Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021.

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. [Accéder à la version publiée de l’article | Référence : Nicolas Poirel, “Between Cooperation and Competition: Insights into the Relationships between Animal Advocates and Veterinarians in France from the 19th Century to the Present Day”, Review of Agricultural, Food and Environmental Studies, online first, 2021, https://doi.org/10.1007/s41130-021-00139-x.]

Ce document est un preprint d’un article publié dans la Review of Agricultural, Food and Environmental Studies sous le titre “Between Cooperation and Competition: Insights into the Relationships between Animal Advocates and Veterinarians in France from the 19th Century to the Present Day”: https://doi.org/10.1007/s41130-021-00139-x. Nous vous saurions gré de bien vouloir vous référer à la version publiée dans vos discussions de cet article. This is a preprint of an article published in the Review of Agricultural, Food and Environmental Studies. The final authenticated version is available online at: Poirel, N. Between cooperation and competition: insights into the relationships between animal advocates and veterinarians in France from the nineteenth century to the present day. Rev Agric Food Environ Stud (2021). https://doi.org/10.1007/s41130-021-00139-x. Please refer to the published version of this article in your discussions of this article.

Résumé Cet article étudie les relations entre les animalistes et les vétérinaires à partir du XIXème en France. En raison de leur nature de groupe militant ou de groupe professionnel, animalistes et vétérinaires sont étudiés indépendamment les uns des autres. Au-delà des désaccords qui peuvent parfois les opposer, ces deux groupes sociaux revendiquent pourtant de prendre en compte les intérêts des animaux et partagent de nombreuses préoccupations communes en matière de condition animale. A partir de l’analyse secondaire de la littérature consacrée aux animalistes et aux vétérinaires, nous questionnons l’existence et la forme des relations entre ces deux groupes sociaux. Nous mettons au jour quatre types d’intersections qui nous permettent de rendre compte de l’existence de relations multiples entre animalistes et vétérinaires. L’accord entre les animalistes et les vétérinaires au milieu du XIXème laisse place dès la fin du XIXème siècle à une situation de conflit, puis de concurrence entre eux. Au milieu du XXème siècle, le renouveau des débats autour de la condition animale et de l’élevage donne lieu au développement de relations équivoques entre des vétérinaires travaillés par les enjeux sanitaires et des animalistes partagés entre « welfarisme » et abolitionnisme ». En ce sens, la mise au jour de l’histoire croisée des animalistes et des vétérinaires permet de mettre en évidence la multi-dimensionnalité de leurs relations qui oscillent entre coopération et concurrence.

Keywords Animal Advocacy; ; ; Social Movements; Veterinarian; Veterinary Profession

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021.

« Le vétérinaire, plus que jamais est devenu une sentinelle du bien-être animal. […] Les réflexions et les débats conduits par les élus de l’Ordre [des vétérinaires] amènent dès aujourd’hui à un consensus professionnel […]. Tout animal abattu doit être privé de conscience d’une manière efficace, préalablement à la saignée et jusqu’à la fin de celle-ci. »

Michel Baussier, président de l’ordre national des vétérinaires lors du colloque « Vétérinaire, le professionnel garant du bien-être animal » le 24 novembre 2015 au Sénat.

« Pouvez-vous imaginer la détresse et l’angoisse des veaux qui voient leurs congénères mourir sous leurs yeux avant d'être eux-mêmes tués ? La terrible souffrance de ceux qui reçoivent plusieurs coups de pistolet pneumatique ou reprennent conscience la gorge tranchée ? Le supplice des veaux abattus sans étourdissement et qui agonisent parfois pendant de très longues minutes ? […] Que font les services vétérinaires ? »

Sébastien Arsac, directeur des enquêtes de , dans une lettre d’information datée du 21 février 2020.

Alors même que les animalistes comme les vétérinaires affirment prendre en compte les intérêts des animaux, les interpellations qu’adressent les militants de L214 aux services vétérinaires de l’Etat esquissent en toile de fond les divergences qui persistent entre eux. Affirmer que ces divergences ne résulteraient que de la différence des registres discursifs mobilisés par les membres d’un groupe professionnel et les militants d’un mouvement social est une réponse insatisfaisante. Elle oublie que les animalistes, terme par lequel nous désignons ici l’ensemble des militant·es qui se sont engagé·es au sein des différents fractions du mouvement pro-animaux, et les vétérinaires partagent aujourd’hui un ensemble de positions communes visant à faire cesser la corrida, l’exploitation des animaux sauvages dans les cirques itinérants ou encore à systématiser l’étourdissement avant la mise à mort des animaux dans les abattoirs. Elle oublie surtout que cette situation est aussi le produit de la longue histoire de ces groupes sociaux complexes et hétérogènes. C’est pourquoi nous proposons dans cet article de questionner l’existence d’interfaces et de relations méconnues entre animalistes et vétérinaires à partir du cas français.

En France, ces deux groupes sociaux émergent dans une relative proximité temporelle, entre la fin du XVIIIème siècle pour les vétérinaires et le milieu du XIXème siècle pour les animalistes. Au-delà d’une préoccupation commune pour la « question animale », ils partagent un certain nombre de traits communs qui les conduisent d’abord à s’investir au sein la Société

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Protectrice des Animaux (SPA) fondée en 1845-1846 (Traïni 2011 ; Carrié 2015b). Mais depuis leur émergence, ces groupes sociaux ont tous deux connus de multiples inflexions amenant à transformer les caractéristiques sociales de leurs membres, leurs savoirs et leurs représentations, mais aussi leurs pratiques et leurs modes d’actions. Cette situation nous amène à questionner l’existence d’intersections dans l’histoire des animalistes et des vétérinaires et l’existence (éventuelle) de relations entre eux. Dans quelle mesure les vétérinaires et les animalistes ont- ils entretenu des relations, aussi ambivalentes soient-elles, et se sont-ils influencés mutuellement au cours de leur histoire ? L’histoire des animalistes et des vétérinaires s’entrecroise-t-elle, ou bien s’agit-il au contraire de deux histoires parallèles ?

Dans un contexte où les mobilisations animalistes participent pleinement à la (re)construction du problème public de la condition animale et invitent plus que jamais les vétérinaires à se positionner à ce sujet, nous souhaitons montrer comment l’histoire des animalistes et des vétérinaires est ponctuée d’une succession de préoccupations communes et de conflits qui donnent lieu à l’existence de relations ambivalentes, méconnues et en perpétuelle recomposition. Après avoir présenté le cadre théorique et les méthodes employées, nous identifions trois moments clefs de (re)composition de l’histoire croisée et des relations entre les militants pro-animaux et les vétérinaires en France : l’accord entre les vétérinaires et les animalistes « réformateurs » du milieu du XIXème siècle qui cherchent à réformer les pratiques des classes populaires envers les animaux, la rupture puis la concurrence produites par l’émergence d’un animalisme « sensibiliste » au moment où les vétérinaires se rapprochent des milieux scientifiques et médicaux à la fin du XIXème siècle, et les relations complexes qui se manifestent à partir du milieu du XXème siècle entre les vétérinaires exerçant dans les élevages et des animalistes partagés entre « welfarisme » et « abolitionnisme ».

(Re)construire l’histoire croisée des animalistes et des vétérinaires : cadre théorique (Re)construire l’histoire croisée des animalistes et des vétérinaires implique de dépasser la frontière essentialisante qui viserait à faire des groupes professionnels ou militants des espaces imperméables les uns aux autres. La sociologie des professions a d’ailleurs montré qu’un groupe professionnel n’opère pas en vase clos. Une profession est susceptible de se reconfigurer en fonction des mandats lui sont accordés par la société et par l’État (Abbott 1988 ; Bonnaud & Fortané 2018). En parallèle, la sociologie des mouvements sociaux souligne que l’« espace des mouvements sociaux » (Mathieu 2012) est en interaction constante avec des univers sociaux

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. qui lui sont externes et qui sont loin de se résumer au champ politique comme le montrent, par exemple, les travaux sur l’insider activism (Briscoe & Gupta 2016). Avec le concept de « configuration », Norbert Elias (Elias 1978) invite lui à dépasser les frontières qu’impliquent parfois la notion de groupes sociaux pour s’intéresser aux interdépendances qui les structurent. L’existence de relations entre animalistes et vétérinaires est donc possible au-delà de la différence structurelle entre un groupe militant et un groupe professionnel. Cette possibilité est même renforcée par les multiples évolutions qu’ont connu ces groupes sociaux depuis leur émergence.

Les militants animalistes participent à un mouvement social aux multiples courants et formes d’engagements (Traïni 2010, 2019 ; Carrié 2015b ; Poirel 2016). Depuis les travaux de Maurice Agulhon (1981), ce phénomène est largement souligné par une littérature qui s’interroge régulièrement sur cette hétérogénéité et propose de multiples qualificatifs pour désigner la « cause animale » (Traïni 2011) ou les « formes d’engagement plurielles de la protection animale » (Traïni 2019), la « nébuleuse idéologique « animaliste » » (Carrié 2015b) ou le militantisme « pro-animaux » (Michalon 2019). Par symétrie avec la terminologie employée pour d’autres causes, nous proposons ici d’employer les termes d’« animalisme » et d’ « animalistes » pour désigner l’ensemble des différentes fractions des mouvements pro- animaux et des militants qui s’y engagent ou s’y sont engagés. Ce débat n’a pas empêché l’émergence d’un consensus soulignant la tripartition des idéologies, des pratiques mais aussi des « registres émotionnels » (Traïni 2011) mobilisés par les animalistes. Nous proposons ici d’en faire la synthèse en distinguant entre les animalistes « réformateurs » (à partir du milieu du XIXème siècle), les animalistes « sensibilistes » (à partir de la fin du XIXème siècle) et les animalistes de troisième vague qui se répartissent entre « welfaristes » et « abolitionnistes » (à partir du milieu du XXème siècle).

