Le Duel Tintin
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A mon père, qui m’emmena voir Hergé quand j’avais onze ans et à mes grands frères, qui m’ont permis de toucher à leur collection de “Tintin” et de “Spirou” Le duel “Tintin” - “Spirou” H.D. par Hughes Dayez © Copyright 1997-2001 : Tournesol Conseils SPRL - Editions Luc Pire Quai aux Pierres de Taille, 37 - 1000 Bruxelles Mise en page : ELP Couverture : Debie Graphic Design Dessin de couverture : Alec Severin Photos intérieur : D. Fouss, J. Kievits et Eleuthera ISBN : 2-930088-49-4 Dépot légal : D-1997-6840-9 TABLE DES MATIÈRES Introduction...........................................................................................5 Première partie :Le journal“Tintin” ou l’“Hergéennement correct”..................................................................9 Chapitre 1 : Le point de vue de l’éditeur - Raymond Leblanc .............13 Chapitre 2 : L’homme orchestre de la BD - Michel Greg........................32 Chapitre 3 : L’apologie du classicisme - Jacques Martin........................62 Chapitre 4 : Du mélodrame à l’épopée - François Craenhals .............95 Chapitre 5 : Le stakhanoviste de la planche - Tibet..............................113 Chapitre 6 : L’Histoire en tandem - Liliane et Fred Funcken.................139 Chapitre 7 : Du marketing à la BD (et inversement) - Jean Van Hamme.............................................................160 Deuxième partie : Le journal “Spirou” ou la fantaisie sous surveillance.....185 Chapitre 8 : Le point de vue de l’éditeur - Charles Dupuis...................189 Chapitre 9 : Confidences d’un rédacteur en chef - Yvan Delporte........213 Chapitre 10 : Le génie du doute - André Franquin...............................236 Chapitre 11 : Le fils spirituel de Jijé - Will.............................................275 Chapitre 12 : Le roi Midas du merveilleux - Peyo.................................298 Chapitre 13 : L’aventurier du quotidien - Jean Roba............................307 Chapitre 14 : Le rêve américain sur papier - Morris.............................324 Troisième partie : Itinéraires de quelques transfuges....................348 Chapitre 15 : De “Tintin” à “Spirou” - Raymond Macherot....................350 Chapitre 16 : De “Spirou” à “Tintin” - Eddy Paape................................367 Chapitre 17 : De “Spirou” et “Tintin” à “Pilote” - Albert Uderzo...........384 Conclusion.........................................................................................415 Remerciements..................................................................................418 HUGUES DAYEZ LE DUEL “TINTIN”- “SPIROU” I NTRODUCTION En 1996, année où l’on a célébré un peu partout en Belgique et en France le Centenaire de la Bande Dessinée, quelles furent les stars du neuvième Art en librairie ? Dans le désordre, on peut citer Alix, Boule et Bill, Gaston Lagaffe, Blake et Mortimer, Lucky Luke, les Schtroumpfs, Ric Hochet, Astérix... Le dénominateur commun de tous ces person- nages : ils fêtent leur quarantième, voire leur cinquantième anniversaire. Et les tirages de certains de ces albums ont de quoi laisser rêveur le monde de l’édition. Près de trois millions d’exemplaires de “La galère d’Obélix” ont été mis en vente sur les marchés français, belge et suisse. “L’affaire Francis Blake” a vu son premier tirage de 480.000 exemplaires épuisé en quelques jours, s’affirmant comme un des plus beaux best- sellers de la rentrée. Trois mois plus tard, c’était au tour de l’album “Gaston n° 15” de rééditer l’exploit : plus d’un demi-million d’exemplaires ont trouvé acheteurs au début du mois de décembre... Et pourtant, ces arbres éclatant de santé cachent une forêt malade : sur les centaines de titres publiés chaque année dans le monde de la BD, on compte sur les doigts de quelques mains ceux qui parviennent encore à décrocher la timbale du succès public. Le seuil de rentabilité pour un - 5 - HUGUES DAYEZ LE DUEL “TINTIN”- “SPIROU” album de bande dessinée standard se situe aujourd’hui autour des 12.000 exemplaires vendus. Ce chiffre est très rarement atteint par les nouvelles séries qui, faute de voir leurs ventes décoller rapidement, sont souvent arrêtées après le troisième ou le quatrième album... Sociologiquement parlant, c’est donc le régime de l’oligarchie qui dicte aujourd’hui sa loi en bande dessinée : les quelques séries précitées, jointes à d’autres un peu plus récentes (soit l’“écurie Jean Van Hamme” comprenant “XIII”, “Thorgal” et “Largo Winch”, ou encore “Le Petit Spirou” ou “Les Tuniques Bleues”, sans oublier l’indémodable “Tintin”, bien sûr) constituent à elles-seules environ 80% du chiffre d’affaires du secteur... Comment comprendre ce phénomène ? Comment expliquer que ces personnages, devenus des classiques lus et relus par plusieurs