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My name is Joe

de FFICHE FILM Fiche technique

G.B. - 1998 - 1h45 Couleur

Réalisateur : Ken Loach

Scénario :

Montage : Jonathan Morris (Joe) et Louise Goodall (Sarah)

Musique : Résumé Critique

Après des années d’alcoolisme, Joe est Peu de cinéastes savent aussi bien que Interprètes : parvenu à cesser de boire. Au chômage et Ken Loach articuler le social et l’affectif, et Peter Mullan débordant d’énergie, il consacre une gran- son dernier film, après des aventures de (Joe) de partie de son temps à la mauvaise équi- tournage plus extérieures à la Grande- pe de football de Glasgow. Sarah est assis- Bretagne ( dans Louise Goodall tante sociale et vit principalement pour son l’Espagne de la guerre civile, Carla’s song (Sarah) travail. Joe et Sarah se rencontrent chez en Amérique latine), en est l’ultime Liam et Sabine auxquels ils essaient démonstration. L’enquête sociale qui a d’apporter aide et conseils. Après une pre- généré le scénario de Paul Laverty aboutit (Shanks) mière rencontre un peu orageuse, ils tom- à un constat précis sur les quartiers défa- Lorraine McIntosh bent amoureux l’un de l’autre. vorisés de Glasgow, où le chômage prédo- (Maggie) mine, provoquant déshérence, paupérisa- tion, fragilité des couples, alcoolisme, David McKay drogue, prostitution et emprise de la mafia (Liam) locale. Dans le cinéma britannique actuel, Anne-Marie Kennedy la prise en compte sociale est commune à beaucoup de cinéastes. Tous les films de (Sabine) Mike Leigh, mais aussi des premiers - en tout cas pour l’instant - films isolés comme Les virtuoses (Brass off) de Mark Herman, The full monty de Peter

