Sur L'identité Francophone En Belgique
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THÈME Sur l’identité francophone en Belgique La conscience de soi, des autres et du monde est tributaire du contexte historique: les mentalités, qui en Sommaire sont la nébuleuse de référence, dépendent d’une multitude de paramètres, qui configurent les instances de Francophone, et peu fier de l’être ? la conscience individuelle, de la conscience collective et de Michel Francard, D.R. la conscience universelle, dont nul homme vraiment libre Valérie Provost 12 ne peut se passer. La situation linguistique de la Belgique Le passage d’un Royaume de Belgique uni et patriotique, avant la ne laisse personne indifférent. Qu’en est-il, dans le dédale linguistico- Première Guerre mondiale, à une Belgique, aujourd’hui fédérale et siège de institutionnel de notre pays, de la la Commission de l’Union Européenne, fondée sur une conscience collective Communauté Wallonie-Bruxelles? transformée, est un fait historique. Nouvelle réalité, principalement Modèles littéraires, fictions focalisée sur et par la conscience linguistique, elle repense et examine les identitaires fondements de ses nouvelles cohérences, des nouvelles cohésions qui Pierre Piret 15 peuvent la structurer. Depuis une bonne vingtaine d’années, L’identité francophone en est une, si importante qu’au-delà comme en- l’idée d’une littérature belge distincte deçà des questions de sol elle a justifié un pouvoir, un gouvernement, un de sa grande sœur française a refait surface et s’est rapidement affirmée. parlement et qu’elle en appelle à la conscience individuelle de chaque francophone et à la conscience universelle des droits de l’Homme. Une presse en manque d'identités Le propos de ce dossier n’est certes pas de tout examiner et de tout dire à Vincent Rocour 20 ce sujet. On n’y abordera que quelques aspects, historiques et culturels, L'inexorable érosion des chiffres de vente de la presse quotidienne puisque c’est de ce ressort que relève la problématique de cette identité. francophone atteste l'effacement des D’abord, il sera question de l’insécurité linguistique et du déficit identitaire appartenances collectives dans la Communauté Wallonie-Bruxelles — une non-synonymie de la traditionnelles. Communauté française de Belgique déjà en elle-même éloquente. Sera Un enracinement porteur ensuite abordé l’important univers des modèles littéraires et des fictions d'universalité identitaires qui construisent les références de la conscience collective. Jacques Polet 23 Pratiques constantes et structurantes des connivences et des Désormais reconnu internationalement, le cinéma francophone de Belgique est représentations culturelles, la presse et le cinéma expriment et multiple. Coup de projecteur sur sa approfondissent la communication et l’introspection des communes mesures manifestation wallonne. de l’opinion et de la sensibilité. Deux regards seront ainsi portés sur « Une presse en quête d’identités » et sur le cinéma belge francophone et sa Une image floue Jean Pirotte 26 manifestation wallonne. Un parcours historique balisera pour conclure ce Malgré trente années de Communauté bref itinéraire autour de la question identitaire en Belgique francophone. française, il semble difficile de parler Une sélection bibliographique viendra, à la fin, permettre à qui désirerait en aujourd’hui d’identité belge savoir plus d’approfondir et de diversifier son information. francophone. On sent davantage croître une identité wallonne. Jean-Claude Polet, coordinateur de ces pages « Thème » Louvain [numéro 133 | novembre 2002] 11 THÈME Sur l’identité francophone en Belgique Francophone, et peu fier de l’être ? Michel Francard, Valérie Provost Fascinante, surréaliste, médiocre, dérisoire? La situation guistique, à les exacerber : comme l’écrivait Jacques Pohl, la France et linguistique de la Belgique ne laisse personne indifférent. la Belgique sont deux pays qu’une Qu’en est-il, dans le dédale linguistico-institutionnel de notre même langue sépare. pays, de la Communauté Wallonie-Bruxelles ? L’usage du En outre, il est permis de s’inter- roger sur cette solidarité culturelle et français y est un fondement institutionnel, mais est-il aussi linguistique au nom de laquelle la un enjeu identitaire ? Communauté Wallonie-Bruxelles a été créée. L’histoire de la diffusion du français en Wallonie, terre roma- Marche septentrionale de la ne, est radicalement différente de celle du fran- francophonie, la Communauté çais à Bruxelles, territoire flamand dont la fran- Wallonie-Bruxelles constitue, cisation s’est accélérée à partir du 19e siècle. Le grâce à sa situation géogra- français populaire bruxellois, comparé à la varié- phique et à son histoire, un té de même niveau en Wallonie, présente un taux intéressant trait d’union entre de différenciation bien supérieur à celui que l’on Romania et Germania. Plu- pourrait observer entre le français de Wallonie sieurs langues et cultures s’y et celui d’autres régions françaises de la zone rencontrent, même si la pra- d’oïl. Et la culture linguistique d’une ville métis- tique commune du français est sée comme Bruxelles présente peu de choses