JOSEPH DELTEIL Qui Êtes-Vous ?
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Artaud) ANDRÉ GIDE par Eric Marty NATHALIE SARRAUTE par Simone Benmussa PAUL-JEAN TOULET par Pierre-Olivier Walzer EMMANUEL LEVINAS par François Poirié ELIE WIESEL par Brigitte-Fanny Cohen ANDRE MALRAUX par Jeanine Mossuz-Lavau* COLETTE par Jeannie Malige PIER PAOLO PASOLINI par Alain-Michel Boyer JEAN VILAR par Alfred Simon (avec une cassette de l'enregistrement des grands rôles de Jean Vilar au théâtre) JEAN DASTÉ par Jean Dasté ANDRÉ BRETON par Alain et Odette Virmaux VIRGINIA WOOLF par Phillys Rose RENÉ CHAR par Serge Velay PHILIPPE SOUPAULT par Bernard Morlino MAURICE RAVEL par Marcel Marnat (avec une cassette des enregistrements de 1929-1934, réalisés sous la direction de Maurice Ravel ou par des interprètes de son choix) HENRI MATISSE par Marcellin Pleynet KATHERINE MANSFIELD par Michel Dupuis DINO BUZZATI par Michel Suffran et Yves Panafieu AUGUSTE COMTE sous la direction de Gérard de Ficquelmont MARY SHELLEY par Cathy Bernheim CHATEAUBRIAND présenté par José Cabanis C.F. RAMUZ par Marianne Ghirelli GERARD PHILIPE par Dominique Nores INA INSTITUT NATIONAL DE L'AUDIOVISUEL Les ouvrages marqués d'un astérisque comportent des entretiens issus des archives de l'Institut national de l'audiovisuel. JOSEPH DELTEIL Qui êtes-vous ? Robert Briatte JOSEPH DELTEIL la manufacture Page 6 : cl. Henk Breuker. Couverture : cl. Roger-Viollet. © LA MANUFACTURE, 1988, Bombarde, 69005 Lyon Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. « Quand je vois un lion dans la brousse qui se pré- cipite sur moi, je le vois non pas dans l'ordre zoo- logique mais avec mes cinq sens, dans l'ordre et le désordre des sens, sensationnellement. D'abord, en gros plan, ce qui déjà me déchire et me dévore, ce qui me saute aux yeux et m'entripaille les entrailles : ses immenses yeux chinois, ses gros- ses moustaches d'almanach, son ramassement, l'hallucination de la démarche, la torsion de la patte. A-t-il une queue ou des cornes, je n'en sais rien et qu'importe ! Si vous voulez un lion pho- tographique, allez chez le photographe ! Moi je ne vois que le lion delteillien, le lion qui bouffe Delteil. » Joseph Delteil. « Voici Delteil, avec des défauts immenses et des qualités catastrophiques. » Jean-Daniel Maublanc, 1933. Il y a deux Delteil. Tour à tour, sur chacun des deux pla- teaux de la balance, le poids d'un homme qui pense avoir trouvé sa vérité. Le premier Delteil, celui des « années électriques », c'est ce jeune poète qui laisse derrière lui sa famille et son village dans le Midi pour « monter » à Paris faire son « éducation littéraire ». Le jeune poète laisse très vite la place à un romancier à succès, tout auréolé de scandale. Le second Delteil, « le vrai » dira-t-il par la suite, com- mence à la publication de Jésus II en 1947, première des « années paléolithiques ». L'axe central, c'est cette décen- nie de silence, de 1937 à 1947, au cours de laquelle sonne l'heure du choix et s'opère le recul de la conscience. C'est le moment du retour au Midi des origines, loin du Paris de la vitesse et de l'électricité. L'instant où il se redécou- vre « à Pieusse et au ciel, le frère de Marie Delteil ». 1918-1937 Les années électriques Le Cœur grec « Il y a quelque temps, des vers nous parvinrent, signés du pseudonyme singulièrement choisi de « Louis XV ». Nous fûmes séduits par les fines qualités littéraires de ces poèmes, très supérieurs à la production courante. Nous nous sommes enquis du véritable nom de l'auteur. M. Joseph Delteil est jeune, inconnu. Nous sommes heu- reux d'offrir l'hospitalité des Annales à ce débutant qui donne de si belles espérances. » Ainsi, Adolphe Brisson, directeur des Annales politiques et littéraires présentait- il deux poèmes de Joseph Delteil, Le Théâtre et Turquie funambulesque dans le numéro 1838, daté du 15 sep- tembre 1918, de sa vénérable revue. « Jeune, inconnu. » En 1918, Delteil a vingt-quatre ans. Il n'a livré jusqu'alors articles et poèmes qu'à des publi- cations régionales. 1. Les titres des chapitres sont empruntés à l'œuvre de Delteil, en géné- ral à ce qu 'on peut considérer comme son autobiographie : La Deltheil- lerie (Grasset, 1968). 