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Cattaneo, Les géants (Among giants) d’exprimer l’énergie, la vitalité des per- ties et relances dramatiques (rencontres de Sam Miller, partent d’une observa- sonnages, et davantage encore celles du en plusieurs étapes entre Joe et Sarah, tion sociale, liée à des situations locales personnage principal, Joe, pièce maî- week-end de la pose du papier peint, (celle du Yorkshire dans Les virtuoses, tresse du tableau socio-psychologique péripéties secondaires liées aux mésa- The full monthy, Les géants, pays sentimental de My name is Joe. Dans ventures du personnage de Liam avec la minier qui a été une des régions les plus ce monde de confrontations, mafia locale et que Joe va prendre en meurtries par la politique thatchérienne d’échanges, d’altercations parfois, de charge) ne servent alors qu’à exprimer le de rentabilité industrielle). Face à cette moments d’union authentiques, Ken cheminement des personnages l’un vers situation, la réponse des cinéastes n’est Loach filme presque exclusivement avec l’autre (Joe vers Sarah), avec les diffi- jamais victimisante pour les person- une longue focale, détachant les person- cultés, les renoncements, les retourne- nages, mais offre des réponses posi- nages d’un décor neutralisé dans les ments, la reprise en mains, qui sont tives, des alternatives. Extérieure aux plans les plus larges, et creusant leur autant de richesses dans une analyse personnages mêmes dans The full existence émotionnelle dès qu’ils qui n’est jamais monolithique. On est monthy (le strip-tease), Les virtuoses s’approchent d’eux. Leurs mouvements, proche d’un regard documentaire à (la fanfare), Les géants (un travail au leurs réactions, même minimes, sont l’intérieur de la fiction, tant les filtres noir), la réponse est en revanche interne alors amplifiés par l’utilisation de la avec la réalité semblent avoir disparu au aux personnages des films de Ken longue focale, et ils n’échappent jamais profit d’une présence de la vie sous Loach. Joe, un ancien alcoolique, par sa à un cadre qui les suit dans leurs toutes ses facettes. participation aux thérapies de groupe moindres respirations. De tels choix de Hubert Niogret des Alcooliques anonymes, veut non tournage impliquent évidemment des Positif n°452 - Oct. 1998 seulement couper définitivement avec acteurs exceptionnels, où la technique l’alcoolisme, mais reconstruire sa vie. dramatique (ou l’instinct, quand il s’agit L’entraînement d’une équipe de football de comédiens peu expérimentés) et d’apparence lamentable est pour lui une l’agencement de la fabrication du film action nécessaire pour combattre son (la «méthode» Loach) vont en permanen- Un film de Ken Loach, c’est toujours une isolement, et son non-emploi. Pour ce contribuer à effacer l’apparence du bénédiction, un moment privilégié, chaque joueur, le sport est une alternati- jeu. L’acteur Peter Mullan est boulever- comme des retrouvailles avec quelqu’un ve partielle à ses problèmes, car ils sont sant parce qu’il met toute la force de qui nous est proche tellement son ciné- tous chômeurs, avec des emplois de son jeu dans la seule présence du per- ma nous touche, nous importe. Nous substitution, ou ils travaillent au noir, sonnage. De même que les acteurs avions été, c’est vrai, un peu déçus par comme le montre leur peur de l’inspec- devenus personnages de Raining son précédent, Carla’s song, mais la tion du travail simulée par Joe. Tous se stones, Ladybird, Land and freedom déception se teintait de l’indulgence qui prennent à rêver, quand ils jouent au ou Carla’s song, Peter Mullan fait anime ceux qui aiment, avec le souhait foot qu’ils sont aussi brillants que l’équi- oublier l’acteur pour ne plus nous laisser de le voir vite reprendre son chemin, pas pe de la RFA ou du Brésil. Plus que tout, ressentir que les émotions, les désar- forcement le droit, mais en tout cas le Joe veut reconstruire une vie affective, rois, les espoirs de Joe .Louise Goodall, sien. une vie de couple, dont il n’a jamais interprète de Sarah, l’assistance sociale, Et bien voilà, il n’y avait qu’à espérer, et connu que le simulacre achevé dans la qui a peur d’une relation de couple c’est fait : avec My name is Joe, Ken violence de l’alcoolisme. Sa rencontre autant que son partenaire, David McKay Loach renoue avec son univers de prédi- avec une assistante sociale va lui per- (Liam, l’ancien drogué), dont la fragile lection, celui qu’il connaît, qu’il aime et mettre de mener à bien cette nouvelle famille va à la dérive, sont, comme tous qu’il sait comme personne nous racon- direction de sa vie, bien que les obs- les autres comédiens, dans la même ter : l’Angleterre des paumés, des tacles soient nombreux en raison de sa unité de fusion avec leurs personnages, débrouillards, des laissés pour compte, propre fragilité psychologique et de sa grâce à leurs qualités propres, mais de tous les “Joe”. situation précaire, qui ne lui permet aussi à l’intelligence du metteur en On retrouve cet humour teinté de déses- même pas d’inviter à dîner la jeune scène d’avoir su les choisir les uns et les poir qui faisait la force de Raining femme qu’il veut séduire. L’humour des autres, et avoir su les diriger. La force stones, et aussi la profondeur boulever- échanges, le comique de certaines émotionnelle, la vérité quotidienne sont sante d’un Ladybird. Avec trois fois situations contribuent à éliminer toute alors telles que le radicalisme social du rien, un visage, une expression, une attitude paternaliste ou condescendan- point de vue de Ken Loach est parfaite- démarche, ces personnages ordinaires te, en même temps qu’ils permettent ment crédible, car incarné. Les péripé- s’imposent à nous avec une telle force

