PROGRAMME RÉGIONAL DIALOGUE POLITIQUE SUD MEDITERRANÉE

LES PARTIS POLITIQUES TUNISIENS : FRAGMENTE S, AUTOCENTRES ET A L A RECHERCHE D’UN PROFI L

Auteur: Isabel Schäfer | Traduction : Gudrun Meddeb

Résumé

Depuis la chute du régime autoritaire du président Ben Ali le 14 janvier 2011, le paysage des partis politiques tunisien a connu de profonds changements. S’il est vrai que depuis son indépendance en 1956, le multipartisme était, du moins sur le papier, le régime politique de la Tunisie, il n’en demeure pas moins que le pays avait été gouverné jusqu’en 2011 par un seul parti dont le nom avait été modifié plusieurs fois. Après la rupture politique de 2011, le RCD, le parti qui avait gouverné le pays, a été interdit alors que des partis interdits avant cette date ont été autorisés et de nombreux nouveaux partis fondés. Après des décennies de stagnation politique, de censure et de blocage, le pluralisme politique peut aujourd’hui s’épanouir librement. Le paysage politique est devenu extrêmement dynamique mais aussi volatil : les partis politiques forment des alliances toujours renouvelées, changent de nom, se fracturent ou se réinventent à nouveau. Les effets négatifs de cette prolifération sont évidents : les 206 partis (décembre 2016) que le pays compte actuellement, sont surtout de tout petits partis sans véritable puissance d’action. Des luttes internes autour des personnes ou pour l’obtention de certains postes dominent aussi les partis représentés au parlement dont

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seulement deux – le parti islamiste Ennahdha et le parti séculier Nidaa Tounes – disposent plus de 60 sièges (sur un total de 217 sièges). Le travail parlementaire et l’efficacité du travail gouvernemental sont considérablement compliqués par les déficits et les manquements des partis politiques. Dans la population, le ras-le-bol politique et une image négative des partis politiques sont très répandus. Cette image négative des partis politiques diminue la confiance des citoyens en leurs hommes politiques et réduit la participation aux élections. Si le paysage des partis politiques tunisiens est morcelé, cinq courants principaux peuvent néanmoins être identifiés : les partis à tendance islamiste, les partis séculiers et libéraux, les partis socialistes du centre, l’extrême gauche et les partis des fonctionnaires et partisans de l’ancien parti gouvernemental RCD qui se réclament du premier président de la République tunisienne, , et de son parti séculier et moderniste, le « Destour » et se nomment « destouriens ». Les partis tunisiens évoluent depuis 2011 dans un contexte difficile, tant au niveau national que régional. Ils ont du mal à se départager par leurs programmes et à proposer des solutions concrètes aux problèmes auxquels le pays est confronté.

1. L’environnement politique

Depuis la chute du régime de Ben Ali le 14 janvier 2011, le paysage des partis politiques de la Tunisie a connu de profonds changements. Alors que sous le régime autoritaire de Ben Ali le parti gouvernemental, le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) gouvernait, de facto, comme un parti unique, l’euphorie de la liberté a conduit, après 2011, à la création de plus d’une centaine de partis politiques nouveaux. Jusqu’en 2016, le nombre de partis a doublé pour atteindre 206 (novembre 2016).1

Le paysage politique tunisien est extrêmement dynamique et en continuel changement. Les partis recréent sans cesse de nouvelles alliances, changent de nom, rompent leurs alliances et se réinventent. Si d’aucuns soutiennent qu’il s’agit d’un pluralisme politique vivant qui, après des décennies de stagnation politique, de censure et de blocage, peut enfin se développer librement, d’autres y voient surtout une volatilité qui a des conséquences négatives sur le processus de transformation politique engagé en 2011 et grâce auquel le pays aspire à une refonte démocratique : forte fragmentation et atomisation des partis politiques, « tourisme partisan »,2 et luttes acharnées pour des postes et des positions entravent l’efficacité du travail gouvernemental et rendent la continuité du travail parlementaire difficile. Cette situation a également des effets négatifs sur la perception des partis politiques dans la population.

Sur l’échiquier politique toutes les idéologies, ou presque, sont représentées : islamistes et salafistes-islamistes mais également panarabes, socialistes, libéraux, modernistes et néolibéraux. Malgré cette fragmentation idéologique, de plus grands courants politiques se profilent, l’appartenance aux camps islamiste ou séculier étant leur critère de distinction principal. Le camp des partis séculiers comprend les partis du centre, les partis libéraux, sociaux-démocrates, socialistes et ceux appartenant à l’extrême gauche ainsi que les partis « destouriens » composés pour l’essentiel par des personnes proches ou des anciens membres du RCD, le parti dominant du régime Ben Ali. Les destouriens soutiennent le concept d’un état et d’une société moderniste à l’instar du leitmotiv du Parti Néo-Destourien (PND) présidé par Habib Bourguiba pendant l’époque coloniale.

Historiquement, nous pouvons distinguer trois courants politiques majeurs qui sont enracinés, depuis l’époque coloniale dans la culture politique de la société tunisienne et la mémoire collective :3 Premièrement, les réformistes, les modernistes (comme notamment les destouriens) et les libéraux ; deuxièmement, les religieux et les traditionalistes et troisièmement, la gauche (communistes, etc.) et le mouvement syndicaliste qui lui est proche. Même si après 2011 le pays a vu l’explosion et la fragmentation des partis politiques, cinq ans après, ces mêmes courants historiques se précisent de nouveau. De nombreux acteurs se trouvent toujours engagés dans un processus complexe pour définir leur profil et leurs objectifs. La multiplication des acteurs politiques4 a contribué à un manque de visibilité et a détourné de nombreux citoyens de la politique. Parmi les 206 partis politiques accrédités en Tunisie, seulement environ dix comptent actuellement dans la vie politique sans que leur poids politique ou social soit garanti à long terme.

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Le contexte politique à l’intérieur duquel le processus de transformation démocratique en Tunisie évolue, est très complexe. Depuis 2011, la situation sécuritaire s’est aggravée en Tunisie et dans la Libye voisine. Des groupes islamistes armés, qui se réclament depuis 2014 de l’organisation terroriste « État islamique », sont actifs et ont contribué après les attaques à la bombe sur les touristes au musée du Bardo (Tunis) et à Port El- Kantaoui (Sousse) en 2015 au déclin du tourisme. Les violents conflits en Libye ont favorisé ces groupes qui ont trouvé en Libye des possibilités d’entraînement et de repli et ont pu s’alimenter en armes depuis des sources libyennes. L’environnement politique extrêmement tourmenté dans toute la région de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient, mais surtout la persistance de la crise économique et des problèmes socio-économiques en Tunisie rendent le travail de tous les acteurs politiques difficile. Quel est le rôle et quelles sont les missions que les partis politiques peuvent remplir dans ce contexte complexe, c’est à cette question que cet article tente de proposer une réponse. Nous allons, dans un premier temps, décrire les conditions auxquelles les partis politiques sont soumis pour analyser, dans un deuxième temps les tendances politiques, les débats actuels et les défis des partis politiques.5

2. Le cadre institutionnel, politique et matériel des partis politiques après 2011

Après le changement du pouvoir le 14 janvier 2011, un profond processus de transformation institutionnelle a été engagé en Tunisie qui devait guider le pays vers une transition politique et la démocratisation.6 Après la mise en place des différentes instances et gouvernements de transition, des élections libres pour une Assemblée nationale constituante (ANC) ont été organisées le 23 octobre 2011. Selon le calendrier initialement établi, cette Assemblée constituante aurait dû, en l’espace d’un an, présenter et voter une nouvelle constitution. Toutefois, la nouvelle constitution n’a été adoptée qu’avec un grand retard le 26 janvier 2014 par l’ANC. La nouvelle constitution progressiste est entrée en vigueur le 10 février 2014. Elle est le reflet d’un compromis historique entre le camp séculier et moderniste et le camp islamiste et, par conséquent, n’est pas sans contenir quelques contradictions.7

Après les premières élections législatives libres du 26 octobre 2014 et les élections présidentielles du 23 novembre (1er tour) et du 21 décembre (2e tour, ballottage)8, le processus de transformation institutionnelle s’est enlisé notamment parce que l’adoption des lois organiques pourtant exigées par la constitution a été retardée. Certaines lois organiques n’ont été adoptées qu’en 2016, d’autres attendaient encore leur adoption fin novembre 2016. C’est ainsi que l’élection du Conseil supérieur de la magistrature a duré jusqu’en octobre 2016 en raison des divergences sur le texte de la loi et les questions de nomination, ce qui a, à son tour, retardé la mise en place d’une Cour constitutionnelle indépendante.9

Avant 2011, la marge de manœuvre des partis politiques a été considérablement limitée. Dans les années 1990 et 2000, le RCD était, de facto, le parti unique du régime de Ben Ali. La loi organique n° 88-32 du 3 mai 1988 organisant les partis politiques a certes introduit, sur le papier, le pluralisme politique et autorisé plusieurs petits partis politiques. Ces partis n’avaient pourtant aucune influence politique, ont été cooptés, fortement contrôlés et gênés dans leurs activités. Parmi les pseudo-partis d’opposition figuraient le Parti de l’Unité Populaire (PUP), l’Union Démocratique Unioniste (UDU), le Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS) et le parti Ettajdid10 issu du parti communiste tunisien. Parmi les rares vrais partis d’opposition, on peut citer les partis légalisés Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL), connu en Tunisie sous le nom « Ettakatol » (en arabe : al-takatul signifie forum) et le Parti Démocrate Progressiste (PDP) ainsi que plusieurs partis non autorisés comme le Parti Ouvrier Communiste Tunisien (POCT) fondé en 1983 et renommé Parti des Travailleurs en 2011, le Congrès pour la République (CPR) fondé en 2001 par l’activiste des droits de l’homme Moncef Marzouki et l’opposition islamiste qui s’était constituée depuis 1981 comme Mouvement de la Tendance Islamique (MIT) et a changé son nom en février 1989 pour devenir Ennahdha.

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À la suite du changement du pouvoir, la rupture avec l’ancien régime et le renouveau institutionnel en Tunisie, l’ancien parti gouvernemental RCD avait été d’abord suspendu par le ministère de l’Intérieur le 6 février 2011 et ensuite définitivement dissout et interdit le 28 mars 2011 par une décision du tribunal, confirmée par un arrêt de la Cour de cassation du 22 avril 2011. Les pseudo-partis d’opposition ont disparu du paysage politique.11 Les partis de l’opposition extraparlementaire de l’époque Ben Ali ont connu, après 2011, un renouveau.

Les conditions pour les partis politiques ont changé fondamentalement après 2011. Le nouveau décret-loi n° 2011-87 du 24 septembre 2011 portant organisation des partis politiques et la nouvelle constitution adoptée en 2014 ont élargi leur champ d’action et simplifié la création de partis. Au moment de l’élection de l’Assemblée nationale constituante le 23 octobre 2011, 116 partis politiques ont déjà été enregistrés dont 108 fondés après 2011. En raison de leur nombre et de la fragmentation du paysage politique, beaucoup de ces petits partis nouvellement fondés n’ont pas obtenu des sièges à l’ANC, ce qui signifie qu’environ 30 pourcent des voix exprimées ont été perdues. Le parti islamiste Ennahdha qui avait été légalisé dès le 1er mars 2011, a bénéficié de sa large base dans tout le pays qu’il avait su élargir grâce aux mosquées et aux institutions religieuses à caractère caritatif. À cela s’est ajouté le grand engagement personnel avec lequel Ennahdha a préparé les électeurs. En revanche, les petits partis et notamment les partis de gauche ont souvent limité leur représentation à Tunis et aux grandes villes (Sfax, Sousse, Monastir, Bizerte, Gafsa) et n’ont pas su atteindre le grand public avec leur discours. La plupart des programmes manquaient de précision et de clarté. En outre, beaucoup de citoyens ont omis de s’inscrire à temps sur les listes électorales. Tous ces éléments expliquent le succès d’Ennahdha aux élections du 23 octobre 2011 avec 37,04 pourcent des voix et 89 sièges des 217 sièges de l’Assemblée nationale constituante.

La nouvelle constitution tunisienne de 2014 prévoit un régime semi-présidentiel. L’objectif initial de l’ANC a été d’éviter un régime présidentiel tel qu’il avait existé depuis l’indépendance pour éviter tout abus de pouvoir. Il fallait donc renforcer le pouvoir du chef du gouvernement et du parlement. C’est notamment Ennahdha qui a soutenu l’idée d’un régime parlementaire mais n’a pas su s’imposer face aux partis séculiers qui ne voulaient pas accorder autant de pouvoir à un parlement dominé par Ennahdha. Finalement, les partis représentés à l’ANC ont opté pour un compromis et un régime semi-présidentiel. Dans les faits, le pays a depuis le 31 décembre 2014 un président « fort » en la personne de Béji Caïd Essebsi, alors que les gouvernements sont gérés par des chefs de gouvernement « faibles » : du 6 février 2015 au 26 août 2016 par , et depuis par . Le chef du gouvernement a été toujours considéré (comme sous les présidents Bourguiba et Ben Ali) comme un « Premier ministre » et non pas comme un vrai chef du gouvernement, alors que la nouvelle constitution (article 89) parle clairement d’un « chef de gouvernement ».

