de droit aux tiers et d’empêcher une acquisition de bonne foi par ces derniers 57. Si l’on compare plus finement l’annotation déclarative avec la mention, il en découle que l’annotation déclarative se recoupe avec la première ca- tégorie de mentions, soit celles qui ont pour but de rendre opposables des

54 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 2, p. 223 ; dans le même sens : Fasel, Komm. GBV, ad art. 79 ORF, n. 7. 55 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 29, p. 239. 56 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 29, p. 239 et § 13, p. 227 s. 57 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 13, p. 228. 134 Delphine Pannatier Kessler rapports juridiques et de détruire la bonne foi. En revanche, une annota- tion déclarative n’est pas semblable à une mention de la deuxième catégorie car une telle mention ne rend pas opposable le rapport juridique, puisqu’il est de toute façon déjà opposable même sans mention. Ainsi les mentions de la première catégorie ont un effet déclaratif, celles de la deuxième caté- gorie ont un effet “descriptif” ou “informatif”. Cette conception de l’effet des mentions est dans ses grandes lignes partagée par A. Homberger dans le Commentaire Zurichois, lequel reconnaît, de manière détournée, que les mentions peuvent avoir pour conséquence juridique notamment de détruire la bonne foi de tiers 58. Cet auteur considère que les mentions ont des effets limités de publicité dans la mesure de l’effet de publicité formelle du Registre foncier (art. 970 CC). Il admet que les mentions ont pour effet d’exclure qu’un tiers prétende n’avoir pas connu un rapport juridique mentionné et il qualifie l’effet des mentions de descriptif, ce qui équivaut à l’effet déclaratif dans la termino- logie de cet auteur 59.

2.3 La position de D. Zobl

La position de D. Zobl peut être rattachée au courant doctrinal de l’effet déclaratif des mentions. Cela étant, vu son point de vue pragmatique, il convient de présenter brièvement sa conception de la mention de manière séparée. D. Zobl considère que le débat sur l’effet des mentions ne se place pas sur le plan de l’effet déclaratif par opposition à l’effet informatif mais sur celui de l’applicabilité de l’article 970 al. 4 CC aux mentions qui énonce : “Nul ne peut se prévaloir de ce qu’il n’a pas connu une inscription portée au registre foncier”. Cet auteur constate que la doctrine ancienne refusait de revêtir les mentions de l’effet positif alors que la doctrine plus récente ­l’admet 60. D. Zobl relève que dans la plupart des cas, notamment pour les rapports de droit public pouvant être mentionnés, une acquisition par un

58 Homberger, ZK ZGB, ad art. 977 CC, n. 8. 59 Dans l’index, sous Deklaratorische Wirkung der Anmerkung, il est renvoyé au paragraphe traitant de l’effet descriptif des mentions ; voir Homberger, ZK ZGB, ad art. 946 CC, n. 30. 60 Zobl, Grundbuchrecht, § 341, p. 140 et les nombreuses références citées aux notes 763 et 764. V. Mention du rapport de trust et ses effets 135 tiers de bonne foi n’ayant pas connu l’existence d’une mention ou ayant constaté le défaut de mention au Registre foncier n’est pas envisageable vu que le droit est de toute façon opposable de par la loi61. Sur ce point, D. Zobl semble au premier abord plutôt adhérer à la théorie de l’effet informatif des mentions. Cependant, D. Zobl reconnaît que la mention de droits réels constitués avant 1912, la mention de la restriction de la capacité de dis- poser du fidéicommis de famille, la mention du début des travaux selon l’article 841 al. 3 CC, de même que d’autres mentions analogues ont pour but de détruire la bonne foi des tiers afin d’empêcher qu’ils ­n’acquièrent un immeuble sans la charge. Dans ces cas-là, D. Zobl reconnaît que les mentions jouissent de la foi publique positive du Registre foncier. L’auteur conclut qu’en définitive, il faut admettre que les mentions sont revêtues de la foi publique positive lorsque les tiers que la mention a pour but de proté- ger en ont besoin62. La position pragmatique de cet auteur consiste à faire varier l’effet de la mention selon l’opposabilité du rapport sous-jacent. Si ce dernier est de toute façon opposable, la mention ne fait qu’informer le public. S’il n’est pas opposable, la mention le rend alors opposable et détruit la bonne foi des tiers.

2.4 Comparaison des théories

Les théories décrites ci-dessus ne reconnaissent pas aux mentions les mêmes effets : la première théorie leur attribue un simple effet informatif et leur nie un effet déclaratif ; la seconde théorie admet un effet déclaratif, sous réserve des cas où la mention ne fait qu’informer le public. La troi- sième théorie fait varier l’effet de la mention selon l’opposabilité du rapport sous-jacent. Les théories considèrent différemment la relation entre mention et an- notation déclarative. Selon la première théorie, la mention et l’annotation déclarative n’ont absolument pas d’effets semblables. Dans la seconde et troisième théorie, la mention et l’annotation déclarative ont un effet iden- tique consistant à rendre opposable un rapport de droit au public, sous réserve des cas où les mentions ne font qu’informer les tiers.

61 Zobl, Grundbuchrecht, § 342, p. 141. 62 Ibid. 136 Delphine Pannatier Kessler

Quelque inconciliables que les deux courant théoriques puissent pa- raître, ils s’accordent en définitive sur un point : un rapport de droit faisant l’objet d’une mention est opposable à tous les tiers. En effet, dans la théorie de l’effet informatif, ce rapport est opposable de toute façon même sans mention et dans la théorie de l’effet déclaratif des mentions, il est rendu opposable par la mention. En revanche, si un rapport de droit aurait dû faire l’objet d’une men- tion mais que cela n’a pas été le cas, les théories sont inconciliables : dans la théorie de l’effet informatif des mentions, le rapport de droit est de toutes façons opposable ; dans la théorie de l’effet déclaratif des mentions, il ne l’est pas pour les tiers de bonne foi, sous réserve des cas où les partisans de la deuxième théorie reconnaissent que la mention ne fait qu’informer le public. Personnellement, nous sommes d’avis que la théorie de l’effet infor- matif des mentions a l’avantage de proposer une catégorie d’écritures pré- sentant des caractéristiques claires se distinguant de l’écriture voisine de l’annotation. Il nous paraît que les théories consistant à faire varier les ef- fets de la mention selon les cas présentent un manque de systématique et d’homogénéité et n’apportent pas de justification à la distinction faite par la loi entre les deux types d’écritures que sont la mention et l’annotation. De surcroît, la théorie de l’effet informatif des mentions obtient l’aval de la majorité de la doctrine. Pour ces raisons, nous nous rallions à la théorie de l’effet informatif des mentions. Nous appliquerons à présent ces conclusions à la mention du lien de trust de l’article 149d al. 3 LDIP.

D. La mention de l’article 149d LDIP

1. L’article 149d LDIP

1.1 Base légale et interprétation littérale

L’article 149d LDIP, entré en vigueur le 1er juillet 2007, est la disposition topique en matière de publicité quant à l’existence d’un trust. Nous avons déjà examiné sa relation avec l’article 12 de la Convention de La Haye sur les trusts au point V.A.2, page 122. Cet article s’énonce comme suit : V. Mention du rapport de trust et ses effets 137

“Lorsque les biens d’un trust sont inscrits au nom d’un trustee dans le registre foncier, le registre des bateaux ou le registre des aéronefs, le lien avec un trust peut faire l’objet d’une mention. Le lien avec un trust portant sur des droits de propriété intellectuelle enregistrés en Suisse est, sur demande, inscrit dans le registre pertinent. Le lien avec un trust qui n’a pas fait l’objet d’une mention ou qui n’a pas été inscrit n’est pas opposable aux tiers de bonne foi.” Tout d’abord, on peut retirer de la formulation de l’article 149d LDIP que le bien immobilier sera inscrit au nom du trustee comme propriétaire. Le rapport de trust peut alors faire l’objet d’une mention, mais il ne s’agit pas d’une obligation63. Certains rapports de trust pourraient être occultes sans que le défaut de mention n’affecte la validité de l’appartenance d’un bien immobilier au patrimoine d’un trust, étant donné que les mentions ne sont jamais constitutives. En revanche, ces rapports de trust occultes ne sont pas opposables aux tiers de bonne foi, comme le dit clairement la loi 64.

1.2 Remarque préliminaire terminologique

Le choix du législateur dans la version française de traduire “Trustverhält- nis” par le terme “lien de trust” nous semble critiquable. La version ita- lienne parle de “l’esistenza di un rapporto di trust”, soit l’existence d’un rapport de trust. Dans un souci de précision de la langue française, il au- rait été préférable d’utiliser le terme de “rapport de trust” ou d’“existence d’un trust”. En effet, la mention rend public le fait qu’un bien immobilier appartient au patrimoine d’un trust et donc qu’un trust existe en relation avec ledit bien-fonds. Quoi qu’il en soit, le législateur a tranché et nous n’avons d’autre choix que de reprendre sa terminologie. Dès lors, dans la suite de cette étude, nous utiliserons indifféremment les termes “lien de trust”, “rapport de trust” ou “existence d’un trust”, tout en gardant à l’esprit que ces trois ap- pellations se réfèrent au rapport de trust publié par la mention prévue par l’article 149d LDIP.

63 Vogt, in BSK IPR, ad art. 149d LDIP, n. 1 ; Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 42 s. 64 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149d, n. 149d-3 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149d LDIP, n. 13. 138 Delphine Pannatier Kessler

1.3 Critique du choix législatif d’une mention facultative

L’avant-projet prévoyait une mention obligatoire du rapport de trust au Re- gistre foncier65. Lors de la procédure de consultation, des critiques ont été émises à l’encontre d’une mention obligatoire. Le projet a dès lors retenu une mention potestative et l’explique comme “une simple formalité, dont la violation entraîne les inconvénients cités à l’alinéa 3”66. Il est intéressant de remarquer que le Luxembourg a choisi de son côté une mention obligatoire (art. 10 et 11 de la Loi luxembourgeoise du 27 juillet 2003 portant approba- tion de la Convention de la Haye sur les trusts) 67. Le choix législatif suisse nous paraît opportun. En effet, la mention au Registre foncier entraîne une information du public sur l’existence d’un trust et ce manque de discrétion peut être dissuasif dans certains cas 68. Les intéressés ont ainsi une marge de manœuvre et peuvent décider de faire mentionner le rapport de trust ou non. S’ils optent pour la discrétion, ils prennent le risque qu’un acquéreur de bonne foi d’un immeuble en trust soit protégé dans sa bonne foi en cas d’aliénation par le trustee en violation de ses obligations 69. En tout état de cause, le choix laissé aux parties de procéder ou non à la mention du lien de trust nous semble opportun car la liberté qu’il laisse favorise la reconnaissance des trusts sur des immeubles en Suisse, à condi- tion que ce choix soit opéré en connaissance de cause par les parties.

2. Les théories des mentions appliquées à la mention de l’article 149d LDIP

2.1 Effets de la mention et du défaut de mention

En application des conclusions obtenues au point V.C.2.4, page 136, un rap- port de trust objet d’une mention est opposable à tous les tiers, y compris aux tiers de bonne foi 70. En effet, si l’on se base sur la théorie de l’effet -in

65 Art. 149c al. 3 LDIP de l’Avant-Projet avant la procédure de consultation. 66 MCF, FF 2006, p. 606. 67 MCF, FF 2006, p. 615 ; loi luxembourgeoise du 27 juillet 2003 parue au Mémorial A no 124 du 3 septembre 2003. 68 MCF, FF 2006, p. 587 ; dans le même sens : Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 43. 69 MCF, FF 2006, p. 606 ; Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 84. 70 Dans le même sens : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 85. V. Mention du rapport de trust et ses effets 139 formatif des mentions, le lien de trust est de toute façon opposable en soi. Si l’on adhère à la théorie de l’effet déclaratif des mentions, la mention rend le lien de trust opposable aux tiers. En revanche, dans l’hypothèse où un rapport de trust n’a pas été mentionné, les résultats sont différents selon la théorie appliquée. Dans la théorie de l’effet informatif des mentions, le rapport de trust serait néan- moins opposable même aux tiers de bonne foi car il est opposable en soi indépendamment de la mention. A l’opposé, dans la théorie de l’effet dé- claratif des mentions (et sous réserve des cas où la mention ne fait qu’in- former), le rapport de trust non mentionné n’est pas opposable aux tiers de bonne foi. En l’espèce, il n’est pas nécessaire de prendre position en faveur de l’une ou de l’autre des théories, dans la mesure où le législateur a tranché dans le sens que “le lien avec un trust qui n’a pas fait l’objet d’une mention (…) n’est pas opposable aux tiers de bonne foi” (art. 149d al. 3 LDIP). Par conséquent, le législateur a choisi la théorie de l’effet déclaratif des men- tions et a considéré que c’est la mention qui rend le lien de trust opposable aux tiers en détruisant leur bonne foi 71. Par conséquent, dans le cas où le rapport de trust n’a pas été men- tionné, les tiers de bonne foi peuvent se fier au fait que le propriétaire ins- crit, qui est en réalité un trustee caché, a tous les pouvoirs du propriétaire sur l’immeuble. Les tiers de bonne foi peuvent ainsi partir de l’idée que le propriétaire n’est pas limité dans son pouvoir de disposition sur l’im- meuble (sous réserve d’autres restrictions révélées par le Registre foncier) et qu’il peut valablement en disposer, selon les principes de publicité du Registre foncier et selon l’article 149d al. 3 LDIP 72. En l’absence d’autres indices ou de connaissance de l’existence du trust, ils n’ont pas à procéder à de plus amples vérifications. Relevons néanmoins que l’on ne peut pas parler stricto sensu d’effet de publicité négative du Registre foncier en cas de défaut de mention du lien de trust car la publicité négative ne se rapporte qu’aux écritures ­constitutives 73. Or la mention du lien de trust n’est pas constitutive mais déclarative. Néanmoins, vu que l’article 149d al. 3 LDIP prévoit ­expressément qu’un

71 Du même avis : Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149d, n. 149d-11. 72 Voir également : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 86. 73 Voir sous V.B.2.3, page 125. 140 Delphine Pannatier Kessler lien de trust n’ayant pas fait l’objet d’une mention n’est pas opposable aux tiers de bonne foi, il y lieu d’admettre que cet article inclut un effet de pu- blicité négative restreinte, ne s’appliquant qu’aux tiers de bonne foi. Ainsi, en résumé, un lien de trust mentionné est toujours opposable à tous les tiers alors qu’un lien de trust non mentionné n’est pas opposable aux tiers de bonne foi mais est opposable aux tiers qui en ont connaissance.

2.2 Critique du choix de la mention par le législateur

De ce qui précède, on peut se demander si le législateur a eu raison de pu- blier le rapport de trust par une mention au Registre foncier ou s’il n’aurait pas dû utiliser l’institution voisine de l’annotation déclarative. Le Message du Conseil fédéral du 2 décembre 2005 relatif à la ratifica- tion de la Convention de La Haye sur les trusts 74 justifie le choix législatif de la mention de trust par le fait que, malgré les controverses sur les effets des mentions et annotations, “l’annotation a, en principe, un effet constitutif en ce qu’elle fonde des effets réels qui n’existaient pas auparavant. La men- tion a plutôt un effet déclaratoire et rend public des effets réels qui ­existent déjà. Selon la conception défendue ici, une inscription au registre foncier qui signale des relations déjà existantes et dont le seul effet juridique est d’exclure la bonne foi d’un tiers qui bénéficierait autrement d’une protection à ce titre, devrait prendre la forme d’une mention.” 75 P. M. Gutzwiller considère que le législateur a à bon escient choisi de publier le lien de trust par une mention en se ralliant aux arguments invoqués par le Message du Conseil fédéral 76. La justification présentée par le Message du Conseil Fédéral ne nous paraît pas convaincante. Comme le dit le Message, le but premier de la publication du lien de trust est de rendre opposable le rapport de trust aux tiers de bonne foi. S’il n’est pas “publié”, le rapport de trust n’est pas oppo- sable selon l’article 149d al. 3 LDIP. Ce but de rendre un rapport de droit opposable aux tiers nécessite une écriture ayant typiquement un effet dé- claratif. Etonnamment, le Message du Conseil Fédéral néglige totalement la catégorie des annotations déclaratives. Il distingue trop schématique-

74 FF 2006, p. 561. 75 FF 2006, p. 606. 76 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149d, n. 149d-11 ; voir également : Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 86 s. V. Mention du rapport de trust et ses effets 141 ment les annotations “en principe” constitutives et les mentions “plutôt” déclaratoires 77. Ne prenant pas en compte l’existence d’annotations décla- ratives, il arrive à la conclusion, à notre avis peu heureuse, que la mention est l’écriture la plus adaptée. Vu le but de la publication du rapport de trust, nous pensons que l’écriture qui aurait été la mieux adaptée aux paramètres décrits ci-­dessus est l’annotation déclarative et non pas la mention. En effet, une annotation déclarative a pour but de rendre opposable aux tiers de bonne foi un rap- port sous-jacent qui ne serait pas opposable sans l’annotation. C’est pré- cisément ce que le législateur a voulu dans le cadre de la publication du rapport de trust. Bien que la mention puisse également remplir ce but, les effets de cette dernière sont controversés en doctrine, comme exposé au point V.C.2, pages 129 ss. De fait, la mention du lien de trust remplit les caractéristiques des mentions dans la théorie de l’effet déclaratif soutenue par P. Simonius et T. Sutter. Cela n’est toutefois pas étonnant dans la mesure où, dans cette théorie, les mentions et les annotations déclaratives se recoupent. A l’opposé, la mention du lien de trust ne rentre pas dans la définition de la mention informative telle que conçue par H.Deschenaux et P.-H. Steinauer du fait que le législateur prévoit que le lien de trust non mentionné n’est pas opposable alors que, dans la théorie de la mention informative, le rapport sous-jacent est opposable même sans mention. En conclusion, il aurait été plus limpide de prévoir une annotation déclarative du rapport de trust dans le respect de la systématique et de la théorie générale des écritures au Registre foncier. Cela aurait évité de devoir créer “sur mesure” une mention du lien de trust qui se coule dans le moule de la mention déclarative décrite par P. Simonius et T. Sutter mais qui présente des caractéristiques inconciliables avec les mentions décrites par une partie influente de la doctrine, soit H. Deschenaux et P.-H. ­Steinauer notamment.

2.3 Effet de la mention sur le pouvoir de disposition

Une fois clarifié le principe de l’opposabilité du lien de trust, il faut exami- ner l’étendue de cette opposabilité, en particulier si l’opposabilité du lien de trust limite le trustee dans son pouvoir de disposition.

77 FF 2006, p. 606. 142 Delphine Pannatier Kessler

Dans le cas où le rapport de trust n’est pas mentionné, les tiers de bonne foi peuvent se fier au fait que le propriétaire inscrit a tous les pouvoirs du propriétaire sur l’immeuble et peut valablement en disposer, selon les prin- cipes de publicité du Registre foncier et selon l’article 149d al. 3 LDIP a contrario (voir sous V.D.2.1, page 139). La question se révèle plus compliquée lorsqu’un rapport de trust est mentionné au Registre foncier. Du fait de la mention, les tiers de bonne foi ne peuvent ignorer qu’ils ont affaire à un trustee qui détient l’immeuble en tant que trustee et donc que l’immeuble appartient au patrimoine d’un trust (voir point V.C.2.4, page 136). Cela ­ signifie-t-il que la mention restreint la capacité de disposition du trustee ? Pour déterminer l’effet de la mention du lien de trust sur le pouvoir de disposition du trustee, il nous paraît nécessaire de traiter cette question en deux temps : tout d’abord au moment du contrôle effectué par le Registre foncier, puis en amont au moment de la signature de l’acte translatif de propriété.

2.3.1 Effet de la mention lors de l’examen par le Registre foncier

Selon les “Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust” du 28 juin 2007 publiées par l’Office fédéral de la justice 78, “la mention ne restreint pas le pouvoir de disposer du trustee (ce dernier étant pleinement propriétaire du bien à titre fiduciaire) ; elle a uniquement pour but de détruire la bonne foi des tiers acquéreurs de l’immeuble et de protéger ainsi les bénéficiaires (l’exécution du droit de distraction et de restitution à l’égard des tiers de bonne foi présuppose obligatoirement l’existence d’une mention)” 79. En cas d’aliénation par le trustee d’immeubles appartenant au patrimoine du trust, les Lignes directrices prévoient que “l’immeuble passe à l’acquéreur même en cas d’action déloyale. La protection de l’acquéreur contre une éventuelle action en répétition selon les règles qui s’y appliquent dépend de l’existence ou non de la mention de l’immeuble au patrimoine du trust au moment de l’acquisition de la propriété”80.

78 Disponibles sur internet sur le site : www.registre-foncier.ch/download/fr/Trust_ lignes_directrices.pdf. 79 Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust de l’Office fédé- ral de la Justice du 28 juin 2007, p. 3. 80 Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust de l’Office fédé- ral de la Justice du 28 juin 2007, p. 4. V. Mention du rapport de trust et ses effets 143

Ainsi, au niveau de l’examen effectué par le Registre foncier lorsqu’une réquisition lui parvient, le Registre foncier considère que le trustee a le plein pouvoir de disposition sur les immeubles en trust. Il n’examine donc pas le pouvoir de disposer du trustee en relation avec l’acte de trust et se contente de donner suite à une réquisition signée par le trustee. Dans la pratique, cela signifie cependant à notre avis que le Registre foncier se fie à l’examen fait par le notaire au moment de la signature de l’acte. La mention n’a dès lors aucun effet de blocage du Registre foncier.

2.3.2 Effet de la mention lors de l’examen par le notaire ou les parties

Même si la mention ne restreint pas le pouvoir de disposition du trustee au niveau du contrôle exercé par le Registre foncier, cela ne signifie par pour autant que le trustee soit autorisé par l’acte de trust et le droit applicable à disposer d’un bien. Comme démontré aux points II.A.3.1, page 20 et II.B, pages 29 ss, le trustee est limité dans ses pouvoirs par l’acte de trust, la loi applicable et les décisions du tribunal 81. Même s’il a le legal title sur les biens et dispose de toutes les prérogatives du propriétaire, il doit respec- ter les droits des bénéficiaires. Si le trustee dispose d’un bien en violation des droits des bénéficiaires, leur beneficial interest continue de grever le bien et ses remplois. Le trustee ne peut donc pas disposer valablement et pleinement de biens en violation du trust. Ainsi, l’étendue du pouvoir de disposition du trustee varie selon les cas, étant précisé que la question du pouvoir est déterminée par le droit régissant le trust selon l’article 8 al. 2 lit. d de la Convention82. Selon nous, du fait que la mention au Registre foncier selon l’ar- ticle 149d al. 3 LDIP rend opposable aux tiers l’existence d’un rapport de trust, elle a également pour conséquence de rendre ces tiers attentifs au fait que le trustee n’est peut-être pas habilité selon le droit du trust à dis- poser de l’immeuble 83. Elle révèle dès lors une restriction potentielle au pouvoir de disposition du trustee et oblige ainsi les parties à clarifier cette question84. Dans la pratique, l’obligation de vérifier le pouvoir du trustee

81 Dans le même sens : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 85 ; Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 44. 82 Contra : Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 54 s. 83 Du même avis : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 85. 84 Dans le même sens : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 86 ; contra : Mayer, Neue IPRG-Bes- timmungen zum Trust, p. 54 s. 144 Delphine Pannatier Kessler incombera à notre avis au notaire ou à l’officier public chargé d’instrumen- ter l’acte ainsi qu’aux acquéreurs d’un droit réel. De cet examen dépend la bonne ou mauvaise foi du tiers et donc la possibilité ou non pour les bénéficiaires d’exercer le droit de suite sur l’immeuble en cas d’aliénation en violation de l’acte de trust 85. Nous reviendrons sur ce point de manière plus approfondie au chapitre V.H, pages 190 ss.

2.3.3 Critique

Nous devons cependant admettre que cette approche en deux temps, avec examen par le notaire ou les parties mais sans examen par le Registre fon- cier, est quelque peu incohérente avec la systématique du Registre foncier. En effet, en général, les obligations de vérification du notaire et du Registre foncier vont de paire ; si le Registre foncier doit vérifier un point précis, le notaire devra en faire de même. Certes, le Registre foncier se fiera souvent au contrôle exercé par le notaire, par exemple au niveau de la capacité de discernement d’une partie qui comparaît à un acte, ceci pour des raisons pratiques. En revanche, si la question n’est en aucune manière probléma- tique au niveau du Registre foncier, il nous paraît quelque peu illogique que le notaire doive s’en préoccuper. Cependant, tel semble être le cas avec la mention du lien de trust d’après les Lignes directrices : malgré la mention, le Registre foncier considère que le trustee a le plein pouvoir de disposition alors que, précisément à cause de la mention, le notaire et les tiers se voient dans l’obligation de vérifier ledit pouvoir de disposition. De plus, l’on peut soulever une seconde incohérence. L’article 149d al. 3 LDIP a pour but de protéger les tiers de bonne foi ayant acquis un bien du trust sans savoir qu’ils avaient affaire à un trustee. Or, la protection de l’ac- quéreur de bonne foi selon les articles 933 CC et 973 CC sert à protéger des tiers acquérant un bien d’une personne n’ayant pas la capacité de disposer dudit bien. A teneur des Lignes directrices, le trustee n’entre pas dans cette catégorie puisqu’il est censé avoir plein pouvoir de disposition. Dès lors, l’affirmation que le trustee a plein pouvoir de disposition est incohérente avec le but de la mention du lien de trust d’éviter une acquisition de bonne foi. Si le trustee avait réellement le plein pouvoir de disposition, il ne serait pas nécessaire de détruire la bonne foi par la mention.

85 Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 86. V. Mention du rapport de trust et ses effets 145

Cette incohérence nous semble découler du système même du trust anglais. Le trustee est propriétaire légal et a dès lors le plein pouvoir de dis- position selon la common law ; toutefois, il est limité dans ses pouvoirs par l’acte de trust et le droit applicable selon l’equity (voir sous II.A.3.1, page 20). En cas d’aliénation en violation du trust, les biens aliénés demeurent gre- vés de l’intérêt equitable des bénéficiaires. Cette contradiction entre les deux systèmes est résolue par le droit de suite : l’aliénation à un tiers en soi valable en common law est anéantie par le droit de suite, lequel permet aux bénéficiaires de faire valoir leur droit de propriété équitable grevant le bien. Ainsi, le trustee a en common law le plein pouvoir de disposition sur les biens mais est simultanément restreint en equity dans son pouvoir de disposition sur les biens. Cette ambivalence découlant du double système de juridiction anglais est en quelque sorte traduite par le paradoxe suisse entre le postulat par le Registre foncier du plein pouvoir de disposition du trustee et la restriction potentielle de son pouvoir de disposer créant la nécessité de contrôle en amont par le notaire. Le système proposé nous semble toutefois acceptable dans la mesure où il permet en droit suisse d’appréhender la situation ambivalente existant en droit des trusts. Finalement, il convient de relever encore que les Lignes directrices en matière de Registre foncier n’ont pas vocation ni prétention à déterminer l’effet de la mention. Elles répondent plutôt à la nécessité pratique d’éviter aux offices du Registre foncier d’avoir à procéder à un examen complexe des pouvoirs du trustee selon un droit étranger que le juriste chargé de la censure des actes ne connaît pas. Elles ont aussi pour but de limiter la responsabilité du Registre foncier en cas d’erreur lors dudit examen86. Se- lon nous, l’idée sous-jacente demeure qu’il faut procéder à l’examen du pouvoir de disposition du trustee mais que le Registre foncier se décharge de cette responsabilité sur le notaire. Relevons encore que ce report de res- ponsabilité nous paraît praticable dans les cantons connaissant le système du notariat libre mais qu’il risque de poser problème dans les cantons où les notaires sont des fonctionnaires du Registre foncier. Ces derniers de- vraient faire preuve d’une attitude quelque peu “schizophrène” dans leur examen du pouvoir de disposer du trustee, variant selon qu’ils se placent du point de vue du notaire ou de celui de Registre foncier. A notre avis, les notaires d’Etat devraient vérifier le pouvoir de disposer du trustee

86 Dans le même sens : Wilson, in La planification du patrimoine, p. 132. 146 Delphine Pannatier Kessler lorsqu’ils instrumentent des actes authentiques en tant qu’officier public, nonobstant les instructions contraires des Lignes directrices.

2.3.4 Conclusion

L’effet de la mention du lien de trust sur le pouvoir de disposer du trustee est une question difficile. L’affirmation des Lignes directrices consistant à dire que “la mention ne restreint pas le pouvoir de disposer du trustee (ce dernier étant pleinement propriétaire du bien à titre fiduciaire)”87 ne convainc pas. Si tel était le cas, il ne serait pas nécessaire de protéger les tiers de bonne foi par le biais de l’article 149d al. 3 LDIP puisque ceux-ci acquerraient de toute façon valablement d’un trustee ayant plein pouvoir de disposition. Si le législateur a jugé nécessaire de protéger le tiers de bonne foi n’ayant pas eu connaissance du lien de trust par l’article 149d al. 3 LDIP, cela signifie forcément que le trustee peut dans certains cas être limité dans son pou- voir de disposition88. Du fait que les Registres Fonciers se refusent à effectuer cet examen pour des raisons de faisabilité et de limitation de leur responsabilité et se contentent de se fier à la propriété formelle du trustee, il est nécessaire que cet examen soit effectué en amont. Se pose la question de savoir si cette responsabilité incombe au notaire ou seulement aux parties. A notre avis, il appartiendra au notaire de vérifier le pouvoir du trustee selon le droit du trust au moment où il instrumente un acte. Nous y reviendrons au point V.H, pages 190 ss. A ce stade, nous pouvons conclure que la mention du lien de trust n’a pas pour effet de limiter le pouvoir de disposition du trustee au niveau du Registre foncier, vu les instructions des Lignes directrices. Elle sert sim- plement à rendre les tiers attentifs au fait qu’un immeuble fait partie du patrimoine d’un trust 89. Cela étant, cette information a pour effet d’obli- ger à vérifier le pouvoir de disposition du trustee selon l’acte de trust par rapport à l’acte de disposition envisagé 90. De cet examen dépend la bonne ou mauvaise foi du tiers et ainsi la possibilité ou non pour les bénéficiaires de revendiquer la propriété de l’immeuble en cas d’aliénation en violation

87 Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust de l’Office fédé- ral de la Justice du 28 juin 2007, p. 3. 88 Dans le même sens : Piotet, in Not@lex 2008, p. 16. 89 Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 85. 90 Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 86. V. Mention du rapport de trust et ses effets 147 de l’acte de trust. De plus, la mention du lien de trust restreint de facto le pouvoir de disposer du trustee 91 dans l’hypothèse où le trustee n’est pas au bénéfice du pouvoir requis selon l’acte de trust puisque, comme nous le verrons au point V.H., pages 190 ss, le notaire ne peut pas instrumenter un acte authentique s’il ne peut pas établir les pouvoirs du disposant. Le Registre foncier pourra se fier au fait que le notaire a établi les pouvoirs du trustee, ce qui devrait explicitement ressortir de l’acte authentique. Dès lors, l’obligation de vérification du Registre foncier découlant de l’ar- ticle 965 CC se limitera à notre avis au contrôle de l’attestation du notaire. Si ce dernier instrumentait néanmoins un acte sans vérifier les pouvoirs du trustee, par conséquent sans attester explicitement avoir établi ces der- niers, le Registre foncier devrait à notre avis refuser un tel titre sur la base de son obligation de vérification du pouvoir de disposer de l’article 965 CC, certes déléguée par souçi de praticabilité au notaire 92. Il est vrai qu’une telle interprétation va plus loin que la conception retenue par les Lignes directrices mais elle nous paraît plus conforme à l’article 965 CC que la solution choisie par les Lignes directrices. Ainsi, à notre avis, la mention du lien de trust restreint de facto le pou- voir de disposer du trustee et oblige le notaire et les parties à vérifier son pouvoir. Nous y reviendrons dans la dernière partie de ce chapitre.

E. Effets de la mention du lien de trust en exécution forcée

Nous avons vu que la mention de l’article 149d LDIP a pour effet de rendre opposable aux tiers de bonne foi la relation de trust et qu’en l’absence de la mention, la relation de trust ne leur est pas opposable. Qui sont les “tiers de bonne foi” visés par cette disposition ? Dans la conception traditionnelle de la protection de la bonne foi, nous avons vu qu’il s’agissait des acqué- reurs de bonne foi d’un droit réel sur l’immeuble. Cela étant, une partie de la doctrine, suivant le Message du Conseil fédéral, considère que les tiers de bonne foi protégés en cas d’absence de mention incluent également les créanciers de bonne foi du trustee, leur permettant de faire réaliser à leur

91 Dans le même sens : Piotet, in Not@lex 2008, p. 16. 92 Voir à ce sujet mon article à paraître dans la RNRF de 2011 intitulé “Die Anmerkung des Trustverhältnisses und die Pflichten des Notars”. 148 Delphine Pannatier Kessler profit par la voie de l’exécution forcée des actifs du trust qui auraient pu faire l’objet d’une mention ou d’une inscription dans un registre mais qui a été omise. Si cette opinion devait être suivie, les conséquences en matière d’exécution forcée seraient fort importantes. Il nous paraît dès lors néces- saire de nous pencher sur cette question controversée. Nous présenterons tout d’abord la problématique et les principes géné- raux (1), puis la conception défendue par le Message du Conseil fédéral et la doctrine majoritaire (2), ainsi que l’avis contraire d’A. Peyrot (3). Nous prendrons ensuite position sur cette question (4) et proposerons une solu- tion concrète sur cette base (5). Enfin, nous proposerons une ébauche de solution dans l’hypothèse où il y aurait lieu de suivre l’opinion doctrinale admettant l’effet de l’absence de mention en exécution forcée pour les tiers de bonne foi (6).

1. Exposé des principes de l’exécution forcée en relation avec un trust

En matière d’exécution forcée, la nature ambivalente du trust, constitué d’actifs sur lesquels tant le trustee que les bénéficiaires ont des droits de na- ture réelle, entre en conflit avec la logique binaire de la Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), basée sur la notion “simple” de propriété. Pour permettre à nos règles d’exécution forcée de prendre en compte la nature particulière du trust, il a été nécessaire d’introduire de nouvelles règles dans la LP, les articles 284a et 284b LP. Ces articles concrétisent les principes de la Convention de La Haye exigeant en tous les cas la recon- naissance du patrimoine séparé du trust par rapport au patrimoine per- sonnel du trustee (art. 11 al. 2 de la Convention) et, dans la mesure où la loi applicable au trust le prévoit, la reconnaissance du fait “que les créanciers personnels du trustee ne puissent pas saisir les bien du trust” et “que les biens du trust soient séparés du patrimoine du trustee en cas d’insolvabilité ou de faillite de celui-ci” (art. 11 al. 3 lit. a et b de la Convention).

1.1 Détermination de la personne du débiteur

En matière d’exécution forcée et de trust, la première question qui se pose est celle de savoir qui est débiteur d’une dette faisant l’objet d’une pour- suite. Une distinction entre les dettes dont répond le patrimoine séparé du V. Mention du rapport de trust et ses effets 149 trust et celles dont répond le patrimoine privé du trustee est indispensable. La procédure suisse d’exécution forcée doit tenir compte de la ségréga- tion des patrimoines (appelée ring-fencing). Si le trustee à titre personnel contracte une dette à des fins privées, il est clair que c’est son patrimoine personnel qui devra en répondre. En revanche, s’il contracte une dette dans le cadre de l’administration du trust, deux cas de figure peuvent se présenter, cette question dépendant du droit applicable au trust, déterminé par les articles 6 et 7 de la Convention93. Dans le premier cas, cette dette grèvera son patrimoine personnel, lequel disposera d’une créance en rem- boursement (dénommée right of indemnity) contre le patrimoine du trust. Telle est la solution traditionnelle du droit anglais. Dans le deuxième cas, cette dette grèvera directement le patrimoine du trust, ce qui est le cas en droit des Etats américains et généralement en droit des trusts des juridic- tions offshore 94. Ainsi, sans entrer plus avant dans cette question com- plexe du droit des trusts, il sera nécessaire dans le cadre d’une poursuite en Suisse pour une dette découlant de l’administration d’un trust d’analyser à titre préliminaire selon le droit du trust qui du trustee ou du patrimoine du trust répond de la dette.

1.2 Dette du patrimoine du trust et faillite de ce dernier

Une fois que la personne du débiteur a été identifiée, la suite du raison- nement dépend des articles 284a et 284b LP. Dans l’hypothèse où il s’agit d’une dette du patrimoine du trust, l’article 284a LP prévoit que la pour- suite vise le patrimoine séparé du trust, même si elle est formellement di- rigée contre le trustee en tant que représentant du trust 95. La poursuite contre le patrimoine du trust se poursuit exclusivement par voie de faillite (art. 284a al. 3 LP), sous réserve de l’hypothèse où la créance est garantie par gage (art. 151 ss LP) ou s’il s’agit d’une dette visée par l’article 43 LP96. La

93 Peyrot / Barmes, in Journée 2007 de droit bancaire et financier, p. 131 et 151 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284a, n. 284a-3. 94 Pour une présentation détaillée de la question, voir Peyrot / Barmes, in Journée 2007 de droit bancaire et financier, p. 137-140. 95 MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284a LP, p. 609 ; voir également Gutzwiller, Schweize- risches Internationales Trustrecht, ad art. 284a, n. 284a-1 ss. 96 MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284a LP, p. 610 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internati- onales Trustrecht, ad art. 284a, n. 284a-20 ss. 150 Delphine Pannatier Kessler faillite est limitée au patrimoine séparé du trust 97. Elle ne frappe pas la fortune privée du trustee qui peut être revendiquée le cas échéant selon l’article 242 LP 98. En cas de faillite du trust, il se pourrait également que le trustee ait à produire des créances contre la masse en faillite du trust. Nous avons vu au point précédent que cette question dépendait du statut du trust. En prin- cipe, si les dettes découlant de l’administration du trust grèvent directe- ment le patrimoine du trust, ce qui est la prémisse de l’hypothèse traitée en l’espèce, le trustee ne devrait en principe pas avoir d’autres créances contre la masse en faillite du trust que celles découlant de ses honoraires. Dans ce cas, il nous paraîtrait que les créances du trustee en remboursement de ses honoraires doivent être colloquées comme des créances ordinaires en troisième classe selon l’article 219 al. 4 LP. Rien ne nous paraît justifier un privilège dans l’exécution forcée puisque le trustee est formellement res- ponsable de la faillite du patrimoine du trust. Néanmoins, l’on peut encore se poser la question si dans certains cas exceptionnels une collocation plus favorable des créance du trustee ne de- vrait pas avoir lieu par application de l’article 284b LP par analogie. Nous traiterons cette question au point 1.4 ci-après.

1.3 Dette personnelle du trustee

Si en revanche la dette constitue une dette à charge du patrimoine privé du trustee, qu’elle découle d’une affaire privée ou de l’administration du trust selon le droit applicable au trust, la poursuite est dirigée contre le trustee personnellement. Si le trustee à titre personnel est déclaré en faillite, le pa- trimoine du trust est distrait d’office de la masse en faillite du trustee après déduction des créances du trustee contre le patrimoine du trust (art. 284b LP) 99. Si le trustee n’est pas un corporate trustee mais une personne phy- sique ne remplissant pas les conditions de l’article 39 LP, il est soumis à la poursuite par voie de saisie selon l’article 42 LP. Par application directe de l’article 11 al. 2 et 11 al. 3 lit. a de la Convention, les biens du patrimoine du

97 MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284a LP, p. 611. 98 MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284a LP, p. 610. 99 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284a, n. 284a-4 et ad art. 284b, n. 284b-5 s. ; MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284b LP, p. 611. V. Mention du rapport de trust et ses effets 151 trust ne peuvent faire l’objet d’une saisie au profit des créanciers person- nels du trustee. Ainsi, le principe de ségrégation peut être mis en œuvre en droit suisse.

1.4 Cas particulier de la créance en remboursement découlant de l’administration du trust

Il nous paraît intéressant de traiter séparément l’hypothèse où le trustee fait l’objet d’une poursuite à titre personnel pour une dette découlant de l’administration du trust dans l’hypothèse où le droit applicable au trust rend le trustee personnellement responsable vis-à-vis des tiers. Dans ce cas, le trustee dispose d’une créance en remboursement (right of indem- nity) contre le patrimoine du trust. La poursuite contre le trustee pourra viser cette créance en remboursement contre le patrimoine du trust en la saisissant selon l’article 95 al. 1 LP ou en l’incluant dans la masse en faillite du trustee comme le prévoit l’article 284b LP. Cela étant, dans l’hypothèse où le trustee est poursuivi personnellement pour des dettes découlant de l’administration du trust mais où simultanément le patrimoine du trust est déclaré en faillite selon l’article 284a al. 3 LP, comment faut-il traiter la créance du trustee en remboursement découlant de l’administration du trust ? Relevons tout d’abord que si la faillite du trust est causée par la faute du trustee, il est fort possible que le droit du trust prévoie que le trustee ne puisse pas faire valoir sa créance en remboursement 100. Si néanmoins cette créance en remboursement subsiste selon le droit applicable au trust et dans l’hypothèse où elle serait colloquée en troisième rang comme une créance ordinaire, il est fort probable que le trustee se retrouverait à devoir satisfaire les tiers avec son patrimoine personnel sans pouvoir être entiè- rement remboursé. Une telle conséquence pourrait être excessive, en par- ticulier lorsque le trustee n’a pas commis de faute ou de violation du trust. Selon les cas, même lorsque le trustee n’est pas en faillite, il pourrait être adéquat d’appliquer l’article 284b LP par analogie, lequel prévoit que, dans la faillite du trustee, le patrimoine du trust n’est distrait qu’une fois que les créances du trustee contre le patrimoine du trust ont été couvertes. Une extension de ce principe pourrait se justifier uniquement pour la créance

100 Peyrot / Barmes, in Journée 2007 de droit bancaire et financier, p. 138. 152 Delphine Pannatier Kessler en remboursement (right of indemnity). Les autres créances éventuelles, notamment celles en paiement des honoraires de trustee, ne devraient pas bénéficier de priorité. Ainsi, selon les cas, notamment si le trustee n’a commis aucune faute ou violation, il pourrait être adéquat de considérer que sa créance en remboursement découlant de l’administration du trust doit être qualifiée de la même manière qu’une dette de la masse au sens de l’article 262 al. 1 LP devant être satisfaite en priorité, par extension de l’article 284b LP.

1.5 Problématique de l’absence de mention selon l’article 149d LDIP

Si l’on admet que l’article 149d al. 3 LDIP vise à protéger les créanciers de bonne foi du trustee, l’absence de cette mention sur un immeuble ou un autre bien pouvant en faire l’objet aurait pour effet de modifier la compo- sition de la masse des avoirs à disposition des créanciers personnels du trustee pour les satisfaire. La question se pose dans deux cas de figure prin- cipaux. Elle se pose d’abord lorsqu’une poursuite par voie de saisie ou de faillite est engagée à l’encontre du trustee à titre privé et qu’un créancier de ce dernier a un intérêt à empêcher la distraction des biens du trust, res- pectivement en cas de saisie lorsqu’un créancier s’oppose à ce que le bien saisi soit revendiqué et soustrait à la saisie sur la base de l’appartenance du bien au patrimoine d’un trust. Elle se pose en second lieu lorsque c’est le patrimoine du trust qui est mis en faillite et qu’un créancier du trustee à titre personnel a un intérêt à distraire des biens de la masse en faillite du trust pour que ces biens servent à le satisfaire. Nous discuterons ci-après de la question de savoir si la bonne foi du créancier en l’absence de mention ou d’inscription au registre peut aboutir à une redéfinition de la frontière entre patrimoine du trust et patrimoine personnel du trustee.

2. Position défendue par le Message du Conseil fédéral

Selon le Message du Conseil fédéral émis dans le cadre de la ratification de la Convention de La Haye et pour les auteurs s’y ralliant, l’alinéa 3 de l’article 149d LDIP “sert à protéger tant les créanciers de bonne foi du trustee que les acquéreurs de bonne foi de biens du trust qui ont été aliénés”101. Cette

101 MCF, FF 2006, § 2.2 ad art. 149d LDIP, p. 606. V. Mention du rapport de trust et ses effets 153 règle a pour effet de permettre“ aux créanciers de faire saisir les éléments du patrimoine du trust qui n’ont pas fait l’objet d’une inscription, dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée ouverte à l’encontre du trustee”102. Elle a dès lors pour effet de protéger l’octroi de crédit de bonne foi. Lorsque le trustee fait l’objet d’une poursuite pour des dettes grevant son patrimoine privé, le patrimoine du trust est distrait d’office de la masse en faillite du trustee 103, respectivement il ne peut pas faire l’objet d’une saisie 104, à condition que l’appartenance des biens au patrimoine du trust soit prouvée 105. Tel est clairement le cas si une mention ou inscription selon l’article 149d LDIP figure au registre 106. Le trustee ou tout intéressé doit informer l’administration de la faillite selon l’article 232 al. 2 ch. 2 LP par analogie ou en cas de saisie selon l’article 95 al. 3 LP et 106 al. 1 et 2 LP. En cas de contestation, les bénéficiaires du trust ou les autres co-trustees devront revendiquer les actifs du trust pour les distraire de la masse selon l’article 242 LP dans le délai fixé par l’administration de la faillite (en cas de saisie ou de séquestre selon les articles 106 à 109 LP) 107. Cependant, si une mention ou une inscription au sens de l’article 149d LDIP n’a pas été prise alors qu’elle aurait pu l’être, “l’élément patrimonial ne doit être distrait d’office de la masse en faillite que si le rapport de trust est évident d’une autre manière”. Les bénéficiaires ou les co-trustees devront alors prouver dans l’action en revendication “que les créanciers avaient connaissance, ou auraient dû avoir connaissance, du rapport de trust”108. Ainsi, en l’absence de mention ou d’inscription pour des immeubles, na- vires, aéronefs et droits de propriété intellectuelle, les éléments patrimo- niaux en trust demeurent dans la masse en faillite ou peuvent être saisis afin de satisfaire les créanciers de bonne foi du trustee à titre personnel 109. Le procès en revendication selon les articles 242 LP ou 106 à 109 LP porte sur la question de la bonne foi des créanciers. En ce qui concerne la protection des créanciers de bonne foi, P.M. Gutzwiller se rallie à la position défendue par le Message et ­relève

102 Ibid. 103 MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284b LP, p. 611. 104 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284b, n. 284b-21 ss. 105 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284b, n. 284b-6. 106 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284b, n. 284b-13. 107 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284b, n. 284b-7. 108 MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284b LP, p. 611. 109 Dans le même sens : Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149d, n. 149d-20 et ad. art. 284b, n. 284b-15 et n. 284b-23. 154 Delphine Pannatier Kessler que la situation s’avèrera compliquée dans l’hypothèse où la mention ou l’inscription au sens de l’article 149d LDIP n’aura pas été prise et que la relation de trust sera connue de certains créanciers mais pas de tous, par exemple par avis spécial du trustee à certains d’entre eux 110. Dans un tel cas, des créanciers de bonne foi et des créanciers de mauvaise foi se cô- toieront. Une tension entre le principe d’égalité de traitement entre les créanciers et celui de la protection de la bonne foi se créera, que cet auteur propose de résoudre en faveur de la protection de la bonne foi 111. Concrè- tement, P.M. Gutzwiller propose de faire entrer dans la masse en faillite du trustee les avoirs en trust n’ayant pas fait l’objet de la mention ou ins- cription selon l’article 149d LDIP mais de ne les réaliser que dans le mesure où ils sont nécessaires à couvrir les créances des créanciers de bonne foi 112. Le principe de la protection des créanciers de bonne foi est également admis par R. Gassmann. Il considère que sa mise en œuvre devrait être simple dans l’hypothèse d’une poursuite par voie de saisie, où la question de la bonne foi du créancier sera traitée dans une procédure de revendica- tion des articles 106 ss LP 113. En revanche, cet auteur considère que la mise en œuvre de ce principe s’avèrera bien plus compliquée en cas de faillite ou de concordat 114. Selon lui, le fait d’admettre la distraction des avoirs en trust pour certains créanciers mais pas pour d’autres violerait le principe d’égalité de traitement entre les créanciers. La nécessité de constituer dif- férents groupes de créanciers ayant accès à différentes masses posera des problèmes pratiques et administratifs ingérables. Dès lors, R. Gassmann propose de refuser la distraction d’un élément patrimonial en trust dès qu’un seul créancier du trustee peut invoquer sa bonne foi 115. Présentons enfin la position de B. Foëx sur ces questions. Sur le prin- cipe, il adhère à la position défendue par le Message et admet qu’un créan- cier chirographaire du trustee de bonne foi pourra faire saisir ou séques- trer un immeuble en trust dépourvu de la mention116. Cela étant, il relève les difficultés pratiques de la mise en œuvre de la notion de créancier de bonne foi dans les procédures collectives d’exécution forcée. Il se demande

110 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284b, n. 284b-16 s. 111 Ibid. 112 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284b, n. 284b-17 ss. 113 Gassmann, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 149d LDIP, n. 7. 114 Gassmann, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 149d LDIP, n. 9. 115 Ibid. 116 Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 87 ; Foëx, in Successio 2009, p. 265. V. Mention du rapport de trust et ses effets 155 s’il faut que tous les créanciers ou seulement une majorité d’entre eux soient de bonne foi pour maintenir dans la masse en faillite du trustee un immeuble en trust dépourvu de mention. Par ailleurs, cet auteur critique la solution proposée par R. Gassmann consistant à admettre que la bonne foi d’un seul créancier profite à tous. En conclusion, B. Foëx se rallie au Message et relève le rôle important qu’aura à jouer la jurisprudence pour clarifier la notion de créancier de bonne foi dans la procédure collective dirigée contre le trustee 117. Enfin, il souligne l’importance de la mention et du conseil des notaires à cet égard 118.

3. Avis d’A. Peyrot

Prenant le contrepied de la conception défendue par le Message du Conseil fédéral, suivie par la majorité de la doctrine, A. Peyrot considère que “la protection de la bonne foi des créanciers sur la base des registres est un pos- tulat inconnu du droit suisse”119. Elle fait valoir que les tiers de bonne foi visés par l’article 149d al. 3 LDIP sont uniquement les acquéreurs de bonne foi ; l’article 149d al. 3 LDIP ne protège pas les créanciers de bonne foi ayant fait crédit au trustee en pensant qu’un bien inscrit au registre à son nom lui appartenait à titre privé, alors qu’il faisait en réalité partie du patrimoine d’un trust. Elle considère que le postulat de la protection de l’octroi de crédit de bonne foi doit être refusé car le système de la LP ne permet pas la réalisation d’un bien sur la simple foi d’un registre ; en effet, la LP permet toujours aux tiers de faire valoir leur droit sur un bien soumis à exécution forcée par une procédure de revendication, quelle que soit l’apparence du registre 120. Deuxièmement, elle invoque le fait que “le droit suisse ne pro- tège pas l’idée qu’un créancier se fait de la composition ou de l’étendue du patrimoine de son débiteur”121 et que dès lors le concept d’octroi de cré- dit de bonne foi est contraire au système. Elle relève que les gages servent précisément à protéger les créanciers et que la bonne foi ne peut pallier l’absence de sûreté réelle 122. L’article 149d al. 3 LDIP ne constitue pas une

117 Ibid. 118 Foëx, in Successio 2009, p. 265. 119 Peyrot, in RSDA 2009, p. 373. 120 Peyrot, in RSDA 2009, p. 370. 121 Peyrot, in RSDA 2009, p. 371. 122 Ibid. 156 Delphine Pannatier Kessler base légale suffisamment explicite ni le Message une base légale suffisante pour déroger à ces principes 123. Troisièmement, cette auteure se rallie à la position de L. Thévenoz considérant que le principe de ségrégation des patrimoines est un effet minimal de la reconnaissance des trust, auquel l’article 149d LDIP ne peut déroger sous risque d’entrer en conflit avec le droit international, en l’espèce avec la Convention de La Haye 124. Enfin, elle avance l’argument de l’impraticabilité de la conception du Message en cas de faillite du trustee 125. Refusant le concept de la protection des créanciers de bonne foi, cette auteure propose d’admettre que “l’article 149d al. 3 LDIP assujettit implici- tement le privilège contenu à l’art. 284b LP à l’observation des prescriptions en matière de publicité. L’inobservation de celles-ci fait ainsi échec à la dis- traction d’office des biens du trust”126. Cela étant, elle considère que cela ne signifie pas pour autant que les biens en trust seront inéluctablement réalisés en faveur des créanciers du trustee. Au contraire, selon elle, les intéressés selon le droit du trust pourront faire valoir leur droit de distrac- tion dans une procédure en revendication, dans le cadre de laquelle ils de- vront prouver qu’un trust existe et que le bien en question en fait partie 127. Selon sa conception, la question de la bonne ou mauvaise foi des créanciers ne sera pas l’objet de la preuve du procès en revendication. Dès lors, cette auteure propose de refuser la notion de protection des créanciers de bonne foi et d’attacher à la mention de l’article 149d LDIP un avantage procédu- ral, dont l’absence n’entraîne pas de conséquences inéquitables pour les bénéficiaires du trust.

4. Prise de position

La question centrale est de savoir si les “tiers de bonne foi” visés par l’ar- ticle 149d al. 3 LDIP incluent les créanciers de bonne foi, tel que le suggère le Message du Conseil fédéral. En faveur de cette conception vient tout d’abord à l’esprit l’interprétation historique. A la lecture du Message, il est clair que le législateur voulait viser non seulement les acquéreurs de bonne

123 Ibid. 124 Ibid. 125 Ibid. 126 Peyrot, in RSDA 2009, p. 372. 127 Peyrot, in RSDA 2009, p. 372 s. V. Mention du rapport de trust et ses effets 157 foi mais également les créanciers de bonne foi dans l’exécution forcée, in- troduisant le concept d’“octroi de crédit de bonne foi”128. Cela a été concré- tisé dans la formulation “tiers de bonne foi”, qui est un concept plus large que celui d’“acquéreur de bonne foi” de l’article 933 CC, si l’on procède à une interprétation littérale. Cela étant, cet argument est ébranlé par la lecture de la note marginale de l’article 973 CC relatif à l’acquisition im- mobilière de bonne foi, visant les “tiers de bonne foi” mais n’incluant pas dans cette formulation les créanciers de bonne foi. En filigrane du Message, on distingue la préoccupation parfaitement justifiée du législateur de protéger les créanciers suisses ayant affaire à des trustees. L’idée sous-jacente nous paraît être celle de vouloir éviter des abus résultant du trust. Tel serait le cas par exemple pour un failli qui an- noncerait l’appartenance à un trust en réalité inexistant d’un immeuble dont il est propriétaire, afin de le soustraire à l’exécution forcée. Ainsi, l’on constate dans la position du Message une certaine méfiance vis-à-vis de l’institution du trust. Par ailleurs, la protection des créanciers de bonne foi s’inscrit dans ligne actuelle de la responsabilité fondée sur la confiance. Le Message cherche à créer une “responsabilité” du patrimoine du trust dans l’hypothèse où le trustee omet de procéder à la mention, créant une confiance du public en sa propriété. Ainsi, des considérations politiques et un souci de protection du public parfaitement justifiés sous-tendent à notre avis le concept de la protection de l’octroi de crédit de bonne foi. Néanmoins, malgré cette volonté claire du législateur, laquelle a été suivie par la doctrine dominante mais rejetée par A. Peyrot, il nous pa- raît nécessaire de questionner le bien-fondé du postulat de la protection des créanciers de bonne foi ainsi que la question fondamentale de savoir si cette volonté a réellement été transposée dans le droit positif suisse. La notion de protection de l’octroi de crédit de bonne foi nous paraît être un concept inexistant en droit suisse. En effet, le droit suisse ne protège pas la confiance qu’un créancier place dans la composition ou l’étendue du patrimoine de son débiteur 129. Lorsqu’un créancier accorde du crédit à un débiteur, celui-là ne peut en aucune manière se fier au fait que son débi- teur n’aliènera pas dans le futur ses biens ou qu’il ne les dissipera pas. Le seul moyen pour s’en prémunir est précisément d’exiger des sûretés pour garantir son crédit. De plus, traditionnellement, la protection de la bonne

128 MCF, FF 2006, § 2.2, ad art. 149d, p. 607. 129 Peyrot, in RSDA 2009, p. 371. 158 Delphine Pannatier Kessler foi intervient dans une relation contractuelle entre deux cocontractants portant sur un bien particulier faisant l’objet du contrat, palliant le défaut de pouvoir de disposition ou de représentation de l’un quant à ce bien pour protéger l’autre. Dans le concept de la protection de l’octroi de crédit de bonne foi, le bien sur lequel porte la bonne foi n’est pas l’objet du contrat entre les parties. Preuve en est que si ce bien était objet du contrat, des sûretés réelles sur ce bien auraient vraisemblablement été créées. Ainsi, le Message tente d’étendre le concept de la protection de la bonne foi hors de son champ d’application traditionnel, créant une bonne foi toute géné- rale, sans qu’elle ne porte sur l’objet du contrat, ce qui nous paraît être un concept inexistant en droit suisse. Par ailleurs, de manière générale, relevons que le Registre foncier n’a pas pour but de protéger les créanciers ; il sert à la publicité foncière et à la sécurité des transactions immobilière. Dès lors, la mention de l’article 149d LDIP ne peut pas sans base légale suffisamment claire attribuer une fonc- tion nouvelle au Registre foncier qui serait de protéger les créanciers se fiant au contenu des livres fonciers pour apprécier la surface financière de leur futur débiteur. Par conséquent, le concept de protection de l’octroi de crédit de bonne foi est étranger à notre droit. Vu le caractère inconnu du principe auquel le Message du Conseil fé- déral fait référence, seule une base légale claire aurait été en mesure de l’ancrer dans notre droit. La formulation choisie à l’article 149d al. 3 LDIP de “tiers de bonne foi” correspond à celle utilisée par exemple à la note marginale de l’article 973 CC, ne visant que les acquéreurs de bonne foi de droits réels, ainsi qu’à la notion des articles 174 al. 3 CC, 375 al. 3 CC ou encore 34 al. 3 CO lesquels protègent les tiers de bonne foi en cas de défaut de pouvoir de représentation ou d’incapacité de contracter. La notion de “tiers de bonne foi” recouvre ainsi des réalités différentes, palliant tantôt le défaut de pouvoir de représentation, tantôt celui de disposer, tantôt en- core celui de contracter, mais portant toujours sur l’objet du contrat. De plus, l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention parle également de “tiers” en visant les acquéreurs et détenteurs de biens du trust sans que cela n’inclue à notre sens la notion de créanciers de bonne foi. Il ne nous paraît dès lors pas raisonnablement possible d’interpréter le sens de l’article 149d al. 3 LDIP comme incluant les créanciers de bonne foi. Si tel était le cas, il aurait fallu le dire expressément dans la lettre de l’article 149d al. 3 LDIP. Il aurait également été nécessaire de prévoir la mise en œuvre concrète de cette protection de la bonne foi des créanciers dans la LP, au risque de créer une V. Mention du rapport de trust et ses effets 159 insécurité du droit importante. Ainsi, le législateur avait certes l’intention d’inclure les tiers de bonne foi dans la protection prévue par l’article 149d al. 3 LDIP comme en témoigne le Message mais cette intention n’a pas été à notre avis suffisamment concrétisée dans la loi formelle. Par conséquent, il y a lieu d’admettre que les tiers de bonne foi visés par l’article 149d al. 3 LDIP sont uniquement les traditionnels acquéreurs de bonne foi. De plus, le postulat de la protection des créanciers de bonne foi est en porte-à-faux avec le principe de la ségrégation des patrimoines devant être reconnu selon l’article 11 al. 2 et al. 3 lit. a et b de la Convention. En effet, si l’on admettait ce postulat, les conséquences attachées à l’absence de mention seraient très lourdes ; elles iraient jusqu’à modifier le substrat de responsabilité patrimoniale, rendant par conséquent floue la frontière entre le patrimoine du trustee et celui séparé du trust. Une telle consé- quence ne serait possible sans contrevenir au droit supérieur que s’il s’agis- sait d’une règle impérative selon l’article 15 de la Convention. Or, nous venons de voir que ce principe est étranger au droit suisse et n’a pas de base légale suffisante. Dès lors, le postulat de la protection des créanciers de bonne foi, reposant uniquement par interprétation historique sur l’in- tention du législateur, ne peut être considéré comme une règle impéra- tive de notre ordre juridique. Par conséquent, l’interprétation proposée par le Message de l’article 149d al. 3 LDIP viole le droit supérieur et ne saurait être suivie. Enfin, comme plusieurs auteurs l’ont déjà démontré 130, le postulat de la protection des créanciers de bonne foi engendre des difficultés pratiques très importantes, ceci en particulier en cas de procédure collective d’exé- cution forcée. Si par hypothèse on a une pluralité de créanciers mais que seuls certains sont de bonne foi, leur bonne foi n’ayant de plus pas forcé- ment porté selon les cas sur le même objet de la masse en faillite, comment prendre en compte tous ces paramètres tout en assurant l’égalité de trai- tement entre les créanciers ? La tâche paraît plus qu’ardue. Des règles à ce sujet auraient été nécessaires. Une autre interrogation en relation avec le principe d’égalité de trai- tement entre les créanciers se pose : les créanciers du failli sur une autre base, par exemple pour acte illicite, sont-ils également protégés dans leur bonne foi ? Il pourrait être argumenté que le demandeur dans une action pour acte illicite ne s’est engagé dans la procédure que parce qu’il savait le

130 Voir ci-dessus au point V.E.2, page 154, et V.E.3, page 156. 160 Delphine Pannatier Kessler responsable de l’acte illicite solvable, par exemple parce qu’il connaissait la liste des immeubles dont le défendeur est inscrit comme propriétaire au Registre foncier sans la mention du lien de trust. Ce créancier pourrait être tenté d’invoquer sa bonne foi si son débiteur, dans le cadre de l’exécution forcée, objecte que les biens en question appartiennent au patrimoine d’un trust. Cependant, la protection de la bonne foi de ce créancier ne semble pas entrer dans la volonté du législateur de protéger l’octroi de crédit de bonne foi. Mais on ne voit pas de raison valable de traiter différemment ces deux types de créanciers en violation du principe de l’égalité de traitement sous-tendant le système de la LP. Finalement, il nous paraît que le droit suisse est suffisamment à même d’empêcher les abus que le Message semble chercher à prévenir. En effet, les procédures de revendication des articles 106 à 109 LP et 242 LP servent à régler la question de la titularité des actifs soumis à l’exécution forcée. Une tentative abusive d’un failli d’invoquer la prétendue appartenance d’un bien à un trust pour le soustraire à l’exécution devrait être démasquée. De plus, le transfert d’un bien à un trust effectué avec des intentions abusives pourra être appréhendé par une action paulienne des articles 286 à 288 LP. Par conséquent, la protection des créanciers de bonne foi nous paraît superflue. En résumé, nous sommes d’avis que l’article 149d al. 3 LDIP ne protège que les acquéreurs de bonne foi et non pas les créanciers de bonne foi, la lettre de la loi n’étant pas suffisamment claire pour admettre la création d’un postulat inexistant du droit suisse et de surcroît contraire à la recon- naissance des trusts prévue par la Convention de La Haye.

5. Proposition de solution concrète

En partant du principe qu’il n’y a pas lieu de protéger les créanciers de bonne foi en cas d’absence de mention du lien de trust, il nous paraît inté- ressant de développer brièvement les conséquences pratiques que cette po- sition engendre en exécution forcée. Par simplification, nous traiterons ci- après de la mention de l’article 149d LDIP ou de son absence sur le feuillet d’un immeuble au Registre foncier. Les mêmes principes sont applicables aux aéronefs, bateaux et droits de propriété intellectuelle. V. Mention du rapport de trust et ses effets 161

5.1 En cas de mention

Si la mention de l’article 149d LDIP figure sur l’immeuble dont le trustee failli à titre personnel apparaît comme propriétaire, cet immeuble est dis- trait d’office de la masse en faillite en application de l’article 284b LP 131. En cas de saisie ou séquestre, l’immeuble ne peut faire l’objet d’une saisie 132. Dans l’hypothèse de la faillite du trust selon l’article 284a LP, l’existence de la mention a pour effet de faire tomber automatiquement l’immeuble men- tionné dans la masse en faillite du trust. Ainsi, la mention entraîne le pri- vilège procédural de la distraction d’office, de l’empêchement de la saisie et de l’appartenance automatique à la masse en faillite du trust. La mention selon l’article 149d LDIP correspond à la “détention” de l’article 45 OAOF ou à la “possession” de l’immeuble à laquelle font référence les articles 107, 108 et 242 al. 3 LP. Néanmoins, la mention du lien de trust n’exclut à notre sens pas une action en revendication. Le demandeur pourrait contester que le bien en question fait partie du patrimoine du trust et faire constater que la men- tion n’est pas fondée. Cela vaut dans la faillite (art. 242 LP) ; cela vaut aussi par la voie d’une plainte contre la décision de l’office refusant de saisir un bien portant la mention du lien de trust. L’existence de la mention force les créanciers personnels du trustee à prendre le rôle de demandeur à l’ac- tion en revendication, respectivement à la plainte contre le refus de saisir, puisque la mention crée une situation réelle à leur détriment 133. De manière similaire en matière de comptes en banque, il nous pa- raît que si le trustee détient un compte à son nom et qu’il a rempli une formule T 134 indiquant sa qualité de trustee, l’existence de la formule T remplace la possession ou la copossession en faveur du patrimoine du trust, facilitant par exemple la revendication des bénéficiaires selon l’ar- ticle 108 LP.

131 MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284b LP, p. 611 ; Peyrot, in RSDA 2009, p. 372 ; Gutz- willer, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284b, n. 284b-13. 132 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 284b, n. 284b-6 et n. 284b-21 ss. 133 Russenberger, in BSK SchKG III, ad art. 242 LP, n. 32. 134 Il s’agit du pendant pour les trustees de la formule A exigée par les banques afin de connaître l’identité de l’ayant-droit économique d’un compte bancaire en matière de lutte contre le blanchiment d’argent en application de l’article 2 § 15 et de l’article 4 § 43 ss de la Convention de diligence des banques de 2008. 162 Delphine Pannatier Kessler

5.2 En l’absence de mention

Que se passe-t-il en cas d’absence de mention ? L’immeuble visé dans la poursuite appartient au patrimoine d’un trust sans que cela n’apparaisse au Registre foncier vu le défaut de mention. Il nous paraît qu’il faut distin- guer d’une part les cas où la poursuite vise le trustee à titre personnel, la poursuite pouvant se continuer par voie de faillite ou de saisie, et d’autre part ceux où le trust est en faillite.

5.2.1 Poursuite contre le trustee

a) Faillite du trustee Si le trustee à titre personnel est en faillite, le principe de l’article 284b LP prévoit que les biens du trust doivent être distraits de sa masse en faillite. Dès lors, le trustee doit annoncer à l’administration de la faillite le fait qu’un immeuble dépourvu de mention fait en réalité partie du patrimoine d’un trust selon l’article 232 al. 2 ch. 2 LP par analogie. S’il omet de le faire, les co-trustees ou les bénéficiaires du trust peuvent faire cette an- nonce selon l’article 232 al. 2 ch. 2 LP et l’article 45 OAOF 135. Par son omis- sion, le trustee risque également d’engager sa responsabilité pour violation de ses obligations fiduciaires. Les co-trustees ou les bénéficiaires devront fournir à l’office leurs moyens de preuve attestant de l’existence du trust et de l’appartenance de l’immeuble en question au patrimoine du trust. L’administration de la faillite devra rendre une décision selon l’article 45 OAOF 136. Si elle entend admettre la revendication et donc l’appartenance de l’immeuble au patrimoine du trust entraînant la distraction, elle devra suspendre sa décision jusqu’à la deuxième assemblée des créanciers, sous réserve d’un cas d’application de l’article 51 OAOF, lequel dans l’hypothèse d’un trust nous paraît rarement pouvoir être admis sauf en cas de four- niture d’une caution suffisante par le tiers 137. La deuxième assemblée des créanciers aura la compétence d’admettre la revendication, de la contester ou de proposer à certains créanciers la cession des droits de la masse selon l’article 260 LP pour défendre au procès en revendication selon l’article 47

135 Ordonnance sur l’administration des offices de faillite, RS 281.32. 136 Russenberger, in BSK SchKG III, ad art. 242 LP, n. 35. 137 Russenberger, in BSK SchKG III, ad art. 242 LP, n. 36 et 40. V. Mention du rapport de trust et ses effets 163

OAOF 138. Dans le premier cas, la distraction aura lieu, dans les autres cas, la situation est identique à celle prévalant lorsque l’administration conteste la revendication, qui sera présentée ci-après. Si en revanche l’administration considère que la revendication ne pa- raît pas fondée, elle peut rendre une décision dans ce sens sans attendre la deuxième assemblée des créanciers 139. Les co-trustees et/ou les béné- ficiaires devront alors revendiquer les actifs du trust contre la masse en distraction dans le délai de 20 jours qui leur sera fixé selon l’article 242 al. 2 LP, sous peine de voir leur droit de revendiquer se périmer 140. Dans le cadre de ce procès, les bénéficiaires devront prouver que le trust existe et que le bien fait partie du patrimoine du trust 141. Ils devront exiger la restitution du bien au patrimoine du trust, c’est-à-dire au nouveau trustee ou aux autres co-trustees et non pas directement aux bénéficiaires. S’ils succombent, le bien reste dans la masse en faillite et est réalisé en faveur des créanciers personnels du trustee, avec priorité éventuelle en faveur des créanciers cessionnaires des droits de la masse selon l’article 260 LP qui auraient agi en tant que défendeurs à l’action en revendication. La question de la bonne foi des créanciers personnels du trustee n’a à notre avis pas sa place dans ce procès.

b) Saisie du bien du trustee En cas de saisie dans une poursuite engagée contre le trustee à titre per- sonnel d’un immeuble appartenant au patrimoine d’un trust sans que cela ne soit mentionné au Registre foncier, la procédure se déroule selon l’article 107 LP. Le débiteur saisi, en l’espèce le trustee, devrait désigner le bien comme appartenant au patrimoine d’un trust selon l’article 95 al. 3 LP afin de respecter ses obligations de trustee. L’office mentionnera ce fait sur le procès-verbal de saisie. S’il omet de le faire, les co-trustees et les bénéficiaires peuvent également l’alléguer selon l’article 106 al. 1 et 2 LP. La procédure d’opposition préalable devant l’office de l’article 107 LP sera ­applicable car l’absence de mention de l’article 149d LDIP sur l’immeuble

138 Jeandin / Fischer, in CR LP, ad art. 242 LP, n. 13 ; Bürgi, in Kurzkommentar SchKG, ad art. 242 LP, n. 10 ; Russenberger, in BSK SchKG III, ad art. 242 LP, n. 36. 139 Jeandin / Fischer, in CR LP, ad art. 242 LP, n. 12 ; Bürgi, in Kurzkommentar SchKG, ad art. 242 LP, n. 12 ; Russenberger, in BSK SchKG III, ad art. 242 LP, n. 35. 140 Voir art. 46 OAOF ; MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284b LP, p. 611 ; Peyrot, in RSDA 2009, p. 368. 141 Peyrot, in RSDA 2009, p. 373. 164 Delphine Pannatier Kessler a pour effet que la prétention des tiers ne résulte pas du Registre foncier au sens de l’article 107 al. 1 ch. 3 LP. Il est à prévoir que le créancier saisis- sant s’opposera à la revendication. Une éventuelle action en justice des co-­ trustees ou des bénéficiaires en constatation de leur droit s’en suivra selon l’article 107 al. 5 LP. Le thème de la preuve de cette procédure sera l’exis- tence du trust et l’appartenance du bien saisi au patrimoine de ce dernier ; la question de la bonne foi du créancier n’y aura à notre avis pas sa place. En cas de succès de la revendication, l’immeuble est soustrait à la saisie ; dans le cas contraire, il sert à satisfaire le créancier saisissant.

5.2.2 Faillite du trust

En cas de faillite du trust selon l’article 284a LP, le trustee et ses co-trustees doivent indiquer à l’administration de la faillite les biens faisant partie du patrimoine du trust selon l’article 222 al. 1 LP. Il nous paraît opportun de permettre également aux bénéficiaires de faire cette annonce car ils ont un intérêt à ce que tous les biens en trust fassent partie de la masse, cela en particulier dans le cas où la liquidation laisserait un excédent 142. Pour les immeubles faisant partie du patrimoine du trust mais n’ayant pas fait l’objet d’une mention selon l’article 149d LDIP, et donc apparaissant au Registre foncier comme appartenant au trustee à titre privé, il nous pa- raît que l’attitude du trustee propriétaire de l’immeuble sera décisive. Si ce dernier admet l’appartenance de l’immeuble au patrimoine du trust, il y a lieu de considérer que l’administration de la faillite aura la maîtrise 143 sur l’immeuble. L’office n’aura donc pas à intenter l’action en revendication de la masse (Admassierung) selon l’article 242 al. 3 LP. Cela étant, une reven- dication de tiers sur cet immeuble en distraction demeure en théorie pos- sible, par hypothèse si un tiers prétend en être propriétaire sans inscrip- tion. Cependant, à notre avis, les créanciers du trustee à titre personnel ne pourront pas invoquer leur bonne foi sur la base de l’absence de mention selon l’article 149d LDIP pour obtenir la distraction de l’immeuble.