Au-delà de l’unité apparente que leur confère aujourd’hui leur statut de profession, les vétérinaires sont caractérisés par une pluralité de spécialités et de métiers (Hubscher 1999 ; Fritsch 2011) qui en font un univers professionnel composite. L’Atlas démographique de la profession vétérinaire (ONDPV 2020) dénombre 18 874 vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre en 2019. Ils pratiquent majoritairement une ou plusieurs des trois spécialités principales. La spécialité équine sur laquelle s’est originellement développée la profession vétérinaire n’est plus exercée aujourd’hui de façon exclusive ou prédominante que par 6% des vétérinaires. La spécialité rurale s’intéresse aux animaux domestiques de rente (bovins et autres) et s’exerce principalement dans les élevages. Marquée par une baisse continue et durable du nombre de ses

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. représentant·es, elle n’est plus exercée aujourd’hui de façon majoritaire que par 19% des vétérinaires, tandis que la spécialisation canine (chiens, chats, mais aussi les nouveaux animaux de compagnie), plus récente, concerne 71% des vétérinaires. Ces spécialités sont principalement exercées dans des cliniques par des vétérinaires libéraux. Les vétérinaires peuvent également exercer leur profession en tant que fonctionnaires, notamment au sein des services vétérinaires de l’Etat qui employaient en 2016 plus de 2100 vétérinaires. Les membres de ce « corps évolutif » (Fritsch 2009) jouent un rôle d’inspection sanitaire, de contrôle de la santé et de protection animale dans les abattoirs.

Pour les animalistes comme pour les vétérinaires, les représentations, les savoirs, les pratiques et l’origine sociale des membres de ces groupes sociaux diffèrent selon la période, les courants ou les spécialités analysées. Cette hétérogénéité favorise la possibilité d’intersections entre l’histoire des animalistes et des vétérinaires. Pour en rendre compte, nous proposons ici de questionner l’existence et la forme des relations entre les militant·es animalistes et les vétérinaires au cours de leur(s) histoire(s) à partir de l’examen de l’état de leurs savoirs et de leurs représentations (convergence ou divergence cognitive), de leur présence simultanée dans les mêmes organisations ou à l’inverse, dans des organisations concurrentes (convergence ou divergence relationnelle), de leurs caractéristiques socio-démographiques (convergence ou divergence sociale) ou de l’usage de pratiques ou de modes d’actions communs (convergence ou divergence pratique). A l’aune de ces critères, nous proposons alors de rendre compte de façon idéal-typique1 de l’existence et de la nature des relations, iréniques ou conflictuelles, entre eux.

(Re)construire l’histoire croisée des animalistes et des vétérinaires : méthode Nous proposons de questionner l’existence d’intersections dans la (socio-)histoire des animalistes et des vétérinaires à partir de l’analyse secondaire de la littérature de sciences sociales consacrées à ces groupes sociaux dans le cas français. L’identification des sources a été réalisée à partir de deux bases de données bibliographiques distinctes, en français et en anglais : une base de données personnelle réalisée par l’auteur dans le cadre d’un travail de thèse sur la socio-histoire et les formes de mobilisations du mouvement animaliste « abolitionniste » (antispécistes, véganes, militants pour les droits des animaux et/ou pour la

1 En ce sens, nous ne prétendons pas rendre compte de l’infinie variété des prises de positions individuelles des animalistes et des vétérinaires, mais bien plutôt des positions dominantes au sein de ces groupes sociaux. 5

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. libération animale) » et la base de données VETS2 dédiée à la profession vétérinaire. Le choix de centrer le propos sur le cas français s’explique par la nécessité de prendre en compte les singularités nationales de ces groupes sociaux. Néanmoins, les informations parcellaires dont nous disposons parfois impliquent d’effectuer quelques détours par le cas anglais, plus documenté.

Corollaire de la différenciation de ces groupes sociaux, ces deux littératures dialoguent peu et s’inscrivent dans des horizons théoriques différents. Les travaux consacrés aux animalistes français relèvent avant tout de l’histoire sociale et de la sociologie des mouvements sociaux. La littérature dédiée aux vétérinaires s’inscrit d’abord dans le domaine de l’histoire et de la sociologie des professions. Depuis les années 2010, cet objet de recherche a été investi à nouveaux frais par l’histoire des sciences (Berdah 2018) ou encore par la sociologie de l’action publique (Bonnaud & Fortané 2016). Dans une forme « d’homologie structurale » (Bourdieu 1989), la différenciation sociale des animalistes et des vétérinaires se double dans le champ académique d’une distinction entre deux littératures en grande partie aveugles l’une à l’autre.

Cette césure est susceptible d’expliquer pourquoi les relations entre les animalistes et les vétérinaires restent méconnues et n’ont pas fait l’objet, à notre connaissance, d’autre tentative de systématisation. En ce sens, mettre en dialogue ces littératures offre la possibilité de reconstruire les évolutions de l’environnement social des animalistes et des vétérinaires pour saisir l’existence de relations et d’une histoire croisée entre eux. Ceci permet également de mettre en lumière l’influence que les animalistes et les vétérinaires ont pu avoir les uns envers les autres.

En raison de leur transversalité, quatre sources se sont révélées particulièrement importantes pour questionner l’existence d’une histoire croisée entre animalistes et vétérinaires. L’ouvrage de Christophe Traïni La cause animale (2011) et la thèse de Fabien Carrié (2015b) consacrée à l’histoire sociale comparée des idées animalistes offrent ainsi un panorama complet de l’histoire de l’animalisme en France comme en Angleterre. En ce qui concerne les vétérinaires, l’ouvrage de Ronald Hubscher Les maîtres des bêtes (1999) permet de rendre compte de la structuration de cette profession sur le temps long et est complété par les travaux de l’historienne des sciences Delphine Berdah sur les savoirs vétérinaires (2012). Les perspectives qu’ils ouvrent permettent de reconstruire la socio-histoire des relations entre les animalistes et les vétérinaires. En ce sens, cet article se présente comme un « review essay » mettant en relation deux blocs de littérature

2 https://www.zotero.org/groups/2422200/vets/library. Accessed September 21 2020. 6

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. relativement indépendants pour traiter la question (délaissée) des relations entre vétérinaires et animalistes.

L’entente entre les animalistes « réformateurs » et les vétérinaires, singularité française du milieu du XIXème siècle Du XVIIème au XIXème siècle, le monde européen est marqué par une évolution du regard porté sur les animaux (Turner 1980 ; Thomas 1983). L’essor économique de la France se traduit par une augmentation du nombre d’animaux (chevaux et bœufs en premier lieu) pour répondre aux besoins croissant de mobilité et de force de travail (Baratay 2008). C’est dans ce contexte qu’émergent les vétérinaires à la fin du XVIIIème, suivi par les animalistes au XIXème siècle. Ceux-ci peinent d’abord à s’imposer comme des acteurs légitimes de la question animale. La situation change avec la création de la SPA en 1845-1846 dont les mobilisations, bien différentes de la SPA contemporaine, rejoignent les préoccupations des vétérinaires. Entre les animalistes « réformateurs » et les vétérinaires du milieu du XIXème siècle se manifestent alors de nombreuses convergences cognitives, relationnelles et sociales aussi bien que pratiques qui traduisent l’existence de relations étroites entre eux.

Des acteurs tenus à l’écart de la question animale : animalistes et vétérinaires avant la création de la SPA Avant que la SPA ne vienne matérialiser un animalisme « réformateur », la position sociale des vétérinaires comme des animalistes en font des acteurs marginaux des débats sur la question animale en France. Si l’historiographie tend à redécouvrir l’existence de ces discours animalistes en France, cette idéologie ne s’y est pas matérialisée avant la création de la SPA, exception faite des quelques mesures prises localement à Paris entre les années 1800 et 1830 et mises au jour par Maurice Agulhon (1981). (2019) montre ainsi comment, au XVIIIème siècle, le mouvement des Lumières s’est intéressé à la question de la souffrance animale et du végétarisme. Cette « question animale » qui charrie les représentations sociales de « l’homme sensible » (Pelosse 1981, 1982) participe même des débats politiques de la Révolution française (Baratay 2008, 2012 ; Serna 2016, 2017), mais demeure le fait d’acteurs marginaux dans le champ du pouvoir. En effet, les discours légitimes sur les animaux en France sont alors le fait des sciences naturelles (Carrié 2015b). Or, les premiers promoteurs de l’animalisme se recrutent essentiellement au sein des élites lettrées, des enseignant·es, du clergé ou de la magistrature, plutôt que dans les milieux scientifiques (Pelosse 1981 ; Carrié 2015b). Cette clôture du champ intellectuel se double d’un contexte politique défavorable qui empêche

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. les discours animalistes de se matérialiser à l’issue de la Révolution Française. Au contraire de la trajectoire suivie par ce mouvement en Grande-Bretagne (Carrié 2015b), les élites lettrées ne parviennent pas à imposer l’idéologie animaliste dans la France de la première moitié du XIXème siècle.

Bien que Fabien Carrié fasse de l’émergence de la médecine vétérinaire une condition favorable au développement de l’animalisme (2015b, p. 173), les vétérinaires n’interviennent que marginalement dans les débats sur la « question animale » telle qu’elle se formule avant le milieu du XIXème siècle en France. La distance qui les sépare des animalistes est aussi bien cognitive que sociale. Dans son histoire de la profession vétérinaire, Ronald Hubscher montre ainsi que le recrutement social des vétérinaires se fait originellement auprès de populations au capital culturel relativement faible, issue d’un milieu rural. Les vétérinaires peinent d’ailleurs à s’imposer comme des acteurs légitimes dans les élevages et oscillent entre une approche agronomique ou médicale (Hubscher 1999 ; Berdah 2012). Si l’essor des savoirs vétérinaires favorise bien un renouveau du regard sur les animaux, ce regard est centré sur l’utilité des animaux (Barroux 2011), tandis les animalistes français insistent, avant la création de la SPA, sur leur sensibilité (Baratay 2011, 2014 ; Carrié 2015b). Avant le milieu du XIXème siècle, les acteurs d’un animalisme en gestation et les pionniers de la médecine vétérinaire n’ont donc que peu de traits communs.

