REVUE DE PRESSE Date : 05 MARS 17 Page De L'article : P.30 Journaliste : Marie-Laure Delorme Pays : France Périodicité : Hebdomadaire OJD : 193448

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La fantaisie, la poésie, la sensualité On est au début du XXe siée I e et Colette et ses amies (à gauche, l'actrice Mustdora) sont naturellement libres. Au centre, Colette au Théâtre des Mathurins, en 1906, dans « Le Désir, la chimère et l'amour» ; à droite au Moulin-Rouge, en 1907, dans « Rêve d'Egypte ». RUE DESARCHIVES/TALLANDIER RUE DES ARCHIVES/RDA RUE DES ARCHIVES/COLLECTION BOURGERON Colette et ses indomptables

DOMINIQUE BONA munion avec les éléments, la chair ailes. La romancière et la femme sont La biographe et académicienne des mots. La biographe Dominique indissociables. Colette a un monde à retrace la vie de Colette et de Bona restitue, dans Colette et les elle et peu d'écrivains ont un monde à ses trois amies les plus proches siennes, une femme, une écrivaine, eux. Elle explore l'univers de manière et célèbre, à travers elles, une époque. Elle a découvert Colette sensible et non intellectuelle. Elle met les femmes insoumises par la série des « Claudine », à l'ado- la sensualité au service de l'écriture. » lescence, sans être envoûtée car y Dominique Bona a composé, avec La beauté de l'aube. Elle aimait les planait l'ombre du premier mari, Colette et les siennes, une histoire petits matins, les lueurs du jour. Elle Henry Gauthier-Villars. Dominique à quatre voix. Elle raconte Colette, avait obtenu, enfant, que sa mère la Bona a été saisie par la grâce inouïe et ses trois amies les plus proches, réveille à 3 heures et demie du matin de l'écrivaine plus tard avec, notam- de 1914 à 1954. pour aller se promener seule à la ment, La Naissance du jour et Les Elles choquent dans rencontre de la nature bleutée. Dans Vrilles de la vigne. « Colette a une fan- une époque bourgeoise le creux de l'aube, le meilleur semble taisie et une poésie débarrassées de à venir. Sidonie-Gabrielle Colette toute scorie. C'est une prose avec des Les hommes sont à la guerre. Les (1873-1954) : la joie de vivre, la com- femmes se serrent les coudes, atten-

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tives à la moindre nouvelle du front. déteste être seule et rêve d'être do- Nous sommes durant l'été 1914. La minée par un homme. Sa vie entière, romancière et journaliste Colette elle chercha à être aimée et protégée accueille de 1914 à 1916, dans son par ses maris. Dominique Bona note chalet parisien de la rue Cortambert, ainsi un mélange de modernité et de à Passy, ses trois meilleures amies. classicisme dans leur allure. Elles ne La comédienne Marguerite Moreno veulent pas s'affranchir des hommes (1871-1948), la journaliste Annie de mais bel et bien des conventions. Pêne (1871-1918), la danseuse de « Elles suivent leur fantaisie sans se cabaret Musidora (1889-1957) dite souder du regard de la société. Colette Musi. Ce qui les lie : un fort goût ne s'est pas intéressée à la politique pour la liberté et un non-confor- et ne se revendiquait pas comme misme absolu. Elles font ce qu'elles féministe. Toute sa vie est un élan veulent; elles s'habillent comme vers une libertê nonpas conquérante elles veulent; elles font l'amour avec mais évidente. Unparfum de liberté qui elles veulent. Cheveux courts, entoure chacun de ses gestes. Colette bisexualité non dissimulée, passé est une femme sans chaînes. » sulfureux, liaisons avec des hommes plus jeunes, cigarette à la bouche, Quatre femmes à la fois absence de corset. Elles choquent semblables et dissemblables dans une époque bourgeoise. Elles On retrouve les épisodes les plus sont libres. Elles en savourent connus de lavie de Colette. Comme l'ivresse et elles en paient le prix. ses apparitions à moitié nue sur Dominique Bona montre com- les planches des music-halls ; ses bien leur liberté est naturelle et non liaisons brèves ou longues avec militante. Les quatre femmes ne la Natalie Clifford Barney et Mathilde portent pas en étendard. La liberté de Morny ; son attachement pour coule dans leurs veines de manière le manoir de Rozven, près de simple. Elles sont dans le rang et en Saint-Malo ; ses séjours à Verdun dehors du rang, selon leur bon vou- en 1914 et 1915 auprès d'Henry de loir. Elles choisissent leurs liens en Jouvenel ; son histoire d'amour étant à la fois des mères détachées avec Bertrand de Jouvenel, son et des amantes passionnées. Les beau-fils mineur, durant cinq ans. hommes sont au centre de leurs Mais le véritable sujet de Colette et existences. La si insoumise Colette les siennes demeure l'amitié entre est folle amoureuse du si indépen- quatre femmes à la fois semblables et dissemblables. Elles connaissent des destins différents. La comé- dienne Marguerite Moreno, dont «Toute la vie Marcel Schwob fut le grand amour, dè Colette est semble entourée de morts mais deviendra populaire grâce à ses rôles un élan vers au théâtre et notamment en inter- une liberté prétant la Folle de Chaillot, de Jean Giraudoux ; la journaliste Annie de non pas Pêne, enfant naturelle, se rend dans conquérante les tranchées comme reporter de guerre avant d'être emportée par mais évidente » la grippe espagnole en 1918, à l'âge Dominique Bona de 47 ans ; l'actrice et réalisatrice Musidora goûte à la célébrité dans son rôle d'Irma Vep dans le feuil- dant baron Henry de Jouvenel. Un leton Les Vampires (1915-1916), de homme de gauche, ardent dreyfu- Louis Feuillade, devient l'une des sard, à la tête du Matin. Colette

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muses des surréalistes, mais s'étiole la vie en en connaissant les plis et dans l'oubli et la misère à la fin de replis avec lucidité. Elle tombe par sa vie. Sidonie-Gabrielle Colette hasard, dans un tiroir, sur l'une des connaît, elle, la gloire littéraire. Elle dernières lettres de sa mère morte. aura été moins confortée en amour. « Que c'est curieux, on résiste victo- De retour de la guerre, le courageux rieusement aux larmes, on se tient Henry de Jouvenel n'est plus tout très bien aux minutes les plus dures. entier à elle. Colette en souffre. Et puis quelqu'un vous fait unpetit « J'assimile le mal de l'absence à signe amical derrière une vitre, on une douleur physique. » Elles sont découvre, fleurie, une fleur encore là, les unes pour les autres, face aux fermée la veille, une lettre tombe d'un coups durs. tiroir - et tout tombe. » Colette a dit : « La mort ne m'inté- Elle les dépeint de près resse pas, et surtout pas la mienne. » et de loin L'auteure du Blé en herbe vénère les Raconter mais sans fiction. L'au- animaux, la nature, l'eau, le jasmin, teure de Clara Malraux - Nous les livres. Dominique Bona souligne avons été deux (Grasset, 2009) a l'amour de la vie de ses quatre héroïnes. «Elles n'éprouvent pas de culpabilité et sont deplain-pied avec la vie. Les quatre amies sont «La mort ne ce qu'on appelle de bonnes vivantes. Elles affrontent les chagrins sans se m'intéresse laisser abattre. Elles connaissent pas, et surtout les épreuves de tout le monde, mais elles sont prêtes à recommencer la vie pas la mienne» comme personne. Elles sont prêtes, Colette chaque matin, à revivre une journée dans sa plénitude. Elles sont toujours ravies de vivre. » Elles ne s'excusent pas d'être heureuses. Dominique écrit, à l'image de ses héroïnes, une Bona nous les dépeint à la fois de biographie non conventionnelle. près et de loin. Car, effectivement, Tout est vérifié mais tout est porté les épreuves ne manquent pas. Elles par la narration. Portraits vivants, doivent travailler durement pour mise en scène, sens des destinées, subvenir à leurs besoins, elles sont refus de l'exhaustivité. L'écrivaine trompées et abandonnées par les des destins de Romain Gary et de hommes de leur vie, elles endurent Berthe Morisot refuse le mélange la souffrance physique et les deuils du vrai et du faux quand elle s'at- douloureux, elles connaissent les tache à son travail de biographe. humiliations dans leur parcours « J'ai raconté la vie de personnages professionnel, elles voient leurs si romanesques que j'ai pu constater rêves soufflés par le passage des que la réalité est parfois plus ima- années. Mais, à chaque fois, l'aube. • ginative que la fiction. » La mère dè Colette lui disait: «Regarde! » MARIE-LADRE DELORME Dominique Bona regarde les quatre amies danser, chanter, aimer, fes- toyer, travailler, cuisiner sans jamais peser de son regard d'écrivaine du XXIe siècle. Elle reste au plus près d'elles, comme elles sont au plus près de la vie. Colette enlevait les commentaires pour laisser place aux sensations. Dominique Bona nous attache à elles de la même manière. Les quatre scandaleuses offrent une leçon de vie, celle de COLETTE ET LES SIENNES, DOMINIQUE BONA l'amour et de l'allant, qui ne dit GRASS ET 430 P, 22 € jamais son nom. Colette savoure

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'ÉVÉNEMENT itteraire onDominiquae « Colette s'est consolée auprès des femmes » Marguerite Moreno, la comédienne DOSSIER classique, Musidora, la coqueluche du cinematographie, Annie de Dans «Colette Pêne, la journaliste tout-terrain en 1914, ces trois femmes rejoi- et les siennes», gnent Colette sous son toit L'aca- démicienne Dominique Bona a l'académicienne choisi de raconter cet episode peu évoque connu de la vie de l'écrivain LE FIGARO - Pourquoi avoir décide la romancière de vous intéresser a cette période précise de la vie de la romancière7 à travers Dominique BONA - Je ne voulais pas écrire une biographie classi- le prisme que Je suis donc partie d'un episode qui n'a qu'une petite place dans de ses amitiés sa biographie II s'agit du moment ou elle accueille chez elle, en 1914, féminines. trois armes, dans un chalet du XVIe arrondissement de Paris Cela m'a paru extraordmairement romanesque Alors que leurs hommes PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCOISE DARGENT sont partis, dans un Paris ou il n'y f dargent(â)lef igaro fr en a d'ailleurs plus beaucoup, ces quatre femmes décident de vivre en communaute, formant ce que Colette appelle «lephalanstère»