en le fondement institutionnel de commun avec celle des (petites) villes wallonnes, cette entité créée en 1970, à plus homogènes. Louvain l’instar des deux autres Com- Toutefois, dans l’usage des classes scolarisées, Professeur au Département d’études romanes de l’UCL, munautés, flamande et ger- on observe une variété de français « pan-belge », Michel Francard dirige le Centre de recherche sur les manophone. qui sert de commun dénominateur aux franco- variétés linguistiques du français en Belgique (VALIBEL). Il Le français en Belgique phones du pays. Quelques différences significa- consacre l’essentiel de ses recherches aux variétés de français bénéficie d’une riche tradition tives subsistent dans les domaines de la pro- dans la francophonie et aux langues minoritaires. d’études, naguère majoritaire- nonciation et du lexique, mais aucune n’entraîne Valérie Provost est docteure en psychologie sociale. ment normatives. Des travaux de problème de compréhension. Wallons et Ses recherches et, en particulier sa thèse de doctorat, Les plus récents, à visée descripti- Bruxellois partagent donc une série de particu- maux de la langue. Identités, attitudes et comportements ve, portent à la fois sur les pra- larités, dont une part importante se retrouve tou- linguistiques en Belgique francophone (2002), jettent un tiques langagières et sur les tefois dans d’autres régions francophones « péri- pont entre les recherches en sociolinguistique sur le concept représentations linguistiques phériques »: le français en Belgique — et non de d’insécurité linguistique et les études psychosociales sur les des francophones wallons et Belgique — n’est pas arrêté par une frontière stéréotypes et les menaces identitaires. bruxellois. Ils mettent en politique. exergue d’évidentes proximi- tés entre les usages linguistiques de la Commu- Insécurité linguistique nauté Wallonie-Bruxelles et ceux d’autres aires francophones, comme la Suisse, certaines régions Un des traits les plus saillants du fait franco- de France et le Québec. De plus, ils confirment le phone en Belgique est sans conteste l’insécurité lin- caractère « périphérique » de cette Communau- guistique. Non pas vis-à-vis de la Flandre, qui est té par rapport au centre, identifié à Paris. pourtant démographiquement, économiquement Les mêmes études éclairent d’un jour nou- et politiquement dominante, mais par rapport à veau les rapports entre les variétés de français l’Hexagone. L’institution scolaire qui a érigé le pratiquées de part et d’autre de Quiévrain. Si les « français de France » (ou « de Paris ») au rang de différences dans les pratiques linguistiques sont référence absolue, les campagnes largement objectivement réduites, les francophones de Bel- médiatisées qui ont dénigré les particularismes gique ont tendance, dans leur imaginaire lin- régionaux (Quinzaines du beau langage, Chasses 12 Louvain [numéro 133 | novembre 2002] THÈME Un des traits les plus saillants du fait francophone en Belgique est sans conteste l’insécurité linguistique. Nombreux sont les ouvrages qui ont alimenté, chez les Wallons et les Bruxellois, le sentiment que leur français était inférieur à celui pratiqué Daniel Rochat Daniel chez le « grand frère ». aux belgicismes, etc.) ont alimenté, chez les Wal- tiqué comme langue seconde, que certains se sont lons et les Bruxellois, le sentiment que leur fran- tus... dans toutes les langues. çais était inférieur à celui pratiqué chez le « grand voisin ». Cette sujétion à la France et l’auto-dépré- Déficit identitaire ciation des usages endogènes sont des indices du déficit de légitimité linguistique qui caracté- Une collectivité réduite au silence ne sort pas rise les francophones de Belgique. indemne d’une telle épreuve. Lorsque l’on sait le Cette insécurité n’est ni récente, ni spécifique poids de la composante linguistique dans la à notre pays. Les témoignages ne manquent pas, construction d’une identité, il n’est pas étonnant dès le Moyen Âge, sous la plume d’auteurs arté- de constater que, dans un pays de « coupeurs de siens, lyonnais ou orléanais qui regrettent de ne langue » (selon l’expression de Claire Lejeune), pas maîtriser le français de Paris et de la cour la langue française ne constitue pas une compo- royale. Aujourd’hui encore, de nombreux fran- sante essentielle de l’identité collective de la cophones en Suisse, en Amérique du nord, en Communauté Wallonie-Bruxelles. Le contraste Afrique partagent avec les Wallons et les Bruxel- est vif avec l’autre côté de la frontière linguis- lois ce mal-être langagier aux multiples facettes: tique, où vit une collectivité qui se définit com- questionnement récurrent sur ce qu’il convient de me la « nation flamande », avec une identité col- dire ou d’écrire, souci exacerbé d’éviter la faute lective où s’associent étroitement langue et — qui va jusqu’à l’hypercorrectisme —, allé- territoire. Tout comme il l’est avec la France, qui geance inconditionnelle à des institutions com- a poussé jusqu’à ses limites l’assimilation langue- me l’Académie française — dont les recomman- État-nation. dations, en matière de langue, sont pourtant loin Des recherches transdisciplinaires en cours 2 1.