E´ tude originale Nouvelles approches du de´veloppement de la pisciculture De´ veloppement de la petite pisciculture marchande au Cameroun : la recherche-action en partenariat

Olivier Mikolasek1 2 Re´ sume´ Blandine Barlet ´ ´ 2 La pisciculture represente, au Cameroun, la seule alternative pour combler le deficit en Eduardo Chia poissons et re´duire le niveau des importations. C’est aussi une nouvelle source de 3 Victor Pouomogne revenu pour des producteurs ruraux. Cependant, les syste`mes piscicoles propose´sne 4 Minette Tomedi Eyango Tabi sont pas assez performants sur le plan biotechnique et e´conomique pour impulser des 1 Cirad, dynamiques marchandes. Diffe´rentes approches pour de´velopper la pisciculture ont e´te´ De´partement Persyst applique´es, depuis les anne´es 1990 : a` une de´marche agronomique de type syste´mique UPR aquaculture et gestion mise en œuvre dans des projets de de´veloppement est venue s’ajouter une de´marche des ressources aquatiques participative. Cet article propose une nouvelle approche pour contribuer au de´veloppe- Cemagref - TA B-20/01 ment de la pisciculture base´e sur une de´marche de recherche-action en partenariat 34033 Montpellier cedex 01 (RAP). Nous pre´senterons les premiers re´sultats obtenus sur le terrain camerounais. France Mots cle´s:Cameroun ; partenariat ; pisciculture ; recherche. 2 Cirad, The`mes : e´conomie et de´veloppement rural ; peˆche et aquaculture ; productions UMR innovation De´partement ES du Cirad animales. Montpellier France Abstract Development of small-scale commercial fish farming in : Action 3 Irad research in partnership Station de recherche de In Cameroon, fish farming represents the only alternative to fill in the deficit in fish and Foumban to decrease the importation levels. It is also a new source of income for the rural far- Cameroun mers. However, the fish farming systems that have been put forward are note efficient 4 enough on the biotechnical and economical levels to drive commercial dynamics. Seve- De´ partement de foresterie ral approaches to the development of fish farming have been applied since the nineties: Faculte´ d’agronomie et des sciences agricoles after a systemic agronomic approach implemented in development projects, a participa- Cameroun tory approach emerged. This article introduces a new approach based on action research in partnership (ARP) to contribute to fish farming development. We intend to present here the first results achieved in the Cameroonian field. Key words: Cameroon; fish culture; partnership; research. Subjects: animal productions; economy and rural development; fishing and aquaculture.

« … la re´ussite de la nouvelle activite´ e poisson est tre`s largement e´conomique ainsi apporte´e au pays de consomme´ au Cameroun. Il consti- l’Ouest Cameroun est donc en tre`s bonne L tue la principale prote´ine animale voie. La bataille n’est cependant pas consomme´e par les populations et, o:10.1684/agr.2009.0277 doi: encore gagne´e et l’avenir ne sera vraiment notamment, par les couches les plus de´fa- assure´ que lorsque des peˆches sur une vorise´es (Tambi, 2001). La pisciculture pe´riode suffisamment longue auront repre´sente la seule alternative pour de´montre´ aux pisciculteurs la rentabilite´ combler le de´ficit en poissons et re´duire des ope´rations… » le niveau des importations (FAO, 2007). (J. Lemasson, 1953). C’est aussi une source de diversification Tire´s a`part:O. Mikolasek de revenu pour des producteurs ruraux.

