Edouard Brissaud, Grande Figure Du 19E Siècle Neurologue,Mais Aussi Artiste,Intellectuel,Politique
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HISTOIRE DE LA NEUROLOGIE Edouard Brissaud, grande figure du 19e siècle Neurologue,mais aussi artiste,intellectuel,politique... Comme le dit avec pertinence Achille Souques (1860-1944) dans l’éloge funèbre de son maître Edouard Brissaud (1852-1909) (1) : « Pour comprendre ses aptitudes merveilleuses et sa personnalité il faut regarder du côté de son origine et de son milieu ■ Là est en puissance toute sa destinée » ■ C’est ce que nous allons tenter de faire dans le but de décrypter, d’expliquer, de comprendre Edouard Brissaud, l’homme et son œuvre, sans que nous soyons capables de distinguer ce qui revient à la génétique et à l’environne- ment, ou au fructueux mélange des deux, et sans gommer la part de son génie propre ■ Jacques Poirier* UN PARCOURS MÉDICAL Charcot (1825-1893), Brissaud est SANS ASPÉRITÉS… avant tout neurologue et ses élèves les plus proches le sont BRISSAUD EST AVANT TOUT aussi : Achille Souques (1860- NEUROLOGUE… 1944), futur médecin des hôpi- Rappelons d’abord, dans ses taux, Henry Meige (1866-1940), grandes lignes, le parcours médi- futur professeur d’anatomie ar- cal d’Edouard Brissaud. Né à tistique à l’Ecole des Beaux-Arts, Besançon le 15 avril 1852 et mort Jean-Athanase Sicard (1872-1929), à Paris le 19 décembre 1909, sa futur médecin des hôpitaux, pro- carrière médicale, hospitalière et fesseur à la faculté de médecine. universitaire, se déroule sans as- Avec Pierre Marie (1853-1840). périté. Il est successivement ex- Brissaud fonde la “Revue terne (1872), interne des hôpitaux Neurologique” (1893) et participe Figure 1 - Portrait de Brissaud jeune (dû de Paris (1875), chef de clinique à la création de la “Société de neu- à l’amabilité du Dr Bernard Roussel). (1882), médecin du Bureau cen- rologie de Paris” (1899). A la mort tral (1884), agrégé (1886), chef de de Charcot, il assure l’intérim de la … MAIS AUSSI ANATOMO- service à l’Hôpital Saint-Antoine Chaire de clinique des maladies du PATHOLOGISTE,PATHOLOGISTE (1889), puis à l’Hôtel-Dieu (1900), système nerveux de la Salpêtrière GÉNÉRAL,HISTORIEN professeur d’histoire de la méde- (1893-1894). DE LA MÉDECINE… cine (1899) puis de pathologie Mais Brissaud n’est pas seulement médicale (1900), membre de Ses travaux sont innombrables neurologue, il est aussi anatomo- l’Académie de médecine (1909), et, pour beaucoup d’entre eux, pathologiste, pathologiste géné- chevalier de la Légion d’honneur mémorables (2). Rappelons seu- ral, historien de la médecine (6), (1894). Elève de Paul Broca (1824- lement ses”Leçons sur les mala- expert près les tribunaux spécia- 1880), de Charles Lasègue (1816- dies nerveuses” (3), “L’hygiène des liste des accidents du travail. Il crée 1883) et surtout de Jean-Martin asthmatiques” (4), “ L’anatomie le concept de “sinistrose” (7). Il di- du cerveau de l’homme” accom- rige ou participe à de nombreux *Professeur Honoraire à l’Université Paris-6,Ancien Chef de service à l’Hôpital de la Salpêtrière,Paris pagnée d’un magnifique atlas (5). ouvrages médicaux : le “Traité de Neurologies • Janvier 2009 • vol. 12 • numéro 114 35 HISTOIRE DE LA NEUROLOGIE médecine” en six volumes (8), “La Pratique Médico-Chirurgicale” (9). Il est l’un des directeurs de la Revue de médecine, membre du Comité de rédaction de la “Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie” et collaborateur régu- lier du “Progrès médical”. Il meurt le 19 décembre 1909 d’une affection cérébrale (tumeur ou abcès ?) rapidement évolutive, malgré l’intervention neurochi- rurgicale pratiquée par le célèbre chirurgien britannique Sir Victor Horsley (1857-1916). Il est enterré dans le cimetière de Saint-Pierre- Figure 2 - Buste de Brissaud (dû à lès-Nemours (Fig. 2). l’amabilité de Pierre-Yves Berveiller). ces cordes qui s’attachaient à son Figure 3 - Caricature de Brissaud, ENTOURÉ D’ARTISTES arc, pour être plus qu’un banal mé- tirant subrepticement son mouchoir ET D’INTELLECTUELS decin des hôpitaux-professeur à de la poche de son ami Reclus (due à Dès son plus jeune âge, Edouard la faculté, mais une personnalité l’amabilité de Mme Caroline Roussel). Brissaud baigne dans un milieu fa- exceptionnelle, malheureusement milial privilégié, fourmillant d’ar- trop tôt disparue. lissait de sa fenêtre, à coups de re- tistes, de comédiens, d’acteurs ly- volver,“ces fâcheux récipients”.Les riques, de peintres, de musiciens, visiteurs étrangers, guidés par lui, d’intellectuels, et Souques le voit ÉDOUARD BRISSAUD, apprenaient d’extraordinaires dé- comme un artiste : « De l’artiste, COMÉDIEN ? tails sur une nouvelle maladie,ap- il avait peut-être le dehors, certai- Edouard aurait pu, comme des di- parue depuis peu, terriblement nement le dedans, je veux dire