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Colette ne choisit pas n'importe tes avec lesquelles il tait bon vivre quelles femmes, ce sont ses aussi ces amitiés si fortes, si fidèles, Elles paillettent la vie, la rendent avec les femmes meilleures amies Qui sont-elles ' merveilleuse Elles ont brise des ta- Elles appartiennent au monde de la bous Elles sont divorcées, rema- litterature et du spectacle Margue- Vous avez beaucoup de sympathie riées Elles exercent un metier sul- rite Moreno est une comédienne du pour ce quatuor N'est-ce pas fureux par rapport a la norme Français, une femme qui aime la une image un peu idyllique ' bourgeoise Leurs epoux sont en haute poesie et le beau theatre, maîs Ce qui me passionne, c'est de trou- accord, comme Henry de Jouvenel, que la guerre va amener a interpré- ver les liens des personnages entre le deuxieme mari de Colette, ter des rôles bas de gamme Musi- eux, de croiser les destins et de qu'elle vient alors d'épouser dora, la plus jeune des quatre, est la montrer que ces quatre femmes sont premiere vamp du cinema muet La indispensables les unes aux autres Avec les hommes justement, troisieme, c'est Annie de Pêne, qui Elles savent tout les unes des autres, Colette se montre moins libérée est journaliste, comme Colette échangent en permanence et elles Comment l'exphquez-vous ' s'entraident toujours dans les pério- Natalie Barney, qui tut probable- N'est-elle pas la moins connue des de difficulté Pour autant, je n'ai ment sa maitresse, le lui reprochait des quatre femmes ' pas écrit sainte Colette ' assez En amour, elle est tout a fait Peut etre parce qu'elle meurt trop prête a reprendre le rôle ancestral et jeune, en 1918 On a oublie son Apres l'épisode du chalet, a etre entierement soumise Elle se nom Elle fait partie des pionnières elles se voient d'ailleurs moins veut dans l'abandon, dans la sou- du journalisme Elle est la pre- et Colette ne se rendra pas mission et son reve serait d'être de miere femme a descendre dans les a leur enterrement Peut-on vouée corps et biens a l'homme de sa tranchées, a traverser les lignes, y voir un signe d'ingratitude9 vie, qu'elle appelle d'ailleurs «son début 1915, pour rencontrer la Annie de Pêne et Marguerite Moreno maitre le maitre de tout » On peut y reine de Belgique ' meurent avant Colette Or celle ci voir de la dérision maîs seulement en partie parce qu'il y a toujours quel- n'aime pas la mort Ses armes, elle Peut-on les qualifier que chose d'erotique chez Colette les garde vivantes et elle ne les de féministes' oubliera jamais Elle fait toujours ce Elles ne sont pas féministes au sens Parlant d'amour, vous avez voulu qui lui plaît De la même maniere, il politique La suffragette a l'époque rappeler la penode qui précède faut qu'on vienne a elle Elle aime de Colette, c'est un certain type de la vie au chalet pendant laquelle etre chez elle, ses maisons, son femme qui manifeste, qui ne veut Colette a eu des aventures confort de scribe Par la suite, elles plus rien avoir a faire avec les hom- 9 féminines Pourquoi seront toutes tres prises par leurs mes Or Colette a des mots tres Comme j'avais rassemble les quatre activites professionnelles et par leur durs a leur encontre, disant qu'il femmes dans un gynécée, il y avait vie amoureuse, qui n'est pas tres faut leur «donner le fouet ou le ha- forcement ce parfum de Lesbos, une simple rem» Maîs elle défend sa propre interrogation jusqu'où la tendresse liberte, elle entend choisir sa car- 9 feminine peut-elle aller J'ai eu en- Vous évoquez aussi la naissance riere et ses amours, sans qu'on les vie de revenir sur ce moment de la de la Colette reporter lui dicte, se libérer d'un certain vie de Colette dominée par Lesbos nombre de chaines que les femmes Et la encore, cela commence Elle a eu a l'époque des relations sa- ont traînées, de siecle en siecle de maniere assez rocambolesque, phiques Elle a vécu en couple avec a Verdun Colette, encore Mathilde de Morny qui l'a protégée une fois, détonne Cela passe par le port du pantalon, et l'a aidée a mieux vivre dans une interdit a l'époque, et l'abandon On est en effet dans une periode tra- periode difficile J'ai appelé ce cha- du corset, par exemple gique Les hommes ont commence a 7 pitre « Interlude » II me semble que creuser les tranchées Ils tombent Qu'ont-elles d'autre en commun ça eclaire Colette, a la fois son ambi- Elles se coupent les cheveux1 Ce les uns apres les autres, le canon ne guïté, sa sensualité qui est complexe, s'arrête jamais et Colette vit au pied sont en fait des femmes difficiles a sa fragilite parce qu'elle a finalement définir II ne faut pas leur apposer de la citadelle dans l'attente d'Hen- trouve consolation auprès des ry de Jouvenel qui est au front Or d'étiquettes qui figeraient le per- liaisons féminines Et cela eclaire sonnage Ce sont de bonnes vivan- dans cette periode tragique, elle vit

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un partait bonheur. Celui dè tous ses sens. Jouvenel, officier et journaliste, peut la rejoindre le soir. Ensem- ble ils dînent, dorment, prennent le petit déjeuner.

Elle est d'abord à Verdun incognito puis Le Matin, son journal, décide de la faire écrire. Pourquoi elle? Il utilise le talent de Colette pour raconter. Ces épisodes de la guerre, personne ne les raconte comme elle, avec sa manière conden- sée, rapide et très descriptive, car elle est toujours concrète. Dans ses articles on voit le décor, on voit les gens, il y a même des animaux. Ce sont des points de vue inhabituels. Comme son amie Annie de Pêne, elle prête sa voix aux oubliés, aux humbles, aux anonymes. À ce moment, elle devient franchement reporter, une Il ne faut journaliste sur laquelle on peut compter. Il ne faut pas oublier que pas oublier Colette fut autant journaliste que romancière dans sa vie. que Colette

Quelle image aimeriez-vous fut autant que l'on retienne d'elle? journaliste Ce que j'aime lorsque je travaille une biographie, c'est de ne pas considé- que rer le personnage tel que nous le considérons aujourd'hui mais d'as- romancière. sister à son éclosion. La vie d'un être DOMINIQUE BONA humain est un chemin. Pour Colette, il a été très chaotique. Ça secoue, ça J-F PAGA/GRASSET tangue, de la campagne bourgui- gnonne à la scène de PAlcazar et au jury Goncourt. Aujourd'hui, on la voit comme un monument natio- nal, comme la grande dame dé- corée et honorée que l'on consultait à tout propos, mais Colette ne fut pas cela tout de suite. Elle l'est devenue peut-être même à son corps défendant. Elle reste pri- mesautière, joyeuse et il y a au final ce magnifique personnage d'écri- vain rivé à sa plume qui vit d'écrire et pour écrire. •

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,E CONTEXTE En 1914, alors que la guerre vient d'éclater, Colette rejoint Paris frappe par les bombardements. Privée de son mari, Henry de Jouvenel, appelé au front, elle invite ses amies à trouver refuge dans le chalet du XVIe arrondissement qu'ils possèdent. Elle réunit dans ce « phalanstère » des femmes libres comme elle. La romancière Dominique Dona s'est saisie de cet épisode pour raconter le lien particulier que Colette entretint sa vie durant avec les femmes, qui furent de grandes amies mais aussi parfois ses maîtresses.

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Il arriva une nuit que Moreno s'empara du rythme de la canonnade, de ses temps forts et de ses temps faibles, daqua des doigts, des talons, improvisa sur place une parodie de danse espagnole *

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Quelle HISTOIRE COLETTE ET SES ÂMES SŒURS Avec Colette et les siennes*, Dominique Bona, de l'Académie française, nous livre un instantané de vie, au début de la guerre, en 1914. Portrait enlevé de l'écrivain et de ses plus proches amies, Marguerite Moreno, Annie de Pêne et Musidora. Une biographie à quatre reflets, anticonformiste, comme son modèle. Propos recueillis par François Biiiaut

ous nous racontez Sex and La Naissance elu jour, son style évolue vers plus de pureté, the City à la Belle Époque... plus de simplicité, même si elle garde les parfums, les J'ai adoré écrire sur ce sujet, épisode images qui font de cette prose une merveille de sensualité. rare d'une vie de femme, a une période Sa féminité imprègne le texte, elle irradie On a dit qu'elle terrible: la guerre de 1914-1918. Et «apportait de la chair à la prose». Je trouve cette expres- V en même temps, l'histoire de quatre sion très belle et juste II y a là quelque chose de nouveau femmes dans un chalet délicieux menant une vie tranquille, Qu'est-ce qui réunit ces amies, câline, secrète II y avait un contraste entre le contexte his- est-ce le goût de la liberté ? torique et l'intimité de ce refuge de la rue Cortambert, Ces femmes sont construites sur un modèle dans le XVIe arrondissement Et c'est effectivement, identique Trois d'entre elles sont de la même comme dans la série, un portrait de ces quatre armes, libres genération Toutes appartiennent au milieu de et autonomes, qui s'entendent merveilleusement bien Toutes ont des aventures amoureuses, très romanesques, parfois amusantes, qui se croisent, s'entrecroisent. Colette s'imposait-elle comme fil rouge ? Elle est le cœur battant du livre et donne sa lumière à ce récit Maîs c'est en même temps la solidarité féminine que j'ai voulu explorer Tisser ces destins ensemble sans laisser dans l'ombre, l'une ou l'autre J'ai essaye de donner corps à chacune, les ramener à la vie Cela m'a paru important parce que Colette est une femme a laquelle on a beaucoup reproché un certain égoisme, d'être centrée sur son ego En vérité, là elle donne une autre mesure Colette (page de gauche), Elle est extrêmement généreuse envers ses amies FJ I e à l'époque écoute, conseille, s'intéresse. Seule la mort va les séparer. de la Première Comment êtes-vous entrée Guerre dans l'intimité du chalet ? mondiale. Les chères Dans la biographie, j'aime faire abstraction de la légende amies de — et Colette en a une. Savoir comment le personnage l'écrivaine: s'est construit, comment il est devenu ce qu'il est. Or, Musidora, quand je commence ce livre, Colette a déjà 40 ans C'est la «vamp», en collant de le moment où elle va exister par elle-même Elle a déjà soie, dessiné beaucoup de personnalité, une longue vie, maîs c'est en la littérature et du spectacle, encore assez sulfureux Une par Poiret, 1914 et les années suivantes qu'elle devient réellement farouche envie d'exister par elles-mêmes les rassemble C'est Marguerite la romancière, la femme en pleine possession de sa vie et suffisamment rare à ce moment-là pour être souligné La Moreno, la tragédienne, de son destin. Ce qui me plaisait, c'était de comprendre femme de la Belle Epoque est encore dans le dévouement à et ci-dessus, ce cheminement, à travers le miroir de ses armes. son foyer. Elles veulent signer leur vie Derrière Colette, il y la douce Annie Vous montrez une écrivaine a « Sido » et toutes ont eu des mères à forte personnalité qui de Pêne, peut-être leur ont ouvert le chemin. Elles sont de bonnes journaliste et qui peine souvent à écrire... romancière, Colette a souffert sur la page, non pas blanche, maîs vivantes, toniques, énergiques, sensuelles, gourmandes. . comme elle. bleue Écrire est pour elle un effort Bagnarde de la plume, Elles connaissent des deuils, des chagrins, maîs elles ont la elle rêve quelquefois d'arrêter Mais c'est son gagne-pain même manière de se réconcilier avec la vie Et c'est peut- et pour elle une respiration Des Claudine, écrits avec être ce qui les rapproche le plus : l'absence de mélancolie. Willy, son premier mari, au Blé en herbe, en passant par À aucun moment la dépression ne les guette.