270 Cah Agric, vol. 18, n° 2-3, mars-juin 2009 Cependant, malgre´ une implantation de une de´marche agronomique de type sys- travers la restitution des re´sultats, cette la pisciculture de`s les anne´es 1940 a` l’e`re te´mique (Oswald et Chamoin, 2000). approche demeure dans une logique de coloniale, poursuivie apre`s les inde´pen- Des syste`mes de pisciculture juge´s perfor- transfert de techniques propose´es par les dances essentiellement sous forme de mants sont propose´s en fonction des chercheurs. projets de de´veloppement, on peut consi- caracte´ristiques du syste`me agraire et de de´rer que la pisciculture en Afrique sub- l’abondance des facteurs de production : e saharienne, a` l’ore´eduXXI , n’a toujours mode`le pe´riurbain semi-intensif en pas de´colle´. intrants versus mode`le rural a` faible Dans ce contexte, au cours des anne´es niveau d’intrants. Ce dernier syste`me Recherche-action 1990, deux options majeures pour appre´- sera historiquement de´veloppe´ avec un hender et de´velopper la pisciculture succe`s certain en Coˆte-d’Ivoire (Stomal rurale e´mergent en Afrique subsaha- et Weigel, 1998) et promu dans la zone La de´marche de recherche-action (Chia, rienne (Stomal et Weigel, 1998) : un de´ve- forestie`re humide de plusieurs pays dont 2004 ; Liu 1992) vise un objectif dual : loppement local base´ sur une de´marche la Guine´eetre´cemment le Cameroun trouver des solutions aux proble`mes agronomique de type syste´mique et une (province du Centre). Le transfert du sys- identifie´s avec et pour les acteurs et pro- recherche en partenariat paysans- te`me propose´ est pre´ce´de´ par une duire par l’expe´rimentation des connais- chercheurs privile´giant une approche contractualisation d’engagements re´ci- sances d’ordre local (contextuel) et ge´ne´- participative. D’une fac¸on ge´ne´rale, ces proques individuels et collectifs entre le riques. de´marches prennent peu en compte les projet et les candidats a` la pisciculture. Cet objectif dual favorise les apprentissa- aspects sociaux et culturels que les socie´- La se´lection des candidats repose princi- ges et l’autonomie des acteurs (empower- te´s locales de´veloppent autour du pois- palement sur les qualite´s du site et la ment), notamment par l’action collective son. Cela fera l’objet de la premie`re partie. capacite´ du candidat a` re´aliser l’ame´nage- (Scoones et Thompson, 1999). Nous e´mettons les hypothe`ses que : ment des e´tangs. La participation aux for- Chemin faisant, de nouveaux questionne- – la recherche-action en partenariat mations et la facilitation des apprentissa- ments peuvent e´merger au sein d’un cycle (RAP) est plus apte a` prendre en charge ges constituent un engagement fort des et donner naissance a` un nouveau cycle. les diffe´rentes dimensions de l’activite´ parties prenantes du projet. La notion de cycle renvoie a` une succes- piscicole (technique, e´conomique, cultu- Le contrat pre´voit une application stricte sion annuelle de phases de proble´matisa- relle et sociale), facilitant ainsi l’initiation du mode`le par les pisciculteurs en contre- tion, de formalisation des activite´sa` tra- d’un processus d’innovation socio- partie d’un engagement du projet sur les vers des protocoles, d’expe´rimentation et technique et organisationnel ; re´sultats technico-e´conomiques. Cepen- de bilan. – le syste`me de