142 Le sort de l’excédent après réalisation du patrimoine d’un trust dépend du droit ap- plicable au trust. Il est probable qu’un nouveau trust soit créé avec le solde après faillite. En principe, le solde ne devrait pas être attribué directement aux bénéficiaires du trust, à moins que le type de trust dans le cas d’espèce et le droit applicable le permette. 143 Ou la “possession” comme le prévoit l’article 242 al. 3 LP. V. Mention du rapport de trust et ses effets 165

Si en revanche le trustee propriétaire de l’immeuble conteste l’apparte- nance de l’immeuble au patrimoine du trust annoncée par les co-trustees ou les bénéficiaires, il nous paraît qu’il y aura lieu de considérer dans ce cas que le trustee aura gardé l’immeuble en sa maîtrise exclusive sur la base de l’inscription au Registre foncier 144. Il va sans dire qu’une telle attitude du trustee, si elle est contraire à la vérité, constituera une violation de ses obligations fiduciaires breach( of trust), pouvant engager la responsabilité du trustee selon le droit du trust. Dès lors, la masse en faillite aura la faculté d’introduire contre lui une action en revendication (Admassierung) selon l’article 242 al. 3 LP 145. Elle pourra également céder ce droit à des créan- ciers selon l’article 260 LP 146. Dans l’hypothèse où la masse renonce à intenter l’action en revendica- tion contre le trustee, il nous paraît que les co-trustees ou les bénéficiaires du trust devraient être en mesure d’obtenir la cession du droit de la masse selon l’article 260 LP. Or, il n’est pas certain que les co-trustees et les bé- néficiaires soient créanciers de la masse en faillite du trust. Les co-trustees peuvent avoir une créance découlant de leur “right of indemnity” (voir sous V.E.1.1, page 149) à l’encontre de la masse en faillite mais tel n’est pas for- cément le cas, cela en fonction des circonstances et du droit applicable. De leur côté, les bénéficiaires peuvent avoir une créance contre la masse en faillite mais cela dépend à notre avis du type de trust concerné. En cas de fixed interest trust, il nous paraît que les bénéficiaires devraient pouvoir produire leur créance découlant de leur droit fixé par l’acte de trust. En revanche, s’il s’agit d’un trust discrétionnaire, les bénéficiaires n’auront pas de droit à recevoir des distributions et par conséquent ils n’auront en principe pas de créance à produire, sauf si par hypothèse le trust est déclaré en faillite après qu’une décision de distribution a été prise mais avant son exécution effective. Ces questions d’exécution forcée dépassant largement le cadre de la présente étude, nous n’entrerons pas plus avant mais admet- trons qu’il n’est pas certain que les co-trustees ou les bénéficiaires aient la position de créancier du trust, leur ouvrant le droit de se faire céder par la masse le droit d’intenter le procès en revendication. Néanmoins,

144 Jeandin / Fischer, in CR LP, ad art. 242 LP, n. 25. 145 Bürgi, in Kurzkommentar SchKG, ad art. 242 LP, n. 15 ; Russenberger, in BSK SchKG III, ad art. 242 LP, n. 44. 146 Jeandin / Fischer, in CR LP, ad art. 242 LP, n. 26 ; Russenberger, in BSK SchKG III, ad art. 242 LP, n. 44. 166 Delphine Pannatier Kessler nous sommes d’avis que les co-trustees doivent pouvoir se faire céder ce droit selon l’article 260 LP par analogie car leur obligation fiduciaire de trustee selon le droit du trust est de protéger le patrimoine du trust, même en faillite. Il doit en être de même des bénéficiaires car ils ont un intérêt à ce que la masse en faillite ne soit pas indûment diminuée de ses actifs puisqu’en définitive, s’il reste un excédent après clôture de la faillite, le solde devrait leur revenir indirectement. En conclusion, en évacuant le postulat de la protection des créanciers de bonne foi, l’on parvient à une solution claire, tenant compte des intérêts de toutes les parties, qui peuvent faire valoir leur droit dans les procédures bien établies de revendication de la LP. L’égalité de traitement entre les créanciers est garantie. Le principe de ségrégation des patrimoines égale- ment. Cette interprétation permet une application simple et prévisible du droit, dans le respect de la Convention.

6. Ebauche de solution en cas de protection des créanciers de bonne foi

Nous avons pris position contre la protection des créanciers de bonne foi. Dans la suite de notre raisonnement, il nous paraît intéressant de procéder à quelques réflexions sur les conséquences pratiques que le postulat de la protection des créanciers de bonne foi aurait s’il devait être admis dans notre ordre juridique. Nous nous contenterons de proposer une ébauche de solution tentant de tenir compte du principe d’égalité des créanciers. Nos développements permettront d’illustrer les difficultés pratiques de la mise en œuvre du postulat, confirmant les critiques de la doctrine à son encontre ainsi que notre position développée plus haut.

6.1 En cas de mention

En cas de mention selon l’article 149d LDIP, la situation est identique à ce qui vient d’être présenté ci-dessus, la protection des créanciers de bonne foi n’intervenant qu’en l’absence de mention. V. Mention du rapport de trust et ses effets 167

6.2 En l’absence de mention

En cas d’absence de mention, il faut examiner tout d’abord le cas de la poursuite visant le trustee à titre personnel, puis celui de la faillite du trust selon l’article 284a LP.

6.2.1 Poursuite contre le trustee

a) Faillite du trustee Si le trustee est déclaré en faillite, le principe prévu par l’article 284b LP est celui de distraire de la masse en faillite du trustee le patrimoine du trust. En l’absence de mention, le trustee lui-même, à défaut les co-trustees ou les bénéficiaires doivent annoncer l’appartenance des actifs au patrimoine d’un trust pour en obtenir la distraction. En cas de contestation par l’ad- ministration de la faillite, les co-trustees et/ou les bénéficiaires du trust de- vront ouvrir action en revendication selon l’article 242 al. 2 LP pour faire sortir les biens du trust de la masse en faillite du trustee 147. C’est à ce stade que se pose la question de la bonne foi des créanciers personnels du trustee. Si l’on admet l’interprétation de l’article 149d al. 3 LDIP préconisée par le Message du Conseil fédéral comme incluant les créanciers de bonne foi, ces derniers pourront invoquer leur bonne foi pour refuser la distraction des biens du trust. Cela étant, si certains créan- ciers invoquent leur bonne foi mais que tel n’est pas le cas de tous, il y aura des divergences d’intérêts au sein de la masse des créanciers. Dans ce cas, R. Gassmann propose de simplifier la situation en admettant que la bonne foi d’un seul créanciers profite à tous 148. Cette approche ne nous paraît néanmoins pas adéquate car elle privilégierait des créanciers de mauvaise foi au détriment des bénéficiaires du trust 149. Dès lors, le procès en reven- dication portant sur la question de la bonne foi ne nous paraît pas devoir se dérouler entre les co-trustees ou les bénéficiaires revendiquant et la masse, mais uniquement avec les créanciers personnels du trustee invoquant leur bonne foi.

147 MCF, FF 2006, § 2.3 ad art. 284b LP, p. 611 ; Peyrot, in RSDA 2009, p. 368. 148 Gassmann, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 149d LDIP, n. 9 ; critique : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 87. 149 Dans le même sens : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 87. 168 Delphine Pannatier Kessler i) Décision de l’assemblée des créanciers. En pratique, lorsque l’adminis- tration de la faillite est confrontée à des prétentions de co-trustees ou de bénéficiaires demandant la distraction de biens qui auraient pu faire l’ob- jet d’une mention mais ne l’ont pas été, il lui appartient tout d’abord de se faire une idée du bien-fondé de la revendication. En matière de trust, vu la complexité engendrée par une éventuelle protection de l’octroi de crédit de bonne foi, nous sommes d’avis que l’administration ne devrait en principe pas refuser elle-même la prétention sur la base de l’article 242 al. 1 LP, sauf si par hypothèse l’appartenance de l’immeuble au patrimoine du trust apparaît comme clairement mal fondée. L’administration devrait attendre la deuxième assemblée des créanciers et soumettre aux créanciers la revendication en distraction. A ce moment, certains créanciers pourront faire valoir leur octroi de crédit de bonne foi selon l’article 149d LDIP sur la base de l’immeuble visé par la revendication. A ce moment, la deuxième assemblée des créanciers doit faire un choix, soit elle décide de contester la distraction dans son principe, c’est-à-dire sur la question de l’apparte- nance du bien au patrimoine d’un trust, soit elle admet la prétention. Pour des raisons pratiques et pour garantir l’égalité entre les créanciers, l’ar- gument du crédit de bonne foi ne doit à notre avis intervenir que dans le cas où l’assemblée des créanciers admet la prétention en distraction sur le principe et qu’un ou plusieurs créanciers se font céder les droits de la masse selon l’article 260 LP. Par conséquent, les créanciers invoquant leur octroi de crédit de bonne foi, mais ne contestant pas forcément le bien-fondé de l’appartenance de l’immeuble au trust, devront stratégiquement voter en faveur de l’admission de la prétention et simultanément demander la ces- sion des droits selon l’article 47 OAOF. ii) Contestation de la distraction par l’assemblée des créanciers. Si l’assem- blée des créanciers décide de contester la prétention en distraction dans son principe, la masse défendra à ses frais à l’action en revendication. Le thème du procès concernera la question de l’appartenance au patrimoine d’un trust ; l’argument de la bonne foi de certains n’aura pas sa place dans ce procès. En cas de victoire de la masse, l’immeuble ne sera pas distrait et servira à désintéresser tous les créanciers, ce qui permettra de respecter l’égalité entre les créanciers. En cas de perte du procès par la masse et donc d’admission de la dis- traction, se pose la question de savoir s’il faut permettre aux créanciers invoquant leur bonne foi d’intenter un second procès à ce stade, lequel V. Mention du rapport de trust et ses effets 169 serait limité à la question de la protection de l’octroi de crédit de bonne foi 150. Cette possibilité serait envisageable, à condition qu’elle ne retarde pas de manière excessive la liquidation de la faillite. Une solution consis- terait à effectuer la distraction et à continuer la liquidation de la faillite. Si en fin de compte certains créanciers invoquant leur bonne foi ne sont pas entièrement désintéressés et reçoivent des actes de défaut de biens dé- finitifs selon l’article 265 LP, il leur serait alors loisible d’intenter contre le trustee du trust ayant obtenu la distraction une action en dommages-­ intérêts à hauteur du découvert constaté dans l’acte de défaut de biens mais au maximum à hauteur de la valeur de l’immeuble ayant été distrait et sur lequel la bonne foi du demandeur aurait porté. Si des demandes paral- lèles de plusieurs créanciers de bonne foi sont faites, elles devraient être cumulées ou jointes ; leur valeur cumulée totale ne devrait pas dépasser la valeur de l’immeuble distrait. L’égalité de traitement entre les créanciers serait respectée puisque seuls ceux de bonne foi profiteraient de la valeur de l’immeuble. iii) Cession du droit de défendre à l’action en revendication. En revanche, si l’assemblée des créanciers décide de ne pas contester la revendication et cède les droits à un ou plusieurs créanciers selon l’article 260 LP, ceux-ci défendront au procès en revendication à leurs frais et à leurs profits. Ils pourront alors introduire déjà à ce stade l’argument de leur octroi de crédit de bonne foi sur la base de l’absence de mention selon l’article 149d LDIP, de même que des arguments au fond sur le défaut d’appartenance de l’im- meuble au patrimoine du trust. L’objet de la preuve dans ce procès sera tout d’abord l’existence du trust et l’appartenance du bien au patrimoine du trust, dont le fardeau de la preuve appartiendra aux revendiquants. Ensuite, chacun des créanciers cessionnaires de la masse devra prouver qu’il a de bonne foi accordé un crédit au trustee débiteur sur la base de l’immeuble ou du bien en ques- tion. Ils n’auront pas à prouver leur bonne foi, celle-ci étant présumée selon l’article 3 al. 1 CC mais devront prouver avoir eu connaissance effective de l’extrait du registre concerné et le rapport de causalité entre leur connais- sance de la qualité de propriétaire du débiteur sur l’immeuble en ques- tion et l’octroi du crédit. La bonne foi s’apprécie au moment de l’octroi du crédit.

150 La question du fardeau de la preuve d’un tel procès est présentée plus en détail au point suivant. 170 Delphine Pannatier Kessler

Si les créanciers cessionnaires succombent, l’immeuble est distrait et restitué au patrimoine du trust. Si les créanciers cessionnaires sont vic- torieux dans leur défense, l’immeuble ne sera pas distrait et servira en priorité à les satisfaire selon l’article 260 al. 2 LP. La question de savoir à qui devra être versé l’excédent éventuel du produit de réalisation de l’im- meuble dépend à notre avis du résultat du procès en revendication : si l’ap- partenance de l’immeuble au patrimoine d’un trust est admise mais que l’octroi du crédit de bonne foi l’est également, l’excédent devra être versé au patrimoine du trust ; si l’appartenance au patrimoine d’un trust n’est pas admise, que l’octroi du crédit de bonne foi soit admis ou non, l’excédent devra revenir à la masse en faillite. La priorité des créanciers cessionnaires sera justifiée par le fait qu’ils ont pris le risque du procès. La bonne foi de certains cessionnaires ne profitera qu’à ces derniers, ce qui ne devrait pas entraîner de détriment trop important pour les bénéficiaires du trust. Relevons néanmoins que dans l’hypothèse où plusieurs créanciers se font céder les droits de la masse et que certains invoquent l’octroi de crédit de bonne foi alors que d’autres invoquent uniquement le défaut d’apparte- nance de l’immeuble au patrimoine d’un trust, il sera important que le juge, en cas de refus, précise à quel titre il refuse la distraction, cela afin de garantir l’égalité entre les cessionnaires selon qu’ils ont ou non invoqué leur octroi de crédit de bonne foi. En conclusion, la solution ébauchée nous paraît garantir les droits de tous les intéressés. b) Saisie du bien du trustee Dans l’hypothèse où un immeuble appartenant au patrimoine d’un trust fait l’objet d’une saisie pour une dette personnelle du trustee, ce dernier doit en informer l’office. Il appartient aux co-trustee ou aux bénéficiaires de revendiquer le bien selon l’article 107 al. 1 ch. 3 LP. Si le créancier saisis- sant s’y oppose, le procès aura lieu entre ce dernier et les revendiquants. Le thème de la preuve sera d’une part le bien-fondé de la revendication, basé sur l’article 11 al. 3 lit. a de la Convention et l’article 284b LP par analogie, portant sur la question de l’existence du trust et de l’appartenance du bien saisi au patrimoine du trust et d’autre part la question de l’octroi de crédit de bonne foi sur la base du bien saisi comme expliqué au point précédent. Si les revendiquants n’arrivent pas à prouver le bien-fondé de leur reven- dication ou si le créancier saisissant parvient à prouver la relation causale entre l’octroi du crédit de bonne foi et l’immeuble saisi, la revendication échoue. En cas d’excédent après répartition du produit de réalisation de V. Mention du rapport de trust et ses effets 171 l’objet saisi, celui-ci peut être restitué au patrimoine du trust si le bien- fondé de la revendication avait été admis mais que la revendication avait échoué face à la bonne foi du créancier saisissant. Si la revendication des bénéficiaires du trust ou des co-trustees est admise, elle fait échec à la sai- sie, laquelle doit être annulée. Relevons néanmoins que s’il y a plusieurs créanciers dans une même série de saisie selon l’article 110 LP et que plusieurs d’entre eux s’opposent à la revendication sans que tous ne soient en mesure d’invoquer leur bonne foi au sens de l’article 149d LDIP, des problèmes similaires à ceux évoqués au point précédent en relation avec l’égalité de traitement entre les créan- ciers se posent. Dans ce cas, il nous paraîtrait utile que le juge indique clairement à quel titre la revendication est rejetée, à savoir sur le fond ou à cause de la protection de la bonne foi, voire les deux. Dans le premier cas, le produit de la saisie doit profiter à tous les créanciers de la série s’étant opposés alors que dans le deuxième cas elle ne doit profiter qu’à ceux pou- vant se prévaloir de leur bonne foi, l’excédent devant revenir au patrimoine du trust.

6.2.2 Faillite du trust

En cas de faillite du trust selon l’article 284a LP, la faillite est limitée au patrimoine du trust, incluant également les immeubles qui n’ont pas fait l’objet d’une mention. Il appartient au trustee ou à défaut aux co-trustees ou aux bénéficiaires d’annoncer l’appartenance d’un immeuble non men- tionné à la masse en faillite. Si le trustee admet l’appartenance à la masse en faillite du trust d’un immeuble inscrit à son nom personnel, il y a lieu d’admettre que la masse en faillite détient l’immeuble en sa puissance (voir ci-dessus au point V.E.5.2.2, page 164). Un créancier personnel du trustee peut tenter d’en demander la distraction, hypothèse que nous traiterons ci- après sous a). Si le trustee conteste l’appartenance de l’immeuble à la masse en faillite du trust, il appartient aux co-trustees ou aux bénéficiaires de revendiquer l’immeuble pour le faire entrer dans la masse ; nous traiterons le cas en second lieu sous b).

a) Distraction par un créancier de bonne foi Prenons la première hypothèse : le trustee reconnaît que le bien inscrit à son nom fait partie du patrimoine du trust, de sorte qu’il tombe dans la 172 Delphine Pannatier Kessler masse en faillite du trust selon l’article 284a al. 3 LP. Si un créancier du trustee à titre personnel vient prétendre avoir accordé un crédit au ­trustee de bonne foi sur la base de l’immeuble inscrit au nom du trustee sans la mention du lien de trust, le créancier pourra revendiquer l’immeuble contre la masse pour le distraire, en invoquant son droit préférable selon l’article 242 LP. Ce droit préférable ne sera certes pas un droit de propriété mais il se fondera sur le postulat de la protection du crédit de bonne foi de l’article 149d LDIP, si l’on admet le fondement juridique de ce postulat. Il appartiendra à la deuxième assemblée des créanciers de se pronon- cer sur la revendication selon l’article 47 OAOF. Si par hypothèse elle la conteste, ce qui devrait être le cas en général, elle impartira un délai au créancier pour faire valoir sa revendication contre la masse en faillite du trust selon l’article 242 al. 2 LP. L’objet de la preuve dudit procès sera exclusivement la question de l’octroi causal de crédit de bonne foi sur la base de l’immeuble revendiqué. Il est renvoyé à nos développements du point V.E.6.2.1a)iii), page 169, pour la question du fardeau de la preuve. En cas de succès de la revendication ou si l’assemblée des créanciers admet la revendication selon l’article 47 al. 1 OAOF, l’immeuble ne sera pas distrait car le créancier revendiquant n’a pas de droit de propriété sur cet immeuble mais uniquement une garantie sur la valeur de cet immeuble ré- sultant de la protection de sa bonne foi selon l’article 149d al. 3 LDIP. Ainsi, l’immeuble demeurera, à notre avis, dans la masse en faillite du trust mais, au moment de sa réalisation, le montant de la créance du créancier de bonne foi devra être retenu sur le produit de réalisation, comme s’il s’agis- sait d’un gage (art. 219 al. 1 LP par analogie). Si à ce moment la créance n’est pas encore exigible, le produit demeurera bloqué sur le compte de l’office jusqu’à l’exigibilité de la créance. Le solde du produit de réalisation revien- dra à la masse et sera réparti entre les créanciers du trust.

b) Revendication (Admassierung) Passons à la deuxième hypothèse qui est celle où le trustee n’admet pas l’appartenance à la masse en faillite du trust d’un immeuble inscrit à son nom sans la mention du lien de trust. L’inscription au Registre foncier étant déterminante, l’office n’a pas la maîtrise sur cet objet. Dès lors, il ap- partient à la masse en faillite voire aux co-trustees et aux bénéficiaires du trust d’intenter l’action en revendication de l’article 242 al. 3 LP contre le trustee. La question de la bonne foi du trustee dans cette constellation ne se pose pas car il ne peut avoir ignoré l’appartenance de l’immeuble au V. Mention du rapport de trust et ses effets 173 patrimoine du trust. Il est renvoyé pour le surplus à nos développements au point V.E.5.2.2, page 164.

7. Conclusion

A notre avis, la protection des créanciers de bonne foi ne résulte pas de l’ab- sence de mention selon l’article 149d al. 3 LDIP. En effet, cette disposition ne vise que la protection des acquéreurs de bonne foi, selon la conception traditionnelle du droit suisse. Admettre cette prémisse permet de respecter le principe de la ségrégation des patrimoines dans le cadre de l’exécution forcée suisse et d’aboutir à des solutions claires. Quand bien même le pos- tulat de la protection des créanciers de bonne foi devrait être admis, ce qui ne correspond pas à notre conception, nous avons vu que la situation s’en trouverait fort compliquée. Dans cette hypothèse, nous avons esquissé des solutions tendant à garantir l’égalité de traitement entre les créanciers et la protection des droits des bénéficiaires du trust. Néanmoins, ces solutions ont le désavantage d’augmenter la complexité, déjà fort importante en la matière, de sorte qu’elles devraient s’avérer difficiles à mettre en œuvre. Cela nous conforte dans notre position consistant à rejeter le postulat de la protection des créanciers de bonne foi non seulement pour des raisons dogmatiques mais également pour des raisons pratiques. Il appartiendra à la jurisprudence de trancher ces questions nouvelles.

F. Comparaison de la mention du lien de trust avec d’autres institutions du droit suisse

L’ordre juridique suisse connaît d’autres écritures au Registre foncier qui présentent des similarités avec la mention du lien de trust. Le présent chapitre a pour but de décrire certaines de ces écritures pour les com- parer à la mention du lien de trust afin d’appréhender les effets de ladite mention. 174 Delphine Pannatier Kessler

1. Mention d’exécuteur testamentaire

1.1 Principe

L’existence d’un exécuteur testamentaire au sens des articles 517 ss CC peut faire l’objet d’une mention, laquelle n’est pas prévue par la loi en l’état actuel du droit mais est admise couramment en doctrine 151. La révision partielle du Code Civil prévoit le comblement de cette lacune par le futur article 962a ch. 2 CC qui énonce expressément que l’existence d’un exécuteur testamen- taire pourra être mentionnée au Registre foncier sur requête de l’exécuteur testamentaire lui-même, d’un héritier ou de l’autorité compétente 152. Cette mention trouve sa justification dans le fait que la désignation d’un exécuteur testamentaire crée une restriction au pouvoir de disposer des héritiers153 ; en effet, c’est l’exécuteur testamentaire qui est chargé d’administrer la succes- sion, de délivrer les legs selon l’article 518 CC et de préparer le partage. Sur le plan interne vis-à-vis des héritiers, l’exécuteur testamentaire “est tenu d’administrer correctement, de ne pas disposer des biens successoraux et de ne pas contracter d’obligations au-delà de ce qui est nécessaire pour accomplir sa mission”154. Il a donc le pouvoir de vendre des biens de la suc- cession si cela est nécessaire pour payer les dettes de cette dernière et peut également, mais avec une marge de manœuvre plus restreinte, vendre des biens dans le cadre de la préparation du partage 155. En cas d’administration incorrecte, il engage sa responsabilité vis-à-vis des héritiers. Cependant, à titre externe, les pouvoirs de l’exécuteur testamentaire sont ­illimités156, sauf pour les actes de disposition à titre gratuit qui sont en principe interdits 157. Le corollaire du pouvoir de disposition de l’exécuteur testamentaire est la restriction du pouvoir de disposer des héritiers propriétaires en main

151 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 834a, p. 291. 152 Message du Conseil fédéral concernant la modification du Code Civil (droits réels immobiliers et droit du Registre foncier) approuvé le 27 juin 2007, paru à la FF 2007, p. 5015 ss et modification législative du 11 décembre 2009, parue à la FF 2009, p. 7943. 153 Zobl, BK ZGB, ad art. 884 CC, n. 802. 154 Piotet, TDPS IV, p. 147. 155 Schuler-Buche, L’exécuteur testamentaire, p. 72. 156 Van de Sandt, L’acte de disposition, § 652, p. 223 et § 655, p. 225 ; pour une restric- tion des pouvoirs selon la pratique récente en matière immobilière : Fasel, Komm. GBV, ad art. 16 ORF, n. 15. 157 Schuler-Buche, L’exécuteur testamentaire, p. 74 et notes 366 et 367 ; Deillon- Schegg, p. 71 ss, en particulier p. 73. V. Mention du rapport de trust et ses effets 175 commune 158. Or, pour les immeubles, l’exécuteur testamentaire doit re- quérir du Registre foncier la dévolution à l’hoirie, c’est-à-dire l’inscription déclarative selon l’article 656 al. 2 CC des héritiers en tant que proprié- taires en main commune. Dès lors, les héritiers inscrits apparaissent pour les tiers de bonne foi sur la base du Registre foncier comme propriétaires et donc capables de disposer de l’immeuble 159. Il est ainsi nécessaire de rendre publique la restriction du pouvoir de disposer des héritiers du fait de la désignation d’un exécuteur testamentaire 160. La doctrine, emmenée par les auteurs H. Deschenaux et P.-H. Steinauer, a notamment proposé de procéder à la mention de l’exécuteur testamen- taire au Registre foncier 161. Cette mention sert à rendre les tiers attentifs au fait qu’il y a un exécuteur testamentaire et que dès lors les héritiers sont limités dans leur pouvoir de disposer. Elle empêche les tiers d’acquérir de bonne foi directement des héritiers. La mention sert également à clarifier le pouvoir de disposer de l’exécuteur testamentaire vis-à-vis du Conserva- teur du Registre foncier. Selon H. Deschenaux, le pouvoir de l’exécuteur testamentaire doit être opposable même aux tiers de bonne foi 162 ; l’oppo- sabilité résulte de la mention. Toujours selon cet auteur, l’exécuteur tes- tamentaire ne pourrait pas faire l’objet d’une annotation déclarative car les pouvoirs de l’exécuteur ne sauraient dépendre du Registre foncier 163.

158 Van de Sandt, L’acte de disposition, § 650, p. 222 ; Necker, in RNRF 52 (1971), p. 170 s. 159 Schuler-Buche, L’exécuteur testamentaire, p. 78. 160 Necker proposait d’inscrire entre parenthèse le nom de l’exécuteur testamentaire à côté des héritiers, Necker, in RNRF 52 (1971), p. 170. 161 Pour un exposé des autres propositions doctrinales voir Schuler-Buche, L’exécuteur testamentaire, p. 78 s. 162 Deschenaux, TDPS II/2, p. 344 et notes. 163 La position de cet auteur par rapport à l’exécuteur testamentaire nous paraît en contradiction avec la théorie de l’effet informatif des mentions qu’il soutient. En effet, si la mention n’est qu’informative selon lui, c’est justement parce que le lien sous-jacent est de toute façon opposable à tous. Dès lors, le but de la mention ne peut pas consister à rendre opposable aux tiers de bonne foi l’existence de l’exécuteur testamentaire. De plus, si le but de cette mention est de rendre opposable aux tiers le rapport d’exé- cution testamentaire, il nous paraît contradictoire par rapport à la théorie développée par cet auteur de dire qu’une annotation déclarative ne serait pas idoine. En effet, dans la théorie de H. Deschenaux, le but d’une annotation déclarative est précisé- ment de rendre opposable aux tiers de bonne foi un rapport juridique. Dès lors, il ne nous paraît pas cohérent dans le cadre de la théorie de l’effet informatif des mentions de préconiser la mention de l’exécuteur testamentaire dans le but de rendre opposable aux tiers de bonne foi ce rapport juridique. 176 Delphine Pannatier Kessler

Enfin, la mention d’un exécuteur testamentaire ne fait pas foi de ses pouvoirs 164. Malgré l’intérêt d’une telle mention, il semble que la pratique n’en ait que peu fait usage, probablement par méconnaissance de la part des exé- cuteurs testamentaires qui ne la requièrent pas. La pratique des Conser- vateurs du Registre foncier peut néanmoins diverger selon les offices dans la mesure où chaque Conservateur influence la pratique dans son arrondissement 165. Cela étant, dans la mesure où le Registre foncier exige toujours la pro- duction du certificat d’héritiers pour transférer des biens immobiliers ayant appartenu à un défunt, des héritiers ne seraient pas légitimés à alié- ner un bien dans l’hypothèse où un exécuteur testamentaire a été désigné. En effet, le certificat d’héritiers mentionnerait son existence et le Registre foncier refuserait dès lors de donner suite à la réquisition. Cependant, il est malheureusement relativement fréquent que des erreurs se glissent dans les certificats d’héritiers, en particulier dans les cantons où ils sont établis par des non-professionnels du droit 166. Dans le cas où l’exécuteur testa- mentaire ne figurerait pas sur le certificat, la mention de l’exécuteur testa- mentaire permettrait de suppléer à cette carence et de limiter la capacité de disposition des héritiers. En résumé, la mention de l’exécuteur testamentaire a pour but de rendre opposable les pouvoirs de l’exécuteur et par conséquent la restric- tion du pouvoir des héritiers, ceci afin d’éviter une acquisition de bonne foi par un acte de disposition “illicite” des héritiers.

1.2 Parallèle avec la mention du lien de trust

La mention du lien de trust et la mention de l’exécuteur testamentaire pré- sentent des similitudes. Toutes deux informent le public de la limitation du pouvoir de disposition du propriétaire inscrit 167 ; le trustee dans le premier

164 Deschenaux, TDPS II/2, p. 585. 165 Dans le canton du Valais par exemple, il semble qu’il n’y ait qu’un seul cas de mention d’un exécuteur testamentaire. 166 C’est le cas en Valais où le Juge de Commune ne disposant pas toujours d’une forma- tion juridique délivre les certificats d’héritiers. 167 Contra : Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust, Office fédéral de la Justice, 28 juin 2007, p. 3. V. Mention du rapport de trust et ses effets 177 cas, les héritiers en main commune après dévolution à l’hoirie dans le se- cond cas. En revanche, la différence entre ces deux mentions réside dans leur portée ; la mention d’exécuteur testamentaire empêche tout acte de disposition par les héritiers tant que la succession n’a pas été partagée alors que la mention d’un lien de trust n’empêche pas de disposer au niveau de l’examen par le Registre foncier 168 mais reflète des potentielles limites au pouvoir de disposition et oblige donc les tiers et le notaire à analyser le pouvoir de disposer du trustee (voir sous V.D.2.3, pages 141 ss). Le parallèle avec la mention d’exécuteur testamentaire confirme notre position consistant à soutenir que le trustee est (potentiellement) limité dans son pouvoir de disposition et que la prise de position des Lignes di- rectrices du 28 juin 2007 a plus pour but de faciliter le travail du Registre foncier et de limiter sa responsabilité que d’analyser d’un point de vue dog- matique la nature de la mention du lien de trust. En définitive, les deux mentions ont le même but : empêcher que des tiers ne se fient au contenu du Registre foncier présentant le trustee ou les héritiers comme propriétaires et qu’ils n’acquièrent des droits de bonne foi sur des immeubles en violation de la restriction du pouvoir de disposition, respectivement en violation des pouvoirs conférés par l’acte de trust. Ces mentions empêchent ainsi que des tiers soient protégés par l’article 973 CC dans leur acquisition de bonne foi.

2. Annotation d’une clause de retour en matière de donation d’immeubles

2.1 Principe

Lorsqu’une personne fait donation d’un meuble ou d’un immeuble, elle peut se ménager un droit de retour en cas de prédécès du donataire. Pour les immeubles ou les droits réels immobiliers, l’article 247 al. 2 CO prévoit qu’il est possible d’annoter le droit de retour sur le feuillet du Registre fon- cier. Cette annotation a pour but d’avertir les tiers de la situation particu- lière de l’immeuble. La doctrine est partagée pour qualifier la nature du droit de retour que se réserve le donateur. Selon une partie de la doctrine, la propriété

168 Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust, Office fédéral de la Justice, 28 juin 2007, p. 3. 178 Delphine Pannatier Kessler du donataire est affectée d’une condition résolutoire, la condition étant le prédécès du donataire. Selon l’autre partie de la doctrine, le prédécès du donataire crée une créance en restitution de l’immeuble. La nature de l’an- notation du droit de retour varie selon la théorie adoptée. Ces deux théo- ries seront présentées ci-après.

2.2 Théorie de la propriété sous condition résolutoire

D’après un courant doctrinal 169, la clause de retour affecte la donation elle- même d’une condition résolutoire. En effet, le donataire est propriétaire de l’objet de la donation mais, si la condition se réalise parce que le donataire vient à décéder avant le donateur, l’appartenance de l’objet à la masse suc- cessorale du donataire cesse et le donateur redevient propriétaire. C’est à l’avènement de la condition que la propriété repasse ipso jure au ­donateur 170, lequel peut alors faire valoir l’action en revendication contre les héritiers du donataire 171. Dès lors, l’accord sur le droit de retour constitue en soi une limitation du pouvoir de disposition avec effet réel. Formellement, une ré- quisition signée par les héritiers du donataire décédé devra être déposée au Registre foncier 172. Une réquisition unilatérale du donateur devrait suffire si l’acte de donation comporte la clause expresse conférant les pouvoirs au donateur de requérir la réinscription à son nom en cas de décès, laquelle inscription serait dans ce cas de nature déclarative. Mais qu’en est-il si le donataire dispose de son vivant à son tour de l’immeuble affecté du droit de retour ? Selon l’article 152 al. 3 CO, “Tout acte de disposition accompli avant l’avènement de la condition est nul en tant qu’il compromet les effets de celle-ci”. Bien que l’article 152 al. 3 CO se réfère dans la systématique du Code aux conditions suspensives, une partie de la doctrine admet son application analogique aux conditions

169 Deschenaux, TDPS II/2, p. 539 ; Deschenaux, in Ius et Lex, p, 734 ; Guhl / Koller / Schnyder / Druey, Das schweizerische Obligationenrecht, § 26-29, p. 401 ; Vogt, in BSK OR I, ad art. 247 CO, n. 1 ss et ad art. 245 CO, n. 4 ; plus nuancés : Baddeley, Commentaire romand CO I, ad art. 247 CO, n. 2, 5 et 6 ; Tercier / Favre, Les contrats spéciaux, §28, n. 1893 ss, p. 279 ; voir les autres références citées par Eitel, in RNRF 73 (1992), p.138, note 10. 170 Eitel, in RNRF 73 (1992), p. 139 ; Eitel, in RSJB 134 (1998) 260. 171 Vogt, in BSK OR I, ad art. 247 CO, n. 3. 172 Ostertag, BK ZGB, ad art. 959 CC, n. 42. V. Mention du rapport de trust et ses effets 179

­résolutoires 173 et aux droits réels 174. Dès lors, selon cette théorie, les actes de disposition du donataire deviennent caducs à l’avènement de la condition s’ils entravent le droit renaissant du donateur. Se pose la question de savoir si c’est le pouvoir de disposition du donataire qui est affecté ou si c’est l’acte de disposition en tant que tel qui est nul. Dans le premier cas, la bonne foi du tiers peut guérir le défaut de pouvoir de disposition par le biais de l’article 973 CC. Dans le second cas, la causa est nulle et donc le transfert n’est pas valable. Il semble que la doctrine penche pour la première solu- tion, à l’instar de H. Deschenaux qui affirme que la restriction du pou- voir de disposer du donataire résulte de la stipulation de la clause du droit de retour 175. Quoi qu’il en soit, la loi a prévu l’annotation au Registre foncier du droit de retour : elle révèle l’existence du droit de retour, consolide la condi- tion résolutoire 176 et protège par là le droit de propriété du donateur afin d’exclure une acquisition par un tiers de bonne foi 177. Il s’agit d’une anno- tation déclarative 178.

2.3 Théorie de l’obligation personnelle de restitution

Pour l’autre courant doctrinal, lors du décès du donataire naît une pré- tention obligationnelle en restitution de l’objet contre les héritiers du ­donataire 179. L’auteur P. Piotet est un partisan de cette théorie ; il justifie le fait que la clause de retour ne peut pas avoir d’effet réel du fait qu’un effet réel dérogerait au principe de la tradition et au principe de l’inscription au Registre foncier 180. Ainsi, selon cette théorie, la réalisation de la condition crée une créance obligationnelle en restitution181.

173 Merz, Obligationenrecht, Allgem. Teil, SPR VI/1, p. 163. 174 Eitel, in RSJB 134 (1998), p. 248-250. 175 Deschenaux, TDPS II/2, p. 539. 176 Deschenaux, TDPS II/2, p. 297, note 52. 177 Eitel, in RNRF 73 (1992), p. 137-139 et les notes 5 à 15. 178 Deschenaux, TDPS II/2, p. 539 et p. 554 ; Eitel, in RSJB 134 (1998) p. 260 ; Simonuis / Sutter, Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 24 s., p. 90. 179 Eitel, in RNRF 73 (1992), p. 137 s. et note 5 ; Eitel, in RSJB 134 (1998) p. 261, Schmid, in BSK ZGB II, ad art. 959 CC, n. 40 ; Deillon-Schegg, p. 242. 180 Piotet, La réalisation d’une condition peut-elle avoir un “effet réel” ? Théorie du trans- fert de propriété, in Contributions choisies, p. 752 s. 181 Piotet, La réalisation d’une condition peut-elle avoir un “effet réel” ? Théorie du trans- fert de propriété, in Contributions choisies, p. 753 et note 30. 180 Delphine Pannatier Kessler

L’annotation du droit de retour au Registre foncier a été prévue afin de garantir l’exécution en nature du droit purement personnel. Celle-ci renforce le droit personnel par une restriction du pouvoir de disposition qui devient opposable à tous les acquéreurs ultérieurs de l’immeuble 182. L’annotation au sens de l’article 247 al. 2 CO serait dès lors constitutive 183. P. Eitel se rallie à cette conception en se basant sur l’interprétation histo- rique de l’article 247 al. 2 CO 184.

2.4 Parallèle avec la mention du lien de trust

Dans la comparaison de l’annotation du droit de retour lors d’une donation avec la mention du rapport de trust sur un bien immobilier, la position du bénéficiaire du trust est assimilable à celle du donateur qui s’est réservé le droit de retour. En effet, le bénéficiaire a un droit réel, lebeneficial interest, sur l’immeuble en trust. De plus, si l’acte de trust le prévoit, le bénéficiaire peut éventuellement avoir une prétention future à l’obtention en propriété de l’immeuble. Cependant, le trustee a dans l’intervalle le legal title ainsi que le pouvoir d’administrer et de disposer des biens. Il peut donc mettre en péril le droit des bénéficiaires sur l’immeuble. De son côté, le donateur qui dispose de son bien tout en se réservant le droit de retour en cas de pré- décès du donataire a une prétention réelle conditionnelle ou une créance en restitution, selon la théorie appliquée, qui peut être mise en péril par une aliénation faite par le donataire. Le bénéficiaire du trust et le donateur sont donc exposés au même risque. Il nous paraît ainsi que la mention du lien de trust et l’annotation du droit de retour ont le même but de protéger le droit des bénéficiaires du trust ou du donateur contre une aliénation de l’immeuble à un acquéreur de bonne foi. Un autre parallèle entre ces écritures concerne la coexistence des rap- ports de propriété : dans la donation affectée d’une clause de retour, le droit de propriété du donataire sous condition résolutoire et le droit de propriété du donateur sous condition suspensive se superposent ; dans le trust, le beneficial interest de nature réelle coexiste avec le droit réel du trustee sur les biens en trust. Ainsi, le droit suisse possède déjà une certaine fa-

182 Eitel, in RNRF 73 (1992), p. 138. 183 Eitel, in RNRF 73 (1992), p. 138 et 149. 184 Eitel, in RNRF 73 (1992), p. 149 ; Eitel, in RSJB 134 (1998), p. 260 s. V. Mention du rapport de trust et ses effets 181 miliarité avec le concept de la coexistence de droits de propriété sur un même objet.

3. Annotation de la substitution fidéicommissaire

3.1 Principe

La substitution fidéicommissaire, régie par les articles 488 ss CC, est l’obli- gation faite par un de cujus à un héritier ou à un légataire grevé de rendre un bien à un tiers, qualifié d’appelé, au moment de l’ouverture de la subs- titution. Ce moment est celui de la mort du grevé, à moins que le de cujus n’ait prévu un autre terme (art. 489 al. 1 CC). L’obligation de rendre l’im- meuble est garantie par des sûretés, lesquelles peuvent consister en l’anno- tation au Registre foncier de la charge de restitution selon l’article 490 al. 2 CC. Cette possibilité est confirmée par l’article 960 al. 1 ch. 3 CC, lequel prévoit qu’il est possible d’annoter une restriction au droit d’aliéner en cas de substitution fidéicommissaire grevant un bien immobilier. Vu l’obligation de restitution de l’héritier grevé en faveur de l’héritier appelé au moment de l’ouverture de la substitution, l’héritier grevé doit être en mesure de rendre le bien. Le grevé pourrait ne plus être en mesure de rendre un immeuble dans l’hypothèse où des tiers de bonne foi acquer- raient entre-temps l’immeuble grevé de substitution fidéicommissaire et seraient protégés dans leur acquisition. Dès lors, pour éviter ce risque, le législateur a prévu une annotation dont la fonction est d’empêcher une acquisition de bonne foi par des tiers 185. En effet, de par l’annotation de la restriction du droit d’aliéner découlant de la substitution fidéicommis- saire, les tiers ne peuvent pas prétendre ignorer que l’immeuble est grevé de substitution. Dès lors, ils ne sont pas protégés dans leur acquisition, n’étant pas de bonne foi.

3.2 Théorie de la propriété sous condition résolutoire

La doctrine analyse l’annotation de deux manières différentes, comme pour le droit de retour en matière de donation (V.F.2, page 177) : ­l’annotation est

185 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 24, p. 237. 182 Delphine Pannatier Kessler soit constitutive si elle double la créance en restitution d’une restriction d’aliéner, soit déclarative si elle assure à l’encontre des tiers de bonne foi la restitution à l’appelé d’un immeuble de la succession dont la propriété est frappée d’une condition résolutoire 186. Nous développerons cette dernière théorie en relation avec les trusts. Selon la doctrine majoritaire, le droit réel de l’héritier grevé est soumis à une condition résolutoire 187 que l’annotation rend opposable aux tiers de bonne foi 188 ; l’héritier appelé a également un droit réel conditionnel de par la loi sur l’objet de la succession189. La qualité d’héritier du grevé est soumise à condition résolutoire qui est l’ouverture de la substitution ; la qualité d’héritier de l’appelé est subordonnée au même événement, mais à titre de condition suspensive 190. Aussi longtemps qu’il est propriétaire, l’héritier grevé a le droit d’alié- ner ou de grever les immeubles objets de la substitution fidéicommissaire. Ces actes sont toutefois nuls par application analogique de l’article 152 al. 3 CO à l’avènement de la condition résolutoire pour le grevé et sus- pensive pour l’appelé, sous réserve de la protection de la bonne foi de tiers ­acquéreurs 191. Le but de l’annotation est précisément d’empêcher cette bonne foi 192.

3.3 Parallèle avec la mention du lien de trust

Le premier parallèle est celui de la similitude de la position du bénéficiaire du trust avec celle de l’héritier appelé. En effet, le bénéficiaire du trust a des droits réels sur l’immeuble, ne bénéficie pas du pouvoir de disposer et

186 Deschenaux, TDPS II/2, p. 283, note 11. 187 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 14, p. 107. 188 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 784 et note 25, p. 277 ; Deschenaux, TDPS II/2, p. 548 ss. 189 Tuor, BK ZGB,Vor Art. 488-493 CC, n. 5 et 12, p. 236 ; Escher, in ZK ZGB, Vor Art. 488-493 CC, n. 3 et 3a, ad art. 491 CC, n. 3, ad art. 492 CC, n. 5-7 ; Eitel, in RSJB 134 (1998), p. 262 ; Deillon-Schegg, p. 155 s. ; contra : Piotet, Les actes de disposition de l’héritier ou du légataire grevés d’une substitution fidéicommissaire, in Contributions choisies, p. 127, 130 et 132. 190 Eitel, in RSJB 134 (1998), p. 262 ; contra : Schmid, in BSK ZGB II, ad art. 960 CC, n. 24 ss. 191 Zobl, BK ZGB, ad art. 884 CC, n. 801. 192 Deschenaux, TDPS II/2, p. 549 et p. 554. V. Mention du rapport de trust et ses effets 183 d’administrer et a une expectative, voire une prétention si l’acte de trust le prévoit, que la propriété de l’immeuble lui soit transférée à un certain moment. De son côté, l’héritier appelé a un droit réel soumis à condition suspensive 193 sur la propriété qui doit lui être transférée à l’ouverture de la substitution mais il ne bénéficie pas du pouvoir de disposer et d’adminis- trer le bien avant l’ouverture de la substitution. Il en résulte que le bénéfi- ciaire du trust et l’héritier appelé sont menacés par les actes de disposition du trustee respectivement de l’héritier grevé. En effet, si ces derniers alié- naient l’immeuble à des tiers de bonne foi, ces derniers seraient protégés dans leur acquisition. Dès lors, le bénéficiaire du trust et l’héritier appelé perdraient leur droit sur le bien immobilier lui-même ; ils n’auraient alors à disposition qu’une créance en dommages-intérêts contre le trustee 194 ou le grevé. C’est donc pour éviter le même péril que l’annotation de la subs- titution fidéicommissaire et la mention du lien de trust ont été conçues. Le second parallèle que l’on peut relever entre l’institution de la subs- titution fidéicommissaire et celle du trust est celui de la superposition de droits de propriété. En effet, dans le cas d’un immeuble en trust, le trus- tee a le legal title et le bénéficiaire a simultanément un beneficial interest sur l’immeuble, lequel est un droit réel (voir II.A.2.4, page 19 et II.A.4.3, page 28). Dans le cas de la substitution fidéicommissaire, l’héritier grevé est propriétaire sous condition résolutoire et l’héritier appelé a une expec- tative de nature réelle étant donné qu’il est héritier et par conséquent pro- priétaire sous condition suspensive 195.

4. Conclusion

Après avoir décrit la mention d’exécuteur testamentaire, l’annotation du droit de retour et l’annotation de la substitution fidéicommissaire, on constate que le droit suisse a déjà une certaine expérience dans des do- maines présentant des similarités avec la mention du lien de trust récem- ment introduite. Ces figures juridiques similaires pourraient être des sources d’inspiration dans le futur. Les quatre écritures visées répondent à

193 Escher, in ZK ZGB, ad art. 491 CC, n. 3. 194 Le bénéficiaire du trust aurait de surcroît un droit réel sur les produits de la vente du bien ou ses remplois selon les principes du tracing. 195 Eitel, in RSJB 134 (1998), p. 262. 184 Delphine Pannatier Kessler un même souci, empêcher qu’un tiers de bonne foi n’acquière un droit sur l’immeuble. Par ailleurs, dans notre comparaison avec d’autres écritures au Re- gistre foncier dont le but et les effets se rapprochent de ceux de la mention du lien de trust, nous avons identifié une autre mention mais également deux écritures appartenant à la catégorie voisine des annotations. Vu la proximité de la mention du lien de trust avec les deux annotations traitées, le choix de l’annotation nous aurait paru justifié en matière de trust. Cela confirme notre critique du choix législatif de la mention du lien de trust, choisie à notre avis à tort en lieu et place d’une annotation196. Il nous paraît également intéressant de constater que la situation dans laquelle coexistent deux droits de propriété parallèles sur le même objet n’est pas inconnue du droit suisse. A notre avis, l’analyse faite en droit suisse de la substitution fidéicommissaire ou du droit de retour en matière de donation immobilière sous l’angle de la propriété conditionnelle oblige l’ordre juridique suisse à réserver un accueil favorable à la reconnaissance du droit réel des bénéficiaires sur un bien en trust. Il nous paraîtrait inco- hérent de se réfugier notamment derrière le concept du numerus clausus des droits réels pour refuser de reconnaître le droit réel des bénéficiaires, alors que les écritures susmentionnées révèlent des situations compa- rables en droit suisse. Nous reviendrons sur cette question au point VI.B, pages 234 ss. Enfin, l’examen de la mention d’exécuteur testamentaire confirme notre position sur la restriction du pouvoir de disposition du trustee. En effet, les deux mentions révèlent une restriction au pouvoir de disposer du propriétaire du bien immobilier inscrit au Registre foncier. La portée des deux mentions est cependant différente au niveau du contrôle effectué par le Registre foncier : dans le cas de la mention de l’exécuteur testamentaire, le Registre foncier ne donnera pas suite à une réquisition des héritiers en cas de mention alors que, à teneur des Lignes directrices, le Registre fon- cier donnera suite à une réquisition du trustee sans examiner son pouvoir de disposition. Cependant, le défaut de contrôle par le Registre foncier ne signifie pas pour autant que le trustee a toute latitude dans son pouvoir de disposer. A l’instar de la mention d’exécuteur testamentaire, la mention du lien de trust révèle une possible limitation du pouvoir de disposer du trustee, que le notaire aura pour tâche de vérifier.

196 Il est renvoyé au point V.D.2.2, page 140. V. Mention du rapport de trust et ses effets 185

G. Faible écho de la mention du lien de trust dans la pratique

Du fait que la mention du rapport de trust constitue une nouveauté dans l’ordre juridique suisse, il est difficile de prédire l’écho que suscitera la pos- sibilité de mettre en trust un bien immobilier sis en Suisse dans le futur. Bien que la mention du lien de trust ait suscité un vif intérêt scientifique de la doctrine, il semble que son utilisation dans la pratique soit inversement proportionnelle. Pour expliquer le faible écho rencontré par la mention du lien de trust dans la pratique, il nous paraît possible d’avancer deux raisons : premièrement le fait que les biens en trust sont souvent détenus par l’intermédiaire d’une société et deuxièmement l’obstacle que constitue la Lex Koller.

1. L’interposition d’une underlying company

Les auteurs P. M. Gutzwiller et N. P. Vogt semblent nier à l’article 149d LDIP une portée pratique, affirmant que, pour des raisons fiscales, juri- diques et pratiques, les trustees détiendront les immeubles non pas en leur nom mais par l’intermédiaire d’une underlying company 197. Par exemple, la vente d’un bien en trust détenu par l’intermédiaire d’une société peut se faire par une simple vente des actions de l’underlying company, laquelle n’est ni sujette à inscription au Registre foncier ni ne nécessite un acte no- tarié. De plus, l’interposition d’une société qui apparaît au Registre foncier comme propriétaire de l’immeuble permet de répondre à un éventuel be- soin de discrétion198. L’interposition d’une société permet également de li- miter la responsabilité du trustee (art. 58 CO et art. 679 CC) 199. N. P. Vogt reconnaît toutefois qu’il pourrait être fiscalement plus avantageux de faire détenir directement par le trustee des immeubles en Suisse (sans inter- poser une underlying company) 200. La pratique depuis la ratification de la

197 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149d LDIP, n. 149d-7 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149d LDIP, n. 4. 198 Vogt, in BSK IPR, ad art. 149d LDIP, n. 4. 199 Conférence de l’Europa-Institut, Université de Zurich, 31 mai 2007 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149d LDIP, n. 19. 200 Vogt, in BSK IPR, ad art. 149d LDIP, n. 19. 186 Delphine Pannatier Kessler

Convention de La Haye semble donner raison à ces auteurs. Il y aura lieu de suivre les développements futurs.

2. L’obstacle de la Lex Koller

A notre avis, la rareté des trusts portant sur des biens immobiliers suisses est surtout due à la Lex Koller (Loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger 201 ou LFAIE), laquelle soumet à autorisation l’acquisition d’immeubles suisses par des personnes à l’étranger. La LFAIE n’a pas été révisée lors de la ratification de la Convention de La Haye sur les trusts de sorte qu’aucun assouplissement n’a été prévu pour prendre en compte la nouvelle possibilité de mettre en trusts des biens immobiliers suisses 202. Il est néanmoins clair qu’un immeuble servant d’établissement stable, c’est-à-dire servant à l’exercice d’une activité économique, ne tombe pas sous le coup de la LFAIE 203, de sorte que le transfert à un trustee d’un tel immeuble n’est pas restreint par la loi 204. Depuis l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye sur les trusts, quelques décisions en matière de LFAIE aboutissant à des résultats contra- dictoires sur la base de critères différents ont été rendues par les autorités compétentes de quelques cantons205. Devant les difficultés d’interprétation, l’Office fédéral de la Justice a émis des Instructions aux Registres Fonciers en date du 1er juillet 2009 206 où le traitement des trusts en relation avec la LFAIE est quelque peu précisé. Ces Instructions prévoient que “l’apport d’un immeuble dans le patrimoine d’un Trust est, en principe, soumis au régime de l’autorisation prévu par la LFAIE, lorsque l’un des propriétaires fiduciaires (Trustees) ou des personnes bénéficiaires (beneficiaries) est une

201 RS 211.412.41. 202 Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust de l’Office fédé- ral de la Justice du 28 juin 2007, p. 2. 203 Instructions aux offices du Registre foncier de l’Office fédéral de la justice, du 1er juil- let 2009, § 41.1, p. 10. 204 Zen-Ruffinen, in AJP/PJA 2009, p. 1126 ; Wilson, in La planification du patrimoine, p. 134. 205 Pour un compte rendu, voir : Zen-Ruffinen, in AJP/PJA 2009, p. 1130 ss ; voir aussi l’arrêt du Tribunal fédéral 2C.409/2009 du 15 janvier 2010. 206 Instructions aux offices du Registre foncier de l’Office fédéral de la justice, du 1er juillet 2009, disponibles sur www.bj.admin.ch/bj/fr/home/themen/wirtschaft/­ grundstueckenrwerb.html. V. Mention du rapport de trust et ses effets 187 personne à l’étranger”207. Les Instructions envisagent néanmoins quelques exceptions, notamment si tant les trustees que tous les bénéficiaires, y compris les bénéficiaires potentiels, ne sont pas des personnes à l’étranger, si les bénéficiaires par hypothèse étrangers sont des descendants en ligne direct du settlor ou si le settlor lui-même est bénéficiaire 208. La première pierre d’achoppement en matière de trusts et de LFAIE se situe au niveau de la détermination de la qualité de personne à l’étran- ger au sens de l’article 5 LFAIE dans chaque cas d’espèce. Les Instructions semblent préconiser une interprétation stricte de la question et n’admettre qu’exceptionnellement que la mise en trust d’un immeuble ne soit pas sou- mise à la LFAIE 209, par exemple si toutes les personnes impliquées dans le rapport de trust ne sont pas des personnes à l’étranger 210. La doctrine propose à cet égard une analyse plus souple et globale de la question au cas par cas, en tenant compte des circonstances concrètes concernant les bénéficiaires et le settlor, le type de trust et les prérogatives des bénéfi- ciaires, afin de déterminer quel est l’acquéreur du bien immobilier au sens ­économique 211. Cette opinion nous paraît devoir être suivie car elle pro- pose une approche différenciée de la question, respectant à notre avis le principe sous-tendant la LFAIE consistant à appréhender la réalité écono- mique au-delà des formes. Néanmoins, au vu de la jurisprudence rendue à ce jour et des direc- tives, la nationalité du trustee semble demeurer déterminante. Si le trus- tee devant détenir l’immeuble en Suisse est un corporate trustee ou une private trust company, la question de la position dominante par des per- sonnes à l’étranger au sens de l’article 6 LFAIE se posera immanquable- ment. Les principes traditionnels et les critères prévus par les alinéas 2 et 3 de l’article 6 s’appliqueront. Dans un tel cas, il nous paraît de surcroît que les autorités pourront avoir à s’intéresser de manière plus approfon- die aux pouvoirs d’éventuels protectors puisque ceux-ci pourraient “pour d’autres raisons” avoir “une influence prépondérante sur l’administration

207 Instructions aux offices du Registre foncier de l’Office fédéral de la justice, du 1er juillet 2009, § 33.2, p. 9. 208 Ibid. 209 A l’exception du cas où l’immeuble sert d’établissement stable. 210 Instructions aux offices du Registre foncier de l’Office fédéral de la justice, du 1er juillet 2009, § 33.2, p. 9 ; voir aussi l’arrêt du Tribunal fédéral 2C.409/2009. 211 Zen-Ruffinen, in AJP/PJA 2009, p. 1138 s. ; Wilson, in La planification du patri- moine, p. 138-140. 188 Delphine Pannatier Kessler ou la ­gestion” selon l’article 6 al. 1 LFAIE. Lorsque le trustee est une per- sonne physique, la nationalité et les pouvoirs des protectors ne devraient en principe pas être pertinents 212. Le deuxième obstacle à la mise en trust de biens immobiliers en Suisse se situe à l’article 8 de l’Ordonnance sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (OAIE) 213, lequel exige que les logements (notam- ment les résidences principales et les résidences secondaires) soient acquis directement et en nom propre par une personne physique. Cet article 8 OAIE a conduit plusieurs autorités à refuser la mise en trust de logements, car il s’agirait d’une sorte de propriété fiduciaire prohibée par la loi 214. Se- lon M.-N. Zen Ruffinen, en l’absence d’une révision de l’article 8 OAIE, la lettre de cet article constitue un obstacle à la mise en trust d’un bien immobilier ; il ne s’agit pas d’une lacune de la loi pouvant être comblée 215. Nous nous rallions partiellement à sa position. A notre avis, il faut ad- mettre que l’article 8 OAIE constitue un obstacle à la mise en trust de loge- ments. Le législateur suisse aurait dû assouplir cette exigence pour donner effet aux trusts en droit suisse conformément aux engagements pris lors de la ratification de la Convention de La Haye mais a négligé de le faire. Néanmoins, selon nous, un assouplissement de l’exigence de détenir di- rectement et en nom propre les logements sis en Suisse n’ouvrirait pas une brèche dans le système protecteur de la LFAIE ; en effet, cela ne changerait rien au fait que seule la mise en trust d’un bien immobilier respectant la LFAIE pourrait intervenir, soumise ou non à autorisation, après un exa- men des circonstances concrètes et globales du cas d’espèce. Le but de la loi nous paraîtrait dès lors sauvegardé. Dans la mesure où les Instructions du 1er juillet 2009 traitent du cas du transfert d’un bien immobilier en trust sans mentionner la problématique de l’article 8 OAIE et semblent admettre qu’une autorisation au sens de la LFAIE est possible dans un tel cas, nous ne partageons pas l’avis de M.-N. Zen-Ruffinen selon lequel il n’y a pas de lacune de la loi. Il nous paraît que les autorités amenées à appliquer la

212 L’article 5 lit. d LFAIE ne vise que le cas où la personne non soumise à la Lex acquiert un immeuble pour le compte d’un étranger. Malgré des pouvoirs étendus du protec- tor, il nous paraît difficile de considérer que l’acquisition est faite pour le compte du protector. Par conséquent, le problème de la nationalité du protector ne nous paraît se poser que lorsque le trustee est une personne morale. 213 RS 211.412.411 214 Zen-Ruffinen, in AJP/PJA 2009, p. 1131, 1132 et 1135. 215 Zen-Ruffinen, in AJP/PJA 2009, p. 1139 s. V. Mention du rapport de trust et ses effets 189

LFAIE pourraient, dans un cas où elles considèrent que l’acquisition est soumise à autorisation, par exemple dans le cas d’une résidence secon- daire, délivrer cette autorisation pour l’acquisition d’un logement par un trustee en comblant la lacune de l’article 8 OAIE, à condition que toutes les autres conditions pour la délivrance d’une autorisation soient remplies. En résumé, en l’absence d’une jurisprudence claire, la LFAIE demeure un obstacle à la mise en trust de biens immobiliers en Suisse. Seule la pos- sibilité de transférer à un trust un établissement stable est unanimement admise. Dans tous les autres cas, un examen de l’assujettissement à la loi in concreto prenant en compte toutes les circonstances est nécessaire. Il semble que les conditions posées par les autorités pour admettre un non- assujettissement soient strictes. Dans l’hypothèse où le transfert est assu- jetti à la loi, l’article 8 OAIE exigeant l’acquisition de logements directe- ment et en nom propre par des personnes physiques constitue un obstacle supplémentaire à l’octroi d’une autorisation. Nous sommes d’avis que la jurisprudence devrait pouvoir assouplir cet obstacle. Une intervention du législateur serait néanmoins fortement souhaitable.

3. L’intérêt de la mention

Malgré le peu d’écho rencontré par la mention du lien de trust dans la pratique, la mention de l’article 149d LDIP nous paraît néanmoins utile. En effet, dans l’hypothèse où le trustee détient des immeubles par l’intermé- diaire d’une société dont il est également administrateur, les bénéficiaires n’ont aucune protection de leur prétention en restitution en nature de l’im- meuble en cas d’aliénation par le trustee en violation de ses obligations. Sans mention, leur droit in rem sur l’immeuble n’est pas opposable. L’ad- ministrateur de l’underlying company inscrit au Registre du Commerce a les pleins pouvoirs pour aliéner des biens de la société, sous réserve d’une éventuelle restriction du droit d’aliéner au Registre foncier obtenue par le biais de mesures provisionnelles. Dès lors, les bénéficiaires sont démunis en cas d’acquisition par un tiers de bonne foi. La construction consistant à détenir les biens du trust par l’intermédiaire d’une société permettrait de détourner le but protecteur de la mention du lien de trust. Nous sommes d’avis qu’un settlor désireux d’assurer la protection efficace de ses béné- ficiaires et la transmission en nature d’immeubles aurait intérêt à exiger dans l’acte de trust que le trustee apparaisse en nom propre et que le lien 190 Delphine Pannatier Kessler de trust soit mentionné au Registre foncier 216. Cela étant, tant que la pra- tique en matière de LFAIE ne sera pas clarifiée et assouplie, en particulier en ce qui concerne l’exigence de détenir des logements par des personnes physiques en nom propre et directement selon l’article 8 OAIE, la mention de l’article 149d LDIP risque de rester quasiment lettre morte malgré les avantages qu’elle procure.

H. Obligations du notaire confronté à une mention du lien de trust

Pour terminer notre tour d’horizon sur les effets de la mention du lien de trust, il nous paraît nécessaire d’analyser encore l’effet de la mention sur les obligations du notaire amené à instrumenter un acte authentique portant sur un immeuble appartenant au patrimoine d’un trust. Le notaire peut être amené à instrumenter divers actes authentiques en relation avec un trust : le transfert de l’immeuble au trustee lors de la constitution du trust, le transfert aux bénéficiaires à la dissolution du trust et divers actes de disposition sur cet immeuble pendant la durée du trust, par exemple la vente à un tiers, la donation à un tiers ou enfin le grèvement de l’immeuble d’une servitude ou d’un droit de gage. Nous nous concen- trerons sur les actes de disposition du trustee pouvant donner lieu au droit de suite. Les mêmes principes que ceux que nous dégagerons en matière d’actes de disposition sur un immeuble en faveur d’un tiers s’appliquent mutatis mutandis au transfert de l’immeuble à un bénéficiaire. Les actes de disposition peuvent être autorisés ou non par le droit applicable au trust. L’ampleur des tâches que l’on confie au notaire et aux parties en matière de vérification du pouvoir de disposition du trustee a une répercussion sur la bonne foi des acquéreurs d’un droit réel. Se pose dès lors la question de savoir si le notaire confronté à un trust a des obligations particulières de vérification. Nous présenterons dans ce chapitre les obligations qui à notre avis incombent au notaire.

1. La position de la doctrine à l’étranger

Dans les pays de droit civil ayant ratifié la Convention de La Haye, la doc- trine s’est prononcée en faveur de l’obligation pour le notaire de vérifier les V. Mention du rapport de trust et ses effets 191 pouvoirs du trustee qui effectue un acte de disposition sur un bien du trust lorsque la qualité de trustee lui est connue 217. Cette position de la doctrine découle généralement de l’article 12 de la Convention et des devoirs no- tariaux du droit national. Dans certains cas, la doctrine considère que le Conservateur du Registre foncier doit également procéder à l’examen du pouvoir du trustee. En droit hollandais, M. Koppenol-Laforce considère que si le trust a été enregistré, il appartient au notaire de vérifier les pouvoirs du trustee de procéder à l’acte 218. Pour qu’un acheteur soit de bonne foi, il lui incombe de vérifier les pouvoirs du trustee de procéder à la vente. Cela signifie que les notaires doivent examiner l’acte de trust pour résoudre cette question. De plus, la mention du lien de trust au Registre foncier hollandais impose d’autres obligations supplémentaires à l’acheteur 219. En droit italien, les notaires ont l’obligation de vérifier la capacité des parties à conclure le contrat. Dès lors, le notaire sera obligé de vérifier les pouvoirs du trustee et la validité de sa nomination dans les circons- tances impliquant un achat ou une vente d’un objet du trust 220. Le notaire peut exiger la collaboration des parties et engage sa responsabilité en cas d’omission ou de vérification inadéquate 221. Bien que la France n’ait pas ratifié la Convention de La Haye, certains auteurs français ont analysé cette question sous l’angle du droit français. Selon C. Jauffret-Spinosi, l’inscription au Registre foncier du lien de trust vise à rassurer les pays de civil law habitués à l’existence de registres faisant état de la propriété et des sûretés réelles. Selon cet auteur, le Re- gistre demandera des pièces justificatives pour toute inscription requise par le trustee, notamment sur ses pouvoirs et sa capacité 222. J.-P. Béraudo confirme la nécessité de la vérification des pouvoirs du trustee et consi- dère que le trustee doit prouver au notaire devant lequel il comparaît sa qualité de trustee et ses pouvoirs. Il propose qu’il le fasse au moyen de la

216 Dans le même sens : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 84. 217 Les avis doctrinaux en droit hollandais, italien et français seront présentés ci-après. 218 Koppenol-Laforce, Het Haagse Trustverdrag, p. 274. 219 Koppenol-Laforce, in Notarius International, vol. 3, 1998, p. 40. 220 Harris, The Hague Trusts Convention, p. 339 ; Albasinni / Gambaro, in The Inter- national Trust, § 13.6.2, p. 587 ; Piccoli, in Rivista del notariato 1984, p. 859-861 ; Bartoli, p. 783 et p. 789. 221 Bartoli, p. 783. 222 Jauffret-Spinosi, in Journal du droit international (Clunet) 1987, p. 59. 192 Delphine Pannatier Kessler

­production de l’acte de trust. Selon lui, il serait souhaitable que l’acte de trust soit joint à l’inscription au Registre ou enregistré dans un autre re- gistre public 223. Enfin, M. Revillard adhère à cette opinion et considère que le notaire doit obtenir du trustee une preuve de ses pouvoirs d’agir conformément à la loi applicable au trust 224. En résumé, on constate que l’ensemble de ces auteurs arrivent à une conclusion similaire : le notaire a l’obligation de vérifier les pouvoirs du trustee. Les auteurs envisagent comme modalités de cette vérification la prise de connaissance de l’acte de trust, la demande de collaboration du trustee ou encore la remise de l’acte de trust en tant que pièce justificative au Registre. De cette vérification dépendra la bonne foi du tiers acquéreur. Qu’en est-il en droit suisse ?

2. L’obligation de vérification du Registre foncier

En droit suisse, l’obligation de vérifier le pouvoir de disposition incombe au notaire et au Registre foncier. Selon l’article 965 CC, le Conservateur du Registre foncier doit vérifier le pouvoir de disposer du requérant 225. Cela consiste à contrôler avec un plein pouvoir de cognition si celui qui adresse une réquisition au Registre foncier a bel et bien le pouvoir de dis- poser du droit réel en question226. Dans la pratique, cet examen se fait tout d’abord par la vérification de l’identité du disposant qui doit correspondre à l’identité de l’ayant droit au Registre foncier selon l’article 15 de l’Ordon- nance sur le Registre foncier (ORF) 227. Il y a ensuite lieu de vérifier le pou- voir de disposition, examen pour lequel le Registre foncier bénéficie d’un plein pouvoir de cognition selon l’article 965 al. 2 CC 228. Le Conservateur examinera les procurations pour vérifier qu’elles sont valables, que l’acte est couvert par celles-ci et qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts empêchant

223 Béraudo, in Droit international privé, Travaux du comité français de droti internatio- nal privé, 1985-1986, p. 34 s. 224 Revillard, Droit international privé et pratique notariale, p. 332. 225 Necker, in RNRF 52 (1971), p. 173 ; Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliar­ sachenrecht, T. 1, § 25, p. 195. 226 Brückner, in RNRF 64 (1983), p. 70 s. ; Fasel, Komm. GBV, ad art 15 ORF, n. 10-13 ; Pfäffli, Der Ausweis für die Eigentumseintragung, p. 47 s. 227 Brückner, in RNRF 64 (1983), p. 71 ; Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobili- arsachenrecht, T. 1, § 25, p. 195 ; Fasel, Komm. GBV, ad art 15 ORF, n. 12-13. 228 Brückner, in RNRF 64 (1983), p. 71 ; Fasel, Komm. GBV, ad art 16 ORF, n. 6. V. Mention du rapport de trust et ses effets 193 une représentation valable. A défaut, il devra rejeter l’acte 229. Cela étant, lorsqu’un acte authentique est présenté au Registre foncier, l’obligation de vérification incombe au notaire et au Conservateur 230. Ce dernier peut se fier au fait que le notaire a procédé à l’examen du pouvoir de disposition231. L’obligation de vérification du Conservateur du Registre foncier est donc plus étroite que celle du notaire 232. Par exemple, le Conservateur du Re- gistre foncier n’a pas à examiner si un représentant dont les pouvoirs de disposition ont été constatés (par exemple un exécuteur testamentaire) agit conformément aux devoirs de sa charge 233. En matière de trust, les Lignes directrices du 28 juin 2007 de l’Office fédéral de la Justice sont claires : le Registre foncier se fie à la qualité de propriétaire du trustee inscrit et ne procède à aucun examen de son pou- voir de disposition234. Il n’exige dès lors pas non plus une copie de l’acte de trust pour la garder en tant que pièce justificative 235. Cette position est parfaitement correcte lorsqu’aucune mention du lien de trust au sens de l’article 149d LDIP ne figure au Registre foncier puisque le Conservateur n’a aucun moyen de savoir qu’il a affaire à un trustee. En revanche, lorsque la mention figure au Registre foncier, le Conservateur est informé d’une restriction possible au pouvoir de disposition du trustee. De même qu’il doit vérifier le pouvoir de disposition du fondé de procuration selon l’ar- ticle 965 CC, il nous paraît en bonne logique qu’il devrait aussi vérifier le pouvoir du trustee de disposer du bien. Néanmoins, il est vrai que cet examen serait dans la pratique long et compliqué, nécessiterait de surcroît l’engagement de collaborateurs disposant de connaissances spécifiques en droit des trusts et impliquerait la fourniture et la conservation de pièces justificatives à caractère confidentiel. Dès lors, la position des Lignes Direc- trices consistant à refuser de procéder à un quelconque examen du pouvoir de disposer du trustee nous paraît justifiée au vu des difficultés ­pratiques

229 Brückner, in RNRF 64 (1983), p. 73. 230 Brückner, in RNRF 64 (1983), p. 81 ; Fasel, Komm. GBV, ad art 16 ORF, n. 9. 231 Brückner, in RNRF 64 (1983), p. 72 ; Necker, in RNRF 52 (1971), p. 174 ; Wieland, Droits Réels, p. 549 s. 232 Brückner, Beurkundungsrecht, § 990, p. 297 et note 235, p. 297. 233 ATF 61 I 382 = JdT 1936 I 518 ; ATF 74 I 423 = JdT 1949 I 357 ; Necker, in RNRF 52 (1971), p. 173 s. 234 Lignes directrices destinées au traitement des affaires liées à un trust de l’Office fédé- ral de la Justice du 28 juin 2007, p. 3 et 4. 235 Wilson, in La planification du patrimoine, p. 132. 194 Delphine Pannatier Kessler que cela engendrerait. Cela étant, selon nous, ce refus ­d’examiner ne signi- fie pas pour autant que le trustee a le plein pouvoir de disposition, selon le droit du trust (voir V.D.2.3.2, page 143). En réalité, le Registre foncier ne procède pas à un examen du pouvoir de disposition du trustee parce qu’il délègue cette tâche difficile au notaire instrumentant l’acte et se fie à son jugement, se contentant de vérifier que le notaire a attesté avoir établi les pouvoirs du trustee. Tournons-nous maintenant vers l’examen du pouvoir de disposition du trustee par le notaire.

3. L’obligation de vérification du pouvoir de disposition par le notaire en général

Le ministère du notaire est soumis à de nombreuses obligations. Dans le contexte du trust, nous nous intéresserons à deux obligations en particu- lier : l’obligation de véracité et celle de renseigner les parties.

3.1 Obligation de véracité

Deux facettes de l’obligation de véracité seront présentées : celle obligeant le notaire à procéder à une vérification et celle lui interdisant d’instrumen- ter en cas de doute.

3.1.1 Vérification

Selon les lois cantonales sur le notariat, le notaire est lié par l’obliga- tion de véracité, laquelle exige que le notaire n’authentifie que les faits et déclarations de volontés conformes à la vérité dont il a lui-même pris ­connaissance 236. L’obligation de véracité suppose que le notaire vérifie per- sonnellement la réalité des faits et des déclarations contenus dans l’acte et qu’il les retranscrive fidèlement 237. Cette obligation découle du but de la forme authentique d’assurer la sécurité du droit 238. Selon P. Ruf, cette obligation fait partie des “rechtspolizeilichen Pflichten” servant à protéger

236 Art. 37 de la loi valaisanne sur le notariat ; art. 39 de la loi vaudoise sur le notariat ; voir également Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 177 ss, p. 77. 237 Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 178, p. 77. 238 Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 177, p. 77 et § 427, p. 203. V. Mention du rapport de trust et ses effets 195 les parties impliquées et l’Etat 239. En droit cantonal vaudois, le devoir de véracité implique que le notaire doit notamment vérifier “l’identité et la capacité des parties” et s’assurer “de la validité et de l’étendue des pouvoirs de toute personne intervenant devant lui comme mandataire ou à n’importe quel autre titre”240. En droit valaisan, le devoir de véracité nécessite que le notaire “s’assure de l’identité des parties et de leur capacité civile” et vérifie “l’identité, la capacité et les pouvoirs des représentants ou des concourants éventuels”241. Le notaire a donc une obligation générale de vérifier le pou- voir de disposer des personnes souhaitant passer un acte authentique 242. Dans certains cantons, il doit en outre indiquer dans l’acte les moyens de preuve par lesquels il s’est convaincu de la validité du pouvoir 243. Lorsque le notaire instrumente un acte auquel une personne morale de droit privé non inscrite au Registre du Commerce est partie, il ne peut pas se fonder sur une inscription au Registre du Commerce pour en déduire le pouvoir des représentants. Dès lors, il doit se faire produire l’acte constitutif de la personne morale, le procès-verbal de nomination des représentants, au besoin les statuts et doit vérifier que la décision a été prise valablement par l’organe compétent 244. Il en est de même s’il s’agit d’une société étrangère de siège dans une juridiction ne connaissant pas de registre des sociétés 245. Ces documents doivent être annexés à l’acte 246. De manière plus générale, le notaire doit sauvegarder la bonne foi du public 247. Il ne doit pas prêter la main à un acte par lequel les droits des tiers sont lésés de manière reconnaissable par le notaire, par exemple à une double vente ou à un acte violant des droits de préemption de tiers non annotés 248.