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À Rozven, sa maison de Bretagne, Colette, pose devant Bertrand de Jouvenel, son beau-fils et amant. Elle est entourée de ses amis Hélène Picard, Francis et Germaine Carco. A droite, l'écrivaine et son mari Henry de Jouvenel, Dans leur rapport au mari, seulement du front. Elle l'attend chez des Verdunois qui en Corrèze, elles demeurent très conventionnelles... l'hébergent, et il la retrouve certaines nuits qui resteront, avec leur fille En particulier Colette, une femme très libérée qui a dans sa mémoire, comme des sommets de l'érotisme. Colette Renée, dite «Bel- dansé au music-hall, revendique le droit d'écrire, affiche Qui est Annie de Pêne, sa si chère amie ? Gazou ». sa bisexualité et fait ce qui lui plaît sans beaucoup s'en- Plus personne ne la connaît, pourtant elle a eu une très combrer de morale. Dans sa vie conjugale, elle reste assez belle réputation en son temps. Beaucoup d'articles de classique, sur un modèle ancestral. Son rêve, se dévouer presse quand elle est morte, à 47 ans, en 1918, foudroyée corps et âme à l'homme de sa vie. Elle cherche le prince par la grippe espagnole. C'est alors une personnalité, journaliste reconnue, un talent de plume, et la première femme, je crois, à descendre dans les tranchées. À ce titre, elle est proche de Colette qui est journaliste au moins autant que romancière. Toutes deux ont à cœur le point de vue, peu souvent livré dans les journaux de l'époque, des anonymes, des humbles et en particulier des femmes. Et, pour l'histoire littéraire, Annie est la mère de Germaine Beaumont, secrétaire de Colette, elle- même écrivaine et présidente du jury du prix Femina. Marguerite Moreno, «le monstre sacré », court-elle le cachet ? Une actrice magnifique, passée par le conservatoire, le Théâtre-Français et qui a travaillé avec Sarah Bernhardt. Lorsque la guerre se déclare, les théâtres ferment et Fantasme quand ils rouvrent, il n'y a plus de spectateurs! Le et érotisme cinéma lui propose des rôles, mais à cette période il est muet, or, Moreno, c'est une voix. Prodigieuse paraît-il, sous les mélodieuse et capable de dire les vers comme personne bombardements. d'autre. Elle traverse alors des moments difficiles. Elle Musidora, galère. Sa vie sentimentale est tout aussi intéressante. la muse des charmant. Quand elle épouse Henry de Jouvenel, l'année Elle a été la compagne de Catulle Mendès, l'épouse de surréalistes, qui précède la guerre, elle est éperdument amoureuse. Marcel Schwob, un écrivain qui marque son époque. devient, en 1915, Passion totale, sensuelle. Sur un plan erotique, elle fan- Un des premiers à faire confiance à Colette, comme la première tasme un scénario de harem, d'être enfermée en petite auteur, comme artiste. Il y a des liens diffus dans le «vamp», tenue, avec d'autres femmes, et d'attendre Henry, le passé de ces femmes qui les rapprochent, les soudent. héroïne du feuilleton Les sultan, le maître de tout. Ils jouent à ce jeu qui trouve Et la quatrième, la sulfureuse Musidora? Vampires de son point presque parfait à Verdun, où elle a réussi à le Aujourd'hui surtout connue des cinéphiles. Une desti- Louis Feuillade. rejoindre. Sous les bombardements, à quèlques kilomètres née inouïe. Elle est la première vamp. Le mot a été créé

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Colette, artiste de music- hall, pose sur une peau de lion, en 1909. Pour écrire, la femme de lettres à tout autant besoin de ses félins, Minione, Toune ou Kîki-la- Doucette.

pour elle, pour avoir joué dans Les Vampires de Louis Feuillade, en 1915. Un succès populaire. Les gens attendaient la suite du feuilleton et l'appelaient «la vamp» parce qu'elle était extraor- dinairement féminine, le corps moulé dans un collant de soie noire de Paul Poiret. Plus jeune que ses compagnes, «Musi», dans le cercle des amies de Colette, est un peu l'électron libre. Talentueuse, et contrairement à Moreno qui a besoin de sa voix, elle est surtout splendide dans le geste et l'action. Elle passe par l'Espagne, dans les bras d'un torero, finit par se marier en province. Muse des surréalistes, étendaid de quèlques groupes féministes, elle a une fin ae vie un peu triste. Colette se faisait beaucoup de souci pour Musidora. Leurs vies sentimentales choquent-elles ? Colette et Moreno, dans les années 1920, aiment des hommes en âge d'être leurs fils. Son beau-fils d'ailleurs, âgé de 17 ans, dans le cas de Colette! Cela devait être bien pire à l'époque qu'aujourd'hui. Comme le fait d'être divorcées, remariées, avec familles recomposées. Bien que ce vocabulaire n'ait pas encore cours. Mais Colette se moque de sa réputation. La notion de péché ne l'atteint pas. Elle a une phrase pour cela: «Le vice, c'est le mal que l'on fait sans plaisir. » C'est sa morale à elle. Elle n'est pas judéo-chrétienne du tout. Elle fait ce qui lui plaît, et advienne que pourra. • * Colette et les siennes, par Dominique Bona, éditions Grasset, 430 pages, 22€.

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YRES

I O G R A P H SES AMIES CHERIES PARFLAVIEPHILIPON

À la disparition de Colette, en août 1954, Francoise Giroud écrivait dans les pages de ELLE < Un grand écrivain francais [ ] Dans ces quatre mots gloreusement masculins |e me refuse a emprisonner Colette elle qui tou|ours demeura ni plus ni moins qu une femme elle qui fut|usqu a ses derniers mots palpitante et émerveillée moins sou cieuse de sa postérité que de la chair rose d un radis bon a croquer > Aupurd hui Dominique Sono ouvre une fenêtre sardes moments de vie oublies de I auteure du «Ble en herbe» En 1914 a I annonce de la guerre Colette rentre a Paris Danssoncharmontchaletde Passy elle invite la |ournaliste Annie de Pêne la romancière Marguerite Moreno et la |eune comédienne Musidora «sonenfantchene» De longs mois durant elles cohabitent dans I attente inquiète des nouvelles du front ou sont partis mourir les hommes Unies par les ressemblances et leur désir commun de chahuter I epoque les quatre femmes nouent une amit e inébranlable Toutes fument portent les cheveux courts et le pantalon Toutes travaillent d arrache pied et chérissent leur liberte < Colette et les siennes > s attache aux coul ssesdel histoire et rappelle I incroyable audace dont fera preuve I ecrvame Avec son amie et consœur Annie de Pêne elles brillent dans un metier encore largement reserve aux hommes Au début des annees 20 elle a secrètement recours a la chirurgie esthetique et se fa it < remonter le visage» Faisant fi du qu en d ra t on Colette entretient même une liaison avec son beau fils Bertrand deJouvenel Cet ouvrage met aussi en lumiere I un des paradoxes sur lequel s est construite la romane ere farouchement indépendante et prête a se damner pour «etre la femme d un seul homme aimée de lui sans rivale » Amoureuse au point de rejoindre illegalementsonmari Henry deJouvenel danslestran chees de Verdun Ouvrir «Colette et les siennes» cest pénétrer I intimité «d un grand écrivain francais > et le songe etourdissantqui I accompagne « COLETTE ET LES SIENNES » de Dominique Bona (Grasset 472 p)

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LECHOIXDEL'OBS L'ITALIE A PARIS Au 2e Festival Italissimo Le chalet de Colette (29 rnars-2 avril), a Pans, il y aura des COLETTE ET LES SIENNES, PAR DOMINIQUE BONA, GRASSET, 430 R, 22 EUROS. rencontres avec Roberto Saviano, Erri De Luca, Sandra Veronesi, Il faut imaginer, car il a disparu, un chalet au bois Annie lait le marché -, tricotent de concert et s'ac- une lecture d'Elena vermoulu et couvert de vigne vierge, situé sur les hauteurs cordent tel un quartet de jazz. Toutes, comme dirait Ferrante par Natahe de Paris, entre le Trocadéro et la Muette, très précisément Colette, sont « affolées de travail », mais toutes ont besoin Dessay et un au 57 de la rue Cortambert, alors boisée, feuillue, fleurie de se retrouver dans ce chalet alpin de Passy, où, pendant hommage a Umberto Eco et même ronceuse. Il appartenait à Henry de Jouvenel, que la Grande Guerre leur emprunte de grands hommes, (www le fringant rédacteur en chef du « Matin », qui en avait fait elles partagent de mêmes ambitions artistiques. L'his- italissimofestival sa garçonnière. Lorsqu'il épousa Colette, en 1912, il lui toire de cette communauté élective, aussi brève et belle com) donna le titre de baronne, sa double particule (Jouvenel qu'une illusion, prit fin à l'automne 1916, lorsque le cha- TRADUIRE des Ursins), une chronique dans son journal et ce « chalet let rendit l'âme sous l'orage. Dominique Bona, dont on NAPLES du bonheur », où il recevait ses maîtresses, où elle accueil- sent qu'elle eût aimé faire partie de la petite troupe, le Les Napolitains lerait ses amies. En somme, le gynécée allait se prolonger. reconstruit pour raconter les destins, un temps mêlés, n'ont jamais pu lire Tel est le point de départ du livre choral et théâtral de de ces quatre affranchies : la mythique et indémodable le « Dictionnaire Dominique Bona : en août 1914, dans un Paris abandonné Colette, la mystérieuse Musîdora, muse noire des sur- amoureux de Naples » de par les hommes partis au front (Jouvenel, alias « Sidi » ou réalistes, la légendaire Marguerite Moreno et la totale- Jean-Noël Schifano « le pacha », va combattre à Verdun), la romancière de ment oubliée Annie de Pêne, terrassée en 1918 par la (Plon, 2007) Maîs « l'Ingénue libertine » ouvre la porte de son chalet à trois grippe espagnole. Elles avaient en commun d'avoir du une operation de amazones, les comédiennes Marguerite Moreno et Musi- chien, du cran et du talent, d'oser tout (se mettre nues financement participatif, menée dora, ainsi que la journaliste Annie de Pêne, pour consti- en scène, s'approcher au plus près des tranchées), par l'éditeur tuer une manière de phalanstère féminin. A l'exception d'ignorer les convenances bourgeoises, d'aimer la vie ll Mondodisuk avec de la cadette et bientôt vamp Musi, elles ont la quaran- avec gourmandise et de mépriser la mort - Colette n'alla la ville de Naples, taine. Elles portent les cheveux bruns et courts, abusent ni à l'enterrement d'Annie ni à celui de Marguerite. vient d'être lancée du khôl sur leurs paupières, fument, troquent le corset Colette, la reine de cette ruche bourdonnante dont sur le site Derev com afin de le faire contre le pantalon, se répartissent les tâches ménagères Dominique Bona tire un savoureux miel toutes fleurs. traduire - Colette dépoussière, Marguerite essore, Musi cuisine, JÉRÔME GARCIN