pisciculture se construit dant, cela n’exclut pas la re´alisation des Si nous qualifions la recherche-action en valorisant les avantages concurrentiels ajustements ne´cessaires du syste`me de aussi de partenarial (RAP), c’est pour met- et les opportunite´s d’un territoire (Bureth pisciculture au contexte local. tre l’accent sur l’implication des acteurs et Llerena, 1992). non seulement dans la phase d’expe´ri- Ainsi, le pre´sent projet de Construction de mentation ou de validation mais dans tou- l’innovation piscicole (CIP) en partenariat Partenariat tes les phases de la recherche, y compris prend en compte les savoirs locaux issus paysans-chercheurs… sa gouvernance (Chia et al., 2008). de la tradition des Mboˆ en matie`re de ges- La de´marche part du principe que la mise tion des ressources en poissons et l’expe´- La recherche paysans-chercheurs de´ve- en place de processus de construction rience piscicole de producteurs acquise a` loppe´e par le WorldFish Center et ses par- d’innovation se fait a` travers des traduc- travers les projets de de´veloppement et tenaires vise a` faciliter l’adoption de tech- tions successives, des expe´riences, des leurs propres pratiques dans deux locali- niques par la re´alisation simultane´e repre´sentations, des questionnements te´sdude´partement de Me´noua, Ouest d’essais controˆle´s en milieu paysan et en des uns et des autres en un langage qui Cameroun (deuxie`me partie). stations de recherche (Brummett et soit partage´ par tous (Akrich et al., 1988). Enfin, nous pre´senterons les premiers Noble, 1995 ; Brummett et al., 2004). En Ces traductions doivent permettre de faire re´sultats obtenus sur le terrain camerou- Afrique, elle a e´te´ initialement applique´e converger des strate´gies individuelles et nais par la RAP et nous conclurons avec au Malawi, au Ghana puis re´cemment au collectives, et des repre´sentations diver- un rapide bilan sur les inte´reˆts et limites Cameroun, sans permettre la mise en ses du proble`me rencontre´ vers un point de la RAP. œuvre d’une pisciculture marchande ren- de passage oblige´ qui facilite l’engage- table. Elle utilise les outils des de´marches ment dans un projet commun (Callon, participatives et, notamment une repre´- 1986). sentation graphique des flux de ressour- Ces processus de traduction et de cons- ces biologiques au sein de l’exploitation truction d’un langage commun permet- Approches ante´ rieures agricole. L’e´valuation participative des tent d’inte´resser et d’enroˆler dans la pour- ressources permet d’engager un dialogue suite d’objectifs communs, des acteurs entre chercheurs et paysans sur les inte´- divers, chemin faisant (Akrich et al., Inspiration syste´ mique grations possibles et les technologies dis- 1988). La construction d’innovations et ponibles. La se´lection de la technologie la reconfiguration des rapports sociaux Dans les anne´es 1990, l’Association est laisse´e aux producteurs, le chercheur vont de pair, d’ou` l’importance de regar- pisciculture et de´veloppement rural se contentant d’e´viter des essais qui der la construction des innovations sous en Afrique tropicale humide-France conduiraient a` des e´checs certains. Si les un angle d’action collective. De l’inte´res- (APDRA-F) aborde la pisciculture suivant apprentissages mutuels sont favorise´sa` sement, puis de l’enroˆlement de diffe´rents

