Les Partis Politiques Tunisiens : Fragmente S, Autocentres Et a L a Recherche D’Un Profi L
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PROGRAMME RÉGIONAL DIALOGUE POLITIQUE SUD MEDITERRANÉE LES PARTIS POLITIQUES TUNISIENS : FRAGMENTE S, AUTOCENTRES ET A L A RECHERCHE D’UN PROFI L Auteur: Isabel Schäfer | Traduction : Gudrun Meddeb Résumé Depuis la chute du régime autoritaire du président Ben Ali le 14 janvier 2011, le paysage des partis politiques tunisien a connu de profonds changements. S’il est vrai que depuis son indépendance en 1956, le multipartisme était, du moins sur le papier, le régime politique de la Tunisie, il n’en demeure pas moins que le pays avait été gouverné jusqu’en 2011 par un seul parti dont le nom avait été modifié plusieurs fois. Après la rupture politique de 2011, le RCD, le parti qui avait gouverné le pays, a été interdit alors que des partis interdits avant cette date ont été autorisés et de nombreux nouveaux partis fondés. Après des décennies de stagnation politique, de censure et de blocage, le pluralisme politique peut aujourd’hui s’épanouir librement. Le paysage politique est devenu extrêmement dynamique mais aussi volatil : les partis politiques forment des alliances toujours renouvelées, changent de nom, se fracturent ou se réinventent à nouveau. Les effets négatifs de cette prolifération sont évidents : les 206 partis (décembre 2016) que le pays compte actuellement, sont surtout de tout petits partis sans véritable puissance d’action. Des luttes internes autour des personnes ou pour l’obtention de certains postes dominent aussi les partis représentés au parlement dont 1 seulement deux – le parti islamiste Ennahdha et le parti séculier Nidaa Tounes – disposent plus de 60 sièges (sur un total de 217 sièges). Le travail parlementaire et l’efficacité du travail gouvernemental sont considérablement compliqués par les déficits et les manquements des partis politiques. Dans la population, le ras-le-bol politique et une image négative des partis politiques sont très répandus. Cette image négative des partis politiques diminue la confiance des citoyens en leurs hommes politiques et réduit la participation aux élections. Si le paysage des partis politiques tunisiens est morcelé, cinq courants principaux peuvent néanmoins être identifiés : les partis à tendance islamiste, les partis séculiers et libéraux, les partis socialistes du centre, l’extrême gauche et les partis des fonctionnaires et partisans de l’ancien parti gouvernemental RCD qui se réclament du premier président de la République tunisienne, Habib Bourguiba, et de son parti séculier et moderniste, le « Destour » et se nomment « destouriens ». Les partis tunisiens évoluent depuis 2011 dans un contexte difficile, tant au niveau national que régional. Ils ont du mal à se départager par leurs programmes et à proposer des solutions concrètes aux problèmes auxquels le pays est confronté. 1. L’environnement politique Depuis la chute du régime de Ben Ali le 14 janvier 2011, le paysage des partis politiques de la Tunisie a connu de profonds changements. Alors que sous le régime autoritaire de Ben Ali le parti gouvernemental, le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) gouvernait, de facto, comme un parti unique, l’euphorie de la liberté a conduit, après 2011, à la création de plus d’une centaine de partis politiques nouveaux. Jusqu’en 2016, le nombre de partis a doublé pour atteindre 206 (novembre 2016).1 Le paysage politique tunisien est extrêmement dynamique et en continuel changement. Les partis recréent sans cesse de nouvelles alliances, changent de nom, rompent leurs alliances et se réinventent. Si d’aucuns soutiennent qu’il s’agit d’un pluralisme politique vivant qui, après des décennies de stagnation politique, de censure et de blocage, peut enfin se développer librement, d’autres y voient surtout une volatilité qui a des conséquences négatives sur le processus de transformation politique engagé en 2011 et grâce auquel le pays aspire à une refonte démocratique : forte fragmentation et atomisation des partis politiques, « tourisme partisan »,2 et luttes acharnées pour des postes et des positions entravent l’efficacité du travail gouvernemental et rendent la continuité du travail parlementaire difficile. Cette situation a également des effets négatifs sur la perception des partis politiques dans la population. Sur l’échiquier politique toutes les idéologies, ou presque, sont représentées : islamistes et salafistes-islamistes mais également panarabes, socialistes, libéraux, modernistes et néolibéraux. Malgré cette fragmentation idéologique, de plus grands courants politiques se profilent, l’appartenance aux camps islamiste ou séculier étant leur critère de distinction principal. Le camp des partis séculiers comprend les partis du centre, les partis libéraux, sociaux-démocrates, socialistes et ceux