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L'hymne à Fabri Alors que les poilus partaient à l'assaut la fleur II parait qu on se bat sur la Marne Le gouvernement file a au fusil, Colette sonnait l'heure de la retraite Bordeaux Dans ce calme on n est plus a Paris on se croirail an invitant trois amies à partager son havre de paix dans un immense Perigueux Même les enfants ont disparu Un îlot de liberté féminine. Colette a expédie sa fille Bel Gazou en Correze chez sa belle mere Elle ne materne que ses chats Et ses copines. Il faul dire On est a Paris en 1914 Les hommes sont au lom aussi bien qu elle en héberge trois dans le chalet qu elle habite a Passy les mans que les domestiques Acteurs et techniciens ont gagne pres du bois de Boulogne Les quatre femmes se ressemblent II le front Les theatres ont ferme Les restaurants aussi D ailleurs > a Annie de Pêne romancière el journaliste a I ecrilure vive el on ne trouve pas gnnd chose a se mettre sous li dent Toutes naturelle dans une epoque encombrée de beau stvle pour vieux les lumieres doivent s éteindre avant la tombée de la nuit La beaux puis Marguerite Moreno une comédienne et enfin guerre n est pas la e est pire, elle est partout Les Parisiennes Musidori ravissmle petite danseuse de cabirel qui enchaîne portent du drap gris bleu ct la couture lance les cols dolmans les rôles au cinema et fait un tel triomphe maîs on ne ni pas Tres vile on mel des visages sur les listes des dans < Les vampires > que le mot « vamp » morts publiées chaque matin Charles Pegu) e est le 5 sep \a etre invente pour elle Elles aiment la Colet tembre le 22 e est au tour du Grand Meaulnes» Bientôt des \ie le \in les hommes la cuisine le nuccs dc corneilles noires balaient les rues dc leurs robes bonheur un somme sombres Du reste on entend le canon On dirait du Wagner Alors que I existence des Françaises se transforme en salle d attente elles s offrent une parenthèse miraculeuse de liberte dans une atmosphère de maison close ct dc pensionnat Dans leur chau miere couverte de vigne vierge telle la maison de Blanche Neige elles sont Colette ct les légères comme I alouette ct gaies comme siennes de les pinsons ll ) a d ins leur groupe Dominique Bond pelisson un air de volupte une odeur de ed (rrosset mimosa une poussière de poudre de riz 22 euros Les femmes n'ont ni le droit de vote m I autorisation de signer un cheque maîs les quatre copines ont les cheveux courts portent des pantalons, ont divorce ont des amants voire des maîtresses et exercent des metiers Leur pha lanstcrc e cst celui dc la liberte Parfois elles sont paresseuses comme des chaises longues a d autres moments elles se dè \ouent auprès des mutiles ou pour Colette a lanson de Saill) le lycee voisin transforme en hopital Puis elles retournent travailler sans succomber aux gesticulations patriotiques dcs hommes On les suit alors dans les journaux les theatres el même sur le fronl ou elles se fiunlent auprès de leurs amants Le livre ressemble a un microscope comme on voit la mer a travers une goutte d eau on apercoil toute la societe française Colette et ses amies de haut en bas a travers ces quatre copines. Avec leurs bonheurs et ensuite la comédienne Marguerite Moreno la femme de lettres leurs déceptions Car la vie e cst comme les coups dc soleil, ça Annie de Pêne et I actrice Musidora (Jeanne Roques) commence bien et ensuite ça fait mal •

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ROMAN LE QUATUOR DE PASSY • , COLETTE ET LES SIENNES, de produits par la Gaumont, attend encore Dominique dona, Grasset, 427 p., 22 €. le rôle qui la sacrera première vamp du I n'y a plus beaucoup d'hommes a septième art Déjà célèbre et dodue, Colette Paris en cet ete 1914, et si les femmes domine le quatuor de son infatigable joie de s'en inquiètent, toutes ne s'en vivre. Il y a de l'alpiniste en Dominique Dona : Iplaignent pas. Rue Cortamberl, quatre pas de sujet qui tienne pour elle sans défi à amies s'emploient a tirer d'insoupçonnables relever. En l'occurrence ici • porter un regard ressources des absences forcées par neuf sur l'auteur statufié des Claudine la guerre Quatre indomptables, volontiers Comment ? En adoptant l'amitié comme vagabondes, liées par l'éclat de angle de vue, et comme méthode, le portrait la quarantaine, la passion de l'art, et tout collectif. La caressante opportuniste que autant par le refus des bonnes mœurs : la fut Colette n'en sort pas vraiment grandie, téméraire Annie de Pêne, qui entend donner ses trois complices attirent sur elles tout le des leçons de journalisme jusque dans les charme de cette évocation riche en détails, tranchées, l'orgueilleuse Marguerite Moreno, en frissons. Apres tout, ce n'est que justice, astre noir du Théâtre-Français, la délicieuse la postérité se montre si souvent mauvaise Musidora, qui, lasse de jouer la cousette, fille, la corriger de temps en temps, la dactylo ou la fiancée dans des muets c'est faire œuvre utile ELISABETH BARILLE

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Littérature Critiques La savoureuse « biographie chorale » de Dominique Dona retrace les vies libres de I ecrivaine et de ses amies Musidora, Marguerite Moreno et Annie de Pêne Colette et les vagabondes

CHRISTINE ROUSSEAU

la fin de l'été 1914 en tir du strict cadre chronologique. féré - le chat -, avaient l'âme vaga- Bretagne avec son «Ce genre peut avoir un aspect bonde ? Mariées, divorcées, rema- époux Henry de Jouve- monotone et répétitif que j'essaie riées, mère endeuillée (Margue- nel, Colette (1873-1954) de détourner en choisissant un rite Moreno) ou à la fibre mater- A point de vue sinon nouveau, du nelle peu développée (Colette et est surprise par la déclaration de guerre. Après avoir placé sa fille moins original, explique l'acadé- Annie de Pêne), elles ont déjà chez sa belle-mère, elle rentre micienne. Cet épisode a été le connu plusieurs vies menées au aussitôt à Paris, où l'activité déclic pour composer ce portrait gré de leur plaisir, de leur désir tourne au ralenti. Contrainte de dégroupe.» -pour les hommes et les fem- renvoyer ses domestiques, la voici Une « biographie chorale » dont mes - et d'un goût prononcé pour seule dans le chalet dè bois ver- l'écriture a été le plus grand défi. la liberté. Goût qui s'exprime moulu de Passy. Or, plus que les «L'idée n'était pas tant de montrer autant dans leur mise que dans privations, la solitude effraie la quatre destins en parallèle que de leur manière d'être. romancière. Aussi invite-t-elle à la les entrelacer afin de mettre en évi- Et, même si elles l'ont payé au rejoindre trois de ses plus chères dence les similitudes et les dissem- prix fort, ces anticonformistes qui amies: la danseuse et actrice blances, les liens étroits entre l'in- travaillent, fument, portent les Musidora (1889-1957), que Louis time et l'artistique, en conservant cheveux courts et des robes sans Feuillade hissera au rang de pre- un équilibre de traitement. Et avec, corset, continuent allègrement de mière vamp du cinéma ; la comé- bien sûr, la figure de Colette défier l'ordre établi et la morale. dienne Marguerite Moreno (1871- éclairant l'ensemble. » «Les quatre amies, note Domini- 1948), amie dè Mallarmé et veuve que Bona, tiennent moins, aufond, inconsolée de Marcel Schwob; Au gré de leur plaisir à obtenir l'égalité des droits, par enfin la journaliste et romancière Composé dans la chair des livres rapport au sexe fort, qu'à s'affran- Annie de Pêne (i8..-i9i8), dont les de cette dernière, dont le «style chir des conventions, des codes, et reportages dans les tranchées bref et sensuel» a irrigué celui de à se voir accorder un libre arbitre. » concurrenceront ceux d'Albert Dominique Bona, mais aussi de Seul l'amour, finalement, peut Londres. Avant cela, durant quèl- sa correspondance, sans laquelle enchaîner ces indomptables : ques mois, le joyeux quatuor l'auteure n'aurait pu orchestrer Colette, ainsi, se rêve «amarrée» s'organise pour lutter contre les cette histoire, Colette et les siennes - au risque d'être asservie - à un contraintes du temps, dans une n'est pas seulement illuminé par homme. N'est-ce pas, d'ailleurs, atmosphère oscillant entre le l'auteure des Vrilles de la vigne l'absence d'Henry dè Jouvenel qui pensionnat et la maison close. pousse la romancière à clore la Cet épisode du «phalanstère» (1908). Il est aussi habité par le souci constant de donner à voir parenthèse du phalanstère de occupe peu de place dans les Passy pour rejoindre son époux à ouvrages consacrés à Colette. ces quatre amies dans le mouve- ment de la vie. Verdun? A travers ses blessures Tout juste une page ou deux, mais amoureuses, c'est aussi le portrait elles ont suffi à attirer l'attention Comment, du reste, tiger ce quatuor de femmes et d'artistes d'une femme attachante dans sa de Dominique Bona qui, souvent, vulnérabilité que trace l'auteure. dans ses biographies, aime à sor- qui, à l'image de leur animal pré-

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Le goût de l'art Dominique Bona concentre son propos sur le premier conflit mondial et l'entre-deux- guerres pour tresser avec COLETTE ET finesse - sans les roman- LES SIENNES, cer - ces destins liés par de Dominique une amitié indéfectible Bona, autant que par le goût Grasset, de l'art. Des scènes du 428p., 22€. music-hall, que Colette partagea avec Musidora avant de lui écrire un scénario, à celtes du théâtre où, aux côtés de Margue- rite Moreno, elle joua Chéri, jusqu'aux affinités journalistiques et littéraires avec Annie de Pêne (parfaitement analysées par Do- minique Bona), l'écrivaine saute d'une discipline à l'autre. Retra- çant ces vagabondages, la biographe inspirée de Colette sort de l'ombre, sinon de l'oubli, ses amies. Ce qui n'est que le moindre mérite de cette belle et savoureuse leçon de vies. • Colette au Theâtre des Mathurins, 1906. RUE DES ARCHIVES

EXTRAIT

«Les filles (...) sont entre elles, du strictement sa devise • je Jais ce qu'il matin au soir. Aucun censeur ne me plaît, quand il me plaît. Et tant pis régimente ce cocon, aucun pertur- si le dîner n'est pas prêt à l'heure. Ou bateur n'apporte sa virilité dans cet si l'on dîne en peignoir, à peine coiffée, essaim entièrement féminin où bour- pas maquillée - Henry ne rentre pas donnent des voix joyeuses. L'intimité ce soir. Les filles sont libres, pour la est parfaite. Pas de discipline, pas première/ois. Et s'il n'y avait la guerre, d'horaire. Aucune obligation qui noue les cœurs, elles seraient d'aucune sorte. La maîtresse de mai- parfaitement insouciantes dans son, loin d'être une mère supérieure Ie petit chalet. » ou d'exercer une quelconque tutelle, donne l'exemple en appliquant