Cah Agric, vol. 18, n° 2-3, mars-juin 2009 271 Tableau 1. E´ tat de la pisciculture dans le de´ partement de la Me´ noua en 2004. Table 1. Current situation of fish farming in the Department in 2004.

Arrondissement Nombre Nombre Nombre total Superficie E´ tangs d’exploitants agricolesa de pisciculteurs recense´ s d’e´ tangs moyenne (m2) abandonne´ s (%)

Dschang 9 278 43 84 236 36,9 Nkong-Ni 13 281 20 32 206 50,0 Penka Michel 17 355 16 26 243 23,1 Fokoue´ 7 080 23 53 221 56,6 Santchou 7 356 31 268 44 64,9 Total 54 330 133 463 55,5 a Donne´ es non publie´ es du PNVRA. acteurs dans la recherche de´pendent la Du diagnostic nions de ne´gociation ont eu lieu avec qualite´ et la richesse du processus de co- a` la formalisation deux des trois groupes organise´senGrou- construction et des apprentissages qui en pement d’initiative commune (GIC). de´coulent. de la demande sociale : Ces ne´gociations ont abouti a` une pre- Portant sur un objet de recherche com- la phase d’exploration mie`re traduction des pre´occupations des plexe, la RAP mobilise tout le long du acteurs (tableau 2) en proble`mes a` re´sou- processus des connaissances et me´thodes Le projet a de´bute´ en juin 2004 avec la dre pour chacun des deux GIC regroupant des sciences agro-bioe´cologiques et re´alisation d’un diagnostic sur l’insertion respectivement les producteurs des arron- socioe´conomiques qui vont contribuer a` de la pisciculture dans les exploitations dissements de Fokoue´ et de Penka-Michel construire, avec les acteurs, un re´seau familiales agricoles du de´partement de la (collectif des pisciculteurs intensifs de ´ socio-technique piscicole. Menoua (Ouest Cameroun). Cent trente- Fokoue´ et de Penka-Michel) d’une part, quatre exploitants ont e´te´ enqueˆte´slors Le re´seau sociotechnique est constitue´ et de Santchou (peˆcheurs et pisciculteurs par des entite´s humaines (chercheurs, de l’inventaire « exhaustif », couvrant l’en- ´ (tableau 1) de Santchou) d’autre part. acteurs institutionnels, producteurs etc.) semble de la Menoua , puis 17 exploitants (et leurs familles) ont fait l’ob- et non humaines (poissons, senne, etc.), En juin 2005, ce diagnostic a e´te´ comple´te´ jet d’entretiens approfondis a` travers plu- individuelles ou collectives, de´finies par par une e´tude socio-anthropologique de sieurs visites afin de comprendre le fonc- leurs projets et leurs identite´s, en inter- l’exploitation de la ressource poisson tionnement global de leur exploitation action les uns avec les autres (Callon, dans la plaine d’inondation des Mboˆ. (Dufumier, 1996 ; Chia, 1992). 1986). Le re´seau explore et exploite les ` Le projet n’est donc pas impulse´ par une spe´cificite´s physiques, e´conomiques et A la suite de ces analyses-diagnostics, plu- ´ demande des producteurs mais se construit sociales locales (Bureth et Llerena, 1992) sieurs restitutions-validations des resultats ´ ´ ´ ´ ` a` travers le diagnostic initial sur un dialogue pour concevoir un syste`me de piscicul- ont ete realisees aupresde98producteurs ´ entre une intention de recherche et une ture rentable. repartis en trois groupes selon leurs proxi- mite´sge´ographiques et leur convenance volonte´ de changement des producteurs dans trois localite´sdeMe´noua : Dschang, (Chia, 2004 ; Liu, 1992). Il s’agit alors pour Fokoue´ et Santchou. Ces re´unions ont e´te´ les partenaires de formuler un proble`me suivies de premiers engagements re´cipro- commun qui se de´cline en questions de ques. En janvier 2005, de nouvelles re´u- recherche a` travailler ensemble. Processus de la RAP au Cameroun Tableau 2. Demande sociale exprime´ e. Table 2. Social demand expressed.

CIP et partenariat Difficulte´ s (%) Raisons d’abandon (%) Attentes (%)

Des chercheurs du Centre de coope´ration Mortalite´ s d’alevins 22,4 14 internationale en recherche agronomique Manque d’alevins 11,2 Non e´ voque´ 18,3 pour le de´veloppement (Cirad), de l’Ins- Manque d’encadrement 16,0 31a 19,6 ´ b titut de recherche agricole pour le deve- Manque d’argent 21,6 33 36,1 loppement (Irad), de l’universite´ de Dschang (UDs) et de l’universite´ de Vente difficile 9,6 13 1 Vol 8 2 Yaounde´-I (UYI) de´velopper un projet c de recherche pour e´tudier la possibilite´ Autres 11,2 7 16,9 ´ ` de developper un systeme piscicole a En incluant la mauvaise conception et re´ alisation des e´ tangs. local rentable dans la province de l’Ouest b En incluant la non-rentabilite´ , la pe´ nibilite´ et le manque de temps. du Cameroun. c Disponibilite´ d’aliments pour poissons.