zaines de membres de sa famille, contagieuse et dont il leur décri- l’amour du beau,le goût sûr,l’ima- devenir comédien. Il en avait vait minutieusement les sinistres gination riche,tout enfin,même le toutes les capacités. Facétieux, symptômes, de façon à leur don- brin de fantaisie.S’il eût suivi la car- farceur, mystificateur, il est à l’aise ner la chair de poule.Un soir d’hi- rière des arts ou des lettres, il y eut dans les plaisanteries dites de salle ver rigoureux,où les médecins sué- brillé aux premiers rangs.Il eut été de garde (Fig. 3). On l’aurait très bien dois, russes et allemands, réunis un artiste renommé au seizième vu sur les planches. Les étudiants chez Charcot,préparaient je ne sais siècle,un encyclopédiste fameux au adorent ses cours qui regorgent quel congrès de neurologie, dix-huitième. » (1) Effectivement, de bons mots et de formules théâ- Brissaud nous persuada de cacher Edouard Brissaud, aurait aussi trales. Son ami Léon Daudet se les snow-boots qu’ils avaient lais- bien pu être comédien (comme souvient : « On racontait de lui des sés dans l’antichambre.Ce fut,à la nombre de ses ancêtres), norma- farces fameuses.Ennemi du direc- sortie, une longue recherche sans lien agrégé, professeur de lycée teur de l’hôpital, alors qu’il était résultat - car nous n’osions plus (comme son père et son beau- interne à la Salpêtrière, il s’inju- avouer notre forfait - pendant la- père), dessinateur ou peintre riait lui-même sur les murs : quelle Brissaud proposait à ces (comme trois de ses cousins et “Brissaud est une brute et un doctes personnages, navrés et fu- deux de ses fils), écrivain (comme ivrogne”, puis courait se plaindre retant,les explications les plus sau- beaucoup de membres de sa fa- chez ce haut fonctionnaire,l’accu- grenues (…). » (10). mille), mais aussi homme poli- sait de favoriser ces outrages. tique, militaire ou tout bonnement Quand les vieilles gâteuses allaient • Ses grands-parents maternels médecin (comme son oncle), mais le matin laver leurs pots à la fon- sont Auguste Second dit Féréol n’était-il pas, en définitive, un peu taine, et les disposaient en rangs (1795-1870), acteur, ténor à tout cela, mettant à profit toutes d’oignons pour les sécher,il démo- l’Opéra Comique et peintre, et sa 36 Neurologies • Janvier 2009 • vol. 12 • numéro 114 EDOUARD BRISSAUD, UNE GRANDE FIGURE DU 19e SIÈCLE femme Eugénie Boutet de Monvel (1800-1832), fille aînée de Noël- Barthélémy Boutet de Monvel et de Cécile Anselme. Claire Brissaud a écrit ses souvenirs (11), qui don- nent de multiples informations sur sa famille (Fig. 4) et donc sur celle de son fils Edouard. • La famille de sa belle-mère, Louise Nourrit (1826-1883), baigne dans l’art lyrique. Louis (1780-1832), son grand-père, est premier ténor de l’Opéra de Paris. Son fils Adolphe Nourrit (1802- Figure 4 - Arbre généalogique simplifié de Brissaud. 1839) (12), le père de Louise, suc- cède à son père comme premier ténor de l’Opéra ; il épouse la fille Marie mène une vie tumultueuse. du régisseur de l’Opéra-Comique. Il a trois femmes et des enfants Allant de triomphe en triomphe, des trois, à qui il donne son nom, Adolphe crée de nombreux que les mères soient ou non des grands rôles, écrit des livrets et de- épouses légitimes. Expatrié en vient professeur de déclamation Suède pour des raisons obscures, lyrique au Conservatoire. Il est cé- il devient lecteur auprès du roi lèbre et admiré dans l’Europe en- Gustave III (1746-1792) et direc- tière. L’engagement par l’Opéra teur du Théâtre français de de son rival le conduit à démis- Stockholm. En 1786, il épouse sionner et à s’installer à Naples, Catherine Victoire Le Riche de mais les succès alternent avec les Cléricourt, actrice connue sous le déconvenues, et, déprimé, il se nom de Madame Monvel. Deux défenestre. Il est enterré au ans plus tard, il revient à Paris avec Cimetière Montparnasse. Auguste sa nouvelle femme et leurs deux Nourrit (1808-1853), le frère ca- enfants nés en Suède, Théodore Figure 5 - Buste de Jacques-Marie det d’Adolphe, est lui aussi ténor ; et Joséphine (14). Jacques-Marie Boutet de Monvel (dû à l’amabilité après avoir débuté à l’Opéra- continue sa carrière d’acteur et de Pierre-Yves Berveiller). Comique, il prend la direction du devient un des premiers profes- Théâtre français de La Haye, puis seurs du Conservatoire d’Art fille des comédiens Jacques-Marie du Théâtre d’Anvers et, enfin, du Dramatique de Paris. Il adhère aux Boutet de Monvel et Marguerite Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. idéaux révolutionnaires : en 1791, Salvetat, dite Madame Mars, est il fonde avec Talma Le théâtre de une des plus célèbres actrices de • Né d’un père comédien protégé la République ; il fait l’éloge de la première moitié du XIXe siècle par le roi de Pologne, Stanislas la Raison en 1793. En 1795, il de- (15).