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Ciné-Bulles

L’amour fou Commentaire critique Mommy de Xavier Dolan, Québec, 2014, 134 min Zoé Protat

Rayonnement international du cinéma québécois Volume 32, Number 3, Summer 2014

URI: https://id.erudit.org/iderudit/72186ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Protat, Z. (2014). Review of [L’amour fou : commentaire critique / Mommy de Xavier Dolan, Québec, 2014, 134 min]. Ciné-Bulles, 32(3), 10–11.

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L’amour fou

ZOÉ PROTAT

Xavier Dolan a le don de déchaîner les après que celui-ci ait mis le feu au aux parents à bout de ressources de con- passions. Et le moins que l’on puisse centre de réadaptation pour jeunes délin- fier leur enfant à l’hôpital, sans aucune dire, c’est qu’il nous a fait vivre un Festi- quants où il séjourne. Steve a 15 ans, est autre forme de procès. Mommy, film val de Cannes tout en suspense. Une blond comme les blés, aime sa mère d’anticipation? Cette entourloupe peut première Palme d’or pour le Québec par comme un fou, mais tente parfois de sembler superflue, mais dans notre con- un cinéaste de 25 ans, nous y avons cru l’étrangler. En face du pavillon de banlieue texte canadien d’autorité conservatrice, pour vrai! Finalement Prix du jury aux du couple habite Kyla, enseignante en qui soigne ses jeunes criminels à la sauce côtés de Jean-Luc Godard (tout un sym- sabbatique au mutisme insolite. Contre répression, elle n’a rien de bien farfelu. bole), Mommy, si l’on se fie aux dithy- toute attente, ces trois-là seront irrésis- Mommy est d’une grande violence : des rambes de la presse internationale, a tiblement at tirés les uns vers les autres et coups, des mots, des sentiments. Encore pourtant bien obtenu la palme du cœur. s’efforceront à leur manière (dysfonction- une fois chez Dolan, on gueule beaucoup. nelle peut-être, passionnée sûrement) de Les critiques habituelles se feront de nou- Après J’ai tué ma mère, le film du fils en recréer un équilibre de vie, un champ de veau entendre : empiétement de la forme colère, voici celui qui voudrait venger possibles qui n’appartiendra qu’à eux. sur le fond, abus d’effets de style, lon- toutes les mères — du moins selon les gueurs (dans le récit) et ralentis (dans dires de son réalisateur. Veuve depuis En introduction, un texte explicatif l’image)… Mais doit-on obligatoirement trois ans, Diane « Die » (à l’anglaise s’il déclare qu’une nouvelle loi, votée par le ne louer que la sobriété, la retenue et le vous plaît) Després récupère son fils gouvernement fédéral, permet désormais silence?

10 Volume 32 numéro 3 Photos : Shayne Laverdière

Plus intimiste, moins exalté que Lau- incarnée de nouveau par . sa préférée ». Kyla, la voisine, pénétrera rence Anyways, Mommy affiche une Et si son numéro de grande gueule re- un temps cette fusion filiale. À ce rôle semblable grandeur opératique, par tentissante est célèbre chez nous, il a dû énigmatique, Suzanne Clément confère exemple lors de ces scènes lyriques où proprement stupéfaire les foules can- une force tranquille. Elle oblige les deux Steve conduit son longboard, puis danse noises! Sa «Die» se bat dans et contre la autres à stopper le flot ininterrompu de dans un parking désert après avoir crié : vie. Maquillée, manucurée et haut per- bruits qui constitue leur existence. Au « Liberté! » C’est beau, c’est vibrant, c’est chée, cette femme a connu l’aisance avec milieu d’un océan de cris et de larmes, ardent. Malgré l’âpreté de son sujet, un mari « inventeur de micro-ondes », Kyla est une pause bienvenue et rassu- Mommy revendique une naïveté en- puis la chute avec les dettes dudit mari. rante. flammée : une véritable bouffée d’air Il ne lui reste plus que son Steve, son frais après l’univers claustrophobe et trésor et sa croix. Elle n’a pas de grands Grâce à l’intensité de ces trois-là et à sa malsain de Tom à la ferme. Formelle- discours sur l’amour maternel, seule- propre audace, Xavier Dolan livre un ment aussi, le film se distingue. Le for- ment quelques phrases simples («Ça ar- film furieux de colère autant que mat inhabituel de l’image, ce fameux 1:1 rive pas dans la vie d’une mère qu’a d’espérance. On en sort chahuté, cham- au carré parfait, coupe l’horizon et crée l’aime moins son fils, comprends-tu boulé, voire lessivé par tant d’émotions une proximité étouffante avec les per- ça ? »). Elle a aussi des rêves et re- primales et leurs contraires. C’est un sonnages. Les plans sont baignés d’une vendique son droit à l’espoir. Toujours film avec du cœur : un cœur palpitant, lumière solaire mordorée, gracieuseté dans l’affect, ses motivations sont étonnant, énorme. Échevelé mais haute- de l’automne québécois. Et puis on en- brouillonnes et déconcertantes : elle ment maîtrisé, bouleversant dans la tend beaucoup de musique, des chan- placera tout de même son fils deux fois forme et le fond, le souffle de Mommy sons entières qui lient plusieurs « pour son bien ». Et puis, elle est très prend aux tripes. (Sortie prévue : 19 sep- séquences à la manière d’un vidéoclip. drôle, façon white trash. Un rôle-cadeau tembre 2014) Pour , dont l’action pour Dorval, qui séduit et exaspère à la se situait dans les années 1990, Dolan fois, tout en héritant de lignes de dia- avait choisi des morceaux embléma- logue absolument impayables. tiques de la décennie précédente. Même curieux décalage ici : pour un film de Face à elle se trouvent les deux autres 2014, les titres entendus (Dido, Sarah pointes du triangle affectif. Steve, McLachlan, Céline Dion, Andrea Bocel- TDAH et assurément victime de quan- li) fleurent bon les hit-parades des an- tités d’autres troubles, est une véri- nées 1990, période dont est également table cocotte-minute qui passe sans issue la quasi-totalité de la flamboyante crier gare d’une violence d’adulte à des garde-robe de Diane. C’est ainsi sur apitoiements d’enfant. Antoine Oli vier Wonderwall d’Oasis (« Cause maybe Pilon lui prête sa moue, ses marcels et you’re gonna be the one that saves me ») sa blondeur gominée, qui évoquent les Québec / 2014 / 134 min que se déroulera la séquence de bon- icônes fifties de James Dean ou de Mar- RÉAL., SCÉN. ET MONT. Xavier Dolan IMAGE André Turpin heur du film. lon Brando. Rebel without a cause, ce SON Benoît Dame, Guy Francoeur et Jo Caron MUS. monstre juvénile est surtout diable- Noia PROD. Xavier Dolan et INT. Anne Cinq ans après , la fi- ment séduisant! Il réserve toutefois ses Dorval, Suzanne Clément, , J’ai tué ma mère Patrick Huard DIST. Les Films Séville gure maternelle dolanienne se retrouve charmes à sa mère, qui sera « toujours

Volume 32 numéro 3 11