272 Cah Agric, vol. 18, n° 2-3, mars-juin 2009 Cadre e´ thique Du partage Enseignements pour la coconstruction des pratiques piscicoles de recherche-action a` l’expe´ rimentation du projet CIP commune structurante Pour e´laborer les protocoles expe´rimen- taux du premier cycle, des se´minaires ont A` l’origine de la le´ gitimite´ En octobre 2005, la ne´gociation d’un e´te´ organise´s sur les pratiques d’e´levage des parties prenantes : ` cadre e´thique commun a abouti a` la lors des rencontres bimensuelles. A la le diagnostic signature d’une convention tripartite suite de ces se´minaires, diverses activite´s ´ entre les deux collectifs de producteurs de demonstration ou de partage des Dans un partenariat naissant, les incerti- savoir-faire ont e´te´ conduites. Au sein de organise´s en GIC et le collectif de cher- tudes sont multiples, tant du point de vue ces protocoles, les taˆches sont re´parties cheurs. Dans chaque collectif, 10 a` 15 per- technique que social. La qualite´ du diag- entre les membres du GIC et le collectif sonnes sont directement implique´es dans nostic est primordiale pour limiter ces des chercheurs. Outre les re´unions la RAP. incertitudes. En particulier, face a` une d’e´changes bimensuelles entre cher- intention de recherche, il est important La convention e´tablit des engagements cheurs et producteurs, les re´sultats font ´ ´ re´ciproques (tableau 3). Elle pre´voit la l’objet de plusieurs restitutions interme´- de s’assurer qu’une veritable volonte de cre´ation d’un comite´ de pilotage et d’un diaires et de´bats. changement existe, que les groupes stra- te´giques et les enjeux pour la socie´te´ ont comite´ scientifique, ainsi que la fre´- A` l’issu du premier cycle, il s’agit d’en faire e´te´ bien identifie´s et que les acteurs aient quence des rencontres entre les partenai- le bilan et de rene´gocier un nouveau les ressources ne´cessaires pour atteindre ´ cycle. On coconstruit de nouvelles pro- res (tous les 15 jours) et la duree du projet l’objectif commun. (trois ans). ble´matiques de recherche et d’action. La mise en œuvre de nouveaux protoco- Certaines difficulte´s rencontre´es par le Le plan d’action est e´tabli a` partir de la les est facilite´e par l’enroˆlement dans le projet CIP sont, pour parties, lie´es a` une formulation d’une question de recherche dispositif d’e´tudiants, d’enseignants cher- prise en compte insuffisante des strate´gies commune structurante pour chacun des cheurs et de chercheurs porteurs de nou- d’engagement (raisons pour lesquelles les GIC : a` Fokoue´, comment disposer d’ale- velles disciplines. On assiste ainsi, au acteurs s’engagent) individuelles comme, vins de qualite´ et rendre viable l’activite´ cours du temps, a` une diversification et par exemple, la satisfaction d’ambitions piscicole ? A` Santchou : comment valori- a` un approfondissement des proble´mati- d’acce`s au pouvoir ou les attentes du ser la collecte d’alevins de silures issus du ques de recherche. Cette e´volution be´ne´fice de la rente du projet (Olivier de milieu naturel ? entraıˆne un e´largissement et renforce- Sardan, 1995). ment du collectif de recherche. Ces questions ge´ne´rales sont ensuite Les partenaires ont aussi e´te´ amene´sa` transforme´es en questions de recherche ne´gocier de nouvelles alliances aupre`s Partenariat, traitables au cours d’un cycle. Leur d’autres acteurs du territoire : agents des une friction productive dure´e tient compte des cycles de produc- services techniques, maires, projets de tion des poissons lie´s aux saisons et aux de´veloppement, ONG, etc. Ces nouvelles L’objectif commun est le produit des logi- strate´gies des producteurs. Chacune de alliances doivent contribuer a` anticiper le ques diffe´rentes des parties prenantes. ces questions fait l’objet d’un protocole de´sengagement des chercheurs, pre´vu a` la Ces logiques vont s’exprimer et vont se d’e´tude ou d’expe´rimentation ne´gocie´ et findutroisie`me cycle et, e´ventuellement, ne´gocier a` travers les pratiques, les repre´- valide´ par les parties prenantes du projet. la rene´gociation d’un nouveau projet. sentations et les croyances.