Reste à savoir si le retour à un régime présidentiel que l’on observe tendanciellement depuis 2014, aura l’appui du nouveau chef de gouvernement Youssef Chahed. In fine, les profils de ces deux fonctions dépendent beaucoup des personnes qui les occupent. La communication, la prise de décision et la répartition précise des tâches entre le président de la République, le chef du gouvernement et le parlement ne reposent pas encore sur des processus bien établis ouvrant la porte aux conflits de pouvoir, aux retards et à un manque de transparence.

Selon la constitution (article 89) le président de la République charge, dans un délai d’une semaine à compter de la date de proclamation des résultats définitifs des élections [législatives], le candidat du parti ou de la coalition qui remporte le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée des représentants du peuple, de former le gouvernement. Or, dès la victoire électorale de Nidaa Tounes aux élections législatives du 26 octobre 2014 (37,5 pourcent des voix) et dès l’élection de Béji Caïd Essebsi, le candidat du parti Nidaa Tounes, au second tour des élections présidentielles du 21 décembre 2014, ce système a été mis à rude épreuve. Au lendemain de son élection, Béji Caïd Essebsi propose un technocrate sans appartenance politique comme chef de gouvernement (Habib Essid) que les dirigeants de Nidaa Tounes ont accepté après coup et auquel le parlement a accordé sa confiance en tant que « candidat de compromis », le 5 février 2015 avec 166 sur 217 voix.

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Depuis, le président de la République est redevenu l’élément central du système politique. Cette situation pourra toutefois changer lorsque le mandat de Béji Caïd Essebsi, âgé de plus de 90 ans, arrivera à son terme en 2019 ou si le président de la République devait décéder avant cette échéance. En Tunisie, on estime généralement qu’en raison de son âge avancé, le président ne sera pas candidat à sa propre succession.

Théoriquement et selon la constitution, le président de la République doit être politiquement neutre, avoir un rôle inclusif et parler au nom de tous les Tunisiens et non pas d’un seul parti politique. Toutefois et étant donné que le président a également des compétences en matière de sécurité, de politique étrangère et de défense, son rôle reste ambigu. De nombreuses voix déplorent que le régime actuel soit un régime qui n’est ni parlementaire, ni présidentiel. C’est pour cela que le président d’Ennahdha Rachid Ghannouchi a proposé en 2016 une révision de la constitution pour renforcer le parlement et le chef du gouvernement et pour assurer à Ennahdha la possibilité de participation, si jamais le parti devait se retrouver dans l’opposition. Les destouriens, quant à eux, se prononcent en faveur d’une réforme constitutionnelle qui renforcera les pouvoirs du président aux dépens des compétences du parlement.12

L’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) est un parlement constitué d’une seule chambre composée de 217 députés élus pour cinq ans au suffrage universel direct. Le système électoral repose sur le scrutin proportionnel. Les premières élections législatives libres ont eu lieu le 26 octobre 2014, les premières séances du nouveau parlement ont eu lieu respectivement le 2 et le 4 décembre 2014. Au sein du parlement actuel, le président du parlement (Mohamed Ennaceur) est issu de la formation Nidaa Tounes, le premier vice-président (Abdelfattah Mourou) est un membre d’Ennahdha et la deuxième vice-présidente (Faouzia Ben Fodha) est membre de l’Union Patriotique Libre (UPL). Parmi les 217 députés de l’ARP, il a y 149 hommes (68,7 pourcents) et 68 femmes (31,3 pourcents), ce qui classe la Tunisie à la 40e place parmi les 193 pays retenus dans le classement mondial établi par l’Union interparlementaire et relatif au nombre de députées femmes dans les parlements.13

Dans le parlement élu en 2014, les groupes – ou blocs - parlementaires suivants ont été formés. Le nombre de sièges a toutefois connu quelques modifications depuis 2014 parce que de nombreux députés ont soit quitté, soit changé de parti ou ont été exclus par leur propre parti. Le nombre de sièges indiqué ci-après correspond à la situation fin décembre 2016. Les chiffres indiqués entre parenthèses donnent le nombre de sièges obtenu aux élections législatives de 2014.

. Ennahdha : 69 sièges (69) ; . Nidaa Tounes : 67 sièges (86) ; . Bloc Al-Horra du Mouvement Machrou Tounes :14 20 sièges (25) ; . Front Populaire : 15 sièges (12) ; . Bloc Démocrate : 12 sièges ; sont représentés dans le Bloc Démocrate les députés d’Al-Joumhouri, de l’Alliance Démocratique et du Mouvement des Démocrates Socialistes ; . Union Patriotique Libre (UPL) : 11 sièges (17) ; . Bloc Afek Tounes : 10 sièges ; ce groupe comprend les députés d’Afek Tounes, du Mouvement Patriotique, de Nidaa des Tunisiens à l’Étranger ; . Hors groupe : 13 (12) sièges ; représentant des députés du parti Al-Irada/CPR et du Courant Démocratique.

L’éventail des partis représentés à l’ARP est très large et s’étend des partis islamistes à l’extrême gauche en passant par les partis séculiers, les centristes et les conservateurs. Le gouvernement d’unité nationale nommé le 26 août 2016 sous le chef du gouvernement Youssef Chahed regroupe sept partis : Nidaa Tounes, Ennahdha, Afek Tounes, Al-Massar, Al-Joumhouri, Alliance Démocratique et Al-Moubadara ainsi que deux personnalités sans appartenance politique proches de la principale centrale syndicale UGTT. L’opposition parlementaire est composée notamment par le Front Populaire mais également par le Courant Démocratique,

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Al-Irada/CPR. Si l’UPL ne participe pas au gouvernement, il ne se considère pas comme un parti qui s’oppose à la coalition gouvernementale. À cela s’ajoute une centaine de partis autorisés et non représentés à l’ARP parmi lesquels nous retrouvons le parti islamiste Hizb al-tahrir qui refuse les élections et œuvre à l’établissement d’un califat, et le parti social-démocrate FDTL qui avait recueilli 284 989 voix lors des élections pour l’Assemblée nationale constituante (ANC) et obtenu 20 sièges mais qui a perdu sa crédibilité et le soutien de ses électeurs suite à la participation à un gouvernement de coalition présidé par Ennahdha (de décembre 2011 à janvier 2014). Aux élections législatives de 2014, le FDTL n’a obtenu que 24 592 voix et aucun siège au parlement.15

Les prochaines épreuves qu’attendent les partis politiques seront les élections municipales et régionales prévues actuellement pour la fin 2017. La date de ces élections a été déjà reportée plusieurs fois, entre autres parce que le vote de la loi électorale avait été retardé pour des raisons politiques et parce que les partis de tendance non-islamiste et surtout Nidaa Tounes affaibli par des luttes de pouvoir internes, ne sont pas encore prêts, en termes d’organisation, pour des élections. En outre, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) doit encore définir les circonscriptions des communes et régions. Le président de l’ISIE Chafik Sarsar a exhorté les partis politiques plusieurs fois à organiser les élections municipales au plus tard en automne 2017.16 Même si les élections municipales sont moins politiques que les élections législatives parce qu’elles concernent surtout des questions locales, les partis vont devoir montrer s’ils sont en mesure de mobiliser les électeurs sur l’ensemble du territoire national et pas uniquement dans la capitale, s’ils disposent d’un ancrage suffisant au niveau régional et local et s’ils peuvent proposer des solutions concrètes pour mettre en œuvre la décentralisation si nécessaire et obligatoire selon la constitution et répondre à la crise socio- économique des régions défavorisées.17

3. Les principaux courants politiques dans un paysage politique en constant changement

La prolifération des partis politiques qui a commencé après la chute de l’ancien régime en 2011 continue. La répartition classique du paysage politique gauche – centre – droite ne répond que partiellement au contexte tunisien, même si certains partis se servent de cette grille.18 Les limites sont parfois floues et les définitions que les partis donnent d’eux-mêmes souvent contradictoires (par exemple : « conservateur progressiste » ou « social-démocrate libéral »). D’autres catégories s’y ajoutent : séculier contre islamiste (basé sur la religion), nouvellement créé contre ancien, parti d’opposition traditionnel contre parti d’opposition fondé par les membres de l’ancien parti gouvernemental RCD. Une autre distinction se fait entre les partis historiques ancrés dans la société et présents sur tout le territoire et dans toutes les couches de la société et les partis nouveaux, pas (encore) ancrés et/ou uniquement représentés dans la capitale. Si certains partis essaient de mettre en place des structures démocratiques internes, d’autres restent plutôt opaques et organisés de manière arbitraire. Les profils des partis, leur taille et leurs structures et le degré de professionnalisme varient fortement d’un parti à l’autre.

Depuis les élections législatives de 2014 deux partis dominent la scène politique : Nidaa Tounes et Ennahdha auxquels s’ajoutent plusieurs partis centristes de taille moyenne à petite et des partis d’opposition de l’extrême gauche et de l’islamisme radical de petite taille. L’éventail des tendances idéologiques est large et les concepts de l’État et de la société sont très divergents, parfois très vagues et souvent confus et sans réel contenu. Parfois, il arrive même que des partis changent leur orientation idéologique. Ainsi le parti CPR séculier s’est transformé progressivement en un parti proche des islamistes qui cible de plus en plus les électeurs de ces derniers. Les profils des partis restent souvent flous. Actuellement, les familles politiques suivantes aux contours certes parfois mouvants peuvent être repérées. Ce sont ces formations qui continueront à exister, du moins à moyen terme, et influenceront la vie politique en Tunisie.

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3.1. Destouriens – bourguibistes – modernistes

Le courant destourien comprend d’abord Nidaa Tounes mais également de petits partis comme Al-Moubadara ou le Parti Destourien Libre et une multitude de partis « à personne unique ».

Nidaa Tounes se définit comme un parti conservateur modéré. Sa référence idéologique est le Parti Néo- Destourien (PND) fondé en 1934 par Habib Bourguiba et renommé Parti Socialiste Destourien (PSD) en 1964. Pendant la présidence d’Habib Bourguiba de 1957 à 1987, le PND/PSD est devenu le parti dominant en Tunisie. Bourguiba, qui a largement contribué à la modernisation de la Tunisie et à la promotion de l’égalité de la femme, a toutefois gouverné de manière paternaliste, autoritaire et répressive.19

Lors d’un discours à l’occasion du 79e anniversaire de la fondation du Parti Néo-Destourien le 2 mars 2013 à Ksar Hellal, le fondateur de Nidaa Tounes Béji Caïd Essebsi a notamment souligné que c’étaient les destouriens qui avaient fait de la Tunisie un État indépendant, moderne et musulman, et que le parti Nidaa Tounes fondé par lui en 2012 était le successeur du mouvement destourien. Depuis son élection à la présidence de la République en décembre 2014, Béji Caïd Essebsi poursuit la tradition bourguibiste et se présente comme le « père de la nation ». Certains critiques parlent de son culte de la personnalité que le président soigne à la manière de Bourguiba. Béji Caïd Essebsi (né en 1926) a déjà fait de la politique sous les présidents Bourguiba et Ben Ali et a occupé de nombreux postes de ministre ; en 1994 il s’est retiré de la politique en raison de son âge. Après la chute de Ben Ali en 2011, il est revenu à la scène politique pour devenir le chef du deuxième gouvernement de transition de février à décembre 2011. La référence des destouriens de Nidaa Tounes à Bourguiba veut également signaler que Nidaa Tounes reprend là où Bourguiba s’est arrêté en 1987. Les 24 ans du régime de Ben Ali sont présentés comme un « intermezzo malheureux de l’histoire » que l’on tente d’oublier, alors qu’Habib Bourguiba est idéalisé par certains.

Les membres du Parti Destourien Libre (PDL), en revanche, ne se revendiquent pas uniquement de Bourguiba mais ont également une lecture positive de l’héritage de l’ère Ben Ali. Le courant destourien comprend également le parti Al-Moubadara fondé en 2011 par un ancien ministre des Affaires étrangères de Ben Ali, Kamel Morjane. Ce dernier était un des rares anciens hauts fonctionnaires du régime Ben Ali à s’excuser publiquement à la télévision auprès de la population tunisienne pour les injustices et les erreurs commises sous le régime de Ben Ali. Le parti Al-Moubadara et les autres partis qui se réfèrent à l’héritage bourguibiste et au parti destourien, comptent de nombreux anciens membres du RCD parmi leurs adhérents.

Les principaux objectifs de ce courant sont la relance de l’économie tunisienne,20 la modernisation technologique, la sécurité (lutte contre le terrorisme), la stricte séparation entre l’État et la religion et un islam modéré qui fait partie de l’identité mais qui est vécu exclusivement dans la sphère privée.