appartenant à l’extrême gauche ainsi que les partis « destouriens » composés pour l’essentiel par des personnes proches ou des anciens membres du RCD, le parti dominant du régime Ben Ali. Les destouriens soutiennent le concept d’un état et d’une société moderniste à l’instar du leitmotiv du Parti Néo-Destourien (PND) présidé par Habib Bourguiba pendant l’époque coloniale. Historiquement, nous pouvons distinguer trois courants politiques majeurs qui sont enracinés, depuis l’époque coloniale dans la culture politique de la société tunisienne et la mémoire collective :3 Premièrement, les réformistes, les modernistes (comme notamment les destouriens) et les libéraux ; deuxièmement, les religieux et les traditionalistes et troisièmement, la gauche (communistes, etc.) et le mouvement syndicaliste qui lui est proche. Même si après 2011 le pays a vu l’explosion et la fragmentation des partis politiques, cinq ans après, ces mêmes courants historiques se précisent de nouveau. De nombreux acteurs se trouvent toujours engagés dans un processus complexe pour définir leur profil et leurs objectifs. La multiplication des acteurs politiques4 a contribué à un manque de visibilité et a détourné de nombreux citoyens de la politique. Parmi les 206 partis politiques accrédités en Tunisie, seulement environ dix comptent actuellement dans la vie politique sans que leur poids politique ou social soit garanti à long terme. 2 Le contexte politique à l’intérieur duquel le processus de transformation démocratique en Tunisie évolue, est très complexe. Depuis 2011, la situation sécuritaire s’est aggravée en Tunisie et dans la Libye voisine. Des groupes islamistes armés, qui se réclament depuis 2014 de l’organisation terroriste « État islamique », sont actifs et ont contribué après les attaques à la bombe sur les touristes au musée du Bardo (Tunis) et à Port El- Kantaoui (Sousse) en 2015 au déclin du tourisme. Les violents conflits en Libye ont favorisé ces groupes qui ont trouvé en Libye des possibilités d’entraînement et de repli et ont pu s’alimenter en armes depuis des sources libyennes. L’environnement politique extrêmement tourmenté dans toute la région de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient, mais surtout la persistance de la crise économique et des problèmes socio-économiques en Tunisie rendent le travail de tous les acteurs politiques difficile. Quel est le rôle et quelles sont les missions que les partis politiques peuvent remplir dans ce contexte complexe, c’est à cette question que cet article tente de proposer une réponse. Nous allons, dans un premier temps, décrire les conditions auxquelles les partis politiques sont soumis pour analyser, dans un deuxième temps les tendances politiques, les débats actuels et les défis des partis politiques.5 2. Le cadre institutionnel, politique et matériel des partis politiques après 2011 Après le changement du pouvoir le 14 janvier 2011, un profond processus de transformation institutionnelle a été engagé en Tunisie qui devait guider le pays vers une transition politique et la démocratisation.6 Après la mise en place des différentes instances et gouvernements de transition, des élections libres pour une Assemblée nationale constituante (ANC) ont été organisées le 23 octobre 2011. Selon le calendrier initialement établi, cette Assemblée constituante aurait dû, en l’espace d’un an, présenter et voter une nouvelle constitution. Toutefois, la nouvelle constitution n’a été adoptée qu’avec un grand retard le 26 janvier 2014 par l’ANC. La nouvelle constitution progressiste est entrée en vigueur le 10 février 2014. Elle est le reflet d’un compromis historique entre le camp séculier et moderniste et le camp islamiste et, par conséquent, n’est pas sans contenir quelques contradictions.7 Après les premières élections législatives libres du 26 octobre 2014 et les élections présidentielles du 23 novembre (1er tour) et du 21 décembre (2e tour, ballottage)8, le processus de transformation institutionnelle s’est enlisé notamment parce que l’adoption des lois organiques pourtant exigées par la constitution a été retardée. Certaines lois organiques n’ont été adoptées qu’en 2016, d’autres attendaient encore leur adoption fin novembre 2016. C’est ainsi que l’élection du Conseil supérieur de la magistrature a duré jusqu’en octobre 2016 en raison des divergences sur le texte de la loi et les questions de nomination, ce qui a, à son tour, retardé la mise en place d’une Cour constitutionnelle indépendante.9 Avant 2011, la marge de manœuvre des partis politiques a été considérablement limitée. Dans les années 1990 et 2000, le RCD était, de facto, le parti unique du régime de Ben Ali. La loi organique n° 88-32 du 3 mai 1988 organisant les partis politiques a certes introduit, sur le papier, le pluralisme politique et autorisé plusieurs petits partis politiques. Ces partis n’avaient