Animalistes-vétérinaires ou vétérinaires-animalistes ? La Société Protectrice des Animaux comme matrice d’une idéologie fédératrice Il faut attendre le milieu du XIXème siècle pour que le mouvement pro-animaux se matérialise en France avec la fondation en 1845-1846 de la première organisation animaliste durable : la SPA. Cette organisation développe alors une approche singulière de la question animale qui rassemble les animalistes et les vétérinaires, quand les deux ne se confondent pas.

Bien que la création de la SPA doive beaucoup aux mobilisations des animalistes anglais de la Royal Society for the Prevention of (RSPCA)3 qui s’insurgeaient de la « barbarie » de leurs voisins français (Traïni 2011), cette organisation s’est rapidement autonomisée de l’animalisme développé par son parent britannique (Carrié 2015b). Comme la RSPCA, la SPA cherche à réformer les pratiques des classes populaires à l’égard des animaux plutôt qu’à remettre en cause « l’ensemble des pratiques dans lesquelles des animaux sont

3 Première société de protection animale, la Society for the Prevention of Cruelty to Animals a été fondée en 1824 en Angleterre. En 1840, elle reçoit l’approbation de la reine Victoria et devient une société royale. 8

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. utilisés au profit des hommes » (Carrié 2019, p. 28). Mais en France, cette perspective se double également d’une volonté de rationaliser les pratiques d’élevages « à l’aune d’une science pratique de la domestication » (Carrié 2015b, p. 228). C’est donc au double sens de la réforme des mœurs et des pratiques agricoles que nous qualifions cet animalisme de « réformateur ». La SPA développe ainsi une acception rationalisée de la question animale qui met à l’écart toute référence (publique) à la sensibilité au profit d’une mise en avant de l’utilité économique des animaux (Traïni 2011), bien que les valeurs affirmées en public par les animalistes puissent différer de leurs motivations privées (Baratay 2011, 2014). Pour Christophe Traïni, cette approche rejoint « les préoccupations […] de la science vétérinaire au service de l’élevage » (Traïni 2011, p. 35).

Éric Pierre (1998a, 1998b, 1998c), Christophe Traïni (2011) et Fabien Carrié (2015b) mettent ainsi en exergue le rôle joué par les vétérinaires dans les premières années de la SPA. Dès sa création, cette organisation rencontre un succès certain. Malgré des conditions d’admissions strictes, Fabien Carrié dénombre ainsi 470 sociétaires en 1846-1847 et 362 en 1855. Le groupe constitué des médecins, des vétérinaires et des pharmaciens représente 26% et 17,6% des sociétaires à ces dates respectives. Au sein de ce groupe, 19,8% puis 20% des membres sont vétérinaires (Carrié 2015b, pp. 217-224), soit 4,2% du total des membres de la SPA en 1846-1847 et 3,5% en 19554, une proportion remarquable compte tenu de la jeunesse de la profession vétérinaire. Surtout, c’est au sein des instances dirigeantes de la SPA, où la politique de l’organisation se décide, que les vétérinaires sont les plus visibles. Parmi les neufs membres fondateurs de cette organisation, deux sont vétérinaires et cinq sont membres de la Société française de médecine vétérinaire et comparée. Les autres sont médecins ou agronomes (Carrié 2015b, pp. 215-216), des professions qui partagent alors des savoirs communs avec les vétérinaires (Hubscher 1999). Selon Christophe Traïni (2011), ces trois groupes sociaux continuent de jouer un rôle majeur à la SPA jusqu’à la fin du XIXème siècle.

Cette situation favorise la diffusion des préoccupations et des représentations des vétérinaires au sein de la SPA. Pour Christophe Traïni, « l'investissement des vétérinaires au sein de la SPA prolonge les efforts plus généralement entrepris afin de faire valoir que la profession exige une expertise scientifique reconnue et authentifiée par un diplôme » au point que « les séances mensuelles de la SPA constituent l'occasion d'affûter un discours visant à convaincre les autorités du pays de la nécessité de réserver la médecine animale à ceux qui en

4 Calculs réalisés à partir des tableaux et des commentaires de Fabien Carrié (2015b, pp. 220-224). 9

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. maîtrisent la science » (Traïni 2011, p. 28). Pour Fabien Carrié, « la traduction de l’idéologie « animaliste » qui se diffuse alors en France, parce qu’elle affirme la relation affine entre réforme des pratiques violentes du peuple à l’encontre des « bêtes » et accroissement mécanique de la prospérité matérielle, s’accorde et fait en effet sens avec les discours de « médecine politique » qu’ils [médecins et vétérinaires] produisent ». (Carrié 2015b, p.224). En ce sens, une véritable convergence cognitive, relationnelle et sociale semble donc s’opérer au milieu du XXème siècle entre les animalistes et les vétérinaires.

Si le rôle des vétérinaires est largement souligné dans la littérature sur l’animalisme français, la réciproque est moins vraie. La littérature dédiée aux vétérinaires n’accorde qu’un rôle mineur aux organisations animalistes et offre peu de pistes pour expliquer leur investissement dans la SPA. Pour Ronald Hubscher, l’adhésion des vétérinaires à la SPA se résume à une logique de distinction sociale opérée par les élites vétérinaires de Maisons-Alfort et de Paris qui chercheraient à se distinguer des praticiens en milieu rural (Hubscher 1999, p. 137). Fabien Carrié (2015b) estime à l’inverse que ces vétérinaires membres de la SPA s’opposent au corps professoral de Maisons-Alfort. Au-delà de ce débat, l’engagement des vétérinaires dans des organisations animalistes majeures semble constituer une singularité du cas français. En effet, les vétérinaires n’apparaissent pas de façon centrale dans les travaux sur l’histoire de l’animalisme en Grande-Bretagne (Kean 1998) ou aux États-Unis (Jasper & Nelkin 1992 ; Beers 2006), au contraire des membres du clergé, de la magistrature mais aussi des femmes de lettres. La proximité cognitive, sociale et relationnelle entre animalistes et vétérinaires semble donc bien constituer une spécificité de l’animalisme « réformateur » tel qu’il s’est déployé en France.

Des pratiques communes aux animalistes « réformateurs » et aux vétérinaires Les relations entre animalistes « réformateurs » et vétérinaires du milieu du XIXème siècle se manifestent également en pratique par des centres d’intérêts et des problématiques communes. Ils partagent d’abord un intérêt commun pour les chevaux, espèce centrale au XIXème siècle (Roche 2008). C’est autour de cette espèce que se structurent d’abord les savoirs et les pratiques des vétérinaires. Ronald Hubscher (1999) montre que la médecine vétérinaire se développe d’abord à partir des savoirs de l’hippiatrie tirés des écrits de l’Antiquité ou du Bas Moyen-Âge. A compter du XVIIIème siècle, Claude Bourgelat développe les savoirs anatomiques et pathologiques sur cette espèce et pose les jalons de l’institutionnalisation de la médecine vétérinaire.

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Encadré 1. Claude Bourgelat : la « passion du cheval » du premier des vétérinaires Né en 1792, Claude Bourgelat est la figure tutélaire des vétérinaires français. Issu d’une famille de commerçants lyonnais aisés, il réalise des études de droit avant de se consacrer à sa passion pour les chevaux. Il devient « écuyer du roi tenant l’Académie d’équitation de Lyon » en 1740. Proche du mouvement des Lumières, il suit également des enseignements d’anatomie humaine qui le conduisent à transposer cette discipline aux chevaux, auxquels il dédie plusieurs traités. Il fonde les deux premières écoles vétérinaires au monde en 1761 à Lyon et à Maisons-Alfort en 1765. En reconnaissance de son rôle, le serment des vétérinaires porte son nom.

Cependant, les vétérinaires peinent d’abord à s’imposer comme des acteurs légitimes des soins aux animaux de rente dans les milieux ruraux (Hubscher 1996, 1999). Selon Delphine Berdah (2012), l’objectif originel des écoles vétérinaires était d’ailleurs de normaliser la production des chevaux en vue d’un usage guerrier bien plus que d’améliorer le sort des animaux. Au milieu du XIXème siècle, les vétérinaires constituent donc moins une profession à part entière que des « hommes de cheval » (Hubscher 1999) formés dans des écoles spécialisées. Maurice Agulhon et Valentin Pelosse relèvent eux à quel point les chevaux, associés à la noblesse, sont au cœur des indignations des animalistes « réformateurs » (Agulhon 1981 ; Pelosse 1981, 1982). Le traitement qu’infligent charretiers et cochers à cette espèce constitue d’ailleurs un enjeu majeur pour la SPA (Pierre 1998b, 1998c ; Traïni 2011 ; Carrié 2015b). Cela se traduit par la structuration de commissions dédiées à l’amélioration du sort du cheval (Pierre 1998b) ou par des « dispositifs de sensibilisation » (Traïni 2009, 2011) comme la fondation d’une école ou des prix pour les cochers bienveillants (Traïni 2011, pp. 48-50). Même la valorisation de l’hippophagie se fait alors au nom de l’amélioration du sort des chevaux, l’abattage à des fins de boucherie étant jugé préférable à l’équarrissage (Traïni 2011). Quant à la loi Grammont, elle ne concerne en définitive que les seuls sévices commis en publics sur les animaux domestiques. Ce faisant, elle vise en premier lieu les mauvais traitements infligés aux chevaux (Carrié 2015b). Animalistes « réformateurs » et vétérinaires partagent donc une même préoccupation pour les chevaux.