239 Ruf, Notariatsrecht, §1023, p. 272 s. 240 Art. 39 de la loi vaudoise sur le notariat. 241 Art. 37 de la loi valaisanne sur le notariat. 242 Ruf, Notariatsrecht, § 1405, p. 364 ; Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 190, p. 83. 243 Brückner, Beurkundungsrecht, § 940, p. 284 ; Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 190, p. 83. 244 Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 200, p. 87. 245 Mooser, Le droit notarial en Suisse, note 471, p. 87 ; Brückner, Beurkundungsrecht, § 1027-1028, p. 306. 246 Brückner, Beurkundungsrecht, § 1028, p. 306. 247 Dans le même sens : Ruf, Notariatsrecht, § 1023, p. 273. 248 Brückner, in RNRF 64 (1983), p. 67 ; contra : Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 172, p. 75. 196 Delphine Pannatier Kessler

3.1.2 Interdiction d’instrumenter en cas de doute

Lorsque le notaire n’est pas convaincu que l’acte soit couvert par la procu- ration, il doit suspendre l’instrumentation et ne pourra y procéder qu’une fois les doutes levés 249. De plus, “die Beurkundung ist abzulehnen, (…) wenn sich aus der Kontrolle der Vollmacht oder den gesamten Umständen der Verdacht eines rechtswidrigen Handelns ergibt”250, (le notaire doit re- fuser d’instrumenter s’il a le soupçon en ayant procédé au contrôle de la procuration ou selon l’ensemble des circonstances que l’acte est illicite). Tel est le cas si l’acte est désavantageux pour le représenté ou avantageux pour le représentant lui-même 251. Le notaire doit de plus vérifier si des autori- sations ou le consentement d’autres personnes sont nécessaires 252. Finale- ment, de manière générale, le notaire doit refuser d’instrumenter un acte si une condition de l’acte manque, s’il se rend compte que l’acte ne sera pas valable au fond, par exemple parce que le représentant ne peut pas prouver qu’il bénéficie des pouvoirs nécessaires ou encore lorsque le contrat a un contenu illicite ou contraire aux mœurs 253. Le notaire ne doit instrumenter qu’un acte valable car sinon il ne sera pas en mesure d’en obtenir la trans- cription au Registre foncier et se trouvera en une position difficile. Enfin, le notaire devrait refuser d’instrumenter un acte pour lequel il n’a pas les compétences linguistiques nécessaires 254.

3.2 Obligation de renseigner les parties

Le notaire est également tenu de renseigner les parties sur l’acte qu’elles s’apprêtent à signer, afin qu’elles puissent se déterminer en toute connais- sance de cause 255. Il le fait en principe durant la procédure préparatoire de

249 Brückner, Beurkundungsrecht, § 1048, p. 310 ; relevons toutefois que l’article 17 de l’ordonnance zurichoise sur le notariat (Notariatsverordnung, RS no 242.2) autorise le notaire à instrumenter un acte sans avoir la preuve du pouvoir de représentation mais l’oblige à faire mention de ce défaut dans l’acte. 250 Brückner, Beurkundungsrecht, § 1039, p. 308. 251 Brückner, Beurkundungsrecht, § 1040, p. 308. 252 Ruf, Notariatsrecht, § 1411, p. 366. 253 Brückner, Beurkundungsrecht, § 861, p. 264. 254 Brückner, Beurkundungsrecht, § 863, p. 266. 255 Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 211, p. 93 s. V. Mention du rapport de trust et ses effets 197 l’acte mais peut également informer les parties durant ­l’instrumentation256. L’obligation d’information porte sur tous les éléments que, selon l’appré- ciation du notaire, les parties ne connaissent pas ou dont elles n’ont pas suffisamment conscience 257 et qui présentent un intérêt certain pour les parties 258. Il s’agit à présent d’appliquer ces principes au cas dans lequel un acte authentique porte sur un bien en trust afin de délimiter les contours de l’obligation du notaire.

4. L’instrumentation d’un acte authentique portant sur un bien en trust

Lorsqu’un trustee souhaite procéder à un acte de disposition sur un bien immobilier en trust, deux cas de figure peuvent se présenter : celui où une mention du lien de trust figure au Registre foncier et celui où aucune men- tion n’est inscrite. Nous les analyserons successivement. Relevons que nous nous concentrerons dans cette étude sur les effets de la mention sans trai- ter de la question préalable des conditions auxquelles une telle mention peut être portée ou radiée au Registre foncier.

4.1 Hypothèse où la mention figure au Registre foncier

Si la mention du lien de trust figure au Registre foncier, le notaire en aura immanquablement connaissance puisqu’il doit obtenir du Registre foncier des extraits récents pour pouvoir instrumenter l’acte. Comme l’existence d’un lien de trust revêt une importance certaine pour les acquéreurs d’un droit réel et du fait que ces derniers ne connaissent pas dans la majorité des cas la portée juridique de la relation de trust, le notaire doit informer les parties du fait que l’immeuble appartient au patrimoine d’un trust et leur en expliquer les conséquences. Il le fera au plus tard au moment de l’instru- mentation mais il conviendrait toutefois qu’il le fasse déjà au moment de la procédure de préparation de l’acte.

256 Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 218, p. 96. 257 Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 219, p. 96. 258 Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 223, p. 97. 198 Delphine Pannatier Kessler

4.1.1 Obligation de vérification du pouvoir de disposer du trustee

Etant donné l’obligation générale de vérification du pouvoir de disposition et le devoir de véracité auquel il est tenu, il nous paraît que le notaire ayant eu connaissance de la mention ne peut pas adopter la même position que celle du Registre foncier consistant à ne pas examiner le pouvoir de dis- position du trustee 259. Puisqu’il doit vérifier le pouvoir d’un mandataire ou d’un représentant d’une personne morale, il nous semble qu’il doit par analogie également vérifier le pouvoir de disposer du trustee. Certes, le trustee apparaît comme propriétaire et non comme mandataire. Le notaire vérifie toutefois également le pouvoir de disposer du propriétaire étant donné qu’il contrôle que le disposant est bien propriétaire au Registre fon- cier, que l’identité du comparant est exacte et qu’il a la capacité civile. Le notaire est garant de la validité de l’acte passé. Il serait donc inco- hérent qu’il n’ait pas à contrôler les pouvoirs du trustee alors qu’il sait par la mention que le trustee pourrait être limité dans son pouvoir de dispo- ser. De plus, la lettre des lois notariales examinées est suffisamment large pour inclure l’examen des pouvoirs du trustee étant donné que ces lois exigent du notaire qu’il vérifie la validité et l’étendue des pouvoirs de toute personne intervenant devant lui non seulement comme mandataire mais aussi à n’importe quel autre titre 260 (ou en tant que concourant éventuel). Dès lors, en présence d’une mention du lien de trust, le notaire a à notre avis l’obligation de vérifier les pouvoirs du trustee.

4.1.2 Modalités de la vérification

Comment le notaire peut-il satisfaire à cette obligation de vérification ? Se- lon nous, en nous référant aux avis doctrinaux de droit hollandais, italien et français présentés précédemment, le notaire doit se faire présenter l’acte de trust et déterminer l’existence du pouvoir selon les termes de l’acte de trust 261. Cette procédure correspond à celle préconisée pour la vérification des pouvoirs du représentant d’une personne morale non inscrite au Re-

259 Dans le même sens : Thévenoz, in Journée 2006 de droit bancaire et financier, p. 65 ; Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 127 ; contra : Wolf / Jordi, in Der Trust – Einführung und Rechtslage in der Schweiz, p. 74 s. 260 Article 34 de la loi vaudoise sur le notariat. 261 Dans le même sens : Thévenoz, in Journée 2000 de droit bancaire et financier, p. 172. V. Mention du rapport de trust et ses effets 199 gistre du Commerce. Dans la plupart des cas, l’acte de trust donnera expli- citement au trustee tous les pouvoirs pour vendre, mettre en gage ou grever de servitudes le bien en trust. Si tel est le cas, le notaire pourra à notre avis se fier aux termes de l’acte de trust, lesquels ont la primauté sur les autres sources de pouvoirs et n’aura pas à exiger de documents complémentaires. Si en revanche les termes de l’acte de trust ne sont pas clairs ou ne traitent pas du pouvoir en question, le notaire doit exiger du trustee qu’il produise un avis de droit d’un cabinet réputé de la juridiction du trust concluant sans ambiguïté que dans le cas d’espèce le trustee a le pouvoir de disposer de l’immeuble 262. Une décision du tribunal compétent serait également pro- bante. En revanche, la simple production de la loi applicable ne sera à notre avis pas suffisante, vu la complexité de la question, le manque d’expérience et de familiarité du notaire avec le droit du trust et donc le risque élevé d’er- reur d’appréciation. Enfin, si l’acte de trust interdit expressément au trustee d’entreprendre l’acte visé, il nous paraît que seule une décision du tribunal compétent pourrait convaincre le notaire des pouvoirs du trustee. De plus, le notaire n’a selon nous pas à présenter l’acte de trust, l’avis de droit ou la décision du tribunal compétent au Registre foncier en même temps que la minute de l’acte et les autres pièces justificatives puisqu’en tout état de cause le Registre foncier ne contrôle pas les pouvoirs du trustee. Le notaire devra cependant garder lesdits documents dans son archive notariale à titre de preuve. La discrétion du trust nous paraît dès lors assurée.

4.1.3 Acceptation ou refus du notaire d’instrumenter l’acte

Selon les règles notariales et l’obligation de véracité en particulier, le no- taire ne pourra instrumenter l’acte que s’il est convaincu que le trustee a le pouvoir de disposer. S’il n’en est pas sûr, il doit demander au trustee des preuves complémentaires de son pouvoir, par un avis de droit ou par un jugement. S’il n’est toujours pas convaincu, il doit refuser d’instrumenter l’acte sous peine de violer l’obligation de véracité, de mettre en danger la sécurité du droit et de vider de son sens la forme authentique 263. Le fait

262 Dans le même sens : Wolf / Jordi, in Der Trust – Einführung und Rechtslage in der Schweiz, p. 77 ; Thévenoz, in Journée 2000 de droit bancaire et financier, p. 172. 263 D’un avis plus modéré, considérant que le notaire ne doit refuser d’instrumenter l’acte que si la contrariété au droit est évidente : Ruf, Notariatsrecht, § 715, p. 196. 200 Delphine Pannatier Kessler que le notaire ne doit pas instrumenter un acte s’il se rend compte que cela lèserait les droits de tiers confirme cette conclusion264. Une aliénation en violation de l’acte de trust lèserait immanquablement les intérêts des bénéficiaires. Le notaire ne peut dès lors pas y prêter son concours. De plus, à notre avis, le notaire ne peut pas et ne doit pas instrumenter un acte dans lequel il insérerait une clause selon laquelle les parties reconnaissent avoir été rendues attentives au défaut éventuel du pouvoir de disposition du trustee lorsque le notaire connaît l’absence de pouvoirs ou doute de l’existence des pouvoirs du trustee 265. Au contraire, le notaire doit attester explicitement dans l’acte avoir établi les pouvoirs du trustee, ce que le Re- gistre foncier devra vérifier. Par ailleurs, si le notaire ne dispose pas des connaissances requises en langue étrangère pour comprendre l’acte de trust, l’avis de droit ou le jugement produit, il aura le droit de refuser d’instrumenter l’acte de dispo- sition d’un bien en trust. Son refus de prêter son ministère est dans un tel cas autorisé 266.

4.1.4 Obligations complémentaires de vérification

Etant donné que le notaire a l’obligation de vérifier si des autorisations ou le consentement d’autres personnes sont nécessaires, il doit également satisfaire à cette obligation en matière de trust. Lorsqu’il prend connais- sance de l’acte de trust et constate que le consentement du protector ou des bénéficiaires est requis pour l’acte envisagé, il nous paraît que le no-

264 Brückner, in RNRF 64 (1983), p. 67 ; voir également Ruf, Notariatsrecht, § 691, p. 190. 265 Relevons néanmoins que l’article 17 de l’ordonnance zurichoise sur le notariat (Nota- riatsverordnung, RS zurichois no 242.2) autorise le notaire à instrumenter un acte en l’absence de la preuve du pouvoir de représentation avec la mention de ce défaut dans l’acte. Dans le canton de Zurich, il nous paraîtrait concevable que le notaire accepte dès lors d’instrumenter un acte par lequel le trustee aliène un bien sans prouver son pouvoir malgré la mention au Registre foncier. Au vu des Lignes directrices du 28 juin 2007, le Registre foncier donnera suite à un tel acte sans examen du pouvoir du trustee. Dans un tel cas, l’acquéreur ne pourra à notre avis pas se prévaloir de sa bonne foi pour être protégé dans son acquisition puisqu’il connaîtra le défaut éventuel de pouvoir, le notaire ayant dû en faire état par écrit dans l’acte. Cela étant, pour la sécurité du droit, il nous paraîtrait souhaitable que les notaires ne fassent pas usage de cette possibilité, ce d’autant plus que la censure du Registre foncier ne bloquera pas un tel acte passé sans pouvoir, selon les instructions des Lignes directrices du 28 juin 2007. 266 Mooser, Le droit notarial en Suisse, § 175, p. 76. V. Mention du rapport de trust et ses effets 201 taire doit exiger du trustee qu’il fournisse la preuve que ces conditions sont remplies. Il est de plus en plus fréquent que les actes de trust requièrent le concours du protector pour certains actes d’aliénation. En revanche, si l’acte de trust ne contient pas de clause explicite sur ce point, il nous paraî- trait exagéré d’exiger du notaire qu’il vérifie si le droit applicable contient une telle exigence. Afin de faciliter les transactions et de ne pas en aug- menter les coûts inutilement, il nous paraît que le notaire n’a pas à exiger systématiquement un avis de droit ou un jugement pour se convaincre que le consentement de tiers n’est pas nécessaire. En conclusion, le notaire peut se contenter de se fier à l’acte de trust pour en déduire d’éventuels consen- tements à recueillir. Si l’acte de trust indique cette condition ou si le no- taire connaît cette exigence d’une autre manière, par exemple parce que le trustee la lui a indiquée, le notaire ne peut pas instrumenter l’acte sans vé- rifier que les consentements ont été obtenus267. Si en revanche l’acte de trust n’en fait pas mention, le notaire n’a pas à approfondir la question et peut partir du principe qu’aucun consentement supplémentaire n’est nécessaire.

4.1.5 Effet sur l’acquisition de bonne foi

S’il y a une mention du lien de trust au Registre foncier, les acquéreurs sont non seulement censés la connaître vu son opposabilité selon l’article 149d al. 3 LDIP a contrario mais ils en auront également la connaissance effec- tive vu l’obligation de renseigner qui incombe au notaire. La mention a pour effet d’obliger le notaire à vérifier si le trustee a le pouvoir de procéder

267 Relevons que, selon l’article 24 al. 1bis ORF, le Registre foncier devrait également vérifier si le consentement de tiers a été donné. Cela étant, le Registre foncier ne pro- cédera pas à cette vérification, considérant selon les Lignes directrices que le trustee a le plein pouvoir de disposition. De plus, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de cessibilité du droit de superficie, le Registre foncier n’a pas à vérifier si le consentement du propriétaire a été donné même si ce consentement est nécessaire selon l’acte constitutif du droit de superficie, cet aspect étant obligationnel et n’ayant pas de visibilité au Registre foncier par le biais d’une annotation (ATF 135 III 103). Si l’on applique cette jurisprudence par analogie au cas du consentement du protector exigé par l’acte de trust, la nécessité de son consentement est un aspect purement obligationnel sans visibilité au Registre foncier. Par conséquent, le Registre foncier n’a pas à s’en préoccuper. Néanmoins, à notre avis, l’ATF 135 III 103 ne permet pas de conclure que le notaire non plus n’a pas à se préoccuper du consentement du tiers. Dès lors, selon nous, même si le Registre foncier ne vérifie pas le consentement du tiers, le notaire qui connaît cette exigence doit vérifier qu’elle a été satisfaite. 202 Delphine Pannatier Kessler

à l’acte 268. Dans la mesure où le notaire n’a à notre avis pas le droit d’ins- trumenter l’acte s’il arrive à la conclusion que le trustee ne dispose pas des pouvoirs ou s’il n’en est pas sûr, le risque d’une acquisition par un tiers de bonne foi ne devrait pas exister lorsque le lien de trust est mentionné. La mention a ainsi de facto pour effet de limiter le pouvoir de disposer du trustee si tel est le cas selon le statut du trust. Le seul cas où une acquisi- tion par un tiers de bonne foi peut se produire malgré la mention est le cas exceptionnel où le notaire s’est trompé ou a été trompé. En effet, le notaire peut se tromper dans son examen du pouvoir de disposition du trustee, par exemple en interprétant de manière inexacte les clauses d’un acte de trust. Il peut également être trompé par la production d’un avis de droit erroné constatant à tort le pouvoir du trustee. Dans ces cas limités, les acqué- reurs d’un droit réel qui se sont fiés à l’examen fait par le notaire seront de bonne foi, sauf s’ils ont d’une autre manière eu connaissance de l’absence de pouvoir du trustee. Ainsi, en cas de mention du lien de trust, un acte de disposition en violation du trust ne devrait en principe pas se produire. Ce n’est que dans l’hypothèse d’une erreur du notaire qu’un tel acte est possible, auquel cas les acquéreurs de bonne foi doivent être protégés dans leur acquisition. Les bénéficiaires devront se retourner contre le trustee en exerçant le droit de suite sur le produit de l’aliénation ou son remploi et/ou agir en responsabilité contre le trustee et éventuellement contre le notaire.

4.2 Hypothèse où la mention ne figure pas au Registre foncier

Sil n’y a pas de mention du lien de trust au Registre foncier, ni le notaire ni les tiers acquéreurs ne sont censés savoir qu’ils ont affaire à un trustee. En effet, ils peuvent se fier à l’inscription au Registre foncier ou plus précisé- ment au défaut de mention du lien de trust selon l’effet de publicité néga- tive restreinte de l’article 149d al. 3 LDIP que nous avons présenté au point V.D.2.1, page 139, auquel il est renvoyé. Ne connaissant pas la qualité de trustee du propriétaire de l’immeuble, le notaire n’a pas à vérifier son pou- voir par rapport à l’acte de trust. Il n’a pas d’obligations plus étendues que dans un cas habituel et il peut se contenter de procéder aux vérifications usuelles notamment sur l’identité du disposant, laquelle doit correspondre avec l’identité du propriétaire inscrit au Registre foncier et sur sa capacité civile. Ainsi, en cas de défaut de mention et en l’absence de connaissance

268 Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 127 ; du même avis en ce qui concerne les parties : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 86. V. Mention du rapport de trust et ses effets 203 de la qualité de trustee du disposant, le notaire ne devra procéder qu’aux vérifications usuelles comme il doit le faire dans chaque acte authentique. Les acquéreurs de bonne foi seront dès lors protégés dans leur acquisition. Il y a néanmoins lieu de traiter les cas où, malgré l’absence de mention, le notaire ou les tiers ont connaissance du lien de trust. Si le notaire sait d’une autre manière que le bien objet de l’acte authentique fait partie du patrimoine d’un trust ou pourrait en faire partie, il est à notre avis tenu de procéder aux mêmes vérifications qu’en cas de mention du lien de trust. Il nous paraîtrait incompatible avec le devoir de véracité et le but de la forme authentique que le notaire instrumente l’acte sans vérification supplémen- taire alors qu’il connaît une circonstance pouvant affecter la validité de l’acte. La situation nous semble analogue à celle où le notaire connaît des circonstances pouvant lui faire douter de la capacité civile de l’une des par- ties ; il lui appartient alors de procéder aux investigations complémentaires nécessaires. Il est renvoyé pour le surplus au point V.H.4.1, pages 197 ss. Si par ailleurs les tiers connaissent la qualité de trustee du disposant sans que le notaire n’en soit informé, le notaire instrumentera l’acte sans examen particulier du pouvoir de disposer du trustee et le transfert de la propriété aura lieu. Ces tiers pourront-ils néanmoins invoquer leur bonne foi ? Cela dépend des circonstances. De manière évidente, si les tiers savent qu’ils ont affaire à un trustee et que ce dernier viole ses obligations, ils ne seront clairement pas de bonne foi. En revanche, si les tiers savent uni- quement qu’ils ont affaire à un trustee, les circonstances détermineront s’ils devaient ou non s’interroger plus avant sur le pouvoir de disposer du trustee et en informer le notaire. Leur bonne foi dépendra de l’article 3 al. 2 CC. Il ne nous paraît pas exclu que des tiers peu expérimentés en affaires et peu versés en science juridique puissent être de bonne foi même en ayant connu la qualité de trustee de l’aliénateur. En revanche, un tiers rompu aux affaires qui connaît la qualité de trustee du disposant, tel une banque acquérant un droit de gage, devrait à notre avis en informer le notaire pour qu’il procède à l’examen du pouvoir du trustee. S’il tait cette connaissance, il sera difficile d’admettre sa bonne foi. En définitive, les circonstances concrètes du cas d’espèce détermineront la bonne ou mauvaise foi du tiers.

5. Conclusion

S’il y a mention du lien de trust au Registre foncier, le notaire est obligé de prendre connaissance de l’acte de trust pour juger du pouvoir de ­disposer 204 Delphine Pannatier Kessler du trustee. Si l’acte de trust autorise clairement le trustee à procéder à la transaction, le notaire peut instrumenter l’acte. Si des consentements complémentaires, notamment du protector, sont nécessaires, il devra les recueillir. Sauf en cas de doute, le notaire peut se contenter d’examiner l’acte de trust. Cette solution nous paraît garantir la sécurité du droit tout en évitant d’alourdir et renchérir de manière déraisonnable les transac- tions portant sur un bien en trust. Si le notaire arrive à la conclusion que le ­trustee n’a pas le pouvoir pour faire l’acte envisagé ou n’en est pas certain, il n’a pas le droit d’instrumenter l’acte, ce qui permet également de garantir la sécurité du droit et d’éviter une acquisition de bonne foi en violation du trust, sauf dans le cas exceptionnels où le notaire a conclu par erreur au pouvoir du trustee. En l’absence de mention, le notaire ne procédera pas à un examen par- ticulier du pouvoir du trustee, ce qui a pour conséquence que les tiers de bonne foi seront facilement protégés dans leur acquisition en cas d’aliéna- tion en violation du trust 269. En conclusion, la mention du lien de trust rend l’aliénation des biens du trust en violation de ce dernier très difficile et limite drastiquement les cas d’acquisition de bonne foi. Elle protège donc de manière efficace les bénéficiaires d’un trust. En revanche, s’il n’y a pas de mention au Registre foncier, les bénéficiaires sont à la merci du trustee et risquent de perdre les biens en trust en cas d’aliénation à un tiers de bonne foi. Par ailleurs, si le postulat de la protection des créanciers de bonne foi en l’absence de men- tion devait être admis, cela aurait pour conséquence que le bien du trust pourrait être réalisé au profit des créanciers de bonne foi du trustee à titre personnel. Ainsi, nous sommes d’avis que les bénéficiaires ont tout intérêt à ce que la mention du lien de trust soit portée au Registre foncier. Dans ce but, nous pensons qu’il serait judicieux que l’acte de trust contienne une clause obligeant le trustee à procéder à la mention du lien de trust au Registre foncier. Il nous paraîtrait également nécessaire que le notaire informe le settlor et le trustee des conséquences de l’absence de mention et les conseille dans ce sens dans le cadre de son obligation de conseil lors du transfert initial de l’immeuble en trust ou de son acquisition subséquente par un trustee.

269 Du même avis : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 86. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 205

Chapitre VI droit de suite et principes de droit suisse au regard de l’article 15 de la convention

Nous avons vu que le droit de suite est régi par le droit applicable au trust et doit être reconnu en Suisse sur son principe. Cependant, l’article 15 de la Convention de La Haye pose des limites à la reconnaissance du trust s’il entre en conflit avec des dispositions impératives de la loi désignée par les règles de conflit du for. Nous admettrons dans notre analyse que le droit suisse est déclaré applicable par les règles de conflit suisses puisque nous nous plaçons dans la perspective d’un juge suisse saisi d’une action en droit de suite. En matière immobilière, vu le caractère exclusif de la compétence en cette matière, le juge suisse sera compétent et les règles de conflit suisses (art. 99 LDIP) désigneront le droit suisse lorsque l’immeuble est situé en Suisse. En matière mobilière en revanche, il se peut que le juge suisse soit compétent mais que les règles de conflit suisses (art. 99 ss LDIP) désignent un droit étranger. Dans ce dernier cas, l’examen de la compa- tibilité du droit de suite au sens de l’article 15 de la Convention devra se faire par rapport à ce droit. Un tel examen sort toutefois du cadre de notre étude. Dès lors, nous n’analyserons la compatibilité du droit de suite qu’en relation avec les règles impératives du droit suisse, tout en gardant à l’esprit que, selon les cas, un examen au regard d’autres règles étrangères pourrait s’avérer nécessaire. Dans ce chapitre, nous analyserons la compatibilité du droit de suite avec le principe de la protection des tiers de bonne foi, puis avec ceux du numerus clausus des droits réels, de la prescription acquisitive et de la réu- nion des espèces. Nous examinerons ensuite la compatibilité avec les règles impératives de l’ordre juridique suisse du droit de suite en tant qu’il porte sur des remplois ainsi que sur des revenus et produits du bien initial. 206 Delphine Pannatier Kessler

A. Le droit de suite et la protection des acquéreurs de bonne foi

La compatibilité du droit de suite avec le principe de la protection de l’ac- quéreur de bonne foi en droit suisse fera l’objet de ce chapitre, tout d’abord du point de vue des immeubles, puis des biens mobiliers et enfin en ma- tière de gages.

1. Biens immobiliers

La reconnaissance du droit de suite sur des biens du trust situés en Suisse soulève des problèmes de compatibilité avec les règles suisses en matière de protection de l’acquéreur de bonne foi, en particulier avec l’article 973 CC. Cette règle découle du principe de protection de la foi publique, lequel est une concrétisation du principe de publicité 1. La protection de l’acqué- reur de bonne foi a-t-elle un caractère impératif ? Il nous paraît qu’il faut répondre par l’affirmative. En effet, au vu du caractère absolu des droits réels, il est nécessaire que les règles de droits réels soient impératives et limitent la liberté de contracter 2. En particulier, la protection de l’acqué- reur de bonne foi est l’expression de principes sous-tendant tous nos droits réels 3. Il serait inadmissible par rapport au caractère absolu des droits réels et contraire au principe de publicité que les parties puissent convenir que la règle de l’article 973 CC ne s’applique pas ou s’applique de manière diffé- rente. Il en va de toute la stabilité et de la prévisibilité du système des droits réels. De plus, ces règles constituent un mécanisme de transfert de la pro- priété ; or, les mécanismes de transfert de la propriété sont impératifs selon la doctrine 4. Ainsi, il faut conclure que les règles en matière de protection de l’acquéreur de bonne foi sont impératives. Dès lors, il nous incombe de vérifier si la reconnaissance du droit de suite du droit anglais des trusts est

1 Schmid / Hürlimann-Kaup, Sachenrecht, § 69, p. 16 ; Meier-Hayoz, BK ZGB, Syst. Teil, n. 29, p. 25. 2 Haab / Zobl, ZK ZGB, Das Eigentum, Einleitung, n. 60, p. 32 ; Schumacher, Vertrags- gestaltung, p. 88 ; Marchand, Clauses contractuelles, p. 25 et 219. 3 Dans le même sens mais précisant que les principes du droit réel ne sont plus des dogmes liant impérativement le juge : Meier-Hayoz, BK ZGB, Syst. Teil, n. 21, p. 22. 4 Marchand, Clauses contractuelles, p. 25 et 219. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 207

compatible avec ces règles impératives selon l’article 15 de la Convention5. Nous procéderons tout d’abord à cet examen dans le cas du droit de suite exercé contre le trustee puis dans celui du droit de suite exercé contre un tiers, tout en distinguant selon que la mention du lien de trust figure ou non au Registre foncier.

1.1 Droit de suite contre le trustee

Comme nous l’avons vu plus haut (IV.F.2.1, page 113), le droit de suite exercé contre le trustee ayant confondu les biens du trust avec son patrimoine per- sonnel est entièrement régi par le droit du trust, étant donné que la réserve en faveur du droit suisse contenue à l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention ne concerne que les “droits et obligations” de tiers. Seul l’article 15 de la Convention pourrait, cas échéant, faire obstacle à la recon- naissance du droit de suite. Nous démontrerons que tel n’est toutefois pas le cas car le droit suisse et le droit des trusts conduisent au même résultat. En droit anglais des trusts, si un trustee achète pour lui-même ou ac- quiert d’une autre manière un bien faisant partie du patrimoine du trust, il commet dans la plupart des cas une violation du trust pour non-respect de l’obligation de loyauté 6, étant soumis à la “self-dealing rule”, et ceci même si la transaction est tout à fait opportune et que le prix est correct (pour plus de détails, voir II.B.2.1, page 36 et II.C.2.4.1, page 46). Même si le ­trustee était de bonne foi en son for intérieur, il ne peut pas faire valoir contre les bénéficiaires l’exception d’acquisition de bonne foi et doit rétrocéder le bien au trust. Cette obligation de restitution nous paraît parfaitement en harmonie avec la solution que préconiserait le droit suisse. Mis à part les cas excep- tionnels où le trustee est expressément autorisé à acquérir à titre person- nel des biens du trust et où, ne commettant pas de violation du trust, la question d’une acquisition de bonne foi ne se pose pas, dans tous les autres cas un trustee acquérant pour lui-même un bien du trust sera à notre avis

5 De l’avis que le trust n’est pas compatible avec le principe de publicité : Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 126. 6 Sauf si les bénéficiaires y consentent de manière pleinement informée, si l’acte de trust autorise expressément le “self-dealing” ou si le tribunal compétent l’a permis dans le cas d’espèce. 208 Delphine Pannatier Kessler toujours de mauvaise foi au sens du droit suisse selon l’article 3 CC pour les raisons décrites ci-après. La bonne foi au sens de l’article 3 CC est définie comme “l’absence du sentiment d’agir contrairement au droit malgré l’existence d’une irrégularité juridique” 7. L’article 3 al. 2 CC prévoit une déchéance d’invoquer sa bonne foi pour celui qui n’a pas fait preuve de l’attention que les circonstances permettaient d’exiger de lui 8. L’attention doit aussi porter sur la réglemen- tation juridique applicable, de sorte que “nul ne peut, en principe, invoquer sa bonne foi s’il a ignoré la loi ou commis une erreur de droit”9. En l’espèce, lors d’un achat ou d’une appropriation d’un bien du trust, le trustee de par sa position sait que le bien visé fait partie du patrimoine d’un trust – qu’il y ait ou non mention du lien de trust au Registre foncier s’il s’agit d’un bien immobilier –, il connaît le contenu de l’acte de trust et il sait ou aurait dû savoir qu’il n’avait pas le droit d’acquérir le bien lui-même puisqu’il viole ainsi son obligation de loyauté découlant du droit régissant le trust. Par conséquent, dans la majorité des cas, il nous paraît peu probable que le trustee n’ait pas le sentiment d’agir contrairement au droit en acquérant un bien du trust ou en se l’appropriant. Quand bien même le trustee serait de bonne foi dans son for intérieur lors de l’acquisition, n’ayant pas le sen- timent d’agir contrairement au droit, les devoirs qui lui incombent en tant que trustee selon le droit étranger du trust, applicable par le biais de l’ar- ticle 8 al. 1 et al. 2 lit. b et d de la Convention de La Haye, lui imposent des exigences élevées dans son office de trustee et lui interdisent tout conflit d’intérêt. Même en étant de bonne foi dans son for intérieur, le trustee ne pourrait pas invoquer sa bonne foi en droit suisse sur la base de l’article 3 al. 2 CC puisque la bonne foi serait incompatible avec l’attention qu’il au- rait dû porter à ses devoirs selon le droit du trust. Relevons au passage qu’un trustee qui accepte la charge de trustee se doit de connaître la législa- tion à laquelle est soumis le trust en question et que sa méconnaissance du droit d’un ordre juridique étranger n’est en aucune manière une excuse. Il en résulte qu’en droit suisse le trustee ne devrait jamais être protégé dans son acquisition ou appropriation d’un bien du trust, n’étant pas de bonne foi selon l’article 3 CC 10.

7 Steinauer, TDPS II/1, § 796, p. 301. 8 Steinauer, TDPS II/1, § 823 ss, p. 311 et § 847, p. 321. 9 Steinauer, TDPS II/1, § 831, p. 313. 10 Néanmoins, il convient de relever que si le trustee est en même temps bénéficiaire d’un trust et acquiert un bien de ce chef, l’on pourrait envisager selon les ­circonstances VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 209

En matière immobilière, un trustee acquérant un bien immobilier d’un trust ne pourra pas invoquer sa bonne foi et ne sera dès lors pas pro- tégé dans son acquisition par l’article 973 CC. Dès lors, on constate que le droit suisse conduit au même résultat que le droit du trust, soit celui d’exi- ger du trustee déloyal qu’il restitue le bien du trust. C’est la preuve que la reconnaissance du droit de suite contre le trustee régi par le droit anglais est compatible avec le droit suisse et ne viole pas de règles impératives. Ainsi, il y a lieu d’accorder la pleine reconnaissance en Suisse du droit de suite exercé contre le trustee.

1.2 Droit de suite contre des tiers

En cas d’exercice du droit de suite contre des tiers, nous avons vu que le droit de suite en tant que tel est soumis au droit du trust mais que les droits et obligations des tiers demeurent régis par le droit suisse pour des biens immobiliers situés en Suisse 11. Il y a donc une dichotomie entre le droit applicable à l’action au fond et le droit applicable au processus d’acquisi- tion du droit réel et aux conséquences de la possession du bien en violation du trust. Ainsi, le droit suisse déterminera les droits et obligations des tiers dans le cadre de l’achat du bien immobilier, soit notamment la question de la bonne foi, les effets du Registre foncier et les effets de l’existence ou non de la mention du lien de trust selon l’article 149d al. 3 LDIP. Le droit suisse dé- terminera également les conséquences de la possession de l’immeuble se- lon les articles 938 à 940 CC dans l’hypothèse où le tiers ne serait pas pro- tégé dans son acquisition. Le droit de suite contre ces tiers, régi par le droit applicable au trust, sera possible s’il ne viole pas de règles impératives du droit suisse selon l’article 15 de la Convention. Si par hypothèse le droit de suite violait des règles impératives, le juge devrait tout de même essayer de donner effet au droit de suite en application de l’article 15 al. 2 de la Conven- tion. Pour notre analyse, nous allons distinguer le cas où la mention du lien de trust figure au Registre foncier de celui où elle n’y figure pas.

qu’il puisse être de bonne foi en tant que bénéficiaire. En effet, l’obligation de loyauté ne l’empêcherait pas d’invoquer sa bonne foi selon l’article 3 al. 2 CC puisque précisé- ment il peut recevoir des biens du trust. Cela étant, il invoquerait sa bonne foi non en tant que trustee mais en tant que bénéficiaire. Dans ce cas-là, il faudrait de surcroît qu’il ait été de bonne foi en son for intérieur en tant que trustee. 11 Voir chapitre IV.F.2, page 117. 210 Delphine Pannatier Kessler

1.2.1 Lorsque la mention du trust figure au Registre foncier

a) Principes Dans le cas où la relation de trust a fait l’objet d’une mention au Registre foncier au sens de l’article 149d LDIP, le trust est opposable aux tiers, c’est- à-dire que tous les tiers sont censés avoir eu connaissance de l’existence d’une relation de trust grevant le bien immobilier visé 12, du fait que nul ne peut se prévaloir de n’avoir pas connu le contenu du Registre foncier (art. 970 al. 4 CC). Nous avons vu que la mention ne limite pas le pouvoir de disposer du trustee au niveau du Registre foncier mais qu’elle a pour but de détruire la bonne foi des tiers 13. Rappelons que l’effet de destruction de la bonne foi des tiers est une caractéristique controversée des mentions en doctrine mais que la loi, en particulier l’article 149d al. 3 LDIP, prévoit un tel effet dans le cas d’espèce (voir sous V.C, pages 128 ss). Cela étant, nous sommes arrivée à la conclusion que la mention est l’expression d’une limitation au pouvoir de disposer du trustee et que de facto la mention restreint son pouvoir de disposer puisqu’elle oblige le notaire et les parties à vérifier cette question et interdit l’instrumentation de l’acte si le pouvoir de disposer fait défaut (à ce sujet voir les paragraphes V.D.2.3.4, page 146 et V.H.4.1, pages 197 ss). Cette obligation de vérifier si le trustee a le pouvoir de disposer du bien14 sera régie par le droit suisse conformément à l’article 11 al. 3 ­deuxième phrase de la Convention15, mais le pouvoir de disposer en tant que tel est régi par le droit du trust selon l’article 8 lit. d de la Convention. La notion de la bonne foi sera elle aussi déterminée selon le droit suisse 16. Nous avons vu que le notaire doit vérifier le pouvoir de disposition du trustee et n’a le droit d’instrumenter l’acte qu’après avoir établi que le trustee a le pouvoir

12 Wolf / Jordi, in Der Trust – Einführung und Rechtslage in der Schweiz, p. 73 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149d, n. 149d-5 ; Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 85. 13 Wolf / Jordi, in Der Trust – Einführung und Rechtslage in der Schweiz, p. 73 s. ; Gass- mann, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 149d LDIP, n. 1. 14 Thévenoz, in Journée 2006 de droit bancaire et financier, p. 65 ; Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 119 et 127. 15 Contra : Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 109 et p. 127. 16 Du même avis : Gassmann, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 149d LDIP, n. 6 ; contra : Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 109, qui considère que la bonne foi du “bona fide purchaser” est déterminée par le droit du trust. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 211 de disposition. Ainsi, le tiers pourra se fier à l’examen fait par le notaire et sera de bonne foi, même si le notaire se trompe par rapport au pouvoir de disposition du trustee. Cela étant, il va de soi que si le tiers connaît le défaut juridique entachant son acquisition, par exemple en agissant de connivence avec le trustee, mais n’en informe pas le notaire, la bonne foi du notaire ne guérira pas la mauvaise foi de l’acquéreur. Il convient d’analyser en particulier la situation du donataire 17. S’il y a mention du lien de trust au Registre foncier, un tiers recevant à titre gratuit un bien en trust ne peut pas prétendre ignorer que la donation du trustee ne provient pas du patrimoine personnel de ce dernier. Vu le caractère vraisemblablement insolite de la donation, le donataire devrait mettre en doute les pouvoirs du trustee de procéder à un tel acte. A moins de cir- constances extraordinaires, il nous paraît qu’un donataire ne sera pas de bonne foi en recevant un bien qu’il sait ou aurait dû savoir appartenir au patrimoine d’un trust.

b) Compatibilité avec le droit impératif Il convient maintenant de vérifier si le droit de suite du droit anglais com- plété par le droit suisse régissant les droits et obligations des tiers ainsi que la notion de bonne foi entre en conflit avec des règles impératives suisses 18. A notre avis, tel n’est pas le cas car le droit suisse et le droit des trusts ar- rivent au même résultat. En effet, tant le droit suisse que le droit des trusts protègent l’acquéreur de bonne foi d’un bien du trust – selon l’article 973 CC en droit suisse et selon la bona fide purchaser rule en droit des trusts. De même, tous deux refusent de protéger un acquéreur de mauvaise foi et l’obligent à restitution. Les conséquences de la possession de mauvaise foi sont régies par l’article 940 CC applicable par le biais de l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. Seul le traitement du donataire de bonne foi est différent : le droit suisse protège son acquisition selon l’ar- ticle 973 CC alors que le droit des trusts ne le protège pas car il n’est pas un bona fide purchaser for value. Relevons au passage la controverse doctrinale portant sur l’interprétation de l’article 239 CO et les théories apparentées

17 Dans l’hypothèse où le donataire n’est pas un bénéficiaire du trust recevant un im- meuble dans le cadre d’une distribution en nature mais bel et bien un tiers à la relation de trust. 18 Pour être précis, il faut analyser la compatibilité du droit de suite avec les règles impératives de la loi désignée par les règles de conflit du for. En l’espèce, nous nous limitons à l’examen par rapport au droit suisse. 212 Delphine Pannatier Kessler qui refusent une acquisition de bonne foi en cas de donation ­provenant du patrimoine d’autrui (il est renvoyé au point VI.A.1.2.2.c), page 213 et VI.A.2.2.1.c), page 222). Cela étant, s’il y a mention au Registre foncier de l’appartenance d’un bien au patrimoine d’un trust, nous pensons qu’il sera extrêmement difficile de considérer qu’un donataire est de bonne foi et dès lors dans la majorité des cas le donataire sera de mauvaise foi 19. Dans la mesure où tant le droit des trusts que le droit suisse n’accordent pas de protection à un donataire de mauvaise foi, le droit suisse aboutit au même résultat que le droit des trusts. Ainsi, le droit de suite exercé sur un immeuble au feuillet duquel figure une mention de lien de trust est compatible avec le droit impératif suisse et doit être reconnu. Rappelons néanmoins que la mention devrait en prin- cipe éviter l’aliénation en violation du trust puisqu’elle oblige le notaire à vérifier le pouvoir de disposition du trustee et le conduit à refuser l’instru- mentation en cas de doute (voir sous V.H.4, page 199).

1.2.2 Lorsque la mention du trust ne figure pas au Registre foncier

a) Principes Examinons maintenant le deuxième cas de figure, celui où un bien im- mobilier appartient au patrimoine d’un trust sans qu’une mention selon l’article 149d LDIP ne figure au Registre foncier. De manière similaire au cas précédent, le droit de suite est régi par le droit du trust et les droits et obligations des tiers sont régis par le droit suisse. L’article 149d al. 3 LDIP influence la détermination de la bonne foi du tiers acquéreur. Cet article prévoit que les rapports de trust qui ne sont pas mentionnés au Registre foncier ne sont pas opposables aux tiers de bonne foi 20. Cela signifie que les tiers peuvent se fier au contenu du Re- gistre foncier, ou plus précisément dans le cas d’une absence de mention du trust, qu’ils peuvent se fier au fait qu’il n’y a pas de rapport de trust grevant

19 Pour l’hypothèse peu probable d’un donataire de bonne foi malgré la mention au Registre foncier, le raisonnement via l’article 239 CO, présenté au point VI.A.1.2.2 est applicable et permet l’exercice du droit de suite contre le donataire. Cette hypothèse pourrait se présenter dans le cas d’un organisme à but caritatif recevant à titre de donation d’un trustee un immeuble en pensant de bonne foi que ladite donation était prévue et autorisée par l’acte de trust. 20 Gassmann, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 149d LDIP, n. 6. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 213 le bien21. En cas d’absence de mention, les tiers n’ont pas l’obligation de se renseigner pour savoir si la personne avec laquelle ils négocient pourrait éventuellement être un trustee et le cas échéant si ce dernier est autorisé à vendre le bien. Selon le droit suisse, ces tiers sont protégés dans leur bonne foi 22. Cela étant, il va de soi que si le tiers sait d’une autre manière qu’il a affaire à un trustee, il ne peut pas se prévaloir de l’absence de mention et pourra être considéré comme étant de mauvaise foi s’il n’a pas procédé aux vérifications du pouvoir de disposer du trustee. Ainsi, dans le cas où le lien de trust n’est pas mentionné au Registre foncier, la bonne foi du tiers acquéreur est facilement admise.

b) Compatibilité avec le droit impératif Il convient maintenant de vérifier si l’exercice du droit de suite anglais complété des règles suisses sur les “droits et obligations” des tiers ne viole pas de règles impératives suisses. Comme dans le cas précédent, les règles du droit des trusts et les règles suisses sont très proches : toutes deux auto- risent la revendication contre le tiers de mauvaise foi et l’interdisent contre un tiers de bonne foi. La détermination de la bonne foi est régie par le droit suisse et dépend de la mention de l’article 149d LDIP. Cela étant, comme déjà relevé, le droit suisse et le droit anglais ne traitent pas le donataire de bonne foi de la même manière : le droit suisse protège l’acquisition du donataire de bonne foi alors que le droit du trust ne la protège pas car il n’est pas un bona fide purchaser for value.A première vue, on pourrait dire que cette différence de traitement en droit suisse étant impérative, elle a la priorité par rapport au droit de suite anglais. Cependant, nous allons démontrer au point suivant qu’il y a lieu de suivre la théorie de l’invalidité de la cause d’une donation faite en violation du trust pour parvenir à une harmonisation des solutions.

c) Le cas particulier du donataire de bonne foi en l’absence de mention Une partie de la doctrine considère que l’article 239 CO exige que le do- nateur cède “ses biens”, c’est-à-dire des biens qui lui appartiennent, pour qu’une donation soit valable. Si le donateur aliène des biens qui ne sont pas les siens, la causa de la donation n’est pas valable et la bonne foi du

21 Wolf / Jordi, in Der Trust – Einführung und Rechtslage in der Schweiz, p. 72 s. 22 Vogt, in BSK IPR, ad art. 149d LDIP, n. 17 ; Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 86. 214 Delphine Pannatier Kessler

­donataire ne pourra pas guérir l’absence de causa 23. Ainsi, le donataire n’est pas protégé dans son acquisition de bonne foi par les articles 973 CC ou 933 CC et le bien objet de la donation peut être revendiqué par le pro- priétaire 24. On arrive au même résultat si l’on suit l’interprétation faite par H. Honsell de l’article 933 CC selon laquelle l’absence du pouvoir de dis- poser n’est guérie qu’en cas d’aliénation à titre onéreux 25. En effet, trans- posée en matière de trust, cette théorie permet d’aboutir à la conclusion qu’un trustee ne peut pas faire une donation de biens du trust en violation de ce dernier, puisqu’il ne s’agit pas de ses biens personnels 26. Dès lors, le donataire d’un bien du trust, même de bonne foi, n’est pas protégé en droit suisse et doit restituer le bien27. A notre avis, il y a lieu de suivre cet avis doctrinal concernant l’inter- prétation de l’article 239 CO. En effet, cette interprétation prend fonde- ment sur le texte même de l’article 239 CO. De plus, elle nous paraît être dictée par des considérations d’équité ; il serait choquant qu’un donataire de bonne foi soit privilégié par rapport au vrai propriétaire spolié. Le do- nataire de bonne foi n’aura par définition pas fait de dépenses pour obtenir le bien. Par conséquent, l’obligation de le rétrocéder ne lui causera aucun désavantage. De plus, il est déjà suffisamment protégé par les règles des articles 938 et 939 CC, applicables selon l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. Par ailleurs, il nous paraîtrait inéquitable qu’un

23 Pour une présentation de cette théorie, que l’auteur réfutera ensuite : Emmeneger, in FS-Huwiler, p. 221 ; pro : Vogt, in BSK OR I, ad art 239 CO, n. 42 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149d LDIP, n. 18 ; Von Tuhr / Peter, Allg. Teil OR, T. 1, p. 516 ; Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 101 s. ; Foëx, in Das Haager Trust-Übereinkommen und die Schweiz, p. 33 s. ; Baddeley, in CR CO I, ad art. 239 CO, n. 16 et 31 ; contra : Emmeneger, in FS- Huwiler, p. 226 ; Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 167 ; Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 83 ; Piotet, in Not@lex 2008, p. 17 s. 24 Emmeneger, in FS-Huwiler, p. 221 ; Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 167. 25 Emmeneger, in FS-Huwiler, p.222 ; Honsell, Schweizerisches Obligationenrecht, Be- sonderer Teil, p. 197. 26 Vogt, in BSK IPR, ad art. 149d LDIP, n. 18 ; Vogt, in BSK OR I, ad art. 239 CO, n. 42 ; Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 101 ; Foëx, in Das Haager Trust-Übereinkommen und die Schweiz, § 4, p. 33 ; Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 11, n. 11-37 ; contra : Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 83 s. ; Piotet, in Not@lex 2008, p. 17 s. 27 Foëx, in Das Haager Trust-Übereinkommen und die Schweiz, § 4, p. 33 s. ; Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 101 ; contra : Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 83 s. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 215 propriétaire spolié doive se contenter d’une prétention en dommages-­ intérêts contre le donateur sujette au risque d’insolvabilité de ce dernier, alors que l’objet se trouve en possession du donataire qui est enrichi sans avoir payé de contrepartie mais contre lequel le propriétaire spolié ne peut pas exercer d’action en enrichissement illégitime 28. Relevons encore que cette conception a été consacrée par la récente Loi sur les titres intermé- diés, dont l’article 29 LTI exclut qu’un acquéreur à titre gratuit de bonne foi soit protégé 29. En admettant l’absence de cause d’une donation de biens du trust par le trustee à un tiers de bonne foi, nous pouvons conclure que la solution suisse est identique à celle du droit anglais des trusts en ce sens que ni l’une ni l’autre des solutions ne protège le donataire de bonne foi. Par consé- quent, aucune règle impérative suisse n’est violée par la reconnaissance du droit de suite contre un donataire de bonne foi.

1.3 Conclusion

En résumé, la reconnaissance du droit de suite sur un bien immobilier faisant partie du patrimoine d’un trust ne viole pas les règles impératives du droit suisse sur la protection de l’acquéreur de bonne foi. Le droit de suite exercé contre un trustee déloyal, contre un tiers de mauvaise foi ou contre un donataire de bonne foi sera possible alors que le droit de suite s’inclinera devant un acquéreur de bonne foi à titre onéreux. La déter- mination de la bonne foi est régie par le droit suisse ; elle est influencée par l’existence ou non d’une mention du trust au Registre foncier. Lorsque le droit de suite peut être exercé contre le tiers, qu’il soit de mauvaise foi ou qu’il soit un donataire, les droits et obligations de ce tiers seront ré- gis par les articles 938 à 940 CC, selon sa bonne ou mauvaise foi. Ainsi, le droit de suite sur un bien immobilier doit être reconnu dans notre ordre juridique.

28 Emmenegger, in FS-Hüwiler, p.226 et note 8 ; Petitpierre, in CR CO, ad art. 62 CO, n. 30, p. 431 s. 29 Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 85 s. 216 Delphine Pannatier Kessler

2. Biens mobiliers

Dans le domaine de la planification patrimoniale, il est très fréquent qu’un trustee détienne en trust des biens mobiliers, en particulier des œuvres d’art. En cas d’aliénation déloyale de biens mobiliers, le droit de suite est primordial pour sauvegarder les droits des bénéficiaires. Il est donc d’une importance pratique déterminante d’analyser s’il est possible de recon- naître le droit de suite sur des biens mobiliers en Suisse et dans l’affirma- tive à quelles conditions. Dans ce but, nous appliquerons mutatis mutandis les principes développés au point précédent en matière immobilière. Nous analyserons ici en particulier le droit de suite exercé sur des biens mobi- liers en relation avec la règle impérative de la protection de la bonne foi de l’article 933 CC, tout d’abord contre le trustee puis contre un tiers.

2.1 Droit de suite exercé contre le trustee

Comme nous l’avons vu plus haut, le droit de suite contre le trustee est entièrement régi par le droit du trust, dans la mesure où la réserve en fa- veur du droit suisse contenue à l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention ne concerne que les “droits et obligations” de tiers. Seul l’article 15 de la Convention pourrait faire obstacle à la reconnaissance du droit de suite. Nous démontrerons que tel n’est pas le cas car le droit suisse et le droit anglais des trusts parviennent au même résultat. Nous avons vu qu’un trustee n’a pas le droit d’acquérir à titre person- nel un bien du trust 30. S’il le fait, il commet une violation du trust et doit restituer le bien au patrimoine séparé du trust par l’effet du droit de suite. Cela nous paraît parfaitement en harmonie avec le droit suisse. A notre avis, un trustee acquérant pour lui-même un bien du trust ne pourra ja- mais invoquer les règles en matière de bonne foi pour être protégé dans son acquisition. En effet, qui mieux que le trustee sait que le bien visé fait partie du patrimoine d’un trust, connaît le contenu de l’acte de trust et sait ou aurait dû savoir que le trustee n’a pas le droit d’acquérir lui-même le bien puisque cela viole son obligation de loyauté. Quand bien même le trustee serait de bonne foi dans son for intérieur, l’article 3 al. 2 CC l’empêcherait de s’en prévaloir. Il est renvoyé au raisonnement présenté sous VI.A.1.1,

30 Sauf si l’acte de trust, un jugement du tribunal compétent ou le consentement des bénéficiaires dérogent à cette règle. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 217 page 208. Ainsi, en droit suisse, le trustee ne sera jamais protégé dans son acquisition car soit il est de mauvaise foi soit il ne peut pas invoquer sa bonne foi selon l’article 3 al. 2 CC. En cas de revendication, il devra res- tituer le bien selon l’article 936 CC. Ainsi, le droit de suite exercé contre le trustee aboutit au même résultat qu’en droit suisse. Sa reconnaissance ne violant pas de règles impératives suisses, il y a lieu de reconnaître en Suisse le droit de suite sur un bien mobilier exercé contre le trustee selon l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention.

2.2 Droit de suite exercé contre des tiers

Si l’on cherche à mettre en œuvre le droit de suite contre un tiers ayant acquis un bien du trust en violation de ce dernier, le droit de suite en tant que tel est soumis au droit du trust mais les droits et obligations des tiers sont régis par le droit désigné par les règles de conflit du for, conformément à l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. Pour des biens mobiliers, l’article 100 al. 1 LDIP prévoit que l’acquisition et la perte de droits réels mobiliers sont régies par le droit du lieu de situation du meuble au moment des faits sur lesquels se fonde l’acquisition ou la perte. Ainsi, si l’objet mobilier se trouvait en Suisse au moment où le trustee l’a aliéné, le droit suisse s’appliquera (sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’un bien en transit ou d’un bien transporté en Suisse selon les articles 101 et 102 LDIP). Il y a discordance entre le droit applicable à l’action au fond et le droit applicable aux droits et obligations des tiers. C’est le droit suisse qui dé- terminera les droits et obligations des tiers dans le cadre de l’achat du bien mobilier, dont découle également la détermination de la bonne foi de l’ac- quéreur. C’est également le droit suisse qui déterminera les conséquences de la possession du tiers selon les articles 938 à 940 CC dans l’hypothèse où le droit de suite peut être exercé à son encontre. Le tiers acquérant un bien d’un trustee sera donc soumis aux mêmes droits et obligations que n’importe quel autre acquéreur d’un bien mobilier en Suisse. Dans un premier temps, nous présenterons les règles applicables à la détermination de la bonne foi en général, puis les règles spécifiques en ma- tière d’œuvres d’art et d’antiquités et enfin le cas particulier de la bonne foi du donataire. Dans un deuxième temps, nous analyserons la compatibilité du droit de suite avec le droit impératif suisse en prenant en compte la no- tion de la bonne foi selon le droit suisse. 218 Delphine Pannatier Kessler

2.2.1 La détermination de la bonne foi

a) Détermination de la bonne foi en règle générale Pour être de bonne foi dans son acquisition, “l’acquéreur ne doit pas avoir le sentiment que l’acquisition qu’il fait est irrégulière. Il doit donc croire que l’aliénateur est propriétaire de l’objet, plus précisément qu’il a le pouvoir de disposer de celui-ci”31. La bonne foi est déterminée de manière ­objective 32, c’est-à-dire indépendamment des connaissances et des aptitudes parti- culières de la partie 33. Nous avons vu qu’un trustee peut être limité dans son pouvoir de disposer des biens par l’acte de trust. Se pose dès lors la question de savoir si et à quelles conditions un acquéreur d’un trustee est protégé dans son acquisition dans l’hypothèse où le trustee n’a pas le droit de disposer du bien. Il faut distinguer le cas où l’acquéreur sait que son cocontractant est un trustee de celui où il ne le sait pas. S’il ne sait pas qu’il a affaire à un trustee, l’acquéreur peut présumer que le possesseur du bien en est propriétaire et peut en disposer valablement, conformément à l’article 930 al. 1 CC. Il n’a pas d’obligation générale de se renseigner sur le pouvoir de disposer de l’aliénateur 34 ou sur la provenance de l’objet 35. Cela étant, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances concrètes du cas d’espèce 36 ; s’il découle de celles-ci que l’acquéreur aurait eu des raisons de nourrir des soupçons concrets quant au pouvoir de disposition, il doit procéder à un examen plus approfondi des circonstances 37. Il devra prendre des renseignements complémentaires mais pourra se contenter de réponses plausibles données par un aliénateur qu’il considère digne de

31 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 432, p. 159 ; dans le même sens : Stark, BK ZGB, ad art. 933 CC, n. 44 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 1769, p. 458 et § 1733, p. 459. 32 Stark, BK ZGB, ad art. 933 CC, n. 47. 33 Gabus / Renold, Commentaire LTBC, § 12, p. 303 ; SJ 2006 I 154, 156 ; Steinauer, TDPS II/1, § 836, p. 315. 34 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 432b, p. 160 ; Steinauer, TDPS II/1, § 835, p. 315 ; ATF 100 II 8 ; ATF 83 II 126 ; ATF 77 II 138 ; Gabus / Renold, Commentaire LTBC, § 12, p. 304 ; SJ 2006 I 154, 156-157. 35 Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 1777, p. 460 ; Stark, BK ZGB, ad art. 933 CC, n. 50. 36 Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1271. 37 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 432b, p. 160 ; Rey, Die Grundlagen des Sachen- rechts und das Eigentum, T. 1, § 1777, p. 460 ; Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1271 ; Gabus / Renold, Commentaire LTBC, § 12, p. 304 ; ATF 131 III 418 = SJ 2006 I 153 ; Müller-Chen / Renold, in Kultur Kunst Recht, n. 147 ss, p. 304. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 219 confiance 38, sans avoir à exiger une preuve de la véracité de ses dires 39. Par exemple, si les circonstances de l’achat sont insolites, si le marché se fait de nuit, à la hâte ou à un prix anormalement bas, l’acquéreur doit faire preuve de prudence 40. Cela étant, si une vérification appropriée par l’acquéreur n’aurait en tout état de cause pas permis de découvrir le défaut, sa négli- gence ne lui nuit pas 41. Dans l’hypothèse où l’acheteur sait qu’il a affaire à un trustee, en ­découle-t-il des obligations supplémentaires de vérification par rapport à celles mentionnées ci-dessus ? Selon nous, la connaissance de la qualité de trustee en tant que telle ne modifie pas les obligations de l’acquéreur dans la mesure où les circonstances accompagnant la transaction ne sont pas insolites ni n’éveillent des doutes concrets. Il nous paraîtrait inéquitable d’exiger de l’acquéreur d’un objet mobilier qu’il vérifie systématiquement les pouvoirs du trustee, comme doit le faire le notaire en matière immobi- lière en cas de mention au Registre foncier selon l’article 149d al. 3 LDIP. En effet, d’une manière générale, le trustee a le pouvoir de vendre les biens du trust, sauf disposition expresse de l’acte de trust le lui interdisant (voir sous II.B.1.2.122). Par conséquent, l’on peut considérer qu’il existe, en tout cas en matière mobilière, une présomption du pouvoir du trustee de vendre les biens du trust, à laquelle les tiers peuvent se fier. De plus, l’acquéreur moyen ne connaît pas le droit des trusts et n’a pas les connaissances juri- diques nécessaires pour procéder à la vérification. Une telle obligation ren- drait toute transaction avec un trustee délicate et lourde 42, ce qui entrave- rait la capacité des trustees à gérer de manière efficace les biens de trusts 43. D’ailleurs, l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention a pour but de protéger les tiers ayant affaire à un trustee en les plaçant sur un pied d’égalité avec les tiers traitant avec un aliénateur usuel. Enfin, l’ordre juri- dique suisse a fait un choix législatif délibéré en faveur d’obligations plus

38 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 434a, p. 161. 39 Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 1777, p. 460 ; Stark, BK ZGB, ad art. 933 CC, n. 52. 40 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 434, p. 160 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 1777, p. 460 ; Stark, BK ZGB, ad art. 933 CC, n. 51. 41 Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1271. 42 Dans le même sens mais de manière plus générale : Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1276. 43 Dans le même sens mais de manière plus générale : Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1276. 220 Delphine Pannatier Kessler strictes et formalistes de vérification du pouvoir de disposer en matière immobilière mais n’a pas choisi cette même option dans le domaine mobi- lier, préférant une approche pragmatique qui facilite une circulation sûre des biens 44. Pour ces raisons, il nous paraît que l’acquéreur d’un bien mobilier contractant avec un trustee n’a pas à procéder à des vérifications particu- lières du pouvoir de disposer de ce dernier du fait qu’il sait qu’il a affaire à un trustee. Il doit remplir les mêmes obligations et a les mêmes droits que n’importe quel autre acquéreur d’un bien mobilier en Suisse. En revanche, il va de soi que la connaissance de la qualité de trustee de l’aliénateur sera prise en compte lors de la détermination de la bonne foi de l’acquéreur. En cas de transaction insolite, à un prix étonnamment bas ou en cas de doute concret, l’attention que les circonstances pouvaient exiger de l’acheteur pourra être appréciée plus sévèrement et cela d’autant plus si l’acheteur connaît la qualité de trustee.

b) Détermination de la bonne foi en matière d’achat d’œuvres d’art ou d’antiquités La situation peut s’avérer différente selon la nature du bien. S’il s’agit d’un domaine où circulent de nombreux objets de provenance douteuse tel le commerce d’antiquités ou de voitures d’occasion, la jurisprudence du Tri- bunal fédéral 45 exige de l’acheteur une vérification plus étendue du pou- voir de disposition du vendeur 46 dès le moment où il y a lieu de se mé- fier au vu des circonstances 47, le critère décisif étant la connaissance de la branche par l’acheteur 48. Selon la doctrine également, le commerce d’art fait partie des domaines dans lesquels il y a lieu d’exiger des acheteurs une prudence accrue et une vérification de la capacité de disposer 49. Cette véri- fication doit être accomplie non seulement par une recherche personnelle

44 Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1276. 45 ATF 122 III 1 ; ATF 113 II 397. 46 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 434, p. 160 ; Steinauer, TDPS II/1, § 844, p. 320 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 1778, p. 460 ; Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1272 ; Gabus / Renold, Commentaire LTBC, § 13, p. 304 ; Müller-Chen / Renold, in Kultur Kunst Recht, n. 152 ss, p. 306. 47 SJ 2006 I p. 157 ; ATF 122 III 1 c. 2a/bb ; Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1272. 48 SJ 2006 I 154, 157 ; ATF 122 III 1. 49 Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1272 ; Gabus / Renold, Commentaire LTBC, § 13, p. 304. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 221

­approfondie 50, un questionnement de la provenance auprès du vendeur ou l’obtention de certificats concernant celle-ci, mais aussi par la consulta- tion des catalogues d’œuvres d’art établis par les maisons d’enchères et des banques de données répertoriant les œuvres volées 51. La doctrine suggère également qu’il serait judicieux que les acquéreurs d’art exigent un certi- ficat de provenance pour tout achat 52. De plus, s’il s’agit d’une œuvre d’art visée par la Loi sur le transfert des biens culturels (LTBC), l’acquéreur aura des obligations plus étendues de se renseigner sur la provenance licite de l’objet 53. Celles-ci consistent notamment à exiger des maisons d’enchères ou des professionnels de la vente d’art de connaître l’identité du vendeur et d’obtenir de ce dernier une confirmation écrite de son pouvoir de disposer de l’objet 54. Dans la règle, plus l’œuvre d’art a de valeur et plus l’acquéreur est expérimenté, plus ce dernier devra faire preuve de prudence et plus grande sera l’obligation de vérification exigée de lui 55. La bonne foi de l’ac- quéreur sera donc appréciée de manière plus stricte et l’acquéreur risque d’être déchu de son droit de l’invoquer si elle est incompatible avec l’at- tention que les circonstances permettaient d’exiger de lui selon l’article 3 al. 2 CC. De plus, si l’acquéreur connaît la qualité de trustee du vendeur, son obligation de vérification s’étend-elle également au pouvoir de disposition du trustee ? Il nous paraît que l’acheteur d’un bien faisant partie d’une ca- tégorie d’objets où règne une obligation de vérification et de prudence au- près d’un trustee dont il connaît la qualité doit non seulement être prudent par rapport à la provenance de l’objet et exiger des garanties à cet égard mais également s’informer auprès du trustee sur son pouvoir de disposer. En effet, l’absence de pouvoir de disposer fait partie des vices juridiques pouvant entacher l’acquisition de l’objet. Dans le cadre de son obligation de vérification, l’acquéreur devrait obtenir du trustee la preuve de son pou- voir de disposer, au même titre qu’il doit rechercher la provenance d’une œuvre dans les catalogues et exiger des explications à ce sujet. Si le trustee

50 Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1272 ; Skripsky, Die Online-Kunstauktion, p. 292. 51 Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1272 ; Skripsky, Die Online-Kunstauktion, p. 292 ; Müller-Chen / Renold, in Kultur Kunst Recht, n. 154 ss, p. 306. 52 Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1273. 53 Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1272 s. ; Müller-Chen / Renold, in Kultur Kunst Recht, n. 159-160, p. 308. 54 Müller-Chen, in AJP/PJA 2003, p. 1273. 55 Skripsky, Die Online-Kunstauktion, p. 292. 222 Delphine Pannatier Kessler apparaît comme digne de confiance et si les circonstances sont claires, la confirmation par le trustee de son pouvoir de disposer devrait suffire à -fon der la bonne foi de l’acquéreur. En revanche, en cas de circonstances dou- teuses, la preuve de la capacité du trustee à disposer de l’objet d’art pourra être apportée par la confirmation d’un spécialiste de droit des trusts sous la forme d’un avis de droit ou par la production d’une autorisation du tri- bunal compétent 56. Le trustee pourra également produire l’acte de trust lui donnant le pouvoir de vendre, à condition que l’acte de trust ne contienne pas de clause imposant au trustee de garder une stricte confidentialité. En résumé, si l’acheteur sait qu’il a affaire à un trustee lors d’une transaction portant sur un bien faisant partie de la catégorie des biens “à risques” selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il nous paraît que le tiers doit se ren- seigner de manière satisfaisante sur le pouvoir de disposer du trustee pour pouvoir être protégé dans son acquisition de bonne foi.

c) Le cas particulier de la bonne foi du donataire Il convient de traiter séparément la détermination de la bonne foi du dona- taire d’un bien mobilier. Selon nous, les cas dans lesquels celui-ci acquiert de bonne foi un bien mobilier d’un trustee devraient être rares. En effet, les donations usuelles sont faites dans un cadre familial ou amical alors que la donation à titre gratuit d’un objet mobilier d’une certaine valeur par une personne inconnue est quelque peu insolite, sauf circonstances particulières et devrait en tant que telle éveiller des soupçons de la part du donataire. Dans le cadre familier où les donations ne sont pas insolites en soi, il est fort probable que le donataire connaisse la situation du donateur et sache que ce dernier agit comme trustee par rapport à un certain bien. Selon les circonstances et la nature de l’objet donné, une telle donation devrait éveiller des soupçons chez le donataire, ce qui aura pour consé- quence qu’il sera considéré comme étant de mauvaise foi s’il ne procède pas à une vérification suffisante, sa bonne foi n’étant pas compatible avec l’attention que les circonstances permettaient d’exiger de lui (art. 3 al. 2 CC). Cependant, il n’est pas exclu que dans certains cas précis un donataire soit néanmoins de bonne foi. On peut penser par exemple à une œuvre caritative ayant l’habitude de recevoir des dons importants. Dans ce cas,

56 Il y a lieu de relever que le Tribunal fédéral dans un obiter dictum a considéré que “la question juridique de la capacité de disposer ne saurait faire l’objet d’une attestation nota- riée”, ATF 121 II 345 = JdT 1997 I 40, p. 43. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 223 le caractère insolite de la donation fait défaut et donc le donataire n’est pas censé avoir des soupçons. Un autre exemple serait le cas d’un ami ou d’une personne de la parenté du trustee recevant une donation de ce dernier mais ne connaissant ni ne pouvant en aucune manière connaître la qualité de trustee du donateur ou la provenance du bien, notamment parce que le trustee lui a donné une explication convaincante à son sujet. En résumé, selon nous, le donataire d’un bien en trust sera dans la ma- jorité des cas de mauvaise foi mais l’on ne peut pas exclure dans certaines circonstances spéciales qu’un donataire soit de bonne foi.

2.2.2 Compatibilité avec le droit impératif

Il convient maintenant de vérifier si le droit de suite du droit anglais des trusts complété notamment par la notion de bonne foi selon le droit suisse entre en conflit avec les règles impératives suisses en matière de protection de l’acquéreur de bonne foi. Nous démontrerons que tel n’est pas le cas car le droit suisse et le droit anglais des trusts arrivent au même résultat. Le droit suisse protège l’acquéreur de bonne foi d’un bien confié et le considère comme propriétaire dudit bien selon l’article 933 CC, à condi- tion que l’objet ait été valablement transféré en vue de l’acquisition d’un droit réel 57. Un bien confié est un bien dont le propriétaire a remis vo- lontairement la possession à l’aliénateur 58. Ainsi, un bien en trust détenu par le trustee est un bien confié au sens de l’article 933 CC car le settlor a transféré la possession du bien à un trustee de son plein gré et a créé l’apparence de la propriété du trustee. Si l’acquéreur est de mauvaise foi, l’article 936 CC prévoit qu’il n’est pas protégé dans son acquisition, ne de- vient pas propriétaire du bien aliéné sans droit et est contraint de restituer l’objet. Le droit anglais parvient précisément à la même solution : il protège l’acquéreur de bonne foi mais contraint celui de mauvaise foi à restituer l’objet. Ainsi, sur le principe, le droit de suite anglais est en harmonie avec la solution prévue par le droit suisse. Il y a toutefois lieu d’examiner plus en détails la situation du donataire.

57 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 421, p. 156 ; Stark, BK ZGB, ad art. 933 CC, n. 2 ss. 58 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 425, p. 157 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 1781, p. 461 ; Stark, BK ZGB, ad art. 933 CC, n. 22. 224 Delphine Pannatier Kessler

Le donataire de mauvaise foi d’un bien du trust n’est pas protégé, que l’on se trouve en droit des trusts au vu de l’exigence d’acquisition à titre onéreux et de bonne foi ou en droit suisse selon l’article 936 al. 1 CC. Quant au donataire de bonne foi, nous nous référons à la construction par inter- prétation de l’article 239 CO (voir sous VI.A.1.2.2c), page 213), selon la- quelle on considère qu’une donation d’un objet appartenant à autrui est faite sans cause, que l’article 933 CC ne peut pas guérir l’absence de cause et donc que la revendication de l’objet contre le donataire de bonne foi est possible en droit suisse. Le droit suisse et le droit anglais du trust condui- sent au même résultat à cet égard également.

2.3 Conclusion

En résumé, la reconnaissance du droit de suite sur un bien mobilier fai- sant partie du patrimoine d’un trust ne viole pas de règles impératives du droit suisse sur la protection de l’acquéreur de bonne foi étant donné que le droit anglais et le droit suisse aboutissent au même résultat. Le droit de suite contre un trustee déloyal, un tiers de mauvaise foi ou un donataire sera possible alors que le droit de suite s’inclinera devant un tiers de bonne foi ayant acquis à titre onéreux, étant précisé que la détermination de la bonne foi se fera selon le droit suisse et sera influencée par l’obligation de vérification de l’acquéreur selon les circonstances et le genre de bien acquis et que les conséquences de la possession en violation du trust seront régies par les articles 938 à 940 CC.

3. Gages immobiliers et mobiliers

Les biens en trust peuvent être mis en gage par le trustee pour garantir d’autres créances. Le pouvoir du trustee de grever les biens du trust d’un gage est régi par le droit applicable au trust selon l’article 8 de la Conven- tion. L’acte de trust, le droit applicable ainsi que le tribunal compétent pourront lui donner ce pouvoir ou le lui interdire. S’il grève d’un gage un objet du trust en violation de ce dernier, les bénéficiaires ont la possibilité de faire valoir leur droit de suite et d’anéantir l’efficacité du gage créé, sauf si le créancier gagiste est un acquéreur de bonne foi du gage à titre onéreux. Si le créancier gagiste ne savait ni n’aurait dû savoir que le donneur de gage VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 225 est un trustee qui agissait en violation de ses pouvoirs et si le créancier gagiste a fourni une contre-prestation adéquate consistant par exemple à octroyer un crédit, il est protégé dans sa bonne foi et a acquis valablement le gage. Dans le cas contraire, les bénéficiaires peuvent contester la validité du gage en exerçant le droit de suite 59. La reconnaissance du droit de suite en Suisse sur un bien grevé d’un gage est-elle possible et si oui, à quelles conditions ? Nous analyserons cette question en appliquant la méthode précédemment développée. Tout d’abord, après avoir déterminé le droit applicable selon l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention, nous présenterons la constitution de gages et la protection de l’acquéreur de bonne foi en matière immobilière puis mobilière en droit suisse. Nous utiliserons ensuite ces développe- ments pour analyser la compatibilité de la reconnaissance du droit de suite sur des biens grevés d’un gage.

3.1 Droit applicable

Selon l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention, les droits et obligations d’un tiers détenteur de biens du trust sont régis par la loi déterminée par les règles de conflit du for60. Les droits et obligations du créancier gagiste acquérant un gage immobilier sont déterminés par le droit suisse si l’immeuble est situé en Suisse (art. 99 LDIP). Si le gage porte sur un bien mobilier et par hypothèse le créancier gagiste est une banque suisse se voyant remettre en nantissement un bien mobilier, c’est le droit du lieu de situation du meuble au moment des faits sur lesquels se fonde l’ac- quisition du droit qui détermine le droit applicable 61 (art. 100 LDIP). Or, pour qu’un créancier gagiste suisse acquière un droit de gage mobilier, la remise de la possession du bien mobilier grevé par nantissement est néces- saire. Dès lors, le lieu où se trouvera le meuble au moment de l’acquisition du gage sera forcément en Suisse pour un créancier gagiste suisse 62. Ainsi, c’est également le droit suisse qui sera applicable.