Tableau 3. Engagements re´ ciproques extraits de la convention signe´ e entre les diffe´ rents collectifs. Table 3. Mutual agreements based on the contract signed by the different groups.

Article 4 : engagement des producteurs Article 5 : engagement des chercheurs

4.1. Favoriser l’action collective et participer aux re´ unions de 5.1. Contribuer au de´ veloppement des investigations de´ cide´ es travail de leur GIC respectif collectivement avec les acteurs 4.2. Mettre en commun les savoir-faire au sein de leur GIC et 5.2. Mettre au service du projet toutes leurs connaissances plus largement ceux de tous les acteurs du projet RAP 4.3. Partager avec l’ensemble des acteurs du projet RAP les 5.3. Restituer les re´ sultats du projet RAP re´ gulie` rement dans informations techniques et financie` res, susceptibles de faire un langage compre´ hensible avancer le projet (ne pas « cacher » les informations) 4.4. Favoriser la mise en œuvre des protocoles e´ labore´ s 5.4. Maintenir des contacts re´ guliers (bimensuels) avec les GIC ensemble et respecter les consignes arreˆ te´ es ensemble 4.5. Appliquer les nouvelles techniques e´ labore´ es en commun 5.5 Faciliter les contacts avec d’autres institutions et et les concernant organismes susceptibles d’aider la re´ alisation du projet 4.6. Permettre aux chercheurs d’utiliser les donne´ es dans des 5.6. Mentionner dans les publications les origines des donne´ es publications scientifiques ou de de´ veloppement

Cah Agric, vol. 18, n° 2-3, mars-juin 2009 273 Tableau 4. Les modalite´ s de l’e´ mergence des principales controverses de la recherche-action en partenariat au Cameroun. Table 4. Forms of the emergence of the main controversies of the Action Research in partnership in Cameroon.

De´ clencheur Contrainte Acteurs Actions Re´ sultats Controverse

Diagnostic Pas de chercheur Chercheurs (3) Enqueˆ tes Re´ alite´ Pisciculture des sciences Enqueˆ teurs (3) Entretiens de la pisciculture non rentable sociales Producteurs Restitution Premie` re traduction De´ clin des pratiques Ne´ gociation de la demande (plaine des Mboˆ s) en proble` mes Diagnostic Langue et temps Anthropologues Enqueˆ tes Qualification Place des pratiques et producteurs dans la plaine des pratiques he´ rite´ es des pe` res des Mboˆ s et validation dans le changement d’une typologie propose´ fonde´ e sur les pratiques Ne´ gociation Nouveaute´ Chercheurs Re´ unions Signature Partenariat du dispositif RAP de l’approche producteurs Ateliers d’une convention de´ se´ quilibre´ sur les pratiques De´ finition en faveur Travaux pratiques des questions des chercheurs : structurantes pas de subvention Comment produire Producteur E´ tudiant E´ laboration Obtention Densite´ de poissons de gros poissons ? se perc¸oit comme en agronomie des re` gles de gros poissons a` la mise en charge un exe´ cutant producteurs (12) communes Changement pisciculture : pour pratiquer des repre´ sentations non marchande la pisciculture (point ou marchande ? Comment faciliter Dysfonctionnement Chercheurs de passage oblige´ ) La question Place l’action collective ? du GIC et e´ tudiante de l’organisation de la sociologie en sociologie est pose´ e dans la re´ solution producteurs (12) des proble` mes