Qui plus est, les deux groupes sociaux s’adressent aux mêmes cibles. Plus qu’aux animaux eux-mêmes, les animalistes « réformateurs » comme les vétérinaires s’adressent avant tout aux classes populaires dont ils cherchent à transformer les pratiques, les croyances et les mœurs. Durant le XIXème siècle, les vétérinaires se perçoivent ainsi comme des « missionnaires du progrès », selon l’expression de Ronald Hubscher (1999, p. 169), et s’engagent dans une lutte pour délégitimer les « empiriques », terme qui désigne l’ensemble des maréchaux-ferrants, des guérisseurs, ou encore des rebouteux qui mobilisent une pluralité de savoirs populaires pour

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. soigner les animaux. Ronald Hubscher montre également comment les vétérinaires s’accordent à présenter les classes populaires comme une population qu’il serait de leur devoir d’éduquer, à l’image d’un instituteur de la IIIème République (Hubscher 1999, pp. 169-184). Cette perspective est encore plus centrale dans la littérature consacrée à l’animalisme « réformateur ». Celle-ci souligne de façon unanime que les mobilisations des animalistes visent avant tout les pratiques des classes populaires dont les mœurs violentes seraient à réformer. Dès les travaux de Maurice Agulhon (1981), cette littérature souligne ainsi à quel point la question de la défense de l’animal dans un XIXème siècle marqué par les troubles politiques est liée aux débats autour de la violence des classes populaires jugées dangereuses. A l’inverse, la violence des classes supérieures envers les animaux seraient beaucoup moins critiquées par les animalistes « réformateurs ». Éric Baratay (2011, 2014) souligne cependant que les limites des sources nous rendent difficilement accessibles les éventuelles mobilisations pro-animaux des classes populaires. Les travaux sur les cas britannique (Kean 1998) ou états-uniens (Beers 2006) soulignent eux que les classes supérieures possédaient suffisamment de ressources pour se défendre face aux animalistes « réformateurs ». Comme pour les vétérinaires, les classes populaires constituent donc les cibles principales des mobilisations des animalistes « réformateurs ».

Animalistes « réformateurs » et vétérinaires du milieu du XIXème siècle partagent donc des centres d’intérêts et des préoccupations communes autour de la condition des chevaux et de la réforme des mœurs des classes populaires. Doublée d’une convergence cognitive, sociale et relationnelle, cette situation de convergence pratique entre animalistes et vétérinaires manifeste alors l’existence d’intersections fortes entre l’histoire des animalistes et des vétérinaires, notamment au sein de la SPA. Plus encore, l’accumulation de ces convergences traduit la proximité et l’accord des animalistes et des vétérinaires français au milieu du XIXème siècle. Toutefois, cette singularité française du milieu du XIXème siècle n’a d’égale que sa brièveté, tant l’évolution de ces groupes sociaux va conduire à recomposer leurs relations dans la deuxième moitié du XIXème siècle.

Conflits et concurrences : les animalistes « sensibilistes » confrontés à la médicalisation des vétérinaires (1880-1950) Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, un ensemble d’inflexions remettent en question les représentations, les pratiques et les caractéristiques sociales que les vétérinaires et les animalistes partageaient auparavant. Les vétérinaires se rapprochent des milieux médicaux et

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. d’une science physiologique en plein essor. Celle-ci implique l’expérimentation animale et, plus précisément, la vivisection5, pratique à laquelle s’opposent un nombre croissant d’animalistes. En effet, ceux-ci expriment un souci croissant pour la sensibilité des animaux, ce qui se manifeste dans les mouvements antivivisectionnistes et dans la question des soins et des refuges pour animaux de compagnie. Alors que les antivivisectionnistes entrent en conflit avec les vétérinaires, les mobilisations en faveur des animaux de compagnie contribuent à terme à l’émergence du marché des soins aux animaux de compagnie. C’est donc une profonde recomposition des relations entre les animalistes « sensibilistes » et les vétérinaires- physiologistes qui se joue à partir de la fin du XIXème siècle.

L’essor controversé de la question de la souffrance animale L’essor du phénomène des animaux de compagnie d’abord étudié par Keith Thomas (1983) ou Harriet Ritvo (1987) à travers le cas britannique se manifeste également tout au long du XIXème siècle français. Kathleen Kete (1995) montre ainsi comment les animaux de compagnie, notamment les chiens, s’intègrent à la vie des classes supérieures parisiennes qui y projettent leurs valeurs bourgeoises. Les animaux de compagnie font ainsi l’objet d’une considération croissante que Christophe Traïni (2011) met au jour à partir des œuvres des écrivain·es romantiques et des témoignages contenus dans le bulletin de la SPA. Ceux-ci traduisent l’émergence d’un « registre de l’attendrissement » (Boltanski 1993 ; Traïni 2011, p. 128) qui, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, met l’accent sur les soins à accorder aux animaux de compagnie et place la question de leur souffrance au premier plan. Si cette question existait en filigrane dès les origines du mouvement animaliste, ce n’est qu’à partir de la décennie 1870 que « les arguments recevables dans l’espace public […] passent peu à peu de l’utilité humaine au respect de l’animal » (Baratay 2014, p. 396). Éric Pierre parle ainsi du « passage d’une protection d’utilité à une protection de sensibilité » (1998b, p. 94) qui aurait lieu à partir des années 1880 autour de la mise en place de refuge pour chiens et du refus de l’idée que l’utilité d’un animal justifierait qu’il souffre, comme dans le cas de la , second axe majeur de mobilisation des animalistes que nous qualifions pour ces raisons de « sensibilistes ».

La physiologie expérimentale et son corollaire, la vivisection, ont été rapidement légitimés en raison de l’autonomie précoce du champ scientifique (Charle 2001) et des découvertes

5 Au contraire de la dissection pratiquée sur des cadavres, la vivisection implique l’usage d’animaux vivants dont l’anesthésie n’est pas obligatoire dans la France du XIXème siècle. Elle implique généralement la mort du sujet, parfois désignée par le terme de sacrifice. La vivisection constitue aujourd’hui une des méthodes de l’expérimentation animale, mais n’existe plus véritablement en tant que paradigme scientifique autonome. 13

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. médicales qui leurs sont associées. Le développement des savoirs sur les vétérinaires a permis de mettre en lumière le rôle actif qu’ils ont joué dans le développement de cette discipline. Jean- Yves Bory (2013) fait ainsi remonter l’origine de la vivisection aux expériences menées sur des chevaux dans les écoles vétérinaires peu après leur création. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, ces écoles se caractérisent par une volonté de reconnaissance dans les milieux scientifiques et médicaux (Hubscher 1999). Les travaux de Delphine Berdah (2012) montrent que cela se traduit par une place croissante accordée à la physiologie. Cette discipline s’intègre à l’enseignement des écoles à compter de l’année 1878 et s’institutionnalise pleinement en 1898 avec la création d’une chaire d’anatomie pathologique et d’histologie. Cette logique de médicalisation est parachevée avec l’adoption précoce des perspectives pasteuriennes sur le monde microbien et la contagion par les vétérinaires (Berdah 2010, 2012, 2018). Ces évolutions concourent donc à une profonde transformation de l’identité vétérinaire qui s’éloigne définitivement de la maréchalerie et de l’enseignement agricole comme des représentations des animalistes « sensibilistes ».

Cette divergence cognitive se double d’une prise de distance sociale particulièrement visible avec les « sensibilistes ». La médicalisation des vétérinaires s’accompagne ainsi d’une hausse volontaire de la sélectivité sociale des études vétérinaires qui écarte progressivement les classes populaires de cette profession (Hubscher 1999, pp. 71-82). Mais c’est sans doute la question du genre qui marque le plus la distance sociale entre les animalistes « sensibilistes » et les vétérinaires du milieu du XIXème siècle. Avant Jeanne Miquel, diplômée en 1937, tous les vétérinaires sont des hommes, tandis que les animalistes « sensibilistes » se féminisent. Bien qu’Éric Pierre (1998a) souligne que les femmes sont présentes dans les instances de la SPA dès sa création, elles étaient marginalisées dans l’animalisme « réformateur » (Traïni 2011 ; Carrié 2015b, 2018b). A l’inverse, l’affirmation de l’animalisme « sensibiliste » doit beaucoup à l’activisme des femmes qui se mobilisent de façon croissante dans des organisations dédiées aux refuges et à la lutte contre la vivisection comme la Société Française contre la Vivisection ou la Ligue Populaire contre les Abus de la Vivisection où « les femmes sont d’emblée majoritaires, tant parmi les simples membres que dans les instances de direction » (Carrié 2018b). A compter des décennies 1870 et 1880, l’essor de la question de la souffrance animale s’accompagne donc d’un éloignement cognitif et social entre les « sensibilistes » et les vétérinaires. Quoique les mobilisations en faveur des soins et des refuges pour animaux de compagnie et les mobilisations antivivisectionnistes soient liées entre elles, elles vont entraîner

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. des recompositions différentes des relations entre animalistes et vétérinaires et réinterroger l’histoire croisée de ces groupes sociaux.

Un conflit ouvert entre animalistes et vétérinaires : la lutte contre la vivisection dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Au contraire de l’Angleterre, qui a connu des mobilisations précoces et massives contre la vivisection, la lutte contre la vivisection s’est développée tardivement dans les cercles animalistes français et a été d’une moindre ampleur (Carrié 2015a, 2015b). La SPA a ainsi défendu une position officielle de laisser-faire à l’égard de la vivisection caractéristique de l’animalisme scientifisé des médecins et vétérinaires à la tête de l’organisation (Carrié 2015b). Jean-Yves Bory (2013) précise lui que des vivisecteurs ont longtemps peuplé les rangs de la SPA. Leur présence dans les organisations animalistes est susceptible d’expliquer pourquoi les premières critiques à l’égard de la vivisection provenaient, dès les décennies 1840 et 1850, du champ scientifique plutôt que du mouvement animaliste lui-même (Bory 2013). Il faut attendre les années 1860 pour que les débats sur la vivisection émergent à la SPA et la décennie 1880 pour qu’un véritable mouvement antivivisectionniste se matérialise en France (Bory 2013). Ce mouvement catalyse les questions éthiques soulevées par les transformations des pratiques scientifiques (French 1975) et entraîne en France une « autonomi[sation] des porte-parole de l’animal vis-à-vis des conceptions scientifiques » selon Fabien Carrié (2019, p. 34). Celle-ci est d’autant plus forte que ce mouvement vient questionner la primauté des intérêts humains sur ceux des autres animaux (Traïni 2011), à rebours du rôle que s’assignent les scientifiques et les vétérinaires. Une divergence relationnelle entre ces derniers et les animalistes en découle. Fabien Carrié (2018b) relate ainsi les propos de Marie Huot demandant à la SPA d’exclure de ses membres les vétérinaires afin d’éviter de continuer à prendre des décisions qu’elle juge aller à l’encontre d’une véritable protection animale. Sans que cette exclusion ne soit jamais prononcée, les conflits autour de la question de la souffrance animale entraînent le départ volontaire de la SPA de nombre de vétérinaires dans les années 1880 (Pierre 1998b, 1998c). A mesure que l’influence des animalistes « sensibilistes » se renforce, les vétérinaires comme les médecins s’éloignent des organisations animalistes.