Le pôle destourien s’est constitué à partir de 2012 sur une attitude anti-Ennahdha. L’initiative revient à Béji Caïd Essebsi qui a voulu réunir derrière lui le plus grand nombre de petits partis et des forces séculières et démocratiques pour empêcher une victoire électorale d’Ennahdha aux élections législatives de 2014.21 Si cette initiative a réussi dans un premier temps pendant la période précédant les élections législatives, il n’en reste pas moins que Nidaa Tounes a été un rassemblement très hétérogène sans projet politique commun, à l’exception de sa stratégie anti-Ennahdha qui a volé en éclat après la décision d’entrer en coalition avec Ennahdha en février 2015.

Nidaa Tounes réunit des anciens membres du RCD, une partie de l’élite économique, quelques libéraux et des anciens syndicalistes et même quelques libéraux de gauche qui se sont joints à Nidaa Tounes pour des raisons pragmatiques ou stratégiques mais dont certains ont depuis tourné le dos au parti. Le départ de 25 députés de Nidaa Tounes en janvier 2016 et la fondation, au printemps 2016, du parti Machrou Tounes sous la direction de Mohsen Marzouk, ont continué à affaiblir Nidaa Tounes, tout comme les conflits continus qui ravagent l’équipe dirigeante du parti. La véritable pomme de discorde est la présence du fils du président de la République

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Hafedh Caïd Essebsi qui occupe depuis le congrès de Sousse (10 janvier 2016) le poste de directeur exécutif de Nidaa Tounes malgré l’opposition de nombreux dirigeants de Nidaa Tounes. Le parti sombre dans une crise profonde. L’intégration des différents courants s’avère plus difficile que prévu. La seule personne à pouvoir réunir et intégrer les différents composants, est le fondateur du parti Béji Caïd Essebsi qui cependant a dû démissionner comme président du parti après avoir été élu président de la République. La crise de Nidaa Tounes bénéficie partiellement aux autres partis destouriens. Nidaa Tounes essaie de s’ancrer dans la population mais il est encore loin d’avoir atteint son objectif. Le groupe cible et les électeurs potentiels de ce parti viennent surtout de la classe moyenne conservatrice et libérale, celle qui face aux problèmes politiques et économiques dont souffre le pays actuellement, commence à regretter l’ancien régime.

Les différents petits partis destouriens projettent de se réunir dans une alliance. Mondher Zenaïdi, plusieurs fois ministre sous Ben Ali et candidat malheureux aux élections présidentielles de 2014, prévoit la fondation d’un nouveau parti. Face aux élections municipales et régionales, les destouriens discutent également des listes communes pour pouvoir s’opposer à une nouvelle victoire d’Ennahdha.

3.2. Islamistes

Parmi les partis islamistes, Ennahdha joue sans équivoque un rôle central. Le président du parti Al-Irada/CPR Moncef Marzouki qui a été président de la République de 2011 à 2014, est un partenaire proche d’Ennahdha et dispose de nombreux partisans dans le Sud tunisien. Au niveau régional, le parti Pétition Populaire a eu une certaine influence entre 2011 et avril 2013, date de sa dissolution.22

Le parti Pétition Populaire fondé par l’ancien membre d’Ennahdha Hechmi Hamdi a pu obtenir, à la surprise de tous, 26 sièges lors des élections à l’Assemblée nationale constituante en 2011, avant d’en perdre petit à petit 19 députés au profit d’autres partis. Hechmi Hamdi, un entrepreneur vivant surtout à Londres, a dissous le parti en avril 2013 pour fonder un nouveau parti sous le nom « Courant de l’Amour » qui n’a cependant obtenu que deux sièges lors des élections législatives de 2014 et qui reste politiquement insignifiant au niveau national.23

Le parti d’opposition islamiste radical Hizb al-tahrir refuse les élections et le système parlementaire et n’est pas représenté au parlement. Le parti milite pour l’établissement d’un califat et d’une application stricte de la charia. L’organisation fondée dans les années 1980 dans l’illégalité, a été légalisée en 2012 sous le gouvernement de coalition mené par Ennahdha alors qu’il rejette ouvertement les élections et le système parlementaire républicain.24 L’interdiction de ce parti dont les objectifs s’opposent ouvertement à la constitution et qui incite régulièrement à la résistance contre le gouvernement, n’a pas été imposée à ce jour.

Le parti Haraka tunis al-irada, appelé Al-Irada de Moncef Marzouki a été fondé en 2015 à partir du Congrès pour la République (CPR) créé en 2001 par Marzouki. Initialement un parti d’opposition séculier de gauche qui luttait surtout pour le respect des droits de l’homme et la justice sociale et qui a été massivement critiqué sous le régime de Ben Ali, le parti défend aujourd’hui une position anti-establishment « révolutionnaire » fondée sur la démocratie de base, l’islamisme et le nationalisme tunisien. Depuis son échec aux élections présidentielles de 2014 face à Béji Caïd Essebsi, Marzouki essaie de mobiliser la population contre le président de la République, Nidaa Tounes et le gouvernement présidé depuis l’été 2016 par Nidaa Tounes en appuyant les groupes qui manifestent contre les mesures du gouvernement.25

Le parti ou plutôt Mouvement Ennahdha (Ennahdha signifiant renouveau) légalisé immédiatement après la chute de Ben Ali le 1er mars 2011, a participé depuis avec un nombre de ministres variable à tous les gouvernements. Alors que pendant la campagne électorale pour l’Assemblée nationale constituante, Ennahdha s’était concentré sur l’identité religieuse (islamiste) de la Tunisie, les sujets socio-économiques tels que la lutte contre la pauvreté et le chômage ont dominé la campagne électorale de 2014. Selon son programme, le parti vise à maîtriser ces problèmes par une politique économique libérale et le recours massif au système financier

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et aux investissements islamiques.26 Ennahdha est tenu responsable de l’échec des deux gouvernements de la Troïka sous les premiers ministres et (décembre 2011 à janvier 2014) et pour la grave crise politique de 2013.27 Cette crise – déclenchée par deux assassinats politiques de personnalités de gauche,28 imputés à Ennahdha ou à des organisations proches d’Ennahdha – a gravement menacé le processus de transformation pacifique. On a surtout reproché à Ennahdha son incompétence dans la politique économique et sécuritaire et dans la lutte contre le terrorisme et la corruption. Point ébranlé par ces accusations, le parti se présente lui-même comme un « garant de la transition pacifique » : c’est grâce à l’esprit de compromis d’Ennahdha que la nouvelle constitution a pu être adoptée en 2014.

Suite à la crise interne qui a secoué Nidaa Tounes et qui a eu des répercussions sur le groupe parlementaire avec le départ, en janvier 2016, de 25 députés qui ont constitué leur propre groupe parlementaire, Al-Horra, Ennahdha est devenu, depuis janvier 2016, le premier groupe parlementaire avec 69 sièges. Même si ce parti se présente vers l’extérieur comme un bloc homogène, Ennahdha est aux prises à une profonde crise interne.29 Il existe des différences stratégiques entre les représentants d’une approche pragmatique visant au consensus avec Nidaa Tounes, qui sont prêts à accepter un état civil, et ceux qui exigent une représentation plus forte dans les institutions politiques et une politique islamiste plus offensive (et à long terme, l’introduction de la charia) en accord avec le poids politique d’Ennahdha.

Le président d’Ennahdha, Rachid Ghannouchi, a su s’imposer avec sa politique de consensus lors du 10e congrès du parti en mai 2016. Depuis, le discours officiel (national et international) d’Ennahdha souligne le consensus, la démocratie et la séparation entre les activités religieuses et politiques. Toutefois, l’annonce de la séparation des activités ne s’est pas encore traduite dans les actes. Ghannouchi et plusieurs autres hauts dirigeants d’Ennahdha ont souligné qu’Ennahdha ne deviendra pas un parti séculier et ne procédera pas à une séparation entre la religion et la politique. Il s’agissait uniquement d’une « séparation fonctionnelle des différents domaines » pour pouvoir agir avec plus d’efficience et d’efficacité.

La figure clé d’Ennahdha reste le fondateur du parti Rachid Ghannouchi qui prend déjà position pour se présenter aux élections présidentielles de 2019. Au niveau national, l’objectif d’Ennahdha est de tranquilliser les opposants à la mouvance islamiste par rapport aux objectifs politiques d’Ennahdha. En effet, Ennahdha ne veut pas perdre sa marge de manœuvre et mettre en danger son existence légale pour ne pas subir le même sort que les frères musulmans en Égypte en 2013. C’est d’ailleurs le but des apparitions publiques internationales du président Ghannouchi et d’autres leaders d’Ennahdha et de la mise en avant de la génération des modernistes plus jeunes (comme Saida Ounissi, Zied Ladhari). Les élections municipales prévues pour l’automne 2017 montreront si et dans quelle mesure cette « stratégie de modération » permettra au parti d’attirer de nouveaux électeurs, tout en consolidant sa base électorale traditionnelle.

3.3. Les libéraux

Le parti Afek Tounes a été fondé après la chute de Ben Ali en mars 2011 et défend un ordre économique et social libéral. Le parti se présente comme moderne, « occidental » et tourné vers l’avenir et s’adresse de manière ciblée aux jeunes et aux personnes d’âge moyen et à la classe moyenne. Le programme du parti témoigne de sa compétence économique et contient des propositions plus affinées pour une réforme fiscale que les programmes des autres partis. Afek Tounes vise avant tout la maîtrise de la crise économique, la création d’emplois, le développement du secteur privé et la promotion des petites et moyennes entreprises. Une alliance temporaire sous la présidence d’Al-Joumhouri a été brisée au bout de quelques mois en raison de conflits internes et des difficultés à trouver une ligne commune. Afek Tounes soutient avec force la démocratie interne et la transparence interne et externe est mieux développée dans ce parti que dans d’autres formations politiques.

L’Union Patriotique Libre (UPL) se définit comme un parti conservateur du centre ou du centre droit et défend surtout une politique économique libérale. Le parti a été fondé en 2011 par l’entrepreneur Slim Riahi qui avait

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fait fortune en Libye à l’époque du régime Kadhafi, et qui était un proche du fils de Mouammar Kadhafi, Saif al- Islam. L’UPL n’a pas d’ancrage historique ou social. L’objectif premier de ce parti est l’amélioration des conditions d’investissement pour les grands projets d’infrastructure. Lors des élections législatives de 2014, l’UPL a obtenu 16 des 217 sièges. Le parti a été secoué par plusieurs crises internes avec des changements à la tête du parti et plusieurs départs de sorte qu’en septembre 2016 l’UPL ne comptait plus que onze députés à l’ARP. La démocratie interne est peu développée. Certains reprochent à l’UPL d’être un « parti factice » dont le profil ne se distingue guère d’Afek Tounes ou de Nidaa Tounes.

3.4. Les sociaux-démocrates – la gauche modérée

Parmi les partis du centre gauche ou sociaux-démocrates, on peut compter Al-Joumhouri, Al-Massar et l’Alliance Démocratique. Le parti social-démocrate Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL) représenté au niveau national entre 2011 et 2014, n’est plus représenté dans les institutions nationales après avoir essuyé un échec électoral cuisant en 2014.

Le parti Al-Joumhouri (Parti Républicain) a été créé en avril 2012 de la fusion de plusieurs partis du centre et de partis sociaux-libéraux dont comme élément leader le Parti Démocrate Progressiste (PDP) parti d’opposition actif sous le régime de Ben Ali d’Ahmed Néjib Chebbi. En 2014, Chebbi s’était présenté aux élections présidentielles mais a été éliminé au premier tour. Malgré une certaine popularité qu’il doit à son opposition à Ben Ali, Chebbi n’avait obtenu que 34 025 voix (1,04 pourcent des voix exprimées). Al-Joumhouri n’a gagné qu’un seul siège aux élections législatives de 2014. Le programme du parti se concentre sur la décentralisation, la réforme de l’administration, des forces de l’ordre, du régime fiscal, la lutte contre le chômage et la solution des problèmes sociaux dans l’industrie minière. Le développement du secteur privé est encouragé mais assorti d’une forte composante sociale et de la Sécurité sociale des travailleurs. Depuis les élections législatives de 2014, le parti est aux prises à une crise interne d’autant plus que sa secrétaire générale, Maya Jribi, est gravement malade. Depuis 2016, le porte-parole Issam Chebbi occupe de fait la direction du parti par intérim. Al-Joumhouri participe au gouvernement d’unité nationale d’août 2016, Iyed Dahmani, seul député dans le parlement élu en 2014, a été nommé ministre auprès du chef du gouvernement pour les relations avec le parlement et nommé, le 8 septembre 2016, porte-parole officiel du gouvernement.