Le dispositif de la RAP, notamment le Cette friction productive acce´le`re les re`gles du mode`le local de pisciculture. cadre e´thique en formalisant les engage- changements des repre´sentations et des Les producteurs perc¸oivent la piscicul- ments re´ciproques, instaure des garde- pratiques de toutes les parties prenantes ture comme une activite´ capable de pro- fous indispensables sans pour autant sup- et favorise ainsi la production de connais- duire de gros poissons et de ge´ne´rer des primer toute fiction et friction entre les sances dans et pour l’action. revenus ; parties prenantes (Soulard et al., 2007), – l’engagement d’un noyau de produc- car les incertitudes sont nombreuses et teurs du GIC PEPISA (Santchou) dans importantes tant au niveau des pratiques Pour de nouveaux savoirs : l’organisation de la collecte, la conserva- que de l’environnement. Il ne saurait eˆtre changer pratiques tion et commercialisation d’alevins de question de les « domestiquer » (ou les et repre´ sentations silure issus du milieu naturel pour appro- enfermer) dans un contrat. Les controver- visionner la pisciculture ; ses et tensions entre les partenaires Les controverses issues du partenariat, les – l’e´mergence de nouvelles questions a` (tableau 4) sont source de rede´finition protocoles en action et les restitutions des traiter lors du prochain cycle portant sur de la situation, de remise en cause du pro- re´sultats modifient les repre´sentations de l’organisation des producteurs, les prati- jet et peuvent donc eˆtre rendues construc- toutes les parties prenantes sur leurs pra- ques lie´es a` la consommation des pois- tives : le malentendu sur la demande de tiques techniques et organisationnelles, et sons et les formes de coordination pour financement de la part de producteurs, cre´ent ainsi des apprentissages croise´s la professionnalisation. par exemple, est source de tensions, et (Hatchuel, 2001). depuis le de´but du projet, mais il ame`ne Les deux premiers cycles de la RAP sont a` poser la question essentielle de leur caracte´rise´s par : autonomisation. En effet, une appropria- – la satisfaction des producteurs du GIC tion progressive du projet et de ses objec- COPIFOPEM (Fokoue´ et Penka-Michel) tifs ame`ne un de´placement de la ques- au regard des re´coltes de poissons lors Conclusion tion : qu’est-ce que vous nous apportez de la vidange des e´tangs (tableau 5). pour la re´ussite du projet ? a` : comment Les premiers cycles ont e´te´ tre`s riches pouvons-nous nous organiser pour que en termes de production et de partage Le processus de RAP pre´sente´ a pour notre projet re´ussisse ? de connaissances pour e´laborer les ambition de traiter des questions com-

274 Cah Agric, vol. 18, n° 2-3, mars-juin 2009 Tableau 5. Caracte´ ristiques des re´ coltes au cours du deuxie` me cycle de la RAP. Table 5. Characteristics of harvests during the second partnership-based-Action-Research cycle.

Producteur E´ tang (m2) De (jours) Bi (kg) Bf (kg) Gp (kg) Rdt (kg/ha par an) PMf tilapia ♀♂ (g)

1 350 382 18,5 112,7 94,2 2 571 143 ± 17 2 193 395 6,6 83,4 76,8 3 678 198 ± 25 3 180 320 3,5 41,2 37,7 2 389 182 ± 86 4 108 389 7,8 39,6 31,8 2 763 161 ± 29 5 160 391 3,1 122,8 119,7 6 981 225 ± 44 6 153 390 5,9 50,0 44,1 2 698 209 ± 29 7 108 390 5,6 37,6 32,0 2 770 220 ± 36 8 150 387 5,8 50,0 44,2 2 781 191 ± 44

Bi : biomasse initiale ; Bf : biomasse finale ; Gp : gain de poids ; De : dure´ e d’e´ levage ; Rdt : rendement ; PMf : poids moyen final.