59 Thévenoz, in Journée 2000 de droit bancaire et financier, p. 170 s. 60 Nous partons de l’hypothèse qu’un juge suisse est saisi. 61 Voir Graham-Siegenthaler, Kreditsicherungsrechte im internationalen Rechtsver- kehr, p. 47. 62 Sauf élection de droit selon l’article 104 LDIP, laquelle ne sera néanmoins pas oppo- sable aux tiers et sauf circonstances factuelles particulières. 226 Delphine Pannatier Kessler

Enfin, en cas de mise en gage de créances, de papiers-valeurs ou d’autres droits, l’article 105 al. 1 LDIP autorise l’élection de droit mais sans qu’elle ne soit opposable aux tiers 63. Si le créancier gagiste est une banque suisse, ses conditions générales contiendront en principe une clause d’élection de droit en faveur du droit suisse. Selon l’article 105 al. 2 LDIP, à défaut d’élection de droit, la mise en gage de créances ou de pa- piers-valeurs est régie par le droit de l’Etat de la résidence habituelle du créancier gagiste. Dans l’hypothèse qui nous intéresse, le créancier gagiste sera presque toujours une banque suisse et le droit suisse sera dès lors applicable. Ainsi, le droit désigné par les règles de conflit du for suisse sera, sauf exception, le droit suisse. Par conséquent, les droits et obligations du créancier gagiste suisse devront être analysés au regard du droit suisse.

3.2 Gages immobiliers

Nous présenterons à présent la constitution du gage immobilier, la protec- tion de l’acquéreur de bonne foi d’un gage immobilier et la reconnaissance du droit de suite.

3.2.1 Principes

Pour constituer un gage immobilier, lequel peut prendre la forme d’une hypothèque ou d’une cédule hypothécaire selon l’article 793 al. 1 CC 64, il est nécessaire de faire inscrire ledit gage au Registre foncier, générale- ment sur la base d’un contrat de gage immobilier instrumenté en la forme authentique selon l’article 799 CC. Ce gage donne un droit prioritaire au créancier gagiste d’obtenir paiement sur le prix de réalisation de l’im- meuble selon l’article 816 CC. Le créancier gagiste peut acquérir un droit de gage de plusieurs ma- nières : soit au moment de la constitution du gage en sa faveur, sous la forme d’une hypothèque ou d’une cédule hypothécaire nominative en faveur du

63 Voir Graham-Siegenthaler, Kreditsicherungsrechte im internationalen Rechtsver- kehr, p. 53. 64 Nous ne traiterons pas de la lettre de rente dans cette étude. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 227 créancier65, soit au moment où il se voit remettre en propriété ou en nan- tissement une cédule hypothécaire au porteur ou au nom du propriétaire (art. 859 CC) en garantie d’une créance 66. Dans la première hypothèse, le créancier gagiste est partie à l’acte constitutif de gage entre le propriétaire de l’immeuble et lui-même 67. Dans la deuxième hypothèse, le créancier gagiste reçoit une cédule hypothécaire déjà constituée. Nous analyserons ses droits et obligations dans ces deux cas.

3.2.2 Détermination de la bonne foi du créancier gagiste d’un trustee

Dans le premier cas, le créancier est partie à l’acte constitutif de gage. Dans la pratique, le créancier gagiste est presque toujours une banque, laquelle ne sera ni présente ni représentée à l’acte d’instrumentation, la pratique notariale renonçant en effet à la faire comparaître 68. Ce nonobstant, il y a lieu de considérer que la banque accepte la constitution du gage en sa fa- veur et est donc partie au contrat, même si ses déclarations de volontés ne requièrent pas la forme authentique 69. Vu qu’il s’agit d’un gage immobilier, le créancier gagiste peut se fonder sur le fait que le constituant du gage est inscrit comme propriétaire au Registre foncier ou le sera 70 ; en effet, à dé- faut le droit de gage ne pourra pas être inscrit. Si le constituant du gage est un trustee qui envisage de constituer un gage sur un bien immobilier faisant partie du patrimoine d’un trust, il nous paraît que les principes développés en matière d’acquisition d’un im- meuble vendu par un trustee sont applicables mutatis mutandis. S’il y a

65 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 2950, p. 323 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 1060, p. 345 ; Trauffer, in BSK ZGB II, ad art. 799 CC, n. 8. 66 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 2951-2952a, p. 324 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 979, p. 320 et § 1061, p. 346 ; Staehelin, in BSK ZGB II, ad art. 859 CC, n. 10, ad art. 869 CC, n. 3 ss ; Fasel, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 858 CC, n. 4 ; ad art. 793 CC, n. 14. 67 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 2696, p. 172 et § 2950, p. 323 ; Trauffer, in BSK ZGB II, ad art. 799 CC, n. 2 et 8. 68 Trauffer, in BSK ZGB II, ad art. 799 CC, n. 8 ; Fasel, in Handkommentar zum Schwei- zer Privatrecht, ad art. 799 CC, n. 5-6. 69 Trauffer, in BSK ZGB II, ad art. 799 CC, n. 8 ; voir également Fasel, in Handkommen- tar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 799 CC, n. 5-6. 70 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 2696-2696a, p. 172. 228 Delphine Pannatier Kessler mention au Registre foncier de la relation de trust, le notaire et la banque devront vérifier que le trustee est autorisé à mettre en gage les biens du trust 71. Le créancier gagiste ne pourra invoquer le fait qu’il ne savait pas que le donneur de gage était trustee selon l’article 149d al. 3 LDIP. Le no- taire ne devrait pas instrumenter l’acte constitutif de gage s’il pense que le trustee ne dispose pas du pouvoir requis ou en doute. Il n’y procédera que si les pouvoirs du trustee sont établis. Dans les cas exceptionnels d’erreur d’appréciation du notaire quant au pouvoir de procéder à la mise en gage par le trustee, la bonne ou la mauvaise foi de la banque déterminera sa protection dans son acquisition du gage. Dans le cas où la mention de la relation de trust ne figure pas au Registre foncier, le notaire et la banque pourront se fier au fait que le trustee caché est propriétaire du bien et n’au- ront pas à procéder à de plus amples vérifications. La banque sera donc protégée dans sa bonne foi, à moins qu’elle n’ait su par d’autres moyens que le constituant du gage était un trustee et agissait en violation de ses pouvoirs. Dans le deuxième cas, c’est-à-dire dans celui où le trustee a consti- tué une cédule hypothécaire en son propre nom ou au porteur et remet ladite cédule à la banque en garantie d’un prêt, la question de la bonne foi de l’acquéreur se pose en des termes légèrement différents. Pour que le créancier gagiste soit protégé dans sa bonne foi, il faut 72 premièrement que le transfert de la cédule ait été fait de manière valable sur la base d’un titre d’acquisition valable, d’un endossement en cas de cédule nominative et d’un transfert de la possession du titre 73, deuxièmement que l’acqué- reur soit de bonne foi lors du transfert 74, troisièmement que le titre ait été dressé en due forme 75 et enfin quatrièmement que le titre soit conforme à l’inscription contenue au Registre foncier selon l’article 867 al. 1 CC 76. Comment analyser la bonne foi de la banque acquérant une cédule hy- pothécaire grevant un bien immobilier faisant partie du patrimoine d’un

71 Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 86 ; dans le même sens : Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 44. 72 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3003 ss, p. 351. 73 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 2992 ss, p. 346 ; Staehelin, in BSK ZGB II, ad art. 869 CC, n. 5. 74 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3004 ss, p. 351 ; voir également Staehelin, in BSK ZGB II, ad art. 869 CC, n. 6. 75 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3006 ss, p. 352. 76 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3007 ss, p. 352. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 229 trust dans l’hypothèse où les conditions 1, 3 et 4 sont remplies ? Il y a lieu à notre avis de revenir à l’article 149d al. 3 LDIP. Une mention au Registre foncier du lien de trust est censée être connue de la banque. Si la banque acquiert une cédule hypothécaire d’un trustee sur un bien qu’elle sait ou est censée savoir appartenir au patrimoine d’un trust du fait de la men- tion, la banque devrait exiger du trustee qu’il lui prouve avoir le pouvoir de mettre en gage ledit bien immobilier, par exemple en lui remettant un avis de droit ou une décision d’un tribunal constatant ce pouvoir. Ce n’est qu’une fois qu’elle a établi à satisfaction le pouvoir du trustee qu’elle peut acquérir de bonne foi la cédule hypothécaire 77. Si en revanche il n’y a pas de mention du lien de trust au Registre foncier, le trust n’est pas opposable à la banque selon l’article 149d al. 3 LDIP, de sorte que la banque n’a pas à procéder à une vérification du pouvoir du constituant du gage plus étendue qu’usuellement. Ce n’est que si elle est de mauvaise foi parce qu’elle détient des informations à ce sujet provenant d’autres sources qu’elle ne sera pas protégée. Ainsi, la mention du lien de trust de l’article 149d al. 3 LDIP in- fluence la bonne foi du créancier gagiste.

3.2.3 Compatibilité avec le droit impératif

En droit des trusts, les bénéficiaires peuvent contester la validité du gage constitué en violation du trust, sauf si l’acquéreur du droit de gage est de bonne foi et a fourni une contre-prestation adéquate. Si l’objet du gage est un immeuble en Suisse, le droit de suite peut-il être exercé contre l’acqué- reur du gage en Suisse ? Nous avons vu que l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention exigeait que les droits et obligations de ce dernier soient régis par le droit suisse mais que le droit de suite au fond était régi par le droit du trust. Nous avons également vu que les droits et obligations du tiers acquéreur du gage dépendaient de l’existence ou non au Registre foncier de la mention du trust au sens de l’article 149d al. 1 LDIP et que sa bonne foi était déterminée selon le droit suisse. De même que le droit de suite du droit anglais ne peut pas être exercé contre un créancier gagiste de bonne foi, le droit suisse protège également le créancier gagiste de bonne foi. A l’opposé, ni le droit anglais ni le droit suisse ne protègent le gage du

77 Dans le même sens : Foëx, in RNRF 90 (2009), p. 86 ; Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 44. 230 Delphine Pannatier Kessler créancier gagiste de mauvaise foi. Dès lors, aucune règle impérative suisse au sens de l’article 15 de la Convention ne s’oppose à reconnaître le droit de suite visant à déclarer l’invalidité d’un gage acquis par un créancier gagiste de mauvaise foi, étant précisé que la détermination de la bonne foi qui dé- coule du processus d’acquisition du gage demeure régie par le droit suisse.

3.3 Gages mobiliers

Examinons maintenant le cas où le trustee constitue un gage sur un bien mobilier appartenant au patrimoine d’un trust, par exemple lorsqu’il re- met en gage à une banque des titres en trust. Nous nous concentrerons sur l’hypothèse où le créancier gagiste est une banque, ce genre de cas pouvant être considérés comme étant les plus probables, non seulement parce que les banques sont les acteurs traditionnels en matière de crédit sécurisé mais également parce qu’elles introduisent souvent dans leurs conditions géné- rales une clause de mise en gage des titres déposés dans leurs livres 78. Cette clause prévoit que les titres déposés deviennent des objets de gage mobilier dans l’hypothèse où le déposant deviendrait débiteur de la banque à un titre ou à un autre. Dès lors, ce gage est-il opposable aux bénéficiaires du trust dans l’hypothèse où le trustee a détourné les biens du trust et les a remis en gage en violation du trust ?

3.3.1 Principes

En droit suisse, sauf exceptions, un gage mobilier ne peut être constitué que par nantissement selon l’article 884 CC, c’est-à-dire par le dessaisisse- ment de l’objet nanti par le constituant qui le remet au créancier gagiste ou à un tiers 79. Cela étant, il existe de nombreuses exceptions à ce principe 80. Dans cette étude, nous nous intéresserons exclusivement au nantissement d’objets mobiliers, étant donné qu’il s’agit de la forme principale de gage mobilier dans la pratique 81.

78 Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 632, p. 205. 79 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3032, p. 369 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 980-981, p. 320 ; Zobl, BK ZGB, ad art. 884 CC, n. 7. 80 Pour un aperçu : Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3032, p. 369 s. 81 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 298. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 231

La constitution d’un gage mobilier par nantissement nécessite la conclusion d’un contrat de nantissement entre le constituant du gage et le créancier 82, un acte de disposition lequel suppose le pouvoir de disposer de la chose 83 et enfin le transfert qualifié de la possession84, c’est-à-dire la perte de la maîtrise exclusive de l’objet par le constituant du gage. En cas d’absence du pouvoir de disposer, l’article 884 al. 2 CC protège l’ac- quisition de bonne foi du créancier gagiste 85. Cet article est une concré- tisation des articles 933 à 936 CC 86, lesquels demeurent applicables, tout comme l’est l’article 3 CC 87. Le créancier gagiste est de bonne foi s’il “a cru, à ce moment-là, que le constituant avait le pouvoir de disposer de l’objet remis en gage, ce qui est présumé selon l’art. 3 al. 1 (CC). En outre, le créan- cier est déchu du droit d’invoquer sa bonne foi s’il n’a pas prêté ‘l’attention que les circonstances permettaient d’exiger de lui’. Le créancier n’a pourtant pas, en règle générale, le devoir de se renseigner sur le pouvoir de disposer du constituant ; un tel devoir n’existe que si des circonstances spéciales sont de nature à éveiller la méfiance.” 88 En matière bancaire, le Tribunal fédéral a considéré dans sa juris- prudence récente “qu’une banque peut tenir pour honorable même un co- contractant inconnu et qu’elle n’est en principe pas tenue d’effectuer des re- cherches sur la provenance des biens de valeur qui lui sont remis en gage et sur le pouvoir d’en disposer, mais peut se fonder sur la présomption légale liée à la possession, sauf circonstances particulières justifiant des doutes ou de la méfiance.”89 Cette conception se base sur l’avis émis par la doctrine,

82 Zobl, BK ZGB, ad art. 884 CC, n. 326 ss ; Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3094, p. 406 ; Lombardini, Droit bancaire suisse, § 11, p. 878 ; Graham-Siegenthaler, Kreditsicherungsrechte im internationalen Rechtsverkehr, p. 14. 83 Zobl, BK ZGB, ad art. 884 CC, n. 630 ss ; Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3097- 3098, p. 408, Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 1084, p. 353 ; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 299. 84 Article 884 al. 3 CC ; Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3099, p. 409 ; Lombardini, Droit bancaire suisse, § 36, p. 889. 85 Zobl, BK ZGB, ad art. 884 CC, n. 9 et n. 764 ss ; Lombardini, Droit bancaire suisse, § 73, p. 885 ; Graham-Siegenthaler, Kreditsicherungsrechte im internationalen Rechtsverkehr, p. 18 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 1084, p. 353. 86 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3101, p. 411 ; Zobl, BK ZGB, ad art. 884 CC, n. 769. 87 Zobl, BK ZGB, ad art. 884 CC, n. 773-775. 88 Steinauer, Les droits réels, T. 3, § 3105a, p. 412. 89 Arrêt du Tribunal fédéral 5C.60/2004 paru à la SJ 2006 I 154, 157. 232 Delphine Pannatier Kessler en particulier par D. Zobl 90. Cela étant, vu les exigences actuelles en ma- tière de lutte contre le blanchiment d’argent, les banques ont l’obligation d’interroger leurs clients sur l’origine de leurs actifs et sur l’identité des ayant droits économiques, de sorte que les informations obtenues ou le fait d’avoir négligé de questionner ou d’avoir fait preuve de trop peu d’es- prit critique dans l’appréciation des réponses reçues peut aboutir à nier la bonne foi de la banque dans l’acquisition d’un gage 91. Ainsi, la banque est soumise à un haut degré de diligence et doit agir avec une certaine prudence 92. Elle doit procéder à un examen plus approfondi si elle a des raisons spéciales de se méfier 93. En conclusion, la bonne foi d’un créan- cier gagiste “laïc” est appréciée de manière généreuse mais une banque devra faire preuve d’une plus grande attention pour pouvoir se préva- loir de sa bonne foi, en particulier au vu de ses obligations de clarifica- tion de l’ayant-droit économique prévues par la Loi sur le blanchiment d’argent 94 (LBA).

3.3.2 Détermination de la bonne foi du créancier gagiste d’un trustee

Dans le cas d’un trustee nantissant un objet du trust, il y a lieu d’appliquer les principes généraux en matière de protection de l’acquéreur de bonne foi en matière mobilière présentés sous VI.A.2, pages 216 ss, en considérant que le trustee détient des biens confiés au sens de l’article 933 CC. Sauf circonstances particulières, le créancier gagiste acceptant le nantissement peut présumer que son cocontractant (le trustee caché) a le droit d’en dis- poser et n’a pas à vérifier son pouvoir de disposition95. Cela étant, nous avons vu qu’en matière bancaire il y avait lieu de nuan- cer cette affirmation. Dans la pratique, la banque sait en principe qu’elle a affaire à un trustee puisque celui-ci au moment de l’ouverture de la rela-

90 Zobl, BK ZGB, ad art. 884 CC, n. 823-827. 91 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 32, p. 887 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 1085, p. 353. 92 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 300 s. ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 1085, p. 353 ; Müller-Chen / Renold, in Kultur Kunst Recht, n. 156-157, p. 307 s. 93 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 301. 94 RS 955.0. 95 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 31, p. 886. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 233 tion bancaire a l’obligation d’indiquer qu’il agit en tant que trustee selon la LBA et selon la Convention de diligence des banques 96. Dans ce cas, il nous paraît que la banque ne peut pas fermer les yeux et prétendre igno- rer le fait que le trustee est (potentiellement) limité dans son pouvoir de disposer par ses obligations à l’égard des bénéficiaires du trust. La banque devrait donc s’assurer que le trustee a le pouvoir de procéder à la mise en gage des biens du trust 97, par exemple en se faisant remettre l’acte de trust contenant les pouvoirs ou en exigeant un avis de droit en attestant 98. Ce n’est qu’une fois convaincue du pouvoir de disposer du trustee qu’elle peut accepter de bonne foi la mise en gage d’un actif en sa faveur. Bien entendu, si la banque ne sait pas qu’elle a affaire à un trustee parce que celui-ci a fautivement omis d’informer la banque de ce fait, il nous paraît qu’il faut dans ce cas revenir à la règle générale et considérer que la banque peut se fier à la présomption liée à la possession et n’a pas à vérifier la provenance et le pouvoir de disposer du constituant du gage pour être protégée dans sa bonne foi.

3.3.3 Compatibilité avec le droit impératif

En appliquant mutatis mutandis notre raisonnement en matière de protec- tion de l’acquéreur de bonne foi d’un bien mobilier, nous pouvons conclure que le droit de suite anglais et le droit suisse parviennent au même résultat : le créancier gagiste de bonne foi est protégé dans son acquisition du gage alors que le créancier gagiste de mauvaise foi ne l’est pas et doit accepter la nullité de son gage. Les droits et obligations du créancier gagiste étant régis par le droit suisse vu la deuxième phrase de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention, la bonne foi de ce dernier est également déterminée selon le droit suisse. Vu l’harmonie des solutions, il y a lieu de reconnaître en Suisse le droit de suite contre un créancier gagiste, ce qui permettra de faire déclarer par la voie judiciaire la nullité du gage du créancier gagiste ayant reçu en gage des biens du trust en violation de ce dernier.

96 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 301. 97 Dans le même sens : Thévenoz, in Journée 2000 de droit bancaire et financier, p. 172. 98 Thévenoz, in Journée 2000 de droit bancaire et financier, p. 172. 234 Delphine Pannatier Kessler

3.4 Conclusion

La reconnaissance du droit de suite visant un bien ayant été mis en gage en violation du trust est possible en Suisse. En effet, le droit de suite régi par le droit du trust complété par les règles suisses en matière de bonne foi abou- tit à un résultat identique à celui du droit suisse, ce qui démontre qu’au- cune règle impérative au sens de l’article 15 de la Convention n’est violée.

B. Le droit de suite et le principe du numerus clausus des droits réels

Après avoir démontré que le droit de suite est compatible avec les règles impératives suisses en matière de protection de l’acquéreur de bonne foi, nous procéderons au même examen en relation avec le principe du nume- rus clausus des droits réels, lequel est souvent présenté comme un obstacle à la reconnaissance du trust et du droit de suite.

1. Présentation des concepts

Le numerus clausus des droits réels est un principe selon lequel “l’autono- mie privée (en particulier la liberté contractuelle) des parties en matière de droits réels est limitée d’une manière telle que leurs conventions ne peuvent avoir pour objet, sous peine de nullité (…) que l’un des droits réels limi- tativement énumérés par la loi” 99. Ce principe n’a pas de base légale ex- presse 100. Ainsi, en droit suisse, un droit réel ne peut exister que s’il entre dans le moule d’un des droits énumérés par la loi. Le principe du numerus clausus est à mettre en relation avec celui de l’indivisibilité de la propriété. Selon ce principe, le droit de propriété sur un bien est absolu et ne peut être divisé, sous réserve de la constitution de droits inclus dans le numerus

99 Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 47, p. 42 ; voir également Schmid / Hürlimann-Kaup, Sachenrecht, § 71, p. 17 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 318, p. 91 ; Wiegand, in BSK ZGB II, Vor Art. 641 CC, n. 61. 100 Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 172, p. 87. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 235 clausus 101. Le numerus clausus est de caractère impératif : “les actes juri- diques y contrevenant sont nuls de plein droit”102. Ainsi, ce principe est visé par l’article 15 de la Convention et il y a lieu de vérifier qu’il n’empêche pas la reconnaissance du droit de suite. Le numerus clausus a principalement pour but d’assurer la publicité des droits réels 103 en les rendant reconnaissables 104 et clairs 105, afin de ga- rantir la sécurité et la transparence des relations juridiques 106. En effet, en limitant leur nombre et en définissant leur forme et leur contenu, on évite que les parties ne créent sur mesure des droits dont les tiers ne peuvent identifier la nature. Ainsi, le numerus clausus vise principalement à ga- rantir l’opposabilité des droits réels 107. De plus, le numerus clausus a pour fonction de protéger la liberté de la propriété en évitant que les parties ne la vident de sa substance 108. Enfin, le numerus clausus permet de concrétiser des choix éthiques 109 et de faciliter l’application d’autres principes de notre droit des choses 110. Traditionnellement, le principe du numerus clausus, complété par celui de l’indivisibilité de la propriété, a souvent été invoqué comme un obstacle insurmontable à la reconnaissance ou à l’introduction des trusts dans les juridictions de droit civil 111. En effet, il a souvent été argumenté

101 De Waal, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 44. 102 Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 121, p. 71 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 318, p. 91 ; Marchand, Clauses contractuelles, p. 25. 103 Schmid / Hürlimann-Kaup, Sachenrecht, § 71, p. 17 ; Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 126. 104 Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 8 ss, p. 29. 105 Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 13 ss, p. 30 ; Meier- Hayoz, BK ZGB, Syst. Teil, n. 35, p. 28 ; Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobi- liarsachenrecht, T. 1, § 17, p. 109. 106 Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 315, p. 89 ; Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht,T. 1, § 17, p. 109. 107 Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 8, p. 29 ; du même avis : Wiegand, in FS-Kröeschell, p. 639. 108 Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 16 ss, p. 31. 109 Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 24 ss, p. 34. 110 Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 27, p. 35. 111 Schnitzer, in Gedächtnisschrift Marxer, p. 74 ; Albasinni / Gambino, in The Inter- national Trust, § 13.2.1 ; Bolgar, in American Journal of Comparative Law 2 (1953), p. 210 ; Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 261, p. 126 ; Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 124 s. ; Cashin-Ritaine, in Le trust en droit international privé, p. 23 ; Künzle, Der Willensvollstrecker, p. 435 s. 236 Delphine Pannatier Kessler que, dans la mesure où le dédoublement du droit de propriété entre le trustee et le bénéficiaire n’existe pas en droit civil, ce dédoublement n’est pas conciliable avec le principe du numerus clausus et celui de l’indivi- sibilité de la propriété et empêche dès lors la réception du trust dans les pays de droit civil 112. Nous démontrerons que tel n’est plus le cas pour les deux raisons suivantes : d’une part parce que le numerus clausus s’est as- soupli et ne s’oppose dès lors pas ou plus à la reconnaissance et d’autre part parce que la Convention de La Haye sur les trusts constitue une base légale suffisante.

2. Assouplissement du numerus clausus

2.1 Principe

Le numerus clausus a traditionnellement été considéré comme un principe strict de notre ordre juridique. Cependant, le bien-fondé de ce principe est actuellement remis en cause par la doctrine 113. Tout d’abord, certains auteurs considèrent que le numerus clausus et le principe d’indivisibilité de la propriété sont de pures affirmations scientifiques 114 ou même po- litiques 115. Ils mettent en doute sa justification, faisant valoir son défaut de base ­légale 116 et rappellent que ces postulats n’existaient pas dans les sources du droit, soit en droit romain et germanique 117. Ils critiquent éga-

112 De Waal, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 45 ; Albasinni / Gambino, in The Inter- national Trust, § 13.2.1 ; Waters, Recueil des Cours de l’Académie de droit internatio- nal de La Haye, p. 344 ; Künzle, Der Willensvollstrecker, p. 114 ; Bolgar, in American Journal of Comparative Law 2 (1953), p. 210 ; Schnitzer, in Gedächtnisschrift Marxer, p. 74 ; Dreyer, Le trust en droit suisse, § 102, p. 43 ; Cashin-Ritaine, in Le trust en droit international privé, p. 23 ; Dans le même sens : Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 331, p. 154. 113 Par exemple en matière immobilière : Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 32, p. 37 ; Schmid / Hürlimann-Kaup, Sachenrecht, § 72, p. 17. 114 Schnitzer, in Gedächtnisschrift Marxer, p. 76 s. et p. 87 ; Schnitzer, in SJZ 1965, p. 200 ; Bolgar, in American Journal of Comparative Law 2 (1953), p. 212 ; plus nuancé : Wiegand, in FS-Coing, p. 572. 115 Bolgar, in American Journal of Comparative Law 2 (1953), p. 210 s. ; Wiegand, in FS-Kröeschell, p. 638. 116 Schnitzer, in Gedächtnisschrift Marxer, p. 77 ; Bolgar, in American Journal of Com- parative Law 2 (1953), p. 212. 117 Schnitzer, in Gedächtnisschrift Marxer, p. 76 s. et 87 ; Schnitzer, in SJZ 1965, p. 200 ; Wiegand, in FS-Coing, p. 572. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 237 lement son immobilité et son incapacité à s’adapter aux nouvelles formes de propriété qui se développent dans la vie économique 118. Pour V. ­Bolgar par exemple, le numerus clausus n’a pas de valeur pratique apparente et pourrait être abandonné 119. Il ne constituerait pas un obstacle pour le trust si seulement les penseurs juridiques acceptaient de se libérer des obstacles qu’ils se sont eux-mêmes imposés 120. Quant à W. Wiegand, il consi- dère que les concepts de la propriété absolue et indivisible et du numerus clausus reposent sur des prémisses scientifiques que nous ne partageons plus de nos jours et qui empêchent une évolution notamment en matière de leasing ou de fiducie 121. Une autre partie de la doctrine, sans mettre en cause le bien-fondé du numerus clausus, constate que les principes du numerus clausus et de l’in- divisibilité de la propriété se sont assouplis au cours des années 122. D’une part, la loi a évolué au fil du temps et a étendu les droits réels. En témoignent l’adoption par le législateur de la propriété par étages dans le Code Civil suisse 123, du droit de distraction sur des meubles en cas de faillite bancaire selon l’article 37b de la Loi sur les banques 124 et la nouvelle notion de “titres intermédiés” de la Loi sur les titres intermédiés 125, entrée en vigueur le 1er janvier 2010, ces titres intermédiés étant des biens sui generis situés entre les droits réels et les droits obligationnels 126. D’autre part, la doctrine et

118 Bolgar, in American Journal of Comparative Law 2 (1953), p. 212. 119 Bolgar, in American Journal of Comparative Law 2 (1953), p. 214. 120 Bolgar, in American Journal of Comparative Law 2(1953), p. 214. 121 Wiegand, in FS-Coing, p. 588. 122 Schnitzer, in Gedächtnisschrift Marxer, p. 87 ; Schnitzer, in SJZ 1965, p. 200 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 317a p. 90 ; Albasinni / Gambino, in The International Trust, § 13.2.1 ; Gutzwiller, Schweizerisches Interna- tionales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-31 et n. 15-26 ; Dreyer, Le trust en droit suisse, § 100, p. 43 ; Künzle, Der Willensvollstrecker, p. 30 ; Wiegand, in FS-Kröeschell, p. 624 s. ; Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 124 ; Meier- Hayoz, BK ZGB, Syst. Teil, n. 39a et n. 39b, p. 30 ; Wiegand, in BSK ZGB II, Vor Art. 641 CC, n. 64. 123 Schnitzer, in SJZ 1965, p. 200. 124 Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 317b, p. 90 ; l’ar- ticle 37b al. 1 LB a été abrogé et remplacé par les articles 17 et 18 LTI auxquels renvoie l’article 37d LB. 125 Loi sur les titres intermédiés, dont le Message est paru à la Feuille Fédérale 2006, p. 8817 ss. 126 Il faut relever que la loi sur les titres intermédiés n’utilise plus le concept de copro- priété modifiée et labile mais crée un nouveau bien sui generis, les titres intermédiés, voir FF 2006, p. 8841. Il est renvoyé au point VII.B, pages 300 ss. 238 Delphine Pannatier Kessler la jurisprudence ne considèrent plus le numerus clausus comme un prin- cipe intangible comme en témoignent plusieurs exemples de l’évolution du numerus clausus en direction d’une “Lockerung”127. Diverses variantes de la propriété s’éloignant du numerus clausus ont été admises progressive- ment. L’on pense par exemple à la copropriété assouplie (modifiziertes und labiles Miteigentum) en matière de dépôt de titres en banque admise sur la base d’un avis de droit de P. Liver 128 puis par la jurisprudence 129. Rap- pelons également que le droit suisse est familier de la coexistence de plu- sieurs droits de propriété sur un même objet dans le cas de la substitution fidéicommissaire et de la clause de retour en matière de donation, comme nous l’avons présenté au point V.F, pages 173 ss. On peut citer encore le leasing qui tend à se rapprocher des droits réels 130. La reconnaissance de la propriété fiduciaire ou du caractère réel des expectatives par le Bundesge- richtshof allemand 131 sont d’autres exemples de cette évolution ; ces deux figures juridiques demeurent toutefois controversées en Suisse 132.

2.2 Effet de l’assouplissement du numerus clausus sur la reconnaissance du droit de suite

Dans la mesure où la notion de numerus clausus n’est plus considérée comme un dogme intangible mais qu’elle s’est assouplie pour permettre d’appréhender les réalités de la vie économique, le principe du numerus clausus ne devrait pas être un obstacle à la reconnaissance des trusts et du droit de suite 133. A cet égard, il convient de ne pas perdre de vue le but de reconnaissance des trusts de la Convention de La Haye et notamment le fait que “the Contracting States did not have the freedom to deny reco- gnition of the trust on the grounds of the general principles of their law of ­property”134, (les Etats contractants n’ont pas la liberté de refuser la recon-

127 Schnitzer, in Gedächtnisschrift Marxer, p. 112 ; du même avis : Lupoi, in Vanderbilt Journal of Transnational Law 32 (1999), p. 967 ss. 128 Message du Conseil Fédéral, Loi sur les titres intermédiés§ 1.2.2, FF 2006, p. 8828. 129 ATF 112 II 406 ; Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 2121a, p. 326. 130 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, § 15-30. 131 Moosmann, Der angelsächsische Trust, p. 121, note 539 ; contra : Foëx, Le nume- rus clausus des droits réels en matière mobilière, § 612, p. 265 ; Wiegand, in FS- Kröeschell, p. 624. 132 Wiegand, in BSK ZGB II, 2e éd., Vor Art. 641 CC, n. 65. 133 Wiegand, in FS-Kröeschell, p. 643. 134 Koppenol-Laforce, Het Haagse Trustverdrag, p. 268. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 239 naissance du trust sur la base de leurs principes généraux des droits réels). Ainsi, la doctrine récente considère que la reconnaissance du trust ne viole pas des principes fondamentaux en droits réels 135 ; de même, la jurispru- dence majoritaire italienne notamment a affirmé la compatibilité du trust avec le système juridique italien136, pourtant typiquement attaché au prin- cipe du numerus clausus. En Suisse, la doctrine est partagée quant à la question de la compa- tibilité du trust et du droit de suite avec le principe du numerus clausus. Pour le Message du Conseil Fédéral137 et les auteurs qui s’inscrivent dans le même courant doctrinal, la question de la compatibilité du trust et du droit de suite avec le numerus clausus ne se pose pas car ces auteurs n’admettent pas le dédoublement de propriété et les droits réels des bénéficiaires sur les biens en trust. Selon eux, les droits purement obligationnels des béné- ficiaires sont parfaitement compatibles avec le système suisse 138. T. Mayer relève néanmoins que, si par impossible le droit de suite était de nature réelle, alors le principe du numerus clausus s’opposerait de toute façon à la reconnaissance du droit de suite 139. Le reste de la doctrine reconnaît les aspects réels typiques des trusts et considère en principe que le numerus clausus ne s’y oppose pas. Tout d’abord, A. von Overbeck considère que la reconnaissance du trust ne viole pas les principes du numerus clausus et de l’indivisibilité de la ­propriété 140. Maintenant cette opinion dans une contribution ultérieure, cet auteur cite à l’appui de sa position l’arrêt du Tribunal fédéral 5C.169/2001 du 19 novembre 2001, lequel a accepté de reconnaître un constructive trust sur des fonds situés en Suisse, a admis le droit in rem du propriétaire équi- table américain et a ainsi accepté de donner effet à une action en droit de suite en Suisse. Le Tribunal fédéral a retenu que la distinction entre pro- priété légale et propriété équitable n’était pas incompatible avec le numerus clausus des droits réels ni contraire à l’ordre public suisse 141.

135 Lupoi, in Vanderbilt Journal of Transnational Law 32 (1999), p. 967 ss. 136 Berlinguer, Recueil Dalloz, 2008, no 9, p. 600. 137 FF 2006, p. 561. 138 MCF, FF 2006, § 1.7.2.2, p. 587 ; Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 166 s. 139 Mayer, Neue IPRG-Bestimmungen zum Trust, p. 83. 140 Von Overbeck, in Trusts & Trustees, April 1996, p. 8. 141 Arrêt du Tribunal fédéral 5C.169/2001 du 19 novembre 2001, considérant 6b ; Von Overbeck, in The International Trust, 2002, p. 549 s. ; Wilson, in International Trust Laws, A52.9 ; critique : Eichner, Die Rechtsstellung von Treugebern und Begünstig- ten, § 341, p. 148 et § 367 ss, p. 159. 240 Delphine Pannatier Kessler

Pour sa part, H. R. Künzle considère que le numerus clausus s’est certes assoupli mais qu’il demeure néanmoins un principe nécessaire dans notre ordre juridique 142. Selon cet auteur, ni le principe du nume- rus clausus ni celui de l’indivisibilité de la propriété ne constituent des obstacles à la reconnaissance des trusts 143. H. R. Künzle adhère à la po- sition de A. Schnitzer et préconise une interprétation évolutive du nu- merus clausus qui permet de reconnaître le trust 144. Il relève également qu’il conviendrait de maintenir le numerus clausus mais de l’élargir afin de l’adapter aux besoins actuels 145. D. Piotet considère que la reconnaissance du droit réel des bénéfi- ciaires et du droit de suite pose problème en matière de numerus clausus. Il résout toutefois ce problème en soumettant le mécanisme de mise en œuvre du droit de suite au droit suisse et en considérant que seul le prin- cipe du droit de suite est soumis au droit du trust. Il conclut qu’“il s’agit en définitive d’un problème de qualification plus de l’action que d’admettre une dérogation au numerus clausus au sein des droits réels reconnus par l’ordre juridique interne”146. Quant à P. M. Gutzwiller, il relève que les principes des droits réels sont dépassés par la réalité 147 et que force est de constater que le numerus clausus s’est affaibli 148. Il propose d’interpréter l’article 15 de la Convention de manière restrictive, en gardant à l’esprit que la Convention a pour but la reconnaissance des trusts que l’article 15 ne doit pas rendre illusoire 149. Selon lui, la lettre d) de l’article 15 n’a qu’un champ d’application étroit 150 alors que la lettre f) ne devrait être utilisée qu’in extremis 151. De plus, il considère que la question du droit de suite étant exhaustivement réglée à l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention, il n’y a pas lieu de se poser la ques- tion de sa conformité au droit impératif selon l’article 15 de la Conven-

142 Künzle, Der Willensvollstrecker, p. 30 ; du même avis : Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 35, p. 38. 143 Künzle, Der Willensvollstrecker, p. 114 et p. 435 s. 144 Künzle, Der Willensvollstrecker, p. 437. 145 Künzle, Der Willensvollstrecker, p. 431. 146 Piotet, in Not@lex 2008, p. 16. 147 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-26. 148 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-31. 149 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-34. 150 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-40. 151 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-45. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 241 tion en ce qui concerne la protection de l’acquéreur de bonne foi 152. En résumé, P. M. Gutzwiller constate l’affaiblissement du numerus clausus et se prononce en faveur de la reconnaissance du trust avec tous ses ef- fets, y compris le droit de suite, auquel le numerus clausus ne s’oppose en principe pas. Enfin, W. Wiegand considère que, dans la mesure où l’on peut por- ter au Registre foncier une mention du lien de trust, la situation réelle du bien est clarifiée et empêche que des tiers ne soient trompés sur le statut du bien. Un assouplissement du numerus clausus ne met en aucune ma- nière les tiers en danger puisque la fonction de publicité est remplie par la mention au Registre foncier 153. Ainsi, la possibilité d’inscrire une mention du lien de trust au Registre foncier remplace la fonction de publicité du numerus clausus 154. Dès lors, il faut en conclure que la possibilité de men- tionner au Registre foncier le lien de trust suffit à assurer la protection des tiers et que l’on ne peut donc pas invoquer la violation du numerus clausus dans ce cas.

2.3 Prise de position

A notre avis, le numerus clausus conserve sa raison d’être de par sa fonc- tion de publicité et de clarté et doit donc être maintenu 155. Cependant, il nous paraît nécessaire qu’il s’adapte aux besoins économiques et à l’évolu- tion de la société 156. On constate que tel a été le cas jusqu’à présent puisque le numerus clausus s’est assoupli, comme en témoignent la jurisprudence et les avis doctrinaux. De plus, au vu du but de reconnaissance des trusts poursuivi par la Convention, il convient d’interpréter de manière restric- tive les clauses de cette dernière limitant la reconnaissance, en particu- lier l’article 15 de la Convention. Enfin, il nous paraît, à tout le moins en

152 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 15, n. 15-39 et n. 15-50. 153 Wiegand, in FS-Coing, p 590. 154 Dans le même sens : Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 166 ; Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 327, p. 153. 155 Du même avis : Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 35, p. 38 et § 44, p. 40. 156 Dans le même sens : Foëx, Le numerus clausus des droits réels en matière mobilière, § 34, p. 38, Wiegand, in FS-Kröeschell, p. 642 s. 242 Delphine Pannatier Kessler

­matière immobilière, que l’objectif de publicité et d’opposabilité est rempli par la mention au Registre foncier du lien de trust au sens de l’article 149d al. 3 LDIP et que le but de clarté et de publicité du numerus clausus est donc en tout état de cause assuré. Ainsi il nous semble que la reconnais- sance des trusts n’entre pas en conflit avec lenumerus clausus assoupli que nous avons décrit. Par conséquent, le trust et le droit de suite en découlant sont compatibles avec le numerus clausus des droits réels.

3. Base légale et respect du numerus clausus

Nous avons vu que le principe du numerus clausus nécessite qu’un droit réel soit prévu par la loi pour être valable. En effet, le principe limite la li- berté des parties de créer des nouveaux droits réels ; il ne détermine toute- fois pas en tant que tel un certain nombre de droits réels et leur contenu 157. Dès lors, l’ordre juridique peut créer de nouveaux droits réels afin d’évo- luer avec la société 158. De cette prémisse, il est possible d’argumenter que la Convention de la Haye, laquelle prévoit la reconnaissance du trust avec tous ses effets, constitue la base légale d’un nouveau droit de propriété en matière de trust 159. En effet, l’article 11 de la Convention est la base légale de la reconnaissance des trusts avec tous ses effets, y compris celui du dé- doublement de la propriété et du droit de suite. L’engagement de reconnais- sance pris par la Suisse est concrétisé et modalisé en matière immobilière par la mention du lien de trust prévue à l’article 149d LDIP. Ainsi, le droit de propriété du trustee et du bénéficiaire est prévu par la loi. Il fait donc partie d’une des catégories de droits prévus par le principe du numerus clausus. La reconnaissance du trust et du droit de suite ne viole dès lors pas ce principe.

4. Conclusion

Le numerus clausus n’est plus une notion intangible et a au contraire évo- lué en direction d’un assouplissement. Nous nous rallions à la doctrine qui

157 Wiegand, in FS-Kröeschell, p. 641. 158 Wiegand, in FS-Kröeschell, p. 624. 159 Du même avis en droit italien : Guillaume, in RSIDE 2000, p. 15. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 243 considère qu’il n’est pas un obstacle à la reconnaissance des trusts et donc à celle du droit de suite. De plus, nous considérons que la nature réelle du droit de propriété des bénéficiaires est désormais reconnue depuis la rati- fication de la Convention de La Haye sur les trusts et dispose d’une base légale constituée par l’article 11 de la Convention et modalisée par l’ar- ticle 149d LDIP. Dès lors, le droit de propriété découlant du trust fait partie des droits prévus par le numerus clausus et n’entre pas en contradiction avec ce dernier. Pour ces raisons, le principe du numerus clausus ne consti- tue pas un obstacle à la reconnaissance du trust et du droit de suite et ne peut donc pas être invoqué comme règle impérative au sens de l’article 15 de la Convention pour refuser cette reconnaissance.

C. Le droit de suite et la prescription acquisitive

Le droit suisse de la propriété contient des règles sur l’acquisition de pro- priété par prescription acquisitive. Il s’agit de “l’acquisition d’un droit sur une chose par suite de la possession paisible et prolongée de cette chose.”160 Le délai et les conditions requises varient selon les cas. Nous examine- rons ci-après si ces règles s’opposent à la reconnaissance du droit de suite en Suisse.

1. Principes

En matière immobilière, les règles concernant la prescription acquisitive se situent aux articles 661 ss CC. Selon l’article 661 CC en matière de pres- cription ordinaire, “les droits de celui qui a été inscrit sans cause légitime au registre foncier comme propriétaire d’un immeuble ne peuvent plus être contestés lorsqu’il a possédé l’immeuble de bonne foi, sans interruption et paisiblement pendant 10 ans.” L’article 662 CC traite du cas de la prescrip- tion extraordinaire : le possesseur d’un immeuble non immatriculé au Re- gistre foncier ou dont le propriétaire n’apparaît pas au registre, est mort ou déclaré absent, “qui a possédé pendant 30 ans sans interruption, paisi- blement et comme propriétaire (...) peut en requérir l’inscription à titre de

160 Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 1577, p. 74. 244 Delphine Pannatier Kessler propriétaire.” Dans le cas de la prescription extraordinaire, la bonne foi du possesseur n’est pas requise 161. En matière mobilière, l’article 728 al. 1 CC prévoit que “celui qui de bonne foi, à titre de propriétaire, paisiblement et sans interruption, a pos- sédé pendant cinq ans la chose d’autrui en devient propriétaire par prescrip- tion.” Cependant, le délai de prescription pour les biens culturels soumis à la Loi sur le transfert des biens culturels est de 30 ans. Les règles susmentionnées font partie des droits réels. On considère que les règles en matière de droits réels ont un caractère impératif afin de garantir la sécurité du droit 162. En l’espèce, les règles sur la prescrip- tion acquisitive ont pour but de mettre la réalité en accord avec le droit lorsqu’une longue période de possession incontestée est passée, afin de ga- rantir la sécurité des transactions 163. L’écoulement du temps exerce un effet guérisseur 164. Il ne pourrait selon nous pas être dérogé à ces règles par une convention des parties. Par conséquent, force est de conclure que ces règles sont impératives. La reconnaissance du droit de suite entre-t-elle en conflit avec ces règles impératives ?

2. Compatibilité avec le droit impératif

Selon nous, le trustee déloyal ayant acquis des biens du trust en les faisant passer dans son patrimoine personnel ne pourra en principe pas se pré- valoir des règles sur la prescription acquisitive car, ayant connaissance du trust et de ses pouvoirs et devoirs, il ne sera pas de bonne foi ou même s’il l’est en son for intérieur, l’article 3 al. 2 CC l’empêchera de s’en prévaloir (voir sous VI.A.1.1, page 208). Il ne remplira dès lors pas les conditions requises par les articles 661 CC et 728 CC 165. Une possibilité théorique exis-

161 Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 1580, p 76 ; Laim, in BSK ZGB II, ad art. 662 CC, n. 1 ; Belser / Rieder, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 661-663 CC, n. 20. 162 Thévenoz, in Trusts en Suisse, p. 109 ; Dans le même sens : Haab / Zobl, ZK ZGB, Ein- leitung, n. 60, p. 32 ; Schumacher, Vertragsgestaltung, p. 88 ; Marchand, Clauses contractuelles, p. 25 et 219. 163 Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 1577, p. 74 ; Laim, in BSK ZGB II, ad art. 661 CC, n. 5-6 ; Liver, TDPS V/1, p. 149 et p. 387. 164 Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 1577, p. 75. 165 Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 1581h, p. 77, § 2106, p. 312 et § 2111d, p. 314 ; Belser / Rieder, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 661-663 CC, n. 11 ; Liver, TDPS V/1, p. 388. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 245 terait néanmoins en cas de prescription extraordinaire en matière immo- bilière. En effet, l’article 662 CC n’exige pas la bonne foi du possesseur 166. Dès lors, un trustee qui s’approprierait un immeuble non immatriculé ou sans propriétaire apparent et qui posséderait cet immeuble pendant 30 ans pourrait être protégé par les règles de la prescription acquisitive extraor- dinaire, lesquelles feraient échec au droit de suite. La probabilité d’un tel cas nous paraît néanmoins très limitée vu que le nombre d’immeubles sus- ceptibles de prescription extraordinaire de nos jours est peu élevé et vu la longueur du délai 167. Ainsi, un conflit entre le droit de suite à l’encontre du trustee et les règles impératives sur la prescription acquisitive ne devrait en principe pas survenir. Quant à un tiers acquérant un bien d’un trustee, s’il est de bonne foi au moment de l’acquisition, le droit de suite s’arrête de toute façon face à lui car il est protégé par la bona fide purchaser rule, de sorte qu’il devient pro- priétaire de l’objet sans avoir besoin de recourir aux règles sur la prescrip- tion acquisitive 168. S’il est de mauvaise foi au moment de l’acquisition, il ne devient pas propriétaire mais ne peut pas non plus bénéficier des règles sur la prescription acquisitive ordinaire en matière immobilière de l’article 661 CC et en matière mobilière de l’article 728 CC vu sa mauvaise foi. Subsiste l’exception très théorique de la prescription acquisitive extraordinaire de l’article 662 CC en matière immobilière requérant une durée de possession de 30 ans. En définitive, le seul cas vraisemblable où les règles sur la prescription acquisitive peuvent se heurter au droit de suite est celui du donataire de bonne foi. Nous avons vu que ce dernier n’était pas protégé dans son ac- quisition de bonne foi selon le droit anglais des trusts ni ne l’était en droit suisse dans la mesure où l’on admet la théorie de l’invalidité de la cause d’une donation faite sur le patrimoine d’autrui selon l’article 239 CO ou si l’on refuse l’application des articles 933 et 973 CC aux donations (voir sous VI.A.1.2.2c), page 213). Dès lors, le donataire de bonne foi d’un bien d’un

166 Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 1580, p.76 ; Laim, in BSK ZGB II, ad art. 662 CC, n. 1 ; Liver, TDPS V/1, p. 152. 167 Dans le même sens, sur le “rôle modeste” de la prescription acquisitive immobilière : Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 1578, p. 75 ; voir également Laim, in BSK ZGB II, ad art. 662 CC, n. 2 ; Liver, TDPS V/1, p. 152. 168 Dans le même sens : Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 1578, p. 75, § 2106, p. 312 ; Schwander, in BSK ZGB II, ad art. 728 CC, n. 1 ; Belser / Bienz, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 728 CC, n. 2 ; Liver, TDPS V/1, p. 390. 246 Delphine Pannatier Kessler trust aliéné en violation de l’acte de trust devient possesseur sans droit de bonne foi et pourrait se prévaloir des règles sur la prescription acquisitive. A notre avis, pour un immeuble en Suisse ou pour un bien mobilier situé en Suisse auquel le droit suisse est applicable selon les articles 99 et 100 LDIP, le donataire de bonne foi peut se prévaloir des règles sur la pres- cription acquisitive du droit suisse si leurs conditions d’application sont remplies. Ces règles étant impératives, elles ont priorité sur le droit de suite selon l’article 15 al. 1 de la Convention, de sorte que le droit de suite doit s’incliner devant un donataire de bonne foi dont la possession remplit les conditions de la prescription acquisitive ou, si par impossible le cas se pré- sentait, devant un possesseur d’un bien immobilier protégé par les règles sur la prescription acquisitive extraordinaire. Ces possesseurs seront pro- tégés dans leur propriété et dès lors le droit de suite ne pourra pas être reconnu à leur encontre. Dans ce cas, sur la base de l’article 15 al. 2 de la Convention et selon les circonstances, le juge devrait pouvoir donner effet d’une autre manière au droit de suite, par exemple en condamnant le dona- taire de bonne foi à indemniser les bénéficiaires du trust à hauteur de son enrichissement. Il nous paraîtrait possible qu’il s’inspire dans ce but des règles suisses en matière d’enrichissement illégitime 169 tout en gardant à l’esprit que le fondement de l’action demeure le droit anglais des trusts et la persistance de l’equitable interest en tant que droit in rem des bénéficiaire. Par conséquent, le juge suisse ne devrait pas être limité par les courts délais de prescription de l’article 67 CO. Nous reviendrons sur la question de la prescription au point VIII.H, page 347.

D. Le droit de suite et la réunion des espèces

En droit anglais des trusts, les bénéficiaires peuvent exercer le droit de suite sur de la monnaie en espèces ou portée en compte auprès d’une banque lorsque cette somme de monnaie constitue un bien du trust, son remploi ou son produit après une aliénation déloyale 170. Des règles com-

169 Contra : Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 2112, p. 316 ; Schwander, in BSK ZGB II, ad art. 728 CC, n. 12 ; Liver, TDPS V/1, p. 396 s. 170 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.40 ss, p. 996 ss. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 247 pliquées régissent le droit de suite exercé sur de la monnaie lorsqu’elle est mélangé avec de la monnaie appartenant à la personne contre laquelle le droit de suite est exercé 171. La reconnaissance du droit de suite sur de la monnaie est-elle compatible avec les règles impératives suisses au sens de l’article 15 de la Convention ? Nous examinerons à présent cette question à la lumière du principe de la réunion des espèces régissant la matière en droit suisse.

1. Règle générale de la réunion d’espèces

Dans notre ordre juridique, celui qui mélange de la monnaie en espèces appartenant à autrui avec sa propre monnaie en devient entièrement pro- priétaire par simple réunion, qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi 172. L’article 727 CC prévoit en cas de mélange que les anciens propriétaires deviennent copropriétaires de la chose nouvelle pour une quote-part dé- pendant de la valeur des choses initiales 173 ; cette règle n’est pas applicable par analogie au cas de la monnaie mélangée 174. Le transfert de propriété de la monnaie par simple réunion découle du droit commun175 et n’a pas de base légale expresse ; il a toutefois a été confirmé par la jurisprudence du Tribunal fédéral 176. Si l’acquéreur est de bonne foi, on peut également construire son droit de propriété sur la base de l’article 935 CC lequel protège l’acquéreur de bonne foi de monnaie ou de titres au porteur 177. Ayant perdu la propriété, l’ancien propriétaire dépossédé ne peut plus

171 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.41-65, p. 996 ss. 172 Haab / Zobl, ZK ZGB, ad art. 727 CC, n. 84 ; Schwander, in BSK ZGB II, ad art. 727 CC, n. 6 ; Leemann, BK ZGB, ad art. 727 CC, n. 18 ; Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 2121, p. 326 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 1943, p. 499 ; Liver, TDPS V/1, p. 385 ; ATF 47 II 267 ; ATF 112 IV 74, 76 ; ATF 90 IV 190 = JdT 1965 IV 9, 11. 173 Critique : Liver, TDPS V/1, p. 385. 174 Schwander, in BSK ZGB II, ad art. 727 CC, n. 6 ; Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 2120-2121, p. 326, p. 270 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 1943, p. 499. 175 Leemann, BK ZGB, ad art. 727 CC, n. 4 et n. 18 ; Rey, Die Grundlagen des Sachen- rechts und das Eigentum, T. 1, § 1943, p. 499. 176 ATF 47 II 267 ; ATF 78 II 243 = JdT 1953 I 148 ; ATF 90 IV 170 = JdT 1965 IV 9 ; Haab / Zobl, ZK ZGB, ad art. 727 CC, n. 2 et n. 83-84. 177 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 445a, p. 164 ; Rey, Die Grundlagen des Sachen- rechts und das Eigentum, T. 1, § 1787,p. 463. 248 Delphine Pannatier Kessler

­revendiquer sa monnaie et n’a à disposition qu’une action personnelle contre le nouveau propriétaire 178. Cette règle est-elle impérative ? A notre avis, il faut répondre par l’affirmative 179. En effet, en matière de droits réels, l’autonomie des parties est limitée par le caractère absolu des droits réels 180. Ainsi, si une partie remet la possession d’une somme d’argent à une autre qui l’accepte et que les deux parties conviennent que le transfert de la monnaie n’a pas pour effet d’en transférer la propriété, il nous paraît que cette convention n’aurait pas d’effet réel 181. C’est la situation de fait de réunion des espèces qui prévaut 182. La propriété de la monnaie passe par réunion selon la règle du droit commun malgré toute convention contraire des parties car il en va du respect de l’intérêt de tout tiers à la sécurité des transactions avec des sommes d’argent 183. De plus, cette règle consti- tue un mécanisme de transfert de propriété, lequel est impératif selon la ­doctrine 184. Ainsi, cette règle doit être considérée comme impérative. Se pose donc la question de savoir si le droit de suite exercé sur de la monnaie est conciliable avec cette règle. Le bénéficiaire qui cherche à exercer le droit de suite sur de la monnaie dans les mains du trustee fait valoir son droit de propriété équitable sur cette monnaie. Or, nous avons vu qu’en droit suisse la simple réunion de la monnaie en transfère la propriété à celui qui la reçoit, même s’il est de mauvaise foi, et interdit de manière impérative toute revendication. Dès lors, dans sa conception de nature réelle, le droit de suite exercé sur de la monnaie ayant fait l’objet d’une réunion ne semble pas être compatible avec le droit impératif suisse et ne pas pouvoir être reconnu tel quel selon l’article 15 al. 1 de la Convention185.

178 Leemann, BK ZGB, ad art. 727 CC, n. 19 ; Steinauer, Les droits réels, T. 2, § 2121, p. 326, Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 445a, p. 164 ; ATF 47 II 267, 271 ; Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, § 1944, p. 499 s. ; Von Tuhr / Peter, Allg. Teil OR, T. 1, p. 495. 179 Dans le même sens : Haab / Zobl, ZK ZGB, ad art. 727 CC, n. 64. 180 Haab / Zobl, ZK ZGB, Das Eigentum, Einleitung, n. 60, p. 32 ; Marchand, Clauses contractuelles, p. 25 et 219. 181 Du même avis : Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 15, p. 328. 182 Dans le même sens, parlant de “Realakt” : Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapier- recht, § 15, p. 328 ; Schwander, in BSK ZGB II, ad art. 727 CC, n. 3. 183 Rey, Die Grundlagen des Sachenrechts und das Eigentum, T. 1, p. 463, § 1787. 184 Marchand, Clauses contractuelles, p. 25. 185 Dans le même sens : Kötz, in Rabels Zeitschrift (50) 1986, p. 581 ; Kötz, in Trusts in Prime Jurisdictions, p. 20. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 249

Afin de respecter la systèmatique de l’article 11 al. 3 lit. d de la Conven- tion, laquelle distingue le cas du droit de suite exercé contre le trustee de celui exercé contre un tiers, il convient encore de traiter séparément le cas du tiers ayant acquis de la monnaie provenant du trust. Il peut y être pro- cédé brièvement, étant donné que le résultat est identique à celui obtenu ci-dessus. Selon l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention, il faut déterminer les droits et obligations du tiers selon le droit déterminé par les règles de conflit du for, par hypothèse le droit suisse. Dans le cas de la réunion de monnaie, le tiers a le droit de se fier au principe de la sécurité des transactions avec de la monnaie et acquiert dès lors la propriété de la monnaie par simple réunion avec ses deniers. Il en résulte que le tiers devient propriétaire de la monnaie, ce qui empêche l’exercice du droit de suite par une action réelle. Le résultat auquel on aboutit pour le tiers est identique à celui du trustee présenté ci-dessus. Cela étant, même si le droit de suite exercé de manière réelle sur de la monnaie semble incompatible avec le droit impératif suisse, il convient de poursuivre le raisonnement. En effet, l’article 15 al. 2 de la Convention exige dans cette hypothèse de donner effet au trust par d’autres moyens juridiques. A cet égard, il est intéressant de constater que le droit anglais des trusts est confronté à la même problématique dans le cas où le droit de suite vise de la monnaie portée en compte bancaire dits “électronique”, qui est considéré comme “choses in action” non tangible, donnant droit à une créance. Dans ce cas, le droit anglais admet néanmoins l’exercice du droit de suite sur des comptes bancaires électroniques car il l’adapte à la na- ture obligationnelle du compte 186. Nous y reviendrons au point VII.A.1.2, pages 275 ss. Un autre problème du droit anglais s’apparentant au principe du droit suisse de la réunion des espèces est celui qui se présente lorsque de la monnaie provenant du trust est mélangée à de la monnaie du trustee 187. Sur le principe, la monnaie est une chose fongible, objet de droits réels, qui peut faire l’objet du droit de suite 188. Néanmoins, le mélange de la monnaie et l’utilisation du mélange pour l’acquisition d’autres biens non fongibles pose problème en ce qui concerne l’identification de la monnaie provenant du trust dans le bien acquis en remploi. Le droit anglais a développé à cet égard une casuistique raffinée afin de favoriser les bénéficiaires du trust

186 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.113, p. 1024. 187 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.40, p. 996 et § 33.113 ss, p. 1024. 188 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.40 et § 33.42, p. 996. 250 Delphine Pannatier Kessler dans l’identification de la monnaie dans le biens acquis en remploi, ceci afin de permettre l’exercice du droit de suite 189. Ainsi, on voit qu’en droit anglais le mélange des espèces a posé des difficultés conceptuelles pour l’exercice du droit de suite, lesquelles ont été résolues par l’adoption de règles favorables aux bénéficiaires. De plus, pour tenir compte de la nature du bien, nous avons vu que le droit de suite peut prendre une autre forme qu’une pure action de nature réelle en revendication. Il peut se muer en une action que nous qualifierions d’action obligationnelle, tout en garan- tissant la même protection des bénéficiaires que grâce à une action pure- ment réelle. Dès lors, il nous paraît qu’il faut adopter la même approche en droit suisse pour la reconnaissance du droit de suite sur de la monnaie et admettre dans ce cas-là qu’il prend une autre forme compatible avec les règles impératives de notre ordre juridique en application de l’article 15 al. 2 de la Convention. Ainsi, même si l’aspect réel du droit de suite permettant une revendi- cation directe de la monnaie en mains du trustee ou du tiers de mauvaise foi ne peut pas être reconnu en tant que tel dans notre ordre juridique, le fondement de cette prétention, basé sur la notion de continuité du droit in rem des bénéficiaires sur les biens du trust, doit être pris en compte pour donner une autre portée au droit de suite. En pratique, nous sommes d’avis que le droit de suite portant sur de la monnaie dans notre ordre juridique prendra une forme obligationnelle. Il pourra être mis en œuvre par une demande en paiement des bénéficiaires ou du trustee fondée sur le droit de suite anglais et devant être traitée d’une manière similaire à une action en enrichissement illégitime ou pour acte illicite du droit suisse. Le juge de- vra y appliquer les conditions du droit anglais tout en retranchant l’aspect réel qui pose problème en l’espèce. La question de la prescription de cette action sera régie par le droit anglais et non pas par les articles 60 et 67 CO. Bien entendu, les bénéficiaires n’auront dans cette hypothèse qu’un droit personnel contre le trustee ou le tiers, ce qui signifie qu’en cas d’insolva- bilité de ces derniers, ils seront traités de la même manière que les autres créanciers 190, sans bénéficier de l’avantage de priorité que leur confère le droit de suite.

189 Voir à cet égard Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.41-65, p. 996 ss. 190 Dans le même sens : Moosmann, Der angelsächsische Trust, p. 302. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 251

Si par hypothèse le droit de suite porte sur un meuble ou un immeuble acquis en remploi grâce à de la monnaie provenant de la violation d’un trust, l’exercice du droit de suite sur ce bien devrait être possible aux conditions présentées plus haut (au point VI.A, pages 206 ss). Cela étant, la question de savoir si l’objet visé par le droit de suite est un “bien(s) du trust” au sens de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention, sur lequel subsiste l’intérêt des bénéficiaires, dépend du droit applicable au trust, lequel rend applicables les règles du tracing concernant l’identification des valeurs au travers des changements de forme (pour plus de détails voir sous VI.E.1, pages 254 ss). A notre avis, le fait que le bien du trust ait pris la forme de monnaie ayant été réunie aux espèces du trustee ou d’un tiers avant d’être réinvestie dans un autre bien mobilier ou immobilier n’empêche pas le droit de suite sur le remploi. En effet, si l’on admet que le droit de suite sur de la monnaie peut prendre une forme obligationnelle comme présenté ci-dessus, tout en reconnaissant néanmoins que le fondement de l’action réside dans la no- tion de continuité du droit in rem des bénéficiaires sur les biens du trust, la Convention exige à notre avis d’admettre la reconnaissance du droit de suite dans ce cas selon l’article 15 al. 2, à la condition de pouvoir démontrer le lien entre la monnaie en tant que bien du trust et le remploi. L’existence en droit suisse du principe de subrogation dans plusieurs institutions de notre ordre juridique nous paraît confirmer l’admissibilité de cette solu- tion. Dans le cas contraire, cela signifierait qu’il suffit de réaliser un bien du trust puis de réinvestir la monnaie obtenue pour le protéger du droit de suite, ce qui nous paraît contraire à la reconnaissance des trusts et de leurs effets telle qu’exigée par la Convention. Il est renvoyé pour le surplus au point VI.E.1, pages 254 ss ci-après.

2. Exception de la monnaie gardée séparément

Il convient de nuancer notre réponse dans l’hypothèse où de la monnaie visée est gardée séparément et est donc individualisable, ce qui constitue une exception au principe général présenté ci-dessus. Si de la monnaie reste individualisable parce qu’elle a été gardée séparément et n’a pas été réunie avec de la monnaie de celui qui l’a reçue ou parce qu’elle a été marquée de manière spéciale en vue de son identification, la propriété de la monnaie 252 Delphine Pannatier Kessler ne passe pas par réunion et la revendication reste possible en droit suisse 191. Dans ce cas, le droit de suite tel quel dans sa nature réelle est compatible avec le droit suisse. En effet, la monnaie individualisable est traitée comme une chose mobilière au sens de l’article 935 CC, dont l’acquéreur de bonne foi est protégé, au contraire de l’acquéreur de mauvaise foi qui n’est pas protégé. Cette solution est en harmonie avec celle du droit anglais des trusts. Il est renvoyé pour le surplus aux considérations émises en matière de droit de suite sur un objet mobilier au chapitre VI.A.2, pages 216 ss. Ainsi, il faut reconnaître le droit de suite régi par le droit du trust sur de la monnaie individualisée mais la question de l’individualisation suffisante demeure déterminée selon les critères du droit suisse.

3. Spécification, adjonction et mélange

Il convient d’appliquer le raisonnement ci-dessus mutatis mutandis aux règles des articles 726 et 727 CC en matière de spécification, adjonction et mélange. Ces règles sont impératives et déterminent selon les cas de figure à qui la propriété d’une chose doit être attribuée 192. Lorsque la propriété de la chose passe au trustee ou à un tiers en application de ces règles 193, la situation juridique réelle constitue un obstacle à l’exercice du droit de suite en tant qu’action réelle, vu la priorité des règles impératives suisses selon l’article 15 al. 1 lit. d de la Convention. Le droit de suite doit alors dans notre ordre juridique prendre la forme d’une action personnelle à l’encontre du propriétaire des actifs sur la base de l’article 15 al. 2 de la Convention comme démontré ci-dessus.

4. Conclusion

Le droit de suite en tant qu’action réelle exercée sur de la monnaie n’est pas compatible avec les règles impératives suisses en matière de réunion d’es-

191 Schwander, in BSK ZGB II, ad art. 727 CC, n. 6 ; Haab / Zobl, ZK ZGB, ad art. 727 CC, n. 88 ; Leemann, BK ZGB, ad art. 727 CC, n. 19 ; Rey, Die Grundlagen des Sachen- rechts und das Eigentum, T. 1, § 1944, p. 499 ; Von Tuhr / Peter, Allg. Teil OR, T. 1, p. 495. 192 Schwander, in BSK ZGB II, ad art. 727 CC, n. 7 et 9. 193 En cas de mélange, les propriétaires deviennent copropriétaires de la chose (art. 727 CC) ; dans ce cas le droit de suite reste possible sur la part de copropriété du défendeur. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 253 pèces, sauf si la monnaie est gardée séparément. Il en est de même en cas de spécification, mélange ou adjonction lorsque la propriété de l’objet passe de manière impérative au défendeur. La nature réelle du droit de suite sur de la monnaie ne pouvant être reconnue, le juge doit lui donner effet d’une autre manière selon l’article 15 al. 2 de la Convention. Pour ce faire, il s’ins- pirera du droit anglais, lequel admet une adaptation du droit de suite à sa cible lorsqu’il ne vise pas des objets tangibles mais des créances. Ainsi, le juge suisse retranchera l’aspect réel du droit de suite sur de la monnaie tout en gardant le principe de continuité des droits in rem des bénéficiaires comme fondement de l’action, ce qui pratiquement reviendra à admettre que le droit de suite prendra la forme d’une action personnelle en paiement contre le défendeur. Cette action ne donnera toutefois pas aux bénéficiaires priorité sur les autres créanciers pour obtenir la satisfaction de leur préten- tion en cas d’insolvabilité du défendeur. Demeure réservée l’exception du droit de suite exercé sur de la monnaie individualisée, dont la reconnais- sance en Suisse telle quelle dans sa nature réelle est possible.

E. Compatibilité de certains aspects du droit de suite

Le droit de suite permet de revendiquer non seulement le bien initial en trust (following the trust assets) mais également de revendiquer ses rem- plois, ses revenus et ses produits (tracing the proceeds) 194. Le but étant de reconstituer le patrimoine du trust tel qu’il aurait dû se trouver sans viola- tion, les bénéficiaires ne peuvent pas cumuler les deux remèdes en reven- diquant tant le bien initial que son remploi car ils sont limités par l’inter- diction de la double indemnisation (voir sous le point II.C.2.5, page 47). Ils devront donc choisir la cible du droit de suite en fonction de la disponibi- lité du bien, des chances de succès et de l’évolution de la valeur du bien. En particulier, les bénéficiaires choisiront de se concentrer sur les remplois et produits d’un bien en trust lorsque le bien initialement en trust a été acquis par un tiers de bonne foi à titre onéreux et se trouve désormais hors de leur portée. Nous traiterons dans une première partie de la compatibilité avec le droit impératif suisse du droit de suite sur des biens acquis en remploi,

194 Voir la distinction sous II.D.2.3 à la page 55. 254 Delphine Pannatier Kessler puis dans une deuxième partie de la compatibilité du droit de suite sur des revenus et produits d’un bien en trust.

1. Droit de suite sur des biens acquis en remploi

Le droit anglais des trusts autorise l’exercice du droit de suite sur des biens acquis en remploi du bien faisant initialement partie du trust. Par exemple, si le trustee a personnellement acquis un bien immobilier en utilisant des fonds du trust ou en vendant sans droit un bien du trust et en en réinves- tissant le produit, le droit de suite permet aux bénéficiaires de réclamer le bien immobilier acquis en remploi et d’en obtenir la restitution au trust. La base conceptuelle réside dans le fait que le trust grève non seulement le bien initial mais également les biens acquis en réinvestissement de l’aliéna- tion illicite du bien initial. En d’autres termes, l’on peut dire que le droit de propriété équitable des bénéficiaires continue à exister sur les biens acquis en remploi malgré le changement de forme. Nous renvoyons à nos expli- cations du point II.A.4.2, page 26. Cet aspect du droit de suite peut-il être reconnu en Suisse ? Selon notre interprétation de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention, l’obligation de reconnaître le droit de suite inclut celle de permettre la res- titution des biens acquis en remploi 195. En effet, le droit de suite sur des biens acquis en remploi est une des facettes du droit de suite que la Suisse s’est engagée à reconnaître et en est indissociable. Il est vrai que l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention ne mentionne pas expressément la reconnais- sance du remploi mais uniquement le fait que “the trust assets may be re- covered”. Or, nous avons vu qu’en doctrine anglaise le bien acquis en rem- ploi d’un bien du trust aliéné illicitement demeure un bien du trust par subrogation réelle 196 étant donné que l’equitable interest des bénéficiaires subsiste sur ces biens malgré le changement de forme (voir sous II.A.4.2, page 26). Dans la mesure où la nature de l’interest des bénéficiaires est une question déterminée par le droit du trust selon l’article 8 de la Convention et où cet interest tel que le droit du trust le définit doit être reconnu sur la

195 Du même avis : Harris, in The British Yearbook of International Law 2002, p. 95 note 112 ; Suggérant une interprétation contraire : Foëx, in Das Haager Trust-Ubereinkom- men und die Schweiz, 2003, p. 35. 196 Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.72 et §102.73, p. 1252 s. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 255 base de l’article 11 de la Convention (voir sous IV.F.1.1.1, page 105), il nous paraît que la formulation “the trust assets” de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention inclut les biens acquis en remploi 197 étant donné qu’ils sont des biens du trust selon le droit anglais. Dès lors, la reconnaissance du droit de suite exercé sur des biens acquis en remploi doit être admise 198, sous réserve que celle-ci respecte les règles impératives suisses selon l’article 15 de la Convention. C’est la question que nous allons examiner maintenant.

1.1 La subrogation réelle en droit suisse

Le mécanisme du remploi existe en droit suisse et se base sur le principe de la subrogation réelle, laquelle découle de l’adage pretium succedit in locum rei, res in locum pretii 199. La subrogation réelle consiste à rendre applicable au bien acquis en remplacement la situation juridique du bien initial 200. Elle a trait au remplacement de l’objet dans un rapport de droit réel 201. Selon D. Dreyer, “la subrogation réelle a pour effet de causer un trans- fert de droits réels d’un bien à un autre ex lege, c’est-à-dire sans que soient effectuées les opérations prévues par la loi en vue d’assurer la publicité de ce transfert”202. Dans un cas d’application en matière successorale, le Tri- bunal fédéral a reconnu l’application de ce principe et a considéré que la masse successorale contient non seulement les biens laissés par le de cujus, de même que son augmentation (par des intérêts, des fruits, etc.) mais éga- lement les valeurs de remplacement qui sont entrées à la place des biens laissés initialement par le de cujus 203. Toujours selon notre Haute Cour, “als Ersatzwert hat nach den nicht nur im Erbrecht geltenden Grundsätzen der dinglichen Surrogation namentlich zu gelten, was mit Mitteln der Erbschaft angeschafft, d. h. was durch Aufopferung von Mitteln der Erbschaft für diese

197 Dans le même sens : Harris, The Hague Trusts Convention, p. 129 ; contra : Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 109, lequel considère que l’article 11 al. 3 lit. d ne vise pas les biens acquis en remploi. 198 Du même avis : Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.73, p. 1253. 199 Tuor / Schnyder / Schmid / Rumo-jungo, Das schweizerische Zivilgesetzbuch, p. 745. 200 Meier-Hayoz, BK ZGB, Syst. Teil, n. 50, p. 34. 201 Favre, Die Berechtigung von Depotkunden an auslandsverwahrten Effekten, p. 173. 202 Dreyer, Le trust en droit suisse, § 94, p. 41. 203 ATF 116 II 260, 262 c. 4. 256 Delphine Pannatier Kessler erworben wurde”204, (selon le principe de la subrogation réelle qui ne vaut pas seulement en droit successoral, vaut comme valeur de remplacement ce qui a été procuré avec les moyens de la succession, c’est-à-dire ce qui a été acquis en sacrifiant des moyens de la succession). De manière générale sur le plan international, il est admis que le principe de subrogation réelle est applicable lorsque l’on a affaire à un Sondervermögen“ ” (patrimoine séparé ou patrimoine affecté à un but) 205, lequel existe lorsque la loi autorise ou or- donne que des droits soient séparés du patrimoine général pour un certain but et soient traités différemment dans une certaine mesure 206. Cependant, la doctrine considère qu’il n’y a pas en droit suisse de principe général de subrogation réelle mais seulement des cas particuliers qui doivent en prin- cipe être prévus par la loi 207. Parmi les cas de subrogation réelle reconnus, on compte celui de l’action en pétition d’hérédité (art. 588 ss CC) 208, le cas des remplois de biens propres ou d’acquêts dans le régime matrimonial de la participation aux acquêts (art. 197 al. 2 ch. 5 CC et art. 198 al. 4 CC) 209 et celui de la substitution fidéicommissaire (art. 488 ss CC) 210. De plus, la doctrine admet qu’il y a subrogation réelle en cas de faillite du mandataire – et par analogie du fiduciaire 211 – pour les objets mobiliers acquis par ce dernier dans le cadre du droit de distraction prévu par l’article 401 al. 2 et 3 CO 212 ; 213.