Au-delà de cette divergence relationnelle, les militantes antivivisectionnistes s’inscrivent dans les luttes sociales de la fin du XIXème siècle. Engagement particulièrement féminin, la lutte contre la vivisection se double partiellement, et sans s’y réduire, d’un engagement féministe. Ces liens ont d’abord été mis au jour à partir du cas britannique par Leah Leneman (1997) qui a relevé la proximité des antivivisectionnistes avec les suffragettes. À sa suite, la

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. littérature consacrée au cas français à elle aussi souligné la multi-positionnalité de militantes féministes et antivivisectionnistes comme Louise Michel ou Marie Huot (Traïni 2011 ; Bory 2013 ; Carrié 2015b). Certaines d’entre elles vont même jusqu’à formuler une « critique systémique » (Carrié 2018b) liant exploitation des femmes et exploitation animale. Par moment, la lutte contre la vivisection s’articule aux luttes ouvrières, comme dans les écrits anarchistes de Louise Michel en France, ou de façon plus visible en Grande-Bretagne à travers la pensée d’Henry Salt (Dardenne 2005) et les manifestations dites du Brown Dog (Lansbury 1985). Le végétarisme constitue également une pratique parfois mise en avant dans ces milieux militants, quoique cela semble être moins manifeste en France qu’en Angleterre (Carrié 2015b). Cet ancrage de l’antivivisectionnisme dans l’espace des mouvements sociaux de la fin du XIXème siècle a pour corollaire la diffusion des méthodes militantes et du « répertoire d’action collective » (Tilly 1986) de l’époque chez les animalistes. Les pratiques répressives ou incitatives de l’animalisme « réformateur » laissent ainsi place aux manifestations, aux pétitions et autres modes d’action caractéristiques des luttes sociales du XIXème et du XXème siècle. Pour Christophe Traïni (2011), le mouvement antivivisectionniste se construit également autour du registre émotionnel du « dévoilement » qui se traduit par la réalisation d’enquêtes visant à mettre en lumière et à dénoncer les pratiques des vivisecteurs. Cette évolution marque ainsi une double divergence pratique avec l’animalisme « réformateur » et avec les vétérinaires qui se concentrent sur le développement des savoirs et des pratiques médicales.

Encadré 2. Marie Huot, militante antivivisectionniste et ennemie des vétérinaires Née en 1846, Marie Huot est une militante féministe, animaliste et végétarienne française. D’abord membre de la SPA, elle exerce une voix critique au sein de cette organisation. Dans les années 1880, elle participe à la création de la Ligue Populaire contre l’abus de la vivisection et des premiers refuges animaliers en France. Ses interventions publiques et ses actions spectaculaires, comme en 1883 lorsqu’elle frappe le physiologiste Charles-Edouard Brown-Séquard à coups d’ombrelle lors de la vivisection d’un singe, en font une figure majeure du mouvement antivivisectionniste à la fin du XIXème siècle.

Entre les antivivisectionnistes et les vétérinaires de la fin du XIXème siècle, la divergence est donc totale : cognitive et sociale aussi bien que relationnelle et pratique. Elle culmine dans la contre-mobilisation des vétérinaires et des vivisecteurs qui profitent de la légitimité de la physiologie et de la médecine expérimentale (Berdah 2012) pour délégitimer les antivivisectionnistes. Ce contre-mouvement vise à présenter les antivivisectionnistes comme des ennemis de la science et mobilise des ressorts sexistes. A partir d’une analyse de la revue professionnelle La semaine vétérinaire, Christophe Traïni (2011) montre comment les motifs

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. d’indignation des vétérinaires et des physiologistes contre l’antivivisectionnisme s’intriquent pour le présenter comme un mouvement de résistance aux progrès et à la science. Cette critique des vivisecteurs se renforce d’une logique de pathologisation du militantisme animaliste. Forts de l’autorité médicale de ses membres, la Semaine vétérinaire relaye en France l’équivalent du concept de zoophil psychosis forgé dans le monde anglo-saxon (Buettinger 1993). Cette soi- disant maladie mentale qui ne toucherait que les femmes serait à l’origine d’une considération démesurée pour les animaux dont l’engagement antivivisectionniste serait un symptôme. C’est la violence de cette contre-mobilisation qui « combine très étroitement les préjugés du scientisme et du sexisme » (Traïni 2011, p. 179) qui entraîne la déconsidération des antivivisectionnistes. L’histoire croisée des animalistes et des vétérinaires n’est plus celle d’une coopération, mais d’un conflit, et en dépit d’une brève résurgence de l’antivivisectionnisme au début du XXème siècle en France (Bory 2013), ce sont désormais vers les refuges et les soins aux animaux de compagnie que se dirigent les efforts des animalistes.

Des animalistes « sensibilistes » et des vétérinaires canins en concurrence autour des soins aux animaux de compagnie Initialement, les refuges peinent à s’imposer. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, ils sont promus par les animalistes « sensibilistes » qui refusent la mise à mort des animaux de compagnie et leur usage à des fins d’expérimentation animale, comme le pratiquent les fourrières. Les refuges se développent d’abord en Angleterre (Turner 1980) et aux Etats-Unis (Beers 2006) à partir des années 1860. En France, ce n’est qu’à partir des années 1880 que se structurent les débats sur la question (Pierre 1998b, 1998c). Les refuges suscitent initialement les critiques des animalistes « réformateurs » et des vétérinaires qui ne jugent pas ces animaux utiles et estiment qu’une meilleure allocation de leurs moyens serait possible. Christophe Traïni (2011) relate ainsi l’éphémère création des premiers refuges de la SPA en 1881 et en 1885. Controversés, ils sont fermés dès 1888, et ce n’est qu’avec la création de l’organisation Assistance aux Animaux en 1899 qu’ils s’imposent en France (Traïni 2011, p. 130). Comme le souligne Jérôme Michalon (2013), peu de travaux s’intéressent à la question des refuges animaliers dans le cas français. À partir des travaux de Diane Beers (2006) sur le cas états- unien, nous pouvons toutefois formuler l’hypothèse que la reconversion des forces vives du mouvement antivivisectionniste est susceptible d’avoir favorisé le développement des refuges. En parallèle de la question des refuges se pose celle des soins aux animaux de compagnie. Les vétérinaires se désintéressent initialement de cette population qui ne renvoie ni à des animaux qu’ils jugent utiles, ni à leur clientèle habituelle, ni à leurs savoirs (Hubscher 1999). Signe de

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. la marginalité de cette question pour les vétérinaires, les travaux très documentés de Delphine Berdah sur les savoirs vétérinaires (2010, 2012, 2018) n’abordent pas la question du développement de la spécialité canine. Pour un temps, la divergence cognitive et sociale des animalistes et des vétérinaires sur cette question se double d’une distance relationnelle et pratique.

C’est pourtant entre la deuxième moitié du XIXème et du XXème siècle que se développent les prémices du marché des soins aux animaux de compagnie à travers l’initiative de quelques vétérinaires numériquement marginaux et marginalisés par le reste de la profession. Ronald Hubscher (1999) établit ainsi un lien entre les transformations de la sensibilité à l’égard des animaux de compagnie, qu’il date un peu hâtivement à la fondation de la SPA et à la loi Grammont, et l’activité de quelques vétérinaires parisiens qui, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, exercent une activité partielle de soin aux animaux domestiques. Selon lui, leur « adhésion à la société protectrice [leur] ouvr[irait] les portes d’une clientèle féminine, clé de leur réussite » (Hubscher 1999, p. 256). Il souligne également en quoi le développement de la canine au tournant du XXème siècle est lié à l’évolution des moyens de locomotion. En effet, le développement de l’automobile et des transports en communs remet en cause la centralité des chevaux dans les villes, alors que les soins à cette espèce constituaient l’une des seules sources de revenu des vétérinaires urbains (Hubscher 1999, p. 252). Pour Christophe Traïni, les soins aux animaux de compagnie constituent pour les vétérinaires tout autant une opportunité d’ascension sociale qu’une option professionnelle pour accompagner les évolutions de la protection animale, thèse qu’il développe à partir de l’examen de la carrière singulière du vétérinaire Fernand Méry (Traïni 2011, pp. 134-137). Un détour par le cas anglais, plus documenté, permet de mettre en lumière le rôle joué par les concours canins dans l’émergence des soins aux de compagnie. Alison Skipper (2019) montre que ces concours ont contribué à développer les savoirs canins auprès des vétérinaires à la fois pour lutter contre les maladies et les fraudes, mais aussi en raison de la concurrence exercée par des soigneurs non-diplômés. Dans leur ouvrage The Invention of the Modern Dog, Michael Worboys, Julie-Marie Strange et Neil Pemberton (2018) précisent cet argument en soulignant comment cette passion a accompagné le développement de pratiques chirurgicales pour les animaux de compagnie des classes aisées, mais aussi comment la RSPCA a encouragé ces vétérinaires à s’intéresser au bien-être des animaux en encourageant l’usage d’anesthésique lors des opérations. Autour des années 1900, ces initiatives restent toutefois l’apanage de vétérinaires numériquement marginaux et marginalisés par le reste de la profession. Ronald Hubscher (1999) oppose ainsi

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. ces vétérinaires au commun de la profession et Alison Skipper (2019) montre comment ces vétérinaires sont présentés par la plupart de leurs collègues comme des hommes bourgeois, sensibles et efféminés qui ne supporteraient pas la réalité du travail vétérinaire.