Fondé en 1994 par Mustapha Ben Jaafar, le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL), appelé généralement « Ettakatol » (Forum), a été un des rares vrais partis d’opposition sous le régime Ben Ali. Le parti qui adhérait initialement aux positions socialistes, se définit aujourd’hui comme un parti social-démocrate qui est depuis 2013 membre de l’Alliance progressiste, un regroupement international de partis sociaux- démocrates et socialistes. Ettakatol lutte notamment contre l’injustice sociale et s’engage pour la mise en œuvre d’une politique économique plus sociale et plus juste. Après 2011, le président du parti Ben Jaafar a entamé le dialogue avec les islamistes d’Ennahdha et le parti a adhéré en décembre 2011 au gouvernement de coalition dirigé par Ennahdha. Mustapha Ben Jafaar a été élu président de l’Assemblée nationale constituante (ANC) avec les voix d’Ennahdha. En raison des concessions faites à Ennahdha, le parti FDTL a cependant perdu beaucoup de ses membres et partisans laïcs qui refusent catégoriquement toute coopération avec les islamistes. Les électeurs du FDTL se sont également sentis trahis et l’ont lourdement puni lors des élections législatives de 2014. Depuis, le parti n’est plus représenté au parlement tunisien et ne se fait plus remarquer par des activités largement médiatisées. Dans sa fonction de président de l’Assemblée nationale constituante Mustapha Ben Jaafar a pourtant joué un rôle constructif et intégrateur lors de l’élaboration de la constitution ; c’est notamment grâce à lui que la constitution a été finalement adoptée en janvier 2014.

Le parti Al-Massar de son vrai nom al-Massar al-dimuqrati al-ijtimai (Voie démocratique et sociale) fondé en 2012 par la fusion d’anciens partis communistes, dont le très traditionnel Parti communiste tunisien proche des syndicats qui avait été interdit en 1963, refondé en avril 1993 sous le nom Mouvement Ettajdid (Mouvement du Renouveau) et légalisé en septembre 1993. Dans les années 1990, le Mouvement Ettajdid a revu ses bases idéologiques et se prévaut depuis d’être un parti de gauche dont les objectifs principaux sont la justice sociale

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et l’économie sociale de marché. Le parti Al-Massar représente cette ligne et rejette la politique économique néolibérale. Al-Massar a obtenu seulement un siège en 2014 mais en tant que parti de gauche modéré qui défend une composante sociale de la politique, il répond aux aspirations de larges couches de la société, même si cela ne s’est pas traduit dans le nombre de voix. Al-Massar a décidé de soutenir le gouvernement d’unité nationale du chef de gouvernement Chahed de manière « critique » et, en contrepartie, a obtenu un poste de ministre. Nommé ministre de l’Agriculture, le secrétaire général d’Al-Massar, Samir Taieb, est toujours à la tête du parti.

Le parti Alliance Démocratique est un très petit parti à tendance sociale fondé en novembre 2012 par son secrétaire général Mohamed Ben Mabrouk Hamdi. L’Alliance Démocratique participe depuis août 2016 au gouvernement d’unité nationale avec un ministre délégué30, il dispose d’un siège au parlement. Ce parti a été créé par des anciens membres du Parti Démocrate et Progressiste et du Parti de la Réforme et du Développement. Depuis, l’Alliance Démocratique essaie de former un troisième bloc séculier démocratique qui se veut une alternative à Nidaa Tounes et Ennahdha. Toutefois, à ce jour le parti n’a pas su concrétiser ses aspirations.31

La principale centrale syndicale UGTT est depuis toujours un allié des partis de gauche, ce qui n’a pas changé après 2011. L’UGTT dispose d’un grand poids politique et est solidement ancré dans la société tunisienne.32 Malgré sa proximité idéologique avec la gauche, certains membres de l’UGTT s’engagent politiquement dans d’autres partis.

Fondé au printemps 2016 après la rupture avec Nidaa Tounes, le parti Machrou Tounes (Mouvement Projet Tunisie)33 constitue la troisième force au parlement tunisien avec un total de 20 députés (situation fin décembre 2016). S’il n’est pas tout à fait clair à quel camp politique ce nouveau parti adhère, il est ouvertement anti-islamiste. Alors que les uns le considèrent comme un copier-coller du parti conservateur modéré Nidaa Tounes et le classent dans le groupe des modernistes et libéraux, d’autres lui attestent un profil potentiellement social-démocrate, notamment parce que le fondateur du parti, Mohsen Marzouk, avait été engagé en tant qu’étudiant dans des organisations de gauche. Entre-temps, Mohsen Marzouk s’est transformé en un des hommes politiques les plus professionnels et ambitieux de la Tunisie. La direction du parti a souligné clairement que Machrou Tounes n’entrera pas dans une coalition avec le parti islamiste Ennahdha. Par conséquent, Machrou Tounes ne participe pas au « gouvernement d’unité nationale », mais se dit apporter un soutien (critique) au chef du gouvernement Chahed. Depuis l’automne 2016, Machrou Tounes se prépare intensément aux élections municipales de 2017 et développe de manière ciblée la présence du parti dans toutes les régions du pays en établissant des bureaux au niveau local. En même temps, Mohsen Marzouk s’engage pour former un nouveau front républicain capable de s’opposer aux islamistes (Ennahdha).34

3.5. L’extrême gauche

Élément central de l’extrême gauche, l’alliance Front Populaire est composée de huit très petits partis qui dans leur majorité ont une longue histoire comme partis d’opposition au régime de Ben Ali. La plateforme commune a été fondée en 2012 pour donner plus de poids à la gauche. Parmi les partis membres, on trouve notamment les anciens communistes et les nationalistes arabes ainsi que des baathistes. Hamma Hammami a été élu porte-parole du Front Populaire. Ce dernier avait fondé, en 1986, le Parti Ouvrier Communiste Tunisien (POCT) interdit sous le régime Ben Ali. En 2011, le POCT a été légalisé sous le nom Parti des Travailleurs et a obtenu trois sièges à l’Assemblée nationale constituante.

Par son opposition constante à Ennahdha, le Front populaire a gagné de l’influence politique mais a également fait de ses membres une cible des islamistes violents. L’assassinat des hommes politiques de gauche Chokri Belaid et Mohamed Brahmi en 2013 a augmenté indirectement la popularité du Front Populaire qui a renforcé sa position dans les élections législatives de 2014 en obtenant 15 sièges. Cette plateforme de gauche et d’extrême gauche revendique un État laïc qui garantit la croissance économique basée sur la justice sociale. Le

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Front Populaire se positionne contre le retour de la dictature et contre une politique économique néolibérale. Certains reprochent au Front populaire de cultiver une opposition de principe et de se soustraire sciemment à la responsabilité en refusant de participer au gouvernement.

Certains partis du centre et de gauche sont liés par une expérience de 2005 qui les a profondément marqués : la grève de la faim du 18 octobre 2005 contre la politique répressive du régime Ben Ali avait réuni beaucoup d’acteurs de l’opposition aujourd’hui actifs dans des partis comme le Parti des Travailleurs, Al-Joumhouri, Al- Massar et même Ennahdha. Beaucoup de ces anciens activistes de gauche se sont retrouvés, après 2011, dans le Parti des Patriotes Démocrates Unifiés (PPDU) et dans d’autres partis membres du Front Populaire.

Alors qu’en 2005 l’ennemi commun des oppositionnels d’extrême gauche a été le régime de Ben Ali, les partis du Front Populaire sont réunis depuis 2011 dans leur refus des islamistes. Ennahdha est considéré comme le grand ennemi, notamment depuis les deux assassinats politiques d’hommes de gauche en 2013 perpétrés d’après eux à l’instigation d’Ennahdha. Une autre particularité du Front Populaire est la présence d’un parti à l’idéologie baathiste qui s’oppose normalement aux idéologies de gauche.35 Toutefois, l’opposition aux islamistes et à Ennahdha est plus forte que leurs divergences.

3.6. Le nationalisme arabe et le panarabisme

En dehors des partis de gauche du Front Populaire, il existe plusieurs très petits partis qui perpétuent la tradition du nationalisme arabe, du panarabisme et du socialisme arabe des années 1960 et 1970. Parmi ces derniers on compte notamment le Courant Démocratique autour de Ghazi Chouachi et Mohamed Abbou, ancien ministre du gouvernement Hamadi Jebali (de décembre 2011 à mars 2013) et ancien membre du Congrès pour la République (CPR), représenté par trois députés au parlement. Le « nationalisme arabe » prône un État fédéral panarabe qui devait réunir les états arabes libérés de la dictature. La majorité des très petits partis qui adhèrent à ce courant a aujourd’hui rejoint le Front populaire ou fait partie de l’opposition extraparlementaire dont l’impact est négligeable car elle est incapable de développer une force politique propre.

4. Débats actuels des partis politiques

Parmi les thèmes les plus discutés comptent la crise économique et l’endettement, les problèmes socio- économiques, les inégalités entre les régions, le terrorisme, la question sécuritaire, le futur modèle de développement mais également des questions relatives au système éducatif et à la violence croissante contre les femmes. Les sujets comme la justice transitionnelle et la réintégration des représentants de l’ancien régime ont été quelque peu relégués au second plan par rapport à 2014-2015. Face à l’accumulation des problèmes économiques auxquels la Tunisie se voit confronté, l’intérêt pour les questions relatives à la religion et à l’identité a également diminué depuis l’époque des gouvernements de la Troïka (de décembre 2011 à janvier 2014).

L’économie et la question sociale

Une des questions centrales est celle de savoir si la Tunisie doit céder aux exigences du Fonds monétaire international. Ce sont notamment les partis de gauche et d’extrême gauche qui craignent de nouvelles dépendances financières et se montrent également sceptiques quant aux avantages pour les entreprises tunisiennes de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne (en cours de négociation). Des sujets comme l’injustice du système fiscal, la corruption ou le problème du secteur informel, sont traités par tous les partis politiques, sans qu’ils soient nécessairement capables de proposer des solutions concrètes. Quant à la question principale sur le modèle de développement que la Tunisie doit adopter pour surmonter la crise actuelle et pouvoir s’imposer, à moyen et long terme, sur le marché mondial, les partis se montrent tout aussi désemparés Dans ce domaine encore, on constate un manque de propositions innovatrices et concrètes. Tous

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les partis semblent cependant arrivés à la conclusion que le système éducatif doit être réformé impérativement pour améliorer notamment l’employabilité des diplômés de l’enseignement supérieur.

Sécurité et radicalisation

Les partis participants au gouvernement d’unité nationale défendent la position que la sécurité est un préalable indispensable à la continuité de la transformation politique et économique. Pour pouvoir garantir la sécurité des citoyens, les forces de l’ordre, l’armée et la police doivent adopter une stratégie zéro tolérance. Beaucoup de Tunisiens sont choqués par le fait qu’autant de djihadistes actifs en Syrie sont originaires de la Tunisie.36 Les partis discutent des causes possibles de la radicalisation des jeunes et des mesures potentielles pour y remédier. Le traitement des djihadistes de retour des zones de combat est une question qui divise depuis l’automne 2016 de plus en plus les partis politiques et la société. D’autres préoccupations sont les conséquences incontrôlables du conflit libyen sur la Tunisie.37

Neutralité de l’armée

Le droit de vote des membres de l’armée et de la police est une question qui détermine depuis le début de l’année 2016 les débats au sein de l’ARP sur le projet de la loi électorale pour les élections municipales. Tant chez les islamistes d’Ennahdha que dans les partis séculiers, la majorité pense que l’armée doit rester « neutre », ce qui signifie que les membres de l’armée doivent être exclus des élections.38

Réforme de la constitution

Sous la présidence de Béji Caïd Essebsi, le régime semi-présidentiel introduit par la constitution de 2014 tend vers un système présidentiel fort dans lequel le président de la République exerce une influence directe sur le chef du gouvernement qui sera ainsi réduit – comme dans le système présidentiel classique d’Habib Bourguiba et de Ben Ali – à un rôle de « Premier ministre ». En outre, les droits du parlement à contrôler le gouvernement sont limités. Pour toutes ces raisons, le sujet d’une réforme constitutionnelle se réinvite de plus en plus souvent dans la discussion. S’y affrontent ceux qui comme Nidaa Tounes ou Al-Moubadara souhaitent un régime présidentiel à ceux qui s’expriment en faveur d’un parlement fort, tels qu’Ennahdha, Machrou Tounes et les partis de gauche.

L’importance de l’héritage bourguibiste

L’admiration pour le « père de la Nation » Habib Bourguiba est très répandue, tous partis confondus. Seuls les partis d’extrême gauche et Ennahdha ou, d’une manière générale, les islamistes, dérogent à cette règle. Le débat qui a accompagné la réinstallation d’une statue de Bourguiba sur l’Avenue Bourguiba à Tunis en mai 2016, a été, par conséquent, intense et profond. L’initiative avait été lancée par le président de la République Béji Caïd Essebsi qui s’est finalement imposé. « L’attitude passéiste » de ceux qui aspirent à une Tunisie séculière, libérale et moderne est omniprésente. Ils cherchent des explications et des solutions pour les problèmes d’aujourd’hui dans l’histoire tunisienne. Des notions comme modernisme, réformisme et progressisme sont utilisées de manière abusive sans qu’elles soient redéfinies pour s’adapter au contexte actuel. De nombreux partis politiques se définissent eux-mêmes comme modernistes, réformistes ou progressistes, même s’ils défendent des valeurs conservatrices et nationalistes et comptent de nombreux représentants de l’ancien régime parmi leurs adhérents.