204 Ibid. 205 Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 126 ; Koppenol-Laforce, Het Haagse Trustverdrag, p. 269 ; Koppenol-Laforce, in Notarius International, vol. 3, 1998, p. 35. 206 En droit suisse : Meier-Hayoz, BK ZGB, Syst. Teil, n. 86, p. 48. 207 Dreyer, Le trust en droit suisse, § 92 et 95, p. 41 s. ; Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 93 ; Favre, Die Berechtigung von Depotkunden an aus- landsverwahrten Effekten, p. 173 ; Meier-Hayoz, BK ZGB, Syst. Teil, n. 50. p. 34. 208 Tuor / Schnyder / Schmid / Rumo-Jungo, Das schweizerische Zivilgesetzbuch, p. 744 s. ; Meier-Hayoz, BK ZGB, ad art. 641 CC, n. 92, p. 263 ; Forni / Piatti, in BSK ZGB II, ad art. 599 CC, n. 2. 209 Eitel, in Successio 2007, p. 85. 210 Ibid. 211 Weber, in BSK, ad art. 401 CO, n. 4 ; Moosmann, Der angelsächsische Trust, p. 302- 304, lequel parle d’un droit “quasi-réel” du bénéficiaire. 212 Weber, in BSK, ad art. 401 CO, n. 2. 213 Rappelons que l’ampleur du droit de distraction sur les biens détenus par le fidu- ciaire demeure controversée. D’après la jurisprudence, l’article 401 al. 3 CO ne s’ap- plique qu’aux biens ayant été acquis par le fiduciaire, notamment en remploi, mais pas aux biens qu’il a reçus directement du fiduciant. Une partie de la doctrine considère qu’il n’y a pas de raison justifiant la distinction entre les biens reçus directement du VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 257

Nous avons vu que le principe de subrogation réelle s’applique en droit suisse à divers cas de “Sondervermögen”. Or, le patrimoine d’un trust est également un cas de Sondervermögen 214 qui nous paraît très proche du patrimoine objet d’une substitution fidéicommissaire. En effet, l’héritier grevé tout comme le trustee détient à titre de propriétaire des biens qu’il sera amené à rendre à un certain moment à l’héritier appelé respective- ment aux bénéficiaires, lesquels n’ont dans l’intervalle ni possession ni pouvoir de disposition ou d’administration (voir sous V.F.3, page 181). Il s’agit d’un patrimoine spécial affecté à un but. De plus, si l’on se réfère à la théorie de la propriété conditionnelle applicable à la substitution fidéi- commissaire selon une partie de la doctrine, les situations présentent la similitude de la coexistence de deux droits réels sur un même objet. En effet, dans le cas d’un bien en trust, le trustee a le legal ownership et le bénéficiaire a simultanément un equitable interest sur le bien et de même dans le cas de la substitution fidéicommissaire, l’héritier grevé est pro- priétaire avec condition résolutoire et l’héritier appelé a une expectative de nature réelle qui fait de lui un héritier et propriétaire sous condition suspensive 215. Vu la grande similitude de la situation entre le patrimoine objet de la substitution fidéicommissaire et le patrimoine du trust, il nous paraît que les mêmes règles doivent pouvoir s’appliquer 216. Ainsi, à notre avis, du fait que l’ordre juridique suisse applique le principe de subrogation réelle à la substitution fidéicommissaire, il n’y a aucun obstacle à ce que ce même principe prévu par le statut du trust soit reconnu en droit suisse pour le Sondervermögen du trust. Par conséquent, le droit de suite prévu par le statut du trust exercé sur des biens acquis en remploi de biens du trust ne contrevient à aucune règle impérative de l’ordre juridique suisse. Cet aspect du droit de suite doit dès lors également être reconnu en Suisse 217.

fiduciant et ceux acquis ultérieurement par le fiduciaire et que dès lors tous les biens devraient être soumis aux mêmes règles. Sur cette controverse, voir notamment Honsell, Schweizerisches Obligationenrecht, Besonderer Teil, p. 320-322. 214 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 11, n. 11-15 ; Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 216. 215 Eitel, in RSJB 134 (1998) 262. 216 Dans le même sens : Koppenol-Laforce, in Notarius International, vol. 3, 1998, p. 40. 217 Arrivant à la même conclusion en droit français : Jauffret-Spinosi, in Journal du droit international (Clunet) 1987, p. 57. 258 Delphine Pannatier Kessler

1.2 La restitution des remplois selon l’article 43 CO

Un autre raisonnement basé sur l’article 41 CO permet également de se convaincre du fait que la reconnaissance du droit de suite sur des biens ac- quis en remploi de biens du trust ne viole pas de règles impératives de notre ordre juridique. Si un trustee détourne des biens du trust du but prévu par l’acte de trust, par exemple en les aliénant de manière illicite et en en encaissant le prix de vente, son acte peut, selon les circonstances, être qua- lifié d’abus de confiance au sens de l’article 138 du Code Pénal (CP) ou de gestion déloyale selon l’article 158 CP 218. Cela constitue également un acte illicite au sens de l’article 41 CO 219. Si par hypothèse le trustee a réinvesti le prix de vente obtenu illicitement pour acquérir un immeuble en remploi, les bénéficiaires pourraient invoquer l’article 43 al. 1 CO pour obtenir la restitution en nature du bien acquis en remploi 220, au vu de la latitude que cet article laisse au juge pour déterminer le mode de réparation. Le même raisonnement pourrait être appliqué contre un tiers de mauvaise foi qui aliènerait le bien du trust et réinvestirait le produit de l’aliénation. Il peut être considéré, selon les circonstances, comme participant à l’infraction pénale commise par le trustee et sanctionné par les articles 138 CP ou 158 CP 221. Son action pourrait également être considérée comme un acte illicite selon l’article 41 al. 1 CO si elle viole une norme de protection222 ou est contraire aux mœurs selon 41 al. 2 CO 223. Cela permettrait aux béné- ficiaires ou au trustee de revendiquer le bien acquis en remploi sur la base de l’article 43 al. 1 CO 224. Selon nous, du fait que les mécanismes prévus par le droit suisse permettent la revendication de biens acquis en remploi en cas d’aliénation déloyale, la reconnaissance du droit de suite ne viole pas de règles impératives suisses. Ce raisonnement confirme la conclusion que nous avons tirée sur la base du “Sondervermögen” et de l’analogie à la

218 Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 92 ; Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 167. 219 Piotet, Les fruits acquis de bonne foi et l’enrichissement fixant l’étendue d’une obli- gation, in Contributions choisies, p. 686. 220 Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 167 ; Dans le même sens : Favre, Die Berechtigung von Depotkunden an auslandsverwehrten Effekten, p. 188. 221 Supino, Rechtsgestaltung mit Trust aus Schweizer Sicht, p. 92 ; Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 167. 222 Favre, Die Berechtigung von Depotkunden an auslandsverwehrten Effekten, p. 188. 223 Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 167. 224 Mayer, in AJP/PJA 2004, p. 167. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 259 substitution fidéicommissaire : la reconnaissance du droit de suite exercé sur des biens acquis en remploi ne viole pas de règles impératives suisses.

1.3 Praticabilité

Il convient toutefois encore de se pencher sur la question de la faisabilité et de la prévisibilité d’une telle solution. D’un point de vue systématique conforme avec notre interprétation de la Convention, on peut partir de l’idée que, le droit du trust étant applicable au droit de suite, c’est égale- ment ce droit qui détermine les conditions auxquelles le remploi est admis. Cependant, comme l’a relevé L. Thévenoz, les règles en droit des trusts sont très complexes et parfois contradictoires 225, ce qui rend extrêmement ardue la tâche du juge suisse confronté à une question de droit de suite sur un bien acquis en remploi. Dès lors, L. Thévenoz propose de soumettre la question des conditions et de l’étendue de la restitution au droit suisse 226. Nous nous rallions partiellement à son avis. Lorsque le juge a affaire à un cas clair de remploi (appelé clean subs- titution en droit anglais), c’est-à-dire lorsqu’un bien est aliéné et remplacé par un autre de manière directe, il nous paraît que l’application du droit anglo-américain ne posera pas de problème au juge. En effet, la règle est que l’on doit pouvoir suivre la transformation du bien à chaque étape. Il s’agit d’un raisonnement analogue à celui utilisé en droit pénal pour la confiscation de valeurs patrimoniales au sens de l’article 70 CP, lequel autorise la confiscation des biens initiaux et de leurs remplois 227 “dans la mesure où les différentes transactions peuvent être identifiées et docu- mentées (‘Papierspur’, ‘paper trail’)”228. En revanche, s’il s’agit d’un cas de remploi partiel (appelé mixed substitution en droit anglais) où des fonds provenant du trust sont mélangés avec des fonds personnels de l’acquéreur pour acquérir un nouveau bien, alors les règles de droit anglo-américain se révèlent fort compliquées et difficiles à appliquer 229. Dans un tel cas, il nous paraîtrait excessif d’exiger du juge suisse qu’il s’immerge dans cette matière complexe. Or, le droit suisse dispose d’une jurisprudence et d’une

225 Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 108. 226 Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 108-110. 227 Schwarzenegger / Hug / Jositsch, Strafrecht II, p. 209. 228 Arrêt 6S. 298/2995 in SJ 2006 I 463. 229 Pour un exemple Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.40-65, p. 996 ss. 260 Delphine Pannatier Kessler doctrine relativement claires et approfondies en matière de récompenses variables entre les masses d’acquêts et de biens propres des époux selon les articles 206 et 209 CC 230. Ces bases légales ainsi que la doctrine et la jurisprudence y relatives nous paraissent pouvoir être appliquées mutatis mutandis pour déterminer la part du bien sur laquelle le droit équitable in rem des bénéficiaires subsiste. Dès lors, sur la base de ces principes ­issus du droit de la participation aux acquêts, le juge pourrait déterminer la quote-part de copropriété des bénéficiaires sur un objet déterminé ou la part des bénéficiaires en cas d’objet divisible. Sous réserve de la possibilité de séparation, les bénéficiaires ne pourraient pas obtenir la restitution au trust du bien en nature sur lequel ont été opérées des mixed substitutions, mais ils bénéficieraient d’un droit de priorité en cas de réalisation forcée par revendication de leur quote-part de copropriété selon les articles 106 CP et 242 LP. Cela devrait suffire à garantir la protection de leurs droits en cas d’insolvabilité du détenteur du bien sur lequel est exercé le droit de suite.

1.4 Conclusion

Ainsi, bien que de manière théorique et systématique le droit de suite sur des remplois soit régi par le droit du trust et doive être reconnu en Suisse selon l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention car il respecte les règles im- pératives de notre ordre juridique, il y a lieu de distinguer le cas de clean substitution de celui de mixed substitution : dans le premier cas, vu sa sim- plicité, l’étendue et les conditions du droit de suite sont entièrement régies par le droit du trust. Dans le second cas, pour des raisons de praticabilité, il y a lieu d’appliquer par analogie les règles sur la détermination des ré- compenses et de la créance variable du régime de la participation aux ac- quêts pour calculer la quote-part de copropriété du bien acquis en remploi, respectivement sa part si le bien est divisible, soumise au mécanisme du droit de suite.

230 ATF 123 III 152 = JdT 1997 I 626 ; ATF 132 III 145 ; Hausheer, in BSK ZGB I, ad art. 206 CC, n. 16-24 et ad art. 209 CC, n. 23-24 ; Stettler / Waelti, Droit civil IV, Le régime matrimonial, § 350-354, p. 185-193 ; Deschenaux / Steinauer / Baddeley, Les effets du mariage, § 1281-§ 1300, p. 521-526 ; Hausheer / Reusser / Geiser, BK ZGB, ad art. 206 CC, n. 31-45 et ad art. 209 CC, n. 51-52 ; Hausheer / Geiser / Kobel, Das Eherecht, § 12.75 à § 12.138, p. 185 à 201. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 261

2. Droit de suite sur des revenus et produits

Le droit anglais des trusts autorise le droit de suite sur les revenus et les produits de réalisation, y compris sur les éventuelles plus-values générées par le bien en trust 231. En cas d’aliénation illicite, il est considéré que les revenus et les produits du bien en trust continuent à être grevés du trust et que le droit de propriété équitable des bénéficiaires subsiste sur ces der- niers. Les bénéficiaires peuvent dès lors exercer le droit de suite non seule- ment sur le bien initial mais également sur ses revenus et ses produits afin d’en obtenir la restitution au trust, à leur choix et dans les limites de l’in- terdiction de double restitution. Se pose la question de savoir si cet aspect du droit de suite peut être reconnu en Suisse. A notre avis, l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention couvre également le droit de suite dirigé contre des revenus et des produits générés par le bien en trust et requiert des Etats signataires la reconnaissance de cet aspect du droit de suite 232. A cet égard, bien que l’article 11 al. 3 lit. d ne parle expressément que de “la revendication des biens du trust”, celle-ci inclut les re­venus et les produits. En effet, dans la théorie anglaise des trusts, les revenus et produits constituent des biens du trust malgré leur aliénation ou leur changement de forme sur la base du même raisonnement que celui appliqué en matière de remploi. Or, c’est le droit du trust qui détermine ce que sont les biens du trust selon l’article 8 de la Convention (voir à cet égard le raisonnement sous VI.E.1, page 254). Ainsi, nous pensons que l’ar- ticle 11 al. 3 lit. d de la Convention requiert la reconnaissance du droit de suite également à l’égard des revenus et produits, sous réserve que celle-ci ne se heurte pas à des règles impératives suisses. Etant donné que l’ar- ticle 11 al. 3 lit. d deuxième phrase distingue le cas du tiers détenteur du bien et réserve le droit déterminé par les règles de conflit du for, soit le droit suisse dans notre hypothèse, nous analyserons de manière séparée le droit de suite contre le trustee et le droit de suite contre un tiers.

231 Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 103. 232 Dans le même sens : Harris, The Hague Trusts Convention, p. 321 ; suggérant une interprétation contraire : Foëx, in Das Haager Trust-Ubereinkommen und die Schweiz, p. 35. 262 Delphine Pannatier Kessler

2.1 Droit de suite exercé contre le trustee

Le droit de suite sur des revenus et produits exercé à l’encontre d’un trustee est entièrement régi par le droit applicable au trust, comme nous l’avons démontré plus haut. En effet, la restriction prévue à la deuxième phrase de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention ne s’applique pas au cas du trustee mais seulement à celui du tiers. Cependant, il y a lieu de vérifier si ce cas ne se heurte pas à des règles impératives de notre ordre juridique selon l’article 15 de la Convention. Pour ce faire, nous allons démontrer que les règles de droit suisse permettent d’arriver au même résultat que le droit de suite anglais et que dès lors ce dernier est en harmonie avec le droit suisse et ne viole pas de règles impératives. En droit suisse, les articles 938 et 939 CC exonèrent le possesseur de bonne foi de sa responsabilité tandis que l’article 940 CC régit la responsa- bilité du possesseur de mauvaise foi et le rend entièrement responsable 233. Ces règles s’appliquent tant aux meubles qu’aux immeubles 234. La loi pré- voit que le possesseur de mauvaise foi doit “indemniser l’ayant droit de tout le dommage résultant de l’indue détention, ainsi que des fruits qu’il a perçus ou négligé de percevoir” (art. 940 al. 1 CC). La bonne foi est déterminée de manière différente à l’article 933 CC et aux articles 938 à 940 CC : “Bei der Anwendung von Art. 933 kommt es darauf an, ob der Erwerber den Ver­ äusserer als zur Veräusserung befugt betrachten durfte. In Art. 938 kommt es demgegenüber darauf an, ob der Besitzer Grund hatte, seinen eigenen Be- sitz für rechtmässig zu halten” 235, (Lors de l’application de l’article 933, cela dépend si l’acquéreur pouvait considérer l’aliénateur comme autorisé à alié- ner. Au contraire, à l’article 938 cela dépend si le possesseur avait une raison de considérer sa propre possession comme conforme au droit). Le possesseur de mauvaise foi doit indemniser de l’entier du dommage 236, lequel com- prend l’impossibilité d’utiliser le bien pendant la période de possession, la perte de valeur du bien si elle est due au possesseur, le produit d’aliénation

233 Stark / Ernst, in BSK ZGB II, Vor Art. 938-940 CC, n. 2. 234 Stark, BK ZGB, Vor Art. 938-940 CC, n. 15 ; Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 46, p. 272. 235 Stark / Ernst, in BSK ZGB II, Vor Art. 938-940 CC, n. 8 ; Simonius / Sutter, Schwei- zerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 53, p.275. 236 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 57, p. 277 ; Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 515, p. 189. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 263 du bien237 ainsi que les fruits naturels et civils que le bien a produits 238. Ces derniers doivent être rendus en nature si possible car il s’agit d’une prétention réelle qui justifie une distraction en cas de faillite 239. De plus, l’article 423 CO relatif à la gestion d’affaires sans mandat égoïste complète l’article 940 CC 240 et autorise le maître à s’approprier les profits qui ré­ sultent de l’affaire si le gérant était de mauvaise foi 241. Il s’agit à présent d’appliquer ces principes au cas du trust. Si le trustee s’approprie des biens du trust, nous avons vu qu’il ne pourra pas être de bonne foi par rapport à son acquisition. De même, à notre avis, il ne pourra pas être de bonne foi quant à sa possession, c’est-à-dire qu’il n’aura pas de raison lui permettant de considérer sa possession comme conforme au droit 242. En effet, il saura ou aurait dû savoir qu’en sa qualité de trustee il n’est pas autorisé à acquérir à titre personnel des biens du trust, quelle que soit l’équité de l’affaire, sa bonne foi ou le prix correct payé pour la transac- tion. Le droit suisse oblige le trustee de mauvaise foi à restituer les revenus ou les produits du bien en trust par le biais de l’article 940 CC ainsi que les profits par application de l’article 423 CO. Ainsi, le droit suisse arrive à un résultat identique à celui du droit de suite anglais. Dès lors, la reconnais- sance du droit de suite sur des revenus et produits d’un bien en trust ne viole aucune règle impérative suisse 243. Cependant, il y a lieu de rappeler la proposition de L. Thévenoz consistant à utiliser le droit suisse pour déterminer les conditions et l’éten- due de la restitution des produits et des revenus, dans un but de simplicité et de prévisibilité du droit 244. Nous nous rallions à son point de vue et

237 ATF 45 II 263 ; ATF 79 II 59=JdT 1954 I 45 ; Stark / Ernst, in BSK ZGB II, ad art. 940 CC, n. 7-8 ; Schmid / Hürlimann-Kaup, Sachenrecht, p. 69 et 71 ; Stark, BK ZGB, ad art. 940 CC, n. 4 ss ; Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 519-520, p. 190. 238 Stark / Ernst, in BSK ZGB II, ad art 940 CC, n. 10 ; Simonius / Sutter, Schweize- risches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 58, p. 278 ; Schmid / Hürlimann-Kaup, Sa- chenrecht, § 354, p. 371. 239 Stark, BK ZGB, ad art 940 CC, n. 24. 240 Weber, in BSK OR I, Vor Art. 419-424 CO, n. 15 ; Héritier Lachat, in CR CO I, Intro- duction aux art. 419-424, n. 10. 241 ATF 119 II 40 ; Hartmann, Die Rückabwicklung von Schuldverträgen, p. 217 et note 283. 242 Stark / Ernst, in BSK ZGB II, Vor Art. 938-940 CC, n. 8. 243 Du même avis en droit français : Jauffret-Spinosi, in Journal du droit international (Clunet) 1987, p. 57. 244 Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 109 s. 264 Delphine Pannatier Kessler

­proposons de calculer l’ampleur de la restitution selon les règles du droit suisse contenues aux articles 940 CC et 423 CO, cela afin de simplifier la tâche du juge et de disposer de règles claires. En revanche, même si le calcul de l’étendue de la restitution obtenue par le droit de suite est effectué selon le droit suisse, il convient de ne pas perdre de vue que le moyen de droit au fond est régi par le droit du trust. Or, ce droit accorde un droit in rem qui doit être reconnu. Dès lors, cette reconnaissance implique que les bénéfi- ciaires peuvent faire valoir leur droit in rem sur les revenus et produits du bien en trust en bénéficiant de la priorité par rapport aux autres créanciers, au besoin par une revendication au sens de l’article 106 LP en cas d’exécu- tion forcée. Cela étant, il y aura encore lieu de vérifier sous quelle forme se trouvent ces revenus et produits ; s’ils sont en monnaie ou s’ils se trouvent sur un compte bancaire, les règles spécifiques énoncées ci-dessus devront de surcroît être appliquées et pourraient empêcher l’exercice du droit de suite de nature réelle.

2.2 Droit de suite exercé contre un tiers

Examinons maintenant l’hypothèse du droit de suite exercé contre un tiers. Le droit de suite sur des revenus et produits du trust exercé à l’en- contre d’un tiers est régi par le droit du trust, comme expliqué plus haut. Cependant, l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase réserve les droits et obligations du tiers, lesquels doivent être régis par le droit désigné par les règles de conflit du for, par hypothèse ici le droit suisse. Nous avons déjà vu qu’il s’agit des droits et obligations du tiers qui acquiert un bien, les- quels influencent sa bonne foi sous l’angle du principe de publicité et de la protection de l’acquéreur de bonne foi comme démontré plus haut et qu’il s’agit également des droits et obligations du possesseur d’un bien sans droit selon les article 938 à 940 CC. Ainsi, le droit de suite est régi par le droit du trust mais les droits et obligations des tiers et en particulier les conséquences de la possession en violation du trust sont régis par le droit suisse. Il nous faut donc vérifier si cette constellation respecte les règles impératives suisses. Dans la pratique, en matière de trust et d’aliénation déloyale, il nous paraît que trois cas de figure peuvent survenir : celui d’un acquéreur de bonne foi protégé dans son acquisition, celui d’un acquéreur de mauvaise foi et celui d’un donataire de bonne foi. Nous traiterons ces cas séparément ci-après. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 265

2.2.1 Le cas de l’acquéreur de bonne foi protégé

Le premier cas qui peut se présenter est celui du tiers de bonne foi au mo- ment de l’acquisition qui devient propriétaire selon la bona fide purchaser rule en droit anglais, ce qui correspond à la solution des articles 933 et 973 CC en droit suisse. Contre lui, il n’est pas possible d’exercer le droit de suite comme nous l’avons démontré (voir sous VI.A.1.2, page 209 et VI.A.2.2.2, page 223). Dès lors, les produits et revenus des biens en trust ne peuvent pas non plus être récupérés ni en droit des trusts ni en droit suisse vu que le tiers de bonne foi est devenu valablement propriétaire. Les articles 938 à 940 CC ne s’appliquent pas, le tiers n’étant pas possesseur sans droit. Ainsi, dans cette situation, le résultat auquel aboutit le droit du trust est identique à la solution suisse consistant à interdire la revendication contre un tiers de bonne foi. La reconnaissance du droit de suite dans ce cas est compatible avec le droit suisse.

2.2.2 Le cas de l’acquéreur de mauvaise foi

Le deuxième cas de figure est celui du tiers de mauvaise foi au moment de l’acquisition. Ce cas englobe celui du donataire de mauvaise foi. Le tiers de mauvaise foi ne devient pas propriétaire car il n’est protégé ni par la bona fide purchaser rule ni par les articles 933 et 973 CC. Rappelons que la déter- mination de sa bonne foi dépend du droit suisse, applicable par hypothèse, vu que la bonne foi découle de l’accomplissement des “droits et obligations du tiers”. De plus, l’article 940 CC détermine ses droits et obligations, par de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention car, s’il sait ou aurait dû savoir que le trustee n’était pas autorisé à aliéner, il ne peut pas considérer sa possession comme conforme au droit 245. Le droit du trust autorise le droit de suite sur des revenus et produits contre un tiers de mauvaise foi. Il y a lieu de vérifier si le droit du trust complété de l’article 940 CC arrive au même résultat que le droit suisse. Dans l’affirmative, cela signifie que les solutions des deux ordres juridiques sont compatibles et qu’il n’y a donc pas de violation de règles impératives au sens de l’article 15 de la Convention. Or tel est bien le cas : le posses- seur de mauvaise foi est contraint de restituer les produits et revenus selon

245 Dans le même sens : Stark / Ernst, in BSK ZGB II, Vor Art. 938-940 CC, n. 9. 266 Delphine Pannatier Kessler l’article 940 CC et il doit de même restituer les profits sur la base de l’ar- ticle 423 CO. Dès lors, la reconnaissance de cet aspect du droit de suite ne viole pas de dispositions impératives de l’ordre juridique suisse. Relevons au passage que L. Thévenoz a proposé de soumettre le calcul de l’étendue de la restitution au droit suisse, soit aux articles 940 CC et 423 CO pour le tiers de mauvaise foi pour garantir la simplicité et la pré- visibilité du droit 246. Selon l’interprétation choisie de l’article 11 al. 3 lit. d ­deuxième phrase de la Convention, le calcul de l’étendue de l’indemnisa- tion est régi de toute façon par l’article 940 CC. En ce qui concerne le calcul des profits réalisés pendant la période de détention en violation du trust, nous nous rallions à la proposition de L. Thévenoz et suggérons d’appli- quer l’article 423 CO au lieu des règles compliquées en la matière du droit régissant le trust.

2.2.3 Le cas du donataire de bonne foi

Le troisième cas de figure est celui du donataire de bonne foi d’un bien du trust. Nous avons vu qu’il n’était pas protégé dans son acquisition et que le droit de suite exercé à son encontre était à notre avis possible. En droit des trusts, le droit de suite s’étend aux fruits et aux produits obtenus par le donataire de bonne foi. Cet aspect du droit de suite peut-il être reconnu en Suisse ? Vu l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention, les droits et obligations du donataire de bonne foi sont régis par les articles 938 et 939 CC. La combinaison du droit de suite et des articles 938 et 939 CC permet- elle la revendication des fruits et produits contre le donataire de bonne foi ? Selon l’article 938 CC, le possesseur de bonne foi d’une chose “qui a joui de la chose conformément à son droit présumé ne doit de ce chef aucune indemnité à celui auquel il est tenu de la restituer. Il ne répond ni des pertes, ni des détériorations.” La ratio legis de cette disposition est de ne pas pro- voquer de désavantage au possesseur de bonne foi sans droit, lequel doit pouvoir se sortir de la situation sans pâtir du fait que sa possession était sans droit 247.

246 Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 110. 247 Stark / Ernst, in BSK ZGB II, ad art. 938 CC, n. 5. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 267

a) Les fruits En ce qui concerne les fruits, la doctrine majoritaire part du principe que le possesseur de bonne foi ne doit pas d’indemnité pour les fruits qu’il a retirés 248. Cela s’applique-t-il aux fruits consommés ou à tous les fruits ? La doctrine semble considérer que cela s’applique à tous les fruits, consommés ou non249. Nous ne partageons pas cet avis, du moins en ce qui concerne le donataire de bonne foi pour les fruits encore en sa possession. Interprété littéralement, l’article 938 CC empêche de réclamer une in- demnité pour les avantages retirés de la jouissance de la chose 250. Cepen- dant, cet article ne va pas aussi loin que l’article 756 CC par exemple, lequel donne la propriété des fruits à l’usufruitier. Il nous paraît que le possesseur de bonne foi n’a certes pas à indemniser le propriétaire pour les fruits dont il a joui en les consommant mais qu’il n’est pas pour autant devenu vala- blement propriétaire desdits fruits. S’il les a encore dans son patrimoine, il doit les restituer, ce qui à notre avis ne constitue pas une indemnité in- terdite par l’article 938 al. 1 CC. L’article 938 CC “entbindet den gutgläu- bigen unberechtigten Besitzer von Ersatzleistungen an den Berechtigten für ­Schaden”251. Si les fruits n’ont pas été consommés, l’article 938 CC ne peut pas délier le possesseur de bonne foi d’une prestation de remplacement (Er- satzleistung) dans la mesure où il n’y a rien à remplacer puisque les fruits se trouvent précisément encore dans le patrimoine du possesseur sans droit. Ainsi, à notre avis, l’article 938 CC ne libère pas le possesseur de bonne foi de l’obligation de rendre les fruits mais seulement de celle de les remplacer par des dommages-intérêts au cas où ils ne pourraient plus être rendus. Par ailleurs, cette restitution ne crée aucun dommage au possesseur sans droit, ce qui respecte la ratio legis de l’article 938 CC. En effet, cet article a pour but d’empêcher que la situation du possesseur sans droit de bonne foi ne soit péjorée du fait de sa possession sans droit. De plus, un possesseur de bonne foi nous paraîtrait injustement avantagé par rap- port à un débiteur poursuivi en enrichissement illégitime s’il n’avait pas à restituer les fruits non consommés 252. Ainsi, à notre avis, le possesseur de

248 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 503-504, p. 185 ; Simonius / Sutter, Schweize- risches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 40, p. 395. 249 Ernst / Stark, in BSK ZGB II, ad art. 938 CC, n. 4 ; Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 504 et § 505a, p. 185 s. 250 Stark / Ernst, in BSK ZGB II, ad art. 938 CC, n. 4. 251 Stark / Ernst, in BSK ZGB II, ad art. 938 CC, n. 1. 252 Dans le même sens : Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 505a, p. 186. 268 Delphine Pannatier Kessler bonne foi devrait tout de même restituer les fruits retirés à condition qu’ils soient encore dans son patrimoine. Ceci vaut à fortiori dans le cas d’un donataire de bonne foi, lequel n’a pas dû bourse délier pour entrer en pos- session du bien. Il ne nous paraîtrait pas justifiable que la loi ne l’oblige pas à restituer les fruits tirés de l’objet encore en sa possession, puisque cela ne lui cause aucun préjudice. Par contre, il ne doit aucune indemnité pour les fruits consommés. A cet égard, l’article 938 CC traite le donataire de bonne foi de manière plus favorable que le droit des trusts, qui l’aurait également obligé à indemniser les bénéficiaires pour les fruits consommés 253.

b) Les produits de réalisation Tournons-nous maintenant vers le produit de réalisation du bien aliéné. Le texte de l’article 938 CC parle de l’obligation de restitution de la chose. Cette restitution s’étend-elle à son produit de réalisation dans l’hypothèse où elle a été vendue dans l’intervalle ? La doctrine est partagée 254. Pour certains auteurs et pour le Tribunal fédéral, le produit de la réa- lisation du bien peut être assimilé à une jouissance du bien, de sorte que le produit n’a pas à être rendu 255. Cela étant, il nous paraît que les exemples cités pour justifier cette position partent toujours du principe que le bien a été acquis sans droit de manière onéreuse, sans envisager le cas du do- nataire de bonne foi. Par exemple, selon P.H. Steinauer, le possesseur n’a pas à rendre le prix de vente de l’objet ni même la différence entre ce prix et la somme que le possesseur de bonne foi aurait versée pour acquérir l’objet 256. Cet exemple démontre que l’hypothèse d’une donation n’est pas envisagée, ce qui ne surprend pas puisque selon P.H. Steinauer, le dona- taire de bonne foi devient propriétaire de l’objet acquis 257 et la question de la restitution ne se pose dès lors plus. Cependant, si l’on se rallie à la théo- rie de l’invalidité de la cause d’une donation effectuée à partir du patri- moine d’autrui (présentée sous VI.A.1.2.2c), page 213 et sous VI.A.2.2.1c), page 222) et basée sur une interprétation littérale de l’article 239 CO), le donataire de bonne foi pourrait être amené à devoir restituer le produit

253 Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 104. 254 Stark / Ernst, in BSK ZGB II, ad art. 938 CC, n. 5 ; Simonius / Sutter, Schweize- risches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 41, p. 395. 255 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 41, p. 395 et note 79 ; ATF 84 II 378 ; ATF 71 II 90. 256 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 507, p. 186. 257 Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 441, p. 163. VI. Droit de suite au regard de l’article 15 de la Convention 269 de la réalisation du bien. Il nous paraît nécessaire de réserver à ce cas un traitement différent de celui proposé en cas d’acquisition onéreuse. De leur côté, E. STARK et W. ERNST reconnaissent que “an sich tritt, wirtschaftlich betrachtet, den Erlös an die Stelle der veräusserten Sache. Das legt den Schluss nahe, dass er dem berechtigten Besitzer herauszugeben sei wie die Sache selbst, wenn sie nicht veräussert worden ist. (…) Entscheidend ist, dass der gutgläubige unberechtigte Besitzer mit der Sache ohne Nachteil so umgehen darf, wie wenn er berechtigt wäre”258 (le produit remplace d’un point de vue économique la chose aliénée. Il manque peu pour conclure que le produit doit être restitué au possesseur de bon droit de la même manière que la chose elle-même, si elle n’avait pas été aliénée. (…) Le point décisif est que le possesseur de bonne foi sans droit doit être placé sans désavantage par rapport à la chose, comme s’il en avait été possesseur à bon droit). Enfin, selon les auteurs P. Simonius et T. Sutter, la solution consistant à assi- miler le produit de la vente avec les fruits doit être rejetée et le possesseur de bonne foi doit donc restituer le produit de la vente de l’objet détenu de bonne foi 259, par exemple sur la base de la gestion d’affaires sans mandat (art. 423 CO). A notre avis, dans le cas d’un donataire de bonne foi, s’il vend le bien reçu en donation et obtient en échange une somme d’argent, cet argent remplace le bien. Rien ne justifie que le donataire de bonne foi soit avan- tagé s’il vend l’objet de la donation plutôt que s’il le garde en nature. Non seulement une obligation de restitution du produit de la vente ne lui cau- serait aucun préjudice, mais encore le fait de ne pas exiger la restitution du produit de la vente l’avantagerait de manière infondée. De plus, en suivant l’opinion de P. Simonius et T. Sutter, les règles de la gestion d’affaires sans mandat permettent de contraindre le tiers à restituer le produit de la vente 260. Dès lors, il nous paraît que le donataire de bonne foi doit restituer le produit de la vente de l’objet reçu en donation261.

258 Stark / Ernst, in BSK ZGB II, ad art. 938 CC, n. 5. 259 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 41, p. 395 s. 260 Simonius / Sutter, Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, T. 1, § 41, p. 395 s. ; Thévenoz, Trusts en Suisse, p. 105. 261 Rappelons que cette conclusion n’est applicable que si l’on admet la théorie de l’in- validité de la cause d’une donation effectuée sur un objet appartenant à autrui ou si l’on considère que l’article 933 CC ne s’applique pas en cas de donation. Dans le cas contraire, toute donation à un donataire de bonne foi transmet valablement la pro- priété, de sorte qu’il n’est pas possesseur sans droit et que les règles des articles 938 ss ne sont pas applicables. 270 Delphine Pannatier Kessler

Finalement, il y a lieu de préciser que le Tribunal fédéral a refusé une interprétation stricte de l’article 938 CC parce qu’il n’est pas justifiable qu’un possesseur de bonne foi soit placé dans une situation plus favorable qu’un débiteur en enrichissement illégitime. Ainsi, dans l’ATF 110 II 244, le Tribunal fédéral a condamné le possesseur de bonne foi tenu à restitution au paiement d’une indemnité pour l’utilisation et la jouissance de l’objet 262, contrairement à la lettre de l’article 938 CC.

c) Application au cas du donataire de bonne foi d’un bien du trust Le droit de suite permet la restitution des produits et fruits provenant du bien en trust obtenus par un donataire de bonne foi. Nous avons vu que la situation en droit suisse n’est pas claire mais que, à notre avis, le droit suisse devrait également permettre la restitution des produits et fruits dans l’hypothèse d’un donataire de bonne foi, sauf en ce qui concerne les fruits perçus de bonne foi et déjà consommés. Dès lors, nous pensons que cet aspect du droit de suite, complété des articles 938 et 939 CC, certes in- terprétés d’une manière plus large que ne le fait la doctrine dominante, est compatible avec notre ordre juridique et peut également être reconnu en Suisse. Relevons encore que le droit de suite sur le fond est régi par le droit du trust et accorde un doit in rem aux bénéficiaires, lequel doit être reconnu et leur permettra de faire valoir leur droit de propriété in rem sur les revenus et produits du bien en trust. Que les droits et obligations des tiers soient régis par les articles 938 à 940 CC ne change pas la nature des revenus et produits, lesquels sont des “biens du trust” selon l’article 11 al. 3 lit. d première phrase de la Convention. Le droit in rem donne ainsi aux bénéfi- ciaires une priorité par rapport aux autres créanciers, si nécessaire par une revendication au sens de l’article 106 LP en cas d’exécution forcée. Cependant il convient de relever que la forme sous laquelle se trouvent les revenus ou le produit de la vente au moment de l’exercice du droit de suite déterminera la manière dont ce dernier devra être exercé. Selon qu’il s’agit de monnaie en espèces mélangée avec les deniers du donataire ou par exemple d’une somme d’argent déposée sur un compte bancaire, la mise en application du droit de suite ne sera pas la même, comme nous le verrons au point suivant.

262 ATF 110 II 244 = SJ 1985 I 155 ; Steinauer, Les droits réels, T. 1, § 505a, p. 186. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 271

Chapitre VII Droit de suite sur des avoirs bancaires

Fréquemment, des sommes d’argent ou des titres provenant d’une tran- saction conclue en violation d’un trust ne se trouvent pas en espèces ou en nature dans les mains du défendeur mais plutôt sur un compte ou un dépôt bancaire ouvert au nom du trustee déloyal ou au nom d’un tiers auprès d’une banque. A cet égard, les banques suisses sont particulièrement ex- posées, des avoirs bancaires importants se trouvant inscrits au nom de ­trustees. Ainsi, la question de la reconnaissance du droit de suite sur des avoirs bancaires en Suisse revêt une grande importance pratique. Selon l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention, la revendication des biens du trust doit être reconnue dans les Etats signataires. Or, selon le droit anglais, une somme d’argent en espèces ou portée en compte bancaire constitue un bien du trust s’il provient du patrimoine du trust ou s’il est le produit de l’alié- nation d’un autre bien du trust. Dès lors, il nous paraît que l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention requiert le principe de la reconnaissance du droit de suite sur des avoirs bancaires, à condition qu’elle soit compatible avec le droit impératif suisse selon l’article 15 de la Convention. Nous nous pro- posons d’examiner cette question dans ce chapitre en traitant tout d’abord des comptes monétaires (VII.A, pages 271 ss), puis des titres (VII.B, pages 300 ss) et enfin des autres avoirs bancaires (VII.C, pages 314 ss).

A. Comptes monétaires

Le droit anglais des trusts permet l’exercice du droit de suite sur de la mon- naie portée en compte 1. Si le compte bancaire visé se trouve en Suisse, le droit de suite peut-il être reconnu ?

1 Hayton, The Law of Trusts, p. 170-172 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.48, p. 1098 ; Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 547-549 ; Riddall, The Law of Trusts, p. 434 ss, p. 443 ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.113 ss, p. 1024. 272 Delphine Pannatier Kessler

Dans le cas où les bénéficiaires cherchent à exercer le droit de suite contre le trustee titulaire d’un compte en banque, nous examinerons le caractère impératif des règles suisses sur la relation bancaire et la recon- naissance du droit de suite en relation avec ces règles. Dans l’hypothèse où les bénéficiaires cherchent à exercer le droit de suite contre un tiers, nous examinerons les droits et obligations de ce tiers dans le cadre de la relation bancaire à la lumière de l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention ainsi que la reconnaissance du droit de suite en relation avec ces règles.

1. Droit de suite exercé contre un trustee

1.1 Caractère impératif des articles 312 et 481 CO

En droit suisse, la relation entre la banque et la personne qui dépose de la monnaie en espèces sur un compte, qu’il s’agisse d’un compte cou- rant, d’un dépôt d’épargne ou autre, est régie soit par les règles du prêt (art. 312 ss CO) soit par les règles du dépôt irrégulier (art. 481 CO), selon la situation des clients et le but recherché par eux 2. Selon l’article 312 CO, “le prêt de consommation est un contrat par le- quel le prêteur s’oblige à transférer la propriété d’une somme d’argent ou d’autres choses fongibles à l’emprunteur, à charge par ce dernier de lui en rendre autant de même espèce et qualité”. Quant au dépôt irrégulier de l’article 481 CO, il s’agit d’un dépôt où le dépositaire a l’obligation de rendre non pas les mêmes espèces mais seulement la même somme. Le déposant perd la propriété de la monnaie 3 et n’a qu’une créance contre le ­dépositaire 4, lequel acquiert la propriété de la monnaie. Dans les deux

2 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 1, p. 683 ; Guggenheim, Les contrats de la pra- tique bancaire suisse, p. 143 et note 17, p. 153 ss et p. 245. 3 Il convient de préciser que le déposant perd la propriété de la monnaie dans le cas, re- lativement rare, où il dépose de la monnaie en espèces au guichet. Dans la réalité, les virements de compte à compte sont bien plus fréquents. Dans ce cas, il s’agit de mon- naie scriptural sur laquelle il n’y a pas de perte de la propriété. Ainsi, la question de la titularité réelle ne se pose pas puisqu’il s’agit de relations purement obligationnelles. 4 ATF 77 III 60 ; Becker, BK OR, ad art 481 CO, n. 7 ; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 143 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bank- geschäft, § 625, p. 203 ; Barbey, in CR CO I, ad art. 481 CO, n. 7 ; Tercier / Favre, Les contrats spéciaux, § 76, n. 6685, p. 1010. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 273 cas, la banque devient propriétaire de la monnaie déposée et le titulaire du compte n’a qu’une créance obligationnelle contre la banque en rembourse- ment de cette ­monnaie 5. La revendication de la monnaie par l’ancien pro- priétaire est donc exclue 6. Cet aspect de la relation bancaire est-il impératif et dans l’affirmative quelles en sont les conséquences pour la reconnais- sance du droit de suite ? Les contrats en droit suisse sont régis par le principe de l’autonomie de la volonté par opposition aux droits réels, dont les règles sont de nature im- pérative. Les articles 312 CO et 481 CO concernent certes des contrats mais incluent néanmoins une composante de droits réels en matière de transfert de propriété de la monnaie, laquelle découle de la règle de la réunion des espèces comme déjà exposé au point VI.D.1, page 247. Or, nous avons vu que le transfert de propriété de la monnaie par réunion était un principe impératif du droit suisse. Il nous paraît que l’aspect réel de ces contrats est par conséquent impératif. La position de H. Oser et de W. Schönenberger confirme la nature impérative de ces articles. Selon ces auteurs, si la monnaie est déposée sans être tenue séparée, fermée et cachetée, il y a une présomption en faveur d’un dépôt irrégulier. En revanche, si la monnaie déposée est gardée sépa- rément dans des enveloppes, elle reste la propriété du déposant et sa resti- tution doit s’effectuer en nature 7. Ainsi, les faits déterminent la situation en droits réels, laquelle est ensuite utilisée pour qualifier le contrat. Il est vrai que le principe d’autonomie de la volonté des parties les autorise à choisir un autre contrat pour régir leur relation. Cela étant, c’est la situation de fait qui dictera le résultat réel du transfert de propriété de la monnaie. Si le client dépose de la monnaie sur son compte et que cette monnaie est réunie avec les espèces de la banque, l’aspect factuel de réunion des espèces dé- termine le transfert de propriété. Les parties ne peuvent pas convenir que la réunion des espèces ne transfèrera pas la propriété 8. Ainsi, de par leur

5 ATF 87 III 15, 16 ; ATF 78 II 243, 254 ; Oser / Schönenberger, ZK OR, ad art. 481 CO, n. 5 ; Lasserre, Les avoirs bancaires non réclamés, p. 48 ; Higi, ZK OR, Vor Art. 312- 318 CO, n. 4-5 ; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, note 17, p. 143 et p. 145 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 625, p. 203 ; Barbey, in CR CO I, ad art. 481 CO, n. 7. 6 Oser / Schönenberger, ZK OR, ad art. 481 CO, n. 5 ; Lasserre, Les avoirs bancaires non réclamés, p. 48 ; Barbey, in CR CO I, ad art. 481 CO, n. 7. 7 Oser / Schönenberger, ZK OR, ad art. 481 CO n. 3c ; dans le même sens : Barbey, in CR CO I, ad art. 481 CO, n. 4. 8 Dans le même sens : Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 15, p. 328. 274 Delphine Pannatier Kessler nature même, les contrats de prêt et de dépôt irrégulier exigent un trans- fert de la propriété de la monnaie. A défaut, il ne s’agirait plus d’un prêt ou d’un dépôt irrégulier, mais par exemple d’un dépôt régulier. Cela confirme à notre avis la nature impérative de l’aspect réel des contrats de prêt et de dépôt irrégulier. Que l’on admette l’aspect réel impératif des contrats de prêt et de dépôt irrégulier ou que l’on remonte à la source en se référant à la règle de droit commun de la réunion des espèces, le dépôt de monnaie sur un compte bancaire a pour effet impératif de transférer la propriété de la monnaie à la banque et d’interdire au déposant la voie de l’action en revendication en droit suisse 9. Dans la réalité, il est fort probable que le titulaire d’un compte ban- caire ne dépose pas de la monnaie en espèces à la banque, laquelle est en- suite portée en compte dans les livres de la banque mais plutôt que le titu- laire du compte reçoive un virement d’une somme d’argent provenant d’un autre compte bancaire. L’on parle alors de monnaie scripturale et de giro bancaire 10. Ce transfert de fonds sera exécuté par un jeu d’écritures comp- tables. Si les comptes du donneur d’ordre et du bénéficiaire se ­trouvent auprès de la même banque, le compte du donneur d’ordre sera débité et celui de bénéficiaire sera crédité du même montant 11. Si en revanche les comptes se trouvent auprès de banques différentes, de surcroît s’il s’agit de comptes en devises étrangères, un jeu complexe de débits et crédits res- pectifs sera nécessaire pour aboutir au crédit du compte du bénéficiaire 12. Le virement procure à son bénéficiaire une créance d’un montant équiva- lent à celui du virement, créance dont la banque du bénéficiaire devient débitrice vis-à-vis du titulaire du compte crédité 13. La situation du point de vue des droits réels est la même que décrite ci-dessus en cas de dépôt de monnaie en espèces sur un compte bancaire ; l’écriture au crédit du compte bancaire de son titulaire ne crée pas un droit réel du titulaire du

9 Dans le cas de la monnaie scripturale, le titulaire du compte n’a jamais été propriétaire au sens du droit réel de la monnaie versée sur son compte. L’action en revendication sur cette monnaie lui est également interdite car il n’est titulaire que d’une créance contre la banque. 10 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire, p. 489. 11 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 7, p. 448 ; voir aussi Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire,, p. 487 ss. 12 Voir à ce sujet : Lombardini, Droit bancaire suisse, § 5 ss, p. 447 ss. 13 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 4, p. 447 et § 23, p. 454. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 275 compte sur cette monnaie mais uniquement un droit de créance vis-à- vis de sa banque. L’action en revendication est ainsi exclue. S’agissant de normes impératives suisses, il convient de vérifier la compatibilité du droit de suite avec ces dernières.

1.2 Compatibilité avec le droit impératif

Si l’on se réfère à la conception traditionnelle du droit de suite en tant qu’action réelle, le droit de suite exercé contre un trustee déloyal sur une somme d’argent portée en compte bancaire à son nom se heurte à des règles impératives 14. En effet, le trustee a perdu, respectivement n’a jamais eu, la propriété de la monnaie en compte bancaire et il n’a (plus) qu’un droit de créance à l’encontre de la banque, sauf circonstances spéciales où la mon- naie serait gardée sur un compte séparé ou serait individualisable 15. Dès lors, le droit de suite ne peut pas porter de manière réelle sur de la mon- naie qui n’est pas ou plus propriété du trustee et pour laquelle il n’a qu’une créance envers la banque. Etant donné que le transfert de propriété et l’in- terdiction de la revendication sont dans ce cas impératifs, il semble à pre- mière vue que le droit de suite exercé sur de la monnaie portée en compte bancaire ne peut pas être reconnu dans sa forme réelle, puisque l’article 15 al. 1 de la Convention donne priorité aux règles impératives par rapport à la reconnaissance du trust 16. Le droit de suite devra alors se reporter sur la créance du trustee contre la banque, laquelle se substitue à la monnaie déposée en compte ; nous y reviendrons au point VII.A.3, pages 280 ss. En relation avec cette question, il y a lieu de mentionner que le droit anglais des trusts est confronté à la même difficulté pour les comptes ban- caires, en particulier en ce qui concerne les comptes dits électroniques 17. En droit anglais comme en droit suisse, le dépôt de monnaie sur un

14 Pourtant, dans l’arrêt no 5C.169/2001, le Tribunal fédéral a accepté de donner effet aux droits in rem des Etats-Unis d’Amérique sur de l’argent situé sur un compte ban- caire en Suisse séquestré. 15 Moosmann, Der angelsächsische Trust, p. 302. 16 Du même avis : Kötz, in Rabels Zeitschrift (50) 1986, p. 581 ; Kötz, in Trusts in Prime Jurisdictions, p. 20. 17 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.113, p. 1024 ; Hudson, The nature of property in equity and trusts, § 34.1.3 ; dans le même sens : Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.57 s., p. 1102. 276 Delphine Pannatier Kessler compte en banque a pour effet de transférer la propriété de la monnaie à la banque 18. Le client a une créance obligationnelle envers sa banque à hau- teur du montant porté en compte 19. Cependant, le droit anglais ne connaît pas la summa divisio du droit suisse consistant à distinguer strictement entre droits réels et droits personnels ; la frontière est plus floue. En effet, selon le droit anglais, la monnaie portée en compte ainsi que les comptes bancaires eux-mêmes sont intangibles et ne sont pas seulement des droits de créances mais également des “choses in action”20, c’est-à-dire des droits absolus intangibles dont on admet qu’ils sont des objets de propriété dans cet ordre juridique 21. Malgré la nature obligationnelle (selon les critères de droit suisse) de la monnaie en compte bancaire, le droit anglais fait preuve de pragmatisme et de flexibilité ; il admet l’exercice du droit de suite en équité sur de la monnaie portée en compte bancaire en visant non plus la monnaie elle-même devenue une créance mais la valeur représentée par cette monnaie, à condition que cette valeur puisse être identifiée comme provenant de la violation du trust 22. Des présomptions et des règles com- pliquées régissent cette identification de valeur. Or, il est intéressant de constater que la jurisprudence anglaise en matière de droit de suite a néan- moins eu des difficultés conceptuelles avec la nature obligationnelle de la monnaie portée en compte électroniquement en ce qui concerne l’identi- fication de la valeur, soit le tracing stricto sensu. En effet, lorsque des vi- rements passent au travers d’un système de clearing, l’identification des valeurs selon les règles du tracing au fil des transferts est rendue impos- sible vu les divers débits, crédits et compensations inter banques 23. Dans

18 Proctor, Mann on the Legal Aspect of Money, § 1.03 p. 7, § 1.57, p. 42 ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.113, p. 1024 ; Hudson, The nature of property in equity and trusts, § 34.1.3 19 Ibid. 20 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.113, p. 1024 ; Hudson, The nature of property in equity and trusts, § 34.2.1 (3) ; voir également Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.58, p. 1102. 21 Hudson, The nature of property in equity and trusts, § 34.2.1 (3). 22 Re Diplock (1948) Ch. 465 ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.116, p. 1025 ; Proctor, Mann on the Legal Aspect of Money, § 1.03 p. 7 ; § 1.55, p. 39 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.57 s., p. 1102. 23 Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.116, p. 1025 s. ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 92.57 s., p. 1102. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 277 ce cas, il a été jugé que le droit de suite en common law n’est pas possible car l’on ne peut identifier les passages de valeur au travers du système ­interbancaire 24. Face à cet obstacle, la jurisprudence anglaise a tout de même admis que le droit de suite en equity pouvait être exercé en traitant fictivement la valeur provenant de la créance comme de la monnaie indi- vidualisée et tangible “akin to a bag of coins”25 (comme un sac de pièces de monnaie) pour l’exercice du droit de suite 26. Ainsi, en présence de comptes bancaires équivalant en droit anglais à une somme de dettes et créances, l’equity anglaise adapte le droit de suite à sa cible en lui donnant une forme appropriée, visant la valeur représentée par la monnaie scripturale portée en compte, tout en conservant la nature réelle du droit de suite et donc le droit de préférence qu’il confère en cas d’insolvabilité du défendeur 27. En tenant compte de cette adaptation du droit de suite à la nature obligation- nelle des comptes monétaires en droit anglais, on pourrait être tenté de conclure qu’en définitive la reconnaissance du droit de suite en Suisse sur des comptes monétaires ne s’oppose pas aux règles impératives de notre ordre juridique. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le droit an- glais ne traite pas le droit de suite sur de la monnaie portée en compte comme une pure action personnelle ; en effet, le droit de préférence garanti par le droit de suite demeure malgré la nature en soi obligationnelle de la monnaie portée en compte. A notre sens, c’est précisément à ce niveau que l’article 15 al. 1 de la Convention entre en jeu : la reconnaissance du droit de préférence garanti par le droit des trusts sur de la monnaie portée en compte bancaire en Suisse est contraire au droit impératif suisse, puisque selon notre ordre juridique la propriété de la monnaie a passé à la banque de manière impérative, excluant la revendication et par conséquent le droit de préférence. De plus, il est intéressant de relever que le Tribunal fédéral a déjà accepté en 2001 de donner effet en Suisse au droit de préférence des bé- néficiaires d’un constructive trust, en l’espèce les Etats-Unis d’Amérique, sur plusieurs sommes d’argent déposées sur des comptes bancaires suisses

24 Proctor, Mann on the Legal Aspect of Money, § 1.55, p. 39 ; Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.116, p. 1025. 25 Westdeutsche Landesbank Girozentrale v. Islington LBC (1996) AC 669. 26 Westdeutsche Landesbank Girozentrale v. Islington LBC (1996) AC 669, Thomas / Hudson, The Law of Trusts, § 33.113, p. 1024 ; Proctor, Mann on the Legal Aspect of Money, § 1.03 p. 7 ; § 1.55, p. 39. 27 Proctor, Mann on the Legal Aspect of Money, § 1.55, p. 39. 278 Delphine Pannatier Kessler séquestrés 28. Il a été considéré que la mise en œuvre des droits in rem des bénéficiaires sur des avoirs en compte bancaire au nom de tiers était com- patible avec l’ordre public suisse. Ces principes devraient a fortiori être applicables si le compte bancaire est directement détenu par le trustee. Certes, l’examen de compatibilité avec les règles impératives suisses n’a eu lieu que sur le plan de l’ordre public, lequel est bien plus restreint que l’examen prescrit à l’article 15 de la Convention de La Haye sur les trusts, cette dernière n’étant pas encore en vigueur lors du prononcé de cet arrêt. Toute­fois, on peut en déduire que l’exercice du droit de suite sur de la mon- naie portée en compte bancaire en Suisse est dans son principe possible dans la mesure où le droit étranger le permet. En gardant à l’esprit ce qui précède, nous proposerons une construction permettant de donner effet au droit de suite sur de la monnaie en compte bancaire de manière quasi réelle, c’est-à-dire en maintenant le droit de préférence, au point VII.A.3, pages 280 ss.

2. Droit de suite contre un tiers

Dans la systématique de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention, tournons- nous maintenant vers le cas où les bénéficiaires tentent d’exercer le droit de suite non pas contre le trustee mais contre un tiers détenant un compte monétaire. Si le tiers est de bonne foi et a acquis la monnaie à titre oné- reux, il est protégé dans son acquisition ; l’exercice du droit de suite à son encontre n’est pas possible comme nous l’avons démontré précédemment. Nous ne traiterons donc à présent que le cas où le tiers est de mauvaise foi ou est un donataire.

2.1 Applicabilité du droit suisse à la relation bancaire

Dans l’hypothèse qui nous occupe maintenant, le droit de suite vise un tiers détenant un compte auprès d’une banque et non plus le trustee. Afin de déterminer le droit applicable à la relation entre le tiers visé par le droit de suite et la banque tenant le compte de ce dernier, il y a lieu de revenir à

28 Arrêt du Tribunal fédéral no 5C.169/2001 du 19 novembre 2001, en particulier consi- dérant 6b) ; Von Overbeck, in Yearbook of Private International Law 2002, vol. 1V, p. 218. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 279 l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention, lequel prévoit que les droits et obligations des tiers sont régis par le droit désigné au for. Se- lon l’interprétation historique de l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention présentée dans le rapport explicatif de A. von Overbeck, “les droits et obligations d’un tiers détenteur des biens du trust” visent en particulier les banques et autres détenteurs sur la base d’une relation ­contractuelle 29. La réserve en faveur du droit désigné par les règles de conflit du for a une portée controversée : selon certains, elle s’applique à tout tiers, selon d’autres elle s’applique seulement aux banques détenant des avoirs du trust. Nous avons pris parti en faveur d’une interprétation large s’appliquant à tout tiers, y compris à ceux ayant acquis un bien du trust aliéné en violation de ce dernier. Il est renvoyé pour le surplus au chapitre IV.F.2.1, page 112. Les droits et obligations des banques et des tiers titulaires d’un compte bancaire sont ainsi régis par la loi déterminée par les règles de conflit du for. En l’espèce, les banques suisses introduisent en principe toujours une clause d’élection de droit en faveur du droit suisse dans leurs conditions générales. Dès lors, selon l’article 116 LDIP, le droit suisse est applicable aux droits et obligations de la banque et des tiers. Ainsi, selon les articles 312 CO ou 481 CO, la propriété de la monnaie passe à la banque au moment où un client dépose de la monnaie sur un compte bancaire, ce qui inter- dit toute action en revendication sur cette monnaie selon le droit suisse. Le droit de suite devra alors se reporter sur la créance du tiers contre la banque, laquelle se substitue à la monnaie déposée en compte.

2.2 Compatibilité avec le droit impératif

Le droit de suite sur le fond est régi par le droit du trust. Toutefois, du fait que les droits et obligations du tiers et de la banque sont régis par le droit suisse, la propriété de la monnaie portée en compte par une banque passe à cette dernière, ne laissant au titulaire du compte qu’une créance contre la banque. Dès lors, si l’on se réfère à la conception traditionnelle du droit de suite en tant qu’action réelle, le droit de suite exercé contre le tiers de mauvaise foi ou le donataire se heurte à la situation réelle impérative où le tiers n’est pas ou n’est plus propriétaire de la monnaie visée. Relevons que

29 Von Overbeck, in Trusts & Trustees, April 1996, p. 7. 280 Delphine Pannatier Kessler si le tiers était de bonne foi 30, on ne pourrait pas exercer le droit de suite à son encontre, puisque le droit de suite s’arrête en droit anglais devant le bona fide purchaser for value. Cependant, nous avons vu que le droit de suite en droit anglais s’adapte à la nature obligationnelle de la monnaie portée en compte et que ce n’est que l’aspect réel du droit de suite, le droit de préférence, qui est problématique du point de vue de l’article 15 al. 1 de la Convention. Nous avons également vu que le Tribunal fédéral a accepté en 2001 de donner effet au droit in rem des bénéficiaires d’un constructive trust sur des avoirs bancaires au nom de tiers 31. Par ailleurs, le droit de suite exercé directement contre la banque se heurte également à la situation réelle impérative, puisque la banque est devenue valablement propriétaire de la monnaie au regard du droit im- pératif suisse et n’a qu’une dette obligationnelle à l’égard du tiers titulaire du compte. De surcroît, la banque n’a pas en droit suisse la qualité pour défendre lorsque des paiements versés sur un compte doivent être restitués par le titulaire du compte 32. Dès lors, les bénéficiaires ne peuvent pas re- vendiquer leur droit de propriété à l’encontre de la banque. Ainsi, la reconnaissance du droit de préférence du droit de suite sur de la monnaie portée en compte bancaire se heurte aux règles impératives suisses, de sorte qu’il faut tenter de donner effet au caractère in rem du droit de suite, c’est-à-dire au droit de préférence, d’une autre manière selon l’article 15 al. 2, ce que nous examinerons au point suivant.

3. Mise en œuvre du droit de suite selon l’article 15 al. 2 de la Convention

La reconnaissance en Suisse du caractère réel du droit de suite sur des comptes monétaires se heurtant à l’article 15 al. 1 de la Convention de la Haye sur les trusts, il y a lieu d’appliquer l’article 15 al. 2 de la Convention, lequel exige de donner effet aux objectifs du trust par d’autres moyens juri- diques. Parmi les objectifs du trust, on compte celui de protéger les intérêts des bénéficiaires. La nature réelle des intérêts des bénéficiaires, dont le bras

30 Mais pas s’il a reçu à titre gratuit. 31 Arrêt du Tribunal fédéral no 5C.169/2001 du 19 novembre 2001, en particulier considé- rant 6b). 32 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 92, p. 473. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 281 armé est le droit de suite, sert à réaliser ce but. Il faut dès lors réaliser ce but de sauvegarde des droits des bénéficiaires en mettant en œuvre le droit de suite d’une manière adaptée à sa cible, à savoir la créance résultant du compte monétaire, tout en ne perdant pas de vue que les bénéficiaires du trust doivent bénéficier d’un droit de priorité sur ces avoirs bancaires en cas d’insolvabilité du défendeur. Afin de respecter les règles impératives suisses et en s’inspirant de la solution du droit anglais consistant à adapter le droit de suite lorsqu’il vise des créances en compte bancaire en lui donnant pour cible non plus la monnaie elle-même mais la valeur représentée par la monnaie portée en compte 33 (voir sous VII.A.1.2, page 275), le droit de suite devra à notre avis prendre en droit suisse la forme d’une action de nature personnelle afin de tenir compte de la nature obligationnelle des comptes monétaires suisses. Il faudra mettre en œuvre le droit de préférence en l’adaptant d’une manière compatible avec le contexte juridique suisse. Cela pourra à notre avis se faire de deux manières différentes : d’une part par une action en paiement directement contre la banque, garantissant de ce fait la créance des bénéficiaires contre le titulaire du compte (VII.A.3.1, page 281), d’autre part par une action en paiement contre le trustee ou le tiers titulaire du compte en banque sur lequel se trouvent des valeurs provenant du trust, assortie d’une cession de la créance découlant du rapport de compte ban- caire (VII.A.3.2, page 286). Ces deux possibilités de mettre en œuvre le droit de suite seront présentées ci-après.

3.1 Mise en œuvre directement contre la banque

Nous présenterons tout d’abord la mise en œuvre du droit de suite sur un compte monétaire directement contre la banque. Relevons néanmoins qu’en principe la banque n’est que le dépositaire des fonds ; elle n’émet pas de prétentions sur les actifs portés en compte et visés par le droit de suite, sauf dans l’hypothèse où elle ferait valoir avoir acquis le bien par exemple à titre de sûreté. Par conséquent, le vrai opposant au droit de suite est le titulaire du compte et non pas la banque, la préoccupation de cette der- nière se limitant à ne pas payer à tort. Une action directement contre la banque devrait être cumulée avec une action contre le titulaire du compte

33 Westdeutsche Landesbank Girozentrale v. Islington LBC, (1996) AC 669. 282 Delphine Pannatier Kessler en banque. Si tel n’est pas le cas, la banque directement mise en œuvre­ devrait pouvoir appeler en cause le titulaire du compte. Nous y revien- drons au point suivant VII.A.3.1.2, page 285.

3.1.1 Le fondement

Comme le droit de suite selon le droit des trusts vise de manière réelle la monnaie en compte bancaire 34, l’adaptation la plus simple au droit suisse est de considérer que, en application de l’article 15 al. 2 de la Convention, les bénéficiaires du trust ont de par la loi, selon le droit du trust, un droit de créance contre la banque détenant des avoirs du trust dans ses livres. Le droit de suite est ainsi amputé de son aspect réel et se transforme en un droit de créance contre la banque. Ce droit de créance parallèle à celui du titulaire du compte existe dès le début, c’est-à-dire dès que des actifs d’un trust sont déposés ou virés sur un compte en banque en violation du trust. Il s’agit d’une créance accessoire à la créance du titulaire du compte ; dès lors, cette créance des bénéficiaires contre la banque n’existe que pour autant que la créance du titulaire du compte existe et uniquement dans la même étendue que la créance principale. En cas de compte courant soumis à la novation, il y a lieu de préciser que c’est la créance du solde du compte qui est déterminante et non pas chaque créance particulière. L’accessoriété de la créance des bénéficiaires du trust est à notre avis comparable à celle de la créance due par la caution par rapport à la créance principale dans le contrat de cautionnement selon les articles 492 et ss CO. Dans les deux cas, la créance accessoire n’existe que pour autant que la créance principale soit valable et n’ait pas été éteinte, comme le prévoit l’article 492 al. 2 CO en matière de cautionnement 35. Relevons à cet endroit que la novation ne s’oppose pas à cette solution puisque l’on peut considérer que la créance accessoire découlant du droit de suite est une sorte de sûreté pour les bé- néficiaires du trust, laquelle ne s’éteint pas par novation selon l’article 117

34 Sous réserve des cas où le compte bancaire est composé de dettes et créances prove- nant de transferts télégraphiques. 35 Guhl / Koller / Schnyder / Druey, Das schweizerische Obligationenrecht, § 2, p. 622, § 9, p. 624, § 54-55, p. 637 s. et § 68, p. 640 ; Von Tuhr / Escher, Allg. Teil OR, T. 2, p. 163-164 ; Koller, Schweizerisches Obligationenrecht Allg. Teil, § 17, p. 1030 et § 20, p. 1031. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 283 al. 3 CO 36. De plus, la novation n’empêche pas de faire valoir des erreurs dans la tenue du compte, constituées par exemple dans le cas nous inté- ressant par la comptabilisation à tort au crédit du compte du titulaire de sommes provenant de la violation du trust 37. Ainsi, si la banque s’exécute en mains du titulaire du compte avant d’avoir été informée des prétentions des bénéficiaires du trust découlant du droit de suite, la banque se libère de son obligation principale et par la même occasion la créance accessoire s’éteint. De même, si la banque détient un droit de gage sur la créance principale, ce dernier affecte dans la même mesure la créance accessoire. Dès lors, la banque s’étant libérée valablement, les bénéficiaires ne peuvent plus rechercher la banque pour des avoirs qui ne se trouvent plus dans ses livres et doivent rechercher le titulaire du compte directement. Cela correspond à la situation en droit des trusts puisque le droit de suite ne peut s’exercer que pour autant que les avoirs provenant de la violation du trust puissent être identifiés. S’ils ne sont plus là ou s’ils ont été dissipés, le droit de suite n’est plus possible. En revanche, dès que la banque est informée du fait que les bénéfi- ciaires d’un trust émettent des prétentions découlant du droit du trust sur de la monnaie portée sur le compte bancaire d’un de ses clients (ou seu- lement à concurrence d’un certain montant), il nous paraît que la banque ne peut plus se libérer valablement en payant à son client, le titulaire du compte. En effet, l’application analogique de l’article 168 CO concernant les créances litigieuses en cas de cession de créance, par renvoi de l’article 15 al. 2 de la Convention, nous paraît indiquée 38. Dès que la banque est infor- mée du fait que des bénéficiaires d’un trust revendiquent des droits sur des avoirs monétaires en compte, elle doit bloquer le compte à concurrence de la somme litigieuse et exiger des bénéficiaires du trust qu’ils justifient leurs prétentions. Si ces derniers sont en mesure de rendre vraisemblable même de manière faible que la somme en question peut provenir d’une violation

36 Gauch / Schluep / Schmid / Emmenegger, Schweizerisches Obligationenrecht Allg. Teil, T. 2, § 3165, p. 200 ; Bucher, Schweizerisches Obligationenrecht Allg. Teil, p. 413-414. 37 ATF 127 III 150 ; Gauch / Schluep / Schmid / Emmenegger, Schweizerisches Obligati- onenrecht Allg. Teil, vol. 2, § 3166, p. 200 ; Bucher, Schweizerisches Obligationen- recht Allg. Teil, p. 413. 38 Gauch / Schluep / Schmid / Emenegger, Schweizerisches Obligationenrecht Allg. Teil, T. 2, § 3493, p. 260 ; Von Tuhr / Escher, Allg. Teil OR, T. 2, p. 362-363 ; Engel, Traité des obligations en droit suisse, p. 884. 284 Delphine Pannatier Kessler du trust 39, la banque doit continuer à bloquer la compte à concurrence du montant litigieux 40 ou consigner cette somme en justice selon l’article 168 al. 1 CO par analogie 41. Nous sommes d’avis que la banque ne peut igno- rer la prétention des bénéficiaires et ne peut débloquer le compte que si elle est en mesure d’exclure, sur la base des informations en sa possession ainsi que des affirmations et preuves apportées par les bénéficiaires, que ces derniers détiennent des prétentions sur les avoirs dans ses livres. Si la banque paie la somme au titulaire du compte malgré sa connaissance du litige sur la titularité des avoirs, elle le fait à ses risques et périls selon l’article 168 al. 2 CO par analogie, s’exposant à devoir payer une deuxième fois aux bénéficiaires du trust en cas de succès du procès en droit de suite 42. Ainsi, si les bénéficiaires d’un trust informent la banque à un moment où elle détient encore la somme d’argent provenant de la violation du trust dans ses comptes, ils sont garantis d’obtenir satisfaction en cas de succès de leur action en droit de suite dans la mesure de l’étendue de la créance principale 43. Dans la pratique, l’action des bénéficiaires du trust sera une demande en paiement contre la banque basée sur leur droit de créance à son en- contre découlant du droit de suite régi par le droit anglais des trusts et mis en œuvre en Suisse sous forme obligationnelle par l’application de l’ar- ticle 15 al. 2 de la Convention.

39 Exigeant une information au débiteur mais également l’obligation pour le débiteur de procéder à un examen approfondi de la question de la titularité aboutissant à des doutes justifiés concernant la personne du créancier : Guhl / Koller / Schnyder / Druey, Das schweizerische Obligationenrecht, § 42, p. 275 ; Gauch / Schluep / Schmid / Emenegger, Schweizerisches Obligationenrecht Allg. Teil, T. 2, § 3494, p. 260. 40 La banque est confrontée au choix de bloquer le compte ou de payer en prenant le risque de devoir payer deux fois. Dans la pratique, elle n’aura d’autre choix, sauf consi- dérations commerciales particulières, que de bloquer le compte. 41 Von Tuhr / Escher, Allg. Teil OR, T. 2, p. 363. 42 Voir Guhl / Koller / Schnyder / Druey, Das schweizerische Obligationenrecht, § 10, p. 267 et § 39-42, p. 274 ; Gauch / Schluep / Schmid / Emenegger, Schweizerisches Obligationenrecht Allg. Teil, T. 2, § 3493, p. 260 ; Von Tuhr / Escher, Allg. Teil OR, T. 2, p. 362 s. ; Engel, Traité des obligations en droit suisse, p. 884. 43 Si la créance principale fait l’objet d’un gage, la créance accessoire en est également grevée, même en cas de succès du droit de suite. Il ne serait pas justifié que la banque soit désavantagée en perdant son droit de gage en cas de succès du droit de suite. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 285

3.1.2 Les figures procédurales

Dans la pratique, le blocage du compte par la banque ou la consignation en justice de la somme litigieuse aura pour effet de provoquer le procès. Divers cas de figure pourront à notre avis se présenter. Si c’est le titulaire du compte qui attaque la banque en exécution de son obligation de payer, la banque ne devrait pas manquer d’appeler en cause les bénéficiaires du trust ou au moins de leur dénoncer l’instance pour leur permettre d’inter- venir 44. Si elle ne le fait pas, elle s’expose au risque d’être potentiellement condamnée à payer une deuxième fois en cas de jugement contradictoire. Si au contraire ce sont les bénéficiaires du trust qui sont demandeurs dans une action en paiement contre la banque, cette dernière fera de même vis- à-vis du titulaire du compte. Un cumul d’actions contre la banque et contre le titulaire du compte bancaire est également envisageable. Dans l’hypo- thèse où la banque a consigné la somme en justice, elle se sera libérée selon l’article 168 al. 1 CO par analogie, de sorte qu’elle n’aura pas à être partie au procès. Dans ce cas, les bénéficiaires du trust seront en principe deman- deurs à une action en droit de suite contre le titulaire du compte bancaire comme présenté sous VII.A.3.2, page 286.

3.1.3 La garantie de la satisfaction des prétentions et le droit de préférence

Comme nous l’avons relevé ci-avant, une fois que la banque est informée du litige, elle ne peut plus se libérer valablement en payant au titulaire du compte. Elle doit ainsi bloquer le compte ou consigner la somme en justice. Si elle paie quand même après avoir été informée du litige, elle demeure débitrice de la somme en question vis-à-vis des bénéficiaires du trust en cas de succès de leur action en droit de suite. Ainsi, à moins que le titulaire du compte n’ait vidé le compte en banque avant que la banque n’ait été in- formée du litige sur les avoirs monétaires, les bénéficiaires ont la garantie que leurs prétentions seront satisfaites en cas de succès dans la mesure de la créance principale. Par ailleurs, les bénéficiaires du trust n’ont pas à supporter le risque d’insolvabilité du tiers titulaire du compte bancaire. En effet, même si ce

44 Sur ces concepts, voir sous VIII.F, pages 342 ss ; sur ces questions voir également Von Tuhr / Escher, Allg. Teil OR, T. 2, p. 363. 286 Delphine Pannatier Kessler dernier tombe en faillite, les bénéficiaires du trust pourront invoquer leur créance contre la banque découlant du droit de suite en “revendiquant” leur créance préférable contre la masse en faillite. Ce procès ne se fera pas sur la base de l’article 242 LP étant donné que la jurisprudence du Tribunal fédéral refuse l’application de cet article aux créances, à moins qu’elles ne soient incorporées dans un papier-valeur45. Un procès ordinaire en droit de suite concernant la priorité des bénéficiaires ou du nouveau trustee comme titulaires de la créance aura lieu entre le revendiquant et la masse en faillite après que la banque ait par hypothèse consigné la somme litigieuse en ­justice 46 ou après qu’elle se soit acquittée en mains de ­l’office 47. Ainsi, en cas de succès du droit de suite, la créance du failli contre la banque ne tom- bera pas dans la masse en faillite du titulaire du compte ou elle ne tombera qu’à concurrence du montant n’ayant pas fait l’objet du droit de suite. Si la créance a fait l’objet d’un séquestre ou d’une saisie, cette revendication se fera par le biais de la procédure des articles 106 à 109 LP. Ainsi, en construisant le droit de suite des bénéficiaires de la manière présentée ci-dessus, l’on arrive à un résultat similaire au droit de suite du droit des trust sur un compte bancaire : en cas de succès de l’action en droit de suite, les bénéficiaires du trust peuvent obtenir pour le compte du trust le paiement des sommes de monnaie portée en compte bancaire même en cas d’insolvabilité du titulaire du compte. Ils ne sont pas soumis à la loi du dividende. Ainsi, sans que le droit de suite ne soit de nature réelle dans le cas d’espèce, c’est-à-dire sans qu’il ne porte directement sur la monnaie dont la propriété a valablement passé à la banque, le droit de préférence des bénéficiaires sur cette monnaie provenant d’une violation du trust est tout de même garanti.

