Enrique Vila-Matas
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
littérature 20 ENRIQUE VILA-MATAS Avec Dublinesca, Enrique Vila-Matas nous emmène en pèlerinage à Dublin sur les traces de Joyce. Un récit intelligent et plein d'humour. fdtui qu& pjcw la propos recueillis par Sophie Pujas / photo Léa Crespi pour Transfuge A LITTÉRATURE peut-elle comme l'autre savent faire la distinction ture! Si le livre parle de funérailles pour mourir? Pour mettre une entre ce qui relève de la littérature et ce Gutenberg et une époque, ce sont des A-matas dubteca telle question en roman, qui n'en relève pas. funérailles très gaies et comiques! En il ne fallait rien moins que fait, je crois au retour de l'auteur. Il est L l'étincelante intelligence Riba pense que l'imprimerie est mort avec Dieu, mais il peut resurgir de et l'humour d'Enrique morte, et la littérature avec elle. ses cendres. Et si l'auteur revient, on Vila-Matas. Avec Dublinesca, le roman- Vous y croyez? peut continuer à lire, n'est-ce pas? Si cier espagnol donne vie à Samuel Riba, Non, je crois en la continuité entre la Beckett revient, alors Joyce, lui aussi, éditeur en retraite que son goût très sûr a galaxie Gutenberg et le présent. Ce peut réapparaître... mené au bord de la faillite. À l'heure des n'est pas vrai qu'il y a une rupture entre bilans et des regrets, il part à Dublin sur la page et l'écran. Le seul problème Vous-même, où pensez-vous vous DUBLINESCA les traces de Joyce. Le pèlerinage cré- véritable, c'est la désintégration du situer? traduit de l'espagnol par pusculaire d'un homme qui pense que langage: l'absence de communication Je suis du côté de Beckett. Joyce est un André Gabastou les génies appartiennent au passé. Pas dans notre société. géant, moi je suis du côté du fils. CHRISTIAN BQUBBOIS si simple, souffle Vila-Matas. L'écrivain 350 p., 22 € joue les démiurges amusés, et professe En allant à Dublin, il se confronte Vous prêtez à Riba des ami- une nouvelle fois son amour du verbe. au fantôme de Joyce, mais aussi tiés avec des êtres réels comme à celui de Beckett. Une façon de Romain Gary... C'est son goût des Comment est né Samuel Riba, cet résumer l'histoire littéraire du doubles qui vous intéresse? éditeur mélancolique? XXe siècle? Il me fascine depuis longtemps. Pour J'ai mis beaucoup de moi-même dans C'est vrai, c'est une histoire de la lit- moi, c'est le personnage moderne ce personnage, dont j'avais d'abord térature d'avant-garde. Ce sont des par excellence, parce qu'il possède pensé faire un écrivain. C'est après écrivains que j'adore, père et fils d'innombrables facettes, du héros en avoir écrit une cinquantaine de pages puisque Beckett fut le secrétaire de smoking au semi-clochard... Il a vécu que j'ai eu l'idée d'adopter plutôt le point Joyce. Joyce représente la cime, et des existences successives auprès de vue d'un éditeur: un personnage que Beckett la désintégration volontaire de femmes très différentes. C'est une la fiction a peu traité, donc un mystère. de la grandeur de la littérature. Avec clef pour le personnage de Riba qui, Riba a un catalogue très exigeant, ce Joyce, l'épiphanie; avec Beckett, lui aussi, peut se lire sur de nombreux qui explique sa ruine économique. Pour l'aphasie... Mais mon livre propose un registres. Comme disait Delacroix dans imaginer ses publications, j'ai mélangé retour à la grandeur. Dans le roman, on son journal, la ligne droite n'existe pas. VILA-MATAS, PILE ET FACE les catalogues de différents éditeurs cherche le centre du monde de l'édi- Nous sommes plusieurs choses et leur entretiens et espagnols. Riba est aussi proche de teur, qui évolue au fil des pages. Et à contraire, toujours. traduction par plusieurs éditeurs que j'ai connus, la fin, on découvre que le centre, c'est André Gabastou ARGOL notamment Christian Bourgois, dont il l'enthousiasme. Un paradoxe, dans Vous avez déclaré que Godard, 240 p., 26 e a le sérieux et l'élégance d'esprit. L'un un livre sur la décadence de la littéra- avec son goût du collage, a été l'une de vos grandes influences... sième fois au Bloomsday à Dublin avec du monde est plus française, anglaise Toujours ce refus de la ligne six autres écrivains espagnols, dont et catalane qu'espagnole. Il y a en droite? Eduardo Lago, Antonio Soler et Jordi Espagne aujourd'hui une séparation Comme Godard, je travaille avec un sys- Soler. Nous lirons un fragment d'Ulysse étrange entre les littératures catalane tème de citations. Parfois vraies, parfois en espagnol, dans un théâtre ouvert. et castillane. C'est une coupure poli- inventées: par le passé, j'ai imaginé des Chaque année, nous nommons un tique qui me semble absurde, à moi qui phrases de Duras ou de Kafka qui leur nouveau membre - et il y a beaucoup combine les emprunts venus du monde ont ensuite constamment été attribuées, de candidatures. entier: la littérature, selon moi, appar- en dépit de mes dénégations. Mon tient à une sphère bien supérieure. esprit procède par associations. Je suis Vous vous sentez proche de cer- un homme de culture au sens le plus tains écrivains de langue espa- Vous avez un projet en cours? essentiel, constamment absorbé par gnole d'aujourd'hui? Je travaille sur un essai romancé qui l'art, plus que par la vie. Un homme en Non, parce que l'écriture est un tra- s'appelle Dr Finnegans et M. Hire. quête d'une civilisation plus raisonnable vail très individuel. Si je dialogue, c'est Finnegans, d'après Joyce, représente que celle que nous connaissons. Dans avec les auteurs d'autrefois. Me sentir la littérature expérimentale et M. Hire, le monde latino-américain, c'est un per- proche d'un contemporain, ce serait le personnage de Simenon, la littérature sonnage moins courant que chez vous. prendre le risque de me confondre traditionnelle de qualité. Simenon est un avec lui. D'ailleurs, je suis un écrivain grand artiste qui, en trois mots appa- Riba est membre de « l'Ordre de barcelonais, et ma relation avec la lit- remment très simples, compose une Finnegans ». Une société secrète térature espagnole est ambiguë. Je atmosphère. Moi-même, je cherche un imaginaire? n'écris qu'en castillan, la langue que j'ai point d'union entre la littérature radicale Mais non, elle existe, et j'en fais partie ! étudiée à l'école, mais ma langue natale, et la littérature traditionnelle. Est-ce que Cette année, je me rendrai pour la troi- c'est le catalan. Par ailleurs, ma vision j'y parviendrai ? Je ne sais pas... •.