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que l’on ne peut que se mettre à les lence et la tendresse des rapports de Glasgow, il n’y en a plus, ou alors lié aimer, à vibrer avec eux. Et puis il y a humains se mélangent, le social et l’inti- à la pauvreté : ceux qui ont un boulot encore et toujours cet ancrage constant, me se frottent l’un à l’autre, au risque sont au service de ceux qui n’en ont comme un engagement inébranlable, de faire des étincelles ou de faire mal. plus. Dickens pas mort : l’amour difficile dans une réalité qui a depuis longtemps Et nous, on est là, avec eux, heureux de de Joe, chômeur et ancien alcoolique, et oublié d’être douce avec trop de gens voir que ce cinéma-là existe, avec son de Sarah, assistante sociale, leurs ten- qui pourtant mériteraient un brin de bon- enthousiasme qui fait oublier les tatives désespérées pour sauver Liam et heur. C’est l’histoire de Joe, Joe qui dit maladresse, avec sa générosité immen- Sabine de la drogue et de la prostitution lui-même que son nom, c’est tout ce se qui fait passer les petits défauts. pourraient donner matière à un roman qu’il lui reste d’une vie gâtée par pas Gazette Utopia n°183 - Juillet 1998 naturaliste, voire à un mauvais mélo. mal d’emmerdes, quelques années Mais voilà, tout d’abord, il y a ce foutu d’alcoolisme et autant de prisons. Joe a humour «Les riches ne sont pas drôles», une quarantaine un peu usée, un quoti- a coutume de dire Ken Loach. Pour ce dien de petits boulots au noir et de qui est des riches, on ne peut pas juger, plans hasardeux pour quelques livres, Il y a les inconditionnels de Ken Loach : car c’est une espèce qui ne s’aventure mais surtout, un cœur aussi gros que ceux-là le suivraient partout, même lors- pas en ces territoires, mais la drôlerie son envie de s’en sortir… Joe, c’est le qu’il s’aventure là où on ne l’attend pas, de l’Homo loachien, en revanche, est genre de type qui dit que la bouteille est sur le terrain de la reconstitution histo- incontestable : comme ses homologues, à moitié pleine et pas à demi-vide, le rique (Land and freedom) ou exotique Joe trimballe avec sa solide carcasse un genre à trimballer partout et contre tout (Carla’s song). Et puis il y a ceux qui humour à la fois trivial, dérisoire et ven- une énergie communicative, comme un pensent qu’il n’est jamais meilleur que geur. pied de nez à la fatalité, aux mauvais lorsqu’ il arpente son territoire, celui des Avec sa carcasse, oui, car l’humour, tours joués par la vie. grandes cités industrielles d’Angleterre chez Loach, est inséparable du corps et Entre deux jobs, Joe anime une équipe et d’Ecosse. de ses débordements, à savoir quelques de foot à Glasgow, une équipe plutôt A ceux-là, il faut tout de suite dire la culs de prolétaires. Il y a ceux qu’on perdante affichant plus facilement les bonne nouvelle : le Ken Loach de Riff montre aux bourgeois (Riff-Raff) ou bras cassés que les médailles, une Raff (my name is Stevie...) et de ceux qui s’exhibent involontairement et bande de braves gars que le chômage et (my name is Bob...) est qui suscitent de formidables reparties : la drogue n’ont pas épargnés, presque de retour. Frère des deux premiers, Joe «On dirait la tête de Yull Brynner coupée une famille. Pour ces jeunes et ces n’a pas besoin de se présenter pour en deux !» balance Joe à son pote. Pris moins jeunes, Joe est devenu un peu le qu’on sache d’où il vient, qui il est. dans une dimension collective, les corps grand frère, le papa, le pote qui devient Avant même qu’apparaisse son visage, gagnent encore en pouvoir comique : un rempart contre le malheur, l’antidote alors qu’on entend seulement sa voix et l’équipe de footballeurs amateurs que vivant à la déprime. Bref, Joe fait un peu que défile le générique, il nous est fami- dirige Joe, avec ses maillots de la RFA “dans le social”, comme ça, par généro- lier : cet accent de Glasgow, plein de et ses «formats» les plus disparates, du sité, par nature, et puis peut-être aussi saveur annonce cette bonne figure grand maigre au petit gros, semble sor- pour s’empêcher de penser à lui, à sa rocailleuse, franche, un peu butée, celle tie d’Astérix chez les Bretons. Là encore, solitude. d’un homme qui s’obstine à marcher du les reparties fusent : «Ça fait des Un jour, une assistante sociale, une bon côté de la route, en dépit de toutes années que je suis Beckenbauer !» pro- vraie de vraie, une qui travaille dans un les vicissitudes. teste un chauve essoufflé, lorsqu’on lui dispensaire et qui soignent les petits et Stevie, Bob, Joe et les autres... Une demande de changer de maillot. «Et moi, les grands maux des plus perdus, sorte de famille. On est en terrain Cendrillon !» répond l’arbitre. débarque comme un malentendu dans connu, et c’est justement cela qui nous On l’aura compris, le rire est affaire de l’univers de Joe, et bien sûr, les deux réjouit. Le plaisir, avec Ken Loach, vient dignité. De survie, même. Car, lorsqu’il solitaires au grand cœur vont se trouver des variations, parfois infimes d’un film n’est pas réflexe d’autodérision, il est tout chose l’un face à l’autre. Mais Joe à l’autre, d’un individu à l’autre, au sein vengeur. Parfois lié à l’opération com- et Sarah n’évoluent pas tout à fait dans d’une même communauté de destin. Le mando : moutons, gazon (Raining le même monde, et quand la mafia loca- destin de ce qui fut un jour la classe stones), maillots de football, on vole le se réveille, les vieux démons revien- ouvrière britannique, aujourd’hui mise à pour vivre, contents du bon tour qu’on nent et les choses alors se compliquent. l’encan. joue aux possédants. Jamais très loin du Comme toujours chez Ken Loach, la vio- Le travail, dans ce quartier périphérique fou rire, il y a la violence - un pot de

