25/07/13 RAGEMAG | Didier Roustan : « Avec cette L1, je m’emmerde comme un rat mort. »

Didier Roustan : « Avec cette L1, je m’emmerde comme un rat mort. »

Publié le 1 mai 2013 à 14:57 | par Lucie Bacon | 8

Une heure avant l’entretien, il nous confiait être déjà dans les starting-blocks. Autant vous dire que Didier Roustan, il est plutôt au taquet. Bientôt 40 ans qu’il parle de foot, et pourtant, il ne s’est même pas lassé… enfin si, il en a marre de cette sans saveur. Qu’on l’apprécie ou pas, Roustan fait toujours parler. Rencontre avec une grande gueule atypique.

Ragemag, premier sur l’actu du foot : t’en as pensé quoi de cette élimination parisienne en Ligue des Champions (NDLR : l’interview a été réalisée le lendemain. Depuis le PSG s’est aussi fait éliminer de la Coupe de France, mais est en tête du championnat) ?

C’est décevant mais on a vu des beaux matches. Personne ne pensait que les Parisiens tiendraient aussi bien, ils n’étaient pas loin de l’exploit. Et puis le Barça est sur le déclin, avec un Messi indispensable. Mais c’est râlant, le PSG a eu beaucoup d’occasions…

Pourquoi as-tu un jour décidé de parler de foot ?

Une passion, ça vient souvent de son environnement. Dans ma famille, tout le monde aimait ça. Mon grand-père antillais était fou de foot. Un de mes oncles était pro à Cannes. J’habitais à 50 mètres du stade, j’étais encerclé en quelque sorte. C’est donc venu naturellement.

Résume-nous : c’est quoi le foot pour toi ?

Le foot, c’est quelque chose de très vaste. C’est une source d’émotion. Le foot, c’est la vie, c’est un peu d’art, la justice, le gentil, le méchant, la déception, la joie. Le temps s’arrête avec le foot. C’est un des rares moments de vérité, où tu ne peux pas tricher.

Tu as joué au foot, il paraît même que tu était plutôt bon. Pourquoi ne pas être devenu pro ?

J’ai joué entre 6 et 18 ans à Cannes, avec les meilleures équipes de jeunes, c’est vrai. À 16 ans, je jouais déjà avec les pros. Mais je n’avais pas la mentalité à ça. Ce qui m’éclatait, c’était de prendre du plaisir. À un moment, je me suis intéressé aux sorties, aux filles… un peu moins au foot. J’avais les aptitudes pour continuer, j’ai joué avec les meilleurs joueurs de mon époque comme Thierry Tusseau, en cadet, mais je me suis désintéressé de tout ça.

Tu as fait quoi alors ?

À 18 ans, je voulais entrer dans la vie active. Je voulais être pêcheur ou travailler dans une boîte de nuit. En fait, je voulais être indépendant. « Le foot, c’est la vie, c’est un peu d’art, la justice, le gentil, le méchant, la déception, la joie. » Et pourtant, finalement, à 18 ans, tu étais très jeune, mais il s’est passé un truc un peu dingue : tu es devenu journaliste, à TF1 …

Oui, les événements ont fait que je me suis retrouvé à Paris. J’ai eu beaucoup de chance : le stage de 3 mois qu’on m’a proposé à TF1 est devenu un job pendant 13 ans et demi. Lors de ce stage, j’ai su me rendre vite utile. Là où j’ai eu du bol, c’est quand la chaîne a signé les accords en novembre 1976 pour la création de Téléfoot presque un an plus tard. TF1 a eu besoin de renforcer son équipe sur le foot. Tout le monde à la rédaction m’appréciait, Georges de Caunes a été touché, il m’a demandé de faire des essais, m’a proposé un contrat de stagiaire et puis un contrat tout court. J’ai été le bon mec, au bon moment.