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Durant la Première Guerre, la résidence parisienne de l'écrivaine devient un phalanstère féminin où les sentiments et les sens, les amours et les amitiés s'épanouissent. À travers le portrait des complices affranchies de Colette, Dominique Bona fait aussi celui de l'auteur du Blé en herbe et d'un espace- temps singulier : le Paris de l'été 1914. Alors que les hommes sont partis au front, la capitale devient essentiellement féminine. Par Bernard Morlino

ans l'hommage de Dominique Personne ne joue le rôle de l'abeille, tout le du quai Conti nous donne régulièrement Bona a Colette, il y a beaucoup monde est la fleur On ne vole pas, on ne rendez-vous dans des biographies que l'on d'éclats de rires, d'odeurs de prend pas, on donne, c'est tout Colette ht comme des romans, ce qui la distingue cuisine, de draps parfumes, de n'avait aucune inhibition depuis quelle avait des travaux universitaires, simples cata- bonds de felins d'apparte- participe a de médiocres spectacles pour logues de references II suffit de jeter un oeil Dment, et la presence du fantôme de Mal- gagner sa vie Ses armes voulaient toujours sur la bibliographie de Dominique Bona larme - dont Marguerite Moreno fut la quelle leur raconte des histoires N'importe pour se renseigner sur sa personnalité, qui confidente On perçoit tout cet univers grâce laquelle l'important était d'entendre la gé- a forcement a voir avec ses artistes de che- a la magie litteraire de la biographe, qui niale conteuse rouler les r avec son accent vet Romain Gary, Stefan Zweig et Camille semble etre une envoyée speciale revenue qui « enracine sa personnalité dans la terre Claudel, une belle galerie de créateurs quelle d'un reportage Contrairement a ce que peut grasse et solide de Bourgogne » nous a fait mieux connaître Cette fois, elle laisser penser le titre, Colette et les siennes, Des la premiere ligne du livre, on se trans- nous restitue Colette (1873 1954) a travers l'ambiance est davantage celle d'un phalans porte au moment de la declaration de la Pre ses grandes rencontres féminines Un livre tere avec des femmes subbmes qu'un lupa miere Guerre mondiale Le stylo camera de damour avec l'amitié pour déclencheur nar pour lesbiennes dévergondées Nous Dominique Bona plonge le lecteur dans le Quand son deuxieme man, Henry de sommes au cœur d'un hymne a la liberte des Paris du début août 1914, quand la capitale Jouvenel - apres Willy et avant Maurice sentiments et des sens II n'y a aucune bar devint tout a coup exclusivement feminine, Goudeket -, est mobilise, Colette se re mere On s'aime parce qu'on s'aime, et non hormis les jeunes et les vieux non mobili trouve esseulée dans sa maison parisienne, parce qu'on est des femmes qui s'attirent ses Depuis les annees 1980, l'académicienne rue Cortambert, puisqu'elle a confie son bebe (« Bel Gazou ») a sa belle-mère, en Cor- reze Aujourd'hui disparu, ce domicile était Extrait un vieux chalet en bois, couvert de vigne • B Comme une île enchanteresse vierge avec des balcons qui lui donnaient t" t~ ie chalet de la rue Cortambert, paisible dans la tempête, eclaire la nuit des allures de chalet suisse au milieu des par le fanal bleu de la lampe, ressemble étrangement a une fie Une petite île, églantiers, acacias et noisetiers Dans cet isolée du reste du monde Avec sa communaute de femmes, liées entre elles par antre qui lui servait de garçonnière, Henry les liens les plus tendres, il reproduit si bien un modele ancien, célèbre depuis l'Antiquité, de Jouvenel fit installer une salle de bains que la comparaison s'impose tout naturellement avec Lesbos Les femmes, reunies avec baignoire pour faire plaisir a Colette autour de Colette en 1914, semblent redonner vie a l'île enchanteresse, « mere Ce n'est pas un hasard si Dominique Bona a des voluptés grecques » selon Baudelaire Même si sa legende a ete douloureusement mis en exergue du livre cette phrase de Co- assombrie aujourd'hui par les migrants des guerres du Moyen-Orient lette « Moi e est mon corps qui pense, il est C'est dans sa capitale, Mytilene, qu'était nee Sappho « Cite plus éclairée qu'Athènes plus intelligent que mon cerveau Toute ma et plus corrompue que Sardes », Mytilene était réputée pour la liberte de ses mœurs peau a une ame » Pour s'en persuader, elle n avait qu'a penser comment sa mere (Sido)

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elle avait, a 25 ans, les paupières en permanence maquillées pour ne jamais quitter l'apparence d'une jeune fille qui joue a la femme fatale Autant Musi cultive son ap parence pour se faire un nom dans le spectacle, autant la Moreno est une authen tique interprète de Racine Lom de se déshabiller dans les cabarets, comme Colette et Musidora, au Bataclan, Margue rite Moreno avait joue les grands textes a la Comédie-Française, salle Richelieu Par un effet de boomerang, ce lieu mythique a désormais pour adresse la place Colette, puisqu'elle habita le Palais Royal, la ou Em- manuel Berl, son voisin, eut la stupéfaction de l'entendre repondre « Om, je sais », quand il lui dit « Je croîs que vous êtes le plus grand écrivain vivant » En 1914, Colette a 41 ans Et plusieurs vies derrière elle La ligne d'horizon de la romancière, pionnière en quantite de do- maines et prête a toutes les expériences, n'a Colette et ses chats, vers 1920. pas de limite Colette a fait du music-hall, entierement nue, a écrit des livres a la place la surnommait « Joyau tout en or » Voila quelle n'écrivait pas Un cénacle d'artistes de Willy, avant de publier sous son nom pourquoi elle prenait tant soin d'elle, même ou de journalistes, mariées ou divorcées, dans un monde d'hommes qui se reser- quand l'académicienne Goncourt sera voire remariées Des marginales dans une vaient la part du gateau Elle a ouvert une clouée sur une chaise roulante a cause de societe corsetee par la bourgeoisie Meres boutique de cosmetiques rue de Miromes- l'arthrite Au sem de son pittoresque refuge de famille pour trois d'entre elles, ces armes nil, a Paris, et fait de la publicite pour les de Passy, sans Henry de Jouvenel, parti a ont toutes le gout du vagabondage quand cigarettes américaines Lucky Stnke Elle Verdun, avec le 29 régiment d'infanterie, leurs contemporaines recher- parle aussi bien de recettes elle passe son temps en bonne compagnie chaient un man, condition « Moi c'est mon culinaires que de sa façon de quand elle n écrit pas avec l'un des stylos sine qua non pour quitter le corps qui pense, coudre Pour ce qui est de sa Waterman dans son « confort de scribe », foyer parental La guerre rend il est plus vie privee, maman d'une fille, soit une table avec du papier bleu et une leur célibat a ces quatre devo elle a aime autant les femmes lampe bouillotte a cloche verte Seule, elle reuses d'hommes, a l'occa intelligent que que les hommes, de tous ne voulait pas se contenter de ne caresser sion, qui semblent redevenir, mon cerveau. ages Capable de coucher avec que son animal domestique, en l'occurrence par moments, des petites Toute ma peau le fils (Bertrand de Jouvenel) une chatte dont elle a toujours vante la ma- filles qui aiment parler de a une âme. » de son nouveau man, tout jesté, jusque dans un roman en 1933 leurs meres respectives simplement parce qu'il était L'essaim feminin comprenait donc Annie plus jeune que le pere Cela lui a permis Quatre beautés brunes de Pêne, ecnvaine, « visage de poupée, au d'ecnre Le Ble en herbe (1923) Colette, avec Pour se démarquer des multiples etudes sur teint crémeux », et Marguerite Moreno, Jean Giono et Marcel Pagnol, est l'un des Colette, dont celles de Gerard Bonal et de l'immense comédienne, qui fut mariée au tres rares écrivains a célébrer la vie Bien Michel del Castillo, Dominique Bona a défunt Marcel Schwob, l'auteur de Vies ima avant Simone de Beauvoir et Françoise Gl choisi l'angle biographique des armes tres gmaires Avec Colette, elles étaient nees au roud, elle a démontre qu une femme pou- proches de Colette, parmi lesquelles ré- début des annees 1870, tandis que Musi vait faire non pas aussi bien qu'un homme gnaient Musi, Annie et Marguerite, « trois avait vu le jour en 1889 Musi, c'est Musi maîs mieux • beautés brunes - quatre avec Colette -, qui dora, la célèbre interprète d'Irma Vep, la forment une tribu » Toutes ces habitantes vamp dans la serie Les Vampires du cinéaste COLETTE ET LES SIENNES e du 16 arrondissement se sont regroupées Louis Femllade, qui devint l'egene des sur Dominique Bona, chez Colette, qui haïssait la solitude des réalistes De son vrai nom Jeanne Roques, ed Grasset 430 p 22 €

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Cullure/zVres

s" Colene et les siennes de Dominique Bona editions Grasset 432 p 22C

BIO AMI ES pour la \ie Elles sont quatre brunes aux cheveux courts une excentncite a l'époque Toutes a peu pres du même âge, la quarantaine, sauf une Toutes exerçant un métier, ce qui est suffisamment rare pour être souligné II y a Annie de Pêne la tournaire Marguerite Moreno la comédienne Musi, qui deviendra star de cinema, et la romancière Colette, qui pratique tous ces metiers a la fois Au commencement de la guerre de 1914, les hommes ont ete mobilises les femmes restent seules Et c'est comme un souffle de liberte qui arrive dans le chalet de la romancière ou les quatre armes vivent entre elles, sans maris pour les diriger Un Irv re solaire sensuel, éminemment sympathique, sur la sublimation et l'amitié V. G.

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Le chalet du bonheur

er 1 mars > BIOGRAPHIE France et difficile La guerre dont la propagande offi- cielle avait prétendu qu'elle serait une victoire Dominique Bona tisse la eclair durait et l'angoisse avec elle Et, plus biographie croisée de Colette que tout, Colette redoutait la solitude Les et de ses amies chères. amies ont donc décidé de réunir leurs res- Libre sensuelle païenne, terrienne Sidome sources leurs talents leure forces Et le chalet Gabrielle Colette (1873-1954) était l'un des a vite pris des aïïures de phalanstère, de gynécée, êtres les plus doues pour le bonheur Les dia voire de harem libertin Des heures volées au grins, les deuils elle en a subi comme tout le malheur a la peine elles cuisinent travaillent monde, maîs elle a toujours essaye de passer reçoivent, rient s'aiment Tout en n'oubliant outre Par exemple elle ne se rendait jamais pas « leurs hommes » respectifs aux enterrements même de ses intimes pré- Apres 1918, nen ne sera plus comme avant férant conserver d'eux, d'elles surtout, un sou Annie meurt en octobre de la grippe espagnole venir vivant « La mort ne m'intéresse pas, Moreno et Musidora ont leur carriere a mener Dominique Bona disait-elle, superbe, et surtout pas la mienne » Colette, son œuvre et la direction littéraire du La scandaleuse, aux mœurs fort en avance Ce sont ces quatre artistes unies pour la Matin Henry de Jouvenel, son « Sidi », est sur son temps - elle a danse presque nue s'est vie, a qui Dominique Bona consacre une bio- infidèle et leur mariage prend l'eau Ds divor- adonnée aux amours saphiques, est tombée, graphie originale, tissée comme une tapisserie ceront en 1925 dans les annees 1920 amoureuse de Bertrand autour d'un épisode particulier pittoresque De cette parenthèse enchantée. Dominique de Jouvenel, qui était a la fois son beau-fils des débuts de la guerre de 14 jusqu'à la fm de Bona a fait le real impeccablement documente, et mineur la journaliste romancière chro- 1916 - lorsque la fragile maison de bois s'écroule clair sensible, amuse, servi par une écriture niqueuse célèbre a l'œuvre considérable qui suite a un orage -, elles vont habiter ensemble d un beau classicisme J -C. P eut droit a sa mort, en 1954, a des obsèques dans le chalet des Jouvenel au 57, rue Cor- nationales a fait I objet de nombreux livres tambert, a Passy Une vieille baraque de charme temoignages, essais biographies Ses corres- recouverte de lierre et de vigne vierge sur DOMINIQUE BONA pondances ont éte publiées, notamment celles trois mille metres carres de jardin, propnete avec ses trois armes les plus chères Annie du baron Henry, le man de Colette directeur de Pêne (sa collègue au Matin, romancière aa Matin un homme de gauche anticonformiste aussi, et mere de Germaine Beaumont), Mar et dreyfusard dont elle était follement amou- guérite Moreno et Musidora - toutes deux reuse Maîs Jouvenel avait ete envoyé a Verdun, danseuses chanteuses, comédiennes comme tant d'autres La vie a Fans était sinistre