Séparation entre l’État et la religion

La séparation entre l’État et la religion reste une thématique sensible pour tous les partis, même si face à la crise économique et aux tensions sociales elle a été reléguée au second plan.39 À l’occasion du congrès du parti Ennahdha en mai 2016, qui prétend pourtant avoir effectué un revirement profond de son orientation politique

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et avoir accepté le principe de la séparation entre la religion et la politique, les autres partis et la société civile ont spéculé sur le vrai sens de ce revirement. La majorité des partis séculiers se montrent très sceptiques d’autant que les déclarations d’Ennahdha n’ont pas encore été suivies de mesures concrètes et que les leaders d’Ennahdha ont fait clairement entendre qu’Ennahdha ne deviendra pas un parti séculier mais qu’il s’agissait uniquement d’une séparation fonctionnelle des deux domaines.

Violence contre les femmes

Après l’adoption du progressiste Code du Statut personnel en août 1956, la Tunisie s’était érigée en pionnière de l’égalité de la femme dans les pays arabo-musulmans. Le débat40 lancé depuis 2013 sur un projet de loi qui prévoit des sanctions plus sévères pour la violence (et notamment la violence au sein du couple) à l’égard des femmes, montre que, face à ce thème, les lignes de conflit passent moins entre les islamistes et les séculiers mais plutôt entre les hommes et les femmes : alors que les hommes et notamment ceux d’un certain âge considèrent que cette loi n’est pas une priorité, les députés femmes des différents partis, y compris Ennahdha, ne partagent point cet avis.

Justice transitionnelle, réintégration des fonctionnaires du régime de Ben Ali, loi sur la réconciliation économique

La question concernant la réintégration des représentants de l’ancien régime dans les institutions renouvelées depuis 2011, a été moins discutée en 2016.41 Seuls certains membres d’Ennahdha ou les représentants de l’extrême gauche s’offusquent que la répression, la censure, la surveillance ou la torture dont ils ont été les victimes sous l’ancien régime sont si vite oubliées et que les personnes impliquées aient été partiellement réintégrées dans la classe politique et le nouveau système sans qu’elles aient dû répondre de leurs actes.

Les anciens membres du RCD (parti gouvernemental), quant à eux, pratiquent l’autocritique avec beaucoup d’hésitation. Certes, certains semblent la prendre très au sérieux, à l’instar des anciens fonctionnaires d’État qui se sont réunis dans le parti Al-Moubadara, d’autres et notamment le Parti Destourien libre (PDL) estiment qu’avant 2011 et sous le RCD tout a été mieux qu’aujourd’hui. Parmi les aspects positifs de l’époque Ben Ali on nomme notamment : la sécurité interne, la stabilité politique, les droits de la femme, la paix sociale, le bon fonctionnement du système éducatif ou du système de santé, une infrastructure intacte, des taux de croissance stables (en moyenne cinq pourcents par an), pas de terrorisme, respect de l’État et des institutions et une politique étrangère modérée et équilibrée. Parmi les phénomènes négatifs avoués du régime Ben Ali on nomme : le manque de démocratie (même à l’intérieur du RCD), la corruption (qui a augmenté depuis 2011) et le manque de respect des droits de l’homme (les droits civils, politiques et juridiques mais également les droits économiques et sociaux).

Dans le débat politique sur la loi relative à la réconciliation économique, de nombreuses voix très sceptiques se sont fait entendre,42 parce que la loi accordera une amnistie aux fonctionnaires d’État et aux hommes d’affaires qui s’étaient enrichis illégalement sous Ben Ali, si ces derniers regrettaient leurs actes et acceptaient les sanctions fixées par la loi. Les adversaires à cette loi soutiennent que cette loi s’oppose à la justice transitionnelle. L’Instance Vérité et Dignité créée le 24 décembre 2013 par la loi organique 2013-1953 s’oppose donc strictement à ce projet de loi.43 Le scepticisme a diminué depuis, face aux problèmes urgents du moment et on peut supposer que la loi sera adoptée, après quelques petites modifications, sans trop de résistance. L’Instance Vérité et Dignité44 a été chargée de l’examen des violations des droits de l’homme commises sous le régime Ben Ali entre 1987 et 2011 mais également celles perpétrées depuis l’indépendance de la Tunisie en 1956. Elle a entamé son travail fin 2014 et depuis le 18 novembre 2016 elle organise régulièrement des auditions publiques des personnes concernées. La controverse sur l’IVD continue pourtant, tout comme le débat sur l’Instance Nationale de Lutte contre la Corruption. De nombreux Tunisiens et notamment les partis de gauche, doutent de la capacité de s’imposer de cette instance.

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5. Défis des partis politiques

Fragmentation du paysage politique et « tourisme partisan »

La forte fragmentation du paysage politique qui se reflète dans le grand nombre de partis, dont la plupart sont des très petits partis, a des répercussions négatives sur les électeurs potentiels. La plupart des citoyens ne connaissent ni ces partis ni leurs candidats. Ce fait favorise le parti islamiste Ennahdha, un des rares partis représentés sur l’ensemble du territoire et, par conséquent, connu des électeurs. Les petits partis n’ont pas réussi, à quelques exceptions près, à remporter des sièges aux élections législatives de 2014, et même si certains ont pu obtenir un, deux voire trois sièges, ces partis n’ont aucun poids politique dans le parlement.

Parmi les 206 partis politiques autorisés, on trouve aussi des partis « à personne unique » qui contribuent encore au morcellement du paysage politique. De nombreux hommes politiques, des anciens ministres ou des chefs d’entreprise qui se respectent fondent leur propre parti pour des motifs personnels, souvent avec un petit groupe d’amis et de partisans. Ces partis sont faits sur mesure, ils ne défendent pas de projet de société et n’ont aucun poids politique.

Face à cette surenchère de petits partis, on réfléchit aujourd’hui sur l’introduction d’un seuil de 3 pourcent pour pouvoir entrer au parlement pour les prochaines élections législatives (2019). Jusqu’à cette date, d’autres partis pourront encore grossir les rangs des candidats. Ainsi, l’ancien chef du gouvernement (janvier 2014 – décembre 2014) réfléchit à la constitution d’un nouveau parti, une reconversion du Think Tank « Tunisie Alternatives » qu’il a fondé en 2016. Des informations concrètes sur le programme et l’orientation politique de ce nouveau parti n’ont pas encore été publiées. Les analystes tunisiens estiment que Mehdi Jomaa voudrait se présenter aux prochaines élections présidentielles. L’ancien président du parti Al-Joumhouri, Ahmed Néjib Chebbi, a également annoncé aux médias et dans des termes certes encore assez vagues, la création d’un nouveau parti. Puis il y a , ancien ministre de Ben Ali et « destourien » qui veut s’investir davantage en politique et qui peut s’appuyer sur les compétences et les capacités des anciens membres de l’organisation de jeunesse et des étudiants destouriens.45

Un autre phénomène est le « tourisme partisan », le fait que les députés, les membres éminents et les responsables de parti changent fréquemment d’un parti à un autre. Si, en outre, ce sont des députés à l’ARP qui changent de parti, les groupes parlementaires (les « blocs ») changent également de composition. Ce tourisme ou nomadisme partisan est abondamment commentés par les médias tunisiens. En raison de ce tourisme partisan, la plupart des partis – à l’exception notable du parti islamiste Ennahdha – sont en constante ébullition.

Manque de démocratie interne et rapports distordus entre les partis

À quelques exceptions près, tous les partis tunisiens souffrent d’un manque de démocratie interne. Même si la loi sur les partis politiques oblige les partis à publier leurs statuts et leurs rapports financiers, ces documents sont rarement mis à la disposition du public. Certains partis n’organisent pas d’élections internes, les responsables sont nommés par le fondateur du parti ou par le chef du parti ; la nomination des membres dans les instances de direction et les congrès électifs sont ajournés sine die. Les partis ne fournissent pas les données sur la représentation des femmes ou des jeunes, pas plus que sur les fichiers de leurs membres et les cotisations ne sont pas demandées régulièrement auprès des adhérents.

Ce manque de démocratie interne provoque de lourdes crises dans les partis et mène à des conflits internes, comme le montre l’exemple de Nidaa Tounes et « l’affaire » relative aux ambitions politiques de Hafedh Caïd Essebsi, fils du fondateur du parti et président de la République Béji Caïd Essebsi. Hafedh Caïd Essebsi qui avait brigué, en 2015, le poste de secrétaire général du parti mais qui avait été battu par Mohsen Marzouk élu en mai 2015, a déclenché un conflit interne avec le soutien d’un petit groupe de membres, ce qui a finalement

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poussé le secrétaire général Mohsen Marzouk à démissionner. Après son départ de Nidaa Tounes, Mohsen Marzouk a fondé son propre parti Machrou Tounes. La scission de Nidaa Tounes avec une fraction qui soutient Hafedh Caïd Essebsi et une autre fraction « d’opposition » a continué après le départ de Mohsen Marzouk et sa fraction. Le problème interne de Nidaa Tounes n’a pas encore été solutionné (fin décembre 2016). De nombreux membres de Nidaa Tounes demandent depuis des mois l’organisation d’un congrès électif du parti qui devrait légitimer la direction du parti. Le président de la République Béji Caïd Essebsi qui pourtant a lancé plusieurs appels pour résoudre ce conflit, n’intervient pas dans « les affaires » de son fils risquant ainsi l’implosion du parti Nidaa Tounes.46 La crise de Nidaa Tounes a contribué considérablement à l’instabilité politique de la Tunisie.

De nombreux membres mais aussi les responsables des petits partis considèrent les partis plutôt comme des associations de la société civile. Ils ne pensent donc pas à l’éventualité qu’ils devront un jour assumer une responsabilité gouvernementale et ne voient pas la nécessité de s’y préparer. Les partis politiques sont rarement vus comme des représentants des intérêts de la population ou comme un instrument pour la formation d’une opinion politique, mais plutôt comme un moyen pour défendre des intérêts personnels ou des idéologies particulières ou pour pouvoir participer au jeu politique.

Le ras-le-bol politique

Face à la crise économique, des taux de chômage élevés (15 pourcent de chômage général ; 30 à 40 pourcent de chômage des jeunes), la détérioration des conditions sociales et du pouvoir d’achat et la non-tenue des promesses électorales, de nombreux électeurs ont perdu confiance dans les partis politiques et la politique en général après le nouveau départ en 2011. Notamment le non-respect de la promesse électorale du président de Nidaa Tounes, président Béji Caïd Essebsi, donnée avant les élections législatives et présidentielles de 2014 de ne pas entrer dans une coalition avec Ennahdha, a eu un effet négatif sur les électeurs.

L’image des partis souffre également de la tendance des partis à s’occuper plus des questions de nomination et de poste que des contenus et programmes politiques. La couverture médiatique et les fréquents changements de gouvernement y participent également. Le gouvernement présidé par Youssef Chahed depuis août 2016 est le septième gouvernement tunisien depuis la chute du régime de Ben Ali en 2011. C’est une des raisons qui expliquent le fort taux d’absentéisme aux élections. Au sein de la population, le désintéressement et l’indifférence à l’égard des gouvernements sans cesse renouvelés dont on n’attend plus de solution pour les problèmes essentiels auxquels le pays doit faire face, ne cessent d’évoluer. Quelques rares députés jeunes (par exemple Myriam Boujbel de Machrou Tounes) et la nouvelle et jeune équipe gouvernementale autour du chef de gouvernement Youssef Chahed qui n’avait que 41 ans au moment de sa nomination, essaient de lutter contre la mauvaise image des politiciens et de convaincre par le professionnalisme, la transparence et la compétence.

Violence politique

Pour la gauche tunisienne, 2013 était une année noire. Les assassinats politiques de Chokri Belaid (6 février 2013) et de Mohamed Brahmi (25 juillet 2013) ont traumatisé les partis réunis dans le Front Populaire et continuent à les influencer. Phénomène jusqu’alors inconnu en Tunisie, ces assassinats politiques ont déclenché la plus grave crise politique depuis 2011 et ont amené les représentants de la société civile séculière, de la centrale syndicale UGTT et de l’association du patronat UTICA à se mettre à la tête des mouvements de protestation contre le gouvernement de coalition présidé par Ennahdha et sa politique trop indulgente à l’égard des groupes et personnalités islamistes prônant la violence. Ces manifestations ont imposé une « feuille de route » pour l’adoption de la nouvelle constitution, la démission du gouvernement de la Troïka et la nomination d’un gouvernement de technocrates jusqu’en janvier/février 2014.47 Les assassinats n’ont pas pu être élucidé à ce jour, des preuves ont été dissimulées et non rendues publiques. Les assassinats sont imputés à des individus violents dans la sphère d’Ennahdha.

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Capacités des partis et financement des partis

À l’exception des plus grands partis comme Ennahdha, Nidaa Tounes, Al-Irada/CPR et certains partis de gauche, la plupart des partis ne sont pas représentés sur l’ensemble du territoire, au niveau régional et local. Cette absence ne s’explique pas uniquement par un manque de moyens financiers mais aussi par un manque de compétence en communication politique et de capacités logistiques. Ainsi, beaucoup de partis n’ont pas de bureaux pour les membres locaux du parti, les députés à l’ARP n’ont pas de collaborateurs et pas de soutien numérique, même le parlement ne dispose pas d’un « service scientifique » de soutien pour les députés.48 Certaines centrales de parti sont hébergés au domicile du fondateur. Étant donné que les partis ne reçoivent pas de financement de l’État (à l’exception des aides financières pendant les campagnes électorales), que les cotisations des membres sont minimes et ne sont pas collectées de manière systématique, les partis dépendent pour l’essentiel des bailleurs de fonds individuels et des donneurs. Si la loi sur les partis politiques interdit le financement étranger des partis politiques, certains partis reçoivent néanmoins – par des voies indirectes – des dons de l’étranger. En outre, certains propriétaires et financiers de chaînes de télévision sont proches de certains partis et leur accordent certains avantages quant à la présence publique des partis.