3.2 Mise en œuvre contre le titulaire du compte bancaire

La seconde manière de mettre en œuvre la droit de suite sur de la mon- naie portée en compte bancaire consiste à diriger l’action contre le titu-

45 Jeandin / Fischer, in CR LP, ad art. 242 LP, n. 3 ; Russenberger, in BSK SchKG III, ad art. 242 LP, n. 10 ; Gilliéron, Commentaire LP, ad art. 242 n. 15-16 ; Jaeger / Walder / Kull / Kotmann, T. 2, ad art. 242 LP, n. 9. 46 Jeandin / Fischer, in CR LP, ad art. 242 LP, n. 3 ; Gilliéron, Commentaire LP, ad art. 242 n. 16. 47 Gilliéron, Commentaire LP, ad art. 242 n. 16. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 287 laire du compte et non plus contre la banque comme présenté ci-dessus, laquelle est particulièrement intéressante pour garantir le paiement de la créance en cas d’insolvabilité du titulaire du compte. La mise en œuvre du droit de suite directement contre le titulaire du compte est à notre avis le moyen principal à disposition des bénéficiaires du trust. En effet, le -ti tulaire du compte bancaire est directement concerné par le droit de suite alors que la banque l’est seulement de manière indirecte, dans le sens où la préoccupation de la banque est de ne pas payer à tort sans contester le fait d’être débitrice.

3.2.1 Le fondement de l’action

Le fondement du droit de suite demeure toujours le même : il s’agit du droit réel des bénéficiaires qui suit les biens du trust aliénés en violation de ce dernier et qui s’attache à ses remplois et substitutions éventuels, en per- mettant la revendication. Bien que cette revendication de nature réelle ne soit pas telle quelle possible dans le cas de monnaie portée en compte ban- caire en Suisse pour les raisons présentées sous VII.A.1.2, pages 275 ss, le fondement de l’action sur la base du droit anglais reste valable. Ne pouvant revendiquer la monnaie elle-même, le droit de suite prend une autre forme et se limite à une demande en paiement de nature personnelle. Cependant, il y a lieu de rechercher la solution la plus proche possible du droit de suite pour lui donner effet. Puisque le droit de suite ne peut pas viser la mon- naie en compte, il doit porter sur une autre cible. Or, le tiers ou le trustee ont acquis contre la banque une créance personnelle en remboursement de la monnaie portée en compte. Dans le raisonnement que nous allons construire à présent, nous allons démontrer qu’il est possible d’exercer le droit de suite précisément sur cette créance du tiers ou du trustee à l’en- contre de la banque, ce qui permet de donner effet au droit de suite contre le titulaire du compte selon l’article 15 al. 2 de la Convention.

3.2.2 Le principe de la cession de créance

Une cession de créance est un transfert contractuel d’une prétention du créancier actuel (le cédant) à un tiers (le cessionnaire). Le débiteur de la prétention cédée (le débiteur cédé) n’est pas partie à cette cession et la 288 Delphine Pannatier Kessler notification à ce dernier n’est pas une condition nécessaire à la validité de la cession48. Toutes les créances sont en principe cessibles, quel que soit leur fondement 49, sous réserve que la cession n’en soit pas interdite par la loi, la convention ou la nature de l’affaire 50. De plus, il est possible de ne céder qu’une partie de sa créance dans la mesure où celle-ci est divisible 51. Une cession de créance étant un acte de disposition, elle nécessite un acte générateur d’obligation, lequel peut être par exemple une donation ou un contrat 52, mais la cession de créance peut également intervenir directe- ment en vertu d’une disposition légale ou d’un jugement 53. La cession de créance a pour effet de faire passer la prétention elle-même du patrimoine du cédant à celui du cessionnaire 54. En l’espèce, le tiers ou le trustee a une créance en remboursement d’ori- gine contractuelle contre la banque. Cette créance est cessible soit entière- ment soit de manière partielle, puisqu’une dette d’argent est divisible par nature. Par une cession de créance, le tiers ou le trustee détenant sur son compte en banque une somme d’argent détournée du patrimoine du trust peut transférer la créance qu’il a à l’encontre de la banque en rembourse- ment de cette somme d’argent aux bénéficiaires du trust pour le compte du trust ou au nouveau trustee. Ce transfert aurait pour effet de faire pas- ser le droit de créance à l’encontre de la banque du patrimoine du tiers ou du trustee déloyal au patrimoine du trust 55. La cession pourrait aussi se faire à concurrence d’un certain montant correspondant au montant détourné puisqu’une cession partielle est admissible. Ainsi, par la cession de la créance contre la banque, le patrimoine du trust serait reconstitué comme si le droit de suite avait pu être exécuté directement sur la monnaie déposé sur le compte en banque. Cela étant, la cession de créance nécessite

48 Girsberger, in BSK OR I, Vor Art. 164-174 CO, n. 1 ; Probst, in CR CO I, ad art. 164 CO, n. 1. 49 Girsberger, in BSK OR I, ad art. 164 CO, n. 5. 50 Probst, in CR CO I, ad art. 164 CO, n. 27 à 40. 51 Girsberger, in BSK OR I, ad art. 164 CO, n. 11 ; Probst, in CR CO I, ad art. 164 CO, n. 20. 52 Girsberger, in BSK OR I, ad art. 164 CO, n. 16 ; Probst, in CR CO I, ad art. 164 CO, n. 5. 53 Probst, in CR CO I, ad art. 164 CO, n. 5. 54 Girsberger, in BSK OR I, ad art. 164 CO, n. 46 ; Probst, in CR CO I, ad art. 164 CO, n. 61. 55 Pour être précis, il s’agit du patrimoine séparé du trustee, étant donné que le trust ne peut pas avoir de patrimoine car il n’a pas la personnalité juridique. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 289 une manifestation de volonté du trustee déloyal ou du tiers, qu’ils ne vou- dront vraisemblablement pas donner. Il est ainsi nécessaire de contraindre la cession par la voie judiciaire prévue par l’article 166 CO ou de se baser sur une disposition légale ayant pour effet de transférer la créance dès que ses conditions d’application sont réalisées.

3.2.3 La cession judiciaire de l’article 166 CO

Une fois le principe de la cession présenté, il faut examiner comment contraindre le trustee ou le tiers à effectuer ladite cession. Selon nous, l’ar- ticle 166 CO relatif à la cession légale et judiciaire le permet. Cet article prévoit que “lorsque la cession s’opère en vertu de la loi ou d’un jugement, elle est opposable aux tiers sans aucune formalité et même indépendam- ment de toute manifestation de volonté de la part du précédent créancier.” Il apparaît donc que le juge a le droit, sur la base de dispositions légales, de transférer par un jugement formateur des créances ou d’autres rapports de droit sans qu’une manifestation de volonté des parties ne soit ­nécessaire 56. Ce jugement formateur doit faire l’objet d’une conclusion d’une partie 57. Il s’agit d’une cession ordonnée par le juge et non pas simplement consta- tée par ce dernier 58. Le juge peut ordonner la cession d’une créance dans tous les cas où le jugement a un effet constitutif 59. Dans ce cas, les exi- gences de forme (art. 165 CO) et les règles sur la garantie (art. 171 ss CO) ne sont pas applicables mais les autres règles sur la cession de créances s’appliquent 60. En l’espèce, le droit de suite, régi par le droit du trust selon l’article 8 de la Convention, découlant du droit réel des bénéficiaires d’un trust, dont la reconnaissance est requise par le biais de l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention de La Haye, constitue la base légale fondant la prétention des bénéficiaires à l’encontre du trustee déloyal ou du tiers titulaire d’un compte bancaire où a été portée en compte une somme d’argent détournée du trust. Selon nous, l’action en droit de suite exercée contre ces personnes

56 Girsberger, in BSK OR I, ad art. 166 CO, n. 4 ; Probst, in CR CO I, ad art. 166 CO, n. 8. 57 Spirig, ZK OR, ad art. 166 CO, n. 52. 58 Ibid. 59 Ibid. 60 Girsberger, in BSK OR I, ad art. 166 CO, n. 5. 290 Delphine Pannatier Kessler aboutira à un jugement formateur par lequel le juge ne pourra certes pas or- donner la restitution de la monnaie, vu que les défendeurs en auront perdu la propriété au profit de la banque, mais par lequel le juge pourra ordonner la cession de la créance des défendeurs contre la banque en remboursement des sommes détournées du trust. D’après nous, si les bénéficiaires ou le nouveau trustee concluent dans leur demande à ce que le juge ordonne au sens de l’article 166 CO la cession au nouveau trustee de la créance contre la banque à concurrence du montant détourné, le juge pourra et à notre avis devra y donner suite vu l’engagement international de la Suisse et vu l’appel au juge de l’article 15 al. 2 de la Convention de s’efforcer de donner effet aux objectifs du trust par d’autres moyens juridiques. De plus, vu le risque que la créance soit déjà objet d’un gage antérieur, il nous semblerait judicieux de préciser dans les conclusions que la cession doit avoir lieu à titre de dation en vue du paiement selon l’article 172 CO et non pas à titre de paiement 61, ceci afin de maintenir la possibilité de faire valoir le reste de la créance si cette dernière faisait l’objet de gages préférables. La cession de la créance aura pour effet que la créance contre la banque découlant du compte courant ou d’épargne sera transférée au patrimoine du trust, lequel sera rétabli dans son droit. Cette construction permet de donner effet au droit de suite sur un compte bancaire sans violer le droit impératif suisse.

3.2.4 La cession légale de l’article 166 CO par le biais de l’article 401 CO

Il est également possible d’envisager une autre construction de la cession de la créance contre la banque par le biais de la cession légale prévue par le même article 166 CO. A la différence de la cession judiciaire présentée ci-dessus, la cession légale ne nécessite pas un jugement mais une base lé- gale prévoyant la cession de la créance à un nouveau créancier, sans mani- festation de volonté de la part du créancier cédant ou du débiteur et sans exigence de forme 62. Si les conditions prévues par la base légale sont rem- plies, la cession a lieu de par la loi, de sorte qu’un jugement dans un cas d’espèce n’a pour effet que de constater la cession légale intervenue 63. L’ar-

61 A ce sujet, voir : Probst, in CR CO I, ad art. 172 CO, n. 1 et 4. 62 Girsberger, in BSK OR I, ad art. 166 CO, n. 1 ; Spirig, ZK OR, ad art.166 CO, n. 5-6 ; Fellmann, BK OR, ad art. 401 CO, n. 58. 63 Spirig, ZK OR, ad art.166 CO, n. 52 ; Fellmann, BK OR, ad art. 401 CO, n. 56. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 291 ticle 401 CO applicable aux créances acquises par le fiduciaire est un cas de cession légale 64. Il prévoit que les créances acquises par le fiduciaire pour le compte du fiduciant passent au fiduciant dès que celui-ci a satisfait à ses obligations 65. Cependant, dans l’hypothèse d’une fiducie ayant un caractère durable, la cession légale n’intervient qu’à la fin de la fiducie 66. Il convient encore de relever que le Tribunal fédéral interprète l’article 401 CO littéralement et admet uniquement la cession légale des créances ac- quises par le fiduciaire ou le mandataire contre des tiers et non pas de celles que le fiduciaire a initialement acquises du fiduciant 67. Cette restriction est critiquée par une partie de la doctrine, laquelle considère que tous les biens confiés au fiduciaire devraient pouvoir bénéficier de l’article 401 CO 68. Re- levons enfin qu’en cas de faillite du fiduciaire, l’article 401 al. 2 CO permet de distraire de la masse en faillite la créance du fiduciant mais que, dans l’hypothèse de sommes d’argent portées en compte bancaire, la jurispru- dence du Tribunal fédéral exige que cette somme d’argent se trouve sur un compte bancaire séparé afin qu’il y ait une individualisation suffisante 69. Pour mettre en œuvre le droit de suite fondé sur le droit anglais, il nous paraît que le juge suisse pourrait se baser sur l’article 401 CO et ad- mettre en faveur des bénéficiaires du trust la cession légale de la créance du trustee déloyal à l’encontre de la banque. En effet, l’article 15 al. 2 de la Convention enjoint au juge de donner effet au droit de suite d’une autre manière, notamment en utilisant les mécanismes du droit interne. Selon nous, le juge suisse pourrait considérer que l’article 401 CO, applicable

64 ATF 99 II 393, ATF 115 II 470 ; voir cependant ATF 117 II 430, lequel laisse ouverte la question de savoir si l’article 401 CO s’applique également aux relations fiduciaires de longue durée ; Girsberger, in BSK OR I, ad art. 166 CO, n. 2 ; Spirig, ZK OR, ad art. 166 CO, n.19 ; Honsell, Schweizerisches Obligationenrecht, Besonderer Teil, p. 321 ; Fellmann, BK OR, ad art. 401 CO, n. 16 ; Tercier / Favre, Les contrats spé- ciaux, § 61, n. 5174, p. 777. 65 ATF 99 II 393 ; ATF 115 II 468 ; Weber, in BSK OR I, ad art. 401 CO, n.2 et 4 ; Honsell, Schweizerisches Obligationenrecht, Besonderer Teil, p. 321. 66 ATF 115 II 468 ; Honsell, Schweizerisches Obligationenrecht, Besonderer Teil, p. 321. 67 ATF 117 II 429 ; Weber, in BSK OR I, ad art. 401 CO, n. 5 ; Fellmann, BK OR, ad art. 401 CO, n. 35 ; Hofstetter, SPR VII/6, p. 137. 68 Weber, in BSK OR I, ad art. 401 CO, n. 5 ; Honsell, Schweizerisches Obligationen- recht, Besonderer Teil, p. 321 ; Hofstetter, SPR VII/6, p. 138 ; plus nuancé ­Fellmann, BK OR, ad art. 401 CO, n. 36. 69 ATF 99 II 393 ; ATF 102 II 103 ; ATF 102 II 297 ; Weber, in BSK OR I, ad art. 401 CO, n. 13. 292 Delphine Pannatier Kessler au fiduciaire, est également applicable au trustee, ces deux personnes se trouvant dans une situation similaire dans la mesure où elles sont char- gées de gérer des valeurs confiées sur la base d’une relation de confiance et sont tenues par des obligations fiduciaires. La ratio legis d’équité sous- jacente à l’article 401 CO 70 ainsi que le fait que cet article vise à protéger le propriétaire ­économique 71 démontrent la proximité de cette disposition légale avec le droit des trusts et nous paraissent confirmer sa possible ap- plication par analogie dans le cas d’espèce. De plus, l’article 401 CO per- met d’obtenir la cession des créances même lorsque le fiduciaire refuse de transférer la créance au fiduciant 72, ce qui devrait vraisemblablement être le cas lors d’une violation du trust. En ce qui concerne la condition posée par l’article 401 CO consistant à exiger du fiduciant qu’il ait satisfait à ses obligations, cette condition ne joue aucun rôle dans le cas du trust car les bénéficiaires n’ont pas d’obligations envers le trustee. Cela étant, il nous paraît que l’article 401 CO ne peut être appliqué qu’à la créance découlant du rapport de compte du trustee contre la banque et non pas à la créance d’un tiers contre la banque, tiers sur le compte duquel a été crédité un montant provenant d’une violation du trust. En effet, la relation de confiance de la fiducie n’est pas présente entre les bénéficiaires du trust et le tiers et dès lors il nous paraît que l’application par analogie de l’article 401 CO au cas du tiers constituerait une extension trop large de cet article. Cependant, il est vrai que certains aspects de l’article 401 CO posent problème, notamment le fait que l’article 401 CO ne s’applique pas aux créances reçues directement du fiduciant, le fait que les créances acquises par le fiduciaire doivent avoir été acquises dans l’intérêt du fidu- ciant et pour son compte dans l’exécution régulière du mandat 73, le fait que la créance doit être suffisamment individualisée pour être distraite de la masse en faillite du fiduciaire 74. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que l’application de l’article 401 CO se fait par analogie sur la base de l’article 15 al. 2 de la Convention et que le droit du trust demeure le droit applicable

70 Hofstetter, SPR VII/6, p. 133. 71 Fellmann, BK OR, ad art. 401 CO, n. 10 et 12. 72 Fellmann, BK OR, ad art. 401 CO, n. 32. 73 Tercier / Favre, Les contrats spéciaux, § 61, n. 5183, p. 778. 74 Il pourrait s’avérer difficile de distraire la créance sur cette base en cas de faillite en raison du manque d’individualisation, par exemple dans l’hypothèse où le trustee failli aurait déposé sur son compte en banque des sommes appartenant au trust mais qui s’y retrouvent mélangées avec des sommes appartenant à juste titre au trustee à titre privé. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 293 au fondement de la prétention. L’injonction contenue dans la Convention oblige le juge à faire preuve de créativité et de largesse d’esprit dans l’appli- cation des mécanismes du droit interne afin de réaliser le but de reconnais- sance des trusts et de leurs effets visé par la Convention. Par conséquent, le juge suisse pourra constater par jugement le trans- fert aux bénéficiaires de la créance du trustee contre la banque sur la base du droit du trust et des articles 166 CO et 401 CO applicables par le biais de l’article 15 al. 2 de la Convention. Comme mentionné préalablement, cette construction nous paraît possible lorsque le droit de suite vise le trustee déloyal mais ne nous paraît pas envisageable lorsqu’il vise des tiers. Dans ce dernier cas, il y a lieu d’utiliser la construction de la cession judiciaire proposée plus haut (sous VII.A.3.2.3, page 289). Cette construction a pour avantage de faire naître la cession à un moment antérieur, ce qui peut être intéressant en cas d’insolvabilité du titulaire du compte. Nous y revien- drons ci-après.

3.2.5 La garantie de l’exécution par des mesures provisionnelles

Si la banque ne sait pas qu’il y a eu cession de la créance ou que la titularité de certains avoirs dans ses livres est litigieuse, elle risque de s’exécuter va- lablement entre les mains du créancier précédent, en l’occurrence le trustee déloyal ou le tiers, avec effet libératoire selon l’article 167 CO. Cela aurait pour effet de rendre vaine la procédure en droit de suite visant de manière indirecte la monnaie portée en compte bancaire, puisque le trustee déloyal ou le tiers pourrait alors tenter de soustraire cette somme d’argent à la procédure ou de la dissiper. Il est donc nécessaire d’avertir la banque de l’existence de la procédure en cession de la créance et de lui faire interdic- tion de payer à son créancier à concurrence du montant visé par le droit de suite ou de lui demander de consigner en justice le montant litigieux selon l’article 168 al. 3 CO. Cette information de la banque rejoint nos dévelop- pements du point VII.A.3.1.1, page 282 lorsque le droit de suite est exercé directement contre la banque. Cependant, en cas de risque concret que la banque paie malgré l’inter- diction signifiée 75, il pourrait être judicieux que le demandeur au droit de

75 Par exemple avant que le procès n’ait été introduit et donc avant que la consignation en justice de la somme litigieuse n’ait pu être exigée au sens de l’article 168 al. 3 CO. 294 Delphine Pannatier Kessler suite fasse signifier à la banque par la voie de mesures provisionnelles une interdiction de payer à concurrence du montant en jeu 76. Relevons toute- fois que, si l’on admet que la créance peut être réclamée directement à la banque sur la base du droit de suite, comme présenté ci-avant, les mesures provisionnelles sont superflues puisque la banque peut être contrainte à payer deux fois si elle a payé à tort selon l’article 168 al. 2 CO par analo- gie. Cependant, la prudence voudrait que la voie des mesures provision- nelles soit utilisée tant que la jurisprudence n’a pas clairement jalonné le parcours. D’après la jurisprudence genevoise rendue sous l’empire de la Loi de procédure civile cantonale genevoise, une mesure de blocage d’un compte sur la base des mesures provisionnelles cantonales est possible lorsqu’elle vise l’objet de l’obligation ou du litige 77. Il appartient au requérant de rendre vraisemblable son droit sur les biens 78. D’après l’arrêt de la Cour de Justice paru à la SJ 1984 “lorsque le créancier prétend avoir un droit réel sur une chose ou être le titulaire d’une créance, il peut, dans le procès intenté pour faire reconnaître ce droit, procéder par la voie de mesures provisionnelles pour faire séquestrer jusqu’à droit connu cette chose ou cette créance. Si au contraire il ne revendique aucun droit spécial sur la chose ou la créance, s’il entend simplement obtenir une garantie pour le recouvrement d’une créance différente, alors le séquestre n’est possible que suivant les formes et dans les cas prévus à l’article 271 ss LP.” 79 Le Tribunal fédéral a confirmé la vali- dité d’une mesure provisionnelle cantonale destinée à prévenir des prélè- vements sur un compte par le blocage de ce compte 80. Ainsi, le lien entre l’objet de la mesure de blocage et l’action au fond détermine la validité de la mesure provisionnelle ; il ne suffit pas que le requérant établisse avoir une créance à l’égard de leur détenteur 81. En effet, s’il n’existe aucun rapport entre le droit litigieux et les biens à bloquer, l’on se trouve en présence d’un séquestre déguisé interdit 82. Cette interdiction du séquestre déguisé 83 dé-

76 Articles 261 ss du Code de procédure civile fédérale (CPC) qui entrera en vigueur en 2011, en particulier article 262 lit. a) CPC. 77 SJ 1987, p. 348. 78 SJ 1984, p. 261 ss. 79 SJ 1984, p. 264. 80 SJ 1984, p. 265 ; ATF 79 II 285. 81 SJ 1984, p. 261 ss. 82 SJ 1987, p. 346 ss. 83 JdT 1993 II 185. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 295 coule de l’exhaustivité des règles de la LP pour garantir le paiement d’une somme d’argent ; les règles cantonales ne peuvent donc pas prévoir des me- sures conservatoires ayant le même but que le séquestre mais à des condi- tions différentes ou plus larges que celles de la LP 84. Se pose la question de savoir si cette jurisprudence demeurera valable sous l’empire du Code de procédure civile fédérale (CPC) qui entrera en vigueur en 2011. Dans le chapitre sur les mesures provisionnelles, l’article 269 lit. a CPC réserve en effet les dispositions de la LP concernant les mesures conserva- toires lors de l’exécution de créances pécuniaires. Le Message du Conseil fédéral relatif au Code de procédure civile suisse 85 mentionne seulement que “la LP reste comme aujourd’hui applicable aux sûretés en garantie de créances pécuniaires (en particulier le droit du séquestre, let. a). Ce renvoi est expressément prévu pour plus de clarté.”86 La procédure civile fédérale ne nous paraît pas être un obstacle à la continuation de cette jurispru- dence. Avant tout, à teneur du Message, l’article 269 lit. a CPC ne crée au- cun changement par rapport à la pratique actuelle interdisant le “séquestre déguisé”87. Ensuite, l’article 262 lit. a CPC prévoit expressément l’interdic- tion comme mesure provisionnelle, ce qui inclut également l’interdiction de payer faite à une banque. Par ailleurs, la réserve de l’article 269 lit. a CPC concerne les sûretés garantissant des créances pécuniaires. Cette for- mulation permet à notre avis de continuer à distinguer le cas où le blocage d’un compte sert à garantir une créance n’ayant aucun lien avec ce compte, auquel cas il sert de sûreté pour garantir des créances pécuniaires et est exclusivement soumis à la LP, du cas où de la monnaie ou des titres bloqués sur le compte sont en lien direct avec l’objet du litige, le requérant préten- dant en être titulaire ou avoir un droit réel sur ces titres. Dans ce cas-là, le blocage des avoirs ne sert pas stricto sensu de sûretés pour garantir l’exé- cution d’une créance pécuniaire mais vise à préserver l’objet du litige dans le sens traditionnel des mesures provisionnelles conservatoires 88. Ainsi, nous sommes d’avis que la jurisprudence permettant le prononcé de me- sures provisionnelles de procédure civile pour bloquer un compte bancaire comprenant des avoirs sur lesquels le requérant prétend avoir un droit réel

84 Gaillard, in SJ 1993, p. 145. 85 MCF du CPC du 28 juin 2006, paru à la FF 2006, p. 6841 ss. 86 MCF du CPC, FF 2006, ad art. 265, p. 6964. 87 Voir également Hofmann / Lüscher, Le Code de procedure civile, p.171. 88 MCF du CPC, FF 2006, ad art. 258, p. 6962. 296 Delphine Pannatier Kessler ou dont il affirme être titulaire devrait être maintenue après l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile fédérale. En l’espèce, le droit de suite a pour but de faire valoir le droit réel des bénéficiaires sur de la monnaie portée en compte bancaire. Nous avons vu que la reconnaissance de l’aspect réel de la prétention n’est pas possible vu l’incompatibilité avec les règles impératives suisses. Cela étant, l’action en droit de suite concluant à la cession de la créance au sens de l’article 166 CO vise une somme d’argent précise déposée sur un compte bancaire, la- quelle provient directement de la violation du trust et sur laquelle le droit de suite peut être exercé. Dès lors, le lien entre le compte à bloquer et l’objet du litige est donné, de sorte qu’il n’y a pas séquestre déguisé. Ainsi, le juge pourra ordonner le blocage du compte à concurrence du montant objet du droit de suite par une mesure provisionnelle de procédure civile faisant interdiction à la banque de payer, afin de conserver l’objet du litige et de garantir le succès de la cession au sens de l’article 166 CO qu’il ordonnera ou constatera en cas d’admission de l’action en droit de suite.

3.2.6 Le traitement prioritaire par rapport à d’autres mesures d’exécution forcée

Dans l’hypothèse où le juge ordonne la cession judiciaire de la créance contre la banque en admettant le droit de suite, cette cession prend effet au moment de l’entrée en force du jugement. De par le jugement, la créance sort du patrimoine du trustee déloyal ou du tiers de mauvaise foi et passe dans le patrimoine du trust. S’agissant de la cession légale sur la base de l’article 401 CO, le transfert de la créance a lieu au moment où le fiduciant, respectivement le bénéficiaire, a satisfait à ses obligations 89. En matière de trust, il nous paraît qu’il faut considérer que le transfert a lieu dès que le trustee s’approprie des valeurs du trust, étant donné que les bénéficiaires du trust n’ont en principe pas d’obligations envers le trustee, ce dernier pouvant payer ses honoraires directement sur le patrimoine du trust. De plus, cet acte déloyal met en principe fin au rapport de fiducie s’il est dé- couvert, ce qui permet à la cession légale d’intervenir 90. La cession légale

89 Fellmann, BK OR, ad art. 401 CO, n. 66. 90 En effet, la doctrine et la jurisprudence considèrent qu’en cas de fiducie la cession n’intervient qu’à la fin du rapport ; voir Tercier / Favre, Les contrats spéciaux, § 61, n. 5188, p. 778. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 297 de l’article 401 CO remonte donc au moment de l’acte déloyal, cession qui sera cependant constatée ultérieurement par jugement. Si des mesures d’exécution forcée visant la créance contre la banque objet du droit de suite sont exercées contre le tiers ou contre le trustee dé- loyal, les bénéficiaires auront la possibilité de revendiquer cette créance en faisant valoir la cession de la créance selon l’article 166 CO, que l’on se base sur la cession judiciaire ou sur la cession légale (art. 401 CO). Dans l’hypothèse d’une saisie ou d’un séquestre, les bénéficiaires pourront re- vendiquer leur créance sur la base des articles 106 à 109 LP en faisant valoir leur droit préférable (voir sous VIII.B.2.1, page 323). Relevons à cet égard que si le compte bancaire est détenu au nom du trustee et que ce dernier a rempli une formule T 91 indiquant sa qualité de trustee, l’existence de la formule T remplace la possession ou la copossession par le tiers revendiquant selon l’article 108 LP. La revendication des bénéficiaires s’en trouvera facilitée selon l’article 108 LP. Au contraire, si le trustee n’a pas indiqué sa qualité de trustee sur une formule T, c’est la procédure de l’article 107 LP qui s’appliquera. Relevons néanmoins qu’en cas d’appro- priation d’avoirs du trust par un trustee et de dépôt de ces avoirs sur son compte privé, il serait pour le moins étonnant que le trustee déclare à la banque détenir les valeurs en trust et qu’il remplisse pour la banque la formule T. Si en revanche le trustee ou le tiers a été déclaré en faillite, les bénéfi- ciaires devront, pour en obtenir distraction, revendiquer la créance décou- lant du rapport de compte bancaire contre la masse en faillite 92. Dans ce cas, il ne s’agira pas d’une procédure de revendication de l’article 242 LP mais d’une procédure ordinaire en reconnaissance du droit de suite sur la créance, l’article 242 LP n’étant pas applicable aux créances comme déjà présenté ci-dessus (voir sous VII.A.3.1.3, page 286). Néanmoins, la date de la cession de la créance sera déterminante. Si la cession judiciaire n’a pas encore été ordonnée au moment de la déclaration de faillite, la cession ju- diciaire ne sera plus possible vu l’incapacité du failli de disposer de ses biens dès l’ouverture de la faillite prévue par l’article 204 al. 1 LP et par conséquent pour le tribunal l’impossibilité d’ordonner que le failli dispose

91 Indiquant l’ayant-droit économique d’un compte bancaire selon l’article 2 § 15 et l’ar- ticle 4 § 43 ss de la Convention de diligence des banques de 2008. 92 Tercier / Favre, Les contrats spéciaux, § 61, n. 5185, p. 778. 298 Delphine Pannatier Kessler de ses biens dès cette date 93. C’est précisément dans ce cas que la construc- tion présentée sous VII.A.3.1, pages 281 ss révèle son intérêt puisqu’elle pal- lie ce problème et permet la distraction de la créance dans tous les cas de figure. Si l’on invoque une cession légale au sens de l’article 401 CO, alors cette dernière remonte à une date antérieure à la faillite, de sorte que le juge pourra constater que la cession est intervenue avant le jugement de faillite par le biais de l’action en droit de suite. En résumé, la cession de créance de l’article 166 CO, si elle est ordonnée ou reconnue par le juge, permet dans la plupart des cas de maintenir la priorité des bénéficiaires consacrée par le droit des trusts. Cela étant, si la créance cédée est grevée de droits de gages antérieurs, par exemple si le compte a été mis en gage auprès de la banque pour ob- tenir un autre crédit, la cession de la créance au trust aura pour effet de transférer la créance contre la banque grevée des droits de gage préexis- tants que le créancier gagiste pourrait faire valoir par la procédure de re- vendication des articles 106 à 109 LP (en particulier l’article 106 al. 1 LP). Le droit de préférence des bénéficiaires du trust risque dans ce cas d’être mis à mal par le gage préexistant. Vu cette menace, il est d’autant plus important de prendre comme conclusion dans la demande faisant valoir le droit de suite que la cession au sens de l’article 166 CO doit être faite en vue du paiement et non pas à titre de paiement, afin de préserver une prétention personnelle contre le tiers de mauvaise foi ou le trustee déloyal (art. 172 CO) dans le cas où la cession ne permettrait pas de recouvrer l’intégralité de la prétention.

4. Conclusion intermédiaire

Il est possible de donner effet au droit de suite sur des comptes monétaires en Suisse, y compris le droit de préférence, en mettant en œuvre le droit

93 Pour un cas semblable voir l’arrêt du Tribunal fédéral 5A.346/2009 du 12 août 2009. La question de la situation juridique en cas de saisie antérieure à la cession judiciaire se pose. Le débiteur saisi a dès la saisie l’interdiction de disposer sans la permission du préposé (art. 96 LP). Néanmoins cette interdiction est moins absolue dans ses effets que celle de l’article 204 LP. Dès lors, la décision du juge ou de l’office dans la procédure de revendication des articles 106-109 LP pourrait pallier ce problème et être considérée comme la permission du préposé visée par l’article 96 al. 1 LP, permettant au droit de suite de s’exercer même en cas de saisie antérieure. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 299 de suite de manière compatible avec l’ordre juridique impératif suisse. Le fondement du droit de suite demeure toujours le même : il s’agit de l’inte- rest des bénéficiaires grevant de manière réelle les biens considérés comme faisant partie du patrimoine du trust selon le droit du trust applicable selon l’article 8 de la Convention. Dans le cas de comptes monétaires, la préten- tion des bénéficiaires s’exerce sur de la monnaie portée en compte bancaire provenant d’une appropriation illicite d’un bien en trust. Comme il n’est pas possible de revendiquer cette monnaie sur le compte en banque, il y a lieu d’adapter le droit de suite à sa cible en renonçant à son aspect réel et donc d’exiger du défendeur à titre personnel et non pas réel la restitution de la somme d’argent. Pour mettre en œuvre cette demande en paiement d’une manière garantissant le droit de préférence des bénéficiaires, afin de donner effet au trust de la manière la plus fidèle possible, nous avons pro- posé deux constructions. La première consiste à admettre que les bénéfi- ciaires d’un trust ont de par la loi et la Convention une créance directement contre la banque à hauteur des valeurs détournées du trust. La seconde vise la créance du tiers de mauvaise foi ou du trustee déloyal contre la banque découlant du rapport de compte bancaire dont on requiert la cession aux bénéficiaires en vue du paiement au sens des articles 166 CO et 172 CO. La première construction garantit aux bénéficiaires la satisfaction de leurs prétentions même en cas d’insolvabilité du titulaire du compte. La seconde construction permet aux bénéficiaires d’avoir un droit de priorité sur cette monnaie ainsi que de se satisfaire sur le patrimoine général du défendeur dans l’hypothèse où la cession ne suffirait pas à couvrir l’intégralité de la prétention des bénéficiaires. L’interdiction de payer faite à la banque à titre provisionnel permet de garantir l’exécution de la cession. En cas de mesures d’exécution forcée portant sur la créance, il est possible de main- tenir le droit de priorité des bénéficiaires en faisant valoir le droit de suite dans le cadre de la procédure en exécution forcée. Dans la pratique, vu la nouveauté des questions en jeu, il nous paraîtrait prudent que les plaideurs cumulent les actions contre la banque et contre le titulaire du compte, ne sachant pas quelle sera l’attitude des tribunaux face aux constructions pro- posées. Selon nous, le résultat obtenu par ces constructions est très proche de celui auquel tend le droit de suite en droit anglais. Ainsi, le juge qui appliquerait les principes développés respecterait à notre avis l’engagement pris par la Suisse en signant la Convention de La Haye sur les trusts et en particulier l’article 15 al. 2 de la Convention. 300 Delphine Pannatier Kessler

B. Titres

Outre de la monnaie, il est courant de déposer dans les livres d’une banque des valeurs mobilières, en particulier des titres. La nature de ces titres et la manière dont ils sont détenus par la banque détermineront les règles appli- cables et les rapports de propriété. Nous analyserons la reconnaissance du droit de suite tout d’abord sur des titres intermédiés (VII.B.1, pages 300 ss) puis sur des titres situés hors du système de la détention intermédiée (VII.B.2, pages 310 ss).

1. Titres intermédiés

1.1 Principes de la Loi sur les titres intermédiés

Le 1er janvier 2010 est entrée en vigueur la Loi sur les titres intermédiés (ci-après LTI) 94. Cette loi régit la situation des titres se trouvant dans des dépôts collectifs, qu’il s’agisse de papiers-valeurs émis, de certificats glo- baux ou de droits-valeurs. La très grande majorité des titres détenus au- près des banques suisses sont aujourd’hui des titres intermédiés au sens de cette loi. La conservation des titres par les dépositaires ainsi que leur transfert est régi par cette loi 95. Elle a été introduite en relation avec la ratification par la Suisse de la Convention de La Haye du 5 juillet 2006 sur la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire 96, laquelle prévoit des règles de conflit écartant la lex rei sitae au profit du droit applicable au lieu de situation de l’intermédiaire pertinent 97. La LTI a un champ d’application limité et n’empêche pas la conser- vation de titres par des entités non soumises à la loi ou selon des moda- lités ne tombant pas dans le champ d’application de la loi 98. Par ailleurs, la question de savoir si des titres qui ne sont pas fongibles, tels des actions

94 RS 957.1, dont le message est paru à la Feuille Fédérale 2006, p. 8817 ss. 95 Article 1 LTI. 96 Disponible à l’adresse www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.text&cid=72. 97 MCF de la LTI, FF 2006, Condensé, p. 8819. 98 MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.1.2, p. 8841. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 301 nominatives non cotées en bourse, peuvent devenir des titres intermédiés est une question controversée 99. Quoi qu’il en soit, même si la part de titres détenus par des banques n’entrant pas dans le système de la détention in- termédiée est aujourd’hui peu importante, il nous paraît néanmoins inté- ressant d’un point de vue dogmatique de traiter la situation de ces titres situés hors du système de la détention intermédiée, ce que nous ferons au point VII.B.2, pages 310 ss. La LTI ne repose plus sur la notion réelle de copropriété modifiée labile mais crée un nouveau bien sui generis, le titre intermédié, dont la situation juridique dans le système de la LTI est régie exclusivement par cette loi 100. Dès qu’un papier-valeur, un certificat global ou un droit-valeur est remis physiquement à un dépositaire (ou inscrit au registre principal s’il s’agit d’un droit-valeur) et inscrit au crédit d’un compte de titres de ce dernier, il devient un titre intermédié au sens de la LTI et entre dans le système mis en place par cette loi 101. Dès ce moment, les droits réels sur le papier-valeur ou le certificat global sous-jacents sont suspendus 102. Ces droits réels ne renaissent qu’une fois que le titre sous-jacent a été sorti du système de la LTI 103. Les dépositaires habilités à créer des titres intermédiés et donc détenant des titres au nom de tiers selon le système de la LTI sont les acteurs principaux du monde bancaire et financier suisse, en particulier les banques, les négociants selon la Loi sur les bourses et les exploitants de systèmes de compensation ou de règlement des opérations sur titres, mais aussi la Banque nationale suisse, la Poste Suisse et les directions de

99 Pro : Dalla Torre / Germann, in GesKR 2009, p. 574 ; Bärtschi, in AJP/PJA 2009, p. 1073 ; contra : Brügger, in Perspectives et risques de nouveautés juridiques 2008/2009, p. 26. 100 MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.1.1, p. 8841 ; Lombardini, Droit bancaire suisse, § 31, p. 692 ; Hess / Friedrich, in GesKR 2 (2008), p. 103 ; Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 83 ; Piotet ; in Renouveau de la place financière suisse, p. 107 ; Hess / Stöckli, in SJZ 106 (2010), p. 153. 101 Article 2 al. 1 LTI, article 3 lit. b) LTI et article 6 LTI ; Bensahel / Micotti / Villa, in SJ 2009 II 323 ; Hess / Stöckli, in SJZ 106 (2010), p. 154. 102 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 31, p. 693 ; Hess / Friedrich, in GesKR 2 (2008), p. 104 ; MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.3, p. 8850 ; Bärtschi, in AJP/PJA 2009, p. 1072 ; Hess / Stöckli, in SJZ 106 (2010), p. 154. 103 Article 8 al. 1 LTI ; MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.3, p. 8851 ; Hess / Stöckli, in SJZ 106 (2010), p. 154 ; Piotet, in Renouveau de la place financière suisse, p. 114. 104 Article 4 LTI. 302 Delphine Pannatier Kessler fonds de placements collectifs 104. Les intermédiaires financiers étrangers possédant un établissement en Suisse et soumettant le rapport de compte au droit suisse sont également soumis à la LTI 105. Une fois un titre intermédié créé, il entre dans le système de la LTI ; il ne peut en être disposé que selon les règles de la LTI et non plus selon les règles générales en matière de transfert de propriété de valeurs mobilières ou de créances 106. Selon l’article 24 al. 1 LTI, le transfert des titres inter- médiés nécessite deux actes : un acte de disposition consistant en une ins- truction au dépositaire de transférer les titres et une bonification, à savoir l’inscription des titres au crédit de l’acquéreur 107. Le pouvoir de disposer du titulaire du compte est nécessaire pour la validité de l’instruction108. En revanche, la forme de l’instruction n’est pas fixée par la loi et dépen- dra des conditions contractuelles régissant la relation entre le titulaire du compte et le dépositaire 109. Quant à la nécessité d’une cause valable pour le transfert, la question est discutée en doctrine 110. La possibilité subsiste de procéder au transfert de titres intermédiés par cession de créances selon l’article 30 al. 3 LTI. Cela étant, ce système parallèle de transfert des titres intermédiés a fait l’objet de nombreuses critiques et d’injonctions de la doctrine afin que l’article 30 al. 3 LTI reste lettre morte 111. La mise en gage de titres intermédiés doit également respecter les exigences de la loi 112. Le titulaire d’un compte peut en tout temps, aux conditions de l’ar- ticle 8 LTI, exiger du dépositaire la remise des titres sous-jacents inscrits à son compte par délivrance en ses mains au sens de l’article 8 de la LTI 113. Par ce procédé, les titres intermédiés s’éteignent et les droits réels sur les

105 Article 4 al. 3 LTI ; MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.2 art. 4 al. 3, p. 8848. 106 Article 24 LTI ; MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.3, p. 8849 s. et § 2.1.6.1, p. 8867 ; Voir néanmoins la controverse relative à l’article 30 al. 3 LTI présentée plus bas. 107 Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 84 ; Bärtschi, in AJP/PJA 2009, p. 1078 ; Hess / Stöckli, in SJZ 106 (2010), p. 154. 108 Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 85 ; Bärtschi, in AJP/PJA 2009, p. 1078. 109 Bärtschi, in AJP/PJA 2009, p. 1078 ; Hess / Stöckli, in SJZ 106 (2010), p. 154. 110 Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 88 s. ; pro : Bärtschi, in AJP/PJA 2009, p. 1078. 111 Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 90 s. ; Dalla Torre / Germann, in GesKR 2009, p. 577. 112 Articles 25 et 26 LTI. 113 MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.3, p. 8850 ; Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 101 ; Bärtschi, in AJP/PJA 2009, p. 1074. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 303 titres renaissent. S’il s’agit de droits-valeurs, le titulaire du compte devrait aussi être en mesure de les faire sortir du système de la LTI, certes sans remise physique des titres sous-jacents 114. La LTI contient encore diverses règles pour créer un système global et cohérent : elle permet la détention de titres intermédiés auprès de sous-­ dépositaires en Suisse ou à l’étranger mais prévoit des dispositions pour ga- rantir la protection des droits des titulaires de comptes en cas de chaîne de détention115. Les droits des titulaires de comptes sont fixés par la loi ; ils sont garantis par un droit de distraction en cas de faillite du ­dépositaire 116. La loi précise que toute saisie, séquestre ou mesure provisionnelle sur le titre intermédié doivent être exécutés exclusivement en mains du ­dépositaire 117. C’est également la loi qui détermine à quelles conditions l’extourne est admissible 118. La loi protège l’acquéreur de bonne foi à titre onéreux de titres intermédiés aliénés par erreur ou sans l’autorisation du titulaire du compte 119. Il est aussi prévu que le bénéficiaire d’une sûreté constituée se- lon les règles de la LTI peut la réaliser de gré à gré 120. Des règles sur la res- ponsabilité du dépositaire sont enfin prévues 121.

1.2 La compatibilité du droit de suite avec la protection de la bonne foi de l’article 29 al. 1 LTI

Examinons tout d’abord la question de savoir si le principe de la protection de l’acquéreur de bonne foi de titres intermédiés ancré à l’article 29 al. 1 LTI s’oppose à la reconnaissance du droit de suite sur des titres intermé- diés. L’article 29 al. 1 LTI prévoit qu’un acquéreur de bonne foi et à titre onéreux de titres intermédiés est protégé dans son acquisition même si l’aliénateur n’avait pas le pouvoir de disposer des titres intermédiés 122. Vu le système exclusif créé par la LTI régissant de manière impérative les titres

114 Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 101. 115 Articles 9 ss LTI ; MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.4.1, p. 8852. 116 Articles 13 ss LTI ; MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.5.2, p. 8858 ss. 117 Article 14 al. 1 LTI. 118 Article 27 LTI. 119 Article 29 LTI ; MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.6.3, p. 8875. 120 Article 31 LTI ; MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.7, p. 8880. 121 Article 33 ss LTI ; MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.8, p. 8881 ss. 122 Voir à ce sujet : Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 85 s. 304 Delphine Pannatier Kessler intermédiés dès qu’il entrent dans le champ d’application de la loi et vu le fait que l’article 29 al. 1 LTI constitue une règle de nature proche des dis- positions en matière de droits réels, lesquelles sont impératives par nature, nous sommes d’avis que l’article 29 al. 1 LTI est une règle impérative qui pourrait avoir priorité selon l’article 15 al. 1 de la Convention. Il faut dès lors vérifier la compatibilité du droit de suite avec cette disposition. B. Foëx relève au sujet de l’article 29 al. 1 LTI que la bonne foi prévue dans cet article est une bonne foi plus générale que celle de l’article 3 CC, dans la mesure où souvent les parties à des transactions sur des titres in- termédiés ne se connaissent pas 123. Ainsi, il s’agit de la bonne foi du public dans le système de la détention intermédiée 124, garantissant la sécurité des transactions. Toujours selon B. Foëx, ce n’est que dans des situations par- ticulières, notamment lorsque les parties se connaissent, que l’on pourra mettre en doute la bonne foi d’un acquéreur de titres intermédiés 125. Dans l’hypothèse où un trustee déloyal s’approprie des titres intermé- diés et les transfère sur son compte de titres personnel, il nous paraît qu’il ne peut être de bonne foi puisqu’il sait ou aurait dû savoir qu’un tel trans- fert viole son obligation de loyauté selon le droit du trust. Pour le surplus, il est renvoyé au point VI.A.1.1, page 208. Dès lors, l’article 29 al.1 LTI ne le protègerait pas. Si le trustee transfère des titres intermédiés à un tiers, la bonne foi de ce dernier sera déterminée selon le droit suisse applicable par renvoi de l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. En effet, les droits et obligations du tiers dans l’acquisition sont régis par le droit suisse, en l’espèce notamment par les articles 3 CC et 29 al. 1 LTI. Un tiers acquérant d’un trustee sans connaître son cocontractant sera tou- jours protégé dans son acquisition, vu la protection de la bonne foi dans le système de la LTI, sans que le droit suisse n’exige de l’acquéreur de titres intermédiés une quelconque vérification. Si le tiers connaît son cocontrac- tant, en l’espèce le trustee, les règles générales de l’article 3 CC s’applique- ront, à notre avis de manière similaire qu’en matière d’achat mobilier. Il est renvoyé à ce sujet au point VI.A.2.2.1a), page 218. Quant à un donataire, la question de sa bonne ou mauvaise foi ne se posera pas, la LTI ayant prévu de manière impérative à l’article 29 al. 1 LTI qu’un donataire ne sera jamais protégé dans son acquisition.

123 Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 86. 124 Ibid. 125 Ibid. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 305

Ainsi, la protection de l’acquéreur de bonne foi de titres intermédiés est compatible avec le droit de suite du droit des trusts. En effet, le tiers de bonne foi à titre onéreux est protégé alors que le trustee, le tiers de mau- vaise foi ainsi que le donataire ne le sont pas, ceci tant en droit des trusts que dans la LTI. Dès lors, les règles impératives de l’article 29 al. 1 LTI sur la protection de l’acquéreur de bonne foi ne s’opposent pas à la reconnais- sance du droit de suite sur des titres intermédiés.

1.3 Compatibilité du droit de suite eu égard à la nature des titres intermédiés

Examinons à présent la question de savoir si le droit de suite peut être re- connu sur des titres intermédiés eu égard à la question de leur nature. Nous avons vu que des papiers-valeurs, des certificats globaux ou des droits-­ valeurs sont des actifs sous-jacents aux titres intermédiés. Nous examine- rons au point suivant la nature de ces sous-jacents et la compatibilité du droit de suite sur ces biens et créances dans l’hypothèse peu probable où ils ne font pas partie du système de la détention intermédiée. La question qui nous occupe à présent est celle de savoir si, une fois que ces actifs sous- jacents ont été transformés en titres intermédiés, le droit de suite peut être reconnu. Selon l’article 3 de la LTI 126, les titres intermédiés sont les créances et les droits sociaux fongibles à l’encontre d’un émetteur répondant aux conditions de l’article 3 LTI. Le Message et la doctrine à sa suite considè- rent que les titres intermédiés sont des biens sui generis 127 et que le droit du titulaire du compte découle de l’inscription des titres à son crédit ; le titu- laire du compte n’a pas de droit réel sur les titres sous-jacents car les droits réels sont suspendus pendant l’intermédiation128. La nature des titres in- termédiés est qualifiée de sui generis parce qu’elle cumule “certains traits d’une créance et d’une chose au sens du droit privé suisse (…) sans constituer

126 MCF de la LTI, FF 2006, p. 8321 ss. 127 MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.1.1, p. 8841 ; Lombardini, Droit bancaire suisse, § 31, p. 692 ; Hess / Friedrich, in GesKR 2 (2008), p. 103 ; Foëx, in Renouveau de la place financière suisse, p. 83 ; Piotet ; in Renouveau de la place financière suisse, p. 107 ; Hess / Stöckli, in SJZ 106 (2010), p. 153. 128 Bärtschi, in AJP/PJA 2009, p. 1072. 306 Delphine Pannatier Kessler pour autant une chose”129. Dans notre analyse concernant la possibilité de reconnaître le droit de suite sur des titres intermédiés, il nous paraît inté- ressant de nous pencher sur la nature des titres intermédiés. A première vue, d’après le Message, les titres intermédiés ne sont pas des choses et dès lors ne sont pas de nature réelle. La définition de l’ar- ticle 3 LTI semble le confirmer. C’est également la conclusion à laquelle D. Piotet est arrivé après une analyse approfondie de la question. Selon lui, le titulaire d’un compte de titres intermédiés n’a qu’un droit personnel ou relatif sur les titres intermédiés, donc un droit de créance, ainsi qu’une créance personnelle en restitution des titres sous-jacents selon l’article 8 LTI 130. Le titulaire du compte n’a pas non plus de droits réels sur les titres sous-jacents, les droits réels étant suspendus 131 dès que les titres entrent dans le champ d’application de la LTI 132. Ce n’est qu’une fois que les titres sont sortis du système de la LTI que les droits réels renaissent 133. Ainsi, selon cet auteur, tant que les titres sous-jacents se trouvent à l’intérieur du système de la LTI, le titulaire du compte n’a de droit réel de propriété ni sur le titre intermédié ni sur les titres sous-jacents mais uniquement un droit personnel sur les titres intermédiés et une créance contre le dépositaire en restitution des titres sous-jacents. A cette opinion s’oppose celle de L. Thévenoz selon laquelle la nature des titres intermédiés ne peut être seulement celle de simples droits per- sonnels mais doit correspondre à une forme de droits réels 134. Pour arriver à cette conclusion, il se base sur le fait que le but de la LTI est de garantir la protection des droits de propriété des investisseurs (art. 1 al. 2 LTI) et que les titres intermédiés sont opposables erga omnes (art. 3 al. 3 LTI), ce qui est un élément constitutif des droits réels. Par ailleurs, même si les titres intermédiés ne sont pas munis du droit de suite typique des droits réels 135,

129 MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.1.1, p. 8841. 130 Piotet, in Renouveau de la place financière suisse, p. 112 s. 131 Etant précisé que le titulaire n’a jamais eu de droit de propriété sur les droits-valeurs mais uniquement un droit de créance contre la société émettrice. 132 Piotet, in Renouveau de la place financière suisse, p. 114 ; Lombardini, Droit bancaire suisse, § 31, p. 693 ; Hess / Friedrich, in GesKR 2 (2008), p. 104 ; FF 2006, p. 8850 ; Bensahel / Micotti / Villa, in SJ 2009 II 323 ; Bärtschi, in AJP/PJA 2009, p. 1072 ; voir également Dalla Torre / Germann, in GesKR 2009, p. 577 ; Hess / Stöckli, in SJZ 106 (2010), p. 154. 133 Bensahel / Micotti / Villa, in SJ 2009 II 323 ; Hess / Stöckli, in SJZ 106 (2010), p. 154. 134 Thévenoz, in Commentary FISA and HSC, ad art. 3 LTI, n. 42. 135 Thévenoz, in Commentary FISA and HSC, ad art. 3 LTI, n. 45. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 307

étant donné que seule une action en restitution de nature obligationnelle est prévue par l’article 29 al. 2 LTI et non pas une action en revendica- tion, le droit du titulaire de titres intermédiés est protégé par le droit de préférence en cas de faillite de l’acquéreur sans droit (art. 29 al. 3 LTI) 136. Ainsi, selon cet auteur, les titres intermédiés possèdent les caractéristiques typiques des droits réels, auxquels ils doivent être assimilés 137 et ils sont ob- jets de droits absolus 138. B. Graham-Siegenthaler arrive à une conclu- sion similaire, qualifiant les titres intermédiés comme un nouveau type de propriété intangible 139. La question de la nature intrinsèque des titres intermédiés dépasse certes le cadre de cette étude mais il nous semble que l’argumentation de L. Thévenoz doit être suivie car les titres intermédiés possèdent la plupart des caractéristiques des droits réels (voir sous II.A.4.3, page 28) : ils sont opposables erga omnes (art. 3 al. 2 LTI), le titulaire du compte en a une maî- trise quasi immédiate puisqu’il peut exiger en tout temps la remise de titres sous-jacents, provoquant l’extinction des titres intermédiés (art. 8 al. 1 LTI) et le droit de préférence du titulaire sur les titres intermédiés est garanti (art. 29 al. 3 LTI). Seule la prérogative du droit de suite est quelque peu affaiblie puisque ce dernier est construit comme une action personnelle et non pas réelle (art. 29 al. 2 LTI). Le but de la loi de protéger les droits de propriété des investisseurs nous paraît déterminant pour conclure que les titres intermédiés sont de nature réelle, s’apparentant au concept anglais de “chose in action” en tant que droit absolu de propriété intangible. Le droit de suite du droit des trusts peut-il être exercé sur des titres in- termédiés ou sur les titres sous-jacents provenant d’une violation du trust ? Nous avons vu au point précédent que la LTI a pour vocation de créer un système complet réglant de manière impérative la situation des papiers-va- leurs et droits-valeurs dès qu’ils font partie du système. Dès lors, il y a lieu de considérer que les règles de la LTI sont impératives. Par conséquent, le droit de suite doit respecter ces règles. Il ne peut s’exercer directement sur les titres sous-jacents puisque les droits réels sur ces actifs sous-jacents sont impérativement suspendus tant qu’ils font partie du système de l’intermé- diation. Reste à savoir si le droit de suite peut être exercé directement sur

136 Thévenoz, in Commentary FISA and HSC, ad art. 3 LTI, n. 46. 137 Thévenoz, in Commentary FISA and HSC, ad art. 3 LTI, n. 48. 138 Thévenoz, in Commentary FISA and HSC, ad art. 3 LTI, n. 50. 139 Graham-Siegenthaler, in Commentary FISA and HSC, ad art. 1 LTI, n. 12. 308 Delphine Pannatier Kessler les titres intermédiés. A notre sens, la réponse à cette question demeure la même, que l’on prône la nature personnelle ou réelle des titres intermédiés. En effet, l’article 29 al. 2 LTI prévoit que la restitution de titres intermédiés en même nombre et de même genre doit se faire selon les règles de l’enri- chissement illégitime mais que le droit de préférence sur ces titres en même nombre et de même genre est garanti selon l’article 29 al. 3 LTI 140. L’ar- ticle 29 al. 2 LTI exclut la revendication traditionnelle puisque cette dispo- sition ne permet pas de revendiquer des titres intermédiés ­particuliers 141 ; elle exclut également l’application des articles 927, 934, 936 et 938 à 940 CC 142. Ainsi, selon nous, la LTI n’autorise que la restitution de titres inter- médiés selon les modalités prévues par l’article 29 al. 2 LTI, excluant toutes autres possibilités de manière impérative. Dès lors, la reconnaissance du droit de suite sur des titres intermédiés avec effet réel, c’est-à-dire en tant qu’action en revendication sur des titres particuliers se heurte à l’article 29 al. 2 LTI et à son système général, lequel a priorité selon l’article 15 al. 1 de la Convention. La nature réelle ou personnelle des titres intermédiés est irrelevante, c’est la nature impérative de l’action en restitution prévue par l’article 29 al. 2 LTI qui est déterminante. Ainsi, le droit de suite ne peut être reconnu directement selon l’article 15 al. 1 de la Convention et doit être mis en œuvre en Suisse d’une autre manière en application de l’article 15 al. 2 de la Convention.

1.4 Mise en œuvre du droit de suite sur des titres intermédiés

Pour donner effet au droit de suite sur des titres intermédiés, il y a lieu de le modeler sur l’action de l’article 29 al. 2 LTI. La prétention demeure fondée sur le droit de suite du droit des trusts et donc sur l’existence de l’in- terest in rem des bénéficiaires du trust grevant les titres intermédiés. Cela étant, la revendication ne peut pas être reconnue telle quelle vu la nature impérative des règles de la LTI mais il est possible de lui donner effet en transformant le droit de suite en une action personnelle contre le titulaire des titres intermédiés en restitution de titres en même nombre et de même genre modelée sur celle prévue par l’article 29 al. 2 LTI, applicable non pas

140 A ce sujet, voir Foëx, in Commentary FISA and HSC, ad art. 29 LTI, n. 57 ss. 141 Foëx, in Commentary FISA and HSC, ad art. 29 LTI, n. 59. 142 Ibid. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 309 directement mais par le biais de l’article 15 al. 2 de la Convention. Ainsi, le fondement de l’action demeure régi par le droit du trust mais est mis en œuvre par l’action de l’article 29 al. 2 LTI et selon ses modalités. Le droit de préférence en cas de faillite du défendeur est garanti par l’article 29 al. 3 LTI, afin d’offrir une protection des bénéficiaires similaire à celle garantie par le droit des trusts. Au lieu d’appliquer les règles sur l’enrichissement illégitime en matière d’étendue de la restitution, il faut appliquer les règles du droit des trusts à ce sujet lorsque le trustee est défendeur et, lorsqu’un tiers est défendeur, les règles des articles 938 à 940 CC par renvoi de l’ar- ticle 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention (voir sous IV.F.2.2, page 113). La question de la prescription est également régie par le droit des trusts et non pas par l’article 29 al. 4 LTI. De plus, afin de créer un moyen de droit donnant effet au droit de suite tout en restant dans le cadre de la LTI, il nous paraît possible de prendre comme conclusions qu’il plaise au juge d’ordonner au dépositaire de transférer les titres au crédit du compte du trustee de remplacement. Cet ordre du juge, le jugement étant constitutif, correspond à l’instruction du titulaire du compte tendant au transfert selon l’article 24 al. 1 lit. a LTI. Cela nous paraît possible dans le système de la LTI puisque la loi ne s’op- pose pas à donner effet à des jugements constitutifs selon l’article 24 al. 3 LTI 143. L’instruction du juge au dépositaire contenue dans son jugement suppléerait à l’instruction du titulaire du compte visant au transfert des titres. Une telle manière de procéder présenterait des ressemblances avec une action en exécution en matière immobilière, par exemple en exécution d’une promesse de vente immobilière, dans laquelle le jugement constitutif supplée au défaut de réquisition au Registre foncier (art. 665 CC). Par cette construction, il nous paraît possible de créer un droit de suite sur des titres intermédiés d’une nature proche du droit de suite du droit des trusts. La priorité en cas de faillite du défendeur demeure garantie par l’article 29 al. 3 LTI. En cas de saisie ou séquestre, c’est la procédure de revendication des articles 106 à 109 LP qui s’appliquerait.

143 MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.6.1, ad art. 24 al. 3, p. 8868. 310 Delphine Pannatier Kessler

2. Titres hors du système de la détention intermédiée

Nous avons vu que la très grande partie de titres détenus par des banques se trouve dans le système de la détention intermédiée et que l’exercice du droit de suite dans ce cas-là est possible s’il est exercé dans le cadre de la LTI comme présenté au point précédent. Malgré leur importance pratique restreinte de nos jours, il nous paraît néanmoins intéressant, en particulier d’un point de vue historique, de présenter brièvement la question de la re- connaissance du droit de suite sur des titres n’entrant pas dans le système de la LTI.

2.1 Titres en dépôt individuel

Si le client de la banque dépose auprès de la banque des titres émis, l’on a affaire à un contrat de dépôt régulier au sens des articles 472 ss CO 144. Contrairement au dépôt irrégulier ou au prêt, la propriété de ces titres ne passe pas à la banque ; le déposant en demeure donc propriétaire 145. Le déposant a une créance obligationnelle en restitution des titres dont il est propriétaire selon l’article 475 CO en plus de l’action réelle en revendica- tion découlant de son droit de propriété 146. Relevons toutefois que, même avant l’entrée en vigueur de la LTI, les titres étaient rarement gardés en dépôts individuels auprès d’une banque mais plutôt en dépôts collectifs 147, cas qui sera présenté ci-après. Le tiers de mauvaise foi ou le trustee déloyal demeurant propriétaire des titres déposés individuellement sur un compte en banque, il y a lieu d’appliquer les règles générales en matière de droit de suite exercé sur un bien mobilier présentées au point VI.A.2, pages 216 ss. Ainsi, rien ne s’op- pose à la reconnaissance du droit de suite sur des titres en dépôt individuel auprès d’une banque.

144 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 12, p. 687 ; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 142. 145 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, note 19, p. 43 et p. 50 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 607, p. 197 ; Meier- Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht § 8, p. 325 ; Tercier / Favre, Les contrats spéciaux, § 76, n. 6596, p. 998. 146 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 149 s. 147 Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 9-10, p. 325. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 311

2.2 Titres en dépôt collectif

Avant l’entrée en vigueur de la LTI, les titres n’étaient généralement pas détenus individuellement pour chaque déposant à la banque mais étaient placés dans un dépôt collectif de la banque ou dans un dépôt collectif central afin d’éviter la circulation physique des titres et de faciliter leur ­transfert 148. Cette situation peut encore se présenter rarement de nos jours 149, de sorte que nous la traiterons brièvement ici. Les titres ainsi détenus peuvent être des titres émis individuellement ou des certificats globaux 150. En cas d’achat ou de vente de titres, il n’est pas nécessaire de transférer la possession du titre, une simple écriture dans un registre étant suffisante 151. Ce système repose sur la notion de copropriété labile modifiée développée dans les années 60 par le Professeur Liver puis adoptée par la jurisprudence et la doctrine 152. Ce système a été codifié très récemment par l’article 973a CO, entré en vigueur en même temps que la LTI. Il s’agit d’un genre particulier de dépôt ordinaire et non pas d’un dépôt irrégu- lier 153. Dans ce système, “le client perd le droit de propriété exclusif sur ses valeurs et devient copropriétaire des valeurs déposées en Suisse. Son droit de copropriété porte sur chaque valeur et non sur l’ensemble des valeurs.”154 Le déposant peut toujours obtenir la rétrocession de titres de même espèce sans qu’il n’y ait lieu de mettre fin à la copropriété ; le déposant pourrait théoriquement revendiquer les titres directement auprès de la centrale de dépôt 155. Il peut également disposer librement de sa ­quote-part de

148 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 21, p. 690 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schwei- zerische Bankgeschäft, § 616-617, p. 200-s. et § 619, p. 201 ; Meier-Hayoz / von der Crone ; Wertpapierrecht, § 9-10, p. 325 s. 149 MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.1.2, p. 8841. 150 Voir à cet égard l’article 973b CO. 151 Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 12, p. 326 et § 19-20, p. 329. 152 Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 13, p. 327 ; Hess / Friedrich, in GesKR 2 (2008), p. 100 ; von der Crone / Kessler / Gersbach, in Aktuelle Probleme des Finanz- und Börsenplatzes Schweiz, p. 136 ; Zobl / Kramer, Schweizerisches Ka- pitalmarktrecht, § 544, p. 199. 153 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 185. 154 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 25, p. 690 ; dans le même sens : Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 618, p. 201. 155 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 25, p. 690 ; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 186 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bank- geschäft, § 618, p. 201. 312 Delphine Pannatier Kessler

­copropriété 156 et revendiquer de manière réelle les titres en cas de faillite de la banque ou du tiers dépositaire 157. Dans la mesure où le déposant demeure propriétaire des titres 158, no- nobstant le fait qu’il s’agisse d’un droit de copropriété spécial, la situation est la même que dans le cas précédent. Il y a dès lors lieu d’appliquer aux titres détenus dans un dépôt collectif les mêmes règles que celles relatives au droit de suite sur un bien mobilier (voir sous VI.A.2, pages 216 ss) et donc de reconnaître le droit de suite sur ces titres.

2.3 Droits-valeurs

Les droits-valeurs constituent une autre catégorie de titres pouvant être détenus dans les livres d’une banque 159. Relevons que les droits-­valeurs ne sont pas forcément des titres intermédiés car, selon les cas, ils ­peuvent demeurer en dehors du champ d’application de la Loi sur les titres ­intermédiés 160. Les droits-valeurs reflètent le phénomène de la dématéria- lisation des papiers-valeurs. Ils sont codifiés à l’article 973c CO. Il s’agit de créances contre la société émettrice correspondant à des actions de cette dernière, incluant les droits de sociétariat et les droits économiques, les- quels sont toutefois uniquement inscrits dans un registre sans être incor- porés dans des papiers-valeurs 161. Dans la mesure où il s’agit seulement d’une créance obligationnelle contre la société, il n’y a pas de droit réel de

156 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 186 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 618, p. 201. 157 Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 618, p. 201, § 623, p. 202 et § 625, p. 203 ; Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 13, p. 327. 158 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 184 et note 13, p. 186 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 618, p. 201 ; Meier- Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 13, p. 327 ; Hess / Friedrich, in GesKR 2 (2008), p. 101 ; von der Crone / Kessler / Gersbach, in Aktuelle Probleme des Fi- nanz- und Börsenplatzes Schweiz, p. 140 et 143 ; Zobl / Kramer, Schweizerisches Kapitalmarktrecht, § 544, p. 199. 159 Pour un exposé à ce sujet : Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 28 ss, p. 332. 160 MCF de la LTI, FF 2006, § 2.1.1.2, p. 8841. 161 Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 28, p. 332 ; Hess / Friedrich, in GesKR 2 (2008), p. 101. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 313 propriété sur ladite créance 162. De plus, le transfert des droits-valeurs se fait par cession de créance 163. Le titulaire du compte bancaire sur lequel sont “déposés” des droits- valeurs n’a aucun droit de propriété sur ces droits-valeurs mais seulement des droits de créance à l’encontre de la société émettrice. Nous nous trou- vons ainsi dans une situation semblable à celle prévalant en cas de mon- naie portée en compte bancaire où le titulaire n’a qu’un droit de créance contre la banque. Selon nous, il y a lieu d’appliquer mutatis mutandis le raisonnement présenté sous VII.A, pages 271 ss, consistant à admettre un droit de créance parallèle des bénéficiaires contre la société émettrice et à requérir la cession selon l’article 166 CO de la créance découlant du droit-valeur.

3. Conclusion intermédiaire

Lorsque le tiers ou le trustee déloyal a détourné des titres faisant partie du patrimoine du trust ou a réinvesti le produit obtenu en violation du trust dans des titres déposés auprès d’une banque, leur nature et la manière dont ils sont détenus influencent la possibilité et les modalités de la reconnais- sance du droit de suite sur ces titres. Si les titres ayant appartenu au patrimoine du trust ou dans lesquels le produit obtenu en violation du trust a été réinvesti sont des titres intermé- diés, le droit de suite ne peut faire fi du système impératif prévu par la LTI. Il devra se couler dans le moule de cette loi en application de l’article 15 al. 2 de la Convention et tendra à obtenir la restitution obligationnelle des titres intermédiés en même nombre et de même genre selon l’article 29 al. 2 LTI. Cette restitution se fera par un ordre du juge au dépositaire de ­

162 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 17, p. 688 ; Hess / Friedrich, in GesKR 2 (2008), p. 101 s. ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 608, p. 198 ; Zobl / Kramer, Schweizerisches Kapitalmarktrecht, § 540, p. 197 ; MCF de la LTI, FF 2006, § 1.2.4, p. 8830 ; par opposition avec l’avant-projet de loi, lequel prévoyait de donner un effet réel aux droits-valeur par inscription dans le registre, voir von der Crone / Kessler / Gersbach, in Aktuelle Probleme des Finanz- und Börsenplatzes Schweiz, p. 146. 163 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 17, p. 688 ; Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 35, p. 333 ; MCF de la LTI, FF 2006, § 1.2.4, p. 8830 ; voir égale- ment l’article 973c al. 4 CO. 314 Delphine Pannatier Kessler transférer les titres aux bénéficiaires du trust ou au trustee de rempla- cement, le jugement formateur suppléant à l’instruction du titulaire du compte selon l’article 24 al. 1 lit. a LTI. Si en revanche il s’agit de titres sous la forme de papiers-valeurs déte- nus directement par la banque en dépôt individuel ou collectif et n’entrant pas dans le système de la LTI, le titulaire du compte en demeure proprié- taire, respectivement copropriétaire et a une prétention en délivrance de la propriété du titre ne mettant pas fin à la copropriété. Dès lors, le droit de suite exercé sur ces titres est assimilable au droit de suite sur un bien mobilier usuel ; nos développements du point VI.A.2, pages 216 ss, lui sont par conséquent également applicables. Si le tiers est de bonne foi et a acquis à titre onéreux le bien du trust, le droit de suite ne peut être exercé contre lui. Dans les autres cas, rien ne s’oppose à la reconnaissance du droit de suite. Si les titres sont des droits-valeurs, le titulaire du compte de titres n’a pas de droit de propriété sur ces titres mais seulement un droit de créance. Le droit de suite ne peut faire fi de la situation réelle et doit alors viser la créance du titulaire du compte à l’encontre de la société émettrice. Il est renvoyé à nos développements du point VII.A.3, pages 280 ss à cet égard. En résumé, le droit de suite sur des titres peut être exercé quelle que soit la nature des titres visés. Cela étant, en présence de titres intermédiés et de droits-valeurs, le droit de suite devra s’adapter à la nature du bien visé pour respecter les règles de droit impératif selon l’article 15 al. 2 de la Convention.

C. Autres actifs bancaires

Nous présenterons brièvement sous ce point trois autres cas de figure pou- vant survenir en matière bancaire, le cas de valeurs se trouvant dans un coffre-fort, celui de valeurs fermées déposées auprès d’une banque et enfin celui de dépôts de métaux précieux, en y appliquant les mêmes principes que ceux développés plus haut. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 315

1. Valeurs en coffre-fort

Si le trustee ou un tiers dépose des valeurs mobilières dans un coffre-fort auprès d’une banque, il en demeure propriétaire, qu’il s’agisse de mon- naie en espèces ou d’autres biens mobiliers 164. En effet, il s’agit d’un contrat de location d’un espace en vertu duquel le locataire demeure pleinement propriétaire des biens qu’il dépose dans l’espace ainsi mis à disposition. Pour les mêmes raisons que celles indiquées au point VI.A.2, pages 216 ss, le droit de suite exercé sur les biens sis dans un coffre-fort est possible, nos développements en matière de biens mobiliers étant applicables par analogie.

2. Dépôt régulier fermé

Si le déposant confie à la banque des valeurs dans des enveloppes ou des contenants fermés et cachetés, il s’agit d’un dépôt régulier fermé 165. Il est théoriquement possible que les enveloppes contiennent de la monnaie en espèces, bien que cela nous paraisse peu probable dans la pratique, no- tamment au vu des obligations imposées aux banques par la LBA. Si tel devait néanmoins être le cas, la banque n’acquerrait pas la propriété des espèces, le déposant en demeurant propriétaire. Dès lors, pour les mêmes raisons que celles exposées ci-dessus, le droit de suite exercé sur le contenu de ces enveloppes serait possible aux mêmes conditions que pour des biens mobiliers.

3. Dépôt de métaux précieux

Si le client de la banque dépose des métaux précieux auprès de la banque, il s’agit en principe d’un contrat de dépôt régulier au sens des articles 472 ss CO 166, voire d’un dépôt collectif selon les cas. Contrairement au dépôt

164 Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 658 ss, p. 212 ; ­Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 142. 165 Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 613-614, p. 200 ; ­Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 142 ; Meier-Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht, § 3, p. 324. 166 Lombardini, Droit bancaire suisse, § 12, p. 687 ; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 142. 316 Delphine Pannatier Kessler

­irrégulier ou au prêt, la propriété de ces valeurs ne passe pas à la banque ; le déposant en demeure donc propriétaire 167. Le déposant a une créance obligationnelle en restitution des biens dont il est propriétaire selon l’ar- ticle 475 CO en plus de l’action réelle en revendication découlant de son droit de propriété 168. Le tiers de mauvaise foi ou le trustee déloyal demeu- rant propriétaire des métaux précieux déposés auprès de la banque, il y a lieu d’appliquer les règles générales en matière de droit de suite exercé sur un bien mobilier présentées au point VI.A.2, pages 216 ss. Ainsi, rien ne s’oppose à la reconnaissance du droit de suite sur des métaux précieux en dépôt auprès d’une banque.

D. Conclusion

Nous avons démontré que la reconnaissance du droit de suite est possible en droit suisse. Dans la pratique, ce sont les circonstances qui détermine- ront si et de quelle manière les bénéficiaires ou le nouveau trustee devront faire valoir le droit de suite. Si le trustee est insolvable ou si ses biens se trouvent dans des juridictions peu coopératives en matière d’exécution des jugements, les bénéficiaires pourraient avoir intérêt à exercer le droit de suite sur les biens détournés du trust plutôt que d’engager des actions en responsabilité personnelle contre le trustee risquant de ne pas aboutir. Dès lors, si les biens détournés, leurs remplois ou leurs produits se trou- vent en Suisse ou si le juge suisse est compétent d’une autre manière, les bénéficiaires pourraient être amenés à introduire une action en droit de suite en Suisse. Bien entendu, les bénéficiaires choisiront de suivre les biens les plus intéressants et les plus faciles d’accès selon les circonstances. Par exemple, si l’immeuble du trust situé en Suisse a été vendu à un tiers de bonne foi, les bénéficiaires se rabattront sur les produits de la vente qu’ils auront pu identifier, cas échéant, dans le réinvestissement fait par le trustee dans des

167 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, note 19, p. 43 et p. 50 ; Emch / Renz / Arpagaus, Das schweizerische Bankgeschäft, § 607, p. 197 ; Meier- Hayoz / von der Crone, Wertpapierrecht § 8, p. 325 ; Tercier / Favre, Les contrats spéciaux, § 76, n. 6596, p. 998. 168 Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, p. 149 s. VII. Droit de suite sur des avoirs bancaires 317

œuvres d’art par exemple. Ou encore, si les bénéficiaires constatent que le trustee déloyal a dissipé le produit de la vente effectuée en violation du trust mais que son cocontractant de mauvaise foi détient encore l’œuvre d’art détournée du trust, les bénéficiaires choisiront de mettre en œuvre le droit de suite contre le tiers plutôt que contre le trustee. Ce sont donc les circonstances qui dicteront le choix des bénéficiaires, toujours dans les limites de l’interdiction de la double indemnisation. Nous avons tâché de démontrer que le droit de suite peut toujours être mis en œuvre en Suisse dans une mesure plus ou moins étendue, en ayant au besoin recours à des mesures d’adaptation. Ainsi, le fait que les biens visés par le droit de suite se situent en Suisse n’est pas un obstacle à ce dernier, ce qui permet à notre ordre juridique d’offrir un cadre légal assurant la garantie des droits des bénéficiaires conformément aux engagements pris lors de la ratification de la Convention. Il nous reste encore à examiner de quelle manière le droit de suite peut être mis en œuvre devant un juge suisse du point de vue pro- cédural, ce qui fera l’objet du chapitre suivant. 318 Delphine Pannatier Kessler VIII. Aspects procéduraux 319

Chapitre VIII Aspects procéduraux

Dans ce chapitre, nous présenterons les problèmes procéduraux qui se ­posent en pratique lorsqu’un demandeur entend mettre en œuvre le droit de suite devant un juge suisse. Nous traiterons de la détermination du droit applicable (VIII.A et VIII.B, pages 319 ss), du for (VIII.C, pages 327 ss), de la procédure (VIII.D, page 339), de la qualité pour agir et défendre (VIII.E, pages 340 ss), des figures procédurales (VIII.F, pages 342 ss), de l’arbitra- bilité (VIII.G, pages 344 ss), de la prescription du droit de suite (VIII.H, pages 347 ss) et enfin de la reconnaissance de jugements étrangers en ma- tière de droit de suite (VIII.I, pages 352 ss).