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peinture sur la voiture d’un inspecteur Propos du réalisateur Filmographie du travail - et, parfois, il ne reste plus rien que la violence. A ce propos, il serait temps de tordre le cou à ce cliché Muller, Netzer, Vogts, le Kaiser Franz et 1968 malveillant : Ken Loach est un mani- les autres trottinent vers le terrain. chéen simpliste. D’accord, il y a des Malheureusement, personne ne les Kes 1970 méchants chez Loach et même des acclame. Nous ne sommes pas en méchants de plus en plus méchants, en Allemagne de l’Ouest dans les années Family life 1972 général des salopards d’usuriers. Mais 70 mais à Glasgow dans les années 90 ils ne sont là que comme révélateurs du et l’entraîneur n’est pas Helmut Schoen Black jack 1979 sort et des réactions des opprimés à leur mais Joe Kavanagh. égard. Loach n’a pas de temps à perdre On peut dire deux choses de Joe. Il a 37 1980 avec les oppresseurs. Tout juste suggè- ans et pour lui “Joe Kavanagh est tout re-t-il qu’on peut basculer, qu’un jour le ce que je possède“. Ce n’est pas tout à Fatherland 1986 meilleur des hommes peut commencer à fait vrai. Il a une famille, son équipe battre sa femme ou à devenir dealer. composée de onze gars et de son bon Hidden agenda 1990 Bon, on ne va pas vous raconter l’histoi- copain Shanks. Ils compensent leur re de Joe, puisque Loach le fait si bien. manque de talent par un tempérament Riff-Raff 1991 Juste dire qu’un chômeur écossais, ça joyeusement agressif. peut écouter le concerto pour violon de Joe est un bagarreur, comme eux. C’est Raining stones 1992 Beethoven et pleurer en se bourrant la tout ce qu’il a trouvé pour maintenir ses gueule, simplement parce c’est le seul démons à distance. Cependant, Joe est Ladybird, ladybird 1993 de ses disques qui n’a pas trouvé pre- plus fragile qu’il n’y paraît. neur lorsqu’il a tout bradé. Un chômeur, Dossier distributeur Land and freedom 1994 ça peut, en pleine déroute, contempler la lande sans être dupe des images éter- Carla’s song 1995 nelles de l’Ecosse, son brouillard, ses joueurs de cornemuse, ses short- My name is Joe 1998 breads... Il faudrait encore redire ce qui Le réalisateur Sélection officielle en compétition du fait la force de ce cinéma-là et ce qui festival de Cannes 1998 fait, a contrario, les limites de pas mal Réalisateur anglais né en 1936. Prix d’interprétation masculine à Peter de films français lorsqu’ils se piquent de Mullan réalisme : chez Loach, les acteurs n’ont Il utilise dans ses premiers films les pas attendu la caméra pour exister, ils techniques de la télévision. Autre domi- «connaissaient» leurs personnages nante dans son œuvre : les marginaux depuis toujours. Ils vivent dans les (le jeune garçon de Kes, la jeune fille mêmes cités, ils ont connu les mêmes névrosée de Family Life). Un souci de galères, ils font les mêmes gestes, par- réalisme l’anime qui n’exclut pas obliga- lent la même langue. Leur humour, leur toirement des préoccupations esthé- violence, leurs colères ne sont pas tiques (Black Jack). Il réunit toutes ces feints. C’est pour ça qu’on aime ce clefs de son œuvre dans Regards et cinéaste. His name is Ken. sourires, un film qui, malgré l’accueil Vincent Remy chaleureux de la critique, fut desservi Documents disponibles au France Télérama n°2544 - 14 Oct. 1998 par l’austérité de la mise en scène. Hidden Agenda évoque la lutte de Fiche AFCAE l’IRA et une rocambolesque machination Cahiers du cinéma n°528 - Oct.98 de Mme Thatcher. Le monde - 15 Oct.98 Télérama n°2524 - 27 Mai 98 Dossier distributeur

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