Féminisation et rajeunissement

L’introduction du principe de parité dans la loi sur les partis politiques a fait que le nombre de femmes sur les listes des candidats des partis a considérablement augmenté. Au parlement, la part des députés femmes a également augmenté. Lors des élections législatives de 2014, 68 femmes ont été élues, ce qui correspond à une part de 31,3 pourcent sur 217 députés. À l’intérieur des partis, les femmes sont souvent actives et bien représentées, souvent dans des postes de responsabilité (par exemple chez Ennahdha) ; toutefois les organes de décision et la direction des partis restent souvent dominés par les politiciens hommes. Rares sont les femmes secrétaire général, porte-parole ou candidat à la présidence. Aucun des 206 partis n’a été fondé par une femme. Seul le parti Al-Joumhouri a élu en 2012 une femme au poste de secrétaire général, Maya Jribi. Après la démission (volontaire) pour des raisons d’âge du fondateur Hamed Karoui, le Parti Destourien Libre a également choisi comme secrétaire général une femme, .

Un progrès notable du nouveau gouvernement d’août 2016 est que pour la première fois un ministère régalien (finances) est géré par une femme (Lamia Zribi). Un quota de femmes pour les postes supérieurs dans les partis et les ministères est contesté car une partie des politiciennes tunisiennes le considèrent comme une discrimination positive, en échange, elles demandent que les postes soient attribués sur des critères de compétence. Lors des élections présidentielles de 2014, la juge Kalthoum Kannou49 a été la seule candidate parmi un total de 27 candidats hommes et a reçu seulement 0, 56 pourcent des voix.

Les femmes continuent à être très présentes dans les organisations de la société civile et essaient avec des propositions de peser sur les initiatives de loi, notamment lorsqu’il s’agit de questions relatives à la parité et aux droits des femmes. Ainsi des militantes de droits des femmes éminentes s’engagent depuis 2013 pour une loi qui sanctionnerait la violence à l’égard des femmes. Depuis juillet 2016, un projet de loi du ministère de la femme et de la famille a été déposé au parlement, sans qu’un vote n’ait eu lieu. Les activistes sont déçues de ce retard mais également du contenu du texte proposé qui ne correspond pas à leurs attentes.50

S’agissant de la présence de la « jeunes génération » dans les partis politiques, de grandes différences existent entre les partis. Ce qui frappe cependant, c’est qu’on assiste actuellement à un changement de génération et que la présence des personnes âgées entre 30 et 50 ans qui occupent des postes de responsabilité (dans les partis, le gouvernement, les ministères) augmente. Les moins de 30 ans, en revanche, s’engagent plutôt dans les groupes d’étudiants proches des partis ou des groupes de travail du parti et des sections, souvent dans l’espoir de booster leurs carrières. La grande majorité des 15 à 24 ans ne s’intéresse toujours pas, même après 2011, au travail des partis politiques et ne participe pas aux élections.51

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6. La crise de Nidaa Tounes et le gouvernement d’unité nationale

6.1. La crise permanente de Nidaa Tounes

Après les élections législatives et présidentielles de 2014, Nidaa Tounes semblait devenir un pilier central du processus de transformation démocratique. Deux développements sont responsables de la crise du parti qui depuis a perdu sa crédibilité auprès des électeurs. Les développements qui ont plongé Nidaa Tounes dans la crise, ont également contribué à ternir l’image des partis politiques en général auprès des citoyens et à renforcer le ras-le-bol politique et la méfiance face aux partis et aux politiciens. Outre le manque de démocratie interne affiché en public de Nidaa Tounes, c’était la lutte pour les postes et les fonctions qui a paralysé le travail gouvernemental. À côté des rivalités personnelles entre Mohsen Marzouk, élu secrétaire général en mai 2015 et Hafedh Caïd Essebsi, le fils du fondateur du parti et président de la République en exercice Béji Caïd Essebsi, des divergences programmatiques traversent le parti, notamment depuis que le fondateur du parti a décidé, sans consulter personne, d’entrer dans une coalition gouvernementale avec le parti islamiste Ennahdha.52 Beaucoup de membres et d’électeurs de Nidaa Tounes y ont vu une trahison, un non-respect des promesses électorales et une violation des convictions et objectifs politiques du parti. Pendant le congrès constitutif de Nidaa Tounes, qui n’avait été organisé qu’en janvier 2016, le président d’Ennahdha Rachid Ghannouchi avait été invité pour s’adresser aux membres. De nombreux participants ont considéré cette présence comme une provocation et un affront, étant donné qu’ils avaient adhéré à Nidaa Tounes avec le seul but d’empêcher la victoire électorale et la participation au gouvernement d’Ennahdha.

Mais la crise de Nidaa Tounes a encore d’autres raisons et notamment les divergences sur l’identité du parti, son référentiel et son organisation interne.53 Ainsi les membres des régions de l’intérieur déplorent le manque de représentation et le trop peu de possibilités pour une participation démocratique.54 L’ancien directeur de cabinet du président de la République et membre éminent de Nidaa Tounes, Ridha Belhadj, a présenté sa démission en juillet 2016. Il a notamment critiqué le projet du président de la République Béji Caïd Essebsi d’un « gouvernement d’unité nationale » et il compte parmi les adversaires principaux de Hafedh Caïd Essebsi dont il conteste les ambitions de prendre la direction du parti. Belhadj est soutenu par de nombreux membres de Nidaa Tounes à l’instar de Boujemaa Rmili, Khemais Ksila et Faouzi Maaouia qui ont exigé, en juin 2016, la destitution de Hafedh Caïd Essebsi pour manque de compétence et d’expérience. Les conflits à l’intérieur du parti sur le rôle joué par Hafedh Caïd Essebsi ont continué sans relâche : le 20 novembre 2016, l’aile « réformatrice » a constitué un Comité de réforme et du salut qualifié par la fraction autour de Hafedh Caïd Essebsi comme un « putsch » contre les structures officielles du parti.55 Le conflit autour de la direction du parti continue à diviser et à affaiblir Nidaa Tounes, ce qui fait craindre d’autres séparations ou démissions notamment de la part des députés, ce qui affaiblirait encore davantage le groupe parlementaire qui, depuis janvier 2016, se trouve dans un équilibre précaire.

Après la démission du secrétaire général de Nidaa Tounes Mohsen Marzouk en décembre 2015 et son départ du parti, d’autres personnes ont démissionné de leurs postes au sein du parti, parmi eux plusieurs députés. En janvier 2016, 25 députés de Nidaa Tounes ont quitté le groupe parlementaire pour fonder leur propre groupe, le bloc Al-Horra ; depuis, de nombreux échanges de députés entre ces deux groupes ont eu lieu. En raison de cette scission, Nidaa Tounes a notamment perdu sa majorité au sein du parlement.

Après la fondation du parti Machrou Tounes par Mohsen Marzouk en mars 2016, et le changement de nom du bloc Al-Horra, le 21 novembre 2016, en « Bloc Al-Horra du Mouvement Machrou Tounes » signalant le ralliement de ce dernier à Machrou Tounes, ce dernier est devenu la troisième force au sein du parlement tunisien avec un total de 20 sièges.

À la fin de l’année 2016, Nidaa Tounes n’avait pas encore pu retrouver sa position perdue en janvier 2016 comme principale force du parlement (situation fin décembre 2016 : Ennahdha 69, Nidaa Tounes 67, Block Al- Horra/Machrou Tounes 20 sièges).

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6.2. Le gouvernement d’unité nationale sous Youssef Chahed

Pour éviter d’autres divergences entre les partis et l’effondrement de la coalition gouvernementale suite à la division de Nidaa Tounes et l’annonce de la fondation de Machrou Tounes, le président de la République Béji Caïd Essebsi a lancé, depuis le printemps 2016, l’idée d’un « gouvernement d’unité nationale ». En même temps, il cherchait un remplaçant pour le chef du gouvernement Habib Essid dont le bilan avait été jugé insuffisant. Alors que la majorité des députés a soutenu la démission du chef du gouvernement, Habib Essid s’y est opposé. C’est ainsi que le 30 juillet 2016 une motion de censure a mis fin au gouvernement Essid. Par la suite, Ennahdha s’est prononcé en faveur d’un « gouvernement politique » et s’est opposé à un gouvernement de technocrates en expliquant qu’avec un « gouvernement politique » la responsabilité des partis politiques qui participeraient au gouvernement pourrait être engagée lors des prochaines élections.

Initialement, le gouvernement d’unité nationale devait comprendre dix partis politiques et deux partenaires sociaux. Finalement, sept partis se sont engagés. En nommant deux personnalités très proches de l’UGTT, le chef du gouvernement a essayé indirectement de faire participer le syndicat le plus puissant du pays au gouvernement dont la direction a refusé toute participation directe au gouvernement.

Lorsque, le 20 août 2016, le chef du gouvernement désigné Youssef Chahed a présenté son gouvernement, il a été, dans un premier temps, salué et félicité. Les commentaires particulièrement positifs concernaient le fait que le chef du gouvernement Youssef Chahed avait présenté, dans son discours d’investiture le 26 août 2016, une analyse lucide et sans complaisance de la situation économique, sociale et sécuritaire du pays et annoncé un nouveau style de gouvernement proactif et que son équipe gouvernementale contenait de nombreux visage jeunes et des femmes à la tête des ministères comme Lamia Zeribi au ministère des Finances et Héla Cheikhrouhou au ministère de l’Energie. Dans les ministères régaliens, il misait sur la continuité : les ministres des Affaires étrangère (Khemaies Jhinaoui, indépendant), de la Défense (Farhat Horchani, indépendant) et de l’Intérieur (Hédi Majdoub, indépendant) ont été maintenus dans leurs fonctions (tous les trois avaient été proposés par Nidaa Tounes).

Le nouveau parti concurrent de Nidaa Tounes, Machrou Tounes a refusé de participer au gouvernement mais il a proposé le ministre de la Justice et a su profiter de sa position de troisième force au parlement pour influencer la composition du gouvernement.

Certains critiquent que le président de la République Béji Caïd Essebsi n’avait pas invité l’opposition, entre autres le Front populaire ou le parti Al-Irada/CPR, et que du fait de cette non-participation de nombreux partis, on ne pouvait pas parler d’un gouvernement d’unité nationale. Ils soutiennent que le consensus dont parlait le chef de l’État n’était qu’une illusion. Selon eux, le président prétendait parler au nom de tous les Tunisiens alors qu’il ne parlait qu’au nom de Nidaa Tounes et pour protéger les intérêts de son fils Hafedh.

Avant la formation du gouvernement, le président du parti Al-Irada/CPR, Moncef Marzouki, avait exigé la démission du président de la République Béji Caïd Essebsi.56 L’Union Patriotique Libre (UPL) a certes signé l’Accord de Carthage,57 dans lequel plusieurs partis, la principale centrale syndicale UGTT et l’organisation patronale UTICA s’étaient entendu à soutenir le nouveau gouvernement pour résoudre les problèmes économiques et sociaux de la Tunisie et salué le rajeunissement de l’équipe gouvernementale. Finalement aucun accord n’a pu être trouvé pour accorder un ministère à l’UPL (malgré plusieurs propositions de l’UPL). Les ministres proposés par Youssef Chahed en étroite consultation avec le président de la République ont été critiqués par l’UPL parce qu’ils ne disposaient pas des compétences nécessaires et n’étaient pas soutenus par leurs propres partis. L’UPL a notamment reproché au gouvernement Chahed de ne pas avoir de projet et qu’il ne suffisait pas de remplacer certaines personnes alors que le pays avait besoin d’un nouveau projet. Malgré cette critique, l’UPL a voté pour le nouveau gouvernement au parlement, en raison de sa proximité idéologique avec Nidaa Tounes et parce que l’UPL ne se voyait pas dans un rôle d’opposition comme le Front Populaire.