2. Voir « Textes inédits » à la fin de cet ouvrage (nous entendons par « inédits », inédits en volumes, ces textes ayant tous été publiés préala- blement en revue). Il est né le 20 avril 1894 à Villar-en-Val, dans le départe- ment de l'Aude. C'était en début d'après-midi. Son thème astrologique précise : « 18 h 54 » — en temps sidéral... De toute façon, c'est un « solaire », un amoureux du jour et du plein vent. Bien entendu, il a fait du récit de sa nais- sance un pur morceau de littérature, au grand dam de ses futurs biographes, mais au bénéfice de sa propre mytho- logie. « Je vins au monde un jour de vent, dans un tas de bruyère, au soleil. Cela advint en quelque forêt d'ali- siers et de chênes verts, sur les confins du Roussillon et du Languedoc, vers la troisième heure après midi, qui est l'heure de vêpres. Ma mère était allée cueillir des arbouses ou des glands, que sais-je ? Ou peut-être obéissait-elle dans l'abîme de sa chair à ce hasard divin, à ce Dieu hasardeux qui portent en tous lieux l'homme en croupe. Je crois au destin comme à la rose. Il faisait chaud, et sans doute entends-je encore parfois dans mes veines, les soirs de fièvre, ce délire d'insectes rayonnants et ces durs cris d'oiseaux qui éblouissaient à cette heure les bois. Soudain, elle porta la main à son ventre, du propre geste d'Andromaque. Elle chut volante sur la bruyère en fleur. Les cigales dans l'air, à la baïonnette ! Et c'est là que je pris subs- tance, parmi les chênes et les mousses, dans une soli- tude ardente, face au ciel que j'aime » Ce mythe d'une naissance sylvestre, nous le devons au métier de Jean-Baptiste Delteil, son père, qui est en effet bûcheron et se déplace de forêt en forêt, pour la produc- tion du charbon de bois. « De mon père, j'ai hérité un sens précis de l'indé- pendance et d'une liberté farouche. De ma mère, je tiens le sens de l'amitié, les qualités de cœur, cette croyance profonde que nous sommes ici sur terre avant tout pour nous aimer les uns les autres » 3. "Mon village", dans En robe des champs, Grasset, 1934, pp. 67-68. 4. Rapporté par Jean-Marie Drot dans Vive Joseph Delteil, Stock, 1974, p. 63. Mme Delteil, née Madeleine Sarda, est extrêmement dévote — comme le sera Marie, la sœur cadette — et n'apprendra jamais à lire. Elle est originaire, comme son mari, des environs de Montségur en Ariège. A quatre kilo- mètres de Limoux, à Pieusse — le village où la famille est venue s'installer alors que Joseph avait quatre ans —, on ne parle pas français. « On s'étonne parfois de mon goût pour le patois, un peu vif..., dira plus tard Delteil, mais que voulez-vous : le patois est la langue de papa, de maman, ma langue maternelle, je l'aime. Je devrais dire "occitan", je sais, c'est le terme correct et le plus stratégique, mais "occitan", c'est savantasse, ça fait intel- ligentsia... Maman parlait patois et jusqu'à cinq ans je n'ai parlé que le patois... Le français m'est une langue étrangère » (L'un des premiers textes que publiera Del- teil, en 1914, est un sonnet en langue d'oc pour l'Alma- nac Patouès de l'Ariéjo.) Cela ne l'empêche nullement de devenir très vite un « fort en thème ». On l'envoie au collège à Limoux : il y collec- tionne les prix d'excellence, de composition française, d'histoire, de géographie, d'explication d'auteurs fran- çais... et de géologie. Il est la fierté de la famille, on le « pousse » — sans aucun doute au détriment de sa jeune sœur —, on l'envoie au petit séminaire de Carcassonne : les études coûtent cher, c'est vrai, et le séminaire offre l'avantage d'une quasi-gratuité. En fait, Mme Delteil espère sans doute voir son fils devenir prêtre. Mais c'est un jeune catholique fervent qui adhère au Sillon, mouve- ment de chrétiens démocrates plutôt catalogué à gauche et en tout cas fortement opposé aux monarchistes d'Action française (ses tout premiers articles, c'est à la publication locale du mouvement, Le Soc, qu'il les donne). Mais, bac en poche, c'est comme clerc de notaire qu'il commence à travailler en 1913 dans l'étude de Me Auzouy à Limoux. 5. Ibid., p. 69. Vingt ans en 1914 : le bel âge pour aller mourir dans les tranchées qu'on va bientôt creuser dans l'est du pays.