Tous droits réservés à l'éditeur GRASSET 6918650500501 Le Soir Samedi 8 et dimanche 9 juillet 2017 33 Michel Bussi sort son pro- On aime... chain roman, « On la trouvait ✶ bien plutôt jolie », le 12 octobre aux ✶✶ beaucoup Presses de la Cité. Tirage ? ✶✶✶ passionnément ✶✶✶✶ 200.000 exemplaires. © JEAN- à la folie ❍ On n'aime pas du tout BAPTISTE QUENTIN. leslivres ◆ l’oblique « Des femmes libres,

JEAN-CLAUDE VANTROYEN LES PLAISIRS AISÉS DE L’ORGASME proches de nous » LITTÉRAIRE Lire de la littérature érotique en se Où Colette réunit ses meilleures amies chez elle en 1914 donnant du plaisir, de façon naturelle ou grâce à un sex toy, c’est, quelque part, banal. Et c’est laissé à la coquinerie de chacun. Ce qu’on propose maintenant aux amateurs est de loin plus sophisti- qué : un texte érotique numérique connecté à un sex toy. Tout est réglé par la machine : des vibra- tions procurent du plaisir pendant les passages plus chauds. Un exercice plaisant qu’on peut donc réaliser sans les mains… C’est une start-up, B. Sensory, qui a eu cette polissonne idée. Sur laquelle se sont jetés aussi d’autres éditeurs de romances osées : La Musardine, Blanche, Evidence, Union, Tabou, etc. B. Sensory produit 15 à 20 nouveautés par mois. « Amatrice de lecture érotique, dit la fondatrice de la start-up Christel Le Coq, j’ai eu envie de conjuguer le pouvoir des mots au potentiel des objets connectés pour imaginer une nouvelle manière de lire et prendre du plaisir, en solo ou en duo. Pour une fois, toutes les dimensions du désir sont prises compte : l’imagina- tion, les émotions, les sensations. Le but n’est pas de garantir un or- Léopold-Emile Reutlinger a plusieurs gasme mécanique mais bien d’asso- fois photographié Colette dans cier stimulation cérébrale et phy- de nombreux mimodrames, de 1907 sique pour un plaisir plus intense et à 1913. A droite, Dominique Bona. sans cesse renouvelé grâce à la © REUTLINGER/BNF ET JF PAGA. diversité des histoires et des fonc- tionnalités de l’application.» ◆ récit cise-t-elle – est passionnant à lire. sans trop s’attacher au qu’en- aiment le foyer mais ne sont pas Colette Ces quatre femmes sont formi- dira-t-on. des femmes au foyer. On a du et les siennes dables, libres, volontaires, talen- mal à les étiqueter et ça aussi, ✶✶✶ tueuses. Et l’on n’a qu’une envie, Justement, n’est-elle pas liée c’est sympathique : elles sont DOMINIQUE c’est de visionner les Vampires de aux trois autres parce qu’elles elles-mêmes, elles ne trichent BONA Feuillade, l’enregistrement des se ressemblent ? pas, elles ne tentent pas d’appa- l’agenda d’été Grasset pièces de Moreno, de lire de Pène, Ce sont quatre bonnes vivantes, raître autres que ce qu’elles sont. 428 p., 22 € qu’on connaît bien mal, et sur- des femmes avec un fort tempé- Elles ne sont ni des saintes ni Nicolas ebook 15,99 € tout de (re)lire Colette. rament, qui s’assument à une des héroïnes : elles sont dans la époque où ce n’est pas courant : vie concrète, mais leur caractère de Mar-Vivo La vie de ces quatre femmes elles gagnent leur vie, elles ont artistique leur donne une sin- ENTRETIEN réunies dans une maison, c’est une véritable profession. Ce gularité. original. sont des femmes libres, elles ont oût 1914. La C’était mon intention : ne pas coupé leurs cheveux et elles ne Ce sont des amoureuses ? guerre fait rage. écrire une biographie classique portent plus de corset. En 1914 Comment les définir autre- Les hommes ont de Colette, mais une biographie c’est très symbolique. Ce sont des ment ? Ce sont de grandes déserté Paris vagabonde, buissonnière à tra- femmes divorcées, remariées, amoureuses et elles sont aimées, pour gagner les vers cette histoire étonnante et qui vivent en compagnonnage, pas toujours par le même type champs de ba- peu connue. C’est la vie de ces avec des enfants de plusieurs d’hommes d’ailleurs. Ce sont tailleA et bientôt les tranchées. Les quatre femmes pendant les pre- couvées. Très atypiques dans aussi des femmes qui ont aimé est traducteur du finnois, femmes, restées seules, s’orga- miers mois de la guerre qui a re- leur époque mais en revanche des femmes, notamment Co- romancier, linguiste. Il mène nisent. Colette, 40 ans, l’artiste de tenu mon attention. C’est un très proches de notre modèle à lette. Et elles gardent de ce passé une balade littéraire ce di- music-hall, la journaliste, la ro- épisode romanesque : quatre nous. Elles ont eu des vies libres saphique un certain profil. Co- manche 9 de 12 à 13 h sur un mancière, possède une petite femmes entre elles dans une pe- mais ce ne sont pas des pasiona- lette a beaucoup célébré dans ses bateau. Embarquement quai maison à l’orée du bois de Bou- tite maison alors que la guerre rias, des suffragettes, des mili- livres les amours de femmes. des Péniches, à Bruxelles-les- logne. Elle y invite ses trois tonne tout autour. Je me suis at- tantes de la cause féminine. Bains. Où la Bibliothèque des meilleures amies : Marguerite tachée à ces quatre personnali- Au-delà de Colette et les Riches-Claires propose aussi Moreno, la comédienne, qui de- tés, j’ai essayé de montrer les Féminines sans être féministes. siennes, votre livre est aussi une des livres, des revues, des viendra une des divas de la scène liens, les jeux de miroir entre ces « Ce ne sont ni Tout en offrant un thème de vision de la vie en 1914, avec des journaux et une heure du théâtrale française ; Annie de femmes que seule la mort pour- femmes assez libres, oui. Elles tas de personnages authen- conte tous les vendredis de Pène, la chroniqueuse, la roman- ra séparer. Et de dégager la lu- des saintes ni orientent leur vie selon leurs dé- tiques, de Jouvenel à Willy, de 14h30 à 16 h, jusqu’au 13 août. cière, la journaliste, la première mière dominante de Colette, qui sirs, dans la mesure du possible. Marcel Schwob à Armande de Les festivals sont nombreux en femme sans doute à avoir fait, donne ses couleurs à cette his- des héroïnes : Dans l’ensemble, elles ont choisi Polignac. France, pendant les vacances. plus tard, du reportage de guerre toire. ce qu’elles aimaient. Ce qui m’a L’idée de ce livre est aussi de re- Si vous y êtes cette semaine, dans les tranchées ; et Musidora, elles sont plu, c’est qu’elles ne sont pas des construire un passé pas si loin- voici où vous pourrez rencon- de son vrai nom Jeanne Roques, C’est un personnage qui vous politiques. Elles écrivent, elles tain mais fort oublié et qui s’est trer des écrivains, les écouter qui, dès 1915, jouera le rôle prin- fascine, Colette ? dans la vie ont des positions, mais elles n’en défait de son tissu. Le souvenir et apprendre des tas de cipal du feuilleton de Louis Oui, vraiment. C’est une femme font pas manifestation, sauf qu’on garde de cette époque, ce choses : Feuillade, Les vampires, et qui attachante, qui est infiniment concrète, mais par elles-mêmes. Ce ne sont pas sont de grands personnages – Salon du livre d’Hossegor à sera la première vamp du cinéma naturelle, concrète, qui a des ra- des militantes, elles n’ont ja- illustres et tout le reste s’est dilué Soorts-Hossegor dans les français. cines dans la vie la plus simple. leur caractère mais défilé ni signé des péti- dans un regard un peu carica- Landes, les 8 et 9 ; L’académicienne Dominique C’est une personne dans la- tions, des programmes poli- tural. J’ai voulu reconstituer le – Salon des auteurs de Vichy, Bona est une spécialiste de la bio- quelle on peut tenter de se recon- artistique leur tiques, même participé à un tissu de la vie de cette époque et les 8 et 9 ; graphie. Elle a écrit les vies de naître et qui dessine un profil de combat de leur époque. Ce sont replacer dans cette gigantesque – Festival de bande dessinée Berthe Morisot, Romain Gary, femme très agréable. Ce n’est donne une des femmes qui aiment la vie toile d’araignée les person- Bulles à croquer à Saint-Brieuc Stefan Zweig, Gala, Clara Mal- pas une intellectuelle, comme presque traditionnelle des nages, y compris les person- les 8 et 9 ; raux. Ici, elle s’est emparée de cet Simone de Beauvoir ou Mar- singularité » femmes : elles aspirent à être nages secondaires ou de troi- – Les Polars du Chat, au Creu- épisode de la vie de Colette, a tiré guerite Duras. C’est avant tout DOMINIQUE BONA épouses, elles aiment leur mai- sième rôle qui furent peut-être sot, en Saône-et-Loire, les 8 et le fil et a réalisé la biographie de une artiste, une sensuelle, une son, faire la cuisine, le ménage, même célèbres à cette époque-là. 9; quatre personnages, une biogra- gourmande, d’une grande intel- des bouquets, elles ont des en- De tout cela ressort une sorte de – Ecrivains en bord de mer, à phie chorale, en quelque sorte. ligence, et qui a su préserver fants. Mais elles échappent en résurrection d’autrefois, qui Nantes, du 12 au 16 ; « Je voulais mettre les quatre tout au long de sa vie et jusqu’à même temps à ce modèle, elles n’oublie pas la vie quotidienne – Salon du livre de Thiron- femmes en scène sans jamais en son grand âge une philosophie sont difficiles à enfermer dans et artistique. Gardais, en Val de Loire, le 14. perdre une », dit-elle. Son livre – très aimable de la vie consistant une catégorie. Elles sont libres Propos recueillis par « un récit biographique », pré- à profiter des bons moments mais pas féministes, elles JEAN-CLAUDE VANTROYEN