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Pour le Front Populaire le gouvernement Chahed n’est qu’une continuation des six gouvernements précédents et poursuit les mêmes approches socio-économiques qui pourtant ne correspondent pas aux besoins actuels de la population. Vu sa composition politique, le gouvernement d’unité nationale est – comme le gouvernement précédent sous le chef du gouvernement Essid – limité dans son action politique. Nidaa Tounes et Ennahdha se sont partagé les postes de ministre clés, alors que les autres partis ne sont que des figurants. Le Front Populaire n’est pas convaincu de la capacité du gouvernement Chahed de sortir la Tunisie de la crise. Le gouvernement d’unité nationale n’a pas réussi à réunir tous les partis autour d’un programme commun. Le Front Populaire doute de l’existence d’un programme de gouvernement concret et se demande si les deux postes de ministre accordés à des personnalités proches de l’UGTT permettait une véritable participation de la centrale syndicale. Le gouvernement Chahed n’a pas de réponses aux questions urgentes – crise sociale, démantèlement du secteur public, baisse du pouvoir d’achat – qui pèsent sur la Tunisie.58

Le processus de transition démocratique en Tunisie est donc loin d’être achevé, même si certains l’affirment volontiers. Le gouvernement d’unité nationale peut aussi être interprété comme une tentative d’établir une trêve entre les différents camps idéologiques et partis politiques, une pause qui permettra de se consacrer aux problèmes actuels du pays comme le chômage, la crise financière, la dette, les problèmes sociaux et la crise économique. Le président de la République Caïd Essebsi et son entourage se sont aussi inspirés des processus de transformation dans les pays de l’Europe de l’Est après 1989 où l’on avait également formé des gouvernements d’unité nationale pour dépasser les crises profondes. Le chef du gouvernement Chahed donne l’impression d’avoir la volonté politique de faire avancer les choses. Par ailleurs, il a réussi à intégrer la majeure partie de la classe politique dans le gouvernement.

Toutefois, quelques semaines après la nomination du gouvernement, il fallait constater que les signataires de l’Accord de Carthage qui s’étaient mis d’accord sur le nouveau gouvernement, n’étaient pas nécessairement prêts à soutenir toutes les mesures proposées par le gouvernement. La marge de manœuvre que le président de la République avait espéré donner au gouvernement d’unité nationale, n’a pas pu être maintenue, les voix qui reprochent au gouvernement son manque d’objectifs, de projets et de programmes se multiplient et le conflit avec la centrale syndicale UGTT sur les augmentations de salaires et une distribution équitable des charges (comme l’exige l’UGTT notamment par une plus grande justice fiscale) était loin d’une solution fin décembre 2016.59

7. Perspectives

Au cours de l’année 2017 plusieurs événements seront à l’ordre du jour qui permettront d’évaluer l’évolution du processus de transition démocratique en Tunisie.

Une fois que le parlement aura voté la loi électorale, les préparatifs pour les élections municipales et régionales prévues pour l’automne 2017, pourront commencer. Les partis politiques se préparent depuis l’été 2016 aux élections municipales. Certains d’entre eux travaillent sur les contenus et les programmes, se professionnalisent, se rajeunissent et se féminisent. Réussiront-ils à affirmer leur crédibilité sur la place et à être présents dans la population ? Ou bien, céderont-ils le terrain à Ennahdha ?

La tenue et les résultats des élections municipales et régionales constitueront un signal important et indiqueront la direction dans laquelle le système politique et les partis politiques se développeront à l’avenir. Bonne gouvernance, décentralisation et davantage d’autonomie régionale et locale, autant de conditions qui feront avancer le processus de participation démocratique.

Il faut partir du principe que la plupart des partis politiques en Tunisie resteront des formations précaires et que leurs membres continueront à démissionner et à changer de parti et que nous assisterons encore à la

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division, à la création et à la dissolution des partis politiques. En même temps, les grands groupes de partis que nous avons esquissés brièvement dans ce texte, continueront d’exister, du moins à moyen terme.

En adoptant sa nouvelle constitution en 2014, la Tunisie a opté pour un système parlementaire pluraliste dont la mise en œuvre est entravée par de nombreux obstacles, en premier lieu la crise économique, le conflit en Libye et le contexte régional instable. Les conflits de pouvoir et la corruption s’ajoutent à ce tableau. En outre, la culture politique au quotidien et dans les nouvelles institutions ne répond pas encore aux exigences d’un processus de transition démocratique.

La transition démocratique est aussi menacée par l’instabilité politique croissante, notamment si le gouvernement d’unité nationale n’arrive pas rapidement à produire des résultats60 et si le conflit avec la centrale syndicale UGTT s’aggrave et la pression sociale augmente. Le taux de chômage qui peine à diminuer, l’augmentation des prix, la baisse du pouvoir d’achat, la menace d’une réduction des effectifs dans le secteur public, la réduction des pensions de retraite, l’augmentation de l’âge de départ à la retraite sont des mesures qui n’améliorent pas l’atmosphère dans le pays, d’autant que de nombreux citoyens ont déjà de la peine à joindre les deux bouts et que même la classe moyenne tunisienne souffre de la diminution de leur niveau de vie.

Il n’est pas exclu que de nouvelles vagues de protestation aient lieu qui pourront vite virer vers la violence. Dans le cas d’un échec du gouvernement Chahed ou d’une dissolution avant terme du parlement et de nouvelles élections, une nouvelle crise politique interne pourrait secouer le pays. Face à une telle situation de crise et faute d’une coopération constructive entre le camp séculier et le camp islamiste modéré, la question non encore résolue sur l’orientation de l’État et de la société pourrait de nouveau occuper une place centrale dans les débats et opposer les projets islamistes aux projets séculiers.

Si, pour le moment, des tendances fortement autoritaires et monopolistes n’existent dans aucun parti et ne peuvent être observées ni chez les anciens membres du régime ni du côté d’Ennahdha, elles peuvent néanmoins resurgir à tout moment. En ce sens, la présence des organisations de la société civile et des médias critiques et vigilants reste un élément extrêmement important pour soutenir le processus de transition politique et sociale qui mérite d’être soutenue.

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Avis

Cet article a été originellement publié en allemand comme chapitre de la publication « Les partis politiques en Afrique du Nord : la diversité idéologique, les activités et les impacts » (titre original : « Politische Parteien in Nordafrika : Ideologische Vielfalt – Aktivitäten – Einfluss »), éditeur : Sigrid Faath, 2017 (ISBN 978-3-95721- 359-4).

Konrad-Adenauer-Stiftung e. V.

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1 Voir : Le Zénith, Tunis, 17.10.2016 (206 partis politiques en Tunisie).

2 Tourisme partisan (ou transhumance partisane) est le changement d’un membre d’un parti/d’un député d’un parti vers un autre qui sert mieux les intérêts du concerné. La transhumance partisane est un phénomène qui existe dans tous les pays de l’Afrique du Nord.

3 Voir également la contribution de Hanspeter Mattes (Die ideologische Bandbreite der Parteien in Nordafrika: Historische Entwicklung und aktuelle Ausprägung) dans la présente étude.

4 À l’instar des acteurs politiques, la société civile a également connu un boom de création d’associations nouvelles qui continue jusqu’à aujourd’hui. Pour les détails, voir Axtmann, Dirk: Tunesiens säkulare Zivilgesellschaft: Eine „Schule der Demokratie“ mit Stärken und Schwächen, dans : Faath, Sigrid (éd.): Nordafrikas säkulare Zivilgesellschaften. Ihr Beitrag zur Stärkung von Demokratie und Menschenrechten, S. 157–202, http://www.kas.de/wf/de/33.47223/ (dernière consultation : 30.12.2016). Pour les acteurs islamistes et leurs associations, voir Axtmann, Dirk: Tunesiens Islamisten nach dem Sturz Ben Alis: Zwischen moderater Rhetorik und radikalen Positionen, dans : Faath, Sigrid (Hrsg.): Islamische Akteure in Nordafrika, Sankt Augustin/Berlin 2016, S. 181–222, http://www.kas.de/wf/de/33.47389/ (dernière consultation : 30.12.2016).

5 Cette analyse a été nourrie par de nombreux entretiens réalisés à Tunis en septembre 2016 avec des représentants des partis politiques tunisiens, des chercheurs tunisiens et des représentants des fondations politiques allemandes.

6 Sur le processus de transformation depuis 2011, voir Krichen, Aziz : La promesse du printemps, Tunis 2015; Redissi, Hamadi/Noura, Asma/Zghal, Abdelkader (éd.) : La transition démocratique en Tunisie. État des lieux (Tome 1 : Les acteurs; Tome 2 : Les thématiques), Tunis 2012; voir Mattes, Hanspeter/Faath, Sigrid: Der Machtwechsel in Tunesien und politische Reformperspektiven in Nahost, GIGA Focus, Hamburg, Nr. 1, 2011 ; Schäfer, Isabel: The Tunisian transition, Barcelona: IEMed/EuroMeSCo 2015 (EuroMeSCo Working Paper) ; Schäfer, Isabel: Von der Revolution ins Reformlabor. Wer gestaltet den Übergang in Tunesien?, dans : Internationale Politik, Berlin, Nr. 2, März/April 2011, S. 20–25.

7 Voir Faath, Sigrid: Tunesiens neue Verfassung: Kein Grund zur Euphorie, Wuqûf-Kommentar, Berlin, 12.2.2014, http://www.wuquf.de/www/cms/upload/wuquf_2014_2_online-kommentar.pdf (dernière consultation : 30.12.2016).

8 Sur les élections, voir Union Européenne : Rapport final sur les élections législatives et présidentielles. Mission d’observation électorale de l’Union Européenne, Tunisie 2014, Tunis 2014, http://www.eods.eu/library/150313-rapport-final-moeue-tunisie-2014_fr.pdf (dernière consultation :30.12.2016) ; voir également National Democratic Institute: Rapport final sur les élections législatives et présidentielles de 2014 en Tunisie, Tunis 2014.

9 D’abord la commission compétente n’a pas su se mettre d’accord sur les personnes qui devaient élaborer les propositions sur la future procédure à suivre. Puis, il s’agissait de la question combien de temps un juge constitutionnel ne devait pas avoir été membre d’un parti ou d’un gouvernement. Le projet de loi prévoit un délai de dix ans. Nidaa Tounes et Ennahdha veulent réduire ce délai ; les partis d’opposition supposent un abus de pouvoir. Sur la future Cour constitutionnelle, voir Ben Achour, Rafâa (éd.) : Constitution et contre-pouvoirs, Tunis 2016.

10 Le Parti Communiste Tunisien avait été fondé en 1934 ; il a été interdit en 1963 et de nouveau autorisé en 1981 dans le cadre d’une phase de libéralisation politique. Après les bouleversements dans les anciens états communistes, le parti a renouvelé son programme, en 1993 il a changé son nom pour devenir le Mouvement Ettajdid.

11 Sur le paysage des partis politiques avant 2011 et pendant la phase de transition, voir M’Rad, Hatem : Tunisie : De la révolution à la constitution, Tunis 2014; M’Rad, Hatem : Libéralisme et liberté dans le monde arabo-musulman. De l’autoritarisme à la révolution, Tunis 2011.

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12 Voir Limam, Mohamed: Is ’s 2014 constitution already obsolete?, 15.8.2016, https://blog.bti- project.org/2016/08/15/tunisias-2014-constitution-already-obsolete/ (dernière consultation : 30.12.2016).

13 Ces chiffres correspondent à la situation le 1er septembre 2016 ; voir Les femmes dans les parlements nationaux, http://www.ipu.org/wmn-f/world.htm (dernière consultation : 30.12.2016).

14 Le bloc parlementaire Al-Horra a été constitué en janvier 2016 par les dissidents de Nidaa Tounes autour de Mohsen Marzouk ; avec la fondation du parti Machrou Tounes par Mohsen Marzouk, le bloc Al- Horra devenait, de fait, le groupe parlementaire du nouveau parti. Après quelques querelles internes chez Machrou Tounes qui ont mené à l’exclusion de deux députés cofondateurs de Machrou Tounes en automne 2016, le bloc Al-Horra a été renommé officiellement le 21 novembre 2016 bloc Al-Horra du Mouvement Machrou Tounes pour indiquer sa relation avec le parti ; trois députés ont par la suite quitté le bloc. Depuis le 23 décembre 2016, ce bloc compte 20 députés.

15 Concernant le parti FDTL/Ettakatol, voir Ben Jaafar, Mustapha/Geisser, Vincent : Mustapha Ben Jaafar. Un si long chemin vers la démocratie. Entretien avec Vincent Geisser, Tunis 2014.

16 Voir La Presse de Tunisie, 16.9.2016 (Les élections municipales pourraient être reportées à 2018), http://www.lapresse.tn/22112016/119918/les-elections-municipales-pourraient-etre-reportees-a- 2018.html (dernière consultation : 30.12.2016).

17 Sur le comportement des électeurs dans les régions, voir Gana, Alia/Van Hamme, Gilles (éd.) : Élections et territoires en Tunisie. Enseignements des scrutins post-révolution (2011–2014), Tunis 2016.

18 Voir l’aperçu sur les partis politiques tunisiens de l’IRMC : Les partis politiques tunisiens à la veille des élections législatives, Le Carnet de l’IRMC, Tunis, 21.3.2013, http://irmc.hypotheses.org/848 (dernière consultation : 30.12.2016).

19 Pour les détails sur le système politique sous Habib Bourguiba, voir Kraiem, Mustapha : État et société dans la Tunisie bourguibienne, Paris 2003 (surtout le tome 1) et Faath, Sigrid: Herrschaft und Konflikt in Tunesien. Zur politischen Entwicklung der Ära Bourguiba, Scheessel 1989.