Encadré 3. Fernand Méry, un cas-limite de vétérinaire canin « sensibiliste » Fernand Méry est né en 1897. Sa carrière est marquée par la singularité de sa double posture de vétérinaire canin et de militant animaliste. Issu d’une famille commerçante de l’Hérault, son attachement à la jument familiale le conduisent à se consacrer à la médecine vétérinaire. A Paris, il découvre l’existence d’une clientèle bourgeoise qui souhaite bénéficier de soins pour les animaux de compagnie. En parallèle, il se mobilise pour la protection animale et créé en 1970 le Conseil National de la Protection Animale (CNPA) qui vise à « permettre aux vétérinaires de se considérer [comme des] acteurs de premier ordre en matière de protection animale » (Traïni 2011, p. 136).

La recomposition des interactions entre les animalistes « sensibilistes » et les vétérinaires autour du marché au soin des animaux de compagnie se manifeste progressivement au fil du XXème siècle. Les limites des travaux français impliquent là encore d’emprunter au cas britannique pour rendre compte de cette logique. Au-delà de l’évolution de la rentabilité économique des spécialités vétérinaires (Surdez 2009), les travaux d’Andrew Gardiner (2014) établissent un lien direct entre le développement de la spécialité canine et les mobilisations des animalistes « sensibilistes ». Il montre comment une organisation animaliste, la People’s Dispensary for the Sick Animals of the Poor, a remis en cause le périmètre d’intervention des vétérinaires anglais durant l’entre-deux guerres. L’organisation dirigée par Maria Dickin était particulièrement critique à l’égard d’une profession vétérinaire qu’elle jugeait réticente et inapte à soigner les animaux de compagnie. Pour répondre à ses besoins, cette organisation a formé son propre personnel soignant et a développé ses propres hôpitaux vétérinaires au point de structurer une « alternative veterinary profession ». Face à la concurrence de cette organisation, face à la remise en cause de leur diplôme, de leurs compétences et du périmètre de leur juridiction, mais aussi face à ce qui était perçu comme un retour des « empiriques », les vétérinaires anglais ont réagi en développant les savoirs sur les animaux de compagnie et en se déployant auprès d’une clientèle élargie. Cette même relation de concurrence entre vétérinaires et animalistes « sensibilistes » semble d’ailleurs avoir existé en France quelques décennies plus tard. Ronald Hubscher (1999, pp. 367-369) établit ainsi un lien entre les activités de soins aux animaux de la SPA dans la deuxième moitié du XXème siècle et une prise de conscience par la profession vétérinaire des besoins en matière de soins aux animaux de compagnie. Cette concurrence est donc susceptible de constituer un facteur de convergences pratiques et relationnelles entre animalistes « sensibilistes » qui cherchent à réduire les souffrances des

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. animaux de compagnie et des vétérinaires qui investissent le marché des soins aux animaux de compagnie, à défaut d’une convergence cognitive qui, peut-être, est à trouver dans l’essor des pratiques de soins par le contact animalier qui mettent en relation des animaux et des humains en souffrance (Michalon 2011). Sans remettre en question l’existence d’intersections entre l’histoire des animalistes et des vétérinaires, les relations de coopération qui existaient initialement entre eux au milieu du XIXème siècle se muent donc en relations conflictuelles à la fin du XIXème siècle, avant de progressivement céder la place à une situation de concurrence.

Des relations équivoques : animalistes « welfaristes » et « abolitionnistes » face à la professionnalisation des vétérinaires exerçants dans les élevages (1950 à nos jours) Alors que les relations entre les animalistes « sensibilistes » et les vétérinaires (canins) se normalisent dans la deuxième moitié du XXème siècle, l’essor de l’élevage intensif vient à nouveau questionner l’existence et la forme des relations entre animalistes et vétérinaires. Tandis que les vétérinaires (ruraux, services vétérinaires de l’Etat, vétérinaires dans les industries pharmaceutiques ou agro-alimentaires) jouent un rôle croissant d’accompagnement de l’élevage, un animalisme de troisième vague se structure. Ce mouvement se divise en deux courants : les « welfaristes » (parfois qualifiés de « réformistes » dans le contexte français, à distinguer des animalistes « réformateurs » du milieu du XIXème siècle) qui cherchent à améliorer le bien-être des animaux d’élevage sans remettre en question la légitimité de cette pratique et les « abolitionnistes » qui remettent en question toute forme d’exploitation des animaux. La notion de bien-être animal offre l’occasion d’une recomposition inégale des relations entre vétérinaires ruraux et animalistes « welfaristes », tandis qu’un nouveau conflit s’affirme avec les animalistes « abolitionnistes ».

Une nouvelle divergence cognitive : animalistes et vétérinaires face à l’essor de l’élevage intensif Initié au court du XIXème, le processus d’intensification de l’élevage connaît une forte accélération à l’issue de la Seconde Guerre mondiale en France. C’est dans ce contexte que les vétérinaires achèvent de se constituer comme une profession à part entière, avec une juridiction et des prérogatives garanties. Leur présence dans les élevages n’est pourtant pas nouvelle. Les autorités étatiques choisissent de recourir aux vétérinaires pour prendre en charge les épizooties dès le début du XIXème siècle quand les savoirs sur les maladies animales commencent à se structurer (Berdah 2012). Avec la mise en évidence des risques liés à la consommation de la

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Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. chair d’animaux malades dans la deuxième moitié du XIXème (Hardy 2003), les vétérinaires investissent le domaine de l’inspection des viandes, de sorte que la reconnaissance de la profession vétérinaire s’articule autour d’un double rôle de gestion des épizooties et d’inspection sanitaire (Hubscher 1999), domaine dans lequel ils conservent encore une place centrale malgré l’évolution des normes sanitaires (Bonnaud & Coppalle 2008). Mais jusqu’au milieu du XXème siècle, le rôle des vétérinaires, quoique reconnu par l’Etat, reste très contesté dans les élevages, où les « empiriques » continuent de pratiquer de nombreux soins. Selon Delphine Berdah (2010), c’est autour de la gestion de tuberculose bovine que les vétérinaires parviennent à s’imposer dans les élevages. Les lois du 7 juillet 1933 et du 6 décembre 1954 structurent le modèle du « trépied sanitaire » qui accorde un rôle prééminent aux vétérinaires ruraux et aux services vétérinaires de l’Etat dans le contrôle de cette maladie, aux côtés des éleveurs. Les évolutions juridiques du marché des produits pharmaceutiques promues par la loi de 1975 se fait au profit des vétérinaires qui s’imposent durablement face aux « empiriques » (Bonnaud & Fortané 2018) et deviennent les acteurs centraux de la gestion des maladies animales dites de « production » (Bonnaud & Fortané 2020) comme cela a été initialement montré à partir du secteur des produits laitiers en Angleterre (Woods 2007, 2014). C’est donc en répondant aux problématiques soulevées par l’intensification de l’élevage que la profession vétérinaire s’impose au milieu du XXème siècle, au point de dessiner aujourd’hui les contours d’une action publique vétérinaire (Bonnaud & Fortané 2016). Ronald Hubscher estime ainsi que les vétérinaires jouent un rôle central dans le « vaste dispositif technico-commercial » (1999, p. 315) de l’élevage. Pour l’historienne Susan D. Jones (2003), les vétérinaires participent même à la légitimation de l’élevage en se positionnant comme les garants d’une morale qui concilierait exploitation des animaux et humanisme. Cette évolution des représentations et de l’identité vétérinaire témoigne d’une nouvelle prise de distance cognitive avec les animalistes de troisième vague qui développent à l’inverse une critique plus ou moins profonde de l’exploitation des animaux.

Dans la deuxième moitié du XXème siècle, les animalistes manifestent un intérêt renouvelé pour les enjeux éthiques soulevés par l’exploitation animale, dont l’élevage intensif apparaît comme l’une des manifestations majeures. Leur discours s’éloigne ainsi largement des préoccupations des services vétérinaires de l’Etat et des vétérinaires ruraux, dominants dans les instances officielles de la profession. Comme le montre Fabien Carrié (2015b), l’émergence de cet animalisme de troisième vague en France passe là encore par un processus d’importation et de créolisation d’évolutions qui se sont d’abord manifestées dans le monde anglo-saxon. Pour

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Christophe Traïni (2011), ce renouveau animaliste s’expliquerait par l’essor des mouvements écologistes et des sensibilités à l’égard du « sauvage » qui contribueraient à « l’extension du registre de l’attendrissement, puis du dévoilement, vers l’ensemble des animaux considérés comme un tout indistinct » (Traïni, 2011, p. 205). Damien Baldin (2014) montre à partir du cas français comment les sensibilités à l’égard des activités d’élevage et de production de viande passent entre le XIXème et le XXème siècle d’un régime de sensibilité cherchant à mettre à distance la vue du sang animal à un régime de sensibilité construit autour de la question de la souffrance des animaux d’élevage. En parallèle de cette évolution, les animalistes s’intéressent aussi à des thématiques comme la légitimité de la chasse et remettent en question le magistère des organisations établies (Carrié 2015b). Toutes ces évolutions concourent à la mise en place d’un animalisme qui porte un regard critique sur les activités d’élevage ou, de façon plus générale, sur l’exploitation animale. Selon l’ampleur de cette critique, il est possible d’opérer une distinction analytique entre deux courants, bien qu’il existe en pratique des passerelles entre eux. Le premier, dit « welfariste », cherche à améliorer le bien-être animal en situation d’élevage sans pour autant remettre en question le principe de l’exploitation animale. Il est incarné en France par des organisations comme l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA) ou Welfarm. Le second, dit « abolitionniste » regroupe l’ensemble des mouvements antispécistes, pour les droits des animaux ou de libération animale qui remettent en question toute forme d’exploitation des animaux et promeuvent le véganisme, comme l’association L214. Les mobilisations de ce mouvement visent majoritairement les activités d’élevage, mais elles ne s’y réduisent pas. Pour les vétérinaires, la divergence cognitive est donc moins grande avec les « welfaristes » qu’avec les « abolitionnistes ». Ainsi, la carrière de la notion de bien- être animal témoigne de la persistance de relations, certes inégales, entre les « welfaristes » et les vétérinaires, tandis que le conflit avec les « abolitionnistes » est plus profond.