33 Date : 16 AVRIL 17 Pays : France Journaliste : J. G. Périodicité : Quotidien OJD : 124580

Page 1/1 Livres Dominique Bona, Colette et ses affranchies L'HUMEUR DE JÉRÔME GARON Un livre hommage à une amitié exceptionnelle

est un livre qu aurait pu lieutenant de Jouvenel son ma écrire Id grande Colette et ri son seigneur Sidi son pa C que repaiant cet oubli ou cha aVcidun ou elle goûte le cette négligence I acadcmi privilege de faire I amour cienne Dominique Bona bio quand la guerre fait rage graphe de Zweig Gary Berthe On suit Maiguente Moreno Monsot et Clara Malraux a sem ex sociétaire de la Come ble vouloir faire pour elle en die Francaise jusqu a la Baie guise d hommage et de grati des Anges ou celle que Colette tude Colette et les siennes est en appelait mon ame devient in effet I histoire de I amitié excep tiimicical hotel Majcstictrans tionncllc qui ha cntic elles la foimc en hopital militaire avant conteuse dcs Claudine la come d incarner au cinema la reine dienne Marguerite Moreno fu Anne d Autriche On découvre ture toile de Chariot I excen non sans émotion la totale trique Musidora bientôt muse ment oubliée Annie de Pêne des Surréalistes et la journa I Annie il enfant e de Colette liste romancière Annie de qui eciivit des lomans egale Pêne Une amitie si folle que a ment oublies ct qui com i it paitn dc I ctc 1914 loisquc Pa pour le journal L œuvre depuis ris se vida de ses hommes appe les tranchées bombardées la les sous les drapeaux ces terrifiante bataille (elle mourra quatre femmes décidèrent de en 1918 de la grippe espa fonder une petite communaute gnôle) Et I on assiste a la nais et d habiter ensemble un cha sance de la legende Musidora let situe dans le 16 arrondisse qui joue a\ec Colette au Bata ment de la capitale pres du clan dans la ie\ue Ça gri^e et Bois de Boulogne Ce chalet qui danse Ic tango sul la scene dcs allait s ccioulci deux ans plus Folles Bergères ou Louis tard sous les orages avait ete la Femllade la remarque et I en garçonnière du deuxieme man gage (Elle sera la derniere resca de Colette le baron Henrv de pee du quatuor puisqu elle dis Jouvenel Avant de partir pour paraîtra en 1957 soit trois ans Verdun il I offrit a sa femme apies Colette neuf ans apres qui le ttansfoima en chalet du Mai guci ite Moicno) Cc qui bonheur Quadiagcnancs (a fiappc Ic plus e cst Ic cran dc I exception dc lcui cadette Musi ecs pionmcics féministes ecs doia) les quatic amazones presque sœurs qui souvent brunes mettent tout en com menées par Colette la battante mun les taches menageres la osent tout cuisine le maquillage les ciga La biographe évoque les relations qui lièrent entre elles Colette, Ni la grande guerre ni une so rettes le tricot le crochet et sur Marguerite Moreno, Musidora et Annie de Pêne /PHOTO JP PAGA ciete ultra conformiste ne les tout la liberte dissuadent dc icmvcntcr Liberte d aimer d im enter La jeune actrice du muet Mu formidable C est bien simple chaque jour leur vie debouscu de creer malgre la guerre qui sidora s apprête a devenir en on se croirait parmi elles ler leur epoque et de se moquer gionde au Inm ct les lationnc 1915 la premiere vamp du cine Même si I on revient toujouis dcs impoitants ll fallait bien un ments d une ville étranglée ma en jouant Irma Vep dans Les au phalanstère la biographe beauhvre pour les reunir a nou Colette et Annie de Pêne \ ampires de Louis teuillade s attache tres bien a raconter veau et les entendre rire en écrivent leurs livres et des chro Le portrait de groupe a la mai chacun dc ecs quatic destins semble niques dans les journaux Lame son que dresse Dominique Bo On voit Colette dont on ne JC lancoliquc Mai guci ite Moi eno na dc ecs femmes aux cheveux compte plus les aventures senti cherche le plus souvent en courts aux yeux couverts de mentales et bisexuelles partii Colette et les siennes de Dominique vain des rôles au theatre khol et au corps sans corset est icjomdic clandestinement Ic Bona Grasset 432 p 22€

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SPÉCIAL POCHE LIVRES POUR MVOTRE ÉTÉ LIRE: avec f rance! nf o

ENTRETIEN Les vies secrètes de Pascal s tz QUIGNARD

EXTRAITS Richard FORD Mario VARGAS LLOSA Christel le DABOS

a g a

CE QUE LA LITTERATURE DOIT AUX FEMMES DEJANEAUSTEN À ELENA FERRANTE rî rexpress .WI01974-456-F 6,50€-RD

#456 juin 2017 www.lire.fr

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UVERTURE CE QUE LA LITTÉRATURE DOIT AUX FEMMES

« COLETTE [son tres libertaire premier man, NDLR], qui l'a poussée à écrire, mettait son nez était quelqu'un dans sa prose, lui faisait gommer ses de très paradoxal » adjectifs superflus... Dans l'histoire littéraire, de quelles Dans son essai Colette et les Siennes, Dominique Bona auteures rapprocheriez-vous Colette, aussi bien pour les thèmes qu'elle aborde que évoque la vie de la subversive auteure de Sida à travers les pour sa maniere d'envisager la littérature ? femmes qu'elle a côtoyées, à Paris, lors de la Première Guerre > Pour moi, Colette me semble très mondiale. L'occasion de discuter avec l'académicienne proche de quelqu'un comme Marguerite de Navarre, sœur de François I", dont on des influences et des spécificités de Colette. Et de son apport, oublie souvent qu'elle est l'une des pre- très ambivalent, à la littérature féminine en général... mières romancières françaises ' Redé- couvrez les histoires de L'Heptaméron, qui est probablement l'un des premiers Vagabonde, Le Blé en herbe, Chen, romans d'amour sous forme de contes, Sida ) Après avoir écrit (entre autres) avec les personnages qui prennent la sur Berthe Monsot ou Clara Malraux, parole les uns à la suite des autres La Dominique Bona - de l'Académie fran- parenté peut bien sûr étonner, maîs çaise - raconte aujourd'hui la vie de cette Marguerite de Navarre est une pure écrivame en se focalisant sur les femmes conteuse d'histoires, exactement comme qu'elle fréquentait, dans le Paris déserté Colette Elles ne sont pas dans la théorie, de 1914 (la star du cinema muet elles sont vivantes, concrètes et fuient Musidora, la mondaine Annie de Pêne, toute abstraction Dans cette filiation stric- la comédienne Marguerite Moreno ). tement féminine, on pourrait également Il convenait dès lors d'interroger notre parler, maîs de maniere plus lointaine, de « immortelle » sur les sources de cette Christine de Pisan Du point de vue de œuvre, sa singularité et sa vision pas tou- l'écriture, le style de Mmc de La Fayette, jours correcte de la féminité et des rap- avec son travail très cristallin de la plume, ports hommes-femmes me paraît plus éloigne On aurait aussi tendance à associer, par réflexe ou pour Quelles femmes de lettres ont ete des une certaine imagerie, Colette et George modèles pour Colette ? Sand Or, l'écriture de cette dernière me > Dominique Bona. A mon avis, ce sont semble bien plus « musclée », « athlé- plutôt ses contemporaines, comme l'Amé- tique », alors que sa pseudo-descendante ricaine Natahe Barney ou Elisabeth de a une prose plus parfumée et vagabonde Gramont. Colette a admiré leur plume et Au fond, il y a quelque chose de très sten- a pu dialoguer avec elles Sa confrontation, dhahen chez Colette aussi, avec Anna de Noailles a beaucoup compté Toutes deux étaient toujours Comment caractériseriez-vous alors son entre amitie sincère et rivalité Colette lui style ? succéda, d'ailleurs, à l'Académie royale > Très sensible et très sensuel C'est ça, de langue et de littérature françaises de sa signature Colette apporte de la chair Belgique Toutes ces femmes s'apportaient aux mots et décrit le quotidien en faisant quelque chose les unes aux autres, une appel à tous les sens - aussi bien pour forme d'énergie collective peut-être. évoquer la vie à la maison qu'une balade a chatte est, par essence, un ani- Toutefois, la plus grande lecture de Colette dans les jardins ou un moment anodin mal insaisissable, et ça n'est pas n'était pas féminine... pendant les vacances Avec elle, on est un hasard si Colette l'a choisie toujours au cœur de la vie comme totem De son vrai nom Quelle était donc cette lecture essentielle ? Sidome Gabrielle Colette (1873-1954), > Elle avait une passion pour Honoré Et qualifieriez-vous cette écriture de la native de Samt-Sauveur-en-Puisaye est de Balzac Son père avait, à la maison, « féminine » ? souvent considérée comme le symbole les œuvres complètes de l'auteur du Pere > Certainement pas ' Comme vous le d'une femme de lettres libre, affranchie Goriot C'est grâce à tous ces ouvrages savez peut-être, j'ai écrit sur Berthe des conventions, aussi bien dans sa vie que, très jeune, elle a assimilé toutes les Monsot, et on a souvent montré son tra- privée (et ses multiples amours, de tous subtilités de la langue française Elle doit vail non pas dans des expositions de pein- les genres) que dans ses ouvrages (La également beaucoup à son cher Willy tres impressionnistes, maîs de peintres