Tu as donc bossé 13 ans pour Téléfoot. Aujourd’hui « Aujourd’hui, j’ai l’impression que tous les journalistes l’émission est pas mal critiquée. T’en penses quoi ? sportifs se ressemblent. » Je ne regarde plus du tout l’émission. Avant elle était vachement regardée. Je me souviens, quand j’en étais responsable de 1986 à 1989, les lendemains de gros matches, on faisait des audiences de 6 millions de spectateurs ! Mais je te parle d’une époque où il n’y avait que deux chaînes et demi : TF1, et France 3 était peu regardé. Dès que j’ai arrêté, j’ai trouvé ça trop étriqué. Aujourd’hui, j’ai l’impression que tous les journalistes sportifs se ressemblent. C’est dommage que la profession se soit autant standardisée…

Tu trouves qu’ils ont tous le même style ?

Oui, y’a pas tellement d’originalité d’une émission à l’autre. Ils se retrouvent tous autour d’une table où on peut tout dire et son contraire. Avant, tu allais faire des sujets, tu étais à même de voir si les mecs étaient bons ou pas.

Tu regrettes qu’il n’y ait plus assez de terrain dans le journalisme sportif en fait ?

Oui voilà. Et puis je ne les connais pas tous… Il y a trop de chaînes !

Tu trouves que le foot évolue dans le temps ? T’as des « Avant, le foot c’était une découverte : tu devais attendre regrets par rapport à ça ? ragemag.fr/didier-roustan-avec-cette-l1-je-memmerde-comme-un-rat-mort-25245/ 1/4 25/07/13 RAGEMAG | Didier Roustan : « Avec cette L1, je m’emmerde comme un rat mort. » Oui, c’est sûr. Aujourd’hui, il est devenu très standardisé. Il n’y a plus une moment fort, comme une Coupe du Monde, pour vraiment une identité espagnole, ou une identité italienne… Avant, le entendre parler d’un joueur et de son talent. » foot c’était une découverte : tu devais attendre une moment fort, comme une Coupe du Monde, pour entendre parler d’un joueur et de son talent. Aujourd’hui, tu connais tout le monde. Et puis je regrette aussi que ce soit devenu un vrai business. C’est l’argent qui dicte le truc maintenant. Regarde le Barça : y’a des joueurs espagnols, c’est sympa, mais au PSG, y’a presque plus un Français (NDLR : en fait, Ménez, Matuidi, Chantôme, Rabiot, Gameiro, Jallet, Armand, entre autres, sont Français, au PSG) !

C’est quoi ton meilleur souvenir en tant que journaliste ?

Il n’y a pas de souvenir en particulier. Ce sont plus des rencontres. J’ai beaucoup voyagé. Quand tu reviens de Colombie où t’as couvert du cyclisme et découvert plein de choses, tu n’en reviens pas indemne. Quand tu vas au Libéria en période de guerre, ça marque aussi. Après, sur le plan sportif, je me souviens de la Coupe du Monde de 1982 avec le Brésil qui jouait d’une façon tellement belle… C’était un plaisir de commenter ça. J’ai aussi passé de très bons moments dans les différentes émissions que j’ai faites, Mag Max, Terre de foot, Enfin du Foot… On fait un beau métier quand même.

Il y a quelques semaines, dans nos colonnes, Vikash Dhorasoo dénonçait les pratiques de certains journalistes qu’il trouvait « populistes », en faisant notamment référence à l’affaire de la une de L’Équipe avec les propos d’Anelka. T’es d’accord avec lui ?

On est dans une époque où tout est dit, tout est instantané. La une sur Anelka peut surprendre, et ce n’est pas si commun que ça ce qu’Anelka a dit. On vit dans une époque qui est comme ça…

Qui sont les joueurs que tu adores par-dessus tout, tes joueurs cultes ?

Il y a des joueurs qui ont bercé mon enfance, des joueurs un peu dans le passé. Il y a Pelé, Cruyff, Beckenbauer et Maradona. Plus professionnellement, il y a Platini, Zidane, bon ça fait un peu cocorico c’est sûr… Et puis il y a Ronaldo, du Brésil, Zico et Messi maintenant.

Pourquoi ces joueurs ?

Pour leur talent, et l’émotion qu’ils dégagent sur un terrain.

Et tu as des équipes, des clubs cultes ?

Non. Quand je suis rentré à TF1, j’ai compris que je devais être neutre. Mais mon club culte à moi, c’est l’AS Cannes. Mais je n’emmerde personne avec ça, ils sont en National. Après, il y a des équipes qui m’ont marqué : le Brésil de 1970 et 1982, l’Ajax du début des années 70, ou le Barça d’il y a 2-3 ans.