généra- tions, soient encore aujourd’hui les stars du marché ? Et surtout, com- ment expliquer qu’ils aient pu à peu près tous naître sur un territoire li- mité - la Belgique francophone - et ce, en l’espace d’une quinzaine d’an- nées à peine (grosso modo entre 1945 et 1960) ? Deux mots fournissent une ébauche d’explication à ce miracle créatif : “Tintin” et “Spirou”. En effet, la naissance presque simultanée (“Tintin” démarre en 1946, “Spirou” connaît ses premiers numéros en 1938) de ces deux “hebdo- madaires pour la jeunesse” ou “illustrés pour enfants” va donner un coup - 6 - HUGUES DAYEZ LE DUEL “TINTIN”- “SPIROU” de fouet étourdissant à la bande dessinée européenne. Ces journaux suscitent non seulement d’innombrables vocations dans notre pays, mais ils parviennent en outre à drainer des auteurs français, italiens, voire américains, qui voient alors en notre petit royaume la Terre Promise de la BD... Pour retracer cette époque glorieuse, point n’est plus besoin de retracer l’“Histoire du journal “Tintin”” ou “La chronique des années “Spirou”” : cela a déjà été fait, agrémenté de moult anecdotes et documents rares. Et cependant, ce travail accompli n’explique toujours pas comment une telle effervescence créatrice s’est maintenue, sans faiblir, dans les années 50 et 60. En réalité, de la même manière qu’en mathématique le tout fait parfois plus que la somme des parties, il faut comprendre que c’est la concurrence entre les deux périodiques qui va faire naître un cli- mat d’émulation particulièrement propice à l’éclosion des talents. Ces talents, les exégètes les ont sommairement catalogués, soit dans l’“école de Bruxelles” (Tintin), soit dans l’“école de Marcinelle” (Spirou). Or, à l’autopsie, cette distinction ne tient pas. Certes, la rédaction du journal “Tintin” avait ses quartiers originellement rue du Lombard à Bruxelles - rue qui donna le nom à la maison d’édition de Raymond Leblanc - pour émigrer ensuite dans le “building Tintin” près de la Gare du Midi. Mais la rédaction de “Spirou” elle aussi élira domicile, dès 1955, en plein coeur de la capitale, Galerie du Centre, et tous ses auteurs phares (Franquin, Morris, Peyo, Roba) seront issus de la région bruxel- loise, seule l’imprimerie de la famille Dupuis demeurant à Marcinelle. Il y - 7 - HUGUES DAYEZ LE DUEL “TINTIN”- “SPIROU” a donc proximité géographique entre “Tintin” et “Spirou”; il y a même communauté d’esprit dans les options philosophiques puisque les deux hebdomadaires iront chercher une grande partie de leur lectorat dans les écoles de l’enseignement catholique. Et pourtant, ces similitudes, loin de les réunir, vont entretenir la compéti- tion entre les deux titres. A partir de 1946 et jusqu’au début des années 70, “Spirou” et “Tintin” vont avancer comme deux marathoniens aguer- ris, en s’observant l’un l’autre avec fair-play, mais sans faire de conces- sion, en prenant tour à tour la tête de la course... Après 1975, ils seront rattrapés par le peloton de la concurrence : les magazines de bande dessinée se multiplieront, tentant chacun de grapiller des lecteurs de plus en plus tentés par d’autres hobbys (la télévision et la vidéo), dans une industrie du loisir en pleine mutation... Qui, mieux que les auteurs eux-mêmes, peuvent nous décrire aujour- d’hui les coulisses de cet Âge d’Or de la bande dessinée ? Ne sont-ils pas les plus à même de nous raconter, vue de l’intérieur, l’émergence de ces personnages et de ces séries qui font aujourd’hui partie du Panthéon du Neuvième Art ? Aujourd’hui, on croit les connaître, parce que les monographies, études et autres analyses se sont multipliées pour dis- séquer leurs oeuvres et la genèse de celles-ci. Mais il manquait un “por- trait de groupe”, susceptible de ressusciter le contexte unique qui a per- mis la réussite phénoménale de la bande dessinée “made in Belgium”. Partons dès lors à la rencontre de quelques dignes représentants de la génération des “pères fondateurs” de la BD belge... - 8 - HUGUES DAYEZ LE DUEL “TINTIN”- “SPIROU” P REMIÈRE PARTIE L E JOURNAL “TINTIN” OU L’“HERGÉENNEMENT CORRECT” Pouvoir donner à un journal pour la jeunesse le nom du héros le plus célèbre de la bande dessinée fut, pour l’éditeur Raymond Leblanc, une arme à double tranchant. Le personnage de Tintin constitua une formi- dable locomotive pour l’hebdomadaire, qui connut un démarrage foudroyant, et lui permit d’entrer dans la légende. Mais si la locomotive fut rutilante, ses wagons ne furent pas très nombreux : pour le journal qui porta le nom de son héros, Hergé ne livra en fin de compte que dix aven- tures entre le 26 septembre 1946 (date de création de l’hebdomadaire) et le 16 septembre 1975 (date du début de la prépublication de “Tintin et les Picaros”). Certes, les années 50 furent fertiles, puisqu’elles furent rythmées par la prépublication de quatre