Le concept de bien-être animal, révélateur d’une recomposition partielle des relations entre « welfaristes » et vétérinaires Malgré leur divergence cognitive, la notion de bien-être animal est mobilisée aussi bien par les « welfaristes » que par la profession vétérinaire qui affirme être devenue la « sentinelle du bien-être animal »6 selon le président de l’Ordre vétérinaire Michel Baussier, également membre du conseil d’administration de La Fondation Droit Animal, Éthique et Science

6 https://static.veterinaire.fr/fileadmin/user_upload/Colloque_BEA_Conclusion_Michel_Baussier.pdf. Accessed September 18 2020. 22

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021.

(LFDA7). Le consensus affiché autour de cette notion ne signifie pas pour autant qu’elle renvoie au même contenu pour ces groupes sociaux. Elle constitue en revanche un révélateur de la recomposition partielle et inégale des interactions sociales, relationnelles et pratiques entre « welfaristes » et vétérinaires (vétérinaires ruraux et services vétérinaires de l’Etat).

L’origine de la notion de bien-être animal trouverait sa source dans les mobilisations des « welfaristes ». Ce ne serait que dans un deuxième temps que cette notion serait reprise par les vétérinaires du XXème siècle. Toutefois, le mouvement « welfariste », ses militants et la notion de bien-être animal (ou animal welfare) sont peu étudiées dans le cas français. En comprendre l’origine implique là encore de faire un détour par le monde anglo-saxon. Pour Christophe Traïni (2011, pp. 207-209), l’essor des mobilisations « welfaristes » est lié à la publication en 1964 d’Animal Machines, une enquête de la militante végétarienne Ruth Harrison, fille de militant·es antivivisectionnistes, sur les transformations des pratiques d’élevages et ses conséquences pour les animaux. Son succès entraîne la création de comités chargés d’établir de nouvelles normes en la matière puis le vote de la loi britannique sur le bien-être animal en 1968. En parallèle, des organisations comme Compassion in World Farming (CIWF) créée en 1967 par un éleveur laitier entérine la structuration du courant « welfariste ». (Traïni 2011, pp. 208). Selon Fabien Carrié, le succès de l’ouvrage tient beaucoup au fait que les arguments moraux formulés par l’autrice soient soutenus par de solides connaissances techniques (Carrié 2015b, pp. 580-581). Les travaux d’Abigail Woods (2012a) permettent de préciser les conditions d’émergence et de circulation de la notion d’animal welfare. Ce terme était d’abord utilisé pour désigner les mobilisations animalistes dans les années 1950. Cette notion est ensuite promue par le comité Brambell en 1964 pour remplacer la notion de cruelty et insister sur la nécessité de prendre en compte aussi bien l’état mental que physique des animaux d’élevage. Dès 1965, le Ministry of Agriculture, Fisheries and Food mentionne dans ses rapports le terme d’animal welfare qui se diffuse aux services vétérinaires britanniques à compter de la loi agricole de 1968 qui en fait les garants du bien-être animal. Ce n’est que dans un deuxième temps que la notion se diffuse dans les cercles scientifiques et est reprise par la recherche vétérinaire. Dans un raisonnement qui pourrait aisément être adapté au cas français, Abigail Woods (2012b) montre également que l’importance croissante accordée au bien-être animal dans l’éthique vétérinaire est liée à la reconnaissance de la juridiction et des compétences de cette profession. Avant que les vétérinaires ne bénéficient d’un véritable monopole professionnel dans les soins aux

7 Cette organisation est créée en 1977 sous le nom de Ligue Française pour le Droit des Animaux, avant d’être renommée en 2010. 23

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. animaux d’élevage, l’enjeu premier de la déontologie vétérinaire était de s’assurer que les animaux puissent bénéficier de soins dispensés par des professionnel·les formé·es à la médecine vétérinaire plutôt que de promouvoir la notion de bien-être animal.

Quoique la manière dont cette notion s’est diffusée en France ne nous soit pas connue, quelques sources permettent de souligner l’existence de convergences pratiques entre les « welfaristes » et les vétérinaires français. L’hypothèse d’un mouvement « welfariste » directement importé de la Grande-Bretagne doit d’ailleurs être tempérée par la création dès 1961 de l’OABA en France. Damien Baldin (2014) relève de nombreux points de rencontres entre les attentes des « welfaristes » et les activités des vétérinaires français de la deuxième moitié du XXème siècle. Pour lui, nombre de revendications des vétérinaires, comme l’étourdissement des animaux avant saigné généralisé par le décret du 16 avril 1964, sauf exceptions pour raisons rituelles, n’ont pu « voir le jour que par l’évolution du mouvement d’opinion de la protection animale au 20e siècle » (Baldin 2014, p. 66). Et s’il serait anachronique de parler de bien-être animal dans la France des années 1960, cette notion a fini par trouver sa place. Chez les « welfaristes », elle est notamment mobilisée par l’antenne française de la CIWF mise en place en 1994. (Traïni 2011, p. 209). Le succès de la notion chez les vétérinaires français semble plus tardif. Dans sa synthèse sur la profession et les métiers vétérinaires, Philippe Fritsch (2011) ne mentionne pas le rôle des vétérinaires en matière de bien-être animal. Ce n’est qu’en 2015 que les vétérinaires se sont pleinement emparés du bien- être animal avec la réforme de l’Ordre national des vétérinaires et du code de déontologie de la profession, qui en fait l’une de leurs missions. Des convergences pratiques se sont donc également manifestées entre les « welfaristes » et les vétérinaires dans la deuxième moitié du XXème siècle en France.

Cette recomposition des relations entre vétérinaires et « welfaristes » n’est toutefois que partielle et, plus encore, elle est aussi inégale. En effet, la professionnalisation et la reconnaissance étatique des vétérinaires placent les « welfaristes » dans une situation de demandeurs à l’égard des vétérinaires. Damien Baldin (2014) montre ainsi comment les décisions politiques de 1954 sur la corrida, de 1963 sur la pénalisation de la cruauté envers les animaux de compagnie et de 1964 sur l’étourdissement avant abattage font des services vétérinaires l’outil d’action publique privilégié pour appliquer ces évolutions des régimes de sensibilité et répondre aux revendications des « welfaristes ». Ce rôle désormais accordé aux services vétérinaires de l’Etat leur laisse une grande marge de manœuvre pour réinterpréter les demandes des « welfaristes » à l’aune des préoccupations des vétérinaires, mais aussi de l’Etat.

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Malgré des convergences pratiques et, dans une moindre mesure, relationnelles, les interactions entre vétérinaires et « welfaristes » semblent donc inégales, quoique des travaux supplémentaires seraient nécessaires pour éclairer pleinement cette nouvelle recomposition de l’histoire croisée des animalistes et des vétérinaires.

L’animalisme « abolitionniste » : des militants en conflit avec les services vétérinaires Les divergences entre ces vétérinaires et les animalistes « abolitionnistes » sont plus profondes et se traduisent par une divergence cognitive, pratique et relationnelle qui rappelle les conflits autour de la vivisection. L’appropriation de la notion de bien-être animal par ces vétérinaires et leurs organisations ne remet aucunement en question la légitimité des pratiques d’élevages et le rôle d’adjuvant qu’ils y jouent. Pour Michel Baussier, « le vétérinaire est né avec et pour l’élevage » et « les éleveurs doivent savoir qu’ils peuvent compter sur le soutien de la profession vétérinaire »8. Or, pour les animalistes « abolitionnistes » toute forme d’exploitation animale est illégitime. A l’inverse des « welfaristes », ils jugent donc la notion de bien-être animal insuffisante. L’origine de l’idéologie et du militantisme des « abolitionnistes » est souvent réduite à la parution de l’ouvrage de paru en 1975 (Singer 1975). Le philosophe y systématise les revendications d’un mouvement qui valorise la libération animale et l’antispécisme, une notion qui promeut l’égalité de prise en compte des intérêts de l’ensemble des animaux sentients9, y compris les humains. Carrié (2015b) et Traïni (2011) réinscrivent cette genèse dans un mouvement intellectuel et militant plus large. Ils décrivent d’une part comment cette idéologie s’inscrit dans les évolutions intellectuelles des décennies 1960 et 1970 et portées par des collectifs d’intellectuel·les comme le « groupe d’Oxford » à l’origine de l’ouvrage Animals, Men and Morals publié en 1971 (Godlovitch et al. 1971). Ils réinscrivent également ce mouvement dans l’espace des mouvements sociaux en soulignant qu’il émerge également dans des collectifs militants des années 1960 opposés à la chasse ou à l’expérimentation animale, comme la Hunt Saboteurs Association. L’importation de l’« abolitionnisme » en France est plus tardive. Bien plus que la LFDA créée en 1977 par un groupe d’intellectuel·les et de scientifiques qui mobilisent aujourd’hui la notion de spécisme sans pour autant revendiquer l’abolition de l’exploitation des animaux, ce sont les groupes militants qui publient la revue Les Cahiers Antispécistes créée en 1991 qui importent l’antispécisme et la perspective abolitionniste en France (Traïni 2011 ;

8 Ibid. 9 Pour les « abolitionnistes », le concept de renvoie à la capacité d’un être vivant à éprouver subjectivement de la souffrance et des émotions, par distinction avec la sensibilité qui n’inclut pas cette dimension subjective. 25

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Carrié 2015b). Ce mouvement est incarné par les militant·es d’organisations comme L214, Droits des Animaux, 269 Life France, 269 Libération Animale ou Vegan Impact, pour les plus connues d’entre elles. Celles-ci revendiquent la fin de l’exploitation de tous les animaux et ciblent particulièrement la pratique de l’élevage en raison de son ampleur, de la quantité de souffrance qu’il implique pour les animaux mais aussi en raison de sa portée symbolique.