Et des stades cultes ?

Maracana. C’était un nom magique quand j’étais gosse. 200 000 personnes dans un stade, ça a une connotation particulière. Il y a aussi Wembley à Londres, le temple du football. Et le stade de Boca Junior à Buenos Aires, qu’on appelle la Bombonera. Il tremble pendant les matches, il y a une ambiance extraordinaire. De toute façon, les meilleures ambiances que j’ai connues, c’était en Argentine. Le public saute, danse. Pendant un quart d’heure, tout le public peut chanter, même dans les tribunes des officiels on connaît la chanson. S’il y a une grosse action, le public s’arrête, puis reprend ensuite le chant.

Et sinon, t’en penses quoi de notre Ligue 1 ? Tu la trouves belle, toi ?

Non, je m’emmerde comme un rat mort. Je me fais chier au possible. Sauf avec Saint-Étienne parfois, il y a quelques trucs sympas. On me dit « Mais attends, y’a du suspens », mais il n’y a pas un bon niveau. C’est une question d’état d’esprit, là il y a une volonté de rester sur un jeu défensif. Et puis la taxation à 75 % pourrait empirer le truc.

Ah oui, ça te fait peur ça ?

Oui, beaucoup de joueurs vont partir, car même si ce sont les clubs qui sont taxés, ils payeront moins leurs joueurs. Je n’ose pas imaginer l’état du

1970 : c’était le Brésil championnat après ça.

Alors le PSG, t’en penses quoi ? Un mal ou un bien ?

L’argent peut paraître obscène, mais si les Qataris n’étaient pas là, ce serait une cata. Ça fait parler de la Ligue 1, ça fait parler les journalistes, ça remplit des stades… Après, il faudrait qu’il y ait d’autres investisseurs dans le championnat.

Tu as la réputation d’être une grande gueule. Ça t’a déjà porté préjudice ?

Non, je dis ce que je pense. Je n’ai pas vraiment une grande gueule. Je n’ai pas non plus la science infuse mais les gens ont vite compris que j’étais honnête, que je connaissais mon sujet. J’ai des convictions, pas des certitudes. J’essaye juste d’y mettre les formes et de l’humour. Parfois, ça peut choquer ou faire du tort.

Tenir un blog, ça te plaît ? C’est une forme qui te convient ? ragemag.fr/didier-roustan-avec-cette-l1-je-memmerde-comme-un-rat-mort-25245/ 2/4 25/07/13 RAGEMAG | Didier Roustan : « Avec cette L1, je m’emmerde comme un rat mort. »

Oui, c’est pas mal, tu parles non stop, tu peux délirer un petit peu, le foot ce n’est pas un truc sérieux. Tu peux y faire passer des messages plus facilement que dans une émission où on est coupé au bout de 30 secondes.

Ça va bientôt faire 40 ans que tu parles de foot. Tu n’as pas envie de parler d’autre chose parfois ?

Si. Mais ce qui m’a fait garder un peu de fraîcheur, c’est que le foot, c’est plus que le jeu. C’est des histoires, des émotions.

C’est une raison pour laquelle tu ne veux pas théoriser le foot ?

Oui, sûrement.

Et tes superbes maillots, ils viennent d’où ?

Ils sont tous à moi.

T’en as combien ?

J’en ai plusieurs dizaines. Je les ai gagnés ici et là. J’en ai acheté à l’étranger.

Et quel est celui auquel tu tiens le plus ?

Un maillot de l’AS Cannes, de la Coupe de France de 1973, un truc comme ça. C’était à un joueur, j’étais rentré sur le terrain à la fin de Cannes – Nîmes pour l’avoir. Mais je crois qu’aujourd’hui, je ne rentre plus dedans.

Chez Ragemag, on aime bien les initiatives un peu politiques, un peu engagées. Parle-nous donc de FootCitoyen. Comment t’es venue cette idée ?

Loulou Nicollin vs. Didier Roustan : qui sera le boss de fin de la collection de Oh la la, quand j’ai eu cette idée, j’aurais mieux fait de me casser un bras. maillots ? Pourquoi ?