A. Droit applicable

Nous sommes arrivée précédemment à la conclusion que le droit de suite est régi par le droit du trust et qu’il doit être reconnu en Suisse selon l’ar- ticle 11 al. 3 lit. d de la Convention dans les limites de l’article 15 de la Convention. Cela étant, il faut encore définir concrètement quel est le droit applicable au trust et présenter le raisonnement auquel doit à notre avis procéder le juge suisse en vue de la reconnaissance du droit de suite.

1. Le droit applicable selon les articles 6 et 7 de la Convention et l’article 149c LDIP

Les articles 6 et 7 de la Convention déterminent le droit applicable au trust. Le droit élu par le settlor à la constitution du trust a la priorité selon l’article 6 de la Convention. A défaut d’élection de droit, l’article 7 de la Convention prévoit que le trust est régi par la loi avec laquelle il présente les liens les plus étroits, ceux-ci étant déterminés selon une liste de facteurs présentés à l’alinéa 2 de l’article 7 de la Convention, à savoir le lieu d’ad- ministration du trust, la situation des biens du trusts, la résidence ou le 320 Delphine Pannatier Kessler lieu d’établissement du trustee et les objectifs du trust avec les lieux où ces objectifs doivent être accomplis. Il nous paraît que, dans la grande majorité des cas, le settlor aura choisi un droit applicable au trust 1, soit explicitement par une clause d’élection de droit introduite dans l’acte de trust, soit implicitement en soumettant de manière reconnaissable le trust qu’il crée aux dispositions d’un ordre juridique. Le champ d’application de l’article 7 de la Convention devrait ainsi être étroit 2. De plus, l’article 149c LDIP prévoit que la question du droit applicable au trust est régie par la Convention de La Haye, soit par les articles 6 et 7 présentés ci-dessus. Cette norme est un simple rappel de nature déclaratoire, la Convention étant directement applicable 3.

2. Raisonnement applicable à la reconnaissance du droit de suite

2.1 Détermination du droit applicable

Selon l’interprétation que nous proposons de la Convention, le droit de suite est régi au fond par le droit du trust, tel que désigné par les articles 6 et 7 de la Convention. Le juge suisse doit ainsi déterminer le droit appli- cable au trust et vérifier si celui-ci prévoit le droit de suite. En effet, il va de soi que le droit de suite ne peut être reconnu en Suisse que s’il existe en droit du trust, comme le rappelle l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention. Par exemple, le droit de suite ne pourrait pas être mis en œuvre en Suisse dans le cadre d’un trust régi par le droit sud-africain dans la mesure où cet ordre juridique ne connaît pas le remède du droit de suite 4.

2.2 Détermination des droits et obligations des tiers selon le droit désigné par les règles de conflit du for

Une fois déterminé le droit applicable au droit de suite au fond et dans l’hy- pothèse où celui-ci n’est pas dirigé contre le trustee mais contre un tiers, le

1 Du même avis : Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 39. 2 Du même avis : Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad. art. 7, n. 7-2 et n. 7-3. 3 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149c, n. 149c-1. 4 De Waal, in Trusts in Mixed Legal Systems, p. 53. VIII. Aspects procéduraux 321 juge suisse doit déterminer quel est le droit désigné par les règles de conflit suisses dans le cas d’espèce. Si le droit de suite vise un immeuble, le droit du lieu de situation de l’immeuble est applicable selon l’article 99 al. 1 LDIP. Par hypothèse, nous avons admis que l’immeuble est situé en Suisse et que le droit suisse déter- mine donc les droits et obligations de tiers. Il convient de rappeler que si l’immeuble était situé à l’étranger, le juge suisse ne serait pas compétent à raison du for pour juger d’une action relative au droit de suite ayant trait à cet immeuble, vu la compétence exclusive des tribunaux du lieu de si- tuation de l’immeuble prévue par les articles 97 LDIP et 16 al. 1 lit. a de la Convention de Lugano. Ainsi nous avons examiné les droits et obligations des tiers stricto sensu selon le droit suisse. Si le droit de suite vise un meuble détenu par un tiers, le juge suisse appliquera les articles 100 et suivants LDIP. Si le bien mobilier se trouvait en Suisse au moment de son acquisition, le droit suisse régit les droits et obligations des tiers selon l’article 100 al. 1 LDIP. C’est le cas que nous avons présenté sous VI.A.2.2, page 217. Cela étant, il est possible que le juge suisse saisi doive appliquer les règles d’un droit étranger pour déterminer les droits et obligations de tiers et donc leur bonne foi, par exemple si le bien a été acquis à l’étranger. Selon les cas, il peut également s’avérer nécessaire d’analyser les règles concernant les biens en transit (art. 101 LDIP) et les règles concernant les biens transportés en Suisse (art. 102 LDIP). S’il s’agit de la mise en gage d’une créance ou d’un papier-valeur en violation de l’acte de trust, c’est l’article 105 LDIP qui régit la question. A cet égard, dans la mesure où une éventuelle élection de droit ne serait pas opposable aux bénéficiaires (art. 105 al. 1 LDIP), le droit applicable sera celui de l’Etat de la résidence habituelle du créancier gagiste. Un exemple concret pouvant se présenter sera celui du trustee déloyal remettant des papiers-valeurs en gage auprès d’une banque suisse. Dans ce cas, les droits et obligations des parties seront régis par le droit suisse.

2.3 Vérification du respect des règles impératives

Une fois défini le droit applicable au droit de suite respectivement aux droits et obligations des tiers, le juge suisse doit vérifier dans le cas d’espèce si la reconnaissance du droit de suite respecte les règles impératives suisses 322 Delphine Pannatier Kessler selon l’article 15 de la Convention. Il est renvoyé à nos développements aux chapitres VI et VII, pages 205 ss.

2.4 Eventuelle mise en œuvre selon l’article 15 al. 2 de la Convention

Si le juge arrive à la conclusion que la reconnaissance du droit de suite viole le droit impératif suisse, il doit s’efforcer de donner effet au trust par d’autres moyens de droit selon l’article 15 al. 2 de la Convention. Nous avons présenté aux chapitres VI et VII, pages 205 ss, les différents cas de figure et les solutions envisageables. Il y est renvoyé pour le surplus.

B. Mise en application par le juge suisse

Il s’agit à présent d’examiner concrètement comment le juge suisse saisi d’une demande mettra en œuvre le droit de suite. Nous présenterons dans un premier temps la divergence entre le droit du fond et celui régissant les droits et obligations des tiers, dans un deuxième temps les cas où le juge sera contraint pour des raisons pratiques de transposer le droit de suite dans l’ordre juridique suisse et enfin les cas où le juge suisse doit mettre en œuvre le droit de suite sur la base de l’article 15 al. 2 de la Convention de La Haye sur les trusts.

1. Reconnaissance du droit de suite en tant que tel et divergence entre droit du fond et droit régissant les droits et obligations des tiers

Nous avons vu que le droit de suite sur le fond est régi par le droit du trust et que le juge suisse doit le reconnaître en tant que tel. Il s’agit d’une “­action en droit de suite” selon le droit du trust. Contrairement à la posi- tion défendue par D. Piotet selon laquelle le droit de suite sur son principe est régi par le droit du trust mais sa mise en œuvre se fait par une action réelle selon la loi du for, nous sommes d’avis qu’il n’y a en principe pas lieu de transposer l’action en droit de suite en une action du droit suisse (par exemple en une action en revendication au sens de l’article 641 CC), VIII. Aspects procéduraux 323 sauf dans les hypothèses que nous présenterons au point suivant (VIII.B.2, page 323). Il s’agira d’une action en droit de suite selon le droit du trust intentée devant un juge suisse visant à faire reconnaître le droit réel des bé- néficiaires sur un bien découlant du droit du trust et à obtenir la restitution dudit bien au patrimoine du trust. Ce sont les conclusions prises dans cette action, lesquelles devraient viser à la restitution des biens sur lesquels sub- siste l’intérêt équitable des bénéficiaires, ainsi que la nature juridique de la prétention, qui détermineront la nature de l’action5. En l’occurrence, il s’agira d’une action réelle au sens des articles 97 ss LDIP. Si le droit de suite est exercé contre des tiers, le juge devra déterminer les droits et obligations des tiers selon un droit qui peut être différent de celui de l’action au fond, soit par hypothèse dans cette étude le droit suisse. Il y a ainsi divergence entre le droit de suite au fond et le droit applicable aux droits et obligations des tiers, selon lequel s’apprécie la bonne foi et donc la capacité à invoquer l’exception du bona fide purchaser for value, ainsi que les conséquences de la possession en violation du trust si le défendeur succombe à l’action en droit de suite.

2. Nécessité de transposer le droit de suite en droit suisse

Bien que sur le principe le droit de suite soit régi par le droit du trust et n’ait pas à être transposé en droit suisse, il peut néanmoins s’avérer nécessaire, dans certaines situations particulières, de mettre en œuvre le droit de suite par des mécanismes du droit suisse. Des raisons procédurales, pratiques ou découlant de l’article 15 al. 2 de la Convention justifient cette nécessité de transposition.

2.1 Sur le plan procédural

En premier lieu, il peut être nécessaire pour des raisons procédurales de transposer en droit suisse le remède du droit de suite. Le droit de suite vise toujours la reconnaissance de l’equitable interest des bénéficiaires gre- vant de manière réelle un bien appartenant au patrimoine d’un trust. Cela étant, cette reconnaissance peut être obtenue par différentes voies, la plus

5 Voir l’arrêt du Tribunal fédéral 5A.70/2008 du 18 juillet 2007, considérant 6.1. 324 Delphine Pannatier Kessler courante étant celle d’une action tendant à la restitution de l’objet au patri- moine du trust. Selon les cas, pour atteindre son but, il peut être nécessaire de “couler” le droit de suite dans le moule d’autres procédures existantes en droit suisse. S’il s’agit d’un immeuble situé en Suisse, il y a lieu de tenir compte du système de publicité créé par le Registre foncier. Lorsque les bénéficiaires ou le nouveau trustee cherchent à exercer le droit de suite, ils visent en définitive à obtenir une modification de l’inscription au Registre foncier, puisque cette dernière fait foi du statut du bien. Par exemple, si les béné- ficiaires attaquent un transfert de propriété d’un immeuble à un tiers de mauvaise foi, ils voudront obtenir du juge qu’il ordonne la radiation de l’inscription du tiers comme propriétaire et la réinscription du trustee avec cas échéant l’ajout de la mention du lien de trust au sens de l’article 149d LDIP. Dans la mesure où une action en droit de suite n’a pas de compo- sante procédurale permettant la modification de l’inscription effectuée au Registre foncier, il nous semble nécessaire dans un tel cas de transposer l’action en droit de suite en une action en rectification du Registre foncier au sens de l’article 975 CC. Cette action en rectification du Registre foncier sera régie par le droit suisse en ce qui concerne le processus d’acquisition du bien-fonds, la bonne foi et les aspects procéduraux relatifs à la modifi- cation du Registre foncier ; elle sera en revanche régie par le droit du trust pour les questions relatives à la détermination du pouvoir de disposition du trustee, la violation du trust et la continuité des equitable interests des bénéficiaires. Un autre cas dans lequel la transposition procédurale en droit suisse s’avèrera nécessaire est celui où le bien sur lequel porte le droit de suite fait déjà l’objet d’une procédure d’exécution forcée selon la Loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP). Par exemple, si les bénéficiaires font valoir leur equitable interest sur un bien qui a été saisi, séquestré ou qui fait partie d’une masse en faillite, ils doivent faire valoir leur prétention par le biais de la procédure prévue par les articles 106 à 109 LP ou selon l’article 242 LP 6. Dans le cadre de cette procédure et dans le respect de ses règles, ils pourront faire valoir à titre de question préalable leur droit réel sur le bien saisi (articles 106 à 109 LP), séquestré (articles 106 à 109 LP via article 275 LP) ou sur le bien appartenant à une masse en faillite (art. 242 LP). Les bénéficiaires devront ainsi se plier aux règles procédurales instaurées par

6 Voir également : Guillaume, in AJP/PJA 2009, p. 44. VIII. Aspects procéduraux 325 la LP pour faire valoir le droit de suite, lequel demeurera toutefois régi par le droit du trust.

2.2 Mise en œuvre au fond

Le juge suisse n’est en principe pas un expert en droit des trusts. Ce non­ obstant, vu la signature par la Suisse de la Convention de La Haye sur les trusts, il risque de se retrouver confronté à des affaires où il devra rendre un jugement sur la base du droit du trust, un droit qui lui est étranger et dont il ne connaîtra vraisemblablement pas toutes les subtilités. A notre avis, les principes de base de la continuité des beneficial interests des bé- néficiaires et du droit de suite ne devraient pas poser de problème au juge suisse. En revanche, certains cas peuvent survenir dans lesquels les règles en matière de tracing selon le droit du trust, c’est-à-dire d’identification de la valeur au fil de ses transformations, deviennent extrêmement compli- quées, au point qu’il serait déraisonnable d’exiger du juge suisse qu’il les applique. Il en va de la prévisibilité du droit et de l’efficacité de la justice. Ainsi, dans les cas que nous présenterons ci-après, la nécessité pratique exige que l’on renonce à appliquer certains aspects du droit du trust et que l’on leur substitue les règles du droit suisse.

2.2.1 Calcul des remplois en cas de mixed substitution

Nous avons vu que c’est en principe le droit du trust qui devrait déterminer les conditions dans lesquelles le remploi est admis et l’ampleur de la res- titution ordonnée (VI.E.1.3, page 259). Si les cas de remploi où un bien est aliéné et remplacé par un autre de manière directe ne nous paraissent pas problématiques, ceux de mixed substitution ou remploi partiel sont régis par des règles complexes en droit anglais. Pour des raisons de praticabilité, nous proposons d’appliquer à leur place les règles en matière de récom- penses variables entre les masses d’acquêts et de biens propres des époux sur la base des articles 206 et 209 CC, afin de déterminer la part du bien sur laquelle subsiste le droit in rem équitable des bénéficiaires. Le juge pourrait alors déterminer la quote-part de copropriété des bénéficiaires sur un objet déterminé ou la part des bénéficiaires en cas d’objet divisible. Il est renvoyé pour le surplus au point VI.E.1.3, pages 259 ss. 326 Delphine Pannatier Kessler

2.2.2 Calcul des revenus et produits

Nous sommes arrivée à la conclusion que la reconnaissance du droit de suite portant sur les produits et les fruits du bien du trust avec effet réel devait être admise mais que les conséquences de la possession en violation du trust par un tiers étaient directement régies par le droit suisse, selon les articles 938 à 940 CC applicables par renvoi de l’article 11 al. 3 lit. d ­deuxième phrase de la Convention. De plus, pour des raisons pratiques, nous avons proposé d’appliquer l’article 423 CO pour calculer l’étendue des profits réalisés par un tiers de mauvaise foi. Il est renvoyé pour le sur- plus au point VI.E.2.2.2, page 266.

2.3 Mise en œuvre du droit de suite selon l’article 15 al. 2 de la Convention

Dans le cas où de la monnaie provenant de la violation du trust est déposée sur un compte bancaire ou dans celui où une somme d’argent est virée sur un compte, nous avons vu que la reconnaissance du droit de suite dans sa conception traditionnelle réelle se heurtait au droit impératif suisse selon l’article 15 al. 1 de la Convention et qu’il y avait lieu de donner effet au trust d’une autre manière conformément à l’article 15 al. 2 de la Convention. Nous avons proposé deux voies permettant de mettre en œuvre le droit de suite en Suisse. La première consiste à admettre l’existence d’une créance des bénéficiaires directement contre la banque sur les valeurs pro- venant d’une violation du trust pour en obtenir le paiement. La créance dé- coule du droit de suite et est accessoire à la créance principale du titulaire du compte contre la banque. Elle sert de garantie à la prétention des bé- néficiaires, en particulier en cas d’insolvabilité du titulaire du compte. La deuxième construction consiste à faire une demande en paiement contre le titulaire du compte bancaire sur lequel se situent des avoirs détournés du trust, basée au fond sur le droit in rem des bénéficiaires régi par le droit du trust mais tendant au paiement d’une somme d’argent, doublée d’une conclusion demandant au juge la cession judiciaire selon l’article 166 CO ou la constatation de la cession légale sur la base de l’article 401 CO de la créance du titulaire du compte contre la banque. Dans les deux construc- tions présentées, bien qu’ayant toujours un fondement juridique du droit des trusts, les procédures utilisent les règles du droit suisse, puisqu’il s’agit VIII. Aspects procéduraux 327 d’une mesure d’adaptation du droit de suite selon l’article 15 al. 2 de la Convention. Nous avons proposé d’utiliser les même constructions lorsque le droit de suite est exercé sur des droits-valeurs. Si les biens détournés du trust ou provenant d’une violation du trust sont des titres intermédiés, il n’est pas possible de reconnaître directement le droit de suite, le cadre créé par la LTI étant impératif. Il y a dès lors lieu de couler le droit de suite dans le moule de la LTI en application de l’ar- ticle 15 al. 2 de la Convention. Nous avons proposé de mettre en œuvre le droit de suite selon l’article 29 al. 2 LTI, en requérant du juge qu’il ordonne le transfert des titres intermédiés, son injonction suppléant à l’ordre du titulaire selon l’article 24 al. 1 LTI. Dans ce cas, l’action en elle-même est une demande en paiement obligationnelle selon l’article 29 al. 2 LTI mais son fondement demeure basé sur le droit du trust. En conclusion, l’action en droit de suite sera en principe exercée telle quelle, c’est-à-dire en tant que “action en droit de suite” sans avoir à être transformée en une action du droit suisse. Sont réservés les cas où une telle adaptation est nécessaire pour des raisons procédurales ou pratiques, dans lesquels le fondement de l’action demeure toutefois selon le droit des trusts.

C. For

La question du for pour l’ouverture d’une action en droit de suite est com- plexe. L’article 149b LDIP, lequel fonde une compétence des tribunaux suisses en matière de trust, est-il applicable à l’action en droit de suite et dans l’affirmative, à quelles conditions ? De plus, une éventuelle élection de for prévue par l’acte de trust aurait-elle un effet en matière de droit de suite ? Nous présenterons les dispositions applicables selon nous en ma- tière de droit de suite en nous limitant à cette question et sans entrer dans les détails de leurs conditions générales d’application.

1. L’article 149b LDIP

L’article 149b LDIP a été introduit dans le cadre de la ratification de la Convention de La Haye pour régler la compétence du juge suisse. Son champ d’application et son contenu sont présentés ci-après de manière li- mitée aux aspects pertinents pour l’action en droit de suite. 328 Delphine Pannatier Kessler

1.1 Champ d’application

Selon le Message du Conseil Fédéral et la doctrine majoritaire, l’article 149b LDIP ne concerne que les relations internes du trust, soit les relations entre settlor, trustee, bénéficiaires et protector 7. Les relations avec des tiers ne sont en revanche pas visées par cet article 8. La notion d’“affaires relevant du droit des trusts” est large ; elle inclut non seulement les relations internes mais également les questions de principe du droit des trusts telles que la constitution et la dissolution d’un trust, les pouvoirs du trustee, le contenu et les effets des beneficial interests créés par le trust ou la responsabilité pour les dettes du trust 9. De plus, l’article 149b LDIP n’est applicable que si la Convention de Lugano ne l’est pas, cette dernière ayant la priorité vu sa supériorité en tant que convention internationale 10.

1.2 Election de for

Les deux premiers alinéas de l’article 149b LDIP traitent de l’élection de for. Celle-ci est déterminante et a la priorité. Ce n’est qu’à défaut d’une telle élection que le for prévu par l’alinéa 3 de l’article 149b LDIP devient applicable. Si une élection de for a été faite valablement, laquelle nécessite la forme écrite, le tribunal suisse saisi ne peut pas décliner sa compétence si l’une des parties, le trust ou un trustee est domicilié, a sa résidence habi- tuelle ou un établissement dans le canton ou si une grande partie du patri- moine du trust se trouve en Suisse 11. Toutefois, dans la pratique, il semble que les actes de trust ne contiennent que rarement une clause d’élection de for 12.

7 MCF, FF 2006, § 2.2 ad art. 149b LDIP, p. 602 ; Gutzwiller, Schweizerisches Interna- tionales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-3 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149b LDIP, n. 9. 8 MCF, FF 2006, § 2.2 ad art. 149b LDIP, p. 602 ; Gutzwiller, Schweizerisches Interna- tionales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-3. 9 Gassmann, in Handkommentar, ad art. 149b LDIP, n. 2 ; Gutzwiller, Schweize- risches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-11. 10 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-5 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149b LDIP, n. 5 ; Gassmann, in Handkommentar, ad art. 149b LDIP, n. 1. 11 Pour de plus amples détails : Vogt, in BSK IPR, ad art. 149b LDIP, n. 11 ss. 12 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 39. VIII. Aspects procéduraux 329

1.3 A défaut d’élection de for

L’article 149b al. 3 LDIP règle la compétence du juge à défaut d’élection de for ou en cas d’élection non valable. Dans ce cas, les tribunaux suisses du ou, à défaut, de la résidence habituelle du défendeur ainsi que les tribunaux suisses du siège du trust sont compétents. Le siège du trust est déterminé par l’article 21 al. 3 LDIP, selon lequel le siège du trust se trouve au lieu de son administration désigné dans les termes du trust ou dans un autre document ou à défaut au lieu où le trust est administré en fait. Enfin, l’article 149b al. 4 LDIP a trait à l’émission publique de titres, ce qui sort du cadre de notre étude.

2. La Convention de Lugano

La Convention de Lugano 13 (CLug) contient également des normes appli- cables aux affaires relatives à des trusts. Ces normes ont la priorité sur celles prévues par la LDIP 14. L’article 2 CLug prévoit le principe général du for dans l’Etat du do- micile du défendeur si celui-ci est domicilié dans un pays signataire de la Convention15. Ce défendeur peut également être attrait en sa qualité de trustee devant les tribunaux de l’Etat contractant où le trust a son domicile (art. 5 al. 6 CLug) 16, lequel est déterminé selon les règles du droit interna- tional privé du juge saisi selon l’article 53 CLug. Il faut relever que l’article 5 al. 6 CLug ne concerne que les rapports internes du trust 17. L’article 17 CLug régit le cas de l’élection de for ; selon l’alinéa 2 de cet article, l’élection de for faite dans un acte de trust en faveur du tribu- nal d’un Etat contractant est exclusive pour une action contre un settlor,

13 RS 0.275.11. 14 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-5 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149b LDIP, n. 5. 15 Dasser, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 2 CLug, n. 1. 16 Oberhammer, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 5 CLug, n. 154 ; d’un point de vue anglais : Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-033, p. 964. 17 Vogt, in BSK IPR, ad art. 149b LDIP, n. 6 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Under- hill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.229, p. 1302 ; d’un avis contraire : Oberhammer, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 5 CLug, n. 157. 330 Delphine Pannatier Kessler un trustee ou un bénéficiaire. Selon une interprétation systématique de la Convention et par analogie avec l’article 17 al. 1 CLug, il est, semble- t-il, également requis qu’au moins une des parties soit domiciliée dans un Etat contractant pour que l’article 17 al. 2 CLug soit applicable 18. D’après la doctrine, cette règle de compétence ne concerne que les rapports in- ternes du trust et ne vise donc pas les rapports de tiers avec le trust 19. De plus, elle n’est pas applicable si le tribunal élu n’appartient pas à un Etat contractant de la Convention de Lugano, contrairement à l’élection de for de l’article 149b al. 1 LDIP qui est applicable erga omnes 20.

3. Droit de suite contre le trustee

En premier lieu, il convient de distinguer si le droit de suite vise à obtenir la restitution d’un bien meuble ou d’un immeuble car la compétence à raison du for est différente selon les cas. Nous traiterons tout d’abord celui d’un immeuble puis celui d’un meuble. A titre préalable il convient de relever qu’une action en droit de suite des bénéficiaires contre un trustee concerne les relations internes du trust. En effet, tous les protagonistes sont parties à la relation de trust et le droit de suite découle directement de la violation du trust et des rapports de propriété qui le régissent. Ainsi, il s’agit d’une “affaire relevant du droit des trusts”. Dès lors, l’article 149b LDIP, l’article 5 al. 6 CLug et l’article 17 al. 2 CLug peuvent lui être applicables 21.

3.1 Droit de suite sur un immeuble

Dans l’hypothèse où le droit de suite vise un immeuble et où celui-ci est situé dans un pays signataire de la Convention de Lugano, il y a une com- pétence exclusive des tribunaux de l’Etat où l’immeuble est situé selon l’ar-

18 Killias, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 17 CLug, n. 70. 19 Killias, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 17 CLug, n. 71 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 102.227, p. 1302. 20 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-32. 21 Dans le même sens, pour une action contre le trustee : Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-12. VIII. Aspects procéduraux 331 ticle 16 al. 1 lit. a CLug. Cette compétence exclusive rend inopérante une clause d’élection de for contenue dans un acte de trust selon l’article 17 al. 3 CLug 22. Dans l’hypothèse où la Convention de Lugano n’est pas applicable du fait que l’immeuble visé est situé dans un pays non contractant, le juge suisse ne sera en principe pas compétent selon l’article 97 LDIP 23 ; ce cas sera brièvement traité ci-après. Il nous paraît justifié de qualifier le droit de suite visant un immeuble d’action réelle immobilière au sens de l’article 16 al. 1 lit. a CLug pour plu- sieurs raisons. Tout d’abord, d’un point de vue pratique, le juge de l’Etat de situation de l’immeuble est le mieux placé pour juger d’une action réelle immobilière car il connaît le système de publicité foncière dont re- lève l’immeuble et dispose de voies de droit spécifiques, telles que l’action en rectification du Registre foncier de l’article 975 CC par exemple. De plus, la juridiction concernant des immeubles a traditionnellement tou- jours été l’apanage du juge du lieu de situation, comportant un aspect de souveraineté de l’Etat. Ainsi, pour des raisons pratiques et de tradition, l’on imagine difficilement un juge anglais traiter d’une action en droit de suite touchant un immeuble en Suisse et ayant pour effet la modification d’une inscription au Registre foncier. Ensuite, il nous paraît que la formu- lation de l’article 17 al. 3 CLug, réservant expressément les compétences exclusives de l’article 16 CLug qui met en échec l’élection de for de l’acte de trust, confirme que le droit de suite visant un bien immobilier, bien que relevant des relations internes du droit des trusts, est un cas particulier pour lequel des règles spécifiques s’appliquent, soit en l’espèce l’article 16 al. 1 lit. a CLug. De plus, l’article 16 al. 3 CLug réserve la compétence ex- clusive de l’Etat où le registre est tenu pour les contestations sur la validité d’une inscription. Comme le droit de suite immobilier peut viser la recti- fication d’une inscription au Registre foncier, cette compétence exclusive confirme qu’il y a lieu de confier le règlement de cette question au juge du lieu de situation. Enfin, le droit de suite a pour but de faire valoir lebenefi - cial interest des bénéficiaires, lequel est qualifié en droit suisse de droit de nature réelle. Dans la mesure où la Convention de Lugano ne dispose pas d’une norme spécifique visant expressément le droit de suite, il y a lieu de le qualifier d’action réelle immobilière vu la similarité des actions. Ainsi,

22 Killias, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 17 CLug, n. 67 et n. 71 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 23-037, p. 965. 23 Heini, in ZK IPRG, ad art. 97 LDIP, n. 1. 332 Delphine Pannatier Kessler le droit de suite visant un immeuble est soumis au for de l’article 16 al.1 lit. a CLug. Du point de vue du juge suisse, celui-ci ne peut être compétent que si l’immeuble est situé en Suisse au vu de l’article 16 al. 1 lit. a CLug. La compétence ratione loci sur le plan interne se détermine alors selon les règles de la LDIP 24. On peut se poser la question de savoir s’il faut appli- quer l’article 97 LDIP ou l’article 149b LDIP à cet effet. A notre avis, les deux dispositions pourraient raisonnablement trouver application : l’ar- ticle 149b LDIP en tant que lex specialis en matière de trust et l’article 97 LDIP en tant que règle miroir de l’article 16 CLug en matière immobilière. Selon nous, l’article 97 LIDP devrait toutefois avoir la préférence dans ce cas. En effet, l’article 97 LDIP étant le reflet de l’article 16 CLug, il nous paraît cohérent d’avoir recours au même critère de rattachement aboutis- sant à un for clair, celui du lieu de situation de l’immeuble. De plus, ce for nous paraît devoir prévaloir vu son caractère exclusif 25 et impératif. Enfin, pour des raisons pratiques, il nous semblerait inadéquat d’appliquer l’article 149b LDIP pour déterminer le for interne en matière d’immeubles car il se pourrait qu’aucun for en Suisse au sens de cet article ne soit dispo- nible même si l’immeuble est situé en Suisse. Il faut encore relever qu’une élection de for en faveur d’un autre tribunal suisse ne serait pas licite 26. Par conséquent, si un bénéficiaire entend exercer le droit de suite sur un immeuble situé en Suisse, il devra déposer sa demande devant le juge du lieu de situation de l’immeuble. Signalons enfin que, dans l’hypothèse où l’immeuble visé par le droit de suite est situé hors de Suisse dans un Etat non signataire de la Conven- tion de Lugano, l’on peut se demander s’il faut néanmoins dans ce cas pré- cis appliquer l’article 149b LDIP dans la mesure où l’article 97 LDIP ne trouvera pas application vu que l’immeuble n’est pas situé en Suisse. Si le défendeur à l’action est domicilié en Suisse et si l’Etat de situation de l’immeuble ne revendique pas de compétence exclusive, ce qui n’est pas la règle 27, il nous paraît possible dans cette constellation de construire un for en Suisse au domicile du défendeur au droit de suite. Une clause d’élection de for, cas échéant prévue dans l’acte de trust, pourrait dans

24 Heini, in ZK IPRG, ad art. 97 LDIP, n. 15. 25 Heini, in ZK IPRG, ad art. 97 LDIP, n. 4. 26 Heini, in ZK IPRG, ad art. 97 LDIP, n. 4. 27 Heini, in ZK IPRG, ad art. 97 LDIP, n. 1. VIII. Aspects procéduraux 333 ce cas avoir de l’effet, vu qu’elle ne contreviendrait pas au for exclusif de l’article 97 LDIP.

3.2 Droit de suite sur un meuble

Si le droit de suite est exercé sur un bien mobilier, le raisonnement est différent et plus complexe. La première étape consiste à déterminer si la Convention de Lugano est applicable ou non à l’action en droit de suite contre le trustee. Nous traiterons d’abord le cas où la Convention de ­Lugano s’applique, puis celui où la LDIP s’applique.

3.2.1 Applicabilité de la Convention de Lugano

Tout d’abord, il faut déterminer le lieu où le trustee défendeur est domici- lié. Si ce dernier est domicilié dans un Etat contractant de la Convention de Lugano, celle-ci est applicable selon son article 2. Par conséquent, l’ar- ticle 149b LDIP ne s’applique pas. Il s’agit alors de déterminer si dans le cas précis le trust tombe dans le champ d’application de la Convention de Lugano au sens de son article 1 28 ; tel ne serait pas le cas si le trust avait une pure fonction successorale par exemple 29. Dans une deuxième étape, il y a lieu de déterminer si l’acte de trust contient une clause d’élection de for valable au sens de l’article 17 al. 2 CLug. L’élection unilatérale d’un for est opposable au trustee et aux bénéficiaires, puisqu’ils déduisent des droits du trust 30. Il faut relever que l’article 17 al. 2 CLug exige que le tribunal choisi soit celui d’un Etat contractant. Tel sera le cas si un tribunal suisse est désigné. Celui-ci sera alors exclusivement compétent pour l’action en droit de suite. Dans l’hypothèse où il n’y a pas d’élection de for valable au sens de la Convention de Lugano, les bénéficiaires ont alors le choix entre les tribunaux de l’Etat du domicile du trustee selon l’article 2 CLug et ceux du domicile du trust selon l’article 5 al. 6 CLug.

28 Vogt, in BSK IPR, ad art. 149b LDIP, n. 21 ; Oberhammer, in Kommentar zum Lugano- Übereinkommen, ad art. 5 CLug, n. 158. 29 Vogt, in BSK IPR, ad art. 149b LDIP, n. 7 et 21 ; Oberhammer, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 5 CLug, n. 158. 30 Thévenoz, in Journée 2006 de droit bancaire et financier, p. 57. 334 Delphine Pannatier Kessler

Analysons à présent la question du point de vue d’un juge suisse saisi d’une action en droit de suite contre un trustee. Si le trustee est domicilié en Suisse, le juge suisse est compétent selon l’article 2 CLug. La compé- tence ratione loci du juge suisse se détermine alors selon l’article 149b al. 3 lit. a LDIP 31, lequel est applicable du fait qu’il s’agit d’une affaire interne relevant du droit des trusts. Il nous paraît que l’article 149b al. 3 LDIP a dans ce cas priorité sur l’article 98 LDIP vu qu’il constitue une lex specialis en matière de trust et que, contrairement au cas des immeubles, il ne s’agit pas d’un critère de rattachement exclusif. Ainsi, le tribunal du domicile du trustee ou à défaut de domicile celui de sa résidence habituelle est compé- tent pour juger d’une action en droit de suite contre le trustee ayant trait à un objet mobilier. Le juge suisse peut également être compétent selon l’article 5 al. 6 CLug, lequel déclare compétents les tribunaux de l’Etat du domicile du trust. Le domicile du trust se détermine selon l’article 21 al. 3 LDIP par renvoi de l’article 53 CLug 32. Dans la conception du droit suisse, le siège du trust se trouve au lieu de son administration désigné dans les termes du trust. A défaut de désignation, il se trouve au lieu où le trust est administré de fait 33. Ainsi, un juge suisse sera compétent si l’acte de trust ou un autre document désigne la Suisse comme lieu d’administration du trust ou à défaut si le trust est administré de facto en Suisse. Pour déterminer la com- pétence ratione loci interne, il convient ensuite d’appliquer l’article 149b al. 3 lit. b LDIP, lequel désigne le tribunal du siège du trust 34. En conclusion, si la Convention de Lugano est applicable, le juge suisse du domicile du trustee ou le juge suisse du lieu d’administration du trust désigné en Suisse est compétent pour connaître d’une action en droit de suite sur un meuble contre un trustee.

31 Sur le principe que la compétence ratione loci interne est déterminée par les règles de la LDIP : Dasser, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 2 CLug, n. 7-8. 32 Oberhammer, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 5 CLug, n. 160. 33 A cet égard, il est renvoyé au commentaire fait avant l’entrée en vigueur de la Conven- tion de La Haye sur les trusts par Amstutz / Vogt / Wang, in BSK IPR, ad art. 113 LIDP, n. 16 (1re édition, 1996). 34 Oberhammer, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, ad art. 5 CLug, n. 159- 160. VIII. Aspects procéduraux 335

3.2.2 Applicabilité de la LDIP

Si en revanche la Convention de Lugano n’est pas applicable du fait que le trustee défendeur n’est domicilié ni en Suisse ni dans un autre pays signa- taire de la Convention, le juge suisse appliquera l’article 149b LDIP pour déterminer sa compétence. En effet, l’action en droit de suite contre le ­trustee relève d’une affaire interne du droit des trusts et l’article 149b LDIP est une lex specialis par rapport à l’article 98 LDIP. S’il y a une élection de for au sens de l’article 149b al. 1 LDIP et si celle-ci désigne un tribunal suisse, ce dernier sera compétent pour déci- der de l’action en droit de suite selon l’article 149b al. 2 LDIP. Il ne pourra pas décliner sa compétence si l’un des bénéficiaires, un trustee ou le trust est domicilié dans le canton où siège le tribunal ou si une grande partie du patrimoine du trust se trouve en Suisse. En effet, l’élection unilatérale d’un for dans l’acte de trust est opposable au trustee et aux bénéficiaires, puisque ces derniers déduisent des droits du trust 35. Si en revanche il n’y a pas d’élection de for, il convient alors d’appliquer l’article 149b al. 3 LDIP pour déterminer le for. L’action en droit de suite peut être introduite contre le trustee au for de son domicile 36 ou au for du siège du trust, lequel correspond au lieu d’administration désigné dans l’acte de trust ou dans un autre document ou à défaut au lieu d’administra- tion de fait selon l’article 21 al. 3 LDIP. En résumé, si la Convention de Lugano n’est pas applicable, le juge suisse sera compétent pour connaître du droit de suite soit sur la base d’une élection de for en sa faveur, soit parce que le lieu d’administra- tion du trust désigné ou à défaut le lieu d’administration de fait se trouve en Suisse.

4. Droit de suite contre un tiers

En cas de droit de suite exercé contre des tiers, il ne s’agit plus d’une af- faire interne du trust et l’article 149b LDIP n’est dès lors pas applicable en ­l’espèce 37. Pour la même raison, l’article 5 al. 6 CLug n’est pas applicable

35 Thévenoz, in Journée 2006 de droit bancaire et financier, p. 57. 36 Lequel ne se trouve dans cette hypothèse pas en Suisse. 37 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-3, 149b-14 et 149b-46. 336 Delphine Pannatier Kessler non plus. Dès lors, il convient d’appliquer les règles générales de la LDIP et de la Convention de Lugano 38. De plus, même si l’acte de trust contient une élection de for, celle-ci n’est pas opposable aux tiers défendeurs à l’action en droit de suite, dans la mesure où ceux-ci ne sont pas parties à la relation juridique du trust 39. Ainsi, il convient de déterminer quelles autres normes de la LDIP et de la Convention de Lugano s’appliquent pour désigner le for de l’action en droit de suite contre des tiers. Dans la mesure où ni la LDIP ni la Convention de Lugano ne contien- nent de norme spécifique en matière de droit de suite, il convient de quali- fier cette action selon les critères de rattachement du droit suisse. Tout au long de cette étude, nous nous sommes efforcée de démontrer le caractère réel du droit de suite tant en droit des trusts que selon les critères du droit suisse ainsi que l’obligation de sa reconnaissance en Suisse, sous réserve de la violation de règles impératives. Du fait que le droit de suite a précisé- ment pour but de faire valoir le droit in rem des bénéficiaires et que ce droit est un droit réel au sens du droit suisse, il faut qualifier le droit de suite selon les critères de rattachement suisses 40 et donc le soumettre aux règles applicables pour l’action réelle mobilière et immobilière. Nous analyserons tout d’abord la question du for de l’action en droit de suite contre un tiers dans le cas où la Convention de Lugano est applicable puis dans celui où la LDIP est applicable.

4.1 Applicabilité de la Convention de Lugano

Si le tiers contre lequel est dirigé le droit de suite est domicilié dans un Etat partie à la Convention de Lugano, cette dernière est applicable en vertu de son article 2. Selon ce même article, l’action contre le tiers défendeur au droit de suite doit être introduite devant les tribunaux de l’Etat de son do- micile. Dans ce cas, le juge suisse ne sera compétent que si le défendeur est domicilié en Suisse. Pour déterminer la compétence ratione loci interne, nous sommes d’avis qu’il faut soumettre l’action en droit de suite au critère de rattachement de l’action réelle mobilière selon l’article 98 al. 1 LDIP car l’article 149b al. 3 LDIP n’est pas applicable aux relations externes du

38 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustsrecht, ad art. 149b, n. 149b-46. 39 Dans le même sens : Thévenoz, in Journée 2006 de droit bancaire et financier, p. 57. 40 Graham-Siegenthaler, Kreditsicherungsrechte im internationalen Rechtsverkehr, p. 48 ; pour un exemple voir l’arrêt du Tribunal fédéral 5A.70/208 du 18 juillet 2008. VIII. Aspects procéduraux 337 trust. La Convention de Lugano ne prévoyant pas de for alternatif appli- cable au cas d’espèce, le seul for sera celui du domicile du tiers défendeur au droit de suite 41. Si le défendeur n’est pas domicilié en Suisse mais dans un autre pays contractant de la Convention de Lugano, le juge suisse ne sera pas compétent.

4.2 Applicabilité de la LDIP

Si la Convention de Lugano n’est pas applicable parce que le tiers n’est pas domicilié dans un pays signataire de cette Convention, la LDIP ­s’applique 42. Si le tiers n’est pas domicilié en Suisse mais y a sa résidence habituelle, le tribunal suisse de sa résidence habituelle est compétent selon l’article 98 al. 1 LDIP 43. Si le tiers défendeur n’a en Suisse ni domicile ni résidence habituelle mais que le bien sur lequel le droit de suite est exercé est situé en Suisse, le tribunal du lieu de situation du bien est compétent selon l’article 98 al. 2 LDIP 44. Ainsi, l’action en droit de suite pourra être introduite en Suisse contre un tiers défendeur non domicilié en Suisse (et non domicilié dans un Etat partie à la Convention de Lugano) soit à sa résidence habituelle suisse, soit au lieu de situation en Suisse du bien visé par le droit de suite.

5. Fors spéciaux

5.1 Fors de la LP

Nous avons vu qu’il pouvait dans certains cas être nécessaire d’“habiller” l’action en droit de suite en une action du droit suisse (VIII.B.2, page 323). Tel est le cas notamment pour l’action en revendication de la LP (art. 107 al. 5 LP) par laquelle un bénéficiaire fait valoir son beneficial interest ou droit in rem sur un bien faisant l’objet d’une mesure d’exécution forcée contre un tiers débiteur. Dans ce cas, la LP prévoit que l’action en revendi- cation doit être intentée au for de la poursuite selon l’article 109 al. 1 ch. 1

41 Dans le même sens : Dutoit, Commentaire LDIP, ad art. 98 LDIP, n. 3. 42 Dutoit, Commentaire LDIP, ad art. 98 LDIP, n. 3. 43 Dutoit, Commentaire LDIP, ad art. 98 LDIP, n. 1. 44 Dutoit, Commentaire LDIP, ad art. 98 LDIP, n. 2. 338 Delphine Pannatier Kessler

LP ou, s’il s’agit d’un immeuble, au for du lieu de situation de l’immeuble selon l’article 109 al. 3 LP45. Dans la mesure où les fors de la LP sont im- pératifs et où le droit de suite doit se couler dans le moule de l’action en revendication de la LP, il nous paraît que les fors de la LP prévalent pour déterminer le for de l’action en droit de suite lorsque celle-ci est dirigée contre un bien faisant l’objet d’une mesure d’exécution forcée en Suisse.

5.2 Fors en cas d’application de l’article 15 al. 2 de la Convention de La Haye

Dans l’hypothèse où le droit de suite en tant que tel ne peut pas être re- connu mais doit être transposé en droit suisse pour donner effet au but du trust, la question de savoir quel for doit prévaloir se pose. Nous avons identifié certains cas où cette transposition en droit suisse était nécessaire, à savoir ceux où le droit de suite vise de la monnaie, des droits-valeurs ou des titres intermédiés détenus auprès d’une banque sur un compte. Il nous paraît que les principes dégagés en matière de droit de suite contre le trustee portant sur une chose mobilière s’appliquent ici mutatis mutandis. En effet, bien que la demande en paiement ou l’action en res- titution de titres intermédiés soient certes non plus de nature réelle mais obligationnelle, ces actions ont néanmoins pour base un droit in rem ­selon le droit du trust et découlent de ce dernier. De plus, ces actions visent un avoir bancaire déterminé, respectivement des titres intermédiés détermi- nés et non pas le patrimoine général du défendeur, de sorte qu’il existe un lien matériel quasi-réel entre l’avoir visé et le fondement de l’action. Dès lors, à notre avis, ces actions, même amputées de leur aspect réel, doivent bénéficier des mêmes critères de rattachement que ceux appli- cables au droit de suite en matière mobilière et doivent donc être portées devant les mêmes tribunaux. Par conséquent, si la Convention de Lugano est applicable du fait que le trustee est domicilié dans un pays contractant, le juge suisse du domicile du trustee ou le juge suisse du lieu d’administration du trust désigné en Suisse est compétent pour connaître d’une demande en paiement respec- tivement en restitution contre le trustee. En revanche, si la Convention de Lugano n’est pas applicable du fait que le trustee n’est pas domicilié dans

45 Ce for ne sera pas modifié par l’entrée en vigueur du Code de procédure civile suisse. VIII. Aspects procéduraux 339 un pays contractant, le juge suisse sera compétent pour connaître de cette demande en paiement ou en restitution soit sur la base d’une élection de for en sa faveur soit parce que le lieu d’administration du trust désigné ou à défaut le lieu d’administration de fait se trouve en Suisse. Dans l’hypo- thèse où l’action est dirigée contre un tiers domicilié dans un Etat partie à la Convention de Lugano ou contre une banque y ayant son siège, le dé- fendeur ne peut être assigné que devant les tribunaux de son domicile. Le juge suisse du domicile ou du siège ne sera compétent que si le défendeur est domicilié en Suisse. Si en revanche le défendeur n’est pas domicilié en Suisse, le tribunal suisse de sa résidence habituelle selon l’article 98 al. 1 LDIP46 ou le tribunal du lieu de situation du bien selon l’article 98 al. 2 LDIP47 sera compétent. A cet égard, il faut cependant relever que lorsque l’objet de l’action en paiement est une créance contre la banque, il n’y a pas de lieu de situation puisque la créance n’a pas d’existence physique. Il conviendra toutefois de considérer que la créance est située auprès de la banque débitrice par analogie avec la théorie développée en matière de sé- questre d’avoirs bancaires 48. Si l’action vise des titres intermédiés, il faudra par analogie admettre qu’ils sont situés auprès du dépositaire en applica- tion de l’article 14 al. 1 LTI par analogie. Relevons enfin qu’en cas de figures procédurales complexes telles que cumul d’actions, appel en cause, intervention et autres institutions de pro- cédure (voir également au point VII.A.3.1.2, page 285 et au point VIII.F, pages 342 ss), il y aura lieu d’examiner la question du for également sous l’angle de l’article 6 CLug et des articles 15 et 16 CPC.

D. Procédure

Si les bénéficiaires engagent une action en droit de suite devant un tribunal suisse, les ordinaria litis, c’est-à-dire la procédure en tant que telle, seront régis par les règles du for49 et ce, même si l’action est régie sur le fond par un droit étranger.

46 Dutoit, Commentaire LDIP, ad art. 98 LDIP, n. 1. 47 Dutoit, Commentaire LDIP, ad art. 98 LDIP, n. 2. 48 Jeandin / Lombardini, in AJP/PJA 2006, p. 970. 49 Knoepfler / Schweizer / Othenin-Girard, Droit international privé suisse, § 637, p. 370. 340 Delphine Pannatier Kessler

A notre avis, la procédure ordinaire selon les articles 219 ss CPC 50, régie par le principe de disposition51 et la maxime des débats 52, devrait en principe être applicable au droit de suite au fond 53, par analogie avec la procédure applicable en matière d’action en revendication de l’article 641 CC. Vu que des questions complexes risquent de se poser, une administra- tion complète des preuves s’avèrera nécessaire de sorte que les procédures sommaire 54 ou simplifiée 55 ne seraient pas appropriées. Relevons qu’une requête de mesures provisionnelles déposée en relation avec une action en droit de suite demeurera néanmoins soumise à la procédure sommaire selon l’article 248 lit. d CPC et qu’une action en droit de suite devant être transposée en droit suisse pour des raisons procédurales (voir sous VIII.B.2.1, page 323) sera régie par la procédure applicable à l’action de droit suisse correspondante.

E. Qualité pour agir et défendre

La qualité pour agir et défendre (ou légitimation active et passive) appar- tient aux sujets matériels du droit, à savoir au titulaire du droit pouvant faire valoir une prétention en son propre nom et à celui qui est l’obligé du doit, c’est-à-dire à celui ayant l’obligation de devoir répondre en jus- tice à l’action du demandeur 56. La qualité pour agir et défendre sont des conditions de fond du droit exercé 57. Elle doit être examinée au regard de la lex causae, étant donné qu’elle est étroitement liée à la relation juridique

50 Selon le futur Code de procédure civile qui entrera en vigueur en 2011. 51 Article 58 al. 1 CPC. 52 Article 55 al. 1 CPC. 53 Voir Knoepfler / Schweizer / Othenin-Girard, Droit international privé suisse, § 638, p. 371. 54 Article 248 ss CPC. 55 Articles 243 ss CPC ; sous réserve du cas où la procédure en droit de suite porterait sur une valeur litigieuse inférieure à 30 000.– francs, auquel cas la procédure simplifée serait néanmoins applicable selon l’article 243 al. 1 CPC. 56 Hohl, Procédure civile, T. I, § 433 ss, p. 97 s. ; ATF 114 II 345 considérant 3a ; ATF 125 III 82, considérant 1a. 57 Hohl, Procédure civile, T. I, § 435, p. 97 ; ATF 114 II 345 considérant 3a ; ATF 126 III 59, considérant 1a. VIII. Aspects procéduraux 341

­litigieuse 58. En matière de droit de suite, il convient de déterminer la ques- tion de la qualité pour agir et défendre selon le droit du trust.

1. Qualité pour agir

Nous présenterons à présent la qualité pour agir en exercice du droit de suite ainsi que la question de la consorité active.

1.1 Qualité pour agir du trustee ou des bénéficiaires

En droit anglais, le trustee et les bénéficiaires ont la qualité pour agir en droit de suite. En cas de violation du trust, le trustee déloyal est souvent remplacé par un nouveau trustee, lequel se chargera de faire valoir le droit de suite en faveur du trust et ainsi en faveur de l’ensemble des bénéficiaires. Il se peut également qu’un bénéficiaire s’en charge ; dans un tel cas, il le fait en faveur de tous les bénéficiaires et réclame la restitution au patrimoine du trust 59. La Convention de La Haye a consacré la qualité de partie du trustee à son article 11 al. 2 comme faisant partie des aspects centraux du trust devant être reconnus par les Etats contractants. Dès lors, il faut ad- mettre ces mêmes principes devant les tribunaux suisses et reconnaître la qualité pour agir du trustee et des bénéficiaires.

1.2 Absence de consorité active nécessaire des bénéficiaires

En droit anglais, il n’est pas nécessaire que le trustee et les bénéficiaires agissent tous de concert pour faire valoir le droit de suite. En effet, chaque bénéficiaire seul, même s’il n’a qu’une expectative dans un trust discré- tionnaire, peut demander que ses droits soient protégés 60. Le bénéfi- ciaire demandera dans la règle la restitution du bien non pas à lui-même mais au patrimoine du trust pour la totalité, ce qui profitera à tous les

58 Knoepfler / Schweizer / Othenin-Girard, Droit international privé suisse, § 644, p. 374. 59 Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 19-017, p. 818. 60 Hayton, The Law of Trusts, p. 16, 28 et 179-180 ; en droit de Jersey : Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 14.17, p. 174. 342 Delphine Pannatier Kessler bénéficiaires 61. Il agit en quelque sorte au bénéfice d’un mandat procédu- ral de tous les ­bénéficiaires 62. Si c’est le nouveau trustee qui se charge de faire valoir le droit de suite, il le fait en faveur du patrimoine du trust, ce qui profite à tous les bénéficiaires. Par conséquent, les tribunaux suisses devront à notre avis reconnaître la qualité pour agir d’un bénéficiaire seul, lequel peut faire valoir la totalité des prétentions du trust à l’encontre du trustee déloyal ou d’un tiers détenteur des biens. Ils devront a fortiori re- connaître la qualité pour agir de plusieurs bénéficiaires agissant conjointe- ment pour la totalité du dommage ainsi que celle du trustee. Il n’y a donc pas de consorité active nécessaire au sens de l’article 70 CPC. Cela étant, si les bénéficiaires mettent en œuvre le droit de suite, ils devront conclure à la restitution ou au paiement en faveur du patrimoine du trust, c’est-à-dire au trustee qua trustee, et non pas à eux-mêmes personnellement. Relevons néanmoins que le bénéficiaire d’un fixed trust pourra demander la resti- tution des revenus du trust directement à lui-même car il a une prétention immédiate sur ces revenus (voir sous II.D.2.1, page 53).

2. Qualité pour défendre

Le droit de suite étant une action tendant à obtenir la restitution d’un bien, le détenteur actuel du bien a la qualité pour défendre, qu’il s’agisse du trus- tee déloyal ou d’un tiers ayant acquis ce bien. Précisons que le bien visé n’est pas forcément le bien lui-même ayant appartenu au patrimoine du trust mais qu’il peut s’agir également de son remploi, de ses produits ou de la créance en découlant.

F. Figures procédurales

Dans un procès en droit de suite, nous avons vu que le demandeur sera un bénéficiaire ou le trustee de remplacement. Le défendeur à l’action en droit de suite sera le détenteur actuel du bien sur lequel est exercé le droit

61 Hayton, The Law of Trusts, p. 179 s. ; en droit de Jersey : Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 14.18, p. 174. 62 Hayton, The Law of Trusts, p. 16 et p. 180. VIII. Aspects procéduraux 343 de suite. Ce détenteur peut-il impliquer d’autres personnes dans le procès en droit de suite ?

1. Droit de suite exercé contre le trustee

Dans l’hypothèse où le défendeur est le trustee, celui-ci devra en principe résister seul au droit de suite. En effet, c’est par son aliénation ou appro- priation en violation du trust qu’il aura acquis le bien sur lequel est exercé le droit de suite. Il ne pourra en principe pas se retourner contre un autre fautif s’il succombe dans le procès en droit de suite. Même si la cible du droit de suite est un bien acquis par le trustee d’une tierce personne en remploi d’un bien détourné du trust et aliéné de manière subséquente, ce tiers aliénateur du bien de remploi n’aura aucune implication dans la ques- tion du droit de suite, de sorte que le trustee ne pourra pas se retourner contre ce tiers. Ainsi, une dénonciation d’instance selon les articles 78 ss CPC ou un appel en cause au sens des articles 81 ss CPC ne nous paraissent pas envisageables. De même, nous sommes d’avis qu’en principe aucun tiers n’aura d’intérêt à intervenir de manière accessoire au procès en droit de suite introduit contre le trustee au sens des articles 74 ss CPC, le trustee étant dans la règle seul responsable de sa propre situation. En revanche, une intervention d’un tiers à titre principal selon l’ar- ticle 73 CPC pourrait être envisagée. Tel pourrait être le cas pour un hé- ritier du settlor qui fait valoir un droit préférable à celui des bénéficiaires du trust par une action en pétition d’hérédité (art. 598 ss CC) sur l’objet du droit de suite qu’il affirme n’avoir pas été valablement transféré au trust initialement et donc faire encore partie de la succession du settlor.

2. Droit de suite exercé contre le tiers

Dans la constellation où des bénéficiaires d’un trust exercent le droit de suite sur un bien du trust à l’encontre d’un tiers, la situation se présente différemment. Les tiers ont forcément acquis le bien d’une personne contre laquelle ils peuvent avoir un intérêt à se retourner s’ils succombent. Qu’ils aient acquis le bien du trustee ou d’un tiers non protégé par la bona fide purchaser rule, les tiers défendeurs à l’action en droit de suite ont claire- ment un intérêt à impliquer dans le procès la personne qui leur a transféré le bien. 344 Delphine Pannatier Kessler

Par la dénonciation d’instance selon les articles 78 ss CPC, le défendeur peut dénoncer à l’aliénateur (le trustee ou un tiers dans la chaîne d’aliéna- tions) le litige pour pouvoir rendre opposable à l’aliénateur un jugement défavorable (art. 77 CPC par renvoi de l’art. 80 CPC). Le cas échéant, dans une deuxième procédure, le dénonçant pourra faire valoir contre le dé- noncé des prétentions en dommages-intérêts et demander la restitution du prix d’achat du bien. Le défendeur au droit de suite pourrait également appeler en cause l’aliénateur du bien selon les articles 81 ss CPC et prendre dans le même procès en droit de suite des conclusions en dommages-intérêts et resti- tution du prix de vente contre l’aliénateur (le trustee ou un tiers dans la chaîne d’aliénations) dans l’hypothèse où il succomberait dans l’action en droit de suite. Relevons encore que la situation de procédure pourrait également être compliquée lorsque le droit de suite est exercé à l’encontre d’une banque pour des avoirs en compte bancaire. Si la banque est défenderesse, que le demandeur soit un bénéficiaire du trust en droit de suite ou qu’il soit le ti- tulaire du compte agissant contre la banque en exécution de son obligation de payer, la banque aura un intérêt évident à attraire dans la procédure l’autre partie concernée ou tout au moins à lui dénoncer l’instance. Il est pour le surplus renvoyé au point VII.A.3.1.2, page 285. Ainsi, lorsque le droit de suite vise un tiers, il est fort probable que ce tiers ait un intérêt à impliquer dans le procès la personne de laquelle il a acquis le bien objet du droit de suite. Par conséquent, nous pensons que les figures procédurales de l’appel en cause et de la dénonciation d’instance seront vraisemblablement utilisées lors de procès en droit de suite dirigés contre un tiers. En revanche, la probabilité de la participation de tiers à une procédure en droit de suite dirigée contre le trustee nous paraît peu élevée.

G. Arbitrabilité

Traditionnellement, les actions en matière de trusts sont soumises aux tri- bunaux ordinaires des juridictions de common law. Cependant, une nou- velle tendance de soumettre les contentieux en matière de trust à l’arbi- trage est née récemment. Pour l’instant, l’idée en est plutôt au stade d’une VIII. Aspects procéduraux 345 proposition de la doctrine et n’a eu qu’un écho limité dans la pratique 63. Les praticiens anglo-saxons en particulier ne semblent pas encore très en- clins à considérer l’arbitrage comme une méthode de résolution de litiges en matière de trusts. Ils lui préfèrent la médiation. Malgré cela, il nous pa- raît intéressant d’analyser brièvement si une action en droit de suite pour- rait faire l’objet d’un arbitrage.

1. Arbitrabilité sur le principe

Les articles 176 et 177 al. 1 LDIP prévoient des règles générales en matière d’arbitrage international. Selon l’article 177 al. 1 LDIP, “toute cause de na- ture patrimoniale peut faire l’objet d’un arbitrage”. Cette notion est très large. Est une cause de nature patrimoniale celle portant sur des préten- tions qui ont une valeur pécuniaire pour les parties, c’est-à-dire un intérêt pouvant être apprécié en argent 64. A notre avis, une action en droit de suite est toujours de nature pa- trimoniale, puisqu’elle vise à faire reconnaître le beneficial interest des bénéficiaires et à obtenir la restitution d’un bien dont la valeur peut être appréciée en argent 65. De plus, du point de vue du juge suisse, ces conflits peuvent être soumis à l’arbitrage car ni l’article 97 LDIP en matière d’im- meubles 66 ; 67 ni l’article 98 LDIP en matière de meubles 68 ne s’y opposent. Dès lors, il nous paraît que, d’un point de vue du droit suisse, le droit de suite peut faire l’objet d’un arbitrage. Bien évidemment, l’arbitrabilité peut être appréciée selon des critères différents selon le lieu où le bien se trouve et donc où la sentence arbitrale doit être exécutée, ce qui pourrait aboutir au refus de la reconnaissance de la sentence arbitrale admettant le droit de

63 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 73 ; Wüstemann, in New Developments in International Commercial Arbitration, p. 34. 64 ATF 118 II 353 = JdT 1994 I 125 ; Wüstemann, in New Developments in International Commercial Arbitration, p. 49. 65 Dans le même sens : Wüstemann, in New Developments in International Commercial Arbitration, p. 49. 66 Sous réserve de l’action en rectification du Registre foncier, laquelle n’est pas ar- bitrable ; voir Burkhalter / Grell, Schiedgserichtbarkeit der Schweizer Immobilien- wirtschaft, § 44, p. 18. 67 Heini, in ZK IPRG, ad art. 97 LDIP, n. 4 ; Burkhalter / Grell, Schiedgserichtbarkeit der Schweizer Immobilienwirtschaft, § 48, p. 20. 68 Heini, in ZK IPRG, ad art. 98 LDIP, n. 10. 346 Delphine Pannatier Kessler suite 69. Ces aspects devront faire l’objet d’une analyse approfondie avant l’ouverture d’une telle procédure 70.

2. Opposabilité de la clause d’arbitrage

Si une clause d’arbitrage est contenue dans l’acte de trust, il y a lieu de dis- tinguer selon que les bénéficiaires cherchent à exercer le droit de suite contre le trustee ou contre un tiers. Si le droit de suite est exercé contre le trustee, le trustee et les bénéficiaires sont-ils liés par une clause d’arbitrage conte- nue dans l’acte de trust ? En ce qui concerne le trustee, étant donné qu’il a accepté son office de trustee sur la base de l’acte de trust, il nous paraît clair qu’il a par la même occasion accepté la clause ­d’arbitrage 71. En revanche, les avis divergent au sujet des bénéficiaires. Pour P. M. Gutzwiller, il est difficile d’admettre que les bénéficiaires soient liés par la clause, étant donné qu’ils n’ont pas été associés à la constitution du trust et ne l’ont pas signée 72. L. Thévenoz est du même avis et considère que le settlor ne peut pas imposer l’arbitrage aux bénéficiaires par une clause de l’acte de trust 73. Quant à N. P. Vogt, il reconnaît l’aspect problématique de l’opposabilité d’une clause d’arbitrage à des bénéficiaires n’y ayant pas consenti. Il relève toutefois qu’une telle clause pourrait tout de même lier les bénéficiaires puisque leur droit découle de la générosité du settlor et que les bénéficiaires ne peuvent pas prendre les avantages du trust sans en accepter les condi- tions, parmi lesquelles figure l’obligation de se soumettre à l’arbitrage 74. Pour sa part, T. Wüstemann semble se ranger à l’avis de N. P. Vogt en faveur de la validité d’une clause d’arbitrage liant les bénéficiaires d’un trust du fait que les bénéficiaires acceptent cette clause en même temps qu’ils reçoivent les avantages du trust 75. Nous ne prendrons pas position sur la controverse, celle-ci dépassant le cadre de cette étude. Nous sommes néanmoins d’avis qu’il est envisageable qu’une clause d’arbitrage contenue

69 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-53. 70 Il est renvoyé pour le surplus à l’article de T. Wüstemann, Arbitration of Trust Dis- putes, in New Developments in International Commercial Arbitration 2007, p. 33 ss. 71 Wüstemann, in New Developments in International Commercial Arbitration, p. 44. 72 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-49. 73 Thévenoz, in Journée 2006 de droit bancaire et financier, p. 58. 74 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 75-76. 75 Wüstemann, in New Developments in International Commercial Arbitration, p. 46. VIII. Aspects procéduraux 347 dans l’acte de trust puisse contraindre les bénéficiaires d’un trust à exercer leur action en droit de suite contre un trustee déloyal dans une procédure arbitrale. Si en revanche le droit de suite est exercé contre un tiers, le sort réservé à une éventuelle clause d’arbitrage est plus clair. Il nous paraît indiscutable que le tiers n’est pas lié par une clause d’arbitrage contenue dans l’acte de trust car il n’a en aucune manière consenti à ladite clause comme l’exige l’article 178 LDIP 76. De plus, il n’est pas possible de construire un acquiesce- ment implicite à la clause d’arbitrage du fait de l’acceptation de prestations du trust, comme cela a été proposé par la doctrine pour les ­bénéficiaires 77. A cet égard l’on peut tracer un parallèle avec la clause d’élection de for et la distinction entre les rapports internes et externes des articles 149b LDIP, 5 al. 6 et 17 al. 2 CLug. Une action en droit de suite contre un tiers concerne les rapports externes du trust, auxquels une élection de for ne serait pas applicable. Ainsi une clause d’arbitrage contenue dans l’acte de trust ne serait pas opposable en cas de droit de suite contre des tiers. Une clause d’arbitrage conclue après la survenance du litige pour ré- gler ce dernier nous paraît soulever moins de problèmes 78. En effet, que le droit de suite soit exercé contre le trustee ou contre des tiers, les parties doivent avoir consenti à la clause arbitrale. L’objet du litige étant arbitrable, sous réserve de la possibilité d’exécution de la sentence arbitrale au lieu de situation du bien, il nous paraît qu’une telle clause d’arbitrage conclue après la survenance du litige pour régler une action en droit de suite de- vrait être possible.

H. Prescription

Se pose encore la question de savoir quel est le délai de prescription de l’action en droit de suite intentée devant un juge suisse. La réponse à cette

76 Dans le même sens : Thévenoz, in Journée 2006 de droit bancaire et financier, p. 58 ; Wüstemann, in New Developments in International Commercial Arbitration, p. 47. 77 Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 76. 78 Dans le même sens : Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-54 ; Thévenoz, in Journée 2006 de droit bancaire et financier, p. 58 ; Vogt, in BSK IPR, Vor Art. 149a-e LDIP, n. 73 ; Wüstemann, in New Develop- ments in International Commercial Arbitration, p. 48. 348 Delphine Pannatier Kessler question n’est pas évidente, dans la mesure où la prescription est générale- ment considérée comme une question procédurale dans les pays de droit anglo-saxon et est donc régie par le droit du for 79, alors que le droit suisse la considère comme une question matérielle régie par le droit applicable à l’action au fond 80. Pour tenter d’y répondre, nous présenterons la pres- cription du droit de suite en droit anglais puis celle de l’action en revendi- cation en droit suisse et proposerons une solution pour la reconnaissance du droit de suite.

1. Prescription selon le droit des trusts anglais

La question de la prescription en droit anglais en matière de droit de suite est loin d’être claire, le “Limitation Act” de 1980 étant à cet égard impos- sible à comprendre d’après la doctrine anglaise 81. Etant donné que la situa- tion est fort compliquée et fait l’objet d’avis opposés en doctrine anglaise, nous nous contenterons de mettre en exergue quelques points nous inté- ressant particulièrement dans le cadre de cette étude, sans toutefois entrer dans les détails 82. Tout d’abord, d’après W. Swadling, il semble que le droit de suite des bénéficiaires en restitution des biens du trust intenté contre le trus- tee puisse être introduit en tout temps 83, sans être soumis à un délai de prescription selon le “Limitation Act” de 1980 ou selon la doctrine des “laches”, laquelle s’apparente à notre doctrine de l’abus de droit et inter- dit de faire valoir un droit si l’on a attendu trop longtemps 84. Quant au droit de suite intenté contre des tiers détenant des biens du trust, il semble que celui-ci ne soit pas non plus soumis à un délai de prescription selon le “Limitation Act” de 1980 mais il semble que la doctrine des laches lui soit toutefois applicable 85. L’avis de D. Hayton sur la prescription du droit

79 Knoepfler / Schweizer / Othenin-Girard, Droit international privé suisse, § 291- 292, p. 148. 80 Ibid. 81 Swadling, in Breach of Trust, p. 344. 82 Pour un aperçu : Pettit, Equity and the Law of Trusts, p. 529 à 535 ; Oakley, Parker and Mellows : The Modern Law of Trusts, § 22-046 ss, p. 882-893. 83 Swadling, in Breach of Trust, p. 336. 84 Dasser, in BSK IPR, ad art. 148 LDIP, n. 5. 85 Swadling, in Breach of Trust, p. 344. VIII. Aspects procéduraux 349 de suite est très proche. Selon lui, aucune action à l’encontre du trustee ou du tiers (détenant des biens en tant que constructive trustee 86), qu’elle soit personnelle ou en droit de suite, n’est soumise au délai de prescrip- tion du “Limitation Act” de 1980 mais il se pourrait que la doctrine des laches lui soit ­applicable 87. Par ailleurs, il semblerait que, même si le délai de prescription de 6 ans contenu dans le “Limitation Act” de 1980 était applicable, ce délai ne commencerait à courir qu’à partir du moment où le bénéficiaire arrive en possession de ses intérêts dans le trust selon la règle Armitage v. Nurse 88, ce qui de facto signifie que le délai ne commence pas à courir dans la plupart des cas et donc que le droit de suite peut toujours être exercé 89. En droit de Jersey, le droit de suite exercé contre le trustee est impres- criptible 90. Le droit de suite exercé contre un tiers est vraisemblablement soumis à un délai de 3 ans dès le moment où le trustee a fait son compte- rendu final de l’administration du trust ou dès la connaissance de la viola- tion, sous réserve que cette connaissance soit antérieure au compte-rendu final 91. Toutefois, si l’on peut assimiler le tiers à un trustee, le droit de suite est imprescriptible 92. En résumé, le droit de suite peut en règle générale être exercé en tout temps, sans être soumis à un délai de prescription ou de péremption93, sous réserve de la doctrine des laches, laquelle s’apparente à la théorie de l’abus de droit et interdit au plaideur ayant trop tardé de faire valoir son droit.

86 Nous nous référons à la controverse sémantique relative à la notion de constructive trust. 87 Hayton, The Law of Trusts, p. 160 ; voir également de manière plus détaillée Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 96.1 (1) ss, p. 1125. 88 Armitage v. Nurse (1998) ch 241 (CA) 251 ; Hayton, in Breach of Trust, p. 398 ; Hayton, The Law of Trusts, p. 160 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 96.1 (3), p. 1126. 89 Hayton, in Breach of Trust, p. 398 ; Hayton / Matthews / Mitchell, Underhill and Hayton : Law relating to Trusts and Trustees, § 96.18 à § 96.20, p. 1135. 90 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 14.27, p. 177. 91 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 14.32, p. 178 renvoyant à § 14.20, p. 175. 92 Matthews / Sowdon, The Jersey Law of Trusts, § 14.32, p. 178. 93 Riddall, The Law of Trusts, p. 434. 350 Delphine Pannatier Kessler

2. Prescription de l’action en revendication du droit suisse

En droit suisse, il nous paraît que les actions les plus proches du droit de suite sont les actions réelles en revendication de la propriété de l’article 641 CC et du possesseur antérieur de l’article 936 CC, dans la mesure où tout au long de cette étude nous nous sommes attachée à démontrer la nature réelle du droit de suite, par opposition à la doctrine l’apparentant à l’enri- chissement illégitime et aux actes illicites. Les actions en revendication des articles 641 CC et 936 CC sont im- prescriptibles 94. Elles sont toutefois limitées par la prescription acquisitive des articles 661 CC ss pour les immeubles et de l’article 728 CC pour les meubles, laquelle empêche l’action en revendication si les conditions de la prescription acquisitive sont remplies.

3. Intégration de l’aspect procédural à la question de fond en droit international privé

Bien que la question de la prescription soit une question procédurale en droit anglais, le juge suisse qualifiera la question de la prescription lege fori 95 et considérera donc qu’il s’agit d’une question de fond selon le droit suisse. Vu que le droit anglais matériel est applicable au droit de suite se- lon les articles 8 et 11 de la Convention, il nous paraît que le juge suisse devra considérer que le droit de suite est imprescriptible comme le prévoit le droit anglais. Dans la pratique, cette qualification procédurale ou lege fori de la prescription n’a pas de conséquence, dans la mesure où le droit anglais et le droit suisse arrivent tous deux à la conclusion que le droit de suite et l’action en revendication sont imprescriptibles. Cela étant, même si le droit de suite est imprescriptible, il ne pourra pas être exercé contre un possesseur qui serait protégé par les règles sur la prescription acquisitive du droit suisse, lesquelles ont la priorité sur la base de l’article 15 al. 1 de la Convention. Dans la pratique, seul un donataire de bonne foi ayant pos- sédé paisiblement de bonne foi pendant la durée requise par la loi selon le type de bien pourrait à notre avis être protégé par ces règles (voir sous le point VI.C.2, page 245).

94 ATF 48 II 38 = JdT 1922 I 354. 95 Bucher / Bonomi, Droit international privé, § 528, p. 142 ; Knoepfler / Schweizer / Othenin-Girard, Droit international privé suisse, § 294 ss, p. 149 et § 298, p. 150. VIII. Aspects procéduraux 351

Il y a cependant lieu de mentionner encore l’article 148 al. 1 LDIP, le- quel prévoit que le droit applicable à la créance en régit la prescription. Cet article s’applique aux créances et peut être étendu aux prétentions obliga- tionnelles trouvant leur origine en droit des successions, de la famille et des sociétés 96. Il n’est en revanche pas applicable par analogie aux prétentions réelles à notre avis. Cet article est toutefois pertinent dans notre étude pour les cas où le droit de suite ne peut pas être reconnu tel quel mais doit être privé de son aspect réel du fait qu’il se trouve en opposition avec des règles impératives de l’ordre juridique suisse. Rappelons que ces cas sont ceux où le bien visé par le droit de suite a été acquis selon les règles sur la prescrip- tion acquisitive (voir sous VI.C, page 243), consiste dans de la monnaie en espèces ayant fait l’objet d’un mélange (voir VI.D, page 246), un compte monétaire auprès d’une banque (voir VII.A, page 271), des titres intermé- diés (voir VII.B.1, page 300) ou des droits-valeurs (voir VII.B.2.3, page 312). Dans ces cas, nous avons vu qu’il était nécessaire de donner effet au droit de suite en application de l’article 15 al. 2 de la Convention en le transfor- mant en une demande en paiement obligationnelle similaire à une action en enrichissement illégitime (art. 62 CO) ou pour acte illicite (art. 41 CO), voire à une action quasi-contractuelle contre la banque (97 CO) ou encore à une action en restitution selon l’article 29 al. 2 LTI, tout en gardant son fondement du droit des trusts. Dans un tel cas, la prescription prévue par les articles 60 CO en matière d’acte illicite, 67 CO en matière d’enrichis- sement illégitime, 127 CO en matière contractuelle et 29 al. 4 LTI n’est pas applicable. En effet, l’article 148 al. 1 LDIP prévoit que la prescription est régie par le droit régissant la créance, or cette dernière est régie par le droit anglais selon les articles 8 al. 2 lit. g et 11 al. 3 lit. d de la Convention. De surcroît, le droit du trust détermine la nature des intérêts des bénéficiaires dont découle directement le droit de suite (voir sous IV.F.1.1.1, page 105). Par conséquent, dans le cas où le droit de suite est exercé sous sa forme obligationnelle, c’est le droit anglais qui régit la question de sa prescription, de sorte qu’il est dans la plupart des cas imprescriptible, sous réserve de l’application de la doctrine des laches.