Encadré 4. Sébastien Arsac et Brigitte Gothière : la carrière militante de deux abolitionnistes Ces antispécistes comptent parmi les militant·es « abolitionnistes » les plus visibles en France. Durant son enfance, Sébastien Arsac est marqué par la mise à mort des animaux que ses grands-parents agriculteurs abattent parfois. En couple avec Brigitte Gothière, ils deviennent végétarien·nes, puis véganes dans les années 1990 et se rapprochent des militants qui publient les Cahiers Antispécistes. Ils participent activement au collectif Stop-Gavage lancé en 2003 qui se mobilise contre le foie-gras et son soutien par l’INRA10. En parallèle, Sébastien Arsac travaille un temps pour l’association « welfariste » Protection Mondiale des Animaux de Ferme. En 2008, ils créent une association pour promouvoir l’antispécisme et l’abolition de la viande : L214, dont Brigitte Gothière est à la fois la directrice et la principale porte-parole. En 2020, cette organisation compte environ 70 salariés, près de 45 000 adhérents et est suivie sur les réseaux sociaux par plus de 700 000 personnes.

En parallèle de ces revendications, la carrière militante des « abolitionnistes » les conduit à pratiquer le véganisme (Traïni 2012) et, pour la plupart d’entre eux, à le promouvoir activement (Carrié 2018a). Cette pratique qui vise à exclure tout produit ou activité impliquant l’utilisation des animaux de son alimentation et de ses actes de consommation s’oppose aux représentations dominantes des vétérinaires et cristallise de nombreuses tensions dans le débat public, bien qu’elle soit moins répandue en France qu’aux Etats-Unis (Cherry 2016). Cette divergence se manifeste également sur le plan des savoirs. Bien que les « abolitionnistes » mobilisent les savoirs de l’éthologie et des sciences cognitives en vue de promouvoir le concept de sentience, une place prééminente est accordée à la philosophie morale et à la branche de l’éthique animale ainsi qu’en témoignent le contenu des Cahiers Antispécistes11 ou, plus récemment, de L’Amorce12. Cette perspective contraste avec la manière dont les vétérinaires appréhendent l’éthique animale : l’examen des programmes des écoles vétérinaires françaises montre que les enseignements d’éthique animale accordent une place conséquente à l’« animal welfare science » et au cadre juridique de la protection animale plutôt qu’à la philosophie morale. La virtuosité philosophique déployée par les antispécistes diffère donc de l’expertise juridique et médicale valorisée par les vétérinaires. En ce sens, la « Révolution antispéciste » (Bonnardel et

10 https://stop-foie-gras.com/fichiers/ancien-site/inra/INRA-foie-gras.pdf. Accessed September 18 2020. 11 https://www.cahiers-antispecistes.org/. Accessed September 18 2020. 12 https://lamorce.co/. Accessed September 18 2020. 26

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. al. 2018) portée par les animalistes « abolitionnistes » diffère des représentations dominantes des vétérinaires exerçants dans les élevages.

En effet, les animalistes « abolitionnistes » s’inscrivent pleinement dans l’espace des mouvements sociaux contemporains, tout particulièrement en France. Par comparaison avec leurs équivalents européens, l’ethnologue Catherine-Marie Dubreuil (2001, 2013) soutient que les « abolitionnistes » français auraient moins valorisé la notion de véganisme que le concept d’antispécisme qui les conduit à se réclamer d’une volonté de lutte contre toutes les dominations. Ceci les amène à formuler une « critique systémique » (Carrié 2015b) de l’exploitation animale qui lie par analogie ce phénomène aux logiques de discriminations sexistes et racistes et conduit la majorité des « abolitionnistes » français à valoriser une convergence des luttes avec les mouvements féministes et antiracistes. Leurs méthodes militantes se heurtent aux logiques de la profession vétérinaire, et notamment les vétérinaires ruraux et les services vétérinaires de l’Etat avec lesquels un conflit semble s’installer. Ainsi, les enquêtes réalisées par L214 dans des élevages ou des abattoirs français critiquent régulièrement l’incurie des services vétérinaires de l’État et mènent à des conflits avec le ministère de l’Agriculture et ses vétérinaires en charge des questions d’élevage et du bien-être animal13. Malgré une relative convergence sociale entre les étudiant·es vétérinaires et les « abolitionnistes » qui possèdent un important capital scolaire (Fritsch 2005 ; Poirel 2016), l’analyse exploratoire menée ici semble indiquer que la divergence cognitive entre les « abolitionnistes » antispécistes d’une part et les services vétérinaires de l’Etat et les vétérinaires ruraux d’autre part se double de divergences pratiques et relationnelles, quoique de plus amples travaux seraient nécessaires pour en préciser l’ampleur.

Conclusion

La (socio-)histoire des animalistes et des vétérinaires est jalonnée de relations multiples, complexes et ambivalentes entre ces groupes sociaux. Tantôt, ce sont les animalistes qui ont influé sur les pratiques d’un groupe professionnel, tantôt, ce sont les vétérinaires qui ont pesé sur les mobilisations animalistes. A bien des égards, l’histoire des animalistes et des vétérinaires constitue donc une histoire croisée. Pour autant, les relations entre les vétérinaires et les militant·es pro-animaux sont loin d’être univoques. Si la situation d’accord qui caractérise les relations entre les animalistes « réformateurs » et les vétérinaires du milieu du XIXème siècle

13 Cette affirmation s’appuie sur l’analyse des communiqués de presse de L214 de septembre 2015 à juillet 2020. 27

Nicolas Poirel, « Entre coopération et compétition : un état des lieux des relations entre animalistes et vétérinaires en France du XIXème siècle à nos jours », 2021. cède rapidement la place à une relation conflictuelle autour de la question de la vivisection entre les militants « sensibilistes » et des vétérinaires qui se médicalisent, les interactions entre ces groupes sociaux ne cessent pas pour autant avec le déclin de l’antivivisectionnisme. Au fil du XXème siècle, leurs relations se recomposent d’abord autour d’une situation de concurrence qui contribue à structurer le marché des soins aux animaux de compagnie. A compter du milieu du XXème siècle, l’affirmation des vétérinaires dans les élevages entraîne parallèlement des relations inégales avec les « welfaristes » et un nouveau conflit avec les « abolitionnistes ». L’existence de divergences cognitives entre animalistes et vétérinaires ne se traduit donc pas par une rupture de leurs relations, fussent-elles conflictuelles, et n’empêche pas la manifestation de convergences relationnelles, sociales ou pratiques. Exemple méconnu de porosité entre un groupe professionnel et un groupe militant, l’histoire croisée des animalistes et des vétérinaires permet donc de mettre en évidence la multi-dimensionnalité des relations entre des groupes sociaux en perpétuelles évolutions qui oscillent entre coopération et concurrence.

En parallèle, ce travail permet d’identifier les angles morts de la littérature sur les animalistes et les vétérinaires en France. Si leur rôle au milieu du XIXème siècle et dans la controverse autour de la vivisection est désormais bien connu, des travaux complémentaires restent à effectuer pour mieux saisir l’histoire de la canine ainsi que le rôle des refuges animaliers et des « welfaristes » dans le militantisme pro-animaux, tandis que l’animalisme « abolitionniste » fait l’objet de recherches en cours. Il permet également de souligner l’intérêt qu’il y a à étudier les relations sans cesse mouvantes entre les animalistes et les vétérinaires. La réflexion de Fréderic Keck et Miriam Ticktin (2015) sur les effets de l’expertise vétérinaire pourrait ainsi être étendue aux mobilisations animalistes. Dans la continuité des travaux d’Ulrike Thoms (2015), l’imposition de la notion de bien-être animal chez les vétérinaires questionne leur rôle auprès des éleveurs et la frontière avec les revendications des « welfaristes ». Florence Burgat (2009) souligne également qu’à l’inverse du cas anglo-saxon, la majorité des « abolitionnistes » français ne s’opposent pas, à court terme, à l’amélioration des conditions d’élevage. Cette situation rend possible un dialogue avec les vétérinaires et se renforce avec la professionnalisation de L214. L’histoire militante de L214 que propose Jean-Baptiste Del Amo (2017) montre comment les objectifs « abolitionnistes » de l’organisation s’accompagnent de demandes « welfaristes » compatibles avec les attentes de la plupart des vétérinaires. Certains vétérinaires soutiennent même, à titre individuel, des organisations « abolitionnistes ». En ce sens, les formes d’engagements animalistes de certains vétérinaires notamment lorsqu’ils exercent en tant que libéraux, un statut professionnel relativement favorable à l’engagement

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(Champy & Israël 2009), gagneraient à être étudiées. L’essor de la thématique de la condition animale dans le débat public soulève également des interrogations sur l’évolution des mandats accordés aux vétérinaires, tout particulièrement dans le cas des services d’inspections vétérinaires dont le rôle ambivalent en matière de protection animale gagnerait à être questionné. Autant de perspectives qui restent à développer et qui interrogent l’avenir des relations entre vétérinaires et animalistes.

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Remerciements Je souhaiterais remercier Laure Bonnaud et Nicolas Fortané pour leur confiance et leur conseils précieux dans le cadre de la préparation de cet article, les relecteur·rices anonymes pour leurs commentaires éclairants et les membres de l’ensemble du comité éditorial de la RAFE pour leur travail et leur suivi. Je souhaiterais également remercier Éric Agrikoliansky, Choukri Hmed, Anne Jourdain et Sabine Rozier pour leur lecture d’une précédente version de cet article et leurs commentaires dans le cadre de mon comité de suivi de thèse ainsi que Lisa Boukhana pour sa relecture et ses encouragements.

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