Ça me prend un temps fou et ça m’apporte pas mal d’emmerdes. Mais quand on s’engage dans quelque chose…

Et donc ça t’es venu comment ?

Quand j’avais entre 12 et 16 ans, j’étais toujours dehors, pas mal livré à moi-même. Je n’ai pas toujours fréquenté les bonnes personnes. J’étais sur la tangente, je pouvais basculer à tout moment. Pas dans le grand banditisme bien sûr, mais dans des petites conneries. Et puis le foot a été une bonne école de vie, pour me structurer. Aujourd’hui, quand je vois que des jeunes se cherchent, je trouve ça dommage. Les vraies valeurs du sport sont éducatives : le contrôle de soi, la confrontation à la justice. Les entraineurs des jeunes, aujourd’hui, ne sont pas des éducateurs dans l’âme. Ils sont juste là parce qu’ils aiment le foot. Ils font du bon boulot, mais ce ne sont pas toujours des modèles, ils sont plus là pour la gagne. Si on peut créer un système où on peut leur ouvrir l’esprit, leur donner des outils pédagogiques, c’est bien. Donc on fait un travail avec des spécialistes de l’enfant, des psychologues pour former les éducateurs. À travers cette passion, on veut construire les jeunes comme des êtres humains, ça les aidera.

Tu tweetes beaucoup aussi…

Oui, mais je ne sais pas me servir d’un ordinateur. Je demande toujours qu’on m’imprime les articles. Twitter, c’est mon fils qui m’a installé ça sur mon téléphone.

C’est important pour toi, de rester en contact avec le « Si je n’avais pas été journaliste sportif, je me serais mis public par ce biais ? un entonnoir sur la tête, je serais monté sur un cageot, et Oui, très. Ça éclaire ma lanterne. On a les infos instantanément, moi j’aurais raconté des histoires aux gens. » je n’écoute pas la radio, et puis les journaux, quand une info tombe à 16 heures, ils ne l’ont pas. Twitter, c’est une source d’inspiration, parce que je n’ai pas la science infuse. Il y a aussi des choses qui me font rire. J’aime bien le principe, discuter avec des gens que je ne connais pas. Parfois, les gens font des réflexions auxquelles je n’avais pas pensé, je me dis : « Tiens, c’est pas con, ça ». Le foot n’appartient pas qu’aux joueurs et aux journalistes.

T’aurais fait quoi si t’avais pas été journaliste sportif ?

Pas grand-chose. Je n’avais pas de grandes ambitions. J’aurais beaucoup voyagé, ou alors je serais resté avec mon chien. Il paraît que je suis créatif. Je me serais mis un entonnoir sur la tête, je serais monté sur un cageot, et j’aurais raconté des histoires aux gens. Ou alors j’aurais choisi un métier qui ne me prenne pas beaucoup de temps, pour que j’en ai pour boire des bières, parler de foot avec mes potes, regarder les femmes passer…

C’est pas un peu macho ça ?

Non, j’aime bien les femmes. Bon, bien sûr, quand y’en a une qui est avec moi, je ne regarde plus les autres.

À part ça, t’aimes quoi dans la vie ?

J’aime bien les voyages, aller au cinéma, au théâtre. J’aime bien voir comment les gens vivent. J’aime les chiens, mon chien, me promener. Parfois je survis, ce n’est pas toujours facile…

Tu as des projets ?

J’aimerais bien vivre ailleurs. Pas pour des raisons fiscales. Je paye des impôts et je trouve ça bien si ça peut aider. Mais dans un premier temps, j’aimerais bien vivre 50% du temps ailleurs. Trouver un endroit festif, où y’a du soleil, comme l’Italie ou l’Espagne. Et puis plus tard, je me verrai bien en Amérique du ragemag.fr/didier-roustan-avec-cette-l1-je-memmerde-comme-un-rat-mort-25245/ 3/4 25/07/13 RAGEMAG | Didier Roustan : « Avec cette L1, je m’emmerde comme un rat mort. »

Sud.

Tu tiendras toujours ton blog ?

Ouais, je le ferai en brésilien !

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Quand en 1995, Didier Roustan rencontrait des légendes : Cantona et Maradona ;

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À propos de l'auteur

Lucie Bacon Parle parfois de littérature, parfois de foot. Comme quoi tout arrive.

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