plexes (Chia, 2004 ; Liu, 1992) de la pisci- scientifiques actionnables et constituent Callon M. E´ le´ ments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles culture rurale comprise comme la cons- la base d’un nouveau paradigme pour la Saint-Jacques et des marins-peˆ cheurs dans la truction d’un mode`le de production loca- recherche agronomique ou l’inge´nierie du baie de Saint-Brieuc. Anne´e Sociol 1986 (36) : lise´ et d’un re´seau socio-technique et de´veloppement rural (Chanal et al., 169-208. organisationnel (da Silva et al., 2005). 1997). ■ Chanal V, Lesca H, Martinet AC. Vers une inge´- La RAP, en tant que de´marche, meˆme si nierie de la recherche en sciences de gestion. elle s’est engage´e dans un de´veloppe- RevFrdeGestion1997 : 41-51. ment local, vise a` produire, a` partir de Chia E. Une « recherche-clinique » : proposi- connaissances « situe´es », des connaissan- tion me´ thodologique pour l’analyse des prati- Remerciements ques de tre´ sorerie des agriculteurs (e´ tude de ces ge´ne´riques (Liu, 1992) et a` alimenter cas en Lorraine). Etudes et recherches sur les le de´bat sur le « de´collage » de la piscicul- Nous remercions le Projet de renforce- syste` mes agraires et le de´ veloppement, n° 12. ture en Afrique subsaharienne et en ment des partenariats dans la recherche Paris : Inra SAD, 1992. agronomique au Cameroun (REPARAC), particulier au Cameroun. Chia E. Principes, me´ thodes de la recherche en La RAP augmente la capacite´ d’action et les groupes d’initiatives communes COPI- partenariat : une proposition pour la traction ` FOPEM et PEPISA et tous nos autres par- animale. Rev El Med Vet Pays Trop 2004 ; 57 l’autonomie des acteurs. A l’issue des (3-4) : 233-40. deux premiers cycles de la RAP, les pro- tenaires. ducteurs sont davantage capables de co- Chia E, Barlet B, Tomedi Eyango M, Pouo- mogne V, Mikolasek O. Co-construction of a concevoir les protocoles expe´rimentaux local fish culture system: Case study in Wes- avec les chercheurs et plus largement tern Cameroon. In : Dedieu B, ed. Empower- d’orienter le travail de recherche. Toute- ment of the rural actors. A renewal of farming systems perspectives. 8 th European IFSA fois, une dure´e de deux ans n’est pas suf- Re´ fe´ rences Symposium, 6-10 July 2008, Clermond-Fer- fisant pour conclure a` la supe´riorite´ de la rand. Paris : Inra, 2008 (ce´de´rom). RAP quand il s’agit de mettre en place une Akrich,M,CallonM,LatourB.A` quoi tient le da Silva NJR, Beuret JE, Mikolasek O, Fonte- pisciculture marchande rentable. succe` s des innovations ? Premier e´ pisode : nelle G, Dabbadie L, Martins MIEG. Dynami- La RAP exige, de la part des chercheurs, l’art de l’inte´ressement. Deuxie`me e´ pisode : ques de de´ veloppement de la pisciculture et l’art de choisir les bons porte-paroles. Ge´rer politiques publiques dans la valle´ e du Ribeira, un changement de posture qui se traduit et comprendre, 1988. E´ tat de Sa˜ oPaulo(Bre´sil). Cah Agric 2005 ; 14 : par une multitude de fonctions et/ou de 59-63. capacite´s : traducteur, animateur, me´dia- Brummett RE, Noble RP. Farmer-Scientist Research Partnerships and Smallholder Integra- Dufumier M. Les projets de de´ veloppement teur, chercheur, porte-parole, etc. Ces ted Aquaculture in Malawi. In : Symoens JJ, agricole. Paris : CTA-Karthala, 1996. fonctions ne vont pas de soi et les com- Micha JC, eds. The Management of Integrated pe´tences doivent eˆtre acquises rapide- Freshwater Agro-Piscicultural Ecosystems in FAO. The State of World Fisheries and Aqua- Tropical Areas Wageningen. Wageningen culture 2006. 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