96 Dasser, in BSK IPR, ad art. 148 LDIP, § 6 ; Keller / Girsberger, in ZK IPRG, ad art. 148 LDIP, n. 17. 352 Delphine Pannatier Kessler

4. Conclusion

Le droit de suite peut être exercé en tout temps s’il est imprescriptible se- lon le droit applicable au trust. Cette imprescriptibilité doit être recon- nue en droit suisse, de manière analogue à l’imprescriptibilité de l’action en revendication. Cependant, le droit de suite sera tout de même limité de facto par les règles impératives sur la prescription acquisitive du droit suisse. Dans la pratique, seul un donataire de bonne foi peut être protégé par les règles de la prescription acquisitive, ce qui a pour conséquence que l’exercice du droit de suite est dans ce cas précis limité dans sa durée. Par ailleurs, la doctrine des laches, apparentée à l’interdiction de l’abus de droit suisse, pourrait également limiter l’exercice du droit de suite dans le temps. L’imprescriptibilité du droit anglais s’applique également lorsque le droit de suite est exercé sous sa forme obligationnelle en vertu de l’article 15 al. 2 de la Convention.

I. Reconnaissance des jugements étrangers

Lorsqu’un jugement étranger en matière de droit de suite est rendu et qu’une partie souhaite le faire reconnaître en Suisse, quels sont les prin- cipes applicables ? Les règles applicables dépendent selon que le jugement a été rendu dans un Etat membre de la Convention de Lugano ou dans un autre Etat. Dans le second cas, se pose encore la question de savoir s’il s’agit d’une “affaire relevant du droit des trusts” au sens de l’article 149e LDIP, c’est-à-dire une affaire interne, ou s’il s’agit d’une affaire externe au trust. Si le jugement en matière de droit de suite provient d’un Etat membre de la Convention de Lugano, cette dernière s’applique à la question de la reconnaissance du jugement 97. L’article 26 CLug pose le principe que le jugement doit être reconnu dans les autres Etats contractants sans qu’une procédure d’exequatur ne soit nécessaire 98. Les articles 27 et 28 CLug pré-

97 Vogt, in BSK IPR, ad art. 149e LDIP, n. 2 et 4 ; Gassmann, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, ad art. 149e LDIP, n. 1. 98 Cependant, dans la pratique, une procédure d’exequatur demeure dans la plupart des cas nécessaire, laquelle se concrétisera par une procédure en constatation de la recon- naissance de la décision étrangère, voir Donzallaz, La Convention de Lugano, T. 2, § 2644 ss, p. 336. VIII. Aspects procéduraux 353 voient des exceptions limitées à la reconnaissance des décisions que les dé- fendeurs pourront invoquer 99. Sur le principe, un jugement statuant sur la question du droit de suite rendu dans un Etat contractant de la Convention de Lugano devra être reconnu en Suisse selon les règles posées par cette convention. Si le jugement en matière de droit de suite a été rendu dans un Etat qui n’est pas partie à la Convention de Lugano, les règles de la LDIP s’appli- quent. Il y a lieu de distinguer si le litige constitue une affaire interne ou ex- terne à la relation de trust. Une affaire interne au sens de l’article 149e LDIP concerne notamment l’administration et les effets du trust 100. Pour qu’une affaire soit considérée comme interne au trust, il faut que les protagonistes soient le trustee, les bénéficiaires, le settlor ou le protector 101. Un jugement en droit de suite à l’encontre d’un trustee aura pour objet à notre avis une affaire interne au trust. En effet, il concernera l’administration du trust, en particulier la violation des devoirs et pouvoirs du trustee et les effets du trust sur la persistance du droit réel des bénéficiaires sur les biens du trust. De plus, les parties visées par le jugement seront le trustee déloyal d’une part et le trustee de remplacement ou les bénéficiaires d’autre part, toutes étant des parties au rapport interne du trust. Par conséquent, un tel ju- gement sera reconnu en Suisse aux conditions généreuses de l’article 149e al. 1 LDIP 102, lesquelles sont les suivantes : si le tribunal qui l’a rendu est le tribunal désigné par l’article 149b al. 1 LDIP, si le jugement a été rendu dans l’Etat du domicile, de la résidence habituelle ou de l’établissement de la partie défenderesse, dans l’Etat du siège du trust, dans l’Etat dont le droit régit le trust ou encore si la décision est reconnue dans l’Etat du siège du trust et que la partie défenderesse n’était pas domiciliée en Suisse. Si en revanche le jugement en droit de suite est rendu à l’encontre d’un tiers, il s’agira d’une affaire externe au trust ne tombant pas sous le coup de l’article 149e LDIP 103, puisque ce tiers ne nous paraît pas pouvoir être consi- déré comme appartenant à la relation interne du trust. Par conséquent, les

99 Voir notamment : Donzallaz, La Convention de Lugano, T. 2, § 2761 ss, p. 376 ss. 100 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149e, n. 149e-5 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149e LDIP, n. 6. 101 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-3. 102 Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149e, n. 149e-6 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149e LDIP, n. 7. 103 Dans le même sens : Gutzwiller, Schweizerisches Internationales Trustrecht, ad art. 149b, n. 149b-14 ; Vogt, in BSK IPR, ad art. 149e LDIP, n. 7. 354 Delphine Pannatier Kessler règles des articles 25 ss LDIP s’appliqueront. Relevons en particulier que la compétence internationale indirecte du tribunal ayant rendu la décision sera vérifiée selon l’article 25 lit. a LDIP 104. L’article 26 lit. a LDIP renvoie aux normes de reconnaissance des jugements étrangers contenus dans la LDIP s’il y en a. En matière de droit de suite, nous avons vu qu’il s’agissait d’une action réelle du droit des trusts par laquelle les bénéficiaires font valoir leur droit de propriété sur le bien. En adoptant une qualification lege fori 105, nous avons vu au point II.D.2.4, page 59 qu’il s’agissait d’une action réelle selon les critères du droit suisse. Dès lors, en application de l’article 108 LDIP applicable par le biais de l’article 26 lit. a LDIP, une dé- cision étrangère en droit de suite portant sur un immeuble sera reconnue en Suisse si la décision a été rendue dans l’Etat où l’immeuble est situé ou lorsqu’elle est reconnue dans cet Etat. En matière mobilière et lorsque le droit de suite est transformé en action obligationnelle en application de l’article 15 al. 2 de la Convention, la décision en droit de suite sera reconnue en Suisse si elle a été rendue dans l’Etat du domicile de défendeur, dans l’Etat dans lequel les biens sont situés pour autant que le défendeur y ait eu sa résidence habituelle ou dans l’Etat du for élu.

104 Berti / Däppen, in BSK IPR, ad art. 26 LDIP, n. 29. 105 Fisch, in BSK IPR, ad art. 108 LDIP, n. 2. IX. Conclusion 355

Chapitre IX Conclusion

Tout au long de ce travail, nous nous sommes attachée à démontrer que le droit de suite exercé tant à l’encontre du trustee qu’à l’encontre de tiers pouvait et devait dans la plupart des cas être reconnu en Suisse à la suite de la ratification de la Convention de La Haye sur les trusts. Certes, pour arriver à cette conclusion, il a fallu passer par plusieurs étapes de raisonne- ment, tout d’abord en droit des trusts afin de déterminer la nature du droit de suite, puis sur le plan de l’interprétation de la Convention de La Haye et enfin au niveau du droit suisse concernant la possibilité de concilier la reconnaissance du droit de suite avec le droit impératif suisse. Nous avons démontré au cours de cette étude que la reconnaissance des trusts selon la Convention impliquait également la reconnaissance du droit de suite et sa mise en œuvre dans notre ordre juridique. Nous avons proposé des solutions pratiques permettant cette mise en œuvre, qu’il appartiendra aux plaideurs de s’approprier.

A. La nature réelle du droit de suite

Pour commencer, nous nous sommes attachée à analyser la nature du droit de suite en droit anglais des trusts. Nous avons démontré que les bénéfi- ciaires d’un trust ont un droit de propriété équitable grevant les biens en trust et qui persiste en dépit d’aliénations déloyales et de changements de forme des biens. Ce droit de propriété équitable se superpose au droit de propriété légal du trustee ; il y a ainsi coexistence de deux droits de pro- priété, ce qui constitue un élément typique des trusts. Le droit de suite permet de réconcilier ces deux droits de propriété parallèles sur un même bien : même si le trustee peut disposer à sa guise des biens en trust en tant que propriétaire légal, il est limité dans ses pouvoirs par ses obligations découlant du trust. S’il passe outre et commet une violation du trust (un breach of trust), il transfère les biens du trust grevés du droit de propriété équitable des bénéficiaires. Le droit de suite permet de protéger ce droit de 356 Delphine Pannatier Kessler propriété équitable des bénéficiaires en anéantissant les actes de disposi- tion du trustee en breach of trust et en permettant la restitution des biens, de leurs remplois ou de leur produit au patrimoine du trust, avec un droit de préférence par rapport aux créanciers ordinaires. Nous avons transposé ces notions en droit suisse et avons conclu que le droit des bénéficiaires sur les biens du trust pouvait être qualifié de droit réel selon les critères de notre ordre juridique. De même, le trustee est propriétaire du bien en trust selon les critères du droit suisse mais il peut être limité dans son pouvoir de disposition par le contenu de l’acte de trust. En cas d’aliénation en breach of trust, c’est-à-dire en violation du trust, le bien demeure grevé de l’intérêt équitable des bénéficiaires du trust, à moins que les acquéreurs ne soient protégés dans leur acquisition s’ils ont acquis de bonne foi à titre onéreux. Le droit de suite a pour but de faire valoir le droit réel des bénéficiaires sur l’objet appartenant au patrimoine d’un trust, son remploi ou son produit pour en obtenir la restitution. L’ac- tion en droit de suite est ainsi de nature réelle. Nous avons ensuite vu que le droit de suite sert à remédier à une alié- nation par le trustee en breach of trust. Tel est le cas à chaque fois qu’un pouvoir ou un devoir découlant du trust est violé. Ceux-ci sont déterminés par le droit applicable au trust selon l’article 8 de la Convention et ont leur source dans l’acte de trust lui-même, dans la loi applicable, incluant la jurisprudence de la juridiction concernée, ou dans une décision du tri- bunal dans le cas d’espèce. En particulier, ce sont les pouvoirs prévus dans l’acte de trust qui déterminent si le trustee est autorisé à aliéner un bien ou à le grever de gages ou de droits réels limités. Quant aux devoirs liant le trustee, en particulier les devoirs de loyauté, de respecter l’acte de trust et de diligence, ceux-ci doivent également être respectés pour qu’un acte de disposition du trustee soit pleinement valable, c’est-à-dire pour que le trustee dispose d’un bien sans que ce dernier ne demeure grevé de l’intérêt des bénéficiaires. Nous avons traité enfin du fait que le droit de suite est un remède parmi d’autres à disposition des bénéficiaires pour faire respecter leurs droits. Il s’agit d’un remède réel, garantissant aux bénéficiaires la priorité en cas d’insolvabilité du défendeur, par opposition aux remèdes personnels contre un trustee déloyal ou des tiers s’apparentant à des actions en responsabilité civile ou en enrichissement illégitime, où le demandeur est soumis à la loi du dividende en cas d’insolvabilité de son créancier. En cas de violation du trust, le droit de suite permet d’aller rechercher des biens du trust, leurs IX. Conclusion 357 remplois ou produits dans les mains du trustee ou de tiers dans les limites de l’interdiction de la double indemnisation. Nous avons également dé- montré que le droit de suite n’est pas basé sur un constructive trust (ou uni- quement par abus de langage), mais plutôt sur le droit de propriété équi- table des bénéficiaires subsistant malgré les aliénations et changements de forme et continuant à grever les biens précédemment en trust. Le droit de suite doit s’arrêter face à une acquisition par un tiers de bonne foi à titre onéreux, laquelle a pour effet de dégrever le bien du droit de propriété équitable des bénéficiaires. Le moyen de défense du change of position et le consentement des bénéficiaires à l’acte d’aliénation, lequel les empêche d’attaquer ultérieurement ledit acte, sont d’autres limites au droit de suite.

B. La Convention de La Haye sur les trusts

Une fois la nature du droit de suite définie se pose la question de sa recon- naissance en Suisse selon la Convention. Les dispositions topiques de la Convention sont les articles 8, 11 et 15. L’article 8 détermine quels aspects du trust sont régis par la loi applicable à ce dernier, notamment en ce qui concerne notre sujet, la question des pouvoirs du trustee et celle de la na- ture même des intérêts des bénéficiaires. L’article 11 et en particulier son alinéa 3 lit. d est la pierre angulaire de la reconnaissance du droit de suite en Suisse. Nous en avons proposé une interprétation favorisant la recon- naissance. A notre avis, l’article 11 al. 3 lit. d oblige la Suisse à reconnaître le droit de suite tant contre le trustee que contre des tiers ; la restriction ­contenue à la deuxième phrase de cette disposition doit être interprétée res- trictivement et doit être comprise, à notre avis, dans le sens où elle soumet au droit désigné par les règles de conflit du for les droits et obligations des tiers lors de l’acquisition et de la possession du bien en trust en violation de ce dernier. Selon nous, cette disposition ne signifie pas que le droit de suite contre des tiers est soumis dans sa totalité au droit désigné par les règles de conflit du for. Ainsi, le droit de suite, qu’il soit dirigé contre le trustee ou des tiers, est régi par le droit du trust et doit être reconnu en Suisse. Mais s’il est dirigé contre des tiers, les droits et obligations de ces tiers dans le cadre de la transaction les ayant amenés à acquérir le bien du trust et en ce qui concerne les conséquences de leur possession en violation du trust doivent être jugés à l’aune du droit suisse, par hypothèse ­applicable. La 358 Delphine Pannatier Kessler détermination de la bonne ou mauvaise foi des tiers est également régie par le droit suisse puisqu’elle dépend directement des droits et obligations des tiers dans le cadre de l’acquisition. Demeure enfin l’article 15 de la Conven- tion, lequel réserve les dispositions impératives de la loi désignée par les règles de conflit du for. Cet article exige que l’on examine la compatibi- lité du droit de suite au regard des règles impératives suisses, applicables par hypothèse, pour déterminer dans quelle étendue la reconnaissance est possible. Nous avons procédé à cet examen au cas par cas dans la suite de notre étude en conformité avec l’interprétation proposée des articles 8, 11 et 15 de la Convention.

C. La mention de l’article 149d LDIP et ses effets

La mention de l’article 149d LDIP a été introduite en droit suisse en même temps que la ratification de la Convention de La Haye sur les trusts. Elle permet de rendre opposable à tout tiers l’existence d’une relation de trust sur un bien immobilier. En l’absence de la mention, un acquéreur de bonne foi est protégé dans son acquisition, même si le trustee n’avait pas le pou- voir de disposer du bien. Pour le Registre foncier, l’existence de la mention n’a pas pour effet de limiter le pouvoir de disposition du trustee. Les Lignes directrices émises par l’Office fédéral du Registre foncier prévoient en effet que le trustee doit être considéré comme un plein propriétaire. Nonobstant cette position de l’Administration, laquelle est dictée plus par des considé- rations pratiques que par des raisons dogmatiques, nous sommes d’avis que la mention du lien de trust engendre de facto une limitation au pouvoir de disposer du trustee. En effet, elle oblige le notaire à vérifier si le trustee dispose bel et bien du droit de procéder à l’acte envisagé, examen auquel le Registre foncier peut se fier. Pour ce faire, le notaire doit examiner l’acte de trust ou exiger un avis de droit voire une décision de justice pour s’assurer du pouvoir du trustee. S’il arrive à la conclusion que le trustee n’est pas autorisé à conclure l’acte ou qu’il subsiste un doute à cet égard, le notaire doit s’abstenir d’instrumenter l’acte. Ainsi, la mention du lien de trust crée de facto une limite au pouvoir de disposer du trustee. Dès lors, sauf er- reur d’appréciation du notaire, une acquisition de bonne foi en violation du trust ne devrait pas être possible en présence de la mention du lien de trust au Registre foncier. IX. Conclusion 359

Les effets de la mention du point de vue de l’exécution forcée ont éga- lement été traités. Nous sommes arrivée à la conclusion que l’absence de mention sur un immeuble ne pouvait pas avoir pour effet que les créanciers de bonne foi du trustee à titre personnel soient protégés, comme le préco- nise pourtant le Message du Conseil fédéral et une partie de la doctrine. Le postulat de la protection de l’octroi de crédit de bonne foi est inconnu de notre droit et la base légale de l’article 149d LDIP n’est pas suffisante pour l’ancrer dans notre ordre juridique. Il aurait également pour dés­ avantage d’engendrer des difficultés pratiques, en particulier du point de vue du principe de l’égalité de traitement des créanciers dans la faillite. Dès lors, l’effet de la mention en exécution forcée est celui d’octroyer un avantage procédural, principalement celui de la distraction automatique de la masse en faillite du trustee mais n’exclut pas une procédure de reven- dication. Nous avons démontré comment la procédure de revendication des articles 106 à 109 LP et 242 LP devait à notre avis se dérouler dans le cas de la faillite du trustee, de la saisie d’un bien du trust et de la faillite du trust. Nous avons également envisagé cette question si par hypothèse on devait admettre le postulat de la protection du crédit de bonne foi et avons démontré que la mise en œuvre de ce postulat ne s’avérerait pas chose aisée.

D. La compatibilité avec le droit impératif suisse

Après avoir posé les bases de la reconnaissance du droit de suite en Suisse, nous avons procédé à l’examen selon l’article 15 de la Convention de la compatibilité du droit de suite avec les règles de droit impératif suisse qui nous semblaient pouvoir constituer un obstacle à la reconnaissance.

1. La compatibilité avec la protection de l’acquéreur de bonne foi

La protection de l’acquéreur de bonne foi est une disposition impérative de l’ordre juridique suisse pouvant potentiellement s’opposer à la reconnais- sance du droit de suite. Nous avons procédé à l’analyse de cette question en matière immobilière, mobilière et dans le domaines des gages. 360 Delphine Pannatier Kessler

1.1 Biens immobiliers

Nous avons démontré que le droit de suite anglais aboutissait au même résultat que les règles de l’article 973 CC sur la protection de la bonne foi du droit suisse. En effet, tant en droit du trust qu’en droit suisse, l’acqué- reur de bonne foi est protégé dans son acquisition alors que l’acquéreur de mauvaise foi ne l’est pas. Même si le droit de suite lui-même est régi par le droit anglais, la détermination de la bonne foi se fait selon le droit suisse applicable selon l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. En matière immobilière, cela signifie que la bonne foi est déterminée à l’aune des règles sur le Registre foncier et selon l’article 149d LDIP. L’existence d’une mention du lien de trust selon l’article 149d LDIP devrait dans la plupart des cas empêcher une acquisition de bonne foi puisqu’elle oblige le notaire à vérifier le pouvoir de disposer du trustee et l’empêche d’ins- trumenter l’acte en cas d’absence de pouvoir ou de doute à cet égard. Vu l’harmonie des solutions, ces règles impératives ne s’opposent pas à la re- connaissance du droit de suite en Suisse. Par conséquent, le droit de suite du droit du trust peut être exercé sur des biens immobiliers en Suisse car il est compatible avec notre ordre juridique.

1.2 Biens mobiliers

En matière mobilière, le même raisonnement s’applique. La bonne foi des tiers est déterminée au regard des principes du droit suisse, en application de l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. L’acquéreur d’un bien mobilier contractant avec un trustee n’a pas à s’enquérir du pou- voir de disposition du trustee, sauf en cas de circonstances insolites. Cela étant, s’il s’agit d’une œuvre d’art ou d’une antiquité, domaine où les ob- jets de provenance douteuse abondent, une vérification de la provenance et du pouvoir de disposer du trustee s’impose. De cet examen dépend la bonne foi. Ainsi, le droit de suite du droit des trusts, complété par la no- tion de bonne foi déterminée par le droit suisse, est compatible avec notre ordre juridique puisqu’il aboutit à la même solution, c’est-à-dire de pro- téger l’acquéreur de bonne foi et de ne pas protéger celui de mauvaise foi. Relevons encore que le droit de suite et le droit suisse sur la protection du tiers de bonne foi diffèrent uniquement eu égard au donataire de bonne foi. Ce dernier n’est jamais protégé en droit anglais car il n’a pas payé pour IX. Conclusion 361 son acquisition alors que la question est controversée en droit suisse. Nous avons démontré qu’il fallait se rallier à l’avis doctrinal préconisant qu’une donation faite au moyen du patrimoine d’autrui était nulle et que dès lors la bonne foi ne pouvait pas guérir une causa nulle. Sur la base de ce choix doctrinal, nous avons abouti au même traitement du donataire de bonne foi en droit des trusts et en droit suisse consistant à ne pas protéger son acquisition. Vu l’harmonie des solutions, les règles impératives suisses ne s’opposent pas à la reconnaissance du droit de suite. Par conséquent, le droit de suite du droit du trust peut être exercé sur des biens mobiliers en Suisse car il est compatible avec notre ordre juridique.

1.3 Gages

Pour terminer, nous avons examiné si le droit de suite peut être exercé en Suisse afin de faire annuler des gages constitués en violation du trust. Tant en droit suisse qu’en droit anglais, si le créancier gagiste est de bonne foi dans l’acquisition du gage, son acquisition du gage est protégée. En cas de mauvaise foi, c’est le contraire qui se passe. Même si le droit de suite est régi par le droit anglais, la détermination de la bonne foi du créancier gagiste dépend du droit suisse et en matière immobilière de la mention au Registre foncier prévue par l’article 149d LDIP, en application de l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. Vu que le droit suisse prévoit les mêmes solutions que le droit du trust, le droit de suite exercé afin d’obtenir l’annulation de gages acquis de mauvaise foi peut être reconnu en Suisse. Nous avons également démontré qu’en matière de gages immobiliers une acquisition d’un gage en violation du trust devrait être fortement li- mitée par l’inscription de la mention de trust de l’article 149d LDIP. Nous sommes arrivée à la conclusion qu’une banque acquérant un gage mobilier devait faire preuve de beaucoup de prudence si elle sait qu’elle traite avec un trustee, ce qui limite également les risques d’acquisition de bonne foi pour les bénéficiaires. En conclusion, le droit de suite visant à faire annuler un gage créé en violation du trust peut être exercé en Suisse car il est com- patible avec notre ordre juridique. 362 Delphine Pannatier Kessler

2. La compatibilité avec d’autres règles impératives

Nous avons procédé à l’examen de la compatibilité du droit de suite avec d’autres règles impératives suisses pouvant potentiellement constituer un obstacle à la reconnaissance.

2.1 Le numerus clausus des droits réels

Le principe du numerus clausus des droits réels est souvent invoqué par la doctrine comme étant un obstacle à la reconnaissance des trusts et du droit de suite. Nous avons démontré que ce principe impératif de notre ordre juridique ne s’opposait à notre avis pas à la reconnaissance en Suisse du droit de suite vu l’assouplissement que ce principe a connu et vu le fait que l’article 11 de la Convention constitue la base légale nécessaire pour permettre au trust et au droit de suite de s’intégrer dans le système du numerus clausus.

2.2 La prescription acquisitive

Nous sommes arrivée à la conclusion que les règles sur la prescription ac- quisitive des articles 661 ss CC et de l’article 728 CC sont impératives et font échec au droit de suite, selon l’article 15 al. 1 de la Convention. Cela étant, dans la pratique, ces règles ne devraient être applicables qu’au cas d’un donataire de bonne foi possédant paisiblement pendant le délai requis ou à celui très théorique du possesseur d’un immeuble dont la situation ju- ridique permet la prescription extraordinaire. Dès lors, même si les règles sur la prescription acquisitive du droit suisse ont priorité et font échec à la reconnaissance du droit de suite en Suisse, leur importance pratique nous paraît fortement limitée.

2.3 La réunion des espèces

Nous avons examiné la compatibilité avec le droit suisse du droit de suite sur de la monnaie, en particulier au regard du principe de la réunion des espèces. Ce principe est impératif et opère le transfert de propriété de la monnaie lorsque les espèces sont mélangées, interdisant toute revendi- IX. Conclusion 363 cation. Nous sommes arrivée à la conclusion que ce principe empêche l’exercice du droit de suite dans sa conception traditionnelle réelle sur de la monnaie si elle a été mélangée, selon l’article 15 al. 1 de la Convention. Dès lors, en application de l’article 15 al. 2 de la Convention, il faut donner effet au droit de suite exercé sur de la monnaie d’une autre manière com- patible avec l’ordre juridique suisse ; nous avons proposé de l’adapter en une demande en paiement obligationnelle basée sur le droit anglais. Les mêmes principes valent à notre avis mutatis mutandis en cas de transfert de propriété par adjonction, spécification ou mélange.

3. La compatibilité de certains aspects du droit de suite

La compatibilité de certaines facettes du droit de suite a été examinée selon l’article 15 al. 1 de la Convention.

3.1 Biens acquis en remploi

Le droit de suite du droit anglais des trusts permet de recouvrer les biens acquis en remploi d’un bien du trust car le droit de propriété équitable des bénéficiaires grève également ces remplois. Nous avons démontré que la Convention exigeait la reconnaissance de cet aspect à son article 11 al. 3 lit. d. Nous sommes arrivée à la conclusion que le droit de suite exercé sur des bien acquis en remploi est compatible avec le droit impératif suisse étant donné que le droit suisse connaît une institution analogue, la subro- gation réelle, reconnue dans divers domaines du droit suisse et notamment lorsqu’il y a un patrimoine séparé. Cela étant, les conditions auxquelles un remploi est admis sont si complexes en droit du trust que, dans un souci de praticabilité pour le juge suisse, nous sommes d’avis qu’il y a lieu de faire usage en cas de remploi partiel des règles suisses en matière de récom- penses variables dans le régime matrimonial de la participation aux ac- quêts selon les articles 206 et 209 CC par analogie pour déterminer la part d’un bien sur laquelle subsiste l’intérêt équitable des bénéficiaires. En cas de remploi total, la détermination du remploi est simple, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à cette construction. Ainsi, nous sommes arrivée à la conclusion que le droit de suite sur un bien acquis en remploi pouvait être reconnu en Suisse. 364 Delphine Pannatier Kessler

3.2 Revenus et produits

Une autre facette du droit de suite est celle permettant d’aller rechercher les revenus et produits de réalisation d’un bien initialement en trust. Lorsque le droit de suite vise le trustee, la détermination des revenus et produits pouvant être réclamés par le droit de suite est régie par le droit du trust. Lorsque le droit de suite vise un tiers, cette question est régie par le droit désigné par les règles de conflit du for selon l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention. Ainsi, les conséquences pour un tiers de sa possession sans droit d’un objet du trust sont régies par les articles 938 à 940 CC lorsque le droit suisse est applicable. Nous avons examiné la compatibilité du droit de suite sur des revenus et produits avec le droit impératif suisse. Nous avons démontré que le droit de suite exercé contre le trustee sur des revenus et produits est compatible avec le droit suisse étant donné que le trustee, lequel ne peut à notre avis être de bonne foi selon l’article 3 al. 2 CC, doit également en droit suisse restituer les revenus et produits en application des articles 940 CC et 423 CO. En ce qui concerne le droit de suite exercé contre un tiers, c’est le droit suisse, en l’espèce les articles 938 à 940 CC, qui s’applique directement se- lon l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase de la Convention. Si le tiers est un acquéreur à titre onéreux de bonne foi, il est protégé dans son acquisition dans les deux systèmes juridiques. La question de la restitution des revenus et produits ne se pose dès lors pas. Si le tiers est de mauvaise foi, il ne de- vient pas propriétaire et est à notre avis immanquablement également un possesseur de mauvaise foi qui est contraint par le droit suisse à restituer les produits, revenus et profits de sa possession par les articles 940 CC et 423 CO. Cela correspond à la situation en droit du trust. Demeure le cas du donataire de bonne foi : celui-ci est protégé par l’article 938 CC. Nous avons démontré qu’à notre avis, sur la base d’une interprétation téléolo- gique et systématique de l’article 938 CC, le donataire de bonne foi devait restituer les fruits encore en sa possession ainsi que le produit d’une alié- nation et que par conséquent cet aspect du droit de suite était également en harmonie avec le droit suisse. Ainsi, nous sommes arrivée à la conclusion que le droit de suite contre un tiers sur des revenus et produits pouvait être reconnu en Suisse vu la similarité des solutions, étant précisé que la bonne foi et les droits et obligations du tiers étaient régis par le droit suisse. IX. Conclusion 365

4. La compatibilité du droit de suite sur des avoirs bancaires

Nous avons examiné la question revêtant une grande importance pratique pour les plaideurs de savoir si le droit de suite sur des avoirs bancaires pouvait être reconnu dans notre ordre juridique.

4.1 Comptes monétaires

Lorsque de la monnaie est déposée auprès d’une banque et portée en compte au nom du titulaire du compte, la propriété de la monnaie passe à la banque et empêche le titulaire de la revendiquer. Il en va de même lorsqu’une somme d’argent est transférée d’un compte bancaire à un autre par un jeu d’écritures ; la revendication en droit suisse est exclue, le titu- laire n’ayant qu’un droit de créance contre la banque. Nous avons démon- tré que le droit de suite en droit anglais sur un compte monétaire s’adapte à la nature obligationnelle de sa cible tout en garantissant le droit de préfé- rence des bénéficiaires sur la valeur représentée par la monnaie en compte. Cependant, le transfert de la propriété de la monnaie à la banque et l’ex- clusion de la revendication étant de nature impérative en droit suisse, ils constituent un obstacle à la reconnaissance du droit de préférence faisant partie du droit de suite sur de la monnaie portée en compte bancaire, selon l’article 15 al. 1 de la Convention. Vu l’obligation prévue par l’article 15 al. 2 de la Convention de donner effet au droit de suite, nous avons proposé deux constructions compatibles avec notre ordre juridique impératif per- mettant de garantir le droit de préférence. La première proposition consiste à reconnaître, fondé sur le droit an- glais des trusts mais adapté au système du droit suisse, un droit de créance des bénéficiaires du trust directement contre la banque détenant des va- leurs demeurant grevées du trust, ce droit de créance étant parallèle et ac- cessoire à celui du titulaire du compte et s’exerçant par la voie d’une de- mande en paiement. Si la banque s’exécute en mains du titulaire du compte avant d’avoir eu connaissance de la prétention en droit de suite, elle se libère valablement, éteignant par conséquent la créance accessoire des bé- néficiaires du trust. En revanche, dès que la banque est informée du litige relatif au compte monétaire, elle doit bloquer le compte ou consigner le montant litigieux en justice, selon l’article 168 al. 1 CO par analogie. Ainsi, cette première construction a pour conséquence de garantir le paiement de 366 Delphine Pannatier Kessler la créance en cas de succès du droit de suite, afin de donner effet au droit de préférence des bénéficiaires résultant du droit du trust. La deuxième manière de mettre en œuvre le droit de suite est de l’adap- ter en une action personnelle en paiement contre le titulaire du compte en banque sur lequel se situent les fonds détournés du trust. Cette demande en paiement est doublée d’une requête au juge d’ordonner en faveur des demandeurs la cession judiciaire selon l’article 166 CO de la créance du dé- fendeur contre la banque découlant du rapport de compte, afin de garantir l’exécution de droit de suite. Un avis à la banque lui interdisant de payer et, le cas échéant, des mesures provisionnelles bloquant le compte permet- tent de surcroît de garantir l’efficacité de la cession de créance. Nous avons également également traité de la possibilité d’appliquer l’article 401 CO par analogie pour obtenir une cession légale de cette créance. En cas d’exercice du droit de suite sur un compte monétaire, il y a fort à penser qu’un procès tripartite entre les bénéficiaires du trust, la banque et le titulaire du compte bancaire se déroulera, mettant en scène les fi- gures procédurales de l’appel en cause et de la dénonciation d’instance. En conclusion, nous avons démontré que les deux constructions que nous avons proposées permettent de mettre en œuvre le droit de suite sur un compte monétaire en Suisse de manière similaire au droit des trusts, ga- rantissant de manière quasi-réelle le droit de préférence des bénéficiaires. En adoptant ces solutions, notre ordre juridique devrait être en mesure de respecter l’engagement que notre pays a pris de reconnaître dans la mesure du possible les trusts avec tous leurs effets.

4.2 Titres

Lorsque ce n’est pas de la monnaie mais des titres provenant de la violation d’un trust qui sont déposés auprès d’une banque, la situation est différente selon la nature des titres et la manière dont ils sont détenus. S’agissant de titres intermédiés, nous avons conclu que les règles de la LTI étaient de nature impérative. Nous avons tout d’abord démontré que le droit de suite sur des titres intermédiés est compatible avec la protection des acquéreurs de bonne foi de titres intermédiés prévue par l’article 29 al. 1 LTI. Nous avons ensuite vu que l’article 29 al. 2 LTI prévoit une action en restitution de titres intermédiés de même genre et en même nombre, dont l’aspect impératif exclut toute autre action et donc s’oppose à la re- IX. Conclusion 367 connaissance du droit de suite selon l’article 15 al. 1 de la Convention. Dès lors, le droit de suite doit à notre avis se couler dans le canevas de cette loi. Nous avons ainsi proposé de mettre en œuvre le droit de suite sur des titres intermédiés par une action personnelle en restitution des titres intermé- diés sur lesquels subsiste l’interest des bénéficiaires selon l’article 29 al. 2 LTI applicable par renvoi de l’article 15 al. 2 de la Convention. Le droit de préférence est garanti par l’article 29 al. 3 LTI. Dans le cadre de cette ac- tion, le juge ordonnera au dépositaire de transférer les titres intermédiés au crédit du demandeur, le jugement suppléant à l’instruction du titulaire du compte au sens de l’article 24 al. 1 lit. a LTI. Par la construction proposée, nous avons démontré qu’il est possible de donner effet au droit de suite sur des titres intermédiés tout en respectant le cadre fixé par la LTI. Dans le cas peu fréquent où les titres ne se trouvent pas dans le système de la détention intermédiée mais en dépôt individuel ou collectif auprès d’une banque, nous avons démontré que le droit de suite peut être re- connu en Suisse et exercé contre le titulaire du dépôt comme pour un bien mobilier usuel, étant donné que la propriété des titres ne passe pas à la banque en droit suisse. Tel est également le cas du contenu de coffres-fort, des dépôt réguliers fermés ou des dépôts de métaux précieux. S’agissant de droits-valeurs, nous avons vu qu’il n’y a pas de droit réel au sens du droit suisse sur les droits-valeurs, de sorte que la reconnaissance du droit de suite sur ces valeurs ne peut être admise sans adaptation, l’article 15 al. 1 de la Convention s’y opposant. Nous avons vu que le droit de suite peut alors être mis en œuvre mutatis mutandis comme pour de la monnaie portée en compte bancaire.

E. Les aspects procéduraux de la mise en œuvre du droit de suite

Dans la dernière partie de cette étude, nous avons démontré que le droit suisse actuel connaissait toutes les institutions procédurales nécessaires pour permettre l’exercice du droit de suite devant un juge suisse. Nous avons démontré que le droit de suite est régi par le droit du trust mais qu’il est parfois nécessaire pour des raisons pratiques de le transposer dans des institutions du for, par exemple en une action en rectification du Registre 368 Delphine Pannatier Kessler foncier au sens de l’article 975 CC ou en une action en revendication au sens des articles 106 à 109 LP. Nous avons également vu qu’il fallait dans certains cas utiliser des principes du droit suisse pour calculer les rem- plois, les revenus et les produits soumis au droit de suite ou pour mettre en œuvre le droit de suite selon l’article 15 al. 2 de la Convention, en par- ticulier lorsque le droit de suite vise un compte monétaire ou des titres intermédiés détenus auprès d’une banque. La détermination du for devant lequel le droit de suite peut être porté dépend de la question de savoir si l’action est exercée contre le trustee, ce qui constitue une affaire interne du trust régie par les articles 149b LDIP et 5 al. 6 CLug ou s’il est exercé contre un tiers, ce qui constitue une affaire externe soumise aux règles de for usuelles de la LDIP et de la Convention de Lugano. La nature du bien recherché, s’il s’agit d’un bien immobilier, mobilier ou d’une créance, a aussi une influence sur la détermination du for. Il en va de même d’une éventuelle clause d’élection de for. Ainsi, la question du for est complexe et nécessite une analyse approfondie au cas par cas. Nous avons aussi démontré que l’action en droit de suite est soumise à la procédure ordinaire et que chaque bénéficiaire – s’il y en a plusieurs – a la qualité pour agir contre tout détenteur actuel d’un bien du trust sans qu’une consorité active nécessaire ne soit requise. Les figures de la dénon- ciation d’instance et de l’appel en cause devrait être fort utiles lors d’actions en droit de suite intentées contre des tiers, lesquels auront tout intérêt à attraire dans le litige le trustee ou le tiers duquel ils ont acquis le bien. Selon nous, il devrait être possible de régler les litiges en droit de suite par la voie de l’arbitrage mais une clause contenue dans l’acte de trust ne suffirait pas à lier des tiers détenant des biens du trust, auquel cas un compromis ar- bitral conclu après la survenance du litige serait nécessaire. De plus, nous sommes arrivée à la conclusion qu’une action en droit de suite pouvait en principe être exercée en tout temps sans qu’elle ne se prescrive. Finalement, nous avons analysé à quelles conditions des jugements étrangers statuant sur le droit de suite pouvaient être reconnus en Suisse. En résumé, nous avons démontré que les institutions procédurales suisses permettaient de mettre en œuvre le droit de suite devant un juge suisse. IX. Conclusion 369

F. Conclusion finale

Pour terminer, relevons que, par la ratification de la Convention de La Haye, la Suisse s’est engagée à reconnaître le trust avec tous ses effets, parmi lesquels le droit de suite. Par une interprétation de la Convention te- nant compte du but d’assurer la protection des bénéficiaires, nous sommes d’avis que le droit de suite doit être reconnu selon l’article 11 al. 3 lit. d de la Convention, que les “droits et obligations des tiers”, analysés restrictive- ment sont régis par le droit désigné par les règles de conflit du for et que le droit de suite ne peut être écarté de la reconnaissance que s’il est contraire au droit impératif. A la lumière de ces éléments, nous avons analysé le droit de suite en relation avec les règles impératives suisses et sommes arrivée à la conclusion que le droit de suite ne les violait pas dans la plupart des cas et que par conséquent rien ne s’opposait en principe à sa reconnaissance. Des solutions pour donner effet au droit de suite dans notre ordre juridique ont été proposées dans les cas où la reconnaissance du droit de suite se heurtait à des règles impératives. Concrètement, le choix d’exercer le droit de suite sur certains biens plutôt que d’autres, en Suisse ou à l’étranger, dépendra des circonstances factuelles et de l’accessibilité du bien dans le cas d’es- pèce. Ainsi, nous avons démontré que le droit de suite pouvait toujours être mis en œuvre en Suisse, sur quelque type de bien qu’il porte et que par conséquent notre ordre juridique était en mesure d’assurer la protection des droits des bénéficiaires de trusts. Les solutions que nous avons proposées ont pour effet de reconnaître le droit de suite dans la plus large mesure possible. Cette reconnaissance est bénéfique pour la sécurité du droit et l’attractivité de la place finan- cière suisse. En effet, il est important pour le settlor d’un trust de savoir que les intérêts des bénéficiaires qu’il entend avantager sont protégés. Cet aspect peut revêtir de l’importance pour lui au moment de procéder au choix du trustee ou de décider dans quelle juridiction les investissements du trust qu’il entend créer seront effectués. La reconnaissance du droit de suite permet donc à la Suisse d’offrir les mêmes mécanismes et garanties que ses concurrents anglo-saxons. De plus, la sécurité du droit est renfor- cée par cette reconnaissance car il n’est plus possible de simplement dé- placer en Suisse les biens détournés du trust pour les soustraire au droit de suite. 370 Delphine Pannatier Kessler

Certes, la tâche du juge suisse confronté au droit de suite peut parfois s’avérer compliquée, ce dernier devant appliquer un droit étranger com- plexe. Dans un esprit de praticabilité et pour garantir la célérité de la jus- tice, nous avons proposé dans certains cas des adaptations, en particulier en ce qui concerne le calcul de l’ampleur de la restitution, en nous inspi- rant d’institutions connues du droit suisse sans toutefois dénaturer le droit de suite. Afin d’intégrer le droit de suite dans notre ordre juridique, des solutions procédurales ont été proposées. Selon nous, toutes les conditions sont désormais en place pour une mise en œuvre harmonieuse du droit de suite devant les tribunaux suisses. Il appartient à présent aux plaideurs de décider s’ils entendent s’approprier les solutions proposées et tester la réceptivité de nos juridictions à cet égard. Les débats sont ouverts. Liste des abréviations 371

Liste des abréviations

AC Appeal Cases AJP/PJA Aktuelle Juristische Praxis / Pratique juridique actuelle al. alinéa All E R All England Law Reports Allg. Allgemeine(r) art. article AT Allgemeiner Teil ATF Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse BK Berner Kommentar BSK Basler Kommentar CC Code civil suisse du 10 décembre 1907 cf. confer ch. chiffre Ch. Chancery Law Reports CLug Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en ma- tière civile et commerciale CNRS Centre national de la recherche scientifique CO Code des obligations du 30 mars 1911 CP Code pénal suisse du 21 décembre 1937 CPC Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 CR Commentaire Romand Cr. & Ph. Craig & Philipps’ Chancery Reports éd. édition (éd.) éditeur ER English Reports et al. et autres etc. et cætera 372 Delphine Pannatier Kessler

FF Feuille fédérale de la Confédération suisse FS Festschrift GesKR Gesellschafts- und Kapitalmarktrecht Ibid. Ibidem IPR Internationales Privatrecht JdT Journal des Tribunaux Komm. Kommentar LBA Loi fédérale du 10 octobre 1997 sur le blanchiment d’argent LDFR Loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le droit foncier rural LDIP Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé LFAIE Loi fédérale du 16 décembre 1983 sur l’acquisition d’im- meubles par des personnes à l’étranger lit. lettre LP Loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite LTBC Loi fédérale du 20 juin 2003 sur le transfert des biens culturels LTI Loi fédérale du 3 octobre 2008 sur les titres intermédiés MCF Message du Conseil fédéral n. note no numéro NSWR New South Wales Law Reports OAIE Ordonnance du 1er octobre 1984 sur l’acquisition d’im- meubles par des personnes à l’étranger OAOF Ordonnance du 13 juillet 1911 sur l’administration des of- fices de faillite OR Schweizerisches Obligationenrecht ORF Ordonnance du 22 février 1910 sur le registre foncier p. page QB Queen’s Bench RS Recueil systématique du droit fédéral Liste des abréviations 373

RSDIE/SZIER Revue suisse de droit international et européen / Schwei- zerische Zeitschrift für internationales und europäisches Recht SJ La Semaine Judiciaire SJZ/RSJ Schweizerisches Juristen-Zeitung / Revue suisse de juris- prudence s. et suivante ss et suivant(e)s Syst. Teil Systematischer Teil SZW/RSDA Schweizerische Zeitschrift für Wirtschafts- und Finanz- marktrecht / Revue suisse du droit des affaires T. tome TDPS/SPR Traité de droit privé suisse / Schweizerisches Privatrecht v. contre vol. volume Vor. Vorbemerkungen WLR Weekly Law Reports ZBGR/RNRF Schweizerisches Zeitschrift für Beurkundungs- und Grundbuchrecht / Revue Suisse du Notariat et du Registre Foncier ZBJV/RSJB Zeitschrift des bernischen Juristenvereins / Revue de la société des juristes bernois ZGB Schweizerisches Zivilgesetzbuch ZK Zürcher Kommentar 374 Delphine Pannatier Kessler Bibliographie 375

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Table des matières

Préface 5 Sommaire 7

Chapitre I Introduction 9-14

Chapitre II Le droit de suite des bénéficiaires d’un trust selon le droit anglais 15-73 A. Présentation du trust ------16 1. Sources du droit 17 2. Les concepts de base 18 2.1 Les protagonistes 18 2.2 Le patrimoine séparé 18 2.3 Le rôle du trustee et ses obligations 18 2.4 Les concepts de legal title et d’equitable interest 19 2.5 Le droit de suite 20 3. La nature du droit de propriété du trustee 20 3.1 Nature du droit et pouvoir de disposition 20 3.2 Qualification de la position du trustee et de ses pouvoirs selon les critères du droit suisse 22 4. La nature des droits des bénéficiaires 22 4.1 Droit in rem 23 4.2 Persistance du droit in rem malgré l’aliénation ou le changement de forme 26 4.3 Qualification du droit in rem selon les critères du droit suisse 28 B. Les pouvoirs et devoirs du trustee ------29 1. Les pouvoirs 30 1.1 Sources de pouvoir 30 1.1.1 L’acte de trust 30 1.1.2 La loi 31 396 Delphine Pannatier Kessler

1.1.3 Le tribunal 31 1.1.4 Hiérarchie 32 1.2 Quelques pouvoirs déterminants en matière de droit de suite 34 1.2.1 Pouvoir de vendre 34 1.2.2 Pouvoir de grever de gages 35 1.2.3 Pouvoir d’effectuer d’autres actes de disposition 35 2. Les devoirs 35 2.1 Le devoir de fidélité et loyauté 36 2.2 Le devoir de respecter l’acte de trust 38 2.3 Le devoir de diligence 38 C. Conséquences de la violation des devoirs et pouvoirs ------39 1. Le breach of trust 39 2. Remèdes légaux 40 2.1 Les sources légales 40 2.2 Les actions à caractère provisionnel 41 2.3 Responsabilité personnelle 41 2.3.1 Responsabilité personnelle du trustee 42 2.3.2 Responsabilité personnelle du tiers 43 2.4 Action in rem : le droit de suite 44 2.4.1 Contre le trustee 46 2.4.2 Contre un tiers 47 2.5 Interdiction de la double indemnisation et choix du moyen de droit 47 3. Constructive trust et sémantique 49 D. Le droit de suite ------52 1. Introduction 52 2. Nature du droit de suite 53 2.1 Exercice par les bénéficiaires ou le trustee en faveur du trust 53 2.2 Problème sémantique : tracing et droit de suite 54 2.3 Tracing et following en équité et en common law 55 2.4 Controverse sur la nature réelle ou obligationnelle du droit de suite et qualification du droit de suite du point de vue du droit international privé 56 2.5 Controverse sur la nature procédurale du tracing et le droit applicable 59 3. Conditions de l’exercice du droit de suite 61 Table des matières 397

3.1 L’existence d’un proprietary interest et d’une relation fiduciaire 61 3.2 Le tracing stricto sensu ayant trait à l’identification des biens 62 3.3 Le moyen de défense du bona fide purchaser 64 3.3.1 Principes et sources légales 64 3.3.2 Les conditions de la protection 65 3.3.3 La connaissance (notice) 65 3.3.4 Le caractère onéreux 66 3.3.5 Conséquence sur les transferts subséquents 67 3.3.6 Application de la bona fide purchaser rule en matière immobilière 68 3.3.7 Application de la bona fide purchaser rule en matière mobilière 71 3.4 Le moyen de défense du change of position 72 3.5 Le consentement des bénéficiaires 72 E. Conclusion ------73

Chapitre III La Convention de La Haye 75-85 A. But ------75 B. Ratification par la Suisse ------76 C. Aperçu des règles de la Convention ------77 1. Champ d’application 77 1.1 Article 2 77 1.2 Article 3 77 1.3 Application erga omnes 78 2. Exclusion des questions préliminaires (article 4) 78 3. Droit applicable 79 3.1 Articles 6 et 7 79 3.2 Article 8 80 3.3 Article 9 81 4. Reconnaissance 81 4.1 Article 11 81 4.2 Article 12 82 4.3 Article 13 82 5. Limites à l’application des règles de la Convention 82 5.1 Article 15 82 398 Delphine Pannatier Kessler

5.2 Article 16 83 5.3 Article 18 84 6. Sujets hors du champ d’application de la Convention 84 6.1 Aspect fiscal 84 6.2 Procédure 84 6.3 Reconnaissance des jugements 85

Chapitre IV Le principe de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 87-120 A. Unanimité sur la reconnaissance du droit de suite contre le trustee ------88 B. La doctrine en faveur de la reconnaissance du droit de suite contre les tiers ------89 1. Reconnaissance sur son principe 89 2. Compatibilité du droit de suite avec le droit impératif 91 3. Reconnaissance de l’effet réel des droits des bénéficiaires 93 C. La doctrine opposée à la reconnaissance du droit de suite contre les tiers ------95 D. Résumé des positions doctrinales ------96 E. Le Message du Conseil Fédéral ------97 1. Interprétation de la Convention par le Conseil Fédéral 97 2. Avis de la doctrine suisse sur le Message 99 3. Critique du Message 100 F. Proposition d’interprétation de la Convention ------104 1. Interprétation des articles 8, 11 et 15 de la Convention 104 1.1 Interprétation littérale et historique 105 1.1.1 Article 8 105 1.1.2 Article 11 106 1.1.3 Article 15 108 1.2 Interprétation téléologique 109 1.3 Interprétation systématique 111 2. Proposition en faveur de la reconnaissance du droit de suite en Suisse 111 2.1 Sur son principe 111 2.2 Interprétation du terme “droits de tiers” 113 2.3 Interprétation du terme “obligations de tiers” 114 2.4 Conclusion intermédiaire 116 Table des matières 399

3. Limite selon l’article 15 de la Convention 117 4. Limites selon les articles 16 et 18 de la Convention 118 5. Conclusion intermédiaire 120

Chapitre V La mention du rapport de trust (art. 149d LDIP) et ses effets 121-204 A. Normes introduites à la suite de la ratification de la Convention ------121 1. Le titre 9a de la LDIP, les articles 284a et 284b LP 121 2. L’article 149d LDIP en relation avec l’article 12 de la Convention 122 3. L’insertion de l’article 149d LDIP dans le système du Registre foncier 123 B. Concepts clé en matière de publicité foncière ------123 1. Le Registre foncier 123 2. Les concepts 124 2.1 Effet constitutif et effet déclaratif 124 2.2 Foi publique 124 2.3 Publicité du Registre foncier 125 3. Les écritures 125 3.1 Les inscriptions 125 3.2 Les annotations 126 3.3 Les mentions 128 C. Les mentions ------128 1. Définition 128 2. La controverse de l’effet des mentions 129 2.1 La théorie de l’effet informatif des mentions 129 2.2 La théorie de l’effet déclaratif des mentions 132 2.3 La position de D. Zobl 134 2.4 Comparaison des théories 135 D. La mention de l’article 149d LDIP ------136 1. L’article 149d LDIP 136 1.1 Base légale et interprétation littérale 136 1.2 Remarque préliminaire terminologique 137 1.3 Critique du choix législatif d’une mention facultative 138 2. Les théories des mentions appliquées à la mention de l’article 149d LDIP 138 2.1 Effets de la mention et du défaut de mention 138 400 Delphine Pannatier Kessler

2.2 Critique du choix de la mention par le législateur 140 2.3 Effet de la mention sur le pouvoir de disposition 141 2.3.1 Effet de la mention lors de l’examen par le Registre foncier 142 2.3.2 Effet de la mention lors de l’examen par le notaire ou les parties 143 2.3.3 Critique 144 2.3.4 Conclusion 146 E. Effets de la mention du lien de trust en exécution forcée ------147 1. Exposé des principes de l’exécution forcée en relation avec un trust 148 1.1 Détermination de la personne du débiteur 148 1.2 Dette du patrimoine du trust et faillite de ce dernier 149 1.3 Dette personnelle du trustee 150 1.4 Cas particulier de la créance en remboursement découlant de l’administration du trust 151 1.5 Problématique de l’absence de mention selon l’article 149d LDIP 152 2. Position défendue par le Message du Conseil fédéral 152 3. Avis d’A. Peyrot 155 4. Prise de position 156 5. Proposition de solution concrète 160 5.1 En cas de mention 161 5.2 En l’absence de mention 162 5.2.1 Poursuite contre le trustee 162 a) Faillite du trustee 162 b) Saisie du bien du trustee 163 5.2.2 Faillite du trust 164 6. Ebauche de solution en cas de protection des créanciers de bonne foi 166 6.1 En cas de mention 166 6.2 En l’absence de mention 167 6.2.1 Poursuite contre le trustee 167 a) Faillite du trustee 167 i) Décision de l’assemblée des créanciers 168 ii) Contestation de la distraction par l’assemblée des créanciers 168 iii) Cession du droit de défendre à l’action en revendication 169 b) Saisie du bien du trustee 170 Table des matières 401

6.2.2 Faillite du trust 171 a) Distraction par un créancier de bonne foi 171 b) Revendication (Admassierung) 172 7. Conclusion 173 F. Comparaison de la mention du lien de trust avec d’autres institutions du droit suisse ------173 1. Mention d’exécuteur testamentaire 174 1.1 Principe 174 1.2 Parallèle avec la mention du lien de trust 176 2. Annotation d’une clause de retour en matière de donation d’immeubles 177 2.1 Principe 177 2.2 Théorie de la propriété sous condition résolutoire 178 2.3 Théorie de l’obligation personnelle de restitution 179 2.4 Parallèle avec la mention du lien de trust 180 3. Annotation de la substitution fidéicommissaire 181 3.1 Principe 181 3.2 Théorie de la propriété sous condition résolutoire 181 3.3 Parallèle avec la mention du lien de trust 182 4. Conclusion 183 G. Faible écho de la mention du lien de trust dans la pratique ------185 1. L’interposition d’une underlying company 185 2. L’obstacle de la Lex Koller 186 3. L’intérêt de la mention 189 H. Obligations du notaire confronté à une mention du lien de trust ------190 1. La position de la doctrine à l’étranger 190 2. L’obligation de vérification du Registre foncier 192 3. L’obligation de vérification du pouvoir de disposition par le notaire en général 194 3.1 Obligation de véracité 194 3.1.1 Vérification 194 3.1.2 Interdiction d’instrumenter en cas de doute 196 3.2 Obligation de renseigner les parties 196 4. L’instrumentation d’un acte authentique portant sur un bien en trust 197 4.1 Hypothèse où la mention figure au Registre foncier 197 4.1.1 Obligation de vérification du pouvoir de disposer du trustee 198 4.1.2 Modalités de la vérification 198 402 Delphine Pannatier Kessler

4.1.3 Acceptation ou refus du notaire d’instrumenter l’acte 199 4.1.4 Obligations complémentaires de vérification 200 4.1.5 Effet sur l’acquisition de bonne foi 201 4.2 Hypothèse où la mention ne figure pas au Registre foncier 202 5. Conclusion 203

Chapitre VI Droit de suite et principes de droit suisse au regard de l’article 15 de la convention 205-270 A. Le droit de suite et la protection des acquéreurs de bonne foi ------206 1. Biens immobiliers 206 1.1 Droit de suite contre le trustee 207 1.2 Droit de suite contre des tiers 209 1.2.1 Lorsque la mention du trust figure au Registre foncier 210 a) Principes 210 b) Compatibilité avec le droit impératif 211 1.2.2 Lorsque la mention du trust ne figure pas au Registre foncier 212 a) Principes 212 b) Compatibilité avec le droit impératif 213 c) Le cas particulier du donataire de bonne foi en l’absence de mention 213 1.3 Conclusion 215 2. Biens mobiliers 216 2.1 Droit de suite exercé contre le trustee 216 2.2 Droit de suite exercé contre des tiers 217 2.2.1 La détermination de la bonne foi 218 a) Détermination de la bonne foi en règle générale 218 b) Détermination de la bonne foi en matière d’achat d’œuvres d’art ou d’antiquités 220 c) Le cas particulier de la bonne foi du donataire 222 2.2.2 Compatibilité avec le droit impératif 223 2.3 Conclusion 224 3. Gages immobiliers et mobiliers 224 Table des matières 403

3.1 Droit applicable 225 3.2 Gages immobiliers 226 3.2.1 Principes 226 3.2.2 Détermination de la bonne foi du créancier gagiste d’un trustee 227 3.2.3 Compatibilité avec le droit impératif 229 3.3 Gages mobiliers 230 3.3.1 Principes 230 3.3.2 Détermination de la bonne foi du créancier gagiste d’un trustee 232 3.3.3 Compatibilité avec le droit impératif 233 3.4 Conclusion 234 B. Le droit de suite et le principe du numerus clausus des droits réels ------234 1. Présentation des concepts 234 2. Assouplissement du numerus clausus 236 2.1 Principe 236 2.2 Effet de l’assouplissement du numerus clausus sur la reconnaissance du droit de suite 238 2.3 Prise de position 241 3. Base légale et respect du numerus clausus 242 4. Conclusion 242 C. Le droit de suite et la prescription acquisitive ------243 1. Principes 243 2. Compatibilité avec le droit impératif 244 D. Le droit de suite et la réunion des espèces ------246 1. Règle générale de la réunion d’espèces 247 2. Exception de la monnaie gardée séparément 251 3. Spécification, adjonction et mélange 252 4. Conclusion 252 E. Compatibilité de certains aspects du droit de suite ------253 1. Droit de suite sur des biens acquis en remploi 254 1.1 La subrogation réelle en droit suisse 255 1.2 La restitution des remplois selon l’article 43 CO 258 1.3 Praticabilité 259 1.4 Conclusion 260 2. Droit de suite sur des revenus et produits 261 2.1 Droit de suite exercé contre le trustee 262 2.2 Droit de suite exercé contre un tiers 264 404 Delphine Pannatier Kessler

2.2.1 Le cas de l’acquéreur de bonne foi protégé 265 2.2.2 Le cas de l’acquéreur de mauvaise foi 265 2.2.3 Le cas du donataire de bonne foi 266 a) Les fruits 267 b) Les produits de réalisation 268 c) Application au cas du donataire de bonne foi d’un bien du trust 270

Chapitre VII Droit de suite sur des avoirs bancaires 271-317 A. Comptes monétaires ------271 1. Droit de suite exercé contre un trustee 272 1.1 Caractère impératif des articles 312 et 481 CO 272 1.2 Compatibilité avec le droit impératif 275 2. Droit de suite contre un tiers 278 2.1 Applicabilité du droit suisse à la relation bancaire 278 2.2 Compatibilité avec le droit impératif 279 3. Mise en œuvre du droit de suite selon l’article 15 al. 2 de la Convention 280 3.1 Mise en œuvre directement contre la banque 281 3.1.1 Le fondement 282 3.1.2 Les figures procédurales 285 3.1.3 La garantie de la satisfaction des prétentions et le droit de préférence 285 3.2 Mise en œuvre contre le titulaire du compte bancaire 286 3.2.1 Le fondement de l’action 287 3.2.2 Le principe de la cession de créance 287 3.2.3 La cession judiciaire de l’article 166 CO 289 3.2.4 La cession légale de l’article 166 CO par le biais de l’article 401 CO 290 3.2.5 La garantie de l’exécution par des mesures provisionnelles 293 3.2.6 Le traitement prioritaire par rapport à d’autres mesures d’exécution forcée 296 4. Conclusion intermédiaire 298 B. Titres ------300 1. Titres intermédiés 300 1.1 Principes de la Loi sur les titres intermédiés 300 Table des matières 405

1.2 La compatibilité du droit de suite avec la protection de la bonne foi de l’article 29 al. 1 LTI 303 1.3 Compatibilité du droit de suite eu égard à la nature des titres intermédiés 305 1.4 Mise en œuvre du droit de suite sur des titres intermédiés 308 2. Titres hors du système de la détention intermédiée 310 2.1 Titres en dépôt individuel 310 2.2 Titres en dépôt collectif 311 2.3 Droits-valeurs 312 3. Conclusion intermédiaire 313 C. Autres actifs bancaires ------314 1. Valeurs en coffre-fort 315 2. Dépôt régulier fermé 315 3. Dépôt de métaux précieux 315 D. Conclusion ------316

Chapitre VIII Aspects procéduraux 319-354 A. Droit applicable ------319 1. Le droit applicable selon les articles 6 et 7 de la Convention et l’article 149c LDIP 319 2. Raisonnement applicable à la reconnaissance du droit de suite 320 2.1 Détermination du droit applicable 320 2.2 Détermination des droits et obligations des tiers selon le droit désigné par les règles de conflit du for 320 2.3 Vérification du respect des règles impératives 321 2.4 Eventuelle mise en œuvre selon l’article 15 al. 2 de la Convention 322 B. Mise en application par le juge suisse ------322 1. Reconnaissance du droit de suite en tant que tel et divergence entre droit du fond et droit régissant les droits et obligations des tiers 322 2. Nécessité de transposer le droit de suite en droit suisse 323 2.1 Sur le plan procédural 323 2.2 Mise en œuvre au fond 325 2.2.1 Calcul des remplois en cas de mixed substitution 325 2.2.2 Calcul des revenus et produits 326 2.3 Mise en œuvre du droit de suite selon l’article 15 al. 2 de la Convention 326 406 Delphine Pannatier Kessler

C. For ------327 1. L’article 149b LDIP 327 1.1 Champ d’application 328 1.2 Election de for 328 1.3 A défaut d’élection de for 329 2. La Convention de Lugano 329 3. Droit de suite contre le trustee 330 3.1 Droit de suite sur un immeuble 330 3.2 Droit de suite sur un meuble 333 3.2.1 Applicabilité de la Convention de Lugano 333 3.2.2 Applicabilité de la LDIP 335 4. Droit de suite contre un tiers 335 4.1 Applicabilité de la Convention de Lugano 336 4.2 Applicabilité de la LDIP 337 5. Fors spéciaux 337 5.1 Fors de la LP 337 5.2 Fors en cas d’application de l’article 15 al. 2 de la Convention de La Haye 338 D. Procédure ------339 E. Qualité pour agir et défendre ------340 1. Qualité pour agir 341 1.1 Qualité pour agir du trustee ou des bénéficiaires 341 1.2 Absence de consorité active nécessaire des bénéficiaires 341 2. Qualité pour défendre 342 F. Figures procédurales ------342 1. Droit de suite exercé contre le trustee 343 2. Droit de suite exercé contre le tiers 343 G. Arbitrabilité ------344 1. Arbitrabilité sur le principe 345 2. Opposabilité de la clause d’arbitrage 346 H. Prescription ------347 1. Prescription selon le droit des trusts anglais 348 2. Prescription de l’action en revendication du droit suisse 350 3. Intégration de l’aspect procédural à la question de fond en droit international privé 350 4. Conclusion 352 I. Reconnaissance des jugements étrangers ------352 Table des matières 407

Chapitre IX Conclusion 355-370 A. La nature réelle du droit de suite ------355 B. La Convention de La Haye sur les trusts ------357 C. La mention de l’article 149d LDIP et ses effets ------358 D. La compatibilité avec le droit impératif suisse ------359 1. La compatibilité avec la protection de l’acquéreur de bonne foi 359 1.1 Biens immobiliers 360 1.2 Biens mobiliers 360 1.3 Gages 361 2. La compatibilité avec d’autres règles impératives 362 2.1 Le numerus clausus des droits réels 362 2.2 La prescription acquisitive 362 2.3 La réunion des espèces 362 3. La compatibilité de certains aspects du droit de suite 363 3.1 Biens acquis en remploi 363 3.2 Revenus et produits 364 4. La compatibilité du droit de suite sur des avoirs bancaires 365 4.1 Comptes monétaires 365 4.2 Titres 366 E. Les aspects procéduraux de la mise en œuvre du droit de suite ------367 F. Conclusion finale------369

Liste des abréviations 371

Bibliographie 375

Table des matières 395 408 Delphine Pannatier Kessler #%.4Publications2%$%$2/)4 du Centre de droit bancaire et financier, Genève "!.parues#!)2%%4&). !chez.#)%2 Schulthess Médias Juridiques, Genève · Zurich · Bâle

Delphine Pannatier Kessler : Le droit de suite et sa reconnaissance en Suisse selon la Convention de La Haye sur les trusts (2011). Samantha Meregalli Do Duc : Rémunération et conflits d’intérêts dans la distribution des placements collectifs de capitaux (2010). Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2009 de droit bancaire et financier (2010). Avec des contributions de Rashid Bahar, Yaël Benmenni, ­Alessandro ­Bizzozero, ­Christian Bovet, Anath Guggenheim, Anne Héritier ­Lachat, Isabelle Lebbe, Xavier Oberson,­ Alexandre Richa et Luc Thévenoz. Luc thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2008 de droit bancaire et financier (2009). Avec des contributions de Lionel Aeschlimann, Gerhard Auer, ­Christian Bovet, Ursula Cassani, Benoît Chappuis, Bénédict Foëx, Lucia Gomez Richa, ­Nicolas de Gottrau, Anne Héritier Lachat, Philipp M. Hildebrand, Luc Thévenoz et Jean-Baptiste Zufferey. Luc thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2007 de droit bancaire et financier (2008). Avec des contributions de Mark Barmes, Pierre Besson, ­Christian ­Bovet, Jacques Iffland, Carlo Lombardini, Samantha Meregalli Do Duc, Aude ­Peyrot et Luc Thévenoz. Alexandre Richa : Pensions de titres (repos) et autres cessions temporaires (2008). Luc Thévenoz & Rashid Bahar (eds) : Conflicts of Interest – Corporate Governance and Financial Markets (2007). Avec des contributions de Sandro ­Abegglen, Rashid Bahar, Guido Bolliger, Michel Dubois, Pascal Dumontier, Tamar Frankel, Manuel Kast, Marc Kruithof, Karim Maizar, Leo Th. Schrutt, Luc Thévenoz, Rolf Watter, Stefan Wieler, Eddy Wymeersch, et Jean-Baptiste Zufferey. BF 2007 : Réglementation et autoréglementation des banques, bourses, négo- ciants, placements collectifs, assurance et marchés financiers en Suisse. Publié par Luc ­Thévenoz & Urs Zulauf (2007). Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2006 de droit bancaire et financier (2007). Avec des contributions de Christian Bovet, Mario ­Giovanoli, Nicolas Jeandin, Saverio Lembo, Vincent Martenet, Xavier Oberson, Luc ­Thévenoz et Urs Zulauf. Bénédict Foëx, Luc Thévenoz & Spiros V. Bazinas (éd.) : Réforme des sûretés mobilières : Les enseignements du Guide législatif de la cnudci – Re- forming Secured Transactions : The uncitral Legislative Guide as an Inspira- tion (2007). Avec des contributions de Lionel Aeschlimann, Georges Affaki, Spiros V. ­Bazinas, Antoine Eigenmann, ­Bénédict Foëx, Nicolas de Gottrau, ­Nicolas Jeandin, Gerard ­McCormack et Henricus J. Snijders. BF Assurance : Réglementation et autoréglementation de l’assurance en Suisse. Publié par Luc Thévenoz & Urs Zulauf (2006). Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2005 de droit bancaire et financier (2006). Avec des contributions de Lionel Aeschlimann, Alessandro Bizzozero, ­Christian Bovet, Bénédict Foëx, Anne Héritier Lachat, Syvain ­Marchand, Jean-Christophe ­Pernollet, François Rayroux, Alexandre Richa et Luc Thévenoz. Claude Laporte : La titrisation d’actifs en Suisse – Asset-Backed Securisation (2005). Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2004 de droit bancaire et financier (2005). Avec des contributions de Christian Bovet, Claude Bretton- Chevallier, Ursula Cassani, Jacques Iffland, Romain Marti, Luc Thévenoz et Alexandre Richa. Rashid Bahar : Le rôle du conseil d’administration lors des fusions et acquisi- tions – Une approche systématique (2004). Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2003 de droit bancaire et financier (2004). Avec des contributions de Christian Bovet, Claude Bretton-­ Chevallier, Jean-Claude Dufournet, Xavier Favre-Bulle, Bénédict Foëx, Daniel Girsberger, Florence­ Guillaume, Jacques Iffland et Luc Thévenoz. BF Blanchiment : Réglementation et autoréglementation de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en Suisse. Publié par Luc ­Thévenoz & Urs Zulauf (2004). Publications du Centre d’études juridiques européennes, Genève parues chez Schulthess Médias Juridiques, Genève · Zurich · Bâle

Daniel Kraus : Les importations parallèles de produits brevetés (2004). Julia Xoudis : Les accords de distribution au regard du droit de la concurrence (2002). Claude Bretton-Chevallier : Le gérant de fortune indépendant : Rapports avec le client, la banque dépositaire, obligations et responsabilités (2002). Luc Thévenoz : Trusts en Suisse : adhésion à la Convention de La Haye sur les trusts et codification de la fiducie – Trusts in Switzerland : ratification of the ­Hague Convention on trusts and codification of fiduciary transfers (2001). Christine Chappuis & Bénédict Winiger (éd.) : La responsabilité fondée sur la confiance – Vertrauenshaftung (2001). [Journée de la responsabilité civile 2001]. Vincent Jeanneret (éd.) : Aspects juridiques du commerce électronique (2001). [Séminaires de l’Association genevoise de droit des affaires]. Christine Chappuis, Henry Peter & Andreas von Planta : Responsabilité de l’actionnaire majoritaire (2000). [Séminaires de l’Association genevoise de droit des affaires]. Christian Bovet (éd.) : Libéralisation des télécommunications : concentrations d’entreprises (1999). [Journée du droit de la concurrence 1998]. Luc Thévenoz & Marcel Fontaine (éd.) : La monnaie unique et les pays tiers – The euro and non-participating countries (1999). [Colloque international]. Vincent Jeanneret (éd.) : Le séquestre selon la nouvelle LP (1997). Gérard Hertig (éd.) : Le fonctionnement des sociétés et le respect des règles (colloque Alain Hirsch) – Die Führung der Gesellschaften und die Einhaltung der Regeln (Kolloquium Alain Hirsch) (1996). Martin Anderson & thierry Hertig : Institutional investors in Switzerland : their behavior and influence on financial markets and public companies (1992). Annette Althaus : Die Lex Friedrich im Lichte der EG. Julia Xoudis : La demeure de débiteur de l’acheteur ayant conclu un contrat de vente internationale (1992). Gérard Hertig & Marina Hertig-Pelli (éd.) : L’avant-projet de loi fédérale sur les ­bourses et le commerce des valeurs mobilières (colloque) – Vorentwurf eines Bundesgesetzes über die Börsen und den Effektenhandel (Kolloquium) (1992). Oliver Guillod (éd.) : Développements récents du droit de la responsabilité ci- vile (col­loque) – Neuere Entwicklungen im Haftpflichtrecht (Kolloquium) (1991). Luc Thévenoz : Error and fraud in wholesale funds transfers : u.c.c. article 4A and the uncitral harmonization process (1990). Xavier Oberson : Issues in the treatment of international interest rate and currency swap transctions : ananalysis of the tax treatment of interest rate and currency swap transactions in the United States, Switzerland and under the OECD model (1990). Anne-Catherine Imhoff-Scheier & Paolo Michele Patocchi : Torts and un- just enrichment in the new Swiss conflict of laws – L’acte illicite et l’enrichisse- ment illégitime dans le nouveau droit international privé suisse (1990). Bernd Stauder (éd.) : Liberalization and regulatory reform in the field of ban- king services in Europe : the Swiss consumer’s point of view (symposium) – Libéralisation des services financiers bancaires en Europe : le point de vue du consommateur suisse (col­loque) (1989).

Journées de droit bancaire et financier parues chez Staempfli Editions SA, Berne

Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2002 de droit bancaire et fi- nancier (2003). Avec des contributions de Giorgio Behr, Christian Bovet, Nicolas Jeandin, Henry Peter, François Rayroux, Luc Thévenoz et Daniel Zuberbühler. Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2001 de droit bancaire et financier (2002). Avec des contributions de Christian Bovet, Louis Gaillard, Nicolas de Gottrau, Olivier Hermand, Jacques Malherbe, Xavier Oberson, Marc Siegel, Luc Thévenoz et Urs Zulauf. Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 2000 de droit bancaire et financier (2001). Avec des contributions de Christian Bovet, Jacques Iffland, Catherine ­Kessedjian, Luc Thévenoz, Gilles Thieffry, Henri Torrione, Rita Trigo Trindade et Jean-­Baptiste Zufferey. Luc Thévenoz & Christian Bovet (éd.) : Journée 1999 de droit bancaire et financier (2000). Avec des contributions de Rashid Bahar, Christian Bovet, Claude Bretton-­Chevallier, Hans Caspar von der Crone, Daniel Guggenheim, Maurice ­Harari, ­Jacques Iffland, Sylvain Matthey, Nicolas Merlino, Peter Nobel, Xavier Oberson et Henry Peter.­ Luc Thévenoz (éd.) : Journée 1997 de droit bancaire et financier (1997). Avec des contributions de André Cuendet, Marco Franchetti, Anne Héritier Lachat, Jacques Iffland, Claude-Alain Margelisch, Xavier Oberson, Shelby du Pasquier, Riccardo Sansonetti et Blanche Sousi. Luc Thévenoz (éd.) : Journée 1996 de droit bancaire et financier (1996). Avec des contributions de Alessandro Bizzozero, Christine Chappuis, Alain Hirsch, Alain B. Lévy, Patrizio Merciai, Andreas von Planta, Luc Thévenoz et Jean-­ Baptiste Zufferey. Luc Thévenoz (éd.) : Journée 1995 de droit bancaire et financier (1995). Avec des contributions de Daniel Guggenheim, Alain Hirsch, Gabrielle Kaufmann-Kohler, ­Sylvain Matthey, Xavier Oberson, Renate Pfister-Liechti, Bernhard Strauli, Luc Thévenoz et Urs Zulauf. Luc Thévenoz (éd.) : Journée 1994 de droit bancaire et financier (1994). Avec des contributions de Richard Barbey, Ursula Cassani, Maurice Harari, Xavier ­Oberson, Urs Philipp Roth, Claudia Spiess et Luc Thévenoz.