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femmes - avec des artistes comme Eva séduits par sa prose ensorcelante, qui ont Gonzales. Elle me semble un peintre apprécie sa vision féminine de la vie Voila autant qu'une peintre ' C'est la même quelqu'un qui écrivait avec son âme, son chose en littérature Ainsi, Colette est corps Et quand elle parle de l'amour, elle donc un romancier comme elle est une le fait avec un panache fou Tous les sexes femme romancière C'est pourquoi Henry peuvent s'y retrouver de Montherlant, qu'on peut difficilement taxer de féministe, parlait de Colette Quelles sont les héritières directes de comme du « plus grand écrivain français Colette ? naturel » > Comme elle a tout osé - ou presque -, les écrivames lui doivent beaucoup Elle On parle souvent de Colette comme d'une a montré qu'on pouvait être une femme femme sulfureuse, scandaleuse. Maîs issue d'un milieu populaire et imposer comment ses contemporains jugeaient- son nom Tout cela en restant soi-même, ils effectivement ses livres ? authentique Malgré leurs divergences, > Longtemps, les Claudine ont été signés quelqu'un comme Simone de Beauvoir Willy, puis Colette et Willy et, enfin admirait Colette, même si elles ne se sont Colette seule C'est vraiment avec La Pour autant, doit-on parler de Colette rencontrées que tres tard, lorsque cette Vagabonde qu'elle a imposé son nom, - aussi bien dans sa vie que dans son derniere était devenue une grosse vieille en 1910 D'ailleurs, il faut savoir qu'elle œuvre - comme d'une féministe ? dame lom de sa splendeur d'antan II y a a même obtenu quèlques voix au > Lom de là ' Elle tenait des mots terribles aussi quelque chose de Colette chez Goncourt ' Elle est même citee avec Anna sur les suffragettes ' Elle disait notamment Françoise Sagan, lorsqu'elle écrit Bonjour de Noailles - on y revient - pour rentrer qu'il fallait leur donner soit le fouet, soit tristesse, ou chez la Marguerite Duras des à l'Académie française ' Contrairement le harem Au fond, Colette était quel- débuts Ensuite, on a vu toute une lignée à ce que l'on imagine, elle n'a rien d'un qu'un de tres paradoxal D'un côté, on d'intellectuelles qui signaient des romans écrivain maudit, et sa renommée a été au tient une personnalité profondément moins sensibles que cérébraux, très lom fond assez rapide Ce qui n'empêche pas, libre, très décomplexée - a l'image de sa du Ble en herbe Maîs je ne raisonne pas par ailleurs, qu'elle a très tôt éte quelqu'un sexualité, puisqu'elle a aussi bien aimé en termes d'« écoles littéraires », et les de subversif Au début du siècle, Colette des hommes que des femmes De l'autre, influences, parfois, sont beaucoup plus danse dans des cabarets, joue en petite elle n'a rien d'une militante de la cause insidieuses tenue dans des spectacles, etc Les gens féministe C'est quelqu'un qui, en fm de l'attaquent quand elle rentre au Matin compte, ne pense qu'à vénérer le « maître Enfin, contrairement à Colette, vous êtes et la traitent dè « romanichelle », car elle de tout » Pour elle, l'amour, c'est le entrée - en 2013 - à l'Académie française, a interprété une Rom sur scène Elle dévouement à l'autre, l'oubli de soi et le où les femmes se comptent encore jetait un defi à la societe bourgeoise de devoir de s'occuper du « Pacha » [le sur- aujourd'hui sur les doigts de la main. son epoque ' nom d'un de ses grands amours, Henry Comment expliquez-vous cette sous- de Jouvenel, NDLR] Nous sommes représentation sous la Coupole ? Est-elle représentative des femmes vivant tres lom, comme vous le constatez, de > Ah, certes, il a fallu du temps pour à Paris durant la Première Guerre mon- Marguerite Duras [rires] Sa liberté, qu'une femme puisse enfin siéger - à diale, que vous décrivez dans Colette et affichée et revendiquée, s'entend avec savoir Marguerite Yourcenar, en 1980 les Siennes ? des fantasmes de soumission Chez elle Maîs, bon, le pas a été franchi Je vais > A ce moment, les femmes ne sont pas - et dans ses livres -, rien n'est tout noir peut-être me montrer incorrecte, maisje encore considérées comme citoyennes, ou tout blanc La vie est un grand mélange croîs sincèrement qu'il appartient aux et la plupart d'entre elles sont limitées de couleurs. Et elle apporte, je croîs, une femmes de prendre leur destin en mam au foyer Le conflit les a obligées à pren- lumiere assez douce sur les relations Les règles de l'Académie imposent de dre des responsabilités II y avait bien hommes-femmes devoir poser sa candidature quèlques hommes dans la capitale, maîs Or, pour une raison ou une ils étaient trop jeunes ou trop vieux pour Quel était, de son vivant, le lectorat de autre, il y a encore aujourd'hui partir sur le front En 1918, toutes ces Colette ? Touchait-elle particulièrement très très peu de postulantes, femmes qui, de fait, avaient connu une un public féminin ? alors qu'on compte en France certaine émancipation, ont eu du mal à > Les femmes ont accroché tout de suite nombre de femmes de lettres voir revenir les contingents masculins Plusieurs générations n'ont-elles pas eté de talent Je regrette que - d'autant que nombre de survivants biberonnées aux différents tomes de Colette n'ait jamais intègre étaient blessés ou traumatisés II faut Claudine ' Elles trouvaient là un parfum cette institution Allez savoir, aussi replacer la vie et les travaux de d'interdit qui leur a immédiatement beau- peut-être qu'avec elle les ** Cofette Colette dans ce contexte tres précis où coup plu Le Pur et l'Impur, par exemple, choses auraient changé et les Siennes par Dominique les femmes ont découvert et acquis un a naturellement quelque chose d'un peu Propos recueillis Bona, 432 p, nouveau statut coquin Maîs les hommes ont aussi été par Baptiste Liger Grasset 22 €

Pays : France Périodicité : Mensuel OJD : 706874

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mes loisirs ON LIT

PRESENTE UN LIVRE, UN JOUR Colette SUR FRANCE 3 ET TV5 MONDE

BIOGRAPHIE / Les quatre sans coups Ah, les coquines ' L'air de rien, le sou rire aux levres, la tenue masculine et les cheveux courts, elles ont illustre les Annees folles avec le seul recours de leur talent, de leur gout de la vie, de leur sens de I amitie r est un salut complice a cet anticonformisme que leur adresse Dominique Bona, qui retrouve l'inspiration a la fois pnmesau tiere et intime qui lui permit, naguère, de redonner vie aux so?urs Heredia (Tes Yeuxnoirf) Voici donc Colette, actrice, romancière, mémorialiste de style autour de qui gravite le Tout Paris maîs surtout ses trois armes de cœur, qui se retrouvent dans une maison de campagne pres du bois de Boulogne Annie de Pêne, journaliste reconnue Musidora hientot vedette de cinema, Marguerite Moreno ( Malguehte , comme dit Colette, qui a toujours cultive son accent bourguignon), monstre sacre des planches I eurs mœurs sont libres, leur independance est farouche toutes fument, travaillent, refusent le corset, sa\ent se passer des hommes, lesquels sont au front Des artistes inoubliable Musidora dans son collant noir des Vampires de Feuil- lade, Moreno interprète de T a Folle de Chaûlot A e Gl rau doux, et Colette elle même, dont on lira toujours les Clan dîne et les livres de souvenirs, et qui vécut une passion digne de Phèdre Files s aimaient, nous les aimons

* COLETTE ET LES SIENNES, DOMINIQUE BONA, GRASSET, 426 P., 22 «.

PRIX INTERALLIE (1992) ET PRIX RENAUDOT (1998) DOMINIQUE

S BONA A EGALEMENT ECRIT é LES BIOGRAPHIES DE BERTHE "• MORISOT, CAMILLE ET PAUL CLAUDEL ET CLARA MALRAUX

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La bande à "mon vieux" Colette lanstère » de sa bande Et et les siennes quelle bande ' La grande pat Dominique Bona Marguerite Moreno, diva qui chante et fume comme un (Grasset) pompier, la délicieuse Musi- HEZ elles, a leur époque, dora, star du cinéma muet, C tout est scandale Leurs Annie de Pêne, journaliste et cheveux courts à la garçonne, ecnvaine, affublée d'un amant leurs cigarettes, leur corps odieux Des femmes libres, ex- souple, libre de ces corsets, ar- quises, éblouissantes, intelli- matures métalliques qui, par- gentes, fantasques et trans- fois, ne permettent même pas gressives « Elles commettent de s'asseoir, leurs rires, leurs un forfait plut, grave que de soirees, leurs metiers - jour- danser a demi nues ou a demi naliste, ecnvame, chanteuse, habillées sur une scene de ca- actrice -, leurs liaisons avec baret II leur arrive assez sou les deux sexes, leurs pied de vent, a la maison, de porter nez aux conventions Toute des pantalons Avec une cra- leur vie, enfin Nous sommes vate et un gilet » Des femmes en 1914, les hommes sont à la qui, entre elles, s'appellent guerre, et, malgre le chagrin « mon vieux » de la separation, l'horreur du En ce début du XX' siècle, destin, les femmes se sentent dans ce monde sans hommes, «plut libres », sans eux « on ne pense pas tout de suite Déjà célèbre, Colette n'avait aux femmes pour les rempla pas vraiment besoin de ce fu- aer, c'est une idée qui a besoin neste "ëpisode de l'Histoire de temps pour faire son che- pour vivre comme bon lui sem- min » C'est dire où en est le blait Ses amies, « les siennes », rôle de la femme Rue Cortam- non plus L'auteure des « Clau- bert, aucune ne milite, au sens dine » habite l'ancienne gar- politique, pour la cause fémi- çonnière de son époux, qu'elle niste, maîs la vie des quatre adule, Henry de Jouvenel, arenes, leurs aventures, leurs parti à la guerre. C'est un cha- amours, leur farouche in- let suisse, rue Cortambert, en dependance en disent bien plein XVIe arrondissement de plus que de grandes décla- Paris, à Passy, presque la cam- mations. pagne On manque de tout, il D. S. gèle II faut partager Le chalet devient le « pha- » 427 p , 22 €

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LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE

outes ont déjà une vie bien comprend tout, je peux tout lui confier. » pires et de Judex, films de Louis Feuillade. remplie. Toutes ont en com- Sa mort, en 1918, plonge son amie dans Colette lui inspire une affection protec- mun un goût prononcé pour un profond désespoir. trice, elle l'appelle «Méramie». T les hommes, mais aussi les L'autre contemporaine, c'est Germaine Enfin, lapins jeune, Germaine Beaumont, femmes, les arts, la liberté et le scandale. Moreno, elle aussi âgée de 43 ans. La muse 23 ans. Avec elle, Colette est tyrannique Leur point de ralliement : une jolie maison des symbolistes, la confidente de Mal- et cordiale, n'hésitant pas à rudoyer celle à l'orée du bois de Boulogne. Leur chef larmé, maîtresse de Catulle Mendès, à qui Henri de Jouvenel a confié, pour de file : Colette. Nous sommes en 1914, éphémère épouse de Marcel Schwob. Qui Le Matin, ses « billets de l'homme qui la France est en guerre et le ciel de Paris a déjà joué sur toutes les écoute parler les femmes ». est parcouru de dirigeables. scènes de France et dirige Passionnée par l'occultisme, L'auteur de la série des Claudine a rompu la section française du con- le roman policier, la littéra- avec Willy, mis un terme à sa carrière au servatoire de Buenos Aires ture anglaise, Germaine est music-hall et s'est remariée avec Henri Colette l'initie au cinéma ombrageuse. On dit d'elle de Jouvenel. Adepte des amours saphiques, muet, la pousse à jouer des qu'elle est un « délicieux elle n'a pas encore dépucelé Bertrand de rôles comiques. Dans Le Sexe chameau ». On la surnomme Jouvenel, fils d'Henri, attendant qu'il ait faible, elle joue une comtesse «Zizanie». En exergue de 17 ans... Autour du futur auteur du Blé slave qui « lève et paie des son roman Silsauve, on peut en herbe, un quarteron de pétroleuses. beaux garçons »... Les deux lire: «À Colette, à qui je dois Les deux premières ont presque le même dernières sont les plus tout. » Quel bel angle d'at- âge que Colette, qui entre dans sa jeunes. À 25 ans, la surdouée taque que celui de relire 41e année. Les voici, par ordre d'entrée Jeanne Roques peint, écrit, sculpte, maîs Colette à l'aulne de cette bande de filles en scène. Annie de Pêne, née en 1871. Ce surtout danse et joue la comédie. Elle a dévergondées et si attachantes. Et quelle qui les rapproche ? Une même enfance connu Colette au Bataclan, où elle parta- belle façon de parler de la France en guerre. provinciale, faite d'impressions de nature geait avec elle l'affiche de Ça grise. Cette Un livre merveilleux de tendresse sur et d'émotions familiales. Annie est écri- beauté fatale aux yeux noire soulignés de l'amitié au féminin. GÉRARD DE CORTANZE vain, publie des reportages sur le front khôl, peau blanche et garde-robe exotique • Colette et les siennes, de Dominique Bona et les tranchées. Colette l'adore : « Elle est la fameuse Irma Vep, vamp des Vam- (Grasset, 42 7 p, 22 €)