20 Sur la politique économique et sociale, voir Nidaa Tounes (éd.) : L’Espoir. Programme économique et social de Nidaa Tounes, Tunis 2014 (le programme a été rédigé sous la direction de Mahmoud Ben Romdhane et Slim Chaker).

21 Sur le contexte politique, voir Wolf, Anne : Can secular parties lead the new Tunisia?, Washington DC 2014, http://carnegieendowment.org/files/tunisia_secular_parties.pdf (dernière consultation : 30.12.2016).

22 Sur les organisations islamistes et leurs développements depuis 2011, voir Axtmann 2016, Tunesiens Islamisten, a. a. O. (note 3).

23 Ibid.

24 Ibid.

25 Ainsi lors des manifestations à Jemna, dans le Sud tunisien, lorsque Moncef Marzouki s’est rangé du côté des manifestants critiquant les mesures du gouvernement contre l’occupation illégale des terrains. Voir Shemsfm.net, Tunis, 22.10.2016 (Moncef Marzouki affirme son soutien aux habitants de Jemna), http://www.shemsfm.net/fr/152478/moncef-marzouki-affirme-son-soutien-aux-habitants-de- jemna.html (dernière consultation : 30.12.2016) ; voir : Espace Manager, Tunis, 22.10.2016 (Marzouki pour l’association de Jemna et contre l’État : logique ?), http://www.espacemanager.com/marzouki- pour-lassociation-de-jemna-et-contre-letat-logique.html (dernière consultation : 30.12.2016).

26 Voir Dihstellhoff, Julius: Neue Akzente im Parlamentswahlkampf 2014 der moderat-islamistischen Ennahdha in Tunesien: Einheit, Konsens und Pragmatismus (Stand: Dezember 2014), Philipps- Universität Marburg, MENA direkt. Islamismus in Bewegung, Nr. 1, Juni 2015, https://www.uni-

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marburg.de/cnms/politik/forschung/forschungsproj/islamismus/analysen/policy_paper/menadirekt01.pd f (dernière consultation : 30.12.2016).

27 Voir l’étude détaillée de Kraiem, Mustapha : La révolution kidnappée, Tunis 2014.

28 Il s’agit des assassinats de Chokri Belaid (6.2.2013), secrétaire général du parti de gauche Mouvement des Patriotes Démocrates, et de Mohamed Brahmi (25.7.2013), président du parti nationaliste de gauche Mouvement du Peuple jusqu’au 7 juillet 2013, date à laquelle il a fondé son propre parti, le Courant Populaire, juste avant d’être assassiné. En 2011, Brahmi a été élu député à l’Assemblée nationale constituante.

29 Comparé à d’autres partis, Ennahdha montre une homogénéité étonnante ; sur les raisons de cette homogénéité, voir Leaders, Tunis, 12.11.2015 (Secrets de la cohésion de Harakat al-Nahda), http://www.leaders.com.tn/article/18402-secrets-de-la-cohesion-de-harakat-al-nahdha (dernière consultation : 30.12.2016).

30 Il s’agit de Mehdi Ben Gharbia, ministre délégué auprès du nouveau chef du gouvernement chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les organisations des droits de l’homme.

31 Voir Business News, Tunis, 8.11.2012 (Ben Hamadi, Monia : L’Alliance démocratique de Mohamed Hamdi : Une alternative ou un parti de trop?), http://www.businessnews.com.tn/L’Alliance- démocratique-de-Mohamed-Hamdi--Une-alternative-ou-un-parti-de-trop-,519,34456,1 (dernière consultation : 30.12.2016).

32 Voir Yousfi, Héla : L’UGTT, une passion tunisienne. Enquête sur les syndicalistes en révolution (2011– 2014), Tunis 2015.

33 Sur le parti, voir La Presse de Tunisie, Tunis, 25.7.2016 (Congrès fondateur de Machrou), http://www.lapresse.tn/25072016/117725/une-alternative-politique-qui-federe-deja.html (dernière consultation : 30.12.2016).

34 Voir Directinfowebmanagercenter.com, Tunis, 28.11.2016 (Le mouvement projet de la Tunisie appelle à la création d’un front national élargi), http://directinfo.webmanagercenter.com/2016/11/28/tunisie-le- mouvement-projet-de-la-tunisie-appelle-a-la-creation-dun-front-national-elargi/ (dernière consultation : 30.12.2016). Mohsen Marzouk a plaidé à plusieurs reprises pour un tel front, voir entre autres : Le Temps, Tunis, 3.6.2016 (Mouvement Projet pour la Tunisie: Mohsen Marzouk pour un large front politique et une majorité républicaine).

35 Il s’agit du Mouvement Baath dirigé par Bel Haj Amor ; le parti a été fondé officiellement le 20 janvier 2011 après avoir opéré dans l’illégalité depuis les années 1960.

36 Voir Ratka, Edmund/Roux, Marie-Christine: Dschihad statt Demokratie? Tunesiens marginalisierte Jugend und der islamistische Terror, in: KAS Auslandsinformationen, Sankt Augustin/Berlin, Nr. 1, 2016, S. 68–87, http://www.kas.de/wf/doc/kas_44290-544-1-30.pdf?160501142911 (dernière consultation : 30.12.2016).

37 Voir Mölling, Christian/Werenfels, Isabelle: Tunesien: Sicherheitsprobleme gefährden die Demokratisierung, Berlin: Stiftung Wissenschaft und Politik 2014 (SWP-Aktuell 62); The Washington Times, 14.9.2016 (Arab Spring star Tunisia emerges as Islamic State’s No.1 source for foreign fighters), http://www.washingtontimes.com/news/2016/sep/14/tunisia-emerges-as-isiss-no-1-source-for-foreign- f/ (dernière consultation : 30.12.2016).

38 Voir La Presse de Tunisie, Tunis, 9.6.2016 (Corps armés et élections. L’institution militaire préfère garder ses distances).

39 Pendant l’élaboration de la constitution, la séparation entre l’Etat et la religion a été un sujet vivement disputé, voir Schäfer, Isabel: Meilenstein der Mäßigung. Tunesiens Verfassung ist verabschiedet, sie muss sich aber noch bewähren, dans : Internationale Politik, Berlin, Nr. 2, März/April 2014, S. 31–37;

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idem : Tunesien: Ein gespaltenes Land. Der Verfassungsprozess in Tunesien zeigt die Probleme des Übergangs, dans : Internationale Politik, Berlin, Nr. 4, Juli/August 2013, S. 88–94.

40 Voir Europe Solidaire Sans Frontière, 12.8.2016 (Tunisie: Projet de loi contre la violence à l’encontre des femmes – Les droits des femmes, un combat politique), http://www.europe- solidaire.org/spip.php?article38734 (dernière consultation : 30.12.2016).

41 Concernant la justice transitionnelle, voir Dhouib, Sarhan (éd.): Gerechtigkeit in transkultureller Perspektive, Weilerswist-Metternich 2016.

42 Voir Chennaoui, Hemda : Loi sur la réconciliation économique et financière : cacophonie à l’ARP, dans : Nawaat, Tunis, 30.6.2016, http://nawaat.org/portail/2016/06/30/loi-sur-la-reconciliation-economique- et-financiere-cacophonie-a-larp/ (dernière consultation : 30.12.2016).

43 Voir Gnet.tn, Tunis, 19.7.2016 (L’IVD refuse en bloc le projet de réconciliation économique tel qu’il est), http://www.gnet.tn/temps-fort/tunisie-l-ivd-refuse-en-bloc-le-projet-de-reconciliation-economique-tel- qu-il-est/id-menu-325.html (dernière consultation : 30.12.2016).

44 Voir Instance Vérité et Dignité (éd.) : Rapport Annuel 2015, Tunis 2016, http://www.ivd.tn/fr/ (dernière consultation : 30.12.2016); Williamson, Scott: Transitional justice falters in Tunisia, Washington DC: Carnegie Endowment 2015, http://carnegieendowment.org/sada/61365 (dernière consultation : 30.12.2016).

45 Mondher Zenaidi a présenté son « Initiative des anciens jeunes et étudiants destouriens » en novembre 2016 lors d’une manifestation publique ; voir Tunisienumerique, Tunis, 6.11.2016, avec vidéo, http://www.tunisienumerique.com/tunisie-video-mondher-zenaidi-lance-sa-nouvelle-initiative- politique/309749 (dernière consultation : 30.12.2016).

46 Voir par exemple : Kapitalis, Tunis, 21.11.2016 (Nidaa Tounes est-il au bout du tunnel ?), http://kapitalis.com/tunisie/2016/11/21/nidaa-tounes-est-il-au-bout-du-tunnel/ (dernière consultation : 30.12.2016).

47 Voir Baraket, Hédia/Belhassine, Olfa : Ces nouveaux mots qui font la Tunisie, Tunis 2016.

48 Voir Ben Messaoud, Moez (éd.) : La communication politique dans le Monde Arabe et en Afrique. Approches et mécanismes de mise en œuvre, Tunis 2014.

49 Kalthoum Kannou, née le 17 septembre 1959 à Tunis, a été la présidente de l’Association des Magistrats Tunisiens de 2011 à 2013.

50 Voir entre autres le commentaire de l’activiste des droits des femmes tunisienne la plus connue Sana Ben Achour dans : Europe Solidaire Sans Frontière, 12.8.2016 (Tunisie: Projet de loi contre la violence à l’encontre des femmes – Les droits des femmes, un combat politique), http://www.europe- solidaire.org/spip.php?article38734 (dernière consultation : 30.12.2016).

51 Notamment la jeunesse marginalisée n’attend plus rien de la politique, voir Lamloum, Olfa/Ben Zina, Mohamed Ali (éd.) : Les jeunes de Douar Hicher et d'Ettadhamen. Une enquête sociologique, Tunis 2015. La plupart des jeunes s’engagent de manière informelle en politique et ne se sentent pas représentés par les partis politiques, voir Schäfer, Isabel (éd.): Youth, revolt, recognition – The young generation during and after the “Arab Spring”, Berlin 2015, http://edoc.hu- berlin.de/miscellanies/arabspring-41600/all/PDF/arabspring.pdf (dernière consultation : 30.12.2016).

52 Point de départ de ce rapprochement a été une rencontre entre Béji Caïd Essebsi et Rachid Ghannouchi à Paris le 14 août 2013 ; voir Jeune Afrique, Paris, 20.8.2013 (Que se sont dit Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi à Paris ?).

53 Voir entre autres : La Presse de Tunisie, Tunis, 10.11.2015 (Crise à Nidaa Tounes. Entretien avec M. Ridha Belhaj, membre du comité constitutif de Nidaa Tounes).

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54 Voir Jeune Afrique, Paris, 10.1.2016 (Nidaa Tounes tient son congrès sur fond de crise interne), http://www.jeuneafrique.com/292632/politique/292632/ (dernière consultation : 30.12.2016).

55 Voir La Presse de Tunisie, 23.11.2016 (Crise au sein de Nidaa Tounes. L’implosion est-elle imminente ?; http://www.lapresse.tn/23112016/123371/limplosion-est-elle-imminente.html (dernière consultation : 30.12.2016).

56 Voir Espace Manager, Tunis, 13.7.2016 (Marzouki à Essebsi : «Ayez le courage de démissionner et de rentrer chez vous ! »), http://www.espacemanager.com/marzouki-essebsi-ayez-le-courage-de- demissionner-et-de-rentrer-chez-vous.html (dernière consultation : 30.12.2016).

57 L’Accord de Carthage a été signé le 13 juillet 2016 par les partis Nidaa Tounes, Ennahdha, Machrou Tounes (ou le bloc parlementaire du parti Al-Horra), UPL, Afek Tounes, Mouvement du Peuple, Al- Joumhouri, Al-Massar ainsi que par le patronat UTICA, la centrale syndicale UGTT et le syndical agricole tunisien UTAP. L’accord forme la base pour le gouvernement d’unité nationale. Concernant le texte de l’accord, voir la copie du document en langue arabe dans Jawharafm.net, Tunis, 13.7.2016, http://www.jawharafm.net/fr/article/l-accord-de-carthage-signe-voici-l-integralite-du- document/92/40404 (dernière consultation : 30.12.2016).

58 Des voix critiques reprochent justement aux partis de gauche de ne faire que parler et de ne pas formuler des solutions concrètes aux problèmes du pays ; voir La Presse de Tunisie, Tunis, 31.5.2016 (Bilan de cinq ans post-révolution : Une gauche déconnectée de la réalité sociale).

59 Voir Businessnews, Tunis, 25.11.2016 (Houcine Abbassi), http://www.businessnews.com.tn/houcine- abassi--la-greve-generale-du-8-decembre-concernera-seulement-la-fonction-publique,520,68553,3 (dernière consultation : 30.12.2016); Huffington Post Tunisie, 13.10.2016 (Augmentations salariales), http://www.huffpostmaghreb.com/2016/10/13/ugtt-youssef-chahed_n_12474148.html (dernière consultation : 30.12.2016).

60 Les 29 et 30 novembre 2016, le gouvernement a organisé une conférence des investisseurs pour convaincre les investisseurs nationaux et surtout internationaux et les bailleurs de fonds à investir en Tunisie et à participer à la lutte contre la crise économique.

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